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BULLETIN

DE LA

SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHE

Sepaéme ««rie

TOME XI

LISTE

DES PRÉSIDENTS HONORAIRES DE LA SOCIÉTÉ ^

MM.

* Marquis DE LAPLACE. ♦Marquis de Pastûret.

* V'o DE Chateaubriand.

*C'">CHABB0L0E YOLVIC.

* Becouev.

*C<» Chadrol de Chûu-

50]..

•Baron Cenrges Cuvier.

* B" Bvi)E DE Neuville

* Duc UE DOUDEAUVILLE

* Comte d'Argout.

* J.-B. EïBIÈS.

* Vice-amiral DE RlCNT. *Contre-aiii. d'Ijkville. *Duc Decazes.

•CoiuU OE MOSTALIVET.

* Baron de Barabte.

* Gcniiral Isaroti Pelet,

"CUIZOT.

*De Salvakdy.

* Baron TUPIMIER,

MM.

Comte, Jaubert.

Baron de Las Casss.

* VtLLEMAIN.

* CUNIN-CRIDAfflE.

Amiral baron Roussik. *Ani. baron deMackau.

* B°" Alex, DE Hl'iiboldt.

Vice-amiral Halcan.

* Baron Walckenaer.

Cointe MuLÉ.

De la Roûuette. *JoiaARD.

•DtIHAS.

*Contre-am. MATHIEU.

* Vice-amir. La Place.

Hippolyte FoKTOix.

LEFEltVRE-DUBUFLÉ.

*GutCNIAUT.

* Dausst. •Général Daumas.

MM.

* DDC DE BEAL'KOKT,

* nocLAND.

* Ariiir. DesfossÈs.

C. deCrossolles-Fla- uarens.

* Duc DE Persignv.

* Vice-aiiiiral de la RoH'

CIÈRE le NotfRY.

•Coinle Wai.ewski. De Quathefages.

* MrCHEL CttEVALlER. ALFREU MaL'RY.

Vivien de St-Mariik.

♦Mis DE CUASSELOUP-

Laudat. Heurakd.

Contre-am. Mouchez. Ferdinand Ije Lesseps. Aljih. Milne-Edwaiids. Alfreil Graxuidieb. Auguste Daudrëe.

COMPOSITION DU BUREAU DE LA SOCIETE

POUR L'ANNÉE 1890-1891

Président M. de Quatrefawes de Biiéau, membre de l'Inslilut.

Vice-vrésidentt ^ *'' Alp''- Milne-Edwards, membre de l'IusUlut. *) M. TIj. Parhentieh, g-ciiéral do divisiun.

Scrutateur».... \ M. Edouard Blakc. ( >l. Marcel Monnier.

Secrétaire M. Louis-Gustave Bincer, capitaine d'infanlerie de

marine.

TRÉSOftIER DE LA SOCIÉTÉ

M. Meicnen, tiuLaire honoraire.

ARCHITECTE DE LA SOCIÉTÉ

M. Edouard Leudiëre.

AGENCE

M. Charles AUBRT, agent,

HAtel de la Sociélé, boulevard SalatrCermala, 181.

BULLETIN

DE LA

SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE

BÉDIGÉ

AVEC LE GOaCODBS DE LA SECTION DE PDBLIGATION

PAIt

LBS SECRÉTAIRES DE LA COMMISSION CENTRALE

SEPTIÈME SÉRIE. TOME ONZIÈME

AHNÉ8 1890

» ijonçin M

PABIS

SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE

184, Boulevard Saint-Germain, 184 1890

DONS ET LE&S

rXITS A LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE

1869. Impératrice Eugénie.

1870. M. Ferdinand de Lesseps. 1881. M. Alexandre Renouard.

1881. M. Jean-Baptiste-Athanase Desrosiers.

1883. M. Léon Poirier.

1884. M. Edmond Raquet.

1885. M. Louis-Gustave- Alphonse Pichard.

1886. M. Arthur Jean Philibert Grasset. 1888. M. Alphonse de Montherot.

FONDATION DE PRIX

1870. M. Alexandre de La Roquette. 1878. M. Auguste Locerot. 1881. MM. Geoi^es, Henri et Eugène ërharo. 1884. M. Pierre-Féli.x Foornier., 1884. M. Jean Baptiste Morot. 1889. M. Victor-Adolphe Malte-Brun (Prix Conrad Malte-Bran).

RAPPORT

SUR

LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE

ET SUR

LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES

PKNDANT l'année 1889

PAR CH. MAUNOIR

SeeréUir« générti de la CamniUsion c:«atraJe

Le titre de ce rapport implique deux parties distinctes et d'illégale importance, comme aurait dit le maître de philo- sophie du Bourgeois gentilhomme. L'une a trait aux travaux de la Société ; celle-li sera brève, non que le sujet ne prête à certains développements, mais par égard pour les conve- nances qui veulent qu'une Sociétf^, pas plus qii'im individu, ne s'étende avec trop de compbiisance sur ses propres actes. D'ailleurs, ceux qui font de beaux voyages ou écrivent de beaux ouvrages, comme ceux qui les admirent, ne seraient-ils pas fondés à se plaindre que la divinité est sa- crifiée à l'autel, si la Société de Géographie prélevait trop du temps destiné à la géographie?

La seconde partie du rapport l'emportera donc, et de beaucoup, sur la première. Le rapporteur, appelé en pré- parant sa tâche de chaque année, à. jetor un coup d'œil sur l'ensemble des progrès accomplis par notre science, a éprouvé, celte fois encore, des regrets sincères à la pensée de tout ce qu'il lui fallait laisser dans l'ombre.

Avant les quelques indications indispensables au sujet de la Société, nous avons le devoir d'énumérer les vides que la mort a creusés autour de nous. Cette liste ne contient pas moÎDS de quarante- deux collègues, dont quelques-uns

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UAPPOUT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

illustres ou particulièrement dévoués ii notre association. Elle comprend aussi le nom d'un membre correspondant étranger. Il ne saurait être ici question de leur consacrer plus que l'hommage d'un souvenir reconnaissant.

En commençant par te plus anciennement admis parmi nous, voici d'abord le général Cailler, qui était membre de la Société depuis 1830. Il avait fait, comme capitaine d'état- major, des voyages en Orient qui lui valurent, en -1836, notre grande médaille d'or. Ses papiers scientifiques ont été, selon ses instructions, livrés à la Société de Géographie qui les conservera précieusement. Peut-être y trouverait-on encore quelque chapitre qui mériterait d'être publié.

La mort de V.-A, Malte-Brun a privé la Société de l'un des hommes qui lui furent le plus profondément, le plus sincèrement attachés. Admis dans son sein en 1851, il a été- sept fois de suite, de 1860 à 1867, élu secrétaire général de la Commission centrale. Le titre de secrétaire général ho- noraire lui fut donné, par exception, quanti il eut décliné l'honneur d'une nouvelle réélection. Ceux d'entre nous qui ont été en relation avec lui comprennent la perle que sa mort inflige à notre compagnie. Nul ne pourrait mieux que son successeur au secrétariat général, vous dire avec quelle sollicitude Y.-A. Malte-Brun a toujours pris et défendu les intérêts de notre association dont son illustre père avait été l'an des fondateurs. Victor-Adolphe Malte-Brun a légué à la Société le capital nécessaire pour la fondation du « prix Conrad Malte-Brun a ; il semble qu'il ait voulu, en s'efTaçant ainsi devant la mémoire de son père, s'acquitter d'un der- nier devoir filial.

A l'époque la Société avait son siège rue Christine, les assistants, moins nombreux qu'ils ne le sont aujourd'hui à nos séances, voyaient assez régulièrement s'asseoir au mi- lieu d'eux, silencieux et attentif, un collègue à. la figure grave. C'était le colonel Faidherbe, qui, dans l'intervalle de deux périodes de gouvememeul du Sénégal, venait en-

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ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOCRAPBIQUES. 7

tendre parler des contrées de la Terre et surtout de celle oii son influence a laissé des traces aussi profondes au point de vae de la géographie qu'au point de vue de la colonisa- lion. Le nom de Faidherbe dans lequel se résume toute une vie de brillants services rendus à la science et au pays, est de ceux dont la disparition laisse un vide que rien ne comble.

Paul-Edouard-Didier Riant était un laborieux érudît dont les recherches se sont portées sur des sujets voisins de la géographie; il a, par exemple, et ce fut Tune de ses pre- mières œuvres, consacré aux expéditions et pèlerinages des Scandinaves eu Terre Sainte au temps des Croisades, un vo- lame remarquablement riche en informations sur des voyages qui ont répandu dans le nord de l'Europe les notions rela- tives à rOrienl et à la Palestine. Dans k's publications de la Société de l'Orient latin, dont il fut le fondateur, on trou- verait aussi un grand nombre de documents intéressants pour l'histoire de la géographie au moyen âge.

Le roi dora Louis de Portugal élt\il membre de la Société de géographie de Paris depuis 1864, Souverain d'une na- tion glorieuse entre toutes par son passé géographique, il s'est souvenu de ces traditions. Sous son règne a été fondée la Société de géographie de Lisbonne, l'une des plus actives, des plus brillantes de cette phalange de Sociétés dont celle de Paris est la doyenne. Ati règne de dom Louis, égale- ment, appartiennent de reraarqiiiibles voyages en Afrique, tels que ceux de M. Serpa Piulo et de MM. Brito Capello et Ivens, pour ne citer que ceux-là.

Le docteur Broch, correspondant de i'instilut de France, était un savant de haut mérite en même temps que de grande simplicité. Inscrit parmi nous en 1867, il manquait rare- ment d'assister à nos séances et ce n'est jamais en vain que la Société s'est adressée à lui pour obtenir soit des rensei- gnements, soit des ouvrages relatifs à la Norvège, sa patrie, il avait occupé de hautes dignités. Ceux de nos collègues

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riAPPORT STJR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

qui ont eu à recourir à son savoir si large, si sûr, ont toujours trouvé auprès de lui l'accueil le plus alTable.

Lors du premier congrès international de géographie teou à Anvers en 1871, s'éJait inscrit parmi nous un coii&cien- cieux érudil belge, M. E. Dcigeur. Orienté vers les rechercties de l'égyplologie, il n'avait pas négligé, cependant, d'autres études parmi celles la géographie entre pour une large part. Le recueil de la Société de géographie d'Anvers atteste, dans une série d'articles, l'activité, le zèle, en même temps que l'élendiie et ta solidité du savoir de M. Delgeur.

En 1873 entrait dans la Société un jeune officier de marine, Gaston Baudens, qui depuis lors lui est toujours demeuré dévoué et n'a pas cessé de suivre ses travaux. De temps h autre nous le voyions apparaître à nos séances : il revenait de quelque navigation lointaine. Absent, il ne se laissait pas oublier, ou pour parler plus exactement, il n'oubliait pas, cwr nous recevions souvent de lui des inTor- mations scientifiques, des notes, des documents sur la contrée du globe l'avait appelé son service. Ceux-là, parmi nous, qui l'ont connu savent que la mort nous a privés en G. Baiidens d'un collègue avec lequel les rela- tions avaient à la fois de l'intérêt et du charme.

M. Aimé Pissis qui fut, en 1873, l'un de nos lauréats, faisait honorera l'étranger la science française. Il avait fait de la géographie physique du Cbili le sujet de ses éludes ; le champ est vaste el les travaux de noire collègue en ont fécondé une grande partie. M. Pissis s'était fiiil inscrire parmi nous l'année même la Société lui décerna une inédaille d'or.

Il y a quelques mois, M. Edmond Fuchs, iagénieur en chef des mines, nous a été subitement enlevé, en pleine vigueur, par un mal dont il avait contracté le germe au .cours de ses longs voyages. Il s'était plus particulièrement voué à l'élude des gUes minéraux, de leur formation, des indices qui les révèlent, des ressources qu'ils promettent.

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ET Sl'R LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGIIAPHIOIES. 9

et dans presque toutes les parties du monde il avait en l'occasion d'appliquer, en les développant, ses connaissances spéciales doublées de remarquables aptitudes. Il fut aussi l'uu des artisans les plus actifs, les plus dislin;iués et les plus utiles de l'adraii'able œuvre rie la carte géologique de notre pays. Inieiligence curieuse, pénétrante, ingénieuse à saisir des relations impréviics entre les éléments les plus divers des sujets, E. Fufihs ne se laissa cependant jamais entraîner, en naatière scientifique, aux suggestions de son penchant prononcé pour les fantaisies de la litlérature ou de la poés-ie. Deux hommes était en lui, dont l'un goûtait les salisfitctions que donnent les résultais exacts, les solutions rigoureuses, tandis que l'antre se complaisitit à poursuivre le rêve irisé dans le domaine sans limite de l'imagination. Celte dualité fut l'un des bonheurs de sa vie intense, sans ménHf^'emeiit pour elle-même, et dont la fin est une perte pour la science en même temps qu'un grand deuil pour les alTeclions dont Edmond Fuchs était le foyer.

A la fin de l'an dernier nous a été enlevé Charles Férand, ministre de France au Maroc, notre collègue depuis 1879. Cr>mme interprète de l'armée, il avait pénétré, dès sa jeu- nesse, aux confina de notre zone d'occu[)ation d'alors, c'est- à-dire aux portes de l'inconnu. Sa carrière s'est faite dans dfspays de langue arabe; à Tripoli comme à Tanger il a su dutniner lotijours des situations parfois très diflîciles. Au point de vueqai intéresse la géographie, Gb. Féraud a fait, en diverses parties de l'Algérie, des éludes sur les ruines romaines; il a découvert près de Wargla des silex taillés, vestiges des premières populations du Sahara ; enfin il a consacré d'importantes monographies historiques à des villes et à des groupes de tribus de l'Algérie. Ses tra- vaux plutôt historiques que géographiques, se rappor- Uîent lous à des contrées l'histoire est inséparable de la géographie.

L'un des fonctionnaires les plus actifs du Gabon -Congo,

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RAPPOUT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

Paul Dufourcq, ancien capitaine au long-cours, est mort récemment, emporté par un mal qu'avaient cerlainement développé plusieurs séjours sous des climats insalubres. Zélé pour les "progrès de la géographie, désireux de voir s'accroître et se répandre la connaissance de notre colonie de l'Ouest Africain au développement de laquelle il s'était dévoué, P. Dufourcq n'a négligé aucune occasion d'inciler ses jeunes collaborateurs à recueillir des informations d'ordre géographique, h faire des observations, à dessiner des cartes. Les lettres qu'il écrivait en Europe renfermaient fréquemment desdonnéesintéressantes pournoscomraunes éludes. Paul Dufourcq avait été admis en I88ià faire partie de la Société.

Un collègue admis depuis peu d'années parmi nous, le lieutenant de vaisseau Davoust, a succombé aux fatigues et aux effets du climat sur le terrain même à l'étude duquel il s'était voué, dans la région du Nigf>r. Il avait préparé le voyage du commandant Caron en reconnaissant, sur une assez grande étendue, le cours du Niger qu'allait parcouiir la canonnière française en marche vers Tombouctou. M. Caron lui-môme a consacré, dans les comptes rendus de nos séances, quelques pages de cordial souvenir à la mé- moire de son camarade et ami.

M. Duveyrier nous a retracé récemment, d'après le peu de données qu'on en ait, le voyage ûe Camille Douls et le drame par lequel il s'est terminé. Le malheureux Douls est une nouvelle victime de ce Snhara qui nous devra beaucoup parce qu'il nous a beaucoup pris.

La liste de nos collègues correspondants étrangers a perdu un nom desplushonorablementconnus en géographie, celui du président si distingué de la Société de Buda-Peslh, Jean Hunfalvy qui, au Congrès international des sciences géographiques tenu à Paris en 1875, avait représenté parmi nous les géographes hongrois. > La Société a perdu encore : MM. Petrici (Constantin D.)

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ET SUR LES PnOGRÈS DES SCrENCKS GÉOGRAPHIQUES, it

(l«63)* ; Schroeder (Karl) (tSfô) ; Silva Coiilinlio{J. M. da) ( 1 867) ; Barlalier de Mas (Frani;ois-Ed mund-Eugène), capî lai ne de frégate en retraite (1868) ; Masson (Emile), ancien négociant (1872); Daniel (Paul-Ernesl), inspecteur général honoraire des ponts et chaussées (1874); Armin- gaud (Jean-Jacques-Marc), professeur au lycée Henri IV (1875); de Carcy (André), ancien chef d'escudron d'étal- major (1875); Lefebvre (Louis-Jules), contre-amiral ( 1 875) ; Loysel (Charles-Joseph-Mari e), gén é rai d e di vi sion (1875) ; MuretdePagnac(François),conlre-amiral(1875);^ Paillard (Edme-Achille) (1875);— Meyer (Gharles-Eu- gène-Alfred), contre-amiral (1875); Gotendorr(5ytvanus- Nalha[i)(1876); Bizemont (le marquis de) (1879) ; Cler- monl-Tonnerre (le duc de) (1879); Berlhier de Grandy (Marie-Philibert-Fernand), général de brigade (1880); Bo- nabeau (James) (1880); —Saint-Michel (Paul de) (1880); Boulot (Louis), avocat à la cour d'appel (1881); Lavech (Frédéric) (1881); Van derEIst (Jean), consul dcBelf^ique (18«1); Feist (Michel) (1882); Ilarth (Théodore), né- gociant (1882); Colin (Louis) (1883); Husson (Justin) (1884);— Lair (René) (1886); —Marché (Maurice du), lieu- tenant-colonel d'artillerie (188G).

Coname compensation, s'il en peut être à tant de pertes, notre Société enregistrera, pour cette année, deux faits heu- reux.

Sa participation à l'Exposition universelle de 1889 lai a valu un grand prix, la plus haute des récompenses qu'elle pût obtenir. A chacun de vous revient une part de l'hon- oearde celte distinction, puisque c'est à votre concours que la Société de Géographie doit de pouvoir livrer aux hommes de science les publications on ils vont chercher les éléments

I. Les millésimes entre parenthr-ses iadiqiieiit les années d'admission «laos la Sociélé.

RAPPORT suit LES TRAVAUX DE LA SOCl

de leurs éludes sur la terre, ces relations de voyages iné- diles, ces caries qui ineLlent en liimiÈre les elforls, les mériles et les succès de nos explorateurs.

Croyez bien que ceux-là qui consacrent leurs labeurs au progrès de la géographie, ceux-là^quiexposenl leur vie aux dangers des voyages en pays nuuveimx, vous sont re-,j connaissants des sympathies dont vous les entoures, dé^ l'appui éclairé que vous prêtez à leurs efforts pour l'aviin- cemeiit de la science au profit de laquelle nous sommes groupés.

Le Congrès inlernalional des sciences géographiques, réuni ici me^me par riniliative delà Société, a pleinement réussi. Plus de cinq cents adhésions venues de tous les pays avaient répondu à l'appel du comité d'organisation consti- tué par voire Commission centrale. Grâce au dévouemetit actif du commissairiî eldu commissaire adjoint du Congrès, MM. de Biïeinont et Gauthiot, secondés par MM. de Mar- gerje, Hulotet ri'Estampes, ce congrès a été aussi animé que les précétJents, et la Société a fait à ses visiteurs la cordiale réception à laquelle ils avaient droit.

Des mesures sont prises pour que la publication des actes du Congrès ne se fasse pas trop allendre.

Notre Société se préoccupera également, selon le vœu exprimé par les membres non français du Congrès, de fixer, d'accord avec les .autres associations géographiques, le siège du Congrès prochain.

Tels sont les deux faits principaux à signaler en ce qui touche aux manifestations de la Société. Il y faut ajiiuter qu'en raison de l'importance hors ligne de son voyage, le capitaine Binger a élé reçu en séance extraordinaire à la Sorbonne, il a trouvé l'accueil qu'il pouvait alfendre d'une Société dont le devoir, auquel elle ne faillit pas, eslde reconnaîlre tous les s-ervices rendus à la science, mais dont le droit est d'applaudir, avec une chaleur particulière, les résultats dus à des voyageurs ou à des savants français.

ET Sun LES PnOGRÈS DES SCIENCES UÉOGnAPIlIQCES, 13

A nos séances de 'quinzaine toujours très suivies, nous avons entendu, cette année, des rommunicalinns aussi variées qu'inléressîinLes dont il est justt; que les auteurs reçoivent ici les remerciements de (a Société.

La compéleuce toute particuîière du docteur Hamy nous a montré les phases successives par lesquelles, depuis trois siècles, la cartographie a fait passer le figuré des contours de l'Europe.

L'an dernier, nous avions entendu avec beaucoup d'intérêt une communication de l'abbé Tor.ditii de Qiiarenghi, rela- tive à l'adoption d'un calendrier uriique. M. Ton di ni de Quarenghi nous a exposé récemment ses idées sur le pre- mier méridien universel que, d'accord avec l'Académie des sciences de Bologne, il voudrait voir passer par Jéru-

saltrfll.

Les mers, la composition, le régime, les mouvements de leurs eaux, la forme et la nature des fonds qu'elles re- couvrent, la vie intense qui les anime, sont aujourd'hui en divers pays l'objet de refherches mélhodiquement poursui- vies par les >oins de services spéciaux. M. Thoulet nous a rendu compte de l'enquête dont le Ministère de l'Inslruc- lioii publique l'avait chargé, au sujet de l'organisation de ces éludes auxquelles notre pays doit désormais prendre une part active.

Sous les grandes Causses françaises content des rivières, s'étalent de sombres lacs et se creusent d'immenses et pro- fondes excavations que M. Martel a vi-ités à deux reprises. IJ nous a vivement intéressés par la relation de ses voyages de découverte, avec leurs difticullés, leurs imprévus, leurs péril*; c'esten quelque sorte unecontre-parlie des ascensions auxquelles les membres des Clubs alpins melletit leur audace, leur honneur et risquent souvent leur vie.

Le docleur Chervin nous a montré, en les expliquant au- tant que Taire se peut, les oscillations du cbilTre de !a popu- lation dans les diverses régions de la France et pendant une

\ RAPeOBT Sun L£S TOAVADX DE LA SOCIÉTÉ

s^rie d'années. lia coaslaté, une fois de plus, TinguiéUinte faiblesse d'accroissement de celle populatioo,

Cooduil aox Baléares par des recherches archéologiques, M. Carlailhac nous a présenté un tableau élégant de divers sites de cet archipel se continue la terre d'Espagne, soal confondus les souvenirs, les vesliges de tant de races, apports successifs des événements.

Le chemin de fer ceniral asiatique et les contrées ingrates qu'il traverse pour arriver aux vieilles cilés désormais rap- prochées de notre civilisation, ont fourni à M. Leclercq le thène d'un exposé animé de son voyage à Samarcande,

D'une mission d'étude des voies de communication entre la Chine el le Tonkin, M. de Mores a rapporté des infor- QUàtioDS dont il nous a préseolé un intéressant résunaé. Elles autorisent l'espoir d'un bei avenir commercial pour notre aouv«lle possession asiatique.

M. C. Paris, chargé d'établir une ligne télégraphique entre Hué et la Cochinchitie, a profité de celte opération pour réunir, sur le littoral de l'Annam el sur ses habitants, des infornialioas détaillées qui prendront utilement place dans la littérature géographique de la soae littorale longée par la rout« mandarine.

M. Henri Kinder, qui naguère nous avait entretenus de ses voyages dans le Kurdistan, nous a paHé du Mzab et de sa curieus« populalion qu'il a été étudier surplace.

M. Edouard Blanc a présenté les résultats de quatre ans de recherches sur la région des oasis sahariennes, son régime, son avenir. Il a Irailé, dans une autre communication, de la question si imporlaule des roules entre l'Afrique septentrio- nale et le Soudan.

Dans une excursion pleine d'intérêt faite en compagnie du docteur L. Vincent, médecin principal de la marine, nous avons parcouru ce Canada dont nous aimons toujours à ■«abeodre parler, car ses ti(res d'oiigine sont quelques-unes des plus belles pages de notre histoire.

ET SOR LES l'ROenÉS DES SCIE^NCES CÉOGKAPHIQUES. 15

Xvec M. de Bretles, nous avons abordé le redoulable Chac«, dans lequel il a pénétré non sans peine.

La région à peine entrevue des Tumuc-Humac ella haute

Gitrane ont fait le sujet d'une relation de voyage par

.V. H- Coudreau qui s'est voué courageusemenl, obstiné-

meni à l'étude de cette région dont la carte malaisée à

dresser lui devra ses premières lignes précises.

Quant aux détails do la vie intérieure de la Société, vous D'en voudrez pas au rapporteur de les passer sous silence. Il ne saurai t trop répéter, d'ailleurs, que la Commission cen- trale dont les séances administratives ne sont pas des réunions secrètes pour les membres de la Sociélé, accueil- lera toujours les propositions, les idées, les projets qui poarraient lui être soumis, à la condiiion toutefois qu'ils auront été étudiés au point de vue de la réalisation pra- tique.

Le rapporteur ne laissera pas passer l'occasion qui lui est oflierte de reconnaître une fois de plus devant vous les services rendus à la Société par son agent, M. Charles Aubrj', qui aç\Artc k des fonctions toujours très chargées un dévoue- meiil, un zèle dont nous ne saurions trop le louer et nous louer tous.

Ici commencera la seconde partie du rapport, l'exposé 4es progrès de la géographie pendant l'année. Ces progrès résultent de faits nombreux, d'éléments variés et délicats dontrénuméralion complète remplirait un volume, impose- rait à votre attention un elTorl de plusieurs heures. Cepen- dant quelques pages, quelques quarts d'heure seulement, y doivent être consacrés.

Les sciences géographiques ont eu leur place dans la belle nanifesiatinn industrielle, scientifique et artistique de (^9. L'Exposition de l'esplanade des Invalides, spécimen des races et des architectures de la France exotique, a pro- curé aux savants sédentaires des illustrations vivantes pour

nAPPOUT SUK LES TIIAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

leurs études; aux Français en général un aperçu, comme uno vision reslreinte, de ce monde colonial pour ou contre lequel li's politiciens s'agilenl ardemment et qui n'a mérité M « ni cet excès d'honneur ni celle indignité ». Savaniset simples coniribuablesont pu contempler iessveltes pagodes, passer de la tenlede l'Arabe nomade ù la masure du Kabyle, circuler entre les huttes desCmaques et celicsdes noirs du Congo, converser tant bien que mal avec le marchand tuni- sie'n retors. l'Annamite moqueur el le Sénégalais de bronze. par-dessuH le miirclié, ils ont eu des Chinois, des Malais et môme quelques-uns de ces Indiens imposants dont la race _ ne tardera pas à mourir éloufîée sous la civilisation des I Él;it,s-IJnis.

Pres(|ue partout, dans les galeries du Cbamp de Mars, les géographes ont pu trouver leur science représentée par des ({lobes terrestres de toutes les grosseurs, des cartes de tout genre, de tout modèle, de tout aspect : cartes d'ensei- gnement elonuMvtairc, immenses caries murâtes, cartes topo- grApbiqiies chargées de détails finement gravés, cartes géo- logiques et caries statistiques diaprées de vives cou- leurs, sans compter les plans et les cartes-relief en grand nombre.

L'jibslenliou de plusieurs gouvernements a malheureuse- ment privé l'Kxposition de 1889 d'une quantité considérable d'éléuienls dus à la cartographie ofiicielle qui avait été lar- gement roprésenlt^e aux Expositions antérieures.

Il faut rcoonniiilrv que si les cartes se sont complétées par le lait des explorations, elles n'ont pas, depuis dix ans, réalisé, au point de vue de rexéeutiou, des progrès très marqu»^. Toutefois, la gravure et l'impression typogra- phiques, eu M) pcrf^oliouu«u(, ont valu à la production des caries courantes le lién^fiiv d'un bon marché dont profite largement la diltXision de Ia science, et ce n'est pas un avantage & dt^daigne^. Non lut» de« »atle» o«cup0«$ p«r U géographie frauciise,

il

ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGBAPHIQL'ES. 17

les visiteurs ont pu admirer le globe à 1/1,000,000* construit çtt l'initiative de deux de nos collègues, MM. T. Viliard eX t. Cotard. Les difficultés d'exécution de cette repré- icglitlion imposante de notre planète avaient été résolues pie talent d'un ingénieur, M. Seyrig, avec le concours ftn comité d'hommes de science chargés spécialement de i partie géographique de l'fpuvre. Les parois intérieures ilu pavillon qui abritait le globe terrestre à 1/1,000,000" claient couvertes d'indications d'ordre physique et écono- mique heureusement choisies. La Société de Géographie ne saurait trop regretter l'insuccès de ses démarches pour obtenir que le globe terrestre de MM. T. Viliard et C. Cotard fût conservé dans l'un des squares de Paris.

Le précédent exposé des progrès de la géographie annon- çait la publication prochaine d'un premier Rapport sur les travaux exécutés en 1888 par le Service géographique de Tarmée. Ce document a paru en 1889 et l'apparition en doit être signalée h tous ceux qu'intjîressenl les progrès de la cartographie, auxquels a si largement contribué l'ancien Dépôt de la Guerre, dont le Service géographique continue les belles traditions.

Il n'est pas assez connu, partant, pas assez apprécié de la généralité du public, ce Service auquel sont dues tant d'œuvres remarquables par leur ampleur aussi bien que par leur solidité scientinque.

Si la nouvelle publication due à l'initiative du général Derrécagaix, directeur du Service géographique, se pour- suit d'année en année, si elle reçoit surtout la publicité désirable, elle contribuera à faire comprendre le caractère, les dilflcultés, l'utilité de travaux exécutés par ce bel éta- blissement, pour développer la prospérité comme pour assurer la défense de notre pays.

En attendant que les Services hydrographiques de la ma-

SOC. DE SÉOOU. 1" TUiaESIRK 1890. XI. 2

18 UAl'l'linT Still LKS TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

rine entreprennent une pulilicalion analogue à cëIIl

vice géographique de l'armée, voici le résunaé, pour celte année, des travaux exécutés par les ingénieurs liydrographes el les offlciers de uoire marine natiouale, sous la direction do M. Bouquet de la Giye, de l'InsLilul, ingénieur hydro- graphe en chef.

Comme toujours les côtes de France dont les caries doivent être perpéUiellemeiil remaniées, revisées, tenues àjour, oot eu leur part dans ces tiavaux. C'est ainsi que M. Hanusse, ingénieur hydrographe, assisté de MM. La Porta et RoUet de risie, a terminé la reconnaissance hydrographique du plateau des Minquiers, commencée en i888 par M. Cas- pari. Il a procédé également à une revision des côtes nord de la Bretagne.

Deux autres ingénieurs hydrographes, MM. Maneu et Renaud, oui fait une reconnaissance des passes de la Gironde et du mouillage de !a Gironde.

M. llatt a terminé la triaaguiation de la Corse, et, avec l'aide de M. Perrolin, directeur de l'Observatoire de Nice, et de M. Driancourt, ingénieur hydrographe, il a déterminé les dillerinces do longitudes entre Nice, l'île Rousse et Âjaccio; il a déterminé aussi les latitudes exactes des deux points.

A Madagascar, MM. Mion et Tichot, ingénieurs hydro- graphes, continuent l'hydrographie de cette île; ils ont exé- cuté le levé de la partie de la côte occidentale comprise entre Nossi-bé et Nossi-vé, dans le but d'éclairer la route des paquebots dans ces parages. La zone comprise entre la terre el le grand récif Tulear, l'embouchure de la rivière Saint-Augustin, sont achevées; au sud, les mouillages de Raooubé,ducap Saint-Vincent, de Morombe, de Campasi- lava, de Belo, de Mourouiidava, Mainlérano et Saini-Jean de Nova sont déterminés, el le tout a été réuni par un levé sous vapeur de 250 milles de longueur.

MM. Thomas el Caubel, enseignes de vaisseau, ont levé

ET SDR LES PROGRÉS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 19

et dressé le plan de ia baie San Antonio, dans l'ileaux Prin- ces (îles du cap Vert).

M. Martin, lieutenant de vaisseau, a exécuté différents levés à Terre-Neuve, principalemenl dans la baie aux Liè- vres.

M. Martel, lieutenant de vaisseau, a fait des sondages dans la baie de Tourane et des sondages d'atterrage dans l'est des îles Norway.

Les officiers de la station navale du Gabon et du Sané ont reconnu l'estuaire du Gabon. Ce travail sera rédigé prochai- nement.

Les officiers du Fabert ont exécuté différents levés dans le Pacifique, notamment aux îles Gilbert, Santa-Cruz et aux Nouvelles-Hébrides,

Enfin le plan de Djibulil, dans la baie deTadjurah, aélé levé par M. de Saint-Sauveur de Bougainville, lieutenant de vaisseau.

Le catalogue des caries publiées par nos services hydro- graphiques s'est augmenté de soixante et un numéros, dont trois consacrés aux cartes générales ou à la météorologie maritinie, treize à l'Europe, deux aux mers boréales, dixH sept à l'Asie (dont onze pour le Tonkin), onze à l'Afrique (dont six pour la Tunisie), neuf à l'Amérique et six aux autres mers australes.

Les voyages, avec leurs éléments dramatiques pu pitto- resques, leurs émotions et leur poésie, avec les additions qu'ils apportent à la carte du monde, détournent tout natu- rellement l'attention des problèmes et des éludes de la géo- graphie générale. Ces éludes, cependant, s'imposent comme l'an des buts les plus hauts de la science.

Il convient donc de les signaler dans un rapport sur les progrès de la géographie quand elles modifient, en donnant des résultats plus précis, les conclusions antérieurement admises.

HAPPORT son LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

L'altitude moyenne des continents el les profondeurs des mers, dans leurs relations avec les aires émergées ou immer- gées, ont fait souvent l'objet d'évaluations et de calculs Les récentes recherches de MM. le général de Tillo. le doc- leur A. Supan,directeurdesMfÎPt/Mn3^M de Golha, Mnrray, Ponck, ont conduit, combinées avec celles de notre coltègue M. de Lapparent, à des tableaux d'un véritable intérêt pour les géographes qui les trouveront dans le précieux recueil géographique de Gotha.

Ce sera maintenant aux voyages, la manifestation la plus claire, la plus apparente du mouvement géographique, que le rapporteur consacrera la suite de cet exposé. Comme d'habitude, il effleurera seulement les sujets, eu laissant presque coraplètemenl de côté les aventures et les épisodes émouvants. Son but est de faire entrevoir dans quelle me- sure chaque voyageur a contribué à accroître la richesse commune.

Pour le rapide trajet que nous allons entreprendre autour du monde sur les pas des explorateurs, le choix de l'itiné- rairo nous apparlicnt. Les froids polaires, les déserts tor- rides, les Océans comme les plus énormes massifs, les peuples les plus redoutables, ne nous imposeront ni retard dans l<i marche, ni obligation de faire de longs détours.

Sans autre préambule, transportons-nous au cceur de l'Australie, dans la partie la moins favorisée du plus mé- diocre des continents.

.\u nord-ouest du lac Eyre est la station Dalhousie d'où partait, eu 1886, M. David Lindsay dont le voyage ne nous a été bien connu que cette année; il venait se terminera l'Arthur River, alïluent de golfe de Carpentarie, en face des lies Kdward FtUew ; c'était lat traversée de plus d'une moitié de la largeur de l'.Vustralie, du sud au nord.

A sa droite^ le Toya^aur e«t tout d'abord l'implacable ^ désert .111*1 lalîf 11 avee ses «space$ ioimenses, accidentés de

ET SUR LES PnOURÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 21

rides de sable recouvertes de spinifex. Il ne faHail piis peaser à s'engager dans celte direcUoa; l'expédition, avec ses douze chameaux de transport, suivit donc les bords de )a rivière Finck jusqu'au puits Alice (Alice Spring). A partir de la traversée du pays fut rendue pénible par l'élévation de la température: le thermomètre se maintenait toute la nuit entre 16° et 20", taudis que, pendant le jour, il mar- quait 40° à l'ombre.

La partie occidentale des chaînes Macdonnell et Ilart que franchit l'expédition, lui réservait des surprises. Les ver- sants méridionaux du massif, formés de quartz et de grès métamorphiques, n'avaient retenu que quelques Dlets d'eau; il f.tisait trop chaud, disaient les rares indigènes avec lesquels on put se mettre en relation, et « l'eau avait ilé &e mettre à l'ombre >.

Le centre du massif recelait, heureusement, entre deux falaises granitiques et à quelques centimètres au-dessous du toi, une belle nappe d'eau dans le voisinage de laquelle se trouvent des grenats et des rubis.

Au nord sont les rivières Plcnty et MarshalS. M. D. Lind- saj et son escorte faillirent mourir de soif non loin de !a rivière Pienly dont lo lit était absolument à sec, ainsi que les sources signalées dans ces parages par des voyageurs précédents. En d'autres saisons, les rivières doivent débor- der comme Tindiquaient des tiots d'abondants pâturages, I des bouquets d'acacias, de gommiers et d'eucalyptus.

En fait dépopulation, M. D.Lindsay ne rencontra, sur ce |oinl, que quelques malheureux Australiens en quête d'un I peu d'eau et de nourriture. Leur chef, après avoir offert un felit garçon en échange du chien de M. Lindsay, conQa l'un fcses fils aux blancs pour les diriger entre la rivière Mar- Lliail et la station du lac Nash, située dans le nord-est. Mais k jeune guide une fois vêtu et rassasié se bâta de dispa- .■ Jusqu'au lac Nash, le terrain, relativement fertile, t pas de difticultés à la colonne. Vers la station du lac

22

RAPPORT SDR LES TUAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

Nash commence une région particulière, les downs ou plaines, que rev6l un lapis d'excellents pâturages arrosés par des rivitres dont les eaux vont ?e perdre dans les l;ics ou les sables de l'inlérieur. La zone ries downs, entourée par les mauvaises terres couvertes de brousse, s'étend vers le nord jusqu'à la chaîne côlière du golfe de Carpentarie. Dans l'ouest, elle gagne par une étroite lisière la station télégraphique de Powell Creek. M. D. Lindsay, après avoir exécuté sans difficulté le levé de son parcours à travers la région des dotcus, termina le voyage par une recon- naissance du fleuve Arthur, quij naissant au Banc septen- trional de la chaîne côlière, va se jeter dans le golfe de Carpentarie, après un trajet de quelques 200 kilomètres.

Les voyages sont dépourvus d'attrait dans le cenire aus- tralien dont le sol, peu varié, ne présente que de faibles accidents de terrain. A quelques détails près, on sait que le voy.igeur risquera de mourir de soif en traversant des espaces sahariens sillonnés de rivières sans eau, ou de s'embourber dans des plaines brusquement submergées.

Entre ces deux alternatives, il a celle de traverser d'interminables étendues de dunes revêtues d'une épaisse fourrure de mimosas aux épines acérées. Ils sont d'un carac- tère également triste, les éléments d'intérêt oITerts par la maigre et famélique population qui parcourt cette région avant de disparaître à toujours.

Traversons maintenant le détroit de Torrds pour nous transporter à la Nouvelle-Guinée; de toutes les parties du globe elle reste, en proportion de son étendue, l'une de celles dont la carte est le plus arriérée, préseule les plus vastes lacunes. Elle prend place, dans le présent rapport, par deux voyages importants, l'un sur la terre ferme de l'Ile, l'autre aux archipels qui lui font escorte du côté de l'est.

Des notes dues à l'obligeance du prince Roland Bonaparte

ET SFH LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 23

î est si versé dans la connaissanct: de ces contrées et des

yagesdont elles sont l'objet, ont fourni à votre rapporteur

s éléments de celte partie du résumé.

La côte sud-csl de la Nouvelle-Guinée est longée, h

tonce, par une série de chaînes de montagnes et, en

particulier par les raonts Owen Stanley, situés au nord de

Port Moresby. Personne jusqu'ici n'était parvenu jusqu'à

CP massif, dont le soniniel principal paraissait dépasser

4,000 mètres.

Le 20 avril de cette année, Sir William Mac-Gregor,

ministrateur de la Nouvelle-Guinée britannique, quittait

Port Moresby à bord d'une embarcation construite pour

nariguer sur les cours d'eau. C'est, en effet, par le fleuve

Vanapa qu'il devait pénétrer à l'intérieur des terres; mais

l«s rapides et les rochers se multiplièrent à un tel point,

qa'il fut impossible de continuer à suivre cette voie. L'un

des membres de l'expédition s'étant rendu h Port Moresby

dans Le but d'y prendre ries approvisionnements, Texpédi-

lion se mettait en marche le 17 mai; la marche fut pénible,

car au bout de la première journée on n'avait gagné

EM'une dillérence de niveau de moins de 100 miitres. fCe ne fut que sept jours aptes le départ qu'une éclaircie dans la forêt permit d'apercevoir les raonts Owen Stanley, Br lesquels se dirigea la petite colonne, en suivant la crête un massif avancé, le nnont Musgrave. Pour la première fois des relations s'établirent alors entre les voyageurs et les indigènes dont les habitations s'élèvent jusqu'à 1,200 mètres snr les flancs des montagnes: leurs chasses cependant les conduisent jusqu'à 2,000 mètres.

C'est ayec M. Dedfordjl'un de ses compagnons européens,

deux Polynésiens et six Papouas, que sir W. Mac-Grcgor

abordait le massif même de l'Owen Stanley, défendu par

de gros contreforts. L'ascension du premier, le mont

«ilsford, haut de 3,000 mètres, fut rendue très ditflcile

une épaisse forêt de bambous qui recouvre presque

2i RAPPORT son LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

jusqu'au sommet les flancs de la montagne. Le second con- Ireforl, le monl Douglas, atteint 3,000 mètres.

Le M juin, sir W. Mac-Gregor pouvait eiiflo gravir le pic nord-ouest de l'ûwen-SUnley» Les arbres s'arrêtent à 3,300 mètres, c'est-à-dire à 500 mètres du point culminant. Avant le lever du soleil, l'herbe y est couverte de gelée blanche; on rencontre même de pelils stalactites de glace. La dernière partie de l'ascension se Ut à grand'peine sur des rochers, et le 12 juin voyait s'inscrire sur la carte du monde un nouveau mont Victoria.

De cet observatoire, qui domine de 4,000 mètres le niveau des mers. Sir W. Mac-Gregor put apercevoir, au loin dans la brume, la côte nord de la Nouvelle-Guinée.

Faute de noms indigènes, les sommets de la chaîne furent baptisés du nom des premiers explorateurs; la chaîne même continuera d'ailleurs de s'appeler chaîne Owen Stanley, du nom du commandant du Rattiesnake, qui explorait ces côtes de 18it3 à 1850, ayant à bord comme aide chirurgien le professeur Huxley.

La Nouvelle-Guiuée se termine du côté de l'est par une pointe que semble prolonger un semis d'îles, d'îlots, de récifs et d'écueils uu milieu desquels la navigation est péril- leuse.

Il y a des terres et des populations fort peu connues. Dans toute cette région du globe, les cartes, encore bien incomplètes, portent une quantité de noms français, no- tamment ceux des archipels de la Louisiade et d'Enlrecas- teaux.

LaLouisiade, découverte en 1606 par Torrès, fut revue de nouveau en 1708 par Bougainville, qui, avec la Boudeuse ei l'Étoile dont les équipages souffraient de la famine, longea la partie sud de cet archipel, auquel il donna le nom de Louisiade.

A la iiu du siècle dernier, d'Entrecasleaux, sur la Re- cherche et i'Espèrance vil, du haut des hunes, la mer

ET 30B LES PROGRÈS BES SCIENCES GÉOGRAPH[QUES. 25

téferier sur les côtes inhospitalières de la Louisiade. Mais son objectif, la recherche de Lapérouse, l'empêcha

de ''attarder dans ces parages. L'intrépide Fluault-Coutance

^ul, en 1804, le premier Français qui ait conduit un navire travers le détroit de Torrès. L'Adèle qii'W commandait a laiwé son nora à l'îlot extrême contre lequel viennent battre grandes vagues du Pacifique,

Plus tard ces eanx furent vues par Dumonl d'Urville dont lesvoyages sont trop connus pour qu'il en faille parler. Nous retrouverons une glorieuse famille d'ancêtres qui jouèrent Qo rôle considérable dans les progrès de la géographie et en l'honneur desquels vous pardonnerez à votre secrétaire généra) cette courte digression historique.

Une exploration importante a été récemment exécutée dans l'archipel d'Entrecasteaux et de ia Louisiade par M. Basil Thomson.

Le protectorat britannique sur ia Nouvelle-Guinée ayant été supprimé, la partie anglaise de celte terre devint, en 188>f, colonie de la couronne. Il était, dès lors, nécessaire de connaître les parties excentriques du nouveau domaine, d'en L'iudier les ressources, de faire comprendre aux indi- gènes leurs devoirs envers la métropole. Tel a été le motif da voyage de M. Basil Thomson qui, parlant de Port Mo- resby, arrivait le A octobre 1888 devant l'île sud-est ou Ta- guJa. Elle est dominée par le mont Ralllesnake aux versants couverts de forêts dont la teinte sombre contraste avec la che ■verdure des coteaux gazonnés qui descendent vers mer. La population est très clairsemée car elle a été détruite en partie par les incursions des insulaires cou- peurs de tête de l'Ile Brooker.

L'île Rossel, deuxième escale de M. Basil Thomson, doit quelque célébrité au naufrage du Saint-Paul. Les passagers ce navire, des Chinois pour la plupart, se sauvèrent à la e<He, où, à raison de trois chaque jour, ils furent dévorés par les indigènes. Les habitants de l'île Rossel senablent

■26 HAPPORT SUn LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

■êJre le produit d'un croisement entre des Papouas el des naturels des lies Salomoii. Ils ne portent pas de tatouages €l récemment ils ont passé rie l'âge de la pierre à l'âge du fer. Leurs demeures ont l'aspect d'emhaications renversées, supportées par des piliers. Le nombre des armes et des os- sements humains répandus dans les villages révèle des babiludos belliquenses queue stimule pas le seul amour de la gloire.

M. Thomson avait eu quelque peine, on le comprt^nd, à trouver des guides el des porteurs; mais ses relations avec les habitants ne I'erpos^rent, paraît-il, à iuicun danger.

Après l'île Russel et l'îlot Joannet dont l'unique centre de population est un village situé au bord d'un marais, ce fui le tour de l'île inexplorée de Saint-.'iijjman ou Misima; elle est bordée, sur la eùle orientale, d'une sorte de muraille de coraux à travers laquelle les torrents des parties hautes de l'île se sont (aillé un passage. Les natifs de Saint-Aignan, très nombreux, présentent le type du Papoua et celui du Malais- bien que coupeurs de têtes ils sont gais, se mon- trèrent bienveillants et très désireux de trafiquer; malbeu- reusemenl ils sont dépourvus de tout article d'échange.

A l'île Normanby, la première de l'archipel d'Entrecas- teaux, les indigènes, de véritables Papouas, sont également actifs et industrieux. Ils établissent leurs cultures sur des pentes fort raides dont les terres sont maintenues par des palissade». Leurs villages sont remarquablement propres.

Tout à côté de l'Ile Normanby est lavasle île Fergusson, signalée au loin par un sommet de 1,800 mètres, le mont Kilkerran. Ici, plus encore que dans les îles précédentes, les habitanls se montrèrent ardents à trafiquer; leurs allures furent môme si familières, si indiscrèles, que le voyageur anglais ne put séjourner longtemps au milieu d'eux.

Sur un autre poiul de l'île, au contraire, ils se monlrèreat hostiles, et il fallut tirer un coup de fusil pour les tenir en respect. Ailleurs eucore se produisit la même difûculté.

ET Sm LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 27

Good«nough fui la dernière des îl«s visitées par M. Thom- son. Il y trouva une population dont l'allitude paciGque în^sil contraste avec l'étal d'excitation des habitants de l'ile Fergusson.

Cette navigation, donl il ne pouvait être donné ici qu'un pAle aperçu, vaudra à la géographie aussi bien qu'à l'ethno- graphie, une foule de renseignements du plus haut intérêt sur des archipels peu visités, sur des populations dont rélude détaillée est encore à faire.

La contribution des deux Amériques au progrès de la géographie est généralement inférieure à celle des autres terres, et celte année encore le rapport ne peut enregistrer que quelque;: explorations dans les vastes champs d'inconnu de cette partie du monde.

Le colonel Fontana, gouverneur du territoire argentin du ChuLut, a exécuté, de 1886 à iSliS, des explorations donl l'exposé général a été consigné dans le Boh'tin de rinstituto geograflco argentino.

M. Fontana a déterminé, depuis les plus lointaines sources dans le nord jusqu'à l'océan, le trajet du rio Chubul, ce loog fleuve qui, aux flancs des Ande.s, traverse en trois inflexions la largeur du continent. M. Fcnlana a, de plus, pénétré au cœur des Andes sur cinq points situés entre 41' et 46" de latitude méridionale.

Pendant sa dernière campagne, en 18!i8, il s'est attaché surtout à l'étude des cours d'eau qui pourraient lar.iliter les commurrications entre les régions andines de la République Argentine et l'océan Pacifique.

Le Garren-Léoufou, rivière importante, qui sort d'un joli lac situé par 44" iO' de latitude sud el li' 30' de longi- tude ouest de Paris, court au nord pendunt une cinquan- taine de kilomètres, jusque par 43° 40' de latitude sud ; pais il incline au nord-ouest el pénètre dans la Cordil- lère au nord du mont Yanieles, par 43° 3T de latitude sud

28 RAPPORT SUn LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

et 75° 7' 30" de longitude ouest de Paris. On ne sait pas encore ce que devient alors le Carren-Léourou.

Les Indiens et la commission chilienne l'envoient à l'océan Pacifique. Ce serait, dans cette hypothèse, le rio Corcovado dont la carte de Fitzroy marque l'embou- chure sur la côte du Chili, par 43° de latitude sud.

M, Fontana pense qu'il faut voir le rio Corcovado non dans ce Carren-Léoufou dont le cours impétueux entraîne des blocs de rochersj mais bien dans le Sla-Léoufou, rivière beaucoup plus importante qui coule doucement sur un lit de sable, entre des rives couvertes de magnifiques forêts de hêtres et de pins.

Celte rivière est formée par la réunion de six cours d'eau auxquels les Indiens n'ont pas donné de nom, si ce n'est au plus volumineux, qu'ils appellent Uncaparia. Ce dernier qui sort du petit lac de Rosario, finit par se jeter dans le Sta-Léoufou donl il constitue te principal aniuent.

Le colonel Fontana a reconnu le cours du Sla-Léourou, jusque par 43» 16' de latitude sud et 74° 47' de longitude ouest de Paris, sans avoir rencontré de confluent. C'est précisément dans le but d'éclaircir les doutes qu'il fit met- tre à l'eau la chaloupe démontable dont il s'était muni, et qu'il descendit le Sta-Léoufou au gré du courant. Parfois une éclaircie de la forêt laisse entrevoir des clairières her- beuses où paissent des taureaux el des vaches sauvages.

En arrière des forêts se dressent les pentes rie monta- gnes aux cimes toujours couvertes de neige. Au bout du deu.\iènje jour, la chaloupe arriva près d'un rapide qui l'arrêta; mais, jusque-là du moins, la navigation est possi- ble et abrège la dislance entre le territoire argentin et la côle cbiiienne. Il est probable, du reste, que le cours ulté- rieur de la rivière est semé de fortes chutes, car le point extrême reconnu par le colonel Fontana se trouvant à 400 mètres au-dessus de l'Océan voisin, la pente ne pourrait Être diminuée que si la rivière faisait d'immenses circuits.

ET SUR 1-ES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 29

A l'endroit le no Uncaparia se jclte dans le Sta- Léoufou, entre 43° 50' el 4-4' de latitude sud, fut fondée le 1" fétTier 1888, la Colonie du 16 Oclobre, en coramémo- ration du oclobre 1884, date de la promulgation de la Joi qui créa les gouvernements des territoires nalio- naujt. Celle colonie, située sur les deux rives de l'Unca- paria, se compose de lots de 25 kilomètres carrés chacun, très bien disposés pour l'élève du bétail, en attendant que des communications plus faciles permettent de cultiver des céréales pour l'exportation.

M. Fontana s'est ainsi pleinement acquitté de la mission qui lui avait été confiée de fonder sur le territoire du Chubut une colonie pastorale dans les vallées des Andes, de tracer le plan des villes de Rawson et de Gaiman et de procéder à la division de 3,000 lieues de terrains. Lu géo- graphie y aura sa part, puisque M. Fonlana a résumé sur une carie les résultats de ses intéressantes explorations.

Un document d'une réelle importance pour la géographie encore indécise du Chaco a été publié par tes Proceedings de la Société de géographie de Londres. C'est la relation d'un voyage accompli sur le rio Verraejo, dans la seconde moitié de 1885, par le capitaine John Page, de la marine argentine. Nous y trouvons une intéressante comparaison entre le caractère du Pilcomayo et celui du Verméjo, des voes générales sur la nature du sous-sol du Gbaco et l'ex- plicalion des déplacements si capricieux, si imprévus da cours de ces deux rivières. Le Vermejo, par exemple, a brus- quement adopté en 1870 un lit situé i une quinzaine de milles dans l'est de celui qu'il suivi^it primitivement. Les richesses forestières qui bordent le Vermejo sont considé- rables, soil comme quantité, soit comme variété et qualité d'essences. D'après M. J. Page, la rivière est navigable; loulefois les difficultés qu'il a éprouvées pendant son voyage, les peines, les fatigues, les dangers que son équi-

30

RAPPORT

LES TRAVAUX DE LA SOCIETE

page a (iû siipporlcr, soil en reinontanl, soit en descen- dant, semblent indiquer simplement que le Vermejo, comme le Pilcomayo, n'est pas innavigable.

Quoi qu'il en soit, la géogrnphie devra de Irt reconnais- sance à M. J. Page pour Jes indications si nettes et les détails nouveaux qu'il lui a foornis au sujet de la partie du Cbaco arrosée par le rio Vermejo, entre son confluent dans le Paraguay et la colonie de Rivadavia.

L'une de nos séances de quinzaine a été consacrée ii la communication de M. Coudreau sur les résultats de la mission qu'il a remplie pour le Ministère de rinstniction publique, aux monts Tumuc-Humae, dans l'extrême sud de la Guyane française; il est opportun de dégager de ce docu- ment certaines indications qui disparaissaient un peu sous l'abondance des incidents et des accidents du voyage.

Le figuré des Turauc-Humac a été, jusqu'à la mission de M- Coudreau, fort rudimentaire sur les caries; en effet, les voyageurs précédents avaient abordé, sans y pénélrerj cette chaîne au nom étrange et encore inexpliqué.

Le docteur Crevaux l'avait franchie, mais préoccupé sur- tout des fleuves, il n'avait décrit que très sommairement les montagnes.

Après un mois et demi de canotage pour remonter le Maroni, M. Coudreau atteignait, à Apoiké, petit village des ttoucouyennes, te pied des Titmiic-Humac occidentales. Il avaU alors devant lui un ensemble long de 300 kilomètres, du Maroni à rOyapoclt, large de iOO kilomètres, des tribu- taires de l'Océan à ceux de l'Amazone. C'était une terre absolument inconnue, puisque personne avant lui n'avait démêlé le réseau des vallées, déterminé les sommets, les chaînons et les lignes de partage des eaux.

La première reconnaissance des Tumuc-Humac est au- jourd'hui faite aussi complètement qu'il était possible de la faire au cours d'un seul voyage. C'est d'abord la moitié

ET SCR LES PROCnÈS DBS SCIENCES CÉOCBAPHIQUES. 3t

uccideiitale des Tumuc-Ilumac qu'a explorée M. Coudreaa: il commençait par la partie la plus ardue de sa lâche. Entre les villages d'Apnïké, sur le haut Ilany, affluent de

"^9 du Maroni, et de Pililipou, sur les eaux naissantes du

i, M. Coudreau a sillonné le pays de longues e^■cur- «ions. Un mois fut consacré à l'exploration de la contrée aux rds (i'Apoïké, puis quatre mois furent employés à par- urir la montagne qui entoure le village de Pililipou. L'une de ces courses eut pour terme, au sud, le moQt,Mitaraca;uiie deuxième conduisit M. Coudreau dans l'est, jusqu'au mont .\inana; une troisième enfin, dans l'ouest, aboutit .iu mont Pnlourouïmenepeu. Ces divers points circonscrivent une région déserte; la TÏeindigène s'est concentrée sur les bords des gr.iods cours d'eau. Ailleurs, pas de villages, pas de sentiers; il fc»ut marclier en faisant perpétuellement brèche dans la forôt, vivre de chasse et de pêche.

Deux tribus cannibales, les Eielianas et les Toussari qui Taguent dans ces solitudes, inspiraient une indicible terreur tui Roucuuyennes de l'escorte, hantés d'ailleurs, en pays inconnu pour eux, de toutes sortes de terribles visions.

Les conditions telluriques, sinon climatériques, sont ouuvaises. On vitsous une forCt humide de pluie et de rosée,

00 traverse des marais inondés ou détrompés. M. Coudreau ré34»ta relativement bien aux influences de ce milieu redou- Lihle; M. Laveau subit un assaut de fièvre des bois qui le {»longea dans un état comateux dont il ne sortit qu'au bout

sept jours. Apatou lui-même, l'ancien compagnon noir

docteur Crevauîk, fut gravement atteint.

Trois canots construits sur place ramenèrent l'expédition,

parle Marouini et ses innombrables rapides, au Maroni non

moins accidenté, et de à Gayenne, tous, y compris

M. Coudreau tombé malade vers la fin dn voyage, rentraient

1 bout de Toices,

Cependant, en septembre 1888, l'infatigable explorateur re|>renail la campagne et remontant l'Oyapock, il abor-

32

RAPPORT SUR LES THAVAPX DE LA SOCIÉTÉ

dail cette fois-ci le sj'stèrae orographique par sa seciion orientale. Elle est d'un parcours un peu moins difficile que la section occidentale ; M-Courireau y put relever 1,2M kilo- mètres d'itinéraires, tandis qu'il n'en avait relevé que 200 dans lesTumuc-Humac de l'ouest. Cette fois-ci, en revanche, une famine vint ajouter aux difficultés du voyage, en rendant délicates les relations avec les indigènes et en obligeant l'expédition à vivre d'une manière très chétive, très précaire.

A force de patience, de marches, de contremarches, M. Coudreau réussit à atteindre l'un des points de son pré- cédent itinéraire. Il avait donc, le premier, traversé les Tumuc-Humac de l'ouest à l'est, du Maroni k l'Oyapock ; « la circumpérégrination de la Guyane française par les Tumuc-Humac était accomplie pour la première fois », dit le voyageur dans un rapport au Ministre de l'Instruction publique.

Ce voyage occupera une large place dans l'histoire, si honorable pour les Français, des explorations de l'Amérique du Sud. Il nous donnera, au sujet des Tumuc-Humac, des notions déjà nettes, très fermes, qui ne sont, à la vérité, pas de nature à tenter beaucoup les touristes. Les vues d'en- semble en sont monotones. sommets de peu de relief liés entre eux par des croupes molles, on aperçoit au loin un horizon de collines en masses bleuâtres, parfois em- brumées pendant plusieurs jours.

Les points culminants ne s'élèvent guère i'i plu$ de 600 mètres. Du Mitaraca haut de 580 mètres, et du Tayaouaou haut de 450 mètres, M. Coudreau a pu faire des tours d'horizon et viser un certain nombre d'au 1res sommets. L'ensemble de la chaîne est à peu près parallèle à la côte. Il n'existe pas, à proprement parler, de chaîne de séparation des eaux; les Tumuc-Humac se con]posent « de chaînons brisés, jetés sur le plateau comme au hasard et sans logique apparente. » La mission de M. Coudreau dans les Tumuc-Humac a pro-

I

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ET SUn LES l'ROGUÈS DES SCIEXCES GÉOORAI'UJOUES. 33

duit des résultats géographiques, historiques, ethnogra- phiques et linguistiques d'un véritable intérôt, sans parler des collections rapportées par le missionnaire.

Elle aura valu à la géographie 4,000 kilomètres d'itinéraire relevés à la boussole, à l'échelle de 1/100,000% dont 2,600 en rivière et 1,400 dans la montagne. EUeaura donné un levé complet de l'ensemble du Maroni, de l'Oyapock, du Ma- rouini. Ce dernier cours d'eau aura été parcouru pour la première fois, et le voyageur a constaté l'existence de 300 rapides. Il a, de plus, découvertles sources de l'Oyapoek, auprès desquelles avait passé Crevaux.

Dans les Tumuc-Humac mêmes, M. Coudreau a relevé 150 sommets et fait connaître toute la région des têtes du Maroni, du Gachipour, de l'Araguari et de grands affluents du Yari. Quelques observations astronomiques ont été Taites, niais le voyageur lui-même ne les présente point comme suffisantes. Les distances parcourues sur terre ont été mesurées au podomètre.

En résumé, il surfil d'étudier les seize feuilles de la carte rapportée par M. Coudreau pour se rendre compte de la réelle importance géographique de ses voyages. On peut dire qu'il a révélé à la géographie toutes les Tumuc-Humac au moins dans leurs traits généraux. C'est une œuvre dont l'intérêt n'échappera pas aux géographes.

M. Coudreau a recueilli, de plus, 2,000 observations météorologiques prises de jour et de nuit, et des notes importantes pour la connaissance du climat de cette contrée.

Il a étudié aussi les populations de la haute Guyane, dont il s'est efforcé de rechercher le passé. Il rapporte de volu- mineux documents sur les Roucouyennes, les Oyampis et d'autres tribus, dont il a pris de nombreuses mensurations anlbropométriques.

Comme résultats linguistiques, il a réuni les éléments d'une étude complète de deux importants dîâtecles, le tupi

soc. ut GiOGR. 1" TRIMBSTIiK 1890. M. 3

34 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

et le caraïbe, le dialecle des Oyampis eL le dialecte des Roucouyennes.

Enfin, oiilre les données qu'il a réunies sur la faunp et la flore de la région, il a rapporté onze caisses de collections de tout genre destinées à nos musées.

Le côté pratique des questions qui intéressent notre colonie rie ia Guyane n'a pas échappé h M. Cfudrcau; il s'est appliqué à constater la valeur non seulement des ressources du pays, mais encore des populations; il est arrivé à conclure que la formation d'une race métissée de blancs et d'Indiens donnerait à la Guyane un sérieux foyer d'activité, de richesse et de développement.

Mais c'est un point de vue qui concerne plus spécia- lement les économistes.

« Quelque étrange que le fait puisse paraître pour une co- loniesi vieille et située à dix-huit jours derAn^leterre,rinté- rieurenestmoins connuque l'Afrique centrale ))Ainsis'ex- prime M. J. Bellamy en parlant d'une partie du Honduras anglais située entre le golfe de Honduras et la poinle de Be- lize. M. J. Bellamy a fait partie d'une raissiim conduite par le gouvenieur du Honduras anglais pour l'exploralion d'un curieux massif de montagnes, les Cokscomb, situé h 35 ki- lomètres environ de la côte. Supportés par une sorte de socle monlHgneux dirigé de Testa l'ouest, se dressent, jux- taposés sur uue vingtaine de kilomètres, plusieurs pics très abruptes aux formes bizarres et dont le plus élevé, le mont Victoria, a 1,128 mètres d'akitude. M. J. Bellamy en a fait la périlleuse ascension.

Il constate que l'établissement d'une roule pour se rendre de la côte aux monts Cokscomb doterait la cofonie d'un sanatorium situé à trois jours seulement de Belize. D'après une supposition que ta rapidité de la marche l'a empêché de vérifier, l'or doit se rencontrer sur les ver- sants méridionaux des Cokscomb. Le pays est d'ailleurs

ET SCR LES PROGRÈS DES SCIENCES CÉOGHAPHIQL'ES. 35

1res riche et mériterait d'attirer un courant d'éinigra- 4ion.

La. côte occidentale de la mer des Caraïbes est entaillée par un golfe prol'ond et découpé, le golfe Chetuma], dont les rives appartiennent eu partie au Honduras anglais, en partie au Yucatao, ou pour être plus exact, à des Indiens du Yucalan. M. W. Miller, attaché aux levés du Honduras .Bjiglais, a visité le territoire de ces Indiens, situé au nord du golfe Chetumal. Des restes épars indiquent que le pays dut êlre Qori8âanl avant que les occupants d'origine espagnole ■en eussent été expulsés, il y a quelque cinquante ans, par les Indiens; ceux-ci sont restés hoslites aux visiteurs blancs, «l M. W. Miller a été l'un des premiers à s'avancer au milieu d'eux jusqu'à Santa-Gruz, située à une soixante de kilo- mètres de Carazal, localité du Honduras, sur le golfe Che- turnaL

En territoire indien, le point de départ de M. W. Miller fut Bacalar, ville morte dont les mes et les constructions indiquent un brillant passé. L'église renferme un ossuaire composé des restes des Mexicains qui vinrent y chercher un refuge au moment les Indiens, dans leur soulèvement, massacrèrent les étrangers. Les indigènes n'habitent pas les maisons abandonnées ; ils préfèrent vivre dans des huttes construites par eux-mèraes.

Pendant la roule qu'il parcourut avec une escorte de quatre soldats indiens, M. W. Miller a constaté un certain nombre de corrections à apporter à la carte la plus complète du Yucatan, celle de J. Hubbe cl Â.-A. Perez, revue par C. H. Bereodt.

La roule de liacalar à Santa-Cruz, assez convenablement entretenue, traverse des plaines sèches, rocailleuses, cou- vertes d'une végétation de hautes broussailles. Six jours furent nécessaires pour parvenir à Santa-Cruz, la capitale du pays. Personnellement, le chef actuel des Ind iens, Auicelo

30 nAI>POilT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

Sul OU Dua Aot», réside à San-Pedro, à quelques milles au >ud de Santa-Cruz.

Les Indiens vigiles par M. W. Miller sont généralement pclitx el «le structure légère. Leur peau est d'un noirbrun; uno chevelure épaisse, noire comme d u jaiset toute hérissée, leur donne l'air d'être coilfé du traditionnel bonneLà poils des grenadiers. Ils se vêtissent d'un pîintalon large, d'une che- mise et d'un chapeau de paille. Les soldais ont deux bau- driers croisés sur la poitrine, donll'un supporte la machete, l'autre la cartouchière.

lis ne lisent ni n'écrivent, et leur religion, sans clergé, est nu reste informe du christianisme introduit autre- fois pur les Mexicains- Chaque village a son église pourvue de dix ou douze croix. Dans le village de Tulum M. \V. Millrr no réussit pasàse faire conduire, est une croix célèbre d'où Dieu lui-niérne adresse la parole aux hommes. l.h liil uuiHHiicri! un ccclésiaslique du YucaLan qui s'était riHcpié il venir évanfçéliser les populations de la côte.

Le» Indiens n'aiment pas être interrogés, et c'est à grand'- pcine qnii ^L W. Millw obtint d'eux quelques reuseigne- auMits sur la eoiitrée.

Au villuKO de Clnntculche, dans le sud de Santa-Cruz, vit \l\\v <'olunie de bhuud, dvscoudanls de quelques Espagnols é|wn>;iiés par les Indiens.

l'uur Irt (ieonrapluo ilos terifs circumpolaires, l'an der- nier inscrivait vii)*^{vi e\tr.iordinairtf de .M. Nansen à tra- verii tottio In iMi-^vur du Cu-oi>ubnd. L'énergique Norvégien avtùl ou t|Utf lqu« »ort«i mmpu un charma ; il avait vu, coupé d'un iliiuSirtiiisriuléricur do tcnt» mystérieuse à lapéné- Irnliou d»» lnqutUe »VUuvjat «u vaiu ]k|>ptkqué$ deprécédeots e.vpUtrttlt»ui-» el ukO) |hm v)«i moins eap«lri«s #• réossùr.

M, N«n>eu, dt"^ v»u nMiMUr «tt Eucoim»» a pré8««tiê «M latiuu k>r(U-t«>ll« »i.4t ««y«|i»; «IW ii>^>atoqiie èm

ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGHAPHIQUES. 37

communications faites depuis lors par le voyageur, à di- verses Sociétés géographiques, n'augmentent pas sensible- ment les informations relatives aux résultats de cette expé- dition. Les notes et observations recueillies par M. Nansen ont été livrées à des savants spéciaux qui n'ont point encore fait connaître le résultat de leur examen.

M. Nansen n'avait pu constater, môme dans leurs grandes lignes, les traits principaux du terrain que recouvre un dôme de glaces.

Contrairement à l'opinion de quelques géologues qui n'admettaient pas la formation de placiers sur toute la lar- geur d'une contrée aussi vaste que le Groenland, on sait aujourd'hui que ce continent, du moins dans sa partie méridionale, est cuirassé de glace d'une mer ii l'autre, et il faut se contenter de demander aux formes de l'enveloppe des indications relatives à celles du terrain sous-jacent.

Sur les deux versants maritimes, la couche de glace qui revêt le Groenland s'élève jusqu'à un plateau uniforme haut de 2,700 h 3,000 mètres. Ce revêtement est-il le modelé exact des lignes du sol groenlandais ? D'accord avec le professeur A.-E, Nordenskjold, M. Nansen ne le pense pas. Tous deux estiment que le sol peut être fort irrcgulier et accidenté de montagnes dont les vallées sont remplies d'une glace compacte soumise h la pression des couches supérieures, sans cesse renouvelées en même temps que nivelées par les agents atmosphériques.

Le lot spécial de cette année, pour les progrès de la géographie des régions circumpolaires, est un voyage fruc- tueux à l'archipel des Spitzbergen, accompli par un natura- liste allemand, M. Kiikenltial, envoyé de la Société de géo- graphie deBréme. Monté surla Berntine, il coniournàit, vers Ifi milieu de mai l'île aux Ours (Biiren Kiland), et quelques Joui'S plus tard il atteignait la baie Magdalena; les glaces de. côte rendaient impossible de gagner le détroit de Hinlo-

38 RAPPOnT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

pen par le nord; la Herntine se dirigea donc vers le sud, doubla lapoiiileqiii (erniine l'île SpiLzberj,' et vint mouillera la b;iie de Whule Point, Elle y demeura captive dans les glaces pendant onzejours, consacrés par M. Kiikenlhal et son adjoint M. Wailerà des excursions dans l'inlérieur du pays. A peine libre, le navire assailli par une tempête vio- lente, se réfugia sur l'un des nombreux îlots du Roi Louis, semés à l"enti'ée de la baie Deevie, appelée parfois Deicrow, profonde échancrure de l'île SLans Foreland ou île Edge. Là, de nouveaux assauts donnés par des lames énormes chargées de bloos de salace déterminèrent le nau- frage dédnilif de !a Bevntiae. Les passa;jers purent se réfu- gier sur un îlot entièrement couvert de ueige.

Un autre baleinier, Li Ci>cilic Malene, prit à son bord M. Kukenlhal dont le voyage, si mal commencé, fut, dès ce moment, particulièrement heureux. La côte sud-est du Stans Foreland, les îles Ryk Ys, dans l'est de cette terre, menèrent une première fois M. Kiikenthal à la côte orientale de la Terre du floi Charles.

Revenant en arrière, il suivit la côte orientale de Stans Foreland et de l'Ile Barents jusqu'aux îles Bastian, peuplées d'ours blancs. La navigation suivante se (il au sud de la terre nord-est^ dont la côte méridionale semble devoir être reportée un peu au sud. T^ne deuxième fois, la Cecilie Malene réussit à s'approcher, par le sud et le sud-est, de la Terre du Roi Charles.

Lapasse de Ilinlopen fut ensuite parcourue jusqu'aux îles For.ster, par 70° 31' de latitude nord. A son extrémité méri- dionale la passe Hinlopen s'ouvre sur le large détroit Olga dont M. Kukenthal fit plus particulièrement l'objet de ses études; il pratiqua des sondages et put, en pénétrant pour la troisième fois danslosparagesdelaTcrredu Roi Charles, trouver au sud de cet archipel une profondeur maximum de 266 mètres. La constatation d'un puissant courant maritime qui sillonne du nord au sud le détroit d'Olga et

ET sua LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQCES. 39

de» observations sur les températures de l'eau furent les résultats de celle p.trtie du voyage.

Les cartes ont, jusqu'ici, marqué à TesL du Stans Fore- iand trois îles assez considérables : les Ryk Ys. M. Kiikin- (hal les a réduites à trois îlots très petits, couverts d'une ▼égétalion chétive; en revanche, on y constate la présence de rennes qui font des trajets considérables sur les glaces prises.

La Terre de Barents n'est pas plus riche que les Ryk Ys comme faune et comn^e flure. Le voyage de M. Kiikenthal va obliger les gcogr.iphes à rnodilier le tracé de la cùte orientale du Slans F(»reland; il a servi à constater, en effet, que le glacier du Roi Jean s'étend au nord, au uord-ouest, puis à l'ouest et l'ouest-sud-ouesl; il forme, en réalité, le re- bord méridional d'une grande baie qui entaille la lene dans une direction opposée à celle de la baieDeevieou Deicrow. A la moitié d'août fui effecLuée une nouvelle navigation aux abordsde laTerredu Roi Charles, pui& des masses déglace compacte ayant commencé àal'lluer du nord et de l'est, la lempéralure s'étant abaissée brusquement, d'épais brouil- lards envahirent l'atmosphère et la Cecilie Malene prit ie chemin du retour.

A plusieurs reprises vient d'être prononcé le nom de Terre du Roi Charles. La pointe occidentale de cette terre, le cap Suédois, avait été naguère aperçue pour la première fois, d'une montagne située à fa pointe orientale de l'île Spilzberg. Peu à peu les baleiniers, puis M. de Htuglin vinrent ajouter de nouveaux éléments aux lignes du cap Suédois, et la dernière ligure qui ail été donnée de cet ensemble confus présente trois pointes^ dont l'une tournée à l'ouest, les deux autres tournées à l'est. Plus tard, en 1884, s'ajoutèrent à cel ensemble, deux îles situées dans Test la Terre du Roi Charles. A partir de maintenant il semble que désormais ce nom doive ôlre changé en celui d'archipel ou îles du Roi Charles. M. Kiikenthal, en eû'et, a pu s'ap-

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^^n

40 RAPPORT Sun LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

procher assez pour constater des parlicularilés qui l'ont conduit à rempiacer la notion d'une terre unique par celle de deux îles, vraisemblablement de Irois. Les observations faites à bord ont circonscrit d'un cadre de méridiens et de parallèles les points extrêmes du nou- veau groupe d'îles. D'après M. Kiikenthal, la pointe est de la plus orientale des deux îles découvertes en 1881 ne serait que l'extrémité sur laquelle, en \S~^, avait débarqué le ca- pitaine Johnson. En réalité, l'étendue du groupe du Roi- Charles devrait être diminuée de huit degrés rie longitude dans la direction de l'est-nord-est. MM. Kiikenthal ptWaI ter ont rapporté des collections et des données intéressantes pour l'histoire naturelle, mais certainement aussi, au point de vue géographique, leur voyage prendra honorablement place dans l'histoire de la géographie circumpolaire.

Plus d'une fois, les rapports de vos secrétaires généraux vous ont exposé les tentatives faites pour s'élever aux plus hautes latitudes du globe, pour tenter l'accès du pôleNord. Mais un dénouement sinistre avait rais fin, en 1881, à l'en- treprise de ]AJfannelte.

Le capitaine de Long et les restes de son équipage dé- cimé étaient venus mourir de froid, de fatigue et d'épuise- ment sur le delta de la Lena, ta temp5te avait jeté les embarcations de leur navire broyé par les glaces, au nord de la Nouvelle-Sibérie.

L'émotion causée par le drame de la Jeanvpttp était à peine calmée, quand les derniers survivants de l'expédition scientifique des États-Unis, envoyée à la baie Lady Franklin sons les ordres du lieutenant Greely, furent recueillis en 1884, sur les rivages de la terre Ellesmere, au moment commençait leur agonie.

Ces deux événements avaient éteint momentanément le zèle pour les expéditions au pôle. Les savants avaient alors sincèrement pensé, avec l'opinion publique, que les connais-

ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 41

sances acquises au prix du tant de souiïrances, de tant de vies étaient trop chèrement achetées. Le temps un pas- sant sur ces scrupules les a notablement alTaibli»:, et Tan dernier a vu naître en Australie et dans la Républiquo Ar- gentine des projets d'exploration au.v abords du pôle austral; elles n'ont pas rencontré, il est vrai, les dispositioas et le concours qui leur auraient été indispensables.

Aujourd'hui M. Nansen, soutenu par le généreux M. 0. Dickson, songerait, dit-on, à prendre la routedup<MeNord. Elle a des attractions sigulièrement puissantes, cette région qui se défend avec tant de brutale énergie contre les attaques les mieux préparées; elle est cepeodant, par elle-même, absolument répulsive; la nature y dort sous un suaire éternel de brumes, de neige et de glace; parfois brusquement dé- chiré, il laisse entrevoir des eaux sombres, à l'aspect hui- leux et sinistre; le soleil effleure de pâles rayons les iminen- ■sités mornes de la banquise; l'ours blanc, le phoque, le morse et quelques rares oiseaux fuyant vers de moins rudes climats, animent seuls ce monde dont le silence n'est inter- rompu que par les hurlements de la tempête ou les détona- tions desglaces qui se fendent, se choquent ets'écrasen t. Dans les nuits sans lin, l'aurore magnétique, cependant, vient de tempsàaulre illuminer le paysage en inondant de ses lueurs d'apothéose l'édifice colossal, bizarre et mobile de l'iceberg. Tout suggère la pensée d'une autre planète l'homme ne saurait vivre; l'homme pourtant ne cesse d'y aspirer, sollicité par la curiosité ardente, par les séductions de l'inconnu, par le charme irrésistible du mystère.

La volonté humaine, avec son ingénieuse ténacité, son ■ardeur obstinée à ro(retisive,aura le dessus dans cet assaut contrôles dernières elles plus redoutables forteresses de l'inconnu géographique : les pùles. Ceux d'entre nous qui commencent la vie assisteront peut-être à ce triomphe.

La part de l'Asie, sans être tout à fait aussi abondante

■42 nAPPonT sur les travaux de la socrÉTÉ

celle année que l'an dernier, n'en comple pas moins quel- ques voyages fructueux. Comme d'habitude, nous consta- terons que les Russes et les Anglais lu tient d'audaoe, de vitesse et de vigueur, chacun voul.int être le premier à explorer les grandes vallées, fi étudier les passes, à se faire connaître el accepter par les populations de l'Asie centrale. C'est toujours nus iiljords de l'Afghanistîm el du Turkestan orienlal, dans cette l'égion se rejoignent de puissantes monla{;nes et les frontières de puissants em- pires, que les voyageurs russes et anglais portent leur enquête el s'efforcent de se devancer.

Dirigeons-nous vers l'Asie centrale en mentionnant d'abord les récentes explorations dans les parties du continent les plus voisines de notre Europe.

Un voyageur français, M. A. Dellers, bien préparé à la tâche toujours difficile de visiter l'Arabie, a public réeem- mentles résultats du voyage qu'il accomplissait en 1887 dans IcYemen, l'ancienne Arabie Heureuse.

M. A. Dellers étant botaniste, c'est à la botanique qu'est plus spécialement consacré son ouvrage: Voyage au Yemeni joufrial tVune excursion botanique dans les montagnes de FArabie Heureuse. Toutefois, la géographie trouve d'excel- lents éléments dans l'œuvre de M. Dcflers, à laquelle mal- heureusement fait défaut la carie établie p.irie voyageur.

L'itinéraire dn voyage part de Hodeidah pour s'élever jusqu'à Çan'à par la route habiluelle. Autour de Çan'â, M. A. Dellers a fait, à l'est, une excursion en terrain neuf, au Djebel Nougonm; il a visité, au nord et à Touest, après l'Anglais Miiliniren, les localités de Hamdân el Kaoukabàn. Enlre Çan'â et Ta'ez il s'est écarté de la route suivie par Niebuhr, pour loucher, dans l'ouest, le village de Maber, ce qui prête de la nouveauté et par conséquent un surcroît d'intérûl à ses observations sur un tiers environ du trajet entre ces deux villes. Sa longue excursion à l'cstde Ta'ez par-

BT SUR LES PnOGnÈS DES SCIENCES GÉOGRAPIIIQCES.

court un terrain inexploré, et ses observations sur les pentes du Djel>el Saber ajoutent quelque chose à celles de Botta qui avait atteint le sommet de ce massif. De Ta'ez h Beït-el- Fagih noire voyageur a repris l'ilinéraire de Niebuhr; mais plus loin, de Beïl-el-Fiigîh à Hodeïilah, en passant par Derheïnn, le terrain n'avait pas été levé.

M. Detlers a fait neuf tours d'iiorizon, ainsi que des ob- servations suivies dti biiromèlre et du thermomètre; il donne les cotes d'altitude oblenues par ses observations doDl il a publié les éléments, ce qui permet de contrôler la valt^ur de!!.on travflil. On n'a pas eu les mômes g.iran lies pour les altitudes publiées par MM. Manzoni, Glaser et le colo- nel Haig. Les résultais déduits des observations de M. Deflers donnent des chiffres inférieurs à ceux de M. E. Glaser et de M. R. Manzoni.

Avec le relief du sol M. Deflers précise les caractères de la flore du Yemen dans un catalogue raisonné de 502 plan- tes indigènes et de 91 plantes cultivées qu'il a récoltées ou otïservées. Le Yemen possède beaucoup d'espèces végétales qaî lui sont propres ou du moins qui n'avaient pas encore élé trouvées ailleurs, et les espèces nouvelles sont nom- breuses dans l'herbier rapporté par le voyageur français. Une partie assez nolabJe de ia tlore de l'Arabie Heureuse présente des analogies avec la flore de l*Elhiopie, la voisine africaine du Yemen ; mais, ce qui paraîtra plus étrange, elle a quelques points de contact botaniques avec les flores dtt Sah<ara central et des îles Canaries.

M. E. Glaser, un voyageur allemand déjà connu par de fructueuses explorations accomplies dans la péninsule ara- bique en 1883, 1884, 1885 et 188G, a parcouru en 1888 le chemin d'.\deu à Çan'à et visité l'ancienne Saba, Marib, autour de laquelle il a fait une moisson admirable par la quantité, comme par la valeur, d'inscriptions relatives à la plus ancienne histoire des peuples d'Arabie, sans compter

44 RAPPORT STjn LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

les inforniiilioDs géographiques et ethnographiques recueil- lies au cours de ce voyage elfectué dans des conditions ex- trêmement périlleuses.

M. E. Glaser se faisait passer pour un musulman homme de science, parl'inlenliond'aller reconstruire le fameux réservoir dont la rupture fut la ruine de Marib.

Avec l'aide du gouverneur turc du Yemen, qui paraît n'avoir pas ignoré la véritable qualité du voyageur, M. Glaser a gagné sans diftlcullé Marib et à force de patience, de sang- froid et d'audace, il a réussi à. copier, soit dans la ville, soit dans des localités avoisinantes, la plus riche collection de textes épigraphiques qui ait eacore été mise à la disposi- tion des éludes sahéennes, La lecture de ces inscriptions amènera, parail-il, une transformation dans l'histoire de l'Arabie, dont elle reculera les limites bien au delà des temps reconnus jusqu'à ce jour.

Les éléments géographiques dus à ce voyage perraellroat à M. Glaser de dresser une carte à grande échelle du pays qu'il a visité. Ce précieux document que les géographes attendent avec impatience paraîtra dans un volume qui, sous le titre de Saba, donnera les résultats du dernier voyage de M. Glaser.

Depuis quelques années le gouvernement prussien a fait entreprendre dans l'Asie Mineure des recherches dont l'ar- chéologie et la géographie historique ont largement profité. C'est ainsi qu'après les fouilles de Troie et d'Assur ont été e.Tcécutées, de 1881- à 1885, cellfis de l'ergame dirigées par M. M. Schuchardt et Humann, puis en 188G celles d'.^egse, l'antique colonie étéenne, aujourd'hui Namroud-Kaleh. Plus tard viendront l'cnquôte sur les ruines de Sardes, puis l'étude des monts Tmolus et la recherche des restes de Tmolus, cité enterrée par un tremblement de leire dans les premières années de l'ère chrétienne.

Pour le présent voici un beau travail accompli sous les

M

ET SUn tES PROOnÈS DES SCIENCES OÉOCIUPHIQUES. 45

auspices de l'Académie des Sciences de Berlin, par le ca- pitaine d'élal-nîajor W. von Diest, avec la collaboration du Ueulenant Olfried de Karolath-Schùinatch.

Il consiste en une étude archéologique et lopographiquc de la région dont Petgamos fut ta capitale, c'esl-à-dire du territoire que baignent le Bakyr-ïschaï et l'IIermos, CeUe élude s'est continuée, à travers la Phrygie et la Bithy- Die, par un itinéraire jusqu'à Ainasia, l'ancienne Amasais, >Qx rives de lu mer Noire. Sur la roule parcourue s'élève le Dindymus, le Mourad-Dagh des Turcs, massif dont te point culminaiiL se dresse à l'altitude de !2,500 mètres et dont les eaux s'écoulent sur plusieurs points de l'horiKon.

L'étude do M. W. von Diest, consignée dans un supplé- ment des Mitteiiiingi'n de Golba, n'est pas de celles qu'on peut analyser, tant elle renferme d'éléments; mais il im- porte de faire ressortir que, précieuse pour la géographie ancienne, elle ne l'est pas moins pour la géographie physi- que d'une contrée à laquellel'avenir réserve sans nul doute une brillante résurrection.

Le Karoun, qui se jette au fond du golfe Persique, à l'est des cours réunis de l'Euphrate et du Tigre, est l'unique fleuve de la Perse qui soit navigable sur un parcours assez consi- dérable. 11 a pris, en ces derniers temps, une importance exceptionnelle par le fait que le shah de Perse a permis au commerce étranger de pénétrer par cette voie dans ses Etals. La \allce du Karounaété visitée, en 1888, parleD'Hodler, chargé d'une mission géologique en Perse. De Sultanabad, il traversa les districts de Djapelak et de Serabend, et at- teignit le Chuturun Kuh, haut de 3,.^00 métrés, d'ott la vue s'étend sur toute la parlie montagneuse du Lauristan. La défection de ses guides l'ayant empoché de poursuivre sa Dvarche au nord, il dut se rabattre sur Ispahan. Puis, sui- vant les pentes orientales du Zehnde Kuh, il put franchir la ligne de faite entre le bassin du Karoun et celui de Zaiende

46 HAPPORÏ SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

Kuii, el remontant sa branche supérieure il atteignit Mahal d'où l'expédition regagna le Feridan et l'Irak. Ce voyageur a conDrmé en tous points les descriptions l'our- nies par M. LolLus.

Par les communications toujours nettes et pleines d'inlé- Têlde t'unde nos collègues les plus éminents, M. Vtnioukof, ■qui fut lui-même un grand voyageur dans l'Asie centrale, •la Société est tenue infornaée deraclivité des t'xploraleuis russes. Nous avons su ainsi que le colonei Picvlzuir, déjà connu par des travaux géogiaphiques en Mongolie, avait hérité de la lourde maia honorable tâche de continuer les explorations entreprises par le regretté Prjévalski; que M. Scassy, compagnon de vûyaj;e de M. Potanine, a exécuté des levés lopographiques et des observations astrono- miques dans ies parties de l'empire chinois vois^ines des sources du fleuve Jaune, du Koukou-Nor, des monts Khan- ghaï; queMM.Koulberget Gedeonof avaient respectivement exécuté des observations magnétiques et des observations astronomiques sur les frontières de l'Afghanistan ; que M. Iloudnef a levé de grandes étendues de terrains dans la partie orientale du Bonkhara ; que M. Alexandrow a également levé une partie de la région du TbianSlian; que le capitaine lloburowski, attaché à la mission du colonel Pievtzoïr, rapporte de précieux documents topo- graphiques sur le pays entre l'issik Koul et Yarkand; que M. Bogdanovitch, en rejoignant la mission Pievizofl", avait parcouru tes montagnes qui séparent les plaines du Turkeslan chinois des hauts platoaux du Pamir; que M. Yadrintzof a parcouru, étudié au point de vue arcliéo- logique, le nord de la Mongolie- La Société espère que les relations de ces divers voyages viendront enrichir sa biblio- thèque el apporteront aux travailleurs qui lu fréquentent de nouveaux éléments pour la connaissance de l'Asie cen- ■trale.

i

ET SUn LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 47

Le Pamir, forteresse de Titans, est défendu de tcus côtés par des bastions énormes, entassement de montagnes que sillonnent des fossés profonds, lits d'impétueux cours deau. L'accès de la place n'est possible que par des cols perdus dans les nues. Depuis quelques années, cependant, on sait que les explorateurs ont réussi à prendre possession 4e cette région si bien défendue.

La géographie disposera prochainement des résultats du Tùyage accompli par le capitaine Grombchevski, de l'armée russe, dans les massifs enchevôlrés qui bordent 5 l'est le Toit du monde, l'âpre Pamir.

Ce voyage a en comme terme extrême au sud les vallées du Kandjouteet du Raskem encaissées dans les contreforts du Moustaj^h et de cette chaîne de Karakorum dont les versants méridionaux regardent la vallée de l'Indus, les possessions britanniques. Le voyageur russe a atteint, à peu de dislance près, le terrain parcouru en 1887 par le voyageur anglais Younghusband.

Le voyage de M. Grombchevski nous avait été signalé comnae fort impnilant par nos collègues MkM. Venioitkof et Capus. Nous savons aujourd'hui qu'il rapporte à !a science, outre des collections variées, le levé d'un itinéraire de 1,500 kilomètres, des délGrininationsde latitude au nombre de 44, les cotes d'altitude de iîJS points judicieusement choisis, des observations raétéorologiqui's faites trois fois par jour pendant tout le voyage qui a duré quatre mois.

En 1888, le célèbre explorateur russe Prjévalski mourait à Karakul, au sud-est du lac Issik-Koul. De celle localité, désormais appelée Prjévalsk, parlait le J3 mai 188'J le co- lonel PievtzofT, chargé de continuer l'œuvre de l'éminenl général Prjévulski. M. Pievlzotl" n'est pas un nouveau venu daoâ l'Asie centrale; il a déjà exploré la Dzoungarie en 1876, la Mongolie et pendant les deux années suivantes, les pro- tiuce^ seplentrionalcs de la Chine. 11 a pris part aussi, en

48 RAPPOllT Sun LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

488:2-1883, à la délimitalion de la frontière russo-chinoise du côté de Semipalatinsk. Il parle le chinois, et le général l'rjévalski eut souvent recours aux conseils du chef actuel de la mission.

Outre le colonel Pievtzoff, l'expédilion comprend trois comiJii gnons du général Prjévalski (MM. lloborovski, lîozlov et liogdanovilch), deux interprètes, un préparateur d'his- toire naturelle et une escorte de douze hommes. L'explora- tion qui durera deux ans, sera limitée à la partie nord-ouest du Tihel, jusqu'au 33* degré de latitude nord.

Des rapports sommaires adressés par le lieutenant Rûbo- rovski ont permis de suivre les premiers travaux de l'expé- dition depuis son départ de Prjévalsk, jusqu'au 30 octobre de l'année dernière; à celle date, les voyageurs étaient arri- vés à Nia, localité située à l'entrée nord-ouest du Tibet et à l'est du Kholan; c'est à Nia qu'ils devaient passer l'hiver.

Dans celte première partie de son trajet, la mission a tra- versé uu espace d'environ GÛO kilomètres, à vol d'oiseau; elle a exploré en partie les monts Terskey-taou, le Sirtj haut plateau de plus de 3,000 mètres d'aitilude et d'une étendue considérable de l'est à l'ouest; elle a pu étudier aussi, en partie, divers cours d'eau, notamment la Touch- kan-Daria au nord, la Yarkend-Daria au sud; les voyageurs ont longé celte dernière rivière jusqu'à la ville de Yarkend.

Les bal les forcément prolongées à travers un pays inconnu et par une température très élevée ont toujours été em- ployées en excursions dans les alentours, j Une des plus importantes de cesexcui-sionsa été faiteen Kachgarie par M. Bogdanovilch, géologue de l'expédition. Le but en était l'étude orographique de la partie occiden- tale du Kuen-Lun. La caractéristique de ces montagnes est la forme demi-circulaire des chaînes dont la direction, du moins pour la région explorée, est, dans la partie orientale, nord-ouest-sud-est. Ce double caractère de l'orographie se retrouve aussi dans l'extrême division des chaînes séparées.

KT SOH LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGKAPIIIQCES. 49

On ne peut pas toujours évaluer l'élendue des chaînes, car les montagnes présentent en divers endroits, comme celles qoi s'élèvenl à l'est de Tiikht:i-koroum, des groupes de pics et de sommets entre lesquels il est impossible de sai- sir un lien orographique. C'est peiil-êlre une des raisons pour lesquelles les massiTs ne portent pas de noms spéciaux chez les indigènes. Ceux-ci les désignent d'après les noms •les rivières ou des localités les plus voisines. A l'est du Takbta-koroum, les vallées sont transversales ' se resserrent en étroits défilés. L'œil n'aperçoit que des jiics dominant des groupes de snmmets neigeux; k neige couvre rarement une chaîne loule entière. A l'ouest pour- tant, avec le changement de direction en norfl-ouest-sud- esl, l'aspftct général des montagnes change aussi. Les rivières Tcboup et Kouliiiagal coulent à travers des vallées longitu- dinales dominées par les chuines neigeuses de Kouloum- bagla, TakhtH-koroura et Kokelan. C'est le Takhla-koroum i\m Tornie le partage d'eau entre les bassins de la Ti^nab et des affluents de la Yarkend-Daria, Au sud-est de ces mon- laffiies, les chaînes détachées dispaiats^eat entièrement. Ja&qu'à Yanghi-Davan la région affecte la forme d'un massif neigeux élevé; il alimenlii les sources de la Tiiriab et les affluents droitsde la Yarkend. La haute chaîne d'Arpavache- i.eul être considérée comme le prolongement du soulè-

-lit du Kuen-Luen occidental. C'est à. travers cette

branche, par le col de Kilian, que passe la grande route de l'Inde.

Dans une exploration dont l'itinéraire se confond parfois

avec celui du capitaine Grombchevski, M. Groum-Grshî-

.."îi» avait visité en 18K1 le lac Harig-Koul, avait franchi

: a.sh-Kouigan et continué sa roule le long du cours

supérieur du Yarkend-Daria, à travers le Moùslagh et les

lifiailions du Karakarum. Puis, par le col de Benkou il

*Uil revenu dans la vallée de l'Aksou. Obligé de renoncer

' soc. Df. GÉOGU, 1" TBIMESTIIE 1890. ï(. 4

50 UAri'OUT SDR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

à son projet de visiler le Wakhan, il avait pris, pour revenir au nord, la route la plus directe.

Les lev6s lopogiap]iiques qu'il a exécutés couvrent une irès grande étendue de pajs el seront, combinés avec ceux de M- Grombchevski, d'un précieux secours pour la carto- graphie de l'Asie centrale. Plusieurs chiffres d'altitude indi- qués précédeniment ont pu ûlre reclifié.s, une vingtaine de nouvelles déterminations sont venues s'ajouter aux données antérieures. M. Groum-Grshimailo a découvert, en outre, des glaciers à l'origine de l.i rivièreTagarma, el fi\é les prin- cipaux traits de la partie occidentale de la chaîne du Kara- korum.

Presque à la veille de ta lecture de ce rapport, la Société a été informée du succès d'un important voyage accompli par l'un de nos collègues, M. Dauvergne, un intrépide chas- seur qui réside au Kashmir.

11 ne s'agissait de rien moins, dans le projet réalisé par M. Dauvergne, que d'une sorte de périple embrassant les frontières vaguement déterminées de l'Inde etdesTuikestan chinois et afghan. M. Dauvergne sait que la vie d'un homme compte pour fort peu parmi les peuples sauvages réfugiés ou refoulés dans le massif colossal qui, bordé par les Hima- laya et les Tsoung-Ling, s'appuie sur riIinilou-Koush, et dont les immenses glaciers sëpareuL les aflluents septeulrionaux de rindus, des sources de la rivière Yarkend et de celles de rOxus.

Du Kashmir il se rend au Ladiik, d'où il marche droit vers le nord, franchit le col de Karakoroum, traverse les sources de la rivière de Yarkend et s'avauce dans le Turkestan chi- nois jusqu'à Kilian ; lu, tourtiant brusquement à l'ouest, il suit une ligne de marche tout à fait nouvelle sur le ver- saiU nord des Tsoung-ling. A partir de Kilian, il n'a pas franchi moins de douze cols d'une hauteur de 3,GÛ0 à 4,500 mètres avant d'atteindre la rivière Zerafchan,

ET son LES PROGBÉS DES SCIENCES GÉOGRAPUIQCES. 51

qu'il Imversa et remonta jusqu'à son coufluenl avec la TouDg.

En parfaite connaissance de cause, M. Dauvergne recLifie l'hypothèse qui faisait de celle rivière un al'iluerit du Tash Kourgan ; il en a remonté la vallée jusipi'au pied du Kotli- Eandar. Profondément encaissée entre les ûancs à pic des monts Arpalalik et Kandar, la vallée delà Toung est dou- blement remarquable et par son climat et par sa popu- lation. La neige y est inconnue en hiver ut le climat y permet les culUnes et les fruits des pays Lempérés. Mais qui se serait attendu à rencontrer ici des purs Aryens? Très blancs de peau, blonds, aux yeux bleus, d'une haute taille, arec une belle et intelligente physionomie, les habitatils de la •vallée de la Toung réalisent, écrit M. Dauvergne, un type qui nous ferait honneur en Fratice.

Du col de KoUi-Kandar (5,030 mètres) M. Dauvergne descendit chez les Sarikoli que surveille le fort de Tash- Kourgan.

NoD moins nouveau que le précédent est l'itinéraire de M. Dauvergne dans les Tagh-Uoumbach, entre Tasli-Kouigan cl ia source de l'Oxus, par la rivière Karachmakar et le campement de Kuklhrup, au pied des cols de Min-Teke et Kilik, hauts de 4,250 mèlres.

Malgré la neige et un froid intense (on était le "le sep- tembre et l'équinoxe se fait rudement sentir diins ces régions), M. Dauvergne franchit le nœud des Tsoung-ling et de l'Hindou-Koush par le col de Wakjdé, au sommet duquel et à l'altitude de 4,725 mèties est un petit lac sans is.suc dont les eaux doiveni, par iiilillration, former la rivière de Korachimkar. Sur le versant sud-ouest s'étendent trois énormes glaciers donnant naissance à une rivière que M. Dauvergne suivit pendant environ cent kiïomèlres vers l'ouest etquiy d'après lui, serait la principale source de la rivière de Kila-pandja ou de Wakan à laquelle il restitue le Qooi d'Oxus, comme étant beaucoup plus importante que

52 EAPPOHT Sun LES TBATArX DE LA SOCIÉTÉ

le Mourgab ou Aksou reconnu parlai lors de son précédent voyage.

Ayant vainement attendu pendant cinq jours une réponse à une demande faite par lui au gouyernemenl afgan de Kila- panja, pour être autorisé à traverser t'Hindoii-Koush par le col rie Daroghîl, il Torça le blocus le sixième jour; mais, cerlain d'ôlre poursuivi sur la roule de Baroghil el de Mas- toudj, il prit au sud-est la route d'ishkanian [jar le col, le lac, les glaciers et la vallée de Karambar, pour aboutir à la rivière de Gilgil.

Il cul bienlût devant lui une colossale muraille blanche, haute de 6,000 à 7,000 mètres, l'Hindou-Koush dans le- quel, malgré sou expérience, le guide égara fa caravane au milieu des champs déneige les chevaux enfonçaient jus- qu'au ventre. Après deux jours d'une marche à laquelle une tourmente de neige, un vent de tempête et un froid sibérien opposèrent de terribles difficultés, il fîillui camper près d'un glacier qui barr.iil la route. C'était une dure nécessité, mais du moins M. Dauvergne était-il hors de l'atteinte des Afghans.

Le jour suivant commença la recherche d'un passage, pour la caravane et les chevaux, à travers le glacier formé d'une succfibsiou de pyramides de glaces rouvertes et reliées par des amas de neige. Au loin le voyageur crut apercevoir des habitations, mais, à la (in de la journée, il reconnut qu'il était en présence d'un énorme rocher. Par bonheur, non loin de un bois de sapin abrita tant bien que mal M. Dauvergne pour la nuit.

Le lendemain au soir il était rejoint par le reste de l'escorte qui, laissé en arrière, avait faire des prodiges d'énergie pour transporter bagages el chevaux à travers les glaciers.

Enfin, après trois journées de marche également labo- rieuses sur un terrain composé de rtjches arrondies et de galets recouverts de neige, la caravane contournant un ciu-

ET son LES PROGRÈS DES SCIENCES GÊOGHAPHIQCES 53

quième glacier, arrivait sur le petit plateau de Boklit. On y revoyait des troupeaux, deus petites huiles en pierres et quelques champs cnltivés par deux familles de Chilralr. C'était le retour à la civilisation, au bien-être, après un vorage extraorrJinairement rude dont la réussite fait grand honneur à noire compatriote et collègue.

La connaissance complète du voyage de M. Dauvergne apportera à la géographie de l'Asie centrale un sérieux con- tingent de faits nouveaux et utiles pour la géographie de contrées tourmentées, difficiles à étudier, mais d'un grand intérêt.

Me quittons pas le centre de l'Asie sans nous rappeler

que trois explorateurs français en visitent, à l'heure qu'il

est, dps régions d'un parcours pénible, dangereux même.

Aux premiers jours de cette année partait pour la Chine

M. Joseph Martin, avec le projet de se diriger de Pékin sur

Lan-Tchéou, à travers les plateaux encore peu connus du

Dord de la Chine. De Lan-Tchéou, il mjtrcherait diins la

direction du Koukou-Nor, puis prendrait la direction du

sud-ouest, avec l'intenlion de pénétrer au cœur du Tibet,

peut-être avec l'arrière-pensée de parvenir à L'Hassa. Le

proverbe de la coupe et des lèvres vient ici à la pensée de

tous ceux qui connaissent les obstacles dont est semée la

réalisation d'un tel projet. Mais M. Joseph Martin est doué

d'une rare énergie; aussi tenace que modeste, il sait

voyager dans les conditions îes moins favorables, et ce qu'il

a fait nous permet de bien augurer de ce qu'il fera.

Vers le Tibet également s'avance M. Bonvalot, en com- pagnie du prince Henri d'Orléans. Aux dernières nouvelles, ils avaient gagné Kourlaï; ils doivent maintenant avoir dé- jjassé la région du Lop Nor et s'être engagés dans les séries de montagnes d'où descendent les deux grands fleuves cbi- ■ois. Ils se proposaient de regagner la presqu'île iudo- cbiaoise en suivant l'un des couloirs encaissés qui donnent

54

nAPPOnT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIETE

issue à la Saîouen, au Mékong et au Yang Tsé Kiang.

La Société de Géographie voudra envoyer d'ici aux trois

voyageurs l'expression de ses vœux de réussite et de ses

syrapalhies les plus cordiales.

Une letitalive relativement heureuse pour aborder le Tibet a été faite, en 1888-1889, par M. Woodwiil Uockhill, ancien premier secrétaire de la légaliou des États-Unis à Pékin. Sa connaissance des langues chinoise et tibétaine n'a pas peu contribué à rendre possible ce voyage. L'iti- néraire de M. W. Rockhill a Pékin pour point de départ; traverse le Shansi et le Shensi, gagne le Koukou-Nor, con- tourné les rives septentrionales de ce lac, visite la Tsaïdara et redescend sur le sud-sud-est pour gagner la Chine en traversant, sur territoire tibétain, les hantes l'égions sil- lonnées par les longs fleuves de la Chine et de l'Indo- Chine. Il a parcourir avec beaucoup de rapidité et en se dissimulant, cette dernière partie de sa route, car si la population n'est généralement pas hostile aux étrangers, en revanche les lamas leur interdisent rigoureusement l'accès du pays.

11 n'est guère possible d'apprécier le voyage de M. Rockhill avant de le connaître dans ses détails, mais il sén)ble diffi- cile que la carte des pays dans lesquels il s'est accompli n'y gagne pas des données précieuses pour établir l'accord entre les documents chinois et les itinéraires des divers voyageurs qui ont abordé le terrain parcouru par l'entreprenant voya- geur américain.

L'Iraouady birman reçoit, sur sa rive droite, une rivière plus longue que la Loire, la Kindwin, qui descend des monts Palkoï.

Ce cours d'eau dont le tracé avait été établi tout d'abord à l'aide de renseignements recueillis par le colonel Sir Henry Yule, puis par des informations dues à la navigation com-

LES rnOGRÈS DES SCIENCES GÉOGR.VrHItjrKS. 55

tnercîalc^ devait être l'objet d'un levé d'ensemble quand Ws Anglais occupèrent la haute Birmanie.

Le levé de la Kindwin a été exécuté par le colonel B- fi. Woodthorpe dans la partie de la rivière située au sud du parallèle de Manipour. Ca pays non pacifié, c'était une mission dangereuse an succès de laquelle noas devons un document de haute valeur pour la carte de la Birmanie.

Dans l'Extrême Orient, sur la longue presqu'île coréenne encore mal connue, nous trouverons un voyageur fran- çais, M. Charles Varat; chargé d'une mission du Ministère de rinstruclion publique, il doit recueillir des rensei- çnetnenls sur l'ethnographie des Coréens et rapporter des collections pour le musée ethnographique du Trncadéro. Cest en traversant l'Amérique Hu Nord par le Canadian Pacific que M. Varal parvient au Japon il commence, en Téalilé, sa mission, « car, dil-il, pour bien étudier la Corée, pour détacher d'une manière plus vive sa personnalité ethnique, il faut avoir visité les pays voisins. » Yesso, avec ses populations Alnos, est l'un des points que visite le voya- geur; il parcourt ensuite le nord du Japon d'où il s'em- barque pour la Chine. Tour à tour il voit Tchéfou, Tient- aio, Pékin; il franchit ta grande muraille et met le pied sur le territoire de la Mongolie. Finalement, il s'embarque ■à Tchéfou pour Chemoulpo, le port de Corée le plus voisin de Ia côte chinoise.

De Chemoulpo, à cheval, avec une escorte de trois hommes qu'il ne comprend pas etqui ne le comprennent pas, ilserend à Séoul l'obligeance éclairée de M. CoUin de Plancy, ré- sident français, lui facilite les préparatifs du voyage à travers la Corée. Ce voyage, il l'entreprend accompagné d'une escorte pittoresque de douze hommes et de huit poneys.

De jour, le chef de la mission marche en arrière de la colonne pour la surveiller; de nuit, il marche à l'avant- farde, certain que tout le monde le suivra. Le pays dans

BAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

lequel M. Varat allait s'engager venait d'être en proie à la faroiue et des bandes de pillards le parcouraient, rançon- nant les voyageurs et brûlant les villages. Il eut la bonne fortune d'échapper aux attaques, toujours faciles dans une contrée montagneuse, dont les chemins sont constamment bordés de précipices qu'il faut, la nuit, c&toyer à la lueur des torches.

Gi&ce au soin de toujours leur envoyer une carte de visite rouge, selon l'usage, M. Varat fut courtoisement reçu par les mandarins. Lapopulation, d'ailleurs, se montra bienveilliuile et ce fui sans encombre que, de Séouf, la ca- pitale de la Corée, en passant par Taïkou, il parvenait au port de Fusan, à l'extrémité sud-est de la presqu'île. Per- sonne avant lui n'avait accompli ce trajet.

M. Varat ayant pu, au cours du voyage, s'assurer qu'il n'existait pas de rapports anthropologiques entre les Coréens, les Chinois et les Japonais, jugea nécessaire de visiter la Sibérie pour constater s'il n'y trouverait pas les pays d'origine des indigènes de la Corée. Ses conclusions sont en faveur de cette hypothèse.

AvHut do regagner l'Europe, M. Varat a fait de nouvelles et assez longues excursions en Chine, puis au Tonkin, en Ânnam, au Cambodge, à Sium, aux Indes.

Les résultats de ce long voyage et noiamraent du trajet accompli en Corée, sont d'ordre plus spécialement ethno- graphique ; la géographie, cependant, y gagnera de bonnes informations.

Une fois de plus a été constaté le fait qu'une haute chaîne de montagnes, « sorte d'Apennin », comme le dit M. E. Reclus, traverse toute la presqu'île, du nord au sud, détachant à droite et à gauche des chaînons à peu près parallèles. Ces montagnes sont pittoresques et la chaîne centrale est couverte d'une riche végétation arborescente. Les vallées qui séparent les chaînes latérales sont riantes; fréquemment elles sont occupées par de belles nappes

ET SUR LES PROGnÈS DES SCIENCES GÉOCnAPUIQUES. 57

d'eau. En revanche, la chaîne médiane, avec ses précipices, est d'un aspect un peu sombre.

M. Varat se di-pose à publier un livre qui ne saurait manquer d'intérél et permettra de juger le caractère et l'importance des informations recueillies par lui au cours de sa mission. Dès maintenant on connaît la valeur des collection? qu'il a rapportées pou rie musée ethnographique du Trocadéro.

A l'Afrique appartiennent, cette fois encore, les honneurs (te l'année géographique. Le hasard veut que quatre des voyages les plus considérables à signaler aujourd'hui se soient accomplis sur des terrains symétriquement placés deux à deux à Test cl à l'ouest du continent, et sensiblement sous les naèmes latitudes.

Tandis que la mission du capilaine Binger fail, du côté de l'ouest, pendant aux voyages de M. Borelli, du côté de l'est, une partie du théâtre des opérations de M. Stanley et d'Emin-Pachase trouve, à l'orient, sous la latitude où, vers h côte occidentale, M. Crarapel a exécuté une première reconnaissance au cœur du pays des M'Fang. Celte parti- cularité n'a guère d'inlérét qu'au point de vue de la mné- monique, mais il en est une autre qui mérite d'attirer votre attention. Sur les quatre explorations qui viennent d'être mentionnées, trois ont été accomplies par des Français. Si Je bon goût nous interdit, d'en triompher avec emiihase, personne n'aura le droit de reprocher à notre patriotisme de h'en réjouir sincèrement.

A côlé de ces quatre voyages, il va sans dire qu'une part sera faite à d'autres entreprises d'un réel intérêt pour la connaissance de l'Afrique.

C'est aux abondantes notes fournies par notre collègue M. Henri Duveyrier que vous devrez d'êlre netlemt'nt ren- »ignés sur les plus récents progrès de la géographie africaine.

58 nApponr sur les thavaux tie la société

Pour suivre ces progrès, nous avons, désormais complète, la carte dressée au Service géographique de l'Armée par M. de Lannoy de Bissy, chef de bataillon du génie. Ici m&mc, il y a dix ans, l'auleur soumeUail à la Société de Géographie une partie déjà considérable de son travail encore à l'état de dessin-minute. Les explications dont lui accompagnée celte présentation décidèrent la Société à faire auprès du Minisire de la Guerre une démarche en vue d'assurer la continuation et la publication de la carte d'Afrique entreprise par M. de Lannoy. Tels furent les débuts d'une œuvre géographique dont actuellement les géographes de tous les pays ont constaté la valeur et l'utilité.

Des explorations dont vous allez maintenant entendre l'exposé, quelques-unes avaient déjà pris date par une indi- cation dans le précédent rapport; elles vont se représenter actuellement avec l'indication plus complète de leur portée géographique.

Vous ne trouverez, dans ce chapitre, aucune allusion aux événements qui se passent soit à la côte orientale •d'Afrique, soit dans l'Arrique australe. Ils échappent, en efi'et, k la géographie proprement dite; ils sont du domaine ■de la pnlitique courante dont notre Société a le devoir rigoureux de se tenir éloignée. Incontestablement, un nou- veau champ est ouvert à la rivalité des intérêts qui se heurtent en Europe; la lutte entre la civilisation chrétienne el la civilisation musulmane, entre les faiseurs et les aJTran- ■chisseurs d'esclaves, n'est qu'une des faces, une des appa- rences de la situation; une prise de possession s'opère avec toutes ses conséquences. D'ores et déjà cependant, il est permis de constater que le Soudan oriental, conquis à la science par de longues années d'efforts et une pléiade d'explorateurs, est actuellement interdit aux Européens; te reflux des civilisations indigènes leur en ferme la route. Dans l'est de l'Afrique, l'obstacle provient de la barrière

BT SDH LES PROCnÈS DES SCIEKCES GÉOURAPUIQUES. 59

tècemmenl élevée contre la civilisation européenne par le (]èilerisme> autrement dit la confrérie de Sîdi 'Abd El-Qâder El-rihilâ.nf, celle qui, naguère, a enlevé Kharloùra au khé- dive et qui pénètre déjà dans la région des grands lacs.

Sur une terre privilégiée de l'Islamisme, le Maroc, ¥. Henri de La Martinière achève sa quaL^^me année d'explo- rations archéologiques et géographiques. Cet actif travailleur 1 regagné le champ de ses premières recherches, qui empiète ^éjà sur l'inconnu au point de vue géographique. M. de La Martinière, procédant partout la boussole k la main, faisant môme, chaque fois qu'il le peut, une triangulation (U théodolite, avec des observations astronomiques, ses traraux se résumeront quelque jour en une carie telle qu'on n'en possédera de semblable pour aucune autre partie du Maroc. Une excursion au Djebel Moulai Boû Cheta, dans le nord de la ville de Fus (Fez) et, par conséquent, dans la direction du Hif, aura pour nous tout l'intérêt de ia nouveauté. M. de I^ Martinière est encore le premier Européen qui ail fait l'ascension du Djebel Zerhoûn et i', du sommet, tout ce gros massif silué au nord de ede Mekoàs(Mekinès). AOeÇarFara'oûn ou Volubilis, il a de nouveau fait un séjour et pratiqué des fouilles, il a pris les estampages de sept inscriptions latines, décou- vert des monuments et reconnu le cimetière de la ville antique. Dans une boucle de l'Ouàd B«h't, afflueni du fleuve Sebûû, sur l'ancienne route de Volubilis à Sala colonia, ila découvert l'emplacement d'une cité romaine qu'il estime «ix>irélé lAGontiaua mentionnée par Ptolémée, mais vaine- ment cherchée jusqu'à ce jour.

[tevenu à Techcmmich, sur les ruines de Lixiis, M. de La Martinière a fait tailler des sentiers à travers le fourré uiipénélrable de lenlisques et d'oliviers sauvages entrelacés df lianes, qui recouvre presque toute l'aire de la ville antique. Il a fouillé l'acropole sur deux points, sondé le

60 RAPrORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTK

terrain en maints endroits et travaillé sans relâche à lever un plan coté de ce site célèbre. Retourné enfin à Volubilis, il a complélé ses fouilles et notamment découvert plusieurs inscriptions latines, notre méritant collègue a terminé sa cnn pagne par un second voyage au Djebel Zerhoûn elù Mekiiiès; il compte achever, en 1890 et 1891, sur le cheraiu de Rabat à Merâkech (Maroc), son explo- ration archéologique du Maroc, exj)loration qui n'aura pas été sans périls, mais dont la géographie hit>torîque de la Mauretanie tirera un large profit.

Un Anglais, M. Waller B. Harris qui, en 1888, comme vous l'a dit le rapport précédent, avait fuir de la fana- tique cité marocaine de CUichswMn, a parcouru en 1889 la route lie Mekiiâs et de Fâsà Tanger, par Wazzàn. Les iiifor- raalJons qu'il a recueillies pendant ce voyage lui ont pertnis- de déplacer sur la carie quelques noms de tribus monta- gnardes établies sur la pointe que le Maroc projetle à la rencontre de l'Espagne.

La liste des tribus de cette partie du Maroc s'est accrue de noms qui s'ajoutent ainsi à la liste des tribus établies dans l'ouest de la ville sainte de Moûleï Tayyeb. Ce que M. Wdlter B. Hrirtis dit des Zaoua, dts Benî Ysof, des Benî MesSua, et des Ghroûné (sans doute l'auteur veut parler des Er-h6né), njoute à notre connaissance de ces tribus dont les deux dernières n'avaient pas encore été placées sur la carte.

Tout près (le Wazzàn, dans ta direction de l'est, les indigènes refusent de laisser pénétrer chez eux les explo- rateurs dans lesquels ils voient Tavant-garde des con- quérants. Le fanatisme ne joue ici qu'un rôle secondaire, car, selon M. Waller B. Harris, les mœurs de ces populations sont peu conformes aux prescriptions du prophète Mo- hammed.

Deux points du travail de M. Wdlter B. Harris présentent un cerlaiii irilérèl géographique. Chez les Ghroûné ou Er-

ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGR.\PHIQUES. 61

hâné, il a vu des cavernes habitées par des IrogloHytes, comrae celles que le docteur Hooker a\ait examinées à 'AloTarsil, dans le district de Mlouga^ au nord du grand Allas. Il a, de plus, entendu parler du petit volcan jadis vu et décrit par Léon l'Arricain, mnis sur lequel sont muets tons les Toy:tgeurs modernes. D'après les renseignements recueillis par M. Waller B. Harris, qui a observé lni-mfirae des traces d'action volcanique à lest d'EI-Qeçar EI-KebUr, chez les Ghroûné, et plus au sud chez les Estah, ce petit Tolcan est situé dans le Djebel Zerhoiin, au nord de la Tille de Meknàs.

Au prinlemos de 1888 M. Joseph Thomson, géologue anglais, auquel la géographie est redevable d'un vnyage de découvertes au Kdinia-N'djâro, au paj^s des Masaï et au N'yanza de Victoria, parlait pour explorer !e grand Atlas marorain.

C'est dans un triangle circonscrit par Demnâl, à l'est, Asfi ou Safî et l'embouchure de l'Ouild Soùs, à l'ouest, qoe M- Joseph Thomson, en compagnie d'un officier, M. n. Crichlon-Browiie, a accompli une exploration de i'Allas intinimenl plus étendue que celle d'aucun de ses prédécesseurs. 11 a longé le versant nord de la chaîne snr <leux degrés, de Deranat à fmi-n-Tànoùl : il en a reconnu, & partir du littoral, tout le versant est; deux Fois il a coupé le massif qu'il a sillonné d'itinéraires au sud-ouest de Maroc et sur un demi-degré carré.

M- Joseph Thomson ne dit pas sur quelles bases repose la carte- qui accompagne la relation de son voyage inti- tulée Trnvels in the Allas and noulfiern Mor&cco, mais on constate qu'elle abonde en cotes d'altitudes dont toutes ne »OQt pas le résultat de mesures réelles. Le mont Tâmdjourt, au suil de la ville de Maroc, y tigiire avec une aUilude évaluée à environ 4,572 mètres. La Tâmdjourt serait donc le point le plus élevé connu de l'Atlas, ce qui ne signifie pas qu'il soit le point culminaut de la chaîne.

62 RAPPORT SCB LES TUAVAl'X DE LA SOCIÉTÉ

Grâce à M. Joseph Thomson, nous avons des raisons pour penser que certains sommets de l'Atlas dépassent de 1,000 mètres, en chiffies ronds, les plus hautes cimes de la Sierra Nevada d'Andalousie et de la chaîne des Pyrénées, et de 750 mètres, au moin;:, le sommet du Teyde ou pic de Ténériffe qui marque, dansTOcëan, le prolongement géolo- gique ou préhistorique de l'Atlas. Plus tard les géodésiens nou» apprendront les hauteurs exactes de l'Adràr-n-Deren, du Mont des Monts, comme l'ont appelé ses habitants berbères.

On remarquera que plusieurs des chiffres publiés par M. Joseph Thomson sont de 130 à 150 mètres inférieurs à ceux de M. le viconile rie Foucauld, dont les observations et les calculs senihlenL présenter toutes les garanties désirables.

La relation du voyage de M. Joseph Thomson renferme des indications nombreuses sur la situation économique et pohlique de» hommes qui occupent aujouril'hui l'Atlas. La géologie, les traces de l'époque glaciaire et la richesse minérale du sol sont autant de sujets que l'éminenl voyageur a traités en spécialiste.

I

Un incident des guerres de races qui sévissent entre Arabes et Touareg, sur la limite de leurs territoires res- pectifs, an sud de l'Algérie, a amené la capture de six pri- sonniers touareg appartenant les uns à ia tribu noble des Tâïtôq, les autres à la tribu serve des Kôl Ahenet. Le capitaine Dissuel, chef de bureau arabe, après avoir soumis les prisoimiers à une lonj^e enquête géographique a publié {les Touareg de l'ouest^ Alger, 1888) ime descrip- tion de leur pays et de leurs tribus accompagnée de caries. Cet ouvrage, bien que basé uniquement sur les dires d'indigènes d'une contrée non encore explorée, a une valeur géogniphiqae réelle. Jusqu'ici nos cartes du Sahara avaient indiqué d'abord une montagne très longue et très

ET SCa LES PROGRÈS DES SCIE^CES GÉ0GRA.PU1(JUES. G'à

étroite au nord du plateau de Tàn-Ezroùfl (entre le Touât et liiger), pais, sur la carte de M. Duveyrier, celte montagne s'est transformée en un plateau aux coutouis irréguliers, leBlten Ahenet, comme rappellent les Arabes. D'après les deijcriptions des prisonnitTs d'Alger, l'Adrâr Aheiiel, pour lai restituer son nom berbère, est un massif de montagnes, diversement coupé de vallées, de ravins, et beaucoup moins aride que ne le laissaient soupçonner les rensei- ^emenls antérieurs. Ce massif est le domaine d'un croupe de tribus lotiareg, celui des Tàïlûq, qui forme ictuellement et aurait môme formé depuis très longtemps ao« confédération tout à fait distincte de celle des Âbaggar. C'est cette donnée politique importante qui a juslilié le litre choisi par le capitaine Bissuel: les Touàrcijds C ouest. L'auteur y a donné sur chaque tribu des iadicatîttns plus détaillées, plus complètes que celles que nous avions sur d'autres tritus, vues par des voyageurs européens. Son livre «l sa carte par renseignennents se rangent donc au nombre des rares documents originaux que les géographes possè- dent sur le pays des Touareg.

Le capitaine Brosselard-Faidherbe qui a déjà rendu plus d'oû service à la géographie, avait été désigné en 188H (le chef de la commission française de délimitation les territoires français et portugais de la cûte de Guinée. Secondé par le lieutenant Clerc, le docteur Noury, médecin delà marine, et M. Galibert, M. Brosselard-Faidherbe a commencé a l'ileBoulani des travaux auxquels nous devrons Ucarledu pays entre le Ilio Nunez elle lUo Geba; le tracé (les neuves Kogoa ou Rio Compony, de la partie supérieure lie la rivière Cassini, bras de mer se jette un ruisseau * U reconnaissance du cours du Kroubal ou Koli-Ba qui débouche dans l'estuaire du Geba. Nous lui devrons enlln

norlantes rectifications dans le tracé du Geba dont on.

^^4t exagéré la largeur.

64 RAPPORT Sun LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

Il a été fait de véritables découverles le long de ces cours d'eau dont les bassins ne pénMrent guère h plus de 200 kilomètres de la côle. Les géographes ne s'en éton- neront pas, car ils savent que le littoral africain de la Méditerranée renferme encore des espaces n'a pénétié aucun voyageur.

A la suite de la mission du capitaine Brosselard-Faidherbe, le poste de Zighincbor, sur la Gazainance, est devenu fran- çais. Au sud de la Guinée portugaise, le bassin du Rio Com- pony, est aussi entièremenl français. M. Brosselurd a publié dans le BuUelin de la Société Gi'ographique de Lille une monographie détaillée de la « Guinée portugaise, et posses- sions françaises voisines » accompagnée d'une carte générale à l'échelle du 1/1,000,000° oîi sont portés les levés de la mission exécutés à l'échelle du 1/200,000'.

Notre collection de cartes s'est enrichie d'un document de premier ordre ; l'atlas photographié des caries du haut Dhiôli-Ba ou Niger levées à l'échelle du 1/50,000' par le commandant Caron, M. Lefort, lieutenant d'ioranlerie de marine et le docteur Jouenne. Gel atlas de 21 fi-uilles n'a été tiré qu'à sept exemplaires. Il renferme les 2,000 kilo- mètres du cours du Dhiôli-Ba compris entre Manambougou et Korîoumé, port de Timboukiou.

Exécutés dans des conditions particulièrement difficiles les levés du commandant Caron sont, sans contestation possible, les plus détaillés et peut-être aussi les plus précis qui aient été encore laits sur une partie quelconque du Niger. En longueur, ils dépassent de plus d'un quart les levés réunis des quatre expéditions anglaises chargées de lever le Kwâra ou Bas-Niger avec son al'Ouent la Bénoufi, et dont une seule acculé 49 officiers ou raateloLs et deu.K millions du francs.

Dans une Notice sur le cours du Niger entre Manam- bugu et Tinit/uJctu, insérée dans la Revue maritime et

I

/>

ET SVR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 65

nloniatej Je commandant Caron a rendu un compte détaillé des travaux hydrographiques auxquels il s'est livré, dans des conditions particulièrement dirficil&s et pénibles.

Arec un simple sextant, un chronomètre, un comp- teur et uoe boussole hydrographique, il a déterminé la latitude de 1^ points, la longitude de 10 points et la «îéclînaison de l'aiguille aimantée sur 12 points. Ces obser- rations ont servi à contrôler l'itinéraire du fleuve, par cheminement, avec sondages, ainsi que les levés exécutés à terre entre le Dhiôli Ba et Ban-Diagara, capitaledu Masina. Peut-être le modeste chef de la mission a-t-il été un juge trop sévère de ses travaux astronomiques en admettant des erreurs inaxima de 0' sur ses latitudes et de 3' sur ses longitudes. En tout cas, ceux qui, mipiix montés et mieux outillés, suivront ses traces, n'oublieront pas que les circonstances politiques ne permettaient pas d'observer à terre; que la hauteur du soleil à midi interdisait l'emploi de l'horizon ariificiel, et que rarementà cause des sinuosités du DhiOli-Ba l'observateur pouvait chercher l'horizon, dans le pian du méridien, sur la nappe d'eau du Qeuve.

Cne deuxième fois ce ne sera pas la dernière nos couleurs nationales ont flotté devant Korioumé, avant-port de Kabara, et pour la première fois à Kabara raérae, c'est- à-dire non loin de Timbouktou. Renouvelant avec la canon- nière le Mage l'enlreprise hardie que le commandant Caron availsi vaillamment réalisée en 1887, M. Jaime, lieutenantde vaisseau, a réussi à franchir, en 10 jours seulement, la iiislaoce entre Koulikoro, en aval de Bamakou, et Korioumé. Les résultats géographiques du voyage ne sont pns encore connus, mais il est proliable qu'ils ajouteront quelque chose à la belle carte dressée par le commandant Caron. En attendant, nous devons applaudir à ce nouveau succès, nous devons désirer voir s'accomplir le plus fréquemment (Nissible le trajet entre nos postes du haut Niger et Tunbouktou.

»0C. DB OÉOGR. i" IBIMEITIIE 1890. XI. 5

6C

RAPPORT SUR LES TIIAVAIJX ItE LA. SOCIÉTÉ

Le Niger immense dont les premières undes naissent non , loin du Sénégal, s'achemine d'abord v«rs l'intérieur du' continenl puis, à la hauteur de Tiinboukloii, au bord dU' Sahara, il décrit une v.istP courbe pour reprendre la direc- tion de l'Océan où, après un parcours de plusieurs milliers de kilomètres, il vient déverser au fond du golfe de Guinée^ la masse étiorme de ses eaux. Les deux branches du Niger forment avec la côte de Guinée, un triangle, double de la- France en étendue, et qui renfermait, il y a quelques mois encore, une terre vierj^e de toute exploration, une région beaucoup plus inconnue que celle l'énergique Stanley vient d'accomplir ses plus récents voyages.

C'était, en réalité, l'un des derniers grands blancs de la carte d'Afrique. Les éditeurs de cartes, pour donner satis- faction au public qui a horreur du vide, avaient semé là, d'après des traditions légendaires, lies informations indi- gènes souvent difficiles à comprendre ou à interprKer, un certain nombre de cours d'eau indéei^, de montagnes hypo- thétiques, de noms d'ÉLats et de populations pâlus comme des souvenirs de l'antiquité.

C'esl au cœur de cet inconnu que nous conduit M. G. Bin- ger, capitaine d'infanterie de marine. Voyons d'ahnrd com- ment les travaux de ses devanciers sont répartis aux abords du chiimp qu'il nous a révélé.

En 1876, ic docteur Gouldsbury avait fait le voyage de Koumassi à Saiaga, notre compatriote Bonnat l'avait précédé par une voie différente. En 188^, le capitaine Lons- dide. Anglais comme M. Gouldsbuiy, relraçaiil jusqu'à Saiaga la pisie de M. Bonnal, avait atteint Yendi, au nurd- nord-est de Saiaga, puisa l'ouest, Demba et le Bonduukou. Kinlanipo, à l'exlrémilé nord du canton de Koranza, marque le terme du voyage de M. Lonsdale. Cet itinéraire est resté inédit et le seul tnivail publié de M. Lonsdale est son itinéraire, fait en conipîijiuie du capitaine BramJon- Kirby, d'Anamabou et d'Akrâ à Kinlampo. Cette ville est

ET SOR LES PR0CBK5 DES SCIENCES GÉOGRAPHlOnES. 07

située à 65 kilomètres au nord-est de Koiimassi, dans le nord du royaume d'Achanti acluel, l'ombre ou le noyau de «lui rjuc les cartes inoDlraient il y ;i une quizaiiie d'années. En 1886, M. Krause parlait de Salaga, poussait d'abord sur Wagadougou, capitale des Môsi ; continuant au nord, à Irarers les provinces du Tema et du Yadega, il touchait Ban

commence le royaume de Tidiani, puis visitait Douentsa ts'av.inçaitnQÔmed'une quarantaine de kilomètres au delà, dans la direction du nord-nord-est. M. Krause a regagné la cô'e de Guinée par Sinsani, GasAri, Kinlinfo el Saiaga, d'nù il s'avança dans Test, jusqu'à Soguédé etausnd, par Atakpamé, pour alleindre les rivages de l'Océan à Pia ou Grand -Popo. Cet itinéraire-là est ésalemenl inédit. Enlîn, parti d'Anchoou Pelit-Popo en 1888, le capitaine von Fran- çois a fait, eniiiémelempsque M.Binger, un voyage dans le ba$sin supérieur du Firou qne nous appelons le fleuve Volta ; il a pénétré à 330 kilomètres au nord de Salaga et à 6H0 au nord-nord-ouesl d'Aneho, à la frontière du pays des M^i, sacs toutefois atteindre Wagadougou. L'itinéraire du capitaine von François a" paru en 1888, dans les Mit- teUungen con Forschuiujsreisendeii undGelehrten ausdeii lifuLschen Schutzgebielen.

Dans la partie du triangle le vieil itinéraire de Hené Cailiié offrait, naguère encore, le seul document assez précis, les travaux plus récents du capilaine Delanneau (1881), du lieulenaDt de vaisseau Fourniec (188i>) et du capitaine Peroz (1887), ont précisé le figuré du lerraiu au sud-ouest de Bama- kou jusqu'à Kénieba-Koura, Reniera et Bissandougou.

En résumé, le grand espace était à peine entamé; la géographie en était toujours aussi vague; car, tandis que certaines caries accusaient encore une grande chaîne des montagnes de Kong, se prolongeant à l'est jusqu'au nord de l'Acbanti, un maître dans l'art de bien interpréter le» renseignements des indigènes, Henri Barlh, avait nié l'exietence de celte chaîne de Kong el afOrmé que le pays

68 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

qui porle ce nom présenlait la forme d'un plateau. commençaient, au nord-ouest, les fleuves qui dé- bouchent sur la côte de Guinée? commençaient, dans le sud-est les affluents de la rive droite du haut Dhiôli- Ba? C'étaient des questions importantes posées aux explorateurs. Chargé d'une mission qui consistait à dé- couvrir la route du Dlii61i-B;i français au Grand-Bussam français le capitaine Bingeraeu l'honneur de les résoudre. Parti de Bamakou, il traversa le pays de Wosolébougou qui fait parlie des Etats de Samori, et atteignit ainsi, en terrain neuf, la ville de TÊnelou, à l'ouesl et près de la Mayel Balével, dont RenéCaillié avait franchi les tPlcs dans le Wiisoulou. Continuant sa roule au milieu d'une région dévastée par la guerre, il traverse la Bagoé nu Bagoué, affluent de la Mayel Balével et atteint, sur la Sikaso, les Étals du roi Tiéba, peuplés par les Sienré dont il nous apprend l'existence. A ce-moment là, Benokhobougon, ville située sur la Sikaso, était assiégée par Samori. Le capi- taine Binger dut, néanmoins, y faire une de ses haltes d'étapes.

C'est ici que prend place une des principales découvertes du voya{^eur. A une petite dislance du point il quitte la Sikaso, il coupe un massif montagneux qui sépare les bas- sins des affluents de la Bajçoé, c'esl-à-dire le ba?sin du Dbiôli-Ba, de ceux des rivières du Gvand-Bassam et du Firou ou Vol ta. Il s'ensuit que cette partie du bassin du Dhi61i-6a devra être diminuée de plusieurs degrés carrés sur nos cartes.

Plus loin, dans le Kentilédougou, le capitaine Binger touche la ville de Tengrela vue et signalée par Runé Caillié. Passant Tiongui, il se voit arrêté à Fourou, aux portes du pays inconnu de Foloua, une fit'vre bémaluriqne faillit ineltre un terme à son voyage. Comme les rives de la Sikaso, le Folona est peuplé par des Sienré, race nouvelle pour nous et qui vit sur un partage d'eaux.

ET SDll LES PBOGUÈS DES SCIENCES GÉOCnAPHlQUES. i\Q

isolée pour ainsi dire de ses voisines un peu nueux connues des géographes. L'islam a commencé à faire des prosélytes cUez les Sieoré du Folona, mais ses adeptes y sont encore peu nombreux.

En sortant de Folona, M, Binger pénètre dans le pays de Kong) qui s'étend fort loin du nord au sud et non de de l'ouesl à l'est; il est peuplé par des Mandingues musul- mans. Arrivant des Étals de Samori, le voyageur fut l'objet de défiances fort naturelles de la part des gens du pays de Kong, qui redoutent les armes du conquérant soi-disant prophète; mais l'élude que M. Biiiger avait faite autrefois la 'angue et des dialectes mandingues, lui fut d'un puis- sant secours; bientôt les soupçons Greut place à des dispo- sitions bienveillantes pour cet étranger qui parlait l'idiome du pays.

Continuant dans l'est ses fructueuses explorations, M. Binger aborde le pays des Môsi ou Moùchi dont l'Europe avait entendu vaguement parler il y a quatre siècles, en 1488. M. Krause l'a traversé, il est vrai, avant notre voyageur, mais il n'a encore rien publié de sa relation. M. Bin<;er arrive à la capitale, Wagadougou, dont la position sur les caries devra être transportée d'un degré vers le nord et corrigée de la même quantité en longitude. Dans cette partie de son itinéraire, il entre en contact avec beaucoup de peuplades, distinctes par l'origine et la langue, vivant dans des pays sauvages et adonnées au pillage. Snr le chemin de Walwalé, qui le mène vers Salaga, il subit les menaces de bandes années.

De Salaga, M. Binger, se dirigeant vers l'ouest, traverse à deux reprises le (leuve Volta; ses observations changent les notions antérieures sur ce fleuve, dont elles per- melleiit de dessiner pour la première fois le cours com- plet. Au sud-ouesldu Voila, il remonte vers le pays de Gon- dya dont le nom seul nous était connu. Il louche Kintampo, première ville du royaume Achanli; Zaranou, chef-lieu de

70

nAPPORT SUR LKS TRAVAUX DE LA .SOCIETE

Bondoukou, pays qui porte aussi les noms de Gamon et GoLtogo. Mais au lieu de continuer vers la côte, il gaj^ne de nouveau le pays de Kong il sait que M. Treiclt-La- plène est allé à sa recherche. A partir du 5 janvier 1889, jour de leur rencontre h Kong, les deux voyageursscdiri(^<jnt ensemble vers le fleuve Komoï, connu sous le nom d'Akha {du iiora d'un vilhige silné sur ses bords), et qui prend .sa source i\ quinze marches seulement au sud-est de Bamakiiu. Ils longent le Komoï, puis traversent le Djimini. L'Amo, commencent seulemiTit les cultures de la Sterculia acumi- ntita (Kola, goùro), et signalé autrefois comme le pays de production, n'est en réalité que Je marché, l'entrepôt de ce précieux stimulant.

Rejoignant le Komoï à Attakou, ils s'embarquent sur des pirogues et descendent le fleuve jusqu'à notre petit établis- sement de Grand-Bassam sur la côte de Guinée, ils arrivent le 20 mars 1889, deux ans juste après le dépari de M. Binger riu Sénégal.

Mais l'explorateur ne considère pas encore sa mission comme terminée : avant de quitter l'Afrique, il t^mploie son temps à relever la lagune à l'ouest de Grand-Bussam, avec les rivièreà qui s'y jettent après un cours quatre fois plus long qu'on ne supposait.

Tel est l'aperçu général du voyage en Afrique lepkisétendu de beaucoup, et de beaucoup le plus méritant de ceux dont le rapport de cette année eût à faire mention ; c'est l'événe- ment saillant pour la géographie de l'Afrique.

Non content d'avoir levé soigneusement un itinéraire détaillé sur 4,000 kilomètres, le capitaine Binger l'a contrôlé au moyen de treize bonnes observations astronomiques.

L'itiuérairedeBamakou au Kong et au Môsi est neuf; du Môbi à Salaga, il touche on partie la ligne relevée par le capi- >-taine von François, ut de Salaga au Bondoukou, àla ligne de marche relevée par le capilaineLonsdale; l'itinéraire du Bon- doukou au Kong elà l'Océan, sillonne un pays jusqu'alors in-

I

\N

ET SCB LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉO&RAPHIOUES. 71

connti. Non seulement la carie y gagnera ce que nous venons

^'indiquer, mais la relation de M. Btnger nous renseignera

avissi d'une manière précise sur la géologie et la llore des

régious qu'il a parcourues; sur leur climat, sur les races hu-

ntoines qui y vivent et sur les langues qu'elles parlent. Elle

Dous donnera endn des révélations inattendues sur les pro-

irrè<> que l'isl&m, mais un islam assez tolérant, fait dans ces

<yntrées.

Le rapporteur n'avait pas à exposer plus longuement

' r e-Kploiulion dont le récit nous n été fait par le voya-

^ : lui-môme. Il nous a décrit sommai rement les contrées

nouvelles qu'il a visitées ; il a parlé du caractère et des

mœurs de populations qui vont apparaître pour la première

fois dans la géographie; il a donné des détails suc des villes

dont les noms seuls étaient parvenus à uolrc connaissance.

Il a assisté au siège et à la défense d'une place; il a vu des

champs de carnage comme en Europe; il a rencontré des

musulmans pieux, mais tolérants et assez éclairés pour

admettre d'autres religions que la leur; il a entendu, de la

bouche de personnages nègres, des paroles véritablement

élevées; il a traversé tantôt des tribus bienveillantes, tantôt

des tribus hostiles. Sa vie a été, pendant vingt-huit mois, la

▼ie dure, faite de fatigues, de privations, de contre-temps,

de dangers eldesoulI'rances,que mènent tous les voyageurs

en pays nouveau.

Pendant toute cette longue campagne, M. Binger, accom- p.ignè d'une faible escorte, a réussi à ne point engager de lulitiS, à ne pas laisser derrière lui des levains de haine contre les voyageurs qui lui succéderont. Il a ouvert des portes par lesquelles il ne dépendra que de ses successeurs de passer librement en invoquant le souvenir et surtout en imitant l'attitude du capitaine Binger, celle du calme, delà pitience, du respect de ses hôtes.

Devançant la publication des travaux beaucoup pluséten*

72 RAPPORT Sun LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

dus et plus complels du capitaine Binger, le capitaine alle- maod C. von François publiait dès l'année dernière dans le recueil intitulé : Afitteilungen ans deutscken Schtttzge- bieten, la carte au 1/2,225,000' de son voyage et le résumé des observations qu'il a failes jusqu'au nord du pays des Groûsi, sur la limite de celui des Môsi que M. Binger allait bientôt visiter. Son itinéraire part du pelit protectorat allemand de Togo, qui commence sur la côte des Esclaves, à la limite ouest du pays de protectorat français, un peu à l'ouest d'Agoué, pour fitiir 50 liilnmètres seulement plus à l'ouest, entre Lomé et Aflahou, àlaliraite des posses- sions anglaises. Aného ou Petit-Popo, et Baguida (ou Bagrida)en sont les deux villes maritimes les plus considé- rables; Bisraarkburg, à 250 kilomètres nord-nord-ouest d'Aného, est la station allemande la plus avancée dans l'intérieur.

Dans son voyage de i88S, M. von François a cheminé, à l'aller comme au retour, à l'estetassezpi-ès dulleuve Firu ou Volta (auquel i! donne l'orthographe incorrecte deWolla) que les indigènes appellenl ici Anou. Il a relié le marché de Salaga à la côte allemande par deux itinéraires touchant, l'un Bismarkburgjà l'est, l'autre Kpandouj près du Firou,à l'ouest. Au nord de Saiaga, il a atteint Kous^ogo, près de la rivière Kloubing Dagbaya.à l'ouest, et le marché de Yendi, à l'est. De Zandoua, dans le district de Gambaga, jusqu'à Surma, au bord du pays des Môsi ou Moûchi, il a suivi à deux reprises le mi^me chemin. C'est dans cette partie de son voyage que, sortant du bassin du Firou, il a coupé le cours supérieur d'un affluent sud-est du Dhiôli-Ba, le Barou Mou- bébou.

M. von François n'a pu indiquer les longitudes de son itinéraire que d'après les levés à la boussole; les latitude» astronomiques observées, au nombre de vingt-trois, sont entachées d'incertitudes dues à la défecluosilé du petil ins- trument dont il s'est servi. Les hauteurs inscrites sur sa

ET strn LES pnocnès des sciknces Gi'joGnAPiiiijiiKs. 73

carte ont été calculées d'après des ubservaltoas du b.iro- mètre anéroïde elderhypsomèlre.

Le travail de M. von François esl non pas une relation de voyage mais un exposé mélhodirjue de ce qu'il appris sur la région côlière, sur le massif montagneux d'Obossoum ou peut-être mieux d'Akposso, qui la borde au nord, et sur les plateaux qui font suite à ce massif, encore plus au nord. fl y a joint des notes botaniques, zoologiques et anthropo- logiques basées sur les constatations possibles à un obser- vateur qui n'est pas spécialement versé dans les sciences naturelles.

Au commencement de cette année (1889). le capitaine von François a accompli, de la côte à Salaga et au Firou, en repassant sur l'un de ses itinéraires^ un nouveau voyage dont aucune relation n'a été encore publiée.

Après le voyage d'oxploralion dont partait le dernier rap- port, le capitaine Kund a essayé do pénétrer une seconde fois dans l'intérieur et, comme la première fois, il a trouvé les populations du littoral nettement hostiles. Par la môme roule que précédenimtnt, il a gagné le haut des rivières Saonaga et N'djoog ou N'yong; au mois de février 1880, il a fondé entre ces- deux cours d'eau, au village de Zonou, par 3"48' de latitude nord et ÎMO' de longitude est de Paris, une stJition allemandequ'il a laisséesousle commandement da lieutenant Tnppenbeck.

En pays inconnu conjmc celui dont il s'agit, toutes les observations des voyageurs ont de l'importance. Sur une largeur de II» kilomètres, M. Kunri a trouvé la côte presque déserte. Ici les habitants sont des Banôko on Bapouko, immigrés du nord, et les Kasdjoua, qui paraissent être ori- ginaires des contrées du sud. Puis commence une zone de forêts vierges large de 220 kilomètres. vivent des tribus variées : les M'vellé ou Bakoko, une des plus puis- santes; les Mavoutnba, alliés de Kasdjoua et qui s'étendent.

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7-1 RAPPORT Sun LES TIUVAUX DK LA SOCIÉTÉ

au nord, jusqu'à laLokendjé et au suri jusqu'au territoire des Bouliiï, parents de MTàn, ou M'fang, de l'Ogôcué ; ils descendent à la côte en suivant le cours du Rio del Campo. Au sein des mêmes forÊls vierges vivent aussi les Kod- jaéli ou Boyaéli, dont les individus sooL de très petite tiiille bien qu'ils ne méritent pas l'épithète de nains; ils ont la peau jaune comme certaines races primilives du sud de l'Afrique; extraordinairement habiles à se dirigera travers forêts, ils sont aussi très audacieux pour attaquer l'élé- phanl à la lance. D'après ces caractères on croirait recon- naître en eux des fr&res des Sa'au ou Bosjesmans, les abo- rigènes de l'Afrique australe.

De fa station allemande deBaroumbi ou Barombi, située chez le peuple du môme nom, à l'ouest du (lenve Moungo, dans l'intérieur du pays de protectorat allemand de Kame- roûo, le docteur Zintgraff. accompagné du capitaine Zeuner, entreprenait, le 17 décembre 188S, une exploration qui pro- met et a déjà donné sans doute des résultats fort utiles pour la géographie.

Le but de M. Zinlgraflf était d'explorer l'Adamawa, cette province de l'empire oriental des Foûlfaé musulmans perdue au sud de la Bénouè, en plein pays des idolâtres. Toute la région qui sépare l'Adamawa du protectorat allemand de Kameroûn et celle qui s'étend, un peu plus à l'ouest, entre la côte de Guinée et la Bénouê est une terre inconnue.

Les deux explorateurs allemands paraissent s'être partagé la lAche. En effet, dès le mois de janvier de cette année, le capitaine Zeuner faisait, à l'ouest de Baroumbi, une excur- sion à Bioko, sur le haut du fleuve Massaké : des dépêches annoncent qu'il a renoncer à pénétrer, de là, dans le nord et le nord-est, à cause du grand massif moiitueus et désert qui se dressait sur sa route.

Quant au docteur ZinfgratI', il a accompli le trajet de Ka- meroûn à la Bénoué, rivière qu'il a touchée au nord du

ET SUR LES PROGRÈS 1>ES SCIENCES GÉOGRAPHIODES. 75

•village d'Ibi, dans le pays de DJoukknu, un peu à l'est de la ville de Grandiko. Ce n'était pas la roule la plus courte pour atteindre l'Adamawa qui commence à presque trois de^és pitis loin dans l'est, et la ligne droite eût peut-être permis au voyageur d'apporter à la carte d'Afrique des ren«eignenaents orographiques et hydrographiques plus im- pi-rlanls; mais la publication d'un voyage sur lequel nous n'avons encore que des indications télégraphiques expliquera saos doute la déviation, à l'ouest, de la marche du voyageur. L'itinéraire du docteur ZintgraB' n'en est pas moins le pre- mier qui sillonne ce pays.

Au nord de l'Ogôoué et du pays découvert par MM. de Brazza et Ballay s'étend l'une de ces vastes terres incon- nues, bornée vers l'est par les premiers gros affluents de droite du Congo, terminée dans le nord par la contrée se cache le prohlématiqueet mystérieux lac Liba.

C'est à ce vaste blanc de la carte que s'est attaqué M. Paul Grampel, chargé d'une double mission du Minis- tère de l'Instruction publique et de M. de Brazza, Commis- saire général du gouvernement français dans le Gabon- Congo.

Nous sommes ici en présence d'un véritable voyage de d<»couverte dont le rapporteur va lâcher d'exposer som- mairement les résultats, de montrer la portée. « Je fions, disait M. de Brazza dans ses instructions au voyageur, h. ce que vous partiez deLastoursville, vous dirigeant vers le nord, pour vous rabattre ensuite vers la côte, entre Benito et Campo. > M. Grampel quillailLastoursvilIe, le l'2 août 1888, sans Eurnpéen ni interprète, escortée de deux Sénégalais, quelques Adouma et gens de Loango en qualité de por-

Aa delà de la ligne des villages riverains de l'Ogôoué, le pays devient désert, car les indigènes fuient vers l'intérieur ail lien de se rapprocher de nos établissements. Faute de

7G lUFPnriT sur les thavaux de lk société

roule, M. Crampel dut faire d'abord une longue courbe à l'est, vers la rivière Sibé. Un mois et demi après son départ, il était surJa rivière Ivindo^ affluent de rOffôoué, à 120 kilo- mètres esl-nord-est de la station de Bûoué. Héunissanl les chefs bakota de la rive gauche et les chefs osyeba de la rive droite, il obtenait d'eux un premier traité favorable à la France.

Deux voies s'offraient à lui pour remonter l'Ivindo : l'une par la rive gauche, à travers les Bakota et les DjandJHm; l'autre par la rive droite, à travers les Osyeba elles M'fanp;. Désireux de préparer les populations à l'arrivée des Euro- péens, il passa huit fois d'une rive à l'autre.

Une excursion vers l'oues't le conduisit aux sources de la rivière N'iem, dans les montagnes N'koun. Le nom de N'iem n'est pas tout à fait nouveau pour nous: il avaii figuré naguère comme nom d'un lac, dans une série d'informa- tions fournies par des indigènes au contre-amiral Fleuriol de Langle, alors gouverneur du Gabon.

M. Crampel, cheminant toujoursfolre le 10* etle il" degré de longitude est, s'éleva jusque par l^iS' de iatilude nord. A partir de là, les deux rives de l'Ivindo sont occupées par les M'fang; M. Crampel traita avec leurs principaux chefs qui, tous, lui témoignèrent le désir de voir créer chez eux un établissement français pour assurer un trafic par l'Ivindo et protéger les communications avec la côte.

Les Bakota dont M. Crampel avaii traversé le terri- toire, sont doux et relativement riches. Les M'fang, au contraire, sont hostiles et misérables ; chez eux, le voyage .est rendu pénible par l'insuffisance des vivres et celte diffi- culté fut accrue encore par le manque d'interprète. Les honinies de Loango de l'escorte, fatigués par la marche et les privations refusèrent alors de suivre leur chef du côté de l'est il voulait aller à la recherche d'un grand lac, signalé par les indigènes.

Laissant donc ses porteurs et ses bagages dans un village

ET SrB LES PnOGRÈS DES SCfENCES GÉOGRAPHIQUES. 77

m'fang, à la garderies Sénégalais, M. Crampel n'hésite pas; il se met en roule avec les douze Adouma, plus soumis ou plos résist^inls que les indigènes du Loango. Dès les pre- miers pas, il rencontra des Okoa ou Akka, population d'une taille très au-dessous de la moyenne. En continuant à s'élever vers le nord, il atteint, par 2°10' de latitude septentrionale, non pas le grand lac annoncé, mais une rivière importanle, la Djah, dont un courant presque insen- sible porte les eaux dans la direction du Lékoli, atOuent du Congo.

Après avoir conclu un traité avec les chefs m'fang de la rive droite de la Djah el des N'jima, habitants de la rive ^uche, M. Crampol rejoint le camp de ses porteurs loangos.

Il ramenait avec lui des chefs du nord-est auxquels il tonlait révéler l'Ivindo comme une route pour leur com- merce futur.

<!^tle excursion terminée, la mission prend la direction de l'ouest, touche lessources de l'Ivindo el parvienl à une rivière nouvelle pour la géographie, la rivière Komm, affluent de la rivière N'tem.

Une seconde fois les Loangos refusent de marcher; il faitt faire construire des radeaux pour s'aventurer sur le cours de la Komm, qui amène M. Crarapel non loin du conQuent de cette rivière avec la N'tem.

Cependant se répandent des rumeurs de guerre venues

à la fois du nord-ouesl et du sud-ouest, de la direction

lies Kameroûn et de celle de la rivière Mouni. Les M'fang,

voyant alors en M. Crauipel un auxiliaire des blancs

de la côte, le cernent deux fois et tuent un Sénégalais

«Inn homme de Loango. A une troisième attaque, lors du

piasage d'un rapide, M. Grampel est atteint de deu.t coups

de feu, ses porteurs fuient et c'est à grand'peine qu'il réussit

i s'échapper en sauvant ses notes el ses clichés phologra-

hiques. La situation était des plus menaçantes: d'une

78 RAPPOHT SUH LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

pari, en effeU l'appât du pillage avait alliré uoe multitude d'indigènes, d'autre pari, les blessures du chef de l'expé- dition étaient uii grave obstacle à la rapidité de la retraite. Les porteurs ralliés voulaient ou retourner en arrière oa s'embanjuer sur la N'iem; mais M. Crauipel prit le parli de gagner la forêt oh sa mardie serait mastjuée, à la condition d'éviter les sentiers et de ne pas allumer de feu.

La Bduâ, la Labbo, la N'tem, sont successivement fran- chies; on trompe ks M'fang en se glissant à travers des marais réputés iiifnrncbissahles et, après quinze jours de marches forcées, le voyageur épuisé entrait dans un village des bords delaiN'tem ; mais l'allilude des habitants est peu paccueiltante ; il faut repartir. Porté de temps à autre par ses hommes, M. Crampel arrive aux abords de la côte les Bakalê et les Moulendié se montrent moins hostiles que les M'fang el entin, la petite troupe atteignait Ualah^ sur la côte, à *[uelques 200 kilomètres an nord du Gabon.

Du ■!"■ février 1889, jour il avait été attaqué, au 3 mars, jour de l'arrivée à Batah.M. Crampel n'avait pas parcouru moins de 350 kilomètres, menacé constamment d'une attaque flonl Its conséquences ne pouvaient élrc douteuses.

N'eùL-il été qu'une pointe prrillense et stérile au cœur de l'inconnu, la fantaisie d'un aventureux dilettanie, le voyage dont vous venez d'entendre le résumé aurait reçu ici la simple mention due à un fait curieux, singulier; mais nous avons déjà vu que M. Crampel avait conclu des traités avec plusieurs chefs noirs et qu'il s'était eflorcé d'attirer du côté de l'Ivindo, tributaire de notre Ogôoué, une partie du trafic dirigé actuellement sur le fleuve Mouni et sur Ba- langa, dans le sud de la région des Kameroùn. La géogra- phie lui devra le relevé d'une grande partie du cours de rivinrio, avec la notion des afHuents principaux de cette rivière : la Mouyniandji, la Kiboumbi, laN'jalah, tributiiires de gauche; l'Ouah. la Poulab, la M'voubëb, la N'siab, la Nounah, tribuiuires de droite. Tous ces noms-là font.

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ET SUn LES PROCHES DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 79

pour nous, leur enlrée dans la géographie africaine.

M. Crampel a atteint les sources de l'Ivindo, situées beau- coup plus loin vers l'ouest qu'on ne le pensait. La décou- Teite de trois grands cmirs d'eau : Ja N'tem, la Djah, la Koœm, l'élude de la ligne de faîte entre l'Ogûnué et le Congo parriviudoet la Djah, le relevé des sentiers de com- merce entre les deux bassins, sont d'importants résultats h enregistrer. Le large blanc de cette partie de la carte d'Afrique va être sillonné d'un itinéraire de 2,100 kilomètres fait toujours à pied, levé à la boussole et qui se vérifie en se coupant à plusieurs endroits. Nous avons un li^uré des grandes lignes du terrain complété par de très nombreuses Cotes barométriques.

A peine laut-ii ajouter que M. Crampel a réuni de cu- rieuses informations sur le type physique, les moîurs, les aptitudes, l'industrie des peuplades avec lesquelles il a été en contact.

En parlant des travaux français dans l'Afrique équatoriale, il faut signaler tout d'abord un petit mémoire qui est en réalité un iiuporlanl travail : Observations magnétiques re- cueillies à la côte occidentale d'Afrique, par M. Mizon, lieu- tenant de vaisseau. Personne n'ignore la nécessité de con- ■p exactement la déclinaison magnétique, quand il s'agit iriger un vaisseau ou de corriger un itinéraire levé à la boussole. L'inclmaison magnétique, l'intensité et la com- posante horizontale ne touchent qu'indirectement à la géo- Craphie; mais ces données sont des éléments précieux pour la physique du globe. Seul, d'abord, dans l'inléiieur de l'Afrique, de 1880 à 1883, aidé ensuite par M. de Roujou, lieu- tenant de vaisseau, en 1885 et 1886, M. Mizon a effectué sur ia côleocciilenlale d'Afrique, de Sainl-Louis du Sénégal et de La Praya (archipel du Cap Vert), au nord, à Mossamedes, au sud, des observations destinées à trouver la déclinaison, rinclinaison, l'intensité el la composante horizontale.

HU ivArroftT ivn ucs thavâux de la société

Il publK 4falM& »ji note les résultats de ces observalions C<)ai|tax^ &UA ut»servations antérieures, en remonlanl jus- qu'à Tiutu^^ 1874. L'examen des deux caries sont tracées !<.. li ..nv li'é^ale déclinaison montre la valeur scientiliquB ^. pratique du travail de M. Mizon; il est tel points

à l& h;»utuur du Sénégal, la carie magnétique de Tami- rakuté anglaise fait passer ta ligne de déclinaison de 19° iK>rd-<)«Oï>t, rapportée à une môme date, à plus de 200 kilo- luMrcs à l'est de sa course réelle déterminée par M. Mizon. Di" tt'lies corrections, pour des points qui ne sont ni le pMc sud, ni le Pamir de l'Asie centrale, ni le Borgou du Saluira méridional, laissent entrevoir ce qui reste à faire pour établir une carie exacte des lignes d'égale déclinaison sur toute la surface du globe. Elles nous montrent bien l'intérôt qui s'attache aux observalions comme au travail critique de M. Mizon.

