\1' ^ S iso^A BULLETIN L'HSTITI'T 1TI0ML «II1S. TOME V. GENÈVE CHEZ KESSMANN, ÉDITEUR, LIBRAIRE DE L'iNSTITUT GENEVOIS, ET CHEZ LES PRINCIPAUX LIBRAIRES DE LA SUISSE. 4857 / GENÈVE. — IMPRIMERIE VANET. EXTRAIT DU RÈGLEMENT GÉNÉRAL DE L'INSTITUT NATIONAL GENEVOIS. t Art. 33. L'Institut public un Bulletin et des Mémoires. » Art. 51. Le Bulletin parait à des époques indéterminées, qui n'ex- cèdent cependant pas trois mois ; les Mémoires formeront chaque année un volume. » Art. 35. Ces publications sont signées par le Secrétaire général. » Art. 36. Le Bulletin renferme le sommaire des travaux intérieurs des cinq Sections. La publication en est confiée au Secrétaire général, qui le rédige avec la coopération des Secrétaires de chaque section. » Art. 37. Les Mémoires in-cxlenso, destinés au Becueil annuel, sont fournis par les Sections. » Art. 38. Les Mémoires des trois catégories de membres de l'In- stitut (effectifs, honoraires, correspondants) sont admis dans le Becueil. » Art. 39. A ce Becueil pourront être jointes les gravures, litho- graphies, morceaux de musique, etc., dont la publication aura été ap- prouvée par la Section des Beaux-Arts. » Art. 40. Le Becueil des Mémoires sera classé en séries corres- pondantes aux cinq Sections de l'Institut, de manière à pouvoir être détachées, et au besoin être acquises séparément. » Art. 41. La publication du Becueil des Mémoires est confiée au Comité de gestion. » Le Secrétaire général de l'Institut national Genevois, H.-E. GAULLIEUB, professeur. BUREAUX DE L'INSTITUT NATIONAL GENEVOIS. Président de l'Institut, M. James Fazy. Secrétaire général, M. E.-H. Gaullieur, professeur d'histoire à l'Aca- démie de Genève. Section des Sciences naturelles et mathématiques : Président, M. le professeur Ch. Vogt. — Vice-Président, M. Elie Ritter, docteur ès- sciences. — Secrétaire, M. Moulinié fils. Section des Sciences morales et politiques, d'Archéologie et d'His- toire : Président, M. James Fazy. — Vice-Président, M. Massé, pré- sident du Tribunal criminel. — Secrétaire, M. Gaullieur, professeur. — Vice-Secrétaire, M. Griyel, archiviste. Section de Littérature : Président, M. Jules Vuy, avocat. — Vice- Président, M. Cherbuliez-Bourrit, professeur. — Secrétaire, M.Henri Blanvalet. — Secrétaire-Adjoint, M. John Braillard. Section des Beaux-Arts : Président, M. Franc. Diday. — Secrétaire, M. Franc. Grast. Section d'Industrie et d'Agriculture : Président, M. Marc Viridet. — Secrétaire, M. Olivet fils, docteur en médecine. — Secrétaire ad- joint, M. Bouffier aine. — Trésorier, M. Hugues Darier. *£y^> NM2. — 1857. AVRIL. BULLETIN L'INSTITUT NATIONAL GENEVOIS. SEANCE GÉNÉRALE DD LUNDI 22 DÉCEMBRE 1856. Présidence de M. James FAZY. La séance a lieu, comme précédemment, dans la salle du Grand Conseil, en présence du public. Les membres de l'Ins- tilut sont nombreux . M. le professeur Gaullieur. secrétaire-général, lit le procès- verbal de la dernière séance générale, qui a eu lieu le 17 ) are 1856. M. James Fazy, président de l'Institut genevois, prononce le discours suivant : « Messieurs, » Voici, depuis la création de l'Institut genevois, sa qua- trième réunion générale. Nous pouvons nous féliciter, en retrouvant ensemble ses diverses Sections, de constater qu'elles ont rendu ce qu'on en attendait, et que chacune d'elles, dans le cercle des connaissances humaines qui lui est attribué, a fait des efforts pour soutenir la réputation de Ge- nève, et apporter à la marche actuelle de la civilisation une // part qui n'est pas sans devoir être notée dans le mouvement général des sciences et des arts. » Des sujets intéressants et nouveaux ont été traités dans plusieurs de ces Sections; plusieurs Mémoires ont paru dignes d'enrichir les publications de l'Institut, et y ont été vivement appréciés par le public. Des sujets de prix ont été mis au concours par les Sections des Sciences morales et politiques, de la Littérature, et de l'Industrie et Agriculture. »Des membres correspondants nouveaux ont été reçus, no- tamment par les Sections des Sciences morales et politiques, el dé l'Industrie et Agriculture. Cette extension de nos rap- ports à l'extérieur nous a valu des collaborations importantes, et maintient à l'étranger la communion de pensée progres- sive qui anime Genève. » Les deux Sections que je viens de nommer ont envoyé des délégués au Congrès international d'économie politique, de libre échange et de bienfaisance à Bruxelles, et ont pro- fité de cette occasion pour nouer encore d'utiles et intéres- santes relations. Des économistes distingués ont assuré de leur concours et de leur collaboration l'Institut genevois. Espérons qu'une autre année Genève, grâce aux soins de l'Institut genevois et de la franchise de notre sol, sera choisie pour tenir une des sessions de ce Congrès économique, d'une si grande utilité pratique, et qui contribuera à rallier, sous les saines idées de la science économique , tous les peuples de l'Europe. » Les publications de l'Institut se succèdent régulière- ment : le tome IYe des Mémoires et le Ve du Bulletin sont sous presse. » La Section des Beaux-Arts a pris une part très-active à l'exposition de peinture que la Société helvétique des Beaux- Arts a organisée l'été dernier dans le Bâtiment électoral. Le besoin d'un local particulier pour la réunion des Sec- 7 tions et le placement des collections de l'Institut se fait de plus en plus vivement sentir. Le gouvernement, à ce que je crois, va y donner ses soins. • L'Institut genevois a continué d'échanger ses Mémoires contre ceux de plu-ieiir» a»-oriation- scientifiques impor- tantes, et notamment avee l'Institut de France. » Je regrette, Messieurs, de n'avoir pu vous faire ici qu'un exposé trop succint de la marche de l'Institut cette année. J'espère qu'il \ sera suppléé par le rapport de notre excellent secrétaire-général, dont le zèle esl toujours à la hauteur de notre mission, et contrihue heaucoup à l'entrain de cette association scientifique et littéraire. «Je crois. Hessiemrs, que le prévient de l'Institut devrait. dans sou discours d'ouverture de cette séance, examiner avec plus de détail nos travaux, leur corrélation entre les divemes Sections, entre les travaux du même genre dans d'autres ins- titutions, et en même temps jeter un regard sur la marche de- sciences, des arts et des lettres dans notre pays, même en dehors du cercle de DOS travaux. • Je dois regretter ici devant vous mon insuffisance à cet égard, autant par le manque du temps nécessaire que par la difficulté pour un homme lancé dans la politique active, de réunir assez de renseignements pour faire à ce >ujet un tra- vail coiiM-ieini.'iix. » Lorsque j'ai accepté l'honneur que vous avez bien voulu me faire de me nommer président de l'Institut, j'étais sorti du gouvernement, et j'espérais pouvoir consacrer mon temps à des études que j'ai toujours i ;on>idérées comme la plus douce occupation de ma vie. Le repos que je croyais a\oir obtenu, je voulais le consacrer à contribuer pour ma part au dé\ eloppement toujours plus grand de notre instruction ; mais j'avais compté sans les exigences, qui ne lak-ent pas toujours libre un homme politique. Acceptez donc mes excuses pour mon insuffisance à remplir en ce moment tout ce que je devrais faire, et. à la première élection, songez à me donner un successeur plus heureux que moi, pouvant consacrer son temps à la science, aux lettres et aux arts. » Je ne terminerai pas ces quelques mots sans vous répéter ce que je vous disais l'année dernière : c'est que l'Institut genevois, qui a admis dans son sein une division par sections des diverses connaissances humaines, n'a rien d'exclusif, et qu'ici les opinions politiques ne sont ni un motif d'exclusion, ni un motif d'admission. • L'Institut genevois est ouvert à tous leshahitants de notre petite République qui veulent s'occuper avec calme, et avec comparaison avec les travaux d'autrui, des objets de science, d'industrie, de littérature, de beaux-arts, auxquels il veut consacrer ses loisirs. » M. le professeur Gaullieur, Secrétaire général, lit ensuite le rapport suivant sur les travaux et la gestion de l'Institut pendant l'année 1856 : « Messieurs et très-honorés Collègues, • Depuis notre dernière séance générale, du 17 mars 1856, les travaux de l'Institut genevois ont continué de marcher avec ensemble et régularité. Je passerai en revue ce qui concerne ses publications, ses finances, son administration et son personnel. » Le tome 1Y° des Mémoires iin-4°), qui est actuellement sous presse, a subi quelque retard dans son apparition, par suite d'une maladie de l'un de nos Collègues, M. le docteur Vogt , qui avait bien voulu se charger de la révision de l'un des Mémoires scientifiques qu'il contient. Il s'agit de la pre- mière partie des Principes d'orographie jurassique, par feu M. Jules Thurmann, membre correspondant, dont la Section 9 de> Sciences naturelles et mathématiques a voté l'impression, qui est aujourd'hui commencée. » Ce volume renfermera, en outre, deux Mémoires de M. le professeur Oltramare, sur les nombres inférieurs et premiers à un nombre donné, et sur les quantités infinies. » L'impression en est terminé.1. » Suivant l'usage que nous avons commencé d'adopter, de publier autant que possible dans le Bulletin iin-8°') . outre le compte-rendu des séances générales et de celles des Sections, les travaux qui. par leur caractère littéraire, n'exigent ni planches, ni cartes, ni frais extraordinaires, bons avons ré- servé pour le tome Ve de notre Bulletin, qui est aussi sou^ pwsse, plusieurs Mémoires intéressants. » M. de Gingins-Lasarra, membre correspondant à Lau- sanne, a bien voulu nous destiner un savant Mémoire sur Yorigiue du pouvoir temporel des érêques de Genève. Ce tra- vail jettera un jour nouveau sur plusieurs points restés obs- curs dans notre histoire. i M. le professeur Edouard Secrétan, membre correspon- dant dans la même ville, nous a envoyé un Mémoire sur les origines du droit féodal et sur l'organisation féodale au moyen- âge. » Enfin, un troisième correspondant lausannois. M. Ro- dolphe Blanchet, nous a annoncé un Mémoire sur les anciennes monnaies de Genève, qui éclaireira notre numis- matique. » Les membres effectifs et honoraires de la Section des Sciences morales et politiques ont aussi fourni quelques mémoires destinés à l'impression. » Conformément à la décision que vous avez prise dans notre dernière séance générale, les trois premiers volumes des Mémoires ont été remis, contre leur reçu, à tous tes membres effectifs des cinq Sections de l'Institut qui en ont 10 fait la demande au secrétaire-général. Le Bulletin continue à être distribué comme précédemment. » Les comptes du Comité de gestion, arrêtés au 31 décem- bre 1855, présentaient un solde à l'actif de 815 fr. 35 cent., sur lesquels 600 fr. formaient l'allocation de la Section des Beaux- Arts, laquelle n'avait pas reçu d'emploi cette année-là, et qui a été affectée cette année-ci, conjointement à l'allo- cation de cette Section pour 1856, aux frais de l'Exposition des beaux-arts. » Les comptes de celte année (1856), bouclés au 31 dé- cembre, présentent, au chapitre des recettes, une somme de Fr. 8,312 — et à celui des dépenses une somme de. . . » 7,606 25 » Restent en caisse au 31 décembre 1856. Fr. 706 25 » Les pièces à l'appui de cette comptabilité, soumises à votre Comité de gestion dans sa séance du 14 novembre 1856, sont déposées sur le bureau, avec le relevé du compte général, dans la séance de ce jour. » J'ai remis à M. le président de la Section d'Agriculture et d'Industrie, sur sa demande, un certain nombre d'exem- plaires de nos Mémoires destinés à être envoyés à des Sociétés étrangères avec lesquelles cette Section a été directement affdiée ou est entrée en relations. A cette occasion, ce serait peut-être, Messieurs, le moment d'examiner s'il ne convien- drait pas* de procéder de même pour les autres Sections Chacune d'elles, en effet, par la nature spéciale de ses tra- vaux et de ses relations, sait mieux que votre Comité de gestion , constituant votre bureau central , avec quelles aca- démies, quelles associations scientifiques de la Suisse ou de l'étranger, il lui importe d'entrer en relations régulières et d'échanger ses publications. » Jusqu'ici les échanges ont été pratiqués au moyen des M indications données par MM. les Secrétaires des Sections, et il devait en être ainsi au début de notre institution. Mais, depuis quatre années que nous existons, les relations des Sections se sont régularisées et étendues. Plusieurs ont com- nu'iicé d'organiser des bibliothèques et des archivée spéciales. Ne conviendrait-il donc pas de laisser à chaque Section , de même qu'on lui laisse le choix de nommer ses membres correspondants, le soin de désigner les Sociétés savantes avec lesquelles elle veut correspondre et échanger nos Mémoires? Votre Secrétaire général en remettrait alors un certain nombre d'exemplaires à MM. les Secrétaires des Sections, suivant les besoins motivés de chacune d'elles. » La nécessité d'un local spécial pour l'Institut et ses Sec- tions se fait de plus en plus sentir. Parfois il arrive que la salle dont nous disposons au Musée Rath, grâce à la complai- sance de l'Administration municipale, est occupée par des commissions, ou que deux de nos Sections se trouvent en concurrence pour les jours et heures de leurs séances. Le peu de place qui nous a été affectée pour le dépôt de nos publications, et pour les ouvrages que nous recevrons en échange, est dès longtemps envahie. On peut dire que ce sera seulement alors que nous aurons un local à nous, une salle centrale et une chambre pour chaque Section, que nous pourrons mettre une parfaite régularité dans nos tra- vaux et dans l'arrangement de nos collections. Hâtons donc de tous nos vœux le moment où les bonnes intentions de l'administration cantonale à l'égard de l'Institut et de son local pourront trouver leur réalisation. L'Institut, bien qu'il ne compte encore que quelques années d'existence, a déjà démontré, même aux plus incrédules., qu'il n'est point dans l'Étal une superlelalion , une chose dangereuse, inutile ou présomptueuse. Il tend de plus en plus à remplir le but de sa fondation. Il se montre toujours jaloux de justifier ce que 42 les Conseils du pays atendaient de lui en le créant et en lui affectant une allocation au budget. Tout ce qui tend à relever le niveau intellectuel, et à propager au milieu de notre démo- cratie le goût de l'étude , les instincts littéraires et les apti- tudes scientifiques, doit être recherché et entretenu avec soin. C'est la meilleure réponse à faire aux détracteurs de ce régime et de ses tendances. » M. Fr. Diday, président de la Section des Beaux-Arts, est appelé ensuite à lire le compte-rendu de la dernière expo- sition. Il le fait en ces termes : « Messieurs, » Si le court rapport que je vais avoir l'honneur de vous soumettre, afin de vous faire connaître les travaux de notre Section, n'offre pas à cette Assemblée un intérêt aussi piquant ni aussi varié que ceux des autres Sections de l'Institut, vous verrez cependant que la Section des Beaux-Arts n'est pas restée inactive, et qu'elle a, dans la limite de ses moyens, pris une part active à la propagation et au développement du goût des beaux-arts dans notre ville. » Indépendamment des intérêts artistiques dont elle a eu à s'occuper dans ses séances ordinaires, ses etïorts se sont prin- cipalement portés à donner ses soins pour favoriser les Expo- sitions de peinture qui ont eu lieu dans les années 1 854 et 1856. » En donnant son attache à ces solennités artistiques, la Section des Beaux-Arts espère avoir satisfait à son mandat, et elle croit avoir contribué d'une manière efficace à répandre de plus en plus le goût des arts dans notre pays. i> La Section ne s'est pas bornée à donner ses soins pour 13 on assurer la réussite matérielle; elle a aussi contribué pour une part assez large (eu égard à ses faibles ressources) à la répartition des récompenses et encouragements offerts aux artistes, à la suite des Expositions. I» Ainsi, en 1854, elle fut chargée d'organiser un jury pour désigner les ouvrages qui avaient droit par leur mérite à cette distinction. A cet effet, une somme de 1,000 francs, offerte par la Section, fut convertie en médailles de première et de deuxième classes. • En 1856, à l'occasion de l'Exposition fédérale des Beaux- Arts, soit une association des huit principales villes de la Suisse, la Section a également contribué à son succès et à en assurer la réussite; elle s'est adjointe les différents corps artistiques de Genève pour former une commission mixte chargée de l'administration et de l'organisation de cette nou- velle Exposition. Une somme de 1 ,000 francs a été également u»tée pour achats d'actions dont le produit est destiné aux acquisitions d'u'u\res d'art. » La Section . en abandonnant le mode des médailles, a pep&é intervenir d'une manière plus efficace dans l'intérêt général de l'art el îles artistes. i Sur la liste officielle des actions gagnantes, quatre de celles prises par la Section lies Beaux-Arts ont été favorisées par le sort. L'emploi de ces tableaux sera déterminé par une décision ultérieure de la Section, lorsqu'ils nous seront parvenus* i El résumé, la part active que nous avons prise dans ces deux occasions a obtenu de lions résultats. Vous ave/ pu juger de l'importance de L'Exposition de cette année. Le nombre des teuvres d'art envoyées à Genève a dépassé de beaucoup celui des apnées précédentes* Le catalogue a atteint le chiffre de ">y2 numéros, parmi lesquels beaucoup de ta- 14 bleaux de grandes dimensions, à tel point que le vaste et magnifique local qui nous avait été généreusement concédé par le Conseil d'État, malgré l'ingénieuse distribution de la salle, s'est trouvé à peine suffisant pour contenir un aussi grand nombre de toiles. Outre la concession du local dont je viens de parler, le Conseil d'État est encore intervenu pour une somme de 2,000 francs, qui a été utilement employée à la construction des échafaudages pour recevoir les tableaux. Ce matériel, spécialement destiné aux Expositions, sera conservé avec soin et servira plus tard à celles qui sui- vront. » La variété des genres de peinture et la diversité des écoles ont été d'un utile enseignement pour le public et pour les artistes; nous en avons une preuve dans l'intérêt soutenu que le public a manifesté pendant toute la durée de l'Exposition. » La vente des tableaux, à Genève, a été considérable ; il s'est vendu 57 tableaux, et le chiffre annoncé par l'Associa- tion helvétique est de 144 ouvrages; c'est juste la moitié. Ces beaux résultats sont dus en grande partie au bon accord et à l'esprit conciliant qui a régné parmi les divers corps artistiques composant la commission mixte chargée de l'ad- ministration de cette solennité ; chacun y a apporté le zèle et le dévouement qui devait en assurer le succès. » C'est le cas de remercier MM. les membres de cette commission ; et au risque d'alarmer la modestie de ces mes- sieurs, je suis l'organe de toute la Section, en remerciant particulièrement MM. Soret et de Manoël, qui ont bien voulu y consacrer tout leur temps avec le zèle et le talent qui les distinguent. » La récapitulation de l'emploi des fonds alloués par l'État à la Section des Beaux-Arts est courte et facile. 45 » Allocations du Conseil d'État pendant quatre années, « » Dépenses. » En 1854, à l'occasion de l'Exposition. . . Fr. 1,000 » En 4856, idem. . . . » i,000 . . 400 » Somme égale. . . . Fr. 2,400 » Sur laquelle il reste à payer une petite note de frais de bureau avancée par le secrétaire de la Section. » Voilà, Messieurs, l'indication sommaire des travaux de la Section des Beaux- Arts , les seuls qui nous aient paru dignes d'occuper l'attention de cette Assemblée. » Le président de la Section des Beaux-Arts de l'Institut genevois, » F. Diday. » Monsieur le professeur Amiel fait ensuite le rapport sur le résultat des concours ouverts par la Section de Littérature. Il s'exprime ainsi : « Messieurs, » L'année dernière, la Section de Littérature, ouvrant son troisième concours, proposa deux prix : l'un pour la meil- leure Etude périodes bien faites, à des images bien enchâssées et môme à des pages satisfaisantes. Mais que de défauts, et de défauts graves, viennent obscurcir toutes ces qualités et gâter cruellement l'œuvre ( Ainsi Vidée fondamentale est trouble et contradictoire. Cette idée est que le remords, produit par nue grande faute politique, est fatal et ineurable. Or, nous \0\011s à la lin quelques passes magnétiques guérir ce mal inguérissable: en sorte cpie l'on ne sait plus ce que veut l'auteur, sinon la recommandation «lu magnétisme, el dans ce cas le tiliv m\ à changer. 18 De même la charpente générale est dépourvue de vrai- semblance, de proportion et d'unité. Qu'on en juge. Sur la place de Saint-Pierre, un jour de cérémonie populaire, un passant, au visage triste, entend deux dames dans la foule se questionner sur la cause de sa pâleur. Il rentre chez lui, et, quelques jours après, l'une de ces dames inconnues reçoit, avec un billet de remerciement, l'explication demandée. Cette explication est une lettre de 230 pages, où le passant, homme de trente ans, marié et heureux en ménage, s'oublie à raconter toute son histoire intime depuis sa naissance jus- qu'à la minute de sa rencontre sur la place; et bien plus, la fait précéder de la biographie également complète et initiale de la personne qui l'a élevé lui-même, biographie expliquée à son tour par la vie de la mère et du père de cette personne depuis leur mariage, en sorte que cette pâleur a besoin, pour s'expliquer, de la chronique entière d'une fa- mille. Et pourtant c'est d'un seul acte du dernier individu de la chaîne que provient le remords, cause de cette pâleur. L'immense échafaudage est donc suspendu à un fil d'arai- gnée ! Et de plus, nous l'avons vu : ce remords, si laborieuse- ment montré' incurable, cède, comme une migraine ou une odontalgie, aux premiers efforts d'un magnétiseur, ce qui, pour employer le terme le plus modéré, lui enlève tout sé- rieux moral. Si du plan trop peu calculé, nous nous rabattons sur les caractères, nous trouverons malheureusement que les carac- tères pèchent de leur côté contre la vraisemblance morale, non pas que, dans leur donnée essentielle, ils manquent ab- solument de vérité; mais d'abord parce qu'ils sont faits tout d'une pièce, odieux ou angéliques, tout blancs ou tout noirs, manière encore enfantine de concevoir les hommes ; ensuite, parce que du berceau à la tombe (car, par parenthèse, on les voit tous mourir, un seul excepté), ils restent sans progrès, 19 mt combat, et malgré toutes leurs aventures extérieur,- sans mouvement réel, procédé élémentaire des conteurs en- core novices; enfin parce que. dans leur langage ou leurs traits, ils se trouvent souveni eu désaccord avec le rang l'éducation ou le milieu que l'auteur leur assigne, disson- nance qu'évite soigneusement un écrivain, maître de son art. L'effet de ces trois négligences est d'ébranler pour le lecteur la réalité de ces caractères: ces ligures, trop invaria- bles et trop exagérées dans leurs attitudes ou leurs actions pour que nous y reconnaissions nos semblables, deviennent on quelque sorte des masques et des marionnettes, et avec I illusion se détruit parallèlement l'intérêt que l'auteur vou- drait nous inspirer pour ses personnages. Malgré ces dé- fauts, le tailleur libertin Wakermann et sa pauvre femme Catherine, les deux sœurs Rose et Marie, qui sont le démon et l'ange de cette histoire, la grande dame altière et son fils James le libéral, le naturaliste sceptique Briderlin et son fils Adolphe l'amoureux, les deux ouvrières, M™ Barlel et Meynard, les deux riches familles méthodistes, le pâle Hattvel et sa tendre épouse Thérèse, ont encore du mérite bans ces défauts, ces personnages, qui ont du vrai plutôt qu ils ne sont vrais, seraient devenus entièrement naturels et ils nous attacheraient comme des êtres vivants, tandis qu ils ont encore presque tous quelque chose de factice, qui nous refroidit inévitablement. Le style, enfin, manque d'homogénéité et de nuances II choque assez souvent la convenance locale, il effleure parfois la vulgarité ou l'emphase; il heurte et blesse A plusieurs reprises le tact, ce goût moral, et le goût, ce tact littéraire c est-a-dire les deux guides les plus sûrs de l'écrivain et en particulier du romancier. Ces divers défauts trahissent, à notre avis, beaucoup d'in- expérience littéraire chez l'auteur. Mais ils sont tous répa- râbles. Ils le son!. ;ï condition que l'auteur ne les approuve pas lui-même et travaille à les corriger successivement Alors, avec de la méditation, il découvrira les grandes lois île la composition, les secrets de l'unité, delà proportion, de l'enchaînement, du contraste, de la gradation. Par l'analyse, il reconnaîtra les conditions de la vraisem- blance générale cl particulière, les procédés pour motiver les événements, pour nouer, filer et dénouer les scènes, l'art de dialoguer, d'intercaler les réflexions, etc. Par un exercice soutenu, il arrivera à démêler les finesses et les exigences du mot, de la phrase, de l'idée; il devinera les pièges et les ressources du langage ; il se dépouillera des locutions et tournures qui sentent le terroir; il réussira à donner à son style de la correction d'abord, puis de la pu- reté, de l'élégance, de la grâce, à mettre enfin en dehors tout ce qui fermente dans sa pensée, car, nous aimons à le dire, si son œuvre souffre de son inexpérience, son inexpé- rience laisse néanmoins apercevoir plusieurs des éléments essentiels du talent. Si ce talent, encore emharrassé et manquant visihlement de culture, nous demandait par hasard quelques avis, nous lui dirions : Vous voulez écrire une [Nouvelle. C'est ; bien. En ce cas, éludiez pratiquement les conditions du genre. Ne confondez pas la Nouvelle avec le Roman, ni avec le Plaidoyer, ni avec la Satire, ni avec la Chronique. Chaque chose est bonne à sa place, mais n'est bonne qu'à sa place. Chaque œuvre litté- raire, comme chaque plante et chaque être organisé, porte en soi les lois internes de sa croissance et de son développe- ment; les ignorer ou les brouiller, c'est risquer de former des êtres avortés. Tel serait notre premier conseil. Vous voulez faire une œuvre poétique. En ce cas, choi- sissez bien voire sujet. Ne prenez pour cadre qu'un inonde m parfaitement connu de vous, évitez de faire agir des person- nages qui ne vous sont pas familiers, cl dont vous ne pouvez reproduire en vous la vie intime. Tous ceux que vous n'a- pcrceu'z (pie par un profil et un aspect: ceux dont les senti- ments, les mœurs, les idées parliculières et le langage doi- v «*iit, faute de pratique directe, cire seulement inventés par \ous: ceux que vous n'aimez pas surtout, et qui restent par conséquent en dehors de votre sympathie paternelle ou ma- ternelle, comment seraient-ils à vous et comment pourriez- vous les faire vivre de leur propre vie? Le conteur perd sa force et sa peine avec ces créations arbitraires qui ne reçoi- \cnt que la pâle existence du rêve et non la chaude vigueur de la réalité. Rester dans sa sphère d'expérience personnelle, avec les gens et les choses qu'on pénètre jusqu'au fond, c'est se ménager la meilleure chance du succès. Soyons de notre pays, disait Tôpfer; buvons dans notre verre, disait Alfred de Musset. Telle serait notre seconde insinuation. Vous voulez faire une œuvre solide. C'est juste. Pour cela, surtout si vous abordez le roman plus ou moins politique. élargissez le pins possible votre cœur et votre esprit. N'ou- bliez pas que, au-dessous des opinions qui divisent les hom- mes, il y a l'homme qui se retrouve dans toutes ces ditisions ennemies. Les fortes convictions n'ont pas besoin d'injustice: elles peuvent fort bien se défendre sans croire à l'absurdité ou à l'hypocrisie ou à la perversilé de ceux qui ne les par- tagent pas. Gardez-vous soigneusement de cette courbature intellectuelle que fait contracter à la pensée la partialité dégénérée en habitude. La vérité et la beauté, pas plus que la vertu, ne s'inféodent à aucun parti. L'art et la science, comme la religion, doivent planer bien au-dessus de ces schis- mes et de ces querelles, qui sont l'inévitable prose de la vie d'ici-bas. Lo poète et le romancier, son frère, doivent éminem- ment avoir l'esprit généreux, ouvert et libre, ear c'est au nom 22 de la vraie humanité dans l'homme qu'ils exercent dans leur œuvre la justice esthétique et morale. Ainsi prenez pour ma- tière de votre roman tout ce que vous voudrez : État, Église, vie privée, opinions, doctrines, croyance de tout ordre; rien ne vous est interdit, mais rappelez-vous que rien ne glace le lecteur comme la découverte d'un parti pris dans le livre ou d'une borne dans l'esprit de l'écrivain. Donc, la vigilance sur soi-même, la critique attentive de ses propres préjugés et la générosité sereine pour tous, c'est le troisième et dernier conseil que nous nous permet- trions de donner discrètement à l'auteur de la pièce N° 2. dans l'hypothèse où il les désirerait et où avec l'auteur mo- deste d'Épines et Fleurs, recueil gracieux de poésies, récem- ment publié à Genève, par une dame de cette ville, il répé- terait ces trois vers de bon augure : Aux critiques ici j'adresse une prière; Qu'ils fassent de mon œuvre éclater les défauts, J'éclairerai mes pas au feu de leurs flambeaux. Du reste, les observations précédentes, qui nous sont suggé- rées par diverses parties de Un Remords, ne s'appliquent que dans une certaine mesure à cette Nouvelle ; et c'est plutôt le signalement d'une tendance contre laquelle nous voudrions à temps prémunir l'auteur, qu'un reproche positif que nous lui adressons d'une façon détournée. L'esprit qui nous les dicte, d'accord avec la mission générale de la Section de Lit- térature de l'Institut national genevois, est dirigé par un double principe, le principe littéraire d'abord, et ensuite le principe national; il n'a qu'un seul but, celui d'être utile. Concluons. Le jury, pour être équitable, a dû, dans la pièce N° 2, sé- parer l'ouvrage et l'auteur, et dans l'ouvrage même dis- tinguer les intentions de l'exécution. 23 L'ouvrage est une tentative intéressante, mais dont les bonnes intentions ne peuvent racheter l'insuffisance, ni les qualités réelles contrebalancer les défauts. Un Remords es une étude considérable où il y a de bonnes parties, mais c*est, dans son ensemble, une œuvre trop peu réussie, pour mériter le Pri.r de la Nouvelle, ni même un Accessit. D'un autre côté, il y a dans l'auteur les indices et la mar- que d'un talent littéraire en formation, lequel a déjà des veines heureuses et pourra certainement donner de bons fruits; il y a chez lui du cœur, de la chaleur, de la sensi- bilité, de l'abondance; il y a de l'élan et de la sève, et on sent chez l'auteur la possibilité du progrès. Dans cette circonstance, et pour tenir compte des deux aspects de la vérité critique, le jury, qui n'a pu couronner l'ouvrage, a désiré accorder à l'auteur un Encouragement . Il a proposé de le porter à cent francs. La Section a bien voulu approuver cette double décision. En outre, comme pour un succès imparfait Fauteur pouvait préférer de garder l'anonyme, le Bureau, prévoyant et prévenant ce scrupule, décida d'ouvrir le billet cacheté, qui portait la môme épi- graphe que Un Remords. L'auteur, consulté par lettre, opta 60 effet pour l'anonyme, el 5011 vœu sera respecté. in Il nous reste, Messieurs, après vous avoir rendu compte du concours de cette année, à le comparer avec les précé- dents et à vous annoncer les projets de la Section de Littéra- ture pour Tannée prochaine. Mais d'abord indiquons notre point de vue général. Fondée « pour l'encouragement et pour l'avancement des lettres dans notre pays, » la Section de Littérature de l'Ins- titut genevois s'est attachée à remplir sérieusement une mis- sion plus sérieuse peut-être qu'elle ne le paraît aux esprits légers ou prévenus. En effet, à quoi sert la littérature ? de- mande-t-on parfois dans notre siècle et dans les sociétés où les préoccupations industrielles, mercantiles ou scientifiques absorbent toute l'attention et tout l'intérêt. A former l'homme. répondons-nous. Et y a-t-il quelque chose de plus réelle- ment utile? Et de quoi les États, surtout les États républi- cains, dans leur vie ordinaire et dans leurs périodes de crise, au dedans et au dehors, pour maintenir leur indépendance, leur renommée et leurs mœurs, ou pour élargir l'esprit na- tional, ont-elles besoin, avant tout, sinon d'hommes? Les vrais hommes sont-ils donc si nombreux? Et qu'est-ce qui fait les hommes, sinon d'un côté l'énergie virile, et de l'autre la culture vraiment InniKiiue:' Les Grecs, nos devanciers et nos maîtres, le savaient bien et le pratiquaient mieux. Ils ne séparaient jamais ces deux attributs du guerrier- citoyen, de l'homme réellement libre. Le courage militaire n'a, Dieu merci, jamais manqué, et aujourd'hui moins que jamais1, à nos républiques helvétiques et à la nôtre en particulier; mais ne manque-t-il rien à notre éducation générale? et notre idée de la culture humaine n'est-elle pas devenue vacillante et incomplète? Nous le craignons, et l'opinion, disons mieux, le préjugé, assez répandu chez nous, de la valeur relativement secondaire et essentiellement tradition- nelle des études littéraires, nous paraît motiver suffisamment cette crainte. Or, qu'est-ce qui constitue la culture vraiment humaine, c'est-à-dire développant l'homme en tout sens, en mainte- nant chez lui la proportion et l'équilibre des facultés intel- lectuelles et des forces morales? Sur ce point, n'en croyons que les autorités irrécusables. Écartons tes instituteurs, les 1. Ce rapport, écrit en Juin, était lu le $3 Décembre 1856, au mi- lieu des apprêts faits avec enthousiasme pour la guerre avec les Prus- siens, attendus le 2 Janvier à Bàle. 16 lettrés, les poètes; leur avis pourrai! sembler intéressé. Écartons même les philosophes; leur opinioo serait suspecte d'idéal. Consultons plutôt les hommes qui étudient la marche des sociétés pour connaître les causes de leur destinée dans le passé, ou pour l'influencer dans l'avenir; consultons les puhlicistes, leshistorienset les liommesd'État qui ont fait leurs preuves. Il n'y a parmi eux Qu'une voix. Qu'on me permette quelques exemples. Je me contenterai de trois citations, em- pruntées à trois personnages de ce siècle, qui sont arrivés à la gloire par une toute autre voie que la littérature : à Cuvier, au duc de Broglie et à Napoléon. « Chacun de nous, » écrivait, en 1830, l'illustre auteur i des Révolutions du (/lobe, i a sans doute des devoirs res- » pectables à remplir envers son pays; mais ceux auxquels » le ciel a accordé l'heureux don du génie, le talent de dé- \ ni 1er la nature ou celui de parler au cœur, ont des devoirs » qui, sans contrarier en rien les premiers, sont, j'ose le i dire, d'un ordre tout autrement relevé'. C'esl à l'humanité » entière, c'est aux siècles à venir, qu'ils en doivent le » compte... In seul sentiment généreux, passé par l'élo- » quence dans le cœur des hommes, contribuera, pendant des siècles et sans que rien puisse l'empêcher, au bien-être » de générations innombrables, et portera le nom de son » auteur jusqu'à la dernière postérité « L'honneur des lettres. ■ disait récemment île 4- avril 1856, dans une occasion solennelle, l'ancien ministre de Louis-Philippe, qui n'est point lui-même un écrivain), < l'hon- neur îles lettres. c'est de ne subir, ni d'endurer l'abaisse- ment des esprits, de les rappeler sans cesse, et de les • maintenir dans ces régions sereines où germent les hautes 1. Réception de Lamartine à l'Académie française, par le baron Cuvier, le 1" Avril 1830. 3 26 » pensées, les nobles vœux, les sentiments désintéressés. — » Les lettres dignes de ce nom, les lettres humaines (huma- » niores litterœ), nourrissent la jeunesse de sucs généreux, » charment la vieillesse en lui retraçant les grands exemples » et les beaux souvenirs, apaisent l'âme dans le tumulte des » affaires, lui sourient dans la retraite des champs, et, pa- » reilles à la colonne de feu qui guidait Moïse, accompagnent » l'homme dans son voyage ici-bas, et réchauffent de leur » flamme, en l'éclairant de leur rayon. On les dit humaines x par excellence, précisément parce qu'elles assistent l'homme » dans le combat de la vie et le raniment dans ses défail- » lances. L'humanité est ambitieuse et débile. Elle aspire à » tout et se dégoûte de tout : c'est sa misère et sa grandeur. » C'est sa misère, car un rien l'abat et lui fait quitter la par- » tie. C'est sa grandeur, car le repos la fatigue plus que le » travail, et le moindre espoir la remet à l'ouvrage. Sa nature, » œuvre de Dieu, vaut mieux que sa condition sur sa terre » d'exil. C'est le sceau d'immortalité qu'elle porte au cœur » et sur le front. » « J'aime les sciences mathématiques et physiques, » disait Napoléon en 4812; « chacune d'elles, l'algèbre, la chimie, » la botanique, est une belle application partielle de l'esprit » humain ; les lettres, c'est V esprit humain lui-même ; l'étude » des lettres, c'est l'éducation générale qui prépare à tout, » l'éducation de l'âme. Aussi, pour organiser mon Université, »> j'ai préféré Fontanes à Fourcroy, qui pourtant m'était » aussi bien dévoué, et à qui cette disgrâce a fait grand » mal, je le crains; mais, dans un chef d'empire, pas de » faiblesse humaine ! // y allait de l'aremr de la jeunesse et » des traditions de l'esprit français ' >> De telles paroles, tombées d'une telle bouche, ont une 1. VUlemain: Souvenirs contemporains. Paris, 1834. !«■ vol., page 143. -27 autorité dont nous aimons à nous couvrir. Ne les oublions pas à Genève. Cet oubli serait bientôt puni dans un pays qui parle la langue où même les naturalistes, les physiciens et les géomètres, sans parler des historiens et des philo- sophes, ont dû devenir écrivains pour devenir célèbres, et où même les BufTon, les Arago, les d'Alembert, comme les Guizot, les Mignet et les Cousin, ont dû chercher, pour leur science, le baptême littéraire1. Cet oubli serait aussi plus inexcusable que nulle part ailleurs dans la patrie de Jean- Jacques Rousseau et de Mme de Staël. En résumé, les républiques ont besoin d'hommes complets. La culture littéraire est le centre de la culture humaine. Sans lettres, même le savant n'est pas encore un homme. Donc, défendons et maintenons sans lassitude l'élément litté- raire dans notre développement national. Encourageons-le théoriquement et pratiquement. Tel est, comme Section, notre point de vue. et tel a été notre point de départ. Nous avons cherché, par divers moyens, à remplir la mis- sion qui nous a été confiée. Les prix annuellement proposés à l'émulation et à la concurrence des talents nationaux sont un de ces moyens. Sans engager par là sa liberté, ni son mode d'action pour l'avenir, la Section n'a pas lieu de re- gretter cet essai. Ces concours ont déjà été utiles, et leurs services ne sont pourtant qu'à leur début. I. Pendant l'impression de ces lignes, un illustre astrouoine octogé- naire, le vénérable M' Biot, disait, le o Février, 1837 : «La séparation » des lettres et des sciences, danger aujourd'hui imminent, dégrade- » rail les $avtttll$ el les sciences de leur noblesse intellectuelle pour » les abaisser à la condition, ainsi qu'au langage des professions mé- caniques leuiies gens, n'écoutes pas ceux, qni dédaignent les let- » très. On n'a jamais eu lieu de s'apercevoir qu'ils fussent plus sn- » vanls pour rire moins lettrés. Les lettres seules pourront vousap- » prendre les délicatesses de la pensée et vous donner la pleine coin- i préhension des idées que vous aurez conçues. Peut-être même devrait-on dire davantage. Peut-être des occasions de l'espèce des concours sont-elles désirables, si- non nécessaires. On pourrait soutenir que s'il faut des écoles pour l'intelligence, il faut aussi une arène pour le talent, et que, dans une cité bien réglée, une palestre pour la jeunesse est aussi indispensable qu'un forum pour les esprits mûrs. Les luttes en plein soleil, pourrait-on ajouter, les grands jeux et les couronnes, servent à stimuler, à dégager et à dési- gner ces forces inconnues qui dorment souvent dans l'obscu- rité de la foule, même de la foule studieuse, et qui, autant et plus que les autres forces , ont besoin d'être découvertes, car elles sont données pour le bien de tous. Un poète , un romancier, un artiste, un écrivain, sont, en effet moins des particuliers que des bommes publics. Ils ont aussi leur sorte de magistrature souvent puissante. La patrie ne peut donc, à ce point de vue, rester absolument indifférente à leur éclo- sion ni à leur développement. C'est aussi de ce point de vue, et pour continuer, dans la mesure de ses attributions, le sys- tème d'impartiale libéralité qui préside à l'instruction géné- rale dans notre État républicain, que la Section de Littérature est entrée dans la voie des concours. Le concours littéraire de \ 856 est le quatrième que la Sec- tion , depuis sa propre existence, ait ouvert au public. S'il a produit moins de résultats apparents que ceux des années précédentes, la cause n'en est pas difficile à déterminer, et ce résultat n'a rien de trop imprévu. En se répétant, ces al- ternances pourraient, il est vrai, faire modifier les échéances un peu rapprochées de ces tournois littéraires. Mais jusqu'ici le choix des sujets suffit à expliquer le plus ou moins de pièces reçues. Que les genres relativement plus faciles amènent un plus grand nombre de candidats, c'est chose naturelle, mais ce n'est pas un motif pour fermer la porte aux genres ou aux sujets qui réclament, pour être traités comme il faut, plus de S9 temps, de recherches préliminaires ou de maturité. Varier est justice. C'est ce qu'a fait la Section. Pour 1857, elle a pu, grâce aux petites ressources qui se sont accumulées cette année, proposer quatre prix, et par la diversité comme par le nomhre des sujets, elle espère provo- quer des travaux dignes d'être présentés à votre approhation. Voici, Messieurs, quel fut le programme de ce concours où, aux deux prix proposés en 1855-5G et maintenus sauf ipielqucs légers changements de titre, furent joints deux au- tres prix, l'un de Poésie, L'autre de Critique. PRIX DE LITTÉRATURE. « La Section de Littérature ouvre, pour l'année 1856-1857, son quatrième concours, et propose les prix suivants : 1. Un prix de trois cent cinquante francs pour le meilleur mémoire sur ce sujet : Recherches sur la poésie populaire dans 1rs divers dialectes de la Suisse ronrinile. 2. Un prix de deux cent cinquante francs pour la meil- leure composition en prose dans le genre de la Nouvelle, dont le sujet sera emprunté aux souvenirs historiques ou lé- gendaires de la Suisse. 3. Un prix de deux cent cinquante francs pour la meilleure étude sur ce sujet : Poétique du roman, ou le roman et ses va- riétés, au point de rue de l'esthétique et de la morale. 4. Un prix de deux cent cinquante francs pour le meil- leur ouvrage en vers sur ce sujet : Dante en exil. Les travaux destinés au concours seront remis au Secré- taire de la Section de Littérature, au plus tard le 31 mars 1857. Ils doivent être présentés en deu.r exemplaires et porter en tète une épigraphe qui devra être répétée sur un pli ca- cheté renfermant le nom de l'auteur. 30 Les ouvrages inédits sont seuls admis au concours. Les autres dispositions comme dans toutes les années pré- cédentes. » Genève, le 15 Mai 1856. Tel est, Messieurs, l'exposé des mesures prises relativement aux concours par la Section de Littérature pour l'année écou- lée comme pour l'année prochaine. A l'un de nos prochains rendez-vous, elle aura l'honneur de vous rendre compte de la suite de cet essai. Le Rapporteur du Jury de concours et Secrétaire de la Section, H.-Fréd. Amiel. M. Marc Viridet, Président de la Section d'Industrie et d'Agriculture, fait, sur les travaux de cette Section pendant l'année dernière, un discours que nous analysons dans le ré- sumé suivant : Messieurs, Nous avons le plaisir de vous informer que la Section d'In- dustrie et d'Agriculture de l'Institut genevois a pris, cette année, un développement aussi heureux qu'inattendu. Les Memhres honoraires, qui étaient aunomhre d'environ 30, ont aujourd'hui dépassé la centaine. Nous avons 38 Mem- bres correspondants, et un grand nombre encore sont en pré- sentation. MM. Lacroix et Rambal ayant, à cause de leurs occupations, donné leur démission de membres effectifs, ont été remplacés en cette qualité par MM. Guillermet, ancien conseiller d'État, et Centlivres, régent primaire au Pelit-Saconnex. Nous avons perdu M. Haim, dont l'activité a beaucoup con- tribué à la création de nos marchés au bétail/aujourd'hui en 31 pleine voie de prospérité, et M. Edouard de Bourgogne, que des motifs inconnus ont porté à chercher, à la fleur de l'âge, le repos prématuré de la tombe. Les Membres correspondants se sont généralement em- pressés de communiquer à la Section les écrits qu'ils ont pu- bliés sur les matières relatives à l'industrie et à l'agriculture. AI. Rodolphe Manchet, de Lausanne, nous a transmis plu- sieurs opuscules sur la culture et les divers plants de la vigne. M. Fleury Lacoste, syndic du Cruet, près de Montmélian, nous a envoyé son ouvrage sur la culture de la vigne et sur les moyens de prévenir et de détruire YOïdium Tuckery. M. François Bumant, pharmacien à Bonneville, a soumis à notre examen un mémoire sur l'analyse chimique de la houille-anthracite de Tanin ges. Ce mémoire a été renvoyé à une Commission, au nom de laquelle M. Boni face a fait un rapport très-favorable, qui, ainsi que le mémoire, a été com- muniqué au Conseil d'Administration de la Banque générale suisse. M. Heinrich, conseiller d'État à Proskau, en Silésie, nous a transmis un ouvrage très-approfondi, écrit en alle- mand, sur l'agronomie, et dont il est l'auteur. M. Saint- Clcntatt d'Anglebert a fait remettre à la Section une brochure sur le procédé de Jean-Baptiste PeiUard, pour la conserva- tion de la pomme de terre crue, et un petit ouvrage très-in- téressanl sur les progrès amenés par Pierre Molière dans l'art de la cordonnerie. Ce dernier opuscule avait paru dans la Revue de Genève en plusieurs articles successifs intitulés : Économie politique à propos de balles. .Nous avons reçu de M. Louis Du four, professeur à Lau- sanne, divers opuscules sur la physique ou sur ses applications à l'industrie. M. Baumann nous a transmis '3*2 numéros des mémoires de L'Académie d'horticulture de Gand, qu'il a l'honneur de présider. M. le baron Jacquemotid nous a pro- mis diverses publications relatives à l'agriculture, au com- merce et à la statistique minéralogique de la Savoie. M. Pi- gnui. de Vauvrier, ancien conseiller d'État valaisan, nous a l'ait connaître, par une lettre très-intéressante, les résultats d'un essai de culture de la garance, en Valais. 3-2 Les travaux de la Section, pendant cette année, ont consisté dans Fexamen d'un certain nombre de questions générales et dans celui d'une foule de questions particulières. Dans la première catégorie, nous devons classer : 1° Une discussion sur la profondeur du second labour à don- ner à la vigne. La conclusion de la Section a été que ce la- bour, sans être complètement superficiel, ne doit pas être trop profond. 2° La question de savoir s'il vaut mieux arracher les échalas chaque année, ou les laisser en pince jusqu'à ce qu'Us soient détériorés. La Section a paru incliner pour la dernière aller- native, et le résumé de la discussion relative à cet objet, ré- digé par notre Secrétaire, M. Olivet, a été inséré dans la Revue de Genève et reproduit par divers journaux de notre Canton et du Canton de Neucbâtel. 3° Une discussion approfondie sur les inondations et sur les débordements des fleuves et des rivières. Remarquons ici, à l'bonneur de Genève, que cette question avait été étudiée, discutée et résumée par notre Section avant que les journaux suisses, français et belges eussent songé à s'en occuper. 4° Diverses discussions sur le drainage. Non seulement la Section a examiné les drains des fabriques de MM. Egghj, à Bellevue, et Martin, à Versoix, les instruments de drainage présentés par MM. Bousserle et Didier, les modifications à apporter à la construction des drains dans les pays plats, mais elle a aussi pris connaissance des Statuts de la Société franco- suisse du cheptel et de l'agriculture, et de la Société suisse du drainage. Elle a, du reste, continué à demander au Conseil d'État la présentation de deux projets de loi, l'un sur le drai- nage et l'autre sur l'irrigation. 5° La question de l'augmentation du produit des céréales. Une commission, au nom de laquelle a rapporté M. Marc Olivet, nous a lu sur ce sujet un rapport très-intéressant, au- quel nous espérons pouvoir accorder une place dans le Bulletin général de l'Institut. 6° La question des bétons foulés et comprimés sur place, d'après le procédé de M. François Coignef. La Section a pu- blié à ce sujet une brochure, qui a paru fort recherchée des constructeurs el qui a donné lieu â divers essais utiles. 7° L'examen approfondi des constructions en terre, pnrticu- tièrement commué» sous les noms de PïSÉ et de TORCHIS. M. Ls Reymond a communiqué sur cette question un mémoire dé- taillé, dont la Section a ordonné l'impression avec figures. 8° La question dos chaux hydrauliques, îles ciments et des ciments comprimes, et. notamment, des ciments de Grenoble et de Champ-Rond . La Section, en examinant de près cette ma- tière, est armée à se convaincre qu'on peut trouver, dans le bassin du Léman, tous les éléments nécessaires pour fabri- quer sur place ces chau\ et ces ciments. Nous opérons que l'attention de public n'aura pas été inutilement éveillée sur cet important sujet. Sur la proposition d'un de ses Membres, la Section a de- mandé au Conseil fédéral de voir -'il n'y aurait pas conve- nance à introduire parmi les divisions de l'École Polytechni- que suisse une École supérieure d'agriculture. Le Conseil fédérai, après avoir fait examiner le sujet par le Conseil de l'École, nous a répondu par des fins de non-recevoir qui ne nous ont pas paru suffisamment motivées. La Section conti- nuera probablement ses démarches à ce sujet auprès de l'au- torité fédérale, et elle ne désespère point d'obtenir plus tard une amélioration qui compléterait utilement le cadre des ('•tuiles faites à L'École Polytechnique. Passons maintenant aux objets de discussions moins géné- rale-. M. Burgy, propriétaire à Lancy, nous a transmis des échan- tillons d'un blé d'une qualité supérieure, originaire de France, et connu sous le nom de Thuselle d'Air. M. Duchoeal, directeur de l'Hospice des aliénés, nous a fait connaître les résultats comparatifs de la culture dn blé de Crimée, du blé d'Alger et du blé de Judée ou d'Egypte. .M. Uuzy, membre effectif de la Section, lui a présenté de fort beaux pieds de mais multicolore, espèce printanière de blé de Turquie, dont les épis se composent d'un mélange de grains blancs, jaunes, rouges et bleuâtres. u Les essais de culture de Yigmme batate, n'ont point ré- pondu, jusqu'ici, à l'attente qu'en avaient conçue les agri- culteurs. La courge d'Inde, variété de la courge ordinaire, apportée d'Asie par M. Wittembach, de Berne, a été essayée. Il est maintenant reconnu que, sans donner les énormes fruits qu'on avait promis, cette courge mérite d'être cultivée, parce qu'elle est moins fdandreuse et plus féculente que la courge ordinaire. La Section a suivi, avec intérêt, les expériences de M. Par- rant, pour obtenir du pain, des taillerins, des macaronis et de la farine de cette variété de courge. Elle a reconnu que le pain fabriqué d'après le procédé de M. Parrant pourrait être introduit utilement dans les campagnes pour remplacer le pain de sarrasin, celui d'avoine, et même d'autres pains produits par le mélange du blé avec des céréales d'un ordre inférieur, et que le tourteau de courge pourrait être utilisé pour la nourriture des cbiens et des bestiaux. La Section s'est procuré une quantité suffisante de graines de courge d'Inde, dont la culture sera essayée par un grand nombre de ses membres. Des personnes étrangères ont présenté à la Section deux variétés de pommes de terre, dont la qualité n'a pas paru digne d'être recommandée à nos agriculteurs. La Section a examiné les résultats du procédé de Jean- Baptiste Peillard, de Lyon, pour la conservation indéfinie de la pomme de terre. Après avoir entendu le rapport présenté, au nom d'une commission, par M. Nakwaski, elle a conclu que les procédés soumis à son examen conservent réelle- ment la pomme de terre avec son goût et ses qualités natu- relles, qu'ils peuvent être appliqués avec utilité pour les hôpitaux de certains pays et pour les voyages sur mer; mais que la facilité d'obtenir des pommes de terre, dans toute l'é- tendue du bassin du Léman, ne faisait pas prévoir un succès assuré pour l'établissement dans notre pays d'une fabrique de produits de cette nature. Il s'est néanmoins établi, à Ge- nève, une Société anonyme pour l'exploitation du procédé 35 l'eillard, et nous souhaitons que les efforts des fondateurs soient couronnés de succès. La Section a examiné les procédés de MM. Mabut et de M. Panant, pour la conservation du lait. La crème soluble de ce dernier nous a paru un produit utile, mais plus appli- cable dans les ports de mer et pour les longues navigations que dans notre pays et pour l'usage ordinaire. La Section a demandé au Conseil d'État d'intervenir au- près du Gouvernement du Canton de Yaud, pour faire cesser les mesures par lesquelles ce dernier Gouvernement avait interdit l'entrée des bestiaux genevois dans le Canton de Yaud. Il a été fait droit à la demande de la Section et à la réclamation du Conseil d'État. M. Marc Yiridct a lu un mémoire sur la peste des botes à cornes, sur la marche de cette maladie en 1814, 1815 et 1816, et sur la création des institutions sanitaires que la crainte de cette maladie a fait naître dans notre Canton. Le Département de l'Intérieur a communiqué à tous les membres de la Section une instruction, fort bien faite, sur la fièvre aphlheuse, surlangue ou piétain, maladie qui attaque l'espèce bovine, les porcs et les moutons, aux pieds, à la langue ou aux mamelles, el qui. sans être précisément bien dangereuse, occasionne aux agriculteurs beaucoup de pertes et d'ennuis. La Section a ordonné la traduction et l'impression d'un ta- bleau, rédigé par F.-J. Behrend, de Berlin, sur les secours à doiincr.cn cas d'accident, avant l'arrivée du médecin. M. Gay-Dubois a rendu compte des statuts de l'Assurance fribourgeoise contre la grêle, et la Section verrait avec plai- sir une institution analogue s'établir dans noire Canton. MM. Samuel el Moïse Vautier oui soumis leurs limes cl bu- rins à notre examen. M. Louis Guillmnct, au nom d'une commission, a fait sur ces produits un rapport très-avanta- geux, donlla Section a voté l'impression dans le Bulletin gé- néral de l'Institut. Diverses communications nous ont été laites sur de nou- 36 veaux procédés pour traiter le fer et l'acier. Une commission a été nommée pour examiner l'ensemble de ce sujet. La Section ayant eu connaissance de plusieurs empoison- nements, accidentels ou prémédités, dus, en divers pays, au phosphore des allumettes chimiques, a cru devoir attirer l'attention du Département de Justice et Police sur la conve- nante de substituer, dans la fabrication de ces allumettes, le phosphore rouge ou amorphe au phosphore ordinaire. Une Commission a rapporté sur diverses falsifications des substances alimentaires, et sur quelques mesures proposées pour éviter les accidents que peut entraîner la vente des poisons employés dans l'industrie. Les mémoires et rap- ports présentés à ce sujet, par MM. MicJiaud et Olivet, ont été transmis, à titre d'informations, au Département de Jus- tice et Police. La Section a aussi examiné un instrument à couper les bri- ques, présenté par M. Curthay; une pompe à purin, de M. Lascoux; des sécateurs, des trois-quarts et des instru- ments à couper des asperges, mis en vente par M. Forestier, coutelier en l'Ile ; une forge portative et des soufflets circu- laires, fabriqués par M. Grandperret ; du vinaigre de M. Pey- tregnet, fabricant d'eaux minérales factices, rue de la Tour- Maitresse. Ces divers objets ont été soumis à des Commissions,, dont les rapporteurs ont transmis aux industriels susindiqués les conclusions de la Section sur ces divers objets. M. Arnaud nous a présenté des papiers peints de sa fabri- que. Il a accompagné cette petite exposition d'un mémoire très-intéressant sur les procédés d'impression des papiers peints. Les produits de M. Amatid ont été renvoyés à l'examen d'une Commission, qui a rapporté, par l'organe de M. Viridet, non seulement sur les produits de M. Arnaud, mais encore sur les matières premières employées, sur les instruments et sur les procédés techniques en usage dans ce genre de fabri- cation. 37 .Nous ferons eo sorti' d'accorder une place dans le Bul- letin de l'Institut au mémoire et au rapport en question. M. Michaud, préparateur de physique et de chimie à l'Aca- démie de Genève, nous a démontré qu'on peut tirer du mar- ron d*Inde, du vinaigre, de l'eau-de-vie et de l'alcool qui, s'ils ne peuvent être employés pour la table, peuvent du moins fort bien être utilisés dans les arts et dans l'industrie. Le même membre a lu plusieurs rapports intéressants sur divers sujets, au nom de Commissions qui l'avaient chargé de consigner le résultat de leurs délibérations. M. île Grenus a montré à la Section des échantillons des marbres de Saint-Triphon et de La Roche , près d'Aigle, qu'il fait exploiter. Il nous a lu, à ce sujet, une notice très- intéressante. Ces marbres sont beaux, bien travaillés et à des prix très-ahordables. M. Méril Catalan a fait deux propositions, l'une de créer un musée cantonal industriel et agricole, l'autre d'ouvrir, dans notre Section, des archives de l'industrie, de l'agricul- ture, du commerce et des arts. La première de ces proposi- tions a été renvoyée à l'examen d'une Commission, et il a été immédiatement donné suite à la seconde. M. Élie Ducommun a mis sous nos yeux de la tourbe puri- fiée et du coke de tourbe, de Saint-Jean, près de Cerlier. Un rapport a été lu à ce sujet, et M. Ducommun a été chargé de nous communiquer le résultat de ses expériences sur ces deux produits. M. Hugues Darier, membre effectif, a fait, sur la fabrica- tion et l'emploi de guanos artificiels, divers essais sur les- quels il n'a pas encore lu de mémoire à la Section. M. Veinié a cherché a utiliser les matières fécales de notre ville, ainsi que celles qui proviennenl des abattoirs. Ses ten- tatives n'ont malheureusement pas réussi aussi bien que l'auraient désiré l'inventeur et la Section. .Nous avons mis au concours, pour l'année 1856-1857, deux questions relatives l'une à l'industrie et l'autre à l'agricul- ture. La Section a été nommée comme seul comité cantonal pour 38 servir d'intermédiaire entre les exposants genevois et la Commission executive de la troisième exposition suisse, qui doit avoir lieu à Berne, dans l'été de 1857. La Commission administrative de l'Hôpital cantonal, ayant été appelée à faire examiner les machines et les appareils de cet établissement, nous a prié de lui désigner trois des ex- perts chargés de procéder à cet examen. Nous avons pré- senté MM. le docteur Olivet, Hugues Darier et L.-Ch. Veinié, qui ont été agréés par la Commission de l'Hôpital. Au mois de Septembre 1856, ont eu lieu à Bruxelles un congrès douanier et un congrès de bienfaisance, ainsi qu'une exposition d'économie domestique. Nous y avons délégué MM. Paul de Grenus et Nakwaski père. Ces Messieurs se sont fort bien acquitté de leurs fonctions, ont entretenu une cor- respondance active avec la Section, et présenté un premier rapport, qui a été entendu avec intérêt par les Sections réu- nies des Sciences morales et politiques et de l'Industrie et de l'Agriculture. Ce rapport, et un autre qui devra le suivre, trouveront place dans le Bulletin général de l'Institut. Nous aurions encore, Messieurs, à signaler plusieurs tra- vaux partiels de notre Section ; mais nous devons nous arrê- ter, pour ne pas abuser plus longtemps de votre patience, que nous avons déjà soumise à une bien rude épreuve. Après le rapport de M. Viridet, l'Institut a entendu la lec- ture de divers morceaux de poésie par MM. Petit-Senn, Blanvalet et Vuy. Nous reproduisons celles-ci : La Fille $M Pécheur* La mer grondait avec furie, Le flot sur le flot s'écroulait, Et la vieille tour aguerrie Comme un homme ivre chancelait. Cependant, à travers la brume, Ses pies nus ruisselant d'écume, Son front ruisselant de sueur, Des larmes tout plein le visage, Une enfant errait sur la plage.... C'était la fille du pèch eur. 39 « Père! oh, dis-moi! s'écriait-elle. Tu tardes bien ! il se t'ait noie. C'est moi qui pleure et qui t'appelle : Ne viens-tu plus quand vient le soir? Dès l'angelus notre chaumine Au feu du sarment s'Illumine ; Sur la cendre attend le repas, Et ta petite ménagère Mérite aujourd'hui de son père Un baiser. — Tu ne réponds pas. » « Viens-tu ? dis ! Grâce à Dieu ! sa barque Apparaît enfin. Oh! merci!.... Mais non, c'est le brisant qui marque Un point blanc sur le ciel noirci. Là-bas où la vague s'efface, Je crois distinguer dans l'espace Une voile accourant au port.... Hélas! bon Dieu! c'est la mouette Qui rase le flot et qui jette Son cri sinistre vers le bord. » « Reviens donc ! Le long du rivage Ayant abrité leur bateau, Les mariniers du voisinage Ont tous regagné le hameau : Déjà ne se fait plus entendre Le cri si joyeux et si tendre Qui les accueillit au foyer ; Seule j'attends, seule je tremble, Reviens! et nous prîrons ensemble; Ça fait tant de bien de prier ! » « Bientôt, oui bientôt, tout heureuse J'irai me blottir sur ton cœur ; Mais ne ris pas de ta peureuse ! Car, sais-tu? si j'ai tant de peur, C'est que j'ai fait un rêve étrange : J'ai vu — qu'on eût dit voir un ange — Ma bonne mère qui, des cieux, Te montrait qu'au seuil de l'église, La fosse en laquelle on l'a mise Est bien assez large pour deux. » Tandis que l'enfant, sur la plage Errait d'un pas plus effrayé, Le long du sentier du village On portail un pale noyé. La cloche, au deuil toujours fidèle, S'émut au Iront de la chapelle Ht se prit ;i sonner la mort. Sa voix sainte, en tombant du faite. Semblait, pour braver la tempête, Crier: Le pêcheur est au port! Henri Blasttalkt. 40 Poursuivant sans vieillir une route incessante, J'aborde un jour, non loin de la cité bruyante, Un homme qui cueillait les fruits de son jardin : Qui fonda la cité? lui dis-je à mon passage. Tout en cueillant ses fruits il me répond soudain : Cette ville fut là de tout temps, de tout âge, Elle s'élèvera toujours sur ce rivage. Mais après cinq cents ans, voyage surhumain, Je passai de nouveau dans le même chemin. De maisons et de tours je ne vois plus de trace, J'entends un chalumeau de berger quand je passe, J'aperçois des troupeaux où fut une cité; Depuis quand cette ville ainsi disparut-elle? Le pâtre insouciant répond : En vérité, L'un grandit, l'autre tombe, existence mortelle, Ce sol est du berger la patrie éternelle. Mais après cinq cents ans, voyage surhumain, Je passai de nouveau dans le môme chemin. Et je trouve une mer, le flot murmure et gronde, Un fier pêcheur jetait ses filets dans son onde ; Depuis quand cette mer existe-t-elle ici ? Un sourire aussitôt effleure son visage, Le pêcheur me regarde et me répond ainsi : Depuis que, sur ces bords écume un flot sauvage, On a toujours péché, toujours, sur ce rivage. Mais après cinq cents ans, voyage surhumain, Je passai de nouveau dans le même chemin. Je trouve une forêt retirée et profonde, Le bûcheron, caché dans ce recoin du monde, Une hache à la main, coulait en paix ses jours ; Depuis quand ta forêt qui me cache un mystère? Lui dis-je ; il me répond : elle exista toujours, J'ai toujours habité cet endroit solitaire Et les arbres toujours ont cru sur cette terre. Mais après cinq cents ans, voyage surhumain, Je passai de nouveau dans le même chemin. Je trouve une cité ; mille rumeurs connues Viennent à moi : le bruit des marchés et des rues. Depuis quand cette ville existe-t-ellc ici? Où donc est la forêt, la mer, le pâturage? Questions vaines! nul, nul n'en avait souci: Sans doute elle fut là de tout temps, de tout âge, Elle y sera toujours. — Je reprends mon voyage, Mais, dans cette contrée aux aspects si changeants, Je voudrais revenir encor dans cinq cents ans. Bords de l'Arvc. Jules Vuv. M SECTION DES SCIENCES NATURELLES ET MATHÉMATIQUES. Séances de Février — Mai 1856. NOMINATIONS. Membre effectif. M. Michaud, en remplacement du Dr Mayor père, décédé. (Séance du 28 Mars.) Membre honoraire. M. François Josseaume, présenté par MM. Viridetet Moulinié. (Séance du 29 Février.) Membres correspondants. MM. les Drs Rudolph Yirchow, professeur d'anatomie pathologique, et Albert Kœlliker, pro- fesseur d'anatomie et de physiologie à l'Université de Wiïrz- burg. (Séance du 29 Février.) M. François Verdeil, docteur en médecine, professeur de chimie, à Paris. (Séance du 30 Mai.) M. Charles Robin, docteur en médecine, professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris. (Séance du 30 Mai.) NOTES COMMUNIQUÉES A LA SECTION. Description de quelques fossiles nouveaux de Savoie, par Gabriel Mortillet, membre correspondant. (Communiquée à la séance du 29 Février.) Dans ma Description de quelques coquilles nouvelles d'Ar- ménie, qui a paru dans les Mémoires de l'Institut national ge- nevois, je signalais, parmi les espèces connues, YHelix striata i 42 Drap., trouvée à Baibout. En ayant envoyé quelques échan- tillons à M. de Charpentier, il m'écrivit peu de temps avant sa mort : « VHelix de Baibout que vous m'avez envoyé sous le nom de striata n'est point l'espèce de Draparnaud. Il en diffère : testa tenuiore, spira exarthis globosa, umbilico augustiore, infundibuUfoiwi nec cylindrico, et sculptura obliterata. Je l'ai admis dans mon catalogue sous le nom de Hélix tartarica, parce que j'en avais déjà une forme tant soit peu plus grande que la vôtre, trouvée par feu mon ami Dubois dans les jar- dins du palais du Khan tartare à Bartschissarai, en Crimée. C'est une bonne et jolie espèce qui n'existe pas encore dans les collections, et dont il faut avoir soin. » Permettez-moi, maintenant, de décrire quelques fossiles nouveaux. Travaillant activement à une Géologie de la Sa- voie, j'ai recueilli grand nombre de fossiles qui ne sont point encore décrits. Parmi eux, il en est quelques-uns qu'il est important de faire connaître, au point de vue géologique, soit parce qu'ils attirent plus spécialement l'attention, soit, surtout, parce qu'ils caractérisent certaines couches. Je ne vous entretiendrai que de ceux-là. Ce sont : Mytilus Jacquemoudianus, Mort. Grande espèce, ayant 117 millimètres des crochets à la base des valves; variant beaucoup de largeur, 55 à 86 mm. vers la base. Crochets à l'extrémité du grand axe de la coquille, un peu contournés et rejetés en dehors. Valves comme tronquées à la base, ayant un de leurs bords latéraux arrondi extérieurement, et Fautre légèrement cintré en dedans. Celte espèce est carac- térisée par une forte carène à angle droit et même aigu, qui coupe et brise pour ainsi dire les valves en deux, depuis les crochets jusqu'à un des coins de la base. D'un côté de la carène, la coquille se développe plus ou moins en s'arron- dissant; de l'autre, elle tombe perpendiculairement et môme 43 on rentrant. Ornements \ des stries régulières, profondes, très-nettes, au nombre de \ '/2 à 3 par millimètre, partant du sommet et s'étalanl en s'élargissant sur toute la partie arrondie de la coquille. Sur la partie rabattue perpendicu- lairement, ces stries semblent partir de la carène. Cette belle espèce, fort remarquable par sa carène très- acceutuée. ses stries et sa grosseur, se trouve assez commune dans les marnes néocomiennes moyennes de l'escarpement du Mont-St-.lean, derrière le château de Chaffardon, au- dessus de la cascade de la Doria, près Chambéry, mais il est difficile de l'avoir en bon (Mat. Pinnigena Reneviep.iana, Mort. Grande coquille, très- bien caractérisée par son test tout cannelé. Les canaux partent du sommet et se dirigent vers la base en s'écartant un peu comme les rayons d'un éventail à demi fermé. Au point où le fossile a 144 mm. de largeur, ces canaux ont en moyenne 1 mm. de profondeur, 2 mm. de large, et sont séparés par des côtes à dos aplati de 3 mm. Le test fossilisé est brun, entièrement fibreux, assez épais; je l'ai vu atteindre jusqu'à 5 mm. Du néocomien à Ostreu Coulonii, des Favrins de Montcel au-dessus d'Aix, je n'ai trouvé qu'un seul fragment de cet intéressant fossile; mais il était important de ledécrire, parce que jusqu'à présent, en Savoie, on avait considéré le test brun et fibreux des Pùmigena ou Trichytes comme caracté- risant le corallien. Nerinea Vogtiana, Mort. Fort allongée, à décroissance lente. Tours de spire de 20 mm. de hauteur pour 20 à 25 mm. de diamètre, assez évidés dans leur milieu, qui est orné de côtes spirales, plus ou moins nombreuses et plus ou moins marquées. A la base des tours de spire, tout contre la suture, une série de gros tubercules. On aperçoit aussi parfois de fines stries d'accroissement dans le sens longitudinal. Espèce 44 voisine de la Nerinea Zte/hmm Desh. du corallien, mais s'en distinguant surtout par ses tubercules à la partie inférieure des tours, au lieu d'être à la partie supérieure. A aussi quel- que analogie avec la N. speciosa Voltz, également du coral- lien ; mais cette dernière a un angle spiral beaucoup plus ouvert. Assez abondante dans les couches à Caprotina ammonia, presque immédiatement inférieures au calcaire jaune à pté- rocères, de la carrière Falconnet, derrière le château d'An- necy. M. Levy, professeur de géologie à la Faculté de Gre- noble, me l'a aussi montrée, provenant de l'urgonien blanc du département de l'Isère. Caprotina Grasiana, Mort. Très-grosse ; plus grande lon- gueur de la coquille, 178 mm. ; plus grande largeur des valves, 111 mm.; épaisseur du ventre d'une valve à l'autre, 113 mm.; test extrêmement épais; coquille naviforme, un peu aplatie latéralement du côté de la spire ; valve inférieure grande, avec une carène obtuse sur le dos, ornée en travers de plis lamelleux, irréguliers, qui rendent la coquille ru- gueuse. Ces plis, adhérant habituellement ' avec force à la roche encaissante, se détachent du reste du test, et la sur- face du fossile devient alors assez unie, presque lisse, ne montrant plus que quelques légères lignes d'accroissement concentriques. Spire de la valve inférieure courte, à tours liés entre eux. Yalve supérieure bombée, arrondie, semi-ovi- forme, garnie de stries légèrement lamellaires, concentri- ques, et dessinant la spire sur un des côtés. Cette espèce est très-voisine de la Caprotina Virginiœ, A. Gras, avec laquelle je l'avais confondue dans ma Notice géologique sur le Semnoz. Mais depuis, étant allé à Grenoble et ayant vu de nombreux et très-beaux échantillons de la Caprotina Virginiœ chez M. Albin Gras lui-même, et chez M. Levy, à la Faculté, j'ai reconnu la différence des deux 45 espèces. La C. Grasiana a ses plis lamelleux moins forts, ce qui la rend moins rugueuse. Mais la différence la plus tran- chée se trouve dans la valve supérieure. Chez la C Virginia; elle est tout-à-fait operculaire et plate; si elle bombe un peu dans quelques individus, ce n'est que très-faiblement; par contre, dans d'autres individus elle est légèrement en creux, tandis que dans ma nouvelle espèce cette valve est toujours très-bombée, arrondie et semi-oviforme. La Caprotina Grasiana se trouve à La Puya, près d'An- necy, dans les couches de calcaire blanc urgonien, inférieu- res au calcaire jaune à ptérocères. Ostrka Pictetiana, Mort. Longueur 47 millimètres ; lar- geur 33 mm. dans les grands individus, mais habituellement plus petite. Valve inférieure très-bombée, convexe, irrégu- lière; valve supérieure presque plate; sommet resserré et se terminant en pointe mousse, un peu de côté, très-irrégulier et comme bosselé ; bord supérieur nul ou presque nul; bords latéraux à peu près droits, s'éloignant l'un de l'autre, suivant un angle de 00° environ ; bord inférieur très-arrondi, mais oblique. La coquille est irrégulièrement et assez fortement plissée ou ondulée, ce qui lui donne quelque rapport, d'aspect avec Ylnoceramus concentricus du gault. Habituellement, on n'.i que le moule; mais le test, qui est peu épais, se trouve ondulé ou plissé comme le moule, et il est orné de légères stries longitudinales, partant du sommet et rayonnant vers le pourtour. Ces stries ne sont bien nettement visibles qu'à la loupe. Cette coquille caractérise, à l'est deMeillerie, en Chablais, el à la Dent de Jaman, dans le canton de Yaud, des couches qui forment la base du lias inférieur ou le sommet des ter- rains triasiques, couches désignées par les géologues alle- mands sous le nom de Kossener Schichten. 46 Note de M. Vogt sur le genre Actinophrys. (28 Mars.) Notes de M. Michaud sur la transformation que subit le phosphore au contact des sels de cuivre , et sur l'influence que paraît exercer l'ozone sur la fermentation de quelques substances organiques. (Mars et Avril.) CATALOGUE CRITIQUE ET M ALACOST ATIQUE DES MOLLUSQUES DE SAVOIE ET N ÉASSH N LEMAN. PAR Fr. DDMONT et G. MORTILLET. (Suite et fin. — Bulletin de l'Institut, N° 11, page 510.) c~~^«e*!ài*g^fi — = 53. Hélix incarnat a, Mail. \11\. HF.LixiNr.AKNATA. Mullcr. VermHm ktetorùt, \. 2^p. 63, n° 259. — Draparnauil. Ilist. nioll. France, p. 100. n° 29, pi. 6, f. 30. — Rossmassler, konogr. molhukm, liv. l, p. 62, pi. 1 , f. 40 et liv. 5-6. pi. 2ftj f. 361. — Pfeiffer, Monogr. heUcçonm, \. 1, p. 138, n° 360. — Dupin. Ifisi. moll. Fronce, p. 208, n° 55, pi. 9, f. 8. — Moquin-Tandon. Ilist. moll. France^. -1. p. 199, a0 i<>. pi. 16, f. •» el 7. Assez répandue, quoique toujours peu nombreuse; dans b-< bois Irais, surtout ceux qui bordent les rivières. Klle ne descend pas dans les plaines cli;nules el ne s'rlè\e pas à la limite supérieure des forête; Bassin de Genève : La Faucille: iie\. MO ni. : flernex, 490 m.; bois entre Fernevet Yeisoiv. 156 m. (Décret) : Saint- Cergues au Jura. 1040 m. (Claparèdei ; jonction de l'Aire 48 et du Rhône , 375 m. ; Salève , de la base , 600 m. , à la Croisette, 1000 m.; Vouache, 900 m. — B. de Bonneville et Marignier, près de PArve, 446 à 490 m. ; château des Tours, 500 m.; Andai, 700 m.; Rumilly, 470 m.; Saint- Gervais (Brot) ; bois sur Magland, 800 m. ; Beposoir, 4100 m. ; V. du Giffre, Samoëns, 700 m. ; Sixt, au Fer-à-Cheval, 850m.; V. de la Menoge, Boëge, 735 m. — B. d'Annecy, v. du Che- ran, pont d'Enlrèves, 800 m. — B. de Chambéry, v. du Guier, Grande-Chartreuse, 950 m.; Oncin(Chabert). — B. de Moûtiers, vers les salines, 486 m. Se retrouve en France, en Suisse, en Allemagne et en Suède. 54. Hélix carthusiana, Mail. 1774. Hélix carthusiana. Muller, Vermium historia, v. 2, p. 15, n° 214. — Pfeiffer, Monogr. heliceorum,v. 1, p. 132, n° 344, partie.— Dupuy, Hist. moll. France, p. 204, n°53, pi. 9, f. 6. — Moquin-Tandon, Hist. moll. France, partie, v. 2, p. 207, n° 44, pi. 16, f. 23 et 24. H. cartiiusianella. Braparnaud, Hist. moll. France, p. 101, n° 30, partie, pi. 6, f. 31 et 32. — Rossmassler, Iconogr. mollusken, partie, liv. 5-6, p. 37, n° 366. Se distingue de YH. incamata, parce qu'elle n'est pas sub- carénée, et qu'elle a un bourrelet blanc, et au péristome deux bandes brune et blanche. La taille de cette espèce est assez variable. En Balmatie, dans le midi de la France et en Italie, le petit diamètre at- teint jusqu'à 14 mill. Bans notre champ d'études, il oscille entre 8 et 12. Sa teinte est toujours d'autant plus blanche et la spire d'autant moins élevée que la taille est plus forte. Se trouve au bord des chemins, sur l'herbe sèche, contre les murs et les palissades, dans les endroits un peu frais , et dans les parties les plus basses de notre champ d'études. 49 Elle ne paraît pas remonter dans les vallées alpines, lors môme que dans quelques-unes la présence des cigales fasse supposer une température plus chaude que celle du bassin du Léman qu'elle habite, bien que les cigales ne s'y fassent pas entendre. Bassin de Genève : Lausanne, 509 m.; bord du lac à Gleyroles (Charpentier); Coppet, 385 m.; Genève, sur les Tranchées et tous les environs, 380 à 400 m. ; Fernex, sur les bords du Lion et de la route de Versoix, 489 m. ; Champel et Florissant, 415 m. (Claparède). — B. d'Annecy : vallée des Usses, marais de Chessenaz, 305 m.; Seyssel, 280 m.; V. du Fier, marais d'Epagny, 450 m. — B. de Chambéry : Aix, 255 m. (Mousson); marais du Vivier, 224 m.; Cognien et bords de PAlbane, 260 m.; Saint-Innocent, 274 m.; V. du Guier, Oncin (E. Chabert). — B. d'Albertville : Bords de l'I- sère, entre Montmélian et le pont de Charaousset, 250 m. Se retrouve aussi en France, Italie, Portugal, Allemagne, Autriche. Angleterre, etc. 55. Hélix rufilabris, Jeffr. 1830. Hélix rufilabris. Jefftvxs. Supplément lo a synopsis oflhe testaceous-pneumonobranchous mollusm ofGreni Ihi- tain in Transaction» Linn.soc, v. 16, p. 509. — Dupuy, Hist. moll. France, p. 207, n° 54, pi. 9, f. 7. H. cartiiusianella, v. p . Draparnaud, Hist. moll. France, p. 101 , n° 30, pi. 7, f. 3 et 4. — Bossmassler, Iconogr. mol- lusken, pi. 27, n° 366 et partie, texte, liv. 5-6, p. 37, n° 366. — Moquin-Tandon , v. Minor, Hist. moll. France, v. 2, p. 207, n» 44, pi. 46, f. 20. II. olivieri. Michaud, Compl. à Drap., p. 25, n° 39. Se distingue de VH. carthusiana par sa taille plus petite, sa spire plus élevée, sa bouche plus arrondie, son péristome plus coloré en roux, et surtout son animal plus noir. Mais 50 comme on rencontre entre elles tous ces passages, YH. rufi- labris ne doit être considérée que comme une simple variété de YH. carthusiana. Aussi la plupart des auteurs, comme Mul- ler, Pfeiffer, Rossmassler, etc., les ont confondues ensemble. Habite les gazons qui bordent les chemins, et comme la précédente, se trouve sur les plantes, monte contre les palis- sades et les murs, mais dans des positions plus sèches. Cette espèce, essentiellement de la plaine, ne pénètre pas dans la zone alpine. Bassin de Genève : Lausanne, 500 m. ; Les Délices, près de Genève, 410 m. — B. de Chambéry : Monterminod, •450 m. ; Leysse, 290 m.— B. d'Albertville : bords de l'Isère, sous Montmélian, 275 à 280 m. France, Allemagne, Angleterre, Italie, Portugal. A peu près les mêmes pays que YH. carthusiana, dont elle est la va- riété sèche, si l'on peut s'exprimer ainsi. La chaleur, unie au manque d'humidité, donne à l'animal et à la coquille des teintes plus foncées, les empêche de se développer autant, et raffermissant davantage l'animal, le rend plus globuleux; aussi se construit-il une habitation dont l'ouverture est plus ronde et la spire plus élevée. 56. Relix fruticum. Mail. 1774. Hélix fruticum. Muller, Verîniim historia, v. 2, p. 71, n° 267. — Draparnaïul, Hisl. moll. France, p. 83, n° 10, pi. 5, f. 16 et 17. — Rossmassler, Iconogr. mollusken, liv. 1, p. 61, pi. 1, f. 8. — Pfeiffer, Monogr. heliceorum, v. 1 , p. 135, n° 349. — Dupuy, Hist. moll. France, p. 199, n° 49, pi. 9, f. 4. — Moquin-Tandon , Hisl. moll. France, v. 2, p. 196, n° 39, pi. 16, f. 3 et 4. Le type est entièrement blanc, v. alba; mais la coquille se colore parfois de rose plus ou moins foncé, passant même au violet, v. rufula. Cette variété est fort rare en Savoie. Une M variété encore plus rare est ceUe qui se trouve ornée d'une fascie ou bande longitudinale rouge-brun, \. fcuciata, repré- sentée dans Charpentier. Cat. moU. Suisse, pi. l,f. 17. Celte •ascie se rencontre chez les individus blancs comme dans les roses. Un individu très-scalaire a été trouvé à Onex, pues Genève, \-l~> m., par Aloy s llumbert. Très-commune dans les haies et les taillis. Mais comme elle a un grand besoin d'humidité, elle redoute t'oit le vent et le soleil, et passe pour >> soustraire une grande partie de sa vie dans la terre. Par les temps de pluie et de brouillard ou par les rosées fortes, elle sort de sa retraitée! on la trouve sur le sol parmi les plantes humides et grimpant sur les branches basse-. Ce besoin d'humidité l'ait qu'elle est surtout abondante dans les taillis au bord des rivières. Quoique pé- nétrant dans les vallées des montagnes, elle paraît être spé- ciale ;'i la partie basse. Nous ne l'avons jamais trouvée dans do< localités élevées île plus de 700 m. Mais Huguenin, bota- niste distingué, nous en a remis deux exemplaires, en tout semblables à ceux de la plaine, qu'il dit avoir ramassés vers la grotte du Moul-Cranier. près de Chambéry, à 1100 m. environ. Bassin de Genève: Vouvry, 178 m.; La Condamine, près d'Ollou. v. fasciata (Charpentier); Lausanne. -150 m.; Cha- blais. entre Meillerie et Évian, 390 m.: Fernex, au bord du Lion, 189: bord de la Yersoix. ion ni., v. ivrncti; Saint-Jean, près de Genève, -105 m.; bois de la Bâtie, 370 m.: Carouge. :!XI) m.: pied du Salève i Claparède i. — B. de Bonneville : bois d'aulnes aux bords de l'Ane, i ib in.: luis d'une inon- dation. SUT 895 individus jetés dans un jardin de la ville, il \ avait 352carnea3 30 ciu-iwa-fascintn, 38-2 allm et /•>;> alha- fweiata : population exceptionnelle, les camea et fusiiaia étant habituellement beaucoup moins nombreuses; Saint- Etienne, 500 m.: A\se. 180 m.: Marinier. i'.l.S m. : cascade 52 d'Aprenaz,au bas. 530 m. ; vallée du Gifïre, Samoëns, 699m.; Saint-Geoire, 580 m. — B. d'Annecy : environs de la ville, 455 m., et extrémité sud du lac, 450 m. ; bords du Fier à Alex, 570 m. ; V. du Cheran, au-dessus du pont de Léche- raine, 600 m. — B. de Ghambéry : Saint-Alban, 291 m. (Songeon); Aix-les-Bains, (Mousson), Bordeaux, 280 m ; V. du Guier, Oncin, v. fasciata (E. Chabert). Très-commune et très-répandue en Suisse, France, Alle- magne, Danemarck et nord de l'Italie. 57. Hélix strigella, Drap. 1801. Hélix strigella. Draparnaud, Tableau des mollusques, p. 84, n° 24.- — Draparnaud, Hist. moll. France, p. 84, pi. 7, f. 1 , 2 et 19. — Bossmassler, Jconogr. mollusken, liv. 1, p. 01, pi. 1, f. 9 etliv. 7-8, p. 4, pi. 31, f. 438. — Pfeifler, Monogr. heliceorum, v. 1, p. 142, n° 368. — Du- puy, Hist. moll. France, p. 198, n° 48, pi. 9, f. 3. — Moquin-Tandon, Hist. moll. France, v. 2, p. 204, n° 42, pi. 16, f. 15. Dans les taillis des lieux secs elle est un peu plus globu- leuse et beaucoup plus petite que dans les taillis humides du bord des rivières. Son petit diamètre atteint habituellement 13 à 13 72 mil., et le grand 15 72 à 16 */2. Mais à Plom- bière, en Tarentaise, nous l'avons trouvée n'ayant que petit diamètre 10 mill. , grand 11 l/z- C'est la var. strigellula, Moquin, pi. 16, f. 16. Habite les prés maigres et les lieux arides parmi les buis- sons, aussi bien que les jeunes taillis humides près des ri- vières. Elle n'atteint pas la limite supérieure de la zone des forêts; et, quoique assez répandue, il est difficile de la trouver vivante, tant à cause de sa couleur qui la fait échapper aux regards, que parce qu'elle ne sort que les jours pluvieux, surtout quand elle est dans des localités chaudes et sèches. 53 Bassin de Genève : Commune autour de Bex, 435 m. (Char- pentier) ; Rolle, (Monnard) ; Jura sur Gex, (Mallet) ; bords du Lion , près Fernex , 489 m. , et route de Fernex à Versoix , 435 m. (Décret); bois de La Bâtie, près Genève, 370 m.; pied du Salève (Claparède) ; montée de la Croisette, 780 m.; Vouache. — B. deBonneville : bords de l'Arve, près de la ville, 446 m. ; Le Feux à Ayse, 500 m. ; Marignier, coteau au-dessus de l'église, 520 m. ; Chamonix aux Avers (Payot) ; route du Mont-Saxonnet, 850 m.; V. du Giffre, Samoëns, 699 m. ; entre Vallon etSixt, 720 m. ; V. de la Menoge, Boëge, 735 m. — B. d'Annecy : Thones, 630 m. ; marais d'Epagny, 450 m. ; La Balme de Sillingy, 520 m. ; Clermont-sur-Frangy, 650 m.; V. du Cheran, au-dessus du pont de Lécheraine, 600 m. , et au-dessus du village, 800 m. — B. de Chambéry : Aix, 255 m. (Moussod) : Mont-de-Lémene, 350 m. (Songeon) ; château de Bordeaux, 280 m. ; Otheran (Huguenin) ; Entre- mont, 840 m. — B. d'Albertville : digues de l'Isère, sous Cruet, 250 m. — B. de Moutiers : La Perrière (de Loriol), Salins. Moutiers, 490; bois de Champion, Plombière, Aiguille du Cretetct Au Bois (Thabuis etCrud). — B. de Saint-Jean - de-Maurienne : Saint-Jean, 650 m.; Sollières, de 1250 à 1300 m. Pas très-répandue : Suisse surtout dans le Jura , France montagneuse, Italie, Espagne, Saxe, Silésie, Bavière, Au- triche, Russie. 58. Hélix ericetorum, Mail. 1774. Hélix ericetorum. Natter, Yermium historia, v. 2, p. 33, n° 236. — Draparnaud, Hist. moll. France, p. 107, n° 40, pi. 6, f. 16 et 17. (C'est par erreur que dans l'ex- plication des planches elle est indiquée sous le n° 12, figure de VH. tii'ijlfrUi.)- — llossniassler. Ieonogr. 7/w//«.sAv/i,liv. 1, p. 67, pi. 1 , f. 17 et Ih\ 7-8, p. 33, pi. 38, f. 517 à 520. 54 — Pfeiffer, Monogr. heUceorum, v. 4 , p. 163, n° 420. — Dupuy, Hist. moll. France, p. 288, n° 94, pi. 13, f. 7. — Moquin-Tandon , Hist. moll. France, v. 2, p. 252, n° 67, pi. 19, f. 2 et 3. Sa taille, très-variable, n'atteint jamais dans notre champ d'études les dimensions des individus provenant de plusieurs parties de la France, surtout du midi, v. major, petit dia- mètre 18 mill. ; mais nous avons la petite variété, v. minor , petit diamètre 8 à 9 mill. La variété intermédiaire, v. inter- media, petit diamètre 11 à 14 mill., est la plus grande de notre pays. La nature du test de cette espèce est plus corné ou plus calcaire, suivant que les individus proviennent d'endroits ombrés ou exposés au soleil. VH ericetorum se trouve aussi avec ou sans fascie. Dans le premier cas, v. concolor, elle est blanchâtre; dans le second, v. fasciata, qui est de beaucoup le plus commun, elle a quelquefois les bandes d'une couleur si pâle, qu'elles ne se reconnaissent que par leur transpa- rence. Nous avons rencontré sur les bords de PArve, près de Genève, au milieu du type, une variété exceptionnelle, blanche, entièrement vitrée, transparente, v. vitrea. Très-commune sur la terre et les gazons dans les prés maigres, secs et chauds. Elle dépasse peu la zone des cul- tures. Bassin de Genève : Bex, 435 m.; Lausanne, 509 m.; Nyon, 400 m. ; bois d'Ely (de Loriol) ; Évian , 413 m. ; Ver- soix, 400 m. ; Fernex, 489 m. ; Genève, Champel et Tran- chées, 410 m. ; bois de La Bâtie, 370 m. ; Lucinge, 700 m. ; sommet du Grand-Salève, 1300 m. (Glaparède); Vouache.— B. de Bonneville : Bonneville, 448 m. ; Saint-Etienne, 500m. ; Marignier, 498 m. ; Chamonix au-dessus du bois du Platet, 1300 m., et au bois de Joux (Payot); Bumilly, près Bon- neville, 480 m., la plus petite de toutes; V. du Giffre, 55 Mieussy; Tanninges, 615 m. ; route des Gets; V. de Borne, C.rand-ISornand, 1200 m. — Bi d'Annecy : Thôncs, 625 m. ; La Clusaz, 1040 m. ; Annecy, 148 m. : Duing, 460 m. ; coteau d'Epagny, 460 m.; V. du Cbcran , Arilli, 713 m.; col de BellfiCombe à tintrevernes, 1200 m.; Cbalelard, 760 m.; Aillon-le-Jeune, 890 m.; Combe d'Aillon, 900m. — B. de Cbainbén : Srrrières, en Chaulagne, et Motz, 426 m.; Aix (Mousson); Saint-Jean d'Arvet, 700 m. ; Entremont, 840 m. ; Grande-Cbarlreusc, à la bergerie et au col, 1500m. environ; Oncin (Cbabert). — B. d'Albertville : Gruet (Huguenin). — li. de Moûliers : Moûliers, 490 m.; Salins, Petit-Cœur. Suisse, France, Angleterre et presque toute l'Europe. 59. Hélix apicina, Lam. 1822. Hélix apicina. Lamarck, Hist. naturelle des animaux sans vertèbres, v. 0, 2e part., p. 93, n° 102. — Micbaud, Compl. à Drap., p. 33, pi. 15, f. 9 et 10. — Rossmassler, ïconogr. molhisken, liv. 6, p. 27, f. 352.— Pfeiiïer, Monogr. heliceorum, vol. 1, p. 170, n° 438. — Dupuy, Ilisl. mail. France, p. 273, n° 86, pi. 12, f. 10. — Moquin-Tandon, Ilisl. molt. France v. 2, p. 232, n°57, pi. 17, f. 32 à 31. H. cenisia. Cbarpenlier, Catalogue des coquilles de la Suisse, 1837, p. 12, n°42, pi. 1, f. 21. De Cbarpenlier lui-même nous a donné des types de son Hélix irnisia. qui est parfaitement Y H. apicina telle qu'on la trouve sur le littoral de la Méditerranée. Il a eu aussi l'obli- geance de nous désigner d'une manière très-précise la loca- lité où il croit l'avoir recueillie. Trois fois nous sommes allés dans cette localité, en demandant toujours de nouvelles ex- plications, sans pouvoir retrouver l'espèce méditerranéenne. Sur la sommité du Mont-Cenis, près de la grande cascade du rôle de l'Italie, sur les pelouses, 1880 m., où il indique, dans son Catalogue, YH. cenisia en grande quantité, on rencontre 56 seulement en extrême abondance YH. unifasciata Poir., ou striata Stud. Il nous paraît à peu près certain que, revenant d'Italie, où il avait recueilli YH. apicina, et ramassant ensuite sur le Mont-Cenis YH. unifasciata, de Charpentier aura con- fondu les paquets, erreur d'autant plus facile, que les deux espèces sont très-voisines. 60. Hélix intersecta, Foir. 1801. Hélix intersecta. Poiret, Coquilles fluviatiles et ter- restres de l'Aisne, p. 81, n° 16. — Michaud, Compl. à Drap., p. 30, pi. 14, f. 33 et 34. — Dupuy, Hist. moll. France, p. 280, n° 90, pi. 13, f. 1. — Fr. Dumont, Monogr. des hélices striées, p. 26, n° 13. — Moquin-Tandon, Hist. moll. France, v. 2, p. 241, n» 61, pi. 18, f. 12. Citée dans la Monographie des hélices striées, comme ayant été trouvée à Rumilly, près Bonneville, 475 m. Mais, comme depuis, malgré les recherches les plus actives, elle n'a jamais été rencontrée dans cette localité, il est à présumer que c'est une erreur provenant de mélange. Des boîtes contenant une grande quantité d'JÏ. ericetorum et unifasciata récoltés à Ru- milly, étaient placées dans le même tiroir qu'une autre boîte renfermant des H. intersecta de Bourbon-Vendée. Une se- cousse aura fait passer des échantillons ^intersecta d'une boite dans l'autre ; ce qui est d'autant plus probable, que tous les individus de cette espèce, contenus dans le tiroir, sont par- faitement semblables. 61. Hélix caperata, Mont. 1803. Hélix caperata. Montagu, Tes tacea britannica, p. 430, pi. 11, f. 11. H. Gigaxii. Charpentier. Cette espèce est distincte de YH. striata, Draparnaud, Hist. moll. France, p. 106, n° 39, pi. 6, f. 18 et 19. Cependant, la 57 plupart des auteurs les ont confondues. Voilà, d'après Char- pentier, les caractères distinctifs : testa magis depressa; um- bilico angustiore, subinfundibiliforme , née cylindrico : an- fractu ultimo basi minus convexo et magis lateraliter deviato. Dupuy, qui ne fait qu'une seule espèce, figure pourtant les deux formes, Hist. moll. France, pi. 13, f. 4, e, est 1*0*. cape- rata; a, b, c et d, sont Y H. striata. Cette dernière espèce ap- partient au bassin méditerranéen, tandis que l'autre habite l'intérieur de la France, les côtes atlantiques et les Iles Bri- tanniques. Nous avons des individus appartenant positivement à YH. caperata, qui nous ont été remis par le capitaine Décret, comme ayant été trouvés à Fernex, 485 m., près Genève. Mais comme ce naturaliste a recueilli de nombreux échantil- lons de YH. caperata aux environs de Lyon, où elle est assez abondante, et que les individus de Fernex ont à peu près la même physionomie, nous ne savons pas s'il n'y aurait pas eu erreur. 62. Hélix unifasciata, Folr. 1801. Hélix inifasciata. Poiret, Coq. fluv. et terrestres de l'Aisne, p. 80 et 81, n° 17. — Moquin-Tandon, Hist. moll. France, v. 2, p. 234, n° 58, pi. 17, fig. 38 à 40. Hélix striata. Draparnaud, Hist. moll. France, p. 106, n°39; les deux dernières variétés seulement, pi. 6, fig. 21 . Hélix candidula. Studer, Systemalisclie Verzeich., p. 87. Michaud, Compl. à Drap., p. 34, n° 52. — Charpentier, Catal. moll. suisse, pi. I,f.l9 et 20. — Rossmassler, Iconogr. mollnsken, liv. 5-6, p. 26, pi. 26, n° 350 et 353. — Dupuy, Hist. moll. France, p. 282, n°91, pi. 13, fig. 3. — Pfeiffer, Monogr. heliceorum, v. 1, p. 168, n° 432. Les individus de notre champ d'études se rapportent exac- tement au type décrit par Studer, sous le nom de candidula, 58 dont nous avons eu des échantillons authentiques. Ils sont généralement plus distinctement striés que le type des au- teurs français, qui ont aussi, dans leurs figures, presque tou- jours exagéré le renflement du bourrelet, qui s'observe sou- vent à la pàrfiè inférieure de la bouche. Dans les prés maigres, parmi l'herbe, sur les tiges de la- quelle elle se fixe souvent, surtout sur celles qui sont sèches. Extrêmement répandue et abondante, depuis les parties les plus basses de la plaine jusque dans la zone des gazons, au- dessus des forêts. Bassin de Genève: Bex (de Charpentier), Lausanne, 500 m.; Nyon, 400 m. ; "Versoix, 410 m. ; Fernex, 485 m. ; Bois d'Eli (de Loriol) ; nant d'Avanchet, 395 m. ; Genève, fossés, 385 m. ; et bords de PArve, 380 m. — B. de Bonneville : Bonneville à St-Etienne, 500 m. ; Rumilly, 480 m. ; Ayse, 490 m. ; St-Mar- tin, près Sallanches, 540 m. — B. d'Annecy : Annecy, 470 m.; St-Jorioz, 480 m. ; v. du Cberan entre Bellecombe et Entre- vernes, 1200 m.; Arith, 730 m. — B. de Ghambéry : St-Jean- d'Arvet, 700 m.; Aîx (Mousson), Lémenc, 330 m.; Cognien, 285 m.; Entremont, 840 m. — B. d'Albertville: Digues de l'Isère, 260 à 290 m. — B. de Moûtiers : Moûtiers, 488 m. ; détroit de Ciex, 750 m. ; Seez, 900 m. ; entre Tigues et le lac, 1900 m. — B. de St-Jean-de-Maurienne : St-Jean, 570 m. ; Bramans, Thermignon, Lanslebourg, Lanslevillard, Bessans, 10 à 302,000 m.; Mont-Cenis, à la Grande-Croix, 1880 m. Dans le bassin de Genève et dans la partie basse de la Sa- voie, elle est généralement très-petite, v. minor, se subdivi- sant en deux sous-variétés, l'une nettement et régulièremenl striée, presque côtelée, v. striata, l'autre à peuprèslisse, v.sub lœvis, habitant parfois des localités séparées, mais souvent mêlées ensemble, et se trouvant indistinctement au nord ou au midi : ainsi la v. striata est surtout caractérisée au nant d'Avanchet, près Genève, et à St-Jean-d'Arvet, près Cham- S9 béry. Dans la partie élevée de la Savoie, 17/. nnulidula, moyennement striée, devient plus grosse, à test plus épais et à bouche plus arrondie, v. alpina, qui s'observe depuis Moûtiers jusqu'au sommet de la Tarentaise. et depuis St-Jean- de-Maurienne jusqu'à l'extrémité supérieure de cette pro- vince. 63. Hélix gratiosa, Stud. 1820. Hélix gratiosa. Studer, Systematische Verzeichniss der ScItirei-er-Conchijlien, p. 87. Hélix umfasciata, v. gratiosa. Moquin-Tandon, Hist. moll. France, v. 2, p. 234, n° 58. Studer avait remarqué que les individus suisses de YH. candidula (unifasciata) sont généralement plus petits que ceux de France. Cependant, ayant reçu de Charpentier et Yenetz des individus exceptionnels, venant du Valais, plus gros encore que ceux de France, il en fit son Hélix gratiosa, dont il donne le diagnose suivant : « Intermédiaire entre Yericetorum et la candidula (uni- fasciata), mais certainement distincte. Généralement toute blanche ou avec une à deux bandes étroites et 8 millimètres de diamètre. » Charpentier ayant eu l'obligeance de nous communiquer l'espèce de Studer, venant de la môme localité, nous avons pu reconnaître que le mot intermédiaire par rapport à Yerice- torum avait trait seulement à la taille et à la forme arrondie de la bouche. Dans notre champ d'études, ou comme en Suisse Y H. uni- fasciata (candidula) est plus petite qu'en France, on trouve également dans quelques localités, au milieu des individus ordinaires, des individus géants, trois ou quatre fois plus gros que les autres, avec la bouche arrondie, bordée d'un bourrelet parfaitement régulier et uniforme. Ce sont de véri- tables Hélix gratiosa. 60 Bassin de Chambéry : au Pont-St-Charles, 295 m., parmi la v. minor, H. unifasciata, à demi strié; et B. de St-Jean- de-Maurienne : environs de la ville , parmi la v. alpina, 570 m. 64. Hélix glacialis, Thom. 1821. Hélix glacialis. Thomas, Férussac, Tableau systé- matique de la famille des limaçons ou Prodrome, p. 30, n° 150, etHist. des moll. terr. et fluv., pi. 67, f. 2. — Boss- massler, Iconogr. mollusken, liv. 7-8, p. 31, pi. 37, f. 507. — Pfeiffer, Monogr. heliceorum, v. 1, p. 364, n° 945. — Moquin-Tandon, Hist. moll. France, v. 2, p. 250, n° 65. Au pied des escarpements de gypse qui se trouvent auprès de la grande route, au bas de la rampe qui descend du fort de PEseillon, vers le village de Bramans, 1250 m. ; rare, mais très-abondante au pied des murs et parmi les petits tas de pierres du chemin qui coupe les prés au-dessus de Lansle- villard sur la rive gauche de PArve, en se dirigeant vers Bessans, 1600 m. Nous en avons ramassé deux ou trois cents, à deux, en moins d'une heure ; craint peu le froid, est une des dernières espèces qui prend ses quartiers d'hiver. Desbayes, dans la 2e édit. de Lamarck, l'indique de la val- lée de Lanzo, en Piémont; Pfeiffer, des Alpes piémontaises ; au Musée de Genève, elle est notée comme venant du Sim- plon; Drouet, dans son Énumération des moll. terr. et fluv. de France, l'indique, d'après G. Mortillet, dans le département des Hautes-Alpes. Les individus de Lanslevillard sont généralement plus grands que ceux qui viennent du Piémont, des vallées du massif du Mont-Bose. 65. Hélix alpina, Faure-Big. 1821. Hélix alpina. Faure-Biguet, Férussac, Tabl. systém. ou Prodrome, p. 38, n° 160, etHist. moll., pi. 67, f. 3. — 61 Michaud, Compl. à Drap., p. 34,n°56, pi. 14, f. 16etl7.— Rossmassler, Iconogr. mollusken, liv. 3, p. 6, pi. H, f. 158. PfeifTer, Monogr. h-eliceorum, v. 1, p. 357, n° 930. — Du- puy. But. moll. France, p. 143. n° 20, pi. 8, f. 2. — Mo- quin-Tandon, Hist. moll. France, v. 2, p. 248, n° 64, pi. 18, f. 25 et 20. Varie par la taille et surtout par la hauteur de la spire. Plus elle est grande, plus la spire se déprime. Les plus grandes sont sub-déprimées et même aplaties, blanchâtres et sensi- blement carénées ; leur ombilic large n'est pas modifié par le bord columellaire et permet de voir un peu plus d'un tour. Les plus petites sont sub-globuleuses, grises, à peine ou pas du tout carénées et plus fortement striées: leur ombilic est plus étroit, un peu recouvert paj le bord columellaire et ne laisse qu'à peine voir le pourtour de l'avant-dernier tour. Pour un petit diamètre variant entre 15 et 17 mill., la hau- teur moyenne de la coquille reste la même. 10 mill. Cette espèce peut devenir scalaire. Nous possédons des individus qui tendent à cette forme et qui ont le quatrième ou le cin- quième tour inséré plus bas que le précédent. Elle habite les prairies et les éboulis des montagnes à la limite des forêts. Les grandes à l'ombre des derniers arbres, les petites dans les endroits découverts, où on la rencontre parfois exposée au grand soleil. Très-abondante dans les lieux qu'elle habite, mais ayant un habitat peu étendu, ne se trouve que dans une partie des Alpes françaises et savoi- siennes. Bassin de Chambéry : Montagnole: M'-Joigny, au Trou du Midi; Otheran à Cherche-Vache, 1550 m.; et M'-Granier, vers la Grotte, 1500 m. (Huguenin); Grande-Chartreuse, de- puis la chapelle de St-Bruno, 1300 m., jusque sous les ro- chers perpendiculaires du Grand-Sorn, 1000 m., surtout très-abondante à Bovinant; Oncin (Chabert). — B. deMoûticrs: 62 montagnes de St-Jean-de-Belleville , du côté des Avenchers, 1600 m. — B. de St-Jean-de-Maurienne : St-Sorlin d'Arve, haies et gazons humides, il 00 m. (Didier). 66. Hélix Fontenillii, Mich. 1829. Hélix Fontenillii. Michaud, Bulletin de la Société Linnéenne de Bordeaux, v. 3, p. 267, f. 13 et 14. — Mi- chaud, Compl.àDrap., p. 38, n°63, pi. 14, f. 18 et 19. — Pfeifïer, Monogr. heliceorum, v. 1, p. 350, n° 914. — Du- puy, Hist. moll. France, p. 145, n° 21, pi. 8, f. 3. — Mo- quin-Tandon, Hist. moll. France, v. 2, p. 246, n° 63, pi. 18, f. 20 et 21. Hélix tigrina, v. Michaudiana. Rossmassler, Iconogr. mol- lusken, liv. 7-8, p. 32, pi. 38, f. 510; c'est notre v. minor. C'est à tort que Rossmassler, Porro, Villa, etc., rappor- tent YH. Fontenillii à YH. tigrina Jan. Ces deux espèces sont parfaitement distinctes. La tigrina est plus grande, son grand diamèire a 26 à 30 mill. au lieu de 20; elle a les bords beau- coup plus rapprochés et le latéral aussi régulièrement arrondi que le columellaire, ce qui lui fait une bouche toute diffé- rente. Enfin, elle n'a pas de bande blanche à la carène, et elle est plutôt tigrée que panachée. C'est avec beaucoup plus de raison que Deshayes, dans la 2e édit. de Lamarck, et quelques autres naturalistes font de l'JÏ. Fontenillii une variété de Y H. alpina. Il est certain que la première est une transformation de la seconde, due à l'in- fluence des lieux qu'elle habite. Le type de YH. Fontenillii se distingue par sa taille plus grande, son aplatissement, sa carène saillante, son large ombilic et son test corné-pa- naché. Or, nous avons vu que YH. alpina devient plus grande, plus déprimée, plus carénée et à ombilic plus grand quand elle pénètre dans les bois frais. Ce sont justement ces carac- 63 tères encore plus développés qui caractérisent 17/. Fonte- nillii, dont l'habitation est des plus ombragée et des plus hu- mides. Tandis que YH. alpina abonde sur le sommet des. ro- chers qui s'élèvent vers le Grand-Som, 12 à 1300 m., H. Fon- tenillii vit au pied de ces rochers coupés à pic, à 830 m., dans une gorge étroite, traversée par un torrent écumeux et ombragé par d'épaisses forêts. Il ne parait pas douteux que ce sont des individus provenant d'en haut qui se sont modi- fiés dans un milieu différent. Cette localité, porte du dé- sert de la Grande-Chartreuse, dite Porte du Sapey, est la seule où le type de YH. Fontenillii ait été signalé. Quant au test corné-panaché, c'est encore là un effet de l'ombre et de l'humidité. En descendant dans les forêts de St-Bruno, Y H. alpina prend aussi un test moins épais, qui peu à peu passe au corné, au panaché et tinit par devenir vers la Chapelle, 1280 m., aussi tacheté que celui des Fonte- nillii de la porte du Sapey. Plusieurs naturalistes en font déjà une Fontenillii, et c'est elle que Rossmassler a figuré, bien que la forme soit encore celle de Yalpina, de la grande va- riété. Entre ces deux extrêmes se trouve un moy«in terme, qui sert de transition ; on peut le recueillir dans la belle forêt qu'on traverse quand on va de St-Pierre-d'Entremont à Bovinan, 1000 m. On voit que la filiation des deux espèces ne peut laisser aucun doute. 67. Hélix pulehella, Mull. 1774. Hélix pulchella. Muller, Verminm hiatoria. v. 2, p. 30, n°232. — Draparnaud, Hist. moll. France, p. 112, n°49, >eulement la v. p, pi. 7, f. 33 et 34. — Rossmassler, lcomxjr. inollitsken, liv. 7-8, p. 5, pi. 31, f. 440. — Pfeiffer, Monogr. hcliceorum. v. 1, p. 365, n°949. — Dupuy, Hist. moll. France, p. 161, n° 29, pi. 7, f. 3. — Moquin-Tandon, 64 Hist. moll. France, v. p, lœvigata, v. 2, p. 140, n° 19, pi. 11, f. 34. Très-abondante, car on en voit des quantités considérables dans les alluvions des rivières et des ruisseaux, mais assez difficile à trouver vivante à cause de sa petitesse et de sa cou- leur terne quand la coquille est remplie par l'animal ; sous les pierres, les feuilles mortes, les bois pourris et parmi la mousse. Bassin de Genève : Fernex, 489 m. ; alluvions de la Ver- soix; bois de La Bâtie, 376 m. ; Champel, 405 m. (Claparède); alluvions du Bhône. — B. de Bonneville : La Côte, 500 m.; Bonneville, 446 m. ; Ayse, 490 m. ; Marignier, 498 m. ; Tan- ninges, 645 m. — B. d'Annecy : Epagny, 450 m. : v. du Cheran, alluvions du Pont-d'Entrèves, 670 m. A un habitat extrêmement étendu ; se trouve en Suisse, France, Angleterre, Danemarck, Suède, Bussie, Allemagne, nord de l'Italie, et même en Algérie, à Madère et dans l'A- mérique septentrionale. 68. Hélix costata, Mail. 1774. Hélix costata. Muller, Vermium historia, v. 2, p. 31, n° 233. — Bossmassler, Iconogr. molhisken, liv. 7-8, p. 5, pi. 31, f. 439. — Pfeiffer, Monogr. heliceorum,\. 1, p. 366, n°950. — Dupuy, Hist. moll. France, p. 162, n° 30, pi. 7, f. 4. Hélix pulchella v. a. Draparnaud, Hist. moll. France, p. 112, n° 29, pi. 7, f. 30 à 32. — Moquin-Tandon, Hist. moll. France, v. a costata, v. 2, p. 140, n° 19, pi. 11, f. 31 à 33. Tellement voisine de YH. pulchella, qu'un grand nombre d'auteurs n'en ont fait qu'une simple variété de cette espèce. On l'en distingue facilement, quand elle est vivante, par sa couleur plus foncée, et surtout par ses côtes saillantes. Mais 05 elle perd souvent cette couleur et ses côtes même à Pétât vivant, à plus forte raison quand elle est morle ; il est alors presque impossible de la reconnaître. Dupuy assure qu'elle a le péristome tranchant extérieurement, des stries assez fortes sous l'épiderme, et dans les individus très-adultes le péris- tome continu; il lui assigne aussi une taille un peu plus forte. Nous n'avons pas su retrouver ces caractères; aussi n'avons- nous pas pu déterminer d'une manière certaine des individus morts que nous avons trouvés à Beaufort, B. d'Albertville, 797 m., et que nous avons reçus de Pavot, venant du Mont- Lachat, entre les Houches et Bellevue, B. de Bonneville, 1500 m., et de Songeon, venant de Lémenc, B. de Cham- béry, 340 m. Elle est souvent mêlée à YH. pulchella, et on la rencontre comme elle sous les pierres, les feuilles tombées, les bois morts, parmi la mousse, et en grand nombre dans les allu- vions des rivières et des ruisseaux. Bassin de Genève: Fentes, 489m.; bois de La Bâtie, 378 m. ; le Coin sous Salève, 080 m. (Claparèdo) : fossés de la Porte-Neuve, à Genève, 375 m.; alluvions du Rhône. — B. de Bonneville : Bonneville, 446 m. ; alluvions de l'Arve ; village des Mérigay, à la Côte, 520 m. ; Château des Tours, 500 m. ; le Feux à Ayse, 490 m. ; Marignier, 498 m. ; Tan- ninges, 645 m. — B. d'Annecy : Annecy, 445 m. ; au-dessus de La Thuile, Genevois', 900 m. ; Epagny, 450 m. ; v. du Cheran, alluvions du Pont-d'Entrèves, 670 m. Elle habite aussi à peu près toute l'Europe. Mousson cite YH. pulchella à Ai\ : nous ne savons si c'est la véritable pulcheUa ou la costata. 69. Hélix lapicida , Lin. 1760. Hélix lapicida. Linné, Systemanaturœ, p. 738, n°572. — Draparnaud, Hist. moll. France, p. 111, n° 47, pi. 7, 66 f. 36 à 37. — Rossmassler, Iconogr. mollusken, liv. 1, p. 63, pi. 1, f. 11. — Pfeiffer, Monogr. heliceorum, v. 1, p. 370, n° 962. — Dupuy, Hist. moll. France, p. 159, pi. 6, f. 7, n° 28. — Moquin-Tandon, Hist. moll. France, v. 2, p. 137, n°18, pi. 11, f. 25 à 27. Cette espèce varie peu, seulement sa couleur est plus ou moins intense. Les plus brunes se trouvent dans les monta- gnes; l'épiderme est alors beaucoup plus épais et parfois s'écaille et tombe, au moins en partie, laissant des places blanches et mates. Comme variété accidentelle on doit signa- ler l'albinisme, plus ou moins complet. Elle est alors jaunâtre ou blanche, avec ou sans taches rousses. La v. albinos est figurée par Charpentier, Cat.coquil. Suisse, pi. 1, f. 7. On trouve, mais très-rarement, la difformité scalaire. Nous pos- sédons un individu, trouvé à Bonneville, qui présente cette monstruosité depuis le milieu du dernier tour seulement. Le seul entièrement scalaire, signalé dans notre champ d'études, a été trouvé près de Villeneuve, B. de Genève, par de Char- pentier, qui l'a figuré, Catal. coquilles Suisse, pi. 1, f. 8. Extrêmement commune contre les vieux murs et les vieux arbres, et dans les bois contre les troncs et les rochers; s'é- lève jusque vers la limite des forêts. Bassin de Genève: Bex, 434m.; St-Maurice, 425 m.; Lau- sanne, 508 m.; Paudaise, 470 m., type et v. albinos; Evian, 413 m.; Meillerie, 380 m.; Jura (de Loriol); Gex, 647 m.; Fernex, 489 m. (Décret) ; Genève et tous les environs, 375 à 425 m. ; les Voirons, 1000 m. ; Le Coin, sous Salève, 680 m. (Claparède); au Monetier, en descendant vers Mornex, 650 m., v. albinos assez commune (Brot); v. des Drances; la Chapelle d'Abondance, 1000 m. — B. de Bonneville : Peillonnex, 690 m. ; Château de Faucigny, 665 m. ; Bonneville et tous les environs, 446 à 550 m. ; Château des Tours, 500 m., v. albi- nos; Araches, 1000 m.; au-dessus de Magland, 850 m.; Ro- 67 chers du Platel, 1280 m. et vallée du Ghalelnrd, 850 m. (Fàyôt); Brizon, 1100 m.: Andai, "00 m.; v. du GirTre, Si\t eu allant aux Fonds, 800 m. ; St-Jeoire, 571 m. ; Tanninges, 645 m.; v. de Borne, Petil-Bornand, 713 m. : Cenise, 1300 m.; Grand-Bornand, jusqu'à 1500 ni. — B. d'Annecy: Thônes, 630 m.; Annecy et les environs. 450 à 500 m.; EntreuTiies, 1044 m.: v. du Gheran, Bellecombe. 850 m.; Leschereine, 650 m. — B. de Chambéry : Cbainbéry. 266 m.; Montermi- nod, 450 m., Oncin (Ghakert); hlntrcmont, 800 m.; Grande- Chartreuse, au couvent, 980 m.; St-Bruno, 1280 m. — B. d'Albertville : Près de ta ville, 360 m., v. albinos; Flumet, 950 m. : Beaufort, 797 m. — B. de Moùtiers : Moùtiers, 487, et les en\ irons (Tbabuis et Crudi : de Moùtiers à Séez, 490 à 920 m. — B. de St-Jean-de-Maurienne : St-Jean et les envi- rons. 580 à 700 m. Suisse. France, Angleterre, Allemagne, nord de L'Italie et Portugal. 70. Hélix personata, Lam. 1792. Hélix personata. Lamarck, Journal d'histoire natu- relle, v. 2, p. 348, pi. 42, f. 1, a et b. — Draparnaud, Hist. mail. France, p. 98, n° 26, pi. 1, f. 26. — Bossmass- ler, Iconogr. molluske», liv. 1, p. 68, pi. 1, f. 18. ■ — Pfeifler, Monogr. helireorum, v. 1, p. 419, n° 1089. — Dupuy, llisl. moll. France, p. 168, n° 33, pi. 7, f. 7. — Moquin-Tandon, Hist. nioll. France, v. 2, p. 118, n° 9, pi. 10, f. 34 à 36. Gmelin, en 1789, avait décrit celte Ilelir sous le nom de isognomostomoi en la confondant avec plusieurs espèces d'A- mérique, entre autres avec 17/. hirsuta Say. Soit à cause de cette confusion, soit parce que le mot est trop dur à pro- noncer, le nom de Gmelin, bien que plus ancien, a été re- poussé avec raison par tous les auteurs. 68 Assez commune sur quelques points parmi les pierres re- couvertes de mousse, et sous les bois morts dans les endroits très-frais et fort ombragés, depuis les parties basses jusque très-haut dans les forêts. Généralement assez disséminée. Bassin de Genève: ba Dôle (de Loriol), la Faucille (Décret), Fernex, 489 m. ; bois sur la route de Versoix, 450 m. ; Ge- nève, 380 m. ; Petit-Salève, 880 m. ; Grande-Gorge, 1000 m.; v. des Drances; La Forclaz, 600 m. — B. de Bonneville : Village des Mérigay , 500 m. ; Château des Tours et d'As- nières, 520 m. ; Ayse, 495 m. ; Pernant, 4200 m. ; aux bois de la Crozaz et du Platet, 4286 m. (Payot) ; St-Gervais (Brot), Chartreuse du Beposoir, 4450 m.; Brizon, 4400 m.; Andai, 700 m.; Pontchy, 450 m.; v. du Giffre; Chounaz, près St- Geoire, 550 m. — B. d'Annecy : La Thuile, 900 m., v. du Cheran au Pont-d'Entrèves, 670 m. — B. de Chambéry : Aix-les-Bains (Mousson); Oncin (E. Chabert); Grande-Char- treuse, 955 m. Suisse, France, Allemagne, Italie, même en Sicile. 71. Hélix holoserica, Stud. 4820. Hélix holoserica. Studer, Systematische Verzeich- niss der Schweizer-Conchylien, p. 46. — Michaud. Compl. à Drap., p. 44, n° 68, pi. 44, f. 30 à 32. — Dupuy, Hist. moll. France, p. 466, n° 32, pi. 7, f. 6. Hélix holoserica. Bossmassler, Iconogr. mollusken, liv. 4, p. 69, pi. 4, f. 20. — Pfeiffer, Monogr. heliceorum, v. 4, p. 413, n° 4076. — Moquin-Tandon, Hist. moll. France, v. 2, p. 447, n°8, pi. 40, f. 34 et 32. Voisine de Y H. obvoluta, mais bien caractérisée par ses deux dents à la bouche. Espèce rare qui habite presque toujours au-dessus de la zone des cultures dans les forêts d'arbres résineux, sous les écorces qui se détachent des arbres en décomposition, sous 69 les pierres et surtout sous les bois morts ; recherchant les endroits très-frais. Elle est plus spéciale aux Alpes cristal- lines qu'aux Alpes calcaires, dans lesquelles elle ne se trouve que vers le contact des précédentes. Bassin de Genève : V. des Drances autour du lac de Mont- rion, 1019 m. — B. de Bonneville : Chamonix au bois de la Crozaz, au-dessus des Planes et au Chatclard, 800 à 1300 m. (Payot); forêt de la Tête-Noire (Pagef); Sommier au Bepo- soir, 1 150 à 1200 m. ; bois au-dessus du Mont-Saxonnêt et de Brizon, 1100 m. — B. de Moûtiers : forêts de La Roche à Macot, 1500 m. — B. de St-Jean-de-Maurienne, au-dessus de Lanslevillard, 1750 m. Val d'Aoste, Hautes-Alpes de Suisse, forêt près de Dresde, Alpes d'Autriche, de Styrie et de Carinthie, Silésie. Tous les auteurs qui ont écrit sur les coquilles terrestres de France citent celte espèce, mais sans indiquer sa véritable localité. Michaud, et après lui Albin Gras, Dupuy, Moquin-Tandon, la donnent à tort comme de la Grande-Chartreuse. Le sol émi- nemment calcaire et éloigné des montagnes cristallines de la Grande-Chartreuse ne convient pas à cette espèce; aussi est- ce vainement que nous l'y avons recherché plusieurs fois avec le plus grand soin. Gras, lui-même, nous écrit que ni lui, ni les naturalistes de Grenoble n'ont pu la rencontrer dans cette localité. Enfin, Dupuy, qui a séjourné à la Grande- Chartreuse et y a fait de nombreuses chasses , par un temps très-humide, par conséquent très-favorable, n'a pas été plus heureux que nous et les Grenoblois. Drouet la cite du Jura. C'est très-probablement encore là, et pour les mêmes rai- sons, une localité erronée. Les naturalistes suisses, surtout Studer et de Charpentier, ont beaucoup parcouru le Jura sans trouver cette espèce. La véritable localité en France est les forets élevées des Alpes de l'Oisans et du département des Hautes-Alpes. 70 72. Hélix obvoluta, Mail. 1774. Hélix obvoluta. Muller, Vermium historia, v. 2, p. 27, n°229. — Draparnaud, Hist. moll. France, p. 112, n° 48, pi. 7, f. 27 à 29. — Rossmassler, Iconogr. mollusken, liv. 1, p. 69, pi. 1, f. 21. — Pfeiffer, Monogr. heliceorum, v. 1, p. 413, n° 1075. — Dupuy, Hist. moll. France, p. 164, n°31, pi. 7, f. 5. — Moquin-Tandon, Hist. moll. France, v. 2, p. 114, n°7, pi. 10, f. 28 à 30. N'est pas rare sous les pierres et les bois morts , dans les forêts et les lieux frais et ombrés, mais non humides, de la plaine et de la montagne, depuis la région des cigales jus- qu'à l'extrémité supérieure de celle des forêts. Parfois habite les mêmes lieux que VH. holoserica. cependant paraît plus spéciale aux montagnes qui ne contiennent pas cette espèce, comme le Jura, le groupe calcaire des montagnes de la Sa- voie et du Dauphiné. Bassin de Genève : La Dôle (de Loriol) ; la Faucille (Dé- cret); Fernex, 489 m. ; bois au-dessus de Versoix, 420 m. ; Genève, 380 m. ; Le Vouache, 1000 m. — B. de Bonneville : Peillonnex, 690 m. ; Château de Faucigny, 665 m. ; La Côte, 500 m. ; Château des Tours et d'Asnières, 520 m. ; le Feux à Ayse, 490 m.; Araches, 1000 m.; Chamonix au bois de Joux, aux rochers et au bois du Platet, 1286 m. (Payot) : St-Gervais (Brot); Sommier, au Reposoir, 1150m.; Mont- Saxonnel, 900 m.; Brizon, 1200 m.; Andai, 700 m.; Dessy et Rumilly, 450 m.; v. du Giffre, Chounaz, près de St- Jeoire, 580 m. — B. d'Annecy : La Balme-de-Thuy, 610 m.; Thônes, 680 m. — B. de Chambéry : Aix (Mousson); Lémenc, 300 m. (Songeon); Château de Bordeaux, 240 m.; Oncin (Chaberl); Echelles, 250 m.; Grande-Chartreuse, 955 m. — B. de Moûtiers : Moûtiers, 480 m. ; Salins (Crud). En Suisse, en France, dans presque toute l'Europe boréale et centrale, signalée même en Sicile. 71 73. Hélix zonata, Stud. 1820. Hélix zonata. Studer, Syst, Verz. in Aalunciss. An- zetger, n°ll, p. 87. — Rossmassler, Iconogr. mollusken >iv. 8, p. 3, pi. 6, f. 91. - Pfeiffer, Monogr. heliceorum, v. 1, p. 350, n° 933. — Dupuy. Ilist. moll. France » 149 n°23, pi. 6, f. 4. ' Hélix planospira. Michaud, Compl. à Drap., p 30 n» 00 pi. 14, f. 3 et 4. Hélix f.ctens. Moquin-Tandon, Hist. moll France v 2 p. 132, n°1G, pi. 11, f. 16 et 17. C'est à tort que Moquin-Tandon adopte le nom de ftâens. Ce nom a été donné par Studer non pas au type, mais à une variété peu abondante. Voici la traduction de ce que dit cet auteur, nous la devons à l'obligeance d'E. Claparède. .. Un peu plus petite que la zonata, mais toujours une fois plus grosse que VH. côrnea, Drap., et plus brillante, couleur brun- sâle. Outre la bande pou marquée, on voit le commencement dune seconde. L'animal, dit-on, répand une odeur dés- agréable quand on le sort de sa coquille. Saint-Brancbier, en Valaiç (Venetz). » De Charpentier; l'ami de Studer, qui ré- coltait avec lui, avec lequel il taisait des échanges conti- nuels, dans son Catalogue des coquilles de la Suisse p 8 dit de l //. fœlens: « Cette hélice ifesf. à mon avis, qu'une variété de la zonata, dont elle ne se distingue que par un ép.derme plus lisse. - Le 15 octobre 1853, il nous écrivait • « L //. fœtem Studer n'est rien autre chose que 17/ zonata prise dans les forêts de mélè/.es où, comme 1'//. Orbustorwn felle contracte une mauvaise odeur. VH. fœtem Rossmassler, Pfeiffer, etc., est une espèce distincte qui se trouve dans «Entame ot ,,ang leg A]peg ^^ dè§ Côme jusqu,m \aiCanomca, dans les Alpes vénitiennes. , Enfin, deséchan- tdlons provenant de Venetz, le même qui a fourni à Studer 72 les types de la zonata et de la fœtens, ont pleinement con- firmé l'opinion que nous venons d'exposer. VH. zonata habite les lieux frais des hautes vallées des Alpes, sous les pierres, contre les rochers humides. Elle oc- cupe la région des mélèzes et recherche les mêmes exposi- tions, c'est-à-dire assez généralement le nord. Elle s'élève jusqu'au-dessus des forêts, dans la région des gazons. Char- pentier insiste sur son habitation exclusive parmi les roches talcqueuses et fedspathiques. Nous l'avons cependant trouvé parmi les schistes argileux et calcaires. Elle occupe la crête de la chaîne des Alpes, depuis les Alpes maritimes jusqu'à celles du Valais. Bassin de Moûtiers : Bonneval, près du Chapieu, 1250 m. (Baquet); au-dessus de Tignes, en allant au lac, 1900 m.; Val de Pesey, une demi-heure au-dessus des mines, 2100 m.; au pied du Mont-Faurens, près du glacier de Lâchât, sur St-Martin-de-Belleville et à La Coche, à 2 heures de Moûtiers (Crud). — B. de St-Jean-de-Maurienne : entre Bramans et St-Pierre-d'Estravache, 1300 m. ; Fourneau, 1100 m. En Tarentaise, on trouve des individus qui sont ornés d'une bande blanche bien distincte au-dessous de la bande brune, v. albo-cincta. Charpentier cite un individu scalaire qu'e Fé- russac a fait figurer. Il provient du Val d'Aoste. 74. Hélix flavo-virens , Dam. et Mort. 1852. Hélix flavo-virens. Dumont etMortillet, Histoire des mollusques de Savoie, prospectus, p. 3. Très-voisine de Y H. zonata, dont elle n'est probablement qu'une très-intéressante variété locale. En diffère par son test plus solide et plus calcaire ; à peine pellucide au lieu d'être presque transparent; d'un jaune-verdâtre et non cou- leur de corne-olivâtre ; pas zonée. Enfin, sa bouche est plus arrondie, son ombilic un peu plus large et son dernier tour 73 plus grand; mais ces derniers caractères sont peu tranchés. Nous ne Pavons encore trouvée que parmi les blocs ébou- lés et accumulés, à côté de la cascade de la Cénise, auMont- Cenis, 1800 m., et en très-petit nombre. Collections de Char- pentier au Musée de Lausanne; Dumont, à Bonneville, et Mortillet, à Annecy. 75. Hélix arbustorum, Lin. 4758. Hélix arbustorum. Linné, Sys&una naturœ, éd. 10, p. 771, n°59G. — Draparnaud, Hist. molli France, p. 88, n° 16, pi. 5, f. 18. — Rossmassler, Iconogr. mollusken, liv. 1, p. 56, pi. 1, f. 4 et liv. 5-6, p. 5, pi. 22, f. 297. — — Pfeiffer, Monogr. heliceorum, v. 1, p. 339, n° 891. — Dupuy, Hist. moll. France, p. 139, n° 18, pi. 6, f. 3, a, b, c, non d, e, f. — Moquin-Tandon, Hist. moll. France, v. 2, p. 123, n» 13, pi. 11, f. 2 à A. Très-répandue et très-abondante dans les lieux frais et humides, presque marécageux, qui ne sont pas trop ombrés, tels que les prairies arrosées, le bord des ruisseaux et des sources, et les taillis qui longent les cours d'eau. Toujours à terre ou simplement sur les grandes plantes, depuis nos bas- ses vallées jusque dans la région des Rhododendron. Sa taille diminue à mesure qu'elle s'élève; cette espèce varie beau- coup quant à ses proportions et encore plus sous le rapport de la couleur. Nous trouvons dans notre champ d'études : V. albinos, jaune très-pâle, sans bande et sans taches, assez semblable au premier aspect à une //. horteàsis. V. lulescens. albinos de Charpentier, Catal. coquil. Suisse, p. 6, pi. 2, f. 2, jaune pâle, transparente et jaspée de jaune paille, opaque extérieurement; blanc hyalin, jaspé de blanc de lait intérieurement; pas de bande. V. luteo-fasciata. semblable à la précédente, avec une bande pâle, peu apparente. 74 V. fuscescens, rousse ou brune, sans fascie, intérieur de la bouche violâtre. V. fuscescentifasciata, semblable à la précédente, mais fasciée. Dans ces deux variétés, l'intensité de la couleur varie beaucoup. V. contraria, Charp., coquille gauche. Bassin de Genève : Bex (Charpentier), Villeneuve, 370 m.; Lausanne, 500 m.; Gex, 620 m.; La Dole, 1680 m. (Théo- bald et de Loriol); La Faucille, 1300 m. (Décret); Le Recu- let, 1 700 m. (Claparède) ; bords de l'Arve jusqu'au Rhône, 372 m.; Salève , sommet de la Grande-Gorge, 1100 m., v. albinos; Croisette, 1000 m. V. des Drances, La Chapelle d'Abondance, 1100 m. — B. de Bonneville : tout le long de l'Arve jusqu'à Chamonix, 1050 m. ; Mont-Saxonnet et Bri- son, 1100 m.; St-Gervais (Brot); Reposoir, 1300 m.; Som- mier, 1100 m., v. albinos; Andai, 700 m. ; Araches, 1000 m. v. lutescens; mont Môle, 1800 m.; Boëge, 735 m.; au-dessus du Petit-Bornand, 1280 m. Toute la vallée du Giffre de St-Jeoire, 574 m. au Fer-à-Cheval de Sixt, 850 m. — B. d'Annecy : Thones, 600 m. ; V. du Cheran, au Noyer, 800 m. — B. de Chambéry : Dent de Nivolet, 1400 m.; le Désert, 940 m.; Aix (Mousson) ; Montagnole, 555 m. ; Mont-Granier, à la Grotte, 1400 m., et Joigny, au Trou-du-Midi (Huguenin) ; Entremont, 800 m.; Grande-Chartreuse, 955 m.; Oncin (E. Chabert); les Echelles, 240 m. — B. d'Albertville: digues de l'Isère de Montmélian, 243 m., à Chamousset, v. al- binos; Flumet, 910 m. ; Beaufort, 800 m. — B. de Moûtiers : environs de Moûtiers, 500 m. ; le Chapieu, 1590 m ; entre le bourg Saint-Maurice et Sainte-Foi, 840 à 900 m.; La Roche à Macot, 1500 m.; au-dessus des mines de Pesey, 2000 m. A peu près dans toute l'Europe, sauf dans l'est et le sud. 75 76. Hélix alpestris, Ziegl. Hélix alpestris. Ziegler, Rossmassler, Iconogr. mollusken, liv. 5-6, pi. 22, f. 297, b. Ce dernier auteur en fait une simple variété de Y H. arbustorum, ainsi que Pfeiffer, Mo- nogr. heliceorum, v. 4, p. 339, n° 891, et Dupuy, Hist. moll. France, p. 140, pi. 6, f. 3, e. H. arbustorum v. alpicola. Férussac. Se distingue de YH. arbustorum type, par sa taille beau- coup plus petite, sa hauteur proportionnellement plus grande, sa couleur plus claire et moins richement nuancée, généra- lement jaunâtre, ses stries plus fortes, ses taches plus petites et plus serrées, qui sont souvent à peine distinctes et rendent la coquille beaucoup plus opaque ; par sa bouche moins ar- rondie, ordinairement un peu plus haute que large, et par son épiderme habituellement en partie corrodé. Ce sont là les caractères généraux des coquilles alpines; aussi regarde-t-on avec raison cette Hélix comme la variété alpicole de Y arbustorum. En effet, en passant des plaines aux sommets des montagnes, on trouve de nombreuses variétés de formes qui rapprochent ces deux types l'un de l'autre et offrent entre eux toutes les transitions. Cependant, dans la presque généralité des cas, il est très-facile de distinguer les deux espèces ou variétés VH. alpestris présente les variations correspondantes aux lutesrnts, lutesceriti-fasciata, fuscessens et fuscescentifaciata de 17/. arbustorum ; seulement la dernière, qui est la plus com- mune pour Yarbustorum et qui en forme le type, est la plus rare pour Valpe&tris, qui n'atteint jamais une couleur plus foncée que le roux-olivâtre. Elle habite les prés dans les régions les plus élevées, et sur le sommet des montagnes et des cols les plus hauts. Bassin de Bonneville : Col de Léchaud, près du Buet, 76 2105 m. ; col de Couz et de Goléze, 2080 m. (Payot) ; som- mité du passage du Bonhomme, 2400 m.; col entre la Giethaz et Cordon, 1600 m.; sommet du Mont-Méry, 2480 m.; Haut-du-Col entre le Reposoir et le Grand-Bornand, 1500 m.; Croz-de-Cétiz, 1700 m. — B. de Moûtiers : Col des Fours, 2500 m. ; col de la Peigne, 2480 m. (Payot) ; entre La Thuile et Brevières, 990 m. — B. de Saint-Jean-de-Maurienne : depuis Bramant, 1214 m., jusqu'au Mont7Cenis, 2000 m.; abondante à Lanslebourg, 1490 m., et à Thermignon, 1300 m. ; à Villaron, 1700 m., très-petite; St-Sorlin d'Arve (Bidier). Généralement sur toutes les sommités des Alpes. Nous pensons que c'est à tort que Bupuy l'indique du Jura. Tous les individus que nous avons reçus de la Dôle (Théobald et de Loriol), de la Faucille (Décret) et du Reculet (E. Cla- parède), bien que petits, ont cependant tous les caractères de la véritable arbustorum. Dans le bassin de Bonnevilîe au Môle, au-dessus des forêts, 1800 m., on trouve encore Yar- bustorum. Dans le bassin de Moûtiers , au Chapieu et aux mines de Pesey, on trouve aussi YH. arbustorum bien au- dessus de la limite des forêts; tandis que dans le B. de St- Jean-de-Maurienne, YH. alpestris occupe tout le fond de la vallée de l'Arve jusqu'à 1400 m., et pénètre ainsi non seu- lement dans les forêts, mais aussi dans les cultures ; cepen- dant, ce bassin est plus au sud que les deux précédents. Dans le bassin de Chambéry, il n'y a que YH. arbustorum, et elle atteint une taille très-forte, taille qui se conserve même sur les hauteurs; ainsi à 1400 m. elle est aussi grosse et aussi foncée que dans le bassin de Bonnevilîe, à 450 m. 77. Hélix nemoralis, Lin. 1758. Hélix nemoralis. Linné, Systema naturœ, éd. 10, p. 773, n° 604. — Draparnaud, Hist. moll. France, p. 94, 77 n° 22, pi. G, f. 3 à 5. — Rossmassler, Iconogr. mollusken, liv. 1, p. 57, pi. 1, f. 5; liv. 5-6, p. 6, pi. 22, f. 298; liv. 7-8, p. 26, pi. 36, f. 494, et liv. H, p. 2, pi. 51, f. 685. — PfeifTer. Monogr. heliceorum, v. 1, p. 276, n° 723, réunie à Yhortensis. — Dupuy, Ilist. moll. France, p. 135, n° 16, pi. 5, f. 7, et pi. 6, f. 1.' — Moquin-Tandon, Hisl. moll. France, v. 2, p. 162, n° 28, pi. 13, f. 3 à 5. C'est l'espèce la plus commune dans la plaine, mais elle dépasse peu la région des vignes et n'atteint jamais la limite supérieur de celle des cultures. Elle habite dans les jardins, les bosquets, les baies et les buissons et recherche les lieux habités. On la trouve contre les murs, les troncs et les bran- ches d"arbres. Elle préfère les rameaux morts aux branches vertes. Lorsque dans une localité une partie des buissons ont été coupés et laissés sur place , on la trouve plutôt sur ceux-là que sur ceux qui sont restés sur pied. C'est môme un moyen d'obtenir en nombre certaines variétés rares spé- ciales à quelques localités. Cette préférence nous porte à croire qu'elle ne mange pas les feuilles, mais les écorces et les lichens en décomposition. Nous lui avons, en effet, vaine- ment présenté des rameaux feuilles des divers arbres contre les troncs desquels nous l'avions trouvée, ainsi qu'un grand nombre de plantes herbacées; elle n'a goûté qu'après un long jeûne quelques feuilles de laitue et de sedum telephium (Lin.), tandis quelle mangeait volontiers du papier. Bassin de Genève, toute la plaine. Nous l'avons suivie jus- qu'à Sion, en Valais, et probablement elle remonte plus haut encore la vallée du Rhône. Dans la vallée des Drances, nous ne l'avons pas aperçue à Saint-Jean-d'Aulp, 823 m. ; dans le Jura, elle ne parait pas s'élever jusqu'à Saint-Cer- gues, 1041 m. ; au Salève, elle est déjà rare au Monnetier, 720 m. — B. de Bonneville : Tout le bas de la vallée de l'Arve jusqu'à Chède, 624 m. ; on en retrouve encore quel- 78 ques rares individus à Chamonix, 1044 m. ; elle n'est déjà plus aux premiers chalets de Môle, placés au midi, 1150 m., ni à Andai, qui est tourné au nord, 700 m., ni au village de Brizon, 980 m. ; ni au Reposoir, 921 m. ; dans la vallée du Giffre, nous ne l'avons pas remarqué depuis Tanninges, 645 m., à Sixt, 745 m. , et dans celle de Borne, au-dessus du Petit-Bornand, 713 m., où elle n'est déjà pas commune. — B. d'Annecy : tout le bas. Elle est déjà rare à Thônes, 625 m. ; dans les Bauges, on la trouve encore à Leschaux, 880 m., sud; à Leschereine, 649 m., et à Arith, 713 m., sud; mais elle n'est déjà plus au Noyer, 827 m., nord. ■ — B. de Chambéry : cette partie étant la plus méridionale de notre champ d'études, elle s'y élève jusqu'à la Grande-Chartreuse, où l'on en trouve quelques individus contre les murs, 955 m. ; nous ne l'avons cependant plus retrouvée aux Déserts de Nivollet, 940 m., ni au col du Frêne, 1143 m. — B. d'Al- bertville et de Moûtiers : toute la vallée de l'Isère jusqu'à Seez , 900 m. ; latéralement on la trouve encore à Petit- Cœur , 750 m. ; nous ne l'avons pas aperçue à Mégève , au haut de la vallée de PArly, 1120 m. ; ni à Beaufort, dans la rallée du Doron, 799m. — B. de Saint-Jean-de-Maurienne : jusqu'à Saint-Michel, 799 m. Presque toute l'Europe , mais surtout dans le nord et le centre; se rencontre même en Amérique septentrionale. De toutes nos espèces d'Hélix, la nemoralis est celle qui varie le plus. Les diverses variations qu'elle subit peuvent se diviser en cinq catégories : 1° Variations de taille. — 2° Variations de couleur. — 3° Variations de bouche. — 4° Variations de forme. — 5° Albinisme, variations qui peu- vent se combiner et se multiplier à l'infini. Ainsi chacune des variations de taille peut passer par toutes les variations de couleur ou de forme et par l'albinisme : 1° Variations de taille. 79 V. maxima (Charp.), Cat. coquil. Suisse, pi. 1, f. 5, petit diamètre, 26 mill.,peu commune dans notre champ d'études, où elle ne se montre qu'exceptionnellement. Lausanne (Charpentier) ; Chambéry. On rencontre pourtant assez sou- vent des individus qui ont petit diamètre, 24 mill. : Bon- neville; La Puya, près d'Annecy; Belleville, en Tarentaise, (Crud). V. média, la plus répandue, grosseur du type, petit dia- mètre, 20 à 21 mill. V. minor, fig. 1 c, pi. 6 de Dupuy, petit diamètre, \ 7 mill. ; Bonneville. 2° Variations de couleur. Elles sont de deux sortes, variations du fond et variations des ornements. Le fond est ordinairement jaune ; il passe parfois à la couleur de chair, au briqueté et au marron. Les ornements sont toujours des fascies ; elles manquent complè- tement ou bien se montrent de 1 à 5, très-exceptionnelle- ment une se dédouble, ce qui porte leur nombre à 6. Parfois aussi il en est qui se réunissent ensemble et donnent nais- sance à de larges bandes. Les fascies peuvent varier dans leur couleur qui habituellement est noire, être en partie ef- facées ou bien interrompues. La V. sex-fasciala ou à six fascies, a été trouvée aux De- vens, près Bex (de Charpentier) ; à Genève (Brot) et à An- necy, très-rare. Une très-jolie variété, V. calerilia, se rencontre au château des ïoars, près Bonneville, 500 m.; elle est couleur de brique pâle, opaque, avec des bandes rougeâtres, transpa- rentes, péristome rose; c'est probablement le produit de l'accouplement des V. carnea rose et V. albinos. 