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X
BULLETIN
DE LA
r f
SOCIETE DE GEOGRAPHIE
Septième série
TOME XX
LISTE
DES PRÉSIDENTS HONORAIRES DE LA SOCIÉTÉ*
MM.
* Marquis de Laplace. '"Marquis DE Pastoret.
* V'« de Chateaubriand.
* Cte Chabrol de Volvic.
* Becquey. ♦ct«chabrol de crousol.
* Baron Georges Cuvier.
* B°» Hyde de Neuville
* Duc de Doudeauville. ♦Comte d'Argout.
* J.-B. Eyriês.
* Vice-amiral de Rigny.
* Contre-am. d'Ur ville. ♦Duc Degazes. ♦Comte de Montalivet. ♦Baron de Barante.
* Général baron Pelet. ♦Guizot.
♦De Salvandy. ♦Baron Tupinier.
* Comte Jaubert.
* Baron de Las Cases.
* VlLLEMAIN.
MM.
♦ Cunin-Gridaine. ♦Amiral baron Rous-
SIN.
♦ Am. baron de Mackau.
♦ B°" Alex. DE HUMBOLDT.
♦ Vice-amiral. H alg AN.
♦ Baron Walckenaer.
♦ Comte Mole.
♦ De la Roquette, ♦Jomard.
♦ Dumas. ♦Contre-am. Mathieu.
♦ Vice-amir. La Place. ♦Hippolyte Fortoul.
♦ Lefebvre-Duruflé.
♦ Guigniaut.
♦ Daussy.
♦ Général Daumas.
♦ Duc de Beaumont.
♦ Rouland.
♦ Amir. Desfossés. ♦C. de Grossolles-
Flanarens.
MM.
♦ Duc de Persigny.
♦ Vice-amiral de laRon-
CIÈRE LE NOURY.
♦ Comte Walewski.
♦ De Quatrefages. ♦Michel Chevalier.
♦ Alfred Maury. ♦Vivien de St-Martin.
♦Mi8 DE CHASSELOUP-
Laubat. ♦ Meurand.
♦Contre-am. Mouchez. ♦Ferdinand de Lesseps. Alph. Milne-Edwards. Alfred Grandidier. ♦Auguste Daubrée. Emile Levas seur. Dr E. T. Hamy. ♦Antoine d'Abbadie. Emile Cheysson. Auguste Himly. Jules César Janssen. Bouquet de la Grye.
PRÉSIDENT
De la Section de comptabilité
de la Société
M. Paul Miraraud.
TRÉSORIER
delà Société
M. Georges Meignen, notaire.
ARCHITECTE DE LA SOCIÉTÉ M. Edouard Leudière.
AGENCE
M. Charles Aubry, agent, Hôtel de la Société, boulevard Saint-Germain, 184.
1. Les noms sans * sont ceux des présidents honoraires aujourd'hui vivants.
BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
RÉDIGÉ
À\fiC LE CONCOURS DE LA SECTIOJI DE PUBLICATION
PAR
LES SECRÉTAIRES DE LA COMMISSION CENTRALE
SEPTIEME SERIE — TOME VINGTIÈME
ANNÉE 1899
►S<3SS>5-
PARIS
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
184, Boulevard Saint-Germain, 184 1899
COMPOSITION DU BUREAU
ET DES SECTIONS DE LA COMMISSION CENTRALE
pour 1899
BUREAU
Président M. Gabriel Marcel.
. . , , (M. Edouard Anthoine.
Vtce-prestdents 2 „ , 4 „ • • ^
f M. le comte Casimir Delamarre.
Secrétaire général M. le baron Hulot.
Secrétaire adjoint M. Jules Girard.
Secrétaire général honoraire», M. Charles Maunoir.
Archiviste-bibliothécaire M. le baron Jules de Guerne.
Section de Correspondance
MM. le marquis de Bassano. Edouard Blanc. Edouard Cas pari. Général Derrécagaix. Jules Garnicr. Charles Gauthiot.
MM. Janssen, de l'Institut.
Emile Levasseur, de l'Institut. Georges Rolland. Charles Schlumberger. Franz Schrader. * Joseph Vallot.
Section de Publication
MM. Prince Roland Bonaparte. Emile Cheysson. Henri Cordier. Baron Jules de Guerne. E. T. Hamy, de l'Institut. A. deLapparent, de l'Institut. Le Myre de Vilers.
MM. Emmanuel de Margerie. Alfred Martel. Charles Maunoir. A. Milne-Edwards, de l'Inst. Lieut. -colonel Prudent. Charles Rabot.
Section de Comptabilité
MM. Bouquet de la Grye, de l'In- stitut. Alfred Grandidier, de l'Inst.
MM. Georges Meignen, notaire. Paul Mirabaud, banquier. Comte Louis de Turenne.
r
RAPPOET
SUR LB8
PROGRÈS DE LA GEOGRAPHIE1
PENDANT L'ANNÉE 1898
PAH
Le 13si3?oxl HTJLOT
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE T. A_ COMMISSION CENTRALE.
Une géographie vraiment universelle serait la description complète de la terre et des hommes *. Nous n'avons pas la prétention d'écrire dans ce grand livre des connaissances humaines la page qui revient à 1898. Toute notre ambition serait de résumer à cette place les principaux faits d'ordre géographique accomplis ou connus au cours de cette année et dont la plupart ont été consignés au jour le jour dans les Comptes rendus des séances. Mais ce programme est lui- môme trop vaste pour être développé dans une seule con- férence. Il nous faudra choisir, en insistant, autant que possible, sur les explorations françaises.
Un simple coup d'œil jeté sur le planisphère permet de diviser les continents en trois tranches longitudinales offrant entre elles certaines analogies. La première tranche contient l'Europe et l'Afrique, séparées seulement par une mer inté- rieure, ouverte sur un point. La seconde, plus vaste, est formée par l'Asie, que l'Insulinde rattache à l'Australasie
i . L'exposé des travaux de la Société pendant Tannée 1898 se trouve dans les Comptes rendus. Le présent rapport a été rédigé pour la séance du 23 décembre 1898.
2. Elisée Reclus, Nouvelle Géographie universelle, I, p. 5. Paris, Ha- chette, 1876.
Nota. — Le 4e trimestre 1897 du Bulletin paraîtra ultérieurement.
HAPPOBT SDR LES PltOGRÈS DE LA GEOGRAPHIE
suivant une courbe qui rappelle les contours du golfe du Mexique et de la mer des Antilles. La troisième, moins mor- celée, est composée des deux Amériques, unies l'une à l'autre par un lien si faible qu'il fut question de le couper.
Chacune de ces tranches se compose de deux masses continentales développées et déchiquetées au nord del'équa- teur, réduiles et uniformes au sud. C'est dans cet ordre que nous passerons en revue les cinq parties du monde, en ré- servant pour la lin les explorations polaires.
EUROPE
En Europe l'homme a pris si complètement possession du sol qu'il s'en dispute jusqu'aux moindres parcelles. Et ce- pendant, sur certains points, le territoire n'est pas scientifi- quement connu. Les recherches de M. Slarkoff sur la dis- tribution des eaux de la nier Blanche et de la mer Baltique ont prouvé que, dans le nord de la Russie (Finlande et pro- vince d'Arkhangel), des bourgs eomme celui de Kebolo et de vastes forets ne figurent sur aucune carte. M. Slar- koff a constaté, sur la ligne même du partage des eaux, à 250 mètres d'altitude, l'existence d'un plateau, d'où s'échappent trois rivières : la première vers la Kern, tribu- taire de la mer Blanche, la seconde vers les lacs Wuoxen et Ladoga, qui alimentenl la Neva, la troisième vers l'Ouléa, dans le nord du golfe de Bothnie*.
Des faits analogues ont été constatés sur les bords de l'Adriatique dans la haute Albanie, où MM. Hassert et Bal- dacci ont entrepris différentes excursions et sont parvenus à déterminer une série d'altitudes, autour de Sculari et de Prîzrcn, en se servant d'un baromètre anéroïde qu'ils tirent passer pour une pendule*.
1. nvieitiit, Sic. liéogr. russe, 1x07, p, ini.,
ï. VerlHinttl. Soc. Géogr. Berlin, 1897, u" 10, p. i33, nvw c
PENHANT l'année 1898. 7
Ces contrées, où l'alpiniste n'a pas moins a glaner que l'eibnographe et l'archéologue, ont également tenté le vi- comte de Cuve rv il! fl dont les circulations à travers la pénin- sule balkanique ont élé décrites à l'une de nos séances1.
Dans le domaine rit la géographie économique, deux pro- jets sont à mentionner : le prolongement de la voie ferrée qui va de Luléa à Gellivara et qui relierait le golfe de Both- nie, souvent encombré par les glaces, aux eaux libres de l'Atlantique en face du Ofoten fjord*; l'étude du tracé d'un canal de la mer Baltique à la mer Noire par la Dvina, la Bérézina et le Dnieper, qui permettrait aux vapeurs fluviaux de traverser l'Europe en six jours sans quitter le territoire russe3.
L'exploration du sous-sol de la France, qui s'organise avec méthode sous l'action de la Société de Spéléologie, a pris depuis deux ans une grande extension *. A la fin de 1897, M. Martel, n^i^lé de M. Viré, naturalisa du Muséum, découvraildans la Lozère, sur leCaiisseMéjean,l'un ries plus profonds abîmes connus, l'aven Armand, dont les stalag- mites mesurent jusqu'à 30 mètres de hauteur. Cette année, en aménageant la rivière souterraine du gouffre de Pariirac (Gard), M. Martel a mis les savants à même de contrôler le réel mode de fonctionnement des réservoirs des sources, et ses constatations auront, dans la pratique, des résultats considérables \
1 . Comptes rendus, I89N, p. liO.
;. [iultetin Soc. Géogr. commerciale, 1838, p. Ï35.
3. Verkmdl. ^•■: i'..-ut!r. Berlin, XXV, ÎB'.IS, n- i, p. 193.
4. V. la collection du Bulletin et des Mémoires de ta Société de Spé- léologie. 1S9T el 1898. *
5. Celle opinion, quis nous émettions eu décembre. 18!!R, :i reçu une in le confirmation au début de Ittlti). Lus conséquences qui résultent
de ces recherches, au point île vue de lit santé publique, ont été l'objet d'importants débats 3 lu Chambre des députés dans lu séance du 30 janvier 1899. Vuir le Journal aftieief du 31 janvier 1899, p. ÎM-M7, ; M. Jules Legrand, sous-secré-
I iMiiiniiirn'iii ce passage du d
,ES PHOGÏ1ËS DE LA GÉOGRAPHIE
Les recherches de MM. Viré dans les Pyrénées, Ma/.auric sur les rivières perdues des Cévennes, Deambaz sur les grottes et les sources du JJauphîné, Driolon dans les sou- terrains de la Côle-d'Or, Fournier dans les cavernes des environs de Marseille, etc., ont déjà démontré que le travail du spéléologue nous apporterait dans un avenir prochain une ample moisson de faits géographiques.
Eu Angleterre, en Espagne, en Autriche, l'impulsion est donnée et les investigations se poursuivent au grand avan- tage des sciences physiques et naturelles. Si nous avions un voeu à formuler pour tel jeune Société de Spéléologie, nous lui souhaiterions la prospérité du Club alpin.
L'alpinisme, qui est également une des formes de la géo- graphie, propage le goût de cette science, complète l'œuvre du géologue par l'étude minutieuse du relief et stimule la ré- vision des cartes de montagnes. M. Joseph Va Ilot, qui vient de faire paraître le troisième tome des ,4 un" 1rs de l'Observatoire météorologique du Mont-Blanc1, a pu aborder ce sujet avec compétence en appréciant récemment la part de M. Durier da.js la création du Club alpin français, de même qu'il a fait ressortir les belles éludes que M, A. Delebecque a en- treprises sur plus de 150 lacs français*.
laire d'État au ministère de l'intérieur : « M. Martel m'a moiuré ù ment la contamination de sourres répuiécs pures pouvait se produire au moyen de ces cavernes, de tes sortes de dépotoirs ruraux, 011 l'on enfouit toutes espèces d'otijels. Lorsque l'eau est puisée, elle parall pure ; mais il y a des •M'.iti's sonlecr.i in-'s i|ui meltent eus puits, 1 cavernes, en communication avec l'eau, et des épidémies, dont on ne trouvait pas l'orit'iin*. oui [irérisf-iuriil leur .viuse dans la communication de ces gouffres avec cis source. J'ai pensé que le ministère de l'Inté- rieur, que le servke dont j*:il la liauie direction, devait s'occuper immé-
"ïiiie m <!<■ n-ite queslion, et j'en ai saisi le comité d'hygiène publique
de France, j- ( Très bien ! très bien I)
1. Paris. 1898, <•. Sieinheil, édit.
1 Bulletin de la Sncittè de Gio'iraphit, [898. Vil" série, tome XIX, p. lfW-171, 180-iM. -Les Lan français, par André IK'Iebeeque. l'arls, Cliawernt cl lleiioiurd. INHN.
:
m 11
Iquc
FSHBAHT I. 1
Les travaux hydrographiques sur les côtes de France du
ran t les deox années 1897
1898 c
nprennent : 1" la revi-
sion ries cartes de la côle sud de France depuis le cap Bé- nat jusqu'au cap de la Garoupe et de là à la frontière, celle de la baie de Marseille et de la côte à l'est jusqu'à Handol, par M. Mion, ingénieur hydrographe à bord de la Chitnère; 2" les sondages de la rade de Cherbourg par M. le lieutenant de vaisseau Faucon, pour étudier l'effet produit par la con- struction des digues de Chavagnac et de l'île Pelée; 3° le levé des abords rie Brest, abord du Laborieux, entre Saint- Malbicuetla pointe de Toulinguct, par M. Renaud, ingé- nieur hydrographe, qui reconnut ensuite le plateau de Mo- lène et, entre temps, dut lever les passes de laTeignouseet refaire les sondages de la partie sud du chenal du Four, où des roches dangereuses lui avaient été signalées; 4" la me- sure d'une base de vitesse pour torpilleurs dans le l'erluis Breton, par M. Gauthiers'.
Le service de la carte de France au 1/100,000% établie au Minislèrc de l'Intérieur par la centralisation des travaux des agents voyers, tient à jour l'œuvre par des rééditions suc- cessives portant sur une centaine de feuilles par an. 11 con- tinue également le eliehago sur cuivre de ce document afin de constituer le matériel délinitif de l'Étal'.
Sur la demande du département dos Finances, le Service géographique de l'Armée commence une revision générale
1. Résumé ri 'une romiiiiirHf.-a.linn île M. Cri^ptiri. ingénieur liyilro-
gi-uplii:
i, la frirte au I 100,000" a été, d'abord gravée sur pierre et les
h "fil été publiées nu fur al à mesure de leur acbèvemrm. i>
niiilcfiel Bocomhrant et sujel à accidents rst fictui'lU'nn-nl iriiiislWmé.
n j.rr,. ,■,],■■ l'iciMni-cIniiiique, en rulvres gravés il'uno nmservatioii
e et d'un maniement facile. La moitié environ de (es culwes est
a en fail en moyenne 350 par an (noie île M. Anihntne, chef
u service iju la carte di- France an Ministère i\e l'Intérieur).
10 RAPPORT SUR LUS PROGRÈS DF. LA GÉOGRAPHIE
du réseau français pour fournir les bases fonda ruen laïcs d'un nouveau cadastre. Celle entreprise de longue haleine don- nera à la triangulation de la carie de France une précision supérieure à celle de l'ancien corps d'état-major qui, malgré son savoir, ne pouvait pas obleuir les résultais précis que donne aujourd'hui l'emploi d'instruments perfectionnés',
Algérie-Tunisie. — Le Service géographique de l'armée poursuit sans interruption l'exécution de la carte d'Algérie et de Tunisie.
« La triangulation de premier ordre', qui comprend âgrandes chaînes parallèles et 4 chaînes méridiennes, a terminée en 1898. En outre, les quadrilatères de remplissage sont tous pourvus d'une triangulation de premier ordre com- plémentaire, à l'exception du quadrilatère qui embrasse la région du sud-ouest, près de la frontière du Maroc, dont l'exécution aura lieu incessamment. La triangulation secon- daire, destinée spécialement à fournir les points de repère des travaux lopographiques, est achevée sur les quatre cin- quièmes du territoire.
* Dans le cours de l'année 1898, on s'est attaché à com- pléter le réseau des points astronomiques, destinés à fournir les vérifications nécessaires au calcul des coordonnées géo- graphiques. C'est ainsi que l'on a effectué les mesures de différence de longitude entre Alger (observatoire militai]
1. Il esisiR un receni travail île M. E. Fauvel, sur * l'historique réfection, ilu cadastre» couronné en 1X98 par la Société île Topographie el actuellement soumis au Comité des travaux historiques et scientifiques ' au ministère île l'Instruction publique.
'2, Note ohligeamment communiquée par M. le général ltassol, ili l'Institut, snus-chef d'élat-majnr général de l'Armée, directeur du Sor- ti re jréographlque.
de
:
nie les
PBHDÀKT L'ANNÉE 1898. il
de Colonne-Voiiol) el les posles d'Aïn-Scfra, Médenine, Sé- tif et Gafsa. On a de môme mesuré la latitude et un azimut en ces quatre stations, ainsi qu'à Saïda ut à Kairouan. Le réseau de l'Algérie comporte maintenant 15 points astro- nomiques : Nemours, Msabiha, Alger, Sétif, Bône, CarLhage, sur 11- parallèle du nord; Aïn Sefra, Géryville, Laghouat, Iliskra, Gafsa et Médenine, sur le parallèle du sud; Saïda, sur la méridienne d'Or.in ; Guelt-es-Slel, sur la méridienne de Laghouat, et Kairouan, sur la méridienne de Gabès.
< Dès maintenant, le Service géographique se préoccupe de développer la triangulation dans la région saharienne, et des reconnaissances vont être entreprises en 1899 pour établir deux chaînes, l'une, qui partira de Biskra pour aboutir àOuargla, l'autre, qui partira de Laghouat, passera à Gbardaïa et viendra se souder à la première à Ouargla. c Les levés topo graphiques progressent chaque année en fournissant en moyenne 3 feuilles au 50,000* pour les cartes à cette échelle de l'Algérie el de la Tunisie, 4 feuilles au 100,000' pour la Tunisie et 2 feuilles au 200,000" pour les hauls plateaux de l'Algérie. Il esta présumer que ces différentes cartes seront achevées dans une dizaine d'années1, c En outre de ces opérations régulières, le Service géogra- phique alimente quelques missions spéciales qui commen- cent à dresser les cartes des colonies. A Madagascar se trouvent quatre officiers géodésiens, qui ont déjà établi des réseaux sur des régions assez étendues entre Tananavive, Tamatave, Port-Dauphin et Tulléar;d'aulres iront prochai- nement au Tonkin pour entreprendre une triangulation régulière. Il y auraiL intcrétàce que ce mouvement s'étendit et que l'on entreprit sans trofi larder les cartes des im- menses territoires placés actuellement sous noire influence ou sous notre domination, dans le cœur de l'Afrique. »
1891 61 l«HB bd Algérie
C vi iJi'n CiiiniiitjfiiKS lupiifiiiiphiiiues
i Tunisie mnttiml le Si'i-vici» ^'■•■|.T;i|iliiitii<:
12 RAPPORT SUR LES PBOGRF.S DE LA GEOGRAPHIE
On ne saurait trop insisler sur la nécessité d'entre- prendre la triangulation des territoires conquis. Au Soudan comme an Congo ou dans le Haut-Oubangui, les leïés à la boussole ne sont plus suffisants et les cartes, dont le dessin se complique à mesure que les itinéraires augmentent, exigent l'établissement de points astronomiques précis. Force sera d'adopter des cartes a grande échelle pour décrire ceB vastes espaces que, naguère, on nommait Sahara ou Grand Désert, Nigritie ou Soudan, ou qu'on laissait innom- més, tels que cette région équatoriale traversée par la chaîne mystérieuse des monts de la Lune.
en mesure de produire vingt-trois feuilles nouvelles île ilidérenics
I9 Campiiij-na de IK97, douie feuilles ;
Algérie au 50,000'. Feuille n" 115. liordj b,ra Arréridj.
— n" 110. Sainl-Donat. Algérie au 300,000". Feuille n' 23. Ammi-Moussa.
— — n" 24. Iloghar.
— — n- 38. Aurè*.
— — n" 45. Zénina. Tunisie an 50,000". Feuille n° I. Kef Abbed.
— n" V. Oued Sedjenane.
— — n- XXXVIII. Ouargia. Envimnt du Kef.
Tunisie au 100,000". Feuille n" XXIV, Le Kel.
— — n" XXV. Jama.
— — n" XXVI. Djeiiitiir f Gninpiigne de ÎKHS, orne feuilles :
Algérie au 50,000". Feuille n" 130. Aine Mllla. Algérie au 300,000". Feuille ti> 35. Guclt es Stel.
— — n- 37. El K amant. Tunisie, au 50,000". Feuille n" LII1I, Kairouau.
— — n" LXIV. Sidi el Hani. Tunisie au lOOtOOO*. Feuillfi n XXllt. liordj Sidi ïoosaef.
— — n" XXVIII. I>Jel>el_ liarraha.
— — n* XXIX. Ksour.
— — n XXX. Maktar.
— n" XXWII. h
— n- XXXVIII. Sidi el Hani.
PERDANT l'année 1X98. 13
nui'lr <!■ Niger et régi ou il» TuiMtioDFIou, — Il suffit
p jeter les yeux sur une carte d'Afrique pour voir que nos colonies se sont soudées à travers le Sahara. L'an dernier, nous constations que les missions du Mossi et du Gou- rounsi, du Gourma et du pays bariba reliaient entre elles nos possessions de la côte de Guinée et du Soudan. Ce mou- renient, qu'imprimèrent entre autres les missions Hugot, Voulet-Cbanoîne, Baud-Vermeersch et Bretonnet, s'esl pro- pagé en 1898. On s'en convaincra aisément en comparant eutre elles la 1" et la 2" édition de la carte de la boucle du Niger, publiée par le Service géographique des colonies sous l'habile direction de M. Guy.
Le commandant Destenave, qui procéda en 189(1-1897 à l'organisation du Yatenga et du Mossi ainsi qu'à la prise de possession des pays de l'est, depuis l'Arîbinda jusqu'à Say, vient de publier, à son retour en France, un exposé som- maire des opérations de la boucle du Niger. Au mois de mars 1898 la pacification était achevée dans cette région où le bien-être s'accroît avec le commerce '. Deux voies de pénétration ont été ouvertes, au moyen de prestations fournies par le pays. L'une, large de 10 métrés, longue de 900 kilomètres, part de Saraféré (sud de Tombouclou) et va à la frontière dahoméenne; l'autre réunit les deux branches de la boucle, de Mopti à Say, sur 800 kilomètres environ. Les voilures Lefebvre circulent jusqu'à Dori, dans le Liptako, el l'on peut certifier que ce marché, le rival de Tombouclou et (le Kano avant la conquête, détourne maintenant à son profil les courants d'affaires, qui inclinaient autrefois vers l'est on vers le nord. Les levés exécutés par les nombreuses reconnaissances ont permis de dresser une carie provisoire de ces territoires si peu connus du sommet de la boucle. s opérations ell'ectuées sous les ordres du commandant
, liullelin du Comité de l'Afrique fr^nf.uise. : renneigiu ■a,..,, [898, p. «4.
ii RAi'POnT SUR LES l'IlOURÈS DE LA GÉOGRAPHIE
Caudreliernous onlvalu des reconnaissances dans le bassin de la Voila. Le lieutenant Blondiaux, complétant ses explo- rations de 1897, a reconnu les hauts bassins du Cavally et de la Sassandra, départageant les affluents du Niger et les bassins côliers entre le 8" et le 11° long. G.*, Les recon- naissances de M. l'administrateur Hostains sur le Cavally se compléteront bientôt par celles de la nouvelle mission Hoslains-d'Ollone sur le terrain qui sépare les itinéraires
île M. lilondiaux de ceux de M. I'obéguin. Du coté de la république de Libéria, l'explorateur est en terrain neul" et l'on comprend ia noble ambition qui s'était emparée de deux jeunes voyageurs, MM. Georges Bailly-ForlUlère et Pauly, massacrés à Zolou le lli mai dernier au moment où ils tentaient de réunir par un trait continu la Guinée française et la Côte d'Ivoire.
I. I:.i|.|".n il.' la missinn Itlnudiaui i.Vriliivtrs Je la Sociale).
FEKDANT l'ahh ée 1898. 15
l>a lopograpliie générale de la Boucle du Niger est fixée parla carie au 1/1,500,000" que le Service géographique des colonies publie. On ne constate pas dans cette région la présence d'une croie montagneuse régulière, orientée de l'ouest à l'est et faisant pour ainsi dire contrepoids aux \iautes monlagnes de l'est africain. Celle belle symétrie rencontre pas ici, et les fameuses montagnes de Kong forment non pas une muraille gigantesque, mais une série de plissements parallèles orientés du sud-ouest au nord- est avec quelques massifs, dont le plus connu est le Fouta Djallon, et quelques chaînes transversales peu élevées. Le relief s'accentue surtout au nord de la Guinée française et de la république de Libéria, puis entre le Bandama et le Niger, entre la Volta Blanche et ce fleuve, enfin au nord du Dahomey. Les points culminants ne dépassenl pas 1,200 mé- trés et les ondulations qui les relient ont les dimensions de simples collines. Au nord-ouest du Mossi, le relief est à peine sensible des sources de la Volta au Niger1.
L'hydrographie, moins confuse que l'orographie, continue à se préciser. Le Niger est connu sur tout son parcours, grâce aux frères Lander,auxCaron,aux Jaime,aux Toulèe, aux Hourst, aux Baudry, aux Bluzet, etc.
Les grandes nappes d'eau qui prolongent le lleuve a l'époque des crues dans la région de Ras-e!-Ma provoquent de nouvelles études. L'état de nos connaîssnnces sur le ter- ritoire qui s'étend au nord du Niger, entre le 4" et le 8" long. O., est fixé par une carte au 1/500,000" dressée en janvier 1898 par le lieutenant Lofler, commandant du cercle de Goundam. Ce dessin, établi d'après les travaux des offi- ciers de la région de Tombouctou et sous la direction du commandant Goldschœn, permet de se représenter ce pays sillonné de rivières et de marigots, baigné par une série de
i, imii. A/i /V.:
ITi,«
t, janvier 18SKK
RAPPORT SOT l.KS PROCHES DE LA GÉOGRAPHIE
s et de marais qui suivent le cours du f saesenl au sud du lac Faguibine'.
lacs, de m; fleuve ou s
Les bassins cûliers, très nombreux, offrent peu de voies d'accès faciles. Les rivières du FoutaDjallon sont peu larges et les deux Scarcies ne sont pas navigables. Le fleuve Saint- Paul n'est connu qu'à sa sortie des hauteurs qui le séparent du Niger et le Gavai ly n'a pas l'imporlance qu'on lui suppo- sait. Mais la rivière Sassandra, qui prend sa source 1res au nord, constitue une artère fluviale dont l'utilité s'est surtout affirmée à la suite des explorations de M. Mondiaux.
Les travaux des missions Marchand, Polwuin, Eysserïe sur le Bandama, Binger, Clozel sur le Comoé, Baud, Alby sur la Volta, Ballot sur l'Ouémé et le Koulïo, nous donnent une idée très exacte du système hydrographique du centre et de l'est de la boucle . Ajoutées aux précédentes, ces cons- tatations ont permis à M. Guy d'exposer dans leur ensemble les résultats scientiliques des explorations du Niger pendant p(H mx dernières années.
Lu morne temps que nos incertitudes sur la géographie de l'Afrique occidentale se dégagent, uos difficultés de fron- tières et les causes de trouble semblent disparaître, au moins de ce côté.
La convention du U juin 1898 a délimité les possessions de In France et de l'Angleterre sur une étendue d'environ ifiQQ kilométra*, an faisant un tout de notre domaine afri- cain de l'Algérie au Congo, par le Tchad. Cet accord, basé ni ,;i- raafittstoiW réripruqurs que nous avons énumé- nV>, cliM l.i térifl d« traités passés pur nous avec toutes k'. puissance* limtttoptiM1. Oa a lieu de penser que, les iiiiiiT. -niiv neuant, l'Agitation se calmera dans la région il' \--ik.i. ii. M'iniiir dam le* territoire* où les sofas de :-.im,.i j répandelenl la désolation3.
1 | . .ii'kmmI.-iIi- l.i ii-yinll mini i;irrll.ilt» IllSOCLéV'
.. ■ i -r.,ju. .!«> tétmt, 1888, p. ani-aoii ; cm* aiï-an.
a. Siil lu |.il-r ,W ji. i*vvcln ii ai' Il loulou, pur M. GW.'I.
C.A,
1898.
17
La tleslruclion de l'empire du vieil Almamy a pour la Prance et la civilisation une imporlance capitale. Après avoir anéanti la puissance des El Hadj'Omar, des Ahmadou, des Tiéba, des Béhanzin, nos soldats commandés cette l'ois car le colonel Audénud, le lieiilenanl-colonel Berlin, les rimmandants Pineau et de Lartigue, ont résolu, d'accord Mec le pouvoir centrât, de se débarrasser de Samory. La prise de Sikasso qui nous délivra des intrigues de Babemba, mais coûta la vie aux lieutenants Gallet et Loury, eut un grand retentissement et priva notre adversaire d'un puissant llié (1er roai 1898)'. Alors fut commencée la poursuite ha- bilement combinée où le lieutenant Wœlfel, le capitaine Gouraud, le lieutenant Jacquin, le sergent Hrafières se sont plus particulièrement distingués*. Sans reprendre à celte place l'exposé du plan de campagne qui aboutit à la capture de Samory et de tous les siens, nous sommes heureux de constater une fois de plus que nos troupes coloniales ont bien mérité de la patrie et de l'humanité dans ce Soudan où le général de Trenlinian reprend actuellement sa lâche féconde. Nous devons à ces explorateurs militaires, excel- ,i iin topographes pour la plupart, la solution de problèmes fwngraphiques qui, sans eux, seraient restés longtemps en- core insolubles. Grâce à leur dévouement, nos ingénieurs, ans commerçants, nos colons pourront circuler en paix dans .i- nmlrécs délivrées de la barbarie.
C'est l'heure des améliora lions économiques. La construc- tion du chemin de Ter de Kayes à Bammako recevra une impulsion nouvelle, et les études approfondies du capitaine ei liront de base à la voie qui de Conakry gngnera ■■ Niger navigable '. Le fait que le. chemin de fer de Sfax à
, n-,., mi se soni miiiûLetiiLs MM, Le I lialrol du llie.i, vnîr il. U . I«i8. p. '■<:■:■. ,- ,,.. juin ■■' juilki I8iw. p. iw; ri *w. i . UV..T i»r,i,ji. ai. ■■■■ U9S. |>, i".:. IHiiy, |i l-'.
I" THUKvrHK 183H. w. - ï
JIAPI'OIIT SUR [.ES PROGRÈS l)E LA CËOGIIAHUE
Gafsa, terminé na septembre 18'JX, a été construit sur plus de 200 kilomètres en un an esl de bon augure pour l'exécu- tion de semblables travaux.
La prise, de possession de la boucle du Niger était à peine achevée que déjà le capitaine Cazemajou, plein d'avenir et d'espérance, suivait les traces du colonel Monteil et s'avan- çait, par la ligne Say-Barroua, vers le Tchad. II est tombé à Zinder, le 5 mai 1898, sous les coups des fanatiques, malgré les efforts désespères de ses tirailleurs indigènes qui réussirent à sauver ses carnels. Dès aujourd'hui on peut affirmer que les révélations de Djebari sur la présence à Thaoua des survivants de la mission Flatlers sont de pure invention. L'œuvre du capitaine Gazemajou ne périclitera pas. Sur ses pas se sont déjà engagés deux de ses émules, qui ont l'ait leurs preuves dans le Mossi et le Gouiounsi, MM. Voulet et Chanoine.
Mntiitrn. — Fendant que le mouvement d'expansion se dirigeait vers le Soudan central, nos chefs de stations, dans des raids audacieux, ajoutaient à nos connaissances sur l'extrême Sud algérien. La poursuite d'un rezxou peut contribuer, d'une façon très efficace, aux progrès de la géo- graphie, quand elle est confiée à un bon topographe. L'iti- néraire d'El-Abîod-Sidi- Cheikh au bas Oued-Zousfana et à l'Erg occidental, levé par le capitaine Battesli, en est un exemple. Grâce à cet officier, placé sous les ordres du com- mandant Godron, dont nous avons cité les reconnaissances dans le Sud oranais, nous possédons une carte au 1/400,000' d'une région inexplorée*.
Ces raids, qui exigent autant de sang-froid que d'intré- pidité, ont eu, entre autres avantages, le mérite de prouver que nous pourrions tirer un excellent parti de goums bien
1. Rapport du capitaine liattesti (archives de lu Société).
- ne remplacent pas, cependant, les missions ftxploralion qui s'avancent vers le suri sans autre préoccu- pation qne de découvrir ni de passer. Aussi sommes-nous teurenx de constater que la pénétration française par le Afrique s'accentue. De la sorte, nous reprenons me tradition longtemps interrompue.
C'est par le nord, en effet, qu'a été commencée la pé- on européenne en Afrique1. En 1822 et 1823, ce furent m, Oudney et Clappcilon; en 182J3, Laing!; en 1854, Bichardson, CWerweg, puis Vogel et de Baumann, qui ni tous la Tripolilaine pour base d'opérations et explo- it les régions comprises entre le Niger et le Tchad. dus entrâmes dans ce mouvement d'expansion an len- de noire conquête de l'Algérie. En 18.~>7, le capitaine demain arrivait à Ghadamés; l'année suivante l'inter- Bou-Derba atteignait le lac Menkoug. En 1859-I8W), limyrier accomplissait ses beaux voyages chez, les Touareg h Nord. En ISfiO encore, le corn mandant Cnlonieu pénétrait leTouat. En 1862, le colonel de Polignac signaille traité Gfaadamès. Ce furent les explorateurs étrangers qui con- fèrent le mouvement, et le plus connu fui Nachtigal.Mais isïons pacifiques parul se clore à ce moment. iniii.'.ltournaux-IlupeiTé, les Pères Paulmier, Ménoret, iochard furent successivement assassinés. Largeau ne put ■ Salah visitée par Soleillet en 1S73. Fialterssuc- en 1881 dans des circonstances restées mystérieuses, lui, les Pères Richard Moral, Pouplard, le lieutenant enfin Murés ajoutèrent lejrs noms au martyrologe . Seul l'infatigable Foureau poursuivait avec opinià- marche vers le sud, sans se laisser rebuter par les tés. Il vient de repartir avec le commandant Lamy,
■ Socifilé pnr !■■ Ik-iit'-iiunt Olivier, iJn Service
l< ■■ -r ■!■■ rieuc Caillé h iruvers le Suharii (IB3S)
i > lI .mi nord, île foui bout Uiu ii h Maroc.
20 RAPPORT SUR LES PROGRÈS DE LA GÉOGRAPnlE
le lieutenant Chambrun et d'autres encore. Puisse-t-il faire sa jonction avec le capitaine Voulet! »
Nous ne pouvons que nous associer à ce souhait.
D'accord avec les pouvoirs publics et certaine de remplir le vœu le plus cher
deRenoust desOr- geries, qui l'a faite sa légataire univer- selle, la Société de Géographie a con- fié à M. Foureau une mission scien- tifique nettement spécifiée et dont l'effet sera, si le succès répond à ses efforts, de relier par un même iti- néraire nos possessions africaines. Qu'il nous soit permis en saluant les continuateurs de notre regretté Duveyrier, au moment où ils quittent Timassinine*, de proclamer notre reconnaissance envers l'homme de bien et l'ardent patriote que fut lienoust des Orgeries.
F,F0!Uimi—~ Q- o — »
c»ngn et iiam Oiihniiimi. — Notre pénétration africaine, qui a fait entrer dans le domaine de la géographie positive le Sahara septentrional, la boucle du Niger et le Soudan français, n'a été nulle paît plus profonde que dans notre colonie du Congo. Sans reprendre l'historique de cette France équatoriale, fondée par M. de Brazza, nous devons, au moment où l'exécution de son plan d'exploration s'achève, rappeler les noms du marquis de Compiègne, de Marche, de Jacques de Brazza, de Do treuil de Rhins, de Crampel,
t. Correspondante de SI. l-'uurtHui (archives).
PENDANT L'ANNÉE 48ÎÏ8.
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de Lisfours, ouvriers de la première heure. Ceux-là ne sont plus; mais d'autres tels qui) MM. Rallay, Mizon, Cholet, [tolisie ', Fourneau, Ponel, Maistre, Decazes, ont pu parti- ciper au développement du programme de 1875, agrandi ta 1890 et complété depuis. La pénétration s'elfectua soit parla Sanghasoit par l'Oubangui el les aflluents du Chari. !». Petdrizet, dont les itinéraires au 1/100,000% exécutés de IS9& à 1898, s'élendent entre le 13= et le 16° long. E-, le ï et le 6* lat. N., reprit avec succès la reconnaissance de b rivière Ouom, découverte par M. Clozel et le D1 Ilerr. 11 t suivi cette rivière depuis Gouikora jusque près du 16° long. E. La Ouom, qu'il écrit Ouahm, ne constitue pas une «rie navigable et ne serait autre que la Ouahmé, où aboutit l'itinéraire suivi en 1892 par M. Ponel-. Trois points sont infranchissables : les chutes de ftoulaye, de Bola et celles qni sont situées au-dessous d'Ih-Oua.
M. J. Bouysson, chargé d'une mission par la Société du Haut-Ogooué, étudie le sol et le sous-sol dans la région côtière au nord de Libreville et sur le Bas-Ogooué, menant de froul des recherches ininéralogiques, économiques et ethnographiques, qui compléteront tes données recueillies par ses prédécesseurs.
Au delà du Congo, en remontant l'Oubangui et le M'Itomou, nos explorateurs ont reconnu les territoires qui forment aujourd'hui le Haut-Oubangui, dont l'organisation aélé confiée à M. le gouverneur Liotard. Cette désignation des possessions françaises, qui bordent au nord l'Etat indé- rtndant, l'ut officiellement adoptée en 1893.
i se souvient du différend franco-belge, comme des
RAPPORT SUR LES PROGRÈS DE LA GÉOGRAPHIE
missions d'Uïès, Monteil-Decazes, qui oui porté vers l'est l'expansioR coloniale française. Sans refaire l'historique de notre installation dans le Haut-Oubangui, nous devons rap- peler que M. Liotard, secondé par des collaborateurs tels que MM. Cureau, Bobichon, Grech, Chapuis, Mathieu, Comte, Hossinger, fonda le poste de Taroboura, dans le Bahr-el-Ghazal, en février 1896, et qu'il étendit ses conquêtes au nord en prenant, en avril 1807, Dem-Ziber comme base d'opération.
L'œuvre politique accomplie par ce gouverneur, avec autant d'habileté que de méthode, ne va pas sans de pré- cieuses découvertes dans le domaine scientifique. Les races du Haut-Oubangui sont encore incomplètement connues et les études faites sur elles par nos administrateurs et nos officiers ont l'importance de véritables documents. Les notes que M. E.Carlier, chef de station dans l'Oubangui,arecueillies sur les Bondjos, population anthropophage qui occupe les deux rives de ce grand affluent du Congo jusqu'aux envi- rons de Ouadda, sont entièrement nouvelles et nous révèlent les mœurs et coutumes de cette race sanguinaire, venue suivant toutes probabilités du centre de l'Afrique'.
De bons itinéraires avaient élé fournis les années der- nières, entre Zemio sur le M'Bomou et Dem Ziber dans le bassin du Bahr-el-llomr; mais, faute d'instruments spéciaux, les explorateurs n'avaient pu entreprendre une triangulation régulière. M. le Dr Cureau a déterminé astronomiquement les positions de ces itinéraires et étudié la géologie de celle nouvelle province.
« La roule de Zemio à Djebel-Mangayat, dit-i! dans son rapport, partant des bords du M'Bomou, franchit sept bas- sins, dont lesquatre premiers se rattachent par le M'Bomou au Congo, et les trois autres par le Bahr-el-Arab au Nil. Ici, comme sur la route du Soueh, la ligne de démarcation entre
; paraîtront dans le liai le tin île 1899.
PEKDJLNT L*ANN&E 1898. 23
les versants des deux grands fleuves africains est insensible et écliappe complète oient à l'atlenlion du voyageur... Le nivellement barométrique indique pourtant un léger seuil, Ilguré par un plateau ferrugineux aux parois abruptes; île part et d'autre de ce point, le caractère général du sol est une inclinaison en pente douce vers le- nord el le sud... Ce seuil île séparation atteint environ ISO mètres au-dessus des liasses eaux du M'Bomou, ce qui correspond à une alti- tude de 780 mètres1. »
Deux explorateurs, dont l'histoire retiendra les noms, le lieutenant de vaisseau Gentil et le commandant Marchand, se sont avancés,
ÏU>J*r "s"'^r".
binm
l'un par la Tomi, dans le bassin du Chari, vers le Tchad, l'autre par le M'Bomou, dans le bassin du Bahr- el-Ghazat, vers le N'il. Tous les deux ont touché le but. Le magnifique voyage de M. Gen- til9, qui dura de 1X95 à 1898, a rap- porté à la géogra- phie un itinéraire de l'Oubanguï au Chari, les levés de la Tomi, tf" (iribingui, du Chari et du Babr-Erguig jusqu'au Tchad. A cette mission se l'attache le remarquable itinéraire de M. Prins, du poste de Gribingui au pays de Snoussi. Au total, 2,400 kilomètres levés, dont plus de 2,000 en pays inconnu. Le tout est appuyé sur des longitudes, un grand
21 RAPPORT SDR LES PltOGRÈS DE I.A GÉOGRAPHIE
nombre de latitudes et une série d'observations scienti- fiques. Nous allions oublier la reconnaissance du confinent de quatre tributaires importants du Chari. Pour la première fois un vapeur, le Léon Blot, a llolté sur les eaux du grand lac, dont Monteil avait longé la rive septentrionale, entre Barroua et Nguigmi (1892).
L'heureux chef de l'importante mission dn Chari a eu l'honneur de placer le Baguirmi sous la protection de la France et la joie de voir consacrer ses conquêtes par un traité diplomatique. Par lui, le bassin du Tchad est devenu le point de jonction géographique des trois groupes qui composent l'Afrique française. Qui sait s'il ne sera pas un jour leur point de jonction économique? Les missions commerciales de MM. de Behagle et Bonnel de Mézieres, d'autres encore, dont il serait prématuré de parler, sont un acheminement dans cette voie. Le gouvernement a donné à M. Gentil un avancement mérité et la Société de Géo- graphie, qui l'a reçu a la Sorbonne, lui décernera bientôt sa grande médaille d'or.
Le commandant Marchand quittait Brazzaville le t"mars 1897, remontait ensuite l'Oubangui, prenait, sur l'avis de M.Liolard, la ligne du M'Bomou, et transportait, à force d'énergie, toute sa flottille des bords de cette rivière dans le bassin du Bahr-el-Ghazal. Le cours inférieur du M'Bomou, impraticable, n'a été franchi ou tourné qu'au prix d'efforts inouïs. L'hydrographie de cette section était à faire et fut faite. Au delà des grandes chutes, le cours supérieur, encore inexploré, fut relevé par le capitaine Bustier, qui remonta cette voie de pénétration et son affluent de droite, le Bo- kou, jusqu'à sa source. Pendant ce temps, le chef de la mission poussait une pointe vers Lado, par les pays Bongo et Miltou. La flottille parvint, par la voie Oubangui-M*Bo- mou-Bokou, à 70 kilomètres de Tamboura (bassin du Nil), soit à une distance de plus de 3,300 kilomètres de Brazza- ville. Le commandant Marchand, après avoir reconnu le
plmiwt l'asnée 1898. 25
Soueh jusqu'au continent de l'Ûuaou, lit ouvrir une roule de 5 mètres de large sur ltiO Momèlres de long pour relier les deux points extrêmes de la navigation entre le Congo et le Nil. Deux canonnières, une dizaine de cha- lands, démontés pièce par pièce, 2,000 charges y passèrent, tandis que lies reconnaissances déterminaient le cours de l'Ouaou, du bas Soueh, du Bahr-el-Ghaziil, l'embouchure du Bahr-e!-Arab, puis le lac No, enfin !e Nil, ou la flottille
s'engagea résolument pour aboutir à Fachoda, le 10 juillet dernier'.
Entre temps, la mission dut, dans un combat héroïque, triompher des résistances des Mahdistcs. Le but atteint, elle songea au ravitaillement, lâche diflicile qoo sut remplir l'enseigne de vaisseau Dyé, commandant du Faidlterbe.
Ce travail de géant était achevé et, pourtant, il fallut, cinq mois après, prendre la roule à l'est, en laissant à la diplomatie le soin de régler un différend.
1, au sujet du Bahr-al-Gbaïal on peut rappeler I BcHwduflirth, 'le r'essi Pacha et du ti' Junker ; mais les ■:: M.LrcliriTiil jusqu'il ce tributaire du Nil ont L de premier ordre au point de vue géographique.
26 RAPPORT SUR LES TOUCHÉS DE LA GÉOGRAPHIE
AhyMHiuie et Sonmi. — L'itinéraire du commandant Marchand se complétera encore par le levé du Sobat ou Baro, de son confluent à sa rencontre avec la rivière Djouba on parvint, après une longue, périlleuse et laborieuse ex- ploration, un autre Français qui venait de l'est, II n'a pas dépendu de M. de Bonchamps de mener lui-même jusqu'au bout la reconnaissance qu'il avait entreprise et qui, telle qu'elle est, représente un des plus fructueux et des plus remarquables voyages qui soit à mentionner dans ce rap- port1. Ses deux principaux collaborateurs, MM. Michel et Bartholin durent prendre avec lui le chemin du retour*.
II faut signaler, à côté de cette belle exploration en pays neuf, qui d'Addis Abbaba aboutit aux abords de Nasser, terminus d'un des itinéraires de Junker, le voyage scien- tilique de M. G. Saint-Yves dans l'Erythrée, sur lequel nous n'avons encore que des renseignements incomplets et celui du vicomte Edmond de Poncins chez les Danakils et les Somalis, dont les mœurs étaient aussi peu connues que le pays. M. de Poncins a relevé environ 3,500 kilo- mètres de route sur un trajet de 4,500 kilomètres. Ses itinéraires sillonnent la contrée comprise entre Djibouti, Harrar, Addis-Ahbaba et Ankober; ils lui ont permis de dresser une carie au 1/666,660*, qui rectifie les cartes pu- bliées en France ou en Italie sur le pays des Somalis et des Danakils. Des déterminations d'altitudes, des notes sur le climat, sur la faune et sur la flore du Choa, i cabulaires nouveaux composent le bagage scienlifiqui
I. La conférence de H. de ttoncliamps a eu lieu à que la ierture de ce rapporL; iiiissi avi.us-nous laissi'- même le soin d'exposer les résultats scientifiques de (,'. R„ 1898, p. 456, ei Bulletin, 1898, 4- trimestre, p. 404-4SJ
8. mm. Poller et Faivre, sut les Instaures de. M. de Born-Jr veinent atteint, repartirent avec le dadjaz atteignirent le cod Huent Sobal-Nil en juin 1898. Noua douloureuse nouvelle de la mort de M. Potier, lue dan- nu moment où il regagnait !e plateau tHliiopien.
PENDANT L'ANNÉE IX!
M
ce grand chasseur, qui ne dissimule pas ses sympathies pour les races guerrières avec lesquelles il a vécu h dans ce désert soraal brûlé par un soleil de feu, où les feuilles de cactus se dressent rigides comme un fer de lance' ».
On connaît, d'autre part, les tentatives hardies du prince Henri d'Orléans et du comte Léonliefl', celle de M. Clo- chette, mort à la peine, et certaines missions qui eurent pour objectif les régions situées au sud de l'Ethiopie.
La roule suivie par M. Darrag«u entre Addis-Ahbaha et le lac Stéphanie est nouvelle. Bien que le voyageur ail été souvent contrarié dans ses observalions par un brouillard épais et qu'il n'ait pas eu à sa portée d'instruments précis, il a réuni des documents intéressants sur la rivière Sageun et sur les montagnes entourant le lac l'agadé (juin-ocl. DWT). Celui-ci, reconnupar la mission Boltego (1895-181)7), avait été signalé longtemps auparavant par M. A. il'Ab- badie ; mais le petit lac Abbasi ne figurait sur aucune carie.
Deux voyageurs autrichiens, le comte E. deWickenbourg et M. Wahrmanu1, tentèrent vainement de traverser le Choa ; ils se heurtèrent à un refus du Négus et durent li- miter au pays des Somalis leurs explorations. Le comte de Wickenbourg a effectué deux itinéraires. Le premier, de mars à octobre 1897, a été mentionné l'an dernier. Ce tracé circulaire, de 3 degrés de diamètre environ, part de Ber- bera sur le golfe d'Aden, traverse le pays inexploré des Dol- bobanlé et l'Haoud. Le second se développe dans le sul- tanat de Zanzibar et aux confins des colonies allemandes et anglaises de l'Afrique orientale ; il contourne à l'est le Kilimandjaro et longe le Tsavo, de sa source au tracé du chemin de fer de l'Ouganda, à peu de dislance du Sabaki.
. Bulletin, 18US. 1" irimeslra, ( i. felernuznn's MilteiluiHjru.,
. p. 4SI: curie. — MUr. Suc.
28 RAPPORT SUR LES PROGRÈS DE LA GÉOGRAPHIE
Le voyage de M. Wahrmann, achevé en 1898, se rap- proche d'abord du la partie orientale du premier itinéraire de sors compatriote et porte également sur des régions nou- velles, telles que le Fafan. Sa route traverse les vallées du Biahemedou et du Boholorlimou, longe le Daghbour jusqu'à sa jonction avec le Ouebi-Cbebel, prend ensuite une direc- tion nord et se poursuit, non sans peine, par le pays des Ali Somalis, vers l'IIaoud. Cet itinéraire, joint aux premiers levés tle M. de Wickenbourg, constitue un document carto- graphique important sur la région comprise entre l'Abys- sinie, le bassin de la Djouba ut le cap Guardafui.
Les missions Wellby et Delamere ont également dirigé leurs explorations dans celte partie de l'Afrique, le premier au sud-ouest de l'Abyssin ie, le deuxième dans le pays des Somalis.
Au cours d'un voyage en Ethiopie, le D* Slcboussof a pu visiter les sources sacrées du Nil Bleu et le lac Tana.
Afrique opifinnic. — Si la descente du Nil n'a pas ré- pondu aux espérances de l'Angleterre, sa montée s'est effectuée avec autant de méthode que de succès. A vrai dire, ceci n'est plus de l'exploration. Mais, cependant, il est bon de retenir quela marche sur Khartoum,longleinps différée, n'a été entreprise que le jour où les Anglo-Égyptiens se sentirent appuyés par une voie de communication capable d'assurer le ravitaillement.
Leur mode de pénétration, moins rapide que le nôtre, aboutit à une prise de possession durable. Nous avons examiné, l'an dernier, les grands travaux des [lusses le long du Transsibérien et du Transcaspien ; nous pourrions, de même, exposer les grands travaux des Américains et des Canadiens et, sans sortir de l'Afrique, les grands travaux des Anglais, des Allemands et des Belges.
La pénétration anglaise au Soudan s'est affirmée après la prise d'Omdurman ; mais elle se manifestait depuis
PENDANT L'ANNÉE 1898.
29
de longues années sur la ligne Le Cap-Alexandrie1. On connaît la voie projetée de Souakim à Berber ; il faut citer aussi, du côté des cataractes, le chemin de fer de Ko- rosko à Abou Ahmed et Berber qui coupe la boucle du Nil et doit aller jusqu'à Khartoum. La pose des rails, qui con- vergent vers le Victoria-Nyanza, s'effectue rapidement et le chemin de fer de Mombassa au grand lac ne progresse pas
100 kilom.
ÂLbtrt
moins. Sur 423 kilomètres, 261 étaient livrés à la circula- tion en août dernier. La. voie s'arrêtait à Mtoto-Andéï; Maji-Choumoï, lieu situé à 53 kilomètres de la côte, était signalé comme le point culminant de toute la ligne entre le lac Victoria et la mer8. Une route carrossable relie déjà ces deux localités. Cette entreprise assurera à l'Angleterre la possession du grand plateau central.
1. Carte de la vallée du Nil, du lac Tchad et du Congo, par Prompt, H. Barrère, éd. Paris, 1898. — Afrique, carte générale des voies de communication, Service géographique des colonies, 1897.
2. Peterm. Mitt., X, 1898, p. 231.
30 RAPPORT SIM LES PKOGIIÈS HE L\ GËOGIUPI1IE
Un lil télégraphique, en attendant une ligne de Ter, longe le lac Nyassa qu'il rattache au Tanganyîka. Plus bas, c'est la voie ferrée qui, du Cap, par Mafeking, Boulouvayo, va rejoindre le Zamhèze et le rentre africain.
Sur la côte occidentale, les efforts ne sont pas compa- rables, mais la même tendance, le même procédé de péné- tration apparaissent. Nous n'en voulons pour exemple que les travaux commencés en Sierra-Leone.
Parmi les missions anglaises dans l'Afrique centrale et l'Afrique orientale, se distinguenl celles de MM. Gibbons (Haul-Zambèze), Wallace (lac Roukoua), Cîaud Hobart (ré- gion est du Vicloria-Nyanza), Kirkpatrîk (lac Kodja), Mac- donald (de l'Ouganda au lac Ilodolphe).
L'imporlance du plateau central et de la région des grands lacs n'a pas échappé a l'Allemagne. Son projet de chemin de fer de Tanga, eu face de 111e Pemba, à Aroucha, est en bonne voie d'exécution. On le prolongera sans doute jusqu'au Victoria-Nyanza, parallèlement à la ligne anglaise de Mombassa. Une aulre voie ferrée reliera le port de Ita- gamoyo. en l'ace de Zanzibar, à Oudjidji, sur le lac Tanga- nyika. Il est même question de faire partir de Tahora un embranchement vers le nord, qui détournerait le commerce de l'Ouganda de sa voie naturelle.
L'Est africain allemand, riverain des trois grands lacs, a été, dans ces trois dernières années, parcouru et levé en plusieurs sens par les missions Prince, lïornhardt, Capus et Wulfeu, Trolhn, Eflgelhardt, Knndl. Ilamsay. M. Boruhardt, entre autres, a étendu ses levés, appuyés sur des détermi- nations astronomiques, de Dar-es-Salam a Hovouma, le long de la côte, puis de la baie de L'mdy au lac Nyassa, entin dans la région que baigne le nord de ce lac. M. Engelbardt a relevé le cours supérieur du Rovouma et sillonné le sud- ouesl de la colonie. Le 11' Kandl a exploré le sud du bassin du M.dagarasi, tributaire du Tangaoyika. La partie nord re-
i
PENDANT L'ANNÉE 1898. 31
vient au colonel de Trotha qui fit également des levrs dans rOuroundi et sur le littoral du Victoria1.
En parlant des missions belges Lange et Long au lac Rivou, nous avons eu l'occasion de citer, dans le rapport de 1897,1e nom du capitaine allemand Ramsay2. Son œuvre est aujourd'hui mieux connue. Dès février 1897, le major Wissmann l'envoyait, avec une forte escorte, sur les bords du Tanganyika. De Bagamoyo, en face de l'île de Zanzibar, il se rendit à Tabora par la région peuplée et fertile de Tourou, traversa trois tributaires du lac qu'il atteignit le 8 mai. Pendant dix-huit mois, il rayonna dans cette con- trée. La géographie lui doit la reconnaissance du haut Malagarasi, le cours de la Kagera, du Rouvourou et du Louviranza, à l'extrême nord du Tanganyika. Il a complété et rectifié les données fournies par le Dr Raumann. Sans résoudre complètement la queslion des sources du Nil, il a comblé bien des lacunes de la carte au nord-ouest de la colonie allemande. Le pays parcouru, d'une fertilité re- marquable, contient des plateaux comme celui de Rouanda, qui s'élèvent parfois à une altitude de 2,000 mètres, et un lac (lac Ssakke), de 7 kilomètres sur 3, dans lequel la sonde accusait 2 m. 75 ou 3 mètres de profondeur. Au sud d'Oudjidji, une autre exploration du capitaine Ramsay a augmenté nos connaissances sur le versant est el sud-est du Tanganyika, dans le Kaouendé et le sultanat de Fipa. Ses observations portent encore sur le lac Roukoua, situé au pied d'un plateau de 1,500 mètres d'altitude. Toute cette région déshéritée contraste avec les riches territoires du nord; aussi le caractère des indigènes se ressent-il de ce
dénuement. Le Kilimandjaro, découvert par l'Allemand Rebmann en
1848, a tenté, cette année encore, le célèbre ascensionniste
i. VerhandU Soc. Géogr. Berlin, 1898, n° 5-6, p. 270. t ibid., I8H8, P. 302.
SlïR l.ËS PltOCRKS HE L\ GÉOGRAPHIE
H;ins Mayer, qui reconnut, sur le versant nord, un vaste plateau et trois glaciers s'élevanl à plus de 5,000 mètres. Son exploration lui permit de déterminer la limite des fo- rets et des laves.
Oneal nfricnin. — Les reconnaissances effectuées depuis quatre années dans le Damaraland, appela aussi Damaland, nécessiteraient un remaniement complet de la carie. Des éludes nouvelles ont amené la rectification du cours du fleuve Orange et de l'Okavango, des modifications pro- fondes dans l'hydrographie et surtout dans l'orographie de celte colonie, où les Allemands vont construire un chemin de fer, qui reliera la haie de la Baleine (Walfish Bay) à la jeunecapila!e,Windhoek,ailuéeau pied du montOlyhivère.
Le même esprit pratique dirige la colonie allemande de Cameroun, qui se dispose à rendre effective la possession des territoires du bassin du Congo que la convention franco- allemande de 1894 lui a dévolus. Déjà, M. le lieutenant de Carnap a étendu ses reconnaissances au sud-est de celte colonie et, de là, par la Sangha et l'Oubangui, s'esL rendu au Stanley Pool pour- prendre part à l'inauguration du chemin de fer congolais. L'occupation de la partie allemande de la vallée de la Sangha aura sans doute pour conséquence la mise en valeur de celte région1.
Le gros événement qui, en juillet dernier, faisait affluer dans l'État indépendant du Congo les délégués des princi- pales puissances est l'inauguration du chemin de fer de Matadi à Slanley Pool. Nous ne pouvons que féliciter nos voisins d'avoir su mener à hien, malgré la difïiuullé du ter- rain, cette entreprise qui transformera les conditions éco- nomiques de toute l'Afrique équatoriale. Pour utiliser cet immense réseau navigable qui s'étale entre le Nil et le Zam-
1. Le Temps, 17 d
PENDANT L'ANNÉE IS98. 33
léze et se réunit au Stanley Pool, il fallait ou forer un
■ dans un relief de 300 kilomètres ou tracer une voie contournant les rapides sur une longueur de 390 ki- es. Le dernier plan, seul pratique, fut exécuté en
huit ans et ne coûta pas moins de tiâ millions; aujourd'hui
relie en quelque sorte le Tanganyika à l'Atlantique
et elle ouvre aux marches de l'Europe tout le centre africain.
Le roi des Belges a attaché son nom à celle œuvre que le
major Thys et notre compatriote M. Espanet surent diriger
i et terminer ; mais d'autres ont concouru au succès de cette
I entreprise en démontrant son utilité par leurs explorations.
' oniprenona-nous la fierté de la Belgique qui fMe en
■ Irconstance les Delcommune, les Cambier, les Dha- , es Lolhaire, les Chaltin, etc., qui tous ont concouru à
commune.
■■dafiaeir, — Une dernière œuvre géographique nous retiendra encore quelques instants dans le groupe africain, c'est celle que notre illustre collègue, le général Callieni, gouverneur général de Madagascar, accomplit dans la grande
', La pacification se produit activement sur tous les points les Sakaîaves suscitaient des troubles, et les opérations d«s colonels Sucillon eLLyauley, des commandants Gérard, l'iitz, Durand, du capitaine Lucciardi, etc., dont les derniers (bmrlers nous apportaient des nouvelles, amènent chaque jour la soumission de groupes importants.
La route carrossable qui reliera Tananarive à Fiana- nntsoa est activement poussée sous la direction du com- mandant Lavoisot.
Celte dernière ville, capitale du Betsiléo, a été le point de départ d'explorations qui nous intéressent d'une façon toute -|HVi:ik\ Celle du capitaine de Tbuy couvre une région très
lit Madaqnicar, Paris, 1898. — i BMiwncci, Tananai'ive, 1KH8.
I démh. - 1" TBiMsatKE ISS».
Ht RAPPORT SUR L1ÎS J>nOCRÈS DE LA GÉOCRAPfflE
peu connue où ae développe la vallée du Mangoky. Un mé- moire, parudanslesA'ofi'*, Reconnaissances et Explorations de janvier 1898, conlienl des indications précieuses sur la nalure physique du pays Bara, la navigabilité du Heuve et les ressources de la contrée.
Le capitaine Lefort, parti du même point, se porta au sud, releva la Mananara jusqu'à son embouchure dans la mer des Indes, descendit à Fort-Dauphin, puis re- montant au nord par les affluents du Mandrare, il passa dans les vallées du Mançoky et de l'ihosy pour retourner à Fiana- rantsoa. Au nord-est de cette ville, M. le chance- lier Durand a enlrepris diverses reconnaissances. Dans le Belsimisaraka, le lieutenant Braconnier a éludié les bassins côtiers. Dans l'Ambongo, le Milanja et le Bouéni, où- îl a effectué up parcours de plus de 600 kilomèlres,M. Prince, pharmacien de la marine, a pu réunir des noies géologiques, zoologiques, botaniques et économiques consignées dans son journal de marche. Malheureusement son «pim-aiiini dans des régions accidentées et parfois malsaines a dépassé ses forces et il est mort à Majunga au mois de mars 1898.
L'bypsomélrie de la partie nord de Madagascar se lixe, et M. E. F. Gautier a pu en donner la description en s'appuyant sur les voyages de MM. Meurs, Boucabelle, Duruy et sur les colonnes du capitaine de Bouvié. Indépendamment du grand massif de l'imérina, il existe un plateau très élevé au nord. Une large vallée sépare ces deux soulèvements et forme la
PENDANT l'année 1x98. 35
mute naturelle qui relie l'est à l'ouest, c'est-à-dire le Bel&i- lïiisamka au liouéni. C'est le chemin du commerce, qu'il était important d'explorer. Aussi de nombreuses recon- n ces ont-elles été dirigées dans la vallée duMahajamba H du Bemarivo et sur les bords du lac Alaolra.
Sur le versant occidental du plateau du nord jusqu'au ca- n.')! de Mozambique s'étend l'itinéraire de la mission i. Milkovski et A. J. Boyer, limité Its long de la cote par l'em- bouchure de la Betsiboka et la baie du Mabajamba.
Il faut remonter plus haut encore, atteindre Nossi-bé, puis aborder à Ambohimitatao, dans la baie Ampasindava, pour suivre la route levée au théodolite par notre collègue M. de Hechniewski '. Il remonta en avril dernier le Sambi- m no et sillonna la partie occidentale de l'Ankaiana, puis il ; la baie d'Ambaro et celle de Tsimipaika. La zone montagneuse, 1res fertile, rappelle certains sites de l'Amé- rique du Sud, tels que la région du Chaco et du Paraguay ; l'autre, proche de la mer, est sablonneuseou marécageuse, parfois propre à l'élevage, ruais moins riche que la vallée du Sambirano.
Du voyage de M. Guillaume Grandidier, nous avons eu déjà l'occasion de parler '. Nous connaissons les recherches pal éontologiq ues de cet explorateur sur la côte ouest, au Morondava, ses itinéraires dans le bassin del'Onilahy, dont il releva plusieurs affluents. 11 fut attaqué deux fois par des partis Bara en remontant du pays des Antanosy émigrés à Ihosy. Continuant sa roule par le Hetsiléo jusqu'en Imérina . il atteignit Tananarive. Il décrivit ensuite un autre itinéraire dans le ttouéni et l'Antsihanaka. Si ses projets se réalisent, M. Guillaume Grandidier rentrera en France au milieu de mai, quatorze mois après son départ. Son voyage, préparé née soin, sera profitable à la géographie physique et à l'his-
36 RAPPORT SUR LES l'BllGRÈS f>E LA <;KO<iRAPPIE
toire naturelle. Il a réussi à accomplir une œuvre scientifi- que et ulile dans celle grande île que le labeur de son père a si largement contribué a faire entrer dans le patrimoine intellectuel et moral de la France, avant qu'elle ne lit partie intégrante de notre domaine colonial.
L'étude des routes et îles voies ferrées suffirait à elle seule pour remplir une séance '. On en trouvera les éléments dans les Notes, Reconnaissances et Explorations comme dans le liuUrtin du comité de Madagascar, qu'il s'agisse, par exemple, des routes destinées à relier Tananarive à Fiana- rantsoa et à Andévoranle ou qu'on se reporte au tracé du chemin de fer de Tamalave à Tananarive.
La tache accomplie sous l'impulsion du général Gallieni pendant l'année qui finit, mériterait de plus amples déve- loppements. Mais, forcé de nous resleindre, nous n'avons pu que l'indiquer. Elle n'est pas seulement précieuse pour le géographe ; elle est réconfortante pour le Français.
A*la niHHo. — La part faite dans le rapport de 1893 aux travaux des Russes en Asie rendrait superflu un nouvel aperçu du plan qui s'exécute, fie plan, d'ailleurs, ne pouvait manquer d'attirer l'attention des géographes en raison des découvertes que son étude et son exécution ont entraînées. Nous sommes heureux de constater que des érudits' ont pu donner depuis à ce sujet plus de développement que n'en comporte la revue des faits géographiques d'une année.
Les progrès continus de nos connaissances sur la côte sibérienne, sur le parcours du Transsibérien et du Trans-
1. Une noie iléUtillée iW. M. Jugaa 1899.
t. Annales de féogr., article île M Kuitiri en Asie septentrionale, l. VII
s C. /?. île
PENDANT L'ANNÉE 1898. 37
, sur les frontières île l'Empire russe, dans le bassin
s grands fleuves et sur le versant de l'océan Pacifique, né- cessitent une réfection de la carte de l'Asie septentrionale Et d'une grande partie de l'Asie cenlrale.
Du jour où la navigation sur le cours de l'Ob et de l'Ienisseï a été admise comme possible, nous avons eu à tenir compte de reconnaissances hydrugraphiques qui ont précisé les découpures des estuaires. Nous avons cité les recherches de M. VilkiUki, celles du capitaine Wiggins et l'expédition de M. Hogdanovitch vers la mer d'Okhotsk et le Kamtchatka.
A l'est de l'élranglement de cette presqu'île, la mer de Behring baigne les côtes d'une terre peu connue, l'île Kara- ghinski. Deux officiers, MM. Barrel-Hamillon et Jones lui rendirent visite en août 1897 '. Son exploration méthodique fut entreprise par eux. Aujourd'hui, sa forme, son étendue, sa position sont déterminées. A ces résultats s'ajoutent des observations sur la température de l'eau dans le détroit d'Oukinsk et des rensei- gnemenls précis sur les habitants de l'île, mé- lange de Tcboukchis, de Koriak et de Kamtcha- dals se rattachant à la race mongole.
Au cours de ses excur- sions entre la Lena et la Kolyma, sur le littoral del'océanGIacial ctdans les bassins qui s'y déversent, M. loehelson s'est surtout oc- cupé des races aborigènes sans ccpendanL négliger le cûlé raphiqtie*. Pour s'en convaincre il suffit de jeter les s sur le cliché ci-dessus.
J8 IUPPOIIT SUH LES PROGRÈS UE LA GÉOGRAPHIE
Les entreprises de la Société hambourgeoise ont un tout autre caraclère. Leur bul est d'assurer lin transit régulier sur le fleuve Amour. Peu à peu la vie économique pénètre en Sibérie par le nord et par l'est, en même temps qu'elle afflue dans le cœur même de l'Asie par le Transsibérien.
Les deux tronçons de la grande ligne transcontinentale se rapprochent. La locomotive relie Irkoutsk à Moscou et Vladivostock à Strelensk. Encore un elFort et la soudure se fera à travers la Transbaïkalie.
L'artère immense, qui mettra dans un avenir prochain Moscou en relation avec Port-Arthur, établira de même une communication entre la mer Jaune et la mer Blanche par l'embranchement qui passe à Vologda et rejoint Arkhangel.
.■i-.tr ceotraie et Tibet. — La carte de l'Altaï, qui, dans toute sa partie orientale, est loin d'être achevée, s'est cepen- dant transformée depuis quelques années par les décou- vertes de MM. Sapojzrikof, Sobolef, Ignalof et Loulzenko, Tronof, etc. L'idée que, seul, le massif de la Beloukba contenait des glaciers, n'a pas tenu devant cette enquête qui signala la présence d'autres glaciers, notamment dans les monts de Katoun et les monts Kanas situés à l'ouest et au sud de ce groupe, qu'on compare aujourd'hui à la chaîne des Alpes.
Plus au sud, M. Pantoussolf, conseiller d'Etal à Vernyi, entreprit une exploration qui amena la découverte sur les bords rocheux de l'Ili d'une série d'inscriptions et de ligures kalmoukes et tibétaines gravées dans la pierre, et dont les photographies sontà la Société1.
Ici nous sommes dans le Sémiretchiè, où se développe la partie occidentale du système des Tian-chan dont M. Saint- Yves étudiait, l'an dernier, les six rameaux principaux en
1. Compte- note, tWH, p. :tit-:tii.
PENDANT L'ANNÉE 1898. 39
s'appuyant sur les travaux cartographiques de l'état-major russe.
C'est d'Och en Ferghana que partit sous la direction du lieutenant Olufsen * la seconde expédition danoise au Pamir, pour y continuer ses levés topographiques et ses observa- tions physiques.
L'élé se passa à lever la carte de plusieurs lacs tels que le Yachil-koul, le Bouloun-koul, leFous-koul et deux autres nappes voisines de la passe Chargach, situées à plus de 4,000 mètres d'altitude. En se rendant par le Vakhan sur les rives du Pàndj, la mission a traversé une région criblée de sources sulfureuses jaillissantes qui font songer au Yel- lowstone Park des États-Unis. Des sondages, des observa- tions astronomiques et météorologiques appuient ces levés, qui seront continués après l'hiver.
L'accès du Ferghana est actuellement facilité par les progrès du Transcaspien. Cette ligne est construite d'un côté, jusqu'à Tachkent, avec prolongement sur Vernyi, de l'autre jusqu'à Andidjan.
Nous n'avons pas d'explorations importantes à signaler à l'ouest de l'empire des Indes, si ce n'est la dernière partie du long voyage de M. Marcel Monnier 3, qui se fît sur l'iti- néraire parcouru par les invasions mongoles. En sep- tembre 1897, nous l'avions laissé devant les ruines de Karakoroum. Des rives de l'Orkhon il gagna les sources de l'Ob, traversa le Turkestan, atteignit la Perse. A la fin de janvier 1898, il était à Téhéran. Un mois plus tard, par l'Euphrate et Babylone, il arrivait à Bagdad et, le 26 juin, il rentrait à Paris après quatre ans d'absence avec un levé au l/100,000e de plus de 2,000 lieues. Il y aurait lieu d'insis- ter sur les résultats géographiques de ce voyage si nous n'avions déjà apprécié dans les publications de la Société les travaux de M. Marcel Monnier.
1. C. R.9 p. 297.
1 C R., 1897, p. 358-361; 1898, p. 296-297. V. carte ci-contre.
HÀPPORT SUR LUS PIlOlîH
L'expédition austro-suédoise du comte Landberg et < professeur David Millier, partie récemment pour étudier l ruines de l'Arabie, n'est encore qu'à ses débuts.
Les observations de M. Spindler dans le Kara-Bougaz portent principalement sur la température des eaux de la Caspienne1,
Celles de M. de Déchy* dans le Caucase concernent les
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glaciers et sont une précieuse contribution à la géographie physique de ce grand massif, sur les versants duquel M. le baron de Baye dirige ses recherches ethnographiques.
Dans l'Inde, en dehors des opérations militaires des Anglais et des tentatives de pénétration dans le Tibet par le Ladak, il faut noter le voyage du capitaine Novilzki, de l'armée russe. Parti de l'Inde méridionale, il visita le Beloutchistan anglais, le territoire des Afridis et rentra en Russie par le Kachmir et le Turkestan oriental, rapportant
PBSDÀST l'anhée 1H98. de son voyage, outre ses noies et ses levés, i
il
collections géologiques et d'histoire naturelle.
Le cœur même du Tibet n'a pas été atteint par des Euro- péens depuis le mémorable voyage de Dulreuil de Rhins; mais l'ampleur, l'importance de ta parlie scientifique de cette exploration, qui coûta la vie à notre collègue, s'éclaire d'un jour singulier à mesure que la publication des travaux accumulés par la mission se poursuit. Ce sera l'honneur de M. Grenard, second de Dutrcuil de Rhins, d'avoir, par un travail opiniâtre, rassemblé et mis en valeur tous ces maté- riaux pour en faire un monument durable. N'ayant pu sauver la vie de son chef, M. Grenard a conservé son œuvre, et il nous la rend en 3 volumes, qui supposent chez leur NAeurdes connaissances aussi variées qu'étendues.
Detix autres voyages accomplis au Tibet, l'un avant, l'autre après la mission Dulreuil de Rhins, ont été publiés en 1898.
Le premier, exécuté de 1891 a 1893 par M. Raza-Mon- kodjoueir, Kalmouk de naissance, mais instruit à l'euro- péenne, nous conduit à Lhassa même*. Cet explorateur passa par Astrakhan et Kiakhta, suivit les roules de MM. Prjevalsky et Hue et put, en sa qualité de bouddhiste, s'incliner devant le dalaï-lama. Sa relation a paru en langue mongole et en langue russe.
Le second nous fait traverser le nord du Tibet, en parlant de Leh, capitale du Ladak, pour aboutir à Lan-tchéou sur le Hoang-ho et parce lleuve à Pékin. C'est le voyage du capi- taine Wellby et du lieutenant Malcolm, dont l'itinéraire, suivi en 1896, se maintient aux envivons du 35" latitude, puis remonle au nord-est, à travers le Tsaïdam, pour con- tourner le bord septentrional du Kouk-nor et suivre le versant méridional de la chaîne des Nan-Chan. La publica- tion de cette exploration, très sérieusement conduite, fait
l. Hôte i!e M. Véuukoff [Compte» ren.iiu de janvier layy, p. 43).
^■i
ii BAPPORT SDH LES PilOGBÈS DK LA GÉ(
ressortir l'importance des résultats obtenus*. Comme l'a fait remarquer M. Grenard, il était très intéressant pour notre connaissance d'ensemble de la géographie du centre asiatique d'accomplir la traversée des bauls plateaux de l'ouest a l'est, autant que possible sur le même degré de latitude. Ce programme, M. Wellby sut !e mener à bonne lin, emprunlant d'abord la route de Dutrenil de Rhins, puis obliquant au nord et y découvrant, à l'ouest du Yachil-koul, un lac considérable, se maintenant ensuite entre le prolon- gement des monls Kouk.cb.ili, au nord, et ceux des monts Dongbouré, au sud. A cette mission appartient encore la reconnaissance de plusieurs branches du haut fleuve Bleu, dont l'hydrographie avait été déjà révélée sur d'autres points par les missions Rockhill et Dulreuil de Rhins. L'exploration de MM. Wellby et Malcolm a porté sur près de 3,000 kilomètres, dont. 1,600 au moins sont entièrement nouveaux.
La partie du voyage du Dr Sven-lledin (1893-97) qui se rapporte au Tibet s'esl effectuée plus au nord sur l'autre versant des Kouen-lun, puis au Tsaidam, où les itinéraires se rapprochent et souvent se confondent. Celte traversée mouvementée, dont ou connaît le succès, a été exposée par son auteur devant la Société. Le rapport précédent l'a signalée et nous n'aurions pas à y revenir, si nous ne tenions à mentionner, à côlé de l'ouvrage suédois où le W Sven- lledin expose les circonstances et les résultats de sa péril- leuse exploration, le beau volume que vient d'en extraire M. Rabot sous ce litre : Trois Ans de luttes aux déserts d'Asie '.
De tels exemples stimulent l'énergie des audacieux. A la fin de novembre 1897, deux Allemands, les docteurs Futlerer et Holderer, quittaient Karlsruhe se rendant à Och par le chemin de fer transcaspien, puis à Kachgar par le Terek-
PENDANT l'année 1898. 43
Davan. Leur exploration a débuté par l'étude du système orographique de l'Alaï. Gagnant ensuite le bassin septen- trional du Tarim, ils s'engagèrent dans la portion monta- gneuse du Gobi et recueillirent des notes nombreuses sur la constitution du sol, le régime désertique et les conditions climatériques de cette contrée. Sur les versants nord et sud de cette haute région, longue de 250 kilomètres, les dépres- sions sont envahies par des amas de roches tendres qui semblent se rattacher, d'une part, aux contreforts du Tian- Chan, de l'autre, à ceux du Nan-Chan. C'est dans cette région où les sables arides et les steppes herbeuses se succèdent, qu'on observe les plus hautes températures et la plus grande sécheresse de l'air. L'itinéraire de MM. Futtereret Holderer se prolongeait en juin jusqu'à la ville chinoise de Liang-tchéou *.
Chine. — A l'autre extrémité du Gélçste Empire, com- mençait, au début de 1897, la tournée du Dr Cholnoky3. Ses excursions le conduisirent dans le delta du Yang-tsé, et dans la région comprise entre la baie du Hang-tchéou et le fleuve, où il put étudier la composition du sol et les dépôts allu- vionnaires. On le retrouve au printemps dans le désert mongol, plus tard à Vladivostok, d'où il descend en Mand- chourie. Ses principales découvertes furent faites dans la région de TOu-mosso, entre Houn-tchoun-fou et Kirin, où fat reconnue une région volcanique, et ses levés au i/100,0008 contiennent de nombreuses données sur le partage des eaux du Soungari et du Liao-ho. Enfin, ses détermina- tions astronomiques reportent à un demi-degré plus au sud qu'elles ne le sont sur nos cartes la ville de Houn-tchoun- fou et la pointe nord de la Corée '. Les détails nous man-
1. Verhandl. Soc. géogr. Berlin, 1898, nos 5-6, p. 263; n°"8-9, p. US. - Peterm. Mitt.y X, p. 237. 3. Voir l'itinéraire, p. 48. 3. Peterm. Mitt.y 1898, 111, p.
4-i RACPOl
quenL surta dernière partie de ce voyage, que le IJ' Cholnok; comptait entreprendre le long du Hoang-ho en partant 6 Pékin.
Les itinéraires de la mission lyonnaise en Chine ont été résumés dans le rapport de 1891 et noire collègue, M. Bre-
nier, a pu les décrire plus en délail à cette tribune; mais l'enquête accomplie sous les auspices de la chambre de commerce de Lyon a été si féconde en résultats scientifiques et pratiques que nous devons signaler l'apparition du grand ouvrage qui les uxe, les coordonne et les condense. Sur 20,895 kilomètres parcourus dans l'intérieur de la Chine, 13,335 ont été levés à la boussole, chiffres supérieurs à ceux que nous avions recueillis l'an dernier sur cet itinéraire. Le
pendant l'asnee 1X98. 45
voyages, où la géographie descriptive et l'eth- nologie ont une large part, l'orme la première partie île la ' publication; les rapports commerciaux et les notes diverses >ur certains centres et certains produits composent la se- conde. En un mot le livre répond au programme de la mis- n qui, en dehors d'une enquête sur le commerce de nos possessions indo-chinoises, en dehors d'une étude spéciale ir le Se-tchouen, en plus d'investigations techniques sur l le commerce général de l'empire et le parti qu'on pourrait ■, contenait une série de questions d'ensemble devant des recherches et conduire à des solutions pra- «Dans cet Extrême-Orient, conclut M. Brenier', vers ;l se déplace l'axe politique et économique du monde, s pouvons jouer un beau rôle soit par nous-mêmes, .: par notre Indo-Chine. Cette magnifique colonie nous e plus de 1,000 kilomètres de côte sur le Pacifique et régions fertiles, habitées par une race nombreuse ma- ', travailleuse et prolifique... »
n'est pas surprenant que les économistes choisissent
■éférence l'Extrême-Orient comme champ d'étude. Tout
irellement, M. Pierre Leroy-Beaulieu devait s'y rendre.
travaux sur la Sibérie orientale se compléteront par les
} qu'il a accumulées sur la Chine et le Japon. Son at-
s'est portée sur les centres commerciaux de l'est :
tin, Tien-tsin, Changhaï,Tokio, Osaka, etc. Celle grande
.■ersée de l'Asie se termine par la visite du Tonkin et de
» Cochinchine et de l'Inde1.
Dans les provinces limitrophes du Tonkin s'est effectuée,
à la lin de 1H96, une exploration française, dont l'itinéraire
D'avait pas été communiqué à la Société lors de la lecture
dent rapport. M. François, consul de France à
Long-lchéou, eut l'occasion de remonter sur une jonque
46 «APPORT SUR LES Pnm.IlÈS DE LA GÉOGRAPHIE
le Si-kiang ou rivière de l'Ouest jusqu'à son confluent avec i le bras qui lui amène les eaux du versant tonkinois '. 11 s'en- gagea ensuite sur cet affluent, nommé Tsou-kiang dans la ' carte de M. Brenier. 11 eut l'occasion de suivre les deux voies j(, fluviales qui se réunissent à Long-lchéou, descendant, l'une de Lang-son. l'au-
tre de Cao-bang. Enfin, reprenant le chemin de Can- ton, M- François empruntait une deuxième fois le cours de la rivière de l'Ouest et reve- nait à son poste après avoir dressé de ces différentes voies de naviga- tion une carie au 1/20,000- très dé- taillée, accompa- gnée d'une série de vues donnant l'aspect général des rives el des sites environnants. Après un court séjour en France, M. François, à peine remis de ses fatigues, a repris le chemin de Canton et tout nous fait espérer qu'il fera, cette fois encore, une ample moisson de faits intéressant la physique terrestre autant que la géographie économique.
Une mission scientifique, qui mérite toute notre attention a élé confiée celle année à M. Bonin qu'accompagne M. le vicomte de Vaulserre. lîn avril 1H98, les voyageurs remon- taient le Yang-lsé. Après un arrêt à Tchoung-king (Se-
1. Xolcx de voyage, archive
a SudiHé.
pbhdakt l'année 1X98. 47
Ichoueii) ils arrivèrent en août à Soui-fou, terminus de la navigation du tleuve. Leurs éludes ont porté notamment tnr sa navigabilité et sur Ûmei-chan, la montagne sainte de* Chinois et Tibétains bouddhistes'. Ils s'occupaient à celte époque de !a rectification du tracé de la vallée en amont de Souï-fon et comptaient faire roule vers Tali-fou pour compléter les résultats géographiques du précédent tarage de M. Bonin*. Nous espérons que des nouvelles pro- chaines nous renseigneront sur la suite de cet itinéraire dans le ïunnati et le Se-lchouen et sur les découvertes que la mission ne manquera pas de faire dans cette contrée abrupte qui termine à l'est le massif tibétain.
Dans le sud du Yunnan, le Dr A. Henry a pu constater noe, malgré la prédominance de l'élément chinois, les abo- rigènes présentaient certains caractères des races negrito, malaise et même caucasienne''. C'est là un champ d'étude pour les anlhropologistes. A ces documents s'en ajoutent beaucoup d'autres qui se rapportent plus particulièrement aux sciences naturelles.
La lutte commerciale des Occidentaux en Extrême-Orient, entreprise au lendemain de la guerre sine-japonaise', a eu pour conséquence un remaniement dans la géographie po- litique de la Chine. Les Allemands, qui ont donné le signal,
1. Les tapeurs peuvent remonter le ïang-tsé de Clianghaî à 1-ctiang sur une longueur do 1,751) kilomètres i'i les euifoiircati.ms légères pour- suivent leur route à 1,100 kilométra plus loin, c'est-à-dire sur plus de : lé de son cours. Cependant, sur les liOO kilomètres <|iii séparent l-cliiuig lie Tchang-king, on rencontre une. soixanlaine île rapides (gui -ihr l'iiisiallaituii par les Chinois de reluis de coolies et de ;i . nivi.iiiiM [iri'i'icux pour le voyageur. Au delà de Tchang- ri galion n'offre plus de difficultés sérieuses. imptc* rendus, 1898, p. 31)4; î«99, p. 3a. 3. .Volurc, nov. 1898, p.tlt.
L Lu Corée indépendante, juste ou japonai-e, par Villelard de La-
l'arls, Hachette, I89S. — Tehé-twm-po, nouveau port coréen,
p.r A. A. Pauvel, Bulletin. 1898, p. 189-497.
48
RAPl'OltT SUR LES PHOGHÈS DE LA GÉOI1EW
acquirent pour quatre- vingt-dix-neuf ans dans le Chan-toung la baie de Kiao-tchéou. Les deux bandes de terre qui eu ferment l'accès au nord et au sud sont comprises dans cette concession, et tout le littoral jusqu'à 50 kilomèlres dans l'intérieur constitue une zone neutre.
Déjà profitant de la position prise, l'Allemagne fait pro- céder à des sondages dans la baie et ses ingénieurs s'avancent dans le Chan-toung. Ainsi, M. Gœderl?. vient de tracer deux
itinéraires autour de Kiao-tchéou et jusqu'aux rives du lloang-ho. Ses observations qui portent sur les formes et la composition du sol visent surtout un projet de chemin de fer1.
La Russie achève son œuvre de pénétration en s'appro- priant, aux mêmes conditions que l'Allemagne, la baie de Talien-ouan et Port-Arthur, qui commande le golfe de Pet- chili. En outre, elle est autorisée à construire une ligne al- lant de Bedouné à un point stratégique sur lequel s'ouvre un port libre de glaces.
1. Verhandl. Berlin, n"8-U, 1898. p. 47»; carie.
rl.MM.M L'ARMÉE iKfl-X. i'.l
'resque en face de Port-Arthur, l'Anglelcrre a obtenu,
ujours à bail, le port de Oueï-haï-oueï, véritable poste
d'observation, d'importantes concessions autour de Hong-
i.'.niu'1 et tuut un ensemble d'avantages, qui ue concernent
pas pour le moment la géographie politique.
La France reçoit la baie Kouang-tchéousur la côte nord- est de la presqu'île Lten-tchéou *, décrite dans les Comptes rendus par M. Fauvel. Des clauses diverses, dans le déliiil desquelles nous ne pouvons pas entrer ici, concernent l'ina- iiénabililé de certaines provinces, l'organisation de cerlains services, la création des voies ferrées. C'est en quelque sorte le partage économique de la Chine, qui commence.
lad»- Chine rrnnçaisc. — En présence de cetle situation, on comprend que l'Indo-Cbine française songe à développer son réseau de chemins de fer et qu'elle mette à l'étude le [race de lignes de pénétration qu'on pourrait également appeler des lignes d'aspiration, puisqu'elles sont surtout destinées à attirer vers notre colonie les grands courants commerciaux de la Chine.
Le colonel Pennequin.qui débuta par rétablir l'ordre dans te llaul-Tonkin, fil étudier les voies d'accès vers la Chine méridionale.
Le lieutenant Privey, de rinfantorie de marine, partit de Lao-kay et remouta successivement toutes les rivières qui débouchent du plateau du Yunnan.en s'altachant d'une fa- ytn plus spéciale à la vallée du Siou-tchen-ha.
D'autre pari, le lien tenant Du carre, appartenant à la même lime, relevait la rivière Claire et atteignait Kai-houâ par une route peu fréquentée et moins accidentée que ta plu- part de celles qui aboutissent dans ces hautes régions.
Les itinéraires de ces officiers ont l'avantage de rucoiipur
[ Compta rendus, 1X88, p, Î9S-301; cane. Complet rindui, I8UB, p. Ï27-2Î!»; cane.
. DE GSOOH. — I" TRIMESTRE 1890. \S. — 1
50 RAPPOHT 5UH LES 1-ROBHKS DE LA GÉOGRAPHIE
ceux de la mission Guilleriioto. Cette mission s'est séparée au Tonkin eu deux sections principales, l'une chargée d'opérer au Kouang-si, l'autre au Yunnan. La première a d'abord fait une rnpidc reconnaissance de son itinéraire de Long-tchéou à Han-kéou avant d'être arrêtée par les troubles du Kouang-si. La seconde s'est immédiatement transportée à Mong-tsé, d'où elle a rayonné d'un côté vers le fleuve Rouge et la frontière tonkinoise, de l'autre vers Yunnan-sen1.
Ces travaux topographtqnes, qui nous intéressent à tant de points de vue, font partie de tout un ensemble etauront pour résultat scientifique de compléter nos données sur le nord de nos possessions d'ExIrcme-Orient el sur les abords des provinces chinoises qui les limitent.
L'œuvre géographique des officiers français en Indo-Chine a pour organe le Bureau topographique d'Hanoï. A coté des premières caries d'ensemble au 1/2,000,000" et des feuilles du Tonkin au 1/100,000' éditées par le Service géographique de l'armée, il publie une carte topographique au 1/200,000» embrassant le Tonkin, l'Annam et la Cochinchine, et une carte choro graphique de l'Indo-Chine au 1/1,000,000".
Ce service comprend trois sections : triangulation, topo- graphie, cartographie. L'énuméralion de ces travaux éche- lonnés sur une dizaine d'années a paru dans les Annales de Géographie'.
Nous nous bornerons donc à noter les principaux, en les eomplétanl par un aperçu des travaux ell'ectués sous la di- rection du commandant Le Breton, chef actuel du Bureau topographique3.
1. Communication r|e M. Vashelli*. siius-ilireetrur ii p l'Asie au Miliis- bn des colonies.
1. Annales de Géographie, 16 nov. 189N.
3. Le Bureau Uijmi.'i'iipliique des troupes du l'Iudo-L'Iiiue, foudé eu 886 à Hanoï, s'est développé sous l'impulsion du général Uègin. Le capi-
PENDANT L'ANNÉE 1898. 51
Aux travaux de cet ordre, il faut ajouter les études qui ont pour but l'utilisation des fleuves comme voies de naviga- tion. On conçoit sans peine que le Mékong ait tout d'abord et depuis longues années attiré l'attention du gouverne- ment. Nous avons signalé Tan dernier le trajet de la châ-
taine Bauchet, ancien chef de ce bureau, jugeant superflu de recourir aux méthodes de la géodésie de premier ordre, établit des stations déter- minées par des observations astronomiques et reliées par des chaînes de triangles coupées par d'autres chaînes aboutissant aux points du littoral déjà fixés. Les travaux de triangulation ont été confiés aux mis- sions suivantes : 1886 et 1887, l'ingénieur Delaporte (coordonnées de Hanoï) : 1888-1889, capitaine Michelez et lieutenant de Gemmes (mont Bavi, Yen-thé); 1889-1890, capitaine Michelez et lieutenant Bouffez (rivière Claire, Lao-kai); 1891, capitaine Michelez (triangulation de la frontière du Kouang-toung : commission d'abornement) ; 1891-1892, capitaine Bauchet (Lang-son); 1893, lieutenants Husson et Détrie (Cao-bang); 1894, lieutenants Pécaud et Yormèse; 1895, capitaine Rivière (rivière Noire) ; 1896, capitaine Chapes (Cao-bang, Lang-son).
Les fièvres coûtèrent la vie au capitaine Michelez, en 1891, et au capi- taine Rivière, en 1895.
A côté des travaux de triangulation, l'étude topographique du sol était confiée annuellement à des officiers chargés de combler les vides de certaines feuilles du Haut-Tonkin et de la rivière Noire. Ces travaux topographiques furent efficacement aidés par les missions d'aborne- ment. On sait que le Tonkin a été délimité de 1889 à 1897, du côté du Kouang-toung d'abord (1889-1890, chef de bataillon Chiniac de la La- bastide); du Kouang-si (1890-1891, capitaines Didelot et Bachelier); du Vun-nan (1891 à 1897, successivement capitaine Bachelier, colonel Ser- vière, colonel Pennequin). Enfin, il faut ajouter à ces levés topogra- phiques ceux des missions Pavie (1878-1879, 1890-1891, 1894-1895), l'iti- néraire du lieutenant Oum entre Louang-prabang et Hanoï (1897).
A cet aperçu, ajoutons d'autres renseignements sur l'œuvre du Bu- reau topographique après l'installation du commandant Le Breton. Ainsi : les levés du commandant Le Breton et du capitaine Bernard (région de Tourane), du capitaine Giorgio (Luc-an-chau), du lieutenant Colon na de Leca (rivière Noire), des lieutenants Privey et Ducarre (routes du Yun-nan), enfin du capitaine Friquegnon. Ce dernier, assisté des capi- taines François et de Gaudel, a commandé la mission géodésique qui a déterminé les coordonnées astronomiques des principaux centres des hautes régions du Tonkin. Le capitaine Friquegnon, ex-membre de la mission Pavie, est l'auteur d'une bonne carte au 1/2,000,000* de la Chine méridionale et du Tonkin, publiée en janvier 1899 par le Service géo- graphique du Ministère des Colonies (Henry Barrcre, éd.).
98 rapport snn les moGafts bb là géographie
loupe à vapeur le Samber de KraLié â Stung Treng aux basses eaux et les rapports de MM. YLier, Desbos et Morin sur la navigabilité du Bas-Mékong.
Les travaux de la mission hydrographique du Un ut-Mékong, qui ont fait à plusieurs reprises l'objet de communications importantes, sont aujourd'hui précisés dans YAtlas du Haut-Mékong du lieutenant de vaisseau Simon, chef de celte mission, publié ces jours derniers par le Ministère des Colonies*.
On se souvient qu'en 1893 le gouvernement se décida à lancersiirlellaul-Mckong deux canonnières, le La Grandirre el le Massie. La mission a pris fin en 18%. Elle revenait avec un itinéraire de 10,486 kilomètres après s'être avancée jus- qu'à Xien-kong (Louang-prabang). Ces travaux sont actuel- lement représentés par 3 cartes d'ensemble au 1/400,000% en40ff.au 1/30,000' composant une carte générale, 3 ff. don- nant les sections et 9 ff. figurant les courbes.
Les plans correctifs ont été dressés en 1807 et 1898. Le lieutenant de vaisseau Simon et ses collaborateurs ont établi toutes ces caries en vue de la navigation praliquée dans les circonstances les plus défavorables, au moment de la décrue annuelle maxima. A cette publication est joint un album de photographies exécutées par les membres de la mission. C'est la note pittoresque à calé d'un document scientifique d'une incontestable valeur.
Si nous n'avons pas à consigner dans ce rapport de grandes explorations françaises en Asie, nous pouvons Taire valoir il juste titre les beaux travaux qui complètent les enquêtes géographiques Conduite* fc travers ce continent pur nos com- patriotes au .-ours des dernières années. Les caries du com- mandant Simon, le volume du prince Henri d'Orléans sur son exploration du golfe du Tonkin au golfe du Bengale, ceux de M- Grenard sur la mission I lut rend de Ithinset de M. Bre-
I. Allât Uu UnHUlumg.fÈA*, IWK. — Itinéraire ri-dessus, paire 4i.
PENDANT L'ANNÉE 1898. .M!
nier sur la mission lyonnaise ont lous paru en 18118. La géographie française a le droit d'en tirer quelque orgueil, •t vrai que le livre précise les connaissances acquises en cours de roule, fixe les résultats qui en découlent, for- mule les enseignements qui s'en d égalent et n'est en somme que l'expression définitive et réfléchie du voyage.
ncuiPËL Asiatique. — lie <i« in Sonde. — La laborieuse
ploratton que lit, en 1897, M. Raoul, membre du conseil
lérieur de santé des colonies, dans les forêls de l'in-
rieur de Sumatra, a excédé ses forces. Il a succombé en
I dernier, peu de temps après son retour'; mais son
lui survivra. Nos possessions profileront de ses
hexches fécondes sur la cullure des plantes tropicales, et
i. ■laminent sur la gutta percha dans les Indes néerlandaises,
comme de l'ensemble de ses études, qui concernent autaut
l'économie politique que l'histoire naturelle.
Un autre de nos collègues, M. Chailley-Bert, secrétaire général de l'Union coloniale, a con sacré cinq mois à. l'accom- plissement d'une mission à Java s. Chargé d'étudier le sys- tème de colonisation adopté parlesHollandais, il s'est livré 4 une véritable enquête, dont il a exposé devant la Société les caractères principaux3. Laissant de coté le riz comme peu rémunérateur, les colons des Indes néerlandaises s'adonnent aux cultures riches telles que le café, le thé, le poivre, la cannelle et le tabac. Ils mènent au milieu de leurs vastes domaines une existence large autant que séduisante.
1. Compte* rendu», 1898, p. 218-913. ï. Compte* mwJu*. 1898, p. 63-68.
S. Voir o^alirneri! l'ouvrage île M. J. Ledercq, présidant île la Société _r:i[iln.- il.:* Bni.fr-Ui:-. : Un xêjour dan» Vile de Java... Puris,
■
M RAPPORT SUH LES l'IIOliRÈS DE LA GKOGRAPH1E
Tout autre est le coup d'œil qu'offrent nos colonies. Eu dé- mêlant les causes d'un tel contraste, M. Cbailley-Berl a fait œuvre utile, et les renseignements qu'il rapporte méritent d'éveiller l'attention de nos planteurs, d'autant plus que les conditions de Java sont celles d'une grande partie des pos- sessions françaises.
itorné». ■ — Trois voyageurs américains, les D" Hiller et Purness, et M. Hamson, entreprennent depuis trois ans l'exploration de Bornéo, où la civilisation a tant de peine à pénétrer '. Leurs tentatives portèrent d'abord au nord-ouest, dans le Sarawak. Ils remontèrenlîa rivière Barram jusqu'au
mont Malu (juin 18%); puis, revenante la côte, ils explo- rèrent le fleuve Kedjang et le cours supérieur du Sadong. Le Dr Furness, d'oclobred897 à mars 1898, reprit le premier de ces itinéraires et étendit ses reconnaissances à tout le bassin du Barram, tandis que MM. Hiller et Hamson péné- traient dans la province de l'ouest par la vallée du Kapouas jusqu'au dernier fort hollandais. En janvier 1898, ceux-ci complétèrent avec un chef indigène l'exploration du bassin supérieur du Redjang, en territoire nouveau. Revenus à Singapour au printemps, ils en repartirent pour visiter, au sud de la grande île, la vallée du Barito, déjà connue, et à
1. Complet renitux, p. 370-372; carie.
PENDANT l'année 1898. 55
Test celle du Mahakkam, que le docteur norvégien Charles Bock fut le premier à explorer *, sans cependant s'avancer aussi loin dans l'intérieur que ne le ûrent MM. fliller et Hamson. Le temps que les trois voyageurs américains pas- sèrent en dehors de Bornéo fut employé à d'autres explo- rations, notamment dans les îles Liéou-tchéou et dans l'in- térieur de Célèbes.
Célèbes. — La partie la plus étroite, mais aussi la moins connue de cette lie, aux contours tourmentés, a été par- courue par un missionnaire, M. A. C. Kruyt, en compagnie du docteur Adriani *. Ce voyage, motivé par l'étude des dialectes indigènes, a amené l'exploration du lac deLindou, dont les eaux se déversent dans le détroit de Macassar par la rrvière de Palos. Un lever complet de la vallée a été exécuté par les voyageurs.
Philippines; le traité hispano-américain. — Les évé- nements, dont les Philippines ont été le théâtre, ne rentrent pas dans le cadre de nos études ; mais, les traités amenant des remaniements dans la géographie politique, nous occupent à ce titre. La commission hispano-américaine, réunie à Paris, a terminé ses travaux le 10 décembre. L'Espagne cède les Philippines aux États-Unis et renonce à l'île de Guam dans les îles Mariannes. D'autre part, elle abandonne tout droit de souveraineté sur Cuba. Porto-Rico et les autres îles espagnoles des Indes occidentales passent sous la domination des États-Unis 3.
1. Charles Bock, The Head-Hunters of Bornéo... London, 1882; et Rapports annuels sur les progrès de la Géographie, par C. Maunoir, tome II, 1896, p. 615.
2. Peterm. Mitt.y 1898, 1, p. 22.
3. Les préliminaires de paix, signés à Washington le 12 août 1898, comportaient les dispositions suivantes :
Article Premier. — L'Espagne renonce à toute prétention à sa sou- veraineté et à tous droits sur Cuba. Article II. — L'Espagne cédera aux États-Unis rite de Porto-Rico
56
RAPPORT SlIIl LES PROCRKS DE LA GÉOGRAPHIE
AttSTKALASIE. — Nouvelle- «nlnàe. — LaNoilVelle-Guînée
anglaise, dans sa partie orientale, a été l'objet de récentes explorations de MM. Giulianetti etMac Gregor1. Le premier s'est dirigé de l'embouchuTe île la Vanapa vers la chaîne des Owen Stanley, et il a fondé une station météorologique sur le mont Wharton à l'altitude de 3,400 mètres. M. Mac Gregor visita cet observatoire, installé d'après ses instructions, lorsqu'il effectua la traversée de cette partie de l'île en se portant au secours de chercheurs d'or capturés par les indigènes.
Le fleuve Aroa, qui se jette dans la baie lledscar, a l'ouest de la Vanapa, et qui prend ses sources dans les ramifica- tions de l'Owen Stanley est grossi à gauche parla Veida. La vallée de cette rivière conduit à des forcis inexplorées dans les- quelles s'aventurèrent deux missionnaires du Sacré-Cœur, les PP. Juliien et de Rycke, qui entrèrent en relation avec une population monlagnarde énergique très différente de celles de la côte. Le mont Manakou, au pied duquel sont groupés des villages, atteintenviron 2,000 métrés d'altitude. Ce voyage est de 1896. Un autre, commencé en" août 1897, s'effectua également dans le bassin de l'Aroa, mais plus au nord, jusqu'à la ligne de faite qui sépare ses eaux de celles du Saint-Joseph. La montée de ce fleuve, qui aboutit à un massif dont le sommet, nommé par les voyageurs le mont Sainte-Marie, se dresse à une altitude d'envi ion -1,500 mètres,
et les autres lies actuelli-mi-ni snus la souveraine te i ipannole dans les Indes occidentales, ainsi qu'une lie dans les Ladrones qui sera choisie par les États-Unis.
Article III. — Les Étals-U baie et le pori lie. Manille, pan qui devra déterminer 1 ment des Philippines.
Ahticle IV. — L'Kspsgne évacuent immédiatement Cuba, l'orto-Rico et les autres [les actuellement s"n<s la souveraineté espagnole dans Ira Inde- 0.7 e idem a les..., eu.
t. hfill. Soc. geogr. itai „ 1898, p. 385; carie. — Verhmdl. Ilerlin, 189*. n*8-U, p. «57.
s occuperont ei tiendront la ville, la .■il ,iti. Tnl.'iDt la conclusion d'un traité de
i crjiitiiile. la disposition et le irouverne-
PBKDÀNT L'ANHËE 1898. 61
i1! lu re connaissance d'un de sesafHuents de gauche, consti- tuent les principaux résultats géographiques de la seconde exploration '.
AuNimiu.- La découverte des champs d'or de l'Australie occidentale a, dans ces dernières années, provoqué une sé- rie de missions qui réduisent de plus en plus les blancs de la carte. La connaissance scientifique du sol est naturellement Tort avancée dans les colonies orientales où le peuplement a été rapide. Le littoral et tout le parcours de la ligne télégraphique transcontinentale sont ensuite entrés dans le domaine de la géographie positive. Les enquêtes se multi- pliant, les données se sont précisées, et les voyageurs ou érudils ont pu aborder l'étude du désert australien, analyser les Formes hydrographiques, creeks plutôt que rivières, et Cft sol poreux où s'infiltre l'eau que le soleil n'absorbe pas, el qu'il n'est pas rare de retrouvera une faible profondeur retenue par une couche imperméable. Ces constatations résultent des récils des diverses missions (missions Horn et Wînnecke, Hubbe el H. W. Ilarslett, D. W. Carnegie, Fletcher, etc.), qui se sont succédé depuis quelques années dans les régions déserliques de l'intérieur australien*.
A l'appui de la théorie des rivières souterraines qui recouvriraient les creeks australiens comme les oued saha- riens, nous pourrions rappeler les communications que M. Jules Garnier nous adressait le 30 avril 1898 de l'Australie occidentale. Les nappes souterraines s'y mani- festent souvent à la surface par une végétation verdoyante, et notre collègue a constaté que certaines essences d'arbres sont pourvues de racines spongieuses qui s'imprègnent d'eau potable en telle quanti té que les indigènes en font usage pour combattre la soif pendant les grandes sécheresses s.
( /;.. 1898, p. ÏO7-209. 3. Vulr Annale* <U géoyr., 15jnillet 1S1IK, |>. 55-73. tmtux, 189H, [,. 319, 331).
58 lUrPOTtT SUR LES PROCHES DR LA GÉOGiUPHïE
La santé de M. Jules Garnier oe lui a pas permis de continuer ses recherches géologiques. Peu après son retour en France, il reçut la désolante nouvelle de la mort de son (Ils, M. Pascal Garnier, qui poursuivait seul ce voyage com- mencé à deux, quand les atteintes du climat le forcèrent à rebrousser chemin jusqu'à Coolgardie, où il succomba âgé seulement de vingt-six ans. Rien ne pouvait faire prévoi la mort de ce jeune explorateur déjà rompu aux fatigues, ei dont les précédents travaux en Nouvelle-Zélande e Transvaal avaient produit des résultats dans le domaine de la géographie physique '.
Plusieurs lies du Grand Océan équatorial ont été l'objet d'investigations géologiques en vue de l'élude des formations coralliennes,
L'Ile Chrislmas, située à 400 kilomètres au sud des îles de la Sonde, devail, dans la pensée d'un membre corres- pondance la Société, M. John Murray, fournir de précieux éléments à cette enquête. L'exploration que M. Andrews entreprit aux frais de notre collègue, a permis de dé- terminer le caractère volcanique du cœur de l'île'. Lea bandes de corail qu'on y découvre semblent un indice que Christmas s'est élevée graduellement et à des inter- valles de temps considérables. L'île, qui émerge de l'eau jusqu'à l'altitude de 350 mètres, est couverte d'une épaisse végétation forestière qui en rend la reconnaissance d'autant plus difficile que l'eau potable fait défaut. La petite colonie venue des îles Keeling sur la rôle, ne s'aventure pas dans l'intérieur, et c'est au prix des plus grandes diffi- cultés que M. Andrews a réussi à accomplir la traversée de
i. Comptes rendue, tS'.iS, p. 334.
S. Science, sept. 1898, p. 293. - Geogr. Journul, 1899. p. 17.
pendant l'année 1898. 59
cette terre, d'où il rapporte cependant d'intéressantes collec- tions de géologie et d'histoire naturelle.
Les sondages effectués dans les îles Eilice et particulière- ment à Founafouti ont été continués en 1898. Les puils forés dans les couches coralliennes atteignaient en juillet dernier une profondeur de 280 mètres environ*.
Sans discuter ici la théorie de Darwin, que ces inves- tigations remettent sur le tapis, nous constatons que dans le groupe des Viti ou Fidji d'autres expériences analogues
. sont conduites par M. Agassiz, qui s'occupe en même temps
I de zoologie sous-marine.
Le problème des migrations des Polynésiens et des courants variables du Pacifique n'est pas résolu ; aussi nous paraît-il intéressant de rappeler un fait que M. Vossion, consul de France à Honolulu, signalait récemment à la Société*. Le 23 mai arrivait à Hookena, dans l'île d'Hawaï, une barque tahitienne en détresse. En quittant les îles Scilly situées à l'ouest de Tahiti, ce schooner à deux mâts monté par huit personnes essuya une tempête qui fit des avaries au bâtiment, brisant la boussole et le compas. Perdus dans l'Océan, sans instruments et sans cartes, les passagers, dont les provisions étaient heureusement abon- dantes, furent ballottés pendant quatre-vingts jours à la merci des flots et la barque finit par être jetée, comme une épave, sur les côtes hawaïennes. Le fait est d'autant plus curieux, que bon nombre d'Hawaïens sont d'origine tahitienne et que les traditions parlées ou écrites attestent, qu'aux époques les plus reculées des rapports furent établis entre les îles d'Hawaï et les îles de la Société. Si l'on en croit les travaux du capitaine Hepwarth, les courants, qui servirent ainsi de traits d'union entre ces groupes à travers le Pacifique,
t. Geogr. Journ., janv. 1898, p. 50. — Nature, nov. 1898, p. 22. — Americ. Journ. of Se, 1898, p. 113. 2. C. R., 1898, p. 372.
I
fiO RAPPORT StR LES PROGRÈS HE LA GÉOGRAPHIE
varient suivant les saisons. Leur étude, qui intéresse di- rectement la marine, apporterait peut-être la solution du problème, posé par M. de Quatrefages, du peuplement graduel des iles de l'Océanie.
\m.r[.,.x du Nord. — Alnakn et Cnnada. — Le mouve- ment d'immigration qui, l'an dernier, s'était accentué dans la direction de l'Alaska et du nord-ouest canadien ne s'est pas ralenti cette année, mais la nécessité de ravitailler les prospecteurs et de faciliter aux chercheurs d'or l'accès du Klondyke, a provoqué l'organisation de certains services et l'amélioration des voies de communication. Trois routes sont fréquentées : celle de Dyea et du col Chilkoot, celle de Skaguay au col de White, celle de la rivière Stickine et du lac Teslin1. En raison de la concurrence qui s'établit sur ta cote du Pacifique entre Canadiens et Américains, ces derniers commencent déjà le tracé d'un chemin de fer de Skaguay au lac Bennett par le col de White. Il se peut qu'un autre courant se dessine à l'est des Montagnes Ro- cheuses par la ligne transcontinentale du Canadien-Paci- fique avec embranchements sur Prince-Albert etEdmonlon.
L'un des hommes qui ont le plus contribué à développer les connaissances géographiques sur la région du Klondyke est M. William Ogilvie, attaché au département de l'inté- rieur du gouvernement canadien. Son exploration de 1887, appuyée sur de nombreuses observations astronomiques, lui a permis de lever la route entre le porl de Skaguay et le fleuve Youkou. Chargé cette année de rédiger un guide officiel du Klondyke1. il a rassemblé à la hâte lesdo-
t 6 tU, !«*, p. 309.
±. Qmtàt o/fieitt Jb Ktomâftr, Toronto. 189».
PENDANT L'ANNÉE 189X.
61
cuoienls les plus récents sur l;i constitution et les formes du sol, qu'il fait suivre de renseignemenls pratiques. Bien que les prospecteurs se soient achemines vers le Youkon dès 1873, la fièvre de l'or ne s'empara des chercheurs que vingt-trois ans plus tard lors de l'exploration des creeks du Kloudyke. < Il nous est permis d'affirmer, écrit M. Ogilvie, que nous avons dans les territoires nord-ouest une région qui s'étend sur une longueur de IÎ00 milles et sur une lar- geur de plus de 500, le long de la frontière de la Colombie anglaise jusqu'au 111e méridien (Gr.) et au delà, dont la surface est sillonnée par de nombreux cours d'eau qui sont tous aurifères. » L'œuvre de l'explorateur est cependant fort imparfaite, car si les abords de Dawson City et les voies qui y conduisent sont connus, les levés topograpbiquesqui ne concouraient pas directement au but, que chacun pour- rait dans ce pays des daims, ont été systématiquement négligés.
On ne lira qu'avec plus d'intérêt la conférence de M. Loicq de Lobel sur le Klondyke, l'Alaska, le Youkon et les îles Aléoutienoes'.
Nous ne pouvons oublier non plus les descriptions atta- chantes que lirent à celle tribune, dans le courant de l'année 1898, M8rGrouard%sur l 'Ath abusk a-Mac k en zie, et Mer Légal 3 sur la tribu des Pieds noirs.
Dans les montagnes, qui liérissenlle nord-ouest canadien .nii-iini que l'Alaska, les alpinistes peuvent se donner libre carrière et leurs ell'orts serviront la géologie autant que la géographie physique. Ou n'en peut citer rie meilleur témoi- gnage que l'ascension cinq l'ois tentée de ce fameux mont Baint-Elie,qui marque au sud la frontière entre les territoires canadiens du Nord-Ouest et la péninsule américaine. Grâce
S, C. fl.. 1888, p. S20-S2S. /;. II.. IR98, P.2Ï2-225.
RAPPORT SUR LES Plun.llns m; [,» i;ÉOf;HAI'HIE
au duc des| Abbruzzes, la montagne réputée la plus haute de l'Amérique du Nord est main tenant escaladée et mesurée avec une précision su ftlsaii te1. Le sommet, atteint le 31 juillet 1891, s'élève à 5,514 mètres d'altitude, d'après les obser- vations barométriques de la mission; le bras oriental du glacier de Malaspina présente une surface de 4,600 kilo- mètres carrés; enfin, du point culminant, les ascensionnistes ont aperçu, au nord, un autre glacier de dimei
logues et dans l'ouest de grands mussits neigeux non portés sur (es caries. Dès à présent on peut admettre que le Saint- Élie rivalise avec l'Orizaba (Mexique) sans cependant l'égaler, mais que l'illimani (Bolivie), dont l'explorateur Cotiway a franchi celte année l'un des pics, le domine de 1 ,000 mètres environ.
Le Canada, qui, pendant de longues années, sembla se désintéresser des abords de la haie d'Hudson, dirige son activité de ce coté. A l'exemple de la Russie, qui se préoccupe de la navigation de la mer de Kara, il s'est mis en devoir de
1. G. II..
, p. 73-75.