Depuis plusieurs années, la question du choix et de raménagemenl d'une route qui relierait à Loango les établissements français sur le cours navigable du Congo, préoccupait M. de Bnizza, et c'est au Kouilou-Niadi que le commissaire de ta République songeait comme pou- vant offrir une longue voie navigable jusqu'à une distance relativement faillie du Congo. On se rappelle la première mission d'éludés malheureusement interrompue par la mort du capitaine Pleigneur, englouti dans les rapides du Kouilou. Un ingénieur, M. Léon Jacob, fut chargé de reprendre et de poursuivre les travaux de reconnaissances el de nivel- lement du lleuve. Yers la fin de l'année 1887, M.Jacob avait déjà dressé, au moyen de ses premiers itinéraires, une carte et un tracé généra! d'un chemin de fer qui partait du bas Kouilou; depuis lors il a continué l'étude du terrain, levé de nouveaux itinéraires qui portent à 3,000 kilomètres leur longueur totale, étudié d'une manière précise et soumis k un nivellement exécuté avec soin, la région des rapides du

ET SUn LES PROGRÈS DRS SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 81

Kouîlou. De ces divers travaux est résullée, pour M. Jacob, la conviction qu'il sufûrait d'enlever du lit de ce fleuve ce r- t;ktQs ob>lacles tels que des roches, pour faire du Kouilou- Niaii une voie navigable. M. Jacob est rentré en France et dresse actuellement la carte du Kouilou-Niadi. Ses études apint été aussi consciencieuses qu'elles ont été laborieuses, niMis sommes assurés d'avoir dans la carte et le mémoire qpi se préparent, l'un des documents géographiques les plus complets, les mieux établis qui aient encore été publiés sur la région du Congo.

Prenant l'extrémité sud de l'Afrique en un seul bloc afin de ne pas séparer les dilférenLes parties du groupe de trolo- nies européenne», nous examinerons d'abord le résultat des «xplorations dans le pays de protectorat allemand sous la zooe tropicale à l'ouest. Les Mitleilungpn de Gotha ont donné la carte des voyages du baron von Sieiniicker de la baiv de la Baleine (WalQsch B^i) et de la pointe de Farilhas xax montagnes d'Oukaniénié ou Okoiiiénié (pays de Kao- kao), au nord, et à Okahandja, dans le pays des Herero, à Twt; cette carte couvre ainsi deux degrés de longitude et deux degrés de latitude. L;i Deutsche Kolotnalzeititng a publié sur le chemin d'Angra Pequena à Okahandja, un tra- vail de M. E. Hermann qui complète au sud le précédent. Le travail dans lequel le baron von Steinàcker résume, avec ses propres observations, celles de ses prédécesseurs et de missionnaires et marchands vivant dans le pays, nous apporte des données nouvelles; elle corrige la représen- tation de la contrée entre la Kahn et le Swachaub qui, en réalité, n'est pas aussi mon(a>^neux que les cartes le repré- ventaient. De même, plus au nord, les ravins qui descendent des monts Oukaaiénié font partie du bassin de l'Ougab au lie« de dépasser sa latitude vers le nord. En résumé le sol,

posé de roches métamorphiques (serpentine, ophite,

.v>calcitej, s'élève, à partir de la côte, en terrasses que

soc DE GtoCB. 1" TKIMKSTHB 1691). XI. 6

82

RAPPORT SUR LES TRAVAtX DE LA. SOCIÉTÉ

dominent des montagnes entre lesquelles passent les cours d'eau; mais ceux-ci, saiiT pendant la saison des pluies, ne sont que des lils de torrents à surface sèche dans lesquels on trouve pourtant de l'eau en creusant. La côte el le liUoral sont tout à fait arides. Dans l'intérieur, l'Européen trouve un climat sahibre qui lui permeltrail de se livrer, sur de rares points il est vrai, aux rudes travaux de la culture et, dans le nord et le nord-ouest, k l'élevage des bestiaux. Actuelle- ment toute l'exportation de l'intérieur se réduit aux cuirs, aux tburriires et aux cornes d'animaux, qui doivent forcé- ment chercher un déboucbù au port anglais, la baie de la Baleine. Sandwigs Hafen, sur le territoire allemand, serait aussi un bon port; mais l'eau douce et aussi les coramuni- cations avec l'intérieur y fout défaut. Eiilin les guerres qui sévissent entre les Hotlenlots de la côte et les Herero in- dépendants de rinlérieur enlèvent toute sécurité aux entre- prises des Européens.

M. von Sleinacker nous apprend, sans l'expliquer, l'aban- don du territoire d'Upinglonia par les Boers du Transvaal qui avaient fondé cette république située au nord du Herero-land.

Le jugement porté par M. Ilermann sur la région au sud dufleuveSwachaubconQrme les conditions défavorables du prolecloral allemand pour la colonisation. C'était à ce point de vue spécial que M. Ilermann avait entrepris le voyage d'AngraPequefSa à Bethanicn el Okahandja. Comme le baron von Slcipiicker, il déclare que si le climat est bon puur des Européens, en revanche les terres désertes situées entre les régions fertiles de l'intérieur et le port d'enibarquenieut des produits, sont un très grave obslacle au dévelo|ipenient de la colonisation. Ces deux études auront un résultat géo- graphique utile dans les indications nouvelles des cartes itinéraires qui y sont jointes.

Sur Madagascar, la Bévue maritime a publié une descrip-

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ET srR LES PROGnÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 83

lion détaillée du chemin de Tanmasine ou Tamalave à AnUiD^ioarivo, par le capilaine Le Kournier, qui s'est servi des levés et notes des officiers de l'escorte de notre rési- dent général, en 1886. Ce travail est accompagné d'une carte, dressée par le lieutenant Slaiip, intéressante surtout > cules d'altitude qui difFèrenl de celles qui avaient

ijunées par les voyageurs précédents.

Mais le document le plus important que l'année ait «pporté pour la connaissance de Madagascar est la Carte 4e Madagascar, h l'échelle de l/l,ÛO(J/)00', par le père jésuite Désiré Roblel. Celte carlr, certciiuemenl la plus com- plète qui ait été publiée jusqu'à ce jour, repose sur des déments de plusieurs ordre*. Pour l'îieen géuiral, l'auteur a puisé soit dans les cartes de M. Alfred Grandidier et de H. Mullens, soit dans les renseignements fournis par seize antres Eup. >péens ayant résidé ou voyagea Madagascar, soit «nlln dans Ie<* indications orales des prisonniers malgaches. Ouant aux provinces d'imerina et de Bulsileo, le ligure en est assis sur If s résolUits des travaux personnels du P. Hoblet, iiotam>uf nt sur une triangulation commencée en 1813, avec des luslrurnenls rudimentaires, puis reprise et continuée avec des instruments plus parfaits.

Parlant d'une, base de 5,000 mèlres de longueur, mesurée par lui-môme et vériflée au moyen d'une base auxiliaire par le capitaine Lavoii^ieret le lieutenant Martinie, il a fait, çtr des tours d'horizon très soignés el de i rès nombreux cro- ■quis à l.i i>lanchelte, une trinni^ulatinn qui s'étend jusqu'au pajTsdes Bara,c'esl-à-dire jusqu'à -iOO kilotuèlres au moins, d'Anlaiiânarivo; au nord, elle porte jusqu'à 100 kilomètres du ntiôitie point; à l'est jusqu'à la ceinture des forints du Jitloral, et môme aux monts Fody et Ambohiirakoholahy, de la côte. A l'ouest, elle s'arrête à une distance ffinxima de 100 kilomètres d'Antanânarivn. Celle triangu- lation est coujplétée par les altitudes des points déduites d'observalious barométriques et thermométrtques. Comme

84 RAPPORT SUIl t.ES TBAVAl'X DE LA SOCIÉTÉ

M. Antoine d'Abbadie, en Ethiopie, le père Roblet a pris des signaux iialiirels pour sommets de ses triangles. Les levés du père Roblet sont assez détaillés pour que l'auteur n'ait pu faire entrer dans sa carte tous les éléments qu'il a dessinés sur !e terrain. Ce beau travail, fruit de l'initiative et du dévouement d'un seul homme, mérite les éloges que nous ne ménagerons pas au père Roblet. Le père Koblet est un Français, comme le sont les officiers de lit mission diplomatique de 1886, comme le sont aussi M. le doc- leur Catat, et M. Foucart, ingénieur, qui nous ont quittés celle année même pour e.\'ptorer l'intérieur inconnu de la partie sud de Madagascar. li!n attendant l'ère des levés ré- guliers, il est bon de rappeler que la géographie de la grande île a surtout progressé par les travaux de Fraocjais, au nombre desquels M Alfred Grandidier conserve la place d'honneur.

Une publication de ia London Missionary Society, Anta- nanarivo Annual and Madagascar Magazine de 1888, a donné un premier aperçu du voyage accompli de juillet à novembre 1887 par M. Nielsen-Lund, missionnaire nor- végien.

M. Nielsen-Lund, après avoir traversé d'abord le pays des Bara dans les directions du nord-ouest, a navigué jusqu'au pays de Tanosy, sur TOnilaby, tributaire de la baie de Saint-Augustin. Du pays deTanosyil atteignit, au sud, un désert l'eau est rare. L'existence d'un désert ou plutôt de steppes dans le pays des Bara s'explique par les caractéris- tiques du climat que donne M. Nielsen-Lund. Pendant la saison sèche, non seulement la pluie fait défaut, mais encore le ciel reste presque toujours sans nuages et la chaleur est intense. Aussi les herbes sont-elles très rares; seuls les arbres dont les racines plongent loin dans le sol conservent leurs feuilles et leur verdure. Peut-être ce désert de Madagascar est-il aux causes générales qui ont déterminé, sous la même latitude, la formation du

ET SUR LES PnOGRÈS DES SCIENCES GÉOGRàPHIQOES. 85

iésert Kalahari en Afrique, du déserl d'Alacama en Amé- rique. On supposait que celle région inconnuL! consistait en plaines semées de simples collines; le voy-ige du mis- stoanaire norvégien aura son importance, en ce qu'il ré- Tèlp la présence d'une région monlagneuse dont quelques sûCQfuels dépassent 1,200 mètres d'altitude. Forl-Dauphin ei4 le point s'arréle la partie nouvelle du voyage it M. Nielsen-Lund.

Conamc le pays des Bara, au sud, la partie nord de Madagascar offre aux explorateurs un champ de travaux à peine entamé, oii leur seul devancier a été M. Alfred Grandidier. Une compagnie anglaise ayant conçu le projet d'exploiter les richesses forestières de ce pays presque iiicoanu, chargea M. llansome de reconniiître le terrain sur une superlicie de 4,100 kilomètres carrés, à partir de rèslrémitô nord de la baie d'Anlongil, dans l'intérieur, wrs le nord-ouest, et de concentrer son attention sur le fleure Antanambalana.

Après avoir franchi l'étroite ligne de forfits qui borde la <-'ôle, M. Ransorae pénétra dans une région de collines qui atteignent une hauteur de GOO mètres. De ces hjuleurs {ircsque entièrement couvertes de forôts vierges, descend ters le sud-e^st, le fleuve Antanambalana qui se verse dans U mer près du village de Aiuroantsetra, dans la partie nord <le U baie qui offre un bon mouillage. Par un fait excep- Uoaoei pourMadagascar,rAnlanambalanasurlequelM. Ran- torao donne beaucoup de détails, ne forme pas de barre à »oa embouchure, mais présente un cours très sinueux. A une trentaine de kilomètres de son embouchure com- ueocenl des rapides qui se multiplient à mesure qu'on aj>proche des montagnes; à quelques cinquante lulomètres, " - ''inlérieur, de vériUibles cascades empiîchent les grands s de remonter plus loin. Le seul affluent notable du fleuve est le Vohimaro, sur la rive droite; il est pareille- ment barré par des rapides.

86 nAPPORT SUB LES TRAVAUX OE LA SOCIÉTÉ

M. Ransonie vante la beauté des paysages, la fertilité du sol et la boulé du cliiiiiU au point da vue de la végétation. Les forêts sont peuplées de bois durs inconnus dans le commerce. Parmi les fruits et les légutties, l'auteur cite l'ananHS, le coco, la goyave, la banane, la mangue, l'orange, le citron, le gingembre, le manioc, Ir haricot et le piment. Le caoutchouc abonde aussi et on exploite ce produit vé- gétal. La faune est représentée, pour les mammifères, par des lémuriens. Les oiseaux et les reptiles, assez nombreux, ont été étudiés aussi par l'auleur.

ijuant aux habitants du iiassin de l'Antanambalana, ils appartiennent j\ la rare des Betsimisaraka; leurs cheveux, sont généralement crépus et leur teint est pins foncé que celui des Ova. Parmi eux viennent s'établir, pour une saison, des Sakalava de l'ouest, et des Bara du sud, sorles à'aoû- terons qui rentrent dans leur pays après Fachèvemenl des travau-v des champs.

L'année qui va finir a apporté quelques nouveaux faits à la connaissance du fleuve Zambézi et de son bassin. C'est d'abord l'indication d'un bras du delta, le Tchindé, que M. Raukin, à la suite de huit mois d'études, croit introduire pour la première fois sur la carte. Un marin anglais auquel l'hydrographie de cette côle doit beaucoup, le comman- dant Wharlon, n'admet pas cette découverte et pense qu'il s'agit du bras d'Inhaombé. Mais ce qui appartient plus sù- remenlà IM. Hankin, e'estd'avoir montré que des bâtiments jaugeant de 400 à 500 tonneaux peuvent remonter le bras de Tchindé ou Inhaombé. Jusqu'à ce jour, d'après une note du commandant Wharton dans le Scottisk geographicat Magazine de ISHT, la navigation prenait le bras de Quaqua pour pénétrer dans le Zambézi, et seuls des bateaux d'un faible tonnage parvenaient à le remonter, non sans être forcés de rompre charge plusieurs fois en route.

Les données contenues dans une communication du

ET 8PR I.CS PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES.

dorleur Oscar Lenz sur le delta de Zambézi, imprimée aux UiHeilungen, ne s'accordent pas avec celte dernière indi- calioo du commandant Wharton. Selon M. Lenz qui ex- plorait le delta en décembre 1886, le Quaqua serait un petit fleuve côlier; tout près du bras principal du fleuve^ il en serait séparé par une muraille d'argile qui, iaoefsamment minée par les eaux de ce dernier, cédera tût ou tard; alors seulement le Zambézi se jettera dans la mer par le Quaqua comme par les autres bras du delta.

La carie de la Gbiré et du lac Nyassa est née pour ainsi dire sous Qos yeux; elle date de la publication du deuxième foyage de Livingstone, en i865. Au bonc de vingt-quatre »i)s seulement, nous arrivent des déterminations astrono- miques sûres pour appuyer les levés détaillés de ce bassin. Elles sont dues h M. O'Neill, consul d'Angleterre pour ie tVyassa. Déjà une première fois, il y a quatre ans, M. O'Neill lïail déterminé la longitude de Diantyre. Ses observations plus récentes poussent ce point légèrement dans l'ouest, et tout le rivage ouest du lac Nyassa se reporte à un huitième de degré dans l'est, par rapport au tracé de l'ingénieur anglais Stewart. La fi)rine allongée du Nyassa subira donc une réduction en largeur qui changera d'une manière très appréciable son aspect sur la carte.

Pour la région du haut Zambézi et des pays limitrophes «u ofird et au sud, nous devons des indications géogra- phiques nouvelles à deux voyageurs anglais : un ami des missions protestantes, M. Arnot, et un célèbre chasseur, M. Selous.

H. Arnot qui a consacré à sou voyage près de sept ans, a effectué une traversée oblique de l'Afrique australe, de Nalai à Renguela. Son chemin, levé à la boussole, se con- fond sur plusieurs parties avec ceux du major Serpa Pinto, MM- Capello et Ivens, de Livingstone, de M. Gameron, de M- Uolub, etc.; il touche Potscliefstroom, dans le Transvaal et Chochong, capitale du Bii-Mangwato; il Ira-

88 HAPrORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

verse la partie nord-osl du Kalah;iri et examine la Botléllé, singulier cours d'eau qui, à lu saison des piuics, coule dans l'est, vers la sebkha ou marais salant de Ntwelw^é, tandis qu'au début de la saison sèche, il coule au lac N'gami, dans l'ouest. M. Arnot a été ie premier à indiquer le lien, qui rattache le marais salant de Nlwetwé au bassin de Kou- bango; Livingslonc, M. Holub el le major Serpa Pinlo l'avaient marqué sur leurs cartes comme une cuvette isolée.

Sur la rivière Mabali et sur le Tchobé ou Kwando, qu'il remonte, M. Arnot trouve le pays éprouvé par une grande sécheresse. H redescend un peu au sud, à Panda-ma-Tenka, il savait pouvoir se ravitailler, puis gagnant Lialoui, sur la Liba, il demande au roi des Barotsé la permission de voyager dans ses États; après cinq mois d'fibscnce, il re- lourne à Penda-ma-Tenka, Une seconde fois il remonte le Zambézi, et repassant par Lialoui, il gagne enfin la colonie portugaise d'Angola, à Belmonle, dans le district d'Ovihé ou Bihé. De Benguela, ou plutôt de Bihé, M. Arnot repart pour l'est en cheminant au nord de son premier itinéraire et de celui de M. Caraeroo.

A Test de la Loumesé, haut affluent du Zarabézi, il arrive à un des points les plus intéressaiHs de louL son voyage, à la grande plaine de Tchifouraadji ou Kifoumadji, dont M. Gameron avait entendu parler et qu'il avait cru Être un lac important. C'est en réalité une vaste plaine sablonneuse dans laquelle se trouve le petit lac Dilolo; pendant la saison des pluies seulement la plaine est recouverte d'une nappe d'eau dont la profondeur varie de 60 centimètres à un mètre.

Au delà de cette plaine, M. Arnot pénètre dans l'ancien empire de Lounda qui, florissant encore en 187li, s'est (ondu depuis lors; nous avons ainsi un nouvel exemple, après celui du royaume des Rlakololo, sur le Zambézi, de la facilité avec laquelle, dans l'inlérieur de l'Afrique aus- trale, se font et se défont les empires.

ET SDR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOCUAPHIQUES. 89

Franchissant le LouaUlba, l'un des premiers aflluents de gaoclie du Congo, il entre dans le Gareiiganzé, connu au- trefois sous le nom de Katani^a, et dont le chef M'sidi ou N'siri, réside à Moukourrou-oa-Ouiikeya, sur la Loulira. C'fst là, dans le Garenganzé, que s'étaient déjà renconirces le» routes de M. Reichard, venu du nord, et de MM. Capello H Ivens, venus du sud. A une quinzaine d'années en arrière de nous, Garenganzé faisait partie de l'enapire d'Ouroua et obéissait par conséquent au kaxembé lie ce pays. L'empire d'Ouroua aussi s'est dénienibré et d'ancien vassal du ka- •'•, M'siri, est devenu roi indépendant du Garenganzé. ...... re d'un gynécée de [»(}Û fiimrnes, M'siri a su leur pro- curer des occupations utiles, en les chargeant de repré- senter auprès de lui les gouverneurs de districts, et d'être aussi les banquiers des tributs que ces gouverneurs doivent verser au souverain.

M. Arnot a employé un séjour de deux années dans le Garenganzé, à préparer la venue de missionnaires proles- lanls. envoyés d'Angleterre eu 1885. Il a pu constater que les cooinierçants musulmans de l'est ont déjà porté jusque- iileurs opérations.

M. Arnot regagna le Bihé à peu près par la môme roule qu'il avait suivie au commencement du voyage.

Les itinéraires de M. Selaus courent dans le bassin du Zambézi jusqu'à cinq degrés à l'est de Lialoui vient »|e nous conduire M. Arnot. M. Seîous a suivi le haut Zam- bézi, l'a longé à une quarantaine de kilomètres vers l'est, dan» Tempire Maroulsé-Mambounda; plus à l'est, il a poassé des pointes dans le Baniangwato, au sud du Zam- bézi, et chez les Macboukoulouuibwé, au nord du m€me fleare, jusque près de son afUuent la Kaloukwé ou Loen- gué. La carte de M. Selous, après la carte du docteur Uotiib* complète celles des deux premiers ouvrages de Livingslone, pour le cours du Zambézi cl de ses affluenls.

90 BAPPORT SUn LES TRAVADX DE LA SOCIÉTÉ

Partant du kraal de Waiiki, sur la rive nord du Zanibézi et à une centaitie de kiloaièlres à l'est des chutes de Mosi- oa-lounya (VicloriaFalls), il a tracé, dans le nord un itiné- raire en terrain neuf, jusqu'au village de Minenga, chez les Machoukouloumbwé, à peu de dislance de la rivière Ka- foukwé. M. Selousét»ii en route pour le pays deGarenganzé, quand allaqué et pillé au kraal de Minenga comme l'avait été son prédécesseur le docteur Holub, il dut se résigner à fuir et ce n'est pas sans peine qu'il regagna le kraal de Séchéké sur le Zambézi. Déjà les Matabélé du sud ont poussé leurs incursions en pays Balukii, sur la rive nord du Zambézi etjusqu'à moitié de la route entre le fleuve el le territoire des Maclioukoulourabwé; leurs courses dévasta- Iriues préparent sans doute quelque nouveau changement politique dans la région déjà si bouleversée du Zambézi central.

Au mois de mai dernier M. Selous a entrepris un nouveau voyage vers le pays de Machona, à l'est du royaume Matabélé; son but est de recliercher des placers d'or et d'étudier une région pourraient, pense-t-il, s'établir des. agriculieurs anglais. Ce n'est que le prélude d'une grande expédition projetée par M. Selous qui veut atteindre le Garenganzé en partant du Zambézi, descendre ensuite le Loualaba jusqu'à N'yangwé, puis le Congo jusqu'à l'océan Atlantique.

Ceux qui ne sont pas familiarisés avec la géographie afri- caine sourient à ses noms bizarres, barbares, décourageants. Il leur semble entendre parler de pays ou <îe peuplades visités par Gulliver, (jn'ils s'y habituent, cependant, car peu à peu ils verront s'en introduire un certain nombre dans leurs journaux les événements qui se préparent en Afrique exigeront une place de plus en plus considérable.

En nous éloignant de la région du Zambézi, enregistrons le retour à Kilimané d'un Français, M- Trivier, capitaine

rr SUR tES PBOGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES, ftl

au long cours qui, parli de la région du Congo, a effectué nne traversée de l'Afrique. Il est impossible, quant à prwent, de rien dire de ce voyage dont les détails ne sont connus que d'après quelques lettres adress<'es par le voya- geur au journal la Gironds, aux frais duquel i! a accompli son voyage. S'il en rapporte des notes ou observations d'un caractère scientifique, c'est-à-dire qui ajoutent quelque chose d'important aux notions acquises déjà sur lus pays qu'il a visités, la Société de Géographie sera heureuse de le constater et le prochain rapport ne manquera pas d'en aire mention.

Aurapporlde 1888, vous avez trouvé l'exposé sommaire de l'exploration du comte Teleki et deM. von Ilôhne!, officier de la marine autrichienne, dans l'intérieur de l'Afrique équatoriale. Jusqu'à ce jour les résultats complets du voyage n'ont pas été publiés; mais une communication de SL von Hôhnel lui-même à notre Congrès, et un article donné par les Milteilungenf permettent de juger l'impor- tance de ce voyage.

Partie de l'embouchure de la rivière Pangani en février 18S7, l'expédilion suit le fleuve Rovouma dont elle relève "0 kilomètres encore inconnus ; elle s'achemine sur le msA^if du mont Mérou dont elle détermine l'altitude à 4,W6 mètres; elle gagne de l'énorniu Kiliiua N'djâro, non loin duquel, au moment de se mettre en route dans la di^eclio^ du Kénia, elle est obligée de soutenir de rudes combats contre les MasaT du pays de Kikouyou. En octobre 1887, l'expédition parvient au Kénia ou Doényo Bguéré, le « mont tacheté b des Masaï; puis, continuant sa roule dans le nord, elle découvre de nouveaux lacs à ajouter à ceux qui se développent dans l'Afrique orientale, des rives de l'océan Iiulieii, en face Madagascar, au bassin du Nil, sous le méridien moyen de 33°40' à l'est de Paris.

RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIETE

MM. Teleki et von Hohnel nous apporleul, sur les

Ihcs le pli

de la côte, eiilre le 6' degré nord et le

voisit

degré sud de l'équateur, des informations précises. Ces lacs, les uns gnmds, les autres petits, n'ont pas d'écoule- ment; ils constituent autant de bassins fermés. Si les uns, comme le Basso-Narok (lac noir) ou lac Rodolphe, le Baringo et le Naïwacha renferment de l'eau douce, l'eau estsaléedaus d'autres, tels que le Bassu-lîbor (lac blanc), le Nakoura- Sekelaï, le Maou et le Manyara; à Soukouta, entre le Basso- Narok et le fiaringo, le sol se déprime en un marais couvert d'efflorescences de sulfate de magnésie, qui représente évidemment le fond d'un lac desséché.

Le plus grand des lacs découvert;: par les explorateurs autrichiens, le Basso-Narok, occupe un véritable désert. De temps à autre seulement des éléphants viennent cueillir des algues dans ses eaux faiblement salées. Au nord du lac vivent les Rechiàl qui appartiennent peut-être k la race oromo ou \^Ma, puis des colonies de Bourkénédji et de Randilé. Ces derniers sont nomades et se rattachent aux Somâli. Plus loin vers le nord-ouest habitent d'autres tribus à peu près nouvelles pour ia gén^çruphie ; de ce nombre sont lesTûurkana, dont avait entendu parler M. Joseph Thomson. Dans leur p;iys s'élève un volcan cti aciivité. Ce serait le second volcan de l'Afrique, car au Djebel Zer-hoùn, dans le Maroc, M. Duveyrier, après Léon l'Africain el sur le dire des indigènes, nous en a siynalé un dont M. Wulter B. Harris a entendu parler récemment.

Le terriloire des lacs sans écoulement découverts par MM. Teleki et von HiJhnel est bordé d'une chaîne de mon- tagnes qui l'isole du bassin du Nil ; dans l'est une autre chaîne dominée par te Kénia et le Kilima-N'djâro^ sépare de l'océan Indien le bassin des lacs fermés de l'Afrique oricnlale.

4

A une quarantaine d'années en arrière de nous, un Fran-

ET &DR LKS PnOCnivS DES SUIK>'CES CÉOCRAPEIQLES. ?3

çais, M. Antoine d'Abbadic, découvrait, an sud de l'Ethiopie, la rivière Omo qu'il pouvait alors prendre pour l'uae des ïorces du Nil. Le voyage de M. Borelli, s'ajoulant ;\ celui

MM.Teleki et vouHôhnel, a donné une solution presque cotnplèle de la question de ]'0mo.

!\f. Borelli a consacré trois ans h explorer la haute Elhiopic, et ses relevés, très exacts, viendront compléter h l'est reiix de M. d'Abbadie. Ils se sont étendus, en effet, sur cinq degrés de latitude, de Tatijuùra, sur le golfe d'Aden, au mont Bobbé, dans le pays de Koullo, à 160 kilomètres esl-sud-est de Bonga, en Kafl'a, et sur sept degrés de longi- tude, entre Zêla, et les environs de Bongn.

En butte aux méfiances de Méiiélik II, roi de Chawâ, M. Borelli dut se contenter d'abord défaire quelques excur- sioas dans les Klals de ce souverain. Son début le mena d'Anloto à Harar, dont Ménélik venait de s'emparer. Il fut le premier Européen à profiler de la percée militaire UD&i faite par le souverain du Chawà,

Dans une deuxième campagne, M. Borelli explora le petit rovautne de Djimma, déjà visité par M. d'AbbarJie; il fit l'ascension du mont Dendi et du mont llarro, anciens volcans dont les cratères se sont transformés en lacs. Le mont Harro.avec ses 3, 100 métrés d'altitude, forme le point culminant du massif. De l'antre côlé de la Guibé, une des télés de l'Omo, il gravit le taont Otché, traversa le royaume de Limmou et fit l'ascension du mont Maï Gôudo, haut de 3,300 mètres et situé au confluent de la Godjeb dans l'Omo. Plus loin dans le sud, il arriva, à travers une forêt de bara- bou$y an pic de Kalfarsa, du sommet duquel il put faire des relèvements dans les t«rres inconnues du sud. Sur sa route vers le petit royaume de Zinguéro, dont les habitants l'expulsèrent à coups de lance, il découvrit le confluent de la Guibé dans l'Omo.

Revenant à Djiren, capitale du Djimma, il repartit vers l'est, traversa l'Omo et arriva sur les confins du royaume

■Ql «APPORT SDH LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

de Kambatta où, du haut da moni Kobidja, il aperçut le lac Abbala dont l'existence avait été signalée autrefois par M. d'Abbadio d'après les dires des indigènes. C'est encore de Djiren il était rentré en Itaversant le pays de Wol- lamo, que M. Borelii poussa une reconnaissance dans le Koulio; il atteignit dans ce pays, par 30' de latitude nord, le point le plus méridional de son voyage, le inotil Bobbé, d'où il put voir l'Omo s'enfoncer en serpentant dans la di- rection du sud.

Les indigènes affirmèrent, à M. Borelii que ce cours d'eau rOraOjSeperdaildaiis un lacappeléCharnbara.Cerenseigne- menl concordait avec ceux d'après lesquels le voyageur alle- mand Krapf, le missionnaire français Léon des Avanchers et les voyageurs anglais Wakefleld et Joseph Thomson avaient placé sur leurs cartes, approximaliveraent dans ces parages, un lac Zambourou, Sambourou ou Bôo. A vrai dire le nom de Sambourou qui ressemble fort à Chambara, est non pas le nom du lac, mais, comme l'ont constaté MM. Teleki et von Hohncl, celui d'une peuplade qui habile sa rive orientale.

En apprenant, au Caire, les résultats de cette expédition, M. Borelii fut amené, fort naturellement ce semble, à con- sidérer le lac Basse Narok qui confine aux Sambourou, •comme identique avec le lac de Chambara de ses infor- mateurs indigènes.

Les considérations échangées entre MM. Borelii et von HChnel pour éclaircir ce point, permettent de cuni^i- dérer comme acquis un fait géographique que tous deux acceptent; c'est qu'au lieu d'être un affluent do ^iil, la rivière Omo appartient au bassin fermé du lac Basso Narok. Il semble également presque démontré que les gens du nord appellent Chambara le lac Basso I^arok, parce qu'il borde le pays de Sambourou.

D'auires excursions faites par M. Borelii sur le chemin du retour, au nord du Djimma, lui permirent de gravir le

ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 95

mont Soumet, qui domine les vallées du Djimma et de X.iaimou Enarya,; de visiter le pays de Hereto et d'aborder le pays de Zinguéro que peuple une race spéciale, adonnée aax sacrifices humains. M. Borelli put expérimenter la férocité des gens de Zinguéro, car le chef, sous la conduite et la protection duquel il était arrivé, fut tué dans un conabat.

Rentré enfin à Antoto notre méritant compatriote s'éloi- gnait de l'Ethiopie par la voie de Harar et de Zêla'.

En dehors des observations purement géographiques ce voyage nous vaudra, pour ne toucher que les points les plus saillants, deux années d'observaiions météorologiques dans la haute Ethiopie, huit cents photographies des types des races humaines, et des études ethnographiques et lin- guistiques fort précieuses. La population de la région par- courue appartient aux (rois races amara, oromoet sidama qui sont étrangères à la famille nègre. Il n'existe plus d' Amara pur sang; ce peuple est maintenant très métissé par suite de nombreuses alliances avec des esclaves. Les Oromo sont ce que nous connaissions autrefois sous le nona de G;illa. Quant aux Sidama, il s'agit d'une famille, dislincle des Amara et des Oromo ou Galla, et comprenant les habitants d'une tr«'ntaine de pays, y compris le Kaffa, semés dans le bassin de l'Omo.

M. Borelli, a rapporté aussi des vocabulaires kouUo, tamb'«ro et hadia qui permettront de classer la race et les langues sidama. Enfin le musée du Troradéro s'est enrichi, grice à M. Borelli, d'une très belle collection ethnogra- phique.

Au total, solidité et abondance des éléments ajoutés à une partie, fort pauvre jusqu'ici, de la carte du sud de l'Élbiupie, richesse des informations de toute nature recueillies dans les pays visités, font de la mission conQée à M. Borelli par le Ministère de l'Instruction publique l'une des plus fécondes qui se soient accomplies. L'ouvrage dont

96 RAPPORT suit LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

la publication se prépare en ce moment établira les titres iiiconlcstables de M. Borelli à la reconnaissance de la géo- graphie.

La contrée droit au sud de Berbera^ port assez fréquenté du j^'olfe d'Adeii, n'avait été visitée jusqu'à ce jour qu'à une distance de "IW kilomètres sud-sud-ouest de Berbera, le vaillant Hagfçenmacher avait touché le point de Libahéli. Les autres voyageui's, sur ce m&me terrain, n'avaient pas dépassé le pied du Gan Libab, sommet de 2,895 mètres, qui couronne le versant du plateau intérieur, à 90 kilomètre? seulement de Berbera.

Du mois de décembre 1884 au mois d'avril 1885, MM. P. -L. et \V-D. James, accompagnés par MM. Aylmer, Loit-Phillips et Thrupp ont accompli dans le nord des pays Somàli, un voyage d'e.xploration plus étendu que tous ceux de leurs prédécesseurs.

L'itinéraire de MM. James relie pour la première fois la cûte africaine du golfe d'.^den au cours du fleuve inté- rieur Wobi ou Webbé Chebejli, qui se perd dans un lac près delà côte, au sud-ouest de Barawa. Le point le plus méridional qu'ils aient atteint, près de Barri, sur le Ueuve Wobi, est à 545 kilomètres dans le sud de Berbera et à 468 kilomètres seulement dans le nord de Barawa. Ils ont rattaché Barri à Berbera par deux itinéraires dont l'écart maximum dépasse 100 kilomètres et qui courent l'un à l'est et l'autre à l'ouest du mont Gan Libah.

Sous le titre de The unknown horn of Africa, M. F.-L. James a publié l'an dernier (1888) la relation de cet important voyage, avec une carte dressée par MM. W.-D. James et Aylmer. En dehors de son intérêt pour le public en général, le livre est un document précieux pour la géographie, et les sciences naturelles y trouveront des appendices zoologiques et botaniques. Quanta la carte qui est à grande échelle, et représente un pays jusqu'alors

ET Sfll LES PROCHES DES SCIENCES GÉOCUAPHIQUES. 07

inconnu, il ne parait pas qu'elle s'appuie sur des observa- tions astronomiques. Cette partie du travail de MM. James, malgré des divergences notables avecle tracé dcM. Haggen- macber, inspire néanmoins toute la confiance qu'on doit avoir dans un itinéraire soigneusement levé.

Dans la chaîne côtière, au sud-sud-est do Berbeia, naît an cours d'eau important, le Toug Daïr, affluent de l'Oiiâdi Nogûl qui coule au sud-est pour aller porter ses eaux à l'océan Indien au nord du cap ItdsEl-Kheïl.

Au sud de la chaîne côtière dont fait partie le moni Gan Libab, et qui n'est à vrai dire que le versant nord du pla- teau intérieur, le sol, garni de touffes d'herbes serrées, est ^rsemé d'une espèce de mimosa ou d'acacia formant parasol. Comme les plateaux du sud de la province d'Alger, celui-ci paraît être un lieu de prédilection pour les graminées. Vw autre région, plus au sud, est le Haoï^d, dont le nom arabe veut dire « bassin », terres rougeâlres les buissons te montrent plus forts, plus hauts, et les voyageurs ont observé un minimum de température de 5* 7 le M dé- cembre 1884. Ces conditions n'empCcheni pas le rhinocéros cl plusieurs antilopes de vivre dans te Ilaoûd.

.\u delà commence le pays d'Ogadèn, que MM. James ont parcouru les premiers. Jadis rOgadôn comme d'autres contrées plus au nord, était habité par les Oromo ou Galla, qui l'évacuèrent pour l'abandonner à des Somâ.liMedjourtîa et ans Midgân. Un cours d'eau appelé Toug Fafan, qui va se perdre au sud-est, dans les marais de Hîran, paraît former la limite sud de ce canton qui avait été le but du voyage incomplet de M. Ilaggen mâcher.

Le Wobi, Webbé ou Webbé Chebeyli, coule parallè- lement à la Toug Fafan, et à peu de dislance dans le sud de cette dernière rivière. Ici déjà, h 800 kilomètre de sa perle, le Wobi est un cours d'eau large de plus de cinquante nètreset profond à proportion. k\ï nord et au sud du fleuve rirent des tribus de Somàli, telles que les braves et bons Rèr

soc. »K GÉOGR. l" TRIHESTRC 1890. XI. 7

98 nAPPORT SUR LES TKAVADX DU h\ SOCIÉTÉ

Hammer, les Hawija et les Aoulehan; une Iribu, celle des- Âdoné ou AdoQÎ, est issue des esclaves amenés de la côte par les Hawija ou par les Kounli, les Badbadan, les Badjimal et les Dadji, qui vivent plus loin de cette parti du Wobi.

C'est par 5"29' environ de latitude nord que MM. James ont touché le Wobi à Barri. Déjà, plus au nord, les Ougâs Elmi et les RerDollol les avaient menacés d'une altaque et les prêtres musulmans de Faf avaient essayé de soulever la population contre eux. En reprenant le chenoiin de Borbera^ MM. James assistent à des combats entre les Adoné et les Soraidi ûollûl. C'est une confirmation nouvelle du carac- tère querelleur, sanguinaire et cruel de la race somàli.

La saison des pluies avait commencé; la Toug Fafan qui coule seulement pendant quatre mois de l'année, était métamorphosée d'ouâdi en vérilable rivière, et les habitants avaient transporté leurs villages de la plaine sur lescollines. Le nouvel itinéraire, à l'ouest du premier, touche aux anciens puits de llahi, forés parles Oromoj il passe auprès delà mare de Darrorqui n'a que le nom de commun avec la vallée découverte par M. llcvoil; enfin il atteint Berbera après avoir coupé la chaîne côtière par les vallées de la Toug Mandeira el du Toug Baba.

Le voyage de MM. James est incontestablement le plus considérable comme étendue et le plus utile pour la géo- graphie de tous ceux qui ont été accomplis jusqu'à ce jour dans les pays des Somàli.

Avant d'en venir aux résultats des voyages de M. Stanley, le rapport doit signaler les dernières acquisitions géogra- phiques relatives au cours du majestueux Congo. C'est vers lemilieu de son développement, entre les chutes de Wenya (Stanley-Falls) el l'étang de Stanley (Stanley-Pool) que se présentent, ceAte année-ci, les premiers travaux sur le fleuve même en parlant de ses sources. Pendant la niission du docteur Leox, de 1885 à 1887, le D' 0. Baumaan avait

ET SUR IJ:S PROGKKS des sciences GÉOGnAl'HIQl'ES. 99

fait un levé à la boussole du cours du Congo, en le remontant de Stanley Pool aux Stanley Falls, c'est-à-dire sur une distance de {,350 kilomètres.

Ce travail exécuté soigneusement s'accorde avec les levés du commandant Rouvier aussi loin que soiL possible 1& comparaison des deux documents. M. Langhans, pour la miseau net des levés de M. Baumann, a adopé les déler- ininalions astronomiques de M. Ilouvier.

En 1888, un envoyé de la <«: Société du Congo pour te commerce et l'industrie j, M. Delcommune, a accompli sur im vapeur la reconnaissance de plusieurs afUuenls de la Kasaï, y compris l'OvaboumaeL le lac Léopold II qui lui sert de réservoir. H a remonté pendant 500 kilomètres laLokenyé ou Ikatta, qui se jette danslextrémilé sud de ce lac; puis d'autres tributaires du Congo, comme la Louloua, sur la- quelle se Irouvc la station de Louebo. Ma remonté également la Satikourou, aflluent sud; la Lomaai, tributaire de la même rive, sur laquelle it a dépassé le point atteint deux ans auparavant par le D' Wolf, et enlln la Kwango et ses affluents laDjoumaet la Kwilou.

Dans l'étal de nos connaissances, les travaux de M. Del- commune sur la Lomani ont une importance qu'il n'est pas inutile de signaler ici. La Lomani, afHuenL de la San- kourou, n'a rjende commun avec la grande Lomani, tri- butaire direct du Congo, sur laquelle M. Delcommune avait elTectué un trajet de 930 kilomètres, c'esl-à-dire vraisembla- blemeat jusqu'aux environs du point ou M. V. Lovelt Ca- ineron l'avait coupé.

Quand auront paru les certes du méritant voyageur belge et de M. BaumauQ, le tracé du Congo et de ses tributaires ttd prendra une pbysionomie toute nouvelle.

Nous devons à un autre explorateur, M. le D' Meuse, ne carte de la dernière partie, fort longue, du cours du Kwango, comprise entre les rapides ou plutôt la barrière de locbers de Kigoundji, s'était arrêté le commandant

100 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

von Mechow, et l'embouchure de ccUb rivière dans le Congo. M. Mense accompagnait le missionnaire anglais Grenfell, en \SS&. A ce propos, M.Wichmann fait observer que les nouveaux calculs de M. von Danckelmann, pour la hauteur du Slanlej-Pool, ayant donné 280 mètres, il faudra augmenter de 40 mètres les altitudes publiiies par M. Grenfell qui avait pour point de départ le Slanley-Pool avec l'ancienne altitude de 240 mètres.

Depuis une dizaine d'années, les missionnaires baplistes établis dans le bassin du Congo cherchaient la voie la plus facile pour relier la ville de San-Salvador, dans le Congo portugais, à la partie navigable du cours du grand Heure. Vers la fin del'année 1888, M, Bentley aurait réussi à trouver que c'est à Manyenga que cette voie nboutit sur le Congo.

La (. Compagnie du Congo » a fait étudier par des ingé- nieurs, sur le terrain longeant le Congo au sud, le tracé d'un chemin de fer destiné à remplacer lavoie d'eau, coupée par des obstacles entre la station de Matadt, un peu en aval de Yivi, etN'dolo prèsKinchacha(ou Rinchassa) sur le Slanley- PooL La longueur de ce tracé, mesurée par les ingénieurs, serait de 439 kilomètres et l'exécution de la ligne rencon- trerait de grandes difficultés de terrain.

Jusqu'ici nous n'avons envisagé que le Congo même et ses affluents du sud. Parmi ceux du nord, et en aval des chutes de Stanley, il en est trois aussi, l'Arouwimi, la N'gala et l'Oubangui, dont la counaissnnce aura progressé cette année. Les Proceedings de la Société géographique de Londres nous ont présenté ces progrès sur une carie du Congo central dressée par M. Turner. C'est à MM. Werner et Baerl, employés de TEIat du Congo que nous devons ceux qui concernent FArouwinii et ia N'gala, En remontant l'Arouwimi jusqu'à Yamhouya, station jadis occupée par le commandant Barttelot, M, Werner a rencontré des bancs de sable entre lesquels il avait à chercher un canal suffi-

ET SUR LES PnOOnÉS DES SCIENCES GÉOCRAPHIQUES. 101

saïunaent profond pour sa barque à vapeur. Sur les points oî» M. Stanley avait vu des groupes de population, il n'existe plus maintenant que forêt et clairières; les musulmans escla- vagistes de Tippou-Tib qui ont ruiné le pays, s'opposent, dit-on, à la reconstruction des villages. Ils espèrent ainsi trouver les habitants de la contrée toujours disposés à se joindre à eux dans leurs chasses à l'esclave.

L'exploration de la rivière N'gala ou Mongalla, par M. Werner, est toute nouvelle. Elle noua révèle un cours d'eau formant d'innombrables méandres, au milieu d'une forêt marécageuse habitée par des être pauvres, qui pra- tiquent l'anthropophagie. Ils paraissent appartenir à la tnba des Basoko, de l'Arouwini. Quelques-uns de leurs •villages sont bâlis sur pilotis.

Un coup d'oeil sur la carte nous montre cette rivière, la X'gala, appelée à tort Bangala par M. Stanley, lors de son premier voyage, coulant à un degré à peu près à l'est du grand Oubangui ; nous voyons aussi l'Oubangui inférieur coulant, sur une distance d'environ 200 kilomètres, si près da Congo, oîi il débouche, qu'en un point, à 120 kilomètres de son confluent, il est sfiparé du fleuve par un véritable iàlbme large de 10 kilomètres.

Néanmoins, un afduent de l'Oubangui, la Loï, que

M. Werner a cru devoir appeler du nom de N'guiri, s'est

frarê un passage en longueur dans la largeur de l'isthme.

Peut-être celte singulière disposition a-l-elle fait naître

rhypolhèse admise par les Européens de ces parages, que

l'Oubangui aurait plusieurs confluents, dont l'un par la

Loi, avec le Congo.

Ses observations ont conduit M. Werner à une conclusion

•nie. Il a vu, entre les confluents de la N'gala ol de

. ....^(angui, des canaux dérivés du Congo couler pendant la

fJus grande partie do l'année, selon les indigènes, vers la

Loi, affluent de l'Oubangui. Quand les eaux du Congo

comniencent à baisser ces raOmes canaux coulent dans le

102 EAPPOUT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

Congo et M. Werner en infère que l'Oubangui baisse moins vite que Congo. A quelques kilomètres en remontanl la N'gala, il a vu, sur la rive ouest, un canal qui conduirait, directement dans la Loi. Il y a donc ici, sur les affluents Dords du Congo, comme sur les afQucnls nord du Gange, sous le méridien de Mourchidabâd, tout un vaste réseau d'anastomoses reliant entre eux les tributaires d'un grand fleuve.

L'an dernier, ft pareille époque, les nouvelles de M. Stanley remontaient au mois de juillet 1887 ; c'est donc plus de deux ans de travaux qu'il faut résumer aujourd'hui en s'appuyant sur des lettres arrivées en Europe jusqu'à ce jour.

Le 22 juin 1887, M. Stanley paitait de la station de Yamhouya, sur l'Arouwimi , avec une troupe de 394 hommes, dont cinq Européens. Uemonlant la rivière, il entrait dans la forêt vierge qui est le Irait caractéristique du coïur de l'Alrique équaloriale. L'Arouwimi, contrairement à ce qu'on avait supposé lors de sa découverte, coule de l'est à l'ouest et non du nord au sud ; elle reçoit, du nord, la Nepoko, rivière dont la découverte appartient h M. Junker, qui l'avait vue chez les Mabodé. Ainsi l'exploration a relié les résultats des explorations de M. Junker parti du bassin du Nil, aux découvertes faites dans le bassin du Congo. A Ougarrowwa oii î'Arouwimi prend le nouveau nom de Nownllé, h Kilonga-Longa elle prend celui d'Itiri ou Itouri, M. Slanley trouve des établissements de musulmans de la côte orientale; il laisse à leur garde ceux de ses hommes qui sont malades ; c'est une preuve que, Ik du moins, n'a pas agi la recrudescence de fanatisme qui se manifeste parmi les musulmans.

La géographie connaît depuis plus de deux siècles un pays de Kakongo, au nord du Congo et non loin de l'em- bouchure de ce lleuve. Au sortir de la zone des forêts

ET SUR LES PROGRÈS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQUES. 103

■vierges, à l'extrémité orientale du bassin de l'Arouwimi, M- Stanley trouve un peup2e de Kakongo qui peul-Ôtre est la souche des habitanl« du vieux pays do Kakongo, L'explorateur est obligé de lui livrer des combals pour atteindre des hauleurs de 1,080 mètres, d'où la vue plonge sur la nappe d'eau du M'woulan, du Loùla-NV.Îgué, ou lac Albert. Mais, harcelé par les habitants et ne recevant pas de nouvelles du D'' Schnilzer, autrement dit d'Euiîn-Pacha, ii revient sur ses pas jusqu'à Ibwirri, une de ses stations au nord de l'Itiri ou Arouwimi. Là, il établit le camp de Bodo.

Le 2 avril 1H88, neuf mois après son départ de Yambouya qui n'est pourtant qu'à 500 kilomètres environ de Bodo, il part pour la pointe sud du lac Albert; il y arrive, le 23 avril, à Kavalli et sept jours plus tard, ii se rencontre avec Eraîn- Pacha qu'il a mission de secourir. Sans perdre i!e temps, M. Stanley regagne son camp de Bodo; de là, par un itiné- raire nouveau, il atteint Ougarrowwa puis, par l'Arouwimi, le dép6t qu'il avait laissé àBanalyaen amontde Yambouya. Il apprend l'assassinat du commandant Bartlelot.

L'arrière-garde de l'expédition laissée sous les ordres de cet olUcier supérieur, a été réduite par des désertions qui avaient suivi l'événement-, mais le ravitaillement étant encore suffisant, M. Stanley repart pour rejoindre Emîn- Pacha avec les provisions et du renfort.

En 1 iO marches seulement, il arrive, le 18 janvier 1889, sur le lac Albert oh l'attendaient de graves nouvelles. Les partisans du mahdî qaderite ont envahi le pays; les troupes d'Emîn-Pacha se sont révoltées et, depuis le 18 août 1888, Emîn-Pacha lui-môme est prisonnier de l'insurrection.

Un grand nombre de postes militaires placés sous les ordres du gouverneur du Snud.m égyptien, se sont rendus aux envahisseurs qui n'ont subi qu'un seul échec, devant le poste égyptien de Douûi. Du 14 février au 8 mat 1889, M. Stanley reste dans !a position qu'il a choisie, attendant £iutn-Pachaï il espère que la nouvelle du renversement du

i04 RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

gouverneur est un bruit mensonger, mais, elle n'était que trop exacte; louteTois M. Stanley fit bien d'attendre car, le 17 février 1889, il vit arriver au camp, près Kavalli, deux vapeurs montés par Emîn-Pacha avec une partie de son inonde. Néanmoins, EmÎQ-Pacha n'était pas encore sauvé et M. Stanley dut parlemenlcr près d'un mois pour décider le gouverneur et le capitaine Casati à l'accompagner. II s'agissait de les convaincre qu'en quit- tant l'ancienne province équatoriale d'Egypte ils n'aban- donnaient pas leur poste puisque leurs soldais, au nombre de 10,000, s'étaient ouvertement révoltés contre eux, leur avaient refusé l'obéissance et les avaient même emprisonnés. Les quelques soldats égyptiens qui avaient suivi Eraîn-Pacha essayaient déjà de pousser à la révolte les hommes de M. Stanley, auxquels ils volaient leurs carabines toutes les fois qu'ils en avaient l'occasion.

Enfin, le 10 avril, l'expédition partit du camp près Kavalli. Elle comptait 1,500 individus, y compris350 porteurs indigènes, avec une troupe de femmes eld'enfants, les familles des soldats égyptiens. Après avoirlongé d'abord la chiine des monts Ballega, parallèle au lac Albert, à 75 Kilomètres dans l'ouest, la colonne atteignit la cbaîne des Rouwenzori, jusqu'alors inconnue. Les sommets des Rouwenzori sont couverts de neiges perpétuelles, à un degré au nord de l'équaleur et à un millier de kilomètres de la raer la plus voisine, l'océan Indien.

M. Stairs, officier de la marine anglaise, tenta de suite l'ascension des Rouwenzori, mais il dut s'arrôter à 3,250 mètres, c'est-à-dire passablement au-dessous des premiers champs de neige.

Si l'évaluation de M. Stairs est exacte, le pic gravi en partie atteindrait l'altitude de 5,059 mètres, sûil635 mètres seulement de moins que celle du Kilima N'djaro. Le sommet auquel s'était attaqué le voyageur n'est d'ailleurs pas le point culminaût des Rouwenzori. De ces monts descendent

4

ET SUR LES PnOGIlKS DES SCIENCES GÉOGRAPHIOUES. 105

une cinquantaine de cours d'eau qui vont, au nord, se perdre dans le lac Albert. Ne semble-t-il pas voir se véritier, à peine inudiGée en latitude et longitude, la vieille tradition grecque des sources du NilV

Uemonlanl, à l'est du Rouwenzori, la vallée de la Sem- liki ou Kakibbi, afiluent sud du lac Albert, M. Staaley tra- verse, au sud, l'Awamha, pays inconnu; l'Ousongora, large presqu'île sur le lac Mwouta N'zigué auquel il donne le nom d'Albert-Edouard; le Toro ou Torou, au sud du Gambara- gara; leNhaizana, jusque-là inconnu etiecanlon d'Ounyam- paka, sur ce golTe Béatrice oîi lui-môme, jadis, avait décou- vert le lac Albert-Edouard.

Par iaSemliki, le lac envoie ses eaux dans celles du lac Albert, qu'il domine de 300 mètres.

D'Ûunyampaka, M. Stanley prend au sud-est, traverse le pays inconnu d'Ankori ou Ousagara; leKaragwé, vu d'abord par le capitaine Speke, à l'ouest du lac Victoria; l'Onzinza, plus au sud. Il touche enlin la partie sud du lac Victoria ù l'un des établissements des missionnaires anglais de la c Church Missionary Society > De ce point qui fait face à Zanzibar, on n'a, en temps ordinaire, que l'embarras du choix entre les chemins. Mais ie moment du passage de M. Stanley avec sa petite armée était exceptionnel. En efiet leuiouveraent qu'on est convenu d'appeler mabdistc, et qui avait enlevé à Emîu-Pacha la province des lacs nilotiqucs, des réservoirs du Nil, semble s'être propagé jusque dans l'Afrique orientale allemande. Ainsi s'expliquerait une expé- dition militaire conduite par le capitaine Wissmann dans rOuségoura, au nord-ouest de Bagamoyo. Le succès n'a pas déserté la cause de M. Stanley et, le 4 décembre, lui et Eraîn- Pacha touchaient enfin la côte, à Bagamoyo.

Il y a cinquante ans, nous n'aurions pas pu parler, comme anjouid'hui, d'un J:iit qui s'accomplissait le 4 dé- cembre dans l'intérieur de l'Afrique. Nous n'aurions pas pu ajoutera la mention du ce l'ail l'exposé des acquisitions

106 nAPPonr scn les thavaux de la société

les plus marquantes dont la dernière campagne de M. Stan- ley a enrichi la géographie.

Le chemîn'qu'il a parcouru est trop longjles résultats obte- nus sont trop importants, les lettres de l'explorateur ont été trop rares, trop sommaires, et !e temps attribué à la lec- ture df! ce rapport est trop limité pourpermettre l'exposé des aventures qui seront, aux yeux de beaucoup de lecteurs, ratlraction principale delà relation du voyage. Ces pages doivent d'ailleurs être consacrées à la géographie, non aux épisodes d'une (épopée d'ailleurs très extraordinaire.

Voici donc ce que la géographie a gagné à un voyage de deux ans et neuf mois, accompli par l'homme qui était le mieux préparé à l'entreprendre, M. Stîinley a découvert jusqu'à ses sources le cours supérieur d'un grand affluent du Congo dont lui-môine et des voyageurs français el belges avaient fixé le cours inférieur. En remontant cette rivière, il a découvert une forêt vierge impénétrable, vérilahle rati- raille d'arbres séculaires et de lianes gigantesques, qui s'étend sans interruption sur une profondeur de quatre degrés, soit 440 kilomètres, et qui parait se prolonger de la haute Itouri, à quelques cent kilomètres dans le sud-est.

L'existence d'une véritable forêt vierge en Afrique est un fait digne d'attention car, à latitudes égales, ce conti- nent avait passé jusqu'ici pour plus pauvre en bois épais que les autres continents, l'Amérique par exemple.

Nous savions que des nains ou pour parler plus exacte- ment, des hommes de fort petite taille, au type, aux mœurs, au langage tout il fait particuliers vivaient, disséminés en groupes peu nombreux, dans les bassins de la Wéllé et de rOgôoué. M. Stanley paraît avoir trouvé dans la grande forôt vierge la véritable pairie de cette race humaine, dont les anciens, qui en avaient entendu parler, plaçaient l'habitat vers les sources du Nil.

Les anciens n'avaient donc pas été trop mal renseignés. €euxdes hommes d'Afrique que nous pouvons tenir pour

ET Sm LES PROGRftS DES SCIENCES GÉOGRAPHIQCES. 107

les plus primitifs sont restés, comme peuple, cantomaés dans les bois impénétrables, dans les fourrés éternels qui les ont abrités contre les races pins fortes, tout en leur assurant, pour leur alimentation, le gibier qu'ils savent tuer avec des (lèches enduites d'un poison subtil, ou faire tomber dans des fosses recouvertes de branchages, quand il s'agit de gros animaux.

Tout faisait penser qu'à l'ouest du Nil, le lac Albert était le dernier réservoir s'emmagasinent les eaux du grand fleuve. M. Stanley a découvert un autre réservoir, le lac Edouard-Albert, situé plus au sud, h la hauteur du der- nier tiers du lac Vicloria. Il a découvert aussi, dans le Senniiki, un cours d'eau important qui relie ce lac. à l'an- den lac Albert.

Depuis la découverte des premiers monts neigeus de l'Afrique équaloriale il y a de cela quarante ans leur nombre s'était accru jusqu'à onze, en coraptaal ceux la neige fond pendant une saison. Toutes ces montagnes étaient groupées dans la partie orientale du continent, sur l'espace assez resserré de quatre degrés de latitude et de deux degrés de longitude.

M. Stanley a découvert une chaîne do montagnes cou- rant à l'est du lac Albert, de la vallée delà Semliki et du lac Edouard-Albert, Elle regarde à l'ouest une autre chaîne plus basse, celle des monls Malcgga qui courent p-irallèlc- cnent, bordant de ce côté la dépression qui contient les deux lacs. La chaîne orientale s'éltve sur une plaine dont le niveau qui est de 840 à 8ôO mètres dépasse peu celui du lac Albert. Celte chaîne se divise en trois parties : au nord, en Ounyoro, sur un développement de 170 kilomètres, ses altitudes varient de 1,150 à 1,750 mètres; sa partie centrale, située sous les mêmes parallèles que la vallée de la Semliki, s'élève de 2,050 à 5,434 mètres. C'est qu'elle atteint, dans le Hou"wenzori, son point de culminalion. La partie sud en Oobaiyana, en Ounyampaka et en Ankori, s'abaisse et n'a

108 n,\i'Pi>iiT sua les travaux dr la société

plus que. 1,400 ù 1,800 mèlres d'altitude. Longue à peu près comme la chaîne des Pyrénées, elle dépasserait donc, au centre, non scnieraenl la hauteur du pic deNéthou, mais, de quelques 600 raèlres, celle du géant des Alpes, du Mont-Blanc. M. Stanley a fait remarquer que la chaîne découverte par lui à l'est des lacs Albert et Albert-Edouard, et à l'ouest du lac Victoria et du Nil Blanc, présente ses deux niiniraa d'élévation à la hauteur des deux lacs Albert et Edouard-Albert.

Selon lui aussi le Rouwenzori ou Rouwendjoura sérail le massif auquel les géographes anciens qui ne le connaissaient que par ouï-dire, avaient donné le nom de t monts de la Lune » .

C'est au lieutenant Slairs, compagnon de voyage de M. Stanley, que la Fcience doit la première tentative d'tixplo- ration du Rouwenzori. Entreprise avec des porteurs nalifs du Zanzibar, vôLus à la mode de la zone équaloriaie et mu- nis d'une provision insuffisante de vivres, cette tentative ne pouvait Être couronnée de succès. Sortant des forêts de la plainp M. Stairs commença l'ascension au milieu des der- niers établissements indigènes, déjà le bananier a dis- paru. A mesure qu'il s'élève il rencontre successivement une forêt de bambous, des herbages, puis des fourrés de bruyères arborescentes hautes de 6 mètres, parmi les- quelles poussent encore des bambous nains, des violettes et des lichens. Le sol est couvert d'une mousse spongieuse et humide; un brouillard froid obscurcit l'air.

A 3,254- mètres d'aMitude, M. Stairs est forcé de renoncer à s'élever jusqu'aux premiers champs do neige, dont il n'était qu'à une distancu d'environ 4 kilomètres et demi. I^ sommet à 300 ou 370 mètres au-dessous duquel il les aper- cevait, doit avoir, d'après l'estime de M. Stairs, 5,095 mètres d'altitude absolue soit, si l'évaluation est juste, 635 mètres seulement de moins que le Kilima-N'djûro. Le pic auquel M. Slairs s'était attaqué et qui lui paraissait terminé par un

ET SCR LES PROGBÈS DES SCIENCES GÉOCRAPHIQiES. 109

cratère, n'est pas le plus haut du massif du Iloowenzori ; les nuages ou le brouillard lui cachaient le point culminant du massif, celui qu'on aperçoit de Kavalli, c'est-ù-dire du lac Aibcrt.

Ainsi, à 2 degrés de latitude plus au nord que le Kénia, à un degré seulement de l'équaleur, et un à peu plus du tiers de la distance entre l'océan Indien et l'océan Atlantique, la mystérieuse Afrique nous cachait un massif alpestre, avec des sommets neigeux plus haut que l'Elbrouz, et rivaux du fameux pic d'Orizaba, Est-ce à dire que PLolémée ait été assez bien renseigné sur la géographie de celle partie fermée de l'Afrique pour avoir entendit parler du Rouwenzori? Il n'est pas permis de l'admettre. T^es monts de la Lune sont, ou bien un massif beaucoup plus près de l'Egypte, ou même une conception du géographe ancien pour expliquer les crues du Nil, tout en faisant rentrer le Nil dans la règle rraphique à laquelle étsient soumis les autres grands .i^;^ves de !a mappemonde antique. La carte d'Afrique de Ptolémée est une carte dressée sur les renseignements des indigènes et non d'après des mesures réelles; ces renseigne- ments (qui augmentent toujours les distances véritables) pnrtaient du nord; ils ont été combinés et portés par Pto- lémée sur une projection le degré était trop petit d'un sixième, comme on peut s'en rendre compte en comparant, par exemple, la haute Egypte de Ptolémée à celle des cartes modernes. Par conséquent ce que le géographe grec place sous l'équalear, en Afrique, est à plusieurs degrés plus «u nord. La nature confirme, il est vrai, le rêve et l'erreur du vieux géographe ; la joie des érudits champions des classiques se comprend; mais la justice obligea resli- luer à l'expédition de M. Stanley l'honneur de la décou- verte et l'exploration du llouwenzori, du massif neigeux qui alimente les deux réservoirs occidentaux du Nil.

Après les voyages des capitaines Speke et Grant, après le périple du lac Victoria par M. Stanley, après les nombreux

no RAPPORT SCR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ, ETC.

voyages qu'y ont fait, plus tard, les missionnaires anglais, on pouvait croire fixée la forme du lac Victoria. Il n'en était riea; ua archipel raontueux avait fait illusion eu masquant aux navigateurs un élargissement inconnu de cette grande nappe d'eau dans le sud-ouesl, entre les pays d'Ouzinza et d'Ouhaïya. M. Stanley a eu la satisfaction de corriger lui- même son œuvre. Il nous apprend que la superlicie du iac Victoria serait de 20,900 milles carrés, c'est-à-dire qu'elle excéderait de 1,900 milles carrés l'estimalion faite na- guère par le capitaine Speke.

Certes, la dernière expédition de M. Stanley n'avait pas été entreprise dans un but de pure science, mais il faut reconnaître qu'elle a été l'occasion de découvertes impor- tantes au point de vue de la géographie.

Tel est, dans la limite imposée à une lecture en séance,. l'exposé des principaux voyages par lesquels l'année 188& aura contribué aux progrès de la géographie.

S'il était reçu qu'un rapporteur se mette lui-même en cause et qu'un rapport ait une épigraphe, le résumé que vous venez d'entendre devrait Être précédé de la phrase de Montaigne: < J'ay seulement fait ici un amas de fleurs estrangières, n'y ayant fourni du mien que le filet à les lier. »

L'UNIFICATION DES HEURES

M. 1«. DE IH*RDI,i:VKl

1. HtSTORlQUE ET KOTATION DES HEUHES.

Dans l'anliquité ot pendant les prenaiers dix ou douze

siècles de notre ère, le lever el le coucher du soleil étaient

les grands régulateurs de l'activité journalière des hommes.

Il n'y avait pas d'autre repère certain pour les deux divisions

naturelles : le jour et la nuit. Le jour était subdivisé en

douze heures, comptées à partir ^u lever du soleil. A midi,

OD disait qu'il était six heures, et au coucher du soleil

douze heures. Les indications horaires de l'Ancien et du

Nouveau Testament sont conçues dans ce sens, La nuit

était, à son tour, subdivisée en douze heures, comptées à

partir du coucher du soleil. La durée d'une heure de jour

n'était donc que par exception égale à celle d'une heure de

Duil et variait, sous noire latitude, du simple au double.

EL de même pour les heures de nuit.

Vers l'an 1300, on commençait à avoir des horloges, et l'oD peut dire que cette invention marque le commence- ment d'une guerre de cinq cenls ans entre le pendule et la routine. Les contemporains du Dante entendaient que les

1. La question de rUaificalion des henres été traitée par M. Korrflioir, une premièra fois, dans la Revue générale des chemins de fer, n* d'a»ril 1888. En venant l'exposer dovanl la Société de Céogra- flue danilaaéance du 91 février 1890, il n'a fait que répondre à un ajipet gracieux que celle-ci iui'avait adressé.

112 l'unification des heuhes.

pendules marchassent avec des vitesses différentes le jour et la nuit, de façon à toujours marquer douze heures au lever et au coucher du soleil. On se fatigua cependant de ces vains efforts et on finit par laisser les pendules marcher de la mêmevilesse pendant vingt-quatre heures. Kn divers pays, notamment en Italie, on compta alors les heures de zéro k vingt-quatre, à partir du coucher du soleil. Mais nou- velle difticullé ! comme l'heure du coucher du soleil va- rie chaque jour, et parfois de deux minutes, il fallait encore donner de fréquents coups de pouce pour « faire sauter l'heure ».

On s'avisa enfîn de régler les horloges non plus sur le cou- cher du soleil, mais sur le midi vrai, c'est-à-dire l'instant le soleil passe au méridien de chaque localité. C'est apparem- ment de ce ril-glement des horloges à midi, combiné avec le changement de date à minuit, que provient notre division actuelle du jour en deux fois douze heures, division passa- blement bizarre, puisqu'elle recommence à mi-chemin, et passablement incommode, puisqu'elle nous oblige ii. distin- guer sans cesse huit heures du matin de huit heures du soir, etc.

Pour faire cesser cette incommodité, on propose une ré- forme bien simple, on propose de dire treize heures au lieu de une heure du soir, quatorze heures pour deux heures, dix-huit pour six heures du soir et ainsi de suite jusqu'à vingt-quatre heures pour minuit. Les Américains, toujours avides de progrès, ont déji réalisé cette réforme sur une vaste échelle. Dès 1887, « ïAc24 hùur system » était appli- qué sur 4,500 kilomètres de chemins de fer, et à la fin de 188811 s'étendait sur près de 11,000 kilomètres. La Société des ingénieurs civils américains publie périodiquement des listes nominatives des partisans du nouveau système. Au dire de M. Sandford Fleming*, les directeurs de 220,000

1. Lellr« particulière du 31 janvier 1890.

L^'NIFICATJON DES IIEURKS- 113

très de chemins de fer sur un total de 200,000 se- raient, à l'heure qu'il est, gagnés à la réforme.

Pour la réaliser pratiquement, les Américains n'ont pas attendu la confection de nouvelles montres; ils se sont bor- nés à coller sur les anciens cadrans des feuilles de papier portant un second anneau, intérieur, de chilFres. Il parait qo'on s'y habitue extrêmement vite, que le public se mon- tre sympathique et que le personnel des chemins de fer s'en applaudit hautement. Il est certain que les indicateurs des chemins de fer gagnent beaucoup en clarté.

Pour ma part, je considère la réforme en question comme un progrès incontestable, et je crois qu'elle nous arrivera an jour. L'administration des télégraphes italiens l'a, dit- on, déjà introduite dans son service intérieur. Malgré cela, i~ d'avis de ne pas nous presser, de voir venir. Nos po- , uns européennes sont plus routinières que les améri- caines. Il y a d'ailleurs une question dont je ne vois pas en' core la solution, celle des sonneries des pendules et des horloges. En Amérique, elles continuent à sonner deux fois douze heures, tandis que les cadrans et les indicateurs ouvquent une fois vingt-quatre heures. Gela ne pourra pas indéfioimeut. Tôt ou lard on voudra modifier les son- . Cela coûtera cher. El dans quel sens les raodiliera- V-onî Fera-l-on sonner jusqu'à vingt-quatre coups? Je ne le coascilleraispas en France, car personne n'aurait le temps ni lu patience de les compter.

Je vous ai entretenus de cette question de notation parce que je l'ai pour ainsi dire rencontrée sur mon chemin, ' ille n'a rien de commun avec l'unification des heures, iquelle oiiridentifie trop souvent.

IL L'unification intérieure des heures.

Eu réglant les horloges à midi, on n'était pas au bout des difficultés. Elles obéissaient mieux au soleil; mais qui

SOC- 1>E OÉOGH. 1" TBIJIKSTBE 1890. XI, ^

L UNIFICATION DES HEURES.

l'aurait cru? il y avait encor dos différences alleignant parfois quinze à vinj^t secondes par jour, et il fallail toujours de petits coups de poucel C'est que notre astre du jour n'a pas la marche égale d'une pendule. Selon tes saisons, il met quelquefois plus de vingt-quatre heures, quelquefois naoins de vingt-quatre heures à revenir au méridien. Le cadran solaire, qui indique le passag^e du soleil au méridien et qui marque pour nous le Icmps vrai, n'est d'accord avec un bon chronomètre, marchant d'un pas égal et donnant la temps moyen, que quatre fois par an, inégalement espacéesi Les plus grands écarts se produisent vers la mi-février et la Toussaint, sans dépasser quinze à seize minutes. Malgré cela, on s'ohstinait, encore à la fin du siècle dernier, à œ tenir les horloges sur le soleil ». En 1780, le célèbre Lepauta construisit, ii celefiet, une « horloge automatique » pour la ville de Paris, el, en 1806, une autre « horloge à équation t fut couronnée à une esposition au Champ-do-Mars.

Cependant les hommes de bon sens se demandaient si ces moyens n'étaient pas hors de proportion avec le but, si pour un écart de si\ à sept minutes en moyenne il était raison nable de renchérir le prix des pendules, de les compliquer et de les rendre plus sujettes à se déranger. Mais les cheva liers de la routine ripostaient : « Si te midi du soleil ne tombe plus sur douze heures de l'horloge, les hommes de métier seront déroutés dans leurs travaux. Les boulangers, trompés par les horloges, ne seront plus prùts à l'heure elle peuple manquera de pain ! ' »

C'est à la ville de Genève qu'appartient l'honneur d'avoir rompu avec la superstitioa du soleil. A partir du l""^ janvier 1780, les horloges de Genève ne furent plus contrariées par la main de l'homme et marquèrent le temps moyen. Londres suivit l'exemple en i79i!, Berlin en 1810, Paris

■1. Histoire de l'heure. Conférence donnéo à la Sociiité royale bclga do Géographie le 30 mm-s iHUiS, par M. Houzg»u.

L'DNIFICATION DES HEPRES. 115

1816. Et encore à cette époque, M. de Chabrol, alors préfet de la Seine, redoutait à ce point un raouvement insurrec- tionnel dans la population ouvrière, qu'il ne signa l'ordon- nance qu'après avoir demaudé un rapport spécial au Bureau des loni^itudes '.

Depuis lors et jusqu'à l'apparition des chemins de fer, tous nos cadrans marquaient le temps moyen, et, bien entendu, le temps moyen local, les horloges des dillërentes localités avançant les unes sur les autres à raison de quatre minutes par degré de longitude est. Celles de Paris avan- çaient de vingt-sept minutes sur Brest, relies de Nice avan- çaient de vingt minutes sur Paris. Le public ne s'apercevait goère de ces différences. Ce sont les chemins de fer qui les out mises en relief. Le mécanicien, le chef de train qui tttrtait de Paris avec son chronomètre réglé, ne devait pas, oe pouvait pas y toucher en roule, pour le mettre en accord avec les heures locales qu'il rencontrait sur son parcours. Pour éviter la confusion, il fallait, au contraire, régler les cadrans des stations sur la même heure que les chrono- mètres portatifs. C'est ainsi que les chemins de fer ont suc- ce«jveinent apporté l'heure de Paris dans toutes les loca- lités desservies et que celles-ci ont appris à compter d'après dcQï heures différentes, ï'heure locale et l'heure de Paris. J'oublie une troisième heure, l'heure du méridien de Rouen, es retard de cinq minuies sur celle de Paris, Voici comment.

A l'origine des chemins de fer, on craignait que le voya- geur en partance ne se mît en retard, et l'on crut hahiie de tenir les horloges intérieures des gares en retard de cinq mi- nutes. Cette mesure, qui partait d'une excellente intention, n'était peut-Êlre pas absolument justiflée par les habitudes d'alors (car autant qu'il m'en souvient le public affluait aux messageries bien avant l'heure) ; mais en tout cas elle i '.e"-'!»! sa raison d'être depuis que les voyageurs ont appris

f. krixgo, Ailromniie iiopulaive, t. I", page i'M.

MO l'unification des hedres.

h connaître ces cinq minutes et h en tenir compte. Uion de pareil n'existe d'ailleurs dans les autres pays.

Celte coexistence de trois heures diU'érentes n'est pas sans inconvénienl. Les voyageurs partant de Brest qui n'auraient pas appris que l'heure du chemin de l'er est en avance sur la ville arriveront à îa gare en retard de vingt-deux minutes. Et le voyageur qui se rend à Nice et qui, d'après l'indicateur, doity arriver à neuf heures, ce voyageur, qui, lui, trèspro- blement, ignorera la diirérence do l'heure locale, s'apercevra au premier cadran urbain qu'il est en retard de vingt-cinq minutes quand bien mûme son train est arrivé exactement. C'est se priver volontairement d'une partie des bienfaits de l'invention des horloges que de les faire fonctionner dans de pareilles conditions. Faire disparaître, en France, ces heures simultanées doubles ettriples, c'est lebut d'une pre- mière unification, de rUniûcalion intérieure ou nationale.

En Angleterre, l'unification intérieure est faite depuis quaranle-deux ans, en Suède depuis le 1" janvier 1879, au Japon, aux Étals-Unis depuis plusieurs années. Le Wur- temberg est dans le même cas et, à ce qu'il parait, plusieurs autres États de l'Europe centrale. Dans tous ces pays, l'heure des chemins de fer et des télégraphes est en même temps l'heure de la vie civile toute entière, et les résultais de l'expérience sont si favorables et si décisifs qu'il n'y a aucune témérité h prédire que peu à peu cette unification deviendra la règle du monde entier, que l'Jieure temps moyen local sera remplacée partout par l'heure temps moyen normal. Quel écart maximum peut-on admettre entre l'heure normale et l'heure locale? La pratique seule pourra résoudre cette question*.

t. Voici quoiques exemples empruntes à l'Amérique conlemponiino : l'heure normale retarde iIg 'ii iniuiitos pour Zanesvtlle (Oliia): avança de iil minules pour lirandon (Manilotia), de tl minute» pour Dadge-Cily (Kaneag), de ii miaules pour Kortli-HaUe (Nebrasiva), do 46 minules pour WnlUce (Kauaas), de t>6 miaules pour El-Paao (Texas).

l'unification des heures. h 7

En FraDce, les pouvoirs publics sont saisis de celte réforme par un projet de loi présenté à la Chambre des députés le âO novembre 1888', il y a quinze mois. Depuis, —je n'en ai pas entendu parler.

III. UNIFICATION INTBUNATIONALE.

Mais à côté de l'unification intérieure, qui est facile, il y a l'unification extérieure ou internationale, qui est difficile.

La plupart des États ayant adopté des heures normales différentes, au gré de leurs convenances individuelles, il bmt changer d'heure presque à chaque frontière. Allons, par exemple , de Paris à Gonstantinople : il faut avancer sa montra dix fois, savoir:

STATIONS ET FRONTIÈBES.

Paris

Anieourt

Dans la traversée de l'Alsace

Kehl (frontière badoise)

Mûhlacker ^firontiëre wurternborgeoise).

Om (frontière bavaroise)

Simbach (frontière autrichienne)

Bmck (frontière hongroise)

Belgrade (frontière serbe)

Tzaribrod (frontière bulgare)

Slnstapha-Pacba (frontière turque)

HEURE régulatrice.

Rouen

locale

id

Carlsruhe

Stuttgart

Munich

Prague

Pesth

Belgrade

SoAa

Gonstantinople.

Avance totale entre Paris et Gonstantinople.

AVANCE

de minutes

â3 4

3 10 11 19

6 11 33

l'-sa»

La Bulgarie, voulant encore délicatement rendre hommage à son suzerain, en réglant ses chemins de fer sur Gonstan- tinople, les deux dernières étapes n'en font pour le mo- ment qu'une seule. A Tzaribrod on pousse l'aiguille à la fois de 11 + 23 = 34 minutes.

1. Journal officiel du 8 août 1889.

us l'pnification des HECIRES.

Pour remédier à cette situation confuse, trois moyens sont proposés :

L'heure locale abaoluc On nous dit : « Si en arrivant à Avricourt vous trouvez un écart de vingt-trois minutes, c'est votre faute 1 C'est uniquement parce que vous y avez artiflcieilement transporté l'heure de Rouen (Paris), heure que le soleil entendait réserver à cette ville. En le faisant, vous avez violé les lois de la nature, Revenez aux heures locales pures et simples, en supprimant votre soi-disant heure normale, et tout rentrera dans l'ordre.»

Fort bien ! direz-vous mais comment, avec ce système, les chemins de fer pourront-iis marcher?... Ne vous pressez pas trop de répondre. Dans toute l'Allemagne du Nord et même en Alsace-Lorraine, c'est sur l'heure locale que les horaires ou indicateurs sont réglés. Les méca- niciens, il est vrai, ont leurs chronomètres réglés sur l'heure de Berlin et ils ont dans leur poche des itinéraires rédigés en conséquence, mais c'est leur secret professionnel. Le» horloges des chemins de fer, les intérieures et les exté- rieures, ne montrent partout, comme lesclochers des villes, que l'heure locale, rien que l'heure locale. Le peuple de de l'Allemagne du Nord ne se doute pas qu'il puisse y avoir une heure de chemin de fer diQérenle de l'heure vulgaire.

L'Autriche, qui depuis 1870 ne croyait pas pouvoir trop imiter la Prusse, s'était laissée entraîner, au printemps 1874, à mettre ses chemins de fer aussi au régime de l'heure locale. Mais il souleva tant de réclamations que, au prin- temps i87G, l'heure locale fit place aux heures normales de Prague et de Pesth, encore en vigueur aujourd'hui. Les Compagnies avaient déclaré la sécurité compromise, et une auguste personne avait fait la remarque topique : que dans ses voyages elle ne savait plus jamais l'heure qu'il était. C'est qu'en effet une fois embarqué votre montre ne peut plus vous servir, puisque à chaque station vous rencontrez une autre heure locale.

l'unification des hedres. 119

Mais je n'insiste pas, le système de l'heure locale étant de plus en plus combattu dans les paj's il subsiste encore, et De trouvant aucun défenseur en France. J'ajoute seule- ment cette réflexion; que ce n'est pas tant la rapidité de la vapeur et de l'électricité, que le nombre croissant des (oyarjeurs en mouvement qui a tué et qui lue l'heure locale.

^L'heure nnivenieiie. Dececôlé,ûn nousdil: << Si Cela TOUS contrarie de toucher à vos montres à chaque fron- tière, eh bien ! n'y louchez pas ! Que le mécanicien arrivé à Avricourt passe son chronomètre à son collègue allemand et que ce même chronomètre continue à faire ainsi le tour da monde, répandant partout l'heure de son point de départ. Il y aura ainsi une seule et môme heure sur le globe entier l'heure universelle et, qui plus est, il y aura ime seule et môme date, s

La mêoie date ! Vous doutiez-vous qu'à côté de la ques- tion de l'uniflcation des heures il y eilt encore une ques- tioQ d'unification de dates? On ne saurait le nier, et il y inrait des choses curieuses et inattendues à dire sur ce point, inattendues pour ceux qui, comme moi, ne les ont jamais entendu professer. Mais je craindrais de sortir de mon cadre et me borne à vous signaler quelques-unes des anomalies qu'on se plaît à répéter et à grossir.

Ainsi, vous pouvez recevoir aujourd'liui un télégramme régulièrement expédié demain. Un Anglais, recevant le 3 mal, à Londres, un télégramme lui annonçant la mort de son oncle, se jette dans le premier bateau, pour recueillir un riche héritage. A son arrivée à Hong-Kong il se voit déshérité par un testament daté du 4 mai. Ce testament doit nécessairement être faux ! Procès. Procès perdu I

Par bonheur, ces sortes de surprises n'arrivent pas tous les jours, ni h tout le monde, pas plus que les surprises du divorce. Plus elles se produiront, d'ailleurs, plus elles deviendront inoffensives, parce qu'on se sera familiarisé avec ane situation qui, aujourd'hui, n'est bien connue que d'un

120 l'unification des heures.

petit nombre. Que les esprits géométriques s'ingénient, rien de mieux. Mais la solution qu'ils nous offrent jusqu'à pré- sent, solution consistant à considérei' le soleil comme une quantité négligeable, ne saurait convenir à tout le monde. L'heure universelle nous réserverait d'autres surprises, d'autres incommodités'. Je me borne à l'objection princi- pale. Actuellement, !es peuples civilisés changent de date à minuit, chacun selon son méridien. Avec l'heure univer- selle, le changement de date s'opérerait simultanément sur le globe entier, au moment l'horloge de Paris ou de Greenwich sonnerait minuit, c'est-à-dire :

Ao Tonkin à 7 heures du malin (heure locale nctuollc).

A Sydney à 10

A 1.1 Nouvelle-Zélande ver» midi.

A San-Krancisco à... 4 heures du soir.

Comment la procédure civile et le commerce s'arrange- raient-ils de cela? Los mots hier, aujourd'hui et demain perdraient leur sens. Ce serait une confusion sans nom.

Ne nous arrêtons pas plus longtemps à ce second remède, qui serait pire que le mal. On pourra en reparler quand, dans le cours des siÈcles, la civilisation aura changé de place, quand la circulation entre l'Auslrrilie et l'Amérique sera devenue l'équivalent du Paris-Versailles d'aujour- d'hui.

3" li«ii raaeniix hornirea. Heureusement qu'entre le système de l'heure locale absolue et celui de Theure univer- selle il y a une transaction acceptable et pour ainsi dire naturelle. Reprenons l'itinéraire de Constantinople. En nombre rond, la différence de temps est de deux heures, qui nous sont administrées, aujourd'hui, par petites gorgées de deux h vingt-trois minutes, en neuTou dix étapes. Servez-

1. Voir entre .-lulro» un Iravail do M. Wci«s, succeiscur de M. Qppcil- zor à l'observatoiro do Vienne : Zur Frage der Weideil, Vienne, Cari Gcrold. 1886.

122 ' l'unification des hecres.

nous-les en deux fois, en doses deune heure juste, à la fron- tière allemande et à la frontière ollomane.

Voilà le système des fuseaux horaires! Il serait difficile de dire qui en a eu la première idée, tant elle est naturelle, mais il est certain que ce sont les Américains qui, les pre- miers, l'ont appliqué en grand sur l'immense territoire qui les y conviait. C'est pour cela que le système des fuseaux horaires est désigné aussi sous le nom de système américain.

Les Américains ont divisé la terre en 24 fuseaux ("Voir la carte ci-contre), ayant chacun son heure normale, différ.int d'une heure juste de l'heure normale du fuseau précédent. Ce n'esl pas précisément l'unification des heures, mais c'est l'unification absolue des minutes et des secondes, marquées uniformément par tous les cadrans du globe. Pour méridien initial les Américains ont pris celui de Greenwich. Les heures normales des autres vingt-trois fussaux se trouvent ainsi être les heures locales des 15% 30°, 45», 60% etc., degrés de longitude ouest et est de Greenwich.

Dans la pensée de l'aulear principal du système, M. Sand- ford Fleming, alors ingénieur en chef du chemin de fer transcontinental du Canada, les vingt-qualre fuseaux et leurs heures normales devaient être désignés par les lettres de l'alphabet, M. W. F, Allen, un autrti homme de chemins de fer, proposa de remplacer les lettres par des noms propres, tels que

Heure universelle pour le fuseau an glo- français,

continentale auiitro-ancniand.

Paciflc-Time pniir le JïïfP, de 8 heure! en returd «ur Greenwich.

Mountain-Tlme 11(0% 7

Centrat-Time 90", 6

EaBlern-Tirae 75", 5 ~

Intereulonial-T. W", 4-

Ces cinq derniers noms sont aujourd'hui universellement employés dans la vie publique et privée de l'Amérique du Nord.

L'UMIFICATION des HEUnES.

123

Les Américains ne se sont pas astreJDls à délimiler leurs Tuseaux d'après les méridiens intermédiaires (67' Vtj82" '/,, 97' Vï» il2"' 'j) qui sont figurés sur la carte et. qui auraient pour effet de iimiler rigoureusement à trente minutes l'écart entre chacune des heures noriualeset l'heure locale. Ils ont tenu comptedel'étenduedes concessions de chemins de fer, des frontièrus des Étals et d'autres circonstances locales. Les chemins de fer, en particulier, semblent s'être beaucoup inspirés, à mon gré même trop inspirés, de leurs convenances spéciales. C'est ainsi que sur la ligne de Porl- Artbur, sur le lac Supérieur, à l'île du cap BreLon, longue de près :2,50O kilomètres, ils font usage de l'heure unique Easlern-Time, en avance de cinquante-sept minutes sur l'heure vraie de Port-Arthur, et en retard de quarante-six minutes sur l'heure vraie de Halifax. Aussi la municipalité de Halirax a-t-elle adopté l'InlercoIonial-Tîme, en avance de quatorze minutes seulement sur l'heure vraie etde une heure juste sur l'heure du chemin de fer. De son côté, la ville de Savannah a conservé son heure locale, en avance de trente- six minutes sur l'heure normale. Je pourrais vous signaler d'autres exceptions, grâce à une obligeante coraniunicalion de M. Allen, mais le nombre de ces exceptions diminue, paratt-il, de jour en jour', et il y a en ce moment mi^me un mouvement de pétitions pour que le Parlement cana- dien et le Congrès des États-Unis régularisent le nouvel état de choses *.

Dans notre ancien monde, les fuseaux américains con- duisent aux groupements suivants (Voir la carte ci-contre),'

1. LeUresde M. AUeti dos 29 et 31 Janvier et 7 mars 1890. Co aoat iortoul les villes ilc l'Oliio qui â'âtaieiit refusées à l'adoption do l'heure BurrnMle de Jours clicmius de for, en retard do 2i à 27 miitules sur les huurcs locales. Maia le 22 iï^vrior 1800, jour itiiiiiversairc do la ûaissance de Wasliingtûii, Ijl ville de Cinciiniati, de 350,000 habilaiiU, pour célébrer 'enr: féto niilionalc, adopta l'Iioure iioniKilc, et, dupuis, |dusiours autres

i.-T. ont déjri suivi son cxcinj)le.

;. Lettre de M. Saudford-FletTiinj du 31 janvier 1890.

■124 l'UKIFICATION des nEURES.

Le fuseau A comprend : les Iles-Britanniques, les Pays- Bas, la Belgique, la France, l'Espagne, le Portugal, le Ma- roc, l'Algérie, la Tunisie. L'heure A n'est en retard que de 4 minutes sur celle des chemins de fer français.

Le fuseau B : la Suède et Norvège, l'Allemagne, la Suisse, l'Italie, l'Autriche-Hongrie, la Serbie. L'heure B est en

15 IV, 0 -V, -iS 2gVz 30 37/1!

7^i

îi^t

15

l'I'H

avance de 7 minutes sur Berlin, de 3 minutes seuleraentsur Vheure de Prague (régulatrice des chemins autrichiens), et en retard de 5 minutes sur Vienne, Celte dernière capitale, soit dit en passant, n'a jamais mis son araour-proprc à im- poser son heure locale à ses chemins de fer.

Le fuseau C : la Pologne et la Russie jusqu'à Moscou, la Roumanie, la Bulgarie, laTurquie d'Europe, la Grèce, l'Asie Mineure, la Syrie, l'Egypte, L'heure C est en avance de 4 minutes sur Constantinople, et en retard de i minute

L'UNinCATlON DES UEURES. 125

sealement sur l'heure de Pélersbourg, qui règle les chemins de fer russes.

Je me sers des lettres pour désigner les fuseaux, mais je reconnais que de simples lettres peuvent facilement se con- fondre. D'an autre côté, tes noms adoptésou proposés par les Américains ne sont pas non plus faciles à retenir et, d'ail- leurs, en partie ambigus. Un astronome autrichien, le D' Schrano, eut l'ingénieuse idée de combiner ces deux systèmes en choisissant des noms géographiques dans l'ordre de l'alphabet : Adria, Bosphore, Caucase, etc.'. Ce serait, parfait, à mon avis, si, dans l'application de son idée, le D' Schraro ne s'était laissé séduire par une subtilité. Il voudrait considérer le fuseau anglo-français, le fu- seau de Greenwicb, comme le zéro d'un système d'abscisses et n'attribuer la lettre A qu'au fuseau austro-allemand. Les mathématiciens sont d'accord que le méridien initial ou comme on l'appelle quelquefois moins correctement le '< premier méridien 6 doit porter ie numéro zéro; mais vouloir étendre cette qualification à un fuseau d'une tipais- seur de 15 degrés, c'est méconnaître les priucipes. C'est comme si l'on prétendait que le mois de janvier est le mois zéro et février le premier mois de l'année. Et pourquoi cette bizarrerie? Parce que pour le D' Schrara, chaque lettre a une valeur numérique (Zahlenwerlh) : la lettre D, comme quatrième lettre de l'alphabet, est, pour lui, synonyme de quatre; E= 5; etc. Gela étant, M. Schram fait observer que, étant donnée, par exemple, un^ heure E, il suffit d'en retrancher la valeur numérique deE pour avoir immédiate- ment l'heure correspondante de Greenwicb, pour lui B rtieure universelle ». Ainsi

Si dans le fuseau E il est 10 h. 25 du matin,

Comme Ë ^^ 5 Il seraù Greenwicli 5 li. du malin.

I . Vuir la carlt: iuséiée à in |jage 91 du procùs-vcrbal de la séance du il février 1890.

l'ukifigation des heures.

Mais combien de personnes savent p;ir cœur que E est la cinquitme, P la quinzième lettre de l'alpliabet? Il faudra compter surses doigts, eî, en cecas, il sera tout aussi facile décompter le nombre des inlervatles entre les lettres que les lettres elles-mêmes. L'opération pratique sera donc abso- lument la môme, que le fuseau initiai s'appelle A ou zéro*.

Le fuseau de Paris-Londres conservant sa lettre A, quel nom lui donner? Le nom i anglais » ou « anglo-français » se trouve exclu parce que ni en anglais, ni en allemand, ni en italien le mot « anglais $ ne commence par un a. On pourrait dire heure d'Alençon ou de l'Atlas, Mais le nom le plus neutre et le plus conforme aux résolutions IV-Vl de la Conférence de Washington serait peut-être heure astrono- mique.

Le fuseau B pourrait s'pppelerle fuseau baUique. Ce serait un hommage rendu à la Suède, qui, comme nous allons le voir, a devancé rAraérique de quatre ans dans l'umOcation pratique des heures.

Je ne cite ces différents noms qu'à titre d'exemples, propres à vous faire saisir les avantages mnémoniques du système, car il est clair que pour arriver à un résultat satis- faisant et universelliiment accepté, les dénominations et les délimitations des fuseaus devraientêtre l'objet d'une enlenle internationale.

L Je suis heureux de consUter (page Iti du procès-verbal de la séance du 21 février) que le frère Alexis ne semble pa$ goCUer non plus la série proposée par le D' Scliram :

Allontiquc. ||Eiii'o|.e.

S.T.V. X. Y. Z.llu.A.B. et qu'il cherche à l'améliorer, en remettant l'U à sa place :

S.T.l'.V.X, Y.IIZ.A. B. et en donnant Z comme l'ubrcvialion as '/.éto. Mais cplln abréviation, comme telle, serait inintelligible p>uiir Irs nalioDs gerai.iniques et slaves et lai^iserait snbsistct' l'espace de fïiille V-A ou Z-A qui, coupanl l'Europe en deux, embarrasserait 8ùrctn<;nt les prufesseurs de géograpliie.

Que cliacua veuille avoir la lettre A, on le comprend à la rigueur; mais que la Franccs'en l.iisse dépouiller, un ne le cumiuTUdiail pas'

I. ONIPICATION DES HECRES.

slèmc des fuseaux ho-

^to;

'ônstatons que, en Ihéorie, le nires facilite singulièrement runificulion intérieure sur le globe entier, qu'il simpliâc égnlcment la coordination des dates et, en(in,que le saut de l'heure qu'il impose au contact des fuseaux entrera aisément dans les habitudes, si on le fait coïncider avec les frontières politiques. Et au point de vue de la réalisation pratique du système, nslatons que, sur les 24 fuseaux, 5 tombent dans l'océan Pacifique, 2 dans l'Atlantique, et qiie, parmi les 17 fuseaux restants, il en est 9 oil les nouvelles heures normales sont déjà plus ou moins en vigueur, savoir :

L'heure A en Grande-Bretagne, deimis !o l;{ janvier !M18;

B en Suède, depuis le !"■ janvier 1879;

C en Russie, depuis le l'7l3 janvier 1888 1 minute prè.i);

K au Japon, depuis le [■"'janvier 188^;

R, 8, T, U, V, en AiniSrique, depuis le 18 novembre 1883.

IV. La solution probable

J'ai cherché à vous démontrer les avantages des fuseaux horaires, mais ces avantages ne sont pas absolument liés au choix rie tel ou tel méridien initial, Il me resterait donc à délercniner avec vous le méridien remplissant le mieux les conditions scientiliques. Mais je n'ai garde de le faire. Il y a des faits accomplis qui dominent les théories, et il s'y mêle des aspirations nationales, espèce de forces de la nature,

gvant lesquelles oa est réduit au rôle impuissant et ingrat

simple météorologue.

Voici donc mon pronostic. Le système américain, tel

}b1^ me semble aujourd'hui arrivé au même point oti était

système métrique sous le second Empire. Et à cet égard,

»rmetlez-moi une explication personnelle,

En 1844, à peine sorti de l'Ecole des ponts et chaussées, j'ai comoaencé un apostolat en faveur du système métrique

138 l'unification des UEUnES.

à l'élranger. J'ai publié des brochures, donné des confé- rences. Un journal allemand me signala comme un homme dangereux, soudoyé par l'empereur Napoléon, qui, au moyen du syslème métrique, voulait mettre l'Allemagne à ses pieds. En 1858, je terminais une brochure par ces mots: « Je ne sais si l'Europe sera républicaine ou cosaque, mais je suis certain qu'elle sera métrique. Ce n'est qu'une ques- tion de temps! > Je ne me trompais pas. Dès 18C8, l'Alle- magnc du Nord adopta le système métrique et, en 1872, l'Autriche suivit son exemple. J'eus l'honneur de faire par- tie de la commission qui élabora ta loi autrichienne.

Si je me permets de relater ici ces détails, c'est unique- ment pour montrer que j'ai assisté de près au triomphe du système métrique à l'étranger et que j'ai pu me former une opinion sur les qualités de ce système qui lui ont valu son triomphe au dehors.

C'était d'abord sa clarté, On était sûr que les mesures métriques ne seraient jamais confondues avec aucun pied, avec aucune des anciennes mesures, dont la multiplicité désolait le monde.

C'était sa décimalité. Les avantages de ta division déci- male étaient tellement appréciés qu'on l'avait appliquée à quelques-unes des mesures anciennes.

C'était la finesse de ses divisions. Les savants et les mécaniciens rivalisaient d'amour pour le millimètre.

C'élail enfin la contagion de l'exeraple. Plus on voyait le système métrique se répandre, plus on pouvait espérer son triomphe final et exclusif, et plus cet espoir, répondant au besoin d'unification, devenait un nouveau stimulant.

N'était-ce pas aussi sa nomenclature? Sa nomencla- ture systématique était, à part quelques théoriciens, coasi- dérée comme encombranle et comme terrible pour le peu- ple, qui d'ailleurs ne s'est fait faute nulle part de l'estropier.

Et sa neutralité? La dix-miîlionième partie du quadrant? J'ai raoi-mûrae, aussi souvent que possible, rais en avant

l'dsification des heures. 429

f€tte feuille de vigne; mais, au fond, elle ne trompait aucun homme sérieux. On savait très bien que, pour se procurer UD mètre-étalon, on ne pouvait pas remesurer la terre, mais qu'il fallait écrire à Paris, tout comme si le mètre avait été la centième partie de la colonne Veud6me. Prenez la loi autrichienne; elle mentionne en toutes lettres le « mètre prololype déposé aux archives de Paris, s Et la convention du mètre, de 1875, n'a-t-elie pas donné la sanction inter- nationale à un atelier qui, sons le contrôle de délégués étrangers, confectionne, à Paris, les copies des étalons mé- triques destinés aux nations étrangères? Or, si à Paris il peut y avoir un atelier international neutre, je ne vois pas, pour ma part, pourquoi le méridien de Paris n'aurait pas pu, à fortiori, être accepté comme neutre; car l'atelier exige la présence permanente de délégués étrangers, tandis que le méridien, une fois adopté, n'exigeait aucune surveil- lance. La meilleure preuve que les autres ualions ne tenaient pasbeaucoupà la prétendue neutralité, c'est qu'àWashington, comme à Rome, elles ont, à la presque unanimité, adopté le méridien de Greenwich. Je suis convaincu que c'est en %'atlardant à la vertu séductrice d'un méridien « neutre » qu'on a laissé le temps au méridien de Greenwich de sup- planter celui de Paris et d'envahir les fuseaux horaires.

Ce qu'il y a de surprenant, c'est que ce ne sont pas du loot les Anglais qui ont prôné leur méridien de Greenwich. Au contraire !

Les fuseaux horaires ont été proposés dès 1869 par le professeur Ch. Dowd, principal d'un lycée de demoiselles à Saratoga, en les basant sur le méridien national de Washing-

lOD<.

Le véritable auteur de la réforme, le Canadien Sandford Fleming, ne songeait pas davantage au méridien de Green- wich; il proposait, comme méridien initial, le méridien du

I. Proceedings of the Canadtan Institute, Toronto, July 1885. Univ. or ttmic Time, p. 13.

soc. DEGÉOGR. 1" THIMESTBE 1890. XI. 0

130 L'DNtFICATION BES HEPRES,

détroit de Bering. El ses compatriotes anglais, offlcielle- Taeal consultés sur son projet, écoulez ce qu'ils en dirent. Sir G.-B. Airy, directeur de l'observatoire de Greenwich, s'exprime ainsi, à la date du 18 juin 187'J :

a Jo n'attaclje pas la plus légère valeur à la première partie dos iilées de M. FlemtKg y> (considéralioiis relatives à une hoiire internationalo). « Setondemeiit, en ce qui concerne un mdriilien initial, aucun pratinien c'a jamais besoin d'une pareille chose. Si un méridien initial devait ^Ire doplé, il faudrait que co fût celui de Greenwich, car la nnvigalion du monde presque entier dépend de calculs basés sur Grcemvich. Mais moi, comme directeur de l'obscrvaloiru do r.reoiiwich,je repousse absolument l'idée do {'oiidcr là-dessus une prétention^, v

C'est te mot déjà cilé par M. Tondini de Quarenghi. Le dire du directeur de Tobservatoire d'Edimbourg, M. Piazzi- Smyth, est encore plus extraordinaire. Ecoutez bien! C'est son rapport officiel, daté du 30 août 1879* :

ir Qui a créé les nations, Dieu ou Satan"? On devrait vraiment croire que c'est Satan, quand on voit avec quel ^Me on s'attache à détniire les distincliiins qui stjparent le» nations et qui les caractériiseiit... Malheur h ceux qui cherchent à les elTucer! Qui sont-ils d'aillmira'' Des iiieiiibres de l'Internationale, des athées, des liis de la Révolution frauçaise... Jamais la nation britannique ne portera une atteinte ni à sa famille TOjrale, ni à ses poids et mesures, héritage divin, remontant à l'origine de sa race. t>

Cependant le méridien passant par l'observatoire de Grecn'vvich, création relativement récente d'un Français, ne partage pas la prédilection de l'astronome écossais. Celui-ci verrait avec faveur transporter le méridien national des Anglais en Egj'pte, de façon je cite mot à mot

« De façon a pass«^r exactement sur le monument cité par Isaïc, c'est-à- dire la grande pyra ru idc. f.ar c'estclle quicst le pilier tiiit/^ë6e/i, annoncé par le prophète messianique cumine devant, au jour dernier, servir de «igné su Dieu des armées. »

1. Univ. or Cotmic Time, p. 33.

2. Ibid, pp. 30, 37.

L'UtfIFICATION DES^HEtrnES. 131

Vous voyez qae le méridien de 'Jérusalem trouée un rival inatléndu dans le livre du prophète Isaïe*.

Le méridien de Greenw ich, comme méridien initial, paraît avoir été proposé pour la première fois, en 1881, par le D'Barnard, président de Col umbia Collège, New-York*.

Deux ans après, au printemps 1883, les directeurs des «hemins de fer américains, ne se reconnaissant plus au milieu des H heures régulatrices qui se partageaient alors leurs réseaux, se réunirent en conférence et s'approprièrent le système des fuseaux horaires, en le basant non sur le méridien problématique du détroit de Bering, mais sur le méridien marqué sur leurs caries, le méridien palpable et tangible de Greenwich. Ces directeurs étaient pressés. Jo suis heureux de pouvoir vous montrer une copieaulhentique de la carte qui leur a été soumise par leur secrétaire, M. Allen. On y voit indiqué en couleurs le domaine de «haque heure normale d'après la répartition adoptée. Avec -quelques légères modiflcaiions, cette mfirae répartition a été mise à exécution le 18 novembre 1883, date à jamais tnémorable.

Aussi, l'année suivante, la Conférence internationale offi- ciellement chargée de déterminer un méridien initial comnoun à toutes Ica nations était-elle à peine réunie à "'" -liington, le l" octobre 1884, qu'elle reçut une lettre de - ji ùjômes directeurs de chemins de fer insinuant A la Gorv- férence qu'elle pouvait bien délibérer sur les intérêts de la science, mais que, sur les chemins de fer, la réforme de l'heure était faite et que tout changement serait inutile et inopportun.

Vous savez ce qui s'est passé ensuite à celte conférence de Washington. La France demandait un méridien enlière- mcnt neutre, sans préciser celui qui lui semblait le mieux remplir celte condition, et en sacrifiant de sa propre main,

I. C. XIX, WTMU tô, 20.

s. Univ. ur Cosmic Time, p. Ui,

132 l'unification des heures.

ur l'aulel de la neutralité internationale, non seulement le méridien de Paris, mais encore le méridien tradilionnol de nie de Fer. Pourlanl, ces deux méridiens avaient et ont encore des amis en Europe. Voici par exemple une leltrp du professeur Kiepert, votre membre correspondant, qui adhère toujours aux arguments qu'il avait si chaleureu- sement développés en 1871, au Congrès d'Anvers, en faveur des deux méridiens en question '.

Mais dans les conditions données, la conférence de Washington se borna à ratifier le vote de la conférence géodésique de Rome (1881]) et l'œuvre conforme des direc- teurs decbemins de fer américains. Le méridien de Green- wicli réunit voix conlre une (Saint-Domingue) et contre 2 abstentions (France et Brésil). C'est bien maigre. Et qui oserait affirmer qu'aujourd'hui le Brésil ne volerait pas avec les autres 22 États, parmi les quels je cite seulement : l'Allemagne, l'Autriclie-lïongrie, l'Espagne, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'iUilie, les Pays-Bas, la Russie, lu Suède, la Suisse, la Turquie.

On cherche à nous consoler, en nous rappelant que les votes des délégués n'ont encore été ratifiés par aucun acte diplomatique. C'est une consolation bien illusoire, car si les dillérents gouvernements ne se sont pas engagés à exécuter les votes de la Conférence de "Washington, ils ne se le sont pas interdit non plus, et voua allez voir dans quel sens agissent les forces de la nature.

Ecoutez d'abord ce qu'a dit de la conférence de Washing- ton, dès 1885, le délégué russe, M. Otto Struve, directeur de l'observatoire de Pulkova- ;

( l'cndant ta discussion sur le cliuix du méridien initial, los d<^légué» français fireiil lu proposition de fixer ce choix sur quoique miVidien n en- tièrement neutre et non sur l'un des ohservatoires existiints. iiueli{ue plausible que parût celle praposiliun au premici- aburd, alin d'écartor

1. LeUre particulière eu date de fierlia le 20 janvier 1890.

2. Univ. or Cotmie Time, pp. 93, 97.

L UNIFICATION DES HEURES.

135

Idute jalousie uutionalo, l'essai in(>mc du dcfinir co qu'il rulliiil entendre lutr uu inériilJcu utsiiluiixïiit neutre reni'.Diitra do sérieuses difltcultés. El plus on envisageait les différentes ciiriditions fi remplir, pItiB lu propo- sition apparaissait dans un jour défnvoraldc. Car pour inr^riter le nnm de premier méridien au milieu des autres et pour exclure toute ambiguïté, il blLitt bien se départir du principe de la iieulralitc', ou précisant sa pusi- ùon par rapport à l'un des ubscrvatoires voisins, clioisi d'autorité à cet «ffel...

» On peut ron sidérer comme certain que l'emploi du méridien de Grcen- «icli dans la carto^çraphic et dans le comptage des lon|;itudes sera à bref délai et sans difficultc' introduit dans tous [os pa^vs. Daus celle ma- tiisre. le» organes des gnuveriiemeiils des trois pays les plus vastes du monde, de la Russie, de la Orande-Gretagnc et des Ëtats-Unis, sont irrivés à une entente, et dans d'autres pays, rAliomagno et l'itulia par exemple, on peut prévoir le rnchni? rwiiltat, allcudu que l'emploi du tniïriJien de Greenwich y est déjà oflkiollcment adopté pour la confec- tion des cartes hydrographiques. Peul-<^tre la France, par suite du sen- (imeol national, restera-t-elU queiijue temps en arriére. Ùu peut prévoir né^ininoins que les égards dus aux iutéréls généraux de l'bum;(nilé et lux intérêts particuliers de la muriiic rrani.'aiseimluiroiit le gouvernement 4e 06 pays à rendra l'unification complète. Nous pouvons donc considérer ^ue l'objet principal de la conrércuce de Washington, l'établissement d'un méridien initial, est aittini d'une manièro satisfaisante. »

Cn professeur de l'université de Louvain, dans une bro- churedu mois d'avril 1889', exprimé une opinion semblable:

< Dans le cas la Franco ne se résignerait pas de siloti abandonner son méridien national pour en aduptcr un autre qui ne serait pas neutre, il y aurait encore pour la Belgique de jirands avantages à introduire le temp» de Creeuwicli daus tous les usaj^rcs de la via pulilique et privée. »

Ce ne sont là, il est vrai, que des appréciations person- nelles, plus ou moins discutables, mais dillérents faits tendent à les corroborer. Autrefois, le méridien de Paris- Ferro régnait sans partage dans les caries allemandes, autrichiennes et russes. Aujourd'hui, le méridien de Green- uich s'y infiltre. Voici une lettre toute récente de M. Justus Perl lies-, le chef du grand établissement cartographique

I. M. Pasquicr, De Vunilicadon des heures. Extrait des Mémoires de niaion des ingénieurs de Louvain. t En date de Collia, le 20 janvier i8!>0.

434 l'unification des hedres.

deGolha,[qul déclare que, maintenant, en règle générale, il ne se sert plus que du méridien de Greenwich. M. Kic- pet't, t\ Berlin, dont j'ai d6jà cité la lellre, toul en restant attaché do cœur aux anciens méridiens, n'en ajoute pas moins, à présent, le méridien de Greenwich sur les cartes fort recherchées qu'il publie. Croyez-vous que dans ces conditions les maîtres d'école d'entre Rhin et Oural conti- nueront encore longtemps à baser leur enseignement géo- graphique sur un méridien officiellement abandonné à Washington ?

Peul-ôtre fces maîtres d'école ne sont-ils pas pressés. Mais il y a toujours des directeurs de chemins de fer qui le sont. Je vous ai dépeint la situation confuse qui, sous te rapport des heures régulatrices, règne sur les chemins de fer de l'Europe centrale. Or, à l'instigation des chemins de l'État hongrois, autrefois si jaloux de son heure nationale de Budapest, les directeurs de tous les chemins de fer aus- tro-hongrois demandèrent à leurs gouvernements jumeaux, à la date du 1" mars 1889, l'autorisation d'adopter l'heure du second fuseau horaire, l'heure « ballique ». J'ai devant moi la] réponse que fit, à la date du 7 septembre 1889, le ministre autrichien, non seulement en son nom, mais d'accord avec son collègue hongrois et avec le ministre de la guerre de la monarchie. Cette réponse est tout à fait favo- rable. Elle charge les directeurs austro-hongrois de poser la question au sein do la vaste union de chemins de fer qui embrasse les 73,000 kilomètres de rAllemagne, de l' Au- triche-Hongrie et de quelques territoires limitrophes, et en cas d'adoption de l'heure haltique par le Verein, le gouver- nement autrichien promet des négociations diplomatiques avec les autres pays compris dans le fuseau balliijue (la Suisse, l'Italie et la Serbie). Depuis lors, l'opinion publique s'est de plus en plus prononcée en faveur de la réforme en question, notamment par l'organe de la Société des ingé- nieurs de chemiEs do fer à Berlin et do la Société des ingé-

l'unification dks heures. 135

iiîeurs-mécaniciens allemands*. 11 en a môme déjà été ques- tion au sein du Reichslag (séance du 5 décembre 1889). Aussi, à la date du 8 janvier 1890, la Commission spéciale nommée par le Verein adopla-t-clle à son tour la proposi- tion. Pour devenir exécutoire, elle devra ûtre volée encore par l'assemblée générale du Verein, assemblée qui se réunira à Dresde, dans le courant de l'été. Mais la ralification en question ne saurait faire doute et, dès l'hiver prochain peut- être, les trains du vaste réseau austro-allemand seront réglés, comme ceux de Snède, sur l'heure ballique, autre- ment dit sur Greenwich.

Si vous voulez bien vous souvenir maintenant que l'heure de Saint-Pétersbourg, régulatrice actuelle des chemins russes, ne diflîre que de 1 minute de l'heure C, vous penserez peut-être comme moi que, quand l'AIienjfigne et l'Autriche auron l adopté l'heure B, déjà en vigueur en Suède, le trionnphe complet du système américain en Europe ne sera plus qu'une question de temps.

V. Attitude de la fuance.

Que ferez-vous en face de cette éventualité? Reslerez- voos indéfiniment dans la statu qtio? Et le pourrez-vous? Au dedans, assurément, cela vous sera facile; mais quand au dehors tout aura changé, le slatu quo sera-t-il sauvé? Vous laisscrez-vous cerner lentement, comptant sur nos alliés naturels pour assurer vos derrières? Ne vous y liez pas!

Le Portugal (voir la Cfirte page 14) ne peut être porté vers vous. Entre Lisbonne et Greenwich la différence est déjà de trente-sept minutes, entre Lisbonne et Paris elle serait de quarante-six minutes. C'est tout au plus si le Portugal peut s'arranger de l'heure de Greenwich. L'Espagne aura

i. Depuis, lo3 Sociélés des iiigéniours ot architectes du royaume île &tie, cl des provinces prussiouncs du Rhin ni ilc Westphalio oui volé 4et résolutions couformes.

186 l'unification des heures,

également avantage à prendre l'heure de Greenwich, car celle-ci n'est en avance que de quinze minuLes sur Madrid, de trente-trois sur la Corogne; avec l'heure de Paris ces diffé- rences seraient de vingl-quaLre etde quarante-deux minutes. Aurez-vûus au moins la Hollande et ta Belgique? La Hollande a son plus grand contact avec l'Allemagne et, placée entre l'Anglelerre et l'Allemagne, préférera probla- bleraent l'heure A à celle de Paris, une fois que l'Allemagne aura adopté l'heure B. Quant à la Belgique, je vous ai lu tout à l'heure l'appréciation d'un auteur belge. Reste la Suisse. Mais la Suisse est tellement enchevêtrée entre l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie que l'heure unique adop- tée par ces trois États s'imposera également à la Suisse.

Ne nous laissons doue pas cerner! 11 est déjà assez fâ- cheux d'êlre isolés. Et nous le sommes. Notre clientèle ordinaire se tient à l'écart, et vous-mêmes, vous n'osez pas la rappeler. Pendant l'Exposition de l'été dernier on a tenu une centaine de Congrès internationaux, sur les sujets les plus variés. L'unincation des heures semblait un sujet tout indiqué et qui s'imposait en quelque sorte. Il devait, effec- tivement, Être traité dans un congrès spécial, dont le gou- vernement avait même nommé le comité d'organisation. Je voulus m'inscrire, mais le secrétaire me prévint que le con- grès n'aurait à s'occuper que de l'unification intérieure de la France. Ainsi limité dans son objet, un congrès interna- tional n'avait plus de sens, et une seule séance du Comité suffit pour en faire abandonner l'idée.

Un autre congrès international semblait appelé à s'occu- per de la question : le congrès des chemins de fer. Mais, aussi, te silence ne fut pas rompu. Les membres français ne désiraient que le statu qm, et les étrangers sentaient le terrain glissant. « Il n'y a rien h faire avec vous dans cette question j», me dit l'un d'eux.

Je vous le demande: celte situation répond-elle au passé de la France, qu'on est habitué à voir marcheràlalÈLe du progrès?

I

l'dnification des heures. 137

Pour sorlif de l'impasse, pour ramenernoire ancienne clien- l&le, il suffi rade modifier un peu notre fabricalion. Le sacri- ûce matériel ne sera vrainfient pas grand. Que faul-il, en effet, pour nous rattacher au sysliime américain?

Il suffira de dire à nos chemins de fer de retarder leurs horloges encore de quatre minutes, c'est-à-dire de les régler sur le méridien du Havre au lieu de celui de Rouen, et d'o- pérer ensuite l'unificalion intérieure. Certainement, cette réforoie passerait presque inaperijue.

Cela étant, quel intérêt la France pourrait-elle avoir à se tenir à l'écart d'une institution qui possède les préférences manifestes de l'immense mnjorilé des nations? Ne voyons- nous pas, tous les jours, les plus grands hommes d'État, comme les politiciens les plus inùmes sacrifier quelque chose de leurs préférences intimes'/ Happelons-nous, dans cet ordre d'idées, le mot bien connu : « Il me fallait bien les suivre, puisque j'étais leur chef. »

Il y a deux ans, étant donnée la situation créée par la Con- férence de Washington, je disais moi-même, dans la Revue générale des chemins de fer : « Le groupe A sera l'un des plus lents à se former, La France, en particulier, n'y trouve- rait aucun avantage immédiat. A son point de vue indivi- duel, la France, qui se trouve très bien du sttitii quo, n'a aucun motif de se presser, j Mais depuis deux ans les événe- ments et les esprits ont marché autour de nous. Le système des fuseaux horaires l'emporie décidément !

Le fuseau B étant en voie de formation, je crois que la Francene devrait pas tarder à entreprendre celle dufuseau A. Je suis convaincu que, au premier signal donné dans ce scos, les représentants du monde entier accourraient à Paris, heureux d'invoquer l'arbitrage de la France dans toutes lus questions qui sont encore h résoudre pour la dénomination et la délimitation des dilférenls fuseaux.

LA CAMPAGNE SG1ENT1F!(3UE an

SCHOONEft DES ÉTATS-UNIS « GRAMPUS )>

EN 1889

Par M. J. THOn.ET

ProfcMeur à U Faculté dos scicncei do Nancy.

L'océanographie ou science de TOcéasi accomplit chaque année de nouveaux progrès; presque toutes les nations s'en occupent d'unefaçon sérieuse et continue, mfime celles aux- quelles le faible développement de leurs côtes ne permet qu'une importauce maritime secondaire. C'est ainsi que l'Autriche dont le pavillon flottait à bord de la Novara, de Vhbjorn et du Tegeltitof, prépare en ce moment l'expédition du Pola qui, pendant Tété de 1890, doit explorer les grands fondis de la mer Adriatique. Le prince Albert de Monaco éludiesur VHirondette les environs des Açores; la Norvège a fait l'expédion du Vôringen; îa Suède, celle de la Vèga; l'Ecosse avec la Mediisaei \'Ark poursuit, grâce au dévoue- ment éclairé et infatigahle de M, John Murray, l'esamen détaillé de ses rivages et doses estuaires; les Ilalieas ont à leur actif les campagnes du Washington, du Magenta et du Veltore-Pisani; la France a exécuté les belles campagnes scientifiques du Travailleur et du Talisman particulière- ment fertiles en découvertes zoologiques.

Les Etats-Unis Maury a créé rocéanographie n'ont cessé de se livrer à l'étude de la mer. Ces travaux ont un double but, l'un de science pure, l'autre d'application. L'Océan doit donner la solution des problèmes delà météo- rologie, de la géographie et de la géologie straligraphique considérée dans la haute acception de son nom; le but pratique est le perfectionnement méthodique de la naviga- tion et de l'aquiculLure. Tout progrès accompli dans l'art de conduire un navire est une nouvelle chance de sécurité pour

CAMPAGNE DU SCHOONER DES ÉTATS-UNIS « CRAMPES >. 139'

les tuarins et ea même temps, l'augmenLalion de rapidité

des traversées, la diminulioD des dangers de perte pour les

cargaisons se traduisent par des avantages commerciaux

considérables. D'autre part, la pôche raisonnée, t'aquicul-

ture, est l'art de faire rendre à !a mer le plus grand total de

bénéQces qu'elle puisse fournir, comme l'agriculture est l'art

d'obliger le sol à donner son produit maximum. L'agricul-

lore et l'aquiculture ont cessé l'une et i'aulre d'ùtre livrées

à la routine; elles s'appuient maintenant sur des méthodes

rationnelles el scientifiques. Celuiqui trouve le moyen de faire

croître deux épis de bl/; il n'en poussait auparavant

qu'un seul a mieux méritéque les plus célèbres conquérants;

les Américains ont appliqué à la mer le mol de Sully et leur

activité cherche à exploiter de plus en plus méthodiquement

l'Océan. Voilà les véritables conquêtes et la gloire la plus

solide que puisse ambitionner une nation.

Deux administrations américaines correspondent àce dou- ble but scientiflque elindustriel.Le Coast and GeodeticSur- vey s'occupe de science el de navigation sur les côtes atlan- tiques de la Confédération. Chaque annéeun navire de l'Etat, le Btake^ spécialement allecté à ce service, se rend en croi- sière dans le golfe du Mexique ou le long du Gulf-Slream. A cette administration ont appartenu des marins et des sa- vants éminents, Blake, Pierce, Barttletl, Hilgard, Sigsbee, et des naturalistes comme Louis et Alexandre Agassiz el M. de Pourtalèsont souvent accompagné les campagnes d'été. Oa examine le régime des couranls, on sonde, on mesure des températures profondes et de surface ou des densités, on reciieille des échantillons d'eaux, on exécute des dragages. LT» S. Fish Commission concentre dans ses attributions tout ce qui concerne les pêcheries, mais pour cela ses pro- cédés d'investigation n'en restent pas moins scietililiques.

U est admis aujourd'hui que la plante on l'animal sont des instruments de physique. Leurs conditions d'existence ans diverses époques de leur vie sont intimement reliées i UD ensemble de conditions physiques et chimiques du

14-OcAMI'AGNE DCr SCHOONEIl DES ÉTATS-UNIS « GUAMPUS ».

milieu ambiant. Si celles-ci se modiflent loules à la fois ou même s'il ne se produit qu'un changement dépassant, une certaine limite dans une seule d'entre elles, l'être vivant l'indique aussilôt par des changements correspondants ou par sa disparilion.

Sa présence est la mesure d'un état d'équilibre déler- miné, car l'animal, doué du pouvoir de locomotion, dispa- raît en cas de modification suffisante et la ptautca toujours Ja liberté de mourir. I!s sont par conséquent de véritables instruments indiquant et mesurant des conditionsde milieu. Néanmoins, ies indications fournies par eux sont très com- plexes parce qu'elles se rapportent à tout un ensemble : le thermomètre se borne à mesurer des températures, l'aréo- mètre des densités, tandis que la plante ou l'animal don- nent l'indication générale et totalisée de la température, de la densité, de ta salinité, de la nature du fond, de la vitesse et delà profondeurdes courants et d'autres variablesencore. Si donc on veut résoudre logiquement le problème des rap- ports de la plante ou de l'animal avec le milieu ambiant, loin d'essayer de procéder de cet animal au milieu, il sera plus simple de suivre la marche inverse et de passer de la connaissance préalable du milieu à celle de l'Être vivant.

Nous ne citerons que deux exemples. C'est seulement après une élude complète de telle baie ou de tel estuaire d'Ecosse avec la Médusa et VArk que le terrain est livré aux zoologistes chargés d'achever l'œuvre. En Norvège, l'érainent directeur de l'Institut météorologique de Chris- tiania, le chef de l'expédition du Vôringerit M. H. Mohn, reconnaît que la morue des îles Lolfolen, pendant ta sai- son de la pêche, se tient toujours dans des couches à tem- pérature fixe, et il projtose qu'un navire de l'État muni de thormomètres précis, suive désormais celte couche au sein de l'Océan et indique jour par jour sa profondeur aux pé- cheurs travaillant alors en quelque sorte à coup sûr. Indé- pendamment du Jilake, les Etats-Unis avaient deux navires chargés du service des p&cheries, le Fisli-Hawk et VAlba-

CAUPAGNE DU SCHOOKElt DES ÉTATS-LMS « GRAMPUS >. l-ll

tross; ce dernier depuis cinq ans l'ait campagne chaque année ; il a étudié d'abord rAUantique el se trouve mainte- nant dans le Pacifique. On a ju^é que ce n'était point assez el l'été dernier le schooner triVimpuA', monté par un étal- major de marins et d'hommes de science, a accompli dans l'Atlantique une très intéressante mission scientifique.

Le Grampus, schoontr à voiles de 83 tonneaux, était lûiini d'une petite machine destinée à faire tourner le tambour sur lequel s'enroule le câble des sondages. Ce cûble, long de 1000 brasses (1829 mètres) est en acier; son diamètre mesure un 1/8 de pouce (3,17 millimètres); il est formé de 19 brins de corde à piano n" 54 et possède une ré- sistance à la rupture de 1500 pounds (G80 kilogrammes). Pour les profondeurs moindres de 100brasses,on y attache un plomb de 25 pounds (11,3 kilograturaes) mais pour des profondeurs plus grandes on augmente le poids jusqu'à -40 pounds (18,1 kilogrammes). Le tambour est relié h un compteur donnant le nombre de tours déroulés ou enrou- lé% et par conséquent la profondeur atteinte; le câble est maintenu au-dessus de l'eau à la façon ordinaire et supporté par un accumulateur à deux ressorts d'acier. Le navire était commandé par le capitaine A. C. Adams, avec MM. Uand el Cionnelly comme second et lieutenant; son état-major scientifique se couj posait des professeurs William Libbey Jr. de Princeton Collège, Roekwood, Magie et Mac Neill. Tous les préparatifs de l'expédition avaient été faits parle colonel M.Mac Donald, de la Commission des Pêche- ries, qui y avait consacré ses soins les plus vigilants.

L'expédition avait pour mission de contribuer à établir les rapports existant entre la température et la densité des eaux et les migrations des poissons. On suppose que les variations qui s'accomplissent à chaque saison dans la po- lition des couches isothermes sous-marines expliqueront ces migrations et la distribution géographique des espèces vi- vantes aussi bien des poissons comestibles, elen particulier du maquereau et du hareng, que des animaux inférieurs

4-42 CAMPAGHE nn SCHOON'ER des ÉTATS-INIS « GHAMPUS ».

dont ceux-ci se noiirrissenl. Comme les variations des iso- thermes sous-marines sont en retalion avec celles des iso- thermes aériennes, on comprend la relation étroite qui s'é- tablit entre l'océanograpliieet la météorologie.

Le Grampus avait donc mesurer des températures et des densités, à recueillir des échantillons d'eaux, à exécuter des dragages et des pik'hes; il devait en outre tenir note de tous les phénomènes météorologiques de jour et de nuit et exé- cuter certaines expériences sur l'électricité atmosphérique. On avait embarqué vingt-cinq thermomètres Negretti et Zambra montés d'après le système Magnaghi, c'est-à-dire en relation avec une hélice inactive à la descente et qui, lorsqu'on la remonte, tourne en sens inverse, détache un ressort en verrou et permet le retournement de l'instrument. Les bouteilles à ramener l'eau étaient probablement du «ystème Sigsbee basé sur le m&me principe.

Le terrain à explorer s'étendait de la pointe orientale de l'île Nantucket à Montauk I*oint, à l'extrémité nord de Longhland, en lalitude, jusqu'à la limite du Gulf-Streara â l'est. On devait le couper par on nombre aussi considé- rable que possible de sondages en lignes parallèles. Il ira- porte de remarquer un fait sur lequel nous avons déjà nous- même attiré l'attention à plusieurs reprises : les Américains semblent convaincus que le temps des grandes expéditions océanograpbiqties est passé et qu'au point eu est aujour- <i'hui arrivée la science de la mer, connue dans ses traits généraux, il est préférable de s'en tenir à une aire res- treinte dont tous les détails devront être élucidés de raa- iùère k ce qu'il n'y ait plus à y revenir.

Le Grampus quittait Wood's Holl, quartier général de l'U. S. Fish Co»»mt.s-s*ow, le 33 juillet 1889. Après quelques essais préliminaires, il descendît vers le sud jusque par 39*^2' lat. environ, naais des réparations indispensables l'obligèrent à rentrer à Wood's Holl le 27 juillet au matin. Une série de mauvais temps l'y retint jusqu'au 31 juillet aa soir; il sortiitde nouveau. Le mauvais temps continuant

CAMPAGNE DU SCHOONER DES ÉTATS-UNIS « GRAMPUS ». 143

il dut, le 3 août, se réfugier à Block Island, d'où après une seconde tentative infructueuse, il repartit le 5 aoùl.

La mer devint alors lelleraent calme que le navire fut presque incapable d'avancer. Les journées des 6, 7 et 8 se passèrent ainsi; le 9 un coup de vent violent força encore de rentrer à Wood's HoU.On y demeura Jusqu'au 15 août; entre le 16 et le 22, on sortit deux fois ; le 23 août, la cam- pagne se terminait définitivement.

L'expédition contrariée d'une façon très fâcheuse n'a sans doute pas satisfait toutes les espérances qu'on en availconçues. Toutefois, elle a démontré l'impossibiHléde faire des obser- vations suivies et régulières, surtout dans des parages aussi battus que les côtes des Etats-Unis, avec des bâtiments à voiles et d'aussi faible tonnage que le Grampus qui a été arrêté aussi bien parlebeau tempsqueparlemauvais temps. Des bâtiments à vapeur sont indispensables. Telle est aussi l'opinion de M. John Murray. L'Hirondelle du prince de Monaco, quoique opérant aux Açores dans des régions beau- coup plus tranquilles, n'a pas été sans éprouver bien des difficultés dont elle est, il est vrai, sortie à force d'habileté et d'énergie, mais qui auraient été fort simplement évitées avec la vapeur.

Le Grampus a donné 101 coups de sonde dont 37 dépas- sa ni iOO brasses et à plus de 100 milles de terre; les stations éiiiientà environ 10 railles les unes des autres sur des lignes transversales à la côte et au Gulf-Streara et espacées entre elles de 10 milles. Jusqu'à 50O brasses, on touchait le fond; au delà on ne cherchait plus à l'atteindre; on se contentattdes 50Û brasses du câble auquel ou attachait 17 thermomètres et 2 bouteilles à eau; 8 thermomètres étaient placés daos les 50 premières brasses et 2 dans les 50 brasses suivantes. A 35 railles delà côte apparaît le Gulf-Stream sous forme d'une mince couche d'eau chaude d'épaisseur variant entre 2aou30brasses et sa séparation avec lescouches sur fesquel les elle repose et qui lui servent de lit est nettement accusée par le thermomètre descendant brusquement de 1(5 ou

CAMPAGNE DU SCHOONEB DES ÉTATS-UNIS « GRAMPOS >.

18 degrés Fahrenheit (9 à 10° G.) sur une épaisseur verticale de 5 brasses. Il paraîtrait en outre qu'en approchant davan- tage encore du centre du Gulf-Stream, on rencontre au- dessous de l'eau froide une autre couche chaude dont la température entre 50 et 100 brasses, dépasse souvent de 5 àiO" F (2°8 5"5 C) celle qu'on trouve au-dessus à des profondeurs de 30 à 40 tirasses. A 500 brasses, la lerapéra- tare était ordinairement de 40" F (4°44 C). Cette seconde nappe chaude est un fait très important. Si les travaux postérieursconOrment son existence, il faudra exaraineravec soin comment l'eau froide intercalée se raccorde avec les eaux qui l'entourent. Deux hypothèses me semblent per- mises :ou bien la couche froide intercalée offre en coupe une forme analogue à celle d'un champi}»non renversé et elle serait alors un élargissement inférieur d'un des multiples fllcts froids qui coulent parallèlement à des filets chauds en suivant l'a.ve du Gulf-Stream; ou bien et cette suppo- sition serait d'accord avec une théorie que j'avais déjà émise à la suite de mon voyage aux bancs de Terre-Neuve, la couche froide serait le passage que suivrait, pour se déverser dans la m::sse des eaux atlantiques, le courant froid du Labrador longeant immédiatement la côte des États- Unis du nord au sud à contre-sens du Gulf-Stream, et qui en surface est acculé, après le cap Hatteras. entre la côte et le Gulf-Stream sortant du canal de Bahama, L'écoulement du courant du Labrador serait latéral et en profondeur et, s'il en était ainsi, la nappe froide serait disposée comme un coin et moins nette du côté de l'est que du côté de l'ouest. Pour être renseigné exactement sur le phénomène, il fau- drait posséder une coupe thermique assez serrée de l'Océan sur le parcours du courant du Labrador.

Le Gérant responsable, Ch. Maunoih,

Secrétaire général de la ComiDission centrale.

397i. Lik.-inip. réunies, B, rua Mignon, 3. U\\ ot UoTTEBOZ, diracteuri.

RAPPORT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL

FAIT

A LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE

Dans ■■ tc'noce générale ilii 25 avril 181N) AU NKM d'une CûMMISSin» rOlIPilSKi; DE

MM. Henri Duvejripr, Alfred Gr;mdklii;i', U' llumy, de Quatrofagos et William Huber, rapporteur.

Avant d'exposer les titres des lauréats aux récompenses de la Société de Géographie, la Commission des prix ne peut se défendre de constater, avec un sentiment de salisfaclion, que celte assemblée générale de 1890 est la troisième d'une série au cours de laquelle toutes vos médailles ont été décernées k des Français.

Ce n'est pas que votre Commission ait été partiale ou qu'elle ail cédé au désir bien naturel de mettre en lumière les travaux de nos nationaux; c'estque lenomlire des explo- rateurs français augmente chaque année; c'est que chaque année plus nombreux, nos voyageurs portent à l'envi d»ns des régions inconnues le nom et les couleurs de noire pays. En couronnant des voyageurs français, Commission des prix n'oublie pas que la Société de géographie de Paris est la seule dont tes statuts ne fassent aucune différence entre lesétrarige4's elles Français. La science, en effel, util« à tous et cultivée dans tous les Etats civilisés, ne peut avoir (le nationalité. Celle courtoisie doit rester une de nos Ira- ditioas : elle rehausse la valeur des récompenses que vous décernez dans un concours qui, par le fait mùme, devient international.

L'heureux accroissement du nombre des voyageurs fran- çais, est dû, en partie, aux encourrigaments que les voyages

>(i(;. DE C.liOGIl. i' rilDlESTHK IWM). XI. 10

140

HAPPOUT sur le CONCOUHS au MIX AWSltEL.

et missions scienliliqiies reçoivent des ministères; en partie aussi, nous aimons h le croire, h l'appui que leur a prêté la Société en leur fournissant des renseignements et des instructions au départ, en faisant connaître, an retour, le mérite elles résultats de leurs efforts. Combien plus grands seront son influence et les services qu'elle pourra- rendre quand elle aura réussi à créer ce fonds des voyages dont la constitution est si hautement désirable.

Nous avions à décerner celle annéCj pour la première fois, un prix nouveau institué par la Commission centrale pour perpétuer le souvenir de notre collègue M. Alphonse de Montherot, lequel a légué à la Société de Géographie une somme de 5,000 francs sans affectation spéciale. Elle a décidé en principe que toutes les fois qu'un lej^s serait fait dans ces conditions généreuses, tout ou partie do l'intérêt de la somme léguée serait affectée à un prix portant le nom du donateur. Elle a pensé que ce rappel annuel d'un nom regrellé serait le rappel aussi de la reconnaissance de la Société.

M. Alphonse de MontheroL, membre de noire Société depuis 1882, n'était pas un voyageur explorateur dans la portée scienlifique du terme; mais, aimant les voyages, il en avait toujours profité pour rapporter des collections de photographies exéculées par lui-même avec un réel succès. D'un espi'it éclairé, généreux, il était sans cesse préoccupé de rendre sa vie utile et de prûlcr son concours aux œuvres méritantes. Son nom restera attaché à la Société de Géo- graphie par ic prix Alphonse de Montherot,

La Commission des prix a décerné les médailles suivantes pour Tannée 1889.

1" Grande médaille d'or à M. le capitaine Louis-Gustave BtSGEn pour son voyage du Niger au golfe de Guinée par Kong. Rapporteur M. Henri Duveyrier. i" Médaille d'or h M. le commandant RnniARn de Lannoy

RAPPOni son LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.

DE BissY, pour la carte d'Afrique dressée sous les auspices du Service géographique de l'armée. Ilapporteur M. Charles Maunoir.

Médaille d'or à M. Jules Bohelli pour son voyage au Choa.

Rapporteur M. Alfred Grandidier, membre de l'Inslitut. 4* Médaille d'or h M. Léon Jacob, ingénieur des mines, pour ses explorations de la région comprise enlrc IWllan- tique et Stanley-Pool par le Kuillou-Niari. Rapporteur M. William Huber.

5* Afédaille d'or, prix Logerai, h M. Pavl Crampel pour ses explorations au nord de l'Ugôoué. Rapporteur M. Charles Maunoir.

6" Médaille d'arfifiit h M. Camille Paiuî?, pour sou' Toyage en Annam.

Rapporteur M, Jules Garnier.

Médaille d'argent, prix Alphonse de Montherot, à Bl. Alfrkd Martel pour ses explorations des Causses des Cévennes.

Rapporteur M. AVilliam Huber,

Prix JoHifffï/ à MM. Charles et PACLBRÉAno, pour leur

ouvrage : Histoire de la marine marchande, au xvi* siMe.

Rappprleur M, le Dt Ernest Hamy, membre de l'instilut,

M. LOUIS-GUSTAVE BINGEH, CAPITAINE d'infanterie DE MARIKE

Crandc mcilallU' d'or.

M, Henri Duvcyiier, rupporkur.

Choisissantdansle nombre des voyages de découverte et des iravau.T d'érudition qui ont augmenté ou précisé notre con- naissance de la terre, et qui s'olFraient à elle dans les limites de temps requises pour concourir celte année, votre Com- mission des prix a décidé d'accorder la grande médaille d'or

148 HAPPORT Sun LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.

de la Société de Géographie au capitaine L.-G. Binger, comme récompense de son exploralion des pays inconnus au sud-est du Dhiôli-Ba, ou Haut-Niger.

Par sa durée de deux ans complets, par les 4-,000 kilo- mètres du dëveloppemenl des chemins csaclement et minu- tieusement levés et) pays iDconnu, itinéraires appuyés sur treize déterminations astronomiques, ce voyage de décou- verte, qui fait honneur à la science, au caractère et au laleni de M. Binger, a été, à l'unanimité, jugé digne de la plus haute récompense de notre Société.

En 18K7, quand le capitaine Tîinger i^oramença son voyage, achevé deux ans plus tard, en 1889, rintérieur du grand triangle dont le cours du Dhiôli-Ba arrête les deux eûtes est et ouest el la pointe nord n'avait guère été en- tamé, à l'ouest du méridien de Lagos, que par le Français René Caillié, dont l'itinéraire, courant un peu à l'est du Dhiôli-Ba, ne sort en aucun point du bassin de ce (teuvc ; par l'Allemand Henri Barlh, qui avait coupé de Siiï i^ Kahara le sommet du triangle; par le Français Bonnal, qui avait pénétré de la Côte de l'Or jusqu'à Salaga en rele- vant une partie du ilcuve Firou, notre Volta; enfin par le capitaine anglais Lonsdale, qui, d'Elmina etde Koumassi, avait visité ie Londoukou. Nous passons sous, silence les voyages assez nombreux d;i!is le littoral jusqu'à Abômé, capitale du Dahômé, Koumassi, capitale de TAchanti, et Alousardou, près des sources du Mayel lîalével.

Malgré le nombre des voyageurs dont on vient de rappeler les travaux à l'est des deux grands bras supérieurs du Dhiôli-Ba et à l'ouest du méridien de Lagos, ta géographie physique de cette partie de l'Arrique, qui mesure au moins un million de kilomètres carrés, était à vrai dire ignorée. Tout récemment encore les géographes traçaient une chaîne continue de montagnes, la chaîne de Kong, courant de l'ouei;! à l'est, qui leur paraissait une nécessité plastique pour séparer les bassins tels que Icursspéculatioos tes avaient

»ponT SUR LE coNcouns w pnix annuel.

149

créés, el, sous leur crayon, les cours J'eau dont l'embou- cbare était connue avaient pris des formes arrêtées en conséquence de celle première notion fausse.

Les quatre mille kilomètres de l'ilinéraire du capit;iine Oinger Iraver/ent ce pays inconnu de Baminako, poste français sur le Dhiôli-Ba, à Grand-Bassam, poste français sur le golfe de Guinée; ils forment, en outre, une vaste boucle dans l'es!, jusqu'à Wagadougou, capitale des Môsi, et au cours supérieur de la Balivirt, la branche orientale du Firou. Ils apportent une première base, et une base large et sûre, au dessin delà carte de cette région. Ces levés raonlrenl d'abord qu'elle n'est pas traversée par une chaîne de mon- tagnes dans le sens des parallèles, et ils donnent un cours bien autrement long qu'on n'avait supposé jusqu'ici aux Oeuves qui débouchenl, sur lîi Côte de l'Ivoire et sur la Côte de l'Or.

Les résultats de ces travaux géographiques assignent désormais au capitaine Bingpr une place des plus honora- bles dans l'histoire de l'exploration de l'Afrique. Pour le démontrer il suffira de citer ses principales découvertes.

C'est d'abord la découverte, près de Sikasso, par 11°7' de latitude nord el 1"'M)' de longitude ouest, d'ua très petit massif, culminant par 780 mètres d'altitude seulement, qui sépare les bassins des affluents de la Maye! Balével, et par conséquent du Dhiôli-Ba ou Niger, de ceax du Koraoï, ou tleuve du Grand-Bassam, el du Firou ou Volta; c'est ensuite la fixation des limites et des traits principaux du ba.«sin supérieur presque tout entier du Firoii, qui, inconnu jusqu'alors, dépasse au nord lo 12° degré de latitude sep- ipnlrionale et se prolonge, dans le nord-ouest, jusqu'à OOO kilomètres de l'embouchure. Le bassin de ce fleuve eist plus étendu que ceux de la Loire ou du Rhône. Cou- pant et recoupant ses deux bras nord-ouest et nord-est, M. Binger a assis le tracé du premier jusqu'à la source. Enfin, un autre litre de votre lauréat c'est la reconnais-

I.tO niPPOUT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.

sance et le levé presque complets qu'il a faits du cours du fleuve de Grand-Bassam> du Komoi, qui ne te cède que de très peu en longueur au cours de la Loire.

Par le capitaine Binger, qui a visité à deux reprises le pays de Kong et l'a parcouru dans diverses directions, nous savons maintenant que ce pays s'étend, du nord au sud, entre la région des sources du bras ouest du Firou et la partie moyenne du cours du Komoi. Les pics granitiques qu'on y trouve, el dont le plus haiit atteint 1,450 mètres d'altitude absolue, ne forment pas de chaîne; ils sont isolés, tandis que plus à l'est, laBaliviri ou branche orien- tale du Voila, paraît sortir d'un plateau au rebord ac- cusé d'une manière continue, qui atteint 1,800 mètres au picNaouri et qui va se perdant, au nord, du côté du pays des Môsi.

Aucun Européen, avant M. Binger, n'avait visité Pon,ou Kong, la capitale du pays de ce nom, et dont la position, sur nos cartes, s'est trouvée être en erreur de 1*24' en longitude (154 kilomètres), de même qu'à Wagadougou, capitale du pays hier inconnu des Môsi, nos caries présen- taient des erreurs de I"5' (121 kilomètres) en latitude et de 48' (88kilomèlres) en longitude.

B a clos ses explorations en faisant le premier levé com- plet de la Ingune d'Ebrié, ou de Grand-Bassam, qui s'étend parallèlement à la côte, sur une longueur de cent vingt- quatre kilomètres. Voilà pour la géographie positive ! A ces levés personnels vient s'ajouter une vaste enquête géo- graphique, conduite auprès des indigènes, et qui a donné pour résultats cinq mille kilomètres d'itinéraires par rensei- gnements.

Ki la géologie, ni la météorologie, ni la botanique n'ont été négligées par ce jeune et grand voyageur. Son herbier et ses notes lui permettent de tracer sur sa carte les zones de végétation des arbres el plantes les plus remarquables et les plus utiles, entre autres la zone, malheureusement

RAPPOni SUH LE CONC0CR3 UI PHIX ANNfKL. Inl

assez restreinte, des Stercnlia qui donnent, dans la Nigritie occidentale, un succédané du café.

De l'homme, vivant en société, ii a Fait une étude appro- fondie. Outre la famille m;indé, ou mandingue, qu'il con- Bai&sait de longue date, il a recueilli des observaLious sur six autres groupes importants, tels celui des Sienré, qu'il a découvert, celui des Môsi, qu'il a le premier étudié chez lui, et sur une soixantaine de petits îlots ethnographiques. Ses recberches ont porté à la fois sur le type, la langue, le caractère, les aptitudes et l'industrie de ces rameaux du genre humain, les uns à peine connus de nom, les autres jusqu'alors ignorés de l'Europe.

Tels sont les titres géographiques, car nous n'avons pas eu à îipprécier, en commission, le c6té poli lif|ue, l'essor de Tinfluence française, qui, grâce au dévouement et au patriotisme du capitaine Binger, vient de faire entrer dans la sphère de la France des territoires aussi vastes et des peuples aussi nombreux que ceux qui formaient l'aiicienne colonie du Sénégal, tels sont les litres géographiques qui justifient pleinement la décision de votre commission en ce qui touche la grande médnillc d'or décernée au capitaine Binger.

M. Di; LANNOV DK BISSY, fJUEF HK BATAILLON bU OKMK. Médaille d'or.

M. Clisrle* Maunoir, lappoiteur.

Une carte géographique a pour but de rendre sensibles au regard les rapports de position des localités, les rapports de direction des vallées, des cours d'eau, des chaînes de montagnes.

Tel est le problème dans ses termes les plus généraux, les plus simples. Mfis l'idéal et la pratique onl, en ce

l'52 nAPPORT snn le concours au prix annuel.

domaine comme en quelques autres, de la peine à s'en- tendre; la conception théorique et l'exécution sont séparées par des dirflcullés dont ne se font aucune idée ceux qui n'ont pas été à Tceuvrc.

Elles sont particulièrement ardues pour qui veut con- struire, sur des proportions un peu larges, la carte d'an continent immense à l'aide d'éléments disparates et de valeur très inégale comme richesse ou comme exactitude.

L'établissement d'une carte d'Afrique présente des con- ditions bien faites pour tenter, parfois ni&me pour décou- rager, la patience et la sagacité d'un géographe, pour stimuler les esprits enclins h poursuivre la vérité au milieu de données qui s'en rapprochent plus ou moins, en les com- parant, en les interprétant, en y pratiquant deséllminations. C'est un capîivant exercice de savoir et rie discernement, qui exige à ia fois labeur et pénétration.

L'Afrique, depuis le milieu de notre siècle, a été parcourue par quelques cenlaines de voyageurs dont les lignes de marche et les délerminalîons agronomiques concordent rarement.

Le capitaine du génie Richard de Lannoy de Bissy, aujour- d'hui chef de bataillon, s'est donné la lilolie de les étudier minutieusement et de les combiner en se rapprochant le plus possible de la réalité. 11 a entrepris, pour l'Afrique entière, ce que M, Ravenstcin avait heureusement réalisé pour l'Afrique équatoriale orientale dans sa carte dressée par l'initiative de la Royal geographical Society.

II faut ici rappeler que M. de Lannoy avait foulé la terre africaine, car il faisait partie de la colonne que le général de Gallifet conduisit sans coup férir jusqu'à. El-Goleah, en 1872.

A ce 1,'oyagi;, pendant lequel iM. de Lannoy fut chargé de recueillir des informations d'ordre scientifique, est due l'exécution de la carte d'Afrique à 1 2,000,000 que les visiteurs de l'Exposition universelle rie 1889 ont pu voir

nAPPORT SCn LE CONCOUnS AU PRIX ANMTEL. 153

lUèrement achevée dans l'exposilion du Ministère de la Guerre, à l'Esplanade des Invalides.

Vous soumelire un rappoi't déluillé sur celte œuvre, les soins dont en a été entourée fexécutinn, les mérites qui la recommandent à l'atlenlion des hommes de science, entraînerait des longueurs incompatibles avec les exigences de notre ordre du jour.

Ceux d'entre vous qui assistaient h la séance du décem- bre 1880 ont pu voir ici même, à l'état de dcssin-minule, une partie déjà considérable de celle carte entreprise en 1875. L'accueil dont elle fut l'objet de la pari de la Société attira l'attention éclairée du général Farre, alors Ministre delà Guerre, qui, pour mellre M. de Lannoy à même d'achever son œuvre, l'attacha en 1881 au Dépôt de la Guerre, devenu plus tard Service géographique de l'Armée. Depuis lors les chefs successifs de ce vaste établis- sement, le colonel Bugnot, puis le général Perrier et enfin le général Derrécagai.x, ont répondu dans la mesure la plus large, la plus libérale, aux vues du Ministre.

Près de quinze ans ont été nécessaires pour parachever celle en! reprise. Ici le temps a son importance, car il a été laboriensement, consciencieusement rempli par les recher- ches, par les études accessoires indispensables à la solidité d'une carie. Telle feuille, comme celle de l'Klbiopie, comme celle du Maroc, n'a pas demandé moins de cinq mois de travail.

C'est exclusivement aux matériaux de première main que M. de Lannoy a eu recours; ils ne lui ont pas fait défaut, et la valeur de sa carie s'étant révélée dès l'apparition des premières feuilles, des documents rares ou inédits lui pjrvinrenl de divers côtés, môme de l'étranger. L'auteur \ i\ù maintes fois, en présence de nouvelles et plus silres iodicatious, recommencer tout une partie de sa Hche. En lelques cas, il a lui-mËme reconstitué, par une minuLieuse lyse des journaux de rouler certains itinéraires que

ii>4 lUPPOUT SCn LE CONCOURS AU PRIX ANNUEL.

n'avaienl pas dessinés les voyageurs; ce n'a été ni le plus facile ni le moins intéressaiil du travail. Seuls les carlo- graphes savent et M. de Lannoy nous le dirail, ce que peut exiger d'efforts, de réflexions, de combinaisons et de recoin- raencements la mise en leur place la plus probable, de points que l'incerlitude fait errer sur des espaces parfois très étendus. Il faut, s'appujant sur des indices délicats, tantôt prendre des moyennes, tantôt adopter une version à l'exclusion des au Ires; c'estlajustesse de ce choix, démontrée pardes explorations subsétiuentes, qui atteste la perspicacité critique de l'auleur. II est arrivé déjà que les décisions adoptées par M. de Lannoj ont reçu celte sanction.

Chacune des 63 feuilles de la carie d'Afrique du Service géographique de l'Armée doilêtre accompagnée d'une notice, complément précieux sont consignées, avec des vues sur les pays compris dans le champ de la feuille, des indt- calions sur les sources consullées, sur les solutions admises dans les cas les données n'étaient pas en concordance. Les nolices n'ont pas encore toutes paru, mais il est hors de doute que l'achèvement en est assuré.

Votre Commission des prix se trouvait en présence d'une œuvre vraiment scientifique dont la valeur et l'utilité ont été reconnues non seulement en France, mais encore dans tous les pays la Géographie est un honneur, par des juges dont le verdict fait auLorilé.

Elle a donc élé unanime à décider que la carte d'Afrique dressée par le commandant de Lannoy de Bissy, sous les aus- pices et avec le concours du Service géographique de l'Armée, méritait une médaille d'or de la Sociélé de Géographie.

M. JULES BORELLI Médaille d'or.

yi. Alfred Graudîdîer, de l'Inslilul, rapporteur. M. Julos Borelli a exploré pendant trois années, de 1885

BAPHOnT SUR LECONCOIRS AU PUIX ANMJEL. 1Ô5

I 1888, le grand massif de montagnes situé au sud de l'Abyssinie, dont le versant nord envoie ses eaux dans le Nii Bleu et qui, dans le sud, donne naissance à une mulU- lude de rivières se réunissant pour former le grand fleuve Omo.

On ne possédait jusqu'à présent que très peu de rensei> gnements sur cette contrée, habitée par des peuples de races Oromo et Sidama.

M. Antoine d'Abbadie el, plus récemmenl^ M. Alphonse Aubry avaient visité tes Oromo ouGalla, mais ils n'avaient pu pénétrer dans la partie sud des pays Sidama. Quel était le cours du neuve Omo, quels étaient ses affluents, déver- sait-il ses eaux? Autant de problèmes d'une grande impor- tance que M. Borelli a résolus.

Les géographes s'accordaient pouren faire un des grands affluents du Juba: noire hardi et zélé collègue a montré qae, loin «ie courir vers l'est , comme on le croyait, il se jetait dans le grand lac Shacnbara ou Basso-Narok récem- ment signalé par le comte Telekt, au nord du Nyanza. C'est une découverte qui change complètement la carte de toute une région dp. l'Afrique et qui fait grand honneur à rexploraleur.

M. Borelli n'a pas fait son voyage en simple touriste, avide de nouveautés, que le hasard favorise plus ou moins ilans ses explorations; il l'a fait eu homme de science dési- reyi d'étudier le pays au point de vue lopographique. Il a parfaitement réussi, ne se laissant arrêter par aucune diffi- cullé, par aucun danger, au prix de dépenses considérables f»iles avec une générosité dont nous devons le louer sans é&erves.

Mani des instruments de précision nécessaires, i! s'est ippUqué h suivre l'exemple donné jadis par notre collègue M. d'Abbadie et a couvert d'un vaste réseau de triangles tout le bassin du Haul-Omo, réseau qui se relie à celui de M. d'Abbadie par un tour d'horizon pris du sommet du

ir>(3

RAPPOnT SUR LTi C0NC0UH3 AU PfilX ANNUEL.

mont Garruque, quaranle-quatre ans apiès les travaux de son prédécesseur.

M. Borelli a multiplié ses tours d'horizon au théodolite, (in Q3 stations, fixant ainsi la position exacte de milliers de points; il a délerminé celles de 55 localités en latitude et d'une dizaine en longitude ; toutes ces observations sont faites avec le soin et la précision qu'on pourrait attendre d'un topographe de profession.

Grâce aux travaux persévérants de M. Jules Borelli, nous possédons aujourd'hui nnc carte exacte d'une région de !25,0O0 kilomèlres carrés environ, jusqu'à présent entière- ment inconiuie. Le voyageur a, de plus, porté son attention sur la délimitation des nombreuses peuplades désignées par leurs voisins sous le nom général de Sidama, peuplades qui habitent au sud des pays Oromo et qui ne parlent pas moins de huit langues diirérenles, lia formé un vocabulaire de chacune des trois langues tambara, koiillo et hadin, jusqu'alors complètement inconnues.

Cet aperçu très rapide et forcément incomplet des prin- cipaux résullats des voyages de M. Borelli, dont les itiné- raires mesurent plus de 3,000 kilomètres, suffit cependant pour donner une idée des découvertes dont la géographie lui est redevable et de Timporlance de ses levés topogra- phiques.

Voire rapporteur, en proclamant la décision de la Com- mission des prix, ne peut que féliciter, au nom de la Société et en son nom personnel, notre collègue d'avoir si bien accompli sa mission et d'avoir fait preuve de col esprit scientitique que nous aimons à constater et qui malheu- reusement est trop rare encore chez la plupart des explora- teurs.

La Société de Géographie décerne une médaille d'or à M. Jules Borelli.

IIAI'PORT SIIK LE CONCODKS AU PRIX ANNUEL.

157

P

M. LÉON iACOn, I.NGÉMEUn CIVIL DES MI^ES Médaille il'tir,

M. William Hub«r, rapporleur.

Lorsqu'au rolour de sa seconde campagne M . Savorgnan de Draz'^a proposait la rotUe du IJuillou pour joindie le Congo fraQ<^ais à la mer, les géographes cooirne les techniciens se demandaient quelle était celle région à peine connue de l'exploralRur et des Portugais établis à. LoanJa.

On savait que le cours du IJ>nIlou-I^''<i<'i était obstrué de rapides qui en interdisaient li navigation; mais on ignorait rimportance de ces obstacles, ce qu'on trouverait au delà, le régime et la direction des affluents, l'étendue des forêts qui couvrent le pays et les dispositions de ses habi- tants.

La mission de M. liouvrer, capitaine de frégate, du doc- leur Ballay et du capitaine Pleigneur, de l'infanterie de marine, a poussé d'impartantes reconnaissances dans cette région, relevé une fçrande partie du cours du Niari et appuyé son iliaéraire sur des observations astronomiques, mais l'intérieur du pays restait inconnu; peul-ûtre trouverait- on quelque dépression, quelque cours d'eau, quelque coupure dans la montagne qui permettraient l'élablissernenl d'une roule ou d'un chemin de fer, raccourcissant de près de moitié le trajet imposé par la vallée môme du Niari, entre Ngoloii, point extrf^me de la navigalion, ctLoudima.

C'est à M. Léon Jacob, ingénieur civil des mines, que nous devons une connaissance beaucoup plus complète du |»ays. Chargé par M. de Brazza de. trouver le meilleur tracé possible, M. Jacob a parcouru cette contrée pendant deux ans, relevant tous ses itinéraires, les appuyant sur tes coordonnées déterminées parla mission ducoramandant Rouvicr, marclianl le baromèlre en main çl se frayant un

15S

UAPPOUT SUR LE CONCOURS AU PRIX ANKUKL.

passage l'indigène lui-même n'avait peu l-ôtre jamais passé.

La mission de M. Jacob avait à l'origine pour but unique l'étude, au point de vue des voies de communication par terre, rie la région qui sépare la côte de Loango du Stanley- Pool.

Par la suite, il a été entrainé à étudier et h relever en détail, h deux reprises, la région de BU kilomfelres des rapides du Niarl oti avait trouvé la mort le capitaine Plei- gneur, qui avait d'abord entrepris ce iravail. Nous ne par- lerons pas de l'avant-projel de M. Jacob pour rendre ce fleuve navigable; il est absolument distinct des travaux géogra- phiqueset lopographiques qui doivent nous occuper aujour- d'hui.

La carte que nous a présentée M. .lacobaétù tout entière levée par lui; il n'y entre aucun élément étranger; il s'est borné, avons-nous dit, à se servir des positions de quatre ou cinq points déterminés astronomiquement par son pré- décesseur \L Rouvier.

Les itinéraires atteignent une longueur développée de plus de 3,000 kilomètres. Ils ont été levés à la boussole et au podomètre, en introduisant certaines corrections empi- riques dictées par l'expérience selon la nature de la route.

Les cotes d'altitude ont été prises au baromètre anéroïde à des dislances très rapprochées, alln que les variations jour- nalières jouent le moindre rôle possible dans la différence de niveau relative entre deux points voisins,

Tous les cours d'eau, jusqu'aux plus petits, ont été reb- vés elflgurent en traits pleins sur la carte ; M. Jacob réserve avec une entière franchise les poinlillés pour les portions des rivières dont il n'a pas fait le levé direct. Les centres d'habitation sont tous indiqués par leurs noms transcrits au plus près de la consonnancc de la prononciation.

Enfin les mouveraiinls généraux du sol sont donnés par- tout où le voyageur pouvait lesapprécicr, avec quelque exac-

RAPPOHT SUR LE COXCOURS AU PIUX ANMITEL.

15'J

Utudc. Ailleurs il a préféré laisser sa carLe en blanc plulôl que de s'exposer à y introduire des erreurs. Celte sincérité dans la représentation du travail est d'un bon exemple; trop souvent le voyageur charge inutilement sa carie de données ulileaues par renseignements, ou d'élémenls qu'il a cru voir dans un lointain trompeur.

Les principaux efforts de M. Jacob se sont portés sur deux points distincts : les montagnes boisées du Mayombé comprises dans la grande boucle que décrit le Niari vers le nord; puis la chaîne de hauteurs qui sépare le bassin du Kiari de celui du Congo.

Dans la première partie l'ingénieur a reconnu de nom- breuses rivières, grandes et petites, dont il identifiait aisé- ment les noms avec ceux qu'elles portent à leur confluent connu dans le Niari; telles que la Loukénéné, grand affluent de la Loômé, les rivières Mangi,Loukamba, Ngoraa et bien d'autres dont je me dispense de vous présenter ici l'aride énuméralion.

Aucun de ces cours d'eau n'est navigabie, même pour des pirogues. Ils présentent tous des fortes pentes, de nom- breuses chutes et contiennent peu d'eau dans la saison sèche. Les montagnes du pays Mayombé sont entièrement boisées, plantées d'arbres souvent énormes que l'on trouvera peut-être moyen d'utiliser un jour.

Les seuls sentiers indigènes, parfois à peine vii^ibles, sont tivs escarpés, obstrués de brous^ailtes et ils empruntent en »'y perdant sans cesse te lit des torrents.