3° Variations de bouche, soit dans la couleur, soit dans la forme. V. albilabris, péristome blanc de lait et gorge non colorée ; 80 château des Tours, Saint-Etienne et Marignier, près de Bon- neville, environ 500 ni. V. hybrida, Hélix hybrida. Poiret, Coquilles de l'Aisne, p. 74, n° 6, péristorne violet ou rose, forme un peu modifiée se rapprochant de celle de YH. hortensis, peu commune; Marignier, près Bonneville, 490 m., et Monnetier au Salève, 700 m. 4° Variations de forme, scalaire ou gauche, excessivement rare, n'ont pas encore été trouvées dans notre champ d'é- tudes. Nous possédons seulement un individu dont la bouche est irrégulièrement prolongée en visière ou abat-jour. 5° Albinisme complet ou partiel, présentant tous les pas- sages aux variétés colorées ; commune à Pully, près Lausanne, 485 m. , et très-abondante dans tout le vignoble de la côte d'Arve, Contamine, Faucigny, côte d'Hyot, château des Tours, Ayse, Marignier, de 460 à 600 m. ; très-rare à Ge- nève, 360 m. Les variations ont une grande tendance à se reproduire par génération. Ainsi à Genève, les V. fasciata sont très-abon- dantes, et dans toute la campagne du canton on ne trouve presque que la V. imicolor lutea. Dans le Jardin botanique, la population est à fascies larges et nombreuses, on trouve beaucoup d'individus à bandes ou fascies réunies; sur un point très-restreint de la Puya, entouré de la V. média, nous avons recueilli plusieurs V. maxima; entre Évian etThonon, 380 à 400 m., on a rencontré en majorité la V. interrupta, à fascies interrompues , rare ailleurs. Nous avons récolté plu- sieurs individus de la V. lateritia, au château des Tours ; la V. hybrida se groupe auprès du Monnetier ; enfin l'albinisme lui-même devient type sur certains points, comme le long de la Côte d'Arve, dans les parties élevées, où il se montre presque exclusivement; à Meylan, près Grenoble, il forme à lui seul toute la population sur un espace de plus d'une lieue carrée. 81 78. Hélix hortensis, Hall. 1774. Hélix houtensis. Muller, Yermium historia, v. 2, p. 52, n° 247. — Draparnaud, Hist. moll. France, p. 95, n° 23 (par erreur 25), pi. 0, f. 6. — Dupuy, Hist. moll. France, p. 138, n° 17, pi. 0, f. 2. — Moquin-Tandon, Hisl. moll. France, v. 2, p. 167, n° 29, pi. 13, f. 8 et 9. H. nemoralis variété. Rossmassler, Iconogr. mollusken, liv. 1, p. 59, pi. 1, f. 6 et liv. 5-6, p. 6, pi. 22, f. 299. — V. B. l'feiffer, Monogr. heliceorum, v. 1, p. 276, n° 723. Vol. 3, p. 195, n° 1096, Pfeilïer revient ié sa première opinion et fait de Y H. hortensis une espèce distincte. Tellement voisine de YH. nemoralis, qu'il devient difficile de déterminer certains individus, et que parfois les deux hpcs s'accouplent ensemble; aussi plusieurs auteurs n'en ont fait que de simples variétés d'une seule et môme espèce. Le périslome noir de la nemoralis la fait distinguer au pre- mier coup d'oeil ; mais dans les variétés de cette espèce, où le périslome passe au blanc, on est obligé d'avoir recours à des caractères moins faciles à saisir. VH. hortensis est géné- ralement plus petite, sa forme est toujours plus élégante, sa bouche plus resserrée vers le milieu qu'à l'insertion des bords; le contraire se produit dans la nemoralis : son bord columellaire est plus long, plus droit, plus rectiligne et ten- drait plutôt à s'arquer légèrement en dehors qu'à faire saillie en dedans; son bord supérieur est aussi moins arrondi. V H. hortensis estplus septentrionale que la nemoralis; aussi la trouvons-nous à des latitudes plus élevées; on peut la re- garder d'une manière générale comme supérieure à la région des vignes, et dépassant peu la région des cultures. Elle est, dans un grand nombre de localités, mêlée à 17/. nemoralis; cependant, au lieu de rechercher les habitations et les en- droits cultivés, elle se trouve plutôt dans les lieux isolés et sauvages mais frais, sur les haies, les buissons, parmi les taillis, contre les troncs et les rochers. Bassin de Genève : Bex (de Charpentier); Genève, au bord de l'Arve, 375 m. (Claparède), amené de plus haut par la rivière; Saint-Cergues , dans le Jura, 4044 m.; Le Vouache, 930 m. ; les Voirons, 1285 m ; Monnetier, 700 m., et Croisette, 4400 m. ; au Salève. V. desDrances, Saint- Jean- d'Aulp, 823m.; La Chapelle d'Abondance, 4100m.— B. de Bonneville : tout le long de l'Arve jusqu'à Chamonix, 4044 m. et probablement plus haut; Saint-Gervais (Brot); Bionnay, 950 m. ; Araches, 4000 m. ; Brison, 4000 m. ; V. de Borne, Entremont et les Détroits, 750 à 900; V. du Giffre, Saint- Jeoire, 580 m.; jusqu'à Sixt, 745 m. — B. d'Annecy : de Saint-Jorioz à Léchaud, 500 m. à 920; Leschereine, 650 m.; Le Noyer, 827 m. — B. de Chambéry : Montagnole, 560 m. ; Mont-Granier, vers la Grotte, 4400 m. (Huguenin) ; Grande- Chartreuse, 945 m.; Entremont, 800 m.; Oncin (E. Cha- bert).— B. d'Albertville : Flumet, 920 m. ; Beaufort, 799 m. Europe moyenne et septentrionale. Varie un peu moins que Y H. nemoralis; ses variations de taille, dans nos pays, sont renfermées entre 45 et 20 mill. pour le petit diamètre; la grandeur ordinaire est 48 mill.; la V. major est de la plaine, du fond des vallées ; la V. mi- nor, du haut des vallées et de la montagne. Les variations de couleur, quant au fond,-sont le blanc, le jaune, le rose et même le rose-fauve, plus ou moins foncé; quant aux ornements, sans fascies ou avec fascies, habituelle- ment 5, mais il peut en manquer quelques-unes ou bien plu- sieurs peuvent s'unir et former des bandes. Les individus jaunes-unicolores sont de beaucoup plus nombreux; viennent ensuite les jaunes ornés de cinq fascies ; une récolte de 89 in- dividus, faite à Bonneville, dans les taillis des bords de l'Arve, 446 m., se décomposait ainsi : 44 jaunes, sans bandes; 83 29 avec cinq bandes; 3 avec quatre bandes: 2 avec trois bandes ; 5 albinos et 9 roses sans bandes. Dans les montagnes, on trouve habituellement la variété rose de petite taille, c'est la V. montana (Charpentier), Catal. coq. Suisse, p. 7, pi. 1, f. 6. Les individus des montagnes ont en général un épiderme très-épais, qui parfois se détache de dessus la coquille, tandis que dans la plaine cet épiderme est extrêmement mince. A Saint-Cergues, au Jura, existe la V. colorata, rose ten- dant au fauve, à péristome brun plus ou moins intense avec le bourrelet de la même couleur, mais beaucoup moins foncé. Au dehors le bourrelet apparaît comme une bande jaune ou rousse. Mais la forme générale et la taille sont par- faitement celle de 17/. hortensia, ce qui distingue cette va- riété de 17/. nemoralis v. hybrida, qui est une intermédiaire, une véritable hybride des deux espèces. 79. Hélix sylvatica, Drap. 1801. Hélix sylvatica. Draparnaud, Tabl. rnoll., p. 79, n° 16 et Hist. moll. France, p. 93, n° 21, pi. 6, f. 1 et 2. — Rossmassler, Iconogr. moUûsken, liv. 7-8, p. 27, pi. 36, f. 496. — Pfeiffer, Monogr. heliceornm , v. 1, p. 278, n° 724. — Dupuy, Hist. moll. France, p. 130, n° U, pi. 5, f. 5. — Moquin-Tandon, Hist. moll. France, v. 2, p. 171, n°30, pi. 13, f. 11 à 13. Hélix montana. Pfeiffer, Monogr. heliceornm, v. 1, p. 278, n° 725. H. vindobonensis. Dupuy, Hist. moll. France, p. 133, n° 15, pi. 5, f. 6 b, non a, trop conique. Voisine des//, nemoralis et hortensis; aussi quelques natu- ralistes, surtout en Suisse, non seulement réunissent les pre- mières, mais encore celle-ci aux deux autres, et en font i'Z/. nemoralis car. interrupta, Mousson, cat. coq. d'Aix. Les ca- 84 ractères tlistinctifs les plus apparents sont ses faciès inter- rompues et son péristome violacé; mais le caractère distinctif, essentiel et constant, se trouve dans la bouche qui affecte une forme toute spéciale, différente de toutes les variétés des deux autres : bord supérieur, ni réfléchi ni arqué dès sa nais- sance, parallèle au columellaire, qui, bien que replié, est en- core visible en arrière du bourrelet; tous les deux droits dans la première moitié de leur longueur et ensuite lentement arqués au lieu d'être coudés; bourrelet aplati, rentrant obli- quement ou redressé en gouttière, souvent calleux. VII. sylvalica est très-répandue et très-abondante dans notre champ d'études. Elle ne descend dans les vallées basses qu'en suivant le cours des rivières. Dans les vallées supé- rieures et les montagnes, elle est commune dans les bois, sous les pierres, contre les murs, les rochers nus, les troncs d'arbres et même parmi l'herbe sur les pelouses, près des neiges éternelles. Part du sommet de la région des vignes et s'élève jusque dans la région des gazons. Bassin de Genève : Saint-Maurice, en Valais, 410 m. ; Re- culet (Claparède) ; La Dôle (de Loriol et Théobald) ; la Fau- cille (Décret); Voirons, 1200 m.; Salève, 1150 m.; V. des Drances, Monlrion, 1050 m.; Saint- Jean-d' Aulp , 820 m.; 'Abondance, 920 m. ; La Chapelle, 1100 m. — B. de Bonne- ville : vallée de l'Arve de Bonneville , 440 m. ; à Chéde, 625 m., et montagnes voisines; chaîne du Vergy ou Berger, 1600 m.; escaliers du Platey (Payot); toute la vallée de Nant-Borant, de Saint-Gervais, 600 m.; au Bonhomme, 2350 m. ; vallée de Borne et du Reposoir, jusqu'aux chalets du Méry, 1 750 m.; vallée du Giffre de Samoëns, jusqu'au Fer- à-Cheval, s'élève jusque près du col de Léchaud, 2000 m. — B. d'Annecy : bains de la Caille, 460 m. ; vallée de Thônes, en entier; La Clusaz, 1050 m. ; vallée du Cheran, à peu près toutes les Bauges, Leschaux, Bellecombe, Les Noyers, Aillon, 85 Jars/, à partir de 600 m. — B. tic Chambéry : Ni volet, 1400 m.; Mont-Gragnier et Joigny (Huguenin); Grande- Chartreuse jusque au-dessus du col qui va à la Ruchère, 1700 m. ; Oncin (E. Chabert). — B. d'Albertville : Flumetet Beaufort, 700 m., jusque au-dessus de Roselin, 1800 m. — B. de Moûtiers : vallée de l'Isère, de la Rocbe-Cevin, -110 m. à Seez, 920 m., très-abondante; mais rare dans les mon- tagnes latérales, Sainte-Foi, 970 m. , Peisey, 1200 m., sauf la vallée du Chapieu où elle s'élève jusqu'au col de la Seigne, 2500 m. (Payot); entre Versaix cl le Petit-Saint-Bernard, 1700 m. — B. de Saint-Jean-dc-\fauricnne : SaintvJean , 650 m.; Saint-Sorlin d'Arves (Didier); Orelle, 980 m.; Saint-Pierre d'Estravache , 1400 m.; Sollièrcs, 1350 m.; Lans-le-Villard, 1700 m. Espèce spéciale aux Alpes de France, Savoie, Piémont et Suisse, et au Jura suisse et français. Habitation peu étendue, mais extrêmement abondante partout où on la trouve. Se divise en deux groupes d'un aspect assez tranché pour que plusieurs naturalistes en aient fait deux espèces distinc- tes. Le groupe de la plaine et le groupe de la montagne. Dans le premier se trouve le véritable type de Draparnaud , c'est 17/. sylvatica de tous les auteurs. Elle est caractérisée par sa taille et surtout par la dépression de sa spire. C'est une coquille sub-globuleusc. Elle habite les vallées chaudes. C'est elle qu'on trouve en Valais dans la vallée du Rhône. Elle peuple toute la vallée de l'Isère, de La Roche à Seez; on la retrouve dans la vallée de l'Arc à Orelle ; mais elle man- que complètement dans la vallée de l'Arve. En Dauphiné et en Piémont elle devient encore plus grosse qu'en Savoie. Dans le bassin de Moûtiers elle diminue de taille à mesure qu'on s'élève de La Roche à Moûtiers, 407 m. à 490 m., elle est assez grosse; de Moûtiers à Aime, 710 m., elle devient déjà un peu plus petite, mais c'est surtout d'Aimé à Seez. 86 920 m., qu'elle diminue davantage sans pourtant changer d'aspect. Avec un peu d'habitude, cette variété se reconnaît de suite. Dans le second groupe se rangent les individus des mon- tagnes et des vallées froides, plus petits, plus arrondis, globuleux. Pfeiffer les a désignés sous le nom d'tf. montana d'après Studer. Nom d'autant plus mal choisi que Studer l'avait lui-même abandonné pour le donner à une espèce tout-à-fait différente dont nous avons parlé. Dans son vol. 3 de la Monogr. heliceorim, p. 195, Pfeiffer ne fait plus de sa précédente H. montana qu'une variété (3 de son H. sylvatica, n° 1077. C'est aussi avec une partie des individus des mon- tagnes que Dupuy a fait son H. vindobonensis qui est bien différente de la véritable vindobonensis C. Pfeif., coquille d'Autriche, qui est beaucoup plus grosse, et surtout régu- lièrement côtelée, tandis que les stries des sylvatica monta- gnardes sont irrégulières, inégales et peu saillantes. Les sous-variétés sont fort nombreuses, nous ne citerons que les principales. Charpentier indique, Cat. coq. suisse, p. 6, n° 16, la contraria, pi. 1, f. 4, et la scalaris, toutes les deux de la vallée du Rhône ; la première de Huemoz, au- dessus d'Ollon, et la seconde des environs de Sion. Il figure aussi pi. 1, f. 3, la v. albinos, qu'on voit un peu partout disséminée au milieu des autres dans les deux groupes ; sur certains points, comme de Cluses à Bonneville, très-rare ; sur d'autres fort abondante, comme au Brizon, 1300m. B. de Bonneville ; à Flumet, 700 m. B. d'Albertville ; au Pont deNotre-Dame-de-Briançon, 425 m. B. deMoutiers, etc. L'animal de Yalbinos à fascie a encore des bandes noires qui, paraissant au travers des fascies transparentes de la co- quille, font qu'on reconnaît difficilement cette variété à l'état vivant. Il est une autre variété, la concolor, toute blanche, sans fascie, qui a l'animal entièrement blanc. 87 Charpentier a aussi distingué Cat. coq. suisse, p. 6, n° 16, la variété alpicola, adoptée par Moquin-Tandon et figurée pi. 13, f. 13. C'est hvindoboyiensis, de Dupuy, pi. 5, f. 6, b, seulement dans ces deux figures les stries sont exagérées. Cette variété, la plus petite de toute, se trouve dans les lieux les plus élevés et à un niveau plus bas dans les forêts épaisses. Dans les lieux découverts elle est opaque et mate, presque entièrement décolorée, ayant perdu son épiderme par suite de la vivacité de l'air et des brusques transitions de tempé- rature. Dans les forêts humides et abritées, cet épiderme de- vient assez épais et très-brillant. En général, la coquille est ornée de cinq fascies; cependant sur certains points on trouve en nombre des individus avec trois fascies seulement, et parmi eux quelques-uns qui n'en ont qu'une ou deux. La v. trifasciata se trouve dans la forme alpicola. entre Versaix et le Petit-St-Bernard, B. de Moûtiers, et à la Grande-Chartreuse, au-dessus du col qui va à la Bu- chère. Dans le type, les trois fascies inférieures sont continues et 1rs deux supérieures interrompues. Mais parfois toutes les fascies se trouvent interrompues v. interrupta. Assez com- mune dans la vallée du Pelit-Bornand, 700 m., appartenant à la wumtana, et au Brizon, 1200 m., appartenant à Val- picola. E. Chabert signale à Oncin une fort jolie variété de la monUma, figurée par Dupuy, pi. 5, f. 5, ft, v. Hzonata. Elle a deux bandes formées l'une par la réunion des deux fascies inférieures, l'autre par celle des trois fascies supérieures. Cette bande est un peu flammulée. Mais nous croyons que c'est une erreur, cette variété étant spéciale au Dauphiné, au Villard-de-Lens. Erreur d'autant plus facile à commettre que les coquilles de Savoie, envoyées par Chabert, étaient accompagnées de coquilles dauphinoises. 80. Hélix aspersa, Hall. 1774. Hélix aspersa. Muller, Vermhm historia, v. 2, p. 59, n° 253. — Draparnaud, Hist. moll. France, p. 89, n° 18, pi. 2, f. 23, indiqué par erreur 22 dans l'explication. — Rossmassler, Iconogr. mollusken, liv. 1, p. 55, pi. 1, f. 3 et pi. 5, f. 65; et liv. 5-6, p. 5, pi. 22, f. 294. — Pfeiffer, Monogr. heliceorum, v. 1, p. 241, n° 635. — Dupuy, Hist. moll. France, p. 108, n° 5, pi. 3. — Moquin-Tandon, Hist. moll. France, v. 2, p. 174, n° 31, pi. 13, f. 27 à 29. Habite les champs, les jardins, surtout au pied des murs et des rochers, à Suze, au pied du Mont-Cenis et les jardins à Grenoble; Meylan, près de cette ville, sur la route de Sa- voie. Naturalisée à Bex par de Charpentier. Indiquée à Lau- sanne par Studer et de Charpentier, elle y aurait aussi été naturalisée. C'est à tort que de Charpentier et le catalogue Jurine disent qu'on la trouve à Genève. Bassin de Chambéry : un individu aux Abîmes de Myans, 330 m. (Huguenin); Oncin (E. Chabert). Midi de l'Europe, France et Angleterre. Naturalisée dans plusieurs parties de l'Amérique. 81. Hélix pomatia, Lin. 1760. Hélix pomatia. Linné, Systemanaturœ, éd. 10, p. 771, n° 593. — Draparnaud, Hist. moll. France, p. 87, n° 15, pi. 5, f. 20. — Rossmassler, Iconogr. mollusken, liv. 1, p. 54, pi. 1, f. 1 et 2. — Pfeiffer, Monogr. heliceorum, v. 1, p. 234, n°621. — Dupuy, Hist. moll. France, p. 105, n°4, pi. 2, f. 4. — Moquin-Tandon, Hist. moll. France, v. 2, p. 179, n° 32, pi. 14, f. 6 à 8. Commune partout dans les haies, les vignes et les taillis, s'élève jusqu'à la limite des forêts. 89 Nous ne citons que les localités les plus élevées où nous avons constaté sa présence : Bassin de Genève: Salève, 1200 m. V. desDrances, la Chapelle d'Abondance, 1100 m. — B. de Bonneville : Esca- liers du Platet, 1700 m. (Payot); Haut du Col entre le Repo- soir et le Grand-Bornand, 1500 m.; Cenise, 1300 m. — B. de Chambéry : Grande-Chartreuse jusqu'à St-Bruno, 1500 m. — B. d'Albertville : La Giettaz, 1200 m.; forêt au- dessus d'Aréche en allant au Cormet, 1600 m. — B. de St- Jean-de-Maurienne : Lanslevillard, 1700 m.; Thermignon, en allant à Entre-deux-Eaux, 1800 m. Les diverses variations qui sont peu nombreuses dans notre champ d'études peuvent se diviser en trois catégories : 1° Variations de taille. La taille reste assez uniforme, et sans admettre comme de Charpentier, Cat. coq. Suisse, p. 5, qu'elle augmente en montant, on est forcé de reconnaître que, contrairement a ce qui arrive pour les autres espèces, elle ne diminue pas dans les stations les plus élevées. Le petit diamètre en moyenne est 34 mil. Dans certaines localités on rencontre une v. minor, petit diamètre 28 mil. Commune à St-Marcel, B. de Moutiers, G00 m. , où elle est blanche, obscurément fasciée; et à St-Triphon, B. de Genève, 425 m., où elle est brune, bien fasciée L'une et l'autre ont une forme plus élégante que le type. 2° Variations de couleur. Les plus extrêmes sont les deux que nous venons de signaler dans la v. minor. Cette couleur est plus ou moins brune ou blanchâtre, avec des fascies plus ou moins bien marquées. Lorsqu'elles sont très-nettement dessinées, elles constituent la v. quinque fasciata, Charp., pi. 1, f. 1, trouvée au Salève, et que Studer avait confondue avec YH. lucorum, Mnll. Dans les lieux découverts la co- quille perd son épidémie et devient blanchâtre. Une variété accidentelle, très-rare, est l'albinisme ; nous 7 90 n'en avons trouvé que deux échantillons, un dans les vignes de St-Etienne, près Bonneville, 475 m., et l'autre dans les environs de Genève. 3° Variations de forme. V. contraria, Charp. Environs de Bex {Charpentier). Environs de Genève, six sur 18,000 individus. Y. scalaris Monthey et Bex (Charpentier). Environs de Ge- nève, deux également sur 18,000 individus. (G. Mortillet, Bull, associât, florimontane d'Annecy, vol. 1, p. 195.) L'ff . pomatia se trouve dans toute l'Europe boréale et cen- trale et dans les lieux élevés de l'Europe méridionale. Elle est la seule qu'on mange dans notre champ d'études. La con- sommation de Genève s'élève environ à 10,000 par an. 82. Achatina (Hélix) lubrica, Mull. 1774. Hélix lubrica. Muller, Vermium historia, v. 2, p. 104, n° 303. Bulimus lubricus. Draparnaud, Hist. moll. France, p. 75, n° 4, pi. 4, f. 24. Achatina lubrica. Michaud, Compl. à Drap., p. 51, n° 1. — Rossmassler, Iconogr. mollusken, liv. 1, p. 88, pi. 2, f. 43. — Pfeiffer, Monogr. heliceorum, v. 2, p. 272, n° 86. Zua lubrica. Dupuy, Hist. moll. France, p. 330, n° 1, pi. 15, f. 9. Bulimus subcylwdricus, Moquin-Tandon, Hist. moll. France, v. 2, p. 304, n° 8, pi. 22, f. 18 et 19. Nous n'avons pas admis ce nom, parce que YHelix subcy- lindrica Linné ne nous paraît pas se rapporter à VA. lubrica. Elle a quatre tours de spire, au lieu de 5 à 7, et le bord de l'intérieur de la bouche réfléchi, ce qui n'existe pas chez notre achatine. En outre, plusieurs auteurs, Gmelin, Poiret, etc., regardent Y H. subcylindrica comme une coquille fluviatile. Habite sous les pierres et les bois morts dans les lieux frais, depuis les parties les plus basses, région des cigales, jusque dans la région des gazons au-dessus des forêts. Bassin de Genève : bois d'Eli (de Loriol) ; Fernex, 490 m. (Décret); Reculet (Claparède); montée de la Croisette, au Salève, 900 m.; environs de Genève, 374 à 420 m.; Alle- mogne, 500 m. ; Elrembières, 400 m. ; Voirons. V. des Dran- ces : Col de Morgin, 1400 m. — B. de Bonneville : Château de Faucigny, 660 m.; Bonneville, 446 m.; Château des Tours, 500 m.; Le Feux, à Ayse, 490 m.; Chamonix, 4000 m. (Brot) ; au Bouchet, près de la source de PArveyron, 1100 m. , et entre Mont-Roch et le hameau du Tour, 1400 m. (Payot) ; bois du Platet (Id.) ; Chalets de la Barme, en allant au Bonhomme, 1450 m. ; Reposoir, 1200 m. ; Mont-Saxonnet, 900 m. ; Rumilly, 470 m. ; Tanninges, 650 m. ; Petit-Bornant et Entremont, de 700 à 850 m. — B. d'Annecy : Epagny, 450 m.; La Thuile, 900 m. V. du Cheran, combe d'Aillon, 900 m. — B. de Chambéry : Aix (Mousson), Oncin (Chabert); Grande-Chartreuse, 980 m. — B. d'Albertville : Beaufort, 780 m.; au-dessus d'Arèche, 1200 m. — B. de Moutiers : Moutiers, 490 m.; entre La Thuile et Brevières, 990 m. — B. de St-Jean-de-Maurienne : St-Sorliu-d'Arves, 1600 m. (Didier); Lanslevillard , 1700 m.; Plaine du Mont-Ceuis, 4920 m. Suisse, France et à peu près toute l'Europe, sauf la partie de Test, se trouve aussi dans l'Amérique du nord. Mousson rapporte VA. lubrica d'Aix à la var. pulchella, Hartmann. Entre ses stations les plus différentes d'atti- tude cette espèce varie peu. Dans les lieux élevés, elle a tout au plus une tendance à devenir plus pellucide, plus petite et un peu plus allongée. Cependant, les individus de Moutiers, 490 m., sont plus allongés que ceux du Mont-Cenis, 1920 m.; ceux du bois d'Eli, 500 m., sont les plus ventrus. 92 83. Achatina (Buccinum) acicula, Mail. 1774. Buccinum acicula. Muller, Vermium historia, v. 2, p. 150, n° 340. Bulimus acicula. Draparnaud, Hist. moll. France, p. 75, n° 5, pi. 4, f. 25 et 26. — Moquin-Tandon, Hist. moll. France, v. 2, p. 309, n° 10, pi. 22, f. 32 à 34. Achatina acicula, Michaud, Compl. à Drap., p. 53, n° 3. — — Rossmassler, Iconogr. mollusken, liv. 9-10, p. 35, pi. 49, f. 658. — Pfeiffer, Monogr. heliceorum, v. 2, p. 274, n° 90. — Dupuy, Hist. moll. France, p. 327, n° 1, pi. 15, f. 8. Dans les haies, sous les débris de végétaux et les feuilles mortes, parmi les mousses et les touffes d'herbes, auprès des ruisseaux. Très-difficile à trouver vivante ; abondante dans les alluvions. Bassin de Genève : Fernex, 480 m. ; alluvions du Lion ; al- luvions du Rhône; Aiguebelle sous Salève, 550 m. (Clapa- rède). — B. de Bonneville : alluvions de l'Arve. V. du Giffre; Chounaz, 580 m. (Décret) . — ■ B. d'Annecy : au-dessus de Gruffy, 700 m. — • B. de Chambéry : Aix (Mousson). 84. Bulimus (Hélix) détritus, Mail. 1774. Hélix detrita. Muller, Vermium historia, v. 2, p. 101, n° 300. Bulimus radiatus. Draparnaud, Hist. moll. France, p. 73, n° 1, pi. 4, f. 21. — Rossmassler, Iconogr. mollusken, liv. 1, p. 86, pi. 2, f. 42, et liv. 5-6, p. 47, pi. 28, f. 390 et 391. Bulimus détritus. Pfeiffer, Monogr. heliceorum, v. 2, p. 222, n# 610. — Dupuy, Hist. moll. France, p. 314, n° 3, pi. 15, f. 4. — Moquin-Tandon, Hist. moll. France, v. 2, p. 294, n°3, pi. 21, f. 21 à 24. Cette espèce se trouve depuis la région des cigales jus- qu'au sommet de celle des cultures, mais toujours dans des 93 endroits découverts, en pente, bien exposés aux rayons du soleil, orientés plus ou moins au midi et très-secs, pa rmi les broussailles et les berbes maigres. Ses lieux d'habitation sont parfois très-circonscrits ; les individus y sont toujours très-nomhreux. Bassin de Genève : La Posse, au-dessus de Bex (Charpen- tier); sur les remparts près de St-Antoine à Genève, y a pro- bablement été naturalisée, 400 in.; Salève (Mallet). — B. de Bonneville : Servoz, au-dessus du village, 930 m. ; St-Ger- vais, 840 m. V. du Giffre, St-Jeoire, 585 m. V. de Borne, Grand-Bornant, entre Chinaillon et la Goudinière, 1300 m. — B. d'Annecy : entre Menlhou et Talloires, 570 m. ; Cal- vaire de Thônes, 0G0 m. V. du Cheran , Arilh, 725 m. ; Cha- lelard, 700 m. ; vallée d'Aillon-le-Vieux, 800 m. — B. de Chambéry : environs d'Aix i, Mousson); Château de Bor- deau, 285 m. ; Monlerminod, depuis Laisse jusqu'au-des- sus de St-.lean-d'Arvel. 200 à 700 m. ; Thoiry, 650 m. ; En- tmnunt. sOOm. — B. d'Albertville: Cruet, 380m. (Hugue- nin), Beaufort, 800 m. (A. Bebert). — B. de Moutiers : de- puis Moutiers, tout le long de la vallée de l'Isère jusqu'à Sir/, 480 à 900 m. — B. de St-Jean-de-Maurienne : St-Jean, G50 m. ' Ça et là dans la [ilus grande partie de l'Europe centrale. La taille de cette espèce varie de 18 à 25 mil. pour la lon- gueur, et 8 à 10 mil. pour la largeur. Les grands individus ont aussi un tour de spire de plus que les petits; mais entre eux on trouve Ions le> passager Les individus des lieux les plus chauds sont les plus grands ; ils diminuent de taille en s'élevant ou en passant dans des localités plus froides. Ainsi dans la vallée de l'Isère, les individus de Moutiers, 480 m. ; ù Aime, 700 m., sont plus gros que ceux de Belentre, 750 m.; au bourg St-Maurice, 900 m.; à Seez, également 900 m.; l'exposition étant beaucoup plus chaude, les individus rede- 94 viennent un peu plus gros que précédemment. Ces individus de Seez sont aussi plus gros que ceux de Macot, 730 m. ; parce que l'exposition de Macot est plus froide. Dans les endroits très-élevés et exposés à un air vif; com- me au-dessus du Chinallion, les individus sont petits, à sur- face épidermée, terne, ressemblant à celle d'une coquille morte, c'est la v. excoriata. Parfois aussi dans les lieux élevés, comme à St-Gervais, lès individus sont encore assez gros, mais le dernier tour est resserré et la bouche très-petite. Comme couleur, la variété la plus commune en Savoie est Yunicolor Férussac ou détritus Studer, entièrement blanche ou roussâtre, pi. 21, f. 24, de Moquin-Tandon. La variété radiatus Férussac, Moquin-Tandon, pi. 21, f. 23, qui a des bandes longitudinales fauves ou brunes, est très- exceptionnelle dans notre champ d'études ; Arith (Mlle José- phine Bebert); Moutiers; St-Jean-de-Maurienne ; plus abon- dante à Genève, sur les remparts, à peu près la moitié des individus. Près de Sion, en Valais, elle est extrêmement abondante. On trouve assez fréquemment une variété intermédiaire, obscurément marqué de bandes longitudinales, irrégulières, grises, c'est YHelix sœpiitm Gmelin, figurée par Moquin-Tan- don, pi. 21, f. 21 et 22. 85. Bulimus montanus, Drap. 1801. Bulimus montanus. Draparnaud, Tabl. des moll., p. 65, n° 2, et Hist. moll. France, p. 74, n° 2, pi. 4, f. 22. — Rossmassler, Iconogr. mollusken, liv. 1, p. 86, pi. % f. 41 . ■ — Pfeiffer, Monogr. Heliceorum, v. 2, p. 420, n° 320. — Dupuy, Hist. moll. France, p. 316, n°4, pi. 15, f. 5. — Moquin-Tandon, Hist. moll. France, v. 2, p. 289, n° 1, pi. 21, f. 1,3 et 4. 95 Dans les haies, les taillis et les forêts; après les pluies chaudes il monte contre les troncs d'arbre, les pieux et sur- tout les bois morts. Se trouve aussi sous les pierres, les bois abattus. Habite au-dessus de la région des vignes, mais ne va pas jusqu'au sommet de celle des forêts. Bassin de Genève : Jura (de Loriol) ; St-Cergues, à la Dôle (Claparède); Salève, Grande-Gorge, 4200 m., et Croisette, 1000 m. V. des Drances : sous la Forclaz, 600 m. ; la Cha- pelle d'Abondance, 1100 m. — B. de Bonneville : Araches, 950 m.; entre Magland et la Colonne, 800 m.; Chamonix, 1000 m. ; Bochers du Platet (Payot) ; St-Gervais (Brot) ; Be- posoir, Pralon, 970 m., et Sommier, 1100 m.; Mont^Saxon- net, 900 m. ; Brizon, 1000 m. ; Andai, 700 m. V. de Borne : d'Entremont, 790 m. jusqu'au-dessus de Villeneuve, Grand- Bornant, 1050 m. — B. d'Annecy : Sur-les-Bois, route de Thônes, G30 m. ; La Thuile, 900 m. — B. de Chambéry : en- virons d'Aix (Mousson) ; Nivolel, 800 m. ; Grande-Char- treuse, 950 m.; Oncin (Chabert). — B. de Moutiers (Thabuis). — B. de SUJean-de-Maurienne : vers le col d'Olle à St-Sor- lin-d*Arves, 1600 m. (Didier) ; Bramant, 1250 m. Suisse, France, Alftmagne, Angleterre et Espagne. La couleur est plus ou moins foncée, I'épidcrme plus ou moins épais. Souvent, par suite de l'âge, et surtout des in- tempéries de l'atmosphère, la coquille est en partie exco- riée. La seule variété tranchée est Valbinos Charpentier, Cat. coq. suisse, pi. 2, f. 2. Elle est d'un blanc sale, un peu jaunâtre ou verdâtre et à demi transparente. Elle se trouve mêlée avec les autres. En nombre parmi les individus de la vallée de Borne. 86. Bulimus (Hélix) obscurus, Mail, 1774. Hélix obscura. Muller, Vermiumhistoria, v. 2, p. 103, n°302. 96 Bulimus obscurus. Draparnaud, Hist. moll. France, p. 74, n° 3, pi. 4, f. 23. — Rossmassler, Iconogr. mollusken, liv. 5-6, p. 46, pi. 28, f. 287. — Pfeiffer, Monogr. heli- ceorum, v. 2, p. 124, n°331. — Dupuy, Hist. moll. France, p. 318, n° 5, pi. 15, f. 6. — Moquin-Tandon, Hist. moll. France, v. 2, p. 291, n° 2, pi. 21, fig. 9. Vit très-disséminé dans les haies, sous les tas de pierres, dans les murs en pierres sèches, contre les rochers mous- seux, au milieu des débris et des feuilles mortes. Après les pluies douces et chaudes, il sort de terre et se promène sur la mousse et sur les pierres. On le trouve alors surtout contre les troncs d'arbre et les branches mortes dans les haies. S'é- lève depuis la plaine basse jusque vers la partie supérieure de la zone des cultures. Bassin de Genève : St-Cergues à la Dôle (Claparède) ; Bois d'Eli (de Loriol) ; Fernex, 480 m. (Décret); Thoiry, 494 m.; Chancy, 320 m. ; Genève, jardin botanique, 380 m., et tous les environs, 430 m. ; Croisette, 1050 m. — B. de Bonne- ville : Château des Tours, 500 m. ; Ayse, 490 m. ; Le Môle, vers les Berod, 1155 m. ; bois de Joux et du Platet, 1200 m. (Payot); St-Gervais (Brot), Mont-Saxonnet, 900 m.; Ru- milly, 455 m. Vallée de Borne : du Petit-Bornant, 650 m. au Grand-Bornant, 1000 m. — B. d'Annecy : Sur-les-Bois, route de Thônes, 630 m. ; Duingt, 450 m. V. du Cheran ; Pont-d'Entrèves , 670 m. — B. de Chambéry : Montermi- nod, 320 m. ; Myans, 280 m. ; Entremont, 800 m. ; Col du Cucheron; Oncin (E. Chabert). — B. de Moutiers : Moutiers, 480 m. — B. de Saint-Jean-de-Maurienne : Saint-Sorlin- d'Arves, vers le col d'Olle, 1600 m. (Didier); Bramant, 1350 m. Toute l'Europe, excepté la Bussie et la Turquie. Certains individus, mêlés aux autres, ont le péristome plus bordé et plus réfléchi ; Petit-Bornant, D'autres ont la bouche 97 très-petite; Chancy. Enfin, sur quelques points on trouve avec les individus ordinaires quelques individus d'une taille très-forte, qui semble être intermédiaire entre le type et le B. monlanus, qui se trouve dans les mômes endroits : Sur- les-Bois. Charpentier, Cat. coq. suisse, pi. 2, f. 1, représente la V. albinos, de Sallin sur Ollon. 87. Bulimus (Hélix) tridens, Mull. 4774. Hélix tridens. Muller, Vertnimn historia,\. 2, p. 106, n° 305. PUPA TRIDENS. Draparnaud, Hist. moll. Fiance, p. 67, n° 19, par erreur indiqué 16, pi. 3, f. 57. — Rossmassler, Ico- norjr. môtmkeh, liv. 1, p. 80, pi. 2, f. 33 etliv. 5-6, p. 9, pi. 23, f. 305. — Dupuy, Hist. mull. France, p. 374, n°l, pi. 18, f. 7. Bulimis Tiiii.ENs. Pfeiiïer, Monogr. heliceorum, v. 2, p. 129, n° 341 . — Moquin-Tandon, Hist. moll. France, v. 2, p. 297,' n°4, pi. 21. f. 28 à 30. Prés sëca H .mi pcntr. surtout au pied des murs. Nous ne l'avons trouvé que dans la région des vignes. Cependant Du- puy l'indique de la Grande-Chartreuse, où il ne nous a pas été donné de le rencontrer. Bassin de Genève : Devens et Aigle (Charpentier) : Genève, Champel, 470 m. (Claparède) ; buis de La Bâtie, 380 m.' (Brot), et les Tranchées, 395 m. ; Fernex, 490 m. — B. de Bonneville : Le Feux, Ayse, 500 m. - B. de Cl.ambérv : Aix (Mousson) ; Chamhéry, 265 m. ; Monterminod, 300 m. — B. de Moutiers : près de la ville, 485 m. A Monterminod on trouve deux variétés : l'une petite, qui est le type général de tout notre champ d'études; l'autre plus grosse, à spire et bouche plus allongées. Toutes les deux ont la dent columellaire très-peu développée et une 98 forte callosité à la columelle, qui a presque l'aspect d'une quatrième dent. Cette callosité manque complètement dans les figures de Moquin-Tandon, et se trouve un peu indiquée dans Dupuy. 88. Bulimns (Hélix) quadridens, Mail. 1774. Hélix quadridens. Muller, Vermium historia, v. 2, p. 107, n° 306. Pupa quadridens. Draparnaud, Hist. moll. France, p. 67, n° 18, pi. 4, f. 3. — Rossmassler, Iconogr. mollusken, liv. 5-6, p. 10, pi. 23, f. 308. — Hist. moll. France, p. 376, n° 2, pi. 18, f. 8. Bulimus quadridens. Pfeiffer, Monogr. heliceorum, v. 2, p. 131, n° 343. — Moquin-Tandon, Hist. moll. France, y. 2, p. 299, n° 6, pi. 22, f. 4 à 6. Dans les près maigres et chauds, sous les petites pierres et au pied des touffes d'herbes. Depuis les parties les plus bas- ses jusque vers le sommet de la région des cultures, mais toujours dans des expositions chaudes et tournées au midi. Bassin de Genève : LesDevens, Foully etYvorne (de Char- pentier) ; Fernex, 490 m. ; Chancy, 370 m. ; Genève, Tran- chées, 380 m. ; Pied du Jura (de Loriol) ; Le Coin sous Sa- lève, 620 m. ; Etrembière, 400 m. — B. de Bonneville : Bonneville, aux châteaux des Tours et d'Asnières, 500 m. ; Petit-Bornant, 750 m. ; Chounaz, près St-Jeoire, 550 m. ; Château de Faucigny, 660 m. ; au-dessus du bois du Platet, 1300 m. (Payot). — B. d'Annecy: V. du Cheran , Pont- d'Entrèves, 670 m. ; en face de Léchereine, 640 m. ; Aillon, 890 m. — B. de Chambéry : St-Innocent, 270 m. Aix (Mousson). — B. de Moutiers : environs de la ville, 480 m. (Thabuis) ; Séez, 900 m. — B. de St-Jean-de-Maurienne : environs de St-Jean, 600 m. ; La Madeleine-sur-Lanslevil- lard, 1750m.; Termignon, 1325 m. 99 Cette espèce varie beaucoup de taille ; nos plus petits in- dividus viennent d'Aillon, et les plus grands de Moutiers, où l'on trouve aussi quelquefois la petite variété, mais dans des localités moins ehaudes et moins bien exposées. Parfois la bouche se forme avant le développement normal de la spire, ce qui donne aux individus un aspect très-raccourci et un peu gibbeux. Les autres, au contraire, sont allongés et élégants. 400 SECTION DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES. La dernière séance de cette Section dont il ait été rendu compte dans le Bulletin, est celle du vendredi 7 Mars 1856. (Voyez le Bulletin de l'Institut genevois, N° 11, Avril 1856, tome IV, page 373 et suivantes. ) Dès-lors, la Section a tenu plusieurs séances ordinaires, dans lesquelles diverses questions ont été traitées et où plu- sieurs Mémoires ont été lus. Dans la séance du 9 Mai 1856, M. Martin, propriétaire à Versoixet à Mies (canton de Vaud), a soumis à la Section un projet pour la création d'une caisse destinée à faire des avances, moyennant garanties, aux propriétaires qui vou- draient drainer leurs terres '. La Section décide qu'elle s'occupera de cette question en même temps que celle d'agriculture. — M. James Fazy ex- pose, à titre de renseignement, qu'un Projet de Loi sera pré- senté pour faire opérer le drainage par les Communes. M. Machard a envoyé à la Section un projet pour l'établis- sement de Sociétés qu'il appelle de garantie limitée. — M. Laya donne des explications sur la possibilité de réaliser ce projet. Il faudrait pour cela établir que les sociétés anonymes ne dépendissent pas du Gouvernement. M. Laya est chargé de prendre en Angleterre des renseignements propres à éclai- rer la question. M. James Fazy donne des explications sur la manière dont les choses se passent en Angleterre. Ce qui a été adopté dans 1. Ce projet a été imprimé dans le Bulletin de V Institut, Na H, tome IV, page 584 et suivantes. 101 ce pays et qui parait un progrès, n'en est pas un. La garantie limitée, c'est la commandite française moins largement or- ganisée. Ce qu'a fait l'Angleterre n'est qu'un premier pas pour arriver à la largeur de la loi française ; c'est une loi tron- quée, inférieure, de l'aveu du ministère anglais, à ce que l'on a à Genève. La Banque générale Suisse internationale n'aurait pu être créée en Angleterre sans une Charte du Parlement. M. Dameth lit la seconde partie de son Mémoire sur le Supernaturalisme al le Rationalisme. (La première partie a été lue dans la séance du 8 Février 1856.) Dans la séance du 4 Juillet, M. H. Disdier, avocat, a lu divers fragments de son ouvrage, intitulé : Considérations sur la jiuissiiiire de la raison. Dans la séance du 5 Décembre, M. Nakwaski a fait un rap- port verbal sur les deux Congrès d'économie domestique et du libre échange auxquels il a assisté à Bruxelles. Il a donné lecture d'une lettre de la Société statistique de Dublin, qui demande à se mettre en rapport avec l'Institut Genevois. Cette demande est accordée avec empressement. M. Ankiiaski propose de recevoir comme membres cor- respondants de la Section : Pour la Belgique : MM. d?, Brouckere, bourgmestre de Bruxelles; le comte Arrivabene. président de la Société belge d'économie poli- tique; Corr-Vandermaeren, président du Comité central de l'Association belge ; Masson, président du Comité de l'Asso- ciation à Yerviers, secrétaire de la Chambre de Commerce de cette ville ; Bortier, propriétaire, membre du Conseil d'ad- ministration et de la Société d'Agriculture ; Agie, président de la Chambre de Commerce d'Anvers ; Lesoinne, membre de la Chambre des représentants ; Cogels, membre du Sénat; Auguste Couvreur, homme de lettres, secrétaire du Comité central pour la réforme douanière; Jottrand fils, avocat, 102 secrétaire du Comité central de l'Association belge pour la réforme douanière ; Ch. de Cocquiel, professeur à l'Institut de commerce à Anvers, secrétaire de la Société belge d'éco- nomie politique ; Reyntjens, publiciste, membre du Comité central pour la réforme douanière. Pour l'Allemagne : MM. le Dr Ernst Engel, chef du bureau de statistique et délégué du royaume de Saxe ; Schubert, conseiller intime, professeur à l'Université de Kœnigsberg. Pour l'Angleterre : MM. Benjamin Oliveira, membre du Parlement, président du Comité pour la réduction des droits sur les vins ; Henri-W. Wickham, membre du Parlement, délégué de la Chambre de Commerce de Bradford; Henri-G. Bohn, libraire à Londres; Thomas Winkworth, membre du Conseil de la Société des Arts, de l'Industrie et du Commerce de Londres. Pour l'Europe septentrionale : MM. David, conseiller d'État, chef du bureau de statistique du royaume de Danemarck ; le comte Cieszkowski , ancien député du duché de Posen à la Diète de Prusse. Pour l'Espagne : M. Colmeiro, docteur en droit, professeur à l'Université de Madrid, délégué du ministère des finances à Madrid. Pour la France : MM. J. Garnier, professeur à l'École impériale des ponts et chaussées, secrétaire de la Société d'Économie politique ; Campan, ancien secrétaire de la Chambre de Commerce de Bordeaux, à Bruxelles; V. Modeste, publiciste, membre et délégué de la Société d'Économie politique de Paris. Pour l'Italie : M. Scialoja, ancien ministre du commerce à Naples, con- seiller du Cadastre à Turin, délégué du Gouvernement sarde. 103 Pour les Pays-Bas : MM. Ackersdyk, professeur à l'Université d'Utrecht ; Kœnen, membre du Conseil provincial de la Hollande septentrionale et du Conseil communal de la ville d'Amsterdam ; Reepmacker, avocat, secrétaire de la Chambre de Commerce de Rot- terdam. Pour la Suisse : M. Peyer-Imhoff, négociant à Schaffhouse, délégué du Gou- vernement fédéral. Quelques autres membres des Congrès ont été aussi propo- sés dès-lors pour membres correspondants de la Section des Sciences morales et politiques : M. Pascal-Duprat, ancien représentant, professeur d'économie politique à Lausanne ; M. Henri Dix Hvtton, esq., membre de la Société de Sta- tistique de Dublin ; M. Ducpétiaux, â Bruxelles, inspecteur général des prisons et des établissements de bienfaisance ; le docteur Van der Brœch, à Bruxelles; M. Vie. Faider, avo- cat, à Bruxelles; M. de Molinari, professeur d'économie po- litique, rédacteur de YÊconomiste belge, à Anvers. M. Hippolyte Dussard, rédacteur du Journal des Écono- mistes, est présenté par M. Fazy pour membre correspon- dant. M. H. Dussard assiste à la séance. M. Nakwaski présente M. le général Klapka comme membre honoraire. M. J.-L. Fazy est présenté pour membre honoraire, par MM. Grivel et James Fazy. M. le professeur Gaullieur, secrétaire de la Section, a été chargé de prononcer dans la séance générale les éloges de trois membres décédés, que nous reproduisons ici : Dans le cours de l'année qui va finir, notre Instituts fait quelques pertes sensibles. La Section des Sciences morales et politiques, d'archéologie et d'histoire, regrette MM. Verdeil et Châtelain, membres correspondants dans le Canton de Vaud, 104 et M. Rilliet de Constant, membre effectif, résidant dans le môme Canton, et décédé tout récemment à Genève, après une très-courte maladie. Je dois vous retracer la vie et les travaux littéraires de ces trois hommes distingués et heureu- sement doués à divers titres. Le docteur Auguste Verdeil, inspecteur des établisse- ments de détention, auteur de VHistoire du Canton de Vaud, décédé le 24 Avril dernier, était né le 15 Avril 179-4. Il appar- tenait à une ancienne famille du midi de la France (du comtat d'Avignon) qui s'était réfugiée d'abord en Prusse, puis en Suisse, lors de la révocation de l'Édit de Nantes. Son père, médecin comme lui, après avoir longtemps résidé à Berlin sous le règne de Frédéric-le-Grand et fait de nom- breux voyages, s'était fixé à Lausanne où il fut, sous le ré- gime bernois, le promoteur de plusieurs institutions scienti- fiques, littéraires, philanthropiques, et chef du bureau de santé dès l'origine du Canton de Vaud. Auguste Verdeil fit ses premières études à Genève dans la pension du professeur Duvillard, qui avait, il y a cinquante ans, une réputation pédagogique. Il suivit ensuite les cours académiques de cette ville, d'où il se rendit à Paris pour étudier la médecine avec plusieurs Genevois, parmi lesquels était feu M. le docteur Prévost. C'était dans les années 1814 et 1815. Les grands événements qui amenèrent la chute de Napoléon, la Restauration et les Cent-Jours, n'étaient pas des plus favorables aux sciences. Les préoccupations politiques vinrent souvent détourner l'attention des étudiants genevois et vaudois qui étaient alors à Paris. Chaque matin les jour- naux leur apportaient de leur patrie les nouvelles les plus alarmantes. Les feuilles ultra-royalistes surtout s'attachaient à représenter le Canton de Vaud et les deux rives du Léman comme un foyer permanent de conspirations bonapartistes. Un jour, c'était le général Dessaix, qui devait partir de Tho- 105 non, chasser les Autrichiens de Genève, et renverser dans les Cantons de Frihourg et de Berne les oligarchies fraî- chement rétablies. Le lendemain c'était du château de Pran- gins que le roi Joseph-Napoléon devait donner le signal du grand mouvement qui allait remettre sur le trône le prison- nier de l'île d'Elbe. Le jeune Verdeil, fatigué de ces rapports compromettants et des commentaires désobligeants et injurieux pour la Suisse qui les accompagnaient, s'amusa à forger, de concert avec le professeur Manget, de Genève, une correspondance censée écrite de Berne, qu'ils adressèrent au Journal royal. Cette mystification ayant causé une immense sensation d'hilarité, et mis toutes les polices en émoi, il vaut la peine, avant que cet incident soit complètement oublié, d'en rapporter quelques traits : « Nous voici plongés (était-on censé écrire de Berne au Journal royal, le 16 Février 1815,) dans toutes les horreurs de la guerre civile; les armements sont, de part et d'autre, au complet, et l'on s'attend à recevoir d'une heure à l'autre la nouvelle d'une bataille. Les Vaudois, qui prétendent avoir à leur tète un ex-souverain, se sont portés a marches forcées sur Frihourg. Ils ont mis à contribution sur la route plusieurs villagesqui n'offrentplus aujourd'hui que les traces delà dé- vastation. La conduite des cosaques et deskalmoucks, l'année dernière, était modérée auprès de la leur. Ils proclament néanmoins des idées libérales, et se portent aux plus grands excès sous prétexte de rétablir l'ordre dans nos contrées. On sait aujourd'hui, à n'en pas douter, qu'ils ont avec eux un corps auxiliaire de Savoyards rirolt.es. Puissions-nous triom- pher d'un ennemi, à la suite duquel marche la désorganisa- tion et qui annonce hautement le projet de renverser un gouvernement légitime. Les gens bien informés disent que des armuriers et fondeurs italiens travaillent depuis six mois 8 106 dans l'arsenal de Lutry et y sont régulièrement payés toutes les semaines. On accuse hautement les Vaudois, dans toute l'Italie septentrionale, d'avoir fomenté, autant qu'ils ont pu, les troubles qui ont éclaté à Milan et à Venise. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'on a reconnu des armes de fabrique vaudoise dans celles qui ont été trouvées entre les mains des révoltés de la Haute-Engadine. Nous espérons que les hautes puis- sances coalisées daigneront à la fin prendre en considération l'état inquiétant où nous sommes, en nous aidant à repousser les attaques de nos anciens sujets. » Cette première lettre, qui présentait l'état des choses en Suisse sous un jour si alarmant, ayant été insérée sans diffi- culté par le Journal royal, les jeunes et malins auteurs se hasardèrent à en lancer une seconde, où les faits les plus extraordinaires étaient narrés avec la même apparence sé- rieuse et spécieuse de vérité, mais avec un redoublement de charge : « Les événements que nous redoutions ont eu lieu (disait le prétendu correspondant bernois), 'les Vaudois ont pris possession de Peterling et de Vivistadt. On les a laissé s'em- parer de ces deux places peu importantes, pour qu'il fût bien constaté qu'ils ont pris l'offensive et rompu leurs bar- rières. Les dispositions des Bernois sont prises pour repousser l'envahissement. Il y a un camp à Neudorpf qui s'augmente tous les jours. Chaque lettre saisie ou interceptée nous prouve combien nous avions de dangers à craindre. On sait, en par- ticulier, qu'un des projets des rebelles était de s'emparer du château de Dummelkopfs, où sont déposées les archives et les chartes qui garantissent aux souverains bernois la possession des pays sujets, et de livrer au pillage, en se portant sur Berne, le beau faubourg de la Matte, où la plupart de nos sénateurs ont leurs maisons de campagne. » Enfin un Post-Scriptum, écrit sur le même ton, rendait 107 compte de la bataille livrée entre Bernois et Vaudois « Les deux partis en sont funestement venus au conflit auprès du pont de Poplisberg, à deux lieues de la Dent de Jamant, non loin de Morat. Les Bernois y ont fait jouer leur grosse artil- lerie avec un tel succès, que l'avant-garde vaudoise a dû se replier sur la Dent de Morcle. La canonnade a duré près de deux heures, à la suite de quoi la cavalerie des Haut-Vallai- sans a achevé de mettre en désordre l'ennemi. Comme il paraît qu'ils n'avaient aucun plan de campagne fixe, mais l'intention peut-être de mettre à contribution la belle vallée de l'Entlibuch et de jeter l'épouvante dans Berne, ce premier échec semble destiné à mettre un terme à cette coupable et ridicule expédition. Nous attendons à chaque instant des ré- sultats, et avec quelle impatience!.. C'est ce que vous pouvez juger. Sûr est-il que la colonne vaudoise, qui se portait sur le Simmenthal allemand, pour se mettre en contact avec l'Argovie, a reçu contre-ordre et s'est arrêtée à Delémont. Un Te Deum a été ordonné et solennisé aujourd'hui. La clo- che du Schallemcerk s'est fait entendre depuis six heures du matin. • La mystification réussit complètement. La correspondance bernoise du Journal royal fut reproduite par une partie de la presse de Paris et des départements ; on s'indigna de la con- duite du gouvernement vaudois qui, indigné à son tour, pro- mit une récompense de cent louis d'or à celui qui ferait découvrir l'auteur de ces articles compromettants. Cette précoce disposition à la plaisanterie, qui se justifiait par le besoin de faire finir un système de calomnies odieuses et absurdes dont son pays était l'objet, indique bien le carac- tère et la tournure d'esprit du docteur Verdeil. C'était un mélange de qualités sérieuses et enjouées. Il avait plus de vivacité et de légèreté qu'on n'en trouve d'ordinaire chez ses compatriotes. Aussi sa société et sa conversation étaient-elles 108 recherchées avec empressement. On citait ses réparties et ses bons mots. Après la chute définitive de l'empire, quand l'Angleterre fut de nouveau accessible aux hommes du continent, Auguste Verdeil se rendit à Edimbourg pour y activer ses études mé- dicales, et il fut reçu docteur en 1817, après avoir soutenu une thèse sur les rapports de la géologie avec la médecine, dont la Bibliothèque britannique rendit un compte très-favo- rable. De retour à Lausanne, après plusieurs voyages géolo- giques, le jeune docteur fut nommé médecin de l'hôpital canto- nal. Appelé ensuite à la vice-présidence du Conseil de santé, il quitta la pratique de l'art médical pour se vouer entièrement à l'administration. De nombreuses questions d'hygiène, de po- lice sanitaire, d'agriculture, étaient chaque jour soumises au dicastère qu'il présidait. Il les étudia toutes avec soin et écri- vit sur plusieurs, notamment sur celle des haras et de l'amé- lioration des races de bestiaux. De toutes ces questions, celles qui se rattachaient ou sys- tème pénitentiaire étaient envisagées comme les plus ardues et les plus importantes. Le docteur Verdeil fut appelé à s'en occuper, en sa double qualité de vice-président du Conseil de santé et de membre de la Commission des hospices. Le pénitencier de Lausanne avait été l'un des premiers créés sur le continent, d'après le système cellulaire ou américain, re- commandé par la philanthropie moderne. Cet établissement était, dès l'année 1823, visité et cité comme un modèle. Ce- pendant, au milieu des nombreuses améliorations introduites par le système nouveau, on n'avait pas tardé à remarquer que le régime du silence absolu contribuait à provoquer chez nombre de détenus des symptômes d'aliénation mentale. Le mal, longtemps contesté ou dont on avait cherché les causes ailleurs, devenait chaque jour plus évident et plus grave. Appelé à surveiller le pénitencier comme administrateur et 109 comme médecin, le docteur Verdeil contribua puissamment à éclaireir ces questions controversées, en publiant son livre remarquable intitulé : « Du Pénitencier* âe Lausanne » '. Cet écrit fut immédiatement invoqué et cité comme une autorité par les bommes les plus compétents, entre autres par M. Char- les Lucas, inspecteur général des prisons en France. Dans les discussions sur la réforme des établissements de détention, qui furent soulevées dans les pays constitutionnels, le nom du docteur Verdeil fut souvent cité, notamment en France. Nommé membre du Grand Conseil du Canton de Vaud, l'autour fut maintes fois appelé à exposer et à défendre ses idées, et il le lit toujours avec une lucidité et une convenance parfaites. Son esprit, son instruction, son aménité, lui valu- rent dans cette assemblée une véritable intluence. Resté fidèle aux idées Libérâtes, pendant toute la période de 1815 à 1830, le docteur Verdeil avait de même adopté les principes de la réfutation randoisedu is décembre 1831. Quand arriva celle de 1846, il se retira de la politique active, et même, après quelques années, de l'administration. Ce fut alors qu'il con- sacra B8S loisirs à écrire l'histoire de son pays, dont il a\ait étudié les annales avec les membres de la Société d'histoire de la Suisse romande. Doué du Véritable sens de l'historien, et d'une grande fa- cilité pour assimiler et coordonner les faits, M. Verdeil oblin* pour son Histoire du Canton de Vaud un succès vraiment populaire. Son ouvrage, divisé en trois volumes, renferme le tableau de toutes les phases historiques par lesquelles a passé le Pays de Vaud, depuis ladomination romaine jusqu'à sa constitution en Canton suisse par l'acte de médiation en 1803*. 1. Lausanne, 1842. In-8». 2. Le dernier volume parut en 18o2. Lue première édition, avant été bien vite épuisée, une seconde l'ut publiée avec diverses améliorations judicieuses, notamment dans la partie consacrée aux guerres de Bour- gogne, qui a été remaniée d'après les nouvelles recherches de M. de Gingins La Sarra. 410 Le point de vue capital de l'auteur était la réhabilitation de la période savoisienne de l'histoire du Pays de Vaud. Du- rant longtemps et sous l'influence de la conquête et des idées bernoises, on l'avait représentée comme un temps de servi- tude, de barbarie féodale, d'ignorance et de superstition. On aurait pu croire, qu'avant 1532 et la réformation, l'ancienne patrie de Vaud n'avait eu ni institutions, ni liberté, ni histoire, en un mot. Le docteur Verdeil s'efforça de démontrer que dans le Pays de Vaud, comme dans d'autres contrées voisines, c'é- tait la liberté qui était antique, et que le despotisme n'était venu qu'avec les Bernois, dans un temps relativement mo- derne. Il arrive souvent, quand on veut substituer à un système dès longtemps accrédité et devenu populaire un système nou- veau, que l'on s'avance jusqu'au paradoxe. M. le docteur Verdeil, dans son histoire, ne s'est pas, en général, laissé en- traîner trop loin en peignant le tableau de la vie et de l'état politique et économique du Pays de Vaud sous les princes de la maison de Savoie. Son livre, qui n'est pas une apologie, fut parfaitement accueilli à Turin, et lui valut des éloges et des marques flatteuses de distinction '. Un homme d'état distingué, M. H. Druey, conseiller fédé- ral, qui avait appliqué à l'étude de l'histoire nationale les rares. qualités philosophiques dont il était doué, nous écrivait en 18522 à l'occasion de cette ferveur qui s'était tout à coup emparée d'une partie de nos historiens pour la réhabilitation du régime qu'avaient subi les pays riverains du Léman depuis le treizième jusqu'au commencement du seizième siècle : i. Le roi de Sardaigne envoya au docteur Verdeil une grande mé- daille d'or à son effigie, et son ministre accompagna cet envoi d'une lettre très-honorable. 2. Lettre de Berne, 13 avril 1852. 111 « La réaction historique en faveur de la Savoie présente un côté très-fâcheux. Que l'on rectifiât et complétât ce que les historiens hernois et suisses avaient écrit de partial et d'er- ronné, c'était la tâche de L'histoire, et il n'y a là rien que de bien. Mais faire l'apothéose d'un régime féodal, aristocrati- que, d'une Confédération de privilèges seigneuriaux, cléri- caux et bourgeois, c'était aller beaucoup trop loin. Que se- raient devenus le Pays de Vaud, le Vallais et Genève, s'ils étaient demeurés sous la catholique et monarchique maison de Savoie ? » Je comprends que dans la lutte à mort ou à vie contre la domination bernoise, quelques patriotes vaudois aient exalté le bonheur dont le Pays de Vaud jouissait, dit-on, avant la soi-disant conquête ; mais qu'on lise les documents publiés par M. de Grenus, les anciennes coutumes du Pays de Vaud, les lois et ordonnances de Berne, et l'on devra convenir que la réformation el l'incorporation du Pays de Vaud à la Suisse ont été un immense progrès, un premier affranchissement; que celte longue école de 2G5 ans a préparé le Canton de Vaud à devenir un Etat respectable de la Confédération Suisse. La noblesse, le clergé et l'aristocratie des villes et des campagnes ont en effet beaucoup perdu sous les Bernois; mais le peuple, la masse, a gagné et s'est peu à peu éman- cipé. » Mais, s'il a été bien pour le Pays de Vaud de passer sous la domination bernoise, il était temps de secouer le joug. C'est à peu près comme les Israélites à l'égard de l'Egypte, toutes différences réservées. Aussi ne faut-il pas s'étonner du retour de nos aristocraties à leur point de départ. Le restau- rateur Haller s'est converti au catholicisme par principe poli- tique avant et plus que par conviction religieuse. » Il est à regretter que le docteur Verdeil n'ait pas conduit son histoire plus loin que l'Acte de médiation de 1803, et 112 qu'il se soit arrêté précisément au moment où a commencé le Canton de Vavd et l'autonomie de ce pays, qui a passé par tant de dominations diverses. Nous avons tenté de compléter son œuvre. On comprend facilement les motifs qui l'arrê- taient '. Il eût peut-être passé outre, si le gouvernement vau- dois, ayant besoin de son espérance et de ses services, ne l'eût sollicité de rentrer dans l'administration. Il accepta en 1853 les fonctions d'inspecteur des établissements de déten- tion, et il y consacra les dernières années de sa vie, avec le zèle, le dévouement et la clairvoyance qu'il mettait à tout. Cependant il était le premier à sentir que le repos lui aurait été nécessaire. Les travaux littéraires, auxquels il s'était livré assez tard (car il n'avait aucune prétention d'écrivain), et après une vie très-active, l'avaient fatigué avant le temps. Il persévéra dans l'exercice de ses fonctions, malgré les attein- tes successives d'une douloureuse maladie qui l'enleva à ses amis et au Canton de V-aud. Les obsèques du docteur Auguste Verdeil furent un deuil général, tant il avait su, par ses qua- lités bienveillantes, l'aménité de son caractère et la vivacité de son esprit, se concilier l'estime et l'affection de tous ses concitoyens. Son second fils, le Dr François Verdeil, dont les travaux sur la chimie organique ont été couronnés par l'Institut de France, est membre correspondant de notre Section des Sciences na- turelles et mathématiques 2. 1. Nous avons repris Y Histoire du Canton de Vaud précisément au point où le docteur Verdeil l'avait laissée. Notre premier volume, qui forme le quatrième de son histoire, s'arrête à 1851. •2. Outre les ouvrages que nous avons cités, le Dr Auguste Verdeil a publié divers opuscules sur des sujets scientifiques, de politique, d'éco- nomie publique, d'hygiène et d'éducation. Pendant longtemps, il donna l'élan à la municipalité de Lausanne, et il fut dans celte administration le promoteur de nombreuses réformes. L'école moyenne de Lausanne fut une de ses créations, et pendant plusieurs années il en eut la di- rection. 11 contribua aussi beaucoup à la fondation de l'école supérieure des jeunes filles dans la môme ville. 113 Quelques mois après, notre Institut faisait dans le môme Canton de Vaud une autre perte, celle de M. Nicolas Châ- telain, décédé à Rolle, le 27 Septembre 185G, à l'âge avancé de quatre-vingt-sept ans. Issu d'une famille d'origine fran- çaise, que la révocation de l'Edit de Nantes avait fait passer en Hollande, il était né ù Rotterdam, le 23 Novembre 1769. Ses ancêtres avaient exercé avec distinction l'art typographi- que et la librairie dans la patrie des Elzevirs, des Prosper Marchand, des Frédéric Bernard et des du Sau/.et. et l'on a de nombreuses et belles éditions hollandaises, imprimées chez Zacharie Châtelain et chez L'Honoré cl Châtelain . Cette famille a donné' aussi ;'i l'Eglise Wallonne des ministres dis- tingués, et Nicolas Châtelain était lils, petit-fds et arrière-petit- fds de pasteurs. Dès sa jeunesse il manifesta un goût très-vif pour la littérature et les beaux-arts. La position de ses pa- rents le mil de très-bonne heure en relation avec divers per- sonnages célèbres du dernier siècle, Cagliostro, Lavaler. Henri Meister, ce Zuricois qui a l'ait une bonne partie de la correspondance de Orimm. et plus lard avec le comte Fédor Crolowkin, qui a laissé dans nos parages une réputation litté- raire, et avec le célèbre collaborateur de Bentham, Etienne Dumont. Très-jeune il quitta la Hollande à l'époque des troubles politiques qui s'y manifestèrent en 1787, et qui furent, comme ceux de Genève en 17Xj2. les précurseurs dé la grande révolution française de 1789. Patriote ardent, M. Châtelain fuyait devant l'invasion prussienne qui était ve- nue restaurer par les armes le stathouterat et le parti oran- giste. Après avoir visité l'Italie et séjourné à Florence, à Naples et à Rome, il se fixa définitivement en Suisse, où il est demeuré jusqu'à sa mort. D'abord établi à Ve\e>. où le souvenir de son amabilité, de son esprit et de sa bonté n'est pas encore éteint, il quitta cette ville en 1812 pour habiter Rolle, afin de se rapprocher de sa sœur. Mme Eynard-Châ- 114 telain. L'étude des grands auteurs français et surtout de ceux des deux derniers "siècles, fut dès-lors et pendant plus de soixante ans l'occupation capitale, pour ne pas dire l'unique de sa vie. La petite ville de Rolle, à cette époque, servait de demeure à une société d'élite qui se groupait autour de la famille du Duc de Noailles, et qui était proche parente et voisine de la société de Mme de Staël à Coppet. Sur toute la rive vaudoise du Léman, depuis les portes de Genève jusqu'à Lausanne, c'était une allée et venue perpétuelle d'étrangers et de na- tionaux, voyageant de château en château, de ville en ville, allant porter et chercher des nouvelles, des distractions à l'ennui, des consolations à l'exil. Les jouissances littéraires étaient pour beaucoup dans la vie de ce monde élégant et cosmopolite. On faisait de la politique en secret et dans l'in- timité ; devant les notables du pays on récitait des vers et on jouait la comédie. Dans ce milieu, M. Châtelain, heureusement doué comme il l'était, acquit, avec une grande expérience de la société polie et des choses du monde et des lettres, une parfaite connaissance des affaires du pays dans lequel il vivait et qui devint le sien quand la ville de Rolle, pour lui témoigner sa gratitude de tout ce qu'il faisait en faveur de ses établissements d'instruction publique, de bienfaisance et d'utilité publique, lui eut conféré sa bourgeoisie. Les ouvrages de M. Châtelain sont nombreux. Il passa sa vie à lire, à méditer et à écrire. Il n'est donc pas étonnant qu'avec le goût des publications littéraires, et le moyen de se livrer à ce goût sans dépendre des éditeurs, il ait beaucoup produit. Son principal titre à l'attention des hommes d'étude est sans contredit l'Histoire du synode de Dordrecht l, qui retrace les débats théologiques qui aboutirent à la sanglante tragé- 1. Publié en 1841. In-8«. 115 die de la mort du grand pensionnaire Barneweld. Nous rap- pellerons brièvement que la dispute entre les Arminiens et les Gomaristes provenait essentiellement de ce que ceux-ci accusaient ceux-là de porter atteinte à la majesté divine en l'assujétissant à des motifs pour règle de conduite; tandis qu'à leur tour les partisans d'Arminius reprochaient à ceux de Gomar d'attenter aux perfections morales de l'Être su- prême, en prétendant que dans ses décrets il pouvait se passer de toute équité. C'était, on le voit, l'éternelle dispute des théologiens de tous les siècles. M. Châtelain, en prenant parti pour les Arminiens, qui se rapprochaient par leur manière de voir de ceux que nous appelons aujourd'hui latitudinaires et rationalistes, concluait en ces termes, qui donnent une idée parfaitement nette de sa manière de penser en matière religieuse et philosophique : « Quelle profonde misère de s'occuper prolixement de questions abstruses, de perdre un temps précieux à éplucher des matières théologiques, tandis que l'humanité réclame encore tant de découvertes. utiles, que la ne s'écoule, et que bientôt il faudra rendre compte de son emploi; que l'éter- nité va s'ouvrir" pour nous, cette éternité où déjà Barneweld et Maurice de .Nassau. Gomar et Arminius sont allés rece- voir de la justice suprême le salaire qui leur était réservé ! Il faut que la longanimité de Dieu soit infiniment plus grande que notre extrême faiblesse ne la saurait concevoir, pour que ce Dieu permette que sous le prétexte d'exalter sa Jus- tin1, on méconnaisse son équité, on ose se jouer de ce qu'il J a de [dus -acre, blasphémer, pour les rendre soi-disant plus vénérables, ses saints attributs et ses adorables décrets. Mais quoiqu'on homme fasse ou que tous les hommes fassent, pour jeter volontairement ou involontairement de la défaveur sur la religion, jamais ils n'y parviendront; elle subsiste et subsistera toujours. 116 « Je suis le rocher des siècles, et mes paroles ne passeront point. » Cette citation suffit, pour faire voir à quelle école appar- tenait M. Nicolas Châtelain. Il était homme du dix-huitième siècle, philosophe de l'école de J.-J. Rousseau, plus encore que de celle de Voltaire, bien quïl possédât ce dernier auteur, jusqu'à imiter son style à s'y méprendre. C'était au point qu'en 1837 il publia, comme inédites, sous le titre de Lettres de Voltaire à madame du Défiant, une correspondance qui induisit en erreur les plus habiles, même M. Beuchot, le sa- gace éditeur des œuvres du patriarche de Ferney '. Déjà avant de tenter cette petite supercherie littéraire, M. Châtelain avait composé des imitations du style des écri- vains classiques de la France, des lettres de Lirry. supposées écrites par Mme de Sévigné 2, et le Rubis du Père la Chaise3, opuscule dans lequel cette illustre dame était censée faire à sa fdle, madame de Grignan, le récit d'une visite au con- fesseur de Louis XIV, dans le moment où l'Edit de Nantes al- lait être révoqué. Une lettre, que M. Châtelain avait fait écrire de Bruxelles par le jeune Constant de Rebecque (Benjamin Constant), à sa grand-mère, trompa un célèbre critique, notre compa- triote, M. le professeur Vinet, au point qu'il la donna dans sa Chrestomalie comme un modèle de style épistolaire, qui faisait préjuger, dès l'adolescence, ce que deviendrait l'illus- tre publiciste. Hâtons-nous de dire que ces tours de force étaient pour M. Châtelain des impostures innocentes. Il était le premier, après avoir ri de l'effet produit, à avouer et à divulguer les 1. Voir un article de M. Beuchot dans le feuilleton du Journal de la Librairie, du 17 mars 1838, pag. 126. 2. Paris et Genève, 1835. In-8» de 103 pages. 3. Paris et Genève, 1829. ln-8° de 47 pages. H7 procédés dont il usait pour imiter si bien les auteurs célè- bres. M. Sainte-Beuve en parlait ainsi : « Nulle part plus qu'au Pays de Vaud, on n'a la science de nos classiques. C'est là, en quelqu'un de ces villages baignés du lac, à Rolle peut-être, qu'il faudrait cbercher des hom- mes qui savent le mieux le siècle de Louis XIV à toutes ses pages, et qui feraient les pastiches de ces styles les plus plausibles et les moins troublés d'autres réminiscences. « M. Châtelain lui-même, atteint de cécité vers la un de sa carrière, réduit à occuper son activité et son imagination avec le souvenir de ses auteurs chéris, nous a révélé le secret de sa manière dans deux volumes récemment publiés'. L'un est intitulé Du goût sous ses faces diverses et dans ses rapports avec la société; l'autre, Pastiches ou Imitations libres du style de quelques écrivains des XVIIe et XVIIIe siècles. Joignant l'exemple au précepte, l'auteur, après avoir établi quelles sont, à toutes les époques, les conditions esthétiques qui constituent l'écrivain d'élite, donne un ample choix d'i- mitations du style et de la manière d'Aint/ot. de Montaigne, de Balzac i l'ancien i , de Pascal, de Mmi de Sérigné, de Voltaire, deBuflon. de Honsscau, d' Holbach', de Bernardin deSt. -Piètre, de d'Alembert. de Mm,; de Staël et d'autres auteurs distingués. Sans doute cette affectation de poursuivre l'imitation d'é- crivains originaux jusqu'à ses dernières limites, peut être taxée de vaine et puérile curiosité dans notre siècle, qui a bien d'autres préoccupations. Mais nous demanderions grâce (s'il en était besoin), en fa- veur de ces préoccupations mêmes, qui contrastent avec les tendances du jour. La culture des lettres pour les lettres est une chose rare parmi nous; elle devient chaque jour de plus en plus phénoménale. Respectons-la donc sans l'imiter, et 1. Paris et Genève, chez Joël Cberbuliez, 185b. -2 vol. grand in-ti. 118 rendons hommage à ces amusements ingénieux, surtout quand ils n'empêchent nullement et qu'ils provoquent au contraire les aptitudes à faire le bien, qui sont toujours plus ou moins liées à la recherche de ce qui est beau. Qu'on ne croie pas, en effet, que M. Châtelain vécût uni- quement avec les auteurs plus ou moins anciens, et qu'il se retranchât dans une indifférence philosophique ou aristocra- cratique pour les affaires de son temps. Nul plus que lui ne sut exercer, faire la charité, dans le sens le plus pratique de cette belle expression. Il multipliait tellement ses bienfaits, qu'il passait dans la contrée pour beaucoup plus riche qu'il n'était réellement. Jamais aucune souffrance ne le trouva froid, et le nom de père des pauvres lui fut donné par ses alentours. En politique, il était resté fidèle aux idées républicaines de sa jeunesse. Dans plusieurs circonstances mémorables de notre histoire contemporaine,, il publia des écrits qui attes- tent cette vivacité d'opinions. C'est ainsi qu'en 1834, il fit paraître des Réflexions impartiales sur les événements qui ame- nèrent la révolution vaudoise des 17 et 18 Décembre 1831 *. Après les avoir retracés avec intérêt, il démontre, dans cette brochure, la nécessité, pour tout gouvernement sage, d'aller au devant des améliorations. En 1831, il donna, dans le même esprit, un autre pamphlet intitulé : « Conduite des au- torités vaudoises envers les Polonais, ou le courage de la peur *. C'est un récit tracé de verve de la tentative d'invasion en Savoie. En 1846, M. Châtelain dédia à M. le chevalier Eynardun Petit écrit au sujet de V affaire de la démission des ministres 3. 1. In-8° de 23 pages. Genève, 1831. 2. Paris et Genève. In-8° de 23 pages. 1834. 3. Tiré seulement à 80 exemplaires, le 26 Février 1846. 119 Cette démission est envisagée comme devant entraîner les conséquences que nous voyons aujourd'hui. Ce qu'on peut reprocher à la manière, toujours généreuse, dont M. Châtelain jugeait les hommes et les choses, c'est qu'elle faisait un peu abstraction des difficultés qui, dans notre patrie, accompagnent presque toujours l'exécution de choses très-belles en théorie, mais qui, dans la pratique, viennent échouer contre les habitudes de la politique locale, les préjugés enracinés, ou les résistances provenant des ré- gions diplomatiques, contre lesquelles la Suisse fut trop sou- vent impuissante. La politique étrangère occupait aussi parfois les loisirs de M. Châtelain. En 1832, il fit paraître Y Indignation d'un Amé- ricain au sujet de MM. de Chateaubriand et Perrier1, et en 1849 un autre pamphlet intitulé : « De /' Expédition française contre Rome et de son commandant en chef2. » La Muselière est une autre brochure dont le titre révèle le but. L'auteur y combat cette opinion assez accréditée « qu'il » est sage de ne pas occuper le peuple de politique, et qu'il » est impossible de concilier les soins de l'intérêt privé avec » la sollicitude pour la chose publique, de bien faire ses af- » faires, tout en veillant à celles de son pays. » Pour épuiser cette nomenclature des productions de M. Châtelain, citons encore les Réflexions sur la mort du duc d'Orléans 5, le Jury des Ombres ou les Modernes appréciés par les anciens, sous le rapport de la scène tragique'1, et enfin deux romans artistiques, Guide Reni et Quentin Metsys, ou Revers et prospmté : le premier sous le pseudonyme tfAbbema, et le second traduit de l'allemand de Mme Caroline Pichler avec 1. In-8» de 63 pages. Paris, 1851 2. Paris (Lausanne), 1849. In-12 de 31 pages. 3. Grand in-8», encadré de noir. Genève, 1842. 4. Strasbourg, 1846. Grand in-8» de 54 pages. 120 l'aide de Mlle Herminie Chavannes , nièce de M. Châtelain (Paris et Genève, 1838, in-8°). L'homme intéressant dont je viens d'énumérer les titres lit- téraires, fut jusqu'à ses dernières années en correspondance avec des littérateurs distingués, parmi lesquels nous citerons MM. Sainte-Beuve , Yinet , le marquis du Roure, Emile de Bonnechose, Mme de Gasparin. M. Emile Souvestre, que nous avons vu parmi nous peu de temps avant sa fin prématurée, lui écrivait, le 26 avril 1853, cette lettre, que nous transcri- vons comme une appréciation du talent de M. Châtelain : « Lausanne, 26 avril 1853. « Monsieur, r> Dès que vos livres sont arrivés, je me suis donné le plai- sir de les lire, et j'ai besoin de vous remercier pour le vif et sincère intérêt que j'ai pris à cette lecture. — En politique, je me suis si heureusement trouvé de votre avis sur presque tous les points, et surtout de votre sentiment sur le véritable avenir des sociétés , que mes opinions auraient été affermies , si les derniers événements avaient pu les faire chanceler. — Quant à la littérature, je ne partage point toutes vos antipa- thies, et beaucoup d'écrivains que vous jugez avec une sévé- rité inflexible me semblent présenter des circonstances atté- nuantes dont vous n'avez pas assez tenu compte. — C'est par les beaux endroits et non par les défauts qu'il faut , ce me semble , apprécier le genre d'un auteur. — Ainsi que vous l'aviez prévu , quelques-uns de ceux que vous raillez (fort spirituellement sans doute) sont, non-seulement mes amis, mais des écrivains que j'admire t Je vous le dis afin que vous sachiez au juste toute la vérité, et parce que le silence sur ce point me semblerait une sorte de trahison envers eux. o Mais cette réserve faite , laissez-moi ajouter combien j'ai joui de toutes les choses charmantes renfermées dans vos opuscules et spécialement dans le Rubis et les Lettres de Levry. 421 Chateaubriand nedisaitpointassezen reconnaissant que «vous possédiez bien l'alphabet deMmcde Sévigné» ; c'est son esprit, Monsieur, que vous avez dérobé, ou plutôt un esprit parent du sien et qui a pourtant sa personnaUté. Il y a bien long- temps que je n'avais eu le privilège de lire des pages aussi lestes, aussi élégantes, aussi gracieuses pour la pensée et pour l'allure. Ce sont, à vrai dire, de petits chefs-d'œuvre qui reportent l'esprit vers les feuilles de Paul-Louis Courrier. La phrase est moins aiguisée , mais aussi plus naturelle ; si on y trouve le filet de vinaigre moins fort , on en est ample- ment dédommagé par une souplesse féminine tout-à-fait in- connue du vigneron. » Je n'ai point encore lu Guido Reni et Y Histoire du Sy- node de Dordrecht; mais je ne veux pas attendre plus long- temps pour vous remercier. Croyez bien, Monsieur, que je saurai trouver quelques heures pour faire la connaissance de ces deux volumes ; je n'en suis pas venu au point de me refuser tous les plaisirs, et celui que j'ai goûté en lisant vos opuscules m'est une tentation trop forte pour que je ne con- tinue point à profiter de votre cadeau. » Veuillez donc agréer,' avec mes remerciements pour les charmantes heures que vous m'avez déjà fait passer, ceux que je vous devrai bientôt pour celles que vous me ferez pas- ser encore , et recevoir l'expression de mes sentiments les plus dévoués. Emile Souvestre. • On nous fait espérer la publication d'une correspondance du comte Fédor Golowkin avec M. N. Châtelain, qui présen- tera un tableau piquant de la société lausannoise au com- mencement du XIX"" siècle. Les événements historiques de cette époque y sont appréciés d'une manière remarquable et d'autant plus précieuse à recueillir, que la publicité était alors fort restreinte, que l'on ne connaissait que bien im- parfaitement ou môme pas du tout, les ressorts secrets de 9 122 la politique et les mobiles qui faisaient agir chez nous et au dehors les hommes placés à la tête des gouvernements. Ce n'est qu'à l'aide de ces sortes de documents intimes que l'on pourra écrire l'histoire de la période qui ouvre le siècle au milieu duquel nous vivons. En vous parlant de M. le colonel fédéral Rilliet de Cons- tant, décédé tout récemment (le 16 décembre 1856) à Ma- lagnou, près de Genève, je n'ai point à changer de terrain. Je reste sur celui des sentiments généreux et patriotiques , des goûts littéraires et de l'amour de ces belles rives lémani- ques sur lesquelles il passa ses dernières années dans un mé- lange de vie active et de loisirs studieux. Bien que je n'aie à vous entretenir que d'un côté de sa carrière si agitée et si rem- plie , celui qu'il consacra aux lettres, je dois nécessairement dire quelques mots de sa vie militaire. Chez lui, la plume fut toujours à côté de l'épée. Né à Genève en 1794, d'une famille ancienne et distinguée dans le patriciat genevois, la veille du jour où allait mo- mentanément expirer l'indépendance de sa patrie , il eut une adolescence qui se ressentit des tumultes révolutionnaires et guerriers. A l'âge de seize ans il entra dans l'école militaire de Saint-Germain, où il passa trente mois, et d'où il sortit en 4812 comme sous-lieutenant de cavalerie. Lui-même a ra- conté, dans ce style plein de naturel dont il avait le don, les années de son apprentissage militaire et la manière dont il quitta l'école pour entrer dans un régiment de cuirassiers ', après la campagne de Russie. Dans celle de 1813, il assista aux batailles qui marquèrent de plus en plus, malgré d'héroïques efforts, le décroissance de l'astre impérial. La veille de Leipzig, Napoléon, faisant une 1. Saint-Germain en 18H et en 1846, par M. Rilliet de Constant (dans l'Album de la Suisse romande, année 1847). 123 reconnaissance, passa devant un régiment de cavalerie . et demanda an colonel de lui présenter le plus ancien et le plus jeune des officiers. Le premier était un vétéran des campa- gnes d'Italie qui était resté capitaine depuis douze ans , le plus jeune était le sous-lieutenant Rilliet. Ce rapprochement donna lieu à une de ces réflexions comme l'empereur savait le faire en semblable occasion. Après s'être distingué à Ha- nau, M. Rilliet fit en 1814 la mémorable campagne de France. Quand arriva la déchéance de Napoléon, il se rappela, dit-il, qu'il y avait quelque part une ville nommée Genève , que les Autrichiens occupaient depuis trois mois, et dont il n'avait reçu dès-lors aucune nouvelle précise. Il demanda à son major la permission d'y retourner. « Allez, mon ami , lui dit ce brave officier, et si vous retrouvez une patrie, Dieu vous la garde indépendante; mais n'oubliez pas celle qui reçut vos premiers serments. » En 1815, quand la Suisse, nouvellement reconstituée avec ses 22 Cantons, eut contracté avec le gouvernement des Bour- bons une nouvelle capitulation militaire , M. Rilliet entra dans un des deux régiments des gardes suisses comme ca- pitaine d'une compagnie genevoise. Il se maria jeune, étant au service de ta France. Mais les ennuis de la vie de garnison, les difficultés du recrutement | le besoin d'occuper son âme inquiète et de donner essort à ses sentiments patriotiques, le ramenèrent bientôt à Genève. En présence du vaste ascendant que prenaient de plus en plus les grandes puissances, la position de la Suisse devenait de jour en jour plus critique. La France, naguère son alliée intime, sa protectrice, ne montrait pas la moindre intelli- gence de sa situation. Les cabinets de la sainte-alliance exci- taient contre elle la défiance. Au congrès de Johannisberg , en 182H.il fut proposé, par les représentants des Bourbons, de la remettre sous l'ancien régime. Cet avis était inspiré par m Haller, de Berne , qui, depuis sa conversion, avait passé au service de la diplomatie légitimiste. M. de Bonald déclarait que la Confédération suisse ne pouvait aspirer qu'à être une réunion de municipalités vivant sous le bon plaisir des gran- des puissances. L'opposition française ne la traitait pas mieux dans les Chambres. Dans la séance, du 17 juin 1820, de la Chambre des dépu- tés , à l'occasion du budget de la guerre , le général Sébas- tiani s'exprimait ainsi : « Le temps n'est plus où l'on pouvait confier à une puis- sance secondaire, mais brave, une portion importante de nos frontières de l'Est. Tous ceux qui ont quelque connaissance de la grande guerre savent aujourd'hui que si la France se trouvait engagée dans une guerre sérieuse avec l'Allemagne, elle se verrait forcée d'occuper par ses troupes cette même puissance (la Suisse) , afin de se rendre maîtresse des versants du Rhin et du Danube, et de couvrir ses frontières en mena- çant celles de l'ennemi. » L'année suivante, le général Foy, qui avait pris une part active à la guerre d'Helvétie et à la bataille de Zurich , re- prenait le même thème devant la même assemblée : « La Suisse , disait-il , est aujourd'hui un pays ouvert à tout ve- nant; l'expérience des derniers temps l'a assez démontré. C'est un malheur, sans doute, qui a été provoqué par des fau- tes qui viennent de la France; mais le fait est constant.... Il n'est plus en notre pouvoir de rétablir l'indépendance de la Suisse ; d'abord parce que cette virginité de territoire une fois»violée, elle ne peut plus se retrouver ; ensuite parce que nous vivons à une époque où les petites puissances ne sont rien, et où elles sont anéanties devant la coalition des grandes. » Ces paroles , tombées de la bouche de deux lieutenants de l'empereur Napoléon , eurent en Suisse un grand et bien pé- 125 nible retentissement. Elles excitèrent un mouvement de sur- prise et d'effroi. Tous les cœurs s'émurent. La polémique devint extrêmement vive. A Lausanne, le général F. -César La Harpe, toujours le premier sur la brèche, publia plu- sieurs écrits, naturellement plus politiques que militaires, pour réfuter les généraux français \ Le général Jomini traita la question en tactitien. A Genève, on ne fut pas moins ému. Plusieurs brochures du temps sont là pour le prou- ver 2. On saisit cette occasion pour examiner le système militaire suisse ' et la question des capitulations V Le commandant Rilliet de Constant lança alors sa première brochure, et à cette époque (1821) on sait que le moindre écrit imprimé était un événement. « Des orateurs français, disait-il. usant de leurs droits constitutionnels, se sont élevés contre les capitulations mili- taires, contre la solde des troupes suisses , contre leur uni- forme. Ces attaques sont restées sans réponse de la part des orateurs du gouvernement; les ministres se sont tus. Le plus ancien allié de la France, traduit à la barre de ses repré- sentants, a été condamné sans être défendu. Les ministres ont trouvé de l'énergie quand il s'est agi de défendre la guerre de Naples, mais l'effort de monter à la tribune leur coûtait trop lorsqu'il fallait se prononcer en faveur delà brave nation qui a versé son sang pour la France et qui a tant souffert pour elle ! Dans une telle position la Suisse doit-elle se laisser pré- 1. Observations d'un Suisse sur les réflexions dirigées contre l'in- dépendance de la Suisse, et Souvenirs de l'histoire de la Suisse. 2. Lisez eutre antres celle intitulée : « De la Suisse dans l'intérêt de l'Europe, ou Examen d'une opinion du général Sébasliani. » 3. Observations sur le système militaire suisse. Lausanne, 1823. (I livraisons, in-8°). 4. Du service militaire des Suisses en France, par Rilliet de Cons- tant). Genève, 1821, in-8°. 426 venir, et ne doit-elle pas demander la première le rappel de ces capitulations dont il est difficile de voir les bons effets? » Entrant ensuite en matière , M. Rilliet de Constant réfutait tous les orateurs français qui avaient avancé que la Suisse était un pays ouvert au premier occupant, et concluait en même temps à l'abolition des capitulations, malgré les maux partiels qui pouvaient en résulter. C'était débuter dans la polémique d'une manière originale et hardie , vu la position de l'auteur. Conséquent avec les idées qu'il énonçait, il quitta la France et se fixa définitive- ment à Genève, où déjà il avait été élu, bien qu'encore au service, membre du Conseil Représentatif, comme cela pou- vait se pratiquer alors, en réminiscence de l'ancienne Confé- dération des treize Cantons. Ce début politique et littéraire de M. Rilliet de Constant donne la clef de toute sa carrière. Il aimait à défendre les cau- ses dans lesquelles le puissant se dispense de justice et d'é- gards vis-à-vis d'un plus faible. Il ne reculait pas devant le paradoxe pour combattre, et la mobilité de son esprit décon- certa souvent ses adversaires. La tactique qu'il suivit dans les assemblées représentatives, tant cantonales que fédéra- les , fut toujours généreuse et hardie, de môme que s» polé- mique dans les feuilles publiques et dans les recueils aux- quels il fournit d'innombrables articles. Il serait difficile de dresser une bibliographie complète de ses écrits. Nous énu- mérons seulement les principaux. M. Rilliet de Constant a publié sur le système militaire de la Suisse, une série de lettres et d'opuscules qui ont été pris en grande considération dans l'élaboration du nouveau rè- glement militaire fédéral dont il fut un des auteurs. Etait-il chargé d'une mission politique , d'une inspection militaire , du commandement d'un camp ou d'une division fédérale . il croyait de son devoir de publier, immédiatement après avoir 127 accompli sa tâche, un livre ou une brochure sur ce qu'il avait fait , vu et observé. -jq WC$ITD3£ C'est ainsi que se sont multipliés les ouvrages de M. le co- lonel Rilliet de Constant, toujours écrits de verve et avec esprit. Parfois il se livrait à des compositions de pure ima- gination, cherchant cependant à leur donner autant que pos- sible une base historique. C'est dans ce système qu'il a com- posé la Chronique de St-Cergues et de petits romans suisses qui se lisent avec intérêt. Toujours très-chatouilleux en ce qui concernait les juge- ments que l'on portait surla Suisse à l'étranger, M. Rilliet de Constant envoya en 1849, à la Revue du Progrès, une série d'excellents articles sur les nouvelles institutions de la Suisse, en réponse surtout à ceux que M. le comte d'Haussonville avait publiés dans la lier ne desDcu.r-Mondes. Quand notre Sec- tion des Sciences morales et politiques mit au concours la i|ueslion de Yc.nimen des résultats produits eu Suisse par la Constitution fédérale de 1848 , M. Rilliet de Constant con- courut et obtint le prix. Son travail. substantiel et intéressant, a été inséré dans nos publications, et il est consulté avec fruit par les politiques el les économistes. L'auteur couronné tint à honneur de faire partie, comme membre titulaire, de cette même Section, et la lettre par laquelle il remercia l'Ins- titut de s,i nomination, montre à la fois, sa chaleur de cœur, son esprit éclairé, et son Ait' attachement à Genève. L'Institut genevois a donc toutes sortes de raisons de re- gretter, avec tout le Canton et toute la Suisse, un membre si heureusement doué, un citoyen qui, au moment même de sa mort, venait de recevoir du gouvernement de son pays un nouveau témoignage de continuée et un commandement dans lequel il eut été hien heureux de donner une dernière preuve de son patriotisme . de son zèle et de ses talents. 128 SECTION DE LITTÉRATURE. I. SÉANCES. Du mois de Mars 185G au mois de Février 1857, la Section de littérature a tenu dix séances, dont sept plénières (mem- bres effectifs et honoraires réunis), et trois réservées aux membres effectifs pour affaires administratives de concours ou d'élections. Le Bulletin n° 11 s'arrêtait avec la 12e séance de cette session. Nous le reprenons à ce moment. Le samedi 5 Avril 1856 (13e séance), le secrétaire lit d'abord une lettre de M. de Bons (datée de Sion, le 16 Mars), conte- nant des renseignements intéressants sur plusieurs littéra- teurs du Valais, et sur la Bibliothèque cantonale qui vient d'être fondée sur sa proposition; — ensuite plusieurs poésies du même auteur : La Tristesse, souvenir de deuil adressé au jeune fils dont la mort cruelle, due à un accident, a dou- loureusement assombri la vie du poète; la Vieillesse, qui chante en vers harmonieux l'amour conjugal survivant à la jeunesse, à la santé, aux années, et accompagnant dans leur déclin et dans leur renaissance immortelle les deux époux qui ont foi l'un dans l'autre; enfin, V Ermite, chanson à refrain, qui invoque impartialement sur l'insouciance, sur la joie, sur le plaisir, et sur la vie entière, la protection invi- sible de la Providence, sollicitée par la prière. M. Bichard, professeur, lit le second chant entier du poème de Moral. Ce chant, ouvert par la peinture des deux camps ennemis, à savoir des Suisses et des Bourguignons, la veille de la terrible bataille, s'égaie par le récit épisodique des 129 amours de Raimbault, la seule figure non historique qu'ait jetée le poète dans son tableau, pour lui enlever sa rudesse exclusivement militaire, et se termine par l'allocution hé- roïque de Veit Weber aux guerriers suisses répandus autour des feux du bivouac. Weber, le barde soldat, fait repasser devant le souvenir des pâtres toutes les grandes actionsde leurs ancêtres, pour les enflammer de cet enthousiasme qui gagne les batailles. L"insomnie agitée du duc Charles, dans l'autre armée, fait pressentir l'événement du lendemain. — On ap- plaudit, en général, à ce second chant, sauf quelques réserves sur l'épisode de Raimbault, sur la forme de la strophe de six vers appliquée au récit épique, sur l'étendue du discours de Weber, etc. Mais on constate de nouveau l'énergie sobre, mâle, et la netteté colorée du tableau et du récit. M. Amiel annonce, relativement aux deux sujets mis au concours pour 1856, que, au terme officiel du concours, soit le 31 Mars 1856, il a reçu deux pièces et une lettre. La lettre, Sans signature, etfl d'un concurrent in spe qui regrette de n'a- voir pu achever son travail à temps. Les deux pièces sont deux Nouvelles en prose, intitulées : l'une, les Éniiijrants (en un seul exemplaire); l'autre, beaucoup plus considé- rable, Un Remords (en deux exemplaires). Le Secrétaire propose la formation d'un jury pour l'examen des deux pièces envoyées. MM. Petit-Senn. Blunralet. Vuy et Amiel sont désignés, et rendront compte prochainement. Le samedi 3 Mai 1856 (-/4e séance), première délibération du jury sur les pièces envoyées an concours. Le 10 Mai 1856 (15e séance), seconde délibération du jury de concours. Après débat pour et contre, il est décidé qu'il n'y a pas lieu à décerner le prix, mais qu'on accordera un encouragement de 100 fr. à l'auteur de la pièce intitulée : 130 Un Remords, nouvelle genevoise, à condition que le rapport signale nettement les défauts nombreux de l'ouvrage, et sé- pare soigneusement l'élément littéraire que la Section désire encourager de tout ce qui l'altère et le gâte dans ce travail. M. Amiel est chargé de rédiger ce rapport. Le Secrétaire annonce le décès du doyen octogénaire de nos membres effectifs, M. J.-F. Chaponnière. Une notice nécrologique sera rédigée par le président sur le chan- sonnier populaire et l'auteur regretté de II fallait ça ! Sur la proposition du secrétaire, la Section arrête, pour l'année 1857 : 1° De mettre quatre prix au concours, savoir : trois de 250 fr. et un de 350 fr. ; 2° De fixer les sujets à traiter, plutôt que de les laisser dans l'indétermination. Les deux sujets, mis déjà au concours cette année, sont maintenus, avec quelques modifications du programme ; voici leurs nouveaux titres : a) Recherches sur la poésie populaire dans les différents dia- lectes de la Suisse romande. — 350 fr. b) Nouvelle (ou roman) dont le sujet sera emprunté aux souvenirs historiques ou légendaires de la Suisse. — 250 fr. Il y aura deux autres prix : un de poésie et un de critique. Pour le prix de poésie, M. Richard présente deux sujets. Le sujet choisi est : c) Dante en exil. Pour le prix de critique, M. Amiel présente six sujets d'histoire ou de théorie littéraire. Le sujet adopté est le suivant : d) La Poétique du Roman, ou le Roman et ses variétés étu- diées du point de vue de l'esthétique et de la morale. Le terme du concours sera le 31 Mars 1857. — Pour toutes 131 les autres conditions, elles resteront les mêmes que dans les années précédentes. Le 7 Juin (16e séance), le secrétaire fait une série de com- munications : Correspondance avec le secrétaire-général, avec le président de la Section d'agriculture; mesures prises pour la publicité du concours prochain ; lettres reçues de nos correspondants, MM. Daguet, Berchtold, Monnier; indication des publications récentes de MM. Olivier, Gaullieur, Adolphe Pictet, Galiffe; notice sur deux livres nouveaux de Bautain et de Victor Hugo (Y Art de parler, les Contemplations); annonce du prix de littérature dont dispose la Faculté des Lettres pour les étudiants; de la formation officielle d*une commission d'examen pour l'enseignement du français dans nos établissements d'industrie publique. 11 annonce aussi la vacance d'un fauteuil de membre effectif, faite par la mort de M. Chaponnière. MM. Yu> cl Yiridet présentent, pour être admis à la qualité dé membre honoraire, M. Éliè Ihinmnnun. ancien régent et collaborateur de X Album suisse. M. Ducommun est admis. M. le professeur Cherbuliez donne quelques détails sur deux séances de l'Académie de Bruxelles. M. le professeur Hbrnung signale, à cette occasion, la Revue des cours publics, qui renseigne hebdomadairement ses lecteurs sur les travaux des diverses académies de France. Le Président est invité à porter régulièrement à l'ordre du jour un tour d'informations littéraires. M. Cherbuliez-Bourrit fait une seconde lecture sur Aristide de Smyrne (Voir la séance du 20 Avril 1855). Celle-ci roule plus particulièrement sur la situation et la vie économique, politique et religieuse des cités grecques de l'Asie mineure dans les deux premiers siècles de notre ère, et sur les meta- 132 morphoses graduelles que le temps, les circonstances et la politique romaine amenèrent dans les croyances, le culte et les mœurs de ce peuple si étonnamment doué par la nature, duquel l'histoire n'est pas même encore finie. — Cette lecture substantielle et savante amène une discussion approfondie et prolongée entre MM. Hornung, Cherbuliez, Amiel et Oltra- mare, dans laquelle s'engagent successivement la plupart des assistants. Cette discussion intéressante met en cause les points essentiels traités par M. Cherbuliez : l'Anthropolâtrie, les Néochories, la Pax romana, la vie municipale des pays conquis, et agite, au point de vue de l'histoire philosophique, morale et religieuse, la signification de l'époque impériale, le rôle comparatif du génie grec et du génie romain, le rap- port du polythéisme au mysticisme oriental et au christia- nisme, l'évolution intérieure du paganisme, etc. Pour la phi- losophie de l'histoire, cette époque de transition entre les deux mondes antique et moderne n'est-elle pas le chapitre capital? La statuaire, l'épopée, les codes, le culte, l'histoire, les philosophes, sont appelés à la barre pour fournir des dépositions ou des arguments. Mais la discussion n'est pas poussée assez loin pour aboutir à une conclusion commune et sur le point décisif, savoir l'apothéose des empereurs; deux opinions se formulent antinomiquement : l'une y voyant l'abaissement suprême de la conscience, l'autre son plus haut progrès; la première y découvrant la transition par contraste au christianisme ; la seconde, la transition par affinité. L'idée commune aux deux thèses, est de faire de cette apothéose un point final, et la solution de l'antinomie pourrait être formulée ainsi : L'extrême abaissement de la conscience de Dieu et l'extrême exaltation de la conscience de soi coïnci- dent, et, toutes deux méconnaissant le vrai rapport de Dieu et de l'homme, devaient abdiquer devant une nouvelle croyance, qui présentait l'homme à la fois dans toute sa misère 133 et daus toute sa grandeur, Dieu dans toute sa sainteté et dans toute son humanité ; l'Anthropolâtrie et le mysticisme de- vaient se concilier dans la religion de PHomme-Dieu. M. Duret lit un poème intitulé : La Nature et l'Homme, inachevé encore pour les détails et n'ayant pas la correction dernière de la forme, mais d'une valeur sérieuse, plein d'élévation, de sincérité et de poésie. Samedi 5 Juillet ( 17' séance ) , après la lecture du pro- cès-verbal, et relativement à la discussion intéressante du 7 Juin sur l'Anthropolâtrie et les Néochories, M. le profes- seur Longchamp demande si Ton a fait valoir la différence essentielle entre Dei (les Dieux objets de culte) et Divi (titre honorifique des empereurs après leur apothéose^ , et il ajoute que la confusion entre divinisé et déifié ne s'est jamais faite à Rome, parce qu'elle était antipathique au génie italique: à ce sujet il rappelle l'anecdote de ces biens inatmérés en Béotie, parce qu'ils faisaient partie du domaine de temples consacrés à des hommes divinisés et non à des Dieux proprement dits ; il rappelle aussi le mot d'Horace à Auguste : tu règnes, tu es Divus, parce que tu es soumis aux Dieux '. Le titre de Di- vus n'aurait été que l'extension des honneurs funèbres (cen- soriumfunus) rendus déjà aux censeurs sous la République, et appropriés à un nouveau régime. Quant aux progrès si vantés du droit sous l'Empire, il en faut beaucoup rabattre. Les jurisconsultes de cette période ont codifié, mais le droit vivant, sorti des Edictn des préteurs de toutes les provinces, s'était dégagé et formulé avant eux. L'élément d'humanité plus visible et plus marqué est, pour la jurisprudence, le princi- pal mérite de la période impériale; le reste n'est guère qu'un progrès formel. Le Secrétaire demande que ces observations 4. Dis qund le minorcm guis. 134 soient consignées au procès-verbal, comme pièces à l'appui de la discussion précédente. Adopté. Le secrétaire lit ensuite le Rapport sur les deux ouvrages envoyés au dernier concours, et sollicite des observations sur le Rapport. Plusieurs sont présentées par MM. Carteret et Richard. Le rapporteur y fera droit et modifiera les passages, dans le sens désiré, sur lequel les assistants finissent par tomber d'accord. M. Vuy communique une poésie V Eternel voyageur, traduite par lui (eu vers) d'après Rùckert. où le poète, repassant par le même endroit du globe quatre ou cinq fois à cinq cents ans de distance, reconnaît encore le pays mais non plus les hom- mes: cités, peuples, race, culture, tout a changé entre deux vi- sites: le désert remplace plus d'une fois le tumulte de la vie, et les vivants, ignorant leurs prédécesseurs, consultés sur ce qui s'est passé dans cet angle du monde, répondent invariable- ment que tout a toujours été comme on le voit à présent. La perpétuelle mobilité des choses et le torrent incessant de rhistoire sont peints dans ce tableau changeant avec une mé- lancolie et une vigueur que le traducteur, dans son imitation fidèle , a su parfaitement conserver. M. Richard engage M. Vuy à tenter la version des Ghazèles persanes, dontRiickert a donné de magnifiques échantillons. M. Aniiel signale l'apparition des Epines et Fleurs, recueil de poésies par Mme Jeanne Mussard , auteur du Célibat. Le Secrétaire a reçu de Bàle une lettre de notre corres- pondant. M. J.-Fr. Girard, qui donne, entre autres, des dé- tails intéressants sur l'état actuel de l'Université de cette ville. Le samedi 2 Août ( 18e séance), M. Amiel Ut à la Sec- tion une étude littéraire sur l'état actuel de la science es- thétique en France et en Allemagne, étude rattachée à 135 l'ouvrage intitulé : Du beau dans la Nature, l'Art et la Poésie, publié récemment par uu de nos compatriotes, M. le pro- fesseur et colonel fédéral, Adolphe Pictet. A ce sujet, le criti- que essaie une caractéristique de M. Pictet, et tente, au moyen de quelques ouvrages du même auteur parus dans les trente dernières années, de reconstruire l'histoire intérieure de sa pensée , et de retrouver l'unité cachée de cette existence littéraire qui déroute un peu au premier abord. M. Yuy donne une traduction en vers d'une pièce de Cha- misso, intitulée : Vie de la femme iFrauenliebe und Leben), pièce assez étendue, où les diverses émotions de la vierge, de la fiancée, de l'épouse, de la veuve, celles de l'enfance et de la vieillesse féminines, sont rendues avec la grâce lyrique un peu nuageuse du poète allemand. M. A miel lit une poésie fugitive : Pâquerette ou V Épouse de Mai, laquelle chante sur un rhythme de fantaisie le souve- nir d'une gracieuse anecdote printanière. Le Président propose des vacances pendant les mois de septembre et d'octobre. Adopté. Le samedi 8 Novembre ( 19e séance ), MM. Vuy et Amiel présentent M. John Braillard, qui est admis comme mem- bre honoraire de la Section. Le Président annonce les publications poétiques de MM. L. de Bons, Benj. Dufernex.et le recueil des poésies allemandes d'une jeune fille de Coire, M" Anna Kamenisch , dont quelques feuilles de l'Allemagne ont [ferlé avec éloge. — Le Secrétaire, qui revient d'un petit wjtàg* dans le Nord de l'Italie, donne quelques détails sur nos correspondants de Turin, MM. Cibrario, Melogari, et d'Aze- glio, et sur le mouvement des esprits et de la presse en Pié- mont, au mois d'Octobre 1856. Sur la proposition du Secrétaire, la Section décide que do- rénavant le* notai des candidats présentés à l'élection comme 136 membres effectifs devront régulièrement être inscrits au Bureau, une séance au moins avant l'élection. Le Secrétaire demande à pouvoir partager le travail de la correspondance avec les membres effectifs qui s'y sentiraient portés de bonne volonté. On l'y autorise. La Section entend deux épîtres en vers, l'une adressée à M. le professeur X, sous le titre d'Invitation à dîner , par M. Héguin de Guérie ; la seconde, de M. Petit-Senn , adressée au Président et cherchant à démontrer qu'une lettre d'un poète vaut mieux que sa visite. Les deux pièces sont trouvées faciles d'allure et spirituelles d'expression. M. Vuy lit une pièce commençant par ces mots : Lorsque fêtais enfant, poésie où les souvenirs d'enfance sont peints d'une façon délicate et touchante , et dont on loue la facture. M. Amiel lit Pas de chance, poésie où il cherche à rendre l'espèce particulière de malheur due à l'obstination des pe- tites misères de la vie et qui s'appelle le Guignon. Le samedi 22 Novembre (20e séance) , la Section nomme des correspondants. Après un tour de préconsultation , où huit noms sont proposés, et leurs titres examinés, quatre noms sont retenus et mis en élection. Tous les quatre pas- sent. Ce sont: MM. Bacci, professeur de philosophie à Modène. Max. Buchon, homme de lettres, Français, résidant à Berne, le traducteur de Hébel, l'auteur bien connu du Gouffre gourmand, de nouvelles rustiques et de poésies villageoises qu'on a remarquées dans la Re- vue des Deux-Mondes , la Revue Suisse et ailleurs. Nie. Glasson, homme de lettres à Fribourg, dont les Idylles et les Élégies, pittoresques ou mélancoliques, le Faucheur , le Sapin , la Léchère, charmaient les lecteurs de l'intéressant journal Y Emulation. 137 Eugène Rambert, professeur de littérature française à l'Académie de Lausanne, qui, bien jeune encore, s'est fait connaître comme un critique d*un goût pur et exercé, par ses articles à la Revue Suisse et par son élégante Etude sur Mme de Staël. Le samedi 6 Décembre 1856 (21e séance), le secré- taire donne lecture d'une Nouvelle en prose de M. Petit- Senn , intitulée : La vieille Route. Le sujet en est la rencontre que fait l'auteur d'un vieux paysan de Monnetier , sur l'an- cien et rude chemin qui conduit de Mornex à ce ' dernier vil- lage, et la confidence biographique qui en résulte entre le campagnard et le promeneur. Le campagnard, Jocelyn rus- tique et défroqué, raconte comment il a esquivé la prêtrise que lui imposait le vœu d'un père et que lui interdisait l'instinct de son cœur. Le motif qui amène de proche en proche tout le récit, c'est le rapprochement de goût, qui fait préférer aux deux piétons la vieille route à la nouvelle , parce que tous deux y trouvent également de gais ou doux souvenirs. — Du tour de critique à la ronde , il ressort qu'on conseillerait à l'auteur quelques coupures, pour donner au récit plus de mouvement et d'action. M. Carteret lit une fable : Les Canards, le Clwt et le Chien, ou à trompeur, trompeur et demi. M. Yuy présente ensuite une espèce de Salutation lyrique, ou de Bienvenue, adressée à un écrivain du Nord de passage en Suisse, à l'auteur bien connu chez nous de plusieurs ro- mans de famille suédois et de trois volumes de lettres sur les Foyers domestiques dans le Nouveau-monde (Mlle Frédérika Bremer.) M. Ainiel lit quelques fragments d'une lettre d'un de nos correspondants, M. Marc Monnier, et entre autres la longue liste do ses productions littéraires pendant l'année 185G. 10 138 Enfin la Section s'occupe de l'élection d'un dixième mem- bre effectif , en remplacement de M. J.-F. Chaponnière , dé- cédé. M. Adolphe Pictet. professeur agrégé d'esthétique et de linguistique à l'Académie de Genève et colonel fédéral d'artillerie, est élu par la réunion des membres effectifs et honoraires, suivant les prescriptions de la loi sur l'Institut. Le samedi 7 Février 1 857 (22e séance et la première de l'année, vu les événements de Janvier), le secrétaire extrait d'une lettre écrite de Toulouse par un de nos honoraires, M. Victor Duret, et d'une lettre de notre correspondant fri- bourgeois, M. Alex. Daguet, quelques détails de nature à in- téresser la Section. — Le Président donne lecture de la lettre d'acceptation de M. le professeur Adolphe Pictet. nommé membre effectif dans la séance de décembre. Il lit une lettre de M. Eug. Morhardt, relative aux manuscrits de son frère, actuellement aux Etats-Unis. — M. Lamorte. avocat français, présent à la séance en qualité d'invité, distribue aux mem- bres des exemplaires de deux vigoureuses et énergiques poésies, inspirées par notre récent mouvement national et insérées dans nos journaux. L'une, plus martiale, s'appelle : Sursum Corda ; la seconde, ironiquement fière : Miserere. — Le Secrétaire, en l'absence de M. Jos. Hornung. lit à sa place un morceau qu'on pourrait intituler : Paris, le goût et le gé- nie français, formant l'introduction d'un travail assez étendu sur les diverses écoles de peinture, jugées d'après Y Exposition universelle de 1855. Cette introduction, qui rassemble et fixe les impressions éprouvées par l'auteur lors de sa première vi- site à la capitale de la France, contient beaucoup de vues inté- ressantes et de thèses personnelles, que le reste du travail est sans doute destiné à développer et à justifier. L'absence de Fauteur fait ajourner la discussion sur ces divers points, et on exprime le désir d'entendre la suite de cette étude sincère, 139 où l'élévation de la pensée s'associe à l'individualité piquante de l'observation. — M. Amiel présente deux poésies patrioti- ques, dont les fortes émotions nationales du mois précédent ont été l'occasion et le thème. La première, le Feu grégeois, fait dialoguer la Suisse républicaine avec l'Europe monarchi- que : la seconde, la Guerre sacrée, célèbre la lutte magnanime du petit contre le fort, et l'ivresse héroïque du sacrifice pour la patrie en danger. — Enfin, comme le bureau, nommé pour deux ans, voit expirer ses fonctions avec le mois de février 1857, la Section procède à son remplacement par voie d'é- lection au scrutin secret. Le secrétaire, qui l'est depuis quatre ans, demande à n'être pas mis en réélection. La pré- sidence occasionne quatre tours de scrutin, la vice-présidence deux, et le secrétariat deux. Pour la session de Février 1857 à Février 1859 inclusivement, le Bureau est composé ainsi qu'il suit : Président : M. Jules Vu y. Vice-Président : M. Cherbuliez-Bourrit. Secrétaire : M. Blanvalet de Schmitz. Secrétaire- Adjoint : M. John Braillard (nommé à la séance suivante, snr la non-acceptation de M. André Oltra- mare). Les quatre correspondants nommés dans l'avant-dernière séance de cette session ont envoyé leur adhésion, et les con- cours de l'année ont pour terme le 31 Mars prochain. Tel a été, d'une façon très-sommaire, l'emploi de nos onze derniers mois. H. F. A. 140 II. PARTIE LITTÉRAIRE. Pour reposer le lecteur de l'aridité inévitable des procès- verbaux, nous insérons ici, comme nous l'avons fait précé- demment, quelques poésies, savoir : 1° Quand vient la nuit, par M. Blanvalet; 2° A Mlle Bremer, par M. Vuy; 3° Rêveries, par M. Braillard; 4° Le Feu grégeois, par M. Amiel. QUAND VIENT LÀ NUIT. De ma croix, tout enfant, je chargeai mon épaule ; Et, dès qu'à mes regards disparut mon berceau, Je m'assis, fatigué, près du tronc d'un vieux saule Dont les pâles rameaux pleuraient sur un tombeau. Nul ne vit, en passant, que ma croix était lourde; A mes pieds tout meurtris, nul ne parut songer; Nul n'invita ma lèvre à puiser à sa gourde : — Parmi ses compagnons le pauvre est étranger. De mon ciel, et mon ciel était l'œil de ma mère, Bientôt, au vent glacé que soufflait la misère, Le doux éclat s'évanouit ; Mon soleil se couvrit d'une brume de larmes ; La terre se fit noire, et, palpitant d'alarmes, Je m'écriai : — « Déjà la nuit ! » La nuit pour les enfants n'est pas sitôt venue: Ce n'était pas la nuit, et de nouveaux lointains Surgissant lumineux des flancs bruns de la nue, Un monde s'étala sous mes pas incertains. 141 Or, j'avais en mon cœur des trésors de tendresse. Et j'ouvris tout mon cœur à ce monde nouveau. . . Il gronda comme gronde un chien quand le caresse Le mendiant impur aux grilles du château. J'évoquai sans pâlir les vertus qu'on renomme ; Mais bientôt l'égoïsme, aussi Adèle à l'homme Que l'ombre qui toujours le suit, M'apprit que j'étais seul et faible et misérable , Et je me dis : — « Dressons ma tente sur le sable : La solitude, c'est la nuit. » Ce n'était pas la nuit : l'oiseau chantait encore, Mille insectes dorés imitaient les oiseaux ; Le ilôt chantait au loin sur la rive sonore Et la brise en chantant caressait les roseaux ; Sur la mer murmurait le chant de la gondole, Le palais radieux chantait à grande voix ; La table, où le banquet dressait sa banderollc, Chantait ses chants d'ivresse en craquant sous son poids. — C'est le jour ! c'est le jour ! Oh ! laissez-moi donc vivre ! Le destin ne m'a point effacé de son livre Comme un bâtard déshérité ; Vos sœurs, du voile blanc ont dépouillé leur tète, Votre coupe, à son choc, fait retentir la fête : J'aime la coupe et la beauté! J'ai rêvé bien souvent d'un bonheur ineffable, Ce bonheur jusqu'ici je le poursuis en vain : Je veux, pour le goûter, s'il est à votre table, Vendre au jour d'aujourd'hui le jour du lendemain. Oui, je veux au festin m'asseoir, joyeux convive, Et, couronnant mon front comme un soldat vainqueur, Pour punir les écarts de mon âme rétive La novcr sans merci dans l'ardente liqueur. 142 Je me joignis alors aux bandes insensées Qui, l'incendie au front, les mains entrelacées, Se ruaient vers l'éternité. . . La honte et le mépris nous couvraient de leur ombre, Et j'eus peur et pensai : — « La nuit parait bien sombre Aux flambeaux de la volupté ! » Ce n'était pas la nuit; mais je pris d'autres voies, Et, des poteaux menteurs m'égaraut en chemin, J'errai, j'errai longtemps, sans tristesse et sans joies. . . — Un ange m'apparut et me p:it par la main. Oh ! l'amour est à nous ; l'amour est un mystère Qu'il faut, le front baissé, laisser à notre Dieu : Oh ! c'est un peu du ciel oublié sur la terre, Quand sa voix sur la terre étendit le ciel bleu. Un ange m'apparut et guida mon voyage ; Mais son pied n'était fait à l'épine sauvage Des rudes sentiers d'ici-bas : Sa lèvre se couvrit des teintes de l'opale Et le vieux fossoyeur, le voyant aussi pâle, De mes bras le prit dans ses bras. Je chargeai, tout enfant, ma croix sur mon épaule, Et du jour où j'eus fait mes adieux au berceau, Je m'assis bien souvent à l'ombre du vieux saule, Dont les tristes rameaux pleurent sur le tombeau. Mais il fal lait marcher : je jetai mon bagage De rêves inféconds, comme on fait d'un fruit vert; Toujours le front battu des souffles de l'orage, Toujours battant l'écueil comme un vaisseau désert. La nuit n'avait pourtant laissé tomber son ombre : C'était de ces brouillards dont le matin s'encombre , Et qu'un rayon chasse et poursuit ; Mais ne pouvant prévoir d'obscurité plus grande, Je m'arrêtai, brisé, les genoux sur la lande, Et dis : — « Qu'est-ce donc que la nuit ? » 143 — La nuit?. . . voici la nuit : c'est quand lame angoissée Renie, en ricanant, le ternie de nos pas. La nuit? c'est quand notre âme, aveugle en sa pensée, Cherche un Dieu dans le ciel et ne l'y trouve pas. La nuit? c'est quand la vie est le but de la vie, Quand le ver du sépulcre est l'avenir des morts ; Quand le nom de vertu n'est qu'un chant d'ironie, Quand le temple est muet et le cœur sans remords. Heureux qui sait unir ses maius pour la prière ! Le soleil sans faillir l'inondant de lumière, Ecarte la nuit de ses yeux : El quand devant son pied la mort pose le terme, La Foi, qui jusque-là le soutint à bras ferme, D'un coup d'aile l'emporte aux cieux. Henri Bj.anvai.et. A Frcden'ka Breatef. 0 vaillant écrivain, tu viens sur nos rivages, Contemplant, savourant leurs sublimes beautés, Te reposer en paix de tes lointains voyages. Au pied des monts neigeux, près des lacs enchantés ! Crois-moi, tu n'étais point aux Suisses inconnue, Oui, ton nom bien souvent fut cité parmi nous; Comme ces pics altiers qui plongent dans la nue, Il brillait dans le Nord, calme, sévère et doux. Lorsque ton bon génie auprès de nous t'envoie, Qu'enfin pour quelques jours tu deviens notre sœur, Laisse un barde ignoré t'accueillir avec joie Et dans de simples vers te saluer de cœur ! 144 — Si, devant un Gessler, nul ne courbe la tête Sur la terre de Tell où grondent les torrents. Sur ce sol où vingt fois a soufflé la tempête, Où l'orage vingt fois balaya les tyrans ; Devant le talent vrai qu'on admire au passage, Notre Helvétie incline un front respectueux ; Noble auteur des Voisins, reçois donc mon hommage, Que je puisse longtemps te suivre de mes vœux ! Fille du Nord, parcours et ces Alpes glacées Et ces monts que domine un chalet souverain ; Fais-les jaillir pour nous tes vivantes pensées, Dans ce pays des lacs, berceau du jeune Rhin ! De nos torrents altiers écoute le murmure Sous un ciel tour à tour orageux, étoile ; Car tu la comprends bien notre grande nature, Car notre grande histoire à ton cœur a parlé ! Respire cet air pur d'un peuple fier et brave, Tu n'es, Frédérika, point étrangère ici ; — Nos aïeux sont venus du pays Scandinave Et ma libre patrie est ta patrie aussi ! Jules Vuï. Bords de l'Ame. RÊVERIES. A Mademoiselle Madeleine M"". Le soir, quand votre voix si pure se marie Aux accents du clavier qui chante sous vos doigts Mon âme, par degrés doucement attendrie, Se recueille en silence, et je rêve parfois. 145 Je rêve du passé, de l'enfance écoulée Sous le toit paternel, sans bruit, mais sans chagrin ; De mon beau lac qui dort au fond de la vallée, Et de mes monts rougis par les feux du matin ; De mon père couché dès longtemps dans la tombe, De mes frères errants aussi sous d'autres cieux, De ma mère déjà bien lasse, et qui succoml>e Sans que ses fils soient là pour lui fermer les yeux; De cet ange au front pur, au cœur si plein de flammes, Qui voulut partager et ma joie et mes pleurs ; Et de nos trois enfants, vrais reflets de nos âmes, Doux oiseaux qui n'ont vu du monde que les fleurs. Et puis je rêve encor du présent lent et sombre, Océan nébuleux sans rivage et sans port ; Mais alors votre voix me ranime, et dans l'ombre, Semble me dire : Ami, courage! soyez fort. Et grâce à vous, là-bas je vois luire une étoile ; Et dis qu'elle apparaît à mes yeux enchantés, Mon esquif de lui-nièine y vole à pleine voile, Et glisse confiant sur les flots irrités. Quand l'espérance luit, il n'est plus de ténèbres ; Avec elle la joie entre au cœur rassuré; L'horizon dégagé de ses voiles funèbres S'éclaire, et laisse voir le port tant désiré. Le [ton ! oui, je le vois ; et les êtres que j'aime M'attendent sur la plage, et leurs bras sont ouverts; Et le passé s'efface, et le présent lui-même Se colore, et les champs autour de moi sont verts. Alors mon cœur s'emplit, à vos accords docile, D'espoir et de bonheur, de courage et de fui ; Et quand vous vous taisez je me sens plus tranquille. Et je me dis tout bas : l'avenir est à moi ! H6 Intime jouissance, extase où la pensée Se plonge avec amour, d'où l'on sort rajeuni, Où sur l'aile des sons notre âme balancée Entrevoit un instant les champs de l'infini. Mais soudain, reprenant en phrases plus sévères, Sur l'ivoire on dirait que vous versez des pleurs. Adieu mes visions ! car vos notes austères Ont en moi réveillé mes premières douleurs. Jeunesse, amour, beauté, tout s'use, tout s'efface ; Vers l'étemelle nuit nous roulons sans retour ' : Ainsi disent vos chants; mon âme sur leur trace Voit s'enfuir l'espérance et s'éteindre le jour. Alors mon cœur se brise, et, les yeux pleins de larmes, Je m'éloigne furtif, et je tombe à genoux ; Et, pour lutter encor, je demande des armes A Celui qui sans plainte a su mourir pour nous. J. Braillard. ParU, ISS6. LE FEU GRÉGEOIS. Ils se sont dit : « Tous ces petits volcans » Troublent notre équilibre ! » Rangeons enfin ces bouviers provoquants, » Et, pour son bien, culbutons sous nos camps '> Le dernier peuple libre ! » — Oui, mon feu brûle, eût dit Léonidas, Venez l'éteindre, innombrables soldats ! 1 . Allusion au Lac de Lamartine, mis en musique par Niedermayer. U7 Ils se sont dit : « Vraiment, ce serait fort! i Quoi ! ce peuple de pâtres, i De boutiquiers, d'éiueutiers peu d'accord, » Sans loi, sans roi, braveraient notre effort, » Bourgeois opiniâtres ? » — Oui, dit la Suisse, oui, c'est là mon dessein, Inextinguible est ce feu dans mon sein. Ils se sont dit : « Soufflons, voici le soir, » La lampe des Pygmées! » On cause mieux quand il fait un peu noir; •> Ces lumignons sont d'ailleurs laids à voir : i II en sort des fumées! » — Rois imprudents, soufflez; mais, Dieu merci, Mon feu, s'il fume, a su brûler aussi. Us se sont dit : « C'est l'heure d'en linir, •) L'Europe nous contemple. Tant de fierté ne peut nous convenir ; • De HoTgarten on veut se souvenir : C'est d'un marnais exemple! » — Plus vieux que vous, mon feu de cinq cents ans Vous survivra, monarques méprisants! — a Ce feu maudit, qui ne s'éteint jamais ■ Sous la cendre attiédie, Qui, de vos monts rougissant les sommets, i Dès qu'on l'irrite, aux lointaines forêts Vient jeter l'incendie, ■< Ce feu de pâtre en vos Alpes resté, » Quel est-il donc? i — Rois, c'est la Liberté! H.-Fréd. Amiel. Genève, le 6 Janvier I8S7. 148 III. CHRONIQUE BIBLIOGRAPHIQUE. (Voir le Bulletin N° 8, tome II, page 529.) Etant donnée une ville intelligente et active, par exemple Genève, et cette ville étant, par hypothèse, considérée dans sa vie collective comme une personne morale unique, peut- on reconnaître et décrire le mouvement de sa pensée dans un intervalle de temps déterminé, par exemple deux ans? — Peut-être ; mais ce problême est bien vaste, car il comprendrait, d'une part, la pensée appliquée aux affaires, de l'autre, la pen- sée dans son activité et son développement intimes. Réduisons- le. Pour cela, éliminons, soit le mouvement commercial, in- dustriel et économique comme trop extérieur, soit le mouve- ment de la lecture, des études et de la conversation comme trop peu saisissable, trop intérieur et trop individuel. Il nous res- tera comme objet de recherche le mouvement général de la pensée publique. Mais comment l'atteindre et le constater? Un des moyens, c'est de rassembler tous les vestiges certains de cette pensée publique dans l'intervalle de temps fixé. Ces ves- tiges nous sont conservés par l'imprimerie. Nous ramènerons donc notre question aux termes suivants : Etant donné l'en- semble des productions imprimées, soit à Genève, soit par des auteurs genevois, du mois de Juin 1855 au mois d'Avril 1857, déduire de la statistique seule de ces publications di- verses, et presque abstraction faite de la valeur du con- tenu, ce qu'elle contient de renseignements sur le mouvement de la pensée publique à Genève dans la susdite période de temps? La réponse ressortira d'elle-même du tableau sui- vant, qui pourrait servir de point de départ à une étude beaucoup plus pénétrante du sujet, mais où nous bornerons intentionnellement notre tâche à représenter, comme à vol 1 iO d'oiseau, l'étendue, la direction et la marche du mouvement ci-dessus désigné. 1° Vie générale. I. La vie générale, premier mode d'expression de la pensée publique, se manifeste, s'alimente et se surveille par la mul- titude des produits volants de la presse périodique ou irré- gulière qu'on appelle les journaux et les brochures. Journaux. — En dehors de sa grande consommation de journaux étrangers, Genève fait vivre plusieurs journaux lo- caux : 3 journaux politiques {Journal de Genève, Revue de Genève, la Démocratie), 1 religieux (la Semaine religieuse), 3 commerciaux (Messager, Feuille d'Avis, Feuille Genevoise), i agricole (le Cultivateur genevois), 1 satirique (le Carillon), 1 amusant (le Panorama). Total, 10. Parmi les brochures, toute une catégorie d'entr'elles sont prévues : Ce sont les comptes-rendus (ordinairement annuels) de toutes les institutions, très-nombreuses, de bienfaisance, de crédit, de colonisation, de spéculation, d'éducation, de prosély- tisme, etc.; les rapports de la Bourse allemande, de la Société de secours italienne, de la Direction luthérienne, des Diaco- nies, des Caisses d'Epargne, des Ecoles d'asile, de la Société de Lecture, de celle d'Utilité publique, des Associations de pré- voyance, etc., en un mot de tous les Comités quelconques (et Genève est la ville des comités) qui ont une mission à remplir, des fonds à gérer, des sympathies à conquérir, et des actionnaires, des souscripteurs, des participants ou des protecteurs à intéresser, à renseigner ou à satisfaire. La liste de ces rapports serait longue, inévitablement incomplète et médiocrement attrayante; nous l'omettrons. Total, X. Entre les brochures occasionnelles, les unes se rapportent à certains intérêts publics d'ordre matériel ou moral, qu'elles révèlent, défendent ou discutent; par exemple : L'Association immobilière, Y Etude sur lescauses du paupérisme à Genève (par 150 A. Cramer), le projet d'une Ferme-Ecole et d'expérimenta- tion, la proposition d'une Banque de crédit et d'échange, les livrets des Expositions d'agriculture, d'horticulture et de beaux-arts, une série de brochures maçonniques à propos de la concession de terrain pour l'érection d'un Temple unique. — D'autres rappellent les principales circonstances ecclésiasti- ques ou religieuses de ces deux années ; ainsi les Conféren- ces de MM. MunieretTournier sur la Divinité du christianisme, plusieurs sermons isolés, entr'autres de MM. Martin (Soyons unis et Avenir de l'Eglise de Genève), Merle (le Sel de la -terre, etc.), OUramare (la Cène), la Conférence de Divonne, les deux lettres de M. Bungener A un protestant du Pays de Gex, les lettres d'Eugène Sue Sur la question religieuse, VEglise du témoignage, l' Appel aux jeunes chrétiens de tous les pays, l'étude de M. Rœhrich sur le Prosélytisme, le 25me anniversaire de la Société évangéliqne, le 35me de la Société des Missions, le 38me rapport de la Société biblique, la Lettre à mon prochain, les Réflexions d'un laïque, La dotible législation que Rome impose à Genève, par A.-L. Pons, etc. — D'autres bro- chures se rattachent à nos luttes politiques : ainsi les Intérêts démocratiques, par divers auteurs, le Projet de Gare, par Jullien, V Indépendance communale, par Am. Roget et Fréd. Bordier, etc. — D'autres à quelques-unes de nos causes célè- bres, ainsi : le Procès de Pierrette Brunet, le Procès de Res- segueire. — D'autres, plus heureuses , sont sorties de notre mouvement national de janvier 1857 : ainsi le Danger du moment, par R. de C, les trois brochures de M. de Gasparin sur la question de Neuchâtel (La question de N., Encore un mot, Dernières remarques) , le Conflit prusso-suisse , Neu- châtel devant les traités et conventions de 1815, etc. Total, 38. La présence d'une communauté mormone à Genève est constatée par les écrits pour et contre qu'elle suscite, tels que Mariage et mœurs à Utah (traduit de Pratt), le Mormo- 151 nisme polygame, et par le double journal en langue française et allemande : Der Darsteller, etc. (journal de l'Eglise des Saints-du-demier-Jour), qu'elle publie depuis deux ans déjà. 9° Vie Intellectuelle. La vie plus spécialement intellectuelle, autre expression de la pensée publique, se particularise davantage dans ses fonc- tions et ses représentants, et a pour organes d'autres formes de publication : les revues, les actes et mémoires, les mono- graphies, et enfin les livres. revues. Genève, outre la Bibliothèque universelle, composée de trois sections parallèles (partie littéraire, partie scientifique, bul- letin critique des livres nouveaux), voit paraître deux autres recueils mensuels : les Annales catholiques, batterie de brèche ultramontaine, et le Journal de la Société des bonnes œuvres de toutes les nations (depuis Janvier 1857), revue de philan- thropie. V Album suisse continue à ouvrir bi-mensuellement un asile hospitalier aux poésies fugitives, toujours un peu embarrassées chez nous de leur logement. Total, 4. ACTA. Quatre sociétés libres témoignent de leur existence par des publications scientifiques. Ce sont la Société des Arts, qui a eu sa 37e séance générale en 1856, et dont la Classe des Beaux-Arts publie des Procès-verbaux, la Classe d'Industrie des Bulletins (dernier N° : 64), ainsi que la Classe d'Agricul- ture (dernier N° : 224) ; — la Société de Physique et d'Histoire naturelle, qui en est à son tome XVe:— la Société d'Archéolo- gie et d'Histoire, qui a fourni jusqu'ici 1 1 volumes de mémoires ou documents ; et la Société de médecine, un demi-volume. Une société officielle, {'Institut genevois, la plus récente de nos institutions savantes, a, depuis 1853, mis déjà au jour 152 i volumes in-8° de Bulletins et 3 volumes in-4° de Mémoires (avec planches). La Chancellerie rédige un Annuaire-Indicateur officiel de la République (celui de 1856 compte 400 pages). OUVRAGES ET OPUSCULES. Les livres ou monographies appartiennent aux trois grands cercles de la SCIENCE, de la RELIGION et de PART. Pour mettre quelque ordre dans notre revue, nous distinguerons, en outre, dans le premier cercle, la science appliquée, popu- laire et désintéressée ; dans le troisième cercle, la littérature, les beaux-arts et la poésie. A. Science appliquée (Technologie, Science commerciale, etc.). L'essai sur les Boissons fermentées économiques, par Gosse ; la Ruche française ou Elève des abeilles, par N...; le Guide pratique du Draineur, par J.-P. Pictet; le Nouveau den- tiste des femmes, par Thiolly ; le Nouveau système de compta- bilité commerciale, ou Tenue des livres dite probante, par Melly, trouvent leur place ici. B. Science populaire (Education, Instruction, Livres d'é- tude). Ici nous rangerons : les Lettres à une jeune mère (par Mme Long); le 5me Compte-rendu des livres pour l'enfance (par une Société de dames) ; les éditions nouvelles du Traité et du Manuel d'arithmétique, par Elie Ritter; du Précis de géogra- phie élémentaire, par Paul Chaix; du Choix de fables et poésies pour l'enfance, par Naville et Haas ; et des Règles mé- caniques de la langue française, par Grel; la 2e partie des Exercices d'arithmétique, par Naville ; les Eléments et exercices de lecture, d'orthographe et d'écriture, par D. Dumas, et les ex- cellents manuels édités par Kessmann pour Pétude des langues grecque, allemande, anglaise et française, savoir : la Grammaire grecque, spécialement de la prose attique, par Haas ; Helle- nika, 2e édit. , par Bétant; le Cours complet et gradué de 153 langue allemande (11 ouvrages divers, thèmes, exercices, grammaire, dialogues, etc., par MM. Favre (Haas), Georg, Nesslcr, Reiss, Sperber, Strebinger, llrich el Diederichs) ; le Cours de langue anglaise (6 ouvrages, par MM. Th. Harvey, Stevart et Georg), et les 4"1" éditions, soit de la Grammaire française élémentaire, suit des Morceaux choisis, à l'usage des Allemands, par Georg. C. Science indépendante. — I. On s'est occupé de Théo- logie. Citons d'abord les 5 thèses de MM. J.-J.-L. Valette (Ma- lachie), L. Braschoss (les Antipédobaptistes du XVIme siècle), Am. lîert [Arnold de Breieià), H. Ferrier (le Darbysme), P. Vaucher (les Lettres d'Ignace d'Antioché) . — Un Formulaire d'instruction chrétienne a été rédigé par MM. Coulin. Viguet et Tournier. — On a traduit de l'allemand la Bible et son his- toire, par Ostertag. — Les Lettres à mon curé (par Edm. Schéren. Marie et la Marioldlrie. par Bungener; Christ et ses témoins, ou Lettre d'un laïque sur la Révélation et l'Inspi- ration (2 vol., soit 990 pages), par F. de Rougemont, repré- .-(•iitcnt la théologie de controverse. IL Pour le Droit, nous trouvons les 4 thèses de MM. Th. Weber (la Cession île créance), Luisoni (de la Bonté absolue et relui ire des lois), L. Blanc (X Hypothèque légale des femmes mariées). Beiiner {Théorie mathématique de l'écono- mie sociale), l'Etude sur le Juste et l'utile, par Dameth, la Philosophie du Droit public, par Soria de Crispan. III. Pour la Médecine, nous rencontrons les traités d'Hy- drothérapie, par Vidait et par Partant; l'Essai sur les défor- mations artificielles du crâne, par L.-A. Gosse (avec plan- ches^, et quelques brochures de J.-L. Rieu (p. ex. sur Vaction magnétique de la lumière, sur les divers modes d'action du Magnétisme animal/. IV. Dans les Sciences descriptives se classent les nombreux guides-itinéraires (dans les cantons de Vaud, Neuchàtel, Fri- 11 154 bourg, Tessin et Bâle, etc.), sortis de la Suisse pittoresque, par Schaub ; le Coup d'œil sur le canton de Genève, par Ed. Mallet ; la Suisse allemande, par Mme Dora d'Istria ; le savant Atlas historique de la Suisse, de 1300 jusqu'en 1798, par A. de Mandrot (7 feuilles) ; le Séjour chez le grand schérif de la Mecque, par Ch. Didier. V. Les Sciences inductives (physiques et naturelles) ont à enregistrer le magnifique Traité d'électricité (1er et 2me vol.), par Aug. De la Rive ; une monographie sur la Température à Genève de 1836 à 1 855, par Em. Plantamour ; les Diagnosesplan- tarum novarum prœsertim orientalium, par Edm. Boissier; six fascicules de Matériaux pour la Paléontologie suisse, par Pictet-De la Rive ; Histoire de la Terre, par F. de Rougemont. VI. Le groupe des publications historiques comprend : 1° des Biographies : Journal et correspondance de Sismondi; Notice sur la vie et les travaux de l'historien J.-A. GaliffeC. G., par (son fils) J. B. G. G. ; les notices sur Ed. Mallet, Pierre Mollière, Fazy-Pasteur ; — 2° des opuscules variés, comme le Nouveau récit de l'Escalade; la Mission de saint François de Sales; Voltaire et les Genevois, par Gaberel (past.) ; — 3° les 6 ouvrages suivants : la Suisse historique, 1 grand in-8» (avec gravures) ; Mélanges historiques et littéraires sur la Suisse française, 1 vol. ; Etudes sur la Typographie genevoise du XVe au XIX" siècle, 1 vol.; Histoire littéraire de la Suisse française au XVIIIe siècle ( mémoire couronné par la Sec- tion de littérature), 1 vol. ; Histoire de la République de Ge- nève de 1535 à 1850, 1 vol. ; Histoire du canton de Vaud, 1 volume, dus à la plume du même et fécond érudit , M. E.