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i
PENDANT l'année 1898. 63
reconnaître l'état de navigabilité de cette baie et du détroit qui la met en communication avec l'Océan Atlantique. La campagne de la Diana, commencée durant l'été de 1897, acquiert une importance particulière depuis l'adoption du projet de relier par une voie ferrée Fort-Churchill, sur la baie d'Hudson, à Winnipeg, capitale du Manitoba l. En juillet, ce vapeur visitait le détroit dont la partie nord était obstruée par un banc de glace ; en août, il abordait la Terre de Baffin par le Cumberland Sound et l'équipage y plantait le drapeau canadien ; puis, rebroussant chemin, il se rendit à Fort-Churchill et croisa jusqu'en octobre dans les eaux de la baie d'Hudson. Le capitaine de la Diana considère que la navigation par cette baie et ce détroit reste libre pen- dant quatre mois de l'année et peut s'effectuer dans des conditions satisfaisantes.
Sans quitter la Terre de Baffin, nous devons signaler, à la même époque, les reconnaissances de M. Porter dans la baie de Frobisher3. Le Hope, qu'il montait avec M. et Mme Shaw, y pénétra par le Bear's Sound, à travers un fouillis d'îlots ne laissant qu'un chenal de 700 ou 800 mètres de l^rge. Les bords de la baie, dentelés de fjords, ont été suivis par le bateau en commençant par la côte nord. Les récifs nom- breux s'élèvent jusqu'à 200 mètres et les cours d'eau que les voyageurs ont longés se distinguent par de nombreuses chutes. L'intérieur des terres a d'ailleurs un aspect désolé. M. Porter rapporte de cette campagne des levés appuyés sur des déterminations de latitude, diverses hauteurs prises au moyen de l'anéroïde, des documents géologiques, enfin des notes sur les formations glaciaires.
Ces explorations complètent au nord les travaux que le Geological Survey entreprend depuis quelques années sur le pourtour de la baie d'Hudson et au nord de la province de Québec.
1. Geogr. Zeitschr.y 1898, p. 248.
2. Amer. Geogr. Soc, XXX, 2, 1898, p. 97.
JtAPl'OItT SUR LES PlUHinÈS HE LA CÉOtJIUPHIE
McniijiiG. — Les notes économiques de M. Schœnfeld sur différentes circonscripliotis administratives du Mexique et celles de M. Sempé sur l'Etat de Véra-Cruz^ùse développe la petite colonie française d e Jicaltepec et de San Rafaël, nous ont été communiquées par le Ministère des Affaires étran- gères et soûl résumées dans le compte rendu des séances1.
En dehors des recherches archéologiques de M. Niven, dont il a été parlé dans le précédent rapport, nous n'avons pas d'exploration à mentionner au Mexique.
Amérique rentrait;. — Dans le Nicaraguael le Honduras on peut suivre, de Coban k Tégucigalpa, c'est-à-dire- de la Sierra Cbama aux monts Lepaterique, la première partie de l'itinéraire de M. K. Sapper, chargé d'une mission par la Société de géographie de Berlin9. La seconde partie se développe au nord-est, passe à Jutigalpa, longe la chaîne centrale, et atteint la côte a Trujillo pour revenir à Téguci- galpa et s'étendre ensuite dans le sud, sur le versant du Pacifique. L'objet de cette exploration portait principale- ment sur les formations géologiques du centre et de l'est du Honduras. Dans l'intérieur du pays, la nature volcanique du sol se manifeste. A l'est et au centre les gisements de chaux et de conglomérats quarlzeux sont beaucoup moins nom- breux que dans la partie occidentale du pays.
Amérique tlu s. ni. — Colombie. — Avec M. le i ■unir de Brellcs, nous arrivons à l'Amérique du Sud. Des noies qu'il a adressées à la Société de Géographie, il résulte qu'il a remonté la rive droite du fleuve Magdalcna et parcouru le nord-est de la Colombie, vîsitéleBoyacaetle Sanlander,
;. i:< > ilot'unieiiu; et la plupart de cens que la 5<>ciûlô a publiés telle année sur l'Aiiiùrrijuc mit élé rùs 1 1 il i .'-s par M. [•■ priilï^wnr K roi de vaux, dont l'active collaboration aux Compte rendu» noua a eU parUculte- remem précieuse.
1 Vtrh.ui.ll. soc. (iet.gr. herlin, MB, p. lit). M6, 338.
PENDANT l'année 1898. 65
el que son nouveau voyage s'est terminé par une excursion dans le territoire indien de la péninsule goajire '.
Contesté franco- brésilien. — Dans le Contesté franco- brésilien, M. Georges Broussean a, de 189-t à 1898, effectué de nombreuses reconnaissances qui s'ajoutent aux travaux deM.Coudreau. H a relevé le cours de la Carsevenne et d'un de ses principaux affluents, qu'il nomma la rivière Carnot.
ILa carte, qu'il a dressée d'après ses observations ou par ren- seignements, est comprise entre le 52e et le 5.j* degré de longitude et s'étend sur un développement de 450 kilomètres de côtes. On peut s'y reporter pour discuter les points qui ont amené le conflit de 1894. Celui-ci s'est élevé au sujet des territoires aurifères de la Carsevenne et du Mapa. La France et le Brésil s'en remirent, on le sait, à l'arbitrage du président de la Confédération helvétique, par la conven- tion du 10 avril 1807. La difficulté vient de ce que la rivière Japoc ou Vincent Pinson est confondue par les Brésiliens avec la rivière Oyapoc dont l'estuaire s'ouvre sur le-ï'degré de latitude nord, tandis que, d'après nous, cette rivière Vincent Pinson ou Japoc ne serait autre que le fleuve Araguary ou encore le canal du Nord qui fart partie des bouches des Amazones U degrés plus au sud9.
Rrraii- — Dans l'estuaire du Rio Para débouche le Rio Capirû; qui fut, dans l'été 189", l'objet d'une intéressante reconnaissance -!. MM. Gœldi etHuber effectuèrent rapide- ment la montée de ce cours sous l'impulsion de la marée sur plus de 100 kilomètres. Au delà d'Apronaga le fleuve fait plusieurs coudes et prend une direction nord-nord-est avant de retourner au sud. Le point le plus éloigné qu'aient atteint ces voyngeurs est à 3"30' de latitude sud. Ils ont relevé soi-
.. 1898, |i- :i]B, Jiiii. -. [>>ipr<^ des ducumems cummuni.iu&i par M. UroiiBseau. J, Pelerm.Mitth., Il, 1898. p. 36.
lïli
RAPPORT SUR LES I>nOGRÈS DE LA CftOGIIAPHIE
gneusement les nombreux affluents de cette artère qu'il serait facile de canaliser et de rendre navigable à peu de frais. Aux travaux topographiques de MM. Gœldi et Huber s'ajoutent des collections d'histoire naturelle et des notes ' ethnographiques sur les Indiens Tembès.
Bolivie. — L'Office national d'immigration et de propa- gande géographique, institué par cet État en 18%, a une large part dans l'organisation et l'équipement des missions boliviennes. C'est sous ses auspices qu'a été entreprise l'expédition déjà signalée du colonel Pando dans le haut bassin du Madré de Dios. La revue, dont ce service com- mence la publication, contribuera à avancer la connaissance d'une contrée très imparfaitement décrite.
Le célèbre alpiniste Conway possède à son actif une nouvelle ascension, la plus difficile, suivant lui, qu'il ait entreprise jusqu'à ce jour, celle de l'IIlimani. De "ce mas- sif granitique, qui domine au sud-est La Paz et forme le nœud extrême de la chaîne du Sorata, se rattachent plusieurs pics dont un, le pic de Paris, fut escaladé en 1 877 par MM. Wiener, Grumkow et de Ocampo '. D'après leurs évaluations, il aurait 6,131 mètres d'altitude. Le sommet du pic de l'Indien a été atteint par M. Conway le 3 sep- tembre 1898. Sa hauteur approcherait de (i.'iOU mètres.
Chili cl République At-gcuiiiic. — Le conflit qui s'est produit entre la République Argentine et le Chili, à propos de la délimitation de leurs frontières, pourrait bien s'apaiser d'unefaçon inattendue. A la suite d'un accord, il a été décidé récemment que les délégués des deux puissances se réuni- ront à Buenos-Ayres pour fixer la ligne de démarcation entre le 23" et le 27° lat. S., c'est-à-dire dans le territoire
1. ftapporlsan tome 11, p. 113.
iieh inr /<".« pnitjrt's tic 'ri yt'."/i /!(]'■!'
pendant l'année 1898. 67
appelé puna de Atacama d. Cette commission pourrait, le cas échéant, être saisie du règlement total de la frontière, et rendre inutile l'arbitrage de la reine d'Angleterre, devant laquelle était porté le différend. Quoi qu'il en soit, ces discussions ont provoqué des enquêtes, qui eurent pour résultat de fixer, dans une très large mesure, la forme, l'importance de toute cette région des Andes, dont 'on ignorait la structure et l'aspect autant que les ressources. Du plateau bolivien, ces chaînes s'allongent et se confondent à l'ouest du Gran Chaco et des Pampas, jusqu'en Patagonie et dans la Terre de Feu; mais cette puissante muraille n'empri- sonne pas les bassins des grands fleuves en départageant, comme le supposaient les anciens traités, les eaux de l'Atlantique et celles du Pacifique. L'érosion a produit des brèches profondes, qui ont fait dévier les cours de leur direction primitive.
En regard des constatations du Dr Moreno, qui dirige, pour le compte du gouvernement argentin, l'exploration des Andes orientales, on peut placer les travaux du Dr Steffen, le voyageur chilien, qui, l'an dernier, reconnaissait la rivière Aysen et cette année, en compagnie du Dr Krautmacher, s'engageait dans les Cordillères de la province de Chiloé. Remontant le cours inexploré du Rio Gisnes à travers les Andes, avec l'espoir de parvenir au lac Fontana, les voya- geurs se heurtèrent à une immense chaîne de montagnes couvertes de glaciers. Le fleuve, qui se fraye un passage, au nord, entre des rochers abrupts, devient alors impossible à suivre. La mission dut tourner au sud et explorer une nou- velle vallée qui la conduisit à un lac nouveau. Elle aboutit au Rio Senguer, tributaire de l'Atlantique, après deux mois passés dans une région inhabitée. Son retour s'est effectué par le lac Nahuel-Huapi. La principale constatation géographique de cette expédition est l'identification du Rio
1. Comptes rendus, 1899, p. 38; carte.
68 RAFrOffT SC* LES FWCHÈS »K U «AKUltE
Cisnes avec le Rio Félix Prias exploré par JL ) plaçait an nord du lac Fontaoa'.
Une aatre mission chilienne, confiée a MM. Kmger et Betnwisch dans vie région voisine, avait poar objectif ta ligne séparative des eaaz du Rio Chabot, et do haut Poala- leofon ainsi que l'étude de la vallée do Corcorado *. Ce doubie bat fui atteint. On sait maintenant que ce dernier cours d'eau n'a pas d'affluents, qu'il ne peut se confondre avec le Foul-aleufou et qu'il prend sa source dans un glacier bas (600 mètres d'altitude), adossé à une chaîne de 2,000 mètres d'élévation.
Aui observations astronomiques de ces voyageurs s'ajou- tent des collections géologiques et botaniques. Leurs rapports nous fournissent de nouvelles données sur le relief de cette partie de l'Amérique du Sud et nous permettent de constater une fois déplus la présence de vallées transversales. Les ex- plorations des Argentins ont d'ailleurs démontré que, sous l'action glaciaire, des cours d'eau, nés dans l'est, se frayent un passage vers le Grand Océan, préparant ainsi dans la Pa- tagonie andine la voie à u,n canal interocéanique, dont te Rio Cbubut et le Rio Epaven constitueraient les éléments.
Uu.a>ogra[-hie. — • Pour achever la revue rapide des fi géographiques de l'année, il nous reste à parler des régioi polaires. Toutefois, avant d'aborder cette dernière partie d rapport, il importe de mentionner certains travaux qui n'o pu prendre place dans les divisions adoptées. Lesrecberc océanographiques, par exemple, ne se localisent pas dai telle zoue ou Lelle mer,
Celles qu'effectue l'expédition allemande pour l'élude des grands fonds, sous la direction du D' Cbun, comportaient
i" 7, 18U8, p, 3311. carte |>. I(i3.
PËNriANT l'année 1898. d'abord l'élude de l'Océan entre l'Ecosse et
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lies Shetland,
puis le long de la cote d'Afrique jusqu'au Cap '. Ce travail est aujourd'hui accompli et la campagne du Vatdivia se poursuit vers les régions antarctiques. La mission a pu déterminer dans l'Atlantique nord la ligne de séparation des courants froids venant de l'océan Glacial et des couranls chauds parlant de l'équateur. A 500 mètres de profondeur on a nolé 0"4 dans la zoue froide et 9" 6 dans la zone chaude.
Des expériences analogues ont été effectuées il y a plus de quinze ans dans le nord Atlantique, par le Knight Errant et le Triton, de même que dans ta Méditerranée et le golfe de Gascogne par le Travailleur et. le Talisman. Ces der- nières missions ont été accomplies sous la direction de M. Alphonse Milne- Edward s, président actuel de la Société, dont les recherches sous-marines, commencées en 1801, faisaient suite aux études sur les fonds de la mer que son père, l'ancien doyen de l'Académie des sciences9, avait entreprises dès 18âti.
La nouvelle campagne de la Pola dans la mer Rouge a eu lieu dans la zone comprise entre Djedda et AdenJ. De septembre 1897 à mai 1898, les observations ont porté sur les fonds coralliens, sur la température et la salure ; 5-i son- dages ont été opérés et des remarques intéressantes ont été consignées sur la conliguration des eûtes.
RÉGIONS POLAIRES
Ukgions arctiques. — spiiziierK- — C'est encore l'élude de l'océanographie qu'eut pour principal objectifs. A. S, le prince de Monaco; mais à la suite de son nouveau yacht, lu
t. r.eo-)r. Journal, déc. 1898, p. SOÎL
2. Rapports annuels sur les progrès de lu géographie, 18AÏ-189Ï. [ moir.l, 11, p.3l9-3ï1, 1M-43T (carie), !.S0-f.3O, (119. ,': . Journal, dÊe. 1898, p. 371.
70 RAPPORT SUR LES PROGRÉS DE LA GÉOGRAPHIE
Princesse Alice, nous pénétrerons dans les régions polaires '. Partie en juin du Havre, l'expédition arrivait à Tromsô le 24 juillet après une escale à Kîel. Le 30 était consacré à la visite de l'Ile Beeren (ou de l'Ours), le 31 à l'île Hope. Après une tentative vers les îles du Roi-Charles, le navire longeait la cote ouest du Stor-fjord, remontait la côte ouest du Spilz- berg, entrait dans l'Ice-fjord et y faisait diverses opérations avant de visiter l'île des Danois, d'où partirent l'an dernier Andrée et ses compagnons. Les débris du hangar, où fut gonflé le ballon Hanta, jonchent le sol et l'absence de nouvelles l'ait redouter qu'ils soient les derniers vestiges de cette audacieuse entreprise. Poursuivant sa route au nord, la Princesse .l/ire atteignit la banquise et la suivit jusqu'au 80" 37 de lai. N. par 3" 4-5' de long. E. Le 30 août, le yacht quittait le Spitzberg et, le 14 septembre suivant, il arrivait à Leith. D'abondantes collections zoologiqucs ont été re- cueillies jusqu'à 3,310 mètres de profondeur. Des excursions faites pendant les mouillages ont permis de rassembler des documents sur des contrées encore peu connues.
Deux autres expéditions scientifiques ont exploré le Spitz- berg en 1898 : celle du Dr Nathorst et celle de M. Lerner, auxquelles il faut ajouter la visite que fit au grand archipel arctique une mission russo-suédoise chargée de mesurer un arc d'un degro.
L'expédition suédoise du Dr Nathorst, montée sur l'An- taretic, aborda comme celle de la Princesse Alice à l'île Beeren, Favorisée par le temps, elle y séjourna une se- maine; elle en fit la carte complète au 1/50,000° et exécuta un levé hydrographique du mouillage du sud. Une tenta- tive dans l'est du Spitzberg conduisit VAnUtrctie jusqu'au 7730' latitude nord, où la banquise s'opposa à sa marche.
Rétrogradant à l'ouest sur la cote sud de l'île Edge et le
. Noies manuscrilps i'nniiiniiii(iink'»[i:ir M. Ilii-hîin.1, spcrvtaire srien- |up du prince dp Monaco. pL ('.amples rendus. I8il8, p. 343-315.
PENDANT l'année 1898. 71
Stor-fjord, l'expédition recueillit des empreintes végétales fossiles, doubla le cap Sud, leva le Bel Sound sur la cote oc- cidentale et, pendant un séjour dans l'Ice Fjord, découvrit de riches gisements de plantes fossiles et deux coléoptères. A l'ouest de l'archipel, la sonde indiqua des fonds de 2,700 mètres et 3,100 mètres, mais les constatations de la Sofia, qui prêtaient à la fosse suédoise une profondeur de
4,850 mètres, n'ont pas été confirmées. Une nouvelle tenta- tive vers la Terre du Roi-Charles fut couronnée de succès. La topographie de ces deux grandes lies est désormais fixée. L'Antrtrctic fit route au nord; puis toucha l'Ile Blanche cou- verte d'une coupole de glace et terminée par des falaises. le point le plus septentrional, qui fut atteint, est le 81°15' de latitude. Il fallut se rabattre sur les Sept-Iles et le nord de l'archipel, marcher au sud-ouest, enfin au sud surTromsô, après avoir effectué le tour complet du Spitzberg (7 sep- tembre 1898*).
1. Lettres du professeur Nailiorsi au Stockholm*! Dagbtad et au Xya Dagligl AtUhartda; lettres du r/Gumar Anderssnn aux Dagent Nijheter.
1 SUR LES PROCnftS DE LA GKO-rli A Pli l K
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72
L'expédition allemande du Helgotand, sous la direcli< de M. Th. Lerner, n'est pas moins importante'. Le péri] entier des mêmes terres arctiques a été exécuté; mais, si itinéraires du Helgoland et de FAntarctic offrent de grandes analogies, ils sont loin de se confondre. La circumnavigation de la Terre du Nord-Est, accomplie par la mission alle- mande, attire particulièrement l'aitenlion.
A la lin de juillet, une station de onze jours à la Terre du Hoi-C liarles amena laconnaissancedetroisîlotsetde plusieurs récifs. Les icebergs rencontrés dans ces parages proviennent non de la Terre François-Joseph, mais plus vraisemblable- ment de la Terre du Nord-Est. Remontant lacôle orientale de celle-ci, l'expédition s'avança, le 10 août, jusqu'au 81°32' de latitude nord par 26" 52' de longitude est de Greenwich. Le plateau sons-marin qui prolonge le Spitzberg s'étend jusqu'au 81° 13', où la sonde n'accusait que des profondeurs de 160 à 180 mètres environ, tandis qu'au terminus nord de celte navigation, une ligne de 1,150 mètres ne trouvait pas le fond. Cette constatation nouvelle, dont l'importance n'a pas besoin d'être soulignée, vient à l'appui des observations de la mission Nansen et tend à prouver qu'il existe au pôle nord non pas une terre, mais, au contraire, une dépres- sion considérable du sol sous-marin.
L'exposé des reconnaissances accomplies dans les fjords de l'fte principale nous entraînerait au delà des limites de ce rapport. Nous renvoyons d'ailleurs, pour plus de dé- tails, à la revue très complète que M. Rabot a faite des explorations polaires dans les comptes rendus des séances*. Toutefois, constatons avec notre collègue que le succès exceptionnel des croisières entreprises autour du Spitzberg est dû, il lu fois, à la dextérité des capitaines, à la perfection de l'outillage et a un débluiemenl très caractéristique des
1. Verkanttl. S.vt. Gttgr. Berlin. 1898, u" ï. C. Il, W», P IM4M; 18WÏ. i.. 39.
PENDANT L*À1»NÊE 1898. 73
* qu'il faut sans doute attribuer à une extension anor- edu Gulf Strearo.
Terre FrançoU-Jonepli. — Si lion- poursuivons notre
enquête vers l'est, nous rencontrons à la Terre Francois- Jo&eph l'expédition américaine du Frithjof, placée sous la direction de M. Wellmann. A deux reprises, en juillet, ce navire, parti d'Arkhangel, se heurta à une épaisse banquise par 17" et 77"44' de latitude nord ; cependant, après une na- vigation pénible, il força le passage et atteignit le cap Flora ; il découvrit plusieurs lies prés de l'île Wilczeck et s'installa au cap Tegethoff. Des recherches vers l'ouest, sur la lisière mé- ridionale de l'archipel, furent accomplies dans l'espoir de retrouver les traces de la mission Andrée; elles amenèrent Is découverte d'une île nouvelle. Le 8 août, le Frithjof arri- vait à la Terre du Roi-Charles, poussaitjusqu'à81°7'au nord du Spitzherg et se repliait sur la Norvège par la Terre du Nord -Ouest.
Groenland. — En regard des expéditions au Spitzherg et à la Terre François-Joseph, il faut placer les explorations du Grœnland et de l'Islande.
Le Groenland fut attaqué par trois missions scientifiques. Le lieutenant Peary a quitté New -York, le 2 juillet, monté sur le II" 'indward, qui, pendant trois étés, a ravitaillé l'expédi- tion Jackson. Un mois plus lard, il se trouvait dans le nord de la mer de Baffin, s'apprètanl à entrer dans la mer de Kane et à commencer l'exploration du Grœnland septen- trional.
C'est de Krisliania qu'est parti, à bord du Frnm, le fameux capitaine norvégien Sverdrup, pour entreprendre la circum- navigation de ce continent arctique et tenter une pointe vers le nord.
Quant à l'expédition organisée parlaCommission danoise explorations géographiques et géologiques du Grœnland,
74 RAPPORT StîB LES PROGRÈS DE LA GÉOGRAPHIE
elle a repris son projet de. 1891 et elle a confié au M nant Amdrup le soin de reconnaître la partie de la côte orientale comprise entre le 66° et le 70* latitude nord, n y a là une lacune que personne jusqu'ici n'est parvenu à combler. Au-dessus du 70°, Scoresby, dès 1822, avait effectué d'importants relèvements. Le lieutenant Amdrup a quitté Copenhague, le 16 août 1898, sur la barque à vapeur Godtlatab. Taisant route vers la station grœnlandaise d'Ang- magsalik, qu'il atteignit le 31 août. Après l'hivernage, il tentera en canot, entre terre et banquise, la r de cette cote inconnue '.
iminndc. — Grâce aux savantes recherches et aux persé- vérants efforts du IV Tboroddsen, l'Islande révèle peu à peu tous ses secrets et l'on peut dire que, après dix-sept an- nées d'un labeur opiniâtre, ce voyageur a pris possession au nom de la science du centre môme de celle île. L'été dernier, il étudiait la région volcanique du Iluchland, au nord du Borgarfjord, explorait deux grands glaciers, rEiritsjÔkul] et le Langjokull, visitait les vallées du Borgar, le massif d'Ok, levait plusieurs lacs et terminait cette tour- née géologique et géographique par une excursion à la pointe occidentale du Heykjanœs*.
A cette belle campagne, qui complète l'œuvre du Dr Tho- roddsen, s'ajoutent, cette année, les recherches archéolo- giques du capitaine Daniel Bruun. Dans l'Islande méridio- nale, on rencontre, en effet, des constructions archaïques en forme de dômes et, sur la côte nord-ouest, des tombeaux de l'époque païenne3. Tous ces vestiges des siècles passés furent visités avec un soin minutieux et les recherches ont amené des découvertes de châteaux forts et d'églises, qui
1. Geegrafitk Tîdtkrifi.
ï. C. H., 1B9B, p. 377-3711. lettre du D' Thormldsen
S. Geognfiik Tidtkrift.
pendant l'année 1898. 75
permettront de reconstituer en partie l'histoire de cette contrée avant les bouleversements volcaniques qui l'ont fait
déserter.
0
Ici s'arrête notre nomenclature.
Au sujet de l'expédition Andrée nous en sommes réduits aux conjectures, et de la campagne antarctique de M. de Gerlach on est toujours sans nouvelles. 11 est possible que le navire de ce dernier, la Belgica, ait hiverné dans les "terres australes et que l'expédition norvé- gienne de M. Borcligrevink, qui a dû partir en août 1898 pour la Terre Victoria, le rencontre. Ce serait alors, aux abords du pôle Sud la répétition de la scène fameuse qui se passa, le il juin 1896, entre Nansen et Jackson4. Si ce coup de for- tune se représente et si les deux tentatives réussissent, Ross etDumont d'TJr ville auront trouvé des continuateurs dignes d'eux. Peut-être les mystères qui enveloppent le continent antarctique seront-ils dissipés ou partiellement éclaircis? Le baleinier Southern Cross, qui porte la mission Borchgre- ?ink parait bien équipé pour un tel voyage et rien ne nous autorise à croire que la Belgica ne poursuive pas à l'heure présente la glorieuse tâche qu'elle ambitionnait de remplir. Et que penser du sort réservé à ces passagers du ballon Hansa cette autre Jeannette à la dérive, voguant à travers les airs pour conquérir le pôle Nord? Sans doute la navi- gation aérienne progresse chaque année davantage, et le jour viendra peut-être où le rapporteur de votre Société pourra noter les découvertes géographiques dues à de sem- blables campagnes. Mais entre ciel et eau, par les froids extrêmes que Nansen nous a fait pressentir, Andrée et ses compagnons ont-ils pu accomplir le prodige de sauvegarder leur existence ?
1. Vers le Pôle, p. 356. Paris, Flammarion, 1897.
UNE MISSION GÉOGRAPHIQUE
EN SUISSE
GABRIEL MARCEL'
Au cours d'une mission en Suisse qui me fut donnée par le Ministère des Affaires étrangères à la fin de l'année der- nière, j'ai pu réunir un certain nombre de documents géo- graphiques qui me paraissent de nature à intéresser la Société de Géographie.
M. le marquis de Monclar, ministre plénipotentiaire, avait été frappé en allant visiter le Scbweirisches Landes- museum, dont les portes ont été ouvertes au public au mois de juin dernier, de la présence dans ce musée de trois globes de dimensions inusitées.
Deus de ces globes, je n'eus pas de peine à le recon- naître d'après la description de M. de Monclar, sont de Coronelli; c'est la réduction des deux énormes sphères terrestre et céleste que ce cosmographe de la République de Venise avait faites pour le cardinal d'Eslrées qui les offrit en 1683 à Louis XIV. Ils furent d'abord installés à Marly en 1104, mais leur dimension les rendit bien vite encombrants et ils furent transportés d'abord au Louvre puis à la Bibliothèque royale où l'on dut, pour les installer, construire pour eux, en 17-2-2, une salle spéciale dont le plancher était crevé circulairement afin de voir d'en bas les pieds et l'un des hémisphères et d'en haut l'autre hémi- sphère. Ils sont encore a la Bibliothèque ; mais on ne peut plus les voir, car l'accès de la salle qui les contient est interdit
1. Voir les Irois planches Jointes à ce numéro.
NOTE SDn UNE MISSION CÉOGRAPLIHiUE EN SUISSE. 77
au public et l'on a dû, depuis L'année 1886, les entourer d'une épaisse carapace de madriers et de planches. Ils ne sont ainsi à l'abri ni de l'humidité ni de la poussière, et l'on constatera sans doute, lorsqu'on démolira l'étroite pri- son où ils sont enfermés loin des regards des curieux, que ces globes, uniques au monde par leur grandeur, par la ri- chesse de leurs montures, par l'intérêt historique de leur contexte etdeleurdessinqui use l'état de nos connaissances à la fin du xvn* siècle, ont subi d'irréparables dommages. Deux des globes du musée de Zurich ont donc leurs frères à la section de géographie de la Bibliothèque na- tionale; mais le troisième, d'après la description qui en avait été faite par M. de Monclar, avait vivement excité ma curiosité et je m'imaginais que ce devait être un document inconnu ; je ne m'étais pas trompé.
ton
■S MI
Puissamment recommandé par notre ambassadeur, M. le comte de Montholon, dont la gracieuse bienveillance est connue de tous ceux qui ont eu recours a ses bons offices, je fus accueilli avec une extrême affabilité par M. leD'H. Angst, directeur du SchweirischesLandesmuseum, qui me donna toutes les facilités désirables pour l'élude de ce vénérable monument. Qu'il me soit ici permis d'adresser tons mes remerciements à M. Angst ; grâce à lui, j'ai pu ever, en divers endroits, de longues listes d'inscriptions, ipier les légendes qui me paraissaient les plus intéres- santes ou les plus topiques, obtenir enfin les photographies qui sont jointes à cette notice, toutes choses indispensables pour arriver à l'identification de ce globe si curieux.
H ne porte ni date ni nom d'auteur, tout au moins les longues recherches auxquelles je me suis livré ne m'ont pas permis d'en relever trace, maisil est incontestablement de la seconde moitié du xvi* siècle.
Montée sur une solide armature en bois qui parait con- temporaine, cette sphère passe pour avoir été faite pour
I UNE MISSION GEOGRAPHIQUE EN SIJISS
l'abbaye de Saint-Gall ; elle y était du moins, lorsqu'elle f enlevée en 1712 avec beaucoup d'autres objets et trans- portée à Zurich. Telles sont les informations qui m'ont été données sur place; il y aurait lieu de vérifier cette date et à la suite de quels événements eut Heu ce transfert.
Sur les montants qui supportent l'équateur sont peinte des représentations et des armoiries d'abbés et de r de Saint-Gall et la date dorée de 159ô se trouve au-dessoi de la mllre et de la crosse qui surmonlent les armoiries < la figure d'un certain Hel. Pertcus, monachut lialli, 102( Pluls (pky&icux) musicas, aslronom. calculator. Est-ce date de i'exéculion du globe, de sa monture, ou de s entrée à Saint-Gall ? C'est ce qu'il est impossible de décidi
Sur l'équateur en bois sont peints les signes du zodîaqi ainsi qu'un calendrier avec les noms des saints et des vonts Sur le grand cercle perpendiculaire à l'équatenr s mités les climats et reportés les degrés de latitude. Le n ridîen initial est celui des Açores.
Quant au globe lui-même il n'a pas moins de 3 m circonférence. Il est composé de fuseaux gravés, habilement gravés, collés sur une sphère de carton « peints par dessus. La mer est d'un vert sombre, les terre sont teintées de jaune, d'un gris rosé ou blanchâtre. Qu; aux montagnes elles sont relevées d'une teinte bistrée. terre, quelques rares animaux ou des représentations de n barbares, tandis que la ruer est sillonnée et animée par d« navires très arlistement dessinés, des barques, des poissoi ou des monstres marins,
Dans le bas de la sphère est représenté un Neptune arm du trident et monté sur un cheval marin.
Dans l'hémisphère sud, sur l'emplacement du continet austral qui brille par son absence — constatation qui n'e; pas sans intérêt à la fin du xvic siècle, — un animal assez fantastique dans lequel on peut voir un chien tout aussi bien qu'un loup, regarde Madagascar. Des nuages dans les-
GLOBE DU MUSÉE DE ZURICH
NOTE SUR UNE MISSION GÉOGRAPHIQUE EN SUISSE. 79
quels il se perd, émerge un mât de hune à la voile carguée, au nid de pie et à la pointe duquel flotte une flamme trian- gulaire blanche traversée dans le sens longitudinal par une bande rouge. Les nuages s'effacent, on voit briller des étoiles, on distingue les signes du zodiaque : taureau, ba- lance, cancer... Ajoutons qu'en différents endroits du globe, mer ou terre, sont représentées en relief les planètes à la place qu'elles occupent dans le ciel.
Le temps qui a déposé sa patine sur ces curieuses enlu- minures et sur le globe tout entier, rend parfois la lecture des inscriptions fort pénible. La pluie et la brume intense, qui n'ont cessé que la dernière journée de mon séjour à Zurich, m'ont, parfois, rendu très difficile malgré l'emploi de la loupe et de la lumière électrique, le déchiffrement des légendes.
Je fus de suite frappé de la ressemblance qu'elles parais- saient présenter avec celles de la carte plate de Mercator de 1569. Je copiai donc nombre des inscriptions qui me parais- saient les plus curieuses, je relevai en bien des endroits la nomenclature côtière et, lorsque j'eus sous les yeux le pla- nisphère à latitudes croissantes et décroissantes de Merca- tor, je reconnus immédiatement qu'il n'y avait pas seule- ment ressemblance, mais identité presque absolue avec le globe de Zurich. En voici quelques exemples :
Rive méridionale du Saint-Laurent.
Globe de Zurich
Mercator %
Monmorancy.
Châûbriant.
Laguille.
Y Dorleans aliis de Baccho.
Y de 1 épures. G de Mabre. Roquelay.
R Dille.
Le nions Nostre-Dame.
Monmorancy.
Châûbriant.
Laguille.
Y Dorleans alias de Baccho.
Y de Lépures. G de Mabre. Roquelay.
R d'ille.
Le mons Nostre-Dame.
80 NOTE 9tm IINË MISSION GÉOGRAPHIQUE EN SUISSE. |
|
Sur la Nouvelle-Guinée se lit une longue inscription : |
|
Meucatùfi |
Globe oe /lricu |
NouaGuinea que 1 ab Andréa Cor- |
Noua Guinea que | ab André» |
sali Florcn | lino videtur dici |
Corsali lluren | tino videtur |
Terra de piecinacoli. Forte |
dici Terra de piecinacoli. Forte |
La l bitdii insula esl Ptolemeo |
La | badii insula es) Ptolemeo |
si modo insula est, nain | sit |
ai modo insula est, nam | sit |
ne insula au para continentis |
ne insula an pars continentis |
austral is ignotû | adliucest. | |
australis ignolù | adhur est. | |
Prenons un autre exemple dans une région différente, |
|
dans l'Amérique du sud, entre les Antilles et la rive méri- |
|
dionale de la rivière des Amazones, la nomenclature entière 1 nous donne : |
|
Mercatoh |
Gloiib de Zurich |
H de Auiapari. |
R, de Auiapari. |
Monte especo. |
R. dulce. |
II. Dulce. |
Terra llana. |
l'un ta bas; a. |
Punta basa. |
H. de la barca. |
Cap ut Pegasi. |
Ancon. |
|
B. Verdc. |
il. verde. |
li. Salado. |
11. Salado. |
II. du la barca. |
1t. de la barca. |
Aldc.a de aT'boledas. |
Aldca de arboledas. |
II. de Vincenle Pinçon. |
H. de Vincente Pinçon. |
C. Blanco. |
C. Manco. |
I>. de arboledas. |
II. de arboledas. |
K. de Pascua. |
II. de Pascua. |
0. de los esdauos. |
C. de los esclauos. |
Remonlons dans l'Amérique du Nord, nous trouvons sur |
|
le Labrador une longue inscription ainsi conçue : |
|
Mercatoh |
Gl.OBK DE ZUIUCH |
Aiiiio Domini 1500 Gaspar Cor- |
Amio Uomîni 1500 Gaspar Cur- |
lerealis Portugaleusis nauiga- |
lerealis Portugalensis nauiga- |
uil ad lias terras, spectans a |
uit ad bas terras spectans a |
parte septentrional! inveniro |
parle septentrional! in t entra |
trausilum ad insulas Moine- |
trarisitum ad insulas Holuc- |
au, peruenieDB au | iem ad |
cas, pemeuiens au | luni ad |
flnuiuiii... |
lluiiium... |
SOTE SCR UNK SIISS10>- GiCOClUPHlijUË EN SOISSE. 81
Je crois absolument inutile de prolo[iger,eommejepour- rais le faire grâce aux noies que j'ai prises, ce travail de comparaison. On voit que les différences, quand il s'en pré- sente, sont absolument minimes. On peut se demander si le globe de Ziirich est une copie, une contrefaçon de la carte plate de Mercator dressée sur une projection sphérique et un peu agrandie, ou si ce n'est pas une œuvre inconnue du géographe de ftuppelmonde. Ne peut-on pas supposer que cette sphère commencée par Mercator aitélé terminée,après sa mort arrivée en 159-1, par son (ils ttumold1? Nous ad- mettons dans ce cas que la date 1595 que nous avons vue sur la monture soit celle du globe même; mais il pourrait n'en êlrepas ainsi, nous ne possédons pas assez de lettres de Mercator pour espérer trouver dans sa correspondance quelques informations relatives à ce globe. I! est un fait, c'est que je n'ai vu signalée nulle part la sphère de Ziirich, pas plus dans les travaux relatifs à Mercator lui-même (Van Raemdonck*, Van Ortroy-1, général Wauwermans') que dans les histoires de la géographie. C'est un document qui n'a jamais été décrit, tout à fait inconnu, vraisemblablement unique et qui présente pour l'histoire de l'œuvre de Merca- tor un intérêt tout particulier.
La bibliothèque de Zurich n'est pas riche en documents
t. KL cependant, ai ce glutu? n'est |.;l.s rie llwrcator, il ne peut être que
mil d'Urtelius, son planisphère du 1">ÎI). tout en étant d'une projeeiiim
■me. offre la plus griinde ressemblance ilaus le tracé cl les inscrip-
lians .'ivi-e te planisphère île Mercator de Vfiit. soit d'Apitm rloul il exista
. ■ >■ moins grand dédié au duc de Bavière eu 157u et conservé à
!i Bibliothèque de Munich.
1. Gérard Mercator, sa vie. et ses œuvres. Saint-Nicholas, 1NU9,
ID-S.
3. L'Œuvre géographique de Mercator,... Bruxelles, 1893, in-8 de m pages. — Id.. Quatre tetlres auliHjjaphït de Gérard Mercator i Henri de Rantiau. ttruxellt's (s, d.), in-8 de 9 pages.
*. Histoire de IVcule cariiigrapliii|ue ituvi-r-oisi' duns lé. Itulletin île ta Sodétl de géographie d'Anvers, 1892-1894, pattim.
SOC. BE CÈOGn. — l"r TRIMKSTHE 1899. II. — B
82 NOTE SUR UNE MISSION GÉOGRAPHIQUE EN SUISSE.
géographiques; on n'y rencontre guère, comme à Berne, que des caries lirées à un grand nombre d'exemplaires, productions de Sanson, Duval, Uelisle.BIaeu, Jansson, Seut- ter, Honiiinn. J'ai cependant eu la bonne fortune d'y ren- contrer, sur l'indication d'un des membres du conseil du Musée national, un document fort inléressant. C'est un atlas in-4° manuscrit dont les feuilles de parchemin sont encore admirablement tendues sur leurs ais de bois. Les plats de la reliure, également en bois, sont peints en jaune d'or et divisés en deux compartiments par un encadrement sur le- quel s'entrecroisent des lignes vertes formant un treillis de dessin assez primitif, des feuilles brunes sont semées sur le fond jaune et chaque compartiment porte un écu mi-parti d'argent à trois besans de gueules eL de gueules à trois be- sans d'argent. Ces armoiries, que nous n'avons pu déterminer, sont vraisemblablement italiennes, elles sont contempo- raines de l'atlas et de son étui.
Cet allas, composé de cinq feuilles d'une fine et jolie gra- phie en lettres rouge et bistre, ornées à chaque coin d'assez fines miniatures sur fond d'or représentant une Vierge au bambin, un saint Christophe et des saints particulièrement vénérés des marins, notamment saint Nicolas, saint Jacques et saint Julien, porte au premier feuillet l'inscription sui- vante : Perinus Vesco.nte d'Ianua fecit istam | tabula
A.NNO dni HCf.CXXI J VENECIA.
La première feuille représente les Iles Britanniques, c'est- à-dire l'Irlande avec le lac aus îles innombrables qu'on voit sur tous les portulans de cette époque, l'Angleterre avec une nomenclature assez serrée qui finit à Berwick; de l'Ecosse on n'a que le nomScocia; les côles de l'Europe continentale s'étendent depuis la poinle du Danemark jus- qu'à Mogador, sur la Méditerranée sont dessinées les côtes d'Espagne jusqu'au golfe du Lion avec les Iles Baléares et les rivages du Maroc et de l'Algérie.
La seconde feuille comprend la Méditerranée centrale,
SOTE SCtt BUE MISSION GÊOGFIÀrHIOUE EN SUISSE. 83
soil les côtes d'Algérie et de Tunisie avec les Baléares, la Corse et la Sardaîgne, l'Italie avec laSicile et les côtes orien- tales de l'Adriatique jusqu'à Durazzo.
Sur la troisième feuille nous avons sous les yeux l'Archi- pel avec les cotes d'Afrique et d'Asie jusqu'aux Darda- nelles.
La quatrième feuille représente la mer Moire et la mer d'Azov».
La cinquième nous donne le calendrier.
Ce joli portulan, admirablement conservé, possède en- core son étui. C'est une gaine de cuir très épais, contem- poraine, décorée sur une face d'un aigle et d'un lion inscrits dans deux circonférences placées l'une au-dessus de l'autre, entre lesquelles sont posés sur la même ligne deux écus sur l'un desquels est un chasseur tenant sur le poing un oi- seau de proie, en face Hercule et le lion de Némée, à moins que ce soil un Samson. Sur l'autre face entre le lion et l'aigle, est estampée une feuille bien découpée.
Ce qui ajoute à l'intérêt que présente cette gaine c'est qu'elle a conservé les coulants de cuir par lesquels passait la courroie permettant de porter ce portulan en sautoir i la façon d'une lorgnette. Le coulant do haut est assez long et assez large pour qu'on ait pu y insérer un compas. Sous voyons ainsi que les capitaines ou les pilotes por- taient toujours sur eux leur atlas auquel ils avaient, à cette époque, constamment recours pour leur navigation au ca- botage.
C'ast peut-être le seul allas du xiv* siècle qui nous soit parvenu aussi complet; malheureusoment,M.le D' Eichardt, bibliothécaire de Zurich, n'a pu nous dire à quelle époque el dans quelles circonstances ce beau et curieux portulan est entré dans l'établissement dont il a la garde.
Perinus Vesconte, qu'on ne doit pas confondre, croyons- nous, avec Petrus Vesconte, bien qu'ils soient contempo- rains et appartiennent vraisemblablement àla même famille,
«4 NOTE BUB L'NE MISSCON GÉOGRAPHIQUE EN SUISSE.
n'est pas un inconnu. MM. Uzielli et Amal di San Filippo ont cité de lui * une carte qui se trouve à Florence à la Bi- bliothèque laurencienne, qui fut faite également à Venise, mais porte la date un peu antérieure de 1317.
Bà!e a déjà fourni aux amateurs de cartes rares du xvie siècle deux pièces d'un intérêt considérable : le plan de Varis de Truscbet, dont la reproduction a qui n'est point co- loriée ne donne qu'une idée bien incomplèle et bien affaiblie, et la carte de France d'Oronce Fine, de 1538, dont une re- production réduite a élé publiée par M.Gallois, aujourd'hui maître de conférences à l'Ecole normale3.
C'est que Baie fut au xvi* siècle un foyer intellectuel ex- trêmement puissant. Nombre d'érudils et d'artistes y sé- journèrent et quantité d'ouvrages géographiques — nousne citerons que les éditions de Ptolémée de 1540 et de 1542 — y furent publiés. Ii n'est donc pas extraordinaire qu'on y rencontre des vieilles cartes géographiques qu'on ne trou- verait pas ailleurs. Dernièrement encore un érudit allemand y découvrait une grande carte de Grèce, celle de Sophianus de 1544-, qu'il faisait reproduire à une échelle réduite. Comme la plupart des grandes cartes qui, en raison même de leur dimension ont presque toutes disparu ou sont de- venues extrêmement rares, la carte de Sophianus était pour ainsi dire inconnue ; je n'en sais, pour ma pari, qu'une édi- tion postérieure, celle de 1552, qui se trouve à la Section de géographie delà Bibliothèque nationale, mais quia jadis été lacérée et dont il manque une partie.
Dès mon arrivée à Baie, j'exposai à M. Bernoulli, conser- vateur de la bibliothèque de l'Université, quel était l'objet
1, Studi bioiirafici e. bihlinijrafici, vol, II. Mttppamundi, p. 54.
3. RppriiiJurlii'ii puliliùr on 1*70 par la SndeV •!•: i'Histoïri! do Bl UcompagTtée d'une notice par M. Jules Cousin.
3. De Orontio Fin/sa g&llico gsoijrapho, l'acultati fiflerarwn tiensi thtsim pruponr.liat /,. Wotff, l'aiïsiis, apuil E. Lorou*. 1SXI.
SOTE SUR UNE M1SSIOK GÉOGRAPHIQUE EN SUISSE. H5
de mes recherches et je lui dis l'espoir que j'avais de trou- ver, dans un établissement aussi riche que le sien, les docu- ments que j'avais vainement cherchés a Berne et a Ziirieh. Je tombais, d'ailleurs, dans un Tort mauvais moment, à la veille de Noël ; j'avais été retenu à Berne et à Zurich plus longtemps que je ne l'aurais voulu et je n'avais plus que très peu de temps devant moi. M. Bernoulli Qt fléchir en ma la- veur les rigueurs du règlement, il se mit à ma disposition avec une obligeance dont je ne saurais trop le remercier, fit, lui-même, les recherches nécessaires et m'apporta bientôt un grand atlas in-f* oblong qui ne contenait que des cartes du xviP ou du commencement du xvn* siècle.
La première pièce sur laquelle je tombai, Tut un exem- plaire du grand planisphère à latitudes croissantes de Mer- cator publié a Duisbourg en 1560. On sait que jusqu'à ces derniers temps, le seul exemplaire connu fut celui qui se trouvait à la Bibliothèque nationale de Paris et que Jomard avait fait reproduire dans ses Monuments de la géographie. En 1891, le Dr Alphonse Hayer, en rangeant la collection des cartes de la Bibliothèque de Breslau, a découvert un se- cond exemplaire de ce planisphère de Mercator. Il y trouva également un exemplaire de la carie d'Europe1 du même auteur que jusqu'alors on croyait perdue. Ces deux cartes, ainsi que celle ries IlesLrilanniquesdu même Merca- tor, ont éLé reproduites, en 1891, en fac-similé grandeur de l'original par la Société de géographie de Berlin*.
C'est donc d'un troisième exemplaire du planisphère de Mercator que je pus constater l'existence à la Bibliothèque de l'Université de Bile. Cette carte est dans un étal de conserva- tion vraiment merveilleux, il semble qu'elle sorte à l'instant
1. Kll'1 porte ilïns le coin inférieur gnoehr. : Absuliil-um el vulgatum eit opiiH Dttyxltuiiii imnii fiiii lâiii même octobre per Gerurdum Mer- ■ Hupeimondflnum. . i.ii! Zeitnchrift fur wiaensohaftiiche Géographie lterau.tijtyeben i KWIter,t.YlI, 1890, p«**im.
Sti NOTE Sl'lt UNE MISSION GÈOGRÀPHIijUE KN SUISSE. île !';iielifr du graveur. Pliée dans un atlas, elle n'a jamais sans doute été consultée par un amateur ou un érudit, car on n'aurait pas manqué de signaler aussitôt sa présence. Elle est iulinimenl plus belle que celles de Paris et de Breslan. 11 faut Mre, comme je le suis, curieux de ces vieux docu- ments pour éprouver le plaisir que je ressentis en admirant la gravure si large, si précise et si artistique de Mercator. l'.'esl avec une sorte de vénération que je contemplais cette tuuvre, que je connaissais pourtant bien, du plus grand des géographes du xvi" siècle. En même temps, je me sentis envahi par l'espoir de trouverdans cet allas factice d'autres documents inconnus ou perdus et dont on ignorait absolu- ment a Baie l'intérêt et la valeur.
J'eus, en effet, l'heureuse fortune de tomber presque aussitôt sur une autre production de Mercator non moins intéressante : sa grande carte d'&irope. Mais, au lieu que ce soit un double de l'édition de 1554 que le Dr Hayer a trouvée à Breslau et qui a été reproduite par la Société de géographie de Berlin, comme nous l'avons dit plus haut, c'est la seconde édition, celle de 1512, qu'on croyait per- due, que j'avais sous les yeux.
Van Uaemdonck, qui a consacré sa vie entière à réunir et à publier des documents sur Mercator, s'exprime ainsi au sujet de cette carte' :
* Mercator sut se tenir au courant du progrès et publia, au mois de mars 1572, une nouvelle édition de sa grande carte d'Europe, enrichie de toutes les découvertes qui uvait'iit été laites depuis dix-huit ans. Dressée sur une pro- jection nouvelle, résumant toutes les cartes particulières récemment élaborées et perfectionnées, gravée avec ce soin que Mercalor savait y mettre, celte carte a dû faire sensa- tion dans le monde. A son apparition, c'est Ghymnius qui r.iiin me, les savants de tous les pays en firent un éloge'
1. Op. cil., p. 81.
KOTË SUR UNE MISSION GÉOGRAPHIQUE EN SUISSE. 87
tellement brillant, qu'on eût dit que jamais œuvre aussi parfaite n'avait vu le jour.
* Celte grande et belle carte est signalée par les contem- porains Ghrmnîus, Ortelius, Molanus et par Mercator lui- même. Le Dr Camerarius la reçut en cadeau en 1574, elle faisait partie de la collection géographique du président Viglius et ornait habituellement la cheminée de sa biblio- thèque. Elle se trouvait probablement dans toutes les cours, dans toutes les abbayes et chez tous les savants de l'Eu- rope, et cependant on n'en trouve pas d'exemplaire. >
Les amers regrets de M. Van Baemdonck n'ont plus au- jourd'hui raison d'être, puisque le Dr Hayer a trouvé l'édi- tion prioceps et que moi-même, je viens de découvrir à Bile celte seconde édition que M. Van Raemdonck louait en termes qui semblent hyperboliques et qui ne sont pour- tant que l'expression de la vérité. Le biographe de Mercator n'avait pas été le seul, d'ailleurs, à déplorer la perte de ce document. D'Avezac, dans son Coup d'œil historique' sur la projection des cartes ijèoijrit.phiqum, disait : « Nous n'avons pu rencontrer d'exemplaire de cette grande carte d'Europe, soit de l'édition originale de 1554, soit de la deuxième édition de 1572, mais il s'en trouve, dans l'Atlas posthume édité en 1595 par son fils Rurnold, une réduc- tion que nous avons examinée. » D'après ce qu'il est facile d'en juger, d'Avezac n'avait eu qu'une bien faible idée de la carte originale dont voici le titre et la dédicace.
Et]BOP.« UESCRIPTIO | EHENDATA ANNO C10CILXXII.
Reverendiss. et illustriss. Domino \ D.Antonio Perrenot Atrebatensium episcopo | imp. Cnroli V Augusti primo contiiiario | titerarum studiormti j omnium \ unico fau- tori | Gerardut Mercator Rupelmondanus \ dedicabat. | Cette belle pièce mesure 1 m. 605x1 m. 335.
I. l'aris. iuipr. Martinet, 18G3, in-8, p. 61.
88 NOTE SUR ÔME MISSION GKOlîllAPHlyUE EN SUISSE.
J'ai encore noté la présence dans le même atlas fac- tice de la carte cordiforme d'Apian, de sa grande carie de Bavière en 24 feuilles publiée à Ingolstadt en 1568, de la carte de Suisse die Tscbudi de 1560, de trois cartes d'Espagne de Carolus Ciusius (L'Écluse), de Paolo Forlani, publiée par Berleli, et de celle île Pirrho Ligorio gravée par Jean et Lucas a Duelecum, enfin d'un certain nombre d'autres cartes extrêmement rares, qui n'avaient pas pour moi un intérêt immédiat et dont je me contentai de prendre rapidement note.
Je ne m'arrêterai que sur une carte cordiforme dont j'ai constaté l'absence au British Muséum et à la Bibliothèque nationale et qui n'a pas été citée, autant qu'il m'en sou- vient, par les historiens de la cartographie, même par ceux, comme le professeur Fiorini1, de Bologne, qui ont fait une étude spéciale des projections cordiformes, ou comme Ceradim', qui a publié sur les géographes et les cartes du ïti* siècle un travail très avisé, trop touffu, que la mort l'a malheureusement empêché de reviser et d'alléger.
Voici le litre de cette carte que je considère comme abso- lument ignorée et unique jusqu'ici.
Nova totjus terrarum onms juxta nés | toricohum
TRALlITIONES DËSCRIPTI0 | AultAH. OnTELIO | ANTUKRHANO |
Anno Domini | MCGCCCLXIIII.
L'adresse porte : Prostant Antuerpiœ apud Gerardum de \ Jode in Bor&a noua \ cum Hegiœ Maiestatis Priui- legioad | Sexenium | .La dédicace est ainsi conçue iNobili et srudito Marco | Laurina D.de Watereliet \ Abrahamits
1. Le prnjt-.ioni cordifor, Le jir"jt:inni /juiinlttalive e
ï nelta cartogrtifia. HOnu, 1889, in— H. — iquivalenli nrtla eartografia. Rnraa, 1887,
2, A proponiui dei dm- glohi Mrrt:/it:,ritiiti. I.Ml-1'râl. — Appunli c: tîci lulla sluria délia geografia net tteoli XVe XVI... MUano, 1884, in
BOTE SDR UNE MISSION GÉOGRAPHIQUE EN SUISSE. 89 Urtelius | DD. | Celte carte, qui mesure 1 m. 58x0 m. 87, tel ornée des têtes des vents. Dans le bas, à droile et à gauche, deux canouches nous donnent les plans de Mexico et de Cuzco. Elle offre une grande ressemblance comme projection avec la mappemonde de Johannes Honterus qui se trouve dans son ouvrage : De geographiœ rudimentis, qui parut à Baie en 1561.
Coïncidence qui ne manque pas de piquant, une réduc- tion de cette même carte d'Orlelius publiée par de Jodc (de Judceis) figure dans le même recueil de la Bibliothèque de I1Iiiiverfité do Bàle; je ne la crois pas moins rare que l'original. En voici la description :
NOVA TOTITÏS TERIUIïCM ORDIS DESCRlrTin ad exemplar HAIORIS E1IIT.E Ai! ABRAH. OrTEMO SONC VERO 1571 IN HAN'i; FORUAH REDACTA PEU GER. DE JODE. JOHANNU9 A DKOTECD,
Lucas a DkutecC feceriint.
Dans le bas de cette carte, qui mesure 0 m. 52x0 m. 335, sont deux cartouches : un globe céleste à gauche, un globe terrestre à droile.
La date de publication de cette carte, 1571, est intéres- sante à noter parce que l'ingénieur Fiorini affirme que fa dernière des caries en forme de cœur est celle de Cimer- tinus publiée en 1566'.
Comme on ie voit par les noies rapides que j'ai prises, il y a à Baie un ensemble de documents excessivement inté- ressants. Il serait à désirer qu'un éditeur français entreprît la reproduction de ces cartes qui sont toutes ou excessive- ment rares ou uniques; je suis certain que celte publication, à laquelle on pourrait adjoindre quelques spécimens em- pruntés à d'autres dépôts, rencontrerait le même accueil qu'a reçu la reproduction de cartes anciennes publiée par
I. Le prajetioni eordiformi nella cartotjrafla... op. cit., p. !fi.
■
90 NOTE SUil UNE MISSION GÉOGRAPHIQUE EN SUISSE.
F. Miiller, d'Amsterdam*, si l'on voulait surtout s'en tenir aux documents absolument introuvables.
Je ne veux pas quitter Bile sans parler de quelques autres monuments géographiques que j'y ai découverts, non plus à la bibliothèque de l'Université, mais au Musée historique. Là, au milieu de pièces infiniment curieuses pour l'histoire des mœurs, de la civilisation et de l'art : meubles, armes, tableaux, ustensiles de toute sorte, costumes, vitraux, etc., j'ai aperçu cinq globes célestes dans plusieurs de ces chambres qu'on a enlevées tout entières : plafonds, poêles, meubles, et jusqu'aux lambris, de châteaux ou d'habita- tions anciennes, pour les transporter au Musée. L'accès des pièces exposées dans ces salles étant interdit au public généralement indiscret ou maladroit, je n'ai pu examiner ces sphères célestes d'un peu près, elles m'ont cependant paru appartenir toutes au siècle dernier.
Enfin une longue vitrine, dans une petite salle donnant dans le chœur de l'ancienne église des Gordeliers où est installé le Musée, en face l'endroit où sont exposés les mor- ceauxqui restent de la Danse des morts, contient trois beaux vases à boire en argent en forme de globes terrestres.
Pour deux de ces pièces, le globe est porté par un Atlas, l'un les deux mains appuyées sur les hanches, le second une main sur la hanche et l'autre sur un fort bàlon; quant au troisième, plus simple, il est monté sur un pied aux élé- gantes moulures. Le globe s'ouvrait à l'équaleur et était généralement surmonté d'un sphère armillaire ou d'un globe céleste. Sur celle sphère est gravé et doré le monde connu, alors que les mers ont conservé la couleur naturelle de l'argent. Si l'on examinait un peu attentivement chacun de ces objets, on arriverait assez facilement, par l'étude des
1 . Hemarkahle Map* of Iht XV. XVI, XVII th centuries, reproducat in their originat me... Amsterdam, F. Millier, 18U4-18U8, in-fol.
HOTE SliH UNE MISSION GKOGRAI'HIQUE EN SUISSE. 91
inscriptions, des terres et des lies représentées, aussi bien, que par l'absence de certaines, à leur fixer une date.
Par malheur, ces globes, en raison même de leur appro- priation, sont toujours d'une dimension assez restreinte, leur diamètre ne doit pas dépasserO m.20.
J'ai été assez frappé de rencontrer à Bàle, dans le même musée, trois de ces coupes dont j'avais vu d'autres exem- plaires à Nancy et à Genève au musée Ariana. Cela m'a appris que ces objets dont on rencontre en Suisse un grand nombre, mais sous des formes très ililférentes, étaient plus nombreux que je n'imaginais; peut-Ctre, si l'on poussait les recherches plus à fond que je n'ai pu le faire aux Musées historiques de Berne et de Ziïrich, pourrait-on trouver d'autres pièces du même genre. Il serait instructif do les comparer entre elles, de les examiner de près; on y décou- vrirait probablement le nom du graveur et le lieu de la fa- brication, constatations qui pourraient nous réserver une surprise et qui ne me semblent pas dépourvues d'intérêt. Telles sont en résumé les quelques notes que j'ai pu prendre au cours de la mission où je recherchais des docu- ments de géographie historique ; ce sont, si je puis ainsi m "ex primer, des trouvailles à coté. J'ai pensé qu'elles pré- sentaient un intérêt général et que les historiens de la géo- graphie, à quelque nation qu'ils appartinssent, y pourraient trouver pour leurs études d'utiles renseignements.
Post-Sciuptum. — Telles étaient les conclusions aux- quelles j'étais arrivé, lorsque je reçus peu de temps après mon retour à Paris la visite du directeur du musée de Zu- rich, M. leD' H. Angst. Au cours de notre entretien, j'eus l'occasion de lui parler des coupes en forme de globe que j'avais admirées à Bàle, Il m'apprit l'existence à Zurich d'un vase à boire de même genre; celui-ci n'était pas en- core sous vitrine lors démon passage, je n'avais donc pu le voir. M. Angst, qui est l'obligeance et la gracieuseté mêmes,
92 NOTE Sril l'NB MISSION GEOGRAPHIQUE EN SUISSE.
s'excusa de ne m'avoir pas montré ce globe, me promil de me donner, à son retour, les renseignements que je désire- rais sur cette belle pièce et de m'envoyer en même temps une photographie qui me permettrait de l'étudier; c'est celle que nous reproduisons.
Celte sphère qui appartient depuis longtemps à la biblio- thèque de Zurich est en argent, mais les continents et cer- taines autres parties sont dorées. Elle est surmontée d'un globe céleste du même mêlai. Elle a été reproduite en litho- graphie et décrite dans une publication locale' que M. le Dr H. Lehmann, du même musée, a eu l'obligeance de me faire parvenir et à qui j'adresse ici tous mes remerciements.
La sphère terrestre a 0 m. 17 de diamètre; elle est très arlistement dessinée et gravée avec une extrême habileté. La photographie nous montre l'océan Pacifique; le détroit de Behring ou d'Anian, comme on disait alors, y est figuré comme sur une sphère en cuivre faite à Rouen que nous avons décrite1. La Californie est une île et non pas une presqu'île comme on l'a souvent représentée au xvn' siècle. On lit très exactement le nom de l'archipel Saint-Lazare; sur la Nouvelle-Guinée se trouve cette inscription : Nova Guinea nuper inventa quœ ... i usai a an pars continentisaus- tralis, et sur ses côtes : y de los marttres, y. de los crespos, y. de hombres blancos. In Èarbada..., échos attardés des ex- péditions de Grijalva en 1537 et de Otiz de Heles en 15+5, et empruntés très vraisemblablement à Mercalor.
Un peu plus loin se trouve l'archipel Salomon, et au-des- sous de la Nouvelle-Guinée se profile à travers le Pacifique jusqu'à la Terre de Feu et jusqu'au pùle un vaste continent présentant une profonde éebancrure qui rappelle le golfe de
1. XfUjalirsblntt hcrtiustientlien uni! iltr Slaittbiblintliek in Zurich, auf dut Jalir, 1860. Zurich, în-4" de 12 pages avec ce sous-tllre : De Beektr des ehe.iauliijen Cborlierreiutubt.
!. .Vole sur une sphère terrestre en cuivre faite a Rouen à ta fin du XVI' itecle. Rouen, Cagniard, 1H91, in— i" de 10 pages.
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COUPE A BOIRE |
HOTE SDR UM-: HlSSIOrf GÉOGRAPHIQUE EN SUISSE. 93
Carpentarte, échancrure qu'on remarque sur presque loules les caries depuis In publication des cartes cordilbrmes d'OronceFine et deMercator. Sur celle immense terre aus- trale.on lit la légende suivante : liane continentem Austra- 1m noniinlli Magellanifam regionem ab ejus inventore aurtcuiiaiit.
L'absence du détroit de Lemaire, de la Nouvelle-Zélande, de la moindre trace réelle de l'Australie nous délerrainentâ fixer pour l'époque du dessin de cette sphère le dernier quart du xvi* siècle, ce qui concorde d'ailleurs complète- ment avec les données artistiques.
Comme on le voit sur la photographie, le globe terrestre surmonté de la sphère céleste repose sur un vieil Atlas barbu qui fait eiFort pour le porter et semble se relever avec peine. Le corps est fléchi, les jambes sont repliées, l'un des pieds se crispe sur le sol, l'autre repose sur une boule.
Sur le pied très élégant de celle pièce d'orfèvrerie sont gravés en bas-relief, entre de délicates consoles ajourées en forme de rinceaux, les quatre éléments sous la figure d'une salamandre, d'un dauphin, d'un aigle et d'un élé- phant. Sur le quart de cercle, dernière moulure de la base, des médaillons à figure séparent les quatre parties du monde. L'Europe est représentée par un joueur de luth et ses auditeurs, l'Asie par un prince et ses guerriers, l'Afrique par un roi sous sa tente avec des guerriers elun prisonnier, enfin l'Amérique est représentée par un sauvage lenant une massue, sa femme avec un arc.
Les deux globes terrestre et céleste s'ouvrent à l'équateur et forment ainsi quatre coupes à boire extrêmement élé- gantes et riches, puisque si l'ensemble était d'argent, les conlinents, les constellations, l'éqaateur, l'écliplique étaient dorés ainsi que les bas-reliefs et les petites figures du pied.
Examinée avec plus de soin qu'elle ne l'avait été en 1860, celle pièce curieuse a révélé par les marques gravées qui ont été découvertes dans la cavité de la base qu'elle est
04 NOTE SUR UNE MISSION GÉOGRAPHIQUE EW SUISSE.
l'œuvre de l'orfèvre Abraham Gessner (1553-1614) de Zu- rich. On y voit, en effet, un Z au milieu d'un cartouche en forme d'écu et dans un autre h marque assez compliquée de Gessner,
i (È
Gomment ce glohe est-il entfé a la bibliothèque de Zu- rich; on ne sait, mais un document reproduit dans le Neu- jahrsblatt que nous avons cité plus haut, nous apprend du . moins que le 4 juillet 1673, dans une réunion (convenl) de la Société des chanoines et d'une délégation de la Société des jeunes ecclésiastiques, il fut à l'unanimité décidé d'acheter pour ces sociétés réunies et avec leurs propres fonds la remarquable coupe d'honneur que nous venons de décrire.
A une époque relativement récente, ce beau bibelot fut acquis chez un orfèvre. D'où celui-ci le tenait-il ? Pour qui avait été faite celte sphère et dans quelles circonstances? Voila ce que ne dit pas le document que nous citons et ce que l'on ignorera peut-être toujours. Néanmoins la découverte des marques du fabricant et du lieu de fabrication sont des éléments nouveaux qui éclairciront peut-être l'histoire des vases à boire similaires qu'on trouve à Ilappoilsweiler (Al- sace), à Bâle,à Genève et à Nancy '.C'est une étude que nous réservons pour un moment où nous aurons un peu plus de loisir.
G. M.
1. Il existe au Mnste national du. Siiii'kliihlrn un ii];ignilli[UK gliibe en argent ijui a appartenu à G ustai'e- Adolphe, qui porte In date de il')30 et le nom de Johann Hajauer de Nuremberg. Une reprodnclion de ce globe nous a été envoyée eu ]8»ï par noire ami E. Sordenskiold. Nous ne savons si celle sphère étail, elle aussi, une coupa à boira.
LE KLONDYKE, L'ALASKA, LE YDKON
ET LES ILES .W.BHTIKNM'S
Ml. LOICQ IDE LOB EL1
Quand les premières nouvelles des trouvailles d'or faites en Alaska parvinrent en Europe, peu de monde ajouta foi à ce qu'on croyait èlre des canards d'Amérique. Puis, à ces nouvelles succédèrent des rapports officiels qui confir- maient en partie les récits des mineurs revenus du Klondyke. Ceux-ci relataient également les difficultés et les dangers de la roule et du climat auxquels le mineur était exposé dans ce pays de rocs et de glace éternelle. On apprenait bientôt que le gouvernement canadien avait envoyé un gouverneur à Dawson ; et dès lors ce pays, qui jusqu'ici n'avait pas d'histoire, eut le don d'exciter la curiosité du monde entier.
Une chose entre toutes attirail l'attention comme la pilié sur les malheureux qui osaient affronter les périls de ce voyage; c'était la traversée de cette fameuse passe du Chilkoot, ot la nature semble avoir jeté là, pèle-mcle, les uns sur les autres les plus énormes blocs de pierre de la création, formant ainsi une barrière infranchissable aux trésors qu'ils protègent.
Ces rocs gigantesques, dont les ravins se cachent sous d'épaisses avalanches de neige, il fallait les gravir au plein
I. Commuilicalioii adnsséi- à lu SoeiéSé <k* Géog raphia dans s: du 6 janvier. — Voir la carie jointe à ce numéro. Celle eilraiie ilu rapport île M. Loicq de Lohei, a dû, nécessairement, èlre
96 LE KLONDYKK, L'ALASKA, LE YOTCOK
cœur de l'hiver et par étapes cent fois répétées, car chacun devait transporter ses vivres sur le dos.
Mais, là n'était pas la seule difliculté du voyage; si le Chilkoot était terrible, combien dangereux étaient les lacs et rivières qu'il fallait suivre sur des embarcations toutes primitives, faites deplanches mal jointes provenant d'arbres brûlés, et incapables de résister longtemps aux secousses des torrents et des rapides.
Ajoutez à cela le tableau qu'on faisait des malheureux mineurs atteints du scorbut et forcés de travailler la terre par une température de 60° sous léro; voilà, à peu près, les renseignements que nous possédions quand j'entrepris mon exploration en avril 1898.
J'allai m'embarquer à Liverpool, à destination de Mont- réal. Je choisissais de préférence un port canadien, pour éviter les tracasseries et les tarifs élevés de la douane américaine. Je devais me rendre dans le Yukon par Glenora, Telegraph-Creek et le lac Teslin.
Je ne vous décrirai pas ici les sites merveilleux des jolies villes du Canada que nous avons traversées : Québec, Mont- réal, deux villes restées bien françaises de mœurs et de langue ; Ottawa, le foyer intellectuel du Canada ; ni les vastes contrées que le Canadian Pacific traverse de Montréal à Van- couver. M. le baron Hulot, notre distingué collègue, lésa merveilleusement dépeintes dans son livre De l'Atlantique au Pacifique.
Mais, je ne puis m'empêcher de vous parler de ces Mon- tagnes Rocheuses, qui gardent perpétuellement leurs cimes couvertes de neige et sur lesquelles le train court à une allure vertigineuse, traversant des ravins profonds de 2,000 pieds sur quelques poutres dont nous ne voudrions pas en France pour un pont de jardin; descendant des courbes brusques et rapides, à fleur de roche, où l'œil ne distingue plusque le vide immense du gouffre béant. Cette traversée des Montagnes Rocheuses donne le vertige a plus d'un
ET LES ILES ALÉOUTIENffES. 91
toyageur et laisse dans l'esprit un inoubliable souvenir. Nous arrivons à Vancouver le 10 mai, où nous complé- tons notre équipement et nos provisions.
Ici, pas plus qu'à Montréal, on ne peut nous donner le moindre renseignement sur les régions arctiques ; mais en revanche, nous sommes assaillis par les marchands qui nous relancent jusqu'à l'hôtel pour nous offrir des vêtements de fourrure ou d'autres approvisionnements. Le 14 mai, nous nous embarquons sur Yhlander, avec ma femme, mes deux filles et mes deux fils qui n'ont jamais consenti à attendre mon retour à Vancouver. Ici commence notre apprentissage de la rude existence que nous allons mener pendant six mois. Ce petit steamer est occupé par les 250 hommes de troupe qui composent la milice du Yukon. Comme il n'y a que quelques cabines qu'on réserve aux dames, nous cou- chons sur le pont. Le chenal que nous traversons est magni- fique ; le bateau tile entre deux rangs de (lords merveilleux, derrière lesquels se dressent les cimes élevées des montagnes couvertes de neige.
Nous arrivons à Wrangel le 17 mai. Wrangel est une pe- tite ville bâtie toute en bois et sur pilotis, mais bien campée sur une colline boisée et située sur territoire américain.
Les rues sont de vastes fossés, vrais cloaques de boue et, d'immondices de toute sorte; de place en place émergent «les troncs d'arbres sciés à un mètre du sol et supportant des planches pourries qui plient sous vos pas. Ces espèces de trottoirs sont très étroits et l'on ne s'y aventure qu'avec précaution.
Il pleut, dit-on, à Wrangel pendant toute l'année. Jus- qu'en 1897, Wrangel était une ville d'Indiens el ne conte- nait que 3 blancs. La population actuelle est composée en majeure partie de blancs et est très mauvaise. On nous dit qu'il est dangereux de sortir après 7 heures du soir quand les jours sont courts. On y assassine pour 4 bits (4 fois 75 centimes),
Les
LE KLONDÏKE, L ALASKA, LE VDKON
ichètent, dit-on, de 5 à 10 dollars; juges sont Laxées un peu plus.
mblables sur toute la fron-
mais celles d
Ces mœurs sont d'ailleurs s tière américaine, en Alaska.
Les Indiens portent le costume européen, mais au lieu de chapeau les femmes portent sur la tôle nu grand châle. De taille plutôt petite, ces Indiens ont une large carrure, des cheveux plats et luisants et la peau cuivrée. Leurs habitations construites comme celles des blancs sont tenues propre- ment. Ils vivent du produit de leur pêche el la plupart d'en- tre eux sont dans une situation prospère.
Depuis notre arrivée nous nous débattons contre la douane américaine pour le s formalités à remplir concernant nos bagages pris en transit.
Nous quittons Wrangel le 19 mai sur le Stratkcona, ba- teau à fond plat, mû par une grande roue à palettes tenant lieu d'hélice. C'est le bateau en usage dans cette région sur les rivières généralement peu profondes.
Ce steamer fait son premier voyage ; il a été frété spécia- lement pour transporter les hommes de la milice du Yukon à Glenora. Bien qu'il fasse très froid et qu'il pleuve, tout le monde est sur le pont tant le paysage qui se déroule sous nos yeux est superbe.
A l'horizon, des montagnes s'élevanl en amphithéâtre et toujours plus hautes, blanches de neige sur laquelle se dé- tachent les sapins verts dont le soleil de mai a fondu le manteau hivernal. Autour du bateau quantité de phoques de l'espèce à poil rude prennent leurs ébats. Ils sont plus petits que les phoques à fourrure; les jeunes gagnent dix livres par jour jusqu'à l'âge adulte. On les chasse pour la peau dont on fait des chaussures imperméables ainsi que le cuir servant à. la fabrication des portefeuilles, des bu- vards, etc.
Nous arrivons à la pointe de Rothsay, à l'entrée de la Sli- kine, la Stah-Keena des Indiens ou la grande rivière.
ET LES [LES ALOUTIENNES. 96
Depuis un temps immémorial, c'est par la Stikine que les indiens de- la coïe pénétraient a l'intérieur. Ses sources sont encore inconnues; mais ellesdoi vent se trouver au sud du 58" parallèle de latitude nord. Le fleuve est navigable jusqu'à Glenora, à 250 kilomètres de Wrangel, pour dessteamersà fond plat et munis de puissantes machines.
A. certains moments on peut remonter le fleuve jusqu'à Telegraph Creek, à 20 kilomètres de Glenora. Au delà on tombe dans le grand canon qui mesure 80 kilomètres de lon- gueur et qu'il est impossible de traverser soit en steamer, soit en barque.
On appelle canon une partie du fleuve qui se rétrécit entre deux murs de rochers à pic, formant ainsi une gorge où l'eau se précipite et roule avec une force incroyable. Les In- diens eux-mêmes, si experts à manœuvrer dans les eaux de la Stikine, n'ont jamais osé tenter la traversée du grand cation en canot. Ils attendent l'hiver pour le faire sur la glace.
La navigation sur la Stikine s'ouvre de mai à novembre. Fin novembre le fleuve est complètement gelé. En juin les eaux sont le plus hautes par suite de lit fonte des neiges. La vallée de la Stikine mesure en moyenne 3 milles de largeur jusqu'au petit canon. Les montagnes qui la bordent ont 1,000 métrés de hauteur environ.
Elles sont de nature granitique et de couleur grise. Tout le long de la vallée les sapins, les arbres à coton et d'autres montrent une végétation vigoureuse. Beaucoup commen- çaient à bourgeonner quand nous sommes passés.
Quelques-uns, même, étaient couverts de feuilles et tein- taient le paysage de différents tons de vert produisant le plus joli eonstraste avec la neige qui couvre le sol.
Qui n'a pas vu la Stikine nu peut se faire une idée de ce fleuve terrible, dont les eaux bouillonnent en tourbillons ininterrompus. A l'embouchure, le courant est assez modéré; mais,
100 LE KLONUÏKE, L'ALASKA, LE ÏDKOK
100 milles plus haut, il est terrifiant. Sur tout le parcours la navigation est très difficile, tant à cause du peu de profon- deur des eaux que par suite des nombreuses épaves que le fleuve charrie, pour la plupart des arbres arrachés au moment de la débâcle des glaces.
De plus, le lit du fleuve change tous les ans, ce qui dé- route le pilole; tel endroit qui, aujourd'hui, possède un bon chenal se trouvera remplacé, l'année suivante, par un banc de sable.
Cette particularité, qui rend le dragage de la Slikine pres- que impossible, en a empêché jusqu'aujourd'hui l'exploi- tation, car elle contient de l'or en bonne quantité.
Le Strathco7ia avance lentement. Un homme à l'avant sonde sans cesse le fleuve; il accuse 4 pieds, 6 pieds et 8 pieds d'eau, le maximum.
Sur la rive quelques petits campements d'Indiens. Des aigles à tête blanche s'envolent à l'approche du steamer. De temps en temps on aperçoit une tente; ce sont de pau- vres mineurs venus là sur la glace, pris par la débâcle et qui n'ont pu aller plus loin, car remonter la Slikine en barque est une œuvre de géant.
Le cœur se serre en voyant ces malheureux abandonnés seuls dans ce désert. Animés par l'espoir de trouver une occasion d'aller plus avant, ils resteront là quand même jusqu'à l'épuisement de leurs provisions.
Alors, ils redescendront la rivière en radeau. Nous arri- vons à la fronlière canadienne où se trouve un poste de police montée.
Une des particularités de la Slikine, ce sont les nombreux glaciers qui y déversent leurs eaux. On en compte 300 sur son parcours. Quatre de ceux-ci sont remarquables. Le Popoff, qui se trouve à 10 milles au-dessus de la pointe de ftothsay avant d'arriver à la rivière Iskoot. La scène ici est sauvage au delà du possible. Des glaciers, des précipices, des pics détient les plus intrépides grimpeurs du Monl-
ET LES ILKS AMOUTTI KNM:.-.
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La région de l'Iakoot est, riche en gros gibier. Des i, brun» et grizzelis; des chèvres el des moulons de montagnes; des cariboo et des élans y vivent paisibles (le cariboo esl une espèce de cerf grand comme le cerf d'Europe). Les grouses y sont fort nombreuses ; quant aux moustiques, ils dépassent en nombre et en voracité toutes les espèces connues. Les mêmes animaux et les mômes in- sectes se rencontrent sur tout le parcours de la Slikine.
Voici maintenant l'Orlebar, ou grand glacier, qui mesure 5 kilomètres de longueur le long du fleuve et qui s'étend en profondeur sur un espace immense dont on n'a pas exacte- ment déterminé la fin. En face, de l'autre coté du fleuve, se trouvent les sources d'eau chaude. Un peu plus loin, sur le parcours d'un mille environ, s'étend le Coude du Diable. Enfin à 25 kilomètres plus haut, le Flood Glacier.
Nous avançons péniblement étalions échouer sur un banc de sable. La manœuvre est très difficile. Le fleuve se divise ici en plusieurs bras el forme une nappe d'eau à perte de vue. De tous côtés émergent des bancs de sable et de gra- viers. Sur l'eau flottent de gros troncs d'arbres et plusieurs canots, la quille en l'air, tristes épaves des malheureux que le Heuve a engloutis.
Après bien des efforts notre steamer reprend sa marche en avant. Le 21 mai, nous arrivons en vue du redouté petit canon, long de plus de 1 kilomètre et se rétrécissant à 50 mètres à certains endroits, entre deux montagnes de rochers de 3 à 400 pieds de hauteur. Souvent, en cet en- droit, les bateaux luttent pendant une heure avant de pou- voir sortir de cette effroyable gorge et il arrive qu'ils sont forcés de stopper pendant plusieurs jours à l'entrée du cation, en attendant que le courant soit moins rapide.
Mais voici le moment du passage du bateau dans l'antre du mauvais esprit, comme disent les Indiens. Des hommes sont envoyés à terre pour attacher au roc le câble qui doit remonter le bateau à l'aide du cabestan.
102 LE KLONDYKE, l'àLASKA, LE YUKON
A l'entrée du canon, le Ramona, parti deux jours avant nous, est sur ses ancres et solidement amarre. Le capitaine hésile à lancer son hateau dans le gouffre. Au pied des ro- chers deux barques de mineurs sont attachées. L'audace de certains hommes est vraiment stupéfiante.
Heureusement, le passage du canon s'accomplit sans ac- cident. Au delà, le courant entrave encore la marche du steamer. Nous traversons les grands rapides, puis le Kloochman Canon, puis encore de nouveaux rapides. L'eau tourbillonne avec force et fracas. On dirait un fleuve en ébullition. Nous avançons de 50 en 50 mètres à l'aide du cabestan.
Un moment le capitaine ordonne de chauffer au maxi- mum de pression et d'essayer de marcher sans l'aide du câble; mais à peine cet ordre est-il exécuté que nous recu- lons de toute la distance que nous venions de Franchir par le cabestan.
Deux barques d'Indiens passent avec la rapidité d'une flèche, descendant le fleuve.
Nous reprenons notre marche en avant péniblement. La neige devient moins épaisse, la végétation est plus avancée et voici que de jolies fleurs se montrent partout. Dans l'in- térieur le printemps est plus précoce que sur les côles ; c'est ainsi qu'à notre arrivée à Gienora nous trouvons quantité de fleurs épanouies, des papillons et des oiseaux.
J'ai tenu à vous donner, très en détail, la description de notre voyage sur la Slikine pour celte raison que toutes les rivières de l'Alaska sont semblables et qu'ainsi, je n'au- rai plus à y revenir dans la suite de mon récit,
A Gienora, toute la ville est sur la plage attendant l'arrivée du Strathcona qui apporte le courrier. Gienora est une ville de tentes qui abritait alors une population de 2,500 hommes venus pour la plupart sur la glace dans l'espoir de gagner le Klondyke par la voie du lac Teslin.
Mais il n'y a pas de route et les pauvres gens sont arrêtés
ET LES ILES ALÉOUTIBNHBS.
103
là Taule d'argent pour payer leur passage et le transport de feurs provisions sur un steamer qui redescend et personne n'osant s'aventurer a redescendre la Slikine en barque ou eu radeau. Uu instant ces mineurs croient que la troupe va leur frayer une route ; mais leur espoir est bientôt déçu.
Nous établissons notre camp et nous nous mettons en quête de chevaux et de porteurs, mais sans succès. Tous les chevaux ont été réquisitionnés pour la troupe qui se frayera une route à coups de hache à travers les épaisses foréls qu'elle doit traverser.
A Glenora la chaleur est accablante; le 24 mai, le thermo- mètre marquait 29° centigrades et lo 25 mai 38" centigrades. Les nuits sont claires. On peut lire aisément à 11 heures du soir. Les moustiques sont terribles et nous empoisonnent te sang au point de faire naître quantité d'abcès sur le corps.
Nous faisons quelques reconnaissances au delà de Tcle- graph Greek, qui est la limite de la navigation. Peu de stea- mers, en effet, consentent à remonter jusque-là et à tra- verser ce qu'on appelle les rapides des Trois-Sœurs, ainsi dénommés parce que !e fleuve est barré en cet endroit par trois immenses roches sur lesquelles plus d'un bateau s'est brisé.
Telegraph Creek doit son nom à ce fait qu'il avait été question d'établir là un poste télégraphique; mais ce projet n'a jamais été exécuté. •
A partir de là, on rencontre d'innombrables roches de basalte et d'autres rocs volcaniques de l'âge tertiaire. En sortant de Telegraph Creek il n'y a comme route qu'un petit sentier grimpant très à pic les rochers qui protègent ta vallée de la Thaltau où l'on trouve plusieurs villages d'Indiens.
On a fait de riches découvertes d'or sur cette rivière Thal- tau. J'ai visilé les villages d'Indiens qui y ont établi des réserves et qui ne permettent à aucun blanc de travailler chez eux. Mais j'ai été fort bien accueilli par ces Indiens et c'est une
lOi LE KL0NI1YKE, L'ALASKA, LE ÏUKON
grande erreur, pour ue pas dire une faute, que île laisser croire que ceux-ci barrent les rivières pour empêcher les blancs de passer ou pour les dépouiller. Le gouvernement canadien a su, depuis longtemps déjà, imposer aux Indiens du nord-ouest le respect du blanc, et l'assassinat d'un de ceux-ci est un acte tout à fait isolé.
On a cherché à cultiver des légumes à Glenora. La pomme de terre, même au cas où ses feuilles sont touchées par la gelée, y vient très bien; l'orge, le blé, l'avoine y mûrissent également.
Après avoir reconnu la route impraticable, nous nous décidons à redescendre le fleuve et a nous rendre dans le Yukon par la passe du Chilkoot. Nois prenons le petit steamer Glenora, qui marche vapeur en arrière pour ré- sister au courant. Malgré cela, le Glenora va s'abîmer contre un rocher et il a son bastingage et une partie de son avant brisés. Cet accident a failli couler la vie à un des miens.
De retour à Wrangel, nous nous embarquons pour Dyea sur VAl-Ki. Nous allons suivre le Stephens Passage pour entrer ensuite dans le canal de Lynn jusque Dyea. Le che- nal est très dangereux, car une dizaine de navires y ont péri depuis le commencement de l'année.
Voici le glacier du Tonnerre qui envoie à la mer des myriades d'icebergs qui étincellent au soleil.
Les Indiens Tlingits ente mdaut les mystérieux rugissements de ce glacier le croyaient habité par l'oiseau du tonnerre Hutli et ils attribuaient ces bruits assourdissants aux batte- ments de ses ailes. Ils croyaient que les montagnes étaient jadis des êtres animés ou de puissants esprits.
Les glaciers, disaient-ils, sont leurs enfants qu'ils tien- nent dans leurs bras, dont ils plongent les pieds dans la mer, les recouvrant en hiver d'une épaisse couche de neige s et répandant ensuite sur eux des rocs et de la terre pour prè&ervet Ûte rayons du soleil d'été, \ Sîtlh loo Yehk «st le nom de i'esprit de glace et, à la fa-
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ET LES ILKS AI,t;niIT!ENNBS. 105
pin dont les Tlingils murmurent son nom on peut juger de l'horreur qu'ils éprouvent pour le froid. Dans leur imagina- lion bornée, ils ont conçu un enfer de glace comme devant (tre l'état futur de ceux qui ne se font pas incinérer. Ils attribuent à l'esprit de glace une puissance invisible extraor- dinaire. Son souille glacé donne la mort. Aussi éprouvent-ils nne frayeur indicible lorsqu'ils entendent les hurlements furieux des tempêtes dans lus montagnes et les craquements des glaciers.
Dans sa rage, disent-ils, Sitth lance des icebergs qui écra- sent les canots et lave ensuite la terre avec de grandes vagues. Quand le vent glacial disparaît un peu, ou que les glaciers se taisent, c'est que Sitth dort ou erre sous des labyrinthes de glaces, tramant de nouvelles destructions. Ces ludiens parlent comme en un murmure de crainte de réveiller ou d'offenser ce mauvais génie et ils se garderaient bien de frapper les icebergs avec les pagaies de leurs canots, car ils considèrent ceux-ci comme ses sujets. Quand ils doivent faire un voyage a travers un glacier, ils implorent la clé- mence de Sitth too Yehk par de nombreuses incantations ; parlant très doucement et marchant légèrement, ils ont soin ie oe pas offenser l'esprit par les odeurs ou les restes de leurs repas. Les phoques à poil rude sont considérés par eux comme les enfants des glaciers; aussi peuvent-ils se pro- mener impunément sur les blocs de glace flottante.
Notre paquebot stoppe à la baie de Sumdum, inaccessible aux grands steamers. Sur les côtes, quantité de canards, de mouettes et d'aigles à tête blanche. Les montagnes ici sont très élevées et bien boisées. La principale essence d'arbres sur les côtes est le sapin. Le laurier, les violettes, les ané- mones et d'autres fleurs y poussent abondamment.
Notre hateau aborde un des nombreux icebergs qui émer- gent de la surface des flots, et les matelots en détachent de lïros morceaux à coups de hache pour notre prévision de
1(16 LE KLONDYKE, L'ALASKA, LE VtKOM
Nous arrivons à l'Ile de Douglas où sont situées les fa- meuses mines de Treadwel! el où 1,000 ouvriers travaillent jour et nuit. Ce sont les mines d'or les mieux outillées du monde entier.
Les indigènes de cette contrée sont des Indiens Anks, bannis de la iribu des Hoonah et dont le nombre diminue chaque année.
Nous arrivons à Juneau le 15 juin. Comme toutes les villes de l'Alaska, Juneau. est construite toute en bois et sur pilotis; plus propre que Wrangel, on y trouve de nom- breux magasins bien approvisionnés. Sa population atteint 1,500 âmes. C'était jadis le principal village des Indiens Taku, surnommés les Juifs de l'Alaska, et très redoutés des blancs.
Depuis la pacification, ils ont adopté les coutumes et les costumes des blancs. De 500 membres que la tribu comptait en 1869, elle est tombée à 250 environ aujourd'hui. Non loin de la ville, se trouve un cimetière indien très curieux à visiter; les tombes sont ornées de bois sculptés, de couver- tures de danse d'une grande valeur et d'autres offrandes aux esprits qui sont partis. Aucun blanc n'oserait toucher à ces objels. Ces Indiens vivent de la pêche et font de très jolis travaux de vannerie.
Le détroit de Chalham est fameux pour ses pêcheries. La morue y abonde. On paye 50 centimes aux naturels les poissons de 5 livres dont ils apportent en moyenne 8 à 10 mille par jour. On sèche le poisson et on fabrique l'huile de foie de morue. Les harengs y sont plus nombreux encore; on raconte qu'un, jour le steamer portant le cour- rier a, pendant quatre heures, marché sur un banc de harengs. Les naturels les pèchent au moyen d'un râteau et en rem- plissent un canot en moins d'une heure.
On a trouvé dans celte région un grand nombre d'inté- ressants fossiles, entre autres l'épine dorsale d'un ptéro- dactyle. Les ours, les cerfs, les palmipèdes, le saumon et
ET LES ILES ALÊ0UT1ENNES. 107
ia truite y sont nombreux; on y trouve des crabes dont les pattes mesurent 5 pieds d'un boul à l'autre.
Le canal de Lynn, dans lequel nous entrons en quittant Jnneau, s'étend a 90 kilomètres jusqu'à la pointe Séduction on il se divine en deux bras : le bras du Chilkat à l'ouest et celui du Chilkoot à l'est.
La chaîne ininterrompue des montagnes s'élève à une moyenne de 6,000 pieds avec des glaciers dans chaque ravin. Nous passons la mission Haines où commence le Dalton Iraîl, c'est-à-dire la roule conduisant à Fort-Sel kirk par l'intérieur des terres ; mais cette route n'est praticable qu'en été.
Nous arrivons à Skagway le troisième jour, vers (> heures du soir. C'est ici que s'arrêtent les voyageurs qui pénètrent dans le Yukon par la passe de White. Sans nous arrêter, nous prenons une petite barque à vapeur qui nous conduit à Dyea, où les grands steamers ne peuvent arriver. Cette barque elle-même décharge sa cargaison sur des camions dont les chevaux sont, dans l'eau jusqu'au poitrail, et les voyageurs sont portés à terre à dos d'homme, à moins qu'ils n'entrent bravement a l'eau.
Dyea, bâtie toute en bois sur une dune de sable, s'étend dans la vallée du Chilkoot sur 7 kilomètres de longueur. 11 n'y a que très peu de tentes. Dans le petit cimetière une trentaine de tombes toutes fraiches. Ce sont les malheu- reuses victimes de la dernière avalanche sur le Chilkoot.
La passe du Chilkoot est la roule la plus courte suivie depuis des générations par les Indiens Chilkals et Cbilkoots pour pénétrer dans le Yukon. Dyea ou Taya en indien signifie paclage, parce que cette route oblige l'homme à transporter ses vivres sur le dos. A Dyea, les voyageurs trouvent aujourd'hui un câble aérien, auquel sont suspen- dus de petits wagonnets, pour le transport de leurs bagages et provisions au delà du Chilkoot. La Compagnie du Chilkoot Railroad livre même ces bagages directement au lac Bennett de bonnes conditions.
1,K KLOKDYKK, L ALASKA. LE ÏLKON
Les Chilkats cl Chilkools ne forment en réalité qu'une seule tribu cl ils appartiennent à la grande race des Tlingits qui habitent les côtes jusqu'à la Stîkine. Ils s'opposaient au début à l'intervention des blancs dans leur trafic, et pendant cinquante ans ils ont su empêcher les mineurs de traver- ser les passes qui conduisent dans le bassin du Yukon.
La Compagnie de la baie d'Hudson Faisait avec les f.hil- kats un trafic 1res avantageux de fourrures. Les Ghilkats n'étaient eux-mêmes que des intermédiaires et ils achetaient les peaux aux Indiens Tinnehs, qu'ils rencontraient au mont Labouchère et qui ne tentaient jamais de franchir la ligne frontière des deux tribus.
Quand, par hasard, quelques-uns de ceux-ci étaient amenés dans les villages chilkat, en qualité d'hôtes, les Chilkats leur montraient le haleau à vapeur des trafiquants, fumanteomme une énorme pipe, qui manœuvrait sur l'eau sans pagaies ni voile, leurs canots de guerre et leurs grands villages, et les Tinnehs s'en retournaient éblouis de la puis- sance de leurs voisins.
La Compagnie de la baie d'Hudson leur vendait des raousqueLs à pierre pour autant de peaux de martre qu'on pouvait empiler sur toute la hauteur du fusil, de la crosse au bout du canon. La longueur du fusil atteignit bientôt la taille du chasseur lui-même.
A ce trafic la Compagnie de la baie d'Hudson faisait de jolis bénéfices, mais les Chilkats y gagnaient tout autant, car c'était les Tinnehs qui fournissaient les peaux.
Les habitations d'hiver rie ces Indiens Chilkats consistent en trois grands villages dont le principal est fortifié avec des bastions et des meurtrières. Les nobles y ont une maison de fête garnie de colonnes sculptées, a l'intérieur. Leurs cimetières sont très curieux à voir. Leur grand-chef Kloh- Kulz est un vaillant guerrier. Son père faisait partie de la bande qui détruisit le Fort-Selkirk de la Compagnie de la baie d'Hudson, en 1852; c'esl Kloh-Kutz qui dessina la pre-
ET LES ILES ALÉUUTIËNNES. 109
ière carte des passes conduisant des villages Cbilkat dans Yukon.
Les Chilkats connaissent depuis longtemps l'art de forger le cuivre et ils ont un procédé pour le rendre aussi dur que l'acier. Ils tissent aussi de magnifiques robes de danse sur lesquelles se rencontrent toujours les légendes de la famille du tisseur avec les grilles et les yeux renversés de Hulli, l'oiseau du tonnerre. Chaque sujet est tissé séparément, comme dans les tapisseries japonaises, et relié l'un à l'autre par quelques fils.
Nous restons deux jours â Dyea pour surveiller le trans- port de nos bagages par le câble aérien du Chilkoot et nous partons le 18 juin pour commencer la traversée de cette fameuse passe.
De Dyea à Caiîon-City, la route est rocailleuse et suit la rivière Dyea qu'on est obligé de traverser quatorze fois à gué. De Canon-Cily à Sheep-Camp le trajet devient des plus difficiles; d'énormes blocs de rochers qu'il faut escalader barrent sans cesse la route; puis, ce sont des marais qui se continuent pendant plus d'un mille el remplis d'arbres morts, puis encore des creeks qu'il faut traverser sur de minces sapins, ou dans l'eau quand celle-ci n'est pas trop profonde. De nombreux cadavres de cbevaux en décomposition empestent l'atmosphère d'une façon épouvantable. Le sen- tier à peine tracé dans ces roches monte pendant 10 kilo- mètres et devient très pénible. De tous cotés ce ne sont que ravins et précipices. Le paysage est superbe et sauvage â l'extrême. Nous arrivons ainsi à Sheep-Camp où nous trou- vons dans une cabane en bois qui slnlitule hôtel un lit de paille très propre et un bon souper au tard et aux haricots, Nous en repartons le lendemain, à 3 heures du matin; Sheep- Camp marque la limite boisée. Au sortir de cette localité il faut gravir les rocs comme des chats. Des centaines de che- vaux morts jalonnent la route, et ces émanations nauséa- bondes sont pour nous le plus terrible supplice.
lin i.k KLOKltïRK, i.'alaska, i,e ydkdk
Nous arrivions a Scales vers 6 heures. Ici ce supplice cess Ou 1rs chevaux ne peuvent ailer plus loin. Cet endroit ;iiiim dénommé parce qu'au début du rush (ou poussée) d mineurs vers le Yukon, c'était là qu'on pesait les bagagi
des mjrtgwrK
Aujourd'hui les gouvernements américain et canadien : sont mis d'accord et la douane est établie au sommet d Chilkoot.
Le temps devient glacial; nous marchons dans la nei; fondante où nous enfonçons parfois jusqu'aux genoux. I brouillard est devenu tellement intense que nous ne noi voyons plus à 1 métré de distance et nous marchons e nous appelant sans cesse les uns et les autres. Le thermt métré marque 5° sous zéro. C'est une vraie escalade qi nous faisons, car il faut marcher à quatre pattes, en enfoi liant profondément les pieds et les mains dans la neigi pour Taire des marches.
Il arrive aussi qu'on redégringole toute la partie qu'o avait péniblement gagnée; dans ce cas, il faut remonter l'assaut ItW la furie du vaincu.
Kncore quelques roches qui tremblent sous nos pas, gravir; quelque» ravins a passer sur la neige durcie, un tferntn pu- droit comme un 1 à escalader et nous voici au sommet.
Nuits \ iri'itviuis quel i] ues tentes dout une sert à la douane, une à In police moulée et une de restaurant; la neige leur sort de tipil et le bois a brûler s'y paye 1 fr. 25 la livre de
450 gnuiilai.
La dflMenl», de» lOM, se fait rapidement. Nous rencon-
i roui il,* ttomnei qui rebrotmenl chemin n'osant traverser
. qnl MmmsaM II dégeler. C'eslen effet la plus
in .un ,i rfion pour paiter le Chilkoot, car en hiver les
■ i. ooasMeOB eu maints endroits
sur no lac ne sont pa» «craindre. Nous nodl aventurons a la grâce de Dieu, sur cette neige
ir
ET LES ILES iLÉOUriIHHEfl. 111
,'uudue où nous enfonçons jusqu'il mi-corps. An milieu du lac les crevasses sont plus larges et plus nombreuses. Nous entendons l'eau gronder sous nos pas et ce n'est qu'au prix des plus grands efforts que nous parvenons au bout du lac sains et saufs. Ce lac Cratère est la véritable source du îukon. Nous traversons le canon sur la neige et arrivons au lac Mud (ou lac de boue), qui se trouve dégelé en partie. Nos bagages sont là, éparpillés sur 1k neige, en attendant que des chevaux viennent les prendre du lac Bennett.
Tous ces objets sont cependant en parfaite sûreté, car on ne vole pas sur la route du Chilkoot.
Entre le lac Mud et Long-iake nous sommes forcés de traverserla rivière assez haute à ce moment. Ainsi mouillés et transis de froid nous arrivons a Long-lake où nous trou- vons dans une tente une tasse de café chaud que nous pre- nons debout, à la hâte, n'osant rester en place dans l'état où nous sommes.
Nous essayons de traverser ce long lac en canot; mais il □'est qu'à moitié dégelé et les hommes qui nous conduisent ne peuvent lutter contre les vagues furieuses qui menacent de nous faire chavirer.
Force nous est de gagner la rive où nous abordons au pied d'un rocher gigantesque que nous escaladons en ram- pant de roc en roc.
Vers 6 heures du soir nous arrivons à Deep-lake (c'est-à- dire le lac profond). Celui-ci est complètement dégelé et nous le contournons en passant dans des marais noirs et nauséa- bonds. Il nous faut encore ici recommencer l'ascension d'énormes rochers que de pauvres chevaux gravissent aussi avec 250 livres sur le dos.
Dans le lointain nous apparaissent les tentes du lac Lin- fanaa. M est 8 h. 1/2 du soir et nous marchons depuis du matin avec deux arrêts de dix minutes chacun. jndeman est une ville de tentes sur le lac du même nom, mesure 5 milles de longueur. Les montagnes, très
113 LE KLONDYKE, L'ALASKA, LE YUKON
hautes, qui entourent ce lac sont couvertes de neige. Nous y passons la nuit et repartons le lendemain pour Bennett où nous attendons l'arrivée de nos bagages.
Comme Lindeman, Bennett est une ville de tentes qui s'étend sur toute la longueur de la plage. Le lac Bennett mesure 45 kilomètres de longueur et se trouve encaissé entre deux rangs de hantes montagnes couvertes de neige. Celles-ci s'avancent en promontoire sur le lac; se rétrécis- sent ensuite pour former ëes baies et se reforment plus loin dans leur position première.
Nous achetons à Bennett une barque mesurant environ 8 mètres de longueur sur 2 m. 50 de large, que nous bapti- sons du nom de « Lobelia > et au mât de laquelle nous his- sons le drapeau aux trois couleurs.
Nous y entassons nos bagages et provisions et par-dessus le tout nous nous installons tant bien que mal sur les sacs. Nous avions avec nous trois hommes engagés pour conduire la barque et cinq chiens. C'est sur ce frêle esquif que nous allons voyager pendant cinq semaines, exposés aux rayons du soleil brûlant et à la pluie qui nous rafraîchira souvent
Nous quittons Bennett à 9 heures du soir par un temps relativement calme. Mais vers A heures du malin le lac se change en une mer en furie et nous jette sur un roc qui entame assez sérieusement notre légère coquille. Nous con- statons alors que l'honnête fabricant du bateau a fermé les jointures des planches avec da mastic au lieu d'étoupe. Nous le réparons comme nous pouvons et nous nous remet- tons en route. Mais à peine sommes-nous partis qu'une voie d'eau se déclare et il nous faut lutter de vitesse pour gagner le bord où nous déchargeons toutes nos provisions.
Le lendemain nous sommes prêts h reprendre « le lac ». Nous voguons depuis une heure quand de nouveau le ciel s'obscurcit; les vagues deviennent houleuses; en quelques minutes nous sommes ballollés sans plus pouvoir nous guider et nous dansons sur les ilôts comme un bouchon.
ET LES ILES ÀLÉQUTIENHES.
113
Pour comble, noire bateau est pris en travers et à chaque coup de lame ce sont trois seaux d'eau qui entrent dans la barque. Deux d'entre nous pompent sans cesse, pendant que les autres rament avec vigueur. Le moment est critique; quelques craquements se font entendre; c'est le bateau qui a buté sur un roc. Enfin après des efforts inouïs nous par- venons à gagner une baie où nous atterrissons, en sautant à l'eau à une dizaine de mètres du bord pour évitera notre bateau d'être éventré par les rochers.
J'en protite pour grimper sur ces roches et en étudier la composition. Celles-ci sont de nature granitique et de teinte grise en général, qui se continuent sur une longueur de 5 milles; au delà ce sont des rocs stratifiés et du schiste.
Nous arrivons à la tête du lac Tagîsh. Notre pauvre bateau est bien endommagé; malgré cela nous passons sans encombre le Windy arm (le bras des vents). Au Windy arm ou a fait quelques découvertes de quartz aurifères, ainsi que des gisements de marbres d'une belle espèce,
Tagish est le centre des Indiens Tagish. Mais je n'ai pu recueillir sur eux aucun renseignement. La plupart des rocs qui bordent le lac sont de nature granitique ; on y trouve du sebiste et beaucoup de mica, de même la pierre à chaux et, derrière, des rocs volcaniques.
Li traversée du bras deTaku est plus mauvaise et dix fois notre barque manque de chavirer. Le 4 juillet, nous arri- vons au poste de police montée, a. la fin du lac Tagish. C'est ici qu'on enregistre tous les bateaux qui descendent le fleuve et qui reçoivent chacun un numéro d'ordre, A chaque poste de police que l'on rencontrera sur sa route, en descendant, on devra représenter ce numéro. La rivière de 5 milles suit le lac Tagish. Ici la vallée s'élargit beaucoup et s'étend à perte de vue. Nous nous arrêtons à un village indien, où l'un de ceux-ci nous propose de nous vendre son papoosc (c'est-à-dire son bébé, de 12 mois) pour deux sacs de farine de 50 livres chacun.
Hi LE KLONDïKE, L'ALASKA, LE YUKOP1
Le lac Marsh qui suit cette rivière mesure 30 kilomètres de longueur surplus de 3 kilomètres de largeur. Le paysage est superbe et les montagnes qui l'entourent ont leur cime couverte de neige. On se demande pourquoi on l'a sur- nommé Mud-lake (ou lac de boue), car ses eaux sont très limpides. Au moment où nous arrivons le lac est très calme; notre barque poussée par une brise légère glisse lentement sur l'eau pendant deux heures. La plupart de nous, harassés de fatigue, s'étaient assoupis, lorsque tout à coup eu un clin d'œîl le vent se lève et le lac roule des vagues énormes. Nous sommes à nouveau le jouet des flots et pour comble, dans la manœuvre le gouvernail se brise. Nous faisons des efforts désespérés pour gagner la rive, mais nos rames sont impuissantes à diriger le bateau. Chacun de nous comprend que notre vie ne tient plus qu'à un fil et donne le maximum de son énergie. Après deux heures de mortelles angoisses nous échouons sur un banc de sable mouvant. Ce n'est pas le salut, car il nous faut défendre notre petit bateau que les vagues roulent avec furie. Nous sommes tous dans l'eau jusqu'aux épaules, pour maintenir la barque à laquelle nous nous cramponnons désespérément. Pour comble nous sommes sur un terrain vaseux où l'on enfonce pour peu qu'on reste sur place et où plusieurs d'entre nous ont failli laisser leur vie. Dans ces heures difficiles, les femmes ont montré un courage extraordinaire et je vous avoue qu'en maintes circonstances leur exemple a décuplé mes forces.
Nous arrivons a la rivière de 60 milles. Ici les roches ont disparu pour faire place à, des bancs de pierre à chaux entre lesquels cette rivière coule très rapide avec des courbes si brusques qu'on peut y briser son bateau à chaque tour- nant.
Le 7 juillet, nous arrivons au fameux Miles Canon qui pré- cède les White horse rapides. Là nous déchargeons nos provisions qu'un petit tramway de construction toute pri- mitive transportera par la montagne de l'autre côté de ce
'creux passage. La police n'autorise pas les femmes à e traverser.
La rivière mesure ici 800 pieds de largeur pour se rétré- cir à 33 à l'entrée du carton. On peut ainsi s'imaginer avec quelle force les eaux s'y précipitent, roulant des vagues énormes qui bondissent comme une cataracte entre deux murailles perpendiculaires de basalte de 120 pieds de hau- teur. m
A un mille plus bas que le canon on tombe dans les rapides des WMte horse, les plus dangereux de la rivière. Beaucoup débarques ont fait naufrage en cet endroit et beaucoup de personnes ont péri.
Nous prenons un pilote expérimenté et nous nous aban- donnons aux flots écumeux du torrent, passant comme une Bêche à travers les vagues qui nous couvrent de toute part, eu rasant les récifs qui émergent de ce gouffre épouvantable. Nous arrivons à la Takeena le 8 juillet. La Takeena est une importante rivière qui mesure en moyenne 250 pieds de largeur et 10 pieds de profondeur. Les montagnes qui la bordent sont en grande partie de nature granitique; mais on y trouve de très curieux spécimens de jade. Ses eaux sont très boueuses et assez rapides. La source de ia Takeena remonte à 80 kilomètres du bras ouest du canal de Lynn. Les Indiens Chilkats se servaient beaucoup de cette voie pour pénétrer dans le Yukon, mais ils l'ont abandonnée lujourd'hui a cause du long portage à faire jusqu'au lac Kosawa. J'ai remonté cette rivière en compagnie de deux Indiens, dans une barque eu écorcede bouleau. A 50 milles environ de son embouchure, j'ai découvert de superbes vallées où l'on pourrait faire de la culture, et je suis porté à croire que dans un avenir prochain on pourra aisément tracer une route nouvelle de ce coté avec un petit chemin de fer, pour supprimer le portage à faire. Le M juillet, nous arrivons devant le lac Lebarge, qui se XI pieds au-dessus du niveau de la mer. Le lac
116 Lt KL0M1ÏKK, L'àLÀSKA, LE YUI
est praprisonné dans des montagnes de pierres à chaux, de 9,000 pîeds de hauteur; il est réputé très dangereux par suite des vents violents qui sévissent en cet endroit et qui retiennent souvent les mineurs plusieurs jours au rivage. Nous y avons trouvé des groseilles rouges, du cassis, des oignons sauvages bons à manger et des anémones. La navi- gation sur ce lac est plus difficile que sur le lac Bennelt et nous avons été plusieurs fois forcés de décharger nos pro- visions mouillées par les lames qui les arrosaient sans cesse.
C'est à la lin du lac Lebarge que commence la rivière Lewes, que les mineurs appellent la rivière de 30 milles. Son courant de 11 kiïomèlresà l'heure est très tortueux et seméd'écueils; pendant 40 kilomètres l'eau bouillonne et écume engrosses vagues comme celles de la mer. C'est la partie la plus redoutée de la longue route fluviale qui con- duit à Dawson City.
Les rives de la Lewes sont peu élevées, mais bien boisées, et les mêmes essences d'arbres se retrouvent ici, entre autres les pins noirs, les bouleaux, les peupliers, les frênes et les arbres à coton d'une taille énorme. Nous rencontrons plu- sieurs troupes de mineurs qui ont eu leur barque brisée sur des écueils et qui font sécher leurs provisions.
La Hootalinqua où noua arrivons, prend sa source au lac Teslin, suit un parcours d'environ 160 kilomètres sans rapides ni écueils, et vient opérer sa jonction avec la Lewes à 31 milles du lac Lebarge.
On a trouvé de l'or fin sur toutes ses rives, et à l'heure actuelle beaucoup de mineurs prospectent cette rivière.
Au Heu dit « Cassiar bar », sur la Lewes, on a trouvé des sables aurifères assez riches et dont j'ai constaté la teneur. Aussi tout le banc, c'est-à-dire l'île, est déjà steké; c'est ainsi qu'on appelle la prise de possession d'une concession minière ou d'un « claim ». Le 10 juillet, nous arrivons a. la Big Salmon (la grande
KT LES II.KS iLÉOrTIENNKB. 117
rivière du Saumon), que j'étaisdécidéà remonter malgré les avis des officiers de la police montée.
Aux arbres sont suspendues des pancartes en bois laissées
par des mineurs, a l'adresse de compagnons qui suivent,
on d'autres tout simplement adressées au premier passant
venu, le priant de faire telle commission à telle personne.
La Big Salmon a environ 400 pieds de largeur ; à mesure
qu'on avance vers sa source, la rivière devient plus rapide
et plus difficile. Je laisse ma famille à l'embouchure, et,
en compagnie de deux ofiieiers de la police montée,
MM. Sennant et Solly, nous remontons cette rivière pendant
trois jours, en traînant notre canot dans l'eau jusqu'aux
aisselles. Arrivés à la fourche, force nous esl de traverser le
courant en canot car l'eau devient trop profonde. Mais, à
peine installés, nous voici entraînés avec une rapidité
extrême sur le bras droit du torrent. Une ligne noire barre
la rivière 1 500 mètres de là.
C'est un immense sapin tombé d'une rive à l'autre, et contre lequel notre canot vient huiler avec un choc violent, qui uous culbute dans le rapide où nous roulons entraînés au loin comme un petit ballot. Dans cette circonstance, nous n'avons dû noire salut qu'à notre présence d'esprit. Toutes nos provisions étant perdues, nous sommes forcés de redescendre les rapides pour gagner notre camp. En Irenle-trois minutes, nous accomplissions le trajet que nous avions mis trois jours à faire en marchant.
Les hommes que nous avions engagés à Bennett refusent de continuer le voyage dans un baquet tel que le nôlre, et nous quittent.
Dans ces conditions, mes filles se metlent aux rames.
Arrivés à la Lillle Salmon, nous y trouvons des camps d'Indiens qui péchaient du saumon. Ceux-ci sont de petite taille avec de longs cheveux noirs et luisants, le nez aplati et la mâchoire large. — Ils ressemblent à des brutes sau- vages, et paraissent plutôt effrayés de notre présence. — Un
118 LE KLONDYKE, l'àLASKÀ. LE YUKON
air de flageolet les ramène autour de nous, et nous pouvons alors les photographier, non sans constater la crainte que leur inspire l'objectif fixé sur eux.
La Little Sa] mon a les mêmes natures de montagnes et de rocs que la Big Salmon.
Les Five-Pingers, rapides qui la suivent, doivent leur nom à cinq énormes roches plantées au milieu du fleuve, laissant entre chacune d'elles un étroit passage hérissé de récifs, sur lesquels l'eau se brise en mugissant. Il s'agit de prendre le meilleur passage, car il est tout à fait impossible de contourner ces rocs parvoie de terre.
Trois barques passent devant nous, dont une se brise contre une de ces roches. La notre passe sans accident, mais avec une effrayante rapidité.
Nous gagnons les Rinks Rapides, à 0 milles plus bas. Ici on a trouvé de riches gisements de charbon et du quartz aurifère.
A l'embouchure de la rivière Pelly, c'est-à-dire à Fort- Selkirk, les rocs qui enserrent le fleuve sont de nature crayeuse et calcaire, et précèdent des montagnes bien boisées.
Les Indiens de la Pelly font un grand commerce de four- rures, et sont d'ailleurs des chasseurs de premier ordre. Quand nous arrivons, presque tous sont partis à la chasse au moose et au cariboo. L'un d'eux, un grand chef, est tout ce qu'on peut voir de hideux; — petit, malingre, les cheveux noirs et très longs, les yeux à moitié rongés par une lèpre qu'ils contractent dans leur case, avec ça d'une malpropreté répugnante, c'est bien le type de ces Indiens de la Pelly que la débauche a dégénérés à ce point.
C'est a son confluent arec la Pelly que la rivière prend le nom de Vukon; — mais en réalité, celui-ci a sa source au lac Cratère, comme je vous l'ai dit plus haut.
La Compagnie de la baie d'Hudson avait établi un fort à Forl-Selkirk, mais les Indiens le détruisirent en 1852.
ET LES ILES ALÉOUTIENNES. 119
Actuellement, on y a construit des casernes en bois pour la milice canadienne, une église catholique, et un poste de police montée. Certains voudraient en faire la capitale du ïkradyke. Surladroitedu Yukon.àFort-Selkirk, se trouvent te fameux remparts (murs énormes de rocs perpendicu- iiires, et qui longent le fleuve pendant 29 kilomètres). La iurface de ces remparts est polie comme la glace, sans une crevasse sur tout le parcours. Au sommet, on trouve des plaines pouvant former de bons pâturages, et, derrière, de hautes montagnes bien boisées qui peuvent fournir d'im- portantes provisions à Dawson où le bois fait totalement défaut.
Nous passons la rivière White qui transforme l'eau du Yukon en une boue liquide, qui conservera le même aspect surtout son parcours, jusqu'à la mer de Bering. Nous voici maintenant à la rivière Stewarl. Il y a là, à l'embouchure, un camp de 5,000 mineurs dont les tentes sont échelonnées le long de la rivière et sur un ïaste plateau sablonneux.
J'y installe ma famille pendant que je vais remonter la rivière avec un officier de la police montée, et n'éprouvant aucune crainte d'abandonner les miens, car dans le Yukon on est plus en sûreté que dans certaines campagnes de Seîne-et-Oise.