Dan<î la seconde partie de son travail, entre le Niari et le Congo, M. Jacob a franchi la ligne defaîte à ta cote G30 mètres, alors que M. Rouvier l'avait traversée plus à l'est à 080 mclres d'altitude. Cette concordance est intéressante. encore 1»?* rivières ont été relevées avec d'autant plus de soin ju'elles sont plus importantes, comme la Liikouni, affluent Niari, et la Nikengué ou Foulacari, affluent du Congo^ les deux entièrement inconnues jusqu'alors.

160 nAPPORT sun le concours au prix annuel.

Celte région est bien plus facile à parcourir que celle de Majoinbé et l'élablissement d'une voie de coramunicalion y ofFrirail moins de difflcuUés.

M. Jacob a, de plus, fait !i travers tes plateaux Bayaka dans le nord du Niari, un voyage très intéressant qui lui a permis de retrouver et de déterminer un point du cours de laBouenza, artliienL du Niari presque aussi important que ce fleuve lui-mônie-

En résumé, M. Jacob estime que la voie de communication entre la mer et Slanley-Pool doit être cherchée le long du Niari jusqu'aux environs de M'Soussou, puis suivre un des itinéraires par iM'Boukouzengi et ie coi de Boundou, pour rejoindre le Niari àLoudima,remonlei' celte rivière jusqu'aux environs du poste de Comba, enflri se diriger sur Brazzaville, soit parles vallées, soit par le sentier indigène qui traverse direcLemenl le plateau de Bacougo.

Ce travail persévérant des deux années 1887 et 1888 nous a donc rapporté des éléments précis, nouve:ius et nombreux sur une contrée française par laquelle la colonie du Congo aura sans doule un jour ses débouchés sur la mer et ses relations avec la patrie.

La Commission des prix a décerné une médaille d'or à M. Léon Jacob.

M. P.MIL CRAMPKr-

I

.Wf^ilaillc il'cir (PriK l.OKPrnl)

M. Chailos Maijiioir, rapporteur.

L'attention rie votre Commission des prix a été attirée sur l'exploration accomplie par M. Paul Crampe! au milieu du blanc de la carte d'Afrique situé juste au nord de l'Ogûoué, ce ûeuvequi a désormais sa pince dans l'histoire de la géographie africnine. L'espace dans lequel M. Crampel

ÎIAITORT SUR LE COSCOUnS AU PRIX ANNUEL. 101

a fait un véritable voyage de découverte s'étend sur deux degrés en iatilude el près de trois en longitude. Le voya- geur, parti de Madiville sur le haut Ogôoué, marche vers If nord auf si directement que le lui permeLlenUes accidents de terrain; il coupe d'abord les rivières Mianza et Moui- nandji, tributaires de gauche de l'Ivindo, puis l'Ivindo lui- même dont il constate que le cours, avant d'atteindre rOgôoué, est sensiblement plus dans l'est que ne l'indi- quaient les informations antérieures. L'Ivindo franchi, M. Crampel découvre et traverse plusieurs de ses affluents de droite. S'élevant toujours vers le nord, il apprend que «ur sa gauche naît un fleuve, le Ntem. Enfin, au sommet de sa course il atteint un autre courant, celui du Djah, large de 150 mètres au point s'arrôte le voyageur qui est sur la ligne les eaux se partagent entre le Congo el l'océan Atlantique; il est arrivé également à la ligne frontière du protectorat allemand des Gameroons.

Tournant à l'ouest pour se diriger sur la côle, il est su- hilennent attaqué le i' février 1889, à la traversée de ce Beove Ntem dont les sources lui avaient été signalées. A lir de ce moment, les observations qu'il avait soigneusc- nt faites jusqu'alors lui deviennent impossibles. Atteint deux coups de feu, poursuivi avec acharnement par les rs, il est obligé de s'enfuir à travers d'épaisses forCts qui robent sa marche el c'est il grand'peine qu'il atteint le loral entre les rivières Campo et Benito. Les résultats de ce voyage sont, à côté de la découverte 'it- plusieurs grands cours d'eau, le relevé soigneusement idii d'un long itinéraire du nord au sud (de l'Ogûoué au f degré de latitude septentrionale), à travers un pays -ement neuf pour la géographie. Cet itinéraire, dont la - - est couverte de noms nouveaux, a été remis à la So- itlj^qui en préparait la publication quand M. Crampel est l^artipour l'Afrique. Les populations qui habitent la ré- pon parcourue par lui, les M'fangs,lcsBakatas, lesT^'jimas,

Si«C. VC GKOCII. THIMESTME 189lJ. XI. tl

lui RAPrORT SDR LE CO^COURS AC l'RIX ANNUEL.

et les nains Bagayas, n'étaient connues que par information j ou n'étaient pas connues du tout.

C'est par l'initiative et avec les iiislructions de M. de Brazza, notre résident à l'Ogôoué-Congo, que M. Crarapel, a accompli ce voyage difficite, dangereux comme l'ont prouvé les événements, et dont la relation sera impatiemment attendue. Elle constituera, pour la région au nord du Gabon, un chapitre important qui ne lardera pas à être élargi par les explorations d'autres membres de la mission de l'Ouest- Africain.

Mue par un sentiment que vous partagerez sans doute, voire Commission des prix pense que les voyages fructueux pour la science doivent être (oui parliculièremenl encou- ragés par la Société de Géographie lorsqu'ils ont pour champ des contrées voisines de celles noire pays s'ellorce de faire prévaloir son influence.

Prenant donc en considération les résultats du voyage ac- compli par M. Paul Crampel entre rOgôoué, le 2" degré, de latitude nord et la côte occidentale d'Afrique, elle a at- tribué à cet entreprenant voyageur la médaille d'or du prixj Logerot.

M. CAMILLE l'ARlS .Wédnillo cl'arKcnl.

M. Jules Gitniicr, rapparleiir.

Entre Hué et la frontière de la Cochincliine, le litloral de la presqu'île indo-chinoise décrit, sur 700 ou 800 kilomètres j (la distance en chemin de fer de Paris à Marseille), une courbe tournée vers l'est, parallèlement à la courbe inverse^ formée par Bornéo, Palauan, Mindoro et Luzon,

Ce littoral esl longé par la route nwndarine, sur laquelle' les relais de poste sont marqués par des tram, sortes de

RAPPOUT SUR LE CONCOURS AU PKIX ANNUEL. 103

caravansérails d'où partent et s'arrèlent les coolies por- teurs des dépôches.

M. Camille Paris, attaché à radniinislralioti des télé- graphes, avait reçu en 188f> la mission d'établir une ligne l^légraphiqiie de Hué à la frontière de noire colonie cochin- chinoise. Celait une lâche assez difllcile, au milieu de populations dont le oncours nécessaire était subordonné aux caprices de mandarins puissants, mais assez mal dis- posés.

M. Pîiris, tout en s'acquitlanl de son devoir prolessionnel, s'est etrorcé de recueillir des données qui prendront fort nlilement place dans la géographie et l'ethnographie de rindo-Chine.

Pendant de longues semaines de vie parmi les indigènes, il a pu et su les éludicr; ses courses lui ont fourni l'acca- Mon de relever plus d'un détail nouveau sur la topographie de la zone littorale de l'Annam,

Il a dressé, à l'aide des données antérieures et des siennes, sur l'emplacement et les noms fies localités, sur les formes da terrain, sur les cours d'eau et sur les routes secondaires, «le petites cartes an nombre rie six, qui seront oonstillées avec profit en attendant les levés définitifs de la contrée. La nrjission de M. Paris s'élanl arrêtée au Binh-Thuan, I c'est au savant travail du commandant Aymonier que le compte rendu de celle missiim a emprunté les détails re- latifs h la province de l'Annam la plus voisine de notre co- lonie.

Les pages dans lesquelles M, Paris a consigné ses ohser- lalions sont animées et d'une leclure attrayante. Klles sont instructives aussi; et bien que plusieurs des détails qu'elles renferment ne soient pas toul à fait nouveaux, elles en con- tiennent un bon nombre qui ajouteront au fonds commun (te nos conn^iissarices.

L'.iuteur mot d'ailleurs la science k l'aise par la phrase Rnrtie de son inlroilnclion : « Je n'ai eu qu'un but en élabo-'

104 ItAI'POnT SUR LK CONCOURS AU PKIX AKSUEL.

rant ce livre, qui représente deux années d'emploi liévreax des loisirs que me laissail mon service: être utile à la géo- graphie; et je n'ai qu'un désir en le livrant h la publicité : être bientôt complété et dépassé. »

Voire Commission des prix a pensé qu'il y avait lieu d'en- courager, de récompenser, en décernant à M. Paris une médaille d'argent, le zèle des fonctionnaires qui s'ap- pliquent k conquérir à la géographie quelques données nouvelles.

M. EDOnAnD-ALFTlED MARTEL Mrdnille d'nricvnt (Prix AtphoiiMC de Montlicrot)

UappurteUr, M. William lluber.

Nagnère encore, les géographes et les géologues ignoraient l'existence en France d'une région incomplètement étudiée au poini de vue topographique et géologique, tout h fait méconnue des touristes, quant il la beauté de ses paysages et aux curiosités naturelles qu'elle renferme. Cette région est celle des Causses du Languedoc, plateaux calcaires dont l'étendue couvre 5 à 600,000 hectares dans les départements du Lot, de la Lozère, de l'Aveyroo, du Gard et de l'Hérault.

En 1879, un membre du Club alpin Français, M. A. I^e- queutre, fut !e premier à attirer l'atleiition sur cette contrée, particulièrement sur les gorges du Tarn. En 1883, M. L. de Malafosse, savant naturaliste de Toulouse, y fil une véritable découverte géographique, celle de Montpellier-Ie- Vieux, dont le nom semble rappeler une ville ruinée, mais qui en réalité ne s'applique qu'à un chaos rocheux occu- pant environ 1 ,000 hectares h la surface du Causse Noir, par 800 mètres d'altitude.

C'est h cette époque que notre collègue M. Alfred Martel résolut d'entreprendre l'exploration complète de ce pays de France il restait encore tant à trouver.

RAPPORT SUR LE CONCODRS AU PRIX ANNUEL. 16

Les années 1883, 1884 et 1885 furent consacrées à l'ex- ploration de la surface et à dresser Iti plan (ieMonlpeJlier-le- Vieux au 1/10,000, Celmvail permit au regreLlé^i'néral Per- rier de corriger une surface de iO cenLimètres carrés de la feuille 208 de la carte d'état-major. Mais d'autres pro- blèmes excitaient la curiosité de M. Martel.

Quel était le parcours souterrain de ces torrents qui dis- paraissent dans les crevasses du rocher? B'oîi venait Teau des sources jaillissantes et dans quel sombre réservoir pui- saient-elles leur cristal? C'<!St la genèse de ces sources que M. Martel résolut d'étudier, c'est le mystère de l'origine sous- sol des cours d'eau qu'il est allé cherclier au sein même de la terre.

Ces expéditions n'étaient pas sans périls: étroits couloirs l'homme ne passe qu'en rampant, abîmes profonds, lacs silencieux dont te vent ne ride jamais le calme séculaire, cascades grondant dans l'ombre, vastes salles dont les sta- lagmites semblent supporter les ogives, obstacles do toutes sortes qu'il s'agissait de franchir ou de sonder en confiant son existence tantôt à un frêle esquif de toile, tantôt à une longue corde à laquelle le touriste se suspendait en éclairant de sa torche ces abîmes. Partout l'inconnu, souvent le si- lence imposant des profondeurs sans lumière et sans vie.

Au point de vue scien[ifique,M. Martel, àcrtié de la géolo- gie et de la paléontologie, poursuit le problème de la trans- formation des pluies en sources, impliquant l'étude du régime bydrologique interne des plaleaox calcaires juras- ■>, de la formation des cavernes par érosion, et de gi ne des fractures du sol. Dans le domaine de lu pratique, l'explorateur de ces méandres souterrains espère pouvoir, un jour, l'aire servir »<f5 recherches à la réglementalion des fontaines eldes crues, à la captation des eaux trop souvent perdues, h leur éléva- •tificielleau plus grand profit de l'agriculture, du rc- isement et de l'alimentation.

irifi nAppoai sun le concoirs au pkix annuel.

De longues années seront nécessaires encore pour obtenir ces résultats, puisqu'en deux saisons M. Martel et ses com- pagnons MM. Gaupilliil n'ont réussi à lever que dix kilo- mètres de grottes et do rivières soulerraines. L'œuvre de M. Martel se résume aujourd'hui dans une série de bro- chures, de communications aux sociétés savantes et dans son livre récent i?s Cévennes, d'une lecture attachante et instructive- Mais quel vaste champ d'étude n'offre pas cette science nouvelle à laquelle l'auteur donne le nom de groUologie, par traduction de l'allemand IIMenhûndef

Après les Causses des Cévennes viendra le tour du sous- sol des Gharentes, de quelques points des Alpes françaises, du Jura surtout avec ses entonnoirs oii disparaissent les eaux de ses lacs, ses glacières naturelles et ses sources qui alimentent à la fois le Rhône et le Rhin.

Devant tant de ténacité et, disons-le, de courage dans la recherche de l'inconnu, la Commission des prix n'a pas hésité à décernera M. Alfred Martel la médaille d'argent du prix Alphonse deMontherot.

MM. Charles et Paul BnÉAno

Vrl\ Jnniurd.

>1, le l>' Eniral Hiiiiiv, de l'Inslitui, rappurlpiir.

M. Charles Hréard, de Hondtur, s'occupait activeuieif depuis plusieurs années de l'histoire de sa ville natale, et en 188& il av.iit publié, aux frais delà municipalité, un beau volume intitulé les Ardiives de In vilie du ilon(lettt\ twtes historiqni's i-t analyses du documents, extraites des archives commuiKilcfi. Il signalait dès lors dans les 275 registres ou liasses de l'amirauté de celte ville qui nous ont été conservés, nombre de pièces intéressantes pour les navigations des

RAPPORT sua LE CONCOURS AU PnJX ANNUEL. 107

Normands sous les rèjjnes rie Louis XIII, de Louis XIV et de Louis XV. De 153G à 1015, par exemple, il n'avait pas îlevé moins de 236 armements pour le Canada, Terre- Heure, les Antilles, le Brésil et les Indes; ce qui représen- lit une moyenne de 24 navires par an, 2 par mois, quitlant Jors Ilondeur pour les terres lointaines. Entre IGBSet 4B7U, tgrelTe avait transcrit 410 rapports de mer, dontSO avaient ^ait à des voyages au Canada ou aux Antilles. Le mouve- enl des entrées du porl en 1G81 s'élevait au chill're, considé- rable pour l'époque, de 405 bâtiments.

Un heureux hasard étant venu raellre en la possession de M. Paul Bréard, notaire h Ronfleur, une énorme colleclion de 2'24 registres de labetlionage des vicomtes deRoncheville, d'Aoge et de Pimt-Audenier, il fut possible aux deux frères, associant leurs elForls, de faire paraître, l'année dernière, sous les auspices de la Société de l'histoire de la Normandie, tin nouveau volume' bien autrement important pour le passé de la marine normande. Ce bel ouvrage, auquel votre Commission a décerné le prix Joraard, permet de faire remonter, à l'aide de documents notariés, l'histoire détaillée des voyages desHonlleuiaîs jusqu'à l'année 1514 et par plu- sieurs des pièces qu'il renferme, vient jeter quelque lumière sur divers personnages plus anciens, dont les noms sont fs h des travaux ou à des découvertes d'un haut intérêt. Les Documents sur la marine normande de MM. Bréard nous renseignent d'abord sur la construction des navires, les contrats d'affrètement, d'association et de botnerie, les loyers ou gages des pilotes, la course et les lettres de mar- que, le rachat des captifs chez les Barbaresques. Puis, dans une suite de chapitres, plus curieux les uns que les autres, les auteurs analysent des centaines de contrats d'armement [Hjur Terre-Neuve et le Canada, la côte d'Afrique et les

i. DocamenU relatifs à ia marine normande et à nés arguments au iw et iiii \vu' siècle, par Charlim et Paul Bréxrd.

168 nAPPORT SUR LE CONCOURS AD PRIX ANNUEL.

Antilles, le Brésil et les Indes orientales. On trouve notam- ment dans cette partie de leur ouvrage, des détails tout nouveaux sur Dupont-Gravé, l'associé de Champlain, qui mène au Canada en 1603 l'illustre voyageur; sur l'expédi- tion, si mal connue jusqu'alors, des Français aux îles Açores en 1582; sur Raulin Tallois, dit Secalart, le conli- nuateur de l'œuvre hydrographique de Jean Alfonce le Sain- tongeois; sur Jean Denys, enfin, ce hardi capilaine de Ronfleur, qu'on trouve en 1506 au Saint-Laurent, et au Brésil avant 1519.

Ces quelques citations vous permettront d'apprécier l'in- térêt des recherches de MM. Charles et Paul Bréard, et justifieront amplement à vos yeux la récompense que nous sommes heureux de leur décerner.

LES ROUTES

DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE

/VU SOUDAN

Par EDOUARD BLANC

I

Dans une précédente communication ', en exposanï à la Société le rôle que les forages arLésieos paraissent appelés àjûuer pour jalonner par des points d'eau, par des puits, fl, dans certains cas, par des oasis artificielles, les grandes rr»oles sahariennes, je signalais la nécessité de déterminer préalablement le tracé général de ces grandes roules na- turelles, c'est-à-dire le (racé des lignes vers lesquelles doivent se porter nos efforts pour chercher à établir, h travers le Sahara, des voies de communicatinn reliant entre es nos possessions africaines, Algérie et Sénégal, ou plus clenaent, à un point de vue plus large, reliant le littoral diterranéen et le Soudan. L'utilité de la pénétration de notre commerce dans l'Afrique centrale n'a pas Ijesoin d'être démontrée, et il serait superflu d'insister ici sur les avantages que présen- terait pour notre pays el pour la civilisation européenne «vénérai l'ouverture d'une ligne de communication per- II le entre le littoral méditerranéen et le Soudan, à jters le Sahara. La question a été étudiée et discutée

'iimunication adressée à la Sdciétù de Cént;raptiio ilans sa séance ..li ISIS'J. Voir la carte jointe à ce numéro. H- Vuir Comptes rendus de» séaneeH lie la Société de Géographie, «e du f mars 1889.

170 LES ROUTES DE L'aFBIQI'E SEPTENTRIONALE

très longuement, et d'une façon aussi complète que le com- portait l'état des connaissances d'alors, il y a une douzaine d'années, par des commissions spéciales, an moment il s'est agi d'établir un chemin de fer Iranssabarien. On sait comment les projets élaborés à celle époque, peut-être d'une façon prématurée, ont été abandonnés, peut-être aussi d'une façon trop radicale, à la suite du massacre de la mission Flallers, en 1881. Je n'ai pas à revenir pour le moment sur cette douloureuse catastrophe, qui a rappelé durement à la réalité les auteurs de projets conçus à distance, projets dans lesquels il avait été fuit par trop abstraction des grandes difDculléi naturelles que présente ta traversée des pays dont il s'agit. Ces difflcullés sont, les unes d'ordre physique, les autres d'ordre économique, d'autres enfin d'ordre politique : ces dernières sont les moindres, et cependant nous avons vu qu'elles sont loin d'être négli- geables; toutes cûustilueiiL de sérieux obstacles non seule- ment pour l'établissement et le fauclionnemL'nil d'un chemin de fer, mais même pour le simple passage de voyageurs.

Il faut reconnaître cependant que les missions françaises organisées à l'époque dont nous parlons, si elles n'ont pas abouti à la création immédiate du chemin de fer projeté, ont cependant apporté un appoint considérable à nos con- I naissances louchant la géographie physique et la géologie du Sahara : on peut dire qu'elles ont inauguré l'applicatiou des méthodes précises et de la cartographie rigoureuse dans un pays qui jusque-lù éUiit resté fermé à ce genre d'études, ou qui du moins n'avait livré que des documents épars recueillis par des voy.igeurs isolés.

Sans entreprendre de faire aujourd'hui un exposé com- plet et ab initia de la question des lignes Iranssahariennes, question qui a déjà été développée à plusieurs repiiscs par les gens les plus compétents, à l'époque précitée, et qui en outre sortirait absolument des limites matérielles du cadre de cette communication, nous dirons que, depuis IST'j,

AD SOUDAN. 17i

momeut a cU: posé et disculô le [irohième ciu cliemiQ de fer Iranssaharien, des modifieaLions très importantes sont intervenues dans les données mêmes de ce problème. Ces modifications sont de trois sortes :

Nos bases d'opérations dans le nord de l'Afjique, aussi bien qu'au Sénégal," ont été morlifiées par suite de l'exten- sion naturelle de nos possessions;

2" Notre connaissance des conlréiis à travericr, et des régions sahariennes en général, a fait des progrès considé- rables, par suite des découvertes des grands voyageurs qui, durant ces dernières années, ont eireclué dans ces contrées des travaux de premier ordre ;

L'état moral des popiilalions à traverser a subi, pen- dant la même période, des changements profonds, dus à des circonstances politiques et religieuses, dont il importe de tenir également compte.

Ce sont ces modifications, ou du moins les résultats de ces modifications nouvelles, survenues depuis les travaux de la commission, que je voudrais résumer ici et exposer à la Société.

En ce qui concerne la première caLégorie de change- ments, nous avons, d'une part, occupé la Tunisie et conso- lidé notre établissement dans le sud de l'Algérie. Celle région du Sud-Algérien esl même sortie de la phase d'occu- pation purement militaire pour entrer dans la phase de la colonisation véritable. L'ouverture du chemin de fer de Biskra, dans la province de Constanline, et de celui d'Aïn- Sefra, dans la province d'Oran, ainsi que les exploitations artésiennes de l'Oued llîrh sont les exemples les plus frap- pants, et non les seuls, de cet ordre de failsj ce sont en même temps des moyens d'extension future el des gages sérieux de la continuation du mftme mouveraeut dans l'avenir.

D'autre part, au Sénégal, les expéditions si savamment et si brillamment conduites, dans ces dernières années, par

172 LES ROUTES DE l'aFRIQUE SEPTENTRIONALE

les colonels Borgnis-Desbordes, Frey, Gallieni^ et par leurs collaborateurs, continuant l'œuvre préparée laborieusement par leurs devanciers, nous ont donné un vaste empire colonial et nous ont assuré possession du cours du Haut-Niger.

Au second point de vue, en ce qui concerne le progrès des connaissances géographiques relatives aux déserts qu'il s'agit de traverser, des découvertes très importantes ont été faites. Sans parier des études spéciales et approfondies qui ont été pifectuées dans diverses parties du snd de l'Algérie, par nos ingénieurs et par nos officiers, la période de dix ans qui vient de s'écouler a vu résoudre plusieurs problèmes qui ont fait faire un pas considérable à la question. D'un côté le D' Lenz, parti du Maroc, est arrivé à atteindre Tirabouklou*, exécutant, le premier depuis Caillié, c'esl- à-dire depuis 1827, la traversée du Sahara entre cette ville et l'Afrique du nord. D'un autre côté, les expéditions de Hohlfs et de Nachtigal résolvaient, plus à l'est, le même problème, celui de la traversée complète du Sahara, etelles faisaient faire à nos connaissances un progrès immense en ce qui concerne la région comprise entre la TripoJitaine et le bassin du lac Tsad. Entin, dans le Soudan oriental, les travaux de Schweinfurth, d'Ensor, de Matteucci, et en première ligne encore ceux de Nachtigal, nous faisaient con- naître les régions par lesquelles le Soudan se relie à la vallée du Nil.

De toutes ces études menées à bien au prix de si grands efforls, il est résulté une connaissance de la géographie physique du Sahara en général, que nous étions loin d'avoir à l'époque l'on aconc-u le projet préliminaire du chemin de fer Iranssaharicn, et la commission spéciale qui s'en est occupée a groupé les données d'ensemble que l'on pos-

i. ce. Len?., Timbou h Idu. Voijat/e an MuioCf uuSitliara ei auSouilan, irttil. pnr P. I.cliautcaiivt, 2 vol., llaclielte, 18S«. Cf. nulletin df la So- ciété lie OéOQrai>hit, W%i, ji, 2X6 et suiv.

AU SOUUAK. 173

sédait alors sui' la malière. La plupart des voyages qui vien- nent d'être énumérés ont été effectués pendant la période de 1870 à 1880. Mais les résultats n'en ont été connus et publiés en Europe que postérieurement aux travaux de la commission.

II

.\vant d'examiner le troisième groupe de raodiûcations survenues dans les bases du problème, à savoir celles qui résultent de l'état politique et religieux des populations, nous allons exposer d'abord quelles sont les grandes routes oaturclles qui traversent le Sahara, et qui mettent ou peuvent mettre l'Afrique du nord en communication avecle Soudan, le pays qui alimente toutes les cara%'anes. Ces grandes routes Daturelles sont aujourd'hui beaucoup mieux connues qu'il y a dixans, et on peut les indiquer d'une Façon beaucoup plus précise, grâce aux découvertes des voyageurs nommés ci-dessus et grâce aux progrès qu'a faits en môme temps la connaissance générale de la physique du Sahara. .Indépendamment de la plus ou moins grande largeur de l'Kone désertique à traverser, cequi détermine la situation de ces routes, c'est la conDguration et la nature des obstacles topographiques que l'on rencontre. Ces obstacles !onl habituellement de deux; sortes.

Les premiers consistent dans les grandes masses de sable, formant des bandes qui s'étendent en général de l'est h l'ouest, et qu'il n'est pas possible de traverser indifférem- ment suivant des itinéraires quelconques, tant à cause du manque d'eau et de la chaleur excessive qu'à cause de la difDcullé que les dunes opposent à la marche.

Un deuxième genre d'obstacles, plus insurmonlable encore que le précédent, consiste dans l'existence des pla- Uaui que Ton appelle hamadas. Us sont considérés par les caravanes comme formant une barrière à peu près infran-

I7i LES nOUTES DE L'AKllIgtE SKE'TENTIirONALE

chissable dès que leur traversée dépasse une certaine lon-j gueur, et ceci à cause du manque presque absolu d'eau. Dans^ les régions de dunes, mi^me les plus arides, il existe en effet, lie loin en loin, des points d'eau, des puils ou des oasis, ce qui est naturel, puisque ces sables, apportés par le veni, se sont accumulés principalement dans les parties basses du Sahara, qui devaient primitivement être les plus riches en eau. Au coniraire, îes linmndas sont les parties hautes, qui ont été incessamment balayées par le vent, et qui ont fourni I des matériaux pour l'ensablement des dépressions infé- rieures : ce sont donc en général les parties les plus.| sèches.

L'aspect de ces plateaux est très particulier et nous n'avons rien en Europe qui les rappelle. Ils sont à peu près horizontaux et leur surface est entièrement couverte de pierres dures el anguleuses, dont la composition minérale est très variée, mais qui ne sont pas des cailloux roulés et qui n'ont évidemment pas été apportées par les eaux : leur forme, en effet, n'est pas arrondie, ou ne l'est que très rarement. Sous cette couche de pierres, qui, fait très remarquable, n'a en général qu'une épaisseur égale au diamètre d'un seul de ses éléments, on trouve un terrain de nature variable, formé le plus souvent, tantôt de grès tendres, tantôt de gypse et de marnes gypseuses. Dans ce sous-so! on retrouve habituellement, à l'éfal disséminé, des fragments ou des blocs de pierre semblables à ceux qui couvrent la surface de la hamada.

Cette singulière formation géologique paraîf, ii première vue, assez difficile à expliquer. On la comprend pourlaiil aisément, si l'on remarque que, dans le Sahara, l'rxlréme sécheresse qui rend le sol friable, et en même temps l'absence d'un revêtement végéta! superliciel, permettent à l'action du vent de prendre une importrunce dont nous n'avons aucun exemple dans nospajv*. On peut ilire qu'ici, au point de vue des formations gcolngiqiic* modems*, r.icliou

AU SOUDAS.

173

des eaux supeiTicielies, telle que nous la concevons dans la géogénie européenne, est remplacée par faclion des phéno- mènes atmospbéi'iqucs agissant à sec. Dans nos climats, les agents d'érosion et de transport des terrains sont, sur les conlinenls, l'eau pluviale et t'eau des rivières : ici c'est le %enl qui remplace ces deux causes. Certaines régions monta- gneuses ou certains plateaux du Saliara sont, depuis un très grand nombre d'années, balayés par les couranlsd'airijuien ont érodé la surface. Ces vents ont emporté tous les maté- riaux provenant de cette érosion, et dont les éléments ne dépassaient pas une certaine grosseur limite, leur permet- tant d'être soulevés. Mais tes pierres plus grosses, qui exis- taient soit à rétat de blocs, de veines ou de noyaux durs, soit àl'état de rognons disséminés dans les terrains dont il s'agit, sont restées sur place, et peu à peu la surface du sol s'est usée jusqu'au moment ces pierres ont formé un manteau complet protégeant le sol sous-jacent contre l'aclion ullé- n'pure du vent. A ce moment, l'érosion a cessé de se pro- duire, et le terrain s'est trouvé avoir une surface à peu près borizonlale, ou, dans certains cas, une surface qui repro- duit, en les atlénuanl beaucoup, les reliefs du terrain pri- mitif. C'est ce qui explique que ce lit de pierres n'ait qu'une épaisseur à peu près uniforme, partout égale au dia~ métré d'un de ses éléments, en d'autres termes qu'il soit formé partout d'une couche simple, ce qui n'aurait certai- nement pas lieu si ces pierres avaient été transportées par les eaux ou par toute autre action naturelle.

On peut d'ailleurs avoir une confirmation directe et pratique de cettu théorie. Si, avec un râteau ou autrement, on enlève les pierres de la hamada sur une certaine surface ussez étendue, le sol s'entame de nouveau sous l'érosion (lu vent, et l'aclion géologique, cjiii se trouvait suspendue oar suite de la présence de cette carapace de pierres, recom. CDence. Ceci est une expérience que j'ai faile directement & plusieurs reprises, et dont j".ii pu suivre les ellVts pendant

Éi

176 Li;S IlOUTES IIE L'aFIUQIE SEI'TliNTHIUNALK

plusieurs années consécutives, sur des places spécialement choisies.

Les matériaux ténus ainsi enlevés par le vent sont allés former les massifs de dunes, ou divers atlerrissements con- temportiins. Ces matériaux ne sont pfis tous siliceux, comme on est porté à le croire généralement : ils sont très souvent gypscux ou argileuv. Dans ce dernier cas, s'ils sont transportés dans des endroits il pleuve quel- quefois, ils peuvent être agglutinés et former des terrains nouveaux en apparence compacts : tels sont ceux que l'on voit dans la plaine de PAarad, ou ceux qui ont comblé les anciens ports romains de la côte tunisienne.

Les grès ou les poudingues siliceux sont des terrains qui s'entament facilement sous l'action du vent, et, comme ils renferment souvent des nodules ou des fragments roulés de roches ferrugineuses dures, il en résulte que les hamadas sont rréquemment couvertes de cailloux noi- râtres de celte nature. Ceux-là sont moins anguleux que les autres, parce que, à une époque géologique antérieure à la nôtre, avant l'agglutinalion des dépôts sédimenlaires qui ont formé ces grès ou ces poudingues, ils avaient déjà été roulés; mais leur forme arrondie est indépendante de la formation moderne de la hamada. Quand le sous-sol est argileux ou gypseux, ce sont en général des morceaux de calcaire dur ou de gypse dur plus ou moins anguleux qui couvrent la surface de la hamada. Quelquefois aussi ce sont des blocs de roches silicifiées, car on sait avec quelle énergie se sont exercés les phénomènes de silicificalion dans les contrées qui nous occupent. Il faut donc examiner la situation géographique de ces zones de dunes et de ces kainadas, pour se rendre compte du tracé souvent très sinueux et compliqué des ftrandes routes sahariennes.

Une Iroisjôme catégorie d'obstacles consiste dans les chaînes de montagnes ou dans les massifs montagneux qui existent en certaines parties du Sahara. Mais les obstacles

i

I

AU SOUDAtT.

177

de ce dernier genre sont secondaires et ne coraportent pas toujours la déviation des roules, attendu qu'il s'y trouve fréquemment des passages praticables, et que souvent ces régions montagneuses sont précisément les plus riches en eau, du moins dans leurs vallées. On ne doit donc pas s'en écarter syslématiquement.

Ces obstacles physiques étant donnés, il en résulte un réseau de grandes routes naturelles que nous allons in- diquer. Dans cette énumération nous comprendrons, non seulement les routes aujourd'hui pratiquées par le com- merce, mais aussi les grandes voies naturelles pouvant donner accès au Soudan, et qui, par suite de circonstances momentanées , d'ordre politique ou économique, sont actuellement abandonnées ou barrées.

III

En commençant par l'ouest, nous voyons que plusieurs roules partent du sud de Maroc pour aboutir k Timbouktou, e'esl-à-dire au sommet du grand coude du Niger. Une pre- mière route, ayant pour tête de ligne la ville de Maroc (Merrakech), ou, si l'on veut, l'un des ports de Mogador ou d'Agadir, qu'elle dessert également, longe d'abord le littoral ttlanlique de manière h contourner chaîne de l'Atlas par ion extrémité occidentale; "puis elle passe à Tendouf, et traverse les sables d'Iguidi par le tracé le plus court. Cette fome contourne ensuite ou coupe dans une parlie éloignée de leur centre les massifs de dunes du Chech et du Djouf, «t elle gagne Timbouktou par Araouan : c'est l'iLinéraire qui a été suivi en 1880 par le D"" Lenz*, et qui avait été

LCf. Lenz, Timbukiu. Reite durek Marohkû, die Sahara und den en Leipzig iS&i.

soc. DE OiOGR. â* TBIMESTRË IK'JO. XI. 1%

178 I.E8 ROUTES DE L'AFfirQUE SKPTEXTniONAlE

précédemment parcouru par le r«ibbin Mardochée (Mardo- chaï-Abj'-Serour*).

Aujourd'hui celle route n*est pas pratiquée habituel- lement par les caravanes soudaiiiennes jusqu'à Merrakech ni m&ine jusqu'aux ports de la côle que nous avons in- diqués comme en étant la terminaison naturelle; les ca- ravanes se forment ou se disloquent le plus souvent à Goiiliniim, qui parait être maintenant leur principal en- trepôt.

Une deuxième voie naturelle part de l<'ez ou de Meknës et de se dirige à peu près droit au sud en traversant les déflIcs de l'Atlas, Elle se partage ensuite en deux routes. L'une, celle de l'ouest, suit la chaîne des oasis du Tafllelt, et, après avoir passé à Abou-Aam, principale ville do ce pays, elle varejoindrelaroutedeLeuzentraversantdunordau sud les sables d'Iguidi. C'est cette route qu'a suivie Cnitlié dans son voyage de retour ; la traversée des sables est beaucoup plus longue que par le tracé précédent, et ce chemin est peu fréquenté par les caravanes.

La route de l'est, parlant également de Fez, se sépare de la précédente après la traversée de la ligne de partage des eaux entre les deux versants méditerranéen et saliarien. Elle suit la vallée de l'Oued Guir ot celle de l'Oued Oura- es-Saoura, qui en est ta continuation, jusqu'au Touat, et elle se confond à partir d'igli avec la rouie qui vient de Fignig, et dont il sera question à propos do l'Algérie.

Entre ces deux tracés partant tous deux de Fez, il existe une jonction transversale qui va d'Abou-Aami» Oum-ed-Dri- bina, et qui permet aux caravanes qui ont suivi la ligne du Taftlell de rejoindre ensuite la vallée de l'Oued Guir ; c'est cet itinéraire que Hohlfs a reconnu en 1864. C'est également ce point d'Ouni-ed-Dribirui qui a élé la limite

1. Cf, evU. Soc. Giogr., 1870, lome |«. p. 345. - Prtmitr Etah^»t- men( de» Israilitei a Timboukiov, pir Auguite Beaumi«r.

AU SOIIDAX. 17§

extrême atteinte par la colonne du général de WimpfTen eo i870.

Il existe encore une autre roule qui, partant de Mer- rakech, traverse les montagnes situées au surf de celte rtUe, suit le cours de l'Oued Uraa jusqu'à Tamagrout et de S6 rend directement au Touat par un tracé qui ne ren- contre pas de grandes dunes et qui est jalonné par une chaîne de petites oasis ou de points d'eau (Mimginna, Saoudjel-Tebalbalet, El Messiter, Tamessinot, El Maa-es-

SiO.

Du Touat, une route directe et relativement TaciEe conduit àTitnbouktou : nous en parlerons tout à l'beure, à propos de l'Algérie. On sait qu'elle a été suivie en 1825 et 1826 par le major Laing, dont les notes nous sont malheureuse- ment restées inconnues, par suite de l'assassinat dont cet illustre voyageur a été victime '.

Le Maroc possède donc tout un faisceau de roules qui le mettent en communication avec le Soudan occidental.

La province d'Oran possède aussi une route naturelle qui est actuellement amorcée en tant que route commer- ciale européetme. C'est celle qui, partant d'Oran ou mieux d'^zeu, passe par le Kreider, Mocheria et Âïn-Sefra, se termine actuellement le chemin de fer. Mais le prolonge- ment de cette route n'est pas entre nos mains : en elTet^ d'Ain-Sefra, la voie naturelle passe par Figuig, qui appar- tient au Maroc ; elle prend la vallée de l'Oued Zousfana et elle la suit jusqu'à Igli, point cette rivière se réunit à rOued Guir pour former l'Oued Oura-es-Saoura. La route &e confond alors avec celle qui part de Fez et dont il a été question ci-dessus ; c'est-à-dire qu'elle suit l'Oued Oura-es- Saoura jusqij'à la limite méridionale du Touat.

Daas la pratique, les caravanes s'écartent actuellement

Cf. Dttveyrier, l'Afrique nécrologique. Bull. Soe. Giogr., 1874, 11. f. 590.

180 LES ROUTES DE l'AFRIQUE SEPTENTRIONALE

de celle grande ] igné tnpographique pour se rapprocher] d'Insalah, l;i ville la plus imporlaiile de toute cette région, qui est située dans le groupe des oasis du Tidikelt, à l'est] de lu vallée de l'Oued Oum-es-Saouni.

Du Sud-Orauais part un autre itinéraire qui aboutit] au Touat sans passer par Fi gui g : c'est celui qu'a suivi | rexpériition du commandant Golonieu, en 1800; il va direc- tement du nord au sud. li partir d'El Abiod ou d'un autre] point analogue, et il rejoint le Touat en passant par le' groupe compact d'oasis importantes que l'on appelle le Gourara. Mais cette route, qui traverse en partie les sables de l'Erg occidental, est plus difficile et moins naturelle que, la précédente, quoiqu'elle soit plus courte.

La province d'Alijer possède une route qui, partant d'Alger, passe par Blidah et Laghouat, point qui est la terminaison d'un chemin de fer non encore exécuté, mais projeté. De celui-ci pourrait se prolonger par Ghardala, c'esl-à-dirc par le Mzab, jusqu'à El Goléah,d'où deux routes naturelles, c'est-à-dire deux vallées, aboulissetit au Touat, l'une par le Gourara, l'autre par le Tidikelt et Insalah. Ces routes rejoignent donc forcément celles qui partent du sud de la province d'Oran.

La province de Constanline a aussi sa grande roule du sud, déjà marquée par un chemin de fer récemment inau- guré quant à sa partie méridionale, et qui, ayant pour port Philippeviile, passe à Gonstantine, à Batna, et se termine actuellement à Biskra. La continuation naturelle de cette ligne est tout indiquée jusqu'à Touggourt, et mfrmo jus- qu'à Ouargla, d'où plusieurs tracés sont possibles, selon que l'on vise telle ou Itlle partie du Soudan. Celui qui irait à Timbouklou remonterait l'Oued Mia jusqu'à Insalah. L'autre, celui qui irait au Soudan central, remonterait rOued Igharghar jusqu'à El Biudii, point à partir duquel se présentent plusieurs variantes motivées par la traversée du plateau d'Ahaggar, et dont l'étude a fait l'objet des

AD SOUDAN. 184

deui missions du colonel Flallers. Celle voie n'est pas pratiquée actueHement, et cela pour des motifs d'ordre purement politique. Mais nous la citons cependant parce que c'est inconteslabiement une grande roule naturelle.

Par contre, nous ne regarderons pas comme telle une route qui actuellement existe au contraire, en tant que cliemin commercial, mais qui est établie d'une façon précaire et en dépit de toutes les lois de la géographie physique : c'est celle qui, de Biskra, se rend à Rhadamës et au Sou- dan par le Souf. Cette route est aujourd'hui la seule qui établisse ua semblant de relations entre le plateau d'Air et l'Algérie : c'est par que nous arrivent les quelques objets de fabricalioQ soudanienne que l'on peut acheter dans le sud de la province de Constantinc, Mais eile n'est appelée à aucun avenir, attendu qu'elle traverse le désert de l'Erg oriental dans sa partie hi plus difficile et la plus inabordable. Il a fallu tout un concours de eirconslances politiques qui ont fermé les autres routes, et il a fallu également l'esprit industrieux et comnierçant de la nom- breuse population du Souf, installée dans les sables sur l'itinéraire dont il s'agit, pour qu'une pareille roule ait pu s'établir. Mais elle n'est pas susceptible iramélioraLioii; au contraire, les dunes qui la barrent paraissent progresser et grossir chaque jour, et il serait insensé de l'adopter comme tracé pour une ligne de chemin de fer, ou môme pour VDe simple route afTectée au commerce européen.

On voit que, en ce qui concerne l'Algérie, l'existence, au

sad de notre colonie, du désert sablonneux de l'Erg, et

celle des diverses régions montagneuses occupées par les

Touareg (Mouïdîr, Tasili des Azdjer, Ahaggar), restreignent

lîièremenl le nombre des solutions possibles du pro-

;;e des routes transsahariennes.

Kn continuant la revue des contrées qui bordent la Médi- terranée, nous voyons que la Tunisie devntit avoir, comme les pays précédents, sa lifçne de pénétration vers le Sud.

k

LKS ROL'TES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE

Actaelleœeat elle n'en a pas; nous examinerons tout à l'heure par suite de quelles circonstances; celles-ci sont! d'un ordre entièrement artificiel, c'est-à-dire politique.

La Tripolilaine est la région côtière la mieux partagée au point de vue des lignes de pénétration vers le Soudan. De Tripoli part un© route directe, aujourd'hui très fréquentée des oai'avanes, et qui se rend par Mourxouk, !e déflîé de Toummo (El Biban), el les oasis du Kaouar, dont Bilma est centre principal, aux riches contrées qui entourent le lac ïsad, c'est-à-dire au Bornou et au Kanem. C'est la] route qu'ont successivement recounue Vogel en 1854, Barth dans son voyage de retour, en 1855, von Beurraann en i862, Mohlfs en 18G(), et enfln Nachtigal en 1870. Cette roule présente deux variantes entre Tripoli et Mourzouk : l'une, la plus directe, qui traverse les montagnes au sud de Tri- poli, el qui passe par Misda (reconnue par Barth en 1850 et par von Bary en 187fi); l'autre, un peu plus longue, mais aussi plus facile, qui passe plus à l'es!, par Sokna. (Celte derni{>re a été suivie et étudiée par Vogel, en 1854, puis pjir Duveyrier en 1861, ensuite par Nachtigal en 1860, et par Hohir»«Mi 1879.)

La tlyréiiai(iue, avec deux têtes de lignes, Derna et Ben- Hhazi, possède une grande route naturelle, parallèle à la précédente, c'est-à-dire nord-sud, et qui se rend au Ouad&I par le groupe des oasis de Roufra * et par le ()u:uiyauga. De ce dernier pnys part un embranchement, moins fréquenté, qui oblique au sud-ouest et qui relie la \ CyréuaVque au Bornou, De même les caravanes de Tripoli peuvent passer aussi par un embranchement, symé- trique du précédent, qui se sépare de la route de Mourzouk au Bornou après la traversée du défllé de Toummo, et qui se rend au Ouadaï en traversant le pays

t. Houl« reconnue depuis Bea-IUiazi jusqu'à KoulVa par Rohirs, en ttW. or, C, Rohifs, Kufrti, UH\.

KV SOUDAN. iS'i

montagneux du Tibesti. Celle route a été reconnue et étudiée en 1869 par Nachligal, à qui nous devons la con- naissance du Tibesli. Ces deux roules diagonales se croisent iïen.

Plus à l'est encore, la région côtière appelée Marma- riqae» qui est une dépendance de V'Égyple, possède des routes permettant aux caravanes de se rendre dans les parties orientales du Soudan. Mais ces routes sont forcées de dévier et de se rapprocher de la vallée du Nil, par suite de la présence des sables du désert de Libye> la partie la plus difOcile et la plus aride de tout le Sahara. Les pistes venant soit de Ben-Rhazi, soit de Dcrna, soit du port de Tobrouk , le raei Heur de cette côte^^ soit de Kasr Djedid, se réu- nissent dans l'oasis de Sioua, d'où une voie naturelle (suivie par Hohlfs en 1874') va rejoindre l'oasis de Farafrnh et la grande Oasis, elle se relie aux routes égyptiennes.

Knfln, tout à fait à l'est, le Soudan oriental est desser\i par des routes annexes de la vallée du Nil. Plusieurs d'entre elles se rendent au Darfour : ce sont notamment celle qui pari de Siout (reconnue pour ta première fois par BroVi ne en 1793*, et, plus récemment, étudiée en 1858 par le voya- geur français Cuny') et quiabriulità EUFachr, capiUilo du Darfour, par trajet de quarante jours; en second lieu celle ^ui part de Bongola et qui aboutit aussi à El-Fachr (étudiée par Masonen 187G-77)*; celle qui se détache du grand coude du Nil au Vieuv-Dongola, et qui remonte le lit desséché de rOued-Malik'- (itinéraire d'Ensor en i875-7fi)''; enfin les

i. Cf. KoUlh, E.riiediiion :'iii' Erforsehuny litr Libyxchen. Vl'U^le, iSTti.

t. Cf. W.-O. browne, TravéU in Àfrilia, 1709.

3. cr. Cud;. Journal de voijaije Ue Sioul li El Obéid, 1858.

i. Cf. Petermann.» Miltheilungen, lNS(i.

&. Le lit de l'Oundi Malik ou Oued Nelek «M le tracé suivant lequel il a élé question, en 1875, d'établir un eliumin de fer pour aller au Otrfaur.i l'époque du maxiintitn d'expansion de ladominallua égvplienni:.

6. Cf. Sidney Ënsor, Jourutij tkrouyk Subia io Darfour. Cf. Colslon, Biteoftnaiuanee uf tlie Wadi Ma^soul.

184 LES ROUTES DF L'aFHIQUE SEPTENTRIONALE

routes qui, des mômes contrées du Soudan, aboutissent di- rectement au Nil en suivant un parallèle et en traversant le Kordofan : ces dernières sont les routes étudiées en 1875-76 par l'Américain Proul, officier dans l'armée égyptienne "^t par Nachttgal en 1874 °, et par Massari en i880"\

Toutes ces routes sont mises en communication avec le littoral, soit par la vallée du Nil, soit, plus direclement, par la roule de Berber à Souakin, que nous raenlinnnons ici, bien qu'elle soit fermée depuis ces dernières années par suile d'événements d'ordre politique et que tout le monde connaît. Mais elle est destinée h être forcément rouverte un jour*.

On voit en résumé que, d'une façon générale, abstrac- tion faile des roules situées aux deux extrémités du Sou- dan et qui sont dirigées, les unes vers l'ouest, pour gagner

1. cr. H-i'i. Hrout, General fteporl on llie province of Kordofan.

S. Cf. l'eteriiiann'i MMIteitunijen, 1S75,

3. cr. Maltcucni cl Moasari, La spediiiune Borghesi. Boilelinù délia Societa ijeityrapca ilaliatM, tlec. IKSl.

■l. jiit sujet lie la cummiinicatiun veibaledeiapréseote étuile, comniuoic^i- tion qui a élé faite ù la SociélédeGéo;;raphie dans saséanoe du 10 mai 1K89, M. Sevin-Dosplaces b, duns la séance du il juin suivanl, fait re- inari|uer r^ue nous n'aviuas pas purlé de ia route ijui joindrait Ttmbouktou à la baie d'Arguin, en passant par l'nasis d'Âlar. î4otre collègue signale ce fiiit comme une omission ot il fait observer que nous n'avons pas com- prii dana l'éauinéralioii qui précÈiIo los travaux de M. Charles Sollcr, qui a préconisé la rociinstilutioii du celle roule commerciale, aujour'dhui abandonnée depuis plus d'uit demi-siècle.

La routD dont il »'agit proLungerait jusqu'à l'océan Atlantique la ligne qui, pai' Uualala et Tiubiit, relie eucore actuellement Tiinbouktau à l'im- portant {^l'oupt; ili;i oaKts de l'Adrliarlt-ot-Tmar.

As^urûiiieut nuus cuniuitHoa» l'existence dei courants commerciaux de la ri'ii^ioii aatmiiennu viiisiiio de In ciMe et comprise entre le Sous et le Sénégal. Nous n'ii^norotia pax uon plus los importants travaux de M. Cliarics SoUer sur eus i|uo»tiuns, non plu» qno le' vues formulées par lui «li|ul ont liiit l'objet de sa l'omnrnuicatiun du 17 janvier lS8ti à lu Société de iléngnipliii- cumineroial». Nous litiuuB d'autant mains dis- posé à los oublier, lors du la s(^anro du 1IJ mai ileruier, que, le 34 mars précèdnnt, très peu dr Itmips nnp:tr«vanl, le syslËiiie des routes entre TinibouLtou et la n'gloii du un|> ttlane avait fait In matière d'une inté-

AP SOUDAN.

185

Tocéan Atlantique, les autres vers l'est pour alteindre le haut Nil et la mer Rouge, loules ces grandes roules com- merciales du Sahara sont tracées du nord au sud, perpen- diculairement au littoral méditerranéen. Indépendamment delà question de moindre longueur dans la traversée du désert , il y a une nécessité économique. En ellet, on sait que la partie nord de l'Afrique est formée de bandes pa- I rallèles très étroites, qui, au point de vue des ressources

^^^Hfte discussion, à laquelle avaient pris part M. le baron d'Avril et ^ffi^B* Colia, dans une réunioD de la Société de l'é^gnipiiie commer- tlale de Paria (3* sectioa).

Si nous n'en avous pas parlé à la Société de riéojraphie et si nuus ne fiuoDs pas figurer cette roiiln ijans Pi^numi^rulion (]uj jirécède, c'est que le présent mémoire « pour Imt l'étude des \oics reliant la côte médiCer- 'aiiéenneet leijuudiiu.c'ost-à-rlircile^ rolltI;i^t^atlssalla^ionaB!s, dans le sens «il ce mol s'entend généraleiiicrvt, relativement à l'Europe. Or la roule pro- jetée par M. Soller, qui, partant de Tinibnuktou, irELit aboutir, à la bais d'irguiD, sur lu cAte de l'ijcéan Atlantique, par '20° de .latitude Nord, est pas une route du Soudan à la Méditerranée; ce n'est même pas, i proprement parler, une roiitii transsatiarienne. Elle appartient à un Brtre système de voies de communicaliou, ceHes qui ont pour objet de ^indre lu Soudan occidental au littoral Atlanliquc. Ce ne sont plus là, comme l'indique le litre du présent Iravai!, des routes iIp l'Afrique septen- tnooale au Soudan, ce sont des routes de l'Arrlijiie occidentale au Soudan. Elles répondent à un autre problème.

Cette route de la Liaie d'Arguin est intermédiaire entra les voies pro- jetées qui auraient pour tâte de. ligne les établiâsementa anglais tels qne Tictoria-Port (cap Juby), ou les étaliliesemunls espagnols du Hio-de-Orr>, Mies routes, plus méridionales et aujourd'hui i peu près ouvertes, qui parlent du Sénégal et ilcs rivières du Su<l. Tout ce système de voies de p«Délration est très intéressant et il parait appelé à un grand avenir. Mais il présente assex d'importance pour être traité séparément du pro- lltnie qui nous occupe ici, et il nous sciiibir. demander à être discuté ^r les spécialistes qui onl choisi comme cuuttB de leur champ d'éludés le Sénégal.

C'en pourquoi nous n'erabrassnns pas celte question dans le cadre de

U préteale étude, déjà bien assez vaste par ulle-niémo. Mais on trouvera

;ourtaot, sur la carte d'ensemble ci-iinnoxée, l'indication des principaux

itinéraires que suivent le plus habitiniileiuent les caravanes qui circulent

«Titnliouktou, rAdrliarh-el-Tniar et le Sous,c"esl-i-dire qui parcourent

partie littorale du Sahara, itinéraires sur lesquels aous devons i.

Soller de si précieux renseii^aeinents {Note de l'auleur).

186 LES ROUTES DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALF.

et des productions naturelles, se complèlenl les unes par les autres. Tous ces pays sont très pauvres, et les habitants de l'une des zones, n'ayant à leur disposition que des pro- duits insufllsamment variés, ont besoin, pour vivre, de faire ries échanges avec les habitants des autres zones, Ainsi les indigènes de la région des hauts plateaux du système de l'Atlas, par exemple, dont le genre de vie est exclusivement pastoral, ont besoin d'échanger la laine de leurs troupeaux, d'une part contre le blé ou l'orge que produit la zone méditerranéenne, d'autre part contre des dattes que produit la région des oasis barbaresques. Les habitants de celle dernière zone, qui cultivent des palmiers et exercent des industries textiles, sans avoir de troupeaux fautede pâturages, sont de mêmedans la nécessité d'échanger les produits de leurs cultures et leurs étoffes contre les objets qui leur sont fournis par leurs voisins du nord ou du sud. Les habitants des parties tout il fait stériles du Sahara central sont eux-mêmes en relations forcées avec les populations limitrophes, dont ils acquièrent les pro- duits en leur servant de convoyeurs pour leurs transits. De un mouvement général de relations et d'échanges dirigé du nord au sud ou réciproquement.

Ce phénomène économique, qui se produit en petit entre les diverses zones de la région barbaresque, et qui y a été souvent analysé, se reproduit sur une plus grande échelle pour tout l'ensemble des pays constituant l'Afrique du Inord jusqu'au Soudan.

A ces considérations d'ordre économique s'en joignent d'autres résultant de la configuration physique du Sahara, les chaînes de montagnes, les zones de dunes et tous les obstacles en général présentent une disposition qui, dans son ensemble, concourt au raÈme résultat au point de vue du transit Les routes commerciales se sont donc forcément établies suivant la direction nord-sud, perpendiculaire aux zones dont il s'agit.

AD SOUDAS. 187

Comme ces zones sont très élroiles par rapport à leur longueur, elles se sont nécessairement, au point de vue poIiUque, fractionnées en plusieurs tronçons ; c'est ce qui explique que jamais l'Afrique du nord n'a pu filte réunie tool entière d'une façon durable sous unedomtnation unique. Par contre» chaque État limitrophe de la Méditerranée et résultant de ce fractionnement, a englobé tout naturelle- ment la série complète des segments de zones intérieures compris entre les mêmes longitudes, les populations de

Iksque zone ne pouvant pas avoir une vie politique indépen-

mle.

IV

De la multiplicité et du parallélisme des intérêts écono- miques et politiques qui ont pour siège le littoral africain de la Méditerranée, il doit résulter forcément l'existence et le maintien de plusieurs routes parallèles et indépendantes les unes des autres, se rendant au Soudan.

Seulement, dans la situation .ictuellc des choses, tous sys riverains de la côte ne sont pas également bien ;és sous ce rapport. Les moins favorisés sont nos possessions d'Algérie et de Tunisie. Nous avons vu que toutes les routes qui parlent d'Algérie, sauf une seule, se réunissent aujourd'hui h Insalah, point qui ne nous appar- tienlpas, et qui est même le siège d'une opposition très énergique à notre influence. Les routes d'Algérie, avec des tWes de lignes nombreuses, forment donc un faisceau conver- gent, ce qui est désavantageux pour les intérêts français. Au contraire, les routes partantde Tripoli, tête de ligne unique, forment un faisceau divergent, c'est-à-dire qu'elles se rendent dans toutes les parties du Soudan. Indépendamment des deux roules du Bornou et du Ouadaï, dont il a été question tout à l'heure, il en existe en effet une troisième que nous avons lolontairement passée sous silence, dansTénumération pré'

188 LES ROUTES DE U'AFRIQUE SEPTENTBIONALE

cédenle, pour y revenir plus tard d'une façon spéciale, c'est celle qui, par Hhat, se rend au plateau d'Air, au Damergou et au Sokolo. Il existe même une quatrième roule qui, de Tripoli, se rend au Soudan occidental, c'est-à-dire à Tim- bouktou, par Rhadamès, Temassinin etlnsalah. Cette route est tout à fail artificielle. Elle barre au Sud les possessions françaises de l'Afrique seplenlrionale, et son existence est due exciusivemeni, d'une part à l'annexion de Rhadamès par laTripolilaine, et d'autre part à l'influence prépondé- rante que le principal chef d'insalah, Abd-el-Kader-Ould- Badjoudah', a su prendre dans le commerce du Sahara occidental.

Ainsi, parmi les caravanes qui viennent de Timbouklou, toutes celles qui ne vont pas au Maroc arrivent à Insalah, longent la frontière sud de nos possessions algériennes sans y pénétrer, et, par Rhadamès, se rendent à Tripoli. Les caravanes qui viennent du Gando et du Sokoto, c'est-à-dire du bassin moyen et inférieur du Niger, la partie la plus riche des contrées avoisinant ce Jleuve, passent habituellement par le plateau d'Aîr, au nord duquel le régime des pluies équatoriales atteint son maximum de latitude; elles vont à Hhat, puis de elles gagnent Tripoli, soit par Mourzuuk, soit, plus fréquemment, par Rhadamès.

Si Ton admet comme une loi naturelle que chaque tranche du littoral barbarei^que, comprise entre deux méridiens, doit emporter avec elle toute la tranche des diverses zones désertiques qui est comprise entre les mêmes méridiens, l'occupation de Hhadamès et de Khat par les Turcs de Tri- poli a constitué, au point de vue géographique, un véritable empiétement sur le domaine tunisien. Nous disons au point

i. Dcfiuis l'époque un le préscnl mémoire a été rédigé, c'esl-à-diro depuis le printemps île IKHtl, la mort il'Al)d-cl-Kader-Uu1d-Badjouda1i est, ]iaratl-il, survenue. Cette inorl aurait suivi de trét près celle de outre cumputiiole, M. Caniillo Kaiils, <|ui, selon toute apparence, a été la victime lies iiilrijîucs (]ii iiiaraliuut d'Iiisalali, cuniitis l'avait été déjà auparavant le lieutenant Paliit (.Vnti* df l'avleiif).

A0 SOODAN.

189

de viie (féogrnphique et non pas au point de me politique, attendu que nous n'avons pas à nous occuper ici de ce der- nier côté des questions. D'aulre part nous n'avons en au- cune façon le droildenous en plaindre, attendu que l'occu- pa lion eETectivedeRhadamèsreraonteà 1869 et celle de Ilhal à JS'i. Ces deux événements sont donc antérieurs à l'occupa- lion française en Tunisie. Mais il n'en est pas moins vrai que la Tunisie est acluellement privée de sa route commerciale naturelle et que Tripoli en délient plusieurs, par suite de combinaisons politiques factices.

A la suite de l'occupation de ces deux points par les Turcs, cl à la suite de la propagation du mouvement religieux se- Doussya dans ces contrées, qui remonte à la môme époque, toute la région qui avoisine tlhadamès el Rhal, jusque-là relativement accessible aux Européens, est devenue tout à fait inabordable pour eux.

C'est en 1874 que les Turcs ont occupé Rhat, et en 1876 que la première zaouia senoussya s'est installée à Rhada- iDès. Nous en avons vu la conséquencedansie massacredes Toyageurs Dournaux-Duperré el Joubert, en 1874, près d'In-Azhâr, et dans celui des PP. Richard, Pouplard et Morat, de lamission de Rhadamès, eni88i. DucôtédTnsa- lâh, sous l'influence de la même recrudescence de fana- tisme, ont eu lieu le meurtre des PP. Bouchard, Ménoret el Paulmîer, en 1876, et, plus récemment, en 1886, l'assas- sinat du lieutenant PalaL 11 faut, depuis cette année, ajou- ter encore à cette liste le nom de Camille Douls, le coura- geux explorateur tué dans les mêmes parages et presque dans les mêmes conditions que le lieutenant Palat.

Si maintenant, après avoir considéré les points de départ des routes transsabariennes, nous considérons les points

190 LES ROUTES DE L'AFniQrE SEPTENTKIONALE

d'arrivée, c'esL-à-dire les marchés d'échange des caravanes, nous voyons qu'ils sont au nombre de trois principaux :

fTimbouklou, ou plutôt d'une façon générale le coude septentrional du Kiger, car Timbouktou n'est actuellement par lui-même qu'un point d'une importance très secon» daire ;

Le Soudan central, c'est-à-dire le lac Tsad et les ré- gions qui l'entourent, ou celles qui s'étendent entre lui et le bas Niger, à savoir le Bornou, le Baghirmi, le Sokoto et même le Ouadaï;

3* Enfin le Soudan oriental, comprenant le Darfour, lo Kordofanel les pays voisins.

Depuis que nous avons pris pied en Algérie, et même auparavant, depuis que les voyageurs des premiers temps de ce siècle ont commencé à pénétrer dans le Sahara et à découvrir successivement les diverses parties du mystérieux bassin du Niger, on a admis, par une sorte de convention tacite, que Timbouktou était le point principal à attein- dre, que le grand coude du Niger était l'objectif que l'on devait viser, et jusqu'à ces dernières années presque tous les projets de pénétration ont été établis sur cette base. Celle opinion est peut-Cire trop absolue. La partie supé- rieure et moyenne du Niger n'arrose pas des pays aussi riches qu'on se l'était figuré d'abord. Timbouktou a perdu beaucoup de son importance politique et commerciale. Celle ville n'est plus, comme on prétend qu'elle l'a été autrefois, un grand centre intellectuel renferxnant même de riches bibliothèques. Ce n'est plus qu'une grande bour- gade, En outre, le Soudan occidental, c'est-à-dire le bassin du Niger, est atteint aujourd'hui, et les débouchés de son commerce sont assurés, d'un côté par nos possessions du Sénégal, de l'autre par les établissements européens du bas Niger, que nous avons eu le tort de laisser récemment passer aux mains des Anglais, mais qui néanmoins appar- tiennent maintenant, en somme, à une natron européenne.

Atl SOUDAN. 191

Les transports par mer ont trop d'avantage, sous le rapport économique, sur les transports par lerre, pour que le com- merce du Niger puisse dorénavant prendre le chemin de l'Afrique du nord : la ligne réunissant Timbouktou à l'Al- gérie pourra 6tre une ligne d'inlérfil politique ou stralé» gii|ue, au point de vue français : elle ne sera jamais une ligne commerciale, sauT d'une façon loul à fait acnessoire.

D'autre part, le Soudan oriental, comprenant le Darfour, le Kordofan et les paysvoisins, estunedépendanue naturelle la voilée du Nil, et il est destiné à èlre mis en relation avec le monde européen, soit par le Nil ]ui-m(yme, soit par les routes venant de la mer Rouge, telles que celle de Souakin à Berber. Ces routes sont aujourd'hui formées, iniis celto interruption n'est que momentanée : elles se rouvriront le jouroù l'empire du Mahdi s'écroulera, ou bien peut-être le jour il se civilisera, ce qui est moins pro- bable.

Il reste donc, comme domaine commercial essentiel de l'Afrique du nord, le bassin du lac Tsad, et la contrée qui i'étend entre ce lac et le Niger : c'est la partie incontesta-

ment la plus riche de tout le Soudan. C'est là, à mon

9, le point de mire que doivent viser les routes transsaha- riennes à ouvrir. Les explorateurs ont essayé de l'atteindra etc'estce but que poursuivait la deuxième mission Flalters.

En jetant les yeux sur la carte, on voit que l'ilinéritirede cette mission, parlant d'Ouargln, a remonté l'oued Ighar- gbar jusqu'à El-Biodh, et ensuite la branche occidentale de cet oued jusqu'à Amguid. De là, elle a entrepris la tra- versée du plateau d'Ahaggar, en passwnt par Inselman Tichsin, Temassinl, et enfin, lorsqu'elle a été massacrée, le 16 février 1881, près de Bir-EI-Garma, elle se dirigeait droit au Sud et n'était pas éloignée d'atteindre le puit^ d'.\ssiou, elle aurait rejoint l'itinéraire de Barih (1850) peu éloigné lui-même de la route habituelle des caravanes qui se rendent au pays d'Air. (Cette voie des grandes cara*

192 LES BOUTES DE L'AFUrQTE SEPTElNTRlONALE

Tanes a été suivie, eu 1877, par M. de Bary, dont la mon, survenue à Rhat, a été une si grande perle pour la science.)

Cet itinéraire suivi par la deuxième mission Flattera coïnciderait avec le tracé de la ligne de chemin de fer dont le plan a été si clairement exposé par M. Rolland i.

Ce tracé, qui traverserait par le milieu le plateau d'Ahag' gar^ ne rencontrerait pas, parait-il, de rampes insurmon- tables, bien qu'il parvienne à des altitudes assez élevées. Mais on peut dire toutefois que c'est un tracé artificiel au point de vue de la géographie physique : le tracé naturel consisterait à contourner le plateau d'Ahaggar par l'est, de même que la route dinsaiah le contourne par l'ouest. C'est ce qu'avait commencé à Taire la première mission Flatters, lorsqu'on 1880 elle remonta la branche orientale de l'Ighar- ghar. Mais elle abandonna cet itinéraire en constatant qu'il la ramenait sur Hhat. Ceci démontre, non pas que le tracé oriental soit mauvais, mais simplement que Rhat est un point de passage naturel et pour ainsi dire obligatoire. Toutefois îa mission Flatters eut parfaitement raison d'aban- donner cet itinéraire dans les conditions l'on était alors^ et cela pour deux motifs : le premier c'estque Rhat appar- tenait à une puissance étrangère, et que nous ne pouvions pas espérer, à celte époque, rattacher cette ville à noire domination; et le second c'est que ce point était beaucoup trop h l'est pour un tracé a,vant comme télé de ligne Ouargla et se proposant d'atleindre le plateau d'Air. Cet inconvé- nient ne subsisterait pas avec une léte de ligne située plus i l'est. Nous reviendrons lout àHieure sur ce sujet.

VI

"De lout ce qui précède il résulte que Tripoli est acluelle- nientla t&lede ligne de toutes les routes transsahariennes en

1. ConWi>cn<îe hilfl i\ l'Asaoci«lj»a ft-iioçaise pour t'avaneement dei Kieacesje 3 mnri 1888.

Ai: soi;da.\.

103

iclivilé et le grand marché du Soudan. Ce résullal lient en partie à des conditions géographiques, que nous venons de résumer, en partie à des conditions politiques. La Tripoli- laine est en eO'et, avec le Maroc, la seule contrée de l'Afrique du nord puisse se faire librement le commerce des esclaves. Or on sait que (n'en déplaise aux économistes philanthropes) l'objet principal et presque unique du trafic du Soudan est constitué par les esclaves. Les autres mar- chandises, telles que la poudre d'or, l'ivoire, les plumes d'autruche et les cuirs, ne sont que l'accessoire et ne suf- firaient pas à alimenter le transit de hi moindre ligne de chemin de fer. Ofliciellement, îa Turquie a adhéré aux con- Tentions internationales relatives à l'abolition de la traite; mais, en l'ait, comme le Koran autorise l'esclavage, cette pratique continue à ôlre tolérée. L'exportation des esclaves dans les pays étrangers est seule empêchée, D'ailleurs il n'y n pas lieu de s'apitoyer outre mesure sur le sort des esclaves nègres en pays musulmans : ils y sont souvent beaucoup mieux traités que dans leurs pays d'origine, ils ne re- tournent guère quand ils sont libérés, ce qui leur arrive très fréquemment. Ils travaillent peu et ne sont pas l'objet de mauvais traitements. Mais nous n'aborderons pas ici le développement de cette question qui nous entraînerait trop bin et s'écarte de notre sujet principal.

Ce sont les avantages matériels résultant de la silualion géographique de Tripoli qui ont conduit nn voyageur alle- mand «le grand mérite, l'homme qui aujourd'hui connaît le mieux le Sahara et qui y a fait les plus merveilleux voyages, Gerhard Rohlfs, à dire ; « A celui qui possédera Tripoli appartiendra le Soudan, u Cette conclusion n'est peul-âtre pas obligatoire. Si nous savons nous hâter et proOter de notre situation actuelle en Tunisie, malgré les avantage^ incontestables que Tripoli doit à sa latitude et aux roules qui y aboutissent, il faut espérer que nous pourrons com- penser le désavantage rcsultanl de la position moins favo- soc. HE Gtoun. thi.mustre IS90. xi. 13

Î94 LES RODTES DE L' AFRIQUE SEI'TEMitlONALK

rablode nos I6tes de lignes algériennes et tunisiennes, par la supérioriLé que nous donnent notre civilisation et les moyens matériels et intellectuels dont nous disposons,

VII

Ceci nous conduit à parler de Tripoli et de la Tripoli- laine. Qr, parler de la Tripolilaine, c'est loucher à un sujet brûlant, qui demande à tire traité avec un extrême ména- gemenl. La Turquie a fuit, pendant ces dernières années, de très grands progrès dans cette région de TAfrique, et elle lient à celle partie de son empire d'une façon qui peut sembler exagérée au premier abord, mais qui cepen- dant est bicH motivée. Ses possessions européennes lui échappent et elle paraît depuis longtemps se rendre compte que ses provinces d'Europe sont destinées à lui élre succes- sivement arrachées, dans un avenir plus ou moins pro- chain. Aussi l'avons-nous vue, depuis la guerre turco-russe, les abandonner avec une grande résignation, au fur el à mesure que les circonstances l'ont exigé. Mais, en môme temps, elle a cherché une compensation territoriale en Asie et en Afrique, elle comprend qu'est son avenir, et elle trouve un milieu plus favorable à la nature de son génie et à l'utilisalion de ses moyens d'action. Dans le nord de l'Afrique, elle a transformé, depuis quelques années, en une possession solide et réelle, l'autorité plus ou moins théorique qu'elle avait sur la Tripolitaine; en même temps elle en a considérablement reculé les limites el elle nous a devancés de beaucoup sur les roules du Sud, en occupant d'une façon effective, par des garnisons régulières, les villes de ilhat et de Hhadamès, ainsi que tout le Fezzan. Sa sou- vcrainelé directe s'étend aujourd'hui jusqu'aux montagnes de Toummo, c'est-à-dire presque jusqu'au 22° degré de lati- tude Nord, et son influence s'étend beaucoup plus loin.

At SOUtiA.V.

La Tripolilaine présente un double intérêt non seole- nenl par celle transformation récente de la domination torque, mais aussi par le mouvement religieux dont le pays I été le siège. C'est que la confrérie des Senoussya, qui a entrepris de régénérer l'Islam, a, comme on le sait, établi son centre. C'est à celte secte que Ton doit le prodigieux mouTement de prosélytisme musulman qui s'est étendu, depuis longtemps déjà, à tout le Soudan, et qui a gagné de tilesse rnction des missionnaires chrétiens, pour la conver- sion des populations fétichistes de l'Afrique centrale. En les convertissant h l'Islam, elle a rendu ces populations absolument réfractaires au christianisme, et en même temps à notre inûuence.

On sait que le programme qui paraît être celui du suîtan actuel, et qui consiste à étendre la puissance territoriale de ta Turquie en Asie et en Afrique, en se considérant person- nellemcnt comme l'héritier légitime des califes, tant au point de vue spirituel qu'au point de vue temporel, s'est trouvé à un moment donné en, compétition avec le mouve- ment religieux du Senoussysme.

M. Duveyrier a donné, dans le Bulletin de la Sociclé de IJéoijraphie, une étude aussi complète que possible du dé- veloppement de celte secte si intéressante' : je n'ai donc rien à y ajouter. Je dirai seulement que la Porte, ne pouvant briser la puissance du Senoussysme, a pactisé avec elfe et a cherché à l'utiliser à son profit, moyennant des concessions considérables d'ordre administratif et financier. Les privi- lèges les plus larges ont été accord es à la secteen Cyrénai'que et (hnsla Marmarique, elleconstilue maintenant une puis- tance administrative et judiciaire, en même temps que reli- gieuse,el même une puissance militaire. Moyennant ce s sacri- fices, la Turquie a conservé l'autorité gouvernementale, et a

1, Cf. Duvejrier, La coiifréfU mmuimatie de Sidi-Muha.iMned-bcn' iti-n-Senouiti. BulUlin de ta Soc. de Geogr., 1884, p. H5-Ï'2fi.

190 LE* nOtlTES DE l'aFRIQUE SET'TEKTRIONALE

intime su employer le mouvement duSenoussysme pourl'a- granttissetnenl géographique de son empire, malgré l'exis-, tence d'un important parti hostile aux Turcs, dans la secte' même. C'est ainsi que l'on peut dire, par exemple, que le groupe des oasis de Koufra a été conquis par la Turquie, puisqu'il appartient aux Senoussya, et que Jes soldais turcs] sont les seuls qui, au point de vue international, aient le j droit d'y pénétrer.

Il ne m'appartient pas d'examiner par quels moyens ce] but a été atteint. Je n'examinerai pas quel a été, à Constan- tinople et à Tripoli, le rôle du personnage important appelé! Si-Hamza, ni celui de son frère Mohammed-ben-Dhaler, qui passe pour être le directeur religieux du sultan. Je dirai I seulement que le mouveraentSenoussya s'est propagé chez les Touareg, et qu'une grande partie de ces peuplades, autre- Tois en dehors du rayon d'influence de Tenipire turc, lui sonl aujourd'hui rattachées par des liens nombreux.

A la suite du massacre de la mission Flallers, les Touareg Ahaggar, craignant des représailles de notre part, ont cher- ché tout naturellement une sauvegarde dans la protection turque.

A l'appui de cette assertion, nous citerons notamment les deux lettres dont le texte est ci-dessous'.

I, Lellre n" l. Arhilaihgn, chef dex lloggnr, à El-llailj-T<thar-Bo- nidi. Il Itliadamés.

Au nom de Dieu clément el mlsiîricorJieux f

De la part du ctieikii Yautiùs, surnommé ArliiUrhen-bcn-Biska, che( dos Ho^gur.

A nutrc ami El-liadj-Tahiii'rïastdi. Salutations.

Ce que j(i l'écris a priiir but de ré|>oiiilre aux divepsos lettros que tu m'as adri-ssées au stijut ili; Ion aiui le Kramais. Tu me disais (Je liiister ces r.lircliens traverser iium pays |iuur se rendre au SouiKm.

Pourquoi donc n'iitais-tu [tas eti porsoiiiio avec eux? Us D'avaicut pa.s cummencd par uractjuitter le droit de piiage *. En outre, je n'avais reçu à leur suji-t aucune instruction du sultan de l'onstitulinopic |)as plus que

1. Droit nae perçoivent lus tribus de Tanarej tar lea caraviiioi cl ^oytgaan (raTtinaat litnr (ni)*.

AD SOUDAN. 197

La première est adressée par Arhilarhen, chef suprême des Touareg Ahaggar, à un négociant de R-hadamès, Ei-Hadj- Tabar-Basidi, qui avait fait auprès de lui des démarches ayant pour but de le rendre favorable à la mission. La se- conde est écrite parle même Arhitarhen au gouverneur de Rbadamès^

Ces lettres non seulement démontrent la culpabililé di- rectedu chef des Touareg Ahagi^ar.déjA. établie surabondam- ment par d'autres preuves, mais elles montrent aussi son extrême duplicité. Il est impossible de ne pas ^tre indigm* de la fourberie et de la déloyauté dont les Touareg ont fait

du piiclia de Tripoli. Pourquoi dnnc een (ihrétiens venaienl-ib vo>;iger dans notre pays? Jamais de aolre vii; nous les nvioiis vus liaverser noire territoire. C'est chose impossible : ils ne sont paial iiii Diimbre de ceux qui jouissent de la protection musulmane; ils i>taicnt chrétiens, de ceux qui font ta guerre sainte c-untre les Musulmans, et tu préteads dans les lettres que tu nous écris à leur sujet, que i^es {^ens-là ne nous causeront aucun préjudice? Aujourd'hui tout est (îni : ils sont venaf, ils wnl morts.

Des gens que je connaissiiis sont venus chez nous rréqucniiuent ; ton fils, par exemple, n'a-t-il pas vendu ni auliaté librement et ne s'en est-il pas retoarné sain et sauf avec les bénéfices i|u'il avait pu Filialiser?

Au surplus ceux qui ont lue ces chrétiens «ont les Amrliari d'.\ïr et les jtens des Aidjer. Ils sont morts sur le territoire d'Aïr. Ce «ont les Amrhad susnommés qui les nat massacrés; les Hoggar sont étran- gers à cette allaire. Ceux qui «ont les auteurs du meurtre ont pour chefs ■Nalali-ben-Haï, Bou-Kekheïr-ben-rKor.sk.i, Teguten, Nefi», Cuon- tali: Kennin et Foug-as, de l'Adrharh, étaient nnssi avec eux.

Au naomcnt ces chrétiens ont été tuéa, le.4 tlog^ar étaient en incur- «ion contre les gens de TAdrliarb et n'étaient pas encore de rclaurches eux. Donc les chrétiens n'ont été massacrés que par les gens plus haut dési- gnés: à ces chréliftns, moi j'avais donné un guide qui avait pour mission de les conduire chez les Air. l'ai perdu dans celte aflaire les meilleurs de mes hommes qui ont égak;ment lité tués ; deux autres ont élô blessés a coups de lance.

C'est (Ini et je t'ai Informé de tout ce qui est arrivé. J'ai reçu le cachet ift la cire. Salut.

Le C* jour du mois île Rebbia de l'an 1:^*,I8 (dimanche C février 1M81).

1. Lettre n" 9, Arhiturhen, chef des ttognar, A Bou-Aïcha, émir de la ville de lihaitaméx. Au Dom de Dieu clément et miséricordieux 1 De la part du cheikh Yuu-

198 LES nODTES IiK l'aFRIQUE SEPTENTRIflNALE

preuve vis-à-vis de la mission. Ce qui esl fait pour nous ré- volter surtout, c'est non pas tant leur attaque, qui e!^t en somme un fait de guerre, admissible dans une certaine me- sure, que les circonstances particulièrement odieuses dans lesquelles a eu lieu le massacre.

On sait qu'après l'assassinat des chefs délit mission, atti- rés dans une embuscade, le gros de la troupe, qui n'avait pu

n-!i (urnuiiiiné ArhiUrlien-ben-ilbkn, cbeT des Hoggnr, i »a teigoeurie lloU'Aictia, l'-mir de la ville <lc Hliadumès. Salutations.

Si vous èlea a»Rez bnn pour voua intéresser à noui, «achez que nous nous parlons bien et qtic nous jouissons de ta (itiix. Nnus faisons des Vii'Ui pimr qu'il en soit de mAnie da volie cùté, s'il pluft â Dieu ; nous n'avons Rucuiie nouvelle i vous annoncer; rieo absotituicnl n'est sur- venu sur niitre lorritoim.

MaiQlentnt, 6 ohog- ami, vous noua aviez recommandé dv surveiller les roules et de les préserver contre los gens huslilos; r.'est ce que nous «vous lait. Nous nous appliquons à garantir les ruute.'j contre les iucur- siont d'cnncmit iimBuliiiims et rien en elTct ne s'ohI produit; mais aujourd'hui ue vi)ilà-t-il pas que les cbréliens veulent suivrt; uos routes! Je vous informe de ce ijui esl .irrivâ à ces chrétiens, c'est-à-dire au rolonel Fiatteri, qui ejt vcuu che^t nous avec des lniinmes armés de mille cinq cent cinquante cannas ihms l'inlcntioA de traverser le pays des lloggur; mais les gens de cette contrée les ont conit>ttlug pour la guerre sainte de la muaièro plus énertcii|uF, ios ont mussacrâs et c'en est fini. iMainteuant il l'aut. il faut uhsotunienl, ù ctier ami, que la nou- velle de nos actes parvienne à Constantinople. Annonce?, -bas ce i{U) esl arrivé, à savoir f\»f: lc!> Ttuirireg ont «nuteau contre les cliri'lieri.s une guerre suinte onuiiiplitire, et que l>ieu les a secourus contre ceui-ci pour les détruire. Mais aujourd'hui li, par ordre de l'autorité, les chré- tiens ont la Taculté de voyager chez |ca Touareg, cela sera d'un très mau- vais efTotpour nous chez les chrétiens, pour nous qui les avons comhallus p«ur la guerre sainlc.

On ilit «]ue ces chrétiens sont énergiques elbatiiilleurs: donc, 0 cher ami, r^is parvenir met paroles à Ciiiistanlinople et dis en hauts lieux que je demande à ce que les Musulmans, par vos ordres, vienneot à notre aide, pour soutenir la guerre sainte dans l,i voie qiie Ltieu nous a tracée.

S'il [ilall â Dieu, nous testerons les champions pour la guerre saiple comme Dieu le veut. Salut.

LeîGdumnis de llelibia i\t l'an I2il8 duProphètetsamedi ^février IKHl).

1. Cf. LieuleDuat-coSoDol Derrécaitaix, Exptoiatiun» du Suhaia el le* deM.r mhnirtn» ilu lieutenaHt-colimfl Flallfr*. H»ll. Soc. Céogr., IWI.

I

AU SOUDAN. 199

être entamé, et qui se composait encore d'une soixantaine d'hommes, privés de la plupart de Jeurs moyens de trans- port, commença une retraite, sous la direction de M, le lieutenant de Dianous, de l'ingénieur Santin, et d'un sous- ofBcier français. Je n'ai pas à rappeler les circonstances de celle retraite désastreuse : elles sont dans toutes les mé- moires*. On sait comment les Touareg empoisonnèrent les survivants en leur offrant des dattes que ceux-ci curent l'imprudence d'accepter. On sait comment, cet attentai n'ayant qu'à demi réussi, eu ce sens que les accidents ne furent généralement pas mortels, les Touareg, après plu- sieurs assassinats isolés, commis sur la personne des parle*- raenlairesdont ils demandèrent l'envoi à plusieurs riiprises, eurent raison de leurs adversaires alTaiblis^au combat d'Am- guid, furent tués MM. de Dianous, Santin, et les deui soldats français survivants, Brame et Marjolet. On sait que les derniers restes de la mission, parmi lesquels ne se trou- vait plus qu'un seul Français, le mardchal-des-logis Pobé- guin, eurent à supporter des privations inouïes, qui rédui- sirent les survivants à se manger les uns les autres. On sait que le sous-orflcier français auquel appartenait alors le com- mandement fut l'une des victimes de ces scènes déplorables, sur lesquelles il est superllu d'insister'.

Mais indépendamment de toute considération relative aux désirs de vengeance ou aux regrets personnels que peut motiver la mort de nos malheureux compatriotes, ce qui est infiniment regrettable et ce qu'il aurait fallu chercher à neutraliser, c'est le désastreux effet moral produit sur les populations sahariennes par l'impunité des meurtriers, c'est le coup porté à notre prestige en Afrique, atteinte dont les conséquences ont été considérables. Enlln, on peut dire en uutre, au point de vue purement géographique et scienti-

1. Ù'. Diiveyrier, Bull. Soc. Gi'iigr. f>fH.r .Mmjikiiia Flattera, IK8'.».

Cf, le capitaine RrossRlard, ks

200 LES nOUTES ItE L'AFRIQUE SEPTKNTn.IONA!,E

fii]ue, en laissant de côlc le point de vue spécialement français et abstraction l'aiLe de toute idée de conquête ou de rivalité vis-à-vis d'autres nations, que l'atteinte portée à la sécurité des voyageurs dans le Sahara a été profonde, et que la possibilité inOmâ des voyages futurs s'en trouve gra- vement compromise. Cet acte a eu pour conséquence la fermeture d'un pays qui jusque-là avait été sinon onvert, du moins entr'onvert, grâce aux persévérants efl'orts d'explora- teurs érainents et dévoués, efforts dont les résultats sont aujourd'hui remis en question.

Plus la France a tardé à frapper les coupables comme ils l'ont mérité, plus il sera difficile d'arriver à un résultat efficace. Actuellement nous ne pouvons guère songer à rétablir notre prestige dans ces régions à moins de nous emparer préalablement deHhadamèsetdeEhat. C'est par seulement que nous pourrions atteindre les Hoggar et leur infliger le châtiment que nous n'avons pu leur faire subir en prenant pour base d'opérations l'Algérie, car il aurait fallu organiser une expédition devant laquelle on a reculé, et peut-être avec raison : elle aurait coûté des sommes énormes, elle aurait été selon toute apparence sans résul- tats, et elle n'aurait abouti peut-être qu'à un nouveau désastre. En prenant pour base d'opérations ta Tunisie méridionale, le succès pourra être différent, surtout si nous parvenons à occuper un jour d'une façou solide llhadamès et Rhal.

Personne, parmi ceux qui ont l'expérience de l'Afrique et des Arabes, ne me contredira lorsque j'affirmerai qu'il eût été urgent d'infliger une punition exemplaire aux auteurs du guct-apens, punition qui aurait consister dans lacap: ture et dans l'exécution non seulement des principaux cou- pables, mais aussi d'un certain nombre d'individus, cou- pables ou non, appartenant à la même tribu. Il n'y a rien de hasardé ni d'étrange ;\ dire que l'exposition d'une centaine de tètes de Touareg Hoggar dans quelques-uns des princi-

AU SOUDAN.

-iOI

pinx centres conimerciaux du Sahara aurait produil un effet moral excellent pour nos inlérCls, nous aurait ouvert les roules, et aurait élé indispensable pour compenser l'effet contraire à noire prestige qu'a produil l'iiffluence, sur le marché de Rhadamès, des pièces d'or françaises provenant du pillage de la caisse de la mission*.

II aurait élé nécessaire en parlieulier de faire subir un châtiment personnel à Arhitarhen, dont la duplicité et la fourberie ont été si manifestes, ain«i qu'à son auxiliaire le cheikh Tissi, auteur direct du massacre. Malheureusement nous devons y renoncer, car le chef souverain des Touareg Hoggar est mort, paraît-il, ainsi que son principal complice, il y a maialenanl plus de deu.t ans, h. l'époque de la prise de Hhal.

Je rappellerai en effel qu'au commencement de l'hiver 188G-1887, la ville de Rhat, occupée par une petite garnison turque, a été enlevée par les Touareg : ce coup de main a été amené par le refus de la Turquie de remettre en liberté des Touareg détenus à Tripoli comme prisonniers ou otages. Il est extrêmement difficile pour nous d'avoir des renseigne- ments exacts et précis sur les événements qui se passent dans ces régions; toutefois nous savons que Rhat a élé pris par les Touareg à la fin de l'année 1886, et que la garnison turque, composée d'une quarantaine de soldats, a été en partie massacrée, en partie faite prisonnière pour tire éc'.Jangée contre les Touareg détenus à Tripoli. Gel éténemenl a eu pour conséquence l'interruption pendant dix mois du commerce avec le Soudan qui se fail par celte roule. Depuis lors les Turcs ont, au mois d'octobre 1887, réoccupé Rhat sans coup férir.

Dans le combat auquel donna lieu la prise de la vide par les Touareg, on prétend qu'Arhitarhcn fut tué. Il n'est pas

Kl. Cclt<! bflIueDC<'. :i éLiicaracliTisée, peuplant un certain leiu{i9,|iar une <épn>cialioo très notalile du cour» tlo l^i pitco ilu vingt francs l'rançiiiso m le marché de Rliadaniès. [

202 LES RODTES DE L'APUrQUE SEPTENTRIONALE

prouvé que sa mort ait eu lieu dans ces circonstances; il semble au contraire qu'elle a été antérieure, et celte dernière version paraît k mieux établie. D'après les renseignements qui m'ont élé donnés par divers indigènes, il paraîtrait que deux des principaux chefs touareg ont trouvé la mort dans cet engagement. On n'est pas d'accord sur leurs noms : on me les a nommés Cheikh Sassi et Cheikh Yahia. Ces noms sontceuiqueleurdonnaientles Arabes elnon pas ceux qu'ils portaient parmi leurs compatriotes; car ou E^ait que chaque Targui a généralement deux noms ; ainsi l'on voit, par exemple, dans l'une des lettres ciléesci-dessus, qu'Arhitarhen s'intitulait lui-mémeen arabe Cheikh Youiiès. Il est probable que celui qui m'a élé désigné sous le nom de Sassi n'est autre que le Cheikh Tissi, qui commanda personnellement l'altaquecontre te colonel FLaLlers et ses compagnons. Quant à Arbitarhen, il est difficile d'être Gxé. Toutefois les coni- pétitions auxquelles a donné lieu, pendant ces deux der- nières années, la possession du pouvoir suprême chez les Abaggar, semblent démontrer sa mort. On sait qu'il s'agit d'une souveraineté considérable, du moins au point de vue de l'étendue territoriale, car les Touareg occupent une surface de pays grande cinq fois comme la France; on saitqu'ilsformentquatregrandesfpactions^etquelesHoggar ou Ahapgarensonlla iirincipate. On voitdoncquele chef du pays d'Ahaggar, l'auteur direct, sinon l'instigateur du mas- sacre de la mission Klatlers, était un soiiveraia puissant i sa manière, et on voit aussi qu'il nous faut renoncer !\ le prendre comme objectif de noire vengeance. Je dis qu'il a élé simple- ment l'auteur direct vl lum l'instigateur, parce que nous savons aujourd'hui que c'«bI h des intrigues ourdies en ma-

1. Ces quatrn grniiilM fraolioilK Hunt, cDiniiii: un le mit, les Alvjtg^r ou Hoggar, les Azitjur, Ish Ki>1 Oui, ttt In» Aouelitncnideii. On y ajnutfi i|U6l(jtierois. une cint|uii<it)n |i[i°niiile «livision, un i-aiii[il:int Ainsi les Touareg Ae l'Adrliaih Alunit, a|i|K'li!K «usai Tnïlok (\'nir pnur cp ileniier point, le* Ti)unn-<i </r VlUii-nt, [i:ir II. llifisiKil, ] vol. Alger, t88S).

AD SOUDAN. 903

KjMtre partie h Insalah et à Rhadamès qu'est due l'origine du ^HHacre de la mission.

^^^Tenant avant tout à n'entrer dans aucune considération de politique pure ni de diplomatie et à rester dam te do- aiaioe de li géographie, je ne puis parier ici de Tripoli qu'avec une extrême réserve. Un incident diplomatique très regrettable dans ses suites a été soulevé, au mois de janvier 1888, par une communication ttiite à la Société de Géographie relativement à la frontière méridionale de la Tunisie. Pour éviter de donner lieu à aucun incident du même genre à propos de la Tripoiitaine, je n'en dirai pas un mot, me bornant, en ce qui concerne la description de ce pays, aux photographies dont j'ai eu l'honneur de mon- trer les projections à la Société de Géographie*.

La ville de Tripoli est actuellement, avons-nous dit, la télé de ligne du grand commerce du Soudan et le point d'alUche des caravanes. Les principales sont au nombre de trois ou quatre par an : elles comprennent souvent 1,2:00, et parfois même jusqu'à '^,000 personnes. Elles rentrent h. Tripoli habituellement vers lecommencement de mars. En outre il arrive dans cette ville, à peu près tous les quinze jours, de pelits convois formés à Hbadamès et comprenant, proportion variable, des éléments venus du Soudan N'ayant pas à parler politique, je ne dirai rien des convoi- tises étrangères qui peuvent s'agiter autour de Tripoli : je dirai seulement, et je répéterai bien haut, qu'en ce qui nous concerne, malgré toute l'importance de Tripoli au point de ?ue du commerce soudanien, nous n'avons en aucune façon a en convoiter l'occupation. L'Algérie et ta Tunisie forment DR tout homogène qui a une mauvaise frontière du côté de l'ivuest, avec le Maroc, mais qui, du côté de l'est, touchant 4 la Tripoiitaine, a une excellente frontière naturelle. Malgré nombreuses oasis, la Tripoiitaine est un désert dont le

\. Séanec du 10 mai 11189.

il

204 LES nOUTES OE l/AFItlQL'E SEPTENTHIOMALE

climat est brûlant et intoiérabje pour les Européens; nous occupons déjà une bien assez grande étendue de déserts inhabitables et improductifs dans le sud de l'Algérie et de la Tunisie, sans chercher à en acquérir d'autres qui ne nous in- téressent pas direclemenl. Nos possessions aclueUes d'A- frique nous donnent une base d'opérations assez vaste et assez solide, en ce qui concerne le commerce soudanien, pourque nous n'ayons pas besoin de cherchera leur adjoindre laTripolJtaine- C'est uniquement par la supériorité que nous donnent notre outillage et notre civilisation que nous devons cherchera compenser les avantages de position de ce der- nier pays, sans que nous ayons besoin de nous en emparer.

VllI

De tout ce qui vient d'être d'exposé, il résulte que pour ouvrir, en partant de nos possessions françaises de l'Afrique du nord, une roule commerciale aboutissant au Soudan central el pouvant faire concurrence à celles de Tripoli, ta solution la meilleure et peut-être même la seule possible, tant que nous n'avons possédé que l'Algérie, était la ligne préconisée et étudiée par M. Rolland, celle que suivait la deuxième mission Flalters, à savoir la route deConstantlne, Biskra, Touggourt, Ouargla, El Biodh, Amguid. C'était une solution à la fois pratique et ingénieuse d'une question très difficile en soi. Mais aujourd'hui que nous possédons la Tu- nisie, il n'en est plus de même : nous pouvons choisir dans le sud de cette région une lèLe de ligne située par la même latitude que Touggourt et ayant sur ce point les deux immenses avantages d'un climat beaucoup plus tempéré, supportable toute l'année pour les Européens, el d'une situa- tion au bord de la mer, c'est-à-dire accessible aux navires et en relation directe, rapide, et peu coûleuse avec la France au lieu d'exiger un trajet préalable de 600 kilomètres par

W sot; DAN.

20.1

cbemio de fer. Parlant de ce poiol dont la position sera disculée loul à l'heure, il faulchercherà nous rendre naaitres de la grande route commerciale qui passe par Rhadamèset par Ilhat, route qui apparlient de droil à la Tunisie et qui présente une telle supériorité sur les autres voies transsa- bariennes, que, comme nous l'avons vu, les caravanes partant de Tripoli vont pour la plupart la rejoindre au lieu de pren- dre la roule beaucoup plus directe de Mourzouk*. Celte revendication est formulée ici sans aucune arrière-pensée politique et ne doit pas être interprétée comme un propos hostile vis-à-vis d'un pays voisin et qui est notre allié. Il faut espérer que celte conquête se fera d'une façon toute amiable et pacifique; mais elle se fera, ctltendu que les exi- gences de la géographie physique le veulent absolument. Il est à noter aussi que quand nous posséderons Rhadamès nous isolerons Insalah, ce foyer d'hostilités et de résistance à notre ioâuence, et nous empêcherons les vassaux du Maroc de donner la main aux vassaux de la Turquie au sud de nos possessions de manière à nous barrer les routes du Sahara. Pour atteindre Rhadamès nous ne prendrons pas la route qai vient de Biskra et du Souf, celle qu'ont étudiée notre collègue M. Duveyrier- et, plus récemment, M. Largeau"; elle présente des obstacles naturels presque insurmontables dus h la traversée des sahles de TErg. Nous ne prendrons pas davantage la route qui vient de Ouargla, étudiée égale- ment par M. Largeau et par Bou-Derba, et qui comporte dix jours de marche sans eau, avec la traversée de dunes très

t. Cette route de Hhadarnès-I1hat, comme il a «lé dit plus huot, gagne platcuu d'Aïr, et de là. le Sokolo et le Gundo. Mais elle peut servir aussi à atteindre dîrecteiiient le Bdihou, moyennant la réouverture de reiiilirancliejnent. aujuurd'liui pou pratiqué et surtnut pou uonriu, gui va «le Rltat ;i Bilma, c'est-à-dire qui va rejoindre au Kaouar la ;;raiide |>isto menant de Mourzmik, OeUe traverse a été figurée sur un croi|ui& inédit Ue M. le générai Pliiieliert.

ï. Cf. Duvejrier, tes Tnitamt du Xord, I8f4.

'J. Cf. V. Lurgeau, l'oijuije a HUadames, 1879.

20G LES ROUTE:? I)E L'aFRIOLE SEPTENTRIONALE

élevées. Nous partirons d'un porl situé sur la côte méridio* nale de Tunisie, ce qui nous permettra de çagner Hharlamès sans avoir à traverser le massif sablonneux de l'Erg que nous contournerons par l'est.

IX

Cbargé par le gouvernement tunisien de !a recherche et de l'étude des points les plus favorables pour servir de port d'attache aux futures lignes ferrées du sud de la Régence, j'ai, au mois de décembre 1888, dans un rapport officiel, présenté mes conclusions, lesquelles, sur le point géogra- phique qui nous occupe en ce moment, se résument à ceci.

La côte de la Tunisie méridionale se prÔle assez mal à l'établissement d'un port, car elle est plate et basse ainsi que tout le rivage oriental de la Régence. Les points il serait possible d'élablii* le port dont il s'agit se réduisent à cinq, à savoir Gabès, Gourine, BouGrara, Zarzis, Kl Bi- ban. Gabès, le plus connu de tous ces points, celui qui est le | siège' d'un commandement militaire important el celui qui a été choisi depuis le commencement de l'occupation comme centre de ravitaillement de tous les postes du sud de la Tunisie, semble, à première vue, être tout indiqué; mais la côte y est tellement plate, tellement basse et tellement dépourvue d'abri que l'on ne peut espérer y pouvoir jamais faire un port passable. Nous le garderons forcément comme entrepôl et comme magasin militaire à cause des dépenses cotisidénibles qu'on y a faites, et qui ne permettent plus de l'abandonner, mais ce ne sera jamais la tête de ligne de la route de pénétration saharienne, pas plus que le point ter- minus des chemins de fer tunisiens du centre et du sud. Quand aux diverses localités qui sont situées au nord de Gabés et qui ont été proposées pour devenir le port du sud de la Tunisie, elles présentent également desinconvénients consi-

À

AU SOUDAN.

207

derables qui doivent les faire rtijeler absolument, et dans le détail desquels nous n'entrerons pas ici. Pour Sfax, qui, mal- |ré l'absence de pari nature!, serait le seul point à discuter sérieusement, à cause de sa nombreuse population et du port dragué qu'on y crée en ce moment, it faut mentionner, comme un défaut essentiel, sa situation beaucoup trop Bpt^nlrionale. Elle obligerait !e chemin de fer futur à lon- ■^r la côte pendant 200 kilomètres d'un parcours inutile, dont 1(50 dans un pays sans eau et sans hfibitants, aucun trafic local ne compenserait l'allongement du trajet.

La grande lagune d'EI Biban, qui constitue un vaste bassin fermé ne coramuniquaut avec la mer que par un goulet très étroit bouché lui-même par un petit ilôt, pour- rail, au moyen de dragages convenables, être aménagée de manière ii permettre l'établissement d'un port dans une de iesparties. Mais elle manque de profondeur; elle est en outre

îp près de la frontière tripolitaine, et comme il faut que le

^orl à créer soit à la fois la tète des ligues de pénétration

dans le sud et le lieu d'approvisionnement des centres de

population de la Tunisie méridionale, El Biban serait trop à

l'est et ne remplirait pus à ta fois les deux buts proposés.

Gourine est un point qui a sur celui-ci, ainsi que sur les deux suivants, l'avantage d'être plus à l'ouest et plus rapproché de Gabès. On n'y trouve aucun centre de popu- lation ; il n'y a qu'une baraque dans laquelle habite un juif qui achète de l'alfa aux indigènes. En ce lieu la mer communique avec une sebkhra, c'est-à-dire avec une grande bgune, qui n'est que partiellement inondée. Mais dans la partie de cette sebkhra la plus voisine de la mer, il existe un petit golfe qui a de l'eau d'une façon permanente et qui constitue un port naturel bien abrité. Son entrée a un kilo- mètre de largeur à marée haute, avec une faible profondeur sur sa rive orientale; mais dans le voisinage de sa rive occi- dentale, celte entrée présente, sur une largeur de 100 mètres, un chenal profond conduisant à un petit bassin naturel qu'il

: TES UE L AFRIQUE SEPTENTRIONALE

piMifc p0esillle d'aménager. Ce point ne serait donc pas! ilANiviiuUgttUx, à défaut d'un autre plus favorable.

l,e«> deui points qui restent sont Zarzis el Bou-Grara.

r»' '^' ter des deux, situé sur le rivage est de la]

(.. du même nom, présente l'avantage d'être un'

OttUlr« de population assez important et le chef-lieu d'une . ' Ms. Cette oasis est, sinon très riche, du moins lie. Mais la côte, qui présente un abri naturel suf- libuut pour les très petites bnrques, n'en offre qu'un tout à.| fait iiiaulibanl pour les navires, car on ne trouve dans cette] rade 4ue0"'50 d'eau au moment des plus basses mers.

L'eudroit qui parait incontestablement le plus avantageux] Mlle golfe de Bou-Grara, qui réunit des conditions excep- " lient favorables. C'est ce grand bassin, d'environ ires de diamètre, qui se trouve au sud Hc l'île de bjcrba» entre cetle île el la côte; il est entièrement fermé et| 1)0 couiunuiique avec la mer que par deux détroits, celui d'Adjim au uoid-ouest et celui d'El Kantarn au uord-esl. 11 avait tité rtïgardé jusqu'à ces dernières araiées comme une simple lagune sans profondeur, et toutes les apparences svniblHiunl ootitirmer celte hypothèse : en effet, toute la région est ctmverte d'une série de sebkhras ou cuvettes Imcuikires à fond très plat, et dont les unes se sont vidées eutièremcut par ôvaporatioii, tandis que quelques autres, cvlleii qui sont un cumumnicalion avec la mer, ont conserve un pitu d'eau, mais tans en avoir jamais une hauteur les reuduitt navigables, .\ussi la mission hydrographique fran- ^;aise envoyée i:n I88L)-8tJ, sous la savante direction de M. l'ingéuieur Héraud, lit-elle une découverte inattendue lorsqu'elle trouva dans cette lagune de très notables profon- deurs, suflisanlcs pour la navigation des grands bâtiments. La passe d'Adjim tist la plus profonde des deux; elle a pu donner pa^isa^o ù l'aviso le Linois, et tes travaux néces- Hi\'nxn pour la rendre accessible à tous les navires seraient rclalivcmout faibles. La passe d'Hl Kautara, obstruée par

AU SOUDAN.

209

des bancs de sable, manque absolument de profondeur et ne peut être pratiquée que par des barques de pêcheurs. Un » môme prélendn qu'au Irt-lois il existait d'un bord à l'auLre uoe comtnunicaLioii terrestre entre l'île de Djerba et la r,ùlo (Trik-el-Djerael). Je ne crois pas que celle communit-ation ail existé, ou, si elle a existé, il paraît s'être produit en co point un affaissement géologique. La barre rocheuse, quo Ton considère, d'après lus traditions locales, comme étant l'ancienne chaussée romaine, n'est, selon tuute apparence, qa'un sinnpie banc naturel et jamais, même lors des marées les plus basses, elle n'affleure au niveau de l'eau. La profondeur générale du détroit est d'environ 2 mètres. La longueur à draguer pour y faire un chenal serait (rès con- sidérable, plusieurs kilomètres, et ce chenal devrait ?tre prolongé au large assez, loin au-delà de l'enlrf'je du déiroil. Cependant la lâche ne serait pas impossible, car nous savons qu'en ITiGO, l'ilmiral ottoman Dragut, bloqué dans le golfe de Bou-Grara par André Doria,qui gardait la passe d'Adjim avec des forces supérieures, réussit à s'échapper avec toute sa flotte, en se creusant un passage à travers les bancs de sable du détroit d'El Kantara. Mais il ne reste plus aujour- d'hui de trace de ce 4:henal qui a été entièreincnl eliacc par la mer. Au contraire la passe d'Adjim, acluellemenl prati- cable pour les navires d'un tonnage moyen, pûurrnit fttre rendue accessible à. tous les bâtiments au moyeu de peu travaux. Le port d'Adjim, situé à rentrée de la passe, dans l'île de Djerba, est l'entrepôt nalnrcl du commerce de l'île; il est bien préférable k Ilourat-Souk, capitale ar.tuclle, d'où les navires ne peuvent approcher à uiùius, de t> kilomètres. Adjim est d'ailleurs dès maintenant beau- coup plus important comme cabotage que la capitale ofii- eidJe de l'île.

Le golfe de Bou-Grara réunit, comme on le voit, des con- ditions exceptionnelles pour l'installation d'un port de commerce, et on pouriait même, si on le voulait, y faire un

soc. UE OÉOCK. —i' IHIMKSTriK ÎMIIO. XI. Il

tM LES RtKTKS DE l'aFUIQUE SEPTENTRIONALE

port «le guerre. Eo même temps qu'il servirait de point de départ à la route commerciale du sud, il serait le port de la Tuai:»ie méridionale et il desservirait IMle de Djerba, qui est importante par sa population et son industrie'.

Parmi les divers points du littoral du golfe deBou-Grara, plusieurs se prêtent à l'établissement du port projeté. Nou» sigualerons notamment le point même appelé Djorf-bou- Grura, qui aujourd'hui n'est plus un centre de population» mais qui à l'époque romaine a été une ville dont on voit oocore les ruines. MM. Salomon Reinach et Babelon ont visité ces ruines, ils ont trouvé plusieurs statues intéres

1. Cette lie, Ur^ù ûo. "iH- kituini-trcs nur 30 <]e longueur, eiilu'ramBiil cvuvoite liv culture* et pciiplû^ de plus do Sd.ÛOO habitants comnier- (anlt el aUonnés à diverses iudustrics, peut devenir un centre important pour iiutre coluni«ation et nutre roinnierce, et allé juitilierail presque, k oUo seule, la créiitioa d'un port. Les haliltants, gui tipparlieniient ù la s^cle Ibâilite, (Icucendcnl, dit la tradition, d*tiJi<ï immigration de Mzabites, qui aui'iiit et) lieu uu xiu* siècle. Ceux-ci ont apporté dans \e. pays et l*wi's duàieudiiiils nnt conservé cet esprit laborieux el t'utte aptitude au ii^K^i'e <|ui le« earaclériitent en AlgOrie. Aussi | Iiisicurg industries sunt ftkgourU'hiii floriâanntes à Djerlia. fudiipeiidaniinent île la culture <lc.s pAlniiuri et ilea ulivien, qui roiivrenl l'ile, et  l'abri desquels se font J'autros uultureH aceessuircs, l'industrie des lissua de laine, la penche deg ttpuugoit, et la fabrication des poteries ont ù Iijorba un grand dévelop- pomoul. Il existe dans l'ilo quntro villes, llauml-Souk, qui est la cupi- l«lo, Adjim, Uualalla, lieu de fabrication des poteries qui se vendent d«B» luule la Tunisie, «t El Kanturii. l'uiicieirne Me.nin.r, d'où ont déjà é\,6 extriiils un ^Tund iiuitibro de précieux rnonunionts de l'art antique, (.luire cet viliui principales il y a dnns Tlle plusieurs bourg^ades impor- liiittet tiilleii (|ue Cedrieii, Huunnit-tîedouikcli, Kl llaharât-el-Kebirt et Kl llu))aral-ea-S»rbira; te dernier village est entièrement peuplé par le) Juii's, qui sont nuiiibreux rV Djc-rbn. Cette tlo n'est en somme qu'une (grande oasis entuun-f? pur lu mer. Uien qu'il n'y existe ni sources, ni cours d'eau, ni puiCa ariéiieus, et gu'un ou eoit réduit uniquement, pour l'irrigatiou, aux puil» unliriaires et aux citeines, tes babitunts sont a^sex laborieux pour entnrtentr |i;s cultures avec ces seuls moyens. Les pal- miers ne donnent que des fruits sans valeur, le rlinmt étant trop tem- péra pour permettre aux dattes d'arriver au degré de maturité ou, pour parler plus exactemeul, de cuisson, qui lus rend comestibles-, mai« lei oliviers ont une végétaliou miigiiitlque. Ou en couipte officielieiuent din« l'Ile 35t}0'Ki, et m rlillTre est probablement iuférieur A la réalité. Parmi eux se Ironvent le» iiln* l>caux olivieri de toute l;i Tunisie et peut-

Ar SOUDAN.

211

notes, et ils regardent cette localité comme étant l'ancienne

Du port ainsi déterminé partirait, suivant noire projet, ane ligne de chemin de fer desservant la plaine de l'Aarad dans toute sa longueur jusqu'au nord de Gabès, c'est-à-dire jusqu'à Oudref, et allant, de parGafsa et Feriana, se rac- corder avec le Ironçon algérien, déjà exécuté, de Tébessa à Soukabras el Bûne; celte ligne pourrait émettre des era- branchements desservant, l'nu le Nefzaoua (ligue de Gabès aa Nefzaoua), et l'autre le Djérië (ligne de Gafsa à Tozeur). Mais en outre ce mCme port serait le point de départ de la ïûie de pénétration dans le sud, passant par Rhadaniès et Rhal, dont nous avons indiqué le tracé général.

il serait intéressant d'exposer ici en détail le tracé du premier tronçon, celui qui joindra la côte h ilhadamès. Cette partie de la ligne est la plus délicate et en même temps celle dont l'inléréf est le plus immédiat. C'est la seule sec- lion de cette grande route saliaricnne, qui à mon avis, pourrait raisonnabiement, dans un avenir prochain, être établie à l'état de voie ferrée.

I.a traversée de la plaine de la Djefara, celle du massif montagneux des Oudernas, dont les pentes sont escarpées,

*lre de loule l'Afrique. l'rùs du village li'ïA Uahnrat-es-SerhirM, la mule d'Houmt-Soult à Uouinl-Cedouikcli passe au milieu J'un g:i'i)upe nom- breux d'oliviers tous à iieii pifcs ilu même iige. el dont l'un mesure tfi mètre» de tour (diinension prisu sur le it<tac, :i hauteur U'Iiomine). Phi- ticurâ arljru voisins, ég^ilernent sains, ;ont des troncs i|ui mesurent de J4 k 15 mètres dejcircoufàronce. La proiJuctii'ii do ces arbres est ronsi- 4^riible, et il y a tous los éléiiients d'une itulusirie importante, la fa- kricalionde l'huile, lyai jusiiuVi présent estcncnre à l'état rudlmenlaire, taûi que l;i'créatitin d'un poi't coDlribuerait à duvflapper.

t. Cf. S. Reinach et K. Bahelitn, Fteclierchr.s o'-chêolngiqiies en Tunisie (JJ(S3-tilj, Pari", l«*li (V.KiraUûM flutlelin arcliévluyiijue liu Comité des Tnvaux hiitoriquti el ncienlifiques, lS86).

212 LES ROItTKS DK L'AF^QIE SEPTENTHIONALE

mais qui présente des trouées singulières, dues à des éro- sions et dont il est possible de profiler pour le passage de la ligne, enfin la descente vers Rhadamùs, sur le revers mé- ridional de ces montagnes, sont des problèmes qui pré- sentent plusieurs solutions et que j'ai eu l'occasion d'étu- dier pendant ces dernières années. Mais un exposé des tracés possibles serait ici prématuré, pour plusieurs molifs, dont le principal est <iue ces éludes seront, il faut l'espérer, conti- nuées, et qu'il est inutile de les entraver en donnant l'éveil à des susceptibitilés politiques qui, pour être mal fondées, puisqu'un chemin de fer ne peut être qu'utile à la prospérité matérielle des pays traversés, n'en sont pas moins vives.

Hhadamès est en effet un point près duquel passe, théo- riqueraenl, la frontière commune de l'Algérie et delaTri- politaine. On sait que ces deux contrées sont supposées devenir limitrophes, au sud de la Tunisie, qui, toujours ttif'oiiquemenl, s'avance beaucoup moins loin qu'elles vers le sud.

Or, pour atteindre Rhadamès par l'un ou l'autre des tracés dont il vient d'ûtre question, la ligne présente un inconvénient, c'est de passer sur des territoires qui ne sont pas soumis à la domination française cl qui sont, comme Itha- damcs môme, officiellement subordonnés ii l'autorité turque.

Cet inconvénient est sérieux, et c'est ce qui m'a conduit à chercber, en 1H8G, IH87 et 1H88, s'ii n'existerait pas, au sud du choit Djérid et plus à l'ouest que les parages dont il s'agit, un thalweg affluent de ce grand cliolt, parallèle h righargliar, et pouvant servir de voie de pénétration vers le sud, c'est-à-dire vers Uhadamés. En efiel, quoique la di- rection initiale suivie pur les caravanes qui autrefois allaient à Rhadamès, soi!, au début, par rapport A la Tunisie, celle du sud-est, celle direction apparente est due au détour fait pour éviter le désert de l'Erg et les montagnes qui limitent TAarad. En réalité Rhadamès est situé directement au sud de la Tunisie, par 0* 13' de longitude est, c'est-à-dire que

Ai; soi: DAM.

213

son méridien est à peu près le même que celui d'E! Guettar ri passe à l'ouest de Béja.

Dans ces conditions, si la pointe méridionale du choit Djérid avait été l'embouchure d'une vallée coulant du sud au nord, et permettant de traverser les sables deFErgorten- lal, il aurait pu être avantageux de la suivre, pour éviter toute difficulté relative à des questions de frontière.

A première vue cette hypotbèse paraissait très probable. Si en eflel les cholLs ont été à une certaine époque des bas- iios d'évaporation pour les earix de fleuves venus de l'int*^.- rieur et aujourd'hui taris, comme paraît le prouver la croûte saline qui n'est qu'un résidu de celle évaporation dans des bassins fermés, il est naturel de supposer que chacun de ces bassins a être alimenté par des aftîuents d'une im- portance proportionnée à sa propre surface. C'est ainsi que le choit Hharsa recevait et reçoit encore l'oued Baiech, et que le chott Melrhirh reçoit ou recevait i'oued DJeddi et l'oued Igharghar grossi de l'oued Mia. Le chott Djérid, qui esl le plus grand de tous, ne recevait aucun afiluentdu côlé du nord ni de l'est; il n'en pouvait donc recevoir que du rôle du sud. Sa forme actuelle, lerminée en pointe vers le sud et présentant de ce côté des golfes el des déchiquetures en grand nombre, semblait l'indiquer.

Tous les oueds parallèles, coulant vers l'ouest, et descen- dant du revers occidental du massifdes Troglodytes, allaient- ils, avant d'être ensevelis sous les sables, jusqu'à la vallée de righarghar, ou bien étaient-ils drainés par une grande artère parallèle à celle-ci et aboutissant au chott Djérid actuel ?

Malheureusement les recherches attentives et suivies que j'ai faites, pendant trois années consécutives, dans celte contrée jusque-là si peu explorée, m'ont donné la preuve qu'un pareil Ihalvi'eg n'existe pas. S'iia existé, il a été barré par les dunes modernes qui ne permettent pas d'en recon- n:iitre la trace et qui, dans tous les cas, ont modifié le relief

244 LES nOlfTKS de l'aFRIQ! K SEPTKNTitlONALE

du terrain de telle sorte qu'il ne reste plus de vallée que puisse suivre une route et que l'ou puisse jalonner par des puits.

Les ouvertures qui subsisLent enire les dunes ou plutôt entre les petits monticules de sable riverains du chotl Djérid, et qui présentent un faux aspect d'embouchures d'anciens affluents, ne sont que des apparences accidcnlelles. Ce sonl desimpies intervalles la croûte saline du chotl reste à découvert entre les dépôts sablonneux apportés par le vent à une époque moderne. Ces dunes se sont formées récem- nienl à la surface du chotl qui, à une date peu reculée, s'étendait au sud et surtout au sud-ouest beaucoup plus loin qu'il ne le fait aujourd'hui. Il devait comprendre toute la grande plaine du Rogaa et s'étendre même bien au delà des limites decettepîaine, sous les dunes modernes du Kreb. Les recherches que j'ai lai tes dans les pnils de cette région m'ont permis de constater l'existence d'une croûte saline continue, formée de fçypse et d'autres sels agglomérés, et qui n'est autre chose qu'une ancienne croûte de choit, recouverte par des dépôts récents.

Quant à ia manière dont le chott Djérid était alimenté, c'était, à n'en pas douter, par une communication avec le chott Melrhirh;celie-ci devait se faire au moyen d'un large passage, à travers le pays occupé aujourd'hui par des sables dont le dépôt est moderne. La communication avec ie chott Rharsaest beaucoup malus probable, car l'isthme séparatif, composé de bancs de grèsj de sables et de bancs de gypse, parait de formation ancienne, et son altitude est assez consi- dérable. Le point le plus bas de l'arèle séparative des deux bassins, ie col de Mouï Sollhan, est encore à une hauteur de iO mètres au-dessus du niveau de la mer, soit prés de 60 mètres au-dessus du niveau actuel du choit Rharsa.

I

i

4

SOBDAN.

2i5

XI

résumé, au point de vue spécial qui fait l'objet pria- cipal de cette élude, mes conclusions sont ccties^ci :

Sans renoncer à établir des communications entre l'Al- gérie et le Sénégal par te Tonal et Timbouktou, nous cesserons de chercher dans nos postes avancés du Sud algé- rien» les tôles do ligne pouvant servir à atteindre le Soudan rentrai et le bassin du lac Tsad.

Ceci ne signifie pas que nous devions cesser de viser In- salah, dont la possession nous donnera la route de Tim- bouktou» et reliera noire colonie du Sénégal à l'Algérie : je dis seulement que cette ligne rie jonction, qui pourra avoir un grand intérêt politique, pourraétre une ligne stratégique, utile à notre influence, mais ne sera jamais une grande voie commerciale.

Nous abandonnerons la route de Tnuggourt i El liiodh elAmguid, qui constituait une solution très suffisante et ême la solution unique de la question de pénétration au oudan central, lorsque dans le nord de TAfrique nous ne possédions que l'Algérie. Nous profiterons de ce que nous possédons aujourd'hui la Tunisie pour ouvrir plus à l'est une ligne de pénétration, évitant la traversée des sables de l'Erg et ayant pour tête un point accessible par mer.

CI Nous créerons, entre Gabès et la frontière tripolilaine, un port, en l'un des points énuraérés ci-dessus (Gourme, Bou-Grara, Zarzis, El Biban). Le golfe de Bou-Grara paraît être le plus avantageux. L Partant de ce point et suivant l'une des grandes trouées naturelles qui permettent de traverser le massif montagneux qui limile à l'ouest et au sud-ouest la plaine de la Djefara, nous établirons une ligne de communication permanente avec Rhadamès.

216 LES ROUTES DE L'AFRIOOE SEPTENTRIONALE AU SOUDAN.

Nous reprendrons, par des moyens autant que possible pacifiques, mais avec la ténacité que doit justifier notre droit naturel, cette route du 7* degré de longitude est, qui passe par Rhadamès et par Rbat. Nous occuperons un jour Rhadamès, nous occuperons Rbat, et, à l'abri de notre drapeau, les caravanes pourront aller librement de la Médi- terranée au Soudan.

-»CJ9^a^3*-»—

DE LIMA A IQUITOS PAR LE PALGAZU

LK CORDILLÈHE DE ni.VCHON, LES CERHOS DU YVSACHAGA LK niO PACHITEA, LE l'AJONAL

NOTES C;Éni,HAPinQl'ES

Par OLIVIER ORDINAIRE

Aperçu général. Les vnyagienrs qui nul h se. rendre do Lima à Iqiiilos, capitale de l'Amazonie pcrtivienne, passent encore par Moyobaniba, c'est-à-dire par le chemin primitif que les canquénvnls espagnols ouvrirent sans autre but ou vue d'ensemble que d'aller à ta recherche de l'El-Dorado. La voie que j'ai suivie, dans mon récent voyage à travers l'Anaérique du Sud, par les rios Palcazu et Pachitea, est, de Lima à Iqiiitos, d'environ 80 lieues plus courte.

La question des moyens de communication entre la côte lu Pacifique et l'Amazonie est de première importance pour le Pérou, qui peut trouver dans ses territoires de la >lonlaila si puissamment fertiles, si féconds en produits naturels de grande valeur, la compensation de ses guanos épuisés et de ses salpêtres cédés au Chili.

Or, de l'élude comparative des explorations qui ont eu lieu depuis deux siècles et de mes propres recherches, je tire les conclusions suivantes :

V Le port fluvial le plus rapproché de Lima oh puissent nbotitir, <:n toutes saisons, des canots venant de l'Amazone est sur le rio Palcazu, près du confluent de celte rivière avec le rioChuchurras;

'2" Le port fluvial le plus rapproché de Lima puissent tibiiutircn toutes saùons des rapeurs venant de l'Amazone

218 DE LIMA A IQLITOS PAR LE PALCAZU.

estsurlerio Ucayali, soas le dixième degré de latitude sud.

C'est à rUcayali môme que doit aboutir la grande route commerciale reliant la capitale du Pérou à l'Amazooie, et celle route devra, comme je l'ai exposé dans une étude pu- bliée par la Société de Géographie commerciale au mois de mai 1884, traverser le grand Pajonal.

Le Palcaîîu et le Pachilea n'étanl généralementnavigables que pour des canots, la roulfs indiquée par le bassin de ces rivières ne sera qu'une voie secondaire, une sorte decliemin de traverse.

Mais, à ce point de vue même, elle présente sur celle de Moyobamba de tels avantages et coûterait si peu à établir, qu'il esl vraiment surprenant qu'elle ne soit pas pratiquée depuis longtemps. La longueur du chemin k ouvrir étant de 13 lieues seulement, ia dépense serait vraisemblablement inférieure à celle qu'il faudrait pour mettre en état de via- bilité les parties du sentier de Moyobamba comprises entre Chacbapoyas et Balsapuerto, l'on ne peut actuellement voyager qu'à pied, et non sans danger.

J'ai dit que la voie du Palcazu, corapaiceà cellequi passe par Pacasmayo, La Viiia, Chacbapoyas, Moyobamba et Balsapuerto raccourcit de 80 lieues la distance totale de Lima à Iquitos. Or, cette difJ'érence en moins porte pour 72 lieues sur les dislances à parcourir à dos de mule ou de cheval.

En effet, de La Vifia, aboutit le chemin de fer de Pa- casmayo jusqu'à Balsapuerto, l'on peut s'embarquer en canot, on compte 125 lieues, tandis que par la voie que j'indique, de Chicla, oîi aboutissait, lors de mon départ du Pérou, le chemin de fer irwsrtHdiHo, jusqu'au port du Pal- cazu, il n'y a que 53 lieues.

Cet aperçu esl suffisant pour faire ressortir les raisons qui m'ont fail adopter, dans mon itinéraire, la voie du Pal- cazu, l'une des moins connues de l'Amérique méridionale.

I

DE LIMA A IQDITOS PAR LE PALCAZU. 219

Sans faire entrer en ligne de compte mes explorations accessoires, j'ai parcouru les distances suivantes qui sont celles de la ligne directe :

En chemin de fer.

licucsl.

Du Callao à Lima 2.60

De Lima à Ghicla 25.40

Total 28.00

A cheval.

De Chicla à Garahuaro H

De Garahuaro à Ninacaca 12

De Ninacaca à Chipa 6

De Chipa à Tambo del Arroyo 6

De Tambo del Arroyo à Huancabamba 5

Total iO

A pied.

De Huancabamba au confluent des rios Chu- churras et Palcaza, lieu dit Port Gonzales. . t3

En canot.

De Port-Gonzales àrembouchure durio Mayro sur le Palcazu, lieu dit Port Mayro 6.67

De Port Mayro au confluent des rios Palcazu et Pichis (naissance du Pachitea) tl.H

De l'embouchure du Pichis au confluent du

Pachilea et de l'Ucayali A7.77

Total 65.55

En bateau à vapeur.

De l'embouchure du Pachitea au confluent des rios Ucayali et Maranon (origine de

l'Amazone) 207.71

De l'embouchure de l'Ucalayi à Iquitos. . . . 24.13 De Iquitos à Tabatinga (frontière du Brésil). 98.46 De Tabatinga au Para (embouchure de l'Ama- zone) 632.89

Total 963.49

1. La lieue dont il est ici question est d'un vingtième de degré ou cinq kilomètres.

'^IS» DE LIMA A IIJUITOS PAK LE i'ALCAZU.

RécapUulatiOH.

Ii«ucs.

ËQ chemin de fer 28

Aciieval 40

A pied 13

Eu canot (mJm

En bateau à vapeur 963. 4!J

Total général rcprésenlant la distance du Callao à l'embouchure de l'Ainazone par le rio l*alcazu I . I ILVÙI

De Niuacacti à Hïtancabanibu. Ninacaca est un village du plateau de Junin, à 7 lieues au sud-est du Cerro de Pascoetàralliliide de 4,014 mètres. Entre Lima el ce vil- lage, le chetnin de lluancabaniba se confondant avec celui du Cerro de Pasco, i'un des plus fréquentés et par consé- quent des plus connus du Pérou central, je ne parlerai pas do celte première partie de son parcours.

Le mol Ninacaca signifie en langue quichua Roche de feu. Bien que la plaine de Junin soit entourée d'un cordon de montagnes, la foudre y tombe plus fréquemment peut-être (|ii'cn aucun autre lieu du monde. On assure qu'elle y fait en moyenne une victime humaine par an. Les orages, qui couvrent souvent le sol d'une épaisse couche de grêle, éclatent du mois d'octobre k la fln de mars et de trois à dix heures du soir. Il estextrèmementrareque l'on entende sur ce plateau le tonnerre gronder avant midi.

La pampa de Junin est couverte de pâturages naturels. Le seul végétal que l'on y cultive pour ralimenlation de l'homme est !(t niaca, plante .'i racine tuberculeuse, d'une saveur sucrée agréable. L'orge ne peut mûrir à cette hau- teur, mais on l'y sème encore comme fourrage. La maca tient du navet par sa forme, de la poranie de terre et de la camote ou patate douce par son goût. Sa culture donne les meilleurs résultats sur le pourtour du grand lac de Junin ou Chinchaïcocha, d'où elle est vraisemblablement origi-

DE LIMA A IQUITOS PAR LE l'ALCAZU. 221

Daire. Etant donnée la température relalivement froide qui

lui convient, il semble que la maca pourrait ôlre acclimatée

sur cerlaines monltignes de France, elle serait précieuse.

De Ninacaca à Htiaiicabambii existe un sentier passable-

menl entretenu par les liabitants des hameaux et des

haciendas situés sur son parcours etqui n'ont pas d'autre voie

de communication avec le Cerro de Fasco, ils expédient

leurs produits à dos de mule ou de lama. Ce sentier sort de

la pampa de Junin en traversant son bourrelet de e^rros,

au nord-est de Ninacaca, ù. l'altitude de 4,350 mètres. Puis

il s'engage dans le val du Quiparacra, qu'il suit depuis son

origine jusqu'au hameau de Chipa, qui n'est plus qu'à

3,442 mètres.

Dans ce trajet de (i lieues, le voyageur passe de la région de Vichu ou des plantes à tiges naines dans celle des arbris- seaux, dont les branches lleiiries, aux vives couleurs, font un heureux contraste avec la monotonie grisedes pâturages. A Chipa, le (juiparacrn, qui n'est encore qu'un ruisseau cou- bnl dans un ravin pittoresque, change sa direction primi- 1* tîve qui était celle du nord-nord-est et tourne à l'est-sud- esl pour aller se jeler dans le Paucartainbo. Le sentier le quitte alors et entre par une peute raide dans le val d'Aûil- Cocha, autrement dit val du lac Bleu, il reprend sa direction vers le nord-est jusqu'à la cordillère orientale connue sous le nom de sierra de Huachon. Le lac est au pied même de cette barritVc, dont il réfléchit dans son mi- roir d'une admirable limpidité, les lianes escarpés et les cimes blanches. La sierra do Huachon est l'une des plus hautes du Pérou central.

Au bord du lac je relevai îî,830 mètres d'altitude, et iur le col 4,428. De cette hauteur s'élancent encore des pics d'une élévation considérable.

Si mon baromètre m'a fait commettre une erreur, elle

|doilètre plutôt en moins qu'en plus, car le col est sur la

limite des neiges éternelles, qui, dans celle région du Pérou,

i22 BE LIMA A lOllITOS PAIl IK PALCAZC.

ne descend guôre au-dessous de 4,500 ixiùlres. Le sentier est dominé de très près par ces neiges dont les masses sur- plombantes ont une couleur bleuâtre qui indique un com- mencement de formalioii glaciaire.

Malgré les escarpeturnls de celle cbaine, on peut la fran- ciiir h cheval sans mettre une seule fois pied à terre.

Au milieu des roches abruptes du versant oriental dor- ment plusieurs peLils lacs. C'est de que part le rio de Huancabamha, qui descend vers l'esl-nord-est et que le sen- tier côtoie ou domine jusqu'au pied du cerro de Yana- chaga. De Tumbo del Arroyo, oii commence la forêt, au hameau du Lucuma, .^'élargit la vallée, il descend à Uanc de coteau sous l'ombre des heliconias, des palmiers, des cecropias, des ficus et autres essences caracLéristiques de la Montaûa.

La tûtigueur moyenne de la vallée de Huaucabaraba, dans sa partie basse el piate, est d'environ 3 kilomètres; son altitude au hameau de Tiago, c'est-à-dire au coulluent des rios Huancabamba et Chorobamba, est de i,a88 mètres. Son climat, rafraîchi par des brises régulières, est aussi agréable que saluhre. Ses deux versants sont moitié boisés, moitié couverts de hautes herbes, comme le Pajoual, dont je parlerai tout k l'heure. Klle est beaucoup moins fertile que la vallée du Ghanchamayo, particulièrement dans les espaces que n'a pas occupés la forôt. La canne à sucre y donne des résultats relativement médiocres.

Ses principaux produits sont : 1" le maïs, base de l'ali- mentation des Indiens de la sierra; 2" la canne k sucre; 3" le café, mais en quanlilé beaucoup muindre.

Les indigènes cultivent encore pour fttre consommés sur place, outre quelques-uns de nos légumes, les yuccas et les arracaclias, racines farineuses. Làt'st précisément la limite entre le climalqui convient au manioc ou yucca et celui qui permet la culture de la pomme de terre. Excellente dans toutes les vallées de la Cordillère occidentale et sur le ver-

%

DE LIMA A lOUlTOS PAU LE PALCAZU. 223

tant oriental, entre les altitudes de 2,000 à 3,100 mètres, la précieuse solanée, originaire du Pérou, ne donne plus à Huancabamba qu'un très médiocre alitnent*.

Si le sol de Huancabamba, comparé à celui des autres kisiins de celle région, doit être, sous le rapport de la puis- sance productive, classé dans un rang inférieur, ses pâtu- rages naturels, permettant l'élevage de la race bovine, sont pour le colon une compensation sérieuse. Tandis que les lamas ne peuvent descendre dans la vallée du Ghancha- mavo que jusqu'au village de Palca, sur la limite des forêts cl à l'altitude de 2,700 mètres, il vont chercher leurs charges i 1,100 mètres plus bas dans la vallée do lluancahamba, ils trouvent toujours une pâture suffisante.

La colonie de lluancahamba, beaucoup moins imporlanle que celle du Clianchamayo, se compose des deux hameaux deLucuma et du Tingo et de quinze haciendas ou fermes y compris celles de la vallée adjacente de Chorob;imha. Sa population, en majeure partie de race quichua,peuts'élever Ji un millier d'habitants. Par ses relations avec le Cerro de Pasco, elle fait tous ses échanges, la vallée de Huanca- bamba appartient encore au Pérou du Pacifique. Elle est léparée du Pérou de l'Amazone par le Yanachagu, chaîne iacerros qui s'élèvent entre le bassin du Pozuzo, dont lerio Huancabamba est Iribulaire, et la pampa du Palcazu.

De Huancnbamba au Palcazti. Pour aller de Huanca- liamba au rio Palcazu, deux voies peuvent Stre suivies : !• celle qui passe par la colonie allemande du Pozuzo et

t. Le nom pri;iiitil dfi la ponitiio de tnireesUe mol.qiiichiiapff/iff, qui » prévalu au Pùruu, même parniL les population» l'uropéeanes, sur cnlui lie patata qui sert pluliM il dési^uer lo tubercule de eaveui' aucréo (uDaii aus.«i sons le nom dis camote. Dans \e dépdrtoineitt âa Juntn, les Indien* cultivent trente variâlt^s de pumines du terre : la plus estimée in» Européens est la jittpa amarilia, hvoïiIp et d'un jaune d'or, IjC» iiiiii- {iine» préfèreal la itiiiutin et la Mri, très-riche» eu fécule et qu'ils ontr.miiicnl de préréreiii^e suus forme de chuno, c'est-à-tliro apt'ès les ttoir fait bouillir, puis geler au jcrand nir.

224 DE LIMA. A IQUITOS PAU LE l'ALCàZC.

aboulit au Palcazu, à l'embouchure du Mayro; celle qui franchit directement la Yanachaga, traverse le petit rio San José et aboulit au Palcazu, à l'embouchure du Chu- cliurras.

Cette seconde voie a sur la première l'avantage de réduire de 6 lieues environ le trajet à faire dans la montagne, ou la longueur du chemin dp tierradura qui reste à établir.

Pour aller deHuancabarabaauPalcuzu pai' le chemin ii°l , il faut d'abord atteindre le confluent des rios Huancabamha et Pozuzo, se trouve la colonie allemande. Et pour cela on est obligé de gravir une première fois le Yanachaga eldo redescendre sur le même versant, le rio Huancabamba étant 1res encaissé dans celte partie de son cours. De Pozuzo à Port Mayro, il faut gravir une seconde fois et escalader le Yanachaga en passant pas le Mirador, Tuo de ses cerros les plus élevés. Du hameau de Tingo à Pozuzo l'on compte 9 lieues qui exigent de trois à quatre jours de marche, et do Pùzuzo i Port Mayro 10 lieues.

La colonie de quarante-cinq familles allemandes qui s'est établie, il y a vingl-ueufans, au bord du Pozuzo, est très réduite et diminue chaque année. Quant aux Indiens Amages qu'on y découvrit en 171:2 et aux colons espagnols et quichuas qui s'y installèrent à cette époque, ils ont disparu sans laisser aucune descendance. La dépopulation actuelle du Pozuzo et le complet anéantissement de ses premiers habi- tants connus s'expliquent pas ce fait que les neuf dixièmes des enfants engendrés dans cette étroite québrada, quelle quesoil leur race, naissent goitreux et crétins. Le sentier qui fut ouvert k plusieurs reprises de Pozuzo i^ la ville de Huanuco, dans la sierra, a toujours été en très peu de temps envahi et complètement elfacé par la forôt, comme si la nature voulait interdire ii l'homme l'enlrée de cette funeste vallée.

De mCme que le chemin 1, la ligne n°2 que j'ai suivie quille le rio Huancabamba, pour gravirles pentes du \ana-

DK LIMA A tnttTOS TAIt IK TAIXA/T. 225

ri);ig<l, au coude que failla rivit-re [irèsdu hameau deTingo. Sur l.'i crêle de la montagne, au col de Cajon Pat;i, elle iifurque avec le chemin duPozuxo pour se diriger à l'est et descendre dans la pampa du Palcazii, nfi elle traverse, avant d'arriver à Porl Gnnzal*?s, plusieurs petits affluents du rio Chuchurras, entre autres le ruisseau auquel on a donné le nom de San José et qtii coule au pied même dd Yanachaga.

Pour trouver une voie plus facile ou plus courte, ce n'est pis au nord de Gajon Pata qu'il faut cberclier, mais à deux ou trois kilomètres au sud, existe dans la montagne une dépression que les habitants du pays nomment !u abra del Yanachaffn. Celte dépression est l'origine du vallon de Santa Bosa qui ahoulit dans la vallée do Chorobamba. Je ne fais qu'indiquer ce passage comme pouvant être l'objet (l'une élude utile.

A vol d'oiseau, la longueur du trajet que j'ai parcouru de Tingo au Palcazu est de 9 lieues. En tenant compte des détours et lacets obligés dans les parties les pins abruptes de la montagne, la longueur réelle est de 13 lieues.

D'après mes observations, les altitudes sont les suivantes :

niàlret.

Tingo 1588

r.ol de Cajou l'ata.. ï!l)-2G

Uto Sun José à rcntivcroiscmcul de la ligue suivie. i.*.Hl

Port (jonzales 347

l'urt Mavro ^'M

Le massif du Yannchaga est couvert de forôts partout oii l'inclinaison des roches permet ;\ l;i végétation fie prendre racine. Son versant occidental est sillonné de ravins croissent de superbes fougères arborescentes qu'on ne retrouve plus sur la pente opposée. En revanche, sur le rt'vers orienlal, à partir de l'altitude de 1,100 mètres jusqu'au b;is des uerros, apjiaraît (e .w/j//0(r«w/»!;fî<v ffï?tc/(o, arbre h. caoutchouc proprement dit, et le pus seringue qui donne la

soc. BE CKOCB. i' ItUME.-^IKt 1890. XI, l.i

226 DK LIMA A IQUITOS PAR LE PALCAZO.

gomme f5ne du Para. Il rae fallut huit jours pour aller de , Huancabamba au Palcazu, y compris un jour entier consacré à franchir, dans la pampa, le courl espace de 'S kilomètres entre le rio San José et le rio Victoria la forêt avait été transformée par un orage en un indescriptible chaos. Tarti du Tingo le i novembre 1SS5 dans la matinée, j'atteignis CajoQ PaLa, le 0 au soir. Le col, de même que les cimes les plusvoisines, est presque toujours enveloppé de nuages ou voilé par la pluie. Il pleuvait lorsque j'y arrivai; l'eau ruisselait de tous côtés, même sous l'nbri de branches je passai la nuit, et mes Indiens eurent toutes les peines du monde à allumer du feu, le bois mort qu'ils purent trouver étant imbibé jusqu'à ta moelle. Mais, te lendemain, au lever du soleil, j'eus la bonne fortune de contempler le panorama par un ciel clair. Les Andes forment, dans celte partie du Pérou, une série d'ondulations avec des plissements ana- logues à ceux des vagues de l'Océan dans la tempête. Les grandes vagues du système, sortes de prororocas arrêtées dans leur course et dont les hauteurs vont en décroissant de l'ouest à l'est, sont, à partir delà grande chaîne des Andes : a sierra de Huachon, tes monts Yanachaga, les cerros de SanMatias, qui séparent le Palcazu du Pichis, et plus loin, invisibles de mon observatoire, les collines de San Carlos, qui dominent l'Ucayali. Entre le Yanachaga et les cerros de San Matias s'ouvrait devant moi la pampa du Palcaxu, formée elle-même d'une suite d'ondulations secondaires dont l'ensemble, vu de haut, est d'une régularité frappante. Ces immensités couvertes de forêts confondaient à l'horizon leurs teintes bleuâtres avec l'azur pâle du ciel.

Si Cajon Pata n'est qu'à 400 mètres environ au-dessus du Tingo, il est à plus de l,tiOO mètres au-dessus du rio San José, et sur le versant oriental, heureusement coupé par quelques plates-formes ou gradins, les pentes sont généralement plus raides que sur l'autre. En descendant j'étais obligé de me retenir à tout instant aux branches et

1

DE LIMA A HiUITOS l'AU LE PAf.CAZL', 227

.tiiï racines des arbres et j'arrivai au bas de la moDlagne, les tùns ensanglantées.

J'ai dit que la Pampa n'est pas une plaine, comme son nom semblerait l'indiquer. Du ruisseau San José au rio Paicazu les moulées alternent régulièrement .ivec les des- centes, el dans les sinus de toutes ces ondulations coulent des ruisseaux ou des rivières. Les plus importantes sont le no Victoria et le rio Lorenzo, que je pus racilemenl traverser à gué. Cette large vallée du Patcazu, l'ouragan boule- verse parfois la forêt, comme la grôle un ciiamp de blé, est généralement dans un calme absolu. Les brises qui passent sur rUcayali n'arrivent pas aux cubeceras duPalcazu, oii le vent ne souffle qu'aux approches de la pluie.

Les Indiens Quichuas d'abord, les sauvages Campas en- suite, m'accoutumèrenl àla coca. J'avais constamment dans la bouche ma pelote de feuilles j'introduisais de temps à autre, au bout d'une baguolle, un soupçon de chaux ou de cendre alcaline. Je recommande à mon tour aux alpi- nistes cet usage dont je n'ai eu qu'à me louer, particuliè- rement pendant la traversée du Yanachaga. On sait que la coca atténue ou endort les sensations de la taim et de la soif. Or, l'extrême fatigue peut faire oublier la faim, mais non la soif. Et ce n'est pas un mince avantage que d'êlre prémuni dans une ascension, surtout en pays chaud, contre la perpétuelle tentation des sources Jraîcbes et des casca- telles cristal lines.

Les Campas me firent connaître un végétal de la Pampa du Palcazu qu'ils considèrent comme plus précieux encore tjue la coca, dans tous les cas l'homme est obligé de lutter contre la Fatigue. Ce réconfortant se nomme le chumayro. C'est une liane qu'on trouve habituellement dans les fourrés tt dans les coins sombres de la forêt, elle .iUeiat la grosseur du bras. Les sauvages la coupent lorsqu'elle l'épaisseur du doigt et aussitôt ils en détachent l'écorce, t la seule partie utilisée. Ils font sécher cette écorce au

228 DE LtWA A H.1UIT0S PAU LE PALCAZU.

soleil pendant Irnis ou (jualre jours, puis ils la lient en pclils ragots. Il ne leur reste plus, avant de la consommer, qu'à enlever avec l'ongle ou au couteau les rugosités d'appa- rence calcaire qm la couvrent plus ou moins.

Les Campas mâchent l'écorce de chumayro avec la coca, ou, s'ils n'ont pas de coca, avec la feuille du premier arbre fruilier venu, du bananier par exemple. Ils supportent plu» dilticilcment la privation de coca que celle de chumayro. J'ai rapporté en France quelques échantillons de cette plante- dont il sera très intéressant et utile de faire l'analyse et d'édidier les propriétés médicales. Elle ne se trouve pas dans toutes les forfils de la Monta ùa, et les Campas de Quillasu et du Ghanchamayo font plusieurs jours de marche pour aller s'approvisionner dans les fonMs du Palcazu et dti Pichis.

Lorsque j'arrivai, le 1i novembre, au conlluenl des rios Paleazu et Chnchurras, j'étais bien cetle fois dans le Pérou de l'Amazone. La preuve en est que je n'eus plus qu'à me laisser porter pour ainsi dire, d'abord en canot jiisqu'i\ l'embouchure du Pacbitea sur lUcayali, puis en Ivateau h vapeur de ce point jusqu'à l'Atlanliquc.

Li vallée de Huancabamba fut découverte en 1057 par les moines franciscains, qui ouvrirent à peu près tous les sentiers allant de la sierra ;\ la Montana sauvage. Dans ce temps-là ils descendirent du cerro de la Sal à Huanca- bamba parla vallée de Cborobfimbn, puis de Huancabamba à rUcayali. Aucun document no dit quelle roule ils sui- vire^ntdans c<ilte seconde partie du voyage, mais on doit admettre h peu près forcément que ce fut celle du Palcazti et du PachiJea. On ne suivit leurs traces, en passant par Huancabamba, (jue dcuv siècles plus lard. Kn iSôy et 1800 les liabitanJs du Cerro de Pasco, entraînés par leur prôlel don Bernardo liermudez, (Jrent quelques sacrifices pour étu- dier cette lif^ne. Ils ouvrireoL alors le sentier dont j'ai parlé de Tinter) h Poziizu. Kl l'un d'eux, dou Esteban Bravo, (It

DE LUIA A IQriTOS l'AH \.E l»Al,CA/U.

!-0

«leiis expéditions la seconde en compagnie du célèbre père Calvo pour chtrcher uo passage aboulissanl direc- itQient au Palcazu. Les exploi-iileiirs descendirent, non pas au Palcazu même, mais à sou afOuenl, \e Chuclviirrus. Enlin «1 1880, le père Gonzaiès, prieur du convent d'Ocopa, réussit à ouvrir une tranchée allant de Cajon Pata au con- fluent des deux rivières. C'osl cette ligne que j'ai suivie autant que possible, passant parfois sur la friïo étroile de roches verticales. Très visible encore dans tout le massif (lu Yanachaga, le sentier du père Gonzalès a été cornplite- ment elïacé dans !a Pampa paria végétation et par les bou- leversements de la forÈl. Mais dans celte jiartie du Lrajcl il est avantageusement remplacé par les pistes qui unissent entre elles diverses cabanes de sauvages.

Les religieux qui, de leur couvent d'Ocopa ou de leur mission de Ùui'lîisu, nom d'un petit aflluenl du rio Choro- bamba, "vont une fois par an à l'Ucayali, n'ont pas, depuis I8SU, suivi d'autre voie. Divers habitants dtn^Huancabamha ont aussi traversé le Yanachaga, attirés vers le Palcaxu par la présence d'un cahuchero qui s'est établi à Port Gonzalès ménie, au milieu des Campas, Enfin les Campas de Quil- lasu et d'0.\apampa passent de temps à aulre par Cajon Pata, allant visiter leurs frères duChuchurras et p&cher dans les petites rivières de bi Pampa ou récolter le chumayro.

Du rio Cliuchurras <) t'Uaufali et à Iquilos. April^s (luelques jours de repos .\ Port Gonzalès, je m'embarquai «lans une pirogue dont l'équipage se composait de cinq Campas. Parti à buit betnes du malin, je passai, à une heure tic relevée, devant l'embouciuire du rio Muyro ef, presque aussitôt après, devant celle du Poiîuzo, dont le cou- rant furieix et de couleur boueuse refoulait les eaux vertes et calmes du Palcazu. De Port Mayro je descendis eu buit heures à l'euTbouchure du Picbis, je trouvai un autre élablissenaenlde cabuchero. Ut jedus prendre congé de mes rameurs Campas et me pourvoir d'une nouvelle embarca-

230

DE LIMA A IQUITÛS PAR LE l'ALCAZU.

tion. On peut aller du Pichis à l'Ucayali, c'est-à-dire de l'origine du Pachilea k son embouchure, en deux jours et deux nuits, quand la lune permet de naviguer la nuit. Pour descendre, on garde géni5ralement le milieu de la rivière et l'on se sert de la rame. Pour remonter, au contraire, on suit tes bords, le courant est moins rapide, et on emploie la perche, nommée au Pérou botador. A la montée les canote ne font guère que trois lieues par jour en moyenne. Le chemin de traverse du Pachilea sera donc plus utile aux voyageurs qui auront à se rendre de Lima à Iquitosqu'i ceux qui seront obligés de l'aire le voyage en sens inverse.

pi>r lu'iiri;.

La vitessemoyenneduPachiteaesidc, 44i4 métros. Celle du f^alcazu, du Chuchurras au

Miiyro, df 3704

El du Mayro au Pichis, de. 5"2tîî

De Port GOQzaies au Mayro, le Palcazu forme une série de nappes qui semblent dormir et que relient des courants peu rapides.

Dans cette partie, la navigation en baise ou en pirogue ne présente pas plus de difficultés que du Mayro au Paehite*. Pendant les eaux basses, les embarcations chargées, même les canots, sont obligées, dans certains passages, soit en amonl, soit en aval de Port Mayro, de chercher le canal. Si les petits vapeurs Ntipo et Putuniayo purent arriver jusqu'au Mayro le 1" janvier 1867, il ne faut pas oublier que cette époque de l'année est précisément celle des grandes crues. Encore le Putumayo s'échoua en redes- cendant, et pour se remettre à flot, il fut obligé d'attendre pendant un an la crue nouvelle. Lorsqu'en 1873, l'amiral Tucker voulut explorer le Pichis, il laissa ses vapeurs à l'embouchure du Pachitea et partit en canot. Quant à moi, je dois déclarer que ma pirogue s'engrava deux fois, la première au même endroit que le Pntumayn, près

Echelltt I: 1.606^00

fa f9 *a M

Gfirbal fil en 179-4 du rio Pachitea, qui couîe, comme tous les fleuves amazoniens, entre un double décor de forêts géantes, et je reconnus les qualres séries de courants sam riolence et sans danger que signale le moine explorateur. Po«r les canots, le danger est moins d'échouer que de cha- wgr en buttant contre les palizadas ou troncs d'arbres

932 DE LIMA A IQUITIIS PAR LE PALCAZl'.

engravés, souvent invisibles dansTeau trouble. Les collines qui abouti^sentau rio, formanl entre elles de petits vallons, ra'apparurenl comme le développement dusyslèmed'ondu- lations que j'avais observé des cimes du Yanachaga. On n'a plus à craindre aujourd'hui sur les rives du Padiitea la ren- contre des Carapachos, <|ui tuèrent par surprise un des compagnons du père Girbal, ni celle des anthropophages Cashibos qui dévoièrent, en 17fi3, le père Frances et, en 18fJ6, les deux officiers de marine péniviuns Westet Tavara. Les Carapachos ont complètement disparu, et le» Casliibos, refoulés par les cahucheros, se sont retirés dans les vallées de l'Aguaïlia et du Pisqui. Huit cents travailleurs environ, Indiens et blancs, sont aclueïlement disséminés dans le bassin du Pachitea, l'un des plus riches eu caoutchouc de toute la Montafia. Si j'avais pu conserver des doutes au sujet àei'innavigahilUé de ce fleuve pour den vapeurs, leur fixpériencti m'aurait suffisamment éclairé. Ils m'apprirent en elfel que his pUts petites laminas à vapettr qui viennent de Iquilos chercher le caoulchouc, et dont les patrons ont inté- rêt à reraouler les rlos second aires, ils font des échanges lucratifs, ne peuvent en temps ordinaire remonter le Pa- cliilca au delà de Chonta-Isia, c'est-à-dire à huit lieues en- viron de son embouchure. C'est par exception seulement, du mois de décembre au mois de mars, qu'en profilant des crues, elles s'aventurent plus haut et arrivent au Piehis. En 1806 apparut le premier pyroscaphe sur l'Ucayali, que des steamers sillonnent maintenant deux fois par mois. Après mes longues pérégrinations en pays sauvages, j'éprouvai une vive émotion lorsque j'entendis sur ce fleuve, dans la soli- tude immense des forêts, Tlialeine retentissante d'un bilteau à vapeur. L'Ucayali donc étant connu, au moins dans sa partie basse, je ne m'étendrai pas .sur le trajet compris entre le Pachitea et Iquitos, me bornant à dire qu'à bord d'un vaporciio l'on peut se rendre de l'un à l'autre de ces points en quatre jours.

DE LIMA A igUITOS i'A.R LE PALCAZU. 233

En résumé, lorsque le sentier du Yanachaga sera prali- ohle pour les bêtes de selle, on pourra faire l6 voyage de Lima à Iquilos dans les conditions suivantes :

Jours.

De l^ima à Cliicla ('28 lieues en chemin de fer). 1

De Chicla à PartGonzales (.>t iiuues à chpval).. 5 De Porl Goiizales à TUcayali (en canol66 lieues,

chiffre rood) 3

De l'achilca A Iqnitos (en hatcau à vapeur,

232 lieues) 4

Total 13

Pour aller de Lima à Iqiiîlos en pass.int. par Moyobamba, on n'enaploie pas moins, dans l'État actuel des sentiers, de quarante à quarante-cinq jours. On voit par de quelle utilité serait lo chemin du Pachilea, particulièrement pour le gouvernement péruvien, dont l'action ne s'est fait sentir jusqu'ici que d'une façon très indirecte sur ses vastes torri- loires de l'Amazone.

I.e Pajnnal. Pour aboutir à un vi^ri table port, acces- sible aux vapeurs pendant toute l'année, la roule solide, chemin dfi fer ou chemin de herraduru (bon pour bittes ferrées), doit aller directement de Lima à l'Ucayali en tra- tersant le Grand Pajonal. En 18S4, sur la foi des explora- teurs et des géographes, je croyais l'IJcayali navigable sur toute sa longueur. Or, il est aujourd'hui prouvé par l'expé- rience que ce fleuve n'est réellement navigable pour les vapeurs qu'à partir de seize lieues environ en aval de l'em- bouchure de l'Dnini, au sortir du dédale de petites îles qui divisent son lit eu une infinité de caiiatix. Ce n'est donc pas sur rUnini, comme je le proposais en 188i, que doit filre l'embarcadère, mais à seize lieues plus bas, entre les lieux dits Sbebuya et Cumaria, à peu près exactement sous le dixième degré de latitude sud. Celle modification à mon

234 DE LIMA A IQIIITOS PAR LE PALCAZU.

projet primitif admise, les distances de la grande voie commerciale de Lima h Iquitos seront les suivantes :

Jiiurs. De Lima à Chicla (28 licuDS eu chemin Je Fit). [ De r.lùrla au l'io Paucartamho par la vallée du

Chanchamnyo (chemin ouvert, ligne de clie-

iiiiii de fer projetée, !1(J lieues à cheval)..., i Du Paucarlnmljo au porl proposé sur TUcayali,

(chemin à établir, 35 lieues) 4

Du port à reinbouchure du Pachitea (59 lieues

en vapeur) 1

flu Pachilea à Iquitos (en bateau à vapeur :

232 lieues) 4

Total U

La route à parcourir à cheval, en attendant qaelecbpinin de fer trasandino traverse les Andes, sera plus longue que par la voie du Palcazn, mais elle aura l'avantage d'être pra- ticable en tous temps et accessible à ses deux bouts, condi- tions hors desquelles on peut dire qu'il n'y a pas de route.

Lorsqu'en 188-4 je publiai ma première étude sur la Mon- taila, j'exprimai l'idée, contraire à l'opinion généralement rei,:ue, que le Pujoual est un plateau. Je me basais alors sur ce fait, entre autres, que le rio Péréné, dont M. Werthe- man a dressé la carie, ne reçoit sur sa rive gauche que de courts ruisseaux, fait incompréhensible si le Pajonaleût été coupé par une série de quebiadas, où, sous un climat aussi pluvieux, se fussent formées des rivières d'un débit plus ou moins proportionnel à leur longueur. J'ai rapporté de mon voyage la confirmation de mon hypothèse.

La Montafta péruvienne a été très visitée depuis quelques années, grilceau caoutchouc.

Au Bré.sil, on récolte hxserintja ou gomme fine du Para en exploitant les mêmes arbres pendant vingt ans.

Au Pérou, pour extraire le cahucho, Ton commence par couper l'arbre, dont la souche donnera un rejet exploitable

DE LIMA A lOriTOS l'AR LE PALCAZ0. 235

Imq lour au bout de quinze ans. Il suit de que le cahu- cècro péruvien estesseiiliellemenl nomade et lend à s'élol- (jursans cesse des régions habitées pour scruter de nou- itlles forêts. C'est ainsi que !e Pajonul, qui est encore usidéré à Lima comme le domaine exclusif de sauvages Bgereux, a été dans ces derniers temps parcouru en divers lens.

Au mois d'août 1885, don Presentacion G uerra, Péruvien, lubitant actuellement au confluent du Pachitea et de

pUcayalî, remonta en canot le rio Ilnini, dont le lit est pro- fond, mais semé de roches, jusqn'aa lieu désigné par les rampas sous le nom de Toso, oii il y a de nombreuses habi- tations sauvages. De il gagna la cime du Pajonal en une journée et demie, par un sentier bien frayé et de pente douce. Ad sommet il trouva une plaine, en partie couverte de forêts, en partie de pâturages, apparaissent des troupeaux de kœafs et de nombreuses cases de Campas. Elle est traversée divers sentiers au bord desquels les sauvages entre- lieonent des tambos, abris en feuilles de palmier, leur servant

lie haltes pour la nuit dans leurs continuelles excursions.

JAjant suivi avec ses guides Campas l'un de ces sentiers, don ?resentacion Guerra, après deux nouvelles journées de rche, arriva à l'entrée du val dePiirkeae, qui aboutit dans

^!a vallée duPichis. Et pendant ces deux jours, par un beau lemps, il ne vit à l'ouest aucune montagne s'élever entre lui elles hauteurs qu'il connaissait du Chanchamayo, du cerro delaSal et du Paucartambo. Le caoutchouc étant l'un de ses produits naturels, le Pajonal ne doit pas dépasser l'alti- lude de 1,000 à 1,100 mètres, et j'ai quelques raisons le croire qu'il ne l'atteint pas. Je n'ai pas besoin d'insister ter les avantages que présente cet immense plateau pour roaverture d'une roule.

Outre sa maison du Pachitea, Don Presentacion Guerra potsède un établissement à l'embouchure de l'Unini oii il bit de constants échanges avec les Campas qui récoltent le

236 DE LIMA A IQUITOS PAR I.K WIXAZU.

caoutchouc à son intention. Avant de chercher lorlune au milieu des sauvages, il avait accompagné Wertheman dans plusieurs de ses voyages d'exploration.

Il y a peu d'hommesqui connaissentaussibien la Montana.

C'est un Français qui découvriL au siècle dernier le Grand PajonaL Son notn est Jean de la Marque. Dans son Compendio tiistorko, le père Amich lui consacre une notice spéciale,

Jean de la Marque vint d'Espagne au Pérou avec l'ingé- nieur Albert de Mioson, entra en 1722 dans l'ordre des Franciscains, et fut pendant dix ans l'un de ses plus infalU gables et intrépides missionnaires.

« Il apprit avec perfection, dit Amich, l'idiome ande ou langue desCampas, elen composa la granimaireet le dictiou- iiaire. 11 fonda le pueblo de San Antonio de CaLalipango. Il découvrit le Grand Pajonal et ses nombreux habilanls (la mucha tjente que enel liabia) eL fonda avec eux plusieurs villages, AyauL quitté iaMoutatia en 1735 par ordre du vice- roi pour aller reconnaître Iti pont de pierre de Jauja, il tomba maiaile en roule et mourut dans ta vallée de ce nom, »

Les Campas qu'il avait groupés en puebloR et catéchisés retournèrent à leur vie et à leur religion primitives, quelques années plus lard, en I7t2, lors île la fameuse insurrection de Juan Suntos Atahualpa. Depuis cette époque jus- qu'à l'arrivée des cahncheros dans ces derniers temps, aucun homme de race blanche n'avait eu accès parmi eux, et le Pajonal, cette ciladclle de leur indépendance, était comme enveloppé de mystère.