-H. Gaullieur; — l'Histoire de l'origine et des progrès de la puissance des évéques de Rome, par Soria de Cris- pan ; — l'Hist. des Résidents de France à Genève, par Sor- det;— la Guerre d'Orient, par le général Klapka: — Y His- toire de l'Eglise de Genève, par Gaberel (pasteur), 2 forts 155 vol. ; YHistoire populaire de la Réformation, par Naef, 4 vol. (couronné par la Société des Intérêts protestants) ; Précis de l'Histoire politique de la Suisse, par Morin, 2 vol. in-I2; Jé- rôme Savonarole, précurseur de la Réforme, par Th. Paul (1er vol.); VHist. des Eglises réformées du Paysde Ge#,parTh. Cla- parède; les précieuses éditions, faites parM.Gust. Revilliod, des Actes merveilleux de la cité de Genève, par Anlh. Fromment, et des Advis et devis de la tyrannie papale, par le prieur Bonivard (2 vol., avec gravures sur bois, par Gandon), la réimpression fac-similé, sur papier chamois, de la Confes- sion de foi des Pays-Bas en 1561, faite chez Fick ; les Extraits de YHistoire politique de Genève, d'après d'Yvernois. VII. Dans les Sciences littéraires ou philologiques rentrent les deux somptueux volumes de Mélanges d'histoire littéraire, par Guill. Favre, recueil posthume, précédé d'une intéres- sante étude biographique, par J. Adert; le Tableau synoptique d'Histoire et de littérature modernes, par Pescantini ; la nou- velle traduction de YEcclésiaste, par Janin. VIII. Les sciences philosophiques peuvent revendiquer, parmi nos publications de ces deux années : le Mystère des bardes Gallois, ou Triades bardiques (avec le texte original), par Ad. Pictet; du Beau dans la Nature, l'art et la poésie, par le môme; l'étude sur Maine de Biran, par E. Naville (en tête du volume des Pensées de ce dernier auteur) ; 7 brochures de Henri Disdier, savoir : la Conciliation rationnelle du droit et du devoir, la Puissance de la Raison, les Prétentions de la Raison, et 4 Lettres sur le cluistmnisme. De plus, les œuvres du jeune philosophe vaudois Ad. Lèbre ont été réunies avec un soin pieux (introduction par J. Olivier et E. Naville) en un volume, par Marc Debrit. D. HianiioN'. Sous ce titre, nous pouvons rassembler les ouvrages d'édification directe ou indirecte, et ceux qui se rap- portent à certa ines préoccupations particulières de la mysticité. 156 I. Edification directe. — Mentionnons ici la réédition de la version italienne du N.-T. par Diodati ; — les Sermons de J.-J.-C. Chenevière, 1 vol. — Christ et le siècle, 4 sermons, par F. Bungener ; — Honore ton père et ta mère, exhortations par Borel (past.) ; — Dernières méditations, par Lobstein ; le volume annuel intitulé Etrennes religieuses (publié par des pasteurs de l'Eglise nationale) ; les nombreuses brochures ou feuilles volantes anonymes ou signées de l'auteur des Grains de Sénevé (telles que : les Deux Vieillards, les Deux Proverbes, les Deux Morceaux de bois, le Sac percé, etc.), par Malan. II. Edification indirecte. — A cette catégorie appartiennent les ouvrages didactiques, les récits de voyage ou d'événe- ments réels, et les narrations fictives. Du premier genre sont : L'emploi du temps d'une famille chrétienne, 1 vol. ; les Lettres du docteur Chalmers (traduit de l'anglais) ; Comment faire le bien? par Abbott (trad. de l'angl.) ; V Horloge du temps, bro- chure microscopique. — Du second genre sont : Les Mé- moires de Richard Williams, missionnaire à la Terre de Feu ; Vie et Lettres du capitaine Hedley Vicars, en Crimée ; Lettres (d'un aumônier protestant) écrites d'Orient, par Fros- sard ; Journal de l'interprète Miertching dans son voyage au pôle Nord ; le Journal de la femme d'un missionnaire dans les Prairies de l'Ouest (le tout traduit de l'anglais) ; La Terre des martyrs (les Vallées vaudoises), V Amérique protestante, ou Notes et récits d'un voyageur, parW. Rey, 2 vol. — Les ou- vrages de la troisième espèce sont en général des nouvelles ou romans traduits de l'anglais; ils ont été nombreux depuis deux ans : Le Bas de Noël, Être et paraître, Marguerite Brun, le Fond et la Forme, Ruth, la Maison du N° 5, Gaspard le jeune Américain, Lattre et Henri, d'après divers auteurs fémi- nins, Mœes Gaskell, Mac' Intosh, etc., en sont des échantil- lons aimés. L'Oncle Tom raconté aux enfants, par MUe Rilliel, se joint de lui-même aux ouvrages précédents. 157 III. Mysticité. Nous logerons ici : 1° les publications trapé- zomantiques, telles que le Coup d'œil sur le monde invisible, brochure; Comment puis-je communier dignement? par Em. Bret; Rome, Génère et l'Eglise du Christ, dicté au moyen (Tu ne t;ilile par le Fils de Dieu, le Sauveur du monde (sic), etc., 2 vol., par Mestral. 2° Le Journal de l'âme (1 Nos ont paru!. et La science se rallie à la foi, 1 vol., par le médecin Rces- singer. E. Littérature.— Le libraire Laufïer édite depuis deux atï- nées le Livre des familles, lûmmncb littéraire (avec gravures). M. Blanvalet a donné au public les Femmes poètes de la France. anthologie poétique, et un volume de Scènes et souvenirs de chasse, lundis que, par une coïncidence bizarre, M. Urb. Olivier publiait aussi à Lausanne des Récits de voyage et de chasse. Si l'on m traduit de l'allemand le Tour de Jacob le compagnon . par lîit/.ius (Gôttftelf), trois dames genevoises ont aiMBi publié des nom elles ou romans de leur composition : M"" lieiseiidtirf a écrit le Port (2 vol.), Mme Tourte-» llierbuliez Un Dimanche, M** Mussard Une esquisse du mariage. l'ne étrangère, M"1" Gamba, s'est fait connaître par le Ràtard de Varsovie. Les Rluettes et bouladi-s. lès Nouvelles genevoises, X Education progressive, ont eu de nouvelles éditions, et le Sarri/tce d'Abraham, tragédie de Th. de Bèze, a été réimprimé pour les ;nn;iteurs. /•' Ukaix-Arts.— Pendant ces deux années ont paru éga- lement : Le Recueil de chants pour la Suisse romane (2* et 3e volumes, contenant 90 chœurs gradués, â *2, 3 ou 4 voix, et ;m>c accompagnement de piano», entrepris par Kess- m.inn ; le Manuel de musit/ae et de polyodie (gr. in-8°), par F. Grast: le ('fini. e de Psaumes à quatre parties (avec mélodies nouvelles), par Wehrstedt. — L'Histoire de la peinture en Italie, par J. Coindet (i vol. in-12), a vu sa :2e édition; et le subs- tantiel Traité des Arts graphiques [[ gros vol. in-12), par 158 Hammann, est venu combler un vide senti par les artistes comme par les curieux. G. Poésie. — Sans compter la réédition du choix de Poésies chrétiennes, par Mme Car. Olivier, de Lausanne, et le poème ita- lien de La divina Tragedia, par Borioni, ces deux années nous ont apporté bien des productions nouvelles : Les Rimes d'un voyageur (2 part.), par A. Comte ; Mes premières chansons, par A. Loy; la Princesse Danubia, comédie de marionnettes, par MarcMonnier, dont la Revue suisse, la Ribliothèque universelle, la Revue de Paris et le Journal de Genève ont reçu de nombreux et spirituels articles; Epines et fleurs, par Mme Mussard; les Voix de ma jeunesse, par Benj. Dufernex. — Notre beau mou- vement national de Janvier a suscité naturellementbeaucoup d'hymnes patriotiques, de chœurs guerriers, de chants mili- taires. Les musiciens et les dessinateurs s'en mêlèrent comme les poètes. MM. Albert Bichard, Petit-Senn, Amiel, Dufer- n ex, Bœhrich père et fils, et bien d'autres, avec leurs vers, MM. Grast, Pépin, Wolf, avec leur musique, M. Lugardon, avec s on crayon, voulurent contribuer à celte universelle offrande que, dans un élan unanime de généreux enthousiasme, tous les citoyens firent alors de grand cœur à la patrie de ce qu'ils avaient ou pouvaient, de leurs biens, de leurs talents et de leur vie. L'hymne Rufst du inein Vaterland, traduit en paroles françaises (par H. -F. Amiel), se chanta dans l'école, la caserne et la rue, et la Société de Zofingen, qui ouvrit un concours pour un chant national sur le même air, reçut en dix jours 33 pièces, tant il est vrai que c'est bien l'émotion de tous qui est la substance de la vraie poésie, tant c'est bien au foyer même de la vie générale que s'allume pour chacun sa vie la plus énergiquement individuelle. Total des ouvrages, 150. 159 Nous terminons ici cette inspection sommaire de l'activité intellectuelle de Genève pendant ces deux dernières années, pour autant du moins que cette activité se révèle par l'impri- merie. Partis de la vie nationale, nous y avons été ramenés en finissant, et dans le cercle parcouru nous avons cherché à en- fermer les diverses manifestations de la pensée générale et par- ticulière, politique et religieuse, pratique et théorique, scien- tifique et littéraire. Ce dénombrement bibliographique n'est point un examen de progrès, ni un état de situation : cette re- vue, n'étant ni comparative ni critique, est tout simplement une ébauche de statistique morale, statistique approximative qui n'est sans doute pas exempte d'inexactitudes, d'erreurs ou d'oublis de détail, mais que nous croyons vraie dans ses pro- portions et ses faits essentiels. Notre but était de nous faire à nous-meme, et de donner au lecteur une juste idée de la vie intérieure d'une cité, envisagée comme une unité collective. Genè\e. ville ancienne, pétrie et façonnée par une longue cul- ture historique, riche en ressources fort variées, laborieuse, alfa ii éi\ entreprenante, tourmentée, petit monde où se débat- tent el Be combattent la plupart des opinions, sectes, partis, castes, tenda mes. systèmes et principes possibles et contraires, rille de grandeur moyenne d'ailleurs, et faisant à elle seule un petit Etat, Genève nous a paru avantageuse et intéressante à choisir pour objet d'observation : intéressante pour les autres, en qualité de ville connue, avantageuse pour nous-mêmes, comme exemple circonscrit. Encoreun mot. Le tableauprécédentpeutêtreutilisé d'autant de façons qu'on lui adressera de questions diverses; ainsi on y peut trouver des renseignements sur les inclinationsdominan- teSj les sujets favoris, lespréoccupationsprésentes de la pensée genevoise, sur l'étendue de ses horizons, sur ses affinités avec le dehors, etc. Ce tableau montre aussi combien il faut d'ingré- dients pour former une vie publique, et combien d'éléments 160 doivent concourir pour faire un monde, même un tout petit monde : vérité utile à savoir, car elle rend l'individu plus humble, plus respectueux et plus reconnaissant. Mais ce petit essai n'aura sa valeur réelle que si on lui donne suite. Isolé, il ne fournit que des faits particuliers et n'autorise que des conjectures; continué, il pourra servir à établir des résultats généraux et permettra des inductions fort utiles. Nous vou- drions voir cette statistique tenue au courant d'année en an- née, sans lacune. Que nos successeurs au secrétariat nous per- mettent de leur recommander ce soin et de leur exprimer ce vœu. Dix ans de persévérance rendraient un service positif à notre histoire littéraire et morale, et, par analogie, profite- raient encore à des études d'un ordre plus élevé. 29 Avril 1837. H.-F. A. NOTICE SUR CHAPONNIÈRE. Cinq ans après la publication des Lettres écrites de la mon- tagne, naissait à Genève Jean-François Chaponnière. Sonpjre, horloger de son état, comme beaucoup de ses compatriotes, tenait au parti des Représentants, c'est-à-dire à cette fraction du peuple de Genève qui, combattant avec persévérance en faveur de principes plus conformes à la fois aux idées mo- dernes et à nos vieilles franchises nationales, exerça une si grande influence sur les destinées orageuses de la répu- blique, durant le dix-huitième siècle. C'est assez dire que Chaponnière fut initié de bonne heure à ces tempêtes dans un verre d'eau qui ne passèrent point inaperçues en Europe, à cette lutte vive et prolongée, tour à tour sourde et plus ou moins cachée, tour à tour bruyante et tumultueuse, à laquelle la science doit peut-être les œuvres politiques les plus saillantes de Rousseau. 161 Chaponnière était bien jeune encore, lorsqu'il dut, avec sa famille, quitter son pays, à la suite des événements de 1782. Ud millier de Genevois s'expatrièrent alors. La famille de Chaponnière se réfugia à Constance; Chaponnière avait vingt ans lorsqu'il revint à Genève, après un long exil. A cet âge de l'existence où la vivacité des impressions comporte tant d'impétuosité et d'ardeur, tant de passion quelquefois, appelé bientôt à jouer un rôle au milieu de la révolution genevoise, Chaponnière se fit remarquer par une modération relativement assez grande; chantant la liberté avec L'enthousiasme de la jeunesse, on put dès lors deviner en lui l'écrivain qui devait se mettre un jour à la tète des chansonniers genevois, el laisser un nom dans notre littéra- ture nationale. Dans le siècle dernier, où la presse périodique n'avait pas atteint l'importance qu'elle a acquise de notre temps, les brochures et les chansons eurent, sur la vie politique de Ge- nève, mie influence marquée. Ces innombrables brochures, souvent fastidieuses, toujours instructives, que l'on doit néees-aiiement consulter pour connaître notre histoire du (lix-liiiitièine siècle, et que Ton ne consultera pas sans fruit, servaient constamment d'armes aux partis opposés qui divi- saient Genève. Armes ambulantes, elles pénétraient dans toutes les familles, et formaient peu à peu, dans un sens ou dans l'autre, l'opinion îles Genevois. Les Lettres écrites de la montagne, dont je parlais en commençant cette notice, peu- vent être considérées comme une collection de brochures, véritable corps d'armée qui, apparaissant tout à coup avec vigueur dans ces luttes sans cesse renaissantes, causa ici une immeuSe et profonde sensation, tandis qu'elles acqué- raient, au-delà de nos modestes frontières, une renommée européenne. Les chansons, dont quelques-unes en patois, avaient le 162 même but que les brochures. Si aucune d'elles n'accuse un homme de génie ou un talent très-supérieur, plusieurs toute- fois ne manquaient pas de sel ; Chaponnière lui-même en a cité un exemple dans cette strophe du ministre Reybaz, que détestaient si cordialement les Négatifs et le Petit Conseil : « Petit enfant n'est pas toujours le même, « Son corps vermeil » Croît pendant le sommeil; » Mais le Petit Conseil, » Dans son sommeil suprême, » Reste toujours petit, » Rien ne lui fait profit : » Il est toujours, il est toujours le même ! » C'est ainsi que la chanson dans laquelle devait surtout briller Chaponnière devint, presque à son insu, le genre le plus national, le plus accessible, celui qui avait le plus de chances d'être goûté de ses concitoyens; la voie dans laquelle il devait entrer était ouverte, et il la suivit non sans succès. Chaponnière avait été destiné à la peinture pour la fabrique d'horlogerie; plus tard, il se voua au commerce. Ce fut après la restauration : à cette époque , c'est autour de lui que se groupèrent, dans la bourgeoisie, la plupart de ceux qui n'étaient pas favorables au gouvernement nouveau, et qui avaient plus d'un grief à faire valoir contre la Constitution de 1814. Aussi fallut-il bien des années avant que Chapon- nière pût parvenir au Conseil Représentatif. Les qualités de l'orateur étant presque toujours indispen- sables pour avoir une grande influence dans les assemblées délibérantes, la présence de Chaponnière fut peu remarquée dans le Conseil; le rôle qu'il y joua fut presque insignifiant, et ne répondit point aux susceptibilités exagérées qu'il avait fait naître par anticipation. En effet, Chaponnière était avant tout poète, chansonnier, 163 musicien même; il marquait beaucoup plus comme écrivain que comme orateur. C'est comme écrivain que son nom est connu, et c'est en cette qualité que, lors de la création de l'Institut national genevois, il fut appelé à en faire partie; il fut un des dix premiers membres effectifs de la Section de Littérature. Cbaponnière a fait différentes publications, soit en prose, soit en vers. Il fut un des fondateurs de l'ancien Journal de Genève, en 1826, et prit une part active à sa rédaction. Il y inséra un grand nombre d'articles, et y publia entre autres une Histoire du théâtre de Génère, qui renferme des détails curieux qu'on ne lira point sans intérêt. En 1840, il com- mença, avec quelques-uns de nos écrivains, MM. Carteret, James Fazy, Gaudy-Lefort, Viridet, une Renie ', dont il n'a paru malheureusement que quelques livraisons. Ses productions lyriques, ses contes et ses romances sont nombreux •. signés de la dernière lettre de son nom, comme c'était généralement l'usage alors, ou publiés sous le voile de l'anonyme, ils sont disséminés dans différents recueils, en particulier dans les trois petits volumes de Poésies genevoises, publiés en 1830. Son œuvre de plus longue baleine et une des plus répan- dues, c'est le poème : Il fallait çà, ou le Barbier optimiste, qui a été réimprimé et contrefait, et qui a eu l'honneur de plus d'une édition. C'est une oeuvre spirituelle, maligne, et qui reproduit avec finesse, sous la figure d'un barbier, ce type peu rare dans les temps de vicissitudes politiques, celui d'un lit'inme qui s'accommode successivement de tous les régimes, qui les encense tous, et qui, oubliant et bafouant le lendemain ceux qu'il a prônés la veille, ne voit de bien que le vainqueur et se range toujours de son parti. I. Krvur de (ieni-vc. J'ai dit tout-à-l'heure que Chaponnière devait se mettre un jour à la tête des chansonniers de notre pays. Que j'essaie au moins de caractériser son genre en quelques mots : c'était un Désaugiers genevois, qui çà et là rappelait Béranger, chantant, comme lui, la gaîté folle, le plaisir, le bonheur des gueux et la liberté. Il est loin sans doute, soit par la perfection du style et du rythme, soit par la hauteur des idées, de l'illustre écrivain français : L'oranger eu hauteur n'égale point le hêtre * ; cependant, nous le répétons, Chaponnière rappelle quelque- fois Béranger, et ce n'est point, à notre avis, un mince mérite. En lisant Chaponnière, nous oublions un instant que nous sommes dans la patrie de Bonnet; nous nous trouvons, au contraire, en pleine école épicurienne. La philosophie de Chaponnière n'est point rigide : il rit et chante volontiers, il sait jouir du présent et il se plaît à le redire : « Si le présent nous parait doux, » Tout le reste n*est que chimères, » L'heure qui suit n'est pas à nous. » Puis, au lieu de s'écrier comme d'autres : Après nous le déluge ! il s'écrie (et ce mot seul dénote de suite un écrivain né dans une ville commerçante) : « A demain les affaires ! » — Il est prêt à voir la vie sous son aspect jovial, plaisant ou ricaneur. Si quelquefois, comme dans sa pièce célèbre : « C'est la faute de Voltaire « Et la faute de Rousseau, » il se fait l'écho de ces combats de plume et de chansons qui, sous la branche aînée, eurent leur importance dans un pays voisin, d'ordinaire c'est Genève qu'il a en vue. Il étudie avec perspicacité les mœurs genevoises, les décrit bien, chante 1. Vers de Chaponnière. 668 avec affection les moindres événements de la cité, la destruc- tion des dômes* l'établissement du pont de fil de fer, etc.: en passant, il décoche des flèches an\ abus, il sait railler avec esprit certains travers, certains préjugés, il les flatte aussi quelquefois, le tout au demeurant avec une malice insou- ciante, avec une verve ironique, vive, satirique souvent, et qui n'a pas proprement de fiel; car, pour lui, tout est matière à gaîlé, même les sots : « Si Dieu n'avait fait des sots, » Eli! de quoi pourrions-nous rire? « Mes amis, suyez joyeux, » Ici-bas, tout est au mieux. » Chaponnière et son école mériteraient de faire l'objet d'une élude approfondie. Ces chansonniers, qui n'avaient pas biffé de leur code la franche gaîté, la joie et le plaisir, qui riaient si volontiers et de si hou cœur, forment un contraste saillant avec celte sévérité puritaine et cette rigueur outrée que beaucoup de gens-, qui n'ont pas étudié de près Genève, croient retrouver en tout dans la ville de Calvin. Fils du dix-huitième siècle. Chaponnière se rattachait plus spécialement à |'érole de Voltaire et à l'esprit du temps où il ('Mail né. « Ce que nous appelons esprit, a dit un éminent écrivain, n'est le même nia tous tes âges, ni dans toutes les situations, ni Ions les jours, L'esprit est quelque chose de mobile, dont la direction change par tous les vents qUisouf- llcnt constamment. » Ne nous étonnons donc pas qu'en littérature Chaponnière ne comprit point l'école nouvelle, que les beautés de Lamar- tine (M de Victor Hugo le trouvassent presque insensible. Il était reslé lils de Voltaire. Comme pour la plupart i\(^ auteurs français de la révolution et de l'empire, Shakespeare et Schiller n'étaient guère pour lui que des barbares. L'atmos- phère où se mouvait en littérature la génération contempo- 166 raine était pour lui une atmosphère étrangère, j'allais presque dire un climat qui n'était pas le sien. Aussi décocha-t-il éga- lement plus d'une flèche contre l'école romantique, contre ce qu'il appelait les romantiques fatras de l'Angleterre et de l'Allemagne, qui, à son avis, « Ne valaient pas » Fénélon, Racine et Voltaire. » Encore quelques mots et j'aurai fini. Parvenu à une vieil- lesse avancée, Chaponnière conserva jusqu'à son dernier jour toutes ses facultés. Il était doué d'une mémoire prodigieuse ; sa conversation était des plus instructives, et il fit toujours preuve, envers ceux qui eurent des rapports avec lui, du caractère le plus aimable et d'une bienveillance des plus avenantes. Un nombreux public l'accompagna à sa dernière demeure. Devenu plus austère dans sa vieillesse, sa physionomie s'é- tait un peu modifiée ; c'est ce qui exprime très-bien le passage suivant par lequel il terminait, en 1840, un article intitulé : De la cfmnson et des chansonniers à Genève. Je le reproduis en terminant moi-même cette notice , sans insister en rien sur l'expression de regrets que ce passage renferme : « Genève n'est donc pas déshéritée du talent poétique, ainsi qu'on a pris plaisir à le dire. Et maintenant qu'indé- pendamment des auteurs qui vivent encore, nous avons une jeunesse plus instruite que par le passé, il est permis de croire que le feu sacré ne s'éteindra point dans notre cité. — Plus heureux que Gallois et Thil, que leurs émules puissent par- courir la lice longtemps et avec honneur ! Qu'ils prennent la lyre, qu'ils en fassent vibrer les cordes sur tous les tons! qu'ils célèbrent les hauts faits de leurs ancêtres t que l'amour de la patrie, de son indépendance, de sa liberté, brille dans leurs chants; et si quelques productions gracieuses, légères 167 et badines s'échappent de leurs plumes, qu'il ne s'y trouve rien qui puisse, dans l'âge mur, leur donner le regret de les avoir publiées. Enfin, que les mœurs soient par eux toujours respectées, que leurs ouvrages soient lus sans danger par la mère et la fdle, et qu'ils s'imposent pour premier devoir de ne jamais alarmer la pudeur, effaroucher les grâces et faire rougir la vertu \ » Jules Vuy. t. Revue de Genève, 1840, première livraison, pages 85 et 86. CONSIDÉRATIONS SUR LES INSTITUTIONS POLITIQUES EN PARTICULIER SDR LES ORIGINES DO SYSTÈME REPRÉSENTATIF. Présenté à la Section des Sciences morales et politiques de l'Institut genevois, par M. le professeur Edouard Secretan, membre correspondant Ire PARTIE. Nos institutions modernes ont, dans l'antiquité, des analo- gues, mais non pas des pareilles. Les philosophes anciens étaient, semble-t-il, parvenus, par la spéculation, à conce- voir le système de gouvernement que l'époque actuelle réa- lise. Cicéron, et déjà Aristote, disaient que la meilleure forme de gouvernement est celle qui concilie le principe monar- chique, le principe aristocratique et le principe démocra- tique. On ne voit pas toutefois comment ces grands penseurs entendaient s'y prendre pour obtenir ce résultat; on ne voit pas qu'ils eussent entrevu la forme représentative, base du gouvernement constitutionnel, tel que nous le concevons au- jourd'hui. L'alliance des principes monarchique, aristocra- tique et démocratique est plutôt un accident, une variété du développement de la forme constitutionnelle ou représen- tative, qu'elle n'est cette forme elle-même. m On trouve (''gaiement, dans l'antiquité, des conditions so- ciales qui se rapprochent de celles dans lesquelles est née la forme représentative, mais non pas ces conditions mêmes. Il est donc à présumer que les institutions auxquelles ces conditions donnèrent naissance n'auraient point produit, par leur seul développement, le moment politique auquel nous sommes parvenus, lors même que plusieurs d'entre elles présentent îles rapports frappants avec les institutions du mo\ en-âge dont nos libertés modernes procèdent, Telles furent, par exemple, le servage de la glèbe, la clientèle, les justices populaires, les municipes. institutions nées tantôt des circonstances économiques, tantôt de la superposition des races p;ir la complète, et qui se retrouvent dans les ré- publiques antiques comme dans la féodalité. Les institutions politiques du moyen-âge sont le produit de trois éléments également essentiels, également indispen- sables, le romaHisme, le chrixtiruuxmr et le gertnanisme. Sur la Jin de la république, l'élément religieux, plus faible dans le poh théisme que dans les religions qui ont pour base le principe monothéiste on panthéiste, avait cessé de servir de ciment à cet immense édifice fondé par la politique et les armes romaines, qtti renfermait dans son sein presque tous les peuples connus de l'ancien monde. L'élément juridique était devenu le seul centre attractif, le seul principe d'unité; mais il ne pouvait donner à la société que l'unité extérieure, car l'unité morale ne dépend pas de lui Les empereurs, en s'altribiianl l'autorité des pontifes, essayèrent de donner cette Unité extérieure du droit aux restes de l'ancienne religion; mais ils ne tirent par là que hâter sa dissolution. Le droit impérial a cessé' d'être un droit public, pour revêtir plus particulièrement la forme d'un droit privé; il a cessé d'être un drOil historique et national, pour devenir rationnel, humain, universel. C'est alors que le droit civil 12 no reçut, sans contredit, son plus beau développement scienti- fique. Pendant les premiers siècles de l'empire, il tint lieu de la liberté perdue. A ce caractère humain, rationnel et scientifique de son droit, Rome doit la puissante attraction qu'elle a exercée sur le monde ; elle en a fait la conquête plus encore par l'excellence de ses lois que par la supério- rité de ses armes. Le droit romain devint un instrument d'affranchissement pour les nations, et contribua puissam- ment à faire triompher l'égalité humaine, ce principe inconnu au monde antique. A ce côté populaire et libéral du droit civil, le droit impé- rial romain unit une autre face, toute opposée, un caractère éminemment despotique. L'organisme impérial est le plus formidable instrument de domination qui ait jamais été mis entre les mains des hommes; par cet autre côté aussi, le droit romain eut pour effet de faire disparaître le dernier vestige des anciennes nationalités. La ville éternelle, à me- sure qu'elle absorbe ces nationalités dans son sein^ perd la sienne propre. Dans l'empire romain, il n'y a pas une nation, il n'y a qu'an État. La nation est un peuple possédant des traditions conformes à son caractère, et participant, en une certaine manière, à son gouvernement; dans l'État, on peut ne voir que ceux qui gouvernent, en faisant abstraction de la matière gouvernable. L'idée de nation réveille celles de liberté et d'individualité morale. L'empire romain n'est qu'un vaste mécanisme dans lequel sont renfermées les diverses nations; l'armée et les innombrables offices impériaux sont entièrement séparés du peuple, et le peuple n'a rien à voir ;lans le gouvernement. Un tel régime pouvait devenir aisément oppresseur: il le fut à un degré incroyable. Par le favoritisme, parla corrup- tion dos employés, par les exigences insatiables du fisc, en un mol par ses abus de toutes sortes, il dépeupla les villes m 171 les campagnes, et livra aax barbares les populations aliénées, désaffeclionuées de leur gouvernement. Les barbares, ter- reur de Rome, effrayaient peu les provinces, où Ton voyait ebaque jour les hommes libres réduite, à force de misère et de persécutions, à aller se faire esclaves chez ces mêmes étrangers dont i'vu complètement épanoui dans la féodalité. L'État moderne, revenant jusqu'à un certain point au point île vue antique, a de nouveau pris une position distinrle du droit privé. .Mais il reconnaît cependant avec celui-ci une origine commune, qui est la nature, humaine, la personnalité. Le droit public moderne n'absorbe plus le droit privé comme l'Étal antique, il lui accorde une sphère propre: mais il lui pose aussi des limites et ne reste pas lui-même renfermé dans lasplière du droit privé comme L'État du moyen-âge. Nous 184 concevons l'État ayant autorité par lui-même, mais à la con- dition d'employer cette autorité à protéger l'individu, ses droits, son développement. En résumé, l'antiquité absorbait l'homme dans l'État; le moyen-âge fait l'inverse : aujourd'hui on cherche, non sans chanceler souvent d'un côté ou de l'autre, à maintenir l'é- quilibre des deux rapports ; nous nous efforçons de réaliser l'idée chrétienne que le germanisme dépassait, mais qui, pour ôtre réalisée un jour, devait peut-être être dépassée d'abord. Ainsi le principe même des libertés civiles de l'époque ac- tuelle, ce principe de l'individualité humaine, de la person- nalité, qui rend les temps modernes si différents de l'anti- quité, n'appartient pas au christianisme seulement. C/est au troisième des grands facteurs de la civilisation européenne, à l'élément germanique, qu'il doit surtout un complet déve- loppement. Le but de toute société est la paix intérieure et la sûreté extérieure. Dans un État régulier, les institutions judiciaires destinées à réaliser le premier de ces buts sont la suprême garantie des droits de l'individu. Primitivement, chez les Germains, il n'en était pas ainsi. Chacun était obligé de se défendre soi-même avec le secours des siens. La société n'in- tervenait pas dans ce qu'elle considérait comme de simples querelles privées. Cet élal de choses, qui nous reporte à l'origine des so- ciétés, ne pouvait durer : on sentit le besoin de mettre un frein aux guerres privées, qui, en se perpétuant, entravaient nécessairement la société dans sa marche et auraient fini par causer sa dissolution. D'abord, les guerres privées auxquelles allait donner lieu une lésion de droit reçue ou prétendue furent prévenues par des transactions volontaires conseillées par les chefs des com- 185 inunautés, et conclues sous leurs auspices. La fréquence de ces transactions produisit l'usage de demander, pour des of- fenses analogues, une satisfaction analogue ; ensuite, comme les parties ne pouvaient pas toujours s'accorder, on en vint à imposer au lésé la satisfaction usitée dans la circonstance. On fixa ainsi la mesure de la réparation dont chacun devait se contenter dans chaque cas déterminé. La transaction ren- due obligatoire ou la composition fut le premier pas dans la consolidation de la société germaine. Quand a été fait ce premier pas? Une certaine incertitude règne encore à cet égard. Je présume que les premiers siè- cles de la conquête, époque de la rédaction de la plupart des coutumes barbares, sont le temps dans lequel s'opéra géné- ralement le passage de la composition facultative à la com- position fixe et obligatoire \ La composition n'est proprement ni une peine publique, ni une vengeance privée; c'est plutôt une réparation civile, aggravée toutefois dans certains cas, en raison de la plus grande réprobation que l'acte dommageable inspire. La coutume des guerres privées a existé partout où les so- ciéiés se sont formées; nous la rencontrerions également I. L'usage d'accepter des compositions existait du temps de Tacite. « Svscipere inimiciliat sire patris, sive propinqui, neccssi est, nec im- placabites durant. « Ces mots : les inimitiés ne sont pas implacables, ont évidemment trait à la composition, mais à la composition facultative. M. Pardessus (Commentaire de la loi salique) croit que, même sous les Cariovingiens, la vengeance à outrance était admise; les capitulaires de Charlemagne et de Louis-le-Débonnaire, de faidis correendis, dé- montrent le contraire. Les dispositions des lois barbares les plus an- ciennes sont également opposées à cette hypothèse. Il n'en est pas moins vrai que les goûts belliqueux des populations barbares furent, beaucoup plus longtemps qu'on ne le croirait, à considérer seulement les textes législatifs, un obstacle à l'adoption générale du système des compositions. 13 186 dans les lois de Moïse et de Zoroastre, dans les anciens poèmes de l'Inde, dans les âges héroïques de la Grèce et de l'Italie : mais ce qui est propre à la race germanique, c'est la com- position. Les lois barbares ne sont au fond que des tabelles des différentes compositions, dues pour chaque espèce d'in- jure, selon le rang et la qualité des parties. En les compa- rant aux lois de l'Orient, on est frappé d'une ressemblance extraordinaire dans l'énumération des injures ; mais l'ana- logie se borne là. Les lois de l'Orient, partant du point de vue théocratique, là cù la loi germanique place une compo- sition, statuent une graduation de peines corporelles, cumu- lées quelquefois avec des menaces correspondantes et propor- tionnées de châtiments à subir dans une autre vie. Chaque parent participait aux querelles de sa famille; il devait donc contribuer à la composition, s'il était de la fa- mille de l'offenseur; il y avait part, s'il appartenait à la fa- mille du lésé. Cette obligation et ce droit corrélatif sont in- séparables du droit d'héritage, comme auparavanti'obligation de soutenir par les armes les querelles de ses parents. Pour y renoncer, il fallait renoncer à la parenté. A côté de leurs tarifs de composition ou de ivergeld, les Germains avaient aussi certains délits publics qui étaient ré- primés par des peines proprement dites. C'étaient surtout des délits religieux, politiques et militaires, par conséquent des actes dirigés contre la société elle-même. Tacite en men- tionne déjà, -et dit que de son temps la peine était, dans ce cas, infligée par les prêtres. Ce mode de répression, dans le- quel l'État apparaît d'une manière plus franche et plus ma- nifcsle. existe dans les lois barbares, mais il y est encore très- exceptionnel; il tendit à dominer à mesure que l'élément romain et l'élément chrétien acquirent plus d'intluence ', et 1. Dans les législations des peuples restés en Germanie, dans les législations du Nord, dans les anciennes lois des Francs, la peine pu- 187 que la ci implication des rapports rendit plus évidente la né- cessité d'une justice sociale active et efficace. Le second but que se propose, môme l'État le plus primitif, est la défense contre les ennemis du dehors. Aussi, dès le principe, la société germanique se présente-t-elle à nous avec un caractère guerrier; lès chefs politiques sont aussi dèâ chefs militaires; la défense nationale, ivehr1 est décidée par le peuple tout entier, qui prononce sur la guerre et la paix dans des assemblées générales, et tout homme libre, ca- pable de porter les armes, a le devoir de servir. On pense même que le nom de Germain signifie proprement guer- rier 2, et ce même nom désigne aussi la qualité d'homme li- ber \ parce que, pour jouir de cette dignité, pour posséder ce qu'on appelait à Rome le maximum civis cap ut, il fallait appartenir à l'ordre des guerriers. Ainsi, dit Tacite, le jeune homme, à Page on il esl appelé à devenir citoyen effectif, re- cuit de sis parents des armes, « et c'est là sa toge virile. » Pour comprendre les mœurs germaines, il esl essentiel de bien faire la distinction entre ces guerres nationales et les expéditions particulières, les guerres privées qu'un individu entreprenait à ses risques et périls, avec l'aide de sa famille bUqne est forl rare. Dans les lois des Bourguignons et dans les capi- tulaires les plus récents dos rois lombards, l'action répressive de la société balance déjà en importance le système des wergeld. Celte ac- tion domine tout-à-fait dans la loi des Wisigoths, celle de toutes les législations barbares qui subit le plus l'influence de l'Église et du droit romain. 1. Wehr, défense, en anglais warrm, en langue germaine ijumn, guerre. 2. L'armée nationale se nomme Herr, Heer-mann, tier-man; Àriman signifie soldat. 5. Ehre, honneur, vient de Éeer, et ariman est le terme dont se .sert la loi des Lombards pour désignée un homme libre. 188 et de ses clients. C'est en vue de ces guerres privées, faida ', que les chefs germains réunissaient autour d'eux ces comi- tats ou gasindi 2, que Tacite a aussi décrits, et qui sont la vé- ritable source, sinon de la féodalité, du moins de ce qu'il y eut en elle de complètement original et de particulièrement germanique. Si, dans l'organisation de la défense nationale, l'Etat apparaît réellement, en revanche, dans les faida et les gasindi, la prédominance des rapports individuels se retrouve dans toute sa force. Ainsi la société germanique existe, en tant que société, principalement au point de vue militaire, et cependant, dans l'organisation militaire elle-même, des rapports immédiate- ment personnels, tels que l'engagement purement volontaire des compagnons du gasindi, jouent encore le plus grand rôle ; et ces rapports personnels se prolongent dans la paix, durant laquelle les compagnons sont entretenus par leurs chefs, et leur rendent des services domestiques à la manière des ser- viteurs, tout en conservant intacte leur liberté et sans croire y déroger en rien. Ce respect de l'individu, qui est le trait distinctif de la constitution germanique, se reporte aussi sur les nations. Quand le Germain soumet un autre peuple, il ne se croit pas obligé pour cela de lui imposer ses lois; la loi est pour lui l'expression de la société, elle naît spontanément. Le Ger- main sent le besoin de juge plutôt que de législateur. 1. Faida, fchde, guerre privée; les Confédérations de Pologne, et les Bermandades d'Espagne sont des ligues d'individus associés pour faire une guerre privée. Dans toute l'Europe, la coutume des guerres privées, ravivée par l'anarchie féodale, a duré jusqu'en plein moyen-âge. En Pologne, elle a duré aussi longtemps que h nation. 2. Gasindi vient du mot gesin, familia, en vieux français gesine. Les comités de Tacite ne sont autre chose que les ambacti des Gaulois, dont parle César de bello Gallico, dont la loi salique atiré le mot ambascia, service du prince, et la loi anglo-saxonne Vambilh smidh. 189 Le Romain, au contraire, était naturellement législateur : il imposait invariablement ses lois aux nations conquises. La même différence se retrouve encore aujourd'hui entre les Français et les Anglais : les premiers veulent façonner à leur guise tous les peuples, les seconds gouvernent une foule de peuples divers, en laissant subsister leurs lois et en respec- tant avec soin leurs usages. L'État germanique est un avec le peuple, qui le forme ; dans chaque degré de l'association, le peuple prend conti- nuellement une pari active aux fonctions du gouvernement. En cela encore, cet État dilfèrc essentiellement de l'État ro- main, dans lequel le peuple est totalement séparé du gouver- nement, lequel appartient à une espèce de caste. Nous avons vu, à Rome, les citoyens d'une ville devenir les maîtres du monde, puis, quand le monde fut entré peu à peu dattB cette ville et devenu romain, le peuple de la ville, aussi bien que celui îles provinces, perdit tout concours au gouver- nement. Ce rail d'une nation entière, en possession de son gouvernement, esl un >pectacle entièrement nouveau dans l'histoire des institutions'. Le roi, généralement électif, est, au point de vue civil, plutôt un président qu'un monarque; il ne déploie une autorité législative et judiciaire que dans les assemblées de> hommes libres. Le droit du chef n'est point considéré comme distinct de celui de la nation, de là le principe essentiellement germa- nique : Où n'est pus le roi n'est pas le peuple, où n'est pas le peuple n'est pus le roi. La tendance au fédéralisme qui s'observe toujours chez les nations germaines est une conséquence du mode de forma- tion de l'État : mais celte tendance n'est pas hostile au prin- cipe unitaire, que représente la royauté. Nous avons eu sous les yeux trois organismes différents : L'organisme impérial romain, dans lequel la hiérarchie des 190 fonctionnaires publics est une émanation de l'autorité d'un empereur héréditaire et entièrement séparé du peuple; l'or- ganisme de l'Église, dans lequel, bien que le peuple exerce ses droits directement par l'élection, et indirectement par son admission dans la hiérarchie ecclésiastique, il ne con- court pourtant pas proprement et effectivement au gouverne- ment; enfin l'organisme de l'État germanique, dans lequel le peuple concourt d'abord, par l'élection, à constituer la hié- rarchie gouvernementale, et, en second lieu, est continuel- lement dans l'exercice des fonctions essentielles du gouver- nement. Chacun de ces organismes a formé tour à tour une grande unité : l'empire romain, l'Église et l'empire germa- nique, ou second empire d'Occident, En y regardant de près, on reconnaîtra que le principe d'unité le plus réellement fort est celui que renferme la forme germanique, précisément parce qu'elle est celle qui respecte le plus la liberté.de tous. Le système des États modernes est sorti de la combinaison de ces trois éléments. Nous les avons envisagés jusqu'ici en eux- mêmes, nous allons voir maintenant comment, en se mélan- geant les uns avec les autres, ils se modifient, produisent de nouveaux faits et donnent naissance à de nouvelles institu- tions. Nous allons voir à l'œuvre les facteurs essentiels de no- tre civilisation. Du moment que le christianisme est devenu la religion de l'État, et l'Église une institution politique, les destinées de l'empire romain semblent avoir changé. Une multitude de causes diverses ont contribué à la chute de l'empire d'Occi- dent : la transplantation de la capitale par Constantin, la disparition de toute liberté politique, la décadence économi- que, qui n'avait été que retardée par l'action du christia- nisme, et qui était la conséquence inévitable d'un désastreux système financier; mais au-dessus de toutes ces causes se- condaires, ne sentons-nous pas planer cette dispensation pro- 101 videntielle qui veut que lorsqu'on ordre social a produit le? fruits qu'il étail appelé à produire, il tombe pour faire place à un ordre social nouveau? Telle est la marche de l'histoire! C'est de cette façon que progresse l'humanité. Le mariage de l'Église chrétienne, jeune, pleine de vie et d'avenir, avec l'empire, usé et décrépi, n'a l'ait que hâter la décrépitude de celui-ci C'est l'Église maintenant qui. à son insu encore; sans l'avoir prémédité, abat les murs sacrés de Rome, et convie les barbares à > venir prendre leur place. La conquête barbare fut une grande calamité' pour l;i so- ciété d'alors; la nature enfante dans les douleurs. Les bar- bares de race germanique, poussés eux-mêmes par d'autres barbares, se pressaient depuis longtemps sur les confins de l'empire. L'idée de sa puissance exerçait un tel prestige sur leur imagination, qu'ils ne songeaient pas même à le vaincre; ils demandaient seulement à être admis à cultiver les terres abandonnées et à participer aux droits des citoyens romains. .Mais ce prestige ne pouvait pas toujours suffire. Rome ne croyait plus en elle-même. Après avoir fortifié ses frontières comme si elle se t'ùi défiée de la râleur de ses légions, elle en était venue à se faire défendre par les barbares eux- mêmes. Introduits dans l'empire, pris a sa solde, admis jus- qu'à la cour de l'empereur, les barbares qnt perdu en partie leur nature sauvage, ils sont devenus chrétiens; catholiques ou ariens, ils ont, dans l'empire, divisé sans cesse, par les schismes el les hérésies des amis politiques et des amis re- ligieux. Les Romains ne combattent donc plus contre eux, pro (nis et loris. L'Eglise, qui dirige l'opinion et gouverne la société religieuse, ne leur est plus hostile; souvent même elle les favorise. Mais, derrière ces barbares, hôtes et gardiens de l'empire, il y en avait beaucoup d'autres. La première invasion causa 192 déjà quelques ruines; cependant, ceux qui l'ont faite furent bientôt romanisés : mais ceux qui vinrent après étaient bar- bares dans toute l'étendue du terme ; le flot succède au flot : une nouvelle race couvre le Vieux-Monde. Il y avait sans doute diverses races parmi les vainqueurs ; cependant la race germanique est restée partout prépondérante et ses institutions ont partout prévalu. L'établissement d'un si grand nombre d'étrangers dans un pays épuisé économique- ment, comme l'était l'empire, amena nécessairement une grande révolution dans la propriété immobilière, la dernière qui subsiste après la disparition de toutes les autres. Les nou- veaux maîtres s'établirent sur les terres des vaincus et s'en attribuèrent une part. Le goût des camps, l'amour des forêts natives, ne suffisent pas pour expliquer pourquoi les barba- res, dédaignant les villes, s'établirent de préférence dans les campagnes. Les raisons économiques sont les plus propres à expliquer ce fait. En réalité, les vainqueurs n'auraient pas pu, quand ils l'auraient voulu, agir différemment. En Italie, où la misère était un peu moins grande que dans les autres provinces, ils purent établir un tribut, et les villes en reçu- rent un certain nombre, qui, au bout de quelque temps, s'a- malgama avec le reste de la population. Dans les provinces du nord, au contraire, la conquête prit d'entrée un caractère purement germanique et le conserva longtemps. Les États barbares qui se fondèrent sur les ruines de l'em- pire d'Occident continuèrent l'application des mêmes prin- cipes que nous avons rencontrés dans l'État germain primitif, et ces États n'étaient guère plus avancés dans leur formation. Les traditions romaines, l'influence toute puissante de l'Église, le fait même de la conquête et de l'établissement des ban- des errantes, qui les avaient créés sur un territoire fixe, poussèrent, bon gré, mal gré, ces États dans des voies nou- velles. 193 La nécessité d'administrer un territoire plus ou moins ('■tendu, et l'impossibilité d'effectuer régulièrement, au cen- tre de l'État, le concoure usité du peuple aux fondions du gouvernement, fit adopter d'entrée le système fédératif, qui était, (railleurs, dans les mœurs des conquérants. Les nou- veaux royaumes barbares lurent donc divisés en comtés, marquisats ou ducbés. Mais les chefs de ces districts, pri- mitivement élus par le peuple, furent généralement choisis par le roi, qui distribua d'abord ces emplois aux princi- paux officiers de l'armée conquérante, et, parmi ceux-ci, à cou d'entre eux sur la fidélité desquels il crut pouvoir compter le plus. Ces comtés ne sont autre chose qu'un dimi- nutif de l'État lui-même. Les duchés ' ne paraissent avoir été institués comme division normale de l'État, que chez les Lombards, et là ils comprenaient un certain nombre de com- tés. Il est prouvé aussi que les marquisats 2 ne sont que des comtés situés aux frontières, el qui, par cette raison, s'accru- rent plus facilement par desempièlementssur les pays voisins. Les comtés sont donc la division principale ordinaire; ils furent eux-mêmes subdivisés en centénies illundred, Ilun- tarii. Ces centénies sont les marches de la mère-patrie, avec les modifications de détail qui résultent de la diversité des circonstances de l'établissement, et de la co-existence de la race vaincue sur le territoire alïecté à la communauté. Le respect qu'inspirait aux barbares une législation et une civilisation qu'ils ne pouvaient s'approprier, et n'osaient pas détruire, joint au sentiment profond des droits de la person- 1. Le mot duché vient de duc en langue germanique; le duché s'ap- pelle Herzogthum et le duc Hersog, c'est-à-dire chef d'année. Le duc ayant des comtes sous lui, était en effet essentiellement un chef mili- taire 2. Marquisat vient de Mtuk-C rufschafl. Ici marche a le sens de frontière, limite. 194 nalité, qui fait le fond du génie germanique, les conduisit à adopter, vis-à-vis de la race latine, le système de la législation personnelle, et ce système trouva, à plus forte raison, son application lorsque plusieurs nations barbares occupaient à la fois un même territoire. L'usage de laisser subsister, côte à côte, dans le môme État, les différentes législations des nations que cet État ren- ferme, est tout-à-fait particulier à l'époque barbare; nous nous ne le retrouvons en Europe ni avant, ni après les trois ou quatre siècles qui suivirent la cbute de l'empire romain. Dans le système des législations personnelles, la loi ne régit pas le territoire de l'État, mais la personne, en raison de son origine; du reste, les individus faisant partie du môme État ne sont pas, pour cela, censés appartenir à la même nation ; quoique soumis au même prince, ils conservent la nationalité de leurs ancêtres, et sont régis par les lois qui régissaient ceux-ci. L'existence seule d'un tel ordre de cho- ses suffit pour démontrer que, dans l'époque qui nous oc- cupe, l'Etat n'était pas encore entièrement constitué, car cet ordre de choses détruit au fond l'unité de l'État, il laisse sub- sister plusieurs peuples dans un même peuple, il établit, dans le sein même de l'État, des rapports qui appartiennent pro- prement au droit international. On ne cite, dans l'histoire, d'analogue au système des législations personnelles, que le régime des castes ; encore les législations des différentes cas- tes sont-elles subordonnées à un même principe, à la même unité religieuse, en sorte que l'État reste au-dessus des castes, tandis que dans le système des législations person- nelles, l'État semble n'exister que par la juxta-position des droits particuliers. Naturellement, dans la réalisation d'un tel système, de grandes difficultés devaient se présenter. La première con- sistait à faire juger les hommes des nations subordonnées 196 par des magistrats qui, tirés dé la nation dominante, igno- raient les coutumes en vertu desquelles ils devaient juger. Dans quelques-uns des nouveaux États barbares, par exem- ple en Italie, sous les Ostrogotbs, et, en Gaule, sous les Bour- guignons, les Romains avaient <\o> magistrats pris dans leur nation; mais ce moyen ne convint pas a la plupart des conquérants, car les bénéfices de la jndicatnre n'étaient pas en ce temps un îles moindres fruits de la conquête. D'ailleurs, lorsqu'un assez grand nombre de tribus diverses étaient réu- nies dans les mêmes lieux, l'existence de tous ces fonction- naires divers eût singulièrement compliqué l'administration. Les rois francs, par exemple, avaient des sujets francs, Wisigotbs, bourguignons et romains, tous vivant indépen- dants les uns des autres et suivant chacun leurs usages na- tionaux. Dans les pays sous leur domination, comme aussi dans l'Italie supérieure sous la domination lombarde, l'Église fournil aux populations vaincues une sorte de magistrature volontaire et officieuse, que les vainqueurs autorisent ou to- lèrent: celte circonstance contribua puissamment à l'accrois- sement de l'autorité de l'Église. De même, lorsqu'on sentit le besoin île [Miser certaines rè- gles de législation pour la nation vaincue, ne fût-ce qu'afin de régler les, nombreux pas de conflit qui naissaient du sys- tème <\ti^ législations personnelles; les rois barbares, habitués à exercer le pouvoir législatif de concert avec le peuple, obligés d'ailleurs de recourir à des personnes qui possédassent la connaissance Ai~> lois qu'ils voulaient réformer ou modi- fier, s'adressèrent à l'Eglise, seule autorité constituée qui eut survécu aux invasions. On n'a pas assez remarqué que les évoques et les abbés ne siégeaient pas tant dans les conseils des rois, pendant l'épo- que barbare, pour les lumières qu'ils j apportaient, que comme représentants de fait de la race romande. 196 Cette représentation des nations sujettes ne put manquer de réveiller le sentiment national et les instincts de liberté de la race vaincue. Le système de gouvernement des Etats barbares laissait donc, autant que le comportent les conditions de la conquête, les populations vaincues en possession d'elles-mêmes, et celles-ci se laissaient gouverner par l'Église. Voilà pourquoi l'Église faisait profession de droit romain : en faisant profes- sion de droit barbare, elle aurait perdu la base de son auto- rité. Les barbares, de leur côté, continuèrent à professer leur droit particulier : ils n'auraient pu en adopter un autre beaucoup plus compliqué sans changer brusquement toutes leurs habitudes. Ce fut heureux au point de vue du progrès de l'humanité, car dans le droit barbare étaient en germe les libertés modernes; l'histoire nous montre que là où la race barbare s'est fondue de très-bonne heure avec les vaincus, cela a été au préjudice de la liberté; et, si longtemps après l'époque de la conquête, la liberté européenne a couru deux grands périls, cela est arrivé la première fois en plein moyen- âge, lorsque l'Eglise, victorieuse de l'organisation féodale, manqua imposer à la chrétienté le joug d'une écrasante théo- cratie ; la seconde fois, à la fin de la même époque, lors- que sous l'empire des idées de la Renaissance on chercha partout à rétablir, au profit de l'absolutisme monarchique, l'organisme impérial romain. Indépendamment des changements nécessités par les nou- veaux rapports qui s'établissaient avec les populations ro- mandes, soit entre des nations barbares demeurant dans la même contrée, la constitution germanique subit encore d'autres modifications fort considérables. Dans la constitution primitive, telle que Tacite la décrit, le principe démocratique est évidemment prépondérant. Le pouvoir royal n'existe pas partout, et, là où il existe, le roi 197 n'exerce une autorité véritablement souveraine que pendant la guerre, qui, de tout temps, a exigé un pouvoir plus absolu. En temps de paix, les assemblées des hommes libres déci- dent, dans leur sphère, de toutes les affaires de quelque importance. Quant à l'aristocratie, s'il y en avait une, c'était par le fait de la tradition, qui plaçait certaines familles dans un rang plus élevé que la généralité, plutôt qu'en raison de la constitution politique ; car, comme citoyens, tous les hom- mes libres paraissent égaux, et les chefs des localités sont nommés par eux. Il y avait chez les Germains des restes d'une ancienne noblesse sacerdotale, plutôt qu'une aristocratie. Mais, depuis Tacite, durant l'époque de migrations, d'inva- sions continuelles et de guerres intestines qui précéda les grandes invasions barbares, le régime militaire avait prévalu sur le régime de la paix, la royauté était devenue la règle gé- nérale, et, à côté de la royauté, s'était développée une aris- tocratie militaire fondée sur L'institution du Gasituli. Ainsi, au moment de la conquête, chaque nation germa- nique a un chef exerçant le pouvoir monarchique, soit qu'il porte le titre de roi, ce qui est le cas ordinaire, soit qu'il ne porte que le tilic de duc, comme chez les Bavarois et les Al- Lemands avanl l'incorporation de ces peuples au grand em- pire franc. Le système républicain subsiste tout au plus chez quelques peuplades sauvages de la Germanie du Nord, comme les Frisons , peuplades que Gharlemagne soumit un peu plus lard. L'aristocratie des chefs militaires, qui s'était formée durant les grandes guerres qui précédèrent la conquête, trouva de sou côté, dans l,i conquête même, l'occasion la plus favora- ble de se constituer solidement, puisque, tout naturellement, ce furent les chefs et les officiers de L'armée victorieuse qui obtinrent les emplois publics et les plus fortes répartitions de terres lors de l'établissement. 198 Il est digne de remarque qu'aussitôt après la conquête, la royauté barbare débute partout par un énergique effort pour s'emparer de la société et pour fonder, à l'aide de ce qui est encore debout des institutions romaines, l'ordre, si néces- saire dans cette confusion immense des nationalités, des ins- titutions, des idées qu'avait engendré la crise par laquelle on venait de passer. Cet effort eut un succès immédiat là où il se rencontra à la tète de la nation conquérante quelque grande individualité. La législation de Théodoric, en Italie, donne une idée de ce que devaient un peu plus tard réaliser Charle- magne etAlfred-le-Grand. Les rois des Burgondes, ceux des Wisigotbs, les Mérowingiens eux-mêmes, agirent dans la même direction , quoique avec moins d'éclat. La royauté barbare s'élève ainsi de plein saut, peu après la conquête, à la posi- tion de pouvoir politique prépondérant, et jusqu'à un certain point despotique ; mais, sauf en Espagne, où les Wisigoths se .soumirent, comme d'inclination, aux influences de l'Église et des traditions romaines, partout aussi cette première victoire, ce progrès subit de la royauté fut suivi de réactions violentes, parties des barbares eux-mêmes, et contre lesquelles, malgré l'appui de la race vaincue et de l'Église, la royauté barbare se trouva impuissante. Gomment se fait-il que cette réaction des populations con- quérantes ait eu pour effet, non le rétablissement de l'an- cienne constitution germanique, mais l'introduction dans cette constitution d'un élément nouveau, auquel, soit la démo- cratie, soit la royauté, devront bientôt céder le pas? non le triomphe de la démocratie, mais celui de l'aristocratie? Lorsque l'on voit combien, dans les premiers temps de la conquête, la démocratie était encore vivace, et, pour ainsi dire, indomptable : lorsque l'on considère la force que devait lui donner son antiquité et la simplicité de son organisation; lorsque l'on remarque que c'est elle-même qui a engagé et l'.lO soutenu longtemps la lutte avec la royauté, ce résultat doit assurément causer quelque surprise. L'explication de ce phénomène se trouve, croyons-nous, dans la transformation insensible qu'avait fait subir, à l'orga- nisation sociale des nations germaniques, le développement de l'institution du Gasmdi. Cette institution remplissail déjà en Germaine, pendant les deux ou trois siècles qui précédèrent la conquête, un rôle important. Au moment où les barbares se fixèrent, les liens person- nels qui unissaient les principaux cbefs au prince et les sol- dats aux cbefs. loin d'être rompus par rétablissement, fu- rent, au contraire resserres autant que possible. Le prince, en concédant aux cbefs des emplois publics et de vastes étendues de terres fiscales ou abandonnées, exigeait d'eux, en compensation, le renouvellement du serment de fidélité, qu'ils lui avaient prêté en entrant en campagne. Les chefs, île leur côté, concédèrent aux membres de leur gasindi des portions des terres qu'ils axaient reçues du roi, afin de les garder à leur disposition an prix de ce bienfait, boicfhium. De celte manière, à côté dv> liens de nationalité' commune, des liens de droit public qui font un seul et même corps des citoyens d'un même Kt.it. il s'est formé, non pas entre tous le» barbares, ni même entre la majorité d'entre eux. mais entre les plus influents, les plus puissants, les plus riches, ceux qui possèdenl les principales fonctions civiles et .militai- res, et le roi d'une part •. puis entre ces mêmes puissants et la partie la plus remuante, la plus belliqueuse, la plus entre- prenante du peuple \aiinpienr, d'antre part, un lien d'une nature toute spéciale, le lien de fidélité, lequel n'est autre chose que celui ipii, déjà en Germanie, unissait le chef dd Qaaindi avec ses compagnons. Ce lien de fidélité acceptée et promise volontairement, et 200 qui se traduit par le service militaire, est comme une exten- sion des rapports qui unissent à son chef les membres de la famille, et que les Germains appelaient le mundium. Chez un peuple qui n*a pas de demeures fixes, et dont le dévelop- pement dépasse les limites de la famille ou du clan; ou bien chez lequel, comme c'est le cas chez les Germains, le principe de l'individualité tend à briser l'unité indissoluble de la famille purement patriarcale, ces engagements volontaires étaient au fond le moyen le plus convenable de maintenir un peuple en société; ils contrebalançaient ce qu'il y avait de dissolvant dans la liberté barbare. Les peuples nomades qui ne sont pas reliés par la religion, comme les Hébreux dans le désert, comme les Arabes modernes, redeviennent sauvages. Il en serait peut-être advenu de même aux Germains, pen- dant les migrations du commencement de notre ère, si le lien de fidélité n'eût pas été chez eux tellement en honneur. On pourrait dire que l'ordre social barbare a été. pendant une certaine période, fondé sur la liberté individuelle, dans laquelle se résument les droits des divers ordres, tempérée par la fidélité dans laquelle se résument les devoirs sociaux. Naturellement, de tels principes ne pouvaient régir que de petits peuples nomades. Ils durent se modifier du moment que la nation s'accroissait ou se fixait : c'est aussi ce qui eut lieu. Nous avons déjà observé qu'à l'arrivée des barbares sur le territoire de l'empire, ce fut l'Eglise qui. nonobstant qu'elle professa un droit différent, leur fournit le principe d'unité dont ils étaient dépourvus par eux-mêmes. Les barbares avaient pu détruire l'empire, ils pouvaient continuera se détruire les uns les autres; mais, réduits à leurs propres forces, ils ne pouvaient se constituer en Etats. Leurs coutumes n'auraient pas suffi à les tenir réunis au mi- lieu de populations vaincues, mais encore plus nombreuses qu'eux. Et voyez, l'unité que le monde germanique n'avait pu 201 trouver dans bcs propres demeures, il la trouve au milieu des vaincus, à l'aide des vaincus eux-mêmes, auxquels il don- nera en échange de nouvelles libertés; fle cette combinai- son sortira un systèmesocial entièrement nouveau. Mais n'an- ticipons pas sur les événements. Le principe de la fidélité militaire; développé comme il le fut après la conquête par la concession de bénéfices et de fonc- tions publiques, est la véritable source de l'influence toujours croissante de l'aristocratie barbare, et la prépondérance que cette aristocratie acquit aux dépens de la royauté et de la démocratie procura L'accès au système politique qui prévalut au moyen-âge sous le nom de féodalité. La féodalité, pendant le temps où elle a régi la société, em- brassa et domina toutes les sphères du droit, le droit privé comme le droit public: une discussion approfondie sur ses origines nous entraînerait trop loin pour qu'elle puisse trou- ver place ici. Mais il est nécessaire, pour l'intelligence de notre sujet, d'indiquer notre point de vue sommairement, sur cette question tant débattue et cependant toujours nou- velle '. La fidélité militaire est l'un des éléments qui ont contribué à la formation de la féodalité du moyen-âge, concurremment avec d'autres, moins remarqués peut-être, et dont il faut aussi tenir compte. Quelque chose de semblable au système féodal, et qui pourrait fort bien recevoir ce nom, s'est pro- duit à toutes les époques de l'histoire de l'humanité et dans toutes les formes de société, sous l'empire de circonstances économiques données : savoir, lorsque, soit parce que la 1. L'histoire comparée des institutions féodales, envisagées non seu- lement sous le point de vue politique, mais encore et surtout sous le point de vue du droit privé, de leur origine, des phases diverses de leur développement et des variétés bien distinctes qu'elles renferment, sera l'objet d'un travail spécial, qui ne tardera pas à être publié. 14 202 richesse ne s'est pas encore suffisamment développée, soit ensuite d'une décadence divitiale survenue par des causes quelconques, la terre se trouve être la seule valeur dispo- nible sur laquelle l'État puisse asseoir les services publics. Placé dans ces circonstances, l'État, en accordant la jouis- sance de certaines terres pour prix des services qu'il est obligé d'exiger et des fonctions qui le constituent, ne fait que subir la loi de la nécessité. J'appellerai donc la féodalité normale « le système social qui fait reposer l'obligation d'un certain service et le droit correspondant sur la possession d'une certaine terre, » puis- que, dans tous les systèmes féodaux que l'histoire nous montre, cet élément, produit de circonstances économiques, pourrait se retrouver *. Sous le régime impérial romain, la propriété était devenue entièrement privée et individuelle, et le système de l'impôt, qui remplace dans les sociétés économiquement avancées le système féodal, comme mode de pourvoir aux services pu- blics, était établi depuis longtemps et excessivement perfec- tionné. L'exagération même du système de l'impôt dans la- quelle on se jeta, l'abus que l'on en fit sous les empereurs, fut précisément cause que l'on vit alors la société rétrograder vers une phase économique qui avait été dès longtemps dé- passée. Tous les récits contemporains et les lois elles-mêmes nous dépeignent l'état économique de cette période sous les cou- leurs les plus sombres. Les désordres, l'énorme consomma- tion improductive des classes supérieures, la funeste influence de l'esclavage et les latifundia avaient préparé de longue main le dépérissement de la richesse publique : les extorsions du fisc impérial l'achevèrent. \. Voyez quatre articles sur les rapports du droit avec l'économie politique, insérés dans la Bibliothèque universelle (années 1849 et 1850> 203 Le gouvernement des provinces par la conquête romaine n'avait été. dès l'origine, qu'une exploitation régularisée et une spoliation systématisée; Cet étal de choses alla toujours en empirant, sauf quelques moments de répit qui ne duraient pas assez pour exercer une influence sensible sur le bien-être des populations. L'impôt ruinait et désolait les villes et les campagnes, les contribuables étaient placés sous un régime de terreur auquel la raison refuserait de croire s'il n'était pas attesté par les té- moignages les plus irrécusables. Des charges intolérables, excessives, souvent plus élevées que le produit des terres imposées, étaient encore accrues par les nombreuses exemp-* tions de l'impôt que les empereurs accordaient aux soutiens de leur despotisme, aux employés, aux militaires, aux cour- tisans. Le code de Théodose contient une liste interminable de personnes à qui étaient accordées de telles exemptions; à ce privilège s'ajoutait souvent le droit de percevoir une partie du tribut. Un tel gaspillage explique fort bien comment le fisc pouvait être au dépourvu, tout en pesant d'un poids énor- me sur les populations. Cette oppression liscale pesait surtout sur les cultivateurs, sur la petite propriété et sur la classe moyenne des cités, c'est-à-dire sur les classes qui, dans des conditions écono- miques convenables, accroissent le capital social par leur épargne et leur travail. Ainsi, tandis que d'un côté on dissipait follement et crimi- nellement les capitaux dont l'accumulation constitue la ri- eiesse nationale, de l'autre on fanait tout ce qu'il fallait pour en empêcher la reproduction. Les résultats d'une telle oppression furent ceux qu'on en pouvait attendre : la haine des populations, la fuite des cul- tivateurs, l'abandon des terres cultivables, l'appauvrissement général, les révoltes sans cesse renouvelées et toujours im- 204 puissantes des tributaires poussés au désespoir. Les provin- ces étaient converties en vastes solitudes que les empereurs tentaient en vain de repeupler, en y établissant, à l'aide d'exemptions d'impôts, des vétérans ou des barbares. En présence de ce déclin immense, irrémédiable de la ri- chesse publique, on fut forcé de recourir, dans les derniers temps de l'empire, à des expédients qui appartiennent déjà au système féodal. Dans les terres empbithéotes assignées par l'État aux militaires et aux lœtes que l'on chargeait de la dé- fense des frontières, on a vu, non sans raison, un antécé- dent des bénéfices militaires, tels qu'ils furent institués plus tard. Après la conquête, les barbares trouvèrent dans les pro- vinces la même misère sous le poids de laquelle l'empire s'é- tait affaissé. La conquête ne fit qu'empirer cet état par les dévastations et les guerres incessantes dont elle fut accompa- gnée. Voilà comme, par une conséquence immédiate de l'état financier, s'est opérée en Europe cette grande révolution qui a fait revenir la société, du système de la propriété libre et de l'impôt, à l'état féodal ; révolution dont la marche compliquée occupe tout le moyen-âge, et dont les résultats se produisent encore de nos jours. Déjà avant l'arrivée des barbares, on avait commencé bien manifestement à établir les fonctions publiques sur la terre, leur invasion fait disparaître le peu qui restait encore de capitaux en circulation, et la nécessité de recourir à la terre, seul capital disponible, afin de rému- nérer les services publics, devient encore plus pressante. La féodalité sera donc désormais le fait général, rien n'échappera plus à sa loi, attendu qu'elle est le seul système dans lequel puisse vivre la société. Dans la féodalité du moyen-âge, nous avons signalé des côtés, divers traits spéciaux très-importants qui appartiennent 205 évidemment à l'élément gcrmaniifup : il y en a d'autres assez nombreux, el guère moine essentiels, qui sont d'origine ro- maine ; mais la cause efficiente qui produisit la féodalité du iniiveii-àue était une loi économique étrangère aux natio- nalités. Dans les Etats barbares issus de la conquête, l'aristocratie repose sur une double base : les charges publiques et la pro- priété' foncière concédée en bénéfice; elle comprend deux classes distinctes, celle des employés et celle des propriétai- res; comme la plupart des officiers publies de quelque im- portance étaient en même temps grands propriétaires, et, comme lels. seigneurs bénéficiers, on a généralement con- fondu ces deux Classée en une seule. Cependant, il pouvait y avoir, el il j eut certainement, bon nombre de seigneurs bé- néliciers qui n'étaient pas fonctionnaires publics. Le Service militaire pour la défense du pays était aussi dû, dans l'État barbare, par tous les bommes libres, selon le s\s- tème germanique primitif '. Ce n'était donc pas la défense de l'Étal qui reposai! sur la possession de certaines terres, com- me cela avail eu lieu dans les derniers temps de l'empire ro- main. Le service militaire du par les fidèles - était un service personnel; mais comme le lien de droit public tendait à se relâcher toujours davantage, et que. d'un autre coté, les rois barbares avaient pour fidèles la plupart des liants fonction- naires et les principaux seigneurs bénéficiers, le moment I. C'esl le servie* de Vflèritmn. Hcribtntnum, le ban de l'armée. Le bannum cm l'injonction faite au nom du pouvoir public, ci munie d'uiir clause pénale on cas île désobéissance. -2. Le mut fidèle, par lequel on désignait 1rs détenteurs il'1 béné- fices militaires, s'explique do lui-même par la nature du lion qui les unissait à loin- chef. En langue germanique on les appelait Irudes, de lent en, qui signifie les gens, les serviteurs. C'est évidemment de la même étymologie qu'est sortie l'expression leti, usitée sous le régime 206 • arriva bientôt où les rois, eux-mêmes, firent la guerre plutôt à l'aide de leurs fidèles qu'au moyen des contingents natio- naux, qu'il était difficile de rassembler, plus difficile encore de retenir durant une expédition lointaine ou prolongée. Bien qu'issue de l'institution toute germanique du Gasindi, la classe des seigneurs bénéficiers n'était pas exclusivement d'origine barbare. Déjà, dans l'empire romain, les grands propriétaires fonciers formaient une aristocratie de fait. Les lois de Théodose et de Justinien nous apprennent que la pe- tite et la moyenne propriétés livraient seules le tribut aux curies, et que les grands propriétaires, potentes, potentiores, étaient exercés par le gouverneur de la province, prœses, lorsqu'ils n'étaient pas immunes, ce qui était le cas le plus fréquent sans doute. Même dans certains cas, le soin de leur faire payer leur part des impôts était laissé à l'empereur, lorsque leur résistance eût été à craindre pour le gouver- neur lui-même. L'influence de cespotentes est indiquée, sous d'autres rap- ports encore, comme redoutable pour l'autorité publique. C'était à eux que les empereurs avaient défendu, par des édits répétés, de prendre les plaideurs sous leur protection et de placer sous leur nom les propriétés des hommes libres qui acceptaient leur patronage. Après la conquête, beaucoup de nobles et de potentes romains entrèrent dans la cour des rois barbares, y briguèrent des emplois et sollicitèrent d'être pla- romain ; on les appela aussi antrustions, de Iruslis, qui est une cor- ruption de treue, fidélité. Le mot vassus, qui était aussi appliqué aux fidèles, vient, suivant les uns, de bassus, qui signifierait les inférieurs, le junior, en opposi- tion au senior ; selon d'autres, vassus dériverait de guasallus, traduc- tion romande de gesell, qui signifie compagnon. — Une troisième opi- nion l'a fait venir du mot celtique gwas, jeune homme à la suite d'un chef. -207 cés au nombre de leursfidèles. Ainsi, le séniorat germanique et le patrociniat romain se confondirent dans une seule et môme institution, le bénéfice, qui, seulement au 9me siècle, prit gé- néralement le nom de fief. Si l'on peut admettre que la no- blesse bénéficiaire ait été en majorité d'origine barbare, il serait contraire à la vérité historique de dire avec beaucoup d'écrivains, Montesquieu entre autres, qu'elle le fut totale- ment. Une partie, plus considérable peut-être, sinon par le nom- bre, du moins par l'influence et la dignité, de la nouvelle aristocratie, se composait des détenteurs des emplois publics; ceux-ci avaient sans doute reçu leur part des terres à l'époque des répartitions, et les avaient aussi rétrocédées en partie, sous forme de bénéfice militaire ; ils tenaient par là à l'aristocratie bénéficiaire et au système féodal proprement dit. qui repose sur l'association de la fonction publique et de la terre; pour- tant des concessions de terre ne furent pas la seule rénumé- ration des offices publics sous le gouvernement barbare. Il est aujourd'hui prouvé que le système de l'impôt romain ne fut point aboli l'une manière générale par les conquérants germains, ainsi qu'on l'a cru: qu'il fut, au contraire, à quel- ques exceptions près, maintenu à l'égard de la race vaincue. La race victorieuse avait, de son coté, la charge si lourde du service militaire, soit celui de Vheriban, soit celui qui résul- tait d'engagements particuliers; d'ailleurs, le premier objet de la convoitise îles chefs barbares, lorsqu'ils envahirent le territoire île l'empire, ne devait-il pas être les biens et les revenus de l'Ktat? Sous le régime impérial, l'impôt était perçu par d'assez nombreux fonctionnaires, portant le nom générique de ju- dires. Leur traitement consistait dans une part aliquote des perceptions, ils rendaient compte du reste au fisc. Sous le ré- gime barbare, les offices principaux, ceux du graf, qui prit le 208 nom de comte, et ceux des vicarii, vicomtes ou centeniers, qui remplaçaient le comte et gouvernaient une partie d'un comté, furent pourvus par les vainqueurs selon leurs usages; ces divers fonctionnaires furent chargés par le roi de perce- voir le tribut, dont ils lui rendaient compte en continuant à en retenir une partie. Sous eux, l'on maintint des exacteurs subalternes, choisis probablement parmi les Romains, et qui, connaissant à fond la pratique de la perception, en apprirent les secrets à leurs nouveaux maîtres. Loin de tendre à diminuer, l'attribution partielle du cens public, que les Romains appelaient honor, se multiplia sous les barbares; de nombreux éléments du fisc reçurent cette destination, môme à perpétuité. Le mot justifia, prit, dans le latin de l'époque barbare, un sens dérivé et devint synonyme du mot honneur, parce que ces honneurs étaient ordinaire- ment accordés aux fonctionnaires publics. On donne également, durant l'époque barbare, le nom d'honneur aux fonctions rétribuées au moyen de cette attri- bution d'une part de l'impôt. La possession des charges auxquelles étaient attachés les honneurs, les efforts que les grands firent lorsqu'ils les eu- rent obtenus pour rendre leur fonction d'abord viagère, puis ensuite héréditaire, a été l'objet de luttes continuelles durant toute l'époque barbare, luttes sur* lesquelles nous aurons bientôt à revenir. L'usage de rétribuer les fonctions au moyen de la terre était devenu tellement général après la conquête, que ce fut aussi le mode employé pour rétribuer les fonctionnaires de l'Église. Les bénéfices ecclésiastiques, pour avoir une autre destination que les bénéfices militaires, n'en sont pas moins profondément empreints du caractère féodal. La hiérarchie féodale et la hiérarchie ecclésiastique ne sont certainement pas identiques. Cependant, qu'est-ce que le fief, sinon un bé- 209 nélice devenu héréditaire? L'analogie des mots est aussi dans les choses, et dans la dépendance féodale on trouve aussi bien des rapports avec la dépendance ecclésiastique. Les barbares, néophytes zélés, se montrèrent généreux envers l'Kghse: les bénéfices ecclésiastiques augmentèrent en outre de valeur, parce que l'Église, fidèle alors à la loi du travail, entreprit avec ardeur le défrichement des terres désertes, si nombreu- ses en ce temps-là. La nation des Francs domine l'époque barbare; elle porte aver elle la fortune de l'humanité; c'e9t par elle qu'a été fondé L'empire d'Occident; c'est de ses institutions qu'est sorti le système juridique qui fut adopté par l'Europe entière, le sys- tème de la féodalité. L'histoire de la constitution de ce peuple est aussi celle qui présente le tableau le plus animé. C'est une histoire pleine de mouvement et de révolutions, de réactions et de péripéties. Ki ceci avail sa raison dans les choses; toul en faisant la pan des accidents et du génie particulier à chaque peuple, 01 peut remarquer que chez, aucune autre nation barbare les trois éléments qui constituent le fond de la civilisation mo- derne, le romanisme, le germanisme et Le christianisme, et les trois modes principaux de gouvernement que le système constitutionnel moderne cherche à concilier, la démocratie. l'aristocratie et la monarchie, ne se trouvent combinés dans d'aussi justes proportions : or, dans ce monde. Lorsque des principes opposés et également puissants se trouvent en pré- sence, il est ordinaire qu'ils commencent par se mettre aux luises : la paix et L'équilibre ne surviennent qu'après et de guerre Lasse. Tous Les éléments de Lutte étaient donc là, et les occasions de lutte ne pouvaient pas manquer. Ce que nous axons dit du premier essor que prit la royauté' barbare, du déclin des libertés démocratiques, de la nais- sance de L'aristocratie, de ses luttes et son triomphe, trouve, 210 à l'égard de la nation des Francs, la plus complète appli- cation. Ainsi, sous tous les rapports, le puissant empire fondé par Clovis dans les Gaules deviendra le théâtre principal de l'ac- tion exercée par le système social germanique sur la civilisa- tion européenne. La royauté germaine combinait l'hérédité et l'élection, ou choisissait volontiers le roi dans la famille régnante et parmi les enfants mâles du défunt roi, s'il en laissait qui fussent en âge de régner; mais, en réalité, le roi était élu par la nation. Chez les tribus franques, avant la conquête des Gaules, la royauté, si elle existait, était de date récente ; Grégoire de Tours doute même qu'alors les chefs des Francs fussent de véritables rois. Depuis Clovis. la royauté, et la royauté héré- ditaire, prit possession, en Gaule comme ailleurs, de la so- ciété naissante ; par ses victoires, Fassassinat de ses rivaux et la protection du clergé, Clovis fonda d'un seul coup, clans cette vaste contrée, l'unité de dynastie et l'unité de territoire. Cependant cette dernière unité ne fut encore qu'un accident; il existait chez les Francs deux tendances contraires : les princes, par ambition et par instinct monarchiques, visaient à la maintenir; mais la nation, envisageant la succession à la royauté de la même manière que l'héritage d'une propriété privée, lui appliquait le droit commun. L'unité de territoire cessa donc, dès la mort de Clovis, pour ne reparaître, sous les Mérovingiens, que durant de courts intervalles. En droit, la souveraineté résidait dans l'assemblée géné- rale de la nation, et s'exerçait dans les Champs-de-Mars ou dans les Champs-de-Mai, sous la présidence du roi. Bien que l'État fut composé de diverses nations, les Francs étaient tou- jours censés la nation dominante, et ils assistaient seuls à ces assemblées, qui, sous les premiers Mérovingiens, étaient en- core fréquentes, mais semblent avoir été essentiellement des -211 réunions de guerriers qui venaient passer revue. A cette oc- casion, chacun apportait au roi un présent annuel et volon- taire, seul impôt que la liberté germaine crut conciliable avec sa dignité; puis l'on décidait quelque expédition, ou bien Ton se partageait le butin de la dernière guerre. C'était là à peu près tout ce qui pouvait être traité en commun : on n'aurait pas eu matériellement le temps de s'occuper d'objets de législation ou d'administration un peu compliqués, encore moins de rendre la justice. Le gouvernement était laissé au roi et à d'autres assemblées moins nombreuses, composées d'évéquefi et de leudes royaux. Ces réunions, sans caractère bien régulier, formaient cependant une sorte d'intervention de la nation dans le gouvernement, tout-à-fait favorable à l'aristocratie. La justice se rendait principalement dans les assemblées locales des comtés et des eentenies, que l'on trouve organi- sées régulièrement chez les Francs, comme chez les autres nations germaniques, dès leur établissement Le nombre des comtés dut être, dès l'origine, assez considé- rable, puisque, dans la suite, ceux des Gaules seulement s'é- levaient à trois cents. On ne \oit pas que les divers employés placés à la tète des circonscriptions locales aient jamais été, depuis la conquête franque, élus par les hommes libres. Le roi distribuait ces fonctions importantes à ses leudes et à ses favoris. Cette distribution des offices par la couronne, qui consti- tuait une déviation grave aux anciens usages germaniques, fut. pour la royauté, un puissant moyen d'influence, mais aussi un grand danger. L'élection des magistrats par le peu- ple eùi empêché de transformer les offices en possessions privées et héréditaires, elle eût supprimé la cause de ces coa- litions des grands devant lesquelles les deux dynasties fran- ques succombèrent successivement. 212 Eichorn a admis une distinction de provinces franques et provinces romaines, lesquelles auraient été administrées par des employés différents et dans un système différent. Cette hypothèse ne me paraît nullement justifiée. LesFrancs étaient partout mêlés aux Romains, et les mêmes employés royaux gouvernaient les diverses races placées dans la circonscrip- tion de leur office. Seulement, en raison du principe des lé- gislations personnelles, les employés francs laissèrent, soit à des subordonnés romains, soit aux évoques, le soin de rendre la justice aux sujets de la race vaincue. Du reste, dans le principe, les conquérants changèrent le moins qu'ils purent au gouvernement intérieur des vaincus : lorsqu'ils innovèrent, ce ne fut que par nécessité. En parcourant les chroniques de l'époque, on voit, d'après la consonnance des noms, que les ducs et les patrices, chefs militaires, qui étaient à la tôle de vastes circonscriptions or- dinairement situées aux frontières, étaient tous d'origine bar- bare, ainsi que la plupart des comtes, tandis que les officiers placés sous les comtes, vicarii, centenarii. tmgini, tribuni, étaient assez souvent Romains. La nature du pouvoir des rois mérovingiens était très-in- déterminée : c'était un pouvoir personnel et de fait, plus en- core qu'un pouvoir public, une force agissant au milieu d'au- tres forces plutôt qu'une magistrature fonctionnant au sein d'une société organisée. L'idée du droit n'aurait pas suffi dans ces temps pour faire respecter le pouvoir; il fallait, pour qu'il se fit respecter, qu'il fût fort par lui-même. Le roi ne s'élevait au-dessus de ses sauvages compatriotes, ne parve- nait à diriger leurs volontés capricieuses, qu'autant qu'il avait en lui-même, dans sa vertu guerrière, dans ses leudes, dans ses richesses, les moyens d'imposer sa volonté à ses sujets. La royauté trouva de bonne heure de puissants auxiliaires dans le clergé et dans la population vaincue, sur laquelle 213 le clergé avait toute influence. Le souvenir des institution^ romaines était encore présent: afin de créer de nouveau mie force capable de maintenir l'ordre et la paix dans In société, le clergé s'efforça de rétablir l'autorité impériale au profit des Mérowingiens. Ceux-ci s'empressèrent d'entrer dans dés vues if ni llaltaienl leurs penchants ambitieux. La royauté im- parfaite des forêts de la Germanie tend à se transformer; les mi» bancs se considèrent comme les héritiers de l'empereur, ils invoquent la loi romaine, ils s'attribuent l'inviolabilité dont elle entourait les princes, ils revêtent les titres magni- tiques et les attributs imposants qu'elle avait inventé'» pour lui. La religion, de son côté, représente à l'imagination des peuples la royauté comme une délégation de la puissance di- vine. Cette transformation s'annonce dans les habitudes et le langage des Mérowingiens aussi bien que dans leur conduite politique ; ils se livrent au luxe, aux raffinements de la civi- lisation romaine, et remplissent leur cour de Romains, dont la souplesse s'accommode mieux à leurs caprices que la ru- desse barbare : c'est un commencement de réaction des vain- cus sur les vainqueurs. Mai> si le prince a puisé une force nouvelle dans les insti- tutions impériales, l'aristocratie franque est aussi devenue plus puissante, les positions qu'elle occupe désormais dans la société lui permettent de résister aux prétentions du monarque, de l'attaquer à leur tour, et, souvent, de lui faire la loi. Les uns, comtes et ducs, administrent les provin- ces et les cités du royaume, moins comme délégués que pour leur propre compte : ils ne sont fonctionnaires que de nom. Ceux des seigneurs francs qui occupent des emplois auprès du prince sembleraient devoir en dépendre, mais il n'en est pas toujours ainsi : ils s'entendent avec les grands des provinces. Les courtisans gaulois sont en général les ins- truments du roi, dont la faveur seule les a élevés; les Francs, % 214 plus fiers, restent auprès du prince, afin de mieux le domi- ner. Cela se remarque surtout dans les minorités. Dans sa lutte avec la couronne, l'aristocratie a l'avantage d'avoir derrière elle la masse de la nation conquérante. Tan- disque les rois sont entraînés par la nécessité des choses loin des souvenirs de la Germanie, cette masse inculte et farouche s'obstine à rester dans sa barbarie : l'espèce de république primitive dans laquelle ses ancêtres ont vécu est toujours, à ses yeux, l'idéal du gouvernement; bien qu'elle ne sache pas comment la conserver au milieu de si nouveaux rapports, elle déteste et repousse toute innovation. Le désordre actuel lui profite d'ailleurs, la conquête est venue ajouter aux plaisirs de l'indépendance ceux de la richesse : la masse ne voit pas l'utilité d'un ordre de choses plus régulier. On a parlé de la fainéantise des Mérovingiens. L'histoire nous montre, au contraire, de Clovis à Brunehilde, une lutte violente. La loi ripuaire, plus récente que la loi salique, et les nombreux décrets et édits mérowingiens, en rendent té- moignage; mais l'aristocratie finit par l'emporter. Brunehilde, cette énergiqueEspagnole, la plus grande reine que la France ait eu jusqu'à Blanche de Castille, parvint, pen- dant trois générations de rois, à soutenir l'autorité de la cou- ronne. Elle vaincue, la royauté le fut aussi. Le traité de 615, entre Clotaire II et les leudes d'Austrasie et de Bourgogne, qui lui ont livré leur reine , en faisant du maire du palais un emploi héréditaire et électif, réduisait la royauté à l'impuis- sance. En effet, les maires du palais disposaient de tous les emplois et de tous les bénéfices royaux, et s'étaient engagés, de leur côté, à les laisser à ceux qui en étaient en possession. Le reste de l'histoire des Mérowingiens n'est plus un com- bat, mais une agonie. Sous Dagobert brille encore un der- nier rayon de la splendeur mérovingienne, et puis elle s'éteint: les formes romaines disparaissent, la ligue de l'a- 215 ristucratie ramène violemment la société en arrière; la tâche de civiliser les barbares avait dépassé les forces des descen- dants de Clovis : ils n'ont guère réussi qu'à faire renaître en partie les abus et les misères de la Gaule impériale. Au fond, le progrès était plutôt de leur côté, mais les moyens dont ils pouvaient se servir pour le réaliser n'étaient pas proportionnés à la grandeur et à la difficulté du but ; la créa- tion éphémère du clergé gaulois s'écroula dans son impuis- sance. Dans la lutte des éléments monarchique, démocratique et aristocratique, à laquelle nous avons assisté, la royauté et l'aristocratie ont eu seuls la conscience de leur but, et ont seuls été réellement aux prises. La démocratie franque n'a été qu'un instrument aveugle dans les mains des leudes, le plus souvent : une ou deux fois sous Brunehilde et sous Ebroin, dans les mains de la royauté. A l'issue, l'élément aris- tocratique est le seul qui ait gagné du terrain, encore n'a-t- il acquis ni organisation, ni stabilité. La domination de Pépin de Heristal et de ses illustres des- cendants est bien, comme Augustin Thierry s'est attaché à le démontrer, une seconde conquête des Francs d'Austrasie et de Franconie sur les royaumes déjà à trois quarts romanisés de Neustrie et de Bourgogne. Ce fut en même temps une res- tauration des anciennes coutumes germaniques. Toutefois, les Francs du VIIe siècle n'étaient plus les Francs du IVe, et le rôle étrange d'une royauté asservie à l'un de ses feudataires n'est pasl'unique différence entre les deux époques. Le peuple n'est guère moins annulé que le roi, il ne figurera plus dans les assemblées nationales que comme l'appendice des grands. Les chefs seuls débattent les intérêts publics avec le duc d'Austrasie, les hommes libres de moyenne condition qui s'obstinent encore dans leur indépendance ou leur isolement, ont perdu toute influence. 216 Quant à la masse des populations gallo-romaines, elle n'était représentée qu'indirectement par les évêques, dont l'influence a d'ailleurs baissé momentanémentdans les Gaules sous les gouvernements tout militaires de Pépin de Héristal et de Charles-Martel. Nous sommes arrivés à l'événement le plus important de cette période: la restauration de l'empire d'Occident. Depuis quatre siècles les barbares se succédaient sur les terres de l'empire, se combattant sans cesse" les uns les au- tres ; menacés par d'autres barbares, il semblait qu ils ne pussent prendre racine en aucun lieu. L'Église leur avait donné l'unité religieuse et conservait autant que possible les restes de l'organisation civile romaine; elle préparait ainsi, par une politique habile, cette nouvelle unité à laquelle elle a donnélebeaunomdechrétienté.Maisl'unité à laquelle l'Église appelait l'Occident n'avait encore qu'une sanction morale, et Rome éprouvait le besoin d'ajouter à la parole un bras qui put porter, pour sa défense, cette épée que le Christ lui interdi- sait; au chef religieux on sentait la nécessité d'associer un chef civil. Les périls étaient grands. Dans l'Orient une religion nouvelle se propageait, non par la parole, mais par le sabre. Déjà elle menaçait l'Occident. La chrétienté avait succombé en Orient, l'Espagne était occupée par les musulmans. Du Septentrion s'avançait un nouveau flot de barbares païens. Les périls communs sont l'origine des fortes constitutions. Il fallait une main puissante pour rétablir l'unité chrétienne, menacée de tous les côtés. Rome, mal protégée par les faibles empereurs grecs, re- doutant les Lombards, ses adversaires de longue date, conçut alors le hardi projet de rétablir l'empire romain sur une sou- che barbare, et de centraliser le gouvernement des choses temporelles, comme elle centralisait en elle le gouvernement religieux. -217 Rome était conduite à la réalisation de ce dessein par le courant général des idées autant que par le sentiment de ses dangers. Depuis que l'empire romain était tombé, on sentait un grand vide dans le monde, aucune institution n'avait pu prendre sa place, aucun des essais de reconstruction sociale tentés en divers lieux n'avait pu s'affermir, l'espoir et les sou- pirs des peuples foulés par la barbarie se reportaient tou- jours à cette majestueuse unité romaine, d'autant plus re- grettée que les générations nouvelles n'en avaient pas senti le poids. Une fois le plan formé de rétablir une force politique cen- trale dans le monde occidental, il ne pouvait y avoir lieu d'hé- sitersur la race qui devrait être appelée à porter la couronne. La race des Francs, déjà célèbre depuisClovis, venait de s'il- lustrer par d'éclatantes victoires sur les infidèles. A Poitiers, Charles-Martel avait arrêté l'islamisme, qui n'a- vait jamaisreculé jusqu'alors. Pepin-le- Bref avait sauvé la pa- pauté de l'étreinte des remuantsLombards.etlepapeavaitinau- guré en lui une nouvelle dynastie : l'oint de l'Église devait être prisdans cette souche énergique et glorieuse. Charlemagne, le descendant de ces grands hommes, était lui-même l'homme le plus capable de porter la couronne impériale et de la faire respecter: à la tête d'une force militaire sans rivale en Occi- dent, il était, de plus, homme de génie et ami de l'Église. Léon III, en consacrant Charles empereur des Romains, ache- vait on ne peut plus heureusement l'œuvre de Zacharie. Le titre que reçut Charlemagne est le plus élevé qui ait ja- mais existé : son empire n'est pas seulement un fait comme l'empire romain, c'est une idée grande comme le inonde ; car, comme dit un vieil adage catholique: « Un seul Dieu, un seul pape, un seul empereur. » Charlemagne. nature émi- nemment imposante, était propre à réaliser cette belle pensée, pour autant que les temps l'y appelaient. L'idéal de Tempire 15 218 chrétien a occupé les esprits pendant plusieurs siècles, mais jamais il ne fût aussi près de se réaliser qu'à l'époque où l'idée en surgit pour la première fois ! L'œuvre matérielle de Charlemagne s'est brisée, il est vrai ; elle ne dura pour ainsi dire qu'un instant, mais ses conséquences se font encore sen- tir : l'impulsion donnée au monde par ce géant du moyen-âge dure depuis dix siècles, de nos jours encore on peut la cons- tater. Aussi , parmi les traditions des nations modernes, aucun nom plus populaire que celui-là; PÉgliseen a fait un saint, les publicistes un législateur, les hommes de guerre un grand capitaine, les romanciers le type de la chevalerie, les lettrés un protecteur des lettres ; tous les grands hommes des temps modernes, Philippe-Auguste, Charles-Quint, Napoléon, ont voulu lui être comparé ; il n'est personne à qui l'histoire ait rendu tant d'hommages divers, personne sur qui on ait au- tant écrit, et pourtant son histoire n'est pas encore faite. Dans son œuvre politique, la seule que nous ayons ici à considérer, il y a deux faces: la tâche du guerrier et celle du législateur. Pour repousser avec succès les ennemis extérieurs de la chrétienté, cette double invasion de barbares païens et mu- sulmans qui menaçaient l'Europe au nord, à l'est et au midi, il fallait d'abord rallier toutes les forces disponibles de l'Oc- cident, les arracher aux impulsions diverses qu'elles sui- vaient, pour les réunir sous une direction énergique. La pre- mière chose à faire était donc de soumettre définitivement les nombreuses populations du grand royaume franc qui es- sayaient encore d'échapper à ses lois, les Aquitains, les Bas- ques, les Celtes armoricains, nationalités hétérogènes toujours impatientes du joug germanique ; les Frisons, les Allemands, les Bavarois, chez qui l'esprit de sauvage indépendance des an- ciens Germains, luttait encore contre l'influence du christia- 219 nisme et l'ascendant du peuple franc. Il fallait également s'assurer des Lombards, auxquels Pépin avait laissé leur auto- nomie et qui en avaient aussitôt usé pour s'allier aux ennemis de Charles. Et tandis que l'attention et les forces du roi des Francs se dirigeaient sur quelques ennemis intérieurs, les at- taques du dehors commençaient à une autre extrémité de l'empire ; puis, lorsqu'il était allé repousser l'ennemi aux frontières, les résistances de l'intérieur éclataient de nou- veau. Il fallait, certes, le vol de l'aigle pour être ainsi présent partout dans un empire si vaste et dans un temps où les facilités de communications n'existaient nulle part. A l'extérieur, les guerres de Charlemagne sont essentielle- ment défensives; mais il ne se borne pas, comme autrefois les empereurs romains, à défendre les frontières de l'empire : il transporte la lutte chez les peuples qui veulent asservir le sien, il va les chercher chez eux, des Pyrénées à l'Ébre, du Danube aux Garpathes, du Rhin à la Vistule : il s'efforce de les faire, autant qu'il peut, sortir de leur barbarie, il les con- traint à entrer dans l'Église et dans l'empire; et lorsqu'il est parvenu à faire accepter sa domination, il les laisse postés aux confins de ses États avec la charge de les défendre à leur tour contre ces autres barbares plus éloignés, qui, du fond de la Scandinavie, de la Chine, de la Tartarie et de l'Afrique, s'élancent encore vers l'Occident. C'est ainsi que les Slaves, les Huns-Awares et jusqu'aux émirs musulmans de la Catalogne et de l' Aragon, vaincus p&r la fortune du grand empereur, non seulement cessent de s'attaquer à lui. mais finissent par reconnaître sa supré- matie. La guerre défensive est devenue offensive et conqué- rante, non par goût d'aventure et de pillage, comme autrefois chez les barbares, mais par politique et par nécessité. Entre Les innombrables guerres de ce règne d'un demi- siècle, où les instants de paix s'aperçoivent à peine, il en est 220 une qui est comme répopée sanglante à côté de laquelle les autres ne sont guère que des épisodes plus ou moins bril- lants : c'est la guerre des Saxons. Déjà acharnée sous Char- les-Martel, elle ne cessa que tout à la fin de la vie de Charle- magne pour léguer à ses successeurs les expéditions maritimes des pirates normands. La lutte des Saxons contre les Francs ; c'était plus qu'une insurrection, car les Saxons avaient dans les glaces Scandinaves une retraite inaccessible et des alliés toujours prêts ; c'était plus aussi qu'une guerre étrangère, car, tantqu'ils n'étaient pas soumis, la chrétienté germanique ne pouvait espérer ni trêve, ni sécurité. La lutte des Saxons et des Francs, c'était la lutte de la vieille Germanie station- naire, libre, restée à l'état de tribus, contre la Germanie mo- bile, conquérante, dans laquelle le régime du gasindi ou de la truste a enfanté la royauté et la féodalité. Les progrès du christianisme n'avaient fait qu'irriter les passions de ce peu- ple redoutable, qui avait suscité dans Wilikind un nouvel Arminius, et que l'absence de toute centralisation politique rendait insaisissable ; ce qui explique ce peu de respect pour les traités que les historiens francs lui reprochent, cette per- sévérance dans la révolte, qui poussa Charlemagne à des actes de répression contraires à son naturel '. Non moins immense fut l'œuvre de l'administrateur et du législateur. Au début du règne de Charlemagne, l'unité politique, si péniblement conquise par son père et son grand-père, n'avait pas mis fin au désordre général. La force prédominait J. Ce n'est qu'après 30 ans de guerre que Charlemagne parvint à faire signer aux populations saxonnes un contrat, par lequel elles s'en- gageaient à prêter obéissance aux comtes et aux évêques, envoyés par le roi des Francs, et à observer, en général, les lois du royaume. Du reste, elles étaient exemptes de tout tribut et conservaient l'usage de leurs propres lois. 221 encore habituellement sur le *iîroit ; l'état des personnes et des propriétés, surtout dans les classes inférieures, était ((instamment précaire et menacé: les seigneurs agissaient en tyrans dans leurs domaines, les offiriers royaux violaient les lois qu'ils étaient chargés d'exécuter. L'Église, elle-même, n'était guère mieux réglée. En présence d'un fisc totalement épuisé, pour subvenir aux besoins de sa politique et à la solde de ses guerriers austrasiens. Charles-Martel avait dû recourir aux biens amassés par l'Église et avait donné en bénéfice à ses tendes non-seulement des terres, mais des abbayes. Cette invasion des biens d'Église par les laïques n'avait même pas tout à t'ait cessé sous Pépin, qui donna plus d'un nouveau précaire à ses tidèles, il est vrai sous condition du cens. Les é\ êques, de leur côté, surpassaient les laïques en faste et en orgueil, vivaient fort peu canoniquement, allaient à la chasse et à la guerre au lieu de remplir consciencieusement leurs finitions. L;i société franque, en un mot, ne comprenait l'or- dre i pie dans les camps: en temps de paiv la licence n'avait pas de frein. La véritable habileté de Charlemagne fut de chercher dans la victoire autre chose et plus que la victoire même, de tenter la réforme intérieure à la faveur de ses triomphes; sous ce rapport, il entreprit et exécuta ce que son père et son aïeul n'a\aient pas même pu commencer; ceux-ci, tout occupés des luttes continuelles qu'ils avaient à soutenir, soit au dedans, soit au dehors, n'avaient pu prendre, pour remé- dier à la multitude des abus, que des mesures trop dépour- vues d'ensemble, qui étaient, restées sans efficacité. Quelques personnes, trompées par les mots d'empire et d'empereur, ont voulu voir dans l'œuvre politique de Char- lemagne une restauration à la façon romaine. Rie* n'est plus éloigné de la vérité. Charlemagne n'était pas un homme de politique rétrospective: son génie opérait sur le vif. Son type d'unité lui vient de l'Église, non d'un souvenir impé- 228 rial, et, pour organiser l'État,' il se sert surtout des institu- tions germaniques ; il combine la constitution barbare et la constitution ecclésiastique. Il est le législateur de la bar- barie ; il rend l'Église elle-même barbare, ainsi que les vaincus qui, jusqu'alors séparés des conquérants, entrent désormais, quoique dans une condition inférieure, dans le système bénéficiaire , c'est-à-dire dans le système germani- que, organisé, généralisé et fixé sur le sol. Le principe germanique de la fidélité avait déjà été em- ployé dans les premières monarchies barbares, mais aucun autre n'a compris tout le parti qu'on en pouvait tirer. Charle- magne introduit ce principe dans tous les degrés de la hié- rarchie sociale; il ne crée pas le bénéfice, qui existait déjà, mais il crée le système bénéficiaire. Toutes les grandes fonc- tions civiles, militaires et ecclésiastiques sont assises sur le bénéfice et reliées directement, par le serment de fidélité, à la personne même du prince. Le bénéfice sert de garantie pour la fidélité comme pour la fonction. Le premier des bénéfices est la couronne impériale ; les royaumes secondaires dépendent d'elle, ainsi que les grands bénéfices qui sont donnés directement par l'empereur; les bénéfices inférieurs relèvent à leur tour des grands béné- ficiers; ainsi le dernier des bénéfices se trouve lié au premier par une série d'investitures intermédiaires. La félonie et l'in- capacité font perdre le bénéfice, et, en tous cas, il y a lieu à la confirmation du successeur. Charlemagne conféra aussi beaucoup de bénéfices ecclé- siastiques : ainsi, les terres qu'il concéda à l'Église de Rome, en confirmation et en extension des concessions de son père, le furent à titre bénéficiaire. Par ce rapport de bénéficier, le pape se trouvait donc dépendre de l'empereur; les évèques étaient aussi, vis-à-vis du prince, dans les relations de béné- ficiers, de même que les leudes et les fonctionnaires publics. 223 Ainsi, le bénéfice militaire, d'un côté, dans lequel nous comprenons maintenant les honneurs, et le bénéfice ecclé- siastique, de l'autre, sont la base sur laquelle s'assied l'insti- tution civile et l'institution de l'Église ; tel est le nœud qui l'es rattache à un centre commun sous le mundium impérial. Certes, rien de plus étranger aux idées et aux institutions romaines que ce système qui fait du rapport d'homme à homme le lien de la société. Aussi est-il à remarquer que le droit romain, dont on trouve maintes traces dans les lois barbares, disparut depuis Charlemagne. Les vaincus qui le professaient se confondent de plus en pins avec les vain- queurs, et l'Église n'en a plus besoin. L'organisation nouvelle que Charlemagne créait avec les seule éléments qui fussent à sa disposition, savoir ceux que la société de son époque lui fournissait, peut être sujette à de nombreuses critiques, mais elle était probablement la seule possible, et. à force d'énergie et de soins, il parvint à la faire fonctionner régulièrement. Les officei publics, qui n'avaient guère été, depuis la con- quête, qu'on moyen de satisfaire l'avidité des leudes aux dépens des provinces, devinrent les rouages intermédiaires d'une administration pleine de sollicitude: les ducs, les mar- quis et 1rs comtes devinrent bien réellement les agents du prince Les Capitulaires attestent l'attention que l'on mettait à les choisir et à les surveiller. Du V"" au X,n" siècle, observe M. Guizot, le règne de Charlemagne est peut-être la seule époque durant laquelle les grands propriétaires et les fonctionnaires publics aient subi avec quelque régularité le contrôle et l'action du pou- voir, et cela fut dû uniquement à l'habile emploi que ce prince faisait de son autorité-. Sans froisser les habitudes des barbares par ses prétentions, comme les Mérovingiens, il do- mina bien davantage l'ensemble de la société. "2"2i C'est surtout par ses missi que Charlemagne exerçait sa surveillance sur les employés de l'État et sur les grands pro- priétaires; ils étaient l'âme de son administration. Quatre fols par an, un comte et un évêque, choisis parmi les hom- mes les plus distingués par leur caractère et leur capacité, venaient dans chaque province , assemblaient le peuple, écoutaient chaque réclamation, réformaient les fausses déci- sions, réparaient les injustices, punissaient et destituaient au besoin les fonctionnaires qui avaient manqué à leurs devoirs. Par ce moyen, l'autorité royale se maintenait sans cesse pré- sente sur tous les points et avait toute l'action compatible avec la barbarie des mœurs et la diversité des peuples et des lois. Charlemagne prenait encore; contre les abus et les usur- pations des pouvoirs locaux d'autres mesures, dont la suite a montré la sagesse. Jamais il ne donnait à un comte plus d'un comté, et il n'était plus question des ducs, si ce n'est aux frontières ; jamais il ne donnait à un évêque une abbaye ou une église du domaine royal; même touchant les administrateurs de ses domaines particuliers, il recom- mandait de les choisir dans une condition médiocre, afin qu'ils fussent plus fidèles. Pour avoir négligé ces précau- tions, en apparence minutieuses , les princes ses succes- seurs, et plus tard, les grands seigneurs féodaux, se virent arracher par leurs officiers et leurs agents la plus grande partie de leurs droits. Nous n'irons pas jusqu'à prétendre que le gouvernement de Charlemagne a été un gouvernement, constitutionnel ; mais il est certain, non seulement que les Germains ne per- dirent pas leurs libertés sous ce gouvernement, mais encore que le concours de la nation au maniement de ses affaires devint plus réel, plus complet et plus régulier. Charlemagne s'efforça de relever les institutions démocratiques tombées 255 en désuétude par l'effet de l'envahissement de l'aristocratie et l'indifférence des hommes libres : il entrait en relation di- recte avec les populations, soitau moyen des assemblées pro- vinciales que leïviissi taisaient tenir, soit au moyen d'assem- blées générales auxquelles l'empereur assistait en personne. Il j avait deux plaids généraux par an, dans lesquels étaient convoqués généralement tous les principaux fonc- tionnaires des provinces ainsi que les grands propriétaires, bénéticiers du roi ; ces réunions avaient lieu, en même temps que les conciles épiscopaux, au printemps et en au- tomne. Les dons gratuits et les redevances que l'on avait coutume de présenter au roi dans le champ de mars ou de mai, furent transférés au plaid d'automne, et le champ de mai de- vint plutôt la revue que passait Tannée Iranque avant son entrée en campagne. Dans ces plaids généraux, les anciens mais germaniques et les conciles se réunissaient sous la présidence du chef de l'État, devenu aussi chef de l'Église: ils ont. en même temps, pris le caractère d'assemblées féo- dale.-, puisque le- Imites, les comtes et les évèques. qui en forment l'élément délibérant et principal; y siègent tots en leur qualité de bénéficiers. Les Cajntutaires, qui -mit maintenant la législation de l'État ainsi que celle de l'Église, et qui, sous ce dernier rap- port, tiennent la place des canons des concile.-, étaient sou- mis à ces assemblées générales des fidèles laïque- et ecclé- iques; mais, à leur rédaction, on reconnaît qu'ils étaient généralement rédigés par des membre- du clergé. On trouve des détails assez précieux sur ces assemblées délibérantes dans le Traité des ttoenances du palais, de l'ar- chevêque llincinar. presque contemporain, puisqu'il était l'homme le plus important du clergé franc sens le règne de- sttcœssenrs de Cbattemagne. Nous en rapporterons ici quelques extraits : 226 « Dans le plaid du printemps, on réglait les affaires géné- rales de tout le royaume. » Aucun événement, à moins d'une nécessité impérieuse et universelle, ne faisait changer ce qui avait été arrêté. Dans cette assemblée se réunissaient tous les grands (majo- res), tant clercs que laïques ; les principaux (seniores), pour prendre et arrêter les décisions ; les moindres (minores), pour recevoir ces décisions et quelquefois les confirmer, non par un consentement formel , mais par leur opinion et l'ad- hésion de leur intelligence. » L'autre assemblée se tenait seulement avec les seigneurs de l'assemblée précédente et les principaux conseillers. On commençait à y traiter des allaires de l'année prochaine, comme aussi de celles qui pouvaient être survenues dans le cours de l'année qui touchait à sa fin Ils délibéraient de longue main sur les choses futures, et, lorsque les mesures convenables avaient été trouvées, elles étaient tenues si se- crètes que, jusqu'à l'assemblée générale suivante, on les ignorait entièrement au dehors.... L'aprocrisiaire (le cha- pelain du roi) et le chambellan assistaient toujours aux as- semblées; quant aux autres officiers du palais (ministérielles) , s'il en était quelqu'un qui, d'abord en «'instruisant, ensuite en donnant des conseils, se montrât capable de siéger hono- rablement aux assemblées, il recevait l'ordre d'y assister, en prêtant la plus grande attention aux choses qui s'y traitaient, rectifiant ce qu'il croyait savoir, apprenant ce qu'il igno- rait, retenant dans sa mémoire ce qui avait été ordonné et arrêté. On voulait par là que s'il survenait, au dedans ou au dehors du royaume , quelque accident inopiné, les officiers du palais, avec la grâce de Dieu et par leur longue habitude, soit d'assister aux conseils publics , soit de traiter les affaires domestiques, fussent capables de conseiller ce qu'il y avait à faire et d'indiquer les moyens d'atteindre sans inconvé- 2*] nient le temps ti\é pour la réunion de l'assemblée. Quant ;iu\ officiers inférieurs, proprement appelée palatins, qui ne s'occupaient point des affaires générales du royaume , le souverain réglait aussi leurs fonctions avec grand soin .... I^s assemblées générales ne s'occupaient pas des affaires particulières, ni des contestations élevées au sujet des pro- priétés ou de l'application des lois, avant d'avoir réglé tout ce qui intéressait le royaume en général. Cela fait, si, d'a- près les ordres du roi, on avait réservé quelque affaire par- ticulière qui n'avait pu être terminée, soit par le comte du palais, soit par l'officier i la us la compétence duquel elle était comprise, l'assemblée examinait la question. » Dans Tune et l'autre îles deux assemblées île printemps et d'automne, on soumettait à la délibération des grands, en vertu des ordres du roi, les articles de loi nommés capitula, que le roi lui-même avait rédigés par l'inspiration de Dieu, ou dont la nécessité lui avait été manifestée dans l'intervalle des réunions. Après avoir reçu ces communications, ils en délibéraient un, deux ou trois jours, ou plus, selon l'impor- tance des affairés. I»es messagers du palais, allant et venant, recevaient leurs questions et leur rapportaient les réponses; et aucun étranger n'approcbait du lieu de leurs réunions jusqu'à ce que le résultat dé la délibération put être mis sous les yeux du grand prince, qui alors adoptait une résolution à laquelle tous obéissaient. l'endant que les affaires se traitaient de la sorte hors de la présence du roi, le prince lui-même, au milieu de la mul- titude venue à l'assemblée générale, était occupé à recevoir les présents, saluant les hommes les plus considérables. s'en- Iretenant a\ec ceux qu'il voyait rarement, témoignant aux plus âgés un intérêt affectueux, s'égayant avec les plus jeunes. Si l'assemblée en témoignait le désir, le roi se rendait dans son sein. 228 » Je ne dois pas oublier de dire que, si le temps était beau, tout cela se passait en plein air, sinon dans plusieurs bâti- ments distincts, où ceux qui avaient à délibérer sur les pro- positions du roi étaient séparés de la multitude des personnes venues à l'assemblée. » Quelques historiens, entre autres Des Michels (Histoire du Moyen- Age), ont, malgré le témoignage des chroniques, re- fusé d'envisager les États-Généraux de Gharlemagne comme réels, et croient que ces assemblées furent toujours par- tielles ; cependant Hincmar parle expressément d'assemblées qui réglaient les affaires de tout le royaume. Nous voyons aussi, dans les Capitulaires mêmes, l'ordre donné aux comtes saxons de venir à ces assemblées, et plus tard, sous le règne de Louis-le-Débonnaire, les évêques et les seigneurs de toutes les nations du royaume, des Italiens, des Aquitains, des Ba- varois, des Allemands, etc., y prennent part et souvent y jouent un tout aussi grand rôle que les grands vassaux d'Aus- trasie, de Neustrie ou de Bourgogne, plus rapprochés des lieux ordinaires de réunion. Une question, plus douteuse peut-être, est celle de savoir jusqu'à quel point les États participèrent à la puissance lé- gislative. Le fait et le droit ne sont pas plus faciles à démêler l'un que l'autre, soit dans les termes un peu vagues des his- toriens, soit dans les Capitulaires. La formule de promulga- tion des lois : « Charles , empereur auguste , couronné de >■ Dieu, avec les évêques, les abbés, comtes, ducs, et tous ses » fidèles, avec leur consentement et leur conseil, décrète : » semble impliquer le concours nécessaire des grands du royaume à l'exercice de la puissance législative. La célèbre maxime de l'édit de Pistes : « Lex fit consensu populi et cons- titutione régis » est encore plus formelle. Il faut toutefois observer que le peuple est ici représenté par l'aristocratie, et que l'initiative appartenait au prince ; SKI l'assemblée avait le droit de .soumettre des propositions éma- nées de son sein à la sanction du roi: ces décrets prenaient alors force de loi sous le nom de pétitions. On s'est demandé qui, dans le texte d'Hincmar cité tout- à-1'heure. est désigné sous le nom de seigneurs, et ce qu'il faut entendre par ces moindres qui reçoivent les décisions des seigneurs et les confirment par leur adhésion. On a pensé que, par les seniores. il fallait entendre les évoques, abbés, ducs, comtes, et que les moindres étaient les archidiacres, les clercs élevés en dignité, les vicaires, les centeniers, les intendants des villa royales (majores!, les vi- caires laïques des évêques (vidâmes), les avoués des églises, qui, pour la plupart, ne relevaient pas immédiatement du roi, mais bien de ceux que l'on désigne sous le nom de sei- gneurs. Dans le but d'asseoir l'autorité monarchique sur le rap- port personnel de fidélité propre aux usages germaniques. Charlemagne introduisit une innovation qui, si elle eût été maintenue par ses successeurs, pouvait avoir une grande portée : il imposa le serment de fidélité à l'empereur à tout individu, laïque ou ecclésiastique. Jusqu'alors, les rois francs n'avaient reçu de serment que de leurs leudes ou béné- ficiées : les propriétaires indépendants et les arrière-vas- saux m prêtaient pas serment au prince. Charlemagne voulut assimiler les dévoira du sujet de l'empire envers son chef à ceux du vassal envers son seigneur. Cela ressort très-clai- rement de la formule du serment imposé aux sujets : « Je » jure que, de ce jour eu tunnt. je serai fidèle au très-pieux » empereur Karle, purement, sans fraude ni mauvaise inten- » tion. comme pur droit doit être homme envers son seigneur ',» 1. Ce serment de lidélité à l'empereur fut prêté pour I» seconde fois par les tendes, qui l'avaient déjà prêté en celte qualité, et il fut exigé de tous les autres sujets de l'empire âgés de plus de 12 ans. Le ca- 230 Cette pensée, qui fut étouffée pendant plusieurs siècles par le régime purement féodal, est la première source de la re- naissance de la royauté dans les temps modernes; la loyauté due au roi parce qu'il est le roi et parce qu'il représente le pays, est le principe qui a fait triompher la royauté en France, en Espagne, en Angleterre. Dans l'empire germanique, il ne fut jamais totalement mis de côté durant les temps féodaux; mais, en revanche, il ne renaquit pas avec la même sève et la même vigueur. On a reproché à Gharlemagne de ne pas avoir constitué l'unité monarchique; il nous semble que ce reproche n"est pas fondé. Gharlemagne respecta les traditions franques et les règles de la succession civile germanique, qu'il ne pou- vait songer à renverser: mais il n'entendait laisser que des apanages, des royaumes subordonnés à ses descendants mâ- les; et c'est sur ce p:ed seulement qu'il laissa à son petit-fils Bernard le royaume d'Italie. Quant à l'empire, il ne devait point se partager. Par la combinaison des différents moyens d'administration et de gouvernement que nous venons d'énumérer, Charle- magne tira un moment la société de l'état d'affaiblissement, d'anarchie et de confusion dans lequel elle était tombée. La civilisation romaine s'était de plus en plus perdue, les ger- mes d'institutions libres apportées par les conquérants se perdaient également, transplantés sur un sol nouveau. Les éléments d'institutions aristocratiques que l'établissement territorial avait produits n'avaient encore acquis ni consis- tance, ni forme légale et régulière ; la tentative mérowin- pitulaire de l'an 802, qui imposa ce nouveau serment deux ans après le couronnement de Charlemagne à Rome, recommande d'avertir le peuple que ce serment est de la plus grande importance et com- prend beaucoup de choses outre celles que l'on avait jurées précédem- ment. 231 peine, loin «le tourner au profit de la société, n'avait en- gendré que des spoliations qui avaient appauvri celle-ci sans réussir à la consolider. Charlemagne, le premier, s'élève du sein de ce cahos. de cette barbarie véritable, à des idées de gouvernement. d'État, de loi, d'ordre public; recherche dans le pouvoir autre chose que l'assouvissement des passions in- dividuelles: gomerne ses peuples pour eux et non pour lui, d'après des vues générales, préoccupé des besoins sociaux. C'est là, sans doute, c'est la avant tout ce qui a fait de lui la grande ligure du moyen-âge, figure que les instincts popu- laires ont entourée d'une auréole en quelque sorte fabuleuse, mais que les esprits réfléchis admirent d'autant plus que la tentative que Cbarlemagne mena à bien, du moins provisoi- rement, était comme prématurée, et que le succès qu'elle obtint était dû à lui seul. Il suspendit le cours des choses, arrêta un moment la société dans la pente de la dissolution. Mai- que peut le plus grand homme quand il lutte contre la tendance de toute une ère historique? Kst-il \rai Défendant que l'œuvre de Charlemagne ait dis- paru en entier avec lui? Pour répondre à cette question, on pourrait et l'on devrait se demander ce qui, selon les proba- bilités ordinaires, serait advenu de l'Europe, en supposant que ce prince irait pas existé: on reconnaîtrait assurément que , n'eùt-elle été que provisoire . l'action puissante de Charlemagne sur son siècle sauva la civilisation européenne, non M'ulenient de.- périls qui lui \ enaient du dehors, mais aussi des Causes de ruine qui pro\ enaient du dedans: et celles-là étaient encore les plus considérables. Car il est une certaine mesure de justice, d'ordre, de sécurité, sans laquelle, petite ou grande, civilisée ou non. aucune société ne saurait exister. Pour une société telle que la sociétéharbare. composée d'élé- ments non seulement divers, mais hostiles. e( dans laquelle («développement intellectuel et moral était aussi peu à la 232 hauteur des difficultés à surmonter , l'intervention d'un homme de génie, d'un esprit capable de comprendre le but de la société et assez conscient de sa force pour entreprendre de l'atteindre, était devenue une nécessité. Ensuite, pour apprécier véritablement la portée de l'œuvre de Charlemagne, pour savoir s'il n'a réellement rien fondé de durable, il faut se demander si, après lui, les peuples de l'Eu- rope se sont trouvés dans le même état où ils étaient avant lui. A la vérité, la vaste domination de Charlemagne a disparu avec lui, son empire s'est démembré ; mais de ce démem- brement sont sortis des États particuliers formant tout autant de barrières sur les points encore exposés. Avant lui, les frontières de chaque pays étaient dans un état de fluctuation continuelle ; il n'y avait nulle part une force sociale consti- tuée et permanente. Après lui, il y a des États plus ou moins bien organisés, mais réels et durables ; les ennemis de la chrétienté ne l'attaquent plus que par des expéditions mari- times, désastreuses pour les points qu'elles atteignent, mais sans résultats généraux. Comme presque tous les grands hommes, Charlemagne n'eut pas de successeurs; malgré cela, l'organisation créée par lui était si forte, qu'elle a suffi pour assimiler à la civili- sation chrétienne les ennemis qui continuaient à venir du Septentrion, et à repousser ceux qui lui arrivaient du Sud. Les conquêtes qu'il a faites sont entrées après lui dans des combinaisons nouvelles, mais elles ont atteint leur but. L'œuvre politique de Charlemagne peut se définir : la cons- titution territoriale des races conquérantes et de l'Église, d'où résulte la fusion des deux races et la formation des deux pre- miers ordres politiques, le clergé et la noblesse ; dans les cir- constances où l'on était, la classe populaire ne pouvait encore jouer qu'un rôle très-subordonné. Toutefois, si l'on y re- l>:î;{ p»rde bien, on voit que les garanties générales de liberté, dont le développement a amené le régime constitutionnel des temps modernes, remontent, en réalité, aux institutions carlovingiennes et en sont le produit. Des institutions de Charlemagne, les formes ont changé, mais le fond demeure; et son empire, qui ne dura qu'autant que lui, est pourtant resté l'œuvre la plus vaste et la plus complète d'un âge fécond en tous genres de développements, le type que, jusqu'à nos jours, l'histoire moderne s'est cons- tamment efforcée de réaliser, sans jamais y parvenir. Cette époque mémorable à tant d'égards, a été si éminem- ment organique, que l'on doit dater d'elle la formation des nationalités européennes, la consolidation et l'expansion de l'Église, les idées du moyen-âge sur l'unité de l'État chré- tien et les idées modernes concernant l'ordre et la liberté politique. Il en est ainsi des grandes crises de l'humanité; leurs auteurs mêmes n'en prévoient pas la portée. Comment l'empire de Cbarlemagne se sépara par suite des discordes de ses faibles descendants; comment les évêques y prirent un moment la prépondérance pour l'abandonner bientôt aux grands laïques, qui avaient pour eux la force ma- térielle, dernier et souverain arbitre dans une société livrée à l'anarchie; comment, enfin, la féodalité s'établit sur les débris de l'État carlovingien, tout cela appartient à un sujet que nous aborderons plus tard, lorsque nous traiterons des institutions politiques sous le régime de la féodalité. Pour le moment, revenons aux institutions des peuples de l'époque barbare. Celles de ceux d'entre eux qui ont fait partie de l'empire franc nous arrêteront peu, attendu qu'elles ont été absorbées par celles de la nation prépondérante. Eu égard à d'autres branches de l'histoire du droit, elles peuvent avoir de l'importance; en ce qui touche l'objet de nos études actuelles, elles en ont moins. «h 234 Les lois des Bourguignons ont été rédigées dans le temps où ce peuple était encore indépendant ; elles ont été rendues dans des assemblées de notables [optimales), et ce qui est digne de remarque, on y avait admis dés notables romains chargés de représenter et de défendre les intérêts de leur race. Cette particularité confirme l'opinion que l'on a aujourd'hui tou- chant le mode tout pacifique et contractuel de leur établis- sement dans l'empire. Les lois des peuples germains dépendants de l'empire franc sont toutes d'une rédaction postérieure à la conquête franque; toutefois, elles contiennent des dispositions résul- tant des traditions antérieures du peuple qui les recevait. Les Bavarois, et les Allemands surtout, conservèrent des ins- titutions assez indépendantes; jusqu'à Cbarlemagne, ils fu- rent gouvernés par des ducs héréditaires, dans le sens où il faut entendre l'hérédité du principat chez les Germains ; les lois de ces deux peuples ont été rédigées sous Dagobert, roi d'Austrasie. petit-fils de la fameuse Frédégonde, qui révisa en môme temps la loi des Francs saliens excelle des Francs ripuaires et s'adjoignit à cet effet un notable de chacun des quatre peuples soumis à sa domination ; pour les Allemands et les Bavarois, c'étaient leurs ducs. La rédaction des lois fut ensuite approuvée par les grands et le peuple de chaque na- tion '. Les peuplades du nord de la Germanie, conquises deux siècles plus tard que celles du midi, restèrent moins indé- 1. En tête du paclurti Bavarorum,\e plus ancien fragment de la loi, on lit : « Hoc dccretum apud regem et principes ejus et apud cunctuni populum Christianum qui infra regnum Merowingorum consistant. » La même phrase se retrouve dans la loi des Allemands. La constitution de Tassilo, qui est la partie la plus moderne de la loi des Bavarois, porte aussi que le duc l'a rendue « per primatos et peritos, universa con- sentiente multiludine. » pendantes; les lois des Saxons, des Frisons, des Angles et des Warries furent imposées par Gharlèmagne, qui se con- tenta de se faire assister, lors de leur rédaction, par les di- gnitaires et particulièrement par les évoques du pays. Ce prince interdit même formellement aux Saxons de se réunir en assemblée générale sans son ordre exprès. Ces peuples ne furent pas non plus constitués en duchés, ils étaient gou- vernés par des comtes délégués par le roi des Francs. Si* nous passons de l'Allemagne en Italie, nous y trouvons d'abord les Ostrogoths, dont le roi Théodoric s'était évidem- ment proposé pour but. dans sa législation, d'habituer ses sujets à la civilisation romaine : Pédit fait pour les Gotbs i en- ferme beaucoup de dispositions d'origine romaine; la plu- part des emplois civils étaient confiés aux Romains: les Gotbs avaient toutefois des juges particuliers (graf), qui comman- daient l'armée et jugeaient les procès entre Gotbs. Théodoric réalisa, plus qu'aucun autre chef des conquérants, le dessein de restaurer l'empire d'Occident, que tous se proposèrent pins ou moins dans le principe; mais la réaction barbare, que son génie seul pouvait comprimer, éclata aussitôt après sa mort, et son empire, assailli d'un côté par Hélisaire et Narsès, de l'autre par les Lombards, ne put se maintenir. Les Lombards, qui avaient autrefois fait partie de la Con- fédération saxonne, étaient Ariens, comme les Goths, mais de mœurs plus farouches et plus hostiles à la civilisation; lorsqu'ils entrèrent en Italie, sous Alcuin, ils avaient tout-à- fait la constitution militaire dugasindi. Le roi, qui emprunta le surnom de Flavius aux empereurs, resta, malgré cet em- prunt, un pur chef germanique assez limité dans son auto- rité. Comme chez les Francs, le royaume lombard fut par- tagé en Austrie et Neustrie i terre d'Orient et de non-Orient); à ces deux provinces, les Lombards ajoutèrent plus tard une province méridionale qu'ils nommèrent Tuscia. Les juges et %$5 chefs nationaux, qui venaient immédiatement après le roi, étaient les ducs {heerzog), détail qui prouve bien qu'ils avaient adopté la constitution militaire. On croit qu'il y avait douze duchés dans chaque province, par conséquent trente-six'. Ceux des frontières, FriouletBénévent, étaient les plus con- sidérables. Sous les ducs étaient les sculdazi, qui correspondent au eentenier des Francs2, et qui gouvernent un bourg, une ville peu considérable ou une partie de duché. Dans les terres du roi étaient des officiers spéciaux ou in- tendants qui exerçaient une juridiction indépendante du duc, môme sur les Lombards habitant la terre du roi ; seulement, ceux-ci pouvaient en appeler au duc. Ils se nommaient Gas- taldi \ Les Lombards avaient conservé en Italie l'institution des assemblées nationales; à ces assemblées assistaient tous les- chefs, le peuple ne faisait que confirmer ce qui avait été dé- cidé par eux. Les ducs et les sculdazi, aussi bien que les gastaldi, étaient censés tenir leur emploi du roi, et, du fait de leur office, entraient dans son gasindi. Comme les ducs, lors du par- tage, avaient reçu en pleine propriété des parts de terres considérables, de l'hérédité de cette possession semble être dérivée, bien plus tôt que chez les Francs, l'hérédité de la fonction elle-même. Le gouvernement du duché était toute- fois indivisible , de sorte que, si le duc laissait plusieurs fils, 1. Oh en connaît positivement 29. 