Dans ce camp de rudes mineurs, jamais de bruit, jamais de querelles. Il n'y a là cependant qu'un caporal et deux hommes de la police montée, dont les ordres sont exécutés par tous. Dans tout le nord-ouest, cette admirable institution, qui régne et gouverne, a su inspirer le respect et l'obéis- sance. Grâce à elle, le pays est sûr et le chercheur d'or peut dormir tranquille à coté de son trésor.
La Slewart n'a pas été explorée au delà de 100 milles. Jus- qu'à ce point, au printemps, elle est assez navigable, et sur tout son parcours sont plantées des tentes de mineurs qui lavent l'or sur les bancs de sable de ses rives. Dans la vallée
120 LE KLONDYKE, L'ALASKA, LE YUKON
ne la Slcwart il y a de l'excellent foin qu'on vend 1res cher à Dawson .
Nous remontons la rivière pendant cinq jours, jusqu'à un endroit inexploré, pour nous enfoncer ensuite dans les montagnes. Une nuit un ours nous allège du restant de nos provisions, et il ne nous reste pendant trois jours que des myrtiles pour calmer notre faim. Heureusement, des Indiens nous ont secourus, et nous avons pu rentrer sains et saufs à notre camp.
Cette exploration sur la rivière Stewart a été pour moi fertile en renseignements de toute nature, tant sur la richesse de la rivière elle-même, que sur les dépôts miné- raux de toute espèce que renferme cette région, C'est là que s'est affermie en moi la conviction de M. Ogilvie sur les richesses de ces contrées, là que j'ai reconnu l'existence du Gold Beit (ceinture de l'or), qui doit partir de la Colombie britannique pour aller rejoindre la Sibérie en passant sous le détroit de Bering, décrivant un demi-cercle où sont compris les territoires de l'Alaska américain.
Nous gagnons ensuite la rivière Indienne, où nous visitons tous les creeks aurifères. S'il y a beaucoup de lentes de mineurs sur ses bords, en revanche il y a peu de daims en exploitation. Quelques-uns ont donné de très beaux résul- tats, et l'on annonce pour cet hiver un rush sur ces creeks.
Nous arrivons à Dawson-City le 7 août. Dawson-City, surnommé l'Eléphant blanc, sans doute à cause des diffi- cultés qu'il faut vaincre pour y arriver, est situé sur la rive droite du Yukon, à l'embouchure du Klondyke. Klondyke, ou « Troandik », en indien signifie * beaucoup de poissons î ; le fait est que, dans cette rivière, le saumon abonde.
La ville, qui date de deux ans à peine, s'étend sur une longueur de deux kilomètres et compte a peu près 20,000 habitants.
Toutes les maisons sont en bois — quelques-unes, plu: jolies, ont deux étages — les autres sont ce qu'on appelle
ET LES ItBS U-ÉOCTIEBHES.
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là-bas des log-cabines, parce qu'elles sont bâties avec le sapin non dépouillé de son écorce.
On y voit également de nombreuses tentes. Dawson compte trois églises dont la principale, une église catholique, a été bâtie par un mineur millionnaire auquel elle a coûté 250,000 francs. Non loin de là, l'hôpital catholique, et à l'autre extrémité de la ville, l'hôpital protestant, mais ces deux hôpitaux ne suffisaient pas, pendant notre séjour, aux besoins des malades atteints de la lièvre typhoïde.
Il y a déjà deux banques installées à Dawson, la Canadian Bank of Commerce, qui est la principale, et la Bank of Britisb Norlh America, et de belles casernes pour la police montée, avec une prison construite en bois et qui n'a pas coûté moins de tiO.OOO francs.
J'ai déjà parlé de la Police montée, celte institution com- posée d'hommes recrutés parmi les jeunes gens de bonne famille et qui remplissent à la fois les fonctions d'officiers de police judiciaire et de juges de paix. Le respect qu'on a pour celle milice toute particulière est remarquable, et à Dawson, notamment, où ceLle vaillante troupe a pour chef le capitaine Slarns, le calme le plus complet règne.
Grâce à la police montée, l'ordre n'est jamais troublé par des querelles ou des rixes. La plus grande solidarité unit tous ces mineurs et les discussions qui peuvent surgir entre eux sont réglées paternellement par la police montée, dont on trouve toujours un des soldats surveillant les bars où l'on joue ou les saloons où l'on danse.
Les 250 hommes de troupe qui composent la Milice du Yukon et que le gouvernement vient d'adjoindre à la po- lice montée sont campés à Fort-Selkirk. Ils sont placés sous les ordres d'un colonel, d'un major et de quatre capitaines.
A mon départ de Dawson le gouvernement venait d'y en- voyer le colonel Steele, qui précédemment commandait la police montée au lac Bennelt.
lawson possède aussi de grands magasins d'approvision-
122 LE KLONDÏKE, L'ALASKA, LE YUKOtf
nements établis par deux importantes sociétés américaines: la Norlh American transportalion CV et l'Alaska Commer- cial CJ'. Il est entré à Dawson 32 steamers de rivière chargés de provisions pour ravitailler la ville. Les mineurs ne mour- ront pas de faim cet hiver, pas plus qu'ils n'y sont morts l'hiver dernier, où cependant la farine s'est vendue jusqu'à 100 et 150 dollars le sac de 50 livres.
Tout y est nécessairement hors de prix. La main-d'œuvre se paye de 60 à 75 francs par jour. La viande vaut 10 francs la livre, les pommes de terre et les oignons 5 francs la livre, et ainsi de suite. Au restaurant, un poulet de grains se paye 50 francs, et une bouteille de Champagne 150 francs. Par contre, un saumon de 10 à 12 livres ne vaut que 2 fr. 50.
La nomination deM. Ogilvie, comme gouverneur général à Dawson, a été fort bien accueillie par tous les mineurs, surtout au lendemain du vote de la loi qui frappe les produits d'un claim d'une royauté de 10 p. 100 en faveur de l'Etat.
M. Ogilvie connaît à fond le pays qu'il administre aujour- d'hui, et qu'il a parcouru en tous sens il y a quelques années, et il a prédit l'avenir de ces territoires du Nord- Ouest, grâce à ces nouveaux champs d'or. Les découvertes que j'ai faites me permettent d'affirmer que M. Ogilvie n'a rien exagéré et que ses prévisions se trouveront bientôt réalisées.
En vous présentant ici, parmi les nombreuses projections photographiques qui viennent de défiler soiib vos yeux, le portrait bien imparfait de M. Ogilvie, permettez-moi, mes- sieurs, d'exprimer au nom des miens nos sentiments de vive gratitude envers le gouvernement canadien, pour les marques de sympathie et le concours que n'ont cessé de nous prodiguer ses officiers, pendant notre séjour dans le Yukon.
Non loin de Dawson, sur les creeks Bonanza, Eldorado, French-Hill et autres, se trouvent les riches placers qui ont
ET LES ILKS A I. ICO C TIENNES. 123
tant fait couler d'encre dans Le monde entier, depuis on an.
Ces placera se trouvent au centre de la ceinture aurifère à laquelle j'ai fait allusion plus haut. Au début, les mineurs se jetaient en foule sur les daims situés dans les vallées arrosées par un cours d'eau qui leur permettait de laver la terre avec le sluice.
Mais aujourd'hui de riches trouvailles ont été faites également sur les montagnes qui a voisinent ces creeks, et la nature de cet or, qui selon moi n'appartient pas à la même époque de formation que celui des creeks, déroule tous les géologues el les experts en la matière. On a payé à l'Etat celte année une royauté de 6 millions d'or, cor- respondant à 60 millions d'or extrait. Mais, en réalité, on en a tiré davantage. Les frères Berry pour leurparl ont payé 200,000 francs de redevance.
Je n'ai pas à m "étendre, ici, sur la richesse de ces placers et leur exploitation actuelle, ce qui nous écarterait de noire sujet; mais d'après les observations que j'ai faites, pendant les cinq semaines que j'ai passées dans la région des placers, j'ai acquis la conviction que le pays est plus riche encore qu'on ne l'a dît.
On y a découvert également des mines d'argent, de nickel, d'étain et de plomb ; de riches gisements de cuivre et de charbon et enfin des sources de pétrole. Dans ces conditions, tout fait présumer que, malgré les rigueurs du climat d'hiver et les difficultés de la route (que le gouverne- ment canadien travaille du reste à aplanir), ces territoires du nord-ouest sont appelés à un grand développement.
Depuis notre départ de Betinelt jusqu'à notre arrivée à Dawson, le 1 août, nous avons eu la même température qu'à Paris pendant les mois d'été.
Les nuits étaient plus froides cependant; mais comme l'air y est plus sec et plus pur, on s'y habitue très vite. C'est d'ailleurs à ce manque d'humidité dans l'atmosphère que
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l'on doit de pouvoir supporter les tempéralures aussi basses que celles relevées à Dawson, c'est-à-dire 50 et 55" F. sous zéro en janvier et février. A cette saison le temps reste généralement clair et beau.
Pendant les mois d'été le soleil ne quitte l'horizon que fort peu de temps. En hiver, par contre, il n'y a que quelques heures de jour, sans pour cela que l'obscurité soit complète.
Les animaux qui habitent les districts du Yukon sont les mêmes que sur la Stikine :
Le moose, genre de cerr grand comme un bœuf et pesant 8 à 000 livres, sur les bois duquel on pourrait mettre un sac de farine à l'aise.
Le cariboo, le mouton de montagne, les ours bruns, noirs et grizzelis; à part ce dernier, les autres n'attaquent pas l'homme, Les Indiens les chassent avec des flèches et les plus braves les attaquent au couteau.
Parmi les animaux à fourrure, l'on trouve des renards argentés, bleus, noirs, blancs et rouges ; le lynx, les loutres, les castors et la martre zibeline.
Les canards et les oies abondent dans le Yukon ainsi que la poule de prairie et la perdrix rouge. Les montagnes sont pleines de fleurs brillantes, d'églantiers superbes, de pieds d'alouettes, de myosotis, de lupins, de sauges et de mousses de toutes couleurs. Des groseilles, des framboises, du cassis, desfraises eldesmyrtiles. Toutes cesplanlessontd'une belle venue et aussi vigoureuses que dans nos jardins d'Europe.
Les vesces et une espèce de carotte sauvage y poussent abondamment et Fourniraient un excellent fourrage.
Nous quittons Dawson le 14 septembre, pour redescendre le Yukon jusqu'à la mer de Bering, non sans quelque appré- hension d'être pris en route par les glaces. Tout Dawson était réuni sur la berge pour voir partir le dernier bateau qui redescend vers le monde habité, vers la civilisation.
Ici le fleuve coule entre des rochers immenses et le paysage offre un aspect des plus sauvages.
ET LES ILES ALÉOUTIENNE!
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Peu à peu le fleuve s'élargit à ce point que nous distin- guons à peine les côtes, avec des lies de plus en plus nom- breuses et des bancs de sable qui rendent la navigation des plus difficiles.
Nous nous arrêlonsàFortyMile,la ville frontiôre,compo- sée, comme toutes les villes de l' Alaska, d'une agglomération de quelques cabanes en bois sur un amoncellement de boue.
Chose intéressante, nous y avons trouvé un petit jardin bien cultivé avec des fleurs et des légumes.
La rivière de Forty Mile, qui se jette dans le Yukon, a 150 mètres de large à son embouchure avec un très fort cou- rant d'eau et de nombreux rapides.
Quelques découvertes d'or ont été Faîtes ici.
Le 15 septembre, nous arrivons à Circle City, la plus- grande agglomération de cabanes en troncs d'arbre du monde; située peu au-dessous du cercle arctique, elle con- tient environ 1,000 cabanes, 3,000 blancs et 100 Indiens. Cette ville, qui date de 1894, était jusqu'à l'année dernière, avant la découverte du Klondyke, le plus important centre des mines de l'Alaska.
Les mines sont situées à 100 kilomèlres de la ville et on y travaille l'été, contrairement à ce qui se pratique au Klon- dyke. J'ai cependant assislé à des travaux d'été sur les creeks prés de Dawson, et j'ai la conviction qu'en changeant leur méthode actuelle les mineurs du Klondyke pourraient fort bien travailler toute l'année.
A partir de Circle City le Yukon s'étend à perle de vue, laissant émerger de nombreuses iles bien boisées et fort jolies. Le froid ici est plus vif qu'à Dawson et je relève une température de 46° F.
Comme j'avais perdu mes deux thermomètres (alcool et mercure) dans le naufrage de la Big Salmon, j'ai été forcé depuis lors de me servir du thermomètre Farenheit. Cet hiver, mes deux fils, qui sont restés à Dawson, relèveront chaque jour les températures sur tous les points qu'ils visi-
m
LB M.ONDYKE, L ALASKA, LE ÏUkON
feront, et nous pourrons ainsi par comparaison déterminer bat dflfp&i centigrades sous zéro.
Comme à Dawson el Forty Mile, on trouve à Circle City une quantité de chiens de la race Husky, qui se vendent
iinWimiMBl de 100 à 400 dollars.
Le nombre des Indiens Stick, qui habitent les régions du haut Yukon et du Klondyke, est tombé aujourd'hui à 3,500. Us sont d'un tempérament morose et, malgré leur apparence de stoïcisme, ils sont constamment sujets à des paniques ou à des hallucinations. Leurs chefs sont choisis sans aucune distinction de naissance ou de famille, et seulement d'après leur valeur guerrière et les présents qu'ils distribuent. Leur contact avec les blancs leur a donné la fièvre de l'or et beau- coup d'entre eux travaillent aujourd'hui dans les placers.
Dans un de leurs villages, je demandai à leur chef Izak à quoi pourrait lui servir l'or qu'il amassait? Il me répondit avec un sourire : t Moi aussi je veux sortir. J'en ai assez du froid et de la neige; je veux aller à Washington dans la ville du grand-père et vivre avec les blancs. »
Le 11 septembre, nous arrivons à Fort-Yukon, situé au- dessus du Cercle arctique. La ville se compose de cabanes en bois et de campements indiens.
Ceux-ci, comme leurs frères de Tagish, de Lebarge et du haut Yukon, sont dégénérés, petite, malingres et malpropres; offrant le type mongol des plus prononcés. Habiles chasseurs et pécheurs, ils fontégalement des vêtements de peaux orne- mentés de perles de couleurs d'un très joli travail ; mais ils sont très paresseux, bien que leurs facultés soient plus déve- loppées que chez les autres Indiens.
C'est ici que la Porcupine se jette dans le Yukon. Cette iuii.Vi iM m dangereuse que très peu de blancs l'ont remon- tée; elle est ainsi fort peu connue.
irant est tellement rapide que les Indiens Itbane Kuttchio se servent très peu du canot en écorce et i oendent cette rivière en radeau.
ET LES ILBS AI.É0UT1ENNES. 127
J'ai vu un de ces Indiens qui errait inconsolable depuis des semaines de la mort de sa femme. Ils sont pour la plu- part convertis au protestantisme, et beaucoup d'entre eux savent l'anglais. Les plus jeunes de la tribu le parlent d'ail- leurs couramment.
Nous quittons Forl-Yukon dans la soirée pour entrer dans ce qu'on appelle les Flats du Yukoo, c'est-à-dire le pays plat où le Tukon s'étale en une immense nappe d'eau an milieu d'innombrables îles et de bancs de sable.
Les capitaines des steamers craignent beaucoup ce pas- sage, où ils son! retenus parfois deux et trois semaines sur les terribles bancs de sable.
Nous arrivons à Manook, du nom de l'Indien qui y a découvert l'or. Ici on a fait de riches découvertes de pla- ciers d'or de toute première qualité et qui vaut 97 francs l'once.
Depuis lors la ville s'est rapidement peuplée et compte aujourd'hui 1,500 habitants.
Elle possède une église, un hôpital, des magasins d'appro- visionnements; mais il n'y a ni police, ni autorités. Les mineurs se gouvernent eux-mêmes. L'homme condamné pour meurtre ou vol est déposé sur un radeau au milieu du fleuve, ce qui équivaut à une sentence de mort, car le malheu- reux doit ou périr ou mourir de faim.
Le 19 septembre, nous arrivons à l'embouchure de la Tanana, rivière qui mesure plus de 1,600 kilomètres de lon- gueur. A son confluent avec le Yukoo, les deux fleuves forment une nappe d'eau à perte de vue.
Dans le bassin de la Tanana on a trouvé de riches mines d'or, d'argent et de charbon, et l'on prédit, pour l'an prochain, un nouveau rush américain vers cette ré- gion.
Nous stoppons à Nulalo, où la thermomètre marque 24° sous zéro; il n'y a ici que quelques cabaues et quelques lentes d'Indiens du même type que ceus de Fort-Yukon.
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IS8 LE KLONDÏKE, L'ALASKA, LE ÏUKON
Sur la rivière Ko-Yu-Kuk , que nous gagnons ensuite, on a fail il y a quelques mois les plus belles trouvailles d'or pur de tout l'Alaska. On m'a montré un de ces spécimens gros comme le poing, et dont l'élude de surface présentait en effet tous les caractères de l'or absolument pur.
Nous abordons à Anvic, où se trouve une mission russe établie là depuis de longues années.
Les maisons indiennes sont ici d'une forme singulière et ressemblent à d'énormes pains de sucre, mais très bas, à hau- teur d'homme, avec une ouverture semblable aux chatières de nos fermes, juste assez grande pour laisser passer les épaules. C'est la porle de l'habitation.
Les Indiens qui les habitent sont horribles à voir. Des tètes énormes sur de larges épaules carrées avec un buste de géant planté sur de petites jambes grêles et tordues, des che- veux noirs et raides, voilà leur portrait bien embelli, je vous assure. Les femmes sont moins jolies et d'une malpropreté repoussante.
Nous passons devant la mission de la Sainte-Croix où les sœurs de Sainte-Anne élèvent des enfants indiens et cultivent des fleurs et des légumes.
AKoymut, il n'y a plus de trace d'arbres; ce sont de vastes plaines, et les Indiens et leur barque en écorce de bouleau ont disparu pour faire place aux Esquimaux qui viennent dans leurs cayaks nous souhaiter la bienvenue.
Ici nous sommes échoués sur un banc de sable et nous en profilons pour aller à terre en canot faire une excellente partie de chasse dans ces plaines marécageuses où nous marchonsdans l'eau jusqu'aux genoux. Le nombre de canards, de ptarmigans et d'oies que nous tirons est une véritable fête pour tous nos passagers. Les bécassines abondent éga- lement dans cette contrée. Quelles chasses merveilleuses de vrais chasseurs pourraient faire là!
Le lendemain 2d septembre, nous arrivons à Saint-Michel, où nous trouvons un hôtel très confortable avec des repas
P LES ILES Al.KOUTIEWNES.
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un peu plus substantiels que la nourriture que nous avons eue jusqu'ici.
Quand on n'a mange que du latd et des haricots pendant six mois, une autre nourriture même en conserves n'est pas désagréable.
Situé sur une île à 90 milles au nord de l'embouchure du Yukon, Fort-Sainl-Michel est la station la plus importante des régions arctiques.
Il y a là un poste militaire américain, et c'est le point de ravitaillement pour toutes les localités de l'extrême nord. Une église russe, de grands magasins d'approvisionnements installés par les trois grandes compagnies américaines qui ravitaillent les mineurs de l'Alaska et le Klondyke.
L'aspect de la ville est propre et repose des ignobles villages d'Indien» que nous avons visités plus haut.
Les naturels de Saint-Michel sont des Esquimaux aux mœurs paisibles qui travaillent très joliment les peaux de phoque à poil rude et les peaux de renne. Leurs habitations sont de simples trous en terre au-dessus desquels des troncs d'arbres forment un dôme, le tout recouvert de terre. Un morceau de peau de poisson ou d'entrailles de morse sert de fenêtre. L'été ils vivent sous la tente, leur demeure préférée. Les Esquimaux de l'Alaska sont au nombre de 18,000 environ; ils sont honnêtes, douxettoujourshospitaliers en vers l'étranger. Us vivent uniquement de poissons et leurs cou- tumes familières sont un peu désagréables pour un Européen. Ils ont la figure large, le teint foncé et des cheveux noirs, plats et luisants; bien plantés sur leurs jambes, tout en eux indique la force et l'énergie.
La femme esquimaude vieillit vite et prend un fort embon- point; elles s'habillent nomme les hommes avec des parka (une espèce de longue robe faite en peau de renne), des pantalons en peau également et des mocassins. Les mocas- is sorti des espèces de bottes en peau de renne montant qu'aux genoux et tout à fait imperméables.
130 LE KLONDYKE, L'ALASKA, LE YllKON
Pendant les quinze jours que j'ai passés au milieu d'eux, j'ai été à même d'étudier leurs mœurs très curieuses, qu'il serait trop long de vous détailler ici.
Les Esquimaux sont des pécheurs audacieux et expéri- mentés, et j'ai trouvé parmi eux de véritables artistes dans l'art de graver l'ivoire.
Nous nous embarquons ensuite sur le Roattoke, le dernier steamer qui quittera Saint-Michel et qui y a été envoyé spé- cialement pour prendre Les mineurs du Klondyke. Nous avons à bord 12,500,000 francs de poudre d'or gardés par deux officiers de la police montée, qui sont chargés de les déposer à Seattle.
Nous gagnons les îles Aléoutiennes où nous arrivons après une épouvantable traversée sur la mer de Bering.
Les 70 îles aléoutiennes sont d'origine volcanique et l'on y rencontre encore plusieurs volcans constamment en érup- tion. Une seule de ces îles possède une colonie de blancs.
Sans aucun arbre, mais couvertes d'herbes et de mousses avec de jolies fleurs partout, ces îles ont un climat très agréable. L'on a installé dans la principale d'elles, à Una- laska, plusieurs fermes où le bétail engraisse très bien.
La température y est très douce et rarement le thermo- mètre descend au-dessous de zéro.
Unalaska possède une église russe fort jolie ainsi que de grands magasins d'approvisionnements et des dépôts de charbon.
On n'y rencontre ni ours, ni loups, niais en revanche beaucoup de renards bleus, dont les métis indiens font même l'élevage.
Ces naturels des lies Aléoutiennes, par leur croisement avec la race russe, forment aujourd'hui des métis et ceux-ci considèrent comme un outrage d'ôtre comparés à des In- diens.
La manière dont ils chassent le phoque est particulière- ment curieuse.
ET LES ILES ALÉ0UT1ENNES. 131
Leurs barques étroites et longues sont entièrement re- couvertes de peau de lion de mer, à part deux ouvertures rondes dans lesquelles deux hommes se glissent. Sur cette barque se trouve attaché tout l'attirail du chasseur y com- pris la peau gonflée d'un jeune phoque qui servira de flot- teur et d'appât.
Armés d'une flèche-harpon dont la pointe en ivoire est attachée à une lanière en peau de renne et retenue au centre de la tige, ils lancent celle-ci avec une adresse pro- digieuse dans le flanc du phoque. Le harpon s'enfonce dans les chairs et la tige en bois se détachant par les mouve- ments de l'animal flotte sur l'eau en indiquant aux chas- seurs la piste à suivre. Dès qu'ils l'ont rejoint ils rattrapent le flotteur, attirent doucement la bête et l'assomment d'un violent coup de massue.
Les Aléoutes ont des habitations en bois confortablement aménagées, et j'ai trouvé chez plusieurs d'entre eux de petits salons fort proprets avec un piano ou un harmo- nium.
C'est à une Compagnie américaine qu'est réservé le droit de chasse au phoque dans le détroit de Bering. Mais le voyageur de passage seulement peut les chasser aussi.
Parmi les charges qui sont imposées à cette Compagnie figure notamment l'obligation de nourrir les Aléoutes.
Plusieurs de ces îles sont le rendez-vous des phoques où ils vont en masse à l'époque de la reproduction. C'est là qu'on les tue également après les avoir rassemblés en grand nombre.
J'ai parlé plus haut de la quantité de saumons, morues, halibuts et harengs qui abondent sur les côtes de l'Alaska et du Pacifique.
Dans les environs de Vancouver, c'est par bandes énormes que les saumons remontent la rivière Fraser, à ce point que souvent ils obstruent celle-ci et qu'on pourrait la traverser en marchant sur ce banc naturel.
j ^
132 LE KLONDYKE, L'ALASKA, LE YUKO
Les Américains ont établi sur les côtes quelques grandes usines pour la fabrication d mais nos compatriotes y trouveraient place c création de beaucoup d'établissements de ce {
Nous arrivons à Seattle le 19 octobre et de Montréal en traversant les États-Unis par B: serves indiennes, Kansas City, Saint-Louis, C ronto.
Et maintenant il me reste à conclure en s nos compatriotes n'attendent pas pour jeter ces riches contrées qu'elles soient bondées d toutes les nations.
Qu'ils se rappellent qu'au Transvaal nous s arrivés trop tard.
A ceux que n'effrayeront pas les quelques d route et du climat; aux commerçants qui i des premiers à introduire les produits de h ces terres lointaines, auxquelles on s'accorde grand avenir, je ne puis assez répéter : « N faire quelques sacrifices ; car en travaillant les relations du commerce français vous trava votre fortune personnelle. »
Le Gérant responsi
HULOT, Secrétaire général de la Commis
5555. — L.-Imprimeries réunies, B, rue Saint-Benoît, 7. — M
!•* trimestre 1899.
^CKtLrlLms
srl».l39'
Route
DU KLONDYKE
par la Passe Ghilkoot
PPORT SUR LES PRIX DÉCERNÉS
LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
Présenté jpar le baron HULOT
MM- Mi lue- Edward?, de l'Institut; Alf. Grandidier, de l'Institut;
Ch. MauDoir; prince Roland Bonaparte;
U. Çaspari ; Mb. de Lapparent, de l'Institut; E. T. Haaiy, de l'Institut
et le baron Hulot.
Les médailles, que la Commission des pris décerne chaque «née, proviennent pour la plupart de fondations particu- lières. Grâce à ces libéralités, dont les auteurs ont souvent limité l'objet, la Société de Géographie est en mesure de récompenser un certain nombre de voyageurs et d'érudîts et de remplir, par le fait même, l'une de ses fonctions essen- tielles.
Toutefois elle ne saurait restreindre sa tâche à la propo- rtion et à la distribution des prix. Elle doit, en outre, faire entreprendre des explorations, se tenir au courant du mouvement géographique, publier des cartes et des rela- tions inédiles. Ces fonctions diverses, qui s'ajoutent à la pre- mière, sont spécifiées comme celle-ci dans l'art. I des ilatu ts, mais elles n'ont pas eu toutes l'occasion de se déve- lopper avec la môme ampleur.
Si la correspondance avec les Sociétés savantes, les géographes et les voyageurs a pris une importance consi- dérable, si la bibliothèque, qui ne compte pas moins de 5,000 cartes et de 45,000 volumes, reçoit chaque jour de nouveaux dons, tels que celui du regretté Christian Garnier,
SOC. DE UÉOGR. — 2' TMIMESTRE 1899. M, — 10
134 RAPPORT SUR LES PRIX DÉCERNÉS
les ressources n'ont pas permis de prêter aux explorations un appui vraiment efficace, ni de donner aux publications toute l'extension qu'elles devraient comporter. Le fonds des voyages, créé après La guerre de 1870, aida cependant à plusieurs missions; mais, épuisé depuis longues années, il semblait appelé à disparaître, quand M. Renoust des Orge- ries légua à la Société sa fortune avec mandai de l'em- ployer pour relier par un même itinéraire nos possessions de l'Algérie, du Soudan et du Congo. On sait avec quel succès la mission Foureau-Lamy remplit, grâce à cette libéralité, le programme qu'avait entrevu ce fervent pa- triote, A vrai dire, cette grande entreprise doit absorber tout le capital du legs, suivant le vœu du testateur; mais le résultat sera proportionné à l'effort.
Le fonds des voyages subsistera cependant; il sera même reconstitué d'une façon définitive, et ce bienfait, nous le devrons à notre distingué collègue, M. H.ené Henri Dumont, qui a légué récemment dans ce but à la Société le capital nécessaire à l'établissement d'une rente annuelle de mille francs. L'exemple est donné et nous ne doutons pas qu'au début du xx' siècle le fonds des voyages ne permette de munir d'instruments les voyageurs qui font œuvre géogra- phique, tout en travaillant au développement de l'influence française.
Deux autres legs, l'un de 5,000 fr., l'autre de 10,000fr. ont été faits celte année à la Société par deux de ses meilleurs amis, dont M. le Président, se Taisant l'interprète de tous, a signalé la perle : M. Alexandre Boulroue, décédé le 3 février, et le comte de Bizemont, enterré à Nancy le 4 avril*. Le comte de Bizemont, dont le large savoir s'alliait à un dévouement absolu, appartenait à la Société d'une façon plus étroite. Il y a deux mois à peine, il exposait devant la section de publication le projet d'un ouvrage qu'il avait
!. V. Complu* rendus, mal 1899. ji. 198-1911.
PAR LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. 135
lé d'entreprendre sur les explorateurs français du et qu'il eût été plus particulièrement désigné pour r à bien, en sa triple qualité de marin, d'explorateur ,e fondateur de la Réunion des voyageurs français. On nous excusera d'avoir commencé ce rapport par ces tristes souvenirs, mais ne fallait-il pas, avant de parler des lauréats des différents prix, consacrer une pensée aux fon- dateurs de ces prix, et, d'une façon générale, à ceux qui donnent à notre association le moyen d'élargir son enquête scientifique, d'étendre son champ d'action, d'augmenter son rôle utile et de poursuivre l'œuvre éducalrice qu'elle » entreprise, il y a près de quatre-vingts ans?
Nous aurions encore à parler des efforts lentes pour amé- liorer nos publications et du concours que nous avons quelque raison de prévoir dans l'exécution de cette lâche. tl faut se borner, laisser, pour le moment, les souvenirs d'hier el les projets de demain. Une mission réconfortante nous a été confiée par la Commission des prix, et nous ies d'autant mieux assuré de la remplir qu'elle est l'œuvre collective des rapporteurs des différents prix.
La grande médaille d'or est le plus souvent réservée à t l'auteur d'un voyage hors ligne par l'importance comme par la nouveauté des résultats, dont il enrichit la géogra- phie ». Aux termes du règlement, la Société ne pourra décerner ce prix que « sur l'examen des documents du Toyageur et après avoir reçu de celui-ci toutes les explica- tions qu'elle croira devoir lui demander ».
Toutefois, quand il ne s'agit pas d'une exploration pro- prement dite, mais d'une série de travaux, qui constituent dans leur ensemble une œuvre géographique considérable, la Société peut encore, à titre exceptionnel, décerner sa grande médaille d'or, la plus haute récompense dont elle dispose. Elle l'a fait seulement dans trois circonstances, jour rendre hommage à l'œuvre de MM. Vivien de Saint-
136 RAPPORT SDR LES PB1X DÉCERNÉS
Martin, Charles Mairaoir et Elisée Reclus. Il lui a paru qu'une nouvelle exception s'imposait; aussi aurons-nous, dans un instant, deux grandes médailles d'or à proclamer.
La première récompensera le grand voyageur qui a ré- vélé le cours du Ghari et fait flotter sur les eaux du Tchad le pavillon français, tandis qu'un de ses émules, que nous fêterons bientôt, entreprenait cette audacieuse traversée de l'Afrique qui, de Loango, devait aboutir a Djibouti.
La seconde a été attribuée au soldat qui s'est illustré au Soudan, au Tonkin, à Madagascar et qui sut toujours, dans les postes où l'appela la confiance du gouvernement, ouvrir de vastes enquêLes géographiques, dont les résultats n'ont pas seulement profité à la science.
Neuf autres médailles d'or et la médaille spéciale du prix P. F. Fournier prennent place après ces hautes distinctions. Cinq d'entre elles ont été attribuées à des explorations en Afrique, trois à des missions en Asie, une à tin voyage dans les régions arctiques, une enfin à des travaux cartogra- phiques.
Puis viennent quatre grandes médailles d'argent. Elles se rapportent à trois voyages importants qui ont été accomplis deux en Asie, un en Afrique. La quatrième a trait à des recherches scientifiques sur le massif du Mont Blanc.
Quatre autres récompenses concernent des études de géographie historique et deui ensembles de publications d'ordre géographique.
Tous ces pris ont une importance réelle, parce qu'ils sont la récompense d'études approfondies et d'efforts géné- reux, qui élargissent le domaine de nos connaissances, ser- vent la cause de la civilisation et souvent contribuent à for- lilier ou à étendre l'influence française.
PAR LA SOCIÉTÉ 1
l.randr niédBllIc d'or de In H
M. Caspari, rapporteur.
Aux esprits chagrins qui seraient tentés de méconnaître l'œuvre du siècle qui touche à sa (in, nous ne pouvons que recommander de consulter l'Atlas de Delamarche, publié en 1824, et qui représentait à celle époque Sa somme des connaissances géographiques, et de jeter un coup d'œil Attentif sur la carte de l'Afrique. 11 y verraient d'abord deux immenses espaces blancs, le Sahara et surtout la moitié sud du continent, totalement inconnue. Ils trouve- raient par contre une immense barrière de hautes mon- tagnes, suivant à peu près le 10" degré de latitude nord, commençant près de Sierra Leone par les monts de Kong, se continuant vers l'est par les monts de la Lune et abou- tissant sans interruption au golfe de Tadjoura. Cette bar- rière reporte la source du Nil à environ 1,500 kilomètres trop au nord et, empêchant le Niger de rejoindre l'Océan, le fait aboutit à la mer de Nigrilie qui occupe à peu près l'emplacement du lac Tchad, maïs avec des dimensions plus que doubles (500 kilomètres au lieu de 200 du nord au sud).
Malgré une erreur de 1° 30' en latitude et de 3° en longi- tude, ce lac était connu : il est donc assez singulier que le reste du continent ait été exploré avant qu'on arrivât à rec- tifier cette position.
En 18ÏI3, notre Société décernait sa grande médaille d'or au commandant Munteil qui avait réussiàalleindreleTehad en partant du Soudan français et du Niger. Dans son rap- port sur ce prix, M. Milne-Edwards faisait ressortir l'im- portance politique de ce voyage, qui tendait a établir une communication entre nos établissements du Soudan et
138
RAPPORT SDH LES PRIX DÉCERNÉS
ceux du Congo par l'intérieur du continent. Il rappelait les tentatives faites pour atteindre ce même objectif en parlant du Congo, l'issue tragique de l'expédition Craïupel, les efforts de MM. de Brazza,Cholet, Fourneau, Dybowskî, Maistre : on paraissait être sur le point de tenir la solution. Ce n'est pourtant que quatre ans plus tard qu'il était réservé à M. Emile Gentil de faire flotter le pavillon fran- çais a bord du Mot sur les eaux de celte mer inlérieure.
M. Gentil a exposé devant la Société les émouvantes péripéties de ce voyage, sa longue et patiente préparation ; il vous a conté ses relations avec les indigènes, avec ceux du Baguirmi en particulier, les traités qu'il a conclus au nom de la France, et les résultats politiques de cette jonc- lion entre nos deux grands groupes coloniaux de l'Afrique tropicale. Nous aimons à rappeler cet aspect de l'expédi- tion, et votre Commission ne s'est pas défendu d'en tenir compte dans l'appréciation du mérite de l'explorateur; ici pourtant il convient d'insister plus particulièrement sur la portée géographique et scientifique de ce beau voyage. En voici les principales étapes :
En avril 1895, M. Gentil, accompagné notamment de MM. Hunlzhucbler et Viral, quille la France, emportant le vapeur le Léon Mot et des approvisionnements pour deux ans.
M. Vival succomba dès le début de la mission et fut rem- placé par M. Pierre Prins, auquel revient une part glorieuse. C'est lui qui de Gribingui s'est rendu chez Snoussï par un itinéraire nouveau, et quand il fut question de laisser un résident à Maesenia, c'est encore lui qui fut désigné '. Quant à M. Huntzbiichler. il s'est montré le second le plus dévoué et le plus utile. Nous avons malheureusement appris sa mort au Congo français, trois ans et huit mois après son départ de France.
s 20 novembre, M. Gentil est rendu avec son vapeur à ladda, sur l'Oubangui, et su dispose à chercher une v pour rejoindre le Cliari.
Le 21 septembre 1896, il a réussi, au prix d'efforts pro- longés, à amener son vapeur sur la Nana, affluent du Chari ; puis il arrive à Gribingui, où il entre en relations avec les musulmans de Snoussi.
Le 21 août 1897, il commence la descente du Chari ; le M octobre nous le trouvons à Massenia, capitale du Baguirmi, et enfin le 30 octobre le Léon Blot flotte sur le Tchad. Voici maintenant les résultats géographiques : Un itinéraire de 300 kilomètres de l'Oubangui au Chari, presque entièrement nouveau; Un levé de la Tomi (120 kilomètres); Un levé de la rivière Gribingui depuis le >N. jusqu'à «in confluent avec le Chari, par 8- 4' N., soil 200 kilomètres en ligne droite, et plus du double avec les courbes ;
Uq levé du fleuve Chari depuis son confluent avec le Gri- bingui jusqu'au lac Tchad, soit 800 kilomètres à vol d'oi- seau, et en réalité 1,200;
Un levé du Bahr-Erguig depuis Bougoman jusqu'à Madji, près de Massenia (environ 100 kilomètres);
Enfin un itinéraire du Gribingui au pays de Luomi, se raccordant avec l'itinéraire de Crampel el de Hanolet, 300 kilomètres.
An total à peu près 2,400 kilomètres dont plus de 2,000 en pays inconnus.
Ces itinéraires sont repères au moyen d'observations astronomiques nombreuses et soignées : Ouadda, Gribingui et le point atteint sur le Tchad sont déterminés en longi- tude absolue au moyen de hauteurs égales de la lune et d'étoiles, et contrôlés par les distances lunaires. Les points intermédiaires sont reliés à ceux-là par le transport du temps ; un grand nombre de latitudes sont déterminées par des hauteurs circum méridiennes d'étoiles ou du soleil.
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140 RAPPORTS SUIt LES PRIX DÉCERNBS
C'est donc un travail définitif sur un espace considérable et inconnu jusqu'à ce jour. Si nous y ajoutons des observa- tions barométriques et thermomélriques et des détermi- nations de déclinaisons magnétiques, nous pourrons nous rendre comple de ce que notre connaissance scientifique de l'Afrique doit à l'observateur consommé qui a fait ce voyage.
Nous aurions évidemment relevé beaucoup l'intérêt de ce rapport en suivant dans leur détail les péripéties du voyage, en suivant les longues négociations avec les indi- gènes, eu faisant ressortir les difficultés vaincues pour faire flotter un bâtiment à vapeur sur !e lac Tchad, et toutes les qualités de décision, de patience et de persé- vérance qui s'ajoutent chez M. Gentil au talent du géo- graphe. Nous nous sommes refusé ce plaisir, aussi bien que celui d'estimer les résultats au point de vue patriotique, parce que nous devions nous mettre strictement sur le ter- rain de la science.
La sèche esquisse que nous venons de présenter suffit largement à elle seule à justifier l'attribution à M. Gentil de la plus haute récompense dont la Société dispose et qu'elle réserve à ceux qui ont fait faire à la science un pro- grés décisif.
Général Gallieni
Urnnde médaille d'or de la Société n litre exceptionnel
M. A. Graodldler, de l'Institut, rapporteur.
La Société de Géographie décerne au général Gallieni, l'explorateur du Soudan occidental, l'ancien commandant supérieur du Haut-Sénégal, l'ancien commandant de terri- toire au Tonkin, aujourd'hui gouverneur général de Mada- gascar, sa grande médaille d'or, en témoignage de recon- naissance pour les services qu'il a rendus à la géographie
M
H
PAR LA SOCIÉTÉ DE GËOGRAPim:.
et la sollicitude éclairée qu'il n'a cessé de témoigner aux voyageurs et explorateurs pendant sa brillante carrière, en témoignage de haute estime pour la très grande part qu'il a prise à l'expansion coloniale de la France.
La France a aujourd'hui sons sa domination les hauts bassins du Sénégal et (tu Niger el une partie considérable du Soudan occidental. Il y a vingt ans, cette vaste région était en grande partie inconnue. C'est le capitaine Gallieni qui a été un des premiers a y porter le drapeau français. Remontant le Sénégal, il a suivi le cours de ses deux princi- paux affluents, le Bâ-Khoï et le Bà-Oule, et il a étudié le massif, jusque-là inexploré, qui sépare son bassin de celui du Niger, Ayant gagné, après des combats meurtriers, les bords du ÎSiger, il a descendu ce fleuve jusqu'à Segou-Si- fcoro, où il a fait un long séjour, qui a été aussi utile à la géographie el à l'ethnographie qu'à l'expansion de notre influence.
Sept ans plus tard, nous retrouvons le lieutenant- colonel Gallieuî vainqueur du marabout Mohammed Làmin; après le rade combat de Diana, il reçut la soumission des chefs de toute la région comprise entre le Haut-Sénégal et la Haute-Gambie. Cette campagne, qui a été si profitable à la cause française, l'a élé non moins pour la géographie ; elle a fait connaître ou précisé le tracé de nombreuses rivières, el elle a permis de lever une vaste étendue de pays peu ou point connue. Le lieutenant-colonel Gallieni a, en effet, multiplié les missions topo^raphiques et donné à leurs études une impulsion féconde.
Envoyé au Tonkin comme commandant de territoire militaire, le colonel Gallieni a réussi à pacifier et organiser les frontières de notre colonie.
A peine de retour en France, sacrifiant ses intérêts et quittant sa famille qu'il venait de retrouver après une longue absence, il consentit, par patriotisme, à accepter le gou- vernement de Madagascar. Ceux-là seuls, qui ont connu.
IT SUD LES TRIS DÉCERNÉS
l'élal d'anarchie el de rébellion générale dans iequel 3e trouvait noire nouvelle colonie au lendemain de sa con- quête, sont capables d'apprécier le dévouement et l'abné- gation dont a fait preuve en celte occasion le général Gal- lieni. Rompu par sa longue carrière coloniale aux moeurs et aux besoins des peuples sauvages, joignant à la décision du chef militaire l'habileté de l'administrateur, ayant pour devise : les colonies aux colons, il était très capable de mener à bonne fin l'œuvre extrêmement difficile qu'on lui confiait et qu'il a accomplie avec un remarquable succès. Votre rapporteur est heureux de pouvoir exprimer ici son admiration très sincère pour l'activité déployée depuis deux ans el demi par le gouverneur général de Madagascar dans toutes les branches des connaissances humaines et de l'in- dustrie et pour les résultats véritablement extraordinaires de son intelligente administration, obtenus avec des moyens très restreints, tout à fait hors de proportion avec le but à atteindre. Le nom de Gallieni planera à tout jamais sur la grande île de Madagascar dont on ne saurait plus le séparer. Cen'esl point dans un rapport, qui doit cire très sommaire, qu'il est possible de raconterl'histoiresi remarquable de la pacification et de la mise en valeur de notre uouvelle colonie. Quand, le 16 septembre 1896, le général Gallieni prit le commandement du corps d'occupation et que, le 38 septembre, il réunit entre ses mains tous les pouvoirs civils et militaires, !a situation était très critique; l'insur- rection s'élendait sur tout le plateau central, l'audace des rebelles croissait de jour en jour et il y avait tout lieu de craindre le massacre général des Européens résidant dans l'île. Sans tarder, il prit des mesures énergiques; l'effectif du corps d'occupation étant très faible et la région soulevée contre nous élant extrêmement peuplée, il con- centra ses troupes dans les provinces les plus troublées et, agissant avec rapidité et vigueur, il délogea les rebelles des positions quasi-inexpugnables où elles s'étaient reIran-
PAR J,A SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE.
bées cl d'où elles portaient partout l'incendie, le meurtre le pillage. Grâce au réseau de postes qu'il disposa judicieusement et an\ colonnes volantes qui opérèrent de concert, des milliers d'insurgés furent promptement pris ou contraints de se soumellre, et, en quelques mois, la pacification du centre et de l'est de la grande île, qui sont les parties les plus peuplées et les plus importantes, du moins pour le moment, a été complète. Le général Gallieni a ensuite entrepris de soumettre à a autorité les Satalaves, les Baras et les Antandroys, peu- ■ qui sont clairsemées sur une immense surface de ys, égale au moins à la moitié de la France, et droit les bitudes pastorales et de pillage rendront longtemps ncore l'assimilation difficile. Il y a déjà du progrès dans Btte vaste région, où sont répartis de nombreux postes. i le général avait disposé de troupes un peu plus nom- «uses, la prise de possession serait certainement com- pte.
Mais nous n'avons pas pour mission de louer l'œuvre nïlitaire du général Gallieni. Dès le lendemain de la paci- Ication de l'Imerina, les travaux d'utilité publique ont élé :ommencés dans toute l'Ile el poussés activement. Des •outes carrossables ou muletières, faites avec les seules îssourccs de la colonie, sillonnent déjà les provinces les plus importantes, et les projets de chemin de fer, encoura- gés par le gouverneur général, auraient déjà abouti sans les retards, très regrettables, apportés par le Parlement à leur adoplion.
Le nombre des écoles a considérablement augmenté et on a créé plusieurs écoles professionnelles où les indigènes sont initiés aux divers arts el métiers et où l'on forme des intremaîlres et de bons ouvriers. Le général a donné un grand essor à toutes les études relatives à la colonisation, qui, sous son impulsion, se pour- suivent partout, et de ombreux lots, reconnus par le Ser-
144 RAPPORT SUR LES PRIS M'CKI'.m:-
vice topographique, sont mis à la disposition des n venus. Par son ordre, des jardins d'essai onl été établis, en beaucoup de points, pour centraliser et fournir aux colons tous les renseignements agronomiques sur l'île, ainsi que pour rechercher les améliorations à apporter aux systèmes de culture actuellement en usage et pour introduire les plantes qui peuvent intéresser à un titre quelconque les Européens ou les indigènes. Ces jardins, qui possèdent de vastes pépi- nières, évitent des pertes de temps et d'argent et de longues recherches aus immigrants, qui y trouvent à leur disposi- tion des plants, des boutures et des graines; on y forme, en outre, des jardiniers et des ouvriers; enfin, on s'y occupe des meilleures méthodes d'élevage et de l'amélioration des races de bétail.
Le développement du commerce a été aussi l'objet des constantes et intelligentes préoccupations du général Gal- lieni qui a déjà, sous ce rapport, obtenu d'importants succès.
Il ne nous est pas possible de passer en revue, même brièvement, tous les actes de l'administration du gouver- neur général de Madagascar, par lesquels il a affermi notre domination, étendu notre influence, conquis l'appui de la plus grande et de la plus intelligente partie de la popu- lation malgache, développé notre commerce et notre colo- nisation. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que si, comme nous en sommes convaincu, nous avons avant peu une France australe riche et prospère, nous le devrons au général Gallieni qui, au milieu d'obstacles de toutes sortes dont il a su triompher, a admirablement organisé ce grand pays. Grâce à lui et aux militaires, fonctionnaires et colons, dont il a habilement dirigé et utilisé le concours et le dévouement, ce qui, il y a trois ans, paraissait une chi- mère, une entreprise irréalisable, est aujourd'hui un fait accompli.
L'œuvre du général Gallieni est grande, utile à tous!
PAR LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. 145
Aussi, la Société de Géographie est-elle heureuse d'offrir à son ancien lauréat de 1883 sa grande médaille, en Lémoi- e et d'admiration.
M. C. DK BONCllAMPS Médaille d'or. — Prix. Angn>te Logero!
M. le général Derrecuj.Mii, rapporteur.
Au mois de février 1897, une mission française, dirigée par M. Bonvalot, quittait Djibouti pour se diriger vers le Haut-Nil et tenter de donner la main à la mission Marchand. M. de Bonchamps, déjà connu par le remarquable voyage qu'il avait exécuté au Katanga, dans les régions orientales de l'Etat indépendant du Congo, en était le second.
Cette mission gagna d'abord Harrar, d'où M. Bonvalot partît en avant pour se rendre à Addis-Ababa, résidence du négus ; et, le 23 avril, elle y arrivait à son lour, sous la direc- tion de M. de Bonchamps. Le négus lui fit bon accueil, mais n'approuva la marche vers l'ouest qu'à la condition expresse de ne pas dépasser au nord la rive droite du Sohat.
Le mois suivant, M. Bonvalot, forcé de rentrer en France, confia le commandement à M. de Bonchamps, qui put quitter Addis-Ababa, le 17 mai, avec trois Européens, MM. Michel, Bartbolin et Potier, 40 Abyssins et un convoi de 15 mulets et de 40 chameaux.
Apres avoir traversé la rivière Guibier, qui coule au sud sous le nom d'Omo ou Gama vers le lac Rodolphe, la mis- sion franchit la ligne de partage des eaux qui sépare les bas- sins intérieurs des lacs Stéphanie et Rodolphe de celui de la Méditerranée et ne tarda pas à arriver sur les rives de la Didessa, affluent de gauche du Nil bleu, ou Abal.
Le 28 juin, elle était à Goré, où elle rencontrait la mis- sion française de M. Clochette, ancien officier d'artillerie, flié depuis assez longtemps en Abyssinie et parti également
lPPOM
DÉCË11KÊS
vice lopographiqin .
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'■!. Clochette, grave- ' iù il succomba le 24 août. Inde est et par 8' 14' .-- d'altitude, et à 1,400 kilo- le Bonchamps comptait y pour la suite de son voyage, éji très éprouvée et fort
qui peuvent intér ou les indigènes. : nières, évitent •!. recherches au lion des plants, ■ J ■. : _-. en outre, des jai-dmi- des meilleure races de bétail.
Le dévelop lil lus difficultés qui se dres-
coostantes i nchamps chercha d'abord une
lieni nui :i dateau abyssin dans la plaine.
3UCCÈS tiona furent dirigées du côté
Il 1]t) nous confluent des rivières Baro et
brièvement i la GanJ> avec la rivière Baro. Ce
neur général naissances que l'hostilité des
domination, àtmn r°b,iëea à envoïer Près <
lit JllUS L'I
rière, au commencement de sep' npagnons de voyage, MM. Michel [ offerts spontanément pour cette OÙ furent ainsi perdus. M. de Bon- négus et celle de M. Lagarde, . qu'au commencement de novembre. Elle rai, pleins pouvoirs et le commandement ivalot et Clochette. Tous les obstacles Mais, en réalité, les désertions conti- éa locales, résistant aux ordres supi il toujours des dispositions hostile; accompli
lation mal nisatien, Qg comme
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ivembre, la mission reconstituée put de i'ouest. Elle comprenait six Euro- ichamps, Michel, Bartholin, Polter,
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PAU LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. 14"
Faivre et Véron; 140 Abyssins ou Gallas avec un convoi composé de 125 mulets et d'une quinzaine de chameaux restants.
Quittant ta falaise éthiopienne, elle descendit dans la pro- fonde vallée du Baro, par des pentes d'une raideur extrême et franchit ce cours d'eau a Daunaba, au moyen de radeaux péniblement construits. Le Baro, grossi par les nombreuses rivières qui descendent des hauts plateaux d'Kthiopie, forme par sa réunion avec la Djoubba, au delà du trente et unième degré de longitude Est, la rivière Sobat, un des principaux affluents de droite du Nil, qu'elle rejoint vers le 10' degré de latitude nord.
Le 4 décembre, M. de Bonchamps entrait dans le pays
Yanubo, laissant sur sa droite la rivière Birbir et arrivait le
à Pokodi, où il recevait un bon accueil du roi de Garo-
béla. A partir de ce point, le Baro prend une magnifique
impleur qui l'a fait comparer au Rhône. Les rapides cessent. Les Yambos forment une tribu puissante qui offrit à notre explorateur un intéressant, sujet d'études. Il attei- gnit et visita successivement les centres importants de Finkeo, Immero, Pohol et Itoueni, après avoir traversé les rivières Gandjy, Bonghaï et Ouanthine, affluenis de gauche du Baro. A partir de cette dernière rivière, distante de
:ouré d'une centaine de kilomètres, le Baro devient navi- gable. Sur tous les territoires parcourus depuis Bouré, les .plorateurs avaient eu la plus grande peine à se procurer des vivres et à se frayer un passage à travers la brousse épaisse qui couvrait les rives du fleuve. Les marais s'éten- daient chaque jour davantage et la mission, sans bateau, sans bois pour en construire, sans pirogue d'aucune sorte, ne rencontrait que des populations effrayées qui fuyaient devant elle. Ses hommes et ses animaux, épuisés, n'avan- çaient plus qu'avec les plus grandes peines. Ce fut dans ces
mnditions que M. de Bonchamps put encore franchir les
ivières Alourou et Guilo. Le 25 décembre, toute la c
148 RAPPORT SUR LES PRIX DÉCERNÉS
se trouvait sur la rive gauche de ce dernier cours d'eau, dans un état complet d'épuisement et de découragement. Son chef, cependant, était soutenu par l'espoir d'atteindre Nasser sur le Sobat, point extrême visité par Junker, en 1878. Il poursuivit donc la marche en avant et arriva le 29 décembre sur les rives delaDjoubba,large de 150 mètres environ.
Là il fut impossible de trouver un moyen quelconque de franchir cette rivière. D'autre part, le manque de vivres, l'absence de guides, la perte de plusieurs hommes et d'un grand nombre d'animaux ne laissaient plus entrevoir la pos- sibilité d'aller plus loin. 11 fallut se résigner au retour.
Le 31 décembre la retraite commença, sans autres res- sources qu'une faible provision de riz, en laissant Forcément en arrière les malheureux qui ne pouvaient plus suivre et qui étaient voués d'avance à une mort certaine.
La mission ne put revenir ainsi à Goré que le 12 février 1898, ayant perdu environ 70 hommes sur 150, tous ses chameaux et 85 animaux porteurs sur les 125 emmenés au départ de Goré. M. de Bomchamps dut rentrer à Addis- Ababa au mois d'avril et, le 12 juin suivant, il put s'em- barquer pour la France.
Le but poursuivi n'avait pu être atteint, faute de moyens suffisants; mais les résultais obtenus n'en avaient pas moins une importance considérable. La mission avait parcouru 2,000 kilomètres depuis l'océan Indien, découvert de nou- veaux territoires, reconnu plusieurs cours d'eau affluents du Sobat, et avait poussé son exploration jusqu'à un point situé par 30" 39' de longitude est et 8° 29' de latitude nord. Elle avait relié son itinéraire vers l'Ile de Poun, près du village d'Ilea, avec celui de la mission italienne Bottego, qui était venue du lac Rodolphe el qui fut massacrée à quelques étapes au nord du Baro, près de Goho. Enfin, elle avait ouvert le chemin de l'ouest et tracé la route que d'aulres explorateurs pourraient suivre désormais. Au point
r
PAR LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. 140
de vue géographique cette exploration ne pouvait rester sans récompense. Votre Commission des prix a pensé que les généreux efforts de M. de Bonchamps méritaient d'être encouragés et que cet explorateur était bien digne de la médaille d'or, du prix Logerot, qu'elle est heureuse de lui offrir *.
MM. les lieutenants Voulet f:t Chanoine
Médaille d'or. — Prix Louise Bourbonnaud
M. le général Derrécagaix, rapporteur.
Au mois de mai 1896, les événements survenus dans la boucle du Niger nous forcèrent d'envoyer une mission au Mossi. £lle fut confiée au lieutenant Paul Voulet, de l'infan- terie de marine, auquel on adjoignit le lieutenant Chanoine, des spahis soudanais.
Le Mossi, alors convoité par les Anglais, est une vaste région, d'une superficie de 80,000 kilomètres carrés envi- ron, peuplée de près de trois millions d'habitants, fertile, située entre le 12e et le 14* degré de latitude nord, et vers le 4e degré de longitude ouest, sur la route de Bammako à Say, entre le Yatenga et le Gourma. Ce pays était alors assez fortement organisé et gouverné par un petit souve- rain désigné sous le titre de Moro-Naba et résidant à Oua- gadougou, dont rentrée venait d'être refusée au comman- dant Destenave, notre résident à Bandiagara. Sa position géographique, son importance, les convoitises des Anglais et la nécessité de protéger notre allié Bakhaté, naba du Yatenga, ne permettaient plus de différer son occupation. Le personnel placé sous les ordres du lieutenant Youlet comprenait 213 combattants, dont 33 réguliers, tirailleurs
1. MM. Michel et Bartholin ont reçu chacun un exemplaire en argent de la médaille du prix Logerot, pour la part importante qu'ils ont prise à la mission de Bonchamps.
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SOC. DZ GÉOGR. — ïe TRIMESTRE 1809. XX. — 11
150 RAPPORT SUR LUS PRIS !
et spahis. Le 30 juillet 1896, la mission se dirigea par le Yatenga et le Yak», sur le Mossi,
Une partie du mois d'août fut employée à relever le pou- voir de notre vassal Bakharé, sur le Yatenga et à le réta- blir dans sa résidence de Ouahigouya. Divers engagements amenèrent promptement ce résultat et le 22 août, Bakharé rentrait dans sa ville sainte de Goursi. Le lieutenant Voulet enlrait de force a Yako le 27 et arrivait à Ouagadougou, capitale du Mossi, le 1" septembre. Le n;>ba Bakhari-Koun- tou, s'était enfui vers le sud, dans les États de Samory, après avoir tenté, contre le lieutenant Chanoine, une at- taque qui échoua.
An sud du Mossi s'étBndaiL une riche contrée, le Gou- rounsi, alors très divisée et menacée à la fois par Samory et par les Anglais. Deux chefs s'en disputaient la possession. L'un, Hamaria, de race autochtone, descendant de l'an- cienne famille régnante, choisi par les tribus gouroungas; l'autre, Baba To, lieutenant d'un des derniers souverains, commandant ses troupes et soutenu par les Zabermabés, puissante Iribu voisine qui ravageait le pays. Baba To comp- tait en outre sur l'appui de Sarakkéni Mory, fils de Samory, près duquel il avait trouvé asile.
Hamaria, se sentanl menacé, avait demandé notre pro- tection et signé, le ÏQ septembre à Sali, un traité qui pla- çait son pays sous l'autorité de la France. Le lieutenant Voulet notifia aussitôt à Samory l'occupation du Gourounsi et en reçut, le 2 octobre, une réponse par laquelle ce der- nier s'engageait a respecter ce territoire, et le faisait éva- cuer par ses sofas.
La mission put alors revenir au Mossi pour l'organiser. Mais, Bakhary refusant de se soumettre, il fallut réduire successivement tous les nabas qui hésitaient encore. Le lieutenant Voulet rentra ensuile à Ouahigouya, d'où il esposa la situation au gouverneur du Soudan, en fai- sant ressorlir la nécessité d'occuper défini livement le Mossi.
PAH LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. 151
Il recul alors l'ordre d'établir un poste à Ouagadougou et y rentra le 23 décembre, pour achever son œuvre. OevanL l'attitude de Bakhary, il dut, le mois suivant, pro- clamer sa déchéance et investir du pouvoir suprême un de ses frères, Kouka, qui était venu à Kounda, ville sainte du Mossi, faire sa soumission et apporter celle de plusieurs chefs .
Le 20 janvier, un traité définitif plaça tout le pays sous notre protectorat; et sept jours plus tard, la mission pro- céda à l'investiture solennelle du nouveau souverain, en présence de tous les nabas réunis. Les États vassaux du Hobsî avaient, en même temps, reconnu notre autorité.
C'est à ce moment que le lieutenant Voulet apprit l'arri- vée sur la frontière sud du Mossi, d'une mission anglaise, dirigée par le résident de Coumassie et soutenue par quatre colonnes de 100 hommes chacune. Il se porta aussitôt à sa rencontre, exposa nos droits et obtint, le 9 février, qu'elle se retirât au delà du Mampoursi, tandis que nos troupes, de leur coté, se reportaient au delà du pays de Tenkoudo- gou.
Peu de jours après, le 16 février 1897, la mission faisait sa jonction avec celle des capitaines Baud et Vermerseb, qui étaient venus procéder à l'occupation du Gourma. Le 27, le lieutenant Voulet rentrait à Ouagadougou, où le comman- dant Destenave venait d'arriver pour organiser notre occu- pation jusqu'à Say. De là, la mission Voulet revint à Ban- diagara, son point de départ. Son exploration avait duré huit mois, pendant lesquels elle avait acquis le Mossi, le Gourounsi et parcouru 3,500 kilomètres d'itinéraires dont plus de 3,000 en pays inconnu.
L'honneur de ces résultats revenait au lieutenant Voulut et à son second, le lieutenant Chanoine, qui dut rester à Ouagadougou pour repartir bientôt vers le sud.
Il fallait, en effet, renforcer sans retard notre protectorat du Gourounsi par une occupation effective. Le comman-
152
APPORT SCIi LES PttIX DÉClillKÉS
dant Destenave en chargea le lieutenant Chanoine, qui se mit en route aussilôt. Le 12 mars, il était à Kangalian, à plus de 200 kilomètres au sud de Ouagadougou,, avec 40 tirailleurs et 15 cavaliers, auprès de notre protégé Ha- maria, qui venait d'être vainement sollicité par deux agents anglais de renoncer a la protection de la France et dont Baba To avait envahi le territoire.
L'agitation qui en résultait nous obligea à agir. Un com- bat sanglant eut lieu le 14 mars à Gandiaga. Baba Toet ses alliés les Zaliermabés furent complètement battus. L'auto- rité du naba Hamaria fut raffermie partout et le lieutenant Chanoine put continuer sa marche vers le sud, jusqu'à Asseydou-Bélélé, où il signa un nouveau traité et dont il prit possession. I! y installa comme agents quatre sofas d'Hamaria, ramena ensuite à Oua Loumbélé la population qui eu avait été chassée et regagna Léo a 60 kilomètres au nord, où il trouva six tirailleurs anglais, installés là par surprise. Aidé du capitaine Seal, qui arriva de Ouagadougou le 9 avril, il put faire reconduire ces agents au résident anglais de Coumassie, qu'il rencontra à Yarba, le 20 du même mois. Après des discussions animée* au sujet des droils de la France sur le Gourounsi, le lieutenant réussit à faire admettre une frontière provisoire, à trois journées de marche de ce point, sur la Voila orientale et la rivière de Koudougou. Cette convention sauvegardait nos acquisi- tions du Gourounsi et du pays d'Asseydou.
Le lieutenant Chanoine rentra ensuite à Ouagadougou, ayant ainsi complété l'œuvre qu'il avait si remarquablement commencée avec son chef et camarade, le lieutenant Voulet. A côté de ces beaux succès militaire et politique, ces explorations présentent, pour les progrès de la géographie, un tel intérêt, que la Commission des prix s'est fait un devoir de décerner le prix Bourbonnaud à nos deux vail- lants officiers, MM. les lieutenants Voulet et Chanoine, au- jourd'hui capitaines et décorés.
PAR LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE.
MM. les capitaines BArii f.t Vermerscu
Médaille tl'»r. — Prli Urm i Diiveyrler
M. le général Derréca^iiv, rapporteur.
de 1800, les progrès des Allemands au nord du Togo nous faisaient craindre une occupation du Gourma cl du pays de Say. Par suile, on décida l'envoi au Niger de la mission Brelonnet et, au Gourma, de celle du capitaine Baud auquel furent adjoints le capitaine Vermerscli, M. Combes, garde principal de 1" classe de la milice in- digène, et 80 tirailleurs sénégalais et haoussas, avec 100 porteurs. Le but. était d'occuper définitive me rit la con- trée située au nord de Sniisaiinc-Mango. ,
Le 6 janvier 189", ce personnel partit de Bafilo, dernier poste du Haut-Dahomey, vers Le nord, contourna San- sanné-Mango, où les Allemands s'étaient installés, et attei- ma le 20 du même mois. Le Gourma, auquel cette ville appartenait, constitue un royaume d'une superficie de 7-1,000 kilomètres carrés, voi- sin de Say à l'est, du Mossi à l'ouest, du pays de Sansanné- Mango au sud, du territoire des Baribas au sud et au sud- est, enfin du Liptako, du Yaga, du Torodi et du Guéladjo an nord. Placé sous l'autorité du sullan Bantchandé, qui résidait 'i Fada N'Gourma, il était divisé en provinces, administrées par des chefs appelés lamas, dont plusieurs •Vuïfiit révoltés. L'un d'eux, Adama, famade Matiacouali, au nord-est de Fada N'Gourma, avait récemment pillé des villages aux environs de la capilale, se vantait d'Être le maître du pays et avait signé depuis peu avec les Alle- mands, abusés par lui, un trailé par lequel il prétendait placer le Gourma sous leur protectorat. Dans cette situation, le roi Bantchandé, qui avait déjà Mdchi un traité en janvier 1805 avec le commandant
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RAPPORTS SUR. LES PRIX DÉClillKiïf
Decœur, accueillit les Français en libérateurs. Le capitaine Baud le joignit à Diabo le 2 février 1898, prit le com- mandement de ses forces el se porta, le 5, sur Toueouma dont il s'empara. Depuis longtemps, celte ville insoumise bravait tous les efforts dirigés contre elle. Bargo fut occupé lef>; Tibga, le lendemain, et Tanliaka, dans l'est, le 12. Malgré ces succès, Yacombato,chef de la révolte, continua la lutte.
C'est à ce moment que la jonction des missions Baud et Voulet, à Tibga, amena un rassemblement de forces impo- sant, qui, joint à notre récente occupation du Mossi, et aux succès obtenus dans le Gourma, eut parmi les indi- gènes un retentissement considérable.
La petite armée que dirigeait nos officiers se rendit à Bilanga, le 26, pour y installer un cbef dévoué à B.int- cliandé. Elle reprit ensuite la roule du sud, reçut àMoarby de nombreuses soumissions el rentra le 4 mars à Toueouma où l'on apprit la mort du chef rebelle Yacombalo.
Bientôt les intrigues du chef de Maliacouali, Adama, et ses négociations avec les Allemands obligèrent le capi- taine Baud à marcher sur sa résidence. Le 5 avril, ses forces étaient réunies à une demi-journée de celte ville, d'où Adama s'était déjà enfui. Banlcbandé fit alors notifier aux Allemands de Sansanné-Mango, par deux de leurs agents venus en mission à Maliacouali, qu'il était le seul maître du pays el qu'il en avait déjà fait don à la France. En même temps les hommages des chefs lui arrivaient de tous côlés.
Tandis que le capitaine Baud se rendait à Pâma le 17 avril, pour y régler avec les Allemands les limites de nos territoires, le capitaine Vermerscb restait avec le sultan pour le soutenir. Ce dernier se vit forcé de remplacer par un chef dévoué le fama rebelle de Maliacouali, réfugié à Saiisanné-Mango. A la suite de cet acte, toules les insou- missions cessèrent.
TAR LA SOCIÉTÉ DE GÉOGBAPIUE, 155
Pendant ce temps, le capitaine Baud passait, avec le lieutenant allemand Thierry, une convention qui mainte- nait le statu qiio en laissant aux deux gouvernements le temps de conclure un accord.
Après une poinle vers Konkobiri pour y rencontrer la mission du capitaine Ganier, de l'infanterie de marine, !e capitaine Vermersch rejoignit le capitaine Baud sur la Sabar, rivière de Sansanné-Mango. Ils séjournèrent à Ta- marga jusqu'au 5 juin, el en repartirent pour aller de nou- veau à Pâma protester contre les prétentions persistantes de nos voisins du sud. Le capitaine Baud ramena ensuite Bant- ehandé dans sa capitale, pendant que son camarade con- duisait à Porlo-Novo une ambassade du rot du Gourma chargée de réclamer la ville de Pâma.
Grâce à l'activité de nos deux officiers et à leurs efforts incessants pendant les six premiers mois de l'année 1807, le Gourma était définitivement occupé par nous. La conven- tion franco-allemande devait le reconnaître peu de temps après.
Pendant que le capitaine Baud continuait de résider au Gourma d'où il devait plus lard se rendre sur le Niger, le capitaine Vermersch était appelé à agir dans le pays des Baribas. Celle peuplade, guerrière et pillarde, habitant un riche pays de prés de 80,000 kilomètres carrés placé sous Tantorilé plus nominale que réelle du roi de Nikki, se sou- leva au mois d'août 1897 contre noire suprématie. Le capi- taine, placé à la tête d'un personnel fiançais et d'une petite force armée, se porla d'abord sur le poste de Kouandé pour le dégager et y instiller un chef dévoué a nos intérêts. Le 12 septeinbre.il franchit le Mékroo et In Béron, affluents du Niger el rejeta les Baribas au delà de lu Niaitbali, et se contenta de maintenir le pays à l'abri de leurs incursions jusqu'à l'arrivée de renforts qu'il aLlendait, Dès qu'il les ent reçus, le 5 novembre, il marcha de nouveau contre les rebelles, leur infligea le «, jires des ruines de Trioré, une
156 RAPPORT SUR LES PRIX DËCEÏKfEB
sanglante défaite, et oecup.i Nikki le \3. Le roi Siré Torou fît aussitôt sa soumission, et l'affirma par un traité qui annexait son territoire au Dahomey. Son exemple entraîna la soumission de tous les antres chefs.
Ces opérations, complétées par l'établissement d'une ligne de postes depuis Nikki jusqu'au Niger, assurèrent définitivement notre autorité sur If H.mt-D.ihomey.
Au mois de janvier 1N98, après un an de courses, de combats et d'explorations, Je capitaine Vermerscb pu! quitter cette région où un résidrnt lut inslallé.
Cet officier el son ancien chef, le capitaine Bancl, avaient, pendiinl leurs courses incessantes, levé tous les nombreux itinéraires parcourus. Ils ont recueilli ainsi, sur la géogra- phie du Soudan, les éléments d'une carte qui s'élend du 10s au 13e degré de latitude nord et du 2B degré de lon- gitude ouest au l" degré de longitude est.
Ces remarquables travaux ont paru, à votre Commission des prix, dignes d'être couronnés par l'obtention du prix H. Duveyrier.
M. le lieutenant Pmti. Blosiuai \
ilaille d or. -
LtOUt réser
C'est encore dans ia boucle du Niger que s'est exercée l'activité du lieutenant Blondiaux. Parli en octobre 1896, il s'est rendu à Beyla, notre poste extrême du Soudan, le li février 1897. Son exploration qui n'a pas duré moins d'une année s'est effectuée dans la région comprise entre la République de Libéria, le ïfaoulé et les Etals de Kong.
Des péripéties qui ont accompagné son voyage nous n'avons pas à parler, notre préoccupation devantôlre avant lout de justifier au point de vue géographique la distinction réservée par la Commission des prix à M. Blondiaux. Qu'il
MB U SOCIÉTÉ HE GÉ0GRÀP1
:ependant de dire que s
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nous soit permis cependant de dire que son voyage ne fut oi exempt de fatigues, ni exempt de dangers.
Le jeune officier auquel était assignée ia tâche de recon- naître la ligne de démarcation entre les hauts hassins des affluents du Niger et des fleuves côliers, à partir du fleuve Sainl-Patil jusqu'au Handama bianc, devait se montrer explorateur capable et documenté. Par lui l'hydrographie et l'orographie du pays compris dans ces limites furent révélées. Le rio Cavally, qu'on supposait être la principale voie navigable de celte partie de la cote de Guinée, n'a ni cette qualité, ni cette importance. Loin d'être un affluent du Bandama rouge, la Sassandra ne fait qu'un avec le Féré- dougouba distinct du Cavally et constitue l'artère fluviale la plus considérable de ce système hydrographique.
Des constatations tout aussi nouvelles concernent les affluents du Niger et en particulier la rivière Hafing, dont les eaux sont séparées de celles du Férédougouba par une chaîne transversale qui relie entre eus les massifs du Boo- kolou et du Touradougou. D'ailleurs, le relief dans la boucle du Niger n'a rien d'uniforme et les fameuses mon- tagnes de Kong, tracées par l'imagination des géographes en regard des hauts massifs de l'Afrique orientale, sont remplacées par deux sortes de soulèvements 1res prononcés "etorientés l'un du sud-ouest au nord-esj, l'aulredusud-est au nord-nord-ouest, venant s'engager dans les plissements de trois ou quatre nœuds orogra uniques. Ces chaînes n'étant pas simples, mais érigées eu échelons ajoutent à la confu- sion. Ainsi les hauteurs qui, de la Itépublique de Libéria, se dirigent vers Tiolaet Sikasso rendent ia marche extrême- ment pénible, bien que l'altitude moyenne soit seulement de 500 mètres.
Ce simple exposé suffira, en l'absence d'un rapport spé- cial, pour justifier le choix qu'a fait de M. Ëlondiaux la Commission des prix, quand elle a discuté l'attribution du Prii J.-tt. Morot.
RAPPORT SUR LES PRIS DÉCERHÉS
MM. II. DU L\ MARTIMiillK ET N. LACHOIX Uédnille ■!■;>!- — Prix < 'onrnil Mallr-flrun
M. le prince Roland Bonaparte, rapporteur,
Lfl succès de l'expédition dirigée en 1830 par la France contre le dey d'Alger fut, pour ta plus grande part, dû aux soins qu'on avait mis à la préparer.
On avait l'ait choix de la presqu'île de Sidi Ferruch comme point de débarquement parce qu'on en avait trouvé l'indi- cation dans les travaux du capitaine de vaisseau Boulin, qui remontaient à 1807. Cet officier avait été chargé par Napo- léon d'explorer le littoral des Etats barharesques. Sa mission avait été si complète qu'il avait même relevé l'itinéraire que nos troupes devaient suivre pour marcher du point où elles avaient mis le pied sur le sol africain jusqu'à Alger.
Aussi les auteurs du livre ' qui nous occupe constatent-ils avec juste raison que la France recueillait ainsi, après vingt- trois années écoulées, les fruits de la prévoyance de l'empereur.
C'est là, ajoutent-ils, un excellent exemple de ce que peut, pour le succès des grandes entreprises, l'étude intelligente des archives.
Or nous avons, à Theure qu'il est, épars dans les cartons de divers services publics, mille renseignements, le plus souvent inconnus, et qui rassemblés, comparés, mis en œuvre, pourraient fournir des indications précieuses et constituer, par leur réunion même, l'ensemble de documents le plus utile à consulter sur toutes les questions qui inté- ressent notre domination dans le nord de l'Afrique,
Il a donc paru nécessaire de les rechercher, de les com- pléter et de les coordonner.
1. Documents pour servir à l'étude du nurd-oiiesl africain réunis et rédigés par ordre de M. Jules Carntion, gouverneur généra! de. l'Algérie, pat MM. II. d" Lï tUrttntère ei N. Laeroli. Gouvernement général de l'Algérie, service des Affaires Indigènes, 18U-18S7, i vol. et un allas.
PAI» LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE.
!5S
Le gouverneur général de l'Algérie, M. Jules Cambon, l'a pensé et c'est grâce à son initiative qu'a été publié le bel ouvrage que noire Société récompense aujourd'hui.
Les auteurs, MM. de la Martinîère et le capitaine N. Lacroix, ne se sont pas conteniez de publier à la suite les uns des autres les documents manuscrits qu'ils ont extraits des archives; ils les ont fondus dans une relation d'ensemble où ils décrivent minutieusement le sol, les habitants qui l'occupent, ainsi que leurs groupements politiques et reli- gieux. A l'aide de publications plus ancienne?, ils ont com- plété, éclairé et commenté celle niasse déjà considérable de renseignements nouveaux.
Des reproductions de nombreuses caries ou croquis jus- qu'alors inédits complètent ce grand travail. De fort belles héliogravures nous font connaître par l'aspect les points les plus intéressants du sol algérien. Le premier volume traite des régions qui bordent la frontière entre l'Algérie et le Maroc jusqu'au point où elle a élé délimitée, c'est-à-dire jusqu'à Teniet Es Sassi, ainsi que de celles qui forment le nord de l'empire chéri lien. Celte étude est continuée dans le second volume qui traite uniquement de la contrée située entre le Teniet Es Sassi et le Gourara.
Cette région frontière présente ce caractère singulier que la frontière n'existe pas.
Les deux derniers tomes sont consacrés aux oasis saha- riennes, connues généralement sous le nom un peu trop généralité de Touat. L'intérêt politique qu'ils présentent à l'heure actuelle est la conséquence même du progrès de notre domination dans l'Afrique du Nord. Il y a peu d'an- nées, on n'eût pas cru nécessaire d'aborder l'étude de ces pays lointains.
Tel est le beau travail géographique qui a attiré L'atten- tion de votre Commission des prix et pour lequel elle a attribué la médaille d'or du prix Conrad Malte-Brun à MM. de la Martinière et Lacroix.
160 RAPPORT SUR LES PRIX DÉCERNÉS
M. Marcel Monnier Ni-ilalllu d'iiF. — Prix Dm !'•-- iniiv:
H. Henri Cordier. rapporteur.
Les membres de la Société ont connu M. Marcel Monnier, voyageur en Amérique et en Afrique; aujourd'hui ils le retrouvent (avec le même plaisir) en Asie. Parti le 11 no- vembre 1894,11 n'est rentré qu'au mois de juillet 1898; pen- dant ces quatre années, il a exploré le Cambodge, la Bassc- Cochincbine, l'Annam, le Tong-king et la province chinoise de Kouang-si (novembre 1804-juin 1895), Du mois de juin au mois de septembre, il visite le Jiipon jusqu'à l'Ile sep- tentrionale de "Yesso; il termine l'année 1805 en étudiant Peking et ses environs. Les six premiers mois de l'année 1896 sont consacrés à la visite du Yang-tse et des provinces limitrophes jusqu'au Se-Lchnueri, y compris sa capitale Tching-tou et le mont Omei, décrit naguère par Baber, Hosie et récemment par M. Bonin. Du Kiang, M. Monnier se rend dans la capitale du Yun-nan, en passant à Tong- tchouen où mourut Doudart de Lagrée et rentre au Tong- king par la roule ordinaire de Man-hao, Mong-tse et le fleuve Houge (décembre 1895-juillet 18%). Puis, nouvelle campagne dans le nord de la Chine, au-delà de la Grande Muraille: Kalgan, la passe de Nan-kiao et retour par Dolon- nor et Djehol, célèbre résidence de l'empereur de la Chine. où l'on se rappellera que Hien-foung s'était retiré au momi des désastres de la campagne de 1800 (juillet-décembre 1896).
Une excursion dans la province maritime du Pou-kien la vallée supérieure de la rivière Min. qui baigne l'arsenal créé par nos compatriotes Pierre d'Aiguehelle et Prosper Giquel, la continuation de l'exploration du Japon par la visite de ta partie méridionale de l'archipel, c'est-à-dire de
on- ne, ent bre
lel nal
PAIt LA SOCIÉTÉ RE GÉOGRAPHIE. 161
Kiou-siou, et des îles Lieou-kieou, occupent les mois de décembre 1806 a avril 1807. Noire voyageur parcourt un itinéraire nouveau en Corée, de la mer Jaune à la mer du Japon par la province de Kang-ouen-to et les monlagnes Kioum-kan (avril-juillet 1897).
M. Monnier nous transporte ensuite dans la région du (leuve Amour; débarquant à Vladivostok, il nous conduit à Irkoutsk; de là à la frontière chinoise, àKiachta, et pénètre en Mongolie, vers Ourga (juillet-août 18'.)"). Puis il dirige ses pas vers la vallée de l'Orkhon, visite l'Erdeni-tso, em- placement de la célèbre Karakoroum des Mongols gengis- khanules, Kara-balgnsoun, capitale des Ouigours, but des missions finlandaise et russe, Ou-lia-sou-tnï et Kobdo. De ces dernières villes, il se rend à Semipalalinsk par un itiné- raire neuf, les passes de l' Allai et !a vallée de la Kamoun, source de l'Obi (août-oclobre 1897). La steppe kirghise. Llssik-koul, sur les bords duquel est enterré Pijevalsky, Tachkent, le tour du Ferganali, Samarcande, Boukhara. Askiiabad, sont les étapes de noire voyageur jusqu'à la fron- tière de Perse (octobre-décembre 1897). Puis commence une exploration systématique de la Perse : d'Askhabad a. Mecbed, de Meched à Téhéran, de Téhéran à Hamadan, Kermancliab, Hagdad; du Tigre à l'Euphrale, tlilleh, Baby- lone, Bassoiah, le golfe Persique, Bander Bonehir (décem- bre-avril 1898). Du golfe Pcrsiqueil se rendait à la Caspienne par Chiraz, Persépolis, Ispahau. Téhéran, Qasvin (avril-juin 1898).
M. Marcel Monnier rentrait en France par le Caucase et la Russie en juillet 1898. II avait parcouru sur le continent asiatique environ 32,000 kilomètres dont 10,100 a cheval. Il a levé à la boussole, à l'échelle 1/48,760, un total de 13,581 kilomètres ainsi répartis : le Yang-tse de I-lehangà Tchoung-king, itinéraire au Se-lcbouen, et du Se-lchouen au lleuve Rouge, 2,700 kilomètres; en Corée, de la mer Jaune à la mer du Japon, par le Kang-ouen-to, 500 kilornè-
169 RAPPORT SDH LES PRIX D*CK*KÉ3
rus: île Onrga. à Babjlonc, X,037 kilomètres; du golfe Per- a Caspienne, 1,444 kilomètres.
ma ilii Temps ont eu le plaisir de lire quelques ohftftlMB <ÏB 0* long cl fructueux voyage que ce journal a US Le nom de Tour d' Asie ; s'ils ont pu être séduits par le charme du style de l'écrivain, ils ont admiré le rare esprit d'observation et la force d'endurance du voyageur. i- le récit d'un globe-trotter, mais d'un explora- teur expérimenté, et tel de ses itinéraires, la Corée, la Mon- golie, et surtout la Perse, classe M. Marcel Monnier au pre- mier rang des voyageurs asiatiques.
M. Hcmii Brbhibb
Frli Pierre l-'éllx I i..uiii.->
M. le lieutenant-colonel Prudent, rapporteur.
Ce prix se compose d'une médaille spéciale, due au talent la M. Roty, et d'une somme de 1,000 francs, destinées au meilleur ouvrage de géographie paru dans l'année.
Les suffrages de la Commission centrale se sont réunis sur le beau livre qu'a publié et en grande partie rédigé M. 11. Brenïer, sous les auspices de la chambre de com- merce de Lyon, ouvrage ' qui porte le litre de : La mission Iftiiunaist' d'exploration commerciale, en Chine, 1895-1897. t Au lendemain de la guerre sino-jiiponaise et du traité de Sîmonosaki (17 avril 1895) et en présence des problèmes que ces deux actes posaient — dit M. H. Grenier dans son introduction — l'utilité d'une élude plus approfondie du gruud marché chinois, de ses ressources, de son avenir apparaissait nettement. »
« Peu de personnes se souviennent sans doute que la première mission commerciale sérieuse en Exlrême-Orienl,
I, Eitiu: ù Lyon meim>.
r-ÀR U SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE.
sérieuse à la fois par le nombre de ses membres et par l'abondance des renseignements rapportés, a été une mis- sion française, celle qui a accompagne M. de Lagrenée en 1843, il y a plus d'un demi-siècle, s
C'est un grand honneur pour la chambre de commerce de Lyon d'avoir, après un si long espace de temps, imité ce très louable exemple, et d'avoir ainsi mis en pratique le principe du « self helft (aide-loi) » qui domine l'esprit rie cette grande cité ; après avoir sollicité et oh tenu la partici- pation des principales chambres de commerce françaises, celles de Marseille, Bordeaux, Lille, Roulais et Roanne, elle constitua, sous la direction de M. le consul Rocher, une importante mission composée de spécialistes, MM. Bre- nier, secrétaire général, Antoine, Métrai, Duclos, Sculfort, Grosjean, Rabaud, Vial, Wacles et Riault, auxquels fut adjoint, avec l'agrément du ministre de la marine, M. le médecin de première classe Détienne. Mais, peu après l'ar- rivée en Chine rie la mission, M. le consul Rocher, malade, dut rentrer en France, et la direction échut à M. Brenier. L'œuvre de la mission qui a parcouru le Tnnkin, le Yun- nan, le Kouï-tchéou, le Se-tchouan, le Tibet en partie et visité Hong-kong, Canton, Han-k'éou, etc., s'accomplît à souhait et les résultats en furent immédiats; tels l'ouver- ture au commerce européen de douze nouveaux ports chinois, et la construction ou concession de nombreuses voies ferrées, impulsion dont l'effet s'accroît de jour en jour.
L'examen du livre dans lequel M. H. Brenier a publié ses rapports ainsi que ceux de ses collaborateurs échappe- rail à la compétence de la Société de Géographie, si cette œuvre ne renfermait que des renseignements commer- ciaux; mais plus de la moitié en est relative à des faits purement géographiques : règle de transcription des noms chinois, renseignements sur l'administration, les poids et mesures, éphémérides de !a mission, caries très claires,
164 BAI'POriT SUR LES PRIX DKCEIINÉS
dressées par M. H. Brenier lui-même, parfois avec les levés ou renseigncmenls rapportés par les membres rie la mis- sion, récils de voyage surlout, dus au même, d'un haut intérêt, abondamment pourvus de belles photographies, pit- toresques ou piquantes, plein d'anecdotes le plus souvent humoristiques, parfois dramaliques aussi, et, enfin, de la plume du Dr Deblenne, contribution à l'ethnologie des races autochtones de la Chine méridionale et occidentale.
Les rapports commerciaux et relalifs aux ressources mi- nières sont dus pour la plupart à M. H. Brenier et, pour le surplus, aux autres membres précités de la mission.
Le livre de la mission lyonnaise est donc une œuvre pri- mordiale, non seulement au poinl de vue commercial, mais aussi à celui de la propre science géographique :1a Société de Géographie, en allrihuan Là son principal auteur, M. H. Bre- nier, le prix P. Pélix Fournier, et en offrant à ses compa- gnons des médailles commémoratives, croit avoir répondu exactement à la peusée du fondateur, très heureuse de donner celte marque de sympathie à la chambre de com- merce de Lyon et de signaler en même temps un acte d'excellente et fructueuse décentralisation.
M. GEOitgiis Eugène Soion Médairie d'or. — Prix Léon ■tnrem
H. Ca.spo.rl, rapporteur.
La Cechinchine française est principalement constituée par le délia du Mékong. Dès les premiers temps de l'occu- pation, l'imporlance de cette voie, tant pourles communica- tions intérieures que pour les relations avec le Cambodge, le Laos et la Chine, s'imposa à l'esprit des gouverneurs. A partir <le 18(>3, les ingénieurs hydrographes Manen, Vida- lin, Héraud, el fous ceux qui les suivirent, étudièrent dans les plus grands détails les embouchures el le fleuve jus-
PAR LA SOCIÉTÉ DE GEOGRAPHIE.
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qu'ans rapides de Sambor qui marquent les limites de la navigation cou m n te. Doudarl de la Grée et F. Gar- tner le remontèrent ensuite jusqu'en Chine, et en firent un relevé exact; mais Garnier estimait que les nombreux - qui constituent, autant de barrages à partir de Sambor interdisaient de songer à l'utilisation de cette raie pour la navigation. Cette opinion prévalut jusqu'en 1885, époque à laquelle le commandant lléveillère eut la hardiesse de franchir avec une canonnière les rapides de Préapalang. Le branle était donné; successivement MM. de Fésigny, Heurtel, Guissez, Pelletier et Robaglia répétèrent l'expérience, et on arrivait aux rapides de Khône. Ici l'obstacle semblait infranchissable. 11 l'était, en effet, avec les faibles bâtiments de rivière dont on disposait. Aussi, au mois de mars 1893, le gouvernement décida, sur l'initiative de M. Delcassé, sous-secrétaire d'Etat aux colo- nies, « de faire lancer et naviguer sur le haut Mékong deux canonnières fluviales destinées à montrer le pavillon et àfaire acte de souveraineté de la Franne sur les eaux du grand fleuve au-dessus des chutes de Khône et, sur les territoires laotiens de la rive gauche, s'opposer aux empiétements des Siamois, et ouvrir cetle immense voie fluviale à notre civi- lisation, en reconnaître aussi haut que possible la navigabi- lité, en étudier le régime, et, par des levés rigoureux, en préciser l'hydrographie et l.i navigation ».
Les canonnières La Grandière et Massie furent con- struites dans ne but, capables de filer 11 nœuds; on y joignait la chaloupe Ham Luong.M. le lieutenant de vaisseau Simon fut chargé de la direction de la mission, ayant sous ses ordres les enseignes de vaisseau Le Vay' et Henri Pi, et l'aspirant Le Blévec. Montées à Saigon, les canonnières gagnent Khône par leurs propres moyens, y sont démontées
1 Un exemplaire en argent du prix Devez a été attribué à M. Le Vay lihur la part qu'il a prise ans travaux do la mission hydrographique du Sékong- ni à l'éiablisseiiienl de la cane.
SOC. DE GÉUGH. — 2" TRIMESTRE 18S9. XX. — 13
106 RAPI'OUT SU1I LES PRIX UÉCEHNÉS
fit transportées par un chemin de fer de 5 kilomètres dans le liief supérieur où elles flottent le 31 octobre 1893. Ce bief est exploré jusqu'à l'embouchure de la Sémoun où com- mence une série de 150 kilomètres de rapides, le défilé de Kemmarat. Le Massie les franchit, non sans peine, et arrive le 26 février 1894 au confluent de la Se-bang-hien, puis le 31 mai dans le bief supérieur; après une reconnaissance rapide du cours de la basse Se-bang-hien, le La Grandière ne rallie le Massie à Thakek que le 21 novembre.
On est arrivé à Vien-tiane le 26 juin, et l'année 1894 a été consacrée à la reconnaissance du hier de Bassac.
En février 1895, M. Simon fait en pirogue une reconnais- sance du chenal tortueux entre Vien-tiane et Luang-pra- nang, et Se 1" septembre de la même année le La Gran- dière salue la terre de Luang-prubang, où il est accueilli « avec surprise et enthousiasme ». Enfin, il va montrer le pavillon jusqu'à Tang-ho, en pays Shan, à 2, 500 kilomètres de la mer et 400 mètres d'altitude; la mission finissait le 16 janvier 18116. Le La GrandUre avec M. Simon avait parcouru 10,486 kilomètres. Malgré des difficultés de tout ordre, la mission avait complètement réussi; on en jugera par la publication qui vient d'eire faite des cartes hydro- graphiques :
1" partie, de Don-eau à Don-khone-kong, 4 caries d'en- semble ; 30 cartes de détail au 1/3(1,000.
2' partie, de Don-kbon*-kong à Luang-prabang, 1 carte d'ensemble; 7 cartes de détail au 1/50,000.
3° partie, de Xîeng-kong à Tang-ho, 4 caries au 1/30,000.
Enfin 7 planches donnent les courbes représentatives du niveau du fleuve aux stations de kliône, Bassac, Muong- kong, Kemmarat, Thakek, Vien-tiane, Luang-prabang et 2 planches résument toutes les observations météorolo- giques. Ces cartes sont très claires et présentent tous les détails qui peuvent intéresser la navigation. Les circon- stances politiques, les difficultés de la navigalioq et du
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ravi lai llenicnt n'ont pas permis, de consacrer au travail hydrographique tout le temps dont on disposait : les chro- nomètres, avariés dans le trajet de France en Cochinchine, n'ont pas donné la précision qu'on en attendait. Néan- moins, en s'aidant des déterminations de G armer, en les complétant par de nombreuses observations de lalitude, en mesurant des bases et établissant des triangulations par- tielles, on est arrivé à représenter avec toute la (Idélilé désirable le tracé du grand Qeuve qui constitue la principale artère de nos possessions de l'Indo-Chine. Ce résultat fait le plus grand honneur à M. Simon et à ses collaborateurs.
|**~e à lui, comme le rappelait M. Bouquet de la Grye, le >og est devenu une voie française, une voie pratique, d'autres pourront franchir et qu'ils s'apprêtent à ;hîr( portant avec eux le nom français et l'influence ;aise. >tre commission a pensé qu'un travail hydrographique uté avec tant de soin, dans des conditions aussi excep- „„uae))es et au milieu de difficultés toutes particulières, méritait d'être distingué, autant comme une importante contribution à la géographie que comme une cause d'ac- croissement de notre puissance coloniale; elle décerne le prix Devez h M. Simon.
.
H. Frederick il- Jacksq»
Méilniilr d'»r. — prix de lu ■!•>•,
Le 30 août 1873, l'expédition du Tegethoff, loujours rivée au glaçon avec lequel elle dérivait depuis un au, découvrait ia Terre François-Joseph, et. au printemps suivant, Payer en- treprenait une longue reconnaissance vers le nord à tra- rchïpel. D'après les levés de cet explorateur, la Terre François-Joseph se composait de deu« masses ronii-
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RAPPORT SUR LES l'dlX DÉCERNÉS
nentales séparées par un fjord, et, d'après ses observations, atteignait une grande extension, dans la direction du nord. En 1879, deux expéditions montées sur de petits voiliers, celle du Willem Barents, commandée par le lieutenant De Bruyne, et celle de YJsbjOrn, dirigée par le commandant A. H. Markham, réussirent, dans la première quinzaine de septembre, à arriver en vue de ce prétendu continent arc- tique que, six ans auparavant, les Autrichiens avaient trouvé entouré de banquises impénétrables. L'année suivante, M. Leigh Smilh fut encore plus heureux et reconnut une ligne de eûtes longue de 110 milles à l'ouest du point extrême que les précédents voyageurs avaient atteint dans cette direction. En 1881, M. Leigh SmilL revint à la Terre François-Joseph, mais cette fois le succès ne répondit pas à ses efforts. Son navire fut brisé par les glaces et ses re- cherches furent par suite limitées aux environs du havre d'hivernage.
Comme Payer, Leigh Smith semble croire à l'extension de la Terre François-Joseph vers le nord1. La rencontre à'icebergs s'élevanl à 50 ou 10 métrés au-dessus du niveau de la mer lui faisait supposer l'existence d'une très vaste étendue de terre soumise à la glaciation dans ces parages.
A cette époque, à la suile des insuccès éprouvés par les expéditions qui avaient essayé d'avancer sur les hanquises, les explorateurs arctiques pensaient que ie seul moyen d'alteindrc une haute latitude était de suivre une terre s'étendant vers le nord. Aussi bien, la Terre François- Joseph fut-elleconsidérée comme un excellent pointde départ pour une marche vers le Pôle, cl tout le monde admettait qu'elle conduirait très loin vers le nord.
A M. Frederick G. Jackson était réservé l'honneur de résoudre cet important problème de géographie. Grâce à la
1. C. R. Markham, The Voyage of ihe Eira und M. Leigh Smith's Arc- ïic lliscovtrits in tSSO, in Proceedlnçt of tht li. Geographictit Society. Londres, 1881, 111,3, p. 186.
PÀtt LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRÀPU1E. ItiO
libéralité de M. Alfred G. Harmsworth, ce voyageur put organiser une expédition parfaitement équipée, composée de plusieurs naturalistes et disposant d'un bâtiment appro- prié à la navigation arctique, et, au commencement de septembre 1804, celte mission vint s'établir au cap Flora, à l'extrémité méridionale de la Terre François-Joseph. Avec une persévérance dont on ne saurait trop faire l'éloge, M. Frederick Jackson est demeuré quatre ans de suite au milieu des glaces polaires, et, pendant (oui ce temps, lui et ses collaborateurs ont appliqué leur énergie à l'étude mé- thodique d'une portion de la zone arctique.
Ces efforts ont abouti à des résultats considérables. M. Jackson a reconnu que la Terre François-Joseph, loin de former une masse continentale irès étendue vers le nord, comme on le supposait, constitue simplement un archipel de petites îles, large tout au plus de 250 kilomètres, A l'ouest de l'Austria Sound, sur l'emplacement de la Terre de Zichy, ce voyageur a découvert un grand fjord ouvert vers 1c m ird. De plus, M. Jackson, après avoir atteint les limites de cet archipel vers l'ouest, a constaté l'absence d'Iles entre la Terre Aiexandra, la plus occidentale de cet archipel, et le Spitsberg oriental. Les levés de l'expédition anglaise com- plétés par ceux de Nansen dans le nord-est ont donc tota- lement modifié la configuration que les cartes donnaient à la Terre François-Joseph.
Non moins que la géographie, les sciences physiques et naturelles ont été enrichies de précieux documenls par la mission de M. Frederick Jackson. Par les soins du lieutenant Armitage,des observations météorologiques et magnétiques ont été exécutées régulièrement pendant quatre ans au cap Flora. Leur comparaison avec celles effectuées simultané- ment par l'expédition du Fram à une latitude plus septen- trionale permettra de suivre le processus des phénomènes atmosphériques dans une partie de la zone polaire. A ce point de vue, l'expédition anglaise aura rendu à la science
170 tUI'l'OUT SUH LES l'IUS DÉCEItNES
un service dont l'importance n'échappera à personne. En même temps, MM. Harry Fislier et W. S. Bruce étudiaient la flore et ta faune de la Terre François-Joseph, tandis que !e médecin de l'expédition, le ûr Ileginald Kcetlitz, em- ployait les nombreux loisirs que lui laissait l'exercice de sa profession a l'exploration géologique de l'archipel. Les îles de ta Terre François-Joseph, constituées par des nappes de basalte reposant sur des as-sises jurassiques, sont les débris d'en vaste continent aujourd'hui en grande partie disparu. Le D1' Nathorsl a observé la même série de formations à la Terre du Moi-Charles, au Spitsberg; il n'est donc peut- être pas téméraire d'étendre jusqu'à ce dernier archipel les limites occidentales de cette ancienne masse continentale dont i! ne subsiste plus actuellement que des témoins. L'âge des basaltes de la Terre François-Joseph a soulevé de nombreuses discussions; d'après M. H. Kœllilz, ces épnn- chemenls se seraient produits pendant le jurassique.
Par toutes ces recherches, M. Frederick G. Jackson a considérablement ajouté à nos connaissances dans une r gion arctique demeurée jusqu'ici en dehors des investig; tions, et à l'unanimité notre Commission des prix lui a atlr: bué le prix La Roquette.
M. Jeas Emile Delàcnk
Mrilnille il'or. — I*rl\ i:.li;,iil
M. GasjHirl, r;i|4)nrieur.
L'essor des éludes géographiques qui caractérise noire siècle s'est manifesté par une production extraordinaire de publications cartographiques. Les journaux de toute espèce en offrent couramment à leurs lecteurs, et rien sans doute n'est plus propre à faciliter l'intelligence des événements de toute sorte qui se passent sur la surface du globe. Les exigences de la publicité ont forcé les géographes à se mettre
PAIt LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. 171
en quête de moyens nouveaux, rapides et économiques, et l'on ne peut qu'admirer les résultats obtenus dans cctlevoie. Mais ces productions éphémères sont en rapport avec le caractère provisoire des informations qu'elles représentent : on ne travaille plus guère pour l'avenir, le document est noté au jour le jour; il est remplacé le lendemain par un docu- ment nouveau, aussi hâtif et aussi peu durable. Autrefois on considérait la Terre comme quelque chose d'immuable : une carte était un monument définitif, et les artistes gra- veurs lui imprimaient ce cachet par la manière même dont ils travaillaient le cuivre, par leurs tailles profondes qui excluaient toute correction. Envisageant au contraire la Terre comme un organisme soumis à un changement continu et perpétuel, nous aurions mauvaise grâce à nous plaindre si les productions actuelles reflètent celle conception nou- velle: il nous est pourtant permis de regretter la rarelé croissante du beau spécimen de gravure cartographique. Le graveur consciencieux comprend que son travail ne doit pas être de la fantaisie, mais une représentation rigoureuse de la réalité; mais il sait en même temps que son œuvre doit avoir un cachet artistique, qu'il y a manière d'inter- préter la nature tout en lui restant absolument lidèle. La réunion de ces qualités est rare, et, d'ailleurs, la gravure des cartes ne conduit ni à la fortune ni a la gloire. Ne devons- nous pas d'autant plus de reconnaissance aux travailleurs que n'entraîne pas legoùt d'un gain facile et rapide, qui con- sentent encore à user leurs yeux et leur santé à fouiller le cuivre poury tracer lentement des documents qui resteront, et à former des élèves pour garder ces austères traditions?
M. Delaune est de ceux-là, et l'histoire de sa vie se résume dans les planches qu'il a exécutées, el dans les élèves qu'il a formés. Élève lui-même de Gérin, il débute avec son maître par les cartes de France au Dépôt de la guerre; on lui doit les feuilles de Tarbes, Quillan, etc. Il entre ensuite chez Collin, graveur de la marine, en -1868, pour y commencer la
RAl'i'OHT *L"K VUS PRIX DKCERSÊS
imwareei de Vivien de Sainl-Martin et de
... .iu M. l-'.Schrader, édité par la maison Hachette. En même Urnps. il commence à graver des cartes hydro- gnptuques.
.1 succède à son maîlre et ami, et depuis celle
■■ iiiinue la grav lire de ce m6me allas et celle des
i.iiiits hydrographiques. Nous ne saurions Faire ici le compte
mbeetiz travaux. Citons seulement :
La belle carte générale de la Guadeloupe et plusieurs
i,u tes particulières de cette colonie;
nie partie des cartes de l'Annam, duTonkin, de .,', de lu Tunisie; La réfection des cartes de la côte de France renduenéces- saire par l'usure des cuivres ;
i, ilin, fi tout dernièrement, la magnifique carie de la fnTMirTU dix feuilles enlièremenl terminée, sauTIa carie d'en- semble qui sera prête à la lin de celle année.
Lju productions de M. Delanne sont caractérisées par le l'iu du travail, par la reproduction stricte et exacte des originaux, qui n'exclut pas une interprétation artistique : i'lk'5 oui valu à leur auteur l'estime et l'admiration des . ,'ini;u--i'iiis. Voire Commission a voulu reconnaître à son lour les mérites de ce travailleur consciencieux en lui altri- |.ii:ml la médaille d'or du prix Erhard.
Mme Isabelle Massieu
l.vmiji' inrilnlllr d'urgent. — Prit Al|il>nu-<- <lr Woinlurot
St. Alli. lin [.apparent, île l'Insiikit, rapporteur.
Pu l'attribution du prix Alphonse de Montherot â
.M 1 1 n ■ llfcbolle Massieu, la Commission n'a pas seulement
voulu marquer la sympathie que lui inspire l'inlrépidilé
il'inu' voyageuse qui ne craint pas d'affronter des faligues et
n auxquels son sexe n'a pas coutume de s'exposer.
: GÉOGRAPHIE.
C'est un véritable mérite d'exploratrice que la Commission a prétendu consacrer,
Après s'être fait connaître par un premier voyage au Tibet et aux Indes ; après avoir visité la Cochinchine et le Cambodge en compagnie du regretté gouverneur général Rousseau, Mme Massieu a exécuté, de 1896 à 18117, un voyage de quinze mois, qui l'a conduite successivement a travers la Birmanie, les Etats Chans, le Laos, le Tonkin, la Chine, le Japon, la Mongolie, la Sibérie, les steppes kirghiz, le Turkestan, la Caspienne et le Caucase.
La partie la plus intéressante de son expédition est la traversée des Etats Chans, par celte route de Taungay à Xieng-long, qu'aucun Français n'avait parcourue avant elle, et qui est particulièrement difficile aux abords de la Salouen. Mme Massieu y a réuni d'intéressantes observa- tions, tant sur le paysage et sur les mœurs des populations que sur la grande habileté avec laquelle la colonisation bri- tannique y est conduite.
Le caractère particulier des explorations de Mme Massieu consiste en ce que les dil'licultés semblent vraiment s'éva- nouir sur son passage. Partout elle est bien accueillie; même les fonctionnaires étrangers mettent à son service un empressement dont, peut-être, ils seraient plus avares envers des hommes. «J'ai toujours vu, écrivait-elle un jour, que les voyages sont bien plus aisés qu'on ne pense, s Et de fail, tandis qu'elle supporte allègrement les privations et les fatigues, sa bonne grâce lui concilie le concours des indigènes de tout ordre, respectueux du rare exemple qu'elle donne et conquis par l'aimable humeur qui ne l'abandonne jamais. En même temps que ses voyages profitent à la géographie, la façon dont elle les exécute laisse, parmi les populations traversées, une impression de sympathie tout à fait favo- rable au bon renom de la France. Ce n'est que justice de le reconnaître en attribuant à Mme Massieu une des récom- penses dont dispose notre Société.
174 1UPP0HT SDR LES PRIX OÉCERNÉS
M. Jean Marc Bel
j.tJinilc nipilallle l'uriml. — I*rii J. Jniuapn M. Cil. Maunoir, rapporteur.
La médaille d'argent du prix Janssen fut instituée en 1896 comme récompense à décerner au voyageur qui au- rait recueilli le plus d'observations scientifiques suivies. M. Janssen, fondateur du prix, a entendu encourager les déterminations d'ordre précis, susceptibles d'être fixées par des mesures. Elle avait été jusqu'ici attribuée aux auteurs d'observations astronomiques ou hypso métriques.
Cette fois-ci, laCommission des prix a distingué un voyageur dont les travaux sont plus spécialement du domaine de la géo- graphie physique. Le lauréat, M.Jean Marc Bel, ancien élève de l'Ecole polytechnique, ingénieur civil des mines, a visité, de 1880 à 1897, Saint-Domingue, les États-Unis et le Canada, ]'Urugu;iy, la Guyane et le Venezuela, le Chili et la Bolivie, le Transvaal, le Siam, la Sibérie occidentale, l'Annam et le Laos. Ses longs itinéraires, relevés sur la majeure partie du trajet à la boussole et au baromètre, l'ont conduit surtout dans des contrées minières dont il a scruté le sous- sol. A ses recherches de géologie appliquée, a l'examen de la valeur économique des minéraux utiles, M. J. M. Bel a voulu .ajouter des recherches de science pure. Outre les échantillons exigés p.ir sa tâche spéciale, il a recueilli et classé méthodi- quement de nombreux spécimens de roches, de minéraux, de rainerais dont il a repéré avec soin le gisement sur le tracé de ses lignes de route. Il a mesuré avec un soin extrême les directions et inclinaisons des terrains, déterminé autant que possible l'étendue des gisements, observé le caractère général des systèmes montagneux. Nous lui devrons aussi des constatations originales comme celle de gisements de protogine analogue à celle du Mont Blanc, entre Menam
PAU I.A SOCIÉTÉ HE GÉOGRAPHIE. 175
et Mékong, au voisinage du niveau de la tuer; comme la découverte de giles li Ioniens aurifères dans le bas Laos. Ainsi pendant plusieurs années, avec une compétence reconnue, M. J. M. Bel a réuni des éléments précis pour la connaissance des contrées qu'il a parcourues. L'École nationale des mines et le Muséum d'histoire naturelle ont reçu, pour leur part, des collections dont la valeur scien- tifique suffirait à justifier les missions accordées à M. Bel par le Ministère do l'Instruction publique. tën dehors des recherches géologiques, M. Bel, avec le concours actif de Mme Bel, compagne d'une partie de ses voyages, a enrichi (e Muséum d'une intéressante série d'objets d'histoire naturelle.
La Commission des pris, avant constaté que M. J. M. Bel a apporté à ses recherches la continuité, la rigueur de mé- thode qu'exige la science, lui a décerné la médaille d'ar- gent du prix Janssen.
M. Léon Darragou
t.rnml.- médaille «l'argent. — ITH f-hnrlp» «ni
11. If D' [lamy, de l'Inslitu!, rapporteur.
La Commission des prix a décerné à M. Léon Darragon le prix Ch. Grad.
Le jeune voyageur, parti pour l'Abyssinie avec de minimes ressources, en janvier IX'.H, était arrivé à la capitale de Ménélik après de longues tribulations le 1 mars de la même année. A Addis-Ababa, M. llg, conseiller de Ménélik, puis le négus lui-môme, voulurent bien s'intéresser à ses pro- jets de pénétration dans le sud de l'Ethiopie. 11 fut chargé de conduire au Uurena, à l'est du lac Rodolphe, une expé- dition abyssine commandée par le fltworaré Gheorgues. M. Darragon réussit ainsi à parcourir les montagnes qui
ne
RAPPORT SUIS LES FBIX DÉCERNÉS
encadrent les lacs Pagadé et Tchamo, à des alLiludes qui atteignent jusqu'à 3,500 mètres. Au cours du voyage effec- tué presque constamment dans des conditions fort pénibles, sous des pluies continuelles, le voyageur a relevé avec une application digne d'éloges de longs itinéraires, en utilisant de son mieux les Faibles moyens dont il disposait.
Anl. d'Abbadie, en 1848, M. Borelli, quarante ans plus tard, avaient signalé les premiers le lac Pagadé ou Abhala dont M. Darragon nousa rapporté une étude plus complète. C'est ce même lac, auquel nous conservons se* noms indi- gènes, que l'expédition italienne defJoltego, venue après ces voyageurs français, a cru pouvoir se permettre de debap- Liser en lui donnant le nom de Hegina Marghareta.
M. Léon Darragon, qui avait déjà eu maille à partir avec les Danakils eu allant de Djibouti à. Addis-Ababa, est tombé de nouveau entre les mains de Tembako, chef des Waïmas, comme il retournait à la mer. Il n'a dû sa liberté qu'à l'étal de guerre qui dure encore entre Danakils et Comalis et grâce auquel il a pu s'échapper en sauvant les notes et les caries, dont l'examen a décidé notre Commission des prix à lui attribuer la médaille du prix Charles Crad.
M. Lons Duparc
tiraadi- médaille d'argent. — Prix William HiiIiit
M. Alti. un [.appariai, de l'Institut, rapporteur.
Depuis plusieurs années, M. Louis Duparc, professeur à l'Académie de Genève, consacre la meilleure part de son activité à l'élude du Mont Blanc. En collaboration, tantûl avec M. Rilter, tantôt avec al. Mrazec, tantôt avec M.Joseph Vallol, il s'applique à recueillir et à étudier le plus grand nombre possible d'échantillons pris dans ce massif.
Sous leur apparence presque exclusivement pélrogra- phique et géologique, ces recherches ont une importance
I>An LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. 177
géographique qu'on ne saurait méconnaître; non seulement parce qu'elles réclament l'exploration systématique et Maillée de parties habituellement négligéesdes alpinistes; mais aussi parce que leur résultat est de modifier notable- ment ta conception qu'on s'était faite de la structure du missif, en fournissant la raison de quelques-unes de ses particularités les plus caractéristiques. En effet, le Mont Diane a été longtemps considéré comme un culot d'une roche érupttve appelée protogîne, laminé p:n TcUort qu'il aurait subi en crevant une boutonnière de l'tcorce terrestre. Les bancs engendrés par ce laminage se «raient ensuite renversés dés deux côtés vers l'extérieur, rnmme font les éléments d'une gerbe serrée en son milieu. Ainsi serait née la célèbre structure en. éventail, jusqu'ici regardée comme propre au massif du Mont Blanc.
Or, il a sufti des recherches détaillées dont il vient d'être question pour modifier du tout au tout cette manière de loir. En réunissant à ses échantillons ceux que M. Vallot ivi.it récoltés dans ses nombreuses courses en vue de la carte du Mont Blanc, M. Duparc a pu montrer que la pro- lugine n'était pas le seul élément constituant du massif. En plus d'un point, le microscope révèle l'existence de schistes, dont quelques-uns sont assimilables à ceux du terrain houiller des Alpes. Ces schistes formaient originai- rement une série de plis, tous couchés au nord-ouest. La structure en éventail est une fausse apparence, exclusive- ment propre au chemin suivi pour ia descente en Italie, et résultant de ce qu'une poussée locale au vide a, sur ce pnînt, rebroussé la tète des bancs. En outre, les schistes, plus tendres que la protogîne, ont été plus facilement mievéa par l'érosion, et plusieurs des profondes échan- crures du massif marquent justement la place que ces schistes occupaient dans l'origine.
Le résultat définitif de ces recherches, après avoir fait l'objet de communications de MM. Duparc et Vallot à l'Aca-
_
178 RAPPORT SUR LES PRIX DÉCERNÉS
demie des sciences, vient d'être résumé dans un grand ouvrage, rédigé en commun par MM. Duparc et Mrazec. Le côté géographique n'y est pas négligé, et une suite de pho- tographies très heureusement choisies permet de saisir d'un coup d'œil l'influence exercée, sur la forme des arêtes, par la nature et la structure des roches.
Si nous ajoutons que M. Duparc s'est signale aussi par d'importantes observations sur les Alpes transylvaines, où, en compagnie de M. Mrazec, il a signalé des formes topo- graphiques qui révèlent d'anciens glaciers, on jugera sans doute qu'en proposant de lui attribuer la médaille William- Huber, la Commission a Fait un choix absolument conforme aux intentions qui ont présidé à la fondation de ce prix.
IIév. Pèbe J- H. Piolet
Médaille d'argent de In Hacléle
M. A. (irandiilier , île l'inslittii, rapporteur.
Le Rév. Père Piolet, ancien missionnaire à Madagascar, a publié plusieurs ouvrages sur ce pays, notamment Mada- gascar, sa description et ses habitants et Madagascar et tes Ilova. On lui doit aussi diverses brochures intéres- santes : 1rs Habitants de f'Imrrina, l'Armée nova, l'Escla- vage à Madagascar, la Colonisation à Madagascar, la Culture du caoutchouc, etc. Ces livres et notices, écrits avec conscience après des recherches laborieuses et intel- ligentes, remplissent parfailement le but que s'est proposé leur auteur de laire connaître, apprécier, aimer la grande lie africaine. Le P. Piolet, en les publiant, a rendu service à notre nouvelle colonie.
Le P. Piolet a fait, en outre, a la Sorbonne, en 1898, douze leçons sur Madagascar, son état actuel et ses ressources ; ces leçons, qui ont élé suivies par un auditoire nombreux et attentif, OBI eu leur utilité, et on doit lui savoir gré
PAJl LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. 179'
d'avoir, sous les auspices de l'Union coloniale française, mis te public au courant du passé, dn présent et de l'avenir de notre nouvelle colonie.
La Société est heureuse de récompenser cet ensemble de
travaux, en décernant au P. Piolet une de ses médailles.
d'argent.
M. Jules Caiviéhr
Médaille d'argent dr lu Sorlôlé M. A. Graadidier, >!•■ rinsliti.it, rapporteur.