Le chemin qui traversera ce plateau découvert par un Français sera un élément de pruspérilé essenUei pour la Cùlo- niecn majorité française du Chanchamayo, la plus florissante f des vallées hautes de la Montana. Indispensable Irait d'union entre la capitale du Pérou el l'Amazone, la route du Pajonal deviendra l'une des plus importantes arlères commerciales de l'Amérique du Sud.

\iU RESSOURCES 8111 L'ASIE

AIE

IMPUKItAir O KHI lit

A LA COLONISATION HUSSK

Le Lleiileiiaul-(|;éiléral A iV \' l'^iV KO T

Conslructeiir ilii Cliemiji Jo fer Transcaspioii '

A iVpoque le maréchal Munich ni sa campagne de Crimée, en 1730, il érrivait qu'il était bien difficile d'y effectuer des opérations militaires, car on manquait de fourra pe, les roules étaient impraticables, et les Talares délniisaient le peu de villages de la contrée, en cJiassant les habitants, si bien qu'on ne savait littéralement oii trouver de l'eau, comment nourrir les chevaux et de quelle manière éviter les défdés dangereux.

Un siècle et demi a suI'H à métamorphoser, en même temps que la Crimée, tout le midi de la Russie; en des villes florissantes, telles qu'Odessa, Rostow, Taganrog, Kherson et Cathérinoslaw, y ont surgi; et, sur ces mômes steppes qu'on avait cru propres tout au plus à ta vie Domade, on trouve une population permanente d'environ dix raillions d'hommes, avec une densité d'enviiron 1,300 individus par raille carré. Cette contrée, qui produit jusqu'il trois millions de tcketrerts- de diitérenls Liés, cultivés dans les provinces de Tatiridc, de Kherson, de Cathérinoslaw, de Varonèje cl du Do», fournirail une récolte encore bien ])lus abondante, si l'on y prjtliqiiail des

1. néFiiiiné lie ta cunféreare Tuile pui'lc gùiièrul k laSucîélé impériale ili> géograpliie de Saiiil-PiJlersboui'y, dans la séance du >l-20 mars 1889. i. Mesure russe de ciijpacité, val;tuJ environ •àll) litres.

238

DES RESSOURCES QUE L ASIE CENTRALE

travaux d'irrigation, car ia stérilité n'y provient jamais que de sécheresse. D'ailleurs on n'a guère fait davantage pour favoriser le boisement, si utile comme moyen de procurer de l'humidilé aux steppes en partie privés d'eau.

On peut donc envisager la Nouvelle-Hussie comme une brillante colonie que la Russie elle-même a constituée, et, tandis que l'Allemagne perd chaque année jusqu'à deux cent raille de ses meilleurs travailleurs, qui éraigrent en Amérique, notre pays jouit du précieux privilège de colo- niser ses confins, élargissant en même temps ses frontières et faisant pour ainsi dire fondre au sein de la population russe le peu de nomades qui se trouvent encore dans le pays.

Telle est également la situation du pays d'Orenbourg et delà Sibérie; telle sera certes aussi celle de l'Asie centrale en général et de ta Transcaspienne en particulier.

Mais encore imporle-t-il d'examiner si cette partie de la Russie se trouve dans des conditions propices à la coloni- sation.

C'est peu après la guerre de Grimée en 1855 qu'a com- mencé le mouvement en avant des Russes dans l'Asie cen- trale. Des territoires ont été annexés à la Hussie, l'un après l'autre et finalement, en 1881, le mouvement s'est terminé par la prise de Gheok-Tépé et par l'annexion définitive de la contrée transcaspienne.

Presque simultanément avec ces conquêtes la Société de Géographie poursuivait ses travaux pour l'élude de la contrée des expéditions ont été envoyées à plusieurs reprises. Quand on lit le premier volume de l'ouvrage du professeur Mouschkétow intitulé le Turkestau, il est impossible de n'être pas étonné de la quantité des travaux d'investigalinn auxquels on s'est livré dans ces parages. Ces travaux ont permis àM. Elisée Reclus de publier son volume si important sur l'Asie centrale; rédigé avec le concours de beaucoup de Husses, ce volume constitue un phénomène remarquable par

\

POURRAIT OFFRin A L\ COLOMSATION RUSSE. 239

la masse de données qu'il contient sur un pays connu depuis si peu de temps.

Si l'on jette un regard sur la carte de l'Asie centrale, ce quifrappe tout d'abord, c'est le Pamir, ce ToUdu monde, qm comprend unepartie assezconsidérable (environ 70,000vers- tes carrées) de toutes les montagnes occupant le centre de l'Asie. Le Pamir est comme un nœud qui relie, d'un côté, la chaîne de Tiaa-Schan ou monts Célestes, dirigés du Pa- mir vers le nord-est, et, de l'autre côté, leHiundou-Kousch et l'Himalaya, allant vers le sud-est.

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L'espace qui s'étend entre les cbaùies de monlagnes de Tian-Schan et de l'Himalaya est occupé par toute une rangée d'autres chaînes se déroulant de l'ouest à l'est et dont les principales sont, au nord, le Kouen-Loun; plus loin le Tchécnen-Tag,le Kouka-Schili et les montagnes du Thibet.

Le lien qui existe entre les chaînes séparées dont elle se compose, donne à toute celle masse montiigneuse un carac- tère d'unité et ses parties diverses se ressemblent sous bien des rapports.

De la sorte, Wood a pu dire fort justement que le Pamir est un plateau élevé reliant l'Inde, la Chine et le Turkestan, et qu'on peut regarder comme le centre d'où partent les

240 rKS RES.souiicEs t'UK l'asik centra LK, Etr:.

puissantes chaînes et les immenses lleuves de l'Asie cen- trale.

Du haut de celle masse montagneuse sortent, d'un côLé, les fleuves Jaune (HoRng-Ho) et Bleu (Yantse-Ktang), qui se jettent k l'est dans l'océan PaciDque, el de l'autre côté, l'Amou-Daria et le Syr-Daria, qui se jettent à l'ouest dans la mer d'Aral, le Saravschan, qui paraît avoir été jadis un affluent de l'Amou-Daria et qui se perd maintenant dans les sables, ainsi que le Tedjen et le Mourgab, qui coulent parallèlement à ces fleuves ei se perdent également dans les sables de Kara-Kouscb.

Ici le conférencier s'est appliqué à définir certaines parli- cularilés exclusivement propres à ces fleuves.

Le fleuve Jaune, par exemple, ofl're te rem;irqiiable phéno- mène d'un déplacement continuel dcson embouchure. « La plaine, dit Reclus (chapitre vu, p. 293), s'étendent ses eaux embrasse une immense étendue depuis les bouches du Pcï-Ho jusqu'à celles du Hian-Tsé-Kiang, de manière que le fleuve se balance comme un pendule de droite à gauche sur une longueur de i)00 kilomètres du nord vers le sud. On ne trouve dans aucune autre partie du globe terrestre d'aussi considérables revirements dans l'histoire contem- poraine des fleuves ; el pour se faire une idée de ces dépla- cements de cours, il faudmit, pas exemple, imaginer que le llhiu, ayant cessé de couler en Hollande, au-dessous de Cologne, se dirigerait à travers les plaines de l'Allemagne du nord jusqu'aux bouches de la Vislule.

« Dans l'espace des vingt-cinq derniers si^cb-sà partir de la tiOO" année de la vieille ère, la partie inférieure du cours du Hoang-Ho s'est complètement déplacée neuf fois. »

D'une autre citation de M. E. Reclus qu'a faite ensuite te général Annenkof, il ressort que la quantité d'eau coulant dans ce fleuve doit être en moyenne bien plus c(insidéral)U' que. celle du Nil et que Ietier> de celle du Danube, en tout ca*, que cette niasse d'eau contenant une grande qiiaulilé

i

242 DES RESSOURCE s QUE L ASIE CENTRALE

de parcelles terreuses suffit pour favoriser chaque annéa d'une manière sensible la réduction de la surface d'eau du golfe du l'et-ché-li et de la mer Jaune. Ainsi, pendant les trente années de sou nouveau cours vers le nord, le Hoang- Ho a fait avancer assez profondémenl la ligne des rivages, qui a envahi toute une bande du golfe.

D'après les calculs de Stauton et de Barrow, les alluvions du fleuve Jaune suffisent pour former, dans l'espace de vingt-cinq jours, une île d'un kilomètre carré d'étendue et de 36 mètres d'épaisseur.

Le ileuve Bleu porte dans ses eaux moins de parcelles terreuses que le fleuve Jaune, et suivant les observations de Happy, ces parcelles ne constituent que la 2,200* partie de toute 1,1 masse liquide qui y coule, l^s alluvions apportées à son embouchure rcprésentenl une masse solide d'environ 6 mètres cubes par seconde ; par conséquent, la sépa- ration du limon augmente annuellement de 180 millions de mètres cubes, ce qui modifie d'année en année la posi- tion des issues et fait surgir de petites îles qui vont toujours grandissant. On raconte queîi'îled'Tsung-Ming (qui mesure environ 1,0(JO kilomètres carrésd'étendue) atteignaità peine la surfaite de l'eau à l'époque de la domination mongole.

Le cours inférieur du fleuve Bleu a subi des changements moins considérables que ceux du fleuve Jaune, mais assez sensibles pourtant ; outre son embouchure actuelle, il en avait jadis deux autres qui s'ouvraient plus au sud. Le principal de ces lits primitifs, maintenant engorgé mais qu'on peut encore reconnaître sur la plus grande partie de son étendue, se séparait du bras de Ileuve seplcnlrionat à l'endroit se trouve aujourd'hui la ville de Vougou, au-dessus de Nankin, et suivait une ligne sinueuse dans la direction du sud-est, portant ses eaux vers le golfe de Han- tcheou.

Les lacs abandonnés par le Ileuve iSleu daus la péninsule de Shanghaï ont conservé les contours tortueux du fleuve

I

POURRAIT OFFRIR A lA COLONISATION BU^JSE. 213

primitir, et les hautes rives qui les bordent ofl'ienl un aspect tel qu'on les croirait encore baignées par ce fleuve; toute la contrée avoisinante rappelle, en généra!, les Pays-Bas, découpés par des canaux dans maintes directions.

C'est encore à M. K. Reclus, et notamment à son remar- quable ouvrage ialitulé: la Terreet les Hommes, qnelecon- férencieraeu recours pour établir les particularités propres à l'Amou-Daria (Oxus), qui, s'il n'a poinljusqu'àprésent formé an véritable delta à son embouchure et ne s'y est pas creusé de lits réguliers, n'a apparemment encore pu y parvenir faute de temps, puisqu'il ne coule à. l'endroit actuel que depuis environ 350 ans. De fait, pendant la première moi- tié du xvi" siècle, l'Amou-Daria était un affluent de la mer Caspienne, phénomène d'ailleurs purement temporaire, car depuis l'époque des historiens grecs ce fleuve a déjà passé deux fois de la mer Caspienne à la mer d'Aral, et cice vcrsd.

Le général Annenkof a conclu ensuite d'explications scientifiques empruntées àHumboldt et d'informations pui' sées chez Klaproth qu'indubitablement l'Amou-Daria a plusieiu-s fois modifié ta direction de la partie inférieure de son cours, et si l'élendue sur laquelle ont eu lieu ces dépla- cements d'embouchure était primilivement moins vaste peut-être que pour le lleuve Jaune, elle a cependant été en tout cas très considérable.

L'Amou-Daria produit d'ailleurs le même elfet que les fleuves chinois, en ce qui concerne la diminution de l'espace servant de bassin aux eaux fluviales, particularité qui établit entre eux une analogie essentielle.

Celte analogie, ainsi que le coup d'œil généra! jeté sur l'Asie centrale parM. de Richlhnfen et les conclusions qu'il en a tirées par rapport à la Chine, établissent un étroit rap- prochement entre les conditions respectives des deux con- trées. M. de Richlhofen examine les parties centrales et extrêmes

2-ii DES HESSOUJVCES QUE l'ASIE CENTRALK

du cûiUinent asiatique, qui se disLinguenl enire elles aussi bien par leur origine géologique que par leur caractère phy- sique, la répîtrtilion des plantes et des animaux, les migra- tions des peuples, leur histoire politique et leur développe- raenl intellectuel.

Dans les parties centrales, tous les produits de l'évenle- ment des parties rocheuses restent au sein de la conirée, et ne Tonique se transporter d'un endroit à l'autre, formant des séparations massives dans les profondeurs du sol; ils déter- minent 1b nivellement de sa surface en tendant à lui don- ner un aspect plus ou moins uniforme.

Dans les parties extrAmes, au contraire, les produits des bouleversemenls terrestres sont emportés par les fleuvesj vers la mer et servent, d'une part, à former tes amoncelle- ments riverains, d'autre part, à fournir aux eaux de mer le complément de sels nécessaire à leur organisme.

En sorte que li'apriàs M. de Richlhofen et M. E. Reclus, dans l'Asie centrale prédomine le mouvement centripète et dans les confins asiatiques le mouvement centrifuge.

Il en résulte qu'on trouve dans l'Asie centrale des endroits, souvent de nature saline, couverts d'une végétation uni- forme, ce qui inQue certainement sur la faune et aussi sur la civilisation l'homme ne trouve pas d'emplacements favorables à la vie sédentaire, sauf d'insignifiantes oasis; dans les confins asiatiques, au contraire, il y a des reliefs au lieu de plaines, il y a de nombreuses rivières, des vallées, etc., tous clcmenls propices à une grande variété dans la vie organique et qui conséquemment placent l'homme dans des condition!:- plus favorables à son existence scden- laire. h son développement civil et intellectuel.

Après avoir, en s'appuyant sur des citations de Humholdt, rendu hommage aux progrès déjà fort nncicns du peuple chinois sous le rapport scientillque, iiM-unférencior cons- late qu'au même point de vue, le versant occidental du] Pamir se trouve malheureusement dans de tout autres con-

POTRBAIT OFFRIII A LA COLO.MSATIOS RUSSE. UTi

ditions. La civilisation qui y a existé il n'y a pas bien long- temps, n'a presque point laissé de traces. Les peuplades à demi-sauvages qui errent actueliement entre la mer Cas- pienne et la mer d'Aral savent très peu de chose concernant les conditions physiques et la nature du sol, à l'égard dos- quelles on possède en Chine tant de données.

En outre, celte contrée a presque toujours été le tbéftlre de luttes entre les nomades qui la pL'uptent, cl si quelque germe de civilisation y surgissait de temps à autre, il devait naturellement ûtre aussitôt anéanti.

Voulant tirer des conclusions de ce qui précède, l'orateur a cru devoir auparavant, pour leur donner plus de force, tra- cer un court aperçu des renseignements recueillis de fraîche date sur l'Amou-Daria ; comme preuve incontestable de ce que ce Ueuve a eu j;idis d'autres lits que celui il coule acluellemenl, il invoque l'esistence de ce qu'on nomme les schors et les tchinkis, étudiés seulement depuis peu.

hesschors représentent des rangées de cavités successives ou dévalions encaissés, séparés les uns des autres par des amas de sable. Ils sont tantôt secs, tantôt remplis d'eau, mais à une profondeur qui ne dépasse pas un pied et demi et deux pieds. (Ju'on se ijgure dts alignements entiers de ces tchors, CD aura le tableau d'un Ut de fleuve desséché et comblé en plusieurs endroits par les sables, elleur présence dans la contrée en question y conslituo la trace indubitable de cours primitif de l'Amou-Daria.

On a, en outre, remarqué que toute la localité avoisinant le Kopet-Dag penche dans une direction concordant avec celle des rangées ûesckors, ce qui prouve également l'exis- tence autrefois en cet endroit du cour^ de l'Amou-Daria, qui avait de nombieuses ramifications. Ainsi, dans son ouvrage intitulé: les l'ius Anciens Lils de l'Aimu-Daria, M. Kaulburs dit que, d'après les récits de voyageurs, il y avait entre Merw et l'Amou-Daria actuel jusqu'à six cavités rappelant ces anciens lils.

246 nEs nESsouncES que l'aste centrale

Ed admettant que ce fût efTectivement des lits de fleuve et que le bord de la mer se soit trouvé, dans l'antiquité, à cet endroit, nous serons fondé à condure à l'existence primi- tive ici d'un vaste delta qui comprenait, outre les six cours du lit actuel de Tchardjoui, peut-être aussi la plaine de Karakoul; mais comme il n'est guère possible de douter que la mer n'ait baigné jadis celte localité et que le fleuve ne s'j' soit jelé en formant un delta, notre supposition que ces cavités constituent des vestiges de lits se trouvei confir- mée.

Ce n'est qu'avec le Lemps, au fureta mesure du recul de la mer vers l'ouesl, ainsi que suus l'influence de diffé- rentes causes, qu'a commencé icil'activité des eaux fluviales et que se sont ensuite établis deux principauxcourants, l'un situé le long duKopel-Dag et l'autre près de l'ûuzhoï et du Sary-Kamouisch, Puis le courant septentrional a augmenté audétrimentde celui do l'ouest, de plus en plus engorgé par les aliuvionsel finalement transformé en une série de sckors presque dépourvus d'eau, s'est encore plus détourné dans lu direction de la mer d'Aral.

Les kitinkis représentent de longues rangées de hauteurs abruptes s'élevant sur la surface du sol, ce qui ne peut cer- tainement être attribué qu'à une force quelconque ayant arraché sur la pente générale des montagnes, du cAlé de la mer, d'énormes masses de terre qu'elle a ensuite entraînées au bas de ces montagnes.

Le plus remarquable de ces tchinkis est celui d'Ûungouz, mesurant environ 500 verstes de longueur; mais on en ren- contre encore auprès du golfe du Césarévitch, entre les grandes Balkhans et Krasnovodsk, dans l'oasis de Khiva et en d'autres endroits du bassin de la mer Caspienne et de celui de la mer d'Aral.

Les explorations des derniers temps ont démontré qu'il existe un lien rigoureusement déterminé entre la pente générale des localités et la position des tchinkis qu'on y

POCRRAIT OFFRIR A LA COLONISATION RUSSE. 247

rencontre, et qu'autrefois Teau a certainement coulé au pied de toutes ces hauteurs. Cette notion se trouve confir- mée par la circonstance que les (f/<fHA"»sexistentseulemeut il y a eu, il y a encore des courants, et, effective- ment, nous ne les rencontrons qu'au milieu des ramifica- tions des anciens lits de l'Amou et de la Sara, ainsi que sur les bords des principaux fleuves.

L'existence des schors et des Ichinkis conQroie donc indu- bitablement l'hypothèse qu'une partie considérable de nos possessions nouvelles de l'Asie centrale était jadis découpée par toute une série de lits de l'Amou-Daria, qui se sont «ans doute modifiés de la même manière que ceux des fleuves Jaune et lileu.

Cette conclusion est d'une très grande importance lors- qu'il s'agit de décider si l'Asie centrale est propre à la colo- nisation ceneCetle long de ces iits se trouvent disposées ce qu'on appelle des étendues de lœss^ {lœsse pur et glaise de lœss) qui n'ont pas été suffisamment explorées jusqu'à présent.

Dans son ouvrage sur la Chine, le professeur de Richthofea jette un coup d'œil sommaire sur l'Asie centrale, au point de vue géologique, et passe ensuite à l'étude détaillée et minutieuse du sol, du climat et en général des conditions d'existence de cet empire. En même temps, il donne une idée du sol de l'Asie centrale et parle de ce qu'on nomme le lœss.

Le sol de lœss constitue la plus récente formation qui se soit faite sur le globe ; il est apparu bien après la forma- tion générale de la surface terrestre et la répartition primi- tive des matériaux qui la composent.

Le lœss peut être envisagé comme le résultat d'une opé- ration atmosphérique, aérienne.

Cette hypothèse se trouve confirmée:

1. Le Icut est une t«rre glaiseuse des plus fertiles.

2-48 HF.s RESsnuRnES que 1,'asie centrale

1" Par le fait qu'on rencontre dans lo sol de lœss des dé- Iritus de roquiilages dn fimnips, avec absence Lotiile rie coquillages d'eau douce;

2* (Ju'on y consLale la présence d'os de quadrupèdes mammifères vivant sur terre ferme ;

3> Qu'on y voit des traces de végéLatiou.

Bien que le hi-sx ne renferme point de détritus de plantes, un grand nombre des canaux lubulaires qui s'y trouvent, répondent à la forme el à la ramification de ra- cines végétales.

On doit considérer comme ayant servi de facteurs pour la formation du kvss :

a. Les eaux de pluie, qui ont entraîné avec elles des parcelles de terre des montagnes, sous l'action, de l'air et de la décomposition des couches;

b. Les vents, qui ont semé ces parcelles sous forme de poussière en les envoyant dans certaines directions, phé- nomène qu'on continue d'observer actuellement ;

c. Les plantes, mais eavisagées comme facteurs el non comme matériaux de formation. Chaque couche du sol de lœtt s'était couverte d'une végétation qui l'avait préservée de la dispersion par les vents, tirant de son sein des sub- stances minérales et périssant ensuite à sa surface, de ma- nière à y former ainsi de nouvelles couches.

I.a carte géologique dressée sous la direction du profes- seur Mouschkétow el des ingénieurs des mines Bogdano- vitch el Obroutchew, montre que toute l'étendue du terri- toire depuis Kizil-Arvat jusqu'à .\skliabad et au delà, par toutrAtek, oll're un sol de /«'ss compact, interrompu seu- lement en quelques endroits par les sables; si Ton y ajoute tous les lieux oîi se sont entremôlés les nombreux lits de r.\niou-Daria, avec leurs vallées ayant également un sol de iœss, la surface de territoire de celte nature se présente encore plus vnsle.

Le lœss pénètre à une profondeur très considérable.

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POl'KRAIT OFFItlR A LK COLONISATION RUSSE. 249

En perforant le sol en plusieurs endroits, aussi bien pour y creuser des pulls artésiens que pour se rendre compte de la aature du terrain l'on voulait construire des ponts sur ia ligne du chemin de fer transcfispien, il arriva parfois de ne trouver que du liess à la profondeur de plusieurs dizaines de toises, etcela sans qu'il y eût même de légères coiicbes interinédiaires. |] estenm&me temps indispensable de faire observer que l'analyse chimique a démontré l'identité de composition du sol àalaiss en Chine et dans l'Asie centrale, avec celle des eaux des lleuvcs chinois dont il a été parlé, de l'Amou-Daria et du Nil.

Ainsi s'expliquent les surprenantes récolles qu'on ob- tient dans la province transcaspienne sur le sol de lœss, dès qu'il reçoit l'irrigation voulue; en même temps il faut obser- ver que lelabour est très peu satisfaisant chez lesTurcmènes et ne saurait d'aucune manière se comparer à celui qu'on pratique en Boukharie; néanmoins, il y a eu, l'année der- nière, dans l'oasis de Mcrw, des récoltes qui ont donné 170 pour un.

Or, la densité de la population en Chine s'explique pré- cisément par l'extraordinaire fertilité du sol de lœss, qui permet de lui faire produire une énorme quantité des sub- stances nutritives les plus variées.

Contre l'opinion que l'Asie centrale est propre à la vie sédentaire du Russe, on peut cerlainemenl invoquer l'exis- tence dans ces parages d'étendues sablonneuses considéra- bles ; mais, outre que les terrains favorables à la colonisation ne sont pas moins vastes, il faut encore ajouter que si, dans certains endroits, les sables mouvants paraissent menacer la culture, c'est l'homme lui-mèmequi en est responsable, car il créeimpiudemment des conditions susceptibles d'amener ce mouvement des sables, qu'on remarque seulement dans les localités 011, pour se procurer du combustible, il a anéanti la végétation, et particulièrement dans les endroits ou elle était nécessaire pour les besoins quotidiens des indigènes.

250 UKs itEssorncES que l'asie centuale

Au contraire, le sable se trouve plus éloigné des lieux d'habitalion, sur les points on lui oppose une plantation assez épaisse de tamaris, de saksaoul et autres plantes du raéme genre, ou bien l'eriseinencement d'herbes, quiraffer- mi.ssenL encore davantage, le terrain.

La meilleure preuve que le sol sablonneux est propre à la croissance de ces végéLaux, c'est que, depuis l'inlerdiclion d'abattre le salisaonl et le tamaris sur les terrains situés à moins de cinq versles de chaque côté du chemin de fer, la végétation y a reparu dans tous les endroits elle avait clé préccdemmentanéantie. Celle circonstance a obligél'ad- minislralion de la ligne, surtout à cause du peu de succès des plantations de végétaux importés, h fixer soaal- tention sur les espèces locales et à organiser des pépinières spéciales pour ces espèces, dans le but d'en planter le long des remblais traversant les localités sablonneuses.

Pour mieux démontrer que les lieux cultivés peuvent être garantis contre l'envahissement des sables, mention- nons encore la circonstance que voici.

La formcla plus commune des hauteurs sablonneuses sem- ble indiquer positivement là-bas le rôle prédominant du vent nord-ouest dans leur création; et s'il en est ainsi, les sables pourront difficilement pénétrer à l'intérieur du pays, mais devront plutôt se diriger vers la mer et envahir celte d'Aral, au lieu de venir augmenter les amas qui en existent àKara- Koum, du côté de l'Orient. A l'appui de celte hypothèse le professeur Mouschkétovv constate une diminution effective de l'étendue du désert de Kara-Koum, ou, ce qui revient aumême, une extension sensible du tapis de végétation dans celle contrée, dans la direction de l'Orient.

Après avoir exprimé la conviclion que les nombreux essais de plantation récemment effectués dans la province Iranscaspieuiie le long du chemin de fer, près des proprié- lés impériales et près de Samarcande, prouveront bientôt la possibilité de lutter avec les sables ; le général Annenkof a

pornnAiT offhir \ u colonisation russe. 251

ajouté que peul-ôtre aussi parviendra-l-on à réaliser le pro- jet, depuis longtemps ffjrnn5 en Boukhaiie, de percer un eiinal qui amènerait au Karakoul l'eau de l'Amou-Daria. Lorsqu'on voit, dit-il, couler, dans le tit de ce fleuve, à Tchardjoui, une bande d'eau de quatre versles, avecla rapi- dité de onze versles à l'heure, on ne peut mettre en doute la possibilité de réaliser pleinemetit le projet en question. L'émir de Boukharie n'aura même pas besoin d'argent pour cette entreprise, car ses sujets, habitués ii accomplir les Ira- ?aux publics par voie de corvée, se présenteront avec leurs outils et provisions, préparant ainsi la rellorcscence du terri- toire de Karakoul, dont le sol de tii'ss est considéré comme le plus productif de toute la vallée de Zaravschan.

Il est vrai que, si la province trancaspienne se trouve sous le rapport du sol cultivable dans les mêmes condi- tions que la Chine, celle-ci est plus propice à la végétation par suite du voisinage de l'océan Pacifique et d'une plus forte dose d'humidité; mais encore y a-l-il, même en Chine, des graminées qui, comme le riz, ne poussent que grâce à l'irrigation artificielle.

La quantité absolue de pluie qui tombe dans l'Asie cen- trale en général et dans la province transcaspienne en par- ticulier, est beaucoup plus considérable que bien des gens ne le supposent; il ressort, par exemple, des observations de la station météorologique de Merw, qu'il est tombé plus de 1,654 millimètres de dépôts atmosphériques pendHnt trois mois de l'année 1885 et quatre mois do 18HG.

Or, en Allemagne, la hauteur annuelle des pluies ne dépasse pas <»80 millimMres, en Angleterre et en Irlande 862 (fait démontré par dix-neuf ans d'observations), dans la H ussie centrale et septentrionale de -tOO à "00, et dans la Nou- velle Russie 300 seulement.

Du reste, la quantité absolue d'humidité ne saurait avoir uoe importance particulière, vu que celle-ci se répartit par mois, dans la contrée, d'une manière très irrégulière, et

252 RES30TRf.ES QrE L'aSIE CENTRALE

que, grâce à l'élévation extrême de la température, elle s'évapore sans avoir eu le lenaps de remplir son office. Semblable phénomène se produit également sur les rives caucasiennes de la mer Noire, près dn port de Redoute- Kalé, malgré la cbulede i ,700 millimètres de dépôts atmo- sphériques, la sécheresse est très fréquente par suite des circonstances mentionnées plus haut.

Si donc les conditions atmosphériques ne permettent pas de tirer tout le prolit que le sol de Iwns est susceptible de donner en Asie centrale, on peut aisément remédier à cet état de choses en recourant h l'irrigation artificielle des territoires improductifs au moyen des eaux de l'Amou- Daria, du Syr-Daria, du Tedjen et du Mourgab ; ces deux derniers fleuves, par ejtemple, qui se perdent dans les sables sans profiter à personne, favoriseraient beaucoup la culture en allant jusqu'à la mer ; d'autres ont Tinconvé- nienl de dissiper une énorme quantité d'eau dans les deltas et marais de leur embouchure; par-ci, par-là l'on s'avise d'améliorations, c'est sous une forme et avec des procédés tellement primitifs qu'elles ne sauraient produire de résul- tats sérieux.

Cependant l'histoire nous prouve que les contrées en question sont indubitablement propres à la culture, puisque làoti s'étend aujourd'hui le désert, il y avait jadis des plaines Jlorissanles et une population qui, à l'époque d'Alexandre le Grand, s'élevait au chiffre de vingt à trente millions d'habitants (page 74 de la Description des campagnes d' Alexandre y par M. Grjgoriff).

M. E. Reclus lui-mlime déclare dans son ouvrage que, sans qu'il soit besoin de recourirà des mesures spéciales, le sol de l'Asie centrale pourrait nourrir cinq fois plus de gens qu'il n'y en a dans la contrée, si l'on se bornait simplement à pro- filer du iœ&s et à organiser une irrigation normale au moyen des fleuves actuellement inutilisés.

D'autre part, l'exemple de l'Amérique, oîi les chemins de

POUR n AIT OFfRin A LA COLOMSAFION RUSSE.

253

fer produisent de merveilleux résullats, bien que le sol y soit moins fertile que dans l'Asie centrale, montre que la ligne Iranscaspien ne pourtail rendre ici d'immenses services, d'autant plus que les richesses minérales de cetle contrée restent encore à esploiler. On peut s'en convaincre en lisant les détails que M. A, Vambery a publiés dans ses extraits concernant les gisements de minerais, lapis-lazuli,etc.,du Ba- daks-chan,et les mines d'argent des monts Scheikh-Djély. S'en rapportantau récit d'un entrelien du voyageur Bruce avec Pierre le Grand, l'orateur a rappelé que la colonisation du pays de l'Amou-Daria était déjà le rôvede l'illustre em- pereur, que ce rêve est actuellement réalisé, et que si l'on y orpanise un système rationnel d'irrigation, l'Asie centrale donnera certainement, dit-il, des résultats aussi satisfai- sants que ceux qu'on a obtenus dans la Nouvelie-Flussie, dans le pays d'Orenbourg et en Sibérie.

De tout cela il résulte, a conclu M. Anneiikof, qu'il est nécessaire de prendre des mesures pour diriger autant que possible la colonisation russe de la Russie d'Europe vers l'Asie centrale, car son expansion naturelle sans immixtion ni concours adminislrrilifs a eu souvent pour conséquence de réduire des masses d'émigrants, par suite d'ignorance, à errer des mois entiers et même des années avant de par- venir h trouver s'établir convenablement, épuisant ainsi leurs ressources el leurs forces ph y siqups.

L'orateur ne doute pas qu'il n'y ait beaucoup de gens dé- sireux d'émigrcr vers l'Asie centrale; déjà un certain nombre d'entre eux y ont apparu; mais ils arrivent sans savoir se diriger, comment distinguer les terres culti- vables des terrains réellement arides, ne connaissant ni les procédés locaux do culture, ni les oulils à y employer, igno- rant en un mol les conditions vitales du paj's el du mode rationnel de s'y livrer au IravaiL Aussi le concours gouver- nemental serait-il infiniment utile aux émigrants en se tra- duisant par les mesures que voici :

25i DES RESSOURCES QUE L'ASIE CENTRALE, ETC.

1* Dresser des plans topographiques bien précis, pour la détermination deâ terrains pouvant être affectés à la colo- nisation ;

Etudier les meilleurs systèmes d'irrigation, réaliser les projets qui sont dès à présent praticables sous ce rap- port;

Organiser, sur les points les plus importants, des écoles d'agriculture, d'après le type élaboré actuellement par le Ministère des Domaines, en y annexant des fermes^modèles, dans lesquelles il faudrait surtout prendre en considéra- tion l'opportunité de familiariser les émigrants avec la cul- ture des articles qui offrent le plus de chances de réussite, tels que le coton, la soie, le raisin, etc., et qui sont le plus capables par conséquent de favoriser leur bien-être.

ISrOTES 8XJI?, LE THIBET

M. l'abbé DESOODIWS'

Montés dans les vagons de rEastern-Bengal-Railway, nous traversons pendant la nuit les immenses et fertiles plaines du Bengale, en allant toujours du sud au nord. Le matin, en sortant du train à Siligurie, nous apercevons devant nous l'énorme soulèvement géologique du Thibet, environné des plus hautes montagnes du globe. Un triple rempart, avec ses forts avancés, le mont Everest, le Kong-tchin-djé- nga et le Davanagiri, élevés de plus de 8000 mètres (presque deux fois la hauteur du Mont Blanc), défendent le Thibet vers le sud. Au nord-ouest le Karakorum, au nord le Tien-chan puis le Kuen-Ien, à l'est sept ou huit chaînes de montagnes, véritables Grandes Murailles élevées par la nature entre la Chine et le Thibet. Au centre, les plateaux très accidentés du Thibet, dont l'altitude varie entre 3,500 et 4,000 mètres. Tous ces sommets et ces plateaux, la com- raime imagination les revêt de glaciers et de neiges perpétu- elles, et en lire a priori la conclusion que le Thibet est maté- riellement inaccessible; c'est un préjugé. Il y a une multi- tude de glaciers il est vrai, mais leur aspect charme de loin le regard en embellissant le paysage; on passe à côté d'eux, dans les vallées, sans en être autrement gêné. Quant aux neiges annuelles, elles sont très rares au Thibet à cause de la grande sécheresse du climat et de la latitude peu élevée

1. Communication adressée à la Société dans sa séance du 21 mars 1890.

256 SOTKS Sun le tihcet.

(du 28° au 36° lat. nord). On ne rencontre guère la nei|;e, môme sur les hauls plateaux, que de la fin de février à la fin d'avril.

Quant aux roules, elles ne manquent pas non pins. Voici d'abord la prantle route anglaise qui de Sirala, remontant Je SuUeje, conduit à la frontière occidentale du Thibct, province de Mgari. riche en pâturages et eu mines d'or, et au Ladak ou Petit Thibel; mCme quand elle est accrochée aux flancs de roches verticales par de fortes poutres en fer, on peut y passer à oheval ou en dandi. Voici, en second lieu, une route très frcquenti^e par le commerce lliibélain à l'ouest du Népal et qui aboutit aux sources de l'indus, du Sulleje et du Yarkioulsang-po ou Bramapoulre, près des lacs Tso-ma-pang, dans les plus hauts pâturages du ïhibet. De plus, deux routes qui traversent te Népal l'on ne peut pénétrer sans autorisation préalable des deux gouverne- ments anglais et nepalien. Plus h l'est, s'ouvrent encore trois roules qui traversent les llimalayas par la vallée tbibétaine de To wang et Boutang dans sa partie orienJale et sa partie occidentale.

En résumé nous avons sept roules (dont une euro- péenne) très praticables et très pratiquées par lesThibétains et autres indigènes. Si elles restent fermées aux Européens, et aux Européens seuls, si elles ne sont pas déjii transfor- mées par la science des ingénieurs européens en 1res bonnes routes, comme celle du Sutlcje, !a faute en est, non h la nature, mais à la mauvaise volonté des hommes.

A Siliguric, terminus de l'Eastcrn-Bcngal-Railway, embarquons-nous dans le train qui, In veille, est parti de Calcutta à 4 heures du soir et qui, en quatorze heures A parcouru pins de IlOO milles du sud au nord. Siliginic est non seulement un terminus, mais encore un embarcadère pour le Darjceling-Ilitnalayan-ltnilway (système Deranville, je crois), qui par des courbes très fortes el des zigzags très prolongés dans deux ou trois vallées, s'élève jusqu'à ,

NOTES SUR LE TIIIBICT, 257

lûO mèlres en 60 kilom. de parcours; en huit heures, il

[>ose le voyageur à Darjeeling. Depuis neuf ans qu'il fbnctionne, il n'y a pas encore eu d'accidenl sur la ligne. Le grand promoteur de celle entreprise est Sir Ashiey Eden, lieutenanl-gouvemeur du Bengale; les travaux ont élé exécutés surtout sous la direction de l'honorable M. Preslage. J'ai entendu plusieurs voyageurs s'extasier devant celle merveille de la science et de l'art, autant que devant les points de vue si variés qui passent sous leurs yeux, et dire, ce qui me paraît exagéré, que leur voyage d'Europe était bien payé par le seul plaisir de faire un tel trajet.

Darjeeling bâti en ampbilbéàlre sur le Qanc de la mon» tagoe, est une ville de plaisance cl un sanatorium les anémiques du Bengale viennent pour recouvrer la santé. On y jouit d'avril à novembre d'un air frais et du plus beau spectacle de la nature au milieu des innombrables points de vue des Himalayas.

Au pied du Kong-lchin-djé'figa, entre ses deux puissants contreforts, le Singgalea à l'ouest et le Chola h l'est, ce fouillis de ravins escarpés et de montagnes, noires parce qu'elles sont très boisées, forme le petit royaume de Siivim, autrefois tbîbétain, maintenant anglais pour son très grand avantage et bonheur. Malgré sou exiguïté, il est peuplé par quatre races d'hommes ; les Rong ou Lepchas aborigènes, les Tbibétains conquérants, les Limbous venus du Népal, et les Newais ou Népaliens émigrés depuis peu d'années et qui forment déjà la grande majorité dans la population totale de 30,000 iinus environ. Il y a vingt ans, elle n'était que de 12 à 13,000.

Le Sikim est arrosé par deux rivières principales : la Tista, qui coule du nord au sud dans la partie orientale vers les plaines, et son al'ûuent droit, te Bouri Ranjit qui arrose la partie occidenlale de cet État. En remontant la Tista une route, qui d'ici à peu d'années sera très bonne, se bifurque

&0C. DECÉOGB. â' THiaiESIHE IBIKf. XI. 17

258 HOTES sm le thiurt,

daus la partie supérieure et vient aboutir à quatre cols donnant entrée au ThibeL. Pour le nnoment, une autre route partant aussi de Darjeeling ou de Siligurie, traverse la pointe sud-est du Sikim et vient aboutir au col de Jetep. Quoique très accidentée, puisqu'elle passe successivement par lesaltitudes de 2,100, :2 ,220, 1,315, 1,835, et4,495 mètres d'altitude, cette roule est meilleure que celle du SuLlege; elle est même carrussable dans la première moitié de son étendue de 100 kilomètres.

A la première halle, onrencontrelafaclorcriedeM. Munro, l'un des principaux planteurs de thé de la région; il est heureux de pouvoir oirrir aux voyageurs un ff/^H, c'est-à- dire un copieux goûter et de nombreux rarraîchissemenLs. A -l milles plus bas, on traverse la Tîsla sur un beau pont suspendu en tilde fer, de lûû mètres de long. Au sommet du mamelon, à Kalimpong, on peut visiter les écoles des révérends ministres écossais^ t'hôtei des voyageurs, celui de l'inspecteur des Ibrèls, la maison de Teim-djrou, magistrat indigène, la résidence et les magasins de la Compai;nie des transports par voitures à boeufs. Tout le vallon sur les deux rives de la llillie est admirablement cultivé par les Newars ou Népaliens émigrés. Plus loin, à 12 milles au nord- est, à Padong, on aperçoit le camp anglais, les magasins de l'inlendance, le télégraphe, le bureau de poste, le bazar indigène, le tout construit en bambous. Une modeste maison carrée ù un étage, au toit pointu et surmonté d'une grande croix, est la mienne et celle de mes trois confrères. Kn fait de curiosités, nous n'avons à montrer que noire jardi- net, une école et un orphelinal, œuvres encore au ber- ceau .

Voici neuf ans bicnlût que nos regards, passant par- dessus le mamelou de Ré-nock, contemplent au nord-est ce pic de Lingtou qui nous caclie la frontière du Tbibel. Quand pourrons-nous la franchir? Si la route, toujours excellente, continue à rester fermée, c'est, comme nous

i

WOTES SUR LE THIBET.

259

l'avons déjà fait remarquer, la faute non delà nature mais des hommes.

Trois ou quatre milles après avoir dépassé le sommet de Lingtou,nousdébouchonsdansle vallon alpestre deNatong, -400 braves soldais irlandais nous accueillent par de vigoureux hourras et nous offrent une gracieuse hospitalité pour la nuit dans leur camp forliflé. Un peu plus loin dans le vallon de Kou-pup, orné de deux petits lacs, la route se bifurque et vient aboutir à trois cols.

Nous prenons celle du milieu et, après 4 milles d'une montée relativement douce, nous arrivons enfin au Jelep- pass, élevé de 4,495 mètres au-dessus de la mer, 315 mètres seulement moins que le sommet du Mont-Blanc. Quel spec- tacle splendidel De tous côtés et à perte de vue, des som- mets de montagnes au-dessus desquels se détachent comme d'énormes diamants des glaciers et des neiges perpétuelles ; au-dessous de nous, des ravins et encore des ravins, con- tournés dans tous les sens et dont les précipices sont cachés par d'épaisses et verdoyantes forêts. Le pied gauche est encore sur le Sikim, que le pied droit est déjà sur le Thibel,

A partir du Jelep-pass, on dit adieu à la bonne route

anglaise; il faut se contenter de la route thibélaine. Une

descente rapide de 18 kilomètres amène au village de Rin-

Ichin-gong, sur les bords do la rivière A-mo-tchou, à une

altitude de 2,850 mètres seulement. De Rin-tchin-gong au

passage des grands Uimalayas, entre le pic Dong-kia à la

pointe nord-est du Sikira, et le Tcho-mo-Lha-ri « montagne

de la noble déesse » à la pointe nord -ouest du Boutang,

cinq ou six jours de marche facile et d'une douce montée.

Rien de remarquable, si ce n'est Chumbi, l'ancienne maison

d'été du roi du Sikim dont il peut faire son deuil; puis Pa-ri-

dzong, le chef-iieu du district. En Ihibétatn, dzong signifie

bien forteresse, mais actuellement les forteresses étant

presque partout tombées en ruine, dzong ne signifie plus

-260

NOTES sua LE TOIDET.

que la résidence d'un employé du gouvernement, grand ou petit, peu importe.

Aussitôt après avoir dépassé la ligue de faîte des grands HimalayEis ueigeux, nous entrons dans la lone de pâturages, qui s'étend entre toute la chaîne méridionale et la chaîne centrale des Hiraalayas. Il existe aussi d'autres grands pâtu- rages sur une partie de la province de Kgari et sur le cours supérieur du Yarkiou-tsang-po, mais les plus vastfis occupent loutela partie nord du ïhibet connue sous ie nom générique de Tchang-tong « plaines du nord s ut peuplée parles tribus lleur.

Ces plaines du nord, dont l'uititude est de plus de 4,000 mètres, couvrent les deux tiers des deux provinces cen- trales et sont arrosées par de nombreux lacs sans écoulement vers aucune mer cl par de petites rivières qui alimentent ces lacs. En outre, tous les sommets de montagnes qui dominent les vallées habitées sont consacrés au pilurage dès qu'ils altcifîuenl ['altitude de 3,300 mètres, toute agriculture devient impossible. De la superlicie du sol iuférieure à 3,300 mètres, retranchez encore les pentes de ravins ahrnples, dénudées ou parfois couvertes do forêts, et vous conclurez sans doute que lu nature s'est montrée excessi- vement libérale envers la population pastorale et excessive- ment parcimonieuse envers la population agricole. Celte seule considération (et il y en a bien d'autres) sufûriiit à rendre raison du peu de densité de la population thibétaine; le chifl're en est probablement dcO à 7 millions d'habitants pour un pays dont la surface est presque deux fois celle de la France, et trois fois au moins, si l'on tient compte des irré- gularités du sol. C'est que pour chaquegroupe de tentes noirea (une douzaine, une vingtaine) il faut un territoire grand comme deux ou trois de nos déparlcments, capable de nourrir, non des centaines, mais des milliers de vaches, non dos milliers, mais des myriades de moutons, sans compter les yaks mâles, les chevaux et les mulets quand ils ne sont

NOTES sun LE TniBËT. 261

pas en route pour le commerce; cependant, pour gouverner et soigner tout ce monde animal, im très petit nombre de familles suffisent.

Les pasteurs thibétains sont souvent obligés de changer leurs campements; onne peut pourtant les appeler nomades, car, à chaque groupe de tentes noires sont assignées telles montagnes et telles vallées. Malheur.'» peux qui dépasseraient les limites fixées! ce serait la guerre entre voisins éloignés de trois à quatre jours rie marche. Ils naissent, vivent el meu- rent sous la tente à des altitudes et soumis h un climat qui f nous épouvantent; malgré cela, les plus beaux, les plus .grands, les plus forts lypes de Thibétains se rencontrent dans Lies pâturages des hauts plateaux. Rarement ils quittent leurs rudes montagnes, si ce n'est pour aller faire le com- merce avec les vallées voisines ou transporter les grandes caravanes. Les animaux vivanls, les laines brutes, les étoffes de laine, les peaux et fourrures, le beurre, le borax, sont les principaux objets de commerce des pasleurs.

Après les pâturages qui occupent les quatre-vingt-dix- neuf centièmes du Thibel, viennent les vallées qui forment le dernier cetUif>itie, vallées peuplées et agricoles; mais pour aller d'une vallée à l'autre il faut franchir encore bien des monlagnes.

La rivière qui, après s'être promenée nonchalamment en nombreux méandres dans les luiuts plateaux, prend enfin sa course vers lo nord-est, c'est le Guiong-tchou -, du moins elle prend ce nom moitié de son cours; ce nom lui vient de la bourgade fiuicmg-tsé, se trouvent une garnison i'hi- noisc el une lamaserie. Au-dessous de duiong-lsé une belle forôt, puis des villages entouras de quelques champs l'orge, le blé et les raves poussent comme à regret au milieu de mauvaises herbes; car, autantie Thibékiin excelle comme berger et brocanteur, autant il est pauvre agricul- teur.

UnpeuavanldesejelerdansleYarkioM-tsang-pOjlelTuiong-

262 NOTES scn le thibet.

tchou passe au pied de Cliiga-tse, capitale de la province de Tsang. encore on se heurte i une garnison chinoise et au très important monastère de Trachi lumbo « le coaible du bonheur t>. Le supérieur de celte lamaserie a ceci de particu- lier qu'il est presque l'égal du Daiaï-lama de Lhassa, parce qu'il est censé l'incarnation du cfflur du même Bouddha, dont l'esprit est enfermé dans la personne du Dalaï-lama. Cette distinction un peu subtile fut inventée par la politique pour prévenir un schisme dans la secte officielle des Gné- louk-pa ou lamas jaunes; mais je doute fort qu'elle puisse maintenir longtemps l'unité entre l'esprit et le cœur de Bouddha.

Administrative ment, la province de Tsang est divisée en plusieurs préfectures dont les titulaires portent le titre de déba. Ceux-ci ont sous leurs ordres des dzonq-pun (dans l'est, chel-ngo) ou sous-préfets. Chaque vallon un peu consi- dérable a un ditig-peun, chargé de faire exécuter les ordres supérieurs par les maires de villages ou guen-pa ir les an- ciens ». Pour obtenir les places de préfets el de sous-préfets, deux conditions seulement sont requises : appartenir à l'aris- tocratie qui est peu nombreuse, et surtout bien payer. Pen- dant le temps de leur gestion, qui estde trois à cinq ans, ces fonctionnaires cumulent tous les pouvoirs. Quant à leurs devoirs, ils semblent ne connaître que la maxime formulée dans ce vers de fioileau :

L'argent, l'argent, sans lui tout est stérile.

qu'ils traduisent ainsi : «manger le peuple j), dont ils sedisen pourtant les père et mère. Ce genre d'administration et cette hiérarchie, on les trouve partout au Thibet, pour le mal- heur du peuple.

De tous les noms géographiques de celte province je n'en citerai qu'un; c'est celui de Sa-kia-gun, c'est-à-dire le monastère de Sakia, situé à -W kilomètres en lignedroite au sud-ouest de Chiga-^sé. Je le cite, parce que Sa-kia-gun est

n™

NOTES son I.E TRIDET. 269

le chef-lieu d'une principauté Ibibétaine de race et ecclé- uasUque de religion, c'est vrai, mais parfailement indépen- dante de Lhassa au civil comme au spirituel. Au civil, elle relève directement de la (Ihine; au spirituel, le supérieur de Sa-kia-gun éLanl le chef de la secte des Sakia-pa, ne relève que de lui-mâme, et tous les monastères et peuples de cette secte, n'importe ils soient établis auThibet, ne reconnaissent que lui, et nullement le Dalai-lama, pour chef spirituel. Il en est de môme des sept ou huit autres chefs de sectes bouddhiques disséminées au Thibet. Même quand ils n'ont pas do principauté territoriale, tous leurs adhérents ne reconnaissent pour supérieur queleur propre chef, et noa le Dalaï-lama. Celui-ci n'est le chef spirituel qnede la seule secteoffîcienedesGué-louk-pa ou deslamasjaunes. Parcon- s^quent, sa situation religieuse ressemble assez bienA celle de l'évoque protestant de Canforbery, mais pas du tout à celle du pape, puisqu'il n'est pas le moins du monde le chef de tous les bouddhistes même au Tbibel, à plus forte raison de tous les bouddhistes du nord, comme on le croileton le dit généralement en Europe.

A Chiga-lsé se termine la route impériale de Chine au Thibet; elle ne fait pas hooneur à son illustre seigneur. Reprenons-la jusqu'à Gujong-tse-dzong. LA elle tourne vers l'ouest et conduit au Ilaro-la, d'une altitude de 0,060 mL'lrcs. Ce nom de Itaro signifiant « imbécile », ferait supposer qu'en passant ce col, les voyageurs éprouvent des vertiges; ils sont dus h la raréfaction de l'air et non k des émanations pestilentielles, comme on l'a supposé. H;\tons- nous donc de descendre le versant oriental: nous sommes dans la province de Eu «t centrale », et un voyage de quelques jours à une altitude de 4,300 métrés, conduit ao bord du lac Peraatso, ainsi nommé p;ir les Thihétains parce que sa forme annulaire lui donne une certaine ressemblance avec une fleur de lotus, la presqu'île centrale formant le bouton de la ûeur. Bogie et Turoer, qui l'ont-

ifeiÉHi

264 NOTES srii le thibet.

visité à la fin du siècle dernier, racontent que la supérieure du couvent de religieuses bouddhistes bâti sur la presqu'île porte le litre de Phag-mo-kio-mo, « madame la truie ». Pour moi, j'incline à croire qu'ici le nom de Phag doit ôtre pris dans le sens de ati, delà et non de truie, parce qu'il sert à désigner plusieurs autres localités de la même région située au deli des montagnes, relativement à Lhassa.

De la courbe septentrionale du lac la route fait l'ascension du Kamba-!a, élevé de 4,557 mètres, puis par une descente continue de 1,400 mètres vient aboutir au pont de chaînes de fer qui traverse le Yarkiou-tsang-po. Ce pont, comme tous les autres ponts de fer duTliibet,est, bien entendu, de construction chinoise. Âudelàdupont, nous remontons vers le nord-est pendant 55 kilomètres à vol d'oiseau, la petiie « rivière du Bonheur », le Ki-tchou, au confluent de deux torrents, dans une plaine bien ouverte aux rayons du soleil, élevée de 3,5iî5 mètres, par 88° 45' de long, est et 200 40' de latitude nord.

Nous arrivons à Lhassa, capitale de la province et de tout le royaume thibélain. Le P. Hue a donné de visu une description typique de cette mysli^rieuse capi- tale dans ses Souvenirs de voyage que tous les amis de la géographie et des aventures de voyage ont lus avec curio- sité. Inutile de la recommencer. Je me contenterai d'y ajou- ter quelques renseignements.

D'après ceux qui me semblent dignes de conflance, cette capitale si renommée aurait une population civile d'environ "15,000 âmes (comme une de nos petites villes de province), y compris les employés du gouvernement, la garnison et les marchands chinois, y compris également une colonie de 200 Cachemiriens et une autre de 400 Nepaliens établis à Lhassa comme commerçants et entremetteurs die com- merce. Les aiilres civils que l'on y rencontre en grand nombre sont des voyageurs de commerce ou des pèlerins venus de tous les coins du Tbibet et de la Mongolie.

NOTES SUR LE THIBET. "w

En compensation , la population monacale de Lhassa JÏIèverail à 32,^00 individus dont : 200 Tse-djrons ou s gardes-du- corps du Dalaï-lania, vivant avec lui sur la

Une sainte de Po-ta-la; un millier divisés en trois ou

lire petites lamaseries vivent dans divers quartiers de la

pour recueillir plus facilement les dons des dévots

fins. Ces petites lanaaserîes ne sont que les annexes des

is grands monastères : Djrepong '.>,000, Gaden 7,000 et

Serra 5,000 religieux, qui sont un peu plus éloignés dans la

campagne ou sur les mamelons voisins. Ici se pose une

qnestion fort importante : comment :2"i,'20O religieux peu-

fenl-ils trouvera vivre dans une petite ville de 15,000 âmes?

ïa France ce serait impossible ; au Thibet, c'est bien simple.

Voici l'explication de ce fait. A trois époques de l'année

conaprenant ensemble vingt-trois jours, Ions les religieux

sont obligés d'être présenis au monastère pour les grandes

et solennelles cérémonies. Ils se gardent bien de manquer

au rendez-vous, parce qu'alors les pèlerins affluant et ne se

présentant jamais les mains vides, les religieux peuvenlêtre

nourris facilement aux frais du public. En dehors de ces

vingt-trois jours, les religieux bouddhistes sont, pendant

tout le reste de l'année, parfaitement libres de leur temps, de

leurs mouvements, de leurs industriesel deleur commerce,

en dehors du monastère, sans que les supérieurs sachent

ce qu'ils sont devenus ni ce qu'ils font. Quant à ceux qui

préféreraient rester au monastère pendant l'année, ils sont

aussi parfaitement libres de disposer deleur temps, de leurs

mouvements et surtout de prôter à usure. Il n'y a point

d'exercices religieux, d'études, de repas en commun, point

dérèglement qui les gânent. Chacun vit dans sa maison ou

danssonapparlementQe ne dis pas sa cellule) comme il peut

et comme il veut. Bref, à eu juger parles cinq grands et les

sept ou huit petits que j'ai visités en détail dans l'est, un

monastère bouddhique ne ressemble en rien à un monastère

chrétien. C'est une agglomération d'hommes, un village; ce

266 NOTES SUR LE TIIIDET,

n'est aucunement une communnuté. J'aurais encore bien des rfélails à donner sur les lamaseries, mais, comme dit Boileaii,

... Le lecteur fraaçais veut filrc rospcclé.

Avant de quilter Lhassa, je relèverai une autre erreur européenne très répandue, d'après laquelle le gouverne- ment du Thibel serait théocratique et ecclésiastique. Rien de plus faus. A partie Dalaï-lama, qui est seul propriétaire du Thibe!, de par la donation que le premier empereur de k dynastie mandchoue lui en a faite ; h part le roi ou régent, qui, depuis une soixantaine d'années seulement est, aussi un laraa, tout le reste du gouvernement centra! thibélain est laïque. Les quatre Kalnns ou ministres d'Élat et leurs seize secrétaires sont laïques. II n'est pas inutile d'ajouter que le Dalaï-lama lui-même, le roi, les ministres et les secrélaires, en un mot les vingt-deu.v membres du gou- vernement central lbib6tain,()nt, touset chacun, besoin d'un diplôme de l'empereur de Chine avant de pouvoir exercer leurs fonction?. Dans les provinces, les gouverneurs, les pré- fetsetles sous-préfels sont laïques; et si parfoison rencontre parmi eux des lamas, ce n'est pas parce qu'ils sont lamas qu'ils ont obtenu ces places, c'est uniquement parce qu'ils ont ofTerl un pot-de-vin plus considérable qu'ils sauront bien faire restituer au centuple par leurs administrés.

11 y a encore à Lhassa le gouvernement chinois, représenté par trois ambassadeurs mandchous, venus de Péking et chargés de diriger, de contrôler et de surveiller le gouver- nement Ihibétain surtout dans ses relations extérieures; Dalaï-lama, roi, ministres, personne ne peut écrire directe- ment à l'Empereur sans laire apostiller et envoyer les lettres par les ambassadeurs chinois, qui, déplus, s'espionnent mu- tuellement. Ils sont appuyés dans leur mission par une armée d'occupation de 4,0OO hommes, échelonnés à travers le Thibet depuis Ta-tsien-lou h l'est jusqu'à Ting-ré sur les

NOTES SUn LE THIBET.

267

frontières du NepaL Le commandant en chef de celle pelile innée réside à Lhassa avec 500 hora mes. S)e]it leang-taij ou rvi-urs des troupes el des lamais reconnus ofliciellement i,l leur offire dans les principaux centres de la grande roule; ils sont aussi, au besoin, juges principaux.

Ouant à l'armée tliibélaine, elle n'existe mémo pas sur le papier. S'il faut des soldais, on lève des gens de corvée pour la guerre comme pour tout autre service corvéable, et lout est dit; orQciers et soldats en savent autant les uns que les autres. De Lhassa, deux routes peuvent conduire en Chine- ."une, au sud-est, traverse le grand district de Tak-po en fuivant la rive droite du Yarkiou-tsang-po jusqu'au mo- aient où, tournant au sud-est, ce fleuve disparaît dans lés Himalayaspour devenir le Diong, puis le Brahmapoutre. Celte route tournait ensuite au sud et allait au Tun-nan, mais elle est abandonnée depuis longtemps à cause des bri- gandages de la tribu thibétaine de Po-mî, nominalenrent soumise à la Chine et complètement indépendante de ssa. Le Tak-po, situé au nord duBoulang, estundespays plus peuplés du Thibet. La route que nous devons suivre, route impériale, se dirige à l'est-nord-esl à travers le ^rand district de Kong-pou dont Guiamda est le chef-lieu. La tenapérature relativement douce de Gniamcla l'a l'ail choi- iir pour résidence ordinaire par les mandarins chinois qui, officiellement, devraient résider à Lha-ri, situé à environ 100 kilomètres au nord-esL, à une attitude de 4,173 mètres. En soi Lha-ri n'a rien de remarquable. Nous entrons ici dans une région dont le système orographique et hydrogra- phique est diamétralement opposé et perpendiculaire à celui des pays que nous avons parcourus. .Jusqu'à présent la direction générale des montagnes et du Yarkiou-tsang- po était franchement celle de l'ouest à l'est; maintenant loules les montagneset tous les fleuves que nous allonsren- contrer courent du nord-est au sud-est dans la partie sep-

â6â

NOTES SUR LE TIIIBET.

tentrionale de leur cours, puis du nord au sud, du 29. a 27° latitude, pour diverger ensuite dans tous les sens au- dessous du 27°. De sorte que ces chaînes de montagnes et ces neuves sont perpendiculaires aux Hîmalayas et au Bra- mapoutre. De plus, autant du moins que j'ai pu l'observer, la composition géologique des deux systèmes est différente. DanslesHiraalayaSjla roche dominante est un mauvais mica- schiste injecté de silex blanc. Rarement on y rencontre les traces de roches ignées, de grès, de calcaires, d'ardoises, tandis que ces roches abondent dans le système oriental on nous allons pénétrer. Cela dit, revenons àLha-ri.

D'après les savantes recherches de M. Dutreuil de Rhins, la rivière qui passe i Lha-ri sous le nom de Song-lchou se nomme plus au sud le Ken-pou ou Gak-po-dzang-bo, et de- viendrait leMali-ka des Kamtis, Sing pho et autres tribus Cban, et enDn l'Irraouadi de Birmantf . S'il en est ainsi, honneur à Lha-ri et surtout à M. Dutreuil de Rhins, auquel je souhaite de tout cœur la bonne fortune de pouvoir aller constater de visu l'exactitude du résultat de ses inlerpréta- tions géographiques,

A l'est de Lha-ri, au col de Charling(Ch;ir-gang-la), élevé de 5,500 mètres, oti quitte la province de Eu pour entrer dans ceîle du Kham. Autrefois, c'est-i-dire il y adeux cents ans, cette province s'étendait du 03' au 101" de longitude. Depuis 1703, elle est divisée en deux parties bien distinctes: leKhamthibétain, du 03' au 07' et le Kham chinois, du 97' au 101*. Je le nomme Kham ou, comme disent les Anglais, Thibet chinois, non que la population soil plus chinoise, mais parce qu'à lasui Le d'unerévolle infructueuse du Thibot contre la Chine, toute la partie orientale de la province com- posée de dix-huit principautés thibéLaines, fut soustraite au gouvernement de Lhassa etannexée iiu gouvernement direct des deux provinces chinoises les plus voisines, le Sé-tchueà elle Yun-nan.

A partir du col de Cliarling en descendant vers

NOTES SUR LE THIBET.

269

Nguen-kio, Lou-tse-kiaiig ou Salouenne, on traverse les deux postes importants deChoupa-do et Lorong dzong. A 25 kilomètres de ce dernier poste nous traversons le lleuve sur le pont nommé Jel-yâ-Sam par les Thibétains el Kia- yu-kiao par les Chinois; c'est que vient aboutir mainlenantla route du Yun-nan que nous avons signalée plus haut. Le Lou-tsc-kiang prend ses sources à aanord-esl du pont nous sommes, coupe le Thibet du sud-est jusqu'au 28° pour entrer dans les tribus des Lou-lse el des Lyssous, traverse la partie occidentale du Yun-nan et va se jeter dans le golfe du Bengale, à Martabang, sous le nom de Salouenne.

Ausommetde la montagnequi sépare le Lou-lse-kiang du Lant-sang-kiang ou Mékong, au milieu d'immenses pâtu- rages, selrouvele tout pclil village de Lha-gongoùM. Renou cl moi fûmes arrêtés en 1862 par les envoyés de Lhassa, quand nous tentâmes de pénétrer jusqu'à celle capitale. Tout ce terrain est du minerai de fer très riche, mais on se nourrit pas de celte substance. Quand il ne nous resta plus, ni une poignécde farine, ni un grainde ri?., il fallut bien capituler, puisqu'il y avait défense absolue de nous vendre quoi que ce fût. M. Renou dicta lui-même les conditions du retour, qui furentacceptées avecempressement. Ces con- ditions élaieiif que nous serions conduits, aux frais de nos expulseurs, de Lha-gongà Bonga, le berceau de la mission^ en suivanlle cours du Ou-kioet en passant par les petites villes de Pomda, Dzo-gong, Tchrayul et la lamaserie de Pe-tou. Gel itinéraire fut suivi Gdëlemenl. Seulement la ca- ravane dut passer parTsiam-do pour y prendre les animaux de corvée. Bonga fut incendié le 7 octobre 1805.

DeLha-gong àTsiam-do,on compledeuxjours de marche. Cette ville, comme plusieurs autres au Thibet, est riche en noms géographiques. Les Chinois l'appellent Tcbang-lou el ïchamou-to; les Thibétains, Kiob-do el Kiam-do : c'est ce derniernam un peu eslropié qui a donné lien au nom européen deTsiara-do. Tsiara-do est encore enrichi d'une lamaserie de

270 NOTKS SUR LE THIBET.

3,000 lamas, d'une garnison chinoise de JJOO hommes, de deux rues, de boutiques et de quelques jardins potagers. Les trois quartiers de la ville sont bâtis siirdeux terrasses superposées et creusées dans l'angle d'un contrefort qui se termine au confluent de deux petites rivières, le Gomkio h l'ouest et le Dza-kio à l'est. Leur réunion forme le Lan-tsang-kiang ou Mékong, qu'on passe en hiver sur la glace, en été sur des ponts à piles de pierre et à tabliers de bois construits sur les deux affluents. L'eau qui passe sous ces ponts par 31° de latitude nord devient française dès le 20», puisque ce sont naes confrères qui évangélisent ces régions, et elle le devient tout à fait dès le l-t", au tlarabodge et en Cochinchine.

Tsiam-dû ne fait plus partie du royaume de Lhassa, mais elle est le chef-lieu de l'une de ces dix-huit principautés réunies à la Chine dont j'ai parlé. C'est le supérieur «(i tein- pus du monastère qui est le chef civil du pays sous l'auto- rité chinoise.

De Tsiani-do trois routes se dirigent vers la Chine. La première, au nord, rejoint la grande route qui, des provinces septentrionales de l'Empire, passe près du Koukounor et se rend à Lhassa. La deuxième se dirige d'abord au nord-esl, passe à gué le fleuve Bleu, redescend au sud-est par le cours supérieur du Yalongkiang, qui ar- rose les principautés de Dégut et de Mégnia et va aboutira Ta-lsien-Iûu. La troisième, la route impériaîe, prend la direc- tion du sud-sud-esten suivant àmi-cûle le Hanc ouest delà chaîne de montagnes qui sépare le Môkong du fleuve Bleu.

Le sixième on seplièrae jour de marche après avoir quitté Tsiam-do,nousarrivonsàTchra-ya, « le parasol de rocher », ainsi nommé parce qu'immédialemenl au sud de la ville, d'énormes roches semblent l'abriter contre les rayons du soleil. Comme Tsiam-do et aux mômes conditions, Tchra-ya est le chef-lieu d'une principauté indépendante de Lhassa et soumise à la Chine. A Tchra-ya, encore un monastère de 2,500 k 3,U<3(J religieux et une garnison chinoise. Ce Tchra-ya

NOTES SUR LE TIIIBET.

271

est appelé le nouveau Tchra-ya par opposition au vieux Tchra-ya, qui se trouve sur les rives mômes du Mfikong.

Le troisième jour après avoir tjuiLlé Tchra-ya, nous passons une pelilc rivière à gué et rentrons sur le Kham Ihibétain. Au sommet, de la montagne, dans les pâturages près du village de Che-pan-keou l'épizoolie sévissait leprililement lors de noire passage en iHG'i, se trouve un couvent de religieuses bouddhistes, le seul que j'aie rencontré dans mes longs voyages au Tbibet oriental. Je n'allai pas le visiter, tandis que nous visitions alors toutes les lamase- ries que nous rencontrions. Ce ne serait plus possible aujourd'hui. Les religieuses bouddhistes ne manquent pourtant pas au Thibet, mais elles* demeurent dans leurs familles. On les distingue à leur tf-tc rasécetàleurvôtemenl sans manches, seuls signes dislinctiCs qui les ditl'érencient des autres femmes.

A deux jours de marche au sud-est de Chepan-Kcou, nous arrivons à Gartoou Merlcham, leKiangkha des Chinois. C'est une mauvaise bourgade mi-tliibétaine, mi-chinoise qui n'a de remarquable que le Dzong ou résidence du gouver- neur de la province, un petit mandarinat chinois et une petite lamaserie. Le pays est si élevé que les récoltes y réussissent à peine tons les cinq ou six ans; frappées de la gelée elles servent de fourrage.

A deux pas dans un petit vallon solitaire, se (rouve un pieux monument bien cher ;\ mon cœur, c'est la tombe du lion et savant P. Renou, le fondateur de la mission du Thibet, mort en 18(j3'.

Plus au sud, à cinq jours de marche, sur les deux rives du Mékong, au district de Tsa-kha, dépendant de B&tang, sont des sources d'eau salée; cette eau, portée à dos cl éva- porée au vent et au soleil sur des terrasses bâties sur pilo-

1. nous a dit que la tombe de ce grand raisiionnaire et de ce bon Français avait été violée.

V RE

2' TRIMESTRE 1890

NOTES SUn LE THIDET.

279

reçut douze coups de couteau ni euL la tôle brisée sous uoe grêle de pierres. Du haut d'un petit mameloa qui est proche, nous apercevons Ir dôme doré de la lamaserie de Batang, peuplée de 1,500 religieux, mais peudant viiigt-lrois jours seulement, comme les autres. Le marché, qui compte envi- ron 350 maisons, y compris les dzongdes deux chefs indi- gènes, les préloires et les pagodes chinoises, est, de l'autre côté de la plaine, à environ 10 minutes de promenade de la lamaserie. D'après l'itinéraire chinois, la plaine de Ba- tang a 1,000 lys de long; en rivalité elle a 8 kilomètres de long sur 1 kilomètre et demi de large. On la représente presque comme un paradis terrestre; il faut avouer alors que tout est relatif en ce bas monde. Si je ue partage pas l'enthousiasme chinois pour Balatig, c'est peut-ûtre, hélas! parce que j'y vois les ruines de notre établissement chrétien et que mes confrères ne sont plus pour nous souhaiter la bienvenue. C'est, bien aussi parce que le peuple de ce gros marché est un des plus dégradés du Thibet; lesCbinois ne faisant pase.\ceplion. J'ai calculé que la population de la principauté entière, qui occupe environ 2 kilomètres carrés, se monte à ;{0 ou 35,000 àraes, dont i,Q()Ù lamas et plus. Le trajet de Batang à. Lylang exige sept jours de marche, pendant lesqu&ls on ne voit aucune agriculture; mais, en compensation,]! faut franchir quatre chaînes de montagnes dont un passage se trouve à i,"7Û mètres d'altitude (40 mètres au-dessous de la cime du Mont-Blanc); les autres ne sont que de peu inférieurs comme altitude. De môme que Batang, Lytang est le chef-lieu d'une principauté gouvernée par deu.\ chefs indigènes; elle a un mandarin chinois et une garnison. La lamaserie compte environ 3,000 relJgieu.v. Tout le pays au nord et aux environs de la ville qui est composée d'une seule rue, est couvert de pâturages; les villages agricoles sont plus au sud, sur les bords de petites rivières qui vont se jeter dans le Kinchakiang près de Ly- kyang-iou, au Yun-nan. On m'a assuré que les lamaseries

soc. DE CÉOCR. S' TRIMESTRE 1890. XI. 18

m NOTES Sun LE TIIIDET.

sont encore plus nombreuses que dans la principauté de Badmg, mais il ne m'a pas été donné de pouvoirvérifier le fait.

En parlant de Ly-lang vers Test, nous avons encore deux hautes montagnes à franchir avant de pouvoir nous reposer _ un peu dans la jolie pl:iine de Si-golo, bien peuplée et hiena cultivée. Quel bonheur de rencontrer ries champs et des moissons, après huit jours de marche! Les habitants sem- blentOtre assez riches, bien logés, mais fort indépendants de caractère, surtout les dames et les demoiselles, qui se cou- vrent d'ornements d'argent; leur chevelure, divisée en une multitude de petiles tresses, s'étale sur leurs épaules; elle est un peu relevée par une large bande d'étoffe surchargée d'ornements d'argent et de pierreries; leur tête est couverte de deux espèces d'assiettes en argent ciselé ou bosselé et qui se réunissent par un bord nu sommet de la tûte.

A Test de Si-golo, une très haute mcmtagne nous sépare encore du Ya-lon-kiang ou Quia-kio. Mais avant de passer cette rivière, remarquons que nous avons laissé au nord la grande principauté de Dégui et celle deMé-gnia, et au sud, celles de Tchong-tien ou Guié-dam et celle de Méli ou Houang-lama, ces deux dernières appartenantau Yun-nan. Le Ya-long-kiang, gros affluent du fleuve Bleu, se passe en été dans des bacs, en hiver sur un pont de bateaux.

Sur sa rive gauche nous foulons le sol de la principauté de Kiala, en chinois Ta-lsicci-lou ; mais avant d'arriver au terme du voyage, nous avons encore à passer deux grandes montagnes entre lesquelles s'étalent les plaines assez bien peuplées et cultivées de ïong-golo et Agniampa. Ce petit peuple a être autrefois assez guerrier, car presque toutes les maisons sont crénelées et Ton aperçoit les ruines de plusieurs tours octogones à angles rentrants destinées sans doute à la défense du pays. C'fist à Tong-golo que les P. Gi- raudeau et Courons attendent, dans un triste et studieux exilj qu'il leur soit permis de retourner à Balang et à Yer- kalo.

1

NOTES SDR LE TIIIBKT.

275

EoBn nous voilà arrivés à la ville de Tar-tsé-do, appelée T.i-lsien-lou par les Chinois. C'est Tenirepôt du commerce, surtout, du commerce de Ihé en briques, entre la Chine et leTliibet; c'est le rendez-vous de toutes les caravanes llii- bélaines. Le marché se compose de deux ou trois rues tlroiles et de maisons basses, sur le bord de trois torrents impétueux. C'est la résidence d'un grand mandarin civil, (l'uQ général de brigade chinois, d'une garnison, d'une liouane pour le thé, du roitelet tbibétain ; on y trouve deux lamaseries. Cependant toute cette agglomération ne forme qu'une population de 12,000 âmes en hiver et de 20,OiJO en è\é. Quant au paysage, quelle déception! quelle sauvagerie! Fi^'urez-vous trois énormes montagnes pressant, écrasant de leurs pieds cet amas de maisons au fond d'un ravin oîi les rayons de soleil ne pénètrent que rarement : voilà Ta-lsien- lou. Les autorités civile?, militaires et lamuïqnes nous tiennent rigueur pour nous punir d'avoir osé profaner le sol sacré du Thibet. Qu'importe ! Mgr Biet, lui, nous donne l'accolade fraternelle et nous bénit. Le P. Dcjan nous pré- Mnle les élèves de son séminaire et ses cent quatre parois- siens. Les sœurs chinoises nous font faire le ko-teou par leurs orphelines et, pendant que nous prenons un rafraîchis- sement, tout ce petit monde crie h tue-téte : Vivent les Toyageurs français ! S'ils ont déjà vu des Européens, ce sont les premiers touristes français qu'ils voient.

Au nord et au nord-est de Ta-tsien-lou, il y a encore plu- sieurs principautés thibétaines, surtout te Kin-tchouan ou Se-lchouan d'Or qui porte bien son nom. I! serait intéres- sant d'aller explorer ces mines et toutes celles qui abondent dans le pays que nous venons de parcourir depuis Tsiam-do.

A l'est de Ta-tsien-lou, l'on ne rencontre plus que des pays exclusivement peuplés as Chinois. Ici finit notre vopge au Tbibet. A deux journées de ce vilain trou de Ta-tsien-lou, je serre encore la main à trois àe mes confrères, qui ont réuni leurs trois cent cinquante chrûtiens pour nous saluer.

ISib NOTES suit LE TtllUEr.

Nous passons le pont de fsr deLou-tin-kiao. Six jours après avoir voyagé par terre nous sommes à Ya-tcheou; nous monlons sur des radeaux ou de petites barques et descen- dons rapidement le Min jusqu'à Souïlbu. De graudes liarques chinoises nous emportent sur le Yang-tsé-kiang, bordé de grandes villes et de gros marchés. Nous descen- doDs saos encombre tes rapides entre Kouïfou et Y-lchang; là, un bateau à vapeur nous reçoit et nous conduit en quatre jours à Shang-haï. Nous avons traversé toute la Chine del l'ouest à l'est. A Stiang-haï, nous prenons passage sur les Messageries maritimes françaises, et après trente-cinq jours d'une navigation confortable et agréable, nous rentrons enfin sur Je sol de noire chère patrie.

ntoie wur l«M Etlrop6pBa à mitt connus qui ont vénétrc an Tbkbct

Il est très probable, presque certain que la religion chré- tienne l'ut prêchée et m6me florissanle au Thihet du x- au Tîiir siècle. Mais il est probable que cette première évangé- _ lisalion fut faite par les Nestoriens. Je n'ai pu encore appro- \ fondir cette intéressante question historique. Je me borne donc à citer les noms et dates connus :

I. Missionnaires catholiques.

Au xiif siècle. Saint HiacinLho, Polonais, l'un des premiers compagnons de saint Dominique, va évangéliser l'Inde et pénètre jusqu'au Thibet.

2" Au xiv sièlce. Le B. Odoric de Pordenone, francis- cain, venant de l'Inde, traverse le Thibel de l'ouest à l'est, passe de en Chine, et revient dans l'Inde en relraversant le Thibet de l'est à l'ouest, évangélisant partout.

3" Au XVII" siècle, vers la fin. Les P. P. Grueber et Dorville, jésuites, évangélisent les provinces centrales. Le premier a laissé quelques mémoires.

i

NOTES Sun LE THIDBT. 277

4' Au xyiii" siècle, au commencemenl, les P. P. Disdeii et Freire, jésuites, prêchent aussi dans les provinces cen- trales. Le premier a laissé des mémoires allant jusqu'en 172*.). 5" De IT'29 à 1760, vingt-fjualre capucins italiens évaugé- Jisent le Thibel central. Ils avaient bâti à Lhassa même, avec raatorisation du Dalaï-lama, un couvent et un autre dans le district deTak po, an nord du Boutang. Chassés vers 17fjl}, parce que les chrétiens commençaient à se multiplier, ils aliandonnèrent la mission. Les deux supérieurs, Horace délia Penna et d'Andrada, ont laissé des mémoires assez con- siJérables.

G' De 1844 à 1846. MM. Hue etGabet, missionnaires laza- ristes français, font leur grand voyage de Mongolie à Lhassa, sunt chassés de Lhassa el expulsés par la Chine. M. Hue a crildes Souvenirs de voyage en Mongolie et au Thibel. 7' De 1846 à 1890. La Société des Missions étrangères de Paris (128, rue du 'Bac) a déjà envoyé vingt-huit de ses membres pour évangéliser le Thibet. De 1854 à i8tJ5, la mission était établie au Thibet proprement dit, royaume de Lhassa, à Bonga et Kiang-kha et environs. Chassés du Thi- bet en 18(i.ô, ils se sont maintenus jusqu'à ce jour, malgré plusieurs persécutions, dans le Thibet oriental chinois.

Les travaux scientifiques dus à ces missionnaires sont : le manuscrit d'un grand dictionnaire Ihibclaia-latin-fran- çais-anglais auquel tous ont contribué. MgrThomine des Hazures a publié quelques lettres sur la géographie; Mgr Ghauveau, quelques lettres sur l'état social et une sur les mines; M. Renou, un mémoire sur ses voyages, sur les yaks, et sur plusieurs autres sujets; M, Krick, son voyage chez les Abords et au Dzayul thibétain à travers les Miche- mis; M. Desgodins, de nombreux renseignements sur la géographie et sur toutes sortes de sujets, à l'aide desquels son Trère a composé la Missioti du Thibet (1" édition) et le Thibet (2* édition); M. Alexandre Biet : Vocabulaire du laiecte des Lyssou ; M. Dubernard : des notes sur son

278 NOTES SUR LE THIBET.

voyage chez les Lou-lse el les Lyssous de la Salouenne; M. Saleur, plusieurs notices sur le Sikim et le Népal (Voy. Missions catholiques). Sont en préparation : un dictionnaire lalin-thibétain du langage usuel, par Ici'. Giraii- deau ; un dictionnaire polyglotte, cbinois-thibélain-mosso- lyssou-loulse, etc., par le P. Leard.

II. Voyageurs laïques.

1736. Le Hollandais Vnn den Pute explore le Thibe? maiis fait brûler ses mémoires avant sa mort.

1782. Bogie el son médecin, et quelques années plus tard le capitaine Turner a\ec son secrétaire et son médecin, tous envoyés en ambassade officielle au grand lama de Tra- chilnmbo par Warren Haslings, premier gouverneur général des Indes (Voy. les Mémoires relatifs à ces missions dans Bogie and Manning, par (élément Markam).

1811. Le docteur Manning pénètre jusqu'à Lhassa à la suite d'un mandarin chinois. N'a laissé que des notes insi- gnifiantes.

Vers 1857. Un Anglais, M. "Wilson, visita plusieurs fois le Ladak et la province de Ngari, A publié de savants articles dans les revues de l'Inde.

18fiG. M. T.-T. Cooper, venant de Chine, pénètre jusqu'à Batangetjusqu'àOuïsiau Yun-nan; il estarrôlé elrelourne par la même route. Il publie : Tracels of a pionneer of commerce.

De 1870 à 1885, le général russe Prjévalsky a exploré le nord-esl, el a pénétré une fois dans les hauts plateaux du Thibel jusqu'à '250 milles de Lhassa. Voir les savantes publi- cations de ses voyage*.

1875. Le capitaine Gill f tM. Mesny, venant aussi de Chine, arrivent jusqu'à Balang et sont éconduits par le Yun-nan et la Birmanie. Le premier publie : The River of golden Sand.

(

NOTES SUH LE THIBET. 279

1877. Un minisire protestant anglais, M. Cameron, suit la même route que les précédents. J'ignore s'il a publié son voyage.

1879. Le comle hongrois Szecheny et ses deux compa- gnons, MM. Kreitner, géographe, et de Loizy, géologue, suivent la même route. Le comte a publié ses voyages en allemand.

1889. M. Rockhiil, 1" secrétaire de l'ambassade des États- Unis, pénètre par le nord au Koukounor, est arrêté, et revient en Chine par ta vallée supérieure du Ya-long-kiang ou Gnia- kio qu'il explore.

1889. Une petite armée anglaise de 1,500 hommes pénètre avec canons et bagiges jusque dans la vallée de Ghumbi, qui appartient au Thibet sur le versant sud des Uimalayas.

Vers 1874, M. Ryan, du Trigonometrical Survey et India, passant à l'ouest du Népal, pénètre jusque sur les hauts plateaux du Thibet et y relève une quarantaine de pics dans l'intérieur.

Vers 1888, cinq jeunes officiers anglais, traversant aussi les Himalayas à l'ouest du Népal, vont faire une partie de chasse de vingt jours près du grand lac Tso-ma-pam et jusque sur les bords du Sutleje. J'ignore s'ils ont publié le récit de leur excursion.

Tels sont, à ma connaissance, les Européens qui ont pénétré au Thibet, soit pour l'évangéliser, soit pour l'explo- rer. Je ue parle pas ici des voyages des Pandits hindous qui ont rendu de si grands services à la géographie du Thibet.

LE VŒU

CONFÉRENCE TÉLÉGRAPHIQUE DE PARIS

AU SUJET DE l'hEURK UNIVERSELLE

m. To^niKi do QrAREnraHi

Rrpra'Hi'nliiiit tli' rAcruli'iiiir di'K sfioncc'» ilu Kiilogitf, pour l'miUicaUon dsn* Il nn'siire du leiiip*.

Le n juin dernier, la Conlérence télégraphique inleriia- llonale était invitée à se prononcer sur les propositions fai- sant l'objet d'un mémoire distribué précédemment à tons fes membres de la Conférence et ayant pour titre : Exposé des raisons appuyant la tiansuctmi proposée par l'Aca- ddmie des sciences de Holoffne au sujet du méridien initial et de l'heure unirerselle. Puisqu'il s'agit d'une question sont engagés de graves et nombreuxintérCts internationaux, et que la transaction de Bologne est basée sur les proposi- tion mômes delà France en 18SJ4, telles qu'ellessont expo- sées dans le « Rapport fait au nom de la Commission des longitudes et des heures, par M. Caspari, ingénieur hydro- graphe de la marine jd, voici d'abord le texte même de la IransacLion, J*ai placé, en face de chaque article, les pas- sages dudil Rapport qui y correspondent et qui sont cités ou examinés dans VExposé.

PASSAGES DU HA^l'MIKT ul l TEXTE »E I.* TIUKS.VCTIOX C(>FIIIES1>(>XIIEKT A I^HAUdE AATICLE

L'Acadâiiiie de» sciences de Bo- logne suggère d'abnrd (ju'on «*cn

Uciiiie, en ce qui regarde leilimiles '

de l'uiiiftcation soit des heures, .toit des loiigittiiie», aux propositions mimes de la l''raDceeii 1894,à savoir:

1" Stalu quQ, c'est-à-dire Uhre ( Pour la marine, h question est. uiiige du Diériilien miioital, Jatis des jUiis simples : elle ne trouve

lETŒU DE LA CONFÉnENCE TÉLÉGRAPHIQUE DE PARFS. 2S1

jJjiMriiie, l'asirunotnic, la topogra- ^ii« cl la cartographie locale.

^Double (traduation d'aprùsle 'nrridieii natiunal et l'inlernalianal -<)«n«la c.irtojçrapliie géograpliuiiKi 1,'àiiTnle, |)our faire, ainsi, scrv r l'eoieijjaemtnl ménie de J.i gc'iognt- pliii' à rappeler et à nourrir, noii- julnlemcot, l'amour de lu patrie et nliiideriiumanitu.

3* Application de l'heure du mt!'- ridion initial conjoinlcmenl avec l'ieure locale à la Léléj^rapliie, nu profit non moins du commerce et (les relaliuas internai ioaulcs que lit! observations svienliriques.

*' Ensuite, et \touv ce «[ui est du «hoix du méridien initi.d, l'Acadé- mie d«8 acieaccs do Bolugno dc- nwndfi qu'on veuille bien prendre en considération l«s raisons allé- (îuéM dans le Riipport ci-aprl-s en faveur du méridien de .Icruaaloin,

pas lo moindre iiKunvéaicnl «iii stalu qun, elle en verrait de très grnvea à lo changer... D'une foçon générale, lernéridicn initial vjnique CM repoussé par les astrnnumes, les géodésiens, les navigateurs, c'est-à- dire pur tous ceux pour qui l'origine de« luiigituiJes a hesoin d'être dé- llnic avec une grande précision. » {({app. pp. 5-(j.)

« Par ooiilre, le méridien initial unique parait désiré pourlu carto- graphie générale, qui, en raison des échelles possibles, ne recherche pas une précision du même ordre... Pour la cartographie géographique générale, et surtout pour l'ensei- gnement, il n'y aura que de.s avan- tages h tendre vers un méridien initial commun, en respectant par nne transition bien ménagée les inlérèta commerciaux ei autres, u Khapp- P!'- '> e' '"■)

Nous avons fait valoir plus, haut SOS considénitions, ainsi que celle relative à l'heure universelle, pour les mélcorologisLcs, les phy- ïicieas et les géologoe». Pour le service lélégritpttiquc aussi, s'il e«t bien entendu que l'heure lo- cale sera conservée et si Ton ob- tient la lransniiss.ic)n d'office de l'beure universelle, s.ins préjudice de l'heure Incalc, les iiicunvénïcnts signalés disparaîtront, et il restera l'avantage de faciliter le calcul de la durée des transmissions. > [Usjtp. p. 17, suite.)

« Le premier méridien univer- lel doit Être océanique, alin que le changement de date du temps universel, auquel correspond le saut de date, ne se produise pas sur un continent et, aussi, aOn de mieux marquer «on caraclilre à la

282 LE VŒU DE LA CONFÉRENCE TÉLÉGRAPHIQUE DE PAIVIS.

celle iurlout tirée de la cotncidenco Itigiijue dos longiludca employées comme mesure «lu Lenips, avec l'en- semble do l;i chi'onnloi^ic en ii9a(;('. chez tous IfiB peuples civilisés. Qiimit à la double grailiiatinn l'une en lignes noires, l'aittifi en lignes rouges ou en pointillé suggérée pour la ciit'tograpbiu géograptiiqun générale, c'est Jù, évideinineol, une mesure à introduire peu ù peu, au fur et à mesure qu'on 4^ditcra de nouvelles cartes (F-rpoîd, pp. U-10).

fois international, c'est-à-dire neutre, el conventiaQuel, c'est-à- dire dépendant de tous les obscr- vatoifcj. D {Itapp. p. 14.)

La Conférence télégraphique émetlait, sur l'avis unanime de ta commission chargée d'en référer et sur la proposition du président, le vœu suivant, formulé par M. le comman- deur Ponzio-Vaglia, délégué d'Italie :

« La Conférence téiégraphique internationale, tout en ne se reconnaissant pas compétente pour trancher la question du méridien initial devant fixer l'heure universelle, applau- dit aux efforts de l'Académie royale des sciences de l'Institut de Bologne pour trouver une solution qui concilie tous les intérêts, et émet le vœu que ce projet trouve Lientôt sa réa- lisation et qu'on arrive, enfin, à l'unifi^alion dans la me- sure. >

Ainsi, donc, les i-epiéscntanls de 43 Etats el de 24 Compa- gnies télégraphiques viennent d'applaudir aux efforts l'Académie des sciences de Bologne pour faire reprendre en considération les propositions de la France en 1884, avec l'unique substitution du méridien continental de Jérusalem à la place d'un méridien océanique,

Quelques mots, maintenan(,surcclle unique substitution.

J'observe d'abord qu'en faisant coïacider, ainsi qu'il a été convenu à Washington, le jour universel avecle jour civil du méridien initial, c'est-à-dire en faisant commencer, dans le cas actuel, le jour universel à minuit de Jérusalem,

LE VŒU DE LA COXFÉnENCE TÉLÉGBArUIQUE DE PAIIIS 283

le changement de date et le saut de date se trouvent, parla même, relégués en mer. De plus, ta seule portion du con- linenl coupée par J'anliméridien de Jérusaleoi est précisé- ment l'Alaska, le suut de date est déjà en usage.

Cela observé, je distinguerai dans la proposition de la Commission française de i884, au sujet du méridien initial, l'essentiel de l'accidentel. Le sauL de date en mer ne pou- vant plus ôlro invoqué en sa faveur, ['essentiel dans celle proposition c'est que le méridien initiai, au lieu d'6Lre ii\é par un observatoire national existant, soit, comme s'exprime le Rapport de la Commission, <r dépendant de tous les obser- Titoires ». Pour atteindre ce but, le mOmc Rapport suggère qu'on procède de la manière suivante :

t La manière de fixer ce méridien sera fort simple. Après l'avoir défini par sa dislance horaire à un observatoire choisi arbitrairement, on déduira, à l'aide des chiffres connus des longitudes, sa position par rapport à tous les autres obser- Taluires, et on définira le méridien initial par celte liste. » {Rapp. pp. 13-11.)

Les choses ainsi étant, et en présence du fait que 22 États sur !25, plutôt que d'accepter un méridien océanique, se sont prononcés, à Washington, en faveur de Greenwich, l'Académie des sciences de Bologne s'emploie précisément à faire accepter tout ce qu'il y a d'essentiel dans lu propo- sition de la France, k savoir un méridien neutre et fixé tXQCleinenl de iu manière surjgérée dans k Rapport de la Commission de 1884.

Pour ce qui est, en effet, de la neutralité du méridien de Jérusalem, il me suffit de rappeler qu'il est mCme recom- mandé par r « Union méditerranéenne», doatleâ adhérents représentent, on peut bien le dire, presque toutes les natio- nalités et tous ks cultes de l'Europe, de l'Afrique et de l'Asie. On avait prédit que ce choix soulèverait « de ter- ribles haines de race et de religion t>. J'ai voulu interroger là-dessus la Sublime-Porte, et la réponse, publiéeavec l'au-

484 LE VŒD DE LA CONFÉRENCE TÉLÉCRAPiriQUE DE PAIIIS.

lorisalion de l'ambassade olloman« ii Paris, nous infûrnae au contraire que « ce choix flatterait l'amour-propre na- tional ottoman, le méridien unique f<e trouvant flxé en Turquie! ». Enfln, puisqu'on a objecté l'idée religieuse, j'ob- serverai que celle idée se trouve aussi, et dans la môme mesure, dans cette expression; î Exposition universelle de 1889. » Pour y échapper entièrement, remarquait un des savants les plus distingués de la Friince, il faudrait effacer oiëmc le souvenir de notre chronologie, que lous, quoi qu'il en Poil de l'année, s'accordent à faire commencer, ne lût- ce que par convention, de la naissance de Jésus-Christ ar- rivée à minuil du méridien de lieihléem, dont l'heure se confond, à quelques secondes de minute près, avec celle de Jérusalem.

Pour ce qui est maintenant de la manière de fixer le mé- ridien initial, l'Académie des sciences de Bologne s'est con- formée, de tous points, aux indications de la Commission française de 188-1. On l'a défini, d'abord, par sa distance horaire de Paris, trouvée en 186T par l'amiral Vignes; en- suite on l'a repéré par rapport à tous les observatoires indiqués dans r Annuaire du Bureau des longitudes. Voici la liste demandée dans le Rapport de ladite Commission.

Liste de 50 fihseri'uloiief auxiiueU on a repéri le niéridien de Jérusalem.

Distance do Parij, Dialanco do Jdrujilcni.

P.iri«0 o , ., h m . 3Î.52.M —2.11.32

Itenan'-s E 80.3^.2H —5.22.43 47.42,36 —3.10.50

Kerlin 0 11.03.30 -0.44.14 21.4a.2* —1.37.18

Berne 0 5.06.11.6 0.40.21.7 27.46.40.4 1.51.07,3

Bologne 0 9.00. M -0.36.04 23.5J.r.3 —1.35.28

Bombay E 70.28.43 4.1I.54.K 37.35.51 —2,30.22,8

Bonne- Espérance 0. ie.0«.26 —1. 04.34 16,44.45 —1.06.57

Breslau 0 14.12.21 - 0.5B,49 18.1031 —1.22.43

Bruxelles 0 2.01.57 «.O8.07.H 30.5«.â% —2.03.24.2

Biide ou Ofen 0.... 16.43.01 -1.06.52 16.0'.>.54 —1.04.40

1. Voir ce document dans la XomeiU Revue, du 15 novembre 1888 et diDi VAttronomie du mois de février 1889.

LE vœu DE LA CONFÉRENCE TÉLÉGRAPHIQUE DE PARIS. 285

Distance do Paris. Distance de Jérusalem.

o I n h m o / ». Il m S

Cadix 0 8.32.34.5 O.SiiiO.B 41.25.26.5 2.45.42.3

Cirkruhe 0 6.03.54 —0.24.15.5 26.48.S8 —1.47.16.5

Christiania 0 8.23.11 —0.33.32.8 24.29.41 —1.37.59.2

Copenhague 0 10.14.28 —0.40.57.9 22.38.24 —1.30.34.1

Cracovie G 17.37.26 —1.10.30 15.15.26 —1.01.02

Edimbourg 0 5.31.08 —0.22.04.5 38.24.00 —2.33.36.5

Florence 0 8.55.08 —0.36.40.6 23.57.44 -1.35.51.4

Glasgow 0 6.37.53 —0.26.31.5 39.30.45 —2.38.03.5

Greenwich 0 2.20.14.4 0.09.21 35.13.06.4 2.20.53

Hambourg 0 7.38.11 0.30.32.7 25.14.41 1.40.59.3

HeUingfors 0 22.37.01.5 1.30.28 10.15.50.5—1.41.04

Kazan E 46.47.04 —3 07.08 13.54.12 —0.55.36

Kônigsberg 0 18.09.30 —1.12.38 14.4.S.22 —0.58.54

Leipzig 0 10.03.16 0.40.13 22.49.36 1.31.19

Lisbonne 0 11.28.37.5 —0.45.54.6 44.21.2i).5 2.57.26.6

Madras E 77.54.35 —5.11.38 45.01.43 —0.03.06

Madrid 0 6.01.31 0.24.06 38.54.23 - 2.35.38

Mannheim 0 6.07.22 —0.24.29.5 26.45.30 —1.47.02.5

Mexico 0 101.26.53 —6.45.47.6 134.19.45 —8.57.19.6

Moscou E 35.14.04 —2.20.56 2.21.12 —0.09.24

MunicliO 9.16.16 —0.37.05.1 23.36.36 —1.34.26.9

NaplesO 11.54.52.2-0.47.39.5 20.57.59.8—1.23.52.5

Odessa 0 28.25.20 —1.53.41.4 4.27.32 —0.17.50.6

PékinE 114.07.58 —7.36.31.9 81.15.06 —5.24.59.9

Prague 0 12.05.19 -0.48.21 20.47.33 —1.23.11

Québec 0 72.32.25 -4.54.10 108.25.17 —7.05.42

ReykiavikO 24.15.14 —1.37.01 57.08.06 —3.48.33

Rio-Janeiro 0 45.30.35 —3.02.02.03 78.23.27 —5.13.35.3

Rome 0.08.52 0.40.35.5 22.44 1 .30.56..'->

Saint-Pétersbourg 0. 27.59.08 —1.51.56.5 4.53.44 —0.19.35.5

Sainte-Hélène 0... 8.04.14 —0.32.17 40.57.06 —2.43.49

Santiago 0 73.00.45 —4.52.03 105.53.37 —7.03.35

Stockholm 0 15.43.16 —1.02.53 17.09.36 —1.08.39

Sydney E 148.52.08 —9.55.28.5 115.69.16 —7.43.56.5

Tiflis E 42.29.03 2.49.56 9.36.11 0.38.24

TriesteO 11.25.40 —0.45.42 21.27.06 —1.25.50

Tarin 0 5.20.13 —0.21.21 27.32.39 —1.50.11

Varsovie 0 18.41.42 —1.14.47 14.11.10 —0.56.45

Vérone 0 8.38.50 —0.34.35 24.14.12 —1.36.57

Vienne 0 14.00.03.1 0.56.00.2 18.52.48.9 1.15.31.8*

Ce n'est pas encore tout. Dans ma brochure : Cadran de l'heure universelle, etc., publiée dès 1888 (Paris, Gauthier-

' Cette liste a été contrdice avec la ConnaUsance des Temps de 1890.

286 LE VŒU DE LA CONFÉnENCK TÉLÉGIUPUIQOE DE PARIS.

Villars), on trouvera le méridien de Jérusalem déjà repéré par rapport non seulement aux observatoires, européens et autres, mais à toutes les localités, plus de deux cent soixante en nombre, dont VAnnuaire de l'année 1888 donne la position géograpliiijue. C'est plus qu'il n'en faut, me pa- rait-il, pour réaliser, si on s'y décidait, cette année mômr, centenaire de l'unilicalion des poids et mesures, l'unifica- tion dans la mesure du temps.

Le méridien de Jérusalem est indiqué, en quelque sorle^ par la nature elle-mt'me, étant celui qui marque, à quelques secondes près^ le commencement de chaque jour de notre chronologie, qu'on ferait ainsi coïncider avec le jour ^ uni- versel ». Ce méridien a, de plus, pour lui une sorte de droit historique) \ii qu'au mo3en ûge il était considéré, aimi que le rappelle Danle, comme méridien central, ori- gine, par conséquent, des longitudes est et ouest. Il marque aussi le commencement de la chronologie et des lunaisons des Israélites. Sa longitude est d(?j à connue (32% 52' 52" E. Paris, 35=, 13' 6" 4 Greenwich) et n'a besoin, pour être conlrûlée, d'aucun observatoire national, Jérusa- lem possédant déjà un bureau télégraphique. Pris dans sa tolalilé, ce méridien touche à toutes les parties du monde et traverse des terres appartenant aux principales puissances ou placées sous leur prolectorat, o(l"rant,à ce titre aussi, un caractère réel d'internationalité. L'antiméridien de Jéru- salem coupe l'île française de Tahanéa, dans les Tuamotu, un observatoire, au beau milieu du Pacifique et dans les mains de la France, rendrait de grands services surtout à la météorologie nautique. EnDn, j'observe que la confor- mité/og'igue des longitudes, employées comme mesure du temps, avec l'ensemble de notre chronologie a été déjà demandée par trois membres delà Société géographique de Genève au Congrès géographique international de Paris en 1875, et à la Conférence de Washington, par le délégué de l'Espagne, M. Uuiz el Arbol.

LE TŒD DE LA CONFÉRKNCI? TÉLÉCHAIMnQUb: DH PARIS. 287

Quanta la probable altitude de rAnglelerre, j'observe que fkitatii quo dans la marine, en môme temps qu'il garantit lia France le pacifique usage de son mériclien national sur doutes les mers, garantit aussi à l'Angleterre le pacifique fustige du sien, égateuient sur tontes les mers. Statu quo 'sii![iiiûc : maintien de l'état actuel; or, l'étal actuel c'est la likrlé pour chaque nation d'employer, dans la navigation^ le méridien qui lui convient davantage, sans qu'elle puisse l'imposer aux autres. Cette liberté devrait être une condi- tion sine (/Mrt no« de tout arrangement ultérieur.

Rassurée sur ce point, l'Angleterre s'opposera d'autant Dioins, rae paraît-il, i la transaction proposée, que nul n'a plus ériergiqiiement protesté contre le choix du méridien rde Greenwich pour fixer l'heure universelle, i cause des ser-. Tices qu'il rend à la marine, que l'ex-directeur lui-même dcson observatoire, sir G. B. Airy. « Presque loule la navi- gation, écrivait-il le 18 juin 1S79 au secrétaire d'Etat pour les colonies, est basée sur le Nauiical Almaiiac, di>nl les données se rapportent au méridien de Greenwich... Moi, l'ependant, comme directeur de son observatoire, je re- pousse entièrement toute idée de fonder là-dessus un titre iinclconque pour le choix de ce méridien. *

En présence de toutes ces considérations, j'exprime lacon-

unce que tous les gouvernements, appréciant la légitimité

'desifemandes de la France en ce qui concerne soit les limites

(\p r«niflcation des longitudes et des heures, soit la maniùre

de fixer le méridicit initial, sanctionneront une transaction

qui, j'ose l'affirmer, « concilie tous les intérêts ». Le général

deiiabrea, ambassadeur d'Italie et membre correspondant

l'Institut, en a communiqué le texte, conjointement au

ou de la Conférence télégraphique internationale, à l'Aca- 3craie des sciences de Paris, dans la séance du 15 juillet ^Voy. Comptes rendus, pp. 96-97).

La France, il est vrai, ne s'est pas encore prononcée;

288 LE VlEt' IiE LA CONFÉRENCE TÉLÉCnAPHlQUE DE PARIS.

qu'il me soit permis, cependant, d'esptiraer ta conBance qu'elle tiendra à raoïilrer de savoir gré à l'Acailémie des sciences de lîologiie pour tout ce qu'elle a fait afin d'ob- tenir de tous les Étals la reprise en considération des pro- positions de ia France à Washington.

Enfin, j'observerai en terminant que le système amé- ricain des fuseaux horaires, exposé ici niôme et avec une clarté si remarquable par M, de Nordling, peut s'appliquer à n'imporit' quel méridien. J'en fais la remarque, tout eii lui préférant le système des heures nalionules ù multiples simples, préconisé par la lievue scientifique. Ce dernier système possède, me paraît-il, tous te& avantages du iire- mier sans en partager les inconvénients.

Posl-lcriptum . Lespngei cjiii préctileitl étiili:ntilL-jù<''i:ril<;si|u3nitjni'(!>;u«coii]- iniiiiicalioii du vœu suivnul, émis [lar la secliun ilo p'ograptilt: liiiis li' XI coii- l'i'èa de rAssncinlitin triiiivni»e {lour l'avani^cRienldus «cirucct tiMiu i Limoges du 7 au 14 aoai 181311 :

Ccin^iddrnnt que runjflcitivn lltlll^^ la mesuri; ilii teiik|i) csl un ri'cl )iro;ri« s<;lijntiljqiia qui, not:iriiii|[;ilL, faeililtni Tclucle <^t lu caiiipantiHan dus oliierralioni iiiélcoroloKÎqiU'S, [ilivsiqiics cl asIrDiiomiqtics, Faitu «iir InulL'Iti »ui*raci" du globa cl li'.iiisiHUej par le Idlot'rnplie ;

I Persuadée lii- r<>p|iorlvinUi! 'le resirpindro runiflcalinu dcn heure» el dus loni;i- tudej aii< liiniit'S poKitt par l'Acaddiuic des »cîcrii:c9 ik' Dolo^'no, qui joiit les mi^nics que celle* propoiiaut pir la Franco à ta Cunfi^reiim ïnlernalionalc de Wat- Lingiou;

l'crsuadén, d'autre pari, de la convenance jr!'viilifii|inï do fallu coïncider lof lanifiludo*, emphnoci cuniuio uieiuio du Icinpf, uvee l'ciiacnilile de noire cUiouf,- lopie;

IJUBilfèa, enfin, par la pnrloo ou vuiu tmi» ù l'niianiinUé par la Coiifôrt'iitc téldgraphlquo de l'arls. sur la p rupoailiun niAmi; du l>lreclcur gi^néral dm poste» et téli^rïpliei Imn^ai)*;

( Itemcrclc l'Acadêriiie de» (cienci!< de Unlugnc de nea lonus et porfovùranl» eflurla pour trouver une tulnlion de la i|ucsli<iii de l'Iieiiri' uiiivarsclle qui conrillc tou« Ion Intérêt, cl lirncl k v<r>u que la Iranaoclion propoic'e par celle Aiadéntie lioit hienlilt adoploc par tonles li-t (>uJBsance:i civilUéei» et qu'on arrive, enlin, a l'unilîcation dan^ la lueiiiire du leiups. >

Ce vœu, idopléù riinaniiuitij par la auction, :i la suite d'un rapperl de M. Fr<^- déric Honianct du Caillaiid, dcléjruè de la Sociélé do féoifrapJiie de Parla bu Couvre» do l,imui.'es, u élé, l'nselu- a|iprtniv^, cdiiimo vo'u de la Fcclion de féi)'„'ra[i|iic, par le censcil de l'Asaorinlion Ti aniaise, pour lîlro transjni* aux aiiloritci coin- péleulen. La souliail i|ue je me pcrnieiluîs d'usprinier a élé rempli et au dclk de mua iiltenic. Je ttcn» a exprimer icliouic ina rccuniiaisaaiir.e à la SAclion de g(a- grapliie de VAisuiiialioa (ram.aise poiii- l'avnncemenl dcf ideiiees «t a tun cou- Mil.

l'arii, 17 aoill 1890.

*. Procit-verbaux de la Cmf^enc« lélégraphiiue, (î* (éanee pléniorc. 17 inJn 1800.

Le Gérant responsable, Ch. Mauxoiii,

SccréLtire punùral ile la cuuiiiiissiHjo eciitriile.

4039. Inipiiiiieries véiiiiie*, B, nie iliuiioii, i. JIw .a MoTTEnoz, diroekiurm

LE

CONTESTÉ FRANCO-BRÉSILIEN'

HENRI GOUDREAU

Le territoire eonte«té d'après les dernières nég^octa-

«lon« orncleiies, en 1856* Les dernières négociations officielles entre la France et le Brésil, pour la délimitation des Guyanes française et brésilienne, ont eu lieu en 1856 au ministère des Affaires étrangères, à Paris. Le plénipoten- tiaire de la France était le baron de Butenval, et le plénipo- tentiaire du Brésil le vicomte d'Uruguay.

Premières propositions. La France revendiqua d'abord : à la côte, la limite dubras nord, obstrué ou non, de VAra- guary, puisse fleuve Araguary; dans l'intérieur, de l'est à l'ouest, une ligne partant de la source deV Araguary puis se prolongeant à égale distance de la rive de V Amazone jusqu'à ce qu'elle rencontrât la limite ouest du rio Branco.

Le Brésil Vi'offrit tout d'abord que la limite de l'Oya~ pock et la chaîne de partage à l'ouest de la source de l'Oya- pock.

Dernières propositions. C'est dans le procès-verbal de

1. Cette question a été lon$;uemcnt traitée devant la Société de Géogra- plïic en 1857 et 1858, par MM. d'Avezac, F. -A. de Yarohagen et J.-C. da Silva. Voirfîui/eWn de la Société de Géographie, 1857 : août-soptembre- octobre, p. 89; 1858; mars, p. 145, avril, p. 213 et 353, mai et juin, p. 351. septembre et octobre, p.' 129. Voir la carte jointe à ce numéro.

Voir, sur le même sujet, la France équinoxiale, par M. A. Coudreau, Paris, Challamel aîné, 1887.

soc. DK GÉOGR. 3' TRIMESTRE 1890. XI. 19

29Ô LE CONTESTÉ FUA>C0-BHKS1L1EN.

la séaace du 1" juillet 1856, 15"" et dernière séance des né- gociations, que nous trouvons formulées les dernières pro- positions de la France. Le gouvernement de l'empereur consent à ce que la future limt le soit ainsi indiquée dans le traité à intervenir :

« Le canal de Carapaporis, séparant I'Up de Maracades « terres adjacenlex du Cap de Nord, puis la branche nord <i du fleure Arouari, si cette hr anche est libre, on, dans le « cas cette braucke serait aujourd'hui obstruée, le pre- « mier cours d'eau ensuivant, en remontant rem le nord, « et se jetant soiis le nom de Mannaie ou de Carapaporis « dans te canal de Carapaporis à un degré quarante-cinq « minutes environ de latitude. nord.

« La limite, partant de la côle, suivrait le cours du fleuve « sus-in.di(jué jusqu'à sa source, puis se prolongerait à a égale dislance de la rivière de l'Amazone jusqu'à ce « quelle rencontrât la limite ouest du rio Branco. » (Pro- tocole de la conférence sur la délimitation des Guyanes française et brésilienne, 1857, Rio de Janeiro, page 174.)

« Le plénipotentiaire français (Protocole, p. 17i), s'es- « time heureux d'être, auprès de son honorable collègue, « Pintermédiaire d'une proposition qui semble de nature à « clore équitablement et heureusement la négociation « poursuivie depuis plus d'une année. Si la bouche nord de « l'Arouari ou Vincent Pinçon est libre, en l'adoptant déft- « nitivement comme frontière, les hautes parties contrac- « tantes ne feront qu'exécuter le traité d'Utrecbt. Si, au (' contraire, elle estobslruée, loin de se prévaloir de ce que la V limite d'Utrecbt aura, en quelque sorte, été abolie par « les éléments, la France consent à reculer jusqu'au cours « d'eau le plus voisin on remontant vers le nord. Cette con- « cession est le témoignage des sentiments qui inspirent le « gouvernement de l'empereur, mais c'est le dernier effort « qu'il soit permis de faire vers l'accord définitif qu'il a tant « à coeur de voir s'établir. »

LE CO«TE!>TÉ FIIANCO-nnÉSIUEN. 291

t Le plénipotentiaire brésilien (Protocole, p. 174) répond < à son honorable collègue, qiCil a épuisé toutes les con- « tensions qu'il pouvait faire afin de terminer la question « par une transaction, mettant le droit de côté, en jiropo- « sant pour limite le (]alsohu\ à deux deijrés trente mi- « nutes environ. » (Proposition faite dans la l-t"" confé-

* rence, p. 170.)

« Le plénipotentiaire brésilien ajoute que ce qu'il vienlde < dire se réfère à limite de la cèle, car, quant à celle de « l'est et de l'ouest, il s'alisiiendra de la discuter et « d'émettre sur elle tme opinion, non seulement parce « qu'elle est indiquée très vaguement, et comme une con- « séquence d'une lignedecôle qui n'est pas encore acceptée « et fixée, mais aussi parce <ju'il a été convenu, dans le pro- c locole de la 12""* conférence, qu'il n'était pas possible de s'occuper de la limite intérieure avant d'avoir arrêté la « limite de la côte. » (Protocole, p. 174.)

En effet, dans le protocole de la 1"2 '" conférence, du 22 janvier i85t), on lit (Protocole, pp. loi, 152) :

< M. le vicomte d'Uruguay, plénipotentiaire du Brésil, « manifeste le désir de savoir quelles sont les inlenlions et l'opinion de son ancien collègue sur la seconde partie de « son Mémoire, c'esl-à-dii'e la ligne divisoire qui doit sépa- <t rer, allant de l'est à rouesl,les territoires des .leux pays.

« Le plénipotentiaire français répond qu'à son avis, le « point de départ de toute limite étant la limite maritime, « celle du point de la côte débouche le cours d'eau com- « mun aux deux États, il lui semble impossible de s'occuper « de la limite intérieure avant d'avoir arrêté ce point de « départ, c'est-à-dire d'avoir résolu la difficulté créée par « la diversité d'interprétation du traité d'Utrecht par la « France et par le Brésil.

t Le plénipotentiaire du Brésil déclare partager cette opi-

nion. »

Cette question de la limite de l'est à l'ouest est étudiée

LE CONTESTÉ FUiNCO-HUÉSILlEN.

les mémoires préalables des deux plénipotentiaires. Le plénipoLenUaire du lîrésil, dans son Mémoire offlciel surlo délimitîition des Guyanes française et brésilienne, du 15 juin 1855, concluail, pour la frontière de l'est à l'ouest, qu'« il serait convenable de stipuler que la limite entre le (( Drésii et la Guyane française, de l'est à l'ouest, conlinue- « rail de la source de l'affluent ou embranchement de « rOyapock dont il est parlé dans la première partie de û son Mémoire (le Brésil, avant de consentir la limite de « Calsoène, n'offrait que celle de rOyapock), continue- « rail par les Cordillères, chaînes de montagnes ou ter- « rains plus élevés qui forment le partage entre les eaux « qui vont à la rivière des Amazones et celles qui vont à la « liuyane française et à l'Océan. « (Protocole, p. lô.)

A quoi le baron de Uulenval répliquHit, dans sa réponse préliminaire du 28 juiti 1855 au Mémoire de M. le vicomte d'Uruguay ; <* Le Mémoire de M, le vicomte d'Uruguay « touche aussi, mais très sommairement, à la question des limites dans la direction de l'ouest. Cette question est intacte, et peut-être n'a-t-on pas encore, de partetd'aiitre, toutes les données positives qui seraient nécessaires pour la bien régler. La pensée du cabinet brésilien paraît ôtre de chercher une ligne naturelle, comme celle d'un par- tage d'eau, de préférence à une ligne artificielle qui con- stituerait plutôt une séparation idéale surle papier qu'une frontière d'un relief bien accusé sur le terrain. Nous re- connaissons sans peine qu'une frontière ainsi constituée «st préférable. Cependant, on ne pourrait, de notre côté, prendre aucun engagement de ce genre d'après des données aussi peu précises que celles que nous possédons sur l'intérieur delà Guyane dans la direction de l'ouest, ni renoncer, en principe, au bénéHce d'une ligne astro- nomique plus ou moins parallèle à l'Amazone, qui cou- perait quelques-uns des cours d'eau, afiluents directs ou indirects de la rive gauche de ce fleuve. «

LE CONTESTÉ FRANCO-BRÉSILIEN. 293

Les négociations de 1856 n'ont pas abouti, bien qu'elles aient été les plus sérieuses qui aient été engagées depuis l'origine du différend. «. Jamais, jusqu'à ce jour, cette ques- ( tion des limites n'a été sérieusement examinée, instruite ( ni discutée, dit le plénipotentiaire brésilien, elle a tou- « jours été écartée ou esquivée à la hâte, sous l'influence ( d'événements plus considérables qui la dominaient et qui l'étouffaient. » (Protocole, p. i44.) « La France, pour la première fois, dit le plénipotentiaire français, vient de c produire l'ensemble de ses preuves et d'en développer les détails, » (Protocole, p. t44.)

Délimitation officielle du contesté. Ces négociations eurent au moins pour résultat de donner des frontières of- ficielles au territoire contesté franco-brésilien.

Nous référant aux propositions faites, au nom de son gou- vernement, par le plénipotentiaire français, la France re- vendiquait sa frontière historique, sa frontière du XVIII* siècle ; elle réclamait en 1856 :

A la côte : Le bras nord de l'Araguary (représenté aujourd'hui, en 1887, parla rivière Jourdon, le lac Macari, la rivière du Coraprido, le lac Novo et le déversoir du lac Novo dans l'Araguary) et le fleuve Araguary.

2* Dans l'intérieur, de l'est à l'ouest : Une ligne partant de la source de l'Araguary puis se prolongeant à égale dis- tance de la rive de V Amazone jusqu'à la limite ouest du rio Branco.

Cette limite dans l'intérieur, la limite de l'est à l'ouest, comme les diplomates l'ont appelée, n'a pas été, en 1856, et n'aurait pu être déterminée avec précision.

Au xviii' siècle c'était « une ligne s'écartant le moins possible de l'équateur et de la ligne parallèle au cours de l'Amazone (Bessner, mission Mentelle, 1782), se rendant jusqu'au rio Branco, et essayant de trouver à nos ter- ritoires de l'intérieur une frontière sensible, scienti- fique.

294 LE liONTESTÉ FKANClt-JlUÉSlLlEN.

Ea 1850, c'est « une ligue partant de la source de l'ArU' guary et se prolonijcaul à égale distance de la rive de l'Amazone jusqu'à la limite ouest du rio Branco ». La source de l'Araguary, qui n'esl pas encore exactement Cûimue, n'était pus alors connue même conjecturalement. La source, égalenieul inconnue, du Carapaporis ou Man- naie offerl iransaclionnellemicnt comme frontière, eût pu nous donner une limite plus méridionale que celle de la source de l'Araguary. Ce n'est donc pas naême interpréter, c'est seulement traduire la pensée du gouvernement fran- çais en tabù que de qualifier la frontière intérieure qu'il proposait i'i partir de la source du lleuve limité à. la côte : uti équateur lisible, sensiblement parallèle à l'Amazone jtisqu'au rio Branro. Ce qui {pour plus de précision), place la parallèle \oulue à l'Amazone, en 1856, à environ 300 kilomètres au nord du (leuve. Mous pouvons donc préciser nettement ainsi, pour Tavenlr, notre frontière :

L'aticien bras nord de rAraffuartf : l'Araguary ; une ligne à '200 kilomètres environ de l' Amazone jusqu'au n'a Branco, limite occidentale.

HiHtoriqae de la «ineaiiuu. Avant le traité d'Utrecht. .\u xvu' siècle, la France avait nominalement la posses- sion delà totalité de l'île de Guyane entre lOrénonue et l'Amazone, mais nous ne cherchâmes point à occuper toute la contrée. Bientôt les Hollandais s'établirent entre le Maroni eU'Orcnoque. Nous testâmes avec le pays compris entre le Maroni et l'Amazone, et, malgré toute l'impor- tance de ce dernier fleuve, nous nous bornâmes à y faire quelque commerce avec les Indiens au lieu d'y construire des forts.

C'est alors que les Portugais, voyant l'état d'abandon dans lequel nous laissions cette partie de notre colonie, songèrent sérieusement h nous évincer de la rive septen- trionale de l'Amazone. En l(J8S ils avaient déjà, sur la rive

LECONTESTÉ Fn\NCO-BRÉSIUEN.

295

nord du bas Amazone, quatre petits postes forLiliés : Deslerro à l'embouchure du Parou, Toh6ré près de celle du Jary, et, un peu plus bas, Sào Antonio de Macapâ et Araiiari.

Le fort du Desterro avait été élevé pirles Portugais dès le commencement du xvir siècle. En 163'J, le P. d'Acurta en parle comme d'un fort garni de soldats et de canons.

Le fort de Sào Antonio do Macapà avait éié baii par les Portugais sur l'emplacement du fort de Cainau, que Féli- ciano Coeilio de Carvalho prit h l'Anglais Roger Frey en t632.

Louis XIV lit alors affirmer par M. de FéroUes, gouver- neur de Cayenne, les droits de ta monarchie française sur toutes les terres du bassin guyanais du fieuve. Le gouverne- ment portugais ayant refusé de reconnaître le bien fondé des prétentions du gouvernemetil français, M. de Férolles, sur l'ordre de Louis XIV, en mai 1(3U7, en pleine paix, enleva et occupa Sào Antonio de Macap;i et détruisit Des- terro et Tohéré. Le fort d'Arauari avait été précédemment enlevé par la pororoca. Le lait d'armes de M. de Férolles fut inutile : la petite garnison française ne put se maintenir i|u'un mois à Sào Antonio de Macapà, et les Portugais réoc- ^cupèrent le poste après nous en avoir chassés.

La première convention diplomatique qui ait essayé de 'régler le différend est du 4 mars 1700. Des négociations eurent lieu à la suite de TaHaire de Macapà, et furent suivies d'un Irailé provisionnel. Le roi de France s'engageait à s'abstenir provisoirement de faire aucun élablissement sur la rive nord, mais le roi de Portugal ferait détruire Macapà et ne prendrait aucune position sur la rive litigieuse, provisoirement neutre. Conformément au traité, le Portu- gal détruisit Macapà.

En 1701 fut conclu un second traité. C'était à l'époque de la guerre de la succession d'Espagne, Louis XIY recher- chait l'alliance du PortuguL Pour obtenir celte alliance, il rjrenonça au.'; prétentions que la monarchie française avait

a

i96 LE CONTESTÉ FBANCO-BnÉ?IUEN,

jusqu'alors maintenues sur la proviuce de Maragnon, au sud de l'Amazone. Pour ce qui était de la rive gauche de l'Amazone, le statu q^o du traité provisionnel ilu i mars 1700 était maintenu.

Le traité iTUlrecht. C'estle traité d'Ulrecht, du 1 1 avril 1713, qui est censé terminer le différend. En réalité il n*a servi qu'à le prolonger jusqu'à nos jours.

Ce traité, au lieu d'en unir avec ua conflit qui durait depuis vingt-cinq ans, le rendit, pour l'avenir, dîplomaliquemenl presque insoluble.

Le traité d'Utrecht dit, en substance (articles 7 et 8), que la France renonce aux terres du Cap de Nord, situées entre la rivière des Amazones et celle de Japoc ou Vincent Pinçon; (fue la navîgation de l' Amazone, ainsi (jue les deux rives du fleuve, apparlieiidrout axi Portugal; et que la rivière de Japoc ou Vincent Pinçon servira de limite aux deux colonies.

Cette rivière de Japoc ou Vincent Pin(;.on, i'rontière des deux colonies, n'est indiquée ni en latitude ni en longi- tude; de plus, le traité n'indique que le point de départ, à la côte, de celte frontière, et n'indique pasl'aLlribution des terres de l'intérieur, il dit seulement que les deux rives de l'Amazone appartiennent au Portugal.

De double difficulté,

1" Quelle est la rivière Japoc ou Vincent Pinçon::' Pour les Portugais c'est l'Oyapock; pour les Français, un bras nord de i'Araguary se déversant au sud de l'île Maraca. Voilà pour la limite de la côte.

2' Pour ce qui est de l'intérieur, de la limite de l'est à l'ouest, les Portugais disent que la rive nord de l'Amazone signifie tout le bassin nord de ce fleuve, les Français disent que la rive seule est portugaise et que l'intérieur est fran- çais.

Du traité d'Utrecht à la Révolution. Presque aussitôt après la signature ilu traité d'Utrecht on commença à dis-

I

I

LE CONTESTÉ FRA^XO-BRÉSILIEN. 297

cuter officiellement sur la position exacte de la rivière de Japoc ou Vincent Pinçon.

Les Portugais écrasèrent quelques peuplades indiennes de la côte au nord de l'Amazone, qui s'obstinaient à faire des échanges avec Cayenne, et ils envoyèrent dans l'inté- rieur des missionnaires jusqu'à l'Oyapock. De notre côté, en 1722 nous dépéchâmes un détachement pour s'emparer de Moribira, dans l'île des Guarlbas, aux portes de Para, et ce détachement se maintint un an dans le poste conquis. Le tout, en interprétation du traité d'Utrecbt.

En 1723, toujours en interprétation du traité d'Utrecht, Gama, gouverneur du Para, ût rechercher par Paes do Amaral les anciennes bornes de marbre élevées par ordre de Charles-Quint, en 1 543, entre les possessions de l'Espagne et celles du Portugal. Ces bornes antiques, en elles-mêmes, ne signifiaient pas grand'chose. Mais la recherche qu'on en fit sert à nous prouver que, quelques années seulement après avoir été signé, le traité d'Utrechtfut réputé, pour ce qui concerne la délimitation de la frontière entre la Guyane française et portugaise, officiellement inintelli- gible, du moins pour le Portugal. Paes do Amaral, qui ne saurait être suspect de partialité en faveur de la France, découvrit les bornes par 1°30' de latitude nord, à l'embou- chure d'une rivière qu'il appelle Wiapoc ou Vincent Pinçon, et que sa détermination astronomique nous indique claire- ment être un bras de l'Araguary.

Aussitôt après, le gouvernement français ayant été informé de la découverte de Paes do Amaral, d'Orvillon, gouverneur de Cayenne, reçut l'ordre d'agir en consé- quence; et toute la côte, de l'Oyapock au bras nord de l'Araguary, fut effectivement annexée à la colonie de Cayenne.

De leur côté, les Portugais, fort irrités, affirmèrent offi- ciellement, pour la première fois, leurs prétentions à la possession de la rive droite de l'Oyapock, et pour justifier

298

I.E CONTESTÉ FnANCO-FinKSILIEN.

leurs revendicalions ils firent rechercher, à l'embouchure de ce fleuve, à la montagne d'Argent, les fameuses bornes de Charles-Quint, lesquelles, ayant déjà été trouvées par Paes do Amaral au hras nord de TAraguary, ne purent, malgré loule la bonne volonté du nouveau commissaire portugais, se redécouvrir àl'Oyapock.

L'interprétalion du Irailé d'Utrecht continuait d'ailleurs de part et d'autre : les Portugais faisaient, dans l'inlérieur. de grandes razzias d'Indiens jusqu'à l'Oyapock, et nous, nous confisquions les barques portugaises jusqu'à l'île de Marajo.

Sur ces entrefaites, en 1732, des négociations furent entamées entre le gouverneur de Para et celui de Cayenne. Ces négocialions avaient pour but d'arriver à délimiter la frontière des territoires litigieux. Elles aboutirent à l'accord de 1736, qui nous laissa, en fait, libre pratique des terres au nord du bras septentrional de l'Araguary.

C'était une espèce de désistement tacite de la part du Portugal. Et pendant près de soixante années, de 1736 à 1794, nous usâmes si largement de ce désistement et pra- tiquâmes si librement les eûtes au nord de l'embouchure de l'Amazone, que, plusieurs fois, les autorités portugaises purent faire saisir des barques françaises péchant dans les ■] parages de Para. Aussi, en 17fii, le Portugal, pour protéger sa rive nord de l'Amazone, de moins en moins respectée par nous. lit-il construire le fort de Silo José de Macapa, non loin de l'emplacement de l'ancien fort de Sâo Antonio.

A celle époque, le gouvernement français était bien pos- sesseur, de fait, comme il l'a toujours été de droit depuis le traité d'Utrecht,de toute la côte entre l'Ûyapock et le bras nord du delta de l'Araguary, bras appelé alors Carapaporis.

En 1766, Malouet, gouverneur de Cayenne, envoyait au ministre deux Mémoires pour établir définitivement et irré- vocablement et nos droits et le fait accompli. En 1 774, Fied- mond, successeur de Malouet, faisait faire, par le sieur

I

LE CONTESTE FRANCO-UflESlLlEN.

299

Dessingy, ingénieur-géographe, un relevé de la côle entre rOyapock et le Carapaporis. Trois ans plus tard, en 1777,16 raêmeFiedmond faisait prendre, "sans réclamation delà part du Portugal, possession elTecLive^ adrainislrative, de la baie qu'on appelait alors Vincent Pinçon, entre l'île Macara et la côte, baie dans laquelle dcbouciiail le Carapaporis, par rétablissement, sur la rive gauche du Carapaporis d'un poste dénommé Carapaporis ou Vincent Pinçon, el un peu au nord-ouest, en suivant la càtu vers le nord, d'un village- mission appelé Macari sur la rive droite du petit fleuve Macari. Un ingénieur-géographe, avec le Ulre de Gardien des limites, fut installé au village-mission de Macari. Ce fut d'abord le sieur Labbé, ingénieur-géographe, qui rem- plit ces fonctions; puis ce fut le sieur llonlct, autre ingé- nieur-géographe.

La frontière ofUcielle de la Guyane française, de 1736 à 1794, en interprétation du traité d'Utrecht, sans réclama- tion de la part du Portugal, fut, à la cftte, le Carapaporis, canal naturel alors important qui devenait l'Araguary au sud de Maraca, et pour rinlérieur de l'est à l'ouest, une ligne vague, non tracée, qui du Carapaporis allait au

Erio Branco, entre l'Amazone et la ligne équatoriale, se rapprochant le plus possible de celle-ci, et le plus possible parallèle à celui-là. C'est ce bras du Carapaporis que Humboldt déclarait plus ttrd être le vrai Vincent Pinçon. Ce bras, jadis considé- rable, est obstrué aujourd'hui.

On se préoccupait alors aussi de la limite dans Tintérieur, de la limite de l'est à l'ouest.

En 1782, M. de Bessner, gouverneur de Gayenne, donnait à Simon Mentelle, géographe, la mission de reconnaître quelle ligne sensible de déraarcaiion pourrait être établie entre la Guyane française et les possessions portugaises, en partant du point le canal de Vincent Pinçon ou Carapa- poris, puis l'Araguary, cesse de séparer les deux colonies.

300

LE CONTESTÉ FllANCÛ-OnÉSlLIEN.

Poursuivant vers l'ouest, Mentelle devail, « s'écarlant le moins possible de l'équaLcur et de la ligne parallèle au cours de PAmazooe (afin, disaient ses instructions, de remplir exactement l'esprit du traité d'Ulrecht), se rendre jusqu'au rio Branco, essayant de trouver, à nos territoires de l'inté- rieur une frontière sensible, scientifique. »

Malade, Mentelle ne put dépasser l'Araguary.

Les choses en étaient là, après l'échec de Mentelle, quand, en 1792, en présence du danger imminent de guerre universelle, pour concentrer à Gayenne toutes nos forces de la Guyane, nous évacuilmes le poste de Garapaporis ou Vincent Piuçon.

Les traités de la Révolution. Eu 1794, l'émancipalion des esclaves dans la Guyane française ayant fait craindre aux Portugais un soulèvement de leurs esclaves du Paià, les Portugais armèrent cinq petits bâtiments, et, en atten- dant une déclaration de gueri-e officielle, commencèrent par venir piller, dans le Ouassa, une grande ferme à bétail dont le propriétaire, le citoyen Pomme, était alors député de Cîiyenne fl la Convention.

Sortie du Ouessa, la lloltille portugaise entra dans l'Oya- pok. Les Portugais, reprenant après cinquante-huit ans, et à la faveur de la guerre générale, leurs anciennes préten- tions, adressèrent au commandant du fort, qu'ils qualifièrent de commandant des limites, sommation d'avoir à livrer les esclaves portugais fugitifs. Le poste d'Oyapock avait été évacué, et le commandant provisoire se trouvait être le maire. Ce brave homme réunit son conseil municipal, qui, après délibération, déclara aux Portugais que la frontière était iiu Carapaporis et que la Ilévolution avait libéré les esclaves. Les Portugais, en se retirant, plantèrent avec so- lennité un poteau sur la rive droite de l'Oyapock, et ils ap- peièreul ce poteau Notre-Dame de la Conception. Les enva- hisseurs avaient à peine mis à la voile, que l'héroïque conseil municipal passait le lleuve et brûlait le poteau.

CONTESTÉ FRAXCO-BRÉSIUF-X. 301

celte expédition, la flottille portugaise mouilla à l'embouchure de divers fleuves d'entre rOyapock elleCarapaporis, se trouvaient de petits villages indiens vivant sous notre proLaction, et notamment à Counani, nous avions depuis 1780 un village-mission de 300 âmes, et au village-mission deMacari à peu près aussi important. Les Portugais emmenèrent en musse toute cette population indienne au Brésil. De HOià 1708 la côte d'entre Carapa- poris et Oyapock fut systématiquement dépeuplée par les Portugais, 11 importait d'agrandir le désert entre Para et Cayentie, car, au contact des Fran*;ais qui donnaient la li- berté aux Indiens et aux esclaves, Para se serait bientôt trouvé sans esclaves et sans Indiens. Cependant nos indiens îus regrettèrent. Quelques-uns d'entre eux, déportés au in, trompant une surveillance active, se riant de puni- Dns sévères et bravant tous les dangers, revinrent dans nos îlages dans de frêles pirogues, par cinquante et même ^ni lieues de haute mer.

'La Révolution n'élail pas liée par le traité d'Ulrecht et

3e pouvait, en imposant la paix au Portugal, se choisir une

i>nne frontière. Au premier traité (signé le 10 août 1797)

de Talleyrand n'eut pas \a main lieureuse. La limite

ait fixée au Vincent Pinçon ou Carsevenne. Or, jamais le

3arsevenne n'avait été pris pour le Vincent Pinçon. Déplus

accepter cette frontière était pour nous une reculade

après la victoire. Le 2fi octobre de la même année le Direc-

Nre déclarait ce traité non avenu.

Le 6 juin 1801, un nouveau traité fut signé à D idajoz. La Jrontière devait suivra l'Araguary, mais non plus la bouche M de l'Araguary, noire limite historique, mais la bouche "stid, la grande bouche. La frontière suivait tout le cours du flûuve Jusqu'à la source, et de la source gagnait le rio firanco en ligne droite, sans préciser le point elle l'at- teignait. Le traité de Badajoz fut ratiûé le 16 juin, mais ce traité

:{()2 l-E CONTESTÉ FRANCO-DRÉSILIEN.

ne plaisant pas à Bonaparte, un nouveau traité fut signé à Madrid le ÎO septembre 1801. Cette fois Bonaparte, qui moins que tout autre, évidemment, était disposé à se consi- dérer comme lié par le vieux traité de l'ancienne monarchie, déchirait ouvertement le iraité d'Ulrecht. La limite est re- portée au Garapanatuba, petite rivière qui se jette dans l'Amaxone un peu au-dessous de Maeapd, par un tiers do degré de latitude nord. La frontière devait suivre le Garapa- natuba jusqu'à sa ^ource, d'oii elle se portait vers le rio Branco, sans détermination autrement précise. Ce traité ne fut pas ratifié.

C'est le traité d'Amiens, du 25 mars 1802, qui est, pour la matière, le traité défmitif de l'époque révolutionnaire. Ce Iraité n'a pas été fait, sans doute, en interprétation du traité d'Ulrecht; il nous indique seulement comment on comprenait, à cette époque, la frontière historique et natu- relle de Guyane. La limite était fixée à la grande bouche (la bouche sud)derAraguarj', par HO' de latitude nord, elle suivait l'Araguary jusqu'à sa source, puis de la source de l'Araguary se continuait par une ligne droite tirée sur le rio Branco à un point non déterminé dans le traité. C'était la confirmation du Iraité deBadajoz.

Les traités de la période révolutionnaire (Badajoz, Ma- « drid, Amiens) si, à la côte, ils dépassent le bras nord de l'Araguary, nous donnentpour l'intérieur le point de rio Branco dont il est parlé fùt-il l'embouchure de cette rivière, ce qui d'ailleurs, paraît probable une frontière ne se rap- prochant assurément pas plus de l'Amazone que ne le veut l'esprit du traité d'Ulrecht, et que ne le comprenaient les diplomates de l'ancien régime.

Des trailés de la Rétoiittion mix négociations de lSb6. En 180'.) une expédition venue de Para s'empara deCayenne qui resta jusqu'à la Restauration aux mains des Portugais.

Le 30 mars 1814 le traité de Paris stipule que la Guyane . sera restituée à la France telle qu'elle était au 1" jan-

LE CONTESTÉ FRANCO-nRÉSIUEN. 303

Ti'er 179â. Les anciennes conteslations au sujet des limites seront réglées à l'amiable. La France et le Portugal nomme- ront des commissaires qui se réuniront sur les lieux pour trancher le dilTérend. La France nomma son commissaire, qui partit aussitôt pour C;iyenne. Le Portugal ne nomma personne. Ainsi échoua la première tentative de solution à l'amiable par le moyen d'une commission scientifique mixte.

Non seulement le Portugal ne voulait pas nommer de commissaires, mais il ne voulait même pas rendre la colonie. Les traités de Vienne (articles 106 et 107), eurent beau stipuler que le Portugal rendrait à la France « la Guyane J'entre le Maroni et rOyapock, en attendant la fixation défi- nitive à l'amiable de la limite entre les Guyanes française et portugaise, conformément au sens précis de l'arlicle huitième du traité d'Ulrecht >, les Portugais restaient toujours à Cayenne. Le Portugal ne nous restitua la Guyane, en avril 1817, que sur la menace riiile par le gouvernement fran-jais de s'emparer par la force des territoires situés entre le Maroni et l'Oyapock et à la nouvelle que l'expédition, déjà organisée, allait partir.

La conveniion de remise eut lieu le 28 août 1817. Le Portugal nous restituait la Guyane « depuis l'Oyapock (est-il dit en substance) jusqu'au 58° deg:ré de longitude à l'ouest de Paris et jusqu'au 24' de latitude nord ». Cne commission scientifique IVanco-portuf^aise fut, pour la seconde fois, chargée de vider à l'amiable le diffé-, rend louchant les limites définitives à la côte et dans l'inlé- rieur de l'est à l'ouest. Les deux nations devaient nommer des commissaires qu'exploreraient les territoires litigieux et auraient un an pour s'entendre. Si au bout d'un an ils ne s'entendaient pas, le Portugal et la France prendraient l'Angleterre comme médiatrice. II n'y eut ni commission ni médiation, et on ne s'occupa plus du contesté.

Peu après, en 1822, le Brésil se rendait indépendant. De 1834 à 1838, une grande guerre civile, le cabanageiii,

ï{04 LE CONTESTÉ FRANCO-DRÉSIUEN.

ensanglantait les provinces du Nord. Dès le début de celle espèce de Jacquerie brésilienne le gouvernement français donnait ordre au gouverneur de Cuiyennc d'occuper loulc la coteau nord du Car.ipaporis.Cependaulies soldais déser- teurs elles esclaves fugitifs du Para se réfugièrent en grand nombre dans les lerriloires litigieux. Jt importait de ne pas laisser se masser sans surveillance, sur la côle contestée, une telle population. M. de Choisy dut élaldir. en 1836, par ordre du gouvernemont central et de concert avec l'aniirat Buperré, un poste français sur l'îlot qui séparait le lac deM;ipa de celui de Macari. On rail cinquante hom- mes dans ce poste, qui fut appelé poste de Mapa.

L'insurrection de Farâ étouffée, de longues négociations eurent lieu entre la France et le Brésil au sujet de Mapa. Pour la troisième fois, des commissaires démart'ateurs des deux nations durent être nommés. Devant l'imminence d'une solution à l'amiable, sur les instances du Brésil, M. Giiiïot fit évacuer notre poste de Mapa. La commission de démarcation ne se réunit pas. El presque aussitôt après avoir obtenu de nous l'évacuation de notre poste de Mapa en 1840. le gouvernement brésilien établissait dans la région litigieuse, sur la rive gauche de ri\ragunry, en mai 1840, la colonie militaire deDom Pedro II.

Toutefois, une note du 5 juillet i8ll, de M. Guizot au baron Rouen, notre ministrcà Rio, constate que nous main- tenons nos droits tels qu'ils résultent du traité d'Utrechl.

L'évacualioo de notre posle de Mapa aussitôt suivie de rinstallation de son posle deDom Pedro II, était un encou- ragement pour le gouvernement de Rio. En 1849, puis en 1850, une expédition brésilienne organisée à Para devait partir pour occuper Mapa. Il s'agit, disait, le 19 avril 1850, à ia Chambre des députés de Rio-de-Janeiro M. Tosta, ministre de la marine, « il s'agit de fonder dans cette tf contrée une solide colonie, afin que nous puissions y « assurer d'une manière eifective notre possession j. L'expé-

LE CONTESTÉ FRANCO-BRÉSILIEN. 305

dition brésilienne ayant rencontré dans les eaux de Mapa an aviso français en surveillance, le gouvernement de Rio oepat installer sa colonie.

Les choses en étaient quand le gouvernement de Napoléon III reprit, en 1855-1856, les négociations avec le Brésil.

Pour la limite à la côte, le Brésil offrit successivement rOyapock, le Gachipoar, le Gounani et, en dernier lieu, le Garsevenne. La France revendiqua jusqu'au dernier moment l'ancienne limite historique du bras nord de l'Ara- guary et du cours de l'Âraguary ; puis, au dernier moment, elle consentit, pour le cas le bras nord de l'Araguary serait obstrué, à accepter comme frontière le cours d'eau qui se jette dans le détroit de Maraca par 1°45' de latitude nord. Ce cours d'eau, ainsi déterminé par sa latitude, est dénommé par le plénipotentiaire français Carapaporis ou Mannaie. On trouve, à la côte, vers 1°45', les criques Macari et Jourdon, et, dans l'intérieur, le Tartarougal, qui les prolonge.

Pour la limite à l'intérieur, de l'est à l'ouest, après avoir ■d'abord proposé la cbaîne de partage quand il n'ofifrait que rOyapock, le Brésil s'est abstenu de faire une proposition nouvelle ni quelque proposition que ce fût quand il a vu son offre du Garsevenne rejetée. La France, après l'offre de sa concession dernière du cours d'eau du 1°45' de lati- tude nord, offrit « le cours du fleuve sus-indiqué jusqu'à sa source, puis une ligne se prolongeant à égale distance de la rive de l'Amazone jusqu'à ce qu'elle rencontre la limité ouest du rio Branco. «

Depuis les négociations de 1856. Les négociations de 1856 n'ayant pas abouti et n'ayant pas été reprises depuis, les choses sont restées dans le statu quo.

Toutefois, vers 1860, le Brésil a annexé le district de l'Âpurema entre l'Araguary et le Tartarougal. Le Tarta- rougal étant visiblement le cours d'eau indiqué sous le

soc. SE GÉ06R. 3<> TRIMESTRE 1890. XI. 20

306 LE CONTESTÉ FHANCO-BRÉSILIEN.

nom de Mannaie ou Carapaporis daos les négociations de 1850, et ce cours d'eau, ayant été, comme concession dernière, offert comme limile par le plénipotentiaire fran- çais, le Brésiî s'est cru autorisé à considérer comme n'étant plus contesté le pays entre Araguary et Tarta- rougal. Depuis vingt-cinq ans les Brésiliens administrent le district d'Apurema, ils y perçoivent des impôts, ils y ont des électeurs, ils y ont des Conctionnaires, et quand j'y passai en 18813 on y alletidait rinstallation d'un poste militaire envoyé de Para.

importnaee du Coaicmiè. Superficie. La Guyam fraiic;aise proprement dite, entre l'Oyapock, la chaîne de partage et l'Itany-Maroni, mesure environ 80,000 kilo- mètres carrés. Le territoire protégé par la France, d'entre Itaiiy et Tapanaiioni (Tté publiques de nègres marrons), mesure 25,000 kilomètres carrés. Soit 105,000 kilomètres carrés pour cette partie de la Guyane française.

La partie que nous conteste !e Brésil compte 00,000 kilo- mètres carrés seulement pour ia partie littorale d'entre Araguary et Oyapock. Les territoires de.l'iotérieur, de l'Ara- guary au rio Branco, mesurent environ 200,000 kilomètres carrés. Soit 260,000 kilomèlres carrés pour les territoires que nous conteste le Brésil.

Le lerriloire contesté est donc, en superficie, deux fois et demie plus important que la Guyane française actuelle.

La Guyane française totale, Contesté compris, mesure donc une superficie de 305,000 kilomètres carrés.

La Côte. Le Contesté nous donne plus de iOO kilomètres de côtes, contre 350 que nous possédons dans la Guyaue actuelle. De plus, ia limite du bras nord de l'Araguary nous met à 50 kilomètres de l'embouchure de t'.lmazoneau lieu de 450. Enfin l'ile de Maraca commande, dans une certaine mesure, l'entrée du grand llcuve.

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LE CONTESTÉ FRANCO-BRÉSILIEN. 307

Les prairies : territoires de colonisation européenne. Sur ses 260,000 kilomèlres carrés de superficie, le territoire que nous conteste le Brésil possède environ 100,000 kilo- mètres carrés de prairies, dont environ 40,000 à la côte, 40,000 sur la rive gauche du rio Branco et 20,000 dans la région intermédiaire.

En premier lieu, la prairie sourit au colon européen. Elle lui plait parce qu'elle est belle. La prairie est une des séduc- tions de l'Amérique chaude.

Ensuite il n'existe dans la prairie aucune âèvre de quelque gravité. La prairie est saine. Son climat, médiocrement chaud, est sec. Pour le dépeindre d'un mot : c'est le climat de l'Algérie.

En troisième lieu, le colon n'a pas à s'y préoccuper de travaux de dessèchement ni de drainage. Ce n'est plus, comme tant de terres en Guyane, une région en formation, moitié terre et moitié eau, un marais en croissance, non; la prairie est une zone achevée tout est terre ferme, rivières courantes et lacs d'eau vive. Les dessèchements et défrichements, qui dans la forêt vierge coûteraient tant d'existences et tant d'argent, n'existeront à peu près pas dans la prairie, où, par suite, le colon pourra s'installer avec un très petit capital et sans s'exposer à des maladies

Les défrichements, enfin, s'y font dans des conditions bien différentes. D'abord, le colon des prairies sera avant tout un éleveur, 'ce qui le dispensera de remuer la terre. Ensuite, la plupart de ses cultures industrielles, café, cacao, tabac, se contentant des terres légères du pays, pourront être faites en pleine savane, sur le versan t herbeux de quelque coteau bien arrosé. Le colon n'aura donc à faire de défri- chements que pour quelques cultures qui exigent des terres un peu fortes, telles que le mais, le manioc, les légumes. Encore, pour cela, n'aura-t-il qu'à arracher quelques bec- lares de ces arbustes qui poussent dans la prairie sur le bord

LE CONEESTE FRANCO-BRÉSILIEN.

des peliles rivières. Le défrichement en prairie consistl arracher une garenne faiblement enracinée dans la terre sèche, le défrichement en forÈt, au contraire, c'est la lu lie de l'homme contre de puissanles végétations toujours hu- mides et contre tous les miasmes délét&res qu'elles ont économisés pendant des siècles.

Les tribus indiennes. C'est dans le territoire contesté, au pied des oionlagnes centrales, entre les sources de l'Oya- pock et cellfts du rio Branco, que se sont réfugiées les tribus de l'Amazone, fuyant, au temps de la conquête et depuis, les cruautés des Portugais.

L'éuumération d'une trentaine des tribus les plus connues sufQra pour montrer l'importance de ce grand groupe indien.

Ue l'ijuestà l'est on connaît, d'une manière positive : les MacoHchis, les Ouapichiaues, les AlorradiSf les Chiri- coumes, les Concoichis, les Couitias, les Kirichamans, les Assahys, les Toucanes, tes Japiis, les Ouaijeoués, les Tur'Hiï, les Car«A', les Ou«fcA««, les Pa?tco(<;s, les Coudottts, les Néres, les Piannocotes, les Tounaijanes, les Trios, les Roucouyeuncs, les Apatnis, les Oyampis, les Coussaris, les Taniocomes, les Couciachis, les Arenaibous.

(Juelques-unes de ces tribus, comme les Ouayeoués, les Piannocotes, les Rom-ouyennes, les Oyampis, les Apalaïs, les Coussaris, comptent chacune plusieurs milliers d'indi- vidus. Le haut Trombelas et le haut Jamundâ passent pour avoir une dense population indigène.

Je ne crois pas que l'on puisse évaluer à moins de lOOjOÛÛ individus le nombre total des indigènes du terri- toire contesté.

Ces tribus sont vierges encore. Ni les colons français ni les colons brésiliens ne les ont pénétrées.

Ceux qui savent tout le parti qu'il y a à tirer, dans l'Amé- rique chaude, delà raceindigène, etpourracclimalement, parle métissage, de la race européenne, et pour le dévelop-

LE CONTESTÉ FRANCO-BRÉSILIEN. 309

pement général de la prospérité de la contrée, ne consi- déreront pas comme la moindre attraction de ce territoire au sad des montagnes, territoire qui commande l'Amazonie comme le Piémont commande l'Italie, la présence de ces 100,000 Indiens de ces 100 tribus vierges.

ETUDE

LE ROYAUME D'ASSINIE

PAR

J. C. REICBEMBAVB

£x-Résidcnt de France, délégué*

Origine et historique du royaume d'Assinie. Le royaume d'Assinie ou d'Amatifou fait actuellement partie de nos possessions du Sénégal et dépendances, lieutenance des Rivières du Sud.

Dès le début de notre protectorat, il fut placé sous la dé- pendance du Sénégal, puis, quelques années après, rattaché au Gabon et enfin fit retour au Sénégal.

Il s'étend de l'ouest à l'est, sur une largeur d'environ 55 milles et du sud au nord, sur une longueur de 175 à 200 railles, en comprenant les deux royaumes de Bétié et d'Indénié au nord et le territoire d'Akapless à l'ouest, tous trois tributaires du royaume d'Assinie,

Ce royaume n'a guère que cent vingt cinq à cent cinquante ans d'existence. Il a été formé par une invasion de Sahués (peuplade faisant partie du grand royaume des Achantis), qui, conduits par deux chefs dont le principal s'appelait A mana, vinrents*élablirsursonterritoireenrefoulantàrouesllesAka- pless, qui en étaient les légitimes propriétaires. Ce souvenir, qui, chez ces derniers, s'esttransmis de père en fils, a toujours été un obstacle aux bons rapports entre les vainqueurs elles vaincus. Aujourd'hui encore les Akapless, qui sont d'unca-

1. Voir la carte jointe à ce numéro.

ÉTUDE SUR LE ROYAUME D'ASSINIE. 311

raclère très fier, prétendent traiter d'égal à égal avec les Assiniens.

Araana s'installa donc dans le pays, tandis que son lieu- tenant, prenant la direction riunord-norii-ouesl, vint se fixer dans les pays de Bettié, d'Indénié et de Potou sur la rivière Ackba. Ces trois derniers formèrent une confédération re- connaissant comme chef suprême le roi d'Assinie. A la mort d'Amana, un de ses neveux lui succéda, en vertu de la coutume des Achanlis, qui encore aujourd'hui réservent rbéi'itage du trône au premier neveu du roi, fils de sa sœur ainée de même père et de même mère; les fils du roi n"hé- rilent par conséquent jamais du titre paternel.

Ce neveu du roi défunt était AmaLifou, qui monta sur le trône à un âge peu avancé, mais qu'on ne peut préciser, les noirs do cette contrée, ainsi du reste que ceux de toute la cùle occidentale d'Afrique que j'ai parcourue, n'ayant jamais la moindre notion de leur âge. Il mourut en 1886, laissant pour successeur son neveu .\ka Saraadou, le roi scluel. J'estime, d'après les renseignements que j'ai pu me procurer, qu'Amatifou est mort à l'ûge de quatre-vingt- <!ini| ans environ, après un règne qui avait duré à peu près soixante ans. Dans les dernières années de sa vie il s'était adonné à l'ivrognerie.

Le 4 juillet 1843, un premier traité plaçant le royaume 'ous le protectorat français, fut conclu entre A ma ti fou et le gouverneur du Sénégal. Le 26 mars de l'année suivante, une seconde convention vint confirmer la première et céder i la France la propriété et la souveraineté du territoire. En felour, le souverain noir, moins exigeant que ses collègues civilisés, se contenta d'une pension annuelle de six mille francs, payable en pièces de cinq francs en argent; cette condition élait une clause expresse du traité. Enfin, une rente annuelle de cinquante francs fut également accordée à chacun des deux principaux chefs du village de Mafla, Kakou liled et Nouba, qui avaient facilité les relations

312

ETUDE SUn LE ROYAUME D AS3INIE.

entre le représentant de la France et le roi Amatifou.

Aka Samadou a été, au nom de la France, reconnu roi d'Assinie, le 14 janvier 188G, par procès-verbal signé : G. Pradier, gouverneur du Gabon, elCh. Dour, commandant particulier à Assinie. Quoique reconnu roi par la France, Aka Samadou n'était pour tousses chefs et ses sujets qu'un roi provisoire, et son titre ne devenait pour eux délinitif qu'après les fêles coraraémoralives de la mort d'Amalifou.

Or, ces fêtes, auxquelles je me proposais d'assister, du moins pour la partie à laquelle les blancs peuvent être ad- mis, n'étaient pas encore commencées en février 1888, époque de mon départ. La seconde partie de ces fêles se compose de sacrifices humains, et la surveillance est telle, qu'il est impossible à un Earopéen de pouvoir approcher de l'endroit ils ont lieu. Assistants, bourreaux et vic- times, tout a disparu dans la profondeur de la brousse au moment l'on arrive et l'on ne trouve plus qiie de la terre foulée et ries ilaques de sang pouvant aussi bien provenir d'animaux égorgés que de victimes humaines ; bref, impos- sible défaire la preuve.

Population. La population du royaume d'Assinie pro- prement dit se compose de sept tribus bien distinctes; quatre habitent îe sud du pays entre la mer et la capitale Krinjaboo, résidence du roi : les Mafia, les Bielry, les Aby et enfin les Krinjaboo; les trois autres sont dans l'intérieur au nord de la capitale. J'estime que la population de ce royaume s'élève à environ IIO.TOO individus. Le roi peut mettre sur pied une armée de ;i,000 guerriers armés de fusils. Le pays tout entier est la propriété du souverain, qui dispose des terres et des individus selon son bon plaisir.

Krinjaboo est une ville d'environ 3,500 babitauls. H est difficile d'évaluer la population des villes et villages de ces contrées, les indigènes, outre leur habitation dans le chef- lieu de leur tribu, possédant une seconde demeure dans l'un des villages environnants. Krinjaboo est située sur un pla-

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ÉTDDE SUR Li: ROYAUME d'aSSINIE. 313

(eau d'environ 40 mètres d'allilude eL à 52 kilomètres d'As-

sJaJe, non loin de4a rivière Biaou il'Assinie(Sueiro da Costa

jdes anciennes cartes), qui,apn''s avoir traversé la magnifique

tigtine Aby, vient se jeter dans la mer près du village de

Dadiekoulou, formant la frontière entre Assinie et Akapless.

Jl faut presque une demi-heure de marche pourse rendre,

pied, de l'embarcadère à la ville.

Cellf-ci se compose (comme on peut le voir par le plan annexé à ma carte du royaume d'Assinie) de cinq rues, larges de 4 à 5 mètres, bordées de cases en terre battue sans aucun alignement; l'herbe drue et folle les envahit en les réduisant, sur presque toute leur longueur, aux dimensions modestes sentiers. La voie la plus longue est celle d'As- ikotua; viennent ensuite les rues Abouraki (d'Europe ou plutôt de France), Aboro, Koumassie et Yakassi; toutes aboutissent, sauf celle d'Aboro, qui finit rue Assakotua, à à une place sur laquelle on remarque la case des palabres et un arbre à caoutchouc dont le tronc mesure au moins deux mètres de diamètre. Cet arbre fut planté par Amalifou, lors de son avènement au trône ; sa position à l'une des ex- trémités de la place en avait fait un endroit tout désigné pour les sacrifices humains, qui, depuis l'arrivée des pre- miers blancs à Krinjaboo, ont lieu dans la brousse, non loin de la rue Yakassi, sur un emplacement désigné par Araa- Jifou et j'ai des raisons de croire que ce roi a été enterré. (Le quartier du roi forme l'angle des rues de Koumassi» Tl d' Abouraki ; quant au quartier d'Elua, princesse dont j[aurai occasion de parler plus loin, il est compris entre les sux rues parallèles de Koumassie et d'Aboro. Mœttrs, coutumes, relifiion. Comme chez presque tous peuples de la côte occidentale d'Afrique, les mu'urs des ssiniens sont des plus libres.

La femme, du jour elle est nubile jusqu'à celui Hase marie, dispose absolument d'elle-même et personne ra le droit de l'empêcher de se donner à qui bon lui semble;

314

ÉTUDE SUn LE ItOÏAUME D'ASSIKIE.

mais, une fois mariée, elle devient la propriété de son époux, qui l'a achetée à ses parents, comme on le verra plus bas, qui en dispose à son gré et qui va parfois jusqu'à s'en faire une source de bénéfices, el cela sans qu'elle ail à objecter quoi que ce soiL.

La polygamie existe ouvertemenl. Un homme a le droit de posséder autant de femmes qu'il en peut entretenir. Le noir achète sa ou ses femmes. Le roi seul, qui en possède un nombre fort respectable, ne les achète pas ; quand une femme lui plaît, mariée ou non, il a le droit de l'envoyer chercher, et tout est dit.

Le prix d'achat d'une femme varie entre 2"* (192 francs) et 8 arkés (48 francs) que le futur paye à la famille de la femme. La valeur d'une femme docteur est plus élevée; le prix peut aller jusqu'à 5 ou 6°", auxquels il faut ajouter plusieurs moutons, de? poules, des pagnes en étoffe blanche. Celte catégorie de femmes conserve, dans le mariage, une liberté beaucoup plus grande que celle de la femme ordi- naire, ce qui est assez naturel, puisque le rôle de cette femme est de présider aux tams-lams, cérémonie à laquelle assiste rarement le ronri, qui parfois deviendrait gûnanl.

A partir du jour il emmène sa femme, l'époux doit pourvoira tous ses besoins, c'est-à-dire la nourrir et l'ha- biller. La nourriture se compose de poisson ou de viande fumée et de bananes; Thabillement, fort simple, est un pagne en étoffe de coton d'une brasse de longueur que son seigneur el maître lui accorde généreusement de temps en temps. En échange, elle doit lui préparer sa nourriture, qui, d'un bout de l'année à 'autre ne varie jamais : le fotitou et toujours le foutou.

Dans le cas ce genre de vie ne serait pas celui que la jeune épouse avait r6vé, ou si son mari la laissait manquer

t. Onces "l'or. l/onc« <l'or, cniiime on le verra plus loin, vaut en valeur du pays, 16 ackës, l'acké : takous, etc.

ÉTUDE SUR LE ROYAUME D'ASSINIE. 315

du nécessaire, ou bien encore si ses procédés n'étaient pas ceux que tout homme d'une éducation distinguée doit employer à l'égard du sexe faible, elle quitterait le plus simplement du monde la case commune, sans avertissement aucun et se retirerait chez ses parents; de leur côté, ceux-ci devraient rembourser au mari la somme qu'il leur a remise lors du mariage, sauf 4 ackés (24 fr.) à titre d'indemnité. Cette somme est invariable. Une fois ce compte soldé, tout est fini entre les ex-époux.