2. Sculdazi vient de Schullheiss. L'Evangile à'Otfried traduit cen- turio par Scudheizo, qui est l'intermédiaire étymologique entre ces deux termes. 3. De gast, hôte, et halten, tenir ; celui qui garde la part de l'hôte. Le sens du mot indique que l'office est né de la conquête. â3i ceux-ci gouvernaient le duché en commun. Le roi ne nom- mait un nouveau duc que lorsque la famille du possesseur était éteinte. On comprend dès-lors qu'il se forma de bonne heure, chez les Lombards, une noblesse héréditaire très-puissante : la royauté, en s'appuyant sur les idées romaines et parfois sur l'Église, essaya vainement de lutter contre l'esprit de révolte ?t d'insubordination de cette fière aristocratie. Lorsque les Francs se furent rendus maîtres du royaume des Lombards, ils se hâtèrent de remplacer les ducs par des comtes d'origine franque, et qui furent placés à la tête de districts bien moins étendus. Les sculdazi furent aussi rem- placés par des VicarU. Il nous reste à considérer les institutions de deux peuples qui ne firent pas partie de l'empire franc, les Wisigoths d'Espagne et les Anglo-Saxons; elles sont assez intéressantes les unes et les autres : les premières, parce qu'entre toutes les institutions de l'époque barbare, ce sont celles qui ont subi le plus fortement l'influence des éléments romain et ecclésiastique; les secondes, parce qu'elles nous offrent, au contraire, le tableau des institutions germaniques se déve- loppant sans aucun mélange d'éléments étrangers. Les Wisigoths, fondateurs du royaume de Toulouse et de la monarchie espagnole, dont les destinées devaient être bien plus stables, eurent de bonne heure des institutions civiles et politiques plus avancées que celles de la plupart des autres nations barbares. Ataulfe, qui fonda leur État au Vme siècle, avait épousé une princesse du sang des empereurs, il seconduisitplutôt en allié qu'on adversaire de l'empire agonisant; et depuis Reccared, qui se convertit au catholicisme et fit abjurer l'arianisrae à BM compatriotes, l'influence do l'Église fut prédominante 'liez les Wisigoths espagnols. 238 La race gothique, plus malléable, moins opiniâtrement at- tachée à ses mœurs que les autres races germaniques, adopta promptement, en Espagne comme en Italie, les coutumes des vaincus, fit passer dans sa législation et dans ses institutions les principes du droit romain ; quant à leur système de gou- vernement, il fut, dans toute la rigueur du terme, un gou- vernement monarchique. Longtemps avant leur établisse- ment dans le sud de l'Europe, ils avaient accordé à leurs rois une autorité bien plus grande que les autres peuples germains, fait qui coïncide avec l'origine asiatique que l'his- toire attribue à leur nation. Ce fut donc sans difficulté qu'a- près leur établissement à Toulouse et en Espagne, les rois wisigoths héritèrent de toutes les prérogatives, de tous les droits de souveraineté dont avaient joui les empereurs ro- mains. Les assemblées périodiques de la nation qui, partout ail- leurs, se réunissaient périodiquement soit pour discuter ses intérêts généraux, soit pour juger des contestations privées, n'existaient pas chez les Wisigoths. Au lieu de cette institu- tion démocratique, nous trouvons l'assemblée des seigneurs et des dignitaires de l'Église ; les institutions aristocratiques et l'autorité de l'Église sont le seul tempérament que reçoive la puissance royale. Les Wisigoths débutèrent ainsi par le système, qui, chez les Francs, ne s'établit qu'après le règne de Charlemagne, avec cette différence, que le pouvoir royal et celui de l'Église avaient la suprématie ; tandis que, sous les successeurs de Charlemagne, le principal pouvoir était celui des grands vassaux. Le nom de Conciles, que reçurent les assemblées natio- nales de Wisigoths, indique déjà la prépondérance que l'É- glise y exerça toujours; les rois les convoquaient; ils y assis- taient, y avaient le droit d'initiative, et confirmaient les décisions qui y étaient prises par leur assentiment. Dans un -230 discours d'ouverture, il exposait les causes el l'objet de là convocation. Les objets de délibération étaient ou ecclésias- tiques ou civils; la première catégorie occupait ordinaire- ment tes premières séances, auxquelles les laïques assistaient mais ne rotaient pas; ensuite on abordait les questions politi- ques, et le concile se transformait. Les prêtres continuaient à siéger et à voter, et exerçaient une grande influence par leurs avis et par leur nombre, ordinairement supérieur à ce- lui des IaKques. Les décisions de la haute assemblée (''(aient publiées sous la forme de mandais souverains. Dans quelques cas très- importants, le consentement de la nation elle-même était mentionné dans le décret; mais l'absence de toute trace de sa convocation, soit générale, soit partielle, nous montre que c'est là une pure forme, et que ce consentement était pure- ment présumé. Celait dans ces assemblées que se faisait l'élection des nus wisigoths, élection qui tombait, dans la règle, sur un prince du sang royal. Du reste, pour assurer la succession à son fils, le prince se l'associait souvent de son vi\anl. et le droit électoral de l'assemblée se réduisait ainsi à un consen- tement qu'il eût été sans doute très-difficile de refuser. Les conciles wisigoths sont évidemment le modèle et le principe des COrtès du moyen-âge; mais ceux-ci exercèrent, en général, un pouvoir plus considérable; la prépondérance du clergé y fut aussi bien moins marquée. Pour donner une idée de la majesté royale, la loi des Wi- sigoths l'appelle tantôt celsitudo, tantôt nostri cnlminis fasti- gium. Il compare la royauté et le peuple au corps humain, dont la tête est le roi. Diverses stipulations réservent même au roi la faculté de l'aire des exceptions à la loi même, bien qu'il dût jurer de l'observer fidèlement à son avènement. Les vassaux immédiats du roi, qui sont appelés, dans la loi : 240 ex offwio palalino, prêtaient à leur tour serment au monar- que en personne; les autres Wisigoths prêtaient le serment entre les mains d'une personne chargée de le recevoir. Nous trouvons aussi, chez les Wisigoths, le système des décanies et des centenies, appelées Tiufadiœ; cinq centenies forment un corps commandé par un officier appelé quinqua- genarius; dix forment un tiufadia commandé par un tiufa- dius; les employés supérieurs sont les ducs et les comtes. Le comte était préposé à plusieurs tiufadies; le nombre est indéterminé; plusieurs comtes étaient sous les ordres d'un duc; les comtes et les ducs étaient en même temps gouver- neurs des provinces. Les lois de l'heptarchie anglo-saxonne nous montrent la constitution germanique se développant dans un établisse- ment permanent, sous l'influence d'une religion nouvelle, mais sans mélange d'institutions issues d'une autre race et d'une autre civilisation; les détails dans lesquels ces lois en- trent servent à jeter du jour sur toutes les autres législa- tions barbares qui, reposant sur les mêmes principes, ne les ont pas toujours formulés aussi clairement. Les sept royaumes fondés dans l'île de Bretagne par les Saxons et par les Angles, formaient une confédération; la soumission de quelques-uns de ces royaumes à d'autres fut d'abord un fait accidentel ; rien ne prouve que l'historien Rapin Thoiras ait été fondé à admettre entre eux une hégémo- nie régulière, un collège formé des sept rois et présidé par l'un d'entre eux. Un tel état de choses dura jusqu'à la fin du VIIIme siècle, époque à laquelle les sept royaumes furent réunis en un seul. Les Anglo-Saxons, comme les anciens Germains, réunis- saient dans les mêmes mains les pouvoirs politique, judiciaire et militaire ; mais les dépositaires de ce triple pouvoir, à quel- que degré de la hiérarchie politique qu'ils appartinssent, 241 n'agissaient pas sans l'assentiment de leurs ressortissants, du peuple qui était consulté dans diverses sortes d'assemblées. Le roi devait consulter, dans toutes les affaires importantes. Us notables île son royaume. Cette assemblée du royaume était probablement composée, du temps du paganisme, des cbefs militaires, compagnons du roietdè&prétres païens; lors de l'introduction du christianisme, le clergé chrétien rem- plaça ces derniers. Avant, comme après la réunion de la heptarchie, celte assemblée se nomme witena canote '. Le temps et le lieu de ces assemblées ne paraissent pas avoir été fixés d'avance ; le roi les convoquait quand il en avait besoin, ordinairement aux époques des fêtes religieuses, entre autres des fêtes de Pâques. C'était dans ces assemblées que se discutaient les lois que le prince proposait et qui étaient ensuite soumises à la sanction du peuple, probablement dans les assemblées du comté, car il n'aurait pu y avoir d'assem- blées du peuple de tout le royaume; ces lois s'occupaient également de l'administration du pays, de la justice, de la paix et de la guerre. Les préfaces de la plupart des lois publiées par les princes anglo-saxons font de ces assemblées une mention qui ne laisse aucun doute tant sur leur existence que sur leurs attri- butions a. Les lois de Withraed, roi de Kent (an 690), sont on ne peut plus positives ; elles ont été rendues, dit ce prince, dans une assemblée à laquelle se trouvaient un archevêque, un évêque, les ecclésiastiques de tout grade et des grands du 1. De voila, wcisen, sages, prudents, et gemnte, assemblée. t. L'historien Beda nous fait déjà un récit détaillé de ce qui se passa dans le Witenagemot de Kent, auquel le roi Adelhyrth proposa, vers l'an 600, la conversion au christianisme ; on y voit tout au long |es curieuses délibérations des alderman, dos thants cl en particu- lier du pontife païen, qui ne lut pas des derniers à répudier les dieux qu'il avait servis jusqu'alors. 242 royaume, et acceptées par le peuple obéissant. Ine, dans sa préface, raconte presque dans les mêmes termes de quelle façon ces lois ont été rédigées. Ce prince, qui régnait sur le Wessex, déjà du vivant de son père, vers l'an 700, déclare avoir été assisté des conseils de celui-ci, de deux évoques, de tous ses ealderman, iedelstan witan 2 et d'une grande assem- blée des serviteurs de Dieu. La préface d'Ine, après avoir donné ces détails sur la composition de l'assemblée législative, passe aux objets qui ont occupé cette assemblée, puis parle du peuple (foie), auquel elle donne le rôle de confirmer les dispositions arrêtées, sans toutefois nous dire comment cette confirmation avait lieu ; elle se termine par ces mots : « Les » lois étant confirmées par le peuple, aucun ealderman ni » aucun autre sujet n'osera les détourner; » ce qui montre bien que cette confirmation de la loi parle peuple n'était pas une simple formalité, comme on l'a prétendu. Citons encore les lois d'Alfred, qui, vers la fin du IXe siècle, avait vaincu les Danois et réuni la beptarchie sous le sceptre du roi de Wessex ; on y voit d'abord que, dans la nouvelle mo- narchie anglaise, les sept royaumes conservent encore leur législation indépendante, car Alfred ne rend ces lois obliga- toires que pour le Wessex, bien qu'il cherche évidemment à les faire introduire dans les autres parties de ses États et les présente dans ce but comme une collection des lois princi- pales de toute la nation ; on y voit ensuite qu'il existait, au temps d'Alfred, deux sortes d'assemblées politiques, savoir : l'assemblée de tous les witan du royaume, qui s'appelle 1. Iedelstan signifie senior; le même les appelle ailleurs les wi- tas (jelhungene; ce qui signifie excellent ; la traduction latine rend witan par sapientes, expression que l'on rencontre dans toutes les lois germaniques rédigées en latin ; et ce qui mérite une attention particu- lière, elle rend l'expression getlmngene witan, par le même mot sagi- haro, qui se trouve dans la loi salique et a soulevé tant de contestations. 243 synode , sans doute par analogie avec les assemblées de l'Église; et le foie i/emote, assemblée du peuple de la shire ou comté, à laquelle assistaient tous les hommes libres en état de porter les armes. Alfred déclare d'ailleurs, comme sesprédécesseurs, que ces lois ont été rédigées avec le conseil de ses witan ; dans quelques traités de paix entre lui et les Danois, le même prince dit que tous les witan de la nation anglaise ont ap- prouvé le traité, et que le peuple des contrées que le traité rend aux Danois l'a aussi accepté et confirmé par serment. Nous voyons, par ce qui précède, en premier lieu que le pouvoir du roi était limité par celui d'une sorte de représen- tation du royaume composée des principaux chefs civils et des principaux membres du clergé. En second lieu, que les décisions de ces représentants du royaume devaient, pour être valables, être acceptées libre- ment par les assemblées des hommes libres des comtés qui s'engageaient individuellement à les respecter, en donnant gage à cet effet, comme pour toute convention et en prêtant serment. ha division en comtés, par le moyen de laquelle le peuple prenait part au gouvernement de l'État, avait été importée de Germanie; le comté, seire. correspond au gâte, et le seire f/erefn anglo-saxon, que les Saxons nommèrent cari, n'est autre que le graf. Mais, en Angleterre, le comte est déjà établi par le roi et maintient la paix en son nom ; c'est aussi lui qui administre les biens de la couronne situés dans son ressort. Selon les ordonnances d'Athelstane, le seire gemot s'assem- blait régulièrement deux fois par an; le comte y disait le droit civil, el l'évoque le droit ecclésiastique. Le comté était subdivisé en centenies \h" Exposition d'économie do- motique. i° Congrès des réformes (lituaniens. ">" Conclusion.) I. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. Rapport de M. Nakwaski, renfermant : l'introduction ; l'historique de la formation des deux Congrès et l'Exposition; remarques et observa- tions sur les deux Congrès et leur comparaison ; descriptions dos banquets» Messieurs, L/oppel fait au nom: delà bienfaisance, de l'amélioration du bien-être des classes laborieuses. île la destruction des causes 218 de démoralisation, — de l'union des peuples, n'a pu quetrouver de l'écho à Genève, et notamment au sein de l'Institut! Aussi, la Section l'ayant appris par les journaux et reçu des communications directes relatives aux deux Congrès inter- nationaux comme sur l'Exposition d'économie domestique qui devaient avoir lieu à Bruxelles, a-t-elle décidé d'y envoyer ses délégués. Appelés à cette mission, M. de Grenus et moi, nous venons, Messieurs, vous présenter le rapport de ce que nous avons vu, entendu et fait. Pour pouvoir vous donner un exposé clair à cet égard, il faut que je remonte à l'origine de ces réunions internationales, et que je vous explique historiquement comment l'on est par- venu à les organiser. Bruxelles, comme un de nos collègues du Congrès, mem- bre du Parlement anglais, s'est exprimé dans un toast porté en l'honneur de cette cité, est une espèce de centre européen (je dirai pour le Nord, parce que, à mon avis, Genève l'est pour le Midi ) , partout où l'on va, on passe et l'on repasse par Bruxelles, ajoutait l'orateur mentionné. Celte ville, non-seu- lement par sa position géographique, mais encore comme capitale d'un pays véritablement libre, quoique monarchique, est devenu depuis quelque temps le centre de ces réunions internationales, et c'est ainsi que, dans l'espace d'une dixaine d'années, il y eut cinq Congrès d'origine toute nouvelle et qui semblent appelés à prendre une grande place et à jouer un grand rôle dans l'avenir des Sociétés, comme l'a dit le président du Congrès de bienfaisance, dans son discours d'ouverture. Les objets des délibérations successives de ces Congrès ont été: le système commercial, le système pénitentiaire, l'agriculture, l'hygiène publique et la statistique. Pendant les deux derniers grands Congrès internationaux, il y en eut un troisième, quoique moins nombreux, celui des homœopathes Le Congrès de statistique en 1853, reprenant une idée déjà 249 produite au Congrès pénitentiaire en 1847, émit à l'unani- mité le vœu de voir, dans un temps rapproché: « se réunir, » dans un Congrès général, les hommes qui, dans divers pays, » s'occupent des questions concernant l'amélioration physi- » que, morale et intellectuelle des classes ouvrières et indi- » gentes. » Ce vœu fut renouvelé l'année dernière au sein de la Confèrent? internationale de charité, tenue à Paris sous les auspices de la Société charitable, et la ville de Bruxelles fut désignée comme siège du futur Congrès. Four parvenir au hut proposé et désiré, il fallait un homme infatigable pour le bien, comme Ta appelé le président du Congrès; il fallait M. Durpetiaux, inspecteur général des pri- sons et des établissements de bienfaisance en Belgique, pour prendre l'affaire en main, pour préparer et réunir les élé- ments de ce sixième Congrès, comme l'a aussi dit le président de cette assemblée, rendant justice aux travaux de cet homme éminent, qui consacre tout son temps au bien-être et au sou- lagement de Bon prochain; juste témoignage qui a été couvert d'applaudissements unanimes. Quant ;mi Congrès des réformes douanières, il a pris nais- sance dans on ?œo exprimé an sein du Congrès des économistes, qui eut lieu à Bruxelles en 1847. Ce dernier Congrès, après avoir examiné et discuté les effets généraux de la liberté du commerce, ainsi que toutes les questions qui s'y rattachent, s'est déclaré de l'avis que cette liberté est un besoin de la société humaine et qu'elle aura pour résultat : - lu De resserrer l'union des peuples qui, loin de devenir » tributaires les uns des autres, se prêteront un mutuel appui. » » 3° D'étendre la production et de mettre l'industrie à l'abri » des secousses violentes qui sont inévitables sur les marchés » restreints par la prohibition. » :i° D'améliorer le sort des travailleurs en demandant » moins de peine en échange déplus de jouissances. 17 366 » 4° De détruire une cause constante de démoralisation. » Les circonstances politiques de 1 848 ont empêché les mem- bres delà réunion de 1847, de poursuivre leurs travaux. Ce n'est que cette année que Y Association belge pour la réforme douanière ' a mis à exécution les vœux du Congrès des économistes, en convoquant un Congrès international des ré- formes douanières, auquel on a donné aussi la dénomination de Congrès du libre-échange ou de liberté du commerce, dé- nominations plus justes peut-être, vu la grande généralité d'objets qui y ont été traités, à part les réformes douanières dans leur stricte acception. Il s'est encore trouvé ici un homme, rempli de zèle et d'activité, qui s'est spécialement occupé d'amener l'idée à bonne fin ; c'est M. Corr-Yander- Maeren, négociant, ancien juge au Tribunal de commerce et président du Comité central de l'Association belge. Quant à l'Exposition d'Economie domestique, l'idée première en a été émise dans la Réunion internationale de charité à Paris. C'est un anglais, M. Twinning, membre de la Société des arts de Londres, qui l'a proposée à cette conférence internationale. Son projet ayant été adopté par l'assemblée, un essai en a été tenté à l'Exposition universelle ; mais, en- trepris trop tard, il n'a pas atteint le but qu'on s'en était pro- posé. C'est encore l'infatigable M. Ducpeliaux, avec une dizaine d'autres Belges, connus par leur dévouement au bien public, et principalement avec M. Romberg, directeur des affaires industrielles au ministère de l'intérieur, qui re- leva la proposition et parvint, non sans de grandes difficultés, à organiser cette curieuse Exposition internationale, tout-à- fait dans un nouveau genre. Elle avait pour but unique, 1. Celte Association belge subsiste et est Irès-active dans son centre d'action, malgré l'existence de la grande Association internationale. C'est M. Corr-Vander-Maeren qui est toujours président de la pre- mière, ainsi que du Comité international de la seconde. m comme vous le savez. Messieurs, le Incn-rlir de» dOSMS Inbu- tittum et le» moins fortunées. Celte exposition, par la cherté des vivres, qui augmente toujours, et par la difficulté qu'ont les ouvriers de trouver de l'ouvrage, est encore plus intéres- sante qu'elle ne l'aurait été dans d'autres conditions et en- d'autres temps. Vous ayant donné l'historique des deux Congrès el de cette E.r/ivsition jusqu'à leur ouverture, permettez, qu'avant d'entrer dans les détails, je vous communique quelques impressions générales. Du reste, quant à ces détails, nous nous sommes partage le travail avec mon honorahle collè- gue ; c'est lui qui vous fera un rapport exact de l'Exposition qu'il a été à même de mieux examiner que moi, «'étant plus longtemps arrêté à Bruxelles. Le caractère et l'aspect général de nos deux réunions ont été tout différents, quoique l'idée mère de venir principale- ment en aide aux classes laborieuses, qui forment la majo- rité des populations, et de les soulager dans les fardeaux qui pèsent BUT elles, dans l'état de notre société actuelle, ait été la hase des travaux de ces deux assemblées. Le Congrès de bienfaisance a été non seulement protégé, mais patronné par la cour et par le gouvernement helge; le ministre de la Justice et celui de L'Intérieur en ont accepté la présidence d'honneur; le dernier, M. de Decker, y a prononcé un discours dans Lequel il a déclaré: «Que Le concours actif » que le gouvernement helge a apporté à l'organisation de » ce Congrès, prouve mieux que des paroles tout l'intérêt i qu'il attache à ses travaux. il a ajouté : i Qu'au milieu de tous les Congrès qui ont eu lieu à Bruxelles, c'est celui-ci qui a ses plus vives sympathies comme homme et comme ministre; car, selon lui, il répond non seulement aux plus généreuses aspirations du cœur hu- main, mais aussi aux plus impérieuses nécessités de l'ordre 252 social, et l'on ne saurait en imaginer un dont le but fût plus élevé, dont la mission fût plus sainte. Messieurs, a-t-il dit, en finissant, quels que soient les résultats ultérieurs de votre Congrès, il en est un qui est acquis dès aujourd'hui, c'est la profonde émotion que provoque la réunion de tant d'hom- mes éminents, accourus de toutes les contrées de la terre dans une pieuse pensée de dévouement à la grande cause de l'humanité. Elle est vengée de toutes les accusations d'indif- férence et d'égoïsme, la société qui présente un spectacle aussi consolant et aussi rassurant pour l'avenir I... » Sa Majesté le roi des Belges, accompagné de son fils le duc de Brabant, a honoré une des séances de sa visite; il y eut un dîner à la cour, où les membres du bureau furent invités. On a vu assister aux assemblées, dans l'intérieur de la salle, car il n'y avait pas de tribune publique, des dames en assez grand nombre, et l'une d'elles, Mlle Friderika Bremer, suédoise, célèbre par ses productions littéraires, s'est fait inscrire au nombre des membres du Congrès. C'est encore le Moniteur belge, journal officiel, qui s'est chargé de la reproduction des détails de ce Congrès, et son rédacteur en chef a été, pour les membres étrangers, de la plus grande complaisance. Les séances ont eu lieu dans le Musée, au haut de cette jolie ville de Bruxelles, qui joint à la propreté hollandaise l'élégance parisienne. Le local, quoique un peu restreint, offrait toutes les commodités quant aux réunions générales et à celles des comités. Pour le Congrès du libre-échange, c'est sous la protection et l'influence des autorités de la ville de Bruxelles, sans au- cune participation du gouvernement, qu'il a été organisé et qu'il a conduit ses travaux. Il paraîtrait, d'après ce que les ournaux en ont dit plus tard, que le gouvernement lui a été plutôt hostile. C'est le bourgmestre de cette cité qui l'a pré- 253 sidé: c'est encore dans une magnifique salle gothique de l'ancien Hôtel-de-Yille, qui se trouve dans la partie basse de Bruxelles, qu'ont eu lieu ses réunions. On n*y a vu ni mi- nistres, ni personnages de la cour. Ce Congrès fut pourtant bien plus nombreux que le premier!... Le public des deux sexes y assistait dans des tribunes organisées dans une salle adjacente. C'est dans un supplément du journal 1" Indépendance que furent reproduits les débats de cette réunion. La politique avait été exclue des discussions, aussi bien du Congrès de bienfaisance que de celui du libre-échange, mais il n'était pas possible qu'il n'y eût quelques infractions à cette règle; cela s'explique par l'état social de l'Europe ac- tuelle. Ces •'•caris ont été vite réprimés, non seulement par tes présidents, mais encore par les membres de différentes opinions eux-mêmes. On s'est tenu ferme sur le terrain éco- nomique et pratique, ayant pour base la plus grande liberté d'miiini. et pour principe le moins d'interrentionisme de la part ih1- gouvernements. Il s'est, de plus, produit un fait si- gnificatif et inhérent à notre époque, qui prouve que les différentes nationalités ne demandent pas mieux que de s'entendre, de vivre en paix et en amitié, mais que ce sont tes questions intérieures, tant politiques que sociales, qui en foui pays sont les plus difficiles à régler!.... C'est que, s'il y eut quelque discussion un peu vive, quelque irritation mo- mentanée, ce fut plutôt entre ressortissants des mêmes pays; tandis qu'entre ressortissante de différentes nationalités, il n'y a eu qu'échange de discours, de déclarations amicales, qu'émulation dans les bons rapports. C'est ainsi que les dé- légués de Hambourg et ceux des autres contrées de l'Alle- magne n'étaient pas tout-à-fait d'accord sur les moyens à employer pour parvenir au but du Congrès; — que les Es- pagnols ne partageaient pas tous les mêmes avis; — qu'un 254 Hollandais a provoqué des protestations de la part de ses compatriotes. Je me suis trouvé moi-même, en suivant vos instructions , Messieurs , dans le cas de me plaindre des procédés de la Suisse allemande à l'égard de la Suisse ro- mane. Il y a eu. parmi les Belges, des dissentiments d'opi- nion assez marqués; mais cette divergence a surtout été remarquable parmi les Français, et a même fait explosion. Cette grande variété d'opinions parmi ces derniers a eu de l'influence sur l'assemblée entière. Celle-ci a presque tou- jours, et à l'unanimité, donné raison à ceux dont les tendan- ces étaient les plus libérales. Il s'est aussi présenté un spec- tacle qui a réjoui tout le monde, et qui a été envié par ceux qui se trouvent encore dans la position des Hollandais et des Belges avant 1830, c'est l'entente cordiale qu'on a vu exister entre les ressortissants de ces deux nations, dont l'une maî- trisait l'autre, il y a un quart de siècle!... Si. d'un côté, aucune, tendance excentrique des nouvelles idées socialistes ne s'est pas fait jour, de l'autre, aucune cou- leur confessionnelle ne s'est non plus manifestée ; et, comme l'a très-bien dit un journal {Y Economiste belge), ces Congrès ont démontré : « que les saines doctrines de l'économie po- » litique commencent décidément à l'emporter partout sur » le communisme, le socialisme, Pinterventionisme et leur » petit frère le cbaritisme '. » Il y a encore un fait à signaler. La Réunion internationale de charité, à Paris, en 1851, a été en grande partie composée d'ecclésiastiques catboliques, comme le dit le rapport de la Société d'utilité publique de Genève, tandis qu'au Congrès de bienfaisance de Bruxelles, il ne s'en est pas trouvé un seul, 1. M. le professeur Cherbuliez, dans son Rapport au Conseil fédéral, trouve qu'il y a eu plusieurs orateurs appartenant à des opinions différentes ; les uns, socialistes, le sachant et le voulant; les autres, socialistes sans le savoir. Nous ne nous en sommes pas aperçus. Kg ni français, ni belge; il n'y a eu qu'on prêtre polonais parmi les adhérente. Très-peu ou pas du tout de ministres protes- tants, qui ainsi mit été absents de la réunion parisienne, et pourtant, il n'y a eu rien d'anli-religieux dans les pro- grammes envoyés avec les invitations!... Ce .-ont des gens qui. par leur position, peinent vouer leur temps au bien pu- blic, et beaucoup de professeurs, qui. de L'étranger, se ><>nt rendus à l'appel ; quant aux Belges, toutes les classes y ont participé. En comparant les deux Congrès, on pourrait dire que, si l'idée-mère, .comme je me suis exprimé, était la même dans les deux réunions, il s'est formé une grande différence dans leurs travaux et même dans leur caractère. L'un d'eux avait pour motif d'action non seulement un désintéressement com- plet, mais encore un noble dévouement à l'buinanité souf- frante. L'inspiration dn cœur guidait ses membres dans leurs dcinairltc.s. et non la seule froide raison : dans l'autre, le bien matériel, quelquefois même l'intérêt personnel, se joignaient aux calculs, et c'était la lèle qui travaillait le plus. Le Con- - de bienfaisance ne sentait pas hors de son enceinte des opposant-, de- enneniis. car l'opinion générale ne pouvait qu'applaadir à -es travaux : personne n'y trouvant son inté- rêt froissé, Chacun n'y voyait qu'un résultat bienfaisant pour la société en général. Si. dans le Congrès du libre-échange, il y eut presque unanimité, au sein des séances, sur les prin- cipes généralement admis, il \ avait déjà une grande diver- gence d'opinion sur les détails, et l'on sentait hors de son enceinte des ennemis nombreux, implacables, parce qu'il Vagissait de leur intérêt personnel, qu'il y avait là des ave- nirs et des existences compromises et peut-être des fortunes renversées. Le Comjrès de bienfaisaiiee. malgré le concours du gouvernement et de la cour, avait l'air d'une réunion de famille, à quoi contribuait la présence des dames, pour la 256 plupart appartenant aux membres étrangers. Les rela- tions entre les collègues, notamment dans les comités, étaient devenues amicales, même intimes. Le Congrès doua- nier, quoique sous le patronage bourgeois de la muni- cipalité, avait quelque chose de grandiose, mais aussi de plus froid, de plus sévère, de plus mesuré ! Au Congrès de bien- faisance, l'on faisait des vœux et l'on discutait les moyens de venir en aide aux malheureux placés dans une position inférieure ; au Congrès de libre-échange, l'on avait à s'oc- cuper non seulement du bien public, mais encore de ses propres intérêts, comme je l'ai indiqué, en opposition à ses ennemis, à ses concurrents, au gouvernement même. La question des douanes, bien ou mal comprise, est pendante et palpitante en ce moment en France et surtout en Belgique. Nous, étrangers, récemment arrivés, nous nous trouvions en- core sous l'impression de la manière minutieuse et vexatoire avec laquelle se fait la visite des voyageurs à la frontière de Belgique. Chacun de nous avait apporté sa dose d'irritation contre ces mesures; un Italien de nos collègues était pres- que hors de lui, pour avoir été séparé de sa malle, à la suite d'un malentendu occasionné par les formalités douanières, et être arrivé au Congrès dans son costume de voyage !... Permettez, Messieurs, un mot sur les deux grands ban- quets qui eurent lieu pendant ces assemblées. Oui, Messieurs, ils étaient beaux et bien différents de nos modestes repas suisses dans nos réunions républicaines. C'est que la Belgi- que, par sa position, fournit une telle quantité de bonnes choses, qu'il serait impossible, en la visitant et en venant de si loin, de ne pas profiter de sa marée, de ses huîtres d'Os- tende, de ses ortolans, etc., etc. ; mais, comme l'a très-bien dit un journal en parlant de ces banquets : « Le menu inter- » national fournissait un argument des plus succulents en » faveur du libre-échange : des surtouts splendides, façon- 257 i nés on France aroe un métal américain; des fleurs origi- » naires de la Chine et de l'Inde, des corbeilles de fruits da » Midi, chargeaient les tables; enfin, des vins allemands, » français et portugais achevaient de plaider, avec une élo- » quence qui coulait à grands Ilots, la cause de la liberté du • commerce. » Sérieusement parlant, ces banquets, — quoi qu'en disent certains penseurs, qui prétendent que l'argent qu'on \ dépense pourrait être mieux employé, surtout là où il estquestion de bienfaisance, — ces banquets sont absolument nécessaires dans de pareilles assemblées; c'est là qu'on fait des connaissances qui influent le plus sur le résultat de ces réu- nions: c'est à l'issue de ces repas que s'établit l'intimité, l'ordre des séances ne permettant pas le laisser-aller qu'il faut peur qu'on se communique ses idées intimes, qu'on se fournisse réciproquement des notes, qu'on échange des car- tes et des adresses, etc., etc. Le proverbe ne dit-il pas : i ht vint) veritag? >■ On entend quelquefois dans les toasts ces expansions qu'on ne trouve pas dans les discours bien cal- culée des séances solennelles. Aussi les toasts portés pendant eltacun de ces banquets en ont-ils été l'expression. Au ban- quet de bienfaisance, moins nombreux et qui eut lieu dans une salle de restaurant, les santés ont été plutôt personnel- le-, tandis qu'à celui du libre-échange, qui a été bien plus nombreux et qui a eu lieu dans la grande salle gothique de l'Hôtel-de-Ville, ornée de drapeaux et de bannières de diffé- rentes nations et Illuminée atjiorno, les toasts ont eu pour objet des considérations d'un intérêt général. C'est ainsi que la santé du roi des belges, au premier de ces banquets, ex- cita un enthousiasme unanime. 11 était non seulement provo- qué par la reconnaissance de ses membres pour le haut pa- tronage du souverain, mais éclatait encore dans les discours des Anglais, des Suédois, des Piémeatais, à cause de la simi- litude d'action de leurs monarques franchement constitu- 258 tionnels: chez les autres, il exprimait le regret de qu'ils avaient perdu, et chez les troisièmes, il témoignait du désir de voir leur pays ressembler un jour à la Belgique ! Cet enthou- siasme s'est même communiqué aux Suisses, qui n'ont rien à envier à personne sous ce rapport, et, quoique bous répu- blicains, nous avons répété, après les autres: Vire le roi! Plusieurs toasts furent portés, comme je l'ai dit, plutôt aux personnes; ceux des Anglais se distinguaient par leur humo- risme, et le dernier fut : « Aux dames qui ne sont rendues cé- lèbres par leurs bonnes œuvres! » Quant aux toasts du banquet du libre-échange, après ceux d'usage : à la santé du roi, des organisateurs du Congrès, etc., on les a portés, en outre, en termes éloquents : « A l'amélioration des classes ouvrières par le triomphe de la liberté commerciale ; au progrès des idées économiques ; à la jeunesse libre-échangiste de toutes les nations; aux auxiliaires du libre-échange, les protectionnis- tes, etc., etc. » A la fin de chaque toast, un orchestre exécutait les airs nationaux ou populaires du pays auquel appartenait l'ora- teur. « Ces airs, comme s'est exprimé un journal belge, qV » avaient si souvent retenti sur les champs de bataille où » s'entr'égorgeaient les peuples, dont les représentants étaient » maintenant réunis dans une pensée de rapprochement fra- » ternel, ces airs belliqueux provoquaient de véritables ex- » glosions d'enthousiasme. » Mais, Messieurs, le plus beau et le plus touchant moment de cette fête fut celui, où — après les sons du Wien Neetiands bloed qui éclatèrent après le toast d'un Belge, qui venait de le porter aux délégués hollandais, en disant que leur querelle est maintenant oubliée, et qu'ils prenaient les délégués de l'Europe à témoin de leur réconciliation fraternelle,- — les Belges s'élancèrent vers la députation hollandaise pour échan- ger avec elle des poignées de mains amicales, et quand un 189 Hollandais, en répondant, déclara: « Que sa patrie est inté- i rossée à la prospérité de la Belgique, et qu'il n'y aurait » désormais concurrence entre les deux peuples que pour se » devancer dans la voie des libertés qui améliorent etrelè- » vent la condition de l'espèce humaine, « les mêmes dé- monstrations se renouvelèrent alors avec encore plus de chaleur. « Cet enlacement, comme le dit le journal cité, » des haines politiques et des jalousies commerciales, ce » nouveau et solennel triomphe de la cause de la liberté et » de la paix dans une salle où, à quelques siècles de distance, i> les serfs, les vilains, les manants, éle\ aient contre la coa- i lilioii des privilégiés du temps la bannière de la liberté » communale, préludant par l'affranchissement du travail à » l'affranchissement du commerce, formaient assurément un i des spectacles les plus prestigieux et les plus émouvants • auxquels il nous ail été donné d'assister. » UEacposiUtm a étéi aussi bien que le Congrès de bienfai- sance, patronée par le gouvernement et aidée par les dès- sources que ce dernier a toujours à sa disposition dans des circonstance- analogues. IF. CONGRÈS DE BIENFAISANCE. RAPPORT DE M. NAKWASK1. L'oftverture du Congrès ; Discours de M. Nakwaski; Observations sur ta" «lise s de MM. Ward et Ghernuliez; Travaux des Sections, tpécislemeot de la première, celle d'agriculture; Correspondance Internationale; Clôture du Congres. Le Congrès de bienfaisance a été convoqué pour trois jours : les lô, le et 17 septembre. Il s'est prolongé de trois 260 jours de plus; cependant, le temps s*est trouvé trop court pour élaborer une partie des travaux proposés, car le pro- gramme avait été rédigé sur une trop vaste échelle. Comme il arrive dans ces sortes de réunions, et comme l'ordre et le désir de leur réussite l'exigent, ceux qui avaient provoqué la réunion du Congrès de bienfaisance ont tout arrangé d'a- vance ; formé un bureau provisoire des nationaux, qui, à la première séance, fut confirmé par acclamations comme bu- reau définitif; rédigé un projet de règlement, voté de la mê- me manière ; c'est encore ainsi que furent confirmés les seize vice-présidents proposés, qui représentaient onze différents pays de l'Europe et le Brésil. Ces vice-présidents furent choisis pour la plupart parmi les délégués des gouvernements ou des différentes Sociétés. C'est M. Meyer, de Knonau, délégué du gouvernement fédéral, ainsi que M. le docteur Gosse, délégué des Sociétés d'utilité publique, qui ont été appelés à siéger au bureau au nom de la Suisse. Il y a eu des délégués officiels de sept Gouvernements, de douze Universités, des délégués des Sociétés étrangères et enfin des délégués des diverses Corporations et Associations belges. En tout, plus ou moins, 300 Membres présents, et, en outre, une centaine de Membres adhérents. C'est M. Charles Rogier, ancien Ministre de l'Intérieur, qui fut nommé Président, et M. Charles Faider, ancien Ministre de la Justice, avocat-général à la Cour de Cassation, vice- Président du Congrès; c'est ce dernier qui a conduit presque pendant tout le temps les débats durant l'absence du pre- mier, occasionnée par une perte douloureuse qu'il avait faite dans sa famille. Le Secrétariat fut confié à la direction, de M. Ducpetiaux, conjointement avec plusieurs autres mem- bres nationaux et étrangers. Ce Secrétariat doit rédiger un compte-rendu détaillé, qui sera livré à l'impression, et ce n'est qu'alors que ceux qui voudront avoir une juste idée des 261 travaux de cette réunion pourront le mieux y arriver à l'aide de cet ouvrage. Le discours de M. Rogier a été vraiment remarquable. Il serait trop long, Messieurs, de vous le répéter. Je trouve pourtant nécessaire de vous citer les explications qu'il a données sur le programme destiné à servir de base à nos dé- libérations; car cela vous mettra à même de mieux compren- dre les travaux de cette assemblée. « L'amélioration physique, a-t-il dit, intellectuelle et mo- » raie des classes nécessiteuses, tel était, à le prendre dans » sa généralité, l'ordre du. jour transmis à leurs successeurs » par les membres du Congrès de statistique. » Tout en respectant, en principe, le vœu de cette honora- » ble assemblée, reconnaissons, Messieurs, que, sous peine » de confusion et d'avortement, il nous était interdit de com- » prendre dans un seul et même programme ce vaste ensem- » ble de questions, dans lequel se résume la science sociale » tout entière. » Il nous restai! à décider dans quel ordre il conviendrait » d'aborder les questions, et nous n'avons pas hésité à don- » ner la priorité à celles qui concernent la vie matérielle des » populations : nourriture, logement, vêtement, travail ma- » nuel. La crise alimentaire qui sévit depuis plusieurs années, » suffisait seule pour déterminer notre choix, et vous pense- » rez sans doute avec nous que la question des subsistances » doit prendre ici le pas sur toutes les autres. » A ce programme ainsi défini on a reproché, d'une part, i d'être trop étendu, et, d'autre part, d'être trop restreint, • en ce qu'il n'envisage l'amélioration de l'homme qu'au » point de vue matériel, perdant de vue la réforme morale, la » plus importa ide de toutes. » Nous répondrons en quelques mots : » Messieurs, l'œuvre générale à poursuivre est de longue » haleine; ce n'est pas en une seule session que nous pou- » vons avoir la prétention d'épuiser, même dans les limites » que nous lui avons assignées, l'ordre du jour proposé au i Congrès. Aussi le thème que nous avons sous les yeux ne » doit-il pas être pour vous un texte inaltérable et inviolable. » Il constitue, pour ainsi dire, la matière première de l'œu- » vre. Libre au Congrès d'éloigner du programme, d'ajour- » ner, de supprimer même tout ce qui lui paraîtrait surabon- » dant ou non suffisamment mûri. » Vous êtes appelés, Messieurs, à élaborer les idées et à » proclamer les principes destinés à former en quelque sorte » le premier chapitre du code de la bienfaisance, code tou- » jours susceptible de révision et de perfectionnement. » Les autres chapitres viendront ensuite. A chaque année, » ou, si l'on veut, car il y faut de, la patience, à chaque géné- » ration sa tâche, jusqu'à ce que l'édifice dont nous essayons » de jeter les bases apparaisse dans toute sa grandeur et toute » sa beauté. » Le Président, dans la suite de son discours, en convenant que cette tâche morale sera la plus difficile, expose que justement la tâche matérielle préparera le mieux le terrain. En disant qu'il ne s'agit ici ni de rêve, ni d'utopie, en prédi- sant les résultats les plus salutaires de cette première réunion, et y voyant le commencement d'une profonde réforme et d'un nouveau progrès dans les relations des gouvernements et des peuples, il nous appelle soit vétérans, soit nouvelles recrues de la sainte cause, nous souhaitant la bien-venue sur ce sol libre ■ et paisible de la Belgique, et il nous invite à l'œuvre en priant les délégués des divers pays de rendre compte des mesures générales qui ont été prises, relativement à l'objet de la réunion. Comme dans les convocations qui nous avaient été adres- sées, il n'avait pas été question de ces Exposés, on s'est 2fi| teauvé ;ni dépourvu, et même tes membres du bureau, appe- lés les premiers, n"> étaient pas préparés, lin véritable décousu en lut la suite, chacun entendant autrement la ma- nière de faire la bienfaisance, selon le- idées à lui particu- lières ou celles île boa pays. Les uns entraient dans des détails n'embrassant pas la généralité des mesures existantes chez eux, les autres .-e renfermaient dans «les généralité? déjà connues. Les uns ont beaucoup parlé de la bienfai- sance privée, d'autres île la bienfaisance gouvernementale, qui tourne en charité légale, etc.. etc. 11 s'est pourtant trouvé, les jours suivants, plusieurs orateurs qui ont >atisfait à l'appel du Président, et notamment M. Meyer, de Knonau, qui, dans un discours bref, mais clair, a donné une idée nette de ce qui se fait en Suisse en général, et. surtout, dans la partie allemande. Ici. Messieurs, il est démon devoir de VOUS expliquer com- ment et pourquoi vos délégués n'ont pas pris la parole dans celte uccaMuii. quoique 60 terminant son discours M. Meyer ail exprimé' l'espoir que se* collègues de la Suisse romande rendraient compte de ce qui BC l'ail cliez eux. Comme c'est aux membres du bureau que le Président s'adressait d'abord, après mètre concerté a\ee M. de Grenus, j'ai demandé à M. le ]ir Gosse, membre du bureau, s'il comptait prendre la parole. Oui, m'a-t-il répondu, d'autant plus que M. Meyer me la cède et le désire. Ce t'est donc pas sans élonnement que, le lendemain, nous avons entendu prononcer un dis- mars par M. Hejer; somme M. le D' Gosse me déclara alors qu'il ne voulait plus parler, je me lis inscrire au Secré- tariat. Mais, par ce malentendu, mou tour vint très-tard. Le Président aous ayant, à la dernière séance, demandé, à moi comme à plusieurs autres membres inscrits, d'envoyés nos discours pour être insérés dans le compte-rendu, j'ai cru de- voir me rendre à >on désir, observant seulement que la 264 Suisse, et Genève principalement, ne le cèdent en tien aux au- tres pays sous le rapport des institutions de bienfaisance. J'ai déposé ensuite les quelques mots que j'avais préparés et que je vous demande la permission de vous lire, pour que vous jugiez. Messieurs, si la mission que vous m'avez confiée se trouvera, dans le compte-rendu du Congrès, exprimée selon vos vœux et votre manière d'envisager la bienfaisance. * Messieurs, » Vous venez d'entendre prononcer un nom polonais, et c'est de la Suisse que je dois vous entretenir !.... Vous ne trouverez donc pas extraordinaire que je commence par rendre hommage à la large bienfaisance politique dont on jouit dans ce pays hospitalier, et dont profilent tant de mal- heureux, depuis les marches des trônes jusqu'aux plus hum- bles réfugiés. Ah! Messieurs! les souffrances des exilés en valent bien d'autres!.... » Jouissant aussi de ce bienfait et ayant trouvé en Suisse une seconde patrie, je me présente devant vous pour vous parler de Genève, au nom d'une Association qui a été fondée depuis plusieurs années par une loi du Grand Conseil, je veux dire de l'Institut national genevois. Les objets soumis à nos délibérations entrent dans les attributs de deux de ses Sec- tions, savoir : celle des Sciences morales et politiques, et celle d'Industrie et d'Agriculture. » Permeltez. Messieurs, que je commence par quelques mots sur la Suisse en général. Un des orateurs a dit ici : qu'un étranger peut souvent juger un pays avec plus d exac- titude qu'un indigène ; un nouveau citoyen ne se trouve-t-il pas dans la même situation ? C'est à ce titre, et après un sé- jour d'un quart de siècle dans cette seconde patrie ; c'est après avoir parcouru les vingt cantons et quatre demi-cantons que je me suis convaincu que notre belle Helvétie, déjà si bien douée par la nature, jouit, comparativement à d'autre.- 265 pays, d'une somme de bien-tHre bien plus considérable. La cause principale en est dans l'indépendance et la liberté dont elle est en possession depuis des siècles ! Cette liberté réagit sur les mœurs et sur l'esprit du travailleur, et c'est elle qui a produit les fruits que nous voyons. » L'honorable M. Meyer de Knonau, vous a soumis un Exposé très-clair de ces résultats en vous entretenant de la Suisse allemande. Je n'aurai qu'à vous répéter les mêmes faits et à vous donner les mômes assurances relativement à la Suisse française. Cette dernière, de plus, n'a point de paupérisme, plaie qui désole principalement le canton de Berne. La Suisse française, aussi bien que la Suisse allemande, possède de grands fonds affectés au soulagement des indigents ; elle a formé de nombreuses associations destinées à venir au secours non seulement des nationaux, mais encore à celui des étran- gers, et même des voisins. Genève tient, sans contredit, la première place dans celte seconde catégorie. Outre ses associations permanentes, il n'est point de malheur, de cala- mité extraordinaire, en Suisse ou dans le voisinage, quine fasse surgir à Genève des souscriptions, ou ne provoque des Contâtes tvl hocl C'esl île cette manière que la Savoie, pays délaissé depuis des siècles, et qui commence à se relever par suite de son sNslèine constitutionnel, est constamment secourue par sa roisine. Des villes entières, que des incendies avaient dé- truites, ont été rebâties presque uniquement grâce à la libé- ralité de Genève. J'abuserais de votre patience. Messieurs, si je vous citais tout ce qui s'y l'ail de bien; je vous dirai seule- ment que la plupart des voeux émis dans notre programme, ainsi que ceux que j'entends exprimer ici, comme : l'établisse- ment de di\ erses institutions pour le soulagement des ouvriers, tant infirmes que hors de service; des écoles enfantines, même dans les villages: des classes de dessin, des écoles de tilles; des écoles du soir; des bibliothèques populaires, soit à la ville, soit 18 266 dans les campagnes; des soupes économiques distribuées aux pauvres étrangers ; des associations de secours mutuels, tant entre les ouvriers de la fabrique (borlogerie et bijouterie), que parmi les domestiques, etc., sont réalisés à Genève de la manière la plus large et la plus intelligente. C'est surtout à la liberté qui existe dans les rapports politiques et sociaux et au développement de l'esprit d'association, qu'il faut attribuer ce résultat. Les questions les plus difficiles sont résolues par l'application de ce principe. La disette même ne s'est pas fait sentir à Genève comme en d'autres pays, grâce à la liberté du commerce. Dans ce moment, une question so- ciale des plus ardues, celle de la grève des ouvriers, s'y ré- sout sans arrestations, sans effusion de sang, comme cela a lieu dans d'autres pays, mais uniquement par l'application du principe de liberté égale pour tous! J'ai donné là-dessus des éclaircissements à la Section d'Agriculture, et j'ai déposé au bureau du Congrès divers imprimés et documents qui ont rapport à ce que j'avance. » Il faut, Messieurs, que je vous fasse une observation gé- nérale, c'est qu'en Suisse il ne devrait point exister de men- diants, car chaque pauvre reçoit dans sa commune, pour le moins, la soupe, du pain et un lit; je dis pour le moins; car il y a des communes qui possèdent des millions de fortune et qui traitent leurs pauvres fort confortablement. Ces fortunes sont plus ou moins grandes, selon les cantons et la générosité des premiers bourgeois, qui, par droit de conquête, d'héritage ou de dons divers, enrichirent la com- mune. Presque toutes les villes, les bourgades et les villages, en Suisse, possèdent des propriétés appartenant aux bour- geois de la localité. La Bourgeoisie de Berne a au-delà do trente millions de fortune en hypothèques, valeurs sur les Etats, propriétés foncières, qui, au rendement de 4 °/0, pro- duisent un million deux cent mille francs. Ces intérêts ser- 101 vent ;iu soutien des indigents, à l'instruction publique. aux hôpitaux, aux refuges des vieillards et des intirmes, à doter chaque ménage de huit mesures de bois, etc., etc. A Berne, tout ouvrier étranger, de quelque nationalité qu'il soit, est logé et nourri pendant vingt-quatre heures, et il reçoit à son départ un viatique peu important, il est vrai, mais qui ne laisse pas d'être une ressource !.. . » Je citerai ici un fait qui vous intéressera, Messieurs. C'est que le gouvernement belge, par une mesure philan- thropique et par l'entremise de mon honorable collègue au Congrès, M. de Grenus, consul général de Belgique en Suisse, a provoqué une mesure d'assistance réciproque, pour tous les ouvriers malades, qui doivent recevoir aide et soins de la part des deux États, la Suisse et la Belgique, et cela gratui- tement. « Les bourgeoisies de Thoune, de Zurich, de Saint-Gall, de Lucerne. possèdent des fortunes qui s'élèvent de deux à vingt millions. >■ En Suisse, si une commune se trouve trop pauvre pour assister ses indigents, le gouvernement cantonal lui vient en ;iide. pour que chacun ait, comme je l'ai déjà dit, son pain, sa soupe et son lit. Il y a donc une immense dilïérence entre les malheureux t\o^ autres pays, par exemple entre les 70,000 pauvres de Paris, ainsi que ceux de Londres bien plus nom- breux encore, et qui n'ont ni feu ni lieu, et ceux delà Suisse ; c'est avec surprise que j'ai vu les mettre sur le même pied dans des comparaisons statistiques. Si l'on voit des mendiants en Suisse, oe sont des étrangers, comme à Genève les pauvres de la Savoie, qui inondent cette ville et ses alentours : ou des gens, et notamment des enfants qui, par de mauvaises habi- tudes, ont apprise tendre la main: ou enfin, dans des cas ex- ceptionnels, tels que des calamités publiques; mais jamais de mendiants de profession, comme cela a lieu dans d'autres 268 pays. Et quant aux pauvres de ces localités dont les fortunes communales montent à des millions, ceux-ci jouissent de l'ai- sance. i Avant de terminer, je ne peux m'empêcher de joindre mes plus chaleureux remerciements à tous ceux qui ont été adressés à si juste titre à vous, Messieurs, qui avez eu l'heu- reuse idée de nous réunir ici, et de vous assurer que l'appel des hords de l'Océan trouvera de l'écho dans les montagnes del'Helvétiet.... » Malgré ce que j'ai avancé que, dans tous ces Exposés des divers orateurs de tant de pays, il y avait eu du décousu, il faut que je dise qu'en masse et dans les détails ils ont été très- curieux et très-instructifs, et qu'il s'y trouve une quantité de faits, de données, de projets et d'observations dont on peut et dont l'on doit profiter, et cela non seulement en imitant ce qu'il y aurait de bon, mais en évitant les écueils dans lesquels on est tombé, dans quelques pays, sous le rapport de la trop grande intervention de l'Etat et de cette centralisation admi- nistrative, qui absorbe non seulement l'action des associations privées, mais encore la liberté individuelle. Aussi, Messieurs, je conseillerai à ceux qui le voudraient, de relire ces discours dans le compte-rendu qui s'imprime à Bruxelles, car ce qui en a été rapporté dans les journaux, et même dans le Moni- teur belge, n'est pas suffisant. Il nous serait impossible de vous rapporter exactement ce qui a été dit pendant ces quatre séances; mon collègue vous donnera néamoins un résumé de ces Exposés. Je ferai quel- ques observations sur le discours de M. le professeur Cherbu- liez et sur celui de M. F.-O. Ward, Anglais, qui a été appelé le premier à prendre la parole. Il fit envisager qu'il y a deux manières d'entendre la bienfaisance : En s'attachant à sou- lager la détresse une fois qu'elle s'est produite ou en se donnant 269 pour tâche de i 'empêcher de se produire, M. Ward déclara que CEcole sanitaire anglais* se pose la question de lu bienfaisance diaprés la seconde manière. Partant de ce principe qu'il faut prévenir au lieu de guérir, et qu'il faut de la circulation an lien de la stagnation, il exposa, dans un discours assez long, un nouveau système d'assainissement des villes, appelé tabulaire, parce que. par quatre séries de tuyau. r. il recueille l'eau pure, l'amène dans la cille, l'cnlèce enrichie des résidus fertilisants et rapplique à l'agriculture. Ce système, aussi économique que bienfaisant, doit, dit-il. être introduit dans une centaine de villes d'Angleterre; il est complètement organisé dans la ville de Rugby, qui compte 00,000 Habitants. H. Ward a déposé un plan de cette ville où l'on voit, comme il s'est exprimé : d'an coté les terrains collecteurs et les sources artificielles; de l'au- tre, les terrains irrigués et drainés; au milieu, la cille elle- même arec son double système tabulaire, artériel et veineux. Sachant combien l'on s'occupe ici de l'assainissement de la \illc et des égoûte pour le prolit de L'agriculture, j'attire va- in attention, Messieurs, sur ces idées de M. Ward, qui paraît être un tiomme actif et plein de zèle, et qui, à ce qu'il m'a (fit lui-même, ne demanderait pas mieux que de \enir à Ge- nèse exposer, sur les lieux, ce système et aider à le mettre en action. Ce seul objet mériterait peut-être qu'on nommât une commission ad hoc '. If. le professeur Cherbuliez, invité comme moi à envoyer par écrit stin discours au Secrétariat, dit qu'il ne pouvait le faire: car cela exagérait un traçai! de rédaction auquel il n'était jias disposé à se livrer dans ce moment, et qu'il ne coulait que donner quelques éclaircissements sur le paupérisme en Suisse. 1. A la suite de cette remarque, la Section a nommé une Commis- sion, qui doit s'occuper non seulement île ce système, mais encore de celui de M. Chodzko, professeur à Fribourg, qui lui a été présenté, ainsi que de cette question en général. 270 La parole lui ayant été accordée, il prononça un discours dans lequel, sortant du cadre de l'exposé qu'il avait à faire en indiquant des principes généraux, comme le Président du Congrès lui-même l'a déclaré, il avança des théories qui ont provoqué une protestation; il a, en outre, dépeint le paupé- risme dans le canton de Berne sous les couleurs les plus som- bres. Si vous le trouvez bon, Messieurs, je vais vous lire un extrait du compte-rendu du Moniteur : cela vous donnera la meilleure idée de cet incident : « C'est une tâche, je l'avoue, un peu ingrate, a dit M. Cherbuliez, que celle que j'entreprends, à cause de l'esprit dans lequel je la remplirai. —J'avoue que je ne participe en aucune façon à la conviction et à la confiance que paraissent avoir le plus grand nombre des membres de cette assemblée dans les moyens de combattre le paupérisme qui ont été ap- pliqués jusqu'à présent. J'éprouve une défiance à la fois ins- tinctive et raisonnée contre toute institution de charité ou de bienfaisance publique, contre tout ce qui implique l'inter- vention de l'État dans la satisfaction des besoins sociaux. Je suis trop, par une longue expérience, par mes éludes sur ces matières, habitué à trouver le mal sotis le bien, à trouver sous les Heurs odorantes de la charité le serpent venimeux du paupérisme. Je ne partage pas le sentiment de satisfaction qui s'est manifesté dans l'exposé de la plupart des délégués que vous avez entendus lorsqu'ils ont exalté à l'envi le nom- bre et la variété des institutions de bienfaisance de leurs pays. — Il me semblait entendre vanter l'état sanitaire d'un pays en alléguant comme preuve le nombre de médecins et de pharmaciens qui exercent leur profession. Et que serait-ce si ces médecins et ces pharmaciens étaient non seulement la preuve du mal, mais s'ils en étaient la cause, au moins en partie? — Pour ma part, je l'avoue, ce jour serait un des plus beaux de ma vie, où je pourrais, au lieu de venir vous -271 vanio i- les institutions de bienfaisance, venir vous dire que mon pays est inférieur à tons les autres à cet égard, où je pouvais venir vous dire : Non. Messieurs, en Suisse il y a peu on point de crèches, de salles d'asile, parce que les mères pauvres ont Le loisir, la possibilité et la volonté de soigner et d'élever elles-mêmes leurs enfants ; en Suisse, il y a moins d'hospices que partout ailleurs, parce que les ouvriers pau- vres ont assez d'esprit de conduite et des salaires assez élevés pour ménager des ressources pour la vieillesse et pour les cas d'accident : en Suisse, on l'ait peu d'aumônes, parce que le pauvre, l'ouvrier renonce plus volontiers ;m\ dons de la charité publique qu'à son indépendance et à sa dignité. — Malbeureusement. il n'en est pas ainsi, e! l'histoire de la charité, en Suisse, présente des côtés déplorables que, mal- gré la répugnance que mon compatriote éprouve à le faire, je veux signaler ou révéler, parce qu'ils renferment une ex- périence, selon moi, éminemment instructive et curieuse, une expérience digue d'être connue d'un Congrès comme celui-ci. » Après cela. M. Cherbulieza tracé, comme je l'ai mentionné, un tableau des plus tristes du paupérisme dans le canton de berne, en \ ajoutant quelques idées générales sur son sys- tème, sur ce qu'il appelle la pfiévbyanoè chez les pauvres, sur la dépendance et la tutelle, la liberté et la responsabilité, etc., etc. M. l'ascal-Ilupral prit ensuite la parole, et s'exprima ainsi : i .le n'ai pas de conseils à donner au bureau. Mais lorsque à propos de faits on développe ses théories absolues, il doit être permis d'y répondre, au moins par un mot. — On a parlé de la misère, mais sans dire que, dans le momie, il y a deux sortes de misères : une misère volontaire et une misère involontaire. Vous réclamez la responsabilité pour la misère volontaire, je le veux comme vous. C'est le sentiment de la 272 conscience, c'est la loi du devoir. Mais pour la misère invo- lontaire, je ne veux pas de responsabilité. Ce serait une in- justice, ce serait un homicide. Pour la misère involontaire, j'invoque la générosité des citoyens. Si elle ne suffit pas, j'in- voque la générosité des communes, des provinces, des gran- des associations. Enfin, si cette générosité est insuffisante, j'invoque, au nom de l'humanité et des principes de l'écono- mie politique, la générosité de l'État. » M. le Président ajouta aussi : « M. Cherbuliez est en effet sorti du cadre de l'exposé qu'il avait à faire, en indiquant des principes généraux. Ils n'ont pas été développés. Vous avez entendu une protestation et l'indication de principes contraires présentés par M. Duprat. Je pense que cela doit suffire. » J'aurais dû peut-être demander alors la parole, mais ce que M. Pascal-Duprat avait prononcé m'a paru suffisant ; j'ai seu- lement ajouté quelques mots sur ce sujet dans une note à mon discours, envoyé au Secrétariat, en disant : « Que, sans « entrer en discussion jusqu'à quel point ce que M. Cherbu- » liez a dit sur le paupérisme dans le canton de Berne est ou » non exagéré, je ferai seulement observer que la Suisse, qui a » su vaincre bien d'autres difficultés, saura se rendre maîtresse » de celle-ci, et que, si le canton de Berne n'y suffisait pas, la » Confédération lui viendrait en aide. J'ai ajouté que je ne par- » tage pas non plus la manière de voir de M. Cherbuliez quant « aux institutions de bienfaisance en général,etqueje m'associe » aux réserves faites très-justement par M. Pascal-Duprat l. » 1. Depuis, M. le professeur Cherbuliez, dans son rapport adressé au Conseil fédéral, et imprimé dernièrement, cite tout son discours sans mentionner la protestation de M. Duprat, ni les paroles de M. le Pré- sident, et il ajoute : Que sa doctrine a été accueillie avec faveur et saluée par des applaudissements réitérés. — Par cette omission , M. Cherbuliez expose cet incident sous un faux jour ; et quant aux ap- 273 Je ne nie pas. Messieurs, que cette plaie du paupérisme dans le canton de Berne ne soit bien grande, mais en Belgi- que elle semble plus grave encore! — Une de ces brochures qu'on nous a distribuées au Congrès, et qui conseille, pour détruire en Belgique le paupérisme, une colonisation libre de familles belges an\ Ktats-Unis, nous donne là-dessus des chillres effrayants. Nous y trouvons ces mots : « Depuis quel- » ques années, le paupérisme suit en Belgique une marche i ascendante, que la statistique officielle constate. Le nombre » de nos concitoyens qui, en 1839, obtenaient des secours de » bienfaisance, est de 587.000 individus: dix ans plus tard, » en 1840, il était de plus de (.)00.000, soit une augmentation » de plus de 31.000 indigents par an! En admettant que. de- » puis lors, dans la période de 1849 à 1856, le paupérisme ait • guivi une marche proportionnelle seulement, et non pro- » gressive, le nombre Ao< Indigents secourus par la charité i officielle s'élèverait aujourd'hui, en Belgique, au chiffre » énorme d'environ 1,200,000! Et si aux indigents se- » courus par la charité officielle, nous ajoutions ceux qui reçoivent des secours fle la charitéprroée, les pauvres hon- • teux et les personnes dont l'existence est une lutte inces- • saute contre la misère, nous arriverions peut-être à la douloureuse conviction que, sur trois Belges, il y en a un • qui doit être secouru par lès deux autres! » Et pourtant. en Belgique, on ne voit pas les choses1 d'une manière aussi sombre que M. Eherbuliez pour la Suisse I Peut-être qu'une émigration comme celle qui est proposée pour la Belgique pourrait aussi venir en aide au canton de Berne? La question des émigrations eu général, traitée dans une îles Sections du ptaudissements, si certains morceaux de son discours ont été salués, et cela par certaines parties de l'assemblée, les paroles de M. Du| tji l'ont été aussi. 27-i Congrès, étant le sujet du rapport de mon collègue, je passe, Messieurs, à l'exposition des travaux de la première Section, celle d'agriculture, dont je faisais partie. Le Congrès s'est partagé en trois Sections : lre Section. — Subsistances dans leurs rapports arec l'agri- culture. 2œe Section. — Subsistances dans leurs rapports avec l'éco- nomie politique et charitable. 3me Section. — Subsistances envisagées dans leurs rapports avec les procédés scientifiques et industriels. Procédés et inven- tions propres à faciliter et à perfectionner le travail manuel, à assainir les professions et à prévenir les accidents. Amélioration des habitations, de l'ameublement, de l'habillement des classes ouvrières. Les travaux dans ces Sections ont eu lieu, le matin, de 9 heures à 1"2, et les séances du Congrès de 1 h. à 5 h. du soir. Là, outre les comptes-rendus sur l'état de la bienfai- sance en divers pays, les rapports des Sections ont été lus et ont1 provoqué les décisions de l'Assemblée après de courtes discussions, vu la brièveté du temps. Mon collègue vous don- nera l'exposé des travaux de la seconde et de la troisième Sec- tions, aux réunions desquelles il a assisté ; quant à la pre- mière, elle avait à s'occuper : Des mesures (exposées dans 1 7 paragraphes) propres à accroître la production alimentaire, à prévoir les disettes ou à en atténuer les résultats, et qui se rat- tachent à la sphère agricole. — Il ne serait pas sans intérêt de les relire ici : « 1° Celles qui ont directement ou indirectement pour but ou pour effet de prévenir ou d'empêcher la concentration, ainsi que le morcellement excessif des propriétés rurales et des exploitations agricoles, de manière à obtenir le produit le plus élevé aux moindres frais possibles, et à assurer la plus grande somme de bien-être aux cultivateurs, tout en pour- are voyant aux besoins de l'approvisionnement alimentaire des populations ; j 2° Maintien du rapport nécessaire entre le nombre des travailleurs agricoles et les besoins de la culture et de la pro- duction alimentaire, de manière à ne laisser aucun travail ii t il «* en souffrance, tant en empêchant la condensation ex- cessive de la population rurale et, par suite, la dépréciation des salaires; » ;i" Prolongation du terme des baux et stipulation d'in- demnités à payer, du eliel' d'engrais et d'amendements, par le fermier entrant au fermier sortant; » -i° Extension et perfectionnement des assurances contre la grêle, les inondations, la mortalité des bestiaux* etc. : » 5° Organisation du crédit foncier comme moyen de sti- muler et de faciliter l'exécution des grande travaux d'amélio- ration agricole; constitution du crédit agricole d*après le type îles banques d'Ecosse, dans L'intérêt commun des pro- priétaires, des fermiers el des cultivateurs; — comme corol- laire, réforme du svstème des hypothèques et des privilèges, de la législation sur les saisies immobilières et sur les ventes, swee faculté de remettre, el réducliun des frais excessifs qu'en- traînent les mutations de propriétés el les prêts hvpothé- caires: i i'»" Allégement des Gharges qui pèsent directement ou indirectement sur l'agriculture; » 7° Concours plus large et mieux entendu des capitaux dans la production agricole; » 8° Extension du principe île l'association aux exploita- tions rurales (fruitières du Jura, etc.); » '.»" Aménagement des rivières et cours d'eau, et reboiser ment des hautes pentes ; » 10° Extension el amélioration des voies de communication et notamment des chemins vicinaux; 276 » 11° Défrichement et mise en culture des terres incultes, dont l'exploitation présente des chances suffisantes de rému- nération ; » 12° Amélioration des procédés agricoles; extension des sarclages, des cultures en ligne, de la culture maraîchère, de la plantation des arbres fruitiers; conservation et application utile des engrais, et notamment des engrais humains ; irriga- tions, drainage, etc. : » 13° Dans l'hypothèse de la continuation de la maladie des pommes de terre, extension de la culture des légumes secs; — acclimatation de nouvelles plantes, de manière à accroître la masse des substances alimentaires; » 14° Extension de l'élève du bétail; —introduction et ac- climatation de races étrangères d'animaux domestiques, et perfectionnement des races indigènes; » 15° Création d'un corps spécial d'ingénieurs et de con- ducteurs de travaux agricoles, chargés notamment de la di- rection et de la surveillance des reboisements, des irrigations, du drainage ; — organisation de l'enseignement agricole dans ses divers degrés au point de vue théorique et pratique; — institution de fermes-modèles, de champs d'expérimenta- tion, de musées agronomiques, de concours, d'expositions publiques de produits et d'instruments, de primes et de ré- compenses pour les innovations utiles et les perfectionne- ments ; — publication de traités populaires ; — formation de sociétés et de comices agricoles, etc. ; « 16° Établissement d'une statistique agricole exacte et complète, qui permette de se rendre compte en tout temps de l'état des récoltes et des approvisionnements du pays, et de comparer ces résultats avec ceux qui ont été constatés dans les pays étrangers; » 17° Encouragements du gouvernement subordonnés aux circonstances et déterminés surtout par la nécessité de pro- 277 voquer et de favoriser les améliorations, et de suppléer à l'inaction ou à l'insuffisance d'action des propriétaires et des cultivateurs. » Non seulement le nombre, mais la gravité et la diversité d'objets ne permettaient pas, dans trois séances, de les traiter à fond. La Section, néamoins, les ayant passés tous en revue, après une discussion plus ou moins approfondie, s'est arrêtée à celles qui lui ont paru les plus graves et les plus urgentes. A la suite de ces délibérations il y eut non seulement un rapport général de présenté au Congrès par le Président de la Sec- tion, M. le comte Arrivabene, dont le zèle égale l'aménité, qualités qu'il a déployées au sein des discussions, mais encore de plusieurs autres sur les questions traitées spécialement ; c'est ainsi que M. le docteur Van der Brœck a lu un rapport sur les quatre premiers paragraphes, dont les sujets princi- paux ont été : Le morcellement et la concentration des pro- priétés nualcs. les baux, les assurances contre la grêle, les inondations, la mortalité des bestiaux. Un second rapport a été rédigé el présenté par M. Hœck sur la question de l'organisa- tion du crédit foncier et du crédit agricole; un troisième, enfin, sur l'enseignement agricole, rédigé et lu par M. Van der Brœck. 11 .-trait impossible, Messieurs, de vous rendre compte ici de toutos les discussions, très-longues et très-instructives, auxquelles ont pris part des hommes compétents de toutes les parties de l'Europe, tant dans la Section qu'au Congrès, sur ces questions aussi graves, car c'est un travail que le ca- dre de ce rapport ne pourrait comporter. Si vous le trouvez bon, je vous lirai les conclusions de ces rapports, qui, pour la plupart, avec de petites modifications, furent votées par le Congrès: j'y ajouterai quelques éclaircissements, et je suis prêt à vous donner encore des explications verbales. Voilà l'avis de la Section, exprimé dans le rapport sur le morcellement des propriétés, etc : 278 « 1° Que le premier article, pour des motifs qui ont été dé- duits plus haut, n'est pas susceptible d'une solution générale; » 2° Que la seconde question n'est, ni ne peut être, l'objet d'une solution immédiate, en raison des éléments nombreux qui doivent y intervenir. En conséquence, réservant tous les principes non abordés dans la discussion, elle émet les vœux suivants : « 1° Que les cultivateurs fassent, pour améliorer le sort des travailleurs agricoles, ce qui s'est fait déjà dans bon nombre de grands établissements industriels : » 2° Que ces ouvriers soient intéressés aux bonnes condi- tions et au progrès de la culture, par l'octroi de tantièmes en nature à déterminer de gré à gré ; » 3° Qu'un bon enseignement élémentaire auraitune grande importance pour la moralité et comme progrès matériel. Quant au troisième article, la première Section décide que les longs baux sont en principe favorables aux progrès de l'agriculture. Cependant elle est d'avis que la valeur mo- nétaire pouvant se modifier, ainsi que le prix des produits agricoles, il y aurait justice à prendre le prix moyen de certaines denrées pour base de la valeur locative des terres. » 4° Quant au quatrième paragraphe, qui a rapport aux assurances, la Section est d'opinion que l'intervention de l'État est dangereuse en principe et ne serait désirable que dans le cas où le système de mutualité ou tout autre ne pour- rait recevoir une application féconde. » Les débats qui ont provoqué ces résolutions (adoptées par le Congrès), tant dans la Section qu'à l'Assemblée générale, sans qu'on ait pu approfondir toutes ces questions, y ont jeté beaucoup de lumières. C'est ainsi que, sur le morcellement des propriétés rurales, M. Wolowski a prononcé un long dis- cours, rempli de faits et de chiffres très-instructifs. Quant aux assurances, les discours de MM. Pascal-Duprat, Victor 270 Fuiili'r et Cieszkoski ont été très-remarquables. Cette ques- tion, discutée à fond dans la Section, a démontré que les as- surances mutuelles comme nous en avons en Suisse, sont les meilleures; celles par actions ont été unanimement con- damnées. Il y a eu divergence d'opinions quant à l'influence de l'État dans l'organisation de ces institutions. — Aussi le Congrès a-t-il ajouté, au g 4, ces mots : « En adoptant le principe de mutualité et de r/énéralisafion des assurances. » Le second de ces rapports, sur le crédit foncier, exprime les vues de la Section : « Que les Sociétés de crédit mutuel de la Pologne et de » 1* Allemagne, la Société de Vlruion du Crédit, de Bruxelles, » et l'organisation des banques d'Ecosse, doivent être recom- » mandées comme des institutions à étudier pour arriver à la » solution complète du problème du crédit foncier et du ■ crédit agricole. »> Que la législation générale dans les divers pays soit mise 10 rapport avec les intérêts légitimes des prêteurs et des » emprunteurs: le Congrès signale particulièrement l'abro- » gation des bypotbèques légales, occultes OU indéterminées. » comme condition indispensable à une bonne assiette du " crédit foncier. » Dans les débats sur cette question, il a été prouvé que la mutualité est ;mssi préférable dans les institutions de crédit foncier qu'aux sociétés par actions. L'exemple de la Pologne et île l'Allemagne, opposé à celui de la France, l'a démontré; Cette question a aussi été débattue dans la Section, plus à fond que les autres. Comme dans le temps, quand la Société du crédit foncier a été instituée en France, on citait beaucoup l'institution polonaise, et comme dans l'opinion publique, en confondant leurs principes, on croyait que celle de la France était organisée à l'instar de celle de la Pologne, j'ai cru de mon devoir, comme membre de la Direction générale de cette 280 dernière au commencement de son installation, d'expliquer le contraire, et de déclarer que, si la Société française n'a pas rendu des services à son pays, et notamment à l'agricul- ture, comme l'ont fait les institutions dans ce genre dans les autres pays, c'est justement parce qu'elle n'était pas basée sur le principe de la mutualité, comme l'institution polonaise, mais qu'elle était fondée par actions, sur les principes de tant d'autres Sociétés, qui ne sont que des spéculations de capi- talistes. Malgré quelques remarques faites par MM. Woloicski, Ackersdyck et Perrot, qui ont trouvé que le rapport s'exprime d'une manière trop absolue pour le système de mutualité, le Congrès a néanmoins adopté les conclusions du rapport. Plusieurs de nos cantons, dernièrement Fribourg, proje- tant de ces institutions, — notre voisin, le Piémont, y pensant aussi, — je recommande à leurs sérieuses réflexions ce qui a été dit et exprimé en vœux au Congrès. Quant au troisième rapport, sur l'enseignement agricole, ré- digé par une Commission dont j'ai eu l'honneur de faire partie, il déclara : « Que les moyens que la Section croit de- voir recommander à l'assentiment du Congrès, sont les sui- vants : » 1° La mission donnée aux instituteurs des communes ru- rales d'enseigner les éléments de la science agricole, et de diriger les lectures et les entretiens ordinaires qu'ils peuvent avoir avec leurs élèves vers l'explication rationnelle, bien que sommaire, des phénomènes dont tous les jours ils sont les témoins ; « 2° Les conférences entre les instituteurs eux-mêmes sur des sujets agricoles relatifs aux systèmes particuliers de cul- ture suivis dans leurs communes respectives ; » 3° La publication et la vente, à des prix excessivement réduits, de petits recueils, ou livres de lecture traitant de sujets agricoles mis à la portée des élèves de différents âges. 281 » Pour atteindre à la réalisation du but proposé et pour en rendre les moyens praticables, la première Section est d'avis qu'il conviendrait d'instituer des sources où les instituteurs pussent puiser les éléments du concours qu'on leur demande et les connaissances indispensables pour rendre les services qu'on réclame de leur dévouement. Ainsi, par exemple, nous citerons : » 1° Les écoles normales primaires, telles qu'il en existe en Suisse, en France, en Irlande, et où l'enseignement agri- cole devrai! être introduit dans des limites à déterminer; » 2° Des conférences instituées, dans lesquelles des hom- mes spéciaux, appartenant ou non à l'enseignement supé- rieur, viendraient initier les agriculteurs aux principes les plus essentiels des sciences applicables à l'agriculture; >- 3° Encouragements accordés, à l'aide de tous les moyens possibles, par les associations de tout genre, s'occupant de la vulgarisation des principes de la science agricole ; » 4° Établissement de bibliothèques communales mises à la disposition des instituteurs et des agriculteurs. En exprimant ces vœux, la première Section estime qu'elle satisfait à plus d'un intérêt sérieux. En effet, la question de renseignement touche aux points les plus divers de la pro- duction agricole, envisagée dans son présent et surtout dans son amélioration à venir. La culture perfectionnée, l'emploi des machines, la propagation de l'esprit de mutualité, et bien d'autres progrès encore, sur lesquels le temps ne nous a pas permis de délibérer, se rattachent d'une manière plus ou moins directe à cette question vitale de l'enseignement agricole. » Aux divers principes qui viennent d'être énoncés, un membre de la première Section a cru qu'il serait convenable d'adjoindre un vœu relatif à une question qui se lie davan- tage, il est vrai, à la charité publique qu'A l'enseignement, à 19 282 l'éducation qu'à l'instruction, il a voulu parler de l'institu- tion des salles d'asile dans les campagnes, et la première section, bien que ne méconnaissant pas certaines difficultés pratiques de réalisation dans certains pays, s'est ralliée néan- moins à l'expression d'une idée qui trouvera dans tous les cœurs honnêtes un assentiment sans réserve. » Un vœu consacrant la créalion des salles d'asile dans les campagnes, comme étant hautement désirable, est formulé par la Section. » Ces conclusions furent adoptées par le Congrès, avec un amendement tendant à introduire dans l'enseignement agri- cole les éléments de l'hygiène agricole. Le Président delà première Section, M. le comte Arrivabene, communiqua à l'assemblée des éclaircissements sur les discus- sions qui eurent lieu dans cette Section, sur lesautres paragra- phes du programme et qui, soit à cause du manque de temps, soit à cause de leur grande valeur, n'ont pu être approfondis; ou soit, enfin, de leur peu d'intérêt, ont été abandonnés. Il y a joint quelques remarques et quelques vœux particuliers. C'est pendant les débats de cette Section que j'ai eu l'oc- casion de parler souvent de la Suisse et du canton de Genève; et, en m'appuyant sur les documents que j'ai déposés — dont la plupart m'a été remise par M. le Président de notre Sec- tion — de démontrer combien nous sommes en avant sur les autres pays, tant pour l'instruction des masses et leur bien- être, que relativement au système hypothécaire et aux autres institutions de bienfaisance et d'utilité publique. Enfin, le Congrès s'est occupé de la question et des moyens de continuer l'œuvre internationale qu'il a inaugurée. Il nous a été présenté à cet effet un projet imprimé, et accepté par l'Assemblée, à part un paragraphe éliminé à ma demande, qui préjugeait jusqu'à un certain point les relations interna- tionales entre le Centre et les Succursales. Il y est décidé : 283 « Que le Congrès proclame la nécessité de la création d'une correspondance internationale, à l'aide de laquelle on se com- muniquerait mutuellement tous les faits, les publications, les rapports et autres documents qui se rapportent à l'économie charitable, aux améliorations et aux réformes qui intéres- sent les classes ouvrières et indigentes dans chaque pays. » Pour atteindre le but proposé, on pourra avoir recours aux moyens suivants : » Il sera constitué dans chaque pays un office de corres- pondance ou une association chargée de recueillir les docu- ments envoyés par les pays étrangers, et de leur transmettre en échange les documents nationaux. » A l'eftet de relier ces divers offices et d'imprimer une di- rection uniforme à leurs travaux et à leurs communications, l'office à créer en Belgique fonctionnera "provisoirement comme centre directeur, et aura à ce titre mission de trans- mettre toutes les instructions qu'il jugera utiles aux offices correspondants des pays étrangers. » Chaque office recherchera avec soin le mode le plus prompt, le plus sûr et le plus économique pour faire parvenir ses envois aux offices de correspondance des autres pays, dont la liste lui sera transmise par le centre directeur. » Les membres des offices ou des associations fonctionnant dans un but analogue, et les personnes qu'ils recommande- ront pourront avoir un titre ou lettre-circulaire à l'aide de laquelle ils seront mis en relation avec les offices des autres pays, qui leur faciliteront les visites et les recherches et leur procureront les informations dont ils auront besoin dans leurs voyages à l'étranger. » Chaque office ou association publiera un bulletin annue des publications, rapports et autres documents de nature i intéresser l'association générale, ou transmettra les docu- ments manuscrits à l'office de Belgique, qui les comprendra 284 dans son bulletin particulier. L'échange de ces bulletins, et généralement de tous documents et publications qui s'y rap- portent, se fera régulièrement entre tous les pays associés. » Les délégués des offices ou des associations se concerte- ront pour l'organisation, à des époques qu'ils détermineront, des Congrès internationaux de bienfaisance dans telle ou telle ville de l'Europe centrale. » Toujours agissant dans le même sens, et désirant que le Congrès de bienfaisance devint une institution permanente, on a introduit la question du lieu de la future réunion. La plupart des orateurs se sont prononcés pour Bruxelles, un Hollandais a plaidé pour l'Allemagne ; et, comme plusieurs voix s'élevaient pour demander le choix d'une ville dans • un pays libre, j'ai cru devoir proposer la Suisse, en ajou- tant que : « Genève recevrait à bras ouverts les membres d'une pareille assemblée. » A la suite de la proposition, ac- ceptée, que le choix du lieu serait renvoyé au Bureau, c'est Francfort S/M qui fut désigné, comme nous l'avons appris plus tard. N'étant pas autorisé par vous, Messieurs, à vous en- gager pour les relations futures, nous n'avons rien fait offi- ciellement quant aux rapports de l'Institut avec le centre- directeur de Bruxelles; néanmoins, j'ai assuré verbalement M. Ducpétiaux que les Sections de l'Institut s'occuperaient de ces matières, et sachant l'intérêt qu'on prend à Genève à ces Congrès, j'ai répété dans une lettre à M. Ducpétiaux les mê- mes assurances, en lui exposant que l'Institut apporterait tous les avantages que peut procurer une Association fondée, dotée et patronnée, spécialement par le Gouvernement. Il y eut, Messieurs, encore de nombreux mémoires de dé- posés dans les Sections, sur différents objets ayant toujours trait à la bienfaisance, ainsi que bien des propositions indi- viduelles faites et lues dans les réunions générales ; la plu- part furent renvoyées au Comité d'organisation du prochain Congrès. 285 C'est le sixième jour que M. Rogier, revenu à son poste, prononça la clôture du Congrès par ces mots, qui furent cou- verts de bravos prolongés : « Ce Congrès, vous l'avez tous reconnu, est une réunion en >» quelque sorte préparatoire. Nous avons mesuré le terrain, » fait les premiers sondages, le premier labour : c'est à l'a- it venir à féconder ce terrain ainsi préparé. C'est à chacun de » nous de faire des efforts personnels pour tâcher d'arriver • successivement à la réalisation des vœux exprimés ici, à » l'application des principes que vous avez dû simplement » vous borner à proclamer. C'est là le travail qui doit occu- » per chacun de nous dans l'intervalle des sessions. Patience » et confiance, Messieurs! Les efforts persévérants d'un seul » homme, dans chaque pays, suffiraient seuls pour obtenir les » réformes les plus désirables. Eh bien t vous n'êtes pas un, » vous êtes plus de cent, préoccupés de recherches utiles, » animés de vues bienfaisantes. Il est impossible qu'une belle » association n'arrive pas à de grands résultats. » Messieurs, pour parvenir à l'application des principes que » nous avons émis, nous n'avons pas à notre disposition la » force brutale, nous n'avons pas à l'appui de nos protocoles »> la force du canon, mais nous avons quelque chose de plus » puissant, de plus irrésistible, c'est la force de l'opinion pu- » blique, c'est la s\ mpathie, nous l'espérons, de tous les hom- » mes, de toutes les femmes de cœurl » En quelque endroit que le futur Congrès se réunisse, » quel que soit le pays où nous devions nous rencontrer, i nous sommes suis, désormais, de nous comprendre, et » nous pourrons nous presser la main en amis, en co-veli- » gionnaires, en compatriotes unis par la communauté de • vues et de sentiments. » 286 RAPPORT DE M. DE GRENUS Renfermant : Un aperçu général; Le résumé de tous les Exposés de divers Membres du Congrès, avec des réflexions analogues; L'Assem- blée du 17 septembre; Les travaux de la seconde Section et son rapport sur l'émigration ; L'Assemblée du 18 septembre; Rapport de la troisième Section sur la panification, distillation ; L'Assemblée du 19 septembre; Écrit de MlleBremer; L'Assemblée du 20 septembre; Rapport sur l'amélioration de la condition ouvrière ; Écrit envoyé par M. de Grenus au secrétariat, remarques sur le discours de M. Cher- buliez, et sur la construction en bois. Monsieur le Président et Messieurs, Le rapport de mon honorable collègue embrasse, pour ainsi dire, l'ensemble des travaux des deux Congrès auxquels vous nous avez donné la mission d'assister à Bruxelles. Je tâcherai, autant qu'il dépend de moi, de ne pas revenir sur les détails qui viennent de vous être donnés, et j'aborderai simplement les travaux qui ont été le but spécial de ma mission. Je ferai observer, en passant, que les dispositions prises à Bruxelles, par les autorités gouvernementales et munici- pales, pour recevoir dignement leurs hôtes arrivés au Con- grès, étaient nombreuses et des mieux entendues. Tous les établissements publics étaient ouverts pour leurs membres : établissements de charité de tout genre, musées, etc., et, enfin, ^Exposition d'économie domestique, qui était surtout suivie avec une assiduité particulière par nos collègues. L'au- torité municipale avait voulu embellir, pour l'occasion, l'an- tique et magnifique place de la Maison-de-Ville, par l'érection d'une fontaine monumentale, qui rappelait l'architecture du moyen-âge; cette fontaine, fort artistement élevée, ne l'a été que pendant le temps qu'ont duré nos réunions. La réception qui a été faite aux membres étrangers du 287 Congrès, a été, de la part de toutes les classes de la société bruxelloise, aussi bienveillante qu'empressée. Des fêtes nom- breuses, des bals, des concerts ont été libéralement et gra- cieusement offerts aux membres du Congrès. La sympathie qui réunissait les différents délégués dans la pensée commune de remplir une mission utile, avait rendu nos relations des plus faciles et des plus agréables. Je ne dois pas passer sous silence l'invitation qui nous avait été faite d'assister à toutes les fêtes de l'anniversaire de l'indépendance de la Belgique. Les membres du Congrès de bienfaisance devaient signer leurs noms sur des registres, à leur entrée dans les s;illes des- tinées aux travaux de l'Assemblée. La plus grande liberté de discussion n'a cessé d'exister dans les questions mises à l'ordre du jour, dans cette réunion. La première séance fut essentiellement employée à la dis- tribution des travaux des trois différents bureaux et à quel- ques Exposés sur la bienfaisance pratiquée dans plusieurs Étals européens. M. Suringan, de la Hollande, énumère, avec une heu- reuse bonhomie de langage, toutes les institutions de cha- rité et de bienfaisance de son pays. A Amsterdam, il existe plus de vingt salles d'asile, et tout le complément des in- stitutions que comporte un État aussi bien organisé. Il y existe des banques de prêt calquées sur celles de l'Irlande, et qui ont une influence très-heureuse à La Haye et à Am- sterdam. Les domestiques sans travail y trouvent, pendant plusieurs semaines, des maisons de refuge gratuites. A Am- sterdam, il existe un établissement pour la distribution d'ali- ments sains et à bas prix, et qui est spécialement destiné à la classe ouvrière et indigente. Dans cette seule ville, l'on compte plus de 300 Sociétés de bienfaisance; c'est par un patronage éclairé et rempli de douceur que ces Sociétés sont surtout utiles : c'est le patronage des dames qui produit la 288 plus heureuse influence. Pour les banques de prêt, dit l'ora- teur, il ne peut assez les recommander, parce qu'elles sont indispensables pour les hommes intelligents et probes; cette institution manquant complètement à Genève, ne serait-il pas utile d'obtenir des renseignements sur les dites banques? M. Meyer, député de la Suisse, a exposé, dans un discours nourri de faits historiques, l'organisation de la bienfaisance d'autrefois et celle d'aujourd'hui; il établit que c'est dans l'industrie que la Suisse a trouvé les plus grandes ressources contre la misère et que les nombreux établissements de bien- faisance viennent aussi, de leur côté, apporter quelques adou- cissements aux souffrances du pauvre. « Je pourrais vous ra- conter, a-t-il dit, bien des choses par rapport aux institutions philanthropiques, savoir aux caisses d'épargne, aux distribu- tionsjournalières d'un potage nourrissant, aux asiles pour des enfants négligés, etc., etc., maisj'ai peur de vous importuner. Seulement, vous me permettrez la remarque qu'en divers endroits le soin pour les classes ouvrières est devenu l'objet d'études profondes d'hommes éclairés et bienveillants, qui, d'un côté, ne craignant aucun sacrifice, se gardent bien, de l'autre côté, de se perdre dans des rêveries. » Un délégué du grand-duché de Bade, M. Mittermayer, a pris la parole pour établir que le gouvernement grand-ducal a beaucoup fait, par sa législation, pour la bienfaisance. Cha- que ville est divisée en quartiers, qui ont chacun leurs visi- teurs de pauvres, et dans chaque commission il y a deux da- mes ; sans leur concours, il est impossible de bien faire la charité : elles seules savent surtout apprécier les besoins de la famille. Les prêts gratuits sont organisés dans le pays, mais la centralisation de la charité n'est pas exagérée , parce qu'elle est dangereuse. Il faut que l'esprit de liberté domine dans de bonnes institutions de charité. Ici l'orateur s'aban- donne à l'éloge bien mérité des institutions de la Belgique, et 289 il obtient les applaudissements de l'assemblée. Les applau- dissements, Messieurs, sont fréquents en Belgique, et dans toutes les occasions où des orateurs se font entendre, ils ob- tiennent cette espèce d'ovation, à laquelle nos habitudes pu- ritaines et sérieuses ne nous ont point encore accoutumés. En Saxe, dit le Dr Engel, député de ce pays, les deux tiers de la population, qui est de deux millions d'habitants, sont voués à l'agriculture ; c'est l'un des pays, d'après son étendue., les plus peuplés de l'Europe. La classe ouvrière souffre beau- coup, en Saxe; la pomme de terre, dans les années de crise, est un luxe pour elle; elle est obligée de descendre à des ali- ments bien inférieurs. Aussi la classe ouvrière souffre et s'é- tiole. Il y a eu dans le temps plus de 200,000 ouvriers qui souffraient du chômage, ils ont été occupés aux chemins de fer. Depuis lors, le travail a donné de l'activité à la classe ou- vrière. C'est surtout le lissage qui occupe le plus grand nom- bre de travailleurs. L'agriculture se trouve obligée de faire venir les ouvriers d'autres pays; car le Saxon n'aime pas l'a- griculture. L'augmentation de la population dans certaines conditions de faiblesse est une source de misère pour la for- tune publique. Cbaque individu représente un capital ; c'est ainsi que la nation saxonne représente un capital de huit millions de francs. L'intelligence et la force physique sont de vrais capitaux, dit l'orateur. Le gouvernement de la Saxe fait tout pour porter remède à la misère des contrées monta- gneuses du pays; mais les pays de fabrique ont des crises de misère à peu près périodiques, auxquelles il ne peut être re- médié que partiellement. Le discours de M. Engel a été l'un des plus substantiels qui aient été prononcés : il a été rempli d'aperçus nouveaux et de données statistiques se rattachant à l'économie politique, qui, avec le temps, produira d'heureux fruits dans cette monarchie. Il existe en Save un grand nom- bre d'établissements pour la distribution de repas à bon mar- 290 ché ; ce sont des institutions privées auxquelles le gouverne- ment a donné l'impulsion. Ne serait-il pas heureux de voir nos gouvernements républicains suivre l'exemple excellent qui leur est donné, quand il s'agit surtout de donner l'im- pulsion? M. le Dr Grachs, de la Suède, étant peu familiarisé avec la langue française, s'exprime cependant avec un grand bon- heur d'expression, mais il faut une certaine attention pour le comprendre, en raison de son accent Scandinave. Il déclare d'abord que la question alimentaire dominant la situation plus ou moins heureuse des classes pauvres, tous les droits de douanes sur les denrées alimentaires, animales ou végétales, sont levés en Suède. Dans les années de crise, l'État prête, sans intérêt, aux cultivateurs. Il y a des associations d'ouvriers pour se venir en aide mutuellement. Des sociétés ont établi des logements sains pour les ouvriers (il en existe 157 à Stokholm), qui se louent à raison de 120 francs, chambre et cuisine. Il existe aussi des bains et lavoirs publics depuis un certain nombre d'années. D'après le désir manifesté par le Comité de l'Exposition d'économie domestique de Bruxelles, il vient d'en être établi un pareil à Stokholm, par les soins de M. le Dr Hamberg. D'après les intentions émises par notre honorable Président, je crois que nous ferions bien de suivre cet exemple. — M. Ackersdicks, des Pays-Bas, qui a parcouru la Suède, déclare qu'il n'a jamais vu de mendiants dans cet État; cependant, la Suède du Nord est une contrée très- pauvre; mais il y a beaucoup d'économie et peu de ressour- ces. Dans le Sud de la Suède, au contraire, il y a des provinces très-fertiles, et il y a des pauvres. L'orateur raconte un fait touchant ; c'est celui d'une pauvre femme qui, avec un jeune enfant, allait à pied dans le Nord de la Suède. Elle accepta quelque argent, mais n'en demanda pas ; elle était trop pauvre pour entretenir son neveu, qu'elle conduisait chez d'autres 291 parents; elle comprit que c'était la Providence qui lui en- voyait une aumône pour continuer sa route. En Danemark, dit M. David. ilélégué de ce pays, les crises alimentaires ont une grande importance pour les popula- tions: les années 1847 et 1848 ont été calamiteuses pour l'Europe, et cependant, le Danemark n*a pas voulu restrein- dre ses exportations de denrées, qui s'élèvent à 85 pour cent de sou exportation tout entière. Cet État est, pour ainsi dire, une usine à blé et à bestiaux. Cette liberté n'a pas pu nuire an pays, parce que, aussitôt les ports de mer russes ouverts, ies masses de produits alimentaires sont entrés, et que ces pro- duits pouvant se réexporter facilement, l'étranger a préféré le Danemark à tout autre pays moins libéral dans son système de douanes. Le gouvernement et les municipalités, pour ai- der aux classes pauvres, ont enlevé partout les droits d'oc- troi. C'est au moment de cette crise alimentaire, époque à laquelle le choléra sévissait surtout à Copenhague, que le gouvernement a présenté une loi pour les logements d'ou- vriers cl pour les constructions qui devaient s'adapter à leur position. Cette loi a produit d'excellents résultats; car, en Danemark, il y a vingt pauvres sur cent habitants. Les Caisses d'épargne sont, dans ce pays, des Caisses de prêts avec garantie ou hypothèque. Les fonds sont rarement em- ployés a des achats d'effets publics. M. Perrot, pour la Belgique, fait ressortir l'utilité d'un ex- posé sur la situation de la Belgique, dans tout ce qui con- cerne la bienfaisance. MM. Ducpétiaux i&Viucken déclarait que, pour épargner le temps à l'Assemblée, ils déposeront leur rapport dans le Moniteur. H se trouve, dans celui de M. Ducpétiaux , tout l'historique de ce qu'on a fait en Belgi- que, principalement pendant les deux crises alimentaires de 1845-1847 et celle de 1853-1855. — Il y a eu une masse de mesures d'adoptées, tant par le gouvernement que par les 292 communes et par les particuliers ; mesures dignes d'être étudiées, et qu'il serait trop long d'énumérer ici. Si ces re- mèdes n'ont pas complètement atteint le mal à la source, ils ont au moins atténué ses effets ! . . . . L'assemblée du 17 septembre fut la plus nombreuse de toutes celles qui ont eu lieu pendant les six jours que dura le Congrès. Le roi y assista avec Son Altesse le duc de Bra- bant; la discussion qui occupa l'assemblée ce jour-là fut plus particulièrement destinée au rapport de la deuxième section sur Y émigration. M. Duval, de France, y exposa, dans un discours parfaitement écrit, tous les avantages de la colonisation en Amérique. A la fin de son discours, et comme ancien colon d'Algérie, il aborda tout ce qui se rattache aux bienfaits que le système de Y émigration peut apporter à l'Europe. — Un orateur belge, M. Pollenus, fait observer que l'émigration n'est pas si nécessaire en Bel- gique, puisqu'il reste encore 400,000 hectares à défricher, et que les bras sont indispensables dans des conditions pa- reilles. Cette question de Yémigration a donc été controver- sée : certains orateurs, tels que ceux de la Belgique surtout, trouvent que, dans les moments de crise, l'on a pu parfaite- ment bien s'en passer ; que les ouvriers des Flandres ont souffert, mais qu'à présent la situation est normale, et qu'il y a amélioration constante dans la situation des classes ou- vrières. Des trois sections qui Ldivisaient le Congrès, dans celle dite d'Économie politiqtie et charitable, il y a été démontré que l'a- bus des liqueurs fortes est une des causes les plus graves de la misère des ouvriers. Les falsifications des denrées est une source de maladies qu'il est bon de combattre par tous les moyens. Pour ces deux objets, il n'y aurait qu'un moyen effi- cace pour remédier à de tels abus, c'est de fonder des asso- ciations dont la mission spéciale serait de rechercher les faits 293 et d'en constater les funestes abus. Dételles associations pour- raient s'établir dans certains cantons de la Suisse, comme elles existent à Copenhague et à Stokholm. Les gouvernements pourraient aussi, par les législations, venir en aide aux asso- ciations, en rendant difficile la vente des liqueurs alcooli- ques, excepté pour l'industrie et pour la médecine. L'assemblée du 18 septembre s'est occupée d'abord de la purification de l'eau potable, système de M. Word; une oppo- sition s'est élevée, et il a été décidé de procéder, à la fin de la séance, aux expériences. M. le délégué du Brésil, M. Damola, commence par décla- rer que, dans l'empire, il n'y a ni impôt sur la terre, ni patentes, ni impôt sur le capital et les revenus. Toutes les in- stitutions de charité de la vieille Europe existent au Brésil : hôpitaux, établissements d'enfants trouvés, maisons d'aliénés, sont entretenus, soit par le gouvernement, soit par les com- munes. Les ouvriers y sont soignés paternellement ; et, une fois leur santé rétablie, ils peuvent, suivant leur industrie, gagner de 5 à 30 francs par jour. Les vivres y sont à très-bas prix : la viande y coûte 25 centimes le demi-kilogramme, et le riz 10 centimes. Ici s'établit une discussion sur l'esclavage des noirs, que je crois fort inutile de répéter. Mais j'ai pensé qu'il était utile de faire connaître les salaires de l'ouvrier de Rio-Janeiro, ainsi que le bas prix de l'existence matérielle. Il y a aussi, dans cet empire, des caisses d'épargne, des ton- tines sur la vie, des caisses de retraite, etc. L'armée brési- lienne n'est que de 25,000 hommes sur une population de 8 millions d'âmes. « Dans un pays, dit l'orateur, où règne • l'aisanre et où il n'y a pas d'oppression, l'ordre existe tou~ » jours. » Un membre du parlement anglais, M. Ewart, déclare qu'en Angleterre on fait beaucoup pour la classe ouvrière ; dans certaines fabriques, un système de ventilation et de chauffage 294 est admis. La construction de logements d'ouvriers a fait des progrès, de puissantes sociétés existent, dans ce moment, pour venir en aide aux travailleurs. Puis viennent des délégués de la Lombardie, de Hambourg, de la Prusse, qui font tous connaître les institutions de charité et de prévoyance existant dans leur patrie respec- tive. La deuxième Section, par l'organe de M. Victor Faider, aborde toutes les questions se rattachant à l'établissement d'économie alimentaire et aux institutions de prévoyance. Dans le premier cas, les boulangeries et les boucheries par actions sont spécialement recommandées par la Section ; le rapporteur, en abordant la question des institutions de pré- voyance, déclare qu'à elles seules elles pourraient absorber toutes les délibérations d'un congrès. C'est assez vous dire, Messieurs, qu'il devient fort difficile de formuler ce qui peut convenir pour la généralité des ouvriers : leur genre d'occu- pations, les mœurs, les habitudes nationales, modifient sin- gulièrement la nature et l'opportunité de telle ou telle espèce d'institutions de prévoyance. Ici se placent naturellement les logements d'ouvriers et les différents systèmes employés pour les loger confortablement et économiquement, et pour les faire arriver à l'acquisition de leurs logements en deve- nant eux-mêmes propriétaires. La panification, son économie, la qualité de pain, sont des questions examinées avec le plus grand soin par la troisième Section. Il serait fort important de substituer, pour la distil- lation, la betterave à toute espèce de denrées alimentaires, afin de restituer à l'alimentation ce qui lui est enlevé par la fabrication des alcools. C'est dans la séance du 19 septembre que M"e Friderika Bremer, connue par le charme de ses œuvres littéraires, a communiqué à l'assemblée ses idées sur la bienfaisance, lues par un membre du Congrès. Depuis plusieurs années les femmes ont pris une salutaire initiative en tout ce qui tient aux secours à donner à leur sexe. C'est surtout pour les soins et la direction qu'elles donnent à l'éducation et à la surveil- lance des enfants que les femmes excellent. M11, Bremer expose les premiers pas faits en Suède dans la bienfaisance, et tout ce qu'il y aurait à faire : « Les hommes, dit-elle, font * les luis, et les femmes les mœurs » , et cependant les mœurs, malheureusement, ne s'améliorent pas en Europe, surtout dans les sociétés où l'instruction fait défaut. C'est donc en laissant pénétrer la lumière dans les classes ouvrières que l'on arrivera à les moraliser. Cet écrit est admirable pour le style, la haute portée des aperçus et des idées de charité qu'il exprimait. — C'est particulièrement de la condition des femmes pauvres et des ouvrières que M,le Bremer s'est occu- pée ; elle a touché avec une vérité saisissante l'affreuse posi- tion des femmes, dont le salaire est tellement réduit, que, malgré toute leur assiduité, elles ne peuvent soutenir leur existence. Il est navrant de voir la vertu jetée sur le bord de l'abîme par le fait d'une situation irrémédiable. — A la fin de ce discours, une triple salve d'applaudissements s'est fait entendre; M"e Bremer, visiblement émue, a versé des larmes. Dans la dernière réunion du 20 septembre, on a renvoyé plusieurs propositions au Comité organisateur du Congrès, et l'on s'est occupé des rapports de la troisième Section, spé- cialement des mesures qui ont pour objet d'améliorer la con- dition physique, intellectuelle et morale des ouvriers, etc., etc. Il a été beaucoup dit sur la construction des habitations des ouvriers , sur le travail des femmes et des enfants, — leur nourriture, la propreté, etc., etc., — en exprimant le vœu Rapporter de l'attention au sort des classes laborieuses, sous le triple rapport de l'hygiène, de la moralité et de l'économie. 296 N'ayant pas pris la parole pendant les délibérations, et agissant dans le sens de la demande faite par M. le Prési- dent, j'ai envoyé par écrit quelques observations au secréta- riat, pour être insérées dans le compte-rendu du Congrès. — J'y ai fait des remarques sur les discours de M. le pro- fesseur Cherbuliez, attribuant principalement le paupé- risme qui désole le canton de Berne à l'ivrognerie. — J'y indique que M. Cherbuliez se trompe en disant que la population s'est élevée dans ce canton de onze pjsur cent dans trois ans, c'est dans sept ans que cela a eu lieu. Enfin, j'ai relevé l'erreur dans laquelle sont tombés plusieurs ora- teurs au Congrès, relativement aux logements en bois, qu'ils ont envisagés comme très-mauvais et peu durables. J'ai cité les habitations, construites en bois, dans le canton de Berne et d'autres contrées de la Suisse, qui sont excellentes, quoique très-vieilles. III. EXPOSITION D'ÉCONOMIE DOMESTIQUE. RAPPORT DE M. DE GRENUS. Les six Classes d'objets exposés; Les objets à bon marché et utiles à la classe ouvrière et pauvre ; Cérémonie de la distribution des récom- penses, discours de M. Romberg ; Allocution de M. Ducpétiaux ; Musée d'économie domestique et sociale pour construire des bâtiments pour l'habitation de la classe ouvrière. Cette exposition était divisée en six classes : 1 ° Logements et constructions ; 2° Meubles et ustensiles de ménage ; 3° Vêtements et linge ; 4°. Aliments et procédés relatifs à l'alimentation ; 297 5° Outils et instruments de travail ; 6° Éducation et instruction. Comme vous le remarquerez, Messieurs, dans le Catalogue des objets exposés, il y en a Hn assez grand nombre qui sont les similaires de ce qui se fabrique dans notre pays ; mais il en est d'autres, par contre, qui sont à beaucoup meilleur compte, et c'est de ces derniers que nous nous sommes parti- culièrement occupés. Le faible crédit qui nous avait été ouvert ne pouvait servir à former la base d'une exposition pareille à celle que nous avions sous les yeux. Acheter quelques ar- ticles disséminés n'aurait pas rempli le but que vous vous proposiez ; nous avons donc préféré vous laisser le choix de ces objets, afin de pouvoir en faire venir un certain assorti- ment à la fois et jouir de l'économie très-considérable que l'on retrouve dans le transport d'objets d'un poids élevé. Notre mission était donc, au milieu des milliers d'articles de cette intéressante exposition, de nous arrêter à ce qui était décidément à bon marché et utile à la classe ouvrière et à la classe pauvre. Il y a eu 507 exposants, mais quelques mil- liers d'objets exposés. Pour commencer par les logements et constructions, je dois observer que la maison-modèle de M. Ducpétiaux rem- plit complètement le but d'économie et de confortable que peut désirer l'ouvrier. Elle ne coule, avec le rez-de-chaus- sée et le premier étage, que 3,430 francs, compris la valeur du terrain. Du reste, je trouve inutile de vous donner trop de détails sur cette construction, le plan seul que je vous dépose peut intéresser, puisque la maison est en brique, et que nous ne nous servons guère en Suisse que de roche, de bois ou de pisé. Ce qui doit intéresser beaucoup dans ce logement, c'est le mobilier, qui, tout compris, avec matelas, literie et tout ce que comporte un ménage sagement fourni, ne s'élève qu'a 252 fr. 38 c Ces objets sont au nombre de près de cent vingt, et fournis 20 298 par M. Cormier fils, marché au Fromage, nos 2 et H, à Bruxelles. Il me semble qu'il ne serait pas sans utilité de se procurer l'ensemble de cette fourniture d'un ménage, pour voir si, en Suisse, nous ne pourrions pas arriver à des prix aussi avantageux. Avec la somme mentionnée, fournir un ménage entier serait un véritable bienfait pour nos classes ouvrières. Un troisième objet a fixé aussi notre attention : c'est un vê- tement complet pour homme, s'élevant à la somme de 12 fr. Nous avons examiné attentivement les tissus qui servaient à cet habillement, et nous les avons trouvés d'excellente qua- lité ; la paire de souliers était bien confectionnée. Nous nous sommes aussi arrêtés à ce vêtement complet, comme pou- vant servir de modèle à nos divers artisans. Sous le n° 159 du Catalogue, nous avons trouvé des bros- ses végétales qui nous ont paru bien faites et à très-bas prix ; nous nous y sommes aussi arrêtés, comme pouvant servir d'échantillons à nos fabricants de brosses. Le n° 102, désigne : Articles de ménage en fonte émaillée ; fabricant : M. Delloye-Masson, à Lseken. Ces objets nous ont paru très-bien fabriqués, de formes élégantes, et ne se cassant jamais, ce qui est un point fort important dans un ménage d'ouvriers; les assiettes sont jolies; en un mot, c'est un genre d'industrie qui ne peut être imité en Suisse, il est vrai, mais qu'il serait avantageux de faire venir pour une exposition d'économie domestique. N" 122. De Ryckère, frères et sœurs, à Courtray, fabri- cants de terre de pipe et de terre glaise communes, à prix ré- duit, article intéressant par les formes, mais le transport en serait un peu élevé. N° 480. Objet pour faire cuire le pot au feu, de M. Duc- pétiaux. Voici ce que j'écrivais dans ma lettre à M. le Pré- sident de notre section, du 7 octobre, relativement à cette 209 utile invention : « J'oubliais de vous parler d'une inven- i tion qui. dans sa simplicité; mérite d'être popularisée » à Genève. Voici ce dont il s'agit : combien de pauvres » ouvriers sont obligés de sortir le matin, après avoir bu i leur café, puis de rallumer le feu pour leur dîner? Eh » bien, avec le système de la maison économique, le vase » en fer, cuivre ou fer battu, pourra servir le matin pour le i dîner qui se conserve chaud toute la journée; les viandes, » légumes, etc., continuent d'y bouillir et d'y cuire pendant >' un certain temps, et pour cela il ne faut qu'une caisse en » bois remplie de foin, fermant avec un couvert en bois, » caisse dans laquelle l'on renferme le vase chaud. Les pa- » rois de la caisse en bois sont séparées de deux pouces en- >- viron du vase, qui doit conserver sa chaleur, et qui eël » entouré de foin bien pressé. » A'0 88. Couvertures diverses, en laine et en coton , de M. Gœns et Vertongen, de Termonde. Elles sont livrées à des prix extraordinairement bas : depuis 2 fr. à 5 fr., suivant le tissu et la matière première; c'est un article que nous devons recommander, comme étant d'une utilité incontes- table pour les classes ouvrières. Aussi croyons-nous que l'achat de la collection complète serait utile. N° 130. Legros, à Lesre (Namur), cuisinière brevetée ser- vant à cuire à la fois 8 pains de " livres chacun ; ces fours en fer, qui se vendent à raison d"un franc le kilogr., sont très- commodes et conviendraient dans la plupart des bonnes fer- mes de notre pays. Nous les recommandons aussi comme modèles; ils pourraient se fabriquer facilement chez les in- dustriels de notre ville. N° 409. École d'apprentissage de Harne St-Pietre. Collec- tion d*outils pour le drainage à 67 fr. Nous avons pensé que celte collection pourrait être utile dans un moment où les différentes institutions de notre pays, et surtout rinstitut. 300 s'occupent de cette branche si importante pour le perfec- tionnement de notre agriculture. N" 47. Vandelœr fils, rue d'Or, 19, à Bruxelles, fabricant de papiers peints. Les papiers variés se vendent, en gros, de- puis 23 c.le rouleau. A cet égard, qu'il me soit permis d'ob- server que j'arrivai trop tard pour déposer les échantillons de M. Arnaud, et que les récompenses allant se distribuer, j'ai trouvé inutile d'exposer les spécimens de papiers peints, qui n'auraient pu entrer en lice, vu l'époque avancée de l'Expo- sition. N° 133. M. Jobard, professeur à Bruxelles, a exposé des lampes de pauvres, du prix d'un franc, très-bien faites, et donnant une grande lumière; c'est ingénieux et à très-bas prix. Nous ne saurions oublier dans cette circonstance deux de nos compatriotes, M. le Dr Gosse et M. Schseck-Jaquet, ar- chitecte ; le premier a exposé une layette d'enfant qui a attiré l'attention des mères de famille : elle était simple et surtout destinée à la classe ouvrière ; celles d'Angleterre, de France et d'Allemagne étaient plus élégantes, mais moins en rap- port avec le but de l'Exposition. M. Schseck-Jaquet a été proclamé, le jour de la distribution des récompenses, pour l'excellence de ses plans. C'est une juste récompense due au zèle infatigable que l'honorable architecte a voué aux ques- tions se rattachant au bien-être du peuple. L'emplacement de l'Exposition d'économie domestique était vaste, et les employés de la plus grande complaisance ; la partie destinée à l'alimentation était riche en spécimens de tous les genres ; les légumes, fruits et viandes conservées réunissaient ce que la France et la Belgique ont de plus par- fait en ce genre'. i. Dans une précédente séance, je vous ai fait aussi connaître, Messieurs, les différents objets d'économie domestique que j'avais vus 301 Nous croyons, Messieurs, en avoir assez dit sur une Ex- position dont l'intérêt repose essentiellement sur la vue des objets. Un examen de quelques instants vaudrait mieux que tout ce que nous pourrions vous en dire. Arrivons à la partie la plus intéressante, celle des récompenses dues aux hommes qui avaient le mieux compris le but de l'Exposition. La distribution des récompenses a eu lieu dans la magnifi- que salle gothique de la Maison-de-Ville, salle qui remonte à l'époque de l'empereur Charles-Quint. — Le duc de Brabant, héritier de la couronne, assistait à la cérémonie, et c'est lui qui remettait les médailles au milieu d'une nombreuse et brillante assemblée. Les ministres de la couronne et les hommes les plus mar- quants de la Belgique assistaient à cette cérémonie. C'était prouver ce qu'avait d'utile et de généreux le but populaire de cette Exposition. M. Romberg, directeur de l'industrie au ministère, a, comme rapporteur du Jury, dans un discours écouté avec le plus vif intérêt, exposé le but de l'Exposition et l'heureux résultat qu'elle avait obtenu. Il est difficile de condenser plus de faits intéressants, plus d'aperçus nouveaux dans un discours qui devait aborder tant de questions diverses. L'honorable M. Ducpétiau.v, en prenant en dernier lieu la parole, s'est exprimé en ces termes : « Nous avons pensé qu'il » fallait perpétuer le souvenir de l'Exposition des produits » de l'économie domestique. Elle formera, je l'espère, le » noyau d'un musée permanent. Un grand nombre d'expo - à mon passage à Paris, tels que les fourneaux-ménagères économiques, la lampe et l'huile-gaz, dont le prix est à i franc 25 centimes le litre, et revient ainsi à meilleur compte que l'huile à quinquet et brûle plus longtemps; enfin les scieries portatives pour la roche et le marbre. Ce sont la autant d'objets qui pourraient convenir dans un musée d'éco- nomie domestique. Je n'en parle que pour mémoire. 302 » sants nous ont fait don d'un de leurs produits, et nous ne » tarderons pas sans doute à recevoir d'autres dons. On peut » donc considérer l'Exposition comme destinée à devenir » un musée permanent, qui se développera et grandira, je » l'espère. » Il fallait faire plus. Depuis de longues années on a parlé, » à Bruxelles, de maisons d'ouvriers. On a exprimé le vœu » qu'il fût fondé une Société non seulement par ceux qui dé- » sirent faire construire ces maisons, mais aussi par ceux qui » veulent les habiter. Nous avons voulu réaliser ce vœu, et » nous avons fondé une Société au capital de 250,000 fr. pour » faire construire, dans les faubourgs de Bruxelles, des bâti- » ments pour l'habitation de la classe ouvrière. Les fonda- » teurs de cette Société sont : MM. le baron Gœthals, A. » Visschers, le comte Arrivabene, Mersman, de Doncker, » Bisschoffsheim, Costantini, de Pouhou, Emerique, Brag- » mann, Ch. Demeure, Emile Allard, Fortamps, Dumont, » Wynand-Janssens, Henri Davignon, Jacobs et Ducpé- » tiaux. » Après cette allocution, couverte d'applaudissements, M. Fortamps a annoncé que l'on allait commencer la distribu- tion des récompenses, qui se trouvaient divisées en trois ca- tégories : médailles d'excellence, médailles et mentions ho- norables. — Les médailles d'excellence ont été réparties en très-petit nombre. Lors de la distribution des médailles par le duc de Brabant, j'ai regretté que notre compatriote, M. Schœck-Jaquet, lors- que son nom a été appelé, n'assistât pas à cette mémorable cérémonie ; il aurait compris l'honneur bien mérité qui lui était fait, avant obtenu une médaille d'excellence. C'est là, Messieurs, tout ce que j'avais à vous dire sur l'Ex- position d'Économie domestique. C'est donc à vous, à votre intelligente initiative à combler une lacune dans nos institu- 303 lions républicaines, lacune qui n'est autre qu'un musée d'é- conomie domestique. IV. CONGRÈS INTERNATIONAL DES RÉFORMES DOUANIÈRES. RAPPORT DE M. NAKWASKI, Renfermant: L'ouverture; Discussions sur la lr|! question et sur la %P* question; Discours de M. Nakwaski et le préavis de la Section de l'Institut; 3me question; Travaux des Comités et leurs rapports; 4me question et les protectionnistes au Congrès; Correspondances adres- sées au Congrès; Remarques complémentaires sur la Russie et la Suisse; Discours de M. de Grenus. Nous passons à ce second Congrès, qui comptait jusqu'à 700 adhérents, donl 400 environ présents. Il y ont. comme à celui de bienfaisance, des délégué» non seulement des diver- ses associations belges et étrangères, mais encore de diverses corporations, comme par exemple des Chambres de com- merce de la Hollande, de la France, de l'Angleterre, de la Prusse rbénane. Quatre gouvernements, celui de l'Angle- terre, de la Suisse, du Piémont, de la Saxe, envoyèrent leurs délégués, et celui des Pays-lias une adhésion par écrit. M. Corr-Vandermœren, président du Bureau provisoire, en déclarant la séance ouverte, nous dit : « Nous sommes heu- reux et flers du résultat de nos efforts. Soyez les bien- venus dans notre libre et heureuse Belgique, et acceptez l'expression de notre vive reconnaissance pour l'empresse- ment avec lequel vous avez répondu à notre appel. » Après avoir énuméré les progrès des principes de la liberté commerciale, plus ou moins grands, dans tous les pays de 304 l'Europe, il nous annonça que M. de Brouckère, bourg- mestre de Bruxelles, ancien ministre et ancien président de la -Banque, qui a présidé le Congrès des Économistes en 1847, accepte la mission de diriger les débats de notre as- semblée. C'est au bruit d'applaudissements unanimes que cette annonce fut reçue. Les Vice-Présidents et les Secré- taires avaient été désignés la veille, dans une réunion pré- paratoire des membres arrivés à Bruxelles. C'est M. Peyer- Imhoff, de Schaffhouse, délégué du gouvernement fédéral, qui représentait la Suisse dans ce bureau. M. de Brouckère, après une courte allocution dans laquelle il a dit « qu'en 1847, on avait fait de la théorie au Congrès » économique, et qu'aujourd'hui nous entrons dans le do- » maine des faits ; qu'alors on avait arrêté des principes, » qu'aujourd'hui nous allons chercher à les expliquer, » dé- clara le Congrès définitivement constitué, et proclama l'or- dre du jour suivant : 1° Exposé des réformes opérées dans les divers pays pen- dant les dix dernières années. — Mouvement de l'opinion publique. — Bésultats obtenus. 2° Examen des obstacles qui s'opposent dans les divers pays à l'extension des relations commerciales ' internationa- les. — Maux provenant de ces obstacles. 3° Examen des moyens proposés ou à proposer pour dé- truire ou diminuer les obstacles qui s'opposent à la réforme douanière. Examen du meilleur moyen d'opérer cette réforme. Bésolutions soumises au Congrès. 4° Examen des objections (plus particulièrement nouvelles, s'il y en a) faites à la réforme douanière et tirées : a. Du principe de justice ; b. Des principes économiques ; c. De l'intérêt des nations ; 305 d. De l'intérêt des classes ouvrières; e. De l'intérêt des industries protégées: f. De l'intérêt du fisc. PREMIÈRE QUESTION. La discussion ayant été ouverte par X Exposé des réformes opérées dans les divers pays pendant les dix dernières années, nous entendîmes un compte-rendu général de ce qui s'était passé dans l'Europe entière sous ce rapport. Je ne dirai pas qu'il y eut ici un décousu comme dans les comptes-rendus du Congrès de bienfaisance ; mais, par suite des diverses posi- tions de tant de pays, et vu la différence de leur civilisation, il se trouva qu'il y eut des orateurs, qui, se rattachant aux particularités, citèrent et louèrent des résultats obtenus dans leurs pays, résultats qui existent depuis longtemps ailleurs. Ils ont néanmoins tous été d'accord sur la nécessité du libre- échange : il y en a eu plusieurs qui ont prouvé par des chif- fres les immenses résultats en bien, produits par suite des dé- grèvements dans les tarifs douaniers, et cela non seulement sur le bien-être général matériel, mais aussi sur le moral des populations et même sur l'accroissement des revenus de l'État. Beaucoup d'orateurs ont, avec franchise, avoué et dé- peint avec des couleurs assez fortes les abus et les entraves qui se trouvent dans leur patrie, tout en exprimant le désir d'un arrangement qui eut pour base la liberté du commerce. Il y aurait beaucoup à apprendre dans ces comptes -rendus pour ceux qui ne seraient pas comme nous, en Suisse, bien plus avancés sous ce rapport que dans d'autres pays. Il s'j trouve aussi des détails qui ne peuvent pas nous intéresser directe- ment, comme tout ce qui a trait au commerce maritime, dont les Hollandais et les Belges nous ont longuement entrete- nus. Je vous donnerai néanmoins un résumé des Exposés 306 de différentes nations, toujours très-instructif sous le rap- port historique et scientifique. M. Elink Sterk démontre le grand progrès qu'a fait la Hollande dans la liberté commerciale, où une quantité de droits de transit ont été supprimés, ainsi que ceux sur la navigation fluviale, les droits de tonnage, etc., et qu'il ne reste plus qu'un seul objet prohibé à l'entrée, le hareng encaqué. Un Belge, M. Matthysens, réclame contre cet Exposé, et dit que, malgré ces réformes importantes, la Hollande a conservé un régime colonial qui n'est rien moins que libéral. Un autre Hollandais, en se défendant contre ces reproches, conclut que, si la législation hollandaise n'est pas encore un modèle, elle est en bon chemin t.... M. Winckworth, Anglais, dans un long rapport très-bien rédigé et couvert de vifs applaudissements, a démontré que les réformes introduites en Angleterre ont un immense résultat, et qu'elles ont dépassé les espérances des partisans de la liberté de commerce. Non seulement le commerce extérieur s'est développé dans une très-grande proportion, le bien-être des populations s'est accru, les chiffres de la criminalité ont diminué, mais encore le revenu des douanes s'est augmenté. M. Hartwig Her:, de Hambourg, nous a dépeint une quan- tité d'entraves et de privilèges qui existent, quant à l'indus- trie et au travail dans cette cité, fameuse par son commerce ; car, pour ce dernier, le principe de liberté y est reconnu depuis longtemps. L'Espagne, qui n'a pas eu des représentants au Congrès de bienfaisance, en a envoyé à celui-ci. Un des délégués du ministère, M. Figuerola, nous a exposé que les principes de l'économie politique commencent à être mis en pratique dans ce pays, fameux par les entraves douanières de pro- vince à province ; que les réformes importantes introduites 307 en 1849 ont porté d'excellents fruits; qu'en 1854 on a créé un conseil pour la révision du tarif, où domine l'opinion libre- échangiste; enfin, que l'Espagne est aussi en bonne voie. En appuyant son raisonnement d'une masse de chiffres, il finit en disant que : « Malgré les malheurs, les guerres et » tous les fléaux qui ont sévi sur sa patrie, le précis » historique des réformes douanières qu'il a donné, est la » preuve la plus éclatante du principe fécond de la liberté • d'échange. » M. Afjie, Belge, Président de la Chambre de commerce d'Anvers, nous fait l'historique de la législation douanière de la Belgique, qui , autant que les circonstances l'ont per- mis, a été la moins restrictive. Il a justifié la Chambre de commerce d'Anvers des reproches qu'on lui a faits en invo- quant contre l'Angleterre et la Hollande la doctrine de la réciprocité, et il a fait la proposition de déclarer comme : Opposition au principe du libre échange, diverses restrictions dans (e commerce avec les colonies. M. Scialoja, ancien ministre de commerce à Naples, et délégué du ministre des finances des États-Sardes, dans un discours des plus remarquables, donna un aperçu des résultats des réformes douanières depuis 1851, époque où le tarif a été réduit dans ce pays dans une proportion considé- rable, et il démontra de la manière la plus convaincante l'immense bien que cela a produit. Il existait un tarif ultra- protectéïir dans ce royaume depuis 1830; ces droits, réduits en partie en 1849, el notamment en 1851, ont donné les plus beaux résultats : la navigation est devenue plus active, la prospérité des industries s'est tellement accrue, que les industriels eux-mêmes demandent souvent de nouvelles ré- ductions du tarif, et en même temps les revenus du trésor public augmentent continuellement. M. Scialoja termina ce qu'il avait à exposer sur les États-Sardes, en disant : «Legou- 308 » vernement et la législature des États-Sardes ont fort bien » compris que la liberté du commerce et de l'industrie, pour » devenir une vérité pratique, ne doit pas se borner aux réfor- » mes douanières ; elle a besoin aussi d'autres réformes et de » modifications dans les institutions qui contribuent à accroître » le savoir et le pouvoir, sans lesquels il n'y a pas de liberté » possible. L'instruction technique, l'organisation du crédit, » la construction des chemins de fer, l'amélioration de nos » ports, la destruction des abus qui existent encore dans l'île » de Sardaigne, l'amélioration des moyens de circulation et la » colonisation de l'île , voilà les objets principaux dont le » gouvernement et l'association privée se sont occupés ou » ont tenté de s'occuper et s'occupent encore dans ce mo- » ment. Bien des choses ont été déjà faites; mais il reste » encore beaucoup à faire , beaucoup à tenter. Le pays a » commencé à goûter les fruits de la liberté ; il est libéral et » persévérant, sou gouvernement est éclairé, son roi est un >» soldat loyal et un prince honnête homme. » Le même orateur a voulu faire un Exposé de la situation des autres États italiens; mais évidemment gêné alors, la tâche étant trop difficile pour un Italien, il nous communiqua seulement quelques données sur Naples. « Ce beau pays, a- t-il dit, la nature a tout fait pour le rendre heureux! » M. le comte d'Arrivabene présente un mémoire de la Société des géorgophiles de Toscane , cette terre d'ancienne liberté commerciale ! dit-il M. Garnier, professeur d'économie politique à l'école des ponts-et-chaussées de Paris , nous donna un bien triste ta- bleau de la France, sous le rapport de cette liberté du libre échange, tant sous le gouvernement monarchique constitu- tionnel, que sous la république, malgré les efforts de l'association libre-échangiste de 1846, contrecarrés par des hommes influents, qui faussaient l'opinion publique, comme 309 le maréchal Bugeaud,qui s'écriait à la tribune de la Chambre des Députés : Qu'il aimerait mieux une invasion de Cosaques, qu'une invasion de bœufs étrangers, ou comme M. Thiers, habile discoureur, pleins de sophismes et de préjugés I... Mais ajoute l'orateur : « L'opinion publique commence à se trans- » former, grâce à l'Exposition de 1855. La France agricole » s'est aperçue qu'il existait une foule d'instruments et de » produits qui lui manquaient. Mais quand elle s'est présentée » à la frontière pour se les procurer, la douane a tenu son » langage ordinaire! Grâce aussi aux résultats qui se sont » produits en Angleterre , peu à peu, par suite de ces rap- » ports, l'opinion publique se modifie. Jadis nous disions que » c'était l'Autriche qui maintenait le système de prohibition » et de protection, mais, en présence des progrès qui se sont » accomplis autour de nous, nous sommes obligés d'avouer » que c'est plutôt à la France que ce reproche devrait être • adressé! Mais, ne désespérons pas , en France on dort ■ quelquefois un peu longtemps, mais on s'éveille et l'on fait » des pas de géants. » M. Wolowski, professeur au Conservatoire des Arts-et-Mé- tiers de Paris, après avoir consacré quelques mots aux hom- mes qui, en France, ont tâché de préparer l'avènement de la liberté commerciale et qui sont morts à la peine, parla des progrès, plutôt dans les idées, que dans les faits. Il analyse ensuite un document récemment publié sur les rentes effec- tuées par les exposants étrangers;» l'exposition universelle de Paris. En disant qu'on ne vaincra jamais les partisans du ta- rif, qu'en étudiant les résultats dans ces immenses in-folios que distribue chaque année l'administration des douanes, el qui contiennent les chiffres des importations et des expor- tations, et puis s'étant livré à cette étude aride, il conclut que l'industrie française est capable de soutenir la concur- rence étrangère, et qu'elle est assez forte pour n'avoir pas besoin de prohibition. 