M. Jules Gauvière a publié, sous le Litre ta Provence et ses voies nouvelles, une série d'études historiques et géo- graphiques sur le sud-est de la France. Il ne faut point cer- tainement chercher dans cet ouvrage la part de découvertes qui se trouve dans ceux des explorateurs en pays lointain que nous venons de récompenser; ces récits d'excursion sur le littoral méridional de notre pays, où l'on trouve l'accent ries impressions personnelles de l'auteur, ne sont pas, ce- pendant, sans nous apprendre du nouveau, en vulgarisant îles détails qui sont enfouis dans des ouvrages peu connus. H. Cauvière a mis, en effet, à contribution les histoires locales et les travaux techniques, et son livre, écrit d'un alerte et qu'illustrent de jolies gravures, non seule- ment intéresse le lecteur, mais l'instruit aussi bien en his- toire qu'en géographie.
Lu Société lui décerne une de ses médailles d'argent.
M. Y'.ym.i: HivSCHAMPS
Médaille d'argent de In Kurlélé
SI, \, Crandidier, de l'Institut, rapparient.
M. Emile Deschamps a publié un certain nombre d'ou- vrages de vulgarisation (lels que la Vie mystérieuse des
180 rapport sur les prix décernés
mers, etc.), et plusieurs carnets de voyage sur lesquels il a
jeté au courant de la plume ses souvenirs et impressions,
Au harem, Au pays d'Aphrodite (Chypre), Au pays des
Veddas (Ceylan), C'est ce dernier ouvrage qui a fixé, d'une
manière plus particulière, l'attention de la Commission des
prix.
Ce livre n'ii pas la prétention d'apprendre du nouveau sur Ceylan, mais il n'en instruit pas moins le lecteur. On y trouve la description Tort intéressante de l'intérieur de cette île que l'auteur, chargé d'une mission scientifique par le Gouvernement français, a parcouru et étudié avec soin; il nous met au courant des anciennes lois kandyennes, et il nous raconte les mœurs des Rhodias, ces parias tenus si sévèrement depuis des siècles à l'écart des autres Singalais, ainsi que celles des Veddas, qui sont les aborigènes de l'ile; après avoir rapporté quelques-unes des légendes lo- cales, i[ donne l'histoire sommaire de Ceylan et décrit les belles et remarquables ruines des anciennes cités qui y Ilorissaient avant l'ère chrétienne.
La Société de Géographie décerne à M. Emile Des- champs l'une de ses médailles d'argent.
. Arthur Halotet
Pris Jihiitiird
M. A. Grandiilie
l'Iitstiiiii, rapporteur.
M. Arthur Malolet, professeur d'histoire au lycée de Valenciennes, a présenté, comme thèse de doctorat devant la Faculté des lettres de l'Université de Paris, un ouvrage intitulé : Etienne de Flacourt oit les origines delà coloni- sation française à Madagascar de 1641 à 1661, volume de 340 pages, où il a fait l'élude approfondie de la vie et du rûle de l'ancien gouverneur de Port-Dauphin.
11 a d'abord, dans une introduction d'une centaine de
PAU LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. 181
pages, ënuniéré les immigrations malaises, africaines et arabes et retracé les premières explorations des Portugais, île» Anglais et des Français à Madagascar, el il a résumé l'état de nos connaissances sur cette île vers 164**.
11 a eusuite mis eu lumière l'origine de Flaeourt, sou éducation, ses débuis, son caractère, ses projets et ses moyens d'action, et il a l'ait l'histoire complète de son gou- vernement de HiH à 1655, qui comprend trois périodes : les préliminaires de la conquête (du i décembre 1648 au 2° mai 1660); la lutte contre les indigènes (du 29 mal 1650 au 22 décembre 1653), el la période de pacification apparente (du 22 décembre 1653 au \-2 février 1655).
Le volume se termine par un chapitre où l'auteur expose en détail l'œuvre scientifique et coloniale de Flaeourt.
C'est une élude complète sur l'ancien gouverneur de Fort-Dauphin, l'un des premiers Français qui aient cherché I coloniser Madagascar. Il faut louer M. Malolet de ses recherches nombreuses et consciencieuses, qui lui ont coulé plusieurs années de travail el qui font revivre la ligure intéressanle et originale de l'auteur du premier livre qui a appelé sérieusement l'attention de la France sur notre colonie actuelle. Ceux qui s'occupenL de ia colonisa- tion a. Madagascar devront lire l'ouvrage de M. Malotel, auquel la Commission des prix décerne le prix Jomard, affecté par l'auteur des Monuments delà Géographie aux travaux de géographie historique.
CUHATIOS RELATIVES A U CONSTRUCTION
CARTE LIlHOLOCIÛliE DIS GHH DE FRAIE
I/T. T. THOITLET
La lithologie sous -marine se propose l'étude des fonds déposés sur le lit de l'Océan, de leur distribution, de leur genèse, de leurs transformations, de toutes les lois qui les régissent. Elle devient de jour en jour une branche plus importante de l'océanographie. Sa conclusion, ce qu'on appellerait volontiers sacondensation, es tlacoufection d'une carte lithologique sous-marine donnant d'un seul coup d'œil loutes les informations qui ne sauraient être fournies, si on tentait de les exposer par écrit, qu'en un mémoire comme il n'en existe malheureusement que trop dans la lit- térature scientifique, long, diffus, aussi pénible à lire que difficile à conserver dans le souvenir el, en définitive, tou- jours insuffisant. Une carte lithologique est indispensable à la navigation, à l'industrie des pêches et à celle des télé- graphes sous-marins. Elle l'est plus encore, s'il est possible, à la géologie théorique, puisque l'histoire des mers disparues aux âges géologiques ne peut et ne doit logiquement s'appuyer que sur la connaissance complète des mers actuelles el des phénomènes qui s'y accomplissent.
Un grand nombre de ces cartes ont déjà été dressées en Norvège où elles sont particulièrement remarquables, en Angleterre, en Allemagne, aux Etals-Unis et ailleurs. Delesse en a publié en 1866 une relative aux côtes de France. Cette carte très ancienne, à une échelle très réduite, est devenue aujourd'hui insuffisante.
CARTE LIT 110 LO (il QUE DES i i'UIj DE I IIA.M:K- 183
r être en élat de rendre les services qu'on est en droit d'en attendre, une carte lilhologique sous-marine doit pos- séder les caractères suivants:
1. Elle doit parler aux yeux. Pour parvenir à ce résultat, il lui suffira d'imiler les cartes géologiques terrestres, exemple depuis longtemps connu et pour lequel une longue expérience a enseigné les meilleures conditions de netteté et de clarté. La carie lilhologique sous-marine devra donc 6tre coloriée de leinles aussi différenciées que possible ; les indications seront figurées par des signes conventionnels assez distincts pour être aussitôt reconnus,
2. Elle doit représenter les fonds actuels. A de 1res rares exceptions près, on ne trouve au fond des eaux aucune trace immédiate de la nature du sous-sol dans lequel il est à peu près impossible de pénétrer audelà de quelques cen- timètres. Une carte lilbologique, lit de la mer rendu visible, est une carte d'actualité et c'est pour ce motif qu'on lui donne le nom de carte lilhologique et non celui de carte géologique sous-marine.
3. La nature du sol superficiel sous-marin est liée si inti- mement à son modelé, la relation mutuelle et la comparai- ion de ces deux caractères sont susceptibles de rendre tant de services a la pratique aussi bien qu'à la théorie, qu'il est idispensabie qu'une carie lilhologique soit en même temps «graphique. Ce résultat s'obtiendra aisément et simple- ment à l'aide du tracé des courbes isobathes. Le procédé est d'une utilité si évidente qu'il a été adopté par tous ceux qui sb sont occupés de dresser de semblables documents i bien terresires que marins. 4. La vérité n'est jamais que le résultat d'une suite pro- longée de perfectionnements. Il en est particulièrement ïinsi d'une œuvre pour laquelle les idées générales déri- vent de l'examen d'une collection de faits particuliers recueillis isolément, indépendamment les uns des autres et
ISi CARTK L1TH0 LOGIQUE TES COTB8 DE FRANCE.
considérés ensuite dans leur ensemble. Une carie litholo- gique sous-marine esl, en effet, construite d'après des son- J;i-i'^ l'i des récoltes d'échantillons, opérations exigeant la possession d'un personnel, d'un matériel et surtout d'un navire rarement à la disposition d'un observateur. Ces docu- ments fondamentaux sont d'ailleurs souvent obtenus à la suite de considérations plus ou moins étrangères à ia con- fection d'une carte lilbologique.
Du ces motifs, il résulte qu'une telle carte doit, dès le début, présenter un ensemble aussi exact que possible mais, avant tout, complet. En revanche, par la façon même dont elle est dressée, elle doit être indéfiniment perfectible; les corrections y seront indépendantes les unes des autres et pourront s'effectuer en n'importe quel point. Enfin cette carie doit porter partout la mesure de son poids, c'est-à- dire du degré de confiance mérité par ses indications-
An moment de commencer la confection d'une carte lilbologique et de marquer d'une teinte ou d'un signe les diverses natures du sol sous-marin, on est frappé de la confusion qui règne parmi les termes employés pour dési- gner les objets mêmes dont on so propose de représenter l'image. Les termes d'argile, de boue, de vase sont il peu près synonymes. Que signifie exactement, par exemple, le mol luf? Un échantillon, à moins qu'il ne soit extrêmement caractérisé, recevra trop souvent des noms différents d'observateurs différents. Les ternies gros gravier, gravier, lin gravier, gros sable, sable fin, sable coquillier, sable, sable vaseux, vase sableuse, vase n'ont point de limites précises. Tour s'en convaincre, il suffit de demeurer, pen- dant un levé hydrographique, auprès de l'homme qui relève Il sonde, examine le suif et chante le fond. Les échantil- lons mal récollés, lavés pendant la remontée, ne sont plus M qu'ils étaient au fond. Heureux lorsque pour différencier deux sols offrant certaines analogies et cependant diffé-
CARTE L1THOL0G1QUE DBS CÔTES D6 FRANCE. 185
renls, certains auteurs n'emploieront pas ries désignations du genre de t vase entière » et « vasedu large»,* sables du nord » et t sables du sud », ou d'autres du même genre. La confusion existe malheureu-remenl en allemand et en anglais comme en français, ainsi que le prouvent les termes de schlamm, de schlick, de mud, de clay, de ooze.
Dans de pareilles conditions, il devient impossible de procédera une unification. Il faut avant tout établir une classification rigoureuse entre les différents fonds. La clas- sification, pour Sire précise, doit être basée sur une analyse. Celle-ci doit être, en même temps, assea rapide pour qu'une carte n'exige pour sa confection qu'un temps raisonnable, et néanmoins assez facile pour n'avoir point besoin d'Être effectuée par de véritables spécialistes.
Aimé, le premier, a établi que la nature lithologique d'un dépôt demeure permanente au môme endroit. Il s'agit, bien entendu, de phénomènes actuels, car l'observation des couches géologiques qui se sont formées au sein des eaux dans les mêmes conditions que nos couches actuelles, monire par la superposition brusque, sur une même verti- cale, de grés, de calcaires, de marnes, d'argile ou de sable, que des variations dans les conditions ambiantes amènent un changement correspondant dans la constitulion du dépôt. Mais ces variations s' effectuent très lentemenlet leur constata lion m6me, rendue possible, n'est pas un des épi- sodes les moins intéressants à constater.
La considération des couches fossiles prouve qu'un dépôt est beaucoup plus délimité en surface qu'on ne serait tenté de le croire. La remarque s'applique surtout aux dépôts de mer peu profonde et voisins des cotes, car à mesure qu'on s'éloigne de la terre, les conditions ambiantes s'uniformi- sent, passent des unes aux autres par gradations insensibles, et il eu est de même des couches sédimentaires qui en sont le résultat. J'ai constaté à la mer celte délimitation en une foule de circonstances, même à des profondeurs de
H
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i86 CARTE l.lTIIOLOOIQdE DES COTES I1E FRANCE,
2 000 mèlres, et elle frappait les esprits les moins prévenus, ceux des simples matelots tirant sur le chalut ou la drague. On est, par conséquent, autorisé à dresser une carte litho- logique à l'aide de teintes brusquement limitées, non fondues entre elles et indiquant un étatpermanent,avec les restrictions énoncées précédemment.
Les dépôts sous-marins, au point de vue de leur nature lithologique, se partagent en trois grandes catégories, les roches, les sables elles vases.
Nous avons dit que la carie était la représentation du fond tel qu'on peut s'en faire une idée d'après les échantil- lons rapportés. Or il n'est pas toujours possible de récolter un échantillon. Si le fond est constitué par de la roche vive ou par des pierres trop grosses pour Être ramenées entières ou en fragments au moyen de la drague, du chalut ou du plomb de sonde, si le plomb suilïé ne possède d'autre marque qu'un suif mâché, en un mol, si l'on n'obtient qu'un résultat négatif, !e fond sera dénommé roche,
Le sable est constitué par des grains minéraux de gros- seur quelconque, non accolés les uns aux aulres, dont cha- cun possède son individualité. La vase proprement dite est au contraire une masse minérale où il n'est possible, ni à l'œil nu, ni à la loupe, ni même au microscope, d'apercevoir aucun individu minéral isolé, si petit qu'il soit. Entre le sable et la vase, on trouve tous les passages désignés sous les noms de sables vaseux lorsque les grains semblent pré- dominer ou de vases sableuses quand ils paraissent être en moindre quantité relativement à la vase. Pour distinguer entre eux ces divers genres de terrains et introduire de la précision dans leur nomenclature jusqu'à présent vague et arbitraire, il faut avoir recours à l'analyse.
De même que l'analomie, description des organes ani- maux ou végétaux, n'est qu'une introduction à la physiolo- gie, qui est l'étude du jeu de ces organes, l'analyse d'un Fond
CARTE LITIIOLOr.lQUE DES CÔTES
marin ne sérail qu'une vaine collée Lie
187
de chiffres, rem- plissage servant à communiquer un aspect respectable à un mémoire scientifique, si elle n'était pas une introduction à l'histoire de ce fond, depuis sa naissance jusqu'à sa mort, de sa genèse, des phénomènes dont il a été, est et sera le théâtre, de sa vie enlière. Sous celte condition d'être un moyen et non un but, l'analyse complète d'un fond devra être quadruple. Elle sera mécanique, minéralogique, chi- mique et biologique.
L'analyse mécanique se propose de distinguer entre les divers dépôts ceux qui appartiennent à une même catégo- rie. Elle ouvre l'œuvre d'invesligation. Entre ces passages, par degrés insensibles, du sable à la vase, elle établit des types, fixe des jalons. A ceux qui veulent philosopher, elle impose des limites en deçà desquelles portera la discussion pour èlre fructueuse et au delà desquelles celle-ci ne man- querait pas de s'égarer. L'analyse mécanique doit être simple pourpouvoir èlre effectuée au commencement même des recherches et rester à la portée de tous.
L'analyse minéralogique poursuit l'enquête. Considérant chaque minéral en particulier, elle tire de la présence de chacun d'eux, de l'élat sous lequel il apparaît, une série de conclusions.
L'analyse chimique, plus délicate, exigeant de la part de celui qui l'exécute des connaissances plus spéciales, cherche dans le fait de la composition des divers éléments chi- miques, dans leurs rapports mutuels, les phénomènes in- times s'acco m plissant au sein même du dépôt. Enfin, comme dans la nature entière et, s'il est possible, davan- tage encore dans la nature sous-marine, la vie organique est si intimement reliée à la vie inorganique qu'à elles deux elles complètent le cycle d'existence des choses et des êtres, un dépôt n'aura vraiment raconté son histoire que lorsque sa portion actuellement vivante ou jadis vivante, aura été examinée, étudiée et connue. A l'analyse mécanique, puis
18H CAUTF. I.ITUO LOGIQUE DE» COTES DE FBÀSCE,
minéralogique, puis chimique succédera donc comme der- nier complément et achèvement, l'analyse biologique.
Examinons succinctement les procédés que comporte chacun de ces divers genres d'analyse.
L'analyse mécanique consiste essentiellement en un triage qui s'effectue de deux manières. On procède d'abord à la séparation de la portion amorphe. On y parvient an moyen d'un tube trie m* à l'intérieur duquel un courant d'eau d'intensité variable à volonté emporte et isole les par- ties légères. Parmi les parties lourdes, un tamisage isole à son tour, 1res simplement et très promptement, les grains selon leur grosseur. On sait que, dans le commerce, les ta- mis en toile métallique ou en tissu de soie, sont classés se- lon leur numéro, c'est-à-dire d'après le nombre de mailles, pleins et vides, comptées sur une longueur de 1 pouce ou 27 millimètres.
Du passage au tube trieur, quelque facile que soit cette opération, demande nu peu plus de temps qu'un tamisage et, à loutle moins, un instrument particulier. Lorsque l'ap- proximation est suffisante pour le but qu'on se propose, on se contente, an lieu d'un triage a l'eau, d'exécuter un tami- sage à travers un tamis excessivement un portant le nu- méro 200. Si d'ailleurs on souhaitait, dans la suite, obtenir plus de précision, on reprendrait le résultat du tamisage et on le séparerait par lévigation, en deux ou plusieurs por- tions.
L'analyse minéralogique dose le carbonate de chaux si commun dans les dépôt?. L'opération est facile puisqu'elle se borne à une attaque à L'acide chlorhydrique étendu. On isole ensuite les deux grandes catégories de grains miné- raux : d'une part le quartz, le silex et le feldspath, éléments en général prédominants et, d'autre part, les minéraux lourds, beaucoup plus rares, mais, par contre, très caracté- ristiques et précieux pour les indications qu'ils apportent. Dans re but, on passe à la liqueurd'iodures.de densité 2.7.
I
CAHTE LITHOLOGIQUE DES CÔTES DE FRANCE. Ifî'J
L'analyse minera logique se termine par la reconnaissance, au microscope, de la nature et des caractères extérieurs des divers minéraux et on prolile alors ries ressources et procé- dés si nombreux el si précis mis récemment par la science au service de ce genre d'investigation, phénomènes opti- ques, aspect anguleux ou arrondi des grains, mesure micro- scopique des propriétés physiques, réactions microchi- miques.
L'analyse chimique, par des procédés délicats, compli- qués et véritablement techniques, se livre à l'examen dé- taillé du dépôt. S'il fallait en citer un exemple, on parlerait des beaux travaux du Dr Konrad Nallerer sur les fonds re- cueillis par la Pola dans la Méditerranée orientale et dans la mer Rouge.
L'analyse biologique consiste dans la reconnaissance des débris d'êtres vivants, piaules ou animaux, contenus dans le dépôl. Gomme la présence d'Olres vivants particuliers est la preuve d'un ensemble de conditions extérieures qui, s'il était modifié au delà de limites déterminées, impliquerait une modification correspondante dans le groupement de ces êtres, on conçoit que la nomenclature seule des êtres pré- sents ou de leurs restes renseigne synthétiquemenl sur les conditions ambiantes auxquelles a été soumis le dépôt. 11 faut que, possesseur des connaissances qu'il aura recueil- lies en examinant, au point de vue biologique, les dépôls ac- tuels, informé des découvertes faites par l'océanographe el le chimiste en étudiant à leur point de vue spécial ces mêmes fonds, le naturaliste livre au géologue des lois qui permettront à celui-ci de reconnaître, à l'inspection une couche ancienne, les lois qui ont présidé à son
istence. Assuré, par exemple, à l'examen des fossiles,
e la couche a été déposée à une profondeur déterminée ius les eaux, il sera en état d'en conclure, mainlenant que elle couche est exondée, quelle a été la hauteur de son oulcvement et, par comparaison avec d'autres couches voi-
CARTE UTtlOLOCIQUE DES CÔTES DC FRANCE.
sines, quelle était la pente du lit de la mer qui les baignait. Il pourra alors évaluer les plissements qui se sont eiFectués et mesurer l'érosion, c'est-à-dire la hauteur des montagnes qui n'existent plus, estimer la salure et la température de la mer. Pendant ce lemps, l'océanographe, grâce à l'examen minéralogique de la couche, en arrivera de son côté, d'in- duclion en induction mais s'appuyant toujours sur des chiffres, a retrouver les dimensions et les contours de cette mer disparue depuis des milliers d'années, la force de ses vagues, la puissance et la direction de ses courants, peut- être aussi la durée en années ou en siècles que la couche a mise à se déposer, c'est-à-dire l'intensité de l'érosion qui s'accomplissait sur le continent. La géologie de sentiment ou de description se transformera enfin en géologie de pré- cision, véritable paléogéographie, description et histoire vivante de la terre aux Ages géologiques.
La classification des fonds est hasée sur ces principes à. propos desquels il est inutile de donner ici plus de dé- tails.
Roche. — On donne le nom de roche à tout lerrain dont il est impossible de rapporter un échantillon soit à la drague, soit au plomb de sonde. Son existence au fond de l'eau ne se conslale que par ce fait que le plomb muni de sa cou- pelle à suif revient sans aucun débris, sauf quelquefois un fragment d'herbe ou de rocher brisé par le choc et incrusté dans le suif. La désignation de roche dépend du procédé d'investigation dont on a fait choix. Si, par exemple, on sup- pose un sol sableux recouvert de blocs éparpillés trop gros pourèlre rapportés par la drague, le terrain serait dénommé roche au cas où le plomb ne tomberait pas sur des espaces sableux, jusqu'au jour où des coups de sonde plus nom- breux ou plus heureux, don t quelques-uns auraient ramené du sable, renseigneraient plus exactement sur la vraie na- ture du sol.
CARTE I.ITIIOI.OOIQIE DES C"TËS DE CHANCE.
191
Pierres, galets. — Les pierres sont des cailloux anguleux
nt le poids dépasse 3 grammes. Les pierres arrondies
nt des galets.
Gravier. — Fragments minéraux anguleux ou arrondis poids inférieur a 3 grammes et arrêtés par le ta- > 10. Pour pius de précision, lorsqu'il sera nécessaire, on .doptera les trois catégories suivantes :
«. Gros gravier. Grains d'un poids moyen inférieur à 3 grammes et arrêtés par le tamis 3.
S. Gravier moyen. Grains ayant franchi le lamis 3 et ar- rêtés par le lamis 6. Poids moyen environ Ogr. 5.
y. Gravier fin. Grains ayant franchi le tamis 6 et arrêtés par le lamis 10. Poids moyen environ 0 gr. 05.
Sable. — Celle désignation comprend les grains ayant franchi le tamis 10, mais arrêtés par le Lamis 200, avec les subdivisions suivantes :
« Sable gros. Grains ayant franchi le tamis 10 et arrêtés par le lamis 30.
p. Sable moyen. Grains ayant franchi le tamis 30 et arrê- tés par le tamis 60.
y. Sable fin. Grains ayant franchi le tamis 60 et arrêtés par le lamis 100.
3. Sable très fin. Grains ayant franchi le lamis 100 el ar- rêtés par le lamis 200.
Le sable est homogène lorsque 80 p. 100, en poids, au moins, de l'échantillon, appartient à la même catégorie.
Le sable est mélangé lorsque les grains peuvent être sé- parés en catégories différentes sans qu'aucune d'elles soit nettement prédominante. Dans ce cas, on désigne le sable d'après la dénomination des deux catégories de grains en majorité. Ainsi on aura du sable moyen-fin ou moyen-gros ou très fin-fin.
Le sable est légèrement calcaire quand il renferme au plus Ô p. 100 de carbonate de chaux, calcaire lorsque cette pro- portion est comprise entre 5 et 50 p. 100, très calcaire entre
102 CARTE LIT1I0LOGIQUE DES CÔTES DE FRANCE.
50 et 75 p. 100, extrêmement calcaire au-dessus de 75 p. 100.
Le sable est cotfuitlier quand il contient des coquilles nettement visibles et, dans ce cas, les coquilles sont brisées ou mouilles selon la grosseur de leurs fragments.
Va$e. — Les matériaux ayant traversé le tamis 200 sont dénommés vase. Ils se composent essentiellement de deux portions, l'une amorphe, ne se laissant pas individualiser sous le microscope et appelée argile. Cette argile, est plus on moins calcaire; quand elle ne manifeste pas ou plus d'effervescence avec les acides, elle est de Y argile pure.
La seconde partie est constituée par des grains minéraux extrêmement pelits, quoique discernables au microscope qui permet, le plus souvent, de reconnaître leur nature mi- néralogique. Us portent le nom As fin- fins. On peut les sé- parer de l'argile au moyen d'un appareil trieur.
Les vases profondes sont distinguées d'après leur cousli- tulion.On aura ainsi des vases à globîgérines, àptéropodes, à radiolaires, à diatomées, des vases bleues, vertes, glauco- nieuses, des vases eorallières ou volcaniques. On aura de même des argiles grises et rouges des abîmes.
Lorsque l'échantillon ne contient pas plus de 5 p. 100 de vase, on lui conserve le nom de sable.
Lesable vaseux renferme 115 à 75p. lOOde grains minéraux, et par conséquent de 5 à 25 p. 100 de vase proprement dite.
La vase sableuse, contient de 75 à 10 p. 100 de grains mi- néraux et par conséquent de 25 a 80 p. 100 de vase.
Enfin si la vase contient moins de 10 p. 100 de grains minéraux, on lui conserve son nom de vase.
En résumé, les fonds se classeront et se désigneront de la manière suivante :
l'ierres, galels, poids tnoy<'ii jamais intérieur a 3 jjr.
t gros, arrêté par tamis 3. Cravier J moyen, — 6
' Hn. — 10.
i I.ITHOLOGtQUE DES CÔTES DE l'IUNCE.
Sable
i irèsfln, — iliO.
, Hn-fltis, ayant franchi tamis 500.
argile J calcaire' ' ( pure.
Sable vaseu», outre 95 et 75 p. 100 de grains minéraux. Vaae sableuse, — 75 et 10 p. 100 —
Vase proprement ilile, moins île 10 p. 100 de grains m
(1
Les principes suivants élanl bien établis, savoir :
l" L'indispensable nécessité pour la science pure aussi bien que pour la navigation el l'industrie de construire, à l'imitation de ce qui a été accompli par les nations étran- gères, une carte lilhologique des eûtes de France;
2° La nécessité non moins indispensable d'appuyer celle carie sur une classification précise des divers fonda sous- marins ;
3° L'obligation de créer, dès le début, cette carte com- plète, quoique susceptible d'être indéfiniment perfectionnée dans chacune de ses parties.
J'ai dressé la carte lilhologique des côtes de France de la acon suivante :
J'ai choisi une échelle suffisante pour donner les détails avec une approximation convenable. Les feuilles de la Ma- rine à l'échelle m = 12 millimètres pour la Méditerranée el rn = 15 millimètres pour l'Atlantique et la Manche, qui se raboulant et se superposant les unes les autres couvrent
ut le littoral français, m'ont semblé répondre au but que
me proposais et je les ai adoptées. La Méditerranée com- irend quatre de ces cartes. L'échelle m'en a paru un peu tout à cause de la faible largeur du plateau con- tentai dans ces régions, mais les feuilles à échelle plus
ande, ni = 37 millimètres, sont au nombre de quatorze
qui aurait augmenté considérablement les feuilles de
'atlas- Du resle, comme ces quatorze caries onL été colo-
l'Jl CARTE LITHOLOGMJOE DES CÔTES DE FRANCK.
riées par moi, je les possède en manuscrit et le public, par la demande qu'il en fera, demeure le meilleur juge de l'op- portunité de leur publication.
L'océan Atlantique, de l'Espagoe a Brest, comprend 8 feuilles et la Manche, jusqu'à la frontière belge, 10 feuilles, c'est-à-dire en lout, pour l'atlas complet, 22 feuilles.
CARTE LITHOI.C-GIOUE DES CÔTES DE KRANCE. 195
Sur les feuilles du dépôt de la Marine, j'ai reporté tout ce qui a été indiqué par les divers auteurs. Pour la Médi- terranée, j'ai colorié les 14 feuilles m = 37 millimètres et en ai reporté les indications sur les 4 feuilles m — 12 mil- limètres. J'ai trouvé peu d'informations : les travaux de M. Pruvot aux environs deBanyuls et de Roscoff, ceux de M. Durègne et de moi-même dans le bassin d'Arcachon ; je cite pour mémoire la carte de Delesse, petites! ancienne, celles du commandant de Roujous pour l'entrée de Brest, du commandant Trudelle pour la Manche. On est fort em- barrassé lorsque deux auteurs désignent d'une façon diffé- rente le fond d'une localité déterminée et que l'on ne pos- sède point, pour décider entre eux, le fond même dont il est question.
En revanche, les indications de fonds telles qu'elles sont données par les caries du dépôt de la Marine sont le véri- table document sur lequel il soit possible de s'appuyer d'une manière générale. Ce n'est pas qu'une étude appro- fondie ne laisse apercevoir,en un certain nombre de points, des diversités de désignation. Il serait bien désirable, en considération du développement pris par l'océanographie, que les jeunes ingénieurs aient sur la géologie et la miné- ralogie sous-marines ries notions plus complètes que celles qu'ils possèdent. Mais, au total, les cartes dressées par les hydrographes offrent une précision avec laquelle il faut compter, et quant à la désignation des fonds, elles sont le fruit d'une tradition qui en fait un ensemble dont il est impossible de méconnaître la valeur alors môme qu'on se- rait amené a critiquer quelques détails. Aussi aï-je consi- déré comme bon tout ce qu'a fait le service de la Marine, jusqu'à preuve du contraire, et lorsqu'un auteur s'est trouvé en désaccord avec les indications portées sur les feuilles, j'ai toujours donné raison à la Marine à moins que les di- vergences n'aient été formulées d'une manière précise, à l'aide de chiffres ou d'analyses et non de simples affirma-
1% CAHTE LITHOLOGIQITE DES COTES DE FRANCE.
tions. 11 convient que chacun porle la responsabilité <le ce qu'il a avancé. Je considère la carte lilhologique de France comme devant être une œuvre de haute précision.
J'ai colorié les fonds avec les teintes plaies qui m'ont semblé se distinguer le miens tout en favorisant le rendu typographique. Dans quelques cas, pour la plus grande fa- cilité des corrections subséquentes, j'ai essayé de rendre possible la représentation, ;iu moins momentanée, du même terrain, de deux façons différentes. Ainsi du sable au milieu de roches sera ligure soit par une teinte plate carmin, soit par de fins points rouges sur la teinte bleue de la roche; de la vase par du jaune gomme gutte en teinte ou en points. Je n'ai pas dislingué les sables vaseux des vases sableuses n'ayant aucun document suffisant pour établir cette dis- tinction. Je croîs qu'il sera nécessaire de le faire dès que de nouveaux échantillons auront été récoltés et analysés.
J'ai indiqué par des signes analogues quant ù la couleur, mais différents quant à la forme, des sols présentant entre eux des analogies. Les graviers gros et lin, les pierres et les galets sont en rouge de la nuance du sable dont ils sont des variétés ; les coquilles vivantes, les coquilles brisées et les coquilles moulues sont figurées en bleu par des croix, de courtes lignes et des points. Ces différences, qui traduisent des différences dans les conditions ambiantes du milieu environnant, m'ont paru devoir être signalées.
Chaque fois que l'indication d'un fond résulte de l'ana- lyse d'un échantillon récollé, j'ai noté la place, ce qui donne une eei'lituile complète. Il n'a pas dépendu de moi que les points fussent plus nombreux ; c'est à*Lous que revient la Lâche de le-- multiplier et, pour ce travail, j'ai foi en l'avenir. Le nombre de points de récolle fournit le poids de l'in- dication générale. Lorsqu'il sera assez considérable sur un espace déterminé et surLout à la limite de deux sols diffé- rents, un sera en mesure de marquer celle limite non pas seulement, ainsi que je l'ai l'ail, par la simple juxtaposition
CARTE UTHOLOGIQUE DUS CÔTES DE FRANCE. 1W7
de deux teintes, mais au moyen d'un trait pointillé noir qui ne se confondra pas avec les isobathes, affirmera la préci- sion de la délimitation sous la responsabilité de celui qui l'aura reconnue et permettra ensuite de supprimer, pour plus de simplicité, l'indication des points isolés.
J'ai noté par des traits noirs continus les isobathes de 10 en 10 mètres jusqu'à 100 mètres, sauf l'isobathe de 50 mètres, qui est en traits interrompus afin d'être plus fa- cilement distinguée, celle de 100 mètres en un trait con- tinu plus nourri et, en Méditerranée, celles de 100 mètres en lOOmèlres.
La carte géologique de France, quelle que soit sa valeur, n'est pas ce qu'elle sera dans un siècle. Sa précision ac- tuelle est le résultat de perfectionnements successifs dus aux efforts et au labeur de ceux qui se sont consacrés à cette œuvre depuis Mounel et Guvier, les plus anciens, Du- frénoy et Élie de Beaumont, les auteurs de la première carie détaillée, jusqu'aux observateurs régionaux qui ont dressé des cartes particulières, lesquelles ont été ensuite revisées et coordonnées. Les cartes que j'ai terminées ne sont guère aujourd'hui qu'une esquisse, mais elles existent. Il fallait les faire telles qu'elles sont, afin qu'elles puissent Être faites mieux. J'espère fermement que, d'année en année, elles se préciseront davantage sans qu'il soit nécessaire de modifier essentiellement les bases longuement mûries, laborieuse- ment expérimentées sur lesquelles j'ai cherché, dès le dé- but, à les établir.
- S" Tm*B5TRS 18B9.
LES DERNIERS VOYAGES DANS LE TIBET ORBITAL
MM HOLDERER et FUTTERER, M.'etM"' RIJNHART, M. CH. BONIN
« Depuis quelques années les expéditions au Tibet se mul- tiplient, ayant toutes le même but idéal d'atteindre Lhassa et toutes condamnées à n'y point arriver. Mais en cela, l'orame beaucoup d'autres, choses, c'est moins le but qui tist intéressant que le chemin pour y arriver s, Cette phrase a été écrite par M. Grenard, le compagnon de Dutreuil de Hhins, au sujet de l'exploration de M. Lillledale en 1895 : elle est toujours valable pour les voyages qui se sont suc- cédé depuis lois. Mais si les eflbrts et les insuccès des explorateurs européens dans ces régions sont invariables, il faut noier le changement important qui semble se pro- duire dans la politique que les Tibétains opposent à ces tentatives.
Les premiers voyageurs qui se présentèrent sur le terri- toire de Lhassa, Bonvalol et le prince d'Orléans, le capitaine Bower et Mockhill, furent traités, comme on sait, avec une aménité relative. Après les avoir savamment amenés à renoncer à leur projet d'arriver jusqu'à la ville sainte, les autorités de Lhassa s'empressaient ensuite de reconnaître ce désislement en leur fournissant les moyens de gagner dans les meilleures conditions la frontière chinoise. Cetle façon d'agir n'ayant pas découragé, tout au contraire, les voyageurs, les tentatives se multiplièrent si bien qu'un fonctionnaire indigène disai t : < Autrefois nous étions occu- pés à empêcher les Européens d'entrer au Tibet; aujour- d'hui nous ne sommes plus occupés qu'à les en faire sortir. » Les Tibétains paraissent donc s'être décidés à employer
LES IiEKNIEKS VOYAGES WANS LE TIBET ORIENTAL . l'Jt)
désormais des moyens plus Énergiques et ce me semble la raison principale pour laquelle presque toutes les expédi- tions libélaines faites durant ces cinq dernières années ont été arrêtées par des attaques et des assassinats. Il est à noter toutefois que ces actes de violence ne sont pas commis généralement sur les territoires dépendant directement de Lhassa, comme pour bien mettre à couvert la responsa- bilité des autorités tibétaines et chinoises de la capitale du Tibet : ce sont des tribus de la frontière qui furent char- gées ou se chargeront d'elles-mêmes de ces exécutions.
Je rappellerai comme exemples principaux le pillage de miss Taylor dans les monts Dangla, l'assassinat de Dulreuil de Rhins à Tongboumdo, l'attaque du colonel Roborovsky dans les monts Amnyé Matchin et du lieutenant Poltinger sur le Haut-Iraouaddy, la façon violente dont le capitaine Deasy fut rejeté, comme Liltledaie, sur le Ladak d'où il sortait, les tortures qu'eut à subir le journaliste Savage Landor, la disparition mystérieuse de M. Rijnhart, très probablement assassiné sur le Haut-Mékong, enfin les ten- tatives de massacre et d'empoisonnement commis contre le D* Holdereret ses compagnons.
Au sujet de ces deux derniers voyages, dont les détails ne sont pas encore connus en Europe, j'ai été à môme de réunir sur place d'assez nombreux renseignements. Je les dois d'une part à Mme Rijuhart, la compagne du voyageur assassiné, qui est arrivée à Tatsienlou (Tibet) au moment même où je m'y trouvais en novembre dernier, et d'autre part au très aimable et distingué Dr Holderer, qui vient d'arriver à Shanghaï. Une lettre de Mme Rijuhart a paru dans le Nortk China Daily Sews du 4 janvier dernier avec les notes de voyage sommaires de son mari jusqu'à sa dis- parition. Grâce aux renseignements qui m'ont été donnés à Tatsienlou, je puis y ajouter des détails sur la dernière partie du voyage avec des éclaircissements géographiques sur l'itinéraire suivi.
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200 LES DERNIERS VOYAGES DAtiS LE TIBET ORIENTAI..
M. Peter Rijnhart, né à Rotterdam en Hollande, était établi depuis plusieurs années dans la région de Sining (dans le Kan-sou); Mme Rijnhart, Anglaise du Canada, y exerçait la médecine. Sans appartenir régulièrement aux missions protestantes d'Angleterre ou d'Amérique, ils avaient déjà fait chez les tribus du Koukbe-nor plusieurs voyages, dont le succès les engagea a pousser plus loin. Ils espéraient peut-être atteindre Dordjéling (entre le Népal et le Bhoutan, terminus d'une ligne qui aboutit à Calcutta) en passant par Lhassa : l'itinéraire adopté par eux le laisse au moins sup- poser. Ils partirent deTankar' (Donkyr) en mai dernier, emmenant leur fils âgé d'un an à peine. Comme il était facile de le prévoir, le pauvre enfant ne put supporter les fatigues et les privations de la route et il succomba trois mois après le départ : il est enterré sur les bords du Mou- roui-Ûussou, le haut Fleuve Bleu.
Les voyageurs avaient avec eux Irois serviteurs indigènes et treize chevaux pour leurs bagages; ils subvenaient aux frais du voyage principalement en vendant des livres de piété et en donnant leurs soins médicaux aux populations. Le résident chinois (amban)3 de Sining leur avait refusé un passeport, mais ils passèrent outre, se fiant a leur con- naissance du pays. Ils suivirent d'abord la rive nord du lac Koukbe-nor à travers un pays peuplé de Tibétains et des- cendirent vers Barong-tsaidam, où commencent les régions désertes. Continuant vers le sud, ils franchirent deux grandes chaînes de montagnes, qu'ils appellent Shaya-koko (sans doute les monts Chouga ou Koukhe-tchilt) et Shih-
1. Tong-kor, ou Tong-k'ar. Celte iternière orthographe es! probablement [abonne. Tong-k'ar signifie marcha-forteresse <mark©t-borûug:h| (Gre-
3. Légal impérial, k'iny-tch'ai (C).
LES DERNIERS VOYAGES IIANS LE TIBET ORIENTAL. 201
dangla (Dangla)1. Ils arrivèrent ainsi à la préfecture de Nagchuka (iS'ag-tchou-ka), où résident un mandarin chinois et un chef tibétain, après avoir élé volés déjà de trois obe- vaux sur la route. Les aulorilès les prévinrent qu'ils ne pourraient continuer plus au sud vers Lhassa et leur offrirent des guides et des chevaux pour gagner à l'est Jye- hundo (Gyé-rgouu-do), d'où ils pourraient rentrer en Chine par Tatsienlou. Ils acceptèrent et, partis de Nag-tchou-ka au commencement de septembre, ils conlinuèrent leur voyage à travers une région montagneuse et difficile, où ils durent franchir deus grandes rivières, le Dangchu et le Suchu : c'est le Cbaglchou-, descendant des monts Dangla, et le Sogtchou, qui forment avec le Nagtchou les trois branches supérieures de la Salouen. Après avoir traversé ■•i gué te Ta-chu, qui n'est autre que le Haut-Mékong (Diatchou), ils furent égarés par leurs guides sur une roule impraticable, qui longe la rivière, et assaillis par des coups de fusil qui jetèrent la confusion dans leur petite cara- vane. Leurs guides s'enfuirent, leurs chevaux furent enlevés ou tués, et M. et Mme Rijnhart restèrent seuls sur le bord du fleuve avec un seul cheval, le plus fatigué de tous. Dans cette position désespérée, après avoir tenté pendant plu- sieurs jours de retrouver la roule, M. Rijnhart se décida à relraverser le Mékong à la nage pour atteindre quelques lentes qu'il apercevait dans le lointain. Sa femme suivait «es mouvements avec un télescope : elle le vit disparaître peu à peu parmi les rochers qui bordaient l'autre rive, se dirigeant vers un troupeau de moutons qui paissait là,
I. L'ortiio graphe de ce nom est douleuse ; aucun Tibétain n'a pu m'en donner une explication saiisfiiisauie. l'eut-élre est-ce Drang-la qui se prouotwe Dang-ta avec nu d foii et explosif facile ii confondre avec un /_ Drang signifie droit, direct, sans détours, comme le turc Toghry ou fughrou, si fréquents dans la géographie de l'Asie ceuiralu. M. Rock- iiill, la première autorité en ces matières, éeril Dang la (Urenard).
•i Cliag-lchov est le nom que prend la rivière formée par la réunion Èa Liang-Miou el du Sang-ldiou (G.).
202 LES DERNIERS VOYAGES DANS LE TIBET ORIENTAL,
et depuis lors elle n'a plus eu de lui aucune nouvelle... Cela se passait le 2ti septembre. Mme Rijnharl resta six jours à [attendre le retour de son mari; enfin, avec l'aide desj Tibétains des lentes, qui rerusèrent d'ailleurs de lui donner aucun renseignement sur le sort de son mari, elle put atteindre la lamaserie de Tachi, d'où le supérieur la fit conduire par requissions jusqu'à Racbi-gonpa* et de là à Gyergoundo. Le mandarin chinois, délégué de l'amban de Sining, qui commande ce poste, lui fit trouver des chevaux et donner deux guides chinois pour gagner Tatsienlon par la route de Kangdzé, mais elle n'avait pas encore épuisé tous les malheurs : une semaine environ avant d'arriver au but, elle fut attaquée de nouveau sur le territoire de Tawo (Dswo-gonpa), qui dépend nominativement du roi libétain de Kiala* (Tatsienlou); le peu d'argent qui lui reslait fut enlevé, le sabre fut levé sur sa tète, et, sauvée par ses prières, elle arriva à Tatsienlou dans le plus complet dénue- ment. Quelques jours auparavant, un missionnaire anglais de cette dernière ville, qui peut-être marchait à sa rencontre dans celte direclion, avait élé attaqué pendant la nuit à ce même Tawo el avait dû revenir en hâte, portant son bagage sur le dos. C'est même, dît-on, ce qui l'avait pro- tégé du coup de sabre qu'un Tibétain lui lançait par derrière et qui fui paré par l'épaisseur de la charge.
Le Dr Holderer est originaire du grand-duché de Bade, )ù il exerçait les fonctions à'amtmann (administrateur)
I. Ou plulùl Rak'i-yonpti, le monasière ilt- la trilm des Rak'i. 11 n"est pas indiqué sur ma carte, parce que nous n'en avons pas connu la position exacte. 11 nous a été signalé comme situé dans le liant rie In vallée Foumo-djoiijr (Atlas de- la missinn hiitreuil de llhius, carte XXII},
il rie la r«
e(G.).
i. Ltchug.*-la. pron. Trhajf-1
(G.).
LES DERMEBS VOYAGES DANS I.E T1IÎET ORIENTAL. 20;!
du district de Lorrach. Agé de 32 ans, il était déjà pré- paré à diriger une exploration par un premier voyage au- tour du monde. Celui qu'il vient de terminera travers l'Asie a été fait entièrement à ses Trais, pendant un congé que lui a donné son gouvernement et sans aulre concours que desrecommandations officielles pour les pays traversés. Son ami le Dr Fiilterer, qu'il s'est adjoint pour cette expé- dition, était spécialement chargé de la partie scientifique : observations et histoire naturelle. Les voyageurs étaient accompagnés d'un domestique allemand, et le gouverne- ment russe mit à leur disposition pour les suivre en Asie centrale trois cosaques provenant du détachement de Khouldja; ils ne paraissent pas en avoir été très satisfaits : l'un des cosaques tomba malade à Sining et dut être rapa- trié, les deux autres nbandonnèrent la mission peu après, avant d'entrer dans les régions dangereuses où leur con- cours aurait été utile.
Parti d'Europe en novembre 18(17, le Dr Holderer et son compagnon se dirigèrent parla Méditerranée, la mer Noire et la Transcaucasie vers le Turkestan russe. De Tachkenl, ils entrèrent sur le territoire chinois par Kachgar, où le consul général de Russie, M. Petrovsky, bien connu de tous ies voyageurs, dispose, grâce à son escorte de 64 co- saques, du pouvoir effectif, mais non nominal, sur la Kach- garîe. Il lit donner aux voyageurs comme interprète un marchand russe, échangé plus tard contre un Sarle, égale- ment sujet du Tsar, qui n'alla pas non plus jusqu'au terme de la route, en sorte que la dernière partie du voyage s'ef- fectua sans escorte et sans interprète, ce qui en augmenta singulièrement les difficultés.
De Kachgar les explorateurs se dirigèrent à l'est en sui- vant les monts Tien-chan vers Tourfan et Hami, dans la partie occidentale du désert de Gobi. Infléchissant au sud- est, ils atteignirent a Soutclieou la province du Kansou, abri- tée derrière le prolongement occidental de la Grande Mu-
'204 LES DERNIERS VOYAUES DANS LE TltlET ORIENTAL.
raille. En longeant, celle-ci .jusqu'à Leang-tcheou, ils des- cendirent vers Sining, laissant sur leur gauche la capitale du Kansou, Lanlcheou. Jusque-là les routes suivies étaient d'\jà connues par des explorations précédentes, dues spé- cialement aux Russes. C'est à Sining et à Donkyr que les voyageurs organisèrent définitivement leur caravane pour pénétrer dans le Tibet du nord et explorer le cours supé- rieur du Hoang-ho, qui était leur objectif. Ils emmenaient avec eux une douzaine de chevaux et une quarantaine de yaks pour le transport de leurs provisions; l'été élait venu et l'herbe haute facilitait la nourriture de ces animaux. La caravane se dirigea d'abord à l'ouest en suivant les pâtu- rages qui s'étendent sur la rive méridionale du grand lac Koukhe-nor. Ils ne rencontrèrent dans ces régions que les lentes noires des Tibétains nomades, qui y fonl circuler leurs troupeaux.
Arrivés au lac Dalai-Dabassou les explorateurs ne purent trouver de guides pour les conduire au sud-ouest vers les lacs Kiaring et Ngoring et se décidèrent à revenir vers le sud-est pour atteindre au moins le cours supérieur du Hoang-ho. Ils le franchirent à un gué, gardé par un petit poste de soldats chinois, qui paraît tilué à 40 ou 50 kilo- mètres en amont de Balaikoun-gomi '. A celle hauteur le fleuve coule dans un étroit défilé, un cniion, qui ne laisse le long de ses rives aucune route praticable.
Continuant vers le sud-sud-esl, les voyageurs arrivèrent dans un pays de pâturages, où ils trouvèrent pour la pre- mière fois les tentes tde feutre blanc des Mongols, mêlées aux lentes en poil de yak des Tibétains s. Ils établirent leur camp sur le Tse-Lcheu, affluent de droite du fleuve Jaune, ie Ktchî-tzn de la carte de Dutretiil de llhins. Laissant là leur caravane sous la garde de leur domestique allemand,
1. 0uahon-t;oml (G.).
2. Les Tibétains du Kouknor se servent quelquefois de ternes de finilrt blanc (G.).
LES DERNIERS VOYAGES DANS LE TIBKT ORIESTAL. 205
ils piquèrent vers le sud pour atteindre le Hoang-ho, très
probablement près du confluent de la rivière qui porte sur
les cartes le nom mongol de Bakha-Kalioutou (la petite
Kalioulou), tandis que le Tse-tcheu porte celui de Yeke-
Kalioulou (la grande Kalioulou). Ils constatèrent que le
fleuve Jaune coule ici au pied d'un large plateau avant
d'entrer dans les défilés qui l'enserrent ensuite, que si
direction est à celte hauteur rigoureusement de l'est à
l'ouest, comme elle est marquée sur les cartes chinoises,
mais non sur les cartes européennes, et qu'enfin au sud du
fleuve court une grande chaîne de montagnes qui parait
absolument déserle. Ce sont les monts Amnyé Matchin, la
montagne sainte des Tibétains Ngologs.qui battent du front
à son seul aspect.
Revenu au camp duTse-lcheu, le D'Holderer apprit qu'il avait été attaqué pendantson absence par des rôdeurs tibé- tains et mongols, et qu'on avait tenté de faire périr son do- mestique avec du lait empoisonné; celle région est en effet relativement très peuplée, et la population nomade y est particulièrement belliqueuse, insolente et hostile. En consé- quence, les voyageurs reprirent la direction du sud-esl pour se rapprocher des Lerriloires chinois, et arrivèrent sur le cours supérieur du Tao-ho, dans une région où les forôls se mêlent aux palurages. Près du gonpa de Chin-se ou Tcbin- tse, lamaserie importante sur la rive gauche du Tao-ho, qui compte iOO lamas environ, ils furent attaqués de nou- veau par les Tibétains; malgré leur énergique défense tous leurs bagages furent pillés, leurs yaks enlevés et ils restè- rent seuls avec deux chevaux, sur lesquels ils se hâtèrent de gagner la préfecture chinoise de Tao-tcheou. Ce n'est pas sans regrels qu'ils abandonnaient ainsi la vallée du fleuve Jaune sans avoir pu relier de nouveau son cours supé- rieur à leur itinéraire; ils avaient appris en effet que, de Tchin-lse, on peut se rendre en deux jours de cheval à la pointe orientale du coude du Hoang-ho, point qu'il aurait
2<Hi I.KS DBRKIEnS VOïAUES DAIS'S t-E TIBET ORIENTAL.
été liés important de fixer pour savoir jusqu'où dans cette direction le fleuve s'avance vers l'est- C'est seulement près de Tao-tcheou, à deux jours environ dans l'ouest de cette ville, qu'ils retrouvèrent les premiers agriculteurs chi- nois, qui ne semblent pas de ce côté gagner peu à peu sur les Tibétains comme ils le font depuis plusieurs années sur les frontières du Setclmen et du Yunnan.
Ayant adressé leur plainte officielle aux autorités du Kansou et réclamé le remboursement de leurs bagages enlevés, les voyageurs gagnèrent Singan-fou par Kong- tchang et Ping-leanget descendirent de la à Ilan-keou par les barques du Tan-ho et de la rivière Han. Arrivés à Changhai, ils se séparèrent pour rentrer en Europe, le Dr Fùtterer par l'Amérique et le Dr Holderer par le canal
Bien qu'il n'ait pu, par suite de l'hostilité des populations, être accompli dans son entier, ce voyage n'eu reste pas moins un des plus intéressants parmi ceux qui ont été exé- cutés sur la frontière tibélaine : il remplit en effet un vide important de la carte entre les itinéraires de Prjévaisky, de Rockhill et de Grenard à l'ouest, celui de Potanine et mon voyage de 18913 à l'est. Si le Dr Holderer avait pu, franchissant la boucle du Hoang-ho, rejoindre le point où Itoborovsky fut arrêté le 27 janvier 1895, le problème eût été presque entièrement résolu; ce sera l'œuvre de ceux qui s'engageront sur leurs traces, demain ou dans dix ans, car, selon le mot du philosophe allemand, « toute œuvre n-l-elle encore et toujours l'éternité du temps pour s'ac- complir»,
C.-E. Bonin.
LES OKBMERf VOYAGES DAZV* LE TIBET ORIENTAI.. 207
La très intéressante note de M. Bonin qu'on vient de lire s quelques observations complémentaires de ma part. 1 ce qui concerne le voyage de Kijnhart et de sa femme, je n'ai rien à ajouter à ce que j'en ai dit dans les Comptes rendus de la Société d'après les notes mêmes du voyageur et les lettres de sa femme. Je fais seulement remarquer qu'il n'y a point de mandarin chinois à Nag-lchou dzong; celui qui est venu à la rencontre de H. Kijnhart à la fron- tière septentrionale du royaume de Lha-sa était probablement un des secrétaires de la légation de Lha-sa, chargé d'aller recevoir selon la coutume l'hommage et le tribut du prince des Tibétains Hor-tsi, qui réside à Pa-tchen au nord-est de Nag-tchou. Il ne peut avoir été envoyé spécialement delà capitale pour arrêter M. Ftijuhart, puisque l'arrivée de celui- ci n'avait pas été signalée avant le 2ti août, et que dès le l" septembre il rencontrait ledit fonctionnaire; or, un cour- rier ne peut pas mettre moins de six jours, ni un fonction- naire moins de dix, pour accomplir le trajet de Nag-lchou à Lha-sa et inversement ; de plus, M. Rijnharl a été arrêté a deux journées de marche an nord de Nag-lchou dzong.
Le voyage de MM. Holderer et Fiitterer, moins difficile, noins long et moins dramatique que le précédent, est plus utile au point de vue géographique. Il n'y a rien à dire de s partie déjà bien connue de leur itinéraire entre Kâchgar et le lac Dalai Dabsoun. Je remarque en passant que l'es- corte du consul russe à Kâchgar, quin'était que de 40 cosa- raes lors de notre passage, a été portée à 64. Le fait a son importance. Quant à l'opinion d'après laquelle le repré- sentant du tsar posséderait le pouvoir effectif sur la Kach- garie, elle est singulièrement exagérée; mais, comme j'ai déjà expliqué ailleurs l'état exact des choses, je n'y revien- drai pas ici. Il est regrettable que MM. Holderer et Fiitterer aient renoncé à leur intention de se rendre du Dalai Dab-
508 LES DEKPilEilS VOYAGES DANS LE TIBET ORIENTAL.
soun aux lacs Kya-ring el Ngo-ring. Peut-être le défaut de guides n'élail-il point un motif suffisant d'abandonner ce projet dont l'exécution nous aurait fixés d é fi ni li veinent sur les sources du Hoang hô. Au demeurant, je prie le lec- teur de ne point voir de reproche ni de critique dans ce regret que je me permets d'exprimer; car l'exploration que les voyageurs allemands ont accomplie n'est pas moins originale que celle qu'ils ont nianquée, et elle étail en réa- lité plus dangereuse.
En partant du Dalai Dabsoun dans la direction du sud- esl, ils ont croisé successivement l'itinéraire de M. Rockhill (1892), le mien (189-1) et celui de Prjévalsky (1880; avant d'atteindre le fleuve Jaune. Celte partie du voyage permettra de débrouiller l'orographie encore obscure de la région qui s'étend au sud du Kouk nor. Le fleuve Jaune franchi, les voyageurs entrèrent dans un pays où les Européens n'avaient jamais pénétré avant eux, el qui ne nous est connu que par des cartes chinoises el un certain nombre de renseignements recueillis principalenieni par M. Potanine. Ils remontèrent probablement la vallée du Mba tchou et atteignirent la rivière dont ils IranscriventTsé-lcheu, le nom que Polanine écrit Rlcbi-dza (Tehi-dza). C'est, comme le dit M. Bonin, i'iki Kalioutou des Mongols. Je n'insisterai pas sur la suite de l'expédition que M. Bonin explique très clairement. Je me contenlerai de noter que ma carte générale de l'Asie centrale se trouve ÔIre conforme aux premiers renseigne- ments fournis par MM. lloldereret Fûllerer, ce qui prouve en faveur des géographes chinois qui m'ont servi à la con- struire. Mais il est bien certain que les travaux des deux voyageurs allemands, lorsqu'ils seront complètement con- nus, y apporteront de nombreuses modifications de détail, et des changements peut-elre importants dans quelques po- sitions, qui nous donneront le moyen de rapprocher davan- tage de la vérité le dessin de la grande courbe décrite par le fleuve jaune. En somme, MM. Holderer el FiilLerer, autant
LES BKMilEflS VOYAGES DANS LE TIUET ORIENTAL. 209
que nous pouvons le savoir présentement, ont parcouru environ 750 kilomètres entièrement nouveaux. Ils ont pré- cisé les cours supérieurs de l'Obé tchou el du Tché-tché tchou, fixé deux points du fleuve Jaune, reconnu pour la première fois les vallées du Tchi-dza, du Baka Kalioutou et du Tao ho jusqu'à Tao Icheou. Ils ont réduit d'une manière 1res notable l'étendue inexplorée qui a le pays des Ngo-log pour centre et qui demeure encore la plus vasle des terrœ incognito. C'est là un résultat considérable, qui leur fera d'autant plus d'honneur que les circonstances étaient plus défavorables.
Les plus récenles expéditions tentées parles voyageurs européens sur les confins occidentaux de la Chine ont été marquées par les mêmes revers. Mais les causes de ces revers sont différentes ; les unes doivent Être attribuées au milieu, les autres au moment. Les régions où se sont aven- turés M. et Mme Rijnhart, MM. Holderer et Fiitterer ont été dangereuses de tout temps. Les explorateurs les avaient évitées avec soin jusqu'à ces dernières années. Prjévalsky ne s'y est jamais hasardé. M. Kockhill, qui les a traversées en 1889 par la route la moins périlleuse, parce qu'elle est tenue par quelques garnisons chinoises, y a éprouvé de graves difficultés; Dulreuil de llhins y a été tué en 1894; M. Roborovsky, l'année suivante, a été attaqué au moment où il essayait d'y pénétrer et obligé à rebrousser chemin; Mme Bîsbop en 1891 a été expulsée après y avoir parcouru quelques lieues. Celte contrée, qui laisse aux explorateurs du xx* siècle plus de travail que toute autre au monde, est limitée à peu près à l'est par les itinéraires de Polanine en 1885 et 1893, au sud par la grande roule de Ta-tsien-lou à Ba-t'ang et par l'itinéraire de M. Bonvalot, à l'ouest par l'itinéraire de Hue, au nord par celui de Prjévalsky en 1884 et par les lacs Kya-ring et Ngo-ring. Politiquement, elle comprend presque toutes les principautés tibétaines indé- pendantes de Lha-sa, sauf celle des Hor-lsi, que leur hosli-
L
210 LES DERNIBKS VOVACES UANS I.Ë TIBET ORIË]
lilé au bouddhisme rend relativement favorables aux Euro- péens. L'une d'entre elles, celle des Ngo-Iog, est un État de brigands que nul n'ose forcer dans leur repaire. Les autres, échappant à l'autorité réelle delaChine, sont livrées au caprice de leurs chefs, qui se querellent et se battent sans cesse; elles sont morcelées en une foule de clans et de cantons toujours prfits à guerroyer entre eux, vivant sous, le régime de la vendetta et de la razzia ; elles sont la proie de moines tout-puissants, durs et rapaces, qui, d'instinct, crai- gnent et haïssent l'étranger et exaspèrent contre lui l'âme superstitieuse et défiante des montagnards. Sans doute les Européens ne sont pas mieux vus dans le royaume de Lha-sa, qui est aussi tout entier dans la main des moines; mais c'est un État organisé qui sait maintenir l'ordre parmi ses sujets, et qui, soucieux par politique de garder un carac- tère régulier, observe les formes pour mettre à la porte les intrus dès qu'ils apparaissent. Il veille d'ailleurs à leur sûreté, dont il se sait responsable ; mais, s'il leur arrive mal- heur hors do ses frontièresjils'en lave les mains ; bien mieux, il excite secrètement conlre eux les gens des principautés voisines sur lesquels sa suprématie religieuse lui donne une grande influence. Si le gouvernement de Lha-sa avait placé son devoir au-dessus de sa haine, il aurait pu facilement sauver la vie de Dutreuil de Rhins; il lui aurait suffi de nous accorder la lettre que nous lui avions demandée pour les abbés que nous devions rencontrer sur notre chemin, et nous aurions trouvé aide et sympathie là où nous n'avons trouvé que mauvais vouloir et inimitié.
Dans la partie du Seu-lch'ouen où M. Bonin a voyagé, il n'en va pas de mÈme que dans la région dont je viens de parler. L'autorité chinoise s'y fait sentir davantage. Je ne veux pas dire que les indigènes, Tibétains ou autres, qui y sont établis, soient toujours de bonne composition. C'est une chose assez délicate que de s'entendre avec eux, et que M. Bonin ait su s'en faire accepter tant dans son exploration
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LES DKBMEflS YOïAi.KS HANS I.K TlliET ORIENTAL.
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de 18H5 que dans celle de l'année dernière, cela fait honneur à ses qualités diplomatiques; mais enfin, avec une conduite prudente, on peut traverser ce pays sans grand danger dans les circonstances ordinaires. Malheureusement, M. Bonin y est arrivé au moment le plus défavorable. La guerre du Japon, les intrigues etles révolutions de palaisqui en avaient Été la conséquence à Pékin avaient ébranlé le pouvoir im- périal; des révoltes avaient éclaté dans le nord et dans le sud de la Chine, on parlait d'un changement de dynastie, et partout les fonctionnaires locaux, sentant la bride du maître flotter sur leur cou, donnaient carrière à leurs fan- taisies : hostiles pour la plupart aux étrangers, ils commen- çaient à les persécuter sous main, quelquefois ouvertement; les lettrés sans emploi, n'ayant d'espoir que dans le désordre, stimulaient les pires passions populaires contre les démons d'occident ; les soldats licenciés, les paysans affamés et les gueux des villes étaient à l'affût de mauvais coups et de pillerïes ; les associations politiques s'agitaient et tous les fauteurs de troubles tournaient leurs premières violences contre les Européens parce que c'est contre eux qu'il était le plus facilede s'accorder. Des missions chrétiennes furent ravagées et incendiées, des missionnaires tués, maltraités ôli expulsés. Dans ces conjonctures, l'expédition de M. Bo- nin ne pouvait se poursuivre sans péril.
Les indigènes l'avaient bien accueilli, mais les Chinois, qui ne respectaient plus les ordres de Pékin, l'attaquèrent ou le firent attaquer. Il eut quatre hommes blessés dans le combat, dont il sortit lui-même sain et sauf. Il gagna avec peine Kieu-lch'ang ou Ling-yuen, puis'l'a-tsien-lou,pardes routes nouvelles. Cette dernière ville, calme d'ordinaire, était alors livrée au désordre comme le reste de la province j le télégraphe avait été coupé; les missionnaires, épargnés jusqu'à ce jour, mais menacés, vivaient dans l'inquiétude et pensèrent un moment à se réfugier avec M. Bonin sur une montagne prochaine peu accessible. Bientôt le voya-
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212 LES DEKMlKnS V0VA4ÏES DANS LE TIBET ORIENTAL.
genr apprit le pillage d'une grosse partie de ses bagages el de son argent, que M. de Vaulserre lui avait expédiée. Il lui était désormais impossible de continuer sa marche en avant, moins encore à camuse du manque de ressources que de l'état d'anarchie et de rébellion où le pays était plongé. Il revint donc par la grande route sur Ya-tcheou afin de regagner le lleuve Bleu. En prenant toutes les précautions el en faisant face aux dangers qui le suivaient sous des formes multiple?, il put atteindre le fleuve et descendre par eau jusqu'à Tch'oung-k'ing et I-tch'ang en retraversant départ en part la vallée du Ta Kiang de plus en plus troublée. Ainsi la période d'agitation au milieu de laquelle M. Bon in a tenté son exploration ne lui a pas permis de remplir son programme entier. Cependant les résultais qu'il a obtenus sont considérables et seraient très satisfaisants pour une première année de voyage, même si elle s'était écoulée sans incident fâcheux. Tandis que son second, M. de Vaulserre, relevait le cours du lleuve Bleu en amont de Soei fou, M. Bonin prenait la voie de Ta-knuan, Tchao-t'oung et Toung-tch'ouan, qu'avaient suivie avant lui Francis Garnier en 1868, Jean Dupuis en 1871, Baber en 1876. A quelques lieues au delà de Toung-tch'ouan, il abandonna les chemins battus et s'engagea sur une route inexplorée qui le conduisit à travers le Leang-chan à Ling-yuen; de là il marcha sur les traces de Baber (1877) jusqu'à Lou-kou,puîs il remonta une vallée plus occidentale que celle qu'avait descendue le voyageur anglais et aboutit à Tzeu-la-li sur leTa-kin tch'ouen où il rentra en pays connu. Aulanl que je puis m'en rendre compte préseniemenl, M. Bonin a relevé environ 400 kilo- mètres nouveaux. Son itinéraire, comme il l'écrit lui- même, complète et rectifie celui qu'il a suivi en 1895-1896; l'un et l'autre forment les deux côtés d'un triangle isocèle qui aurait Ta-lsicn-lou pour sommet et la ligne de Ta-li à Toung- tch'ouan pour base. Les nombreux renseignements géogra- phiques qu'il a recueillis sur les régions voisines de sa route
*-ES L'LriîlliilS YGYAi. m D.^NS 1a. r »BiùT 0.»iK.NT..L. LiO
doublent l'importance de son exploration et permettront de dresser la carte du pays situé entre le fleuve Bleu, le Ya-long kiang et le Ta-kin tch'ouen. J'ajouterai que ce voyage emprunte un singulier intérêt à la .peuplade des Lolos, ou plutôt des Nyé-sou, pour employer le nom véri- table, au milieu de laquelle il a été accompli. Cette peu- plade, qui n'est guère connue que par les notes deBaber, bien superficielles malgré la grande intelligence de l'auteur, et les travaux encore incomplets du P. Vial, a été étudiée récemment, dans les tribus qui en subsistent au Yun-nan, par M. Bons d'Anty, aujourd'hui consul de France à Tch'oung-k'ing. Nous souhaitons qu'il puisse bientôt publier les résultats des recherches qu'il a poursuivies longtemps avec patience et avec la plus parfaite compétence. Les informations de M. Bonin y ajouteront sans doute d'impor- tants détails, et achèveront de nous donner une connais- sance générale de ce débris de l'antique race indonésienne, primitive occupante de la Chine et chassée dès les temps préhistoriques par le peuple des cent familles dans les montagnes du Tibet.
M. Bonin reprendra son exploration dès qu'il aura obtenu du gouvernement de Pékin la satisfaction qui lui est due. Mais au lieu d'aborder l'Asie centrale par le Seu-tch'ouen., il l'abordera par le Kan-sou. Il rencontrera certainement moins d'obstacles de ce côté, et pourra vraisemblablement résoudre plusieurs questions géographiques concernant le haut fleuve Jaune et le haut fleuve Bleu; de cette manière il aura accompli une mission un peu différente de celle dont il s'était fixé le programme, mais non moins impor- tante.
F. Grenard.
V&w^i-a**^-
SOC. DE GÉOGR. — 2e TRIMESTRE 1890. XX. — 15
AU TRAVERS DU CONTINENT AUSTRALIEN
Le capitaine H. VERE BARCLAY1
Il y a vingt-Jeux ans, le gouvernement de l'Australie méri- dionale désira déterminer la position de ta ligne frontière entre cette colonie et le Queensland. M. H- Vere Barclay était à ce moment en congé temporaire; il Tut recommandé au gouvernement ite l'Australie méridionale par le Ministère de la Marine anglaise comme étant toutù fait qualifié pour ac- complir cette périlleuse et savante mission. La ligne, jus- qu'alors idéale, qui séparait les deux provinces australiennes était presque parallèle à une ligne télégraphique qu'on venait d'établir entre le port d'Adélaïde au sud et Port-Darwin au nord de l'Australie; en plus de la mission qui lui était con- fiée par les provinces, le capitaine Barclay devait étudier le tracé d'une ligne de chemin de fer destinée à rejoindre dans l'avenir les rivages sud de l'Australie à ses rivages nord, c'est-à-dire une longueur d'environ 3,000 kilomètres.
H. Barclay commença d'abord a. déterminer astronomi- quemenlte point d'Alice S prings, place sur la ligne télégra- phique, sur laquelle il mesura ensuite sa base d'opérations qu'il relia par des triangulations à la ligne frontière qu'il avait à tracer. Pour arriver à. cette ligne, il eut à traverser une contrée formée de collines de sable avec nombreux spinifex; mais un peu plus haut les sables cessent a Mac- donnell Ranges, où commence une chaîne de montagnes dont certains pics atteignent 1,700 mètres de hauteur,
, CiuBmuiilciiiion faite par H. Jules Garnier dans la séance du Mrs 1699. — Voir le profil Joint à ce numure.
AU TRAVUIIS DU CONTINENT AUSTRALIEN. 215
andis que sa base d'opérations n'était qu'à 700 mètres au- s du niveau de la mer. Cette haute chaîne s'étend est- ouest et va rejoindre dans le Queensland la chaîne de Garas. M. Barclay était accompagné de 9 hommes et de nombreux chevaux; en même temps que la topographie, il relevait la coupe des terrains traversés, que l'on peut voir sur le profil ci-joint. A l'endroit nommé Hergol Springs, fi 350 kilomètres au sud du lac Eyre, M. Barclay traversa la contrée la plus remarquable de son voyage : ce pays est au niveau de la mer eL quelquefois an-dessous; ainsi la surface 'du lac Ëyre est à 3 m. 50 au-dessous du niveau lie la mer; autour d'Hergol Springs s'élèvent de nom- breuses collines de sable en forme de pains de sucre et c'est au sommet de ces collines que se trouve généralement une petite nappe d'eau dont la plus grande peut avoir 15 mètres de diamètre, et pendant que l'eau abonde sur ces omroets de sable on n'en trouve pas une goutte à leurs jïeds ; le voyageur qui n'aurait pas l'idée de gravir ces troncs e cône pourrai t mourir de soi!' dans la plaine. M. Barclay ne a pas le fond de ces pièces d'eau même à 380 mèlres, ■ofondeur à laquelle ses sondes pouvaient atteindre. L'eau de ws bassins est salée, saturée d'iodurcs et rie chlorures alcalins, de plus elle est imprégnée d'hydrogène sulFuré et sa température atteint 82° centigrades; des vapeurs s'en dé- gagent. On arrive à la rendre potable pour les animaux en fa laissant reposer pendant vingt-quatre heures; les ga» qu'elle contient s'évaporent, mais comme elle est toujours très salée, l'homme n'en peut boire que très modérément. Cette eau provient de puits artésiens naturels, et la silice dont elle est chargée a formé graduellement au travers des sables une sorte de tube solide par lequel l'eau arrive régu- lièrement du fond au sommet de chaque c6ne.
M. Barclay a constaté par les faits suivants la façon dont ces phénomènes se produisent. Dans les Macdonnell Ranges, ;iu nord, le sol est l'orme de schistes inclinés de 70° vers le sud,
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ai: TRAVEBS !
les pluiesqui tombent surce territoire monlagneuxatteignent une hauteur qui varie entre 50 centimètres et 1 m. 60, elles suivent souterraine nient la pente des schistes et vont remon- ter vers HergoL Springs sous la forme de ces puits artésiens; une preuve de ce fait, c'est qu'il ne pleut jamais sur les sables qui couvrent l'intervalle et que, de quatre à sept mois environ après tes grandes pluies qui tombent dans les montagnes de Macdonnell Ranges, la vigueur des sources d'HergotSprings augmente en proportion des pluies; de plus l'immense bassin qui entoure du côté du nord-est, jusque dans le tjueensland, ces puits artésiens, écoule toutes ses eaux dans la mer de sable à la surface de laquelle appa- raissent ces puits artésiens. Ce curieux pays de sable est ainsi traversé par des sources ascendantes sur une distance de 800 kilomètres environ. L'eau du lac Eyre, dont le niveau est si bas, est ta plus salée de toutes, et c'est un fait très remarquable si l'on observe que c'est précisément dans ce lac que toutes les rivières du grand bassin nord-est du Queensland, sur une largeur de 160 kilomètres, viennent se déverser, de sorte que cette salure ne peut s'expliquer que par l'arrivée dans ce bassin lacustre des sources salines sou- terraines dont nous avons parlé. Nous ferons remarquer à ce sujet que les eaux jaillissantes dans les pays de sable ont non seulement une grande influence pour retenir les sables à l'état de dunes, mais encore pour fixer ces dunes et en former des collines solides où les sables sont agglomérés par les subslances minérales qui s'échappent des eaux ascendantes qui les tenaient en dissolution1.
1. Ces falLs vunnenl appuyer I opinion Énoncée par M. Jules tarnier ;i la Sociéu de Ciugraplik en I88J. et pins lanl reprise par le capitaine du génie Courbi», à teVotr qu'il eii-lf dans le Sutura des dune!! qui prennent naissante aux poims un se irouvrni des sources jaillissantes. On avait objecte a Mlle opinion que la» eaui dont cette variété de dunes sont Imprùyiiéi'» provenaient des pluie-s et non des sources sous- JaillUsante* : cela ne saurait être, en tout cas, dans les dunes de Hergni Spriug*. puisque les pluies n'y tombent jamais.
AU THAVËRS PU CONTISKNT AUSTRALIEN.
ird de ce pays des sources, on traverse des colli sable rouge couvertes de silex rouges ntre aujourd'hui, à Charlotte Waters, i
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li nés . noirs; on'ren- observatoirc du
gouvernement qui constate parfois des températures de 50" centigrades à l'ombre. Au nord de Charlotte Waters, le pays s'élève rapidement jusqu'à Macdonnell Ranges; celte con- trée a subi une énorme dénudation. ainsi que le montre la curieuse colonne appelée Cliambers Pillais; ce pilier formé île grès friable est un témoin de l'ancienne hauteur du sol; mais celte colonne à peu près verticale, maintenue par une cohésion plus grande de ses éléments, disparaît rapidement usée par le vent et les pluies.
Plus au nord l'aspect du pays change complètement : les sables et les grès font place à de vastes séries de chaînes de quart zî te et de granit s'étendant sur une longueur de 700 ki- lomètres de l'est à l'ouest et sur une largeur de 100 kilo- mètres. La limite sud de celte chaîne est une barrière extra- ordinaire, taillée à pic et absolument inaccessible à l'homme. De dislance en dislance, celle chaîne est coupée d'étroits passages par lesquels se déversent les eaux du nord pour aller au sud dans la mer de sable; ces ouvertures ont jus- qu'à 20 mètres de largeur, pendant que le roc a 70 mètres de hauteur. Au nord de cette barrière se trouve une plaine très fertile, comprise entre la barrière même et les mon- tagnes du nord ; tantôt elle s'amincit et tantôt s'élargit jus- qu'à 60 kilomètres de largeur; c'est là une véritable oasis. Du coté de l'est, on retrouve des rivières courant au sud.
Nous devons rappeler que les rivières de ces pays ne coulent que dans la saison des pluies, mais les sables qui encombrent leur lit conservent, à quelques pieds de pro- fondeur, de l'eau où le voyageur neuls'abreuver; en dehors de ces lits de rivières, l'eau fait absolument défaut, et le capitaine Barclay a dû rester jusqu'à trois semaines sans n trouver pour ses soins de propreté. Au nord de l;i chaîne est-ouest dont nous venons de
m
At TRAVERS DU CONTIENT AUSTRALIEN.
faste plateau ; cette région est hien pins
parler, se trouve un v fertile qu'aucune des régions du sud, la pluie y tombe aussi plus régulièrement et l'on y sent l'arrivée de la mousson du nord, qui n'atteint pas le sud à cause des montagnes qui l'arrêtent. On comprend que dans ces conditions les indi- gènes soient ici d'un type supérieur à ceux du reste de l'Aus- tralie; ce sont les highlanders du continent australien; ils sont braves et bien armés, anthropophages et guerriers. Toutefois ils ont toujours respecté le capitaine Barclay parce qu'ils voyaient en lui un homme d'une grande bonté, qui donnait des remèdes à leurs malades, maïs ils le sentaient aussi fort et résolu; il est vrai encore qu'ils le prenaient pour an sorcier en voyant ses télescopes, ses théodolilhes et antres instruments, c Ce sont pour moi, dit le capitaine Barclay, des amis », et il a pu voyager au milieu d'eus pen- dant plusieurs mois, accompagné d'un seul blanc, sans être , le moins du monde inquiété. Il est revenu plusieurs fois dans la contrée depuis vingt ans pour y terminer ses travaux et il est de mieux en mieux reçu ; pour lui, il y a là une race humaine qu'on ne peut qualifier d'inférieure et il est bon juge, car il a observé un grand nombre de peuplades diverses dans le cours de sa longue carrière d'explorateur.
Ces Australiens ont des coutumes qui semblent extraordi- naires : leurs mœurs au sujet du mariage sont très strictes ; il est défendu d'épouser une parente m6me éloignée et, ils doivent même souvent chercher leurs femmes dans une tribu étrangère; l'homme qui désire s'unir à une femme doit l'enlever; celle-ci, surprise par l'homme, doit le suivre et lui la protège ensuite contre toute agression. Ils ne sortent de leur territoire que s'ils doivent porter un message et, dans ce cas, ils ont comme sauf-conduit un petit bâton sur lequel sont entaillés des signes spéciaux qui sont les mêmes pour tout le continent australien. Le capitaine envoyait ainsi ses lettres et. télégrammes à plusieurs centaines de kilomètres de distance ; il faisait une fente dans un bàtun, il
un bàtun, il
AU TRAVERS DU CONTINENT AUSTRALIEN. 219
y insérait son message et l'indigène, le bâton à la main et bien en vue, traversait tout le pays, respecté de tous à cause du message qu'il portait. Quelquefois on rencontre, chemin faisant, des inscriptions tracées sur des pierres dont le sens nous échappe encore.
Au nord du plateau dont nous venons de parler et à partir de Barrox Creek, la contrée est formée de vastes steppes sans intérêt, qui descendent en penle douce jusqu'au rivage du nord.
M. Barclay, quand il arriva à Port-Darwin, dans le nord, qui sera le point terminus du chemin de fer qu'il a tracé depuis, apprécia grandement la position de ce vaste port qui se trouve en face des immenses continents de la Chine et de llnde.Ge sera là, d'après lui, le centre d'un commerce des plus florissants quand le chemin de fer y aboutira. Près de 1,-400 kilomètres de la ligne sont déjà construits; il ne reste plus que 2,200 kilomètres à faire. Il n'est pas douteux qne ce continent ne soit destiné à recevoir dans l'avenir une immense population.
MISSION VOULET-CHANOINE
Itinéraire du capitaine CHANOINE UE D1ENNÈA S ANSANNE-HAOUSSA'
Saiisaotié-H;inin«a i.rivi- candie fin Nipcf, 100 kilomètres en amonl île 5ay\ le S janvier 1899.
J'ai quille Dienné le 18 octobre 1898 avec 3130 tirailleurs pour me rendre à Say p;ir la voie de terre, tandis que Vou- let parlait pour Tombouelou et Say par le Niger avec, les chalands chargés de matériel. Au mois d'octobre, toute la plaine de Dienné est inondée et couverte de 2 mètres d'eau. Le Niger et le Bani sont réunis et de loir, en loin on voit émerger des monticules hérissés d'un bouquet de rôniers; ce sont les villages devenus des lies, Dienné même, avec ses grandes maisons à deux étages, ses mosquées, ses terrasses et son enceinte, baignée par le canal de Koakourou qui l'entoure de toutes parts, a l'air d'une forteresse.
J'ai débarqué sur la rive droite du fi.ini àKombaka{20 ki- lomètres nord-est de Dienné) et j'ai pris la route de Yarro- Sô. On rencontre la montagne à lïl kilomètres du fleuve; c'esl la montagne du Dakol, de Bandiagara, de Donentza, du llomboi'i: c'est la montagne des turbulents H abcs. La route de Dienné à Oualiigouya la traverse directement à Diam, mais elle est encombrée de rochers et très mauvaise
1. Celle relation de H, le capital
communiquée à la Sociélë par l'un de si 1U. le général Chanoine, père de cet offleier.
Chanoine a été obligeamment cicos membres.
DE IUENNÉ A SANSANNÉ-HAOUSSA. '221
pour les chevaux; c'est pourquoi je fis un crochet vers le nord pour passer par une sorte de col qui s'étend de Yarro à Su. Sô est le village- qui domine la plaine, leSéno au sud-est. De Yarro à Sô, 30 kilomètres; c'est la largeur de l'arête montagneuse, La montagne de Bandiagara est un des importants accidents de terrain de l'Afrique; on la traverse près de Dîou, entre San et Sono, et encore entre Sikasso et Bobo-Dioulaso; elle se prolongerait, dit-on, davantage vers le sud. Au nord, elle continue au delà du Hombori, qui est simplement la dénomination d'une de ses parties; elle va sans doute jusqu'au Nieer, à Tosaye, et s'étend peut-être au delà. Elle a une longueur connue de plus de 1,000 kilo- mètres et sépare très nettement les bassins du Niger supé- rieur (Bani et ses affluents) et du Niger moyen du bassin des Volta. Elle en fournit une bonne partie des eaux, qui, traversant les sables du Séno, viennent sourdre 150 kilo- mètres plus au sud.
La montagne est habitée par une population très dense, que nous appelons improprement «: les Habé ». Le mot 4 Kado », au pluriel « Habé », est en effet le nom général que donnent les Foulbé à toutes les populations noires, par antithèse avec eux-mêmes qui se considèrent comme des étrangers. Le mot < Kado » signifie l'autochtone, le noir. Les habitants de la montagne se disent « Toma s et d'origine c mandé ». Ils ont des noms païens très différents de ceux des Malinkés et des Bambaras, qui sont aussi des Mandés. Il est probable qu'ils ont conservé sans altération noms, tandis que, dans tout le reste du Soudan, ceux- ci sont altérés ou changés, par imitation des noms musul- mans ou de lu Bible.
La montagne est appelée dans le Soudan le « Tomakou- loii î (la montagne des Toma, en langue bambara).
Les Habé ne sont pas tatoués ; ils sont robustes et plus musclés que les gens de ta plaine ; ils ont les dents incisives limées en pointe; leurs traits sont avenants. Ils ont une
2LJ2 MISSION" VOULKT-CHAISniSE.
langue particulière, mais parlent aussi la langue des habi- tants de la plaine, soit le poulie, soit le hambara, soit le songhay, suivant qu'ils sont en contact avec ces peuples : le bambara, du côté de Dienné; le poullo, de Bandiagara à Douenlza; le songhay, près de Hombori.
De leur langue propre, il y a môme plusieurs dialectes, el l'on ne se comprend pas toujours entre habitants de vil- lages éloignés.
Les Habé construisent des villages en pierres sèches et en lerre qui, perchés au sommet de rochers presque inac- cessibles, délient toute altaque et semblent de loin des châteaux-forts inexpugnables. Dans certains villages, on n'accède qu'au moyen de troncs d'arbres et d'échelles. Les Habé sont sédentaires et ne s'arrachent qu'à regret à leurs rochers. Ils sont très bons cultivateurs, travaillent avec soin leurs champs qu'ils savent fumer; ils récollent beaucoup de mil, sont plus prévoyants que les autres Soudanais et emmagasinent de grands approvisionnements. Us ont peu de bœufs, n'ayant pas de pâturages, mais un grand nombre de moutons et de chèvres. Ils fabriquent beaucoup de dolo et le soir, dans la montagne, c'est une grande orgie; on bal le tam-tam, on fait un vacarme infernal, on boit, on danse, on se grise, on tire des coups de fusil. Les Habé sont indus- trieux, ils lissent de la toile, qu'ils teignent en noir uu en brun foncé, de sorte qu'on les dislingue à peine, au milieu de leurs pierres; ils sont presque tous armés de fusils qu'ils entretiennent avec le plus grand soin; ils fabriquent leur poudre eux-mêmes et, comme projectiles, se servent de cail- lou* ferrugineux.
Ils sont batailleurs, ils ont toujours défendu énergïque- œenl l'accès de leur montagne, mais iis ne sont pas con- quérants et ne s'aventurent guère pour combattre hors des derniers éboulis de la falaise. Les Foulbé, les Bambara, les Foulanké les ont soumis en les prenant par le ventre, en les empêchant de venir cultiver leurs champs, qu'ils
DL U1ENNÉ A SÀN5A]SNÉ-HA0USSA. 23$
ont dans la plaine au pied de la falaise. Au milieu île leurs rocher, bons tireurs, agile?, connaissant leur terrain, les Habé sont très redoutables.
Les villages habé sont tous indépendants les uns des autres; ce sont dans chacun les vieillards qui dirigent les affaires de concert avec un fétichiste nommé « l'Ogom » lequel ne doit, sous aucun prétexte, quitter la case où il opère ses maléfices et ses conjurations. L'Ogom a la plus grande influence, personne n'ayant jamais pu convertir les Habé à l'Islamisme ; les Foulbé fanatiques de Hamdallahé, qui, cependant, firenl peser sur eux une dure domination, y renoncèrent.
Actuellement les Habé du sud de Bandiagara obéissent assez bien; quant à ceux du Dakol et de Bamba, il existe entre eux et le résident de Bandiagara une sorte de compro- mis; ils vivent dans une presque complète indépendance, nous considèrent avec indifférence et se contentent., comme concession, de ne pas molester en ce moment les agents poli liq Lies et les gouverneurs foulankés d'Aguibou, qui parfois, pour la forme, vont se promener eues; eux.
La route que j'ai suivie descend de la montagne à Sô, puis la longe jusqu'à Diam et là se dirige vers l'est-sud-est pour aller à Courganda, Ntori, Goécé, Louta, Goniboro, Boussé- nou et Ouahigouya.
Au pied de la montagne s'étend une vaste plaine sablon- neuse, c'est le Séno. La largeur du Séno varie de 80 a 100 kilomètres; puis au delà reparait le sol ferrugineux. Dans le Séno, l'eau est rare; dans la saison sèche, on n'en trouve que dans des puits très profonds, et cependant le Séno est couvert d'arbres qui, du haut de la montagne, le font ressembler h un immense verger. Après l'hivernage, il est couvert d'une herbe excellente pour les troupeaux. Le Séno est très peu peuplé; on y rencontre quelques Habé et surlout des Foulbé faisant paître leurs troupeaux et devenus en quelques endroits sédentaires. Le Séno est
ââi MlSSIO!l VOIILET-CliÀNOINE.
composé de Irois dunes de sable dont la plus haute court parallèlement à la montagne à 1 kilomètre environ; deuxième se trouve à 3 kilomètres, la troisième à envi- ron 10 kilomètres, puis le Séno s'abaisse insensiblement.
On comprend donc que les eaux des pluies d'hivernage qui courent sur les surfaces rocheuses de la montagne et viennent tomber en cascades sur la plaine, disparaissent dans le sable, traversent les trois dunes et reparaissent 100 kilomètres au sud pour former les suites de mares qui sont les sources septentrionales des deux Volta. Au sud de celte partie du Séno, se trouve le pays des Samos. La route de Dienné à Ouahigouya en traverse le nord. Le pays des Samos est plat, son sous-sol est ferrugineux et la couche d'eau souterraine est à une assez grande profondeur. Les eaux qui viennent de la montagne, après avoir traversé les sables du Séno, forment une suite de inares qu'on appelle le Sourou, dont la pente est si faible qu'au moment de la crue de la Volta, dans laquelle se jette le Sourou, crue qui précède celle de ce cours d'eau, les eaux de la Volta refluent dans le Sourou à plus de 100 kilomètres de son confluent.
La population du pays des Samos est très dense. Les Sa- mos sont groupés par gros villages de 3,000, 4,000 et même 6,000 habitants, distants de 10 ou 15 kilomètres les uns des autres. Leurs villages sont des agglomérations de cases en terre pressées les unes contre les autres, que leurs sauvages habitants défendent avec une rare ténacité.
Au Soudan, plus on va vers le sud et plus les peuples que l'on rencontre sont barbares et sauvages. C'est a quelques kilomètres îles côtes que se trouvent les plus arriérés et les anthropophages. Ce phénomène s'explique par le fait que les populations plus civilisées et conquérantes sont toujours venues du nord-est et ont constamment refoulé devant elles les autochtones jusqu'à la forêt vierge, qui s'étend à partir du 6" degré de latitude nord.
Les Samos commencent la série des peuples sauvages;
DE D16SHÉ A SANSAXNA-HAOUSSA. 225
plus au sud viennent, successivement les Bobos de la boucle rie la Voila, puis les Dagaré, les habitants du Lobi el enfin les indigènes du nord de la Côte d'Ivoire et de la Côte d'Or. Les Samos, bien que fétichistes, ont un grand respect pour les marabouts markos originaires de Dienné qui se sont installés chez eu* et leur vendent des amulettes, exploitent leur crédulité et font quelques prosélytes. Les Samos ne sont pas soumis, bien que, depuis deux ans, chaque bulletin politique des commandants de la région annonce la lin de leurs rébellions. On n'a pas eu la main assez dure avec eux au début ; on a châtié il y a trois ans les villages faibles, en laissant impunis les grands et les forts. On a laissé, séduit f leur trompeuse parole, les marabouts markos exercer r détestable propagande. Il y a deux ans, quand la rébel- 1 fut devenue générale, on se décida à mettre les Samos i raison. On agit alors sans énergie, par des demi-mesures lie les rebelles ont interprétées pour ce qu'elles étaient jelletnent, de la faiblesse de la part des chefs de la région. Les Samos comme les llabé ont pris conscience de leur force ; ils ont pris l'habitude de maltraiter ou de tuer les agents poli- tiques et les percepteurs d'impôts, sachant très souventqu'ils sont sûrs de l'impunité, tant ceux qui se disent les maîtres du pays redoutent les responsabi lités el craignent de prendre d'énergiques décisions. Enfin, les Foulbé et les Foulanké d'Aguibou agitent le pays pour pêcher en eau trouble.
Le pays des Samos a été divisé en quatre parties : la partie septentrionale appartient à Aguibou ; la partie occidentale dépend de Ouidi ; le sud a formé le cercle de Sono ; l'est est rattaché au Yatenga et dépend de Onahigouya. C'est Ousman- Oumarou, le gendre d'Aguibou, qui est gouverneur de la partie septentrionale. Les États d'Aguibou, qui sont fort étendus, sont divisés en provinces à la lele de chacune des- quelles est placé un gouverneur toucouleur. Aguibou a peu d'autorité, ses gouverneurs lui obéissent mal, se délestent, se jalousent tous et cherchent à se susciter mutuellement
2ÏG .UISS10N VOOLET-CHAKOlPifi.
des embarras, en encourageant, en protégeant même les désobéissances dans les territoires de leurs voisins.
Aguibou et les siens, toujours menacés d'être dépossédés, sont maintenant impassibles devant les blâmes tes plus vio- lents; mais, restés pillards comme tous ceux de leur race, ils prennent leurs précautions et font soigneusement leur fortune qu'ils mettent en lieu sûr. Leur fortune, ils la font au délrimentde leurs sujets et de nos intérêts. LeToiicoulenr est, du reste, mauvais administrateur, car il a des goûts luxueux el grandioses. Son pire défaut est l'orgueil, défaut qui coûte cher quand on a une troupe de griots et de chan- teurs de louanges gagés. Le Toucouleur aime à être envi- ronné d'honneurs, l'encens lui est agréable. Le plus grand luxe, en môme temps que le plus grand plaisir des chefs musulmans est de posséder un grand nombre de femmes, de les parer, de les habiller des étoffes les plus coûteuses; leur vanité est flattée qu'on le sache. Or, ce i|ue les marchands indigènes aiment avant lout prendre en échange de leurs marchandises les plus riches, c'est le captif. On comprend facilement que les Touconleurs ne tiennent pas a ce que le pays qu'ils commandent soit en pais; ils créeraient au besoin des troubles pour pouvoir les réprimer.
C'est Ousman-Omnarou qui réside à Loula. Le gendre d'Aguibou est une sorte de grand seigneur noir dont l'hos- pilalilé et la générosité sont proverbiales. 11 est très brave -aussi, triais il a tous les instincts pillards de sa race. C'est un lettré, cependanl, un esprit distingué qui se tient au cou- rant de toutes choses et a beaucoup appris. Je le connais depuis lungtemps, et toujours il m'a été agréable de converser avec lui.
A 30 kilomètres de Loula, on pénètre chez les NUgabé, Samos dépendant de Ouahigouya. Le 1" novembre, j'étais dans la capitale du Yalanga.
Le vieux Bakarcy, le naba du Yatanga que nous avons en 18u6 débarrassé de ses ennemis et remis sur son trône, est
DE DUSSNÉ A SANSAINPiÉ-HAOUSSA. 227 .•irrivé à l'étal de décrépitude complète que faisaient prévoi ses habitudes d'intempérance. J'avais fait venir à Ouahigouya Marna go u Aguibou, (ils dt Fidiani, tdrissa. fllsdeOuidi, et B aie, nos anciens auxiliaire en 1896 et 189T, auxquels le gouvernement a accordé de décorations. J'ai donné de l'éclat a la remise de ces distinc lions. J'ai passé une revue; on a Lire le canon. Le soir, tam- tam et salves d'honneur. Celle fêle avait surtout pour bu |
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^■ft £ iîf^È |
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HiniM Chanoine quilUnl k ■ 41a. d'exciter l 'enthousiasme de nos jeunes tirailleurs. L 12 novembre, j'étais à Ouagadougou, j'y prenais livraison d 740 porteurs et de 30 chevaux. De concert avec le résident je remis au Moro-Naba !a décoration du Cambodge, a milieu d'une grande assistance venue de tous les points d Mossi. Je suis heureux que le gouvernement ait accordé a Moro-Naba cette décoration. C'est le premier des frères d Bokary Koutou, le naba dépossédé en 1897, qui vint nou faire sa soumission, el si on peut lui reproeber avec just raison son indolence, on ne peut guère, jusqu'à présenl MispecLer sa sincérité. |
228 MISSION "VOIILET-CHANOINE.
J'ai quitté Ouagadougou le 16 novembre et je suis arrivé le 22 à Koupéla, non loin de la frontière du Gourma, c'est- à-dire du haut Dahomey. J'ai pris à Koupéla le complément des porteurs. Dans tout le Mossi, que j'ai traversé pendant 360 kilomètres, j'ai reçu le plus parfait accueil des chefs et de la population. Je venais de traverser tout le Soudan depuis Kayes par Nioro, Ségou et Dienné; le Mossi me fit, relativement à ces contrées, la môme impression de richesse et de prospérité qu'en 1896. L'air est sain, le sol excellent. Les chevaux, les ânes, les bœufs, les moutons abondent. Il est regrettable que l'habitant du Mossi soit inerte et comme plongé dans une sorte de torpeur; il cultive à peine ce sol si riche et ne cherche à faire produire que la quantité de grains qui lui est strictement nécessaire; aussi' souffre-t-il cruellement de la famine dans les années de récoltes mau- vaises semblables à l'année dernière. Quel remède faudrait-il apporter à cette incroyable paresse? Peut-être l'appal du luxe arracherait-il le Mossi a sa somnolence, si les commer- çants venaient le tenter.
Je croîs encore qu'une énergique impulsion de la part des résidents amènerait des résultats.
Elargir les chemins, en faire des routes, le long de ces routes, creuser des puits; aider aux transactions commer- ciales entre Tombouctou et la dite d'Ivoire par le Mossi et la Volta; créer des marchés, constitueraient des mesures propres à amener un changement matériel et moral dans le pays. Mais pour atteindre ce but, il ne faut pas hésiter à imposer des corvées aux habitants, à les forcer enfin de tra- vailler pour leur bien-être. Les Romains ne lïrent pas autre- ment pour civiliser leurs conquêtes. Agir ainsi, c'est gou- verner, ce qu'ignorent la plupart des Français qui prétendent à celte fonction.
J'ai traversé le Gourma de Koupéla à Takalami, en passant par Tibga, Gaiérî, Pahou, Bartibogou. J'ai rejoint à Taka- lami la route de Dori à Say. Le nord du Gourma est un
DK OIENNÉ A SANSANNÉ-HAOUSSA. 229
t où les villages, misérables agglomérations d'une cen- taine de cases, sont distants de 35 ou 40 kilomètres. Les habitants sont sauvages et craintifs, toujours en butte aux exactions fie leur souverain. L'eau est rare, même à cette époque. Cependant, belle est la végétation, car la couche d'eau souterraine est à une profondeur médiocre. La route de Dori à Say n'est guère peuplée, et les Foulbé de Torodi l'ont abandonnée en plus d'un point.
Le 14 décembre, j'arrivai à Say. Voulet n'était pas encore arrivé. Je reçus un courrier de lui, me disant qu'it ne serait à Busongo que le "20 décembre et de me porter à sa rencontre. Nous restâmes quelques jours à Say; nous avions parcouru 900 kilomètres depuis Dienné. Tout le monde avait besoin de repos.
Le Niger à Say n'est plus le majestueux Niger de Ségou on de Sausanding. La moitié de ses eaux a grossi les mari- gots et les lacs des environs de Goundam et de Tombouctou. 11 n'a guère que 500 mètres de largeur. La crue commence à arriver. Les crues du Niger donnent lieu à des observations très intéressantes. Ce sont des phénomènes créés parla forme même des coudes du Meuve. Les al'fluents du Niger supérieur prennent leur source vers le 8* degré de latit. N., et sous cette latitude les pluies commencent en avril, tandis que sous le 12B degré elles ne commencent qu'en juin, sous le 14* qu'en juillet. A Tombouctou il pleut très peu. Le Niger n'a pas d'affluents dans tout le secteur de sa boucle compris entre Mopli et Zinder. Les pluies ne sont pas suffisantes dans cette région, La crue du ileuve dans ces parages n'est donc déterminée que par l'arrivée des eaux du Niger supé- • rieur. La crue arrive en juillet à Bammako, en août à Ségou, au commencement de septembre à Dienné et à Mopli. A partir de cet endroit, la crue remplit le lac Débo et les nombreux lacs, mares, lits secondaires qui constituent le système lacustre de Goundam, de Saraféré, de Tombouctou. penle est très peu sensible; aussi les eaux ne sont-elles
SOC. DE CÉOOH. -
230 Missior* voulet-chanoine.
hautes à Tombouctou qu'en janvier et restent stationnaires pendant tout ce mois. Le niveau du fleuve demeure maintenu par l'apport des eaux de tous les lacs, qui se déversent lente- ment après la crue.
A partir de Tombouctou, le lit du fleuve est mieux défini, resserré entre des dunes et des collines; sa vallée finit par n'avoir guère que 2 ou 3 kilomètres à Sansanné-Haoussa. La pente est plus rapide. La crue arrive à Say à la fin de janvier et les eaux sont hautes en ce point alors qu'elles n'ont pas encore baissé à Tombouctou. C'est ainsi que s'explique ce Fait, étrange en apparence, que le maximum de la crue puisse avoir lieu à Tombouctou et à Say à la même époque. A Say, les pluies d'hivernage tombées dans la région ne sont pas suffisantes pour amener une crue au mois de juillet ou d'août. Après les grandes tornades, le fleuve monte de 20 ou 30 centimètres pour baisser ensuite.
Il n'y a à Say que la erue venue du bassin supérieur et arrivant en janvier.
Mais en aval de Say le régime change; on arrive dans la région des pluies abondantes commençant de bonne heure, le Niger reçoit des affluents. En aval de son confluent avec la Béuoué, il y a deux crues bien distinctes, la seconde n'arrivant qu'en mars, et précédant de deux mois seulement le commencement de la première. Il résulte de la disposition des crues du Niger et des pluies d'hivernage, que, depuis Tombouctou, il est possible de faire deux récoltes. On sème avant les premières pluies; la récolte est faite après l'hiver- nage en novembre. On sème de nouveau dans les terrains que l'inondation vienl fertiliser en janvier. Et si les habitants de ces contrées savaient se servir d'appareils élévatoires comme les Égyptiens, ils pourraient, le pays étant peu élevé, conduire au loin les eaux: du fleuve. Tout le pays deviendrait d'une incroyable prospérité.
Dès notre arrivée à Say, nous avons traversé le fleuve au moyen de pirogues. Le courant est violent, les pirogues sor
DE DIEKXÉ A SANSANBË-HAOUSSA. 231
petites; le passage a duré deux jours. Les chevaux sont obligés de nager trente minutes; il n'y a pas eu d'acci- dents.
Le 22 décembre, nous nous remîmes en route à la ren- contre de Voulet, en suivant la rive gauche du fieuve. La rive droite se nomme «Gourma», la rive gauche «Haoussa », noms qui signifient en deçà ou au delà du fleuve dans la langue songhay.
La rive * Haoussa > est habilée par les Djerma, population qui s'étend, de quatre jours en aval de Say, à Karma, 100 kilomètres en amont. Les Djerma sont très nombreux, leurs villages riches et prospères, leur sol admirablement cultivé. Ils possèdent beaucoup de troupeaux, beaucoup de chevaux. Les Djerma se disent d'origine mandé; ils seraient venus de Tombouctou en longeant le fleuve au moment où les Bambara conquirent la grande cité. Ils se sont croisés avec les Foulbé et les Songhay. Us parlent le songhay. Ils ont de fréquents rapports avec leis Touareg, qui vivent en bonne intelligence avec eux, car les Djerma sont braves et nombreux. Us sont bons cavaliers et combattent à la façon des Touareg.
Les villages djerma sont tous indépendants les uns des autres, il n'y a ni roi, ni capitale. Personne n'ose venir les attaquer.
Les Djerma sont pillards et aventureux; ils traversent sans cesse le fleuve et poussent leurs expéditions à des cen- taines de kilomètres. Us se vantent de leurs rapines et les considèrent comme le noble et honorable usage de leur intelligence et de leur force. Us sont musulmans, mais paraissent peu fanatiques.
Ahmadou Cheikou s'était réfugié chez eux à Dounga et prenait part à leurs déprédations. Il se produisit entre les Foutanké et les Djerma quelques dissentiments; il y a un an environ, les cavaliers de Dounga revenaient d'une expé- dition ; excités par le combat, en rentrant chez eux, ils alta-
232 MISSION VO|!L ET- CHANOINE.
quèrent les Toucouleurs el leur tuèrent 200 hommes. Abmadou Cheikou s'enfuit chez les Touareg de l'est.
C'est du Djerma que sont partis il y a quelque trente ans les aventuriers Gadiari, Baba-To, Jsaka, pour envahir el ruiner le Gourounsi.
Sur ces rives du Niger, se rencontrent une foule de popu- lations et de races différentes : les Djerma, les Foulbé, les Touareg, les Songhay et une population noire très ancienne qui est asservie aux Songhay; enfin, un grand nombre de marchands haoussas eL arabes. J'ai rencontré a Say et à Sansanoé-Haoussa des commerçants de GUadamès qui viennent acheter des plumes d'autruches.
Enfin, dans les îles du Niger, habilent les Kourtéi, race venue depuis fort longtemps dans le pays et qu'on dit Sonioké. Les Kourtéi vivent en bons termes avec tout le monde, car Touareg, Foulbé, Songhay, Djerma, ont besoin de leurs pirogues. Les Foulbé ont de grands villages sur la rive droite; les Touareg habitent à deux jours à l'intérieur; ils ont des vi.lages de bella (captifs) au bord du fleuve et viennent fréquemment exercer des réquisitions sur les Songhay qu'ils ont terrorisés, et qui obéissent passivement à la première injonction des durs nomades.
On a beaucoup écrit sur les Touareg, et bien des choses inexactes. Quand on parle d'eux en France, on les nomme les Chevaliers ifu désert el on ne tarit pas d'éloges sur leurs vertus, leur honnêteté, leur courage, leur loyauté, leur hospitalité.
Seule, leur bravoure est incontestable; il y a quelques jours nous en avons eu une preuve nouvelle. Une bande de 300 cavaliers Touareg a chargé en plein jour Crave qui cherchait à rejeter les tribus qui __. Bokary Ouandéidiou sur la rive gauche du Niger. Les Touareg ont enfoncé une face du carré et traversé toute la colonne; ils ont été repoussés. Trois kilomètres plus loin, ils ont renouvelé leur attaque qui, cette fois, n'a pas réussi.
:. une uaime ur our la colonne ui obéissent à
DE BIENNÉ A SAKSANNÉ-11A01JSSA. "233
Le- s Tnuareg ont éprouvé de grosses pertes, mais ils avaient à lutter contre 250 fusils à tir rapide et du canon. Le Targui n'a de considération que pour la guerre et le pil- lage; il a le travail en haine. Il lui faut exploiter les popu- lations noires, sur les frontières 'lesquelles il va errant et semant la terreur; il lui faut des esclaves qu'il vend au Maroc, ou à Tripoli, pour acheter les marchan dises qui le tentent. Touies ces causes ensemble en font un irréduc- tible ennemi de la civilisation.
On a dît des Touareg qu'ils étaient les rouliers du Sahara.
On les confond avec les tribus maures, ou les tribus arabes qui exploitent les salines et font tout le commerce entre le sud du Maroc, de l'Algérie, de la Tunisie, de Tri- poli et le pays des noirs. Le vrai Berbère se contente d'errer à travers les plaines de sable, de se trouver sur le chemin des caravanes et de percevoir sur elles un impôt exorbi- tant, lorsqu'il ne s'empare pas de touL ce qui est à sa con- venance.
Jadis, sur les rives du Niger, s'édifièrent de puissants empires qui refoulèrent les nomades dans le désert, leur interdirent l'accès du grand lleuve, s'emparèrent de leurs troupeaux, les réduisirent à la misère. Ces empires, Ghannala, Mali, Songhay, sombrèrent au milieu de guerres et de révolutions qui nous sont peu connues; leurs débris se désagrégèrent; les Touareg reparurent et devinrent les maîtres. Pour réduire les Touareg, chassons-les dans le désert. Ils chercheront toujours à fondre sur les noirs sédentaires, nos protégés. Créons des corps légers, quelques escadrons, quelques compagnies tle mébari qui donneront la chasse aux pillards jusqu'au fond de leur désert, qui prouveront aux nomades que l'ère des méfaits impunis est passée, qui accompagneront même et protégeront les cara- vanes de commerçants paisibles. Occupons les frontières méridionales et septentrionales du Sahara, les ports du
Î34 MISSION VOULET-CHANOINE.
désert; la puissance des Touareg disparaîtra et ceux-ci, chiens faméliques, repoussés de parlout, à chacune de leurs agressions poursuivis et frappés, demanderont grâce pour ne pas mourir de faim. Peut-être aiors pourra-l-on les parquer dans quelques oasis el changeront-ils de mœurs avec le temps.
A quelques kilomètres de Karma, linit le pays Djerma; on arrive chez les Songhay. Les Songhay, jadis si puissants, sont aujourd'hui d'une incroyable faiblesse. Ils sont nom- breux cependant et pourraient résister aux Touareg qui les oppriment. Ils n'en ont pas mecne l'idée. Le Targui vient chez eux, commande et réquisitionne tout ce qui lui plaît.
J'ai trouvé chez les Songhay un mélange de crainte et d'hostilité déguisée. Ils nous craignent, mais ils sont ter- rifiés à ia pensée des représailles que pourraient exercer sur eux les Touareg, s'ils nous faisaient franchement un bon accueil. On sent dans chacun de ses actes, derrière le Songhay, le Targui imposant sa volonté. Et cependant, en ce moment, les Touareg se sont retirés à plusieurs journées dans le nord-est.
Les populations noires ne deviendront nôtres que le jour où elles seront sûres d'être délivrées pour toujours de leurs sauvages oppresseurs. Cette délivrance ne peut venir que par la puissance de nos armes.
L'esprit de lutte n'est plus dans leur âme qui s'est façonnée et accepte toutes les tyrannies. Jamais, d'eux- mêmes, les Songhay ne sortiront de la soumission la plus servile pour combattre leurs maîtres.
Je suis arrivé le 1er janvier àSansanné-Haoussa. Le 2 jan- vier, Voulet arrivait dans celte ville avec les chalands chargés de matériel. 11 avait victorieusement franchi les rapides du Niger et triomphé des difficultés de la navigation. Nos troupes sont réunies. Personne ne manque parmi les offi- ciers et les sous-officiers européens. L'étal moral et sani- taire des hommes est excellent; ces quatre mois de marche
DE DIENNÉ A SAIfSANNÉ-HAOUSSA. 235
sont une bonne préparation. Nos jeunes tirailleurs sont devenus des soldats disciplinés et robustes. La plupart viennent de marcher 2,000 (deux mille) kilomètres. Ils sont rompus à la fatigue et peuvent affronter les étapes les plus pénibles. Ils ont appris à tirer, à manœuvrer. Ils ont con- fiance dans leurs chefs.
COTE D'IVOIRE
P. J. CLOZE
SUPEI1FICIE El POPULATK
Les limites de la Côte d'Ivoire sont :
Au nord, le Soudan français, dont la sépare une ligne idéale suivant le 0" degré de latitude nord ; à l'est, la fron- tière de la colonie anglaise de la Côte d'Or telle que l'a tracée l'acte diplomatique du 12 juillet 1893; au sud, le lit- toral du golfe de Guinée ; à l'ouest, le territoire de la Répu- blique de Libéria déterminé par la convention du 8 décem- bre 1892.
La superficie de la colonie ainsi délimilée peut être évaluée à 250,000 kilomètres carrés.
Sa population atteint le chiffre global de 2,250,000 habi- tants, ce qui donne à la Cote d'Ivoire une moyenne de neuf habitants par kilomètre carré.
Pour apprécier la valeur de ces chiffres, il convient d'exa- miner les conditions dans lesquelles l'administration se trouvait placée pour les obtenir.
On peut à cet effeL diviser la colonie en trois zones :
Celle où une occupation assez ancienne permet de donner, à défaut d'un recensement absolument régulier, des chiffres exacts;
Celle qui a été reconnue et sur laquelle nous possédons des renseignements suffisamment nombreux pour arriver à des évaluations serrant de fort près la vérité;
côte d'ivoire. 237
Enfin une zone à peine explorée, dont on a dû estimer la population en raisonnant par analogie avec les régions simi- laires que nous connaissons, et en tenant compte de la con- figuration générale du sol, de la nature de la végétation, forêts ou savanes, qui influent sur la densité, le groupement et la manière de vivre des habitants d'un pays.
La première zone comprend les onze cercles de la colonie qui se présentent avec les chiffres respectifs qui suivent :
Assinie 40.000 habitants.
Grand-Bassam 62.300 —
Dabou 103.000 —
Lahou 25.000
San Pedro 6.085 —
Sassandra MO. 500 —
Bereby 55.000 —
Cavally 27.000 —
Indénié 1 7 . 000 —
Bondoukou 83.000 —
Baoulé 1 .230.000 —
Total 1 .788.885 habitants.
On peut faire rentrer dans la seconde zone les pays sui- vants, en tenant compte, pour les chiffres attribués à cer- tains d'entre eux (pays de Kong, Djimini, Diammala), des pertes qu'ils ont subies par suite de la présence des bandes de Samory.
Pays de Kong 20.000 habitants.
Diammala 20.000 —
Djimini 40.000 —
Anno ou Mango 10.000 —
Peuplades Baoulés entre le Co- i
moe et le Nzi S °° ""
Morénou 5.000 —
Attié 7 .500 —
Total 110.000 habitants.
Dans la troisième zone rentre la partie nord-ouest de la colonie, comprenant le prolongement logique vers Tinté-
238 CÔTE d'ivoire.
rieur des cercles fie Cavally, Bereby, Sassandra et San Pedro. Il est permis d'évaluer à 350,000 habitants la population de cette vaste région dont la superficie dépasse 110,000 kilo- mètres carrés, soil un peu plus de 3 habitants an kilomètre carré.
Il serait prématuré de répartir dès à présent en des races distinctes les 2,250,000 noirs qui peuplent la Côte d'Ivoire. L'anthropologie, l'ethnographie, la linguistique, qui seules pourraient nous fournir un critérium pour une classifica- tion scientifique, ont à peine commencé leur Œuvre dans celtejparlie de l'Afrique.
Le mot de race ne sera appliqué qu'aux peuplades Mandés, mieux étudiées et complètement distinctes des autres habitants de la colonie. Le reste sera réparti en des groupes provisoires suffisamment différenciés les uns des autres pour que la question de leurs origines communes demeure encore irrésolue.
Les^Mandés possèdent le pays de Kong, le Diammala, le Djimini et la région de Bouna. Us peuplent dans I'Abron la ville de Bondoukou el le Barabo; les Ligouys, qui sont installés dans le district nord-est de cette contrée, appar- tiennent à la même race puisque leurs affinités linguisti- ques les apparentent étroitement aux Veï-Veï de i'hinter- land du Libéria, dont l'origine mandé est depuis longtemps reconnue. A la suite de l'invasion de Samory, 7,000 Mandés- Dioulas environ se sont réfugiés dans le Baoulé tandis qu'un millier d'entre eux demandaient protection aux forêts de l'Anne- et de l'Indénié. Enfin dans la partie ouest de la colonie nous retrouvons des villages mandés au nord de la zone de la végétation dense continue. On peut évaluer leur chiffre total à 200,000, presque tous musulmans et arrivés de ce fait à une organisation sociale plus avancée que celle des peuplades fétichistes.
La partie orientale de la colonie, notamment dans les cercles de Bondoukou, de l'Indénié, d'Assinie, de Grand-
côte d'ivoire. 239
Bassani el du Baoulé, est habitée par un groupe de popula- tions ayant entre elles une étroite parenté.
Ces peuplades paraissent être venues de l'est (pays As.hantîs) à une date plus ou moins récente, la migration de plusieurs d'entre elles a pu être fixée à la seconde moitié du XVIIIe siècle. C'est dire que les traditions et les légendes en ont conservé nettement le souvenir.
Parmi les Asbantis, les Apolloniens proprement dits méritent une mention spéciale; les uns sont fixés dans le pays sans esprit de retour; les autres, venus plus récem- ment en commerçants, ont encore l'intention de retourner dans leur patrie après fortune faite.
L'ensemble de ce groupe, qu'on pourrait sans inconvé- nient appeler le groupe Agui, nom sous lequel les indigènes qui le composent sont plus généralement désignés que sous celui d'Ashantis, comprend environ 750,000 âmes. Il se recommande, malgré l'indolence des indigènes, par des aptitudes commerciales marquées qui, chez les Apolloniens notamment, ont acquis un développement très appréciable. Les habitants des lagunes PoLou, Ebrié et Lahou forment un second groupement plus géographique qu'ethnogra- phique. On a tenté d'expliquer la diversité des peuplades qui le composent par le fait que des populations d'origines diverses, chassées par les guerres et les invasions des con- trées de l'intérieur qu'elles occupaient primitivement sont venues se confondre ou se juxtaposer en se réfugiant vers le littoral. Il est également permis de supposer qu'une étude plus approfondie de ces tribus permettra d'établir leur parenté et de les rattacher à une souche commune.