Aussi longtemps que leremboursement n'est pas effectué et bien que la femme se soit éloignée delà case commune, elle n'a le droit, ni de se remarier ni de donner un remplaçant à son mari, car dans ce dernier cas, le mari ferait un palabre à son successeur et celui-ci pourrait être condamné par le ou les chefs à rembourser, aux lieu et place des parents, le prix de la femme, mais toutefois sans la retenue de 4 ackés. Dans ces conditions la femme devient naturelle- ment la propriété du dernier occupant ; en tout cas, en suppo- sant qu'il ait le chef pour lui, il ne pourrait éviter d'être condamné en faveur du mari à une amende s'élevant de 3 à 8 ackés qui viendraient alors en diminution de ce que les parents de la femme avaient à rembourser.

La condamnation pour crime d'adultère se règle sur les mêmes bases, mais avec cette différence que, sans avoir recours au chef, le mari condamne lui-même le coupable. Le chef n'est appelé à se prononcer que lorsqu'il y a récla- mation sur le chiffre de la somme; ce dernier cas est fort rare, étant donné que le chef confirme toujours la demande du mari trompé. L'amende dans ce cas peut s'élever de une '• (96 fr.) à 1 acké (6 fr.); elle varie suivant les circon- stances. Bien des maris se sont enrichis à ce genre de com- merce d'une moralité douteuse.

Les enfants, naturels ou légitimés par le mariage, appar- tiennent toujours à la mère; le père n'a aucun droit sur eox. En cas de séparation, ils suivent leur mère et sont

31fi

ÉTUDE Srn LE ROYAUME d'ASSINIB.

élevés par la famille de celle dernière. L'élevage de l'enfant esl poussé à ses extrêmes limites: la mère lui donne le sein aussi longtemps qu'il veut le prendre. J'ai vu des enfants de trois ans qui ne dédaignaient pas ce système d'alsraentalion toléré par la mère; du reste, peu importe aux petils nègres le changement de sein deux ou trois fois par jour.

Le dixième enfant d'une femme est irrévocablement mis à mort dès sa naissance et j'ai intervenir d'une ftn^on très sévère dans une affaire de ce genre pour arracher l'enfant des mains de ses bourreaux.

La mère de l'un de mes caporaux de tirailleurs, nommé Anno, venait d'avoir son dixième enfant. Comme j'étais au courant des coutumes du pays, j'avais fait la leçon à Anno, qui par principe répudiait cette coutume, pour qu'il me prévînt, aussitôt que sa mère serait accouchée. Une nuit, il arrive vers les trois heures, couvert de sueur et trem- blant d'émotion, à la plaiilaliond'Elima, je résidais alors; il m'annonce que les parents assemblés dans la case de son père voulaient qu'on leur livrât l'enfant nouveau-né, que lui-même était intervenu et avait oblenu qu'on attendit mon arrivée pour prendre une décision. Je me rends à la hâte au village. En entrant dans la case, j'assiste à une violente dis- cussion entre l'oncle et la mère d'Anno;je me fais expliquer de quoi il s'agit; l'homme insistait pour que l'enfant lui fût livré avant que les premières vingt-quatre heures fussent écoulées. Je fais arrêter l'oncle et conduire sous bonne escorte à Eli ma; il y resta détenu pendant trois jours, alin de laisser périmer le temps durant lequel la coutume lui donnait droit de possession sur t'enfantde sa sauir. De cette manière ce dernier fut sauvé, ce qui établit un précédent qu'on pourra invoquer par la suite.

L'enfant qui naît avec six doigts à l'une ou à chaque main esl aussi condamné à mourir. J'en ai également sauvé un dont le père, nommé Ahinadi-Kakou, travailleur de la

ÉTUDE SUR LE ROYAUME D'ASSINIE. 317

plantation d'Elima, était Qls d'an tirailleur sénégalais envoyé pour l'occupation militaire d'Assinie en 1863.

Dans les deux cas ci-dessus, l'enfant est sur-le-champ enlevé à la mère, enduit de peinture rouge, et emporté dans la forêt par les parents de la femme, qui l'enterrent vivant.

La religion et la médecine jouent un rôle très important chez les Âssiniens; l'une est liée à l'autre, le prêtre étant toujours docteur en médecine, ou la doctoresse prêtresse.

Les maladies sont conjurées ou guéries par ces docteurs ou doctoresses indigènes qui se servent de plantes, d'écorces ou de racines pilées et réduites en pâte et dont on en- duit entièrement le corps du malade; suivant la maladie supposée, le docteur lui dessine sur la partie malade des signes cabalistiques et le soir, on donne un tam-tam pour cba^er le méchant esprit, cause de la maladie.

Le principal rôle dans cette cérémonie appartient naturel- lement au docteur, quel qu'en soit le sexe. Vêtu de blanc, couvert d'une couche de craie ou de quelque substance ana- logue réduite en poudre et répandue sur toutes les parties de son corps que ne cache pas son pagne blanc (c'est-à-dire la Ûgure, les bras, le torse jusqu'à la ceinture, les jambes et les pieds); orné de toutes ses amulettes, colliers, bracelets, entouré de tous les objets consacrés au culte, le tout enduit également d'une couche de blanc, le docteur masculin ou féminin pontifie, adressant des invocations au bon fétiche. Il le conjure de chasser la maladie en faisant sortir du corps du patient le mauvais esprit qui y a élu domicile.

Pendant tout le temps que durent ces invocations et afin d'effrayer l'esprit malin, les assistants sans exception font un vacarme infernal, et c'est miracle que le plus souvent ils ne parviennent pas à faire trépasser de frayeur ou de fatigue le pauvre diable soumis à cette cure tonitruante. Ce manège dure jusqu'à la pointe du jour. Le docteur danse sans presque discontinuer et ne s'arrête que de loin en loin, pour prendre quelques minutes de repos pendant lesquelles les

318 ÉTUDE SirK LE UOVAUME D'aSSINIE.

assistants conlinuenl un chant dont le docteur a entonné la première strophe.

Puis, comme intermède, uo vacarme assourdissant com- mence : les uns frappent sur des lams-lams de tiifférenies dimensions; les autres sur des caisses en fer-blanc, en bois, ou sur une planche de bois dur supportée à chaque extré- mité par une traverse l'empêchant de reposer sur le sol et lui permettant par eonséquentdercndre tout le son possible, sur une espèce de gros bourdon (sonnette en fer de fabrication indigène), avec des douves de barils à poudre ou des mor- ceaux d'écaillés de tortue frappés l'un contre l'autre. Ces trois derniers instruments sont spécialement réservés aux femmes.

Si, malgré tant de soins, le malade vient à succomber, les femmes s'assoient par terre autour du défunt et alternati- vement pleurent ou bien chantent ses vertus. Ensuite, et avant que le corps ait contracté la rigidité cadavérique, on le lave à grande eau; on l'habille de ses plus beaux pagnes et on le laisse exposé d;ins la case pendant deux jours, durant lesquels îes pleurs et les chants des femmes ne cessent de se faire entendre, même pendant la nuit.

Si le défunt fait partie de la classe des guerriers, tous les hommesdu village ayant droit de porter un fusil, se mettent à tirer sans relâche pendant tout le temps que le cadavre reste exposé.

Les femmes du mort se font raser les cheveux et couchent toutes nues pendant un et môme deux mois sur la terre de leur case; elles ne peuvept se remarier qu'avec la permis- sion du roi, qui la leur accorde habituellement au bout de sixà sept mois. Pendant tout le temps de leur veuvage elles portent les cheveux courts et s'habillent de leurs plus mau- vais pagnes, l'envers en dehors; c'est leur faconde porter le deuil.

Je reviens au cérémonial des obsèques. On fait un cer- cueil en bois du pays; avant d'y déposer le corps, chaque

ÉTCltE SUn LE ROVADME D'aSSINIK.

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babilanl du village apporte, suivant $ùs moyens, une ou deux brasses d'étoffe à pagne, qu'on arrange dans le fond et sur lesquelles on couche le cadavre; puis le cercueil (son couvercle non fermé) est sor)i dans la cour; on répand dessus le sang d'un mouton qu'on égorge, et dont la chair servira pour un festin ; le corlège, précédé parla veuve qui ouvre la marche en portant le foutou sur sa Léle, se met en route pour le cimetière qui est toujours dans la forêt, mais à peu de distance du village. Pour s'y rendre, on suit toujours les chemins en dehors de ce village, tandis que pour sortir de l'habitation on passe par la porte sur les jardins de bananiers; un convoi ne suit jamais les rues principales.

Une fosse d'environ 80 centimètres de profondeur a été creusée d'avance; avant d'y descendre le cercueil, on le pose sur deux bâtons en travers du trou, puis un proche parent du mort s'avance et appelle par trois fois le défunt : t Reviens » ; < Reviens, nous te le demandons j; « Reviens, ou nous nous en allons t. Comme l'appel reste sans effet, il ramasse une poignée de terre, la jette d'un air courroucé contre le cercutùl et s'en va, suivi des assistants.

Le cercueil est ensuite descendu dans la fosse, après que le couvercle en a été cloué solidement, puis on le recouvre de fortes pierres afin d'empôcber les animaux delà forêt de venir déterrer le cadavre, lo lout est recouverlde terre : la cérémùnie est terminée.

Le culte des morts est chose sacrée chez les Achantis et les Assiniens ; aussi, pendant une période de Irois années, à l'époque du décès d'un parent, ont-ils l'habitude d'en célé- brer l'anniversaire. On organise pour cela un grand lam- lani oîi il est tiré de nombreux coups de fusil et consommé une quantité prodigieuse de bouteilles de gin avec d'innom- brables touques de vin de palme et de bambou.

Le fétichisme est la religion des indigènes. Le grand esprit fétiche du bien se nomme Tano;i\ habite, disent-ils,

320

ETUDE sril hB UOYAUMK U ASSINIE.

la rivière Tano6(qui se jede dans la lagune Tendo, à l'est du royaume d'Assinie et qui a été proposée pour servir de fron- tière entre les possessions françaises et les possessions an- glaises de la côte de Guinée.) De nombreux lams-tams sont donnés eu son honneur. L'époque de ces fûtes est Qxée de préférence au moment la lune est dans son plein et prin- cipalement la nuit du s:iniedi au dimanche. Dès les trois heures après midi, le docteur ou la doctoresse (prêtre ou prêtresse de Tano) commence à invoquer le féliche pour l'inviter à assistera la fûle qui aura lieu, la nuit suivante, en son honneur. Cotte cérémonie préliminaire n'est que de courte durée, puislout rentre dans le silence.

Vers liuit heures du soir, tout le monde se réunit sur l'emplacement choisi par l'officrant et le tam-tam cora- mence. Jusqu'à dix heures les chants et les danses ont un caractère assez tranquille. A ce moment le fétiche est censé arrivé sur les lieux pour présider à la fôte. Les danses et les chants deviennent alors plus bruyants et se prolongent ainsi jusqu'au point du jour, puis chaque assistant se rend au bord de la rivière ou do la lagune pour se baigner et rentre dans sa case prendre une ou deu.v heures de repos.

Comme exemple de ce que j'ai dit plus haut relativement à la couleur blanche adoptée par le fétichisme, je vais ra- conter ce qui m'est arrivé à M'boing, village situé sur la la- gune Aby, en contre-bas de la plantation de café d'Elima et habité par des travailleurs de l'exploitation.

J'avais été invité par la doctoresse du village' à assister au lam-taniqui devait avoir lieu quelques jours après, dans la nuit du samedi au dimanche, en l'honneur de Tano. Au moment de l'invitation j'étais habillé lout en blanc ; mais, à.

I . Celle femme était une ApollniiJciinu nuu l'uuleur avait remarquée au Gabon en 188C et qui n chassée, paraît-il, de iiolru colonie, était ve- nue s'échouer avec son llls, un mulâtre, ca Aasinic, cUe •'élait don- née conimo doctoresse, pctiiJaiU que son fils élait malhcurDuscment ad- mis coraine surveillant à la plnntation «.

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ETUDE SU» LE ROYAUME D ASSIME.

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la tombée de la nuit, avant le départ, ayant trouvé que la température s'était un peu rafraîchie, je changeai mon vê- tement blanc contre un autre en laine bleue. Dès le pre- mier moment, je remarquai chez celui de mes interprètes, Asampbo, dévot fétichiste, dont je me fis accompagner, un sentiment de gêne dont je ne rae rendis pas bien compte; je lui en fis l'observation, attribuant son attitude à l'ennui qu'il éprouvait peut-être d'Être obligé de m'accompagner au tam-tam; mais il me répondit qu'il était tout disposé à rae suivre. J'arrivai ainsi sur l'emplacement avait lieu la fêle.

On imaginerait difilcilement l'elTet produit par ma pré- sence. Je vis aussitôt des regards inquiets se diriger vers moi; assistants et assistantes se levèrent l'un après l'autre et disparurent, suivant en cela l'exemple de la fétitheust*. Je leur avais produit l'effet d'un pestiféré. « Eh bien, dis-je tout surpris à mon interprèle, le tam-tam est donc Uni? Oui, commandant,» me répondit-il sans autre expli- cation.

Il n'y avait pas dix minutes que je m'étais éloigné que j'entendis le tam-tam recommencer de plus belle. J'appe- lai Asampbo, qui s'était empressé de me quitter, mais il se garda bien de me donner une explication. J'eus alors re- cours à Cadia, mon autre interprète, qui, lui, ne croyait ni à fétiche ni à aucun autre esprit, mais qui, malgré cela, était parfaitement au courant des coutumes et croyances du pays.

Il m'expliqua qu'ayant mis des habits noirs pour aller au tam-tam (les indigènes ne font aucune différence entre le bleu, le noir et le violet, qu'ils confondent sous le seul nom de noir), j'étais devenu mauvais fétiche; c'est pour cela que la féticheuse avait arrêté la danse jusqu'à mon départ et qu'elle avait recommencé aussitôt après. « Remets tes ha- bits blancs, me dit-il; redescends au village et la danse con- tinuera. »

«oc, De cÉocn. 3- TiuMESTnE 1890. xi. 21

3âi ÉTDDE SDR JLE ROVAl'Mlî d'asSJME.

Je suivis son conseii, et je redescendis avec lui; il portait un pagne violet, iuais.il le changea aussitôt contre un blanc. Hamon Mounzoua, la féticheuse, vint à moi, me serra la main, me souhaita la bienvenue, et le tam-tam continua jusqu'aux premières lueurs du malin.

Certains lieux sont, fétiches. Par exemple, à une centaine de mètres de la pointe Blidiane, sur la lagune Aby, on ren- contre un rocher d'environ un mètre de circonférence sur- monté d'un petit bouquet de buissons. Ce rocher est fétiche ; il se trouve presque sur le passage des embarcations, pi- rogues ou baleinières qui vont d'Assinie à Eltma, Tancrou, Aby, Adjouan ou Boue. Chaque lois qu'une embarcation montée par des indigènes passe dans le voisinage de cette roche, hommes et femmes ont l'habitude de jeter dans sa direction une banane, une igname ou tout autre comes- tible du pays. C'est l'offrande au fétiche du lac pour qu'il éloigne tout danger dans le cours du voyage commencé, ou pour le remercier d'avoir accordé sa protection pendant le voyage qu'on vient de faire.

Dans la lagune Tendo, en face du village bietry d'Agrobo- sika, à l'embouchure de la rivière Angon, l'on trouve encore une île fétiche d'environ six à sept hectares. Cette ile, cou- verte d'une brousse impénétrable et jamais indigène n'a mis le pied, n'est fréquentée que par d'innombrables et énormes chauves-souris, qui au crépuscule quittent cet endroit par centaines de mille et prennent généralement la direction du Tanoë. Aussi les indigènes prétendent que ces chauves-souris sont les âmes des morts, qui se retirent dans l'Ile fétiche pendant le jour et qui chaque nuit doivent faire acte de présence à l'endroit réside Tano.

Ayant voulu tirer un de ces mammifères, un soir que passant à. quelque distance de l'île, je me dirigeais sur le village aby de Mooua, mes pagayeurs me supplièrent de n'eu rien faire, craignant queje ne vinsseà tuer l'âme de quelqu'un de leurs parents. Or, étant désireux d'éviter tout froissement.

ETODE SUR LE nOVAUME D ASSIME.

323

j'accédai à leur prière. Quand les indigènes passent eu pirogue dans le voisinage de l'ile, ils détournent la lète et pour rien au monde iis ne la regarderaient. En pagayant ils ont l'habilude de chanter, mais ils cessent leurs chants, et manœuvrent aussi rapidement que possible afin de dépasser au plus vite ce lieu maudit.

L'islamisme, cette tache d'huile qui s'étend petit à petit sur le continent africain, a pénétré dans le royaume d'As- siûie, et dans la famille même du roi on en rencontre déjà des adeptes. De nombreuses caravanes qui descendent du Soudan arrivent jusqu'à Krinjabuo, accompagnées chacune de plusieurs imans et marabouts qui chaque jour font leurs invocations et récitent leurs prières. L'indif^ène vient les voir, d'abord par curiosité; puis, son esprit étant facilement impressionnable, il suit plus régulièrement les pratiques du Coran et finit par devenir un fervent serviteur de l'isla- misme, dont il accepte toutes les obligations. Comme je l'ai dit plus haut, le mal existait déjà dans la famille d'Âka 5a- tnadou lors de mon séjour en 1887 ; aujourd'hui le mal s'étend peu à peu, sans qu'on ait songé jusqu'à présent à opposer aucune barrière à son envahissement. Mais il n'est pas nécessaire d'être un observateur bien profond pour juger des résultais produits; on s'en rend compte sur les lieux mômes, ot l'on revient effrayé de l'avenir.

La population de ces contrées se divise en quatre classes bien distinctes : les chefs; 2" les hommes libres; 3* les boys; i" les esclaves.

Le chef, comme généralement partout ailleurs, doit sou titre, soit à sa naissance, soit à sa fortune. Dès qu'un homme libre arrive à avoir une situation très indépendante, le roi le fait chef; à partir de ce moment il ne peut redevenir boy. L'homme libre est un individu ayant une position qui lui permet de vivre par ses propres ressources; mais, s'il lui arrive un revers de fortune qui l'empêche de faire face à

u engagement pris, il s'adresse alors à un chef duquel

324 ÉTUBE Sl'n LE nOVACME b'assinie.

il pense pouvoir obtenir aide en cette circonstance.

Ce chef lui prêle la somme dont il a besoin, et à partir de ce moment, il devient le boy de ce chef, ou sondébileur. Le chef peut lui imposer diverses corvées; i! peut, par exemple, l'envoyer travailler dans une exploitation. Chaque mois le créancier viendra toucher la somme gagnée, donnera i acké (6 francs) an débiteur pour sa nourriture du mois suivant et s'appropriera le reste, qui ne viendra nullement enaraorlissement de la dette.

Il faul, pour que le boy puisse recouvrir sa liberté, qu'il s'acquitte de sa dette en une seule fois. Supposons qu'un boy doive à un chef une somme de 5°' (480 francs). Le créancier l'a placé dans une exploitation le débiteur gagne par son travail 5 ackés (30 francs) par mois; ce der- nier pourra travailler de longues années sans s'être acquitté, tandis que, chez nous, en dix-huit mois la dette se trouverait éteinfe.

On pourrait croire qu'après une vie de travail incessant, ;iu cours de laquelle moralement et malérielleraent la dette a été éteinte plusieurs fois, la mort du débiteur serait une cause de prescriplion ; il n'en est rien. Si le débiteur a un fils, et bien que ce fils ne relève que de la mère, la cou- tume veut que l'enfant hérite de la dette et devienne boy du créancier de son père.

La condition des esclave» est moins dure que dans bien d'autres pays. Ils sont considérés presque k l'égal des boys do la seconde génération. La seule différence qui existe entre ces deux situations, c'est que le boy, comme je l'ai dit, peut redevenir libre, tandis que resclave et ses descendants seront toujours esclaves, à moins qu'une fantaisie, comme les rois en ont quelquefois, vienne à changer l'état de ces malheureux.

l'Assinien devient intraitable, c'est lorsqu'un indi- vidu d'une autre nation est son débiteur, mais un mauvais débiteur, enlendons-nous, et chez qui l'intention de ne pas

ÉTUDE SUR LE R0Y4UME d'ASSIME. 325

s'acquitter est bien établie. Dans ce cas. l'AssinieD emploie tous les moyens qu'une cervelle de noir peut imaginer, à seule fin de s'emparer de la personne de son débiteur; s'il y parvient, son premier soin est de Tentrainer cbez lui et d'en faire son prisonnier. Pour mettre ce prisonnier dans l'impossibilité de fuir, il s'assure de sa personne en le fixant à quelque énorme tronc d'arbre transporté à cet effet dans un emplacement couvert et après lequel il est retenu par le poignet droit au moyen d'un crampon à deux pointes en- foncé dans le bois à coup de masse. Cette opération préli- minaire terminée, les parents du prisonnier sont prévenus qu'il demeurera dans cette position jusqu'à ce que la dette soit acquittée.

Dans le cas le créancier ne pourrait pas s'emparer de la personne de son débiteur, il ne se fera aucun scrupule de prendre en son lieu et place un parent de celui-ci et de le garder dans des conditions pareilles jusqu'à complet rem- boursement.

Cette sévérité excessive des Âssiniens s'applique surtout à leurs voisins de l'est, les Appolloniens ; mais il convient, quand on connaît l'insigne mauvaise foi de ces derniers, de reconnaître qu'ils méritent à tous égards les procédés em ployés contre eux.

Dans les palabres (discussions pour motifs d'intérêts, d'adultère, etc.), lorsque les deux parties ne peuventfmir par tomber d'accord, le chef, juge du palabre, propose alors à la partie qui croit avoir raison de prendre fétiche, afin de savoir si l'esprit qui préside à la justice est de la même opi- nion que lui. L'opération de prendre fétiche consiste à sbsorber, soit un breuvage, soit une matière comestible ayant subi une certaine préparation et présentée par celui qui a qualité pour donner fétiche. Gela revient exactement à notre jugement de Dieu des siècles passés.

Si l'individu qui a pris fétiche a raison, l'esprit de la justice le protège et ce qu'il a consommé ne lui fera aucun

356

ETUDE SCn LE nOTAl'ME D ASSINIE.

mal. Le refus de prendre féLiche entraîne condamnation immédiate. Le féliche est généralement composé d'un œuf, mais il est indispensable que cet œuf ait été pondu parune poule blanche.

Le roi, quelques grands chefs, les docteurs et les docto- resses (ces derniers, ainsi que je l'ai dit, sont prêtres et prêtresses de Tano) ont seuls le droit de donner fétiche, mais le fétiche donné par le roi est sans appel.

Le règlement de tout palabre par le roi est soumis à une rétribution en or; celle des chefs est payable en un nombre variable de caisses de gin, suivant la yravité du cas; celte des docteurs ou doctoresses se compose d'un nombre plus ou moins grand de bouteilles de cette même liqueur.

Aûn d'ôlre certains de ne rien perdre, chefs et pr&lres,bien avisés, ont l'habitude d'exiger la rétribution de chacune des parties. Le roi fait exception à cette coutume.

Pour les Ashantis en général etsurtoul pour les Assiniens, rien au monde n'est, après Tano, plus sacré que 1 enora du roi, et tout serment au cours duquel son nom est prononcé, entraîne lerèglemcntdu palabre pardevant lui, à Krinjîiboo.

Comme je l'ai dit ci-dessus, le roi Aka Saraadou, homme très bon et surtout très juste, n'applique l'amende qu'à celle des parties qu'il juge avoir tort; suivant le cas et surtout, suivant les termes du serment, cette amende peut atteindre un chiffre assez élevé.

Le roi n'achète rien ; il réquisitionne. Quand, par exemple, il a besoin de poisson sec pour la nourriture de ses femmes et de ses gens, il charge deux ses boys d'aller lui en cher- cher. A cet effet il remet au plus âgé une queue d'éléphant ornée de verroteries; porteurs de ce signe conventionnel connu dans tout le royaume, les deux boys partent sur une légère pirogue et descendent la rivière Bia; arrivés dans la lagune, ilsse dirigent sur le premier village biétry qu'ils ren- contrent et, présentant au chef du village la queue d'éléphant, ils lui disent que le roi a besoin de poisson.

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ÉTUDE SUR LE ROYAUME d'ASSINIE.

327

Le chef réunit les hommes dn village (les Tliétry sont es- sentieliemertt pécheurs), et leur communique l'ordre dti roi; immédiatement on réunit tout le poisson sec disponible; on le charge sur une immense pirogue qu'une escouade de pagayeurs est chargée de conduire à Krinjaboo. 11 en est de même pour les bananes, qui sont fournies par les Aby, tribu de cultivateurs.

Aka Samadou entretient pour son service personnel une petite bande de chasseurs d'éléphants, au nombre de douze hommes, douze colosses. Leur chef N'Galta, musulman comme eux, et originaire du Boundoukou, est le plus petit (le la troupe, car il ne mesure pas plus de i"50;il a le visage ovale, les yeux perçants, le nez aquilin, les lèvres minces comme celles de l'Arabe, les membres fins.les mains et les pieds d'une femme ; mais, sous celle apparence frêle et déli- cate, on sent des muscles d'acier, comme aussi un sang-froid el une force de volonté peu communs.

Quoique passant presqueloutesavieau milieu de la forêt, N'Gatta qui doit avoir trente-six ans, est d'un caractère très doux, très aimable, presque gai el qui contraste avec le ca- ractère généralement sérieux du noir. On serait tenté de croire qu'il a vécu, pendant quelque temps du moins, au milieu de gens civilisés, idée que j'ai abandonner, après avoir questionné Aka, qui m'a affirmé que j'étais le seul blanc que N'Gatta eiit jamais vu.

Vêtu avec beaucoup de goût, de coquetterie même, ses pagnes aux couleurs voyantes le font ressortir au milieu de ses douze hercules, dont il sait se faire obéir avec une mer- veilleuse promptitude au moyen d'ordres très brefs.

Une seule femme, après le roi, partage avec celui-ci une partie de la toute-puissance; c'est la princesse Êlua, sœur cadette du feu roi Amalifou et par conséquent tante du roi actuel Aka Samadou. Elle est sensiblement plus jeune que ce dernier, J'eslime qu'Aka Samadou a environ cin- quante ans, tandis qu'Elua n'en a guère plus de Irenle-oinq.

328

ÊTunE svn LE novAi'ME d'assinie.

Après le roi, autocrate qui commande à tous ses sujets des deux sexes, vient Elua, qui seule a le droit d'imposer ses volontés à toutes les femmes du royaume, et ses ordres sont exécutés par toutes à l'égal de ceux du roi.

Elle possède, ainsi que je t'ai dit, un vaste quartier à Knnjaboooù elle habile et garde près d'elle une cinquan- taine de jeunes filles ou de jeunes femmes divorcées. Toutes les suivantes d'Élua portent comme signe distinclif un collier composé de quatre grains plais, de forme hexa- gonalcj de 3 centimètres de long sur 2 de large; deux de ces grains sont couleur vert-pré mat, les deux autres blanc mat. L'entretien de toutes ces femmes est à la charge d'Elua.

De leurcùté, elles se rendent utiles dans la maison jusqu'au jour un chef ou quelque indigène possédant la somme nécessaire à l'achat d'une femme, vient faire son choix. 11 paye, Elua encaisse; la femme pari avec son nouveau maître, l'affaire est conclue; c'est maintenant au tour d'une autre !

Pendant mon séjour, je n'ai jamais vu Elua autrement que la figure et le torse barbouillés de noir, de rouge et de blanc et couverts de vieux pagnes tombant en loques; c'était pour obéir aux coutumes du pays, qui exigent qu'elle porte le deuil d'Amîilifou jusqu'aux fêles commémoratives de la mort de ce dernier.

Lorsque vient à mourir une femme enceinte, toutes les femmes du village qui sont dans la même position se réunis- sent, sa teignent mutuellement la figure et le cou en se remplissant la bouche d'un liquide vert clair que chacune, faisant l'office de pulvérisateur, envoie contre la figure de sa voisine. Elles se tracent des dessins cabalistiques blancs sur les autres parties du corps qui ne sont pas recouvertes par le pagne, mettent ce dernier à l'envers en signe dedeuil et, armées chacune d'une baguette dont le boutcassé forme un crochet, se mettent en route par les rues du village en chantant des chansons en chœur contre les hommes. 11 est

STUDE srti tE noYAtJME d'assime. 329

prudent pour ces derniers de se garer de cette procession, car chaque homme qu'elles peuvent apercevoir est pour- saivt & outrance par ces furies et Trappe à coupi> de baguette jusqu'à ce qu'il soit parvenu à se réfugier dans quelque case,

La jeune femme qui conçoit avant sa troisième menslrua- tioD voit invariablement son enfant lui être retiré parles pa- rents dans l'intention de le mettre à mort.

L'enfant, dès sa naissance, prend deux noms: celui d'un de ses ancêtres, et celui du jour il est né.

Le tatouage est en honneur dans ces pays. Hommes et femmes sont tatoués; mais comme tous ne portent pas les mêmes dessins, je serais porté à croire que c'est une ma- nière de reconnaître entre eux à quelle tribu un tel ou une telle appartient.

Pour les deux sexes, la figure porte invariablement cinq m?rques : une entre chaque œil et la tempe; une à la nais- sance du nezentre les sourcils ; et une surchaque pommette.

En outrej certains indigènes des deux sexes portent sur le côté gauche du cou une longue ligne de petites incisions horizontales. Celte ligne commence derrière l'oreille et descend jusqu'à la naissance du cou. Je crois que c'est une marque de tribu. Sur les poignets et les avant-bras on dis- tingue une figure carrée composée d'un nombre irrégulier de lignes horizontales formées de petites incisions vsrticales serrées les unes contre les autres.

Chez la femme, le tatouage est beaucoup plus compliqué. Sur la poitrine, trois fortes incisions borixontales de 3 cen- timètres de long chacune, placées à côlé Tune de l'autre à environ 3 centimètres de distance; entre les seins trois incisions verticales de 2 centimètres de long, placées l'une à côlé de l'autre; 2 centimètres au-dessous, une ligne d'une vingtaine d'incisions verticales placées les unes à côlé des autres et formant une ligne horizontale.

De jusqu'au nombril, une ligne d'incisions verticales placées les unes au-dessous desaulresel traversées au-dessus

IVAQ ÉTUDE SUR LE IlOYAtlME d'aSSISIE.

du nombril par deux lignes horizontales de petites incisions verticales; de chaque c6té du nombril, une ligne horizontale formée de 5 incisions verticales partant du nombril; et de chaque côté, en s'infléchissant vers l'aine, une ligne de cinq incisions semblables aux précédentes. Un peu au-dessous, horizontalement, une ligne de six incisions verticales ; enfla] sur le bas-ventre, deux incisions verticales à 5 centinnô-^ très l'une de l'autre.

Beaucoup de femmes portent au cou et sur les poignets| les mêmes marques que les hommes, mais elles ont en plus sur l'avant-bras droit trois lignes horizontales superposées formées de petites incisions verticales; les deux lignes exté- rieures sont droites, celle du milieu a la forme d*un arc dont'J les extrémités seraient légèrement relevées; i la naissance du pouce, trois lignes formant un carré ouvert d'un côté; sur la partie interne et au milieu delà cuisse droite, une ligne horizontale d'une vingtaine d'incisions; au mollet, la môme-; marque.

Ces femmes supportent avec un calme extraordinaire la] souffrance occasionnée par cette mullilude de petites cou- pures d'où le sang jaillit. J'ai eu occasion de voir un jour, à Ahy, une opéralion de ce genre; il y avait trois jeunes femmes de quinze à dix-sept ans opérant chacune à son tour à l'aide d'un morceau de bouteille cassée; elles riaient et chantaient comme si la douleur eût été inconnue pour elles.

Les indigènes, sans exception, sont d'une très grande propreté; ils se baignent jusqu'à trois et quatre fois dans la môme journée, cl chaque fois ils se frottent avec une espèce d'épongé faite de la tige d'un régime de bananes et une sorte de savon composé de terre glaise, d'huile de palme et de cendres d'épi uchures de bananes; ils préparent cesavon au furetàmesurede leursbesoins.Aprèss'êlre bien', savonnés et lavés, ils attendent à'Hre bien essuyés, et alors des pieds à la t«*te ils s'enduisent de suif ou mieux encore

ÉTUDE SUR LE ROYAUME d/ASSINIE. 331

de pommade achetée dans les factoreries, et quelle pommade t

D'une frugalité el d'une sobriété extrêmes, ils se suffisent toute l'année avec un seul mets, celui dont nous avons déjà prononcé le nom plus haut : le foutOu. Tout est bon pour faire un fontou : poisson, caïman, singe, antilope, gazelle, poule, varan (espèce d'iguane), etc., etc., pourvu que ce soit une cbair qui ait été exposée à la fumée. Ce plat se prépare de la façon suivante : on prend d'abord des graines de palmier qu'on pile dans un mortier en bois pour en extraire une huile jaune, puis, retirant les noyaux et la bonrre de ces grainesj on ajoute petit à petit de l'eau qui se mélange très bien avec l'huile et finit par former une saoce claire qu'on verse dans une marmite en terre de fabrication indigène. Au bout de deux heures de cuisson, l'on ajoute le poisson, caïman ou autre, faisant la partie résistante, une, petite poignée de piment rouge très fort, bien broyé entre deux pierres, et on laisse cuire encore pen- dant deux heures. Une fois le foutou cuit, on le sert sur la table dans la marmite même ; on sert en même temps du pain de bananes, autre préparation composée de bananes pilées et réduites en une sorte de pâte épaisse et dont le goût a été rehaussé par du piment.

Il est absolument impossible à un Européen qui débarque de goûter à cette abominable cuisine, sous peine d'avoir le palais en feu par le contact du piment. Ce n'est qu'à la longue qu'on finit par s'y accoutumer, et je suis presque tenté de croire que cette habitude diminue le nombre des accès de fièvre. Je pense du reste qu'il est excellent de s'habituer à l'alimentation des indigènes quand on est appelé à vivre au milieu d'eux.

La boisson indigène se compose de vin de palme et

devin de bambou, mais surtout d'eau prise en mangeant.

Commerce et productions. Le principal commerce

consiste dans l'échange de marchandises européennes

!Wi ÉTDDE Sun LK ROYAUME Il'ASSINfE.

»

contre delà poudre et des pépiles d'or, de l'huile de palme, un peu d'ivoire et, depuis quelques années seuleraenl, de caoutchouc de liane.

Le précieux métal, qui se trouve dans l'inlérieur en plus grande quantité que sur lo littoral, est généralement apporté parles caravanes musulmanesquidescendentdu Nord, venant même de Tombouctou à travers le Soudan, mais principale- ment par celles qui viennent des conlrées voisines de Kong et qui, traversant le Boundoukou, arrivent à Aboisso, Krin- Il jaboo et Aby, mats descendent assez rarement à Assinie.

Les indigènes s'occupent très peu de l'extraction de l'or, quoique sur certains points peu distants du littoral j'ai extrait du minerai, j'aie obtenu des résultats peu ordinaires.

Ainsi, sept essais ont donné les chiffres suivants par tonne de rainerai :

1" essai t'. n. 5

â» 2 . 0. 6

1 . 7. ".t

i... 2 . 1. (J

5" 1 .«.10

2 . U. 3

7- 1 .10. 2

(L'oiico il'ur = 'J(î fr. = 10 ackés. 1 acké = G fr. =12 taltous.

1 takou = I) fr. 5fi)

Ces mêmes échantillons réunis ont donné à l'essai par un' essayeur juré de Paris :

Or 929

Argnnt G5

Condres (i

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Je puis encore aujourd'hui présenter le bordereau d'essai. Les placera de la Côte d'Or sont plus étendus qu'on ne le

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ÉTUDE Srn LE nOYAUMK Aî^SiNlE,

333

croit généralement, grâce à de faux rapports publiés à ce sujet, et l'est de la Côte d'Ivoire fouroirait même des quan- tités d'or très appréciables.

Je puis affirmer qu'avant d'arriver au 7" long., on trouve non seulement des endroits des fouilles ont été commen- cée?, mais encore des terrains aurifères non exploités oîj les terres ont donné des résultats qui ne sont nullement à dédaigner. EnBn, en se'jdirigeant vers l'est, les placers devien- nent plus riches et plus nombreux.

Une maison de Londres, rjui possède une mine en expio"- tâlion à environ 3" milles nord-nord-ouesl d'Axim, a reçu jusqu'à 700°» dans un mois, poudre et pépites provenant de quartz aurifères.

Lor.s de la perte du vapeur Senegut, de la Britîsh and Afri- canC" de Liverpool, naufrage qui eut lieu en vue de Tabou (République de Libéria) en 1887, la Compagnie qui avait assuré l'envoi d'or de cette maison a lui rembourser ia somme de 2,918 l. st. 8 pour or perdu par suite du nau- frage, soit 72,970 francs, représentant simplement le rende- ment de leur mine pendant un mois. Je tiens ce chiffre d'une source absolument indiscutable.

ûans des conditions pareilles, il me parait fort regrettable que la France laisse aux Anglais le monopole de l'extraction de l'or dans ces contrées, car avec une mise de fonds rela- tivement peu considérable, une société française pourrait se former et exploiter des richesses abandonnées actuelle- ment par nous.

Les travaux d'exploitation peuvent être confiés aux indi- gènes sous la surveillance de deux ou trois Européens. Moyennant un salaire de 1 franc par jour payable en marchandises telles que gin, lafla, tabac, poudre de traite, fusils de traite, étoffes, etc., ils s'en acquitteraient à notre entière satisfaction.

Il faudrait donc, pour tirer tout îc parti possible, avoir au littoral une maison chargée : 1" de recevoir les marchan-

;I34 KriDK sua lk koyaumk d'assime.

dises venant d'Europe; t" d'expédier l'or à destination d'Europe.

Cette maison pourrait égaleraenl, en échange de l'or apporté direclement par les indigènes, céder à ces derniers une partie desdiies marchandises restées comme supplément de !;i paye de la main-d'œuvre de la raiae, en se basant sur un bénéfice \ari'ablo suivant les articles, tous frais ajoutés au ma prix d'uehat en Europe. f

Tant pour l'or provenant de la mine que pour celui qui provient des achats ci-dessus, il serait indispensable qu'un indtjjèue, habile nettoyeur d'or, fût adjoint à la maison du littoral. Cette nécessité se ferait surtout sentir dans le der- nier cas, CCS acheteurs au comptant ne se faisant aucun scrupule de mélanger i la poudre d'or qu'ils donnent en payement des résidus, rebutés déjà par d'autres maisons et contenant de fortes traces de cuivre. Le talent du trieur d'or consiste à reconnaître ces rebuts et à les éliminer; ils sont rendus à l'acheteur, qui donne en échange un poids égal d'or pur. On pourrait par cette méthode obtenir mensuelle- ment environ 150 à 200"' d'or au comptant avec des mar- chandises convenables et à condition qu'on en fit venir au fur et à mesure le strict nécessaire. II faudrait qu'à chaque vapeur arrivant d'Europe, il y eût une réception de mar- chandises fraîches; car le noir est très observateur. Voyant les marchandises souvent renouvelées, il viendrait de préfé- rence, sachant qu'il serait certain de pouvoir toujours faire son choix parmi des articles nouvellement arrivés.

Si le sous-sol est prodigieusement riche, comme nous venons de le voir, sa surface ne laisse rien non plus k désirer.

Pour s'en convaincre il suflit de jeter un coup d'oeil sur la végétation, qui, soit en forél, soit en plaine, atteint des proportions tellement surprenantes pour un Européen que, M lors(iue le voyageur eu parle à son retour devant des per- sonnes qui n'ont pas visité ces parages, celles-ci ne peu-

I I

ETfl»E sua LE IlOYAUME t> ASSIME.

335

venl qu'avec peine dissimuler le sentiaaenl d'incrédulité provoqué pur ces invraisemblances.

Actuellement il n'existe sur toute l'étendue de ce beau royaume d'Assinie qu'une seule exploitation agricole; c'est une plantation de calé appartenant à la Compagnie des cafés d'Assinie, fort peu connue, sinon par les dividendes qu'elle a omis de distribuer depuis 1880 à ses actionnaires. Cette plantation, connue dans le pays sous le nom de plantation d'Elima, est située sur le plateau qui domine les villages de M'boing, Eliraa etTancrou. Elle a été établie sur une concession gratuite accordée par Amalifou eu 1880 el créée avec des plants provenant de Cap Palmas (Répu- blique de Libéria).

A une certaine époque le gouvernement libérien, fort gêné et désireux d'accroître ses revenus, frappa l'exporta- tion des plants de café d'un droit énorme de deux dollars par plant. Ct! droit subsiste encore acLuellement, ainsi que l'affirme le capitaine Brosselard, commissaire du gouverne- ment de la République frauçaise pour la délimitalioa de nos frontières sur la Guinée portuguise.

La direction de l'exploitation, grevée déjà de dépenses exagérées, essaya de se soustraire à ce surcroît de dépenses et créa des pépinières en utilisant les graines de sa récolte. Ces essais réussirent assez bien, étant donné le manque d'expérience de ceux qui les tentèrent, et depuis cette époque les iransplalalions n'ont été faites qu'avec des plants pro- venant de l'exploitation. Malheureusement, faute de soins expérimentés dans le passé et à cause des fourrais rouges et noires qui ont infesté certains quartiers, les récoltes sont 1res difficiles en ce moment.

11 faut Joindre ù cela une maladie nouvelle qui atteint certains plants et les fait sécher en quinze jours. J'avais entrepris le traitement do cette maladie et avais trouvé un smède fort simple, au moment j'ai quitter Assinie.

jlgré tous ces inconvénients, j'estime que la récolte 1887-

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ETlîDE SliJl LE UOYAUSIK I) ASSIKIE.

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1888, commencée par mes soins en novembre 1887, a du, si elle a été bien conduite jusqu'à la fin, donner environ ■ii tonnes de café en parrhemin.

Ce n'est certes pas un brillant résultat, mais il est pas- sable, si l'on considère que celte plantation d'environ no hcc- tares,coramencée en 1880, est divisée en quatre quartiers dont fl chacun correspond aux années 1881,188*2, 1883, 1885-1887. " Encore devrail-on tenir peu compte de ce dernier qui n'est ■en partie qu'à sa premièreannée de rendement; et d'unautre coté, le quartier de 1881 a été, il y a deux ans environ, fort maltraité par les grandes pluies qui ont, faute de prévoyance, raviné toutes les terres et laissé à nu, dans le sable, les racines chevelues. De sérieuses modifications d'entretien ont ôlre apportées depuis mon départ, car j'apprends par une personne de la parole de qui je ne puis douter, que la récolte de 1888-1880 a rendu 64 tonnes de café.

Indépendamment du café, on pourrait encore cultiver avec succès, je crois, le cacao. Le coton, le ricin, l'indigo et l'arachide, qui sont des plantes indigènes, donneraient certainement, avec une culture intelligente, des résultats auxquels on est encore loin de s'attendre dans ces contrées la richesse du sol est surprenante.

Un jour viendra sans doute nos enfants, peut-être seulement, hélas! nos petits-enfants en France, instruits par les leçons du passé et rompant enfin avec la routine, se décideront à suivre l'exemple de nos voisins les Anglais et les .allemands. Ceux-ci auront, il est vrai, prélevé déjà le plus facile et le meilieur tribut; cependant nos descendants pourront encore profiter de ce dont nos rivaux, qui ne craignent pas d'engager leur argent dans tes entreprises coloniales, n'auront pas eu, espérons-le, le temps de s'em- parer.

Au nombre des produits à exploiter se trouve le caout- chouc; malheureusement rindigène, cédant à sa paresse habituelle et à son insouciance pour l'avenir, prépare fort

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ÉTODE SUR LE ROYAUME D'ASSINIE. 337

mal cette substance el en trop petite quantité. La liane à caoutchouc croit en abondance dans les forêts, el je suis persuadé qu'avec quelques équipes de Pahoulbs, les seuls indigènes de la côte occidentale chez lesquels le caoutchouc est réellement bien traité, on obtiendrait une matière pre- mière de qualité supérieure à celle qu'ils viennent vendre au Gabon.

Aperçu de la faune et de la flore. La faune du royaume d'Assinie est fort riche ; malheureusement elle a été peu étudiée, et j'attribue cela à la mauvaise réputation, justifiée du reste, de son climat, plus inclément encore que celui du Gabon.

Les rares observations qui ont été faites jusqu'à ce jour n'ont pas permis d'en obtenir une description précise et détaillée. Un seul naturaliste possédant des connaissances sérieuses (M. Gh. Âlluaud)a failun séjour malheureusement trop court pour lui permettre des observations suivies. Il a visité une partie de la contrée et en a rapporté une collec- tion d'insectes assez complète, mais le temps lui a manqué pour qu'il put s'occuper d'une façon suivie des mammifères, des oiseaux, des reptiles et des poissons. II est regrettable pour la science qu'un observateur aussi consciencieux ait s'arrêter en route.

Les nombreuses sorties que j'ai été appelé à faire dans l'intérêt de mon service m'ont permis de voir une petite partie des animaux qui habitent ou passent en Assinie. Les animaux domestiques sont :

Un mouton de petite espèce, couvert de poils et non de laine comme le mouton d'Europe ; la chèvre naine qu'on rencontre communément sur toute la côte occidentale à partir du Sénégal jusqu'à Saint-Paul-de-Loanda ; je l'ai trouvée également aux sources du Como et du Bokoué; le chat domestique, descendant de notre chat européen acclimaté : le manteau en est varié comme celui de ce dernier, mais la forme de la tête semble s'être modiûée dans

soc. DE CÉqGR. 3* TRIMESTRE 1890. XI. 22

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ÉTUDE StlU LE ROYAUME d'aSSINIE.

le sens de la longueur; la largeur de la lôte aux tempes paraM ne pas avoir subi de mociiFicalion, mais la partie inférieure sefnble s'être rétrécie, ce qui lui donne une forme plus anguleuse; enfin, pour clore la liste des quadru- pèdes, le chien indigène, che/, lequel j'a'i retrouvé exacte- ment le type du chien pahouin.

Ce précieux petit auxiliaire du chasseur ressemble beau- coup, sous le rapport de la taille, au fox terrier anglais, avec celte différence que les membres du premier sont plus fins el qu'il porte les oreilles droites. C'est un régal pour les indigènes; les gens d'Adjouaet des environs en font des foutous renommés. J'ai possédé plusieurs de ces chiens et, me rappelant les observations que mon séjour chez les Pahouins m'avait permis de faire sur leurs congé- nères, je me suis donné la peine de les dresser à la chasse.

J'ai remarqué qu'ils possèdent une finesse d'odorat éton- nante. Ni la rosée ni la chaleur ne les empêchent de mener pendant des heures entières l'anlilope, la gazelle, la biche ou le porc-épic lancés par eux. Ils sont en outre d'un courage vraiment extraordinaire, très tenaces à la menée el très mordanls au ferme.

Comme je Tai dit plus haut, j'ai retrouvé dans le chien assinien le type du chien pahouin; grosseur, manteau, habitudes, qualités pour la chasse, tout en un mot est iden- tique à ce que j'ai rencontré dans mon précédent voyage au Gabon et chez les Pabuuins, qui, en général, se servent de cet animal pour la chasse. Ce sont surtout ceux du haut Bokoué qui l'emploient à cet usage. Ce chien attaque indifféremment le porc-épic ou la panthère, mais je dois avouer par expérience que cette dernière chasse ne réussit pas toujours à l'entière satisfaction du propriétaire des animaux.

Les chiens amenés d'Europe dégénèrent dans ces pays, perdent le nez et sont fort difficiles à conserver, à moins: qu'on ne puisse les habituer à manger du foutou.

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ÉTUDE SUR LE ROYAIME d'aSSINIE. 330

À Assinie on trouve également à l'état domestique une poule et un coq semblables à ceux que nous avons en Europe, mais de taille bien inférieure, la poule nègre, un gros canard noir à reflets bronzés, lâches blanchos chez quelque» sujets, mats ayant invariablement des papilles rouges autour du bec et des yeux; je crois que c'est un canard de Barbarie.

De fréquents essais ont été tentés pour acclimater la poule d'Europe, l'oie et le coq d'Inde. Ce dernier seul a parfaitement réussi. J'en ai vu de nombreux individus à Krinjaboo, provenant sans aucun doute de délouroemenls d'œufs opérés à la plantation d'Elinia un couple de coqs d'Inde avait été envoyé d'Europe. J'attribue à la chaleur du climat la mauvaise réussite des tentatives faites avec les poules d'Europe et les oies.

Ce qui augmente beaucoup la difficulté de conserver des poulaillers, môme formés avec des poules indigènes, ce sont les migrations de fourmis noires et rouges devant lesquelles Européens et indigènes sont parfois obligés de battre en retraite en abandonnant à l'envabisseur bàlimenl, mobilier et provisions. On retrouve toujours le bîltimenl et le mobi- lier, mais les provisions subissent une telle attaque que de tout ce qui n'est pas hermétiquement fermé, il ne reste que le contenant. Il me souvient qu'une nuit, à Elima, j'ai me lever en toute hâte et me sauver dehors pour échapper k la perspective d'être dévoré vivant sur mou lit par des milliers de ces insectes. D'un superbe jambon entamé le soir nv&rae, je ne retrouvai le lendemain qu'un os parfaitement nettoyé! On comprendra donc, sans le moindre effort, comment après avoir enfermé la veille au soir avec le plus grand soin une cinquantaine de poules, on n'en retrouve le lenderaui« matin que quatre ou cinq, quand encore on les retrouve!

Un autre fléau des poulaillers, c'est une espèce de petite martre rougeitre, ayant l'extrémité des poils du dos et des côtés d'une teinte grisâtre assez semblable à celle du petit

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ÉTCDE siUK LE nOYAlME d'aSS1N[E.

gris. Ce maraudeur est de la tailled'un écureuil, avec lequel il a une grande ressemblance ; les indigènes le Bomnaent kokofio; il se retire pendant la journée dans des troncs d'arbres creux.

En fait de mammifères dangereux je ne connais en Assi- nie que la panthère, qui, parfois, fait des apparitions noc- lurnes dans les villages; sous le coup de cette perspective menaçante, les indigènes sont obligés chaque soir de ren- fermer leurs moulons.

On rencontre en for^t le grand cfiat-tigre, le paradoxure lactielé, espèce de petit chat-tigre beaucoup plus féroce et plus courageux que le précédent; la civette, qui porte à l'arrière- train une poche renfermant une sécrétion graisseuse, de couleur gris foncé, insoluble dans l'alcool et dégageant une très forte odeur analogue à cello du musc. Quand cette poche est pleine de matière odorante, l'animal, se trouvant gôné, la vide en se frottant contre un arbre bu contre un piquet. Les femmes indigènes recherchent celte matière, dont elles se servent comme de parfum. Elles la mettent dans une petite corne de biche percée d'un trou qu'elles suspendent à leur noilier à l'aide d'un fil.

Les palabres que j'ai eus à ce sujet avec les femmes des villages de M'boing, Elima et Tancrou, voisins de la plan- tation de café d'Ëlima, sont innombrables. Ces femmes venaient au milieu des caféiers chercher le musc dont les civettes s'étaient débarrassées pendant la nuit en se IVotlant contre les arbustes. Pour enlever cette matière qui, ainsi que je l'ai dit plus haut, est grasse et très adhérente, elles arrachaient l'écorce des pieds de café ou cassaient des branches, opérations qui entraînaient fréquemment la perle des caféiers.

Le porc-épic abonde dans le pays; il atteint souvent un poids de ir> et iO kilogrammes. Sa chair est excellente à manger; rôtie, elle ressemble au porc frais, mais le goût en est plus Un.

ÉTUDE SDR l.E ROYAUME BASSIiNIK,

341

Ou trouve aussi plusieurs espèces d'antilopes. La veille démon retour en Europe, j'ai eu l'occasion de tuer un de ces animaux que j'avais surpris à un détonr de la rivière d'Assinie, essayant de gagner k la nage la rive opposée. Il naesuraiti^SOau garot, La chair de ranlilope est peu estimée parles Européens à cause de son goût de musc très prononcé.

Les gazelles sont nombreuses. J'en ai rencontré trois espèces : la première et la plus grande à pelage roux, mesure au garot environ O^IO; c'est, je crois, la gazelle à groin de cochon, très commune chez les Paliouins. La seconde est grise, mesurant environ 0"'5O à 0°55. Enfin la troisième, grise également, ne mesure pas plus de 0'"35 à OMO; c'est celle que les Européens appellenl la petite biche (Cephaloi)UH Maxwelti). Ces trois espèces sont très bonnes à manger, la dernière surtout-

Du crépuscule à l'aurore les échos de la forêt ne cessent de retentir du cri du paresseux, très nombreux en forêt. Les indigènes m'ont aflirmé qu'il ne crie que lorsqu'il monte après un arbre; il fait alors entendre comme une sorte de miaulement dechaL Faible d'abord, au bout d'une dizaine de minutes et au fur et à mesure qu'il se répète, le cri augmente de force et finit par être déchirant; quand on l'entend pour la première fois, si l'on esta l'alFùt, seul sur la bordure de la forôl, instinclivemeiil on redouble de vigi- lance ; l'impression est d'abord pénible, m.iis après quelques eoEpériences du môme genre, on Unit par s'y babiluer.

Le lamantin (bœuf marin) est assez commun sur les bords des différents bras de l'embouchure de la rivière d'Âssinte dans la lagune Aby. Telle est du moins l'affir- mation des indigènes; cependant, malgré de fréquents déplacements qui m'obligeaient à passer chaque fois dans les endroits l'on prétend qu'il y en a en si grand nombre, je n'ai jamais eu qu'une fois l'occasion d'en tirer un. Encore n'ai-je pu le poursuivre pour essayer de m'en emparer, l'animaJ s'élanl jeté dans un fourré impénétrable de carex

842 ÉTlllE SI 11 LE liCVAtME h'asSINIE.

au travers duquel ma pirogue n'aurait jamais pu passer. J'ajoute que la crainte des serpents, fort nombreux dans ces endroits herbeux, paralysait singnlièremenL les efforts que mes pagayeurs n'auraient pas manqué de déployer en toute autre circonstance.

11 est rare desuivreun sentier dans la forêt sans apercevoir quelque singe se balançant aprè»une liane ou sautant d'un arbre à un autre. J'en ai remarqué sept espèces, parmi les- quelles se trouve le chimpanzé, susceptible de recevoir une certaine éducation. La factorerie française d'Assinie en a possédé un d'une intelli§i;ence rare, Le commerce des peaux de ces animaux donne lieu à des échanges assez im- porta;! ts; les plus estimées sont celles d'un beau noir luisant.

Les rivières contiennent de nombreuses loutres que les indigènes appellent o chien d'eau » ; beaucoup de tortues à carapuce dure et h carapace molle. On trouve aussi une espèce particulière de caïman qui ne se rencontre que dans les rivières elles lagunes d'Assinie et d'Appolionie; c'est je crois une espèce du genre gavial. Le bout de son museau est percé de deux trous à sa partie supérieure, laissant passer les deux canines de la mâchoire inférieure. Cet ani- mal atteint parfois i mètres du bout du museau à Textré- milé delà queue. Pendant mon séjour, l'un d'eux ayant au moins la dimension ci-dessus avait élu domicile à la pointe sud de l'île des Caïmans, snr la rivière d'Assinie, entre la lagune Aby et la résidenceises forfaits devenaient par trop fréquents et sa hardiesse Unissait par dépasser les bornes.

Il avait déjà fait plusieurs victimes en attaquant des pirogues montées par un seul homme; voici de quelle manière il s'y prenait : l'homme, afin de diriger sa frôle embarcation, est assis à l'arrière qui, très étroit et par con- séquent peu porteur, glisse à Heur d'eau. Le caïman suivait pendant quelques instants la pirogue entre deux eaux, puis, prenant un élan formidable, venait saisir d'un coup de gueule îe malheureux nègre par le milieu du corps et, grâce

ETUUK SUIl LE ItOYAUME U AS.SIMK.

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aumouvement d'arrachement familier au crocoiîile, enlevait sa proie de dessus rcmbarcali on, qui s'en allait à ta dérive tandis qu'il entraînuit en le noyant le pauvre diable qui avait eu le malheur de le trouver sur sa route.

La frayeur était à son comble parmi les noirs et on ne trou- vait plus personne qui voulût, partant d'Assinie, remonter la rivière dans les pirogues h un seul homme. Je me décidai (loiicà lui donner lâchasse afin, ou de le tuer, ou de lui faire abandonner le pays. A cet effet, et pendant quatre mois, je l'ai chassé tous les jours durant quatre ou cinq heures, sans jamais réussir à l'exterminer. Les premières l'ois que je l'aperçus, je m'en approchai suffisamment pour pouvoir le tirer, mais, dès ma troisième rencontre il reconnut très bien ma pirogue, armée deniesvingtpagayeursjetparlasuilejdès qu'il m'éventaità cent ou cent cinquante mètres, il se laissait Inraquillement glisser du tronc d'arbre sur lequel il prenait son bain de soleil et, filantentre deux eaux, disparaissait sans qcie, bien souvent, mes hommes pour lesquels cet exercice était un plaisir, aient pu juger de la direction qu'il avait prise, ce que l'on devine en certains cas au moyen de la petite vague qui le suit, formée par le déplacement de l'eau; il faut pour cela que la rivière soit calme et que l'eau ne soit pas trop profonde.

Quand on veut faire une vraie chasse au caïman, il ne faut pas la faire au fusil. J'en ai tiré bon nombre et je n'ai jamais pu en retrouver un seul. Le caïman blessé d'un coup de feu ■ie laisse tomber à l'eau, coule à fond si la blessure est mortelle, se noie et est emporte par le courant, ce n'est qu'après deu.\ ou trois jours qu'il flotte. J'en ai même tiré qui étaient endormis sur des touffes d'herbes : d'un coup de queue prodigieux ils disparaissaient sans qu'on pilt les suivre et allaient rendre leur âme noire dans quelque fourré d*herbes impénétrable.

Le seul moyen qui m'ait bien réussi, c'est de le chasser au harpon.

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ETUDE SUn ht: UOVAUME UA3SIN1E.

Cet instrument se compose d'un fer à douille d'environ 0"30 de tige, terminé par une pointe semblable à celle d'un hameçon. Ce l'en est fixé à un manche en bois de "2 mètres de long au moyen d'une bonne corde d'environ 10 mètres, dont l'une des extrémités est solidement amarrée à la douille du huipon et vient ensuite se fixer sur le manche au moyen d'uue double clé; le reste de la corde est amarré au poignet du chasseur. Cette disposition de la corde est destinée à retenir le 1er du harpon et son manche (dans ie cas cet instrument viendrait à se diviser) et à empûciier le ealmau blessé de pouvoir s'enfuir.

Au nombre de mes tirailleurs indigènes, j'en avais trois qui excellaient dans ce genre de chasse. Entièrement nus, ils se mettaient à l'eau et, armés chacun d'un harpon sem- blable à celui que nous venons de décrire, se metlaicnt à la recherche de quelque caïman au milieu des racines de pa- létuviers, opération qui s'eilectuait avec la tranquillité qu'ils auraient mise à chercher un poisson. Pendant ce temps, sur la pirogue resiée en dehors de la ligne des palétuviers, les hommes avaient liberté entière de causer, de riie, de fumer, le bruit qui se faisait de ce côté empêchait les caïmans qui auraient pu se trouver dans la zone comprise entre la pirogue et les chasseurs de reprendre le large.

Aussitôt que les trois chasseurs avaientaperçu un caïman, ils avançaient doucement sur une seule ligne, marchant vers la berge et poussant petit à petit l'animal contre la terre. Quand ce dernier s'apercevait qu'il allait &tro obligé de prendre pied, il cherchait à forcer le passage pour s'os- quiver, mais , alors les nombreuses racines de palé- tuviers le gênaient pour foncer vigoureusement et passer entre les chasseurs. C'est ce moment que mettait à profit celui qui serrait le plus près l'animal pour lui lancer son coup de harpon j puis rapidement il enroulait autour d'une racine on d'un petit arbre la corde assujettie au fer et au manche du harpon.

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ÉTUDE Sl'll LK UOVALME u'aSSINIE.

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Ensuite tous trois, munis de lianes préparées à l'avance, manœuvraient de façon que fun d^entre eux, lui sautant sur le dos ,pùl lui prendre le museau dans un nœud coulanl. Cette opération n'est pas la plus dangereuse ; une fois ter- miuée, il ne reste plus qu'à se t;arer des coups de queue de l'animal. On lui ramène alors les quatre pattes sur le dos et on les lui attache solidement, puis on lâche de saisir sa queue et de Un faire rejoindre le museau. Le harpon est alors arraché delà blessure, et ainsi licelé l'animal est porté dans la pirogue, qui de son côté s'est approchée le plus près possible du lieu de l'opération. Ces hommes considèrent l'amarrage de la queue comme te moment le pins critique delà prise du catman, et je puis affirmer qu'ils n'ont pas tort. Ainsi, j'ai rapporté en France la peau d'un gavial me- surant 3°'50, pris dans les conditions indiquées ci-dessus. Tout s'était très bien passé, mais comme il était déjà un peu lard pour tuer et dépouiller l'animal, j'avais remis au len- demain cette opération. Eu attendant, je l'avais fait déposer, soigneusement tigolté, dans le sous-sol de la résidence, lequel servait de magasin aux vivres; je m'étais couché tranquillement, ne pensant plus à mon terrible prisonnier. Tout à coup, sur les deux heures du matin, je fus réveillé en sursaut par un vacarme épouvantable au-dessous de ma chambre. Je me souvins alors de ma prise de la journée et descendis voir ce qui était arrivé.

Le redoutable saurien avait réussi à dégager sa queue des liens qui la retenaient (j"ai toujours supposé qu'un rai, animal qui pullulait chez moi, avait ronger une liane), et c'était avec sou appendice caudal qu'il avait fait tout ce tapage, culbutant les l'ùts de farine, de lard, de biscuit et autres denrîes qui se trouvaient là. On amarra de nouveau l'animal eu ayant soin de le tixer plus solidement. Le len- demain, au jour, eut lieu son esécution, et sa chair servit à l'aire de nombreux loutous.

Eu forêt, sur le bord des lagunes et des rivières, on trouve

346 ÉTUDE Sl'll I.E llOVAlUtE d'aSSINIE,

le varan, espèce d'énorme lézard ressemblant à l'iguane. J'en ai lue un non ioiix de la résidence ; il mesurait 2"27 du bout du museau à l'exlrémilé de la queoe. Sa chair est un régal pour les indigènes; ce qui fait que je n'ai pu rap- porU'r la peau de celui dont je parle, mes Urailleurs s'étant fort peu préoccupés, lors du partage de l'animal, de ce qui m'intôressait le plus. J'ai rapporté néanmoins une peau de varan mesurant l'"40.

On rencontre des serpents en grand nombre et de toutes les dimensions, depuis les pylhons Sebae et Itegius jusqu'à une espèce d'orvet mesurant au plus CC'^O. Ix plus dan- gereux de ces reptiles est sans contredit la viptre cornue, qui atteint jusqu'à i mètre de longueur. Les crochets d'une "Vipère de cette taille sont longs de 0"030 environ.

Tous les serpents fuient l'homme quand ils ne sont pas attaqués ; mais la vipère cornue, ne pouvant, en raison de sa grosseur disproportionnée (une vipère de 1 nièlre de lon- gueur mesurant environ O'"30 de circonférence au milieu du corps), se mouvoir facilement, devient précisémenl dan- gereuse parce fait. Comme celle du Gabon, elle porte quatre cornes sur le nez et deux an-dessus de chaque œil, comme celle du Sénégal. Yi vante, elle est assurément le serpent ayant la plus splendide livrée comme dessins et comme cou- leurs. En séchant, les dessins de sa dépouille subsistent, il est vrai; mais les brillantes couleurs de la vie s'éteignent pour faire place à une teinte grise, et une fois la peau des- séchée entièrement, on ne voit plus que du gris, du noir et du blanc sale, le rouge, le bleu, le violet irisé et lie de vin ayant complètement disparu.

Les indigènes m'ont affirmé qu'elle se nourrit exclusive- ment d'ananas ; je ne serais pas éloigné de croire que celte affirmation est vraie, car j'en ai trouvé plusieurs dans la petite plantation d'ananas que j'avais établie lors des pre- miers jours de mon arrivée.

Les crustacés que j'ai observés se bornent à deux es-

ËTrDE suit LE KOYAUME D ASSINIR.

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pèces. Sur le bord de la mer, le crabe. Les indigènes le chassent d'une manière fort singulière : doué d'une vue extraordinaire, le noir, évitant loulmouviimenl brusque, suit le rivage on examinant avec soin s'il aperçoit un crabe hors de son trou; dés qu'il en a vu un disparaître dans le sable, il s'élance en courantdans celte direction et à 4 ou 5 mètres, prenant son élan, il fait un saut en ayant soin qu'en retom- bant à terre ses talons portent les premiers et s'enfoncent dans le sable h l'endroit l'expérience lui laisse supposer que doit se trouver le conduit de retraite de l'animal, puis, avec ses mains creusant le sable très vivenienL, il est bien rare qu'il ne ramène pas triouiphaleracnt l'animal qui par cette oxanœuvre a eu la retraite coupée.

La seconde espèce est la crevette, qu'on rencontre daus les lagunes, rivières et marigots. J'ai remarqué cette môme crevette dans le Bokoué et le Como. Aux Pahouines des deux rivières ci-dessus j'en ai souvent acheté qui mesuraient 25 et môme 27 centimètres de longueur; ces dimensions se rencontrent également à Assinie.

Je n'ose entreprendre l'examen des insectes, les observa- tions de M. Cb. Alhiaud ne me le permettant pas. Je ne signalerai en passant qu'un énorme ooléoplère, ressemblant un hanneton argenté, que les indigènes nommeal Kakaba Tano; c'est une des nombreuses variétés du goiiath qu'on rencontre fréquemment sur toute la côte occidentale d^Afrique et dont M. Alluaud possède une collection fort rare. Son apparition a lieu en décembre et en janvier.

Le plus beau que j'aie rapporté à M. Alluaud de la part de mon successeur à la résidence d'Assinie, M. Treich-Laplèno, a été pris dans des conditions très singulières. M. Treich en avait un certain nombre qu'il faisait dessécher pour les eraballer; parmi ces coléoptères se trouvait une très belle femelle. Un soir, à la tombée de la nuit, nos boys qui flânaient sur la véranda se meltent à pousser des cris assourdissants en apercevant un goiiath colossal qui voltigeait autour

'■iiS ÉTUDE Si;il LE nOYAUME d'aSSINIE.

de la raaison et affectait de venir papillonner près de la planche sar laquelle était posée la femelle morte; poursuivi par les petits domestiques, il disparut; le lendemain, même apparition, même chasse et même disparition; le surlende- main je signifiai aux domesliques d'avoir à rester tranquilles, dès qu'apparaîtrait te golialh. A la tombée de la nuit, comme les deux jours précédents, il arrive, fait deux ou trois fois le tour de la maison et finit par venir se poser h côté de la femelle morte. L'un des boys s'avança avec prudence et s'empara de l'insecte, qui paya de la vie sa tendresse pour le beau sexe.

Le genre arachnide est représenté par de nombreuses espèces dont la plus grosse est une araignée noire à bandes transversales jaunes. Elle file une soie capable d'arrôte^ dans son vol un colibri. Il en existe une autre espèce à carapace dure à la surface supérieure du corps et portant sur le bourrelet postérieur quatre pointes ou cornes; elle a l'aspect d'un petit crabe. C'est principalement enlre deux pieds de café qu'elle établit sa toile.

Les oiseaux varient à l'infini. Sur les rivières on rencontre un aigle pôcheur n^ir h tête et queue blanches; le cormo- ran />/o(Ms, l'ibis fakinelle; un genre d'ibis blanc à tête et cou noirs, qui, je crois, doit être une variété de l'ibis sacré; un très grand ibis à plumage vert bronze foncé; la spatule; de nombreux hérons de diilôrenles grosseurs et à plumages variés; le courlis; différentes espèces de bécassines; le court- viteàcollier; le chevalier; le vanneau ; le pluvier; l'oedicnème criard ; l'outarde; en forôt, une espèce de pintade à croie inclinée en arrière avec le cou bleu et rouge; une grosse perdrix que les indigènes nomment poule des bois; des colombes et louiterelles de différenles grosseurs à. plu- mage brun sur le dos et couleur lie de vin sur la poitrine el sur le ventre; le pigeon vert à bec et pattes rouge ver- millon.

A certaines époques apparaît le martinet. On rencontre

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ÉTBDE SUR LE ROYAUME d'ASSINIE. 349

aussi une petite hirondelle entièrement noire à reflets bleus. Le poisson qui sert communément de nourriture aux indigènes est le machoiron (clarias leviceps), poisson à grosse lète portant autour de la bouche des papilles comme le barbillon. Ses nageoires pectorales sont armées d'un os très pointu et garni sur le côté de barbelures qui le font ressembler à une scie.

On rencontre aussi un poisson torpille (semblable à l'ag- nie des Pahouins, Yininda des Gabonais). Ce poisson est consommé par les femmes seulement.

La partie végétale de la nourriture des indigènes se com- pose de la banane, du manioc et de l'igname. Ce dernier tubercule donne lieu à la plus grande fête du pays. Le roi seul a le droit de manger le premier de l'igname de l'année, et cette coutume est observée strictement. Il n'est permis à ses sujets d'en manger que huit jours pleins après que le roi y a goûté. A l'occasion de cette fête des ignames, le roi en envoie, comme cadeau, un certain nombre au résident et quelques-unes à chaque Européen présent dans la colo- nie au moment de la fête.

DE ZANZIBAR

A LA STATION DE KONDOA'

-A.. B Ij O "5r E T

Chargé par le Comité Trançais de l'Association internatio- nale alricriine de fonder une station scientiOque et hospita- lière dans rOussagant, aux environs de Kilassa ou Kiora (côle occidentale d'Afrique, suUanat de Zanzibar), je partis de Marseille le 2 mai 1880 ; le 29 du même mots j'arrivais à Zanzibar. Après avoir organisé une petite caravane, je partais le lljuin de Bagamoyo à la recherche de remplace- ment de la future station. Le 2 juillet j'arrivais à Kondoà, lieu que j'avais choisi pour l'édiGcalion des bâtiments de la nouvelle station. Le mauvais vouloir des chefs, excités contre moi par les Ariibcs qui résidaient dans le pays, et surtout les fièvres pernicieuses qui me tinrent pen- dant cinq longs mois, m'empêchèrent de travailler aux con- slructions comme je l'aurais voulu. Cependant le 13 février 1881 la station était fondée. Elle se composait d'un grand corps de logis pour le missionnaire, avec magasin pour

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I. Uien nue de dale un peu »nc<coitc, celle noticfl renferme des iudi- catiotis qui pourrnnl i^tre utiles aux voyageur» et :iux géotçra plies.

M. BInyel, capit.:iitR< au long cours, avait été chargé, va 1880, pur le « Coiiiitù TraDcuis de l'Association litternaliunale arricaiiio », d'aller fon- der dans rOuiisagara une station icientillque et hospitalière. Pendant un séjour de cinq ans clans cette contrée, i] s'est nppliciué à l'étudier avec plus de détail que ne l'avaient fait jiisqu'alor-i les voyageurs dont les rapides trajets ne comportent pas det recherches complètes. C'est ainai

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DE ZANZIBAR A LA STATION DE KONOOA. ^fôl

marchandises d^échanges, et des huttes des serviteurs el hommes d'escorte. Je dus revenir à la côLe le 30 mai de la même année; ma santé avait été trop fortement ébranlée el un repos de quelques mois à Zanzibar était nécessaire.

M"" Bloyet vint me rejoindre à Zanzibar le 18 septembre, puis, partis pour Bagaraoyo, nous nous mîmes, le 18 oc- tobre, en roule pour laslalion de Kondoâ nous arrivions le 5 novembre.

Les travaux qui restaient à faire à la station m'empo- chèrent de donner suite à mes projets d'explorer les alen- tours; mais malgré cela, tout en surveillant les Iravaux^, ju pus recueillir quelques collections qui furent oll'ertes par le Comité français au Muséum d'histoire naturelle de Paris.

Le 15 juin 1882, ma femme et moi nous parlions pour la côte, d'où après avoir renouvelé nos approvisionnements, nous étions de retour à la station le 22 août. Je pus relever Irfes exactement l'itinéraire de Kondoâ à Bagamoyo el lis de nombreuses observations barométriques ethypsomélriques. Au mois de décembre de la même année, je fîs un petit voyage d'excursion aux alentours, passant parKouà-Toupa, Kiloga, Kiora, Mounié-Sagara, Kilàssa elMadélé. j'eus Toc- caiion d'observer plusieurs lours d'horizon et principale- ment sur le pic Louemba, haut de 1,700 mèties. Des obser* valions hypsométriques furent faites à toutes les stations de Ce voyage. le 10 février 1883, laissant la station à la garde de ma

I'''îl»cxéciité des observations iinîtéorologiques puiviea, el délcriiiiné les '^liliides de vingt-cinc] points, les longiludes de deux points (Kondoi et Vriignro), Ces observations doot tes cahiers sont déposée dans les «Hiiives de l.i Société do Géograptiie, ont été caluulces par les soins île "• A, Orandidier. Au sujet desobsorviilions do M. Bloyelet de ta carte finie au présent travail, cotisiiUer le rapport do M. A. Graiidiilter à la '^iHinission des Prix delà Société [Bulletin de. la Société de Géographie, "'iTiwesire 1886, p. 338).

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352 DE ZANZIBAR A LA STATION DE KONDOA.

femme, je partis pour un peliL voyage à Memboya, au nord de la station. Je ne pus faire aucune bonne observation, la saison des pluies étant trop avancée ; mais, par contre, je relevai soigneusement la route suivie à l'aller et au retour. Le 1" juillet dfi la même année, ayant pu rnc procurer les porteurs nécessaires, nous nous mîmes en roule, dans le biu de nous rendre à la côte en faisant un grand coude à l'ouest, passant parMpouapoua et revenant à Baga- moyo par la route du nord. Notre première étape nefl] fut qne de 5 kilomètres car nous n'avions pu nous mettre en route qu'à une heure fort avancée de laprès-midi. A 5 heures du soir nous canipimes sur les bords de la Mkondoâ après avoir fait environ 5 kilomètres à l'ouest. Le lendem;iin nous campions k Kitadaraave, petit village bâti sur une colline qui domine le Mkondoâ de 100 mètres; nous avions fait 13 kilomètres au nord-ouesH/4 ouest. J'ob- servai, en cotte station, un tour^d'horizon el des circummé- ridiennes. Le fi juillet nous arrivions au village de Kimouaga après avoir fait 8 kilomètres ii l'ouest 1/4 nord-ouest et avoir passé 2 kilomètres auparavant vis-à-vis le village de Mounié-Sagaro. Le lendemain (7 juillet) nous arrivions à Kilassa, l'ancienne mission anglaise, ayant parcouru 10 ki- lomètres à l'ouest-uord-ouesL Je pus observer un tour d'horizon et des circumméridiennes. Le 8, après une étape de 12 kilomètres l/2au nord-ouest, nous campions àMadélé (lour d'horizon), C'est ici que la Uoumouma, qui sort des montagnes del'Ouhéhéet forme véritablement le prolonge- ment de la Mkondoâ, sejette dans cette dernière rivière. Une étape de 7 kilomètres au nord-ouest nous conduisit sur les bords du lac Ougombo, nous dressâmes notre tente. L'eau de ce lac est fortement saumàlre. Les crocodiles et les hippopotames j pullulent (tour d'horizon et circummé- ridiennes). Le 10, une étape de 10 kilomètres au nord 1/4 nord-ouest nous conduisit à Godégodé. Nous campâmes sur les bordi d'un ruisseau d'eau sauraâlre mais très claire

DE ZA>ZI(IAR A LA STATION DE KONHOA, 353

(tour d'horizon, circumméridiennes). Lcit, ayant parcouru i'3 kilomètres au nord-nord -ouest, nous arrivions à Simbo ou Matoumombo (tour d'horizon el circumméridiennes). Nous étant remis en roule dans l'après-midi, nous cam- pâmes dans le porri, après avoir parcouru 10 kilomètres à l'ouest-nord-ouest 1/2 nord. Le 12 juillet, une étape de IG kilomtlres nous conduisit à Mpouapoua; la route suivie tut nord-nord-ouest. Nous séjournâmes quatre jours à Mpouapoua je pus observer quatre tours d'horizon et des cirenraraéridiennes.

De la station de Madété nous avions suivi la vallée de la Mkondoâ, contrée splendide el relativement bien cultivée. De Madélé à Mpouapoua, la contrée est déserte, et le porrî qui s'étend entre ces deux localités a une mauvaise réputation parmi les caravanes, à cause des nombreux vols dont celles-ci sont victimes de la part des pillards (Wahéhés et Wagogos) qui infestent cette partie de la roule. L'aspect général du paysage est triste. Le sol est composé de col- ines rocailleuses (débris de grès et de quart!;) recouvertes li'une végétation d'arbres rabougris et épineux formant par places des fourrés impénétrables. Entre ces collines s'éten- dent de petites plaines recouvertes d'efllorescetices salines ipiileur donnent l'air d'avoir été blanchies au lait de chaux. Le gibier abonde, principalement le gros gibier, comme les rhinocéros, les bufiles, les élans du Cap, etc., etc. J'ai rcn- Mntré souvent des traces d'éléphants.

Pendant les mois de mai, juin, juillet el août, les ntiils sont très fraîches à Mpouapoua, el il y soufllp un vent du îiud-est extrêmement violent.

beraardi i 7 juillet, nous quittâmes Mpouapoua à six heures •lu matin. Une étape de 22 kilomètres à l'est i/4 sud-esl, "ûus conduisit AToubougué, apiès avoir descendu une mon- ''gnedonlle sommet atteinll ,260 mètres, etquisépareTou- iiougué de Mpouapoua (tour d'horizon el circumméri- •fiennes).

80C. BE GÉOCR. 3* THIMESTHE 1890. XI. 2'J

364 DE ZilNZtBAR A LA STATJON KQISAOA.

Le 10 juillet, nous allilmes établir notre camp de l'autre côte de la rivière de Toubougué, à 4 kilomètres cn- viroa au nord (circumméridiennes, tours d'horizon).

Le 20, je gravis le Kangadich et pus observer un tour d'horizon et des circumméridiennes sur un des sommets (altitude l,7(>0 mètres). Le soir j'étais de retour au carap à six heures.

Le 21, ayant parcouru 9 kilomètres au nord-est, puis 12 kilomètres à l'est, nous arrivâmes à Miali après avoir contourné le .Mluici. J'ai fait des tours d'horizon à Mlali.

Le 24-, après avoir pnrcoaru 21 kilomètres au nord-est, nous dressâmes notre lente au pied du mont Loubého, dont le sommet atteint 2,000 mètres. C'est du reste entre Loubého et MIali, à environ 1 kilomètre 1,2 au sud-out^t de notre camp (1,500 mètres), que se trouve le point culminant de la roule, de Saadani et Mpouapoua (tours d'horizon et circu- cumracridiennes).

Le 2r», nous arrivions à liitangué après avoir fait iO kilo- mètres au nord-est 1/4 est; pendant notre halte je ,pus ob- server un tour d'horizon et avoir des circumméridiennes. Nous étant rerais en route i deux heures, nous eanipàmes pour la nuit dans la forêt, après avoir parcouru 10 kilo- mètres ausud-esl l'iest.

Le 27, après un trajet de 8 kilomètres au sud-est de notre point de départ, nous arrivons à Memboya, siège de la mission anglaise que dirige M. Last. Nous y ftimes bien reçus. L'altitude de la mission est de 1,2130 mètres. Nous y séjournâmes quatre jours et je pus y observer des tours d'horizon et des circumméridiennes. De Mpouapoua ù Memboya on se trouve dans l'Oukiigourou, pays mon- tagneux. Le sentier suit le tl.tnc de la montagne et en allant de Mpouapoua à Memboya on a au-dessous de soi, sur la gauche, une vaste plaine coupée par plusieurs petites chaînes de collines habitent les Massai et les Waboum- bas, tribus uomades qui sont sans cesse à la recherche de

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DE ZANUBAR A L\ STATION DE KOMtOA- 355

nouveaux p&turages pour leurs nombreux troupeaux. Une «{oantité de petits ruisseaux coulent des lianes des mon- tagnes de l'OukayoiJrou vers la plains, mais ils n'y forment aucun cours d'eau. LesoL de la plaine en partie sablonneux abborlie tout. Dans la saison nous nous trouvions le» nnits étaient fraîches, et le matin une brume intense empê- chait de voir à six pas devant soi.

Le 1" août nous limes nos adieux à M. Last en le remer- ciant de son bospitJilittt. Ayant parcouru 18 kilomètres au eud-Kud-est, nous campâmes non loin du pied du mouL Nyangara, dont le sommet s'élève à i,i(M mèlres. Nous séjournâmes le i et le 3, une blessure à la jambe m'em- pôcbiratde marcher; je pus observer un tour d'horizon.

'Le 4, après avoir suivi un sentier excessivement sinueux et avoir fait à peu près 10 kilumètres au sud-est, nous arrivâmes au pays de KilTé; je pus observer un tour d'ho- rison l'après-midi.

Le ô, une étape de i5 kilomèlres à l'est nous condui- sit au district de Kidélé. Nous dressilmes notre tente à •200 mètres d'un viMagc du nom de Kiendiéni, habité pardes Maquois (tour d'horizon). Le ti, après une étape de 18 kilo- mèlres à l'est-nord-est nous étions à Mangoubougoubou. Un peu avant d'arriver au camp, I kilomètre 1/2 environ, nous eûmes à traverser un marais infect, parmi un fouillis inex- tricable de roseaux et de grandes herbes; nous avions de la -vase noire et fétide jusqu'à la hauteur des hanches. Malgré la mauvaise position de Mangoubougoubou, qui se trouve dans un bas-fond, je pus observer un tour d'horizon et re- lever quelques sommités de Ngourou.

Le 7 nous arrivions à Mvoméro après une marche de t8 kilomèlres an nord-esl. Comme la veillenous avons pa- taugé dans un marais qui ne le cède eu ricii au précédent. Un tour d'horizon fut observé d.ms l'après-midi.

Le 8, après avoir parcouru 28 kilomètres au nord-est et avoir passé à Kouà-Mchoropa, traversé le Mtoamawé,

356

DE ZA^ZJUAH A LA STATION DE KOKDOA,

la Lukindo, le Mkindo el quantité de petits ruisseaux, nous campâmes dans les champs au-dessous de la montagne Mkoboué.

Le 9 août, ayant traversé encore une quantité de petits ruisseaux qui sortent de Mkoboué, gravi plusieurs collines el parcouru ii kilomètres environ au nord, nous arrivâmes à la mission catholique française de M'honda, dont le révé- rend père Machon est supérieur. Nous fûmes forcés de séjourner quinze jours k M'honda pour permettre à la bles- sure de ma jambe de se cicatriser. J'observai pendant ce temps-là des tours d'horizon et des circumraéridiennes.

Ij3 23, prenant congé de nos hôtes, nous allâmes camper à Bouâ-M'honga,à 9 kilomètres au sud-est 1/4 estdeM'bonda,

Le lendemain 24, 10 kilomètres à travers la jungle nous amenèrent à Kidoudoué; route suivie sud-est 1/4 est. Tour d'horizon.

Le 25, après avoir parcouru 16 kilomètres au sud-est, nous avons campé à Kilinia-Magnani, dans le porri. Tour d'horizon.

Le 26, arrivé à Matoungou après imf marche de li'i ki- lomètres à l'est. Tour d'horizon.

Le 27, traversé la rivière Kouloulaà l'endroit appelé Bou- 7ini, à 10 kilomètres au nord-est de notre point de départ; à 4 kilomètres à l'est, arrêt au village de Koua-Mlélé. J'ai fait quelques relèvements à la boussote, un tour d'horizon avec le théodolite étant rendu impossible, par l'abondance des arbres et le manque d'horizon. A 14 kilomètres plus loin dans le nord-est 1/4 est, nous campons près du village de Koua-Digouaraé. Impossible encore d'observer, faute d'ho- rizon.

Le lendemain 28, quittant la route de Saadani nous nous dirigeons vers Mandera, et un parcours de 10 kilo- mètres à l'est-sud-est nous amène près du village à& Ki- rongo, nous campons. Comme la veille, l'horizon est trop borné et je ne puis faire aucune observation.

DE ZANZmAU A LA 3TATI0Î! DE KONDOA. 357

Le 29 août une marche de 19 kilomètres à l'esl-sud-est i/â sud uous fit arriver au village de Mahinbou. Pas plus qae les jours précédents, l'horizon borné que j'avais autour de moi ne me permit d'observer un tour d'horizon.

Le 30, ayant parcouru 10 kilomètres au sud-est, nous arrivâmes à la mission catholique de Mandera dont le père Picardat est le supérieur. Nous i'ûmes reçus, ma femme et moi, avec cette cordialité qui est l'apanage des boas pères de la cûngrcgalion du Saint-Esprit. Je pus faire un tour d'horizon et observer des circumméridiennes. A Mandera, une partie de nos porteurs déserta, sous prétexte que nous devions traverser l'Oudoé pour nous rendre à Bagamoyo. Il est vrai que les Vadoés sont quelque peu anthropophages. Je fus donc obligé d'engager d'autres porteurs.

Le 1" septembre nous nous mîmes en route et après avoir parcouru 12 kilomètres au sud-est 1/4 sud, nous cam- pâmes à Kouâ-MacluDJa. Nous avions traversé le Warné à 3 kilomètres de notre point de départ, Mandera. Le 2, une marche de 20 kilomètres au sud-est nous conduisit ;\ Simba-Mbili; le 3, après avoir parcouru- 20 kilomètres au sud-est nous arrivâmes à Karabaka,

Le i, nous traversâmes le Kiiigani, à 6 kilomètres au sud- esl de Karabaka et 8 kilomètres au sud nous arrivâmes â Bagamoyo.

Be Memboya au pays de KiH'é la roule suit en descendant un terrain accidenté. Les collines sont très boisées d'une espèce d'arbre appelé mihoumbos, dont l'écorce sert à fairedes cordes et des liiidos (espèces de paniers) ; les vallées sont encombrées par une forte végétation de bambous et de roseaux. Le terrain a une couleur rouge d'ocre, et le quartz îiomine avec des grès dans !a formation des collines; de •vitré à Kidélé, la route descend encore et le terrain renferme <Javantage d'argile et de sable. De Kidété à Mvoméro le ''finlier chemine en plaine. A part quelques endroits cultivés 3UX alentours des villages, la plaine est inculte. De Mvoméro

358 DE 7A^f^IM.\R a la STAiroN DE ROWrOA.

iV M'honda la roule passe ;\ travers les contrefort» ùa Ngou- rou; le sol, arerdenlé, est fait d'une lerre rouge, avec du quartz et du granit. De M'honda à Matoungoii la plaine présente la même aspect que de Kidélé à Mvoméro. De Ma- toiingou à Simba-Nbili le sentier serpente à travers une quantité de collines boisées, dont le sol rocailleux, se cono^ pose de quartz et de grès. Do Simbo-Mbili à Bagamoyo les collines ne représentent pins que de simples ondulations terraÏD^ sol, sablonneux en majeure partie, est argileux dans les bas-fonds.

Après nous fttre ravitaillés h Bagamoyo, nous en partîmes le 1-4 septembre. Le -4 octobre nous étions de retour à la station après avoir fait les étapes suivantes : de Bagamoyo h Mounié-Kondo, IX kilomètres, route h l'ouesl-sud-onest; de Monnié-Kondo à Bikiro, 3 kilomètres, au snd-ouesl 1/4 ouest; de Bikiro à Kingueni, 15 kilomètres, au sud-ouest 1 '4 ouest (le Kingueni à Mbouyouni, i5 kilomètres au sud- ouest 1/4 ouest; de Mbouyouni à Mbiki, i kilomètres, à l'ejl- sud-ouest; de Mbiki à Sagali, 1 i kilomètres, au sud-ouest i/4 ou«3t; de Sagali à Msouitb, 16 ktlomi:;lres, an sud-ouest 1/4 ooest; de Msouùh à Kissérao, \(t kilomètres, au sud- ouest 1/4 ouest; de Kissémo à Guéringuerré, 18 kilomètres, àl'ouesl'^sud-ouestl/â sud; de GuéringuerréàYanguéangué^ 16 kilomètres, à l'ouesl-sud-ouesl 1 'isud; de Yangiiéangué h Koù, 4 kilomètres au sud -ouest: de Koô àMike^si, lâkilo- raèlresà l'ouesl-sud-ouest 1/:2 sud ; de Mikessi à Kouft-Gouzo, 2(1 kilomètres, à l'ouest 1/4 sud-oucsl ; de Kouâ-Gouzo & la mission de Mrogoro, 5 kilomètres, au sud-sud-ouest; de la mission au village de Mrogoro, .1 kilomètres à l'ouest 1/4 nord-ouest, de Mrogoro à Guéringuerrc-Mdogo, 8 kilo- mètres, au nord-ouest; de Guéringuerré-Mdosjo à Myanzi, 16 kilonièires au nord-ouest, de Mian/.i à Kooà-Kigongo ou Mkala, 21 kilomètres, à l'ouest i/'i sud; do KouA-Kigongoà Mkobéringa, i7t kilomètres à l'ouest; do Mkobéringa h la station française de Kondoil, 'i7i kilomètres au sud-oueal.

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DE ZANZIBA.U A LA S^TATION IHE KOXDOA. ÎJiiU

Les travanx de la sUUion et los collections à recueillir aux alentours nous occupèrent jusqu'au l"juin 1884.

Nous partîmes de fa slallnn le t"juin. Notre intention était d'aller passer quelque temps à Mrogoro auprès des pères de la mission. Nous carupiinies près du villag» de Kofarbanî, après avoir parcourn 7 kilomètres au nord. Le lendemain, après unr- marche de 10 kilomèlres à l'est, nous arrivâmes à Kotiâ-Kingo.

Le 4 juin, no\n fûmes camper dans la- plaine de la IMkata après avoir l'ait 10 kilomètres au nord-est jusqu'à Mkobéringa et 10 kilomètres à l'est jusqu'à l'endroit nous avons campé. Je pus faire deux tours d'horizon dans la jooméedu lendemain.

Le6 juin, lOkilomètres h l'est, nou? traversûnies la Mkata à l'endroit appelé Kouà-Kij;ongo, el 3 kilomètres plus loin au nord-est 1/4 est nous campions dans le porri (tours d'horizon). Le 0 juin nous arrivâmes à Mianzi après avoir fait 17 kilomètres â l'est. Nous ne nous aiTélàines qu'un tnoroenl, et à 16 kilomètres au sud-est nous arrivions à Gué- ringiicrré-Mdogo . je Fis encore u n tour d'horizon. Le 10 une marche de 10 kilomètres au sud-est nous amenai la mission <ie Mrogoi'o. Nous y séjoumAmes vinj^t-cinq jours peruianl lesquels je m'occupai d'observations et de collections. Le -juillet nous étions de retour à la station.

Les soins de la station et divers ouvrages me retinrent à Kondoâ jusqu'au 8' octobre 1884. Nous partîmes ce jour-là "" la station-, mais comme nous n'avions pt\ réunir les por- 'Curs que fort tard dans la soirée nous ne fîmes que 3 kilo- '"èlresau sud-est et campimes dans les champs pour passer '* nuit. Le 9 une marche de 6 kilomètres au sud-stid-est 'lous conduisit i\ Kouà-Kirntou. Nous sommes obligés '' attendre toute la journée pour nous procurer des guides, Purce que personne de nos hommes ne connaît la route lue nous devons suivTO. Tour d'horizt>n. Le 10, par une f^arehe Je IT» ktlomètres nous arrivions ii un endroit appelé

360 DE ZANZIIIAR A LA STATION DE KONDOA.

Tendiga nous carapâmes et je pus faire un tour d'horizon. Nous ne partîmes de Tendiga que le 13, et après tj kilomètres à l'est-snd-est nous carapâmes sur les bords de la rivière Mkata.

Le 15 nous campions dans le porri après avoir parcouru 16 kilomèlres au sud-est. A cet endroit, nous sommes à la limite sud-est de la plaine de la Mkata que l'eau couvre entièrement pendant la saison des pluies.Legibier y abonde.

Le lendemain 16, nous arrivJimes à Msongoci après une marche de 11 kilomètres au milieu des collines qui forment, de ce côté, les premiers contreforts des montagnes de rOurougourou. L'après-midi, ayant effectué une marche de 10 kilomèlres au nord-est 1/4 est dans la montagne, nous carapîlmes à Magari (tour d'horizon).

Le 18, après avoir parcouru une distance de 18 kilo- mètres au nord-esi 1/4 est dans la montagne, nous arrivÂnte.*; à Mréré (tour d'horixon).

Le t'J, après avoir parcouru 11 kilomètres au nord- est, nous arrivâmes près du Kouâ-Gondo. Tour ii'horizon. Le "20, nous passâmes à Mrogoro après avoir parcouru 15 kilomètres au nord- est, puis t kilomètres plusà l'estnous arrivâmes à la mission des pères du Saint-Esprit, nous séjournâmes jusqu'au 23 octobre. Le ^3, nous nous mîmes en route et, ayant parcouru Itl kilomètres au sud-est, nous campâmes près du Kiroka. Le 24, notre camp élait à Tomondo, 13 kilomèlres au sud-est du Kiroka. Le 25, après avoir parcouru péniblement 10 kilomètres parmi les collines, nous arrivâmes à Mféno; la route suivie avait été au sud- sud-est.

Le 26, une course de 8 kilomèlres au sud-est nous fit arri- ver à Kilimbouici le sentier débouche en plaine, lïaprès- midi, après avoir parcouru 4 kilomètres à l'est nous campions près de Kouà-Mamba. Le mauvais temps nous força de rester la journée du 27 h Kouà-Mamba.

Le 28, après avoir parcouru 22 kilomèlres à l'est-sud-esl,

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DE ZANZIBAR A LA STATION DE KONDOA. 361

nous campâmes près du village de Korongo. Le 20, nous arrivâmes à Kouâ-Mounié-lIodi après avoir fait 13 kilomètres à l'est-sud-est ; l'après-midi, une élape de 12 kilomètres à l'est nous conduisit près du village de Foimdi-Banda, nous établîmes notre camp pour la nuit. Le 30, ayant par- couru 16 kilomètres à l'est, nous nous reposâmes au village de Kour-Kirouà ; l'après-midi, au départ, nous traversâmes le Guéringuerré, qui est complètement à sec, et après avoir parcouru une distance de 13 kilomètres au nord-nord-est nous dressâmes notre tente près d'un village en pays Mihoumbo. Une pluie diluvienne nous retint au camp toute la journée du 31. Le l""* novembre, une marche de 19 kilo- mètres vers le nord-nord-est, sous une pluie battante et par des sentiers défoncés nous fil arriver au village de Mapan- guiré. Le 2 novembre fut une journée particulièrement pénible à cause de notre manque de guides et du mauvais état du sentier ; 20 kilomètres au nord-nord-est de notre point de dépari, nous arrivions sur les bords du Itouvou. Ayant traversé celte rivière avec de grandes difficultés, nous fîmes 5 kilomètres au nord-est et passâmes la nuil i Issimiar». Le 3 novembre nous arrivâmes à Dounda après avoir parcouru 25 kilomètres au nord 1/2 est. Après un peu de repos nous nous remîmes en roule, et après avoir parcouru 32 kilomètres au uord-esl nous arrivâmes exté- nués à Bagamoyo. A partir de Kouâ-Maraba nous avons tra- versé une contrée désolée depuis deux ans par la famine. Nous n'y pouvions rien trouver en fait de nourriture, ni pour nous ni pour nos hommes.

Après avoir séjourné quelque temps à Bagamoyo et avoir été à Zanzibar nous ravitailler, nous partîmes le 24 novem- bre. Notre itinéraire de retour ne présente aucune particu- larité parce que c'est le môme que nous avons maintes fois suivi. Le 12 décembre nous arrivions à la station après une absence de deux mois et quatre jours. Les travaux de la station nons retinrent à Kondoà jusqu'au jour une

3e2

DE ZANZIBAR A LA STATION 1>E KOHDOA.

dépêche de M. Ferdinand de Lesseps, transmise par le consul de France à Zanxibar, m'ardonnait de laisser ta station entre les mains des frères du Saint-Esprit et de revenir en France. Après avoir remis la slation entre les mains du père Rion, qui était venu, sur ma demande, de Mrogoro, ma femme et moi nous partîmes é& la slation le 31 mai 188.">. Nous arrivions le 15 juin à Bagamoyo, dix jours plus lard nous étions à Zannbar. Partis de Zanzibar le 7 juillet, nous arrivions le 1-i août à Marseille.

Le maictama, le riz, le manioc, le maïs, la patate douée, plusieurs espèces de haricots, une grande variété de courges, forment la base de la nourriture des diverses peuplades que nous avons visitées. On recolle aossi, mais en petite quan- tité, les arachides, le sésame et le tabac. La canne à sucre et le colon existent presque partout. On trouve la liane -k caoutchouc dans toutes les forêts vierges qui avoisinenl les cours d'eau. Les troupeaux de chèvres et de moulons sont assez nombreux et forment la richesse des chefs. La volaille se rencontre dans tous les villages. Les Wahéhés, les Massai et les Wahoumbas possèdent de nombreux tronp«aus: de bœufs, ces peuplades sont nomades et continuellement en guerre entres elles pour se voler leurs troupeaux.

Les sorciers jouissent d'une grande iniluence dans toute cette parlie du Zanguebar et sont chiirgés de ta confection des dnonàs.Ca mol daoud est un nom j^'énérique qui sisnifie médecine, charme, sortilège, lalisraan. Il existe des daouâs pour toutes choses, pour protéger les villages de la guerre, pour chasser les mauvais esprits, pour faire tomber la pluie, etc., etc. La poudre est un daonà aussi. Ces peuples voient le surnaturel en tout et pour tout.

Un homme, par exemple, ne peut pas mourir de maladie ou d'accident ; c'est un sort qui lui a été jeté. Le sorcier est chargé de faire le dnouà pour savoir celui qui a lancé le sort, n y a plusieurs genres d'épreuves pour connaître le coupable ; les épreuves le plus souvent employées scwit celle»

DE ZANZIBAR A LA STATION l>K KONDOA. 363

de l'eau, du feu et du poison. L'individu présumé coupable esl saisi et brûlé vif. Ce genre àa supplice est l'occasion d'une fête. Oa boit du pombé (bière obteuue par la fiirmea- tation du maïs ou du moutania), on chante el ou danse. b^rsqu'uD chef inllut-nt meurt, nombre des victimes augmente et une de ses femni«s es4 ealecrée vive avec son raari.

L'infanticide est pratiqué sur une vaste échelle. Une foule de circonstances font rejeter le nouveau-né de la vie. Les principales causes sont colles-ci : un enfant venu au monde avec des défauts physique*», lorsque l'accouchement a été laborieux (cas rare), lorsque l'enfant naît avec des dents, lorsqu'il naît un jour répulé néfaste, comme à la nouvelle lune, lorsqu'il naît le jour d'une éclipse de lune ou de soleil. Tous les enfants nés pendant que la comète de 1882 se trouvait sur rhorïz4>n ont été tués. En les laissant vivre, d'après les sorciers, ils auraient été cause des plus grands malheurs pour leurs famillesou leurs Iribus. Cette pratique barbare explique le manque de population.

lis possèdent un culte particulier pour les esprits. 11 j en a de bons et de mauvais, c'est surtout ces derniers qu'ils cher- chent à se rendre favorables parde» sacrifices.

Quantité de choses sont mouikos ou défendues. Ainsi la viande de poule est mouiko pour quelqu'un, et ce quelqu'un n'en peut manger sans courir le risque malheurs. Cer- taines montagnes sont mouikos. Ceux qui tenteraient d'y aller seraient silrs de mourir sons peu; des champs, des arbres, des maisons sont mouikos. On ne doit pas toucher à ce qui est mouiko.

La femme s'achète au père, leschefs peuvent en posséder plosieurs, ce qui est un signe de richesse. L'adultère du côté de la femme est puni de mort.

Lanaissance nednnne lieuiaucunecérémonie;parconlre, les funérailles sont accompagnées de grands deuils appelés kalamou. Ces cérémonies qui durent plusieurs jours, suivant

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DE ZANZIBAR A I,A STATION DE KOKIJOA.

la richesse du défunt, sont une occasion de manger et boire. J

Les armes sont i'arc, la (lèche, la lance, le bouclier, le] casse-têle, le fusil. Une espèce de houe appelée dieuibi\ sert seule pour les labours. Les ustensiles de ménage etdej cuisine sont une petite espèce de hache nommée chokiifl une espèce de serpe nonamée moundou, le mortier pour! piler le grain appelé kino, les vases appelés houmjous, des] espèces d'assiettes en écorce tressée appelées kitoungas, des] paniers en fibres de palmiers appelés kikapoSf des vases ea] terre pour faire cuire ta bouillie de moutama ou de maïs,] appelés tchoungous, les vases servant à mettre l'eau et à la] fabrication du pombè^ appelés mtounguis.

Les femmes se percent le lobe des oreilles, le font distendre et y introduisent des morceaux de bois ou de cuivre; leurs colliers sont en cuivre ou en perles. Pour les jambes et les bras, elles ont des bracelets en fort 111 de fer oui de cuivre qui partent du poignet en s'enroulant sur le brasi jusqu'au coude, et de la cheville en s'enroulant autour de laj jambe jusqu'à mi-mollet. Elles ont aussi un grand soin de leur coiffure; leurs cheveux, tressés en pclites nattes, sont] enduits d'un mélange de terre rouge et d'huile de ricin.

Les hommes se percent quelquefois le lobe de t'oreilie ctl y mettent un morceau de bois rond, quelques-uns portenlj aussi au cou des colliers en chaînettes de fer.

Ces populations sont misérables au point de vue moral etJ intellectuel. Le mensonge ne leur coûte guère, la franchise est inconnue chez eux, le vol n'est pas considéré comme un i crime.

NOTE &TJlEt TOBROXJQ

DUVETRIER

Sèvres, 11 août 1886.

Les cartes placent Tobrouq ou Mersâ Tobrouq (Anti- f^rgoides Grecs, ancienne station romaine etancien évèché), dans le vilàyet de Ben-Gbàzi, et par conséquent en Turquie. En 1817, Délia Cella, qui accompagnait une expédition du bey de Tripoli, poursuivant des tribus rebelles, relate qu'arrivé au golfe de Bomba l'ouest de Tobrouq) le bey de Tripoli n'osa pas s'aventurer plus loin vers l'est parce qu'il aurait fallu pénétrer sur le territoire égyptien pour atteindre les rebelles. Il serait intéressant aujourd'hui de rechercher sur quelles données s'appuient le gouvernement turc et nos cartes qui placent la frontière de la Tripolitaine et de l'Egypte dans l'est de Tobrouq. En 1817 la frontière passait par le golfe de Bomba; à cette même date, il est peut-être utile de se le rappeler, l'Egypte comme la Tri- politaine étaient non pas des provinces turques, mais des États tributaires de la Turquie.

Quoi qu'il en soit, aux mois de juin et juillet 1869 'Ali Rizha Pacha, gouverneur de la Tripolitaine, se rendit en personne à Tobrouq pour y procédera la fondation d'une ville, et il fit élever sous ses yeux des murailles en bois destinées à former l'enceinte de cet établissement turc. Peut-être le gouverneur aurait-il travaillé d'une façon plus durable s'il s'était appliqué à faire simplement réparer la

:jOG note svk tobkouq.

vieille muraille d'enceinte de pierre que Barlb a vue il y a^ trente-neuf ans. Uti colonel qui «■vailfait partie de l'expédi- tion de 'Ali Rizha Pacha élail furieux de celle mesure, parce qu' « on n'avait pas trouvé une goutte d'eau à To- bronq ». On n'en avait pas trouvé parce que, pas plus que les habilanls, le gouvernement ne sait entretenir les con- sLruclions d'utilité publique.

En 1873, l'archiduc Louis Salvator a visité Tobrou (Voy. Eine Yachtreisein tien Syrien, p. H). Il a imprimé dan sa relation : « Les navires trouvent là, par quatre brasses', un mouillage sûr par tous les venls, sauf le vent d'est. Mais le port estdifScile à reconnaître sans pilote ef, par les vents du nord et du nord-ouesl. les navires menacés devront se réfugier de préférence dans le golfe de Bomba. »

En iSHi, M. Mamoli dit qu'on allait à Tobronq charger de l'orge à destination de Lerna, port il résidai t. Un an plus tard il fit hn-même l'excursion de Tobrouq, pour le compte de la Société d'explorations commerciales, de Milan. II déclare qu'il n'a trouvé à Tobrouq ni un q;Vid ni uu soldat turc, et qu'il a élé assez mal reçu par les habi- tants.

En 1883, le capitaine Kelch, de la marine aHemande, choisit le port de Tobrouq pour faire faire aux marins de la canonnière Cyclop les exercices de tir au canon, et peu L-étre trouverai l-ori dans le Marineverordtiungsblatt àe 1883 un rapport du capitaine Kelch. 11 avait pris àsonbord le docteur Schweinfurth, qui désirait explorer au point de vue bolaiiique les environs du port, et c'est ce savant voyageur qui a donné les détails actuels les plus complets que je con- naisse sur Tobrouq.

H ne signale ni puits ni source. 11 décrit pourlant deux citernes, vides, il est vrai, du 3 au U avril 1883, mais il

i

), l)'après les données lic .M. Sclivvcinrurlli, ou ptuliH iki capilaiiie Kelcli, qtie j'indiquerai plus loin, cetlo prufondeur sérail trop Aiible.

NOtfi SOB ToonotiQ. 3G7

ajoute que l'humidité MiinUit le long des murs d'une de ces cilernes. Or, comme M. Schweinfurlh ne mealionDe pas qn'ii ait plu, et coiQtnc îl déclare que la conliguralion du terrain empêcherait d'amener dans celte citerne l'eau de la chaîne de collines^ on est tenté d'admellre avec lui que les denx citernes étaient autrefois alimentées par des sources, etq^oe lune de ces deux cilcroes l'est encore. D'après les raclures de Barth un des deux réservoirs mrsure soixante dix-huit pas de long sur cinquante-sept pas de large. Les vieilles digues en pierre barrant les ravins monlrenl toute- fois qu'anciennement ouinme aujourd'hui, l'eau était rare à Tobrouq, puisqu'on avait tant travaillé pour s'en procurer; niais la présence de ces monuments permel d'espérer qu'en le? réparant et en les multipliant on arriverait â recueillir 9ir ie port une quantité d'eau de pluie sufûsanlo pour les besoins d'une ville, mômesiles sourcesfùul réellement dé- (mL J'ajouterai cette remarque que, d'après la composiUon générale de la llore, les environs de Tobrouq ne seraient pas plus urides que la Grèce et que des prairies de reQOQ- cules, d'une part, des Ibujjjères et Jes mousses dans les cre- vas&es des ruchers, d'autre pari, Impliquent forcé ment qu'il pleut à Tobrouq ou qu'il s'y dépose des rosées très abon- éadkes. Les rosées étant rares dans le bassin de la Méditer- naée, il faut s'arrêter à la première supposition '.

11. Schwelnfarlh se prononce très catégoriquement sur iSs avantages offerts par Tobrouq, dont le port proroml de 6 à ',) brasses, ayant les mêmes dimensions que ceux d'Aileicandrie et de Syracuse, est sinon le meilleur, du moins Ton des meilleurs de toute laoôte nord d'Afrique. Il a luoe entrée iwane et large qui s'ouvre du o6té de l'borjzou d'où

I. Tmil fiOBla à penser que le rcboiseuiniil de la Marmarique ul de la r.yrénaïque aurait de boas résulluU. Daaf- l'autiqiiilé la l'utiurus amlnit 4aoi lies forêts. Aujourd'hui ces forôts «al disparu, el l'Ouàdi Teiiiiiùni, qni «iiL lu mOmQ fleuve ■{ue lu Puliiirus, ne contient plus dans bqu lit «juo de rare» iliiques d'euu btiigimote.

3<*iS NOTE sun TOimOl'Q.

les Tcnls violents sont les plus rares dans cette partie de la

Méditerranée.

L'auteur allennand s'étonne qu'une puissance européenne n'ait pus encore créé un établissement à Tobrouq cotntne l'Angleterre en a créé unà 'Aden. I

Pendant la visite du Cyrlop 5. Tobrouq, El-Ilâdj Mançoûr Piclia, gouverneur du vilâyel de Barga, arriva par liasard à Tobrouq, et il parut très contrarié d'y trouver la canon- nière allemande. Peut-être venait-il pour surveiller des» réfugiés égyptiens, anciens partisans de Wrabi Picha, qui vivaient autour du château. Ce vieux fort garde par une poignée de gendarmes turcs ne protégerait pas sa garnison contre du canon. Il n'y a pas de ville ni de village à Tobrouq; toute la population se réduit à quarante ou cin- quante individus de la fraction ou tribu des Oulâd Harabi , (groupe de tribus du Dàr Fayal). M

On peut Glre sûr que l'inslallatian de quelques gendarmes dans le fort de Tobrouq a été la conséquence du voyage de M. Mamoli, en 1882. Les autorités turques craignaient de voir soit l'Italie, soit l'Angleterre, prendre pied h Tobrouq. Mais il y a de cela trois ans déjà et les gendarmes sont-ils restés à Tobrouq? C'est fort douteux.

Enfin, revenant sur la question de l'eau douce, dont laj présence à Tobrouq était niée ou ignorée par le colonel turc en 1869 et par M. Schweinfiirtli en 1883, il est clair que l'eau se trouve tout près du port, puisque, préciséraenl ; au moment du passage de ce dernier informateur, une centaine d'hommes et une cinquantaine de chevaux (les Uiilàd Harabi, les gendarmes et la suite, l'escorte et lesl animaux de transport du gouverneur de Ben-Ghizi) yj trouvaient de quoi s'abreuver. Cette observation aurait dù.| venir à l'esprit du voyageur allemand. La citerne il a vaij Teau suinter venait-elle d'être vidée pour les besoins du^ gouverneur et de sa suite"? ou bien, ce qui est fort possible, les habitants croient-ils devoir tenir cachées leurs ressources

NOTE SDR TOBROUQ. 360

en eau? C'est ce qu'on ne saura qu'en examinant à nouveau Tobrdbq et ses environs. Mais l'eau existe à Tobrouq, car indépendamment de la preuve que je viens de donner, il est encore impossible d'admettre que l'on exporte des grains d'an port les convoyeurs de ces grains, qui doivent arriver longtemps d'avance, puisqu'il n'y a pas de bâti- ments faisant escale à dates fixes, devraient apporter avec eux des outres pleines en nombre suffisant pour se désal- térer et pour abreuver leurs bêtes de bât jusqu'au moment leurs marchandises seraient embarquées. Pour qui connaît la mobilité du caractère des Arabes, cette difficulté les éloignerait d'un port tel qu'on a dépeint Tobrouq.

Ce port, si négligé par le commerce européen, joue dans la vie des populations du sud-est du bassin méditerranéen un autre rôle qui mérite une mention. C'est par Tobrouq que le grand maître de la confrérie musulmane de Sidi Mohammed Ben *Alî Es-Senoûsi reçoit à Jerhboût, sur le territoire égyptien, les approvisionnements d'armes et de munitions de guerre qu'il tient en réserve pour faire triom- pher un jour l'islam, réformé suivant ses vues religieuses «t politiques. Par une conséquence naturelle de ce qui pré- cède, au mois d'avril 1883, les explorateurs al emands que nous avons nommés trouvaient, réfugiés à Tobrouq, des vaincus d'une insurrection musulmane.

Docamentfi imprimés A consalter sur Tobrouii.

(On ne citera pas les cartes et plans de ce port levés par le capitaine Smith (1821) et par le capitaine Millard (1861), de la marine anglaise. Ces cartes et plans sont indiqués dans le catalogue des cartes de l'amirauté anglaise. Ils ont été utilisés et corrigés sur la feuille 2251 de l'hydrogra- phie française.)

Pseh». Relation d'un voyage dans la Cyrénaïque et la Marma- rique. Paris, 1827-1829.

soc. DB fiÉGGR. TRIMESTRE 1890. XI. H

370 NOTS StJR TOBROtQ.

SMfiii. The Mediterranean. Lottéret, 1844.

■•rtii. Wanderungen durch die Kûstenlâudcr des MiUdnIeeres»

Berlin, 1849. Mamoii. Lettre de Tobrouq, 1" février 1883 (Esploratore di

Milano, de mai 1883, p. 163 à 169). «chwefnnirui. -~ Ein Besuch in Tobrak an der Kâste von Mar

marie* (Beiheft zum Mariti«v»«»imi»g!sblatt, n" 47. B«rKn,

30 >ep4embre 1883, p. 14 à S^. sehweiararth. Una visita al porto di Tobrac {Esphratore, de

jain 1883), traduction du travail précédent avec additions, plan

et vues. •ttveyrier. La cottfirérte musulmane de Sidi Mobammed Ben.

'AU Es-Senoûsi. Paris, 1884, p. 2i et carte.

(On consulterait encore avec utilité les Hydrographie Notices- de l'amirauté anglaise aux années 18'ât et 1861-1862.)

EXPLORATIONS

SAHS

au presqu'île de kola

(1884-1885)

PAR

Charge d'uBa miasioa sei*nt)ffqil» par le Ministre de l'Instruelion publique et des Beaux-Arls

(a» n M)

ETHNOGRAPBIE

Les régions dont nous venons de décrire l'aspect, c'est" à-dire en Norvège le Sydvaranger, en Russie la Laponie finlandaise et la presqu'île de Kola, sont habitées par des populations appartenant à qualre. races dilTéreates, On y rencontre des Norvégiens, des Russes, des Lapons et d«S: Finnois. Ces divers éléments ethniques ne sont point can-> tonnés dans des zones distinctes, mais vivent confoindas et entremêlés. Souvent un hameau occupé seaiem«nt par quelques familles compte des représentants de trois races différentes. Toute cette région de l'Extrême Nord constitue une mosaïque de peuples.

Les Scandinaves, les Russes et les Finnois se sont établis dans ces pays comme colons aux dépens des Lapons. Le texte le plus ancien rekitif à la presqu'île de Kola, le récit do voyage d'Otbère écrit par le roi Alfred (871-901), nous la montre habitée par des Lapons vivant à cette époque

372 EXPLORATIONS DANS LA I.AfOME ttCSSE.

comme encore aujourd'hui des produits de la chasse et de la pèche.

Faute de documents, il est impossible de fiser la date de l'arrivée des Lapons dans les rûpions voisines de l'océan Glacial dont nous nous occupons ici ; sur ce point l'historien ne peut émettre que des conjectures. Il estcftpendant permis de supposer que le bassin de l'Enara a été peuplé par ce peuple à une époque très reculée, peut-être môme aux temps géologiques*. Venant de l'Est et se dirigeant vers le Nord, les Lapons ont suivre au cours de leur grande migration les routes naturelles conduisant des pays riverains rie la Baltique à l'océan Glacial, comme celle de rounasjoki et du Pasvig qui traverse l'Enara. Les mt^aifs voies parcourues aujourd'hui par les Finnois dans leur marche vers l'océan Arctique ont selon toute vrai- semblance servi antérieurement aux Lapons.

Df! nomlirenses traces de populations archaïques se trou- vent du reste dans le Sydvarangcr et dans la Laponie finlan- daise. A l'embouchure du Pasvig, sur la rive gauche, à 3 mMros au-dessus de la rivière, est située une grotte, ouverte dans lu pegmalite graphique. Cette roche se délite, comme on sait, facilement, et il n'a pas fallu grand travail pour transformer en abri la caverne formée sous l'action des agents atmosphériques. Cette grolle ayant été habitée par Trifon, l'apôtre des Lapons russes au xv* siècle, est regardée par les indigènes comme un lieu sacré. Auparavant elle a servir d'abri aux premiers habitants de la vallée*.

1.' Lns La|i(.iiis iluunuat le nam de Suolotsjilgi (dos <1e l'ilc) à la Maanielkn, In ligne ilt^s linntcurs !^i^pariint le bassin de l'Enara de celui du KriiiielC. MM, Qvijfslacl et Sandlcr^; {Lappiske ei'enlyr of folkesagn. Kristiaiiiii. 1887, |>. 'Si) pensent que celte dcnoniiaattoQ rappelle le suuv<'iiir lie traditions gc rapportant à rcnvaluKgenicnl de celte régloD par los eaux di> la im-r à la Un du quaternaire. Ils senihlenL croire par suite i|Ue les l.apoiisoecupiiient le bassin de l'Enara déjà à celle époqut lointaine.

i. U'aprùs MM. Uvigtlad et Sandlicrg {Inc. cit., p. 7, ii* i), on trouve un grand nombre de grottes Bcniblubles dans le Sydvaraiiger, i Kir-

y*

EXPLORATIONS DANS LA LAPONIE RUSSE. 373

Et) amont, à 4 kilomètres du village de Boris Gleb, en dessous du Harefoss, on remarque au milieu des bois une excavation presque carrée, large de 8 mètres, profonde de4B50, et à côté un second trou entouré d'un cercle de pierres. A notre avis, il faut voir une chausse-trappe pour capturer les rennes comme en creusent encore aujour- d'hui les Lapons russes et un abri pour permettre au chas- seur de s'embusquer et de &e rendre maître du gibier après sachutedans le trou. Le renne sauvage ayant disparu depuis longtemps de ces parages, ce travail doit être très ancien. ËnSn dans la vallée du Pasvig, les fouilles mettent souvent à jour des objets en pierre. Sur les bords du Tschalmijauri nous avons acheté une Ûèche en schiste argileux pro- venant d'une tourbière voisine. Dans le bassin de l'Enara, ootaniment dans une île du Maddusjârvi, de semblables trouvailles ont été faites. Tous ces objets sont en schiste poli et datent par conséquent de l'âge de la pierre arctique.

l'entes, sur les rives du Jarfjord et du Jakobselv notamment, ainsi pe sur la côte mourmane. « Toutes ces cavernes affectent une forme ronde ou carrée; généralement elles sont profondes de â mètres et hautes 'fi 4. Les murs et le sol étaient recouverts d'écorce. Les fouilles opérées ont mis à jour des ossements d'animaux et des arêtes de poissons, preuve qu'elles ont servi d'habitation à un peuple de chasseurs et de pêcheurs. » Â l'occasion du voyage d'un prince de la famille impériale de Russie, la caverne de Trifon ayant été nettoyée, il ne nous a pas été possible d'y découvrir des vestiges de ses anciens habitants. Dans le pre- mier morceau du recueil de traditions auquel nous empruntons ces ren- seignements, Du temps des Tchoudes (Tsjudetiden), il est fait allusion à ces grottes habitées parles Lapons. D'après M. Svenonius (r»ier.,1885, 1, Stockholm. Résumé de la séance du 16 janvier 1885 de la Société de géographie de Suède), le vocable Lap dériverait du mot lapon lappa •ignifiant grotte; les Lapons seraient par suite les gens des cavernes. Encore aujourd'hui en Suède ces indigènes utilisent tous les abris de ce genre qu'ils connaissent. Certaines excavations placées, par exemple, sur leurs routes de migration servent de père en fils de gites d'étape. Avant que les Lapons eussent appris à domestiquer le renne, alors qu'ils liraient leurs ressources de la chasse et de la pêche, M. Svenonius pense .qu'ils vivaient toujours dans ces lappas, d'où leur serait venu le nom qu'ils portent.

371 EXPLOHATIONS BANS LA LAPONIE nC5SE.

Cetle époque ne remonte pas à une 1res haute antiquité ; elle coïncide, croU-on, avec le début de la périodehistorique dans nos pays et a persisté presque jusqu'à nos joors. A la tin du siècle dernier, les indigènes de la paroisse d'Enara garnissaient encore de lances A pointes en pierre les trappes qu'ils creusaient pour capturer des rennes sauvages'.

Les Norvégiens [et les Russes ne sont arrivés que long- temps après les Lapons dans le Sydvaranger et dans la pres- qu'île de Kola. A la suite du voyage d'Olhère de nombreux Scandinaves visitèrent la c6te de l'océan Glacial ju5f]u'à la mer Blanche, cototne nous l'avons raconté dans un chapitre recèdent, p. 35; au xin* siècle seulement ils s'établirent définitivement en Pinmark. Deux cents ans auparavant les Novgorodiens avaient déjà pris pied dans la presqu'île de Kola, mais ce ne Tut que deux siècles plus tard qu'ils atteignirent le littoral de foccan Glacial.

Les Scandinaves et les Novgorodiens ont été précédés par les Finnois de Finlande dans ces régions occupées par les Lapons- Le Kalevala, la grande épopée linnoise, qui aurait él^ composée du v au vm' siècle, d'après Retzius, ou vers le ui' siècle, d'après M. de Qualiefages, nous montre cetle race en relations avec les Lapons -. D'autre part, à une date qu'il est difficile de fixer, mais en tout cas antérieure à. l'arrivée des Russes dans la presqu'île

1. Monteliii».

2. iJc nombreux auteurs pensent que les indigènes de Pohja ou de Pohjula, dont la lude avec cou\ <le Kalevala furme un des kujels du poème, sont les Lapuns et une. ]a nom de rohjola désigne la LaponÎA. M. Ilet/iiis, diint l'autorité en niiiLiÎTe d'eCliiuigiapliic finiiDisc est univcr- ■selliïmenlreoonnup, ncpartape pnscetto opininfl (Fiimlia Kranier, Slock- lioliD.p.l tôV Hansle cliant XIII du htilrvulu, parexemplc, le mol Laponie est employé à cAlnde celui de Pohjoln pour dcsipner une région distincte «t plus éloignée. Hiiti s'adressaot à l'élan que doit povirsuivrc Lemnii- karnen s'écrie : « Pars, maintenant, (^ élan de Hiisi ; vulc, clan rapide. n vars les lletix s'accouplent les rennes, vers les champs des Tils de Lapuoie. . . » Et l'ëlan do Hiisi s'clanrîi, 1p rapide animal prit son essor vers les régions de Polija, vers les rlinnips de Laponie. i {Le Kale- vala, traduit par L, Léouzon Le Duc, p. ItO, Paris, \%l'i.)

I I

KXI'LOIIATIONS IJAKs LA LAI-O-MK RUS.SK. 375

de Kola, des Carélieas ont pénétré dans ce dernier pays et plus Urd onL fait de rréquaalcs invasions dans la Finlande -seplentrionale, Les lapons d'Knara oiit consené encore aujourd'hui le souvenir de ces luttes. Les légendes re- cueillies parmi eux par MM. QvigsUtd el Sandberg racontent la guerre acharnée, sans pitié, soutenue par ces pauvres in- digènes contre les Tchoudes' une puis$anlâ raice finnoise établie à l'est de leur pays, proLablenienl ks Carélieus-. ( Des troupes de ces pillards, rapporte une tradition, arri- vaient à chaque instant. A peine une bande av;iit-el)e tra- versé le pays qu'une autre survenait; l'intervalle de leur passage était trop court pour que la marmite pût refroidir, v De DOS jours encore les Lapons vous parleot d'une incursion des Tclioudes comme d'une cventualilé iiu'ils redoutent. Il arrive même que ceux de ces indigcues qui vivent h l'écart dans la région montuemie de la Scandinavie prennent de paisibles voyageurs pour des Tchoudes et qu'ils leur fout subir le sort que leurs ancùtres réservaient à leurs euuemis quand ils en avaient l'occasion '.

1. Le nom de Ti;lioud« a ua sens très vaguo. Saus cotte déaoïnina- lioti certains elhaai;i'aplie8 i!n;;]obuat luus les Finnois de la ttussic, tandis i|ue d'autres la réaerveat pour les populalii>ui de race rittooise babltial au sud du ^>alfe dL-, Finlanilo. Dan^ la bauctio da loin les indi- gènes do lu Etussi<< et niénia itelaSibêi-iâocciilenlale, il désiguu les pupu- lations prÉtiistorii]iies dont tes ItSgenJiis ont conservé le souvenir «ajjue ou dont le soi garde d«» vestiges muets. Comme l'inilique trè& justement M. Sommier [Un EsUHe in .Vtbi^rïa, p. 13), ce nom, eomne celui des anciens Scythe», s'appliiiuc à de.i peiiptca d'orit^ine diverse. Ici il désigne évidemment des rinaois. Au milieu de xiii* siÈcle, il était enooie donné aux Carélieus des liords du lui; Uiiej^a. Le testLinient de Lazare, fundaleur Ju cliiilro Moorinnska, porto on termes esprAs que la région voisine de cette grauile unp|ic d'eau éluit liabilée par des Lapons et par des Tchoudes (Diiheii, thu Lnpiilmu! ncli Lapimnie foret radetvi.i lie Si'eiiitke, p. 302).

i. la légeudc « tes Tchoudes et le ^uide sur la ^:lacc n (n° li, p. 13 ioc ciL) iiuiitient ua détuil elhiiogrupUiiiuo probant l'i eet éj,'ard. Le «.'tief des pilliirds, racoiitc-t-elli.;, i-tait chaussé de mocassins finnois qui Vcmpi'^chalent de luurcher rapidamuul sur la jjçlace.

3. £n 1881, du Lapons de la paroisse du Jukkttjurvi, près d^asource»

376

EXI'LORATrONS DANS LA LArONIK RUSSE.

Pendant la période historique, les Finnois se sont établis î\ demeure dans le Sydvaranger et dans la Laponie finlan- daise. En 12fj4, des Bjarraes, probablement les descendants ries anciens ïcboudes, chassés des bords de la Dvina par une invasion de Tatares, vinrent chercher un refuge sur la rive méridionale du Varangerfjord. Le nom de Karleboltnen (Golfe des Cari-lienu) donné à une baie de ce fjord rappel- lerait le souvenir de ces anciens occupants du pays*. Plus lard, à la suite des guerres sanglantes dont la Finlande fut le théâtre, au xvrii' siècle, les Finnois commencèrent à émigrer vers la côte de l'océan Glacial. Tous ceux qui purent partir quittèrent alors leur patrie, les uns se diri- geant vers la Suède, les autres vers le Finmark norvégien. Depuis, ce mouvement de migration ne s'est point arrêté, et aujourd'hui on peut évaluer à une dizaine de mille^ le nombre des Finnois établis actuellement dans les trois départements de la Norvège septentrionale : Finmark, Tromsô et Nordtand. Vers le sud, l'Ofotenfjord marque la limite de leur colonisation; au delà on ne trouve plus que quelques familles isolées. Le plus grand nombre de ces Finnois habitent le Finmark, notamment le district oriental de ce déparlement, en plusieurs endroits ils forment la majorité de la population. A l'ouest du cap Nord, leurs centres principaux se trouvent sur les rives de rAltcnfjord, et dans la partie orientale du département de Tromsô, à Skjervô et à Lyngen. Ces immigrés ne se fondent pas avec les Scandinaves; au contraire ils absorbent les Norvégiens, dans certaines localités, et partout les Lapons. Le résultat de ces unions entre ces différentes races sera la formation d'une population mélisse composée de Norvégiens, Lapons

(lu Kalixcir (Laponie Buédoise), asMSsinbienl deux voyageurs Ilnnais qu'ils avaîenl pris pour des pillards tchoudes (Qvigstad et Sandberg, loc. cit., p. 3.)

1. Kcilhaii, licite i f)it-og Vest-I'inmarken, etc., p. 24.

2. En 1880, 7,637 plus 2,822 méliu

EXPLOHATIONS DANS LA LAPONIE RUSSE. 377

et Finnois dans laquelle dominera l'élément ânlandais. Les FioDois de Norvège conservent l'usage de leur langue, ils l'imposent même aux Scandinaves et aux Lapons, si bien que, dans certaines parties du Finmark,le norvégien devient noe langue étrangère. Robustes, endurants, persévérants, s'assimilant aux différents milieux avec une merveilleuse facilité, les Finnois ont colonisé le Finmark, et c'est à eux que celte province doit sa prospérité actuelle.

Les Norvégiens donnent aux.Finnois le nom de Kvœn ou QBwn, réservant celui de Fin (Finner au plur.) pour désigner les Lapons. Longtemps on a cru que ces Kvscns constituaient nn groupe ethnique de la race finnoise, au même titre que les Caréliens et les Tavastlandais. Retzius {Fivska Kramier) a même partagé cette opinion. Tout récemment M. Sommier a reconnu au contraire que cette population ne présente aucune différence avec l'ensemble de celle du Grand- Duché*, et que l'on devait cesser de la considérer comme une entité ethnique. Le nom de Kvsen est une ancienne dénomination géographique très vague, à laquelle on a eu tort d'attacher un sens précis. Dans la relation du voyage d'Othère*, le roi Alfred appelle Cwenland le pays situé au nord de la Baltique, probablement le Norbottenslan dont les Finnois forment la majorité de la population et la partie adjacente de la Finlande. La Saga d'Eigil, dont la date de la composition peut être placée entre 850 et l'an 1000, con- sent également le nom de Quânland pour désigner la même

!■ Stepben Sommier, Due Comunicaiionî fatte alla Societa d'Antro- fologia m Lapponi e mi Finlandesi iettentnonali. Extrait de VArchivio Ptr l'Antropologia e l'Etnologia. vol. XVI, f. 1, 1886.

2- 117. A^l'extrémité méridionale de la Norvège, au delà des montagnes, ** trouve la Suède qui s'étend vers le nord ; au nord de ce pays est »lné le Cwenland. De temps à autre les Cwenes traversent les monta- gaes pour aller piller les Norvégiens, et vice versa. A la base des monta- goei s'étendent de grands lacs. Les Cwenes portent leurs canots à travers les terres jusqu'à ces nappes d'eau et de partent en incursions 'l)ei les Norvégiens. Ils possèdent un grand nombre de petits bateaux Irts légers (cité par Dubeo, loc. cit., p. 352).

I I

;]78 EXPLimATIONS DANS LA l.AI>OMK RUSSE.

région*. Au moyen âge les Kmens élaient donc les Finnois hitbitant au nord de la Baltique; ce nom, plus lard oublié de tous, a élé conservé seulement par les Norvégiens, avec d'autant plus de raisons que les Finnois immigrés en Nor- vège viennent de la partie de la Fiulande appelée Cwenland dans les anciens documents.

Ces considérations générales exposées, éludions mainte- nant les diverses populations établies dans le Sydvaranger, la Laponie finlandaise et la piresqu'ile de Kola.

1

La rife méridionale du Varangerfjord qui forme le district de Sydvaranger est une colonie ûnnoise en territoire nor- végien, comme d'ailleurs la côte septentrionale de cette baie*. Sur une population de i,000 âmes, cette circon- scription ne compte pas moins de 852 Finnois et de 185 mé- tis finno-lapons. Un de leurs principaux centres est Neiden. M Tous vivent de la pâche de la morue, en ajoutant aux pro-^ duits de celle industrie ceux de la culture de quelques carrés de pommes de terre et de l'élevage de botes à cornes.

La plupart des Lapons établis dans ce district sont égale' ment pêcheurs; presque tous habitent des maisons en bois. A Neiden se trouve une petite colonie de quelques Lapons russes.

L'élément ethnique dominant dans la partie delà Finlande

^

1. A l'est «du Naiiraadal », portece dncumenl.ie irouvont le Jacntlaad pois le Quaaiaiid, au delà la Kiiinland ", la Carélie, ealui, au dtlkia i«a» ces pays, le « Fînmurk » (Diibeo. Itic. cit.. p. 363).

i. Sur une population de i,i)0(} âin«s, Vadsii compte 1.3(J0 FtnDoU et seulement 7U0 Êcaiidiaavet. Cliai^ue race eit canlonnée dkns unâ partie distincte de la Tille. Au fond ie la baie et au centre da Vadso &e trouve tu Tille norvégMinei.', un groupe de maison* appelé Midtre Vadso. A l'ouL'tt une longue rangée de inaiioiu eonstruiLc* sur la riva forme la ville nnnoiae, la Â'iwaty. A l'e^t, Yidfto ee prol«ii;fe éj^eiMol par uo second làuboiirg (Innois.

I

OXS DANS LA LAPONIE IIDSSE. 379

Maanselk.1 est la race lapone. Les sta- tiitiqiies officielles fixent à 927' le nombre des Lapons établis dans le Grand-Duché. Ce chiffre est évidemnient trop Faible, comme du reste tous ceux relatifs à celte race jwbiiés dans les documents officiels. Les Lapons n'avouent pss volontiers leur narionalité et pour celte raison les dénombrements qui en ont été faits sont pîus ou moins entachés d'erreurs. En Finlande, par exemple, un certain Aotnbre de ces indigènes devenus sédentaires se disent Fin- nois, de même qu'en Norvège beaucoup d'entre eux se font passer pour Scandinaves parce qu'ils habitent des maisons due portent plus îe vêlement spécial à leur race. Dans la région de l'Enara, nous axons rencontré plusieurs exemples de ce fait. Ces soi-disant Finnois avaient les cheveu.t noirs, «l seulement en les pressant de questions ils avouaient leur véritable origine. D'autre part, une partie des descea- (laols des premiers colons finnois venus dans le pays ont également dans les veines du sang lapon"-. Plus au sud, dans la paroisse de Sodenkylii. sur les bords du Muonio et Mirceux du Kemilrask,une partie des habilauts descendent également de Lapons feunisés'. En résumé, dans tout le QOrd de la Finlande le fonds de la population est formé de bpons plus ou moins mélangés d'éléments finnois, mais aujourd'hui les paroisses les plus septentrionales du Grand- Duché renferment seules des individus de race relativement pttre. Sur une popwl;«lion <lc 1,000a 1. 100 habitants, la paroisse d'Enara compte environ OlM) Lapons' et celte

I. Ignatins, ler Psuple-i jintio-oiiijrieiix Uûuinnl de lu Société de Stalitlique de l'aris. d'vr. \SSG).

i, Sor noB iivpulation de 1,Ù57 Aines i<i st*lislii|iio ofliciellfl ne ompte pas moins 179 métis Lapons Hniiois iBovkhnrov, l'uifulka po Uj)t«HHu, t9ain(-l'cter»bourg, 16S5, fi. liH); très cerlaineineiil leur ••Klif Cil iiloi flev<'-.

a 0

II. M. A. Oiislnsn, Htseminnen fivn aren, IS8K-18i4, pp. 7 et 70.

l. ChifTrcs (loniiës par le pnsicur dT.n.ira, U'aprè.s hoiikharor lioCt cit., p. 12))), IGO Lapons, phis les 17.1 métifi.

380 EXPLORATIONS BANS LA. LAPOME RUSSE.

d'Utsjok, 377'. Dans ce nombre se trouvent seulement une vingtaine de familles vivant principalement de l'élevage du renne*.

Ces familles appartiennent k la catégorie des Lapons fores- tiers. Toute l'année elles habitent sous la tente dans les bois, changeant seulement de temps en temps de campement pour procurer de nouveaux pâturages à leurs troupeaux. L'été, elles s'établissent sur les bords d'un lac ou d'une rivière pour ajouter les ressources de tapôche àcelles que leur procurent leurs rennes. Une famille posséderait, nous a-l-on dit, un troupeau de 2,0Û0 têtes. D'après lepasteur d'Enara, lesLapons de ce district seraient propriétaires d'environ onze mille rennes. La statistique insérée par Boukharov indique seule- ment la présence de 8,000 de ces animaux dans tout le dis- trict; 6,000 appartiendraient aux forestiers, les autres aux colons linnois et aux Lapons pêcheurs. En moyenne, ces derniers possèdent une cinquantaine de rennes par famille

La majorité des I^apons d'Enara sont pécbeurs. Les néces- sités de leur industrie obligent ces indigènes à de fréquents déplacements. L'hiver ils séjournent dans les forêts et au printemps vont s'installer sur le bord des lacs pour changer ensuite de résidence eri été, puis en automne. Chaque famille possède sa station pour les différentes saisons et tous les ans vient y passer quelque temps. Ces stations se composent de plusieurs constructions. Celle de Svarvanjargi, sur l'Enara par exemple, comprenait une maison, une fiame^, trois magasins et un abri pour les canots. Quelques- unes de ces habitations sont très propres et contiennent

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1. lioukliarov., loc. cit., p. 178.

a. D'après le pasteur d'Ënara, on compterait dans sa paroisse dix-sept , l'aiiiilles menant ce genre de v'\f, suivant Boukliarov^ seuleiacnl stMxi*. Ce dernier nombre comprend dix familles originaires d'Enara avec 2'J personnes, et six éniigrées d'dtsjok avec un efleclif de ^5 indi- vidus. Dans cette dernière paroisse il y aurait en outre 5 Taniilles de nomadei.

3. Voir la description de cotlc biilt*.', p. lH.

EXPLORATIONS DANS LA LAPONIK RUSSE. 381

un mobilier assez convenable, des lits, des chaises, voire même des suspensions en porcelaine; une renfermait même une chambre tapissée de papier.

Outre les ressources de la pêche ces Lapons ont celles de la culture de quelques carrés de pommes de terre et de l'élevage de brebis et de bêtes à cornes. Un indigène, du nom de Kowa, est propriétaire de sept vaches; il est vrai qu'il appartient à l'aristocratie du pays. En 1672, dans les luttes contre les envahisseurs caréliens ses ancêtres déjà établis sur les bords de l'Enara ont joué un rôle héroïque dont les traditions ont conservé le souvenir*. Une fois les lacs re- couverts de glace, tous ces Lapons deviennent chasseurs. L'écureuil, dont la peau était si recherbhée par les anciens Finnois, est poursuivi par eux avec acharnement. Durant l'hiver 1883-1884 un seul indigène de ce district a abattu plus de six cents de ces petits rongeurs. Le grand tétras {Tetrao urogallus L.) et le tétras des saules (Lagopus subalpinus L.) sont également l'objet d'une chasse sans merci. Pour capturer les lagopèdes, les Lapons n'emploient guère que le lacet, réservant leurs munitions pour le coq de bruyère et l'écureuil. Leurs armes à feu sont d'un modèle très primitif; un des Lapons que nous avons ren- contrés était armé d'une sorte de pierrier datant certai- nement de plusieurs siècles. POur atteindre l'écureuil et le grand tétras, les Lapons emploient des chiens spécialement dressés à cette chasse. Ces animaux battent la forêt, et dès qu'ils aperçoivent un coq perché sur un arbre, donnent immédiatement de la voix en regardant l'oiseau. Le tétras, au lieu de s'envoler, fixe alors le chien comme s'il voulait se jeter sur lui; le chasseur a ainsi toute facilité pour l'abattre. Quand le chien découvre un écureuil sur les branches d'un pin, il -jappe en mordant le pied de l'arbre'. Les Lapons

1. Castren, ioc. cit., p. li.

2. Cette chasse était pratiquée de la même manière par les anciens Finnois. Dans sa lutte d'évocations magiques avec son hôte de Polijola,

KXPLOnATIONS D\^'S LA LAPOMK RUSSE

d'Enara paraissent peu se saucier des palmipèdes, Irès abundants sur lous les lacs et toules les rivières de la région, mais ils sont très friands de leurs fcnfs. Afin de s'en procurer facilemenl ils placent sur les arbres rive- rains des nappes d'eau des nids artincicls dans lesquels ces volatiles viennent déposer leurs œiils. Ces nids sont formés d'une boîle carrée percée d'un Irou par lequel l'oi- seau peut entrer.

Les Lapons d'Enara ayant des relations assez fréquentes J avec des marchands ont un costume moins sommaire que leurs congénères vivant au milieu des montagnes de la Suède. La plupart ont des chemises et mfme des gilets. Par-dessus lous revêtent l'hiver un pnsk\ et en été un kofta (tunique en vadmel). (Juelques indigènes ont ce vê- lement garni d'une ornementalion que nous n'avons ob- servée nulle part ailleurs. Le col du kofta est couvert de bandes d'étoffe bleue el rouge juxtaposées, dont l'une est semée de croix en drap jaune; les épanleltes et les entour- nures des manches portent également des lisérés jaunes et rouges, et, jusqu'au milieu du dos descend une ligne de losjinges rouges; tout cela formant une bigarrure très agréable à l'œil.

Les Lapons pêcheurs d'Enara se nourrissent principale- ment de poisson et de gibier; à cet ordinaire, ils ajoutent du lait, des pommes de terre, des baies sauvages- et quelque- fois en hiver de la viande de renne lorsqu'ils abattent une t^te de leur troupeau. Éloignés de toute réj^ion agri- cole, séparés pour ainsi dire du monde par des déserts sans route, ils peuvent rarement se procurer de la farine, et bien souvent ils sont réduits à manger une sorte de pitte

LemmiiaiDcii (uil enlrcr en scène im écureuil pour »iiutiller mir lec poutres de la maiinn et pruvoquer le c!ii<M! k .ilioyer {kaleiiala. 2" ruiiu>.

1 . Tuitiqiie en peau de renne dont la rdiuTiin? oal Uxirnùo vcra l'ex- térieur.

i. Hniiui ilhammmoru» L.: /{mZ/kh trelicui L., etc.

EXnX>RATIONS DàNS LA LAPONIE ROSSE. 383

fiute en grande partie d'écorce de jeones pins sylvestres ou, à défaut, d'écorce de bouleau. Voici, d'après les auto- rités culinaires du pays les plus compétentes, la recette de la préparation de ce pain : on pulvérise d'j^rd l'écorce, puis on la jette dans une jatte d'eau contenant de la farine

FiCUHE 4.

finttoiron og serrant à délacher les ttiras fikprem des Innés des pias' . (Birara) (Mu*. d'Ethnographie du Tncadi^o, coll. Rabot).

Figure 5.

Pilon servant à proparer le pain d'é- corce (Boara) (Hus. d'Ethnographie du Trocadéro, coll. Rabot).

de seigle 'dans la proportion d'un tiers, après quoi on cuit. QueUqoefois la farine d'écorce est remplacée par des graines de fiumex ocotosa dans la proportion d'un tiers contre deux de seigiie, ou bien encore par des racines de CoUa palustris, de la pailte en du lichen de penne {flladonia rangiferina). Enfin dans les années de disette le pain est fait seuleosent d'écorce et de Cerastium vulgatum^. Pour préparer le

1. Les Agures t, 6, 8, 9, lé, empruntées à la Revue d'Ethnographie, nous ent-été «bKgeanment prêtées pnr M. E. Leroui, éditeur de ce périodique. 3 Castren, loc. cit., p. 64.

•M\

EXl'l.nilATION"â DANS I.A I.APaXlE UDSSE.

pain d'écorce, les Lapons se servent de deux instruments (rès inléressanLs, A l'aide d'un grattoir en os (fig, 4) ils détachent rie l'arbre les tissus comestibles et les pulvérisent ensuite en tes frappant avec un pilon. Ce pilon, garni à la partie inférieure de deux tranchants, est généralement en bois. Sur les bords de l'Enara, nous en avons acquis un dont les tranchants étaient forinés de deux larges plaques de bois de renne (fig. 5).

Fjguhe 6.

Flolli'iir cm buis )»)rl;int la itianiUL' du firnpriolair« (Raara) (.1/uj. li'Elhiiograitliie \ i/u Trocadéro, coll. llabot}.

Parmi les autres objets intéressants que nous avons observés chez les Lapons d'Enara, signalons leurs Qlets. Au lieu de flotteurs en liège ces engins portent des lamelles de bois' sur lesquelles est inscrite la marque du propriétaire (flg. (l), elau lieu de plombs, des pierres entou- rées d'un morceau d'écorce de bouleau cousu au moyen d'ane racine de bouleau nain. Un agencement à peu près identique de filets se retrouve chez les Finnois, chez les lapons russes, et môme chez les Scandinaves de certaines

I . L'aunt;e Uerniùre, le pèclieurdu l'iUaniB' ilo Marli;;ii('-i''erchaud (lUe- 't-Vilaiiio se servait d'un lîlet garni en t^uise de plombs de lamelles d'ardoise piùsenUot la même forme que les lludeun en bois employés par les Lajions d'Enara.

EXPLORATIONS DANS LA LAPOME RUSSE. 385

régions. Le mode d'attache de la pierre servant de plomb est seulement différent suivant les localités. Quelques Nor- Tégiens se servent par exemple de filets lestés de pierres rondes percées au milieu d'un trou. Ailleurs le caillou est inséré entre deux bandelettes doubles d'écorce de bouleau entrecroisées sur un cercle fait d'une mince branche de cet arbre. M. Sommier a trouvé ce poids eu usage sur les bords de i'Ounasjoki, dans la Finlande septentrionale, et nous-même nous l'avons vu chez des Norvégiens du Vef< senfjord (département de Nordland).

Les Lapons de Finlande, comme ceux de Suède et de Norvège, possèdent des notions assez complètes d'instruc- tion primaire; presque tous savent lire et écrire. Leur con- version au protestantisme a été le point de départ de la diffusion de l'instruction parmi eux. Depuis deux siècles ils ont été convertis au luthéranisme; néanmoins, la tradition a conservé dans leur mémoire le souvenir des pratiques païennes de leurs ancêtres. Autour de l'Enara comme par- tout, en Laponie, on retrouve des légendes concernant les Seida. Les Seida étaient généralement des rochers isolés, de forme bizarre, dans lesquels l'imagination reconnaissait une forme humaine, ou des escarpements de montagne présentant quelque accident singulier. Sur une île de l'Ënara, Castren a vu une de ces idoles faite de petites pierres agencées par les indigènes de manière à présenter une figure humaine. Dans cette même région, le rocher d'Ukon, gros bloc pointu visible de loin au milieu du lac, a été longtemps révéré par les Lapons*. A ces Seida les Lapons faisaient des offrandes, consistant en bois et os de renne; les nomades les barbouillaient en outre du sang de cet animal, et les pêcheurs d'huile de poisson^ En 1881,

1. Dans la haute vallée duTarrejok (Pitea Lapprnark, Suède), une ca- vité ronde située sur le flanc d'une montagne a eu longtemps également on caractère sacré. La même superstition était attachée à une sorte d'abri sous roche voisin d'Aktsisk dans la vallée de Rapaâdno (Pitea Lapprnark).

2. Hfigstrôm.

SOC. DE GÉOGR. 3< TRIMESTRE 1890. XI. â5

3i!(i EXPLOIIATIONS DANS LA LAPONIE RUSSE.

devant le rocher sacré d'Aktsisk, nous avons trouvé des ossements en assez grand nombre; quoique convertis, les Lapons ont con.«ervé jusque dans ces dernières années les pratiques païennes de l'ancien temps.

Quelques-unes de ces divinités étaient entourées à une certaine distance d'un abatis d'arbres, qui formait une sorte d'enceinte sacrée. Le chasseur olFrait à la divinité la tète et les pattes de tout animal abattu dans cet enclos, et de plus les ailes si cV'tail un oiseau. J

Il est permis de croire que jadis les Lapons ont également' adoré des grossiers morceaux de bois sur lesquels des en- tailles informes dessinaient une figure humaine, comme en vénèrent encore aujourd'hui les Samoyèdes et les Ostiaques. llogstrôm mentionne cette supersiilion. En 1841, Castren a encore vu dans les districts de la Finlande septentrionale, sur des troncs d'arbres, des sculptures de ce genre. A So- dankyla on les gravait lorsqu'une personne venait pour la, première fois dans le pays. Dans le district de Kajana, eivl pareille occasion, on abattait toutes les branches de l'arbrej à l'exception d'une seule, orientée dans la direction le] visiteur avait son domicile*.

Les Finnois établis dans la paroisse d'Enara, mènent à peu près la mfimevie que les Lapons. Comme eux ils vivent prin- , cipalementdes produits de la pèche, mais ils possèdent pour| la plupart un plusgrand nombre de bestiaux que leurs voisins.

Ces indigènes habitent des maisons en bois; nulle part ^ans cette région nous n'avons vu de pi)rte-;]es Kota*\ y sont également rares.

Parmi les produits de leur industrie nous devons si-

1, Castren, loc. cil., p. t'i8.

t. Le Porte, conatruclion particulière aux Finnois, e;t une chaumièraJ en bois renfermant seulement une pièce et ne prenant jour que parla porte et par un trou ménagé itaiis le tuit puur laisser passer la fumée du poêle en piurrei établi dans un des angles de la chambre.

3. Uutte formée Je perches dressées eu furnie de uâno autour d'ua

EXPLORATIONS OA.NS LA LAPONIE BQSSE. 387

goaler les embarcations. Certains canots construits par les Finnois resserableni à des pirogues par leurs formes effllées à l'arrière comme h l'avant et par leur longueur considérable comparée à leur largeur. De Tétrave à l'étam- bot quelques-uns mesurent 7"^70, tandis qu'entre les bor- dages la distance n'est que de 1"M>7. Ces embarcations sont mues par des rames ; pour faciliter la marche^ les bateliers placent parfois à l'avant une brancbe de bouleau feuillue en guise de voile. Sur l'Enara naviguent des chaloupes jau- geant quatre à cinq tonnes, qui se manti'uvrent à la voile comme à l'aviron. Certaines pièces du gréeraent sont très curieuses, comme par exemple des rocambeaux en corne de renne. Dans cette région le fer est encore très rare, et dans la mesure du possible les Indigènes le rempla- cent par l'os et le bols comme le faisaient les hommes préhistoriques.

II

Dans la presqu'île de Kola on rencontre des Norvégiens, des Finnois, des Russes et des Lapons. Les représentants des trois premiers groupes ethniques restent cantonnés sur les côtes, laissant aux Lapons la jouissance entière des immenses solitudes de l'intérieur du pays. Sur la côle raourmane jusqu'à Klldin, tous les habitants permanents sont des immigrés' soit norvégiens soit finnois, sauf à Kola, se trouvent 685 Russes ou se disant tels-. Au delà de Kildin, la côte est occupée par des Russes, des Caréliens

orlre ou les unes contre les autres, qui a clé l'habitation priuiilivn des Finnois.

1. Eo 188t, la statistique liu district liu Kola tenue par Visiirrinnik aeeasait la présence dam r.eUe rcgion de &.K individus apparfennntà la reli^ioQ réformé». Dôduciiuo faite de quelques famille* de Lapons luthé- riens établis dans l'ÛurafjorJ, ce cliiffre doit représenter celui de» colons norvégiens et liiinois.

2. Ea ïbU, il n'y avait à Kolu que trois Finnuit.

388 EXPLORATIOKS DANS LA I.APOME RUSSE.

russifiés* et quelques Finnois*. Dans certaines localités, on trouve également des Lapons.

Les Lapons russes forment un groupe «lislinct des autres Saraes^ La religion grecque les a isolés complètement de leurs frères luthériens de Finlande et de Scandinavie. Lai différence de croyances empêche loule union entre ces] deux branches de la mCme race. Les Lapons norvégiens duj Sydvaranger, par exemple, ne s'allient jamais à leurs voisins de Boris-Gleb. Aux yeux de ces rationalistes vêtus de peau] de renne les pratiques du catholicisme orthodoxe sont desj superstitions enfantines et ses sectateurs des sauvages. Pensez donc! eux, sujets norvégiens savent lire, invoquent] le libre arbitre, discutent politique, tandis que leurs pauvres frères de Russie sont illettrés et n'ont d'autres préoccupa- lions que la pêche et la chasse. De plus, Lapons russes et Lapons norvégiens sont séparés par la langue. L'idiome A des Sames de la presqu'île de Kola, mêlé de mots slaves i et flnnois, est difficilement compris par les autres Lapons*. D'après le prôtre de Boris-Gleb, les dialectes de cet idiome sont si différents, qu'un habitant de Ponoi ne peut con- verser avec un naturel des bords du Notoxero. Dans la langue des Lapons russes, Castren reconnaît l'existence de trois dialectes, l'un parlé par les indigènes de Petschenga, de Muoikii, de Boris-Gleb, de Sundegjcld (Songela), du No- tozero, d'Iokostrov et du Babinski Iniandra;le second par ceux de Semi-Ostrov, du Lovozero, de Woronesk, de Kildin et de Masesid ; le troisième enfin par les habitants de la côte de Ter (littoral Sud-Est de la presqu'île) '. Vivant isolés les uns des autres, séparés par d'immenses espaces les Sames

1. D'après Ogorodoikov, les indigènes de la presqu'île de Kola qui passent anjoard'liiii pour Russes sernlenl de race caréticnne.

i. D'après Daa, des Finnois seruient étaltlis jusHju'n L'mbasur les bords de la mer Blanche (Daa, Skigner fra Lapland, Karelstranden og Finland),

3. Nom des Lapons en l.tD^'ue lupone.

A. Daa, loc. cit.

S. Ca>lren, loc. cit., p. 167.

EXPLORATIONS DANS LA LAPONIE BUSSE.

389

n'ont pu nulle part maintenir l'unité dans leur langue.

Les Lapons russes se donnent à eux-mêmes le nom de Huorteladsjak^ (d'habitants de l'Est). Ils sont généralement innus sous le sobriquet de Skolle (Chauves) par lequel les lôrvégiens les désignent. Au commencement du siècle, la plupart de ces indigènes étaient affligés d'une calvitie com- plète. Aujourd'hui les inilividus chauves sont assez rares; durant nos deux voyages dans la presqu'île Kola, nous en avons rencontré seulement trois. D'après Friis, la cause de cette calvitie aurait été une espèce de teigne dont souffraient autrefois ces indigènes. Suivant Keilhau, au contraire, ils se seraient fait tomber volontairement les cheveux, en se couvrant la tèlc d'une couche de sel dans le dessein d'échapper par ce moyen au service militaire.

A une époque dont il est difJiciie de préciser ladale, mais en tout cas très éloignée^ les Lapons russes ont été modifiés parleurcontactaveclesCaréliens. Keilhau place au xm' siècle ce croisement des deux races, sans donner la source à laquelle il emprunte ce renseignement. Des documents du commeacement du xv* siècle signalent les ruines d'établis- sements de Caréliens dans la presqu'île de Kola. En 1419 on voyait à Varsouga les vestiges d'un pogoslc de ces Finnois, qui avait été détruit par les Normands*. D'après Sjôgren les Caréliens auraient occupé toute la presqu'île de Kola jusqu'à la cùle de l'océan Glacial. Castren pense, au contraire, qu'ils sont restés cantonnés dans la partie méri- dionale du pays, sur le littoral de la mer Blanche. Cette dernière opinion parait la plus plausible. Si en elTct les Caréliens s'étaient établis dans la péninsule de Kola eu aussi srand nombre que le pense Sjogren, ils auraient absorbé les Lapons, comme ils t'ont fait sur la rive méridionale de

1. Qig^tad et Stndbcrg, loc, cit.

i. Ogorodoikov. ilarmanskii i tenkuberegn pu knigii' bolnhmjox cher- eja (Zaïtitki imperaUinlmijn rttuHxkiigo geogralitchenytigo obtchesua. Po obdieltu) etnografi, t. II, S»int-PélersbourK)-

EXPLORATIONS DANS LA LAPONIE RUSSE.

la mer Blanche. Les Lapons s'étant assimilé les îffi™ migrants, il est permis de supposer que leur effectif n'a pas être considérable. C'est un des rares exemples que l'on puisse citer d'une population finnoise absorbée par les Lapons*.

La présence de Carétieos à une époque ancienne sur la côle méridionale de la presqu'île de Kola est attestée par les nombreux noms de lieu d'origine carélienne que l'on trouve dans celle région. Le nom de Porja (village de la cûte nord de la baie de Kandalaks) dérive par exemple de poro (renne domestiqué). Kandalachka (nom russe de Kan- dalaks) est une déformation des deux mots Imnois : KanUf (pointe) et lahti (baie). Dans le même ordre d'idées, on pour- rait citer sept ou huit autres exemples. Maanselka ou Ma- sesid (iocidité située sur les bords du Kolo/.ero près du point de partage des eaux entre l'océan Glacial el la mer Blanche) est le seul nom finnois que l'on trouve dans l'intérieur des terres, ce qui semble indiquer que les Caré- liens ne sont guère venus dans celle région. Le mol Kola ne fournit aucun renseignement sur cette question de l'an- cienne extension des Finnois dans la Laponie russe. Les linguistes ne sonl pas d'accord sur son origine et suivant qu'il adoptent l'opinion de Sjogren ou celle de Castren, ils le font dériver du vocable rinnois kala (poisson) on du mol lapon guoUe qui signifie également poisson.

Ij'inlluence exercée par les Caréliens sur tes Lapons russes est encore actuellement manifeste dans les construc- tions élevées par ces indigènes el dans certains détails d'ethnographie. Aujourd'hui qu'ils n'ont plus que de très rares relations avec les Finlandais ou les Caréliens% et qu'ils

1. A Karisjok lo petite culonio llnlandaise u été alisorbéo par les La- pons (Soiiiiuier. Due riiiiiutncminni xui Lnppimi e nui Finlandeii selten- triiinuli).

'i. Au moment Hc la pôchc sur la c<Me iiiouriii;iiiR, des Lapons »e reù- contreiit parfois avec des KioBuis, Au printemps et en août, le.t Cari^licns» oriqu'ils «e dirigent vers Itr lillumi de l'océuri r.lacinl ou qii'ili en re-

EXPLORilTIONS DANS LA LAPONIE RUSSE. 391

ne peuvent par suite apprendre de leurs voisins l'art d'élever des abris, les Sames russes continuent à édifier des habi- tations sur le modèle de celles des Finnois. Au bord du Njammeljauri, nous avons rencontré une kota et sur les rives du Peringo ozero un porte, tous deux construits par des Lapons. Du temps de Castren, les indigènes de Hasesid habitaient également des porte. Dans la parure des femmes

Figure 7. Boucle d'oreille do Laponne russe (MascUkaia. Presqu'île de Kola).

l'influence finnoise a également persisté. Une jeune Laponne russe qui nous a servi de batelière portait une paire de boucles d'oreilles faites d'une touffe de duvet de palmipède ornée de perles de Margarita margaritifera. Ce bijou primitif est identique à ceux dont se parent les Finnoises des bords du Yolga, et un ethnographe qui ne serait pas prévenu prendrait certainement ces boucles d'oreilles

Tieanent, passent dans les stations de poste échelonnées entre Kandalaks et Kola qui sont occupées par des Lapons, mais sans y faire de séjour. Ils ne peuvent donc enseigner à ces indigènes^l'art d'élever de la con- stnietioa.