310 M. de Molimri, professeur d'économie politique en Belgi- que, en commençant l'historique de ce qui a été fait dans ce pays: « Je serai court, a-t-il dit, car je n'ai pas d'aussi gros » péchés à accuser que les deux honorables préopinants ; grâce » à Dieu , la Belgique est plus libérale que la France, même en » matière de commerce. » — Le tarif protecteur belge, comme s'est ensuite exprimé M. de Molinari, avait trois citadelles, dont deux, la loi céréale et la loi des droits différentiels, ont été démolies; il ne reste qu'une troisième, qui est la protec- tion accordée aux industries charbonnières, métallurgiques et manufacturières. — Cette dernière, la plus forte, est appelée par M. de Molinari la tour de Malakoff. Mais il a tout espoir qu'elle sera aussi abattue : il y voit déjà plusieurs brèches, et, pour appuyer ses prévisions, il cite, entre autres, queVervier, ce foyer principal de l'industrie lainière, est acquis à la cause du libre échange. Il critique aussi les complications du tarif belge, et démontre tout le ridicule qui, dans ses 700 articles, comprend les savates et les œufs durs, qui interdit le transit des rossignols et des fauvettes, etc., etc. — Mais comme l'opi- nion publique, et même parmi les employés de l'adminis- tration de la douane, se déclare contre ce système, il ne peut pas durer!.... M. le DT Bamberg expose le système douanier du Zollve- rein et de la Prusse en particulier ; il en énumère les bien- faits , désigne l'importance de l'union du Zollverein avec le Steuerverein et des traités conclus avec l'Autriche, et ex- prime le souhait que les autres petits États d'Allemagne y adhèrent, comme la ville de Brème vient de le faire. A cela, M. Herz, de Hambourg, répond que le Zollverein devrait plutôt se réunir à la liberté commerciale des villes anséa- tiques. Quant à la Suisse, c'est M. Cherbuliez, professeur à l'école polytechnique de Zurich, aussi délégué du gouvernement 311 Céderai, qui, dans un aperçu sur le nouveau système des péages et dans la relation historique de son introduction, exposa que ce système n'est nullement protecteur, mais pu- rement fiscal, eu démontrant par c\e^ chiffres l'extrême mo- dération des tarifs, et en citant les droits minimes qui sont prélevés sur les produits similaires de cinq principales in- dustries, lorsqu'ils viennent de l'étranger, — industries qui, à elles seules, forment beaucoup plus de la moitié de tout ce que produit l'industrie suisse, c'est-à-dire sur les cotonnades, sur l'industrie linaire, sur celle des soieries, de la paille tressée, et enfin sur celle de l'horlogerie et de la bijouterie. La Suisse a fait, dans un but purement fiscal , ce que le Zollverein avait fait dans un but de protection. Mais, comme il fallait et sub- venir aux besoins de la Confédération et indemniser les cantons, on a été forcé de créer des péages aux frontières, après avoir rendu la circulation des marchandises libre entre les cantons, dans l'indemnisation desquelles entre le besoin d'entretien des ponts, des routes et autres voies de commu- nication. M. Cherbuliez a aussi avoué que des velléités de protectionisme se sont manifestées en Suisse et que môme aujourd'hui il existe une Société puissante qui s'appelle : Société pour l'encotiragement de l'industrie nationale, qui a arboré ce drapeau. Il s'est enfin plaint que la Suisse a beau- coup souffert par le système protecteur établi chez ses voisins, mais qu'elle n'a jamais voulu adopter, même par voie de représailles, sachant que, par ce système, on ne peut pas punir les autres sans se punir soi-même. Sur la proposition de la présidence, plusieurs comptes- rendus qui restaient à faire n'ont pas été exposés, mais se- ront publiés dans le compte-rendu du Congrès. Un d'eux, celui de M. Kuranda sur l'Autriche, n'a été lu par ce membre qu'à la fin du Congrès. Il est aussi très-curieux, ainsi que très-concluant, quant aux bons résultats, que les réformes 312 douanières introduites depuis 1851 dans ce pays, appelé, jusqu'à cette époque, la Chine européenne, y ont produits, tant sous le rapport du bien-être général, que sous celui des revenus du fisc. M. Kuranda a démontré tout le mal que l'ancien système prohibitif, introduit en Autriche par Jo- seph II, y a produit : « Pendant cinquante ans, a-t-il dit, ce » pays si riche et si abondant en matières premières, lan- » guissait sous le poids de la prohibition, et, à l'omhre de cet » arbre vénéneux, grandissaient une industrie chétive et une » fraude robuste. » Ce travail de M. Kuranda aurait pu être aussi très-instructif, s'il n'avait pas sacrifié la vérité histori- que à ses penchants ultra-aulrichiens, — et s'il n'avait voulu faire passer pour progressives et économiques des mesures politiques introduites dans l'intérêt de la dynastie régnante et de la nationalité germanique, minime comparativement aux autres races indigènes, toujours opprimées. Outre les réformes douanières qui ne font que du bien en général, et qui ont en- core fait tort partiellement aux provinces non protégées par le gouvernement central, vu la .manière dont elles furent ap- pliquées, M. Kuranda parle de l'abolition de la corvée comme d'une grande réforme sociale. Tout homme libéral et raison- nable ne peut trouver rien de plus injuste, de plus contraire au développement de l'agriculture et de la prospérité publi- que, que ce système, reste du moyen-âge ; mais en procla- mantes changements opérés comme bienfaisants, M. Kuranda n'aurait pas dû les attribuer, comme il l'a fait, au gouverne- ment autrichien qui, en Gallicie, n'a accordé son assentiment à cette mesure qu'à son corps défendant, et certes pas par une transaction équitable', comme le dit M. Kuranda, mais 1. M. Kuranda entend par transaction équitable, l'indemnité que les propriétaires fonciers ont obtenu en lettres de gage, en compen- sation du redevances des paysans. Certes, il n'y a rien de meilleur (pie ce système qui peut résoudre les plus grandes difficultés économiques. 313 après bien des années de refus aux instances faites par la Diète de cette province polonaise; — en Hongrie, il n'a que con- senti, ne pouvant faire autrement, à ce que la Diète de ce royaume avait décrété en 18-48. M. Kuranda ajoute qu'il serait inutile (rémunérer les bienfaits de cette grande réforme, et que l'histoire de la civilisation moderne en marquera les traits écla- tants. Eh bien , Messieurs, en Gallicie, ces traits, loin d'être éclatants, sont des plus sombres; l'histoire les marquera, mais seulement comme preuve de ce que c'est qu'un gouverne- ment étranger qui, mettant en avant les plus belles théories, rend en réalité les pays subjugués malheureux. De tous les Etats de l'Europe, c'est cette contrée qui est à présent la plus à plaindre, justement sous le rapport économique et agri- cole. Les champs, cultivés avant l'année néfaste de 1846, de- puis délaissés; les moissons souvent non récoltées, la famine, le vagabondage, les forêts saccagées, point de crédit, aucune industrie, presque pas de commerce, etuneanimosité réveil- lée entre les diverses classes de la société au plus haut degré, d'immenses impôts, voilà cm traits éclatants de la réforme autrichienne en Gallicie!.... M. Kuranda vante la répartition des impôts entre ce qu'il appelle les provinces imposées et les provinces non imposées. Mais il est vrai de dire que c'est à cette mesure que la Hon- grie doit d'avoir, au lieu de son budget séparé, de 30 millions environ, avant 1848, maintenant plus de 200 millions à payer l'ai été, il nie semble, le premier à le proposer dans une brochure r publiée en polonais, encore en 1835; mais il faut qu'il y ait transaction réciproque et iquitée, ce qui n'a pas eu lieu en Gallicie. Il serait trop long de l'expliquer ici; et quant à M. Kuranda, il le sait aussi bien que tous ceux qui s'occupent de ces questions en Autriche. Le fait est qu'une grande partie des propriétaires, dans cette partie de la Pologne, ont été ruinés avant d'avoir reçu cette indemnité, qui ne fut que comme un cordial administré à un mourant!... 21 314 à l'Autriche t Nous comptons parmi nos membres deux an- ciens représentants de la Diète de Hongrie qui peuvent don- ner des éclaircissements sur ce système ; quant à moi, Mes- sieurs, j'ai voulu seulement mentionner ici, qu'il ne convient pas de faire passer les mesures politiques les plus injustes comme des bienfaits , leur donner une couleur toute diffé- rente, les annonçant comme mesures économiques , et d'in- duire l'opinion publique en erreur, comme l'a fait M. Ku- randa. — Il aurait mieux fait, dans l'intérêt de la science, de la vérité et de son pays même, de suivre l'exemple de tant d'autres orateurs, qui ont eu la loyauté et le courage de dé- voiler franchement au Congrès les plaies qui désolent leurs patries respectives t l SECONDE QUESTION. C'est M. Pascal-Duprat, depuis professeur d'économie po- litique à Lausanne, qui ouvrit la discussion sur : L'examen des obstacles qui s'opposent, dans les divers pays, à l'extension des relations commerciales internationales et sur les maux pro- venant de ces obstacles. Envisageant la question sous un point de vue général, il partagea ces obstacles en physiques et en moratix. Les premiers s'aplanissent de jour en jour, comme par exemple les difficultés de communications. Quant aux seconds, l'orateur les place dans l'ignorance, les préjugés et la l. Les journaux, et notamment le Nord, ont dernièrement éclairci ces questions. Il est à présent avéré, que les propriétaires hongrois sont accablés d'impôts. Le bas prix des céréales, le manque de capitaux qui, joint à celui du crédit, donnent naissance à une usure poussée au dernier excès; enfiu, l'extrême cherté de la main d'oeuvre, sont autant de causes qui contribuent à achever de ruiner la propriété en Hongrie. La bureaucratie allemande pèse, en outre, de tout son poids, tant dans ce pays, qu'en Gallicie. — La Transylvanie se trouve encore dans une plus mauvaise condition. sw faction des privilégiés. — Après les avoir passés on revuo dans une improvisation éloquente, il conclut que : « Le système » protecteur terme à l'homme les sources fécondes ilu tra- » vail, et le pousse vers les sources les plus stériles ; que ce » système demande beaucoup d'efforts pour moins de résul- » tats : que. dans ce système, les lois, les règlements, les in- » stitutious, les industries mêmes qui se créent vont dans le » sens inverse dé cette doctrine. » Les orateurs qui ont pris ensuite la parole sur cette ques- tion, ont chacun énuméré les ohstacles qui se rencontrent encore dans leurs pays respectifs, ou ceux qui y ont été levés, en prouvant toujours que les résultats en ont été les plus satisfaisants. C'est ainsi que M. Vu» der Brœrk, délégué de la Société centrale d'agriculture de Belgique, dit qu'il n'a pas toujours été libre-échangiste; mais, convaincu par l'évidence des faits, il avoua son men culpa et déclara que l'agriculture belge demande la suppression des droits sur les fers, sur les houilles, sur les bois, qu'elle ne veut pas de la prohibition pour la sortie des os, et qu'elle*repousse le système des repré- sailles. C'est sur l'expérience de l'Angleterre, où l'agriculture fait de si grands progrès depuis la suppression des lois Céréales, qu'il a fondé sa conviction. Il a soulevé la question d'octroi communal, qu'il considère comme plus blâmable et plus immoral encore que le droit de douane, — ques- tion qui fut aussi traitée par lui plus tard dans un rapport spécial. M. Mûllendorf, Président de la Cbambre de commerce de' Verviers, a blâmé toute sorte de préjugés , et entre autres les préjugés généraux : les préjugés des peuples , ceux des intéressés, des industriels , les erreurs des gourernements, qui en proviennent. 11 a protesté, au nom de l'humanité, de l'in- dustrie et de la civilisation, contre les idées blasphématoire^ 316 qui se font jour et qui tendent à représenter l'industrie comme une œuvre de désorganisation, et la mendicité com- me une œuvre très-méritoire, qui ne tendent à rien moins qu'à déprimer le travail pour exalter la fainéantise. Quant aux fautes des gouvernements, en parlant de l'échelle mobile sur les céréales, il l'appelle le procès fait au bon Dieu, en lui imposant un tarif : Car, comme plusieurs années d'abon- dance avaient répandu les bienfaits de la Providence sur la terre, on trouva qu'elle produisait trop. Aussi on fut bientôt puni : vinrent les années de disette, de misère, on retomba dans une autre faute, on a mis des entraves à la sortie. Avec l'abon- dance on avait imposé le consommateur, avec la disette on expropria le producteur. Il finit par rappeler que Verviers, ville industrielle par excellence, fournit à peu près le tiers des adhérents au Congrès, en faisant cette déclaration : « Nous ne sommes pas protégés, et nous ne voulons pas l'être. » M. Oliveira , membre du Parlement anglais, dénonce rénormité des droits sur les vins en Angleterre. — Cham- pion de cette question spéciale , qu'il porte depuis plusieurs années devant la Chambre des communes , il dépose sur le bureau le mémoire qu'il a publié là-dessus. M. Bohn, libraire à Londres, se plaint de l'élévation des droits de douanes en Angleterre sur les articles de librairie, en considérant les denrées ou aliments intellectuels comme non moins importants que les denrées alimentaires; il indique que, depuis que les relations ont été étendues par les effets du libre échange, la littérature, spécialement celle qui est dé- diée au peuple , a fait un progrès immense et contribué à étendre l'éducation. Les entreprises de la librairie ont eu des succès brillants, les droits d'auteur en ont augmentés. Il a parlé, enfin, du besoin d'un port de livres parla poste, uni- forme et universel, d'une plus grande vitesse de transport, et une facilité de règlements internationaux, qui donneraient une immense impulsion à la diffusion générale des lumières. 317 M. David, du Danemark, conseiller d'État et chef du bu- reau de statistique à Copenhague, dépose au bureau une note dans laquelle il fait ressortir les avantages que le gouvernement de ce pays a obtenus, en n'imitant pas l'exem- ple de ceux qui ont prohibé l'exportation des grains, et l'heureux effet qui est résulté du régime de la liberté sur l'agriculture. M Châteaux-Wattel, délégué de la Chambre de commerce d'Anvers, en protestant contre ce qu'on a dit sur la t-endance rétrograde de cette ville, a déclaré, au nom de celle-ci , qu'elle veut la liberté de commerce, sans limites ni restrictions. M. Ackersdyck, professeur à l'Université d'Utrecht, délégué de la Société pour le développement de l'industrie dans les Pays-Bas, s'est plaint de l'exagération de certains droits fiscaux qui existent en Hollande sur la bière, le savon, le sel raffiné, le combustible, et le sucre. Il condamne les primes à la sortie du sucre. Il se plaint aussi du régime colonial hollan- dais et des obstacles que différentes nations opposent au commerce néerlandais. Il s'élève, enfin, contre les brevets d'invention, — qui, selon lui, causent des entraves funestes à la liberté de l'industrie. C'est sur cette seconde question que j'ai aussi pris la pa- role, en présentant le préavis que vous nous avez chargés, Messieurs, de déposer au Congrès; j'y ai ajouté quelques mots , comme éclaircissements, avec quelques autres consi- dérations que la discussion m'a fournis. Les voici : DISCOURS DE M. NAEWASKI Prononcé à la séance du Congrès le 24 Septembre. Messieurs, En vous présentant les réponses catégoriques d'une Asso- ciation suisse , aux questions que la Commission d'organisa- 318 tion a adressées, je suis obligé d'entrer dans quelques éclair- cissements. Je parle au nom d'une des Sections de l'Institut national de Genève , association créée depuis quelques années par une loi du Grand Conseil du canton de Genève. Cette asso- ciation se divise en cinq Sections ; les objets traités dans ce Congrès entrent dans les attributions de deux de ces Sections, celles des Sciences morales et politiques, et celle d'Industrie et d'Agriculture. > Pour être compris, il faut non que je fasse des rectifica- tions au discours de l'honorable M. Cherbuliez, Délégué du Conseil fédéral (dont, quant à l'ensemble des observations et quant à la déduction que la Suisse se trouve, comparati- vement; aux autres pays, la mieux partagée sous le rapport douanier, je partage l'opinion) , mais que j'ajoute quelques explications. La question des douanes et des péages a été traitée lon- guement à la Diète constituante de 1848, vu les grandes dif- ficultés à vaincre. Pour en finir avec les entraves intérieures, comme M. Cherbuliez vous l'a expliqué, il fallait créer des entraves extérieures, voilà pourquoi on a établi des droits fiscaux. Mais, là ne s'arrêtait par la tâche de la Diète. Non seulement elle a eu des intérêts cantonaux à coordonner avec les intérêts fédéraux , mais encore ceux des deux par- ties de la Suisse allemande et française ' , comme par exem- ple dans la question des poids et mesures. Malgré les plus vives protestations de la Suisse française, on introduisit dans toute la Suisse un système bâtard. Les cantons frontières se trouvaient également dans une situation différente de celle des cantons de l'intérieur. C'est pourquoi la nouvelle consti- 1. La Suisse italienne, composée du canton de Tessin, partage pres- que toujours les intérêts et les opinions de la Suisse française. 319 tiitiun fédérale, dont je dépose ici un exemplaire, renferme plusieurs articles réglant tous ces rapports. C'est ainsi que Genève a SOttlIëlt et souffre encore, comme l'expose le préa- vis suivant de la Section d'Industrie si d'Agriculture de l'In- stitut .national genevois. PRÉAVIS AU CONGRÈS INTERNATIONAL DOUANIER DE BRUXELLES. Sur la question : Quels sonl les obstacles naturels ou arti- ficiels qui s'opposent en Suisse à l'extension des relations commerciales ? La Section répond que les principaux de ces obstacles paraissent être les suivants : 1° Les mesures douanières prohibitives ou restrictives encore maintenues par quelques États voisins, soit pour la sortie, soit pour l'entrée des denrées et d'autres marchan- dises. 2° Le système péager adopté par la Suisse . système qui, quoique ayant été introduit dans des mes purement tiscales, tend à devenir protecteur pour certaines industries et, par Conséquent, nuisible à la grande majorité des consomma- teurs. Ce système admet, d'ailleurs, beaucoup trop de caté- gories et pèche ainsi par le manque de simplicité. 3° Le système des poids et mesures qui tend à rendre plus difficiles les rapports avec la majorité des États euro- péens. (Juant à la seconde question : Quels sont les moyens prati- ques les meilleurs pour détruire ou diminuer ces obstacles? La Section verrait avec plaisir le Congrès international douanier donner son approbation aux propositions suivantes: 4° One, si la Suisse se voit obligée de conserver, comme moyen fiscal, un système de péages, ce système écarte tout 320 ce qui peut ressembler soit à des mesures prohibitives, soit à des mesures de protection. 2° Que le système péager de la Suisse admette l'entrée en franchise de toutes les denrées alimentaires, des vêtements de première nécessité, des engrais, des matières premières et des objets servant à la construction des habitations. ' 3° Que le système péager de la Suisse admette les droits les plus réduits possibles et un très-petit nombre de catégo- ries (trois au plus). 4° Que ce système frappe sur les objets de luxe plutôt que sur ceux de première nécessité. 5° Que le système des poids et mesures actuel soit rem- placé, dès que les circonstances le permettront, par le sys- tème métrique décimal français , qui tend sans cesse à de- venir plus général et qui, d'ici à quelques années, sera peut-être européen. 6° Que les États limitrophes veuillent bien consentir à diminuer ou à supprimer, par rapport à la Suisse, toutes les mesures protectrices ou prohibitives qui peuvent gêner entre les peuples voisins l'importation, l'exportation et la libre cir- culation des denrées et des marchandises. J'ajoute en concluant que Genève, canton frontière, n'a eu au fond ni douanes ni péages', si ce n'est l'octroi de la ville, reste de la domination étrangère du premier empire, et que l'introduction des péages fédéraux, ainsi que tout cet attirail de douaniers, est mal vu par la population. Comme dans toute la Suisse le nouveau système n'est pas plus popu- laire, il faut espérer que le peuple helvétique, qui, déjà sous tant d'autres rapports, a devancé les autres nations de l'Eu- rope, ne restera pas en arrière quant au libre-échange!... 1 . Il y a eu quelques petits droits à payer dans le canton de Genève, mais très-minimes, de 10 à 20 eent. par 50 kil. 321 Permettez, Messieurs, qu'avant de quitter cette tribune, je joigne ma voix à celle de l'honorable M. Pascal Duprat, qui a si éloquemment exposé que, même sous le rapport du libre-échange, les nationalités doivent être respectées. Je proteste, dans le même sens, contre les paroles d'un repré- sentant de la Prusse, qui, en citant divers moyens, pour arri- ver au but que nous avons en vue, a parlé de l'organisation, par l'Autriche , d'une émigration allemande en Hongrie Le but de ces mesures est surtout politique, elles ont en vue la dénationalisation d'un peuple; nous ne pouvons donc les approuver, et encore beaucoup moins nous y associer'. TROISIÈME QUESTION. — TRAVAUX DES COMITÉS. Comme la plupart des discussions sur cette question : Examen des moyens proposés ou à proposer pour détruire ou diminuer les obstacles qui s'opposent à la réforme douanière; — Examen du meilleur moyen d'opérer celte réforme ; — Ré- solutions soumises au Congrès,— ont eu lieu d'abord dans les Comités, il faut, Messieurs, que je vous -donne quelques éclaircissements sur les travaux de ces derniers. Il devait y en avoir trois: de Statistique, de Législation et de Propositions. Le premier fut présidé par M. Schubert, professeur à l'U- niversité de Kœnigsberg. Des renseignements intéressants lui ont été communiqués et consignés dans son procès-verbal. Les deux autres se sont fusionnés, sous la présidence de M. Campan, de Bordeaux. C'est aux séances de ces derniers que nous avons assisté avec mon collègue. Elles ont eu lieu le matin, pendant deux jours. Une foule de propositions furent soumises à ces Comités fusionnés, et ce n'est que grâce à Tha- 1. La phrasé, contre laquelle j'ai protesté, ayant été omise dans le discours de l'orateur prussien, imprimé dans le Compte-rendu du Con- grès, je m'en réjouis sincèrement !... Cela fait augurer qu'il arrivera peut-être un temps où, en Allemagne, le mot civiliser ne sera plus sy- nonyme de germaniser et dénationaliser. 322 bileté du Président qu'on a pu se débrouiller — vu la brièveté du temps — au milieu de ce chaos. On peut classer les travaux qui ont pour base cette troi- sième question : a) en propositions, sur lesquelles il y a eu des rapports spéciaux , qui furent discutés aux séances pu- bliques du Congrès; b) en propositions individuellement présentées, tant aux Comités qu'au Congrès ; c) en propo- sitions présentées seulement aux Comités et renvoyées aux délibérations futures ou rejetées. Quant aux premières, on a commencé parcelle de M. Corr- Vandermœren, ainsi conçue : « Le Congrès, avant de se sé- » parer, constituera une Association internationale des ré- » formes douanières. Cette Association aura pour but , en » réunissant les formes éparses de tous les pays, de provo- » quer par tous les moyens légaux, dans chaque pays, l'étude » des principes qui forment la base des libertés commer- » ciales, en un mot de continuer l'œuvre du Congrès. » C'est M. de Molinari, qui, en présentant le rapport d'une commission nommée pour examiner celte proposition, ex- posa plusieurs développements, qu'elle y a faits. On a con- sulté les membres des différentes nations représentées au Congrès, pour organiser un Comité international, et il a été décidé qu'il y aurait à Bruxelles un bureau central de l'Asso- ciation, qui se mettrait en correspondance avec les membres des Comités siégeant à l'étranger; ces derniers constitue- raient des succursales dans leurs pays respectifs , etc., etc. Après ces mots du rapporteur : « Vous croyez, Messieurs, » qu'il est de l'intérêt bien entendu des nations et, en parti- » culier de l'intérêt des travailleurs, d'en finir avec ce sys- » lème protecteur, comme aussi avec toutes les autres en- » traves qui s'opposent encore à la liberté du commerce. » Voilà donc , Messieurs , le but qu'il s'agit d'atteindre. » Maintenant, quel est le moyen le meilleur, le plus efficace 323 d'arriver à ce but? Ce moyen, c'est évidemment Passocia- » tioii. Il s'agit d'étendre, de coaliser nos efforts: il s'agit i d'opposer à la coalition étroite des intérêts privés , â la lalition îles privilèges, la grande coalition de l'intérêt gé- i néral. N'oublions pas. Messieurs, que toutes les libertés » dont nous jouissons aujourd'hui, libertés civiles, libertés k politiques, libertés religieuses, ont été obtenues au moyen • de l'association. Employons donc encore cette arme puis- k saute pour obtenir la liberté du commerce, qui est le com- plément de toutes les autres. Souvenons-nous de la devise de notre pays : L'union fait la force, et votons une associa- " lion internationale pour la liberté du commerce. » La proposition conçue en ces termes : Le Congrès fonde une Association internationale pour la libellé du commerce, fut adoptée à l'unanimité, moins une voix, aux applaudissements de toute l'assemblée. (Test ainsi. Messieurs, que fut l'ondée cette Association in- ternationale, à laquelle vos délégués vous proposent de vous unir et de la seconder dans ses efforts :mssi ('-claires que natutaires pour l'humanité entière. M. Sagez (France) a fait ensuite un rapport d'une seconde Commission sur plusieurs des propositions, toutesayant trait: A l'uniformité des poids, mesures, monnaies et ta. ces postales; à l'établissement des tribunaux de commerce dans la Grande- Bretagne et l'Irlande; à l'uniformité des législations commer- ciales, des lettres de change. Dans la discussion qui s'en suivit, on proposa de renvoyer la question des poids et mesures à l'Association qui s'est fondée dans ce but à Paris; mais com- me cela pouvait nuire à sa réussite, \u qu'il j aurai! des gens qui y verraient une imposition de la part d(> la France: que, iln reste, celte association n'est (tas du tout active, on a décidé de remettre cette question (qui intéresse aussi spé- cialement le canton de Genève), aux soins du Comité ittter- < 324 national, pour qu'il avisât aux moyens les plus efficaces pour la faire triompher, ainsi que les autres propositions susmen- tionnées, en y ajoutant plusieurs autres, faites à la séance, comme : Sur les diverses restrictions établies dans les colonies quant au commerce , sur la libre navigation des fleuves, sur l'abolition de tout ce qui reste du système colonial, sur les diffi- cultés des déclarations de marchandises destinées à l'importa- tion et à l'exportation. Enfin, la proposition de M. Couvreur : « Que le Congrès émette le vœu que la législation sur les » passeports soit modifiée de façon à assurer la libre circula- » tion des personnes sans droit fiscal aucun et sans visa préa- » lable pour les différents pays, » fut adoptée à l'unanimité. En arrivant au rapport sur la proposition de M. Ch. de Coc- quiel, professeur à Anvers, relativement à l'enseignement de l'économie politique, rapport fait par M. Tillière, avocat belge, au nom de la Commission dont j'ai fait partie et que j'ai eu l'honneur de présider, — il faut que je vous dise, Messieurs, que : les discussions qui ont eu lieu sur cette question, tant au sein du Comité que de la Commission, et du Congrès môme, ont démontré d'une manière des plus convaincantes, que le manque de notions claires sur l'économie politique en France, est une des calamités politiques qui affligent ce pays; que, malgré tant de révolutions faites au nom du peuple, par le peuple et soi-disant pour le peuple. — il ne s'est rien fait, ou du moins très-peu, dans l'intérêt de ce peuple, sous le rapport de sa prospérité matérielle. On ne peut l'attribuer qu'au peu de valeur qu'ont attaché à cette science les diffé- rents gouvernants de la France, et à une sorte d'inimitié de leur part. Cependant c'est la France qui, à la fin du dernier siècle, produisit tant de savants économistes et d'hommes d'État, qui, les premiers, mirent cette science en pratique. Je me rappelle moi-même, Messieurs, comme, sous la Restau- ration, le célèbre Say, dont la France doit se glorifier, se 325 plaignait à moi. étranger et son élève, qu'il ne pouvait en- seigner sa science que sous un litre simulé d'Economie in- dustrielle, une ou deux fuis par semaine au Conservatoire des Arls-et-Métiers, unique chaire dans le pays. Il me racontait les persécutions qu'il essuya de la part de l'empereur Napo- léon, et maudissait aussi bien, comme il l'appelait, Bonaparte, avec son système continental, que les Bourbons ! . . . . Il n'a pas vu de grands changements à la suite de la révolution de -1 830, mais il obtint au Collège de France une chaire d'économie politique qui, après sa mort, fut donnée à Rossi ; celui-ci, en 1841, fut remplacé par M. Michel Chevalier. Aujourd'hui, Messieurs, comme ce rapport l'indique, outre cette chaire, il n'existe en France que celle de l' École des ponls-et-chaussées, et celle du Conservatoire des Arts-et- Métiers, où Blanqui s'assit après Say, et qui, aujourd'hui, sous le nom de Cours d'ad- ministration et de statistique commerciale, est confiée à un adepte du système protecteur. Cet état de choses, dit le rapport, trouve son corollaire naturel dans le peu de progrès qu'a faits la France dans ta voie d'amélioration du régime douanier, et nous prouve une fois de plus que ce n'est pas seulement le libre-échange des produits matériels, mais aussi celui des idées, celui des sciences . celui de l'instruction, dont la nation fran- çaise a le plus grand besoin ! Quant aux autres pays de l'Europe, le rapporteur, en les passant en revue, remarque que partout l'enseignement uni- versitaire comprend l'étude de l'économie politique ; qu'en Suisse, en Belgique, en Hollande, en Angleterre, à Ham- bourg, elle est introduite dans l'enseignement moyen, dans les écoles professionnelles , industrielles et techniques, quelle l'est dans des sociétés littéraires, et même dans des associations d'ouvriers. En Angleterre, elle est enseignée jusque dans les ragged-schools, (littéralement, dans les écoles des déguenillés), où l'on met entre les mains de la 326 jeunesse des traités élémentaires comme ceux de M. Ellis, qui inculque sans peine les premiers éléments économiques1. Aussi, tandis qu'en plusieurs pays on voit des progrès réels dans la pratique sous le rapport économique — cette science étant répandue au moins dans les hautes classes de la société, qui réagissent d'une manière efficace sur leurs gouvernements, — en France, le chef de l'État, qui a desidées bien plus étendues etplus avancées sous ce rapport que les classes élevées de son pays, trouve des difficultés et des entraves même dans les gens les plus hauts placés, tels que : le Corps législatif, les Conseils généraux des départements. Ce n'est qu'en profitant des crises alimentaires et en saisissant les occasions opportunes comme par surprise plutôt que par conviction, qu'il peut intro- duire quelques réformes douanières, comme on l'a vu, avec les droits sur- les bestiaux et sur les céréales. Mais, Messieurs, il y a encore un plus grand mal, que les discussions sur cette question ont révélé, c'est un feu qui couve sous la cendre, qui pourra éclater un jour à la suite des protections accor- dées aux propriétaires des houilles, des forges, etc. Comme j'en parlerai encore, je ne fais que le mentionner ici. Le rapport conseille, comme le premier soin des gouver- nements pour parvenir à généraliser la connaissance des principes économiques, celui d'inscrire cette science dans le programme des écoles normales. Former des maîtres qui, à leur tour, instruiraient leurs élèves, — l'économie politique devrait faire partie intégrante des études moyennes et même 1. Un membre de l'Institut, dans la discussion qui a eu lieu à la suite de ce rapport, observa que : si en Angleterre, la science écono- mique est réellement enseignée et dans beaucoup de cas appliquée, les lois anglaises sont très-arrièrées sous ce point de vue, principale- ment les lois sur la propriété ; — tandis qu'en France les principes dn code civil sont tout-à-fait basés sur les vrais principes de l'Economie politique. Cette observation, que je trouve très-juste, n'ayant pas été faite au Congrès, je la mentionne ici. 3ff] des études primaires. Il conseille d'élaborer dans chaque pays un catéchisme d'économie politique fort simple, dans lequel la jeunesse puiserait les premiers éléments. Il linit par ces mots : « La lumière ayant chassé l'ignorance, les préjugés » suivront celle-ci; instruit sur la véritable mission du tra- » vail dans la production des richesses, le peuple corapren- » dra qu'il n'a rien à gagner, en suivant les entraînements » de ceux qui l'abusent sous prétexte de servir ses intérêts; il » ne descendra plus dans les rues, pour se battre au profit » de ceux qui l'exploitent en flattant sa convoitise, en cares- » sant ses haines ; il trouvera d'autres cris que celui du pain » à bon marché dans les temps de crises alimentaires; il ne » se ruera plus sur les entrepôts ou sur les magasins pour em- » pêcher que l'on n'exporte les denrées ; car il saura qu'elles » ne sont enlevées que pour faire place à d'autres ; enfin, » ses préjugés ne serviront plus de prétexte aux hommes » d'État, qui ont la faiblesse de composer avec l'erreur et » l'ignorance, lorsqu'on leur demande pour un pays lesbien- » faits du libre-échange des substances alimentaires. » Ce rapport a soulevé une discussion assez orageuse, deux honorables membres français, l'un délégué de la Chambre de commerce de Marseille , M. lierteaut, et l'autre de celle de Montpellier, M. Danjou, tout en s'associant aux bonnes in- tentions qui ont dicté le fond de la proposition , ont protesté contre la forme et contre ses développements, prétendant que le rapporteur avait pris en quelque sorte à lâche de rabaisser la France. M. Berteaut, en déclarant que son pays a bien des difficultés à vaincre, mais qu'il est entré dans une bonne voie, et qu'il marchera en avant, s'est écrié : « La France • marche à la tête de la civilisation, et elle ne s'arrêtera pas » non pins dans la voie économique. » Il a voulu ensuite parler de la glorieuse paix qu'elle venait de conclure et entrer dans l'arène politique ; mais, arrêté par M. Pascal Du- 328 prat, et invité par le Président à se modérer, car nous n'é- tions pas une assemblée politique, il s'excusa de la vivacité de ses paroles, échappées dans l'improvisation !... Un autre membre français, M. Polican, en acceptant l'idée comme excellente sous un régime de liberté, a trouvé que dans l'application elle ne peut pas être recommandée avec le régime absolutiste, généralement répandu aujourd'hui, car la philosophie, dit-il, sous la sollicitude du gouvernement, en France, a tourné à l'éclectisme, disons au sophisme. Il était d'avis que l'enseignement de l'économie politique ne doit être recommandé qu'aux gouvernements constitutionnels et républicains. Cependant le rapport a été non seulement couvert d'ap- plaudissements, mais la proposition de la Commission, ainsi conçue : « Le Congrès émet le vœu que l'enseignement de Pé- » conomie politique soit introduit dans tous les établissements » d'instruction publique et privée, sur la plus large échelle, » non-seulement dans les Universités, mais encore dans les » écoles primaires, les collèges et les écoles professionnelles, » et que, dans ce but, il soit formé des instituteurs propres à » enseigner cette science et à la rendre populaire, » a été adoptée à l'unanimité moins deux voix. Vint ensuite la question des Octrois; c'est M. Yanderbrœck qui en fut le rapporteur. « Au nombre des obstacles, a-t-il » dit, que la deuxième section a cru devoir signaler à votre » attention au point de vue agricole, se trouvent les octrois » municipaux ; et il y a eu une touchante unanimité pour » blâmer le principe de ces institutions, derniers restes des » législations du moyen-âge. Quelques orateurs ont voulu » considérer les octrois sous un point de vue exclusivement » fiscal; mais la majorité de la section n'a voulu voir dans les » octrois que ce qu'ils sont, c'est-à-dire l'expression du sys- » tème protecteur dans ce qu'il offre de plus injuste et de 329 » moins légitime. L'octroi, en effet, est la source féconde » des abus les plus divers; influences immodérées, profu- • sions sans excuses et, quelquefois, actes sans intelligence, » il est destiné à couvrir toutes les fautes. En Angleterre, où • les octrois sont inconnus, les communes ne sont ni moins » florissantes, ni moins libres. Aussi un honorable membre » a-t-il préconisé le système qui consisterait à substituer » à l'octroi l'esprit d'association, qui réalise des merveilles là » où l'intervention administrative n'enfante le plus souvent » que des désastres. C'est pénétré de ces principes que nous » avons l'honneur de déposer là-dessus une proposition. » La discussion sur ce point fut soulevée par II. Wotowski, qui déclara qu'il avait été l'adversaire des octrois, mais qu'il croit s'être trompé, qu'il les défend, en se basant sur ce que les impôts indirects sont plus supportables que les impôts di- rects, et qu'enfin, comme les villes ont absolument besoin de revenus, il croit que c'est encore la meilleure manière de s'en procurer. M. Faider, le Président du Congrès et le rap- porteur, en lui répondant, signalèrent tout le mal que pro- duisent les Octroi*; que c'est un vrai droit protecteur, qui frappe la matière première du travail, que cet impôt pèse souvent d'une manière horrible sur la population, et qu'il est un obstacle à ce qu'elle se nourrisse convenablement, qu'il est injuste, vu l'inégalité d'imposition entre les habitants des villes et des faubourgs, qu'il est vexatoire et démoralisant, etc., etc. Comme l'octroi des villes existe encore dans le canton de Genève, j'attire votre attention particulière, Messieurs, sur ce point, et sur le vœu émis par le Congrès, — à la suite de cette discussion : « Que partout, dans les communes, d'autres • impôts soient substitués aux octrois, que les membres du » Congrès qui s'occupent de questions économiques et tinan- » cières se réunissent dans chaque pays pour aviser aux 22 330 » moyens de substituer de nouveaux impôts aux droits d'oc- » troi. » A la suite d'une remarque faite par la présidence, la pro- position relative à Yimpôt du sel fat écartée comme ne rentrant pas dans les cadres des délibérations du Congrès. On s'occupa ensuite de la proposition faite par M. Berteaut, de proclamer la liberté définitive et permanente de Vexporta- tion et de l'importation des denrées ou substances alimentai- res. M. Danjou y ajoute le vœu, qu'en tout pays et surtout en Angleterre, où le droit équivaut à une prohibition, on pro- cède à une réduction de l'impôt sur les vins. M. Berteaut, en développant sa proposition, dit : « Qu'elle a un double » but, celui de s'adresser d'abord à l'échelle mobile, que » M. Cobden a appelée le code de la famine, et ensuite à ces » prohibitions de sortie, que les gouvernements décrètent » sous la pression de la panique, souvent mauvaise conseil- » 1ère. ».... Cette proposition donna lieu à une discussion, qui démontra qu'il y a dans le Congrès même deux opinions différentes. L'une, qui tend à arriver, par les réformes douanières, aux droits fiscaux, l'autre, qui voudrait qu'on parvînt à une en- tière liberté d'échange. Il est à prévoir que, dès que les ennemis communs : la prohibition et la protection, seront vaincus, les membres qui composent ce Congrès se parta- geront en deux camps. Cette fois-ci ces idées n'ont été qu'effleurées; néanmoins, quant aux substances alimen- taires, tout le monde a été d'accord, et le Congrès a voté à l'unanimité : « Qu'il est à désirer pour les substances alimen- » taires, qu'on proclame la liberté définitive et permanente » de l'importation et de l'exportation, que cette double con- » quête soit élevée à la hauteur d'un droit international. » Celte question a aussi été introduite et discutée dans le Cougrès de bienfaisance, et on y a de même décrété : La 331 nécessité de la liberté du commerce des denrées et de tous les ar- ticles de première nécessité. — J'ai cité alors l'exemple du canton de Genève, où le grand système du laisser faire, lais- sir passer, appliqué sous tous les rapports, a produit les meilleurs effets, et quant aux approvisionnements mémo pendant la disette. La proposition de M. Danjou, sur les vins, a aussi été adoptée par le Congrès à l'unanimité moins une voix. La proposition de la seconde section : « D'émettre le vœa » que les droits d'importation sur les matières premières, » telles que les combustibles et le fer, soient graduellement » et définitivement abolis, dans le plus bref délai possible, • fut de môme adoptée. La discussion est ensuite ouverte sur la proposition de M. Garnier : « Le Congrès émet le vœu qu'il soit procédé, » dès aujourd'hui, dans tous les pays, à une réforme doua- » nière générale immédiate, ou générale et progressive, et, • sans se préoccuper de la réciprocité, le Congrès est d'avis » qu'en opérant cette réforme, les gouvernements agiraient » dans l'intérêt de la justice, dans l'intérêt général des » nations, dans l'intérêt des classes ouvrières, dans fin- » térêt des industries protégées elles-mêmes, et dans l'in- ■ térêt même de leurs propres finances. Le Congrès se pro- » nonce de la manière la plus énergique contre les prohibi- • tions, les visites domiciliaires ou personnelles et le système » des représailles. » Unanimement partagée, elle ne donna lieu qu'à une discus- sion, dans laquelle on lâcha de prouver son importance dans l'intérêt de la justice des nations en général, spécialement des travailleurs, des industries protégées elles-mêmes et des finances des gouvernements. Cette proposition fut adoptée avec quelques amendements dans ce sens et en ajoutant que : Le Congrès réprouve de la manière la plus énergique les prohi- 332 bilions, les visites domiciliaires, les primes à la sortie, et le sys- tème de représailles. Quant aux primes, M. Cieszkowski a cité deux cas, où l'on pourrait accorder des primes à l'exportation, comme, par exemple, en Prusse, pour les spiritueux, où leur distillation est grevée d'un impôt très-lourd, ainsi que pour Y importation du guano, utile à l'agriculture. Plusieurs autres orateurs ont combattu cette théorie. M. le Président ayant pris la parole, a qualifié la prime accordée en Prusse à la distillation des eaux-de-vie : « De prime d'empoisonnement pour les autres nations. » Eh bien f s'est-il écrié, « que ceux qui distillent dans l'intérêt de l'agriculture, boitent eux-mêmes le produit malfaisant de leur industrie. » Quant à la prime pour le guano : « C'est encore une fois le gouvernement, dit-il, voulant mieux connaître les intérêts du cultivateur lui-même. » M. de Brouckère a appelé cette double idée de M. Cieszkowski anti-économique ; ce dernier, en la relevant, a déclaré que : « Ces idées sont peut-être contraires au système spécial de » certains économistes, qui professent d'une manière absolue » les principes de laisser faire, laisser passer, qu'il n'appar- » tient pas à cette école, et que, depuis quinze à seize ans, il » fait tous ses efforts pour obtenir à cette formule la substi- » lution de celle d'aider à faire, aider à développer. » M. le Présidenta retiré ensuite sa phrase, à la demande de M. Ciesz- kowski, dans l'opinion duquel sa manière de voir était très- économique et rentrait dans son système. Je vous fais mention, Messieurs, de cet épisode, pour attirer votre attention sur les diverses nuances qui se sont présentées au Congrès, relati- vement à la science économique. Enfin, M. Corr-Vandermaeren fait un rapport sur la pre- mière réunion du Comité et de quelques membres de l'as- sociation internationale, en donnant le procès-verbal de cette réunion : 333 « Sont présents : MM. Corr-Vandermaeren, négociant à Bruxelles; Scialoja, ancien ministre du commerce à Naples, ancien professeur d'économie politique à l'université de Tu- rin; N.-D. Wichmann, industriel de Hambourg; Hartwig- Hert, négociant à Hambourg; de Bruyn-Kops, cbef de bu- reau au ministère des finances, et rédacteur de Y Economiste de la Haye; Campan, ancien secrétaire de la Chambre de commerce de Bordeaux. M. Corr-Vandermaeren ouvre la séance et donne commu- nication des conclusions prises au Congrès par M. de Moli- nari. Il invite la réunion à s'occuper de la rédaction du lèglement qui doit constituer l'Association internationale pour les réformes douanières. Après une discussion approfondie, la réunion approuve la rédaction suivante, qui sera soumise a l'approbation du Con- grès. Art. 1er. Il est formé une Association internationale pour les réformes do lanières. Celte Association aura pour but, en réunissant les forces éparses de tous les pays, de provoquer la réforme progressive des tarifs, de propager par tous les moyens légaux dans chaque pays, la vulgarisation des prin- cipes qui forment la base de la liberté commerciale ; en un mol. de continuer l'œuvre du Congrès. Art. 2. Le siège du bureau central de cette Association esi établi à Bruxelles. Art. 3. Il sera constitué dans les divers Etats, et par les soins des membres de l'Association, des comités correspon- dants avec le bureau central. Art. 4. Le Comité de Bruxelles est chargé de centraliser les efforts des Comités correspondants, de réunir tous les do- cuments, et d'éclairer ainsi l'opinion publique, avec l'aide des membres de l'Association, sur les véritables principes de la liberté commerciale. 334 Il est également chargé de déterminer le lieu et les épo- ques de convocation du futur Congrès. Un rapport annuel sera adressé par ses soins à tous les membres de l'Association. Art. 5. 11 y aura un fonds international, destiné à pour- voir aux dépenses de l'Association. A cet effet, une liste de souscription est ouverte. La contribution annuelle de chaque membre est fixée à douze francs. Il y aura, en outre, une souscription volontaire pour la fondation de la Société. M. Corr-Vandermaeren rappelle que Ton a désigné, comme membres chargés de constituer des Comités correspondants: M. Richard Cobden, membre du Parlement, pour l'Angle- terre. M. Debruyn-Kops, pour la Hollande. M. N.-D. Wichmann, industriel, de la maison Reese et Wichmann de Hambourg, pour l'Allemagne du Mord. M. Mon d'Alejandro, ancien ministre des finances, à Ma- drid, pour l'Espagne. M. Antonio Scialoja, pour le Piémont et la Sardaigne. M. Jean Dollfuss, industriel, pourla France. ■ M. Corr-Vandermaeren propose d'inviter les pays qui ne sont pas représentés, à désigner des membres correspondants. Ce sera l'un des premiers devoirs de l'Association de s'occu- per de son organisation. Le Président remercie le Comité international de la promp- titude qu'il a mise à prendre les premières décisions. Quant à vos délégués, Messieurs, agissant dans le sens de l'invitation faite par le Comité, ils ont jugé à propos de désigner, comme membre correspondant, notre Président M. le Chancelier Viridet. Nous arrivons aux propositions individuelles. 335 M. Cipri, membre italien, demande : «Que le Congrès • émette le vœu, que les gouvernements italiens se concer- » lent pour réunir à Florence un Congrès douanier. » Après quelques éclaircissements donnés par MM. Casait, Scialoja et Arrivabene, sur les difficultés que les circonstances politiques opposent à l'accomplissement d'un pareil désir, très-louable en lui-même, M. Cipri retire sa proposition. Vient ensuite la proposition de M. Cogels, adoptée à 'l'una- nimité, moins une voix : « Que le Congrès émette un vœu en » faveur de la simplification et de l'uniformité des lois de » douane, de manière que, rédigées avec concision et avec » clarté, elles puissent être renfermées dans un seul code. » Un membre du Parlement anglais, M. Ewart, fait la pro- position d'une adresse au nom de l'Assemblée au Roi des Belges, en exprimant uns félicitations de ce que ce Congrès ait eu lieu en Belgique, et aussi notre espérante qu'il aura de grands résul- tats. Il ajoute que : « Milton a dit que la paix a ses victoires, » aussi renommées que les victoires de la guerre, et que le » Congrès vient d'en remporter une. » Enfin, il déclare que : • Le Roi des Belges est très-estimé en Angleterre, etc., etc. Cette proposition, unanimement adoptée, la rédaction de l'adresse fut confiée à M. Campan, qui lalutà la dernière réu- nion où elle fût approuvée, — elle dit: « Le Congrès, com- » posé de membres indépendants, des délégués de plusieurs » États de l'Europe, et d'un grand nombre de Belges, a ac- » compli ses travaux dans un calme profond, sous l'égide • des lois sages et libérales que Votre Majesté a su conserver » à la Belgique, malgré les agitations si nombreuses de ce » dernier quart de siècle; la pacifique association que le » Congrès avait mission de constituer, a pu se réaliser sans » troubles et sans obstacles, en se conformant aux lois bel- » ges; elle a pour but d'améliorer le sort des hommes, elle » devait donc trouver toute liberté d'action sous le gouver- » nement de Votre Majesté, etc., etc. 336 Il y eut encore beaucoup de Mémoires accompagnés d'im- primés, etc., de déposés tant sur le bureau du Congrès, qu'à ses Comités, et beaucoup de propositions de faites. J'en ai émis deux ; la première ainsi conçue : « D'organi- » ser une enquête, dans plusieurs endroits de l'Europe, aux » frontières de divers pays, — pour constater les mauvais » effets, principalement sur la morale publique, des systèmes » de douanes. » L'aspect journalier que j'ai sous mes fenêtres, à Lancy, de ces hommes qui, avec leurs énormes chiens, leurs gros bâ- tons, les ballots au dos remplis de tabac et de sucre, s'ache- minent d'un air presque brigand, vers la frontière de Savoie, (ce qui prouve que, malgré ce qu'a dit le rapport de M. Scia- loja sur les résultats bienfaisants de la réforme douanière in- troduite dans les États-Sardes , la contrebande y est encore assez lucrative pour que ces hommes, bravant mille dan- gers, s'y livrent, au lieu de s'occuper d'un travail honnête qui assurerait à eux et à leur famille une existence aisée), — ce spectacle, ainsi que le souvenir de ce que j'ai vu sur la frontière qui sépare le royaume de Pologne de la Gallicie et du grand-duché dePosen, — enfin, les plaintes que j'ai en- tendues à Strasbourg sur la démoralisation de cette ville fron- tière, m'ont engagé à proposer une enquête, afin de démon- trer l'influence que la contrebande exerce sur toute la popu- lation des deux contrées voisines des frontières, sur les pauvres comme sur les riches, même sur les employés des douanes. Cette proposition fut appuyée et accueillie à l'unanimité ; on me demanda de la développer à la séance du Congrès; mais la brièveté du temps ne le permit pas, elle fut renvoyée, avec beaucoup d'autres, au Comité international. Quant à ma seconde proposition, je vous ai dit plus haut, Messieurs, que ce que j'ai entendu\. Michel Chevalier, de M. Salomons, lord-maire de Londres, et enfin la lettre de M. Richard Cobden, qui fut lue en entier: celle-ci porte : Qu'affligé de ne pouvoir se rendre au Congrès, il expose dans un aperçu détaillé les bienfaits que la loi sur les céréales de 1840 a produits en Angleterre : « Dix ans d'expérience, dit-il, » ont opéré une (elle révolution dans l'opinion publique en » Angleterre, que" je doute qu'il se trouve un seul bomme o souhaitant de voir revivre le régime économique île 1815... • L'agriculture, durant les dix dernières années, a fait de » plus grands pas dans la voie du progrès que dans le demi- » siècle qui les a précédées, el jamais elle n'a envisagé l'ave- » nir avec autant de confiance qu'elle le l'ail aujourd'hui, où » toutes les législations protectrices étaient abolies, sa pros- » périté ne repose plus que sur les ressources que peuvent • lui procurer la science, l'habileté et les capitaux. » M. Cob- den ajouta encore : « Je suis convaincu que les pbilantbro- » pes. assemblés à Bruxelles, étendront leurs investigations » au domaine de la statistique morale , et s'enquerront • des progrès de l'éducation, des crimes, du paupérisme, etc.» Il exprima enfin * l'espoir que le continuel accroissement 340 » des établissements militaires des gouvernements, les con- » traindra à aborder la réforme de leurs tarifs, comme le » seul moyen de mettre leurs peuples en état de supporter le » constant accroissement des dépenses publiques, etc. » Remarques complémentaires sur la Russie et la Suisse. Pour compléter cette aperçu général, je vousdirai, Messieurs, qu'il y eut à ces Congrès quelques Polonais du royaume et des Russes, mais qu'aucun ne prit la parole t. .. Cependant, il est de notoriété publique que le gouvernement russe com- mence à entrer dans la voie des réformes douanières; car il s'aperçoit que le malheureux système prolecteur et prohibitif, introduit dans le royaume de Pologne ainsi que dans l'em- pire russe, est une des plaies de ces pays. Il permet à la presse périodique de s'en occuper. Je le mentionne non seule- ment pour compléter cet aperçu général sur tous les pays, mais pour citer un fait : Que c'est l'exemple de la Suisse qu'on y cite à cet égard. Un article très-curieux dans un journal, le Nord, connu pour être un organe russe (N° 52, du 21 Février 1857), sous le titre : Des lois douanières en Russie, rédigé dans le sens de la liberté du commerce, s'élève avec la chaleur d'une forte conviction, contre ceux qui, en Russie, veulent soutenir la protection, et qui énumère les effets éclairés et courageux de ceux qui y travaillent dans le sens opposé. Cet article est terminé par ces mots : « En » attendant, nous engageons les industriels russes à étudier » les documents du Congrès international libre-échangiste » de Bruxelles; ceux surtout qui se rapportent à l'Autriche » et à la Suisse ont une importance majeure pour la Russie.» Oui, Messieurs, à la suite des éclaircissements et des docu- ments qui ont été fournis à Bruxelles à ces deux Congrès, la 341 Suisse a été reconnue pour : La terre classique de la liberté commerciale, malgré quelques velléités contraires, que nous y avons signalées. Pour une partie des membres du Congrès, elle a atteint le but de leurs désirs ; c'est-à-dire que ses péa- ges ne sont que fiscaux. - Mon honorable collègue , frappé par tout ce qui a été dit , d'un côté, sur la nécessité de di- minuer les impôts, — résultat naturel de la réforme doua- nière ; de l'autre, du besoin d'argent qu'ont les gouverne- ments pour les immenses dépenses occasionnées par l'entre- tien des armées permanentes, — tandis que la Suisse, n'en ayant point, prospère sous tous les rapports, sans être cepen- dant moins forte militairement, comme les dernières circon- stances l'ont prouvé; appréciant d'après tout ce que nous avons entendu dans ces deux Congrès, que non seulement elle n'a rien à envier à personne, mais qu'elle peut servir d'exemple à beaucoup ; s'appuyant sur le principe : Qui cent la fin veut les moi/eus. il me communique le vœu d'émettre au Congrès ses idées là-dessus; me trouvant du même avis, je l'engageai à prononcer le discours suivant. Celui-ci, quoique interrompu, soit par les uns qui y voyaient une question po- litique, soit par les autres qui trouvaient ces vérités trop du- res, a fait impression. Ceux qui veulent sincèrement des ré- formes à bases solides et non des palliatifs , y trouveront des conseils salutaires, prenant la Suisse, par exemple, à la- quelle on n'a pu que rendre justice dans ces deux grandes réunions internationales ! 342 DISCOURS DE M. DE GRENUS, Prononcé à la séance du 23 Septembre. Messieurs, J'ai suivi avec la plus grande attention les brillants et sa- vants orateurs qui, parmi tous les peuples de l'Europe, ont pris tour à tour la parole. J'ai entendu le plus vaste exposé qu'il fût possible de dis- cuter, puisque chaque État de l'Europe a, pour ainsi dire, ré- vélé sa situation douanière avec une franchise toute chevale- resque. Les questions les plus importantes d'économie poli- tique ont été passées en revue, les délégués de chaque nation nousontfait connaître l'obstacle quis'opposait à la liberté du commerce. La protection s'est trouvée sans défenseur, et le fisc sans admirateurs. C'est que cette lutte des intérêts des peuples dans l'arène de la liberté commerciale est une noble et belle page dans l'histoire de la Belgique. Cela dit, permettez-moi, Messieurs, de vous exposer franchement ma manière de voir. Bien des moyens ont été présentés pour arriver à la liberté des transactions commerciales et interna- tionales, des plaintes se sont élevées contre l'abus des tarifs, tarifs qui, malheureusement, sont en partie les ressources essentielles des gouvernements. Je ne sais si je me trompe, Messieurs, mais je crois que le Congrès arriverait, sans coup férir, à ses vœux les plus chers, s'il présentait aux gouverne- ments européens des impôts faciles et capables de remplacer équitablement les revenus des douanes. Vous le savez, Mes- sieurs, les gouvernements sont comme les particuliers, ils ont leurs revenus et leurs dépenses. Otez le revenu, et vous ren- dez tout gouvernement impossible. Sans doute que le dégrè- vement des tarifs et l'abolition des droits protecteurs seront 343 lents et sagement calculés. Mais, Messieurs, le but est tou- jours le même, c'est d'arriver, tôt ou lard, à la liberté absolue du commerce. Mais, pour y arriver et alors que vous n'aurez plus de revenus de douanes, vous aurez un équilibre rompu et un budget impossible. Il est donc important de tendre aux résultats que nous voulons tous, en imitant les pays où, pres- quesans tarifs, des douanesde l'État exislentet prospèrent. (In- terruption de la Présidence. Je persiste dans mon droit.) L'on vous a déjà cité ce pays, Messieurs, c'est la Suisse! Deux orateurs, l'un au nom de la Confédération et mon ho- norable collègue, au nom d'un canton français, vous ont dit que ces tarifs fiscaux répondaient à des péages cantonaux, et que, malgré l'exiguïté de ces revenus, la Confédération voyait toutes les années son budget se solder par un boni. C'est là un fait incontestable : la Suisse marche et prospère. Des cantons se plaignent, ceux des frontières surtout, parce qu'ils ont à supporter une part des charges des cantons de l'intérieur, mais ces derniers sont satisfaits de l'esprit qui a dirigé les législateurs suisses. Je viens, Messieurs, aborder franchement le nœud gordien de la difficulté et vous donner, comme vous l'avez demandé, les moyens pratiques, les meilleurs pour détruire ou diminuer les obstacles. Je n'irai point vous mettre au jour de brillantes utopies, je vous dirai simplement : Engagez les gouverne- ments à imiter l'exemple que vous donne la Suisse. Vous de- manderez, ou plutôt les gouvernements vous demanderont d'équilibrer leurs budgets ; que, si vous leur enlevez les re- venus des tarifs et des douanes, vous les remplaciez par d'autres impôts ! Et ces gouvernements auront parfaitement raison ; parce que c'est à eux seuls qu'incombe la responsabi- lité, et que, pour arriver à des résultats prompts, comme ceux que désire cette assemblée, il faut savoir prendre des réso- lutions énergiques. (Nouvelle interruption de la Présidence.) 344 La Suisse a une population de 2 millions 500 mille âmes environ et une armée d'élite de 140,000 hommes, sans comp- ter sa landvehr, armée, toujours prête au premier coup de tambour, et qui coûte 2 à 3 millions par année, suivant le nombre des campements et des revues. Ces 140 mille hom- mes coulent donc chaque année 15 à 20 francs par homme, soldats et officiers compris. En France et en Angleterre, savez- vous ce qu'un soldat coûte? 1000 francs à 1500 francs par an. C'est donc une somme de 140 millions qu'il faudrait en Suisse pour une armée permanente comme celle qu'elle possède, et qui, je vous le répète, Messieurs, peut être orga- nisée sur le pied de guerre dans l'espace de 24 heures, avec son matériel au grand complet. A ceux qui, comme moi, ont vu l'organisation de l'armée de 100,000 hommes, levée con- tre le Sonderbund, ces faits parlent assez haut t Et remar- quez-le, Messieurs, cette guerre n'était pas partout nationale. La Prusse a déjà en partie un système analogue, et, com- me homme impartial, je ne puis l'oublier. La Suisse épargne 135 millions avec son système militaire, et elle conserve une richesse presque double ; celle de l'élite de la nation produisant la fortune publique par l'agriculture, l'industrie, les arts et le commerce. Ce ne sont pas là des utopies, Messieurs ! Modifiez le système des armées perma- nentes, en le remplaçant petit à petit et sans secousse par le système des milices aguerries et bien exercées; que la France arrive progressivement à cette organisation assez connue du chef du gouvernement français, qui, dans le temps, s'y trou- vait incorporé ; que les États, sans désarmer, fassent, comme en Suisse, de tous les hommes valides des soldats et des dé- fenseurs de la patrie ! Quand un gouvernement est populaire, qu'il marche avec l'opinion nationale, tout est facile. Alors vous arriverez, Messieurs, sans commotion, sans secousse et petit à petit, à n'avoir plus ni tarifs, ni douanes, parce que les 345 armées permanentes absorbent la plus grande partie des impôts indirects !... Lorsque les diplomates ont le pouvoir et la noble mission d'arrêter la guerre , alors qu'elle sévit avec fureur, ne pour- raient-ils pas, parleur travail et les traités, ramener la liberté du commerce international et tontes ses conséquences heu- reuses? Cette résolution serait l'œuvre de cette liberté com- merciale que nous voulons tous, et que les gouvernements ne demanderaient pas mieux que d'accepter, si vous leur montriez un moyen pratique d'y arriver. Un jour, l'exemple de la Suisse ne sera pas perdu pour l'humanité ! Que les hommes d'État s'en occupent, et ce que vous re- gardez aujourd'hui comme une impossibilité, dans vingt ans sera une réalité. Comme l'a si bien dit un illustre et ancien ministre dans le Congrès de la semaine dernière : « Les chefs des gouvernements ne sont plus seulement les rois des armées belligérantes, mais ce sont aussi les rois du travail: » Arrivons à ce magnifique résultat. Alors les gouvernements parviendront, aux applaudisse- ments des peuples, à rétablir la liberté et la richesse des na- tions dans les conditions qui leur sont assignées par la Pro- vidence. Dans ce moment, faisons plus encore, Messieurs, et puisque nous avons une mission d'avenir, remplissons-la jusqu'au bout. Pétitionnons, Messieurs, pétitionnons! que chaque pro- vince, que chaque département, que chaque canton ouvre le grand livre de l'opinion : le pétitionnement ! Qu'en France, aidées par le chef de l'Etat, les pétitions inondent le sol français, et alors il sera fait justice des mo- Dopoles et îles protections. Le gouvernement, soutenu par l'opinion, vaincra les résistances. Voilà ce qui peut et doit se faire dans chaque pays! -2ô 346 L'on pourra me dire que ce sont là de belles espérances. Eh ! mon Dieu, Messieurs, vous me demandez les moyens les meilleurs pour anéantir le tarif des douanes et des prohibi- tions, je vous cite l'exemple d'une nation qui occupe le cen- tre de l'Europe, vous pouvez le combattre, mais jamais vous n'empêcherez un fait d'être un fait ! et je vous répéterais ce vieux dicton : QUI VEUT LA FIN, VEUT LES MOYENS ! ! î...1 CONCLUSION. Remarques générales ; Résultats du Congrès ; Proposition des Délégués. La brièveté du temps consacré à nos séances, ne nous per- mettant pas de nous étendre davantage sur ce qui s'est fait à Bruxelles, et de vous fournir, Messieurs, dans ces rapports, des détails plus exacts, — nous vous remercions cordiale- ment de l'occasion que vous nous avez procurée d'assister à cette réunion de tant d'hommes éminents de toutes les con- trées de l'Europe et de l'Amérique, représentant, pour la plu- part, des groupes d'autres hommes de science et de bien, dans leurs pays respectifs. — Oui, gens de bien, car n'en déplaise à quelques esprits malveillants guidés ou par les intérêts pri- vés, ou par celui des coteries et des partis, — l'aspect gé- néral de ces deux réunions a eu le cachet d'une assemblée I. Ces observations ont été interrompues , à plusieurs reprises, par le Président, sans que j'aie jamais pu en comprendre le but et le mo- tif. Et pourtant, depuis que ces mots furent prononcés, bien des évé- nements se sont passés en Suisse, et la plupart d'entre eux ont donné raison à ce que je disais, il y a près de cinq mois. 347 de gens de bien, accourus de diverses contrée"* éloignées, pour délibérer sur les moyens d'aider l'humanité en di- minuant ses maux, tant physiques que moraux, et en aug- mentant son bien-être sous les mêmes rapports, et cela aussi bien au Congrès de Bienfaisance qu'à celui du Libre- échange, et enfin à l'Exposition de l'économie domestique. — Les buts auxquels ces réunions ont tendu, se sont fait jour depuis dans les discours du roi des Belges, dans celui de l'Empereur des Français à l'ouverture des Chambres; il y a eu une Commission nommée pour des réformes doua- nières en Suède et en Norwége; un écho se fait entendre en Russie ; — les délibérations de Bruxelles y ont con- tribué sans doute pour beaucoup. Convaincu, Messieurs, que vous ne demandez pas mieux que d'y faire participer non seulement ce canton mais 'la Suisse, autant que votre pouvoir le permet, et que vous êtes de l'avis qu'il serait utile d'ap- profondir les questions qui y ont été traitées, à l'aide des comptes-rendus de ces deux Congrès, — que l'on imprime — nous vous proposons de nommer une Commission mixte, prise dans la Section des Sciences morales et politiques et dans celle d'Industrie et d'Agriculture de notre Institut, à l'effet : 1° De reconnaître quel profit il y aurait à tirer de ces Con- grès et de cette Exposition pour le canton de Genève et pour la Suisse romane? 2° D'élaborer un projet sur ce qu'il y aurait à faire, en indi- quant les moyens d'exécution, soit par les Sections elles- mêmes, soit par des Commissions spéciales, — etcelapourré- pondre à l'appel qui nous a été fait aux réunions de Bruxel- les, et aux décisions qui y ont été prises : De renouveler Ions les ans ces Assemblées, ainsi que d'organiser des correspon- dances internationales ; décisions qui, à notre avis, méritent sérieuse considération 348 Il va sans dire, Messieurs, que nous, délégués, serons au service de cette Commission, et que nous lui fournirions tous les éclaircissements qui peuvent manquer encore à notre rapport. Ainsi que nous avons déposé aux bureaux des Congrès à Bruxelles, les documents et les imprimés sur la Suisse et sur le canton de Genève, dont nous étions munis, de môme nous avons rapporté une assez grande quantité de brochures et de journaux qui seraient à la disposition de cette Commission. On pourra facilement s'en procurer d'autres, et en plus grand nombre encore, au Secrétariat des Congrès. Enfin, Messieurs, nous proposons aux deux Sections ici réunies, de nommer correspondants de l'Institut les membres des bureaux des deux Congrès. Ces hommes d'élite sont la plupart les plus actifs au sein des Associations de leurs pays, leurs travaux et leur buts ont les mêmes bases que ceux de l'Institut national genevois; il nous semble qu'on devrait en profiter pour mettre en rapport, par ce moyen, notre insti- tution naissante avec ces diverses Sociétés de l'Europe. e-^G^ÇiJtÇy^^y-y . TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE TOME V DL" BULLETIN DE L'INSTITUT GENEVOIS. Pages. Extraits du règlement et bureaux des Sections de l'Institut . . 3 Compte-rendu de la séance générale du lundi 22 Décembre 185»; discours du Président 5 Rapport du Secrétaire général 8 Rapport de M. Diclay, Président de la Section des Beaux-Arts . 12 Rapport de M. le professeur Amiel, Secrétaire de la Section de Littérature, sur les concours ouverts par cette Section. ... 18 Rapport de M. Marc Viridet, Président de la Section d'Industrie et d'Agriculture, sur les travaux de cette Section 50 La Fille du Pécheur, poésie par M. H. Blanvalel 38 L'éternel Voyageur, poésie par M. Jules Vuy 40 Compte-rendu des travaux de la Section des Sciences naturelles et mathématiques 41 Compte-rendu des travaux de la Section des Sciences morales et politiques J00 Eloge de M. le Dr Verdeil par M. le professeur Gaullieur, Secré- taire général 103 Eloge de M. Nicolas Châtelain, par le môme H3 Eloge de M. le colonel Rilliet de Constant, par le même . . . 122 Compte-rendu des travaux de la Section de Littérature. . . . 128 Quand vient la nuit, poésie par M. H. Blanvalel 140 A Frederika Rremer, poésie par M. Jules Vuy 143 Rêveries, par M. .1. Braillard 1 i5 Le Feu grégeois, par M. H.-F. Amiel 146 Chronique bibliographique, par le même 148 Notices sur Chaponnière, par M. Jules Vuy 160 Considérations sur les Institutions politiques du moyen-àge, par M. le professeur Edouard Secretan 168 Rapports sur les Congrès internationaux de bienfaisance et de réformes douanières, par MM. Nakwaski et de Grenus ... 247 350 Pages. Cougrès'de Bienfaisance. — Rapport de M. Nakwaski. . . . 259 Rapport de M. de Grenus 286 Exposition d'économie domestique. — Rapport de M. de Grenus. 296 Congrès international des réformes douanières. — Rapport de M. Nakwaski 303 Discours de M. Nakwaski, prononcé à la séance du Congrès le 24 Septembre 317 Discours de M. de Grenus, prononcé à la séance du 2b Septembre. 542 Conclusion 546 — , _ — _. : _ __ ; */ BULLETIN DE — — srfTSSSSKSSvts»— --- SÉANCES ET TRAVAUX DES CINQ SECTIONS : !■■ Des Sciences physiques et naturelles; *° Des Scien- ces morales et politiques, «l'archéologie et d'histoire; S° De Littérature ; 4" Des Beaux- Art «*t 5° D'Industrie et d'Agriculture. Tome VI. -* •-» -..- »-■ 9i CHEZ KKSSMVNN, ÉDITEUR, LIBRAIRE DE l/lNSTITUT GENEVOIS, l l (111/ Ils l'I'.IM M'AI \ LIBRAIRES DE IV SUI88E. 4857 — — _ . * BULLETIN DE nssïim itioël h Tome VI. - ~-S«ï3F°ç£JI&é&W*!L'- GEXEVE. CHEZ KESSMANN, ÉDITEUR, LIBRAIRE DE l/lNSTITUT GENEVOIS, ET CHEZ LES PRINCIPAUX LIBRAIRES DE LA SUISSE. 4857 ^IX^D'OR, 24. EXTRAIT DD RÈGLEMENT GÉNÉRAL DE L'INSTITUT NATIONAL GENEVOIS. « Art. 33. L'Institut publie un Bulletin et des Mémoires. » Art. 34. Le Bulletin parait à des époques indéterminées, qui n'ex- cèdent cependant pas trois mois ; les Mémoires formeront chaque année un volume. » Art. 33. Ces publications sont signées par le Secrétaire général. Art. 36. Le Bulletin renferme le sommaire des travaux intérieurs des cinq Sections. La publication en est confiée au Secrétaire général, qui le rédige avec la coopération des Secrétaires de chaque section. » Art. 57. Les Mémoires in-extenso, destinés au Recueil annuel, sont fournis par les Sections. » Art. 38. Les Mémoires des trois catégories de membres de l'In- stitut (effectifs, honoraires, correspondants) sont admis dans le Recueil. Ai;t. 39. A ce Recueil pourront être joints les gravures, litho- graphies, morceaux de musique, etc., dont la publication aura été ap- prouvée par la Section des Beaux-Arts. Art. 40. Le Recueil des Mémoires sera classé en séries corres- pondantes aux cinq Sections de l'Institut, de manière à pouvoir être détachées, et au besoin acquises séparément. ■ Ain. il. La publication du Recueil des Mémoires est confiée au Comité de gestion. » Le Secrétaire général de l'Institut .Xational Genevois, Il.-E. GAILL1EUR, professeur. BUREAUX DE L'INSTITUT NATIONAL GENEVO-IS. Président de l'Institut, M. Charles Vogt, professeur à l'Académie de Genève. Vice-Président, M. Marc Viridet, Chancelier. Secrétaire général, M. E.-H. Gaullieur, professeur d'histoire à l'Aca- démie de Genève. Section des Sciences naturelles et mathématiques : Président, M. le professeur Ch. Vogt. — Vice-Président, M. Elie Ritteh, docteur ès- sciences. — Secrétaire, M. Moulinié fils. Section des Sciences morales et politiques, d'Archéologie et d'His- toire : Président, M. James Fazy. — Vice-Président, M. Massé, pré- sident du Tribunal criminel. — Secrétaire, M. Gaullieur, professeur. — Vice-Secrétaire, M. Grivel, archiviste. Section de Littérature : Président, M. Jules Vuv, avocat. — Vice- Président, M. Cherbuliez-Bourrit, professeur — Secrétaire, M.Henri Blanvalet. — Secrétaire-Adjoint, M. John Braillard. Section des Beaux-Arts : Présideut, M. Franc. Diday. — Secrétaire, M. Franc. Grast. Section d'Industrie et d'Agriculture : Président, M. Marc Viridet. — Secrétaire, M. Olivet fils, docteur en médecine. — Secrétaire ad- joint, M. Bouffier aine. — Trésorier, M. Hugues Darier. Commission de gestion et de publication : MM. le président et le secrétaire général de l'Institut; A.Cherbuliez, professeur, — Longchamp, professeur, — James Fazy, — M. Viridet, — F. Diday. N° 13. — 1857. SEPTEMBRE. BULLETIN DE L'INSTITUT NATIONAL GENEVOIS. AVANT-PROPOS. En publiant les documents renfermés dans ce volume, et notamment la correspondance du comte de la Fléchère de Veyrier, qui en forme la prin- cipale partie , notre but a été d'abord de faire connaître ce qui a trait à la fondation et à l'accrois- sement de Carouge, sujet neuf ou du moins très- peu connu. Nous avons voulu ensuite donner une idée de ce qu'étaient, au siècle dernier, les mœurs et le genre de vie de la noblesse et du peuple , l'économie politique, rurale et domestique dans les parties du territoire de la Savoie limitrophe de Genève et dans cette république même. Enfin nous avons cru qu'on lirait avec intérêt le narré des événements de la révolution de Genève en 1781 et 1782, fait à un autre point de vue que celui de nos historiens suisses ou genevois, et en quelque sorte jour jour. Le Comité de publication de V Institut Genevois, appréciant ces motifs, a jugé convenable d'autoriser l'impression de ce volume dans le Bulletin de l'Ins- titut. TABLE DES MATIERES CONTENUES DANS LE TOME VI DU BULLETIN DE L'INSTITUT GENEVOIS. Avant-propos. Pages. § I. Carouge à l'époque romaine 2 § II. Carouge au moyen-âge 8 § III. Carouge après la Réformation jusqu'en 1780 H § IV. Carouge pendant les troubles civils de Genève (1781).. . 64 S V. Genève et Carouge à la fin de 1781 128 § VI. Carouge en 1782 160 { VIL Genève et Carouge après la médiation de 1782 267 § VIII. Carouge depuis l'année 1792 jusqu'à ce jour 280 PIECES AXXFXI.S. I" Pièces concernant Carouge, qui se trouvent à l'Hôtel-de- Ville de cette commune 293 2° Index des brochures relatives à la révolution de Genève, des années 1781-1782-1789 295 L'ORIGINE. L'ACCROISSEMENT DE LA VILLE DE CARODGE SES RAPPORTS AVEC GENÈVE. (Lue à lu Section des Science» morales et politiques, d'archéologie et d'histoire de l'Institut Genemis, dans ses séances ordinaires des i'r mai et 8 juin 1857, par E.-H. Galxlieur, professeur d'histoire à i'Académic d<- Genève et secrétaire delà Section). *-^> Jamais on De s'esl occupé autant qu'aujourd'hui de l'ori- gine des anciennes villes. A l'aide de quelques restes d'anti- ]uités, de fragments de murailles, de tours, d'inscriptions el d'autres monuments plus ou moins authentiques; en s'éclai- )nt aussi des chartes et des titres arrachés aux injures du temps, on les reconstruit lahorieusement el on recompose leur histoire. Rien de plus louable que de telles études, à l'aide desquelles il n'y aura bientôt plus si mince localité qui n'ait ses annales particulières et sa monographie. Mais, tout en vouant ainsi sa sollicitude aux cités qui datent de mille ans et plus, il ne faut pas négliger celles qui datent d'hier et dont le tort est de n'avoir pas encore des ruines à étaler. Si nos devanciers avaient été plus soucieux de leur his- )ire contemporaine, ou si cette histoire ne s'était pas perdue )ar les vicissitudes des siècles, nous ne serions pas exposés à lire aujourd'hui tant de conjectures, tant de suppositions. 1 2 trop souvent erronées, sur leurs faits et gestes. Profitons donc des documents qui s'offrent à nous, quand bien même ils ne remontent pas bien haut dans nos annales, et lors même .qu'ils concernent une localité de fondation récente. En agis- sant ainsi, nous procéderons sagement, dans notre intérêt et dans celui de nos neveux, auxquels nous laisserons, sinon une histoire complète (qui ne peut jamais se bien faire qu'à distance et après un certain laps de temps écoulé), du moins les éléments et les matériaux de cette histoire. C'est en nous pénétrant de ces idées que nous avons entre- pris d'extraire, de correspondances et de pièces authentiques, des faits qui nous ont paru intéresser la ville de Carouge, aujourd'hui partie intégrante du canton de Genève. Nous les exposerons dans toute leur simplicité native, par ordre de date, après avoir préalablement donné quelques rensei- gnements sur l'histoire ancienne de cette localité, avant son développement moderne, et sur l'origine des documents dont nous avons fait le dépouillement. g I. Carouge à l'époque romaine. Bien que la ville de Carouge soit moderne, et qu'elle ne figure que sur un petit nombre de vieilles cartes de Savoie et de Genève', la localité de ce nom est fort ancienne. Ce nom 1. Carouge ne figure pas dans les cartes du grand allas de Mercalor. Dans le Théâtre des États du duc de Savoie (La Haie, 1700, grand in-folio, tome II, contenant la Savoie), on trouve Carouge indiqué dans la carte du Chaulais (Ducalus Chablasius et lacus Lcmanus cum regionibus adjacenlibus). Cette localité est placée entre l'Ane et l'Aïre, à égale distance de ces deux rivières, sur la route de Genève à Saint-Julien. Le signe indicatif lui donne la même importance qu'aux Plans aux Uates, qui vient après sur la même route. Carouge n'est pas indiqué dans la Description du lac de Genève, 3 viendrait, d'après Senebier, du mol celtique Carog, qui signi- fierait un torrent, une rivière, on cours d'eau, parce (pie jadis l'emplacement de Caronge avait été occupé par le lit de PArve. An mois de mars de l'année 1805, sur l'ancienne route qui con- duisait, avant 1564, de Pinchat à la rive gauche de PArve et à l'extrémité du chemin des Philosophes, là où était l'ancien pont d'Arve. on découvrit, en creusant un puits, près de PArve, dans le terrain du nommé Turin, à peu de distance du bureau de l'ancienne douane, deux monuments romains qui avaient échappé aux fouilles précédemment faites dans cet endroit, sous la colline de Pinchat. Ces monuments con- sistaient en des blocs de marbre qui paraissaient avoir été carte dressée en 1692 par Tassin, ni dans la plupart des cartes faites dan* le dix-septième siècle. Cependant, dans la carte du lac de Genève et des pays eirconvoisins, dressée sur les cartes manuscrites de Fatio et de Roverea, par A. Choppy, on trouve Caroge iudiqué comuie terre du chapitre de St-Victor, mais beaucoup plus près de l'Arve que dans la carte du Théâtre des Étals du dur de Savoie. Carrouge ligure à peu près de môme dans la carte du Lue de Lau- sanne ou Léman, dressée en 4 7GH par Rizzi Zannoni. Dans la carte de ta Suisse romande de Mallet, dressée en 1781, Ca- rouge ligure pour la première fois avec le nouveau tracé de ses rues et ses quartiers projetés ou en construction, formant un fer-à-cheval al- longé auquel la rivière d'Arve sert de base. Sur la carte du Département du Mont-Blanc, dressée par ordre de la République française, en 1792, Carouge est indiqué comme chef-lieu de district, avec une légende tracée en caractères aussi gros que ceux qui servent à indiquer l'emplacement de Genève, et à l'embranchement des routes de Frangy et d'Annecy . Dès-lors Carouge figure sur toutes les cartes de la Savoie, du canton de Genève et de la Suisse, sous une rubrique plus ou moins ostensible et honorable selon les époques où ces cartes ont été dressées. Dans la carte du cadastre savoyard, dressé vers 1730, Carouge n'a que quelques maisons, dont deux ou trois appartenaient à Genève, du côté des bains, dans la rue du Cheval-Blanc. réunis par des liens ou crampons de fer, lesquels auraient été enlevés ou que la rouille aurait consumés. Le chanoine Grillet, dans son Dictionnaire historique, littéraire et statisti- que des départements du Mont-Blanc et du Léman1, suppose que les Goths auront détruit ce monument, dans l'espérance d'y trouver quelque trésor. « La différence des formes que l'on remarque dans ces blocs, dit-il, semble indiquer que ce monument reposait sur un socle, dont l'arête supérieure était taillée en chanfrein. Au-dessus s'élevait un tombeau de forme carrée, terminé par une corniche bien profilée, cintrée sur le milieu et recourbée vers les extrémités. Au-dessus de cette corniche, sur une plinthe, devait naturellement être placée une inscription, que l'on a conservée et qui a été pla- cée, extérieurement, à l'angle N.-E. de l'église catholique de Carouge2. Elle est gravée sur deux pierres formant un parallélogramme de 5 pieds 9 pouces de longueur sur 5 de hauteur (1 mètre 868 millimètres sur l mètre 624 milli- mètres). » Cette partie du monument est ornée de moulures et d'une bande servant d'encadrement. Elle est terminée par un fronton triangulaire, dans le tympan duquel on voit une lance rompue passée au travers d'une couronne castrense, soit militaire, selon Grillet. Mais Mommsen3 prend ce dernier objet pour un bouclier. 1 . Tome 2, pages 3 et i. 2. Sous l'administration de M. Louis Montfalcon, maire de cette commune. Quand on agrandit l'église de Carouge, au commencement de ce siècle, les maçons étaient sur le point de placer les pierres por- tant les deux inscriptions dans le mur, en tournant les inscriptions en dedans. Un ami des antiquités avertit M. Montfalcon, qui les fit mettre la face gravée en dehors. 3. Inscripliones Confederationis Helveticœ lalinœ, N° 78, page 13. Dans la carte qui accompagne ce volume, édité par la Société des An- 5 L'inscription porte ce qui suit : M. C.UIANTIYS. MACIil.NVS. CENTURIO CHO. PR1MAK (JRBANAE PACTVS. MILES, in. ,.,U(. COHORTE. DOMlTlANoT? COS ' BEHBF1CUR. ïettikM. SERENI. LEG. kVG. VESPAS X COS * CORMCVLAR. GORNELI. GALLlCANl. IjEi:. av,.. EQVES ÏRIR STPPKNnls. DOM,T. V,„. COS. m», OICI. RVKI LEGAT.. VV„ EVOCATVS.AVG. DOMÏT. m,.. COS. CENTURIO. MP. RERVÀlT cos. t. p. r.a Th Mommsen a restitué ainsi le sens de celte inscription, que Gnllet avail un peu altéré : M Carantius Macrinus, centurio cohortis primai mbanae factoa miles tu eadem cohorte Domitiano II consule; benefi- cianus Tettieni Sereni leg(ati) Augusti Vespasiano (II) \ Con- suma; cornicularius Corneli Galticaui leg(ati) Aug(usti) eques- fr*(us) stipendis Dômit(iano XIIII co(n>(ule), item Mime uut. legati Aug(usti)'; evocatus Aug(usti) Domitiano) XIIII Lo(n)s(ule); centurio imp(eratore Nerva II eo(n)s(irle) ï(es- tamento) p(oni) i(assit).* Amsi, ce monument était le sépulcre ,1e .M. C Macrinus qui, de simple soldat, était devenu centurion de la première cohone urbaine3 et qui, aprèsavoir passé par tous les grades de la iml.ee romaine, sous le règne de quatre empereurs reçut, a des époques déterminées, des récompenses mili- ajuairei deZoriea en .854 Tabula quà Inékanturloct Confedefatio- HUHehmtiea, in quibu, ttlutt loti* nperti *unt), Oronge est indicé comme une localité romaine. 1. L'an 73 de l'ère chrétienne. 2. L'a» 77 ,i, irl, chrétienne. I msen pense que e'est par une erreur de relui qui a gravé finseription qu'il y a X~; il faudrait IIX. 3. L au 85 de l'ère chrétienne, i. Années 88 et 90 après J.-C. 6 taires, décernées en vertu des lois rappelées dans l'inscrip- tion, qui fut placée, par son ordre, en vertu d'une disposition de son testament1. M. Carantius Macrinus était peut-être, selon 1. M. Eusèbe Salvertc s'est occupé de cette inscription dans sa No- tice sur quelques monuments antiques dans les environs de Genève, 1819, in-8°. — Voyez aussi Orclli, au point de vue philologique, et les Commentaires de Levade, de Ferrucci et de Borghesi, enfin les Ad- ditions aux Chroniques de Bonivard, publiées par Dunand. M. Eusèbe Salverte a fait observer aussi que l'inscription contenait deux erreurs de date, ce qui doit peu surprendre si l'on songe aux fautes de ce genre que commettaient fréquemment à Rome même, et à plus forte raison dans les provinces, les ouvriers chargés de la gravure des inscriptions. A la ligne 4e, au lieu du dixième Consulat de Vespasien, il faut lire le neuvième, pendant la durée duquel Vespasien mourut, l'an de Home 832, et 79 de J.-C. A la dernière ligne, au lieu du second Consulat de Nerva, qui répond à l'an 8t2 de Rome, 90 de J.-C, il faudrait mettre le troisième, qui suivit de quatre mois l'instant où Nerva fut revêtu du titre d'empereur et de la puissance tribunilienne, mentionnées l'une et l'autre dans l'inscrip- tion. La première année de la puissance tribunitienne de Nerva com- mença au mois de septembre de l'an de Rome 849, et son troisième Consulat au l*-' janvier 850 (97 de J.-C.) Moyennant ces corrections, M. E. Salverte explique ainsi cette in- scription, qui contient quinze années de la vie militaire de M. Carantius : « Marcus Carantius Macrinus, centurion dans la première cohorte urbaine. » Entré comme soldat dans cette même cohorte, sous le deuxième Consulat de Domiticn (826 de Rome, 73 de J.-C). o nénéficiaire par la nomination de Tettienius Serenus, lieutenant impérial sous le neuvième Consulat de Vespasien (832 de Rome, 79 de J.-C). » Cornicularius de Cornélius Gallicanus, lieutenant impérial, avec la solde de cavalerie, sous le neuvième Consulat de Domitien, première année de sa puissance tribunitienne (836 de Rome, 83 de J*.-C). » Evocalus d'Auguste, de Minucius Rufus, lieutenant impérial sous le quatorzième Consulat de Domitien (841 de Rome, 88 de J.-C). 7 la supposition des antiquaires, un officier des gardes de Do- mitien, qui avait été éloigné de Rome par les successeurs de cet empereur, comme ayant pris part à la révolte des préto- riens. Le second monument romain retrouvé avec le tombeau de Macrinus, esl an cippe sépulcral, érigé aux dieux mânes de Hodestinus par ses affranchis. Ce cippe, très-bien con- servé, formé d'un seul bloc de marbre blanc, ayant 5 pieds d'élévation sur 1 pied 10 pouces et demi de hauteur (1 mètre 624 millimètres sur 609 .millimètres), est placé à l'intérieur de l'église catholique de Carouge. Centurion sous le troisième consulat de l'empereur Nerva, première année de sa puissance tributienne (850 de Rome, 97 de J.-C.). » Quelques observations ne seront pas inutiles pour faire comprendre le sens de certaines expressions de l'inscription. Il y avait quatre cohorte* urbaines créées par Auguste pour veiller à la tranquillité de Rome. Ce nombre fat augmenté ensuite jusqu'à douze. Les bénéficiaires étaient ainsi appelés, dit Végèce, parce qu'ils étaient avancés par le bienfait de leur tribun. Le cornicularius était un officier attaché au tribun, destiné à le soulager des détails du service, et dont les fonctions correspondaient à peu près ii celles d'aide-major. Sun titre était dérivé, selon les uns, d'un petit cor dont il se servait pour transmettre les ordres aux sol- dats, et, selon d'autres, du cimier de son casque, qui avait la forme d'une corne. Le titre tvocalus Augusti avait été donne par Galba a de jeunes chevaliers romains qu'il choisit pour l'aire la garde autour de sa cham- bre, ('.cite institution survécut à cet empereur. Dans l'emplacement de Carouge était peut-être une station militaire romaine, telle qu'on en trouve plusieurs dans des lieux avec lesquels cet endroit offre une certaine conformité de situation topographique, et où l'on a trouve aussi des sépultures de guerriers et des pierres tu- mulaires. On y lit : d. M. D IVLIO D IVLI FESTI FIL VOLT MOD ESTINo PATRoNo PIENTISSIMo LIBERTl EIVS CVRAVERVNT*. § II. Carouge au moyen-Âge. Au moyen-âge, c'est encore sur la même voie publique de Pinchat à l'ancien pont de l'Arve que nous trouvons les traces de l'existence de Carouge. Ce pont était situé à l'en- droit où fut établie depuis l'auberge du Cheval-Blanc. Tout près de là, à l'angle du chemin de Genève à Saint-Julien et de Carouge à Pinchat, existait une maladrerie ou maladière, que l'on trouve indiquée dans les anciennes cartes, entre au- tres dans celle de Mercator. On en retrouva les fondements, en 1790, dans le lieu appelé la rue Maladière. Cet hôpital de lépreux ou léproserie, fondé, selon Grillet, par les évêques de Genève, dépendait de la paroisse de Saint-Léger de cette ville, et avait une chapelle dédiée à saint Nicolas. Des actes de 1247, 1262, 1270; 1272, 1281, 1295, 1315 et 1319, ainsi que beaucoup d'autres postérieurs, font mention des léproseries de Carouge et de Chêne. Dans les statuts du chapitre de Genève, pendant la vacance du siège épiscopal (1458), il est ordonné aux lépreux, qui parcourent la ville et 1. "Julius Modestinus, de la tribu Voltinia, appartenait peut-être à une famille gauloise qui avait obtenu le droit de cité romaine peu après la guerre de Jules-César contre les Helvétiens et les Gaulois ; de là viendrait le nom patronymique qu'il portait. 9 les lieux publics, de se retirer dans les maisons qui leur sont assignées, à Chêne et à Carouge (Galilîe, Matériaux pour l'histoire de Genève, t. 1, p. 200). Quelques années aupara- vant, en 1443, Tévèque de Genève. François de Mez ou de Mies, neveu du célèbre cardinal Jean de Brogni, connu lui- même sons Le nom de cardinal de Saint-Marcel, et l'un des principaux tenants du pape Félix V (Amédée VIII) au Concile de Bàle, mentionne, dans son testament, la maladrerie de Carouge [de Carrogio)\ conjointement avec celle de Chêne t. Carrogio viendrait-il peut-être du mol latin Carrociom (xapoxxiov, rAeda)? Ita appellabanl Itali vexillum totius exercitus praecipuum, quod in carra impositum, a quatnor boum jugis trabebatur, el magnâ cura iu pnuliis a tectis mililibus servabatur. Carrocii inventionem Beriberto Arcbiepiscopo Mediolanensi , qui circaannos 1l2t vivebal adscribil anctor manipuli florum. Neque Itali tantum ejus modi vexiljis uti leguntur. Nam Ottoni IV, bnp. tribuit Carocctum Willelmus Brito lib.ll. Pbilipp. ubi describitur. Saracenis pariter Caroccium adscribit Turpinus in bistorià Caroli Magni cap. l.x : i In medio itlorum (Saracenoram) erat plaustram quod eeto boves trahebant, super quod vexillum rubeum illorum elevabatur, mosque eral quod nemo de bello fugeret, quandin vexillum eorum erectum videret. (Ductntgr, Glossarium média et inftma latinilalis, verbe Carro- cicm). Corio, dans son Histoire de Milan, dit que dans les républiques d'Italie •m instituait un maître du Carrosse Magisler Caroecii, sorte d'infirmier en cbef, préposé pour recevoir et Boigner les blessés à la guerre, qui devait être vtr honorabilis et qui était doté parla cité de divers avan- tages, ente, lorieû et continuis slipendiis. « De plus, ajonte-t-fl, la com- munauté entretient un chapelain qui doit Célébrer la messe auprès du Citrrocium et donner les secours spirituels aux hlessés (el vuhurulis del pœnilmtium. » Ménage, dans sis Origines italiennes, l'ait dériver notre mol français carrosse du latin eartocium ou currogiwn {cmrrueha dans les Pan- dectes de Florence), qui signifie un char de guerre. « Les historiens d'Italie appellent carrosse le principal étendarl d'une 10 (de Quercu). Il leur lègue à chacune cinq florins de bonne monnaie courante, à condition que les pauvres qui s'y trou- veront lors -de son décès fassent des prières pour le repos de son âme. (Item cuilibet maladeriarum de Quercu videlicet et de Carrogio quinque îflorenos bonœ monetœ currentis pro semeldistribuendos ibidem pauperibus Christi in ibi pro tem- pore existentibus, pro qiiibusqnidem legatis dirti legatarii Deum pro ejits anima exorare teneatur.) ' En 1445, Félix V, qui alors était encore pape reconnu par une partie de la chrétienté, reçut les plaintes des syndics de Genève, touchant les abus qui s'étaient introduits dans ces léproseries, où les lépreux des deux sexes ne craignaient point de fréquenter les personnes saines. Le pontife, par une bulle, datée de Saint-Dominique, près Genève, le 3 des ides de décembre 1445, chargea Barthélémy, évêque de Cor- neto et de Montefiascone, de visiter ces établissements et de pourvoir à leur bonne administration. L'évêque délégué éla- bora un règlement ou bulle, que l'on conserve, en original, dans la Bibliothèque de Genève. (Voyez Catalogue des manus- crits de cette Bibliothèque, rédigé par Senebier, page 385, n° 148 des manuscrits français, bien que le règlement, in- folio, vélin, soit en latin.) Dans cette bulle du légat, il est question de la maladière de Quercu et de celle de Quarrouge (de Quarrogio), où l'on devait conduire, même par force, armée, qui était attaché à nu arbre gros comme un grand mât, avec des câbles, sur un charriot couvert d'éearlate et tirés par quatre paires de bœufs caparaçonnés et couverts de satin blanc, avec une croix rouge au milieu. Personne n'osait prendre la fuite tant qu'il subsistait debout. Il était confié à la garde d'un capitaine avec huit trompettes et huit soldats d'élite. » \. Nous n'avons pas trouvé les actes de 1248 et 1529, où l'on trouve, selon Gaudy-Le Fort, charrogium et caprogio (Promenades historiques dans le Canton de Genève). H tous ceux «le la ville et des environs qui étaient attaqués de la lèpre, en faisant payer ceux qui le pouvaient et en rece- vant gratis les autres. Ces maladreries avaient fini, croyons-nous, par devenir des espèces de dépôts ou d'infirmeries où l'on reléguait non seu- lement les lépreux, mais encore tous ceux qui étaient affligés de maladies suspectes et contagieuses. Il n'est guère pro- bable qu'au milieu du quinzième siècle, il y eut, dans deux villages voisins, éloignés de Genève d'un tiers de lieue, deux léproseries proprement dites. Bien qu'il y eut encore beau- coup de lépreux, on leur assimilait d'autres infirmes, comme aussi l'on jugeait en qualité de sorciers, à la même époque, beaucoup d'individus prévenus de délits communs, mais avec certaines circonstances particulières qui échappaient à l'ap- préciation du juge. M le docteur J.-.I. Chaponnière, dans sa Notice sur les léproseries de Génère au AT- siècle*, a donné de plus amples détails sur celle de Carouge. Il paraît qu'elle était plus riche et plus considérable que celle do Chêne. Les archives de Genève contiennenl de nombreux actes de donations qui leur furent faites, de \-V2i à 1100. Dans les actes des archives, il est quelquefois parlé des lépreux de Carouge. En 1457, commission est donnée au curé de Saint-Léger de veiller à ce qu'ils ne se mêlent avec les personnes saines ; défense de les laisser entrer en ville, et, s'ils y entrent, ordre de les mener en prison. En 1 187, il est ordonné au recteur de la maladrcric de Carouge de recevoir un jeune homme ladre, demeurant dans la rue de MM. les Syndics. ( Flournois, ex- traits des registres des Conseils.) L#s procureurs de la maladrerie de Carrouge (Curroyii) 1. MémMre» et Documents publiés par la Société il' Histoire et tY Archéologie de Genève. Tovae l, pa^e 101 à 154. 12 étaient élus par le Grand Conseil. (Grenus. Fragments sur Genlve avant la réformation, page 90.) Il résulte de ces documents que Carouge, au moyen -âge, était essentiellement un hôpital, un lieu de retraite destiné à des malheureux atteints de la lèpre ou de maladies spé- ciales, que Ton voulait séquestrer. Des amateurs d'élymologies, tirées de l'histoire du moyen- âge et des institutions municipales, voulant à tout prix en créer une pour Carouge, n'ont pas trouvé trop improhahle de le faire dériver de ce mot Carrocdum ou Carrogium [Car- rocio ou Carrogio, en italien), qui, dans la basse latinité, dé- signait parfois l'ambulance qui accompagnait les milices des villes municipales dans leurs expéditions'. Mais ces sortes d'in- firmeries, qui étaient traînées par des bœufs à la suite des troupes en campagne, dans le moyen-âge. n'avaient point un caractère permanent et un personnel qui leur fut particuliè- rement affecté. Comment une ville aurait-elle tiré de là son nom? D'ailleurs on n'aurait pas placé hors de l'enceinte des murailles de la ville de Genève une machine aussi précieuse. « Le Caroccio, dit Muratori2, était une grande macbine que toutes les villes d'Italie avaient coutume de mener dans leurs expéditions. Milan est la première ville qui s'en servit, vers l'an 1039 de notre ère. Il en est question aussi dans la se- conde apparition de Conrad-le-Salique en Italie, à la fin de l'an 1036. Cette machine était destinée à porter l'étendard principal de la cité; elle était gardée avec une extrême solli- citude, et non seulement tous les gens d'élite proposés à sa garde, mais encore tous les officiers de l'armée, devaient la défendre jusqu'au dernier sang. Le comble de l'opprobre était de laisser le caroccio entre les mains de l'ennemi, comme i. Voir la note plus haut, pages 9 et 10. t.fterum Unlirarum Scriptorcs, tonip IV. ta cela arriva aux Milanais, eu 1237, dans la bataille de Corte- nuova, qu'ils livrèrent à l'empereur Frédéric II. C'était sur cette machine, que traînaient plusieurs paires de bœufs, que siégeait l'aumôneric et le tribunal de l'armée. C'était là que se tenaient les conseils île guerre. >» En temps de paix, il était conservé avec soin dans la cité, et on devait toujours tenir au complet les attelages et le per- sonnel destinés à le traîner el à raccompagner. » Faudrait-il conclure de là que dans la localité de l'ancien Carrogio, près de Genève, on conservât, au delà de l'Arve, cet attirail de guerre? Ce serait absurde, el rien dans nos annalistes et nos historiens n'autorise à taire cette bizarre supposition. Nous serions plus disposé à croire que le mot de Carouge est une dérivation de (Juartrurium, que l'on trouve aussi écrit Quarrurium, et qui signifiait le point d'intersection de plu- sieurs voies publiques, un carrefour. On trouve en Suisse plusieurs localités de ce nom, entre autres une, fort an- cienne, au canton de Vaud, près de Moudoo, dans le district d'Oron. Il y a aussi un Carouge {Carugo) près de la commune du Pont, dans la Valteline. (Voyez Leu, Dicl., t. V.) Il est juste de dire aussi, en faveur de l'étymologie celtique (kar- rog), que, dans les disons, c'est le nom d'un torrent. Nous ne citons que pour mémoire l'opinion de ceux qui font dériver le nom de Carouge de l'enseigne d'une auberge sur lequel on peignit, vers 1770, un énorme 14 de couleur rouge, dont le premier jambage dépassait de beaucoup les autres éléments de la lettre (h). Bien des personnes se sou- viennent encore d'avoir vu ce signe, accolé à une peinture grossière représentant une guinguette. Pendant assez long- temps, il a été de mode d'écrire le mot Carouge avec l'ini- tiale K, et on trouve encore des gens qui croient fermement que cette lettre constitue les armes parlantes de la ville. 14 § fil. Carouge après la Réformation jusqu'en 198©. A la Réformation, Carouge suivit le sort des terres des chapitres de Saint-Victor et de Saint-Pierre, auxquels il ap- partenait pour partie. Cette localité dépendait toujours de la Savoie, mais Genève y exerçait encore certains droits, tant pour le temporel que pour le spirituel, sur les anciens fiefs de ce chapitre. C'était une bigarrure qui entraînait de nom- breux inconvénients, malgré le mode de vivre que l'on avait cherché à établir pour éviter, de part et d'autre, ces conflits. Quand la Savoie était occupée militairement, comme cela ar- riva plusieurs fois, par des forces armées étrangères qui venaient camper jusqu'aux portes de Genève, le danger de cet état provisoire redoublait. Dans les relations particulières des mouvements militaires qui eurent lieu autour de Genève, dans les années 1589, 1590 et 1591, il est assez souvent question de Carouge. Voici, entre autres, ce qu'on trouve dans le journal tenu par Jean du Perril, qui fut ministre à Vandœuvres, depuis l'an- née 1583 jusqu'à l'année 1598, qui fut celle de sa mort : « Pendant qu'on cherchait à négocier, à Berne, une paix avec le duc de Savoie, dans laquelle les uns voulaient faire entrer Genève pendant que les autres voulaient laisser cette ville de côté, les citoyens de cette ville continuaient à tenir en haleine les gens du duc, qui nous enveloppaient de toutes parts. » Le 31 mai 1589, Messieurs de Genève firent sapper le château de Gaillard. On fit alors le dénombrement des sol- dats qui étaient dehors dans les garnisons. On trouva 877 hommes sous 13 capitaines de la ville. Le Conseil des Deux- Cents, assemblé, arrêta qu'on ferait des contributions pour 15 fournir aux frais de la guerre, et que le plus haut serait mis et cotisé à 20 écus par mois, » Le dimanche 1er juin, les ennemis ayant battu le château de Ternier de 121 coups de canon, depuis 11 heures jus- qu'à-! heures après midUirent brèche eu deux lieux. Ce que voyant ceux de la garnison, ds se rendaient par composition à la vie sauve. Ce qui ne leur fut tenu, car le duc lit pendre tous ceux qui parlaient savoyard, soit qu'ils fussent de Ge- nève ou de Savoie, donnant la vie seulement à quelques Français qui s'y trouvèrent. Ce môme jour, les garnisons qui étaient aux châteaux de Saconnay-Vandel et de Conli- gnon se vinrent rendre au fort du pont d'Arve. Le. 2 juin, une partie de l'année de Savoie s'approcha jusqu'à Lanry et Carouge, où ils firent des feux de joie de leur vic- toire de Ternier, ceux de Genève ignorant encore ce qui y estait advenu. Le peuple, quand il l'apprit, entra en grande émotion, d'autant plus que l'on dit que deux soldats de Genève, le nommé Mauldry et Mâchard, qui s'étaient sauvés, n'avaient obtenu la vie sauve qu'en s'offrant pour pendre leurs camarades. L'un des deux, qui était caporal, fut tué d'un coup de mousquet à la fenêtre. • La première paix de Saint-Julien, conclue le 21 juillet 1603, après l'Escalade, ne remédia que partiellement à cet ordre de choses défectueux. Charles-Emmanuel dut resti- tuer, à son grand regret, aux Genevois les terres des cha- pitres de Saint-Victor et de Saint-Pierre, telles qu'ils les possédaient avant 1589. La liberté de commerce était établie, sauf pour la vente du sel. Les Genevois et les Savoyards de- venus protestants obtenaient une espèce de tolérance en Savoie. Les premiers pouvaient aller en Savoie, à charge de ne pas dogmatiser. Les seconds étaient tacitement autorisés à rentrer quatre fois par an en Savoie, pour faire leurs ré- coltes et soigner leurs affaires. Enfin, par un article secret, 16 le duc Charles-Emmanuel, sans renoncer formellement à ses droits sur Genève, ce qui aurait trop coûté à son amour- propre, les abandonnait tacitement par considération pour la France et pour les cantons suisses. Ce traité ne pouvait rétablir immédiatement les rapports entre la Savoie et Genève sur un pied amical et entièrement pacifique. Le Cavalier de Savoie, ce pamphlet violent, qui parut à Chambéry, en 1605, par les soins de l'avocat Buttet, ainsi que la réponse que publièrent, à Genève, l'année d'a- près, les syndics Jacques Sarrazin et Jacques Lect, sous le titre de Citadin de Genève, peuvent donner une idée de l'état de semi-hostilité dans lequel on vécut, de part et d'autre, pendant tout le règne de l'entreprenant Charles-Emmanuel. Carouge figura dans plusieurs des complots qui se succédè- rent à cette époque. Le gouvernement de Genève usait dans ce temps-là d'une extrême prudence, commandée par les circonstances. Le Consistoire de cette ville, qui voyait avec peine les efforts que faisaient le gouvernement et le clergé de Savoie, pour rame- ner à eux les anciens ressortissants genevois établis dans les anciennes terres de Saint-Victor et chapitre, crut devoir adresser, au commencement du dix-huitième siècle, un mé- moire au Petit Conseil sur l'état religieux et politique de ces localités, en lui indiquant des moyens pour mettre des bornes à "l'esprit de prosélytisme du clergé catholique et aux empiétements des autorités savoyardes. Ce mémoire est très-curieux, parce qu'il donne une idée exacte des moyens de gouvernement et d'influence dont on usait alors. C'est, d'ailleurs, une pièce absolument inconnue qui peint parfaite- ment la situation respective des deux États1. Carouge y oc- 1. Nous avons recueilli une copie ancienne de ce mémoire dans les manuscrits de l'ancien syndic Jallabert. Il est aujourd'hui conservé dans la bibliothèque publique de Genève. 17 cupe une place particulière, en raison de son voisinage immédiat de Genève, qui rendait plus attentif à ce qui se passait dans cette localité. Voici textuellement les observations du Consistoire de Genève : « Le bien général de l'Église et le peu d'étendue du district de cet État méritant les plus solides réflexions et l'attention entière de tous les corps qui le composent, le Vénérable Consistoire n'a pas dû s'endormir sur les fréquents avis que MM. les pasteurs des Églises des terres de Saint-Victor et Chapitre et autres personnes zélées et très-dignes de foi lui ont l'ait parvenir touchant les entreprises continuelles des ennemis de notre Sainte Religion, qui mettent ces terres en danger évident de les voir dans peu absolument infectées d'un culte et service superstitieux. Le Consistoire craindrait, s'il restait là-dessus dans le silence, qu'au grand et dernier jour il ne fut demandé compte à chacun d'eux des âmes qui viendraient à périr, et qu'un peu moins d'indolence aurait pu aider à conserver. » Persuadé qu'il ne s'agit pas moins ici que de laisser pré- valoir dans ces terres l'hérésie à la pureté de la religion, et d'y voir perdre petit à petit la souveraineté spirituelle et les droits utiles qui sont acquis à cette république, le Consistoire s'est cru obligé d'informer vos Seigneuries de ce qui lui est revenu que l'erreur et le clergé romain font chaque jour, alin (pie découvrant d'un coup dVil la grandeur du mal pré- sent, et le péril qu'il n'aille toujours en augmentant, elles puissent \ apporter quelques-uns des remèdes que l'on prend ici la liberté de leur indiquer, ou tels autres plus prompts et plus convenables que leur solide piété et leur prudence con- sommée ne sauraient manquer de leur suggérer. i Ces innovations affectent la généralité des terres ou ont i 18 quelque chose de plus particulier à chacun des villages de ces terres. » On peut donner ici comme un premier abus le peu de scrupule que ceux qui possèdent des domaines en ces terres, citoyens et autres, se font d'y tenir des domestiques papistes, ce qui en soi-même est peu éditiant et entraîne des consé- quences très-dangereuses : 1° Ce sont tout autant d'espions également dévoués aux ennemis de l'État et de notre Sainte Religion. 2° Cela autorise, depuis environ vingt ans et plus, les prêtres à y venir commettre tous leurs abus et exercer tous les actes de leur superstition. Quand il y aurait une fois prescription en leur faveur, la chose serait sans remède. » Un autre inconvénient général, tant au spirituel qu'au temporel, c'est que le peu de crédit et la pauvreté de plu- sieurs des paysans qui habitent ces terres, les ayant contraint et les contraignant chaque jour à vendre leurs possessions, les papistes en achètent autant qu'ils peuvent, aidés qu'ils sont des curés voisins. La politique et la religion exigent qu'on résiste de tout son pouvoir, tant par les raisons indi- quées que par l'intérêt civil du débit des sels de cette ville, dont l'usage est interdit aux papistes quand il n'est pas par eux volontairement abandonné, comme aussi par l'esprit d'usurpation et d'extension dont chacun sait que le clergé romain est animé. S'ils parvenaient à affermir leur religion dans ces terres, ils s'attacheraient ensuite immanquablement aux terres voisines de la Souveraineté pour s'y établir aussi. Tout tire à conséquence dans les petits États, etce qui paraît peu de chose aujourd'hui peut devenir la ruine de ceux qui uous succéderont. » Il s'est encore introduit dans ces terres d'autres nouveau- tés générales qui produisent des avanies dont ceux qui les habitent ne se délivrent parfois que par leur changement de religion. Ainsi on les a mis depuis longtemps dans l'assujet- 19 lissement de prendre dans les bureaux de Savoie, même à prix d'argent, qui a déjà varié de trois sols à six, un livre de consigne du sel qu'ils consomment chaque année. L'obli- gation où l'on est d'aller faire enregistrer le tonl dans les bureaux fournit de très-fréquents prétextes aux susdites ava- nies. Il n'est presque pas possible que des paysans qui man- quent souvent d'argent pour leurs plus pressants besoins, qui sont sujets à nourrir plus de gens dans le temps des travaux que dans les autres, prennent chaque mois une égale quantité des dits sels, et n'excèdent jamais celle modique à laquelle on aura jugé à propos de les réduire. » Une autre innovation plus moderne, c'est le refus qu'on fait dans les bureaux de sel de laisser passer ceux qu'on a pris pour saler le bétail qu'on a tué pour son usage, à moins d'y laisser, comme une imposition, une pièce des bêtes qu'on dit avoir tuées. » C'est aussi une nouveauté dangereuse d'obliger les habi- tants de ces terres, comme on le fait depuis quelques années, à consigner dans les mômes bureaux tous les grains qu'ils font moudre pour leur usage dans les dites terres, car outre le sel de Savoie qu'on exige, et qui est pour les gros ménages une charge assez dure dans ces temps malheureux, on en prend souvent prétexte à de nouvelles avanies par les fausses imputations que l'on adresse à ces habitants que l'on ren- contre dans la route, de sortir ces grains des États de Savoie et non de les aller consigner aux dits bureaux avant de les aller porter au moulin. » C'est une autre innovation que l'on a mise pour ruiner quand on voudra les habitants de ces terres, que celle de les obliger, quand la Savoie est occupée par une domination étrangère, à faire des déclarations assermentées des grains qu'ils perçoivent, de ceux qu'ils ont ensemencés et de la ma- nière dont leurs terres ont été économisées. 20 » Enfin et pour abréger ces innovations générales, on en trouve encore dans la licence que les syndics, sergents et gens de guerre de Savoie se donnent, pendant le cours de la guerre, de faire des exécutions tant individuelles que mili- taires dans les maisons qui assortissent aux dites terres ou qui y sont enclavées, et cela pour le recouvrement de tailles extraordinaires, dont les bourgeois de cette ville et les autres habitants des terres ont été déclarés exempts par des traités solennels. » Mais si ces innovations générales méritent attention, il est certain qu'il faut en prêter davantage encore aux abus qui se sont introduits dans chaque village. » A Carouge, ce village qui s'est bien des fois rendu suspect par le genre de gens qui ont assez souvent coutume de s'y retirer, et cependant l'un de ceux qui, par la proximité de la ville de Genève, doit lui rendre très-précieux les droits et avantages qu'elle peut y avoir, le nommé Biscogner, papiste, réside dans une maison de Saint-Victor où il n'y a que quel- ques mois que le curé de Lancy porta le Sacrement. Il con- tinue cependant à jouir du sel de cette ville pendant que le nommé Bernière en a perdu l'usage dans sa maison du même fief en suite d'un ajournement personnel qui lui fut donné à Saint-Julien il y a environ douze ans. On a tout nouvellement établi à Carouge un bureau de douane, avec les armes du roi de France, en une maison qui est du même fief et qui appar- tient au nommé Dubois, cabaretier papiste. Autrefois on n'osait à Carouge porter le Sacrement, ou si on le faisait, c'é- tait en cachette. Aujourd'hui on le fait très-publiquement. Cela doit porter Vos Excellences ou ceux qui administrent la justice et la police de leur part, non seulement à purger cet endroit autant qu'il est possible de toute iniquité, mais encore à y conserver avec soin leur supériorité spirituelle et leurs droits temporels, sans jamais permettre qu'il y soit porté at- teinte. 21 » A Lancy, près de Carouge, le mal est encore plus gran d. les papistes et les réformés n'y sonl pus seulement sujets au mélange des fiefs « | ni sont en partie sur Savoie et en partie sur le chapitre, mais il y a encore quelques familles papistes qui y résident. En 1544, il > a\ailun temple où la République faisait prêcher et dont on voit encore quelques masures dans le cimetière des réformés. Le sieur Pontverre, curé de Con- lignon, en a fait prendre la plupart des pierres pour l'église soit chapelle qu'il a fait construire au dit Lancy. Cette cha- pelle s'est beaucoup agrandie depuis et l'on a fait mettre dessus une grande croix, et dans le chœur, afin d'exprimer clairement el sans enveloppe les vues qu'il a d'attirer tout ce village à lui : L'Éternel est ici et je n'en savais rien. » Il a établie Lancj un prêtre ou vicaire qui fail toutes les fonctions. Cependant, si un ministre réformé s'avisait d'aller faire les siennes chez un réformé malade dans quelque mai- son de Savoie, il courrait ri-que de la vie. Ainsi ce village court à une perle totale, ;'i moins qu'on ne se portât à édifier autel contre autel et à faire réédifier l'ancien temple et à établir un ministre qui \ lit sa résidence. » AOnex, l'éloignemenl des pasteurs el le mélange des juridictions font que les paysans \ vivent presque sans lois et sont fort grossiers, brutaux et rebelles '. » A Sierne, MM. Gallatin et Viollier tiennent des grangers papistes en leurs maisons qui sonl du fief du chapitre. Le curé de Veyry a porté les Sacrements chez ce dernier, il y a trois ou quatre mois, ce qu'il n'aurait pas osé faire il \ a vingt ans. 1. Le Mémoire passe en revue les localités de Cartigny, Laconnex, Bossey, Neydans, Evordes. Troinex, Landessy, Valeyry, Sessignin, La- joux, Avusy, Atlenaz, Russin, Grange-Canard, Tonnex, Villetle, Am- billy, Vandœuvres, Chogny, Crêtes, Itounard, Cholex, Le Carre, Saint- Maurice, CoUonge-Bellerive, Pressinge, Vezeaaz, <;>. Sionnex, etc. 22 » Ce détail suffira sans doute pour ouvrir l'esprit pénétrant de vos Seigneuries. Un premier remède et des plus faciles serait de défendre, par une loi générale ou par des lois par- ticulières, à tous les citoyens, bourgeois et habitants de Ge- nève, possédant des fonds dans les terres de Saint-Victor et chapitre, d'y tenir des grangers, amodiataires ou domestiques papistes. Si l'on jugeait que l'expulsion qui se ferait tout à coup de ces sortes de gens fît un peu trop de bruit, on pourrait ne donner effet à cette défense qu'à l'expiration des engage- ments déjà réellement contractés. Ce serait plus impercep- ible. » On regarderait comme un second remède de faire défendre sans perte de temps aux curiaux de ces terres et de celles de la souveraineté qui les avoisinent, ainsi qu'aux notaires, de passer aucun contrat de vente ou d'amodiation, location, vignolages, etc., en faveur de papistes pour les dites terres. • Un troisième remède, sans lequel le précédent pourrait devenir à charge aux pauvres réformés qui y possèdent des fonds, serait que le public pût se porter à aider, par quelques prêts ou avances sur l'hypothèque de leurs fonds, ceux qui sont pressés de les vendre sans espérance de trouver des acheteurs réformés. Cela pourrait même se faire par des canaux et sous des noms empruntés comme des fermiers, pasteurs ou particuliers plus notables de ces lieux qui donne- raient leurs soins à la culture de ces terres que la Seigneurie serait obligée quelquefois de prendre en paiement, en en payant une rente modique ou en en rendant compte comme de clerc à maître. » Ces personnes préposées s'intrigueraient heureusement pour faire acquérir peu à peu et dans les occasions les biens des papistes par ceux de notre religion. On favoriserait aussi la vente des biens des premiers en s'attachant à découvrir les créanciers. On encouragerait aussi les réformés qui ont encore 23 quelques droits sur les fonds des papistes à les faire valoir. Cette dépense, qui ne serait pas perdue, ne saurait être appli- quée à un usage plus agréable a Dieu. Cela serait moins con- sidérable que la dépense des députations auxquelles l'intro- duction des papistes sur ces terres a donné lieu. » Un quatrième remède serait d'établir quelques nouveaux ministres qui feraient leur plus ordinaire résidence dans les villages où ces abus se multiplient. On se mettrait ainsi à la brèche que les ennemis de l'Église y ont faite. C*est une chose manifeste que dans les lieux où les pasteurs résident, les paysans sont infiniment plus dociles et plus réglés. Lesecclé- siastiques delà religion opposée sonl enhardis par l'éloigne- iin'iii des pasteurs et osent tout entreprendre. Comment vou- drait-on que les pasteurs de Genève, de Cartigny ou de Chancj eussent l'œil sur ce qui se passe à Carouge, ou à Lancx ou à Valeyry, où ils ne se rendent que pour faire pré- càpitammenl leur sermon chaque dimanche, pressés qu'ils sonl par l'action qui la doit suivre dans une autre église fort éloignée? Ce sérail comme si l'on disait qu'un troupeau de brebis environné de loups peut être en sûreté quoique l»1 ber- cer soit toujours éloigné. » On cinquième mais plus faible moyen serait d'établir des maîtres d'école d'une prudence h capacité au-dessus du commun dans les villages les plus éloignés de ceux où les pasteurs résident, ^lais tant que leur paie sera petite et qu'ils ne pourront vivre sans le secours de quelque métier, sans lequel ils sont trop souvent obligés de recourir à la bourse des pauvres qui n'est «pie trop pauvre elle-même, les régents ne pourront rien faire. Leurs Excellences ne pourraient-elles pas y pourvoir par quelqu'expédient qui ne coûterait rien au pu- blic, et qui dispenserait même peut-être les paysans de payer pour envoyer leurs enfants à l'école? » Ne pourrait-on appliquer à l'instruction de la jeunesse M les rentes des communes, qui sont négligées en bien des en- droits faute de procureurs, ou très-mal administrées par ces procureurs eux-mêmes? » Un sixième remède serait de charger le Jugexles terres d'agir de concert avec les pasteurs et d'appuyer avec vigueur ce que ces derniers voudraient faire pour le bien de l'Église, afin que ceux que l'on ne pourrait ranger par des censures fussent réduits par des peines. » Un septième remède serait de résister en face et de s'op- poser à toutes les innovations qu'on voudrait faire dans ces terres par des ordres, publications ou défenses contraires, et au besoin par des ajournements et décrets de prise de corps. Rien n'est plus propre à tenir en règle nos voisins, de quelque ordre qu'ils soient, que la crainte de ne pouvoir ve- nir avec sûreté dans cette ville de Genève où leurs affaires les obligent de venir à tous moments. » Un huitième moyen serait enfin de consigner aux portes les infracteurs de nos droits, car il n'y a rien à attendre des tribunaux de Savoie pour obtenir le redressement des in- fractions aux traités solennels. C'est même là une des prin- cipales sources de l'indocilité des habitants des dites terres, et il serait important de tâcher de couper ou de rompre ce nœud gordien trop difficile à délier. » On regarderait comme un remède salutaire un plutôt comme un grand bien si, en marquant, comme on dit, d'encre rouge les habitants des dites terres qui se seraient portés trop légèrement ou trop fréquemment à de tels appeaux, on pou- vait en arrêter un peu l'opiniâtreté et la fréquence. » Les ordres que vos Seigneuries ont donnés au sous-com- missaire Grenier, pour la rénovation des terriers des dits fiefs, ne peuvent aussi que concourir dans la suite à réserver aux habitants tous leurs droits. Il sera bien convenable d'en donner copieà MM. lesjuges et pasteurs desdites terres, pour -r» qu'ils puissent remplir leurs devoirs avec plus de confiance, de sûreté, de hardiesse et de connaissance que par le passé. » Les difficultés que vos Seigneuries pourront envisager dans la pratique des remèdes indiqués ne doivent pas les décourager. Il n'y en a aucune qui ne poisse être Facilement surmontée. Elles n'ont qu'à vouloir pour pouvoir. Qui n'au- rait considéré le village de Malagny comme perdu sans res- sources, abandonné qu'il riait depuis Longuesannées par vos Seigneuries? Les réformés y avaient été mis dans la nécessité d'abjurer leur Sainte Religion ou de perdre leur bien. Ce- pendant le hasard commença d'en procurer le rétablissement. ri. depuis, il a été heureusement parachevé par la louable fermeté des principaux citoyens de celte ville et par celle de deux paysans du lieu. » Nous a\ons encore trouvé dans les archives de Genève quel- ques casspéciaux quimontrent comment, dans la pratique jour- nalière des affaires, les conflits Baissaient à Carouge entre les autorités sardes et genevoises. Ainsi, nous lisons ce qui suit dans une procédure instruite, à Carouge, par un magis- trat genevois : « En 1704, le sieur Samuel de Livron, écuyer, citoyen de Genève, docteur en droit, juge des terres et juridictions de Saint-Victor et chapitre pour les seigneurs de Genève, porta plainte pour un attentat commis à Carouge contre cette juri- diction. Le sieur Dumont, commis de la douane qui s'exigea la Capite des Gardes, près la rivière d'Arve, vint avec des aides dans une maison de Carouge, dite de la Groùp-Bouge, dépendante du lieF des seigneurs de Genève, pour saisir du vin de France, qui, disait-il, n'avait pas été déposé au bureau de la douane. Ils en séquestrèrent deux tonneaux et se por- tèrent à de mauvais traitements contre 1rs habitants du logis. De pareilles exactions s'étaient déjà commises précé- demment, dans des circonstances diverses, » 26 Le sieur Samuel de Livron vit dans ces faits un attentat contre les droits de la seigneurie, les dénonça, et dressa d'amples procès-verbaux, qui sont aux archives du canton de Genève. En 1717, le 22 janvier, le pasteur de Genève chargé de donner ses soins aux ressortissants de la République domi- ciliés dans le territoire de Carouge, adressa au Petit Conseil un mémoire pour corroborer quelques-uns des griefs du Vénérable Consistoire. Cette pièce, qui complète celle que nous venons de reproduire, est ainsi conçue : « Le magnifique Conseil a fait connaître plusieurs fois à la Vénérable Compagnie qu'il souhaitait qu'il y eût un maître d'école résidant à Carouge. Le dernier qui a occupé ce poste l'a quitté, parce que le gage est si petit qu'il n'avait pas de quoi vivre. Plusieurs personnes ont dès-lors offert leurs ser- vices; mais, dès qu'ils surent que le gage n'était que de cin- quante florins et de deux coupes de froment par année, ils n'ont plus voulu en entendre parler. Cet appointement ne convient qu'à une maîtresse d'école. Comme le curé s'est avisé de contester à Genève le droit d'avoir un maître d'é- cole dans ce lieu, il est de la dernière importance que cette place soit remplie. Outre cela, comme ce lieu n'est presque habité que par des personnes qui tiennent cabaret, l'on ne saurait les établir anciens d'église, et il faut que le maître d'école fasse cette fonction, qui ne convient pas à une femme. » La proximité de la ville de Genève et la quantité de gens qui se retirent à Carouge, font que les loyers y sont excessivement chers; c'est encore une raison pour donner au régent un salaire convenable. L'on doit peu compter sur ce que l'on reçoit des enfants qui vont à l'école. Il peut y en avoir une vingtaine, tant dans le village que dans les ha- meaux voisins, qui donnent chacun six sols par mois. Jamais 27 on ne trouvera une personne propre à instruire la jeunesse dans ce lieu, si on ne lui donne les moyens de subsister en augmentant son gage et en payant son loyer, comme on fait en d'autres endroits de moindre importance. » Cette réquisition est signée « Rilliet, pasteur. » A mesure que, dans le cours du dix-huitième siècle, les idées de liberté civile et religieuse firent des progrès, la si- tuation de Carouge s'améliora un peu, et les froissements entre les deux éléments genevois et savoyard diminuèrent sensi- blement. Cependant on se plaignait toujours beaucoup, de part et d'autre. La contrebande surtout était un grief conti- nuel. En 1740, Charles-Emmanuel III, ayant fait construire à Carouge une digue contre les érosions de l'Arve. quelques établissements industriels y furent fondés, entre autres une tannerie, près de cette digue, et les produits de la tannerie de Carouge furent bientôt recherchés. Quoique Carouge n'eût aucune franchise particulière, les cuirs qui sortaient des mains de ses tanneurs ne payaient aucun droit pour aller à Annecy, Rumilly, etc. On avait seulement la précaution de les faire marquer au bureau de la douane, pour les distin- guer de ceux de Genève. Les Carougeois demandaient que ce privilège fut étendu à d'autres manufactures. Mais le gouvernement sarde redoutait les abus. M. de Passier, dans son état statistique de la province du Genevois (175-2), dont Carouge faisait partie, dit que la tannerie de Carouge était à la vérité très-florissante, mais que cet établissement, n'ayant été formé que pour faire passer de nuit, en contrebande, les cuirs verts et les tans de Savoie à Genève et en Suisse, il pen- sait qu'on devait la supprimer, ainsi que celle de Chêne. Cet avis ne prévalutpas, heureusement, et Carouge continua à prendre quelques accroissements. Ils furent cependant peu sensibles jusqu'au traité, célèbre dans notre histoire, qui fut 28 conclu entre S. M. le roi de Sardaigne et la République de Genève, le 3 du mois de juillet 1754. Ce traité était devenu absolument nécessaire par suite des conflits qui naissaient presque journellement, entre le gouvernement du roi de Sardaigne et la République de Genève, à l'occasion des rela- tions de voisinage entre les deux États. Carouge était pour beaucoup dans les griefs du Conseil de Genève. Cette localité revient à chaque instant dans les re- gistres : « Le 29 juin 1753, M. le Syndic de la garde rapporte que notre juge de Saint-Victor et chapitre vient de lui dire que l'ingénieur Reser, avec quatre Piémontais, lève, pendant la nuit, le plan de Carouge. » Le 9 novembre 1754, M. le Syndic de la garde a rap- porté qu'étant allé faire une visite à M. de Montpérou, rési- dent de France, ce résident lui avait montré une lettre de M. Rouillé, ministre des affaires étrangères, portant que le ministre priait le Conseil de faire consigner et arrêter aux portes de la ville les nommés Mandrin et Rellizard, tous deux Français, chefs de contrebandiers, chargés de divers crimes, qu'on suppose s'être retirés du côté de Carouge. En consé- quence, M. le syndic les a fait consigner à toutes les portes, avec ordre de les arrêter '. \. Nous trouvons encore une mention de Mandrin, fameux brigand qui fut pris et exécuté en 1755, à l'occasion d'un pamphlet qui a paru à Paris sous la rubrique de Genève : « Le 29 juillet 1755. Le seigneur premier Syndic dit qu'il se répand à Genève un livre intitulé : Testament politique de Louis Mandrin, que l'on dit contenir une satire contre les fermiers-généraux de France, et que l'imprimeur annonce comme imprimé à Genève. Quoiqu'il y ait lieu de croire que l'on a pris cette rubrique pour déguiser le lieu de l'impression, on fera venir les imprimeurs de cette ville pour savoir d'eux si ce livre a été imprimé ici, et pour leur en défendre l'impression dans tous les cas. 29 » Le 17 février 1755, le sieur Cambessedès, ci-devant maître d'école à Carouge, présentement a Genthod, expose le préjudice que lui cause le traité conclu, le 8 juin 1754, avec le roi de Sardaigne , relativement à une maison qui lui appartient audit village de Carouge. 