Les principales peuplades de ce groupe, dont le total atteint le chiffre de 170,000 habitants, sont les Attiés, les Ebriés, les Jack-Jacks, les Boubourys et les Brignans.
populations de la côte ouest forment un troisième upe dont les affinités ethnographiques et linguistiques graissent d'une façon suffisante dès à présent pour qu'on
240 côte d'ivoire.
puisse leur assigner une commune origine. Ces peuplades, connues dès le xvir siècle des nations européennes sous le nom de Kroomen, habitent les cercles de San Pedro, Sas- sandra, Uereby et Gavally. On peut évaluer leur nombre à 230,000 individus.
Ils sont en possession de fournir la majeure partie de la main-d'œuvre employée dans la colonie, ainsi que celle embarquée à bord de la plupart des paquebots qui desser- vent la côte occidentale d'Afrique.
En debors de la race mandé et des trois groupes que nous venons d'énumérer, il reste encore sur le territoire de la Côte d'Ivoire près d'un million d'habilanls épars dans toute la colonie niais surtout dans la région nord-ouest, pour lesquels toute classification, même provisoire, serait pré maturée en l'état actuel de nos connaissances.
Mais il est permis de croire que les renseignements à venir auront pour résultats de faire rentrer le plus grand nombre d'entre eux dans les grandes divisions dont nous venons d'esquisser les contours.
NOTICE SUR LES BONDJOS
PAR
E. CAHLIEH
CHEF DE STATION DANS l'OUBAN'GUI1.
En remontant rOubangui, dès qu'on a dépassé le 2* parallèle nord, on entre en pays bondjo. A partir de de ce point, les berges deviennent plus hautes, la forêt moins dense, les villages plus nombreux.
LesBondjos habitent les deux rives de POubangui jusque près du poste français de Ouadda, c'est-à-dire jusque près du 5* degré. On prétend que, par l'intérieur, ils auraient des relations avec les Pahouins de la côte occidentale, dont ils ont les mœurs et une vague ressemblance de langage; mais il est bien difficile de croire qu'il ait pu exister des rapports entre deux peuples aussi éloignés.
Les Bondjos se divisent en quatre fédérations ou tribus :
1° Les Sabarés, les premiers que l'on rencontre après avoir dépassé le 2e parallèle, s'étendant fort avant dans l'intérieur et limités au nord par la rivière Lobaï.
2° Les Yakatous, improprement appelés Bouzérous, nom qui leur est donné à cause d'un chef célèbre nommé Bou- zérou, chef du village de Bimbo. Ils occupaient tout le pays compris entre les rapides de Zinga, jusque près du poste de Bangui. Ils ont maintenant abandonné la rive pour se réfugier principalement dans la rivière M'Poko.
3° Les Boboyas, compris, au nord de Bangui, entre le poste de Bangui et la rivière Ombella.
1. Notice communiquée à la Société par M. le Gouverneur Liotard.
212 NOTICE SER LES BOSDJOS.
-1" Enfin les Boutous, entre celle dernière rivière et la kémo.
IU> tous les Bondjos, les Sabarés sont, sans contredît, tes plus nombreux. Ils ne nous sont pas ouvertement hostiles, et les quelques rares bateaux de passage trouvent chez eux à échanger des vivres du pays, contre dn cuivre et de l'étoffe. Ils ont de l'ivoire et le donnent volontiers contre nos produits d'Europe.
Après eux, par ordre d'importance, viendraient ensuite les Boboyas. Ceux-ci entretiennent avec le poste de Bangui des relations très amicales. Ce sont eux qui, avec les Bou- tous — très peu nombreux, — ravitaillent Bangui en maïs, bananes et parfois même en chèvres et en poulets. Ce sont, parmi tous les Bondjos, les plus assimilables, et l'essai que vient de tenter M. le gouverneur de l'Oubangui, Liotard, de s'en servir comme pagayeurs pour les transports par pirogues de Bangui à Ouadda, est appelé à nous les rendre encore plus soumis.
Quant aux Takatous-Bouzérous, ils ont pour la plupart abandonné leurs villages. C'est presque toujours avec eux que nous avons eu affaire depuis notre installation dans l'Oubangui. Souvent le poste de Bangui a été l'objet de leurs atlaques et l'histoire de la colonie compte parmi leurs viclimes quelques Européens et beaucoup de nos auxi- liaires sénégalais.
Quoique appartenant tous à une même race, les Bondj< des diverses tribus entretiennent peu de rapports entre eux. Les Sabarés et les Boboyas n'en ont aucun.
Avant la répression, il existait bien une certaine entente entre les Boboyas et les Yakatous (Bouzérous). Mais depuis que M. l'administrateur Bobichon — dernièrement encore administrateur de la région de Bangui — s'est fait livrer par les Boboyas certains chefs bouzérous réfugiés chez eux, cette entente a disparu, ou du moins, elle nous est cachée.
Bien que chez les Bondjos Sabarés, il ait été remarqué
:
X.
NOTICE SUR t.ES HOND.rOS. 243
des ressemblances d'habitudes et de langage avec les I'a- houiûs anthropophages du Gabon, les Bondjos, — d'après le récil de Moussa Mongo, frère du grand chef boboya, Mabata, — viendraient du centre de l'Afrique, du sud, par conséquent, par rapport à leur position géographique ac- tuelle. Us auraient quitté leur pays d'origine, il y a près de- deux siècles, à la recherche d'autres terrains de culture. Leur véritable patrie serait donc vraisemblablement tout le pays arrosé par les affluents de la rive droite du Kassaï.
On peut croire que les Bondjos ont conservé le type de leur race dans toute sa pureté. Ils sont généralement de haute taille, bien musclés, respirant la vigueur et la force. 11 semblerait à les voir que la viande humaine, qui entre en partie dans leur nourriture, donne une vigueur musculaire rarement rencontrée chez les autres peuples. Enfants, ils ont la peau d'un jaune noir assez clair et prennent avec l'âge un teint plus ou moins bronzé. Chose curieuse, on voit assez souvent chez eus des individus à peau blanche : ce sont des albinos.
En général, le Bondjo a les traits durs, les maxillaires très prononcés, te front large, bombé et fuyant en arrière, le nez épaté, mais non écrasé, les lèvres assez minces, les cheveux coupés ras. Ils ne portent point la barbe, et on rencontre rarement chez eux le tatouage si commun chez s peuples de l'Afrique. Une habitude générale chez les Bondjos est de s'arracher i deux incisives supérieures. C'est une coutume qu'ils :onserveraient de leurs ancêtres,, et qui serait pour eux une marque de beauté. L'extirpation de ces deux dents se fait (ers l'âge de 6 ou 7 ans.
Les qualités morales des Bondjos sont beaucoup plus discutables. Quelques voyageurs, victimes de vols à leur >assage en pays Bondjos, ont prétendu qu'après toutes les précautions prises par eux-mêmes, les Bondjos devaient î bien audacieux et braves pour arriver à les voler. A
ÎH NOTICt SfR LES BONDJOS.
vrai dire, ce ne sont que des pillards. Ils arrivent, on ne sait comment, à se glisser dans un camp gardé, et â enle- ver sans bruit tout ce qui leur tombe sous la main. Le cas s'est présenté d'un voyageur qui, le matin à son réveil, n'a plus retrouvé une cantine que, pour la nuit, il avait placée dans sa tente, sous son lit de camp. Lui, n'avait rien en- tendu, les sentinelles n'avaient rien vu. Quand on a été victime des Bondjos en pareille circonstance, on se dit que vraiment ils ne manquent pas d'audace, mais tous sont lâches devant le danger.
Il faut reconnaître, du reste, que tels que nous les con- naissons, voleurs, pillards, anthropophages endurcis par- dessus le marché, il nous est difficile de les juger en con- naissance de cause et sans parti pris.
Devant la puissance de nos armes, ceux qui vivent avec nous en termes d'amitié semblent avoir abandonné une partie de leurs défauts. Mais renonceront-ils jamais à l'an- thropophagie ! 11 ne faut guère y compter.
Les Bondjos n'ont pas de grands chefs auxquels ils obéis- sent. Le commandement est exercé dans chaque village par un chef qui n'a, au point de vue de l'autorité, aucune relation avec son voisin. A sa mort, l'autorité passe a. son fils aîné et, à défaut, au chef de famille le plus riche ou à celui qui a tué le plus grand nombre d'ennemis à la guerre.
Chez les Bondjos, la richesse est calculée en raison du nombre de femmes. Un homme de condition ordinaire e possède deux, rarement trais. Un chef peut aller jusqai dix.
La femme, chez eux, n'est pas une esclave. Elle est ch; gée des soins du ménage et n'a d'autre occupation < celle d'élever ses enfants.
L'homme se marie généralement entre 20 et 25 ans, ou plus tôt, s'il a les moyens d'acheter une femme.
Une femme jeune et belle coûte environ 100 guinejat
NOTICE SUR LES BOMUOS. 345
monnaie du pays représentée en plaques de 1er faites avec un minerai 1res riche qu'on trouve en abondance dans presque toul l'Oubangut. Elle s'aclièle, parfois aussi, avec des perles, de l'étoffe ou du laiton; mais on peut assurer qu'elle ne dépasse jamais le prix de 350 francs, valeur en marchandises décomptées au prix de traite.
Les Bondjos comprennent dans leur élément social deux castes distinctes: l'homme libre ou Rondjo pur et l'es- clave.
L'homme libre défend sou village et assure la police des environs, c'est-à-dire qu'il pille et rançonne tout ce qui n'est pas en élnt {le lui résister. Entre temps, il cultive son champ de maïs ou de bananes, chasse pour se procurer de la viande, pèche et va faire des razzias dans les villages voisins.
L'esclave est le noir pris à la guerre. Sa condition n'est pas des plus heureuses, puisque, tôt ou tard, il est destiné à servir de repas à tout le village.
Après une guerre, tous les cadavres sont mangés. Un certain nombre de prisonniers subit le même sort. Cepen- dant, il arrive parfois que le village vaincu peut racheter ses prisonniers.
L'esclave qui a commis une faute grave doit mourir. 11 est solidement garrotté et gardé à vue. Au jour fixé pour le sacrilice, il est porté en dehors de ta prison et étendu à terre par devant son maître. Celui-ci, s'adressant à tout le village qui l'entoure, rappelle le crime commis par son esclave qu'il tue aussitôt, en le saignant au cou ou en lui enfonçant un couteau dans le cœur. Immédiatement le corps est dépecé et partagé entre les amis du maître. Ce dernier n'y Louche pas, mais il se réserve de prendre sa revanche à l'exécution d'un autre esclave que le sien.
La chair, qu'on a soin de laisser faisander, est cuite dans l'eau bouillante avec du manioc et des bananes — la cervelle est réservé aux vieillards — et le tout est arrosé d'un alcool
SOC. DE fiKOGA. — ï" TRIlfïSTRK Î8BSI. XX. — 17
346 NoriCK SUR LES BONDJOS.
exécrable qu'ils font eux-mêmes avec de la farine de mais et appelé pë.
Les mêmes cérémonies président an sacrifice des caplifs de guerre ; mais, dans ce cas, la télé revient de droit au Bondjo qui l'a fait prisonnier, et le crâne sert d'ornement au loit de la case du guerrier.
A sa morl, le Bondjo libre ne subit pas les mêmes profa- nations. Son corps est pour ainsi dire embaumé. 11 est ouvert depuis l'eslomac jusqu'au bas-ventre, de façon à remplacer le cœur et les intestins par des plantes aromatiques. Les entrailles elles-mêmes sont lavées dans un bain odorant, et conservées dans une jarre. Puis, le corps desséché est lixéâ un piquet, debout à l'entrée de la case du défunl et, pen- dant deux jours, les parents et les amis invités aux funé- railles battent le lam-lam en l'honneur du mort.
L'inhumation a lieu ensuite dans quelque endroit as: rapproché de la case. La fosse, profonde de ï>0 centimètres à peine a au préalable été bien haltue, puis chauffée pour que, disent les « Bondjos », le mort n'ail pas à souffrir du froid. Au milieu des pleurs et du bruit des lams-lams, le corps est déposé précieusement dans la fosse; on y dépose également la jarre qui contient le cœur et les entrailles et le tout est recouvert de nattes pour que la terre* n'abîme pas le corps». La cérémonie terminée, le partage des biens s'opère entre les amis et les parents du défunt qui, en signe de deuil, s'assemblenl pendant plusieurs jours pour pleurer el battre du lam-lam.
A voir l'esprit qui préside à leurs funérailles, ou pourrait s'imaginer que les Bondjos ont une idée vague de l'éternité et qu'ils ont un semblant de religion. 11 n'en est rien, ou du moins ils seraient plutôt fétichistes, car ils sont très supers- titieux.
En général, les Bondjos ne sont pas velus. Ils portent aux bras et aux jambes des bracelets de fer ou de enivre, les femmes en plus grande quantité. Celles d'entre elles qui
N<HTGK SUR LES BONDJOS. "2-17
sont le moins nues portent tout simplement une lonffe de fibres d'écorce ou bien une feuille debananierdélicalement retenue par une ficelle qui leur entoure les reins. Aujour- d'hui, cependant, tous recherchent le morceau d'étoffe, le « bongo » qui servira à couvrir leur nudité.
Comme armes, les Bondjos ont la lance en fer, haute de
1 m. 50 à -1 mètres, la sagaye, un couteau large et pointu
qu'ils portent en bandoulière et le couteau de jet qu'ils
lancent comme la sagaye avec une adresse remarquable.
Comme armes défensives, ils ont un grand bouclier l'ail en
peau de buffle ou en bambou fortement tressé. Ils portent
également une cuirasse en peau. Les armes à feu sont
icore rares chez eux, mais les Yakatous possèdent une
laine quantité de fusils a tir rapide et de munitions, pro-
it de leurs vols et de leurs assassinats,
guerre, ou pourmieux dire le pillage, est leur industrie Lion aie. La fuite et la surprise constituent leur tactique .bituelle. Ils n'attaquent que la nuit, toujours par sur- lorsqu'ils se sentent très supérieurs en forces, et tout après avoir anéanti toute résistance delà part du nos :iliaires indigènes en leur procurant de l'alcool et des mes.
iup terminer ce rapide exposé sur celte race qui habite premiers territoires de l'Oubangui, il faut ajouter que le imerce français peu llrouverchézles Bondjos un débouché plus faciles. Le café, le caoutchouc ne manquent pas; oire se trouve en grande quantité et les Bondjos le livrent lemenlâ un prix qui n'atteint pas 0 fr. 70 le kilogramme. is Bondjos, qui ne sont pas à craindre malgré la mauvaise réputation qui leur est faite, verraient avec plaisir s'installer sous la garde de notre pavillon des factoreries où ils pour- raient échanger leurs produits contre des Tusilsde traite, de la poudre, des perles, du laiton, des étoffes et, en général, tous les articles de traite.
uant à ceux a qui incombe le devoir de maintenir dans
.
248 X0T1CE SUK LES BONDJOS.
ces régions éloignées les droits de la France, ils sont d'avis que l'établissement du commerce chez les Bondjos aura un salutaire effet sur les mœurs et les habitudes de ces peuples encore sauvages, parce qu'ils n'ont eu d'autres relations avec nous que par les armes.
Bangui, 26 août 1898.
Le Gérant responsable, Hulot,
Secrétaire général de la Commission centrale.
5W5. — L.- Imprimeries réuniog, B, rue Saint-ltonoît, 7. — Mottshoz, <lir.
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LA COTE D'IVOIRE
NOTICE HI3TOEICJUE
, U. CLOZEL
I es Normands et tes l'orLuL'ais. In premier H alili. -sèment français * \ssinie sous Louis XIV. — Croisières contre les né^ri^rs. — Occupa- tion de Graiul-Ilassam el d'Assinle. -- llee.qnard. — Le général Faid- 'i. i tir- el ta construction du fort de Dabou. — La Crtte d'ivoire de 1870 à 1N8;. — lltnger et Treich-Laplône. — La Cote d'Ivoire colonie française en 1893. — M. Binger, premier gouverneur. — Occupation
■ t. la i <>! ii'si. — l'éneiration dans le Saoulé:. — Gouvernement de
M Mou «et (1896). — Occupation de la frontière orientale. — i'rlse de Samory en 1898. — M. Boherdeau, gouverneur.
L'antiquité ne nous a rien laissé sur la Côte d'Ivoire. Le périple d'Hannon, ce premier voyage de découverte le long des rivages de l'Afrique occidentale, ne renferme aucun renseignement qu'on puisse lui appliquer. Les nombreux Érudits qui ont disserté sur les navigations de l'amiral car- thaginois s'accordent pour les faire remonter enlre le vi* et le v* siècle avant l'ère chrétienne, et, bien que moins una- nimes sur ce poinl, tes plus compétents d'enlre eux assi- gnent comme limite au voyage les bouches de la rivière Slierbroo dans le sud de la colonie anglaise de Sierra- Leone, ce qui exclut naturellement notre Cale d'Ivoire du monde connu des anciens.
Les géographes arabes sont également muets. Il semble rjtte leurs navigateurs se montrèrent beaucoup moins hardis dans l'océan Atlantique que dans les mers des Indes et de Chine. Les principaux ports de commerce des Arabes étaient
snc. de si OCR. ■
252 LA cote d'ivoire.
Normands, ne fondèrent aucun établissement sur la partie du littoral qui correspond à notre colonie de la Côte d'Ivoire. Ses limiles actuelles ne sont point du resle tout à fait celles qu'avait la cote dont elle a conservé le nom.
Les anciens géographes comprenaient généralement sous le nom de Côle des Dents ou de l'Ivoire toute la partie du littoral africain qui s'étend du cap des Palmes à celui d'Apollonie; d'autres font commencer la Cote de l'Or à la rivière d'Assinie ou même à Gamo, point qui correspond à peu près à la situation qu'occupe aujourd'hui Grand-Bassam.
Ils subdivisèrent celte, région en trois parties : la Côle d'Ivoire proprement dite, du cap des Palmes à la rivière de Sassandra ; la C6te de Mal-gens, de Sassandra à Labou ; celle des Quaqua, de Lahou à la rivière d'Assinie.
Des Marchais' nous donne une autre division avec des limites légèrement différentes. Voici du reste ce qu'il en dit:
a Toute cette cûte, depuis le cap des Palmes jusqu'à celui des Trois-Pointes, est connue des navigateurs sous le nom de Côte des Dents. Les Hollandais l'appellent en leur langue Tand-Kusl. On la divise pour l'ordinaire en deux parties, que l'on appelle la Côte de Mal-gens, ou mauvaises gens, et la Côte des Bonnes-gens. C'est la rivière de Bolrou qui sépare ces deux peuples. De savoir qui leur a donné ces noms, c'est ce qui n'est pas facile, non plus que la raison pourquoi on les leur a donnés. Il est certain que les nègres qui sont à l'est du cap des Palmes sont méchants, traîtres, menteurs, voleurs, d'un naturel féroce et sanguinaire. En voilà assez pour justifier ceux qui leur ont donné une épiihète si odieuse.
« A l'égard du nom de Côte des Dents qu'on donne à toute la côte d'un cap à l'autre, la raison en est facile à trouver.
la cote d'ivoihe. 253
Elle viutit de la prodigieuse quantité de de;ils, de cornes ou de défenses d'éléphants qu'on trouve dans tout ce pays. *
Avant des Marchais, dont le voyage remonte seulement a 1724, bien d'autres navigateurs avaient fréquenté notre cote, mais tous, l'anonyme dont les voyages furent rédigés et publiés .par Go tard Arihus, plus connu sous le nom d'Arlhus de Dantzig (un du xvi" siècle), Villault (1667), Thomas Phillips (11193), Jacques Barbot (1699), s'accordent pour parler en assez mauvais tennes des indigènes de la Côte d'Ivoire; certains nous les donnent même comme anthropophages, ce qui n'a rien d'invraisemblable, puisque les peuplades de l'intérieur dans la partie ouest de la colonie le sont peut-être encore. Tout le kvil0 siècle s'écoule sans qu'aucune des nalions européennes qui avaient occupé nombre d'autres points de la cote occidentale essaye de s'établir à terre. C'étaient nos compatriotes qui devaient le tenter les premiers.
Celte première installation française dans notre colonie actuelle de la Côte d'Ivoire remonte au commencement du xviue siècle. Le R. P. Godefroy Loyer, religieux jacobin d'un couvent breton, qui fut l'aumônier de la petite colonie, nous en a conservé une relation fidèle et détaillée'. L'histoire est intéressante en plus d'unpoint, et notre occupation prît lin par une de ces évacuations manu militari dont notre histoire coloniale offre d'autres exemples.
Cela commence avec une mission fondée à Assinie en 1687 par un religieux dominicain, le P. Gonsalvez, qui malgré son nom espagnol était Auvergnat. Cette mission n'eut, qu'une existence éphémère, mais son supérieur put ra- mener en France deux jeunes nègres qui, conformément à une tradition que nous avons conservée, y furent présentés Domine lils de roi.
page iiu royaume d'Issijmj, par le R. P. C. Loypr.
254 LA CÔTE d'ivoire.
En 1100, le P. Loyer, au retour d'un voyage aux îles d'Amérique, se trouvait à Rome pour le jubilé. 11 se fit nommer par la congrégation de la Propagande préfet apos- tolique des missions de la Côte de Guinée et vint ensuiteen France pour y trouver les moyens d'action propres à ap- puyer son entreprise religieuse. On y songeait précisément à renvoyer à Assinie, l'un des deux jeunes nègres, le prince Louis Aniaba, qui, après avoir été élevé noblement, ava.t servi quelques années dans l'armée royale en qualité de ca- pitaine de cavalerie.
L'espédiiion se composait du vaisseau de guerre le Poly ayant pour capitaine le chevalier Damnu, de deux navires de la Compagnie de Saint-Domingue, l'Impudent et la Hol- lande. Elle quitta La Rochelle le 18 avril 1101, emportant le prince Aniaba auquel le roi avait fait donner « un équipage convenable à son rang », le P. Loyer et un autre religieux jacobin, le P. Jacques Villard. Après une courte escale à Grand- Bassam, la petite escadre mouillait devant Assinie, le 25 juin à midi.GabHrel, lieutenant de vaisseau, et le P. Loyer, qui, le 5 juillet 1101, se rendirent les premiers à terre, cha- virèrent dans la barre avant que d'y arriver, mais en furent quittes pour un bain. Après des pourparlers que nous pas- sons sous silence, le roi Akasini concéda aux Français pour s'y établir un emplacement sur la bande de sable qui sépare la lagune d'Aby de l'Océan. C'est sur ce banc de sable que s'élève aujourd'hui la pelile ville d'Assinie.
Le fort construit en 1701 fut composé d'une courtine et de deux demi-bastions, avec une palissade de 10 on 12 pieds de hauteur et un fossé extérieur. Sur chaque bas- lion on plaça quatre pièces de trois livres de balle et quel- ques pierriers. Derrière ce retranchement, on bâtit les loge- ments pour les officiers et la garnison, et quelques magasins, assez petits à la vérité, mais suffisants pour les marchandises qu'on avait débarquées.
Les indigènes paraissaient entièrement favorables et
LA CÔTE d'ivoire. 255
avaient prêté un concours empressé à noire établissement. Le chevalier Damou, qui avait dirigé les pourparlers avec eux et présidé à toute l'installation, quilta ensuite la rade d'Assiuie.
C'eût été très bien si l'on avait pensé à la colonie nais- sante ; mais on devait l'oublier quatre ans et ne s'en souve- nir en 1704 que pour rapatrier les survivants.
Le- H'illandaisd'El-Mina.qnicraignaient que le voisinage des Français devint nuisible à leur commerce, vinrent atta- quer le Tort d'Assînie avec une escadre de quatre vaisseau* le 3 novembre 1702. Après avoir essayé infructueusement de détacber les indigènes de notre cause et sondé la rade, ils se rapprochèrent de terre et commencèrent le bombar- dement le 13 à huit heures du malin. La petile garnison ri- posta d'abord assez heureusement; mais, n'ayant plus que deux barils de poudre, elle dut cesser le feu des pièces et ré- server la poudre pour la mousqueterie. Les Hollandais, au contraire, continuaient de plus belle et envoyaient près de 1,200 coups de canon sur ce malheureux fort construit en bois, sans lui faire, grand mal, parait-il.
La situation n'en paraissait pas moins désespérée lorsqu'à deux heures de l'après-midi, se pruduisit un accident qui sem- blait devoir tout perdre et qui vint tout sauver. Il y avait dans le fort, près de la chapelle, une grande ruche d'abeilles qui futrenversée par un boulet. Les muuches furieuses se jelèrenl Sur la petite garnison et la forcèrent à évacuer la place. Les Hollandais, ue doutant, pas que les Français n'en eussent abandonné la défense, firent immédiatement débarquer cin- quante hommes pour en prendre possession, mais les Fran- çais rentrèrent dans le fort par une des embrasures du bas- lion donnant sur la rivière sans cjue l'ennemi s'en aperçut.
D'autre pari nos alliés indigènes s'embusquèrent sur le chemin que devaient suivre les Hollandais, si bien que, des cinquante hommes de la compagnie de débarquement, trente- nenf furent tués et les onze autres faits prisonniers.
256
LA CÔTE D'IVOIRE.
L'échec de cette te nlative mil fin a l'attaque dps Hollan- dais. Pendant !e danger, te prince el ci-devant capitaine de cavalerie Aniaba brilla par son absence. Le chevalier des Marchais, qui fit sa connaissance quelques années plus tard, nous renseigne sur le personnage et sur son prin- cipal.
D'après lui, Aniaba était un petit esclave appartenant au capitaine Compère, patron d'un bateau marchand, qui se proposait d'en faire son domesLique. Arrivé en France, l'air intelligent du négrillon donna bonne opinion de lui à quel- ques personnes qui trouvèrent avantageux de lui Taire jouer le rôle de prince. Ce à quoi le jeune Aniaba se prêla de fort bonne grâce. Malheureusement, dès son retour à Assinie, ses compatriotes le dépouillèrent des présents de Louis XIV et lui firent reprendre son ancienne condition d'esclave.
Bosman confirme les points principaux de la version de des Marchais. Ce qui n'empêche pas le Mercure de l'avoir fait connaître à l'Europe «n 1701 sous le nom de Louis An- nibat, roi d'Issiny, et de nous apprendre que, baptisé par Bossuet, filleul du grand roi.il avaitreçu la communion des mains du cardinal de Noailles, archevêque de Paris.
Le chevalier de Gènes, qui hombardaenl6051e forlJames sur la Gambie, avait découvert un autre prince d'Assinie. A propos de quoi un vieux voyageur fait remarquer que, mal- gré la stupidité qu'on attribue aux nègres, ils ont assez d'es- prit'pour nous en imposer à l'occasion.
En 1703, Loyer avait quitté Assinie. Les quelques Fran- çais qu'il y laissait en élaieni déjà réduits à une telle misère que, faute de marchandises, ilsdevaient vendre leurs habits pour acheter de quoi manger.
Enfin, en juillet 1 704, trois navires marchands et un vais- seau de guerre commandé par le capitaine de Grosbois ar- rivèrent devant Assinie. C'est la saison des plus mauvaises barres el il fallut trois jours aux Français du fort pour se mettre en communication avec Grosbois. Celui-ci traita si
LA CÔTE d'ivoire. 257
talemenl les nègres venus à son bord qu'il ne l'ut plua ssible de trouver des pirogues.
tTn soldat du Tort, nommé Parisien, ne craignit pas de rnosera la fureur des fiais pour gagner les vaisseaux à la c et représenter 1 Grosbois l'imprudence de sa conduite qui mettait tous les Français de la garnison en danger d'être massacrés; mais le capitaine, insensible à tous les discours, déclara qu'il ne fallait penser qu'à l'embarquement pour re- tourner en France. Parisien retourna au fort avec cette nouvelle ; et, dès le môme jour, Grosbois envoya des ra- deaux au rivage comme la seule ressource pour ramener tous les Français à son bord. Le P. Villard Tut le premier qui en osa courir les risques. 11 se mit en chemise avec son chapelet au cou. Après avoir ouvert heureusement la route, il se flattait de retourner au Tort pour y prendre ses habits et sa chapelle, mais cette permission lui fui refusée par le capitaine. Sept autres Français, moins heureux que lui, se noyèrent en passant, la barre et le fort fut abandonné à la discrétion des nègres.
Comme le terrible capitaine de Grosbois ne voulut faire aucun cadeau, ni tenir aucune des promesses failes aux in- digènes paries Français d'Assinie pendant leurs années de misères, cette tentative d'occupation heureusement com- mencée laissa les noirs, d'abord si favorables, fort indispo- sés contre nous.
Les débuts et la fin de notre première occupation d'Assi- nie justifiaient cette réplique d'une cheffesse d'Apollonie au P. Loyer : < Si les Français avaient aulaut de fidélité dans leurs promesses que de civilité dans leur conduite, foute la côte d'Afrique serait a eus ; mais comme ils tiennent rare- ment ce qu'ils promettent, leurs amis ne peuvent y prendre beaucoup de confiance. »
En d'autres termes, pour réussir en Afrique, et peut-être même ailleurs, il faut savoir ce que l'on veut et le vouloir longtemps.
LA COTE D'IVOIRE.
Gel échec mit fin pour plus d'un siècle aux tenlalivesdes Européens sur la Côte d'Ivoire; les difficultés du débarque- ment causées par la barre ei la mauvaise réputation desna- turels les en détournèrent. Ils y commerçaient cependant, et des Marchais nous renseigne sur la façon dont s'opéraient les transactions' :
* Les nègres de la côte, quoique du mauvais caractère qui leur a attiré le nom de Mal-gens, aiment le commerce. Dès qu'ils voient un batimt nt en panne ou mouillé à une distance peu considérable de la côte, ils le viennent recon- naître, et quand ils se sont assurés qu'on y peut traiter avec sûreté, ils portent à bord tout ce qu'ils ont de marchan- dises, soit or, morphil, captifs, vivres ou raffraîchissemenls, et prennent en échange les marchandises rie traite dont ils ont besoin. Il est plus à propos de traiter avec eux à bord que de porter les marchandises à terre. Les Européens sont maîtres dans leurs vaisseaux, pourvu qu'ils n'y laissent en- trer qu'une quantité de nègres qu'il leur soit facile de chas- ser s'ils se mettaient en état de leurvouloirfaireviolence.au lieu qu'ils ne le seraient pas s'ils étaient à terre où la vue des marchandises serait une tentation très forte pour porter les nègres à quelque massacre, ou du moins à quelque pillage dont il serait difficile d'avoir raison, à moins de prendre le parti d'enlever des captifs au prorata du pillage que leurs compatriotes auraient fait, ce qui serait encore un autre in- convénient parce que les nègres ne manqueraient pas de s'en venger sur les premiers Européens qui auraient le malheur de tomber entre leurs mains.
t Ils viennent donc avec assez de confiance aux vaisseaux, surtout quand le pavillon blanc les assure qu'ils sont Fran- çais. Ils ne s'y sont pas toujours fiés; et pour s'assurer qu'ils étaient tels que le pavillon marquait, ils exigèrent que le capitaine descendit du bord et que mettant un pied sur li
I [ip? Marchais, lot. cit., p. 17B.
etfant un pied sur le
I.* CÔTE [/IVOIRE.
259
bord de la chaloupe et l'autre sur une précïnte de son «aisseau, il prit de l'eau de la mer avec la main et s'en mit quelques gouttes sur les yeux. A|jrès cette cérémonie ils «'abandonnaient entièrement à sa discrétion, étant persuadés que rien au monde ne serait capable de lui Taire violer la foi qu'il leur donnait parce serment.
« Ils s'en servent eux-mêmes quant ils veulent promettre quelque chose, et disent qu'ils perdraient la vue s'ils faisaient le contraire de ce qu'ils ont promis. Je veux croire qu'ils craignent l'effet de l'imprécation que celte cérémonie signi- le ; cependant je conseille à ceux qui traitent avec eux de s'y fier que sous bénéfice d'inventaire, et d'être toujours n armés et en état de les repousser vivement si quel- 'un d'eux avait assez peu de religion pour ue pas craindre ►erle de sa vue, comme cela est arrivé plusd'une fois, car y a partout des gens qui savent le secret des restrictions sntafes et qui ne sont pas esclaves de leur parole. »
s Marchais étudie cependant la possibilité d'un établîs- ment sur celte côte et préconise l'embouchure du Rio inl-André, la rivière Sassandra de nos cartes. Nous y ins aujourd'hui un poste. L'opinion de des Marchais nous ieuseà rappeler, car il est actuellement question e transférer le cbef-lîeu de notre colonie de Grand-Bassani o un point de la côte plus sain el plus agréable à habiter, a rapports des médecins des colonies chargés à diverses :s d'éludier la question s'accordent pour recomman- r comme favorable à rétablissement de la ville future le sau qui s'étend entre Sassandra et Grand-Drewin. Des îhais, dans le passage qu'on va lire, apporte à l'appui de p thèse un témoignage qu'il nous a paru intéressant [humer1:
i Le Grand-Drouïn est un village considérable bâti dans c ile environnée de la rivière de ce nom. On voit au delà
I. Des Marehiis, loe. cil., p. 183.
2fiO a LA C&TE D'IVOIRE.
du village des prairies des deux côtés de la rivière, tant que la vue peut s'étendre.
' « Kio-Saint-André est sans contredit le lieu de toute celte côte le plus propre à placer une forteresse. La rivière qui porte ce nom est considérable par elle-même, avant môme d'avoir reçu les eaux d'une autre rivière qui s'y perd une lieue avant son embouchure dans la mer. La première vient du nord-nord -ouest, et la seconde du nord-est. Elles sont l'une el Taure bordées de grands arbres, avec des prairies naturelles et de vastes campagnes unies, d'un ter- rain gras et profond, coupé par des ruisseaux qui le rafraî- chissent et qui le rendent propre à produire toul ce qu'on en voudrait tirer, s
Comme si ce n'était pas assez de tous ces avantages, notre auteur nous fournit un peu plus loin un argument qui n'est pas mince en faveur des agréments du séjour dans ces ré- gions».
* Généralement parlant, toutes les femmes de Saint-An- dré sont d'une taille assez petite, déliées et très bien prises. Elles ont les plus beaux traits du monde, les plus beaux yeuj, les plus vifs ; la bouche petite, les dents d'une blan- cheur à éblouir. Elles sont enjouées ; elles ont l'esprit fin, beaucoup de vivacité, et surtout un air tout à fait coquet ; leur physionomie est libertine et n'est puint trompeuse. »
Notre respect pour la vérité nous oblige à rabattre quelque peu sur les louanges enthousiastes du brave che- valier. Sommes-nous devenus moins galants et moins im- pressionnables que lui, ou bien est-ce la faute des beautés indigènes, mais nos compatriotes qui habitent aujourd'hui Sassandra se montrent beaucoup moins affirmalifs en cette intéressante question.
Bossman, Akins, Smith et les autres voyageurs du xviii* siècle ne parlent de la Côte d'Ivoire qu'en passant. Les
1. Des Marchai-, I
LA CÔTE d'ivoihe. 261
grandes compagnies commerciales qui existaient alors en France comme en Angleterre et en Hollande continuèrent à la négliger pour porter leur principal effort sur la Séné- gambie, la Côte d'Or et le Bénin.
Ce qui achevait de rendre les communications rares et difficiles entre les indigènes de la Côte d'Ivoire et les Euro- péens, c'est que ceux-ci, lorsqu'ils faisaient escale en quelque point du littoral, enlevaient parfois et vendaient ensuite en Amérique les indigènes venus à leur bord pour y faire des échanges. C'est du moins ce que nous rapporte Snelgrave, navigateur anglais, qui visita tout le golfe de Guinée en 1727.
Le fait n'a rien d'impossible; le nègre était alors une denrée fort prisée et les capitaines des navires qui fréquen- taient la côte occidentale d'Afrique n'embarquaient pas toujours une très forte cargaison de scrupules, marchan- cuandise encombrante sans qu'il y paraisse, et parfois bien gènan te.
Pendant les guerres de la dévolution et de l'Empire, tout bateau de commerce naviguant au long cours était plus ou moins armé. Ayant la force, on devenait corsaire à l'occa- sion, elquand on s'épargnait si peu entre blancs, pouvait-on se montrer bien délicat vis-à-vis des noirs, race en dehors du droit des gens, dont les ambassadeurs n'intervenaient point dans ies congrès. Marchands, corsaires et négriers, les marins de ces époques héroïques savaient l'être lour à lour et tant qu'on ne faisait point franchement de la pira- terie en s'attaquant à des navires amis, personne n'y trou- vait rieu à dire.
Tous ces hommes d'action écrivaient malheureusement Tort peu et, pour trouver sur la Cote d'Ivoire en particulier quelques renseignements nouveaux, il nous faut attendre la fin des guerres de l'Empire.
Robertson.qui fut en Afrique l'agent d'une des principales maisons do commerce de Liverpool et qui fit en cette qua-
262 la côte d'ivoire.
lite" plusieurs voyages en Guinée, avait heureusement la plume moins rétive. Il nous a donné, sur les différentes escales de !a C6te d'Ivoire visitées par lui, d'itssez curieux détails dans ses Notât onAfriva1, publiées à Londres en 1819.
D'après lui, Cnvally est remarquable par son grand com- merce qui consisle en riz, ivoire, grains de paradis, grains de fossiles5, poivre rouge, fourrures el autres denrées. Ilobertson, se trouvant en mai à l'embouchure du Cavally, vil flotter sur le rivage quantité de poissons morts, tous les ans à pareille époque ce phénomène se renouvelait. Nous occupons la rive gauche du Cavally depuis 1894, et aucun de nos agent? n'a signalé le fait. Tabou, on réside actuelle- ment l'administrateur du cercle de Cavally, était alors un pauvre village, mais à Bassa, en face de Tabou, on faisait un assez gros commerce d'ivoire el de dents d'hippopotames.
De Tabou à Sassandra, Robertson ne voit que les Bereby et Drewin qui vaillent la peine d'être cités. A l'en croire, l'importance de Sassandra a bien diminué depuis l'aboli- tion de la traite des nègres; cependant, on y trouvait encore de l'ivoire et de l'or.
Puis viennent Fresco et Koilrou, peu connus el peu fré- quentés des Européens ; Cap Lahou, au contraire, le Grand-
1, Sole* onAfrica; particulury Ihusc pai ti wich are sitvated betwee» Cap Ycrd and tht river Congo ; coidaining iketchei of Ihe geographical lituations, mannen and cuttomt, tht trade, etc., of Ihe varions na- tion* in thù extetuivt tract, etc., by G. A. Robertson, Esq., wilb a correct map. Londres, 1818, in-8° de 4B0 pages.
i. Presque toute la population maie est employée a faire de» cha- pelets composés de grains d'une substance fossile, trouvée au Tond de It mer prè-s de la cote, qui ressemble au corail mais n'en a pas It couleur. Tous les habitants des contrées environnantes pavent fort cher ces chapelets, qui passent pour proléger contre les sortilèges, Les plongeur- qui rrrueillent celle substance se munissent d"uo instrument de r*r pour creuser lu couette de terre qui la recouvre au fond de la mer. Chose curieuse, tous nos renseignements récents se taisent à ce sujet; il semblerait que depuis quatre-vingts ans le souvenir même do relie substance el du commerce auquel elle donnait lieu se soit perdu dan? le pays.
LA CÔTE d'ivoire. 269
I. iliùu d'aujourd'hui, est l'établissement, le pli.s important de la côte. On y traite annuellement pour 15,000 I. si. (375,000 francs) d'or et d'ivoire, et pour 20,000 l. si. (500,000 francs) d'huile de palme, gommes, poivres, bétail et autres articles.
Tout le pays à partir de Lahou est placé sous la suzerai- neté plus ou moins directe de l'Ossey ou roi des Achautis. Robertson nous signale sur cette partie de la côte Jack -Jack, dont les habitants sont industrieux, Piquininy-Bassam (au- jourd'hui Petit-Bassani), où l'ancrage est difficile et dange- reux à cause de cet abîme sans fonds appelé communément le Puits du Diable; à Grand-Bassam la barre est très élevée et ne peut être passée sans danger; la ville d'Issiny ou d'Assini, qu'on trouve ensuite, n'a été qu'en partie rebâtie depuis qu'elle a été détruite par les deux États coalisés de Grand-Bassani et d'Apollouie. La barre est très dangereuse, aussi les vaisseaux y viennent peu et le commerce y est irès restreint ; de celui, assez considérable, qu'y faisaient autrefois les Français il ne reste aucune trace. Là s'arrête t'e que dit notre auLeur du littoral de la Côte d'Ivoire ; quanta ses données géographiques sur l'intérieur du pays, elles sont d'une telle fantaisie que nous croyons inutile de nuus y arrêter.
Les traités de 1815 créèrent des loisirs aux marines de guerre européennes. D'autre part, la répression de la Iraite des nègres les amena à faire de nombreuses croi- sières le 'long des côtes d'Afrique, elle fut aussi l'une des raisons déterminantes de l'occupation permanente de cer- tains points de la côte occidentale.
Mais l'un de ses premiers résultats fut de nous faire mieux connaître l'hydrographie et les divers aspects de la c»le. C'est de celte période que datent le grand atlas an- glais d'Owen1, les travaux des hydrographes français. Le
1. Owcii (W. F. «.), Hydrographical Sureey oj the coa*l of Aftiko, iOcarU^ in-1'olin pi OS [.lantlie* iii-V. Londres, 1822-I8Î6.
264 la côte d'ivoire.
Prédour, Darondeau, etc., continués par île Kerhallel et Legros, sans parler de nombreux officiers de notre division navale de l'Atlantique sud. C'est alors aussi que commen- cent les nombreuses croisières que l'amiral Bouët-Willau- mez fit le long de cette côte pendant vingt ans{1830-1850), ainsi que les prises de possession et les établissements qui en résultèrent.
C'est en 1842 * que, sur la demande 'de plusieurs mai- sons de commerce françaises qui avaient créé quelques comptoirs sur la Côte de l'Or et y faisaient un trafic assez important, le ministre de la marine chargea le comman- dant Boufit-Willaumez d'entrer en relations avec les chefs de la contrée.
Celui-ci obtint alors d'Amatifou, souverain d'un royaume situé à l'ouest du pays Aclianli, la cession du territoire d'Assinîe, et du roi Piter (ou Peter), dont l'autorité s'éten- dait sur les villages de la lagune Ebrîé, la cession des ter- ritoires de Grand-Bassam, ainsi que le droit d'établir un poste à Dabou, dans la partie moyenne de la lagune.
Ces deux chefs s'engageaient, en outre, à assurer, dans toute l'étendue de la contrée qui leur était soumise, la sé- curité des voies de communication et recevaient en échange une redevance annuelle du gouvernement français.
La prise de possession eut lieu l'année suivante. Le lieu- tenant de spahis Hecquari, qui visita nos posles de la Côte d'Ivoire en 1849 avec le commandant Bouet-Willaumez, alors gouverneur du Sénégal, et qui connut la plupart des officiers qui avaient participée leur fondation, nous a laissé' un récildétaillé et intéressant des événements qui marquèrent notre installation désormais définitive à la Côte d'Ivoire.
1. La Colonies françaiten, notir.es puDliei's .sous la direction de ht, Louis l!(!iirii|ue à l'occasion de l'exposition di> 1H8J. Paris, in-12, l. VI, p. 192 et suiv.
2. M. Heci|uurd, Voyage *«r la ente el tlaitx l'intérieur de l'Afrique occidentale. Taris. 1N53, in-4°, >;rav, cl caries, p. 51 et suiv.
LA CÔTK D'IVOIRE.
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Kiste d'Àssinic qui fut fondé le premier. h Le 4 juin 1843, la galiare l'Indienne, commandée par M. Rataillol, el le cutler l'Êpertan, sous les ordres de M. Darricau, lieutenant de vaisseau, parlaient de Gorée pour Assinîe avec trois navires de commerce chargés du matériel et de la garnison du Tort que devait commander M. de Mont-Louis, enseigne de vaisseau. Le 2 juillet, celte petite escadre arrivait devant Assi nie, MM. Rataillot et Dar- ricau descendaient à terre, et, le 4, un traité était passé avec le roi Amatifou, qui nous concédait un territoire ei se mettait sous notre protection contre les gens d'Apol- lonie, avec qui il était continuellement en guerre et dont il redoutait les fréquentes incursions. Le 5 juillet, M. Dar- ricau prenait le co m mandement de la plage, où le débar- quement commençait. Celte opération était excessivement périlleuse et difticile, et il ne fallait rien moins que la per- sévérance et le courage de nos officiers et de nos matelots pour en venir à boul. Des radeaux furent établis avec les planches destinées à la construction des baracons ; l'on y plaça les vivres, puis on les conduisit sur les bords des hrisants, d'où ils furent remorqués vers la terre au moyen île cordes disposées en va-el-vienl par des honuues placés pies du rivage et ayant de l'eau jusqu'au milieu du corps. Quelques-uns de ces radeaux chavirèrent ; mais, dans tous les cas, les objets qu'ils portaient étaient mouillés, et il [allait les déballer aussitôt et tes faire sécher sur le sol. Ceux qui connaissent les difficultés que préseule un débar- quement, même en pirogue, sur la côte d'Afrique, se feront facilement une idée des obstacles que nos marins eurent à vaincre dans cette circonstance. Cependant, quoique privés de toutes les ressources qu'on trouve près des lieux fré- quentés par nos bâtiments, le 29 juillet, l'artillerie, les mu- nitions, les vivres, tout élailàterre, le blockhaus était élevé, et notre pavillon, flottant pour la première fois sur ce ri- t, était salué de vingt et un coups de canon.
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s. Le poste d'Assinie, établi à neuf milles de l'embouchure de la rivière et sur la rive droite, est une bon*e position militaire, car il commande de là les passes qui conduisent soit au lac d'Aby, soit à celui d'Apollonie, et est éloigné à peine d'un mille du village d'Assinie, qu'il tient ainsi faci- lement en respect.
« Le commandant habite une maison modèle envoyée de France et qui se compose d'un seul étage entouré d'une galerie couverte. Elle occupe le milieu d'un carré ceint de fortes palissades et flanqué à chaque angle d'un bastion eu pierres. Autour de la maison s'élèvent quelques ba- raques en planches qui servent d'hôpital, de magasins et de caserne. La garnison compte un commandant, un chi- rurgien, un commis de marine chargé de la comptabilité, une vingtaine de soldais noirs, deux canonniers blancs et quelques laplots.
v AS milles du comptoir sont les passes conduisant au lac Aby, qui a plus de 55 milles de long sur 8 ou 10 de large. Les principaux villages sont Aby, bàli sur la rive gauche, et dont le chef nommé Biconé a toujours été très bienveillant pour nous ; un peu plus loin, Azouan, village de cultivateurs et de pécheurs, qui fournit au poste des pro- visions.
* Aby, le premier de ces villages, fut brûlé en 1848 à la suite d'une méprise fâcheuse. M. Thévenard, officier d'in- fanterie de marine, revenant de Kinjabo où il avait été voir le roi Amatifou, fut assailli, au moment où il s'y attendait le moins, par plusieurs pirogues armées en guerre. Quoique inférieurs en nombre, et bien qu'ils eussent à peine le temps de mettre les armes a la main, M. Thôvenard et ses hommes se défendirent énergiquemenL. Mais bientôt ce brave oftieier, qui avait été blessé à la première décharge, succomba ainsi que ceux qui l'accompagnaient, a l'excep- tion d'un soldat noir qui s'échappa. Ce massacre avait lieu a l'entrée du grand lac d'Apollonie; mais pour délourm
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s soupçons, les Apollonîens qui montaient ces pirogues dllèrent échouer notre canut sur la rive gauche du lac Abj; puis ils dépouillèrent les cadavres, en coupèrent les télés et les parties génitales el. les emportèrent avec les armes prises dans l'embarcation, n'épargnant que le soldat unir qu'ils emmenèrent avec eux. c Or, la position dans laquelle on trouva la chaloupe et indices trompeurs faisant supposer que c'élait les habitants d'Aby qui avaient commis le crime, ce village fut réduit en cendres, malgré les protestations du roi Ama- tlfou, tandis que les habitants, à qui le roi, pour donner une marque de son dévouement aux Français, avait détendu de résister sous peine de mort, *e sauvaient dans les buis d'où ils Assistaient à la destruction de leurs cases. Mais quelques mois plus tard, les Anglais ayant fait une expédi- tion contre Kakouaka, roi il'Apullonie, et s'étant empares du village, le soldat noir fut retrouvé, raconta toutes les circonstances de cette catastrophe et désigna les Apollo- nieus comme les seuls auteurs de ce guet-apens Aussi, lorsque le commandant Bmié.-\\ illaumez vint me conduire au Grand-Bassani, il (Il appeler Amatifou et, après quelques Explications, il lui fit compter comme réparation du dom- mage qu'on lui avait causé une somme de 5,0U0 francs, 11 y ajoHta comme cadeau mon uniforme d'officier de spahis, dont les vives couleurs causèrent une joie indicible au r.ii notr. >
L'ordonnance royale de janvier 1843 prescrivant la fonda- lion des comptoirs d'Assinie et du Gabon eu prévoyait un troisième à Garroway. Au moinenl où l'expédition qui ■ levait fonder cet établissement allait partir du Seuégal, le commandant Bouel-Willau ruez apprit que les Anglais avaient l'intention de s'emparer de Grand- Bas sa ni et d'annihiler ainsi noire comptoir d'Assinie. N'ayant pas le temps de demander des ordres en France, il fjrit sur lui de changer la lestinalion de l'expédition qu'il atail sous la main, et la
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dirigea immédiatement de Corée sur Grand-Bassam, où elle arriva !e 17 août.
La barre y est particulièrement mauvaise, surtout aux mois de juillet et d'août. Aussi n'ayant aucun moyen d'aborder, M, Besson, enseigne de vaisseau, désigné pour commander le poste, traversa les brisants à la nage et porta à [erre une ligne au moyen de laquelle on parvint à établir un va-et- vient entre le rivage et la haute mer en deçà des brisants. Le débarquement, toutefois, ne se lit point sans perte. Une embarcation engagée dans la barre chavira et quatre mate- lots disparurent. On employa alors le procédé qui avait réussi pour Assinie; on construisit des radeaux avec les planches destinées au baraquement et, en quinze jours, tout était débarqué. Le 28 septembre suivant, les chefs de Grand- Bassam se renflaient au poste pour en saluer le commandant, et le pavillon français était arboré au bruit de salves d'artil- lerie répétées par les navires en rade.
Cette heureuse prise de possession fut suivie assez rapi- dement de difficultés avec certaines peuplades indigènes du bas Comoe et de la lagune Ebrié. Le commandant Bouet- Willaumez eut maille a partir avec les tribus de l'Akapless en 1849. 11 dut bombarder et détruire le village de Yaou, sur la riche gauche du Comoe, à une dizaine de kilomètres de Grand-Bassam. Quarante-deux officiers et marins tués ou blessés dans ces différents combats témoignent de la résis- tance qui fut faite par les naturels, fort supérieurs en nombre, pourvus d'armes à feu et pretégés par la nature boisée du terrain.
C'est en 184° également que le lieutenant de spahis Hec- quard vint à Grand-Bassam pour tenter de relier le golfe de Guinée au Niger. C'était, eu sens inverse, le voyage que devait réussir le capitaine Binger quarante ans plus tard. Hecquard complaît, pour le succès de son entreprise, sur l'aide des Mandés-Dioulas de Bondoukou, qui venaient alors en assez grand nombre commercer à Grand-Bassam.
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Mais il ne put remonter plus haut que les rapides de Kotto- krou sur le ComoS, à TO ou 80 kilomètres du littoral. Il est curieux que le mouvement commercial entre les Dioulas et nos ports de la Côte d'Ivoire, que nos efforts fonl renaître depuis quelques mois seulement, après une longue inter- ruption, ait eu alors une aussi réelle intensité.
En 1853, le capitaine de vaisseau Caudin, qui avait rem- placé Bouet-vVillaumez dans le gouvernement du Sénégal, eut à châtier quelques peuplades de la lagune Ebrié et décida la constfuelîon du fort de Dabou pourconlenirles Boubou- rys, la plus turbulente de ces tribus. La construction du fort fut dirigée par le capitaine du génie Faidherbe, qui commença ainsi dans notre colonie une carrière africaine glorieuse et justement célèbre.
Il convient de remarquer également que les gens de l'AkaplessetlesBoubourys, avec lesquels nous eûmes maille à partir dès les débuts de notre occupation, sont les mêmes qui, à diverses reprises, et tout récemment encore, ont Iroublé l'ordre dans la colonie.
L'amiral Fleuriot de Langle, après avoir pris part en qua- lité de lieutenant de vaisseau à l'occupation de Grand-Bas- sani et d'Assinîe, commanda pendant plusieurs années la division de l'Atlantique sud, et fît le long de la côte occi- dentale d'Afrique plusieurs croisières qui ne prirent fin qu'en 1807.
Nous passons sous silence les renseignements nombreux que le brave amiral donne sur l'inlérieur du pays; il eut beaucoup de mérite à les recueillir, mais les régions dont il parle ont été visitées depuis, et nos explorateurs ont dû faire justice de quelques-unes de ses hypothèses, de celle entre autres qui faisait sortir toutes les rivières de la Côte d'Ivoire, depuis le Cavally jusqu'au Comoë, d'une grande lagune nommé Glé, située fort loin dans l'inlérieur et qui recevait toutes les eaux descendant des montagnes de Kong. L'amiral Fleuriot de Langle est beaucoup plus intéressant,
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et d'une lecture profitable encore aujourd'hui, lorsqu'il nou> parle de 1» côte'Orouman, des lagunes de Lahou, de Grand- Bassam et d'Assinie, qu'il avait visitées au cours de ses voyages. Il nous dépeint les peuplades qui habitent de Fresco jusqu'à Apollonie comme très divisées, et nous apprend qu'il a fallu traiter avec quarante villages pour acquérir les droits de souveraineté épars entre tons les chefs.
A Lahou, deux des trois chefs principaux éliienl soumis à notre influence. Le nord de la lagune étail commandé par une reine très obéie et très redoutée. Nous n'y avions pas alors d'installation permanente.
« Le cercle de Dabou ne comptait pas moins de qua- torze ou quinze centres qui n'avaient pas de lien commun. Celui de l'Éhrié renfermait dis-huit villages, dont quelques- uns étaient réunis sans avoir renoncé a leur autonomie. Le Potou, réuni à l'Ébrié, en comptait au moins huit qui étaient vassaux d'Amatifnu qui, comme tout souverain éloigné, laissait à ses gouverneurs une grande latilude. Eu un mot, cetle population très dense et fort intelligente, qui ne monte pas à moins de £00,000 âmes, est gouvernée par une oligarchie entre laquelle il n'existe pas de lien com- mun.
t Les langues parlées se ressentent de ces différences d'origine, et forment une bigarrure qui demande le secours de plusieurs inlerprèles. Il est rare qu'un seul individu connaisse tous les idiomes adoptés par chaque communauté.
o Les intérêts commerciaux et les rivalités de casles amenaient des guerres fréquenles entre toutes ces popula- tions, et nous en ressentîmes bieniôt nous-même le contre- coup. Le CnmoB, le Polou-Aghien avaient pour centre de commerce Grand-Bassam. Ceux de Bonouâ commerçaient à Alassaui, situé sur le bord de la mer a l'est de l'embou- chure de la rivière. Les gens de l'Ébrié avaient pour clien- tèle les villages dils des Jacks, qui s'étendent sur la plage vis-à-vis de Dabou. Le cercle de û<ibou était dans l'habi-
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lude de Iraiter avec ces mêmes Jacks, qui reçoivent bon an mal an dix à quinze navires anglais Taisant la traite à tra- vers la barre.
f Tant que les relations que nous avions avec les chefs se bornèrent à leur donner des cadeaux, tout fut facile. Les courtiers étaient heureux de recevoir les primes en outre de l'huile traitée. Mais lorsqu'ils virent des magasins four- nis de marchandises nombreuses venir leur disputer les marchés, ils pensèrent qu'ils s'étaient donné des concur- rents dangereux ; une sourde animosilé suscitée par eux se traduisit bientôt en une hostilité flagrante qu'il fallut ré- primer. Soixante pirogues s'essayèrent contre l'un de nos avisos qu'elles voulurent attaquer et subirent une défaite signalée1. >
L'éparpil'ement du pouvoir politique signalé par l'amiral Fleuriot de l'Angle est toujours le même. S'il a l'avantage d'empêcher les troubles de se généraliser et tout soulève- ment de prendre des proportions inquiétantes, il nous oblige par contre à agir nous-mêmes dans bien des cas où une autorité indigène reconnue nous faciliterait singulière- ment noire lâche.
Celte insécurité explique aussi la date relativement ré- cente des installations commerciales permanentes à terre ailleurs qu'à Grand-Bassani et à Assinie, où les factoreries étaient protégées par nos postes. C'étaient des capitaines marchands qui faisaient périodiquement le voyage de la côte et passaient des mois entiers sur leurs voiliers trans- formés en comptoir devant Jacqoeville ou Lahou.
A Assinie, l'autorité d'Amatifou, jrénéralement respectée, sinon toujours obéie, rendait les relations plus faciles. L'amiral Fleuriot de l'Angle raconte qu'en 1843 le souvenir de l'occupation française du xvm' siècle n'était pas encore
a cole d'Afrique [Tout
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perdu. On le conduisit à l'ancien emplacement du puslc fondé par le chevalier Damou, en lui disant : « Voilà le ter- rain des Français. » C'est là, sur le banc de sable, que s'éleva d'abord le blockhaus, mais comme il faillit être enlevé par un raz de marée, en 1867 on l'avait déjà transporté auprès du village de Malia, sur la grande terre, à l'entrée de la la- gune Aby, où se trouve encore la résidence actuelle de l'ad- ministrateur du cerele d'Assinie.
Après la guerre contre l'Allemagne, en 1871, le gouverne- ment français rappela les faibles garnisons de Grand-Bas- sam, de Dabou, d'Assinie. Un négociant de la Rochelle, M. Verdier, qui avait des comptoirs à la Cote d'Ivoire, Tut chargé d'y remplir les fonctions de résident de France. H recevait une subvention annuelle de 20,000 francs pour l'entretien d'une petite force de police indigène et le paie- ment de quelques coutumes aux chefs noirs. On lui avait donné les constructions que possédait l'État et il pouvait compter sur l'appui intermittent de quelque aviso de la station du Sénégal ou de quelque croiseur de la division de l'Atlaniique.
Le fort de Dabou fut complètement abandonné, mais M. Verdier eut le mérite de maintenir nuire pavillon et de faire respecter nos droits à Grand-Bassam cl à Assinie.
Après une longue période d'inaction, M. Verdier, malgré la faiblesse des moyens dont il disposait, prit l'initiative du premier essai de pénétration dans l'intérieur dix pays. Il en contia l'exécution à Treich-Laplène, son agent à Assi- nie. Celui-ci, s'aidanl fort habilement de l'influence du roi de Khrinjaboo, s'avança jusqu'à Zaranou, la capilale de l'Indénié, remontant d'abord la vallée de la Bia, puis il re- descendit sur Grand-Bassam par le Comoé. II rapportait des traités de prolectorat étendant noire influence sur l'In- dénié, y compris l'Alangoua, et sur le Betlié.
Cependant le capitaine Binger, parti de Bordeaux le 20 février 1887, s'était enfoncé dans la boucle du Niger
LA CÔTE D'IVOIKE.
pour y exécuter le remarquable voyage que l'on sait. Au début de 1888, le bruit île sa mort se répandait en Europe. 11. Verdier, après entente avec le s ou s- sécréta ire d'Étal des Colonies, envoya à sa recherche Treinh-Laplèue. Les deux explorateurs après s'être manques de quelques jours à Boodoukou, se rencontrèrent à Kong le 5 janvier 188°.
Tous deux revinrent ensemble à Grand-Bassam en pas- sant par le Djimini, l'Anno, l'Indénié et le Beltié.
Le retentissement mérité qu'oui en France le beau voyage de M. tîinger, le réveil de l'esprit colonial, les renseigne- ments nombreux el précis rapportés par le voyageur ouvri- rent les yeux sur l'importance économique et politique de nos établissements de la Côte d'Ivoire. Les projets rêvés parBouet-Willaumez et Faidherbe venaient d'être exécutés parle capitaine Bingeravec une ampleur qu'ils n'avaient pu prévoir. Il fallait se mettre en mesure de faire donner à cette belle exploration tous ses résultats.
Un décret du 1e' janvier 1800 organisa nos établissements des rivières du Sud, de la Guinée et du Bénin en colonie indépendante. Un résident officiel fut installé a Grand- Biissam. Le premier titulaire de l'emploi devait être Treich- Laplène, que les services qu'il venait de rendre désignaient au choix du gouvernement.
Sans avoir encore sa vie propre, la Cote d'Ivoire était dé- sormais connue en France. Pendant les années 1890 et 1891 , elle attira quelques jeunes officiers de cavalerie dont les monotonies de la vie de garnison ne remplissaient pas suffisamment l'existence. Arago, Quiquerez et de Segonzac, Armand et de Tavernost essayèrent de remonter ses ri- vières coupées de rapides et de percer l'épais rideau de ses forêts. Si l'insuffisance de leurs, ressources et peut-être aussi leur inexpérience des choses africaines ne leur permit - pas d'aller bien loin, il ne faut pas moins leur tenir compte de cette belle ardeur et de cette bonne volonté qui, pour cer- tains, est allée jusqu'au sacrifice de leur vie.
274 la cote d'ivoire.
C'est également en 1891 , que deux jeunes gens, Toituret et Papillon, venus pour faire une exploration commerciale du pays y Turent massacrés par les indigènes.
Treich-Laplène, morl prématurément, Tut remplacé par M. l'administrateur Desailles, puis par M. l'administrateur de Beeckmann. Lahou,.Iacqueville furent occupésen 1892. Au nord de Lahou, noire pénétration se heurtait à la résis- tance des gens de Thiassalé, qui, en possession de servir d'intermédiaires commerciaux entrt les peuplades de l'in- térieur et les traitants de la côte, ne voulaient pas perdre les bénéfices de cette situation. Les capitaines Marchand et Manet brisèrent leur résistance. Le second perdit la vie dans les rapides du B.mdutna, au retour de cette expédi- tion. Le premier, continuant son voyage, explora le Baoulé et poussa jusqu'à Kong.
En 1892, lecapilaine Binger fut placé à la lete de la mis- sion qui, conjointement avec des commissaires anglais, de- vait délimiter la fioiitière séparant notre colonie de la co- lonie anglaise de la Côte d'Or. Il visita le pays d'Assinie, l'Indénié, l'Assikasso, revit Kong et Bondoukou et revint par le Djimini et le Diammala. Ses compagnons de voyage furent le Dr Crozat, le lieutenant Braulot et M. Marcel Mon- nier, qui s'est fait l'historiographe de l'expédition'.
La fâcheuse attitude des membres anglais de la commis- sion n'avait pas permis à celle-ci d'accomplir son œuvre en Afrique, mais les deux gouvernements se mirent d'accord et signèrent le 12 juillet 1893, à Paris, une convention qui, complétant celles du 10 amH 1889 et du 26 juin 1891, dé- terminait la frontière orientale de la Côte d'Ivoire jusqu'au 9* degré de latitude nord.
Un décret du 10 mars 1893 organisa la Côte d'Ivoire en colonie indépendante, en chargeant son gouverneur d'exercer le prolectorat de la République française sur les
1. Marcel Monnier, la Fi-n
LA CÔTE d'ivoire. 275
Uls de Kong. Le premier gouverneur de la Côte d'Ivoire e capitaine Binger.
Son premier soin fut de prendre possession de la côte lest de la colonie. La convention conclue avec la Répu- >lique de Libéria, le 8 décembre 189-2, arrêtait notre terri- toire à l'embouchure du Cavally, mais le gouvernement de i petite république africaine faisait des difficultés pour ratifier celte convention. M. Binger en quelques mois, à l'aide du petit aviso Ménard, sut occcuper toute cette côte, fonderies postes de'Sassandra, San Pedro, Bereby, Tabou, Bliéron à l'embouchure du CavalJy et, fort de l'assentiment des indigènes qu'il s'était gagnés, porter notre influence au delà de la rivière jusqu'au cap des Palmes.
La République de Libéria s'empressa de ratifier la con- vention de 1892, et le cours inférieur du CavalJy forme de- puis lors notre frontière incontestée.
L'administrateur Pobéguin tut chargé de la reconnaissance géographique de toute la côte ouest, depuis la frontière jus- qu'à Labou.
En même temps, le gouverneur faisait commencer la pé- nétration méthodique vers l'intérieur, par deux voies pa- rallèles, en fondant les postes de Thiassalé sur le Bandama et de Bettié sur le Comofl. Malheureusement l'administra- teur Poulie, chargé de la pénétration par la vallée du Co- moe, était assassiné en 1804 dans l'indénié à l'instigation du chef Rassi Dikié et des noirs originaires de la Côte d'Or anglaise qui formaient son entourage. Les adminis- trateurs de Bonchamps et Bricard réprimèrent en 189ô les troubles qui suivirent ce meurtre et fondèrent un poste à Zaranou, capitale de l'indénié.
Le Baoulé était le thélilre d'événements beaucoup plus raves. Le capitaine Marchand avait dû quitter Kong de* ; bandes de Samory, qui, repoussé dans le sud par
* colonels Archinard et Combes, envahissait le pays de
mg, le Diammala et le Djimini. Le colonel Monteil, à, la
276 la cote d'fvoihe.
tÊte d'une colonne de 1,200 hommes, reçut la 1
d'aller secourir ces pays, qui avaient accepté notre protection.
Débarqué à Grand-Bassani en 1894, il dut tout d'abord mettre à la raison Amangoa, le chef de l'Akapless, qui troublait les environs de Grand-Bassam. Bonouà, sa capi- tale, fui enlevée à la suite de deux sanglants combats, et Amangoa lui-même s'élanl rendu quelque temps après fut déporté au Gabon.
Le colonel Monteil reprit alors son principal objectif et essaya d'aller au secours aie Kong en montant dans l'inté- rieur par le Baoulé. Mais le manque de porteurs, l'hosti- lité déclarée des indigènes de celle région qui, sans l'aire cause commune avec Samory, s'effrayaient du passage de nos troupes, affaiblirent tellement la colonne que le colonel Monteil ne put dépasser Satama, dans le sud du Diammaia. Blessé dans un des combats livrés à Samory, le colonel Monteil rentra en France ; Satama fut évacué et notre pé- nétralion dans la vallée du Bandama s'arrêta-à Koudiokofl, à peu près sous le 7' degré de latitude nord. Dans la vallée du Comoë, nous étions arrivés à peu près h ta même hauteur par la fondation du poste d'Atlakrou, sur la rive gauche du fleuve à une centaine de kilomètres en amont de Bettié (novembre 1895).
L'année 1805 vit également se produire deux explora- lions qu'il convient de mentionner. La première, dirigée par le lieutenant de vaisseau Brelonnet assisté de M. Lam- blin, partit de Koudiokofl, vint traverser le Comoë à Abé et se dirigea sur Bondoukou. Elle ne put y pénétrer, arrêtée par l'opposition d'Ardjoumani, le roi de l'Abron, et par l'approche des bandes de Samory.
Presque à la même époque, les lieutenants liaud et Ver- meersch, partis du Dahomey, traversaient Bouna et arrivaient à Grand-Bassam par l'Assïkasso et l'Indénié.
Au mois de février 1896, te gouverneur Binger fut rem- placé dans le gouvernement de la Côte d'Ivoire par le
, CÔTE D'iVOIRK.
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l Grand -Bassani un mois à
iverneur Berlin, qui i peine après avoir rejoint son poste.
Il fut remplacé par le gouverneur Moultet, en mai 1896. Celui-ci s'appliqua à compléter l'organisation administra- tive de la colonie. Puis convaincu, malgré l'échec du ca- pitaine Braulot envoyé en ambassade auprès de Samory et qui n'avait pu dépasser Bouakë, que, si Samory ne vou- lait pas traiter, il ne menaçait pas du moins nos postes du Baoulé, le gouverneur (il continuer activement la pénétra- tion le long de la frontière orientale de la colonie. L'admi- nistrateurCloze! fondaille posle d'Assikasso en janvierl897, et occupait Bondoukou le 5 décembre de la même année.
Les administrateurs Hostains et Thomann exploraient en 1897 Je bas Cavally el le cours moyen de la Sassandra, tan- dis qu'un officier du Soudan, le lieutenant Blondiaux, tra- çait toute une série d'itinéraires dans le nord-ouest de la colonie. Les administrateurs Nebout el Pobéguin, ainsi que M. Eysseric, complétaient lu reconnaissance géographique du Baoulé, tandis que de nouveaux levés de l'Jndénié et de l'Assikasso étaient exécutés par MM. Clozel, Lamblin et Seîgland.
A la lin de 1897, une nouvelle mission était envoyée à Samory. Dirigée d'abord par M. le secrétaire général Bon- boure, puis par M. l'administrateur Nebout, elle fut bien reçue par l'almamy, mais le massacre du capitaine Braulot, auprès de Bouna, par Sarantiené Mory rendait tout traité impossible.
L'uriné 1898 vit enfin la chute de Samory : pressé par les Iroupes du Soudan qui avaient occupé Bouna et Kong, arrêté par nos postes de Bondoukou el de Koudiokofi, poussé dans l'ouest parla colonne du commandant Lartigue, battu en plusieurs rencontres, il finit par être pris dans l'hinter- land de la République de Libéria1.
impies Rendus, 1899, p. 315,
ii rie M. I
capitaine
278 LA. CÔTE d'ivoire.
En mai 1898, une invasion d'Achantis, sujets anglais, qui vinrent soutenir une révolte de deux ou trois petits chefs de notre territoire, mit en danger notre poste d'Assikasso. Assiégé pendant deux mois, il ne put être délivré qu'à la venue de renforts demandés au Sénégal.
Le 18 août, les Boubourys, dont nous avons eu déjà à parler au cours de cet historique, troublaient les environs de Dabou. M. Le Yoaz, patron de la canonnière le Diamant, et M. Eudes, employé d'une maison de commerce, furent assassinés par eux. La répression de ce double meurtre n'alla pas sans quelques difficultés et sans combats assez meurtriers à cause de la nature boisée du pays.
En octobre 4898, M. le gouverneur Mouttet quittait le gouvernement de la Côte d'Ivoire et était remplacé par M. le gouverneur Rbberdeau.
IISSION VOULET-CHANOINE
Bart Beré (par 13- laL ?iord et 3'W long. Est, à l'Ml du Niger), lr I] avril Ï89B.
C'est à environ 15 kilomètres au sud de Gagnou que le loi Maouri vient rencontrer le Niger. Pendant une cen- 6 de kilomètres cette dépression est assez bien carac- risée, puis elle s'élargit en une plaine immense. A partir e Kara-Kara, il n'y a plus de limite pouvanl indiquer où se mine la dépression eloù elle commence; du rente, même r. endroits où elle est exactement définie, elh n'affecte s la forme d'un oued, ou d'un lit de rivière desséché. C'est un bas-fond pendant une cinquantaine de kilomètres, ■ nvert de palmiers corners. On extrait du sel dans toute la 'lie nommée Fogha (sel en baoussa). Les indigènes tent les effiorescences salines, placent celte linedans grands récipients et fonl filtrer de l'eau au travers. ; sature de sel; on fait bouillir jusqu'à evapora- nori complète, le sel est ensuite aggloméré en pains de la forme des pains de sucre. Celle industrie esl 1res prospère. Le Fogha est couvert de monticules hauls de cinq nu sis mètres formés des terres ainsi lavées. Le Fogha, aux envi- rons de Banou, à 30 kilomètres du Niger, se divise eu deux : Jallol Maouri, qui s'incline légèrement vers te nord-est, e Fogha proprement dit, qui continue vers le nord. ; le Dallol Maouri, il n'y a ni palmiers rôuiers, ni
280 MISSION VOULET-CHANOINE.
terrains salifères. Le Fogha au contraire, comme son nom l'indique, continue d'être un terrain d'exploitation durant 8(1 kilomètres, puis il se termine par un étang, une sorte de canal large d'une centaine de mètres, long de 15 kilo- mètres, profond de i m. 50, aux berges élevées de 7 mètres, et quelquefois plus.
Ceat leMisso, c'est l'extrémité du Fogha, c'est un canal artificiel formé par l'extraction de la terre salifière durant des siècles. Les hautes berges sont des amas de terres lavées. L'eau du Misso est saumâlre, elle est buvable cependant.
Depuis la séparation du Dallol Maouri en deux branches, les rûniers ont disparu dans le Fogha et presque toute végétation, parce que les terres contiennent une plus grande quantité de sel. Ce terrain du Dallol serait fort intéressant a étudier; le sel qu'on en relire contient une grande pro- portion de salpêtre; certaines parties du sol contiennent une plus grande quantité de sel que d'autres, et ces endroits sont souvent très proches.
De deux trous creusés à quelques mètres l'un de l'autre, l'un contiendra de l'eau potable, l'autre de l'eau salée, car j'ai omis de dire que, dans tout le Fogha, l'eau se trouve dès qu'on creuse le sol de quelques centimètres.
Dans le Dallol Maouri, au contraire, l'eau ne se trouve qu'à 7, 8, 10 ou 20 mètres, les profondeurs sont variables. Le véritable centre de l'exploitation du sel se trouve à partir de l'embranchement du Fogha et du Maouri, dans la partie nord du Fogha. Dans la parLie inférieure, où Fogha et Maouri sont réunis, on extrait aussi du sel, mais en quantité moindre, e[ les terres semblent être moins riches; en effet, la plupart des mares contiennent de l'eau douce.
Les efflorescences salines, d'un blanc grisâtre, sont pro- duites de la façon suivante : l'eau, montant à travers le sol par capillarité, dissout une certaine quantité de sel, puis celte eau vient s'évaporer à la surface, laissant le sel se
MISSION VOULKT-CIIANOINE.
déposer. La terre, d'une Façon générale, ne doil pas contenir uoe 1res grande quantité de sel, puisque l'eau n'est pas raturée dans les puits et les mares, et se trouve être souvent potable.
Une dépression analogue, que nous avons traversée entre Kirtachi et Gagnou, et qui coupe le Niger à 70 kilomètres en amont de Gagnou, se nomme le Dallol Dosso : sa direc- tion est nord-nord-est; elle se prolongerait jusqu'à l'Air. Un en extrait du salpêtre en quantité par le même procédé qu'on extrait le sel du Fogha. Ce sel du Fogha et ce salpêtre du Dallol Dosso sont la base d'un commerce actif. On ren- contre constamment des caravanes de bourricots chargés des précieux produits, le sel en pain ou en vrac, enfermé dans des étuis faits d'une fibre végétale tressée, longs de 30 cen- timètres et gros comme le bras, le salpêtre en pains coniques énormes de I mètre de haut et de 20 centimètres de diamètre à la base. Le Fogha alimente de sel tout le Gando et uoe grande partie du pays Haoussa. Tout le commerce et l'exploitation du sei sont entre les mains des Haoussas, qui ont leurs campements le long de la vallée vil me.
A partir de Gagnou sur le Niger, nous avons commencé i étudier la nouvelle limite franco-anglaise. Un gros village nommé Douudiou, situé au nord du Dallol Fogha, a essayé Je barrer la route à Voulet qui était parti en avant pour reconnaître la route; le village a été enlevé d'assaut. Les Wns de ce pays se fortifient très bien. Leurs villages sont entourés d'un rempart de 4 mètres d'élévation précédé d'un fossé profond de 3 mètres et large de 4 mètres, de sorte que, du haut du rempart au fond du fossé, il y a 6 ou 7 mètres de hauteur. Le rempart est un mur contre lequel est entassée de la terre en façon de plate-forme. L'intérieur du village est aussi surélevé au-dessus du sol snnronnant, de sorte que la crête du rempart est à lin. 50 environ au-dessus du sol du village, et à 4 mètres
282 MISSION VOCILBT-CHANOINE.
au-dessus du terrain environnant le village. Les portes sont barrées par d'énormes poutres. Dans le village, tes habita- tions sont des cases, genre mossi, cylindriques, couvertes d'un chapeau de paille conique; les magasins à mil très nombreux sont en terre battue et ont la forme d'un œuf dont on aurait cassé le petit bout, et qui reposerait sur cette partie comme base ; ces magasins à mil sonthauls de -2m. 50 à 3 mètres; case et magasin à mil sont pressés les uns contre les autres; chaque groupe de 3 ou 4 cases, c'est-à-dire la propriété d'un chef de famille, est entouré d'une clôture en paille tressée.
Ces villages sont très populeux. Doundiou, par exemple, compte 2,000 habitants, et possède en outre des villages de culture dont les habitants viennent se réfugier dans l'enceinte fortifiée dès que l'alarme est donnée. Les puits sont à l'intérieur des villages.
Le rempart est un gros obstacle. Le canon de 80 milli- mètres de montagne n'a pas d'effet sur une semblable épaisseur de terre, il faut donner l'assaut soit par une des portes qu'on enfonce, soit par un endroit faible de la forti- fication, car heureusement la paresse et l'insouciance des noirs font que, presque toujours, dans leurs ouvrages de défense, il y a quelque place, ou mal protégée, ou moins bien construite. — A l'attaque de Doundiou, Voulet a eu la cuisse traversée par une flèche, et le sergent-major Faury, une blessure à la main. Ces deux blessures sont aujourd'hui guéries. Les prisonniers faits a Doundiou ont déclaré avoir été poussés à la résistance par les Foulbé de S.y...
Le Sahara ne commence pas à la ligne Say-Barroua ; une région intermédiaire s'étend durant 200 ou 300 kilomètres; c'est le grenier des Touareg, c'est là qu'ils ont leurs hrlla (tillage de captifs) qui .habitent en bons termes avec les Maouri. Le sol, si maigre qu'il soit, donne encore une abon-
MISSION V0ULET-CHA.NOINE. 283
! récolte en mil; l'herbe est bonne, les chevaux, les , les moutons son! beaux et nombreux; c'est un bon terrain pour l'élevage, car l'air est sec et très salubre. On ne trouve de l'eau que dans les puits à des profondeurs qui varient entre 20 et 60 mètres. Chaque village possède un ou deux puils; mais, comme c'est un ouvrage long et délicat, qu'il faut non seulement creuser les puits, mais encore établir un coffrage tout le long des parois pour éviter les éboulements, on ne trouve de puits que daas les villages.
Ces puits sont étroits, le diamètre à l'orifice n'a que i mètre, quelquefois 1 m. 00 de diamètre; on ne peut tirer l'eau qu'avec 4 ou 5 seaux en cuir simultanément, et c'est an gros travail de haler ainsi a bras sans poulie, d'une pro- fondeur de 20, 40, liO mètres,des tonnes et des tonnes d'eau. Nous avons tant de bouches à désaltérer, et il faut tant d'eau pour désaltérer un noir !
Pour abreuver la colonne, il faut 60 tonnes d'eau par jour. L'eau ne manque pas, car les puits en donnent en abondance et la plupart ne tarissent pas. Mais il faut sortir des puits cette énorme quantité d'eau, et comme il n'y a qu'un puits ou deux par village, il faut agir vite sous peine de voir des hommes et des animaux mourir de soif près des puits, il faut procéder avec ordre sous peine de voir une foule se battre autour du puits et se disputer chaque goutte d'eau qui sort. 11 faut surtout trouver de quoi abreuver en peu de temps tout le monde quand on arrive à l'étape après une marche de 30 kilomètres, quelquefois 40 kilomètres, sans eau et sous le soleil. 11 ne faudrait, surtout pas à ce momenl- là trouver les puits obstrués ou infectés par des corps en décomposition. Nous procédons de la façon suivante : le gros de la colonne est précédé d'une colonne légère de 50 cavaliers et 200 fusils qui n'emportent aucun bagage. La colonne légère est commandée à tour de rôle par Voulet et par moi. Elle marche très rapidement, faisant 50 kilo-
284 MISSION VOULET-CHANOINE.
mètres par jour, franchissant la nuit les espaces déserls, déterminant exactement la route a suivre, reconnaissant le pays, brisant les obstacles, s'emparant des puits. La colonne légère fait ainsi un bond de 100 kilomètres en avant, puis s'établit fortement; elle garde également par des détache- ments les puits dont il serait dangereux de ne pas s'assurer. Le gros de la colonne se met alors en mouvement et se dirige sans hésitation sur les cantonnements reconnus d'avance ; il est parfois obligé de se fractionner en deux ou trois détachements, mais on fait en sorte que ces déta- chements se Lrouvenl peu éloignés les uns des autres. En arrivant dans ceux des cantonnements qui sont gardés par des détachements de l'avanl-garde, ie gros de la colonne trouve l'eau préparée dans ces grands récipients en toile que nous avons fait faire en France, et qui nous rendent d'inappréciables services; ce sont des bâches en forme d'auges de 3 mètres de longueur, de 1 mètre de largeur et 0 m. 80 de hauteur, dressées au moyen de 6 piquets en fer. A l'arrirée au cantonnement, un service d'ordre est établi au puits; et sans discontinuer, depuis l'arrivée jusqu'au départ, le jour et la nuit, on tire l'eau.
Celte façon de procéder a tous les avantages; nous n'aventurons pas en aveugle noire lourd convoi ; et avant de le mettre eu marche, nous savons à quoi nous en tenir sur les dispositions des habitants.
Dans le Maouri-Béré, ou Grand Maouri, qui s'étend vers le nord-nord-ouest du Sokoto, j'ai, précédant la colonne, trouvé une population de Maouri mélangée aux hella des Touareg. Quant aux Touareg, ils ont pris le large. Le chef du Maouri, qui réside à Matau-Kari, s'est déclaré pour nous, mais il commande peu; on sent dans le pays l'inlluence occulte du Touareg...
DANS LE SUD ALGÉRIEN
Le JD' J. HU^GTTET
§ 1. — Géologie ** liydruftl*» pille 'lu .tl/:il>.
iflguration générale et limites de la Chebka du Miab. — Raisons ' i la non-ideniifieatiic de lu C!n*l>ka ei du pays du Mzab. — Élude olngique de la Chebka par M. l'ingénieur Ville, — Travaux récents * M. l'Ingénieur Jacob. — Disposition des couches géologiques au - Structure des gour d'après M. Jaeob et M. le professeur teneur. — Consliluiiou dvs «.ysiviiies limitrophes de la Chebka : rê- s des ganteras, plateaux en hammada, zone des dunes. — Les 1s '.lied- 'lu ll/iil> : niirfl ïi-grir. uiieil N'cssa. oued Mzah, oued
ii l'on jette les jeux sur une carie du Sud algérien et, 1 particulier, sur une carte géologique telle que celle e par les missions Ville et Choisy, on est frappé de disposition relative de deux zones superposées l'une à tre, celle de la Chebka, celle des Dayas. i région des Dayas a comme limite septentrionale la
I. M. le D< Hugucl a entrepris au début de l'année 189G des i
:r le Sud algérien qu'il n'a ces*é de continuer depuis lors; ses ou- vrages manuscrits sur ce pays et sur le Saliara constituent un travail d'ensemble où sont étudiés à la fois les grands ksour et leurs habitants, les itinéraires de parcours et les nomades. Cette étude considérable du Sud algérien, qui comprend trois volumes lie Sud algérien; le Pays tOmrgla; le* Hàgions sahariennes), sera suivie d'un ouvrage sur la mission que M. le [>' Huguet vient d'accomplir au Mzab.
Après avoir rendu compte de celte dernière mission au Ministère de l'Instruction publique, M. le D' Huguet a soumis ses carnets à l'examen de la Société de Géographie; nous en extrayons les pages suivantes.
C'est à l'obli<;eance du gouvernement général de l'Algérie que la Si.ni-u- dé Géographie est redevable des cartes hors texte ci-jointes, établies d'après les travaux du Dr Huguet et de ses deux collaborateurs. La Société tient à adresser ici ses remerciements à M. le gouverneur général de l'Algérie. (Xole de la Rédaction.)
HANS LE SUR ALGÉRIEN.
brttedn de Laghouat; pour parler plus exactement, elle
;\ une vingtaine de kilomètres au sud de ce ksar
^'lisiblement la forme d'un immense croissant qui
fe» sa concavité la partie nord de la Chebka du
M*ab. La région des Dayas est limitée au nord par l'oued
Hjeddi. a l'est par une ligne 8 clive passant à la hauteur d'EI
H «ijint ei à l'ouest par l'oued Gharbi, celui-là même dont
... vallée vient d'être si bien décrite dans le récent ouvrage
0» i'Oranit au Gourant dû à un membre de l'Université
lien connu pour ses savants travaux sahariens,
M G.-B.-M. Flamand.
La région de la Chebka est un vaste plateau rocheux incline du nord-ouest au sud-est, qui se développe sur une largeur de plus de 100 kilomètres ; ses premières assises se trouvent à 110 kilomètres environ au sud de Laghouat, un peu au delà de la citerne de Tilrempt. De ce côté, c'est- .Vilirc au nord, la Chebka est limitée par l'oued besbaïer, l'oued Setlafa et une ligue à peu près droite qui, partant de Haniet el Melagua, irait aboutir à Lekkaz, en passant par Mekhadeur Khadem. Son arête rocheuse présente de ce côté un relief d'environ 200 mètres au-dessus des terrains asoî- siuanls, relief qui constitue une défense naturelle de pre- mier ordre.
Au sud, elle s'étend jusqu'au voisinage d'EI Hadadra mais, à partir de l'oued Metlili, elle s'élargit considérabl ment, et les mouvements de terrain sont moins enebevël que. dans la partie nord.
Vers l'ouest, on voit laChebka former une muraille abrupte i«l servir de berge à la rive gauche de l'oued El Loua, fran- chissable en quelques points seulement. La rive droite de M dernier est à peine indiquée; cette vallée a dû subir des
gtlom nombreuses, si l'on en juge par l'aspect mouve- i':' el iléihiré du sol, par la quantité de sable graveleux vi W uombre des cailloux qui tapissent son lit. L'oued Loua rftn le sud, non loin de la Dayet Et Tarfa.
ta; ble-
DMT3 LE SUD ALGÉRIEN. 287
delà de ce bas-fond se poursuit la succession des mes qu'on voit, occupant une largeur de plus de 100 kilo- êtres, s'étendre de la région des Dayas jusqu'à EIGoléa, où mmeoce l'Erg proprement dit.
k sa limite est, laChebka présente non une série continue le hauteurs, mais des massifs rocheux séparés par des ravins rulièrenient découpés où passent de nombreux oueds h. :clion générale nord-ouest sud-est, l'oued Zegrir, l'oued Farch, l'oued Nessa, l'oued Mzab et ses affluents, enfin tued Metlili. Entre l'oued Mzab et i'oued Mellili, ces iiau- s'abaissent insensiblement et finissent par se con- ; en lia vaste plateau dont les ondulations sont peu rvementées. Enfin, vers le sud, ainsi qu'il a été dit plus it, la Cbebka se prolonge jusqu'à l'oued Zirara, mais les uvemenls de terrain sont moins fréquents et présentent s une orientation à peu près identique; leur altitude ■ entre 300 et 800 mètres, el leur altitude moyenne, lculée par Duveyrier, est de 515 mètres, e crois devoir insister sur ce fait que le ternie de Cbebka u Mzab doit être considéré comme une expression pure- it géographique et sans aucune signification politique. ;st à remarquer que, dans des travaux relativement ints, par exemple dans le rapport du général de Loverdo édu 29 août 1877, nous trouvons le passage suivant : t Ce plateau a une superficie d'environ 8,000 kilomètres carrés; il est connu par les indigènes sous le nom de Chebka' (Filet). C'est le pays des Béni Mzab. » Cette erreur lété reproduite par différents auteurs. M. Louis Rousselet, dans l'article Mzab du Supplément du Dictionnaire de Vi- vien deSainl-Marlin, dit : < Le Mzab est compris entre 32' el 33*20' de lalitude nord, 0*4' de longitude ouest et 2*50' de
1. H. ïbjs parle de la Sebka du ittah. Voir Législation mmbite, Alger, 1885, p. 18. Il nous suffira de Taire remarquer que le mot Sebka ■ une toute autre slftiilkatiou. Voir, pour la traduction de cei termes, Flamand. De l'Oranie au Gourara (ChaHsunel. 1898), pages 911 «I H8.
288 DANS LE SUD ALGÉRIEN.
longitude esl; sa superficie est d'environ 8,000 kilomètres carrés. »
Il importe d'insister sur ce fait que le Mzab proprement dil, e'est-â-dire la partie du territoire de la Chebka effec- tivement possédée par ies Mzabites, n'est que de 3,255 hec- tares; en d'autres termes, ie Mzab, envisagé au point de vue politique, a une surface égale à un tiers seulement de celle de la Chebka. Celle distinction nous parait utile à signaler pour permettre aux géographes d'éviter désormais toute cause d'erreur.
Quel est donc dans le Mzab ie territoire en propre aux Mzabites? C'est d'abord celui occupé par leurs ksour, puis celui couvert par leurs jardins, enfin une bande de terrain périphérique s'étendanl au maximum à quelques portées de fusil autour des ksour et des oasis.
Le reste de la zone praticable de la Chebka est sillonné par des terrains de parcours et fréquenté par les nomades arabes du sud qui y campent une partie de l'année.
Tandis que les cinq ksour du Mzab : Ghardaîa, Melika, Béni Isguen, Bou Noura, El Ateuf, occupent la vallée de l'oued et peuvenl en quelque sorte être considérés comme formant une agglomération unique, Berria et Guerara sont comme deux colonies éloignées, tellement isolées même que les hahitants disent qu'ils vont au Mzab, quand ils se rendent dans l'un quelconque des cinq autres ksour.
L'aspect si particulier de la Chetika rend d'autant plus intéressante son étude géologique; celle-ci a été, depuis déjà plus de quarante ans, exposée magistralement par M. l'ingénieur Ville ' dont le travail, même à l'heure actuelle, n'a rien perdu de sa valeur :
i Le plateau dolomitique de la Chebka des Béni Mzab, dit-il, forme un vaste Ilot entouré de tous côtés par le terrain quaternaire. Il est très remarquable que, au nord, à
DANS LE SUD ALGÉRIEN.
289
t et au sud, son plan l'orme le prolongement exact du plateau quaternaire. Il n'y a dénivellation bien sensible que le long de la corniche d'El Loua. Là, cette dénivellation a plusieurs centaines de mètres de hauteur. On doit supposer que, lorsque la mer quaternaire couvrait l'immensité du Sahara, la Chebka des Beni-Mzab formait un récif sous- marin à couches sensiblement horizontales et terminé par des parois plus ou moins abruptes; les dépots calcaires ou sableux n'ont pu dès lors se former au-dessus de lui et te sont déposés contre les flancs de ce récif. Lorsque le fond de la mer saharienne s'est soulevé, le plateau dolomitique s'est redressé vers le nord-ouest. Les couches ont été frac- tarées pins au moins profondément; alors se sont formées les grandes vallées de l'oued Mellili, de l'oued Mzab.de l'oued EnNça{Nessa)qui se sont prolongéesà peu près parallèlement dans la Chebka et dans la région des Guenlras (Ganteras). De cette époque date peut-être aussi la formation des nom- breux témoins qui sont êpars dans la Chebka. Le déplace- ment des eaux sahariennes par suite du soulèvement du fond de la mer a donné lieu à des courants d'eau d'une violence extrême, qui ont entraîné au loin et réduit en menus débris les blocs dolomitiqjues détachés de leur base première. A la suite de ce cataclysme, de grandes nappes d'eau ont couvert les vallées récemment creusées de l'oued ■Mellili, de l'oued Mzab et de l'oued En Nça. i Alors se sont déposées les alluvîons anciennes signalées par M. Ville, dans ces rivières, sous le sol des oasis : t En plusieurs points et notamment entre El Ateuf et Bou Noura, ces alluvions anciennes ont tout à fait les caractères minéralogiques du terrain quaternaire du Sahara1, b
Ailleurs, M. Ville fait remarquer encore que » le terrain quaternaire a été soulevé postérieurement à son dépôt dans leseaux tic la mer saharienne, et c'est probablement la cause
I. Ville, Exploration du lUtali et du Saliara, p. 116, 117
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UNS LE BDB ALGÉRIE».
ri déterminé l'assèchement de cette mer et qui a produit ;randes dépressions à pans abrupts comme ce l.miH t.
Eu 1893, M. l'ingénieur des mines Jacob a repris l'étude
|ttltiïgll|H| et la Chebka du Mzab, particulièrement au point
do rue de la possibilité de la recherche d'un point d'eau
Je rappellerai les parties principales du rapport
médti de cet auteur :
i L'Uefoki du Mzab et de Metlili , de même que les pla- teaux d'EI Goléa, comprend deux divisions bien tranchées : if MfjtdMM, les calcaires crayeux dans la région d'Kl Ciuléa. passe ut insensiblement à mesure qu'on marche vois le nord, a des calcaires sHCcliaroides à grains fins, pois ,'i Je» ■-■» i ■-■ ■> : es [>:itichemen! ilnloinitiques.
extérieur de la roche noire se modifie suivant ■■tu 'elle a été soumise * un polissage par les sables entraînés par le veut. Dans les parties où l'action du sable s'est fait • Icaire est d'un beau luisant, blanc et poli. Par- 'our d'ailleurs il est exactement gris noiràlre. La cassure ■urs blanche, u L'épaisseur de cette formation est très variable. Elle descend à El Goléa jusqu'à une dizaine de mÈtres et atteint Au» les environs de Ghardaïa 110 à 120 mètres. Cette varia- tion tient en partie aux conditions dans lesquelles s'est déposée la formation calcaire et en partie à une dénudalion postérieure. Pendant la période diluvienne, les eaux ont agi «a creusant et élargissant les fissures naturelles de la roche pour donner naissance aux nombreux oueds qui sillonnent ce plateau; elles ont en outre enlevé une certaine épaisseur de calcaire dans la région d'El Goléa. Les gour Ouargla en sont une preuve.
« Les couches de la craie supérieure qui débutent par des assises marneuses ont été au contraire enlevées sur de très grandes surfaces. Elles recouvraient sans doute la plus grande partie des calcaires turoniens ; on en trouve de nom-
DANS LE SUD ALGÉRIEN. 291
.in; rix vestiges dans la région de Ghardaïa. Assez souvent les nombreuses fissures de ce calcaire sont remplies par un calcaire concrétionné de couleur violacée ou lie de vin. C'est l'équivalent de la carapace tufacée des alterrissements. Ce dépôt s'est formé à l'époque quaternaire.
f Au-dessous vient une formation de marnes et argiles vertes ou blanches et rouges avec des intercalations de bancs peu épais de calcaire ou de grès fortement marneux et de deux ou trois bancs épais de gypse. »
La coupe prise au voisinage de Hassi bou Messaoud et résumée ci-dessous donne le type de cette formation :
(Calcaire marneux, 0 m. 80. Marne verte, 0 m. 40. Calcaire coquille. Bboulls. Calcaire majncuv et a rai le L'vuseuae.
av moires ' „ n ,n
' Gypse, 0 m. 40.
Marne verte.
Calcaire marneux, 0 ni. 50.
Argile gypseuse éboulée. . Gypse, 1 m. 50. < Kboulis. . | Calcaire marneux.
Marnes bariolées.
Éboulis. i Calcaire marneux.
Marnes vertes. / Marnes vertes.
Éboulis.
Dépôt quaternaire.
La structure des gour qui surmontent le plateau dolomi- turonien a été étudiée naguère par M. l'ingénieur
ïob et M. le professeur Ficheur; d'après eux, ces gour sont formés de marnes à gypse avec lit de calcaire siliceux dans lesquels aucun fossile n'a éié rencontré. Ce sont pro- bablement des représentants du sénonien inférieur*.
2M
DASS LE SUD ALGÉRIEN.
Berria est situé sur un mamelon de calcaire et les ter- rains environnants sont formés de calcaire diluvien recou- vrant la dolomite, (Juant à Guerara, il est situé en dehors de la chebka, en amont de la vaste dépression de l'oued Zegrir limilée par des escarpements formés de sable, de grés sahariens, notamment de grès quartzeux rouges.
Je n'ai rien à ajouter à la belle description faite par M. Viile, de la région de Guerara1 ; j'insisterai seulement sur l'intérêt que présentent les témoins géologiques qui se dressent dans le bas fond de l'oued Zegrir9, et parmi lesquels les plus curieux à examiner sont ceux désignés par les indi- gènes sous les noms de La Meyed et Ksar el Khola.
On ne peut parler de la constitution géologique de la Chebka sans jeter an coup d'œil sur les différents systèmes qui caractérisent les régions limitrophes; c'est pourquoi nous nous trouvons conduits à dire quelques mots de la région des Ganteras, des plateaux en Hammada et enfin de la région des Dunes.
Enlre Ouargla, la Chebka du Mzab et Guerara, zone que j'ai parcourue deux fois en détail, s'étend un haut plateau crétacé découpé de loin en loin par de profondes vallées, dont les thalweg sensiblement parallèles sont presque tou- jours à sec. Dans ses parties unies, la Gantera présente de loin eu loin des mamelonnements de faible hauteur, aux re- bords en pente douce, à sommet arrondi de 30 à 60 centi- mètres, plus rarement 1 mètre, et à diamètre variant entre 5 el 50 mètres. Cette région a une physionomie toute par- ticulière qu'elle tient de sa structure. Elle lui a valu de la part des indigènes le nom de Bled el Gantera, le pays des ponts, parce que les hauts plateaux compris enlre les vallées
1. Ville, loe. cit., page 12, \ 21.
2. « I. 'oasis de Guerara... fait exception comme situation géologique, et elle occupe une dépression dans les terrains d 'al terri s sèment ; elle appartient à la partie orientale de la région des Dayas. n Mission Clioity, l"vol., p. 142.
DANS LE SUD ALGÉRIEN.
293
■eniblêiit assez à des poms qui les relieraient les unes aux itres. Les Ganteras grises que l'on observe dans la région qui nous occupe sonl limitées au nord-ouest par l'oued Eegrir, dont le bassin inférieur, dans les environs de Guerara, est bordé du cûlé sud par une ligne de collines abruptes, mais non rocheuses, qui se recourbe dans la direc- tion du nord-ouest pour séparer le bassin de l'oued Zegrir et celui de l'oued Nessa. Les Gauleras les plus typiques que j'ai observées sont celles qui se trouvent entre El Hobrat et l'oued Nessa d'une part, d'autre part à la hauteur de la piste de Guerara à Ghardaïa, dans la partie comprise entre Guerara et l'oued Nessa.
Les plateaux de Hammada sont ceux qui se présentent à nous sous forme de roches en calcaire crétacé de coloration noire à la surface et occupent des régions absolument dépourvues de végétation. Sur la route de Ghardaïa à Ouargla, on en rencontre déjà, mais c'est surtout a l'est de la Chebka entre Ouargla et El Goléa (au delà de Djafou vers l'oued Zîrara) que s'étend une hammada digne d'être classée parmi les plus typiques.
A l'ouest de l'oued El Loua, et particulièrement au sud des limites extrêmes de la Chebka, l'Erg apparaît avec son chaos de dunes enchevêtrées les unes dans les antres, véri- table labyrinthe dans lequel il est impossible de se diriger sans guide. Celle région est limitée au sud par l'oued Meguiden et à l'ouest par l'oued Saoura. Dans la zone inter- médiaire entre El Goléa et Ouargla, il existe un certain nombre de passages de dunes; parmi les plus importants, je citerai Areg Chrardel et Areg Khaneœ.
Ce dernier présente une disposition particulière; il est formé de deux bancs sablonneux distants de 1 kilomètre, à direction absolument parallèle. J'ai trouvé là des formes assez spéciales de dunes qui, je crois, ne sont pas très communes. Ce sont les dunes isolées en hélice et celles en forme de cube. Plus près du Mzab, entre Mellili et
294 DANS LE SUD ALGÉRIEN.
Zelfana, on rencontre quelques gour recouverts de sable, notamment dans la région de l'oued Ghorfan, enfin on trouve de petites dunes à la hauteur même de l'un des ksour du Mzab, je veux parler de Guerara. Des amoncel- lements de sable se sont faits au niveau de l'enceinte du Ksar dans la partie opposée à l'oasis; de petites dunes, hautes de 1 mètre et longues de 8 à 10, se sont formées notammenl dans l'angle nord-ouest en dedans du mur. La porte qui se trouve en cet endroit avait déjà deux noms: Bab Moussa ou KharréjaDahraouïa; elle en possède actuellement un troisième, et les indigènes ne la désignent plus que sous le nom de Bab el Areg.
Les eaux de la Chebka se déversent dans de nombreuses vallées; les principales sont les vallées de l'oued Ze- grir, dont nous venons dédire quelques mots; la vallée de l'oued Nessa, celle de l'oued Mzab et enfin celle de l'oued Metlili. Je me bornerai ici à exposer des généralités, me réservant d'enlrer dans les délails quand je ferai l'étude des lignes de parcours du Mzab et du pays des Cbaanba. A ce moment, je parlerai non seulement des vallées, de leurs oueds et des accidents de terrain qui les limitent, mais aussi de leur faune et surtout de leur végétation qui, lorsqu'elle est abondante, est recherchée par les nomades pour l'alimentation des troupeaux.
L'oued Zegrîr prend sa source près de Mdaguin sur le ras Ghaab et, après un parcours de plus de 150 kilomètres, passe à la hauteur de Guerara. Après avoir décrit un cro- chet vers le nord-est et traversé l'oasis, il va se perdre à 18 kilomètres au sud-est de ce ksardans la Daya ben Feïla. L'oued Nessa prend sa source à El Peidh situé au nord de la Chebka eL orienté de l'ouest à l'est. Il prend ses eaux d'ori- gine dans les bas-fonds qui a voisinent la Daya Magrounet et vient se terminer au nord de Ngoussa dans le bassin, ou pour employer l'expression indigène, dans la Heïcha d'Ouargla.
Dans son parcours, l'oued Nessa reçoit l'oued Hegam,
DANS LE S0D ALGERIEN. 295
l'oued Settafa, l'oued Kebch, l'oued El Abiod, l'oued El Baguel, l'oued Soudan, l'oued Bal Loub, l'oued El Bir, l'oued Nechou et l'oued El Farcb.
Les vallées qu'ils traversent sont d'importance variable tant comme étendue que comme fertilité. Je ne saurais ici m'étendre sur les résultats de mes investigations person- nelles dans les régions traversées par l'oued Nessa dont la vallée doit être considérée comme très importante. La lar- geur moyenne de l'oued est de 800 mètres environ; son lit est bien tracé partout , étroit, et ne mesure pas plus de 5 à 6 mètres dans les endroits les pius resserrés; les berges sont en terre d'alluvton.qui atteignent dans plusieurs points 1 à 5 mètres de hauteur. L'oued Nessa décrit de nom- breux méandres : à la hauteur Je certains d'entre eux, no- tamment en aval de Hassi Rebib, son lit s'élargit considé- rablement, disparaît en quelque sorte par suite de l'absence de berges, et au lieu d'un fond uni on ne trouve plus que des amoncellements de pierres et de rochers. C'est dans la partie moyenne de son cours, entre El Hachana et. Hassi Rebib que l'oued Nessa traverse les terrains les plus riches en alluvions. Les Beloum y croissent nombreux, on ne sau- rait faire 100 mètres sans en rencontrer; mais ces arbres Hissent de préférence sur les berges mêmes, tandis que ■ les îlots nombreux qui se succèdent, la végétation est représentée par quelques palmiers isolés et surtout par s arbustes dontle plus fréquent m'aparu être le djedaria'. L'oued Mzab a son origine dans la partie nord-ouest e la Chebka, au lieu dit Ras-el-Eung, à 775 métrés d'alti- ide. Pendant tout son parcours, jusqu'après son passage s la vallée occupée par la pentapole mzabite, à la sor- i de laquelle l'altitude n'est plus que de 550 mètres, l'oued Mzab traverse une série de vallées étroites bordées r des rochers élevés formant des murailles souvent înfran-
le analogue au sedra, mais qui croît en liauteur au Heu d'être
290 DANS LE SUD ALGÉRIEN.
chissables. Son bassin supérieur, depuis sa source jusqu'à son débouché par les gorges d'El Ateuf, forme une vallée étroite bordée de chaque côlé par une ligne de rochers très élevés aux croupes dénudées et aux flancs presque inacces- sibles. C'est dans un élargissement de la vallée de l'oued Mzab qu'ont été bâtis les cinq ksour qui constituent le centre de la confédération mzabite.
L'oued Mzab a pour affluents de droite l'oued Saïd ben Ali, l'oued El Abiod, l'oued Touzouze, l'oued NUssa, l'oued Mesadjir et l'oued Noumerat: pour affluents de gauche l'oued Zouïli, l'oued Amraïa, l'oued Nimmel, l'oued Zéfat et l'oued Oughirlou. Il est à remarquer que les deux val- lées de l'oued Nessa et de l'oued Mzab venant se terminer dans la grande dépression de l'oued Mia, passent ainsi de la formation dolomilique dans le terrain quaternaire, tandis que l'oued Zegrir, qui passe à Guerara, se trouvant plus au nord-est sur les confins, extrêmes de la Chebka « a pro- bablement tout sou cours en dehors de la formation dolo- mitique et au milieu du terrain quaternaire ». J'ai pu vé- rifier sur place cette opinion de M. Ville, notamment dans l'immense bas-fond de l'oued Zegrir.
L'oued Metiili traverse la Chebka de l'ouest à l'est et va se perdre à peu de dislance de Ouargla dans le bas-fond Ben Khlala. Sa vallée, dont !a végétation très luxuriante peut rivaliser avec celle des oasis qui environnent Berria, limite en quelque sorte le massif principal de la Chebka du côté du sud.
Faisons remarquer, en terminant ces quelques considé- rations sur les grands oueds du Mzab, qu'ils ont tous la même direction générale nord-est-sud-est, et qu'après avoir quitté la Chebka ils effectuent tous leur descente dans le bassin de Ouargla. Celui-ci doit être considéré comme le grand collecteur, sa faible altitude lui permettant d'être le centre d'attraction de toutes les eaux de cette partie du Sahara algérien.
DANS LE SUD ALGÉRIEN.
; }. — La r.. m. .Mr. ri.- d i;i ttoléa-Onargla.
Des itinéraires du sud algérien, celui d'El Goléa-Onargla est le moins connu. Les troupes régulières ne passant pas dans celte région, c'est a peine si , depuis quelques années, Irois ou quatre officiers du service des affaires indigènes ont suivi ce parcours dans le Lut de rechercher les endroits les plus propices à des essais de creusement de puits.
Sauf à Hassi el lladjar, ou l'eau est du reste mauvaise, il n'existe aucun point d'eau. En 1898, au moment où je parcourais le pays à l'occasion de ma mission, des puisa- tiers indigènes travaillaient déjà à Djafou et à Talesmout. Avec de l'eau dans ces deux futurs gîtes d'étape et dans un troisième, à la hauteur de l'oued Fahl, où un forage sera prochainement entrepris, la route directe se trouverait pourvue de quatre puits. Elle deviendrait par conséquent praticable en tout temps pour des hommes aussi bien que pour des chevaux, tandis qu'à l'heure actuelle les rares voyageurs indigènes ou officiers qui y passent ne peuvent employer que le chameau comme porteur et le méhari comme monture.
Pour se rendre d'Ouargla à El Goléa, les caravanes et convois vont par Ghardaïa, suivant, ainsi une roule qui constitue les deux côtés d'un triangle dont le troisième côté (roule directe) a 120 kilomètres environ de moins que les deux autres.
L'itinéraire que j'ai suivi diffère de celui de la colonne Galliffet (1873), quoique en étant peu distant. Cela tient à ce que la colonne avait marché sur la piste nommée par les indigènes trik foukani (chemin d'en haut) et que mes guides m'avaient engagé à suivre celle aujourd'hui préférée, dite trik tahtani (chemin d'en bas) '.
1. J'ai Éic aidé dans l'établis! Siab el du pays des Cliaanba par le lieul
MIL. DE GËOGR. — 3" IH1MESTRE 1SB&.
39H
DANS LE SUD ALGÉRIEN.
Parti d'El Goléa le 13 juin, j'ai parcouru en quatre jours et demi la distance de- 300 kilomètres environ qui sépare ce ksar d'Ouaigla. Le 13 au soir,je m'arrêtais dans l'oued Tinigel après une étape de 54 kilomètres. Le 14, j'étais àDjafou,distantde 58 kilomètres du point précédent. Le 15, après une étape beaucoup pluslongue, 80 kilomètres, j'arrivais vers huit heures du soir à l'oued Fahl, ayant mar- ché u bon pas de méhari depuis 4 heures du malin, et fait seulement une halte d'une heure au milieu de la journée. Le 16, je pouvais, après 60 kilomètres, atteindre les gour Bou Chareb. Enfin, dans la matinée du 17, une dernière étape de 48 kilomètres me permettait d'arriver à Ouargla.
En quittant El Goléa, on contourne la gara Magrounet sidi Cheikh, de laquelle le service du génie extrait depuis plusieurs années les pierres employées à la construction de la redoute. Quelques tentes sont groupées à peu de distance de la gara. On ne les a pas laissées derrière soi depuis plus d'une demi-heure qu'il faut aborder des dunes hautes de 15 mètres disposées suivant trois étages successifs d'un accès assez facile. La crête des dernières une fois fran- chie, le terrain devient uni; le vaste plateau en ham- mada qui s'étend au loin cons truste par son aridité absolue et sa coloration noire uniforme avec l'aspect si mouve- menlê, la forme si variée des dunes. En traversant celles-ci, j'ai noté parmi les végétaux qui y croissaient le djefna, zefzef, metnan, rguig. Cette constatation me met à même d'insister sur ce fait que, dans le Sahara, en dehors des thalwegs des grands oueds où croît une végétation arbo- rescente, on ne peut trouver de plantes que là où il y a de la dune. Les nomades le savent bien el, quand ils ont à
sahariens, i'l par le lieutenant Goubeau, du 1" tirailleurs. Je tenais â
Taire ici mention du coocuurs précieuKiueiu'unt prêiéce-ideuiofflciers.
tjuaiid le lecteur confia 1er» des nnhoirraphes différentes sur les
JMe, nuus le prions de considérer celle du leite
e élanl la seule à adopter. (Soles de l'auteur.)
, DANS LE SUD ALGËRIEf. 299
ser les régions désolées que recouvre la hammada, s prennent toujours la précaution de faire une provision Hjffisante des plantes nécessaires à l'alimentation de leurs chameaux .
Sur le plateau, la piste oblique légèrement à gauche vers l'est-nord-esl, à hauteur des dunes situe.es à égale
dislance entre El Goléa et les gour Ouargla. Ces dunes, dont le massif est connu sous le nom d'Areg Ghrardel, ont leur concavité tournée vers le nord-est et une disposition générale en hélice tout àfait caractéristique. Sur la gauche se dressent quelques groupes isolés de collines-dunes en
forme d'N, dont l'aspect n'est pas moins particulier que celui des dunes d'Areg Ghrardel.
La sa fi a Tinigel est un bas-fond occupé par le lit de l'oued Tinigel et de l'oued Lefalr. C'est dans le lit de l'oued Tinigel qu'ont été entrepris les travaux de forage d'un puits. Au centre de la dépression, où croissent des végétaux tels que le rtem, dhoumran, guezzoum, azereh, s'élève un djeddar à sommet blanchi à la chaux et servant de signal aux nomades. La limite nord de la safia Tinigel
300 DAHS LE SUD ALGÉRIEN.
est formée par une quinzaine de gour disposés en arc de cercle, avec une brèche dans la direction nord-ouest-sud- esl pour le lit de l'oued Le lai r. A 16 kilomètres à l'ouest, on aperçoit la gara Gouïnin qui se dresse non loin de la route de Ghardaïa à Ei Goléa; à l'est s'étend la ligne des gour SetlaMammra, dont les plus rapprochés sont à 3 oh 4 kilomètres.
Au delà de la safia Tinigel et de la ligne des gour qui la borne au nord, le sol devient plus sablonneux, déjà à 2 kilo- mètres vers l'ouest, les gour sont en partie recouverts de sable. Une vaste plaine peu ondulée, où croît une végéta- tion de ajerem, djefna, dhuumran, s'étend au loin, limitée au nord et à l'est par les deux bancs de dunes connus sous le nom d'Areg Renem. Ces areg, dont le premier est à 12 kilomètres au nord de la salia Tinigel et l'autre un peu plus loin, ont chacun 1 kilomètre environ de largeur sur 10 de longueur. L'un et l'autre ont leur pente douce orientée vers le sud-ouest. Leur flore est variée et abondante, com- posée de drinn, de larta, d'arfej, de guezzah et de rtem.
Après le passage d'Areg Renem, c'est la hammada qui reparait. On peut dire que sa flore est nulle et que sa faune n'est guère plus riche; seul une sorte de lézard, le bon kekkach, trouve à y vivre. A 15 kilomèlres au nord d'Areg Ilenem, un nouveau banc de sable se présente, Areg Aggabi, orienté du nord-ouest au sud-est, après lequel la plaine en hammada s'étend de nouveau, limitée à 1 o;i 8 kilomètres au nord par quelques gour peu élevés. Au milieu d'eux une petite gara se dresse, celle de Ben Bah- rour, ainsi nommée à cause de l'existence en cet endroit de la sépulture du nomade célèbre auquel les indigènes attribuent le tracé des pistes du Sahara.
Au nord de la gara de Ben Bahrour, le medjebed tra- verse une série de vallonnements assez réguliers qui se continuent pendant une trentaine de kilomèlres. A celte distance, le terrain charge d'aspect et devient plat.