392 EXH.ORATIONS DANS LA LAPONIE RUSSE.

pour un travail tcheremisse'. Enfin la physionomie des La- pons russes décèle leur métissage avec les Finnois. La plu- part de ceux que nous avons rencontrés avaient une che- velure blonde ou châtain clair, souvent frisée, des yeux bleus, une taille élevée et un (eint blanc; quelques-uns portaient raôrae une barbe très fournie.

Le nombre des Lapons russes est assez difficile à établir; suivant les auteurs, il varie du simple au triple, de ^,207* à 6,00tF- Après avoir consul les livres des paroisses et reconnu leur concordance avec ceux des fonctionnaires ci%'ils*, M. de Seraenov fixait, en 18îjl), l'edectif de ces indigènes à 2,183^. Avec le voyageur russe Elysseiell" nous avions, dans une publication précédente, adopté le chiffre de 3,000 \ Depuis nous avons été conduit à penser qu'il était peul-ôtre trop élevé : à notre avis, le nonnbre des Lapons russes doit être de 2,500 environ. Kn 1884, on en comptait dans le district de Kola 1,448, d'après le dénombrement fait par Vispravnik; l'autre partie de la presqu'île doit certainement en contenir au moins un millier. A titre de renseignements nous publions la statistique de ces indigènes par pogoste*, d'après des do- cuments russes que nous a obligeamment communiqués M. Bodura, ancien consul général de Suède et Norvège à Arkhangel. Ces statistiques, comme toutes celles relatives

1. Dana dilVérenU passage!^ du Kiilerirln un voil que les ancien s Finnois employaient lea perles cnmriiB ortienieiil. Il en est pluticurs fois quos- tion dans la description du costumn dea femmes et le futiet du louka— hainen était garni de perles.

2. Friis, En Sommer i Finmarken, elc, p. 165.

3. Ign;itiu8, loc. cit., iii Journal de la ttatisttijue de Pari», févr. 1886. •l. Daa, loc. cil.

5. Seinenov, Geographitcheikn-statittitcltenku iloear Rouiiikoi Im- perii, t. III, art. Loi'Aiii.

6. Complex rendus de la Société de géo^mphie de Parti, 1883, n" I, p. 15. Gointniinicalion de M. Veninkov.

7. Cil. RaUot, A'ole» ellmograpliii/uet recueiUiet en Laponie. llevue d'ethnographie, t. V, p. 1 .

8. Village d'hiver.

m

EXPLORATIONS DANS LA LAPONIE RUSSE. 393

aux populations plus ou moins nomades, ne doivent être acceptées que sous toutes réserves. Le chiffre qu'elles donnent pour les femmes est, par exemple, inrérieur à celui des hommes, proportion qui n'a point été observée chez les Lapons en général. D'antre part, dans plusieurs localités, nous avons constaté un nombre d'indigènes supérieur à celui porté sur ces documents, et une de ces statistiques, celle empruntée à l'ouvrage intitulé, la Laponie russe, n'in- dique pas toutes les localités occupées par les Lapons, Po- noi, entre autres.

StitUtisque

empruntée à l'ourrage publié k Slatiitique fournie par Arkhangel en 1877 sous le titre de l'adminiatratioa dea

Laponie ruttei. affaires des paysans.

Sexe masculin. Sexe féminin. Total. Sexe masculin.

lokostrov 54 47 101 55

Nolozero 110 121 331 110

Masesid 35 34 69 33

Sundgjeld . . . . 65 60 125 66

Babinski Iman-

dra 48 57 105 45

Rjikotaibal.... 52 39 91 InhabittS.

KiUa (station

de poste)... 4 15»

Voronveruts-

che (station

de poste). . . 3 6 9 »

Rasnavalok

(station de

poste) 3 7 10 »

Voronjeozero

(station de

poste) 4 7 11 »

lokostrov (sla-

tiondeposte) 3 » ."i »

Zatcheïka (sta- tion de poste) 2 2 4 » VisselokTchel-

mozero « i> » 5

Voroneschskiy. 56 55 111 58

1. La date à laquelle cette statistique a été dressée n'est pas indiquée.

3U4 EXPLORATIONS DANS LA. LAPONIE RUSSE.

Sexe mn^culin. Sexe témiuia. total. Soxii lunsculiii.

Seini Oslrov . I2i 113 2:J7 122

LoToïcro 65 64) 125 64

Kildin ";i 60 133 87

l'elscheDga... iV< 43 «Qi 51

MiilU r.O 46 %^ 02

Pasvis;:! 4K 40 91 55

Visselok Sred-

nii 7 7 14 »

Ekaosk 107 81 188 ir4

Lumbov 56 57 113 45

Susnovetz 33 28 til 38

l*urna i 10 14 »

Luniiuiî Il) 16 2(i »

knmeuu 35 30 65 »

Vjnlosepâk. .. 24 28 52 » Knïkig Vissc-

luk « >> " 5

Ponoi' « « 84

1131 1&61 2182 1131

Ces deux mille et quelques cents Lapons sont disséminés sur un territoire égal au tiers de la France. Leur habi- tat s'étend depuis le Pasvig à l'ouest jusqu'à Ponoi à l'est, et dans le sens de la latitude de la côte de l'océan Glacial à Zatcheikaau sud. Même en faisant entrer en ligne de compte les Russes et les Caréliens établis sur le littoral, la densité de la population dans la presqu'île de Ivola reste très faible; par ;iO ou 40 kilomètres carrés on ne compte guère qu'un habitant. En réalité, les côtes seules sont peuplées, et l'intérieur est un désert. Sur les bords de l'Imandra, sur une distance en ligne droite de 150 kilomètres, on ne trouve

1. It'après le recensemonl ila 1HS3 ce pn/joste n'était plus liabité que par 73 Lapons (32 hommes cl 41 fciuiims) (Boukharov, Poieiiika po Laplandii, p. 8j.

2. Kn IHNll, -U habitant» seulement fltoukliarov, toc. cit., p. H}.

3. Kn 1884 la (>opijlaiinn de ltorls-Cle6 se trouvent réunis l'été tous les Lapon.-^ russe» du l'^isvig &'<''l«vail à 121' individu» {tjl hommes el- 63 feinoies).

t. Kn IHùl, 173 Lapons liabiUiieiit t'cMuii (Duben, loc. Ht., p. 55.

EXPLORATIONS 1»AKS LA. LAPOXIB IIUSSE. 395

en été que soixante-dix habîtanls environ'. Dans la vallée du Jiinijok, longue de 120 kilomètpes, quatre familles seu- lement sont établies. Les ressources du pays en pêcheries, pâturages et forêts permettraient facilement l'existence d'une population beaucoup plus considérable.

Les Lapons russes augmenLenl-its ou diminuent-ils, telle est la question qui se pose naturellement en étudiant leur statistique. Friis pense que leur nombre décroîl. A l'appui de cette opinion, Daa signale une diminution notable surve- nue de 1859 à 1&67 dans le chiffre des Lapons établis aux environs de Kandalaks. En huit ans il se sérail abaissé de^75 à '206. En comparant la slalislîque donnée dans l'ouvrage intitulé la Laponie rxisse et celle fournie par M. Boukbarov, pour les pogoêtes de Petschenga et rie Motka, on constate également une décroissance dépopulation. Dans le district de Kola, reffectif des Lapons aurait également diminué de 1859 à 1867. Pour cette dernière région ce mouvement n'a pas persisté; en 1881, le nombre de ces indigènes dépassait de près de 200 celui indiqué en 18(17 au professeur Daa. A notre avis, la décrois&anee de la population taponnen'est qu'apparente. Nulle pari chez ces indigènes le chitt're de la mortalité n'est, croyons-nous, supérieur à celui delà nata- lité, partout le nombre des naissances est plus élevé que celui des décès; l'excédent est faible, mais il existe. D'après les registres de l'église de Boris-Gleb, la population de ce

1. A Kourinka, à l'embouchure de l'émissairts dii HelesmoîDro dans lliuandra, une vieilJe rciiiiue; à R:isnBvaluk, un lioiirmo et truia t'emmes; ilans la Piebcliùgouba. mm ramilla coin|)oiéi! do truis pcrsoDnes; dans Ln MoQlËhégouba, trois ramilles cumulant jo?.e membres; diin» Je lélvuon igolfe titu^ au sud do la iMoolcIiéirouba), une famille de citiq individus; dans la tlielagouba, deux l'iimillcs de quatre personnes cliacune; <luDa la Tikigoubn, udu rainillc égalcmorU de qualro personnes, dans l'Hokta- ganda, uno fiimille de Iroit personnes, trois indigènes sur le» bords du ta Vuotclié Lambeua (rive orientale à 7 kilciniélre<< d'Iukoslrov, dam la Kli- poi^aiida (rive orienlnle ù U kilomètres do Zutcheika) une faniille cie quatre {lersounes, à Zatcbcïka deux ramilles, cinq iadigcnes à lokosti'ov, enfin «ept riinilles à Akkula.

396

EXPLORATtONS DANS LA LAPONIE RUSSE.

village aurait augmenté de 11 individus en huit ans'. D'autre part, toutes les familles que nous avons rencontrées cona- ptaient plusieurs enfants, quelques-unes même trois ou quatre. Dans la presqu'île de Kola, comme du reste partout ailleurs, la race laponne ne disparaît pas, ne meurt pas, mais se fond avec les populations en présence desquelles elle se trouve, d'autant plus facilement qu'ici elle ne se distingue pas des autres indigènes par des signes extérieurs comme en Norvège, en Suède ou en Finlande, Les Lapons de la presqu'île portent à peu près le même costume que les pécheurs russes ou caréliens; les traits de leur physionomie, la taille, ne les différencient pas beaucoup non ptusdesaulres habitants. Que ces indigènes s'établissent sur les côtes au mi- lieu des Russes, après un séjour de quelque temps personne n'aura gardé le souvenir de leur véritable origine; eux- mêmes l'auront oubliée ou ne voudront pas l'avouer. Suivant les circonstances, ils se diront Russes ou Caréliens, et les sta- tistiques compteront autant de Lapons en moins, bien qu'en réalité leur nombre n'ait pas varié. C'est à cette fusion de la race laponne au milieu d'éléments étrangers qu'il faut attribuer, croyons-nous, la diminution constatée dans les recensements- Cette opinion nous sommes heureux de la voir confirmée par M. Ostrovskiy.

1. Mouvement' iW la populalîua de Boris-fileb :

(S7I i fitlcB. l reiunic!.

j a garçons. i homme».

^''" i î nilo». i femme».

àa-a I ^ irirtons. 1 femme.

"'" i a llllcs.

,,_. , i 2 liomin»».

r . 18" ÏBorcon.. , j j^„„„^

àVia i ^ çtTçoni. i romnaet.

'"" î 3 lillc».

I 5 i;iiri,oiti. \ liouiniGt.

•*'" 1 1 nilc. 1 fetnme.

^^^ \ a girçoiu 2 feranic».

.__ ,.. 1 i humilie.

«88» ^«"'"- ! «femme.

EXPLORATIONS DANS LA LAPONIE RUSSE. 397

Jadis une partie des Lapons russes vivaient de l'élevage du renne et menaient la vie nomade comme ceux de leurs frères encore aujourd'hui pasteurs en Suède et en Norvège. La relation du voyage d'Othère mentionne la présence dans ce pays de deux catégories diflérentes d'indigènes qu'elle désigne sous les noms de Finnois et de Terfinnois. La ressemblance du préfixe 1er avec le vocable Ire de l'ancien Scandinave a induit I^ehrberg à penser que les Terfinnois él^lcnl des Lapons forestiers. Dans les anciens textes, ou trouve en effet cette flcnomination opposée à celle de Skrith ou de Cre-Finnois^ qui désignerait les Lapons pasteurs. Au nom de la linguistique, Ilunfalvy a repoussé cette identification'; à son avis, il n'est pas du tout dé- montré que Irt! ail la signification d'arbre. Quoi qu'il en iûil de cette discussion* des documents plus récents, mais qui remontent néanmoins assez loin, établissent avec certi- tude qu'autrefois uu certain nombre de Lapons russes étaient pasteurs de rennes. La relation du voyage ac- itompli en U9(j par Istoraa de la mer Blanche à Thron- dhjem, que nous a conservée IterLerstein, mentionne les t Finnois Lapons », qui vivent au bord de la mer dans des huttes et les u Lapons sauvages i). Sur ce point le testament d'Ivan 111 (1504) est également particulièrement précis. « A mon nis Ivan, porte ce document, je donne la terre et la ville des Caréliens avec tous leurs revenus et impftts ; de plus, les Lapons des forêts et les Lapons sauvages ou de troupeaux^. > Le testament d'Ivan le Terrible [1j78) mentionne aussi les mêmes catégories de Lapons*. Aujouid'hui aucun Skolte

1. Paul Huiifalvy. Die Vûlker des Vrai untl ihre Sprachen (Unga- riMhr Renie, VI. \, ISKIS, p. 17).

t Sam eiilrer daua )u discussion, nom ferons observer qu'eu décrivuiit la vie des <t I-'iunois >> c'est-à-dire des Lapons pasteurs dans la peasée lieLetirtierg, Uilïère ne relate pns qu'ils possèdent des rennes.

<(. Ugorodiiikov, loc. cit.

4. Ogorodnikov, loc. cil.

398

EXPLOnATIONS DANS LA. LAPONIE nu.SSR.

n'est pasteur. Les seuls indigènes de la presqu'île de Kola qui vivent de l'élevage du renne sont une dizaine de familles, originaires du Finmark, établies avant 18:2(> dans le district indivis entre la Norvège et la Russie et restées sur le territoire russe après le partage de la zone a neutre. Ces pasleurs forment une petite tribu complètement distincte des autres Lapons par la religion et parla langue; ces indigènes sont luthériens et parlent le dialecte de Sydvaranger'.

Tous les Lapons russes proprement dits tirent leurs ressources de la chasse, de la poche et de l'élevage de quelques brebis et d'un petit troupeau de renues. Dans la vallée du Junijok, quade familles vivraient de l'élève du gros bétail, nous a raconté un guide; l'une d'elles posséderait vingt-cinq vaches. En général, les Lapons cantonnés dans la presqu'île de Kola n'ont qu'un très petit nombre de rennes. Les deux troupeaux les plus considérables compte- raient mille têtes chacun et upparliendraient à deux frères établis aux environs de Rasnavalok. Un indigène établi sur les bords du Kopesozero, homme fort à son aise, ne pos- sédait qu'une trentaine de bètes. Quelques l'amilles, nous a-t-on affirmé, en ont une dizaine à peine. La statistique que nous a obligeamment communiquée l'Ispraniik de Kola en ISSiaccusaitseuiementl'existence de 15, 000 rennes* dans toute la presqu'île, et dans ce nombre une bonne partie appartiendrait aux Russes.

Durant l'été les Skolte laissent leurs rennes errer en toute liberté. Pour être ù l'abri des moustiques, la plupart de ces animaux séjournent alors sur les montagnes d'où la brise toujours fraîche des hauteurs éloigne les insectes ; quelques-

I. Friis, En Sommer i h'ininarken etc.

a. 8,01IK daiii le dfstricl de Kola et 7,:)S« ij.ins celui île Kousamcn. En 1861, les statjslique» uflicielle» oe coroj>taient que l;t.3S(l rennes ilani ta presqu'ilo de Kola, dont 4,1HI seulemcnl apparleoaieiil aux Lapons (Friis, ioc. cit., p. 192).

EXPLORATIONS DANS I.A I.AP0N1E ROSSE. 399

uns cependant restent dans les forêts, ils sont sans cesse harcelés par ces diptères. Sur les bords de la Kola reka,nous avons rencontré de malheureux rennes haletant des piqûres des innombrables moustiques acharnés contre eux. De plus, ceux de ces ariimaux restés dans la région forestière ont à souffrir de températures particulièrement élevées qui s'y font parfois sentir et auxquelles leurs congénères de Nor- vège ne pourraient guère résister'. A ta [In de l'automne, les Lapons russes réunissent leurs rennes. Sur les bords de rimandra, ils les rassemblent, en les chassant vers une langue de terre faisant saillie au milieu du lac, qu'ils ferment du côté de terre par une barricade en bois. Les indigènes laissent leurs troupeaux pendant quelque temps dans cet enclos, puis les emmènent avec eux lorsqu'ils vont habiter les pogostes d'hiver. Quoiqu'ils vivent presque toujours dans un état de liberté complète, les rennes russes ne sont point farouches; ainsi le Itruitde coups de feu tirés près de leurs oreilles n'elfrayail pas les animaux de notre convoi; leur domestication est aussi complète que celle des rennes de Suède et de Norvège. L'hiver, on les attelle à des traî- neaux, et l'été ils servent de bétes de somme.

Comme les Lapons pêcheurs d'Iînara ceux de la pres- qu'île de Kola se déplacent fréquemment. Au printemps, ils s'établissent à un endroit, l'été ils le passent dans un autre, et en automne ils changent de nouveau de résidence. Dans ces différentes localités chaque famille a sa station de pèche, de père en fils elle vient séjourner quelque temps et dont elle est considérée comme propriétairt;. Les di- verses stations appartenant à une même famille, parfois très éloignées les unes des autres, de 30 et même 40 kilo-

I. Sur les montagnes riveraines de l'océan Glacial, en Finmark, nous •"«ns vu, un jour d'automne, un troupeau de reunea ini-oiiiiiiodé par un 'etnni lourd, alors que le thermomètre ne dépassait ima + 10°; ces ani- maux à bout de forces se couchaient sur la neige, et les rennes rnsses WQt exposés à des températures de -f- 25° 1

400 EXPLORATIONS DANS LA LAPOSIE RUSSE.

mètres, sont généralement établies sur le môme cours d'eau ou dans le môme réseau de lacs. Les déménage- ments sont par suite faciles; la famille s'entasse dans un canot avec les animau.\ domestiques et le mubilier composé de quelques hardes, ustensiles de ménage et engins de pèche, el elle n'a qu'à suivre la rivière. Les Lapons cantonnés dans un même bassin fluvial sont regardés comme proprié- taires de toutes les eaux de la région, et un indigène d'une autre vallée ne peut y p&cher, qu'à condition de leur payer une redevance. Les stations de pÊche se composent généra- lement d'une hutte, de séchoirs pour le poisson, et d'abris pour le mobilier el les brebis. Pendant neuf mois les Lapons vivent ainsi dispersés le long des rivières ou des lacs; l'hiver seulement ils vivent réunis par groupes de 50à 100' dans les pogastes , réunions de quelques cabanes situées au milieu de la forôt. Tous ne se réunissent pas à la mûme date dans leurs « villes d'hiver)). Les indigènes de Uasnavalok, par exemple, s'y rendent à l'époque oii le lac se couvre de glace, c'est-à- dire au milieu d'octobre, tandis que les habitants de Boris Gleb, comme du reste la plupart des Lapons russes, ne gagnent leurs /jo^ostw que vers la Notil, pour y rester trois ou quatre mois.

L'hiver, les Lapons russes habitent des maisonnettes en bois à toit plal, ressemblant à des blockhaus, appelées par eux toupa*. Les gens de Boris-Gleb sontles seuls indigènes que nous ayons trouvés établis l'été dans des maisons. (Quelques-unes de ces cabanes ont deux chambres, les autres une seule (fig. 8 et 9). Dans les preraiÈres, la pièce d'entrée, la moins spacieuse, sert de cuisine, l'autre de chambre à coucher. Toutes sont garnies d'un mobilier très primitif. Les

I.Vuir plus haul la gUlistique îles Lapons russes p&v pogoiU.

3. Ostrovskiy, Lopari i ich predania. hvieslia hnperatorskago rotu- sliagct geoyfafitcheskago oblchetva, t. XXV, 1889, l. Ce mut est emprunté dt la langue finnoise et désigne dans cet idiainc la c-lmmbrc de famille (Voir Léouîoii-Leduc, loc. cit., p. 37, n" 2).

EXPLORATIONS DANS LA LAPONIE RUSSE.

401

lits y sont remplacés par un banc fixé au mur, sur lequel on étend des peaux; en face sur toute la longueur de la chambre se trouve entre le mur et le plancher une large rai- nure dans laquelle on dépose sur un tapis de branches de pio le poisson destiné à l'alimentation de la famille. Durant l'été, la plupart des Lapons russes vivent dans des games. Ces battes, qui dérivent de la kota finnoise sont formées de troncs d'arbres dressés sur un appareil composé de deux paires de montants s'appuyant l'un contre l'autre au som-

FlGURE 8. Plin d'habitation de Lapons russes de Boris-Gleb.

met et réunis deux à deux par une poutre transversale ; le tout est recouvert de mottes de gazon ou de tourbe et par places d'écorce de pin. Ces abris n'ont que deux ouvertures : "oeporteet un trou qui sert tout à la fois de fenêtre et de cheminée pour le foyer placé au milieu de la hutte dans un cercle de gros cailloux. Dans certaines constructions, cette «ernière ouverture peut être fermée par une trappe adaptée ^^ toit. A côté de ces games primitives on en trouve d'autres piQs perfectionnées, formant le passage entre la hutte et la ■saison. Elles sont par exemple éclairées par de petites

soc. DE GÉOGR. 3* TRIMESTRE 1890. XI. â6

402 EXPLORATIONS DANS LA LAPONIE RUSSE.

fenêtres, et munies d'une cheminée placée conlre une de^ parois de la cabane. Comme nous l'avons signalé plus haut, outrelesconslructionsde ce genre les Lapons russes édifient des kota et des porte dont ils ont emprunté le modèle aux Finnois. A Pakajanoki, sur la fronlière de Finlande et de Norvège, au milieu d'un /jo/^ostc abandonné depuis longtemps et aujourd'hui détruit, notre attention a été attirée par deux excavations circulaires, profondes dcO'"75, mesurant la pre- mière un diamètre de l"'2o, la seconde large de â'"15, et réunies par un boyau long de 0"'60. Ces excavations pour-

j "»j-j

i^'.S

Fif.niE 'J.

T'Iaii J li.iliilalinii ili; Lnpoiis rii-^es ilu Boii-=-(;ieb.

raient être les restes d'un abri analogue à la sauna des aociens Finnois, qui était formée d'un trou creusé dans le sol et recouvert d'un toit. Peut-être à une époque anté- rieure les Lapons russes ont-ils construit des huttes de ce genre comme ils élèvent encore aujourd'hui des kota et des porte. Ces indigènes ne possèdent [toint de tente semblable à celle des pasteurs de rennes de la Scandinavie. L'été, lorsqu'ils voyagent à travers les forôls, ils improvisent un abri avec quatre ou cinq*Jeunes troncs li'arbres entrecroisés au sommet, qu'ils recouvreut de toile '. D'autres fois, afin de

t. D'npr^s M. Oslrovskiy ces lentes pi.irtcraiciil le nom de n kouvo- kasse *.

EXPLORATIONS DANS LA LAPONIE RUSSE'. 403

se protéger contre les moustiques, ils forment une tente minuscule avec une pièce de linge étendue sur des baguettes de bouleau et ramenée sur le sol. Pour mettre hors de l'atteinte des rongeurs les provisions qu'ils n'emportent pas dans leurs différents déplacements, les Lapons élèvent des atfaS cabanons perchés sur un tronc de pin à quelques mètres au-dessus du sol. Une aïta que nous avons vue sur les bords du Notozero était élevée d'environ deux mètres au-dessus de terre. On y accédait à l'aide d'un tronc d'arbre

Figure 10. Hangar couvert d'écorcc de bouleau. Kopesozero. Laponie russe.

portant de grossières encoches en guise d'échelons. Pour terminer le chapitre des constructions, signalons un hangar bas, formé d'un échafaudage de quelques troncs d'arbres et recouvert d'écorce de bouleau (fig. 10).

Les Lapons de la presqu'île de Kola ont adopté presque entièrement le costume russe. La plupart sont vêtus de blouses en toile serrées à la ceinture, d'autres de longues redingotes appelées en russe kaftan, enfin, presque tous

!• Mot emprunté à la langue finnoite. Les Lapons de Suède et de Fin- unde élèvent également des constructions de ce genre. Dans les dia- '^<!te3 lapons de la Suède elles portent le nom de njalla.

•404 EXPLOKATIONS DANS LA LAPONJE BCSSE.

de pantalons d'étolTe. M. Ostrovskiy a rencontré à Kitovka (côte Mourmane) des Lapons de Kildin qui avaient fort bon air. Tous portaient des vêtements et des pantalons en drap noir, des chapeaux de feutre, des souliers j quelques-uns possédaient même des montres en argent. Du vêtement lapon, la plupart des Indigènes de celte région n'ont guère conservé que les mocassins en peau de renne (komager en norvégien) dans lesquels les pieds sont enveloppés de touffes de carex^ séché. L'été, quelques-uns seulement onldespusfc en peau de renne; l'hiver, probableraenl, le froid rend ce vêtement indispensable ù tous. Leur coiffure est en général un bonnet pointu, de laine grossière, blanc quand il est neuf, et rayé de bandes circulaires verdâlres. Les femmes sont toutes vêtues du xra>'c/<i(H*! des paysannes russes; comme les Laponnes des autres régions, elles portent la chevelure divisée par derrière en deux longues tresses.

Les Lapons russes se nourrissent principalement de pois- son soit salé ou séché, soit frais, qu'ils font bouillir avec des touffes d'AUium schienoprasiiiti en guise de coiidi-. ment. L'eau ayant servi à la cuisson sert de boisson pen- dant le repas. Souvent, notamment en voyage, ils se réga- lent d'un pâté de saumon ou de truite, le kalebakiif dont ils ont emprunté la recette aux Russes. De même que leurs frères de Finlande, les Lapons de la presqu'île de Kola recherchent les œufs de palmipèdes, et comme eux, pour s'en procurer facilement, établissent des nids artificiels sur le bord des cours d'eau. En hiver seulement ces indigènes consomment de la viande de renne; tes règles de l'Église orthodoxe leur interdisent d'ailleurs l'usage des aliments gras pendant une bonne partie de l'année. Néanmoins, même en temps d'abstinence, ils ne se font pas faute de manger des lagopèdes ; les oiseaux sont, disent-ils, les pois-

1. D'après biilien les plantes employées par les Lapons à cet usage sonl : le Carex aijuttuilis, le <j. aciit<i, le C. ampullitcea,\e C- vesicaria, VAvena plexuota.

EXPLORATIONS DANS LA LAPONIE UUSSE, 405

sons de l'air^ et cette subtilité paradoxale fait taire leurs scrnpales religieux. Lorsqu'ils ont l'occasion et les moyens d'acheter de la farine, ils en absorbent volontiers une cer-

FlCURE H.

Racloir en os pour préparer les peaux. Kopesoîero. Laponie russe.

{Mm. d'Ethnographie du Trocadéro, coll. Rabot).

taine quantité "sous diverses formes. Les habitants de Boris- Gleb, qui nous ont servi de bateliers sur le Pasvig, man- geaient à chacun de leurs repas du pain qu'ils avaient

FlGUHE 12. Fermoir en os de renne faisant par'.ie d'un sac on peau de plioquc (Enara). Laponie Qnlandaise et Kopesozero, Laponie russe {Mut. d'Ethnographie du Tro- cadéro, coll. Rabot).

boulangé avant de partir, et, à Zatcheïka, nous avons vu les naturels se délecter d'une bouillie de farine de seigle et de baies de marais {Rubus chamœmorus L.). En fait de végé- taux, les Lapons russes mangent comme tous les peuples

1. Friis.

EXPLORATIONS DANS LA LAPONIE BUSSE. 407

peaux (fig. 11). Dans les nombreuses cabanes nous sommes entré, nous n'avons trouvé qu'un seul objet en bois de renne orné de dessins géométriques comme en gravent les autres Lapons sur leurs cuillers ou sur les mancbes de leurs couteaux. C'était le fermoir d'un sac en peau de phoque^ (flg. 12). L'œuvre d'art la plus remarquable que nous ayons vue chez les Lapons russes est une peinture or- nant le dossier d'un traîneau (Og. 13)3. Sur un fond rouge sedétachaientenjaune des arabesques et des figures, tracées ■et disposées assez régulièrement. Gomment l'artiste, qui

Figure 15.

Sceau en écorcc de bouleau. Kopesozero. Laponie russe (SIus, d' Ethnographie du Troeadéro, coll. Rabot).

)iabite sur les bords du Kopesozero au milieu d'un désert, ■avait-il pu se procurer la peinture nécessaire à l'exécution de cette ornementation polychrome? Le bois de pin et l'écorce de bouleau sont les matières premières de presque tout le mobilier des Lapons russes. Leurs assiettes (11g. 14)

1. Ce sac était complètement identique à celui représenté par la 4gnre que nous avons acquis d'un Lapon finlandais.

2. Le traîneau sur lequel se trouvait cette ornementation était une Kjr»ri» semblable à celles en usage dans les autres parties de la Laponie. ■Quelques L^ons russes ont un véhicule d'un autre type qui présente une singulière analogue avec le traîneau samoyède. Il se compose d'une ■caisse dans laquelle plusieurs personnes peuvent prendre place, montée sur des patins enybois. Un traîneau de ce genre figure dans la photo- graphie d'un campement de Lapons russes pris sur la côte mourmanepar M. Leizinger {Coll. de la Société de géographie de Paris),

408 EXPI.OBATIONS DANS r,A LAPONIE RUSSE-

et leurs grossières cuillers sont en bois; avec l'écorce du bouleau tout à la Tois flexible, résistante et imperméable, ils confectionnent des sacs, des cordes, des boîtes, des écopes, des seaux (lig, 15), môme des chaussures et des vê- tements. Cette précieuse substance leur fournit les moyens de transporter l'eau, et un morceau suffit à faire flamber les branches mouillées, elle procure ainsi l'eau et le feu, les deux choses essentielles dans les déserts*. Dans le voisinage des habitations, sur le bord des pistes qui traversent la fo- rêt, tous les bouleaux présentent des cicatrices noires pro- duites par la perte de leur écorce, aussi avec quelle joie le voyageur les aperçoit lorsqu'il erre perdu dans la forêt! Elles lui indiquent l'approche d'une hutte et le bon chemin. Le bouleau nain [Betuia nana, L.) est également utilisé par les Lapons. Ses longues racines flexibles leur servent à fa- briquer de petits paniers.

Comme l'a appelé emphatiquement Acerbi, le bouleau est le cocotier des pays du nord et les runoia anonymes du Kalevata ont célébré son utilité en strophes d'une poésie naïve. « Traversant une forêt, Wiiinâmôinen, entendit tout n à coup un bouleau pleurer, de suite il s'approche et lui « demande la raison de ses larmes.

c Les heureux n'ont qu'un seul désir, répond l'arbre; ils « appellent les beaux jours, les jours ardents de l'été. 11 en « est autrementde moi, pauvre malheureux! Je ne m'attends « qu'avoir mon écorce déchirée, mon feuillage ravagé.

« Souvent dans le cours du printemps, les enfants s'ap- t( prochent demoi, le désolé, de moi, l'opprimé et ils m'en- « taillent avec cinq couteaux, ils éventreniraon tronc riche « en sève*, et quand vient l'été, les bergers me dépouillent

I. Voir le^ difTérenlcsulilisaliona de l'écorce do bnuleau imaginées par 1e« Finnois dans les Firuika kranier de Rclzius (p. 96). Ce chapitre a élé reproduit dan» la Revit)" d'ethnographie, 188Î, n" 2. Au musée d'Ar- kliangel Tigure un vêtement cutiiplet en écorce de bouleau.

i. lA sève qui découle ilu bouleau i l'époque do printemps forme une boluon agréable.

EXPLORATIONS DANS l-A LAPONIE RUSSE.

400

t sans pitié de ma blanche ceinture^ pour s'en faire, ceux-ci (( des cuillers, ceux-là des fourreaux, d'autres des corbeilles « à myrtilles'. »

Les anciens Lapons enveloppaient leurs morts d'un lin- ceul d'écorce de bouleau et déposaient à côté d'eux dans la tombe les armes et les ustensiles dont les survivants pensaient que le défunt devait avoir besoin dans l'autre monde pour pourvoir à son existence comme ici-bas^. D'après les anciens auteurs, cette coutume a été générale chez les Lapons et semble avoir persisté jusqu'au xvi' et même au xvii' siècle '. Le souvenir s'en est même conservé chez les populations actuelles de la Laponie suédoise/. Au- jourd'hui ces anciens rites funéraires ont été seulement con- servés par les Lapons russes. Dans un cimetière de ces indi- gènes situé à Pakajanoki et abandonné seulement depuis une trentaine d'années, chaque tombe contenait un plat en bois, une cuiller, une hache, un fitet et une pelle également en bois, servant en hiver à débarrasser de neige l'entrée des

1. Lp kalecatti (Irad. LéuuKon-Leiiuc, p. 4'i9).

i. Nordvi, t'ndersôyeisfy ttf itidre. Iieiienske gmue i ihilhimarlien {Over. orer haniht Yidenk. Selskabx lù'irliatullinijer, 1853 et I8ht>).

3. Hôgslrùm {Heschreibung den der Krnne Swedenu gehnrrnden Lap- f landes, C.openhagiio ul Leipzig, ITIH ]i. iï!)) raiiporte que les Lapons eosevclissaienl à celé des morts une liaclie, quelques brunlillca de bois sec, un briquet et du tal)&c.

4. Un Suddoii tiiibilaat les bords du Uoro Afran (Pitea Lapmnrk) aous a raconté à ce propos \% tradition siiiv.inla : n Jadis los Lapons conduisaient leurs morts revêtus de leurs vâtomcnts au ciaieliùre dans un traîneau attelé d'un reanc. Le cor^is était cnsËveli nvec le véhicule, dans lequel on plaçait une pipe, un peu de tabac et un Troma^e de lait de renne pour servir de aourriture au défunt pendant le grand voyage; après quoi on abattiiit le renne. » Les détail» de ce récit sont coiiliriués par les anciens auteurs, llâgstrôni, lU-lia, etc. Le fossoyeur de Jokkmok a afTirmé, au professeur Dijben, avoir souvent trouvé, en creusant des fosses dans le cimetière, des pipe* eu (erre de tabrication récenlp. Les Lapons suédois, quoique boas luthériens, ont donc coDservé en partie losritei funéraires de leurs ancêtres païens. D'après M. Ustruvskiy les Laponi russes donne- raient lin renne au praire lorsqu'il enterre un indigène. Cette coutume dériverait de l'ancien usai^e da saBrifice.

410 EXPLORATIONS ItANS LA LAPONIE linSSE.

huiles. Sur la sépuUure d'un prêtre russe, à Ri^tiket (Nolo- zero) les habitants avaient déposé une hache. Les corps sont placés dans des cercueils en pin et en guise de pierre tonn- bale la fosse est surnionLée d'un appentis en bois, à deux i pans comme un toit de maison, haut seulement de quelqueafl centimètres au-dessus du sol. Sur le devant est peicée une petite ouverture carrée, sans doute pour que le mort puisse respirer. Du côlé opposé se trouve une croix grecque dont un des bras est orné d'une tète de mort d'une exécution très grossière (fig. 16). Sur quelques-unes des tombes du cimetière de Mogylni-Oslrov (Imandra) la construction est plus importante. Elle a l'aspect et la forme d'une longue

FintiiiE IG.

titc 'le mort gravée «iir In lirnnclie inrérieiii-i' de la croix ^'cqne

placvp sur un lomlmaii de Lapon russe.

maisonnette coupée à la cirae pour porter une autre mai- sonnette plus petite. Figurez-vous une réduction d'unebasi- lique romaine. L'arête du toit, très proéminente, est dé- coupée d'encoches à la hache figurant une sculpture presque inrorme. Ces monuments funéraires mesurent en moyenne une longueur de l"'t5 et une largeur de 0"'45.

Les Lapons russes sont convertis au catholicisme grecJ mais, pour la plupart vivant dans les forêts de rinlérieurj de ta presqu'île, loin des églises, ils n'ont que rarement l'occasion d'assister à la céléliration du culte. Presque tous sont illettrés; nous n'avons cutinu qu'un seul de ces indi- gènes sachant lire. Pareille science lui valait dans tout le pays la réputation d'un savant. Les Lapons de Kola sup- pléent à l'écriture par des signes qui sont de véritables hié-

EXPr.OIlATIONS DANS l,A LAPOME KUSSE.

roglj'pbes et qui présentent une certaine ressemblance avec ceux figurés sur les tambours magiques. Chaque famille a son signe particulier qu'elle se transmet par hérédité. Elle l'appose en place de signature sur les registres de l'auto- rité et le grave sur ses ustensiles de ménage et engins de pêche pour marquer sa propriété'. Ces caractères informes sont très anciens, et les indigènes en ignorent l'origine'.

De tout temps les Lapons russes ont passé pour d'habiles sorciers auprès des populations an milieu desquelles ils vi- vent, llyacinquanleans, les indigènes d'Akkala étaient regar- dés dans tout le pays, jusque même en Finlande, comme les plus habiles magiciens. Aujourd'hui encore les Lapons de la presqu'île de Kola ont cette réputation, et un Finnois établi dans le Bogfjord nous a conlé maints sortilèges dont, dans sa pensée, les habitants de Borïs-Gleb étaient capables.

Au témoignage de tous les voyaj^eurs, ces indigènes, notam- ment les femmes, sont d'une très grande sensibilité ner- veuse. Un bruit subit, ou la vue d'un étranger, sufQt à les effrayer, à leur faire perdre pour ainsi dire la raison, ou tomber dans une sçrte d'état catiileptique. Un pêcheur caré- lien raconta à Castren, que la vue de son costume, dif- férenlde celui des indigènes, eO'raya tellement une Laponne qni passait dans un canot à cûté de son embarcation, qu'elle jeta à la mer l'enfant qu'elle avait dans les bras, autre Carélien rapporta au savant linguiste finlandais a^oirvu une troupe de Lapons tomber comme inanimés, pour avoir entendu à l'improvisLe derrière te rnur de Wcabaneun bruit analogue àceluidu choc d'un marteau, 'o jour, Castren vit une Laponne, effrayée par le bruit d'un 'vilement de main produit derrière elle, se jeter comme une 'trie sur les personnes présentes. Si vous surprenez les

■• Cei signes sont stimblnblcs à ceux ligurég sur Je fermoir rupré- '""W (1(5. ti. frii», /oc. cil., p. i29.

i\^

EXPLORATIONS DANS I,A LAPONIE RUSSE.

Lapons de Boris-Gleb par un cri, ils se précipitent sur TOUS et fissajent de tous faire un mauvais parti, nous a conté un Finnois du Bogfjord'. C'est sans doute pour nous mettre h. l'abri de pareils Irailements que, dans la ré- gion comprise entre la Peringa reka et la Tulom dont les rares habitants n'ont jamais vu d'étrangers, notre guide prit de grandes précautions, chaque fois que nous rencon- trâmes des in<Jigènes. En arrivant à une game sur les bords du Roumiozero, il m'invita ainsi que l'interprète à n'échan- ger aucune parole, à ne faire aucun mouvement brusque et à ne pas approcher de la hutte. Les Lapons sont des sau- vages, racontait-il, ils pourraient vous assassiner. Plus loin, lorsqu'il fallultraverser te N}ammeljaori, noire homme nous fitcacherdans les taillis pour ne pas elfraj'erles indigènes, disait-il, et seul avança sur ta rive pour héler les Lapons. Il nous invita même à apprêter nos armes; puis, lorsqu'il eut aperçu une femme venir au-devant de nous en canot, il nous recommanda de nouveau le silence et l'immobilité, et ne nous laissa approcher qu'après avoir embrassé h trois re- prises la batelière. Notre guide avaitl'esprithanté d'histoires d'assassinat; à chaque instant il parlait de deux Finnois qui avaient été massacrés par les Lapons sur les bords du Noto- zero, sans doute quelque vieille tradition remontant au temps desTchoudes,

D'après M. Ostrovskiy, les Lapons russes auraient un ca- lendrier spécial dont les divisions correspondent à, leurs diverses occupations. L'année laponne (Ihé) commence à la mi-septembre et est partagée en dix périodes dont voici les noms. La première s'appelle V'towr et corresponde la pêche d'automne; la seconde, Golgok, est l'époque de l'accou- plement des rennes; après vient le Basse, du 15 décem- bre au 15 janvier, puis le Faitm, qui dure jusqu'au retour

1. M. Klerk nous a amrmé, d'autre part, n'avoir jamaii été témoin pareils fait».

V

EXPLORUTIOMS DANS LA LAPONIE RUSSE. <413

des cygnes {Niouktché). Au Niouktché fait suite le Vizi, époque à laquelle les rennes mettent bas, puis au Vixi le Giida, période où, après avoir tenu pendant tout l'hiver les rennes du pogoste réunis en troupeau, chacun reprend ses animaux. Viennent ensuite le Guolgga (les rennes perdent lears poils), le Gœsse (l'été) et le Pourgi, époque à laquelle les rennes se couvrent de nouveaux poils.

Isolés au milieu des forêts, dispersés sur un territoire immense, presque sans aucune relation avec les Russes, les Lapons établi» dans l'intérieur de la presqu'île de Kola nous donnent la leçon vivante du passé le plus lointain de rhomme. Placés dans les mêmes conditions que les tribus primitives de chasseurs et de pêcheurs dont nous sommes les descendants, ils nous offrent le spectacle de leur vie et de leur industrie. Pour vous en convaincre, lisez le récit du voyage d'Othère, la description qu'elle contient des mœurs des Lapons russes est encore aujourd'hui exacte. Depuis dix siècles la plupart de ces indigènes ne se sont guère élevés en civilisation.

CLIMAT

La Laponie finlandaise et la Laponie russe sont une des légions les plus froides de l'Europe. Tout ce pays est enveloppé par l'isotherme 0°, à l'intérieur duquel les iso- (liennes de 1* et décrivent des courbes concen- triques^

A Kola, pendant trois mois seulement, le thermo- mètre se maintient au-dessus de 0°. En général, l'hiver commence dès le 15 septembre. Là, à 60 kilomètres seule- ment de la mer, il se produit parfois à cette époque, des froids de 6'9; dans l'intérieur du pays, le thermomètre descend encore plus bas en cette saison. En moyenne, les

1. Mohn, Jahre» Uothermen der Luft-^\drme (1872) in Sohiibeler, Me Ppamenivelt Norwegens, Christiania, 1873.

41 i

EXPLOrtATIOSS DANS LA LAPONIE RUSSE.

aflluents de l'Enara, l'Ivaiojoki et le Kamasjoki sont geléî^ dès la fin de septembre, le Pasvig vers le 15 octobre. Deux semaines plus tard, l'Imandra est généralement couvert de glaces'. A Kandalaks, la mer Blanche gfcle dès la fin d'oc- tobre. Suivant les affirmations des indi{;ènes, l'Enara ne serait pris qu'en novembre.

A Kola-, dans ces dix dernières .innées, la moyenne du mois le plus froid a varié entre 8"^' et 31°i*. La plus basse température observée dans celte station a été de 38"4''. Au lac de l'Enara des froids de 50" sont fréquents. L'hiver se prolonge jusqu'en mai et en juin. A Kandalaks la débâcle de la mer Blanche se produit en mai, celle de l'Imandra commence généralement vers le 15 de ce mois. En 1867, les dernières glaces ne disparurent de ce lac qu'à la fin de juin''. Le 1" juillet 1884, des gla- çons flottaient encore sur l'Enara, et celle année-là la débâcle du Kaamasjoki n'eut lieu à Thulé que le 24 mai. Les lacs du Pasvig ne sont généralement libres qu'en juin, mais dès le mois de mai, ou même d'avril, lorsque lej temps est chaud, la rivière est débarrassée de glacesj A Kola, chaque année en mai, le thermomètre descend' au-dessous de zéro; en 188(3 on a même observé pendant ce mois un froid de 10",4, et, en juin 1881 2%3. Eal moyenne le thermomètre de celte slalioti reste pendant âlO jours au-dessous de zéro.

A ce long hiver fait suite un printemps d'une quinzaine de jours. L'été commence dans la première semaine dei

t. Daa. loc. cit.

'î. Les cliilTres des températures iikliquéca ici pour la presqu'île de Kola sont empruntas aux Tascicules du /{eperlorium fiir Metenrolûfji, publié par M. H. Wild sou» les auapices de l'Académie Impériale des Ktence» de Saiiit-l>éU!r8bourg.

3. En j:in\icr 1883.

1. En novembre 187'J.

5. En décembre 1887.

0. Daa, loc. cit.

EXPIiORJiTIONS DANS LA LAPONIE RUSSE. 415

juillet et dure six à sept semaines. A cette époque la tem- pérature est parfois très élevée. A Kola on a observé -j- 32<'5*. Dans cette localité, le mois le plus chaud est généralement juillet avec une moyenne variant de -\- H»!^ à -f- iB'S^. Mais quelquefois en cette saison le thermo- mètre s'abaisse à + et + 4°1 ; il est même descendu à 3°3 au mois d'août (1880). Dans l'inlérieur du pays des gelées se produisent souvent en août. En 1884, le 13 de ce mois, le thermomètre tomba à à Kultala dans la haute

Observations météorologiques exécutées en 1885 à léréliki.

Mus..

inil

lii..

Jaia.

Juilet .

Août

Septembre .

TSaPK-

DATE

DATE

aATURC

■AXIXA.

du

HINIXA.

du

mayenae.

ma.viaia.

miiiima.

3*.22 + 0.05 + 1.31

0

+ *

+ 8 +11

28 25 16

10°.5

- 8

7

8

22

5

+ 5,72

+15

30

1

13

+11.32

+22

15

+ 2

2

+10.09 + 6.56

+21.5 +16

15 4

+ * + 1

'8,29,30 19

OBSERVATIONS

du 8 au 31.

Neige le 29. fTempéte, gibou- < Mes de neige le ( ii ; neige le 17. 'Orage le 15. Kn 15 min. la tem-

Sérature baisse e l*". Orage le 18.

Neige dans lanuit.

vallée de l'Ivalojoki; àEIvenies, il s'abaissa à -i- 3 dans la nuit du 5 au 6. Durant l'été les variations atmosphériques sont très brusques. Le 19 août 1884, sur l'Enara, le ther- momètre s'élevait à -|- 17° ; à 9 heures du soir, il ne marquait plus que -}- 1*.

Le climat de la côte mourmane est beaucoup moins rigoureux que celui de l'intérieur des terres. Grâce à l'obli- geance du capitaine Horn, directeur de l'établissement de chasse à la baleine de lérétiki, nous pouvons donner ici le

1. Juillet 1882. «. 1884. 3. 1886.

41G EXPLOflATlONS DANS LA LA.PONIE RUSSE,

résumé des observations faites à 8 heures du matia, cl H heures du soir dans celte localité pendant le printemps et l'été de 1885.

Le olimat de la Laponie russe est très sec. A Kola, d'après la nioyenne de cinq années d'observation, il ne tombe que 300 millimètres de pluie*. M

Pour coinpiéter cet aperfu sur le climat de la Laponie finlandaise et de la Laponie russe, nous y joignons l'indi- cation de l'époque de la floraison pour plusieurs plantes dans la région de l'Enara d'après les recherches de M. Kihlman*.

lUnmnailus ncrîs, 28 juin, vallée del'Ivalojokki.

Cerastimu alpestre, 3 juillet, vallée du Kamasjokki.

Geraiiiumpratense, 12 juillet, id.

Rufms Chamcmorus, 26juillet, Hammastuntaril (357 mè^ 1res).

A:alen procambens, 2(5 juin, Kultala.

Linnœa borealis, 20 juillet, vallée du Kamasjokki.

Pinguicula i-îtigtiris, 2 juillet, id.

Les épis du seigle d'hiver apparaissent à Toivoniemi, vallée du Kamasjokki, le 5 juillet.

I. Supaii. bie NiederHchlaijU'erhiUlnme lies Hunsixchei Reicht{Pekr- mannH Mitlh., 188«). i. KiliJiUtiD, toc. cil.

/

ÉTUDES DE GÉOGRAPHIE HISTORIQUE

SBR

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR

PTOLÉMÉE, HIOUEN'-THSANG, SONG-YOEN, MARCO-POLO

PAR

Le»' NICOLAS SETEKTKOWl

Ce n'est pas sans hésitation que j'aborde ce sujet déjà traité par tant de savants illustres; mais ce qui me décide, c'est qu'à défaut d'érudition, je suis en mesure d'éclaircir les renseignements des anciens itinéraires, à l'aide des données topograpbiques détaillées et précises, fournies par

1. La publication de cet important travail du D' Nicolas Sévertzow est malheureusement posthume. Le savant voyageur et le doyen des explo- rateurs du Turkestan est mort, dans la nuit du 9 au 10 février 1885, à la suite d'un accident de voiture dans la rivière Ironetz, affluent du Don. La couche de glace ayant cédé sous le poids de la voiture, N. Sévertzow put être retiré vivant, mais il était mort gelé avant d'arriver au prochain village (Lettre de M. Grigoriev à la Société de géographie de Paris, 24 février 1885). < Non seulement Sévertzow occupait une place distinguée parmi les naturalistes, mais encore il était l'un des plus actifs, des plus infatigables soldats de cette phalange de voyageurs russes qui ont tant fait pour la géographie de l'Asie centrale. (M. Milne-Edwards, prési- dant la séance du 20 février 1885.)

Dès 1850 Sévertzow explore la contrée riveraine de l'Aral, puis la «teppe kirghize ; vers 1864 la Société de géographie russe l'envoie dans les pays transiliens.

En 1867, il entreprend l'étude du Thiàn-chàn du côté de l'Issyk-Koul et du Naryn. En 187i, il fait partie, comme zoologue, de la mission seientiflque qui explore le khanat de Khiva. Deux fois il visite le Pamir : une première fois eu 1877, en même temps que M. Mouchkétoff; une seconde fois l'année suivante, en compagnie de HM. Schwarz, direc-

SOC. DE CÉOGR. 3* TRIMESTRE 1890. XI. 27

418 LES ANCIKNS JTINÉIUIEIES A THAVEKS LE PAMIR.

les récentes explorations russes de la région du Pamir, y compris les miennes. Je ne crois pas ces éléments nouveaux inutiles pour la

leur Uc l'obiervalnire de THchkeiit, KouchakiéviLch, botanisto, Skassi et Rouilrieiï, lofio^tmplioB, cL SkoroiakofT, "préparuleur.

Ces e\]ic<liliiiii>i, eiivuyi>e> pur le i^'énéi'al KiiulTinafin, gouverneur général ilu TurkesUn, Curent îles plus t'ruclueuses. La pr&i[)iÈre (]ullle Tachkent le 30 Bcplnnibi'c 1^77 <■[, pcir Kokanc eLfioullciia, alteiat l'Alailcâti octobre ;iprfes avoir Iravcrsu lu passe ilu tlimrt, litvx jours plus tard, elle campe sur4o Puniir qu'elle abonle par Ut piiSEioïki Ki»il-a.rU Sans pousser au delà de 1.1 VïllÙK du Kok-saï, elle rtituuruâ sur tes pus 1"' novembre après >Iuo Sévertza\\ eut rassemblé d'impurtantes cnllecliuns zoologiques, SkasBi mesuré 15 pics et Sctiwarz recueilli, eutre autres, des observa- tioni miigoétiques.

Le 17 juillet I8T8, après avoir exploré une partie du Fcrghanab et la l'igiori pré-ftlaïeniie, Si'verlzow avec Koucbakiévilcli et lUmdrif!^ partent pour l'Alnï qu'ils atleigticul le ^7 par la p»sse it'Arlrhat. Puis les membres de l'expédition se sépareut en se domiaiLl rennci-vous géiiérnl sur le Kara-Koul. Séverlatuw, de puu t.Mé, explore le Taou-raouroune et la gorv;e d'IiUt-'i'litam. Le aodt la inissiou est réunie au lieu du rend<'z-vous et 16 elle remonte vers le sud la vallée de l'Ak-baïlal septeatrioiial, traverse le roi de Toui'inksou et rcdesccud par l'Ak-baïtal du Sud vcr« l'Ak-sou ou Mourguàb ^itiie des branches |ianiiricnncs de l'Oxus). Après avoir exploré le Uan),'-Koul et la ré^iiou du petit Kara- Koul, elle pa'^se le Mourguâb, remonte le Kara-a<pu et son affluent le Nosjii-lach pour atlcindro, p;ir la paste du même nom, le Pamtr Alitchour. Malheureusement les cinissaîrcs envoyés pour rapporter de» vivres sont pillés en ruute par les Kirgliiies, ce qui force Séveriïow au rctO'Ur. II revient sur le Kara-Koul et rentre le Sti septembre dans le Fergbaaali.

Les résultats obtenus sont considérables, la récolle d'bisloire naturelle est importante : SO.tHK) exemplaires de planiesi rcpréseolnnt environ 1,000 espèces (y compris la région pré-pamiiiemie), CO espèces de mammifères, 35U d'oiseaux et 2U de poi&soits, dont beaucoup sont nou- velles. Les levers do Skassi sont allés se relier à ceux du capitaine au(;lais Trotter de la luiDsioti Forsyth. L'orographie, l'Iiydrographie et la géologie du l'émir sont assises sur de nonvellet bases et la conception du Pamir, en tant que [ilateau, est complètement changée. Séverlsow intro- duit la théorie du type orugrapliitjue double du Pamir, dont lo tyttètne comprend, d'après lui, lus m0Qta|,rae» du Fert^banah (c'est-à-dire une partie du Tbiàu-chàn) au nord, jusqu'il ia rivière Caboul et à l'Indus au sud (c'csi-à-dire une partie de l'Ilindou-Kouch].

En deliors des notes insérées dans difîérents recueils scienlifiquei (parmi ces noies nous citerons surtout les neinarquet tur la /aune ilet verUbréi du Pamir, in ZapisJii, Tourliesl.-otdiela, 1, obch., etc..

I

I

I

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 419

-géographie historique. Ainsi je démontrerai que l'itinéraire -des caravanes entre Bacires et la Sérique, donné par Pto- lémée,élait impossible à déterminer avant l'exploration des

Taobkent, 1879, t. I), Sévertzow a publié en 1880 une carte du Pamir d'après les travaux de M. Slossi et les siens (Karta Pamira i soprediel- ' nikh stran. Ins. cartogr. de la section topogr. de l'état-major); mais les résultats géo-physiques de ses explorations da Pamir ont été consi- gnés in extento dans le travail auquel il fait allusion dans la présente étode, travail également posthume, paru dans les Zapiski de la Soc. imp. rosse de géographie, Saint-Pétersbourg, 1886. Cet ouvrage n'utilise pas eaeora les résultats de Texpédition scientifique de MM. Poutiata, Ivanoif et Benderskiy.

Sévertzpw, qui fut un savant explorateur, fut également un grand éru- dit : la preuve en est dans les Éludes de géographie historique sur les anciens itinéraires à travers le Pamir, qu'il a destinées au Bulletin de -la Société de géographie de Paris et dont, ne faisant qu'œu\Te de correc- teur d^mprimerie, nous avons tenu à respecter le style et l'enchaînement des arguments.

L'identification des itinéraires des anciens voyageurs à travers le Pamir a donné lieu déjà à do numbreusesctsavantcsdiscussions auxquelles ont pris part entre autres, MM. Vivien de Saint-Martin, Abel K emusat, Klaproth, Pauthier, Barthélémy Saint-Hilaire, le migor Ciinningham, Sir H. Itaw- tlinson, etc. Le colonel Yule en a fait une étude assidue (Notes on Hiouen-Thsangs account of the princip. of Tokharistan. Essai on -Me Geogr, of the upper Oxus. Paper cormected with the upper Oxus. The book of Marco Polo. L'introduction à la 2"* édition du voyage de Wood aux sources de l'Oxus. Cathaij and the way thither.) M. Paquier (ie Pamir, 1876) a traité le sujet dans une savante mono- graphie. — Des découvertes récemment faites ont augmenté nos •eoBoaissances sur le Pamir et ravivé ces questions de géographie his- torique. A citer les ouvrages de van den Ghein (le Plateau du Pamir d'après les récentes explorations, Bruxelles, 1883); une monographie de M. W. Ceiger (Ote Pamtr-Ce&tete, Wien, 1887); une étude de M. A. Tim- niernian {De Ontwikkeling orner Kennis van het Pamir-Gebied, Leiden, 1889); enfin un article de Sir H. Rawlinson (r/te Dragon Lake of Pamir. P. R. C. S., février 1887) dans lequel, d'après les données de M. Ney Elias, lae des Dragons de Hiouen-Thsang est identifié avec le lac Ran'g-Koul, sur la foi d'une légende ayant cours parmi les indigènes. On trouvera dans les ouvrages cités une bibliographie plus complète que celle que nous pouvons donner ici.

On ne saurait trop regretter que la carte et les figures dont ce mémoire était accompagné se soient perdues, avant la gravure, entre Paris et Saint-Pétersbourg.

Guillaume Capus.

420 LES ANCIENS ITINÉR-lIKES A TKAVERS LE PAMIR.

vallées de Hissar et du Karaté^;hinc, faite par MM. Mayew et Ochanine, en 1875 et 1878; de m<^me les ilinéraires de Hiouen-Thsang et de Marco Polo sont restés incompris par les plus savants conimentatRurs, pane que la plupart des grandes vallées du Pamir central étaient inconnues avant mon exploration de 1878, pendant laquelle je lisais assidûment, sur le Pamir m&me, les éludes à son sujet de Ritter, du colonel Yule, et de M. Paquier. C'està l'excellent livre* de ce dernier que je rattache mon étude actuelle, remerciant ainsi] l'auteur (quoique bien tard) de m'avoir envoyé son ouvrage au moment j'entreprenais mon exploration.

I. Anciense route commerciale de Bactres a Sera Metkopoi.is, n'APRÈS Ptolêmêe.

Outre les renseignements de Ptolémée, empruntés comme on sait, à Marin de Tyr, qui les tenait d'un marchand macédonien, Maos Titianus, M. Paquier a recueilli sur cette route les lémoignagtîs de Pline, Slrabon et Ammien Mar- ccllin', tous très brefs et très vagues, et qu'on peut résumer comme suit.

Cette route passe à travers la Sogdiarie et s'engage entre les montagnes parla \'aUisCoinedarum (l'2Eî"i.V à l'est, d'après Marin de Tyr, comme les positions géographiques suivantes). Remontant cette vallée, on arrive, par le pays des Saces, à un lieu nommé la Tour dit pierre' (135" longitude est, 13° 5' latitude nord); passé cette tour, la roule franchit les monts Imaiis, à l'est desquels elle traverse une Station de marchands {Statio Mercatorum), pour arriver, par la plaine

I. Paiiiiier, Le Pamir, Étudo de géogrnphit phijiiqvie et hiitorique sur rAsie centrale, Paris, 1876, in-8, pages l'J et 2Î-23. i. Ibid. 3. X(9ivo; mpyo;, Tarris lapidea.

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TAVERS LE PAMIR. 421

déserle de la Scythie,à Sera Metropolis (125* 40' longitude est).

Ainsi décrite, la route en question serait facile à détermi- nersi les positions géographiques ci -dessus étaient exactes ; mais, malheureusement, elles ne le sont pas. La latitude de 43*5' donnée à la Tour de pierre est à peu près celle d'Aou- lié-Âta, dans les steppes au pied du versant nord du Thian- Schan occidental ; plus à l'est nous trouvons, sous cette lati- tude, les chaînes parallèles du système des, Thian-Schan, mais rien qui puisse correspondre à n'importe quelle route traversant l'Imaiis, lequel est bien évidemment l'ensemble des montagnes neigeuses situées entre les plaines de l'Oxus et celles du Tarim, c'est-à-dire le massif du Pamir.

Reste l'indication des localités, mais elle est bien vague ; évidemment, une fois les positions géographiques de Marin de Tyr et de Ptolémée reconnues fausses, leur Tour de pierre et leur Station des marchands ne peuvent être identifiées autrement que par la détermination de la Vallis Comedarumj mais cette vallée a changé bien des fois de place sur la carte, selon les commentateurs.

Pour Humboldt, la Vallis Comedarum n'est autre que la vallée du Ferghàna, dans laquelle se termine le cours su- périeur du Syr-Darya oulaxarte; il place la Turris lapidea sur le rocher de Takht-i-Souleyman, à Osch, la route commerciale actuelle de Boukhara et Khokand à Kaschgar s'engage dans les montagnes qui séparent le Ferghàna du Turkestan chinois, pour traverser, par le col du Terek- davahn, une chaîne méridienne qui correspond réellement à la partie nord de l'ancien Imaus. Alors la Statio Merca- torum serait quelque part près de Kaschgar, sinon à Kaschgar même, dont la fondation, qui parait un peu posté- rieure au temps de Ptolémée, a bien pu être précédée et même motivée par cette station permanente de marchands.

Il y a des raisons assez plausibles pour cette identifi- cation de la vallée des Comèdes avec celle de Ferghàna. Les

422 LES ANCIENS ITENÉRAIIŒS A TItAVERS LE PAMIR.

Comédie, d'après Pline', étaient des Saces, et Plolémée' borne le pays des Saces h l'ouest pîir la Sogdiane, au nord et à l'estparlaScythie,mi midi parrimaiis; dans ce passage, le nom d'Imaiiss'applîqueévidcmmentnon pasjliine chaîne méridienne (nord-sud) quelconque, mais bien h l'ensemble entier du système de montagnes du Pamir, formant juste la limite méridionale du Ferghâna qui serait ainsi à l'extrême sud do pays des Saces. De plus, la seule grande route com- merciale actuelle qui relie le Turkestan occidental, Boukliara et Khoksnd avec la Chine passe par la vallée du Ferghâna et la ville d'Oscb; or les roules commerciales des caravanes ne changent généralement pas en Asie centrale; depuis l'antiquité la plus reculée, elles y ont été déterminées par la nature invariable des localités. Enlin les annales chinoises, citées par Ritter, mentionnent cette route de Ferghâna comme celle du commerce de la CSiine avec l'occident, dés le temps de la première dynastie dos Han, vers la fin du second siècle avant J.-C. Néanmoins le général Cunningham el le colonel Tule, cités par M. Paquier qui se range à leur avis, pensent que la VdUis Coiuedamm n'est pas le Fer- ghâna, arrosé par le laxarte, mais bien une grande vallée du système (luvial de l'Oxus, car telle est la position du Kiou- mi-tho de Hiouen-Thsang, qu'ils identifient avec la Vattis Comedannii.

L'identité du pays des Comedtr avec le Kiou-mi-tho, que Hionen-Thsang décrit comme un district montagneux placé h l'est du Tokbaristan, est évidente; M. Cunningham l'a prouvé. La description géographique que les Chinois don- nent de la région enlève toute espèce de doute à cet égard. Située à. l'est du Khotl, elle est entourée par les monts Tsoung-ling ou montagnes du Pamir; elle a l'Oxus au sud- ouest et le Chighnan au sud^.

\-i. Cit(5» par M. Pinjuier, le Pamir, p. l'J. 'd. Paquier, le Pamir, p, 555.

LES ANCIENS ITINÉRAIRES K T|[IAVERS LE PAMIR. 423

M. Paqaier, immédiatement après cette citation, dit : «C'est l'État actuel duRoshan qui serait ainsi la VallisCo meiarum » ; mais cette interprétation me parait complète- ment inadmissible, la vallée de Roshan, qui est celle de l'Âksou inférieur, étant tout à fait impraticable pour les caravanes ^ Cette vallée se compose de parties élargies, habi- tées et cultivées, mais séparées entre elles par des gorges étroites dans quelques-unes desquelles l'Aksou se fraye avec peine un passage au milieu de rochers infranchissables. Âossi les parties cultivées communiquent-elles les unes avec les autres, soit principalement, soit uniquement par des routes de montagnes qui tournent ces gorges, en passant par le Gbighnan dont, pour celte raison, le Roshan a tou< joors été une dépendance naturelle. De plus l'Oxus ne coule pas au sud-ouest du Roshan, qu'on entende par Oxus seu- lement les cours réunis de l'Aksou et du Piandj, ou qu'on étende le nom d'Oxus aussi au dernier de ces fleuves.

L'Oxus coule bien au sud-ouest du Derwaz, mais ce n'est pas non plus dans ce dernier pays qu'on peut cher- cher la ValHs Comedarum, aucune route vers la Sérique (Chine) ne pouvant passer par les vallées des affluents de rOxus qui coulent à travers le Derwaz. Toutes ces vallées dn Derwaz sont des impasses, fermées vers l'orient par des Montagnes infranchissables.

En général, dans le système fluvial de l'Oxus au nord du Chigbnan, il n'y a qu'une seule route possible de Bactres en Sérique : c'est celle qui passe par le Karatéghine ; ce pays, situé entre le Derwaz et le Ferghâna, est traversé par un pand affluent de l'Oxus, le Sourkhab ou Wakhsh; il a l'Oxus au sud-ouest et se trouve, par conséquent, juste

1. Plus loin, au reste, M. Paquier (loc. cit., p. 2t5, et carte no 1) trace *•"« route par le Chighnan et Tash-kourghane ; mais alors la Vallis ûwMdon»»», identifiée avec celle du fleuve Soutschan dans le Chighnan, n'est plus le Kiou-mi-tho de Hiouen-Thsang, au nord et en dehors de **piys; nous y reviendrons encore plus loin.

42i- LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TUAVEHS 1,E PAMIR.

dans Ja posilion géographique assignée par MM. Gunnin- gfaam el Yule au Kiou-rai-lho de Hiouen-Thsang. De plus, encore an x* siècle après J.-C, trois cenls ans après le célèbre voyageur chinois, le Karuléghine est indiqué d'une manière parfaileraent recontiaissable par le géographe arabe Ibn-Dascht, sous le nom de Khoumid, dont le nom de Coniedtp csl bien cvidcmaieiit une simple latiiiisalion.

Je reviendr;ii bientôt h ce témoignage d'Ibn-Das^chl, mais d'atord il faut indiquer la topographie si peu connue du Karaléghine ou du moins de sa vallée principale. Celle-ci fait partie de toule une série de vall(5es, el commeiit^-ant au nord-osl, près de Kaschgar, elle aboutit au sud-ouest à rOxus, tout près de Bolkh, l'aiicieniie BacLrcs; cile offre donc, de Baclres à Sera Metropolis, une route toute frayée par la nature, et si facile mO'me, que l'élablissement d'un chemin de fer n'y exigerait qu'un petit nombre de tunnels, de dimensions assez ordinaires en France et en Allemagne; aucune ne comporterait les proportions de ceux du mont Cenis ou du Sainl-Golhard.

Parlant de Ka'chgar (1 ,'200 mètres), la route remonte, versl'ouest-sud-ouest, le fleuve de celle ville (le Kaschgar- Darya qui appartient au système lluvial du Tarim) jusqu'au col de Taou-Mouroune (3,iOO mètres), sur la ligne de faîle qui sépare ks syslèmes fluviaux de l'Oxus et du Tarjm (Oschardes) et qui est l'ancien Imsiîjs, sensu stricto. Celle montée de 2,200 mètres, répartie sur une étendue de 250 kilomètres, est presque insensible vers le sommet du col, un des plus bas de l'ancien Iinaiis qui, immédiaLe- menl au sud, se relève jusqu'à 6,200 mètres dans le massif de Gouruumdy, pour se perdre ensuite parmi les nombreux soulèvements du Pamir central.

La descente du Taou-mouroune vers l'Alaï est aussi facile que la montée; ensuile l'Alaï est une plaine unie entre deux chaînes de monlagucs neigeuses, arrosées par le Kysil-sou ou Sûurkhab supérieur. Le long de celle rivière el sur une

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 425

étendue de 125 kilomètres, la route descend ioscnsiblement de l'allilude de 3,000 mètres au pied du Taou-Mouroune, à environ 2,400 mètres à la limite est du Karatéghine, l'Âlaï se termine par une gorge étroite encaissant le Sour- kbab; la route qui suit le fleuve le long de cette gorge n'est, du reste, nullement difûcile.

La vallée du Karatéghine, qui continue celle de l'Alaï sur une étendue de 220 kilomètres, est généralement cultivée, assez large et unie; de loin en loin seulement, elle est resserrée par quelques contreforts avancés de ces chaînes de montagnes latérales, contreforts d'ailleurs tous plus ou moins faciles à franchir pour les bêtes de somme des cara- vanes, au lieu d'être inabordables comme ceux qui inter- rompent la vallée du Roshan.

A 600 kilomètres ouest-sud-ouest de Kaschgar et à 330 kilomètres du Taou-Mouroune, le Sourkhab tourne au sud, pour aller se précipiter dans une gorge latérale, fente transversale de la haute chaîne de montagnes qui borde au sud la vallée principale du Karatéghine ; mais cette vallée (tontiaue sans interruption, et toujours assez large (0 à 10 kilomètres), dans la même direction ouest-sud-ouesl ; elle remonte par une penle insensible la rivière Ob-Gharin, iffluent du Sourkhab, et descend par une pente également insensible le long de la rivière Fayzabad-Darya, affluent du Kafirnigban qui se jette lui-même dans l'Oxus. Ces deux pentes opposées de la même vallée sont séparées par la plaine parfaitement horizontale de Dasht-i-bidana qui, située, comme toute la vallée, entre deux chaînes de mou- lues parallèles, est traversée à angle presque droit, nord- SQd, par la ligne de partage des eaux dn Sourkhab et du ïaflrnighan.

Elevée d'environ 1 ,500 mètres au Dasht-i-bidana, la grande wllée que nous suivons descend à 1,000 mètres à Fayzabad, et à environ 700 mètres à Hissar, sur le Kafirnighan. De là, elle remonte encore à environ 900 mètres entre le Kaûrnighan

lâli LES ANCIENS ITINÉRAIHES A TRAVERS LE PAMin.

et leSoiirkhan, autre grand affluent de l'Oxus, le longduqu< elle tourne droit au sud et descend vers l'Oxus conservan d'abord la mf^me largeur de 12 à 15 kilomètres et s'élargis sant ensuite jusqu'à plus de 30 kilomMres. La dislance di Dashl-i-bidana au Kafirnighan est de 100 kilomètres. De I< au Sourklian la dislance est de 3"i kilomètres; on compt 170 kilomèlres le long de ce dernier fleuve jusqu'à soi embouchure dans l'Oxus qui termine celte longue vallé< ou série ininterrompue rie vallées, dans laquelle le Sout khan entre à une hauteur de 700 mf'li'es, pour tomber dan l'Oxus, à une hauteur de ^50 mC'tres. Les parties inférieure de la grande vallée présentent beaucoup de localités niaré cageuses, dont la plupart sont ulilisi^es pour la culture di riz, excepté vers l'embouchure du Sourkhan. La longueui totale de celte série de vallées, de Kaschgar à l'Oxus, est di Ù30 kilomètres.

L'itperçu topo^raphique que je viens de donner suTAt déjà pour montrer que la roule la plus facile, donc la plus naturelle, de Bactres en Sérique, a de tout temps pas-* ser parles localités de llissar, du Karaléghinc, de l'Alaï et de Kaschgar; c'est donc que passait aussi la roule indi»- quée par Ptoléraée, la Vallis Comednrum, le Kiou-mi-lho da Hiouen-Thsang étant le Karatéghine. Mais, outre les donnée» lopographiques, d'anciens témoignages très positifs viennent aussi à l'appui de mon interprétation.

D'abord, celui d'Ammien Marcelîin postérieur d'environ un siècle à Piolémée, mais de près de trois siècles antérieur à Hiouen-Thsang; cet auteur est cité, mais très incomplè- tement compris par M. Paquier, qui, en 1877, ne pouvait évidemment pas profiter des renseignements géographiques sur le Karatéghine fournis seulement l'année suivante, par M. Ochanine et par te relevé lopographique de M. Ilodionow, son compagnon de voyage dans ce pays. Voici ce que dit Ammicn Marcellin : « Immédiatemeal après les fiactriens sont les Saces, na-

[LES ANCIKHS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 427

tioofaroacbe qui habite des lieux marécageux, propres leulement à l'élève du bétail. Le canton est dominé par les monts Ascanimium et Comedus. Au pied de ces montagnes est uo lieu nommé XtOtvo; ittpyot {Turris lapidea, Tour de pierre) l'ontrouveun chemin fréquenté parles marchands, qui, après un long voyage, se rendent chez les Sères. >

M. Paquier remarque à ce sujet que « ce n'est que l'itinéraire de Marin de Tjr et de Ptoiémée, sauf une erreur qu'on ne peut comprendre : Âmmien place en effet la Tour depierre avant le pays des Saces proprement dit, au lieu de la rapporter à l'extrémité orientale, au pied de l'Imaiis, qu'il ne nommejpas ».

Pour ma part, je ne vois pas cette erreur. Dans le passage Blême traduit par M. Paquier, Ammien dit seulement que cette tour est au pied des deux monts Ascanimium et Co- medus, indication vague qu'on peut rapporter à tel point qa'on voudra de la position. Nous reviendrons encore à cette Tour de pierre; pour le moment, notons seulement l'indication que donne cette tour, d'après Ammien, sur la PMition de la route commerciale en Sérique : entre les monts Ascanimium et Comedus, dans le pays des Saces, li- 9itrophe à la Bactriane.

L'étendue du pays des Saces n'est pas non plus indiquée pir Anamien, mais au moins la partie occidentale de ce pays «st bien certainement la province actuelle de Hissar, avec Jcs rivières Sourkhan et Kafirnighan, cette province étant à la fois : 1" limitrophe de l'ancienne Bactriane, dont elle est séparée par l'Oxus; jusqu'à présent abondante en maré- ''ages, très propre (quoique pas exclusivement) à l'élève ^1 bétail, et habitée par de nombreux nomades; domi- "^ par deux grands massifs de montagnes, séparés par la **rie de vallées indiquée ci-dessus.

Ainsi nous voyons que, d'après Ammien :

l'La route de Bactres en Sérique passait par le pays ac- tuel de Hissar ;

428 LES ANCIKNS ITINÉRAIRES A TRAVKRS LK PAMIR.

2" Cette route passait près la Tour de pierre, quelque part dans [a série dfts vallées de Hissar, Fayzabad, Karaté- yhine, Alaï, etc.;

3 DoRc, une vallée quelconque de cette série, oîais de i cette série seulement, était la Valiis Comedarum.

Mais laquelle?

C'est ce que rohs dira le «géographe arabe Ibn-Daîchl, dont les renseiguemeHls sur les provinces de Hissar et rie Kouliab ont été commentés et vérifiés sur les lieux par M, Mayew, d'après lequel je citerai ici les extraits nécessaires d'Ibn-Daschl qui inentionne un pays des Kbomed, évideui- meul les Comedœ des anciens, les Kiou-mi-tho de Hiouen- Thsang,

Voici ce que dit le mémoire deM.Mayew ', d'après Ibn- Dasclil, sur la position decepaysde Khoumid, relativement à la province de Kouliab :

(( Le Djeilioun re(,'oil beaucoup rie livifcres, dont une grande, nommée \Vakhii<'ha(i,f.\m coule d'un pays situé au- dessus de celui des Turcs Kharloukhs'; ensuite duns le pays de Faniir (oti Qamir'), ensuite dans celui de Hast (ou Rasb), ensuite dans le pays de Khumed, passé lequel ce fleuve (le Wakhsch) coule entre les montagnes qui séparent du pays de Wasclidsehird un district du pays de Khottel, nommé Tenlial. Etans cette localité, c'est-à-dire le Wakhscti coule entre les nionljignes, se trouve un pont nommé le Pont de pierre'. Par en pont liasse la route du

i. Bulletin de iti Soc. Impér. géoyr. rvsse, 1879, ), «cet. Il, p. Il, d'aiirèj li?s exlrails it'Ibii-Daachl (x" siècle) U-aduits par Rawlinson (Journ. oflht' ftotj. Geogr. Soc., v..l. XLII, p. 119).

a. Kli.irinukti, pays do neige, du mot lurc khàr, neige. Ces Kliarloitlchs sont lus Krtra-Kirfthiz ;icliiel», au sml-csl du Ffrgliàna.

3. Le manuscrit arabe du liriiisii Afiineum, à'oh Rcuvlinson a extrait cns notic<>s géograpliii|ui!s (l'jbii-Dasrhl, p^MÎt contenir un Sïscx grand nombre de k'ilres iudétlHlTraliJcs (mal ûcriles ou à ilemi effncéns), dont la priinoncialion reste incertaine : ainsi d.ins les noms de Famir, /îa«/, elo.

i, <> puni i.'t cutto roule existent encore, et le pont se nuuiuie loi

LES ANCIENS ITINÉIIAIRES A TRAVKRS l,E PAMIB. 429

W'aschdschird au Kholtel, celui-ci à droite, celui-là à gauche dti fleuve qui coule ensuite plus loin, jusqu'aux dernières Iinii(es (sud) du pays de Kholtel, et tombe dans le Djeihoun prés du bourg de Mile, aLi-de«sus de la ville de Teniied,

Le nom delà Vallis Comedarum de Plolémée se retrouve

sans altération huit siëctes plus tard, dans le pays de Kho-

oned, d'Ibn-Dascht qui dit que ce pays (donc la Vallis Co-

medarnm) se trouve sur le fleuve Wakhsch et pas ailleurs^

V.e géographe arabe confirme et complète ainsi l'indication

paiisablemenL vague d'Auimicn Marcellin sur la route de

Bjcires en Sérique. Les noms des piiys arrosés par le

^Vakbsch ont maintenant changé, mais celui du (leuve est

resté, au moins pour la partie inférieure de son cours, dont

i partie moyenne se nomme actuellement Sourkhab, et la

irlie supérieure, Kysil-sou'. La localité du l'oul de pierre,

Dmervéo jusqu'à présent, se retrouve sur ce fleuve avec la

"jilas parfaite certitude-, ce qui fait que tous les pays nommés

par Ibu-Dascht, au-dessus et au-dessous du pont, se retrou-

venl aussi, d'après leurs positions relalives indiquées par

géographe arabe.

^D'après M. Mayew {foc. cit., p. Iii-i3), le Pamir d'ibn-

cht, traversé par le Wakhsch, est le haut plateau nommé

pluellement Alaïj celte interprétation me paraît en effet la

nie possible. (Juant aux pays de Rasl et de Khomed,

^ew suppose que l'un des deux doit ôtre le Karaté-

isliine actuel^ qui, en réalité, correspond à tous les deux,

i«WsPonl de pierru, Tii.tcli-kepii en lurt, Poul-i-sfiujiit mi LnJjik((Jin- Itetf persan). ^' Surkli-/iti en ladjik, Kijsil-sou en Ixtrc, ont Iti même si^'nidcalion :

•■ La mule pur le i'ont de pierre, ïniili([Ln;p par Ibii-Dastlii, esl cer- 'iiiieniimt Idi-ntiijue avec la route actiielli-, celti'^ dernière étant la seule •"'Mible à travers la gnrge iiii|nalicabl;c ge trouve eu pont.

il' Commentant Ibu-Uast-hl en automne 1878, encore pendant l'expé- •"'ioii (le MM. Ochaiiino cL tiodiunow au Karatéghine. M. Majew ne pou- ••it pu encore c<>nn»tlri; la tapographie de ce pays, que celte expédition lui Is première à détunniner.

4.30 LES ANCIENS ITINÉRAHIES A TUAVEHS LE PAMIR.

comprenante/ le Khomed et la plus grande partie du Rast ' du géographe arabe. Celui-ci indique la position du Kho- med avec une extrême précision : sur le Wakhsch, immé- diatement au-dessus de la gorge dans laquelle est bâti lo Ponl de pierre; or celle gorge commence près du fort d'Obi-Gharm, sur les conllns sud-ouest de Karatéghine, a dans lequel le Khomed d'Ibn-Ilasohl correspond à la vallée dti Sourkhab ou Wakhsch moyen, mais [las sur toute l'éten- due de cette dernière. Enetfet, le Karatéghine actuel s'étend le long du Soufkh.'ib, depuis Obi-Gharm jusqu'au plateau d'Alaï ou Famir d'Ibu-Dascht tandis que, d'après ce géo- graphe, le Khomed est séparé du Famir par le pays de Rast, également arrosé par le Wakhsch, dont le cours, dans cet ancien pays de Uast, appartient donc aussi au Karatéghine actuel, formant sa partie orientale ou supérieure. Les ren- seignements donnés par Ibn-Dascht sur son pays de Hastdé-fl terminent aussi la frontière nord du Khomed : il dit que la rivière Ramid (actuellement Raoumit-DaryaquKatirnighan), ' a ses sources aussi dans le pays de Rast. Or ces sources se trouvent au nord et au nord-ouest d'Ohi-rîharra, limite oc- cidentale du Khomed. Donc le pays de Rast, à la fois sépa- rant le Khomed de TAlaï et s'étendanl aussi au nord-ouest du Khomed, devait longer toute la frontière nord de ce dernier, ainsi strictement limité à une partie de ta vallée de Wakhsch

4

1. M. Mayew r«fut(j ici avec raison l'upinion de M. Fcdtôdiciiko (Noies sur l'essai ilii colonel Yuif, Geographical Magaiine, 187-i), d'après Uquelle en piiys du Ita^l est le Koscliuii; cetlc inlerpi'ûtalioti étant ex- pressément (lûmcnlie par la |>osiUiin qu'lliii-DusalU assi^iK; au Riist rela- livemei^t à deuu: lleiives, le. Warkhscti el le Itutiiid. Ominaissant cela, d'itilleurs, M. Ferftschenku liii-iii(?me a clieri'hc à se tirer (î'ftff.itrc en sup- posant, très grtituHfmeHl, ou l)ieu qu'Ibu-Oiistlit »'est Uompé sur la posi- tion qu'il assigne au Rast, ou bien que Kawlinson a nuil ilécliiflrc, dans le texte arubu, losnomsdf: Riat et Kbomod ; ces supposiliniis soat inail- misiibks maintenant, l'exaclilud» d'Ibii-Daschl étant vérilién et confii- inéo quant nu Wakhsch et à ses pays riverains, par les explorations récentes.

i

LÇS ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAUIR. 431

(Sourkhab), sans s'étendre au delà des montagnes qui bor- dent cette vallée.

Ainsi limité, le Khomed d'Ibn-Dascht correspond bien exactement à la Yallis Comedarum des anciens, Ptolémée Pline, etc.^ Cette identification incontestable de la Vallis Comedarum k\tL vallée de Sourkhab, dans le Karatéghine, détermine aussi la direction probable de toute l'ancienne route bactrosérique, comme traversant le massif du Pamir pair la série ci-dessus décrite des vallées du Sourkhan, de Hissar, du Karatéghine, de l'Alaï et du Kaschgar-Darya, jus- qu'à Kaschgar; de vraisemblablement jusqu'au pied du X'ïiiaasclian vers l'emplacement de la ville actuelle de Hami, et, à travers la. partie la plus étroite de Gobi, vers Sera JS^stropolis*, l'ancienne capitale de la dynastie de Han, qui s^ trouvait au nord-ouest de la Chine, dans la province &<:tuelle de Schensi^.

Les annales chinoises mentionnent aussi d'autres anciennes

routes, maintenant presque abandonnées, qui, passant au

sud du lac Lop, allaient par Kéria et Kholan à Yarkend, de

lÀ,àtraverslePamir méridional, au Badakhschan et à Balkh

(l'ancienne Bactres) ; mais ces routes du Pamir méridional

paraissent avoir été inconnues des auteurs classiques,

quoiqu'on ait cherché sur l'une d'elles (du Schighnan à Yar-

' i. Les pays des Kharlouks, du Famir, de Rast (ou Rasb) et de Komc<l ùnsi déterminés, restent encore, dans le passage cité d'Ibn-Dascht, le Kottel, leTemliat et le Waschdschird, pour lesquels j'admets sans réserve *•• déterminations de M. Mayew, qui prouve (loc. cit.) : que le Khot- id correspond aux districts actuels de Fayzabad, de Kourgani-tubé et de "obadian, dans la province de Hissar ; que le Temliat est le district <h Fayzabad; que le Waschdschird est la province actuelle de Kouliab. 'omets ici les preuves de M. Mayew, qui feraient une trop longue di-

(tMiOQ.

2> C'est la détermination la plus probable de ritinéraire de Ptolémée; ""iii Don la seule possible, comme nous le verrous plus tard. ' 3- C'est vraisemblablement la capitale actuelle de la province de Schensi, Sio-gan-fou, la Ken-chan-fou de Marco Polo (Yule, le Livre de Marco ^«lo, 2- éd., Il, p. 21, note 29).

iSi LES ANCIENS JTISÉRAIRES A TnAVERS LE PAMIR.

kend par le Pamir Alitschour et Tasch-Kourgane) l'iliné- raire de Plolémée', ce qui est réfuté par la détermination ci-dessus de la Vtillis Comednrum. Mais aussi cette vallée est la seule partie de son ilinéiiiire qui puisse fitre déter- minée aveccertitude,grâceauxrenseig;nementsd'lbn-Dascht. Les deux autres localités menliontiées par Ptoléraée, Turris lapidm et Statio wffrrrtforuw, sont encore problématiques leur détermination probable dépend de la direction qu'on adoptera pour la route entre la Vatlis Comedarum et la Sérique, au lieu de fixer celle direction.

Sir Henry Rawlinson est tout disposé à croire que la Turris liipidea occupait l'emplacement actuel de Tasch- Kourgane dans le Sar-i-Kol- et dit de plus : « J'examinerai plus tard s'il n'y a pas, dans l'antiquité, une route plus di- recte, conduisant de Sam;ircande au haut de la vallée du Zarflfsclian, jusqu'à la source de ce fleuve, et qui, croisant le Pamir par le lac Kara-koul, conduit dans la plaine de Kaschgarie. Plusieurs écrits orientaux indiquent une telle voie'. »

Samarcande n'est plus en relation directe avec Yarkend, par Tasch-Kourgane, mais la route indiquée par Rawlinson existe encore et continue à &tre fréquentée dans toutes ses parties.

Remontant en elfel le Zarafschan, celte roule tourne au sud près de sa source, friincbit le col de Pakscliil* (assez dil'licile, mais praticable pour les bêles de .somme) et des- cend dans le Karatéghine juste dans la partie correspondant î\ l'ancienne vallée des Comèdes. Ensuite cette roule va le

1. Paquier, le Pamir, |>. 26.

'î. Rawlinson, /ourn. »/■ the Roy. Geogr. Soc, 1872.

3. Rawlinson, Afonojr. o/ the Orus (Joiirn. of the Lond. Geogr. Sot-, 1872); ces <leiix passagKs citéa par .M. l'a^uier, le Pamir, p. 25-26.

i. C'est le cul le plu» fréiiiienté. Il e«t situé à environ 60 kilomètres de la source du Zararschno, qu'une autre route au Karatéghine, plus di(- ikilc, par le col de Varhitscb, quitte à un kilomètre seulement du glacier dont il découle.

ANCIENS ITlWÉffAlHES A TRAVERS LE PAMin. 433

du Sourkbab dans l'Alaï, elle se bifurque; de la roule directe à Kaschgarpar le Taou-Mouroune, se délache à droite, au sud-est, une roule qui franchit les monts Trans- Alalpar ta profonde dépression du col très facile de Kysil- ait Longeant ensuite le lac Grand Kara-koul, les rivières jBchon-sou et Ak-bailal et les deux lacs Rang-koul, cette foule, par la vallée deTagharma, abouti! à Tasch-Kourgane' el de à Yarkend. Entre le Kjsil-arl et Tasch-Kourgane, «llea détaché encore plusieurs routes à gauche, descendant ules dans les plaines de Kaschgarie, par les gorges des nontagnes (l'iniaûs de Plolémée) qui séparent ces plaines Jes hautes vallées du Pamir central. Avec celle raullipli- litéde routes conduisant de l'iincienne vallée des Coraèdes '"Saos les plaines de la Kaschgarie, une détermination à peu fès certaine de la Turris lapidea et de la Statio Mercato- Km devient embarrassante, mais non impossible. D'abord, int à la longHude de ces deux localités, il est évident, ï'ap'ès le texte de Plolémée, que la Turris lapidea devait se trouver sur l'une de ces roules (provisoirement, n'im- ûrte laquelle), à retttrée de cette roule dans les gorges de Pmaiis-, et la Sîutio Mercatorum au débouché de cette Dême route dans les plaines de Kaschgarie. Ensuite, pour iCboix de la route nous avons le texte formel de PLolémée B'ii dil que la Vallis CûUifdarum, ta Turris lapidea, et ta îtafio Mercatorum sont toutes iroia sous la mt^rae latitude, celle de Uyzance (AS" nord). Nous savons bien que la lati- ttde de la Vallis Cotnedarum (Karatéghine, vers 39° nord)

['V J'ai siiiri nioi-même, jusqu'aux lacs Rang-koul inctustvemcnl, cette "te (le l'Alaï 4 Tascli-Kourgane, et des Kirghiz du Pamir m'ont doQiié I reuseigneuienls sur le retic île son parcours.

La position à l'eiilrtiu d'une gorgo est la plus naturelle pour wtie

", fusant oflice J'uii poslr! forlilîé sur cette roule de commerce. Âinti

l'tW, celte tour pouvait à U fois servir pour prélever ua trihiit sur les

*r»v&nei marchandeâ, qui ne pouvaient l'éviter, et aussi pour protéger

csravanus dans une localité parliculicremoat favorable aux enibus-

Mcs des pillards.

sot. 1>E liÉOGK. 3' THIMESTRE 1890. XI. 28

434 LES ANCIENS ITlNÉIlAinES A TRAVEHS LE PAHIR.

est fort au sud du parallèle de Byzance, mais ce n'est pas une raison pour déplacer la Turris iapidea et la Statio Mer- catofum de la latitude approximative de la Vallis Come- dartm qui est également celle del'Alaï et deKaschgar. Mais, d'autre part, il y a aussi des roules au sud de Kysil-art qui rangeât de près ce 39° nord.

La latitude de Gharme, ville principale du Karaléghine (dans la Vallis Comedarum) est '39'"-2' ; celle de KascUgar en- viron SQ^SS'; la route entre ces deux localités monte jus- qu'à SQ'iû', dans l'Alaï. La latitude moyenne du lac Karakoul est 39°5'-, du Kysil-art, 39020', de Tasch-Koiirgane 37°45', cette dernière localité n'est donc pas celle de Turris Iapidea.

Enfin, pour la détermination de cette tour, nous avons encore îe témoignage (déjà <'ité) d'Aramien Marcellin, qui la plaça quelque part entre les monts Ascanimiura et Co- niedus, c'est-à-dire, comme noiis l'avons vu, dans lasérie des vallées Hissar, Karatéghine, Alaï, KaschgarDarya ; tandis que d'après Plolémée, elle ne se trouvait pas immédiatement au débouché oriental de la Vallis Comedarum^ mais à une certaine distance au delà, près de rimaûs.

Donc, iiidépeiidammeul de ses inexactes positions astro- nomiques, Plolémée nous donne une ligne à peu prés nord- sud, quoique irrégulière : la ligne des débouchés occidmlaux des gorges de l'Imaiis, et Ammicn une ligne également irré- gulière, mais à peu près d'occident en orient et ne sortant pa!& de la série des vallées ci-dessus. Le point d'intersection de ces deux lignes est l'emplacement de la Tunis Iapidea, et ce point est la gonje d'Itkestam, extrémité orientale de la large vallée de l'Alaï'.

1 D'a[>ri!-s mes explorations et ruesures barométriiiues (l'altitude, c'est cette gorpe, et non le col de Tiiuu-mouroiine, qui termine l'Alaï, dont celui-ci est un« partie iolégrante. Quoique li|çnc <le laltu et de paitat^e des eaux, le Taou-muuroune ne lonne dans la vallée qu'un rondeinent Iransverse à peine sensible. Cus tallées à double pente divergente, entre deux maisits de montagnes, sont communes dans le système du Pamir, et se iclrouvent aussi dans ceux du Thiaa-scliau cl du Tibet.

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PABfIR. 435

Je n'ai pas va à Irkestam de ruines antiques * : mais les pierres de la Turris /t/ptd^a pouvaient bien être de gros ga- lets cimentés d'arç;ile, matériaux qui ne donnent pas de con- struction durable, et qui ont servi à Irkestam, dans le siècle présent, pour un poste fortifié alternativement occupé par des troupes du Khokand et de Kaschgar, et maintenant abandonné. Qui sait si ces mêmes galets, de roches très ré- sistantes (granité et pétrosilex schisteux) ne servaient pas dans cette gorge, dès avant Ptolémée, à des constructions pareilles, incessamment rebâties de diverses manières et presque sans frais, à mesure qu'elles tombaient en ruines.

La vallée des Comèdes et la Tour de pierre ainsi déter- minées, le troisième point de repère de notre itinéraire, la Stalio Mèrcatorum, se place tout naturellement près de Kaschgar, sinon sur l'emplacement même de celte ville, dont cette ancienne station de marchands fut peut-être l'o- rigine.

Entre la Statio Mèrcatorum et Sera Metropolis, l'itinéraire deMaës Titianus, noté par Ptolémée d'après Marin de Tyr, lie donne aucun point de repère. Nous savons seulement qu'entre Kaschgar et le Schensi il y avait à cette époque (selon les Annales chinoises, citées par Kitter, d'après Klaproth, Abel Rémusat et le P. Hyacinthe Bitschourine) deux routes différentes presque également fréquentées : l'une au nord du Lop-Nor, par Hami; l'autre, par Khotan, au sod de ce lac ; et ce fut cette dernière, maintenant aban- donnée à partir du Lob-Nor, que suivit encore Marco Polo^ plus de dix siècles après Maës Titianus.

Revenons maintenant à la partie occidentale de noire iti- néraire entre Bactres et la vallée des Comèdes.

Il y a lieu de croire que cet itinéraire n'y suivait pas la

i- Cette détermination de la Tour de pierre, qui me parait la plus pro- ''ïble, n'arrive cependant pas encore à la certitude : l'identité de la tour d'Ammien qvec celle de Ptolémée étant seulement vraisemblable, mais "«Il certaine .

•136 f-ES ANCIENS ITINÉItAIRKS A TH.VVERS LE PAMIll.

route uatuffUe, par les vallées du Somkhan et de Hissar; car ces deux vallées, comme toute leur série entre les monts Ascaniraium elComedus, appartenaient, d'après Ammien, au pays des Saces;elle n'appartenait donc pas à la Sogdiane qui comprenait tes provinces actuelles de Samarcande, Boukhara, Karschiet Schahr-i-Zabs, en dehors et au nord- ouest des deux massifs monlagneux nommés par Ammien, dont l'un (on ne peut dire lequel) séparait la Sogdiane du pays des Saces, tandis que l'autre s'élevait entre ce dernier et le Pamir intérieur, tous deux aboutissant à l'Imaiis.

Or, c'est juste par la Sogdiaiie dont le centre commercial élail jadis Samarcande (ancienne Maracanda, ville anté- rieure aux conquôles d'Alexandre), que Ptolémée trace son itinéraire entre Bactres et la Vallis Comedaruiti; et celle route par la Sogdiane dut 6tre un puissant molir(omis ci- dessus) pour l'identification de la Vallis Comedarum avec le Ferghâna, par des autorités telles que Humboldt et Kil- ler.

Ils ne connaissaient pas encore le Karatéyliine et mainte- nant que nous le connaissons, un itinéraire de Bactres àr la vallée Coraéde, par Samarcande, n'en paraît pas moins étrange. Même s'il suivait la route la plus directe de Bactres (Baikh) à Samarcande, par Karschi, laissant do côté Bou- khara, cet itinéraire n'en présentait pas moins un grand et inutile détour, comparativement à la route naturelle, par Ilissar (vallées occidentales des Saces). De plus, cette der- nière évite plusieurs gorges difficiles sur le iiaut Zarafschan et les escarpements du col dePakschif, obstacles inévitables sur la roule de Samarcande au Karatéghine {Vallis Come- darum).

Pourquoi donc l'itinéraire de MaGs Titianus indique-l-il cette route longue et difûcite, au lieu de la roule naturelle, plus facile et plus courte?

D'abord, un fait analogue s'est reproduit pendant les ré- centes explorations russes du 'J'hian-schan. Nos guides Kara-

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LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 437

kirghiz ne manquaient jamais d'indiquer d'abord les routes les plus difficiles et de tenir secrètes les routes plus faciles. Les anciens marchands qui conduisaient ou envoyaient des caravanes en Sérique pouvaient bien en faire autant pour écarter la concurrence; c'a été le cas pour Maës Tilianus*, donnant à Marin de Tyr des renseignements que celui-ci recueillit pour la géographie publiée par Ptolémée.

Indépendamment de la jalousie commerciale, cet itiné- raire par une mauvaise route au lieu de la bonne, s'ex- plique encore par les renseignements chinois que cite Rit- ter', sur les anciennes relations de la Chine avec l'Occi- dent.

Ces relations commencèrent par le nord-ouest, par le pays des Ousoun, sur l'Issyk-koul et l'IIi, et le Ferghâna.

C'est indirectement, de ce dernier pays, par Samarcande et Bactres, que parvinrent en Syrie, en Grèce et à Rome, les premières soieries de la Sérique dès les dernières années de la République romaine et ce ne fut que plus tard que commencèrent les relations commerciales de ce pays avec la Sogdiane et la Bactriane.

Il est bien connu que ces produits de la Sérique, surtout -ses étoffes do soies, étaient extrêmement recherchés dans l'empire romain et aussi dans les pays entre ce dernier et Bactres, et payés très cher. Par conséquent il est plus que vraisembable que les marchands de Samarcande, d'abord intermédiaires pour ce commerce entre le Ferghâna et Bactres. durent chercher à établir des relations commer- ciales directes avec la Sérique. C'était d'autant plus néces- saire que l'exportation des soieries chinoises par le Fer-

1- Qui montre bien celte tendance au secret du commerce sérique et *e «es routes par l'évidente insuffisance pratique de ses rensei(;nements, 'ortout entre, Bactres et la Vallis Comedarum, par la Sogdiane.

^' Une compilation plus complète de ces renseignements, d'après les tonales officielles, a été faite par le défunt sinologue russe, le P. Hya- cinthe Bitschourine.

.t38 LES ANCIENS ITINÉBAlnES A TRAVERS LE PAMIR.

ghûna, d'après les Annales chinoises, élail insignifiante et se réduisail presque à des éehanlillons : car ces Anriales (Jisctilqiic le FerghAna expédiait en Chine, sous forme de tribut, 1111 polit nombre de chevaux de race pour les écuries impériales chinoises, et recevait en échange, comme pré- sents pour son souverain, des produits chinois, cnfre autres des soieries.

Avec des relations pareilles, il est bien évident qu'une grande partie de ces présents chinois restait dans le Fer- ghAna, qui n'en pouvait vendre (jue peu d6cliose,et qu'elle devait exciter la demande romaine sans lu satisfaire.

Samarcande étant la ville de commerce la plus proche de FerghAna, c'étaient les marchands de celte ville qui, dans des circonstances pareilles, devaient songer les premiers à ouvrir une route commerciale en Sérique.

C'est ce qui est confirmé, quoique indirectement, par rilinérairc de Maës Titianus.

Cet itinéraire, avec son délour par la Sogdiane, donne une route absurde pour le commerce direct de Bacires avec la Sérique. Mais ce délour s'explique en admettant que, du temps de l'itinéraire, c'était Samarcande et non Bactres, qui envoyait des caravanes en Chine, dont Bactres recevait les produits seulement de Samarcande.

Cette explication me ]>araîl même la seule possible. La route par le haut Zaralschaci, le Karaléghine et l'Alaï étant la plus naturelle et la plus directe pour aller de Samar- cande, à Kascligar, en tU-ilanl h Fertjhàtut au<|uel les mar- chands de Samarcandi; enlevaient monopole des produits chinois, et qu'ils devaient par conséquent éviter, quoique les transports par le Ferghàna fussent de tout temps plus faciles entre Kaschgar et Samarcande que ceux par le haut Zarafschan et le Karaléghine, la roule ne devient facile qu'à partir de ce dernier Etat. Mais il ne faut pas oublier qu'alors les soieries chinoises se vendaient à Rome au poids de l'or, et les difficultés de transport se payaient triple

li& ANCIENS ITI>'ÉR.\inES X THAVERS LE PAMIR. 439

par leur achat à meilleur compte à la !^tatio Mercalornm qu'au Ferghâna.

Car d'après les sources cliinoi?es, c'était à une ntatio imcatorum que les Sngiliens, plus tard vraisemblablement aussi les Bactriens, achetaient la majorité des produits sériqucs qu'ils importaient dans leurs pays, pour les revendre dans l'empire romain. Les Antialts chinoises de la deuxième djTiasIie des Han, contemporaine de Ptolémée, mentionnent bien, mais comme rares et exceptionnelles, des relations de la Chine avec la Sogdiane, la Bactriane, et môme l'empire romain*. Le gros du commerce occidental de la Chine devait se faire autrement, en partie par des marchands chinois (Sferes), en partie par l'intermédiaire du ]iays tributaire de Kliotan-: celuirci expédiait abondamment en Chine ses pierres dej/u (jad«i, néphrite) et recevait en retour des pro- duits chinois, surtout des soieries, qu'il exportait en Occi- deni. Un peut considérer la Slatio Mercatorum de Pline et de Ptolémée comme un lieu convenu de rendez-vous des marchands de la Sogdiane avec ceux de la Chine et de ses paysiribuiaires, pour leurs transactions commerciales; et ce

r^ommerce à la Statio Mercatorum expliquerait, à son lour, l'absence de renseignements, dans l'itinéraire donné par

Iflolémée, sur toute l'imincnseétendue de route entre cette

Lilation et Sera MelropoUs.

Je crois avoir suffisamment motivé ci-dessus mon inter- prétation de l'ancien itinéraire conservé par Ptolémée aterprétation d'ailleurs en partie indiquée, mais non dé-

_inontr6e par sir Henry liawlinson, dans le passage cité jessus sur la route de Samarcande en Kaschgario. Cette

"interprétation s'accorde avec celle de Gunningham.de Yule

_et de M. Paquicr, en ce que je place aussi les trois jalons de

1. J'unalyserai les léinoigiiages cliinuis à ce sujet, Iradnits en russe par Je J'. Uyacintlie, dinis des iioLes coin|»ltiiMenLaires à ce Mémoire. Cos iuiiioignages ooiilîrtiitint mju inlurjirélalicHi du Ptoliiiiioc.

2. De» renscigacDienlâ doaués par lliUcr, Asien, livre III, t. V.

4iO LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRA\'%R5 LE Pi.MIR.

cel itinéraire dans le système fluvial de l'Oxus, et non dans celui du Yaxarte mais s'arrête notre concordance. Yoici la conclusion de M. Paquier :

t Tout concourt à faire rejeter la roule du Yaxarte, que les traditions arabes chinoises ont seules conlribiié à faire accepter, pour lui substituer la vallée de l'Oxus, et un che- min mal défini, il est vrai, mais que nous pouvons nous figu- rer dans sa direction générale, par le Chihgnan (plus exac- tement Schighnan) actuel, le centre du Pamir et la vallée de Tasch-kurgan (Tascb-kourgane). Nous restons ainsi dans les probabilités, qui approchent bien près de la vérité, sur- tout quand elles sont défendues par le colonel Yule, auquel Fedlchenko est venu apporter l'autorité de son nom et de ses grandes connaissances, o

Je suisconvaincu moi-même que cette route par le Schigh- nan dût t'n/in servir au commerce de Bactres avec la Sérique car elle est la plus directe, et part'aitemenl praticable. Mais quand commença-t-elle à être fréquentée par les Bactriens? VoiJii ce qui est inconnu.

Ce qui est bien certain, selon les textes latins cités par M. Paquier, et analysés ci-dessus d'après son livre, c'est que cette route directe est restée inconnue aux auteurs de ces textes jusqu'au temps d'Ammien, bien postérieur cepen- dant â Pline et à Ptoléraée, car :

l'La Vallis Comedarum faisait bien certainement partie du Karatéghine actuel, considérablement au nord du Schigbnan;

D'après le livre de M. P,iquier(ft' Pamir, p.23)ritiné- ratrcde Ptoléniée, passant par la Sogdiane', s'écartait beau-

t. îi'y a-t-U pa«, dans les ilivcrsns c^dilions île Ptoléméo, d'.iprès dif- férents innnuscrils, fiii«li|uc variniitc qui diiipUi! ip délour par la Sojt— iJiane, iiêpligé diins l'inter|prétalion lîo Yule? Je dois avouer nue je n'ai pas l'éruditir»n nécessaire pour résoudre ci-tlo question. Mai» même l'existence d'utin pareille variante ne ctianijc rien à l'inlerprêtatioD ci- dcMU» de la Valli» Comedarum.

LKS ANCIENS ITINÉRAIRRS A TRAVEnS I.E PAMIU. 441

coup de ia route directe indiquée à la page ^6 de ce mdme Jifre; 3'Aminien, comme nous l'avons vu, conduit encore la 3nle de Baclres en Sérique par la série de vallées allant de lissar à Kaschgnr. Si je me permets de contredire Yule, c'est uniquement jrce que je suis à môme de profiler de l'augmentation de jos renseignements sur la lopographie du Pamir et des pays voisins, surtout par nos explorations russes, non seulement depuis 1870, quand cet illustre orientaliste écrivait Essay on the Geographij of the upper (fxns, mais môme depuis 1876, date de la belle élude de M. Paquier.

Quant à l'autorité de M. Fedtschenko, son voyage fait !)ien époque dans l'exploralion de l'Asie centrale, mais l'est par ses résultats zoologiques. Le premier, il acquit la science la faune à peu près complète des invertébrés lit Tiirkcstan, autres que les insectes coléoptères et lépi- ioplères, déjà étudiés par ses prédécesseurs. Tout autre bose est cependant son iiuLorité géographique, sur laquelle (.Paquier me permettra une dill'érence d'opinion. Ayant iérillé sur les lieu.x, de visit, ses renseignements sur le Pa- niir (qu'il n'a pas exploré lui-même, sauf une partie des Dontagnes qui le bordent au nord et au nord-ouest) j'y ai ïouvé la plus grande source d'erreurs géographiques ^ue je connaisse. C'est le cas, au point do vue de la Éographie physique, pour son prétendu parallélisme de Dules les chîiînes et grandes vallées du Pamir et du Thiau- în, entre elles et avec l'Aluï; il y a généralisation Wlraire et erronée d'une particularilé orographique locale, çue Fedtschenko observa sur le haut Zarafschan cl au sud- Buest du Ferghiua. D'après cette idée préconçue, il a même fu roir de loin le col de Terek-davan sur une chaîne est- Ouest, ce col se trouvant en réalilé sur une chaîne nord-sud. 11 en est de môme au point de vue de la géographie histo- rique, de l'idenlificalion du Rasl (Rasb) avec le Roshan,

442 LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR.

citée el réfutée ci-dessus. M. Fedtschenko, en dépit du texte d'Ibn-Daschl f[u'il connaît et mentionne, s'obstine sans cause à répéter l'interprétation hypothétique de Yule, antérieure à la publication de ce texte... Ht puisque ce nom de Rasb revient sous ma plume, je ferai observer qu'il est conservé en toutes lettres dans le nom du village Uas- baï, sur la rivière llliak, près de la froiiticrc du Karaté- gbine et du llissar. Seulement, entouré actuellement de nomades Ouzbeks (de race turque) ce village a eu son an- cien nom de Rasb augmenté d'une désinence qui lui donne une signiticalion turque : Has-baï Bigoiflant, en turc (dia- lecte djagalaï), Ras « le riche ».

II.

Voyages he Hioien-Thsang et Song-Yuen.

Avant d'analyser la traversée du Pamir par le célèbre voyageur chinois Hiouen-Thsang, je crois nécessaire de rap- peler aux lecteurs une condition indispensable pour faire un commentaire vraiment exact sur son livre ' : c'est de se sou- venir constamment de sa manière de voyager, prescrite par le but de son voyage, qui fut un long pèlerinage bouddhiste. Hiouen-Thsang avait pour but non seulement de visiter l'Inde, berceau du bouddhisme, mais aussi de parcourir, autant que possible, tous les pays bouddhistes situés hors des limites de la Chine, au vir siècle de notre ère; son but l'obligeait à suivre un itinéraire des plus compliqués, surchargé de d»''tours et d'excursions latérales, pour visiter les lieux de pèlerinage de chaque pays, y rechercher et jitudier les livres saints du bouddhisme el leurs cômmen-

1. Piiiir CCS voyages, il y a deux ouvrages, tous deux Uaduils par, M. SLiinislas Julien : Le Ta-lhang-iii-yu-ki , Mémoires sur les Toijaumei' de rOcci(ifn\, (Scrit par llioiifiii-TKsang lui-iiit^riie, el 2" VHisloire de la vie de Hiouen-Tlinang et de tex ooijugi^ii danx i'hule, \>ar l)oei-li et Yen- TIhdii^', (|Uc m. Slanisla^ Ini'mn Irarliiisit (t'abunJ, en y ajoutant, eoriimc (locurncnU géugraphiquei, de» extraits des Mêmoiret. Je n'ai eu en mftia 4|ue cette biographie.

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TBAVERS LE PAMIR. 443

taires, y étudier aossi l'état da clergé bouddhiste, son effectif, ses institations, ses pratiques ascétiques, son in- fluence, les différences locales de doctrine...

Voyageant ainsi, il ne donne pas son itinéraire complet; il n'en mentionne que les parties les plus remarquables, «Drtoat les routes à travers les montagnes; la majeure partie de son :livre se compose de notices purement des- criptiTes des pays qu'il visita, notices dans lesquelles il omet les routes qu'il suivit parce qu'autrement l'énumération de ces routes serait interminable. Pendant les seize années de son voyage, il ne se contente pas de traverser les pays qu'il mentionne, mais il parcourt chaque pays, dans diverses directions.

Déjà les directions principales de son itinéraire, sur les- quelles les commentateurs sont unanimes, excluent toute idée d'une route directe.

Son objectif principal était l'Inde, au sud-ouest de la Cbine, mais comment y parvient-il ?

Il s'en va d'abord au nord-ouest, atteint le Thian-schan oriental et suit son versant sud en se dirigeant vers l'ouest. Ensuite il tourne droit au nord, traverse le Thian-schan dans le voisinage du lac Issyk-koul, se dirige de nouveau vers Fouest, traverse la localité de Ming-boulak, au pied du ver- sant, nord du Thian-schan occidental, puis tourne droit au sod, contournant les extrémités occidentales des systèmes du Thian-schan et du Pamir. Ensuite, tournant vers l'est, il franchit les montagnes les plus occidentales de ce dernier système par le défilé delà Porte de Fer, et remonte le To- ho-lo septentrional (vallée de Hissar) jusqu'au Karatéghine (Kiou-mi-tho); delà de nouveau au sud-ouest, vers Bamyan ; de encore au sud-est, par Kaboul et Pechawer dans l'Inde. Un tel itinéraire ne peut s'expliquer que par le projet du voyageur de visiter en détail les pays bouddhistes à l'ouest de la Chine, dont Hiouen-Thsang complète l'exploration en revenant de l'Inde. Sortant de l'Afghanistan actuel par une

444 LES ANCIENS ITINKBAIBES A TtlAVEIlS LE PAMIR.

roule plus orientale que celle de Bamyan, il parcouri leTo- ho-lo méridional, sur la rive gauche de l'Oxus, traverse le Pamir, et, avant de rentrer en Ctiine, il parcouri encore les pays de Kaschgar, Varkend et Khotan,

Généralement, les comnoen la leurs cherchent à ramener celle partie de son voyagea la route directe d'Anderab{An- lo-lo-po, actuellement Inderab) à Yarkend : je comprends dilfidlemenl celle version, car elle est inconciliable avec le plan général du voyageur, qui consistait, nous l'avons vu, à visiter et à parcourir le plus possible de pays boud- dhistes.

Nous verrons, par les détails topographiques qu'il donne sur sa route à travers le Pamir, qu'il le traversa non pas par la rouledirecle indiquée ci-dessus, mais dans une direction nord-est, du Badakhschan à Kaschgar, d'où il se dirigea au Eud-est, sur Yarkend.

Suivons maintenant plus en détail Hioiien-Thsang dansia région du Pamir, d'après les extraits de iM. Paquier {le Pa- mir, p. 35 et suiv.), qui dit :

« C'est à Sara;ircande que nous prenons lliouen-Thsang, quand il quitte cette ville, pour s'avancer au cœur du To- kharistan... après avoir laissé Kaskana, Shahr-i-Sabz ac- tuel ; c'est après huit journées de naarche qu'il atteint la Porte de Fern... donl Ja mission russe de M. Mayew, en 4875, reconnut remplacement dans le er défilé non loin de la ville de Derbend, à la source même de la rivière doKtschi- Ourou, affluent de l'Ûbi-Shabr-i-Sabz, au lieu raôrae Hiouen-Tlisang le rencontra, »

Par ce défilé, Hiouen-Thsang pénétra dans le Tokhares- tan, sur lequel M. Paquier, sans suivre en détail l'itinérairo du voyageur cliinois, donne seulemenL quelques notions générales, disant : «Heprésentons-nous en effet le Tokha- reslan tel qu'il pouvait Hre : il occupait les bords et le fond d'une immense cuvette que doraiiiaieiit au nord les contre- forts du Kuh-i-tan (plus exactement Kobislan), au sud des

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 445

massifs du Koh-i-baba,àrest les pentes abruptes des Tsoung- ling. C'était un territoire parfaitement délimité et qui ne s'ouvrait que dans la direction de l'ouest, sur le désert du Kharizm... » En regardant la carte du Pamir, de M. Paquier, on verra qu'il restreint le fond de cette « cuvette » du Tokha- restan h une partie de la vallée de l'Oxus, dans laquelle ce fleuve coule dans une direction générale est-ouest, de l'em- bouchure du Kokscha jusqu'à Kelif. L'image d'ensemble qu'il donne du Tokbarestan n'est pas conforme à la réalité.

M. Paquier ne connaît encore qu'une grande vallée cen- trale dans le Tokbarestan, celle de l'Oxus. En réalité, il y a deux vallées principales, quoique d'inégale largeur : celle de rOxus et celle de Hissar, cette dernière, arrosée, dans sa partie inférieure, par le Sourkhan et traversée, dans sa partie supérieure, par le Kafernighan. Entre ces deux val- lées confluentes, s'élève le massif central de l'ancien Tokba- ristan, massif séparé du Kobistan par la vallée du Hissar, se rattachant vers l'est au Tbsoung-ling, mais n'atteignant pas, de beaucoup, la hauteur des neiges éternelles qui couron- nent les cimes de ce dernier, du Kobistan, du Kob-i-baba et de l'Hindou-Kouscb.

Je ferai observer encore que, dans sa délimitation du Tokbarestan, M. Paquier* restreint assez arbitrairement l'étendue du Tbsoung-ling, dont il distingue le Kobistan {montagnes entre l'Oxus et l'Yaxarte) et qu'il identifie avec le massif central de Pamir. Les limites du Tbsoung-ling tel que l'entendent les Chinois, sont très clairement et tout autrement indiqués par Hiouen-Thsang : le Ming-Boulak et le lacIssyk-Koul au nord, les grandes Montagnes Neigeuses (Hindou-Kousch) ausud. Donc, non seulement le Kobistan, qui appartient bien réellement au système orographique du Pamir, mais aussi le Thian-schan occidental, qui en est

1. Dont j'ai suivi ci-dessus la nomenclature géographique.

446 LES ANCIENS ITINÉHAHU'.S A TRAVERS LE PAMIR.

bien distinct, font partie du Tàsoung-ling, ainsi délimité par Hioiien-Thsang'.

M. Paquiei" ne commente pas tous les 27 royaumes du Tokharislan (To-ho-Io du Icxlo chinois) énumércs par Hioueii-Thsang ; je ferai tie mCme, et ne m'arrêterai qu'aux parties de son itinéraire analysées par M. Paquier {le Pa- mir, p. 37-45), qui continue ainsi (p. 37) :

«De ces dilférents Etats que renferme le Tokharistan, il en est un qui doit nous intéresser. C'est celui de KiV'tni- tfto,appelé aussi Kumida-. Il avait \ingt jours de marche de l'est ii l'ouest, et deux du sud au nord ; il s'étendait le long des monts Thsoung-liiig, confinant au sud-ouest au HeuveOxus, au sud au royaume de Chik-ni ou Chigbnan, k

Ici je ferai remarquer que la traduction n'est évidemment pas littérale. Au lieu de « confimatl à l'Oxus et au Chighnan » it faudrait dire : ayant l'Oxus au sud-ouest, et le Chigbnan au sud. La direction de l'Oxus et des vallées de ses affluents dans le voisinage du Chighnan est telle qu'aucune vallée confinant au Chighnan proprenieuL dit (non compris le Roschan) ne l'a au sud-otiesl, mais bien à l'ouest et au nord-ouest. La première vallée qui a l'Oxus au sud-ouest est celle du Yas-goulani, ne confinant pas au Chighnan, dont elle est séparée par le Roschan (vallée de l'Aksou).

«Le major Cunningham a, lepremîer, heureuiemenl iden- tifié cette longue et étroite vallée rie Kiou-mi-îho avec la Vailis Comedarum de Plolém^ée, et celte position corres- pond aujourd'hui à celle du Roschan-'. Les géographes arabes nous disent, en elfet, qu'à quatre jours de marche au delà du Washjird, existait une place nommée Rasht, ou Porte*, qui formait l'exlrôrae frontière du Khorassan dns

I . Dûlimil^itioii qu<>. M. Paquier cite lui-iii<)ine litléralemcDt, quelques

pages plus loin {le Pamir, p. 40).

3. l'iuscxaetëuient A'(âu-mi-(/iO, AViou m ù/u ; Konicd, d'après Ibn-Daschl.

3. Le colonel Ynle ajoule : « el Ju Darwaz », à tort, selon M. Paquier (/« Pamir, p. 37, noie 1).

4. Ce nom du Raslil se traduit en turc par Darwaz, qui signifie égale-

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 447

cette direction ; elle est située au milieu d'une vallée res- serrée entre des montagnes et que suivaient les Tares pour leur guerre de pillage. Un Barmécide, Fadhl, fils de Yahia (Ibn-Yahia), au ii* siècle de l'Islam, fit construire une bar- rière dans ce passage et pendant longtemps y maintint une garnison. Ce fort s'appelait Ab-bad et datait de 794. Je soupçonne fort, dit le colonel Yule, que cette ville de Rashl ou de Rasik donna son nom à la vallée du Roschan actuel*. »

J'ai transcrit ce passage, parce qu'il contient une confir- mation de plus pour ma détermination de la Vallis Corne' iarum (Komed, Khoumida, Kiou-mi-tho), donnée plus haut.

Nous avons vu qu'il ne fallait pas songer au Roschan, cette vallée n'ayant pas, et ne pouvant avoir moins de coûteux travaux d'art, qu'il n'y a jamais eu de raison d'en- treprendre) de route longitudinale, ni pour le commerce, ni même pour des incursions de pillards. Les parties habi- tées du Roschan sont seulement traversées par des routes partant de Scbighnan, pour aboutir à diverses localités du Pamir septentrional ; l'une de ces routestransversales du Ros- chan fut suivie, comme nous le verrons bientôt, par Hiouen- Thsang, pour aller du Scbighnan au lac du Dragon, mais cette route n'a rien de commun avec le Kiou-mi-tho ; la consonnance même (d'ailleurs éloignée) de Roschan avec Rasht perd toute espèce de signification, si le nom et l'em- placement de celui-ci se retrouvent exactement ailleurs qu'au Roschan.

Or, dans le passage cité de M. Paquier, le nom de Rasht s'applique non plus à toute l'étendue du pays ainsi nommé

ment Porte. Voilà pourquoi ridentification du Khoumida avec le Roschan devait conduire Yule à identifier le Rasht avec le Darwaz, qui est bien. la porte pour sortir du Roschan dans la plaine de Tokharistan.

1. Paquier, Pamir, p. 37. Ce passage est rédigé d'après Reinaud, /n~ trod. à la traduct. d'Aboulféda. Mém. sur l'Inde, p. 161, et d'après Yule, Notet on Hiouen-Thsang's account, etc., que M. Paquier cite au bas d& la page.

4i8

LES ANCIKNS lTI.>Kn.UHt:S A TRAVERS LE PAMIR.

par Ibn-Daschl el délermiaé ci-dessus d'après ses indications, mais à une localité précise dans la partie occidentale de ce même pays, localité où, 200 ans avant Ibn-Dasht, Fadhl- Ibn-Yahia bâtit son fort d'Ab-bad, et qui plus lard donna son nom au pays entier de Rasbt.

Ce fort de FadhI-Ibn-Yahia est maintenant remplacé par le village de lias-bai, déjà mentionné plus haut, car :

I' Il est bien évident que le nom de Ras-bai (pius exacte- ment peut-être Bas-bail') ressemble infiniment plus à une contraction- de R<iHkt-Abbad'\ nom du fort de Fadlil-Ibn- YaLia, que le nom de lloschan.

i" A la conservation presque complète du nom se joint l'idenlilé de position : d'après le levé topographique de M. Rodionow, Ras-bai se trouve sur la r*jule de Kouliab au Karaléghine et à l'Alai, par le pont de pierre et Fayzabad, exactement à quatre journées de marclie de la frontière du Wasbjerd (Konliab); ce qui est juste la position donnée au fort de Rasbt-Abbad par M. lleinaud, d'après les sources arabes, dans le passage de M. Paquier que je viens de citer.

Cette position de Uas-bai (ou Ras-bad), sur le haut llliak, entre Fayzabad et le plateau de Dasht-i-bidana (plus près de ce dernier), dans la série des vallées llissar-Karalé- ghine-Alaï, convient parfaitement pour l'établissement d'une barrière desJinée à protéger la grande et riche vallée de llissar contre les incursions des montagnards nomad <s. Ceux-ci se coneeutrent, acluellemenl (dans le système flu-

1. Je uc garanti!! nuliement que le imm i)i; ll:is-h:iï, malgré sa aigni- licalion tlirqiif; (lUs-lc-llichc), soil currcclcniciil érril sur le levé topo- yrapliique de M. Rudioiiow.

i. Ces L'onlra<:[ions df. noms arabes ou |in-saii4 smit fofl usitées dans le raiiiea\t djagalaï de la race turqte : piir cxt-iiiplc, Mad-Ali (Khan du KtiokaHd) au lieu de Mohammed- Ali.

3. Tel, et non Abbad tout court, devruit être le vrai nom du fort bâti piir FadhI, d'aprùs l'aiialoitic d'ibbas-abbad, Ma^affar-abbad, Secunder- Hbbad (Sicanderabbad), etc. Au reste, en arabe, porte se traduit par bab, el j'ai iruiiTé dans Yule, pour le fort de Fadhl-lbn-Yahia, le nom de Al- ISub (,1a Porifj, et non Abbad.

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LES ANCIENS ITINÉRAIRES .A TRAVERS LE PAMIR. 451

x^oms actuels, qui, comme ceux d'Andérab, de Badakschan,

<ie Bamyan, datent d'une antiquité reculée, c'est une petite

xminorité ; la plupart des noms locaux de son temps étaient

X'cmplacés par d'autres qui ne ressemblent en rien à ceux

<lue donne le voyageur chinois. Restent le^ particularités

Caractéristiques de géographie physique, pour lesquelles

Uiouen-Thsang a souvent été un excellent observateur ; mais

souvent aussi il les omet, et alors il y a nécessairement plus

ou moins d'arbitraire dans les corrections d'orientation et

de distance sans lesquelles, cependant, les localités qu'il

mentionne recevraient sur la carte des positions physique-

ment impossibles.

J'ai aussi essayé de déterminer ces localités encore incer- taines, mais je suis encore loin d'avoir éclairci tous les doutes, que j'indiquerai, de même que les déterminations qui me paraissent positives.

Parti d'Andérab, Hiouen-Thsang se dirigea au nord~ouest, vers Kouo-si-to, à 400 li d'Andérab, de à Houo, 300 li plus loin dans la même direction. M. Vivien de Saint-Martin estime 15 li = 6 kilomètres, et diminue les distances de un . tiers pour les détours, montées et descentes; on peut admettre pour les distances de Hiouen-Thsang 3 li par kilo- mètre, avec la réduction pour les détours, etc. Fomo seraità environ 190 kilomètres d'Andérab. Hiouen-Thsang dit de cette localité qu'elle se trouve dans une plaine, avec un climat doux, et que tout près de là, vers l'est, commence déjà la région montagneuse du Thsoung-ling. C'est, comme le remarque justement le défunt professeur Grigoriew*, à peu près la position de Kotindouz, ou môme un peu au nord de cett« ville, plus près de l'Oxus, et non Gour (Gori) comme

1. Un de nos orientalistes les plus distingués, dans sa traduction russe de Ritler, turkestan oriental, note du traducteur, note coxxx, pages 49i-495. C'est d'après les extraits de M. Grigoriew, loc. cit., p. i88-i89, que je donne ici cette partie du voys^c de Hiouen-Thsang, mais en in- terprétant autrement (sauf Houo) les localités qu'il mentionne.

430 LES ANCIENS ITENÉRAItiES X TRAV£I\^ LE PAMIR.

Komed, celle barriilîre devenait trop facile à tourner par le nord el, plus à l'ouest, elle laissait sans protection une partie du district de Fayzfibaii. Quant aux habitants nomades des montagnes immédiatement au nord de Fayzabad et de Hissar, le nom de Rafiniighan, conservé dans celle localité pour son Ileuve principal, montre bien qu'ils tardèrent à adopter l'Islam (pifir signifie inCdèle) ; mais ils n'étaient pas à craindre pour les musulmans de la vallée, dont ils dépendaient pour leurs pâturages d'hiver.

Cescclaircissemenls sur la position de Kashl-abbad con- firment surabondaramcnl ma détermination du ilashl el du Komed, faite plus baul d'après Ibn-Dasbl. Je dirai seu- lement que le vrai nom indigène des Coraêdes, habitant la VaUis Comedarum, devait être Khonmlif, en iransci'iplion i chiiioise KioH-mi-tlio. (Juanlà la lorme de h'oriied, employée par Ibn-Dasht, elle me paraît être une réminiscence classique, Ptolémée ayant été bien connu des géographes arabes du X' siècle. C'est donc îl Ibn-Dasht, dès le x" siècle, et non à moi qu'appartient ma détermination de la Vallis Comcda-\ rujw ; je n'ai fait que la reconnaître dans les extraits tra- duits que j'ai las de cet auteur.

Venons mainlenant à. la traversée du Pamir par l'illustre voyageur chinois, à son retour de l'Inde, de nouveau par le Kaboulistan. De au Pamir, il passa par le col de Kbawak, Andérab et le Badakhschan.

Les comraenlaleurs sont unanimes pour ces trois jalons de sa roule, mais ils varient beaucoup quant à la délermi- nalion des pays qu'il mentionne entre son An-to-lo-po^^-Aii- dérah,el son Po-lo-cktvang-nn^Hadakhschan : ce qui tient aux difficullés de cette délerniination.

Lesdistances données par Iliouen-Tlisangsonl des dislances d'estimation, non mesunies; elles sont généralement exagé- rées, el cette exagération n'est nulli'uient unifurme. De plus, son orien lalion est souvent inexacte, et si quelques-uns de ses noms de localité sont encore reconnaissablcs dans les^

LES ANCIEMS ITINÉRAIRES .A TRAVERS LE l'AMlR. 451

noms actuels, qui, comme ceux <rAiulérab, de Badakschan, de Bamyan, datent d'une anlic}iiit<i reculée, c'est une petite minorité; la plupart des noms locaux de son temps étaient remplacés par d'autres qui ne ressemblent en rien à ceux que donne le voyageur chinois. Restent le;^ p;irlicularilés caractéristiques de géographie physique, pour lesquelles Hiouen-Thsang a souvent été un excellent observateur; mais souvent aussi il les omet, et alors il y a nécessairement plus ou moins d'arbitraire dans les corrections d'orieiilatiou et de distance sans lesquelles, cependant, les localités qu'il mentionne recevraient sur ta carte des positions physique- ment impossibles.

J'ai aussi essaye de déterminer ces localités encore incer- taines, mais je suis encore loin d'avoir éclairci tous les doutes, que j'indiquerai, de mèrae que les déterminations qui me paraissent positives.

Parti d'Andérab, Hiouen-Thsang se dirigea au nord-ouest, vers Kouo-si-to, à iOO li d'Andérab, de à Houo, 300 li plus loin dans la même direction. M. Vivien de Saint-Martin estime 15 li = G kilomètres, cl diminue les distances de un tiers pour les détours, montées et descentes; on peut admettre potu' les dislances de lliouen-Thsang 3 li par kilo- mètre, avec la réduction pour les détours, etc. /foKoserailà environ 1^0 kilomètres d'Andérab. Hiouen-Thsang dit de cette localité qu'elle se trouve dans une plaine, avec un climat doux, et que tout prés de là, vers l'est, commence déjà la région tnontagneuMO du Thsoung-ling, (Tesl, comme le remarque justement le défunt professeur Grigoriew', à peu près la position de Koundouz, ou même un peu au nord de cette ville, plus près de l'Oxus, et non Gour (Gori) comme

1. Un de uiM orientalistes les plus distingiiés, dans sa traduction russe fle RîUer, turkeslannrienlal, noie, du traducteur, note r.DXXx, pages Wl-i95. O'es-l d'après Inn PXlTaits lii' M. i'.i'mov'u-.w, Inc. cil., p. 4XS-189, que je duiine ici «t^Ut! partit! du vnjugi! di; lUuuen-Tlisant;, mais en iu- terprëtaul aulremerit (sauf llouo) le* localités qu'il mentioniK-.

fôZ LES ANCIENS JTINËRAIKKS. A. TRAVERS LE PAMIR.

l'inlerprôU; M. Vivien de Saiul-Marlin, d'après une cerlaioÉ coiisoaaacc de Houo avec. Gkonr (prononcez (ihuour).

Pour ma pari, d'accord avec M. Grigoriew pour l'emplrt- cemenl de Uouo, j'inler[>rétr<Ti Kouo-si-to par celte ville acluelle de Gori, bîilie au nord-ouest d'Andérah, près du confluenl des rivières d'Andérab et de Bamian, dont lu réunioa forme l'Ak-Séraï, arUucnl considérable de l'Oxus, passant près de Kuuntlouz. La roule acluelle d'Andérab au Badakbschaii passe parKuundoiiï:, mais sans traverser Gori qui se trouve sur la roule d'Andérab à Balkh. Ma délermi- naliori de Koun-si-Lho ne me parait donc pas aussi positive que l'eniplacenient de Houo dans le voi>inage immédiat de Koundoux.

De WoMo,Hiouen-Tlisang se dirigeant wers l'est, fit 100 li ii AMoung-kien; de là, par de haules montagnes et des vallées profondes, en traversant plusieurs dislricts avec leurs villes, aoO li à Ki-li-se-mo.

D'après la posilion de Houo, telle que je viens de l'indi- quer, Mouny-kienne peutîilre cliercbé qu'entre Khan-abad elTalikhan.à environ 25 ou 30 kilomètres esl de Koundouz. Quanta Ki-li-se-mo, ceile localité, d'après une ancienne carie japonaise ' se trouve au sud de Moung-kieii : ce qui correspondrait à l'eaiplacemenl de la ville il'hch-Kamysch au sud de Khan-abad et Talîkhati, au nord d'Andérab. D'autre pari, Hioueii Tlisang mentionne une roule allant de Ki-li-se-uio au nord- est, pour aboutir à Po-li-ho. Elle me paraît être la roule atîtuelle de Rouslak à Baltsch- jouan, dans le Kouliab, dont la direction, entre Roustak et rOxus, est vers le nord-nord-est. Aussi, pour Ki-li-se-rao, ai-je hésité entre Roustak et Iscb-Kamyscb ; mais, en défi-

à. Celte carie, qui ae Irouve diin:» uiik cmijclopédii! ja|niiinisc du der- nier siècle, a élé d'abord (tuUlkée par KlaproUi [Méinoirei retalifs à l'Atie, L II, p. .ItO), La meilleure éditinn en a élé laite par Stanislas Julien, qui l*a jointe au Inint; Il de la liaduction de HJouen-Thsang, Mémoire* »ur lescoulrées ociMit-ntates (Si-yu-ki).

LES AMCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 453

nitive, cette dernière localité me" paraît plus probable. La route entre Ki-li-se-rao et Po-li-ho pourrait bien être une route d'Anderab à Baltscbjouan, passant et par Isch-Ramyseh et par Roustak; seulement, sur cette route, l'intervalle, entre Isch-Kamysch et Talikban est encore inexploré, car c'est de Koundouz que divergent les routes les plus fré- quentées allant et par Roustak au Kouliab, et par Isch- Kamysch à Andérab.

En tous cas, c'est Baltschjouan qui me paraît être l'em- placement le plus vraisemblable pour Po-h'-Ao, localité qui, du reste, ne paraît pas avoir été visitée par Hiouen-Thsang.

De Ki-li-se-mo, 300 li à travers des montagnes et des val- lées le conduisent à ffî-TOo-^a-io, de à Po-to-tschouang-na^

Pour déterminer la position de Hi-mo-ta-lo, que ne dé- lerminentniM. Vivien de Saint-Martin, ni M. Paquier (d'après Yule), ni M. Grigoriew, nous avons outre les Mémoires* de Hiouen-Thsang, le témoignage de sa biographie ^ qui dit que cette localité est à 300 li de distance directe à l'est de Mong-kien. Nous avons vu que, par Ki-li-se-mo, cette distance est double, 600 li, ce qui fait un triangle éqnilatéral avec Mong-kien, Ki-li-se-mo et Hi-mo-ta-lo aux trois angles.

Les localités actuelles dans le voisinage de la route Koun- douz-Badakschan qui correspondent le mieux aux angles de ce triangle avec les distances données par Hiouen- Thsang, sont Roustak, Kischm et une localité intermédiaire entre Khan-abadetTalikhan, correspondante à Mong-kien.

1. Telle est la vraie transcription française du nom chinois du Bada- khschan, d'après Stanislas Julien. La transcription Po-to-chwang-na, em- ployée par M. Paquier, d'après Yule, est anglaise exprimant, d'aprf's l'orthographe anglaise, les mémei sons que celle de Stanislas Julien : ehwang, en anglais, se prononce Ischouàng.

1. Mémoires tur les contrées occidentales, par Hiouen-Thsang, traduits en français par Stanislas Julien, 2 vol.

3. Histoire de la vie de Hiouen-Thsang et de ses voyages dans l'Inde, traduit du chinois par Stanislas Julien, p. 269, .179.

454 LES AKCIKNS ITINÉRAIRKS A TRAVERS LK PAMIR.

Alors la position de Ki-li-se-mo serait ilans les environs de RoiiBiak, et celle de Ui-mo-tn-lo près de KischmoM un peu au nord (12-15 kilomèlres), mais loul près du méridien de Kischm, sur la route directe deRoundouz à Fayzabad. En plaçant au contraire Kt-li-se-mo près de la ville actuelle d'Jsch-Karaj'sch, selon la carte japonaise citée ci-dessus, nous obtenons un triangle, mais non équilaléral, et dont les côtés ne corn''spontlenl pas aux distances données par Hiouen-Thsang, cequi diminue la valeur des considérations présentées plus haut eu favour d'lsch-Kamysch,conirae em- placement probable de Ki-li-se-mo, la plus incertaine, par conséquent, des localités domje viens d'essaj'er la déter- mination. Mais que Ki-li-se-mo soit au nord ou au sud de la grande route Koundouz-Vayzabad, dans les deux cas la position du district de Hi-mo-ta-lo reste la même, cor- respondant au district actuel de Kisckm.

Au reste, il ne faut pas oublier que toutes les détermina- lions des localités ci-dessus, mf me les plus positives, comme celle deHouo, ne sont encore que grossièrement approxima- tives. Ce sont des déterminations de districts, non de villes. Des déterrainalions plus précises des villes principales vi- sitées par Hiouen-Tlisang me paraissent impossibles sans une exploration archéologique de l'ancien Tokbaristan.

Vérifions maintenant tes détermiuations ci-dessus par les distances des localités d'Hiouen-Thsang en li et des localités correspondantes actuelles en kitonièlres.

La roule de lîouo par Moung-kiang, Ki-li-se-mo, Hi- mo-la-lo, à Po-to-tschounng-na est de 100 -f- 300 -f- UOO -}-200 =^ 000 lij la route actuelle de Koundouz à Fayzabad dans le Badakscbao, par Khan-abad, Talikhan, Rouatak, ou Isch-Kamysch, et Kischm est d'un peu plus de 200 kilo- mètres (sur la carte).

2' La route directe par Moung-Kiang elHi-rao-la-lo, lais- sant de c6lé Kiliscmo, est de IW -[- 300 -|- 200 = fiOO li ; la route directe de Kinradoii/. à Fayzabad suivie par Woodjesl

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 455

de 150 kilomètres environ (sur la carie). La dislance di- recte de Houo à, Hi-mo-ta-lo est de 400 li, de à Po-to- Tschouang-na 300 11 : de Koundouz àKischm environ 100, de à Fayzabad environ 50 kilomètres, ce qui donne une proportion exacte : 400 : 200 = 100 : 50, et montre que la différence des proportions des distances totales, 900 à 600, et 200 à 150, dépend de l'incertitude de la détermi- nation de Ki-li-se-mo.

Ce qui est certain, c'est que les localités ci-dessus de Hiouen-Thsang peuvent être cherchées seulement sur la route d'Andérab au Badakhschan, par Koundouz, et des deux c6tés de cette route, mais pas plus loin que 40 kilo- mètres de chaque côté.

Qnxai an Poto-tschouang-na de Hiouen-Thsang, il est bien certain que cette localité se trouve dans le Badakh- schan actuel; mais celui-ci est un pays assez étendu, com- posé encore de plusieurs des royaumes ou principautés que Hiouen-Thsang mentionne à part. Je viens d'identifier Po- to-tschouang-na avec les environs de Fayzabad, capitale actuelle du Badakhschan, mais c'est déjà moins certain.

Au reste, l'ensemble de l'itinéraire d'Àndérab au Pamir, dont nous venons d'analyser la moitié occidentale, ne laisse pas de doute sur la position centrale de cette localité dans le Badakhschan actuel ; nous n'avons donc, pour Po-to- tschouang-na, que le choix entre Fayzabad et la petite plaine centrale du Badakhschan, au confluent des rivières de Djerm et de Vardodj, formant le Kokscha, fleuve prin- cipal du Badakhschan et un des grands affluents del'Oxus. Nous verrons qu'il vaut mieux choisir Fayzabad.

Avant de poursuivre notre itinéraire, arrêtons-nous un instant, d'aprèsYule, cité par M. Jaquier {le Pamir, p. 40), au royaume d'0-li-ni, dans le Thsoung-Iing que Cunningham et Yule identifient avec Ariniou Ami, un des centres les plus anciens de la domination aryenne. D'après mes déter- minations des localités du Tokharistan et du Pamir qui se

15t) LES ANCIENS TTINÉKAIHES A TRAVERS LE P.

trouvaient sur larouted'Hiouen-Thsang', ce pays d'Olini nu Arni, qu'il ne paraît pas avoir visiti;, pourrait bien être cher ché dans le Darwaz actueK Revenons cependant k l'itiné- raire.

De Po-to-tschouang-na Hiouen-Thsang fait 200 li au sud-est par un pays montagneux el arrive k In-po-kien, d'après la Biographie : Kie-po-kien; de là, après 30011 de roule toujours au sud-est, |>ar «ies sentiers de monlajïnes étroits et dangereux, à Khiou-lang-na ; de- là, faisait ôOO U vers le nord-est, par des ctiemins difficiles el dangereux, à. travers des nioiilagnes et des vallées, i! arrive dans le Ta- 7no-sitie-ti, contigu à i'Oxus (Pot-tsou) et s'étcndant entre deux chaînes de montagnes dont la principale se nomme Huen-tho-to. Au nord de ce dernier pays se trouve le Chi- A7it-«i, au sud le Chfingmi, à 700 li au nord-est de Ta- mo-sie-li commence la haute vallée de Po-mi-lo '.

Nous avons ici, comme jalon principal, le pays de Chi- khi-ni que tous les commentateurs reconnaissent unani- mement pour le Ch'Kjhnan actuel, ce qui, comme nous verrons tout de suite, est parfaitement confirmé par les dé- tails que donne Iliouen-Thsang, et sur ce pays, et sur le Po- mi-lo avec son lac du Dragon, Les autres pays sont aussi reconnaissablcs d'après leurs positions relatives el les pro- portions des distances données par le voyageur chinois*.

1. Cet itinéraire nst reproduit ici de nouveau d'uiiros les Kxtcails dn M. Grigiiricw, Irail. de RiUor. Turkentan anenlal nu chinolt, ao\t CDXXX, p. i89-49U.

i. Toutes mes détcrmin.itions Ac. ces localités etilrc le Bmlaklischaii <<i le Chighiian dilfërent nsseiilicllement Ap celle» que j'ai lue;:, mais, pour ne pas trop allonger ce Mémoire, je ne mentiaonerai ni ne rérulerai \i quelque» cxccpliotis près) les déterminations ilitTi-rpules des luiennes, ni celles lie M. ViMendeSaiiit-Marliii.cîiées par M. Grigoriew. ni celles de M. Grigoriew liii-inAmc ^18()tl), ni celles de Yule (IKTii;, générnlemefil suivies cl on partie leproduitcs par M. Paquier. Je ferai oliserver «eiile- mentquc louslo», ••ominenliiires que je vicnsd'éniiinérer soiil nnlèrieu.rt n\ix dernières vxplur.iliiins angUiaes el russe», du Pamir et de l'ancien Tnknrestan; surlaut de 1873 à 1978 inclusivement, elles ont changé de Tond

I

ÎnCIKHS itinéraires a THAVERS LK, PAMIR. 457

D'après ces données, In-pokien^, h 200 li sud-est de Po- to-tschouang-na, se place pr&s de Djerm, à 45 kilomfiires sud-est de Payzabad, ce qui confirme l'ideiitiflciiLion ci- dessus de Po-lo-lschouang-na avec Payzabad, et non avec le confluent des rivières de Djerm et de Vardodj, situé fi 20 kilomètres seulement, droit au nord deDjerm. De même Khiou-lang-na^, à 300 li sud-esL de la localité précédente, se retrouve dans Zehak, îi 70 kilomètres environ deDjerm. Les dislances proporlionnelles 45 : 70=^200 : 300, sont presque exactes, mais, remarquons que la valeur métrique des li de îliuuen-Thsang diminue, à mesure qu'il s'engage dans les montagnes.

Zébak se trouve sur la route du Badakhschan au Wakhan et. c'est dans la partie supérieure de ce dernier pays, immé- diatement au-dessous du confluent du Hiandj (rivière ex- plorée par Wood) et du Sath;idd, que M. Vivien de Saint- Martin place le ra-mo-st-Itc-t<, d'après la consonance du nom de sa rapilale Houeu-to-to, a\ec A'(m(/<i/'/<, village du Waklian, situé à environ HO kilomètres au-dessous du con- fluent du Piandj et du Sarhadd.

Mais cette consonance est assez éloignée, cl la position ^du Ta-mo-si-tié-ti, telle que la donne Iliouen-Thsang, est ion pas celle du Wakhan, maïs bien celle duGfaaran,actueî- ïinent et depuis longlemps province du Badakschan, dans laquelle se trouvent les célèbres mines de rubis de ce pays, (maintenant presque épuisées), car la frontière nord du Gba- jran, dans toute sa longueur, est formée parle Chighnan, et et c'est ce <i«ie dit lliuuen-Thsang de son Ta-mo-si-lié-ti. De plus, il dit que ce pays est conligu à l'Oxus (Pol-sou); celte parltculari s'applique aussi au nharan,tbrmé par la vallée du

en coiiililo la carie «le ci*s rontrrcs, elles cnittiniiviit encore etrenrtent ma lâche, dans ce iUilniirf, inllnimeiU [iliis farilc (|u<; ccll" rte mes savants prédécesseurs.

1. Biogr., Irail. SUnisliis fuli^Mi. p. 270 et :W7.

2. Biogr., trad. Slaiiisliis Julien, p. iH), W, 106.

458 LES ANCIENS ITINÉRAIRES X THAVERS LE PAMIR.

Bogouz, aftluent de l'Oxus, et une partie de la rive gauche de ce fleuve,de8 deux côtés de l'enibouduire du Bogouz; mais elle ne s'applique pas au^Vakhan, qui est une partie de la vallée môme de l'Oxus, sur les deux bords du fleuve, et forme la frontière sud du Gharan, dont il est séparé par une chaîne de montagnes neigeuses, situées entre rO\us cl leBougouz. Le Wakhan, séparé du Chighan par le Gharan, est donc le Chany-mi de Hiouen-Tbsang, séparé de Ghi-khi-nipar le Ta-mo-si-tie-ti.

Voici, du reste, ce que dit encore Iliouen-Thsang de ce dernier pays ;

u II est situé entre deux chaînes de montagnes, dans le voisinage du tleuve de Pot sou, et s'étend sur une longueur de cinq à six journées de marche de l'est à Fouest, de quatre à cinq du nord au sud; mais sa partie la plus étroite n'a pas une li de large, U s'étend le long du fleuve, suivant toutes ses sinuosités ; il est entrecoupé de collines d'ondu- lations variées en hauteur, de petits plateaux couverts de sable et de pierres. « (Paquier, te Pamir, p. il.)

Le fleuve que la vallée « suit dans toutes ses sinuosités » est bien évidemment le Boiigouz, l'Oxus (Pol-sou) étant seulement voisin de cette vallée encore inexplorée, ce qui fait que les renseignements de Hiouen-Thsang sont les seuls que je connaisse sur la nature du pays. La largeur de 400 li (quatre journées), paraît exagérée; la roule par le Gha- ran le long de l'Oxus, étant de 60 kilomètres; mais une route Iransverse par la vallée du Bougouz, d'une crôte de montagne à l'autre, peut bien être de 80 kilomètres, avec les montées, descentes, détours elc, de même que la lon- gueur du Bougouz (encore inconnue) peut atteindre 100 kilomètres ou plus de route, avec les siimosilésde la vallée.

Voici maintenant ce que Hiouen-Thsang dit du Ghi-khi-ni:

« Au nord de ce rovaumo (de Ta-mo-si-tie-ti), et par delà de hautes montagnes, se trouve le Chi-khi-ni qui a un circuit de vingt journées de marche. 11 consiste en une suc-

LES AKCISNS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 459

ceMÏOD de collines et de vallées, de plateaux et de déserts couverts de sable et de pierres ; cependant on y voit du blé

Entre ia vallée du Bogbouz et celle du Schah-dara, dans le Chighnan s'élève en effet une chiUne neigeuse qui* continue dans le Badakschan, à l'ouest de l'Ozus ; ce fleuve la tra- verse par une fente transversale, la gorge de Koughouz- Parin, tellement impraticable, qu'il y a fallu tailler un tun- neldans le roc pour la route qui suit la rive de l'Oxus. Ce tQimel est considérablement postérieur à Iliouen-Tbsang, qui dut passer du Gbaran au Cbigbnan par quelque col au nord du BogouK, col encore inconnu, le Cbigbnan intérieur étant aussi inexploré que ia vallée du Bogouz.

De plus, la notice de Hiouen-Thsang nous montre que toa Chi-kbi-ni n'est pas une seule grande vallée, comme celle de Bogbouz; c'est un composé complexe de vallées et de montagnes. Tel est en effet le Cbigbnan, d'après les ren- seigoements locaux recueillis par Abdul-soubban, topo- graphe musulman de la mission Forsytb, que le colonel Gordon envoya, en avril 1874, reconnaître la vallée de l'Oxus «tre le Wakban et le Derwaz. Il apprit que le Cbigb- nan se compose de deux vallées principales, celles de Giound et celle du Sehah-darah, rivières dont la réunion forme le Soutschan, affluent considérable de l'Oxus et de iKiQcoup de vallées secondaires. Hiouen-Tbsang nous ipprend, de plus, que les montagnes intérieures du Cbi- II^Qan, celles qui s'élèvent entre le Gbound et le Scbah- iuah, sont bien moins élevées que les cbatnes neigeuses qui •Dtourent ce pays de tous les côtés, chaînes dont j'ai vu trois, des bopds du Yaschil-koul : celle de l'est, celle du oord, le long de l'Aksou, et l'énorme massif occidental qui t'^lère sur le bord droit de l'Oxus, portant des pics de

l'Paquier,iePam»r,p. 41. —Biogr., trad. Stanislas Julien, p. 270, 365. J'KTiendrai encore au Chi-khi-ni et au Chang-mi, dans une note com- Pl^iWDtaire.

4^0 LES A.XCIKNS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR.

plus de 6,000 mètres, dont j'ai nommé le plus haut pici Tcherniayew, en l'honoeur de l'illustre général qui ouvritj l'Asie centrale h nos explorations scientiflques.

C'est par le Chighnan que passa Hioucn-ThsanR pour atteindre la vallée de Po-nii-lo et le Lac du Orrigon, dont . il donne la description suivante :

« La vallée de Pa-mi-lo a 1,000 li de long, de l'est à l'ouest, et 100 ti de large, du nord au sud; mais sa par tie la plus étroite n'a que 10 11 de large. Elle s'étend entre deux chnînes neigeuses, elle e«t très froide, et le vent y souffle par violentes rafales. La neige y tombe même au printemps et en été; le vent y souffle jour et nuit, sans sej calmer. Le sol est saturé do sel et couvert de petits galets Il ne peut y croître ni blé, ni fruits; les arbres et autres plantes sont rares; partout un désert sauvage, sans trace d'habitation tiumaine. Au milieu de cette vallée se trouve le grand lac du l>ragon ; son étendue est de 300 li de l'est à l'ouest et de .'>0n li du nord au sud. Ce lac est situé à une hauteur incommensurable, dans l'inlérieur du Ta- Tbsoung-ling, au milieu du Tchen-pou-lcheou (tran- scription chinoise de Djambou-Dvvipa). Si on le regarde de loin, il s'étend comme une mer immense dont l'eBil ne peut découvrir les bornes; à entendre le bruit de ses vagues on dirait les clameurs d'un vaste marché s'agite une multitude sans no'nbro. Ses eaux sont pures et transpa- rentes; leur profondeur est incommensurable. La couleur deseaux est un bleu foncé; leur goût est «loux et agréable...

De la partie occidentale du lac sort un large torrent, qui! se réunit au Pot-sou dans les contins orientaux du Ta-mo- si-lie-li et continue à couler toujours vers l'ouest. Toutes- les eaux à droile du lac coulent également vers l'ouest. De la partie orientale du lac sort aussi une large rivière, qui se dirige vers le nord-est, se joint au Si-to^ dans les conlins, occidentaux du Kié-cha, et continue à couler vers l'est.

Je connais trois déterminations diiFérentes du Po-rai-lo

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 461

de Hiouen-Thsang, qui est bien évidemment une Iranscrip- lion chinoise du nom de Pamir.

1" La tradition constante des géographes chinois, qui citaient Hiouen-Thsang, en décrivant les contrées occiden- tales (Si-yu), interprète son lac Loun-tchi (lac du Dragon) par le lac Kara-koul. Cette détermination chinoise fut adoptée par Klaproth que suivit aussi Ritter. Tous d'ailleurs identifient la rivière qui découle du lac du Dragon vers l'est asec leYaman-yar, maintenant complètement absorbé par des canaux d'irrigation, mais jadis affluent du Kaschgar- Darya. Or le Yaman-yar, que les Chinois croient découlant d'un grand lac nommé Kara-koul par les Kara-Kirghiz, est en réalité séparé par plusieurs chaînes de montagnes du grand lac de ce nom ; il ne traverse qu'un petit lac insigni- fiant, qui ne répond nullement à la grandiose description de Hiouen-Tsang ; ce lac du Yaman-yar est nommé par les Kir- ghiz Ktchi-kara-koul (petit Karakoul), que les Chinois ont toujours cofondu avec le grand*, n'ayant qu'une connais- sance très vague de cette partie du Pamir. Quant à l'affluent de rOxus, sortant du lac du Dragon et coulant par le Po- tni'lo*, les auteurs chinois ne le déterminent pas plus que Klaproth et Ritter.

La plupart des commentateurs européens, interprétant le TLa-mo-si-tie-ti par le Wakhan, identifient la vallée de Po-mi-lo ou avec celle du Piandj supérieur (grand Pamir de Yule) ou avec celle du Sarhadd (petit Pamir). La pre-

1. Cette confusion fut d'abord soupçonnée par Shaw qui recueillit, eu 1872, les premiers renseignements kirghiz sur la vraie position du petit Kara-koul ; néanmoins, elle resta encore incertaine pour Yule, en 1872 {Essay on the Geogrzphy of Upper Oxu%, p. ciir) et ne fut défini- tivement établie que par les renseignements de Gordon et Trotter, en 1873-1874. Mes renseignements sur le petit Kara-koul s'accordent avec ceux de Shaw, Gordon et Trotter; quant au grand Kara-koul, je l'ai exploré en détail.

2 Hiouen-Thsang ne le dit pas expressément, mais cela découle de toute sa description.

454 LEd ANCIENS ITINKHAIRKS A TRAVERS PAMIR.

Alors la position do Ki-U'Se-mo serait dans les environs do Rouslak, et celle de Ui-mo-tii-lo près de Kischmon un peu aunofd (12-15 kilomètres), mais tout près du méridien de Kischnn, sur la route direcLe deRoundouz à Fayzabad. En plaçant au contraire Ki-li-se-mo près de la ville acluelle d'Iscb-Kamysch, selon la carte japonaise citée ci-dessus, nous obtenons un tiiangle, mais non équilatéral, et dont les côtés ne correspondent pas aux distances données par Hiouen-Tlisang, ceqiii diminue la valeurdes considérations présentées plus liant on faveur d'Jsch-Kamysch, comme em- placement probable de Ki-li-se-mo, la plus incertaine, par conséquent, des localités dont je viens d'essaj'er la déter- mination. Mais que Ki-li-se-mo soit au nord ou au sud de la grande route KoundouK-Fayxabadj dans les deux cas la position du district de Hi-mo-ta-to reste ia même, cor- respondant au district actuel de Kischm,

Au reste, il ne faut pas oublier que toutes les détermina- lions des localités ci-dessus, môme les plus positives, comme celle deHouo, ne sont encore que grossièrement approxima- tives. Ce sont des déterminations de i{islricts,r\oii de villes. Des déterminations phis précises des villes principales vi- sitées par Hiouen-Tbsang nie paraissent impossibles sans une exploration archéologique de l'ancien Tokharistan.

Vérifions niainlcnant les déterminations ci-dessus par les distances des localités d'IIiouen-Tbsang en lietdes localités correspondantes actuelles en kilomfelres.

La route de îJotw par Moung-kiang, Ki-ii-se-mo, Hi- mo-la-lo, a Po-to-lschouang-na est de 100 -|- 31.10 -f 300 4-200= 000 li; la route actuelle de Koundouz à Fayzabad dans le Badakschan, par Khan-abad, Talikhan, Boustak, ou Isch-Kamysch, et Kischm est d'un peu plus de 200 kilo- mètres (sur la carte).

La roule directe par Moung-Kiang etHi-mo-la-lo, lais- sant de côté Kiliserao, est de 100 + 300 + 20<) 000 li ; la route directe de Koundouz à Fayzabad suivie par Wood,esl

LSS AXrjEXS ITINËIIAIIteK A IIUVKM LII MMIIt. t^

de lôO kilomètres environ (»ur f-MUf. Tw lUiUh^ti; recte de Houo à lli-mo-U'Io e»( l/Jif/

Tschouang-na 200 li : de R(jiiu/U/';/

de h Fayzabad environ fiO kikr^

proportion exacte : 400 : 2fX) :v

la ditrérence des proportions ûê» 4lMi»«<

à 600, et ^200 à 150. dépend de l'iMWAAMb^

nation de Ki-li-se-mo.

Ce qui est certain, c'est que le* i«M«llA4lAv Hiouen-Thsang peuvent Ctre c\\etc.\iéf* route d'Andérab au Hadakhschau, p>ir à deux côtés de cette route, mais pas ph« mètres de chaque côté.

Quant au Polo-tscfiou(tHff-na de lli<iii*rri •** / bien certain que cette localité se Irouvn linin - ♦'• schan actuel; mais celui-ci est un paysastc/. ^1>« '"■ posé encore de plusieurs des royaumes ou prtrt^;*^*'^/ *i*^ Hiouen-Thsang mentionne à part. Je viens d'ii<«iiU<4*' ' ^ to-tschouang-na avec les environs de Fay/.atr«4/ <«« actuelle du Badakhschan, mais c'est déjà moint tf^t^^oi^ j

Au reste, l'ensemble de l'itinéraire d'Andi'irab »<i kt dont nous venons d'analyser la moitié occidt'ntttl<',f»* pas de doute .sur la position centrale de c&(li>- locuItU <(U%iU le Badakhschan actuel; nous n'avons donc, pour f'. ■/.-] Ischouang-na, que le choix entre Fayzabad et lii j^'» w plaine centrale du Badaklisclian, au con/luptit don r(»»>i«*-« de Djerm et de Vardodj, formant le h'okicha, fl«nv« i^v-Ci cipal du Badakhschan et un des grands affluents Ati\'(Htéfè» Nous verrons qu'il vaut mieux choisir Fayzabad.