11 requiert aux fins qu'il plaise au Conseil, en cette considération, de le recevoir habi- tant, lui et toute sa famille, qui est nombreuse, sans paiement de finance. Il est recommandé par la Vénérable Compagnie et par M. de Chapeaurouge, qui a été juge de Saint-Victor et chapitre. » Arrêté de lui accorder l'habitation et pour son fils Jean- Pierre Cambessedès, tant seulement. » Le 8 mars 1754, lecture est faite au Conseil du procès- verbal dressé par le sieur Vial, juge de Saint-Victor et cha- pitre, au sujet de la défense qui a été faite, par le sieur curé de Lancy, au sieur Chapon, cabaretier à Carouge, dans la maison où pend l'enseigne du Lion-d'Or, se tenant sur le seuil de sa porte, de vendre de la viande pendant le Carême et d'en servir dans son cabaret; et à Ch. Bonon, boucher au- dit village, occupant la maison de Brunet, à côté du Lion- £ Argent, d'exposer aucune viande en vente pendant le Carême, ce qui esl un attentat, les deux dites maisons étant Irière la juridiction du chapitre. Il a été arrêté d'en informer Noble Mussard, uniquement pour son instruction. Noble Homard est en ce moment à Turin, chargé d'instructions au sujet d'un traité avec l;i cour de Sardaigne. » Le 42 juillet 1750, Noble Fatio, président de la Chambre îles comptes, rapporte que, d'après une conversation tenue avec l'officier qui commande trente-sis hommes de milice à Carouge, contre la contrebande, il a pain que cet olïicier Berail sensible à la politesse que Ton pourrait faire de les exempter du pontenage d'Arve, quand ils tiennent dans noire ville, l/.ivis ;i été d'accorder cette exception seule- 30 ment aux ofiiciers à hausse-col et à leurs domestiques. On fera valoir cette faveur auprès dudit officier. » Le 21 juillet 1760, M. le premier Syndic rapporte que le sieur de Vauglan, commandant pour le roi de Sardaigne à Ca- rouge, a eu l'honnêteté de l'informer que, sur les plaintes de quelques négociants de Genève, il a fait arrêter audit Carouge quelques aventurières, à ce qu'on croit Piémontaises, qui avaient escamoté plusieurs pièces d'étoffes dans les magasins de ces négociants. Le commandant a fait donner préalable- ment la bastonnade à ces femmes ; il les a fait conduire hors des États de Savoie, et a renvoyé les effets volés pour être restitués. On remercie M. de Vauglan. » Le 23 juillet 1762, M. le premier Syndic et M. le Syndic de la garde ont rapporté qu'ils avaient eu la visite du sieur Kalbermalt, officier du régiment de ce nom, qui commande à Carouge, et du sieur de Loriol, capitaine de ce même régi- ment, lesquels leur ont donné des assurances de leurs soins à entretenir un bon voisinage suivant les ordres qu'ils en ont reçus de la cour de Turin, en particulier pour ce qui con- cerne les déserteurs. » Il est dit, dans le traité de 1754, que S. M. le roi de Sar- daigne ayant bien voulu, par un effet de ses favorables dis- positions pour la République de Genève, déférer au désir qu'ont témoigné diverses puissances, et particulièrement les louables cantons de Zurich et de Berne, de voir terminer radicalement, et par un traité définitif, tous les différends qui subsistaient depuis longtemps entre la royale maison de Savoie et Genève, les commissaires, nommés de part et d'au- tre, sont tombés d'accord sur les divers points en litige. En ce qui concerne Carouge, le traité s'exprime comme suit : « Du côté de Ternier, S. M. sarde cède à la ville etRépubli- » que de Genève le terrain qui lui appartient à la rive gauche / 31 » de la rivière d'Arve, de la manière tracée par le plan » topographique faisant partie du présent traité, qui laisse du » côté de Savoie toutes les maisons de Carouge, par une ligne » dès le bord de ladite rivière jusqu'au chemin qui conduit » de là au Grest-des-Morts, lequel chemin servira ensuite de • limite; et, de là, il sera tiré une ligne droite jusqu'au ■ Rhône, entre La Bâtie et Saint-George. » Les habitants des lieux réciproquement cédés pourront, » pendant le terme de vingt-cinq ans, continuer, comme par » le passé, le libre exercice de leur religion et en faire les »> fonctions dans les églises et temples voisins. Celui de Bos- » sey sera réservé, pendant le même terme, pour la commo- • dite et l'usage de ceux qui professent la religion réformée » sous Salève. » Ces mêmes habitants auront, pendant ce terme, la liberté » de se retirer, sans obstacle ni paiement de finance, avec » leurs effets et le prix de leurs biens, s'ils ont occasion d'en » faire la vente; à défaut de quoi, il leur sera loisible, après • ledit terme, de les conserver en les faisant cultiver par des » personnes de la religion permise dans l'État où ils seront » situés. » Ceux qui sont ou seront bourgeois de Genève ne pour- » ront, non plus que leurs serviteurs ou domestiques, être » inquiétés pour cause de religion pendant qu'ils séjourne- » ront dans leurs maisons et biens situés en Savoie, à la » charge toutefois de ne dogmatiser et de n'y faire leur habi- » tation principale. » Il y aura liberté réciproque de commerce à l'égard du » sel ; on pourra le transmarcher, comme par le passé, sur » le territoire de Sa Majesté, pour le Mandement de Jussy et » les villages, qui appartiendront à Genève, du côté de Ter- » nier, sans y commettre abus. » Peu de temps après la conclusion de ce traité, en 1764, 32 Charles-Emmanuel III entretint en permanence à Carouge on détachement de la garnison de La Roche. Un comman- dant militaire y fut établi un peu plus tard, en 1773. Le premier fut le baron de Syon Saint-André. On y organisa aussi une milice urbaine pour faire la police locale et ren- forcer, au besoin, le détachement de ligne. Quand la France entreprit, sous le ministère du duc de Ghoiseul, de créer à Versoix une ville sûr les bords du lac Léman, l'alarme fut très-vive, on le sait, à Genève et en Suisse. On sait comment ce projet grandiose fut abandonné , grâce surtout aux démarches et aux instances du puissant canton de Berne, qui avait été sur le point de voir sa domi- nation dans le pays de Vaud et ses rapports intimes avec la République de Genève singulièrement compromis par la fondation de la nouvelle ville française, qui se serait inter- posée entre les deux territoires. Voltaire fit de grands efforts pour reprendre en sous-œuvre ce projet à Fernex, et l'on sait comment, lors de sa mort, en 17?8, il était parvenu à fixer dans ce bourg du pays de Gex, grâce surtout aux trou- bles de Genève, en 1766, 1767 et 1768, et aux émigrations qui les suivirent, une population genevoise et une fabrique d'horlogerie assez importante. Ces projets attirèrent l'attention et piquèrent l'émulation de la cour de Turin. Après la mort du patriarche de Fernex, qui compromit, ainsi que d'autres causes, la colonie de Fer- nex, le gouvernement sarde porta son attention sur la pos- sibilité qu'il y aurait de faire à Carouge ce qu'on n'avait pu faire à Versoix et à Fernex. La situation de cette localité sa- voisienne était peut-être plus favorable que celle des deux communes françaises du pays de Gex. En 1775, Victor-Amédée III étant venu visiter les provinces de Savoie, les habitants de Carouge, réunis à quelques sei- gneurs voisins et aux plus riches propriétaires des bailliages 33 de Ternier et de Gaillard, se présentèrent à ce souverain à son passage à Annemasse. M. de Monloy, qui commandait la milice urbaine de Carouge, présenta un mémoire tendant à prouver au roi de Sardaigne combien il serait facile de favo- riser à Carouge l'établissement d'une colonie, en lui accor- dant des privilèges qui y attirassent les étrangers et y lissent fleurir le commerce. Ces idées de fondation d'une nouvelle ville, de colonisation, de patronage, d'augmentation consi- dérable et rapide de population flattèrent le monarque et ses ministres. Par lettres patentes du 6 juin 1777, on commença par accorder à Carouge deux foires annuelles, qui devinrent dès le début assez importantes, et un marché hebdoma- daire. La Chambre des comptes dressa pour Carouge des règle- ments de police et exempta la police urbaine de ce bourg de toutes corvées ou réquisitions analogues, à la condition qu'elle se prêterait à un service militaire régulier sur la frontière , lorsqu'elle en serait requise par le comman- dant. Des différends, survenus dès longtemps entre le juge- mage et l'avocat fiscal du tribunal de Saint-Julien, favorisèrent singulièrement les plans des promoteurs de la colonisation de Carouge. Ils obtinrent que ce bourg fût érigé en chef-lieu d'une nouvelle province du môme nom, qui fut formée, par édit du 2 mai 1780, des bailliages de Ternier et de Gaillard, et de quarante-deux communes démembrées des provinces de Genevois, de Faucigny et de Chablais'. La cour de Turin, 1. La province de Carouge était bornée au midi par les Usées, de- puis le pont de la Caille jusqu'à leur embouchure dans le Rhône près de Seyssel; au couchant par le Rhône et par le territoire de Genève : au nord par le Chablais, et à l'orient par une portion du Faucigny et la montagne de Salève. Suivant les états déposés :ï l'intendance géné- rale «1«' Chambéry, en 1789 et 1790, la population totale de la province 3 34 en favorisant l'érection de cette septième province de l'an- cien duché de Savoie, voulait favoriser le commerce et la population de la nouvelle cité , et contribuer aux avantages réciproques des lieux circonvoisins. C'est ce qui arriva en effet. Le siège de la juridicature mage, les bureaux de l'in- tendance et d'autres administrations y ayant été transférés, la population augmenta rapidement. De 600 individus que Carouge comptait au commencement de 1 780, cette popu- lation s'éleva jusqu'à 4,672 individus', en moins de douze ans (d'après le recensement fait par ordre de M. le che- valier de Varax , troisième commandant de Carouge , en 4792). Le roi fit construire à Carouge une église catholique, sur les dessins de M. Joseph Plaisance, architecte de Turin. L'édifice devait être en croix latine, avec une coupole et deux clochers latéraux. La décoration interne, d'ordre corin- thien, devait être analogue à celle de Saint-Jésus de Rome. Le tableau du maître autel fut peint, à Turin, par Joseph Mazzuola de Val d'Uggia, élève de Raphaël Mengs, et qui eut était de 38,981 individus On comptait dans la province 176 cabaretiers et boulangers, 70 cures soit paroisses, 90 curés et desservauts. Les revenus du clergé en dîmes étaient évalués à L. 76,931 ; ceux en biens- fonds à L. 24,887; ceux en casuel à 5600. Les dîmes perçues par les laïques étaient évaluées à L. 33,372. Le total des revenus ecclésiasti- ques perçus dans la province était de L. 139,990. Il existait dans la province 5680 bœufs, 6179 vaches, 204 moulons, 1299 brebis, 1079 cochons et grosses bêtes à saler pour la consommation des habitants ; 82 chèvres et 14 montagnes faisant gruyère. La taille royale s'élevait à L. 64,435. L'évaluation du prix total de l'affranchissement de la pro- vince était de L. 357,654, et les sommes déjà payées aux seigneurs, en 1790, à L. 146,066. 1. Dont 5 prêtres catholiques, un ministre et un diacre protestants, 8 avocats, 5 procureurs, 6 notaires, 6 étudiants au collège, et 87 dans l'école dite d'écriture. :tô un moment de réputation et de célébrité, comme son maître. On verra, dans la suite de ce mémoire, les difficultés que rencontra dans son exécution le plan primitif de M. Plai- sance, et pourquoi un tiers de ce plan seulement fut d'abord exécuté. Ce fut le même Plaisance qui traça le plan de la nouvelle Carouge, qui fut érigée en ville, par lettres patentes du 81 janvier 1780, avec de larges franchises, l'exemption des douanes et l'octroi du \in et de la viande à la commune de Garouge, pour la mettre en état d'acheter le sol des rues, de faire creuser un canal et de planter les arbres des prome- nades. La nouvelle église fut bénie, le 1 1 juin 1780, par Mgr Biord, et, le 29 juillet de la même année, on y avait déjà reçu l'ahjuration de cinq Genevois réformés (voir une note ci- après). Le môme prélat fonda une école à Garouge. pour les jeunes personnes du sexe, et, un peu plus tard, on \ établit un hôpital doté par le roi de 5,000 liv., et un Collège avec 3,000 liv. de revenu, à prendre spécialement sur l'imposi- tion des biens ecclésiastiques de Savoie, et spécialement sur celle de l'abbaye de Talloires. Le voisinage de Genève favorisa beaucoup, on le com- prend, l'agrandissement de Carouge, surtout aux époques de troubles politiques dans cette république. L'argent que les Genevois de toutes les classes versaient journellement dans la nouvelle colonie y maintint, dès l'origine, une circulation de numéraire qui contribua singulièrement à la construction de nouveaux bâtiments et à l'étahlissement de nouveaux ma- gasins. Il y eut même bientôt de nouvelles fabriques, entre au- tres un comptoir royal drhorlogerie. Les tanneries s'élevèrent au nombre de huit. Mais des difficultés soulevées entre les habitants et les pos- sesseurs de terrains dans l'ancien Carouge, elles architectes 36 piémontais qui voulaient construire une ville toute nouvelle, dans un emplacement entièrement neuf, arrêtèrent beaucoup l'élan des nouvelles constructions. L'architecte Plaisance avait tracé le plan d'une ville très- régulière. Une magnifique place devait être le centre où toutes les rues, tirées au cordeau, auraient abouti. Une enceinte de belles promenades et un canal abondamment pourvu d'eau l'auraient environnée. Mais, comme on le verra bientôt, les particuliers qui possédaient des maisons ou qui avaient des intérêts dans le vieux Carouge, entravèrent l'exécution de ce plan grandiose. Ils prétendirent qu'il était dangereux d'éta- blir une nouvelle localité aux détriments d'une ancienne. La cour de Turin, prenant en considération les réclamations des intéressés, chargea un autre architecte, M. Viana, de mo- difier le plan de Plaisance, sous la direction de M. le comte de Robilant1, chef de la légion des campements. Ce militaire savant et distingué, qui avait été envoyé par le gouvernement Piémontais à l'école des mines de Freyberg en Saxe, pour étudier la métallurgie, avait très à cœur les intérêts de la Savoie. M. de Robilant avait pour lieutenant-colonel de la légion des campements qu'il commandait, un seigneur savoyard qui s'intéressait vivement à Carouge. C'était le comte deCha- tillon, qui était en même temps sous-gouverneur delà Royale Académie à Turin. M. de Chatillon correspondait presque journellement au sujet de Carouge avec son frère, Pierre- Claude de la Fléchère, seigneur de Veyrier dans le baillage de Ternier. A cette terre, qui avait le titre de comté, ce sei- gneur réunissait la seigneurie de Sierne qu'il avait acquise 1. Le comte de Robilant a publié un ouvrage intitulé : De l'utilité et de l'importance des voyages et des courses dans son propre pays. Turin, 1 790 ; iu-4°, flg. L'auteur s'attache à mettre en lumière les ri- chesses naturelles et surtout minérales des États sardes. 37 du roi, celle de Chatillon soU des Terreaux, dans la parole d'Etrembières, à demi-heure de Veyrier. C'était un homme d'une soixantaine d'années en 1780, ancien militaire doué de beaucoup de bon sens pratique et de ce genre de finisse qui estprepré aux gentilshommes campagnards. Il était très-àt- faehë ,i son prince, point bigot, même un peu imbu des idées philosophiques du siècle, tolérant et petténtiché <\^ privilèges de la noblesse. Le comte de Veyrier répondait exactement à toutes les demandes que lui adressait son frère au sujet de Carouge et de ses agrandissements. Nous avons dépouillé avec soin cette volumineuse correspondance \ Elle donnera, mieux que tous les mémoires possibles, l'histoire journalière et tracée, pour ainsi dire, heure par heure, de la colonie de Carouge dans les années 1 780, 1781 et 1782, qui sont parti- culièrement intéressantes;", cause des événements de Genève dont Carouge recevait nécessairement le contre-coup et dont cette ville profitait habilement: Nous prendrons le narré des laits au milieu de Tannée 1780, époque à laquelle M. de Veyrier commença à corres- pondre au sujet de Carouge avec H. de Chatillon, son frère, et nous donnerons les lettres par ordre de dates. ira* « J'ai été fort surpris ce matin (28 août 1780) lorsque j'ai demandé à M. Manera de bien vouloir me donner les ali- gnements pour mes bâtiments projetés. Il ma répondu que tout le plan de Carouge, bien qu'approuvé par le roi, était changé par un projet de M. le Comte de Robilant, qui ôlait de dedans Carouge le canal qui semblait convenir et faire plaisir à chacun. Il veut que les eaux des marais de Bossey, i. Nous en devons la communication à l'obligeance de M. Marc Viridet chancelier du canton de Genève, qui a fait nommage du recueil origi- nal de ces lettres à la bibliothèque de Vlnsiitut Genevois. 38 au lieu d'y découler, passent dans un grand fossé qui doit entourer la ville, et qui sera fermé par des ponts-levis. Ce changement inquiète bien du monde, car s'il a lieu, tel quise croit placé dans un bel endroit se trouvera dans un cul-de-sac. Les changements de ce genre ont beaucoup nui à Versoix et ont dégoûté bien du monde d'y bâtir. On a quelque raison de craindre qu'il n'en arrive autant à Carouge si le gouver- nement change si facilement de système. Nous nous trouve- rons aussi enveloppés dans cette infortune si le nouveau plan a lieu, puisque la pièce où je voulais bâtir se trouvera séparée en deux îles par une rue qui la traversera par le milieu. La place du marché ne convient pas, dit-on, si près de l'église, et on veut la porter près du bureau de la douane. Je sais qu'il partira aujourd'hui pour Turin des mémoires contre ceschan- gements et on espère que le Roi n'approuvera pas le nou- veau plan. Il faut attendre et voir quel effet feront ces repré- sentations. Pour moi, crainte de trop parler, je n'en dis pas le mot, mais je n'en pense pas moins. Les idées de M. deRo- bilant sont belles et vastes, mais ne vaut-il pas mieux com- mencer en petit et finir, que d'avoir de grands projets et ne pouvoir rien exécuter? Quand on m'en parle, je me borne à dire: « Le Roi veut le bien de l'endroit; ainsi on a tout lieu » de l'attendre de l'effet de ses grâces. Au surplus, il est le » maître. » Quoique la bâtisse que je projette ne soit pas de .pur agrément, néanmoins, autant que possible, je veux cher- cher à unir l'utile à l'agréable. Les choses font alors honneur et déterminent quelquefois mieux les locataires, et au besoin les acquéreurs. Je répugne, ainsi que bien d'autres, à faire une chose neuve sur un sol difforme. On voudrait générale- ment donner à nos bâtisses une certaine élégance extérieure, afin d'en faire des effets de prix et recherchés des personnes qui veulent s'établir dans cet endroit. Un habile maçon que je connais, et qui a beaucoup travaillé pour M. de Voltaire, 39 est venu m'offrir ses services. Je l'ai renvoyé en lui disant que je n'étais pas encore décidé. » On parle beaucoup de l'édification d'un théâtre de comédie au coin de la rue de Carouge au-dessus de Chosson. On re- présenterait deux fois la semaine. Cela procurerait, dit-on, à ce lieu, nu versement annuel de plus de 50.000 livres qui se répandent chez l'étranger voisin. Mais cette opération est encore bien éloignée par la différence de sentiments des personnes qui ne veulent pas comparer le hou avec le mau- vais. - « Le révérend curé de Carouge vient d'arracher une grosse plume de l'aile à son cher confrère le curé de Laney. en lui enlevant par dévolu la chapelle de IVsay, du revenu de 500 livres, dont il vient de prendre possession. >• J'aurais été- attrapé si j'en avais acheté les matériaux.» Dans une lettre postérieure de quelques semaines de 17 oe- lohre 1780), le seigneur de Yeyrier revient sur les mêmes sujets: «L'on vient enfin, écrit-il à son livre à Turin, de tracer 1rs mes suivant I.' nouveau plan. Cela nous emporte le quart de noire terrain. On parle de rendre Carouge franc de douane et de mettre trois bureaux aux trois sorties. Sans cette franchise, les foires, marché-, manufacturer n'y vau- dront jamais rien. Pour que M. de Mondant fût à même de juger avec pleine connaissance de caUSfl de ce qui serait le plus utile et convenable à Carouge. il paraîtrait indispensable qu'il vint résider quinze jours ou trois semaines sur les lieux. L'intendant pousse môme cela à un mois. lia été non seule- ment surpris mais frappé de la petitesse de l'église. Quand les bancs j seront placés, le curé aura de la peine à se promener pour faire les catéchismes; M. l'intendant juge qu'il faudra au moins encore cent mille livres pour la finir. Il est de même indispensable de construire des prisons» une audience, etc. 40 Le besoin que l'on a d'argent de tous côtés pourrait peut- être faire agréer les propositions dont je vous transmets copie de la part de deux particuliers de Genève. En voici le contenu : » l°L'an 1778 et le 17 septembreje soussigné, Jean-Martin Schmidtmeyer, citoyen et membre du noble Conseil des 200 de la République de Genève, fds de feu Jean-Daniel Schmidt- meyer, bourgeois du dit Genève, ai promis et promets de nouveau à M. le comte de la Flécbère de Yeyrier, que s'il veut bien s'intéresser à pouvoir me procurer de la part des grâces du Roi, son souverain, des lettres de noblesse tant pour moi que pour mes enfants nés et à naître, compris mon neveu Jean-Pierre Schmidtmeyer, seul fils et héritier de feu Melchisédec Schmidtmeyer, aussi citoyen de Genève, mon défunt frère; que, dans ce cas, je m'engage et promets de payer la somme de dix mille livres de Piémont entre les mains de qui sera ordonné, dans le terme de quinze jours dès la signature de la patente. Si Sa Majesté daigne, par un trait de ses grâces, agréer cette offre et me faire l'honneur et la grâce de m'agréger et recevoir avec les miens nés et à naître, au nombre des autres nobles de ses États, de même que mon dit neveu et les siens, je désirerais, pour le bien de l'humanité et l'avantage public, que cette somme fût employée au sai- gnement et dessèchement des marais de Rossey, frontière de cette paroisse. En foi de quoi j'ai signé à Sierne, paroisse du dit Veyrier, Fan et jour susdits. « (Signe) Jean-Martin Schmidtmeyer'. » 1. M. J.-M. Schmidtmeyer, citoyen de Genève, étant propriétaire à Sierne, dans la province de Carouge, avait un intérêt réel et immédiat à obtenir les droits dont jouissaient les propriétaires dé condition noble dans les Etats de Sa Majesté Sarde. Sa démarche n'était donc point inspirée par la vanité. 41 » 2° Tous ceux qui connaissent Genève savent et ne peuvent douter que l'industrie et le commerce en ont fait la richesse, surtout depuis que la fabrique d'horlogerie y a été établie. Tous Les individus de la République s'en sont bien trouvés. De nombreux étrangers y sont venus et > onl fait leurs mai- sons. Il est certain que c'est cette fabrique qui a si fort accru et enrichi cet État. Si Sa Majesté le Roi de Sardaigne voulait augmenter promptement Carouge, il n'aurait qu'à favoriser un semblable établissement en accordant une franchise pour tons les ouvrages qui s'y fabriqueraient, permettant à cet effet un poinçon qui serait au bureau de la douane ou de M. l'in- tendant, afin que cette marchandise lût libre et exempte» de tous droits dans les États île Sa Majesté, prohibant celle qui viendrait de l'étranger. • Il est certain que cela attirerait beaucoup de inonde dans cette ville naissante, de toutes les professions relatives à cet art. Mais pour donner à ce projet plus de célérité, il serait à propos que Sa Majesté on quelques seigneurs fournissent une somme de 80,000 livres en commandite pour cinq ans, sans intérêts, et pour cinq autres annéesà un intérêt modéré. Cette commandite serait remise à trois associés, hommes de pro- bité, dont l'un fut en état de faire les voyages de commerce. Un autre tiendrait la correspondance et la caisse, et le troi- sième conduirait les ouvrages. Us donneraient caution et .M. L'intendant aurait l'inspection de tout le commerce. • lue fois cette fabrique royale établie sur un bon fonde- ment, ayant une année sa réputation serait établie jusqu'au fond de l'Italie, et bientôt les ouvriers étrangers abonderaient à Carouge. Il y a même île.- sujets de Sa Majesté qui sont obligés de rester sur terre étrangère faute de fabrique dans le pays. Ils ne demanderaient pas mieux que d'\ rentier pour exercer leurs talent- Ce mémoire est signé François Gikakd DE Hiacwiiik, chi- rurgien à Loysieux près de Yenne. Il ne paraît pas que ces propositions aient trouvé à Turin un accueil bien favorable. Du moins, nous lisons dans une lettre de M. de Veyrier, du 3 novembre 1780 : J'ai remis à M. l'avocat Béné un mémoire fort abrégé concernant le saignement des marais de Bossey, le pont sous Sierne, l'église et l'alignement de Carouge. Je vous en envoie copie afin que vous puissiez la remettre à M. l'intendant gé- néral de Savoie qui aviserait celui de la province de Carouge, auquel ces objets ressortent. J'ai été étonné de voir que dans un pays où l'on a tant de besoins, et où l'on ne peut y subvenir sans écraser les peuples, l'on ait négligé d'accepter l'offre de dix mille livres faite par M. Scbmidtmeyer, moyen- nant une reconnaissance du souverain qu'il semblait mériter. Comme il avait exigé le secret, j'ai élé étonné qu'on eût en- voyé son mémoire dans ce pays. Toujours incliné pour le service de mon souverain et le bien de ses peuples, je serais prêt à faire de nouvelles tentatives auprès du susnommé, mais sans rien promettre II faut être sur les lieux pour voir combien on a besoin d'argent ici, sans savoir où le prendre. Cela fait tout languir, et cette somme, qui semblait venir du ciel, seraitbien utile pour concourir au saignement des marais de Bossey et au creusement d'un canal pour en amener les eaux à Carouge. Il n'y a point d'eau dès longtemps ni à Sierne ni à Vessy. On doit en prendre dans l'Arve, toute bourbeuse qu'elle est; mais, attendu qu'il va dans le haut Faucignyune maladie parmi les mulets et chevaux, et que l'on a jeté dans l'Arve beaucoup de ces animaux crevés, cela a dégoûté bien des gens. Ils viennent prendre de l'eau ici à Veyrier avec des bossettes. Madame la baronne de Blonay, qui admirait avec quelle abondance ma fontaine poussait, me disait que son mari paierait bien dix mille livres pour en avoir une sembla- ble à Vessy. Tous les Genevois passagers s'arrêtent pour ad- mirer celte source. Du cAtéde Gentou, ils sont obligés d'aller 43 prendre de l'eau au lac avec des tonneaux. Mais si Mme la baronne n'est pas favorisée du côté de l'eau, elle l'est par la pèche qu'elle fait en Arve où elle a déjà pris, avec son nou- veau filet, 80 et quelques livres de belles truites de 5, 6, 9 et même 1-2 livres pièce. » Pour en revenir à Carouge et au sieur Schmidtmeyer, j'eus occasion de voir celui-ci la semaine passée, et il ne m'a pas paru qu'il fût encore informé que l'on connût son offre dans ce pays. 1! ajouta même que cela lé peinerait beaucoup qu'on la sût. Sur quoi je lui demandai s'il serait toujours de parole à l'aire la même offre de dix mille livres contre des lettres de noblesse. Il me répondit que oui, et qu'il était prêt à vous confier un nouvel engagement. Voyez, de concert avec M. Béné, si l'on pourrait renouer l'affaire. On aurait aussi bien besoin perdre, qui soutiendrait mon cadet"? Ces idées sombres m'ont incité à n'agir que selon mes facultés. Par la suite, si je vis et que je m'en sente les forces, je ferai davantage. Quant à mon fermier, cela ne me fait aucune peine de prendre son 56 argent. Il pourrait, au besoin, se rembourser par les prises; et, d'ailleurs, cela se fait secrètement, par un billet, entre lui et moi. » Quant au baron de Blonay, il me disait l'autre jour qu'il avait emprunté, avant d'aller à Turin, à 3 V2 pour °/0, afin de finir de payer 'son acquisition ; et, d'ailleurs, son argent est placé à Genève, en attendant que ses criées soient finies. Peut-être n'en verra-t-il pas le terme, car il est alité de maladie , à Vessy, et, à son âge de 72 ans , tout petit mal est à craindre. On doit lui proposer de tester aujourd'hui. » Les paysans d'ici menaient les matériaux pour presque rien. Un nommé Favre, entrepreneur de bâtiments à Ca- rouge, leur a offert dix écus neufs et demi par toise pour faire tirer les pierres du pied de la montagne et s'aider à les charger. Tous en tirent pour lui. Je n'ai plus pour moi que mon granger, car je ne peux payer un prix si exorbitant. M. l'architecte Élia, de Turin, qui dîna ici dimanche dernier, me dit que cela renchérirait les bâtisses. Il me conseille de bâtir le long de la rue de la foire, disant que, dans tout Carouge, vieux et nouveau, il n'\ a pas de meilleur empla- cement. Plus tard, je pourrais bâtir du côté de la place, quand j'en aurai les facultés. Si j'avais de l'argent, comme j'ai les emplacements et le courage, je ne cesserais de bâtir à Carouge, croyant qu'il y a bien de l'avenir. » Le 22 décembre. « Le baron de Blonay, dont le mal est une fièvre inflammatoire, dont il est en danger de mourir, a reçu hier les sacrements. Il a fait aussi son testament. Un des témoins m'a dit qu'il léguait à sa femme l'usufruit de son domaine de Vessy et de celui de Lugrin, son appartement à Évian, et l'intérêt de sa dot sans celui de l'augment. Il a nommé son aîné, Philippe, pour son héritier, et il a légué à chacun de ses quatre autres enfants mâles, seulement à chacun 15,000 livres, outre 2,000 livres lorsqu'ils embrasse- 57 roui un état, et 3,000 livres pour leur faire un équipage, en cas de guerre. Leur part de la dot el de l'augment de leur mère rrest pas comprise dans ce legs. «Les deux filles sont léguées chacune de 35,000 livr. pour tous droits de père et de mère. Ayant si peu poruonm enfants, on pense que son hoirie D'est pas si forte qu'on le croyait. On le disait pins riche que M. Foncet de Montailleur, et cependant, ce dernier a huit enfants, fait deux héritier et lègue 15,000 livres à chacun des autres. La baronne de Blonay o'a eu, dit-on. que 50,000 livres de France de dot. Il ne nous convient de parler de cela qu'entre nous Le 'Jô décembre. ■ Je ne dois point vous laisser ignorer que le haron de Blonay est décédé vendredi dernier. Il s'esl reconnu jusqu'à son dernier moment, et n'a pond paru regretter la vie. Cette mon bous a été. à tous, fort sensible. Mme la baronne est dans une grande affliction. Elle se plaint des parents de son mari, qui ne lui ont donné aucune conso- lation. Le marquis de Coudrée, cousin-germain, s'est ex- cusé de venir aider à faire le testament. Le défunt fut en- terré, hier, sans faste, au cimetière, comme il l'avait ordonné. On a fait part de sa mort an gouverneur de> pages, afin d'obtenir un congé pour l'aîné des fils, qui est héritier, afin qu'il vienne >e mettre au courant des affaires. On croit que la baronne le retirera des pages, pour lui procurer une place dans les nationaux, el lui substituera Matthias, qui n'\ est pas encore. «Je n'ai pu refuser des larmes à ce bon baron, qui. du reste, n'était ni le partisan ni l'ami de Carouge. Ses projets ei ses dignités ont été ensevelis avec lui. Il m'en entretenait souvent. La baronne «lit qu'elle trouve que son mari a trop peu portionné ses filles, mais qu'elle réparera cela en leur donnant au moins 40,000 liv. Connue je me plais à penser aux choses à l'avance, pour les mûrir, nous avons trouvé. 58 entre ma femme, dont la prudence m'est connue, et moi, que si, dans huit ou dix ans, selon les circonstances, nous étions à même de voir marier notre aîné, ce serait une chose qui lui conviendrait beaucoup, tant pour lui que pour l'al- liance, que de prendre la fille aînée, qui a neuf ans. Élevée à Vessy, où la mère se plaît, elle ne serait pas fille à exiger de la dépense. Comme je ne doute pas que ses qualités ne la fassent rechercher, je juge qu'il serait bon de ne pas attendre pour faire des ouvertures secrètes, entre parents, avant qu'il y ait d'autres arrangements pris. » Nous sommes forcés, pour bâtira Carouge, d'aller acheter nos'bois à Genève, où il se vend meilleur marché que celui de nos environs, où il n'y a point de forêts, mais seulement quelques chênes épars et des arbres fruitiers. Je verrais avec grand plaisir s'établir le radelage sur l'Arve, qui ferait abonder les denrées à Carouge, et réunirait, en divers en- droits, nécessairement les bras de cette rivière, afin d'avoir toujours un plus gros volume d'eau. Cela exigerait bien des frais, à la vérité. Il faut éprouver les choses avant d'en éva- luer les profits, qui ne sont souvent que chimériques. Cela n'empêche pas que, si j'avais de l'argent, je bâtirais à Carouge par spéculation, car il annonce de devenir ce qu'on atten- dait. Je ne voudrais cependant pas me blouser avec mes bonnes intentions. Je vois que la plupart de. ces boutiquiers qui viennent demeurer ici sont gens sur qui il faut faire peu de fond. J'en connais qui ne m'ont pas donné un sol depuis dix-huit mois, par exemple, le serrurier (Paroisse) qui tra- vaille pour l'entrepreneur de l'église de Carouge. S'il dé- campait, adieu ma rente. Un autre de mes locataires s'est retiré à Genève, où je ne sais comment le poursuivre, pour douze louis et demi qu'il me doit. Néanmoins, je vais de l'a- vant. » Le prieuré de Peillonnex, que l'on pensait devoir être réuni 59 a Carouge, pour y avoir deux ou trois prêtres, afin de com- mencer à enseigner et procurer des messes, vient d'être donné à l'évêque de Chambéry. Peut-être lui donnera-t-on encore Talloires. Ainsi, tout d'un côté et rien de l'autre, car cet évoque est déjà richement portionné. Ne fera-t-on donc rien pour la capitale de notre nouvelle province, qui, par sa position, mérite si fort d'être distinguée?» 1981. Le /•' de 1781. » Kn unis souhaitant la bonne année, mon cher frère, je viens \ous entretenir de ce Carouge, qui nous intéresse tant, et des nouveaux projets par lesquels j'apprends qu'on veut bouleverser ce que je regardais comme définitivement arrêté. »Si, au lien de conserver la grande route par la rue où elle est, on venait à la transporter dans la rue projetée au- dessus, on ôterait tout commerce et tout passage au Carouge actuel, qui doit cependant bien oompter pour quelque chose. Outre la perte de terrain, on rendrait désert un endroit ha- bité, sans aucun profit. C'est une idée bien absurde que celle de vouloir faire prospérer un lieu en éloignant de ce lieu le passage el le commerce. Cette variation, si elle rem- portait, dégoûterait bien dll inonde de venir s';, établir, sur- tout des artisans. J'ai été informé que, malgré cela. M. Ma- riera, dans son mémoire nouveau, a opiné pour cette nouvelle rue, comme étant convenable et nécessaire, alléguant qu'elle se bâtirait immédiatement et en belles maisons. Il n'indiquait pas Les bâtisseurs. Il alléguait ensuite (chose fort erronée) que cette rue abrégerait la route des voyageurs. De com- bien? lui demande-t-on. Peut-être de trois à quatre minutes. Il dit que partout il y a des routes bois des villes, même à Cbambéry. Mais il ne réfléchit pas à la différence qu'il y a 60 d'une ville telle que celle-là à une ville naissante, située à la porte d'une autre ville, grande, opulente et de grand com- merce, où chacun s'empresserait d'aller faire ses affaires sans s'arrêter à Carouge, d'autant plus que, par cette route, on leur en fournirait les moyens par sa droiture. « Finale- ment, a ajouté M. l'architecte Manera, la grande rue actuelle n'est bordée que de mauvaises maisons basses » : mais il n'a pas avoué qu'elles sont habitées jusqu'aux toits, et que, d'ail- leurs, il importe peu aux voyageurs que les maisons soient hautes ou basses, moyennant qu'ils y soient logés, et que le passage de la rue soit large et commode. Puisqu'on a le plan du tout à Turin, j'espère qu'on comprendra le ridicule du nouveau projet, qui, mis à exécution, serait bien préjudi- ciable à Carouge. Puisque vous pensez que M. le comte de Robilant, dont la justesse de discernement est heureusement connue, a assez de crédit, vu la confiance que l'on a dans ses heureux talents, pour faire éluder ce désastreux projet, représentez-lui bien qu'il1 vaut mieux s'en tenir au présent, sans chercher un futur incertain, qui ne servirait qu'à faire gémir les personnes qui ont mis leur petite fortune en bâti- ments dans une rue fréquentée et de commerce. Pourquoi, sur l'idée d'un particulier, rendre cette rue déserte ? Si le nouveau système prévaut, Carouge y perd déjà le vaste éta- blissement que je me proposais, et que je n'irai point trans- porter ailleurs. Au reste, peut-être gagnerai-je à ne pas bâtir. Ma vanité ne serait pas blessée d'être obligé d'aller encore, fort inutilement, frapper à plusieurs portes. Bien des personnes me disent que mon bâtiment coûtera de 40,000 à 50,000 livres. Je réponds modestement qu'il sera fort dispen- dieux, mais que, n'en ayant pas encore le plan définitif, je n'en ai point encore fait le devis J'espère qu'ils diront encore une fois : « Comment fait-il et où prend-il pour faire de semblables dépenses? » sans ajouter « qu'il em- prunte. » 61 » Vous dites que l'on parle à Turin du projet de mon bâti- ment. On en parle aussi beaucoup ici et dans tout le pays. Quand j'aurai mou plan, je verrai, par le nombre de portes et fenêtres, ce qu'il me faudra de quartiers de molasse. On la paie, à Genève, de 29 à 30 et 31 sols, suivant le temps où l'on emplette, et les commissions. -> Cette rente de 2,000 livres que vous m'annoncez est un puissant aiguillon pour m'animer dans mon entreprise, pen- dant que je peux agir; car, pour le pauvre comtin, mon dis aîné, sans lui trouver de défaut essentiel tendant à aucun vice, je le trouve trop mou, peu actif; paraissant n'aimer ni la peine ni les affaires, passant plutôt les journées à lire ou à barbouiller du papier dans une chambre, sans se mettre à vaquer à {]c<. affaires plus intéressantes. Mais cela peut en- core changer avec l'âge. » J'ai conféré avec M. l'intendant au sujet de l'établisse- ment permanent, pendant quelques années, d'une loterie à Carouge, à 9 pour cent de retenue, comme vous me l'avez suggéré. Il est fort aussi de cet avis, paraissant toujours fort incliné pour ce lieu. Il m'a dit qu'on la pourrait faire de 100,000 livres, et mettre le gros lot à 15,000 livres. Je lui ai dit qu'il devait être au moins de 20,000 livres, parce qu'elle engagerait plus les étrangers à y mettre. Il m'a ajouté, mais n'en témoignez rien, qu'il en écrirait à M. le comte de Robi- l;t ii t , pour lui en donner le plan et lui en' laisser la gloire. Si vous avez quelques lionnes idées là-dessus; on les écou- tera avidement. On croit cependant que cette loterie aura de la peine à s'établir, parce que Genève, jaloux de la pros- périté de Carouge, n"\ mettra pas. M. de La Grave, colonel de Savoie, me disait que, dans toutes les loteries de Turin. il avait mis dans l'espérance d'avoir le gros lot, pour faire bâtir ici nue maison à sou frère, niais que cela ne lui avait pas encore réussi. 62 » Les paroisses de La Muraz et autres cherchent à s'unir à la province de Carouge. Cela fait de la peine au marquis de La Roche. Comme cela ne nous intéresse pas, laissons- les agir sans nous en mêler. Le sieur Burnier m'a dit avoir envoyé à Turin des attestations des curés, touchant le nombre de gens morts dans la neige, eu allant porter les tributs ou plaider à Annecy. On en pourra faire l'usage qu'on jugera convenable. » On désirerait fort à Carouge que l'abondante fontaine qui découle sur la place fût ailleurs, car, en jetant les fon- dements de nouvelles maisons, on en a mis à découvert les sources et bouché les conduits souterains. Cette eau reflue aujourd'hui partout. » Les voitures passent déjà vers l'église, près de la place. On devra encore élever de 3 pieds le pavé de la rue pour donner de l'écoulement aux eaux. Le sieur Basse dit que pour finir l'église de Carouge il faut encore 100,000 livres. Je pense qu'on pourrait la finir à moins de 20,000 livres et ré- server le reste pour d'autres nécessités, comme collège, hô- pital, etc. Ce qui est fait servirait de sanctuaire, et le reste devrait être tout simple, sans ces ornements en gyps, qui sont chers et inutiles. Cette église est, à mon avis, manquée; elle est trop haute et trop étroite. L'intendant m'a dit que si c'était une minime somme qu'il faudrait pour finir Téglise, on n'ose- rait pas la demander en cour de Rome, mais qu'une grosse ferait plus d'impression. Voilà pourquoi on veut un gros chiffre qui ne coûterait rien au Roi. A cela, patience. » S'il y avait un collège à Carouge, cela engagerait bien du monde à venir y habiter, même des gens du pays de Gex, où l'on ne sait comment élever les enfants. On serait à portée d'avoir ici toutes sortes de maîtres, et cela y verserait bien de l'argent. A cause de la proximité de Genève, on ne parle pas de religion et les mœurs sont ici aussi réglées, pour le moins, m qu'ailleurs. Les protestants disent qu'enx^-mewes enverraient leurs enfants à ce collège. Si l'on ne nous donne pas les moines de Talloires, pourquoi ne nous donnerait-on pas les Barnabites, inutiles où ils sont t*t qui ne coûteraient rien au Roi? L'intendant sent aussi très-bien la nécessite" de faire venir quelque communauté. Il est de môme contre l'idée de l'aire ouvrir cette nouvelle rue au-dessus de l'église qui con- duirait droit à Genève sans passer par l'ancien Garouge. Plusieurs personnes d'Annemasse, à cause de l'air malsain de ce lieu, sont dans l'intention de venir se fixera Garouge si le pont sous Sierne s'exécute. » Comme vous vous intéressez aux nouvelles qui regardent la République de Genève, je vous en donne de fraîche date et qui semblent mériter votre attention, tant les suites en peuvent devenir sérieuses. J'ai envoyé mon fils Comtin qui a tout vu, n'étant sorti qu'aux portes fermantes. » La rumeur est venue de ce que le sieur Du Roveray, procureur général de cette ville, qui est un démagogue des Représentants, avait fait un mémoire apologétique pour dé- fendre leur cause, lequel est écrit en termes peu mesurés, surtout en ce qui regarde la France. Il s'est permis de dire entre autres que les lettres dont avait fait usage M. Gabard, secrétaire de la résidence (M. le résident étant toujours ab- sent), et provenant de M. de Vergcnnes, ministre des affaires étrangères, paraissaient supposées. » Le magnifique Conseil fit ce qu'il put pour empêcher qu'il ne fît imprimer cet écrit. Mais sans vouloir écouler aucune représentation, il passa outre, ce dont la cour de France ayanl été informée elle écrivit mercredi dernier une lettre au dit sieur Gabard. M. le comte de Yergenneslui disait entre autres, que le Roi de France, informé de cet écrit, en de- mandait au souverain une satisfaction éclatante. » M. Gabard ayant communiqué ses ordres au Conseil, 64 jugez quel a été l'embarras de celui-ci et son inquiétude, soit de refuser la satisfaction exigée dans les 24 heures, soit de punir le chef des Représentants. M. de Vergennes ayant en outre mandé à M. Gabard, que si, dans le dit terme, le Conseil ne rendait pas la justice que le Roi exigeait, il eut à se retirer incontinent de Genève et à remettre dans ce cas au Conseil une lettre cachetée (dont on ignore le contenu mais que l'on croit très-menaçante), la perplexité redoubla. Dans ce cas, M. Gabard décachèterait aussi la lettre qui lui était adressée de son côté. » Au milieu de cette confusion, le Conseil s'est assemblé mercredi dernier aprèsmidi, et la séance a duré jusqu'à hier, environ les 4 heures après midi » C'était le terme fatal pour la sortie du sieur Gabard, le- quel avait déjà fait venir, à l'hôtel de la Résidence, une voiture attelée et prête à partir. Il était temps de venir lui annoncer que le Conseil avait donné les arrêts chez lui au dit Du Roveray, et qu'il avait décidé d'envoyer deux députés à Paris. Pendant toute la journée la ville a été en .émeute et on s'at- tendait à tous moments à une prise d'armes, les uns disaient qu'il fallait que les Représentants s'emparassent des portes de la ville, et les autres qu'on ne laisserait pas châtier le dit Du Roveray et qu'on devait laisser partir le sieur Gabard. La plupart des natifs prenaient le parti des négatifs. Tous ont passé la journée l'épée au côté, tant près delà maison-de-ville que dans les cafés, et quand le sieur Du Roveray, qui était détenu dans une chambre près de la maison-de-ville, pendant la séance du Conseil, eut été condamné aux arrêts, les Repré- sentants, au nombre de 25, l'ont accompagné. Rref, M. Ga- bard n'est pas parti, bien que M. Roqueville, aumônier de la résidence, fut déjà sorti de la ville. » On croit que la France ne se contentera pas de cette légère satisfaction, et que cela pourra avoir des suites très- 65 sérieuses. On ne peut encore que faire des conjectures. En attendant, il se tient à Genève des propos bien séditieux. On connaît l'esprit de cette population et on craint qu'il n'y ait du sang versé. Bien des gens sont dégoûtés de rester dans cette ville qui est continuellement agitée et dans le trouble. » Cela pourrait avoir, pour Carouge, des résultats impor- tants. C'est peut-être pour nous le moment .décisif. » g i\ . Carouge pendant les troubles «•!» ils de Cenève (1981). Dès ce moment, la correspondance du comte de Veyrier avec son frère le comte de Châtillon emprunte un nouvel intérêt aux événements de Genève, qu'il expose très en dé- tail et à son point de vue naturellement. Ses récits peuvent servir de contrôle à ceux des historiens de Genève pour la même époque. Carouge devenait un lieu de refuge tantôt pour un parti et tantôt pour un autre, selon les alternatives de succès et de revers des Représentants et des Négatifs. En reproduisant les lettres du comte de Veyrier, pour ce qui concerne cette partie de sa correspondance avec son frère, le comte de Châtillon, nous avons respecté, autant que possible, la naïveté et la franchise du style, en éliminant tout ce qui était très-intime ou d'un intérêt trop secondaire. Du ti janvier. « On vous envoie donc toujours des projets pour Carouge. L'auteur de celui dont vous n'avez pas su dé- chiffrer la signature , est un nommé Fantin, chirurgien, qui ne fait pas grand bruit dans ce lieu. Le page de Blonay est arrivé avec M. Albertis, de la Chambre des comptes. Il m'a dit que la lieutenance des gardes-du-corps, à laquelle vous aviez pensé, a été donnée à M. d'Auturin, lieutenant-colonel des dragons de la reine, et la cornette à M. de Sonnaz. Feu M. de Blonay n'était ni le partisan ni l'ami de Carouge. Sa 66 femme paraît du même sentiment. Les gerbes de dîmes per- dues et la suppression des redevances féodales, qui influe sur l'agrandissement de Garouge, lui sont très-sensibles. Néanmoins, comme elle économise sur tout, elle laissera une fortune très-considérable. » L'intendant de Carouge fait tirer un niveau général, alin que chaque bâtisseur sache à quoi s'en tenir pour les éléva- tions. On parle du rappel de M. Manera. S'il a lieu, qui est- ce qui fera finir sa maison ? Ce ne sera pas moi. L'architecte qui viendra à sa place improuvera sans doute bien des choses faites par son prédécesseur. Il ne faut donc pas se presser. Si l'on veut faire quelque chose en faveur de Carouge, il faut tâcher que ce soit pour le mois de mars. En vertu d'or- dres de Turin, on a fait enlever les serrures des bancs d'é- glise ; j'avais eu le bon esprit de ne fermer le mien qu'avec une targette, en faisant plaquer mes armoiries en relief sur le devant. Chaque mois, l'état de la population carougeoise varie et il est très-difficile de se le procurer au juste. La maison du marquis du Wache est à Carouge. Les affaires de Genève se compliquent de manière à exercer une influence, dans un sens ou dans l'autre, sur celles de notre localité. Le jugement du Magnifique Conseil contre le procureur général Durovray lui inflige les arrêts chez lui. Il est suspendu de ses fonctions, et son écrit doit être lacéré. M. Gabard a été prié d'écrire à sa cour, pour demander si Sa Majesté Très- Chrétienne daignerait recevoir deux députés du Conseil, chargés de lui porter des excuses. Dans l'émeute de jeudi dernier, il y eut une prise d'armes, dans laquelle un nommé Gu erre, Représentant, tua le nommé Gaud, Natif, tenant pour le parti négatif. Cela augmente le nombre des natifs qui se rattachent à ce parti. Il y a une haine implacable entre les Négatifs et les Représentants. Ces derniers sont plus nom- breux, mais les premiers sont plus riches, ce qui augmente encore la haine des autres. » 67 Ce 18 janvier. » J'ai reçu, par le dernier courrier, voire lettre du 13 du courant. Celte poste, établie à Carouge, nous est des plus commodes; on y reçoit ses lettres près d'une heure plus tôt qu'à Genève, et la poste y part plus tard ; si bien, qu'ayant une chambre sur les lieux, quand il y aurait quelque chose de pressé, on peut très-aisément répondre par le môme courrier. » Ce qui écarte et écartera toujours les Genevois de venir à Carouge, c'est de n'y pouvoir oxercer, du moins secrètement, dans une chambre, aucun acte de religion, et d'être obligés d'y vivre, disent-ils. en bêtes, car il y en a à présent grand nombre qui disent que le gouvernement de Genève leur dé- plaît trop pour y rester, et qu'ils vont chercher un asile ou en Prusse, ou en Hollande, ou en Angleterre, ou chez quel- ques princes d'Allemagne, ou au pays deVaud; et nombre qui disent qu'ils préféreraient la douce domination de S. M., dont ils chantent merveille: ils n'aiment pas la France, parce que, disent-ils, elle est trop du parti du magistrat, et veut les subjuguer : je ne plaide point leur cause, le gouver- nement est trop éclairé pour ne pas savoir profiter de ces circonstances. Genève se dépeuplant et les habitants se reti- rant chez l'étranger, cela nuira beaucoup à tout ce pays. » Ce n'est point par une animosité particulière . mais bien dans le trouble que Guerre a tué Gaud : il est vrai que ce dernier n'était pas armé et sortait de chez lui pour aller, dit-on, prendre ses enfants au Collège. Il était, il est vrai, du parti négatif, qui est celui du magistrat et du Deux-Cents, et Guerre était Représentant, qui est le parti des bourgeois; mais, comme Gaud n'était pas en armes, on a regardé cela comme un assassinat, et les deux partis l'ont désapprouvé, et, si Guerre ne s'était pas sauvé, peut-être, dit-on, aurait-il été pendu ; mais, néanmoins, c'est un des griefs sur lesquels les Négatifs s'appuient fortement pour demander la médiation,. 68 et, au besoin, la garantie. Les Natifs sont, pour la plupart, du parti négatif : ce qui tient beaucoup en réserve les Représen- tants, qui, sans cela, seraient bien plus nombreux; ils ont même fait ce qu'ils ont pu pour les démancher et les attirer ' dans leur parti, mais ils n'ont pu réussir; maintenant ils en disent de mauvaises choses : tous conviennent, des deux parts, que jamais la haine n'a été à son comble comme à présent, ce qui leur cause bien du mal et des pertes de temps. Le jour, ils boivent dans les cercles, et la nuit, ils patrouil- lent par la ville, malgré les défenses affichées publiquement par le magistrat, dont le gouvernement est trop faible pour oser les réprimer. » M. Manera fait beaucoup crier contre lui; sans doute que quelqu'un aura écrit à Turin, que, quoique architecte et ayant donné les plans et devis des églises de Foncenex et de Bossey, il en avait pris ensuite les prix-faits, mal exécuté les choses, trop à la légère, et en avait tiré l'argent, dit-on. Il n'a payé que très-peu de monde, soil des à-comptes, et re- doit plus de six mille livres, ce qui fait murmurer bien des personnes : j'entends ces clameurs et ne réponds rien du tout. Je crois que cette maison qu'il a commencée à Carouge, pour laquelle il fait, à crédit, de grands approvisionnements, est pour jeter de la poussière aux yeux; bien des gens en pensent de môme, et qu'une fois passé les monts, tout en res- tera là. Il faut voir et attendre : peut-être sont-ce ses enne- mis qui le décrient ainsi; mais le réel est qu'il doit beau- coup et fait bien crier. » Pour donner une consistance fixe à Carouge, et pour que chacun pût savoir à quoi s'en tenir et où bâtir, il serait néces- saire, outre les niveaux, quand ils seront donnés, d'en avoir un plan imprimé et de le faire vendre à Carouge, pour que cha- cun pût s'instruire et voir les divers emplacements où l'on doit étendre celte ville; afin que chacun pût voir et. examiner tfl le lieu le plus convenable, sans variation, où il peut bâtir ; cela ne coûterait rien au roi, et serait des plus utiles. » M. Gallatin, citoyen de Genève, qui était allé en poste, à Paris, porter l'arrêt du Conseil contre le procureur général Durovray, dont il a été parlé ci-devant, est de retour avec les ordres de la cour de France, qui a demandé au Conseil que l'écrit dudit Durovray fût brûlé par la main du bour- reau, ce qui a été exécuté bier, à dix heures et demie du matin. Il a été déclaré incapable de posséder aucune cbarge, privé do celle de procureur général, et d'être membre du Deux-Cents. ll;i. dit-un, d'abord écrit aux Cercles des Repré- sentants, en leur disant qu'il se soumettait à colle décision, les priant instamment de ne pas remuer. » L'on croit que nous aurons la médiation, et on dit que ce sera M. de Noailles qui sera député de la France ; ce sera un bonheur pour les Genevois, dont les esprits sont trop échauffés pour s'accorder entre eux. » Il \ a des Représentants qui pensent qu'en cas de média- tion, il serait de leur intérêt de prier la cour de Turin d'\ envoyer aussi un député. » Du 23. « Les Représentants paraissent fort humiliés de la hardiesse, disent-ils, de la France, de prononcer le jugement d'un île leurs chefs, le sieur Durovray. et d'en requérir l'exé- cution (dont vous ave/ été infurmé), ce qu'ils regardent comme une grande atteinte aux droits d'un peuple libre comme eux; mais ils sont trop petits, il faut se taire ; ils ac- cusent les Négatifs d'en être la cause, et les Négatifs disent que c'est par suite de leur esprit inquiet, remuant, et de leurs termes peu mesures, dont ils ne cessent de remplir et fati- guer les es|uit> avec lems représentations, qu'ils sont la cause de tout le désordre, ce qui n'est que trop vrai. Mais comme leur parti est le plus nombreux au Conseil Général, où les Négatifs ne daignent pas seulement assister, pour con- 70 Irebalancer leur sentiment, ils firent rejaillir leur haine sur deux de leurs magistrats, qu'ils ont fait sauter de leur place, dimanche dernier, jour d'élection, parce qu'ils sont, disent- ils, du parti négatif, et ils les ont remplacés par deux autres, qu'ils pensent être mieux dans leur intérêt. Tout va par ca- bale dans leurs Cercles : il n'est point possible ni qu'ils s'accordent entre eux, ni que les choses en restent à l'état de rumeur et de désordre où elles sont. Les deux exclus sont MM. Jolivet et Gourgas, et les deux mis à leur place sont MM. Ami Rilliet et Boissier; mais chacun pense que ces der- niers refuseront. En effet, quel plaisir d'être aujourd'hui en charge et cassé demain , suivant le caprice des Réprésen- tants ? » Cette ligne de nouvelle élection , autrement appelée Grabot, dont ils abusent si fort, est une suite de ces lois, faites le pistolet à la main, en 1767. Ils forcèrent le magistrat de les accepter; mais, comme les Négatifs attendent avec impatience la médiation, qui, disent-ils, ne tardera pas d'ar- river, pour faire cesser tout ce désordre, on espère que cette fameuse loi, qui est tant de leur goût, sera anéantie, d'au- tant plus qu'elle n'a point été garantie par la médiation de 1 738 ; que messieurs les Représentants, qui, par leurs menées, ont déjà su indisposer contre eux la France et Berne, n'au- ront pas les rieurs de leur côté; que M. le comte de Ver- gennes, ministre des affaires étrangères de France, ne sera point si indulgent que M. de Beautteville, dernier médiateur, et que ce ministre, dit-on, saura bien faire agréer le plan de conciliation, dont ils se seront occupés, sous peine de voir venir dans leur ville la garantie armée, pour pouvoir par- venir à amener la tranquillité parmi eux, s'il e^l possible. Il est à craindre qu'au lieu d'un résident, on ne leur donne un régent : bien des gens le pensent ainsi. Mais les Représen- tants disent hautement qu'ils ne l'accepteront pas; qu'ils 71 mettront plutôt Le feu aux quatre coins de la ville, avant même que les troupes ne soient aux portes. Enfin, ce sont des esprits de partis outrés: c'est une guerre civile des plus acharnées. i Messieurs de Berne auraient désiré, en suite même de leur invitation faite au Conseil, qu'ils se fussent accordés entre eux sans la médiation, et n'ont pas paru prendre la cbose .1 ussi chaudement que la France, ce qui leur a attiré, dit-on. une lettre forte de la pari de M. de Vergenncs; ceux qui Ton! lue m'onl dil qu'elle portait, entre autres, que s'ils ne voulaient pas s'en occuper, la France le ferait seule, ce que les Suisses n'uni pas vu de bon œil. » Les Genevois ne s'empressent point de quitter la ville par crainte; ils disent, au contraire, qu'ils veulent garantir leurs foyers. Les Négatifs disent que, quoique leur parti soit le moins nombreux, les autres étanl mille contre cinq cents, néanmoins ils se croienl les plus forts, parce que le plus grand nombre îles Natifs el des habitants sont de leur parti; jusque-là, que s'ils les avaient laissé agir, il y aurait déjà quelques têtes de Représentants à Plainpalais, et que derniè- remenl ils eurenl beaucoup de peine à les contenir. • Du 20. « .levons ;ii écril par le dernier courrier, et j'ai appris depuis lors la mon de M. le baron de Bdëge de Saint- Michel ; commandanl à Chêne. Si le pont sous Sierne se fait, comme on l'assure, ce serait le cas de ne pas remplacer le baron: la distance de là à Carouge n'étant, comme vous le savez, que d'environ Mois quarts d'heure à une heure, l'of- ficier qui commanderait le détachement à Chêne serait à portée île prendre les ordres de ce dernier. En supprimant celle charge,on pourrai! mieux portionner celui de Carouge, lui donnant au moins deux mille livres de rente, avec son logement, comme étanl dans un poste où tout est cher. » Puisqu'il a pin an roi d'ériger ce lieu en capitale de pro- 72 vince, et que, par sa favorable position, il doit toujours être de conséquence, j'y veux faire un monument solide, quoique simple, qui marque cette époque mémorable par un millé- sime en gros chiffres. Si je suis une fois occupé à édifier, que Dieu me donne la santé, j'espère que tout ira bien... Mais, en suite de ce que vous m'avez dit précédemment, on ne touchera rien à cet ouvrage, que vous ne disiez qu'il en est temps, ou que M. le comte de Robilant ne soit venu visiter le local, ce qui serait, je pense, fort utile à ce lieu pour mettre décidément les choses en bon train. » Du 2 février. « S'il y avait bien des logements à Garouge, on pourrait avoir le choix des locataires qui sont venus s'of- frir inopinément pour habiter ce lieu. Ce sont MM. les bannis de Genève, réfugiés à Fernex, qui, mardi, y cherchaient des appartements. C'est sans doute pour éviter que cette colonie y vînt résider, et nuisît au corps d'horlogerie de Genève que, contre toute attente, les bourgeois représentants ont donné, il y a peu de jours, une représentation en Conseil pour le déterminer à proposer au Conseil Général de demander grâce et de les rappeler en ville, ce que le Petit-Conseil a re- fusé, disant que ce n'était pas le temps de s'en occuper ; et, comme ces susdits bannis pour crime d'État sont de bons artistes, il est à craindre que, s'ennuyant à Fernex, trop éloigné, à part le mauvais chemin, pour faire faire à Ge- nève leur commerce par des commissionnaires, et voyant que leurs amis n'ont pu obtenir leur rappel, et ne trouvant pas à se loger à Carouge, ils ne se retirent à l'étranger, ce qui serait une perte. » L'exemption de douane, à Carouge, dont on a été ilatté, est très-nécessaire pour y attirer du monde ; la douane aug- mentant le prix des marchandises dans cette localité, on se servira préférablement à Genève. » J'ai ouï dire que l'on avait volé quelques églises du côté 73 de Semine, et que l'on voyait beaucoup dos rôdeurs sur les grands chemins; mais ces patrouilles que l'on a faites, de concert même avec Messieurs de Genève, qui en ont aussi or- donné en même temps sur leurs terres, où on a pris aussi de fameux voleurs, qui s'y étaient réfugiés, les auront bien éclaircis, car le nombre, pris de ces côtés et dans le Chablais, va, dit-on, à environ une trentaine. » Les dissensions de Genève ont aussi inllué sur Zurich. Voici comment on le raconte : » Le Gouvernement de cette République, étant à peu près comme celui de Genève, lorsqu'il a été question de nommer des médiateurs pour venir à Genève, le Petit-Conseil de Zu- rich a cru pouvoir le faire et d'en avoir seul le droit ; la bourgeoisie s'y est opposée, et prétend aussi avoir ce droit, que c'est de sa compétence. Gela forme des débats si ora- geux entre eux, qu'il \ en a qui pensent que, peut-être, la chose ne s'accordant pas, il n'y aura point de député de leur part. » Quand je vous ai dit que les Représentants désiraient que notre souverain voulût aussi envoyer un député pour as- sister à leur accord, persuadés qu'il est de leur parti, c'est que plusieurs des leurs m'ont dit qu'il en avait été question d,i us leurs Cercles. Je crus devoir leur répondre que sûre- ment ses bontés le déterminaient à prendre part à leurs dis- sensions, qu'il verrait avec plaisir qu'ils s'accordassent entre eux ; mais, que s'étant donné des médiateurs, je ne pensais pas qu'il voulût s'en mêler; qu'au reste, ce n'était pas à moi à sonder ses intentions. Je regardais, a part moi, ce discours comme venant de gens qui, se noyant, s'atta- chent à toutes les branches. Le sieur Monloy1 se donna tous les I. C'était un fonctionnaire du gouvernement Sarde à Carouge, dont il sera plusieurs fois question dans cette correspondance. u mouvements possibles pour savoir les choses et les mander à Turin ; il alla même le soir dans les Cercles ; mais souvent il ne savait que ce qu'ils voulaient bien, regardé qu'il était (soit dit entre vous et moi), parmi eux, comme espion, ainsi que je leur ai ouï dire. Il est l'ami du parti Représentant. M. Gabard, secrétaire de Résidence, passant parmi les Repré- sentants pour être du parti Négatif, se trouvait, il y a quel- ques jours, près de leur Cercle, appelé le Coup-d'OEil; plusieurs tinrent, à son égard, des propos indécents, qu'il entendit. Il manda ensuite un des leurs, le chargeant d'infor- mer son parti que, si l'on s'avisait de tenir de tels propos sur son compte, il en informerait sa cour, et qu'ils en éprouve- raient les suites. Il y'a toujours une grande aigreur parmi les partis. On nous dit que toutes ces luttes fatales causentbien du préjudice aux commerçants; que leur crédit, à l'étranger, est fort baissé, et qu'ils ne reçoivent point de commissions. Leur destruction vient d'eux-mêmes; ce sont toujours les Repré- sentants qui commencent à brouiller les cartes. » En ce moment, je viens de voir ici le chevalier de La Grave de Laconnex, qui est depuis quelques jours à Carouge, et qui m'a dit que l'on venait de donner de nouvelles repré- sentations de la part des Représentants, auxquelles les Néga- tifs ont répondu, et les Représentants leur ont répliqué fort bruyamment. Il est d'avis, de même que bien d'autres, que la forme du gouvernement se change, sans quoi ils ne seront jamais tranquilles; mais que, pour y parvenir, il con- vient qu'il y ait des troupes, et qu'on entoure la ville, pour les intimider. Je lui ai fait observer que la France ne pourrait le faire du côté de Savoie. Il m'a répondu qu'en ce cas, on pourrait s'entendre, outre que la banlieue de la ville est assez étendue pour y pouvoir ranger des troupes. Enfin, il est à craindre,, pour eux, que le dénouement de cette scène ne devienne tragique. Je verrai ce qu'il y aura d'es- 15 sentiel pour vous eu faire part; mais, quant aux représenta- tions, je n'en lis point : elles m'ennuient, outre qu'elles sont très-volumineuses. Il va y avoir des Conseils généraux tous les dimanches, pendant quelque temps, pour l'élection, soit nomination du procureur général. Lis Représentants, piqués de ce que l'on a cassé leur partisan Duïovray, le veulent, dit-on, refuser, jusqu'à ce qu'on leur en présente un qui leur soit fort agréable. Et plus l'on assemble le Conseil Général, el plus cela donne lien aux esprits de s'aigrir. ■ Ce.r> février. « Mon cher frère, j'ai cru devoir vous informer de quelques nouvelles particularités touchant les affaires de Genève, où chacun pense que les brouilleries sont à leur comble et l'Étal fort malade. Il faut savoir que le Deux- Cents a droit de grabeUer annuellement les capitaines de la garnison, ce qui ne se fait néanmoins ordinairement que pour la forme; mais, comme à présent les partis cherchent à se nuire les uns les antres, on a agité dans ce Conseil d'en faire sauter deux, qui sont du parti Représentant, savoir MM. Gar- nier et Privât, ce qui a augmenté l'humeur de ces damiers, et surtout celle de M. Privât, qui est. dit-on. un déterminé, ayant servi contre les Turcs. Il menace de tuer le premier Négatif qu'il rencontrera, si on le prive de sa charge. Fina- lement, les dits Représentants, qui voient que les puissances garantes n'inclinent pas pour eux. viennent de donner une représentation, que je n'ai pas voulu voir, parce qu'ils sont trop longs dans leurs discours, H que cela m'ennuie île les lire. Ils disent qu'ils ne veulent point de médiation; qu'ils sont tranquilles, et n'en ont pas besoin; mais les Négatifs ne sont pas de cet avis, et la réclament fortement. Cependant, les Réprésentants ne trouvent pas leur situation si paisible, puisque, depuis ma dernière, quatre des leurs sont venus à Carouge, dans l'intention d'y louer une douzaine de mai- sons, pour \ déposer leurs plus précieux effets, leurs femmes I 76 et leurs familles ; mais ils n'en ont pas trouvé, puisqu'il n'y en a point de vacantes : le curé de Theyry a bien fait tra- vailler à la sienne, cet hiver, mais elle ne sera peut-être pas habitée avant l'automne ; ces choses-là vont lentement. lime disait jeudi, qu'un Genevois lui aurait payé 20 louis pour le rez-de-chaussée, s'il avait été fini. Ce serait bien le moment d'attirer ces personnes à Carouge, car, une fois qu'elles y auraient pris goût, on serait fort : autant vaut, pour eux, d'être là qu'à Plainpalais ou aux Eaux -Vives, Pré-1'Évê- que, etc. ; et ils n'auraient pas besoin d'équipages pour aller faire leurs affaires en ville. » Si les Genevois prenaient une fuis goût pour Carouge, comme asile, en cas de difficultés chez eux, ce serait alors que l'on, pourrait traiter avec eux pour bâtir. En toutes choses, dit-on, commencement. J'aurais bien désiré, surtout dans cette circonstance, qu'ils eussent pu voir maintenant au moins les fondements de mon bâtiment, qui les frapperait, en allant et venant, par sa longue étendue. D'ailleurs, pour instruire le public de tout ce que l'on veut, on a la voix de la Feuille d'Avis. » A l'égard des voleurs (mentionnés plus haut), je vous ai écrit ce que j'en avais ouï dire. Au nombre de ceux que l'on a arrêté, il y en a un, appelé le Grand-Philippe, qui a déjà eu le fouet, à Genève, et échappa, par une voix, à la po- tence. Il s'est déjà, dit-on, sauvé des prisons de Berne et d'autres villes. C'est un fameux coquin, chef de bande : on le laissera peut-être bien aussi s'évader des prisons de ce pays; on y est trop lent à les exécuter. » M. Yernet vient de me dire qu'il y a un congrès à Aarau, entre les Bernois et les Zuricois, à l'occasion des dissensions de Genève, et sur le parti à prendre pour les pacifier. Il m'a ajouté que l'on avait tenu hier un Conseil général pour l'élec- tion d'un procureur général, en remplacement de M. Du- I 77 rovray ; le Conseil général a protesté, disant que, comme c'é- tait lui qui avait créé le premier, c'était à lui à juger s'il devait être cassé; et. comme il y aura à ce sujet plusieurs Conseils généraux de convoqués, s'ils n'en veulent point élire, ce sera un mépris pour les ordres de la France. Ils veu- lent même, dit-on, donner mercredi une représentation, par laquelle ils exposeront qu'il n'y a pas lieu à priver de ses fonctions le sieur Durovray, et qu'ils le regardent tou- jours comme procureur général. Ils font toujours bien preuve, parleurs menées, de leur esprit revêche. Aussi a-t-on écrit de Berne, à M. Yernet, que si la médiation a lieu, on tâchera de ranger les choses de façon à n'y pas revenir de longtemps. Ce gouvernement pourrait bien devenir aristocratique : ce serait un grand bien, on en serait bien plus tranquille, t Carouge, ce mardi fi février* » Je viens vous dire la grande nouvelle arrivée, ce soir, à Genève : je l'avais bien prévue ; je ne peux pas vous en faire un récit détaillé et assuré, ne pouvant entrer en ville, dont les portes sont fermées. Mais, ce qu'il y a de plus certain (suivant que nous l'apprenons par deux ou trois personnes que l'on en a fait sortir ce malin), c'est que les Représentants ont pris les armes ce soir, ont enfoncé les portes de l'arsenal, d'où ils ont sorti quel- ques pièces de canon; ont désarmé la garnison, qu'ils ont fait sortir à Plainpalais ; se sont emparés «les portes, et ont, dit-on. fermé les Négatifs chez eux. Dans le tumulte de ce soir, les uns disent qu'il y en a eu neuf de tués, d'autres di- rent trois; mais un homme de Lancy, qui a couché à Genève, dit qu'il n'y a qu'un nommé Noiret, qui était même du parti Représentant, qui a été tué par les siens, dans la mêlée, et que deux autres tint été blessés. On a pris au dépourvu les Négatifs: mais cet acte de violence, de la part des Repré- sentants, ne mettra pas les médiateurs de leur parti : les suites de cette affaire vont devenir très-intéressantes, et fu- 78 nestes pour quelques-uns. Les Représentants, qui méditaient ce coup de main, disaient hier, à ce que j'ai appris, qu'ils allaient s'exposer ; mais que, si on cherchait à les réduire ou à faire marcher des troupes contre eux, les têtes des cent quinze qui, dans les Deux-Cents, sont du parti des Négatifs, sauteraient : ils en sont capables. Il y a ici bien des gens qui voulaient passer au pont d'Arve, mais le passage en est em- pêché, on l'a fermé; et, faute du pont sous Sierne, ces per- sonnes restent. Beaucoup pensent que, peut-être, on n'ou- vrira pas les portes pour laisser partir les courriers. Voyez aussi si l'argent du roi est bien en sûreté dans cette ville, où le peuple est le maître , et si on le respecterait en cas de pillage, ainsi que je vous le faisais observer dernièrement, à l'occasion de Carouge. Enfin, comme vous vous intéressez au sort de ce petit État, qui est au moment de se détruire par lui-même, si, d'ici à vendredi, l'on peut entrer dans la ville, je tâcherai de vous instruire de tout ce que je pourrai ap- prendre de plus vrai, ainsi que du traitement qu'ils auront fait à M. Gabard, secrétaire de la Résidence, qu'ils savaient n'être pas de leur parti. Mais ce grand désordre amènera, s'il plaît à Dieu, le bon ordre. » Ce que j'ai maintenant improuvê chez M. Monloy, c'est que, étant Représentant outré, il paraît jubiler et se réjouir de ce coup de main, qui, selon moi et bien d'autres, devra nécessairement faire changer la forme de ce gouvernement, mais peut-être pas sans répandre du sang. » Du 9 février. « Je ne doute point, mon cher frère, que vous n'attendiez avec une vive impatience des nouvelles de la position critique où je vous ai marqué, par le dernier cour- rier, que la guerre civile des Genevois avait réduit la Répu- blique. Je me suis donné bien du mouvement pour pouvoir vous faire une relation des plus exactes de cette fâcheuse af- faire. Voici ce que j'ai pu en recueillir de plus vrai, car je 79 n'y assistais pas; les divers récits que j'en ouïs faire ne va- rient que dans les circonstances, qui ne fout rien ;iu fond de la chose. «Dès que je pus entrer dans la ville, pour savoir ce qui s'y passait et voir les choses de plus près île mercredi 7 du courant), j'y fus; mais on n'\ laissa pénétrer ni voi- tures ni chevaux, les gens à pied seulement; et quoique ce fut un jour de marché, on ne vit passer que les veaux : à tout moment on fermait les portes. En entrant dans la ville, je rencontrai la garde bourgeoise qui gardait la porte, et. malgré que je fusse à pied, sans épée, n'ayant à la main qu'une canne, on lit quelque difficulté pour me laisser aller plus avant; pendant ce temps, je vis une grande rumeur parmi eux. Étant en ville, je vis de tous côtés des sentinelles et des corps-de-gardes, et qu'à tout moment on faisait des découvertes, pendant lesquelles les ponts étaient toujours levés. Je m'informai vers les sieurs Caillalte, Vernet et Joly de la cause de ce tumulte (ces deux premiers sont du Cercle dit des Modérés, c'est-à-dire qu'ils ne sord ni Négatifs ni Représentants); c'est d'eux que je pensais tirer la vérité au clair. Je rencontrai aussi nombre d'autres de mes connais- sances, qui étaient armées, mais si occupées de leurs affaires, qu'elles ne répondaient que par monosyllabes, .levais à l'ori- gine de l'affaire. » Depuis quelques jours, les Négatifs et les Représentants, se défiant les uns des autres, cherchaient à se faire des créa- tures et à grossir leur parti, pour que, si l'occasion se pré- sentait, ils pussent, être les plus forts. Les Négatifs, qui avaient pour eux la plus grosse partie de ceux appelés Cornualistes, du nom de leur chef appelé Cornuaud. qui sont les Natifs et habitants, étaient dans une trop grande sécurité : c'est ce qu'on leur reproche aujourd'hui; bon nombre étant mili- taires et ne pensant point que les Représentants osassent s'é- 80 lever contre eux, ils n'étaient point sur leurs gardes. Le lundi soir, vers sept heures, un Cornualiste se trouvant à la porte d'un Cercle de Représentants, écoutait leurs propos ; l'un d'eux, l'ayant aperçu , voulut le faire retirer; l'autre l'en- voya cueillir des feuilles. Là-dessus, ils se donnèrent quel- ques coups. Ce Cornualiste, piqué, va avertir le Cercle des siens de ce qui venait de se passer : que tous les Cercles étaient en rumeur; qu'il fallait prendre les armes, et les sur- prendre. Il faisait un beau clair de lune : on convint que, pour se reconnaître, ces Cornualistes s'entoureraient le bras d'une bande blanche ou mouchoir. Les syndics, instruit sde ce tumulte, sortirent avec leurs bâtons de magistrat, pour apaiser les partis, défendirent aux Cornualistes de porter cette bande blanche, ce qui fit que les premiers, qui étaient allés à l'arsenal pour s'armer, ignorant cette défense et voyant venir les autres, les prirent pour des Représentants, firent feu sur eux et en blessèrent cinq, dont un mortelle- ment à l'épaule. » Les Négatifs s'assemblaient aussi, mais lentement. Les Syndics crurent que, pour apaiser les Cercles Représentants, il fallait prier le sieur procureur général Durovray de s'y transporter, et il fut, dit-on, fort insulté par un Négatif nommé Desarts, qui voulut le percer de son épée; mais un M. Ri- gaud para le coup. Alors les Cercles, ayant eu vent de ce qui se passait au dehors, coururent s'armer et s'emparer de l'ar- senal ainsi que de PHôtel-de-ville. Les magistrats et les Né- gatifs, voyant que leur parti avait le dessous, se retirèrent chez eux. » Les Représentants se firent alors remettre les clefs de la ville par le Syndic de la garde, qui les leur remit; mais, comme ils lui demandèrent ses ordres, il répondit qu'étant les maîtres de la place, il n'avait aucun ordre à leur donner. Ensuite ils firent sortir les canons, qu'ils braquèrent dans les si rues et vers les portes; ils s'y tinrent la mèche allumée, et placèrent des sentinelles partout. Un nommé Descombes, ca- pitaine Négatif, ne voulut point rendre celle de son poste ; on fut obligé de lui apporter un ordre du Syndic de la garde, accompagné de deux pièces de canon : dans le tumulte, des Représentants et des Négatifs furent blessés. A quatre heures du matin, le Conseil étant assemblé, M. Gabard, secrétaire de la Résidence, s'y transporta, et leur remit la lettre du roi de France (dont je vous ai parlé le mois dernier), et qu'il devait leur remettre en cas qu'il fût sorti de la ville. Cette lettre, qui avait été gardée pour l'occasion, contient, dit-on, que le monarque prend sous sa protection royale les Négatifs et leurs adhérents, et qu'il considérera comme faits à lui-même les torts et injures qu'on pourrait leur faire. Elle fut aussi portée au Conseil des Deux-Cents, et, à six heures du matin, M. Gabard fit partir un exprès pour sa cour et en informer. On dit que le magistrat fit aussi partir un exprès pour Rerne. On attend les réponses avec impatience ; elles devront être intéressantes. » Les Représentants ne laissent sortir ni des leurs ni des Négatifs; les Cornualisles peuvent sortir, mais on ne les laisse pas rentrer ; beaucoup sont allés à Versoix ou à Fernex, et ils seraient venus en grand nombre à Carouge, où il y en a seulement quelques-uns, s'ils y avaient trouvé des logements. Ils ne laissent non plus sortir ni effets ni argenterie, fouil- lant jusqu'aux seilles des laitières : la mienne portait, mardi matin, une lettre d'affaires; que j'écrivais à un Représentant, qui ne contenait rien que des comptes d'affaires ; néanmoins ils la Loi prirent et né voulurent pas la lui rendre. Ils retin- rent aussi, mardi, jusqu'à deux heures du matin, le courrier de Turin, et se firent ouvrir la malle, avant son départ, par le sieur Dnradde : ce qui prouve combien la poste de Carouge était nécessaire. Le pont d'Ane étant également à tout in- stant fermé, on n'y laisse, de tenips à autre, point passer de chevaux, et n'ayant point de pont sous Sieme, les voya- geurs sont obligés défaire le long tour d'Étrembières, ce qui les ennuie bien. » M. l'intendant doit réitérer, par ce courrier, ses repré- sentations au ministère, à l'occasion de Carouge, et faire même sentir le danger qu'il y a maintenant de tenir l'argent du roi dans celte ville, qui peut être réduite à être pillée et brûlée, comme les Représentants en menacent ouvertement; ce qui prouve la nécessité d'une trésorerie à Carouge. Il est à désirer que les médiateurs puissent rétablir le bon ordre et la subordination dans cette ville, où il n'y en a point. » Je restai en ville, mercredi, jusqu'à une heure et demie, où j'eus le' temps de tout observer. Lorsque l'on baissa les ponts, je me présentai pour sortir par le portillon , qui était ouvert. Ils me prirent pour le Syndic de la garde, qui vou- lait quitter la ville, et, au lieu de me livrer passage, il vou- laient me faire rentrer en ville. Le sieur Rival, qui, dans la foule, se trouva à côté de moi, les dissuada. Alors ils me lais- sèrent sortir. Je voulus y retourner hier, pour voir par moi- même à quoi ils en étaient, et, lorsque j'eus passé le pont d'Arve, on leva le pont; celui de Genève étant aussi fermé, je restai à Plainpalais jusqu'au soir, et j'eus bien le temps de me promener et de m'ennuyer. Puis, lorsqu'on ouvrit, au lieu d'aller coucher en ville, je m'en revins, car je fus pré- venu qu'on allait encore d'abord refermer. La garnison garde les postes avancés. Cette affaire est d'autant plus fâ- cheuse que, quel que soit celui des deux partis qui aura le dessus, la partie subjuguée dépeuplera la ville. » Toutes ces circonstances semblent se donner un secours mutuel pour faire décider et expédier, par préférence â toutes autres choses, celles qui concernent Carouge, ce dont 83 le roi et tout le ministère, à qui la connaissance en appar- tient, doivent tMre informés. C'est le moment de manifeste* promplenient les grâces du roi sur Carouge, pour engager les émigrant.s de Genève à venir s'y établir. Ils sont précieux et décisifs ces moments; une fois perdus, ils ne se présente- ront plus. Il faut aussi avoir le plan décidé- de Carouge. pont faire tirer les niveaux. Si on ne veut pas écouter les représen- tations des plus soumis et plus zélés sujets, ils feront ce qu'ils jugeront à propos: nous attendrons la volonté souveraine' avec une entière résignation. » J'ai beaucoup parlementé, hier, à Carouge. avec des personnes qui sont venues voir si elles y trouveraient des logements. Je les ai fort encourageas à s'y fixer. Klles me dirent qu'elles rapporteraient à leur parti ces bonnes inten- tions. » Si Genève se détruit, il nous faut nécessairement d'au- tres gens pour consommer nos denrées ; sans quoi, on ne pourra payer les impôts. » Si les affaires de Carouge étaient décidées, on profilerait du temps où l'on est pour commencer à bâtir, car il fait si beau, que les ouvriers se déshabillent pour travailler le gros du jour. «(Entre vous et moi), le sieur Monlov a marqué une trop grande affection pour le parti Représentant, étant toujours parmi leurs assemblées, même en vue; les animant jusqu'à dire qu'il irait, au besoin, joindre son avis au\ leurs. Cela a été cause que les Négatifs s'en sont plaints et ont mémo écrit à M. l'intendant, assure-l-on, lui disant, entre autres, qu'ils étaient persuadés que S. M. ignorait, et ne permettrait pas qu'une personne, portant son influence, servit de boute-feu à leur ville. Sur quoi M. le commandant lui dit, hier soir, qu'il lui défendait, pendant ces troubles, de retourner à Genève M. Monloy, dit-on. est fort consterné, et ne man- 8-4 quera pas de s'en plaindre aujourd'hui, par ce courrier; mais je me persuade qu'il sera improuvé. D'ailleurs, au fond, le but des Représentants c'est, disent-ils, qu'ils se regardetn comme égaux et veulent détruire l'autorité du magistrat, ce qui ne convient dans aucun État policé. Qu'ils conservent leurs droits, cela paraît juste; mais qu'ils n'énervent pas l'autorité et la justice. » Du 13 février. « Si j'ai occasion de voir M. Schmidtmeyer, qui est toujours retenu à Genève, je lui parlerai de la façon dont vous avez remis son affaire sur le tapis, afin qu'il puisse, à l'avance, voir comment il pourrait faire ce paiement, s'il y échoit, car les affaires de cette ville sont extraordinairement dérangées à présent; mais le plus essentiel serait (comme les particuliers intéressés contribuent au saignement des marais de Bossav) qu'il plût au roi d'accorder ces dix mille livres en question, si la chose avait lieu, en réparations et embellisse- ments de Carouge, et afin de pouvoir y faire creuser le c anal pour le dégorgement des eaux des marais. » Il paraît effectivement ridicule, maintenant que Chêne dépend de la province de Carouge et que l'on doit faire, pour la communication, un pont sous Sierne, qu'il y ait deux commandants si près l'un de l'autre } c'est une dépense dont les finances sont surchargées inutilement, et, de deux mé- diocres commandements, on aurait pu n'en faire qu'un avec autant d'économie. » M. le curé de Carouge m'a dit qu'il n'était point à même de remettre (sans lui avoir dit pour qui) l'état juste de la population actuelle de Carouge. Il cherche lui-même; ils sont trop nombreux, et la quantité s'en accroît journelle- ment. Mais je doute qu'en suite des raisons qu'il m'a allé- guées, il puisse le faire; d'ailleurs, maintenant les affaires des Genevois font une vive sensation chez tous leurs voisins : chacun s'en occupe, on ne parle pas d'autre chose. 85 » Quant à M. le curé de Carouge, il m'a d'abord remis le nombre des convertis qu'il a déjà faits depuis le peu de mois qu'il est installé à Carouge : son zèle ne se ralentit point ; mais il faudrait qu'il fût secondé par quelques bons ouvriers de la vigne du Seigneur, et qu'il y eût un auditoire capable, de ceux qui viennent ou voudraient venir s'instruire de la Parole divine : un homme 'seul ne peut pas tout faire, et il faut de la place pour les auditeurs. Il m'a ajouté qu'il avait écrit au ministre, pour lui procurer quelqu'argent, Déceseaife à l'assistance de ces nouveaux convertis, et, n'ayant rien ob- tenu, il l'avait prié de lui permettre de recourir au pape, ce qu'on lui avait refusé, lui donnant de nouvelles espérances, qui sont également sans effet. Quoique l'on puisse alléguer que le plus grand nombre de ces nouveaux convertis sont des indigents, on n'ignore pas que ces âmes sont aussi chères à Dieu que celles Av> plus grands seigneurs, et que le nombre des pauvres étant plus grand que celui des riches, il doit y en avoir plus de ceux-là que des autres. Iles deux tilles cadettes me sollicitent depuis quelques temps pour aller au couvent, non pas, disent-elles, pour se faire religieuses, mais pour apprendre à bien lire et écrire. Enfin, comme elles sont en âge d'y penser, je tâcherai de faire encore cet effort, cette année, pour les y mettre au moins pendant huit à neuf mois. En conséquence,, j'ai écrit à Bonlieu-Annecy, pour demander leurs places. Finalement, elles coucheront dans la chambre de Mlle de Beauregard ; et la sœur de La Fléchère, qui est à Turin, s'est chargée d'être leur maîtresse et de leur apprendre même un peu de géo- graphie. Je compte donc qu'environ Pâques, la mère les \ conduira, sous la protection du comtin, qui connaît cette ville, et ils descendront chez le lieutenant-colonel, qui les y a invités. Enfin c'est un surcroît de charge, avec le saigne- ment des marais, etc. Dieu est le maître, et la Providence ne 86 m'abandonnera pas, je l'en supplie. La pension dans ce cou- vent est de quinze livres par mois pour chaque pension- naire. » J'attends aussi jusqu'au jour du départ du courrier pour pouvoir vous instruire plus au long de l'état de la guerre civile de nos voisins, qui ont toujours la garde de toutes les portes de la ville, d'où ils ne laissent sortir ni les Négatifs ni leurs femmes; ils ont fait une espèce d'accord, passé en Conseil général, samedi, dont vous avez un exemplaire ci- joint, que j'eus beaucoup de peine, hier, à me procurer, parce qu'on ne les débita que fort tard. J'apprends en ville qu'aujourd'hui l'on y attendait les quatre médiateurs de Zurich et de Berne. Reste à savoir comment la France verra cet accommodement. Ils protestent toujours que, si cette couronne veut introduire des troupes dans leur ville, ils y mettront le feu plutôt que de le souffrir. Les Négatifs disent, que, si les médiateurs ne remédient pas à leur oppression, aussitôt qu'ils pourront quitter la ville, ils l'abandonneront. Bon nombre s'écrient qu'ils préféreraient de venir en Savoie, même à Carouge, si l'on avait accordé des franchises à ce lieu : ce serait heureux pour ce pays, la plupart étant très- riches. » MM. les Représentants craignent toujours que les Néga- tifs ne fassent sortir leurs effets de Genève; pour les en empê- cher, ils fouillent les voitures : hier, ils visitèrent celle du marquis du Wache jusque dans le caisson. Et moi, qui étais aussi allé en ville, j'ai eu ma voiture arrêtée; ils voulaient me retenir et me faire rétrograder, me prenant pour un Négatif; mais, sur l'intervention de plusieurs de mes connaissances, ils me laissèrent sortir, me faisant des excuses. Quand on sort de la ville avec des chariots chargés de foin, ou autres, ils les sondent, avec leurs baïonnettes, pour s'assurer s'il n'y a point de Négatif de caché. Jusqu'à ce que la France ait parlé. 87 ils no seront pas tranquilles. Ils ne paraissent pas même bien d'accord entre eu\. car bon nombre, et surtout leurs offi- ciels, ont refusé, hier, de monter la garde, i Du 15. i Vous aurez reçu, je pense, par le dernier courrier, ma lettre où j'ai joint, entre autres, l'édit des Genevois, du 10 du courant, portant accord entre eux; mais ce n'est rien moins que cela, c'est une chose forcée, disent-ils, la baïon- nette an bout du fusil. Les Négatifs n'ont pas même voulu paraître, et la plupart sont mécontents. Pour preuve que les Représentants mêmes n'ont point regardé cela comme chose Stable, c'est qu'ils n'ont point remis les affaires dans leur ordre naturel et se sont toujours réservé la garde des portes de la \ille. qu'ils ont encore. Pour vous donner une légère idée de leurs divers sentiments à cet égard, vous verrez ceux du sieur Vernel, qui, de môme que le sieur Caillate, est du Cercle des Modérés, dans la lettre ci-jointe', qu'il m'écrivit, I. Cotte lettre est ainsi conçus : Monsieur, Voici l'Kdit que vous m'avez demandé ; je pense qu'il vous sur- prendra. Il est en effet étonnant qu'une bourgeoisie qu'on oroil éclai- rée ait t'ait tant de bruit et courre tant de risques pour avilir ses privi- lèges par un partage aussi monstrueux de ses plus beaux droits. Si au moins cela pouvait nous amener la paix, on en prendrait son parti; mais je ne trouve pas que nous soyons plus avancés pour tout cela. Ce n'est pas au moyen des baïonnettes, des injures et de l'oppression qu'on gagne les cœurs pour parvenir à une réconciliation sincère. Mes respects, je vous prie, à Madame la Comtesse et à toute votre aimable r.tinille. Ma femme vous prie de recevoir ses bonneurs, et j'aj celui d'être très-sincèroinoiit, Monsieur, Votre très-bumble et très-obéissant serviteur, fc» SigismondV'F.RNET, ■trayon ilémonlé et prisonnier. Genève, k !■> férrin- liai, i 88 mardi, en m'en voyant ce prétendu édit, que je l'avais prié instamment la veille de me procurer, même en payant, ne pouvant que difficilement en avoir, tant ils sont rares. Mais, heureusement, j'ai pu m'en procurer un exemplaire ailleurs, afin d'être des premiers à vous en instruire, car le sien arriva trop tard pour pouvoir vous l'envoyer par le courrier. Il a été si peu du goût des Négatifs, que, le 9, quand il fut pré- senté en Deux-Cents, pour être ensuite porté en Conseil gé- néral, il fut hautement rejeté ; ce qui avait si fort indisposé les Représentants, qu'ils disaient qu'il fallait les tenir fermés dans la salle d'assemblée et les forcer à l'accepter. Les con- seillers, informés de la rumeur du peuple et à quoi ils étaient exposés, demandèrent jusqu'au lendemain matin pour pou- voir délibérer. Les jeunes ne voulaient pas qu'on leur ac- cordât ce terme ; mais le sentiment des vieux prévalut ; on y consentit. Assemblés de nouveau, dès le grand matin, les Négatifs ne voulurent point y assister : il n'y eut que cin- quante-cinq membres du Deux-Cents présents, et ceux-là, étant aussi du parti des Représentants, l'approuvèrent. Porté ensuite en Conseil général, il fut sanctionné. Les Représen- tants, sûrs de leur coup, envoyèrent, déjà la veille de son approbation, quatre députés en Suisse, chargés d'annoncer que tout était fini ; qu'ils étaient d'accord, pour éviter, par ce moyen, l'arrivée des médiateurs qu'ils ont toujours craint. Néanmoins, il n'ont pu réussir, parce que les deux députés de Rerne, par grand hasard, se trouvent être encore les mêmes médiateurs venus en 1767, lors de la dissidence des partis politiques, ceux dont ils eurent la hardiesse de rejeter le plan de conciliation, ce qui fit qu'alors les choses en restèrent là. On dit que, cette fois, il en sera tout autrement. Déjà six mille hommes, dit-on, sont arrivés au pays de Vaud, avec ordre de marcher au premier signal. >» Les deux députés bernois arrivèrent, mardi, en grand M cortège, soit avec cinq carrosses et un fourgon d'équipages. On croit que, demain, ceux de Zurich seront aussi à Genève: on a déjà leurs noms. Quant au député de Versailles, comme c'est le plus éloigné, on ne sait point quand il arrivera, ni lequel ce sera, dans l'ignorance où l'on est encore de quel œil cette cour aura vu toute cette affaire. » Les Représentants paraissent fort inquiets. Ils avaient dit souvent que lorsque les médiateurs se présenteraient aux portes de la ville, ils leur en refuseraient l'entrée: néan- moins. Stvisés dès h- matin de l'heure de leur arrivée, ils les laissèrent passer librement, et leur présentèrent même les armes; mais lorsqu'ils passèrent devant l'arsenal, l'officier de la Bourgeoisie qui y était de garde, ne leur fit point faire de salut: au contraire, frappant la terre du pied, il se retira en disant : « Ceci sent la médiation, et ne nous convient point. » » En ce qui touche les suites, on ne peut en parler que par conjectures; mais le sentiment général est que ces dissensions ne sont pas près de se terminer, et Panimosité des uns contre les autres est à son comble. De loin, on peut en croire ce qu'on voudra : mais ceux qui en sont les témoins oculaires conviennent que cette jolie et riche République est bien dé- chue de son éclat et de sa splendeur; que, pour la conserver, il faut nécessairement que la forme du gouvernement en soit changée. Les Négatifs le désirent ardemment, ce qui n'est pas du goût du peuple, qui, loin de vouloir en entendre parler, dit publiquement qu'il se détendra, qu'il tuera, qu'il mettra le feu aux quatre coins de la ville ; enfin c'est horrible de l'écouter dire. >• L'arrivée des médiateurs de Berne semble avoir un peu ranimé la confiance des Négatifs. 11 y a plaisir, en entrant ou en sortant de "cette ville, de voir les Représentants, horlogers et autres, vous arrêter, vous questionner, crier : « Arrête à la ville! arrête à la barrière! « Il semble cependant que cela 90 les ennuie, car ils font monter avec eux les Natifs et les habi- tants, et la garde en est composée de plus de la moitié. Le premier que je trouve, en passant au corps-de-garde, je m'arrête quelques moments avec lui; mais il ne faut pas croire qu'il voulût me faire un récit tidèle, par écrit, de ce qui se passe parmi eux ; il faut les questionner verbalement, et encore en être bien connu, sans quoi, ils ne vous disent rien. » On a prouvé aux Représentants que leur prise d'armes avait été méditée, et que, par la médiation de 1738, H est dé- fendu, sous peine de mort, de crier aux armes ou de les prendre; c'est pourquoi, dit-on. par leur dernier prétendu édit, ils ont cherché à la légaliser. » L'affaire du procureur général Durovray en est toujours là ; ils n'ont pas encore voulu en nommer d'autre. » Il y a beaucoup de Négatifs malades de chagrin ; il y en a plusieurs qui m'ont prié de vouloir les aider à faire sortir leur argenterie et leurs effets les plus précieux, et de les vou- loir bien recevoir ici chez moi, même M. Huber, en atten- dant, disent-ils, qu'ils puissent sortir de cette prison et se retirer à l'étranger. Vous savez qu'il y a nombre de ces mes- sieurs qui ont depuis cinquante mille jusqu'à cent mille francs de rente. Comme l'on est trop exact à fouiller aux portes, je me suis contenté de les rassurer de mon mieux. Pour les fouiller, ils percent à coups de baïonnettes les sacs de foin que les paysans sortent de la ville. On m'a dit même qu'une femme étant morte dernièrement, ils firent accom- pagner la bière par douze fusiliers, pour la voir mettre en terre, de crainte qu'il n'y eût de caché ou un Négatif ou des effets. » J'ose dire que c'aurait été un grand coup de tilet, favo- rable à Carouge, si on avait voulu décider promptement les avantages qu'on dit que le roi daignera accorder à ce lieu, pour sa prospérité et son élévation, si utiles et si nécessaires dans ce pays: surtout pour suppléer, si Genève vient à se détruire, en tout ou en partie, et avoir (par le moyen de la communication du pont sous Sierne, projeté depuis si lon- gues années) un passage ouvert pour aller de l'autre côté de la rivière d'Arve, en Chablais, etc., sans être obligé de passer au pont d'Arve, qui appartient à cette République, et lequel esl souvent fermé, même dans ce temps présent. Par exemple, je \oulus aller en ville m'informer de ce qu'il s'y passait: arrivé aux portes, les ponts étaient levés. Je voulus rétro- grader pour m'en revenir à Carouge, où j'avais laissé mon cheval, et je trouvai aussi le pont d'Ane fermé : je fus obligé de rester à Plainpalais jusqu'au soir. Je pensais sou- vent que. s'il y avait eu un pont sous Sierne, j'aurais pu au moins revenir chez moi, à Veyrier. » On ne peut point s'imaginer de loin, comme de près, combien ces choses et ces délais causent de préjudice au commerce, et à Carouge particulièrement; mais j'ai trop peu de crédit, et ma voix est trop faible pour si1 faire en- tendre. » Je ne saurais guère comment aller demander à M. le commandant ou à M. l'iiitornlant les noms de tous les Repré- sentants qui sont venus chercher à loger leurs familles à Ca- rouge. il j en avait peut-être plus de trente. Ils ne se di- saient pas Représentants ; mais on les connaissait à leur uniforme. J'en ai vu plusieurs s'y promener, et l'on me disait : « En voilà qui cherchent des logements par ici. » Leurs noms étaient fort Indifférente; et, sans vouloir eux-mêmes faire du mal dans la ville, ils craignaient que les malinten- tionnés ne leur en fassent, même par contre-coup, et quoique l'on veuille jouer, on ne veut pas tout risquer. » Je ne crois pas que l'on ait pu recevoir aucune relation plus assurée que celles queje vous ai écrites sur cette affaire; il peul y en avoir eu de beaucoup plus amples, mais toutes dans le même but. J'aurais bien pu ampliiier les miennes par des anecdotes, mais je regardais cela comme inutile, outre que je n'avais pas le temps d'écrire trois à quatre pages de plus encore. Par exemple : qu'un nommé Daiz, peintre, est mort par suite de ses blessures; qu'un Natif, qui était à sa fe- nêtre, il y a quelques jours, dit à la sentinelle qui se tenait en bas de se retirer, sinon qu'il lui jetterait son pot au nez, et que là-dessus le factionnaire, ayant fait quelques pas en ar- rière, lui tira son coup et le manqua ; que tous les Représen- tants ne sont pas d'accord entre eux, et se disputent souvent. Dernièrement, en passant à la Fusterie, où un certain nom- bre de ce parti était rassemblé, je fus témoin d'une discus- sion ayant pour sujet de savoir à qui c'était de monter la garde. Je crus bien qu'ils en viendraient à quelque voie de fait, Pendant ce temps, je parlais avec plusieurs de mes con- naissances. Il en survint qui apaisèrent le différend. » On n'entend plus, à présent, parler de voleurs; du matin au soir, on ne s'entretient que des affaires de Genève, et de la guerre entre les Anglais et les Hollandais. » Je n'ai point manqué de répondre déjà que, si quelqu'un de Genève voulait venir se loger à Carouge, je lui céderais de la place pour rien. Mais, présentement, rien ne les oc- cupe que leurs dissensions. » Vous m'avez demandé le nom de ce Polonais qui, der- nièrement, était à Carouge. C'est le comte de Pellony. Le sieur Girod, chez lequel il était logé, le regrette beaucoup: il lui payait un louis par jour, pour sa table et celle de ses gens, et deux écus neufs pour la voiture qui le menait pro- mener. Étant un jour allé à Genève, il y fut enfermé ; il se réfugia aux Balances, où on a su le retenir et où il est en- core. Il doit, dit-il, au premier jour, partir pour Berlin. Il a demandé au sieur Girod s'il ne lui saurait point indiquer de 93 terre à acheter en ce pays. Je lui ai fait dire qu'il y en avait une belle, dite la Bnronnie de Conpgnon, dans une agréable situation, du prix de quatre-vingt mille à quatre-vingt-dix mille livres. » Les deux députés de Berne, envoyés comme médiateurs à Genève, s'appellent MM. de Wattevillc etSteiguer; ils ontavec eux quatre membres du Deux-Cents de Berne, un secré- taire, des huissiers : en tout, dix-huit personnes. » Ceux de Zurich doivent être MM. Wyssot Schintz. » Quant à celui de France, on dit qu'on ne sait point en- core positivement qui ce sera. On préconise toujours M. de Malesherbes. Les nouvelles de cette puissance semblent in- quiéter les Représentants. i Les bourgeois ont toujours la garde des portes; ils sont très-attentifs à ne laisser sortir aucun Négatif, ni leurs fem- mes, ni leurs enfants, ni leurs effets. Cette semaine, on a eu- terré encore une personne : ils ouvrirent la bière, et ils firent escorter, dit-on, par quatre fusiliers, M. Lullin-Long, Négatif, qui accompagnait le corps, pour le faire rentrer en ville. » J'apprends, aujourd'hui 15 février, que le congrès de Turin avait tout fini et décidé ce qui était en faveur de Ca- rouge ; que, entre autres, ce lieu serait exempt de douanes, comme on l'avait annoncé, et que l'intendant en avait reçu l'avis. " .l'ai été en ville, ce matin, expressément pour voir ce qu'il y avait de nouveau, afin de pouvoir vous en informer. J'ai observe qu'à midi les bourgeois renforçaient la garde, mais on ne sut pas trop bien m'en rendre compte, les uns le disant d'une façon et les autres d'une autre. » Vous avez ci-joint la liste des Négatifs, que vous m'avez demandée, lesquels ont voix en Deux-Cents. Il y a aussi beaucoup d'autres bourgeois dans la ville qui sont de ce parti, niais personne ne saurait en préciser le nombre; il 94 faudrait connaître tous les quartiers de cette place. On en fait monter le chiffre à environ quatre cents : celui des Re- présentants est de mille à onze cents. Du 20 février. « Mon cher frère, les médiateurs de Berne, arrivés le 18 du courant à Genève, y ont apporté le calme ; les affaires y vont leur train comme à l'ordinaire ; ce qui y a beaucoup contribué, c'est que MM. les Représentants ont eu divers avis du nombre de troupes que LL. EE. avaient donné ordre de tenir prêtes à marcher et à venir à Genève. En voici l'état que l'on en a reçu et confirmé du Pays de Vaud et de Lausanne, savoir : 8000 grenadiers. 1600 dragons. 700 canonniers. 400 chasseurs. Total : 10000 hommes. » M. Lentulus, Bernois, aide-de-camp principal du roi de Prusse pendant la guerre de 1757, devait avoir le comman- dement de ces troupes. » MM. les Députés ont fait savoir aux Représentants qu'ils n'écouteraient aucune proposition qu'ils n'eussent mis bas les armes ; que s'ils ne le faisaient pas promptement, on al- lait donner l'ordre aux troupes commandées de venir à Ge- nève, en exécution de la médiation de 1738; sur quoi ces MM. les Représentants remirent samedi dernier les canons à leur place, et quittèrent les armes vers les 4 heures après midi, et la garnison reprit, comme à l'accoutumée, la garde de la ville. La France ayant efé informée que les médiateurs de Berne étaient arrivés, paraît ne plus guère s'en inquiéter, ayant fait dire par M. Gabard, secrétaire de la Résidence, qu'elle prenait les négatifs et leurs adhérents sous sa pro- tection: les Députés ont dit que LL. EE. prenaient tous les 95 corps de l'Etat sous la leur, et ils vont maintenant travailler à la réconciliation des partis, de concert avec MM. veulent se chercher, disent-ils. un asile ailleurs. » Comme l'on voyait bien que de monter ces gardes cela ennuyait ceui qui en étaient occupés, il 5 en avait qui étaient du sentiment que la Seigneurie devait faire semblant de congé- dier la garnison et de leur laisser la garde de la ville, ce qui les aurait bien attrapé-, étant tous des gens occupés du com- merce. » Je crois encore unis devoir dire que M. de Grilly père. qui est ici. arrive de Genève et a vu quelques-uns de ces Messieurs du haut. MM. Micheli, etc., qui lui ont dit que leurs affaires étaient toujours lort aigries, et qu'ils ne pensaient pas même que Ton put les accorder sans mécontenter un des partis; par ainsi que celui-là quitterait la ville; qu'il y a souvent les soirs des gens maltraités, blessés et laissés pour morts par la ville: que cela ne désigne pas la paix: que pour balancer le parti du peuple, il leur fallait au moins 1500 à 2000 hommes de garnison casernes: mais que, sentant bien que cela ne serait pas du goût du peuple, ils allaient cher- cher à s'expatrier, p'ils ne voyaient pas jour à une prompte et efficace réconciliation : qu'ils voulaient proposer au roi de France île les recevoir à Versoix et île leur y permettre l'exercice de leur culte : que d'abord ils lotiraient la ville. Comme la France doit environ 16 millions de rente- annuel- les à Genève, dont an moins les trois quarts sont aux Négatifs, on pense que le ministère de France, qui leur a ac- cordé à Lyon une salie pour l'exercice de leurs dévotions, % au centre de la ville, ne leur refusera pas à Versoix la même faveur, pour ne pas priver son royaume de toute cette rente, qu'ils porteraient chez l'étranger. On a l'exemple de Rome qui tolère les Juifs et les Mahométans. On ajoute déjà que, cela étant, la France interdirait, comme en 1768, tout commerce avec Genève, que même on romprait le chemin qui y conduit, et que le seul commerce de ce royaume soit aussi du pays de Gex, se réduirait à cette nouvelle ville, de même que la poste et la diligence, et Genève serait bientôt sans commerce, ruiné et désert. » Voilà les «on dit», qui ne sont point sans vraisemblance, à quoi je ne prends aucun parti ; je ne suis qu'un simple indi- vidu, sans aucune influence, et ne cherche point à élever ma voix. » Ce 20 février. « L'on m'a dit que nombre de Négatifs, dont un M. Raffinesque, sont dans l'intention de demander au roi son agrément pour bâtir et habiter Carouge, ne voulant plus, disent-ils, habiter une ville si souvent agitée, et dont le repos ne sera jamais que momentané tant que le peu- ple sera le maître ; ils ne veulent plus s'exposer à y être dé- tenus prisonniers, venant à n'être pas du parti du peuple; mais ils attendent les déterminations que l'on prendra pour ce lieu. Je ne suis pas resté en arrière de parler en sa faveur, sachant la répugnance qu'ils auraient de retourner en ville, crainte d'y être bafoués dans les temples. Je leur ai dit que comme il était décidé que l'on ferait un pont sous Sierne, ils y pourraient passer pour aller faire leurs dévotions à Chêne. Ils m'ont répliqué que comme à Paris ils avaient l'hôtel de Hollande où ils allaient, on leur avait aussi nouvellement permis à Lyon d'avoir une salle pour tenir leur assemblée, située près du lieu dit les Rretaux, sans cloche, et que l'on y avait mandé quatre ministres de Genève. Pourquoi à Ca- rouge ne leur permettrait-on pas d'avoir une chambre où 97 ils pussent s'assembler, sans bruit? .l'ai répondu que j'igno- rais le sentiment du gouvernement, quoique je sois informé •le lionne part et qu'une personne me l'ail confirmé, que quand ils ne voudraient avoir qu'une chambre pour faire leurs dévotions, sans cloche, ni ostentation, on fermerai! les yeux là-dessus. « Une dame appelée Duprez. marchande île diverses cho- ses, gens à leur aise, que je connais dès longtemps, étant avec son mari iquiest maintenante Paris pour les affaires de Mm commerce) du parti négatif, elyne voulant pas, dit-elle, rester à Genève, crainte d'essuyer des nouveaux troubles, m'a dit qu'elle voudrait venir habiter Carouge, y tenir sa boutique et y avoir un grand magasin ; mais pour ce. qu'il faudrait que ce lieu fût franc de douane, que sans cela au- cun marchand n'y pourra rieu faire que de >-"> ruiner: je croirais même que si elle était une fois établie, qu'il lui se- rait assez indifférent de changer de religion. « Ce :;:; février, « Rien de nouveau louchant les affaires de Genève, où tout paraît tranquille dés que les médiateurs de Berne d de Zurich sont arrivés : il parait décidé1 que la coin de France se contentera de la façon dont les Suisse^ ont pris la chose: l'on croit que si elle ne s'en mêle pas. cela acheminera les Représentants à être plus traitables. » Quand on réfléchit à la rumeur qu'il y avait parmi eux. «m ne peul se persuader comment cela s'est pa>sé s;m< beau- coup île sang répandu. Dans cette première nuit orageuse. les différents partis étaient animés les uns contre Les autres, au point de s'entreluei \ Les Représentants montant le Perron et la Cité en corps, voyant les autres armés au-des- sus, au clair de la lune, dirent à leur premier rang de met- tre genou en terre, ce qu'ils tirent, prêt- à faire l'eu, et si un coup d'aucun des partis eût été tir.', la décharge était gé- nérale : mai- nue main invisible lés conserva. Enfin aujour- 98 d'hui tout parait tranquille, et ce nombre de troupes SHisses. prêtes à marcher contre eux. les contiendra. J'ai vu hier un habitant de Carouge qui revenait de Berne: il m'a dit avoir vu ces troupes passer en revue, le havresac sur l'épaule, prêtes à marcher, leurs aumôniers et chirurgiens nommés, les canons prêts et ordre donné de faire des levées dans le pays allemand; cela est imposant, surtout pour un petit peu- ple qui n'est accoutumé qu'à faire des montres: il m'a ajouté que ces soldats paraissaient fort mécontents de marcher dans un temps, disaient-ils, qu'il fallait travailler à leurs vignes de la Côte. On croit que les médiateurs ne se retireront point de Genève que le Code de lois si désiré des Représen- tants ne soit fait, et que jusqu'alors les troupes seront prêtes à marcher au premier avis. Cela pourra ramener une paix durable, du moins pour quelque temps, jusqu'à ce qu'il s'é- lève quelqu'autre sujet de dissension entre eux, car l'on compte que voici déjà la quatrième fois de ce siècle, savoir en 1707, 1758, 1767 et 1781. Je ne sais rien autre de nouveau. Le sieur Monloy a reçu une lettre de M. Coconito. au sujet de la défense que le commandant lui a faite d'aller à Genève durant ces troubles, qui est fort satisfaisante: je compte que cette défense n'aura plus lieu dès que l'on sera tranquille à Genève. L'on m'a redit que l'on croyait que tout ce qui concernait l'avantage de Carouge avait passé le 5 dérider. même l'exemption de la douane. » L'intendant me disait dernièrement, parlant de Carouge. qu'il serait à propos que je vous en écrivisse, pour parler en faveur de ce lien, et en faire accélérer les choses; je lui répondis : «Mon frère n'en parlera que par poids et mesure, d'ailleurs n'ayant aucun titre, il ne serait pas écoulé. — Par- donnez-moi, me dit-il, cela fait toujours un grand bien. » Je pris occasion de lui dire que c'était à lui à représenter et solliciter: il me répondit : «Je le fais bien, mais je n'avance rien. » J'ignore où les choses en sont dès lors. 99 Ce que je vous ai dit dit touchant la religion des pro- uvants, et de ce qui pourrait leur convenir, n'est que par manière de conversation simplement, et sur <\e> ouï-dire. sans aucune commission, ni près de là : je ne me charge- rais d'ailleurs pas ainsi de bois \ert. J'ai souvent ouï dire, par gens en place, qu'il était môme de l'intérêt du souve- rain, que les tolérant dans ses Etals, il serait bien qu'ils eussent une salle ou chambre d'assemblée, sans bruit ni os- tentation, où ils exerçassent leur religion, leur morale étant d'ailleurs bonne : que dos gens qui n'exercent aucune religion, n'ont point de mœurs, et que cela ne convenait pas. Je vous fais ainsi ce récit sans aucun intérêt quelconque. à Dieu ne plaise ; il saura bien les rappeler dans les \oie> droites, quand il le jugera à propos : les moyens en sont dans ses décrets éternels: il est même dit dans la sainte Ecriture : « Necesse est ut >int luereses. » afin de mieux faire luire et distinguer Le flambeau de la vraie Eglise : mais ce n'est point à moi à commencer les choses, Aide les appro- fondir ; ainsi je ne m'en mêle pas. je prie Dieu seulement de les retirer île leurs erreurs. Si on en veut recevoir à Ca- rouge, leur laisser même entendre la parole de Dieu dans nos églises, tant mieux : si on ne le juge pas à propos, c'est tout de même, je sai> nie tenir à ma place. Vous avez eu raison de croire que cet accord forcé entre les Genevois n'attirerait point de réconciliation sincère: aussi d'un côté les Mégatifs disent que ce n'esl pas fini; les Représentants du leur en disent de môme : les (lornualistos disent que si les Négatifs sont cause qu'on leur ôle le privilège que les Représentants viennent de leur accorder, ils s'en sou- viendront. Enfin la tranquillité n'est point rétablie parmi eux : ce qui le prouve d'autant mieux, et combien ils se dé- lient les uns des autre-, c'est que les Représentants ont re- commencé à taire tU>> patrouilles la nuit, dans lesquelles ils 100 commettent, dit-on, souvent des excès avec ceux qu'ils ren- contrent. On attend de voir de quel œil les médiateurs ver- ront ces choses; on parle déjà que les Représentants feront comme en 1768, qu'ils rejetteront tous les plans qui leur se- ront proposés, contraires à leurs vues : mais on ajoute que ces Messieurs ne seront sans doute point si indulgents qu'a- lors, et qu'en ce cas ils auront recours à la garantie armée, et les Représentants jurent qu'ils ne la recevront pas, et se feront plutôt ensevelir sous les ruines de leur ville. Les Né- gatifs disent que la garnison n'étant que de 600 hommes épars par la ville, il leur est important qu'elle soit augmen- tée et portée à 1500 et casernée. pour balancer le nombre des Représentants, et qu'ils se cotiseront plutôt pour la sol- der; mais les Représentants n'en veulent pas entendre par- ler. Les Négatifs disent que leur état n'est qu'une anarchie: que si les puissances médiatrices n'y apportent pas remède ice dont on doute très-fort, connaissant l'humeur altière des Représentants), ils veulent tous se retirer. Voilà bien des on m'a dit, joignez-y encore la demande de peut-être plus de vingt maisons à louer; mais j'ai répondu : « Patience, pa- tience. » » Je serai toujours attentif à vous mander toutes les nou- velles qui me viendront de bonne part sur ces affaires, d'au- tant plus qu'elles vous font plaisir et que vous paraissez vous y intéresser, et que vous en faites usage, en faveur de Carouge. Les médiateurs suisses attendent toujours celui île France avant que de rien entreprendre ; on attend samedi ou lundi prochain des nouvelles. Celles que je vous donne ne sont point du commun du peuple, dont je ne fais pas plus de cas que de celles que nous disent les laitières, car tous en parlent, mais de gens de poids; j'ai pensé que vous seriez fort empressé de pouvoir avoir une copie de la lettre du roi de Prusse adressée aux louables cantons de Zurich et de KM Heine à l'occasion des dissensions de Genève ; j'ai fart mon possible pour m'en procurer une Ce 96 février. «MM. les Représentants ayant représenté que la foire que l'on tenait le 12 mars, à Plainpalais . qui était belle et célèbre . et d'où l'on venait de fort loin et durant trois jours, où il > avait entre autres environ t'eut boutiques le long des arbres, faites en planches, qui formaient un beau coup d'œil et attirait un grand monde: que cette foire, dis-je. portait préjudice à leur débit parti- culier, parce que beaucoup de gens faisaient, disent-ils. leurs empiètes à celle foire : les magistrats, à leur réquisi- sition. n'ayant pas osé les contredire (la plaie de leurs maux étant encore trop fraîche), viennent de la supprimer, ce qui a été annoncé* samedi par la Feuille d'Avis. » .le n'ai point manqué de parler déjà à plusieurs pour venir bâtir à Garouge; si la franchise de la douane est une fois établie, el que ce qui s'y fabriquera puisse être exempt de droits de sortie, cela favorisera beaucoup les artisans et les engagera à s'y venir établir. » Vous me demande/, qui c pose le t. ouseil Général de Genève? Ce sont les citoyens et bourgeois tant seulement, et non les natifs et habitants. Dans ce nombre, les magistrats et le Deux-Cents, comme citoyens, sont compris, car pour pouvoir entrer en charge, il faut être né dans la ville et d'un qui a été reçu bourgeois lui ou ses aïeux ; et lorsqu'il est légalement assemblé, qu'il soit nombreux ou non, ses déci- dions oui la mémo force. Il n'a pas le droit d'opiner, mais seulement de dire oui nu non sur ce qui lui est présent*' : le Petit Conseil établit et propose au Conseil du Deux-Cents ce qu'il croit convenable: s'il rejette, cela ne passe pas outre; •^"il approuve, et que ce soit une matière à devoir être por- tée en Conseil Général, comme une loi. un impôt, le taux de 102 la vente des vins après vendanges, l'élection des magistrats. on l'assemble. Quand le plus grand nombre de suffrages (ce qui se fait par scrutin) ne convient pas de ce qui est proposé, on rassemble le Conseil Général un autre jour, et on fait d'autres propositions jusqu'à ce qu'elles soient agréables à ce Conseil, qui est le souverain, quoique le droit de vie ou de mort soit réservé au Deux-Cents seulement. Pour assem- bler légalement le Conseil Général, on l'annonce à son de trompe la veille , et le lendemaiu matin , environ les 8 heures, on sonne la grosse cloche jusqu'à 9, que le Conseil s'assemble, et pendant ce temps on lève les ponts de la ville et du pont d'Arve, jusqu'à ce qu'il soit fini. Il dure quel- quefois de 5 à 6 heures, quelquefois plus, d'autres moins. Assiste qui veut au Conseil Général, hors les quatre syndics qui y président et les secrétaires. Ce Conseil Général se tient au temple de Saint-Pierre. Le Conseil des Vingt-Cinq est composé des syndics et conseillers ; il a ses attributs et ses droits, le Deux-Cents les siens, et le Conseil Général aussi les siens, différents les uns des autres: tout est désigné par les édits. » Ce 6 mars. « A l'occasion des affaires de Genève, où j'al- lai samedi, j'observai la même mauvaise humeur dans les partis les uns contre les autres. Les Représentants disent que les Négatifs veulent anéantir tout ce qui a été fait dès 1738, lors de la médiation, notamment l'édit de la nouvelle élection fait en 1768, et celui du 10 février dernier; à quoi ils ne veulent consentir, disant que c'est un ouvrage du souverain, qui est le Conseil Général, auquel on ne saurait donner atteinte sans une nouvelle détermination de sa part. Les Négatifs, de leur côté, disent qu'ils ont toujours vécu dans un état prospère jusqu'aux troubles qui se sont élevés, et que ces édits ont été forcés, le pistolet à la gorge et la baïonnette au bout du fusil, de quoi ils veulent être relevés. (01 ll> disent bien des injures les ans des autres; quand on leui dit qu'il faul venir habiter Carouge, où l'on \U sous un rè- gne heureux, el où il n'\ a pas tant de maîtres, où l'on n^ paiera point de douane, je les vois tous un peu d'abord penser et répondre : Il faut voir comment tout ceci tour- nera; ce n'est pas encore Uni, ni près de lu. • Les Repré- sentants semblent s'inquiéter de l'indécision de Ih France. Los Négatifs disenl que les Représentants sonl toujours plu- obstinés dans leurs Idées; peu s'en fallut que mercredi soir ils ne prissent tous les armes, étanl déjà attroupés, ce qui détermina les Négatifs ;'i sortir de la ville; ceux qui ont des campagnes les vont Habiter. M. Scbimdtmeyer fait agrandir sa maison à Sterne*. - Ce 9 mars. « Maintenant, je vous ai bien dit que la laveur que Sa Majesté a daigné accorder à Carouge, ert l'exemptant de douane, taisait une vire sensation sur les esprits. Ce lieu étant protégé par le roi, cela anime la confiance des étran- gers : ce qui se vérifie par l'empressement que quelques-uns de nus voisins de Genève témoignent de venir > habiter. Beaucoup voudraient pouvoir j trouver des logements com- modes : s'ils j prennent goût, et i|u'il> \ soient bien ac- cueillis, plusieurs \ viendront apporter leur fortune peut bâtir. Nous venons d'\ faire l'acquisition de M. et de M"*» de CHapeaurouge, en faveur desquels M. Manera s'est départi de la maison qu'il habitait. Si la maison du curé de Theyrj i. Sierne était une petits soégueorie, avec le litre de < ité, qui ap- partenait au comte de Veyrier. Des Genevois avaient des habitations de campagne dans cette terre, située sur la rive gauche de l*Arve, et qui fait aujourd'hui partie de la commune genevoise de Veyrier. Uu Genevois, héritier par alliance de M. Schmidtmeyer, M. De Morsier, possède encore le domaine dont M est plusieurs fois question dans cette correspondance. l. Thetry ou Theyry f-i un village, a quelques mkiutes de Saint- Julien, sur le territoire sarde. 104 ique Ton s'empresse de Quir) était achevée, elle serait déjà habitée. •> Les Négatifs semblent craindre que le médiateur fran- çais ne soit une personne à parler d'un ton imposant, ce qui ne s'accommoderait pas avec l'humeur altière des Représen- tants. On ajoute même que les médiateurs, ennuyés de venir si souvent les mettre d'accord,, tâcheront de river le clou pour une bonne fois : il faut voir, et attendre. » Les Négatifs profitent de ce temps de calme apparent pour faire sortir leurs effets de Genève. Le révérend père de Villeneuve, prévôt des Barnabites de Thonon, m'a dit en avoir vu sortir plus de quarante chariots chargés. » On nous dit que les troupes suisses, dont je vous ai fait déjà mention, sont au nombre de dix mille sept cents hom- mes. Ils sont accompagnés d'une forte artillerie, et doivent venir camper à Coppet et à Versoix. C'est le général de Len- tulus qui les commandera. On fait à Nyon des approvision- nements de fourrage et des vivres. Et tout cela pour con- tenir les Représentants! On vient encore de m'assurer qu'on forme ce camp : je ne l'ai pas vu, mais j'irai le voir, assuré- ment. » On cherche partout à louer au dehors. On vient en- core de me demander quinze à vingt maisons, à Carouge. pour des Représentants, car tous les partis craignent les suites de toutes ces affaires. » Je viens d'envoyer une carte à la Feuille d'Avis, pour faire mettre Chàtillon ' à louer ; mais il est si mal en ordre. au dedans et au dehors, que j'en désespère; je ne veux pas I. Le manoir de Chàtillon, situé entre Veyrier et Ktrembières, et d'où le comte de Chàtillon tenait son titre, était mie construction à demi-miuée, qui fut consumée par un incendie, il y a quelques an- nées. Ce nom, qui est commun à beaucoup de localités , indique assez que c'était dans l'origine un castel fortifié. 105 pourtant me reprocher d'avoir négligé île le faire : je le louerai pour peu. si je ne peux pas en avoir beaucoup. » Du 12 mars. « L'on a appris à Genève que le roi de France s'était fait lire deux fois, en son Conseil, le contenu de la lettre du roi de Prusse, écrite aux cantons de Zurich et de Rerne; qu'elle lui avait fait beaucoup de plaisir, et qu'il avait ilit qu'il était bien charmé de penser comme un si grand homme. Ce.* cantons se sont empressés de lui répondre et de le remercier de sa bienveillance i MM. les Représentants mit été assez malavisés que d'aller, mercredi dernier, à Nyon en grand cortège, pour ramener Guerre qui a tué Garni, ce dont je \ous ai informé ci-devant: ils l'avaient d'abord pendu en effigie, comme assassin, puis il fut absous, en vertu de leur fameux édit du 10 février der- nier, que je vous ai envoyé, communément appelé « PÉdit de la Bayonnette. » Us le firent monter dans un carrosse à quatre chevaux, et nombre d'autres le suivaient dans des carrosses ettles cabriolets; ils rentrèrent ainsi pompeusement à Genève. Les médiateurs de Berne et de Zurich (celui de France n'é- tant point encore arrivé'!, en axant été informés, mandè- rent quelques-uns des principaux Représentants, et leur di- rent que, si dans le jour on ne le taisait pas sortir de la ville. ils allaient en référer à leurs maîtres, pour recevoir leurs or- dres. Guerre a dû s'éloigner. » Il paraîtrait que LL. F.K. de Reine ont ordonnée leurs imupes. dont on a parlé antérieurement, destinées a venir à Genève, de ne point découcher. De plus, on croit que le camp, dont je vous ai parlé' dans nia dernière, sera formé, du moins si l'on voit quelque résistance dans l'esprit des Représentants. •> M. Neekei (que je crois assez connu par >a qualité de contrôleur général, en France) a écrit, dit-on. à M. le syndic Guaignier. son neveu, qm est du parti Représentant, que 106 S'il était fait le moindre mal aux Négatifs, eux-mêmes solli- citeraient la vengeance du roi pour poursuivre les Représen- tants et leurs adhérents en quelque pays qu'ils puissent se retirer. » M. Desfranches, agent de la République à Paris, est aussi nn fameux Négatif. • M. de Félice, qui vient de Lausanne, m'a dit hier, qu'en Suisse, on parlait beaucoup du camp qui devait être formé et des ordres qu'avaient les troupes de se tenir prêtes à marcher au premier signal : que c'était M. de Froideville qui devait commander la cavalerie, et M. de Lentulus, l'infanterie ; que l'on avait même retenu les officiers qui devaient se rendre à l'étranger pour affaires de commerce; que les femmes mur- muraient contre les Genevois, qui sont cause de ces désor- dres. De plus, on disait que LL. EE. avaient fait acheter une grande quantité de fascines pour, au besoin, combler les fossés et donner l'assaut à la ville. Les Représentants, d'un autre côté, disent qu'ils sont fâchés d'avoir laissé entrer les médiateurs ; que c'était le cas de s'y opposer ; qu'ils avaient eu entre eux quelques difficultés domestiques, qui étaient calmées, et qu'ils n'en avaient que faire : que les Négatifs en sont cause. » M. le comte Pictet est un bon Représentant. » Ce 15 mars. « M. Gabard a communiqué hier au Conseil de Genève une lettre du roi son maître, arrivée par le cour- rier, qui a été écrite à MM. de Renie, dans laquelle il est dit « qu'il a nommé un M. de Castelnau . pour y remplir la place de Résident, et qu'il a nommé un médiateur, savoir le vicomte de Polignac, pour se joindre à ceux de Zurich et de Rerne, pour traiter à Soleure et non à Genève des dissen- sions de cette république . » Néanmoins, les députés de ces cantons, qui sont à Genève, y doivent rester et agiront de concert avec M. le Résident, pour voir et entendre ce qui se 107 passera pendant ces entrefaites dans cette république, et ce sera dans la dite ville de Soleore que l'on mandera le pro- DOiicé des puissances garantes de la médiation de 1738. On est bien persuadé d'avance que si les Représentants veulent le rejeter (comme ils eurent la témérité de le faire le 15 décembre 1767), ces illustres médiateurs sauront cette lois faire exécuter leur prononcé. MM. les représentants, conservant la mémoire de ce jour, eu font chaque année la commémoration, et font à ce sujet de grandes réjouissances, notamment en décembre dernier, qu'ils achetèrent, dit-on, à la ferme, 600 livres pesant de truites pour leur fête, ce qu'en bons politiques ils n'auraient point dû témoigner si bruyamment » On continue à sortir de Genève avec empressement meu- bles et le reste: la ville va, dit-on, devenir déserte pour cet été. On craint les suites de ces affaires; on va en Suisse et où l'on peut. » MM. les Représentants ont insisté de nouveau pour que Ton réinstallâtle sieur Du Roveray dans les fonctions de pro- cureur-général, et que l'on mit à exécution leur édit du 10 février dernier, malgré les réquisitions de la France de n'en rien faire; à quel effet ils montèrent le 10 du courant, à H heures du soir, chez M. le premier syndic, au nombre d'environ vingt personnes, se tirent ouvrir sa porte, et di- rent à son domestique de le faire lever. Il répondit qu'il était malade et ne pourrait le faire. Ils répliquèrent : ■ N'im porte, nous voulons lui parler, » et entrèrent dans sa cham- bre, lui disant qu'ils étaient là pour lui demander raison pourquoi on n'avait pas réinstallé le sieur Du Roveray et mis en exécution leur susdit édit. que s'il ne leur promettait pas de le faire «qu'ils allaient reprendre les armes. « M. I.- syndic leur répondit : « Hé bien, prenez-les. <> lu autre allégua que l'on devait bien avoir observé que l'on avait affiché que si 108 l'on ne réinstallait pas le dit sieur Du Roveray dans sa charge. il n'y aurait point de paix. M. le syndic répliqua que l'on avait regardé cela comme l'ouvrage de quelque galopin. Le harangueur reprit la parole. «Ce n'est point l'ouvrage de quelques galopins: mais de nous , et nous allons reprendre les armes.» Il fut répondu encore: «Hé bien, prenez!» Pendant cette dispute, ils s'attroupaient par le bas de la ville, et plu- sieurs, au nombre de 20 à 30, étaient déjà armés, ce qui obligea d'aller chez les médiateurs, qui dirent d'abord : «S'il était jour, nous nous retirerions.» Comme le tumulte s'apaisa, les médiateurs allèrent se coucher, dit-on, sur les 4 heures du matin. MM. les Représentants allèrent ensuite faire lever le syndic de la garde, et sur une plaisanterie qu'il leur dit. il les fit tous rire, excepté le harangueur, qui, d'un ton sé- rieux lui dit : « Nous ne sommes pas ici pour rire, mais pour vous dire de ne point faire faire de patrouilles ce soir par la garnison . » Le syndic répondit : « C'est l'ordre, je ne puis m'en dispenser, mais je vais ordonner de les différer d'une demi- heure, et j'irai moi-même. » » On ne sait point encore si cette affaire aura des suites ou non ; mais on dit qu'elle ne rend pas leur cause bonne et qu'ils se blousent chaque jour. » On Fait faire 2000 tentes pour- les troupes qui doivent ve- nir camper, si on ne les fait pas entrer à Genève. » Ce 1 5 mars. «M. l'Intendant m'a dit, d'un air satisfait, qu'il avait reçu de bonnes nouvelles pour Carouge; qu'il avait reçu le pouvoir de mettre en attendant la douane à la maison Caille, qui est la dernière de Carouge. et 'que par provision la Capite servirait de prison. » L'on m'a dit ce matin à Carouge que des Genevois sont venus pour en examiner le plan, et ont demandé des em- placements à bâtir à M. l'Intendant. J'ai vu aujourd'hui ha- biter une maison que l'on finit seulement, où il n'> a encore 109 ni cheminées, ni fenêtres, et elle est toute louée, si fort lc> logements sont recherchés I On la plâtre d'un côté et on cou- che de l'autre: ceux-là ne craignent pas l'odeur de la chaux. Un marchand de Genève m'est aussi renu demander une maison à louer. « Ce 20 mars. < Nous voyons avec plaisir la quantité de Ge- nevois qui viennent chaque jour prendre l'air à Garouge. même se promener sur notre place, en laissant toujours de l'argent dans les cabarets; ils ne paraissent plus avoir ni répugnance ni jalousie comme ci-de\ant. Vous seriez peut- être surpris quand je vous dirais que malgré la largeur de la rue, de la maison du commandant en bas, on s'y coudoie quelquefois; cela semble une foire. On leur fait tout le bon accueil possible pour les engager à préférer ce lieu et à y ver- ser leur argent. Si la comédie y était, on aurait espérance que le théâtre ne serait pas vide maintenant, Ils semblent prendre goût pour ce lien. Nous y attendons des maîtres horlogers. » Les paysans de ce pays, occupés présentement aux tra- vaux de la campagne, n'ont voulu creuser nos caves qu'à un très-haut prix. On a trouvé à Garouge des déserteurs français qui oui été charmés d'avoir cette occupation pour se procurer du pain. Ce sont des drôles bien en langue ; mais je ne me fie pas plus à eux qu'à une planche pourrie: je ne leur ai pas seulement voulu confier une pelle ; ils sont à tan! la toise : Us se sont procurés des outils et des brouet- tes à bras ; \\>, travaillent comme des forçats ; il est vrai que leurs habillements ne les chargent pas trop : avec cela ils sont gais comme des pinsons et racontent aisément combien de fois ils ont déjà déserté, etc. Les soldats piémontais, qui sont en détachement, se sont bien aussi venus offrir, niai- j'ai autant aimé avoir à faire à d'autres, n'entendant que diUicilement leur langue. » 410 Ce 27 mars. Cette franchise de douane que Carouge es- père des grâces du roi, s'étant ébruitée jusqu'à Lyon, nous vous apprenons avec bien du plaisir que nombre de mar- chands se proposent de venir s'y établir pour des manufac- tures en colonne, draperies, etc. ; mais ils ne veulent pas même venir visiter le local, sans être avisés que cette fran- chise est en exécution, dont tout délai est par conséquent fort nuisible. Il y en a même, à ce que l'on assure, qui ont fait suspendre des maisons commencées à Versoix, mais ils attendent aussi cette franchise pour pouvoir venir à Carouge. où ils préféreraient en ce cas de venir s'établir. » Je ne veux pas vous laisser ignorer un bruit sourd qui est venu jusqu'à moi, savoir que l'on ne doutait point que la lenteur que l'on donne à mettre à exécution cette exemp- tion de douane, si utile et si nécessaire pour la prospérité de ce lieu, provient de ce que c'est S. E. le comte Cort et M. le comte de Robilant qui l'ont obtenue et fait signer au roi, sans la communication ni participation du Bureau des gabelles-finances. Il pourrait bien arriver que les chefs de ces bureaux missent des entraves et des difficultés, qui, si elles ne font pas éluder cette faveur, en feraient ren- voyer l'exécution à un long temps, et pendant ce temps les choses pourraient bien changer de face. Ce qui le fait craindre, c'est, dit-on, que le général des finances, S. E. le comte de Toning et le chevalier Rangon n'en ont point été informés, et que, malgré que l'on ait fait sentir combien il importait de mettre promptement cette chose à exécution, surtout dans les circonstances présentes, et que l'on avait déjà les yeux sur les maisons qui pouvaient servir pour l'exaction de cet impôt, en attendant que l'on en eut pu faire construire, on n'y a point pourvu ni rendu de réponse. Si cette exemption n'avait pas son effet, même au plus tôt, cela, entre vous et moi, changerait bien la face des choses, et ferait perdre de belles espérances. » III Ce S avril . « M. l'Intendant, qui paraît très-porté pour ce lieu, vint ce matin nie dire d'un air gai : «Je viens vous faire part de la lionne nouvelle que je viens d'apprendre; c'est que je dois accuser demain la maison Caille, pour \ faire faire le transport du bureau de la douane, voulant, m'écrit- on, que cette exemption ait lieu pour Pâques. «Nous confé- râmes quelque temps ensemble sur les avantagea que cette franchise procurerait; nous en touillâmes d'accord. Si cette exemption peut avoir lieu pour Pâques, comme on l'an- nonce, et que l'on ait le temps d'en instruire le public par la voie île la Feuille d'Avis et de la gazette, on a tout lieu d'es- pérer que déjà cette première foire du 1-2 mai sera célèbre, ce qui ira sans doute toujours en augmentant, animera le commerce et encouragera l'industrie dans ce pays. M. l'In- tendant convient avec moi que le plus bel endroit et le plus agréable, pour placer des barraques en bois, pour loger les étrangers, était dans la place au bas de l'église, le long de ma possession jusqu'au grand Rondeau, qui est dans le che- min tirant à Piochai, même au besoin autour du dit Ron- deau. L'ouverture de celte route a donné beaucoup d'agré- ment à ce lieu. On pourrait > placer plus de cenl barraques de chaque côté; c'était ainsi qu'on le> plaçait à Plainpalais loi -île la foire de Genève. M"" Tronchin-Labat vint samedi avec M. Micheli se reposer dans ma maison de bois, et me dit que de tout Carouge c'était l'emplacement qui lui plaisait le plus, surtout à cause de cette belle avenue qui sert de promenade pour aller à Piochai : elle ajouta qu'elle serait fort inclinée d'j venir bâtir. Je saisis cette occasion pour lui dire que je traiterais volontiers avec elfe, pour avoir la satis- faction de l'avoir pour voisine, Elle me répondit qu'ils al- laient au premier jour à Paris, sans quoi elle en aurait fait la proposition à son mari : que cette franchise lui plaisait beaucoup: finalement que les dissensions de Genève termi- nées, cela les rappellerait, et qu'alors ils verraient. 