DANS LE 5CD ALGÉRIEN. oOl
piste s'engage bientôt dans une sorte de ravin où croît une végétation assez drue d'arfej, de dhoumran et de ngoud. Après 4 ou 500 mètres l'horizon s'élargit, limité à quelques kilomètres de distance par quelques gour recouverts de sable; on entre dans la vallée de Djafou, dont le sol uni est parsemé de dhoumran. Quand j'y suis passé, un forage de puits venait d'être entrepris au point le plus déclive du lit de l'oued. Deux travailleurs indigènes y travaillaient pénible- ment. Entre Djafou et Djorf el Begrat, s'étend un immense plateau de hammada que coupe seulement le lit de l'oued Zirara. L'aridité est dans cette région plus absolue encore qu'ailleurs. La seule plante qui y pousse est te gourtel, vé- gétal avec lequel on ne peul faire du l'eu, car à peine allumé il se réduit en cendres. J'en ai fait l'expérience à mes dé- pens; mes cavaliers indigènes, mieux avisés, n'avaient même pas essayé de faire brûler celle plan le, sachant qu'ils devraient renoncer à tout aliment chaud, même au café traditionnel.
Djorf el Begrat est situé non point avant l'oued Zirara, mais bien à 10 kilomètres au nord. Ce djorf, ainsi d'ail- leurs que l'indique son nom, est formé d'une série de bas- fonds orientés du nord au sud, très découpés, parsemés d'amas sablonneux où pousse du dhoumram. Les talus qui limitent le djorf ont de2àô mètres de hauteur; à ce niveau, la hammada reparait aussitôt, mais partiellement ensablée,
Ver* l'est, à quelques kilomètres, apparaît lergTalesmoul,
qui domine la masse imposante de la Gara Zmila, vaste massif rocheux rectangulaire recouvert de sable. C'est au pied 'de la Gara Zmila que les travaux de creusement du puits Talesmout ont été entrepris.
302 DANS LE SDD ALGÉRIEN.
La région qui s'étend entre la gara Zmila et l'oued Fahl est désignée sous le nom d'El Haout; sur le terrain de reg qu'on y rencontre ne pousse guère que du dhoumran. A la hauteur de l'oued Fahl, quelques gour couverts d'un revê- tement sablonneus dominent la vallée. Le lit de l'oued n'existe pas à proprement parler, car il est en mainls en- droits comblé par de petites dunettes de 1 mètre à 1 m. 50 de hauteur où poussent du dhoumran, du larla, du henna et de l'alenda. C'est là que le service des affaires indigènes se propose de tenter le creusement d'un puits.
Pour se rendre de l'oued Fahl à la Gara el Arora, la
m
marche est facile sur un sol de reg fin ; c'est à peine si quel- ques vallonnements se dessinent à l'horizon. Les dunes d'Areg tahtani que l'on rencontre sont d'un passage facile. Au delà, la région d'El Ferhas est un peu plus mouvemen- tée. La Gara el Amra qui la domine et se dresse à proximité du lit de l'oued Kebrit est constituée par deux massifs rocheux ayant l'un la forme d'un cube, l'autre celle d'un parallelipipède rectangle partiellement abrasé sur un de ses points.
De la Gara el Amra à Hassi el Hadjar, que l'on aperçoit seulement en y arrivant à cause des gour qui, au sud-ouest, cachent le puits, le terrain est uni et sensiblement plat. A quelques kilomètres avant ces gour, le sol se modifie dans
DANS LE SUD ALGÉRIEN.
303
sa nature et son aspect; au lieu île présenter la coloration sombre de la hammada il devient blanc crayeux, et, du reste, la qualité de l'eau s'en ressent; celle-ci a franche- ment mauvais goût.
Après Hassi el Hadjar, on traverse l'Aoudh Sebkha, dont le nom indique la nature ; l'horizon est limité à l'ouest par nne ligne de petites hauteurs, les gour Zmali. A 15 kilo- mètres d'Hassi el Hadjar, une surprise attend le voyageur. Dans l'un des gour Bou Cbareb, un ébonlement s'est opéré an niveau de la partie lalérale d'une gara; ii en est résulté la formation d'une sorte d'abri sous lequel quinze hommes peuvent trouver de l'ombre. Ce réduit naturel mérite d'au- tant plus d'être signalé qu'entre Ouargla et El Goléa, c'est le seul qui existe.
D'Hassi el Hadjar à Konm ez Zorgh, le terrain devient plus accidenté. Ce dernier point est dominé par des gour qui sont les analogues de Kbouiet Ahmar sur la route d'Ouargla-Gbardnïa. A partir de l'endroit où commence la descente dans le bas-fond d'Ouargla, on peut considérer le Toyage comme terminé, car Koum ez Zorgh est relié à la Sultane du Désert par une véritable ronte carrossable, amorce delà rature voie de communication régulière entre Ouargla et El Goléa.
MISSION BONNEL DE MEZIÈRES
CAMILLEI a-TT-Z-
GI1VUE GÉOGRAPHIQUE DU HIMSTÏKI DU
La mission Bonnel de Mézières continue sans difficull graves son périlleux voyage h travers l'Afrique central On sait que le courageux explorateur, aeci MM. Colrat et Charles Pierre, qui ne marchandent, eux non plus, ni leur dévouement ni leur activité, a remonté depuis quelques mois le cours de l'Oubangui, suivi le cours du M'Bomou et refait dans un intérêt commercial une partie de l'itinéraire précédemment établi par le commandant Marchand. Son but est de pousser vers l'ouest aussi près que possible du Bahr-el-Ghazal, puis de se rabattre par le nord-ouest pour gagner le lac Tchad par une route qui croisera celle de M. de Béhagle.
Des lettres très intéressantes de M.Charles Pierre, qui, dans une sorte de journal très pittoresque et très vivant, ra- conte avec humour les péripéties de ce voyage accidenté, nous extrayons les passages suivants qui intéressent à la fois la géographie et l'ethnographie.
Détaché du gros de la mission, M. Charles Pierre s'est avancé vers Tamboura par M'Boudoungou, c village im- portant, le dernier du sultanat de Bangassou s, Bafaï, Ali € sur les bords de l'Ouari, affluent du M'Bomou », Bazimbé, « dépendant de Zémio, sur les bords d'une jolie rivière », et Assouvie i village perdu dans les hautes herbes ».
En partant de M' Boudoungou * les chemins sont mau-
aie.
HISSIOII BONNEl. DE MEZIÈRES. 30.)
vais, et de 10 heures à 3 heures 1/2 la marche est particu- lièrement pénible dans ces herbes à moitié brûlées par un soleil de feu. i
Le 9 décembre, notre voyageur arrive à une grande ri- vière. « C'est le Moi qu'il faut traverser en pirogue, puis nous entrons sur une bande de terre d'une cinquantaine de kilomètres de large que les deux sultans de Bangassou et de Rafaï s'entendent pour laisser déserte. L'État tampon ! On sort à ce moment du pays N'Sakkara pour entrer en pays ■ Zaodé, puis il faut encore traverser la rivière Chanko. »
Quelques jours après, l'arrivée à Rafaï, « Rafat est un an- cien esclave de Zobeïr pacha. A la mort de Zobeïr, il est venu ici et a réussi à se créer un sultanat très important. Il parle vaguement l'arabe. Son fils Hetman', ou mieux Toumane, est un jeune homme d'une vingtaine d'années, assez policé, parlant français, mais mendiant comme pas un et faux par-dessus le marché; son second fils Ali boit déjà trop il 'arrégui. »
Il existe deux routes pour aller à Tamboura, la première praticable en saison sèche, l'autre pour la saison des pluies. < Après Rafaï, dans la direction de Tamboura, le pays de- vient montueux, tandis que ce n'était auparavant qu'un grand plateau entaillé par de nombreux marigots. Ceux que nous rencontrons maintenant sont faciles à traverser et propres. Ils n'ont pas, comme ceux des environs de Rafaï, ces approches de boue cl de vase. Les ruisseaux sont ici petits et charmants. «
Sur le plateau se dressent de nombreuses termitières. t Dans ce pays, les termitières sont énormes. Ce sont de véritables monticules de i à 5 mètres de haut, et sur cha- cune d'elles il y a un petit bouquet d'arbres.
t. D'uù
ient ce nom d'Helmao? Il esl probable que l'explorateur ir, dont il a ét<S le compilation dans sou enfante, a travesti 'ai nom de Toumane.
MM MISS10S BOIHNEL DE MÉZIÈRËÎ.
Enfin M. Pierre arrive à Zémio. « La Zériba du sultan de Zémio est sur une colline de 100 à 120 mètres de hauteur. La pente qui y conduit est lellement raide qu'on a dû y tailler des marches. Elle est située sur la rive belge. Zémio est un homme de taille un peu au-dessus de la moyenne, très poli, s'habillant avec des vêlements arabes, portant des chaussettes et des babouches et se parfumant légère- ment avec de l'encens et différentes plantes du pays. C'est an contraste marqué avec Bangassou et Rafaï, qui tous deux sont plutôt crasseux. »
Enfin, pour lerminer, calons d'après M. Pierre les points suivants qu'il tient du D' Cureau et qui sont extrêmement précieux pour la construction d'une carte de ces régions
Longitude Est. I.alilmtr Nord
Zémin Ï2- .18' 30" -V 01' 56"
Tarabouni 55 03 30 S 35 «
l>em liber M 18 15 7 42 55
Les lettres de M. Pierre contiennent aussi quelques ta- bleaux de genre que ne désavoueraitpas un écrivain de pro- fession. Que dites-vous de celui-ci? « Le 13 février, défilé des guerriers Bazingné. Les chefs sont les plus étonnanls. Ils portent tous des costumes qui sortent des magasins d'accessoire de théâtre et tiennent à la main des épienx et des sabres de tous ies modèles possibles. Ils les portent, d'ailleurs, comme des cierges et se croient obligés, en défi- lant, de l'aire ie salut du sabre au blanc qui les regarde. La troupe tourne en cercle derrière eux autour de la place comme un monôme sans queue ni tête. »
Chemin faisant, M. Pierre ne se désintéresse pas des dé- tails culinaires. Il note avec un empressement que justifient assez ses menus ordinaires les recettes précieuses que lui apprennent les indigènes. 11 apprend à fabriquer du nougat avec du miel et des arachides, à apprêter les pintades grises et à récolter le miel : « La saison du miel a commencé. Le
MISSION BONNEL DE MÉZIÈRKS. 307
pays en produit en abondance et il est excellent. On ne pourrait lui reprocher qu'une chose, c'est d'être trop par- fumé, ce qui n'est pas étonnant, étant donné que les fleurs de tous les arbres de ce pays ont un parfum tellement vio- lent qu'il en est écœurant. Les indigènes ne connaissent pas l'apiculture et se contentent d'aller chercher dans la brousse les ruches que les abeilles ont construites dans les trous des vieux arbres. Quand l'arbre est grand, ils font du feu à son pied et attendent que l'arbre tombe. Le miel est excellent pour couper l'eau, qui n'est pas toujours très bonne, quoique, en général, on trouve des sources aux abords de tous les villages. »
Nous sommes heureux d'avoir pu publier quelques pas- sages de ces lettres d'un tour si français et qui prouvent avec quel courage et quel entrain nos compatriotes savent braver les dangers physiques et les souffrances morales. M. Charles Pierre, comme M. Bonnel de Mézières, est un homme brave et qui mérite de réussir. Tous nos vœux les accompagnent.
VOYAGES DE DMITRI KLEMENTZ
EN MONGOLIE OCCIDENTALE
I. — La première fois que je voyageai en Mongolie, c'était en 1885. J'habitais à Minousinsk, lorsqu'un com- merçant russe m'offrit de l'accompagner dans le pays des Ouri;inkh, bassin de la rivière Kemtchik, sur le versant occi- dental du Ienisei. Au commencement du mois de mai nous nous mimes en route, accompagnés de deux ouvriers. L'hiver avait été long celte année-là, et, malgré l'époque avancée, les monts Saïan étaient couverts d'une neige pro- fonde; nous mîmes trois jours pour traverser le col de Chabin-Daban, à la source de la rivière de Tchakhan. Le passage une fois traversé, le tableau changea subitement; partout des prairies verdoyantes, des Pulsatilla altaica, des Erithromum detis cttnis, des Adonis appeaina en fleurs. 11 fallait ensuite descendre dans la vallée de la rivière Khanlighir, puis, longeant le cours de sou affluent, la Tosla, monter sur la seconde chaîne des monts Saïan, nom- mée les monts des Sotots. La croie de cette chaîne était éga- lement couverte déneige; mais deux jours de beau temps suffirent à faire fondre l'épaisse couche neigeuse, ce qui nous permit de descendre sans trop de difficultés dans la vallée du tributaire du Kemtchîk, ['Ich-Jtem. Toutes les cartes russes qui existent jusqu'à' présent donnent un tracé tout à fait fantaisiste des affluents du Kemtchik dans cette région. Au lieu de deux leh-kem, tous les deux affluents de gauche du cours inférieur du Kemtchik, et la rivière Ak-
I. Voir la carie jointe à ce numéro.
VOYAGES DB HMITHI KLEMEriTZ EN MONGOLIE. 309
kein, en amont des précédents, on trouve sur la carie un Ary-kem et un Ak-kem, qui n'ont jamais existé. De même, la carte indique un grand lac Siout-koul qui n'existe pas en réalité. Il y a bien un lac de ce nom, mais il est petit et se trouve à droite de l'Ich-kero.
Dans la vallée du haut lch-kem, nous avons trouvé des villages de Soiots. Nous descendîmes ensuite dans la vallée du Manjourek, afflueut de l'Ak-kem, et nous suivîmes son cours jusqu'à l'embouchure. Après avoir traversé l'Ak-kem à gué, nous descendîmes dans la vallée de la rivière Kemt- chik, puis, passant la rivière sur un radeau avec l'aide des Soïots, nous regagnâmes la factorerie du marchand Salianoll', à 6 versles en amont de l'affluent du Kemichik, YAlach.
Pendant quinze jours je fis des excursions vers le cours supérieur du Kemtchik jusqu'à son confluent avec la rivière Tchou, qui prend sa source au coi de Tchaptchal, dans la chaîne du Tannou-oia.
Le retour s'opéra par un nouveau chemin. Traversant la rivière Alach, nous montâmes jusqu'aux sources de la rivière Ak-kem et nous atteignîmes le cours supérieur de la rivière Any, affluent important de VAbakan (du coté droit). Cependant, comme on ne pourrait descendre le courant de VAny qu'en hiver, nous fûmes obligés de tourner à l'est, Longeant la chaîne des Satan, nous arrivâmes aux sources de la rivière Karasioubé, affluent gaucho du Djebach. Nos deux guides, des Soïots, essayèrent de nous piller; mais, comme nous savions nous défendre, ils se sauvèrent, nous abandonnant à nous-mêmes e[ croyant que nous allions nous perdre dans les montagnes; heureusement, nous parvînmes à trouver notre chemin jusqu'à L'Abakan d'abord, et ensuite jusqu'à notre destination, Minousinsk.
II. — En 1887, je pris un autre chemin pour aller dans le pays des Ouriankh. Je traversai les monts Saïan à l'est du Ienisei, je descendis dans la vallée de la rivière
310 VOYAGES DE DMITUI KLEMENTZ
OulouLf m , aa coadaent des deux rivières qui la forment, le Bei-kem et le Kha-kem, et je descendis le courant en bateau jusqu'à l'embouchure de la rivière TclmtchkouL De là, regagnant ieKemtehik, j'explorai la rivière Alaclt, jus- qu'à ses sources (tac de Kara-kol). Ensuite, du lac de Tvhoullchin et des sources du Petit Abakan, je descendis jusqu'au Grand Abakan, accompagné d'un Ouriankh, sans autre guide que la boussole et la direction des chaînes des montagnes. Ici, nous fûmes obligés de quitter nos chevaux et de nous charger des bagages. Nous descendîmes l'Abakan sur un radeau composé de 7 poutres, malgré le danger que présentent ses ccueilsetses rapides.
Nous étions les premiers explorateurs de la contrée qui s'étend entre les monts Saïan et i'Abakan. En 1843, Pierre de Tchikhatcheff avait fait une première tentative, mais il avait dû y renoncer. Dix ans se sont écoulés depuis notre voyage sans que personne ait pénétré dans cette région.
1H. — En 1891, j*ai visité encore le pays des Ouriankh; mais ce dernier voyage n'a pas ajouté beaucoup à ce que j'avais appris dans mes premières excursions. Voici les résultats de mes recherches ;
MONTS SAÏAN
La chaîne des monts Saïan présente deux grands plis- sements. La partie nord est composée do schistes talqueux avec des filons de quartz, recouverts de schistes chlo- riteux et de schistes argileux, ensuite vient une couche de calcaires. Dans la partie sud, on remarque un conglo- mérat argileux et des schistes contenant des fossiles (trou- vés sur les rives de l'Alach). Ces pétrifications, qui n'ont pas encore été étudiées, démontrent l'existence d'anciennes formations paléozoïques, probablement du système cara- brien.
E> MONGOLIE OCCIDENTALE. 311
Ce* formations renferment de puissants filons de granité se transformant quelquefois en schlier. Dans les vallées du Kemtchik et de l'Ouloukem, on trouve des formations érup* tives de la nature des mélaphyres- Les vallées du Kemlchik et de rOuloukem sont limitées au nord par les monts Saïanet au sud parla chaîne-de Tannou-ola. Dans les Tan- nou-ola on rencontre des schistes amphibolîques archéens et des micaschistes ; à la rivière de Torkhalik, Us sont recouverts d'argiles rouges contenant du gypse et du sel le. On trouve la même série de roches rouges dans les profondeurs du Tannou-ola (cette fois sous forme de grès calcaires), où elles donnent aux montagnes une appa- rence feuilletée.
l.a vallée de l'Ouloukem et du Kemtchik, à l'endroit de mes recherches, s'étend à plus de 20 à 100 verstes. Dans cer- taine; parties elle présente de puissantes formations de grès Licrt-ux.de conglomérais et d'argiles renfermant des couches île houille (sur les rives de l'Eleghatetde l'Irbek, tributaires de l'Ouloukem). Des empreintes de la plante Czekanoic- skaya rigida permettent de leur attribuer un âge jurassi- que. Point de formations tertiaires ; d'anciens fonds de lacs el les lits des rivières présentent des traces de dépôts allu- vîsut. Les affluents de l'Ouloukem et du Kemtchik présen- tent la disposition suivante ; le cours d'eau s'encaisse dans des alluvions anciennes formant deux terrasses, la couche supérieure, plus ancienne, composée d'argiles, de sables et de cailloux, et la couche inférieure, sur laquelle s'est établi le lit actuel de la rivière offrant une série de nouveaux pro- duits d'alluvion. Les deux terrasses renferment beaucoup d'or, associé quelquefois au platine. La vallée inférieure est de formation très récente. Pendant les travaux dans les - d'or, on y a découvert^ une profondeur de 2 mètres, des armes de bronze, pareilles à celles que nous trouvons dans les anciens tertres de Sibérie. La végétation de ce pays présente une transition entre
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VOYAGES DE ilHITBI KLEMENTZ
celle des forêts de la Sibérie et celte de la Mongolie. Les forèls sont composées principalement de mélèzes, rarement de sapins ou de cèdres; en revanche on trouve toute une série de nouvelles espèces du genre Caragana, particulier à la Mongolie.
La population du pays est la tribu des Soïots. Je ne l'es appelle pas Ouriankh, parce que ce nom, emprunté au chinois, s'applique à plusieurs tribus différentes. Les Soïots eux-mêmes s'appellent les Touba; aux environs du lac Terinor, ils se donnent le nom d'Oiïigour.
Les Touba étaient premièrement une tribu de la race des Samoyèdes, habitant la Sibérie du sud, et qui a donné son nom à l'affluent droit du Ieniseï, la Touba. Les des- cendants de ces Touba habitent le cercle de Minousinsk et parlent la langue turque. Le nom de Touba est mentionne pour la première fois dans les documents chinois à l'époque de la dynastie des Tan. Ces documents parlent d'une cer- taine tribu Doubo, vivant dans les montagnes et s'adonnant à la chasse et au pillage. Les Kirghises en font souvent leurs esclaves. L'historien persan Kachid-eddin mentionne les tribus qui habitaient les forêts de Mongolie à l'époque de Gengiskhan, entre autres il cite des noms qui res- semblent a ceux des tribus des Soïots de nos jours comme les O'inar, les Ondar. Kastren, en parlant des données fournies par la linguistique, a reconnu les Soïots comme une Iribu de Samoyèdes ayant subi l'influence des Turcs. Ensuite Topinard, se basant sur les recherches pré- cédentes, a reconnu les Soïots comme étant une tribu samoyède. Mais, en fait, Kastren a vu très peu de Soïots, et notamment ceux qui habitent la vallée de l'affluent du ISeikem, le Hamsara.lA, les Soïots ont les caractères d'une ancienne race : petite taille, poitrine rentrée, pieds plats, cheveux châtain clair; leurs mœurs sont celles d'une véri- table tribu de chasseurs ; leurs habitations ont la forme de huttes coniques recouvertes de peaux d'animaux. En des-
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rendant dans la vallée du Kemlcliik, nous en rencontrons d'un type tout différent : bruns, de grande taille, pommettes très saillantes, le crâne rond et court et le visage long. Ils s'occupent d'élevage, quelquefois d'agriculture, tout à fait primitive. Je crois que les ethnologues devraient distinguer les Soïols des montagnes, chasseurs, des habitants des val- lées, pasteurs. Les animaux domestiques sont également différents. Ici nous rencontrons îles chèvres, des chameaux domestiques, des yacks du Tibet. Les chevaux des montagnes sont de petite taille, à pelage clair, aux mollets très dévelop- pés; le cou est court et la tête sèche. Dans les vallées, la race venant des steppes de Mongolie est tout autre : cou fort et charnu, grande taille, tète grande, os saillants.
Les Soïols ont un caractère gai, nerveux, énergique, moqueur et fourbe. Ils diffèrent profondément de leurs voi- sins, indigènes de Mînousinsk. Ces derniers sont des rêveurs flegmatiques, sans aucun penchant à la raillerie, bons pères de famille, attachant une grande importance à la chasteté des femmes et ne se permettant jamais un mot inconvenant en leur présence. Le Soïot, au contraire, est de mœurs légères. Les indigènes de Mînousinsk chantent leurs anciens héros; ils ont aussi des chansons à seus équivoque, mais celles-là, ils ne les chantent que devant les hommes et encore ne sont-elles risquées qu'en tant qu'elles appellent les choses par leur nom. Un jour, mon compagnon de voyage ayant pris un bain dans une rivière, alla demander hospitalité chez des Soïots pour changer de linge. Malgré U présence de la femme, le mari le pria de ne pas se gêner. A peine avait-il commencé à se déshabiller que la femme sortit, mais... ce n'était que pour appeler ses voisines à venir voir le corps blanc d'un Russe,
Je ne parlerai pas du mode de gouvernement des Soïots, de leurs rapports avec la Chine, et du commerce avec la Kussie. Je dirai seulement que ce pays possédait autrefois
Ë population cultivée. De grands tumuli, des pierres ne, de cëocr. — 3-
s 1899.
ix. - 24
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portant des inscriptions avec des caractères runiques, les ruines dans l'île de Teri-nor, aux sources de la rivière du Djedan et à l'embouchure de la rivière Aksouk, sont témoins d'une ancienne civilisation.
IV. — En 1891, on m'offrit de prendre part à une expédition dans la vallée de l'Orkhon, organisée par l'Aca- démie des sciences de Saint-Pétersbourg. L'expédition partit en chaise de poste, de Kiakhta à Ourga, puis se rendît à l'ouest sur les côtes du lac Oughei-nor, et enfin aux ruines de Karakoroum entre les rivières Orklion et Djer- manlai. Le but principal de l'expédition était de procéder à des recherches archéologiques sur l'Orkhon. Arrivés au lieu de destination, nous fîmes des copies d'inscriptions décou- vertes par Yadrintseff, des photographies et un plan de ruines. Les résultats ont déjà été publiés en grande partie, aussi je n'en parle pas davantage. A la lin du mois de juillet, je proposai au chef de l'expédition, l'académicien Radlow, de faire une excursion indépendante en dehors de l'itinéraire, au nord-ouest des bords de l'Orkhon, vers les sources du Ienisei. Nous achetâmes cinq chevaux pour la monture et le transport de nos bagages et nous quittâmes l'Orkhon nous dirigeant à l'ouest. Après avoir traversé un chaînon des monts Khangaï, entre l'Orkhon et POrtou- Tamir, formée principalement de granité, nous dûmes passer à gué la rivière d'Ortou-Tamir. Une chaîne de mon- tagnes, composée encore de granité et de schistes argileux rouges, nous amena au Khoïtou-Tamir, puis, au bout de huit jours de voyage dans la direction du nord-nord-ouest, nous arrivâmes sur les bords de la Selenga. C'est un pays de montagnes composées principalement de schistes argileux et de granité à biotite. Les schistes ont une texture feuilletée dans la direction du nord-nord-ouest. On rencontre souvent des mélaphyres et des basaltes sur les bords de PAtcbin, affluent de la Selenga. Ces deux formations sont disposées
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en traînées dont la direction générale est du sud-ouest au nord-est. Par leur étendue, ces traînées témoignent d'un grand développement de forces volcaniques en Mongolie du- rant les époques géologiques récentes. Je noterai une erreur que j'ai toujours remarquée, même sur les cartes russes les plus récentes qui représentent la Selenga comme formée de deux branches, tandis qu'en réalité elle est formée par la réunion de trois cours d'eau : VEder, le Boukioui et le Ùelghir-mouren. Les lacs Sanghin-dataï et Toune-moul, que nous visitâmes en quittant la Selenga, ont sûrement élé autrefois des lacs d'eau douce, mais maintenant, par suite du dessèchement de leurs tributaires, l'eau est devenue sau- matre. De là, suivant le courant de la rivière Tes et en traversant le Tannou-ola, nous regagnâmes l'Oulou-kem et descendîmes le Ienisei sur un radeau jusqu'à la ville de Hinousinsk. Sur notre chemin, nous rencontrâmes beau- coup de tombeaux, restes de l'ancienne civilisation turque, et sur les bords d'un affluent de la Selenga, le h'Ittntyngol, les ruines d'une ville où on pouvait voir les restes d'une ancienne citadelle. On peut supposer que cette ville n'était autre que la Ville des trésors (des pierres précieuses), men- tionnée par Abel lii'musat. Le caractère des tombeaux, leur ressemblance avec ceux de la Sibérie méridionale, indi- quent de la façon la plus frappante une seule et même civi- lisation. Nous savons maintenant que c'était la civilisation turque ; reste à savoir seulement si les Turcs l'ont héritée de races plus anciennes encore ou s'ils lui ont donné eux- mêmes tout son développement
V. — En 1805, je Ils encore une petite excursion. J'étais parti d'Irkoutsk dans la direction du sud-ouest. Mon itiné- raire passait à travers les Alpes de Tounka au lac de Koso- gol, de là au couvent des Darkhat et finissait au lac de Teri-nor. Le but de mon voyage était de visiter les ruines qui existent dans une île du lac de Teri-nor. Ces ruines
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préseDlent une analogie complète comme caractère et plan de construction avec le célèbre Karakuroum (Kara- bangasoun, sur FOrkhon'). Le pays est extrêmement aride, ce qui tient à son élévation <1, 300 mètres). Le sol est composé partout de terrains cristallins. Le lac Kosogol doit proba- blement sa formation à un plissement du sol, marqué par de puissantes éruptions de basaltes sur les rives est et nord-est de ce lac. Les indigènes de cepayssontlcsDin'A/iaietles 0u~ riankit. Ces derniers eux-mêmes se donnent le nom d'Oui- gour. Les Darkbat appartiennent à la même race que les Ouriankh [ seulement ils parlent la langue des Mongols et ne payent pas d'impôls, étant attachés au couvent du Bogdo- gheghen d'Ourga, auquel on attribue une origine divine. Ils doivent leur position privilégiée à une félonie. Depuis le règne de la dynastie mandjoue, les princes mongols des- cendants de Gengiskhan n'ont pas toujours été soumis à leurs vainqueurs. Ils organisèrent des conspirations dans le but de secouer le joug des étrangers. Enfin, à l'une des conspirations, lés princes mongols, après avoir prêté ser- ment et bu du sang sacramentel d'un bouc noir, décidèrent de se soulever. Mais la plupart des princes conjurés nour- rissaient le secret projet de trahir les autres. L'un des con- spirateurs (nommé Cbatyrnavan) fut assez naïf pour croire a la sincérité des autres ; il réunit ses troupes et se mit en campagne ; battu par les Mandjous et par ses alliés perfides, abandonné par les siens, il se décida à fuir en Russie, mais il fut saisi par les Ouriankh et livré aux Mandjous. Le malheureux prince fui exécuté à Péking et les Ouriankh furent nommés Darkbat (privilégiés) et exemptés de l'impôt. Dans ce pays, l'agriculture n'existe point. Les yacks sont les seuls animaux domestiques.
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t le Mongolie
SU MONGOLIE OCCIDENTALE. 317
VI. — En 1803, je fis une excursion sur la rive droite de TOrkhon, en partant de Kiakhta. Vers le sud, le pays devient plus élevé. Nous rencontrons sur noire passage de Kiakhta à Ourga des chaînes de montagnes que nous traversons. Le terrain est sec et rocailleux. Des steppes s'étendent dans l'espace compris entre les affluents de l'Orkhon. Des salines. commencent à partir de l'embouchure du Kharagol.Au sud e cette région, enlre l'Orkhon et le lac Oughei-nor, nous mcontrons de grands affleurements de basalte. De l'Or- :hon, je me dirigeai au lac Oughei-nor, de là je remontai le iourant de la rivière Ortou-tamir et je descendis dans le etil Gobi, au pied des monts Altaï, puis en descendant la ivière Touingol j'arrivai au lac Orok-nor.
MONTS KHANGAÏ
Plusieurs fois depuis celte époque, j'ai eu occasion de raverser la région montagneuse où les affluents de l'Orkhon it de la Selenga prennent naissance, ainsi que les rivières ipparlenanl aux bassins des lacs intérieurs de la Mongolie méridionale. Je dirai donc quelques mots sur ce pays. Toute la contrée enlre l'Orkhon et le Dzapkhyn a reçu des phes russes le nom de « système de Khangaï ». Plu- ieurs explorateurs russes l'ont visitée avant moi : Potanine, Pîevtzofî, Raderine, Chichmareff et, en plus, l'Anglais Elias. ï une époque plus reculée, l'explorateur le plus connu fut un contemporain de Gengis-khan, le moine du Daos Tchan- tchoun, qui a donné quelques renseignements sur le Khan- $aï. C'est un pays montagneux 1res élevé; il n'existe pas de :ol au-dessous de 7,000 pieds de hauteur, et il y en a quel- jues-uns, comme Bombotou,Tsagnn-daban, qui atteignent (0,000 pieds. Le sommet le plus élevé porte le nom de nkhon-khaïrkkan Tengri et se trouve à près de 80 kilo-
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mètres de la ville d'Ouliasoutdi. J'ai fait l'ascension de cette montagne durant l'été de 1896. Elle est complètement dépourvue de forêts; elle a une réputation de montagne sacrée; ses versants sont couverts d'autels bouddhiques (oboti). La montagne a une forme conique, sa base est de granité, son sommet formé de rnélaphyre. Sur son versant sud-est se trouve un petit glacier, qui donne naissance à une petite rivière, la Bouiti-Kol ou Dsapkhyn.
A l'exception de VOtkkon Tengri, la chaîne de Khangaï n'a pas de hauteurs considérables. Les montagnes ne s'élè- vent pas à plus de 1,000 pieds au-dessus du niveau des cols; la plupart de ceux-là présentent des surfaces planes encadrées de hauteurs; il y en a peu offrant l'aspect de crêtes. Les rivières coulent dans des lits étroits. Au point de vue géologique, le Khangaï présente une série de plis s'écarlanl vers le nord, et se terminant par une pente abruple au sud. La vallée enlre V Altaï et le Khaiigaï a l'as- pect typique d'un graben (fossé). Le Khangaï est principa- lement composé de schistes cristallins ou semi-cristallins. Comme formations d'origine paléozoïque, on pourrait sup- poser l'existence du terrain carbonifère avec affleurements de couches productives; mais ce n'est qu'une simple sup- position qui n'a pas pu être confirmée, attendu que jusqu'à présent on n'a pas pu y découvrir de traces d'organismes. On trouve beaucoup de granit à petits grains.
Les formations éruptives sont très développées dans le Khangaï. La plus ancienne est celle de granit (schlier). On en voit des masses énormes dans ia parlie centrale et méridionale du Khangaï. La seconde place, comme époque de formation, appartient aux porphyres (felsites), remplis- sant les fentes dans ce que nous supposons être le terrain carbonifère. Les porphyrites et les roches Irachytoïdes sont peu développées. Je n'ai pas eu une seule occasion de voir un trachyle, tandis qu'on trouve des mélaphyres et des porphyres en grande quantité. Les mélaphyres s'étendent
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r un espace de plus de 10 kilomètres dans la vallée de myn-gol. Les basaltes sont très fréquents, 1 faut mentionner toute une région volcanique entre les j des fleuves Onghiin et Orkhon. Nous rencontrons ici toute une série de lacs encaissés dans des parois de lave. Les deux rives de l'Onghiin sontcouvertes par des basaltes ; les rives des sources de Y Orkhon et des deux rivières dont : forme, le Tamlchin et YOvlhtsoutaï, présentent des liées de lave solidifiée reposant sur des schistes méta- >rphiques; enfinlelitdel'Orkhon,à plus de 50 kilomètres ï aval de ses sources, est creusé dans de la lave basal- te. Les cours moyen et inférieur des rivières Tatsa- . et Touin-gol ont leurs rives composées d'argiles :poque post-tertiaire, recouvertes partout de coulées basal- . La rivière Tchonloutei traverse des gorges formées de basaltes sur une étendue de plus de 100 kilomètres.
J'ai trouvé dans le bassin de la rivière Tchouloutéï de vrais volcans stratifiés éteints, les premiers qui aient été découverts en Mongolie. Ils ont la forme d'un cône tronqué, composé de nappes alternantes d e basaltes, de pierre ponce et de scories. Le sommet du volcan présente une dé- pression remplie d'eau et formant un petit lac. Dn autre volcan est coupé par le courant d'une rivière, de sorte que nous avons sous les yeux une coupe de montagne faite par la nature elle-même. La base est formée de basaltes recou- verts par toute une série de couches successives de diffé- rents produits d'éruptions volcaniques. J'ai souvent ren- contré dans d'autres contrées du Khangaï les produits d'éruptions basaltiques, mais ces formations étaient géné- ralement disposées sur des crevasses, et je n'ai jamais vu d'autres volcans stratifiés que ceux que je viens de décrire. Je n'ai pas trouvé de dépôts tertiaires dans le Khangaï. Dans la vallée supérieure de la rivière Onghiin, j'ai découvert des couches de conglomérats sur une grande étendue appartenant aux formations mésozoïques.
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VOYAGES DE DMiriU KLEMENTZ
D'après sa végétation, le Khangaï peut être divisé en deux parties, le versant nord et le versant sud. Le premier abonde en forêts de mélèzes; on y rencontre quelquefois des cèdres, des pins et des sapins. Sur le versant méri- dional, les forets sont rares; nous y rencontrons des plantes particulières au Gobi, beaucoup de variétés de Caragana, qu'on ne trouve pas sur le versant septentrional. Trois khans mongols, descendants de Gengiskban, gouvernent le pays. Touchetou-kkan, dans l'est, Saïn-Noïn, dans le sud-ouest et la partie centrale, et Dsataktou-kkan, dans l'ouest.
A part ces trois kh;ms, il y a encore deux demi-dieux, ou incarnations de la divinité, selon les croyances des Mon- gols qui ont des possessions dans le Khangaï, le Zaïn- gkeghen et le Laman-gkvgiken. Les terres appartenant à ce dernier, dont j'ai fait la connaissance, s'étendent loin dans le Gobi. C'est un jeune homme âgé d'environ 30 ans, d'une obésité touchant à la difformité, ce qui ne l'empêche pas d'avoir un caractère très vif et de posséder un don d'assi- milation remarquable. Il me questionna avec beaucoup d'intérêt sur les chemins de fer, les télégraphes et sur dif- férents détails de la vie européenne. On rapporte que des lamas de sa suite, pour se débarrasser de cette divinité un peu trop énergique et indépendante, lui ont mis du poison dans un plat. La divinité mangea le plat qui lui était servi et dit à son entourage : « Vous avez voulu m'empoisonner, mais mon temps n'est pas encore venu, tout ce que vous avez gagné par là, c'est que votre poison va me faire engrais- ser, de sorte que je ne pourrai plus vous surveiller avec autant de vigilance qu'auparavant. »
VII. — En 1894, je m'établis définitivementen Mongolie ; je passai l'hiver à Ourga, et je fis des excursions en été. Au printemps de 1804, je traversai le Khangaï jusqu'à Ou- liasoulal et je descendis le versant méridional au nord du Gobi, puis, longeant la limite de ce dernier dans la dir
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lion de l'est, j'arrivai à l'embouchure de la rivière Argouin- gol. Ce pays désert, avec une population rare, forme une transition au grand désert de Gobi. Les montagnes sont composées de calcaires métamorphiques et de schisles recouverts à certains endroits de grès et de pierres cal- caires. En l'absence de fouille, l'âge relatif de ces terrains ne peut être déterminé que par leur allure. Les grès el les pierres calcaires forment des escarpements. Ces terrains affleurent rarement à la surface du sol, soit qu'ils aient été masqués par des alluvions, soit qu'ils se trouvent recou- verts par les couches récentes des formalions sableuses du Gobi '. La partie inférieure de ces dernières se compose d'argiles ferrugineuses jaunes et rouges, la partie supé- rieure est formée de grès à gros grains et de conglomérats d'abrasion. Les argiies, de même que les grès et les Conglomérats, forment des dépôts sans consistance. Le pays est pauvrement arrosé. Les cours d'eau sont assez abondants dans les gorges de montagnes, mais, à peine sortis de ces défilés, ils se perdent dans les sables et les cailloux. Quelquefois, lorsque le terrain est pierreux et argileux, ils continuent leur cours pendant un certain temps, mais bientôt les sables les envahissent, formant des bas-ronds et changeant la rivière en marais. La végétation des marais tait un réseau épais et mobile qui maintient une certaine fraîcheur. Aussi l'eau est toujours très froide dans de pareils courants et ne tarît jamais, même dans les plus grandes chaleurs.
1. Je trois que la désignation de « formation du Gobi • est plus JostB que celle qui est adoptée par Riclilbofen, qui dit, dans le même cas, ■ du Han-Haï » ; attendu que « Han-Haï s jieut donner lieu à une erreur par sa ressemblance avec liliiingai. De plus, le mol Han-llaî signifie non seulement une mer de sable, niais pourrait avoir d'autres sens encore. Comme les depuis dont il s'agit viennent du Gobi, il n'y a pa. de raison a introduire une désignation nouvelle au Heu de garuVr «elle qui est généralement admise et dont le sens esl intelligible à
il le inonde.
32Z VOÏAOES OE DMITM KLEMEKTZ
La proximité des montagnes est la cause d'orages fré- quents aux mois de juillet et d'août, époque des plus grandes pluies en Mongolie. Les torrents impétueux emportent les matériaux meubles et forment des ravins énormes, sem- blables auxouadis du Sahara ou aux canons de l'Amérique. Ces ravins, présentant des lits desséchés, sillonnent de lous les côtés la surface du désert ; leur direction indique claire- ment l'inclinaison du terrain,
Dans les endroits, arrosés par des cours d'eau plus ou moins continus, de ce pays, formant le seuil du Gobi, les habitants cultivent la terre. Ils sèment du blé et de l'orge. L'agriculture n'est guère possible qu'à la condition d'un arrosage artificiel. Les habitants arrosent leurs champs au prinlemps, ils sèment ensuite et labourent la terre au moyen de charrues primitives, puis changent de campe- ment aussitôt qu'apparaissent les premières pousses. Au moment de la floraison, on arrose encore. Jusqu'à l'époque de la moisson, les champs restent aux soins des vieillards, qui sont chargés de surveiller les semailles, chassant les oiseaux, les antilopes sauvages, défendant leurs terres contre le passage de caravanes. Le pays s'anime à la saison des moissons, des tentes sont dressées, les nomades revien- nent; on travaille toute la journée, la nuit encore on peut voir dans les champs des feux allumés près des tentes. La moisson terminée, le pays redevient calme et désert jus- qu'à la saison prochaine.
On rencontre dans l'Altaï méridional deux représentants de régions différentes : le yack du Tibet, domestique, ori- ginaire des montagnes, et le chameau des déserts. Les chameaux de Gobi sont réputés comme les meilleurs dans toute la Mongolie. On en trouve ici en grand nombre. Sou- vent les habitants ont autant de chameaux que de moutons. Dans ce pays, le chameau n'est pas seulement une bêle tic somme, mais encore un moyen de subsistance. Les habi- tants se nourrissent de lait de chamelle, ils en font du fro-
EN MONGOLIE OCCUENTALE.
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ï sorte d'eau-de-vie. Dans d'autres régions de la îe, au nord, on élevé également des chameaux, mais aussitôt qu'il y a dans le pays des brebis et des vaches, on néglige le lait dechamelie. Aussi, pour le pays que nous décrivons, le seul fait qu'on se sert de celui-là prouve qu'il n'y a pas moyen d'élever en quantité suffisante d'autres espèces de bétail fournissant du lait.
Autrefois le pays avait une population plus nombreuse. Le long des deux versants de l'Altaï, nous rencontrons par centaines des pierres d'anciennes tombes. Sur la rivière Tsagan-gol, j'ai eu la bonne fortune de découvrir des ruines d'une ville entière ou d'un grand couvent. Je crois qu'il serait prémaluré de faire des conjectures à ce sujet, avant ta publication du plan et des photographies des ruines.
De l'Altaï, je passai dans la partie orientale des monts Khangaï ; je visitai, aux sources de l'Orkbon, un des plus anciens couvents de Mongolie, l'Erdenï-dzo; ensuite, pre- nant le chemin à travers les steppes, entre l'Orkhon et la Tola,je retournai à Ourga, où je passai l'hiver,
En 1895, je fis une excursion au Keroulen, dans le but de rechercher une ancienne inscription runique sur l'un des rochers. Je découvris en plus toute une série de tombeaux ornés de figures de cerfs très intéressantes, et c'est avec ces résultats que je retournai encore à Ourga.
Les chevaux de posle me menèrent jusqu'à Oughei-nor; ensuite, traversant le Khangaï, j 'arrivai à Ouliassoutaï et de là au nord, à travers la chaîne de Khan-khoukliei', dans la vallée du lac Oubsa-nor; je visitai Oulankom, puis, en quôte de monuments archéologiques, j'arrivai jusqu'à la chaîne servant de frontière à la Russie; de là je rentrai à Ourga.
Le pays dans le nord d'Ouliassoutaî présente un ter- rain rocailleux, couvert de salines et extrêmement riche en monuments archéologiques. C'est ici qu'ont eu lieu des batailles entre les Dzoungars et les Mandjous; probable-
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ment, depuis les époques les plus reculées, des troupes ennemies venant de l'orient et de l'occident se sont ren- contrées dans ces lieux, comme le prouvent de nombreuses tombes ornées de pierres sépulcrales.
Au sud de Khau-khùukheï, se trouve un vallon encaissé, dans lequel sont situés les lacs Aïryk-nor, Kirgltiz-nor et Dzfren-nor. Le vallon est formé par une chaîne de mon- tagnes (un plissement), le séparant d'un plateau où sont disposés les lacs de Kkara-nor et de h'hara-ousou. Je n'ai pas pu découvrir la base du plissemeul au sud ; mais, sur le versant opposé du Khan-kkoukheï, on remarque des rochers coupés à pic, formant le bassin du grand lac Oubsa-nor.
Mien que ces exemples prouvent déjà l'importance de la dislocation disjonclive dans la formation du relief de l'an- cien continent.
En 1896, après avoir visité en Khangaï des volcans éteints, je me dirigeai vers Ouliassoutaï; ensuite, traver- sant une steppe au sud-ouest, j'arrivai à la limite du Gobi. Ici, je tentai de faire l'ascension de la chaîne de Tsassa- tou-botjdo; mais un tourbillon de neige nie força à renon- cer à ce projet. Je me rendis à Kobdo en suivant un itiné- raire qu'aucun voyageur n'avait suivi jusqu'alors. Laissant mes chameaux se reposer à h'obdo, je traversai l'.4(iaï jusqu'à la frontière russe, aux sources de Tsagangol, affluent gauche de la Kobdo ; de là, je me dirigeai vers les sources du Saksaï, en traversant deux fois la chaîne de l'Altaï, et je retournai à Kobdo par le Terekly-daban. Puis je pris l'itinéraire suivant : je descendis la rivière Houlgoun jus- qu'au campement d'un prince torgoout; et je m'avançai ensuite dans le pays des Ouriankti, à travers les campe- ments des Kirghîses le long de l'Irtych Noir, jusqu'à Zaï- sansk.
D'après mes observations, je crois pouvoir affirmer que
EN MONGOLIE OCCIDENTALE. 32n
l'Altaï présente une série <le plis, renversés dans la direc- tion du sud, et que le Gobi de la Dzoungarie est formé en pente abrupte. L'Altaï est composé de schistes cristallins anciens et de schistes talqueux et siliceux. Ces roches sont recoupées par de nombreux filons de granité, après la venue desquels le travail du dislocation a continué en don- nant lieu aux enchevêtrements les plus bizarres : des veines nombreuses de granité clair semblent parfois alterner avec les schisles, dont la couleur est foncée. Au sud, l'Altaï est coupé à pic en différents endroits, de sorte que les sources de plusieurs rivières sont absolument inaccessibles.
Dans la partie de l'Altaï appartenant à la Mongolie, on ne rencontre de forêts que dans certaines vallées encaissées. Toute végétation arborescente est détruite par le souffle ardent des vents du Gobi. Le Boulgowi et VIrtych .Xoir coulent au milieu de sables, où ne poussent que des peu- pliers, des buissons épineux et des joncs dans les endroits marécageux. Notons une erreur de certains voyageurs russes qui mentionnent la présence du lœss dans les val- lées de i'Irtyeh Noir et du Boulgoun. Après un examen minutieux, nous trouvons que ce qu'ils supposent être du lœss n'est qu'un produit d'alluvions, du gravier mêlé d'une boue argileuse. Le lœss typique d'origine subaé- rienne n'e.xiste pas; mais, en revanche, on trouve beaucoup de sables mouvants dans la vallée de l'Irtych Noir. En face de l'embouchure de la rivière de Kliaba, une chaîne de montagnes est entièrement recouverte de ces sables, de sorte qu'il est absolument impossible de savoir quels sont les terrains en place qui en forment l'ossature.
Il existe une mine de houille près du Zaïsansk, dans la vallée de la rivière h'inderlt. Ce gîte paraît appartenir a l'époque tertiaire. On a essayé de l'exploiter; mais actuelle- ment la mine est presque abandonnée. En passant sur la frontière de la Dzoungarie, j'ai fait l'acquisition d'un bel exemplaire de cheval sauvage, qui appartient aujourd'hui
326 VOYAGES DE DHITRI KLEMENTZ
au musée zoologique de l' Académie des sciences de Saint- Pétersbourg. Parmi les autres animaux rares, il faut men- tionner !a loutre des rivières qu'on trouve encore sur les bords du Boulfjoun.
La population de l'Altaï est très variée : des Oïrals ou Oulets sur le versant oriental, les Durbuts au nord-est, les Torgoouts au sud-est, et des tribus d'Ouriaukh dispersées dans les montagnes. De toutes ces peuplades, les unes par- lent turc, les autres une langue mongole.
Dernièrement, celte population s'est accrue de tribus kirghises arrivées de l'ouest. Ces Kirghises ont conservé leur costume archaïque, composé d'un cafetan, d'une ceinture, à laquelle est attachée une sacoche, et d'une chemise à grand col marin. C'est aussi le costume que nous voyons sur les statues primitives qu'on trouve partout dans l'ouest de la Mongolie.
De Zaïsansk, je me rendis à Semipalatinsb,de là à Om ensuite par le chemin de fer à Pélersbourg.
En -1897, je pris part à deux recherches statistiques con- cernant la Transbaïkalie. J'ai eu à ce propos à étudier les mœurs des Bourtats, et j'ai obtenu d'intéressants résultats au point de vue sociologique. Si nous suivons l'histoire du développement de ce peuple, nous voyons le passage gra- duel de la vie de nomades à celle de cultivateurs.
On ne rencontre qu'en Mongolie et parmi les Bouriats, habitant sur la limite de ce pays, des nomades primitifs, errant toute l'année d'un endroit à l'autre. Chaque famille décriL en quelque sorte une orbite déterminée dans l'an- née. Le changement de camp se fait de la façon suivante. Lorsque l'endroit choisi ne suffit plus à nourrir les trou- peaux, des vieillards, ou des personnes désignées pour la circonstance, sont envoyés à la recherche d'autres prairies, qu'ils distribuent parmi les membres de leur groupe. C'est alors seulement que te groupe se met en marche. L'idée
EN MONGOLIE OCCIDENTALE. 327
de la propriété privée de ia terre est inconnue dans ce pays. La série de campements de ce terrain de parcours forme le patrimoine de chaque groupe. Ces orbites s'entrecroi- sent, s'allongent ou prennent une forme serrée suivant les circonstances. Le premier pas vers une habitation fixe se présente sous forme d'hivernage amenant nécessairement un approvisionnement de combustible. Vient ensuite le besoin d'établir une garde dans les pâturages et les prés. Puis on commence à entourer de haies les champs appartenant à une famille, ou plutôt à un groupe avec plusieurs divisions partielles. Depuis les époques les plus anciennes existe chez les Bouriats nomades l'irrigation des prairies. Nous voyons dans l'histoire de leur développement la lutte entre L'association familiale et la commune basée sur le travail. Du moment que les nomades commencent à cultiver la lerre. c'est encore un pas dans la môme direction ; le pas- sage de la vie de nomades à une habitation fixe se fait très lentement, car l'élevage assure l'existence avec bien moins de peines que l'agriculture. Je n'entre ici dans aucun détail pour éviter des longueurs inutiles ; mais les matériaux que j'ai rassemblés me serviront pour un prochain travail que je me propose de faire au sujet de recherches comparatives des mœurs de différents peuples nomades.
Je suis revenu à Saint-Pétersbourg en novembre 1897; ainsi, depuis 1885, sans compter quelques interruptions insigniGantes, j'ai passé douze années en expédition parmi les Turcs et les Mongols.
Les résultats de ces travaux apparaissent sous la forme de quelques milliers de spécimens de roches et de fossiles, plus de 15,000 verstes d'itinéraires, des observations météo- rologiques pendant cinq années consécutives, des maté- riaux qui me servent en ce moment à composer une carte archéologique de la Mongolie du nord, et 400 photogra- phies. Notre collection botanique compte plus de 40,000 exem-
328 VOYAGES DE DMITRI KLEMENTZ
plaires, provenant de différentes parties de la Mongolie1. Comme il n'a rien paru a l'étranger — que je sache — concernant les expéditions auxquelles j'avais pris pari, j'ai prié mon ami, M. D, Aïloff, de communiquer ce résumé à la Société de Géographie de Paris. Je crois que ces expéditions ont permis de compléter dans une certaine mesure nos con- naissances sur l'Asie. 11 y a encore beaucoup de lacunes; si je n'ai pas pu les combler, ce n'est que par suite de défaut de ressources. Il sufiit de dire que toutes ces recherches n'ont occasionné qu'une dépense, à des époques différentes, de 10,500 roubles à peine. C'était tout ce dont je disposais. Quant aux matériaux se rapportant à l'expédition, ils sont déjà pour la plupart entre les mains de savants spécialistes. Personnellement, je serai obligé d'interrompre mes tra- vaux, car je partirai encore pour cinq mois a Tourfan. D. Klementz.
HOTE SUR LA CARTE
La carie qui accompagne l'exposé des voyages Je M. Dniiiri KlcmeDtzen Mongolie Occidentale estdresséed'aprêsles feuillesV, VI, Mil ei XIV de la carte de la frontière méridionale de la Itussie d'Asie à l'échelle de 1/1,680,000.
Les itinéraires y ont été tracés par M. Iilemenlz lui-même.
Le figuré du terrain a été omis sur notre carte, le document russe qui nous a servi de guide l'indiquant lui-même d'une façon par trop rudiraeulairc ei iraliissant clairement qu'aucun levé, si sommaire qu'il fût, n'avait servi de base au dessin.
La mélliode des cartographes russes dessinant le figuré du ter- rain est toujours la même : ils tracent des chaînes de montagnes
1. Ces plantrs seront décrites dans la série d'ouvrage? qui von publiés sous le titre de f Résultats scienlilîuues des expedllloi Pijevalsky c.
r
EN MONGOLIE OCCIDENTALE. 329
entre chaque cours d'eau. Lorsque les cours d'eau sont rapprochés, les chaînons ont la forme d'une chenille ; lorsque, par contre, ils sont éloignés l'un de l'autre, le dessinateur laisse au crayon litho- graphique la faculté de s'étaler en arabesques plus ou moins bizarres.
Ce dessin de la plus haute fantaisie est ensuite religieusement reproduit par les cartographes européens qui ont à s'en servir. Nous croyons qu'il vaut mieux s'en abstenir et ne pas dessiner les montagnes, dont on connaît parfois la structure géologique et l'extension générale, mais dont on ignore complètement les formes.
D. AÏTOFF.
SOC. DE GÉOGR. — 3° TRÏMESTRE 1899. XX. — 23
ATJ PAYS DES MOIS
Le comte de BARTHELEMY'
Mes voyages précédents en Indo-Chine m'avaient donné quelque nolion de fa Cochinchine, du Cambodje, du Bas- Laos, du Tonquin, du Haut-Laos et du nord de t'Annam. Il restait pour compléter mes études la partie comprise entre Hué et la Cochinchine. Au point de vue économique, des visites aux récentes plantations de l'Annam présen- taient un gros intérêt ; au point de vue de la géographie et de l'histoire naturelle, la montagne, le pays des Mois, dont tant de parties sont absolument inconnues, sont pleins d'attrait pour le voyageur épris d'imprévu et qui s'intéresse à l'avenir de notre belle colonie.
Je m'attacherai, dans ce compte rendu, plus spéciale- ment à la partie géographique, je passerai sous silence la visite aux plantations pour m'étendre plus longuement sur l'exploration accomplie en montagne et les travaux géographiques auxquels nous nous sommes livrés.
Parti de Hué accompagné de mon ami le comte de Mar- say, j'avais pris pour premier but la route de Hué au Song- Caï par la montagne. C'était un premier contact, une école, afin de nous accoutumer aux mœurs des populations mois.
M. de Marsay a collaboré avec moi aux travaux géogra- phiques. Paul Cabot, le jeune naturaliste qui m'accompagna il y a deux ans, était chargé de la préparation des pièces d'histoire naturelle.
Accompagnés de trois lîuhs de Ja milice de Hué, nous dé-
1. Voir la carie jointe à ce numCro.
AIT PAYS DES MOIS. 331
s en remontant le Song-Ta-Voy jusqu'aux derniers lages annamites.
On sait que les villages annamites ne cessent d'exister u'à partir de l'endroit où les fleuves deviennent complé- ment impossibles k remonter en sampans. C'est alors e commence le pays des Moïs.
Le mot Moï veut dire * sauvage 1 en annamite. C'est i nom générique, mais la vérité est que la montagne, s Hué jusqu'à la mission des Bahnars, recèle une con- sion de races assez diverses où des différences de langage ft quelque peu de caractère sont fort sensibles. Contrairement à ce qu'ont prétendu les Annamites aux mts de l'occupation française, ces régions sont habitées, s habitées même. Mais les sauvages des sommets n'ai- ïnt pas à voir menacer leur indépendance. Retranchés rrière les forets vierges malsaines qui les séparent des lys civilisés, ils n'ont que difficilement des rapports avec i côte. Leurs flèches empoisonnées, une réputation de laulé peul-ëtre exagérée les ont mis à l'abri des tenta- d'invasion annamites. Ils ont conscience qu'on ne ;t rien contre eux par la force, qu'ils échapperont tou- ; mais on peut beaucoup obtenir d'eux en agissant c droiture et en prenant sur eux une influence morale. i) peuple aux lemps héroïques; contrairement aux inamites, la parole donnée est sacrée pour eux ; ils esti- !Ht la franchise et la loyauté avec une religion qui les idrait naïfs et ridicules aux yeux de certains civilisés. Tel est, dans sa généralité, le caractère des races que nous à visiter cette année. Ainsi que je l'ai dit précédemment, nous divisâmes notre jyage en monlagne en deux excursions : la première de D-Rraï (premier village moï dans la région de Hué) au j-Caï; la seconde, plus importante, de Tra-My à la ssion des Bahnars parles sources du Song-Tracùk et le a du Krong-Blâ.
332 AU PAÏS DES MOIS.
La première excursion a eu pour but de signaler à l'ad- ministration deux villages nouveaux. Ce fut le premier contact avec les populations mois, qui devait être pour nous une première étude de leur caractère. Ces premiers pas en montagne nous furent rendus très pénibles par les pluies incessantes qui ont sévi à Hué et dans les environs jusqu'à la lin de février celte année.
Au village de Bao-Rraï, nous pûmes observer ce qu'est le trafic des Annamites de l'intérieur avec les Mois soumis. Le mouvement commercial ne se monte pas à de grosses sommes et il s'opère avec de grosses difûcultés. L'Anna- mite échange des barres de sel, de la pacotille, contre du bétel, du tabac, des poulets et des porcs. On voit qu'il ne s'agit pas, de ce côté, de produits bien importants. 11 es! cependant intéressant de constater ce mouvement très indicatif de l'activité de la race annamite pour les petites affaires. On a traité nos sujets d'incapables au point de vue commercial, c'est à tort. Voici l'opinion réelle à répandre â leur sujet : excellents petits commerçants parce qu'ils sont malins et actifs, ils n'ont aucune aptitude pour le gros commerce, parce qu'ils sont légers et peu calcula- teurs. L'Annamite est donc un auxiliaire précieux pour l'Européen qui sait centraliser les efforts individuels de ces fourmis du commerce.
En face du village de Bao-Rraï, sur l'autre rive du Song-Ta-Voy, est le premier village moi de la ré- gion.
Les villages sont composés de pauvres cases surélevées, mais beaucoup moins que les cases laotiennes; le toit est en paillote, les murs en planches mal équarries; au centre du village il y a la maison commune où l'on reçoit les étrangers. Dans celte maison commune sont accrochés des trophées de chasse offerts sans doute aux esprits. Au centre de la place du village, il y a un piquet élevé, couvert de peintures bizarres et de dessins primitifs représentant gros-
Al< PATS DES. HOlS. 333
sièrement des hommes, des serpents. C'est là que se font les sacrifices aux jours de grandes agapes. Ces Mois por- tent un costume des plus succincts. C'est un langouli roulé, passé entre les jambes et dont l'extrémité tombe sur la cuisse gauche. Par les temps très froids, ils se couvrent d'une sorte de manteau multicolore où le bleu sombre domine. Les villages sout défendus des betes sauvages qui viennent dévorer les récoltes par des pièges ingénieux. Contre le tigre, ils placent dans quelques chemins connus des habi- tants des petits piquets en bambous pointus destinés à blesser le? pieds de l'animal. Contre les cerfs et les san- gliers, un piège à ressort est tendu : il consiste en un jeune e coupé. On le maintient horizontalement au moyen de : piquets fort solidement Bébés en terre, puis on le , tendu comme un ressort. Deux lianes, en forme de i, nettent de tendre l'appareil au bout duquel un pieu i coupé en javeline est adaplé. Ces pièges sont ■ au jardinet. Lorsque l'animal passe sur une des le piège part, l'arbrisseau se raidit subitement trainant la pointe dans sa course; celle-ci, maintenue Ire deux poteaux assez élevés ; l'animal est transpercé et -été entre les deux poteaux par l'arme qui l'a blessé. De nbreux collets assurent la prise des oiseaux et des petits lifêres. Tous ces pièges sont fort ingénieux, enlière- nt faits de bois et de lianes. Ils existent chez tous les
:S des montagnes d'Annam. Nous avons obtenu assez facilement des porteurs, mais ûlement j usqu'aux villages de Ca-Daû, de Lop et de Bouc. 3 de Bouc fut l'un de ceux que nous découvrîmes cette première excursion. Nous eûmes beaucoup de 3 à le joindre.
s pluies apportant avec elles les sangsues, et détrem- t le sol glaiseux des chemins à pic, nous arrêtèrent i d'une fois et nous procurèrent les mille désagréments a connus des voyageurs qui ont couru la brousse. Ce ne
334 AU PAYS DES MOÏS.
fut qu'au prix de mille fatigues et de nombreuses chutes que nous atteignîmes le village.
De Bouc à Bolo, les chemins ne valent guère mieux; il fallut circuler dans les lits desarroyos avec de l'eau jusqu'à la ceinture, parfois plus haut. Ce terrain, coupé de quelques marches en montagne, pour ainsi dire au coupe-coupe, permet de se faire une idée des difficultés qu'éprouve le petit commerçant annamite qui fait des transactions aux villages mêmes. Car le Moi ne se dérangera jamais de chez lui pour une promesse, il lui faut la sécurité du marché con- clu. Force est donc aux commerçants annamites de se rendre aux villages mêmes pour y faire leurs affaires.
Bolo était également un village inconnu des Européens. Son chef avait un caractère fier et énergique. Il nous reçut froidement, mais son hospitalité fut aussi large que pos- sible. Il consentit à nous fournir de vivres, faisant son prix avec intelligence, sans chercher à exploiter. Le lende- main, il s'engagea à faire porter les bagages de la Mission jusqu'à Tia-Dao, village suivant.
D'après une conversation que nous eûmes avec le chef de Bolo, il est à supposer que l'emplacement du village de Phù-Hac a dû être changé. Le chef nous confia qu'il avait été en guerre, il y a peu de temps, avec les gens de Phù- Hac. « Le village n'existe plus, ajouta-t-il, ils sont tous morts! » Il est certain que cette assertion est très exagé- rée. Mais il ne faut pas douter que Phù-Hac, à la suite de ces événements, a dû abandonner l'emplacement de l'an- cien village. C'est une des caractéristiques du Moi, aussitôt qu'une calamité quelconque a frappé le village, de changer immédiatement son emplacement, ne fût-ce qu'à 500 mètres delà.
Nous vîmes un exemple de cette coutume à Tia-Dao. Le village a été porté à 800 mètres de sa primitive position, l'année dernière, à la suite d'une épidémie de choléra.
A Tia-Dao, on nous a signalé le passage d'un Français
An PATS DES MOIS.
335
ée précédente. L'explorateur était venu accompagné d'une forte escorte de garde civile annamite. Il fut obligé de rétrograder, une grande partie de ses hommes étant atteints des fièvres. Cet explorateur est, croit-on, M. Ri- chardson, le planteur d'An-Dien. A peu de distance de Tia- Dao, est le village de Lang-Tié-San, une belle vallée aux terrains riches et bien irrigués. Cette vallée est habitée par nue assez forte population moi agglomérée au village. Les Mois vont souvent commercer à la plantation d'An-Dien.
Le lendemain, à 2 heures de l'après-midi, nous domi- nions la vallée de la Song-Con ; a 4 heures, nous joignîmes, sur les bords de la rivière, le premier village annamite, village de Na, et ce ne fut pas sans un certain plaisir que nous retrouvâmes les sampans. Après deux heures et demie île descente, les casques blancs des planteurs d'An-Dien apparurent, et nous fumes reçus avec cette cordiale hospi- talité commune à tous les Français habitant l'Indo-Chine. La plantation d'An-Dien est à la période des défriche- ments, c'est l'établissement français le plus avancé dans l'intérieur de la province de Quang-Nam. Elle s'entretient dès maintenant avec ses rizières et ses cannes a sucre. Des thés sont préparés par les planteurs pour assurer, dans l'avenir, un revenu considérable. Nos compatriotes cher- chent à entrer en relations commerciales avec les Mois de Lang-Tié-San et de Tia-Dao. Les produits apportés à la plantation sont le tabac, le riz de montagne, le bétel, le maïs, le manioc et la patate ainsi que quelques produits forestiers. Le tabac moï n'est pas désagréable à fumer; cependant sa fermentation insuffisante n'en fait qu'un tabac de qualité inférieure, incapable actuellement de créer une branche de commerce sérieux vers l'extérieur.
Les planteurs d'An-Dien sont en relations commerciales avec un commerçant de Faî-Foot M. Derobert ; celte mai- son française fait de grosses affaires avec les Annamites. Elle leur fournit la pacotille nécessaire pour traverser les
336 AU PAYS DES HOÏS.
régions des Mois et commercer avec ces derniers; la maison Derobert a exporté l'année dernière sur France 70,000 kilo- grammes de Ihés, vendus sons le nom de thés de l'Aanam. ]jes commerçants se sont servis d'Annamites formés par le Père Maillard pour apprendre aux * Nha-Qués » à couper les petites feuilles et jeunes pousses qui seules sont employées pour faire le thé au goût européen. Les affaires de la maison Derobert vont tous les ans en croissant et auraient pris de très grosses extensions si les frets sur France n'étaient pas si onéreux. On manque de navires actuellement pour transporter les produits de l'Indo-Chine, Nous avions obtenu ce que nous désirions en visitant cette première région : nous savions désormais à quoi nous en tenir sur le caractère moï et pouvions nous risquer à marcher plus vers l'intérieur dans des régions moins con- nues et plus intéressantes. Une des plus curieuses et des moins parcourues était la région de Tra-My et la chaîne de partage des eaux du Laos de ce côté. L'intérêt que je porte spécialement aux questions économiques me fit arrêter quelques jours chez mon ami M. Alfred Ilerbet, fondateur de la Société des Mines de Bung-Miù; j'ai déjà parlé de cette affaire il y a deux ans. Elle était alors à ses débuts, on déterminait les périmètres de recherches et les pre- miers plans étaient préparés, dans la brousse, pour l'ex- ploitation future. Aujourd'hui, une usine à broyer le quartz a été faite. L'eau de la pittoresque chute qui traverse la concession a été employée comme force motrice. Un che- min de fer aérien joint les galeries de mine à l'usine, une colonie européenne s'est créée et de nombreuses cases de mineurs annamites ont remplacé la jungle. C'est une com- plète transformation, et cela en deux ans! On ne peut que louer l'activité des directeurs, et spécialement de M. Alfred Herhel, qui a pu obtenir de sérieux et très sensibles résul- tats. Bung-Miù ne fut pour nous qu'une étape vers le pays moï, notre rentable but Gt fut a Tra-My que
gam-
AL' PAVS DES MOIS. 337
sèmes complètement notre expédition. On sait que Tra-My est célèbre en Indo-Chine pour l'important commerce de cannelle qui s'y fait avec les Mois.
Malheureusement tout ce commerce est entre les mains des Chinois de Fal-Foo, soutenus par les mandarins anna- mites de la province. 11 se monte à 1,600,000 francs. L'ad- ministration en connaît depuis longtemps l'existence, elle a cherché, mais vainement, à mettre la main sur cette importante affaire.
Elle y établit d'abord une régie; on dut renoncer à ce système à cause des difficultés de pénétration chez, les Mois de ce côté. Les Mois n'acceptent de descendre que porteurs de marchandises achetées chez eux et accompagnés du commerçant qui a commercé avec eux. lis ne se soucient pas de descendre en pays annamite seuls, et pour le compte d'autres que les mandarins de la province. C'est ce qui explique comment la seconde tentative de l'administration ne réussit pas mieux que la première. Les résidents créè- rent, sur l'ordre de M. Boulloette, résident supérieur, que celte question intéressait beaucoup, une série de s Marchés mois ». Ainsi, pensait-on, les Mois pourraient commercer librement avec les Annamites, mais seraient moins volés par ces derniers, surveillés par un garde principal. La mau- vaise volonté des mandarins fit échouer ce projet.
Cela se comprend assez facilement. L'Annamite qui monte dans la montagne offre pour -10 kilogr. (une charge) de cannelle, valeur 200 piastres à la côte, le modeste échange d'un buffle(12 à 15 piastres). Encore ne payent-ils pas toujours. Alors les Mois descendent sur le pays anna- mite et se payent en esclaves qu'ils vendent au Laos. Cette répression sauvage nous ayant émus, nous avons pris parti le plus souvent pour les Annamites et usé de représailles contre les Mois. De là cette méfiance avec laquelle ils reçoivent, de ce côté, les Européens. Ajoutons à cela quel- ques explorations conduites brutalement, et nous pouvons
338 AU PAYS DES MOÏS.
nous estimer heureux que la région n'ait pas été, en raison
de ces différents faits, complètement fermée.
Nous eûmes nous-mêmes à souffrir du mécontentement que les Annamites éprouvent à voir passer les Européens de ce côlé. Les porteurs, obéissant sans doute à quelque mot d'ordre des mandarins, ne tardèrent pas à chercher a. faire le vide autour de nous et à fuir dans la forêt avec leurs charges. Nous dûmes surveiller nous-mêmes, avec notre escorte1, chacun un certain nombre de charges fusil au poing. Nous avons mis d«ux jours à atteindre le premier village nioï de Tra-Vian. L'emplacement de ce village a été changé ù la suite d'une dure leçon que lui avait infligée un explorateur précédent. Il a été transporté à 800 mètres de son ancienne situation. Tra-Vian est habité par desDaviats, Mois de celte région; il est fortement palissade et défendu par des pieux en bambous inclinés à 45° rendant les abords de la palissade très difficiles. On ne peut pénétrer dans le village que par une porte étroite par laquelle un seul homme peut passer difficilement en se baissant. Les alen- tours sont défendus par des pièges et des petits piquets. La forteresse est excellente contre des gens armés de lances et d'arbalètes. Ce ne fut pas sans palabres que nous pûmes obtenir des coolies mois pour le lendemain matin. Par contre, ce ne fut pas sans plaisir que nous licenciâmes nos coolies annamites.
La troupe se trouva donc réduite à 2 Européens, 3 mili- ciens annamites, 3 boys, 2 coolies annamites, qui avaient demandé à suivre l'expédition jusqu'à Quin-Nhone; enfin, deux chiens européens qui rendirent bien des services au cours du voyage en faisant bonne garde dans notre case ou nos campements.
Mes voyages précédents chez les Muongs et les Méos, notre court séjour chez les Mois de Hué, tout cela m'avait
i. 8 liulis, 1 bèp de lii milice de Tourace.
ris à i
AU PATS DES MOIS. 331
s rendre compte que de petites escortes biei
.ies valent mieux qu'un grand nombre d'hommes, dif- surveiller et auxquels il est plus facile de com- Ire des abus. Combien d'explorateurs ont été attaqués sans savoir pourquoi, et uniquement par suite des mala- dresses de leurs hommes.
Nous voulions à tout prix éviter les conflits dans la mon- tagne d'Annam. Une exploration mal menée là-bas pour- rail fermer à tout jamais la pénétration pacifique que recherche avec juste raison notre administration.
Les Davials différent des Mois de la région de Hué en ce que leurs yeux sont plus fendus en amande ; ils se couvrent d'oripeaux en cuivre et circulent toujours armés. C'est une population guerrière et certainement plus sauvage que celle du nord. Jusqu'au village de Nuoc-Mao, il se fait un impor- tant commerce de cannelle. On trouve cet arbre vers le Nnoc-Méo et le Song-Tracùk, mais les habitants ne com- mercent de ce côté que de village à village, entre Mois. Jusqu'à Man-Ré, toutes agglomérations sont défendues et fortifiées à la façon de Tra-Vian.
Nous devions, à chaque village, déployer un certain céré- monial que je ne saurais trop recommander et qui en impose aux sauvages. Nous envoyions en avant notre dra- peau porté sur la lance d'un chef moï, généralement celui du village précédent. Le chef demandait alors pour nous l'entrée du village et des porteurs pour le lendemain. ». Les < Français, disait-il, ont des armes terribles, ils ne s'en « serviront que si ies Mois n'acceptent pas leurs conditions. i Étant forts, ils sont bons, ils payent leurs porteurs et i loul ce qu'ils demandent, » La discussion durait tou- jours longtemps et souvent des difficultés s'élevaient qui forçaient à prendre l'attitude menaçante.
Parfois il nous arrivait de* aventures comiques. Unjour, nous nous trouvâmes en face d'un village qui buvait le choum-cuoum depuis trois jours et dont tous les habitants
340 AU PAYS DES MOIS.
étaient complètement gris. Les malheureux se croyaient perdus, sentant eux-mêmes qu'ils étaient en complet état d'infériorité. C'est une coutume chez les sauvages, où l'es- prit communiste domine avec l'esprit féodal, de mettre en commun tout leur superflu pour le consommer dans de grandes fêtes publiques qui durent tant qu'il reste quelque chose à hoire ou à manger.
De village à village nous nous rendîmes aux régions du H au t-S on g-T ra cù k .
Passons aux résultats géographiques obtenus par nous dans cette contrée complètement inconnue. Une erreur assez forte existe sur la carte Pavie ; celle-ci porte le cours du Nuoc-Méo dans une direction toute différente de celle que nous avons relevée (sud-est). La direction donnée parles renseignements fournis aux topographes de la mission Pavie pourlecoursdu Nuoc-Méo était est et ouest rejoignant, à une quarantaine de kilomètres de Man-Ré (itinéraire Gar- nîer), le Song-Tracùk. Cette dernière rivière a également un cours beaucoup pins ouest. La carie Pavie le porte nord-sud.
Ce sont ces erreurs de cartes qui lîrent que, pendant quelques jours, nous avons cru être sur le Song-Bâ, alors que nous reconnaissions le cours du Krong-Blâ, fleuve appartenant au régime du Laos. Les sources du Song- Tracùk et celles du Bà ne sont donc pas nord-sud, l'une par rapporta l'autre, ainsi que l'indique la carte Pavie. Il suf- fit d'ailleurs de jeter un regard sur les deux cartes pour se rendre compte des différences lopographiques importantes que nous avons relevées.
Nous traversâmes donc la ligne de partage des eaux du Laos, passant par des altitudes de 1,000 mètres et relevant des altitudes plus élevées (2,000 m. environ) pour tomber sur les sources du Krong-Blà.
Le Bla, appelé dans le SedangDak-Ngai ' (Nuoc-Ngai par
1. D.ik, eau, sedang; Kuoc, e
AD PAYS DES MOIS. 'Ml
les Annamites), esl formé de deux torrents, le Dak-Là et le
Ltak-Lâii, Ils se réunissent dans un lieu appelé Con-Tan,
gros village sedang très important, parce qu'il est le point
de bifurcation de plusieurs roules vers le Laos, notamment
celle suivie par Garnier du Dak-Psi. Tout près de Con-Tan,
le BIA coule avec déjà un volume d'eau considérable dans
une large et magnifique vatiée. Là, les Sedangs cultivent à
l'annamite et ce lieu parait très sain.
Les habitants nous montrèrent une grande déliance. On
lirait pu croire qu'ils avaient conscience de la richesse de
ir pays et qu'ils craignaient de la voir signaler. Les chefs
: vinrent qu'après cinq heures de palabres et sur la
mace d'attaquer le village.
jes Sedangs sont plus grands et plus forts que les riais; leurs villages ne sont pas fortifiés, mais cachés s les bois el fort bien dissimulés. Comme les Davîats, ls circulent loujours armés. Les mais enguirlandés et ornés le dessins des Daviats n'existent pas au milieu de leurs vil— ; cependant ils ne sont pas exempts de superstitions, t nous nous trouvâmes arrêtés- au village de Rreun par ! sorcière. Celle-ci occupait un pont de liane et nous iait de ne pas avancer, de ne pas offenser les esprits en mt dans la partie qu'ils hantaient. Nous lui répondîmes ravement que nous ne voulions pas offenser leurs , mais que nous ne voulions pas y croire. En inséquence, nous demandâmes qu'on nous construisît une e sur les bords du Blâ, non loin du village. Les habitants e montrèrent pleins de reconnaissance pour notre magna- mité. Cet acte, qui fut interprété sans doute à une valeur mcoup plus haute que nous pensions, nous sauva la vie le mdemain à Yo-Chié. Une bande pillarde engagea iO de i hommes parmi les porteurs de l'expédition. Cent mires hommes attendaient dans la montagne, deux îommes énergiques avaient élé chargés de tuer d'un coup t lance chacun des Européens. Le village de Yo-Chié
342 AU PAYS DES uots.
refusa de tremper dans le complot et le chef de ce village prévint notre interprèle. Notre attitude heureusement intimida les bandits qui gagnèrent les sommets avoisinants, et te chef du village de Yo-Chié, par une cérémonie d'al- liance solennelle consistant à boire ensemble le sang d'un poulet, assura un passage facile à notre petite troupe dans tous les villages suivants jusqu'à la mission des Bahnars.
Entre Néa et Yo-Chié, on traverse de vastes plaines bien irriguées ; plus loin, ce sont des forêts jusqu'à Roup. De là, on passe par de hauts plateaux fort riches et qui paraissent très sains. Le pays conserve cel aspect jusqu'à Con-Lang. C'est à ce village que commence à se faire sentir l'influence des pères de la mission. Les villages sont catholiques ou catéchumènes à partir de ce point. L'influence morale des pères s'étend beaucoup plus loin, jusqu'à Yo-Chié. Ce ne sont alors que des traditions de montagnards à monta- gnards. Les habitants savent qu'il existe bien loin des Fran- çais très puissants et très bons ; ils sont prêts à les recevoir avec plaisir. C'est peut-être à ces bruits que nous devons d'avoir trouvé tant de dévouement dans le chef de Yo-Chié.
La mission des Bahnars, est composée de sept Pères; ils ont chacun un énorme district à surveiller et évangéliser. Leur activité est très grande et, grâce à elle, ils sont arrivés à grouper autour d'eux près de 1,000 sauvages dont ils obtiennent, assez difficilement d'ailleurs, un peu de travail.
Les Pères nous donnèrent d'intéressants renseignements sur la constitution des vill âges mois : le village est divisé en maisons; chaque maison a son chef propre, c'est le père de famille; celui-ci représente les intérêts de la maison au conseil des anciens.
Le conseil des anciens discute des intérêts intérieurs du village, il règle les différends de maison à maison, tes fêtes, la consommation en commun du superflu au moment de la rentrée des récoltes nouvelles.
Cependant il y a un chef de village, c'est généralement
iu PAYS DES xols. 3i3
jeune homme fort et actif. Dans certains villages, il est
me par le conseil ; dans d'autres, c'est un fils d'une
famille privilégiée. J'ai pu observer qu'au village de
., le chef avait une dizaine d'années, il était assisté d'un
jeune homme d'une trentaine d'années qui commanda les
s pour lui, mais lui remit le cadeau que nous desti-
s ordinairement aux chefs.
Le chef du village est chargé des rapports du village avec
iitérieur, il est chef de guerre et son commandement est
jrême en ce cas. En temps de pais, le conseil des anciens
t généralement consulté
Celte constitution, pour toute simple qu'elle soit, n'esl-
e pas des plus raisonnables? Elle repose cependant sur
e simple bon sens d'hommes ignorants.
Les Pères, après nous avoir fait visiter la mission dans
l plus complets détails, nous ravitaillèrent généreuse-
snt, car nos vivres étaient depuis longtemps épuisés, et
tous prêtèrent même leurs éléphants. Dès lors, nous sui-
mes la route bien connue de la Mission à An-Kê et d'An-Ké
Binh-Dinb, afin deprendre la route mandarine et descendre
a Pban-Rang, but de notre voyage. Nous abandonnâmes
s lors la géographie proprement dite pour nous livrer a
: éludes économiques et spécialement aux visites des
lelques plantations françaises qui débutent actuellement
ins ces régions.
ÏETEMHILOGIE HE LA PALESTINE ET DE LA SÏME
L.© E. F. ZUMOFFEN S. T.
La Palestine est devenue un vaste champ de recherches : toutes les parties en sont explorées, tons les monuments sacrés et profanes étudiés avec soin et minutieusement dé- crits, les localités bibliques identifiées, (andis que la météo- rologie de cette contrée semblait rester en retard jusqu'à ces dernières années. On était réduit à quelques observa- tions isolées ou incohérentes, ii des appréciations trop sou- vent basées sur des impressions personnelles des voyageurs. Mais, grâce à l'initiative du comité anglais Palestine ewpto- ration fuitd, nous possédonsaujourd'hui des séries d'obser- vations précises et non interrompues, qui permettent de nous faire une idée assez exacte des conditions climatéri- ques de la Terre Sainte.
Les observations ont été faites tous les jours ?ers9 heures du matin, à Jérusalem depuis 1861 jusqu'à 1896, à Jaffa (Sarona)de 1880à 1889', à TibÉriade de 1890àl896; elles onl été discutées chaque année par le savant météorolo- giste M. Glaisher et le résultat en a élé publié dans le (Juarterly Statement. Ce son! ces observations, éparses dans
i*Lé malheureusement inter-
1 MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE. 345
lublication anglaise et à peu près inconnues en dehors de
Grande-Bretagne, que j'ai réunies et dont j'ai déduit les éléments météorologiques qui vont suivre.
A Beyrouth, les observations ont été faîtes trois fois par jour et ont paru dans la Zeitschrift fiir Météorologie de Vienne.
Il est regrettable que nous ne possédions pas de rensei- gnements positifs sur la climatologie des autres parties de la Palestine et de la Syrie.
Après avoir exposé les données météorologiques telles qu'elles ressortent des observations directes, il nous restera à examiner une question assez souvent agitée, à savoir si les conditions climatériques de la Palestine et de la Syrie ont subi une modification depuis les temps bibliques.
I. — Pression atmosphérique.
Dans le tableau n- 1 (p. 346), toutes les hauteurs baro- métriques, sauf celle de Beyrouth, ont été ramenées à la température de 0°. Ce tableau donne la hauteur moyenne du baromètre pour chacun des mois de l'année; il montre fin outre que la pression atmosphérique varie avec les sai- sons et les différents mois de l'année; qu'elle atteint son maximum aux mois de décembre et janvier; qu'elle baisse ensuite insensiblement jusqu'à son minimum qui arrive au mois de juillet. A Paris, le minimum s'observe ordinaire- ment au printemps vers le mois d'avril.
Jérusalem (lat. N. 31*47' et 32°53' long. Est de Paris) est située à une altitude de 762 mètres. Dans l'espace de 36 ans, le maximum absolu de la pression atmosphérique observé à Jérusalem a été 706 millim. 5, le 31 décembre 1879, et le minimum absolu 685 millim.,* décembre 1896 el avril 1863. Le plus grand écarta été 21 millim. 5.
Le maximum moyen pendant ce môme laps de temps a soi:, de niant.. — 3" trimestre 1899. XX. — U
340 LA MÉTÉOROLOGIE HE LA PALESTINE ET HE LA STEIE.
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LA MÊTÉOHOLOGir: DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE. 347
É 704 millim. 5 et le minimum moyen 687 millim. 7. La ifférence est 16 millim. 8. L'amplitude des oscillations myennes mensuelles est 7 millim. 8; elle est plus grande e décembre à avril (10 millim. 7) et plus faible de mai à novembre (5 millim. 6).
Tibériade (lat.N. 32-48' el 33°14' long. Est de Paris) étant située à 208 mètres au-dessous de la Méditerranée, la hauteur barométrique est supérieure à la pression atmosphérique normale au niveau de la mer (760 millim.). Le maximum absolu a été 793 millim. 03, novembre 1893, et le minimum absolu 767 millim. 08, aoûL 1895. L'écart est "2D millim. 9; c'est la plus grande amplitude des oscillations barométri- ques à Tibériade. La variation moyenne mensuelle est de Il millim. La plus grande (16 millim.) a eu lieu au mois de janvier, el la pins faible au mois de juillet {6 millim. 5).
Jaffa(Sarona,lat.N. 32"-ieL32"271ong.EstdcParis)aeusoi> maximum absolu (769 millim.) au mois de janvier 1887 et son mitiimumabsolu(747millim.)aumoisdejuin.L'écartextreme a ét622 millim. L'oscillation moyenne mensuelle est 10 millim.
II. — Température.
Le tableau n° II (p. 34K) donne la température moyenne mensuelle; il montre que la température moyenne annuelle est 16°7 centigrades à Jérusalem, 22°4 à Tibériade, 19"3 à JalFa et20o4 à Beyrouth ; que la chaleur suit une marche ascendante de janvier à août et décroît au contraire d'août à janvier; que le mois le plus chaud est celui d'août et le mois le plus froid celui de janvier. Les saisons météorolo- giques établies d'après la marche moyenne de la tempéra- ture sont parfaitement applicables à la Palestine, avec cette différence, cependant, queles saisons intermédiaires, prin- temps el automne, sont plus courtes que l'été el l'hiver et moins tranchées qu'en Europe. La température reste sen-
348 LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA STRIE.
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LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE, 349
ment égale pendant les mois de décembre à mars, puis
rapidement durant le mois d'avril, ne subit guère de
indes variations du milieu de mai jusqu'au milieu d'oc-
e et tombe enfin très brusquement dès que les pluies
meucent.
e maximum absolu a été : à Jérusalem i~2°i {juin lS'.i-l), ibériade 44°4 (août 1896 et juin 1894), à Jalïa U'i (juin t6), à Beyrouth 38"8 (mai 1876). Le minimum observé à îalem a été — 3°5au-dessous de zéro (janvier 1890), à Ti- iriade 1"1 (Janvier 1890), à Jaffa 0° (janvier 1880 et fé- ier 1884), à Beyroulh 1°7 (janvier 1874). Le plus grand t a donc été à Jérusalem 45'7, à Tibériade 43"3, à Jaffa * et à Beyrouth 37"1.
i différence des moyennes de tous les maxiina et de tous a absolus nous donne l'oscillation annuelle du thermomètre.
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Maximum moyen. 38"5 12"7 39"4 36" 8
L'écart annuel de température est le même à Jérusalem et à Tibériade et supérieur à celui de Jaffa et de Beyrouth ; cela lient probablement au voisinage de la Méditerranée.
Le mois le plus chaud est celui d'août, et pourtant les raaxima s'enregistrent dans tous les mois depuis avril jus- qu'à novembre; les minima s'observent ordinairement aux mois de janvier et de décembre.
Oscillation mensuelle. — La variation moyenne men- suelle de la température est 22° à Jérusalem, 23" à Tibé- riade, 21° à Jaffa et 18" à Beyrouth. L'oscillation thermo- métrique est maxima pendant les quatre mois : mars, avril, mai et juin; elle atteint à Beyrouth 22' centigrades et varie dans les trois autres localités de 24° à 27*. La varia- _
35fl LA MÉTÉOROLOGtE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE.
Lion est moindre vers les mois de juillet et août, plus grani en octobre et novembre et minima pendant l'biver : dé- cembre, janvier et février. Durant ces derniers mois, elle est 17° à Jérusalem et a Beyrouth et 20° environ à Tibériade et â Jaffa.
Oscillation diurne. — La différence de la plus haute te péralure du jour et de la plus basse température de la nuit donne la variation diurne du thermomètre, qui est en moyennell"àJérusalemJ 12" à Tibériade, H°àJaffa et 9°3 à Beyrouth. L'oscillation diurne est plus prononcée en été qu'en hiver. A Jérusalem, elle varie de mai a novembre entre 10° et li°; pendant l'hiver, elle est à peine 8° degrés centigrades. A Tibériade, elle est 15° en été (juin, juillet et août); durant les autres mois de l'année, elle varie entre 10" et 13". A Jaffa, l'oscillation diurne maxima existe en mai, juin et novembre (12*5), et minima en décembre, janvier et février (9°5). A Beyrouth, la variation diurne est ÎO en août, septembre et octobre, et 8° pour les autres mois.
A Jérusalem, chaque_année il gèle en moyenne 5 ou 0 nuits, mais la glace résiste rarement à la chaleur du jour suivant, à moins d'être abritée.
La température moyenne annuelle pour la période de 8 ans 1882-1889 a été àJaffa 19"2 et à Jérusalem 16-7. L'os- cillation mensuelle pour la même période a été 21*3 à Jaffa et 22û2 aJérusalem. L'oscillation diurne aété la mémedans les deux localités.
La température moyenne annuelle pour la période de 7 ans 1890-1896 a été à Tibériade 22*5 et à Jérusalem lfi°7. L'oscillation mensuelle est 23" à Tibériade et 21"6 à Jéru- salem. L'oscillation diurne ne diffère que de 1 degré dans les deux villes (M" à Jérusalem et 12*2 a Tibériade),
m-
A MÉTÉOROLOGIE 1>E LA PALESTINE ET DE LA SYRIE. 351
III. — Pluies.
leau de la page 352 montre la moyenne mensuelle Je pluie reçue dans les quatre localités. La moyenne annuelle d'eau pluviale a été 654 millim. à Jérusalem, 536 millim. & Tiùériade, 549 millim. à Jaffa et 921 millim. à Beyrouth. Il pleut plus à Beyrouth que dans les trois villes palestiniennes. Celte différence doit être attribuée au voisinage du Liban dont la température est assez basse pour condenser les va- peurs d'eau amenées par les vents du sud-ouest et de l'ouest. On remarquera que les mois sans pluie sont juin, juillet, août et septembre pour la Palestine, et que les mois les plus humides sont parlout ceux de décembre, janvier et février. Les deux tiers environ de la quantité totale annuelle de pluie tombent pendant ces trois mois et l'autre tiers se répartit sur les mois de mars, avril et novembre.
Les années les plus humides ont été a Jérusalem celle de 1888 avec une chute d'eau de 959 millim,, dont 416niillim. sont tombés dans le seul mois de décembre, et celle de 1890, qui mesurait une hauteur d'eau pluviale de 901 millim . Les années les plus sèches ont été 1870, où l'on n'a recueilli que 330 millim., et 1889, où la quantité de pluie ne dé- passait pas 344 millim.
A Tibériade, l'année qui a reçu le plus d'eau est 1893, où il en est loin hé 650 millim.; celle au contraire qui en a «eu le moins est 1895. oui! est tombé seulement 364 millim. de pluie.
A Jaffa, l'année la plus pluvieuse a été 1883, qui mesurait une hauteur d'eau de 763 millim., et l'année la plus sèche 1889, qui n'a reçu que 342 millim. de pluie.
Beyrouth a eu son maximum de pluie de 1,307 millim. en 1877, et son minimum de 763 millim. en 1876.
A Jérusalem, dans l'espace de 36 ans (1861-1896), les pluies
352 LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET OE LA SYRIE.
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LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA STMË. 353
ont commencé 20 fois au mois d'octobre, 14 fois en no- vembre, 1 fois en septembre et 1 fois en août. Les dernières pluies sont tombées 12 fois au mois d'avril et 21 fois au mois de mai et 2 fois en juin.
Pour la dernière période de 1882-1896, il y a eu en moyenne 150 jours consécutifs sans pluie, la saison de sé- cheresse la plus longue a été de 196 jours en 1887 et la plus courte de 116jours en 1885. Pour la période anté- rieure de 1861-1882, la saison sèche durait en moyenne 117 jours, la plus longue 211 et la plus courte 134 jours. La longueur de la saison sèche semble avoir diminué dans ces derniers temps.
A Tibériade, les premières pluies sont arrivées 3 fois au mois d'octobre, 3 fois en novembre et 1 fois en décembre ; les dernières averses sont tombées 2 fois au mois d'avril et 5 fois en mai. La durée moyenne de la saison sèche est de 191 jours. La plus longue a été 218 jours en 1896, où il n'a pas plu depuis le 9 avril jusqu'au 14 novembre, et la plus courte 142joursen 1895.
L'année peut être divisée en deux parties approximative- ment égales : la saison d'humidité qui dure 6 mois, de no- vembre àavril, et la saison de sécheresse qui dure autant, de mai à octobre, car la quantité d'eau tombée à Jérusalem et à Tibériade pendant les mois de mai et d'octobre est si bible qu'on peut les considérer comme des mois sans pluie.
A Jaffa, les premières pluies ont paru 6 fois en octobre et 4rois eo novembre; les dernières averses sont tombées 7 fois au mois de mai et 3 fois au mois d'avril. La saison sèche a doré en moyenne 172 jours, la plus longue 215 et la plus courte 147 jours.
Lorsqu'on compare les moyennes annuelles d'eau plu- viale tombée à Jérusalem dans l'espace de 36 ans, on ne tarde pas à s'apercevoir que les pluies ont notablement augmenté dans ces dernières années. En effet, depuis 1861
:&i LA MÉTÉOnOLOaiB DE LA PALESTINE ET DE LA STBIE.
jusqu'à 1878, la moyenne annuelle n'avait jamais atteint la hauteur de 763 millim. et, depuis 1878 jusqu'à 1806, il y a eu au moins 13 ans dont les chutes annuelles dépas- saient ce chiffre; mais comparons la moyenne des chutes d'eau annuelles de deux périodes égales de 16 ans par exemple : la moyenne de la première période de 1861 à 1876 est 577 millim., et 737 millim. pour la seconde période de 1881 à 1896. La différence est 160 millim. ou lficentim.
Les années consécutives de 1869 à 187 3 constituaient une période de sécheresse de 5 ans; la quantité d'eau an- nuelle de chacune de ces années restait au-dessous de la nor- male qui est de 654 millim. ; mais depuis 1873 les pluies ont commencé et continuent à augmenter graduellement. C'est une chose extraordinaire. Pour le moment, il serait difficile de dire si l'année 1873 a été la dernière d'une période de sécheresse ou s'il y a un changement dans le climat. Les observations ultérieures décideront.
Il existe une très grande différence entre les quantités d'eau tombée dans le même mois de différentes années : ainsi la chute d'eau du mois de janvier de 1873 a été 3 millim. et celle du même mois de 1878, 340 millim. La quantité d'eau tombée pendant le seul mois de décem- bre de 1888 a été 416 millim. ; elle est supérieure aux chutes d'eau annuelles de 1864, 1870 et 1889.
Les pluies peuvent tomber par tous les vents; cepen- dant les vents pluvieux sont ceux du sud-ouest et de l'ouest. Sur 506 chutes d'eau à Jérusalem, 238 ont eu lieu par le vent du sud-ouest, 156 par le vent d'ouest, 40 par le vent du sud-est, 19 par le vent du sud, etc.
Il neige parfois à Jérusalem dans les mois de décembre, janvier ou février; mais la couche de neige est ordinaire- ment peu épaisse et fond promptemenl. La plus grande quantité de neige est tombée du 28 au 29 décembre 1879 ; la hauteur mesurait plus de 40 centimètres.
Jérusalem a reçu en moyenne annuelle 694 millim. d'e
- Jours de pluie.
LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET IIE LA SYRIE. 355
pluviale en 57 jours pour la période de 10 ans, de 1880-
1889, et Jaffa 545 millim. en 59 jours pour le même laps de temps.
La quantité moyenne d'eau tombée à Tibérïade pendant la période de 7 ans 1890-1890 a été 530 millim. en 59 jours, et à Jérusalem, pour la môme période, la chute d'eau moyenne a été 811 millim. en 65 jours. Il pleut plus à Jérusalem qu'à Jaffa et à Tibériade, mais les pluies sont plus régulières dans ces deux dernières localités.
pluie pour chaque mois de l'année. Le nombre moyen an- nuel de jours de pluie est à Jérusalem 55 jours, à Beyrouth 80 et à Tibériade et à Jaffa 50 jours. Le nombre le plus élevé de jours de pluie a été, à Jérusalem, 73 jours en 1890; et le nombre le plus faible 36 jours en 1861 et 41 jours en 1870 et 1889. A Tibériade, le maximum a été 70 jours en
1890, el le minimum 48 jours en 1895. A Jaffa, le plus grand nombre de jours pluvieux a été 71 jours en 1883, et le plus petit 43 jours en 1887. On remarquera aisément que le nombre de jours de pluie ne diffère pas notablement dans les trois localités palestiniennes.
A Jérusalem, le nombre de jours pluvieux a augmenté dans ces derniers temps comme la pluie elle-même. En prenant la moyenne des jours de pluie de deux périodes égales à 16 ans, nous trouvons pour la première période, 1861-1876,52 jours el pour la seconde, 1881-1896, 60 jours. La différence donne une augmentation de 8 jours.
Nous avons vu plus haut que la hauteur moyenne annuelle d'eau pluviale était à Jérusalem 651 millimètres, a Tibé- riade 536 millimètres et à Jaifa 54'J millimètres. C'est à peu
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•es. An pan: Sainl-Maur, station météorologique du i de Paris, la moyenne annuelle de pluie recueillie 5 10 ans est de 540 millimètres; eile diffère très peu Jle de Tibériade et de Jaffa; la France reçoit approxî- ivement 080 millimètres d'eau pluviale par an. La Leur moyenne de pluie recueillie à l'observatoire de mwich pour la période de 50 ans (1841-1890) est de aillimètres; le bassin de la Tamise reçoit, année nne, 050 millimètres d'eau, quantité peu différente «lie qui tombe à Jérusalem. Il tombe autant d'eau en Palestine qu'à Paris et à Lon- s quelle différence dans la répartition des eaux viales ! Toute la quantité annuelle de pluie tombe en sstine en 55 ou 00 jours, tandis qu'à Paris et à Londres 5 même quantité est répartie sur 150 jours environ. En lestine, la valeur d'un jour de pluie est en moyenne
9 à 11 millimètres, elle n'est que 4 millimètres à Paris et à Londres. Les pluies en Palestine sont plus fortes, plus violentes qu'en France; une seule averse donne fréquem- ment 1,2, jusqu'à 3 centimètres d'eau et dans l'espace d'un jour le pluviomètre reçoit assez souvent 4, 5, 8, jusqu'à
10 centimètres de pluie, mais ces ondées durent peu de temps. Les jours où il pleut du matin jusqu'au soir, sans discontinuer, sont assez rares. Les pluies unes, continues, pénétrant lentement dans le sol et si utiles à la culture, sont presque inconnues dans ces régions. Ce sont des averses torrentielles qui tombent sur un sol pierreux et dénudé; l'eau pluviale ruisselle sur les pentes, se réunit dans les dépressions et court à la Méditerranée ou à la mer Morte. Le soleil qui paraît après une averse est assez chaud pour évaporer le reste de l'humidité, de sorte que la portion d'eau atmosphérique vraiment profitable à la végétation est bien plus faible en Palestine qu'en France.
En outre, il pleut en France tous les mois de l'année, la quantité de pluie en été est plus grande que celle qui
358 lai MÉTÉOROLOGIE UE LA PALESTINE ET DE LA SÏH1E.
tombe en hiver, elle est presque totalement bue par la végétation. En Palestine, il ne tombe pas d'eau durant 5 ou 6 mois consécutifs, et les deux tiers de la quantité totale annuelle tombent de décembre à février, à une époque où la végétation, sans être complètement interrompue, est du moins considérablement ralentie à cause de la basse température dont la moyenne n'est que 8° centigrades, sauf sur le littoral et dans la dépression du Char.
Humidité de l'air.
Le tableau n° V (p. 359) présente l'humidité de l'air pour chaque mois de l'année. Le point de saturation est repré- senté par le chiffre 100. L'humidité relative annuelle a été, à Jérusalem 59 p. 100, à Tibériade 56, à Jaffa 65 et à Beyrouth 68 p. 100. Les mois les plus humides sont par- tout, en Palestine, ceux de décembre, janvier et février; et les mois les plus secs, mai, juin, juillet, août, septembre et octobre. A Tibériade et à Jaffa, l'humidité a été un peu plus grande.
Les oscillations hygrométriques sont souvent considéra- bles à Jérusalem et montrent le plus grand contraste entre la séeheresse et l'humidité de l'air. Pendant l'hiver, l'air est souvent saturé de vapeur d'eau et la rosée est alors très abondante; mais lorsque le vent du sud-est ou de l'est souffle, l'hygromètre descend parfois jusqu'à 20 p. 100. La moyenne annuelle des oscillations est 37 p. 100.
Pendant le beau temps de l'hiver, la rosée tombe en Palestine par les mêmes causes et dans les mêmes circon- stances qu'en France. Lorsque le sol rayonne et que l'air est près d'être saturé, les vapeurs d'eau se précipitent.
En été, toute la région étant desséchée et sans eau qui puisse s'évaporer, la rosée ne peut y avoir lieu que lorsque
LÀ MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE. 359
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360 LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET Dr. LA SYRIE.
le vent a soufflé assez longtemps de la mer. Au printemps et à l'automne, la rosée est un peu plus abondante.
A Tibériade, on fait chaque jour deui observations, l'une le malin vers 8 heures, et l'autre le soir à 4 heures. Les chiffres dans le tableau ci-dessus donnent l'humidité relative du malin seulement, comme à Jérusalem et à Jall'a. Les observations du soir présentent quelques interruptions ; je n'ai pu les utiliser pour calculer la moyenne du soir, cependant elles suffisent pour constater que l'air est beau- coup plus sec dans l'après-midi que dans la matinée. La série des observations du soir des années 1891, 1893, 1894, 1895 est complète et donne une moyenne de 51 p. 100. La moyenne de l'humidité relative du matin de ces mêmes années est 67 p. 100; il y a une différence de 16 p. 100 entre l'humidité du matin et celle du soir. La moyenne annuelle des oscillations est 24 p. 100.
L'humidité relative est asse^ uniforme à Jaffa et à Bey- routh; pourtant on observe parfois des écarts considéra- bles. Lorsque le vent chaud du désert, le ckelouk des Syriens, se levé, l'hygromètre descend jusqu'à 25 p. 100 et monte jusqu'à 90 et même à 100 par les vents d'ouest et du sud-ouest.
VI. — Évaporation.
Nous ne possédons pas malheureusement d'observations directes sur l'évaporation de l'eau dans ces contrées; elle est plus grande en été qu'en hiver. La quantité d'eau éva- porée est souvent le double ou le triple de celle qui toml de l'atmosphère.
La couche d'eau évaporée à Beyrouth en plein air et sous abri est en moyenne de2à 3 millimètres en hiver dans l'es- pace de 24 heures, et de 3 à 5 millimètres en été. L'évapo-
pâ- lie
A METEOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE. 361
ration est plus active par le vent sud-est, qui est chaud et sec ; elle atteint 8 à 9 millimètres.
D'après un calcul approximatif du professeur Zech, de Stuttgard ', la couche d'eau évaporée à la mer Morte serait 14 millimètres en 24 heures. La quantité d'eau évaporée dans une année serait 5 ni. 11. Il n'y a rien de surpre- nant à cela quand on songe que fa chaleur est très grande dans la dépression du Ghar et l'air très sec.
VIL
- Vents.
Le vent du nord (V. le tahleau n" VI, p. 362) est froid et sec; il souffle habituellement à Jérusalem {26 fois) du mois e juin au mois d'oclobre, à Beyrouth (39 fois) au printemps et en automne et il est assez rare à Jaffa (10 fois). Lorsqu'il ; lève, il dissipe les nuages et rassérène le ciel. En hiver, il est d'un froid vif et pénétrant ; les habitants de la côte le redoutent, car il cause fréquemment des pneumonies, des bronchites et irrite légèrement le système nerveux.
Le vent du nord-est a les mêmes caractères que le ventdu nord. Il se fait sentir à Jérusalem (41 fois) du mois d'oc- tobre au mois de février, à Beyrouth (37 fois) durant les mois de mars, avril, mai, octobre et novembre; il est nul î été. A Jan"a,il souffle aux mômes époques (14 fois), mais plus rarement qu'à Beyrouth.
Le vent d'est est assez fréquent à Jérusalem (29 fois) en iuloinne, en hiver et au printemps; à Beyrouth (tl fois) Bsi qu'à Jaifa (11 fois), il est nul en été et peu fréquent pendant le reste de l'année.
En hiver, le vent d'est est accompagné d'un ciel bien, il sst sec et excitant , très agréable quand il n'est pas trop ; mais, pendant l'été, il est pénible, rend la chaleur à
1. Fraas, .lus dem Orient, I, p. 75.
362 LA MKTÉOHOLOGIË LE LA PALESTINE ET DE LA SÏHIE.
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LA HÉTÊOHOLOGIE ilE LA PALESTINE ET DE LA BÏB1K. 86tf
Jérusalem insupportable à cause de sa liaule température, de sa grande sécheresse, et à cause aussi de la grande quantité de poussières ténues qu'il transporte du désert de Syrie d'où il provient. I! nuit parfois à la végétation en brûlant les feuilles et les fleurs.
Le vent du sud-est est une sorte de sirocco, il prend nais- sance dans le désert de l'Arabie. Lorsqu'il souffle, le ciel est sans nuages, sauf quelques cirrus et stratus, la tempé- rature s'élève à 30° on 35" centigrades et plus, l'air est extrêmement sec, l'hygromètre tombe jusqu'à 20 p. 100, la différence du thermomètre sec et du thermomètre mouillé du psychromètre varie entre 10" et 18°. L'eau s'évapore rapidement, les meubles craquent, les couvertures des livres se tordent, et le blé et les vignes sont parfois brûlés. Il produit sur l'homme et les animaux un malaise géné- ral, il dessèche les muqueuses des conduits respiratoires et rend incapable de tout travail. Il souffle à Jérusalem (25 fois) au printemps (mars, avril, mai) et en automne (octobre-novembre); à Jaffa (25 fois) en janvier, février, mars, novembre et décembre; à Beyrouth (42 fois) pendant les mêmes mois qu'à Jafia. Il dure ordinairement;! à 4 jours, mais quelquefois il persiste pendant 7, 10 ou 20 jouis.
Le vent du sud se fait rarement sentir en été ; il est plus fréquent pendant la saison pluvieuse. A Jérusalem, il a été observé 9 fois dans l'année, à Beyrouth 21 fois et à Jafia 41 fois. Dans cette dernière ville, il souffle souvent depuis le mois de novembre jusqu'au mois d'avril. C'est un vent chaud, et le ciel se couvre de nuages et dépoussières quand il se lève; il amène parfois la pluie, surtout à Jall'a.
Le vent qui souffle le plus souvent à Beyrouth (113 fois) et à Jaffa (88 fois) est celui du sud-ouest; il domine dans ces deux villes depuis le mois de mars jusqu'au mois d'octobre, tandis qu'à Jérusalem ce courant aérien règne (53 fois) pendant la période pluvieuse, depuis le mois de novembre Jusqu'au mois d'avril.
361
\ SIÉTKOKOl.OtilK UK l-A i'AI.LSTINE ET DE LA SïlilE.
Le vent du sud-ouest ne peul paraître que le vent de retour ou contre-alizé ; îl est chaud et humide. En balayanL une assez grande portion de la Méditerranée, il se charge de vapeurs d'eau qui, rencontrant les collines refroidi la Palesline ou la chaîne du Liban, se condensent précipitent sous forme de pluie on de neige. Avec le vent d'ouest, c'est le vent qui amène la pluie dans ces régioiisJI
Le vent d'ouest a été observé à Beyrouth 49 fois et A Jaffa 53 fois; il domine ordinairement depuis le mois de mars jusqu'au mois de septembre. A Jérusalem, il est un peu plus fréquent dans les mois de juillet et d'août que pendant le reste de l'année.
Ce vent venant de la Méditerranée est humide. Il se lève vers 9 heures sur la côte et modère la haute température, Passant sur la plaine du littoral, il se décharge d'une partie , de ses vapeurs d'eau et arrive vers le soir à Jérusalem. S'il I ne souffle pas, ou faiblement, il n'y a pas de rosée et les] nuits manquent de fraîcheur. En hiver, il est pluvieux.
Le vent du nord-ouest est le vent dominant a Jérusalem I (113 fois); il souffle pendant toute l'année, mais d'une ' manière presque constante; depuis le mois de maijusqu'a mois d'octobre, il est frais et relativement humide. Il tem-l père les ardeurs du soleil. A Beyrouth il n'a été observé) que 27 fois el à Jafl'a 20 fois dans l'année.
(A suivre.)
Gérant responsable, Helot,
Secrétaire général de la Commission centrale.
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DE CONAKRY AU NIGER
Le capitaine E. SALESSES1
s celle occasion de remercier publiquement la Société de Géographie qui a bien voulu m 'accorder le pris: Duveyrier pour ma première mission. J'étais dans la brousse quand j'en ai reçu la nouvelle, malade, isolé, découragé par la longueur de ma tache et par la mort ou la maladie de la plupart de mes compagnons; ce souvenir de France me rendit alors l'ardeur et la confiance. Je n'ignore pas que mon meilleur titre à cette distinction a été l'uuiforme que je suis fier de porter, mais cette pensée m'a rendu la récompense plus précieuse; permettez-moi donc de reporter sur*rar.inêc, comme à sa cause première, l'honneur qui m'a été fait.
Il m'échoit l'honneur de porter la parole au nom de mes deux missions; elles sont actuellement dispersées; quel- ques-uns de ses membres se sont vaillamment remis a. l'œuvre pour la perfectionner; d'autres sont morts glorieu- sement, tels que le maréchal des logis de Bernis et, le ser- gent du génie Grenot; un soûl, M. le capitaine Mitlot, a pu m'accompagner ici; permettez-moi de vous signaler leur mérite et leur dévouement auxquels j'ai dû tout le succès ; permettez-moi aussi de saluer respectueusement ceux qui sont morts pour leur pays.
J'aurai sans doute besoin de toute votre indulgence; ce sont mes débuts de conférencier ; vous trouverez cependant, dans ce que je vais dire, l'expression d'une convic- tion ardente et sincère; j'ai l'heureuse fortune de pouvoir
limitation faite à la Société de Géographie fana sa séance
3tW DU COKAKHV AD WIGEH.
exposer devant cet auditoire d'élite des idées qui me sont chères et que j'ai bien longtemps méditées.
Je me suis fait le missionnaire et le champion d'un che- min de fer de pénétration qui, partant de ia mer, abouti- rait au Niger navigable par la plus courte distance entre le fleuve et la côte. Le point de départ est le port de Cona- ki y : le point d'arrivée est Kardamanîa près de Kouroussa. Mon but est de vous exposer à la fois la justification et les détails de ce projet ; je diviserai ma conférence de la façon suivante :
1" Récit de ma première mission; 2" ma deuxième mis- sion ; 'S" description de la Guinée ; mœurs et coutumes des habitants; ï~ indications relatives au projet de chemin de fer; 5" colonies étrangères.
Récit de la première mission.
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Conakry est une ville récente, qui n'existait pas en juil let 1890, quand M. Ballay, premier et unique gouverneur de la Guinée française, y débarqua ; le palais du gouverne- ment, triste palais, était alors inachevé et n'avait reçu ni portes ni croisées; on voyait au nord de l'île la factorerie delà Compagnie française de l'Afrique occidentale et a» sud la factorerie allemande Colin et Jacob ; ces trois maisons étaient reliées par des sentiers étroits pratiqués dans une végétation exubérante où se cachaient les panthères et les serpents. En novembre i8!»5, lors de mon arrivée, la ville possédait déjà cinq à six rues et le commerce total de la colonie s'élevait à dix millions; en juillet 1898, à la lin de ma dernière mission, la ville couvrait l'Ile entière de ses constructions, et le commerce était passé à vingt millions. Ce simple détail vous expliquera clairement pourquoi, en 1895-96, j'ai été chargé seulement de l'étude d'une simple route, dont 120 kilomètres sont du reste déjà exécuté», et
Lfc CONAKRV Al: NIGKH. 889
pourquoi, en 1897-98, je suis reparti de nouveau pour entreprendre une étude de chemin de fer. L'importance «croissante du commerce est la principale cause de l'ex- tension du programme primitif.
La première mission arriva le 7 novembre 1895 à Cona- *try, après une traversée de douze jours; elle comprenait un seul officier et deux sous-officiers, parmi lesquels le xmaréchal des logis de Bernis, tombé depuis à Uo au cours de l'expédition Bretonnet.
L'intérieur du pays était alors presque indépendant, comme on va le voir, et très peu connu; on me chargea d'étudier le tracé d'une route entre la capitale de la Guinée et Farana, poste et marché important sur le Niger. La besogne était trop lourde pour que le petit effectif de la mission pût l'accomplir entièrement dans une année résolus donc de consacrer la campagne au levé exact la première moitié du tracé de Gonakry à Bamhaïa, et de reconnaître simplement le reste entre Bambaîa et Farana. Dès qu'on quitte Conakry, on arrive au pied d'une haute montagne qui s'élève à pic de près de 1,000 mètres au- dessus de la plaine environnante; cette montagne, nommée Kakoulima, est très redoutée des noirs qui la dépeignent comme un séjour de mauvais génies et qui n'osent s'y aven- turer; comme elle constitue un magnifique belvédère, je résolus d'en faire l'ascension aûn de jeter sur le pays un Coup d'oeil d'ensemble et de mieux jalonner ma route. Au cours de l'ascension, nous fûmes tellement gênés par les broussailles et les lianes que nous ne pûmes avancer que très lentement et qu'il fallut bivouaquer en pleine forêt; la foret qui couvre le Kakoulima est très épaisse et remplie de singes, de chimpanzés principalement, qui font au lever et au coucher du soleil un concert assourdissant; les noirs disent qu'ils font « salam * ; d'autre part, de gros mous- tiques attirés par le feu se jetèrent sur nous; nous ne pûmes fermer l'œil de la nuit et l'ascension fut reprise dès
368 DE CONÀKRÏ AU MIGER.
que le jour le permit; malheureusement, dans la marche au milieu delà forêt nous perdîmes la bonne direction, et nous arrivâmes au pied d'une muraille infranchissable qu'il fal- lut longer jusqu'à ia rencontre d'une passe étroite; celte passe était à demi fermée par un arbre résineux dont une haute branche horizontale portait enroulé un naja noir, ser- pent très venimeux. J'eus la pensée d'essayer d'atteindre le naja avec un mauvais revolver d'exportation appartenant à mon guide; le but était assez difficile à atteindre ; deux des balles ne portèrent pas et les autres cartouches donnèrent des raies. Je passai néanmoins sans me préoccuper autre- ment de l'incident; quelle ne fut pas ma surprise de con- stater que mes noirs ne me suivaient pas! Je revins en arrière; j'employai tour à tour les menaces et les pro- messes ; tout fut inutile ; les noirs étaient persuadés qu'ils allaient commettre un sacrilège; le naja était pour eux l'incarnation du démon familier de la montagne et leur jetterait un sort ; l'incident du revolver, joint à nos autres mésaventures, avait porté leur superstition aucomhle; bref, je dus redescendre, mes porteurs m'étant nécessaires pour mes vivres, d'autant plus que le brouillard s'était levé et que mon espoir d'examiner le pays ne pouvait plus se réa- liser. Un essaim d'abeilles, dérangé par notre passage, se chargea de transformer la retraite en déroute.