Avant de poursuivre notre itinéraire, arrêtons-non* instant, d'après Yule, cité par M. Vaquiev {ie i^amir, p.Uf/.tHii royaume â'0-tt-ni, dans le Thsoung-ling que CunninghA'W et Yule ideuliûent avec .-h7w/ou Ami, un des centre» plus anciens delà domination aryenne. D'après mes détcrvl minalions des localités du Tokharist«n el ilu Pamir qui s«4

LES AlfCTENS tTINÉItAIRES A TRAVERS LE PAMIR.

rniére opinion est celle de Stanislas Julien et de M. Vivien de Sainl-Martin, soutenue plus lard aussi par MM. Paquier et Grigoriew; la seconde est celle de Rawlinson et Yule.

Ces derniers se fondent vraisemblablement sur le témoi-' gnage de Mirza*, qui dit que deux rivières découlent du lac ceniral du petit Pamir (lac Pamir-Koul, Ghaz-koul ou Oï- koul) : le Sarhadd vers Toucsl, la rivière de Tasch-kourgane affluent du Yarkend-daria vers l'est; mais on sait à présent que celle indicalion est une erreur de Mirza, qui passa le Pamir-Khourd (petit Pamir) au cœur de l'hiver, par une neige profonde. MM. Gordon et Trotter, en 1874, reconnu- rent que la source du Sarliadd est complètement séparée du lac Pamir-koul qui n'a qu'un seul écoulement, l'Aksou, tribu- taire de rOxus et non du Yarkend-Darya. De plus, le Pa- mir-Koul est un lac de fini petites dimensions; si même il a jadis été plus grand, comme le suppose Yule, il n'a jamais pu être quelque chose d'approchant du tableau grandiose que Iliouon-lsang trace de son lac du Dragon.

Quant au lac du grand Pamir, personne ne s'est rafimo trompé en lui supposant un double écoulement, et, s'il est considérablement plus grand que le Pamir-koul, il est ce- pendant loin d'approcher <le la description de Hiouen- Thsang, puisqu'il n'a que 2 tiloraèlres de largeur, sur envi- ron 20 de longueur. Au reste, les auteurs chinois qui citent ou copient Hiouen-Thsang, ont depuis longtemps changé les dimensions de son lac Lountchi et remplacé les cinq cents li nord-sud du texte original (traduit par Stanislas Julien) par cinquante li pour accommoder la largeur du lac à celle de la vallée. Ainsi transformé, le lac Loun-Lschi res- semble déjà plus à celui du grand Pamir, au moins pour les dimensions iwoporticnoelles : seulement cette prétendue j correction est parfaitement arbitraire, cl tout à fait inconci-

l. KvpKiraleur iiiusuluian envoyé en 1870, |iar le itiajiir Moiitgdmpryi lie rescliawer il Yaiketid, qui passa par Kaboul, Kounilniiz. Fn.rznbad (daiii: le Badakhsclian), le Wakhaii et le l'élit Pamir.

J

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 463

liabieavec les détails descriptifs donnés par Hiouen-Thsang. Or ces détails ne sont pas de ceux qu'on puisse rejeter; on y reconnaît trop infailliblement un observateur profondément inapressionné par le grand spectacle qu'il a vu de ses yeux et notant son impression avec une vérité frappante, ce à quoi nous reviendrons encore.

De plus, pour identiPier le Po-mi-Io, soit avec le grand Pamir, soit avec le petit, il faut nécessairement identifier aussi le Ta-mo-si-t'ié-ti avec le Wakhan, et admettre que Hiouen-Thsang retourne dans ce dernier pays, après sa visite au Ghigfanaii qu'il a bien certainement visité, d'après les dé- tails qu'il en donne.

Mais nous avons déjà vu que le Ta-mo-si-t'ié-ti est le Gharan, vallée du Bogouz, et non le Wakhan : ce dernier pays n'est mentionné qu'incidemment, sous le nom de Ghang<mi, et U y a tout lieu de croire que Hiouen-Thsang ne le visita pas, ce pays n'ayant jamais été bouddhiste. D'après les traditions locales, recueillies et par Wood, et par le colonel Gordon *, toutes les ruines y sont attribuées aux adorateurs du feu et Wood y a trouvé, dans les supers- titions des musulmans actuels, des traces du mazdéisme qui fut la seule religion antérieure à l'Islam dont se sou- vienne le peuple du Wakhan ; sa conversion à cette dernière religion paraît avoir été tardive, les ruines anté-musulmanes n'étant pas bien anciennes.

Quant au Chighnan, Hiouen-Thsang a décrit l'état du bouddhisme de son temps*, et c'est immédiatement après ïe Chi-khi-ni qu'il décrit la vallée de Po-mi-lo.

1. Wood, Joumey to the source ofthe Oxux, î» éd* p^ 218. Gordon, Roofofthe World, p. U).

2. Ritter, Asien, tome V, livre III, p. 494; Berlin, 1837, antérieure- meirt k la découverte du texte original de Hiouen-Tlisang, traduit par Stanislas Julien. Ritter s'est servi d'extraits passablement altérés, tra- duits par Jacquet, d'après «n recueil bouddhiste. Le Chighnan dont la description est très reconnaissable, y est nommé Chang-mi, au lieu de Ghi-khi-ni.

46-t LES ANCIENS rTJNKUAJRES A TttAVEllS LE PAMIR.

C'est donc au nord-est du Chighnan «t à 700 li nord est du Bogouï, qu'il faut chercher le Po-rai-lo el le lac Loiin-tcht, dans une région du Pamir, qui était complète ment inconnue à mes savants prédécesseurs, quant à ce commentaire de Hioueii-Thsang; en effet, la plus grande partie de cette région n'a été découverte que par mon expé- dition en -IS'S.

Au nord-esl du Chighnan nous trouvons la vallée de l'Aksou, dont la partie ayant une direction générale vers l'est n'a pas de lac, et à laquelle la description de Hiouen- Thsang est doue inapplicable ; puis la vallée de Koudara, avec un ailîuent de l'Aksou, vallée que j'ai vu le premier, à la- quelle la description de Hiouen-Thsang s'applique parfaite- inenl, et qui conduit au lac Grand Kara-koul, que j'ai éga- lement exploré. C'est par la comparaison du Kara-koul tel que je l'ai étudié sur place, avec la description du lac Louii- Iscbi que je commencerai ma déli'îrminalion du Po-mi-lo.

LelHcLoun-lschi doit être le plus grand du Pamir, et tel est le Grand Kara-koul; mais la question principale est celle de son déversement. D'après les renseignements des Kirgbiz, recueillis par les explorateurs anglais en Kasehgarie (Shaw, Gordon, Trotter), legrand Kara-koulse déverse dans l'Aksou, aflhienl de l'Oxus. Ensuite, en 1875 ce lac fut, pour la pre- mière fois, visité par des Européens, par des topographes russes qui relevèrent à la hâte, très imparfaitement, le lac et une des vallées qui s'ouvrent dans son bassin, puis par le colonel Kostenko qui décrivit cette localité; il décida que le Rara-koul n'a d'écoulement nulle part et se trouve dans un bassin complètement fermé, entouré de tous côtés par de hautes montagnes. Néanmoins il mentionne que ces mon- tagnes sont interrompues par un intervalle ouvert, vers l'angle sud-ouest du lac; mais Finlcrvalle resta inexploré, ce qui n'cmpècha pas M. Kostenko de décider tout à fait arbitrairement que cet intervalle doit être la vallée de quelque affluent du Kara-koul.

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 465

Ea 1878, une exploration plus complète me montra autre chose, savoir que le bassin duKara-koul, loin d'être complè- tement fermé, n'est que l'élargissement d'une très grande vallée qui s'ouvre au sud-ouest dans celle de l'Aksou, du système fluvial de l'Oxus, au nord-est dans celle du Markan- soii, affluent du Kaschgar-Darya, apparten antdonc au système fluvial du Tariin. Quant au lac Kara-koul, il n'a, à présent, aucun écoulement dans les années ordinaires; mais après un hiver particulièrement neigeux, les crues exceptionnelles du Kara-koul se déversent vers l'Oxus, par la vallée de Koudara. J'ai aussi trouvé, par des lignes hori- zontales d'érosion sur certains escarpements autour du Kara-koul (lignes déjà notées par M. Rostenko), que le niveau du lac était jadis de 30 mètres plus élevé, et son étendue beaucoup plus grande; j'ai aussi réussi à restaurer cette ancienne étendue du lac d'après les traces de l'ancien niveau des eaux ; enfin j'ai aussi trouvé les traces d'un ancien écoulement du Kara-koul dans le Markan-sou. Ces traces, combinées avec les données hypsométriques d'un nivelle- ment entre le Ferghâna et le Kara-koul, exécuté pendant mon expédition au Pamir par mon compagnon de voyage, M. Scassi, prouvent qu'il y a eu immédiatement au nord du Kara-koul un soulèvement post-glaciaire, donc géologique- ment très récent et même continuant jusqu'à présent. Ce fait est d'ailleurs confirmé par mes observations sur la distribution des anciennes moraines et autres traces de la période glaciaire dans les systèmes de montagnes du Thian- Schan et du Pamir. Mais je m'arrête : l'exposé de ces observations ainsi que la topographie détaillée du Kara- koul et ses environs, nous conduirait ici trop loin*; je me

1 . Tout cela sera décrit en détail dans un ouvrage plus considérable auquel je travaille maintenant, et qui doit contenir la relation, ainsi que les résultats scientifiques de l'expédition que j'ai dernièrement dirigée au Ferghâna et sur le Pamir, en 1877-1878. Le Mémoire actuel est un chapitre de cet ouvrage, dont une partie, contenant la description orogra-

SOC. DE GÉOGR. 3' TKIMESTRE 1890. XI. 30

4-66 LES ANCIENS ITINÉHAIUFS A THAVEllS LE TAJUn.

contente de faire observer que ce soulèvement a beaucoup modifié l'étendue et la forme du Kara-koul, même depuis le voyage d'Hiouen-Thsang; de plus ce lac, comme tanl d'autres de l'Asie centrale, diminue aussi par suite de la sécberesse croissante du climat. L'ancienne étendue du Kara-koul était d'environ 50 kilomÈli-es nord-sud et 30 kilo- mètres est-ouest, chiiîres exactement proportionnels a ceux que donne Hiouen-Thsang, soit cinq cents li nord-sud el trois cents li est-ouesL Quant aux dimensions actuelles du K.ara-koul, elles sont moindres, soit environ 30 kilomètres de longueur nord-sud, sur 20 de largeur est-ouest; de plus, les anciennes îles du lac sont devenues deux pres- qu'îles qui le divisent en deux bassins réunis par un détroit, tandis que jadis, avec un niveau des eaux plus élevé de 25 à 30 mètres, les nombreuses collines rocheuses mais bassei$ de la presqu'île nord, devaient présenter un archipel de petits écueils, non une île compacte.

Comparée avec la restauration de l'ancienne étendue du Kara-koul du temps de son double écoulement, la descrip- tion du lac du Dragon (lac de Loun-lchi) par Hiouen-Thsang est d'une exactitude frappante, malgré une exagération considérable des dimensions absolues. Même tel qu'il est à présent le grand Kara-koul reste leseul lac du P«»itrauquel on puisse rapporter cette description, car il est le plus grand de tous, et le seul (sauf peut-être le petit Kara-koul encore inexploré, et hors de question par sa petitesse) dont la plus grande étendue soit dans une direction nord-sud. De plus, c'est le seul lac du Pamir qui présente au moins des traces d'un ancien double écoulement. Au resie, du temps de Hiouen-Thsang, l'écoulement nord-est du lac vers le Markan-sou, était déjà remplacé, peul-Stre, par une bifur-

phiquc ilii système ile« montagne» Jti Pamir, comparativement au Thian-sclian, est déjà sous preun (en russe), et donne, la structure orogrnpliî<iue du Pamir, une idée très dilfëreiite de celle (|u*on en avait jusqu'à jtréscnt.

LES ANCIENS ITINÉUAIUES A TRAVERS LE PAMIlt. 4fi7

cation duKara-soii, aftluenl nord du lac. De cette bifurcation j'ai aussi tu des traces sous forme de trois anciens lits desséchés de rivières : dirigés du Kara-sou vers l'est, et creusés dans un amas d'alluvions limoneuses, amoncelées par le Kara-sou à son ancienne embouchure dans le lac Loun-tchi; ces alluvions séparent maintenant cette rivière du petit lac Kalyr-koul, jadis une baie, formant l'extrémité nord-est du Kara-koul.

suivre.)

Le Gérant responsable, Ch. Maunoir,

Secrétaire irénéral de la Commissioo centrale.

■MOi. Imprimeries réuDiet, B, rue Mignon, 2. May et MOTTBROZ, directeura.

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VOYAGE DANS L'ASIE CENTRALE

ET AU PAMIR

CABmiEL BOirTAI.OT'

Permettez-moi de remercier d'abord la Société de Géogra- phie, en la personne de son président, de l'insigne honneur qa'elle nous fait en nous recevant avec solennité h l'amphi- théâtre de la Sorbonne ; permettez-moi de vous remercier, Mesdames et Messieurs, d'avoir répondu à l'appel de la Société, et croyez que mes compagnons Gapus et Pépin sont également touchés de ce bienveillant accueil. Laissez-nous maintenant vous conter rapidement notre voyage.

En 1880-1881-1882, M. Gapus et moi avions parcouru une partie de l'Asie centrale, mais nous nous étions tenu au nord de l'Oxus, sauf au moment oiinous quittions le grand fleuve près de Khiva pour gagner, en hiver, Krasnovodsk par l'Oust Ourt, un désert désagréable comme vous le savez. Les circonstances nous avaient alors permis de faire des collec- tions d'histoire naturelle considérables et intéressantes, et de reconnaître les grands chemins historiques parcourus par les conquérants divers depuis Alexandre le Grand jusqu'à TchemaïeiT et.KauiTmann.

Une fois rentrés en France, nous nous sommes guéris de la flèvre et remis de nos . fatigues. En examinant ce que nous avions fait, nous avons constaté des lacunes ; des docu- ments nous ont paru incomplets, il nous a semblé que bien des choses d'Asie centrale nous seraient plus claires, si nous

1. Cotnmunieation adressée à la Société ie Géognp\M.â&ns son aisomblée générale extraordinaire tenue à la Sorbonne le 14 janvier 1888.

soc. DE GiOGB. 4* TRIMESTRE 1890. XI. 31

470 VOYAGE IIANS L'aSIE CENTRALE ET AU PAMIR.

en trouvions d'autres à leur comparer, et l'idée nous vint bien vite de poursuivre au sud de i'Oxus l'œuvre coraraencée au nord.

Comme il n'est pas dans les mœurs de notivî pays que les particuliers riches prennent à leur charge les frais des mis- sions d'expioration, nous nous sommes adressés au Ministère de r Instruction publique. M. Xavier Charmes, Directeur des missions, a bien voulu s'intéresser à notre projet : il l'a sou- tenu et la commission des missions a voté les fonds avec lesquels nous sommes partis. Nous devions explorer la vallée du Haut Oxusel tâcher de pénétrer dans le Kafiristan. M. Capus devait s'occuper d'histoire naturelle, M. Pépin, mon ami d'enfance, devait dessiner ou croquer ce qu'on ne pourrait photographier; j'avais à m'occuper d'histoire et d'ethnographie.

Nous ne regrettons pas les fatigues et les ennuis de notre long voyage, car nous en rapportons des renseignements de divers genresquicontrihuerontà faire mieux connaîtreTAsie. Nous avons rassemblé ce que nous avons pu d'objets ethno- graphiques, costumes, ustensiles etc.; nous avons des cr:\nes des différentes races, des mensurations anthropologiques, une collection d'histoire naturelle que des notes complètent, des observations météorologiques prises plusieurs fois par jour ; directions des vents, état du ciel, etc., tout a été noté autant que possible. Le thermomètre nous a permis de constater que nous avions subi dans notre voyage un écart de plus de 100 degrés (-)- 60* au soleil, 44° h l'ombre); après être descendu plus bas que la mer sur les bords de la Caspienne, nous sommes montés à ti,0<X) mètres environ sur le Pamir. Nous avons des notes sur la géologie, sur la culture, lesirrigations, des itinéraires relevés avec soin. Nous avons des renseignements tels que l'on peutafllrmer que l'histoire d'Asie doit Hve envisagée à un nouveau point de vue. Nos petites fouilles de Termiz ont donné quelques résultats inté- pessants. Tous ces documents sont complétés par une col-

VOYAGE DANS l'aSIE CENTRALE ET AD PAMIU. 471

lection unique de croquis, de dessins, d'études de notre ami Pépin. Enfin nous avons exploré le Paniir, traversé l'Hindou Kouch, l'Hymalaja et étudié les tribus curieuses qui peuplent oes montagnes.

Avant de vous dire notre voyage, laissez-moi réparer un oubli impardonnable que j'allais commettre. J'allais oublier de remercier des absents ; il ne faut pas qu'ils aient toujours tort.

Disons donc merci et bien haut à nos amis russes du Turkestan, au général Kamaroff, au général Anneiikoff, au général Iranoff et enfin au général KaralkofTdont les con- seils nous ont été précieux. Ajoutons à cette liste, qui na saurait Être trop longue, le nom des capitaines Grombt- chefski, Giouclianovski, qui nous ont tant aidés, et celui de M. Muller, de Tachlcent, un Français, un ami d'un dévoue- ment rare.

Nous remercions aussi lord Dufferin et M. Durand, qui sont intervenus si efficacement, lors de notre arrestation à Tchatral, et qui nous ont aimablement reçus à Simla.

Il me reste à dire que nous serons toujours sincèrement reconnaissants h M. de Balachoiï de la générosité avec laquelle il nous a aidés alors que nous étions dénués de tout. C'est une générosité dont il est coulumier et qui ne nous a pas surpris, car nous avions appris à connaître le bon cneur de la nation russe, et c'est la sienne.

En décembre 1880 et en janvier 1887, nous faisons nos préparatils, et en février nous nous embarquons à Marseille. Nous touchons à Conslanfinople, h Samsoun, à Trébizonde, et débarquons à lîatoum, le Bercy du napbte et du pélrole. Le chemin de fernous emporte sur Tiflis, à travers des forêts vierges, des paysages grandioses animés par des peuples aux costumes pittoresques. A Tiflis nous attendons les papiers qui doivent nous faciliter l'entrée de la Transcaspie, con- quise récemment par les Russes. Grâce à la bienveillance d-u gouverneur généralDondoukoff et à l'intermédiaire de notre

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VOYAGE DANS F. ASIE CENTRALE ET AU PAMIR.

obligeant consul, M. Meyer, les « lettres auverles» nous ar- rivent et nous poursuivons noire route, décidés à quitter le chemin de fer à Hadji Caboul, pour gagner ta route postale de Perse par le pays peu connu du Talych. Le gros de nos bagages arriva par mer de Bakou à Enzeli, et de à Téhéran par caravane. M, de Balloy, notre Ministre plénipotentiaire en Perse, qui regagne sa résidence avec sa jeune femme, a bien voulu joindre nos bagages aux siens et les confiep à ses serviteurs. Après nous fttre donné rendez-vous à Téhéran, nous partons pour Lenkoran laissant h notre droite la steppe de Karabagh, traversant la Koura à Saliane et gagnant Len- koran par des boues épaisses, des marécages fiévreux et sous une pluie battante. C'est que nous sommes près du Guilan ou pays des boues. A Astara nous quittons le territoire russe, dont la frontière est marquée par une rivière qu'on peut traverser à gué s'il ne pleut pas et en pirogue si les eaux sont hautes.

Nous sommes en Perse,dans ce pays d'impénétrables forCIs, habitées par des peuplades clairsemées d'origine turque, qui vivent à peu près indépendantes et ne reconnaissent guère que l'autorité des khans autour desquels elles se groupent. Nous avons de vingt-cinq à trente cours d'eau à franchir pour arriver à Recht. Tantôt nous passons dans la mer et les vagues viennentmourirentre les jambes de nos chevaux, tantôt nous suivons d'étroits sentiers taillés dans les forêts vierges et l'homme qui va devant élague les branches épi- neuses qui pourraient nous déchirer la face; dans des clai- rières marécageuses, nous apercevons des maisons en bois couvertes de chaume, autour desquelles errent des hommes armés de grandes serpes à manche très long. Ils vivent de l'exploitation des forêts, de pftche, de chasse et de brigan- dage. Nous ne faisons que toucher à Enzeli et par Recht, la passe de Karzan, Kazvin, nous gagnons Téhéran. C'est que nous trouvons le gros de nos bagages chez M. de Ballojr, qui nous offre la plus gracieuse hospitalité.

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Nous visitons liages, le vieux Yéramiac oîi se trouvent des mosquées superbes vouées à une destructioa inévitable, et dès que nous avons préparé notre caravane, obtenu les papiers indispensables, nous partons pour Mesched. Nous traversons Simuan, Ghahroud, Bostan, Sebzevar, Nicbapour, souvent nous faisons roule avec des bandes de pèlerins al- lant prier sur le tombeau de l'imam Hiza, à Mesched^ Dans le nombre ou compte beaucoup d'Arabes que les Persans exploitent de leur mieux. Nous assistons dans les caravan- sérails à des prières inénarrables. Nous restons à Mesched le temps de constater que nous ne pouvions pénétrer en Afghanistan, ni visiter le pays des Hazarùs, pour gagner Merv par le Kouchk etMourgab.

Nous nous en allons par la vallée du Kchef etla passe de Mazraa à Sarakhs.

C'est que nousfrancbissonsleTedjendaux flots de boue, et que nous nous trouvons pour la seconde fois sur le ter- ritoire de l'immense empire russe. La chaleur est torride; c'est en compagnie d'une grande soif que nous avons fait le chemin de Mesched h Sarakhs et que nous le poursuivons jusqu'à Merv à travers un désert encore plus pénible que le précédent. Nous visitons les vieux Merv, Askhabad, les ruines de Bagrlm, et, après avoir assisté le 14 juillet à l'inau- guration du chemin de fer à Merv, nous remercions le général Kamaroff, le général AnnenkolT dont vous savez l'œuvre étonnante, et nous parlons pour Tchardjoui, à travers un désert dont M. Cotleau a pu apprécier la nudité et l'horreur en le traversant eu chemin de 1er i'année suivante.

Notra iulenlion n'était pas de suivre cette direction, nous voulions entrer eu Aighanistan, soit du côté de Penjdeb, soit du côté de Maïmené, mais une mission scientifique russe ayant échoué de ce côté pour des raisons diploma- tiques, je crois, il nous fallut bien modifier nos plans et traverser le désert. Au puits de Ilepetek, nous avons con- staté 46" h lombri;, à 4- heures de l'après-midi 5 il est pro-

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474 VOYAGE DANS l'ASIE CENTRALE ET AU PAillH.

bable que durant notre sommeil le thermomètre a marqué davantage, car vous pensez bien que sous un cie! pareil on voyage surtout la nuit pour se reposer le jour. Depuis Mesched c'était notre manière de faire.

De Tchardjoui, nous avons gagné rapidement Bokbara, puis Samarcande. A Samarcande, nous avons pris un peu de repos et en même temps préparé notre voyage du côté de Balkh, enpays afghan. Nous avions pourprogrammo de visi- ter le Kafiristan et nous vouliunsatteindre ce pays par laroute la plus intéressante. Malheureusement la diplomatie euro- péenne était en éveil, la commission de délimitation était très occupée à délimiter, les populations de l'Amou Darya étaient inquiètes, et les Afghans étaient sur pied^ mis en défiance par les venues et les allées des Anglais et des Russes. Le moment n'était donc pas très favorable à une exploration de ce pays peu hospitalier en temps ordinaire. Mais nous avions une tâche tracée, un devoir à remplir, nous réso- lûmes de tenter l'aventure, malgré les avertissements de nos amis de Samarcande. A part notre Racbmcd, qui avait déjà parcouru avec nous une bonne partie de l'Asie cen- trale durant notre premier voyage, nous ne pûmes trouver un indigène qui voulût nous accompagner,el cependant nous offrions des salaires très considérables. Mais la seule pensée d'avoir à traverser l'Amou Darya décourageait les plus braves, et ils s'en allaient immédiatement, disant qu'ils se . souciaient peu d'avoir la ICte tranchée comme te! ou tel de leurs camarades, qui n'avait jamais repassé le fleuve.

Nous partons donc pour l'Afghanistan n'ayantqucnos deux fidèles Rachmed et Menas de Saraklis et des hommes loués pour quelque» jours, que nous remplacerons au fur et à mesure.

Nous traversons le Chahri'Sabz, Yakabag, et, par la passe de Sanguirdak de 14,000 pieds qui est assez difficile, nous tombons dans la vallée du Sourkhane, à Saridjoui. De Sarid- joui nous allons à Hissar, dont la vaste et pittoresque for-

VOYAGE DANS LASIE CENTUALE ET AU PAMIR. 4i&

teresse vient d'être abandonnée par le frère de l'émir du Bokhara. Elle était devenue le rendez-vous des raéconlenls et des partis.ins des vieilles idées. Selon la loi le maître du llissar étant l'aîné de la famille, avait droit au Irûne laissé vacant par la mort de Mozaffer-Eddiu, son père, mais celui-ci avait désigné pour successeur son second flls, d'une intelligence assea remarquable, paraîl-il. L'aîné avait tenté de fermenter un soulèvement : il avait cherché uu appui à l'extérieur, et tant qu'il avait compté qu'on l'aiderait, il avait fait ferme au\ envoyés de son frère qui l'engageaienl à se soumettre, à transiger.

Puis, tout espoir de lutter avec succès s'étant évanoui lors de l'éloigneraenl de la commission anglaise et certain que les Russes soutenaient le nouvel émir, il rendit les armes, dispersa ses partisans et s'enfuit à Baïssounne dans une forteresse assez piètre, il respire un air pur sous la surveillance des hommes de son frère.

Voilà pourquoi nous avons pu visiter de fond en comble la plusinléressante demeure féodale de l'Asie, parce qu'elle est la plus coinpièle. Nous n'en ferons pas la description. De Hissar nous atteignons la vallée du Kafirnagan,que nous suivons jusqu'au point la rivière se jette dans l'Aniou [Darya. Nous n'avons pas trouvé dans cette région intéres- sante les ruines importantes qu'on nous avait dit y exister.

Nous longeons ensuite le majestueux Amou, car il s'agit pour nous de passer en Afghanistan. De l'embouchure du Kafirnagan, nous apercevons au sud-est les cimes de l'Hin- dou Kouch^ qui se dresse comme une muraille entre les KâQrs et les gens de la plaine bactrienne.

Nous nous en éloijçuons à regret, mais il faut dépister les Afghans, qui ont des espions très nombreux dans le Bokhara, et qui savent bien que nous irons chez eux. Nous voudrions pouvoir pénétrer inopinément dans le pays, de sorte qu'on ne puisse nous arrÊlcr sur le seuil de la porte, et nous em- pêcher de prendre langue et d'entamer des iiégocialioos

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avec les autorités, au cas notre présence ne serait pas trop déplaisante. Les Bokhares nous dissuadent d'y aller sous couleur qu'il y va de noire vie, mais nous sommes tous d'accord qu'il faut voir et ne s'en pas laisser imposer par des récils terriQants. Nous allons donc donner quelques coups de pioche dans l'immense ruine de Terraiz, puis lais- . sanl la besogne commencée, après quelques rûsuUals signi- flcatifs, nous maichoQS rapidement vers Tchoucbka Gouzar. Nous contions nos bagages et nos collections à la garde d'un homme sûr, et nous passons le fleuve avec ce qu'il faut pour travailler, nous réservant défaire venir le reste de nos impedimenta si la roule est belle. Si les affaires tournaient mal, on devait faire parvenir notre avoir aux autorités russes et de en France.

Nous n'avons pas eu Taccasion d'assister à la triste sépa- ration d'Urphée et d'Eurydice, nous doutons pourtant que eu tendre époux ail eu une flgurc plus lamentable en voyant s'éloigner la barque de Caron, que les Bokhares, qui, de la rive, regardaient partir en leur disant adieu le mirza et les deux muletiers qui nous accompagnaient malgré eus. On eût dit que nous partions pour le royaume des ombres.

Nous étions accompagnés cependant par des gens, un peu de sac et de corde, mais les Afghans causent un tel cQ'roi aux indigènes de l'Asie, que la perspective de tomber dans leurs mains tcriifiait positivement nos recrues de la dernière heure.

Nous n'avons pas le temps de vous dire comment nous sommes arrêtés à quelques lieues de la rive, comment on nous garde à vue durant vingt-six jours, et comment fina- lement nous sommes relâchés sans grand inconvénient, gr&ce surtout à ce que l'on nous tienl pour des Russes.

Nous retournons alors à ïcrmis, nous faisons quelques fouilles, et lorsque l'hiver menace, nous remontons la vallée du Sourkhane et la quittons après avoir trouvé les traces d'un aqueduc en ruines, qui amenait autrefois l'eau et la vie à la

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grande ville de Termis, abandonnée depuis longtemps. Elle se reforme à PatLa-Kissar, n'existaient que quelques bulles il y a six ans et qui compte maintenant deux milliers d'habitants, peul-ÊLre plus.

Nous sommes rentrés à Sanaarcande par Baïssounne, le délilé de Tchaklcbak, Gouzar et Djame. Le 16 décembre nous étions à Samarcande. Nous nous reposions un peu de notre excursion de trois mois, quatid nous apprîmes l'arrivée du général Karalkoff, notre ancien hôte et notre ami. Nous lui contâmes nos déboires, nous lui confiâmes notre désir d'arriver aux Indes, et la conversation tomba iout naturelle- ment sur le Pamir, cette sorte de pôle Nord des voyageurs dans l'Asie centrale. On parla aussi de la route des Indes, la grande route qui traverse le Ferghanah, le Terek Davan, Kachgar, Yarkand, le Karakoroum Ladack ou Leh. C'est par que passent les caravanes venant de l'Indouslan; elles ne rencontrent pas de bleu grandes difficullés; les passes du Karakoroum sont libres, même en biver, et les autorités chinoises ne tracassent point les marchands outre mesure. Nous n'étions malheureusement pas assurés d'un bon accueil : notre qualité de Français n'aurait pas été une recommandation auprès du gouverneur de la Kachgarie. L'administrateur chinois nous aurait certainement fait bonne mine pour nous inviter à attendre patiemment les instructions qu'il aurait demandées à Pékin. Comme on ne fait encore usage, dans ce pays intéressant, ni du télé- graphe ni du téléphone, la réponse eut été sans doute reçue un peu tard,

Ajoutez à cela que la route de Kachgarie nous attirait moins que celle du Pamir, et vous comprendrez que, malgré les plus sinistres prédictions, nous ayions aban- donné la première pour nons risquer à travers les neiges du « Toit du monde ».

L«s personnes qui voulaient nous dissuader de tenter l'aventure, nous objeclaienlqup, l'énorme quantité déneige,

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la raréfaction de l'air, la faiblesse provenant de l'altitude, le froid excessif étaient des obstacles insurmontables, que nous courions à un échec certain, que si nous voulions aller jusqu'au bout, quand môme, c'était la mort assurée. El puis il y avait les Chinois, les Afghans, les tribus sau- vages de l'Hindou Kouch, du Yaguistan. D'autres nous conseillaient d'attendre l'été : les passes seraient alors libres et lo Pamir nous fournirait de Therbe, du combustible, des hommes. Deux personnes seulement pensaient qu'il fallait essayer, que peut-être nous réussirions, car on leur avait dit que le Kizil-Art n'était pas obstrué par la neige et que les hautes vallées n'étaient jamais impraticables. Mais ce n'était que des on-dit, pas un renseignement n'était sûr, et c'était précisément celte incerlilude qui contri- buait à nous faire voir l'avenir sous des couleurs riantes. En effet, si le bien qu'on nous prédisait n'était pas certain, le mal ne l'élall pas non plus.

Grâce à l'hiver, nous étions assurés de ne pas rencontrer grand monde là-haut : le froid polaire oblige à descendre dans la plaine les Kara Kirghis que les copieux pâturages attirent dansk vallée de l'Ak-Sou ou de l'Oxus, durant les mois de juillet et d'aoftt. Pour la môme raison, les Afghans n'auraient pas de poste à la frontière du Wakane, les lacs seraient gelés et l'on ne serait pas obligé de les contourner; les rivières pourraient, à l'occasion, nous ofl'rir une roule de glace très facile aux endroits les berges ne sont point hautes el ne retiennent pas la neige en amas considérables. Tels étaient les avantages qu'offrait une expédilion durant l'hiver, sans compter Tintérôl scienlilique qu'il y avait à savoir ce qu'était le Pamir en cette dure saison. Il s'agissait de dévoiler un mystère géographique : n'y avail-il pas de quoi nous tenter, de quoi nous faire fermer l'oreille aux dis- cours de ceux qui nous taxaieuL de folie? Il s'agissait aussi pour nous de la réalisation d'un rêve longuement caressé : d'arriver aux Indes par terre. Avouez que c'étaient des

VOYAGE DANS L'ASIE CENTHALE ET AI] PAMIU.

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raisons nécessaires et suffisantes pour que nous fussions au moins imprudents. Au reste, on n'est imprudent en voyage que lorsqu'on ne réussit pas, que lorsqu'on succombe comme Crevaux, comme Billel, comme tant d'autres. Or, nous voici parmi vous tous les trois.

Une fois ]a décision prise, après avoir rassemblé tous les renseignements susceptibles de nous éclairer, il nous restait à organiser l'expédition, et à choisir entre les passes qui devaient nous donner accès à la grande vallée de l'AIaï, puis au Pamir.

Nous ne vous exposerons pas ici le détail des objets indis- pensables à l'exéculiou de notre entreprise; ce serait une énumération peut-être fastidieuse à la longue. Nous avions à traverser un désert à la température du pôle, souvent plus haut que la cime du Mont Blanc, nous n'avions ni combustible, ni fourrage, ni abri, rien, rien que la neige et de fréquentes tempêtes en perspective, qu'on disait être épouvantables. 11 fallait s'armer contre ces difficultés et contre les quelques bandes de brigands kirghis, rebut des tribus de la plaine, que les vendettas qui les menacent obligent à se réfugier dans les vallées les mieux abrités, ainsi que font les bêtes méchantes chassées de partout.

Notre première préoccupation était de nous procurer du feu et nous avons rempli des bidons de pétrole, d'esprit de vin; acheté de l'amadou ; une incalculable quantité déboîtes d'allumelles; une plaque de tôle qui devait être l'àlre du foyer improvisé chaque soir, et nous permettrait d'obtenir plus vile que sur la neige, la llanimue brillante qui vous réjouit le cœur et fait chanter la marmite. Puis <ies bêches, d6s pioches, des haches^ du sucre, du thé, du mouton fumé, du poisson fumé, qui devait être notre grande res- source si la situation élant désespérée, il nous fallait tout abandonner et fuir. Alors, on preud les notes sur sa poi- trine, chacun fourre dans sa pelisse quelques livres de poisson fumé, et, ayant des vivres pour quelques jours, on

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VOYAGE I>ANS L ASIE CENTRALE ET kV PAHin.

s'en va on peut, avec une bonne provision de car- touches, le fusil au poing. Nous renouvelons égalemenl la pharmacie; on n'oublie pas les onguents utiles, en cas de gel d'un membre ou d'une ejtlréraité. On fait provision de clous et de t'ers pour les chevaux quand ils seront dans la montagne caillouteuse, et tout ce qu'il faut pour ferrer, et les piquets en fer pour la lente et la corde à laquelle on attache les chevaux, etc. A de grandes altitudes l'homme est sujet a des délaillances et nous avons acheté des abri- cols séchés, du millet grillé h l'avance : pour se réconforter on suce un abricot, on grignote une poignée de millet, et ' cela vous donne du jarret.

Nous devions rencontrer des êtres plus ou moins bienveil» V lants : nous avons acheté peureux quelques menus objets, des pièces d'étolTe de soie et de cotonnade et de ces riens qui plaisent aux sauvages des deux sexes sans oublier pour cela les arguments concluants, ceux dont usent les peuples quand les diplomates reconnaissent leur impuissance, j'en- tends de bons fusils de guerre, winchester berdane, des revolvers, pour nos iidèles qui avaient en outre leurs sabres et leurs couteaux.

Il importait d'être convenablement vêtu, c'esl-à-direl chaudement. Voici en quoi consistait noire harnachement qui nous faisait ressembler en mal à des mastodontes, h des animaux bizarres, aux membres gontlés, au corps étrange- ment boursouilé. C'était en bas, des valinki ou bottes en feutre double, garnis de cuir sur les coutures et au pied, là-dedans s'enfilait un bas de feutre souple de Kachgar montant plus haut que le genou; puis une culotte ouatée, et, par là-dessus, un vaste pantalon de cuir ayant un fond fantastique dans lequel entrait une première pelisse col- lante en mouton de Kachgar, à pans très longs, appelés bechinct. Sur cette pelisse on en mettait une autre nommée toidoup, très large, u. manches très amples et très longues mais très étroites du côté de la main qui s'y abrite du

VOYAGE DANS L ASIE CENTRALE ET AU PAMIR.

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froid et du vent. Sur la tête on avait d'abord un tépé, bonnet conique en peau t/e mouton, s'enfonçant plus bas que tes oreilles; puis une sorte de capuchon ajusté à la tête, tombant sur le cou et les épaules cl taillé de telle sorte par devant qu'on pouvait le croiser sur la figure de façon il cacher la bouche et le nez auxquels on s'intéresse toujours dans les climats froids. Les yeux étaient garantis par des lunettes bombées et bleues. Le tout était serré par la cein- ture oh 'pendait le revolver, et en bandoulière nous avions un fusil. Vous comprenez facilement que nous n'avions pas alors l'alldre pittoresque de nos preux chevaliers du temps jadis, et que l'on pouvait surtout nous comparer aux plon- geurs costumés du scaphandre élégant que vous avez sans doute vu prenant l'air sur la berge de la Seine.

Nous pourrions vous donner bien d'autres détails, mais nous n'avons pas un instant à perdre, car il nous arrive à Marguilane, nous faisons nos préparatifs, chez l'excellent général Karaikoff, une dépêche d'Osch, annonçant que la neige tombe sans interruption, que le chemin de Terek- Davan est à peine praticable et que les passes de l'Alaï sont fermées à partir d'Osch,

Pour arriver à !a haute vallée de l'Alaï, nous avions le choix entre trois passes : celle de Tengiz-Baï, de Touyoun- Mouroum à l'ouest d'Irkestame, et du Taldik, située à peu près au sud d'Osch et la plus proche de la passe deKizil-Art, la seule qui nous conduise aux hautes vallées du Pamir. A Marguilane, on nous conseillait de passer par le Tengiz- baï, mais il eût fallu huit jours de marche, au moins, dans la vallée de l'Alaï pour arriver au pied du Kizjl-Art, par Irkestame; c'était un détour et une perle de temps de dix jours, de quinze peut-être, sans compter la perspective de ti'ouver fermée la passe deTouyoun-Mouroum qui barre l'Alaï. Aussi je partis immédiatement pour Osch, accom- pagné du capitaine Grombtchefskî, afin de questionner les indigènes sur place, et de savoir si, en employant un

4.82 VOYAGE DANS L'ASIE CENTRALE ET AU PAMIR.

nombre d'hommes assez considérable, on ne pourrait pas nous transporter au delà du Taldik.

Après de nombreux conciliabules avec les khans kirghis, nous tombâmes enfin d'accord. C'élail affaire entendue, les khans rassembleraient des hommes, des chevaux à Ak Ba- joga; on nous piétinerait la route et tant bien que mal on porterait les bagages au bas du versant sud de la première chaîne de raonlagiies. Je prévins de suite mes compagnons de quitter Marguilane le plus vite possible, et d'achever les achats qui devaient être faits en ville. Aussitôt je discutai avec les khans et le capitaino Grombtchelski de ta durée probable du voyage, de façon à fréter notre caravane en conséquence. Je doublai le chiffre le plus élevé fixé par le khan le plus pessimiste, et sur cette base fut établie la quantité de vivres à emporter. Lorsque le poids de chaque chose fut calculé approximativement, on additionna, et, au moyen d'une division, on sut le nombre de chevaux in- dispensable.

On fit cuire du biscuit pour huit personnes et pour deux mois, on acheta de la graisse de mouton et de l'huile; on prépara de la viande bouillie une fois qu'on sala; on acheta vingt chevaux à Osch; seize furent munis de selles de bat et tous eurent des pièces de feutre pour les couvrir. Les chevaux prêts, nous partîmes le 6 mars pour Ak-Basoga, nous devions trouver notre provision de farine, d'orge, quelques moutons et les gens qui allaient travailler à notre passage des Alpes. Depuis près de quinze jours, la neige tombait sans interruption, et ce fut avec une certaine appréhension que nous nous dirigeAmessur le Taldik. Pour mon compte, je me posais souvent cette question : Allons- nous pouvoir passer? Les khans kirghis eux-mêmes étaient devenus moins alOrmatifs. Chemin faisant, nous avions appris qu'une caravane avait été anéantie par les avalanches dans le Terek Davane. Nous n'avions pas atteint sans peine Goultcha. et le jour de notre arrivée à Ak-Basnga, le

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VOYAGî; dans KASIE centrale et au PAMIR.

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i3 mars, le renl soufflait 1res fort, la neige tombait; si le vent ne cessait pas, tout travail était impossible. Le froid était déjà intense; il ne dégelait pas dans la journée à l'ombre; au soleil, le 13 mars, nous constations -[- 37° à, i heures de l'après-midi, 18° à 9 heures du soir. Et je me répétais fréquemment à moi-même : Pourrons-nous passer? pourrons-nous franchir le Taldik? Il importait, en effet, d'atteindre l'Alaï la neige, disait-on, ne serait pas trop profonde; de TÂlal on gagnerait le Pamir par la grande passe de Kizil-Art qu'on nous assurait ne devoir pas f^tre fermée par la neige. Une fois sur le Pamir, on irait de l'avant du côté du Kandjout, du côté des Indes, aussd loin qu'on pourrait, jusqu'à extinction de forces. Il fallait donc à tout prix arriver là-haut, sauf à s'en tirer de son mieux. Une fois à l'eau, on nage vers l'autre rive. Eh bien, notre crainte était de ne pas pouvoir nous jeter à Fean, c'est-à-dire sur le Toit du monde.

A Ak-Basoga, nous avait accompagnés le second du chef du district d'Osch, le brave capitaine Glouchanofski; d'ac- cord avec les khans, il rassembla environ deux cents indi- gènes, cavaliers et piétons, qui travaillèrent durant trois jours pour nous frayer un passage à travers la passe du Taldik. Le vent était tombé; le 14 mars il y avait eu 20° de froid, de sorte que le 15 mars au soir le khan Batir-Bey nous annonça que de suite on allait expédier en avant trente chevaux chargés de nos bagages, de nos provisions et de bois pour six ou sept jours. Nous devions partir le lende- main dès que la lune serait levée, avec vingt-quatre chevaux «Je selle ou non chargés, que conduisaient nos trois Kir- ghis : Sadik, le fameux Djigite, son aide Abdou-Raksoul, et un certain Satli-Koul, bandit assez illustre, transfuge du I*amir, il avait habité autrefois et commis plus d'un mé- fait. Il y avait en outre nos deux fidèles Menas et Rachmed. Je me laisserais facilement entraîner à vous conter en détail notre marche silencieuse au clair de lune, parce que nous

iSi VOYAGE DANS l'aSIE CENTRALE ET AU PAMIR.

voulions éviter des avalanches qui menaçaient, puis notre] ascension, nos chûtes, celles des chevaux, les peines inouïes que nous avons à repêcher les gens et les bêtes enfouies] dans les neiges, puis notre joie de nous voir, sur les huîtl heures du malin, en haut de la passe, ài,2f)0 mètres. Je me contenterai de vous dire qu'à partir d'Ak-Basoga jusqu'au] delà du Kizil-Art, nous allons supporter toutes les fatigues que vous pouvez imaginer. Je suis convaincu que, si la neige avait été aussi profonde sur le Pamir durant cinq jours! seulement, l'expédition eût fini misérablement. Je vais essayer] de vous dire l'emploi d'une ou deux de nos journées-

G'est le 17 mars; nous avons mis deux jours pour arriver] au seuil de l'Alaï; nous sommes campés dans une gorge bien abritée; le beau temps persiste: pas de vent. Hier, nous avons envoyé des Kirghis en avant pour constater si l'Alaï a aussi peu de neige qu'on nous l'avait annoncé et tous, 1 Sadik le premier, à mesure qu'ils reviennent, laissent! tomber ce mot turc que je ne crois pas oublier jamais : < Darabarf Barabar! » C'est la même chose, nous disent-ils, et ils secouent la tôle. Ils nous regardent fixement pour épier l'impression que nous fait la nouvelle et ils ont l'air do nous demander : (Ju'allez-vous décider? Ils espèrent sans doute que nous allons retourner sur nos pas. La nou- velle en effet est grave, car nous n'avons personne pour nous tracer plus loin la route, pour chercher ii tâtons les bonnes places. Une partie des Kirghis qui ont travaillé dans le Taîdik sont déjà retournés sur leurs pas; nous allons renvoyer les autres, ils sont très fatigués. Nous faisons un cadeau à leurs chefs, leur payons le complément de la somme dont nous avions avancé la moitié avant le départ, nous leur remettons un mot pour le géni^ralKaralkoET, et ils s'éloignent après nous avoir souhaité bon voyage. Je monte sur un rocher voisin de notre campement; d'en haut on domine les collines qui nous abritent et on aperçoit la chaîne de l'Alaï et du Transalaï. Je regarde, tout est blanc.

VOYAGE ltAi\S LASiE liKNTIlALK F.T AU l'AMIR.

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êbloaissanl, on a la sensalioa d'êlre dans un autre monde, d'être tombé dans uneplanèLe désolée. J'aperçois les collines de la vallée de l'Alaï enchevêtrées comme des boucliers blancs de guerriers, faisant la tortue au pied des cônes immenses et impassibles du Transalaï, ce second rempart du Pamir.

De quelque côlé que l'œil se dirige, tout est blanc, un linceul immaculé est développé sur celte nature sans vie, au calme cadavérique; on dirait une terre abandouoéedeses habitants partis pour un monde meilleur.

Demain nous nous enfoncerons dans cet inconnu^ dont les paysages morues semblent nous narguer tranquillement. Il nous reste une cinquantaine de chevaux avec une vingtaine d'hommes qui doivent allerjusqu'auPHmir,oùi!s déposeront nos bagages et nos provisions que nous chargerons sur tes vingt chevaux que nous réservons et dont tes cinq hommes qui constituent notre armée régulière s'occupent spéciale- ment. Nous avons eu deux journées terribles, on prévoit que celle de demain sera chaude —, c'est une manière de s'exprimer peu exacte, et chacun se dispose à la bataille. Beaucoup ont déjà les lèvres gercées, les yeux malades, les joues brûlées, ils se soignent à leur façon et prennent les mesures de précautions suivantes : sur les lèvres ils appli- quent une feuille d'une plante grasse qu'on recueille seule- iienl dans l'Ahu en été; ils se fabriquent des lunettes spéciales avec du crin emprunté à la crinière des chevaux; ils en engagent, sous leur bonnet de peau de mouton, Me touiïe qui retombe en broussaille devant leurs yeux, qu'elle garantit comme le font nos lunettes bleues; quant au2 joues, ils les barbouillent tout simplement de boue Is crottin entre pour une bonne part sans doute. Cette toi- '*lle donne k nos Kirghis naturellement peu jolis l'aspect •le diables ou de potiches à physionomie mogole, qu'on se ^rail ingénié à enlaidir. Nous voudrions pouvoir quitter noire campement demain int le lever du soleil, alinde prollter de la neige gelée qui

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VOYAGE DANS LASJE CKM'KALE KT AU PAMIR.

supportera alors facilement des bêtes peu chargées et des . hommes. Ce départ est impossible, car dans la nuit il y aurafl probablement comme hier environ 20 degrés de froid, les cordes gèleront et ne pourront être tordues avant que le _ soleil les ait déraidies. Les chevaux seront chargés a^ïsexf tard, nous atteindrons la vallée de l'Alaï quand il fera chaud déjà, et les difficultés seront grandes, peut-être insumionla- ble». Mais que faire?

Le 18 mai, nous parlons avec le vieux Sadik et deus| Kirghis très vigoureux, qui connaissent bien l'Alaï; Menas fait aussi partie de l'avant-garde. Abdou-Raskoul, llachmed et Satti Koul suivent avec nos vingt chevaux non chargés ; derrière viennent les trente chevaux de charge et le reste^ de la troupe.

Nous sortons assez facilement de la vallée du Taldik en' suivant la direction de la rivière qui nous porte sur sa glace- Nous voilà dans la vallée de l'Alaï, qui s'étend de l'ouest h l'est, et dont nos yeux fatigués ne distinguent pas la fin. Nous avons le plus grandiose ou tout au moins le pluS^Ï éblouissant des spectacles. Au nord c'est la barrière dej l'Alaï; au sud se dressent les picsKaull'mann (20,000 pieds) et du Kizil Aguil, émergeant du Transalaï; la neige couvre] tout à l'exception des rochers aux parois lisses qui ne lai retiennent pas. Il fuit un beau soleil, et la plaine qui s'étale ainsi qu'un tleuve entre deux berges colossales, est si écla- tante, si brûlante par l'elfet de la réverbération, que nous croyions marcher dans du soleil; et le ciel au-dessus de^ nos tôles était si terne en comparaison qu'on l'eût pris pour cette terre prosaïque. A nos pieds le scintillement est] tel, qu'on croirait voir couler de la lumière sablée d( étoiles qui n'eussent plus été à leur place là-haut, aprèsl avoir été réduites, je ne sais par quelle magie, en unej poussière de diamants, impalpable, aux reflets d'une vibra-' lion incessante et insupportable.

C'est dans ce rayonnemcnl de feu au soleil, de glace àj

VOYAGE DANS L'ASIE CENTRALE ET AU PAMIR. 487

l'ombre, qu'il nous faut avancer. Tant que nous longeons les contreforts de l'Alaï, tout ne va pas trop mal.

Il n'y a guère plus d'un mètre de neige, mais le moment acrive il faut absolument aller du nord au sud à travers la vallée pas le moindre sentier n'est visible bien en- tendu. Les Kirghis discutent un instant et nous décidons de nous diriger droit par la rivière de Kizil-Art, qui débouche dangl'Alaï, au pied delà passe menant au Pamir. On ira en tâtonnant, en cherchant les places la neige est le moins profonde, de façon que les chevaux chargés puissent s'en tirer.

Nous voilà dans la neige. Sadikva devant, se laissant gui- der par soii flair d'homme sauvage. Durant une demi-heure noQ8 avançons sans que les chevaux s'abattent. Puis, sou- dain, celui de Sadik enfonce; malgré l'habileté du cavalier, us efforts, ses coups de fouet, il ne peut se relever, ni se d%iger. Sadik lui-même est pris sous la bête couchée wr le flanc et haletante. On leur prête aide et les voilà tons les deux sur pied. C'est le commencement de la i^e de chutes et de culbutes des jours précédents. Sadik rt ses deux Kirghis vont désormais se relayer, prendre la tMe à tour de rôle. Le chef de file ôte la pelisse, la pose ^ son cheval qu'il tire par la bride et, de son long bâton, ildterche, à la façon d'un aveugle, il doit aller, et on IcniL Nous traçons des zigzags à l'inflni, qui allongent ^ucouple chemin, et nous ne nous rapprochons qu'insen- 'iblMûent du Transalaï qui cependant nous paraissait tout pfè!.Nous avançons tantôt de 20 mètres par minute, tantôt de 10, parfois sur une crête, de 60 mètres. Souvent nous 'OQUnes contraints de faire halte ; personne n'en peut plus, "018 sommes sans souffle, sans force, presque totalement 'Tïoglés, nous avons des maux de lête, des sufl'ocations : West étendu sur le dos à côté de son cheval sur le flanc ; |«n antre se repose debout, la tête appuyée sur la selle; I '*ioi-ci en retard, frappe à coups de fouet son pauvre ani-

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VOYAGE DAXS L ASIE CENTRALE ET AU PAMIR.

mal, à la queue duquel il se cramponne, comme un naufr; ^ à une amarre; on en voil qui saignent du nez, les chevaux eux-mêmes perdent du sang par les naseaux; ils ont aussi sur le corps des caillots rouges là. de petites veines éclatent. Un cheval a presque disparu dans un trou : on le hisse, on le traîne comme s'il était mort avec des cordes qu'on lui a glissé sous le ventre, et puis c'est une sangle qui rompt et il faut lu réparer. Un cheval de bat est-il tombé, on doit le décharger et ce n'est pas chose facile de desserrer les cordes qui raainiiennent sa charge; elles sont couvertes déglace et des mains placées sont inhabiles à résoudre uti nœud. On coupe les cordes, on remet le cheval sur pied, ei les coffres ou les ballots sont de nouveau mis en palan. Par- fois, c'est sur une certaine longueur qu'il faut les porter à dos d'homme, car, de quelque côté qu'on se tourne, la neige est profonde de 2 mètres : on y plonge en entier les bâtons plus hauts qu'un homme. Après avoir franchi c^H passes ditflciles on se repose. On cherche dans quelle direc™ tion louvoyer, car rien n'engage à aller dans un sens ou dans l'autre; la neige est sans vestiges, bien unie, nous aga<;.ant de sa masse vierge, molle et comme indifférente. Si, par hasard, un loup a laissé -sa (race, ou la suit aussï longtemps qu'on peut, ainsi qu'un fil d'Ariane dans ce labyrinthe, que nous dessinons nous-mêmes, comme u noyé se raccroche à un copeau. Puis, cette piste mène à un impasse, à un truu veux-je dire, et l'on patauge, on bal en retraite, on cherche el Onaleraent on va du côté du Ki»il*; Art; on se traîne; c'est une lutte sans trêve contre cetl* blanche poudre sans consistance. La caravane est sem^, sur la plaine comme les grains d'un chapelet dont le fil été rompu; les grains noirs se rassemblent un che' ou bien un homme ayant fait une chute, arrête la m de ceux qui suivent, jusqu'à ce qu'on repêche les naufi Cette lutte dure de 8 heures du matin à 4 heures 1/ du .'(oir, sans qu'on prenne de repos. faire halW

VOYAGE DANS L'ASIE CENTRALE ET AU PAMIR. 489

Nous allons jusqu'à extinction de force. En route, on mange un peu de pain, un abricot séché, du millet grillé, dont on prend une poignée qu'on grignotte, pour être soutenu jusqu'à ce qu'on arrive enfin au monticule sur lequel on campera. Avec les pelles on déblaye la neige, puis on étend les feutres, on dresse la tente, et on allume le feu avec l'esprit-de-vin pour préparer le thé de ceux qui sont là, et la bouillie de millet pour les affamés qui arriveront ensuite. Les chevaux sont mis à ban et les misérables bètes s'exténuent encore à creuser du pied la neige, afin d'atteindre la mauvaise herbe et les racines ensevelies plus bas. A la nuit seulement la caravane entière est réunie. Le disque d'or du soleil vient de glisser derrière les mon- tagnes du côté de la France, et nous attendons encore deux ou trois chevaux qui se traînent à portée de fusil. Vers sept heures tout le monde a mangé sa bouillie, bu le thé, les chevaux, qui ont dévoré leur musette d'orge, errent autour des trois petits tertres nous sommes campés, ou plutôt ils nagent autour des lies nous nous sommes réfugiés pour échapper à l'inondation qui nous enveloppe. La brise est du sud-sud-est, le Transalaî est nuageux au sommet, les pics ont leurs panaches, le firmament resplendit sur nos tètes, avec l'éclat d'un firmament qui n'aurait jamais servi, W qu'il sortit du chaos. La neige s'est éteinte en même temps que le soleil, et la voûte bleue paraît s'élancer plus haut que le ciel au-dessus de ce désert polaire nos trois petits feux clignotent, dernières étincelles de l'embra- sement de la journée. La terre me semble toute petite et je nous trouve infiniment petits. Aussi vais-je me coucher après avoir pris mes notes et constaté qu'à huit heures il fait 20 degrés de froid.

Le lendemain matin à 6 heures 1/2 le thermomètre ittarque 24 degrés. Nous nous contons les uns aux autres que nous avons mal dormi, que nous avions de temps à autre la sensation d'étouffer, que les couvertures nous pesaient,

4B0 voYAr.E DANS i/asie centrale et au pamu

que la tête nous fait mal, que les lèvres nous brûlent, que les yeux et les lèvres nous cuisent, bref, que les temps sont durs ; mais nous conlinuons.

Nous vous avons conté avec quelques détails la manière dont nous enaployons la journée du 18 mars. La journée du ii 19 a été pire. Nous avons marché dix heures, nos bêtes defl charge ne sont arrivées au campement que le 20 ait matin, et nous avons dormi dans notre costume de marche à la beUe étoile, à côté d'un troupeau de moutons et de chèvres cerné par l'hiver et dont les deux propriétaires mangeaient J chaque jour un peu, n'ayant pour tout ustensile qu'une café- tière, pour tout combustible que la crotte de leur troupeau, dont ils avaient fait un feu qu'ils entretenaient soigneuse- ment. Ils faisaient bouillir la viande dans l'eau et ia déchi- raient à belles dents, c'était leur seule nourriture; ils n'a- ^ valent ni sel, ni farine; le bouillon était leur boisson. fl

Ne vous étonnez donc pas que le soir de ce jour-là notre armée régulière ait tenu des conciliabules secrets avec les irréguliers et que Menas les ait entendus autour du feu dis- cuter un projet de retour immédiat. Aussi, le lendemain, fl au réveil, après que nous eûmes beaucoup ri de nos physio- «' nomies devenues comiques par l'enflure du nez, des joues ^ et des paupières, notre premier soin fut-iî d'annoncer qu'on I se reposerait ce jour-là, qu'on mangerait deux moutons du Kirghis de rencontre, mais que le lendemain on irait au Ki/.il-Art .sans manquer, sous peine de tètes cassées, h cora-< mencer par la tête de celui que nous appelions père Sadik. L'annonce du repos et du mouton à discrétion produisit un excellent elfet, et l'autre décision en produisit un d'un autre genre. Néanmoins, le 22 mars au soir, nous étions au sommet de la passe du Kizik\rt, qui n'était pas du tout praticable, aussi à mi-chemin le père Sadik me deraanda-l-il s'il fallait continuer. La vérité est qu'il y avait de quoi décou- rager ces pauvres diables ; ils ne saisissaient pas l'intérêt i

me entreprise qui leur paraissait purement insensée

icou- ktérêt M

VOYAGE DANS L ASIE CEXTHALE ET AU PAMIR,

491

lorsque je dis à Sadik : « Va toujours a, il porta la main à sa barbe avec 4a résignation d'un homme qui a fait abnéga- tion de sa vie.

Pendant six heures ce fut une véritable ascension; en tout nous avons marché dix heures et demie pour atteindre les crêtes à 5,000 mètres dominant la passe et d'où nous aperce- vons les cimes qui environnent le Kara-Koul perdu dans cet océan infini dont les vagues sont do pierre.

La pensée que nous avions le pied sur le Pamir nous eftt l'ait danser de joie si le poids de notre accoutrement nous l'eut permis. C'était en effet le commencement de la réalisation de notre rêve, mais ce n'en était que le commen- cemeat. T^ous devions craindre que le Pamir, lui aussi, ne Ml couvert d'une neige profonde, bien qu'on nous eût dit le contraire. Ne nous avait-on pas affirmé que ia traversée de l'Alal serait facile, que celle du Kizil-Art ne présentait ïucune difficulté? Rien de tout cela n'était vrai; qu'arivien- drait-il si, plus loin, nous constations encore qu'on nous avait induits en erreur.

Ni les hommes ni les animaux n'étaient capables de four- nir durant trois jours seulement une dépense de force aussi tonsidérable qu'auparavant. M. Pépin lui-même, malgré ses lunettes, ne voyait plus du tout, c'est vous dire dans quel *Ut étaient les Kirghis. Plus de la moitié d'entre eux étaient incapables de se diriger; quant aux chevaux, ils mettaient 'fi pied au hasard, ils n'avaient plus de vigueur. Ces sept journées terribles les avaient réduits h une faiblesse très grande. Les hommes malades étaient découragés, et le len- ileraain la moitié s'enfuyait, abandonnant l'orge et quel- ques bagages, à deux heures du lac Kara-Kuul nous élionsarrivés en huit heures et demie et sans trouver beaucoup •le neige, sauf k la petite passe qui le précède. C'est du reste *ttpied de celle petite passe quenousavonsretrouvénosba- gîges et une partie de notre orge le surlendemain 24 mars. Il nous en manquait mille livres environ, fait grave.

motion, V

4

,ASIK CEJtTHALi; KT AU PAMIH.

perle irréparable, l'orge étant à nos agents de locomotion à nos chevaux, ce qu'est le charbon à une machine.

Du Kara-Koul nous renvoyons huit Kirghis restés fidèles avec un mot pour le général KaralkofT, et nous poursuivons notre roule. Nous sommes huit avec vingt chevaux.

Le peu de temps que vous pouvez nousconsacrerm'oblige à abréger le récit des péripéties nombreuses qui retardèrent l'accomplissement de notre voyage.

Après avoir longé !e Kara-Kout gelé, cela va sans dire, noas avons traversé le lac de Mons-K.oul, puis suivi sur la glace la rivière du môme nom. C'est que le vent a com mencé à nous gêner très fort et le 28 mars nous étion assaillis dans les neiges de la passe du Kizil Djek, notn baromètre marq«aiL(>,000 mètres, par une tempête « étouf- fante n. Selon le mot lrf>s juste de Racbmed, le vent nou^^

« prenait à la gorgeetnous faisait venir l'Ame à la bouche »

Il cberchait à exprimer les angoisses de la suffocation dontrV~ nous souffrions, et l'on ne saurait mieux dire.

Nous avons trouvé beaucoup de neigejusqu'au Rang-Koul,^. nous avons campé le 30 mars. Le 31 mars au matin 1 mercure était gelé, dans la nuit il y avait eu W de froid^^^ sans doute. Nous sommes restés deux jours près du lai pour y faire paître nos bêtes. Nous avions trouvé un pe d'herbe de l'année d'avant et des Kirghis chinois, don*^ nous apercevions les tentes au sud-esl du lac. C'étaient le:*^* premières que nous rencontrions depuis quinze jours des:- désert. Nous étions contents de revoir de nos semblables et surtout de songer qu'ils pourraient nous louer quelques -^ uns de leurs chameaux et de leurs yaks, et nous vendre^ un de leurs moutons. Nous leurs offrîmes de l'argent er^ lingots et ils nous vendirent un mouton, mais en cachette ^^ car le chef de poste ne voulait pas qu'on nous vînt er» aide. Nous étions sur le territoire chinois. On voulut nou^ arrêter, on nous menaça, on fut insolent, et nous de- vînmes rusés. Nous fîmes prisonniers les deux chefs et

VOYAGE DANS L'aSIE CENTRALE ET AU PAMIR. 493

quelques hommes de leur suite; les ayant invités à un repas, nous les rossâmes, et le revolver au poing, nous nous emparâmes des bétes de somme que nous fîmes filer, après les avoir chargées, du côté de la vallée d'Ak-Sou. Nous ne relâ- châmes les prisonniers que le plus tard possible, afin de les empêcher de donner l'alarme. Nous voilà partis, réquisi- tionnant chaque fois que nous trouvions des campemeuts jusqu'à Ak-lach nous arrivons en marchant sur i'Oxus gelé à partir de Ak-Sou-Dala.

A Ak-tach, les Kirgbis sont en assez grand nombre pour pouvoir nous tenir tête, et nous ne pouvons pas réquisi- tionner. Va Afghan vient nous rendre visite, il est arrêté à Ak-tach depuis cinq jours, il a voulu traverser la passe de Tagharma en venant de Tach Kourgane. Il ignorait que la route fût aussi difficile de ce côté. Il a perdu quarante-cinq chevaux et il attend le beau temps pour continuer sa route du côté du Wakhane et du Badakchane. Il vit au milieu de ses ballots de toile et de haschich qu'il s'est procuré à Kachgar. Il nous demande un peu de thé et du sucre, nous lui en donnons ; il nous vend de la toile de Kachgar, qui est la monnaie courante dans ces régions. Nous étant reposés un jour, nous partons en suivant toujours la vallée de l'Ak-Sou ou de l'Osus.

Dans la nuit du 9 avril, notre seul guide s'est sauvé avec le meilleur cheval; il nous en reste douze. La neige est profonde, toutes les passes an sud sont fermées ; il neige fréquemment, nous avons souvent de la bourrasque, nous avons traversé par place des espèces de fondrières, puis de lacs sur la glace; la surface dégelant dans la journée, nous patau^ons dans une bouillie de neige sur un plancher très glissant. Dans la nuit il gelait. A cinq jours d'Ak-tach nous avons trouvé les campements d'Andamane. D'abord on nous a bien reçus, puis a eu lieu une réunion assez tumultueuse ; mes métaphores n'ayant pas produit d'effet, nous avons eu recours au revolver, et nous avons pu nous procurer des

49'i VOYAfiE DANS L'ASrE CEXTRAI.E ET Af PANIR.

bCtes de somme qui devaient aller jusqu'à la frontière afghane; les passes vers le Tag Dumbach Pamir étaient fermées en effet.

Nous avons quitté les sources de l'Oxus et la monotone vallée blanche le fleuve coulait sous la glace. La vallée se ferme ensuite et il nous faut souvent prendre par des hauteurs peu accessibles, suivre des sentiers tels qu'on doit décharger les chevaux. En deux journées 1res pénibles, nous sommes à Langar. Celte fois, il y a moins de neige, bien qu'il en tombe presque chaque nuit. Pour la première fois, de- puis un mois, nous apercevons une broussaille, et nous sommes heureux de voir que la nature daigne encore nous sourire.

Nos Kirghis veulent se sauver, nous les gardons à vue et ils entrent en pourparler avec des Wakbis, qui gardent des troupeaux de yaks. Nous en louons cinq qui porteront nos bagages jusqu'au Ranjout, par le chemin deTach Kouprouk. Une sorte de saint Julien l'hospitalier kirghis nous sert de guide. .\près trois jours de marche sur des pentes escarpées, dans la neige et sur la glace ou nous taillons des marches h coups de pioche, les Wakhis s'enfuient avec leurs yaks durant la nuit. Nous allons reconnaître la passe qui mène an Kanjout. Malheureusement Rachmed, notre saint et moi, sommessurpri» par une tempête épouvantable à 5,500 mètres; nous pouvons seuloraent constater qu'un glacier nous barre la route et que la neige est si profonde sur les flancs de la gorge bifurquant à nos pieds qu'il y a impossibilité d'aller plus loin. Nous voyons notre saint disparaître dans la neige; ap&rs avoir attendu plusieurs heures nous nous en retour- nons persuadés qu'il est perdu à jamais, mais cet homme intrépide nous rejoint à la nuit tombante. Celte journée a été très pénible. Nous abandonnons le peu de bagages qui nous reste et retournons à pied à Langar, nous sommes décidés à arrêter les passants et à les détrousser, car les vivres baissent; il ne nous reste que huit chevaux, nous n'avons

E DANS L'ASIE CENTRALE ET Al) PAMIR. -195

plus de sel et il faut tirer de peine le brave Menas qui est resté près des bagages avec des vivres, c'est-à-dire du millet et de la farine pour quelques jours.

Sur ce arrive, par la neige qui lourbillonne, une caravane. On court, c'est l'Afghan d 'A k-tach qui s'est remis en marche. Nous le recevons comme Noé a recevoir la colombe apportant le rameau d'olivier. Il nous apprend que des Chi- nois à grandequeue, venus de Tacli Kourgam, se sont misa nos trousses avec des Kirghis pour nous arrêter, et qu'ils ont renoncé à nous poursuivre qnand ils ont appris que nous étions sur le territoire afghan et bien armés. Le Père, envoyé en quftte de bi5te.s de somme et de vivres, revient avec deux moutons dépecés, un morceau de sel et la nouvelle que les Kirghis d'Andarnan qui nous ont bien reçus, sont en fuite et que lui-même va retourner prestement vers les siens et qu'il va se sauver du côLé du Pamir.

Disons à ce propos que les autochtones désignent sous le nom de Pamir ou mieux de Pamcurre la région de l'Ali- Ichour, pour eux tout le reste n'est pas le Pameurre. Mais les Wakhis, les Kachgaris, toutes les peuplades environnant le Toit du monde l'appelle Pamirre.

Nous louons à un prix exorbitant les cinq j'aks qui vont chercher le peu de bagages laissé à la fronliÈre de Kanjoul. En quatre jours ils vont et reviennent, la neige a fondu, la route est meilleure. Nous allons en cinq jours à Sarhad, par des sentiers comme un fil, mais que nous trouvons charmants, car nous sommes plus bas et souvent il n'y a pas de neige. Le 7 mai nous campons h Sarhad, dans un pré humide, il y a de l'herbe fraîche ; la neige tombe peu drue, c'est délicieux, on respire assez facilement; nous sommes à 1,100 pieds; mais, il y a toujours beaucoup de k mais » en voyage, il nous arrive une espèce de brigadier de gendarmerie afghan qui veut nous arrêter, après avoir défendu d'abord aux habitants de nous vendre des vivres. En cachette nous faisons acheter de la farine pour huit jours, et nous nous

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VOYAGE DANS L ASIE CENTRALE ET AU PAMIR.

sauvons après trois jours de repos, car nous avons apprii que du renfort arrive de Kila-Piindj. Les Afghans n'étaien i que huit et nous étions cinq décidés et sûmes gardes, il avaient demandé de i'aide.

J'ai oublié de dire que de Langar nous avions renvoyi notre brave Sadiit el le non moins brave Aldourajsoul ; il avaient autrefois pillé et même arr&té un chef wakhi, et ii^ auraient été mal reçus dans le pays nous pénétrions- Nous avons appris depuis qu'ils étaient arrivés dans 1^ Fer^hanah au mois de juillet. Les Chinois les avaient fait» prisonniers, mais nos hommes s'étaient évadés et on les avait recueillis dénués de tout, aux avant-postes russe» de rAlaï.

Donc nous voilà partis sans ^nide pour le Tchitral par le Barogui!. L'Afghan nous a conté la route qu'il connaissait- Nous avons marché huitjours, toujours à pied, depuis le» sources de l'Oxus nous n'avons que ce mode de locomotion, A et après mille peines, presque déchaux, ne nous nour- i rissantque de farine et dégraisse de mouton, nous sommes arrivés dans le Tchitral par le versant sud de l'Hindou- ■] Kouch. Il nous restait sept chevaux, nos instruments, nos armes el quelques pelisses. Des hommes armés nous entourent, nous menacent, nous disent qu'ils ne nous lais- seront pas avancer, parce que nous sommes Russes, ce que nous nions. Nous disons que nous sommes Faranguis. Sommes-nous Faranguis-lnglis? Nous sommes Faranguis, tel est le point sur lequel nous insistons. « Eh bien, dit le chef aux longs cheveux si vous êtes Faranguis, c'est-à-dirc Inglis, sont les roupies que vous allez nous donner? t Nous n'avions pas de roupies, et voilà pourquoi ils nous flrent quinauds, un .\nglais n'étant pour eux authentique que s'il distribue des roupies.

Nous parlementons, menaçons, discutons, nous nous fâ- chons, mais nous avançons, ce qui est l'important. A Mas- boud, halte le 24 mai, après quatre-vingts jours de marche

VOYAGE UANS L'âSIE CENTRALE ET AU PAMIR. 497

depuis Osch. C'est qu'on nous garde, du moins Rachmed et moi, qui passons quarante-neuf jours dans un marais puant, entre quatre murailles de pierres hautes de quelques milles pieds. Nous gardons les chevaux et les bagages, tandis que MM. Gapus et Pépin avec Manas sont à Tchitral en ambassade auprès du prince régnant Âmman-el-Moulk, qui veille sur eux avec une trop grande sollicitude. Nous étions pris pour la seconde fois. Nous faisons parvenir aux Indes un mot qui établit notre identité. Je conte notre lamentable situation : plus d'argent ni d'habits et peu de forces. Lord DutTerin s'intéresse à nous, il intervient, on nous relâcha le 6 juillet, après que nous étions restés presque deux mois dans le Tchitral. Nous nous dirigeons vers le Kachmir à marches forcées, car le gouvernement de l'Inde nous a fait parvenir de l'argent. Nous avons fort à faire pour traverser le Yaguistan, c'est-à-dire le Pounial et le Yassin. nous devons nous procurer des porteurs; les eaux sont hautes, les rivières ne sont plus guéables et il n'y a plus sur leurs rives les sentiers pour les bêtes de somme qui existaient du temps des eaux basses. Ce n'est pas sans batailler que je recrute les porteurs parmi ces tribus sauvages et indépen- dantes. J'arrive le 14 juillet à Gahgoucb, ainsi que Rach- med, avec nos quelques bagages. MM. Gapus et Pépin m'y rejoignent et nous marchons sur Kachmir sans regarder derrière nous, faisant chaque jour deux étapes que nous trouvons bien courtes. Enfin le 14 août nous étions à Kachmir, il ne nous restait pas un cheval. En compagnie de quatre compatriotes, MM. Dauvergne, Peychaud, BouUet, Fabre, nous avons bu à la santé de la France l'excellent vin de Bourgogne que M. Peychaud fabrique avec des plants de Bordeaux.

Puis nous avons gagné Rawal Pindi, après avoir garni notre garde-robe qui laissait à désirer. A Simla nous avons acheté des souliers, rendu visite à Son Excellence lordDuffe- rin, qui nous fit le plus bienveillant accueil ainsi que son en-

498 VOYAGE DANS L'ASIE CENTRALE ET AU PAMIR.

tourage, et le 1" septembre nous nous embarquions tous les cinq à Kurrachee à l'embouchure de l'Indus.

Un mot pour finir. Â Simla nous nous sommes trouvés en société d'officiers et de hauts fonctionnaires des Indes, qui s'intéressaient fort à notre voyage. L'un d'eux nous dit avant de nous quitter : « Je suis assuré que vos compatriotes seront fiers de vous et qu'ils vous couvriront d'honneurs. Je ne sais pas ce qui adviendra, lui répondis-je, ni si l'on sera très fier de nous. Quoi qu'il en soit, je puis assurer que nous avons agi de notre mieux en pensant à faire, autant que possible, honneur à notre pays,

PAMIR ET TCHITRAL

Giilllnliuic C.%PUS '

1

Parmi les pays qui entourent le Pamir, à l'ouesl et au sud, d'un chapelet d'Etals plus ou moins indépendants, plus ou moius petits, il en est dont nous ne savions même pas le nom il y a une vingtaine d'années. Aujourd'hui presque tousonl été entamés par l'itinéraire d'un voyageur d'Eu- rope, russe ou anglais, et nous savons qu'ils appartiennent, les uns à la c région > indienne, les autres à la bactrienne, ou Turkestan. Les populations qui les habitent sont vieilles, peu connues et méritent de l'être beaucoup. Ce sont de ces épaves ethniques que l'invasion de la plaine fertile par les conquérants forts, Mogols et Arabes, a repoussées dans les gorges difficiles et ftpres de pi us en plus élevées, la vie est plus dure, la terre moins fertile, mais la sûreté plus grande. Ces montagnards ; Wakhis, Kochis, Chouguis, Tchilralis, Kandjoutis, Yagiiaous, etc., ont gardé, de la sorte, pour nous un intérêt toul spécial, parce qu'ils ont conservé, avec leur croyance religieuse ancienne (ils sont chiites, tandis que ceux de la plaine sont sunnites) l'intégrité relative de leurs mœurs primitives et quelque peu de leur type an- thropologique.

Parmi ces pays, et c'est de celui-là que je voudrais vous entretenir plus spécialement ce soir, un des plus cu-

I. Communication adressée fila Soctélé dans s.« séauce géniSrale du 25 avril 1890. Voir la carte joiule à ce numéro.

500 PAMlll ET TCHITRAL.

deux csl le TchilraJ ou Tchatrar, qui gravite déjà dans la sphère, d'action de l'Inde. Il esi situé sur une des routes qui mèneat, de l'Imie, sur le Pamir, route dont sir Rawlinsoa disait qu'elle était la grand'route vers le Turkcstan. Et le Tchitral est si bien situé à cheval sur cette roule, d'ail- leurs Irùs difficile et peu fréquentée, qu'il la commande, en défend éuergiqueraent, ou permet, le passage et fait office de sentinelle avancée vers le Pamir.

Ce pays n'est pas grand : c'est un boyau de vallée long de 150 kilomèlres, avec quelques impasses; mais, quoique petite, la guérite de la sentinelle est si bien placée qu'il est très difficile de la contourner.

Au moment où, descendant peu à peu du Pamir, nous sui- vions, sans peuscr à mal, les rigoles qui drainent l'iiindou- kouch vers l'Indus, et lorsque nous crûmes le printemps venu et la rancune des iiabilanls du (t Toit du monde » apaisée, le roi du Tchitral nous retint prisonniers pen- dant quarante-cinq jours. 11 pensait que des étrangers dont il ne connaissait même pas le nom du pays, venus en hiver, de par le ». Toit du monde » sans but plausible, du moins à la portée de son eniendemenl, ne pouvaient être que des aven- turiers politiques espionnant ses Etals pour faire du mai aux Ingliz, ses amis. Nous n'étions pas assez riches pour acheter ce roi montagnard, quoiqu'il n'eût fallu pour cela que quelques mUliers de francs. Je ne regrette point, pour ma part, d'avoir été son hôte involontaire pendant si long- temps, puisque cela m'a permis de voir son pays et ses ad- ministrés de près et de vous dire rapidement ce que j'ai vu et vécu.

Mais avant de parcourir la vallée de Tchitral, je ne crois pas sans intérêt d'esquisser la géo-physique de cette formi- dable intumescence terrestre qu'on appelle improprement le plateau du Pamir et à laquelle on pourrait appliquer la majestueuse et pittoresque expression de Michelet parlant de la Matadetla : « engendrée dans les tortures d'un titauique

PAMÎR ET TCHITHAL. 501

enfantement ». Je ne fais qu'ouvrir une parenthèse, car mon Miupagnon de voyage, M. Bonvalot, vous a déjà entretenus brillamment de notre traversée du Pamir, et ce que j'aurai à en dire ne sera qu'un simple complément.

On sait que l'imagination plus ardente de ses voisins d'origine arienne a donné au Pamir le nom de Bam-i-dou- niah, c'est-à-dire « Toit du monde ». Pamir, Pâmer ou Pdmel est un mot sans acception bien définie, employé par lesKirghizes pour désigner d'une façon générale une région inculte, difficile, déserte. Aussi le tout orographique que nous connaissons sous le nom de Pamir, n'est-il point ainsi désigné par les Kirghizes qui connaissent quelques Pamirs distincts, surtout l'Alitchour, et désignent le restant par des noms locaux empruntés aux particularités des terrain, lac, rivière, montagne, etc.

Le Pamir, pour nous, est un noBud de montagnes d'une largeur méridiennale de iOO kilomètres à vol d'oiseau d'où semblent se détacher les chaînes les plus puissantes l'Asie: le Tbian-chân, le Kouen- iouen, le Karakoroum, l'Hi- malaya, l'Hindou-kouch. Car c'est ainsi raj'onnanles qu'ap- paraissent, sur une carte de l'Asie, ces gigantesques contre- forts du môte central pamirien qui a de tout temps opposé une barrière infranchissable aux grandes migrations des peuples, des conquérants, des idées et des civilisations. Jusqu'au commencement de ce siècle le Pamir a été une barrière, un obstacle résistant aux assauts des collectivités d'hommes; ce n'est qu'avec les progrès rapides des sciences géographiques et l'infiltration de plus en pins étendue de l'élément et de l'esprit européens autour de sa base que le Pamir a pu devenir un but, j'entends un but scientifique d'étude désintéressée. Déjà Titianus, dans l'antiquité, en sa- vait le chemin jalousement obscurci; Hiouen Thsang, le pé- jerin bouddhiste, en 668, traversa les monts Tsoung-ling et lePomilo pour aller chercher la loi du Bouddha dans l'Inde; Marco Polo, l'Hérodote du moyen âge, croisa le Pamir en

soc. DE GÉOGR. 4* TBIMESTRE 1890. XI. 33

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t'AMlR ET TCniTHAL.

1271 avec Nicolo et Mafleo, son père et son oncle, afin d gagner la résidence du puissant et intelligenlKoublaïKaane; puis Benoît Go&z, poussé, comme îliauenThsang, par un zèle religieux fervent, lit, en 1603, un voyage mu! recOQ-_ stitué par la région qu'il appelle Sar-i-Panil.

Lorsqu'on 1838 le capitaine Wood escalada, premier pionnier de la science positive des faits à enregistrer et à comparer, les pentes difficiles du « Toit du monde », on pouvait dire qu'il entreprit la découverte d*une terra in-iM cof/nUa.LQ i^ février 1838, jour de l'avènement au Irône de Sa gracieuse Majesté la reine d'Angleterre, il découvrit j le lac Sar-i-KouI, auquel, en l'honneur de ce fait historique,^! il donna le nom de lac Victoria. Uuedesprincipalessources de rOxus était découverte.

Depuis lors les Anglais d'un côté, les Russes de l'autre, sont montés victorieusement à l'assaut du Pamir mystérieux, fl En ISîOHayward paya de sa vie une lenlative pour l'at- teindre par le Yassine. Trois ans plus lard la mission de sir Douglas Forsyth, avec MM. Biddulph, Gordon, Trotter, Sto- liczka, Chapman et quelques Pundits savants de l'Inde, visita toute la partie méridionale du Pamir. Cette expédition eut un plein succès. Ensuite le Grec D' Potagos y vint du Badak- chane pourallerenKachgarie, et plus récemment MM. Ney plias, Carey, colonel Lockardt, Barrow, Woodhorpe, enont parcouru difiërentes parties. Il y a quelques mois, un Fran- çais, M. Dauvergne de Cacbemire, y fit un des plus beaux et des plus hardis voyages qu'on puisse faire en Asie cen- trale.

Du côté du Turkestan russe, nous voyons, dès 1871, Fed- chenko et Mme Olga Fedchenko s'avancer jusque sur l'Alaï et découvrir la belle chaîne du Trans-Alaï. Puis, en 1876, Skobelelfy mena ses vaillantes troupes pendant que le co- lonel Kastieuko poussa jusqu'au delà du lac Grand-Kara- koul, MM. Mouchkétow et Ssévertzow, Kouchakiévitch, §Qh^'aflz, .Sl^fli^ow, Scassi, étudièrent en 1877 et 1878

PAMin ET TCniTRAL. 503

la région alaïenne et transalaïenne avec beaucoup de succès etl'expédilion de Ssévertzow pénélra jusqu'au petit Kara- koul, d'un cùté, et à l'Alitchour, de l'autre. MM. Maïew, Regel, Ochanine et Neviévskiy explorèrent en même lemps les régions prépamiriennes occidentales. Peu à peu le mys- lérieux Pamir sortit des nuages, et lorsqu'enl883 la grande expédition de MM. Poutiata, Ivanmv et Benderskiy l'eut parcouru dans presque tous les sens, multiplia les itiné- raires et opéré la jonction des tracés russes et anglais, on Jiuldire que pas un cours d'eau important, pas une chaîne considérable ni un pic éminenl n'avaient échappé à. la vue des explorateurs.

Le gros de l'œuvre géographique était fait, le cadre tracé; l'étude détaillée avait des points de repère solides et pou- vait dès lors devenir plus intensive. Tel était l'état de no-s connaissances lorsqu'au commencement de 1887 nous ré- solilroes d'aborder le grand massif en hiver.

Vous savez les beaux voyages que, depuis, le capitaine Grombchevskiy et MM. Groum-Grjimaïlo ont l'ails jus- qu'aux frontières les plus reculées du Pamir. Je rae plais à ajouter à ceUe liste de voyageurs du Pamir les noms de nos compatriotes MM. Hidgway, O'Connor et do Breleuil qui ont traversé le Trans-Alal à deux reprises et rapporté de leur expédition cynégétique de belles et raves colieclions.

Le Pamir n'a donc plus de grands secrets; et si je viens vous en parler ici, ce n'osi pas pour mettre en relief quelque grande découverte, mais pour résumer l'état actuel de nos connaissances et esquisser une vue d'ensemble sur une de ces contrées du globe qui méritent au plus haulpointnotre altenlioQ.

On dit couramment le plateau du Pamir. Or, le « Toit du monde » n'est pas un plateau dans le sens de montagne éle- vée étendue en plaine. C'est plutôt, en allant du nord au sud et à partir de la chaîne de l'Alaï jusqu'il celle de l'Hindou- kouch, une succession de hautes vallées dont le thalweg

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atteint en moyenne 12,500 pieds d'altitude. Ces vallées sont séparées par des chaînes, simples la plupart, dont les pics les plus élevés tels que le Gouroumdi et le pie Raudmann (Trans-Alaï) atteignent 23,000 et 23,000 pieds. La pointe la plus élevée de ce formidable soulèvement pamirien, le Ta- garma ou Moustag-ala, se dresse à 26,800 pieds d'altitude au-dessus du niveau de la mer. Ce géant qui domine à la fois l'immense dépression du Gobi et le Toit du monde dont il est comme la flèche naturelle, n'est dépassé en hauteur que par le Dapsang et le Gawrisankar de l'Himalaya.

Si on jette les yeux sur une carte du Pamir, on voit que les chaînes les plus régulières et le^ plus élevées se trouvent être des chaînes bordières du système orographique: l'Alaï et le Trans-Alaïau nord et l*Hindou-kouch ausnd. On voit également qu'entre ces deux lignes extrêmes les chaînes intermédiaires suivent en général la même direction prédo-'l rainante tt que les grandes lignes transversales viennent s'interposer principalement dans la partie orientale, dans le voisinage du Tagarma. Ce n'est que dans cette dernière partie que les vallées longues suivent une direction plus ou-fl moins méridiennale tandis que dans la partie occidentale, elles se dirigent vers le sud-ouest, en se rétrécissant cousi- dérablement avant de déboucher dans la grande plaine d&M laBactrianc, leur aboutissant commun. La limite des eaax est ainsi reportée beaucoup plus près de la dépression du Gobi que de celle de la Baclriane, et cette limite est sensi blement située sur une ligne idéale partant, dans une' direction sud-est, du Bach-Alaï pour aboutir au petit Pamir, près d'Ak-lach.

En résumé, le Pamir divise les eaux du Tarim et de rOxus et ne paye point tribut h l'Indus : car aucun de ses cours d'eau ne traverse la chaîne de l'Hindou-kouch. C'est également sur le trajet de cette ligne de démarcation des eaux qu'on trouve quelques petits bassins fermés, comme celui du grand Kara-koul, bassins qui, autrefois, se déver-

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saieiit daas les affluents du Tarim après avoir recueittt une partie de ses eaux initiales.

L'Oxus ou Amou-datia à l'ouest et le Tarirn à l'esf re- présentent ainsi les deux grandes gouttières qui drainent les eaux du Toit du monde; mais c'est surtout le premier de ces fleuves qui couvre du chevelu de ses anastomoses le sol aîare des Pamirs, réservant ses trésors de fertilité à la plaine, oii ses eaux, arrivées à maturilé, fécondent les allu- vioQs descendus de la montague à l'époque les grands courants ravinèrent le Pamir et sculptèrent, à leur forme actuelle, le fond des vallées.

La pente de ces vallées étant relativement très faible, la limite des eaux est souvent très peu accusée et les cours d'eau forment de nombreux lacs. Ces varices du système hy- drographique pcuventn'ôlrcque temporaires, eommecelaso ïoildansla vallée de l'Ak-sou, par exemple ;d'autresj comme leSarikol etie Tchilâb, forment, on un grand lac régulateur, ou un lac initial. Enfln quelques uappeti d'eau, comme celle du grandKara-kouljSontles résidus d'anciens lacsbeaucoup plus étendus et défluenls qu'un manque de compensation à l'éva poration a réduits à leurs dimensions restreintes actuelles, sans que, du reste, l'équilibre soit atteint. A l'inspection de différentes dépressions et vallées tles Pamirs on arrive en- coreà la conclusion qu'à une époque géologique précédente et relativement rapprochée, ces dépressions et vallées for- maient le fond de lacs très étendus, aujourd'hui vidés, mais ayant laissé des traces de leur existence sous forme de ter- rasses nellement accusées. Je ne puis songer ici à entrer dans ledétaildeces questions, quelque intéressantes qu'elles soient ou nie paraissent.

Rien n'est plus triste que l'aspect de ces paysages la nature semble morte dans la désolation finale et le vide. Ce vide est tellement poignant, l'immobilité tellement pesante, que la conception de « l'inéluctable > envahit l'esprit avec une force de mysticisme incounu. Alors le mouvement d'une

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herbe sèche ou le vol d'un oiseau, d'un nuage, la niélopée de la bise soufflant dans le canon du fusil pendu au dos, deviennent choses de l'humanité. M

Ecoutons Woodau bord du lac Sir-i-Kol qu'il vient de dé- couvrir : <i Partout le regard ne rencontre qu'un lapis étin- celant déneige, landisque le ciel apparaît comme une masse noire et menaçante. Rien ne repose les yeux, pas môilae un nuage. Pas un soufile ne se fait sentir à la surface du lac. Aucun être vivant, pas même un oiseau, n'est visible. Le son de la voix humaine aurait semblé une musique à l'oreille ; mais dans cette saison inhospitalière personne ne pense à s'aventurer dans celte contrée de glace. Le silence règne aux alentours, un silence si profond qu'il opprime le cœur. Et comme je contemplais les morues sommets de ces mon- tagnes que jamais le pied d'un homme n'avait arpentées, se sont accumulées les neiges des temps passés, l'image de ma chère patrie m'apparut comme une vision sereine. » Et plus loin : « Les hommes, habitants des cités populeuses, ont beau parler des délices de la solitude; qu'ils viennent passer seulement vingt-quatre heures sur les bords du Sir-i-Kol, et ce séjour fera plus pour les rendre contents de leur sort que mille arguments. Le vrai milieu de l'homme est la société... »

Quelques-uns de ces lacs ont leurs légendes ; mais ce ne sont point des légendes riantes ni sentimentales d'ondines, de naïades ou de sirènes, car le Kirghize du Pamir n'a pas l'ima- gination exubérante, et les Loreley et les Mélusine gèleraient sur le Pamir ou mourraient d'ennui. Ce sont les lamenta- M tiens des êtres humains et les plaintes des bêtes, agonisant, qu'on entend souvent sur les bords du lac Yachii-koul de- puis que les Kachgaris et les Khodjas, fuyant devant l'inva- sion chinoise, ont préféré se noyer dans le lac avec leurs femmes, leurs enfants et leurs chevaux, que de tomber aux mains de leurs persécuteurs. Ce sont les dragons de Hiouen- Thsang qui habitent les antres profonds du Itang ou du Kara-koul et font mourir de malemorl l'audacieux mortel

PAMIR ET TCHITRAL. 507

qui tente de ravir le trésor qu'ils gardent d'un soin jaloux. C'est Macfaref, le mauvais génie de l'Âlaï, qui renverse la marmite et fait périr de faim le malheureux voyageur.

Ces antres pourraient se loger des dragons n'existent pas, géologiquement parlant, et j'en prends prétexte pour dire que je ne connais aucune grotte naturelle sur les Pamirs. Ce sont tout au plus des rochers surplombant qui donnent on insufOsant abri temporaire à de misérables bergers kir- ghizes. L'ossature géologique desPamirs est faite de roches priinaires, schistes quartzitiques pour la plupart, avec des afSeorements de schistes métamorphiques ou de roches éraptives relativement rares. A ces couches primaires s'adossent des terrains secondaires, représentés surtout pai des grès rouges, et enfin des dépôts quaternaires très carac- téristiques sous forme de conglomérats adossés aux flancs des montagnes, et de ce terrain argilo-sablonneux si répandu en Asie centrale qu'on appelle le loess. La répartition de ces con- glomérats, terrains de transport violent, et la position des couches de loess démontrent clairement que celui-ci est à une action neptunienne; on peut même assister en quelque sorte à la formation, actuelle encore, de ce dernier terrain sur le modèle, sans doute, de ce qui s'est passé à l'époque plus lointaine la calotte glaciaire qui avait envahi les vallées longues du Pamir fondait à la chaleur d'un soleil moins éloigné. C'est dire en même temps que le& traces de mo- raines anciennes existent sur les Pamirs, et il me parait même très probable que les élévations de terrains formant aujour- d'hui des limites d'eau si peu accusées sur le Petit Pamir et sur l'Âlaï, ne sont que les restes d'anciennes moraines ainsi que le soupçonnait déjà Gordon.

Mais si les vrais glaciers furent étendus et abondants au- trefois, il n'en est plus de même aujourd'hui : les Pamirs sont très pauvres en glaciers de transport proprement dits, qui n'apparaissent qu'au contact de la chaîne de l'Hindou- kouch dans la partie sud-ouest, sans, du reste, atteindre les

5(tS rAîHEl ET TCKITRAL.

dimensions grandioses de leurs voisins du bassin de l'Indus Cependant la forme des contreforts et des vallées latérales est très propice à leur formation et h leur marche, et leur absence doit Être attribuée à la quantité moindre des mé- téores aqueux et au régime climatérique particulier du Pamir, qui est excessif et fait que la limite des neiges éter- nelles est très élevée. Cette limite atteint en effet 15,000 pieds sur les pentes exposées au nord et jusqu'à 18,000 pieds et même 18,500 pieds sur celles qui regardent le sud. Aussi presque toutes les passes, fermées ou difficiles en hiver, sont-elles libres de neige en été. Ces passes sont relativement faciles à traverser; beaucoup d'entre elles ne sont que des ensellements en pente douce, ce que les Kirghizes désignent du nom spécial de bel (Ûuz-bel, Béïk-bel, etc.), réservant le noox de art (Kizil-art, Kara-art) à la passe rocailleuse et plus pénible, et celui de davane (Taldyk-davane, Terck- davane) à la grande passe traversant unecbaînede premier ordre et demandant le plus souvent l'etfort d'une ou de plusieurs journées. Il est un autre fait géologique intéres- sant : c'est le transport éolien de fortes quantités de sable provenant des dépôts de rivière ou de la décomposition des roches. Ces sables, chassés par te veut régulier dans l'élroil couloir de quelques vallées longues, s'accumulent en dunes (baiichanes) de pins en plus élevées qui s'avancent d'une marche lente et sîire sous la poussée incessante de la brise ou de la tempôte ou, s'entassant les unes sur les autres, s'accouplant ou se dédoublant, montent à l'assaut des pentes et des flancs de montagnes à des centaines de mè- tres de hauteur. Telles on les voit, dans les vallées de Chat- pout et de Kocbaguil, donner un aspect fantastique au paysage et reproduire, à l'origine de l'Oxus, les mêmes phénomènes géologiques qu'on observe dans son cours infé- rieur, à Tchardjoui et dans le Khiva.

Ou n'avait, avant notre voyage, que des données précaires sur la météorologie du Pamir eu hiver, et ces d

PAMia ET TCHITRiVL.

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nées reposaient eu majeure partie sur le dire des indigènes. Les chiffres et les observations que nous pouvions récolter nous semblèrent donc avoir une certaine valeur, non moins que les autres documents d'ordre géo-physique à recueillir à celte époque de l'année; car on ne s'aventure pas dans les neiges du Pamir pour la peu fructueuse satisfaction person- nelle de ne pas y être resté et de vous le raconter ensuite. 1^ caractéristique de ce climat est une forte amplitude des températures à l'ombre et au soleil, du jour h la nuit et de i'élé à l'hiver. En été, le thermomètre monte souvent jus- qu'à 75" G. au soleil et descend en hiver, pendant la nuit, jusqu'à 50" C. au-dessous du zéro, ce qui fait une différence de 125 degrés.

Nous n'avons constaté de visu que 44" G. au-dessous

de zéro dans la nuit du 31 mars, aux bords du Rang-

koul, mais il est certain que ce chiffre n'est pas le minimum

de l'année. La température tombe très rapidement après le

coucher du soleil et se relève, de môme, très vite au soleil.

Dans la même journée, l'écart entre la température au

soleil et à l'ombre est géuératenient considérable. Souvent

nous l'avons vu atteindre 20° G., c'est-à-dire C. à

l'ombre et -{- ib" C. au soleil.

Un filet d'eau de neige, fondue au soleil et au contact d'un objet de coloration foncée, regèle sans tarder à i'ombrede ce même objet. Que de fois, étant à cheval, pour ne pas geler de la moitié du corps à l'ombre, nous sommes-nous retournés pour avoir une plus agréable répartition du calo- rique céleste!

Les courbes thermomélriques sont donc 1res irrégulières, el si on voulait juger du climat des Pamirs par des moyennes, on arriverait à des idées fausses. Aussi la répartition des saisons n'est-elle nullement comparable îi celle des pays situés sous les mêmes latitudes. Sur le Pamir, l'hiver ne dure pas moins de sept mois, et Télé sans gelées nocturnes, h peine de deux ou trois semaines. C'est dire qu'il n'y pleut près-

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510 PAMIR KT TCIIITRAL.

que jamais, mais que les précipités se font surtout sous forme de neige ou de grSle; cependant ces quantités de météores aqueux sont bien moins consif^érabies qu'on ne pourrait le croire, et les Pamirs sont moins chargés de neiîJje que les régions prépamiriennes, telles que l'Alaï par exemple. Cette iuégale répartition ressort visiblement d'une carte spéciale que j'ai dressée à cet effet, en y marquant les observations recueillies journellement et sur lesquelles j'aurai l'occasion y de revenir dans un travail spécial. fl

J'ajouterai seulement que le régime des vents est assez régulier en certaines vallées longues, comme celle d'Ak-tach par exemple, oii le vent du printemps, remontant la gorge étroite du Wakhane, sous le nom de Bad-i-Wakbane (Gordon), souffle avec une force et une régularité parfois très gênantes. II en est de même sur l'Alaï. Ailleurs, les impasses, les enchevêtrements de chaînes, les promontoires, M déterminent un certain nombre de points critiques oîi le régime des courants d'air devient local et très changeant, suivant l'échaulfement irrégulier des couches d'air dans un rayon de peu d'étendue.

On observe encore sur les Pamirs im fait constaté souvent ailleurs, à savoir que les grands froids qui font congeler le naercuresont accompagnés d'accalmies; el il est fort heu- reux qu'il en soit ainsi, car on sait qu'un froid moyen de 20 C. au-dessous de zéro, avec une bise, est plus sensible qu'un froid de 30" C. sans vent. On se demande alors com- ment non seulement l'homme, mais encore les grands mammifères, mieux hiibilléselacclimatés que lui, pourraient résister à ces températures inférieures à celles du cercle polaire et aggravées par les effets déprimants de l'altitude, lorsque l'oxygène se fait plus rare et le coeflicient des mou- vements musculaires plus élevé.

Je crois cependant que cette aggravation est mitigée dans une certaine mesure par une réaction physiologique qui s'opère dans la répartition du sang dans le corps. Cette

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répartition est troublée par les effets de l'altitude, sur- tout la diminution de pression atmosphérique, elle trouble se manifeste par des vertiges, bourdonnements dans les oreilles, céphalalgie et hyperémie de la peau. Cet afflux de sang vers la périphérie apparaissait surtout chez nos che-

[Taux, peinant sous leur charge dans la neige et à la montée des passes. Tous avaient k robe marbrée de filets de sang figé, échappé des veines superlicielles crevées sous l'elTort- Or, le sang étant le grand réservoir de chaleur, la déperdition du calorique à la surface du corps et dans les poumons abaisse bien la température générale moyenne du corps, taais arrive beaucoup moins rapidement aux effets funestes «le l'algidité centripète. Nous avons géuéralement laissé au soleil le soin de nous réchauffer, sans jamais avoir recours à la ctidleur factice de l'alcool. J'attrape des rhumes àParisot je n'en avais point sur le Pamir.

Les effets de l'altitude, sur lesquels on a déjà tant écrit, jenousontpas présenté lesdifliijiultés auxquelles on s'alten- il. Personne n'en a été incommodé au delà d'un malaise ssager. Le nombre des pulsations et des mouvements spiratoires était accru ; j'ai compté sur moi un maximum de 180 pulsations et de 5t> mouvements respiraloiics par minute à la montée très pénible de la passe de Kizil-Art; mais si les effets de Taltitude joints à la pénurie de nourri- ture sont devenus néfastes à nos chevaux, les hommes ont marqué une tendance à l'adaptation à. ces effets, et je partage l'avis de Jacquemont, qui estime qu'en dehors de la prédis- position individuelle et anormale, le mal de montagne accuse comme première cause la fatigue musculaire*.

M. ViauU vient de trouver que le sang des montagnards de grande altitude est plus riche en globules rouges.

Enfin, pour terminer celte rapide esquisse des conditions géo-physiques que le voyageur rencontre sur les Pamirs,

I Voir pour plus de détails : C. Capus, Efl'ets de l'altitade sur lue hauU plateaux (7)ev»e tcitnlifiiiut, 25, 1889).

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512 PAMIR ET tchithal.

nous constatons que, rareonent, il lui est donné d'admirer une atmosphère aussi cristallinement transparente que celle du « Toit du monde », lorsque le ciel voilé ne couve pas la tempête de la nuit ou que la brume opaline n'entoure la lune d'un halo qui l'emprisonne dans un grand cercle lai- teux. Alors tous les astres brillent d'un éclat inconnu et dar- dent des rayons tellement longs, qu'ils paraissent jaillir de l'œil du spectateur. La lune elle-jnÊme semble chauirer la terre de son éclat d'emprunt et accuser à la surface de la planète les ombres fortes de ses cratères éteints. Ce sont de ces nuits vides de son et remplies de a pâle clarté y> que n'ou- blie aucun de ceuxquiles ont contemplées. Au jour, le soleil lance ses rayons à travers une atmosphère faiblement char- gée de vapeur d'eau, allume, en glissant sur la neige, des milliards de feux sur les crislaux de glace et vient, en fil- trant à travers le poil des pelisses impuissantes et par le bord des lunettes, irriter les yeux et crevasser la peau.

Dans ce climat excessif vivent, été comme hiver, mal- gré les froids, les tempêtes et la raréfaction de l'air, des ani- maux, des planLes, constituant une faune et une flore beau- coup plus riches qu'on ne l'aurait supposé a prton*. Leplus important représentant de cette fiiune, primus inter pares , est l'homme. DeTAlaï au Wakhane et au Kandjout, les Pa- rairs se couvrent en été d'une savoureuse et ondoyante couverture de pacages dont Marco Polo déjà nous vante les qualités, en disant qu' « une maigre jumenty deviendrait bien grasse en dix jours ». Alors de toutes parts affluent, des vallées basses, au fur et à mesure que les neiges fondent sur les hauteurs de phis en plus élevées, les Kirghizes avec leurs troupeaux d'animaux domesliques.Ils plantent leurs tentes m et leurs foyers et restent jusqu'à ce que les pâturages soient épuisés ou que les neiges de l'hiver les forcent à la retraite.

Ceux qui le peuvent reprennent le chemin de leurs cam- pements d'hiver des basses altitudes cl des vallées couvertes et plus chaudes. Les autres^ soit habitude héréditaire, soil

PAMIR ET TCniTRAL. 513

force des circonstances, restent et forment la population hivernale du Pamir. Car le « Toit du monde » constitue pour beaucoup d'entre eux une sorte de refugium peccatù' rum, de best' naturel où, poursuivis par la vengeance de leurs semblables pour un crime tombant sous la loi de la vendetta, insoumis aux lois de leur pays ou réfugiés poli- tiques après avoir été révotlés malheureux, ils vivent une vie raisérable ou font le métier d'écuraeur des Pamirs en jouissant d'une liberté de fauves. Des Kachgariens, des Wa- Ihis, des Kirghizesdu Fergana, mèine des Afghans sont ainsi Tenus se réfugier sur les l*amirs, les Chinois de Karhgar ne les inquiètent pas pourvu qu'ils payent l'impôt et les aident à empêcher les voyageurs scientiflques, par exemple, Je poursuivre leur roule.

Quant aux réfugiés politiques, c'est Abdoullah qui, après avoir mené une campagne malheureuse contre les troupes <le Skobeleir marchant sur l'Alaï, vécut pendant quelque temps sur le Pamir, puis s'en alla mourir ;\ Caboul il avait vainement demandé à Chir-Ali d'embrasser sa cause. C'est encore Sadjk, c'est Sahib-Nazar, la terreur des Kirghizes, quivit, vieux et couvert de blessures, dans la vallée du Koudara ses fils et ses petits-fils continuent à ren- çonner leurs voisins de pâturages. Mais depuis que les Russes ont reculé leur frontière jusqu'à l'entrée de son repaire, il a mis une scuurdine h ses instincts de brigandage et s'adonne, en apparence du moins, à la dévotion. En dehors de ces out-laws qui sont l'exceplionj les Kirghizes hivernant sur les Pamirs appartiennent à quatre tribus Kara-Kirghizes, dont celle des Tdtts est la plus nombreuse. Nous les avons trouvés au Rang-Koul, sur le Mourg-ib, à Ak-tach et surtout le long de l'Ak-Sou sur le petit Pamir. C'est qu'en effet ces endroits sont relativement peu char-

1. On appelle besl, en Perso, un endroit sacro-saint le réfugient les criminels et les coupitbIeB, saas que la justice des hommes y puisse les atteindre.

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PAMIR ET TCHITRAL.

gés de neige, et le bélail trouve bien encore, quoique pré- caire, une nourriLure à paîlre : parfois sous la neige une herbe sfcche et fanée de l'été passé. Ces Kara-Kirghizes ou Bouroutes sont de même race que ceux de l'Alaiet des val- lées du Thian-chan nu nord et à Test du Fergana, très apparentés du reste, anthropologiquement, avec les Kirghizes des steppes qu'on appelle Kazakn ou Kaisaks.

Au physique, les caractères saillants du Turco-Mogol. D'aucuns cependant ont les pommettes moins saillantes, les yeux moins bridés, la face moins aplatie et le système pileux très développé : ce qui fait penser à un métissage probable médiat ou immt^diat avec les tribus ariennes ou tadjiques de Tach-Kourgane et du Wakhane. Aux oarac-i tères mongols correspond une taille moyenne, aux autres une taille plus élevée.

Ils ont l'ossature grossière, les muscles assez peu déve-, loppés, secs, la cage thoracique ample. Ils paraissent, en. somme, moins rabougris qu'on ne l'aurait attendu d'indi- vidus vivant dans d'aussi mauvaises conditions de milieu. Uneparticularité caractéristique est le mauvais état de leur- dentition. Tandis que leurs fri^res ethniques de la plaine se distinguent par des mftchoires modèles, ceux-ci ont, tous, les dents plus ou moins cariées, ou tombées, ou branlantes. Cela est sans doute un efTel de l'usage qu'il font de l'eau de neige ou de glace et de l'absence du riz dans leur alimen- tation journalière. L'usage de grain torréfié produit aussi Chez eux l'usure horizontale des incisives et des canines comme chex les herbivores, et on peut voir des individus avec les dents usées de la sorte jusqu'au ras de la gencive, ce qui les empêche de se gâter. Le fonds de leur nour- riture est le laitage et ses produits, notamment, et souvent exclusivement, le lait et le fromage de yack ou houtass. IvanofI' rapporte une utilisation bizarre de la croûte de ce fromage. Les Kirghizes lui ont affirmé qu'ils s'en servaient fréquemment pour remplacer les fers à cheval. Ils

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découperaient dans l'écorce, dure et coriace comme du cair, des lanières à la forme du sabot, qui, appliquées en gQÏse de fer, résisteraient durant plusieurs jours aux aspé- rités et aux cailloux de la route. Peut-être qu'à elle seule la mastication de ce fromage expliquerait l'usure de leurs dents! Le pain est un luxe que la plupart ne peuvent que rarement s'offrir.

Ils vont chercher le blé et le grain dans le Wakhane et le Ghoagnane, pays limitrophes ces céréales sont cultivées. L'usage intermittent de la viande n'est permis qu'aux f riches », car, les troupeaux étant leur seule richesse, les épidémies fréquentes les condamnent moins à l'abstinence qoe le hauvre hère qui voit périr ses bêtes, son capital, à la porte de sa tente et sous ses yeux, sans que, de par la loi religieuse, il lui soit permis de manger de la viande de bètes mortes autrement que sous le couteau expérimenté do croyant musulman. Ils sont en effet musulmans sun- nites, mais combien est difficile pour eux l'exécution de tous les préceptes que le prophète a édictés à l'usage d'un peuple de pays chaud et de plaine! Inutile de dire que l'hygiène est leur moindre souci, que le mot c lavage » oe doit pas avoir de vocable dans leur dictionnaire et que leurs pratiques religieuses se bornent à l'imitation d'un roisin à qui la température bénigne permet d'enlever son manteau pour l'étendre par terre et faire la prière du soir 60 face d'un beau coucher de soleil. On trouve parmi eux quelques moullahs, cumulant leurs fonctions sacerdotales avec celles de scribe du bi ou chef de certains aouls ; mais ces personnages ont moins d'autorité que le pir, saint personnage ambulant qui prêche d'exemple la morale et les vertus et se laisse vivre par la charité mesurée à la foi du croyant.

Cependant si les Kirghizes du Pamir sont moins prati- quants que les musulmans de la plaine, s'ils exploitent et volent le mousselmân aussi bien que le Jcâfir de passage

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chaque fois qu'ils le peuvent, ils ont cependant le respect des morts plus à cœur que ceux de plaine et leurs cimetières font une impression beaucoup moins navrante. Presque toutes les tombes sont ornées, soit de rangées de cailloux de couleur ramassés dans la rivière, soit de rangées de baguettes de bois, soit entourées d'un mur en pisé ou recouvertes d'une bâtisse coupolée. Ces tombeaux, réunis en Gouristane, sont les seules traces de leur passRge dans une région, car ils habitent la tente en feutre comme tous les nomades de l'Asie centrale. Il faut croire qu'ils s'y trouvent plus à leur aise ou que le sentiment nomade est bien inné, car il leur serait facile de construire des huttes pour l'hiver qui les garantiraient mieux des intempéries que les morceaux*! de feutre recouvrant les bâtons de leur oï. Mais l'amour do i la maison portative du nomade résiste au climat. N'avons- j nous pas vu le khan de Khiva, d'origine ouzbéque, préférer une tente blanche, dressée dans une cour de son palais, à un de ses appartements, et les Turcomans, les Ouzbegs et les Kirghizes do la plaine dresser leur ou leur iourte en dedans des quatre murs de leur cour ou de leur zimovkal M

Sous cette calotte de feutre que la tempÊle essaye vaine- i ment d'emporter, le Kirghize pamirien vit pêle-mêle avec ses femmes, sa progéniture et souvent celle de ses trou- peaux : car, aux vagissements des enfants au berceau se mêlent des bêlements d'agneaux, de chevreaux ou d'un jeune koutass partageant la couche et la chaleur animale de la jeune famille. Aux alentours, les troupeaux, rentrés le soir, ont déposé leur tribut journalier de fumier qui sert de combustible. Des carcasses à demi rongées de bêtes cre- vées erapuantent l'atmosphère, des chiens sournois rôdent en quête de bataille ou de distraction et, lamentablement, nn cheval élique au premier plan complète la scène ordi- naire d'un aoul d'hiver sur le Pamir.

Comment faire à ce Kirghize un reproche de son apathie et de sa paresse? A quelle besogne noble et grande appli-

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querait-il son ioiLialive physique et inLelleclaelle, lorsque le moindre ciTort musculaire le réduit k l'impuissauce o|. filigoe son corps mal nourri et mal construit? Déoidémeut,; lïvaleur des vertus se mesure aux latitudes et aux milieux, Uu'est donc pas élomaaiit que l'avenir de ces Kirgliîzes pamiriensctle rôle social et politique qu'ils pourraient jouer^ suieot à peu près nuls. Ils n'ont point d'unilô, à. peine celle , (l'origine, et ta solidarit^ise bgr^e .aux I^gos impaédiats^fie. Icgoïsme du foyer. ,-,^j,,^i,.,u, ,, a,„„«rt., -,{ nn^unxi •( list'jel Ils sont actuellement sujets deE^açhgHr, mais il leur serait au moinsiiidifférent d'être sujets du Izarblauc, pourvu, qu'il?., soient protégés des brigandages et expursions.de leuf^vpjiff., sins pillards les Kanjoulis, de SaJiib-Nazar, et de Toppre^-, sjon du colIeç.tç,ar d'impôts irréguliers et ruinenx. , , |,.

Car, nous.rajvons vu, les troupeaux de bétail et Içs ani,- 1UU.T: domestiques sont leur unique richesse. C'est, en prç; mier, Jieu te yack ou keulass (lios ;irnnnien.t), bceuf Jf,, qoeuede cheval qui préfère, les froids et l'air raréfié desUau;],, tejijfS à la pifiine basse, quoique heibeuse, il dépéritraf^j- , liemenL. Il leur donne non seulement du lait et de la viande, ma^? il sert encore de bote de somme et monture. Pu;a.le moulou de,la, rap^ stéatopyge, ^ilus petit,, moi|çi^^ chf^rgé de graisse que celui de la plaine. Il se reproduit fort, bien, et nous avons vu souvent le berger, en rentrant le sojr à l'aoul^apporter chaudement enveloppé dans, une loque (^e , feutre ou un morceau de son manteau, l'agneau di| jour, quç,| la mère inquiète suit en bêlant. La chèvre aussi, petite de i taille, couverte, ainsi que le mouton, d'une laine cgaiss^, s'accUijate au Pamir ^içaucoup mieux qu^ Ip pUeYal.et.^^ chameau, qui se rapetissent, deviennent éliquesaveç ua^ros. vealrt^enliiver: car il leur faut, par la quantité, suppléer à ^a qualité du fourrage ainsi que ces géopliages de l'Amérique , du jSud qui n'ont que du ventre. Mpins heureux qi^e jc^;^^ rongeurs qui s'endorment sous terre en attendant le retour du printerapSj, les herbivores domestiques sont forcés de

«oc DE OÉOCR. i' THiaESTRE 1800. XI. .ii

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chercher sous la neige leur maigre pitance, car le Kirghize ne fait pas de provision de foin. Les chevaux ont acquis l'ins- tinct, j'allais dire l'intelligence, de faire, en piaffant, des trous dans la neige ; la tète enfoncée jusqu'aux yeux, ils savent cueillir de leur bouche affamée les brindilles d'herbe morte de l'année dernière. Certains endroits du Pamir, et c'est que les Kirghizes s'établissent de préférence en hiver, sont toujours à peu près libres de neige, et les troupeaux de bétail y trouvent le chaume à meilleure portée. V

Tous ces animaux se couvrent en hiver d'une robe plus fournie qu'ils échangent en été contre un poil plus léger. Le _ chien même présente cette mue à un degré tel, que son poil,'^! se détachant en été à l'instar de celui du chameau, en larges plaques, est utilisé pour la confection du feutre. Ce « chien à laine b a des qualités de résistance au froid, à la fatigue^ qu'on chercherait vainement chez les nôtres. A 4,500 mètres mètres d'altitude, ils poursuivent le gros gibier, mouton et chèvre sauvage, et soutiennent sans fatigue apparente des courses folles dans les rochers oh souvent ils forcent la béte aux abois. M

Si, delà faune domestique, nous passons à la faune sau- '■ vage, nous trouvons tout d'abord une richesse inattendue en représentants des classes supérieures: mammifères, oiseaux, poissons. Les mammifères sont représentés par une ving- taine d'espèces parmi lesquelles : la panthère. Tours, le Ijnx, le loup, le renard, le porc-épic à museau hirsute, le lièvre, la grande marmotte à queue, une espèce de chauve-souris, puis les grands moutons sauvages et la chèvre sauvage. Le plus beau et le plus étrange de ces animaux est, sans contre- dit, le superbe mouton sauvage qui porte le nom scientifique d'Ovis Poli et que les indigènes appellent arkar ou. katch- kar. Il a la taille d'un gros veau; sa lèle porte deux for- midables cornes noueuses, contournées en spirale élégante- j'en ai mesuré qui avait plus de 2 mètres 20 de longueur, d'une extrémité h. l'autre. Le poids seul du squelette de la

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tête et des cornes atteint 35 kilos. L'animal entier, non vidé, pèse souvent 300 kilogrammes. C'est le plus beau et le plus élégant gibier du monde : c'est aussi le plus difficile à tuer. Il n'est guère possible de le poursuivre autrement qu'à cheval, à moins de l'attendre à l'affût comme font les indigènes. Très défiant, le troupeau se fait garder par une sentinelle vigilante qui, à l'approche du danger, dunne le signal de la fuite à 500 mètres au moins, et toute la bande, dans une course légère et rapide, disparait dans les hauteurs rocailleuses, non sans s'être à différentes reprises arrêtée pour juger de l'op- portunité de la fuite. Nous les avons rencontrés, en bandes nombreuses, de 10 à 25 individus, dans presque toutes les vallées des Pamir que nous avons suivies ; mais en été ils regagnent le voisinage de la limite des neiges éternelles, fuyant l'homme au plus loin et se tenant entre 15,000 et 17,000 pieds d'altitude. Leurs dépouilles sont très rares dans nos musées : grâce à MM. Ridgway et O'Gonnor, notre Muséum d'histoire naturelle en possède maintenant plu- sieurs magnifiques spécimens.

Szévertzow relève jusqu'à 119 espèces d'oiseaux des Pamirs connus jusqu'alors. On y trouve le superbe vautour de l'Himalaya, le gypaète barbu, des faucons, milans, buses, trois espèces de corbeaux, des ramiers, des tour- terelles, la bergeronnette, l'alouette, la perdrix des neiges du Thibet et, même en hiver, plusieurs espèces de palmipèdes et d'oiseaux aquatiques sur les cours d'eau qui ont crevé leur tonnel de glace et leur permettent de pécher le poisson on de se nourrir d'algues. Souvent, lorsque tout semblait mort dans le paysage pamirien enseveli sous la neige, nous vîmes au-dessus de notre tête un vautour décrire ses orbes et fondre ensuite sur quelque malheureux lièvre sorti de son halot; ou bien d'une crique défoncée de l'Ak-sou nous arrivait le cancanement d'une bande de canards indiens, et un corbeau de l'Âlal, au bec et aux pattes rouges, traversait la gorge d'un vol effarouché. Au milieu de la tempête,

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lorsque les Ilocons de neige nous cachaient la vue à trois pas, nous enlendimes souvent avec plaisir le gloussement de la grande perdrix royale appelant de son nom, kahiick, ses compagnes cachées, comme elle, dans les replis de la penlc rocailleuse.

Rappelons enfin la présence sur le Pamir de quelques es- pèces debratraciens; disons la pénurie de serpents, de tortues et de lézards, tous animaux aimant les « bains de soleil », qu'ils ne trouveraient point à leur gré en supposant qu'ils y trouvassentleur nourriUire et legîteasse/. chaud, et signalons, dans les eaux courantes, la présence de nombreux poissons, parmi lesquels des truites que dédaignent les Kirgbizes et, d'après Szévertzow, une demi-douzaine d'espèces particu- lières, dont le nombre connu a certainement augmenté depuis.

La floredes Pamirs n'est pas très variée, mais très curieuse. On y voit une plante des steppes par e.\:cellence, le stipepenné, monter jusqu'à l'altitude de 11,000 pieds. Los arbres s'ar- rêtent au seuil de l'Alaï, genévrier et bouleau, pour ne repa- raître que dans le Wakhane; mais un arbuste, le tamnrix, répandu à l'oison sur le sol salin des steppes du Turkestan, mon tejusqu'à l'ai tiludeexlraordinairode plus de 13,000pieds. Le Pamir garde de la sorte sou caractère floristique de steppe par les plantes typiques qu'on y rencontre. Même le l'osena {Lasiat/rostia splendcns) croît au bord des lacs dans les vallées les moins élevées, et une espèce decarex couvre, sur de grandes surfaces, le sol salin des dépressions. Des festuca, des armoises, des labiées, quelques crucifères et légumineuses hardies et passagères, affrontent les gelées hâtives d'un été éphémère. Parmi ces plantes, utiles au bétail, jusqu'au vulgaire roseau dont les jeunes pousses servent de fourrage, l'homme utilise une labiée naine à laquelle les indigènes donnent le nom de terskenne ou de haviperruouich. il s'en sert, concurremment avec le fumier des troupeaux, de combustible. On la trouve en assez grands

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quantité auRang-Koul, auKara-koul,dans la vallée de l'Ak- sou, etc., et le voyageur sur le Pamir en hiver est très heu- reux de la rencontrer pour qu'il puisse boire une tasse de thé et faire cuire une poignée de riz.

Mais si les vallées du Pamir, dans leur sauvage nudité, ne présentent pas cette glorieuse et exubérante richesse de flo- raison printanière qu'on observe dans la steppe, elles ont pourtant leur charme, et souvent la majestueuse grandeur du paysage laisse dans le souvenir du voyageur l'image des plus grandioses et des plus saisissants tableaux de la nature. Rien n'est beau comme l'Alaï lorsqu'au printemps l'immense vallée se couvre d'un tapis ondoyant, d'abord vert tendre, puis argenté, de hautes graminées; quand, sous les caresses ardentes d'un soleil pur, la terre saturée d'humidité fait éclore en quelques jours des milliards de fleurs qui charment la vue et embaument l'atmosphère. Les Kirghizes sont venus planter leurs tentes en taupinières dans cette savoureuse prairie. Des troupeaux de chevaux, de moutons, éparpillés, animent le paysage baigné de chaude lumière. Au fond la majestueuse chaîne du Trans-Âlaï, drapée d'ombres vio- lâtres et couronnée de neiges étincelantes, découpe sa crête dentelée dans un ciel émeraude et s'épointe en pyramides gigantesques de plus de 22,000 pieds d'élévation. Â l'aspect de ce merveilleux paysage, les cosaques de Skobelef poussent un hourrah de joie et d'étonnement, et le Kirghize s'arrête, regarde et dit : « Iakchi ! » (c'est beau). Puis il entonne une chanson. Heureux nomades!

Bientôt, dans quelques années, quand le ruban de fer du général Annenkoff aura atteint la ville d'Och, c'est-à-dire le pied du Pamir, vous irez facilement, en vingt jours de Paris, admirer les merveilles du « Toit du monde »; car, quoique la science y ait encore un vaste champ à explorer, le Pamir n'est déjà plus un « point d'interrogation », mais, perraettez-moi l'expression, un < point d'exclamation ».

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Si maintenant nous voulons gagner le Tchitral, nous n'avons guère le choix des roules, puisque, du Pamir, il n'y en a qu'une qui y mène directement : c'est la route du Baro- ghil, une passe qui joint la vallée du Pandj-daria traversant le Wakhaneau Masloudj (ou Kounar, ou Torkhoune"), par- courant leTchitral. La première appartient au système de rOxus, à la Bactriane; la seconde, à celui de l'Indus, à l'Inde. Cette passe est très facile et la seule de cette partie deTHindou-kouctî praticable en toutes saisons, car elle n'a que 12,000 pieds d'altitude et n'est pas bloquée entièrement par les neiges. Elle est si facile en été, qu'elle mérite son nom de dacht, c'est-à-dire de plaine, et qu'en été les Wak- his d'un côté, les Tchitralis de l'autre y mènent leurs trou- peaux paitre d'excellents pâturages qui en font l'endroit le plus recherché des deux vallées. Ces deux peuples vivent en bonne harmonie, mais ne parlent pas la même langue. Lors- qu'on automne les pâturages sont épuisés sur le dacht, ils se séparent, les uns allant vers le sud, les autres vers le nord, comme les eaux initiales de l'Osus et de l'Indus dont le Baroghil forme la limite. N'est-ce pas une image en petit de celte antique migration des peuples que l'hypothèse des linguistes admet pour les Aryens ! Car les Tchitralis repré- sentent la branche indienne et les Wakhis la branche per- sane. Mais dire que la région pamirienne ou prépamirienne est le berceau du genre humain, c'est simplement vouloir indiquer ce fait, constaté par la linguistique et corroboré par l'étude anthropologique, qu'il existe une parenté diver- gente dans les deux directions, Inde et Arie, sans vouloir prélendre que ces Aryens eussent été les premiers auto- chtones dusoL

C'est donc sur le Baroghil (visité en 1873 par le major

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^^iddulpb qui enQxa l'aUilude) que nous Ttmes pour la pre- mière fois couler l'eau vers le sud, vers l'Indus, avec un plaisir indicible. Oa avait la certitude qu'en suivantce mince lilet d'eau on atteindrait llnde, la plaine; il y avait delà joie à la sentir plus proche, après l'avoir souhaitée si sou- vent, après avoir vécu durant des mois dans la montagne, sans horizon lointain, toujours voyant surgir d'autres barrières comme ci'tte coccinelle qui escalade à nouveau le doigt qu'elle vient à peine de quitter.

En face du DHroghil, de grands et magnifiques glaciers descendent en larges coulées des hauteurs du Darkot. Quelques-uns, à l'instar de ceux du Karakoroum, rongés in- cessamment parla rivière torrentueuse, dressentàleur extré- mité de hautes falaises de glace, rainées, fissurées, gigantes- ques cassures allant du blanc laiteux au vert turquoise et au bleu. Nous suivonsversle sud-ouest une vallée étroite, sau- vage, sillonnée parles nombreux méandres de. la rivière York- houae. Tantôtle fond caillouteuxde la vallée, tantôtle litdela rivière nous servent de chemin, car il n'est pointtracé ici .Dans quelque temps, quand les neiges fondront davantage, la rivière débordée aura pris tout le fond de la vallée et le piéton sera forcé de grimper comme une chèvre le long du flanc des montagnes si tant est qu'il a besoin de gagner le Baroghil au printemps. Pendantcinqjours nous suivons de la sorte le Yorkhoune sans rencontrer àmc qui vive. De ci de les parois nues de la vallée font place à uncôoe de déjec- tion, une traînée d'éboutisou une moraine de glaciers. Ces terrains sont couverts de bois clairsemés de genévrier, de saule, de bouleau, etc., qui servent d'abri aux fauves. Le 17 mai nous atteignons le premier village Ichilrali, appelé Topkhané-Siaheg.Mon compagnon de voyage vous aditavec quelle défiance nous fûmes reçus, quelle peine nous eûmes à avancer, enfin comment Lorzel-Khân, gouverneur de la forteresse de Mastoudj, s'oppose à notre marche en avant sur Cachemire.

r>'J4 riAln et tchitral.

Bonvalol restant à Mastoudj avec Ràkhmed, j'allai, avec Pépin et notre (idèle Menas à Tchitral, capitale du pays, situéeà quatre journées de marchecQ aval deMasloadj,dans la direction de Pechaour.

Comme iis'agissaild'uncTisiteofficielleàson père Amman- Oul-Moulk, roi de Tchitral, Lorïel-KhSn nous procure des chevaux, les n&trcs étant trop malades pour faire un voyage pareil. Nous n'emportons que nos selles, nos couvertures et quelques médicaments dans ûïi sac, pensant que notre absence ne durerait que dix jours.

Un Tehitrali, qui accompagna quelques mois auparavant le colonel Lockhardt dans son voyage à Tchitral, nous sert de guide. La première étape nous mfene à Drass ou Dras- soune, dans la vallée du Tourikho. Comme l'eau y est abon- dante et la température douce, cette vallée est une des plus fertiles etdes plus verdoyantes qu'onpuisse voir, mais aassi des plus malsaines, caries lièvres croupissent, fortes et fré- ' quentes, sur les rizières étendues. Le raisin y est bon et en abondance {Drass signifie raisin en langue tchitralie) ainsi que le grenadier, le groseillier, l'abricotier, le pommier, etc.; puis, plus haut sur le flanc des montagnes, de grands peu- Hliers s'élancent par touffes au milieu des taches vertes qui marquent les villages en oasis et produisent un singulier ' efi'el de paysiige. Drassoune, avec un vieux caslel sauvage | qu'on dirait d'un héros de eonte, est résidence d'été du gou- verneur de Yassine, fils du mehtar de Tchitral. Lorsqu'en été les passes ouvertes du Yaguistane pourraient livrer fl passage à Moulk-i-Ammau, un sien pnrenl qui lui a promis de l'exterminer avec sa famille, le maître de Yassine se rap- proche de son père pour éviter autant que possible à. son parent do tenir sa promesse. Une jolie famille que celle du ' roi de Tchitral ! Je ne regrette pas que l'heure avancée m'empêche de vous la présenter.

En aval de Drassoune, la vallée se resserre, la rivière de- I vient un torrent impétueux coulant le plus souvent entre

de hautes falaises de conglomérat. Des ponts de bois élastiques, chancelants, très hardis, conduisent d'une rive à l'autre quand la paroi de la montagne refuse l'espace au sentier. Ce sentier n'a souvent que la largeur du pied ; des balcons surplombant la rivière le conduisent le long des parois à pic; des éboulis, des escaliers informes et naturels ren(.recoijpenl,eldes pentes « terribles» l'élÈvent à des cen- taines de mètres au-dessus de la vallée pour le ramener de nouveau à la rivière, dont il emprunte plus loin !e lit en- combré de rochers. Le cavalier fait forcément la moitié du chemin à pied, et nous sommes étonnés de voir nos chevaux franchir des obstacles qui ont failli arrêter les hommes.

Les villages se suivent nombreux. Tous sont établis sur le cône de déjection des torrents latéraux qui les alimentent : ce sont des oasis touffues, verdoyantes et fertiles en forme de deltaqui contrastent agréablement avecl'aride nuditéde la montagne. Le quatriômejour, la vallée s'élargit toutà coup; le pic duTirakh-Mir (25,000 pieds) apparaît plus dégagé, la campagne devient plus animée. Nous sommes h Tchitral. Un pont remarquable en bois, solidement construit avec des tours de défense à la tôto, nous mène sur la rive droite du daria. Descavaliers armés, venus trop tard, comme dans l'opéra d'Ofl'enbacb, nous rencontrent sur le chemin de la ville, puis vont occuper les défenses du pont.

La capitale Tchitral n'est à vrai dire qu'un fort village de maisons éparpillées, sans rues, sans alignements, fortement défendu par la rivière torrentueuse d'un côté, la montagne, et quelques tourelles de défense de l'autre. Aux premières maisons nous sommes accostés par les hommes du mehtar, piétons et cavaliers, armés de sabres, de lances et de bou- cliers. Le premier ministre du roi ou divân-begui, un grand gaillard enlurbané, avec une parfaite figure de coquin sournois, nous invile à. le suivre sur la place ou djdi on est occupé à nous dresser une tente. On y voit deux cadres en bois sanglés et quelques tapis parterre : c'est l'ameuble-

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menl, auquel nous ajoutons nos selles. Quelques instants après, au milieu du concours de loute la populalion» nous recevons la Tisite de l'agent politique anglais, Rub Nawaz Khan. C'est un officier indigène de l'armée des Indes, « djemandar of Ihe 15'" Bengal Cavalry, on spécial duty at Chilral », me dit-il, se présentant à l'européenne avec un salut moitié militaire, moitié musulman. Il porte la main au front en disant Gûod day sir! Uoiv ore yow .^ Indien de naissance et de caractère, jeune, beau comme un person- nage d'une miniature de rajah, Rub Nawa?, Khan parle mal l'anglais et n'emploie pas àf. périphrases. II me demande à brùle-pourpoinl : Are you spiosf Et quand, après ra'être assuré qu'il ne dit pas « cipahis », je lui ris au nez, il est un peu déconcerté et demande à voir des kagass (papiers). Nous lui montrons nos passeports diplomatiques qu'il ne sait point déchiffrerai dont je suis forcé de lui exposer la valeuret la teneur. Il est du reste peu géographe, se rappelle avoir lu dans un livre que la France est un « greal Kingdom (s»r) in the West y>, et qu'il y a un consul de ce pays à Calcutta et à Mounbay (Bombay). Il doit nous faire retenir, car nous n'avons même pas sur notre grand papier le cachet « of my governmenl s (le gouvernement de l'Inde). J'ai beau lui expliquer que ces cachets ne se donnent que dans le pays même que l'on doit visiter et en y étant, que tous les cachets imprimés sur notre kagass ont été obtenus de cette façon : la raison ne lui semble pas suffisante. Il a, dit- il, une consigne et ne peut point nous laisser pariir sans avoir reçu des ordres de l'Inde. Qu'au reste il est aux nôtres et que nous n'avons qu'à demander. Et à ma première demande de nous changer de l'or russe contre des roupies indiennes ou afghanes, il se récuse en disant qu'on ne peut s'en débarrasser ici.

Ce beau parleur parti, nous allons voir le roi ou mehtar qui habile dans son château-fort en cailloux roulés à quelques cents pas de notre tente. On lui présentera les cadeaux qu'on

PAMIR ET TCHITRAL. 527

loi destine : un beau winchester tout nickelé, un collier en argent, des bagues en or et quelques articles de Paris. On nous fait entrer, par une première cour remplie de solda- tesque dans toutes les poses do désœuvrement et de la paresse, dans une seconde petite cour, découverte et sale ah nous trouvons le mebtar, assis sous on saule raboogri, dans un vieux fauteuil râpé. Il est nu-pieds, babillé d'un panta- lon et d'une cbemise de coton, autrefois blancs, et coiffé d'une calotte crasseuse. C'est un homme au delà de la soixantaine, à la figure toute velue, à l'œil de fauve au repos. A côté de lui, un grand bassin en cuivre reçoit ses crachats,, que l'usage du noss (tabac en poudre à chiquer) rend abondants. Il nous rappelle ces rois nègres, sans chapeau à haute forme cependant ni habit à queue de pie, qui s'om- bragent comme lui d'un parasol, s'asseoient dans un vieux fauteuil, s'entourent de griots et sont, comme lui, très sales, rapaces et cruels.

Après un entretien d'une demi-heure. Menas nous servant d'interprète persan quand Rub Nawaz Kbân était à bout de son anglais le mehtar, nonobstant tous les arguments que je fis valoir pour la nécessité d'un prompt voyage à l'Inde, les responsabilités qu'il encourrait en le ^ retardant, les leçons de géographie que je lui donnai, etc., le mehtar, dis-je, avait son idée faite. Aussi ignorant en géographie qu'en matière de droit international et de passeport, ne comprenant aucunement le but d'un si singulier voyage fait par des hommes aussi singuliers, qui n'étaient ni ambassadeurs politiques lui proposant des traités d'alliance en lui donnant beaucoup d'argent, ni com- merçants, qui se disaient faranguis et n'étaient pas Anglais, résuma son impression en disant :

c Vous êtes habillés comme des Ourouss, vous parlez russe, vous avez de l'or russe, vous avez un domestique russe, vous venez de la terre russe, vous êtes des espions rosses! »

92» rin

Cect preaqoe lopqae;. dans on ptjs l'h&bit en logc^^^ £ftil le (terridie, c'est-^-dirp k nxûiie de Feodroit. H

Et le mdlt«r accepta nos cadtduu.

Le même joar nous le sûmes pins lard i! fit écrî ^^ au gouTememeol de l'Inde qu'il venait de capturer d^^^ etpionc oarousses, en le priant de les loi acheter. Ri^ " Nawaz Kh&n, sans doute pour masquer sa dupiiciC>^ évidente, vint nous dire que c'est grâce à lui, Ru ^ Nawaz, que le melitar ne nous a pas fait couper la tête -^ l'entrée de son pays, et que le mehtar est un a foolishmam ^ a h.ad m an ».

An reU)ij['de notre visite nous voyons que notre tente es & ontuiiréo de postes de ijAajM (soldats tcbitralîs) qui c^mpen CS on pliiin uir dans les champs et qui guettent tous nos mou— * vements.

Nom en, avons au moins pour trois semaines avant que lu r^|»onH« h notre lettre au gouverneur de l'Inde et à celles ilii iiielitiii' n'îirrive et en supposant que le courrier envoyé |>ar la route de Swat k l^echaour ne soit pas assassiné.

NoitH avon» tout le temps de faire connaissance avec la li'fth ir»tAr(*HNiinto population indigène de passage à Ti'.jiitral, h' remplis mon cahier de notes, Pépin le sien de croquis. Tchitralis, KAlirs, Meahganes, Yaguistanis, Aft^liiinK, Inditms, nucliemiris, Badakchis, Wakhis, etc., d^nionl sur lo djaï et s'iirrôtcnt volontiers pour satisfaire k'iu- ninosili lui causant avec Ménîis et en satisfaisant la nôtre, l* voyageur scientifique doit, à mon avis, toujours chori;lier lu plus (^niiitl nombre de points de contact avec un pays inléressiinl l'I sa population.

En iilli'iidnnt que la réponse, favorable nous l'espérons, nous parvienne de l'Iridn, le mehtar nourrit fort mal ses hôtes prisonnifrs, qu'il sonpcjonne être ses ennemis et qu'il est mécontent de devoir nourrir de sa poche, car tout le monde se refuse à nous vendre des provisions par peur de se compromettre.

J'ai eu beau accabler le djamandar de reproches et de ïnenaces continuelles et le ruebUir d'épithètes de lèse- majesté, le menaçant de partir de force et de lui laisser la responsabilité des suites de l'aventure, sans que tout cela ■ffiodiiiât sensiblement la qualité ni Ja quantité de la nour- î"iture. Cette dernière menace au reste était platonique puisque nous n'avions pas de chevaux, que l'issue de la ViUe était gardée et qu'en cas de fuite par un prodige d'adresse, on nous aurait rattrapes à quelques kilomètres plus loin. Je finis cependant par trouver un remède à cette ' situation culinaire déplorable sous forme d'une drogue pharmaceutique que j'administrai au roi. Le mehtar, en

I effet, était grand amateur et collectionneur de ces drogues dont il no savait que faire, il est vrai, mais qu'il était heu- reux de posséder; et. comme d'autres ont une collection de curiosités, de tableaux ou d'antiquités, lui avait un musée de drogues et de Bacons de pharmacie qu'il mendiait ou exi- geait de chaque voyageur de l'Inde ou des pays limitrophes qui pouvaient en avoir.

Un jour il me pria de lui donner un remède pour un mal vague du corps et des membres dont il se plaignit h tort ou à raison, car ce pouvait bien n'être qu'une feinte pour augmenter sa collection. Je promis de lui en donner et de le guérir, en lui disant qu'il fallait l'envoyer chercher à Masloudj se trouvait notre pharmacie de voyage avec les coiTres. Le soir, un courrier fut expédié à cet effet et j'en profitai pour faire parvenir de nos nouvelles à Bon- vatot, qui semblait s'ennuyer plus que nous, et le prier de remettre au porteur un flacon de salicylate de sQude et un autre d'onguent mercuriel. Au troisième jour l'estafette à pied était de retour, après avoir fait en deux jours et demi le double du chemin pour lequel nous avions mis quatre jours. Je ne connais point de meilleurs marcheurs que ces montagnards. Je donnai donc au mehtar une petite dose de salicylate, ce dont il fut si content qu'il me demanda

530 PAMia KT TCniTHAL,

loul le flacon. Il avait sans doute goûlé ou fait goûter de la drogue, et lui ayant trouvé un goût sucré, il en avait conclu qu'elle devait être excellente; car ils sont aussi friands de sucre que de sel, deux substances rares dans le pays. Je refusai d'en donner davantage, prétextant le besoin personnel et la qualité supérieure de la drogue, disant en outre que le roi n'avait pas assez d'égards pour nous pour espérer un si grand sacrifice de notre amitié. Le soir, au « dîner », il y eut un petit morceau de beurré et uu peu plus de viande. Le mehlar, en revanche, eut une petite dose de salicylate, et il en fut de mênne les jours suivants. Le salicylate épuisé, j'entamai l'onguent mercuricl, en le priant de ne pas le manger.

Et comme les abricots commençaient à mûrir, nous vîmes ce jour-là un plateau d'abricots à notre « table ». Finalement, après force prières et refus, le mehtar obtint le flacou vide avec son couvercle vissé en verre, ce qui nous valut une outre pleine de miel. Je ne crois pas que jamais ces deux drogues aient produit meilleur et plus singulier effet.

Et comme il est question de drogues et de médecine, laissez-moi vous raconter, avant de finir, comment j'eus, comme médecin, un grand succès et un sensible échec. Voici le succès. Un jour, on m'amena un petit bambin de 5 à 6 ans, fils cadet du vieux et malheureux Mir-i- Amman que le mehlar nourrit à sa cour après l'avoir dépossédé de sa province. Le pauvre petit, s'étant endormi sur le pré, avait reçu dans l'oreille la visite d'une petite guêpe de la taille d'une mouche qui s'était logée profondé- ment et à reculons dans le conduit auditif. Désespoir et cris du petit et de ses parents, tellement craotionnés que sa mère montra, sans voile, une mine désolée. Les cris et les soubresauts du petit rendirent vains mes efforts pour retirer la bêle avec des brusselles, quand j'eus l'idée de la chasser de son refuge insolite par un moyen simple qui

PAMItl ET TCIlITRAr., 531

devait réussir. On sait qu'on peut tuer aisément les animaux par le tabac, oiôme des serpents et des lézards, qui ont la vie assez dure. Je pris donc du tabac en poudre appelé noifs, j'en délayai une pincée dans de l'eau et j'en instillai quelques gouttes dans l'oreille du bonhomme. La guêpe ne tarda pas à sortir d'elle-même, et tout le inonde fui vite consolé. Le lendemain le reconnaissant père me fil apporter, par le pelil, trois pommes vertes comme honoraires.

L'échec, !e voici. Un soir, vers minuil, le djemandar en toute hùte vint me réveiller. Il était accompat^né de quelques porteurs de torches dont la clarté de mélodrame rougissait tout à coup l'entrée de la lente, c Notre dernier moment » n'était point encore venu, mais Rub Nawaz Khàn me priait instamment de l'accompagner au caslel, la favorite du mebtar, en voulant sauter un bassin, s'était cassé une jambe. J'espère assister à quelque scène originale et je l'accompagne. Le mehtar me reçoit dans la première cour: il est très affable, prévenant môme et m'explique le cas. Je lui dis qu'il faut incontinent me mener auprès de la prin- cesse pour lui appliquer le bandage et le traitement. Mais le roi ne l'entend point ainsi.

Il est défendu à un homme de voir une femme qui n'est pas la sienne, et a fortiori, à un farangui de voir une princesse ichitralienne. Le mehtar refuse obstinément l'accès du harem au médecin. Le djemandar insinue qu'on pourrait peut-être cacher !a femme derrière un paravent qui ne laisserait passer que la jambe malade; mais il paraît que c'est précisément la jambe qu'il est défendu de ■voir. Le mehtar veut une poudre, une pilule, « quelque chose pour manger » enfin et qui guérisse rapidemenl la fracture. Voyant toute insistance inutile, je prescris de l'eau froide sur la fracture, j'explique le bandage et je rentre.

Deux jours après, le premier ministre vient me prier de

532 PAMIR ET TCHfTIUL.

repasser au chAteau. Je refuse. Jl revient, accompagné du jeune Qls de la princesse malade, qui me prie si humble- ment que je tente une deuxième entrée au harem. C'était du reste un faux départ, car le mehtarn'a pas changé d'idée; il m'apprend en outre qu'au lieu d'appliquer de l'eau froide, le mouilah a dit une prière de circonstancesur la malade, mais que, néanmoins, lajambeest enllée démesurément. Je renou- velle l'ordonnance et j'ajoute un tait de poule. J'ai perdu l'intéressante malade de vue, car deux jours après nous étions libres.

Je crois que tout voyageur peut, à un moment donné, tirer bénélice et inUuence salutaire de la distribution, jçraluite bien entendu, de drogues eflicaces ou non. Il lui est si facile défaire des heureux, car tous ces gens s'en vont contents et la foi dans le cœur. Que de fois j'ai donné, à des rhumati- sants, à des scrofuIeuXf à des incurables, de l'eau sucrée rougie de carmin I J'en ai peut-fitre guéri... Que mes coUè- £^ues d'Europe me pardonnent un exercice aussi révoltant qu'illégal de la médecine!

Enfin nous voici libres. Ixird Dulferin nous ouvre les portes de l'Inde et lemehlar celles deTchilral. Nous brûlons les étapes. Bonvalot est parti de Masloudj, nous le rattra- pons à Gakhoutch sur territoire cachemirien. Un mois après, nous voyions du haut de la passe de Gourez, à travers un déchirement de nuages, le lac Voullar s'étendre à nos pieds.

Le même jour nous sommes che% nos amis MM. Pey- chaud, Dauvergne, Bouley, Fabre, etc., c'est-k-dire en France dans le Cacbemire. La mission que le ministère de l'instruction publique avait bien voulu nous confier était terminée.

Note sur la carte.

La carte qui accompagne ce fascicule est une réduction de la carie à l'échelle de 0™ 01 par versle que j'ai dressée de notre traversée du Pamir elquele minislèredeJ'instruclioijpubliquuutla

PAMIR ET TCHITRAL. 533

Société de Géographie ont bien voulu faire reproduire à une plus petite échelle. Cette carte s'appnie, au nord, au lac Grand Kara- Koul en prenant pour base les levés antérieurs russes de Kas- tienko et de Sévertzow. L'itinéraire quitte ensuite celui de Sévertzow au lac de Glace, ou Mousse-Kol, et se dirige, par une route nouvelle, de la passe Ouz-bel ou Kizil-djek vers le lac Rang-Koul, il recoupe ceux de Sévertzow et de l'expédition cominandée en 1883 par le capitaine Poutiata. A Ak-tach, notre route double celle des pundits prédécesseurs de Gordon et celle de la mission Forsyth jusqu'à Langar, dans le Wakhane. De Lan- gar, par la vallée de Itaïkarra ou Tuch-Koupriouk, à la passe d'irchàl, le terrain était inconnu. A la passe de Baroghil nous retrouvons l'itinéraire du Munshi Abdoul-Soubhân. ^ous suivons la vallée du haut Kounar et nous recoupons, au pied de la passe de Mochabour, le trajet de Mac-Nab, puis, à Mastoudj celui du capi- taine Biddulph et, vers Guilguit d'un côté et Tchitral de l'autre, l'itinéraire de l'expédition du colonel Lockardt, la plus récente.

Dans la construction de ma carte, je ne me suis servi d'aucune des données établies par nos prédécesseurs, en dehors du dessin du Grand Kara-Koul de Sévertzow. Je n'ai fait que reproduire et mettre au net mes seuls levés et observations avec leurs défauts et ce qu'ils peuvent avoir de qualités. Les levés embrassent un iti- néraire d'environ 700 kilomètres de région pamirienne et pré-pami- rienne. La mise au net a été faite par section, eu s'appuyant sur les points de recoupement des itinéraires précédents. Je me suis servi exclusivement de la boussole à visées, dont les observations d'angle sont au nombre de 1800 environ.

Les hauteurs ont été mesurées au baromètre anéroïde ; mais, à défaut d'observations comparatives simultanées, leur exactitude ne peut être que relative. Les distances ont été évaluées au pas du cheval ou du piéton, quelquefois estimées à vue. On a tenu compte, bien entendu, des circonstances variables pouvant ralentir ou accélérer la marche. Si les difficultés vaincues de la marche par la neige profonde et un froid intense pouvaient rache- ter les défauts de précision, notre carte serait très exacte. Néan- moins, je pense qu'elle pourra rendre des services, notamment ma carte à grande échelle, qui, je l'espère, sera publiée plus tard et sur laquelle j'ai inscrit avec soin tous les accidents de terrain, les particularités d'ordre géologique détaillant le relief des vallées et la nature de la couverture du sol.

G. G.

soc. DG GÉOOR. 4* TRIMESTRE 1890. XI. 35

VOYAGE DE PAUL GRAMPEL

AU NORD DU CONGO FRANÇAIS

!.. MIKOW

l.iriiUnant tlv TilgsniD<.

M. Paul Crampel avait élé chargé, en novembre 188G, par le Ministère de l'Inslniclion publique, d'une mission scien- tifique dans le Congo. Il partit avec le commissaire général ^ du gouvernemenl, qui le choisit pour secrétaire particulier. B Après avoir rempli pendant onze mois ces doubles fonctions, M. de Brazza étant sur le point de rentrer en France, M. Crampel demanda et obtint la direction d'une explora- tion visant le nord du Congo français.

Les préparatifs de celle expédition furent assez longs. Tous les concours sur lesquels le jeune explorateur comp- tait lui manquèrent successivement. Le 14 août 1888, cependant, il quittait Lastourville avec deux Sénégalais et quelques Loango et Madouma, porteurs de memies mar- chandises destinées aux cadeaux.

Suivant d'abord la rive sud de Tlvindo, affluent de rOgôoué, il le traversa devant les villages Chaké de Sandja et de Mouguendja. Son intention était de se diriger droit au nord k la recherche du fleuve Liba des ancienne*: cartes. Les renseignements recueillis par les explorateurs qui l'avaient précédé dans ces contrées et dans le bassin de ta BenouS étaient venus con6rmer l'existence de la Liba et avaient permis de l'identifier avec l'un des grands affluents du Gongo qui rejoignent ce fleuve presque au manie point: Oubangui, Sanga ou Likouala.

1 I

1. Voir les carlM joiotes à ce numéro.

VOYAGE DE CRAMPEL AD NORD DD CONOO FRANÇAIS. 535

La mission ne trouva pas de route allant vers le nord et dut se tourner vers l'est-nord-est. Les indigènes dirigent les prodnils de ces contrées (ivoire, caoutchouc et quelquefois esclaves) vers les points oh les Européens ont fondé des factoreries et ils peuvent échanger les deux premiers produits contre des marchandises européennes. C'est aux peuplades qui entourent ces factoreries, et qui à cause de cela possèdent une quantité assez considérable d'objets manufacturés, qu'ils vendent leurs esclaves.

Pour les peuplades situées au nord-est de Lastourville, le point le plus proche est le coude que rOgôoué fait au nord de Bôoué, à Lopé, au pays des Mikanda, qui achètent leurs esclaves. C'est par ce point qu'ils doivent passer pour porter leur ivoire et leur caoutchouc aux factoreries du bas Ogôouéou des petites rivières du Gabon. C'est pourquoi les routes frayées par le commerce sont toujours dirigées vers l'ouest, c'est-à-dire vers la côte. L'ouverture an com- merce de rOgôûué, fermé depuis 1883 par ordre du commis- saire géttéral du gouvernement, modifierait la direction des voies commerciales. De nombreuses factoreries échelonnées sur ce fleuve créeraient un réseau de routes venant do nord et du sud, qui mettraient en relations chaque tribu avec l'établissement le plus proche.

La zone que la mission traversa d'abord était presque entièrement dépeuplée. M. Crarapel et ses hommes eurent beaucoup i souffrir du manque de vivres. Les porteurs Loango ayant abandonné les vivres qu'en prévision de la pauvreté du pays le chef de l'expédition leur avait fait emporter, furent particulièrement éprouvés. Leur mauvaise volonté ne fut vaincue que par la menace de M- Crampel de les abandonnera leur sort au milieu des forêts inhabitées.

Il est assez singulier que la population croisse à mesure que l'on s'éloigne des rivières occupées par les Européens. M. Crampel donne de ce fait l'explication suivante :

« Le commerce s'est fait dés le début, dans l'OgÔoué, par

J3G

VOYAGE DE PAUL CRAMI'EL.

système dit d'avances. Les commerçants n'ayant généralec ment pas le moyen d'aller faire prendre par caravanes, dans l'intérieur, les produits du pays s'adressent à des indigènes qui connaissent depuis longtemps les transactions entre Européens et noirs ; ils leur distribuent des marchandises d'avance, à charge par ceux-ci de les convertir en ivoire caoutchouc, huile de palme, bois d'ébène, bois rouge, etc.. qu'ils viennent livrer à leurs patrons.

« On comprend les inconvénients de ce système. Les trai- tants sont, d'ordinaire, des hommes ayant pris les vices des agents européens sans avoir, pour cela, perdu ceux de leurs compatriotes; ils sont débauchés, voleurs et ivrognes. D'où perpétuels conflits entre traitants et indigènes, tous se plai- gnant d'être à chaque instant vexés, frustrés et volés.

« Frappée de ces inconvénients incontestables, l'adminis- tration imagina un autre mode de commerce. Au lieu de permettre aux commerçants de monter ou de faire monter leurs traitants dans l'intérieur, faisons descendre, pensa- t-elle, les indigènes et leurs produits à la côte. D'où le sys- tème suivant : le ravitaillement de nos stations du Haut- Fleuve exige de nombreux convois de pirogues qui, chargées à l'aller, redescendent naturellement à vide. Utilisons le retour de ces convois. Payons nos pagayeurs non plus en marchandises d'Europe, mais en produits indigènes qu'ils descendront eux-mêmes vendre aux factoreries.

c En effet, à dater de ce temps, des traitants furent éta- blis, non au compte des commerçants, mais au compte de l'Etat, dans l'intérieur. Nos pagayeurs, montés à destination, trouvèrent des chefs de station qui, par l'inlerraédiaire des commis voyageurs ofQciels, les payèrent en ivoire et caoutchouc. En revenant prendre aux stations de la région maritime le; ravitaillements denos convois, ils descendirent ces marchandises, qu'ils purent vendre eux-mêmes aux fac- toreries.

« Entre autres peproches adressés à ce système, on a fait

"AU NOBD DU CONGO FRANÇAIS. 537

observer que ie petit nombre des pirogues et l'innaviga- Lilité du fleuve pendant la saison des. basses eaux ne per- mettent que la descente d'une petite quantité de produits. B'autre part, les indigènes se disent ; Si nous nous rappro- chons des blancsj que va-t-il arriver? D'abord nous ne serons plus libres de notre conamerce. Maintenant, une défense que nous allons acheter et que nous revendons, par colpor- tage, aux faclçreries de l'ouest (sur la rivière Mouny, oii les Espagnols ont établi le port franc d'Etobey), une défense achetée et revendue en quinze jours nous rapporte plus que trois mois de pagayage. Ensuite, nos villages étant près de la rivière, sans cesse les blancs et les hommes des blancs (Sénégalais) viendront cheis nous. Ils nous prendront de force pour leurs convois ; ils exigeront nos femmes ; ils en- verront nos enfants dans les jardins des missionnaires. >

Le pays que traversa la mission pendant les premiers jours était légèrement accidenté et couvert d'épaisses forêts. De loin en loin elle revoyait le jour dans des clairières cou- vertes d'herbes très hautes et situées sur les lignes de faite séparant les petits ruisseaux dont la réunion va former les rivières peu importantes de Likouka, de Ponengué et de Moumba qui versent leurs eaux dans l'Ogôoné entre Lastour- ville et Doumé. Dans la journée du 17 août l'expédition parcourt le haut bassin de la rivière Mchiguidina, dont le confluent avec l'Ogôcué n'a pas encore été reconnu et qui arrose des forêts habitées par des troupeaux d'éléphants.

Le village Chaké de Diba, près duquel l'expédition établit son campement du 17, est le dernier village appartenant au bassin propre de l'Ogftoué; le village suivant, Youngom- •bela, est situé dans le bassin de la Sébé, grand affluent de rOgôoué: La ligne de faîte qui sépare les deux bassins n'est élevée que de 392 mètres. De ce point, la vue s'étend vers le sud-est sur une mer de verdure à peine ondulée au milieu de laquelle doit couler la Sébé, dont rien, à cette distance, ne révélait le cours.

538 VOYAGE DE PAUL CRAMPEL.

Au changement de bassin correspondait un changement de race de la population. Youngombela est ie dernier vil- lage cliaké. Au delà en se dirigeant vers le nordj'expédiiion devait rencontrer les Bakota-M'biimba, qui s'étendent vers le nord-est jusqu'au pays des Baléké. Ce peuple forme une colonne dont la queue longe les contre-forts du plateau des Batéké, la Seîbé prend sa source, dont le corps est à cheval sur i'Ogôoué, de Doumé à Franceville, tandis quelatèlepar les vallées de la Libounibi et de la Lauète se Rapproche du Kouilou, dont en 1883 elle n'était éloignée que de deux jour- nées de marche.