112 » Le marquis de Saint-Severin me disait aussi la semaine passée qu'il aurait fort envie d'y bâtir, mais qu'il n'avait que 10,000 livres à pouvoir disposer. Nous en conférâmes quel- que temps ensemble en nous promenant; ce beau ciel dont un jouit à Carouge lui plaisait fort; el à qui ne plairait-il pas, dans une position si avantageuse ? Ce lieu parait digne de toutes les attentions bienfaisantes de Sa Majesté et de ses ministres, et propre à faire prospérer son pays ; tous les étrangers qui y passent maintenant semblent y prendre goût, et quand on leur annonce cette franchise, cette liberté, chacun s'empresse de dire : Il faut voir el y venir bâtir. » Du 10 avril. « M. Manera m'a dit avoir obtenu la permission de rester, cette année, à Carouge, jusqu'à ce que le pont des- sous Saint-Julien lût achevé; quant à celui sous Sierne. on en envoie les plans et devis, par ce courrier, à M. l'intendant général, qui, sans doute, le fera d'abord passer en Piémont. Le devis monte à 102,400 et quelques livres ; ce qui est bien moins que ce que M. le comte de Toning vous avait dit. en portant la dépense à 180,000 livres. » Si tous ceux, à qui l'on entend dire que la franchise des douanes détermine à venir bâtir à Carouge exécutent leur projet, il faudra bien d'autres églises pour pouvoir les con- tenir et des prêtres pour les desservir. » Comme la franchise que vous m'annoncez, pour tout ce qui sera manufacturé à Carouge. est un article des plus inté- ressants, et que l'on craignait de ne point obtenir, ce qui au- rait empêché tout manufacturier de venir s'y établir, je me suis empressé d'aller lire à M. l'intendant, chez lui, cet ar- ticle de votre lettre. En entrant, j'ai rencontré deux mes- sieurs, un de Lyon et un de ce pays : le premier, manufactu- rier en gaze de soie, venant de Lyon, sur le bruit de cette franchise, pour s'établir ici, et le second, manufacturier en \elours, en or, argent, etc. Il m'a «lit avoir déjà été ap- 113 pelé ci-devant ;ï Turin el avoir fait les habits pour les noces de> princesses, mariées en France, el m'a mênle fait voir «le- patentes, mais pour l'Italie. Le marquisdeSaint-Séverin et le sieur Juillet sont tont-à-fait ébranlés el désireux de venir aussi bâtir ici. • M. l'intendant a demandé, eê matin, au sieur Monloy, en ma présence, de lâcher de lui procurer une copie imprimée •in tarif genevois du péage du pool d'Ane, pour renvoyer à Turin: je ne crois pas qu'elle vous soit utile, mais je lâche- rais de m'en procurer une à toute bonne fin; je verrai de Pavoir de la Chambre des comptes de Genève. Vous pourrez j remarquer que ces messieurs onl eu l'attention, entre au- tres, d'insérer mon nom dans le nombre des quelques-uns qui sont exempt- de ce péage; mais ils se sont trompés dans l'impression : ils ont mis le comte de Chattallon . pour dire Ghatillon-De Vairy. Tous ceux que la Seigneurie a voulu exempter sont inscrits dans le tarif, au bas de celui affiché au bout du pont d'Ane : c'est là que je l'ai vu. Mais le nom du marquis du Wache n'y est pas. Comme on m'avait dit que mon nom était affiché au pont d'Ane, je lus curieux d'aller voir ce qu'il en était. Le nouveau péagcr, in'abordant poli- ment, me dit: « Monsieur, j'ai ordre de ne rien exiger de vous ni de votre domestique: quant à \os denrées, je m'en rapporte à \otre générosité, « Je le remerciai el lui dis : « Je verrai. ■■ » Si l'on reçoit demain les patentes d'exemption de douane el franchise, on se prépare à illuminer ce -oir tout ce lieu avec empressement el de témoigner son allégresse autant que le permettra le temps de pénitence OU l'on se trouve. Quant à moi, je suis fort embarrassé de savoir comment je ferai pour illuminer mon petit château de bois, dont je con- sentirais volontiers de faire un feu de joie, pour témoigner aussi mon allégresse, si je savais que cela pût faire rire 8 1U notre bon maître, dont Dieu veuille prolonger les jours en santé. » Le 17 . « Un M. Mayor, négociant de Lyon, qui a fait un très-gros bâtiment à Versoix, vint me voir, vendredi, dans mon hôtel, avec des messieurs de Carouge, qui l'amenèrent. La conversation ne tarda pas à tomber sur les grâces de Sa Majesté en faveur de Carouge, et il me dit que cette franchise promise, jointe à l'exécution du pont sous Sierne, le déter- minerait à venir s'y établir ; qu'il quitterait volontiers Versoix, et viendrait à Carouge bâtir une maison de goût; que leur commerce le plus particulier était en fabrique de chandelles et en fromages de Gruyère, et que le droit des halles, soit de la douane de Genève, leur était fort onéreux; ce qu'ils éviteraient, de même que le ponlonage d'Ane, en venant passer au pont sous Sierne , qui doit être franc Comme les Genevois ont augmenté, dit-on, de quarante louis leur ferme du pont d'Arve, h1 nouveau péager vent se dé- dommager sur les passants. » Avant-hier, une personne me disait que si le roi voulait faire bien vite prospérer les marchés de Carouge et les mar- chands, ce serait de déclarer que tout ce qu'on achèterait dans ce lieu, serait exempt de douane dans tout ce duché, ce qui serait aisé à prouver par les billets qu'en remettraient les vendeurs aux acquéreurs. » De plus, il serait convenable et nécessaire d'interdire toute entrée de vins étrangers dans ce pays, ce qui empêche le débit de ceux qui y croissent, et emporte tout l'argent en France. Si on mettait au moins un louis d'or neuf de douane par tonneau dit Màconnaise de quatre setiers, ce serait un frein pour tous ces vendeurs de vins étrangers, et ce serait avantageux pour ce pays. » Dernièrement, je demandai à ce susdit M. Mayor des nouvelles de Versoix, et si le roi de France en avait aban- MS donné te projet. Il me répondit que non: i|iie même on avait déjà lini une partie du port; que le canal était prêt, les arbres de la promenade plantés, el qu'il n'y avait que deux moi.s qu'on avait encore sorti soixante mille francs du trésor, pour en suivre les opérations. Mais il m'avoua que. malgré cela, on ne s'empressait point d'j bâtir, el que la position de Carouge était l>ien plus avantageuse. Il m'invita beaucoup à aller le \dir ci à descendre chez lui, avec ces manières françaises et ouvertes <|iii -uni forl engageantes. Je le lui promis. Il me dit encore : « Nous avons dépensé environ cent vingt mille francs dans ce lien, et je ne*sais pas seulement trouver huit louis de rente de ma maison. Puis, il me réitéra que., si le pont sous Sierne se.fakiit. il écrirait d'abord à son frère, à Lyon, de \enir établir leur commerce à Carouge, et qu'il \ ferait bâtir une maison de Lioùt. Vous ne devez pas douter qu'ayant fort à cour l'établissement et la prospérité de ce pauvre Carouge. qui a tant d'ennemis jaloux, et qui devien- dra un jour si utile à ce pays (malgré tout ce que les envieux peuvenl en dire), je lâchai de l'engager à tenir sa parole, lui faisant des offres de services, de lui faire procurer des pierres de Veyrier, etc. » Il \ a aussi plusieurs Genevois qui nous disent qu'il s'en trouve parmi eux que l'on marchande pour y venir bâtir; mais, disent-ils. comme ils sentent que la prospérité de ce lieu sera préjudiciable à leur ville, ils attendent que quel- qu'un fasse le premier pas. et les autres suivront, l'n autre Cenevois disait qu'il ne s'embarrassait pas de ce que Ton en pouvait dire en ville, qu'il cherchait à faire ses affaires, el qu'aussitôt que l'on commencerait le pont sousSierne. il vien- drait à Carouge faire le métier de commissionnaire. On se féliciterait aussi beaucoup si le radelage sur l'Ane pouvait avoir lieu, ce qui procurerait à Carouge. entre autres, des bois à bâtir et des bois à brûler, à un prix raisonnable, et 116 ceux qui en auraient à vendre dans le Faucigny pour- raient, par ce moyen, en tirer parti. Mais ce qui peut, con- venir aux uns déplaît souvent aux autres : il en est ainsi de toutes choses. » On nous dit que le magistrat de Genève et les députés de Zurich et de Berne ont empêché les Représentants de faire une démonstration tumultueuse, concernant l'exécution de l'édit du 10 octobre dernier, dont je vous ai parlé. On ajoute que les esprits sont toujours très-échauffés : que les Négatifs abandonnent journellement la ville, emportant jusqu'aux tapisseries de leurs maisons. Seulement samedi, la Feuillr d'Avis annonçait, à louer, quatre-vingt-deux appartements, et trente-quatre maisons, tant du dehors que du dedans. M. de Castelnau, résident de France, doit, dit-on, arriver sa- medi prochain : ses équipages ont déjà pris les devants. On ajoute qu'il doit apporter les nouvelles du ministre de France, au sujet des dissensions de Genève. Les Représentants sem- blent les redouter, et, en conséquence, il^ continuent de réi- térer leurs menaces. » Le 24. « Conférant, il y a quelques jours, avec un Gene- vois, témoin de l'empressement avec lequel on se hâtait de bâ- tir à Carouge, il me dit : «Vous y verriez venir bien des gens de notre ville, si votre roi voulait les assurer que l'on n'y serait pas tenu aux corvées, ni nos fils tirés pour la milice; cette crainte, dit-il, les retient. » .le ne sus que lui répondre sur ces objets, ignorant les sentiments de la cour. » La nouvelle du jour vous amusera : Mmc l'intendante de Carouge faisait venir, la semaine passée, par son domes- tique, une douzaine île petits pâtés, de Genève. Comme le bureau de la douane est toujours existant au même endroit, le brigadier demanda à ce domestique ce qu'il portait dans la serviette qu'il tenait à là main. Le domestique le lui fit voir, et déclara que c'était nue assiette de petits pâtés pour 11" te dîner de sa maîtresse. Le brigadier les lui prit en disant qu'il devail les acquitter. Le vaïel lui répond qu'il voyait bien qoec'étail une bagatelle exempte de douane. «Eh bien 1 ré- plique le brigadier, s'ils ne doivenl pas de douane, ils ne sont pas moins confisqués, ci j';ii le droil de les manger ! » Or, s'ils font cela à l'intendant, à sa porte, que ne feront-ils pas aux autres, qui n'ont pas assez de voix pour se plaindre? J'en ai ri avec l'intendant, qui m'a dit que, comme la chose le re- gardait personnellement, il n'avait l'ail qu'avertir le brigadier que la digestion pourrait lui en devenir nuisible. i 11 j a toujours beaucoup d'effervescence dans les affaires politiques de Genève, où M. le résident est toujours attendu. Les Cercle- des Représentants s'assemblent soin eut. même à des heures indues. Ils veulent toujours, dit-on, donner leur représentation {tour l'exécution de ledit : les Natifs la solli- citent. Que je parle à des Natifs, que je parle a des Repré- sentants, tous s'accordent à nie dire que la ville est perdue: qu'il n'\ a aucune apparence de réconciliation. La France veut toujours que la médiation se tienne à Soleure : c'est un mal: cela éloignera bien les esprits iU' l'acceptation de l'ou- rrage des médiateurs, et l'on dit que, -'il n'était pas accepté, la garantie armée interviendrait alors pour le faire pro- noncer. Ce que l'on en peut dire et ce que l'on entend des deux parts, c'est que le parti Représentant menace la ville d'une destruction, en cas. disent-ils. que l'on veuille les as- servir ou les forcer à quelque chose de contraire à leur li- berté républicaine. " L'officier de la marine, qui est en détachement à Garouge. s'appelle le chevalier Deloicé. • Du 97. Il ne faut point être surpris si les Genevois dési- renl ou pensent, pour mieux dire, de venir bâtir à Ca- rouge: ils ne savent à quel saint se rendre: ils n'ont plus, ni les uns m les autres, aucun esprit de patriotisme. Les Néga- 118 tifs disent hautement qu'ils ne veulent plus être sous le joug des Représentants ; qu'ils préféreraient avoir un gouverneur français; les Représentants, de leur côté, disent qu'ils péri- ront plutôt tous que de voir changer la forme de leur gou- vernement : les Négatifs répliquent que c'est un gouverne- ment anarchique, qu'ils quitteront plutôt tout que de rester Comme ils sont, et tous s'accordent à le dire, on voit que le désordre est à son comhle, et que jamais ou ne se rappro- chera. Le prophète Monloy, tout Représentant qu'il est, me disait dimanche, qu'il regardait la ville comme perdue, les suites de ces dissensions étant très à craindre. Assurément, les suites sont très-dangereuses, tous les partis semblent l'ap- préhender avec fondement. Je vois encore, dans la Feuille d'Avis de samedi dernier, qu'il y a à louer vingt-huit maisons ou emplacements, soixante-trois appartements et dix-neuf chambres garnies ; il est aisé à juger par là le vide qu'il y a dans cette ville, où l'on ne compte, en tout, que treize cents maisons. » Ce 1er mai. « Vous m'étonnez, mon cher frère, de dire que vous êtes mortifié de ce que j'ai signé un certificat de bonne conduite à M. Manera; je n'ai rien fait, en cela, contre mon su, et le devoir d'un honnête homme. S'il a des ennemis qui conspirent contre lui ou envient sa place, tant pis pour eux, cela est commun parmi les hommes ; d'ailleurs, même si ses ennemis pouvaient prouver des faits contraires à la décla- ration du marquis du Wache et de moi, cela ne prouverait pas que nous n'eussions déclaré la vérité de ce que nous sa- vions. Nous ne sommes pas habitants de Carouge quoique l'on y aille quelquefois. Ayant eu l'occasion de connaître et de voir ce monsieur, nous n'étions pas commis pour éclairer ni ses actions, ni sa conduite, et n'avons rien vu ni aperçu de reprochable en lui dans ses actes. C'est la justice qu'on doit lui rendre; nous ne jugeons ici ni de l'intérieur, ni de H9 les actions secrètes; cela appartient à Dieu seul, qui sonde le cœur dès I mes, et, au contraire, nous devons toujours penser en bien dé notre prochain. Les pesonnes en place qui ont fait îles déclarations en sa faveur, témoins oculaires et journaliers de s;i conduite, lui rendent justice, et disent n'avoir jamais en aucun reproche contre lui: c'est une per- sonne à laquelle on a reconnu des talents, l'esprit de son métier et le talent de persuader et de faire sentir ce qu'il dit : il sera regretté dans ce lieu de ceux à portée de le connaître; eest d'ailleurs un jeune homme de 27 ans. que des ennemis et envieux cherchent à détruire. Dieu veuille nous garantir de la malice des hommes, et en disant ce que l'on sait, on ne pense pas avoir commis une imprudence. Pour preuve du cas que l'un en l'ail, c'est que If. l'Intendant le loge et nour- rit en pension depuis quelque temps, même à un prix modi- que. Userait sans doute heurté que Ton pensât qu'il retient Chez lui une personne sans mœurs ni conduite, et qu'il au- rait voulu favoriser et mettre à même de faire ses affaires. Enfin on nous dit que le roi a signé sa destitution, et qu'il doit passer en Sardaigne; on ne parlera sans doute bientôt plus de lui. » Le commandant deCarouge ayant sollicité une augmen- tation de paie ou une commanderie, on lui a fait espérer que lorsqu'il j aurait quelque chose de vacant, on lui en ferait part. Informé de la mort d'un nommé M Uelvieux. qui jouissait, dit-on, d'une pension de 1000 livres, il en écri- vit d'abord à Turin, et M. Coconito lui a fait espérer par le denner courrier que Le roi était disposé à lui augmenter sa paie: il espèce et attend que cela ira à environ 1 à Ô00 livr., ce qu'il m'a dit amicalement. •• Vous trouverez ci-joint la copie d'une lettre de H. de Vergennes écrite au Conseil de Genève. Les Représentants disent à ce 9Ujel que c'est du miel sur du pain noir. Le sieur 120 Monloy prophétise toujours qu'ils ne se réconcilieront pas, que les esprits sont trop aigris, et que la fin est très à crain- dre pour eux. Un Négatif me disait dernièrement que M. Pic- let, qui est beaucoup le partisan des Représentants, désire- rait être élu pour stathouder de la République. » Ce 4 mai. « MM. les bourgeois Représentants ont, malgré toute opposition, donné mercredi dernier leur représenta- tion pour l'exécution de l'édit du 10 lévrier et protesté con- tre la non exécution. On m'a dit qu'ils étaient au nombre d'environ H à 1200 bourgeois et 15 à 1800 natifs et habi- tants qui bordaient la haie près de la Maison-de-Ville lors- qu'ils passèrent pour y aller ; que les Cornualistes et les Constitutionnaires avaient encore offert de se joindre à eux si les Représentants avaient voulu les admettre parmi eux, ce qu'ils refusèrent, n'étant pas encore au rang des bourgeois. Finalement on m'a assuré hier qu'ils avaient dit à MM. de Zurich et de Rerne qu'ils ne les regardaient point comme médiateurs, ne les ayant pas demandés et n'en ayant pas be- soin. Il faut attendre la suite, dont on n'augure point bien. M. le Commandant m'a dit hier que M. le syndic Grenus, qui aurait tant désiré pouvoir venir habiter Carouge, n'ayant pu trouver à s'y loger, est allé chez Cavussin à Chêne, où d'un mauvais appartement, sans compagnie, il paie vingt louis neufs; on espère l'année prochaine qu'il prendra apparte- ment dans la maison du curé de Theiry que l'on finit. On continue de dire que Mgr. le duc de Chablais ira cette année noire les eaux d'Amphion. Marquisain du Wache est parti pour Chambéry pour tâcher d'obtenir un sénateur pour ve- nir au Wache informer sur les lieux contre les habitants qui, s'étant armés de hâtons, fusils, baïonnettes, sont allés paître par force dans la forêt, el ont résisté à celle qu'on leur a opposée, et il a failli en arriver de fâcheuses suites. Mais il n'en est rien résulté, sinon que l'on a cédé le champ m île bataille aux paysan.-, et que les vaches que Ton avait conduites au château, y ont été enlevées de force par les fem- mes, qui ont proféré bien des sottises. Le marquis du Wa- ilie père a le talent de se faire abhorer de tout le monde. <-r qui rejaillit sur sa famille. » On attend demain à Carnage ta patente d'affranchisse- ment avec le pins grand empressement. On en fera la publi- cation au son et au bruit de quelques instruments militaires, en témoignant la plus grande démonstration de joie possi- ble. Je pense aussi que dans peu de jours on chantera un T$ Deum en actions de grâces an Très-Haut, en y joignant les plus ferventes prières pour la conservation des précieux jours de Sa Majesté et de toute la famille royale. » Ce ê mai. «.le commencerai par vous dire que plusieurs motifs semblent retenir présentement les Genevois de venir bâtir à Carouge: ils craignent, disent-ils. que tôt ou tard ils n'y soient inquiétés pour cause de religion, rien ne les assu- rant du contraire: -1" de voir leurs enfants être élus pour la milice: 8° d'être tenus de concourir aux corvées; t° ils -ont maintenant la plupart sans argent, fort obérés par la quantité (factions qu'ils ont achetées dans ce dernier emprunt de la France, qu'ils n'ont point encore acquittée- : .">" leur commerce souffre considérablement >\i'< troubles qui les agitent; Ci0 les divisions et auiniosités qu'il y a entre eux le- occupent, ce qui cause fréquemment des querelles jusqu'à se battre pour leurs affaires publiques. Jeudi soir, deux nommés Tournier et Léchet choisirent leur champ de ba- taille à Carouge. dans le petit chemin derrière chez le sieur Sireur. et après s'être craché réciproquement par mépris an visage, nmenl l'épée à la main el >"en donnèrent chacun un coup, mais qui n'ont pas été mortels; ils ont encore pu se sauver, l'un à Genève, l'autre à Fernex, où on les a trans- portés. De plus, la lenteur avec laquelle on traite les choses 122 chez nous, ôte de la confiance aux promesses que l'on peut faire: voire même cette patente de franchise annoncée depuis si longtemps, si ardemment désirée, partie même de Turin, m'avez-vous écrit, le 22 avril, est restée, dit-on. à Chambéry, par un oubli, sans doute volontaire, sans en plus recevoir de nouvelle». Cela a fait une sensation fort dés- agréable parmi le public, qui s'était disposé à une réjouis- sance, à l'arrivée du dernier courrier, laquelle était d'au- tant plus désirée, que l'on est à la veille de la foire, qui sera samedi. Ce délai, que les ennemis de Carouge taxent de promesse frivole, prête à rire aux jaloux et envieux, et cause du découragement. » L'on a eu divers avis à Genève d'une émeute populaire arrivée la semaine dernière à Fribourg en Suisse, et de ses causes: l°Le peuple s'est récrié sur le retranchement des fêtes, comme si la chose n'était pas même à leur avantage ; 2° le magistrat ayant fait couper des bois dans une forêt, ils prétendent que c'est une commune qui leur appartient: 3° ils se sont récriés sur ce que, disent-ils, on ne leur tient point un fidèle compte de la petite pension que la France passe à chaque nouveau-né catholique suisse; les uns di- sent que c'est 3batz par semaine, soit un florin de Genève; d'autres que c'est un écu neuf par année. Sur le refus de faire droit à leur réquisition, ils sont venus en corps avec un orateur à la tête pour déduire leurs raisons, lequel le magistrat a fait emprisonner: et sur la sommation faite de le faire élargir, ce que l'on n'a pas \oulu exécuter, ils se sont attroupés au nombre, dit-on, de 4,000, se sont répandus par le canton, et environ 500 se sont emparés de la ville, saisi l'arsenal, pris le château dit de Gruyères, et fait le bailli prisonnier. Les magistrats du dit Fribourg ont eu recours à l'assistance de leurs alliés, et les Bernois, Soleurois et Lu- cernois viennent d'y mander 6,000 hommes de bonnes trou- 123 pes, tant en infanterie qu'en cavalerie, avec de l'artillerie. On ne doute point quêtant subjugués, on n'en lasse pendre quelques-uns pour calmer l'émeute. On a observé que LL. B.E.j en donnant l'ordre de marcher à leurs troupes, ont ordonné de ne point toucher à celles destinées à marcher au premier avis, s'il est besoin, coDtre Genève. Quand on veut faire enrager les Représentants, on leur reproche que c'est à leur exemple que celte émeute s'est élevée: mais que pour les rendre tranquilles, on pourrait bien aussi pen- dre leurs deux chefs principaux pour leur apprendre à vivre » Les gens du Wache ont encore répété leur audace dimanche, en allant tous, hommes et femmes, garder leurs bestiaux dans la forêt. M. de Grenaud et M. Delvicé, ofli- ciers, commandant le détachement à Carouge. s'y trouvè- rent présents, et on tira un coup de fusil sur les gens du marquis, dont la balle frisa l'oreille à un; le marquis, sa femme et sa famille voulurent aussi y aller, mais ils furent hués et méprisés. » L'on m'a assuré que les Représentants de Genève, in- formés que l'on passait dimanche dernier la revue des trou- pes, à Nyon, destinées, dit-on, à venir au besoin à Genève, sont restés ce jour-là dans la ville, sans venir, comme de coutume, prendre l'air au dehors, et cela pour être prêts à empêcher l'entrée, si elles se présentaient ; ils disent même à qui veut l'entendre que si la garantie armée vient, ils mettront d'abord le feu aux quatre coins de la ville. Ge qui esi bien certain, c'est que ce petit Etat paraît être au bord de sa ruine. Un assure qu'ils ont dévoilé leurs intentions à MM. de Heine, dans une représentation secrète qu'ils leur ont adressée. » Samedi dernier, le public de Carouge ayanj vu qu'à l'ar- rivée du courrier on n'avait point reçu les lettres-patentes des franchises annoncées depuis si longtemps, et voyant l'ap- proche de la foire, délibéra de faire les frais de mander dans ce dit jour un exprès à M. l'intendant-général, en lui disant que c'était peut- être par oubli que l'on n'en avait plus ouï parler, ni reçu les patentes de franchises si nécessaires dans ce lieu, lui rappelant la proximité de la foire; pour la prospérité et le concours de laquelle elle était absolument nécessaire. M. l'ïntendant-général s'est contenté de le ren- voyer eu disant qu'il écrirait par le courrier. En effet, il vient d'écrire à M. l'Intendant d'une manière vague et in- certaine, en disant qu il ne l'avait point encore fait impri- mer, outre qu'il y avait encore des règlements à faire par le bureau des gabelles, ce qui aussitôt s'est répandu dans tout l'endroit, et vous ne sauriez vous faire une juste idée de la sensation désagréable et du mauvais effet que cela a fait dans le public, qui dit avec fondement : « Voilà donc la meilleure de nos foires perdue, et dans le plus beau temps ! On ne doit plus compter sur rien : le roi aura les meilleures intentions du monde pour ce lieu, ses ministres ou des ga- belles ou des finances contrecarreront toujours ces inten- tions bienfaisantes ! » On dit : «.le ne voudrais jamais avoir pensé à bâtir ici ; Carouge ne sera jamais rien . il a trop d'envieux et d'ennemis. » L'Intendant m'en a paru affecté au-delà de l'expression : il ne veut plus rien écrire. Le commandant me disait que tout agréable que fût pour lui la nouvelle de son augmentation d'appointements, elle n'é- galait pas le chagrin de la nouvelle de ce renvoi, ou peut- être encore la non exécution dans la suite par les entraves ou oppositions que Ton y mettra sûrement. Pour moi, qui avais annoncé avec tous les autres cette franchise, j'en suis dans la confusion et n'y paraîtrai pas Ce fut déjà par les entraves que la Chambre des Comptes mit aux foires, qu'elles n'ont rien valu, et maintenant ce sera sans doute aussi par quelque objection maligne , entraves ou opposi- 125 lions, que cette franchise restera sans effet. La volonté de Dieu soit faite ! Ceci va bien prêter à rire ;m\ Genevois h leur ôter toute confiance, et les marchanda qui se propo- saient de venir vendre franco leurs marchandises à la foire seront bien attrappés; quelle confiance auront-ils une au- tre fois en ce qu'on leur dira ? Le pauvre Monloy en est pâle de chagrin; il en porte des plaintes, mire voua et moi. par ce courrier, aux comtes de Toning el de Robilant.i Du II niai. Autant fut sensible au public, lorque l'on apprit à Carouge, à l'arrivée de la dernière poste, que, bien loin que les patentes de franchises y lussent arrivées, il \ avait des oppositions de la pari du bureau des gabelles, au- tant la joie fut universelle dans ce lieu, lorsque l'on apprit que M. L'intendant général venait de les y envoyer par exprès (ce fut le mercredi (.t du courant). Plusieurs personnes s'em- pressèrent de venir m'annoncer cette bonne nouvelle, à neuf heures du soir, et nie faire connaître le bon effet qu'elle avait produit dans ce lieu. De plus, quelqu'un ajouta que des Genevois, qui en doutaient, affirment que si elle arrivait, ils \ tendraient à Carouge chercher des emplacements pour bâ- tir. Ce changement d'inquiétude, qui vient de faire place à la joie la plus pure, me rappelle ce vieux dicton : » Un rien Datte qustad on espère, Mais un rien trouble quand on craint... Ce 18 moi. « La patente, des franchises de Carouge a pro- curé une belle foire, car il > avait plus de quatre-vingt- quatre boutiques. S. K. M. le comte de Toning a répondu au sieur Monloy par une lettre fort obligeante; mais il ne lui a rien dit sur -a plainte amère de ce que les patentes n'étaient pas arrivées: il a seulement ajouté que les lettres s'étaient croisées en chemin : le cas était trop urgent pour le passer sous silence. 126 •> .le prendrais avec plaisir de l'argent en Savoie, à Cham- béry ou ailleurs, afin de continuer mes bâtisses. Quant à Genève, il n'y fantpas penser, il n'y en a point ou du moins il est très-rare : l'intérêt s'y paie de cinq à six pour cent, seulement pour quelques mois. Ils sont endettés au-delà de leurs forces par le nouvel emprunt fait par la France ; d'ail- leurs, ce sont des juifs avec lesquels on ne peut pas traiter. M. Felice. qui réside à Siertie, et qui aurait envie de bâtira Carouge, a fait faire un plan ; mais il ne lui a pas été pos- sible, m'a-t-il dit, de trouver seulement cinquante louis à emprunter: d'ailleurs, le commerce y est tout à fait dé- rangé par la faute de MM. les Représentants : la copie de l'écrit ci-joint vous prouvera à quoi en sont les choses. Cette franchise les a étonnés au plus haut point, car à peine en peu- vent-ils croire leurs yeux. Comme ils n'ont point eu de foire à Plainpalais, ifs sont venus beaucoup à la nôtre: il y a encore aujourd'hui de leurs marchands. » On nous dit que les habitants du canton de Fribourg se sont attroupés de nouveau, et sont tombés sur les deux com- pagnies de dragons de Berne, et qu'ils les ont détruites: mais gare les suites ! « P. S. Étant à Carouge, ce malin, 19, un marchand étranger m'a dit que si je voulais lui faire bâtir promptement un petit emplacement, il le louerait, et en paierait, suivant le plan, dix louis de rente et deux louis pour épingles, qu'il me paierait d'avance , en lui promettant qu'il y entrerait en août prochain, ce à quoi j'ai adhéré. » Du 21 mai. « .le vous ai dit que les Fribourgeois avaient repris les armes et fait main basse sur les troupes de LL. EE. de Berne. Le courrier même avait débité cela, à son arrivée à Genève ; on a reconnu que c'était une plaisanterie de sa part, et il a été gravement réprimandé par MM. les députés des cantons qui sont à Genève. 127 » J'ai vu hier une réponse dn comte de Toning an sieur MoiiIon, au sujet àes réjouissances publiques et illuminations à l'occasion des franchises « i «^ Carouge. M. Monloy avail dit i|ue M. le comte ilf Veyrier, qui approvisionnai! une grosso quantité de matériaux pour y faire un \ ;isto bâtiment, n'ayant pu le décorer (["une illumination, avait fait illuminer ces monceaux de pierres : ce qui est vrai. Cela faisait une riante perspective, qui me coûta trois livres, et un petit ('-eu pour la part de la poudre des boites ;je ne les regrette pas : on tira tant, que l'on lit le temps s'éclaircir, qui d'abord était nébuleux. La lettre du comte de Toning, Loi» de l'iniprouver. semble applaudir et faire sentir qu'il est charmé du bon effet et de la joie que cela a causé : ses Batteuses ex- pressions m'ont surpris agréablement. L'on va, au premier jour, ouvrir deux rues pour divers bâtisseurs qui se présen- tent. » Le Si) mai. • Je tous donnerai pour nouvelle que les troupe.» de France doivent arriver, demain ou après-demain, au pays de f.ex: elles seront, paraît-il. au nombre de quatre à cinq nulle hommes d'infanterie, de quatre différents régiments, de Monsieur., de Champagne, etc., et deux cents dragons du régiment d'Artois. On dit qu'il doit venir aussi de Dôle et de Besançon deux mille hommes environ, l'ne personne du pays de Gex assurait qu'il leur avail été défendu de ne plus rien apporter à Genève, pas Môme du fourrage. Les Suisses ont aussi ordonné à leurs troupes de ne point découcher, et de se tenir prêtes au premier avis. Jugez de l'effet que cela produii dans Genève, où ils pensent que leur jugemenl est fait, et que c'est pour le leur faire ac- cepter par force, si on le refuse: ce qui j cause bien de la rumeur. , Leâjttin. ■ C'est M. de Coignyqui commande les troupes de France au pays de Cex. M. le commandandant du fort de 128 l'Écluse a fait voir, hier, à une personne, qui me l'a dit, l'ordre du ministre de la guerre de lui fournir toute la mu- nition dont il pourra avoir besoin. On ajoute qu'au pre- mier jour, on aura des troupes et de l'artillerie. Notre souverain pourrait bien aussi faire avancer des troupes pour garder ses frontières. « g V. Genève et Carouge à la fin de t98i. Au commencement de juin 1781 la correspondance entre MM. de Ghâtillon et de Veyrier fut interrompue par un voyage que fit le premier, à Carouge et à Genève. Ce voyage paraît d'abord avoir eu un but politique. M. de Châtillon voulait s'assurer par ses yeux, probablement par ordre de la cour de Turin, de l'état des esprits à Genève et des chances que pouvait avoir Carouge de s'agrandir, aux dépens de cette République dont l'agitation politique allait croissant. M. de Châtillon, d'après les lettres de son frère de Veyrier, s'était ensuite laissé aller à l'idée de faire a Carouge des spécula- tions en bâtiments, et de s'intéresser dans quelques-unes des nouvelles industries qui venaient s'y établir, notamment dans une fabrique de rubans de soie. L'état intérieur de la Savoie contrastait alors avec celui de la République de Genève. Autant rémotion et la fièvre révo- lutionnaires étaient fortes dans celui-ci, autant les pays régis par le sceptre de Victor-Amédée NI étaient tranquilles et pai- sibles'. On était encore loin de la révolution française de 1789. et la Savoie, entre autres, ne pouvait prévoir qu'elle serait entraînée dans ce grand mouvement. Elle avait été en I. Ce monarque, né à Turin le 2t> juin 172(i, règua depuis l'an 1773 jusqu'au 22 septembre 1792 que la Savoie fut occupée par l'armée française, commandée par le général Montesquiou. quelque sorte au-devant îles exigences populaires en procla- mant le principe du rachat des redevances féodales. Déjà, en 1781, cette mesure radicale avait été réalisée pour une très-grande partie des droits féodaux, comme on a pu le voir au commencement de cette Notice. Quelques seigneurs avaient paru mécontents de cette grande réforme, parce qu'ils s'estimaient lésés dans leurs intérêts matériels. Mais les populations avaient, en général, applaudi aux mesures décrétées par le souverain dans le sens de l'égalité et du progrès économique, qui commençaient alors à se mani- fester. Si. plus tard, la Savoie fut proportionnellement moins bouleversée que d'autres pays de l'Europe par la révolution ; si la fièvre y fut moins forte et les excès bien moins nom- breux, et même insignifiants, cela vient indubitablement de ce que le gouvernement avait pris les devants et qu'une partie des réformes, notamment celles qui intéressaient la classe agricole, avaient été réalisées ou étaient en voie d'exécution. Le gouvernement sarde et ceux qui s'intéressaient au déve- loppement de Carouge avaient donc quelque lieu d'espérer que les troubles de Genève influeraient considérablement sur le sort de cette nouvelle ville. La cour de Turin avait un double but, politique et religieux, en poussant alors sérieu- sement à l'agrandissement de cette localité. Elle comptait attirer d'abord dans ses États le commerce, l'industrie et les richesses de la République genevoise. Ensuite, elle faisait un acte de propagande catholique qui était toujours, depuis le seizième siècle, un des grands mobiles du gouvernement de la monarchie de Savoie dans ces pays limitrophes du grand centre cahiniste en Europe. Parfois même ces deux mo- biles se trouvaient en conflit, comme on aura pu le voir par les lettres du comte de Veyrier à son frère de Cliàtillon. 9 m Celui-ci. qui recevait immédiatement et communiquait, telle.-, qu'il les avait reçues, les impressions et les sentiments de la cour de Turin, mettait son frère en garde contre ses sympa- pathies trop genevoises. Il le blâmait de se compromettre jusqu'à réclamer pour Carouge une sorte de tolérance reli- gieuse ou du moins un faible commencement de liberté des cultes, comme ausssi de s'être laissé aller à l'idée de favo- riser le développement matériel de Carouge au détriment des principes religieux et des doctrines de l'Église catho- lique, qui condamnent et interdisent les représentations scé- niques. Cette rigidité paraissait un peu outrée aux gentils- hommes de Savoie, qui. tout en faisant profession d'un attachement sincère aux dogmes de l'Église catholique, en ne transigeant pas avec les idées révolutionnaires et en mon- trant, en tonte occasion, une inaltérable fidélité au roi el aux principes monarchiques,, auraient cependant voulu un peu de support et de tolérance dans l'intérêt de la prospérité future el immédiate de la ville de Carouge. Tel était, entre autres, le comte de Veyner. chez lequel on retrouve ce noble dévouement, uni aux idées essentielle- ment pratiques de la fin du dix-huitième siècle, et ne tenant plus aux privilèges de caste qu'autant qu'ils peuvent conso- lider les avantages matériels et tenir en respect la niasse du peuple, le profane vulgaire. Ce caractère est une sorte de type particulier à cette épo- que île notre histoire. En écrivant, le comte de Veyrier ne se pique pas non plus d'élégance de style. Il dit les choses telles qu'il les voit et les saisit, tenant surtout à bien se faire comprendre, et ne redoutant pas les répétitions. C'est un français particulier que celui dont il se sert. Il écrit comme il devait parler. C'est pour cela que nous avons respecté son us ai dil que MM. de Berne n'avaient pas ap- prouvé le statu qito que les Représentants craignaient tant : ils Tout rejeté hautement. Là-dessus, M. de Vergennes, mi- nistre de France, en étant informé, s*est désisté de cet avis, pour lequel il était, et a écrit au Conseil de Genève qu'il les invitait à s'accorder entre eux, leur offrant, dit-il . ses con- seils s'ils eu ont besoin. Ce changement de ton a bien fait triompher les Représentants ; oo ne parle que par conjec- tures pour la suite de cette affaire, à quel effet M. de l'oli- gnac et M. Cabard, son secrétaire, mit été mandés à Paris. Pour toujours mieux faire conster combien les Genevois ont Carouge en haine, vous saurez que M. le curé ayant dit dernièrement à des protestants qu'ils ne feraient point mal de s'assembler entre eux pour prier Dieu sans ostentation. l. Voici lr passage dool il s'agit dans le rapport de M. Monloy,, en- voyé a Turin : «Je dois ajoutera v. K., ;i cause de l'intérêt qu'elle prend el de la protection dont elle honore Carouge, que l'empressement «les particu- liers pour l'augmentation des bâtiments, loin de se ralentir, augmente de plus en plus. Parmi ceux qui font édifier, M. le comte de février doit être distingue ; non-seulement il fait élever actuellement urt édifice régulier-, considérable et très-étendu, à même de contenir dix-sept lo- cataires, mais encore M. le Commandeur de Ch&tiHon, son frère, après avoir fait construire une maison pendant son séjour eu Savoie, rienl de retenir un emplacement et a donné ses ordres pour mettre inces- samment la main à L'œuvre d'un bâtiment très-vaste. L'on ne peut re- fuser !i ces seigneurs qu'ils sont les émules de Carouge; si leur zèle pouvait se communiquer à quelques sujets riches de Sa Majesté, l'a- grandissement de Carouge serait bientôt au période désiré. Tous les ouvriers s'empressent a travailler pour ces Messieurs en égard qu'ils paient tout au comptant) • 138 que même il les regarderait comme schismatiques, el que s'ils avaient un ministre pour leur rappeler leur devoir , ce n'en serait que mieux; là-dessus, ils allèrent choisir une chambre chez Brocher, où même ils avaient eu l'attention de placer un beau fauteuil pour M. le commandant ou l'in- tendant, quand ils y voudraient assister. Puis ils avaient prié un jeune ministre des Vallées, sujet du roi, qui réside à Ge- nève, de leur venir prêcher et rappeler leurs devoirs de religion. Le Vénérable Consistoire de la république s'en étant aperçu, a mandé ce jeune homme ; ils l'ont censuré d'avoir adhéré à cette proposition, et ils ont vomi bien des choses au désavantage de Carouge et de ses habitants; de tout quoi, le sieur Monloy, qui est aux écoutes de ce qui se passe, doit faire une relation. Enfin ce lieu leur est un crève-cœur, et ils voudraient l'anéantir, s'ils pouvaient, parce qu'ils sentent bien que s'il est protégé, il leur fera face; mais ils ne devraient point témoigner politiquement tant d'aigreur contre Carouge, eu égard encore aux égards que l'on a tous les jours pour eux. M. l'ingénieur Viana m'a dit qu'il sollicitait son retour à Turin, qu'il en avait même écrit au comte de Robilant ; mais qu'il attendait encore ce mois d'octobre prochain, parce qu'il doit, dit-il, venir voir les opérations de Carouge. Il m'a ajouté que rien ne le pour- rait mieux rendre sédentaire dans ce lieu, que si la comé- die y avait lieu ; que cela attirerait un gros argent et un grand concours de monde. Il m'a dit qu'il faudrait un théâ- tre de comédie, quatre chambres de jeu, un café d'un côté ; de l'autre une bonne auberge et une grande écurie pour retirer les chevaux, avec un hangar pour les carosses ; que ceux qui s'y intéresseraient par action retireraient le dix pour cent de leur argent, et que cela procurerait une cir- culation de 3 à 400,000 livres par an, dans ce lieu, e't que ce serait un des moyens principaux pour y attirer du beau et riche monde. Jferis ucoâslon de voir dernièrement des Anglais qui goûtaient avidement ce projet et nie faisaient sentir que ce serait un sûr moyen pour y attirer les étran- gers de tous pays, comme aux eaux de Spa. Je fis savoir au sieur Viana votre façon de penser là-dessus, et il me répon- dit: « Dans quelle ville, un peu considérable, cela n'est-il pas ainsi ? Tant pis pour celui qui se laisse attraper: quand on veut se débaucher, on a partout occasion de le faire ; on n'a pas souvent la comédie à Genève, parce que, disent-ils. cela détourne les artisans de leur travail et emporte l'ar- gent: mais c'est ce que l'on n'a pas lieu de craindre à Ca- roube. Ils ne la veulent pas à Genève, hé bien, le roi de France la permet sur leurs frontières et ils y vont, et il ne s'y commet aucun désordre-! lu endroit où il n'y a rien pour attirer et retenir l'étranger ne saurait prospérer. Il en est de môme des cabarets : parce que le peuple y dépense sa substance et s'y enivre, il n'en faudrait donc point avoir •.' Kt si on n'a point de débouchée pour les vins, il faut arra- cher les vignes! Ce désordre est nécessaire connue les mai- sons publiques à lioiue. » i )!. Viana me disait encore que si on voulait faire ici un théâtre par souscription, il s'y intéresserait pour i.000 li- vres, et il en projette les plans. Voflà ce qui se dit et se l'ail de nouveau ici. » Comme Ton a illuminé Carouge à l'occasion du gouver- neur, je n'ai pas négligé de le faire à \otre petite maison et sur mes murs. » Curouge, ce 1" septembre. «Je joins ici la copie de la patente de ces fabricants qui voudraient s'établir ici : \ous verrez par elle, si vous le jugez convenable et à propos, ce que l'on pour- rait faire pour leur procurer quelques fonds et les retenir ici. Cela semblerait y devoir causer bien des avantages ; car pour faire prospérer un lieu, il faut \ attirer du monde et 140 du commerce. Le sieur Girod, maître de poste, m'a dit qu'il avait communiqué la lettre de MM. Rosetti, Robert et O à un ami à Chambéry; il paraît empressé que la chose ait lieu. » S. E. M. le gouverneur partit d'ici mercredi dernier à 8 heures du matin et alla dîner chez M. Pictet à Pregny, coucher à Nantua, depuis là à Lyon. Il a paru très-satisfait de la réception distinguée et des honneurs qu'on lui a rendus ici. » Le Conseil d'ici, joint à lui, le commandant, l'intendant et M. Monloy, l'ont prié de vouloir bien s'intéresser pour leur procurer l'agrément du roi, pour pouvoir établir ici un théâtre de comédie et Ridotte, lui exposant que ce serait un vrai moyen d'y attirer et de retenir les étrangers, d'y faire circuler un gros argent, louer les maisons, de même que s'il y avait un collège pour instruire la jeunesse. Il a paru goûter ces idées, et a promis de les appuyer à Turin, les chargeant de lui en faire un mémoire pour le lui faire par- venir. J'ai cru devoir vous en informer pour que vous n'y soyez pas contraire, si vous en entendiez parler, supposant que vous ne fussiez pas de cet avis. Ce 4 septembre. « M. le comte de Vergennes a mandé près de lui M. Saladin de Crans, fameux Négatif, pour conférer avec lui sur la réponse de MM. de Berne, à l'occasion du statu quo, avant de la mettre sous les yeux du roi. On dit toujours des deux parts que les affaires sont bien éloignées d'être terminées. Les Représentants croyant avoir le dessus, font des demandes, dit-on, par écrit pour augmenter l'autorité du Conseil général, et affaiblir l'autre, et l'on répond que bien loin de la leur accorder, on espère de l'affaiblir ; ainsi ils sont bien éloignés d'être d'accord. Un inconnu, que l'on pense être de Londres, a adressé aux Représentants une médaille du prix d'environ 6 louis; ils pensent que ce peut 141 être mylord Mahon; ils en ont fait un prix Mitre eux et ont mis pour cible le portrait de Contwiud qui est du parti né- gatif, et ils ont pris son cœur pour noir. Celte petitesse ai- grit de nouveau beaucoup les esprits. » Actuellement le sieur Rousset est dans ma chambre : il m'assure ne devoir pas un sol à personne. Je lui ai fait lec- ture de ce que dit votre lettre le concernant. Il dit que le noir est plus beau ici qu'à Turin môme et qu'à Paris, niais que pour les autres couleurs il conviendrait de les faire à Turin. Il ajoute que pour commencer à s'occuper, il accep- tera l'offre de la société de lui mander des soies et de tra- vailler pour son compte sur le pied de Lyon et un huitième de profit, mais qu'il aurait encore besoin d'une petite somme de 70 à 80 louis pour monter ses métiers et fournir à quelques avances ; il dit que les Genevois et les Suisses lui sont déjà venus demander plusieurs fois des ouvrages. Il craint même que les marchands de Turin ne soient fâchés que cette fabrique s'élève ici, parce qu'elle leur ôterait le profit qu"ils font avec Genève. » Ce H septembre. « Le sieur Riondel a cessé de faire con- duire des pierres pour vous et pour moi ; il a acquis un bien près de Carouge de M. Dansse, où il fait bâtir, et il y occupe ses chevaux ; il m'a dit ne pouvoir absolument point en con- duire à présent. » L'on m'a dit que te curé de Bossay, voyant la quantité de fébricitants qu'il y a dans sa paroisse, s'est retiré pour un mondiez lui. Je ne connais personne qui ait la fièvre dans la paroisse de Veyrier; ce petit pauvre ne l'a plus eue depuis votre départ; il \ en a à Yessy quatre chez la baronne de Rlonay. qui l'ont. » Ce 94 septembre. «Je me suis informé combien l'on vend le sel à Généré, la livre, poids de 18 onces; on m'a répondu ."> sous de Genève, et maintenant au pays de a pas de logements et il manque d'argent. » Il ajouta en se promenant par Ga- rouge et en voyant ces maisons basses : «Voyez ces maisons, si cela a l'air ville ! » Je lui dis : « En toutes choses commen- cement; il n'y a que trois à quatre mois que Carouge com- mence à naître ; il faut un peu attendre ; ces petites maisons aideront à en faire des grandes dans la suite; il faudrait jei un collège pour instruire la jeunesse et y attirer du inonde. » Il me répondit ironiquement: « Plutôt une univer- sité , et faire venir ici l'intendanl-général et le sénat!" A quoi je jugeai à propos de ne plus rien répliquer. Le sieur 14a de Monlu\. à qui je lis observer celle rêponsr . me dit que s'était pan politique qu'il avait élit cela en rue. pour ne pas donner en visière aux (ienevois. pour moi. je ne le regarde pas ainsi. On m'a dit qu'ils parlaient somenl entre eux en piénionlais. de Manera : on croit qu'ils prennent des infor- mations sur son compte: on prétend qu'il en a été avisé, ce qui avait causé son évasion à Turin: on apprend abaque jour des nouvelles choses à sa charge, qui étaient ignorée.- du publie: tant pis pour lui s'il ne s'e.-l pas bien comporté. I Je viens île parler à M. Vernet des \ues que von- a\ie/. sur lui. à l'occasion de la fabrique de soierie: il \ pren- drait volontiers part, et il me dit que moyennant que la marchandise soit bonne, il était assuré du débit, et même qu'il s'en chargerait : mais que préalablement il fallait voir comment on pourrait établir avec économie les choses, afin de pouvoir les donner à meilleur marché. Il trouve aussi qu'un associé serait tort utile, tant en cas de maladie qu'au- trement. M. Vernet ajoute que, quoique ce commerce ne SOÏt pas son genre, il ne laisserait cependant pas que de -\ intéresser: mais il voudrait savoir en quoi consistent lescon- ditions et actions, et comment tout se doit diriger, ce qu'il faudra me communiquer. Il ajoute encore qu'An sa qualité de négociant, il saurait bien \oirce qu'exige ce commerce. Oarouge, ce -J w#fl*f0. « .le viens de recevoir \os deux der- nières lettres des -2t> et "2'.l septembre, à la fois, et je commence par vous dire que je ne suis aucunement en arrière de roue répondre, Binon à votre dernière,' que je n'a pas ici sur moi. Gomme je n'\ observais rien de pressant, je l'ai laissée sur ma table, à Veyrier Maintenant je vous répondrai aussi succinctement que possible . ayant un tournement île tête depuis hier -.récriture m'est contraire, même la main me tremble, ce que j'attribue aux peine.- et aux fatigues que j'ai, aux veillées e4 au lever de grand matin. 144 » La quantité de vin que l'on a cette année, occupe beau- coup ; il faut toujours faire couper les pressoirs à 4 heures du matin, pour avoir fait au jour, et cela durera encore cette semaine. Cette abondance cause des frais considérables pour relier les fûts, et autres; le prix des vins est très-bas : la quantité d'une denrée en fait toujours baisser le prix ; Dieu maintienne l'abondance. » Nous avons craint, mardi et mercredi dernier, pour les vignes et le blé noir : il avait neigé jusqu'à moitié mon- tagne ; mais le vent dura, et le temps resta couvert, de sorte qu'il n'est point mésarrivé. » Je souhaite sincèrement une bonne réussite à votre nou- velle fabrique: je voudrais pouvoir contribuer à sa prospé- rité. Il n'est pas nécessaire de vous fatiguer à copier l'acte de Société. » Ce 5. « M. de Cules a passé ici à son retour d'Évian ; il m'a fait mille amitiés, et à mon iils, et il dit, à qui veut l'en- tendre, que nous serons ses héritiers, ne connaissant point, dit- il, d'autres parents. Je lui souhaite longue vie et bonne santé; mais qu'il exécute ses bonnes intentions. » Il y a à gagner gros à Garouge, avec les bâtiments; je vou- drais que vous en eussiez encore un à peu près égal au vôtre à l'angle des deux rues, et moi un autre vis-à-vis de chez Bertrand, à rentrée (suivant le plan de cette nouvelle ville). Tout ce qui viendrait et sortirait de Carouge passerait alors par nos mains, et ce serait un petit Pérou pour nous. Je ne perds pas cette idée de vue. Si cette année, qui est des plus abondantes, surtout en vin, je ne trouvais pas à faire débiter mes vins blancs, par la grande concurrence qu'il y a, j'en serais fort embarrassé,' et je craindrais de les perdre au prin- temps. Je les fais donc vendre à Carouge, dans un petit bou- chon, à huit sols de Genève le quarteron, fort heureux si je puis avoir le débit du tout à ce prix. Mes voisins qui n'ont 145 point part à cette industrie en sont fort envieux. Je compte d'avoir environ quatre cents setiers de vin blanc, que nous vendangeons toujours, et environ deux cents et plus de rouge, dont j'espère tirer le même parti, par le moyen de ce petit débouché. J'ai même envie d'acheter la part des vins rouges de mes vignerons, par spéculation ; je suis en mar- ché avec eux. Espérons que, si le projet de construction du pont sous Sierne s'exécute cet été, de même que celui de l'église de Carouge, auquel M. Viana croit, j'en tirerai bon parti, et qu'il rapportera son intérêt. » Le curé de Theyry a loué, dit-on, toute sa maison à un cafetier, pour quarante-un louis, et l'on doit payer trois ans d'avance. » P. S. En ce moment, on vient d'apprendre une nouvelle très-intéressante pour Genève. C'est que la France vient de leur notifier qu'elle retire sa médiation, sa garantie; il y en a même qui ajoutent « et son alliance » , laissant aux Suisses le soin de les arranger, si bon leur semble. Voilà donc le parti négatif abandonné, très-mécontent, et dont la plupart vont se retirer, sans doute. Le sieur Monloy en fait part à Turin par le courrier. » Ce i). « J'ai lu avec attention, mon cher frère, les conven- tions avec le sieur Roussel, sur lesquelles vous me dites de manifester mon sentiment. La durée de quinze ans pour cette convention est trop longue ; il ne restera peut-être pas un seul des contractants pour lors en vie. Elle aurait dû, selon moi, être bornée au terme de la patente du sieur Rousset pour l'ex traction des soies, qui est de six ans; et, si on avait été content les uns des autres, on aurait pu prolonger. L'on voit, qu'il est fort rare ^par suite de l'inconstance humaine), que l'on reste si longtemps d'accord ensemble. Enfin, Dieu veuille \ donner sa sainte bénédiction, et que tout aille bien ! 10 146 » Je vois que mes voisins désireraient bien l'avantage que j'ai de savoir débiter mon vin ; je ne compte pas d'en avoir une goutte à vendre dès le mois de janvier : j'en ai un écou- lement assez rapide et avantageux. Sans ce secours, il aurait sans doute fallu suspendre l'élévation de mon vaste bâtiment; vous ne vous faites point d'idée juste de ce qu'il coûte : on n'y épargne rien, mais ma bourse et mes peines s'en ressen- tent; aussi l'appelle-t-on déjà Yhôtel de Veiry. Le sieur Elia m'a fait le plan du balcon pour mettre au milieu, repor- tant seulement d'un pied et demi, dans le goût de ceux de Turin. » Chacun se persuade ici que M. le comte de Robilant doit y venir dans le courant de ce mois, sans doute parce qu'on le désire. Il serait à souhaiter que le sieur Élia restât seul ici ; le roi y gagnerait même beaucoup, car il est en état de faire exécuter toutes les opérations sans l'aide de personne : ses talents doivent être connus à Turin, et il ne paraît pas si intéressé ni si vénal que les autres employés. » Vous me dites qu'une maison à cinq étages rapporterait bien son intérêt, et moi je puis penser que non. Ce n'est pas encore le temps : en toutes choses commencement; ce sont les petites maisons qui font ensuite faire les grandes; il faut des manufactures et de l'argent. M. de Voltaire a versé, dit- on, plus de huit cent mille francs pour faire valoir Ferney. et il a échoué. » Je souhaite du bonheur aux fabricants en soie; je vou- drais pouvoir contribuer à leur prospérité. Si leurs talents répondent à la position, ils doivent gagner leur vie et faire fortune par des soins assidus et de l'ordre. » MM. les Représentants ne triomphent plus tant de cette lettre écrite à Genève. Même M. le Résident est allé, dit-on, annoncer en Conseil, à M. le Premier, d'ordre de sa cour, que si quelqu'individu s'avisait de troubler cet État, et que, 147 le gouvernement n'eût pas la force de le châtier, Tort ferait incontinent approcher de la ville les troupes qui se trouvent en Franche-Comté. Que les Représentants viennent, après cela, à reprendre les armes! Cette note, qui est assez longue, et que je n'ai eu que le temps d'entrevoir, ajoute de plus, que le roi aura soin de veiller à ce qui se passera dans cette ville, comme voisine de ses États, et à tout ce qui concerne la dignité de sa couronne. Il fait voir par tous ces raisonne- ménisque désormais il agira seul, sans le concours des Suisses, auxquels M. de "Vergennes a écrit une lettre fort longue, que j'ai lue, et dont on m'a promis copie. Elle est très-intéres- sante, et écrite d'un style particulier et ferme, qui doit avoir bien déplu à MM. de Zurich et de Berne. » Du 16. « J'ai vu, par votre dernière, l'empressement que que vous auriez de trouver à emprunter pour bâtir à Carouge. Ce serait, selon moi et bien des gens sensés, un très-mauvais compte et une mauvaise affaire. Carouge n'est encore rien : c'est un enfant qui vient de naître, que l'on tient à la lisière, qui. si on l'abandonne, tombera. L'on ne prend point les moyens de le faire prospérer ; il y faudrait verser deux cent mille livres pour faire agrandir L'église, faire un bureau de douane, un tabellion, des prisons, une audience et un col- lège, si utile pour l'instruction de la jeunesse, et attirer des familles honorables, qui y viendraient faire élever leurs en- tants. On dit bien que S. E. le comte Cort en sent la néces- sité; ce sérail un bien si M. Bené pouvait le faire exécuter, de même que le pont sous Sierne, pour ouvrir la communica- tion avec les provinces. On néglige toutes ces choses néces- saires, faute, dit-on. d'argent, tandis que l'on prodigue trente mille livres pour faire bâtir un palais à l'évêque d'Annecy, qui était très-bien logé, moyennant! un modique loyer! Mais c'est que ce dernier a du crédit en cour, et que Carouge n'y en a point, mais bien une foule d'ennemis, notamment des 148 gens d& gabelles, qui tiennent de bien mauvais propos sur cet éloignement de douane, qui est, disent-ils, très-nuisible. Ceux qui sont à Genève en parlaient encore ainsi dernière- ment à M. Beylan. Si M. le comte de Robilant pouvait venir sur les lieux pendant quelques jours, il verrait par lui-même ce qui est le plus convenable et le plus nécessaire. Enfin, mon frère, croyez que j'ai d'aussi bonnes intentions que qui que ce soit sur Carouge, et je le vois de près; mais qu'encore il y a bien du risque à y bâtir par spéculation : ce serait très- hasardeux. Si on versait à Carouge autant d'argent que le roi de France a fait à Versoix, ou M. de Voltaire à Fernex, quoique ces lieux n'aient pas réussi, j'en augurerais bien autrement pour Ca- rouge, à cause de son avantageuse position ; mais on n'y veut rien dépenser, pas même l'utile et le nécessaire. Ce ne seront pas les maisons à quatre ou à cinq étages qui formeront la ville, ce sera la population, et il faut quelqu'attrait pour la déterminer à y venir. » L'intendant me disait hier que, pour les teintures, l'eau d'Aïre et des marais de Bossay était reconnue excellente, mais non celle.d'Arve. » Le jardinier de M. Costa de Beauregard m'a dit qu'il voulait engager son maître à venir bâtir à Carouge, afin d'y avoir un vaste emplacement pour faire une pépinière d'ar- bres. Il a ajouté que, si son maître ne voulait pas s'y décider, il le ferait pour son compte, et il a choisi l'île où l'on voulait bâtir le théâtre de comédie. » Le débit des vins s'est bien ralenti ici, dès qu'il a abondé de tous côtés ; le prix courant est d'un écu patagon à quatre livres dix, le setier ; celui de la Côte de Suisse, de quatorze à quinze florins. Comme les vignes étaient bien feuillées, le soleil n'a pas pu pénétrer, et les ceps étant fort chargés, cela a été cause que les vins sont verts et plats. J'ai fait différer la 149 vendange de mes vignes jusqu'à la fin de celte semaine : je suis le dernier, car on vendange partout, même à Mornex, où Ton vendange toujours tard. » Le 19. « Il y a une fille protestante de Genève qui est ve- nue se faire instruire à Carouge et y abjurer sa religion, pour épouser un imprimeur qui est venu s'y établir. M. Foncet a gagné la dot d'une de ses filles qui est morte. Celle promise au baron d'Yvoire, et la mère, sont encore, dit-on, dange- reusement malades, à Saint-Joire ; on doute qu'elles en re- viennent : ainsi va le monde. Il y a ici un M. de Neuchâtel qui me dit qu'il veut aller, cet hiver, de Genève chez lui, et rassembler deux ou trois cents louis pour venir bâtir de pe- tites maisons à Carouge, par spéculation, et non de belles; elles lui rapporteront sûrement un plus grand intérêt. » Si, par hasard, il convient à la Société des fondateurs de la fabrique de soierie de louer mes bâtiments au prix de dix louis, dans ce cas je pourrais aussi prendre quelques actions dans cette fabrique, en livrant, pour le surplus du prix de mes actions, du vin en complément de la somme capitale de quinze à seize louis neufs. » Du 25 octobre. « J'ai chargé le sieur Monloy de m'avertir de l'arrivée du muletier qui doit apporter les balles de soie et les outils pour la fabrique. » Quand comtin, mon fils, sera de retour d'Évian, où il est, ce qui ne doit pas tarder, je pense, devant revenir un peu à pied, par terre et un peu par eau, je lui dirai la bonté que vous voulez bien avoir pour lui de lui donner une portion d'intérêts dans cette fabrique gratis. » M. Veraet vous a marqué dans son billet, joint à ma der- nière, son acceptation pour les deux portions proposées. Il B*esl plus question que de lui présenter le projet d'associa- tion et ensuite je pense qu'il le signera et paiera. Quant à moi, je suis bien éloigné de penser que d'entrer en part dans 150 une fabrication, soit une chose avilissante : je voudrais avoir des intérêts dans plusieurs; c'est un gain fort honnête du produit de l'industrie, comme celui du produit des terres, et lequel même est utile à l'État, par l'argent qu'il verse et les personnes qu'il occupe : c'est une bien grande différence d'avec l'état de celui qui brocante, achète et revend. » J'ignore ce que l'on peut avoir demandé à Carouge , qui ne soit pas convenable; on se borne à représenter ce qui est utile, convenable, même nécessaire, pour le faire prospérer. Par exemple, quoi de plus utile qu'un collège pour instruire la jeunesse et attirer dans ce lieu des personnes respectables, qu'y viendraient veiller à l'éducation de leurs enfants? On se- rait à portée, par la proximité de Genève, de leur procurer des maîtres en tous genres. La différence de religion ne fait aucun obstacle, puisque l'on n'en parle pas plus que du Mogol; ce n'est plus le temps de chercher à faire des prosé- lytes ; c'est à Dieu seul à toucher le cœur des hommes; lais- sons agir sa grâce; elle est efficace. On parle beaucoup plus de cette différence de religion de loin que de près : par ici, cela ne fait aucune impression quelconque; que l'on ne se l'imagine pas! » On a parlé de l'agrandissement de l'église, quiesttous les jours plus petite, en proportion de l'accroissement de la po- pulation, et du peu de messes que l'on célèbre, n'y ayant ici qu'un curé et un vicaire. On a représenté la nécessité du pont sous Sierne, pour avoir la communication avec les pro- vinces ; vous en savez la nécessité ; on est venu jusqu'à en donner le prix fait; cette automne, qui a été des plus belles, s'est passée, et on n'en parle plus : vous voyez donc si c'est être importun que de représenter ces choses t Je pourrais répondre plus amplement sur les autres points re- latifs à ces objets, mais ce serait temps perdu, n'étant pas, en Piémont, dans le dessein de les exécuter : ils sont les mal- 151 tics. Vous me dites que les loyers sont trop eliers à Carouge- Il est vrai que plusieurs personnes les tiennent hauts ; mais en est-il à si bas prix que les miens, qui, pour cinq louis, cède une cave, grande boutique , arrière-boutique, deux chambres dessus, et un galetas ? Mais où trouver ces âmes généreuses qui, pour faire valoir l'endroit, préféreraient cinq louis à dix, comme je m'en contente ? si vous vouliez faire ce sacrifice, votre locataire s'en trouverait bien. » M. île Vergennes vient de faire notifier par le Résident, au Conseil de Genève, qu'il veut que le statu quo ait lieu, ce qui les embarrasse fort à cause des Représentants, qui ne le veulent pas. Le Conseil est assemblé depuis trois jours, sans avoir rien encore décidé. Cette guerre civile n'est pas termi- née ; les Représentants sont très-fâchés. « Ce SO octobre. « J'ai fait remettre vos lettres à MM. Monloy et Vernet. Quand le sieur Rousset sera venu, je lui aiderai en ce que je pourrai. Puisqu'il faut du comptant pour ache- ter ces deux portions dans cette fabrique, je n'y pense plus, étant bien éloigné d'en avoir; tout celui que j'ai emprunté se trouve maintenant dépensé et bien au-delà ; je n'aurais jamais pensé que la dépense de ces bâtiments montât si haut. C'est un bel et dispendieux ouvrage qui m'occupe journalièrement du matin au soir, et quoique cette lettre soit datée du 30, parce que c'est le jour que je la mets à la poste, je l'écris ce L28, jour de dimanche, avant le jour, à la chandelle, parce que, avant la messe, j'ai encore à traiter avec des menuisiers et serruriers. Je donnerai ma maison ;ï autant de menuisiers et de serruriers qu'il \ a d'étages, pour être mieux servi, avoir mieux le temps de pouvoir payer et donner plus de denrées en paiement à un prix honnête. L'intendant me disait dernièrement que cette maison don- nerait du relief à Carouge et que cette rue serait bien la plus belle. C'est bien autre chose de bâtir eu pierres ou en carrons : 152 mon entrepreneur m'a dit souvent qu'il employait une toise cube de belles pierres par jour, que je mêle avec celles de la montagne et avec des cailloux. Je paie la toise des cailloux 35 livres, 52 livres 10 les pierres de la montagne, et 17 sols de Genève la brouettée de sable. Si à midi les ma- tériaux sont livrés, à midi et quart il faut payer. J'ai déjà donné à prix fait au serrurier de Versoix, qui est venu à' Carouge, à faire le balcon dans le goût du mien de Veyrier, avec mes armoiries de môme au milieu. J'ai encore convenu avec le tuilier deBursin, au-dessus de Rolle, de me rendre à Genève 35 milliers de tuiles pour mon bâtiment, le mois prochain, pour que rien ne me manque pour couvrir, aussi- tôt les murs finis; c'est la plus belle et plus grande tuile que j'aie encore maniée. » Lorsque j'aurai fini les comptes avec les ouvriers pour votre bâtisse à vous, je vous les manderai. On n'a rien épar- gné, comme vous désiriez, pour la solidité, la commodité, et pour les additions que vous avez demandées ; mais cela a augmenté de quelques centaines de livres le mémoire que je vous présentai à votre départ. » Les affaires de Genève paraissent toujours plus critiques ; les Représentants font la patrouille et ils observèrent la se- maine passée que 25 hommes des troupes françaises qui sont à Versoix étaient aussi venus nuitamment, armés, jus- qu'aux portes de la ville, ce qui les inquiéta beaucoup, sans oser s'en plaindre. Il vient, dit-on, 300 dragons, dont 100 sont déjà arrivés vendredi, et plusieurs m'ont assuré que 10,000 hommes s'avançaient par la Franche-Comté: M. Ber- lier, de Genève, me disait dimanche que les Suisses font des amas de provisions, soit munitions de guerre, à Lausanne. » On a eu vendredi dernier une assemblée générale des intéressés au saignement des marais. M. Baraban et moi avons d'abord opiné seuls, pour continuer cet hiver l'ou- 153 vrage par un fossé d'un bouta l'autre, laissant ce qui pourra rester à finir à l'année suivante. Il y eut bien des opposants qui ne voulaient plus rien payer, ni que l'on continuât. A la fin, comme nous étions les plus gros intéressés, notre senti- ment prévalut. Parmi les opposants, les plus forts étaient Mme Jacquet, de Grevin, MM. Scbmidtmeyer et Mallet. et aussi le curé de Veyrier. » Ce 6 novembre. « Vos fabricants auront eu bien mauvais temps pour venir de Turin à pied; Dieu veuille qu'ils n'en tombent pas malades, car nous avons eu la semaine dernière un mauvais temps en abondante pluie et neige. Il est à dé- sirer que le pont sous Sierne s'exécute promplement et so- lidement. Il est aussi à propos que l'on ne l'exécute point en corvées; cela ruine les peuples et les choses en vont mal et lentement. Il vaut mieux que la taille en souffre, et les pauvres ne sont pas si foulés. M. l'intendant-général, à qui j'en parlai, me parut être aussi de cet avis ; il ne manque d'ailleurs pas de voituriers à Carouge, ni de manœuvres, outre que les entrepreneurs peuvent s'en pourvoir, et si la navigation de l'Arve, si utile au bien de l'Etat, était libre, cela faciliterait beaucoup les opérations. » La grande nécessité d'un collège à Carouge ne peut qu'\ procurer un grand bien : si on > en établit un, il ne man- que pas de moinesouBarnabitesà Six etPeillonnex. qui n'é- tant point occupés, y seraient fort utiles. Ne vaudrait-il pas bien mieux, par exemple, que les Barnabites, ceux de Talloires, Six, etc., qui n'ont rien à faire, vinssent manger là leurs revenus et s'y occuper à enseigner la jeunesse, que de rester oisifs? Comment le gouvernement, dirigé par des yeux si éclairés, ne les ouvre-t-il pas promptement là-des- dessus? Le temps passe et la jeunesse s'élète, l'aine d'instruc- tion, dans l'ignorance. Il faut nécessairement un collège ici, et un collège dans toutes les règles, depuis la sixième jus- 154 qu'en théologie, et de bons maîtres. On en verrait bientôt les fruits. Ce serait même, étant bien dirigé, un moyen d'y attirer les protestants et de les aider à se convertir ; il faut chercher à leur prouver nos dogmes. Je vois tous les jours que faute de pouvoir avoir des maîtres pour enseigner les jeunes gens, les pères sont obligés de les mander chez l'é- tranger, ce qui, outre les frais extraordinaires que cela coûte en voyages et autrement, enlève l'argent du pays. On va à Lyon, à Grenoble, à Nantua, à Paris, etc., au lieu que Ca- rouge, par sa riante position, sa favorable situation, son bon air et sa bonne eau, réunirait tout ce que l'on peut rencon- trer ailleurs, et les parents seraient plus à portée de veiller aux soins importants de l'éducation de leur famille. » Il y a nombre de particuliers qui, dès la semaine der- nière, sont venus prendre des emplacements pour bâtir, et M. Elia me dit samedi qu'il travaillait à leurs plans, voulant d'abord commencer à creuser les fondements. Si les mai- sons à trois étages font la ville, plusieurs en font et vont en faire. Quant à ces Messieurs qui ont été assez osés que de présenter ce placet dont vous me parlez, ils se plaignent à tort que l'on prend leur terrain à une trop basse estime. On leur demande s'ils pensent que l'on puisse faire des rues, des maisons et des places publiques dans l'air ? Pensent-ils aussi que ces opérations de rejet ou abolition des tailles soient si vite exécutées "? A-t-on si vite opéré en faveur de ceux dont on a partagé les prés, les champs, les butins, les vignes pour redresser les routes, les élargir ? Leur fait- on plus de tort qu'aux autres ? On se récrie sur tout, et cha- cun cherche à s'opposer à ce qui ne lui convient pas et à son intérêt ; mais il ne faudrait pas que pour deux ou trois particuliers le public en souffrît. D'ailleurs, c'est peu de chose, surtout pour des particuliers aisés comme eux. Ils al- lèguent que celte estime de 45 sols la toise carrée est trop 155 bas^e pour des champs ou prés, et on leur démontre quelle est de beaucoup trop haute, puisque les estimateurs disent qu'ils ne Tout portée à ce point, qu'eu égard à ce que Ton n'en prendrait que des parcelles; mais que si l'on prenait la pièce entière, ils ne l'estimeraient point autant. Si l'on or- donne quelque nouveau délai à Carouge, ce qui sera d'a- bord public, je suis comme assuré qu'un chacun se décou- ragera. Plusieurs ennemis de ce lieu disent qu'à Turin on ne cesse de faire et de défaire. » J'ai vu hier les sieurs Rousset et Yachon, fabricants de soie à Carouge ; ils m'ont dit avoir failli de périr dans les neiges du Mont-Cenis ; la femme s'est mise au lit à son arri- vée; j'ai recommandé à son mari d'en avoir bien du soin. Je leur ai dit : « Faites faire tout ce dont vous aurez besoin pour rous ajuster et pour vos métiers; mon frère m'a ordonné de payer partout.» Ils comptent de pouvoir commencer à tra- vailler les derniers jours de cette semaine. Je refusai encore heureusement, en les attendant, de louer dimanche la moi- tié de mon écurie : ear s'ils n'avaient pas trouvé cet endroit à se placer, ils seraient sans doute restés oisifs. Voyez comme Dieu amène les choses à tin heureuse. » Les Genevois ont porté des plaintes à M. le Résident de' ce (|ue les Français venaient la nuit, armés, patrouiller jusqu'à leurs portes : il a paru l'improuver et a dit qu'il t'empêcherait. » Vous me dites encore que les propriétaires de terrains à Carouge ont allégué, dans leur supplique, que l'on en a fait l'estime, sans leur contradictoire ! Quel exemple ont-ils où l'on ait appelé les propriétaires pour estimer leurs fonds? L'a-t-on fait lors du cadastre-? Quelle raison ont-ils donc de plus? 11 est taux que ce soit un seul homme qui ait opéré cette estime ; elle n'a été décidée par M. l'Intendant, qui la trou\e même trop forte, qu'après le sentiment de plusieurs 156 experts, môme du notaire De Chaulmontet. Les buralistes se récrient contre la franchise ; même-des gens de Carouge sont assez aveuglés, notamment le sieur Ravar, MM. Schmidt- meyer et de Saint-Amour, contre l'établissement du pont sous Sierne, parce que l'on partagera quelqu'une de leurs possessions pour faire le chemin pour y arriver ; mais si, au contraire, la chose était de leur invention, ou même pour se faire plaisir, ou agrément, ils ne regretteraient point leur terrain. Voilà les hommes ; nul n'aime à être dominé. » Carouge, le 9 novembre. «Vendredi dernier, jour de la foire de Carouge, je proposai à ma famille de la venir voir, ainsi que les bâtiments qu'ils ne connaissaient point encore; ce qu'ils acceptèrent avec transport. Je fis arrêter la voiture dans votre pièce où l'on tire les pierres. Ils me demandaient où je les menais, et à qui étaient cesbâtiments? Finalement, je les conduisis dans la boutique du faiseur de bonbons. Pour alors, j'eus peine à leur persuader (quand ils virent en entrant ce joli et commode degré, cette barrière double en fer, qui sert de garde-fou, et cette distribution qui ne saurait être mieux dans un si petit terrain) que ce fut votre petite maison de dix-sept pieds. Je fis dresser une table dans la chambre réservée, avec bon feu à la cheminée ; on y était bien au large. M. l'avocat Dethiollaz dîna avec nous, et il ne pouvait non plus se persuader que, dans l'espace de dix-sept pieds, il y eut une si grande place : degrés si commodes, deux chambres de front. Le soir, Mme l'intendante et tous les Ge- nevois de Veiry qui étaient venus à la foire, y vinrent : on était plus de quinze. Malgré cela, il y avait encore de la place pour le domestique, qui offrit des raisins que j'avais ap- portés. » J'étais disposé hier à faire mettre la main à l'œuvre pour faire humblement descendreles pierres de mon balcon et le défaire, puisque vous l'aviez désapprouvé, lorsque 157 M. Elia est arrivé dans ce moment, auquel j'ai fait part de votre idée, et il m'a observé le risque qu'il y avait à descendre ces pierres, dont les moulures des supports, entre autres, étaient très-aisées à se rompre; qu'il ne voyait pas comment il pouvait mal figurer. Enfin, après plusieurs pourparlers, il a été convenu qu'il valait beaucoup mieux le laisser sub- sister où il était ; mais que, pour diminuer la dépense, on se bornerait à y mettre seulement des lames en fer avec une barrière dessus, sans amoiries. » On est venu demander, par avance, à louer toutes mes boutiques; j'ai répondu que je n'en voulais promettre qu'une à présent, même la plus petite, et, pour me conformer à ce que vous dites, qu'il ne faut pas louer cber, je l'ai cédée pour six louis, avec la cave dessous seulement, et deux louis pour les épingles, ajoutant que je céderois les autres à cinq louis et un dit pour épingles. » Je joins ici un mémoire concernant les nouvelles de Ca- rouge que vous serez peut-être curieux d'apprendre. Comme il convient qu'il y ait toujours un architecte à Carouge (M. Yiana allant d'ailleurs se retirer à Turin; il est mainte- nant à Annecy à dresser le plan du palais de l'évêque), il serait à propos, même nécessaire, que ce fût M. Elia qui y restât. » L'on fait monter à cinq cents hommes les troupes fran- çaises qui sont au pays de Ge\; l'on nous dit qu'il y en doit encore arriver cinq ou six cents du régiment de Foix. Les Négatifs et les Représentants s'accordent à dire qu'il y en a dix ou onze mille derrière la montagne, prêts à la passer, avec quelques pièces d'artillerie; les Négatifs s'en tiennent si fiers, qu'ils viennent de donner encore une représentation par laquelle ils déclarent qu'ils ne consentiront à aucun ac- commodement, que l'on ne les remette sous la loi de 17w2S, abolissant toutes les autres faites depuis lors, dont ils font 158 voir l'illégitimité. Cela a beaucoup déplu aux Représentants, d'autant plus qu'ils n'ignorent pas que c'est là le but de M. de Vergennes, et le but aussi des lettres du roi de Prusse. Nous apprenons qu'ils commencent à s'épouvanter : mes- sieurs les Suisses ne sont point si tranquilles à ce sujet que l'on veut bien le dire,, d'autant plus qu'ils voient que, si là façon dont ils agiront dans cet accommodement déplaît à la France, elle agira seule. Bien des gens pensent que c'est ce qu'elle cherche, et qu'elle vise à mettre un rempart au gou- vernement dans celte ville. » Voici une nouvelle qui fait du bruit : un serrurier, à Chêne, raccommodait un outil qu'un horloger de Genève lui avait remis; M. le sénateur de Baudri, en passant près de cette boutique, reconnut qu'il pouvait servir à faire de la fausse monnaie, même des écus neufs, et l'a fait arrêter, avec ordre de déclarer qui lui avait remis cet outil. Le serrurier dé- clara que c'était un horloger de Genève, et, pour l'attirer sur Savoie, il lui écrivit de le venir prendre, qu'il était ac- commodé ; il est venu, et on l'a capturé. Les soldats le con- duisant à la Bonneville, rencontrèrent des Genevois armés qui allaient à la chasse, du nombre desquels était un nommé Patry, qui a une campague à Collonge. Ces gens, pour déli- vrer leur concitoyen, qu'ils reconnurent, mirent en joue les soldats, lesquels les mirent en joue à leur tour et leur firent peur. Ils se sauvèrent, et on ne put avoir que ce Patry, qu'on a saisi et conduit aussi aux prisons de la Bonneville. On ignore quelles en seront les suites : beaucoup de notables de Genève s'intéressent, dit-on, à ce Patry, et sont allés à la Bonneville. » Plusieurs de ces messieurs de la justice m'ont déjà de- mandé à louer, les uns quatre, les autres cinq chambres dans ma nouvelle maison, pour, disent-ils. en être assurés 159 lorsqu'elle sera finie; mais je n'ai pas encore voulu fixer de prix, ne sachant pas à quoi les réduire. » Mme la baronne de Blonay vient de refuser de faire droit à une humble requête des lessiveuses de Verrier. Comme ce refus a fait un peu de bruit, je vous envoie cette supplique ainsi que la réponse laconique de M""' la baronne'. ■ 1 . La requête doril il est question était ainsi rédigée : » A Madamt In Baronne dr Moiia'/. ■ Très-illustre l»ame, » Représentent humblement les pauvres lessiveuses de Verrier (province de Carouget, » Qu'elles ont. l'avantage de posséder dans leur paroisse une belle et abondante fontaine, dont les eaux claires servent utilement à bien décrasser les linges, et rendre les lessives d'une blancheur et netteté peu communes, ce qui est notoirement connu, et d'une grande utilité publique: son emplacement et son heureuse situation semblent encore y répondre, et mériter les regards bienfaisants de ceux que la chose intéresse. Leur zélé empressement à pouvoir contenter un chacun ne peut néanmoins avoir tout l'effet que l'on en pourrait attendre, plu- sieurs circonstances j étant contraires, par les Incommodités qu'elles sont souvent obligées de souffrir, soit en été par les ardeurs des brû- lants rayons du soleil, que par les pluies, vents et intempéries des saisons, à quoi elles sont exposées en plein air, n'y ayant aucun abri. » Elles ont l'honneur de vous représenter avec la plus humble con- fiance, Madame, combien il serait aisé de parer à ces inconvénients, si vous daigniez joindre vos générosités à celles des voisins aisés qui s'empressent d'y concourir, et améliorer leur sort en leur faisant édifier un couvert d'une grandeur convenable pour les garantir des injures de l'air. Celte dépense n'excédera, dit-on, pas celle de douze louis, sui- vant les plans et devis que des personnes, dont l'inné est compatis- sante, ont daigné en faire prendre, laquelle, répartie sur les riches et aisés que cette institution peut intéresser, ne les incommoderait certainement pas, et contribuerait efficacement au bien de la chose. » Cette dépense, tout utile qu'elle puisse être, ne saurait avoir son effet si vous ne daignez, Madame, y contribuer et y concourir par un 160 Carouge, 13 novembre. « Vos ouvriers ont commencé hier à faire monter des métiers. Vous me demandez si l'on fait des Lasagnes ou pâtes rondes à Genève; je vous dirai que x non ; on y fait seulement des mauvais taillerini et des fidès, pleins de farine, que l'on vend sept à huit sols de Piémont la livre. Comme les pâtes susdites viennent de Naples, de Gênes et d'Italie, je me plais à me persuader que, si l'on avait un ouvrier pour les manipuler ici, il y gagnerait bien sa vie. Les blés des bailliages sont d'une très-bonne qualité et font fort blanc. Le prix commun d'à présent est d'environ douze à treize livres la coupe, mesure de Genève, pesant de cent dix à cent douze livres, poids de dix-huit onces. Les pâtes fidès, d'Italie, etc., se vendent douze à quatorze sols de Piémont la livre, suivant le prix des blés; le son se vend aussi trois liards et un sol de Genève la livre, ce qui diminue le prix du blé. La mouture d'une coupe de blé coûte ici dix sols de Piémont ; si même vous pensiez qu'il fût nécessaire de faire l'épreuve de notre qualité de blé, pour ces sortes de choses, je vous en enverrais par quelque muletier. S'il se présente quelqu'honnête homme qui sache bien son métier dans ce trait de votre générosité, en ordonnant à vos gens d'affaires de votre domaine de Veissy de leur délivrer les tuiles à ce nécessaires, dont la quantité n'excède pas celle de deux milliers et demi de tuiles plates, et vingt chaperons. L'effet de cette bonne œuvre serait sensible, et ré- pondrait sans doute à ces heureux sentiments dont la bonté de votre cœur est animée. Sur quoi vos favorables déterminations, Madame, sont attendues avec la plus vive impatience, toute exécution restant, jusqu'alors, suspendue; elles ne cesseront d'adresser leurs vœux les pins fervents au ciel pour la constante prospérité de toute votre illustre famille. » Jeanne la Zélée et O. Au pied de la requête, Madame de Blonay a écrit: « Il n'y a lieu aux fi:is suppliées. > 161 genre, je lui louerais à bas prix une boutique, dès que ma maison sera habitable. » .le verrais avec regret que vous pensassiez à faire l'ac- quisition du fonds où Manera a commencé à faire élever une maison en mauvais carrons et cailloux d'Arve : chacun se moque de sa construction. » Il y en a qui disent que Carouge, n'étant pas à portée d'un lac ou d'une rivière navigable, ne sera jamais qu'une bourgade, le faubourg de Genève, qui l'effacera toujours par son commerce connu et étendu, et par ses richesses, et qu'aucune manufacture ne pourra y réussir, les denrées y étant trop chères. S'ils avaient raison, ce serait le troisième tome de Versoix, où le roi de France a versé des millions, et de Ferney, où M. de Voltaire a épuisé son crédit et sa bourse, sans pouvoir y réussir: ce qui doit (à part nous) donner ma- tière à réflexion, sans oser le dire. Il convient de finir ce que Ton a entrepris et d'attendre les suites, sans se décou- rager, et faire son possible pour faire prospérer ce lieu, et y attirer les arts, les métiers et les manufactures, et un collège. J'espèiv même que le débit du savon pourra s'y accréditer, dès que l'on aura une bonne cave pour le déposer ; on ne sera jamais embarrassé de trouver des occasions ;'i placer son argent, lorsque l'on en aura ; il en naît tous les jours de nouvelles. » J'ai lu hier une lettre, arrivée par le courrier de Berne, à M. Vernet, par laquelle un de ses correspondant de Berne lui mande que le congrès d'Aarau, tenu entre les Bernois et les Zuricois, à l'occasion de Genève, est rompu, et que ces derniers ont déclaré se départir aussi de la Garantie. On ne doute pas que Messieurs de Berne n'en fassent de même, et oe laissent le soin à ces turbulents de s'accorder entre eux, à quoi ils ne réussiront pas. L'on croit que cela fera le jeu de la France, et que son but est d'y mettre la main seule ; ti 162 mais, gare les Représentants! toute cette affaire semble prendre tous les jours une plus mauvaise tournure; il faut passer pour voir venir. » On n'ouvre plus à Genève la porte du côté de France que tard : ce matin, on ne Ta ouverte qu'une demi-heure après les autres ; ils craignent une surprise : ces nou- velles paraissent fort intéressantes pour Genève et ses en- virons. » Je suis fort aise de la conversation que vous avez eue avec M. l'Intendant général, et je pense bien, comme vous, de faire ce que je pourrai pour établir le marché de ce côté; mais pour à présent, que ce quartier est rempli de boue et de pierres, il n'est pas possible de l'y attirer. » Ce H novembre. «J'ai parlé, comme vous désiriez, à M. l'Intendant, d'un médecin pour Carouge et de lui- pro- curer 200 livres de pension sur la province. Il m'a répondu que ces pensions étaient abolies en Piémont, où il n'y avait que des abonnements ; que, d'ailleurs, il y en avait déjà un. nommé Filliol , qui est de Maurienne, et un apothicaire, nommé Beurier, Savoyard, qui est bien assorti, et a fait bâtir une maison, à gros frais, à côté de celle où demeurait Mme Desarts; qu'au surplus, il ne s'en mêlerait pas et ne ferait qu'exécuter les ordres du roi. J'ai observé qu'il savait à n'en pas douter que la cabale contre ce lieu avait le des- sus ; que cet endroit ne serait jamais rien. Il ajouta : « Ce F. M. y a beaucoup contribué par ces récits désavantageux qu'il a répandus en voyant qu'il était obligé de l'abandon- ner; que lui n'y voudrait pas, à présent, avoir un sol ; qu'il ne voulait plus rien représenter à l'avantage de ce lieu, crainte de s'attirer plus à dos de puissants ennemis. » On pense aussi que le M. a tourné contre le C. du R. et le Mi., et s'est aussi joint au chevalier R. que l'on dit y être fort contraire. L'intendant dit finalement que pour avoir voulu 163 s'y intéresser et représenter ce qu'il convenait de faire pour sa prospérité et prorapt agrandissement, il craignait à cha- que courrier d'être rappelé ; que même il augurait que cela n'irait pas loin (ce qui serait une perte réelle pour Ca- rouge), ayant toujours paru bien intentionné : « Ce qui met- tait, dit-il encore, le comble à la disgrâce de Carouge, c'é- tait la suppression de ce canal bordé d'arbres, comme en Hollande, ce qui faisait même, l'admiration des étrangers qui en avaient vu le plan signé par le roi, pour lequel de- puis deux ans on avait mis par ses ordres une imposition sur la taille, que sur cet alignement il avait déjà signé quatorze plans pour des maisons, dont quelques-unes étaient déjà en train. Si Ton voulait supprimer ce canal sur le bord duquel des charaoiseurs voulaient venir s'établir, il n'aurait au moins rien fallu en dire , et laisser la rue de la même lar- geur, pour ne point changer les alignements, ce qui dégoû- terait et ferait, crier tout le monde qui ne saurait plus sur quoi compter, puisque ce serait le 4e plan que l'on veut changer. Le 1er, celui de Garellaz, le 2e de Plaisance, le 3' de Manera, tous ont été réformés, et ce 4e signé par le roi, et rendu public par ses ordres, on y veut encore toucher ! Sur quoi, a-t-il ajouté, peut-on compter? Que tous ces plans, tracements et changements consument en frais, sans donc rien décider ! C'est encore ici une histoire comme celle de l'église, pour la confection de laquelle on s'est borné à faire le tiers de l'œuvre, et pour en grossir les frais, on a tenu quatre architectes sur les lieux ; la dépense de ces nou- veaux tracements, faits suivant le plan, montent à 1200 liv.. et on les voudrait encore changer ! Que pensera-t-on du gouvernement chez l'étranger; serait-ce de la dignité du roi? Carouge chancelle; s'il tombe cette fois, il ne se relè- vera plus et perdra toute confiance I » Le bruit des faveurs du roi pour ce lieu, s'étant répandu jusqu'en Asie, un particulier qui a connu Carouge, qui a fait quelque fortune et qui réside à Kazan, vient môme de faire écrire par un de ses amis qui l'a vu à son retour de Russie, au sieur Monloy, depuis Schaffhouse, pour s'en informer, disant qu'il y voudrait venir finir ses jours. Et si, à son arri- vée, il voit le contraire de ce qu'il a appris, que pensera-t- il, où ira-t-il ? Vous me blâmez cependant de vous avoir dit que Mmede Monthoux voulait bâtir ici, disant ensuite qu'elle a changé d'avis; je ne puis pas faire déterminer les gens contre leur volonté ambulatoire. » J'ai remis le 12 du courant 4 livres à Vachon pour assis- ter sa femme ; s'il y avait un hôpital à Carouge, je me serais intéressé pour l'y faire porter; mais vous savez qu'il n'y a rien de rien. » On dit que les protestants, qui n'ont dans ce lieu aucun exercice de religion, qui sont même obligés d'aller faire baptiser leurs enfants à Genève et de payer 2 écus aux corps de garde qui, selon la coutume, prennent les armes pour l'honneur, se dégoûtent de rester à Carouge, et veulent aller en Allemagne profiter des grâces de l'empereur. Si Dieu est glorifié qu'il n'y en ait point dans ce lieu, sa sainte vo- lonté s'accomplisse! On ajoute que nombre de Français at- tendent l'amnistie qu'il doit y avoir en France par la nais- sance du dauphin, afin d'y pouvoir retourner. Si ces bruits, qui font l'entretien des conversations secrètes parmi ceux qui s'intéressent sincèrement à la prospérité de Carouge, se réalisent, il y aura bien des logements de reste. Au con- traire, si le roi, par quelques établissements utiles, donnait de l'émulation aux autres, cela les encouragerait et on au- rait quelque espérance fondée de voir la population aug- mentée l'année prochaine d'environ un millier d'âmes. On dit que l'on veut mettre à Carouge deux prêtres pour en- seigner: cela ne formerait pas un bien beau et fort collège.» 165 Ce 16 novembre. • .t'ai dit à vos fabricants que dès qu'ils seront rangés, s'ils sont du monde, il leur conviendrait, pour économiser, d'acheter du blé qui n'est pas cher, et de le faire cuire chez le boulanger. Ils y auraient un gros prolit; j"ai offert de leur en avancer 5 à 6 coupes; malgré que le blé ait diminué tic prix, les boulangers n'ont pas diminué celui du pain, sur quoi ils font des profits considérables. Per- sonne n'y met ordre; on me répond, lorsque j'en parle, que ce n'est pas encore le temps, qu'il ne faut gêner personne. Comme je n'\ ai point d'autorité, je me tais en disant que je \eux faire édifier un four du côté de la place, et y faire vendre le pain à 1 sol meilleur marché que les autres, et qu'alors il faudra bien qu'ils le baissent par le fait. »» Le sieur Giardin m'a dit que l'intendant l'occupait à faire la route depuis La Roche pour venir à Étrembières. et ensuite depuis là à Carouge, mais qu'il faudrait, remuer deux ponts : comme ils ne sont pas de conséquence, si cette route pouvait s'établir commodément, cela rendrait toujours plus notre emplacement fréquent!'. » On m'a dit qu'il était arrivé 000 hommes de troupes françaises, qui sont logés à Gex et à Gex-la-Ville ;. on dit que c'est un régiment qui revient de l'Amérique; qu'en tout on compte qu'il y a au pays de Gex maintenant 1000 hommes d'infanterie, et 890 cavaliers. On dit que les Bernois sont en congrès, pour délibérer sur le parti qu'ils ont à prendre à l'occasion de Genève. * Ce 18 novembre. «Je paierai, comme vous me dites, les ai- guilles pour le sieur Rousset. mais cet article, celui des mé- tiers el de la caisse, sans parler du déboursé à faire pour les ouvriers, monteront ù bien de l'argent. Ces demandes mul- tipliées m'obligèrent à lui demander dernièrement quel but il avait en suppliant les grAces du roi de lui accorder une diminution de douane pour les soies à employer dan- sa fa- 466 brique, puisqu'il n'avait pas le sol pour la monter. Il me ré- pondit qu'il comptait sur des prêteurs qu'on lui avait fait espérer qu'il trouverait à Genève, etqui lui ont manqué. J'ob- serve que lui ne fait rien que voir et se promener; j'ajoutai que si je n'avais pas eu en vue de les favoriser, eu égard que mon frère s'était mêlé d'eux, je ne leur aurais point fait crédit, ni de mon vin, ni de mon bois, encore moins de mon loyer, et ne me serais non plus point empressé à faire faire cette fabrique. b On a renvoyé l'assemblée du Conseil Général pour le statu quo à lundi, mais les Représentants disent qu'il ne pas- sera pas ; je le crois. Ils ajoutent que ce sera par leur fer- meté qu'ils se tireront d'affaire. Il est arrivé exprès samedi un courrier de Versailles, lequel venant en diligence n'a resté que 51 heures et quart jusqu'à Genève. Le dit a ap- porté une lettre à M. le Résident, qui porte en substance que la suspension proposée pour les élections n'est que con- seillée, et que l'on ne veut point les contraindre; mais pourquoi toutes ces troupes et autres sont-elles si près ? » J'ai vu ces jours proches passés, le sieur architecte Giar- din, qui était venu d'Annecy à Carouge; je lui demandai q uelles nouvelles il savait ; il me répondit : « Je ne sais rien de nouveau, sinon beaucoup de recours qu'il y a contre ces chemins que nous avons tracés pour venir depuis la Roche à Carouge. » Il ajouta : « Croiriez-vous qu'il y a dans Carouge même des personnes dont, l'âme est assez noire pour écrire contre son établissement?» Je lui répondis: « Ce sont des hommes, et des hommes qui se servent du bien qu'on leur veut faire pour faire du mal. Comme ils savent que l'on prend plaisir à les écouter, cela les anime d'écrire suivant leur caprice. S'il en était de même dans un royaume comme la France, cela devrait bien faire tourner la tête au minis- tère. » Il ajouta : « M. le marquis Coste m'a demandé encore 167 un an pour se décider sur l'emplacement choisi pour bâtir près du canal, de l'eau duquel il voulait se servir ; s'il ne se fait pas, ce sera un riche bâtisseur de moins. » » M. de Fauraz, capitaine-major dans Tarentaise, me disait samedi, que je le vis à Carouge, que cet endroit lui plaisait; qu'il désirait y pouvoir venir habiter, mais qu'il voudrait y avoir une remise pour un cabriolet, et une écurie pour au moins un cheval. Je lui dis : Venez-moi trouver l'automne prochaine, je pourrais vous accommoder, si vous persistez dans cette envie. Il me dit que le bruit courait que vous au- riez le régiment de Tarentaise. » Ce 20 novembre. « Comme la foire du 2 novembre est dans un mauvais temps et mal indiquée, comme je vous l'ai fait observer, étant foire ce jour-là dans plusieurs autres lieux, à Collongcs en France, etc., il n'y en a pas eu une si belle que celle de mai ; il y avait cependant bien des bestiaux. » Je vous ai déjà bien écrit dans le temps qu'il y avait Cette année beaucoup de fièvres partout, même à Lancy, (>iic\. Collonges, et entre autres à Bossey et Troinex. Le cuir de Bossey m'a dit qu'il avait enterré 6 à 7 paroissiens ; mais la plupart des enfants morts de la petite-vérole, qui fait beaucoup de ravage ; il en est mort ici deux petits garçons, chez les Oottret, que je regrette d'autant plus que ce sont dc< bras dont nous sommes privés. » J'ai eu dimanche à diner les sieurs Viana et Giardin qui retournaient du côté de La Boche pour la route de cette \ille à Carouge. Ce premier me disait que si l'on veut faire cette route et la rendre praticable aux chariots, ceux de La Boche, qui la désirenl beaucoup, se font forts de fournir le bois à brûler à Carouge. à environ 10 livres le moule, ce qui est la moitié du prix qu'il s'y vend ordinairement, n'en axant, «lisent-ils. aucun débouché, non plus que des bois à bâtir et planches de noyer: de plus, cela y ferait abonder les cornes- 468 tibles. Voilà une chose à appuyer dans le temps et à ne pas perdre de vue ; il faut, dit-on, saisir les occasions lorsqu'elles se présentent. Carouge est comme un enfant à qui il faut tendre la main pour le soutenir et empêcher qu'il ne tombe. » On m'a dit que ceux de Reignier voulaient de nouveau recourir au roi pour représenter qu'ils ont 7 heures de che- min pour aller à Annecy, tandis qu'ils n'en auraient que 2 pour venir à Carouge par des chemins praticables. » On dit maintenant que les Zurichois ne se sont point re- tirés de la garantie, ainsi que plusieurs lettres de Berne Font annoncé par deux courriers consécutifs, mais qu'ils se sont seulement séparés pour aller prendre de nouvelles instruc- tions près de leurs commettants. » Ce 23 novembre. « La baronne de Monthoux, qui est actuel- lement à Annemasse, m'a dit qu'elle aurait de nouveau fort envie de placer en bâtiment à Carouge un petit capital de sept à huit mille francs, qu'elle a déplacé de chez le ban- quier Lullin, à Genève; comme elle me témoigne toujours beaucoup de confiance, et que je suis fort porté pour l'agran- dissement de ce lieu, vous pensez bien que je ne l'ai pas découragée. Elle désire avoir une maison susceptible d'agran- dissement, où il y ait deux boutiques dessous, et un apparte- ment dessus, qu'elle puisse, dit-elle, occuper, ne se plaisant pas à Annemasse, étant aussi éloignée de l'église, et voulant se retirer de Lyon. Il est à souhaiter que l'on puisse faire une petite maison à deux étages, dans notre belle me et à l'en- trée de la ville, dût-on attendre de finir l'intérieur du se- cond. Je veux aussi faire observer à M. l'Intendant qu'il est désagréable d'y laisser bâtir des gueux, qui n'y font que des maisonnettes. » Ce 27. « Quelle sensation a fait à Turin cet édit de l'empe- reur Joseph II, annoncé par les nouvelles publiques, qui tolère toutes les religions dans ses États, les admet aux 109 charges cl en permet l'exercice? C'est un moyen de peupler et (l'enrichir son empire. » Je pense qu'un médecin et un apothicaire seraient inu- tiles à Carouge : l'air y est saluhre, et Ton est trop près de Genève. Les on dit sur le sort de cette République sont si peu certains, et si contredits, qu'il est inutile de les rap- porter. » M. Manera ne cesse de dire par ici que l'on es1 las, à Turin, d'accorder des grâces à Carouge; que Ton ne veut plus rien faire à son sujet, ni le pont soifs Sierne, ni le canal, ni les prisons, ni la douane, ni rien du tout. Fâché, sans doute, de n'avoir pas été plénipotentiaire dans ce lieu, il est bien capable d'\ avoir nui de tout son possible: il va jusqu'à répandre le bruit que M. l'Intendant, au bout de trois ans. serait rappelé, et que l'on permettrait de resserrer los trace- ments. Quoique les gens sensés n'ajoutent pas foi à ces récits et voient les motifs qui le font agir, d'autres cependant s'en intimident. ■■ Ce -l'i. i .le suis allé mïnformer exprès au bureau de la douane, s'il était vrai que l'on eut ordonné en France aux voituriers île ne pas prendre la route de Carouge. Le sieur Courtois m'a dit qu'il en passait plus maintenant qu'aupara- vant. Voilà les nouvelles que Ton donne contre Carouge. Combien elles sont peu fondées ! Si quelque chose rebutait les voituriers de prendre cette route, ce serait sans doute le mauvais état des chemins qui arrivent de Seysscl. notam- ment celui au lias de Saint-Julien, qui e>t en trè— mauvais état, même, dit-on. dangereux à passer, ne pouvant encore le faire snr le pont, aux remplissages duquel les paroisses continuent à travailler. Si le roi daignait faire pour Carouge approchant les dépenses qu'il fait pour Nice et ses aboutis- sants, ce serait bientôt un endroit célèbre. >< Il n'y a pas apparence que le seigneur de Keignier. qui 170 est le marquis de La Roche, recoure pour unir cette paroisse à la province de Carouge, puisqu'il m'a été dit qu'il y est contraire. » Il y a longtemps que j'ai ouï dire qu'il y avait un hor- loger qui était venu à Carouge établir une fabrique d'horlo- gerie, et qu'il voulait recourir au roi pour tâcher d'obtenir une diminution de douane pour pouvoir faire passer ses montres en Piémont. On ne doutait pas même qu'il ne l'ob- tînt. Les horlogers de Genève disent qu'il leur est aisé d'en faire passer par contrebande. » On se trompe quand on dit que Carouge ne se peuple que des sujets du roi; la plupart, au contraire, sont des Français et des Allemands; ainsi il ne détruit point le pays, comme on voudrait le faire entendre : moi, de tous mes loca- taires, je n'en ai qu'un de La Roche; les autres sont tous Français ou Allemands; le vôtre aussi est Allemand, et si l'on tolérait l'exercice, au moins caché, des religions, on en ver- rait venir en foule de tous les côtés. Il court ici un bruit que les Juifs établis à Manon ont offert au roi de bâtir une rue à Carouge, si on voulait les y souffrir. Pourquoi non? On les souffre bien à Turin, etc.; ce sont des hommes, créés à l'image de Dieu, dont la religion doit durer jusqu'à la fin des siècles, suivant l'Écriture-Sainte. » J'ai à la maison M. le doyen de Lazary et un chanoine de Notre-Dame d'Annecy, dès hier matin; ils sont venus me trouver poliment pour me faire part qu'ils étaient dans l'in- tention de faire une digue pour défendre leur pré. Je leur ai répondu que nous n'y mettrions aucune opposition, pourvu qu'elle ne fût point offensive, mais seulement latérale, et qu'ils n'entrassent point dans le lit de la rivière ; mais je leur ai recommandé que ceux de Gaillard n'y fussent pour rien, étant des brouillons. » La femme de Vachon a été administrée hier. » Ce n'est point à l'occasion de Carouge que Ton doit en- lever le péage de M. de Saint-Amour, ni même la terre; mais la couronne est fondée à la reprendre, comme elle a fait de la terre do Saint-Julien. • Il est hors de doute qu'il conviendrait que les protes- tants eussent leur cimetière hors de l'endroit, et plutôt à côté de celui des catholiques, ou ailleurs ; le curé m'a môme dit qu'il voulait représenter la chose, ne convenant pas que les catholiques eussent leur cimetière dehors de la ville et les protestants au dedans. » On a fait samedi la bénédiction de la fahrique, et les fa- hricants payèrent une messe pour sa bonne réussite. Enfui, à ce qu'il parait, il ne manque que de l'argent. » Je ne puis rien dire sur la manière dont vous pensez que l'on veuille bâtir le pont sous Sierne, sinon qu'étant à portée de la montagne, il paraîtrait aisé de le faire en pierres, que l'on pourrait facilement l'aire radeler sur Arve, au lieu qu'en bois, il semble qu'il ne serait pas de durée. Peu s'en est fallu (lorsque la seigneurie de Genève fit refaire, il y a environ trois ;ms, le pont d'Arve) qu'on ne le fit en pierre; mais, axant tous les bois approvisionnés, cela détermina les Gene- vois à le refaire de même. Je le voudrais assez, si la chose me regardait, comme celui d'Etrembières, moyennant qu'il fût bien exécuté et solidement appuyé aux deux bouts, et que l'on pût se procurer de beaux chênes, qui sont rares et difficiles à transporter, hors que l'on en prît du côté d'Aren- tboii, Reignier, etc., où il y en a de beaux, que l'on poiurrat faire descendre, par Arve, jusque sur la place. >Si la mort de H. d'Aglié vous faisait jour pour avoir la lieutenance des gardes-du-corps, à la bonne heure; on ne sait pas pourquoi Dieu fait les choses; cela pourrait peut-être conduire un jour au collier de l'ordre. Amen. » Je ne crois pas avoir dit, à l'occasion des protestants. 172 qu'il conviendrait de faire des propositions pour leur pouvoir accorder un libre exercice île leur religion ; j'ai raconté sim- plement ce que j'entendais dire à ce sujet, ajoutant même que je ne voulais pas plaider leur cause : Dieu saura bien les tirer de leur erreur, lorsqu'il le jugera à propos; d'ailleurs, la contrainte n'a jamais produit d'hommage sincère. Depuis le temps que le curé est à Carouge, il s'y est déjà fait quelques conversions, notamment une solennelle à la messe de mi- nuit. » On m'a répété qu'il serait inutile de faire une loterie à Garouge, dans l'espérance que les Genevois concourussent à la remplir: loin de là, on m'a ajouté qu'ils se disaient dans leurs Cercles qu'il ne fallait pas y venir boire ni y apporter leur ar- gent. » MM. Jolivet et Gourgas ont été réélus par le Conseil Gé- néral, de façon que tout cela fait pitié. Il y aura perpétuel- lement des troubles dans cette ville, tandis qu'elle sera gou- vernée ainsi, puisque, dans un Cercle, un esprit remuant, mécontent, peut agiter tous les autres. Ils ont encore donné diverses représentations ces jours- ci; il y en a même une qu'ils ont retirée heureusement à temps, par laquelle ils s'é- taient exprimés trop librement sur la France. Ils attendent toujours les médiateurs : on dit que ce n'est plus M. de Noailles, mais M. de Malesherbes, fameux jurisconsulte, que la France a nommé. » En suite d'une patrouille générale, faite par ordre de S. E. M. le gouverneur, on a arrêté, entre autres, la semaine dernière, deux fameux voleurs, chefs de bandes, du côté de Vésenaz. L'un est,dit-on, chef aussi de contrebande, et l'autre voleur d'église, gens gros et robustes. On a été obligé de les retenir au corps-de-garde à Carouge, faute de prisons; de là, on les a conduits à Annecy, je crois, samedi ou dimanche derniers. 173 » Nous t'avons point du tout de neige, seulement un peu sur les montagnes ; sans le froid de la nuit, la chaleur du soleil ferait pousser les plantes. Il est surprenant combien le prix du blé a baissé dès la moisson de Genève, où le froment ne se vend plus que de 29 à 30 livres, le plus beau, poids d'environ cent douze à cent quinze livresia coupe, la livre à dix-huit onces: plusieurs môme disent qu'ils ne trouvent pas à le vendre. » La baronne de Blonay, avant d'aller à Évian, pria ses fermiers de ces environs de lui avancer sa ferme, n'ayant, dit-elle, point d'argent; ils se hâtèrent de le faire, pour l'o- bliger, quoiqu'ils eussent encore trois mois à attendre. » Ce 4 décembre. « Messieurs les Suisses ont notifié, dit-on, à la France que, comme la médiation de 1738 était garantie par les trois puissances, si la France ne voulait pas agir de concert avec eux. ils retireraient aussi leur médiation et ga- rantie, sans néanmoins faire mention de leur alliauce. Cela fait une grande sensation à Genève: les Représentants crai- gnent d'être à la merci de la France. M. le Hésideut a reçu, la semaine dernière, une lettre fort menaçante pour les Représentants: il manda quelques chefs de leur parti et la leur lut; après quoi, il leur dit d'un ton élevé : « En com- prenez-vous bien le sens? voulez-vous que je la relise? » Ils répondirent que non; ils en demandèrent une copie, qu'il leur refusa, leur disant qu'il n'avait point d'ordres pour cela. On dit, qu'au premier jour, il doit arriver encore deux régi- ments français au pays de Gex, et que les Suisses craignent que cette affaire ne les brouille avec la France. C'est pour- quoi ils veulent retirer leur médiation et garantie. » L'on vend communément le vin quatre sols de Piémont le quarteron ; aussi les paysans en profitent pour se bien soûler. » M. le doyen de Lazary et son confrère le chanoine, qui 174 était avec lui, m'ont dit et répété plusieurs fois qu'étant comme inutiles à Annecy, ils désireraient que leur chapitre fût à Carouge et que le roi le leur enjoignît, qu'ils ne s'y opposeraient pas, et ils ont fini par me dire : «Voyez si cela se pourrait faire ; notre corps ferait honneur à Carouge et y serait utile. » Ce serait en effet honorahle et avantageux pour Carouge, si l'on y pouvait avoir un corps comme celui de la Collégiale de Notre-Dame ; le service de Dieu s'y ferait avec plus de pompe et de dignité, et donnerait du relief à ce lieu. Ce serait nécessaire dans sa position, surtout voulant en faire une ville ; ils m'ont dit que la cathédrale de Saint-Pierre suf- fisait à Annecy. » Ce 11 décembre. «Je regarde comme un malheur pour Ca- rouge, si le ministre en retire ses regards favorables, et ne continue pas à le protéger ; on ne doit pas inférer de ce qu'un particulier ou deux manquent aux devoirs de la reli- gion, que cela se répande sur le général ; où ne voit-on pas des impies et des impiétés? Cela n'est que trop commun ; je me lais sur les lieux où l'on trouverait le plus à redire. D'ailleurs cette brebis galeuse dont il veut parler vient du Piémont; il l'y faut rappeler pour nous purifier. Que ce pieux ministre veuille employer son crédit pour faire finir l'église, où l'on puisse alors tous entrer, et pour y établir une collé- giale afin que le service de Dieu s'y fasse exemplairement et avec la décence convenable ! Il nous faudrait au moins une collégiale ; il y en a à Sallanches, à La Roche et point à Ca- rouge, où elle serait autant utile que nécessaire. Celle d'An- necy, par exemple, qui n'y sert de rien, qui ne s'y plaît pas, et a souvent des différends avec l'évêque, ferait bien mieux â Carouge, si l'on ne veut pas en déranger d'autres. » Vous m'avez récité la conversation du ministre; voulez- vous aussi qu'à mon tour je vous répète un discours que l'on me tenait dernièrement à l'occasion de Carouge, ce que 175 je fais sans conséquence pour vous instruire des « on dit. - Des étrangers, que je sollicitais d'y venir bâtir, répondent : « Qui pas retourné, ci si le ministre qui \ état! avah été île Genève, ou l'aurai) fait déguerpir dès longtemps, en étant jaloux. • L'apothicaire crui est à Carouge passe pour être bien fourni: d'ailleurs on esl assez près de Genèrépour que rien ni' manque. » Aujourd'hui a été tenu ce laineux Conseil Géttéral poorf l'acceptation ou le rejet du statu quo; il a été fort nom- breux : mais il \ a eu rejet de 1 19 i \oi\ contre 393 : reste à savoir comment la France envisagera celle résistance à son invitation. » Ce 28 décembre. - Pour éviter tout équivoque dans vos comptes avec vos fabricants, je vous ai mande celui des dé- boursés que je leur ai faits ci ce qui m'est dû particulière- ment. » .le ne me suis jamais ouvert que cdnfidentiellemenl -ne les protestants, le canal et la comédie, cl vous ne m'aviez pas défendu de vous en dire mon a\i>. lequel, par le peu de crédit que j'ai, ne pouvait avoir aucune influence ; niais je n'en reparlerai jamais plus, puisque cela a été improuvé. La Feuille d'Avis de Carouge s'imprime à Genève, l'im- primeur n'étant plus ici : j'ignore pourquoi. * M. l'abbé Ma/.in. aumônier du roi. a dit la messe le jour de Noël à Carouge; on ignore pourquoi il y est venu. On a volt'- bien ^\v> linges cl bardes à C.bâteau-lîlanc la nuil du 25 au 26. Ce .Monsieur qui est à Ka/an. en Asie, qui voudrait venir s'établira Carouge, dont vous m'avez demandé le nom, je s;ii~ qu'il est en Suisse, mais |c nom, je l'ignore. Si PMI 180 faites, me dites-vous, ce que vous pouvez en faveur de Ca- rouge, je ne m'épargne pas non plus. Des Messieurs de Lyon, informés de l'intérêt que j'y prends, doivent, m'a-t-on an- noncé, venir en conférer pour pouvoir s'y établir. S'ils vien- nent, je les endoctrinerai bien. » M. le Résident n'a pas voulu laisser dire la messe de mi- nuit à sa chapelle, crainte que le peuple en rumeur n'y causât quelque désordre. L'on dit que les troupes ont or- dre de se retirer du pays de Gex, où on leur passait 2 sous par jour de plus de paie, et que M. de Saint-Simon a déjà fait retirer ses équipages de Fernex. Si cela se vérifie, adieu les Négatifs. » § VI. Caroube en 19 99. L'année 1782 est mémorable dans les annales de la Ré- publique de Genève et dans celles de Carouge. Les troubles civils redoublèrent de violence. Les Natifs, qui d'abord avaient paru vouloir soutenir le gouvernement, se tournè- rent contre lui quand il eut refusé d'obtempérer à leur sommation d'exécuter l'édit du 10 février, dont le comte de Veyrier fait plusieurs fois mention dans ses lettres à son frère, le commandeur de Chàtillon. Les Représentants eux- mêmes furent débordés, et ils ne purent empêcher un mou- vement révolutionnaire. Au nombre d'environ 2000, les Né- gatifs, renforcés par un certain nombre d'habitants et de sujets ', se portèrent à l'Hôtel-de-Ville et s'emparèrent des principales portes. Tout tomba dans leurs mains, non sans effusion de sang. Le syndic Claparôde fut blessé; la mère d'un Négatif extrême, Mm" fSaladin de Crans, n'ayant point 1. Un dénombrement du mois de juin 1781 donne pour la population totale de Genève un total de 24,712 âmes, dont 2,96.*i citoyens1: 5,80fi natifs, et >35S habitants et sujets. -481 entendu les cris : « Fcnne/. vos fenêtres !» l'ut tuée à la sienne d*un coup de fusil parti de la foule. D'autres femmes mou- rurent de frayeur. Des Représentants, oubliant leurs an- ciennes haines, vinrent en armes pour secourir les Négatifs. Une réquisition tendant à la suppression ou à l'épuration des Petit et Grand Conseils fut adoptée. Une commission établie par le Conseil Général remplaça les conseillers im- populaires par d'autres moins hostiles au mouvement. Une commission de sûreté, composée de 12 membres, fut établie sous la présidence du syndic Julien Dentand. Ce fut une es- pèce de dictature on de comité de salut public. Cependant les puissances médiatrices continuaient d'agir. L'ancien syndic De Candolle était parti pour Berne avec une ' lettre de créance de ses anciens collègues. Le ministère de Louis XVI et le gouvernement de Berne ne voulurent pas reconnaître les nouvelles autorités genevoises. Le roi de Sardaigne offrit au roi de France de l'aider à pacifier Ge- nève. Le canton de Zurich s'abstint. Les troupes bernoises commandées par Lentulus, les françaises sous le marquis de Jaucourt. et les sardes sous le comte de La .Marmora, inves- tirent la ville. Les lettres du comte de Veyrier à son frère le comman- deur de Chàtdlon continuent de donner, en quelque sorte jour pour jour, le détail de ces événements. Ses lettres ti- rent un nouvel intérêt de la position active que prit la Sardaigne dans les allures de Genève. Cessant de rester dans l'expectative, la cour de Turin coopéra activement aux démonstrations armées de la France et du canton de Renie. Le comte de Chàlillon, en sa double qualité d'ingénieur militaire et de gentilhomme propriétaire voisin de Genève, fut appelé à prendre part aux opérations contre cette place avec le corps qu'il commandait '. i. La Légion des campemenit, dont le commandeur de Chàlillon, Le commerce épistolaire du comte de Veyner avec son Irère cessa donc au moment où celui-ci vint prendre ses quartiers dans les communes sardes voisines de Genève, c'est-à-dire au mois d'août 1782. Pour les six premiers mois de cette année, antérieurs à l'arrivée du commandeur de Châtillon, la correspondance existe , et à mesure que les événements se pressent, elle redouble d'intérêt. Nous conti- nuons donc nos extraits, au risque de laisser passer quelques répétitions. Les documents de cette sorte ont bien leur genre de mérite, et ils deviennent tous les jours plus rares. On a . pour cette époque, des histoires officielles en assez grand nombre, et beaucoup de pamphlets et de brochures politi- ques. Nous en donnerons la nomenclature à la fin de ce travail. Mais les correspondances particulières disent bien des choses que les historiens en titre ne peuvent ou ne veulent pas dire. Il oe faut pas oublier, en lisant les lettres qui suivent, que celui qui les écrivait était un gentilhomme assez avancé pour son temps, partisan des doctrines économiques du comte de Mirabeau, l'ami des hommes, même tolérant en politique et en religion, mais ennemi de toute espèce de démonstrations révolutionnaires, et ne comprenant rien à la démocratie et de Vi'wii-r, était lieutenant-colonel, avait été cirée pour l'instruction des ingénieurs et des soldats du génie. Les officiers de ce corps de- vaient être instruits dans les mathématiques et le dessin, afin de«pou- voir exécuter et l'aire exécuter toutes les opérations relatives à ta des- tination de la Légion. Le commandeur de Châtillon fut regardé comme le créateur de ce corps, en même temps qu'il présidait à Turin, dans l'académie militaire, aux éludes de la jeune noblesse des États sardes. Chaque année, une division de la Légion 'les campements passait la revue à Rumilly, ce qui appelait aussi en Savoie le commandeur de Chàiillor.. M système de govememevt que les révolutionnaires gene- vois roulaient introduire dan» leur patrie. Il \ a sans doute plus de bon sens pratique que de lu- mières acquises et d'instruction chez le comte de Veyrier; mais ses reflétions, pour être parfois un pou terre â terre ou vulgaires, n'en ont pas moins toul leur prix. Les rensei- gnements qu'il donne sur les rouages intérieurs du gouver- nement, 1rs intrigues des bureaux ministériels; sur les fa- milles nobles des environs , sur leur manière d'être et de vivre, leurs ressources et leurs relations, enfin sur l'écono- mie agricole et sur l'industrie de son pays, complètent le ta- bleau de cette époque curieuse. Les révolutions ont détruit ou du moins radicalement mo- difie la société de ces temps-là, et c'est à peine si l'on re- trouve quelques traces de l'ordre de choses, politique, intel- lectuel et moral, décrit par le comte de Veyrier. .Nous avons donc reproduit, comme pour les lettres précé- dentes, tout ce qui était à conserver dans les suivantes qui forment une dernière série, commençant avec le mois de janvier 1782, et s'arretant brusquement au commencement du mois d'août (le 8) de la même année. C'était le moment où le commandeur de CMtUlon, en station à Carouge ou dans les communes voisines, prenait part aux opérations militaires contre Genève, et surveillait en même temps les entreprises industrielles auxquelles il avait donné l'impul- sion dans la ville naissante à laquelle son frère et lui por- taient un si vif intérêt. Ce 4 janvier. « Je demanderai, mon cher frère, à Mes- sieurs les fabricants de soieries, comme vous le souhaitez, l'état articulé qu'ils doivent encore pour leurs métiers et au- tres objets. 11 ne tiendra pas à mes soins que cette fabrique ne prospère : je verrais même avec bien du plaisir que Ton 184 portât à Turin des étoffes de la fabrique de Carouge.. Quelle serait la couleur de préférence ? » Je ferai écrire, sous main, au sieur secrétaire Brunier, pour qu'il recoure à la protection de M. le marquis de Gan- cya , s'il est toujours du sentiment de faire unir Reignier à' Carouge, en lui rapportant les raisons alléguées dans la sup- plique au roi, mandée par le courrier du 1 juillet 1780. Il verra ce qu'il aura à faire en conséquence. » Le prêche, dont je vous ait parlé, était du sieur Rei- baz; c'est un ouï-dire dont je n'ai point voulu m'informer particulièrement, puisque cela peut avoir des conséquen- ces; comme les acteurs sont tous loin, et que ce feu est tout éteint, il faut se garder d'en plus parler. «Vous ne pensez pas, sans doute, qu'en demandant à emprunter à la Bourse française, lorsqu'elle prêle, il faut toujours donner caution et collodateur; ce serait bien se décréditer tout à fait que d'être dans ce cas ; d'ailleurs il faut bien se persuader que dès que l'on ne veut souffrir à Carouge d'autres personnes que de celles de la communion romaine, cela fera bien changer la face des affaires, en ar- rêtant les progrès et la population. » Les natifs et habitants de Genève, ayant ouï dire derniè- rement que l'article île l'édit du 10 février, passé en leur faveur, n'aurait pas lieu, montèrent, il y a peu de jours, au nombre d'environ 200, pendant la nuit, au cercle de la Com- mission, lui déclarant qu'ils étaient prêts à le soutenir au péril de lui vie. La commission des Représentants fit ce qu'elle put pour les apaiser par des promesses. Tous me, disiez dernièrement que M. Necker avait fait son bien avec l'argent d'autrui, comme tant d'autres; je le crois, mais j'ai dû aussi vous faire observer que ces Messieurs, faisant ce commerce, risquent peu, parce que s'il ne leur réussit pas, ils font banqueroute à temps, et recommencent, et ils font 185 encore banqueroute jusqu'à ce qu d> réussissent , comme j'en connais beaucoup. Ce commerce n'es! pas de mon goût, et je ne voudrais pas m'y Hasarder. » Ce S janvier. « M. Major de Yersoix me lit dire hier qu'aus- sitôt qu'il verrait commencer le pont sous Sierne, il engage- rait un de ses amis, riche négociant de Lyon, à venir bâtir ici, pour établir une correspondance dès le lac par Bellerive à Carouge, sans être obligé de passer à' Genève. Il y a un étranger nommé Bertrand, catholique, qui a fait une for- lune très-considérable en Amérique et qui est dans un port de mer de France, indécis du lieu où il doit se fixer; nous faisons ce que nous pouvons pour balancer les ennemis. Li^ Savoyards qui Tiennent s'établir ici, ne le font qu'en mi.' d'j vendre du vin: on y compte -25 bouchons : une ving- taine pourraient suffire; mais on ne veut point encore éloi- gner, dit-on, le monde en les gênant. Je ne dis point qu'il faille encore penser ici à une académie: mais que cela pour- rait venir, non plus que Lancy doive être uni à Carouge: je rapporte seulement, par manière de conversation, ce que j'entends dire, sans vouloir que cela fasse règle; je ne sois pas en crédit, ni consulté, et ne voudrais pas l'être. 11 ne me reste que la liberté de penser et de faire mes conjectures sur ce que je vois et entends, et souvent j'ai le bonheur de De pas me tromper. Tant mieux s'il vient un bon médecin à Carouge. Si vous le souhaitiez, vous pourriez le loger chez vous pour tirer parti de votre maison; il y serait mieux que partout ailleurs, et il n'y aurait pas des punaise.-, hors qu'il ne les apportât avec quelques vieux meubles. L'on s'étudiera à ne plus parler ni de protestants, ni de comédie. ■ Ce 8 janvier. « Je vous préviens de lire cette lettre, Bans conséquence, ce n'est qu'une conversation dont vous pren- drez ce tpie yuus jugerez convenable et jetterez le reste au feu. J'ai hésité moi-même de le faire après l'avoir écrite. crainte que ces réflexions et ces discours ne fussent pas dé votre goût. « M. Vernet ne trouve pas votre fabricant de soieries assez Grec pour être à la tête d'un commerce aussi compliqué que celui-là: il dit qu'il aurait besoin pendant quelque temps des leçons dc> Genevois. Il a ajouté que quand il aurait une pièce de faite pour mettre en vente, il voulait la peser, voir ce à quoi elle revenait, le profit qu'il y avait, et s'il y pou- vait veiller assidûment, il leur apprendrait'à compter et tenir les livres. » Du 11 janvier,, « M. l'Intendant se trouve désagréablement placé à Carougc. En effet, il est en butte à tout le monde, quoi- qu'en tâchant de faire son devoir. Il y a un pauvre paysan qui s'est présenté pour bâtir une maison., ou, pour mieux dire, une barraque, près de chez Bertrand (comme les rues n'ont encore point de nom, je ne puis autrement indiquer la place). Il l'a refusé, lui disant qu'il ne convenait pas de faire là une chaumière. Il s'est adressé à M. Viana, lequel, avant de partir, pour contrarier l'Intendant, lui a, dit-on, dicté une requête, qu'il a adressée contre lui à Turin. Il a mis aussi, de l'agrément de la cour, une imposition pour sub- venir aux besoins de Carouge; mais MM. Foncetet de Saint- Amour ont refusé de la payer, et ils ont recouru contre lui, ce qui excite les autres à en faire autant. Il trouve ce poste si désagréable qu'il' demandera, je pense, d'être rappelé, .l'en suis fâché. » Quand le roi de France pensait de créer une ville à Yer- soix, il a acheté le sol et il en faisait cadeau aux bâtisseurs, pour les engager; de plus, il faisait payer encore vingt- cinq mille francs par mois, pour les dépenses; malgré cela, on n'y a pas encore réussi. On croit faire grande grâce à Ca- rouge en fixant le prix de la toise du lerrain à 2 livres ."> sols; 1X7 su!- i|(idi eneore il n'> a rien de détermina pour obliger te propriétaire de le céder à ce prix] » Jamais homme vivant n'a vu en ce pays un hiver si doux en ce temps : il n'y a pas encore gelé : les maçons travaillent ,'i Garonge comme ils te feraient au mois de mai. Hier, il a plu ici en bas et neigé sur la montagne, et aujourd'hui., il souffle une forte bise qui n'est pas froide, puisqu'il ne gèle pas : les roses, les violettes boutonnent, ou même 8éjà des fleurs printanières. Dieu veuille, à cause de la récolte, que l'on n'en rabatte pas au printemps! < * Il esl peut-être à propos et nécessaire que voussoyez con- fidemment instruit de ce qui suit : » On a appris les calomnies et les suppositions injurieuses que l'on a eu la témérité d'avancer contre des gens en place, en osant avancer qu'ils n'avaient point do religion, parce que, tout occupés qu'ils sont, il ne vont pas s'ennuxer à un long prône, pour apprendre combien il y a de Dieux, elc. Mais n'y envoient-ils pas leurs domestiques, leurs enfants? N'assistent-ils pas régulièrement à la messe? N'ont-ils pas fait leurs Pâques dans la paroisse? Les autres qui n'y assis- tent pas passent-ils .pour des athées ou gens sans religion? .N'est- il pas permis de fréquenter les protestants, et d'aller quelquefois chez des familles honnêtes passer la veillée? Les curés qui s';i\iseni d'écrire de semblables indécences, pour ni faire de- crimes, devraient avoir six mois de séminaire en récompense, et M. l'évéque, nue invitation d'être plus ré- servé et mieux instruit dans ses avis. Quant aux protestants, c'est M. le curé lui-même qui les a joués; ei m. .111 contraire, il avait seulement, di! un seul mot. on n'aurait jamais parié ni de ministre, ni d'exercice de religion. Ils n'ignorent pas que cela n'est pas permis-. ils>,,ni hieu éloignés d'\ contrevenir ni de rien faire contre les or- dres. On n'ignore pas que tes prêtres sonl ennemis des 188 moines, et qu'ils tâcheront toujours de les écarter pour ne pas balancer leur crédit. Ils voudraient rappeler l'ancien temps, gouverner seuls et établir une inquisition ; ces génies ne sont pas propres à faire fleurir des établissements nais- sants. Rome, cette fameuse Rome ne s'est pas formée ni élevée sous de tels auspices! Pour tout savoir, on veut confesser seul les servantes, auxquelles on fait mille questions indé- centes, et elles ont assez de caquet pour les révéler ! Quelle idée donne-t-on de ce sacrement? Quel abus ! qu'en pensez- vous? On se tait par prudence » Ce curé ne paraît pas être l'homme qu'il convient d'a- voir dans ce lieu. Je n'ôte rien à son mérite particulier; mais il pourrait faire mieux ailleurs. » Ce 14 janvier. « Nous sommes informés que le congrès de ce tout qui se traite contre ce qui concerne ce pauvre Ca-* rouge se tient hez M. P., où les révérends curés s'assemblent pour causer de religion ; l'on sait la corde qu'ils font mouvoir à Turin : il est aisé de le penser. » Je n'ai point manqué de faire usage près du sieur Rousset, du désir que vous auriez qu'il commençât à vendre des mar- chandises, pour vous décharger du poids de vos déboursés continuels ; il m'a répondu qu'il ne convenait pas d'aller of- frir chez les marchands sa marchandise à vendre, qu'on la mépriserait, et qu'il convenait de les attendre. Je lui ai ré- pliqué que, passé cette semaine, je n'avais plus d'ordre de lui rien payer, et que, depuis le temps, ils devaient bien au moins fournir à leur entretien; que leur commerce serait singulier, s'il fallait toujours payer et ne rien retirer : il parut un peu étonné, et ne répondit plus rien. » M. Vernet ne trouve pas, non plus que moi, que ce fût un avantage d'emprunter en viager, à sept pour cent, sur une tête de quarante ans, puisque l'intérêt n'est qu'au quatre. H est à supposer, dit-il, que cette personne, ayant atteint cet 180 âge, doit vh re plus de dix-sept ans ; alors il y aurait à perdre ; que si Ton était assuré qu'elle vécût moins, il y aurait à ga- gner; mais il dit qu*à six pour cent cela conviendrait, Quoi- que Suisse, il s'est rafliné avec les Genevois; c'est un bon garçon, mais qui sait aussi bien compter, de même que son cber beau-frère Caillate. » Tout, dit-on, vient à point à qui peut attendre. On nous assure que Ton va bientôt travailler au pont de Sierne, ce qui cause une agréable sensation à tout Carouge. Que l'on ouvre ce passage de communication, et les protestants qui ne voudront pas aller à Genève faire leurs dévotions pourront librement aller à leur temple de Chêne; cela leur suflit, n'en étant pas plus éloignés qu'ils n'étaient de Bossay, et par un plus beau chemin. » La teinture à froid en noir, de Genève, résiste, dit-on, sur la soie comme sur la laine. On attendra vos ordres pour les métiers de bas dont vous parlez. » L'on est dans le même embarras à Genève, pour se pro- curer de la glace pour remplir les glacières, qu'à Turin ; ils croient qu'ils seront obligés d'en faire venir, comme autre- fois, des montagnes de Saint-Claude. Ils disent qu'ils ne prient pas Dieu pour faire geler les fossés, comme d'habitude, car il ne les (''conterait pas non plus. » Les médiateurs suisses qui étaient restés à Genève ont été rappelés par leurs maîtres, et ils doivent partir vendredi. Les Représentante ont envoyé, dit-on, des bourgeois à Zurich et à lleme, afin d'obtenir un sursis à ces ordres, ce qu'on leur a refusé. On ajoute que, comme l'on ne doute pas que la France ne veuille faire Unir, de gré ou de force, ces dis- sensions, ils n'ont point voulu s'exposer à les laisser se com- promettre. » Les troupes de Fernex se sont prises i!e querelle, la cava- lerie contre l'infanterie: ou nous dit qu'il y a eu quatre ou 190 cinq hommes de tués et plusieurs blessés; que les officiers firent battre la générale, en blessèrent plusieurs avec l'épée, et eurent toutes les peines du monde d'arrêter le tumulte. En conséquence, on va les séparer et mettre la cavalerie ;'i Ver- soix. » Une personne, me parlant de Carouge. me disait : « Oh! votre Carouge! sans, M. de Chàtillon. il serait abandonné, car il îv'a que lui à Turin pour protecteur. » » Marquisain duWache, qui est toujours à Chambéry. m'a fait informer aujourd'hui que M. de Maistre lui a promis! d'é- crire à Turin, pour le collège. » Ce 2f janvier. « Le passage du Mkrot-Cenis a été fermé; celui du mont de Sion l'est aussi, car M. le trésorier Fiijre. qui est venu samedi d'Annecy dans son cabriolet, m'a dit qu'il avait été obligé de laisser sa voiture à la Caille, la rapide montée étant toute en glace, et le mont de Sion tout couvert déneige; il eut peine à passer à cheval. Pourquoi donc o'éta- blit-on pas la poste par Rumilîy, où la route est bien plus belle et moins dangereuse? Dès llumilly on pourrait faire porter les lettres à Annecy. » La foire de Genève se tient ordinairement le deuxième jeudi de mars; cette année, ce devrait être le 14. Mais l'on pense qu'elle ne se tiendra pas à cause de leurs dissensions. Celle de Carouge doit être le [3 mai. » Des personnes bien intentionnées représenlaientque la dé- pense du pont de Sierne serait à peu près la même si on le fai- sait dans le goût de celui d'Élrcmbières ou de celui de Schaff- house, dont on a fait venir le plan à l'intendance ; mais cette façon de bâtir n'est pas du goût de M. l'architecte Garellaz. quoique l'on ait observé que ce pont n'aurait que 28 toises de longueur, et que celui de Schatî'house a le double ; mais, comme il n'en est pas l'inventeur, il ne l'approuve pas, quoiqu'il dût l'.H te rappeler qu'il n'y est pus heureux, el combien ceux qu'il ;i f;ii( faire ont déjà, dit-on. été entraînés. M. Hubert, deGenève, ayant écfil dernièrement ;'i mi de se* amis son sentiment sur les Représentants, cette lettré ;i Uté perdue par la ville, trouvée et lue dans les Cercles, remise ensuite à un nommé Richard, notaire, lequel, l'avant [ointe à sue minutas, el ne là voulant pas rendre, malgré l'ordre du Conseil, a été mis en prison, où, dit-on ; il esi maintenant détenu. Cela prouve' que toutes lo> lettres de conséquence doivent toujours être jetées au Feu, crainte d'être perdue- nu interceptées : c'est ce que j'ai soin de faire, » Informé qu'il j avait à Carouge une famille île Napoli- tains, logée chez Girod. gens qui paraissent aisés el être des négociants, mais qui n'entendent, dit-on, ni le français ni l'italien, j'ai prié M. de Félice, qui est de Naples, de se trouver mercredi matin à la fabrique, pour me servir de truchement, voulant m'informer de ce qui les retient en ce pays, si l'on pcui les> attirer et en quoi ils commercent. On me dit souvent que la réputation de Carouge foi! plus de bruit de loin que de près, el que de tous côtés on en parle. » M. les Représentants jouissent maintenant de tous les droits qu'ils se sont acquis par leurs édits forcés; ils ont gra- hellé hier qualre de leur- magistrats el les nul fait sauter: à midi, ils en oui élu qualre autres, qui à une heure et demie demandèrent déjà, par requête, leur décharge; il en faudra nommer tl'autyes, et l'un ignore s'ils voudront accepter la charge. L'on dit aussi que le Conseil des Deux-Cents, qui a seul l<" droit du grabot pour Les capitaines de la garnison, et qui les nomme, va aussi faire sauter ceux qu'ils savent être du parti t\o< Représentants, parmi lesquels il y en a qui n'onl que leur solde pour vivre. • Les médiateurs suisses se sont retirés vendredi matin, par ordre de leurs maîtres. 