Durant ma deuxième mission, j'ai exécuté avec M. Naudé, adjoint du génie, et le sergent Dubus, cette ascension dans des conditions excellentes, et nous avons établi un signal topographique à son sommet, après avoir franchi les der- niers vingt mètres au moyen de la corde.
Après cet épisode, la mission poursuivit sa marche; elle découvrit une magnifique cascade sur la rivière Kitim, près de Tangbaïa; la rivière court dans un chenal profond avec vitesse énorme, se brise contre les rocs et finalement se jette dans un gouffre de 40 mètres de hauteur surmonté d'un rocher à pic de pareille dimension; le spectacle est
BE CONAKRY AU NIGER. 3W
'une beauté incomparable, surtout à la fin de l'hivernage.
Arrivée à Senienla, la mission s'informa des chefs du -village pour en obtenir l'hospitalité; pendant que cette recherche s'opérait, le maréchal des logis tomba sur un sentier conduisant à un carrefour d'où les indigènes cher- chèrent à l'écarter, en lui disant qu'il y trouverait des dia- fcles; il n'y trouva pas de diables, mais bien les chefs et les notables fort occupés à s'enivrer avec du « bili », liqueur «du pays ayant une saveur opiacée.
Nous survînmes à Koliagbé en pleines réjouissances, à l'occasion du « boundoum » ou baptême musulman; le soir, le corps de ballet de l'endroit se présenta devant nous, «t exécuta sous la surveillance d'une vénérable matrone, aux sons d'un xylophone appelé balafon, un tam-tam des mieux a'éussis. Cet honneur nous coûta un très grand nombre de piécettes de cinquante centimes, car il est d'usage en pays «noir de se montrer généreux dans ces sortes de cérémo- nies. La rivière Oua-Oua nous offrit encore une suite mer-
ùlleusede 13 cascades consécutives, dont quelques-unes
it percé le rocher en créant des. ponts fantastiques.
Nous atteignîmes enfin les frontières du Foutah Djallon, pays alors indépendant en fait, bien qu'il eût déjà signé avec nous des traités de protectorat. Les Peuls sont une ace fiëre très différente des noirs ordinaires; on les lit descendants des Fellahs égyptiens; ils élèvent des ifs et montrent beaucoup d'aptitude au tissage et aux
ivaux de maroquinerie. L'instruction musulmane est chez assez répandue.
Dans une reconnaissance préliminaire que je fis à Noun-
ilo, je fus repoussé sans motif du village du chef, et obligé m'abriter dans une mauvaise case du voisinage, je
'avais pas d'armes et six noirs seulement m'accompa- Ient; le chef, qui avait sur la conscience quelques 'ails antérieurs, refusa de me recevoir et môme de
'entretenir avec moi. Ni vivres ni guides ne me furent
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370 DE OOIMKRY M) «Gît.
donnés pour continuer ma roule, et je fus contraint de rebrousser chemin vers le gros de ma mission, après a perdu ma mule qui s'était échappée la nuit.
Il va sans dire que je ne pouvais me laisser a je n'avais pas le temps, à une pareille dislance de Conaki d'en référer au gouverneur ; je me procurai au poste voisin une dizaine de tirailleurs, et je revins à Nounkolo, espérant encore négocier. Je fus accueilli à coups de fusil, et mou guide fut blessé; les tirailleurs ripostèrent, mais je fis aus- sitôt cesser le feu en voyant que les Foulahs s'enfuyaient. Nous entrâmes dans le village abandonné où je retrouvai ma mule, que les Poulabs m'avaient volée à mon insu; cette mule, profitant de l'iusouciance du noir qui la gardait, avait pu se détacher, et avait repris le chemin qu'elle avait déjà parcouru, afin de rejoindre ses compagnons d'écurie restés avec le gros de la colonne; les Foulahs l'avaient confisquée au passage, désireux de se procurer économi- quement une bête dont la force, la taille et la douceur les émerveillaient. Le Foutah ne possède, en effet, d'autres bêtes de somme que les bœufs, et l'on y voit seulement quelques chevaux de petite taille importés pour l'usage des chefs.
Ce ne fut pas là ma seule querelle avec les Foulahs : deux jours plus tard, les habitants de Bamè me refusèrent toute nourriture, même contre paiement; comme j'avais jugé nécessaire de confisquer un bœuf afin de les ramener à de meilleurs sentiments, ils m'attaquèrent le soir pour reprendre leur bien et s'emparer de mes caisses. Le maré- chal des logis de Bernis était alors malade de la fièvre, le deuxième sous-officier était absent; je n'avais gardé qu'un seul tirailleur afin de ménager les vivres. Dans cette situa- tion critique, mes porteurs, que j'avais à peu près militari- sés, me servirent beaucoup ; je restai maître de la situation, et des perquisitions minutieuses dans les cases abandon- nées me procurèrent assez de riz pourjnourrir mes hommes.
DE COKAK&T AI' MIGER. 371
I me restait à m'enfoncer dans les pays que Samory avait dévastés et ruinés ; cette région est semée à chaque pas de restes d'anciens village»; mais l'éléphant y a maintenant remplacé l'homme. Pendant trois jours, nous ne vîmes aucune trace humaine et le sentier avait lui-même disparu ; *1 fallait marcher à la boussole, et s'approvisionner à l'a- vance pour ne pas mourir de faim.
Je ferai remarquer à ce propos que ce ne sont pas les livres de l'Européen qui l'embarrassent, mais bien la néces- sité de nourrir les porteurs; on ne peutse charger de tout 1 e riz nécessaire, car alors les porteurs ne suffiraient même pas à porter leur propre nourriture; d'autre part, il ne faut pas affamer les pays où l'on passe, si on ne veut pas créer le vide autour de soi. C'est ainsi que j'arrivai à Parana, poste autrefois important sur la rive droite du Niger.
La mission n'y resta pas longtemps et revînt sur ses pas >ar un meilleur chemin qui traversait le Foutah Djallon; e passai à Kouria, village détruit en 1891 par les Sofas, au moment de l'expédition de Brosselard-Faidherbe. Ainsi que me l'expliqua un indigène, témoin oculaire du massacre, s Sofas avaient choisi comme centre d'hivernage et maga- i général le poste d'Hérémakono, où les noirs anglais de Sierra Leone venaient échanger de la poudre, des fusils et s tissus contre des esclaves. De là ils guettaient quelque s village entouré de fermes, sur lequel ils fondaient au :bul de la belle saison; ils y vivaient au jour le jour, «liant de temps à autre les provisions et dévorant les s des habitants, puis ils se retiraient au commence- ment de l'hivernage en mettant le feu à leur refuge. Ce fut insi que les Sofas prirent Kouria; Kémoko Bilali vint du iud, Sisséké du nord, un troisième chef entra par l'ouest; l'assaut fut donné de grand matin, alors que les habitants ne s'y attendaient pas; les hommes furent égorgés ou se sauvèrent chez les Houbbous; les femmes et les enfants furent réduits en esclavage.
DE CONAKIIY Ad NIGER.
Les ravages de ces Sofas furenl durement réprimés, car !e colonel Combes dirigea, en 1893, une expédition en Guinée; il poursuivit partout les Sofas, de Farana jusqu'au Kissi et jusqu'à la Grande Scarcie, point extrême qu'ils avaient atteint; Ouossou était un poste sofa. Tous les Sofas pris les armes à la main étaient envoyés à Farana, jugés par une cour martiale et, en cas de condamnation, exécutés; les exécutions furent assez nombreuses pour que l'on puisse retrouver encore un fouillis d'ossements et de crânes dans un champ de riz auprès du Niger. L'on raconte que l'exécuteur, un noir exerçant aujourd'hui le métier de bou- langer, ne pouvant couper une têle avec un sabre au tran- chant émoussé, appuyait par petits coups donnés en des- sous le col de la victime sur le tranchant pour le faire mordre, et lui disait en même temps dans un jargon que je traduis à peu près : « Pourquoi faire tant de façons? » Après la traversée de cette triste contrée, la mission péné- tra enfin de nouveau dans le Foutah Djallon, mais non sans difficultés. En effet, le Foutah était entouré de peuples vassaux qui les redoutaient et nous refusaient des guides, en nous renvoyant de l'un à l'autre; nous tournions donc autour du pays sans jamais y pénétrer. Je réussis enfin à gagner un chef malinké qui, au prix d'un gros collier d'ambre, objet de parure très recherché, consentit à ine fournir un guide et des porteurs.
Le Foutah est entouré d'une sorte de rempart monta- gneux constitué par des soulèvements granitiques est-ouest s'élevant à pic du milieu de la plaine; l'ascension fut donc très dure, mais enfin le succès couronna nos efforts. Ce fut alors que j'eus une troisième querelle, beaucoup plus grave que les premières, avec les Foulahs. La mission marchait en deux groupes, le maréchal des logis de Remis en tête avec le convoi, moi-même avec les noirs qui m'aidaient dans mon levé, le premier groupe à une allure naturellement plus rapide que le deuxième. En approchant du village de
DE CONAKRÏ AU NIGER. 373
Laïcomboia, je fus accueilli par un spectacle inattendu : mon guide avait été poignardé ; mes porteurs en fuite avaient laissé leurs charges au milieu du chemin; le maré- chal des logis était assis prisonnier au milieu d'une cen- taines d'hommes qui m'attendaient. Je n'avais avec moi que deux aides, mon interprète et un tirailleur; la diplo- matie seule pouvait nous sauver. J'arrêtai le tirailleur déjà prêt à faire feu, et je m'avançai seul et ostensiblement dé- sarmé vers le groupe hostile qui m'accueillit par des cla-
Je n'ignorais pas que les Foulahs étaient en proie à des discordes intestines, et qu'ils avaient essayé déjà de né- gocier avec les Français; de plus ils craignent nos régi- ments soudanais; je fis donc expliquer au chef peul que j'étais venu en voyageur, en ami, et que te gouverneur de Conakry m'avait invité à venir leur porter l'assurance de son amitié; que nos soldats n'étaient pas venus avec moi, pour n'effrayer personne dans cette démarche; mais ils savaient que je devais revenir tel jour à la frontière; ils m'y attendaient, et si je ne paraissais pas, l'on pouvait compter sur des coups de fusii. Celte raison fût goûtée; un ou deux colliers d'ambre achevèrent de bien disposer les Peuls;ils nous donnèrent des cases, des vivres et des guides.
C'est dans cette conversation que je pus le mieux appré- cier les qualités de finesse native des Foulahs ; la discussion entre le chef et moi fut extrêmement polie et courtoise, sans mouvements d'impatience, sans injures ; et j'étais vrai- ment embarrassé parfois pour soutenir la discussion ou réfuter des arguments, tout autant que j'eusse pu l'être avec un Européen. Ce chef, nommé Alfa Aliou, tint, en nous séparant, à me demander ma carte; sur quoi quatre autres se crurent obligés aussitôt d'en faire autant. Alfa Aliou a été tué dans les troubles qui ont suivi la conquête du Fou- tah, mais on trouverait certainement nombre de Peuls aussi intelligents que lui.
'■'■'. i OS CONAKRV AU MBËII.
Notre retour en Guinée et à Conakry s'elfectua sans dif- ficulté, et nous pûmes utiliser la belle route que M. Oswald, garde principal d'artillerie, construisait d'après notre tracé; nos montures succombèrent toutes, mais heureusement quand finissait notre tâche. La maladie vint ensuite nous éprouver. J'eus un accès de dysenterie qui nécessita trois mois de traitement au lait à Saint-Louis et en France pour guérir; me trouvant dans l'impossibilité de repartir aussi- tôt, je rendis au maréchal des logis de Bernis sa liberté; il s'embarqua de nouveau avec la mission Bretonnet pour le Dahomey, où il était destiné à périr.
Pendant la même année 1895-1896 une autre mission, comprenant les capitaines Pas saga, Cayrade et Millot, exécuta en Guinée la délimitation des frontières anglo- françaises, et détermina la position astronomique exacte des sources du Niger.
En 1896-1897, le temps fut largement mis a profit par la colonie : elle fit continuer la route sous la direction de M. Leprince, garde d'artillerie de marine, poser un réseau télégraphique se reliant par Farana et Kouroussa à celui du Soudan, entamer un autre réseau côtier se reliant avec Dakar par la Casamance. M. Leprince fit exécuter une large piste pour les caravanes, le long du fil télégraphique ; les capitaines Muiler et Desdouils conquirent le Foulah ; on organisa l'intérieur du pays, on créa des magasins; des recensements furent commencés; le gouverneur établit l'impôt de capilation et brisa les résistances dont les épi- sodes de ma mission avaient prouvé la réalité. Enfin, sous l'impulsion de M. le gouverneur Ballay, secondé par M. Couslurier, Conakry tripla d'étendue et d'importance, et le commerce doubla. En 1897 , la roule arrivait à Mambia après avoir franchi, sous l'impulsion énergique de M. Leprince, les deux premières terrasses que l'on ren- contre à partir de la côt« vers l'intérieur, Cette route a 5 mètres de large, elle bsI carrossable, mais dotée seule-
DE COKAKRÏ AU NIGER. 375
t de ponts en bois que les termites rongent en un ou n'est pas encore bien empierrée ; la nécessité d'aller vile et diverses circonstances matérielles ont fait accepter quelques rampes raides faciles à adoucir, et quel- ques courbes qu'on pourra supprimer; le tracé est défec- tueux, entre les 12' et 30" kilomètres, cette partie ayant élé exécutée par des noirs sans aucune reconnaissance préa- lable; la longueur totale de la route est actuellement de 100 kilomètres, et l'on ne dépassera pas sans doute Fri- guiagbé qui sera atleint cette année ; on est en train de la munir de ponls en fer.
II- — Deuxième mission; description no pays;
MfKIJItS ET COUTUMES DES HABITANTS
A la suite de l'accroissement de la prospérité de Conakry, is vues changèrent, et je fus cbargé d'aborder, aux frais e la colonie, l'étude d'un chemin de fer; d'ailleurs la lonie de Sierra Leone, notre concurrente, avait com- :ncé une entreprise analogue, et les renseignements ma première mission m'avaient permis r que la chose était possible II restait à le prouver i exécutant l'avant-projet. La mission comprenait 3 offi. i et 5 sous-ofliciers, le capitaine Millot ici présent, djoint du génie Naudé actuellement en Guinée, les sér- iais du génie Turpin, Greuot, Dubus et Godfrin, et le réchal des logis Lachaud. Le débarquement eut lieu à ikry le 14 octobre. Pendant que les préparatifs de jart dans la brousse s'effectuaient, je pus me rendre iognito à Sierra Leone et y lever grossièrement le chemin le fer existant; je pus même revenir en locomotive; il n'y lainement aucune raison de croire que les Anglais «iraient molesté s'ils avaient connu ma présence, mai* je raignais précisément leur hospitalité qui aurait pu me
376 DE CONAKRY Al' NIGER.
gêner alors que j'Étais pressé par le temps; je me souvenais de la réception que l'on fait traditionnellement aux officiers étrangers qui suivent les grandes manœuvres : on leur réserve bon accueil et bonne chère, mais leurs cicérones ne les conduisent sur le terrain qu'au moment où la pièce va se jouer et ils n'en ont pas vu les coulisses. Pour ne pas être connu, j'ai pris une goélette à Conakry; expérience faite, je ne conseille à personne la navigation en goélette; on peut rester en panne pendant deux jours par les temps de calme ; c'est ce qui nous arriva ; on rechercha les pro- visions dont disposait l'équipage pour ne pas mourir de faim, elles se montaient à une boite de sardines et six bou- teilles de vin.
Le chemin de fer anglais de Sierra Leone a 50 kilomètres de long actuellement etO m. 70 de large; il comprend tl à 12 viaducs, ce qui l'a rendu relativement tort cher; la révolte des Mendès et des Timénés, qui a éclaté en 1898, a retardé sérieusement sa construction, et il nous est facile de le devancer maintenant ; il se dirige par Songolown vers Kotifunk.
De retour à Conakry, je trouvai la mission prête à partir, constituée en trois groupes devant opérer séparément cha- cun sous la conduite d'un officier. Le capitaine Millot était plus particulièrement chargé de la reconnaissance du Niger et du Haut-Konkouré, et accessoirement de plusieurs autres itinéraires. Il a reconnu le premier exactement la partie du cours du Niger entre Farana et Kouroussa, et a ainsi dignement complété le travail de Hourst, qui com- mence à Kouroussa. M. le Ministre des Colonies, tenant compte de cette œuvre, a bien voulu l'en récompenser en lui accordant la croix de la Légion d'honneur.
M. l'adjoint du génie Naudé a exécuté la majeure partie du levé détaillé; le reste, soit 200 kilomètres, ainsi que les grandes reconnaissances â travers le Foutah Djallon et la plaine du Niger, m'a été réservé.
On peul i
DE CONAKRY *î) NIGER.
que le travail
377
npli ;
accompl sidérable et qu'il dépasse ta mesure habituelle; aussi, malgré la chaleur, le travail durait-il chaque jour de 6 heures à midi, et se prolongeait même parfois le soir; sauf pour cause de maladie, pas une heure n'a été perdue. Quelques jours ont été gagnés sur l'hivernage de 1897 et quelques autres sur celui de 1898; les officiers ont, en outre, exécuté eux-mêmes la mise au net du travail tous les soirs ; le travail de débroussailleraient a été accompli la plupart du temps par des prestations indigènes sous la conduite d'un sergent. La presque totalité des montures a succombé. Nous avons eu la douleur d'enregistrer le décès du sergent du génie Grenot, mnrt à l'hôpital de Conakry d'une fièvre bilieuse hématurique; avant de mourir, le gou- rerneur de la Guinée a pu lui remettre la médaille militaire, qu'il avait obtenue par sa belle conduite à Madagascar.
Le début de ma mission a élé marqué par l'ascension teureuse du Kakoulima, qui nous a fixés sur l'orographie du voisinage; nous avons ensuite commencé le nouveau racé du chemin de fer, en utilisant au début nos porteurs comme débroussaîlleurs; ceux-ci ont regimbé contre ce changement de tâche, sous l'influence de divers meneurs ù regrettaient déjà d'Être partis; ils se sont mis en grève, t sont repartis pour Conakry, d'un pas d'abord rapide, qui e ralentissait à mesure qu'ils appréciaient mieux les consé- s de cet acte. Au pont de Tombo, près de Conakry, s auraient bien voulu s'arrêter, mais le gouverneur, pré- mu télégraphiquement, les avait fait accueillir par des miliciens ; on les mit en prison et les meneurs furent plus rticulièrement punis ; le lendemain, je voyais reparaître tout mon monde, honteux et confus, implorant mon par- , et montrant le poing au fil télégraphique qui les avait renonces; depuis ce jour-là, quand ils entendaient le fré- missement du fil et le murmure produit par la vibration des rateaux, mes hommes se disaient : « Vuilà les blancs qui
IÎ78 DU CONAKHY Ali NIOtH.
parlent entre eux » ; ils conservèrent longtemps rancune au télégraphe accusateur.
A Koussi, le chef de village possédait des sarraus singu- liers, teints en rouge sombre, garnis de petits objets couverts do cuir si nombreux qu'ils semblaient former une sorte du cuirasse à écailles imbriquées; mon inlerprète m'expliqua que je voyais là des vêtements de guerriers couverts d'amu- lettes ou « grigris >, possédant l'invulnérabilité contre les balles. Je lui proposai immédiatement un essai sur sa personne, mais il ne voulut pas y consentir, disant qu'il n'y a pas de grigris contre les blancs.
Gelte observation montre bien la raison pour Inquelle les merveilles de notre civilisation n'étonnent jamais les noirs; ils se contentent de dire : « Ce sont manières de blancs », exprimant ainsi l'opinion que nous sommes un peu sor- ciers, et qu'alors la chose est toute naturelle.
Précisément lors de mon arrivée en Guinée, Sory Elely, nommé almaniy du FoutahDjallon en remplacement deBo- karBirotuépar nous, avait été à son tour assassiné dans son propre village, par le Gis de son prédécesseur; le meurtrier, nommé Tierno Siré, Fut fait prisonnier à Ségaïa et passé par les armes; beaucoup de parents de la famille des alma- rnys Souria avaient participé au complot et furent envoyés captifs à Gonakry ; je craignais que ces événements, se pas- sant dans le pays que j'avais à lever, ne rendissent ma lâche plus difficile; heureusement il n'en fut rien. M. Noi- rot, résident du Foutah Djallon, voulut bien me donner comme guide le frère du deuxième almamy, nommé Bou Bakar, jeune homme très intelligent et très instruit, par- lant toutes les langues du pays, y compris l'arabe, et écri- vant correctement en caractères arabes. Ce guide avait un profil lin et pur qui offrait de grandes analogies avec ceux des inscriptions égyptiennes; il manifestait des manières ti nobles, de la discrétion et de la réserve; j'en tirai un ei parti pour me diriger dans le pays cl trouver ma ro
IDE C0NÀKK1 AU NIGER. 379
Grâce à ses conseils, nous découvrîmes la source et la vallée du Haut-Tinkisso, ainsi que les sources et les hautes valides du Konkouré et des deux Scarcies. La vallée du Tinkisso est déserte actuellement, par suite des guerres entre les Foulahs et les dissidents du nom de Houbbous, nais elle ne tardera pas à se repeupler; le sergent Dubus y fut pris d'un grave accès de lièvre qui dura dix jours; malgré sa maladie, comme nous étions dans un désert sans vivres et sans habitations, il fut obligé de marcher presque constamment pendant de longues étapes, d'abord jusqu'à Passaïa, et ensuite jusqu'à Soia Moreia sur les bords du Niger. En ce point le Niger ne devient navigable qu'aux hautes eaux et à la descente; la remontée n'est jamais
(possible sans portage; la descente aux basses eaux est également impossible; les barrages rocheux ne cessent d'encombrer le Niger depuis Farana jusqu'à Bafara, au- dessous du confluent du Mafou et du Niger; cette circon- stance nous décida à transférer le terminus de la voie ferrée de Farana à Kardamania, en amont de Kouroussa; Kardamania est vraiment le point où le Niger devient navigable en tout temps.
Le gros de la mission se trouvait réuni le i" janvier 1898 à Kouroussa; je garderai longtemps le souvenir de celte entrée, qui s'opéra dans la nuit, guidés que nous étions par des feux immenses embrasant l'horîy.on; le capitaine Franceries, commandant du cercle de Kouroussa, avait tenu à célébrer le jour de l'An, ainsi que notre arrivée, par un tam-tam monstre réunissant tous les indigènes des environs. Le poste de Kouroussa est assis sur un beau plateau, sur les flancs duquel le village s'étage jusqu'au Niger; c'est un marché très important pour le caoutchouc et les autres produits indigènes; ce sera la capitale future du Soudan,
Le retour s'effectua par Bauko, autre gros marché très binn situé au pied de hautes montagnes; entre res mon-
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DE CONAKRV AU NIGER.
tagnes el le Niger s'élend une plaine fort peu accidentée, à part quelques mamelons isolés; cette plaine est fertile, très riche en riz et en caoutchouc; elle pourrait être le grenier à riz de tout le Soudan. Le chemin de fer n'y éprouvera aucune difficulté de construction et pourra suivre de grands alignements droits, favorables à la vitesse.
A Kourouflng, la mission croisa un marabout snoussi qui venait de Tombouctou et avait recueilli des dons fort nombreux au Foutah, où les habitants sont zélés musul- mans.
A Kambaïa, les Malinkés quittaient le village et se dépla- çaient vers le Tinkisso; notre colonne croisa un noir qui, nouvel Énée, transportait sa mère sur ses épaules jusqu'à l'ancien village de ses aïeux qu'on reconstruisait. Les noirs sont très aimants pour leur mère, et ce sentiment lou- chant suffirait à leur faire pardonner certains défauts dont on souffre beaucoup parfois; ils aiment également leur village natal et ne manquent jamais d'y revenir lorsque la cause qui les en éloignait a disparu. Le Foutah Djatlon était plein de réfugiés venant des bords du Niger ou du Tinkisso, chassés par Saroory ou par les Houbbous ; main- tenant que ces vallées redeviennent paisibles et que les almamys ne peuvent plus les retenir, les réfugiés s'en retournent à leur village natal prier, comme ils disent, sur les os de leurs pères.
L'accueil le plus affectueux nous attendait à Timbo de la part de M. Noirot, résident du Foutah, et du capitaine Des- douits, commandant des troupes; malheureusement j'y res- sentis les premières atteintes de la lièvre, qui m'obligea à m'aliter; l'accès dura environ vingt jours. Pour comble de malheur, nous apprîmes coup sur coup la mort du maré- chal des logis de Bernis à Ilo, du sergent Grenot à Cona- kry, du lieutenant Curutchet et du sergent Delesse, ceux-ci étrangers à la mission et faisant partie de la garnison de Timbo. Ces déplorables nouvelles furent un peu adoucies
DE CONAKRY At! NIGER. SW
par l'annonce des récompenses que la Société de Géogra- phie avait bien voulu accorder au capitaine Millot et à moi. Après beaucoup de fatigues, grâce au dévouement de tout le monde, le travail de levé fut enfin terminé complè- tement le 4 juin et la mission put rentrer à Conakry, où elle fit de nouveau connaissance avec la lièvre. Il est remar- quable que la sauté se soutient relativement, malgré un travail pénible, tant que le travail dure; dès les premiers moments de repos, une réaction se produit, qui amène généralement la fièvre. H fallut même presser le départ du maréchal des logis Lachaud, qui était le plus gravement atteint.
Le tracé de chemin de fer ainsi obtenu a 680 kilomètres de long et 1 mètre de large; le levé a été Tait à 1/5,000* c'est-à-dire à une échelle moitié de celle du cadastre, sur i mètres de large; il n'y a pas de grands ponts, ni de onels, ni de viaducs, ni de grandes tranchées; les ponts ont couramment de 10 à 15 mètres de longueur avec travées maximum de 35 mètres; les courbes ont 100 mètres de rayon minimum et les pentes absolues ne dépassent pas 25 millimètres par mètre, sauf sur 3 kilo- mètres le long des monts Ouloum; c'est donc un chemin de fer analogue à ceux de France, un peu plus étroit et plus sinueux cependant. 11 est productif dans toutes ses >arties, et on pourrait, par exemple, se contenter d'en exé- cuter d'abord la première partie, de Conakry aux sources u Bafing, sous le nom de chemin de fer du Foutab Djal- . Le prix à prévoir varie de 70 à 90,000 francs le kilo- lèlre, suivant qu'on ajoute ou non le bénéfice de l'en- trepreneur. Il reste à exécuter l 'avant-projet du tracé, c'est-à-dire à retoucher le tracé fait sur le terrain et à le débarrasser des coudes brusques qu'il présente, tout en ménageant la pente le mieux possible. La main-d'œuvre nécessaire existe, car on peut disposer, comme le Congo belge, des nombreux travailleurs de nos possessions, qui se soc. ue uéogr. — 4" trimestre IfMW. \x. — 27
383 DE CONAkRÏ AU HIGEB.
sont élevés jusqu'à 8,000 hommes sur les chantiers du Congo; la journée de terrassier nous reviendrait seulement à 1 franc, tandis que le prix admis au Congo, tous faux frais compris, était de 3 francs.
III. — Description de la Guinée. — Mœurs et i:ohtcme:
DES HABITANTS.
La Guinée française, appelée naguère Rivières duSud, n'a été érigée en gouvernement distinct qu'en 1890; elle doit son origine aux comptoirs fondés par nos commerçants, la Compagnie 'Verminck enlre autres, au sud de la Casa- mance; le colonel du génie Pinet-Laprade, successeur de Faidherbc au Sénégal, plaça sous notre protectorat la plupart de ces comptoirs, entre autres le Rio Nufiez, d'où était parti Hené Caillié, te Rio Pongo, Dubreka et Benly. Pareillement les postes de Grand Bassani, Petit Bassani, Grand Lahou, Assinie, Grand Popo et Petit Popo relevaient tous du gouverneur du Sénégal. En 1883, sans rompre le lien de dépendance avec ta colonie- mère, on réunit tous les postes situés au sud de la Casamance sous les ordres d'un lieutenant-gouverneur, M. Bayol. La guerre du Dahomey et la magnifique exploration de Singer donnèrent de l'importance à la Cote des Esclaves et à la Cote d'Ivoire, qui furent détachées l'une après l'autre de la partie occi- dentale située au nord de Sierra Leone. La campagne du colonel Combes, en 1890, fournil également un hinterland à la colonie des Rivières du Sud, et ce fut ainsi que se constituèrent trois gouvernements distincts sous les ordres de MM. Ballay, Ballot et Binger, dont les aptitudes colo- niales remarquables nous ont valu une bonne partie de nos succès dans la Boucle du Niger. En 18^5, pour assurer l'unité d'action politique entre nos diverses possessions coloniales au nord du Congo, on créa le gouvernement
BK C0N-4KRY AU NIGER. 383
général de l'Afrique occidentale, dont le siège fut fixé à Saint-Louis.
Le gouvernement des Rivières du Sud a pris le nom de Guinée française parce qu'il a été, à un moment donné, le noyau principal de nos possessions de l'Afrique occiden- tale entre la Casamance et le Gabon, le long du golfe de Guinée; cette dénomination reste comme trace et comme témoin de l'ancienne organisation politique.
La colonie est limitrophe de la Guinée portugaise, de la Gainée anglaise, du Sénégal et du Soudan ; le Rio Compony la sépare de la Guinée portugaise; la Grande et la Petite Scarcie, et ensuite une ligne brisée irrégulière allant de la Petite Scarcie aux sources du Niger, la séparent de la Guinée anglaise; ces diverses délimitations ont été l'œuvre des missions Brosselard-Faidherbe en 1887, Passaga, Cay- rade et Millol en 1896. Du coté du Sénégal et du Soudan, la séparation est constituée par les falaises nord du Foutah Djallon et par le Mafou et le Niantan, affluents du Niger.
La colonie comprend, outre les territoires annexés du Rio Nunez, du Rio Pongo, de Dubreka, des îles de Cona- kry et de Matakong, enfin de Benly, un certain nombre de petits États indigènes placés sous notre proleclorat; les principaux de ces États sont ceux du Foutah Djallon et du Kanéah, situés sur les plateaux élevés qui séparent les bassins cotiers du bassin du Niger; presque tons ces États sont musulmans, à part quelques tribus Bagas qui sont fétichistes au nord de Conakry.
La côte est basse et marécageuse, car elle est due à une transgression de la mer, le véritable rivage se trouvant en mer, séparé du rivage apparent par une distance variant entre 200 et 500 mètres; ce littoral véritable est une sorte de falaise sous-marine arrêtant les gros navires et ne pré- sentant de brèches qu'en face des estuaires ou des caps d'origine éruptive, tels que Freetown, les lies de Loss et le Kakoulima. Celte constitution de la cote est la principale
384 DB COKÀKHV AU NIGER.
cause de l'absence de ports convenables entre Dakar et Freetown; il n'existe qu'une seule exception, celle de Conakry, due à sa situation au bout d'un promontoire qui lui permet de dépasser la zone basse pour atteindre les grandes profondeurs; les lies de Loss ainsi que divers bancs de sable au nord, protègent cette heureuse position contre les vagues du large; le détroit entre Conakry et les lies de Loss est parcouru deux fois par jour,en sens contraire, par des courants de marée violents, de sorte que l'ensablement du port est tout à fait impossible. Les îles de Loss sont malheureusement anglaises, et leur distance de Conakry à vol d'oiseau ne dépasse pas 10 kilomètres.
Les marées, très fortes sur la côte, permettent de remon- ter aisément les petites rivières côtières telles que la Mellacorée depuis Benly jusqu'à Farmoréah, la Dnbreka depuis Dubreka jusqu'à Corera, le Rio Nunez depuis Vic- toria jusqu'à Boké et au delà, la rivière Manéah depuis Tanéné Doron jusqu'à Manéah; toutefois le terrain, s'éle- vant rapidement en forme de terrasses, brise presque aussitôt le Ht des rivières sous forme de rapides ou même de chutes remarquables, de sorte qu'une navigation un peu sérieuse devient tout à fait impossible; c'est pourquoi le Rio Grande, le Konkouré et les deus Scarcies sont im- propres en tout temps à la navigation; leurs vallées ne peuvent être utilisées que pour un tracé de chemin de fer.
La superficie de la Guinée française est à peu près la moitié de celle de la France; sa population est de 1,500,000 habitants, avec une densité variant de 5 à 10 habitants par kilomètre carré. Sa parlie orientale, savoir l'arête sépara- live des bassins côtiers et du bassin du Niger, la totalité de ce dernier bassin, et enfin les hautes vallées des fleuves côtiers sont granitiques; le granité est masqué sur de larges étendues par la terre végétale ou la latérite, forma- tion quaternaire consistant en un poudingue à ciment fer- rugineux et à élémentsgranitiques ; celte latérite n'est dure
DE CONAKÎIY AU NIGER.
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que superficiellement; elle est très poreuse, de sorte que l'on trouve dans sa masse d'assez belles cavernes et des ruisseaux souterrains anatogties à ceux des Causses; la source d'une riviè™ se transforme souvent en une mare isolée durant la saison sèche; la partie supérieure de son cours devient souterraine et ne reparait à la surface que pendant l'hivernage. Cette nature de terrain fait com- prendre pourquoi l'on ne rencontre pas de marécages tant soit peu importants dans l'intérieur du pays; exception doit cependant être faite pour les bords de la rivière Kora, affluent de la Grande Scarcie, qui sont assez marécageux.
Une bande étroite de schisles lustrés et de psammites s'appuie sur la masse granitique; des grès blancs ou rouges, Iriasiques probablement, lui succèdent en affectant la forme des « amba n d'Abyssinie, c'est-à-dire de plateaux termi- nés par des falaises analogues à nos falaises dolomitiques. Parfois on rencontre aussi des soulèvements dioritiques ou granitiques isolés le long des bords de la mer, comme ceux du Badi, du Kakoulima, du Bennah, de Sierra Leone.
Le calcaire et la houille sont restés partout invisibles. En revanche on trouve beaucoup de kaolin, — de l'hématite brune vers les cotes provenant de la transformation de la latérite, — de l'hématite rouge excellente, analogue à celle de Mokta-el-Hadid, mais en pays granitique seulement, — enfin de l'or dans les hautes et moyennes vallées des rivières issues du Foulah Djallon.
L'eau est extrêmement abondante, vive, intarissable même en saison sèche; de nombreuses cascades fourni- raient de la force électrique à bon marché pour remplacer la bouille.
La dore est abondante et variée : la cote produit surtout des noix de kolas, bien connues dans la thérapeutique, des amandes de palme provenant de Vêlais guinensis, de la gomme copal, du sésame, du mil, des arachides, des fruits de toute sorte, principalement des mangots non greffés,
38fi DL Cl»ÀK[lY Ali NIGER.
des ananas, des avocats et des corosols, enfin du café et da cacao. Le haut pays fournit surtout du caoutchouc prove- nant d'une liane de l'espèce landolphia, du coton à courte soie, du tabac abâtardi, des oranges et des citrons, des papayes, du petit mil, des arbres précieux ressemblant à l'acajou; le bassin du Niger est riche en caoutchouc, pa- payes, ananas, riz et maïs. Autour de tous les villages on remarque une bordure d'orangers, papayers, manguiers, palmiers sur la côte, baobabs vers le Niger. Les forets pos- sèdent le fromager, dit aussi faux cotonnier, dragonnier ou bembénier, arbre énorme dont la hauteur peut dépasser 50 mètres et le pourtour plus de 10 mètres de circonfé- rence; les racines partent de 2 mètres environ au-dessus du sol et forment en s'élargissant à mesure qu'elles se rap- prochent du sol des sortes de contreforts puissants entre lesquels on se loge facilement en voyage. Sur les bords des rivières à marée croissent les palétuviers, pourvus d'un grand nombre de racines adventives plongeant dans la mer à marée haute.
Les légumes ou plantes alimentaires cultivés d'habitude sont les patates, les ignames, les diabérés (sortes d'oignons à pulpe enserrée dans des filaments ligneux), les haricots, le manioc, le tara des Antilles, les tomates, l'oseille, l'au- bergine, les courges ; les radis, les salades et les asperges d'Europe viennent aussi très facilement, ainsi que toutes les sortes de cacaos et de cafés.
Il sérail facile d'améliorer le coton et le tabac indigène, et d'utiliser en outre une infinité de plantes textiles que l'on rencontre dans le pays; on pourrait aussi monter quel- ques scieries mécaniques à roues circulaires pour débiter les bois du pays.
La faune du pays n'est pas moins remarquable que la llore : elle comprend d'abord des animaux domestiques, chiens, chats, poules, canards, moutons, chèvres, ânes, chevaux et surtout bœufs; les animaux féroces sont le lion
Ut COKAKRY AU NIGfcK. 383
sans crinière dans le bassin du Niger, la panthère, la hyène, le cynhyène pris parfois à tort pour un loup, le crocodile ; les animaux sauvages sont les éléphants très nombreux vers le Niger, les hippopotames dans toutes les rivières, les antilopes de toute taille, les singes variés parmi lesquels les chimpanzés, les macaques et les cynocéphales, les cer- vidés tels que les céphalops et les biches-cochons, les san- gliers ou phacochères, les lièvres, les serpents parmi les- quels le boa, le trigonocéphale, la vipère à cornes, le ser- pent minute, le bida ou serpent cracheur, le naja ou aspic, le bananier, etc. ; les lézards tels que les caméléons, les iguanes et les tarentes ; les oiseaux tels que autruches, outardes, pintades, perdrix grises, courlis, cailles de Bar- barie, pigeons verts, pigeons gris, tourterelles, canards sauvages, aigles à télé blanche, petits vautours dits charo- gnards, buses, milans, perroquets verts, martins-pècheurs, merles métallique», colibris, marabouts, aigrettes, grues couronnées, coqs de pagode, touras, etc.; les insectes tels que fourmis blanches ou termites, fourmis carnivores ou magnans, fourmis-lions, fourmis-cadavres, sauterelles, moustiques, éphémères, papillons variés, puces dites « chi- , araignées fileuses, cenl-pieds, scolopendres, mou- ches tsétsé, etc.; la mouche tsétsé est confinée dans le bassin du Niger entre Farana et Kouroussa; les poissons sont aussi fort nombreux, entre autres ceux dits < capi- ; on trouve beaucoup de tortues de terre et d'eau douce.
Les habitants se subdivisent ethniqueraent en Foulahs ou Peuls, Maliokés et Sousous; les trois races, surtout les deux premières, sont mêlées dans le Foutah Djallon; les Sousous se divisent en Sousous de la côte et Diallonkés; ceux-ci sont les anciens habitants du Foutah Djallon que les Peuls chassèrent il y a un siècle ou deux ; les Peuls sont des émisants, des pasteurs fort habiles à soigner les bœufs; ils proviendraient, au dire du général Faidherbe, des an-
Iî«8 ÎIE CONAKKV AU NIUKR.
ciens Fellahs égyptiens; eux-mêmes déclarent descendn des Arabes de Tombouclou, ce qui, sans être exact tout & fait, pourrait approcher de la vérité si l'on remarque la présence des Peuls dans le Macina, le Mossi et le royaume de Sokoto.
Les trois races se distinguent d'abord par leurs traits, quoique les croisements de Foulahs avec Malinkés et Dial- lonkés aient altéré beaucoup de types : les Peuls sont gé- néralement élancés, basanés plutôt que noirs, avec un nez et des lèvres à l'européenne, les yeux fendus en amandes, les cheveux â peine crépus, bref un profil pharaonique analogue en effet à ceux des anciens Égyptiens; les Dial- lonkés ou Sousous et les Malinkés ne sont que deux varié- tés du type mandingue ou mandé, cousines des Bambaras par leurs traits et leurs dialectes ; les Malinkés sont moins nombreux et moins robustes que les Dîallonkés ; tous ont le type nigrilien, nez épaté, grosses lèvres, cheveux crépus, angle facial assez faible, le teint franchement noir, les yeux gros et ronds et souvent de la corpulence.
Le langage des Peuls diffère totalement de ceux des Dîal- lonkés et des Malinkés ; le général Faidberbe a trouvé une parenté entre le peul et le ouolof, et j'ai remarqué moi- même des roots se rapprochant du grec; les dialectes sou- sou et malinké sont cousins l'un de l'autre; chez tous la base de la numération est cinq au lieu de dix; tous aussi, en écrivant leur langue, emploient des caractères arabes; ils ont en effet des sons gutturaux analogues au ch allemand et au kit des Arabes,' ils ont aussi des sons plus compliqués tels que gn, ngn, mu, ad, etc., qui nécessitent une oreille exercée et beaucoup de soin pour parvenir à les répéter, Les flexions ou suffixes sont souvent remplacés par des pi fixes; beaucoup de mots leur manquent, surtout pour dé- signer certains objets et la division du temps, parce qu'ils n'ont pas les notions correspondantes; les objets ou noms européens dont ils ont pris l'habitude de se servir amènent
:
fies ternies anglais déformés tels que Bélia pour William, ouachi pour watch (montre), masisi pour matches (allumettes, mèches), tombili pour timbale (verre), pléti pour plate (assiette), pensili pour pencil (crayon, porte-plume), etc. Ils ont emprunté aux Arabes beaucoup de noms pro- pres, sans doute par prosélytisme, mais après modification préalable; c'est ainsi que l'on voit chez eux des Ahmedou (de Ahmed), Mamadou (de Mohammed), Bokari (de Beker), Bon rama (de Ibrahim), Sedou (de Saïd), etc.
Beaucoup de marabouts foulais connaissent l'arabe has-
ani ; en outre, de nombreux missionnaires arabes parcou- rent la région; j'ai rencontré notamment aux environs de
rimbo un Senoussi qui venait de Tombouctou.
On peut en Guinée négliger les indigènes chrétiens et les fétichistes, qui sont en très petit nombre et tous sur la :ôte. Les musulmans sontd'autanl plus fervents qu'ils sont
oisins du Niger ou du Fou ta h Djallon, parce que l'isla- nisme s'est répandu de l'intérieur vers le littoral, en contour-
int toutefois le gros bloc des Bambaras soudanais idolà-
res ; les Peuls et les Diallonkés d u Niger sont assez exacts à pratiquer leur religion, mais les Sousous de la côte sont incore fortement teintés de fétichisme, c'est-à-dire ne se sont pas complètement débarrassés de leur croyance aux fétiches (baré) et de leur penchant à l'ivrognerie et aux danses
j tamtam ; les musulmans véritables n'usent pas de vin, nsent fort peu et croient aux démons (dinné ou djinns),
■ais non aux fétiches; quelques convertis récents ont
incore recours aux sacrifices mystérieux d'animaux, à dé-
t d'hommes sans doute.
Les fêles de la religion musulmane, les quatre prières quo-
lîdiennes, le jeûne du ramadan, la circoncision, l'excision
même pour les femmes, les pratiques de la polygamie sont
mis fidèlement; la femme est achetée à ses parents
loyennant une dot ou cadeau pouvant varier de 300 à 0 francs suivant l'importance de la famille, la beauté et
STO HE CONÀMiï AU SftOKR-
la jeunesse de l'épousée; elle peut être répudiée comme chez les Arabes, mais la doi n'est rendue qu'en cas de faulp grave de la part de la femme ou de tromperie de la pari. des parents. La mort ne donne lieu à cérémonie que dans le cas d'un homme important; en ce cas l'anniversaire de la mort est célébré par un sacrifice d'animaux que le fils aîné du mort immole lui-même. La femme est perpétuel- lement mineure et dépend, jeune de ses parents ou de son mari, vieille de ses enfants ; l'héritage est réservé aux mâles et principalement au lils aîné, II est vrai que l'affection du noir pour sa mère est touchante et que les mœurs suppléent ici aux lois; il est remarquable de voir ces esprils simples et souvent cupides oublier leurs plus chers intérêts pour sauver leur mère en danger; je citerai notamment l'histoire des enfants d'Ahmadou rapportée par le capitaine Piétri dans ses Français au Niger.
L'héritage va du père au fils, mais le pouvoir passe du frère aine au puîné jusqu'à ce que cette génération soit épuisée; on revient alors aux enfants du Sis aîné; cette coutume assure aux noirs, et aux Foulabs notamment, l'exis- tence d'héritiers présomptifs et de chefs plus âgés et plus expérimentés. Le chef est en général pris dans certaines familles bien connues; on distingue des chefs de villages (mangues), des chefs de canton (alkhalis) et des chefs de provinces (lamidos) ; si la province ou le groupe de pro- vinces est autonome, son chef prend le titre d'almamy et l'investiture lui est donnée publiquement par le résident ou administrateur français au moyen de la remise d'un turban d'honneur. Par analogie avec nos anciens titres féodaux ou religieux, on distingue chez les Peuls les titres honorifiques d'alfa, lierno et modi.
Faute de cadis, les chefs et les marabouts foulahs ou arabes exercent la justice; ils répartissent les charges de l'impôt et la portion des récoltes réservée au public; ils figurent aux cérémonies religieuses, exercent l'hospitalité
DU C0NÀKR1 AL NlUtiK. IttM
et président aux palabres; il existe en outre parfois des chefs militaires distincts, par exemple dans le Ranéah et le Bennah. Les soldats sont recrutés parmi les captifs et pren- nent le nom de sofas, mot qui vient de l'arabe rof; d'au- tres captifs les commandent sous le nom de saliguis.
L'esclavage est une institution entrée profondément dans les mœurs de ces populations. En Guinée, l'homme libre est celui qui ne travaille pas, comme notre ancien baron féodal, le Freiherr; il y a donc entre les noirs et nous un malentendu quand nous parlons de les libérer; ils nous répondent parfois : < Tu m'as fait libre, donne-moi des esclaves. » L'ancien captif à peine délivré des mains de Samory s'empressait de nous réclamer quelques vaincus comme fruit de la victoire. En réalité, on se trouve en pré- sence d'une nécessité économique de main-d'œuvre, pro- venant de l'absence de toute bêle de somme dressée et de mt appareil mécanique; le jour ou les noirs auront des tintes, des voitures et un chemin de fer, il ne sera plus lin d'esclaves porteurs pour faire la traite; lejour ou l'on attellera des bœufs à la charrue, on pourra diminuer e nombre des esclaves agriculteurs et finalement le sup- rimer tout à fait; mais abolir brutalement par décret •clavage existant, c'est à la fois ruiner les maîtres et rem- icer l'esclavage par le vagabondage; c'est détruire la ieille société sans préparer celle qui doit la remplacer. La ictique à suivre est d'abord de supprimer sans pitié la aite des esclaves et d'en tarir le recrutement; en même mps, il faut répandre le goût du travail en donnant aux noirs s besoins à satisfaire, des impôts à payer ou des presta- ions vicinales à acquitter; il faut créer de nombreuses oies de communication, enseigner l'utilisation des ani- laux tels que bœufs et mulets, et enfin introduire les :hines agricoles pour labourer la terre, récolter et loudre le riz. Les progrès économiques amèneront ainsi talement tous les maîtres à accepter le travail, et les
&>2 DE CONAKRV AB «IGER.
esclaves à s'élever à la condition supérieure de domesti- ques; du reste ils sont actuellement assez humainement traités en tant qu'esdaves de case, et l'appellation qui leur conviendrait serait plutôt celle de serfs.
L'impôt de capitation est de 2 francs par tôle; il a rap- porté en 1898 500,000 francs environ, la part des chefs réservée; cela correspond à peu près à 300,000 hommes valides, en tenant compte de l'argent laissé aux chefs, et par suite à 1,200,000 habitants au moins, en ne comptant que quatre personnes par homme valide; comme l'impôt n'a pas été payé par tous les indigènes et que prés de la moitié y ont échappé, on voit que le chiffre de 1,500,000 habitants donné plus haut comme population de la Guinée est assez exact. Il est curieux de remarquer que les popu- lations le plus anciennement soumises sont celles qui font le plus de difficultés pour payer l'imp6t.
AB PROJET DE CHEMIN DE FER.
La durée de la construction de la ligne totale serait de huit ans environ et coûterait soixante millions d'après les dernières évaluations; mais il est possible de se contenter de faire d'abord les premiers 300 kilomètres allant de la côte au Fou ta Djallon, ce qui rabaisse la dépense à vingt- sept millions, tout en desservant la majeure partie du trafic ; en effet, les routes du caravanes convergent toutes vers Friguiagbé et suivent, à partir de ce point, la route de Fii- guiagbé à Conakry. Il ne faudrait que trois ou quatre ans pour terminer cette partie de l'œuvre.
La construction et l'exploitation pourraient être concé- dées à une société pour une durée déterminée moyennant certains avantages à débattre; à défaut de cette solution la colonie peut emprunter directement en utilisant son cré-
DE COfiAKRY AU NIGER.
dit toujours croissant, et construire par voie d'entreprise ou en régie. Quant à l'exploitation, elle serait assurée encore par la colonie ou par une société concessionnaire.
Il est singulier, à ce propos, de comparer la timidité des Français d'aujourd'hui à la témérité de nos aïeux, ces har- dis armateurs du xvi' siècle, qu'une tempête pouvait ruiner sans rémission et qui ne tablaient pour s'enrichir que sur des probabilités commerciales et météorologiques ; on demande maintenant encore la garantie de l'Étal dans les affaires les plus sûres; on désire les gros bénéfices sans courir cependant les risques légitimes, et l'on ne s'aperçoit pas que les uns sont liés aux autres. Telle ville dénuée d'avenir et plus ou moins bien gérée trouvera crédit dans de meilleures conditions qu'une colonie florissante, même si celle-ci n'emprunte que pour exécuter des travaux publics de première utilité, dont le résultat palpable atteste aux yeux le bon emploi des capitaux et leur sert à la rigueur de gage. Les capitaux préfèrent adopter soit des valeurs nationales de rapport très minime, soit des valeurs étran- gères privées de tout contrôle national et tout aussi aléa- toires en réalité que les nôtres. Pendant ce temps, l'Angle- terre crée un fonds d'emprunt pour ses colonies pauvres au taux de 2,5 p, 100.
La traction du chemin de fer pourrait être électrique bien facilement -, des usines emprunteraient la force à des tur- bines hydrauliques et l'enverraient au moyen de courants biphasés et de transformateurs de tension dans deux trol- leys aériens; l'espacement des usines serait de 150 kilo- mètres environ, sauf pour la première que l'on installerait à 50 kilomètres de Cooakry.
Malheureusement, ces procédés ne sont pas encore suffi- samment entrés dans la pratique; le prix de revient actuel serait encore trop élevé; il vaut donc mieux se contenter provisoirement de la traction à vapeur, malgré l'absence de bouille dans le pays ; on emploiera des macbines-tenders
I>E CONAKRÏ AU NIUKK.
Compound pesant de 15 à 30 tonnes en ordre de marche, à 2 ou 3 essieux couplés, sans bogies; le reste du matériel sera à bogies, les trains se composeront d'un petit nombre de véhicules, pesant ensemble chargés de 50 à 80 tonnes dontSOàfiOuliles.
Il y aurait environ un train par jour dans les deux sens, afin de desservir le tonnage total qui est au moins de 30,000 tonnes, dont 23,000 à la montée. La vitesse commerci serait de 25 à 30 kilomètres à l'heure.
■ COLONIES ÉTRANGÈRES.
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1! me reste encore, pour épuiser la matière de cette con- férence, à parler des colonies étrangères que j'ai visitées au cours de mes explorations, et notamment dans le voyage que j'ai fait, en 1898, comme délégué français à l'inaugura- tion du chemin de fer du Congo. Il ne peut être que pro- fitable de comparer les eil'orts de nos rivaux aux nôtres, principalement en ce qui concerne les Allemands, les Belges et les Anglais.
Je n'ai vu aucune colonie allemande africaine, mais il y a partout des factoreries allemandes assez prospères, et Conakry lui-même a failli devenir allemand vers 1887, grâce aux démarches actives d'un commerçant de Ham- bourg établi à Conakry ; nous avons même dû céder Petil-Popo comme rançon de l'abandon des prétentions ger- maniques. Les vapeurs de la compagnie Wœrmann, de Ham- bourg, desservent mensuellement presque tous les points de la côte sans aucune subvention, et paraissent faire de bonnes opérations commerciales.
La colonie espagnole des îles Canaries est anglicisée dans les villes de Las Pal mas, dont l'excellent port de La Luz est eu entier anglais, de Santa-Cruz et d'Orotava; une compagnie anglaise vend à La Luz du charbon à 18 francs
cosakrï \r niger. :i95
J -a tonne, elnos vapeurs nationaux subventionnés s'y appro- "visionnent eux-mêmes.
Les riantes Acores et les Iles du Cap-Vert sont des colo- *~»ies portugaises assex florissantes, les premières surtout; 1 «s Américains fréquentent volontiers les Acores ; cet archi- t*el manifeste des tendances à l'autonomie. Sa situation ^ tratégique serait fort belle pour la marine des États-Unis, •louant aux îles du Cap-Vert, la principale station est celle «rie Saint-Vincent, rivale heureuse de Dakar pour les escales «ries paquebots européens à destination de l'Amérique du Sud ; ce port est anglicisé eL la compagnie charbonnière est anglaise; ce serait un excellent port d'attacbe pour une flotte anglaise chargée d'observer Dakar et l'Afrique occidentale. Le Sénégal et la Casamance sont riches et prospères, ;urtout à cause des cultures d'arachides dont le port d'em- 'quemenl est Itufisque. La barre du Sénégal est prati- ble pour des navires ne calant pas plus de 4 mètres, tant que la barre n'est pas fermée, ce qui se produit quel- |uefois à la fin de la saison des pluies; les bateaux sont lors obligés d'aller embarquer ou débarquer leur fret à Lkar. Le vieux port franc de Gorée reeoit encore quel- ues bateaux anglais. Dakar, position splendide pour un port de guerre et excellente escale pour les bateaux du Brésil, n'aura pas d'ici longtemps l'avenir commercial rêvé par le général Faidherbe; son hinterland est en effet petit et peu important, constitué uniquement par le Sine et le Baol, que borde le pays stérile du Ferlou. Rufisque lui enlève le commerce des arachides ; La Lu/ et Saint-Vincent les entrepôts de charbon ; Saint-Vincent lui enlève pour les escales du Brésil tous les vapeurs qui ne sont pas français; Saint-Louis continue à relier directement le haut Sénégal à Bordeaux; le chemin de fer de Dakar à Saint-Louis, mal- gré un certain trafic de voyageurs et d'arachides, ne pros- père pas comme il devrait le faire à cause de la concur- rence du cabotage qui lui impose des prix très bas.
3% DE CONAKRV AU NIGER.
La Casamance et la Guinée portugaise se sont révélées riches en caoutchouc. La Gambie anglaise vit surtout du commerce de ses arachides qui sont très renommées ; cette colonie est peu importante pour l'Angleterre, mais elle aurait été peut-être meilleure pour nous que la voie du Sénégal au point de vue pénétration; en effet, le fleuve est navigable en tout temps jusqu'à Yarbatenda, et de ce point on atteint facilement le Foutab Djallon, le Bambouk et Kayes.
La Guinée portugaise serait également entre nos mains une excellente acquisition et une bonne voie de pénétration vers le Foutah Djallon par le Rio Grande.
La Guinée anglaise, dite par les Anglais colonie de Sierra Leone, date de 1780, époque où les Anglais y fondèrent une station pour régénérer les esclaves libérés; de là le nom de Freetown donné à la capitale. Celte ville possède aujourd'hui 30 mille noirs anglicisés et est entourée d'une banlieue riche et florissante où l'on cultive beaucoup les fruits, le gingembre, etc. ; elle possède un chemin de fer qui a déjà 50 kilomètres en pleine exploitation. Le port est excellent; la rivière de Sierra Leone permet de pénétrer à l'intérieur jusqu'à Port Lokko, point assez rapproché des centres de traite indigène à l'intérieur. Le terrain est assez accidenté du reste, surtout aux environs des aiguilles de Kinki. Les traitants de Sierra Leone firent jadis d'assez belles affaires commerciales avec le Foutah Djallon et avec Samory, qui leur achetait des fusils et de la poudre contre des esclaves; l'expédition du colonel Combes coupa heu- reusement les communications enlre Freetown, Saniory et le Foutah, de sorte que ces trois ennemis n'ayant pu se réunir ont fini ou finiront par tomber entre nos mains. Le commerce de la colonie, surtout à l'exportation, a été for- tement atteint par la prospérité de Conakry; le port de Freetown n'est plus comme autrefois l'entrepôt de nos fac- toreries guinéennes et le lieu de relâche des grands va-
DE C0HAK1IY AU JSiGEIl.
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peurs; Conakry lui dispute ce rôle avec avantage, en atten- dant le succès plus complet qu'assurera le chemin de fer projeté. Freetown vit encore d'un certain commerce avec sa banlieue, avec son hinterland oriental du Mano et du Sherbro, avec les caravanes de Kankan et du Kissi et les productions du Libéria. Les Anglais manœuvrent pour annexer ce dernier pays au point de vue économique ; il y aurait lieu de chercher à les en empêcher.
La ville de Conakry est commandée par les îles de Loss, qui sont anglaises ; ces îles abritent entre elles un excellent mouillage pour des navires de guerre, et pourraient être couronnées de batteries qui interdiraient complètement le bombardement du port si elles étaient entre nos mains.
Le Congo belge est en pleine croissance, grâce à son chemin de fer qui relie le bas Congo, où arrivent les plus grands steamers, au Congo supérieur navigable et à ses *fDuents sur une immense élendue. Le tracé des frontières du Congo belge est un chef-d'œuvre de diplomatie; il a été feU de manière à écarter pratiquement les voisins français 6t portugais et à empêcher les uns et les autres de con- struire plus tard une voie ferrée le long du fleure. Notre manque de clairvoyance et notre obstination le long du Niari-Kouilou nous ont fait perdre le bénéfice de la merveil- leuse occupation de Brazzaville. Il aurait été indispensable que notre frontière, au lieu d'arriver sur le Congo moyen à Manyanga arrivât sur le bas Congo à Vivi, afin de nous fendre possible une voie ferrée allant de Vivi à Brazzaville en territoire français.
Le chemin de fer de Maladi au Stanley-Pool présente sur tous ceux qu'on peut tenter dans ce pays deux énormes avantages- ceux du port et de la distance. Le port de Matadi ni excellent et permet à tous les steamers d'aborder à quai sans rompre charge depuis l'Europe; la distance est en outre réduite à -W0 kilomètres, alors que noire voie
rojetée du Niari-Kouitou aurait plus de 500 kilomètres, à
398
m. CONAKRï Alt Mi.l'.ïi.
moins d'admettre de nombreux transbordements [tour uti- liser la voie fluviale. Nos ports de Loango et de l'embou- chure du Kouilou sont des rades foraines contrariées par des barres et des courants. Si par fortune la voie belge actuelle devenait insuffisante, il vaudrait mieux la doubler ou en créer une deuxième sur la rive droite du Congo que d'entamer une voie ferrée le long du Niari-Kouilou.
11 n'a tenu qu'à nous de devancer les Belges, et nos éter- nels tâtonnements nous ont fait perdre l'occasion, non seu- lement de mettre notre domaine en valeur, mais même de conquérir économiquement celui de nos voisins. Le chemin de fer belge est vraiment une œuvre admirable pour l'ha- bileté de sa préparation diplomatique, pour la netteté, l'au- dace et la vigueur de son exécution.
Cette ligne est une ligne de montagne, de 0 m. 75 d'écar- tement, avec des rampes énormes et des courbes très accen- tuées; la traction est à vapeur; l'entreprise vit néanmoins et prospère, malgré quelques défauts que la traction élec- trique supprimera plus lard et bientôt peut-être; son ter- minus, Léopoldville, se développe vis-à-vis de notre mer- veilleuse position de Brazzaville que nous laissons presque déserte et sans utilisation.
La construction du chemin de fer des Belges a pour pre- mier effet de donner à Brazzaville une importance énorme et d'en faire la vraie capitale du Congo français ; Brazzaville se trouve en effet maintenant au centre des communica- tions fluviales ou terrestres de cette contrée; on est en train de le relier à Loango et à Libreville par une ligne télé- graphique terrestre.
La deuxième conséquence du chemin de fer belge est de reporter vers le nord, vers Libreville, l'Ogôoué et la San- gha, nos projets de voie ferrée; ce n'est que là, en effet, que nous trouverons à la fois un port convenable et un tracé économiquement justifiable; nous mettrons ainsi en exploi- tation un pays fort riche tout eu nuus assurant une corn-
DE COKAKHY AU NIGEH. 391*
munication autonome vers l'Oubangui, et une zone com- merciale distincte de celle de la voie belge.
Enfin le principal résultât de l'œuvre du colonel Thys est encore de porter sur ce point essentiel l'attention interna- tionale; il ne faut pas oublier que nous sommes les héri- tiers de la Belgique, et que telle circonstance imprévue peut faire ouvrir un héritage qui sera contesté sans doute par les Anglais ou les Allemands; or, celui qui tiendra le chemin de fer du Congo sera maître de l'Afrique centrale. Il nous importe, en prévision de cet événement, de relier nos possessions entre elles et avec la France par deux câ- bles nationaux allant l'un de Brest à Saint-Louis et l'autre
b Kotonou à Libreville, et d'achever toutes nos lignes ter-
istres. L'Angola portugais est un pays naturellement riche qui
lépérit faute d'argent et peut-être aussi de population eu- ropéenne suffisante ; le port de Saint-Paul de Loanda s'en- ;able tous les jours ; la ville a un aspect misérable; les babi-
ints semblent nonchalants et paresseux. Le chemin de fer, de Saint-Paul a Ambaca vient à peine d'atteindre Amboca, bien qu'entrepris avant celui des Belges. Malgré tous ces signes d'infériorité, l'Angola bien situé, riche en bœufs et en cafés, pourrait éveiller certaines convoitises.
KKKSKIilSKMKN'rS CfiMPLÉMBSTÀlKES SUIl I.E CHEMIN DE FER DE CONAKRY AU NIGEH
A. — Mliwlon .Viuri.-. de ISttS n lNWt). en (. iiim <■
Les deux missions Salesses, ainsi qu'il a été dit plus haut, avaient rapporté un tracé complet de la ligne projetée. Pour des raisons commerciales, il y avait lieu, toutefois, d'étudier grande variante entre L'riguiagbé et le bassin du
400
IIE CONAKRY AU NIGER.
Bafing par la vallée du Konkouré; deux i de cette variante soigneusement Faites ayant été encoura- geantes, il était possible de lever immédiatement le tracé à grande échelle.
La deuxième mission Salesses se scinda donc en deux parties, l'une chargée d'exécuter à Paris l'avant-projet du chemin de fer d'après les données acquises que l'on modi- fierait au fur et à mesure des nouveaux renseignements, l'autre dirigée par l'adjoint du génie Naudé, chargée de lever en Guinée la grande variante du Konkouré. C'est l'abrégé des travaux de cette troisième mission qui va être exposé ci-après.
Le programme de la mission Naudé comprenait :
1° Le lever de la variante précitée, longue de 204 kilo- mètres.
2° L'élude d'un embranchement reliant Timbo à la grande ligne, soit 30 kilomètres.
3* L'étude d'une deuxième grande variante de 170 kilo- mètres de longueur, reconnue déjà partiellement, entre Soarella et Kouroussa par Banko.
4° L'étude de divers perfectionnements de détail entre le TabilietKoniakori,sur une longueur tolalede 45 kilomètres.
5' Diverses reconnaissances dont le résultat a été tantôt négatif et tantôt positif, et parmi lesquelles il faut citer sur- tout une belle reconnaissance le long de i'Ouaulamba, du Samou et de l'Ouankou, par Soulia et Bettésimbaïa, qui permettra à la fois d'adoucir les pentes et de raccourcir le tracé.
Ce programme a été largement rempli.
Pour l'exécuter, M. Naudé disposait de trois sous-officiers du fïénie, l'adjudant Nicolas et les sergents Dubus et Van- dnmme, tous trois déjà exercés a la vie coloniale, aux levers et aux travaux de chemins de fer. Les instruments étaient constitués par des planchettes, des boussoles Peigné, des règles à éclimètrc, des niveaux à lunette, des baromètn
DE CONAKBV AD NH;EM. 401
oloslériques. Le matériel de la mission précédente lut largement utilisé ; il fut nécessaire cependant de renouveler les montures qui avaient toutes succombé sans exception mi fatigues de la campagne de 1898.
Embarquée le 25 octobre 1898 à Marseille, la mission Naudê était de retour le 17 juillet 1899 au même poinl; elle avait exécuté 445 kilomètres de lever régulier au 1/5,000 et environ 500 kilomètres de reconnaissances diverses. Son itinéraire, à partir de Conakry, passait par Friguîagbé, Koba, le Konkouré, Timbo, Soarella, Kourou- koro, Banko et Kouroussa, avec crochets vers Tanéné Kan- gourou, Koniakori et Bantanbourou sur le Haut Tinkisso. Le séjour dans la brousse a duré plus de sept mois sans aucune perte de temps. Si l'on déduit environ soixante-cinq jours employés aux marches et aux reconnaissances, on voit que la vitesse du lever régulier a été de 3 kilomètres par jour eu moyenne.
La santé de la mission n'a jamais été assez gravement compromise pour l'immobiliser; toutefois, ses membres ont éprouvé d'assez fréquents accès de fièvres, notamment le ttrgenl Dubus.
Les résultats qu'elle a obtenus sont remarquables. La variante du Konkouré a été déjà adoptée par le Ministre des Colonies sur la proposition du gouverneur de la Guinée, comme étant meilleure au point de vue tracé et au point de vue commerce, bien que plus longue de 50 kilomètres. Cette -variante supprime le pont de la Grande Scarcie et les grandes rampes de Gouléah et de Bambaïa; elle dessert le grand marché de Demokoulima fit se rapproche du Labé. Son tracé suit en général le thalweg du Konkouré, sauf entre Kouuîeia et Songouya où l'on a pris la corde de l'arc décrit par le Konkouré; dans cette partie le tracé suit le cours des rivières Koufa, Finké et Coïé, affluents du Kon- kouré; on rejoint l'ancien tracé près de Aïndé Konkouré. Le tracé de l'embranchement desservant Timbo part des
Le 1
102 DE COKAKBÏ AE NIGER.
environs de Sarébowel, rejoint le Bafing à Socotoro, redes cend ce fleuve jusqu'à l'embouchure du Hériko, et se dirige encn sur Timbo en remontant successivement le Hériko. le Saman et le Tchiangui; cette dernière rivière passe à Timbo; ce tracé est long de 30 kilomètres environ, mais tout tracé plus court conduit à des pentes inacceptables à cause de la grande altitude de Timbo par rapport au Bafing jointe à sa proximité du fleuve; ce tracé tourne les monts Elaïaqui séparent le fleuve de la capitale du Foutab, Djallon. Timbo est bien déchu, et M. Noirot, administrateur du Foutab, songe à reporter vers le nord, près de Fougoumba, le centre politique de sou cercle. Il est donc probable qu'il n'y aura jamais lieu d'exécuter cette partie du projet; si l'on juge plus tard que le Foutab mérite d'être desservi spécialement par une ligne sud-nord passant par ses princi- paux centres, on devra revoir la question à un point de vue d'ensemble.
La deuxième variante, celle qui va de Soarella à Kou- roussa en passant par Banko, a exactement la même longueur que la partie correspondante de l'ancien tracé et présente l'avantage de desservir directement Toumania, Dinguiray, Banko et Kouroussa; elle traverse en plein les pays à caout- chouc, passe près des pays de l'or et coupe le Tinkisso vers l'extrémité amont de sa partie navigable; en outre elle sup- prime la difficulté de la descente de Simbacounian.
Par contre, elle a le désavantage de négliger le bassin du Niger supérieur et la zone de Beyla exploités commercia- lement par les Anglais; il est évident qu'on devra plus tard, si on adopte celte variante, créer un embranchement de Soarella à Beyla le long du Tinkisso, de la B. Koba et du Niger. Mais l'exécution de la deuxième moitié du tracé est encore assez lointaine; il n'y a donc aucune urgence à prendre parti dès maintenant, et il vaudra mieux ne trancher la question que lorsque le mouvement commercial se sera dessiné.
; CONAKIU AU Hllibllt.
103
Us reconnaissances faites vers Tanéné Kaligourou, vers les sources de la R. Kangan, affluent du Konkouré, et vers Banlanbourou, sur le haut Tinkisso, ont prouvé qu'il n'exis- tait pas de passages meilleurs queceuxdeBinkéli, deSourni etdeBérendéprès de Simbacounian. En revanche la recon- naissance faîte en dernier lieu le long de l'Ouantamha, du Samou ou Badi et enfin de l'Ouankou est tout à fait encoura- geante; elle permet de franchir le seuil desmonlsOuloumà eaviron20 mètres plus bas, tout en raccourcissant le tracé et départissant la pente sur une longueur quadruple; cette heu- reuse découverte permettra de réduire extrêmement la der- nière difficulté qui existait encore, c'est-à-dire celle de la montée des monts Ouloum.
Si l'on compare le tracé actuel tel qu'il résulte des derniers travaux de la mission Naudé au tracé tel qu'il a été exposé par le capitaine Salesses dans sa conférence de 1898, il est facile de constater que l'on a obtenu en réalité deux et sou- *eol trois tracés jumeaux entre Conakry et Kouroussa; ces Iracés se contrôlant tous entre eux, il est facile de juger que peu d'avanl-projets présentent plus de garanties de sincé- rité et d'exactitude. Le nivellement part de la mer et aboutit au fleuve du Niger en deux points, Kardamania et Kou- roussa; il résulte de ce nivellement que le Niger a une cote de 365 m. 75 à Kouroussa; ce fleuve n'aurait que 292 mètres à Bamakou et 278 mètres à Toulimandio, d'après les colo- nels Marraieret Joffre; le colonel anglais Trotter fixe la cote de la source du fleuve à Tembikounda à 85i mètres au moyen de déterminations barométriques. La cote du point le plus bas séparant la Petite Scarcie du Konkouré, c'est- à-dire celle du col de Sourni, est de 713 m. 38; celle du point analogue séparant le Bafing de la petite Scarcie, c'est-à-dire celle du col de Koumi, est de 717 m. 48; la cote de Dindéa près du Bafing est de 642 m. 90; l'altitude du Tinkisso au passage de Kouroukoro est de 399 m. 92; elle est de S75 mètres en amont en face de Simbacounian dans le
40* I>E COIÏAKRÏ AD NTCEK.
tracé de 1H98. Tous ces chiffres ont été obtenus avec le ni- veau à lunette et ne peuvent être affectés de graves erreurs.
L'altitude niaximades montagnes du FoutahDjallonserait, d'après le docteur Maclaud, de 1 ,4-00 à 1 ,500 mètres au nœud orographique du Diaguissa où le Bafing et le Konkouré prennent leur source. Je ne crois pas qu'il s'y trouve un seul point atteignant 2,000 mètres.
L'œuvre de la mission a été trop complète au point de vue topographique pour tolérer des préoccupations paral- lèles. Toutefois, la mission a pu observer à nouveau une belle cascade du Tinkisso en aval de Soarella, cascade déjà signalée par d'antres voyageurs. Elle a également relevé partiellement la ligne de démarcation du grès et du grai aux environs de Yerabetta et des rives du Khobé,
IhlK-rlv.n
Cette roule, cause initiale des éludes qui précèdent, con- serve encore sa raison d'être, par suite des commodités qui en résulteront pour la construction du chemin de fer; elle a atteint Friguiagbé au cours de l'année 1899 et aurait été menée plus loin si on ne l'eût arrêtée pour ménager les res- sources de la colonie. La plupart des ponts en bois ont été remplacés par des ponts en fer el des améliorations diverses ont été apportées à son tracé. Elle est bien tassée, solide et parfaitement utilisable pourde lourds charrois. On en a pro- filé aussitôt pour organiser les transports au moyen de voi- lures à bœufs; des caravansérails et des parcs à bœufs espacés de 25 kilomètres environ jalonnent la route; des Foulahs conduisent des attelages de bœufs bien dressés permettant de réduire nos frais de transport et surtout l'emploi des porteurs. C'est à M. Leprince, garde d'artillerie de marine, que sont dus ces beaux résultats, pour lesquels te Ministre des Colonies a bien voulu lui attribuer la croix
mit
DE CONÀKltY AIT NIGER. 405
de dievalier de la Légion d'honneur. Cette route, conslam- méat parallèle an tracé de la voie ferrée, rendra plus lard de précieux services, notamment pour le transport des fers îles ponts et le ravitaillement des chantiers.
C. — Slinniloii fiiij.ml.-ri- il<- la liuinée rrnii^»i».-. Euur de lu «■nloiiir.
La prospérité de la Guinée française devient de plus en plus marquée, et les résultats du 1er trimestre de 1899 ont été tels qu'ils ont égalé ceux de Tannée 1896 toute entière. Le commerce a perdu le caractère de l'ancienne traite et est devenu tout à fait européen; la nionnaie française est em- ployée constamment pour les échanges et est importée dans l'intérieur en quantités extraordinaires. D'autre part, les différences entre les saisons s'atténuent au point de vue du Irafic, et le 3" trimestre, notamment, présente un trafic encore 1res appréciable; il est clair que lorsque le chemin de fer sera créé et que des comptoirs permanents seront fondés dans l'intérieur, le commerce deviendra permanent aussi.
Il a été dit souvent que la Guinée française n'enlèverait rien au commerce du Sénégal, et que la lutte se localiserait entre Freetown et Conakry. Le tableau suivant montre que les importations annuelles totalesdues à Freetown et Conakry vont en croissant, mais que la somme des exportations des deux pays se maintient constante. Le premier phénomène est dû sans doute à l'existence d'une population ouvrière nombreuse le long des chantiers du chemin de fer anglais, mais les exportations ne sont pas faussées et représentent bien le vrai commerce permanent de la région.
Guinée française... 4,810,000 fr. 7,610,000 fr. 9.050,000 fr. Guinée anglaise... lï,B00,O00 11,650,000 15,370,000
Total 17,410.000 fr. 19,290.000 fr. Î4.3UO,000 fr.
tracé de 1898. To
veau à lunette et m .
L'altitude d'après le docteur ■ orographiqae du prennent leui seul point atti
L'œuvre de ^_
vue topiij lèles. Toi
signalée p
■
8,7*5,000 fr. 10,8*5,000
9,380.000 fi 8,430,000
I6£G0,O00fr. 17,310,000 fr
^trv est évidemment perdu par hjr cette ville.
ut ressortir la progression de; liions à Conakry depuis 18ÏHÎ,
■ :■-. 3,900.000 KO 000 365,000
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m,ws
u. 180.000 «0.000 90,000
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1897
iûTÙl» 7.640,000 9,OÎO,0OO 4,275.00
6,7î5,00O 9,î80.,«JO 4,185,00
14,365,000 18,300,1.00 8,560,01
« ci-dessous montrent la nature i a et des articles d'exportation en Goin
DE CONAKHY JLD MIGEH. 407
Parmi ces articles, il faut noter les bœufs, le riz, le sel comme étant susceptibles de développement; le commerce du sel prendra une extension considérable dès que l'on pourra le livrer à bas prix sur le Niger. 11 faut noter aussi que les importations françaises augmentent sensiblement, mais qme les exportations en France restent stalionnaires à cause de l'absence d'un marché national pour le caoutchouc ; tant que ce marché n'existera pas, les importations anglaises seront toujours considérables, à cause des relations étroites existant entre Manchester et Liverpool, le marché des cotonnades et le marché de caoutchouc. La faiblesse de notre marine marchande est également une cause de fai- blesse pour nos importations.
On peut catégoriser les marchandises au point de vue tarifs de transport d'après les indications de ces tableaux : il est clair que, parmi les marchandises payant le ptuscher, il faut ranger le caoutchouc, la gomme copal et les colon- nades, car ce sont elles qui donneront le plus clair des recettes; à celte catégorie on peut ajouter, en se guidant sur des considérations morales, le tabac, les alcools, les armes et la poudre; on mettrait dans une catégorie plus favorisée les articles lourds et de peu de valeur dont il faut encourager la vente, tels que sel, quincaillerie, arachides, riz, sésame, fruits ; enfin la catégorie la plus basse compren- drait les bœufs, les peaux, les fers, les machines, les articles de consommation. Cette classification favoriserait ainsi éminemment la propagation de la civilisation à l'inté- rieur.
Quand le chemin de fer sera entrepris, il en résultera un afflux d'ouvriers noirs et, par suite, de nombreux achats de leur part effectués au moyen de leurs salaires. 11 en résul- tera aussi la création et la prospérité des petits corps de métiers, tels que tailleurs, cordonniers, blanchisseurs, maré- chaux, charpentiers, forgerons, etc. ; on créera forcément des hôtels, restaurants et cafés, et l'on fondera des com-
408 DE CONAKRV AU NIGER.
pagnies pour la fourniture de l'éclairage, de la glace et charbon. Le port lui-même et les transports maritimes viaux et terrestres feront l'objet d'aménagements et de con- cessions,
La colonie étudie en ce moment un grand projet d'adduc- tion d'eau vers la capitale, projet dont l'adoption suppri- mera le principal défaut du port de Conakry qui est de n'avoir pas une véritable eau de source.
D.
■ La Guinée nnpçlnlaf cl i
1a l'Iitriiilia de fer.
Les tableaux ci-dessus donnent actuel de la Guinée anglaise; il y a lieu d'indiquer en outre que le calme est maintenant complet dans cette colonie. Le gouverneur de Sierra Leone, colonel sir Thomas Cardew, malgré l'enquête défavorable de sir Frédéric Chalmers, commissaire royal, a conservé la confiance de M. Chamber- lain et revient à Sierra Leone.
Le Parlement anglais vient de voter un fonds d'emprunt de 85 millions pour les travaux publics des colonies pauvres, entre autres pour le chemin de fer de Freetown; le taux d'emprunt sera 2,5 p. 100. Les dépenses déjà effectuées pour le railway de Freetown atteignent 5 millions.
D'après des documents extraits du Boaril o[ trade, Docu- ments parlementaires anglais de 1899, le chemin de fer de Freetown est en exploitation depuis le \" mai dernier sur ses 51 premiers kilomètres, de Freetown à Songotown; il est en construction de Songotown à Rotofunk sur 39 kilo- mètres; les levers comprennent une première partie de Songotown à Bumban (177 kilom.) et une deuxième de Rotofunk à Mano (66 kilom.). Ce chemin de fer comprendra deux branches, l'une destinée à exploiter le Libéria, le Mano et le Sherbro, l'autre desLinée à desservir notre binterland soudanais depuis Beyla jusqu'à Kouroussa en passant par
I
I)E C0NAKRV AU NKiKK. 409
Kankan. Il devient urgent que nous nous mettions en marche en Guinée, en profitant de l'énorme avantage que nous donnent la possession exclusive de l'hiuterland et celle du Niger navigable.
E. — l'<[n( actuel de In question du «-lirinin de fer de Couskry.
L'avanl-projet du chemin de fer et son état estimatif n'ont été dressés d'abord que pour les premiers 275 kilo- mètres, bien que l'on possède le lever complet jusqu'au Niger, sur 670 kilomètres de longueur totale. Toutefois, le reste de l'avant-projel est en cours d'exécution et le tracé en plan est même complètement terminé à l'heure actuelle.
Quelques changements de chiffres ont eu lieu, par suite des nouvelles données et de diverses décisions prises depuis le 1" janvier 1899 : la longueur a été portée à 670 kilo- mètres, et l'altitude définitive du point le plus élevé de la ligue, le col de Koumi, a été fixée à 717 m. 48; les autres principales cotes ont été données dans le compte rendu de la mission Naudé.
Le tracé actuel partant de Conakry suivrait la direclion indiquée sur la carte ci-jointe ; il quitterait, à partir de l'Ouankou, le tracé de 1898 pour rejoindre le Samou et remonter cette dernière rivière ainsi que ses affluent*, l'Ouantamba et la Fassara, jusqu'à Kindia; entre Kîndia et le Konkouré, le tracé nouveau emprunte les vallées de la Fissa, du Bamban, du Méonkouré et du Méonkourédi. Le racé longe ensuite le Konkouré, la Koufa et la Fioké jus- qu'à Songouya, puis elle reprend la vallée du Konkouré jusqu'à Aïndé Konkouré; entre Aïndé Konkouré et Soarella,
s tracés de 1808 et 1899 se confondent; de Soarella à Kou- •oukoro le nouveau tracé suivrait ie Tinkisso, puis gagne- rait Banko et Kouroussa par les vallées du Bagne, du Sili,
a la II. Tamba et de la 11. Kouroussa.
■410 llli CONAKKï AU SltiKK
Cette dernière partie du tracé de 1899 n'est pas officielle- ment adoptée. Le tracé peut se diviser en i sections, ainsi qu'il suit :
Section 'lu Conakry an Kunkouré £13 kilom.
Section du Konkouré k Dimléa, près du Baflng 155 —
Section du Bailng au pont du Tinkisso (Kouraukoro). 180 —
Section du Tinkisso à Kouroussa sur le Niger 1ÏS —
Total 670 kilom.
Les limites de pentes et de courbes n'ont pas changé et sont toujours de 25 millimètres par mètre et de 100 mètres de rayon. Il n'y a aucun tunnel ni pont exceptionnel; tou- tefois, le nombre des ponts est assez considérable. Le prix de revient kilométrique a été porté à 90,000 francs par le comité des travaux publics qui a examiné le projet. Ce projet, avec ses modifications proposées ou acquises, doit donc f'tre considéré comme ne présentant plus aucune espèce de difficulté sérieuse, à part celles qui sont inhérentes au climat et à la main-d'œuvre.
Les grandes entreprises de travaux publics, dans certaines colonies et en particulier en Guinée, peuvent être autorisées par un décret présidentiel rendu sur avis du Conseil d'État. Cette solution rapide a pu heureusement être adoptée. La Caisse des retraites pour la vieillesse a consenti un emprunt de 8 millions au taux de 1,1 p. 100, remboursable en qua- rante annuités de 408,000 francs environ chacune; cet emprunt est gagé sur les recettes des douanes à l'exporta- tion; il est loin d'absorber d'ailleurs le crédit disponible de la colonie, Cette dernière compte pousser son emprunt jus- qu'au chiffre de 12 millions, afin de se rapprocher du Konkoiiré et du Foutah Djallon le plus possible. On espère que le développement du commerce sera tel que bientôt la somme nécessaire toute entière pourra être empruntée; peut-être encore se présentera-l-i I uu demandeur i
ML LOAARHY AU N1GKK. 41 I
cession plus hardi et plus confiant, lorsque la pratique aura démontré l'exactitude des chiffres prévus.
En attendant, comme le temps pressait, la colonie s'est comportée comme si elle devait être laissée à ses seules ressources; elle a pris ses dispositions en conséquence; les travaux seront mis en adjudication par lots et exécutés à l'entreprise, si les offres des soumissionnaires sont accep- tables. Dans le cas où il n'en serait pas ainsi, on appliquerait le système de la construction en régie. A n'importe quelle période de la construction, la conversation pourra être reprise entre la colonie et des demandeurs en concession ; car la procédure suivie jusqu'ici ne préjuge en rien les dé- cisions ultérieures.
Si la lenlative de l'adjudication réussit, ce sera d'un très favorable augure pour nos travaux publics dans les colonies
.lilaires; ce n'est, en effet, qu'à la longue que l'on parvient ï grouper des entrepreneurs sérieux autour d'un genre de ravaux nouveau par quelque côté. La Guinée française
a bénéficier les autres colonies de son expérience et des s qu'elle aura aidé a former.
Il faut espérer que l'année 1900, et en tout cas l'.MM, ne s'écouleront pas avant que nos locomotives arrivent à Fri-
uiagbé. — Ce jour-là, la cause du chemin de fer de Cona- kry au Niger, gagnée déjà devant l'opinion et les pouvoirs publics, triomphera définitivement dans la pratique.
~
EXPLORATIONS DE M. PERDRIZET
CAMILIiB QTJ-2"
M. Perdrizet, entré au service du Congo en 18°4: sitôt après son arrivée, envoyé dans la Sangha. Là, il conçut le projet d'explorer le pays encore très peu connu entre Koundé et Carnot pour y étudier avec une méthode et une précision peu ordinaires le cours de la rivière Wora et com- pléter ainsi les précieux renseignements que nous avaient déjà rapportés M. Ponel en 1892 et M. Clozel en 1895.
Il suivi! le cours de cette rivière pendant trente-cinq jours depuis Guikora, point où s'était arrêté Clozel, et fit un levé remarquablement soigné et intéressant jusque par environ 18" E. Au retour, le courageux explorateur complétait et raccordait les reconnaissances faites par ses prédécesseurs en recoupant les rivières Bali, M'Bayéré qu'il réussissait à identifier, d'accord en cela avec M. Ponel, au cours supé- rieur des rivières Lobai' et Jbenga, affluents de l'Oubangui, Il redescendait ensuite vers le sud-ouest pour rejoindre près de Bayenga, aux bords de la Sangha, les itinéraires de Fourneau et Husson. En 1897, M. Perdrizet entreprenait de revenir à la côte en traversant une partie du Cameroun alle- mand et les régions du nord du Congo français occupées parles Pahouins. Mais il dut obéira un contre-ordre qui lui
1, Voir la tarie jointe a M numéro.
.
NOTE SDR LES EXPLORATIONS DK M. PEKDRIZKT. 4-13
parvenait au village de Bertoua, situé à plus de 400 kilo- mètres au sud-ouest de Garnot. C'est à la suite de cet arrêt forcé qu'il revenait en France, après quatre ans de séjour dans la région de la haute Sangha. Il avait donc établi que la rivière Wom, impraticable pour la navigation, n'était pas une voie de pénétration utile et qu'elle n'était pas une branche supérieure du Lagone. D'après ses observations et ses calculs, elle serait un affluent de la rivière Bar-sara. Ces observations, conformes, du reste, à celles de M. Ponel, éta- blissent que les rivières Bali et Bayéré sont vraisemblable- ment les branches supérieures des rivières Lobai et Ibenga, affluents de l'Oubangui, et non pas, comme on l'avait long- temps supposé, de la Likouala aux herbes.
SOC. DE GÉOGR. — 4* TRIMESTRE 1899. XX. — 29
DE HANOÏ A MONGTZE
M. BOMS 33 'j
Lcioq ; Hong] La oh a
La distance de Hanoï à Monglste peut être évaluée à 420 kilomètres.
Le voyage s'effectue, le plus généralement, par ta vole du fleuve Rouge jusqu'à Manhao, et par terre à parlîr de cet endroit, point terminus de la navigation commerciale.
Il existe bien au Tonkin une route reliant Hanoï àLaokay (six jours de marche, environ); mais, après Honghoa, c'estrà-dire sur plus des deux tiers du parcours, cette route n'est plus qu'un sentier qu'il est difficile de suivre pendant l'été, et qui n'est alors empruntée que par les courriers et pour les relations de poste à poste. De même, il est pos- sible de se rendre par terre de Laokay à Mongtze, mais les chemins étant peu praticables d'ordinaire, et souvent coupés durant la saison des pluies, les voyageurs prennent de préférence la voie fluviale : la nécessité où ils se trouvent d'accompagner leurs bagages les oblige, du reste, à choisir cette voie par suite de la difficulté des transports par terre.
La durée du trajet sur le fleuve varie dans des propor- tions considérables, suivant qu'on l'accomplit en bateau à vapeur ou en jonque, et que les circonstances sont plus ou moins favorables.
Les bateaux à vapeur mettent normalement de quatre à cinq jours, sans compter le temps passé aux escales de Honghoa et de Yenbai. De l'un de ces derniers centres à Laokay, en jonques chinoises, il faut de quinze jours à trois
DE HANOI A MONGTZE. il 5
semaines; les mêmes jonques conduisent les voyageurs en dis ou quinze jours de Laokay à Manhao.
On se rend aisément de Manhao àMongtze en deux jours, a cheval ou en chaise à porteurs. En ce qui me concerne j'ai franchi en dix jours, la distance qui sépare Hanoi de Laokay, à bord de la canonnière le Moutun mise à ma dis- position par M. le gouverneur général de l'Indo-Chine; puis j'ai atteint Mongtze par terre en six journées à cheval.
I. — De Hanoi a Laokat (300 kilomètres).
Daus l'état actuel des choses, le fleuve Rouge n'est acces- fale aux bateaux à vapeur, au-dessus de Honghoa, que durant la saison des pluies (juin-seplembre), c'est-à-dire mdant quelques mois de l'année seulement. Jusqu'à présent, exception faite de quelques tentatives ui ne furent pas toujours heureuses, du reste, pour con- luire à Laokay une canonnière, le fleuve n'est fréquenté, cours supérieur, que par les chaloupes de la com- me subventionnée des Messageries fluviales du Tonkin. ; termes de ses contrats, celte compagnie doit établir 2 service régulier de vapeurs entre Hanoï el Laokay : on s'est un peu trop pressé d'annoncer, semble-t-il, qu'elle tossédait, dès maintenant, les moyens d'assurer ce service •.h liant toute l'année ; en réalité ses chaloupes ne dépassent Yenbai que lorsque le niveau du fleuve s'élève de beaucoup au-dessus de l'étiage d'hiver; et, quand les eaux sont très basses, il leur est même impossible d'aller au-dessus de Honghoa. H n'est donc pas exagéré de dire que la naviga- tion à vapeur n'existe sur le haut fleuve Rouge qu'à l'état d'exception.
Dans les années qui présentent les conditions les plus favorables à ce point de vue, les chaloupes remontent à Laokay vers le commencement de mai, et peuvent continuer
416 DE HANOÏ A HONCT/.K.
parfois à effectuer ce trajet jusqu'à la lin octobre; les échouages sont, d'ailleurs, très fréquents, et le service est même souvent interrompu par un abaissement temporaire du niveau des eaux.
D'habitude, le» crues ne se produisent qu'au milieu de mai, ou dans les derniers jours de ce mois; cette année, par suite de la sécheresse qui a régné au Tonkin et en Chine, dans ces régions, elles se sont fait attendre plus longtemps encore; et c'est seulement le 2 juin que la canonnière le Moulu» put se mettre en route pour Laokay. Elle monta jusqu'à Honghoa le même jour, sans difficulté. Les eaux ayant subitement baissé dans la nuit du 2 au 3, elle se trouva immobilisée jusqu'au 4, date à laquelle elle reprit sa marche, mais pour s'échouer sur un bas-fond dans l'après-midi.
Le lendemain 5, une légère crue suffit pour la remettre à flot, et lui permettre d'arriver à Yenbai dans la soirée. La nécessité de renouveler l'approvisionnement de charbon retint le bateau une autre journée à Yenbai ; puis le 7, il ne put marcher que peu de temps, s'étant échoué à nouveau sur un banc de galets, où il resta trente-trois heures. Le 8, vers la fin de l'après-midi, grâce à une petite crue, il se remit en route.
Nous entrions à ce moment dans la zone t des Rapides », mais le niveau des eaux étant demeuré stable, la canon- nière trouva partout suffisamment de fond, et ne fut que fort peu gênée par le courant et par les roches. Aucun échouage ne se produisit plus jusqu'à Laokay, où le Mou- Hin mouilla le H juin à 8 heures du matin.
Deux chaloupes des Messageries fluviales, les premières qui eussent pu dépasser Yenbay cette année, nous avaient précédés d'une heure environ ; — la veille, un petit vapeur appartenant à un entrepreneur d'Haiphong, M. Porchet, avait aussi abordé à Laokay. Cet entrepreneur, qui a l'adju- dication des batimenls militaires qu'on élève actuellement
DE HAMOl A HOH0T9X. 117
à Laokay, a construit son bateau spécialement pour la navi- gation du haut fleuve, sur lequel il désire circuler en toute saison. La chaloupe a un très faible tirant d'eau (0 m. 70 en pleine charge) et est actionnée par une hélice placée dans une cavité ménagée sous la coque. Malgré tous ses avantages, a la saison actuelle, elle n'a pu gagner qu'une journée sur le Moulun, qui cale 1 mètre; mais le proprié- taire a plutôt en vue de naviguer pendant la saison sèche, que de lutter contre les forts courants de l'été.
Les régions traversées dans ce voyage de Hanoï à Laokay ne présentent que peu d'intérêt. Dès que l'on a quitté le Delta proprement dit, la population devient de plusen plus clairsemée, et l'on ne rencontre aucune agglomération importante. Les principales, Honghoa et Camkhé, devant lesquelles on passe tout d'abord, ont à peine un millier d'habitants, et sont simplement des centres d'échange locaux. Quant à Yenbay, c'est uniquement un poste mili- taire, autour duquel se sont groupés quelques Annamites et quelques Chinois.
A partir de cet endroit, la population annamite disparaît pour faire place aux * Thos » dans la plaine, et aux peu- ilades « Méos » dans la montagne.
ne trouve plus ensuite sur les rives du fleuve que des
postes comme Traioutt (9 juin), Pholu et Bahoa (10 juin),
litîs près de villages ou de hameaux t thos ». Entre ces
iO'érents postes, s'élèvent ou sont eu construction un assez
and nombre de blockhauss.
L'aspect des rives du fleuve est monotone et manque, en somme, de grandeur, s'il est pittoresque sur certains points.
Aux berges plates du Delta succèdent, au-dessus de Viélri, des chaînes de mamelons qui croissent en altitude au fur et à mesure qu'on s'avance dans l'intérieur. Ces mamelons
Isont couverts de forêts d'arbres grêles, étouffés par les broussailles et les lianes, dont l'exploitation u'oltriraît,
DE HANOÏ A MDMji/l-..
consistent surtout en riz dans les vallons, eu maïs et sorg] sur les flancs des mamelons.
La flore comporte peu d'espèces différentes, et reste uni- forme jusqu'à Laokay; parmi les plantes les plus com- munes, je citerai le latanier, abondant surtout vers Camkhé, qui est le plus grand centre d'exploitation des feuilles de ce palmier, employées par les Annamites à la fabrication des chapeaux.
Puis un bananier sauvage, confondu, — à tort, je crois, — avec la backa aux libres textiles des Philippins (chanvre de Manille).
La formation géologique des rives du haut fleuve Roi (calcaires et schistes) rappelle celle de la région qu'an le cours supérieur du Sikiang; mais je n'ai pu m'empêcber de faire une comparaison toute à l'avantage de ce dernier fleuve, quant au pittoresqne.
,1e n'ai rien vu, en effet, de Yenbay à Laokay qui ressem- blât aux grandioses spectacles qu'offrent les gorges rocheuses de la rivière de l'Ouest entre Namming et Longtchéou.
Cette différence apparaît particulièrement dans les rapi- des qui sont loin d'avoir, sur le fleuve Rouge, le caractère imposant qu'ils tiennent, sur le Sikiang, d'un dénivellement plus accentué et de la prés«nce, au milieu du lit, d'amas de roches considérables.
Il me parait qu'on s'exagère la difficulté de ces rapides en ce qui concerne la navigation à vapeur. Le véritable obstacle réside dans les nombreux bancs de sable mouvant, qui créent des bas-fonds impossibles à franchir pour les bateaux calant plus de 0 m. 60. Les travaux que l'on con- duit actuellement ne sauraient, de longtemps, améliorer le lit du fleuve à cet égard ; la vraie solution ne consisterait- elle pas dans l'adoption d'un type de chaloupes ayant un tirant d'eau très réduit, semblables à celle qu'a const M. Porcbet, par exemple?
Ces chaloupes seraient appelées à rendre de grandi
•
DE IIAMII A MUMiTïE.
vices, puisque, grâce à leur rapidité relative, elles permet- traient d'assurer dans des conditions plus satisfaisantes, les relations des postes entre eux et avec le Delta, ainsi que leur ravitaillement. Quant au transit avec le Yunnan, il semble que les jonques chinoises qui circulent entre Hanoi et Maohao suffisent amplement comme moyen de transport pour les marchandises importées ou exportées par la place de Mongtxe.
Il tombe sous le sens que la dorée du trajet est, pour le commerce chinois qui vise surtout à l'économie dans le fret, un facteur de moindre importance.
A Laokay et à Coc-leou, son faubourg de la rive droite, un centre militaire européen est en voie d'installation dans des conditions d'hygiène et même de confortable, qui vont enlever à ce poste-frontière sa réputation d'insalubrité, un peu exagérée, d'ailleurs.
Au point de vue commercial,, cette localité n'a pour le moment, il faut bien le reconnaître, aucune importance.
En fait de négociants, il n'y existe qu'une seule maison française, celle de M. Blelon, qui se borne exclusivement à faire la commission d'opium pour la douane, se désinté- ressant absolument de toute autre question; les quelques marchands chinois fixés à Laokay sont des fournisseurs de la garnison. En ce qui concerne le grand commerce avec le Yunnan, Laokay n'est qu'un Heu de transit, presque au même litre que les autres escales de la navigation sur le fleuve. Cependant, on doit noter qu'il s'y opère des transac- tions assez sérieuses, en contrebande, sur l'opium et sur le sel; c'est le point d'attache de quelques caravanes qui se livrent à cette contrebande.
L'absence de relations commerciales régulières, entre Laokay et les marchés chinois voisins, se mahilesle bien dans la difficulté que l'on rencontre à se procurer des moyens de transport pour se rendre en Chine. C'est ainsi que j'ai été obligé d'avoir recours au mandarin de Hokéou
«0 l)Ë HÀKOÏ A MONGTZE.
(Sonphong) pour trouver des jonques, et que sans t'inta vention de M. le colonel Viinard, commandant le quatrième territoire, il m'eût été impossible de recruter les bêtes de somme el les montures dont j'avais besoin ; j'ajouterai que le colonel dut réquisitionner une caravane de contreban- diers.
Hokéou (Sonphong) est situé sur la rive gauche du fleuve et sur la rive droite du Namti dont le lit forme la frontière entre la Chine et le Tonkin.
C'est une agglomération de deux à trois cents misérables cases, bien inférieure comme aspect au bourg de Tonghing qui occupe, sur les confins du Kouangtong, une position similaire à celle de Hokéou sur les limites du Yuonan. La population, qui vil surtout de contrebande et, le cas échéant, de la piraterie, parait être entièrement composée de Cantonnais : on connaît la répugnance invincible des Yunnanais à descendre de leurs plateaux pour se fixer sur les bords du fleuve.
Le mandarin civil qui a été installé depuis peu à Hokéou était avisé de ma prochaine venue par mon collègue à Mongtze.
J'ai été dès mon arrivée lui faire une visite qu'il m'a rendue le lendemain; il m'a accueilli avec le pins grand empressement, et, grâce à ses bons offices, j'ai trouvé toute facilité pour poursuivre ma route et expédier mes bagages sur Manhao.
II. — DeLaokay a Mongtze (120 kilomètres environ).
Pour se rendre de Laokay à Mongtze par terre, le voya- geur a le choix entre plusieurs chemins. L'un d'eux rejoint la grande route de K'aihoufou; c'est la voie la plus facile, mais aussi la plus longue, le trajet n'exigeant pas moins de dix à douze jours. D'un autre côté, on peut, parall-il, en
I)K HANOI A MOHGTZB. -12 i
suivant pendant une journée le cours du Namti, monter immédiatement sur le plateau, et gagner assez rapidement Monglze. J'aurais désiré suivre ce chemin, mais la région étant actuellement infestée par les débris des bandes refou- lées du troisième territoire, le mandarin m'a dissuadé de prendre cette direction; et sur sa demande, j'ai choisi la route de Manhao qui longe la ligne télégraphique, et sur laquelle circulent les courriers du consulat et de la douane de Monglze. Je n'ai pas, du resle, été jusqu'à Manhao : à Sinkai, j'ai abandonné ce chemin pour gagner le sommet du plateau, ce qui m'a permis d'économiser deux journées sur la durée du trajet. Je crois utile de noter ici qu'à Laokay, il m'a été absolument impossible d'obtenir des renseignements sur le parcours de la frontière à Mongtze lar terre; la route n'est pas connue des Européens rési- dant à Laokay, surtout dans la partie comprise entre Sinkai et Mongtze. Toutes les personnes que j'ai consultées m'as- suraient que je rencontrerais de très grosses difficultés et
e je serais très probablement forcé de revenir sur mes
s. J'ai pu pourtant, au prix de grandes fatigues, il est vrai, effectuer le voyage en six journées.
Je quittai Laokay le i3 juin à 8 heures du matin. Sur l'ordre du commandant de ia marine du Tonkin, /.: Moutttn a d'une salve de 7 coups de canon au moment où je passai la frontière.
Je poursuivis immédiatement ma route sans m'arrêter à Hokéou. Pendant les trois premiers jours de marche, je nageai le neuve, sur la route de Manhao ; c'était un étroit intïer, à peine frayé, qui, dans cette saison, est envahi par i brousse et coupé par de nombreux arroyos. Le chemin îdtoie presque continuellement le cours du fleuve; il ne s'en écarte qu'à une petite distance, quand il cherche à éviter les courbes du lit, en s'engageant dans les vallées qui les sous-lendent.
Pour passer du bord du fleuve dans ces vallées, ou pour
1IE HANOÏ A MONIiTZE.
revenir sur les berges, on traverse fréquemment des chaînes de mamelons dont la hauteur va en augmentant à mesure qu'on s'éloigne de Laokay; en général, d'ailleurs, le ter- rain est très accidenté; le plus grand obstacle à la marche provient des ravins et des torrents que l'on rencontre à chaque pas.
De Laokay à Basât, ma première étape (13 juin, 15kiIom. environ), j'ai été arrêté ainsi à plusieurs reprises : d'abord, aux portes même de Sonphong, par le passage d'un arroyo, et par celui d'un ravin vaseux; puis, vers la fin de l'étape, une petite rivière, franchie sur un pont en mauvais état, m'a occasionné un relard considérable. Les muletiers devant décharger les bats et les transporter à bras d'homme, puis faire traverser des animaux souvent récalcitrants, on perd beaucoup de temps, et des accidents se produisent quel- quefois, chutes, charges renversées, etc. Durant cette pre- mière journée, on parcourt une région très peu habitée et peu cultivée. Je n'ai rencontré sur les hords de la route qu'un hameau de quelques cases, Choueimi, où je dus m'arrêter rie midi à i heures pour laisser reposer ma cara- vane, et un petit village, Manngo (a le Bongo » des cartes éditées au Tonkin). A Choueimi s'est fixée une famille cantonnaise; Manngo est une agglomération d'aborigènes Thos, située dans une vallée assez cultivée, que la route suit pendant près de 2 kilomètres. Au sortir de cette vallée, et après avoir franchi un col de 85 mètres d'altitude, on s'engage sur une sorte de plateau accidenté, sur les bords même du fleuve, à l'extrémité duquel se trouve le marché chinois de Baxat. Un poste français, qui porte le même nom, est installé en face, sur un haut mamelon de la rive droite.
Parti à i heures de l'après-midi de Choueimi, j'arrivai à Baxat vers 6 heures du soir. Mon escorte me conduisit au poste militaire qui s'élève en arrière et au-dessus du village, et qui se compose d'une réunion de quelques paillotes
DE hivh K MOHGTZfc.
entourées d'une enceinte en pisé et en bambous; j'y fus fort bien reçu par le mandarin, qui mil à ma disposition son propre logement.
La population du marché est mélangée de Cantonnais et de Tbos, bateliers, contrebandiers et, sans doute aussi, pirates à l'occasion.
Le 14 juin, je gagnai l'étape de Namt'ing, à ii kilomètres de B.ixiil environ. Le caractère du pays sur ce parcours reste celui que nous avons décrit plus baut.
Marchant depuis 7 heures du matin, j'atteignis sans peine, vers 11 heures, le marché de T'ienfang, commandé par un petit poste militaire. Je fis halle dans ce village, dont les habitants sont aussi des Thos et des Cantonnais. Je m'y installai chez un notable Tho. qui parut m'offrir avec plai- sir l'hospitalité; sa demeure très propre respirait une cer- taine aisance.
Le marché battantson plein lorsque j'entrai à Tien fang, je tus à même de constater qu'il était fréquenté par des aborigènes de race Yao (Yao rouges et Yao blancs). — Les articles mis en vente par des colporteurs, consistaient en fils et aiguilles de provenance anglaise, filés et tissus de coton venant de l'Inde, pilules de santonine, poudre d'aniline (bleu d'oulre-mer) d'exportation allemande, allu- mettes et serviettes d'origine japonaise, pierres à briquet, alun, etc.
Je me remis en route a 2 heures, et j'étais vers i heures à Namting, marché qui, comme Baxat, est situé sur le bord du fleuve. J'y fus logé aussi dans le posle militaire; ce poste, qui est à l'entrée du marché sur une petite émi- nence, ne parait pas être occupé actuellement, et les pail- lettes qui le composent sont complètement délabrées.
Dans la journée du 15, je me rendis de Namting à Sinkai {i~ kilomètres environ).
C'est la plus longue étape, et c'est aussi la plus difficile. Dès la sortie de Namtinp, on se heurte à des obstacles, le
revenir sur les berges, on Irav de mamelons dont la hautcu l qu'on s'Éloigne de Laokay. rain est très accidenté ; le i provient des ravin chaque pas.
De Laokay à Baxat, ma environ), j'ai été arrêté ai
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..0. de chercher moi-même rofond, je trouvai plus d'un ail à lutter également contre '.m qui menaçait d'entraîner hommes fleuve, et que, d'autre part, les berges ei ulfritées étaient d'un abord dif- ...re toutes les charges et employer les suit pendant - ns pour les porter, et pour conduire
vallée, et apr . ... c0l6 du lorrent.
on s'en, |s d.une heure d'efforts que le con-
bords formé sur la rive opposée; je mar-
marc Ire,s dans l'obscurité et sous la pluie,
m'"',n nllago 'le Sinkai.
la '" i,.s niâmes caractères que ceux de
,., il,. NamliiiB*. ce sont évidemment là des
......es des hautes vallées et
' 'vrrsiiiil du plateau viennent s'approvi- ''' i;' latioH ,tc .■»•» localités est généralement
: BÀHO) A NONGTZE.
nnais et de Thos, ceux-ci habitant les
ii en outre quelques Yunnanaîs, dont plu-
Ces différentes localités semblent être
. contrebande et d« piraterie, ainsi que l'indi-
uombreuses proclamations émanant de diverses
civiles et militaires, que j'ai remarquées; procla-
jfm exhortent les populations à la tranquillité, ou
nt l'exportation du riz et le commerce du sel et de
, Smkai possède aussi un poste militaire, mats H
i sur la rive droite; ce point a sans doute servi, pen-
aul tes dernières hostilités entre la France et la Chine, à
■les concentrations de troupes et du matériel de guerre;
un remarque, en effet, dans la rue principale quelques
pièces de canon en bronze et en cuivre, démontées, et des
orpilles formées de deux bassines à riz soudées ensemble.
Les habitants du village paraissent jouir d'une certaine
aisance, et entretenir de fréquentes relations avec Monjjtze
au moyen de caravanes; aussi, ai-je pu y louer quelques
nules dont j'avais grand besoin pour soulager les animaux
scrutés à Laokay, très fatigués par ces trois dures journées
b marche.
En résumé, le pays parcouru dans cette partie de mon
■nyage est un système de petits coteaux s'étendant sur une
Hroile bande, au pied du grand massif montagneux. Il est
H.-ii habité et partant peu cultivé. La population se partage
i Chinois, presque exclusivement gens des deux Kouang,
t en aborigènes de races différentes, Thos dans les basses
ra!lés,Yao et Poula dans les hauts vallons et sur les sommets.
Le terrain présente les mômes caractères que dans la
gîon qui s'étend de Yenbaî à Laokay (calcaires, conglo-
lérats, schistes argileux et grès; sol argileux).
L'aspect est pourtant différent par suite des défriche-
*nts qui y sont plus nombreux, la plupart des coteaux
ml déboisés.
iiH DE HANOÏ A MONIiTZE,
Pour ce qui est des cultures, elles ne sont plus limitées au maïs et au sorgho ; partout où cela est possible, le sol est occupé par des rizières inondées; on remarque aussi des plantations d'arachides, de sarrasin, de riz rouge, etc. La flore m'a paru peu différente de celle de Longtchéou et de Langson ; le genre ficus domine, et se présente sous de très nombreuses variétés ; avec le bananier sauvage et une petite plante à fleurs pourpres (espèce de callicarpa) qui abonde dans les broussailles, les ficus forment la caracté- ristique de la végétation; j'ai trouvé dans les broussailles beaucoup de plantes curieuses, déjà vues au Kouangsi, entre autres l'amorphophallus,dont le tubercule est employé dans la pharmacopée chinoise.
Le climat est celui de la haute région du Tonkin : chaud et orageux à cette époque de l'année où la saison des pluies commence à s'établir; après une journée de chaleur intense, le 13, j'ai subi le 14 et le 15 des pluies (fortes averses) qui ont gêné ma marche.
Le 16 juin, je quittai Sinkai, abandonnant la route, qui longe le fleuve et qui se continue jusqu'à Manhao, pour gravir immédiatement le versant du plateau, et je gagnai l'étape deHaodjeti (16 kilomètres environ).
Aux portes mêmes de Sinkai commence l'ascension de ce versant; le chemin s'élève par des paliers successifs, que relient entre eux des escaliers de pente assez raide, dont les marches sont formées de gros blocs de grès ; de distance en distance, celte série d'escaliers est interrompue, et la roule serpente alors par des sentiers en lacets, sur le flanc ou dans les replis de la montagne ; le terrain est du reste très mouvementé, et le voyageur ne cesse de monter et de descendre. De 11 heures à 1 heure de l'après-midi, après avoiratteint un premier faile, je suivis dans ces conditions l'arête d'une longue croupe aux versants escarpés, très boisée en certains endroits, et aboutissant à un grand massif, au pied duquel se trouve le gîle d'étape de T'angkia-
HE HANOÏ A MONGT/.E. 121
t'ien, à 1,400 mètres d'altitude, groupe de bâtiments en briques mis à la disposition des voyageurs.
Un mandarin appartenant à la secte musulmane, qui réside dans cet endroit, me reçut fort bien, et m'offrit même des provisions. Je me reposai chez lui jusqu'à 3 heures du soir. Au sortir de T'angkia t'ien, te chemin s'Élève d'abord à pic jusqu'à 1,800 mètres d'altitude; il continue ensuite sur le sommet du massif, montant et des- cendant continuellement à travers les plis de terrain, tout en gagnant en altitude, d'ailleurs, jusqu'à un petit plateau calcaire à 1,935 mètres d'altitude, qu'occupe le poste mili- taire d'Haodjeti, où j'arrivai à 5 heures du soir.
Ce poste est entouré d'une curieuse enceinte crénelée en pierre sèches.
Les autorités me firent préparer un logement dans un vaincu bâti à l'entrée du poste; de même qu'à T'angkia- t'îen, je n'eus qu'à me louer de l'hospitalité qui me fut ainsi offerte.
Tangkiat'ien et Haodjeti, où sont détachés des groupes de soldats appartenant à la brigade de « Lin Yuan », sont évidemment des postes qui, tout en commandant les points accessibles du plateau, servent surtout de gite d'étape pour les mandarins, comme semble l'attester l'installation rela- tivement confortable qu'ils offrent (bâtiments en briques avec planchers, construits en forme de yamen) et les ap- provisionnements qu'ils renferment. D'après la teneur des proclamations qui y sont affichées, ces postes seraient prin- cipalement destinés à empêcher la contrebande, particuliè- rement celle du sel.
En dehors des enceintes, ont été ménagées des sortes d'es- planades rectangulaires, ayant à leurs extrémités des abris cubiques à toitures piates, en pisé; sur ces emplacements se tiennent des marchés fréquentés par les montagnards, à qui les mandarins ont ainsi fourni les moyens de vendre leurs produits, ou de s'approvisionner dans la région même.
Le 17 juin, je me rendis de Haodjeti à Hsinhsien (14 ki- lomètres environ). Le plateau sur lequel est bâti le poste se termine brusquement, el de façon très abrupte, au delà de l'enceinte. Après une descente assez rapide au milieu d'une sorte d'alignement d'aiguilles calcaires, j'entrai dans une vaste plaine accidentée où, vers 11 heures, je laissai à droite le village de Choueitongpo. Le pays est alors rela- tivement désert, et j'avance au milieu d'un système de ma- melons herbeux où l'on ne voit que de rares traces de cul- ture; le chemin s'élève à travers ces mamelons, atteignant par degrés une altitude de plus de 2,000 mètres. Vers 1 heure, après avoir passé un col de 2,055 mètres, je des- cendis dans une vallée cultivée, en forme d'entonnoir, m'arrêtant à mi-flanc du versant, au hameau de Chelong (1,845 mètres); la vallée présente une formation calcaire très accusée (aiguilles, belles grottes). Chetong est habité par des indigènes chinois (Hanjèn); les femmes ont les « petits pieds »; ces paysans paraissent très sauvages, et mon escorte eul beaucoup de peine à me faire recevoir dans l'une de leurs cases. Je restai à Chelong jusqu'à 3 heures; en sortant de cet endroit, je gravis une pente escar- pée, franchis un col élevé, puis, descendu au pied du col, je traversai une longue vallée très cultivée, et semée de groupes d'habitations ; le passage d'un second col me con- duit dans une autre vallée également bien cultivée, et assez peuplée : celle-ci se termine en une sorte de couloir, dont le marché de Hsinhsien (1,400 mèires d'altitude) occupe la largeur.
Les vallées dont je viens de parler sont arrosées par des arroyos assez forts et il est digne de remarque que la route passe sur des ponts à arches en pierre.
J'arrivai à Hsinhsien à 5 heures du soir. C'est une agglo- mération, qui semble relativement importante, de cara- vansérails et de magasins où se vendent, outre les pro- ductions du pays et de la province (huile d'arachides, sel
: HANOI A MONGTZE. 429
nome, opium, etc., etc.), des marchan dises étrangères s de coton, al lu mettes, tissus, etc., etc.). i population est composée d'indigènes chinois. Je logeai a grand caravansérail en bois, très propre, où étaient déjà installées plusieurs caravanes; un mouvement assez actif de convois de bêles de somme paraît exister entre Mongtze cl llsinhsien; j'ai noté que ces convois, en cette saison lout au moins, transportent surtout de l'huile d'ara- chide.