Après quelques jours d'arrêt au village de Youngombela l'expi^dition parcourt les grandes forôls, qui abondent en éléphants, et suit tantôt la droite, tantôt la gauche du faible relief qui sépare les bassins de l'Ogôoué el de la Sebé. Elle traverse la rivière Yomi.qui se rend àlaSebé,la Mbéou, qui se jette dans l'Ogôoué en un point inconnu et contourne la source de la rivière Dilo, qui rejoint rOgôoué, à quelques milles en amont de l'Ivindo el qui est opposée à la rivière Abidi qui porte ses eaux à la Sebé après un cours très si- nueux. Toute cette région, dont les eaux s'écoulent indiffé- remment vers l'Ogôoué, la Sebé ou l'Ivindo dont la rivière Mbéou est un affluent d'après les indigènes, n'est élevée que de 350 à 400 mètres au-dessus du niveau de la mer, c'est-à- dire à peine de 100 mètres au-dessus de l'Ogôoué. Le sol est à peine mouvementé pour encadrer les nombreux ruisseaux par lesquels s'écoulent les innombrables marais qui couvrent sa surface. IhI végétation atteint son maximum de puissance, les forêts sombres ne laissent voir le soleil que les Chaké ou les Bakota ont jeté à bas les arbres géants pour , établir leurs villages, dont les maisons disposées sur deux rangs forment des rues qui atteignent parfois plusieurs ki- lomètres de longueur. Les sentiers que suit l'expédition sont défoncés par les éléphants, dont les traces se croisent en tous sens et qui semblent être les rois de ces forêts. Les

AU xonr DU CONGO français. ô39

Bakota ont de nombreux campements de chasse, et grâce à. leur habileté et à l'ahondance du gibier ils vivent dans une aisance relative. Aussi leurs mœurs sont-elles douces, et l'expédition trouve-t-elle, dans les villages, une hospitalité cordiale. Au delà du village de Yébé, elle coupe la Milongo, petit ruisseau (jui concourt à former la rivière Diloet, redes- cendant du plateau sur lequel on rencontre l'aticien et le nouveau village chaké de Sandja, elle arrive au bord de la Mouyniandji qui va se jeter dans l'Iviodo au delà, de cette rivière, sur laquelle on trouve en amont de nombreux vil- lages bakota, mbambaet raissangui. Le plateau recommence, s'élevant en pente douce jusqu'au village Mpoumba, habité par les Chaké et les Damboraa. Le chef de Mpoumba, nommé Tsibo, fait le commerce avec des Bakota qui traversent l'Ivindo et vendent leurs produits aux Moulendié, voisins de la rivière Bénilo. Tsibo a entendu parler de la mission pro- testante qui est à l'embouchure de celle rivière el des cha- noinesses qui en font partie. Le village de Mpoumba, élevé de 616 mètres au-dessus du niveaudelamer^estsituésurune arête qui sépare le bassin de la Mouna, qui se rend à l'Ivindo, de celui delaLiboueïa, qui selon toute prohabilité se rend à la Sébé. Cette cote est à peu près la même que. celle de la ligne de faîte qui sépare le bassin del'Ogôoué de celui de la Sébé et que Crarapel avait parcouru près du vil- lage de Mianza. Sur ce tableau se détachaient les monts Goualé, formés d'énormes blocs de rochers granitiques dont Crampel fit l'ascension, aprèsen avoir faille tour pour trouver une fissure qui lui permît d'en atteindre le sommet élevé de 671 mètres au-dessus de l'Océan. En résumé, tout le pays entre l'Ogôoué et la Liboumbi, affluent de l'Ivindo, est élevé de 4 à 500 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le point le plus élevé n'atteint que 671 mètres. Le 27 septembre, l'expédition rejoint la rivière Liboumbi au village akola de Liboueïaqui possède sur celle-ci des pêcheries remarquables qui en barrent toute la largeur. Suivant la rivière à travers

540 VOYAGi; DK PAUL CRAMPEL.

une savane de hautes herbes parsemées de petites futaies, elle visite les villages bakota de Gombé et de Yombi et franchit la Liboumbi à quelques milles de son confluent avec rivindo. Sa largeur d'environ 420 mètres indique qu'elle a un cours peu étendu, et dont l'importance a été exagérée sur les cartes ou l'avait placé par renseigne-B ments. Kandjama, situé entre la Liboumbi el l'ivindo, et presque au bord de cette dernière, est le dernier village akola. De i'autre côté de l'Iviodo, queles indigènes nomment Aïna, habitent les Ossyeba, qui s'avancent dans l'ouest jus- qu'aux sources du Komo el à ta Ifile du delta de l'Ogôoué.

Du 1" au 0 octobre, la mission parcourt les environs du conQuent de l'ivindo et de la Liboumbi^ recueillant de pré-M cieux renseignements sur le haut Ivindo et sur les relations des Ossyeba avec la côte.

L'ivindo à l'endroit Crampel le traversa a une largeur de 300 mètres qui se réduit h. moins de 200 mètres lors- qu'elle reçoit la Liboumbi, large elle-mCme d'à peine 60 mètres. Un peu au-dessous du confluent, près du village de Muyraatidgi, la rivière se répand en un large bassin cou- vert de pêcheries.

Les indigènes donnèrent à M. Crampel les renseigne- ments suivants, qu'il contrôla dansdifTérents villages et dont la concordance peut-être regardée comme une garantie d'exactitude. _

 trois jours de marche dans l'ouest, on rencontre la ri- vièreboumou, au delà de laquelle le pays est absolument plat. En aval de l'ivindo, à deux jours de pirogues, com- mencent les grands rapides.

Lorsque, en 1881, nous voulûmes explorer l'ivindo, dont on ne connaissait que l'embouchure, nous fûmes arrêtés après deux railles de navigation par une chute de 1:2 à ' 15 mètres de haut. A une heure de marche au delà, nous atteignîmes un village ossyeba devant lequel la rivière, quoique calme, était couverte de llocons d'écume prove-

AU NORD DU CONGO FRANÇAIS. 541

liant d'une chute peu éloignée que nous ne pûmes aller reconnaître. Les Ossyeba me dirent qu'au-dessus de cette seconde chute, il y en avait une troisième si haute, que pour la regarder, étant à son pied, il fallait regarder le ciel. D'ailleurs, si l'Ivindo, qui à son confluent avec la Liboumbi est élevé de 484 mètres au-dessus de la mer, est navigable pendant deux jours au-dessous de ce confluent, il lui reste à racheter une différence de plus de 250 mètres sur une longueur de 40 à 50 kilomètres pour atteindre l'Ogôoué, ce qui suppose des chutes et des rapides infranchissables.

Dès le premier jour, on trouve les Ossyeba sur les deux rives. En amont l'Ivindo reçoit à droite les deux rivières Ouah et Nounah^ et à 40 kilomètres il reçoit à gauche la riviàre Njadiéh-Bujelé, dont l'importance égale celle de la Liboumbi.

Toute cette partie de l'Ivindo commerce avec le Gabon. On y connaît de nom le Gomo, sur lequel naviguent de grandes pirogues portant à l'arrière un pavillon comme celui dont Grampel se fait précéder. Pour aller chez les blancs, on fait route à l'ouest, on traverse les villages : Engouragouné, Kalendjoco, Indoumèle, Nko, Bingmelé, Âimoung, Ângonngo, Embimboung, Amouanana, à partir duquel on marche en plaine ; puis Sangouaba, Ebito, Ma- bahabinvoung, Santana ; on arrive alors à la rivière Manga- Qène, viennent quelquefois les blancs. Gette rivière reçoit tm affluent, le Nkémoo.

Deux chemins s'offraient à Grampel pour remonter vers le nord. L'un sur la rive gauche, par les pays des Bakota et des Djandjamm, peuples de caractère doux qui sont arti- sans, ont un certain souci de leur bien-être et possèdent de nombreux animaux domestiques. L'autre sur la rive droite, beaucoup moins facile, à travers les tribus M' Fans chez lesquelles régnait la misère. Gette route semblait être plus intéressante, et d'ailleurs les cartes hypothétiques de ces régions, indiquant l'Ivindo venant de l'esl-nord-est,

r>i2 VOYAGE DE PAUL CRAMPEL.

Crampel craignait d'<5tre trop entraîné vers l'est obligé de se rabattre sur te Congo, comme l'avait fait l'expé- dition partie de Doumé en 1885.

Le 9 octobre l'expédition quille l'Ivindo, faisant route droit au nord. Au confluent de la Ouah et de l'Ivindo elle aban- donne définitivenient cette dernière, qui en ce point semble venir du nord-est. Au-delà de la rivière Ouah que les indigènes lui avaient précédemment signalée, la route, courant au pied de la ligne de faîte qui sépare le bassin de la Ouah de celui de l'Ivindo, coupe presque à leur tête les petites rivières qui se rendent à celles-ci. Le pays est peu accidenté, la cote du plateau varie entre 450 et 500 mètres. Le pays fortement boisé n'est qu'une suite de marais séparés par des terre-pleins qui portent de nombreux villages ossyeba. A partir du village de Memba et quand Crampel eut franchi la rivière Ekongouana, le sol devint plus ferme, s'élevant jusqu'à la cote 678 au mont Katcmendouma, qui marque te passage du bassin propre de l'Ivindo dans celui de son afHuent la iVounâh. Le village d'Essemek situé à deux milles de la Nounàb est élevé de 700 mètres M au-dessus de la mer. Pendant les jours suivants l'expédition suit à peu de distance la rivière Nounâb; de Bissoung à Nkoud sur le flanc gauche de la vallée et à partir de Nkoud dans la plaine qui arrose la Nounâh, qu'elle revoit un peu au delà de Pfoulah.

Dans cette partie de la route, Crampel avait recueilli les renseignements suivants :

D'EÎIoumfludzoco partent trois roulas ; une vers l'ouest, par laquelle viennent les marchandises européennes; une autre vers l'est qui traverse l'Ivindo et mène chez les fl Djandjams. L'ivoire qui traverse Elloumendzoco vient de l'est ou du nord. ^

Du village de Memba parlent quatre routes : la première-^ se dirige vers le sud-ouest, traverse les villages d'Ëngoum- goum et d'Elaga au delà duquel on retrouve la riv' "

AU NORD DU CONGO FRANÇAIS. 543

La seconde vers le nord-ouest mène à un grand village après une marche d'une journée.

La troisième vers l'est traverse l'Ivindo et va chez les Djandjams.

Enfin celle du nord qu'allait suivre l'expédition.

Du village d'Ëssemek l'on se rend au Komo du Gabon en passant par Engoumgoum, Andijaka (2 jours), Ebyllen (3* jowr), Byna (4' jour) et Andjau (5* jour). Au village Bindzoko, Grampel entend parler de la rivière N'Tem, vers laqaelle se dirige le commerce de ces contrées, et d'une riTJère Djah située très loin dans Test-nord-est et sur laqaelle navigueraient les blancs. Le N'Tem, éloigné de cinq jours de marche recevrait, d'après les indigènes, trois affluents : Tia, Aïaet Romm et serait d'après certains indi- gènes un affluent du Komo (ce qui est impossible), tandis que d'autres affirment que le N'Tem après un cours souter- rain de 15 kilomètres prend le nom de rivière Mouny. Le chef de Bindzoko reparle du Djah, qui prenant sa source dans le même massif montagneux que l'Ivindo, coulerait Ters l'est-nord-est et ne tarderait pas à devenir plus consi- dérable que cette rivière. Le commerce de cette contrée se &it par deux routes, l'une qui mène à la côte par la vallée du N'Tem ; l'autre rejoint l'Ogôoué par la rivière Akano. Celle-ci est moins suivie que la première.

La haute vallée de la Nounàh et celle de son affluent le Doaboubari sont très marécageuses et très étroites. Près du village d'Agounah, Grampel gravit la montagne du même aom qui s'élève à 820 mètres au-dessus de l'Océan et à plus de 400 mètres au-dessus de la vallée de la Douboubari. De l'autre côté de celle-ci, le mont Agounah a pour vis-à-vis le mont Nkonn, qui, d'après les indigènes, donnerait nais- sance au N'Tem. Jusqu'au village de Djamba l'expédition traverse une contrée couverte de marais qui d'abord envoient leurs eaux à la Douboubari, puis au delà d'Engoumgoum coulent à des rivières qui se dirigent vers l'est. A la suite

VOÏAGE DE l'AUL CRAMPE L.

des dillicultés qu'il rencontre à Ollan, Crampel pari sans> guide, se dirigeant vers le nord-est. Il ne trouve pas de sen- tier frayé dans cette direction et, après une nuit passée en plein marécage il arrive au village de Djamba, sur les bords de la Sou dont la largeur ne dépasse pas -0 mètres.

Au delà de Djamba Crampel retrouve l'Ivindo, qui en cet endroit forme le rapide deBêh, au milieu duquel se trouve une île. Du village de Kogennyemm à celui de Benguya l'expédition suit la vallée marécageuse d'une petite rivière, affluent de l'Ivindo, nommée Meraba. Benguya, village entouré de marais, est sur une colline élevée de 80 mètres au- dessus de la plaine environnante. Après avoir traversé de nouveaux marécages, Crampel arrive au sommet du mont Kogafenn, élevé de 775mètres au-dessus de l'Océan, soit près de 200 mètres au-dessus du niveau moyen du pays. Du haut de cette élévation l'on domine le pays d'alentour. Entre le nord et le nord-est Ton aperçoit de hautes mon- tagnes. Au nord le mont Goumendjoko, à environ quatre jours de marche, à sa droite le mont Bolobo, presque aussi éloigné, le mont Ngouâ, qui n'est qu'à deux jours de marche^fl le Kouravolo à une journée, et au nord-est le Djadzegueh, éloigné de deux journées. Vers l'est le terrain est uni et vers le sud est l'on découvre une série de collines allant en s'abaissanl vers l'Ivindo. Au sud-ouest une masse rocheuse appelée Bemjarâ émerge de la plaine. Les indigènes indiquent l'ouest comme la direction de laquelle vient l'Ivindo. La route après le mont Kogafenn coupe à leutffl confluent les petites rivières de Malobon et de Bofo, qui descendent du mont Roumvoto, dont l'autre ver?anl envoie, ses eaux à la Ngoum.

Le 4 décembre l'expédition s'arrête au village m'fan d'A- loum qu'elle devait revoir un peu plus lard en revenant à côle. Le5, Crampel se dirige vers l'est, suivant la ligne de fait qui sépare l'Ivindo de sou afilueni la Ngoum. Du village d'Amvoung il revoit le Kogafenn et le Ngouâ. Les villages

J

ItoV

4

AU NORD DU CONGO FRANÇAIS. 545

d'Amvoong, d'Ellen, deToll, d'EgouUennam, de Mallann, elc, qu'il traverse successivement, étaieut autrefois à l'ouest du mont Kogafenn , ils s'avancent maintenant vers le nord-est en sens contraire de la direction ordinaire des migrations des M'Fans. A E^'oullennam IL revoit l'Ivindo large d'environ 100 mètres et l'abandonne pour toujours au raj)ide Madoun- ghé, un peu en amont de l'embouchure de la Lélé, large de 50 mètres qui reçoit elle-même au delà du village Bayaga, que traverse l'expédition, le Mosso-Mossogo. Pendant les Journées du 15 et du 16 décembre, Crarapel parcourt les marais au milieu desquels sont les campements des Bayaga. Ayant trouvé le contact de ce peuple de nains, dont il entendaitparlerdepuis plusieurs semaines, Crampcl reprend la route générale vers le nord à la recherche de sette rivière Djah que les indigènes lui ont indiquée. Laissant h sa gauche le pays de N'jima, il fait trois journées de marche à Touest coupant la rivière Okoumah, qui, large de 40 mètres, porte ses eaux à l'Ivindo. Le 19 décembre, il suit à leur pied une ligne de collines d'où sortent de nombreux ruisseaux qui coulent à l'Ivindo et, après l'avoir franchi eu s'élevant à 630 mètres au-dessus du niveau de la mer, ce qui donnait à ces collines une altitude absolue d'à peine 80 mètres, il arrive le 20 décembre aux villages d'Ekand et de Saké, qui .sont presque réunis, et à celui d'Aloh. Les eaux qui jusque-là s'étaient dirigées au sud vers l'Ivindo prennent une nouvelle direction. Le Moumm coule vers le nord-ouest , tandis que les ruisseaux de Saké et d'Ekoud se dirigent vers le nord- est. D'après les indigènes, toutes ces rivières portent leurs eaux au Djah, qui est à peu de distance dans le nord. En partant de Saké, Crampel fait route droit au nord, coupant près de leurs sources les rivières et les ruisseaux qui sont tributaires de la rivière Moumm.

Le plateau est un peu plus élevé que celui qu'arrose l'Ivindo, les altitudes qui atteignent 680 mètres à Aviah et à Jdisson-Missong ne descendent pas au-dessous de 605 mè-

546

VOYAGE UR PAUL CRAMPEL.

très. Au delà d'Akoum les marais disparaissent. Au village de Ntunghedé, l'expédition coupe la rivière Nsaraesilo, qui à peu de distance rejoint directement le Djah, puis le Mbamo, qui rejoint la Noumm, etrAbodah, qui se jette dans le Djah. Le 26 déoembreCrampel voyait ses efforts couronnés de succès : une petite promenade à l'est du village de Djam- bang l'amenait au bord d'une grande rivière large de 150 mè- tres, dont la profondeur atteignait 4 mètres. Son cours rapide se dirigeait vers Test d'après les indigènes. Son alti«l titude, 54i mètres, était inférieure à celle deTIvindo, dont le volume des eaux était d'ailleurs inférieur à celui des eaux du Djah. Crampel venait d'entrer dans le bassin du Congo. ^

Après une longue étape dans la journée du 'â? décembre, il revoit à midi le Djah près du village de Mlioul, dont le, chef est Linvogo.

Le but que Crampel s'était proposé était pleinement rem-j pli, il avait limité au nord le bassin do l'Ogôoué et découvert un des affluents de la rivière Liba des anciennes cartes, dont les eaux ne pouvaient se rendre qu'au Congo. j

Sa mission était terminée, mais au lieu de se rendre direc- tement à la côte il résolut de parcourir le plateau qui se-, pare les eaux de l'Ogôoué de celles du Djah, d'étudier peuplades qui l'habitent, leurs mœurs, leurs coutumes et les routes commerciales qui traversent ces contrées. j

Le 6 janvier il arrivait au village m'fan de Binvolo. Son' énergie, sa douceur alliée à la fermeté avaient fait une vive impression sur les M'Fans. D'hostiles qu'ils étaient d'abord à cet étranger qui, premier blanc, pénétrait dans leurs forôls, ils étaient devenus amis. Eyégueh, chef de Binvolo, lui confia pour l'emmener en Europe une de ses enfants appelée Niarinzhe et âgée de l!j à 14 ans.

Elle accompagne aujourd'hui Crampel dans le nouveau voyage d'exploration qu'il a entrepris. En quittant le village de Dindoum, Crampel franchit de nouveau la ligne de sépa-j

AU NORD nu myc.o fhançais. 547

ration des bassins du Djah et de l'Ogôoué et, descendant la ■vallée du Ngoum supérieur, arriva au village d'Amvoung d'où il était parti quatre jours auparavant i la recherche du Djali. Il reprît son ancienne route, repassa près du Ko- gafenn, longea de nouveau les bords naarécageux de la Menaba, traversa pour la seconde fois l'Ivindo au rapide de Bêh et vint s'établir pour quelques jours au village de Djaraba, le 12 janvier 1880.

Le 15, il quittait Djaraba pour faire route à l'est et reve- nir à la côte en longeant au sud la frontière franco-alle- mande. Suivant le côté droit de la vallée du Haut-Ivindo, Grampel traverse les villages m'fan de Mvomeko, d'Abo- rometouma, Oualam, d'Angoun et de Maka, qui forment un centre de population. La route an delà de ces villages est inhabitée et traverse une région très marécageuse drainée par de petites rivières qui vont se jeter au nord dans l'Ivindo et dont la largeur ne dépasse iO mètres.

Après avoir traversé celte région de marais, l'expédition arrive au village deMinbang, à partir duquel la route traverse une série de villages très rapprochés les uns des autres. Le régime des eaux est toujours le môme ; de petites rivières servant d'écoulement aux marais et portant leurs eaux à l'Ivindo. L'Ivindo lui-même à l'endroit l'expédition le franchit pour la dernière fois n'est pas encore ixne rivière mais un marais sans courant et d'environ 25 mètres de largeur sur 1 m. 50 de profondeur. Ce marais s'étend dans le sud- ouest à environ une demi-journée de marche et borde la ligne de faite qui sépare le bassin de l'Ivindo de celui du N'Tem-Korara. Son altitude au-dessus du niveau de l'Océan atteint 654 mètres.

Les premiers villages que rexpédition rencontre dans le bassin du N'Tem forment un groupe compact au bord de la rivière Goubi qu'elle franchit deux fois et qui draine un immense marais lequel, d'après les indigènes, s'étendrait à 30 kilomètres au nord-est, jusqu'au pied d'une montagne

5i8 VOYAGE PE PADL CRAHPEL.

appelée Andoung qui doit faire partie du même massif que le mont Doumendzoco et appartenir nœud orographique de celte contrée qui donne naissance au Djah, qui se jette dans le Congo après avoir fait route à l'est, à Tlvindo qui va au sud rejoindre l'Ogôoué, au N'ïem qui se rend à la mer à l'ouest, et probablement à la rivière Campos qui après s'ôlre dirigée vers le nord-ouest s'infléchit pour se jeter dans rOcéan.

L'altitude de la vallée du N'Tem est celle des plaines de rivindoet du Djah et varie de 550 à 600 mètres. Après avoir traversé les villages de Anghal, de Anguum et de Mboum, Crampe! arrive au bord du Komm.

La largeur de cette rivière est d'environ 100 mètres, son courant rapide a une profondeur de 3 à 4 mètres. Sa direc- tion soutenue vers Touest-sud-ouest et l'élude de l'hydro- graphie de ces contrées démontraient, que les eaux du m Konm allaient se mêler à celles de l'Océan. L'expédition était à bout de forces après plusieurs mois employés à pa- tauger dans les marais. Les Loango surtout avaient souffert de ces marches forcées, et d'ailleurs les populations, sans èlvo hostiles i l'e.vpédition, ne témoignaient aucune joie de la venue des blancs, elles semblaient inquiètes; Crampel sentait qu'un mauvais vent soufflait dans ces contrées sans M qu'il pût en connaître la cause. Cène fut qu'à son retour à la , côte qu'il put se rendre compte du changement qui s'était opéré chC2 les M'Fans. Le bruit des combats soutenus par ceux-ci à peu de dislance dans le nord contre l'expédition du lieutenant allemand Kunt et dans la rivière Mouny contve les Espagnols, venait d'arriver dans ces contrées, fl Crampel était blanc et par conséquent solidaire des blancs de la côte.

La rivière était bordée de corabo-combo, arbre qui a une croissance prodigieuse et en deux ou trois années atteint à 45 mètres de hauteur avec im diamètre de 30 k 40. cent.

Il est vrai que son tronc n'est pas ligneux. Une éc

AU KOlIll m; COM.O KHAM^AI:?,

549

très mince enlourant uoe moelle analogue à^ celle du sureau le compose. Aussi U densité de ce bois est-elle inférieure à celle du liège. Crampel profita de l'abondance de cet arbre pour construire huit radeaux sur lesquels il embarqua son personnel et le peu de marchandises qui lui restaient. La descente de la rivière commença. Le convoi de radeaux laissa successivement derrière lui les embouchures des rivières Boua et Lobo, qui viennent du nord, et arriva à un rapide. Les indigènes en armes bordaient les deux rives et ouvrirent le feu au moment l'expédition s'engageait dans le rapide. L'attaque avait été si brusque que l'un des Sénégalais et un Loango avaient été tués. Emportés par le courant, les ra- deaux arrivent à une série lie rapides entourant de nombreux îlots. L'expédition est attaquée à la tète de ce rapide, défile sous le feu des M'Fans qui la saluent d'une dernière décharge à la Qn du rapide. Crampel, voit ses porteurs s'enfuir et lui-même est obligé de se jeter à l'eau avec la caisse contenant ses papiers et des clichés photographiques. Il est grièvement blessé en essayant de les sauver. En- touré de quelques hommes, il commence malgré les souf- frances que lui font endurer ses blessures une course le long du Komm, dont il traverse le confluent avec la rivière N'Tem près de la source de laquelle il avait passé deux mois auparavant. Les porteurs avaient rejoint Crampel et voulaient construire de nouveaux radeaux pourdescendre le N'Tem. Mais Crampel avait appris à se défier de la rivière, sur laquelle il était difficile d'éviter les embuscades. Aussi n'hésita-t-il pas à menacer les Loango. A la fin, ceux-ci, n'ayant d'ailleurs plus de charges à porter, se décidèrent à le suivre. La petite troupe entra dans la forêt, évitant les sen- tiers battus, couchant sans feu, traversant à l'aide de lianes hâtivement tendues les rivières Lobo et N'Tem, glissant à travers des marais les M'Fans qui lesépiaienl ne croyaient pas le passage possible. EnDii, après quinze jours de celte fuite lamentable, soc. UE ctauR. 4' thimëstre: 1890. xi. .16

VOYAGE DE PAtIL CKAMI»Bt

Crampel, à bout de forces, pénétra dans un village riverain du N'Tem. Il y fut reçu avec défiance, mais il put y passer ]a nuit à l'abri. Le lendemain, en proie à une fièvre vio- lente, il repartit par un sentier frayé oti il pouvait se faire porter de temps à autre par ses hommes. A mesure qu'on se rapprochait de la côte, on rencontrait des populations moins hoHliles, des Bakalais et des Moutendiés.

Du i" février au 3 mars, l'expédition avait fait ainsi en- viron 350 kilomètres. Le 3 mars, Crampel arrivait à Bala, ayant devancé par cette marche rapide toute nouvelle de son retour.

Voici maintenant, sommairement résumés, les résultats de cette exploration :

Au point de vue géographique : le relèvement d'une grande partie du cours de l'ivindo, détruis de ses affluents de gauche, de cinq de ses affluents de droite et de ses- sources; la découverte delà rivière Djah, le relèvement d'une partie du cours du Komm, de plusieurs de ses affluents; l'étude de la ligne de faîte entre l'ivindo et leDjnli, le relèvement des principaux sentiers de commerce parlés- quels les Pahouins vont chercher l'ivoire; enûn l'étude de la zone des marécages qui pourrait être la fameuse Lib£ des anciennes cartes*.

Les résultats politiques et économiques sont : quatorz* traités signés avec les quarante-quatre chefs principaux vi sites au cours du voyage.

Les palabres de Crampel ont eu surtout pour but de prfe=-' parer le changement des deux grandes routes commerciak actuelles qui vont de l'intérieur aboutir à des factoreri(^ s non françaises.

Par l'une, les produits du moyen Ivindo s'écoulent vec^* la Mouny ; par l'autre, vont à. Batenga les produits du hat_^»' Ivindo ei des territoires situés entre les bassins de l'Ogôoi ^-

I. La fui Oc eut exposé e»l un régumé dei notcs-iie M. Dmnipoi.

AU NORD DD CONOO FRANÇAIS. 551

et du Congo. Il serait facile de substituer à ces deux routes une voie unique. Pour détourner la première, il ne s'agi- rait que d'établir un poste assurant la sécurité des com- munications sur le moyen et le bas Ivindo. Pour changer la seconde, il fallait avant tout que les M'Fans, riverains des affluents du Congo, seuls parages riches en ivoire, connussent cet Ivindo qui peut les mettre en rapport direct de commerce avec l'Ogôoué. En revenant de sa reconnais- sance vers le Djah, Crampel est parvenu, comme nous l'avons dit, à ramener avec lui plusieurs chefs. Ils ont vu la nouvelle rivière, et ils ont promis de faire tous leurs efforts pour favoriser l'installation d'un poste français dans la région.

M. Crampel conclut donc qu'il faut d'abord placer une station au confluent de l'Ogôoué et de l'Ivindo et laisser les succursales des factoreries de la région maritime s'y installer sous le couvert de ce poste. Il faudrait ensuite établir d'autres agents sur le moyen Ivindo, à l'endroit dé- bouchent les grands affluents de gauche et commence à droite la route de Mouny ; créer enfin une station par 10" de longitude est et l''30' de latitude nord, non loin de l'endroit passent les produits du Djah et d'oîi part la route de Batenga. Il est inutile, pour le commerce, d'aller à l'intérieur, à grand frais et à grand danger. Le climat est malsain, les indigènes hostiles, le pays M'Fan incurable- ment pauvre. Ce n'est pas, en effet, un stock d'ivoire em- magasiné de génération en génération qui constitue une richesse réelle, ni même le caoutchouc, dont la liane n'existe pas partout. Le Pahouin a l'esprit tourné vers les voyages de commerce, il est revendeur et colporteur; il fait sans peine d'assez longues marches, comptant pour bénéfice suffisant la bonne nourriture qu'il trouve sur sa route et les vols qu'il commet, et se souciant assez peu de la relation entre son prix de vente et son prix d'achat. Avec lui, il est beaucoup plus profitable aux factoreries

lAMPEL AC NORD Dt CONGO FRANÇAIS

de rOgôoué d'attendre les caravanes indigènes que d'i chercher les produits. Qu'on laisse donc les commerçant _:*1j dépasser la région maritime, mais qu'on leur conseille e* -^i\ même temps de ne pas aller plus loin que le confluent d ^Bc rivindo. LesBakolas s'étendent jusqu'à ce point, à gauch^^Kie de la rivière, et avec un peu de diplomatie on les décidg=^- rail assez aisément h se grouper autour de nous.

Quant aux M'Fans, nous sommes aussi chez eux, sur flPa

rive droite. Si des stations sur le moyen et le haut Iviod o

assuraient seulement la sécurité relative des communicaK.- tions, ils apprendraient natureltemenl le nouveau chemin. ; ils renonceraient évidemment, aussitôt que possible, à er» - voyer leurs produits par terre vers l'ouest, genre de conï - raerce qui leur a coiilé, jusqu'à présent, de nombreuses perles d'hommes et de marchandises. Ils apporteront eux- mêmes tout cet ivoire, qu'on aurait si mince bénéticeàaller cherch&r aux lieux de production. Ainsi pourrait être dé- tournée vers rOgôoué la plus grande partie de l'ivoire de Batenga et du caoutchouc de Moony.

ÉTUDES DE GÉOGRAPHIE HISTORIQUE

SUR

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR

PTOLÉMÉE, HIOUEN-THSANG, SONG-YCËN, MARCO-POLO

PAR Le D' KICOLA.8 SEVERTZOW

( SUITE')

Examinons maintenant la route du Chighan au Kara-koul, route encore fréquentée, et comparons-la à la description que Hiouen-Thsang donne de son Po-mi-lo.

Partant du cours inférieur du Soutschan, cette route con tourne la base sud-ouest du massif occidental du Ghighnan,' passe par le col de Bogo, puis descend vers le nord, sur la vallée de l'Aksou qu'elle remonte droit vers l'est, dans la direction indiquée par Hiouen-Thsang pour son Po-mi-lo, jusqu'au delà de l'embouchure de l'AIitsebour. Ce n'estque très graduellement, d'une manière insensible, que la vallée de l'Aksou, et, avec elle la route, tourne à l'esl-nord-est, ensuite au nord-est; cette dernière direction est celle de la vallée du Koudara, affluent de l'Aksou et jadis écoulement sud-ouest du Kara-koul.

1. Voir Bulletin de la Société, de géographie, 3* trimestre 1890, p. 417.

LES ANCIENS ITlNKIt.VinF.S A

LK l'AMIB.

J'ai VU de près la parlie supérieure de celte vallée de Kou- dara, voisine du Kara-koiil, et de loin toute son étendue à plus de 100 kilomètres de distance entre deux chaînes de montagnes; d'après les renseignements recueillis, la rivière deKoudara coule dans la partie supérieure de cette longue vallée, sur une longueur d'environ 75 à 80 kilomètres en ligne droite, et l'Aksou, dans la partie inférieure, sur une longueur d'environ 35 kilomètres aussi en ligne droite.

La largeur de la vallée de Koudara est de 1 à 10 kilo- mètres ; la longueur de la route, le long de cette rivière seu- lement, doit être d'un peu moins de 100 kilomètres ; on voit que ce sont des chiflres à peu près proportionnels aux 1000 li de long sur 10 à 100 de large de la vallée de Po-mi-lo et reproduisant exactement la proportion des dimensions du Loun-lchi, en li, à celles de l'ancienne étendue duKara- koul, en kilomètres.

Il y a ici cependant quelques difficultés qui me font pen- ser à une altération du texte par quelque malentendu, ou par quelque omission, dans les exemplaires actuels môme des ouvrages originaux, traduits par Stanislas Julien. Il est parfaitement compréhensible queHiouen-Thsang, allant d'a- bord droit vers l'est et ne tournant que peu à peu au nord- est, note ta direction primitive de sa route comme une di« rection générale, et que la vallée qu'il suivait le conduise à un large bassin occupé par tm lac dont la plus grande lon- gueur aune toute autre direction, celle du nord au sud. Mais il estdiftlcile de placer ce lac au 7>iilieu d'une vallée dont la ■pins grande laigeur nord-sud est chuf fois moindre que la longueur nord-sud du lac. Je crois donc que le texte primitif ' de Hiouen-Thsang devait placer le lac Loun-lchi à ^extrémité supérieure du Po-mi-Io et au milieu du Djambou-dwipa seulement, non au milieu des deux, c'est-à-dire du Djarabou- dwipa et du Po-mi-lo. C'est le double écoulement du lac qui dut induire quelque copiste à placer ce lac au milieu de la vallée, ce qui lit qu'un copiste subséquent, comme

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 555

nous l'avons déjà vu, accommoda les dimensions du lac à celles de la vallée, en donnant à celui-là cinquante li nord- sud au lieu des cinq cents primitifs'.

Ce qui confirme ma correction hypothétique du texte de Hiouen-Thsang, que je crois altéré, ce sont les arbres qu'il dit croître, en petit nombre, dans la vallée du Po-mi-lo. Dans les vallées attenantes au Eara-koul, il n'y a d'arbres qae près du cours inférieur de la Koudara, à plus de 60 ki- lomètres du lac, en ligne droite, ce qui, d'après les chiffres donnés par Hiouen-Thsang pour la largeur de la vallée et l'étendue du lac, fait plus de six cents li. Or il suffit d'un coup d'œil jeté sur une carte du Pamir Khargoscb pour voir que, des mille li de longueur totale du Po-mi-Io, le lac Loun-tschi au milieu doit en occuper cinq cents, et non trais cents, la vallée continuant au nord du lac, et non à l'est. Restent pour le Po-mi-lo, sans lac, 4000 500 = 500 li, soit 350 ou 255 kilomètres de chaque côté; on arrive de la sorte à une distance du Kara-koul à laquelle les arbres ne croissent pas.

Le grand froid du Po-mi-lo et la neige, même en été, se rencontrent un peu partout dans les hautes vallées du Pamir, de même que les vents ; mais pour ces derniers, j'ai trouvé que les plus violents et les plus constants sont cependant les vents du nord qui soufflent sur le Kara-koul et par la vallée de Koudara. Ce sont les seules localités pour les- quelles le témoignage de Hiouen-Thsang, quant aux vents

1. Les li de Uioaen-Thsang sont ici bien petits, dix par Jdlomtstre; mais nous avons vu que leur diminution en longueur augmente gra- duellement, à mesure qu'il monte de la plaine de Koundouz dans le Thsoung^ling. D'abord c'est trois li par kilomètre, ensuite quatre, cinq, sept, et enfin dix; ce qui est inévitable pour un voyageur qui compte les li invariablement à cent par jour de marche, n'importe dans quelle loca- lité. Or, la marche, sur le haut Pamir, est bien ralentie par la difficulté de respirer, surtout ayant le vent en face, comme dut l'avoir Hiouen- Thsang en allant du Chighnan au Kara-koul. Il faut compter de plus avec la fatigue qui produit aussi un allongement imaginaire des distances.

550 LES ANCIENS ITIMOnAMlES A TnàVEIlS LE l'AMIR.

du Po-mi-lo, soit liltéraleraenl exact et dépourvu d'exagé- ration.

J'en dirai autant de Faridilé du Po-tni-lo, sur laquelle ?Iioueq-Thsang insiste si fort. La partie supérieure de la vallée de Koudara est (avec la vallée entre le Katyr-koul etleMarkan-sou) la localité la plus désolée que j'aie rencon- trée sur le Pamir j'ai remarqué qui; la végétation augmente vers le sud, par gradations insensibles entre le col de Kisil-art et l'Aksou, et assez brusquement au delà de cette rivière. D'après les renseignements kirghiz, re- cueillis par Wood {loc. cit., chap. sxi, p. 239) les environs du lac du grand Pamir sont, en été, un tapis continu d'ad- mirables pâturages, surpassant, en conséquence, tout ce que j'ai vu de mieux dans les autres parties du Pamir, plus au nord, et juste le contraire de ce que Hiouen-Thsang dit de son aride Po-mi-lo.

C'est sur les bords mfrme du Kara-koul, en revenant de mon exploration du Pamir dont j'avais vu une grande par- tie, y compris la vallée de Koudara, que j'ai comparé la description du Po-mi-lo et du lac Loun-lscbi par Hiouen- Thsang, telle qu'elle se trouve dans le livre de M. Paquier, .ivec ce que j'avais sous les yeux, La conformité se trouva complète ; ce n'est qu'au Koudara et au Kara-koul, à l'ex- clusion de toute autre localité, qu'on peut rapporter l'en- semble de cette description dans laquelle il y a cependant une particularité une seule qui contredit ma déter- mination du Po-mi-lo, et confirme indifréremmenl ou celle de M. Vivien de Saint-Martin, ou celle de Yule.

C'est ce qui a trait à l'embouchure, dans l'Oxus, de l'é- coulement occidental du lac Loun-tschi ; il est dit que cette embouchure se trouve dans les confins orientaux du Ta-mo- si-t'ié-ti.

On peut bien rapporter cette phrase à la réunion du Piandj et du Sarhadd, dans la partie orientale du Wakhan, mais alors il faut rejeter tout ce que dit lliuucn-Thsang du Ta-mo-

AKCIESS ITINÉrUIRES A TBAVEIIS LE PAMIR. 557

si-l'ié-ti, du Po-mi-lo et du lac Loun-tschi ; en effet tout ce texte est inconciliable, nous l'avons prouvé, avec le passage qui justifie les déterminations de M, Vivien Saint-Martin et de Yiile. Mais ce qui est bien évident, c'est J'impossibilité de rejeter du livre de Hiouen Thsang trois descriptions dont je viens de prouver la parfaite exactitude : celle des vallées du Bogouz et du Krmdara, et celle du grand Kara-koul. Il est plus naturel de chercher une erreur dans le passage qui nous occupe, et cette erreur une fois admise, est facile à trouver.

D'abord une erreur de copiste, se reproduisant incessam- ment dans les fautes d'impression de nos ouvrages géogra- phiques : au lieu des contins orientaux du Ta-mo-si-t'ié-ti, c'est dans les confins occidentaune qu'il faut placer Tembou- chure, dans TOxus, do l'écoulement du lac Loun-tschi et, de plus, dans les confins occidentaux du Ghi-khi-ni* (Chighnan) et non dans ceux du Ta-mo-si-t'ié-ti (Gharan). Cette dernière erreur peut bien appartenir k lliouen- Tbsang lui-même, qui, nous l'avons vu, s'éloigna de TÛxus après l'avoir traversé par un gué encore existant, à environ 20 kilomètres au-dessous de l'embouchure du Bogouz, et put, ne connaissant pas bien les localités non visitées par lui, attribuer au Ta-mo-si-t'ié-ti (Gharan) la rive droite de rOxus jusqu'à l'embouchure de l'Aksou ce qui monlre-

t. L'emboiichiiri^ de F^ksou dam l'Oxus sr trouve dans distncl <]<! Roschai], qui appartient au GiiighnaD, et à prujios diiqucl je fais m une rectiflcation uuLliée plus haut, quaiiJ je réfutais sou idenlillciiUou avec Vallis Coniedorum. Le Roschan n'est milieiiieiit tyutft la |iiii'tin cul- tiviSe lie la vallée <lc l'Aksuu; it s'utciid tiièmû pluâ If, loni; ilc l'Oxus 40 kilomètres de Derboiid à la l'ronti'Te ilu Dcrwaz, dus deux cûlés di' Kala Waina que le long de l'Aksou il liiiit par une gorge InfraiicliiR- sable, uu pou au-dessus de Kala-Wamar. Au-dogsui du lluschati, il y «, le long de l'Aksou, tiii espacu îuhabilé; ensuite lu province de Dartang, qui appartient ausfii au Ch)(;l)uau, la'étend dan» la vallée du l'Aksou, jus- qu'à la limite supérieure de toute culture vers le Pamir rentrai, «t com- prend plusieurs districts ou groupes de village», syr l'Aksou n't l'AUtscIiiMir inférieur, aussi séparés par de» espaces inhabités.

LES A.NCIËNS ITÎNÉIIAIBES^A TBAVKRS T,E PAMIR.

rait qu'il ignorait, sur les rives de l'Oxus, la frontière natu- relle du Gharan la gorge de Kougouz Parin, infran- chissable de son temps.

Cependant une pareille extension du Gharan (Ta-mo-si- t'ié-ti) ne s'accorde pas bien avec le témoignage d'Hiouen- Thsang qui réduit ce pays à une seule vallée, confinant à rOxus, et ne dépassant pas 600 lis (120 kilomètres) de longueur. Iliouen-Thsang n'aurai l-il pas peut-être simple- ment dit que l'écoulement occidentai du lac Loun-tschi « coule vers l'ouest, se réunit au Pot-sou, et continue à couler vers l'ouest » sans préciser le pays se trouve ce confluent? C'est ce qui me parait le plus probable : que la mention (fautive) du Ta-mo-si-l'ié-ti, à' propos de cet écoulement occidental du lac Loun-tschi, est en entier une interpolation postérieure. Une autre source possible de pareilles erreurs est celle-cî : que la relation originale de Hiouen-Thsang fut verbale, écrite seulement par quelque auditeur comme le fut, d'après des témoignages Lien certains, celle de Marco-Polo. Mais, pour Hiouen-Thsang, ce n'est qu'une possibilité. La rédaction différente de sa rela- tion dans les <c Mémoires » et la « Biographie » n'est pas une véritable preuve en faveur de celte supposition : la re- lation de la (( Biograjihie » a pu Cire écrite d'après des com- munications verbales et incomplètes d'IIiouen-Thsang, qui a bien pu aussi écrire lui-même et laisser un manuscrit de ses « Mémoires », inconnu à l'auteur de la k Biogra- phie ».

C'est aux sinologues à décider cette question ; mais ces doutes au sujet de la rédaction du voyage de Hiouen-Thsang sont fort à leur place, quant il s'agit d'examiner sa route du lac Loun-Tschi à Kié-cha roule qui n'est pas précisé- ment facile à déterminer. Le Pamir oriental, qu'elle traverse, est encore entièrement inexploré, excepté une roule, qui, parlant de TascL Kourganne, se bifurque sur Yanghî- Hissai' et Yarkend. De plus, les « Mémoires » de Uiouen-

*

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 559

Thsang ne s'accordent pas avec sa c Biographie » sur son itinéraire dans le Pamir oriental.

Voici cet itinéraire^ d'après les « Mémoires >; les variantes de la « Biographie » seront exposées ensuite ^

« Parti du milieu de cette vallée (du Po-mi-lo), Hiouen- Thsaog, sur toute sa route au sud-est, ne rencontra pas un seul village... Franchissant des montagnes, traversant des précipices, ne voyant nulle part rien que des amas de neige et de glace, il arriva, après environ 500 li de roule, dans le royaume de Kié-pouan-tho...

< Derrière la capitale de ce pays, bâtie sur un rocher, dans un grand défilé de montagnes, coule le Si-to*... On y recueille peu de riz, mais le froment et les légumes y abon- dent... De là, après 300 li de route au sud-est, il arriva à une montagne, célèbre par le séjour de deux arhans {ourahans, désignation de saints bouddhistes), en extase déjà depuis sept cents ans. De là, après 200 li de route au nord-est, par des montagnes et des précipices, il arriva à une maison de bienfaisance, anciennement construite par un arhan, dans un lieu dangereux pour les voyageurs. De cette maison, après environ 800 li de route vers Vest, par des gorges dangereuses, des vallées profondes, et des sentiers frayés en corniche au-dessus de précipices, sous le vent et la neige, il sortit du Thsoung-ling, et arriva au pays d'Ou-cha... Le pays confine au sud avec leSi-to; son sol est gras et fertile, don-

i. Toujours, d'après les extraits de M. Grigortew, loo. cit., p. -490-94. Ces extraits sont beaucoup plus complets que ceux de M. Paquier, Pamir, p. 43, qui s*arrête au Kio-pan-tbo; et M. Grigoriew, dans ces extraits, donne s«uvent une traduction russe littérale du texte français de Sta- nislas Julien, que je n'ai pas sous la main.

S. Ce passage me paraît littéralement extrait du texte de Stanislas Ju- lien, donc plus exact que ma traduction du russe, dans le livre de M. Paquier, on lit : « Kio-pan-tho... dont la capitale s'appuie sur le flanc d'une haute montagne, en deçà du fleuve Ci-to > (Pamir, p. 43). M. Paquier cite cependant, pour cet extrait, la « Biographie » (Pion-i- thian) et nous les Mémoires (Si-yu-ki).

560 LKS ANCIENS ITI>ÉrUIIli:S A. TIîWEns LE PAMin,

nant d'abondantes moissons; il est riche en arbres forestiers et produit beaucoup de fleurs et de fruits; on y exploite aussi, en grande quantité, différentes sortes de pierres de yu (jade) : de couleur blanche, noire et verte... De ce pays il alla au nord, et, après environ 500 li de route par des mon- tagnes pierreuses etdes plaines désertes, il arriva au royaume de Kié-cha... De Kié-cha it se dirigea au sud-est, fit en- viron 500 It de route, el, ayant traversé le Si-lo, il arriva au royaume de Tscfio-keoti-kia... Ce royaume confine à deux rivi&res, et vers le sud, aussi à de grandes montagnes, avec d'innombrables pics qui s'élèvent l'un au-dessus de l'autre, et des cols très élevés. »

En tout, pour arriver du lac Loun-lschi à Ou-cha, 500 -f- 300 -|- 200 -f- 800 = 1800 li i travers les mon- tagnes.

Voici maintenant les variantes de la « Biographie » :

<i Partant du côté oriental du Po-mi-lo, il s'avance vers l'est, par des chemins difficiles et couverts de neige, et, après 500 li de roule, il arriva au Kié-pouan-tho*.., Il y de- meura vingt jours et y obtint des renseignements sur les deux arhans en extase sur une montagne (que, d'après la te Biographie », il ne visita donc pas). De là, il alla au nord- ouest, et, après cinq jours {soit 500 li) de route, il ren- contra une bande de brigands. Ensuite, se dirigeant vers Test, il descendit des hauteurs, et, après 800 li de route, il sortit du Tsoung-ling, et entra dans le royaume d'Ou-cha. »

Les Mémoires et la Biographie nous donnent donc deux itinéraires tout à fait ditlérenls, mais conduisant également du Po-mi-lo à Ou-cha, après un parcours de 1800 li par le Thsoung-ling. II est évident que nous avons des textes dans lesquels la relation originale est fort altérée beau- coup plus que pour la route d'Andérab au lac Loun-tscbi,

1. J'ai complété ici les extraits de M. Crigoricw, d'après M. Paquier (Pamir, p. -13).

LKS ANCIKNS ITliNÉllAIRES A TRAVEKS LE PAMIR. 561

et celte altération porte surtout sur les directions de la route aussi sur les distances. On verra qu'arec une loca- lité possible pour Kié-pouan-tho, Ou-cha se trouve trans- porté des plaines du Tarim dans les montagnes du Thibet occidental par l'itinéraire des Mémoires, et dans celles du Thian-schan par celui de la Biographie.

Il ne reste donc, pour déterminer la route par laquelle Hiouen-Thsang sortit du Pamir, que la détermination des pays qu'il mentionne, à l'aide des particularités carac- téristiques notées dans ses Mémoires, répétant d'abord comme suspectes et les directions de la route, et les dis- tances.

Parmi ces localités, la plus reconnaissable est celle de Tscbo-kou-kia, très exactement déterminée par Vivien de Saint-Martin comme province de Yarkend, Les deux rivières auxquelles elle confine sont le Yarkend-darya et le Kara- koul ; les montagnes au sud sont le Kuen-Iun. De même le Kié-cha est bien la province de Kaschgar, et VOucha celle de Yang-Hissar entre Kaschgar et Yarkend, comme les a aussi déterminés Vivien de Saint-Martin : même les villes principales de ces provinces n'ont pas changé de place depuis le temps d'Hiouen-Thsang, excepté Yang-Hissar, dont le nom même indique une ville relativement récente, Yang dans les dialectes turcs, signifiant nouveau. Restent Kié-pouan-tho et la rivière Si-to. *

Cette dernière est mentionnée trois fois : comme rece- vant l'écoulement du lac Loun-tschi vers l'est, comme cou- lant par le Kié-pouan-tho, et comme traversée par la route de Kié-cha à Tcho-keou-kia, mais près de cette dernière localité. Il est impossible de rapporter ces trois indications à la même rivière, et il ne reste qu'à admettre que ce nom de Si-to est un ancien nom chinois du Tarim, étendu aussi aux grandes rivières qui le forment : car Hiouen-Thsang, nomme Si-to et la Kaschgar-Darya, recevant, comme nous . l'avons vu, l'écoulement oriental du lac Loun-tschi, et la

562 LES ANCIENS ITINÉnAmKS A TUAVEHS LE PAMIR.

Yarkend-Darya, traversée tout près de Tscho-keou-kia.

OnantauKié-pouan-tho,queM. Vivien deSainl-Martin croit être le district actuel de Tasch-Kourgatie, Hiouen-Thsang le détermine par les indications suivantes :

i" Une position, au moins de sa capitale, dansFinlérieur du Thsoung-!ing, considérablement à l'ouest de Kaschgar, et, en général, de la plaine du Tarira.

Pour capitale un fort, bâli sur un rocherj commandant un passage entre des montagnes, et en deçà d'un des af- fluents principaux du Tarim pour le voyageur qui vient du Karakoul.

3o Ce pays doit contenir dans ses frontières la limite su- périeure delà culture du riz; il doit donc Être en partie au- dessous de 1,500 mètres.

Une localité pareille ne peut être cherchée que dans les grandes vallées profondément creusées, qui descendent du système du Pamir vers les plaines du Turkestan chinois. Ces vallées sont au nombre de trois : celle de la Kaschgar- Darya, du Yaman-yar et de la rivière de Tasch-Kourgane, source occidentale delaTarkend-Darya. De ces trois vallées il faut d'abord rejeter celle du Yaman-yar, qui n'est qu'une série de gorges difficiles, ainsi que l'indique même son nom: Yaman signifiant en djagataï turki mauvais^ et yar, préci- pice. Les Kirghiz du Pamir m'ont appris que cette vallée est inculte et inhabitée (sauf peut-être de rares k'staou, campements d'hiver des nomades) jusqu'à sa sortie des montagnes.

Restent les vallées de la Kaschgar-Darya et de la rivière de Tasch-Kourgane qui, toutes deux, satisfont aux deux premières indications d'Hiouea-Thsang.

Le fort de Tasch-Kourgane est en effet construit sur un rocher, sur le bord occidental, c'est-à-dire en deçà de l.i rivière, et adossé à un contrefort des montagnes qui séparent ici les systèmes fluviaux de l'Oxus et du Tarim.

Quant au cours supérieur du Kaschgar-Darya, des posi-

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 561)

tioDs pareilles se trouvent sur sa rive droite, en deçà, donc, tout près du fort moderne d'Oulotigtschat (lui-même bâti dans un bas-fond) et vers l'embouchure du Markan-sou.

Quant à la culture du riz, elle est impossible dans les larges vallées du Tasch-Kourgane et de Tagbarma qui for- ment un district compact, nourrissant une population sé- dentaire. On y cultive le froment, souvent frappé de gelées, en mai et août, mais surtout l'orge et des légumes. Le point le plus bas de ce district, les rivières de Tasch-Kourgane et de Tagbarma, à peine réunies, quittent leurs larges vallées supérieures pour entrer dans une gorge difBcile, inondée et impraticable en été, s'élève encore un peu au-dessus de trois mille mètres. Pour trouver, sur la rivière de Tasch-Kourgane, un climat indiquant la limite supérieure du riz, il faut des- cendre jusqu'à Kousch-arab, à l'embouchure de Tscharling, localité dont les communications sont plus faciles avec Yarkend qu'avec Tasch-Kourgane. Encore est-il douteux que le terrain des environs de Kousch-arab permette la cul- ture du riz.

Quant à la vallée supérieure du Kaschgar-Darya, je ne sais si on y cultive le riz dont la production, insignifiante du temps de Hiouen-Thsang, y a pu être abandonnée depuis lors ; mais les conditions locales sont plus favorables à cette cul- ture, jusqu'à enviroïi 70 kilomètres au-dessus de Kascbgar, dont la hauteur absolue est d'environ 1,200 mètres. Celle d'Ouloug-tschat est d'environ 2,000 mètres. Au-dessous d'Ou- loug-tschat, la vallée de la Kaschgar-Darya sépare le système du Thian-schan aunord, deceluiduPamirau sud; entre elle et les premières chaînes neigeuses des deux systèmes s'étend, de chaque côté, une zone assez large de montagnes peu élevées, tandis que la rivière de Tasch-Kourgane coule par des gorges étroites, fentes transversales de plusieurs chaînes neigeuses.

D'autre part, on peut cependant se demander si le peu de riz que Hiouen-Thsang trouva dans le Kié-pouan-tho

564 LES ANCIENS ITINÉKAIIIKS A TIlAVKliS l,E PAMIR.

était encore bien indigène, s'il n'étail pas importé. Dans ce paj's Hiouen-Thsang ne parait pas être descendu le long du Si-lo, que ce soit le Kaschgar-Darya ou la rivière de Tasch- Kourgane, jusqu'aux localités la culture du riz est possible, et elle ne l'est pas plus dans les environs immédiats d'Ou- loug-tschat que dans ceux de Tasch-Kourgane. L'est-elle dans le Kaschgar-Darya à l'embouchure du Markan-sou? Cette localité a été vue seulement de loin, de la route d'Osch à Kaschgar, par les membres de la mission du colonel Kou- ropalkine envoyée vers Yakoub-Bey en 1876-1877.

La position de Kié-pouan-lho restedonc encore incertaine ; on n'a de choix qu'entre deux localités, mais deux localités éloignées l'une de l'autre. Cependant il est encore d'autres indications pour déterminer ce choix d'une manière pro- bable, sinon positive. Dans ce but, lâchons d'abord du restaurer l'itinéraire de liiouen-Thsnng, tel qu'il devait être selon la relation originale, ce qu'on peut faire de deux raanièies.

Ou on peut supposer que des indications de directions exactes subsistent à côté d'indications altérées en partie dans les Mémoires, en partie dans la « Hiographie >, et com- biner ces parties d'itinéraire de manière à former un tout qui conduise à la position véritable d'Ou-cha.

On nepeut aussi s'occuper des directions et des distances, ni dans les « Mémoires », ni dans la « Biographie », et res- taurer l'itinéraire en combinant ce que ces deux textes disent de la nature deslocalilés parcourues, et des incidents du voyage.

Essayons d'abord du premier moyen. Il donne deux itinéraires possibles, grâce à la position incertaine du Kié- pouan-tho.

Si Kié-pouan-tho est le district de Tasch-Kourgane, alors Hiouen-Thsang dut quitter le Po-mi-Io, dès qu'il ren- contra une vallée et une route qui y débouche du sud-est, en vue du lac Loun-lschi qu'il décrit en témoin oculaire.

LES ANCFENS ITINÉHAIHES A TRAVERS LE PAMIR. 565

Celte vallée est celle du Tschon-sou que j'ai parcourue; de à Tasch-Kourgane la route la pins directe va par la vallée du Tschon-sou, le col de Toïn, la vallée d'Ak-baïtal, celle del'Aksou, et traverse enûn les montagnes qui sépa- rent l'Aksou supérieur de la vallée de Tasch-Kourgane.

Une autre roule, moins directe, remonte un affluent oriental du Tschon-sou jusqu'au col d'Ouzbel, descend vers le Rang-koul et s'y bifurque on deux branches, dont Tune, plus orientale, aboutit à Tasch-Kourgane par Tagharraa, tandis que l'autre, aboutissant également à Tasch-Kourgane, laisse Tagharma à gauche. C'est la direction de route des « Mémoires j.

La distance du Po-mi-lo (vallée supérieure de Koudara) parle col d'Ouzbel et le Rang-Koul à Tasch-Kourgane est de 210 kilomètres, non comptés les détours, montées et des- centes; par le col de Toïn et l'Ak-baïtal, elle est de 200 kilo- mètres.

De Tasch-Kourgane au district de Yanghi-Hissar(ouYang- Hissar, Ou-cha), nous avons d'abord la route suivie pnr Gor- don et Trotter, mais c'est une route d'hiver, inondée en été ; alors ces parties inondées doivent être tournées par des cols difRciles. Il est plus facile de remonter au nord-ouest, par le Tagharma, jusque près du petit Kara-Koul et de tourner de à l'est, par une route qui descend le long de la rivière Ghidjik et rejoint celle de Yanghi-Hissar à Tasch-Kourgane. La jonction de ces routes, ainsi que le confluent du Ghidjik avec le Ken-Kol, ont été relevés par M. Trotter, de la mis- sion Forsyth. Ces deux routes, réunies en une seule, sortent des montagnes un peu au-dessous de ce confluent, à Khal-Karaoul et c'est ta sortie des montagnes d'Hiouen- Thsang, à quoi nous reviendrons.

Cette seconde partie de l'itinéraire, de Tasch-Kourgane à Khat-Karaoul, est celle de la « Biographie », et la combinai- son des deux parties donne une roule assez vraisemblable. Cependant cetitinéraire soulève des objections assez graves:

soc. OK CÉOCR. 4* TRIMESTRE 1890. XI. 37

56«i LES ANClKNSi iTl.SÉn.URES A TRAVEns LE PAMIR.

d'abord, la rouLe que suivit Hiouen-ïhsang, du Chi-Khi-ni at lacLounlschi, psl la route du Chighnan à Kaschgar, et c'esÉ en effet à Kaschgar que va noire voyageur à peine sorti des monlagnes. h

Alors pourquoi ce détour à Tasch-Kourgane, quand il yfl a une route directe du Chighnan (par le Pamir Alitchour) à Tasch-Kouri^ane, d'où il pouvait aussi aller à Kaschgar?

EnsuiLe, que devient son pèlerinage vers les àeuxrahans^^ que, dans les « Mémoires », il dit avoir vus*. Or des rahans et extase surnalurellement séculaire sont bien un objet de pèlerinage pour un pieux bouddhisLe tel que l'était Hioucn- Thsang; car leur sainteté, quoique un milliard de fois infé- rieure à celle d'un pratiéka-bouddha, dépasse cependant dix raillions de fois celle des anagami, eux-mêmes saints dei^ troisième classe^, ayant déjà dépassé les deux premières. "

Si, au contraire, Kié-pouau-tho se trouvait sur la Kaschgar-Darya supérieure, au lieu de correspondre à Tasch- Kourgane, alors Hiouen-Thsang, après avoir plus ou moins contourné l'ancien Lord oriental du Karakoul (alors, nous , l'avons vu, plus étendu qu'à présent), put ou franchir le colH de Kalta-davan, vis-à-vis la moitié de la longueur nord-sud™ du Kara-koul, puis aller au nord-est, ou bien aller au nord jusqu'à la vallée duMarkan-sou et suivre cette vallée vers l'est; ces deux roules se joignent sur le Markan-sou et lafl seconde se rapproche plus de la direction est, indiquée parla™ « Biographie » pour iaroulfe du lac Loun-lschi à Kié-pouan-_|, tho.

Mais, avec cette position de Kié-ponan-lho, il faut, pour arriver de à Ou-cha, prendre d'abord la direction sud-est indiquée parles«Mémoires»; aureste, cette partie du Pamir

i. ifèmoirai, irad. Stanislas Juliea, 11, p. i\i; il après Grigariew. loc. cit., note CLXXix, p. 3.1S.

2. Crigoricw, loc. cit., noLe CXU, p. 344, d'après des notes nu ba« rlc(] pages du Foe-koue-ti, doat il cUb les pages, «ans imlùjuer le tradiii-leurj ni l'édilion.

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 567

oriental, entre les vallées du Markan-sou inférieur et de la Kaschgar-Darya au nord, du Gjhidjik au sud, et de l'Oulou- art (Yaman-yar supérieur) est tellement inexplorée qu'il est impossible d'y déterminer la montagne des deux rahans et la maison de bienfaisance du troisième.

Si maintenant, pour décider entre ces deux itinéraires, nous faisons ^attention à ce que dit Hiouen-Thsang sur la qualité de la route entre le lac Loun-tschi et le Kié-pouan- tho, alors je puis affirmer, de visu, que la route de Karakôul à Tasch-Kourgane franchit peu de montagnes, et présente en- core moins de précipices. Elle va surtout par de larges vallées, au sol bien uni, semblables au Po-mi-Io, et les mon- tagnes qu'elle traverse sont des plus faciles à franchir, par des vallées secondaires qui y montent en pente généralement très douce. Telles sont, du reste, aussi les routes qui, du grand et du petit Pamir et du Pamir-Alitschour conduisent à Tasch-Kourgane; c'est, môme cette facilité de routes nombreuses, qu'il faut quitter pour chercher (et trouver) des gorges difficiles, des pentes ardues, des rochers à pic, qui a fait supposer que tout le Pamir central est un vaste plateau.

Autre chose sont les routes du Karakôul au Kaschgar-Darya soit par le Kalta-Davan soitlelong du Markan-sou : celles-ci répondent bien à ce que dit Hiouen-Thsang qui décrit une difficile route par des montagnes neigeuses, et non les belles routes unies du Pamir central.

La route la plus conforme à cette description est celle qui monte du Kara-Koul au col de Kalta-davan, et qui, avant d'arriver au Markan-sou, traverse plusieurs chaînes nei- geuses et ardues. Entre ces chaînes coulent, profondément encaissés, des torrents qui se jettent dans la rivière Kara-art orientale, affluent du Markan-sou; un levé topographique de ces montagnes a été exécuté en 1878, par M. Koz- lowsky.

Si cette détermination du Kié-pouan-tho, comme se trou-

m

LES ANCIENS !TI>KHAIRES A Tn.WKllS LE l'AMt

vantfiansia vallée supérieure du Kaschgar-Darya déli nation décidée parce que dillliouen-Tlisang de la roule entre le lac Loun-tschi et le Rié-pouan-tho paraît encore insuf- fisamment prouvée, on peut alors compléter la relation de Hiouen-Thsang par celle d'un autre pèlerin bouddhiste, son prédécesseur Song-yun. Celui-ct visita, cuire le Kié-pouan- Iho, qu'il nomme Ko-pan-tho ou Han-pan-lho, un autre pays bouddhiste dans le Pamir, pays qu'il nomme Po-meng, et qui me pariill être le district actuel de Tasch-Kourgane, non visilé par Hiouen-Thsang. Malheureusement je n'ai, pour le voyage de Song-yun (51S après J.-C") que les extraits de Hitler*, faits d'après Neumann*, qui, comme l'a démontré Stanislas Julienr% a traduit un texte passablement corrompu d'après une mauvaise édition chinoise.

La corruption de ce texte estvisible déjà dans l'extrait de. nitter, Song-yun, entrant de la plaine de Yatkend dan le Thsoung-ling, arrive d'abord à Ko-pan-lho, do à Po- mong, de là, après un long tr;ijct, de nouveau à Ko-pan-lho, sans rebrousser chemin et en allant invariablement vers l'ouest. Dans la première mention du Ko-pan-lho, ce pays est seulement nommé; dans la seconde, il est décrit, ce qui m'a mis sur la voie pour trouver à ce texte altéré la cor- rection suivante : « Song-yuji, entré dans le Thsoung-liog, s'y dirigea vers Ko-pan-tho, en pass-ant par Ponieng. n

Je crois, en effet, que Ko-pan-tlio est mentionné pour la premifre fois, avant Po-meug, non comme une station intermédiaire entre celui-ci et la plaine ce qui est con- tredit par tous les détails descriptifs sur le Ko-pan-tho mais simplement pour désigner tout d'abord la direction générale de la route du pèlerin à travers le Thsoung-ling.

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I

1. Asicn, loc. cit., p. 4t»8-6U0.

2. NeumaDD, l'ilgerfahrUn budiihùtiicher Pilger, von China naeh Indien. Leipeig, 1834, p. 11-4»; voijatje de Song-yun -tsé et Itiici-iseng.

3 SUnislag Julien. Journ. A»iat., ocl. 1847, p. i73; cikS pnr Crigo- ricw. /«•• cit., noie cpxxxi, p. 500.

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 569

Une autre supposition qu'on peut faire, d'après la légende du Dragon' dans ce texte embrouillé et corrompu que Po-meng est peut-être la ville principale du pays de Ko- pan-lho est réfutée par quelques particularités de la route suivie par Song-yun entre Po-meng et Ko-pan-tho*, comme nous le verrons tout de suite dans les détails de son itinéraire restauré comme je viens jde l'indiquer.

Song-yun-tsé et Hoci-tseng partirent duKhotan, et pas- sèrent par Tscho-kou-po (Yarkend, le Tcho-keou-kia de Hiouen-Thsang), pour aller à Han-pan-tho (Ko-pan-thc Kié>pouan-tho de Hiouen-Tbsang). Passé Tscho-kou-po, ils franchirent le Ta-Thsoung-ling, et, après trois jours de route vers l'ouest, ils arrivèrent à la ville de Po-meng. De Po-meng, disent les pèlerins, on ne pourrait en trois jours franchir la montagne (laquelle ?)^ ; elle est très froide, et il y a beaucoup de neige, été comme hiver. Sur cette montagne* est un lac, habité par un Dragon venimeux... »

Avec nos connaissances actuelles du Pamir, cet itinéraire est parfaitement recoimaissable : c'est celui d'un pundit envoyé par Gordon (en 4874) de Tascb-Koui^ane directe-

1. D'après cette légende, le Dragon vivait non loin de Po-mtng, et fnt conjuré, à l'aide de formules magiques, par ordre du roi de Ko-pan-tho (Ritter, loc. cit., p. 499).

2. 11 parait que telle était l'opinion de Ritter qui considère Ko- pan-tho et Po-meng, comme équivalant peut-être au Tasch-balyk actuel ; mais ce qu'il y a de plus clair dans ce texte de Ritter ({oc. cit.), c'est qu'il hésite beaucoup pour cette détermination (qui est inexacte), comme en général pour les localités de Song-yun.

3. Ritter ajoute entre parenthèses, à propos de cette montagne : col plus à l'ouest (de Po-meng), ce qui est inexact.

4. Le texte allemand de Ritter (/oc. cit., p. 499), dit : dan« cette mon- tagne; M. Grigoriew traduit en russe : sur cette montagne, vraisembla- blement d'après quelqae correction d'Abel Rémusat, Joum. Atiat., loct, cit. Cette correction n'eHpat faite par M. Grigoriew, pour identifier Po- meng avec Tasch-kourgane; (comme je le fais), car il identilie Ko-pan-tho avec Tasch-kourgane, et doute fort de rexist«nÈe même de Po-meng, qu'il considère comm« un nom fictif, résultant d'une erreur de copiste.

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LES ANXIENS ITiNEnAIUES A TRAVERS LE PAMIR.

ment à Yarkend, en avril. Allant de Yarkentl, Song-yun dut faire celle route en sens inverse, franchir les cols peu élevés deKysil-davan et de Kara-davan, remonter le Tschar- ling, affluent de la rivière de Ïasch-Kourgane, arriver aux chaînes neigeuses qui forment son Ta-Thsoung-ling, et qu'il dut franchir par les cols de Toratel de Tschilschiklik. Le sommet de ce dernier est un petit plateau assez large, avec une dépression contenant un lac. Cette position du lac de Tschilschiklik, sur le sommet du col, à une hauteur de 4,300 mètres, correspond bien exaclemenl h. la position dn lac du Dragon indiqué par Song-yun qui n'est nullement le grand tac décrit sous ce même nom parHiouen-Thsang, comme semble te croire Riller {loc. cit.). Le lac Loun-tschi de Hiouen-Thsang est dans une vallée, entre d4ux chaînes de montagnes et celui de Song-yun dans un bassin creusé tout près de la ligne de faîte d'ît,ne chaîne. J'ajouterai que le petit lac de Tschilschiklik, est, autant que je sache, le seul ainsi situé dans tout le système de Pamir ; et il me paraît difficile de croire que la mention par Song-yun de cette rare particularité topographique qui caractérise sans hésitation possible une seuie des nombreuses routes à tra- vers le Pamir, soit une erreur de copiste, et non une notice du pèlerin qui suivit cette route.

Le voisinage du col et du lac de Tschilschiklik détermi- nent aussi la position de Po-meng : c'est certainement celle du Tasch-kourgane actuel^ d'autant plus que les trois jours de route entre le Ta-Thsoung-ling et Po-raeng se retrou- vent le long des vallées entre le col de Tschilschiklik et Tasch-kourgane, sur la route d'hiver, par Schindi. Cette roule est possible encore au printemps, jusqu'à la grande fonte des neiges en juin et juillet, et c'est avant juin que gong-yun dut venir à Po-meng; il arriva dans le pays de Po-ho vers la moitié du neuvième mois chinais en oc- tobre, six mois après son entrée dans le Thsoung-ling, qui eut donc lieu en avril.

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 571

Suivons maintenant la roule de Hiouen-Thsang entre Po-meng et Po-ho.

« Cette route, sur 1,000 li vers l'ouest, est très escarpée et dangereuse, avec des précipices de tous les côtés. Mais le plus grand danger vient des brigands qui se tiennent dans les défilés, les ravins et les cavernes, et s'y comportent d'une manière barbare. On alla quatre jours au milieu de ces dangers, pas à pas, franchissant les plus hautes cimes du Thsoung-ling; c'était au milieu de l'été. Le royaume de Han-pan-tho (Ko-pan-tho) est très élevé et se trouve sur le sommet de ces montagnes : les eaux de sa partie ouest coulent vers la mer occidentale. Les habitants disent : ce Thsoung-ling se trouve entre le ciel et la terre, au milieu. On y arrose la terre (par des canaux d'irriga- tion) A l'est de la ville (laquelle?) il faut traverser une

grande rivière qui coule au nord-est et se perd dans le sable. Il n'y a ni arbres, ni buissons sur les sommets du Thsoung-ling. Il faisait déjà très froid pendant le huitième mois (mois chinois, correspondant à septembre); le vent du nord chassait devant soi les oies sauvages ; le chassé-neige s'étendait bien sur un espace de 1,000 li. »

Dans le second tiers du neuvième mois (moitié d'octobre) les voyageurs arrivèrent à Po-ho que Song-yun dit être un pays montagneux.

Cet itinéraire est bien évidemment plus qu'incomplet : il est fragmentaire ; mais il contient un détail qui, à lui seul, suffit pour retrouver toute la route. C'est la grande rivière à l'est de la ville, rivière qui coule au nord-est, se perd dans les sables, et que Rilter identifie très justement avec le Yaman-yar. La ville à l'ouest de cette rivière n'est ce- pendant pas Po-meng, comme le suppose Ritter, car je viens de prouver que cette dernière est Tasch-kourgane, dont la rivière, d'ailleurs aussi à l'est de la ville, ne se perd pas dans le sable, mais tombe dans la Yarkend-Darya. Quelle est donc cette ville?

57'2 LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR.

Si elle n'est pas Po-meng, elle ne peut être qu'une ville du Ko-pan-lho et vraisemblablemenl la ville principale, si- non la seule, beaucoup de ces petits Etals autour du Pamir se composaul d'une seule ville avec les villages qui en dé- pendent.

Donc, pour arriver du Po-meng au Ko-pan-tho, il faut traverser le Yaman-yar, le traverser sans sortir du Thsoung- ling, en se dirigeant sinon exactement vers, l'ouest, ce qui est impossible, au moins dans une direction occidenlaji^ quelconque. Or il y a une route qui partant de Tasch-kour- gaue vers le nord-ouesl, traverse en efl'el le Yaman-yar.

Mais pour expliquer cette route qui lraver.se une partie à peu près inconnue du Pamir, il faut donner quelques in- dications lopographiques sur le cours et la vallée supé- rieure du Yaman-yar lui-même, telles que me les ont données les Kirghiz habitant celle vallée, que j'ai rencon- trés près du lac Eang-koul.

Le Yaman-yar se forme d'abord de deux rivières, le Tschaikodé et le Sou-bar,hi qui descendent, à l'est nord- est du Grand Karakoul, de la chaîne neigeuse bordant au sud le bassin fluvial du Markan-sou; la rivière formée par leur confluent prend le nom û'Oulou-art et coule dans une direction sud-est vers le lac petit Kara-koul, qu'elle tra- verse. Sortie du lac et aH'aiblie par son évaporation, elle tourne au nord-est, reçoit un fort affluent descendant du sud, des neiges du Mouslagb-ata (pic de Tagbarma, haut de 8,000 mètres), et s'engage dans la gorge de Gbeuz, en- suite dans celles de Yaman-yar, dont elle prend le nom qui signifie mauvais précipice. Il y avait jadis une route par ces gorges, conduisant du Pamir à l'ancien fort deTiischbalig si souvent mentionné par Klaproth et Rilter; cette route, mainlenant éboulée et abandonnée, était frayée en corniche au-dessus d'abîmes vertigineux dans lesquels se précipite le Yaman-yar. Elle n'a jamais eu aucune impor- tance, et c'est pour cela que le gouvernement chinois permit

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 573

de publier à son sujet des renseignements assez détaillés, tandis que les vraies routes étaient, autant que possible, tenues secrètes' depuis la conquête du Turkestan oriental (Kaschgar, Yarkend, etc.) par les Chinois, en 1758-1759.

Le Yaman-yar sort des montagnes tout près de Tasch- balyk et arrose le district d'Opal, entre Kaschgar et Yanghi- Hissar.

Toute son eau est dépensée aux canaux d'irrigation. Dans quelques ouvrages chinois il est décrit comme un affluent de la Kaschgar-Darya' ; mais c'est inexact. C'est tout au plus si quelque canal d'irrigation, dérivé du Yaman-yar, communiquait jadis avec le système d'irrigation de Kasch- gar. Mais à présent il n'en est rien, et le réseau d'irri- gation du Yaman-yar est complètement séparé par une bande de désert de celui de la Kaschgar-Darya. En re- vanche quelques canaux détournés du Yaman-yar arrosent maintenant l'intervalle jadis désert entre les districts de culture d'Opal et de Yanghi-Hissar.

Le cours supérieur de Yaman-yar, depuis la source du Tschalkodé jusqu'au petit Kara-koul, est d'environ 100 kilo- mètres vers le sud-est; de environ 110 kilomètres vers le nord-est, jusqu'au gros village d'Opal, en tout environ 210 kilomètres. Sur toute cette étendue, la seule vallée du Tschalkodé fait partie des relevés topographiques exécutés par M. Kozlowsky à l'est du grand Kara-koul ; tout le reste n'est connu que par des renseignements kirghiz.

La vallée du Yaman-yar supérieur est la prétendue plaine

1. Ritter, Asien, loc. cit., p. 455. Il y revient à la page 532, suppo- sant même une falsification intentionnelle d'itinéraire par ordre du gou- vernement chinois, supposition qui s'est confirmée. C'est d'après un itinéraire ainsi falsifié par les Chinois, et se trouvant maintenant à Pé- tersbourg, au dépdt cartographique de l'état-major général, que fut com- posé le voyage apocryphe du prétendu Georg Ludwig von***.

2. Par exemple, dans le livre chinois Si-yu-chou-tao-tse, traduit en russe par M. Ouspensky, dans les Mémoires delà Soc. impér. russe de Géographie, section d'ethnographie, t. \I, p. 107-109.

Ô76 LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMin.

I

Toutes ces données ne peavent s'appliquer qu'à la vallée de la Kasch(^ar-Darya, au-dessus de Kaschgar. Le sommet du Thfouiig-linfj, dans le Ko-pan-lho, est l'intumescence de Taou-niouroune (3,400 mètres) qui sépare les sources de la Kaschgai-Darya de celles du Wakhch; ces dernières sont 0 les eaux qui coulent à l'ouest du Ko-pari-tho dans la mer occideolale* ». L'agriculture (maintenant bien réduile) s'élève trfes haut ; j'ai vu des champs à i2,80O mètres, près d'Ir- kestam, sur la Kasciigar-Darya supérieure dont la vallée, fl avec les vallées secondaires, contient bien autant d'espaces cultivables que par exemple le Chighnan ; mais il n'y reste que des parcelles de culture, et les torrents qui fécondaientjadis les petites plaines de celle vallée (comme celle de Ming- you!) les ont stérilisées en les couvrant de galets, depuis qu'on a cessé de les diriger, à leur sortie des montagnes, par des canaux d'irrigation. Cet abandon de la baute vallée de la Kaschgar-Darya s'explique tout naturellement par des siècles lie dévastation; en effet, du vtn* siècle au xix* inclusivement cette malheureuse vallée servit de grande route d'invasion ù des bordes indisciplinées et pillardes, se Mt ruant lanlât du Turkestao occidental sur la Kaschgarie, et H tantôt en sens inverse; ainsi s'explique tout naturellement la différence entre la fécondité de l'ancien Ko-pan-lbo et la stérilité de son emplacement actuel, différence qui n'est donc pas une objection valable contre ma détermination de celiii-15. fl

Puis la traversée « à l'est de la ville, d'un lleuve coulant " au nord-est » que nous avons vu Être le Yaman-yar.Ici la relation revient fort en arrière, jusqu'à mi-chemin entre la haute Kaschgar-Darya (Ko-pan-tho) et Tasch-Kourgane{Po-j moug). L'endroit le plus probable de cette traversée est, en]

1. Mer fjnifiicuine'/ l'omine lo su|}[)o*t! Riltcf {loe. cil.\oa mer d'Aral? L'ciiibonfhuro île l'Oxus a varié, el je ii';ii pas de dniini'fs sur celle ern- bmicliure, en 3J8. Lo nom ctiinuis a Mer occidcntaie , paraît, du ro«ie, avoir été r.uiniiiuu à ces deux mers, très peu cuniiyes des Cbiiiois.

LES ANCIENS ITJNÉRAinES A TRAVERS LE PAMIR. 577

effet, celui le Yaman-yar tourne au nord-est, un peu au- dessous du petit Kara-koul. se trouve le meilleur gué qui, pendant la crue des eaux en été, est peut-être même le seul. D'après le passage du Thsoung-ling au milieu de l'été, c'est juste pendant celte crue que Song-yun dut traverser le Yaman-yar.

Après cette tardive mais indubitable mention du Ya- man-yar, la relation revient àKo-pan-tho pour en décrire le climat d'automne, que nous examinerons, pour déterminer Po-ho parle temps de voyage entre ce pays et leKo-pan-tho.

Le grand chasse-neige du huitième mois, d'après ce que j'ai éprouvé du climat du Ferghâna et de l'Alaï pendant deux années climatiquement très différentes, se répète inva- riablement dans la seconde moitié de septembre, vers la mi-septembre en 4877, vers la fin en 1878; ces tempêtes apportent de la pluie dans le bas Ferghâna, de la neige sur les hauteurs au-dessus de 1,800 à 2,000 mètres, y com- pris la haute Kaschgar-Darya, et, surtout, l'Alaï. Song-yun dut subir cette tempête de neige dans le Ko-pan-tho, car il mentionne aussi, pour le huitième mois, le passage d'oies sauvages. En septembre, ce ne peut être que le passage de VAnser indiens Siéph. , espèce qui niche dans les plus hautes vallées du Pamir et du Thian-scban. Celles du Pamir nichent au sud du Kaschgar-Darya; restent donc pour le passage remarqué par Song-yun, celles du Tbian-schan (et de l'Alaï mongolique). Or, ces oies ne passent ni par l'Alaï, ni par le Ferghâna, je n'ai jamais observé de passage d'oies en septembre ; Song-yun dut donc les remarquer sur la haute Kaschgar-Darya, dans le Ko-pan-tho, d'où il ne dut partir que dans les derniers jours de septembre (calen- drier grégorien), même si la bourrasque qu'il mentionne fut précoce. Restent vingt à vingt-cinq jours pour arriver à Po-ho.

Neumann, cité par Ritter (Asien, loc. cit.), croit que ce Po-ho « pays montagneux», est Boukhara, à quoi Ritter

tBS ANCimS ITINERAIRES A TRATERS LE PAMIR.

objecte la position de cette ville dans une plaine basse. Mais celle objection n'est pas valable, la partie orientale du khanat de Boukbara étant très montagneuse.

Une objection bien plus sérieuse est la longueur de la i-oute entre la haute Kascbgar-Darya et Boukhara; route im- poss^ible à. faire en vingt à vingt-cinq jours et qui en exige au moins soixanle-dix, que M. Ochanine, en 1878, employa à aller de Boukhara jusqu'au haut Alaï, seulement, par His- sar et le Karatéghine.

Reste donc, pour Po-ho, le seul Ferghdna; nous trou- vons, dans Ri Lier (d'après Abel Hémuiial) que ce pays, d'abord nommé Tti-ictin par les Chinois, reçut d'eux, à partir du vi» siècle après Jésus-Christ, les noms de Pa-han et Pho-lo, ce qui se rapproche bien duPo-ho de Song-yun. (Pour ces noms, voyez Hitler, Asien, loc. cit., p. 644.)

Je crois avoir suffisammenl prouvé, surtout par cette ana- lyse deSong-yun , que son Ko-pan-Lho, qui eslle Kié-pouan-lho deHioueii-Thsang, se trouvait bien décidément sur la Kas- chgar-Darya snpéiieure, elle coule entre de hautes mon- lagaes. Mais je puis en donner encore une preuve décisive.

Nous lisons dans Ritter, (loc.C!'L,p. 49") : que le royaume de Kié-pan-lho ou Ko-pan-tho, se trouve au milieu du Thsounp;-ling, qui l'entoure de tous côtés. Quand les (ibinois l'eurent soumis, ils y établirent, en 713 et 74*2, un employé avec le Litre de « gardien duThsoung-ling i),pour protéger l'extrême fronlière occidentale de l'empire*.

Ce qu'il y a de décisirdans ce passage, c'est d'abord l'im- portance attachée par les Chinois au Kié-pan-lho, défense occidentale de leur empire, et, surtouty les dates. C'est en 712* que pénétra dans la Kaschgarie Kouteyba-lbn-Mous-

1. Extrait du Tai-thsiitg-y-thoung-tschi, Pëkitig, 1790, géographie offl- oielle de la Chine, |iar Klaproth, Magasin asiatique, Paris 1835. t, 1, p. 95; ciULion de Hitter,

â.('eU>idate csl donnée parle colonel Kouropalkioe, dans le précis his- lurique du chapitre IV de descripli»» du ta Kajchgarie, p. 78 (en ru8$e).

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 579

lim, conquérant arabe du Turkestan occidental (Tokhar- hestan, Boukharie, Ferghâna).Kouteybavint en712 du Fer- ghâna, par la vallée de la Kaschgar-Darya et dès l'année suivante il fut établi « le gardien du Tbsoung-ling ».

Est-il vraisemblable qu'on l'ait placé ailleurs que sur la route d'invasion, qui venait d'être indiquée par la recon- naissance militaire de Kouteyba? Car, en 712, ce conquérant ne fit encore que venir près de Kaschgar qui acheta par une contribution son retour en Ferghâna, sans combat, et resta soumise à la Chine. J'ai trouvé, dans divers auteurs, des dates différentes pour cette, première incursion arabe*, de 712 à 715 : mais, en tout cas, pendant l'année 713, la Kaschgarie était menacée par les Arabes, ainsi que plus tard; le rétablissement du «; gardien du Tbsoung-ling » en 742 put suivre le rétablissement de l'autorité chinoise à Kas- chgar, après une conquête arabe de cette ville, pas encore définitive.

Ainsi donc, si les Chinois considéraient le Kié-pan-tho comme la clef occidentale de l'empire, c'est que ce pays se trouvait sur la route des invasions venant de l'Occident. Et, de tout temps, commençant par Kouteyba pour terminer par Yakoub-Beg (1864) ces invasions, sans exception aucune, n'ont suivi qu'une seule route : celle de la Kaschgar-Darya supérieure.

Cet argument est plus que suffisant pour trancher la question, malgré quelques indications chinoises (assez mo- dernes) pour placer ailleurs le Kié-pan-tho. Ainsi, dans le passage cité ci-dessus, le Thsoung-Iiag entoure ce pays de tous les cdtés, ce qui conviendrait au seul Tasch-Kourgane. Mais c'est dit dans une édition de 1790, d'où Klaproth a

1. D'après Tabari, historien arabe, cité par M. Grigoriew (trad. de Ritter, Turkestan chinois, notes cccxxv-vi, p. 313-15), Kouteyba, en 712 passa seulement l'Oxus. En 713, il fit sa première incursion dans le Fergbàna; en 715, traversant tout le Ferghâna, il pénétra jusqu'auprès de Kaschgar. D'après Yule, au contraire {Essay on the Upper Oxus, dans Woods Joumey, éd.), Kouteyba entra dans la Transoxiane dès 706.

580 LES ANCIENS ITISÈRAIHES A TRAVEHS LE PAMIR.

peuL-être aussi tiré l'id en Lifi cation de Kié-pan-lho avec] Tasch-balyk, adoptée par Ritter.

Toutes ces indications sont contemporaines des itinéraires falâiQés, déjà mentionnés plus baut*.

Si les Chinois, connaissant le point faible de leur fron- tière da Thsoung-ling, ont, pour cela, fait un secret d'État de toute cette frontière', et falsifié un peu partout les iti- néraires qui la traversent, à plus forte raison ont-ils pu donner de fausses indications sur la position juste de ce point faible, qui eslTancien Kié-pan-tho. Ce qui est bien certain, c'est que « le gardien du Thsoung-ling s aurait été / quelque chose d'absurde, si on le suppose placé à Tasch-I Kourgane ou Tasch-balyk, d'oïl n'est jamais descendue aucune invasion, dans le temps même oii le point & garder était indiqué sur la Kaschgar-Darya, par l'incursion , de Kouteyba. m

Mais cette importante route militaire n'est pas la seule dans la vallée delà Kaschgar-Darya supérieure. Celte vallée surtout la position d'Ouloug-tscbat est le nœud le plus important qui existe pour les roules traversant l'ancien i Thsoung-ling, dans les limites assignées par Hiouen-Thsang, j D'Ouloug-tschat (et au-dessus) divergent :

1" Une route dans le Thian-schan central, par le co! de! Souok (nnrd-ouest d'Ouloug-tschat) et la vallée de l'Arpa, 011 elle se ramifie en tout sens.

2* Toutes les routes de Kaschgar au Ferghâna, par des] cols nombreux, se concentrant, à Ouzghent, vers Andé-j djane, et Osch.

La route principale du Turkestan chinois vers le To-j

1. La mauvaise rédaction dp Sonjç-yuii, «latis la compîlatiûû, tradnil« par Neumann, diile pRUl-iMre aussi ilu (c[U|is il«?s itirxiraires faUilics, à moins qu*dle ne soit simplement du fait de quelque bonze ignorant eni géographie.

â. Celte rronlière terrète, du reste, rappelle quelque pru la nise légen- daire de l'autruche cachant sa tête.

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 581

kharestan, Boukhara, Baik, Kaboul par l'Alaï, le Raraté- ghine et Hissar.

4* La route au Ghighan et au Badakhschan, par la vallée de Koudara.

Comparée à un pareil nœud de routes, l'importance, dans ce sens, de Tasch-Kourgaue devient bien secondaire et celle de Tasch-balyk tout à fait insignifiante.

Cette valeur d'Ouloug-tscbat comme nœud de routes, combinée avec le site de la ville de Kié-pan-tho, indiqué par Hiouen-Thsang, et les éclaircissements ci-dessus, me font définitivement considérer, comme emplacement de cette ville, quelque colline tout près d'Oulougtschat.

La position du Kié-pan-tho ainsi déterminée, il est fa- cile d'établir tout l'itinéraire d'Hiouen-Thsang dans le Pa- mir oriental, en combinant les circonstances racontées et dans les Mémoires et dans la Biographie.

Nous avons vu qu'il partit du lac Loun-tsçhi (grand Kara- koul) par le col de Kalta-davan et le long du Markan-sou : c'était toujours la route du Schighnan à Eascbgar, qu'il suivait vraisemblablement avec une caravane. Mais il s'en détacha, à peine descendu du Pamir, pour se reposer vingt jours de son fatigant voyage (d'après la Biographie) à Kié-pouan-tho (Ouloug-tschat).

il apprit l'existence, dans le Tsoung-ling oriental, de deux rahans vers lesquels se dirigea l'infatigable pèlerin, vraisemblablement au sud-est (Mémoires). Une fois en- gagé dans les montagnes il dut continuer sa route vers le Po-meng de Song-yun (peut-être de nouveau avec une cara- vane de Kié-pan-tho qui s'y dirigeait) ; mais il n'arriva qu'au petit Kara-koul.

il apprit que les montagnes au sud de ce lac étaient infestées par des brigands (dont parle la Biographie). Pour les éviter, il tourna à l'est, et descendit du Thsoung-ling, à Ou-cha, dans le district de Yanghi-Hissar. De toutes les di- rections de sa route, données soit dans les ^Mémoires, soit

soc. DEGÉOGR. 4* TRIMESTRE 1890. XI. 38

582 LES ANCIENS ITINÊnAIRES A TRAVEBS LE PAMIIl.

dans la Biographie, je n'en conserve donc que deux, celles de^ Kié-pan-tho vers l'ermiliige des rabans, dont l'emplacement précis est indéterminable, et celle du trajet droit à l'âstJ vers Ou-cha; route à laquelle je reviendrai. Toutesles autres^ directions sont changées ; elles le sont non arbitraireoient, mais d'après une soigneuse détermination des localités nom-4 raées par lui comme points de repos.

On peut encore faire observer que les fausses directions"' de route, et les contradictions entre les Mémoires et la . Biographie se concentrent surtout autour de Kié-pan-tho J et cessent à partir d'Ou-cha. Ces altérations du texte de Iliouen-Thsang ne seraient-elles pas contemporaines des itinéraires falsiGés, mentionnés ci-dessus?

La localité d'Ou-cha, arriva Hiouen-Thsang, se déter- mine par les caractères suivants :

i' Elle est immédiatement au pied du Thsoung-ling, dont la ville actuelle de Tangbi-flissar est assez loin, dans la plaine.

â* Elle est au bout d'un chemin qui monte dans leTbsoung- ling, droit vers l'ouest.

Elle est droit au sud di? Kaschgar, presque aussi loin de cette ville que Yarkend. Hioiiea-Thsang estime les deux distances à 500 li, ce qui est exagéré pour la distance d'Ou-cha à Kaschgar.

La route d'Ou-cha à Kié-scha, suivie par Hiouen-Tbsang, passe eu partie par des déserts, en partie par des montagnes, ce qui fait exagérer cette distance.

La position présentant toutes ces particularités est vrai semblablemeut celle de l'ancienne capitale d'Ou-cha, anté rieure au Yanghi-kourgane actuel. Maintenant, c'est cell de Khat-Karaoul, sur la rivière Ken-Kol, à sa sortie dei montagnes. Un peu plus haut, le Ken-Kol reçoit un affluent le Ghidjik; se bifurque une route qui le remonte. Ut"» embranchement de cette route remonte le Ken-Kol et abou titàTasch-Kourgane; c'est la route de Gordon et Trotter ^

LES ANCIKNS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAHIR. 583

suivie aussi, nous l'avons vu, par Song-yun vers Po-meng. L'autre route se dirige droit vers Toues^, remonte le Gbidjik et aboutit au petit Kara-koul ; c'est par cette route que Hiouen-Tbsang arriva à Ou-cha, et d'après les Mémoires et d'après la Biograpbie. Quant à sa route de à Kié-cba, (Kascbgar), c'est bien certainement la route par Tascb-balyk « traversant des montagnes et des déserts » et non la route en plaine par Yaoghi-Hissar.

Mais il traversa l'emplacement de cette dernière ville qui n'existait pas encore de son temps, en allant de Kascbgar (Kié-cba) à Yarkend (Tscho-koau-kia) par la route actuelle. Gela semble contredit par la position de Yarkend à l'ouest de la Yarkend-Darya, du côté de Kascbgar, tandis que Hiouen-Tbsang traversa le Si-to ; mais cette contradiction n'est qu'apparente. Yarkend était construite au milieu d'une grande île, entourée de deux bras de la rivière, dont l'oriental est seul qui coule à présent, tendis que l'occi- dental, jadis traversé par Hiouen-Tbsang, est en grande partie (pas totalement) dessécbé, cependant encore re- connaissable.

Nous ne suivrons pas plus loin Hiouen-Tbsang, qui alla de Yarkend à Kbotan et de retourna en Gbine.

UI. Voyage de Marco Polo.

En commençant ce mémoire, je voulais analyser en dé- tail la traversée du Pamir par Marco Polo, à partir de Balascia ou Badascia, qui est le Badakscban actuel ; mais ensuite je me suis décidé à abréger, n'ayant rien de nou- veau à dire. Les commentateurs ont bien varié pour la dé- termination de son itinéraire, et moi-même j'ai bésité entre ladéternùnation du capitaine Trotter*, indiquant la route du

1. Petermann, MittheU. Erganwngihefl, 52, Ost. Turkettan, nach For- syth, p. 14.

LES ANOENS ITINÉUAIHES A TRAVERS LE PAMIK.

Pamir Khourd, et celle de M. Paquier S indiquant celle du Pamir Aliischour ; j'ai aussi cherché à combiner ces deux itinéraires, en supposant que Marco Polo passa du Wakhan,] qu'il dit avoir traversé, sur le Pamir Alitschour, par les.| montagnes du Chighnan : mais, tout bien considéré, j'ai reconnu que la détermination de M. Trotter est la seuli3 qui puisse &lre adoptée définitivement, fl

Voyons d'abord le texte de Marco Polo* : ^

s C'iie si on se part de Balacie,si chevauche-tron douze journées entre grec et levant par devers un ttum courant par un pays qui est du frère du seigneur de Balade; il y a cités et châteaux assez et habitations. j

c Et au chef de ces douze journées, se trouve-t-on en fl une province non pas trop grande, car elle n'a pas trois journées, ela nom Wokhan...

ff Quand on se part de ce petit pays, si chevauche-t-on trois journées par grec et levant, toutefois par montagnes, etmonte-t-on tellement que l'on dit c'est le plus haut lieu du monde.

« Et quand on est monté, se trouve un plain il y a (un grand lac entre deux montagnes, duquel sort) un flum grand et beau, et la meilleure pâture du monde, car une maigre jument y deviendrait grasse en dix jours, avec grande abondance de sauvagines et moutons sauvages qui ont des cornes longues de six palmes (suivent quelques détails sur ces moutons)... Or par le plain chevauche- t-on bien douze journées, et s'appelle ie Pamier.Ei en toutes ces douze journées n'a nulle habitation ne nul herbage fors désert...

a Or nous continuons encore entre grec et levant. Et se voit l'en bien quarante journées toutefois par montagnes, par côtes, par vallées, par passent maints tlums et maints

1. Paquier, Pamir.

â. D'uprès l'édilion il« Vulo (anglaise), t. I, cliap. xxii, p. 18I-l8!i, et t'aquicr (lOf. fil.), uni (Imiiio Au» extrait» du texte original, éd. Pautbier.

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 585

déserts lieux... Cette contrée est appelée Beloro (Rolor)... »

Ces cinq passages contiennent tout ce que Marco Polo

dit, dans son chapitre xxxiii, de la route à travers le Pamir;

je n'ai omis que ses digressions. Le détail du lac au haut du

Pamir est extrait (par Yule) de l'édition Hamusio ; la mention

de Beloro (Bolor) est aussi d'après l'édition de Yule. Yule,

d'après Wood, identifie la route de Marco Polo à peu près

avec celle de Wood : de Faysabad à Zebak, Isch-kaschim,

remontant ensuite l'Oxus (Piandj) jusqu'à son confluent

avec le Sarhadd, de au Grand Pamir; plus loin c'est avec

doute que Yule trace la route de Polo par le col de

Tschitschiklik et Yangbi Hissar, pour aboutir à Kaschgar.

Même incertitude, du reste, pour la route par le grand ou

le petit Pamir « nothing absolutely to décide whetber

M. Polo's route from Wakhan lay by Wood's Lake Victoria,

or by the more southerly source of the Oxus in Pamir Kul. »

Il remarque ensuite que les deux routes se joignent dans la

vallée de Tasch-kourgane, et présume («I apprehend »)

que Marco Polo suivit la route du Mirza, par le col de

Tschitschiklik et la vallée de Kin : roule suivie plus tard

par Gordon et Trotter. Mais les quarante jours dans les

montagnes de Bolor lui paraissent inexplicables, la route

du Mirza n'étant que de trente-quatre jours, de Fayzabad à

Kaschgar^.

M. Paquier, d'après une variante qu'il cite, met deux jours au lieu de douze de Balacie au Wakhan, pour tracer l'itinéraire sur une ligne presque droite « entre grec et levant », c'est-à-dire, est-nord-est. De Balacie* il trace l'itinéraire de Marco Polo vers un point indéterminé du cours de l'Oxus vers le nord, entre Isch-kaschim et Kala

1. Yule, Marco Polo, 2*édit., 1. 1, p. 185, carte itinéraire III. Sur cette carte, il trace la route de Polo par le grand Pamir.

2. H. Paquier {Pamir, p. 57) n'identifie pas Balacie avec Fayzabad, « ville relativement moderne », mais il la place au confluent de l'Abi- Djerm et de TAbi Vardodj, dans la plaine deDaacht-i-Baharak, élargisse- ment de la vallée de la Kokscha.

586 LES ANCIENS ITIlrtnAinES A TRAVERS LE PAMIR.

Wamar t à un point indélerraîné entre le Wakhan supérieur et le Chighnan » {Pamir, p. 55); de là, il le fail escalader (( les hauteurs qui commandent le Chighan et descendre dans la vallée du Shah-darah, on M. Paquier (Pamir, p. 57) place le « plain avec la meilleure pâture du monde », poupH arriver insensiblement, en remontant cette vallée, dans les déserts du Pamir central, traverser les montagnes qui le, bordent vers l'orient, sans passer par Tasch-kourgane eti descendre vers Yarkend (Carcan), laissant Kaschgar auj nord.

A cet itinéraire, il y a de fortes objections. Tout d'abord,' il laisse, contrairement à l'opinion de M. Paquier, entiè-j remenl de côté et au sud le Wakhan, que Marco Polo men- tionne expressément, et passe par la plus grande longueur du Chighnan, dont le grand voyageur vénitien ne souffle pas un mot, dans les deux volumes publiés par Yule, elM contenant la rédaction la plus complète de son texte. ■■

Cette partie deTitinéraire donnée par M. Paquier, de Bâ- lacie jusqu'au Pamir, est donc inadmissible : mais, près du Yaschil-koul, à l'extrémité occidentale du Pamir Alitschour, mes guides Kirghiz m'apprirent qu<? le déversement de ce lac n'est séparé que par un col peu élevé des sources du Soutchan, sur le Bagroumal Pamir, les pâturages sont magnifiques; de ce cnl on voit et ces pâturages, et le Yaschil-koul, encaissé entre deux chRînes de montagnes. Je crus reconnaître, dans ces renseignements, le paysage que Poto décrit à l'entrée du Pamir, d'autant plus que pour j arriver du Whakhan, il faut franchir plusieurs chaînes de montagnes; mais c'est un détour parfaitement inutile, et lefl paysage du B;igroumal pl du Yaschil-koul n'est pas le seul au Pamir qui ré|)ondc à la description de Polo. Ceux du Sary-koul (découvert par Wood) et du Pamir-koul y ré- pondent tout aussi bien.

Restent donc, comme roules montant du Wakhan au] Pamir, seulement celles du grand et du petit Pamir : raaisj

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 587

la première est à rejeter car elle monte insensiblement, par une vallée unie, sans franchir de montagnes, contraire- ment au texte de Marco Polo.

Quant aux routes du Wakhan au petit Pamir, montant le long du Sarhadd, il y en a trois : une d'hiver, une de prin- temps, une d'été. La première est la glace de la rivière : les deux autres ne fout que monter et descendre, franchissant les massifs contreforts de la chaîne neigeuse qui longe le bord droit du Sarhadd. On arrive ainsi à un élargissement de la vallée, oti une intumescence à peine visible, tant elle est aplatie, porte la ligne de fadte entre le Sarhadd et l'Aksou. De cette ligne de faîte le voyageur voit vers l'ouest, à ses pieds, les montagnes qu'il a franchies ; vers l'est, le Pamir- koul et le fleuve qui en découle, l'Aksou. Les pâturages autour du Pamir-koul et des sources du Sarhadd sont ma- gnifiques : mais plus bas, la vallée de l'Aksou est aride, seulement tachetée de pâturages peu étendus et assez clair- semés. C'est bien la partie du Pamir décrite par Marco Polo : plus que toute autre localité de cet ensemble de hautes vallées, la ligne de partage des eaux du Sarhadd et de l'Ak- sou a l'aspect d'un toit du monde (Bam-i-dunya, nom per- san du Pamir).

Keste l'objection de M. Paquier, fondée sur la direction est-nord-est de l'itinéraire de Polo, à partir de Balacie : mais elle n'est pas valable. Analysons l'ensemble de cet iti- néraire, en prenant, pour point de départ, la situation de Balacie donnée (avec doute), par M. Paquier ; sur le Var- dodj, un peu au-dessus de son confluent avec l'Abi-Djerm.

De là, outre la route par Zebak et Ischkaschim, il y a encore une route vers rOzus, droit à l'est, aboutissant à un gué de rOxus, à 20 kilomètres au-dessous d'Ischkaschim : et si la Balacie de Polo correspond à Djerm, ce qui est aussi possible, alors la route du Wakhan se dirige d'abord au nord-est, vers le confluent de l'Abi-Djerm et du VardodJ, ensuite un peu au sud-est, remontant celui-ci ; ensuite à

588 LES ANCIENS ITINÉHAIRES a travers I.F PAWR.

I

l'esl, vers le gué de Polo uniformément vers l'est-nord esl « entre grec et levant », jusqu'au confluent, dans le Wakhan, du Piandj et du Sarhadd; celte direction est donc la direction dominante de toute la route, et aussi celle de la ligne droite entre Djerm et Kala-Piandj, capitale du Wakhan *.

Quant aux détours de la route Tcrs l'est et le sud-est, tous courts, Marco Polo néglige uniformément d'indiquer des détours pareils, dans totis les chapitres de son ouvrage.

De Kala-Piand] jusqu'au Pamir-koul, le premier tiers de la route se dirige vers l'est, non vers le sud-est, * comme le dit M. Paquier; les deux autres tiers vont vers resl-nord-est'.JM

Même direction le long du haut Aksou. De à Kascli- gar la direction générale de la route est nord-nord-est, mais avec beaucoup de détours, surtout en été, à la fonte des neiges alpestres, à quoi je reviendrai tout de suite, en expli- quant les journées de marche, dont Marco Polo compte en tout soixante et dix de Balacie à Kaschgar, pour une route de 1,000 kilomètres au maximum (sur la carte, environ 700). Mais ces jours de marche sont comme les // de Hiouen- Thsang, qui, nous l'avons vu, se raccourcissaient rapide- ment à mesure quil avançait sur le Pamir : ce qui tient tout simplement à la fatigue des bètes de somme*.

Les pâturages du Pamir engraissent bien le bétail, mais à

I I

1. De Ujerni à Kala-Piandj, douze jours; le trajet, d'après la carte esl d'euviron âÛU kiloruèlrua; eu réalité il peut âtre de 350.

S. I>e Kala-Piandj ù Sarliadd, le plus haut village du Waklian, sur JitJ rivière du même nom, trois jours, c'est 60 à 70 kilomètres, la traversée] du Wakhan, par Marco Polo.

3. De Sartiadd au Pamir Khourd (Petit l'amtr), même distance, et ausri| trois jours d'après Polo.

i. La longueur du Petit Pamir, d'après Trutler, est de 68 milles ou] environ 110 kilomètres. Pour trouver les douze jours de marche en plaina de Marco Palo, il faut admettre qu'il desccDiiil coasidérablement le ïoagi du cours sud-uord de l'Aksoii, dans la vallée d'Aktaacli, et ne tournai pas vers Tasch-kourgaiie, par le col de Neza-tasch, traversé par Gordon j Qt Trotter. La descente de ce col vers Tasch-kourgane, se termine pur]

LKS ANCtKNS ITINÉRAIRES A TIIAVKHS LK TAMin. TiRO

condition qu'il y paisse libremenj, tandis que les marches même assez courtes, mais avec une chargo, l'épuisent rapide- ment dansl'air raréfié de ces hauteurs. De plus, Polo ne put 'pas suivre les routes explorées par ta mission Forsyth, qui sont des routes d'hiver, passant par des gorges inondées et inabordables pendant la fonte des neiges, en été. Les routes d'été dans ces montagnes à l'est du Pamir font beaucoup 'de détours, évitant tantôt les gorges inondées, et tantôt des escarpements inabordables. C'est ainsi que s'expliquent les quarante jours de marche; mais au nord des routes relevées par la mission Forsyth, les montagnes que Polo dut franchir pour descendre du Pamir à Kaschgar sont encore inexplo- rées : et même quand elles seront explorées, l'itinéraire de Marco Polo, passé la vallée de l'Aksou, est trop vague pour ■qu'on puisse jamais le déterminer, par l'une des nombreuses roules qui traversent ces montagnes pour aboutir à Kaschgar ïlutôt que par une autre. De plus, le choix entre ces routes, 'en été, dépend de la crue plus ou moins forte ries eaux; sans un bon guide indigène on est exposé à se tromper de route, à rebrousser chemin devant un obstacle temporaire- ment infranchissable, et à errer dans les montagnes, de sentier en sentier. C'est ce qui a pu arriver aussi à la cara- vane de Marco Polo, et ce qui explique les quarante jours de rinarche pour cette partie de son itinéraire, conjoinlemenl 'avec les autres circonstances que je viens de mentionner.

Cette notice me paraît suffisante pour confirmer et com- pléter la détermination que le capitaine Trotter a faite de

une gorge étroite ot dirficilu, rjui peut binn âtrp inrintlén à la Ainle gé- iKÎrale des nei^^es, de Is un (b mai à la mi-juin, même à juillet.

Il dut donc quitter ia vallée de l'Aksou pour Tranchir le nul de Ta- gharmi), otiviron 50 à 60 kiluniètres nord de celui de Ney.n-tash; de à Kaschgar, la distance, en ligne droite, est de 200 kilomistres environ, at moin.s An ')()0 par la route la ;^)ln9 cuurte, qui va du ciil de Tagiiarina au petit Kara-koiil, et descend de veraYan|^h}-llK<isar, le long du Gliiiljik. Et, Marco Polo assigne quarante jours pour ce trajet tandis nu'il n'en met que trente poui- le trajet de! 500 kiloraiitres (au moins), depuis Djerrii Jusqu'au pied Ju col de Tagfiarina.

590 LES ANCIEXS fTINÉRAIRES A TRAVERS I,E PAMIR,

l'iliûéraire de Marco Polo à travers le Pamir : détermination déjà pressentie par Yule, qui a aussi parfailetîient déler- minfi la route de Polo, de Kaschgnr au lac Lob : route identique avec celle que Hiouerv-Thsang suivit à son retour, ce que Yule dit expressément. Je ferai observer seulement que les renseignements recueillis par le colonel Przevalsky, près du lac Lob, au sujet de la ville de Tschertschen (que Yule d'après la prononciation anglaise, écrit Charchan) s'accordent parfaitement avec ceux que donne Yule, d'après Johnson, dans son commentaire du chapitre xxxviii de Marco Polo : cette ville existe encore, entre Kc-ria et le lac Lob. De môme M. Przevalsky a trouvé les ruines d'une an- cienne ville tout près de ce lac : ruines appartenant vrai- semblablement à la ville de Lop, dont Marco Polo parle dans ses chapitres xxxviii et xxxix, mais sans mentionner le lac, que les renseignements et les caries des Chinois pincent assez loin au nord-est, et dont la formation à sa place actuelle, d'après M. de Richthofen, est assez récente et due à un changement de direction du cours inférieur du Tarim.

J'ai encore oublié de dire deux mots au sujet du Beloro de Marco Polo, système compliqué de montagnes, séparant des plaines du Tarim les hautes vallées du Pamir central, et iden- tique avec le Po-lo-lo de Hiouen-Thsang : mais ne formant pas, comme le croyait llumboldl, une grande chaîne continue dans la direction nord-sud.

Je trouve dans les commentaires de Yule (Marco Polo, t. l, p. 187 de la 2' éd.) que ce nom, maintenant inconnu dans les montagnes ainsi nommées par Marco Polo, est encore employé, et depuis des siècles, pour le pays de Balli, sur rindus, au-dessous de Ladakh et aussi pour Chitral. HumboldU'a appliqué à une chaîne de montagnes n'existant pas en réalité, artificiellement composée de plusieurs sou- lèvements nord-sud parfaitement séparés, et croisant les soulèvements est-ouest du système du Pamir dont Tinter-

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 591

section avec ces soulèvements nord-sud est même un ca- ractère orographique des plus essentiels, de ce système, comme je l'expose en détail dans mon orographie du Pamir. Je crois donc toujours que ce nom de Bolor est à rayer de la nomenclature géographique, comme source de confusion et d'erreur., Humboldt, par sa grande autorité, a trop for- tement attaché ce nom à une construction orographique erronée.

Il«tle« «applémentàlre aar les aaeleiia Itlnëraire* A travers le Pamir.

Ce n'est qu'après avoir terminé mon mémoire à ce sujet qne j'eus occasion de relire en entier la Biographie de Hiouen-Thsang, trad. Stan. Julien', et un recueil très com- plet d'anciens renseignements chinois sur les pays entou- rant la Chine, traduit en russe par le défunt P. Hyacinthe Bitschourine*, un de nos meilleurs sinologues. La lecture complète de ces livres confirma ce que j'avais cru, en com- mençant mon travail, savoir que les extraits des itinéraires

1. Histoire de la vie de Hiouen-Thsang et de ses voyages dans l'Inde, par Hœi-ll et Yen-thsong; traduite du chinois par Stan. Julien; 1 vol., Paris, 1853. Ce livre, comme on sait, contient aussi une section de documents composée de nombreux extraits traduits in extenso du5<-yù- ii (Mémoires sur les contrées occidentales) de Hiouen-Thsang, dont je n'ai pas eu la traduction coAiplète, par M. Stan. Julien (2 vol., Paris, 1857-58).

S. Recueil de renseignements sur les peuples qui habitaient en Asie centrale dans les temps anciens, en trois parties, par le moine Hia- cynthe, Petersbourg, 1851 (traduction littérale du titre russe de l'ou- vrage). La première partie contient les renseignements historiques et géographiques sur les peuples de la Mongolie, en 3 volumes; la sur les contrées orientales (Corée, Mandchourie, Japon), 1 vol. ; la 3* sur les contrées occidentales, 1 vol. ; tous ces renseignement sont été traduits in extenso, par le P. Hyacinthe, des annales officielles chinoises, à partir de la compilation historique de la période Sse-ma-tsien jusqu'aux annales des Thang (618-907) inclusivement. Les renseignements sur les contrées occidentales comprennent la période de 1S1 av. J.-G. jusqu'à 307 après J.-C.

592 LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR.

analysés, doanés par MM, Paquier et Grigoriew, étaient suf- Qsants pour la détermiuaUou de ces iliaéraires; mais cette lecture me montra aussi la nécessité d'éclaircissements sup- plémentaires pour établir bien définitivement les détermina- tions de localités, telles que je les ai données. Voici ces éclaircissements :

i. Itinéraire de Ptolémée. Ici, d'abord deux mots au sujet de ma supposition •- « Que la ville actuelle de Kasehgar, dont la fondation paraît être postérieure à Ploléméo, a bien pu être bâtie sur l'emplacement rie su Statio Mercatorutn. On pourra m'objecter que le district actup] de Kasehgar cor- , respond exactement à rancien royaume de Sou-Ié limité au nord par les montagnes Blanches, à l'ouest par le Thsoung-ling* » et mentionné déjà dans les annales de la première dynastie des Han, vers l'an 120 av. J.-C.*, mais le nom de la ville de Kasehgar (Kie-cha-koué) est mentionné pourla première fois par Hiouen-Thsangau vu" siècle et en- suite lesannalesdEsThang,rédigées déjà au XI' siècle, disent querancietine royaume de Sou-lé est aussi appelé Kié-cha^. Je n'ai rien trouvé, dans le livre cité du P. Ilyacitithe qui puisse indiquer que ce nom de Kié-cha-koué, postérieur h Ptolémée, soit donné à l'anciennecapitaleduSou-lé, qui est seulement jiienLionnée dans les annales de la deuxième dynastie des Han (contemporaine de Plolémée), comme assiégée sans succès par 500 Chinois et 30,000 auxiliaires', en no après J.-C.

L'identification de ]a Statio Mercatorum de Plolémée avec Isi \'û\e actuelle deKnsch[farn'cn reste pas moins une question ouverte vraisemblablement insoluble. Mais ce qui esta peu près certain, c'est que cette Statio Mercatormn devait se trouver au moins dans le voisinage du Kasehgar actuel, vers

1. Hyacinthe, /(«cuei/, etc., vol. IV, p. H'r2.

3. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. C3. :!. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 224,

4. ilyaciuDie, loc. cit., IV, p. 130.

Il

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I

LKS ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAHIR. 593

lequel, nous l'avons vu, devait aboutir la route indiquée par Ptolémée, par la Sogdiane et la Vallis Comedarum.

La Statio Mercatorum, que Ptolémée (nous l'avons vu) place au pied oriental de l'Imaus, devait donc nécessaire- ment se trouver au moins dans les environs de la ville actuelle.

Le nom des Comedœ de Ptolémée (en transcription chi- noise Kiu-mi-tho ou Kivrmi) est mentionné déjà dans les annales de la première dynastie des Han, avant J.-G.S comme une des cinq principautés composant le royaume de Ta-Yuétschi (grand Yuétschl), qui comprenait alors toute la partie moyenne du bassin de l'Oxus; la capitale du Khiu- mi s'appelait Ho-mo, nom qui se retrouve dans celui de Gharm, capitale actuelle du Karatéghine; ce Khiu-mi était la principauté la plus orientale du royaume Yué-tschi. Elle est aussi mentionnée dans les annales de la deuxième dynastie des Han, contemporaine de Ptolémée*, et dans celles des Thang; cette dernière mention, d'après Hiouen- Thsang, place le Chi-khi-ni à 500 li sud-est du Khiu-mi', ce qui correspond bien aux positions relatives du Gbighnan et du Karatéghine, et donne une confirmation de plus à mon Identification de celui-ci avec la Vallis Comedarum.

La route indiquée par Ptolémée n'était pas de son temps la seule pour le commerce de la Chine avec l'occident : il y avait deux routes principales, toutes deux au sud du Thian- schan, évitant les tribus nomades (mongoles et turques) au nord de ces montagnes, surtout celles de l'Alaï méridional .

La route du nord allait par Hami, Tourfan, Koutscha et

1. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 55.

2. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 118.

3. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 258.

4. Ces tribus, jusqu'au xviii' siècle, restèrent toujours indépendantes et hostiles à la Chine. Aussi la route nommée actuellement Pe-lou, route du nord, par Barkul et Ouroumchi à Tchougoutschak et Kouldja, est-elle récente; et l'ancienne route du nord s'appelle maintenant route du sud, Man-lou. Les anciennes routes qui se détachaient de celle-ci vers le

594 LKS ANXIENS ITINftUAIHES A TUAVKRS LE PAMIR.

Ak-sou à Kaschgar; d'où elle venait au Ta-waa (Fergbana) el au Kang-Kiu.

La route du sud passait au sud du Lop-Nor'', ensuite par Khotan et Yarkend el se dirigealL vers les pays de Yué-tschi et An-si, tous deux sur l'Oxus; de des embranchements se dirigeaient vers le Kaboul (Kipin des Chinois) et la Perse>.

Mais à partir du commencement des relations de la Chine avecroccidetiten 120av. J. -C. jusqu'au temps de Ptoléméc, ces deux routes principales se réunissaient à. Kaschgar, pour se séparer de nouveau à l'ouest de cette ville en une route du nor<i, allant au Furghana et une roule du sud, allant au Yué-tschi.

Dans les annales de la première dynastie des Uan- nous trouvons ;

« De Sou-lé (Kaschgar) vont des routes au Ta-wan (Ferji- hana), au Kang-Kiu (khanat de montagnards nomades, dans le Thian-schan occidental, nord du Ferghana) et au grand Yuétschi (ancienne Bactrianc) '.

Dans les annales de la deuxième dynastie des Hau, nous trouvons, à la date de 110-130 après J.-C, des rela- tions intimes et fréquentes, d'alliance et de voisinage, entre Kaschgar et le grand Yué-tschi '.

Quant à une route directe de Yarkend au Yué-tschi : (( montant au Thsoung-ling immédiatement à l'ouest de Yarkend », donc sans passer par Kaschgar route que M. Paquier idenliPie, nous l'avons vu, avec l'itinéraire donné par Ptoléoiée celte route, d'après les annales chinoises,

noril-ouQsl, t'.iilro TniiifaQ el Kascligar, se dirigeaient toutes dans les bassins Ju (Ilhivu lli cl du lac Issyk-koiil, uu siiil t\a \;i chaîne neigeuse d'Iiriii-Khatiirga. vers le pajs d'ûiisouii el de lik îiu Kiing-kiu.

ï. Celte roulR r»t maintenanl ;ib»ndoiiiiéc, nu iiioiiii< la piirtie onlre le Lop-^or cl In Cliine.

2. RcaseigueiiiËnts de 7ià3t av. J.-C, HyaciMliu, toc. cit., IV, p. J7, iiolc 1.

a. Hyaciullie, toc. cit., IV, p. (ùt,

i. Hyacliillie. loc. cil , IV, ji. li'.i

ém

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAHIR. 595

ne fut ouverte que par les relations de la Chine avec l'Oc- cident sons la dynastie des Yuan-Wei ; ces relations com- mencèrent en 425 après J.-G.S donc longtemps après le temps de Ptolémée, môme après celui d'Ammien Mar- cellin.

D'après la conformation du terrain entre Kaschgar et ' Balkh (Bactres) que j'ai exposée plus haut, la route de Kasch- gar à Yaé-tscbi devait nécessairement remonter la Kasch- gar-Darya, pour suivre ensuite la série de vallées Alaï, Karatéghine, Hissar, Surkhan, aboutissant à l'Oxus tout près de Balkh: cette route était non seulement la plus facile, mais aussi la plus courte. D'après les témoignages chinois que je viens de citer, elle était fréquentée, non seulement du temps de Ptolémée, mais des siècles avant lui^ et, de Kaschgar au Karatéghine (Fa/2ts Comedaruin) inclusivement, c'est bien certainement celle, qu'indique le célèbre cosmographe alexandrin. Mais, à l'ouest du Kara- t^hine, cette route laisse de côté le bassin fluvial du Zéraf- schane, l'ancienne Sogdiane, que Ptolémée mentionne expressément dans son itinéraire : ce qui m'a fait songer à. la route de Samarkande à Kaschgar, par le Karatéghine et l'Alaï. Mais il est très possible, même probable, que la Sogdiane, telle que l'entendait Ptolémée, ne se bornait pas an bassin fluvial du Zérafschan, mais comprenait l'ensemble des pays tadjiks entre l'Oxus et le Syr, correspondant ainsi exactement au Mawer-al-nahar des géographes arabes. ' En tout cas, les renseignements chinois que je viens de citer confirment complètement ma détermination de l'iti- néraire de Ptolémée et le complètent, en fixant définitive- ment à Kaschgar le point d'arrivée de cette route au pied oriental de l'Imaûs : ce que j'ai déjà deviné dans le présent

1. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 137 110 : il est dit qu'à cette reprise des relations avec l'Occident sous les Yuaawei, en 425, deux nouvelles routes furent ajoutées aux deux anciennes, toutes quatre, du reste, indi- quées vaguement.

5% LES ANCIENS ITIAÉIUIRES A THAVEHS LE PAMIll.

mémoire, mais ce qui était impossible à prouver d'après les anciens témoignages recueillis par M. Paquier.

Rostft à mieux raolivcr ma supposition que la plupart des caravanes bactriennes s'arrêtaient à la Slatio Mercatorum,ei y achetaient ou éclianKeaient des produits chinois, sans péné- trer jusqu'à Sera Metropolîs, supposition que j'ai fondée plus haut sur l'énorme lacune de l'itinéraire de Ptolémée entre ces deux localités, et sur l'ensemble des renseigne- ments donnés par Ritter à ce sujet. Mais elle est surtout une impression générale du livre du P. Hyacinthe, que je cite ici. Voici ce qu'en disent les annales chinoises :

Le bassin Uuvial du Tarim fut, sinon conquis, au moins soumis à la suprématie chinoise sous la première dynastie des Han vers 120 av. J.-G. *; ensuite vers 102, les Chinois sou- mirent aussi le Ferghana(Ta-wan)*. Alors les relations de la Chine avec l'occident devinrent très fréquentes; ce que la Chine y recherchait, c'étaient des alliances et des con- tingents militaires contre ses puissants et dangereux voisins du nord, les Htong-nou de Mongolie'. Ces alliés de la Chine recevaient de riches présents, surtout en étofTes de soie, qui étaient très recherchées*; ainsi le petit pays de Koutscha eu reçut une fois pour 10,000 tatils ou 70,000 francs'- En retour, ces pays envoyaient leurs pro- duits, qualifiés en Chine de tribut". Après la soumission du Ta-wan, l'empereur de la Chine envoya dix ambassades à la fois dans divers pays à l'ouest du Thsoung-ling, avec de riches présents''; ces produits chinois, surtout les soieries, pénétrèrent jusqu'à Rome, et furent continuelle-

1. Hyacintlic, loc. cit., IV, p. 3ô, t. Hyacinllic, loc. cit., IV, p. 28 (iO.

3. HjacinUie, loc. cit., IV, p. «3, il est dit ; par l'alliance d'Ou- souii avec la Chine , nous couperons la main droite .lux Uiong-nou ».

4. Hyaciutlie, loc. cit., IV. p. 78.

5. Hyacinthe, loc. cit., IV p. «i.

0. Hyacinthe, toc. cit.. IV, p. 98 et pnssini. 7. Ilyaciuthe, loc. cit., p. 31.

LES A>CIK>S ITINÉr;\IHES A TIIAVERS LE l'AJim. 507

ment demandés. Pour en obtenir, les habitants de la Bac- triane, de la Sogdiane, du Kaboul, envoyèrent de fréquentes ambassades en GhineS avec des raretés de leurs p.ays, de la Perse et de l'Inde. Ces ambassades, sans objet politique, étaient en réalité de simples caravanes de marchands, recommandées à la cour chinoise par leurs souverains ; car c'était cette cour qui était le principal, sinon l'unique acquéreur des raretés des pays étrangers*... mais le mé- canisme de ce commerce déguisé sous la forme d'un échange d'ambassades nous entraînerait trop loin.

11 dura jusqu'à la fin des premiers Han, et cessa vers l'an 15 après J.-C, pendant les troubles qui aboutirent à l'usur- pation de Wang-Mang^, pour ne recommencer qu'en 13 après J.-C* sous la 2' dynastie des Han, dont la su- prématie ne s'étendit pas au delà dn bassin fluvial du Tarim, et atteignit son apogée vers 97, quand le général chinois Pan-tchao, ayant complètement soumis (mais sans les détrôner) les rois indigènes de ce bassin, envoya en Occident Kang-Ing, qui parvint jusqu'à la Méditerranée^. Mais dès l'an 105, le commandement de Pan-tchao, terminé, les tributaires du Tarim s'insurgèrent, et ne furent de nouveau soumis qu'en 122-27, par Pan-Yuw, fils de Pan-

1. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 98-9

2. Hyacinthe, loc. cit., lY, p. 98-9.

3. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 97.

4. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 102; cette interruption fut ainsi de einqoante-huit ans ; mais l'annaliste des Ilan juniores en compte soisante- «inq, à partir du commencement de l'insurrection des pays du Tarim.

5. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 103. Kang-ing parvient jusqu'à la mer occidentale, que le P. Hyacinthe interprète par Méditerranée ; mais cette interprétation est douteuse, car il dit, loc. cit., p. 115, que l'envoyé chi- nois atteignit cette mer aux frontières des An-si (Parthes) et du Tiao-tschi, soumis aux Ân-sl, très chaud, produisant des lions et des autruches, et entouré par la mer, excepté au nord-ouest, loc. cit., p. lU : ce qui ne s'applique à aucun pays sur la côte est de la Méditerranée, mais plu- tôt à l'Arabie, et indique fia.<)sora comme point extrême atteint par Kang- ing, près du golfe Persique. Au reste, tous les renseignements chinois sur les pays du sud-ouest de l'Oxus sont excessivement vagues et confus.

BOC. DB 6É06R. 4" TKIMESTnB 1890. XI. 39

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LES ASCIENS ITlKIiflAJUKS A TIlAVEnS LE l'AMlll

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Ischao et auteur de la descripLion des contrées occidentales ' Ensuile la puissance cbinoi&e s'afTaiblil quelque peu de: l'an 132, devint h peu près nominale- en 153, et ne fut pa relevée par une expédition sans succès contre Kaschgar ', en no, ni par une expédition mieux réussie pour délivrer Ki-yumi (Kéria)* de la domination duKhutan, en 175. A cette époque, qui est à peu prés ctlle de l'itinéraire de Maës Titianus, les pays du Tarim étaient, de fait, indépendants et hostiles à la Chine : ce qui n'était nulleoienl favorable à un commerce direct de celle-ci avec la Baclriane et l'empire romain. Mais cela ne devait pas empécherracbat « Kaschgar^ des produits chinois recherchés en occident : ce dont nousH avons une preuve indirecte dans le témoignage de l'hisloricn de la deuxième dynastie des Han sur les relations de la Chine avec Ta-tsin (Rome) à celle époque, a qui disent des habi- tants de Ta-tsin, qu'ils font par mer un commerce très avan"^ lageux avec la Perse (An-si) el l'Inde.... que leur souverain cherchait depuis longtemps une occasion d'ouvrir des rela- tions avec la Chine ; mais que les An-si, désirant fournir seuls à Ta-tsin les étoffes de soie chinoises, ne laissaient pas passer par leur pays en Chine les marchands de Ta-lsin '... » _

Ces renseignements, sur Ta-tsin, recueiltisà liassora, uà^ il y avait des marchands romains, datent de 9", et provien- nent de Kang-ing. Plus loin l'annaliste chinois contiime:

Il bans la neuvième année du règne Yan-si (an {W>) le souverain de Ta-tsin, An-toun (Marc-Aurèle Antonin) envoya un ambassadeur, qui entra en Chine par Ji-naii (par mer). 11 apporta des dents d'éléphant', des cornes de rhinocéros et de l'écaillé de tortue. Ce fut ta première ou-

1. Hyacinlhc, loc. cit., IV, ji. lUT.

2. Ilyiu-intlie. loc. cit., IV, p. 10«.

3. Hyaciuthc. lof. cit., IV, p. 130.

4. Hyacinthe, loc. cit., IV, Mi; itc [la* coinpreiidrc ce ki-yu-mi Il E. lie Kliol;in, avec le Kàu-nii ilu 'Disuuii^'-lini:, qui e<l le Knral^>i;liiDC.J

'). Hyacîritho, loc. cit., IV, p. II*, li. HyaciiiDie. loc. cit.. IV, |>. 117.

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LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 599

verture des communications (avec Rome) ». Notons d'abord, dans ce témoignage chinois, le commerce de soieries chi- noises entre Ân-si et Rome : les marchands d'Ân-si, qui fournissaient Rome de soieries chinoises, étaient bactriens «t persans, alors soumis aux Parthes, et le pays d' An-si, oiïi les Romains faisaient un commerce, maritime, était évi- demment la Perse, et non l'ensemble des pays soumis aux Parthes. Quant à la jalousie commerciale de ceux-ci, men- tionnée par l'annaliste chinois, elle est peu croyable, les Parthes ayant été un peuple guerrier et pillard mais nulle- ment commerçant. Les empêchements aux Romains pour traverser les pays soumis aux Parthes venaient plutôt de la crainte qu'inspiraient les incursions de ces derniers, pen- dant le faible règne de Domitien (81-96); incursions qui ne furent punies et arrêtées que par Trajan.

Quanta l'ambassade d'An-toun, elle fut vraisemblable- ment l'entreprise de quelque marchand alexandrin, com- merçant avec l'Inde (par Suez) qui se procura des lettres de créance officielles pour entrer en Chine. La date de cette prétendue ambassade (166) la rapporte à l'époque de l'affai- blissement de l'autorité chinoise sur le Tarim : et cet essai de commerce maritime, qui paraît être resté isolé, indi- querait une forte diminution du commerce des caravanes d'An-si, comme conséquence des insurections sur le Tarim, tandis que le voyage de Maês Titianus, mentionné parPtolé- mée, montre que, vers la fin du deuxième siècle, les Parthes ne faisaient plus d'obstacle. Mais à cette époque (150-200 avant J.-C.) les annales chinoises nous disent que le Sou-lé (Kascbgar) était un État puissant, conquérant de Yarkend et de Khotan* quoique ceux-ci conservassent leurs princes particuliers, soumis à celui de Kagchgar. Tous ces pays du Tarim, débarrassés de la suprématie chinoise, étaient alliés (comme du temps de l'usurpateur Wang-Mang) avec les

1. Ilyaciiillie, Ivc. cit., IV, p. liJt.

(JOI) LE.S ANCIENS, ITIiVKHAUŒS A THAVKIIS LE l'AMlPi.

nomades au nord du Tliian-schan, parmi lesquels les Hiong- nou, déjà en partie vassaux de la Chine, s'atlaiblissaienl el faisaient place à d'autres tribus turques et mongoles : Ou- hoang, Siflng-pij etc., qui, du reste, reconnaissaient aussi la suprématie nominale de la Chine, ce qui n'empêchait pas toutes ces tribus, sans exception, d'y faire des incur- sions continuelles, pour piller autant que possible, sans préjudice pour leurs hostilités entre elles, entretenues par la politique chinoise. Chaque traité de paix était, pour les chefs tiomades, une occasion de présents chinois; de plus, à leur avènement, ils ne manquaient jamais de faire hom- mage à l'empereur de la Chine, pour s'en faire reconnaître et recevoir de riches présents, entre autres des milliers de pièces d'cloffe de soie: surtout les chefs Hiong-nou'. Les incursions des nomades furent surtout fréquentes en tr)2-220: années entre lesquelles se place la date de l'iti- néraire de Ptoléraée'; ces incursions, portant surtout sur les provinces de Schan-si, Schen-si, et Kan-sou gênèrent beaucoup el coupèrent môme les communications directes delà Chine (Sérique) avec-l'Occident. Mais il est plus que probable qu'une bonne partie du butin, comme les présents chinois, était vendue ou échangée par les nomades aux marchands kaschgariens, leurs alliés.

Tel est l'ensemble des circonstances, mentionnées dans les annales chinoises, qui, conjoinlement avec le silence complet de PLolémée sur la roule de sa Slatio Mercaioiumk Sera Metropolis me font penser que, de son temps, les cara- vanes bactrienneselsogdiennes n'arrivaient qu'ej;c(?p<ioMM(f/- tement en Chine, dont elles acquéraient les produits surtout à la Statio Mercatontm, en Kaschgarie : ce qui semble indiqué, d'ailleurs, par la désignation même de celte localité audél:^ de riinaiis comme a station de marchands «.

I. Ily.icinllie, hc. cit., p. l'ii.

S. Iljilcisitll<>, lue. rit., I. p |). 115-0, \:>H-'.K I7<l-r..

LES ANCIENS ITIXÉRAIBES A TIIAVERS LE l'AMIU. (Wl

Ouanl:\S^rfl Metropolis \si capitale des deuxièmes Hun, parvinrent les prétendus ambassadeurs de Marc-Aurèle (arrivés par mer), elle se trouvait dans le Sechouan. ïl, Itiiu'-raires de Hiout'ti-Thsawi et Song-yun. Ici je dois d'abord corriger ma supposition peut-être erronée que Hiouen-Thsang visita son Kiu-mi-tho; d'après la Bio- graphie, il n'y alla pas', et M. Stiin. Julien Irouvo aussi dans le texte des Mémoires, qu'il mentionne ce pays comme un de ceux sur lesquels il a seulement recueilli des renseigneraenls. Ensuite le pays d'0-li-ni (Arni). Voici ce qu'en dit Hiouen- Thsang; « ^-h'-Mïi (Alni-Arni?) Si-ju-ki (texte chin.) livre XII, fol. i. A-lirni est un ancien pays du royaume de Tou-ho-lo. Il borde les deux rives de rOxus (Pol-Sou), Sa circonférence est d'environ trois cents li. La capitale a de quatorze à quinze li de tour. Sous le rapport des produits sol et des mœurs des habitants, il ressemble, en grande partie, au royaume de Houo. En partant de l'est on arrive au royaume de Koti-b-hon (Ro-hou-roh?-). » Et en par- ut de Moung-kien, il dit : « En partant du nord, dti Moung-kien, on arrive au royaume d'A-li-ni^. » ^_ J'ai idenlilié A-li-ni, sans connaître ces données el uni- ^Ktiement par les positions trouvées pour les pays voisins, ^Kvec le Derwaz actuel ; cette interpn^tation se confirme ^Complètement, quoique avec une restriction, A-ii-ni se

K trouvait bien dans le Derwaz, mais n'en occupait qu'un Ibtrict, celui de Kala-khonmb, le plus occidental*, limi- Irophe du Kouliab (Pu-li-ho) : ce qui est 1res nettement j^JDdiqué par son contour de 300 li seulement, sur les deux ^Wves du fleuve. Quant à la position de cet A-li-oi dans la

^^F 1. Slan. Julien, IlixI. de. la rie itf Ilioue.n-Thmnr}, etc., p. -Hi-i, n" 25. ' i. Slan. hi\'wn. ioc. cil., Il."»8; la prononei.ilion de Koii-lo-hoii comme

Ro-tiou indiquée |iar l'illuili-o similoijui;. Il 3. Staii. Julien, foc. ri(., |<. Hi.

t i. Le îtiifviai. a <'n loul trois dislricts nu rentres de culture, aux eni-

liiiuoliurus di!9 IriHs allltienls d(i roxiiç, m'i I;e \-M\i';e un celui-ci s'élargit : islricls (l'ti remoiitanl le lleiive) (t<> Ki\Ja-klnimb, Waiidj, ut Yns-poulam.

cire [ qua

^ar

(iOâ LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR.

partie occidentale du Berwaz actue!, elle est indiquée par l'orientation, assez exacte, au nord de Moung-kien (ville entre Talikhan et Khan-ahad) et, à l'ouest de Ro-hou, que je crois être le Boschau actuel, pelil district conQuent du Piandj avec l'Ak-sou. Quant à ma détertninalicn des loca- lités du Pamir, traversées par Hiouen-ïhsang, on pourra bien trouver que je ne me g6ne pas avec ses directions et ses distances surtout celles de la Biographie mais que faire? Le texte chinois actuel, si exactement traduit par M. Stanislas Julien, fourmille, sous ce rapport, d'erreurs évidentes, accumulées par une longue série de copistes et d'éditeurs'. Pour en prendre un exemple ailleurs qu'au Pamir, je citerai la route de Tche-chi (Tschadj, Scbasch des Arabes, sur remplacement du vieux Taschkend, environ -iO kilom. sud-ouest du Taschkend actuel) aux Portes-de- Fer, roule qui m'est bien connue.

0 Tsche-chi. A l'ouest, ce royaume est voisin du fleuve

Cba-che-bo (Sibonn, Syr). Mille li plus loin, à l'ouest, on arrive au royaume de Sou-lou-li-se-na (Osrouchna, district

actuel d'Oura-tubé); plus loin au nord-ouest îîOO li, on

arrive au royaume de Sa-mo-kien (Samarkand)- ». .\insi, en ligne directe, Samarkand se trouverait à environ 1,300 li (130 lieues) oueU-nord-ùnest du Vieux Taschkend au lieu des véritables 200 kilom. environ au sud-ouest. Mais les Mémoires disent : « En parlant de Tsche-chi, Hiouen-Thsang Ht environ cinq cents li et arriva au royaume de Sa-mo- kien •\ > Ce qui est à peu près exact; mais revenons à la Biograpliie, qui énumère, après Samarkand :

Kou-choang-ni-kia, 300 li ouest; Ifo-han 2(X) li, ouest; Pou-kho (Boukhara), 400 li ouest* ce qui de Samarkand à Boukhara, esl à peu près exact.

1. Et les plus grosses erreurs, comme nous le, verrous & propos de Chnng-mi et (Jfii-tAt-nr sonl jusle le» prélendiies corrcRtinns ciitnoises. i. Stan. Julien, loc. cit., p. .VJ. 3. Stan. Julien, loc, cit., p. i-i8.

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A TRAVERS LE PAMIR. 603

Mais ensuite, passé Pou-kho, nous trouvons : Ta-ti, 100 li à l'ouest; Ho-li-si-mi-kia, 500 li à l'ouest*; Kié-choang- na, 300 lisud-unest; entrée dans les montagnes, 200 li sud- ouest; Porte de Fer, 300 li; la distance totale de celle-ci à Tsche-chi serait donc de 3,800 li ou 380 lieues. En mettant sur la carte ces directions et ces dislances, et diminuant celles-ci d'un quart pour les détours de la route, nous arri- vons à placer la Porte de Fer'' dans la mer Caspienne, près de sa côte orientale !

Les Mémoires (Si-yu-ki) remplacent du reste cette absur- dité par un itinéraire assez exact : de Samarkand au sud- ouest, 300 li à Kié-choang-na, de là. encore au sud-ouest, 200 li jusqu'aux montagnes, ensuite 300 li par les montagnes, vers le sud-est jusqu'à la Porte de Fer. Les directions sont ici assez exactes, de même que les distances : les unes et les autres suffisantes à elles seules pour déterminer Kiéehoang- na comme étant le district actuel de Schehr-i-sabz. Quant à l'absurde itinéraire de la Biographie, il est formé par la réu- nion de deux itinéraires distincts, et séparément assez exacts :

1" Route de Samarkand au Ho-li-si-mi-kia (Kharizm, khanat actuel de Khiva), par Boukhara et Kara-koul (Ta-ti).

Roule de Samarkand à la Porte de Fer, transformée, dans cette réunion, en une route du Kharizm à la Porte de Fer par les auteurs mêmes de la Biographie? ou par quelque ignorant rédacteur subséquent? Mais dans les Mémoires mômes, quoique plus exacts que la Biographie, les distances sont assez rarement à peu près justes. Le plus souvent, elles sont exagérées; d'autres fois, mais moins souvent réduites (comme pour la route de l'Issyk-koul à Tsche-chi). De même les directions. En route, les distances des itinéraires ne s'accordent nullement avec les dimensions des pays parcourus : celles-ci encore plus exagérées.

1. Stan. Julien, loc. cit., p. 60-1.

2. Stan. Julien, loc. cit., p. Cl.

3. Stan. Julien, loc cit., p. 3'J7

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I.KS AMilKhS ITINKUAIHEi* A THAVEUS LK PAMIll.

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Ainsi llîouen-Thsiing donne au pays de Hous (rots mille li de lour*; au Moung-kien, quatre mille*: au Ki-li-sse-mo, milli' li esL-ouest, et trois cents nord-sud''; au Hi-mo-lalo, trois mille li de leur*. El la dislance de Houo h Po-lo- chouang-na, en traversant tous ces pays, sans en laisser aucun de côté, n'est que de OM li en tnul; mais, si petite qu'elle soit relativement aux prétendues dinnensions des pays parcourus, celte dislance, nous l'avons vu, n'est pas moins considérablement exagérée.

tjuant à la traversée du Parair, le texte complet des Mémoires (Si-yu-ki) fournil contre ma détermination des lûcaliléb des objections qui peuvent paraître inflniraent plus sérieuses qu'elles ne le sont en effet, ce qui exige quelques éclaircissements supplémentaires sur les pays deChang-mi, Ta-mo-sié-li, et Chi-khi-ni. Voici d'abord leur description complète, telle que la donnent les Mémoires (Si-yu-ki).

1. Ta-mo-sié-ti. Pour ce pays, il n'y a pas d'extrait du Si-yu-ki dans les documents géographiques annexés par M, Slan. Julien à sa traduction de la Biographie. Voici loul ce qui en est difj h l'article Kiu-lcing-na : t En sortant de

ce pays, dans la direction du nord-est, Hiouen-Thsang gravit des montagnes et entra dans des vallées» rencontrant par- tout des chemins scabreux et hérissés de précipices. Après avoir fait ainsi cinq cents li, il arriva au royaume de Ta-mo-sié-li'. » Et dans le te.\lo de la Biographie, livre V ; « royaume de Ta-mo-sié-li; qui est situé entre deux montagnes, dans le voisinage du Pot-Sou (Oxus)- ».

2. <f Chi-khi-ni (Si-yu-ki, liv. XII, fol. 8) Ce royaume a deux mille li de tour; rcnceiole de lu ville peut avoir de

i. Slan. Julien, loc. fil.,f>. 'Mb.

•î. SUii. Juiiun. loc. cit., p. iii.

:j. Slan. .liilicn, toc. cil., p. 3«K>

■i. Slao. Julien, loc. cit., p. 37'.t. Ce* notices sur des pajs liniili-o- plieB paraissent, ainsi ('•piirpillûes, dnnsleltvrctilé parce i|uc lag ustrailsdu Si-yu-ki y sont rangés, nun ij'nprès j'ilinérair^, mais il'apr^ l'nrdra n\fh» bétique ilcs nom» de pavs.

LES ANCIENS ITINÉRAinBS A TBAVEnS LE PAMIR. 605

cinq à six li. Il oiTrc une succession de montagnes et de vallées, et des plaines désertes remplies de sable et de pierres. Ce pays produit beaucoup de légumes, mais fort peu de grains. Les arbres de« forêts y sont rares et très espacés. On y voit peu de fleurs et de fruits. Le climat est froid et glacial, et les mœurs sont empreintes de violence et de cruauté. Les habitants, etc.... Ils portent des vfitements de peaux et de laine... Après avoir franchi le royaume de Ta-mo-sié-ti, au sud d'une grande montagne, on arrive au royaume de Ghang-mi^. >

3. Chang-mi (Si-yu-ki, liv. XII, fol. 8). « Ce royaume a deux mille cinq cents li de tour; il offre une succession de montagnes et de vallées et une multitude de tertres et de collines. Ce pays produit toutes sortes de grain j les légtimes et te froment y sont d'une abondance remarquable. On récolte beaucoup de raisins, et, en creusant les rochers à l'aide du ciseau, on en tire du Tse-hoang (sulfure d'arsenic). Le climat est froid; les habitants sont d'un naturel droit... La plupart portent des vêlements de laine feu- trée... Au nord-est des frontières de ce royaume, Hiouen- Thsang franchit des montagnes, traversa des vallées, marcha à travers des précipices et, après avoir fait sept cents li, il arriva à la vallée de Pomilo*. »

Ici nous voyons, d'après le nom de Ghi-kbi'ni et la posi- tion relative de ces trois pays, que le Cki-khi-ni est bien le Ghighnan actuel, le Ta-mo-sié-li le Gharan, et le Gbang- mi le Wakhan. Quoique ce dernier nom se retrouve plutôt dans In-po-kien, cette interprétation, que j'ai déjà donnée dans le présent mémoire, est irréfutablement con- firmée par la position de Ta-mo-sié-ti près de l'Oxus. Mais alors, d'après ma propre interprétation de ces trois pays,

1. Stan. Julien, loc. cit., p. 407.

1 Stan. Julien, loc. cit., p. 370.

I. Stan. Julien, loc. cit., p. 365.

' 4. Stan. Julien, loc. cit., p. 363.

GOLi

LES ANCIENS ITINERAIRES A TIIAVERS l.fC PAMtR.

le Po-mi-lo doit être idenliilé, contrairement à mon opinon, avec le grand Pamir de Yule; carie Si-yu-ki dit expres- sément que la route \ers Po-mi-lo pari du Chang-rai et se dirige au nord-est, ce qui caractérise très exactement la route du Wakhan au grand Pamir- Celte objection contre ma détermination de Po-mi-lo, objection que je viens de présenter dans toute sa force, a toute l'apparence d'une réfutation complète mais, aussi, rien que l'apparence. Elle s'évanouit toute seule dès qu'on fait attention, dans les extraits ci-dessus du Si-yu-ki, aux passages que j'ai mis en italiques, qui, dans la description du Chi-kiti-ni ne peuvent s'appliquer qu'au H''aA:Artn actuel et dans celle du Chang-mi qu'au Chighnan actuel : ce qui n'est pas difficile à prouver.

D'abord, l'étendue des deux pays : le Chighnan est plus grand que le Wakhan, et d'après le Si-yu-ki, c'est le plus grand des deux pays. Et la proportion d'étendue, 2,500 et 2,000 ii de tour, montre que, du temps de Hiouen- Thsang le Chighnan (2500 H) comprenait seulement le Chi- ghnan proprement dit, les deux grandes vallées confluentes du Schah-darah et du Sonlchan, avec leurs vallées secon- daires et une petite partie de celle del'Oxus, des deux côtés de Kala et Bar-Piandj; tandis que le Wakhan (2,000 li), alors comme à présent, se composait des hautes vallées do l'Oxus supérieur, et du Sarhadd, avec leurs vallées secondaires.

Ensuite, la nature du terrain, les productions, le climat. La rédaction actuelle du Si-yu-ki mentionne, dans le Chi- khi-ni, ( desplaiues désertes, remplies de sable, de pierres t et Wood a trouvé entre Isch-kaschim et Kala-Piandj plu- sieurs centres de population séparés par des espaces déserts '. De même, la rareté des arbres dans le Chi-khi-ni, le peu de blé, le climat c glacial p du Chi-khi-ni tout cela ne peut s'appliquer qu'au Wakhan, dont les villages s'élèvent de 2,500 (Isch-kaschim) à 3,500 mètres, cl dont l'hiver, éprouvé par Wood-, est en eflet très rude; môme le prin-

lES ANCIKNS ITlNÉnAlRES K TRAVERS LE PAMIR. G07

temps est tardif et froid, grâce aux venls du Pamir, éprouvés par Gordon^.

Quant aux raisitis du Chimg-mi, la limite supérieure de la vigne, sur l'Oxus, esljusle dans le Chighnnn, autour de Bar-Piandj, à des hauteurs d'environ 1, 500 ;\ 2,000 mètres; la fertilité du Chang-mi s'accorde aussi parfaitement avec ce que viL et apprit, dans le Ghighnan , Abdoul-Soubhan, qui y fut envoyé par le capitaine Troller, de la mission Forsyth*. Enfin, ce que le Si-yu-ki dit de la route du Chatig-mi au IPo-mi-lo se rapporte bien à la roule du Chighnnn au grand iara-koul, qui franchit on eil'et des montagnes, traverse les vallées, et côtoie des précipices mais nullement à îlle du Wakhan au grand Pamir, qui remonte, en pente Ir&s douce, la seule vallée du Piandj, jusqu'au lac Yictoria Je Wood, sans quitter le fond assez uni de celte vallée. Que conclure de ces éclaircissements? Je ne crois qu'une seule conclusion possible : c'est que, >endant les douze cents années écoulées entre la composi- ion du Si-yu-ki par Hiouen-Thsang et sa première traduc- tion en Europe, la description originale (et fort exacte) du ^hi-klti-ni (Cliighnan) fut transportée in extenso à l'article 1han(j-mi (Wakhan) et vice versa du fait de quelque rédacteur chinois, qui aura trouvé absurde que le froid augmente du nord au sud, du Chi-khi-ui au Ghang-mi, et attribué cette prétendue absurdité à l'inadvertance d'un copiste antérieur.

Cette malencontreuse correction est peut-être ancienne, cap des détails relatifs au Ghighnan dans l'article Hou-mi- (Chang-mi), et au Wakhan dans l'article Chi-khi-ni, con- formes à la rédaction actuelle du Si-yu-ki, se retrouvent aussi

1. Wood, Journey to the xource of tks Oxui, new. éd. 1872, chap. XX, p. 211.

2. Wood, loc. cit., p p. -208, 511.

3. Gorilan. lioof of Ibe. WuiU, rlmp. v. p. Itl.'»; t<>ropâte<t de neîge eu avril.

4. l'elerrnmn, Mitth^'ihinqen Erqiiniungnheft, 55, pp. 18, 1"J. __

tiOS I.K.S ANCIENS ITIXÈHvMHES A TnWKIlS I.K PAMIR.

dans les annales des Thnng, qui daLenl du xi' siècle, mais \i chacune des deux descriplions coDfoad les particularités des deux pays, et, de plus, le Ta-mo-sié-li (Gharati) esï confondu avec le Wakhan'.

Pour ma pari, je nae suis trompé dans le présent mémoire^ en rapportant au Chtghnan la desctiption ci-dessus du Chi- khi-ni, d'après les extraits de M. Paquier, qui mentionnent^ le Cbang-mi sans le décrire. Ce n'est que la comparaison des deux descriptions qui m'a fait découvrir, dans le texie actuel du Si-yu-ki, la confusion que je viens d'éclaircir et qui consiste en une transposition des textes de deux para- graphes : le texte relatif au Chang-mi (Waktian) étant maintenant mis sous le titre de Gbi-khi-ni, et celui du Chi- khi-ni (Chighnan) sous te litre de Chang-mi.

Le seule phrase qui, dans la description du Chi-khi-ni,' se rapporte réellement au Chighnan est celle qui indique la position relative des pays que nous examinons. Quant à la description da Chang-rai, e!le ne contient pas un uiot qui puisse caractériser le Wakhan, que Hioucn-Thsang] paraîfr ne pas avoir visité. Car ni à l'article Chang-mi, nij à Tarticle Chi-khi-ni, le Si-yu-ki ne dit rien de l'Oxus cou- ' jant tout le long du pays, el, pour les deux royaume?, il ne mentionne qu'une seule roule au Pamir; il la décrit, j nous l'avons vu, de manière h it>» caractériser celle du Chighnan au Grand Kara-koul, mais nullement celle du

1. Hy»clntlie, loc. cit., IV, p. 258 : Clii-ni ou Chi-khi-ni, âÛO li sml- OLiG!>t ilu Kiii-iui: ui: i|ui se rapjiorU au €bi|;hiian, mais sarië ugricullnre, de i,(KHJ li (fe toitr, iieupli' de briijands. Dcl;l, à UOO ti sud, le Hou-ini, aussi \ appelé Tn-niD-sié-ti et llo-lilian (W:tiili^iii); l.fiOOli de lang, 'i-5 do lar^çe, rroid, couvert dfl sables al da pinrins, ciitrcciiiipu de collines, produisant | des fèves et du froiiienl, avec un f-rcellent sol jujur les fruiU Celte pâr- ticularilé du lIoTi-mi sa rapporte ru Cliigliniiii, [p, reMe au Wakliari oommal aussi la stûrililô do Ctii-khi-ni. Hue courte dcscriplîan du Chaiig-ini,| abrùgée du Si-yu-ki, su trouve encore dans ces annales des Tliaii); à l'ar» Licle Karis (^Kciu-kiu), H)':iciuLhi% lùc. cit., IV, p. S.'iO; dans cette de«« cripliun Inut se rapporte Jûjà au Cliiglman, ronime dnns le Si-yu-ki|| arlicle Ch<ing-mi.

LES ANCIENS ITINÉRAIRES A THAVERS LE I>AMIR. 609

Wakhan au grand Pamir, qu'Hiouen-Thsang parait avoir ignorée. Cela s'accorde parfaitement avec ce que nous avons vu : que le Kascbgar et, plus tard, le Kié-pouan-lho, étaient le nœud unique des roules à travers l'Alal et le Pamir, connues des anciens Chinois. Même la route de Yarkend parTasch-kourganeconduisailalors(v' et vi* siècles) par Tagharma, au Ko-pan-tho (Kié-pouan-tho), comme nous l'avons vu en déterminant l'itinéraire de Song-yun.

A propos du Kié-pouan-tho et du Po-ho, aussi mentionné dans le voyage de Song-yun, voici des renseignements offi- ciels des annales chinoises, datant de la première moitié du VI' siècle après J.-C, qui confirment ma détermination de ces pays :

Kiu-pouan-tho^. Le royaume de Kiu-pouan-tho se trouve à l'est du Thsoung-ling. La rivière Tchou-kiu-po-si coule à travers ce pays au nord-est. Il y a de hautes mon- tagnes, où le givre et la neige tombent même en été. I^s habitants sont bouddhistes, le pays dépend du Yé-ta.

Po-ho. Le pays de Po-ho* est à l'ouest du Kié-pouan-tho, et encore plus froid que celui-ci. Les hommes et les bes- tiaux vivent ensemble. Ils habitent des huttes creusées dans la terre. Il y a encore de hautes montagnes neigeuses, dont les cimes paraissent être d'argent. Les habitants mangent du pain et de la bouillie, boivent du vin de grain^. Ils portent des habits de fourrures et de laine feutrée. Deux routes sortent de ce pays : l'une à l'ouest vers Yé-ta, l'autre au sud-ouest, à Ou-tchan, dépendant du Yé-la.

En combinant ces renseignements avec ceux de Song- Yun et de Hiouen-Thsang, donnés ci-dessus, nous voyons :

1. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 179.

2. Hyacinthe, loc. cit., IV, p. 180.

3. Ce « vin de grain », ne me parait pas avoir été de l'eau-dc-vie, mais plutdt la bouza, encore actuellement bue au Ferghàna et dans tout le Tourkestan, décoction fermentée de farine de millet ou de djougâra (sorgho), acide au goût, à peu près aussi spiritueuse que la bière, sinon

tilO LES ANCIENS ITUiÉRAIHES A TIlAVEniî LK l'AMlR.

l" Que le Kié-pouan-tho, immédiaLeraent voisin du Po- ho, moins froid que celui-ci, occupant (d'après Song-yun) <in« partie du faîte tin Thsouiig-ling, et traversé par le Tchou-kiu-po-si, couiant nord-est comprenait non seule- ment la haute vallée de laKasehgar-Darya, mais aussi le dis- trict d'irrigation du bas Yaman-yar, à l'est de Thsoung- Hng, avec l'ancien fort dp Tasclibalyk et le gros village actuel d'Opal-kyscliiak. C'était ce district d'irrigntion qui produisait le peu de riz; du Kié-pouan-tho, mentionné par Hiouen-Thsang. Tout ce pays de Kié-pouan-tho, non mentionné par les annalistes des deux dynasties de Han, et dont la frontière passait tout prùs à l'ouest de Kaschgar, était un démembremrnl de ce dernier royaume, qui sub- sistait toujours du temps dcSong-yuii et de Hiouen-Thsang, mais diminué, tandis que du temps des deuxièmes Han, la Kaschgaric (Sou-Ié) voisine du Yué-tschi possédait donc la haute vallée de la Kaschgar-Darya.

'i' Quant au Po-ho, contigu à l'ouest au Kié-pouan-tho, c'est bien le Ferghâna actuel, mais seulement une partie de celui-ci : les montagnes du sud-est, avec la haute vallée de l'Alaï. Les vingt jours de marche de Song-yun, du Kié- pouan-lho au Po-ho, montrent cependant que ce dernier pays devait occuper aussi le district actuel d'Osr.h. Quant au reste du Fergbana, il appartenait, au temps de Song-yun, aux nomades Yé-tai : mais Hiouen-Ths.ing, qui ne l'a pas visité, le mentionne à l'article Tche-chi, sous le nom de Fel- han-, ce qui est déjà la transcription chinoise de Fergh4na.

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plus et j):u'laitoineiit ciipalile d'enivrer, y uaiil à l'can-de-vie indifrène, i)ut surviicut il r Islam, elle ostjusi]u'à présent dhtilhie d'une iufusinn rorinen- lée de raisins secs.

I. Hyucinthe, lac. cit., IV, p. 177.

t. SUd. Julien, loc. cit., p. 366.

Le Gérant responsable,

Ch. Mau.noiii,

Sccrcliiirc (;cii<-ral ilc lu Otinuiission cctilnilu

^

TABLE DES MATIÈRES

CONTENUES DANS LE TOME XI DE LA Vil' SÉRIE (18<J0).

PREMIER TRIMESTRE ,

Ch. MàUNOIR. Rapport sur les travaux de la Société de Géogra- phie et sur les progrès des sciences géographiques pendant l'année 1889 5

W. SK NORbLiNG. L'Unilication des heures, avec deux clichés dans le texte 111

i. Thoulet. La Campagne scientifique du schooner des Etats- Unis GrampiM en 1889 138

f TRIMESTRE

Rapport sur le concours au prix annuel fait à la Société de Géogra- phie dans sa séance générale du 15 avril 1890 1 15

Edouard Blanc. Les Routes de l'Arrique septentrionale au Soudan 169

Olivier Oruinaire. De Lima à Iquitos par le Palcazu, la Cordil- lère de Huachon, les Cerros du Yanacbaga, le rio Pachitea, le Pajonal, avec carte dans le texte. 217

Le lieutenant-général Annenkuf. Des ressources que l'Asie cen- trale pourrait offrir à la colonisation russe, avec cartes dans le texte 237

L'abbé Desgodins. Notes sur le Thibet 255

ToNDiM DE Quarekgui. Le Vœu de la Conrérence télégraphique de Paris au sujet de l'heure universelle 280

3* TRIMESTRE

Henri Coddreao. Le Contesté franco-brésilien 289

J.-C. Reiuhenbach. Etude sar le royaume d'Assinie 310

A. Bloyet. Oe Zanzibar à la station de Kondoa 330

Henri Ddveyrier. Note sur Tobrouq 365

Cu. Rarot. Explorations dans la Laponic russe. Ethnographie,

avec clichés dans le texte {suite) 371

\y Nicolas Severtzow. Etudes de géographie historique sur les

anciens itinéraires à travers le Pamir 417

012 TAULE DES MATIÈIIES.

i' TRIMESTRE

Gabriel Bomvalot. Voyage dans l'Asie centrale et aa Pamir... 469

tiuiLLADHE Gapos. Pamir et Tchitral 499

L. MizoN. Voyage de Paul Crampel au nord du Congo français. 534 W Nicolas Severtzow. Eludes de géographie historique sur les

anciens itinéraires à travers le Pamir {tuite et fin) 553

CABTES

I Edouard Blanc. Grandes routes commerciales 'du Sahara, 1889. l/ia.OOO.OOO".

I Henri GoddreaD. Territoires contestés de Guyane. 1/7,500,000*.

iJ.-C. Reicbenbach. Lagunes d'Assinie et d'ApoUonie, 1887. 1/400,000*.

/ A. Bloyët. Itinéraires dans le Zanguebar, 1880-1885. 1/1,000,000*.

, Guillaume Gapus. Itinéraire par le Pamir du lac Monss-Kout à la val- lée de Guezine, 36 mars-14 juillet 1887. 1/1,000,000*.

i Paul Crampel. Itinéraires au nord de l'Ogdoué dans les bassins do l'Ivindo, du Djah et du M'Tem, août 1888-révrier 1890. 1/200,000*.

FIN OE LA TAKLE DES MATIÈRES

4187. Imprimeries rciinics, B. me Mipion. 2. Mav H Motteruz, diivcteurs.

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-1 OUSTAG-ATA.

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Légende

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