La dernière étape de llsinhsien a Mongtze (25 kilomètres environ) m'avait été annoncée comme devant être très longue et très fatigante. Je me suis mis en marche, le 18 juin, à 7 heures du matin, avançant sans trop de difli- culté, à travers un pays plus peuplé que précédemment, presque partout cultivé.
Le chemin suit une série de vallées arrosées par des tor- rents, et séparées les unes des autres par des chaînes de mamelons plus ou moins élevés,- il y a ainsi à franchir un certain nombre de cols (1.500 à 1,000 mètres d'altitude) d'accès généralement ardu, par suite de l'escarpement des
A plusieurs reprises aussi, la roule prend au milieu des rizières, ou emprunte le lit d'un torrent, et alors elle devient assez mauvaise. Au bout d'une vallée particulièrement bien cultivée (belles rizières) et renfermant de nombreux ha- meaux à l'aspect relativement riche, je fais halte, à 1 heure, dans un petil groupe d'habitations défendu par une en- ceinte en pisé. C'est Hokiatchai (1,535 mètres d'altitude), point près duquel la voie que j'ai prise rejoint celle qui va de Manhao à Mongtze. La ligne télégraphique venant de Laokay, que j'avais perdue de vue depuis llsinkai, reparaît ici; je dirai, en passant, que cette ligne m'a semblé avoir été construite d'une façon très précaire : en beaucoup de points, le lil est simplement accroché à des arbres et même à des arbustes; il n'y a donc point à s'étonner qu'elle soit
430 DE HA.NOJ A MONGTZE.
presque continuellement interrompue, ainsi que j'ai eu l'occasion de le constater par moi-même depujs que je suis ici.
Parti de Hokiatchai vers 3 heures, je rencontrai au bout d'une heure de marche sur un plateau aride, d'argite rouge, jonché de débris calcaires, une porte monumentale barrant à l'extrémité du plateau, un col qui donne accès à la plaine de Mongtze; une étroite vallée, semée de groupes d'habi- tations et bien cultivée, longe le pied du plateau.
Une courte et peu rapide descente conduit à l'entrée de la grande plaine (1,330 mètres d'altitude). Là, par des che- mins faciles (lits de torrents à sec, le plus souvent), après avoir traversé le bourg muré de Sinnganson, j'arrive, en moins de deux heures, au consulat de France.
Sur le parcours de llsinkai à Mongtze le pays présente une grande variété d'aspects et de caractères divers très tranchés, en ce qui concerne le climat, la flore, les popu- lations, etc.
Les pentes du plateau sont principalement habitées par des aborigènes, Yao et Poula notamment. Une fois la crête dépassée, lesvallées sont peuplées d'indigènes chinois (Hanjên) parlant un dialecte qui se rapproche beaucoup du « mandarin »; les Thos semblent avoir complètement disparu.
Les cultures consistent surtout en riz, arachides, maïs; le coton et l'indigo sont aussi communs. La culture maraî- chère est à peu près celle de France. Dans les parties boi- sées de la montagne, jusqu'à T'angkial'ien, le bambou do- mine; plus loin, on voit apparaître, à l'état sauvage, le châtaignier et plusieurs arbres fruitiers d'Europe : poiriers, pêchers, pommiers, etc.
Vers le même point, les broussailles renferment des mûres, des fraisiers (fraises blanches), des chardons. Parmi les plantes, je citerai comme étant très répandues deux espèces de lis (lis blanc et lis rouge) et une espèce
m aiitoi a ionci». -tti
d'hypericum. Les grands arbres sont rares. Le pin, si com- mun dans le Koiianesi. ne commence à apparaître que dans la région voisine de Mongtze; il est presque toujours associé à une espèce de liquidambar, ressemblant beau- coup à l'érable.
En ce qui concerne le climat, j'ai trouvé des conditions différentes sur le versant, au sommet et dans la plaine.
Le versant participe du climat de la vallée du lleuve; la
^a i^on des pluies commence à s'y établir. Les sommets sont
noyés dans la brume, et des pluies continues y régnent;
G* 'après les dires des mandarins de T'angkiat'ien et de Haod-
je:fci, le ciel resterait couvert dans ces endroits la plus
gr-ande partie de l'année, et des ondées y tomberaient tous
's s jours. Dans la plaine de Mongtze, au contraire, les pluies
"* «té n'ont pas encore fait leur apparition, et les arroyos,
1 *J i inondent le plateau à la saison humide, sont encore à
s*ï«i; ce serait là, du reste, une circonstance extraordinaire,
*■ «e qu'on m'a assuré ici. Dans tous les cas, des averses
fï,J*olidiennes arrosent les chaînes qui entourent la plaine.
La caractéristique de Mongtze, au point de vue du cli-
^^at, est la brise, très forte par instants, qui ne cesse d'y
â,=* nfller actuellement.
La route de Hsinkai à Mongtze témoigne de très grands e Hbrts faits à une certaine époque pour créer une bonne ^*ie de communication entre ces deux points.
Les travaux exécutés dans ce but ont été réellement con-
**lérables ; comme je l'ai dit, on a construit des escaliers
ï pierre pour faciliter l'ascension et la descente des prin-
:*pales pentes; de plus le chemin est dallé sur la plus
rande partie du parcours.
En beaucoup d'endroits, la route a été taillée dans le
Qanc de la montagne. Sur le plateau, les ponts à arches, en
pierre, sont très nombreux. Malheureusement, celle voie
n'est pas entretenue et, à l'heure qu'il est, elle n'est plus
ralicahle qu'aux cavaliers et aux piétons; elle justifie ainsi
\'A1 DE HANOI A MON^TZE.
le proverbe chinois qui dît, en parlant de ces routes pavées, qu' « elles sont bonnes pendant dix ans, et ensuite mau- vaises pour toujours ».
Les ponts pourtant sont encore dans un excellent état de conservation; j'en ai vu un grand en cours de construction à Hokiatchai possédant plusieurs arches.
A partir de Hsinhsien, les agglomérations que j'ai tra- versées, ou près desquelles je suis passé, contiennent sou- vent des habitations indiquant chez leurs propriétaires une certaine aisance.
Les maisons de bois commencent à se monlrer. Les bâti- ments les plus riches sont ornés sur leur façade de portes décorées de motifs originaux, d'un elfet très pittoresque. Dans plusieurs villages, j'ai vu des constructions à toils plats.
A Sinnganson et à Mongtze, les monuments dignes de remarque (pagodes, arcs de triomphe, portes monumen- tales, ponts ornés, etc.) abondent et parlent en faveur du goût artistique, des ressources et de l'activité des popula- tions qui les ont élevés autrefois.
DE CANTON A LONG-TCHEOU
M. FRANÇOIS
i la fin de l'année 189-0, j'accomplissais le voyage de Can- on à Long-Tchéou, remontant sur une jonque la rivière de luest jusqu'à son confluent avec !e bras qui luiamèneles s du versant tonkinois et je m'engageais ensuite sur cet Auent pour gagner Long-Tchéou.
J'eus l'occasion de me rendre à plusieurs reprises au 'onkin et de suivre les deux voies fluviales qui se réunissent à Long-Tchéou, descendant, l'une de Lang-Son et la se- ■onde de Cao-Eang.
Knfin, reprenant le chemin de Canton, j'empruntais une
leuxième fois le cours de la rivière de l'Ouest, après avoir
dressé de ces différents fleuves une carte au 1/30,000'. Je me
lonnerai donc ici pour but d'indiquer rapidement celle
lartie spéciale du système fluvial tonkinois et de décrire le
lays traversé par le grand fleuve du Koimng-SL
La rivière venant de Lang-Son entre en Chine à Bin-Nhî
zBîgni);elle serpente de la manière la plus capri-
, se dirigeant à peu près exactement h l'est, entre des
mamelons incultes semblables à ceux de la région de Lang-
. Le pays est excessivement pauvre; à l'exception de
lelques rares et étroites rizières, étagées dans les ravins,
i terre des collines est stérile. La population, de la race
, est très clairsemée, dispersée dans de misérables ha-
. Voir lu i-irli1 jfiintt' â eu numéro
434 PB lAVmi a [.ONC-Tnin>oiT.
meaux. La seule agglomération de quelques centaines d'ha- bitants est Ya-Choueï-Tân. De ce point, le cours d'eati tourne brusquement au nord, pénétrant dans les grandes masses de roches qui forment un cirque de 12 à 45 kilo- mètres de diamètre autour de Long-Tchéou. Le lit n'est qu'une suite ininterrompue de petits rapides, accessibles seulement à. des sampans de 25 à 30 centimètres de tirant d'eau, dirigés par des bateliers d'une extrême habileté.
Cette branche, qui n'est indiquée par aucun des livres chi- nois, n'a pas de nom officiel ; on la connaît encore à Long- Tchéou sous le nom qu'elle porte au Tonldn: s le Song-Ki- Kong»; ou bien on la désigne « rivière qui conduit à Lang-Son ». Son cours total en territoire chinois est d'envi- ron 60 kilomètres.
La branche qui vient de Cao-Bang passe en Chine entre le poste tonkinois de Ta-Lung et le poste chinois de Choueï- Kéou. Sa direction est exactement sud-est. Ses eaux coulent dans un chenal de pierre, entre des berges à pic, hautes de 15 à 18 mètres, de ruches déchiquetées de la façon la plus fantaisiste; au point de vue du pittoresque les bords de cette rivière sont extrêmement beaux, mais la campagne qu'elle traverse est toujours également pauvre; c'est partout le ro- cher; de tous les côtés se dressent de hautes masses de cal- caires, qui s'alignent en file dans des directions parallèles. On ne rencontre entre la frontière et Long-Tchéou, sur un parcours d'une quarantaine de kilomètres, qu'un seul petit centre, Chang-Hia-Tong, bourgade d'un millier d'habitants et résidence d'un de ces mandarins aborigènes dont les fonctions sont héréditaires. 11 subsiste encore une vingtaine de ces circonscriptions adminisiralives particulières, encla- vées dans les préfectures chinoises de cette région.
Cette rivière peut porter des sampans un peu plus forts
que ceux du Song-Ki-Kong; les fonds y sont plus réguliers;
s les crues, qui se produisent avec une rapidité extrême,
viennent souvent interrompre la navigation. L'écoulement
coulemenl
t CANTON A LONG-TCHÉOt.
135
des eaux, sur ce sol de rochers, élève le niveau de la rivière de plusieurs mètres en quelques heures. Parti de Long- Tchéou par des eaux 1res basses, j'ai dû, après une journée de navigation, rentrer le lendemain, ramené en deux heures par un courant vertigineux, les eaux s' étant élevées de plus de 4 mètres dans la nuit. Elles atteignent parfois jusqu'à 14 mètres en face de Long-Tchéou, sans jamais sortir de leur lit. Ce cours d'eau, qui porte au Tonkin le nom de Song- Bang-Giang, est dénommé Li-Kiang en Chine; il prend le nom de Long-Kiang dans la partie qui arrose le territoire de Long-Tchéou.
Il est indispensable de faire ressortir combien les appel- lations, données d'ordinaire à toutes ces rivières, sont inexactes-, elles sont de nature à causer des erreurs. D'ail- leurs, si l'on se reporte aux livres officiels des mandarins, on ne trouve pas moins de sept appellations pour ce seul cours d'eau entre Long-Tchéou et Nan-Ning-Fou. Il en est ainsi pour toutes les rivières. Lorsqu'on voyage, on constate qu'il est impossible de les désigner aux riverains eux-mêmes au- trement qu'en indiquant le point où l'on se rend.
Le même fleuve appelé ici Li-Kiang, se nomme Tso-Kiang à quelque dislance, puis « Tsing-Lou-Kiang », ou * Ouen- Tseu-Choueï u, ou « Long-Teo u-Ouan ». Il partage le nom île Long-Kiang avec presque tous les cours d'eau de la pro- vince en un point de leur cours. Chaque rivière est rivière de gauche dans une partie pour devenir rivière de droite peu après; de branche du nord elle devient branche du sud un peu plus loin. En aucun lieu, l'un de ces noms ne dé- signe l'ensemble d'un lleuve et ne peut le faire reconnaître des habitants. Cette confusion est propagée même par les géographies officielles de la province, préparées par les au- torités provinciales pour le service des mandarins. Ces géo- graphies représentent une juxtaposition de travaux géogra- phiques indépendants les uns des autres, faits dans chaque circonscription sans aucune préoccupation de la circonscrip-
436 DE CANTON A LONC-TCBÉOO.
lion voisine. Chaque tronçon du même fleuve y est traité comme un cours d'eau particulier, et il n'est pas rare de voir indiquer le Ironçon supérieur comme source initiale, et de faire jeter le fleuve dans le Ironçon inférieur, dé- nommé autrement, comme s'embranchant dans un Douve nouveau1.
Long-Tchéou,où les deux fleuves précédents se réunissent, est une ville de 20,000 habitants environ, construite sur la rive gauche, au centre d'un cirque de rochers de 6 à 8 kilo- mètres de rayon. Quelques cultures de riz et de canne à sucre sont faites surtout sur la rive droite entre les mame- lons stériles qui occupent la plus grande partie de ce cirque. Long-Tchéou est le siège d'un mandarin du grade de préfet de deuxième rang nu Tinh, et la circonscription dépend du cercle de Taï-Ping-Fou. Ce territoire appartenait autrefois àl'Annam,et ce n'est en réalité que depuis 1726 que l'auto- rité du mandarin chinois s'y est établie. Il existe encore 21 arrondissements placés sous les ordres de chefs abori- gènes héréditaires. La population est de race Tho.
La ville de Long-Tchéou, avec sa ceinture de murailles or- dinaires, forme un carré irrégulier, percé de quatre portes aux quatre points cardinaux, et vers lesquelles se dirigent des ruelles boueuses, puantes, séparées par des mares qui occupent la bonne moitié de l'enceinte murée. Pourtant, en jugeant par comparaison, la ville est relativement propre. On n'y peut rien noter de remarquable. Le site seul est ad- mirable, et la sortie de la rivière passant entre des roches superbes couronnées de pagodons originaux est d'un aspect ravissanl.
Au point de vue commercial c'est un centre sans impor- tance, sans autre trafic que le petii négoce tout local d'une
t. Je remettrai à la Société la traduction crnnpli:ie,a.crinDpapiée des noms en caractères chinois, du système lluvial du Kouiing-Si: et Je joindrai également les renseignement* traduits sur les circonscriptions administratives parcourues par la grande rivière de l'Ouest.
riE CANTON A LONG-TCHÉOE. 137
population extrêmement pauvre dans un pays incultivable et sans avenir.
En quittant Long-Tchéou la rivière s'engage immédiate- ment dans des gorges formées de murailles de calcaire tom- bant à pic dans la rivière, li n'existe plus de vallée, l'eau re- jetée d'obstacle en obstacle s'est creusé un lit décrivant des courbes extraordinaires, se repliant souvent plusieurs fois autour d'un même point. Et les grandes murailles déroches se succèdent sans interruption, hautes de 80 mètres jusqu'à 200 mètres, traçant à la rivière un couloir aux parois inac- cessibles, sans même place pour un sentier de halage. Les jonques se hissent péniblement à la perche. Tout l'en- semble du pays présente un chaos indescriptible. Parfois des apports de sable ont formé une courte presqu'île de quelques hectares au maximum, fermée hermétiquement par la muraille rocheuse. Sur quelques-unes deces langues de terre, quelques familles de Thos ou de Man vivent miséra- blement comme sur un îlot, sans autre voie de communica- tion que la rivière.
Le pays tout entier n'est qu'un bloc compact de rochers inaccessibles de quartz oudemarbres, dépourvus de végéta- tion autre qu'une courte brousse ou de hautes herbes. Les eaus de l'intérieur se déversent par des fissures, par des cre- vasses, suintent entre les feuillets de la pierre en y laissant ries bourrelets de dépots, des masses de stalactites mena- çantes. On est frappé de ne pas rencontrer d'affluents, de ruisseaux ou de déversoirs; le sol ne présente que des sé- ries d'entonnoirs, de cavernes, de même que les sommets sont percés d'une infinité de grottes. Une piste conduisant par terre à Taï-Ping-Fou, passe péniblement sur ces chaînes et traverse onze fois la rivière (qu'elle rejoint par des esca- liers) sur un parcours de 80 kilomètres environ.
Au-dessous de Long-Tchéou, le seul affluent notable est le ii Ming-Kianjt s, coulant lui-même dans de semblables cou- loirs de roches. Il est cependant fréquenté par de gros sam-
desce Man, ititérc
autre
i:î8 [>E C ASTON A LONG-TCHÉOIJ.
pans dont la circulation est limitée à moitié de son cours par une grande chute. Cetl« rivière, qui vient du sud, est une des voies de communication vers Pak-Hoï. Au-dessus de la chute, un autre bief se termine dans la province de Canton. Le général chinois Sou fait exploiter des gisements de char- bon qu'il a découverts sur la rivière même.
Toute cette région est déserte. On n'aperçoit aucun ani- mal; pas un oiseau de proie ne plane au-dessus de ces roches, ni un oiseau aquatique ne longe la rivière. Le pois- son est très rare, et souvent même on ne recueille pas le moindre fretin. Il est difficile d'imaginer une nature plus admirablement sauvage.
En trois ou quatre jours de cette navigation tortueuse, butant d'une muraille à une autre rnuraille,on rencontre la préfeelure de « Taï-Ping-Fou a. Cette préfecture, qui est le siège d'un cercle administratif important, n'est qu'un misé- rable bourg de 400 mètres de cûlé, dans des murailles crou- lantes. Cette ville, qui a été représentée dans quelques rela- tions comme un centre de 30,000 habitants, au milieu d'une plaine fertile, riche en rizières et en champs de cannes à sucre, ne couvre pas entièrement une de ces petites langues de sable dont il a été parlé plus haut entre la rivière et le rocher; deux rues qui se croisent ne conduisent même pas leurs rangées de maisons espacées jusqu'aux portes ex- trêmes; et l'on peut juger de la misère de ce pays en consi- dérant que, pour le territoire de la préfecture tout entière, l'impôt des rizières n'est que de 727 piculsde riz (moins de 4,500 kilogr.) alors que les greniers de prévoyance pour les famines doivent contenir une réserve de 17,500 piculs; l'im- pôt foncier en argent ne rapporte pas i.OOO francs.
Aux jours de marchés qui se tiennent tous les cinq jours, il id des rochers voisins une population de Thos et de Man, très curieuse. On y rencontre des spécimens ethniques intéressants, mais on n'y voit aucun élément de commerce
tre que les volailles et quelques légumes. Tous les indi-
M CANTON A LONOTCBÈOF. 439
dus, hommes et femmes, sont uniformément vêtus d'une •ossière étoffe de coton indigène teinte avec l'indigo du lays. Les hommes portent le turban et les femmes sont oilfées d'une sorte de bonnet blanc laissant passer des che- x coupés sous le front qu'ils recouvrent; tandis que, sur i coté, des mèches longues retombent jusqu'aux épaules. e reste est roulé en chignon.
Au-dessous de Taï-Ping-Fou, la rivière continue son cours mire les mêmes murailles. Toujours les roches affectent les ■ iTiifs les plus fantastiques;àunjouret demi de navigation, on rencontre «To-Lou », réputé le plus gros marché de la igion.Le préfet de Taï-Ping-Fou y délègue un mandarin. i village, placé comme la préfecture dans une presqu'île Étroite de la rive gauche, se compose de six ruelles boueuses mourant une place d'une centaine de mètres de longueur, Étroite, occupée par un hangar massif à piliers de briques. C'est là que, dix fois par mois, se tiennent les marchés. Ceux- ci ne sont pas plus importants que ceux de Taï-Ping-Fou. Dans quelques misérables échopes, on voit dispersés quelques mètres de colonnades, et c'est tout. On continue toujours la descente du fleuve, toujours bordé des mêmes rochers, et m deux jours on parvient à Sin-Ning-Tchéou.
Cette préfecture de deuxième rang est située sur la rive droite, dans un coude, à l'intersection du fleuve et d'une pe- e rivière, à sec aux basses eaux. Sin-Ning s'élève à \ ki- omètre de la rive. C'est un centre purement administratif. Autour de la ville s'étend une petite plaine cultivée en ri- a production est encore bien faible, l'impôt ne rend s plus del,120piculsde riz. En face de Sin-Ning se dresse me des plus belles murailles de roches rencontrées sur le mve; au tiers de la hauteur se trouve une petite grotte >nt l'entrée a été ornée d'une façade originale ; un escalier taillé dans le rocher y conduit; c'est la grotte de la « poule d'or >, transformée en pagode. Il s'y rattache une légende; :11e est l'objet d'un culte particulier chez les bateliers.
440 HE CUttON \ UING-TCHÉOIJ.
A partir de Sin-Ning-Tchéou, les rives se découvrent un peu. Le pays est encore semé de masses rocheuses, elles commencent à s'ouvrir. Toutefois, il serait impossible de qualifier de plaine un terrain crevassé et mamelonné de buttes rougeàtres et stériles.
On passe devant les marchés de Long-Teou-Hiu et de Yang-Oueï-Hiu, plus pauvres que les précédents. Le (leuve serpente toujours aussi péniblement dans une contrée ro- cheuse et misérable, et se jette enfin dans le grand (leuve au village de Ho-Kiang-Tchen. En seize jours, je n'ai compté que 47 embarcations remontant le fleuve, en comprenant même les plus infimes sampans.
Ici même embarras pour désigner cette rivière, que nous appelons généralement le Si-Kiangou rivière de l'Ouest. Les indigènes ne la connaissent que sous le nom de Ta-Kiang (Grand Fleuve), en dehors des appellations propres à chaque région ou même à chaque localité.
Voici les dénominations officielles pour chaque circon- scription, et qui sont d'ailleurs généralement ignorées des habitants.
ï source au Yun-Nan, et aussi
i Ts'ang- « Loug-
Kirni Peï-1
c Nan-P'an-Kiang » vers « Yé-Lang-Touen-Choueï j.
« Yeou-Kiang » à partir de « Pé-Sé » Ko-Choueï ».
u Yù-Kiang » depuis sa réunion à la rivière de Tcheou », et aussi u Fou-Tsien-Kiang ».
« Hoang-Yang-Kiang » et « Ngo-Yii-Kiang » vers « Ton. Tchouen-Hien ».
« Tsiun-Riang s au-dessous de Tsiiin-Tcheou-Fou.
« Koung-Kiang » et « Tou-Ni-Ktang » à Ping-Nan-Hien.
« Ïeng-Kiang n àTeng-Hien.
Il est encore dénommé Nan-Kiang, rivière du Sud ; Tso- Kiang, rivière de gauche, par rapport au Kien-Kiang ou Peï-Kiang, auquel il se réunit à Tsiun-Tchéou-Fou. Ce n'est
'
DE CANTON A LUNG-TCUÉÛU. 441
que sur une courte partie et dans la province de Canton qu'il reçoit le nom de Si-Kiang.
Mais continuons à le désigner par celte appellation de Pitière de l'Ouest, qui paraît maintenant consacrée en Eu- rope.
A partir du point de jonction des deux rivières, le pays change totalement d'aspect; le terrain sur les deux rives est encore mouvementé, mais les courbes s'élargissent, les villages apparaissent nombreux: entourés de bambous.
Une demi-journée suffit pour gagner la ville de Nan- Ning-Fou. Celte cité, lorsqu'on débouche par la rivière, pré- inte un port encombré de bateaux, dans une courba allongée, sur une longueur de 1,300 à 1,500 mètres de dé- veloppement et de 500 mètres de largeur d'une rive à l'autre.
Il règne sur la rive gauche une grande animation, don- isnt toul d'abord l'impression d'un mouvement commercial important; mais, en observant de plus près, on esL surpris de ne découvrir qu'un nombre assez restreint de jonques sellemenl destinées au commerce, parmi cette masse con- fuse de sampans, — embarcations de pèche, ou habita- tions, — de canonnières en bois armées d'antiques canons de fonte et couvertes de leurs multiples étendards bariolés; et de jonques mandarines surmontées des longues bande- roles sur lesquelles sont émimérés les litres et qualités des voyageurs officiels.
Au-dessus de berges ravinées et immondes, coupées par [uelques escaliers qui sont de "véritables égouts, s'alignent les rangées de pilotis, de bambous, de bois ou de briques loutenant des masures croulantes, une ligne de maisons lépreuses suspendues au-dessus de la berge, qu'elles inon- inl de toutes les déjections, versées à même par les in- jrstices nombreux du plancher de ces belvédères. Aux hautes eaux, le fleuve s'élève jusqu'à traverser ces construc- tions aériennes. Pendant la période de sécheresse, ces
442 DE C.ANTON A L0HG-TCHÉO0 .
berges se couvrent de constructions en nattes, ou d'abris informes, composés de tous les matériaux imaginables, de- puis la paille jusqu'aux débris de ferraille. Un chapeau défoncé remplit l'office de tuile à côté d'un fond de casse- role troué; le chiffon, la planche, les détritus de toutes sortes, et j'insisterai sur « de toutes sortes », trouvent leur emploi dans cette architecture qui ajoute des tas d'immon- dices creux à côté des autres plus compacts sur lesquels des gens, des chiens et des pourceaux opèrent simultané- ment des fouilles continuelles.
A vrai dire, cette bordure n'est que la face postérieure d'une rue ; les maisons s'ouvrent du coté opposé, sur m voie qui longe les murs de la citadelle.
Cette rangée de masures est trouée, de distance en dis- tance, par de larges escaliers dont chacune des dalles trouverait sa place dans un palais, mais dont l'ensemble se présente dans un ordre très dispersé. Ces travées de pierres, jetées sur les berges, aboutissent aux ruelles laté- rales qui déversent sur les marches de marbre des cascades odorantes et diversement colorées, venant de l'intérieur, où il existe d'amples réservoirs, formés par le caprice du ter- rain. Sur ces escaliers, les femmes vont et viennent, sans cesse chargées de seaux, qu'elles rapportent remplis d'une eau qui n'est pas beaucoup plus liquide que celle qu'elles ont déversée au même endroit une seconde auparavant.
Cette description peut s'appliquer a toutes les villes que l'on rencontrera sur le fleuve, toutes semblablement si- tuées dans une courbe, invariablement face au sud ; et, à l'exception de «Teng-Hten » et de « Young-Tchouen n, éga- lement édifiées sur la rive gauche.
Après avoir franchi la porte qui forme l'escalier au pied duquel stationnent les jonques mandarines, on pénètre dans des ruelles en boyaux, fangeuses, empestées, horri- bles, qui conduisent à la porte de la citadelle. I)d suit une rue étroite, mais moins sale, qui est la grande rue de la
ire ne
is-
DE CANTON A LOMi-TCllÉllU. 443
citadelle. Des boutiques la bordent des deux côtés. C'est là et dans une rue à peu près semblablequi suit parallèlement que se trouve le petit commerce de détail. Vers le milieu, les magasins disparaissent faisant place aux masures, et la rue se termine par des ruelles sordides partant dans plu- sieurs directions. Vers le nord, lonl un secteur est dé- pourvu d'habitations et rempli de mares.
On a ainsi parcouru la partie commerçante de la cita- delle. En franchissant la porte nord, on débouche dans une campagne inculte, légèrement mamelonnée et pierreuse. Toute la partie de l'est, aussi loin que la vue peut s'étendre, est couverte de tombeaux, simples huttes de terre en gé- néral, qui occupent une surface dix fois supérieure à celle de la ville, dont l'enceinte (de forme très irrégulière), a un développement d'environ 4 kilomètres. Vers la porte de Test on trouve un assez beau portique de pierre, dit h Pa'i- Leou*, et un pavillon monumental de la Cloche et du Tam- bour.
A l'intérieur de la citadelle et à l'ouest, suivant des di- rections à peu près parallèles au fleuve, s'étendent trois rues reliées entre elles par des ruelles, descendant vers le fleuve. C'est dans ces rues que se tiennent les véritables maisons de commerce aux mains des négociants de Can- ton, celles qui entretiennent des relations avec le Yun-Nan, le Kouei-Tchéou et la région de Pé-Sé. Ces maisons com- mercent presque uniquement sur l'opium, les thés du Yun- Nan, les cuirs et les cotonnades européennes. Ces dernières leur servent de produits d'échange dans leur trafic avec le Yun-Nan. Une dizaine de ces maisons représentent comme chitTre d'affaires de 400,000 à 600,000 piastres chacune, an- nuellement. Une dizaine d'autres maisons moindres se li- vrent aux mêmes opérations pour 100,000 ou 200,000 pias- tres chacune.
Tout ces négociants s'accordent pour montrer la grande tculté rencontrée par le commerce de Nan-Ningdans
DE CANTON A LOMG-TCIIÉOU.
ses relations avec le Yun-Nan. Ils indiquent unanimement la voie du lleuve Rouge et du Tonkin comme la véritable roule commerciale du Yun-Nan, et c'est d'ailleurs celle qu'ils empruntent eux-mCmcs pour l'envoi des marchan- dises encombrantes, telles que les cotonnades, qu'ils expé- dient tout d'abord de liaï-Phong, en échange de l'opium et du thé qui leur viennent alors directement par caravanes et par les routes de terre. C'est là ce qui explique le peu d'importance du mouvement de navigation sur la rivière de l'Ouest.
En quittant Nan-Ning-Fou, le fleuve forme un large canal régulier de 400 à 500 mètres de largeur en moyenne, et profond jusqu'au premier barrage de Fan-Tan, à une jour- née de navigation.
Là, une triple rangée de rochers oblige les jonques des- cendantes à croiser trois fois dans la largeur du lit pour prendre les passes. La difficulté consiste dans le peu d'es- pace laissé entre les lignes de rochers pour manœuvrer. Des pilotes officiels, entretenus par les mandarins, balisent le chenal au moyen d'uue perche de bambou ou d'un pa- quet d'herbes. Ils dirigent les jonques avec une grande ha- bilelé. Les jonques montantes traînées à la cordelle suivent au contraire la rive.
De ce point, les rapides se succèdent très rapprochés; ils sont passés très aisément sous la conduite des pilotes qui se renouvellent de poste en poste. On rencontre les marchés de * Pou-Miao-Uiu », de « Leng-Li-Hiu », un peu moins pauvres que les précédents. La contrée olfre encore un aspect assez tourmenté. Des collines à pente très dure bordent le fleuve; elles produisent quelques pins qui pous- sent très clairsemés. La nature est toute différente de celle de la région supérieure, mais le pays n'est pas beaucoup plus riche ; poursuivant ainsi le long de ces monticules arides, ou gagne la sous-préfecture de Vong-Tchouen-Hieii. C'est une toute petite ville, très pittoresquement située
IIE CANTON A LONG-TCTTÉOr. i ■■(■.")
a angle saillant de la rive droite, montranl en bor- tnre du fleuve, sur des rochers qui le surplombent, une ;ne de vieux créneaux ruinés de 300 mètres de côté. L'intérieur de la citadelle est presque désert, et la parlie principale de la ville se compose de deux rues extérieures sans intérêt
A Yong-Tchouen, d'autres pilotes officiels remplacent ceux de Nan-Ning et conduisent à Houen-Tchéou. Entre ces deux points, deux passades sont délicats. C'est d'abord rapide de Mo-Mien-Tan, long de 3 à 4 kilomètres, au mi- u de roches. La direction est assez tortueuse. Un peu au-dessous, la petite rivière de Tchen-Pou, ve- t du Kouang-Tong, se réunit au grand fleuve, et l'on rive au marché assez important de Nan-Hiang, point d'ar- rivée de l'une des routes de Pak-Hoï. A quelques kilomètres de Nan-Uiang, on aborde le grand es 30 lis (d'environ 12 à 13 kilomètres de longueur). a courant de foudre emporte les jonques, au milieu d'un morcellement de roches émergeant de toutes parts. Trois 5 marquent l'entrée, le milieu et la sortie du rapide. En- e quelques kilomètres et, dans un tournant, l'on aperçoit Houang-Tchéou. Celle préfecture, autrefois prospère, a été lélaissée pour Koueï-Hien par le commerce. Ce n'est plus ■ présent qu'une citadelle déserte, flanquée d'une rue mi- en bordure du fleuve. On y remarque les restes de ; belles pagodes. La contrée est très montagneuse. En e de Houang-Tchéou se dresse le massif des Ouan-Chan, ir l'un des sommets duquel a été édifié le monastère boud- tiique de Yin-Tien-Sseu, qui conserve la tablette du dernier mpereur des Minh, qui s'est réfugié dans ces montagnes s sa défaite. Tout ce pays est misérable; la population t très turbulente et toujours prèle à la rébellion ou à la raterie.
De nouveaux pilotes sont indispensables pour le passage i grand rapide de Ki-King-Ta-Tan, la frayeur des bâte-
4-iti DE CANTON A LOSG-TCHÉOU.
liers du Si-Kiang. Une très belle pagode domine le passage dangereux. Elle est l'objet d'un culte tout particulier. Outre les offrandes portées par les bateliers avant de se lancer dans le courant, on jette dans le rapide des petits chiens noirs dont il se fait un commerce au village qui le précède. Ces chiens se précipilenL aussitôt vers la pagode pour y être sacrifiés, et l'on se rend ainsi propice le génie du Qeuve. Dans cette pagode, on a eu aussi la précaution d'enchaîner un tigre en bois qui est, parait-il, d'une extrême férocité. Celte pagode a été élevée au maréchal Fou-Pouo, qui a fait améliorer le chenal.
Les grandes jonques embarquent de 50 à 60 hommes de renfort pour le passage de ce rapide où, dans un tournant dénommé le tournant des Trois-Diablcs , l'embarcation doit exécuter trois virages successifs, bout pour bout, au milieu d'un courant furieux. La moindre hésitation de ma- nœuvre lait voler la jonque en éclats dans ce passage, où les patrons de bateaux dépensent une quantité considé- rable de papiers consacrés. Des cris de joie et des libations copieuses suivent l'arrivée à la rive.
En une journée, on atteint ensuite Koueï-Hien, sous-pré- fecture disposée d'une manière absolument pareille à toutes les précédentes.
Koueï-Hien a profité de l'abandon de Houang-Tchéou ; mais, au point de vue commercial, c'est encore une place des plus médiocres. Dix-sept monts-de-pi été, tous pros- pères, sont portés sur les registres d'impôt. Tout près de Koueï-Hien, à l'ouest, s'alignent les Yin-Chan, les mon- tagnes d'argenl, où se trouvent des mines d'argent aban- données; pourtant les habitants les gardent avec un soin jaloux.
Au-dessous de Koueï-Hien, le fleuve prend l'allure d'un canal ; il est d'une parfaite régularité et d'une parfaite mo- notonie jusqu'à Kouel-Ping-llicn, sous-préfecture qui est aussi le siège de la préfecture de Tsiuu-Tchéou-Fou. Unt
f>E CANTON A LONU-TCHÊOt*. 447
citadelle de Forme allongée et irrégulière s'incruste dans l'angle aigu formé par la réunion de la grande rivière du Nord avec la rivière de l'Ouest. Ses murailles disparaissent sous une couche épaisse de végétation, et l'intérieur de la forteresse est surtout occupé par des cultures maraîchères. Un commerce tout local occupe deus rues extérieures en bordure du Si-Kiang.
Sur la rive du Ho-tluoue'i-Kiang, on cherche vainement le fourmillement de jonques indiqué par cerlaines bro- chures. Il n'existe pas une seule embarcation, pas même un de ces sampans qui servent d'habitation, et la ville n'a aucune façade sur ce fleuve. Le mur d'enceinte disparail sous une épaisse couche de bruyères, et toute cette partie de la citadelle est dépourvue de constructions. On peut affir- mer de la manière la plus catégorique que le commerce qui peut venir de Lieou-Fou pur celte rivière du Nord ne louche pas Koueï-Ping-rlieu.
Ce Ho-Choueî-Kiang, qui descend en ligne droite sur la face nord de la muraille, se courbe brusquement contre l'enceinte et forme à. son embouchure avec l'autre rivière un large estuaire encombré de sable, de galets et de ro- chers. Ce cours d'eau n'est d'ailleurs qu'une succession ininterrompue de rapides qui ne peuvent être abordés que par des embarcations de moins do 40 centimètres de tirant d'eau.
Tl faut, de celle embouchure, une journée pour gagner le marché deTa-Ouang-Kiang-Hiu, placé sur la rive gauche, dans l'angle inférieur du fleuve et d'une petite rivière, le Ta-Ouang-Kiang. Un canal, ou bras, d'une quarantaine de lis (environ 4 lieues), relie le Ho-Choueï-Kiang à cette der- nière rivière de Ta-Ouang-Kiang; et c'est, dit-on, par ce canal que les sampans du Ho-Choueï-Kiang rejoindraient la grande rivière de l'Ouest, évitant ainsi Koueï-Ping-Hien.
A une journée encore plus bas, et placée de la même fa- çon dans l'angle du grand fleuve vl d'un petit cours d'eau,
448 riE CANTON A I.ONG-TCIIÊOI;-
on voit la sous-pré feclurc de Ping-Nan-Hien. C'est un petit centre administratif, le plus pelit de tout le parcours; uni citadelle carrée de 150 mètres de côté environ ne renferm que les yamens des fonctionnaires.
Depuis Koueï-Hien, le Ileuve a coulé régulièrement, tra- çant ses couihes dans un pays moins tourmenté; mais ici on rentre peu à peu dans une région montagneuse. Des lignes de collines indiquent le lit, dans lequel leurs pentes descendent à pic. Le cours devienL très tortueux, el, sui- vant tous les capricieux conlours des massifs, se rétrécit brusquement ou s'élargit avec exagération, formant des golfes, des séries de lacs (parfois de plusieurs kilomètres de largeur), où les roches sont entassées par bancs énormes dans un indescriptible chaos. On voit défiler ainsi une série de tableaux merveilleux. Des rapides se succèdent très rapprochés, parmi lesquels il faut citer celui de Kou-Yong- Tan, où un goult're insondable soulève des remous impré- vus, dangereux pour les petites embarcations. Des contre- couranls s'opposent en tous sens, et les sampans qui ten- teraient de lutter sont instantanément submergés, attirés dans des profondeurs d'où aucun débris n'a jamais reparu. Leshabilanls et les bateliers assurent que ce gouffre s'élend fort loin sous lerre et aurait une sortie sur uoe autre ri- vière (le Peï-Lieou) qui aboutit à Teng-Hien. Pourtant, le péril est aisément écarté, en opérant la manœuvre conve- nable, qui est d'aborder simplement la passe sans vitesse et en se laissant porter sur le remous sans opposition.
On côtoie encore de grandes îles, renfermant des villages, et l'aspect ne se modifie pas jusqu'à Teng-Hien, petite sous- préfecture élevée sur la rïve droite du Ta-Riang et sur la rive gauche du Peï-Lieou. Ici la ville est en grande partie contenue dans la citadelle, pourtant fort exiguë. Aussi ses rues ne sont-elles que d'étroits couloirs, dépassant en hor- reur toutes les rues des villes précédentes. Les abords de la ville, obstrués de rochers, sont difficilement approchés par
\ DE CANTON A LONOTCHÉOU. 449
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*s le mouvement commercial du Peï-Lieou ig-Hien; il suit directement vers Wou- 'eng-Hien le fleuve poursuit encore a cours ; les roches et les îles se succèdent ; *-Tcheou n'a pas moins de 12 kilomètres .éur, et presque immédiatement au-dessous se ou-Tchéou-Fou. dernière ville étant à présent ouverte à la navigation ,ur et au commerce étranger, il semble que Ton peut ner ici ces renseignements sur la rivière de l'Ouest. Ce ,adre ne permet d'ailleurs qu'un court résumé de l'itiné- raire suivi, qui exigerait de longs développements. Les photographies ci-jointes compléteront mieux une des- cription beaucoup trop sèche ; la carte précisera davantage le cours du fleuve, et tous les renseignements qui ne peu- vent trouver place ici sont entièrement mis à la disposition de la Société. Je m'empresserai de lui remettre aussi les documents géographiques chinois très utiles que j'ai pu me procurer et qui ont été traduits par M. Beauvais, chan- celier interprète auquel je tiens en terminant à adresser très particulièrement mes remercîments pour son excellente collaboration.
AU NORD-OUEST CANADIEN
LES l'IEDS-NOIKS
Le continent du nord de l'Amérique présente, dans sa partie centrale, une particularité remarquable. C'est une immense prairie, une plaine monotone, où la vue s'étend indéfiniment sans pouvoir se reposer sur une colline ou s'arrêter sur une forêt. C'est un océan de verdure, une prairie émaillée de fleurs, pendant quelques mois de l'an- née; puis bientût une plaine aride et desséchée, recouverte d'une herbe rare et courte ; et enfin, pendant de longs mois, un immense linceul de neige qui recouvre un sol glacé.
Cette immense prairie américaine s'étend depuis les grands lacs du centre du continent jusqu'aux Montagnes Rocheuses, et depuis la rivière Labiche, affluent de la Saskatchewan, jusqu'à la hauteur des terres du Missouri et du Mississipi. Elle recouvre toute la partie méridionale du Nord-ouest Canadien et s'étend sur plusieurs territoires des États-Unis.
L'extrémilé nord-ouest de celte vaste plaine, confinant aux Montagnes Rocheuses, est le pays des Pieds-Noirs. Avant de parler de ces aborigènes, disons quelques mots du pays qu'ils habitent.
La surface, comme je l'ai dit déjà, est d'une monotonie désolante, ou l'œil s'égare à l'infini, sans trouver d'obstacle ; pourtant ici, quand on arrive à environ 80 milles des Mon- tagnes Rocheuses, la crête irrégulièrement découpée de cette chaîne immense se dessine à l'horizon, et à mesure que l'on approche, le spectacle devient de plus en plus impo-
LKS P1KDS-N0IKB. *>4
sant. L'uniformité est le plus souvent brisée aussi par les nombreux cours d'eau qui découlent de la montagne et se creusent des lits profonds dans l'argile de la prairie. Ces vallées profondes sont plus fraîches et plus verdoyantes, et il n'est pas rare d'y rencontrer d'épaisses forets que la bauteur des cotes ne laissait pas soupçonner.
Le sous-sol est composé d'épaisses couches argileuses, ou d'immenses dépôts de galets roulés, usés et arrondis par l'action des torrents ou les frottements des glaciers. En quelques endroits, les lianes déchirés de cette immense plaine laissent apercevoir des couches nombreuses d'argile irisée, offrant toute la série des couleurs.
Si vous descendez plus profondément, à lOOou 120 mètres de la surface, vous pourrez trouver une couche plusou moins épaisse de houille, fournissant un excellent combustible, qui est exploité déjà sur une multitude de points. Le district d'Alberta, qui occupe précisément cette extrémité de la grande prairie, est spécialement riche en dépôts houillers. A 3 mètres environ au-dessus de la couche de houille, on trouve une autre couche excessivement riche en dépôts fossiles de coquillages marins : des bivalves de plusieurs espèces, des conglomérats réunissant différents genres de coquilles, et surtout des ammonites en grand nombre. L'ammonite déprimée est celle que l'on rencontre le plus souvent. Elle atteint parfois des dimensions énormes, comme 1 mètre et plus de diamètre. Il y a aussi, et en grand nombre, des tronçons couverts de larges écailles, qui semblent avoir appartenu soit à des poissons, soit à des sauriens. Les morceaux de bois pétrifiés sont aussi très nombreux. Quelques-uns semblent appartenir à des espèces encore représentées aujourd'hui, comme le peuplier et le saule; d'autres représentent des espèces n'existant plus dans le pays. Le lit de certaines rivières est tout rempli parfois deces pierres qui ne sont que du bois pétrifié.
Tout cela prouve que cette immense plaine a été jadis le
45:2 au nohu-ouëst canadien,
bassin d'une mer intérieure, puisque toutes ces coquilles sont des coquilles marines et vivant dans l'eau salée. Les ammonites forment, comme on le sait, une classe éteinte à l'heure présente. 11 est vrai que celte condition de l'exis- tence d'une mer intérieure peut remonter à une époque extrêmement reculée, dans les périodes gâogéniques ; cependant d'autres preuves, dans le détail desquelles il m'est impossible d'entrer, semblent indiquer que cette condition a existé jusqu'à une époque beaucoup plus récente et postérieure au peuplement du globe et du conti- nent américain lui-même.
Le sol de la vaste prairie n'est pas partout également pauvre et stérile. En certains endroits, et surtout dans l'extrémité occidentale qui se relève insensiblement vers les Montagnes Rocheuses, la couche d'humus est plus ou moins épaisse et il y a des terrains assez fertiles. Dans le voisinage des montagnes» l'herbe est riche et succulente, aussi c'est là que s'établissent de puissantes compagnies qui s'occupent, en grand, de l'élevage des bêtes à cornes et des chevaux. Bon nombre de colons viennent aussi s'établir de ce coté. Il y en a un peu de toutes les nationalités.
Mais mon intention n'est pas de vous parler de ces nou- veaux venus. Je ne veux vous entretenir que des aborigènes, de ceux qui s'étaient considérés, pendant longtemps, comme les souverains de cet immense domaine : les Pieds-Noirs. Ces Indiens appartiennent à la classe que l'on appelle Indiens des prairies. Les Pieds-Noirs se disputaient, avec les autres Indiens des plaines, les Sioux, les Gros-Ventres, les Cheyennes, les Comanches, etc., l'empire de ces immenses territoires. Ils formaient des tribus guerrières et aven- tureuses dans un état de perpétuelle hostilité les unes contre les autres. Les Pieds-Noirs s'étaient adjugé surtout le terri- toire qui s'étend de la rivière Labiche au nord jusqu'au Missouri au sud dans cette extrémité de la prairie confinant aux Montagnes Rocheuses. Ils en repoussaient toutes les
i.ES MHtS-MOIRS. i53
.utres peuplades, en se réservant toutefois le droit de taire s excursions sur les terres de leurs voisins. Les Pieds-Noirs, comme d'ailleurs tous les sauvages des plaines, forment le type le plus parfait de la race rouge
méricaine. Ils sont, au physique, de taille imposante, robustes et agiles. Ce sont des cavaliers infatigables et des
ihasseurs excellents. Ils aiment les aventures et les coups d'éclat; mais cependant ils demeurent prudents et rusés, et, dans leurs expéditions guerrières, ils ne s'exposent inu- tilement à aucun danger ; mais, au contraire, font toujours
q sorte de mettre toutes les chances de leur côté. Par leur langue, ils appartiennent à la grande famille algonquine, qui, depuis le Labrador jusqu'aux Montagnes Rocheuses, a encore de nombreux représentants ; je men- tionnerai seulement les Cris, les Sauteux, les Maskégons et
tnfin les Pieds-Noirs. Toutes les langues de ces tribus ont des caractères communs. Ce sont des langues polysynthé- tiques. Le polysynthétisme consiste à réunir le plus d'idées sible dans un seul mot et à accoler ensemble les diffé- rentes parties du discours. C'est un procédé tout différent de celui de nos langues européennes, qui, au contraire, dis-
raguenl par l'analyse les différents éléments des phrases.Ces
:n gués sont extrêmement logiques, régulières et homogènes, îlles sont d'un mécanisme merveilleux et offrent des res- iources dont nos langues européennes ne peuvent nous don- ner l'idée. Le vocabulaire est très riche en expressions pour lésigner les choses réelles et concrètes; ou plutôt le voca-
mlaire est, en réalité, inépuisable, puisqu'il y a toujours
possibilité de former de nouvelles expressions nuancées et modifiées à l'infini. L'abstraction n'est pas dans le génie de la langue, et c'est une difficulté, quand il s'agit d'en venir à des explications d'un ordre plus élevé. Cependant le prin- cipe de l'abstraction existe, il reste à en faire un usage plus
tendu. De toutes les langues que j'ai nommées tout à l'heure, le
45'J AU NORD-OUBBT CAHABlJiK.
transporter et toujours prête pour l'usage, n'était pas très pala table.
Enfin, dans cet animal providentiel pour l'Indien, toi était utilisable. Les tendons lombaires rie l'animal, une fc desséchés, pouvaient se subdiviser en fibres de différentes grosseurs qui servaient de fil pour coudre loges et vêtements; les os mêmes étaient utilisés pour en faire une foule d'armes et d'instruments, les cornes et les sabots de l'animal, ré- duits par l'êbullition, procuraient une colle forte de pre- mière qualité, employée pour une multitude d'objets d'uti- lité ou d'ornementation.
Est-il élonnant après cela que l'Indien ait voué à cet ai mal une sorte de culte superstitieux? Toujours est-il que buffalo se trouve mêlé, d'une manière inexplicable, à presqi toutes les pratiques superstitieuses de ces peuplades.
El comment l'Indien se procurait-il cet animal en suffi- sante quantité? Il faut dire que le bison errait à l'état libre dans les immenses plaines de l'ouest, en troupeaux innom- brables, et quoiqu'il fallût quelque adresse pour rappro- cher, cependant on peut dire que la chasse du bison con- stituait pour les Indiens un exercice salutaire rempli d'inté- rêt. C'était réellement une partie de plaisir pour eux, et nos amateurs de sport seraient heureux de prendre part à une chasse de ce genre, dans laquelle l'Indien lui-même trouvait un si vil' entraînement. Parfois les troupeaux de bi- sons étaient si considérables qu'ils semblaient couvrir la prairie toute entière. Les grandes plaines sans limite parais- saient n'être qu'une masse noire mouvante. Il n'y avait qu'à lancer son cheval au milieu de ce troupeau, et à tuer l'ani- mal qui paraissait le mieux engraissé pour le service du seigneur de la prairie. Inutile d'en tuer davantage. D'abord, les moyens de transport, étant très limités, ne permettaient pas de se charger d'une trop grande quantité de provisions. Puis à quoi bon? Pendant des journées entières peut-être il faudrait passer au milieu de cet immense troupeau.
iti-
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LES l'IEDS-NOIRS. fôl
Je parle de tout cela au temps passé; car, hélas! ces temps sont passés et ne reviendront pins, et l'Indien qui les a connus ne s'en console pas. Le bison, ce majestueux animal des plaines américaines, a été presque anéanti. Il ne reste que quelques représentants de cette race, que l'on conserve précieusement dans les parcset jardins publics. 11 y a un peu plus de vingt ans, des compagnies américaines s'orga- nisèrent pour la traite des robes de bulfalos. Ces compagnies mirent sur pied des bandes considérables de chasseurs métis ou blancs, ou même sauvages, armés de carabines à tir rapide. Ces nouveaux engins perfectionnés, contenant un magasin de 14 ou 16 cartouches, pouvaient être dé- chargés en quelques secondes, et rechargés en moins d'une minute. On conçoit que des bandes de chasseurs se précipi- tant sur les troupeaux, avec des armes semblables, pou- vaient les anéantir avec la plus grande facilité. C'est ce qui arriva, et après 1870 le bison avait presque complètement disparu.
Avec cet animal les Indiens perdaient leur principal moyen d'existence. De plus, depuis quelques années, le courant de l'immigration se portait du côté de la partie septentrionale et occidentale de- la vaste prairie. Il y avait la de magnifiques terres a exploiter, des vallées qui, surtout au pied des montagnes, étaient éminemment favorables à l'élevage des bestiaux. Pour éviter toutes les difficultés qui pourraient résulter du contact des nouveaux colons aven les races aborigènes, le gouvernement avait pris les devants, en concluant avec ces Indiens des sortes de traités par les- quels les sauvages faisaient au gouvernement la cession de leurs terres de chasse, moyennant uu secours que ce même gouvernement leur promettait. Tant que le bison exista sur la vaste prairie, les Indiens ne cherchèrent nullement à changer leur mode de vie; mais quand cet animal disparut tout à coup, force leur fut de se soumettre aux termes du traité qui les confinait sur certaines portions du territoire à
, prirent le nom de
l ces Indiens an moment où ils
4.r)H AU NOnit-OUEST CANADI
eux réservées, et qui, pour cette raison Réserves.
J'ai assisté à cette transformation, j'; moment où s'opérait cette transitioo, faisaient l'essai de ce nouveau genre de vie, et cet essai était pénible. Les secours fournis étaient souvent insuffisants. Ils recevaient quelques rations de nourriture, jusle assefc pour les empêcher de mourir de faim; mais cela paraissait bien dur à ceux qui jusque-là étaient habitués à l'abondance. De plus, outre les rations de bœuf et de farine, ils avaient hesoin de beaucoup d'autres choses etn'avaient aucune res- source pour se les procurer. Ils avaient commencé à s< bâtir des maisons, mais quelles maisons! Le prototype de l'habitation pour eux était toujours la loge avec le foyer au milieu et une ouverture ménagée au haut pour le pas- sage de la fumée. Ne pouvant l'aire la maison ronde et co- nique comme ia loge, ils la firent carrée, en croisant gros sièremeut aux angles des troncs d'arbres coupés de 1; longueur voulue. La toiture était formée de perches recou- vertes de longues herbes et de terre. Les vides entre les pièces de bois composant les murailles étaient fermés avec un mélange de foin et de boue. Le foyer était au milieu de la maison,. ou plutôt il n'y avait pas de foyer proprement dit, mais le feu était allumé au milieu du réduit, et une sorte de cheminée, soutenue au moyen de quatre grosses perches fichées en terre, devait conduire la fumée au dehors; mais, de fait, la fumée se répandait la plupart du temps dans tout l'intérieur. Pour toute porte, une ouver- ture basse fermée d'un morceau de peau, et pour fenêtre, si toutefois il y en avait, un petit (rou de 30 à 30 centi- mètres. C'est là, accumulés dans ces taudis obscurs ethien- tôt infects, que ces Indiens tâchaient de passer l'hiver.
Mais ils avaient grande hâte de voir arriver la belle saison; et dès que la neige avait disparu de la surface du sol, dès que le soleil commençait à réchaulfer la terre, ils lepienaienl
LES PIKUS-NOIRS. -iô'.l
leur loge et allaient camper au grand air dans les vallées des rivières ou sur les plateaux qui les dominent. Là ils repre- t les vieilles traditions, là ils recommençaient, autant |ue leur pauvreté le leur permettait, leurs fêtes et réjouis- sances. Les chants et le bruit du tambour résonnaient pen- dant toute la journée, et môme pendant une grande partie des nuits. Les danses, plus ou moins superstitieuses, se suc- idaient les unes aux autres. Il y avait toujours quelque ré- e nouvelle, et enfin les Indiens célébraient, durant les beaux jours de l'été, leur grande solennité supers- titieuse : la (firme du soleil; c'était le résumé de tout leur culte superstitieux. Pendant une semaine environ, ils ac- complissaient leurs rites bizarres, faisaient leurs offrandes à leurs multiples divinités, se donnaient eux-mêmes en sacrifice par les tortures et les privations auxquelles ils se soumettaient. Parfois, pourtant, les réjouissances faisaient place au deuil, aux chants d'allégresse succédaient les chants de la tristesse, car alors encore les morts étaient pleures avec beaucoup d'ostentation ; et le deuil se prolon- geait longtemps, quelquefois un mois durant. Alors, à l'ap- proche de la nuit, quand le silence commençait à se répandre sur le camp, les pleureuses et aussi quelquefois s pleureurs montaient sur une colline voisine et repre- laient leurs lamentations sur un ton traditionnel, mais lugubre, et qui ne manque pas de faire une vive impression. Alors ces peuplades avaient encore conservé leur étrange coutume qui consistait à exposer dans les branches des arbres les cadavres de leurs morts soigneusement ensevelis.
Depuis ce teuips-ià, il y a eu de grand progrès accomplis, les Indiens ont renoncé à beaucoup de leurs superstitions, leur mode barbare de sépulture aérienne a à peu près complètement disparu. La danse du soleil est supprimée presque partout. Plusieurs des habitudes des peuples civi- lisés ont été adoptées. Des maisons plus convenables ont succédé au* premières buttes d'autrefois. Ce ne sont pas
4WI il) NOUU-OUEST CANA1HEN.
encore des palais, mais cependant l'amélioration est no- table. Les Indiens vont assez loin, au pied des montagnes, pour se procurer de plus belles pièces de bois, ils les équar- rissent et les réunissent soigneusement et régulièrement aux angles. Ils ont à leurs maisons nouvelles portes et fenêtres, qu'ils se procurent toutes faites. Le toit est de la forme ordinaire et recouvert de bardeaux, ou petites plan- ches minces, qui, dans ce pays, tiennent lieu d'ardoises. De plus, un grand nombre ont pu se procurer des planches pour faire un plancher. Dernièrement enfin, j'ai pu con- stater que, dans un certain nombre de maisons, il y avait des cloisons pour distinguer la salle de réception de la cui- sine et de petites chambres à coucher. Puis quelques pièces d'ameublement viennent graduellement augmenter le con- fort et la bonne apparence de la demeure. Des bois de lit ou des couchettes en fer, des tables, quelques chaises et commodes servent à meubler la maison. J'ai même trouvé, une fois, dans une maison, deux belles chaises berceuses, alors que je n'en avais pas même une seule a la maison de la mission ; et je pense qu'il n'y en a pas encore actuellement.
Et comment les Indiens se procurent-ils tout cela? Par leur travail et leur industrie. Les employés du gouverne-' ment, qui s'occupent sincèrement d'améliorer leur bien- êlre, leur fournissent les moyens de se créer quelques res- sources. Ils leur procurent quelques contrats pour fournir des centaines de tonnes de foin aux rancherx ou gens qui s'occupent de l'élevage des bestiaux. De même ils fournis- sent aussi des centaines de tonnes de charbon ans blancs qui les entourent. Ce charbon est extrait par les Indiens eux-mêmes, qui ont une mine sur leur propre réserve, et exploitent cette mine. De plus, ils élèvent eux-mêmes un grand nombre rie chevaux, et aussi de petits troupeaux de bêtes à cornes pour lesquels il y a toujours un marché rai- sonnable.
Le missionnaire, tout en s 'efforçant d'inculquer à ces peu-
I.KS PIKDS-NOIRS.
461
plaiies les principes du christianisme, ne craint pas de prêter la main aux agents du gouvernement pour pousser ces Indiens dans la voie du progrès, qui s'obtient par le travail et l'industrie. Nous tachons de leur inspirer l'amour du travail, d'un travail soutenu et persévérant qui leur fera compter plus sur eux-mêmes que sur la charité du public. En agissant ainsi, nous pensons faire beaucoup pour le maintien de leur santé physique et morale. Ces peuples ont droit aussi bien que tout autre à l'existence; et la religion sera encore le plus sûr moyen de progrès au point de vue matériel. Nous voulons conserver ces races, et tout en les engageant à modifier leur genre de vie pour l'adapter aux nouvelles conditions dans lesquelles elles se trouvent, nous pensons, en leur donnant le bienfait de la religion, leur assurer le meilleur moyen de perpétuer leur existence. On a quelquefois reproché aux Espagnols leur cruauté envers les indigènes qui habitaient les contrées du nouveau monde découvertes par eux. C'est une calomnie. Ce qui est vrai, c'est que le missionnaire catholique accompagna ou suivit de près les découvreurs, et la religion a toujours pris un soin spécial de ces peuplades diverses, en les protégeant contre toute oppression. Aussi, à l'heure présente, les popu- lations indigènes despueblosdela Californie et du Mexique sont à peu près aussi nombreuses que du temps de la con- quête. En pourrait-on dire autant des nombreux sauvages qui occupaient jadis les États de la Nouvelle-Angleterre?
De même, sur les bords du Saint-Laurent, les tribus huronnes et iroquoises, ainsi que plusieurs tribus algonquines converties par les premiers missionnaires du Canada, ont encore des représentants échelonnés depuis te Labrador jusqu'aux grands lacs, et s'ils ne sont pas plus nombreux, il faut s'en prendre aux guerres exterminatrices qu'ils se
ît faites entre eux avant d'être convertis.
METEMOMt DE LA PALESTIIE Et DE LA SÏBIE
Le K. F. ZTTMOPFEK", S.
Il
TbIs sont les principaux caractères du climat actuel de la Palestine, Mais une question se présente ici, à savoir si les conditions climatériques ont toujours été les mêmes depuis Abraham et Moïse jusqu'à nos jours? Nous ne pos- sédons pas des données précises de cette époque lointaine pour pouvoir les comparer avec les observations météoro- logiques actuelles, puis la série des observations embrasse un temps trop court pour qu'on puisse conslaler une modi- fication dans les saisons, dans le régime des pluies et dans la température ; mais ce sont les témoignages de la Bible et des auteurs profanes, la faune et la flore qui peuvent nous fournir des renseignements précieux à cet égard.
" Je donnerai à votre terre la ploie précoce et la pluie tar- dive et vous aurez récolte de froment, de vin et d'huile. Je produirai de l'herbe dans vos champs pour voire bétail et vous-mêmes vous aurez des aliments en abondance » (Deut., XI, 12). «Je vous introduirai dans une terre de fro- ment, d'orge, de vigne, de figuier et de grenadier, une terre d'oliviers, d'huile et de miel, une terre où vous man-
1. Voir Bulletin de la Société de Géographie, S- trimestre de 1899,
LA MÉTÉOHOLOGIE DE LA PAI.BSTI.NE ET DE LA SYBIR. 1G3
■ez votre pain sans craindre la pénurie ni la privation
tucune chose » (Deul., VIII, 7-9). « Je vous mènerai dans
e terre excellente, une terre ruisselant de lait et de miel»
îxod., III, 8).
Les auteurs profanes parlent dans le même sens. Hécatée dit que la Palestine est une terre fertile et très peuplée, une province très bonne et riche en toutes sortes de fruits (Jos. contra App., I, 22). Pline mentionne aussi la fertilité de Jérusalem (Plin., 1. V, c. xiv, 1). Amien Marcellin nous affirme que la Syrie offre des vallées d'une bonne et riche culture (Am. M., XIV, 8). Tacite apporte aussi son témoi- gnage en faveur de la richesse de la Palestine, en disant que le sol est fertile et que les habitants ont toutes sortes de productions en abondance, et de plus le baumier et les dattes (Hist., V, c. iv).
Ces descriptions riantes de l'ancienne fertilité contrastent singulièrement avec l'aspect désolé que présente aujour- d'hui la Palestine. De nos jours, ce pays jadis découlant de lait et de miel paraît sec, pierreux et stérile; les montagnes sont arides et dénudées, les ouadis sont sans eau pendant une grande partie de l'année, les plaines se couvrent de chardons.
Le changement est manifeste et incontestable ; mais quelle esl la cause qui a produit cette modification dans les productions de la Terre Sainte?
Les uns, comme MM. Couder', etc., prétendent que depuis Abraham et David aucun changement n'a eu lieu dans les conditions climatériques. Les saisons, les pluies, la tem- pérature, la végétation et la constitution du sol de la Palestine actuelle ne dill'èrenl en rien de ce qu'elles étaient dans les temps bibliques. C'est la négligence et l'insou- ciance des habitants, le vandalisme et l'oppression de l'administration qui ont changé l'aspect du pays. Les forêts
i. Couder, QuaTterlu 5l«iemeni
l.A MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DK LA SYRIE.
ont été abattues, les pluies sont devenues plus rares, le sol ne conserve pas l'eau; les constructions hydrauliques que les anciens avaient faites pour utiliser l'eau sontruinées; le sol porte encore les mêmes fruits qu'au temps le plus prospère du royaume d'Israël, pourvu qu'où le cultive el qu'un gouvernement intelligent encourage el protège le travail de l'agriculteur.
D'antres, comme MM. Fraas 4, Hull*, Elisée Reclus3, Fischer* et Blankenhom s croient, au contraire, que la culture et la sécurité peuvent augmenter les productions du sol, mais qu'elles sont incapables de lui rendre sa pre- mière prospérité. La vraie cause, la principale sinon l'unique cause du changement de la Palestine et de la Syrie est la modification que le climat a éprouvée depuis les temps his- toriques. Il est devenu plus sec; la diminution des précipi- tations atmosphériques a amené le tarissement ou l'affai- blissement des sources, le dessèchement total ou partiel des courants d'eau, et par suite la stérilité.
Cette diminution des pluies a été constatée non seule- ment en Palestine el en Syrie, mais dans tout le bassin de la Méditerranée. Le savant météorologiste M. Fischer a démontré que toute la zone semi -tropicale, à partir du 34° lat. nord, lend à se transformer en une large bande de steppes et de désert, et que cette modification lente ne sau- rait être attribuée qu'à une cause générale qui serait, sui- vant lui, un déplacement vers le nord de la zone où les vents contre-alizés descendent des hauteurs du ciel et s'abaissent sur la terre, en un mot, un changement dans le régime des vents. Il est incontestable que beaucoup de contrées du bassin
1. Fraiis, .lui rfem Orïttit, I, p. lilli.
•i. Ilull, Memoir un the Centugg and (ieuf/r., |i. 1Ï3.
3. EBsée Beelos, Géographie universelle, vol. IX, p. 740.
4. Fischer, Sludtm ùher Uan Kl i nui iet Mitletwcerlànder, p !i. Illauki;i]liurii, Zeitivlm/I du* Palaintina- Verein, vuj. X\
U MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SÏRIE. Ifi5
de la Méditerranée sont devenues plus sèches et impro- ductives. La mer Rouge est entourée d'une ceiniure de récifs interrompue en face de l'embouchure des fleuves côtiers. Ce sont ces cours d'eau douce qui ont produit ces
;hancrures profondes en tuant les coraux, ou en contra- riant leur travail; ils étaient donc autrefois plus constants et plus considérables qu'aujourd'hui, car, maintenant, un grand nombre n'atteignent plus la mer Rouge et les autres coulent trop rarement ou sont presque insuffisants pour entretenir ces entailles. Les pluies qui les alimentaient étaient donc plus fréquentes.
Il est certain que les eaux étaient jadis plus abondantes dans les vallées des montagnes li byques. En maints endroits, on distingue sur les rochers la trace d'anciennes cascades qui coulaient d'un Ilot continu, tandis que ces conlrées sont aujourd'hui sans eau. Le chameau n'est pas représenté monuments égyptiens avant l'époque saïte; il était certainement inconnu pendant les siècles qui ont précédé*. Les Égyptiens de cette époque n'étaient pas encore assiégés par le désert, qui était moins dénué d'eau et plus habité; les voyages y étaient possibles sans cet animal domestique. L'Arabe de nos jours ne pourrait plus se hasarder dans ces solitudes brûlantes sans le chameau.
Le Sahara était moins aride qu'il ne l'est actuellement. ;es lits avec leurs berges et leurs plages racontent ; passage ries fleuves dans ces régions desséchées aujour- d'hui.
La population du Sahara algérien semble avoir conservé e souvenir d'une époque où le Chott er Selam était cou- vert d'eau. Aujourd'hui il est desséché et les Arabes assu- rent qu'il n'a plus été rempli depuis un siècle3. Du temps
i Eg'jplt, p. lit. lUograj'itie de Pal
■iljli LA MÉTÉOROLOGIE HE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE.
des Romains, disent les Arabes de ces régions, l'Ouad-Souf était un grand fleuve, mais on lui jeta un sort et il dispa- rut. Dans l'oasis Hodna qui manque complètement d'eau, en dehors des puits artésiens, on trouve des ruines de vil- lages, des restes de construction pour utiliser l'eau, des digues, des réservoirs de l'époque romaine; preuve mani- feste qu'à cette époque il y avait une plus grande abon- dance d'eau1.
Ces faits sont confirmés par la considération de la faune. Le chameau, qui semble avoir été créé uniquement pour le Sahara, fut introduit assez tard dans l'Afrique septentrio- nale comme en Egypte. Polybe dit que les Carthaginois con- naissaient l'éléphant, mais il ne mentionne pas le chameau. César en reçut 22 du roi Juba, ce qui parut extraordinaire aux yeux des contemporains. Si cet animal avait été de quelque utilité, les Phéniciens, qui le connaissaient, l'au- raient bien introduit dans leurs colonies. On ne le trouve pas sur les sculptures des roches du Maroc et du Fez/.an qui représentent l'éléphant, le bœuf, le cheval, etc. Les tribus nomades du nord de l'Afrique se servaient dans l'an- tiquité de chars traînés par des bœufs ou des chevaux pour transporter leurs biens à travers les dunes3; de nos jours, il est impossible de traverser le désert sans l'aide du cha- meau. Il n'était donc pas indispensable dans ces régions où abondaient les grands pachydermes, car le chameau ne peut s'accommoder des conditions climatériques qui con- viennent à l'éléphant Partout où l'éléphant parait dans le Haut-Nil, le chameau périt malgré tous les soins ou devient inutile.
Les Carthaginois furent le seul peuple de l'Afrique qui ail réussi à capter et à dresser l'éléphant à la guerre. Ce grand
. Ilallelin dt ta Société dr Cêographie de Paris
LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE. 467
pachyderme s'est répandu du centre au nord de l'Afrique. Le Sahara n'opposait pas encore une barrière infranchis- sable à l'émigration de ces animaux vers le nord. Il a dû y avoir des contrées bien arrosées et riches en pâturages qui formaient en quelque sorte un pont reliant le lerriloire du Niger à celui de l'Atlas. Dès que ce pont fut rompu, les élé- phants du nord de l'Afrique furent séparés du grand trou- peau de leurs congénères et destinés à périr sous un climat qui ne leur était plus favorable. On ne peut pas attribuer leur destruction totale à l'action de l'homme, car dans les ré- gions bien peuplées des Indes, on n'a pas réussi à le dé- truire complètement.
L'histoire contemporaine de l'Algérie offre déjà de nom- breux exemples de fontaines qui ont desséché, de vallées naguère verdoyantes qui ne sont plus maintenant qu'argile et que rochers. Les villes mêmes n'ont plus ni sources ni puits ; il faut des convois d'eau pour la ville de Saint-Denis du Sig (Elisée Reclus, X, p. 601).
Plusieurs points de l'Espagne nous fournissent des preuves indubitables d'une modification de climat. L'Estra- madure, si désolée et si dépeuplée aujourd'hui, avait du temps des Romains une population très dense. C'est là que se trouvait la grande cité Colonia Augusta Emerita; ses plaines, si stériles actuellement, donnaient des récolles abon- dantes. Ses cités ont été remplacées par la solitude, et les bruyères ont succédé aux céréales.
La Gaule n'a plus l'intensité de froid et la surabondance de pluies dont parlent les anciens. L'Asie Mineure, d'après les recherches de Tchihalcheff, est certainement, à l'heure présente, moins humide qu'à l'époque romaine'.
Il n'est guère douteux que des changements physiques le se soient accomplis dans le climat de la Syrie et de la 'alestine, comme dans les contrées voisines.
i. ,'ttie Mineure, II. p
468 LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE.
Palmyre, la cité de Zénobie, avant d'être détruite par Aurélien, avait une population de plusieurs centaines de mille âmes. Pline parle de sa situation heureuse, de la ri- chesse du sol el de la bonté de ses eaux (Hist. n«(., liv. V, 21, 3). Là il y avait en effet des sources en abondance et une rivière qui arrosait les campagnes. Ptolomée dit qu'un cours d'eau semblable au Chrysorhoas (Barada de Damas) passait à côté du temple. Procope et les auteurs arabes des x' et xn" siècles parlent encore de l'abondance des sources et des eaux courantes de Palmyre, de ses vergers et de ses champs. Au milieu du siècle dernier, le voyageur anglais Wood vit encore deux petits ruisseaux, mais l'eau était devenue sulfureuse. De nos jours, tous les voyageurs par- lent de l'extrême sécheresse, du manque d'eau potable ; un seul ruisselet coule au sud de la ville et se perd dans le sol à peu de distance. Le climat est devenu plus sec et les pluies ne suffisent plus pour alimenter les sources.
M. Cernick constata, au cours d'un voyage qu'il fit à Palmyre pendant l'hiver 1872-1873, qu'entre la vallée le Asy, près de Homs, et celle de l'Euphrate, près Deir, il y avait peu de sources, — el encore Iburnissaienl-elles une eau non potable, — et que partout, même en plein désert, se montraient des ruines, de nombreuses traces d'une cul- ture ordinaire. Il vit en outre plus de 20 grands pressoirs d'huile creusés dans des grands blocs de basalte, roche ab- solument étrangère à cette région, mais nulle part il n'a aperçu un olivier, qui a pourtant une vie si longue et si tenace.
De el Farclus jusqu'à Palmyre, sur une étendue de 20 lieues, il n'a pas trouvé une goutte d'eau, même en hiver, et cependant il rencontra sur cet espace des constructions en ruine, des vestiges d'ancienne culture et d'habitations. Palmyre même, conclut-il, n'a qu'un petit ruisselet, et si ce filet d'eau venait à tarir, les derniers vestiges de la vie disparaîtraient, les habitants déjà si peu nombreux éroi-
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traient et de nouvelles ruines s'ajouteraient aux an-
En Phénicie, nous trouvons également des preuves d'un mat autrefois plus humide. De grands ponts romains >nt jetés sur des torrenls actuellement insignifiants comme Djebailé (l'ancien Byblos) et à Maamiltein,au bas de fiha- :ir. Pour justifier l'existence de ces ponts, il faut, en effet, ipposer que ces torrents étaient jadis plus considérables D'aujourd'hui ; où ils n'ont qu'un mince filet d'eau après e forte pluie; le reste du temps ils sont toujours à sec. e plus, on rencontre des murs d'end iguement sur plu- :urs torrents des environs de Djebailé qui, de nos jours, mt plus d'eau même en hiver5.
ville de. Petra3 fut à l'époque romaine un centre de ïimerce de 40,000 âmes au moins. Aujourd'hui on n'y ■ouverait pas même un camp de Bédouins. Strabon parle e l'abondance de ses sources et de ses jardins. Pline dit [ue la ville est traversée par une rivière, amne interflitente. a nombreux ponts, dont plusieurs ruines existent encore, ■ouvent que cette rivière était jadis plus considérable que e nos jours, où elle n'est plus qu'un ruisselet formé par la «îrce d'Ain Mottsa, située près du village d'Eldji. Cette serait absolument insuffisante à alimenter une ville ipuleuse comme l'était Petra et à abreuver ses troupeaux, ion Laborde et Linant ont décrit un bel aqueduc, mais s sources ne peuvent plus fournir la quantité d'eau en ipport avec ce canal.
Au sud-est de Petra, entre l'Ouadi Sabra et Akabaaïla, iborde a découvert les ruines d'une ville qui témoignent icore d'un étal jadis riche et florissant. Des ponts ruinés, s et des barrages prouvent que l'eau n'y manquait
. PeUrmann'i MUtheiiuntjen, lùyiiniunijsiiej'l, n° 14, p. 9 el 1 i Renau, Million de Phénicie, p. 174. . Fischer, op. cit., p. 43.
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LA MÉTÉOROLOGIE HE LA PALESTINE ET DE LA SÏRIE.
pas autrefois; des amas de pierres dont on nettoyait 1 champs, des murs retenant la terre arable sur les pentes des collines, la division des champs par des bancs de menus cailloux, datent, suivant Laborde, de l'époque nabatéenne, démontrant que ces régions étaient jadis bien peuplées. Le désert et la solitude ont succédé à cet état de prospérité'.
Lors de l'invasion des armées assyriennes en Arabie, la pénurie d'eau, obstacle principal des marches dans ces contrées, se Taisait moins sentir qu'aujourd'hui. De nos jours, une armée y périrait (Revue drs questions scienti- fique», 1885, p. 164).
D'après les explorateurs Pal mer et Drack-, le désert de et Tih, cette région comprise entre la Palestine et la pres- qu'île du Sinaï, est habitée par 4,000 Bédouins qui y trou- vent à peine leur subsistance. Ils sont toujours en guerre pour des sources et de maigres pâturages. C'est le désert sans eau, sans arbres ni végétation. Cependant on rencontre partout des vestiges d'une culture disparue, des ruines de fontaines dans une région absolument dénuée d'eau, des terrasses, des restes d'anciennes villes. C'est dans ce désert actuellement si aride et sî désolé que les Hébreux errèrent pendant dix ans, et ils y trouvèrent de l'eau et les pâturages nécessaires à l'entretien de leurs troupeaux. Le manque d'eau a rendu le sol stérile.
La source de Moïse, au Sinaï, qui abreuva si longtemps le peuple bébreu, ne suffirait pas aujourd'hui, suivant Praas, a 2,000 hommes.
La Pali'slinc, comme les pays limitrophes, est devenue plus ikoho i'I plui aride. « Dieu vous introduira dans une lionne terre, (Un* une terre pleine d'eau, de ruisseaux et de rOAtAlneft, ûu lus MHirces de rivières jaillissent en abon- dance it;iu - lei pUlnfll et les montagnes n (Deut., VIII, 7).
IMImiT, l'ht durrl nf fhr f«l*)|,
LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE. il I
Ce passage n'est plus applicable à la Palestine actuelle, qui est aujourd'hui pauvre en cours d'eau permanents. Outre le Jourdain, elle n'a ni fleuve, ni rivière qui mérite ce m. Tous les affluents du Jourdain, sauf le Yarmouk et le Kerka, sont éphémères et ne donnent de l'eau que pendant les pluies. Les torrents côtiers sont à sec dans tout leur parcours pendant une grande partie de l'année; d'autres n'ont de l'eau que dans leur cours inférieur, près de la mer, comme le Nahr Andje et le Nahr Mokatta.
Tous les voyageurs ont été frappés de la pénurie d'eau vive en Palestine. Les sources sont rares dans la Judée, un peu plus fréquentes à mesure qu'on avance vers la Galilée; mais des sources abondantes et pérennes capables de tour- ner un moulin ou de donner naissance à un cours d'eau, sont très peu nombreuses. Un grand nombre tarissent en été, et le débit des autres diminue tellement qu'à une faible distance de la source l'eau se perd dans le sol ou disparait par évaporation. A Nazareth, il y a deux fontaines : l'une tarit communément en été; l'autre, la fontaine delà Vierge, ne débite, suivant M. Schumacher, que tiOO litres par heure; c'est bien peu de chose pour une popuialion de 7,500 âmes.
Des villages paraissent avoir été nommés d'après une source qu'ils possédaient jadis. La source a disparu et le nom est resté à la localité; ainsi les villages Ain (source) Ghems, Aïn Jebrud, etc., n'ont plus de sources, pas même dans leur voisinage.
Le grand nombre de réservoirs, de puits et de citernes répandus dans toute la région ne prouve pas qu'il y ait eu pénurie d'eau dans l'antiquité comme aujourd'hui, car a des puits et des citernes dans des districts où l'eau est abondante. Le puits de Jacob se trouve dans le voisi- nage de Naplouse, qui se vante d'avoir 60 sources. De nos jours, il y a des villages suffisamment pourvus d'eau de source où des maisons possèdent une citerne; en outre,
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les puits et les citernes datent un peu de tous les âges : des temps bibliques, de l'époque romaine, du moyen âge et des temps modernes. Si l'on pouvait fixer l'époque exacte de chacune de ces constructions, on trouverait sans doute que les puits et les citernes qui sont postérieurs aux temps bibliques sont bien plus nombreux que ceux qui ont été construits par les Hébreux; d'ailleurs, supposons que la plupart de ces travaux hydrauliques aient été accomplis par les Hébreux, il en résulterait que les pluies eussent été plus abondantes à celte époque, car de nos jours l'eau plu- viale, dont la moyenne est de 60 centimètres, serait insuffi- sante à les remplir et à fournir une provision d'eau néces- saire pour 6 ou 7 mois consécutifs de sécheresse ; enfin, le grand nombre de citernes, de puits et de bassins témoi- gne plutôt d'une population considérable et d'immenses troupeaux de bestiaux et de moutons qui se comptaient par centaines de milliers.
La diminution des pluies a non seulement desséché nombre de sources et de cours d'eau, mais a amené la sté- rilité du sol, et, par suite, la dépopulation de la contrée; car la population aux temps bibliques a été 6 ou 7 fois plus grande que de nos jours. La Bible nous fournit quelques renseignements statistiques à cet égard. D'après un passage des Nombres (I, 16), lesHébreux, en entrant dans la terre promise, comptaient 603,500 hommes capables de porter les armes. Les Israélites formaient donc une population de 2 à 3 millions d'âmes environ. La population allait toujours en croissant, et le recensement ordonné par David donnait un chiffre de 1,300,000 à 1,400,000 hommes en état de porter les armes (Il Livre des Rois, en. 24, 9; Paralip-, I, 21,5), ce qui suppose une population de 5 à 6 millions d'âmes. Les tribus de Lévi et de Benjamin ne sont pas com- prises dans ce nombre. La Judée seule fournissait un con- tingent de 470,000 combattants. Josèphe dit que la Galilée était extrêmement populeuse à cause de la richesse du sol
LA KSTEOIIOLOCIE HE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE. 473
Or, la Palesu'ne compte, depuis Dan jusqu'à Barsebée, 225 kilomètres environ de longueur et 10 kilomètres de lar- geur moyenne, ce qui fait une superficie de 16,000 kilomètres carrés. La population kilométrique était de 312 habitants. La Terre Sainte était plus peuplée qu'aucun État d'Europe ne l'est de nos jours. En 1897', la Belgique comptait 220 habitants par kilomètre carré, l'Italie 169, la Grande- Bretagne 126, l'Allemagne 97 et la France 72. Dans tous ces pays, l'industrie est très développée, et l'industrie peut occuper et nourrir une population plus grande que l'agri- culture et l'élevage du bétail. Il faut donc admettre, et les témoignages de la Bible le confirment, que les productions du sol ont dû être prodigieusement abondantes pour nourrir
3 population aussi dense que celle de la Palestine au temps de David. Or celte fécondité du sol parait être incom- patible avec le climat présent, car, dans les conditions météorologiques actuelles, il serait impossible à 5 millions d'habitants, vivant principalement des produits du sol et de l'élève du bétail, de trouver leur subsistance sur une étendue de 16,000 kilomètres carrés qui, de nos jours, peut à peine nourrir 700,000 habitants occupant le territoire de l'an- cienne Palestine.
Pour nous en convaincre, il suffit de comparer la ferti- lité de l'ancienne Palestine avec celle de nos jours. L'un des principaux produits du sol, aux temps bibliques, futle blé. D'une qualité exceptionnelle et très appréciée à l'étranger, le froment fut utilisé avec l'orge dans toutes les parties de la Palestine, et le rapport dépassait de beaucoup les besoins des habitants, pourtant si nombreux, Salomon pouvait dont ner chaque année 20,000 cars de froment à Diram et au- tant aux ouvriers occupés à la construction du temple, ce qui fait une somme totale annuelle de 135,000 hectolitres, sans compter le froment livré au commerce des Phéniciens
1, Revue scienlifalU, 19 mars ma, p. S79,
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et la quantité plus considérable qu'une population de 5 mil- lions d'habitants consommait chaque année, car le pain Tut le principal aliment des Hébreux. Le sol était éminemment favorable à cette culture, et les récoltes donnaient 30, 60 et 100 fois la semence.
De nos jours le rapport du froment est médiocre, même dans les régions bien cultivées, et ne dépasse guère 7 ou 8 pour 1 '.
Dans certaines parties de la Judée, la culture du froment est devenue impossible, les eaux pluviales ont emporté la terre arable et mis les rochers à nu; dans d'autres districts, la couche terreuse est trop mince pour retenir l'humidité, un jour de soleil suffit pour la dessécher complètement. En général, on y compte une honne récolte sur trois médiocres ou mauvaises. Les grains confiés au sol des plateaux ou des pentes qui ne reçoit pas d'engrais rapportent le double ; les récoltes dans les vallées des environs d'Hébron bien culti- vées et fumées donnent le quadruple de la semence pour le froment et le quintuple pour l'orge.
Mais c'est la plaine des Philistins qui peut nous donner une idée de ce que put être la fertilité de l'ancienne Pales- tine. Les collines sont formées de calcaire crayeux et la plaine proprement dite d'alluvion. Ici comme ailleurs, le rendement varie suivant les conditions météorologiques et, la bonté du sol. Si les pluies du mois d'avril sont tombées à propos, ni trop lût ni trop tard et en quantité suffisante, et si le vent du désert n'a pas- soufflé au printemps, les grains de froment confiés à une terre bien cultivée peuvent rap- porter de !i jusqu'à 30 pour 4, et ceux de l'orge de 20 jus- qu'à 120 pour 1.
La plaine d'Esdralon ne reçoit pas d'engrais; le maximum de rapport y est 10 pour 1, et le minimum 4 pour 1, c'est- à-dire la semence. La moyenne de 10 ans est 7 à 8 pour 4.
ilerliiiil, /.filsclirifl rfe» falaiKtina-VtTtinx, IX. |>. 46-51
LA MÉTÉOROLOGIE IIE H PALESTINE ET IIF LA SYME.
L'orge n'y réussit guère à cause de la trop grande humidité de l'hiver.
Dans les montagnes de Nazareth el d'Ephraïm, dont le sol est calcaire, le rendemenL maximum est 13 pour 1 et peut être nul l'année où paraissent les criquets. La moyenne est 0 pour 1.
De ce qui précède, il résulte que la fertilité de la Pales- tine n'est plus ce qu'elle était aux temps bibliques.
Maïs on dit que la stérilité actuelle n'est qu'apparente et a sa source dans l'incurie des habitants, el que, si l'on se don- nait la peine de cultiver la lerre, la Palestine deviendrait de nouveau une terre de froment et d'orge.
H est peu probable que, dans les conditions météorolo- giques actuelles, le meilleur mode de culture puisse rendre à la Terre Sainte sa première prospérité. Près de Jaua et à Calfa, sont établis des templiers allemands qu'il serait bien difficile d'accuser d'incurie et d'insouciance; ils ne négli- gent rien, ni travail, ni engrais, pour faire rendre au sol tout ce qu'il peut produire. Or, le maximum du rendement de froment a été 30 pour \ elle minimum de 4 jusqu'à 6 pour 1. La moyenne de plusieurs années est H pour 1 . Quant à l'orge, le maximum derapport a été 50 pour 1, la moyenne est 15 pour l.A Calfa, le sol est formé d'alluvions calcaires, et le rendement moyen du froment est 7 pour 11 et de l'orge 6 pour 1,11 est manifeste que la quantité de blé que le sol pa- lestinien convenablement cultivé peut produire aujourd'hui est bien inférieure àcelle qu'il rapportait aux temps bibliques. [I lui faut donc autre chose que la culture européenne ; il lui faut précisément ce qui constituait son ancienne fertilité, l'eau du ciel, des pluies plus abondantes et réparties d'une façon plus favorable àla végétation. De tout temps, l'eau atmo- sphérique a été la première condition de la fécondité de la Terre Sainte. La Bible semble toujours faire dépendre la richesse du sol palestinien des pluies pluldt que du travail des habiianls. Si Dieu donnait la pluie, la pluie précoce et
LA MÊTÉOIIOLOGIE DE LA V ALF.STWË ET DE LA SVltlE.
la pluie tardive, les Hébreux nageaient dans l'abondance e ne manquaient d'aucune chose; mais si Jéhova la refusai la terre ne produisait rien, elle était frappée de stérilité (Deut.,\I, 10, 11; Joël, II, 23). Sous ce rapport, la Palestini n'a pas changé. De nos jours, si les pluies ontété suffi à l'époque des semis, de la floraison et du déveioppemei des grains de blé, une bonne récolte est assurée; mais s l'eau pluviale manque à une époque quelconque de la saison humide ou si les vents d'est et du sud-est ont desséché le sol en faisant évaporer toute humidité, les moissons sont compromises. En général, la richesse des récoltes augmente dans la même proportion que les pluies. A quoi se réduisent aujourd'hui la pluie précoce, celle qui tombe au mois d'oc- tobre à l'époque des semis, et la pluie tardive, qui arrive au mois d'avril à l'époque de la formation et du développe- ment des grains de blé? La pluie précoce ne dépasse pas 9 millimètres et la pluie tardive 4 centimètres. C'est la moyenne de 3(1 ans. Or, cette quantité est insuffisante pour assurer une riche récolte, quelle que soit d'ailleurs la culture. Si la Palestine a été autrefois plus fertile que mainlenant, comme il n'est guère permis d'en douter, les pluies ont été plus abondantes et surtout mieux réparties.
S'il faut encore des preuves en faveur d'un changement de climat, la considération des richesses pastorales et de la disparition des forêts va nous les fournir.
Mesa, roi de Moab, nourrissait d'immenses troupeaux, il devait payer au roi d'Israël un tribut annuel de 100,000 bé- liers avec leur toison et 100,000 agneaux (IV, Reg., 111, 20). Salomon entretenait 52,000 chevaux (III, Reg., IV, 26), ei à- la dédicace du temple, il immola 23,000 bœufs et 100,000 brebis (III, Keg., VII, 03). Les tribus occidentales devaient à Salomon une prestation annuelle d'environ 3,000 bœufs gras, 6,000bœufs de pâture et 35,000 moutons (III, Reg., IV, 23). Les Hébreux ravissaient aux Madianites, comme butin de guerre : 075,000 montons, 72,000 bœufs et 61 ,000 ânes.
LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE. 477
Une telle richesse pastorale appartenant à un peuple se- mtaire et agriculteur suppose nécessairement de grands >àturages, de vastes prairies. En effet, la plaine de Saron renommée pour ses riches pacages éminemment pfo- i à l'élevage du bétail ; Josèphe nous vante les grasses ■airies de la Galilée, et les tribus de Ruben et de Gad clamèrent les immenses pâturages situés au delà du Jour- siii. Mais les prairies exigent un climat plus humide que :elui d'aujourd'hui. Si l'Angleterre et la Flandre sont des de pâturages, c'est surtout en raison de l'humidité de mr climat. De nos jours, on ne voit nulle part, en Pales- ine et en Syrie, des prairies proprement dites, c'est-à-dire des terrains couverts de plantes herbacées consommées sur place par les bestiaux, car elles ne peuvent supporter la longue sécheresse de l'été. On n'y trouve d'autre végéta- tion que celle des steppes. Les plaines se couvrent d'ané- de liliacées, de crucifères, de labiées et de carduées, nais les plantes fourragères manquent complètement.
D'ailleurs l'humus, la terre végétale proprement dite sans laquelle les prairies naturelles sont impossibles, fait entière- nent défaut en Palestine. La formation de l'humus a lieu, uivant Fraas, dans les pays d'Europe, pendant l'hiver où la régélion subit une interruption. Les feuilles des arbres tom- >ent, les herbes se fanent et restent sur le sol. La neige ou a basse températureles préserve d'une décomposition com- plète. Au printemps, les plantes renaissent, couvrent omptemeni les resles des végétaux à moitié décomposés t les protègent contre les rayons solaires qui achèveraient . décomposition. Chaque année, il se forme une pellicule s qui s'ajoute à celles des années précédentes ei ugmente insensiblement cette terre noire nécessaire à la irmation du gazon, au succès des prairies et à la produc- ion des plantes fourragères.
n'eu est pas de même dans les pays qui n'ont qu'un iltt nombre de jours pluvieux dans l'année, comme
SOC. CE GÉOGR. — 4' TRIMESTRE 1839. XX. — 33
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l'Egypte, l'Arabie et la Palestine. La saison de sécheresse y dure six ou huit mois, et la température descend rarement a 7-êrn. L'interruption de la végétation a lieu pendant la saison sèche et chaude, les plantes herbacées se dessèchent et ?e décomposent totalement, et l'humus ne peut se former.
Une telle richesse pastorale suppose des prairies, les prai- ries de l'humus, et l'humus un climat plus humide et diffé- rent de celui de nos jours. Dans les conditions climaté- riques actuelles, la culture la plus intelligente et la meilleure administration ne pourront guère restituer à la (erre de Chanaan ses anciennes prairies.
Une terre ruisselant de lait et de miel devait avoir non seulement des prairies, mais des forêts. Le Liban avait ses cèdres et l'Hermon ses cyprès. Les forets ont disparu au- jourd'hui. La Judée ne produit pas même le bois nécessaire pour faire les cercueils, à plus forte raison pour les con- structions; le bois lui vient aujourd'hui de Marseille ou de Trieste. Au mont Carmel. il n'y a plus de forêls habitées par les ours ; laforet d'Haret. où David se retira, n'existe plus, ni celle de Bethel, d'où Elisée fit sortir les ours pour punir les enfants qui l'insultaient; la loi de Moïse : < si quelqu'un va avec son voisin dans la forêt, etc. », serait inutile aujourd'hui ; de même on ne comprendrait pas comment les Gabaonites ont pu Stre condamnés à porter de l'eau et à couper du bois pour le service du temple et du peuple.
De loin, on voit encore sur les pentes de quelques mon- tagnes des taches sombres et vertes qui ont toutes les appa- rences de forêts, mais lorsqu'on les examine de près, elles se réduisent à des fourrés de broussailles, à des arbustes de 1 à 4 mètres de hauteur qu'on désigno comme des forêts; mais les bois de haute fatale manquent partout.
On trouve encore les arbres mentionnés dans la Bible, mais quelques-uns ne prospèrent plus, leur tronc est ra- bougri et leur végétation chétive comme s'ils avaient été transplantés dans un pays dont le climat ne leur est plus
L* MÉTÉOriOLOCIE DE LA PALESTINE ET DE LA SïniE. 47°.
favorable. Les pins réussissent mieux sur la côte et sur les pentes exposées aux vents humides que dans l'intérieur de la Palestine.
La Palmaraie de Jéricho, autrefois si bien arrosée, avait, suivani Strabon, 100 stades oulSkilomèlresde long, et, sui- vant Josèpbe 70 stades de long et 20 stades de large, environ 5,000 hectares. Aujourd'hui, les dattiers ont complètement disparu de Jéricho et d'Etigaddi ; ils n'y croissent plus faute d'humidité ; car le palmier a le pied dans l'eau et [a tête dans le feu, comme disent les Arabes. La source d'Aîn Soultan, quoique abondante, ne pourrait fournir la quantité d'eau nécessaire à l'irrigation d'une étendue aussi consi- dérable.
Les cèdres couvraient jadis les sommets du Liban et mrnissaient le bois aux Hottes phéniciennes et aux con- structions du temple et des palais de Jérusalem. Aujour- d'hui il ne reste que 400 arbres eu tout; mais les cèdres nts qu'on croit avoir été les contemporains de Su lo ni on nt peu nombreux et destinés a disparaître a breF délai. En 1550, Bellonius compta 28 vieux cèdres; en 1573, taucbwoll'en trouvait; en 1754, Pococke en vit encore 15 i 1810, liurkhardleu compta H à 13; en 1836, Russegger n'en trouva plus que 7 et aujourd'hui il n'en reste que 5 Innt le plus gros mesure, à 00 centimètres au-dessus du sol. Ode circonférence. On peut conclure d'après celte ninution progressive qu'en 1950, il n'en resli'ra pas un; i meilleure preuve que le climat ne leur convient lus, ils prospèrent mieux dans l'Europe centrale. Les plus innés cèdres ont un diamètre de 20 à 30 centimètres, ce i suppose un âge de 100 à 150 ans, Rustem Pacha, ancien gouverneur du Liban, afin de favo- r le développement de ces arbres, fit entourer le bosquet d'un mur pour empêcher les chèvres et les moutons d'y iller piétiner le sol et brouter les jeunes pousses; il y a iSme établi un gardien qui veille à ce que les arbres ne
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soient pas endommagés par le couteau des touristes et la hache du bûcheron. Mais depuis plus de vingt ans on ne voit pas un seul jeune cèdre repousser.
Quelques voyageurs ont par erreur signalé la présence des cèdres au Djebel Baruk, près de Ain Zehal ta, et àHadet, près Tannourine. Fraas les a étudiés et a trouvé que ce ne sont pas des cèdres véritables, mais des cyprès horizontaux qui ont une très grande analogie avec les cèdres du Liban ; d'ailleurs les indigènes semblent les en distinguer; ils appel- lent les arbres de Hadet e( de Ain Zehalta « Cherbi t et les arbres au-dessus de Becharra, les cèdres proprement dits, c Arz »'.
Boissier, l'auteur de la Flore orientale, ne paraît pas les avoir vus lui-même; il ne signale leur présence dans ces deux localités. Aï ri Zehalta et Hadet, que sur le témoignage d'une lettre de Blanche.
Mais il y a plus. Tout près de cèdres, à coté de la souri du NahrKadieha, se trouvent des tufs calcaires remplis d'ei preintes de feuilles ayant appartenu au hêtre, à l'orme, au noisetier et aux chênes (Quercus pedunculala et sessili- flora); or, tous ces arbres ne croissent plus à l'état spoutané dans le Liban; ils ont émigré vers les régions plus humides : t'Anatolie, l'Arménie, la Grèce, etc. LeschCnes, qui ont dis- paru du Liban, forment de nos jours de belles forêts dans le nord et au centre de l'Europe. M y a bien encore des chênes au Liban, mais ce ne sont pas les mêmes espèces.
Tous ces faits tendent à prouver que le climat a subi une modification; il est devenu plus sec, les pluies sont deve- nues insuffisantes au développement des forêts.
Mais c'est à la disparition des forêts, dit-on, qu'il attribuer la diminution des pluies et, par suite, la plus moins grande aptitude cullurale des terres, car il n'est douteux (?) que les forêts augmentent et régularisent
1. FraaK, Orei Mvttate am Libawm, p.
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LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SÏRIE. 481
pluies. Les environs de Nazareth sont boisés, c'est pour cette raison que les pluies y sont plus abondantes et plus régulières qu'à Jérusalem '.
Nous faisons remarquer que, s'il pleut plus à Nazareth qu'à Jérusalem, cela tient à la configuration de la contrée plutôt qu'à la présence des bois. En effet, la ville de Naza- reth es! plus rapprochée de la mer, et les vents pluvieui rencontrent à peu près directement les monlagnes assez élevées (500 à 600 mètres) des environs de Nazareth, tandis que Jérusalem est plus éloignée de la mer, et les courants aériens, chargés de vapeur d'eau en passant sur les plaines de la c&te et sur les premiers plateaux des montagnes de la Judée, abandonnent une partie de leur fardeau avant d'at- teindre Jérusalem. En outre, Beyrouth reçoit 30 centimètres environ plus d'eau que Nazareth, et pourtant il n'y a pas de forêts dans les environs, car le Liban est dénudé et il ne vient à la pensée de personne d'invoquer la présence de quelques pins situés au sud de la ville pour expliquer cet excédent d'eau pluviale. Cette augmentation est due à la configuration de la région. Les vents pluvieux venant de la mer vont se heurter contre les pentes du Liban, qui se dresse derrière la ville jusqu'à 2,000 mètres de hauteur : les vapeurs se condensent; enfin la régularité des pluies est aussi grande à Beyrouth qu'à Nazareth. Il pleut moins à Tibériade et à Jaûa, il est vrai, niais la régularité. y est bien plus grande qu'à Nazareth, et pourtant il n'y apasdefor&ts dont on puisse invoquer l'action régulatrice.
D'ailleurs il n'est pas démonlré jusqu'à ce jour que les forèls exercent une influence sur la quantité annuelle et la régularité des pluies. La seule action bien constatée des
êls est leur influence protectrice sur le sol ; elles re- tiennent les terres et les empêchent d'être entraînées. Ainsi dans les pays de montagnes elles arrêtent les torrents, mais
t. AnderlindjZeilicftri'/f tltt Pataextina l'ereins, 1885,vol.VllI,p.
482 LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE.
on ne saurait nullement affirmer qiie le déboisement a pom conséquence de diminuer la proportion annuelle de pluie «car, dit M. Bouquet de laGrye, on ignore encore si la pré sencedes forets augmentela quantité de pluie et leur régu- larité ; dé même, est-ce parre que les pluies sont fréquentes, que certaines régions de la France sont bien boisées ou esl-ce parce qu'elles son L boisées que les pluies y sont fréquentes? > Tout porle à croire que les phénomènes météorologiques qui déterminent la condensation des eaux atmosphériques se passent à des hauteurs bien supérieures à celle des mas- sifs boisés. C'est à la configuration du sol et à la direelim générale des courants, bien plusqu'a la végétation, que d< être attribuée la fréquence des pluies. Les contrées comme la Bretagne, la Normandie, qui reçoivent directement les Courants du sud-ouest et de l'ouest, sont pluvieuses ; les montagnes, sur les versants desquelles les courants aériens s'élèvent et se refroidissent, reçoivent de grandes quantités de pluies; les plaines, sur lesquelles les courants s'échauf- fent et se dilatent, sont en général saches. En somme, le reboisement peut sans doute atténuer l'évapor.'ition du sol et y maintenir quelque fraîcheur, mais cet effet lout local ne semble pas avoir une influence très appréciable sur h climat d'une contrée1.
Les changements climalériques ont une cause beaucoup plus générale que le déboisement de quelques portions du sol. L'homme peut agir sur le sol, mais les grands courants atmosphériques, qui déterminent le climat, échappent com- plètement à son action.
«C'est en vain, dit M. de Lapparent, qu'on voudrait attri- buer ces changements {de climat) à l'intervention de l'homme et en particulier à l'influence du déboisement. L'homme n'est pour rien dans le dessèchement du Sahara si bien pourvu d'humidité jadis... Il vaut mil
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LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA STRIE. iK.l
que nous ignorons encore les lois qui gouvernent ces modi- fications, dont l'avenir seul nous révélera peut-être le secret', t
11 semble résulter de tout ce qui précède que le climat de la Palestine est devenu plus sec, et que ce changement n'est pas dû à l'action de l'homme, mais à une cause géné- rale qui a exercé son influence sur la Palestine comme sur toutes les contrées du bassin de la Méditerranée.
Mais si le climat est devenu plus sec, la température est- elle restée la même depuis le temps de Moïse?
Ou répèle communément que la température moyenne de la Palestine n'a pas été altérée depuis25 siècles, puisque la limite septentrionale de la zone où mûrissent les dattes et la limite méridionale de la vigne coïncident encore sur les bords du Jourdain.
Arago est, je crois, le premier qui ait émis cette opinion ; voici la preuve qu'il en donne -. c La maturation des dattes et des raisins, dit-il, exige une température déterminée. Or, la limite thermo métrique en moins de la datte diffère très peu de la limite (hermomélrique eu plus de la vigne ; si donc nous trouvons qu'à deux époques différentes la dalte et le raisin mûrissaient simultané/tient dans un lieu donné, nous pourrons affirmer que, dans l'intervalle, le climat n'y a pas sensiblement changé. »
La ville de Jéricho s'appelait la ville des palmiers. La Bible parle des palmiers de Debara situés entre Rama et Belhel; de ceux qui longeaient le Jourdain ; la ruine des palmiers était rangée parmi les épreuves les plus sensibles, etc., etc. Les Juifs mangeaient les dattes et les préparaient comme fruits secs ; ils en tiraient aussi une sorle de miel et de li- queur fermenlée; les monnaies hébraïques offrent des re- présentations distinctes de palmiers couverts de fruits.
484 LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE.
Pline, Théophraste, Strabon, Tacite, Josèphe, etc.,
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mlion des bois de palmiers situés dans la Palestii ne peut donc pas douter que cet arbre ne fût cultivé grand par les Juifs.
Nous trouvons tout autant de documents sur la vigne. Dans vingt passages de laBible.il estquestton des vignobles delà Palestine. La Genèse parle des vins de Juda ; Strabon et Diodore vantent beaucoup les vins de la Judée; enfin le raisin figurait comme symbole sur les monnaies hébraïques tout aussi fréquemment que le palmier.
Il est donc bien établi que, dans les temps les plus reculés, on cultivait simultanément le palmier et la vigne au centre des vallées de la Palestine. Voyons maintenam quels degrés de chaleur la maturation de la datle et celle raisin exigent.
A Palerme, dont la température moyenne surp; 17e centigrades, le dattier croît, mais son fruit ne mùi pas.
A Catane, par une température moyenne de 18° à 19° ci ligrades, les dalles ne sont pas mangeables.
A Alger, dont la température moyenne est d'environ 21' centigrades, les dattes mûrissent. Toutefois elles sont incontestablement meilleures dans l'intérieur du pays.
En partant de ces données, nous pouvons affirmer qu'à Jérusalem, à une époque où l'on cultivait le dattier en grand dans les environs, à une époque où le fruit de cet arbre servait d'aliment a la population, la température moyenne n'était pas au-dessous de celle d'Alger où la datte mûrit tout juste. Eh bien, c'est porter la température de Jérusalem, ou à 21" centigrades, ou à un nombre plus fort.
De Buch place la limite méridionale de la vigne à l'Ile de Fer, dans les Canaries, dont la température moyenne doit être entre 21° et 2-2" centigrades.
Au Caire et dans les environs, par une température moyenne de 22° centigrades, on trouve bien cà et là quel-
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LA MÉTÉOROLOGIE BE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE. 485
|ues ceps dans les jardins, mais pas de vigne* proprement ii tes. Les vignes nous apprennent que, dans les temps les plus wulés, ia température moyenne de ce pays ne surpassait Ï2° centigrades, et le palmier prouve qu'on ne saurait prendre pour cette même température un nombre au-des- ■ de 21" centigrades. Nous sommes donc amené à caractériser par 2l°5 du thermomètre centigrade le climat ï la Palestine au temps de Moïse, sans que l'incertitude tara h se devoir aller à un degré entier.
La température moyenne de la Palestine, à combien s'élève-t-eile aujourd'hui? Arago ne possédait malheureu- sement pas d'observations directes; il y suppléa par des ;ermes de comparaison pris en Egypte.
! La température moyenne du Caire, dit-il, est de 22°. Jérusalem se trouve 2° plus au nord ; 2° de latitude corres- tondant, sous ces climats, à une variation d'un demi à trois [uarts de degré lia thermomètre centigrade. La température noyenne de Jérusalem doit donc être peu supérieure à 20*. Pour les temps les plus reculés, nous trouvions 21° 5. Tout porte donc à reconnaître que trois mille trois cents ans n'ont pas altéré d'une manière appréciable le climat de la Palestine. »
Observons d'abord que les considérations sur le palmier et la vigne ont amené le savant astronome a conclure que la température moyenne de Jérusalem a été, au temps de Moïse, de 21°2 centigrades, sans que l'incertitude paraisse devoir aller a un degré entier; or la température moyenne actuelle de Jérusalem, d'après les observations directes et non interrompues de quinze et même de trente-six ans (1861-189H) est de 16°7 centigrades; il en résulte que la température a varié de 4° environ. Le climat, au temps biblique, était plus chaud qu'aujourd'hui. En effet, la cul- ture du palmier a disparu de la Palestine, pour la raison bien naturelle que les dattes n'y réussissent plus. Le dattier est
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186 LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA SÏHIE.
devenu un arbre d':igrémenl, et tend à disparaître. 11 quarante ans, Jérusalem possédait dans son enceinte Lren [aine de pal miers; aujourd'hui la ville sainte n'en coi que huit environ, suivant M. Anderlind. On voit encore palmiers isolés dans les vallées humides de la Galilée, la Samarie, de Sa Judée, et dans les environs de Jérusalem; mais les dattes n'y mûrissent plus. Le dattier croît encore bien et devient très élevé sur le littoral, comme à Beyrouth, àSaint-Jean-d'Acre et à J ami, mais son fruit ne parvient pa* à une pleine maturité; les dattes jaunissent, mais restent acerbes et sèches. Elles sont très médiocres et très peu appréciées. Nous ne possédons pas de données positives snr la maturation des dattes dans le Ghar, mais il est certain le baumier ne réussit plus a Jéricho; il exige la tei rature de l'Arabie méridionale.
Celte modification de la température peul se déduire l'époque des moissons et des vendanges, qui parait aujour- d'hui plus tardive que dans l'antiquité. Aux temps bibliques, la moisson fut légalement ouverte le second jour de Pâques, par îa présentation de la première gerbe au temple national. La fête de Pâques tombait toujours le i5 du mois Nisan, qui correspond à notre mars-avril. De nos jours, les mois- sons commencent habituellement vers le milieu du mois de mai.
Les raisins noirs destinés à la fabrication du vin sont récoltés au mois de septembre, mais les vendanges de raisins blancs se prolongent dans le mois d'octobre. Aux temps bibliques, on célébrait la fête des Tabernacles après les vendanges, le îô du mois Tiscbri, qui correspond à peu prèsau l"r octobre.
Nous ne croyons pas manquer au respect dû à la mémoire de l'illustre astronome, en faisant en outre remarquer qu'en déterminant la température moyenne actuelle de la Palestine, il n'a tenu compte que de Ja différence de lati- tude entre le Caire et Jérusalem, et semble avoir négligé
i MÉTÉOKOI.OCIE DE l.\ PALESTINE ET DE LA SYRIE. 487
3 Facteur important dans ce genre de calcul, c'est-à-dire i différence d'altitude. Le Caire est à 12 mètres et Jéru- alem à 762 rnèlres au-dessus de ia Méditerranée. S'il est vrai [lie la température diminue de 1D centigrade pour tous les 0 ou 200 mètres d'élévation, la différence de température a la différence d'altitude de ces deux villes ferait un plus de 3° centigrades. En tenant compte de la ifférence de latitude et d'altitude, on trouve que la tcmpé- alure moyenne de Jérusalem est à peu près 17° centi- rades. Cette approximation satisfaisante aurait certaine- ment empêché Arago de conclure que la lempérature n'a s éprouvé de modification depuis le temps de Moïse. Notons enfin que, si la limite septentrionale du pilmîer e trouvait autrefois sur le bord du Jourdain, la limite méri- dionale de la vigne descendait, et descend encore aujour- , plus vers le sud. Dès la plus haute antiquité, la vigne cultivée en grand en Egypte. < La vigne abondait, M. Maspero, au moins dans la Moyenne et Basse- ;yple; on connut l'art de presser le vin de temps immé- morial, et les monuments les plus anciens énumèrent déjà lue demi-douzaine de crus fameux, blancs et rouges. » Et I ajoute en note. « Les quatre espèces de vin canonique rées de chacune des régions nord, sud, est et ouest du »ays font partie du repas officiel et de la cave des morts s la plus haute antiquité1. »
Strabon parle de l'importance du vignoble de l'Egypte. 'line mentionne l'excellence de trois espèces de vin qu'on briquait sur le bord du Nil. Il est vrai qu'Hérodote [firme le contraire, mais son témoignage est en opposi- manifeste avec le* monuments égyptiens les plus mthen tiques. Plusieurs passages de la Bible font mention des vignes luées dans le nord de l'Arabie. Moïse, en demandant au roi
. Maspero, Riitoirt
. Eygple, p. 65.
488 LA MÉTÉOROLOGIE DE LA PALESTINE ET DE LA STRIE.
d'Idumée le libre passage à travers son territoire, s'engage à ne pas traverser les vignes, ce qui suppose qu'elles avaient une certaine importance.
De nos jours, la vigne ne réussit guère en Egypte, mais elle est cultivée avec succès en Arabie1. En Perse, elle des- cend jusqu'au 29° et même au 27° de latitude. A Abousheer, la vigne prospère, et la température moyenne est 25° centi- grades d'après Maklmann.
1. Elisée Reclus, Géographie universelle, vol. IX, p. 874.
Le Gérant responsable, Hulot,
Secrétaire général de la Commission centrale.
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE TOME XX DE LA VII» SÉRIE (1899)
PREMIER TRIMESTRE
Baron Hulot. — Rapport sur les progrès de la géographie pen- dant Tannée 1898 (avec 14 cartes dant le texte) 5
Gabriel Marcel. — Note sur une mission géographique en Suisse. 76 Loicq de Lobel. — Le Klocdyke, l'Alaska, le Yukon et les lies Aléoutiennes 95
2* trimestre
Baron Hulot. — Rapport sur les prix décernés par la Société de Géographie dans sa séance générale du 21 avril 1899 133
J. Thoulet. — Considérations relatives à la construction d'une carte lithologique des côtes de France 182
C. E. Bonin et F. Grenard.— Les derniers voyages dans le Tibet oriental (MM. Holderer et Ffltterer, M. et Mme Rijnhart, M. Ch. Bonin) 198
Capitaine H. Vere Barclay.— Au travers du continent australien. 214
Capitaine Chanoine. — Mission Voulet-Chanoine. De Dienné à Sansanné-Haoussa 220
F. J. Clozel. — Côte d'Ivoire 236
E. Carlier. — Notice sur les Bondjos 241
3* trimestre
F. J. Clozel. — La Côte d'Ivoire, notice historique 249
Capitaine Chanoine. — Mission Voulet-Chanoine 279
Dr J. Ile g cet. — Dans le Sud algérien (avec figures dans le texte). 285
TABLE DES MATIÈRES.
Camille Gdt. Mission lionne] de Alézleres
Voyais île Dmitki Kllmkntz t-n Mongolie occidentale, de ltW5 a
1897
Comte si B*fiTH*i.EMï. — Au pays des Mois
B. p. Zmnans, S. J. — La météorologie de la Palestine et de la
Capitaine E. Salesses. — De Conakry au Niger 305
Camille Ouï. — Notes sur les eiplurations de M. Perdrîzet 4IS
Bons d'An tv. - De Hanoï à. Mongize . 1U
H. François. — De Canton a Long-Tchéou 433
M" Légal. —Au Nord-Ouest canadien. Les Pieds-Noirs ,. -150
R. P. ZtiMom;*, S. J. — La météorologie de la Palestine et delà Syrie [mit» et fin)
■i.iobe du musée de Zurich. I„i cote des Guyanes, d'après la globe de Zurich, i Coupe à boire au musée de Zurich, i DlCfl ue Lobel. - Exploration à travers le Klundyhe 81 1 1888. i Itinéraires dans l'Indénié, par M. Seiglakd, au 600,408*. i Tableau d'assemblage îles feuilles île la l'.arlt litholagique det e France, dressée par M. J, Tboulei. Il' J. HiIGiitr. — Carte des kç-our du Mzab. — Itinéraires du Mzal> et du pays ds:s Chaamba. Itinéraires de Dmiihi Klekentz en Mongolie occidentale i1S85-1KD Uinéraire de la misiion du cuniie de Barîhelehv en pays Moi (1
Capitaine E. Salessks. — Carte des voies (
Conakry au Niger, i Ch. pERnmzËT. — Itinéraire outre les rivières Siiiigii 1896-mai 1897;, au 150,000 . v. FUteOis. — Cours du Si-kMang, du San-Kiang et Long-Tchéou (otoui Lire-décembre 1096,.