192 » Un nomme Noufl'e a eu l'imprudence et l'impudence d'aller à Gex débiter une brochure intitulée le Pou1, dans laquelle bien des impertinences sont vomies tant contre la cour de France que contre S. E. le comte de Vergennes. Le Résident en étant informé, après les portes fermées, requit le Conseil, au nom du roi, son maître, de s'assembler. Ce que firent les quatre Syndics. Alors il leur demanda l'em- prisonnement, dans un lieu sûr et resserré, de cet homme, et, environ les onze heures, deux auditeurs et huit huis- siers, avec tout l'attirail de la justice, allèrent nuitamment l'arrêter dans son domicile. Jusqu'à présent, on ignore ce qu'il en sera. » Vous me dites que je ne parlais que trop en présence de ceux qui me mettaient sur le propos de mes idées touchant les protestants et la comédie, et sur l'envie que j'aurais qu'il fût permis aux. Genevois d'acquérir aux environs ; il est vrai que je suis assez véridique et sincère pour dire ce que je pense sans fourberie ni détour. Dans un congrès, on n'est pas toujours tous du même avis, et je pense qu'étant sur les lieux, on est plus à même de voir ce qui convient que ceux qui en sont éloignés ; mais le préjugé est un grand inven- teur de système. On exagère beaucoup l'envie des Genevois de détruire leurs voisins. Les gens riches, pour s'arron- dir, ont tous assez cette manie, ce qui est très-connu. Sans aller loin, voyez seulement à Vessy, où dans un an le haron de Blonay a éteint 7 familles pour y être seul! De cela, on n'en parle pas : si j'avais aussi voulu, ici, un temps a été, et il pourrait bientôt revenir, que j'aurais détruit le village ; I. Il s'agit ici d'un pamphlet intitulé : Histoire d'un Pou français, imprimé, disait-on, ou débite à Genève. Le gouvernement français fit, à l'occasion de cette brochure, des réquisitions à celui de Genève, qui dut se livrer aune enquête minutieuse. (Voir In Registres des Conseils il la Correspondance dnmRésidenl de Genève à Paris.} 193 mais ma façon de penser est autre ; il faut «les voisins; on doit laisser peupler l'État, et il faut dos bras pour cultiver la terre. J'aurais un beau champ pour paver les objections que l'on peut me faire pour prouver qu'il ne convient pas de protéger et d'attirer les protestants alin de peupler Carouge; mais que l'on ne craigne plus de représentations inutile- à ce sujet; le parti de l'opposition a le dessus, on le sait, il n'en faut plus parler, cela pourrait même nuire. Il n'est plus question d'exalter Carouge, ni aux Genevois, ni aux Lyon- Dais on antres. Les premiers sont assez clairvoyants et lins pour nous dire qu'ils ont craint dernièrement qu'il ne s'éle- vât sur leurs ruines, mais qu'heureusement le système ayanl ebangé, ils n'ont plus rien à craindre. D'ailleurs on ne peut, disent-ils. créer d'abord des hommes, des fortunes et de l'industrie : aussi Carouge ne sera jamais rien. On nous di- sait naguère qu'il (allait profiter des dissensions de Genève et tâcher d'attirer les mécontents à Carouge, et aujo nrd'hu on dit que ce serait \ Introduire des mauvais sujets, des gens à craindre. Quel changement de système et sur quoi donc compter? » Comme l'on ne cesse aussi d'écrire que la justice oe convient point si près de la frontière; que les vivres 3 sont trop chers: que l'on j est mal logé et tort cher; qu'il n'j a point de prisons et qu'il ne convient pas d'y en faire, on ne doute pas que ceux qui oui tout intérêt à soutenir ce sys- tème n'aient leurs partisans, et qu'avant de mourir on ne revoie toutes les choses dans leur premier état; voilà à quoi l'on est exposé quand on veut écouter tout le monde. Voilà on beau système pour faire fleurir les manufactures! Sans crédit, sans argent. >aus personne, avec qui commercer? Elles doivent tomber d'elles-mêmes. 1 <'n nous dit que M. le comte de vergennes a écrit à t:. 194 M. Saladiu, qu'aussitôt que les élections seraient laites, il enverrait un plan de conciliation qui sera présenté au Con- seil Général: que s'il est rejeté (comme on n'en doute pas), il servira de manifeste, et qu'il prendra des moyens pour le faire recevoir. . M. Yernel m'a dit que l'on était si Jaloux à Genève de tout ce qui peut être à l'avantage de Carouge, que si l'on sa- vait qu'il a quelque intérêt dans votre fabrique, il en se- rait blâmé: que même plusieurs l'en soupçonnant Pont beau- coup questionné là-dessu>. et qu'il s-'esl bien gardé de leur rien donner à connaître. Voyez donc comme les Genevois vont s'empresser de peupler Carouge !... • Ce 25 janvier. ■ .le commence par vous dire que je suis allé m'informe à Carouge de ce négociant napolitain, dont je vous ai parlé dans ma dernière, lequel a paru ennuyé d'être dans un pays où l'on n'entend pas l'italien qu'il parle, et encore moins le jargon napolitain: cependant l'air semble lui plaire. Il a avec lui sa femme et. je crois, son frère. Mon truchement m'a dit qu'il se nommait Mickaël Poche, soit en français Michel Paix. Il dit être connu des frères Serein, joailliers, demeurant rue Grosse, sous les arcades, près de la poste à Turin. Le maître «le poste Girod me dit avoir vu sur lui une bonne lettre de change de douze mille livres tour- nois, payables sur Ly ou. C'est de cette espèce de gens qu'il faudrait pour peupler Carouge ; il parait incliné à \ rester et à y établir un commerce de draperie. » On est très-vexé à Carouge, dès le premier au der- nier, de ce que M. le curé ail cherché à taxer les Carougeois de peu de religion. <>n \ est attaché et l'on sail ses devoirs; ce y.elé curé aurait du les avertir charitablement, même deux ou trois fois, snivanl l'avis de l'Apôtre, avant de les dénoncer si calomnieusement, s'ils avaienl donné occasion de le penser. Peut-être aurait-on aussi fait, -ans moi, un résumé à sa J 95 charge, qui ne lui aurait pas fait honneur, comme de vouloir se faire payer une livre pour iliaque chaise ou liane qu'il y a dans l'église, impôt-annuel, dit-il, pour soulager les pau- vres de sa propre autorité, comme si l'église lui appartenait, el que l'on no fui pas libre dans sa charité; de plus, qu'il vexe le monde pour le prix des srpiilimes. Dimanche der- nier, comme chacun setrouvait affecté de ces propos, au sortir de la Bénédiction, l'avocat Pachlhod, se trouvant sur le pas de la porte de l'église a\ee les curés, il leur dit : •• Gomme vqus écrivez tout, écrivez aussi que j'ai été aujourd'hui à la Béné- diction. » Sentez comme cela rail regarder un curé; il ferait mieux, renie semble, de s'en retourner à Paris, voir >i l'on j e§t plus saint qu'à Gârouge. Allant l'aire -visite à M"* du Wache. à son arrivée, ers prêtres eurent l'imprudence de lui dire qu'elle avait prêté sa chapelle pour \ faire la prêche; ce qui csi très-taux ci calomnieux, el ce qui l'irrita beaucoup avec fondement. Elle dit qu'elle était aussi bonne catholique, apostolique el romaine que qui que ce fût, et qu'elle ne pen- sait pas même que l'on eut été assez osé que de lui proposer uni' semblable profanation. On voulait aussi écrire el s'en plaindre: j'ai prié instamment qu'on n'en fil rien cl que l'on ne parlai pas de cela, le pense Pieu que eela n'ira pa- plus loin. » Enfin si Uarouge périclite, ce seront les prêtres qui > contribueront parleurs mauvais récits, auxquels on ajoute trop de toi. Qu'ils vivent exemplairement, suivant que la sainteté de leur étal l'exige; qu'ils tonnent tant qu'ils ven- dront à l'église, c'est leur devoir: s'il arrive îles abus et du scandale, qu'il- avertissent charitablement; si cela ne suffit pas, qu'il- les dénoncent au commandant ou à la justice, au moyen de quoi tout sera dans l'ordre. Mais ce- messsieurs cherchent souvent à étendre leur autorité au-delà de ses homes: c'est ce qui a -i souvent excité des schismes dans l'É- 196 glise. Quoique l'unité de l'Église soit sainte, ceux qui la com- posent, soit ses membres, ne le sont pas tous. Enfin que l'on veuille bien rendre cette justice aux Carougeois, qu'ils sont intimement persuadés qu'ils ont une âme à sauver, comme les autres. » Quanta la comédie, on n'a pas cru faire un péché véniel de la demander, puisqu'il y en a partout, à Rome et ailleurs. Mais, comme on ne l'a pas jugée à propos dans ce lieu, après tant de raisons qui semblaient militer en sa faveur, tout est dit, on n'en parle plus : ainsi, plus de protestantisme, plus de comédie. Je veux proposer de mettre à l'amende les premiers qui en parleront. » Je ne me suis jamais ouvert avec qui que ce soit sur l'ar- ticle de Carouge que confidemment avec vous, pas même à M. l'intendant, ni à M. Monloy, les plus zélés que, je connaisse pour sa prospérité ; ainsi, brûlez mes lettres, et admettez que je n'ai rien dit, et tous ces propos rentreront dans le néant. Ces messieurs ont même été témoins, lorsqu'ils en ont voulu parler sur un ton d'indifférence, combien j'ai exalté et pris le parti de ce lieu. Si j'ai fait cela souvent avec eux, que ne fais-je pas journellement avec d'autres? Soyez bien persuadé que, malgré mon peu de crédit, j'influe beaucoup, et que je saisis toutes les occasions que je crois être favorables. Je dis même toujours, à qui veut l'entendre : « Voyez, Messieurs, quelle idée j'ai de ce lieu, par la dépense que j'y fais en bâ- tisse ! » A cela, personne ne répond plus : on se borne à me dire : « Il en faudrait cinq ou six comme vous. » Je continue : « patience, cela viendra : Rome ne s'est pas, dit-on, faite d'un jour. Prenez patience, tout vient à point; sachez attendre. » Voilà comme je les rassure, les anime, relève leur courage. Voilà bien un autre langage que celui de mes leltres,direz-vous ! Mais pensez, s'il vous plait, que je n'ai point d'ami si intime qu'un bon frère, sauf à lui à me rectifier, s'il en est besoin : 197 domine est un être malheureux, lorsqu'il ne peut ..'ouvrir anulcalementàP«r8onne,etqu'UéstobUgédesecoDcentrer en lui-même. • ^laisse le curé tranquille; je me borne àja civilité, ce ûontilne saurait se plaindre avec fondement: si je n'assiste pas à son- prône et à sa grand'messe, il ne saurait s'en for- maliser, n'étanl pas de sa paroisse. » M. le capitaine de Saint-Amour a mal fait de faire des de «es comptant sur la bonté de son père pour les acquitter Helasl le pauvre homme n'est plus; il est mort, vendredi après midi, après quelques jours seulement de maladie On I enterre aujourd'hui. » aCeJ9. . Un particulier, nommé Cheruel, ,,uï propose Rétablissement d'une fabrique de laine à Carouge, est venu en personne m'apporter la note ci-jointe, avec un tableau en grand de la façon de tenir les livres d'une manufacture, pour enter les écueils, dit-il, où l'on fait souvent naufrage. !l m'a paru en raisonner en homme entendu. < Vous avez, dit-on, su plus tôt que nous le mariage du marquisain du Miche avec M"- FavredeSaint-Élienne- il est maintenant à Lyon, avec son frère, pour faire des em- plettes de noces. » J'ai beaucoup parlé avec ces Génois qui vendent des Pâtes Ils montditque, quand môme on aurait des meules ;'' «'» blé du pays, môme de la farine, on ne réussirait pas si îf1 P°urenfaire} l'air et l'eau y eontribuant; que môme à ^on "'avait pu imiter les pâtes de Naples, qui spnt les meilleures et les plus recherchées. Dans ce cas, on ne réus^ strait pas à Carouge. • Nous avons eu, samedi dernier, une nouvelle assemblé e chez M, l'Intendant, à l'occasion des frais du dessèchement J» Marais. Entre autres opposite, les plus rériitents furent *" Jacquet et M. Schmidtmeyer ; mais mon avis, appuyée 198 dé M. l'Intendant, que j'en avai< prévenu la veille. pré- valul. » L'n corrojeur, qui voudrait aussi venir s'établir à CaT rouge, m'a apporté un plan de la bâtisse qui lui convien- drait. » Si l'on était assuré qu'on n'inquiétât point les protes- laiils pour cause de religion à Carouge, en ne point du tout dogmatisant, et en ne faisant point d'exercice public, et que le zèle de M. le curé ne le poussât point à aller fouiller le pot, pour savoir ce qui y cuit les jours maigres (comme fai- sait le ci-devant curé, M. Paume t), ce qui fit déserter tous ceux qui n'y avaient pas des fonds de terre ; dans ce cas, je suis secrètement informé du nom et du commerce de quel- que-- citoyens, même de Représentants,, qui désireraient de quitter leur ville, toujours dans le trouble, pour venir cher- cher ici un asile tranquille. Ils n'oseraient, disent-ils, re- tourner à Genève, où ils seraient mal vus: mais ils n'oseraient non plus venir bâtir ici, parce que rien, pas même la loi. ne leur en accorde la liberté. •> Si par hasard vous étiez curieux de voir les progrès de la Feuille d'Avis de Gârougè, je joins ici ^'exemplaire de sa- medi, .l'ignore qui a donné l'avis concernant la fabrique de soieries. » lie fei [écrier. « .l'entends dire qu'il n'y a aucune apparence qu'aucun étranger, de quelque religion qu'il soit, veuille se hasarder de venir acheter du terrain pour bâtir à Carouge. puisque . à teneur des Royales Constitutions (g 6, livre 6, litre J-2), à une distance moindre dedeuxmilles, il encourrait la peine de la confiscation, et que le roi n'a point donné de détermination à ce contraire, ni dérogé â cet article en faveur de Carouge. <> Du 5. « Des personnes bien informées m'ôht dit qu'il étail sorti un édit de la cour de France, par lequel il était enjoint 199 à tous voituriers, charretiers, etc., de ne point faire passer par Genève, ou autres Item (ce qui àoil s'entendre de Ca- rouge), tes marchandises venant de Suisse,- comme les fro- mages, etc. i Par IVtlii de s. M. T. C. pour la création de la ville de Varsoix, entre .-mires privilèges accordés pour l'accélérer, il es) encore permis aux étrangers, de quelque qualité el con- dition qu'ils soient, d'j acquérir, etc Cel édil esl iln ."> mai 1777. » Il serait à propos que je lusse informé si les étrangers, quoique catholiques romains, qui veulent venir s'étabiretbâ- liriei. doivent aussi recourir an rot, cas* la Constitution n'e\- eepte personne, témoin M. d'fitbene. Alors, il faudrait au moiusun billet du roi à l'intendant, pour qu'il le permette; ce billet serait enregistré. » Crainte d'abus, un pourrait donner des limites à cette permission, comme, par exemple, dès le pont de l'incitai jusqu'à la vieille Capite, et le long de la rivière d'Arve, du levant et de bise; des hauteurs de Pinchat jusqu'à La nouvelle Capite, soit douane, au midi, et t\ô> là tirant jusqu'au torrenl d'Aire, avec ledit torrent, au couchant, et dès le inuiilin de Lancy, qui est proche d'ieelui. Le grand chemin jusqu'à la vieille Capite pourrait aussi servir de limite, et dans celte enceinte seraient restreintes toutes les franchis.es et exemp- tions concernant CarOUge. » Ce 8. " Le marquisain du Wache qui a pris le nom de mar- quis de Chaumont, est à Carouge avec sa femme. .Nous allâ- mes l'attendre mardi à Saint-Julien. on grand cortège; nous y étions ;m nombre de onze voitures, et plusieurs à cheval. M. le chanoine de Baudri lit carillonner à son passage. Il esl venu avec sa femme, qui n'est pas bien jolie, mai- très-pas- sable. L'essentiel est son caractère, qui parait très-bon et d'une humeur douce, (in leur rendit de grands honneurs à 200 Çarouge : la troupe d'ordonnance bordait la rue en entrant, tambour battant; il y eut aussi une collation que l'on offrit à toutes les voitures, de la part d'un des grenadiers de Garouge qui se mariait ce jour-là. La troupe de Carouge, soit les gre- nadiers, et M. Monloy à la tête, les reçurent aussi en bas de chez le commandant, où ils furent complimentés tambour battant. Finalement, M. le commandant, M. de Lavice, l'in- tendant, MM. Frère et tous ces Messieurs de la justice se sont cotisés pour leur donner un bal , qui a commencé mercredi, à 10 heures de nuit, et n'a fini qu'hier au jour : Ma femme et ma famille y ont passé la nuit et reposent maintenant leurs charmes. Pour moi, qui ne donne pas dans la frivolité, je m'échappai à l'entrée de la nuit, et vins garder le foyer. M. et Mme Jalliet et MM. de Grilly y étaient aussi. Ce bal fut donné dans la salle de da maison Reibbaz. On m'a dit hier qu'il avait été très-joli et très-bien servi en toutes sortes de rafraîchissements par le Grand-Café. Toutes les plus appa- rentes personnes de Carouge y ont assisté : il y avait trente dames, y comprises les nôtres, et 20 cavaliers, tous très-bien mis. Ils étaient, dit-on, quatorze souscripteurs à un louis par tête, pour les frais. L'officier de Ceve, qui réside à Avusy, et M. de Cbassey fils, y ont aussi assisté, et hier ils étaient tous fatigués. Voilà les joies de ce monde, comme elles sont mê- lées d'amertume. » Nous nous proposons de leur donner aussi un diner, lundi prochain ; après quoi, on leur dira : « Voici le temps que l'on va vous exhorter à vous rappeler : Mémento hoino quia putois es, et vipulveremreverleris. » J'ai cru vous faire plaisir de vous dire comment cette noce s'est gaimenl passée. Cependant, s'ils m'eussent voulu croire, ils n'en auraient rien fait, car je leur ai dit et répété, que c'étaient les fous qui les faisaient ei les sages qui les mangeaient. Mais cela leur a fait plaisir : il a ut, comme voisin, en tirer du moins parti avec les autres. 20i ■ On m'a assuré hier qu'il vénail d'arriver Su cents hom- mes de troupes de plus au pays de Gex; on m'en a dit les campagnies el le nom du régiment, que j'ai oublié. Le roi de Prusse a, dit-on, écrit une lettre remarquable aux cantons de Zurich el de Berne, pour les inviter à se réunir à la France. pour terminer les différends île Genève. Il rappelle, dit-on, aux cantons de contribuera mettre en vigueur le contenu de la médiation île 1738. Cela n'est pas, dit-on. du goût ^c> Représentants, qui sont embarrassés comment pouvoir con- tenter les oatifs el habitants qui les ont requis de mettre en rigueur ledit du 10 février dernier, qui esl en leur la- veur. » Du 12 février. « Vous ne sauriez mus persuader, quel préjudice cause aux progrès de Garougé cette nouvelle sus- pension de bâtir, que M. le comte de Robilant vient d'en- voyer à M. l'intendant; plusieurs étrangers se sont présentés dernièrement pour j bâtir. Nos ennemis prennent de là oc- casion de publier qu'il n'y a point de système fixe dans notre cour ; ([lie l'on ne peul et ne doit compter sur rien. Ceci va d'abord se répandre chez l'étranger, éloigner et dégoûter lous les bâtisseurs; il fallait laisser aller les choses leur train, ou remédier incontinent aux changements que l'on voulait faire, pour ne dégoûter personne. On affecte de pu- blier encore, que, n'ayant pas de quoi payer leurs emplace- ments et les rue-, il esl permis aux propriétaires de les faire labourer. A quoi serviront tous les Irais que cette opération a causé? On ne peut rien comprendre à tout cela, sinon que l'on voit que cela tend à la destruction du pauvre Carouge. • .le ne puis que vous répéter, sur la demande que vous me faites que personne ne pense que la foire de Plainpalais ait lieu celte année, les affaires de Genève n'étant ni près de là terminées. » .le dirai an sieur Roussel d'essayer de faire mettn -20-2 étoffes en vente dans ta Feuilte d'Avis de Genève, si te scho- larque veut le permettre. Ce serait, je pense, plus avanta- geux que de les aller offrir aux marchands, qui les déprise- raient: niais je crains que, comme le commerce est fort dé- rangé à Genève, et que l'argent y est très-rare, surtout à cause des nouveaux emprunts que fait la France sous île gros in- térêts, cela ne nuise à la vente. > Nous avons été hier instamment priés d'aller finir le Carnaval chez le marquis à Carouge; nous irons vers midi. La baronne de Blonay, qui est à Vessy, ne voulut pas. dans sa situation, assister hier au diner de la noce dont je vous ai parlé ; mais elle vint le soir , au petit couvert, et a couché ici. Elle vient départir et va dîner, dit-elle, chez M. Falio à Genève, et. avant de retourner à Évian. elle nous a dit qu'elle viendrait manger une soupe maigre ici; je con- tinue à lui témoigner beaucoup d'attentions et. d'égards, et je souhaiterais voir exécuter, avant de mourir, le projet que j'ai concerté avec vous du mariage d'une de ses filles avec comtin. Elle lui donnerait de quoi payer toutes ses sieurs en comptant, une alliance honorable et des beaux-frères en état de les soutenir : enfin, il faut penser aux choses avant de les faire. Dieu esl le maître de tout. » Le 15 février. « Carouge est donc abandonné ; il ne sera jamais rien : voilà que l'on ne laisse plus bâtir personne, et que l'on a accordé la permission de labourer les rues tra- cées! Si dans la suite on veut faire une ville, on la tracera sans doute dans la plaine dessus, d'après un plan signé par le roi, rendu public par ses ordres, et nous en serons reculés. On vient d'ordonner une suspension des travaux, et nous ne devons compter sur rien. «Non, dit-on, je ne veux plus faire finir cette maison. Ce qui restera à faire, ce sera au moins tant de perte de moins. » Tous les entretiens sont sur ce ton; j'ai néanmoins fait ce que j'ai pu pour persuader le 903 contraire; disant qu'il De convenait pas mène « I * * parler ainsi. Mais des gens échauffés el qui craignent il"' perdre leur bien ne peuvent pas facilement se contenir. .luge/, donc de l'impression que ces mauvais discours fonl sur le public; j'en suis souvent le témoin , exauditu. Si je ne faisais pas, de mon end', ce que je puis, pour dissuader les gens et les rassurer sur les bontés du roi. même sur sa dignité, on ajou- terait bien plus de foi à ces tristes propos. Sans chercher à me faire valoir, je dis et je lais ce que je peux en faveur «le Carouge : mais nu donne trop de prise an\ discours des en- nemis: jusques à dire que ce sniit les Suisses el les Genevois, qui ont fait mouvoir leurs cordes à Turin pour faire aban- donner, même à prix d'argent, Carouge qui leur donne en visière : que cette suspension et ce changement de rues sont un prétexte pour jeter de la poussière aux veux du public. Les recours de M. le curé, auxquels ou a donné trop facile- ment créance, ne sont pas oubliés. Si M. le comte de Robi- lant veut venir donner de l'activité à nos affaires, les ranger définitivement, s'intéresser à l'érection du collège, faire faire au moins la douane et l'église, cela joint à ce qu'il plaira au roi d'accorder à tous 1rs étrangers la permission de venir \ bâtir, j'oserais me flatter que les choses pourraient se rac- commoder. » M. l'intendant est bien d'avis (pie si l'on pouvait avoir ici un iion médecin, comme vous l'aviez projeté, el qui put dire sa raison avec ceux de Genève, cela serait très-utile. » Vous me disiez que vous n'aviez des espérances de bien faire vos affaires qu'en empruntant pour bâtir à Carouge; vous me permettrez de vous observer que, d'aptes tout-ce qui m' passe, le moment ne parait point maintenant favo- rable, et qu'il convient d'attendre la tournure que les choses prendront avant de se mettre eu intérêts. • Ce /tf février. « .le commence par vous dire qu'il fait fort 204 froid : quoique nous n'ayons point de neige dans la plaine, il yen a beaucoup sur les montagnes; le lac est gelé dès les Eaux-Vives aux Pâquis. Après ce temps un autre. » Tous les plaisirs de la noce de M. du Wache sont éteints. on n'en parle déjà plus; ainsi passent rapidement les joies de ce monde ; pour moi j'y ai peu pris part, j'aime trop à être seul et retiré. Si j'avais les quatorze mille livres que vous me dites que doit avoir coûté l'équipage de Mme de Barrol, je les emploierais plus utilement à finir l'entreprise de ma bâ- tisse de Carouge. » Comme M. l'architecte Viana a demeuré en pension chez M. le curé de Carouge, qui était môme son directeur, si vous avez 1'occaâion de le voir, et que cela vous fasse plaisir, ilvous dira ce qu'il pense de son caractère,-et si on doit ajouter tant de foi à ce qu'il écrit contre Carouge et ses habitants. -• » J'ai parlé à M. l'intendant de la façon dont les étrangers qui voudraient venir habiter Carouge devaient s'y prendre; vous avez raison de dire qu'il suffisait de présenter leur re- quête au Sénat, par la voix de l'intendant. S'il y avait une dérogation du Statut qui défend aux étrangers d'habiter les frontières à deux milles de distance, cela ferait sans doute un très-bon effet en faveur de Carouge. » Le 22 février. « On verra avec bien de la satisfaction tout ce qui pourra contribuer à enrichir Carouge ; si le port de Nice y peut influer, comme vous le croyez, il en résultera un grand bien pour ce pays. En rétablissant le port de Belle- rive l, on y pourrait aller en droiture, en passant au pont 1. Bellerive est un ancien port sur la rive orientale du lac Léman, à une lieue au nord -de Genève. C'était jadis une célèbre abbaye de Dames de (liteaux, que les Bernois et les Genevois réduisirent en cen- dres la nuit du 7 octobre 1530. Charles-Emmanuel II y fit bâtir, l'an 1666, un entrepôt pour les sels, et entreprit de rétablir le port pour favoriser le transit des marchandises de la Suisse et de l'Allemagne "205 bous Sierne et j apporter les fromages, pour y en faire un entrepôt, sans passer à Genève; dèé Carouge on les porterait à Nice, el ensuite en Amérique. Pat les retours on pourrait se procurer des marchandises de ce dernier continent, et bientôt ce Carouge, qui sort de terre, commercerait directe- ment avec L'Amérique, par .Nice. M. Elia me disait, avant hier, que le bruit courait que l'on allait tracer un nouveau Ca- rouge dans la plaine au dessous do coteau de Pinchat. Je lui répondis : « Je le souhaiterais pour mon compte particulier; mais je n'en crois rien. » Je verrai si je puis déterminer M. l'intendant à écrire au ministre pour engager M. le comte de linliilanl de \euir à Carouge. » Le roi n'avanl pas dérogé au Statut dont je vous ai parlé, cela eu éloigne toujours les étrangers. Ce que j'en ai dit, n'était que pour un plus grand bien ; les maîtres sont tou- jours maîtres de faire ce qu'ils croient le mieux convenir. » Si M. le comte du Nord ': allant, dit-on, à Paris, passe à Carouge et à Genève, on in1 dépensera pas deux millions pour le recevoir. «Cornuaud, cher des natifs et habitants, a fait répandre celte semaine, «le Fernex où il réside, une brochure pour animer ceux de son parti à demander l'exécution, eu leur faveur, de l'édit du 10 février de l'année dernière, appelé par la Savoie sans passer par Genève. Plus tard, la cour de Turin re- prit ce projet lors de l'érection de Carouge en ville, ainsi que celui du pont de Sierne dent il est si souvent question dans les lettres du comte de Veyrier au commandeur de ChÂtillon. Eu 179-2, une Société do né- gociants allemands, suisses et Savoisiens , s'était formée pour rétablir a le plus à gagner: il faut savoir si l'on en aura un débfl avantageux. Si vous avez, de votre côté, des projets sur Ca- rouge. je ne m'endors pas du mien, cl bus ce que je peux: m j'ai parfois quelques doutes, occasionnés par ce que j'entends dire, c'est que je crains que mes espérances ne soient vaines: et il sérail bien fâcheux, après a\oir lant dé- pensé d'argent, prodigué ses peines, de le voir abandonné et de se voir ruiné. Toutes ces spéculations peuvent réussir ou non : c'est pourquoi la prudence exige d'aller avec poids el mesure, pour ne pas tout risquer à la fois. s Un Genevois me faisait observer dernièrement que, quand même on rétablirait le port de Bellerive, les fromages et autres marchandises de Suisse préféreraient passer par Genève, parce que le trajet ne serait pas si dispendieux, et qu'il coûterait plus de les faire venir sur i\c> voitures, de Bellerive à Cannage que de Genève, et que le trajet des bar- ques chargées ne coûterait pas plus pour venir à Genève, que -_'i)7 de déchargera Belletive. Il me parai qu'il avait raison : il ta ni se rendre à l'évidence. * Le 26 février. « M. L'intendant ;i prié M. l'ingénieur Manera de s'absenter et de ne pas revenir chez lui ; Madame l'a grondé de ce qu'il nie reteornait pas en Piémont et restait oisif ;'i Caronge. »» On dit ici que le duc de Chablais ira cet été aux Bains d'Amphion. el que le comte du Nord a été rappelé : si cela était, el qneS. M. vonlutverser à Carouge an peu de ce! argent que l'on destinait pour le tèter. il y serait bien mieux em- ployé et plus utile. • Je ne vois dans aucun lieu de la domination de S. M. des gens plus pieux et des sujets plus /.élés que les habitants de Carouge; la paix règne dans le famille : on u"> mit ni meurtres, ni adultères, ni homicides, ni incestes, ni sodomies, ni esprits de vengeance, ni de cm\ qui osenl approcher des saints tabernacles avec des coeurs implacables; on n'j entend ni médisance, ni calomnie, etc.; chacun est occupé à ses de- voirs, .le ne crois pas cependanl qu'ils ressemblent mieux à dés novices de Capucins que le> autres; mais ce sont des hommes. Je ne sais pourquoi vous dites si souvent qu'il faut que la piété règne à Carouge; nous sommes tous intéressés à l'\ faire fleurir ; mais si ceux qui ont si peu de charité chrétienne, que de les accuser calomnieusement d'impiété, suivaient les avis du sage évoque de Konigingreetz, en I.o- lième. .1 es à son clergé séculier el régulier, par sa lettre circulaire du _:(> novembre dernier, qui mus est sans doute connue tcar elle est, dit-on. partout répandue, de même que celle du feu pape (ianuanellii. ou ;iurail plus d'indu 1- gence pour les pécheurs. » Le sieur Roussel me dit qu'il n'a point encore besoin, jusqu'à Pâques, de ces tilles de l'hôpital pour la fabrique, avant, dit-il. assez de soie de dévidée. 208 » On peut dévider la soie grège, pourvu qu'elle ne soit pas cuite. Il y a ici une femme, de Saint-Elienne-en-Forez, qui la sait dévider, à quatre sols de Piémont l'once, de la même qualité que celle envoyée pour les gazes; la soie blanche, étant crue, prend une plus belle couleur. On peut faire à présent dix aunes de rubans par jour. » Carouge, ce 1er mars. « Le maître de poste de Chambéry, (je crois qu'il s'appelle Jannon, ) méprise le bureau de poste de Carouge, au point de ne lui pojnt donner de sac; si bien que, lorsqu'on envoie quelques groups, même d'Anne- cy, on les met, pour sûreté, dans le sac du sieur Duradde, à Genève. Outre qu'il en coûte le quart de plus, cela est fort incommode. Pour parer à cet inconvénient, il n'y aurait qu'à faire enjoindre à ce maître de poste de Chambéry de fournir des sacs pour Carouge ; un pour l'aller et un pour le retour. On dit que la dépense de ces sacs est d'un écu- neuf pièce ; on nous Batte que, lorsque le pont sous Sierne sera fait, la malle de la poste qui va à Genève, s'arrê- tera ici. » Sur ce que vous me demandez souvent touchant les femmes de vos locataires, je vous dirai que ce sont des jeunes femmes d'assezbonnemine, et je n'ai rien observé dans leur conduite; je les vois toujours occupées de leurs affaires sans être courti- sées; pour moi, je ne familiarise jamais avec le sexe; je pense qu'il n'y a là rien à gagner, et j'ai une loi qui le défend. Pour ce qui se passe dans leurs cœurs, je ne puis les sonder: mais la charité chrétienne m'engage à en penser bien, Si je voyais quelque chose qui ne fût pas dans l'ordre, je saurais bien les en aviser et le réprimer. » Je ferai tout mon possible pour pouvoir couvrir mon bâ- timent pour la foire du 12 mai; si j'avais de l'argent, j'en viendrais assez à bout, et je voudrais pour lors faire usage déjà lie mes boutiques, et commencer à rendre mon quar- 109 lier célèbre : on y étalerait les productions de la fabrique de Carouge. » On vient de me demander un appartement à louer dans ma maison, pour M. le comte deBoringe, qui m'en parla déjà l'année dernière ; j'ai répondu que je tâcherais de la faire achever. » J'ai parlé aux pères des petites filles de Yeiry ; mais ils ne paraissent pas s'empresser de mettre ces enfants à la fa- brique. » - Le ô mars, i ,1e ne vois pas sans peine ce que vous me dites sur l'article religion. Je dis mon Credo soir et matin, et je veux vivre et mourir dans celle de mes pères, que j'ai tou- jours cru et crois la plus assurée et la meilleure. Je ne pense pas, à Dieu ne plaise, avoir jamais rien fait ni rien dit qui y fût contraire; et je serais inconsolable si j'avais rien avancé ou agi d'une façon contraire, et qui eût pu causer quelque scandale. Mais, Dieu merci, ma conscience, ce sentiment in- térieur. l'Ame de nos actions, ne me reproche rien. Au reste, que les autres se conduisent comme ils voudront, ils ont leur sort entre leurs mains ; je ne dois que le bon exemple, et mon état n'est pas de les instruire, s'ils errent. Je m'applau- dirai si vous pensez comme moi ; je ferai chercher les trois mandements de l'évéque de Konigingreetz., que vous me demandez : crainte de vous scandaliser, je ne l'aurais pas fait si vous ne m'en aviez requis. » Voici l'échantillon de la gaze de Carouge, qui est com- mencée. On dévide la soie pour le taffetas en noir de Genève. On demande de bien des endroits des boutonnières : mais M.Roussetdit qu'il n'a pasde dorure, et qu'elle n'est pas venue de Lyon. » Dit 7. « J'ai annoncé au sieur Bonnet, faiseur de bas, que vous ne vouliez pas qu'il tint aucun pensionnaire chez vous. ni que sa femme leur fit à manger ; i|ii<' vous exigiez, au M -210 contraire, qu'ils s'occupassent uniquement de leur métier : sans doute ils se conformeront à vos ordres, et on y liondra la main. » Ces MM. Roussel et liayon. chefs de votre fabrique, se querellent souvent; ils ne sont point d'accord. Je les invite autant que je puis à vivre en paix ; je ne sais auquel des deux croire; ils disent bien des choses, l'un contre l'autre, quand on les entend parler si-parement. Dieu veuille que tout aille bien, et que l'on puisse y trouver son compte. Malgré mes soins el mon empressement à faire fleurir et prospérer cette fabrique, j'ai bien de la peine à croire que Ton y ait du pro- fit; je vois que l'on dépense journellement, et que l'on ne vend rien; cela dégoûtera bien. » .l'envoie à M. Bené les trois mandements de l'évêque de Konigingreelz, imprimés à Toulouse, que vous m'avez de- mandés. Bien îles gens timorés, même à robe noire, ne regar- dent pas cet ouvrage comme aussi impie que vous le taxez: quant à moi, je n'en veux pas être juge. » On m'a dit à Carouge qu'en suite de la permission accor- dée de labourer les rues tracées, M. Mouthon avait ordonné aujourd'hui à son fermier d'enclore sa pièce jusque près des maisons, fin ce cas. votre terrain y serait compris. Il a tl il que, n'en étant pas payé, il en voulait jouir, puisqu'il n'é- tait pas obligé de céder son terrain uniquement pour le fouiller. >■ Du 11. « Ce que l'on m'avait dit que le sieur Mouthon vou- lait reprendre cl clore les derrières des maisons, suivant sa possession, s'est vérifié, et j'observai samedi que l'on avait planté des piquets pour indiquer la rue. comme aussi ce qu'il peut clore. » Le bruit court qu'autorisé par la plantation de ces pi- quets el ce terrain ne lui étant pastpayé, comme l'on ne bâtissait point le long de cette rue projetée, il ne lui couve- 21 1 nait pas de le laisser ainsi dégrader pour en tirer les pierres ri le sable, pendant que la taille même restâïl à sa charge : que, lors même qu'il se présenterait une personne ou deux pour $ bâtir, cela ne suffirait pas, en tant que l'on ne paierait pas toul le resle du lerrain. que l'un ne pourrait plus cul- tiver, ci mette celui de la longueur île la rue. Si, quand on voudra bâtir le long d'une rue. elle n'est pas ouverte d'un bout à l'autre, on v sera enfermé, et personne ne voudra se charger de payer un terrain qui ne lui rendrait rien. Il y a apparence que les choses resteront longtemps dans le statu (i>t(>. ne sachant où prendre l'argent pour pa>er les emplace- ments el les rues. Pour mon compte particulier, je n'en suis pas fâché, loin de là : je souhaiterais seulement voir bien ni- veler ei paver la place devant l'église, le long de ma posses- sion, pour pouvoir > attirer le commerce, graveler et dresser le grand chemin jusqu'à la maison Guaignier; voilà ce qui m'intéresse particulièrement, de même que de voir finir le pavé, depuis chez le boucher Jacob jusque chez Chosson, d'où l'on ne peut se tirer, lorsqu'il pleut. Au reste, s'il se pré- sente quelque beau bâtisseur, comme on a gravelé, cel hiver, la belle rue qui tend depuis la maison du curé de Theyry jusqu'à chez Bertrand, il j aura là de quoi bâtir, ainsi que le long de la place, dans l'emplacement Manera. On ne peut pas dire que l'on travaille au pont sousSiernè, puisqu'il n'y a encore rien de commencé el que nous voici à la tonte des neiges: on a commencé seulement à commander quelques corvistes pour faire des creusements. Ils sont en- viron cent par jour, lesquels ne fonl pas autant d'ouvrage que quatre Auvergnats: ils viennent à neuf heures, s'en re- tournent à trois heures environ, demeurent à goûter et badi- nent une partie du temps. Ainsi l'ouvrage ne peut pas avan- cer. L'inspecteur qui les Commande ne sait pas -e luire obéir ni -e faire craindre: aus ans. Son lits aiuù, Pierre-Clément Foncet, de Monlaillcur, lut sénateur à Chambéry ; el son second lits, ollicior dans le régiment de Savoie. mourut en ITii.') ii l'attaque des rois des montagnes do Nice. Cette famille S'est maintenue en Savoie cl en France dans do em- plois militaires et civils très-hoAorables. Plusieurs de ses membres oui pris une pari active au développement de Carouge ; d'autres se sont fixés :i Genève. 214 malgré la défense-de la Constitution; mais cela ne se l'ait pas bmyamment, » Ce 15 mars. « J'ai observé alteiilivement que si l'on avait à bâtir à Carouge, le plus expédient serait de faire tirer des pierres dans le bas de la montagne. En fouillant la terre, on en trouve des très-bonnes: c'est là où je me sois attaché cet hiver, et à présent je m'en trouve bien ; cette qualité de pierres de roche ne se brise point, on en perd moins, la qualité on est meilleure, et les murs en sont plus solides. Comme je n'ai pu me procurer la quantité de ces pierres de la montagne que j'aurais désirée, j'ai été obligé d'acheter des cailloux pour mêler; mais c'est de la drogue auprès des pierres de la montagne. « On nous assure que S. E. M. le comte de Vergennes, a fait un plan de conciliation pour les Genevois; et que, avant de l'envoyer pour le faire exécuter, il l'a communiqué, dit- on, au roi de Prusse, au prince de Hesse-Cassel comme bour- geois de Genève, à la cour de Turin, il y en a même qui ajoutent à celle de Londres et à celle de Vienne; et qu'ayant reçu leur réponse et leur approbation, on le fera exécuter de gré ou de force. « M. l'intendant vient de mettre ici une imposition, qui l'ait déjà bien crier, et il paraît, que l'on a raison. Voici ce que c'est : on a coutume, en faisant vendre un tonneau de vin, de le faire jauger pour savoir ce qu'il contient et afin de pouvoir le noter ensuite, selon la coutume, sur un bout de papier blanc, M. l'intendant a enjoint de n'en point ex- pédier que sur papier timbré, pour lequel on paie un sol. Cette nouveauté alarme déjà le public; comme je viens de voir et d'apprendre la chose, je n'ai point encore eu le temps d'en conférer avec M. l'intendant, et de lui faire envisager combien cet impôt va être onéreux, et que, dans un lieu naissant comme celui-ci, cela peut porter un grand préju- iliiv: ou l'aiVranchii d'un côté des impôts, et on en me! de fautre.'» Ce /•'/ bmut*. « si l'on changeait les plans de Carouge, cela contribuerait à dégoûter d'j bâtir. <> sérail un avantage pour ceux qui onl des nuisons, el les loyers s'y maintiendraient mieux. Je crains que vous ne fassiez trop de fond sur la foire de Carouge. La vente des étoffes ne produira point d'effet, si l'on voulait faire îles halles pour favoriser el achalander les marchés de Carouge en quel lieu conviens drait-il mieux de les faire? Ne seraitnce pas sm-, la place, el quel intérêt en retirerait-on ? Ce :>? mars. « Les Représentants ont enfin porté au Con- seil, mardi dernier, au nombre de mille et douze, cette re- présentation qu'ils méditaient depuis longtemps, pour se jus- tifier sur leur prise d'armes du mois de février de l'année dernière, et sur l'exécution de l'édil du 10 dudit mois, mal- gré que la France et les Suisses eussent déclaré qu'il derail être réputé nul. On pense assez, généralement que. malgré toul leur bon sens, ils se sont faits tort par cette nouvelle démarche. 11 faudra voir la suite: le feu qui es! allumé .n'est pas encore éteint parmi eux; » On dit que M. Viana a écrit qu'il reviendrai! ce mois de mai à Carouge, pour tracer de nouvelles rues. A quoi bon cette nouvelle dépense:' N'y a-t-il pas sur les lieux. au besoin, les sieurs Eha qt encore Giardin? On se plaint d'argent, et on le prodigue sans nécessité. D'ailleurs, quand 1. L'intendant dont il est si souvent parlé dansces lettres était M. Jean- Baptiste Foassa-Friot, de la province d'Asti. Gomme intendant et jui^»-- m âge, il ne négligea rien pour accélérer l'exécution des projets arrêtés par la cour de Turin. Doué il*ii!i caractère actif et entreprenant, jouis- sant «le la conGance du comte Corte, ministre des affaires intérieures, l'Intendant Foassa-Friot avait fini, en 1*82, par vaincre les principaux obstacles qui s'opposaient à son génie créateur, el par obtenir la tolé- rance pour les protestants. &16 il vien cira,. les terres seront sans doute cultivées, et il faudra attendre après la récolte ; ce qui augmentera les vacations, outre que, si l'on ne construit point d'édifices publics cette année, il n'y aura pas grand'chose à faire à Carouge. » Il y a un monsieur de Moudon, que l'on dit être un savant et compositeur, qui vient de s'adresser au sieur Jullien pour prendre des informations sur Carouge, où il dé- sirerait venir s'établir. J'ai fait un projet de lettre au sieur Jullien pour lui répondre; en finissant la lettre, je remarque que si ceux deFribourg, qui sont toujours agités de trou- bles, étaient informés des faveurs et de la tranquillité dont on jouit dans ce lieu, ils envieraient notre sort et s'empres- seraient d'y pouvoir venir habiter. » Le26. »Ilest heureux, selon moi, que vous n'ayez pas trouvé à emprunter ces 5,0001ivres de fonds en viager, pour les appli- quer présentement à Carouge. La chose ne me paraît, point encore susceptible d'un si grand profit. J'ai aussi souvent ouï dire à .tous ceux qui ont de l'argent en viager, que ces sortes de prêteurs sont éternels, et que l'on n'aurait jamais pensé que leur vie eijt pu être de si longue durée ; et, au lieu de l'intérêt au 7 ou 8 pour 100, il revient au dix et plus par la règle d'escompte. Nos voisins, grands calculateurs, connaissent ces comptes au mieux. On dit par ici que le moyen de vivre longtemps est de mettre en viager. » ha terre de Confignon s'est vendue 94 mille livres. Si j'avais une somme semblable . ce n'est pas là où je la met- trais. « Ce 29. « J'ai vu le marquisain duWache, qui m'a dit avoir concerté avec sa mère de vous proposer de leur céder quatre actions de votre fabrique de soierie du prix de onze à douze louis l'une, payables, avec intérêt, à la Saint-Jean, soit au 24 juin. » On nous dit que. sitôt que la quantité de neiges dont les 211 montagnes sonl chargées, aura fait place à la (erre, il doit arriver encore quatre régiments au pays de Gex; je crois même que l'on a nommé, entre autres, ceux .le Médoc et de La Mark : ce sont des officiers français qui le disaient der- nièrement. » On fait ici bien des comptes sur les nom elles, que je crois aventurées, comme, par exemple, qu'il esj question de céder à l'empereur la Corse et la Sardaigne, en échange du Mila- nais et du royaume de Lombardie. » Je viens d'annoncer à tous ceux de la fabrique qu'ils aient à s'acquitter de leur devoir pascal, parce qu'on ne souffrirait personne qui n'eût point de religion, et que je saurais de M. le curé s'ils y avaient satisfait. J'ai cru qu'il était de mon devoir de leur parler ainsi; quantaux ouvrières du Piémont, je leur ai dit qu'il devait venir ces fêtes un capucin qui entendait l'italien, et qu'elles eussent à en pro- fiter. » Ce i" avril. « Il conviendrai! de m'écrire le nom du mule- tier à qui vous aurez remis les caisses contenant les orne- ments d'église adressés à M. Kavar, marchand faïencier, à Carouge. Ne pourrait-on pas savoir, avant le déhallage, en quoi ils consistent, pour connaître si tout y est bien ren- fermé? Comme on nous dit que l'on doit aussi supprimer en Piémont plusieurs couvents, notamment les Chartreux, nous avons grande envie de présenter un nouveau mémoire muni d'une déclaration de l'évèque ', pour faire consler de la néces- sité d'un vicaire dans cette paroisse. On prendrait, pour faire son revenu, sur ceux des couvents supprimés, ou des béné- 1. L'évèque d'Annecy, duquel relevait la paroisse de Carouge, étail alors Mgr Jean-Pierre Biord, célèbre par les tentatives qu'il fit pour ■mener la conversion de Voltaire. Ce vertueux prêtai est moins connu comme l'un des fondateurs de Carouge, et notamment du Collège de Cette ville, où il institua des bourses pour les jeunes gens pen fortunés et doués d'heureuses dispositions. •21. S fïces vacants. M. le curé es! là dessus du même avis que ses prédécesseurs : et, puisque nous n'avons pas pu obtenir l'u- nion de Bossay pour fournir à ce fond, nous désirons de saisir tout autre moyen non onéreux aux finances. Cette paroisse est un lieu de passage, que l'édification du pont sous Siëïrie rendra très-fréquenté! La gloire de Dieu se rencontrerait dans l'établissement de ce vicaire: le peuple serait toujours mieux instruit: le service divin se ferait avec plus de dé- cence : le curé et le vicaire uniraient leur zèle pour le salut des âmes : ce qui procurerait la inesse à nombre de ceux qui sonl obligés de la perdre, tant pour garder les maisons que les bestiaux, et aux passagers. La proximité des hérétiques parle en faveur de cette nécessité'. On évalue à environ 500 livres l'entretien de ce vicaire. » M. Roussel dit que les dames auxquelles il a vendu des paires de bas de soie blancs s'appellent Magnin, d'Annecy, et qu'il n'est pas d'usage ni convenable de se faire décliner les noms des acheteurs. Il me parait qu'il a raison : si un marchand exigeait que je lui disse mon nom, je lui répon- drais que je m'appelle M. Payant. A Genève, hors de ceux qui prennent à partie, on n'écrit pas les noms des acheteurs. Il m'a ajouté qu'il ne saurait comment s'y prendre pour rendre cet argent que vous pensez qu'il a vendu de trop ; que, pour l'avenir, il se conformera à ce que vous lui prescrivez. Cependant, si vous exigez que l'on rende ce surplus,. ou qu'on le donne aux pauvres, on le fera. Il faudra lui pre-. scrire les justes prix de chaque chose, afin qu'il n'y ait qu'à prendre ou à laisser; mais le peuple, qui aime à marchander, ne s'en contentera pas. » Ce 5. « Les1 sieurs Dominique Virginio, François Picard et Jean de Montanrouge, négociants d'horlogerie à Carouge1, I. Le comptoir royal d'horlogerie, dirigé par MM. Virginio et de. Mon- àï9 auront, disent-ils, besoin de voire protection pour établir ici avec quelque avantage celle branche de commercerai a en- richi Genève, et occuperait an grand nombre de personnes. Gomme ils onl la réputation d'honnêtes gens, cela pourrai! être avantageux à ce lieu. Ils me (lisent que déjà vousenavea été informé par le sieur Monloy. Comme ils doivent aller à Turin, pour avoir l'honneur de présenter à s. M. une monde à répétition de leur fabrique, ils désireraient savoir à péa près le temps que vous en partirez pour, régler leur route là dessus, si leur pièce peut être finie pour ce terme. Gomme ils voudraient qu'on leur prêtât, sous caution, une trentaine de mille livres avec intérêts, pour joindre à leur fonds, je leur ai répondu que je ne pensais pas que cela fût même pro- posais, mais que \ous sauriez mieux cela que moi, et que, comme vous étiez, porté pour Carouge, je ne doutais pas que si vons pouviez les aider, vous ne le lissiez. » Du !). * Le maçon Favre, qui avait entrepris de bâtir pour son compte une maison sur la place, vient d'échouer ; il a l'ait banqueroute, vendredi. Tous ses effets sonl en discus- sion; j'ai l'infortune de m'y trouver, avec les autres, pour trois louis environ, .le suis malheureux dans ce que j'entre- prends; j'espère, après celle vie, d'en avoir une plus heu- reuse. » Les Fribourgeois sont, plus en rumeur que jamais entre eux : j'y ai lait passer les instructions concernant Carouge; on a reçu réponse, et on a dit qu'avant de se déterminer à quitter leur patrie, ils voulaient se battre él vfcrser du sang. Le 1S de ce mois, un particulier doit, venir prendre, de ce txnrouge, occupait en l~oi cent cinquante ouvriers et luisait des affairée pour plus de 100,1100 livres de Piémont. Trois cents personnes au moins vivaient alors à Carouge «le l'horlogerie. La fabrique de verres et de cris ta in de montres eu occupait environ quatre-vingts. BHe avait été établie par un juif de Londres. 220 côté, des informations sur Carouge. Il s'est annoncé à Saint- Julien. » Un jeune officier d'infanterie, fils unique, du revenu, dit-on, de trente mille livres, a provoqué, à Gex, un vieux capitaine de cavalerie, et il s'est battu en duel contre lui avec acharnement. Il a reçu deux coups d'épée. ol a été tué sur la place. » II faut venir à Carouge pour se sanctifier, car il y avait de vos gens qui depuis six ans ne fesaienl pas de Pâques (les Français ne donnent guère là dedans), et, à Carouge, ils se sont approchés : que l'on dise maintenant que l'air de Ca- rouge n'inspire pas la dévotion ! » M. le marquis Coste, qui était à Évian ces jours passés, a dit chez M. de Grill y, que vous étiez nommé pour passer, cette année, la revue d'inspection. Lorsqu'on m'en a parlé, j'ai répondu que, ne m'en ayant point instruit, je ne le croyais pas. » S'il est nécessaire que le marquis de Chaumont ' (afin de t. Chaumont est un village, autrefois 'bourg muré, situé h l'extré- mité orientale de la montagne du Wache, qui est regardée comme un prolongement du Jura, au delà du Forl-de-1'Ëcluse. 11 est situé dans une échancrure d'un accès difficile , et dominé par un ancien château dont il ne reste que quelques vestiges, au dessus de la grande route de Genève à Frangy. Le bourg de Chaumont avait obtenu d'Agnès de Châ- lons et de son fils Guillaume, comte de Genève, des privilèges impor- tants que confirmèrent les ducs de Savoie. Dans les guerres du seizième siècle, le château de Chaumont résista aux efforts des Bernois et des Genevois. Chaumont était l'entrepôt des blés du Bugey qui alimentaient les marchés de Rumilly, d'Annecy et de Genève. Cette commune perdit beaucoup de celte importance ensuite du traité de Turin en 1700, qui détermina de nouvelles limites entre la France et la Savoie. La France, ayant acquis la vallée de Chézery, lit exécuter le chemin du Crédoz et établit un marché de grains à Collonges clans le pays de Gex, pour procurer l'écoulement direct des blés de la Rresse et du Bugey à Ge- nève et dans le pays de Vaud. •2-21 pouvoir obtenir des portions dans la fabrique) puisse \ être utile, je crois que cela sera un obstacle, car comment le pourrait-il depuis le Wache? » Le Magnifique Conseil n'a point encore répondu aux Re- présentants. On est tranquille dans la ville; mais tous s'accor- dent i dire que leurs dissensions sont bien éloignées d'être finir-. In Monsieur de Gex disait dernièrement à Carouge que l'on y attendait quatre mille bommes pour ce mois de mai, et qu'ils camperaient, ne pouvant les loger. » Ce i% nrril. t II [tarait bien à propos, lorsque vous ferez réponse au baron de Saint-Amour au sujet de la recherche qu'il a laite d'unenle mes tilles, de lui dire que son père, en mourant, a changé de sentiment à son égard, en faisant hé- ritier son aîné, et en ne lui légant que 12,000 livres, et à ses autres frères dix mille ; et que tout ebanné que j'eusse pu être île cette alliance et voisinage, et de mon empressement à lui rendre nies services, je n'y vois pas île jour à présent. M. le comte de Rossillon, qui a, dit-on, un beau-père fort riche, pourrait et devrait bien procurer de l'argent à son cadet, dans un cas où il en a tan' besoin, dùt-il vendre son argenterie. » Nous avons vu ici l'état du cortège du comte du Nord, qui est nombreux et brillant. Nous avions déjà appris la perte Chaumont fut érigé en marquisat le 28 août Itî8l en faveur de la fa- mille (!<• Tbiollaz, distinguée par ses services militaires. Les seigneurs île la maison forte de Tbiollaz défendirent le bourg et la forteresse de Chaumont dans les guerres de lo89 et de 1500 contre les Bernois et les Genevois. Les seigneurs de Tbiollaz commandaient les milices desmandements du Wacbe et de Cbanmont. Le (ils aîné du marquis du Wache pre- nait le titre de marquis de Chaumont. Claude-François de ThktUaz, de Chaumant, vicaire-général du diocèse de Genève, organisa les nouvelles paroisses du département du Lémas, en suite du concordat entre !>' St-Siége et la France. de Saint-Christagbe pour les Anglais: nous espérons d'ap- prendre bientôt la reddition de Gibraltar et de la Jamaïque. (pu1 l'on estime valoir 50 millions de livres sterling: le quart autant que toute l'Angleterre: mais l'on dit. que cette nation s'anime par les revers cl. les infortunes. » .le reviens aux affaires de la république de Genève, qui sont des plus intéressantes, cl je commence par vous dire qu'on a changé de prison les magistrats et les négatifs prin- cipaux du comité : on les a conduits au logis des Balances, où ils sont enfermés deu\ à deiiv d;ms chaque ebambre. Quoique M. Saladin ne soit pas magistrat, néanmoins', parce qu'il esl riche et négatif, on l';i aussi enfermé. Comme il avait encore sa mère. dame, dit-on. de mérite, fort chari- table et estimée, voyant que des Représentants voulaient en- core prendre son petit-fils pour le conduire en prison, cette bonne vieille dame pleurait et voulut l'empêcher. Alors, on lui a tiré un coup de fusil dans la poitrine, et elle a été tuée sur place. M. le Résident de France, voyant les grands désordres de ces effrénés, a fait ôler les armoiries de son maître de dessus la porte de son hôtel. Il est parti, mercredi- matin, avec l'aumônier de la Résidence et tout son inonde, dans trois voitures, dont une attelée de quatre chevauv. cl tous ses effets, et a renvoyé la clef chez M. le premier syndic. On dit que les Représentants lui firent ouvrir ses coures en sortant, et lui demandèrent s'il n'emmenait point de Gene- vois: ce qui l'irrita beaucoup, les assurant que, dans-peu, ils auraient de ses nouvelles: il leur a, dit-on. parlé bien du- rement. On ne peut point se faire d'idée de la rumeur et de l'agitation qu'il y a dans celte ville désolée. C'est ce qui a fait mourir de peur Mnu lionlenips. et de mort subite. >• Ils ont aussi saisi M. Desarts, M. Fatio et autres, qui sont Négatifs, et eu les conduisant en prison, la populace faisait des cris et des huées extraordinaires; de même à l'égard du Conseil; ils les retiennent, diseni-iis. comme otages, et, s'il leur arrive quelque chose, ils les feront mourir. •• M'"- la comtesse de Virj ' étanl allée passer l'hiver à Ge* l. \irii est une commune du canton de Saint-Julien, uni jadis, comme Guaumoot, était un bourg assez considérable. IL lut aussi ruiné daus les guerres de I53ti ci de 1889. L'ancien château de Viry, qui avait donné son nom à ci' bourg, était situe sur le revois méridional de la colline île Sioiujy, an liant delà quelle Charles-Emmanuel I'1 avait fait construire, eu l.'iiss, le fameux fort Sainte-Catherine, Qanqùé de cinq bastions. Le roi Henri IV le lii raser, le n> décembre 1600, à la prière île Théodore de Bëzc ci des députés genevois, qui viurerit lui demander cette grâce -à l'Bhtiset, peiidant la guerre de Savoie, l.e chàtcan actuel de Viry, grande construction moderne, a été bâti près de l'ancien bourg de ce nom. Ses jardins furUBt tracés en 1780, dans le style de l'époque, cl l'ensemble de ci (te résidence présente en- core un air de magnificence ci de grandeur. La maison de Viry esl une des plus anciennes de la contrée. Sans saucier aux traditions qui la font remonter à Virius, capitaine romain, il esl prouvé par de tilles que Hugues I"1 de Virj s'allia, dans le on- zième siècle avec la famille des comtes de Genève. Hugues II de Vin accompagna Thomas de Savoie à Constantinoplë. Amé M de Viry lut un des capitaines renommés du roi Charles VI. Amé IV lui vidome de Ge- nève, en I i«2. Ce l'ut un autre seigneur de celle maison, Michel de Vin, qui reçut les religieuses de Sainte-Claire de Genève, jusqu'à leur in- stallation dans un couvent d'Annecy. Le comte François-Joseph de Virj l'ut chargé de missions importantes auprès des cantons Suisses, eu Hol- lande ci en Angleterre. Il Cul ensuite ministre des affaires étrangères a Turin. Son lils, époux de la comtessse de Viry dont il est question dans la lettre <\w comte de Vcyrier, fut aussi ministre plénipotentiaire de Sardaigne auprès des Ktats-cénéraux de Hollande, a la cour de Lon- dres ci a celle de Madrid. Il négocia les mariages de comtes de Pro- vence et d'Artois Louis XVIII et Charles \i avec des princesses de la maison de Savoie, ainsi que celui de M Clotilde de France a\ee le prince de Piémont (1775). Ce diplomate distingué se trouvait dans son Château de Viry, qu'il achevait de restaurer et d'embellir, quand les Français s'empareront de la Savoie, le 25 septembre l7;»-2. Entré au service de la France, il lu! préfet de la Lys, commandeur de 'a i ±2i nève, pour être à portée de procurer des maîtres à sou fils, M. le comte, instruit de cette bagarre, a voulu la faire sortir de cette ville si fort agitée; on lui en a refusé l'entrée jus- qu'au soir, que M Mallet, qui est du parti Représentant, s'est intéressé pour lui; on a ensuite permis à Madame d'en sortir à pied. » Voilà donc qu'il n'y aura plus de messe à Genève , et où iront l'entendre tous ces peuples catholiques? Je ne crois pas. que, depuis qu'il y a eu un Résident à Genève , cela soit ar- rivé. On n'en a point de souvenir dans aucun des troubles précédents. Si l'église de Carouge avait été d'une grandeur convenable, ils auraient pu l'y venir entendre; mais à peine peut-elle seulement contenir le tiers de ses habitants. Les portes sont toujours fermées ; mais on les ouvre de lemps à autre, pour laisserpasserlesReprésentantsetles étrangers. Ils tiennent du monde au haut du clocher de Saint-Pierre, pour observer s'il n'arrive point de troupes de la Suisse ou de la France, dont la porte est hérissée de canons. Les troupes de France sont toutes rassemblées au Grand-Saconnex, et sont là en attente. M. le commandant de Garouge, en faisant part de tout cela à S. E. M. le gouverneur, lui a représenté la né- cessité de renforcer le détachement de Carouge, et il s'attend qu'on lui enverra de la troupe d'Annecy et de Chambéry, ayant provisionnellement fait venir le petit détachement d'Àvusy. » Les volontaires de Carouge se prêtent bien de la meilleure volonté à faire aussi la garde et à fournir des piquets; mais comme ce sont des artisans sans paie, qui ne vivent que de leurs peines, il n'est pas juste de les retenir davantage; ce se- rait bon s'il fallait un coup de main. Bien des gens pensent qu'il serait à propos , dans ces circonstances, que le roi fit d'Honneur et chambellan, Des membres de celle famille sont encore aujourd'hui au service de la maison de Savoie. -2-2:, descendre un régiment ou deux du Piémont pour garder sa frontière, ou du moins mettre les nationaux sur pied. Car on ne peut rien dire de ce qui résultera de cette nouvelle prise d'armes, et on a peine à se persuader que la France, après avoir pris spécialement les Négatifs sous sa haute protection, les abandonne ainsi au pouvoir de ces Représentants; et que son Résident, qui était depuis si longtemps dans cette ville, ait été obligé' d'en sortir, ce que l'on pourrait dire être une espèce île guerre ouverte. On est persuadé que. malgré toute l'inégalité de forces de la France avec ce petit État, ils se défendront et mettront le feu à la ville, ainsi qu'ils l'affirment unanimement, s'il vient des troupes de France, ayant eu la témérité d'alïecter de braquer les canons contre elle. » Voici ce que le public pense de tout cela : que la France va joindre quelques mille hommes aux troupes qu'il \ a déjà à Saconnex : qu'elle fera entourer la ville, par Plainpalais, le< Tranchées, les Eaux-Vives sans toucher au territoire de S. Y.; qu'alors, s'ils commettent quelque excès dans la ville dont les Négatifs se puissent ressentir, on les assiégera. Mais toutes ces choses ne sont que des conjectures. i Je vous donne le résumé de ce que ces messieurs ont fait hier avec peu de prudence : ils ont requis le Conseil de faire assembler les Deux-Cents, pour délibérer sur la révocation de ouze membres du Petit Conseil et quarante des Deux-Cents, qu'ils ont jugés ne leur être pas favorables. Ce qui a d'abord été exécuté; d'autres ont ensuite été élus à leur place, dans leur parti ; puis ils ont mis en vigueur le fameux édit du 10 fé- vrier de l'année dernière, en faveur des natifs. Ils retiennent néanmoins en otage les Négatifs prisonniers, jusque à ce qu'ils sachent comment la France prendra la chose, et si elle ne s'en mêlera pas, en lui faisant écrire par le Conseil que tous leurs troubles sont finis, et qu'ils sont d'accord. Comment est-on d'accord? Ils sont les maîtres, les plus forts, : ils font la loi IS 226 comme ils veulent. On n'a point pu savoir, au juste, le nom- bre des morts et blessés ; les uns les font monter à 50, à 58 : d'autres à 60. On a fait porter les soldats blessés à l'hôpital. Ils ont fait battre la générale, pour avertir que tous, indis- tinctement, seront obligés de monter tour à tour la garde pour se soulager: preuve qu'ils ne veulent point encore rendre les portes; ils ne laissent sortir aucun de ceux du parti négatif, pas même du parti des Neutres, comme les sieursVernetetCaillatte:ces derniers et d'autres s'accordent à dire qu'il vaut mieux vivre sous la domination d'un seul. que d'une trentaine, et dans un État toujours agité, où leur vie et leur fortune ne sont point en sûreté. » Le capitaine Lavabre. que l'on a dit tué. n'est que blessé dangereusement d'un coup de feu dans la poitrine; on fait l'éloge de la belle défense du capitaine Decombes. Si la poudre n'eût manqué, il en aurait tué, dit-on. un grand nombre. » Le 16 avril. « M. Vernel est venu, à Veyrier. passer vingt- quatre heures, avec le sieur Caillatte, en ayant obtenu, après bien des instances, la permission du souverain Congrès de la République, sous la présidence des honorables Clavière, Bonnet, Cbauvet et compagnie, et ayant donné leur parole d'honneur de retourner, ce qu'ils ont exécuté hier matin. Ils nous ont confirmé les relations faites ci-devant, à quelques changements près; ils en ont plutôt aggravé les circonstan- ces. De quoi n'est pas capable un peuple effréné ? » Un nommé Astruc. du parti Représentant, avait eu ci- devant des débats avec un nommé Mallet Prévost, jeune homme d'environ 20 ans, du parti négatif. L'ayant rencontré en rue, il l'a assassiné par derrière, de deux coups de baïon- nette, ou d'un fer semblable. » Le capitaine Lavabre n'étail pas encore mort dimanche; mais le chirurgien dit qu'il se tirera difficilement d'affaire. ■1-1- II en meurt de temps à autre de louis blessures. Qn bous dit que les paysans sont commandés en France pour ôtec la neige dos grands chemins; si cola ost. c'esl sans doute pour le passage des troupe». Comme les Représentants ont une liaiuo implacable contre les Négatifs. ils les vont chercher même dehors de la ville sur leur territoire, pour les emme- ner prisonniers en ville, ce qui les oblige de se retirer ail- leurs, fi \ on a qui nous assurent qu'ils avaient eu la témérité dédire qu'ils viendraient nuitammenl surprendre ceux qui sonl dans leurs campagnes sur les terres du roi; ils ont mandé à M. le commandant que . s'il ne Les croyait paseu sûreté, ils se retireraient ou en Suisse ou en France. On les a rassuré.» ei niêine on a ordonné à sepl paroisses *\q> envi- rons, mi il n'\ a poini de troupes, de veiller à ce que per- sonne d'j vint en armes el de patrouiller les nuits. « La désunion, la misère, l'indécision de leur sort, tout cela parait les inquiéter. ll> s'ennuient de perdre leur temps et de monter les sardes: on dit qu'ils tirent "battre dimanche la générale et publier à son détrompe, que tous ceux qui sont dehors eussent dans la huitaine à rentrer en ville, sous peine de confiscation de leurs biens. Cependant, ceux qui peuvent se sauver !e l'ont: mais ils sont si attentifs, qu'ils ont beau se déguiser, on eu arrête toujours. Samedi, un Repré- sentant voulant aller à l'Iaiupalais. voir sa femme qui était malade, on lui refusa île le laisser sortir, ce qui l'indisposa si fort qu'il leur dit que. puisque chacun voulait être le maître, il allait poser son armement el quitter leur parti. Gela arrive, dd-on. tous les jours. i .Mardi dernier, dés que If. le Résident eut OUÏ celle ba- garre et cette prisé d'armes arrivée la nuit, il expédia d'a- bord un courrier à sa cour, qui promit de se rendre dans quarante-huit heures à Versailles; mais on ne le laissa sortir que vers les il heures du matin. M. le Résident, pendant le 228 reste du jour, fit faire ses coffres; ensuite il fit descendre par un de ses domestiques les armoiries du roi, qu'il reçut cha- peau bas et il les emporta. En envoyant les clefs de son hôtel à M. le premier syndic, il lui écrivit un petit billet, conçu à peu près en ces termes : « Le roi, mon maître, m'ordonne de quitter une ville où le trouble et l'anarchie régnent. » Il a fait, dit-on, diligence pour se rendre en poste à Versailles. On dit que, voyant passer devant son hôtel, un nommé M. Bonnet, qui a servi en France et qui a obtenu la croix du mérite avec une pension, comme il est bon Représentant, il lui dit : « C'est vous, sans doute, qui êtes le général des sé- ditieux ; mais ce ruban que vous portez, répondra de votre conduite. » Les Représentants voulurent lui offrir une garde; il leur répondit qu'il voulait savoir si c'était aussi pour s'assu- rer de sa personne. Il leur parla hautement et en bon mili- taire , et il joignit, dit-on, à son discours des épithètes guerrières et de mépris. Ce Résident s'appelle Castelnau, et il a été major de cavalerie. On est surpris que, quoique les Suisses en aient été informés dès la même nuit, par des ex- près que les Négatifs qui étaient dehors ont envoyé à Berne, ils ne se soient point empressés d'y venir, même avec des troupes; il y en a qui craignent qu'on ne les abandonne à eux-mêmes. » MM. Soret etMayor ont fait ce qu'ils ont pu pour sortir avec leurs effets et les apporter à Carouge, ce qui aurait été une bien bonne acquisition de braves gens; c'est un riche comptoir en horlogerie. Ils n'ont pu le faire. » Les Genevois ont fait leur nouveau Conseil de gens qu'ils ont pu, et ont, entre autres, nommé M. Jacob Meinadier qui est aveugle. Ceux qui n'ont pas été changés ont demandé leur décharge et n'ont pu encore l'obtenir. » Le commandant des troupes françaises a ordonné aux officiers et soldats de ne point entrer dans Genève. On a averti ■2W les Conseils des paroisses du côté de France de faire prépa- rer, par prévision, des logements. » Les Représentants, pour grossir leur parti, sont allés à Fernex, faire des recrues el les engager de rentrer en ville. » Ces Messieurs prircnl la liberté, samedi, de fouiller un exprès an pont d'Ane, et de lui prendre une lellre adressée au commandant de Carouge, qu'ils ont ensuite fait rendre : ils font bien les maîtres. Si leurs chers alliés les mettent à la raison, ce sera très à propos. » .l'ai porté ce matin les si\ paires de bas de soie à M. de Châtiment. Je les ai remis à sa mère; car, pour lui, il ne se lève ordinairement qu'environ les 10 heures: sa femme est assez portée d'en faire de même : ainsi voilà déjà de la con- venance de ce côté : pour moi. autant que je puis, je me lève environ les 5 heures. » On ne craint point du tout les Genevois dans l'intérieur du pays ; on dit seulement qu'il paraîtrait à propos qu'il y eût quelques centaines d'hommes sur les frontières, surtout si les Français arrivent: ils sortiront sans doute alors en foule, et il serait à propoede pouvoir réprimer les désordres, s'ils s'avisaient d'en vouloir commettre. Je irai pas ouï dire. et le commandant ignore qu'il y ait aucun détachement; autre que ces cinquante-quatre hommes venus d'Annecy. qui sont même repartis pour Chêne. Je sais que les récits peuvent varier suivant les bouches par où ils passent : mais je m'informe toujours des personnes dont je peux avoir les plus véridiques. Par exemple, des gens d'ici, de ma connais- sance, viennent de dire qu'étant allés hier à Genève, il> ont \u travailler à fortifier la porte de Cornavin , du côté de Franco: que l'on y portait des barils de poudre, de la mousse, etc.: ipie les outils pour dépaver la ville, en cas d'un bombardement, étaient prêts. Ils ont ouvert le trésor -230 pour subvenir à ces dépenses. C'est un M. Bonnet, qui a servi en France, qui dirige ces nouvelles prétendues forti- fications, qui ne feront qu'irriter la France. » Ce I!) avril. « Le courrier de Berne a apporté, mercredi dernier, une lettre relative aux affaires de Genève Elle a été adressée au délégué de la Chancellerie dudit Genève, et elle renfermait une lettre du Conseil actuel de ladite ville de Genève à celui de Berne ; on l'a renvoyée sans, dil-on, la décacheter et sous l'enveloppe étaient écrits ces mots : « Le Conseil souverain de la République de Berne ne peut recon- naître en rien le tripot, soi-disant gouvernement de Ge- nève. » M. de Candolle a reçu une lettre de M. de Tsharner qui lui marque que toutes les lêtes sont dans la plus vive indignation ; que l'avis dominant dans le Conseil est de rom- pre tous les traités faits avec la République de Genève, de rappeler tous leurs sujets qui y sont établis tant hommes que femmes et domestiques, et de n'avoir plus aucun commerce avec eux. M. deCandolle estparti hier, à 4 heures, pour Berne. La nouvelle en arriva vendredi à Paris: mais M. le Rësidenl n'étant pas encore arrivé, Ton n'aura des nouvelles de Ver- sailles que vendredi ou samedi. On écrit d'autre part de Berne que le ministre de France est furieux ; on en attend des lettres avec impatience. On écrit encore d'autre part de Berne, qu'il est proposé de se mettre néanmoins entre la France et Genève pour en éviter la destruction, et ensuite de faire démolir les fortifications. Ci -jointe une proposition faite par les Représentants, qui n'a pu, malgré son ridicule, qu'être approuvée et passée en Conseil général. Elle dit que l'on ne pourra mettre en liberté les prisonniers Négatifs, que par son consentement; c'est sans doute pour en accroître les dillicultés. » Les Représentants viennent de faire partir pour Berne M. de Candolle, ancien syndic de la garde, et deux ministres 231 appelés Claparèdeel Maurice, pour lâcher d'apaiser LL. EE. de Berne. » L'on arrête souvent les lettres aux portes, et ceux du dedans n'osent rien écrire à ceux do dehors que sous dés adresses de gens distingués de ce pays; ou en a même ar- rêté une adressée à M. le commandant de Carouge, et une autre que M. Berlioz disait avoir écrite pour le service du roi : mais ou les a rendues. » Il y a quelques personnes à qui la Commission accorde i\i}> cartes pour des permis de sortir; elle live les jours qu'il est permis de s'absenter. Cela esl signé ('.lin-ivre, et muni du sceau de la Commission. Les armoiries sont un bâton au milieu soutenu par deux mains, le bâton entortillé d'un serpent; au-dessus du bâton un chapeau; au bas, à droite, les armes de Genève ; à gauche, an soleil qui commence à rayonner. Les significations soûl renfermées darts la légende, où il y a : Unité s Prudence et Fermeté. Les deux mains sont l'Union, le serpent la Prudence, le chapeau la Liberté. « J'ai été fort surpris qu'il ne se soit présenté personne, ni pour louer votre appartement, ni Châtillon, que j'ai bien eu soin de faire mettre sur les Feuilles d'Avis de Genève et de Carouge. On nous dit que la plupart de ces émigrants de Genève vont en foule à Feruex. à Yersoix et en Suisse. Il s'en esl très-peu présenté pour Carouge; il parait qu'ils ont ce nom île Carouge en aversion. Ces dissensions \ portent un grand préjudice : personne ne veut plus bâtir; il n'y a que le boucher Jacob qui continue. La personne du cote de Fri- bourg qni s'était présentée à jour préfixe n'a pas reparu ; sans doute que les troubles de Genève, le passage de la France supprimé, ou d'autres raisons qu'on ne saurait pénétrer, les ont les uns ou les autres dégoûtés; car je vois tous les jours qu'il faut peu pour l'aire changer les hommes. Ceux de Genève étaient trop heureux : l'ambition démesurée, l'inégalité des 232 fortunes ont excité des jalousies et des dissensions qui les conduisent à leur ruine et destruction : si vous avez de bonnes notions de Genève à Turin, vous devez voir combien cet Etat est dangereusement malade. Ces environs sont tout, consternés de voir cette ville en proie à l'anarchie et déchirée par ses habitants. «Les laitières qui sont les seules qui vont et viennent libre- ment de Genève, non toutefois sans être examinées et fouil- lées, nous disent qu'il règne par la ville une grande conster- nation, et qu'elle paraît déserte. Elles ne peuvent pas seu- lement être payées de leur lait. Les choses dont ou a coutume d'être payé chaque semaine , on en est arriéré de 7 à 8 semaines. Je n'ai rien de nouveau à vous écrire pour aujourd'hui, concernant la fabrique. Personne ne se présente pour acheter; les troubles de Genève et l'influence que cela exerce chez les voisins et étrangers, y nuiront aussi. On ne se fierait pas, à préseul, à porter à dévider des soies à Ge- nève. » Ce 23 un il < le commence par vous dire qu'ayant ob- servé avec M. le curé de Vevrier, que les toiles cirées qui enveloppaient les caisses d'ornements d'église, s'étaient usées et déchirées en roule, à cause du mauvais temps, nous avons cru convenable de les ouvrir avant votre arrivée, crainte que l'humidité qui aurait pu transpercer, n'eût endommagé ce qu'elles contenaient; en conséquence, les ayant ouver- tes, nous avons été agréablement surpris de voir que rien n'avait souffert. 11 y a, entre autres, un fort bel ornement et deux beaux reliquaires; mais nous n'y avons point trouvé de linge. M. le cure m'a prié de vous faire agréer ses remercie- ments, et il a de plus annoncé à l'église, dimanche dernier, au prône, qu'il dirait lundi, qui était hier, à 8 heures du matin, la messe, pour prier l'Ètre-Suprême pour votre con- servation, et qu'il vous accorde un bon voyage pour votre 233 retour prochain en ce pays, en invitant la paroisse de venir joindre ses prières aux siennes. Vous ne devez pas douter de la ferveur avec laquelle ma famille et mes gens \ ont as- sisté. » Il y a maintenant beaucoup de Genevois à Ca rouge, même un fort riche, logé, à Grange-Collomb. chez le comte. Il se nomme M. Martin de Livourne et il est, dit-on. million- naire. Cet air paraît leur plaire. Ils me disaient, ces jours passés, (pic, s'ils avaient eu la liberté d'y pouvoir exercer, même secrètement, leur religion, pour s'y marier, etc., ils ne retourneraient jamais à Genève et en attireraient ici d'au- tres. Je leur répondis que d'après ce que j'avais ouï dire, je ne croyais pas que la Cour le leur permit. L'un d'eux me dit : « On en a cependant écrit, » Je lui répliquai : « Je doute que vous y puissiez réussir. » — « Eh bien, répartit-il, sans celte tolérance, votre Garouge ne sera rien; avec cela, il serait tout, » Mais, à cette condition, je continuai que j'avais ouï dire que l'on préférait rien à tout, et je finis par là, leur ob- servanl seulement qu'étant près de Genève, ils y pourraient aller exercer leur religion. « Nous n'en sortons pas pour y rentrer, me dit-il , et nous faire huer par le peuple el cou- doyer dans les temples. » — « Eh bien! vous pourriez aller à Chêne par Sierne. » — «C'est trop loin, me dit-on, surtout par le mauvais temps, outre qu'il faut un équipage. Un m'ajouta encore : « Quand on \eut souffrir les hommes, il faut leur per- mettre d'exercer leur religion. Ceux qui n'en exercent point sont des vauriens, à qui on ne doit pas se lier. » l'n de ces messieurs médit: «Si votre roi faisait cela, il acquércrait, dans cette circonstance, plusdela moitié de Genève. Bien des sujets et des gens riches établiraient ici leur commerce. » J'ai dit : « J'en suis fâché : mais je n'y peux rien. » — « Hors, disent- ils, que le gouvernement de Genève ne change et qu'il ne soit dûment garanti, nous ne Minions plus rester dans une -234 ville , où nos biens et nos vies dépendent du caprice d'une populace. Puisque l'on veut que nous vivions sans religion dans ce pays, n'en voulant qu'à notre argent, nous irons chercher des logements ailleurs. » Je leur ai répété et dit ce que j'ai pu, après quoi je leur ai souhaité un bon voyage, ne voulant point du tout me mêler de ce qui concerne l'exercice de leur religion, crainte d'être improuvé; il vaut mieux àè taire que de s'exposer à être réprimandé. » On dit ici que le roi a érigé quatre terres en principautés en Piémont à 150,000 livres chacune. Gela balancera les frais du voyage du comte du Nord. » Vous dites qu'il ne faut pas divulguer que la poste va s'établir par Rumilly. Mais l'on m'a déjà dit. il y a quelques temps, que le maître de poste de Frangy venait à Mionaz el celui d'Aix à Rumilly. » Ce chemin projeté depuis le futur pont de Sierne, (où il n'y a encore rien de fait que quelques pierres jetées à fond perdu, à ce bord), se dirigeant vers Grange-Collomb, ôterait le passage par Carouge, et ce ne sont que les ennemis de ce lieu qui peuvent le conseiller, puisque, outre la grande dé- pense qu'il y aurait pour établir cette autre route, par cette terre grasse, éloignée des pierres et du gravier, il faudrait toujours entretenir celle par Pinchat pour aller à Carouge, ou à Genève. La montée de Pinchat est fort douce présente- ment, on peut même encore la rebaisser si l'on veut. L'Arve menace la route, et il est nécessaire, pour la garantir et ne pas laisser agrandir le territoire de Genève, aux dépens de celui du roi, d'y faire une jetée de pierres à fond perdu, ce qui est aisé, la montagne n'en étant pas éloignée : pour moi, je suis persuadé que cette route par Pinchat est autant utile que l'autre nuisible à Carouge, et ruineuse pour son établis- sement, » Ce serait une autre absurdité de vouloir établir une ->:*5 rouie, pur Troënnex, au pont que l'on dit que Ton veut faire à Sierne : puisque ce chemin, au travers de ces terres maré- cageuses, serait des plus coûteux, sans savoir où prendre, les graviers, lit ce serait vouloir écraser un pays, qui ne peut déjà point, supporter les frais immenses du saignement des marais. Je vois les choses d'assez près pour en pouvoir dis- courir avec connaissance de caus :si l'on croit inutile ce que je dis, on est le maître. » On nous dit de toute part que les Zurichois se sont retirés de la garantie et refusent de concourir avec les Bernois à venir pacifier les troubles de Genève et d'y rétablir l'ordre qui est bien dérangé. Je vous envoie un ('-dit de ce nouveau tribunal, qui est aujourd'hui le Régent de Genève, ce qui déplaît même à nombre de Représentants. » Les nouvelles (pie je vous ai annoncées touchant les trouilles de Genève ne pouvaient avoir plus de crédit, hors d'aviiir vu les choses par soi-même. » M. de Chevilly, officier de Genevois, vient de m'assurer qu'il .1 diné dimanche à Ge\. avec les commandants et le commissaire. Ge dernier lui avait dit qu'il attendait les ordres pour taire préparer les fourrages et autres choses néces- saires, pour six mille hommes, sous les ordres de M. le comte de Saint-Simon. Les Représentants paraissent fort s'en in- quiéter: d'autres me disent que leur fermeté' les tirera d'af- faire : que, si l'on veut les subjuguer, ils se détruiront eux-mêmes. Si Ton était libre de sortir de cette ville in- fortunée, de même que les effets, il y resterait bien peu de ehose. Plusieurs m'ont dit que s'il y avait, eu des logements à Garouge, et que l'on eût été libre de sortir, on \ aurait apporté jusqu'aux marchandises, car les modérés craignent ou la pétulance des natifs et habitants et de quelques Repré- sentants, ou la vengeance de la France. D'après ce tableau; qui est prouvé par les imprimés ci-joints, on peut se per- 236 persuader dans quel désordre est celte ci-devant florissante et riche ville. » Ce serait peu s'il ne fallait que quarante mille livres pour réparer et mettre en bon ordre le port de Bellerive ; on doit sentir plus que jamais la nécessité d'élever Carouge ; les mo- ments sont précieux ; il \ a dix-huit mois que Pou ne cesse de le dire, et si les voisins voient que l'on n'y fait rien, ce ne sera pas un encouragement à les y retenir. » P. S. — Je viens d'apprendre que ces messieurs les Consti- tutionnaires sont resserrés de plus fort; comme ils prétendent que, les Représentants les détenant en prison, c'est à eux à payer leur dépense, ces derniers viennent de la fixer à 21 sols de Genève par repas, soit 30 francs par mois ; le surplus sera à leur compte. On assure que 0,000 Français, comman- dés par M. de St-Simon, sont en marche, et qu'ils apportent un plan de conciliation qu'ils forceront d'accepter. Les Re- présentants disent qu'ils mettront plutôt le feu à la ville que de l'accepter, ne voulant pas que personne leur donne la loi. Le 26. « Il pleut beaucoup depuis hier; nous avons bien de la peine à avoir le beau temps, ce qui relarde les récoltes et la culture des terres, et dérange bien aussi mes maçons. J'ai eu le désagrément de voir la semaine passée de l'eau dans mes caves, ce qui empêchera les locataires d'y placer leur bois; dans la maison de M. Jacquemard, qui est vis-à-vis, il y en a bien un pied de hauteur : que serait-ce s'il survenait une inondation ? » Pour chercher les moyens de me procurer de l'argent, j'ai écrit inutilement à M. Ballada, intendant à Annecy, chargé par le roi de l'affranchissement des fiefs, de vouloir bien me faire payer le prix des miens, dont j'ai donné les états en 1779, états qui n'ont pas été contredits. Pour ce qui regarde celui d'ici, Messieurs les Genevois, qui y possèdent des fonds , se sont rendus caution de la communauté sous 237 clause solidaire, par acte dn 8 novembre 1778. J'ajoutais (pic. pour eu accélérer la définit»», je m'en tiendrais à l'estime que l'on a faite pour ceux du roi. que l'on venait d'affranchir ilans cette paroisse. Il m'a répondu qu'il fallait me pourvoir à la délégation de la province, pour en faire faire l'estime, qu'il fera ensuite, dit-il. passer, à la délégation générale, ce qui me porterait loin, tratnerail en longueur et causerait bien des frais : et cela me décourage de les poursuivre. Ces communautés avaient d'abord témoigné un grand em- pressement ponr s'affranchir, ce qui s'est bien ralenti, dès qu'elles ont vu que nombre île seigneurs le désiraient. i Je viens aux affaires politiques de Genève, dont voici les homélies les plus récentes : je rencontrai mercredi dernier, à Sierne, M. Favre père, homme brave et distingué dans la république, âgé d'environ 85 ans. se portant très-bien, qui : i \ ait pu sortir de la ville, à la faveur de son grand âge et de la protection de ses amis. 11 avait le cœur bien ulcéré de tou- tes leurs dissensions; je m'arrêtai quelques moments avec lui : il me dit, entre autres, qu'il lui avait été bien sensible, sa famille étant, depuis trois cents ans. dans Genève et après y avoir joui d'une certaine réputation, de se la voir, sur ses vieux jours, fermée par une faction, et d'être obligé de se soumettre à de nouveaux venus qui se sont emparés des rênes du gouvernement, etc. Comme le mercredi les cour- riers de Berne et de France arrivent, je lui demandai, si l'on n'avait rien appris de nouveau, il me dit : •< Au moment que j'allais partir, on m'a dit que le courrier de Berne avait ap- porté des lettres de Zurich et de Berne, adressées aux quatre syndics seulement, ne reconnaissant point ce Conseil illégal; mais on en ignorait le contenu. » Empressés de le savoir, même d'en avoir des copies exactes, nous envoyâmes deux exprès hier en ville, qui nous rapportèrent qu'on ne les avait point encore rendues publiques : nous n'en pûmes 238 donc lien savoir. A midi, on vint me dire que M. Vernet l'aîné; qui, en sa qualité d'étranger, pouvait librement sor- tir, n'étant ni bourgeois, ni natif, ni habitant, était arrivé ici chez son frère avec deux autres du parti représentant, avec lesquels Vernet le cadet fait des affaires. Gomme je connais ces messieurs qui étaient les sieurs Lamon cadet et Cou- teau fils, négociants en sucre, café et épiceries, j'allai les voir, et nous nous régalâmes bien à parler politique. Ce ne sont pas de violents Représentants ; ils improuvent cette prise d'armes et beaucoup d'autres choses, comme l'empri- sonnement des Constilutionnaires. Je demandai s'il était vrai que ces messieurs du Comité, les Régents actuels de la répu- blique, eussent eu le délire de faire travailler à des fortifi- cations soi-disant celles du côté de France, à la porte de Cornavin. Il me le confirma, m'ajoutant qu'on y travaillait toujours. Je lui répliquai : « Ils ont envoyé à Berne M. de Candolle, ancien syndic de la garde, avec les sieurs Maurice et Claparède. Il me dit : « Pour M. de Candolle, il est bien parti: pour les deux autres, on ne l'a pas cru nécessaire. » Ils m'avouèrent que ces fortifications prétendues étaient des moqueries: que s'ils étaient dignes du courroux de la France, elle les écraserait bien vite. Je leur dis encore : « Il y a plaisir de parler avec vous autres . vous êtes des modérés : mais je connais le ^ieur Chappuis et le ministre Peschier, petits bouts d'hommes, avec lesquels je parlai avant-hier à Carouge, où je rencontrai ce dernier: ceux-là sont furieux et détonnent dans leurs discours. >< Ils me dirent : « Nous n'en avons que trop de ces entêtés. » Je leur dis : « Ces braves menacent de réduire la ville en cendres. » — « Oui, me dit Lamon, ceux qui n'ont rien à perdre parlent ainsi; mais, pour moi, je se- rais bien fâché que l'on brûlât ma maison et ma boutique. » Il dit en soupirant : « Nous sommes bien malades; nous ne savons point encore comment tout ceci finira.» Le sieur Cou- teau était rontristé el ne disait rien, sinon une rois qu'il fal- lait demeurer tranquille. ■ Nous étions bien . ajouta-t-il. comme nous étions; nous avons lieu de croire que tout cela ne tournera pas bien pour les bourgeois ; puisque Mariera et autres chefs du Comité commencent à taire sortir leurs effets à la sourdine. • » Ces Genevois nie diront encore qu'un iU'> leurs, étant à Stockholm, Télé dernier, eut l'honneur d'entretenir le roi de Suède >nr leurs dissensions. Ce monarque lui dit que, si M. de Vergennes se mêlait île les accommoder, il le ferait avec succès, ayant été à même de reconnaître l'étendue de son génie et de sa politique pendant le temps qu'il avait Ré- sidé comme ambassadeur à sa cour. • M. Desfranches, faisant les fonctions d'agent delà Répu- blique de Genève à la cour de Versailles', a écrit à un de se> amis que le roi avait été si outré de la façon indigne dont les bourgeois Représentants s'étaient comportés, qu'il avait écrit au* cnins raisinés pour concourir à leur punition : nombre de Genevois m'ont assuré qu'il en axait écrit à celle de Tu- rin. » Ce 29 avril. « Le Conseil de Genève ayanl écrit à M. le comte de Vergennes. on a ouvert la lettre et on a répondu en marge seulement : « Lue cl renvoyée à Versailles; signé: IfcHlII i. M. Desfranches on Desfraages, allié de la famille de Vincy, com- mis de .M. de Vergennes, el employé par lui lors du renouvellement de l'alliance de la France avec les treize Cantons suisses, en 1777, fut en- suite Résident de Genève à Paris. Nous donnerons ci-après d'amples extraits de sa correspondance avec le gouvernement genevois, au sujet de Carouge. -. .M. lleiiin. ancien Résident de France a Genève, était entre ensuite, comme premier commis, au ministère des affaires étrangères, à Ver- ' suilles, sons M. de Vergennes. no » Malgré le contenu de la lettre de LL. EE. de Zurich et de Berne, les Représentants, bien loin d'y avoir adhéré en élargissant les Constitutionnaires détenus prisonniers, les ont enfermés plus étroitement. Ils disent qu'ils sont maîtres chez eux, et des souverains qui ne craignent rien. M. le bailli, de Nyon a envoyé, la semaine dernière, son secrétaire pour vérifier si tous ces bruits de troupes que l'on faisait venir de France, et celui des fortifications que l'on disait faire à Ge- nève étaient fondés. Ce secrétaire étant allé a Gex pour s'en informer, on lui a répondu que l'on n'en avait pas ouï parler; ensuite étant allé à Collonges près du Fort-de-1' Écluse, il y a trouvé, dit-on, le fourrier de l'armée française, qui y faisait préparer des logements pour 5,500 hommes, qui viennent de Metz et de Strasbourg, et des paysans qui réparaient les chemins pour le passage de l'artillerie ; ce qui, loin d'intimider les valeureux Représentants , les anime à redoubler d'acti- vité pour fortifier leur ville. Hommes, femmes, enfants, tous y travaillent avec ardeur, sans discontinuer, pas môme le dimanche; rien ne les arrête, pas même le mauvais temps. Ils ont engagé hier nos ouvriers, lesquels, malgré la défense portée par notre § 6 du règlement du 13 août 1773, vont louer leurs œuvres à Genève : ce qui les rend rares et plus chers aujourd'hui. Ils prétendent faire remonter un bras du Rhône dans le fossé de Gornavin, et M. le baron Châtel, qui a servi en Hongrie, dirige les ouvrages. Ils disent qu'ils veulent se défendre jusqu'à l'extrémité, et mettre ensuite le feu à la ville : ce qui n'est pas néanmoins du goût de tous les Représentants qui ont des maisons, des femmes et des enfants. Cela fait former un troisième parti parmi eux, que l'on dit être déjà porté à plus de 200 notables. » M. Micheli, qui s'est retiré au château de Tournay, a reçu une lettre de M. le comte de Yergennes qui l'assure qu'ils recevront au plutôt un secours prompt, efficace et administré »véc prudence; mais l'on estime que, vu Féloignenient des troupes, il leur faut vingt jours de marche. » On continue de sortir en foule de Genève; beaucoup di- sent qu'ils n'y veulent pas retourner; il y en a plusieurs à Carouge ; nous leur faisons le meilleur accueil possible à tous, hors le capitaine Monloy, qui, comme fameux Représentant, disait imprudemment la semaine passée, à M. l'intendant, que l'on ne devrait point souffrir de ces Négatifs. Par bonheur, les supérieurs ne sont pas de son avis, ni moi non plus. Ils ont établi un bateau sur le lac pour communiquer, par la Bellottc, à Fernex et à Versoix. On a bien arrêté cet Astruc, accusé d'homicide j mais, comme il est représentant, on pense que son crime restera impuni, eu égard, dit-on, à ce que le sieur de Copponnex n'a pas été justicié pour un môme fait1. » Ils laissent entrer les vivres dans la ville, sans cela ils n'auraient rien à manger. La personne qui devait venir, du coté de Fribourg, voir la situation de Carouge et y prendre langue, n'a pas encore paru. » Nous remercions M. de La Grave de son attention, et lui témoignons la nôtre, ainsi qu'à M. l'auditeur Pachtod2. 1 . François Coltomb do Battinë, seigneur de Copponex, près Cruseilles, fut condamné à mort, le 4 février 1777, par le Petit-Conseil de Genève, pour homicide volontaire sur la personne du nommé Jean-Pierre Troyon. Mais le Conseil des Deux-Cents commua le lendemain cette peine en celle de la détention à vie. Collomh de Battine termina en effet ses jours a Genève, le 22 février 1791, dans la prison de l'Ëvèché, qu'on appela la Copponelte, en souvenir de cette longue détention. 2. Il s'agit sans doute ici de M. Marie-Michel Pachtod, né ;i Carouge, le 16 janvier 1761, d'une famille bourgeoise. Il était auditeur des guerres au service de la cour de Sardaigne quand arriva la Révolution française. Il embrassa la cause de celle-ci, et, en 179Ô, s'enrôla dans la légiou des Allobroges, dont il devint un des chefs, et fut nommé, en qualité de général de brigade, à un commandement dans l'expédition dirigée contre les insurgés de Toulon. 16 2-42 » Les Représentants ont pris, la semaine passée, un état de ceux qui pouvaient porter les armes, tant au dedans qu'au dehors de la ville. » Je vois bien des gens qui sont surpris que notre souve- rain, voyant les voisins en armes, ne mette pas au moins les nationaux sur pied, pour garder ses frontières et faire avan- cer les troupes qui sont à Annecy et à Ghambéry. Le général Pachtod étant la principale notabilité de Carouge, nous croyons devoir entrer dans quelques détails sur l'ensemble de sa car- rière. Après le siège de Toulon, il rendit à Marseille de grands services aux habitants menacés par les terroristes, et il reçut d'eux un sabre d'honneur avec celle inscription : « Les habitants de la ville de Marseille au général Pachtod, pour les avoir sauvés le 5 prairial an III (juin 1793). » Lors de la contre-révolution du 13 vendémiaire (5 octobre 1795), on demanda sou anestation comme ayant favorisé les assassinats de la réaction ; mais cette accusation n'eut pas de suite, et le général Pachtod conserva son commandement. Il fit les campagnes de l'Empire en 1805, 1806 et 1807, et il se distingua dans plusieurs occasions. Passé à l'ar- mée d'Espagne en 1808, il fut fait général de division sur le champ de bataille et comte de l'Empire. L'année suivante, il fut employé en Italie, et il s'empara du fort Malborghetto, après être entré l'un des premiers dans les retranchements ennemis. Il contribua à la victoire de Raab par l'habileté de ses dispositions, et fut grièvement blessé à celle de Wa- gram. En 1815, il eut une part active à la prise de Lubeck, et fit mettre bas les armes à huit mille Prussiens à Hoyes-Werda , le 28 niai. Il fut de nouveau blessé à Hanau. Le 25 mars 1814, il commandait en chef les troupes qui combattirent si vaillamment à La Ffere-Champenoise contre l'armée de Silésie. Ce combat ne précéda que de quelques jours la déchéance de l'empereur Napoléon Ie1'. Le général Pachtod y adhéra, et fut nommé commandant de la 4e division militaire à Nancy. Appelé, pendant les Cent-Jours (après le "20 mais 1813), au commandement de la 13>= division des Alpes, il fut empêché de se rendre à son poste par une ancienne blessure. Après le second rétablissement des tiourbous, le général Pachtod devint inspec- teur général d'infanterie. Il est mort en 1830. ■11.', » S. K. M. le gouverneur a écrit à MM. les colonels de Genevois et de Maurienne, que la cour de France avait de- mandé 2,000 hommes à la nôtre. » Le courrier de Suisse d'aujourd'hui a apporté une lettre aux quatre syndics de Genève., par laquelle ils leur notifient qu'ils agiront de concert avec la France pour pacifier les troubles, et que leurs troupes sont prêles à marcher. * Je fus obligé hier de prier M. le commandant de faire em- prisonner le sieur Carême, qui avait été, l'an passé, le premier locataire qui se fut présenté pour votre bâtiment, sur ce que le sieur Roussel me répéta que cet individu et sa femme venaient débaucher les ouvriers à la fabrique, et fesaient le lundi chez lui. Quoi qu'on en puisse penser et dire à Turin, l'exemple de l'empereur Joseph d'Autriche ne serait pas si mauvais à suivre, et nous aurions besoin d'un évêque comme celui de Konigingreetz. Mais c'est la dernière fois que je touche cette corde sensible'. \. Ce fat en 1781 et 178-2 que l'empereur Joseph 11 promulgua la plupart des ordonnances qui rendirent sou règne célèbre et valurent a ce souverain la réputation île philosophe. L'une de ces lois prohibait les donations laites au couvents par ceux qui se consacraient à la vie religieuse , comme appauvrissant les familles et rendant les commu- nautés trop opulentes, t'ne autre ordonnait que toute maison régulière lût dirigée par un provincial regnicole, et qu'elle cessât d'avoir des relations avec un général ultrauiontain. A ces ordonnances succédèrent celles qui enjoignaient à toutes les cours ecclésiastiques et laïques de prendre connaissance de tous les brefs et des huiles venant de Rome, et d'en (aire rapport, afin que l'empereur put juger s'il pouvait leur donner sa sanction. Une autre patente impériale ordonnai! à tout le clergé de se tenir renfermé dans d'étroites limites dans tout ce qui concernait le casuel de l'Eglise et pour les enterrements, surtout ceux de la classe pauvre. Joseph II supprima, comme inutiles, beaucoup de maisons religieuses, ce qui occasionna des troubles dans ses États des Pays-Bas. Enfin, cet empereur accorda, par un édit, la tolérance civile tant aux » Je viens enfin de louer pour une année, à commencer dès demain, votre petit appartement de dessus, sans meu- bles, à M. le capitaine Dunant; il en a promis 10 louis neufs, et en doit payer la moitié en entrant. » Ce 3 mai. « Nous pensions que la Providence vous offrait un moyen sûr pour passer le mont Cenis sans risque, et que c'était peut-être l'effet de la ferveur de nos prières, en vous mettant à la suite du comte du Nord, pour lequel, sans doute, on fera des efforts afin d'écarter les neiges. Comme nous ne sommes pas dignes d'être exaucés, vous faites bien de ne pas vous y exposer; d'ailleurs, le dérangement des affaires de Genève, qui est à son comble, peut-être encore le mau- vais temps qui continue toujours, contribueront à nous faire juifs qu'aux protestants. Quand cette déclaration parut, il y eut de grands applaudissements. Les avantages de cet édit se manifestèrent surtout dans la Silésie autrichienne. Presque tous les paysans de ces montagnes, étant alors protestants , étaient obligés de faire plusieurs lieues pour remplir les obligations de leur culte dans la Silésie prus- sienne. Us eurent alors la permission de bâtir dans leur voisinage des maisons de prières et des écoles. Joseph II répondit à ceux qui blâ- maient ces mesures qu'ils ne pensaient pas qu'en multipliant les en- traves qui empêchaient ses sujets non catholiques d'assister au service de leur culte, on s'exposait à en faire des déistes ou des gens complè- tement irréligieux et incrédules, c'est-à-dire des sectes bien plus éloi- gnées de TËglise romaine que ne le sont les protestants. Les réformes de Joseph II furent vivement censurées par la cour de Rome , et l'on sait que le pape Pie VI fit alors un voyage en Autriche pour soumettre à l'empereur ses objections. Le clergé autrichien se par- tagea. L'évèque de Konigingrect/., en Bohême, défendit les ordonnances impériales contre les attaques de quelques prêtres de son diocèse. C'est aux circulaires qu'il publia alors que fait allusion le comte de Veyrier. Il aurait voulu quelque chose d'analogue pour la ville nais- sante de Carouge où les protestants se trouvaient, à certains égards, dans une position semblable à celle des protestants silésiens avant les ordonnances de Joseph II. 245 avoir une mauvaise foire à Garouge le 13 courant, le 12 éiam jour de dimanche, outre que les Conseils dudit lieu oui né- gligé jusqu'à présent de la faire insérer dans les alma- naehs pour en instruire le public dans le lointain; ce qu'avant remarqué, je leur ai dit de s'assembler pour faire une' ré- quisition aux éditeurs ffaunanachs, à Vesey et à Schalfhouse. » On continue de dire que l'on mettra sur pied les natio- naux, pour faire le service avec la marine et compléter les deux mille hommes que la France a, dit-an, dema.nl,'- à notre cour pour former un cordon de ce côté, afin de conte- nir et réprimer cette populace effrénée de Genève, qui, en se sauvant, comme on n'en doute pas, et armée en si grand nombre, est capable de commettre de grands désordres piller et saccager le pays et les églises. La misère et la déso- lation les persécutent : sans parler des citoyens et des bour- geois, on compte que le nombre des artisans, natifs et habi- tants va bien à environ trois mille, du nombre desquels cinq à six cents sont capables de tout tenter. Les Représentant» l'avouent eux-mêmes : dès qu'ils se verront forcés, ils feront indubitablement des coups de désespoir, et se retireront où ils pourront, même, disent-ils, de ce côté, s'ils n'osent le faire m en France, ni en Suisse, comme si ce pays devait servir d'asile à des brigands et à des assassins! Beaucoup de monde de ce pays est surpris de ce que l'on n'ait pas déjà donné des ordres pour faire marcher des troupes de ces côtés, et garder les frontières, surtout d'après, les avis réitérés que l'on a eus de celte sédition et prise d'armes. Les malheurs des temps passés, dont le souvenir est encore présent, font craindre les suites de ceci, dans un pays ouvert, sans armes ni défense, d'où deux ou trois cents hommes déterminés et armés, qui ne respirent que le pillage, pourraient aller brû- ler d'ici à Chambôry, sans que l'on eût le temps de se recon- naître. Les Représentants même avouent qu'ils craignent 246 que ce désordre ne commence dans leur ville ; nombre me l'ont dit et paraissent fort embarrassés. Ils font venir tous les paysans de leur banlieue, tour à tour, pour les soutenir et les défendre, au besoin, contre des enragés que la misère talonne, qui depuis un mois ne font rien, et qui n'ont ni à perdre ni à gagner. Ils font ce qu'ils peuvent pour les apai- ser et contenir, et craignant ce nouveau parti qui se forme parmi eux, ils font distribuer au moins mille et cinq cents livres de pain par jour, et de l'argent aux plus nécessiteux; ils en ont reçu, la semaine dernière encore, cent à la fois pour bourgeois. La journée est remplie de nouveaux désor- dres qui se commettent dans cette misérable ville, dont les prisonniers sont resserrés toujours de plus en plus fort, avec toutes sortes d'avanies. Les Négatifs sont, gardés à vue dans la ville, d'où rien ne sort qu'avec des cartes de la Chambre de la très-honorée Commission. On regarde le danger comme si grand pour cette ville, que nombre des fameux Représen- tants en font sortir leurs proches et leurs effets. A ceux -Là, on n'oserait leur refuser ce qu'ils demandent. Hier, ma lai- tière apportait seulement de l'étoffe pour un lit; on l'a retenue quoique neuve et qu'il n'y eût pas même les rideaux. Elle eut beau dire que c'était pour moi. Le chef du poste était un nommé Rolland, confiseur, que je connais beaucoup. Il lui dit, après qu'elle se fut plainte de ce que la sentinelle ne voulait pas la laisser passer, que l'on passait beaucoup de choses en mon nom, ce que j'ignore. Enfin, elle avait avant- hier une livre de café dans sa poche; ils la prirent et voulu- rent savoir ce que c'était, mais ils la rendirent en lui disant qu'il n'y avait plus de commerce. Maintenant ils continuent à faire leurs prétendues fortifications et veulent, disent-ils, toujours se bien défendre en cas d'attaque, et garder ce qu'ils ont pour se nourrir pendant le siège. On dit toujours que les Français sont en marche, comman- 247 dés par M. de .Icaucourt, lieutenant-général,et non par M. de Saint-Simon; on parle aussi toujours des Suisses. Les Re- présentants, qui voient que le parti des habitants si_ nom- breux et si à craindre se montre contre eu\ maintenant, disent que le gouvernement a mal fait d'en tant recevoir ci- devant. Ils sont comme des enragés. Hier, lesD"es duWache voulurent aller faire quelques empiètes en ville; on les fit, à leur tour, descendre de voiture, avec marquisain et comtin, pour la fouiller partout. Ils firent des huées après eux, par dérision; ils s'animent en buvant dans les corps-de-garde, le vin étant à très-bas prix, et ils sont ensuite capables de tout, surtout n'ayant point de justice, tout étant suspendu, ce que l'on n'avait jamais vu dans aucune prise d'armes. Et ils osent avancer dans leur Mémoire apologétique, que l'on nous dit qu'ils ont envoyé par une •estafette à Turin, que tout \ est tranquille et dans Tordre! On ajoute qu'ils ont désiré être in- formés, si notre cour avait été requise par celle de France de fournir les susdit deux mille hommes. Cela les Inquiète d'a- voir la France, les Suisses et notre roi a dos. S'ils n'avaient pas perdu l'esprit, ils auraient bien dû vivre, au moins, en bonne intelligence avec nous, et ne pas nous inquiéter en sortant de leur ville, d'autant plus que, par l'article 15 du traité de Turin du 3 juin 175i, il est convenu expressément qu'il liait y avoir une liberté réciproque de commerce, à quoi ils contreviennent maintenant. Ils ont bien trouvé le moyen d'irriter leurs voisins; notre jeunesse fourmillerait d'aise de pouvoir aller mesurer les épées avec eux devant leur ville, car ils ont bien indisposé les esprits ; mais tous se réunissent pour plaindre les Négatifs de les voir entre les mains de ces brigands. Si le roi de Prusse était leur voisin, il leur faudrait un bien moindre motif pour les châtier d'avoir osé contre- venir à un traité. »> Le curé de Carouge pense, comme moi, que l'on ne doit us pas craindre qu'il y vienne trop de Genevois et encore moins qu'il y en reste; il m'a ajouté qu'il n'était pas à présumer qu'ils voulussent avoir sans cesse devant les yeux ce crève- cœur de voir la ville où ils jouissaient naguère de tant d'a- bondance. Ce curé m'a dit qu'il était venu ici un imprimeur, h Ce 16 niai. « Je ne puis vous exprimer, mon très-cher frère, combien nous avons tous été affectés de la fâcheuse nouvelle que vous m'avez donnée de la chute que vous avez faite au mont Cenis. Sans l'approche de la revue, je vous au- rais envoyé d'abord comtin, mon fils, pour vous rendre ses services; à ce défaut, j'y aurais volé moi-même si vous en aviez eu besoin. Enfin, la lettre que j'ai reçue hier de votre part, nous assure un prompt rétablissement; que Dieu veuille la confirmer. Cela m'a fait supprimer la lettre que je vous écrivais à Lanslebourg, et que .vous n'auriez pu recevoir, puisque vous me dites, par votre dernière, que vous en devez partir le 16. » M. le comte Piscina, lieutenant-colonel de la marine, qui commande à Carouge. me disait, samedi, qu'il désirerait bien que vous fussiez arrivé, pour pouvoir conférer avec vous sur les affaires de Genève et lui lever, dit-il, des doutes. Lui ayant fait part, ci-devant, de la chute que vous aviez faite, je lui ai annoncé hier au bureau de la poste, où nous nous sommes rencontrés, votre prochaine guérison et votre arrivée, ce qui a paru lui faire plaisir. Je n'ai point perdu de temps, pour aller tout de suite proposer à M. l'Intendant de faire graveler la place, et y poser la halle devant mon bâtiment. Il m'a répondu n'en avoir pas ouï parler et n'avoir point reçu d'or- dre à cet égard. » On travaille à faire un faux pont sous Sierne. » Les Représentants se moquent des menaces de M. le comte de Vergennes et des Suisses. Ils vont leur train, re- tiennent leurs otages prisonniers, empêchent les Négatifs de 249 sortir de la ville, continuent à se fortifier et font même exer- cer leurs partisans. Le sieur Jalliet a môme l'imprudence d'aller disant partout et à qui veut l'entendre, avec un feu et une pétulance amendable, qu'il soutient la bonne cause des Représentants; il veut aller s'enfermer avec eux, à l'approche des troupes, pour les animer à se bien défendre. Il a bien fait de quitter Carouge, car ses propos téméraires auraient pu lui ôlre nuisibles, mais il va les fréquenter autant qu'il peut. Tout ce qu'on peut lui dire de contraire l'emporte, on l'évite autant que l'on peut, pour ne pas s'exposer à sa pétulance et être obligé de lui répondre. Les avis salutaires que le sieur Monloy a reçu l'ont beaucoup retenu. Les Français ont inter- dit l'entrée des denrées de leur coté, on dit que les Suisses eu \ ont faire de même. » Il s'est très-peu vendu de marchandises de votre fabrique à la foire de Carouge. Je n'en ai pas encore le compte, et je croirais déplacé de vous parler ici de cette chose. » Ce 19 mai. « Les affaires de Genève sont toujours au même point. Les Suisses ont rappelé leurs sujets. Cela a fait un ville de plus de deux cents dans la garnison, ce qui augmente la fatigue des seigneurs Représentants. En conséquence, on a fait afficher par la ville pour recruter, offrant 30 sols par jour et le pain. Ci-devant on ne payait que 28 florins par mois et le pain. La même obstination semble les animer ; ils retiennent les Constitutionnaires captifs, les" Négatifs prison- niers, et font néanmoins sortir leurs effets, femmes et en- fants; ils continuent à se fortifier, à s'exercer, à conduire des boulets et balles à Saint-Gervais, à porter, dit-on, des barils de poudre dans les caves pour faire sauter en l'air les mai- sons. Les bons et braves Représentants ont donné nouvelle- ment une représentation au Conseil pour lui faire voirie danger imminent où ils sont plongés cl pour parer aux acci- dents; mais on ne doute pas que la majeure partie n'y soit 250 contraire. Ils ne savent ce qu'ils veulent; la misère les ta- lonne; ils sont enragés et ne savent à qui se rendre : ils por- tent, dit-on, des chevaux de frise aux portes. » Le seul moyen, dit-on, de les pouvoir ranger efficace- ment, serait d'en faire pendre quinze à vingt des leurs, pour tous les frais de guerre et dédommager les particuliers à qui leur rumeur cause tant de préjudice. Un couple de millions de répartition à faire parmi eux , dont ils seraient chargés,. leur feraient le môme effet qu'aux paysans , quand on les châtie par la bourse. » Il est à souhaiter que, malgré les exhortations de Mes- sieurs les Suisses et de la France, les troupes les trouvent en- core les armes à la main, et qu'enfin ils exécutent leurs me- naces en mettant à mort quelques Constitutionnaires ou Né- gatifs, parce qu'alors ils seraient punis une fois pour toutes. » On nous a dit qu'un Genevois, voyant promener aujour- d'hui un officier français hors de ville, sur le glacis, lui a tiré un coup de fusil ; mais il l'a manqué. Il a dit pour sa dé- fense qu'il prenait le plan de la ville. M. le conseiller Grenus, de la nouvelle promotion, a écrit à cet officier pour lui faire des excuses; il a répondu en deux mots : « Qu'il en avait déjà fait le rapport à son commandant. » On ignore encore ce qui en résultera. » La baronne de Blonay m'a dit aujourd'hui qu'elle avait reçu une lettre de Paris, par laquelle on lui faisait savoir que l'on avait décidé à la cour, s'ils se défendaient, de faire d'abord tirer le canon pour les obliger à se rendre. Tous leurs préparatifs annoncent qu'ils se défendront. » Hier, des officiers qui sont à Carouge allèrent en ville; une femme s'écria pourquoi on laissait entrer des gens qui venaient pour les assiéger. J'ai défendu à comtin d'y retour- ner. Cette populace est comme enragée. On peut y être in- sulté, et il peut y arriver de fâcheuses affaires. On compte 251 qu'il y a parmi eux environ cinq cents jeunes gens qui ne respirent que le pillage. » Ce I!) mai. * On croit que la plupart des braves gens quit- tent ou quitteront Genève, et qu'il n'y restera que la calsi- braille. » Ce 24 mai. « J'ai vu hier M. Salteur, qui m'a dit qu'il avait dîné avec vous au gouvernement, que vous portiez votre bras en écliarpe, que vous n'aviez pu souffrir le mouvement de la voilure, et que vous aviez été obligé de faire la route à pied et dans une chaise à porteur depuis Lanslebourg à Ru- milly. Ce qui nous cause bien des regrets. Dieu est le maître de nous affliger, comme il lui plaît. s M. l'intendant de Carouge n'a point ouï parler d'une halle pour les marchés à Carouge, et pour pouvoir y abriter la troupe. M. le marquis Coste n'a plus parlé d'y venir bâtir1. 1. Il s'agit ici du marquis Alexis-Barthélémy Costa, agronome et économiste distingué, auteur de Mémoires sur l'agriculture, dont l'un, sur la récolte des grains, a été inséré dans les Mémoires de la Société économique de Berne ^ 1 703, partie III). Il naquit en 17:><> et mourut en 1797. La famille Costa, de Chambéry, descend d'une maison originaire de la Ligurie, illustrée à Cènes dès le treizième siècle, et eu Piémont depuis le quinzième. (Ghillet, Dictionnaire des départements du Mont- Blanc et du Léman, art. Chambéry.) Elle a fourni plusieurs ambassa- deurs à la République de Gènes. Le premier de cette maison, qui vint s'établir en Piémont, lut Louis Costa qui y fut lieutenant-général. r.eorges Costa fut cardinal en 1 187. Jean-François Costa était auprès du duc Emmanuel-Philibert it la bataille de Saint-Quentin. Jean-Bap- tiste Costa vint s'établir à Chambéry, où il fut président de la Chambre des comptes en ll>29, puis ensuite président du Conseil d'Etat et am- bassadeur à Madrid. Dès lors la famille Costa n'a cessé, jusqu'à nos jours, de compter des hommes distingués dans les premiers emplois civils et militaires, et par leur zèle pour la culture des sciences, des lettres et des ails. Le quartier-maitre-géiiéral Joseph-Henri Costa signa en qualité de commissaire du roi de Sardaigne, Victor-Amédée III, le célèbre ar- 252 » M. le comte de Viry a été rappelé à Turin ; on dit que c'est à la persuasion de M. le comte de Vergennes, et que l'on pense qu'il pourrait bien être nommé plénipotentiaire pour les affaires de Genève, dont on le dit très au fait. Ces affaires de Genève sont toujours les mêmes; il n'y a aucun changement. Les Genevois voulaient essayer aujourd'hui sur le lac leurs canons à boulets et à mitraille ; mais l'on croit cependant que des avis sensés prévaudront. Il est arrivé hier à Fernex des charriots chargés de tentes, pelles et pioches. M. de Puysegur commandera, dit-on, les troupes françaises sous M. de Jeaucourt. Il est attendu, pour le premier juin, àGex. » On a commencé à passer hier sur le faux pont à Sierne. » On nous dit qu'il n'y aura que deux compagnies de la légion des campements qui viendront, après la revue, à Onnex » Ce 28 mai. « Je ne puis vous exprimer combien j'ai été sensiblement touché, lorsque j'ai appris, par des officiers qui disent vous avoir vu, que, dans votre chute, vous vous étiez cassé la clavicule de l'épaule. Quoique l'on me rassure en me disant que ce mal se guérit ordinairement dans quarante jours, néanmoins cela m'est bien affligeant. Je vous ai adressé une lettre, vendredi, par l'abbé Corajod qui retour- nait à Turin. » Les affaires de Genève sont toujours les mêmes, et la ville se dépeuple chaque jour. Les émigrants vont s'établir à Neuchâtel, eu Hollande, en Prusse, etc. On nous dit que S. M. sarde a ordonné que trois mille cinq cents hommes se mistice de Cherasco avec le général Bonaparte, dans la nuit du 26 au 27 avril 179(3. M. le marquis Costa de Beauregard à Cliambéry est aujourd'hui l'un des savants les plus versés dans l'étude de l'histoire de la Savoie, de l'Italie et des pays voisins, à laquelle il a consacré plusieurs ouvrages. tinssent prêts au premier ordre, dans lesquels on comprend le régiment de cavalerie do Piémont. Les Genevois se l'orli- lieut toujours. Ils conduisirent encore cinq pièces de canon, samedi, du côte de Corna vin. Ils abattent et élaguent lesar- bres du côté du Bastion-de-Hollande, et s'exercent à tirer les canons à boulets et à mitraille, malgré les sages avis des Suisses. » On dit que notre roi va faire armer, de quatre pièces de huit livres de balles, une barque sur le lac pour garder son bord: que la France en fera de même: que l'on Ôtera tous les bureaux de poste de Genève ; que celui de Suisse restera à Goppet, celui de France à Yersoix. et que de petits bateaux passeront les malles, et les apporteront à Carouge par le pont sous Sierne, sur lequel on passera en voiture dans peu de jours. Le sieur Duradde m'a dit qu'il attendait Tordre pour venir établir son bureau à Carouge. MM. Berliez et Jac- quemard ont eu ordre de faire transporter leurs balles de sel et de tabac à lïellerive, et d'y aller demeurer; ils sont sortis hier matin. Les Représentants disent : i Nous savons tout cela; mais nous espérons que quelque cas imprévu nous • tirera d'embarras. En attendant, les Négatifs en souffriront » plus que nous, et nous les ferons jeûner. » LL. EE. de Berne ont écrit au roi de Prusse pour qu'il les prenne smis sa haute protection, comme aussi Genève : on attend la réponse. i du dit que les Valaisans ont armé huit cents hommes pour garder le bas de leur pays: que les Bernois ont écrit, par un courrier extraordinaire, à M. le comte de Vergennes pour le remercier de ce qu'il lui avait plu d'écrire à M. de Polignac, à Soleure, de leur communiquer sa lettre, et qu'ils -"empresseraient de s'unir à la France, dans cette circon- stance, en ce qu'elle jugerait 'convenable : sur quoi, M. de Vergennes les a requis de faire marcher les quatre mille 254 hommes de réserve. Comme ils viennent du pays allemand, on dit que leur marche sera lente. » Il est déjà arrivé quantité de tentes, de balles, pelles et pioches, à Meyrin, Gex et Fernex; on nous dit que les Fran- çais font venir quarante pièces de canon de vingt-quatre livres de balles; les Représentants disent soixante. Deux offi- ciers du régiment du Dauphiné qui allaient le joindre à Gre- noble, pour venir au pays de Gex, ont dit, en passant par Genève et Carouge, qu'ils avaient vu à Besançon que l'on y préparait des lentes munies du nécessaire pour dix-huit à vingt mille hommes : on s'épuise vainement en conjectures. » S. E. Monsieur le gouverneur a envoyé, samedi, des or- dres au comte Piscina qui commande à Carouge (le comman- dant étant indisposé), pour défendre aux officiers et soldats de nos troupes d'aller à Genève. » Je m'informerai aujourd'hui pour le traiteur dont vous me parliez et que vous voudriez avoir à Onnex. On nous dit ici que vous serez à Lancy, avec votre troupe, comme plus à portée, y ayant de quoi loger. Le curé de Lancy, M. Baud, vous prie, par ma plume, de vouloir accepter une chambre garnie à la cure, où vous seriez mieux qu'à Onnex, et plus près de Genève et de Carouge, et de tous vos chers alliés. Nous espérons bien tous que les fameux Représentants bais- seront les voiles, lorsqu'ils verront les troupes. La division est grande parmi eux, le courage de nombre de ces va- leureux s'abat au seul récit de guerre et de siège. La campagne de Carouge ne sera pas meurtrière, à ce que l'on espère. >> Comme l'on a défendu à Genève tous les faiseurs de pe- tits pâtés, navettes, craquelins, votre locataire le bonbonnier a une grande pratique et il en est bien aise. Le curé de Bossey, dont vous me demandez des nouvelles, réside dans celte paroisse dès l'automne de l'an passé. C'est un nommé Gruffaz, de Rumilly, à ce que je crois. Il se plaît jusqu'ici, mais gare la fièvre, car il a le nez dans les ma- rais. » M,n" de Ghaumont n'a-l-elle point craint que les Repré- sentant n'ensevelissent son mari dans les fossés de la ville? Qu'elle se rassure; car, depuis huit jours, leurs fera son) bien ralentis. Toutes leurs fanfaronnades ne sont que pour amuser le peuple; on leur a bien dit qu'ils luisaient très-mal; on se moque d'eux et de leurs préparatifs. Ils ne savent maintenant plus que dire. Ce pont sous Sierhe excite bien leur curiosité. Ceux qui y viennent de notre connaissance ne doivent pas s'en retourner contents des plaisanteries et des moqueries qu'on leur fait. En effet, il est honteux que quel- ques barbouillons aient la témérité de dire qu'ils se défen- dront «ontre des forces si supérieures aux leurs. » Le comte Piscina leur disait, l'autre jour, qu'il n'avait point besoin de canons pour entrer dans leur ville, mais seu- lement de pierriers pour abattre leurs remparts. Ces pauvres Représentants paraissent honteux de leurs démarches; ils doivent assembler tous les Cercles aujourd'hui pour décider le meilleur parti qu'ils ont à prendre. Des chefs de la Com- mission ont déjà cherché à se sauver avec leurs effets, crai- gnant sans doute quelques pendaisons. Mais les Natifs de garde n'ont pas voulu les laisser sortir, à ce que l'on m'a as- suré : nous en vîmes, samedi, de ceux qui étaient furieux; nous leur disions : « Faites-vous honneur en disant que vous ne pouvez résister aux forces réunies de trois puissances: ne faites plus les braves; votre règne va être éteint; ne vous faites pas pendre comme des rehelles et perturbateurs du repos public, et comme les instruments de la ruine de la Ré- publique. » On rit d'eux; ils ne savent plus que répondre. Comme il n'y a point de Conseil secret parmi eux, que tout se traite dans les Cercles, leurs menées sont publiques. lisse 256 défient des Natifs, c'est ce qui leur fait faire quelque conte- nance. » Des lettres particulières d'hier annoncent la défaite, par l'amiral Rodney, de M. de Grasse, qui allait pour prendre la Jamaïque. Les Représentants disent qu'ils en sont fâchés, et ils craignent de payer la mauvaise humeur des Français. » On trouvera un bon traiteur à Genève, qui viendra ap- prêter les repas pour MM. les officiers, à Lancy ou à Onnex, comme on le désire ; mais, pour faire son prix, il demande : 1° si on lui fournira le logement et la batterie de cuisine ; 2° pour combien de temps; 3° le nombre des pensionnaires; 4° à combien de plats ils veulent être servis, et combien de services , et 5° s'ils veulent fournir leur pain et leur vin ; ce qui leur paraîtrait le plus facile à compter. » Ce 30 mai. « On avait fait un hangarou une barraque adossée à l'église, mais on l'a d'abord détruit. On a aussi construit, le long du mur de mon jardin, vis-à-vis du sieur Ravar, un cou- vert en planches qui est bon plutôt pour mettre des chevaux que des hommes; ainsi tout cela n'est rien. Si l'on ne profite pas de cette circonstance pour établir les marchés à Carouge, on perdra une occasion des plus favorables, qui ne se repré- sentera plus ; mais, pour cela, il faut nécessairement un beau et grand couvert placé dans un endroit stable : rien de plus convenable que la place au devant de mon bâtiment. « Nous avons appris que M. le comte de La Marmora a été nommé plénipotentiaire de notre cour pour les affaires de Genève, et qu'il aura pour adjoint M. le sénateur Favrat, que l'on dit avoir déjà été envoyé ci-devant en secret à Fribourg. > J'ai bien déjà ouï souvent dire que les Français et les Négatifs, qui sont dans le pays de Gex, avaient établi un ba- teau au dessous de Saint-George, pour traverser le Rhône et venir de ce côté; mais je n'ai pas ouï parler de pont, ce serait bien autre chose que surl'Arve. 257 » Les Représentants et leurs adhérents sont très-fâchés que notre roi fournisse des troupes contre eux dans cette circon- stance. Ils disent qu'ils tireront force boulets sur Carouge pour le renverser. J'espère qu'ils n'en auront pas le temps, et que, s'ils font tant que de se défendre, comme ils le disent, ils seront bientôt écrasés, ainsi qu'ils le méritent pour leur arrogance. Ils ne font pas plus de cas des menaces des Français et des Suisses, et de leurs avis, que s'ils ne par- laient pas. Ils vont leur train, sans autre, et continuent à se fortifier, à s'exercer au canon, au mousquet et an fusil. Un Suisse m"a>ant amené hier une barquée de poutres, je lui recommandai d'aller les décharger aux Eaux-Vives, parce qu'à Genève, il y avait à craindre qu'ils ne les eussent rete- nues pour se barricader du côté du lac, comme l'on m'en avait avisé. Étant allé les reconnaître, je vis une troupe qui s'exerçait à tirer -aux susdites armes ;'i divers éloignements. Ils avaient fait poser, bien avant dans le lac. un tonneau sur une planche qui était arrêtée et semait de cible. Quoique de fort loin, il me parut qu'ils tiraient assez juste, donnant sou- vent en cible, et enfin ils renversèrent le tonneau. Je con- versai quelque temps avec eux; mais ils sont furieux et parlent en insensés : comme la division se met parmi eux, cela fait d'autant plus de mal que les modérés quittent la ville, et qu'il n'y restera que la calsibraille qui, n'ayant rien à perdre, sera capable de tout entreprendre. Un soldat fran- çais, les voyant manœuvrer, «lisait aussi : « Je voudrais que l'on me donnât un canon chargé de vert-de-gris pour dé- truire cette vermine! » Cette idée me fit rire. D'autres leur ont dit qu'il leur manquait de montres, et qu'ils avaient fort envie de s'en aller pourvoir à bon compte dans leurs comp- toirs. S'ils sont assez téméraires que de se défendre, comme il est à craindre, les Français les écraseront bien vite, car ils ne paraissent pas les aimer, les Suisses non plus. 17 258 « M. le commandant de Carouge, qui est indisposé, voulut envoyer hier, par un soldat, prendre un remède chez un apothicaire. Il était sans armes et avec une carte de sa part, pour le laisser passer; néanmoins, on lui refusa la porte; ils ont su se faire détester dans ces environs par leurs ma- nœuvres. >< Le Suisse, qui m'a amené ces susdites poutres., me dit que la première division des troupes suisses était arrivée à Coppet, où l'on avait arrêté, mardi , trente bœufs gras qui venaient à Genève, et que vendredi les Suisses mettraient des bateaux chargés sur le lac pour intercepter tout ce qui pourrait y venir. » Le magnifique seigneur Clavière, un des chefs de la commission, s'est fait faire an uniforme de dragon et monte la garde avec ses gens pour les animer1. Ce très-honoré Conseil a ordonné d'abattre et débran- cher les arbres de la belle allée de Châtelaine, pour que rien n'arrête, sans doute, les coups qu'ils méditent de porter aux Français. „ Mm? tie Cliaumonl a rêvé que son très-cher époux avait été blessé à la bataille qui se doit, dit-on, donner lors du siège île Genève, ce qui l'a fait beaucoup pleurer. » La partie ne sera pas égale, car on estime qu'il n'y a pas plus, maintenant, de trois à quatre cents de ces déterminés qui iront rien à perdre, et qui chercheraient à faire main basse dans quelque comptoir pour se sauver ensuite, contre, I. Clavière (Etienne), né à Genève en 1735, était banquier clans cette ville quand il se jeta dans les allaites politiques de sa patrie. Proscrit lors de la réaction de 1782, il alla fonder à Paris une maison de banque, se lia avec Mirabeau et combattit pour lui les projets financiers de Necker. Membre des assemblées révolutionnaires, il devint ministre des contri- butions publiques sous l'administration girondine. Proscrit avec son parti, il se donna la mort le 8 décembre f 75)5. Sa femme s'empoisonna en epprenant la fin de son époux. 259 au moins, quatorze mille soldat* de bonnes troupes, qui auront bientôt mis à la raison cette petite pincée d'hommes. » Comme j'ai vu par la distribution des logements que vous commandez à Onnex et à Lancy. vous serez le maître de choisir lequel des deux emplacements vous jugerez le plus convenable. Ce dernier paraît l'être, et nous serions toujours plus près de vous. » Les Représentants, ne se confessant pas ordinairement, ont déterminé un jour de jeûne pour le succès de leur cause et la bénédiction de leurs armes. Les Négatifs disent que. le diable ne les avant pas voulu, ils, voudraieal se donner à Dieu, qui les rejettera, comme ils le méritent. » Ce '/juin. • .Nous avons appris qu'il est arrivé au pays do Gex dix chariots chargés d'échelles, ce qui indique qu'au besoin on donnera un assaut à la ville. Les Représentants se tiennent sur leurs gardes, et continuent à se fortifier et à s'exercer; niais ils ont à se délier du dehors comme du de- dans; on leur a même encloué divers canons sans avoir pu découvrir les ailleurs de ce trait. » On compte qu'il \ a déjà environ soixante officiers fran- çais et le trésorier de l'armée qui -on! arrivés aux environs deFernex; ils formeront deux camps, l'un entre les deux Saccone.x, et l'autre à Meyrin; ils font de grands préparatifs militaires; on croit qu'il est déjà arrivé quarante chariots chargés. On nous dit que les troupes françaises doivent passer, le 13 courant et les jours suivants, la montagne de Saint- Claude: le régiment de l'oix s'est approché de Genève, pour faire, sans doute, place à d'autres. » Le général suisse de Lentulus est déjà, dit-on, arrivé avec les Bernois au château de Crans: ils campentj entre Versoixet Coppet; les troupes s'approchent. On dit que M. le comte de La Marmora doit bientôt arriver. •• Les Représentants viennent de donner une déclaration 260 qui sera, sans doute, la dernière; car ils paraissent être à bout de leur rôle. Elle est remplie de sophismes pour jeter de la poussière aux yeux de ceux qui ne sont pas au fait des motifs de leurs dissensions; ils allèrent, au nombre de mille cent trente-deux, pour l'appuyer près de MM. les syndics; le ton menaçant qu'ils y ont pris à la fin, ne devra pas être agréable aux puissances. » On a déclaré en France que l'on ne recevrait aucun cer- tificat de vie pour le paiement des rentes, qui émanerait du nouveau Conseil. Surtout M. le Résident n'y étant pas, si les affaires de Genève ne se rétablissent pas au plus tôt, ce retard sera nuisible aux Négatifs encore plus qu'aux Représentants, les premiers ayant un plus grand intérêt à la paix. Les ma- gistrats, élus depuis la prise d'armes, ont offert de résigner leurs charges; on ignore ce qui en résultera. » Carouge, ce 5 juin. « Sur la demande que vous m'avez faite dans votre pénultième lettre, s'il n'y avait point de bou- cher à Lancy, je vous répondrai que non. On y tue quelque- fois seulement des veaux; on n'a point non plus interrompu le commerce, jusqu'à présent, avec Genève. On retient seu- lement, les matins pendant une heure ou deux, les gens vers la Capite, pour donner le temps à la troupe de se pourvoir de beurre, d'œufs, etc. Pour le blé et le bois, on empêche d'en porter à Genève. » Je me suis informé du maître du Café, s'il voudrait aller préparer à manger pour les officiers à Lancy. Il m'a répondu que non. Il a augmenté sa pension de cinq francs par mois, et il fait payer à présent quarante francs. Il donne pour cela douze plats et assiettes. A Carouge, on ne trouverait per- sonne. «Si on change votre destination, comme on a changé celle des autres, vous n'êtes point encore certain de l'endroit où vous résiderez. Il devait venir à Sierne et à Vessy un delà- m chement allemand. Ce ne sont plus eux qui viennent ce sera, dit-on. la Marine. Il n'y a pas de boulanger à Lancy; j'y ferai porter d'ici une vingtaine ou une trentaine de livres de pain. » M. le sénateur Favrat est déjà ici. Je dînai hier avec lui chez M. le trésorier, son frère. On nous dit que S. E. M. le comte de La Marmora vient avec un grand appareil, accompagné de gardes-du-corps, et qu'il doit arriver le 10 courant. M. Panissera, qui devait ré- sider ici. \-,\, dit-on, à Mornex; on a changé par de nouveaux ordres la destination des troupes. M. de La Marmora est tou- jours à Cliâleau-Blanc. » L'intendant de Thonon a eu ordre de se pourvoir desix barques pour garder le lac. » Les Fiançais forment un camp très-étendu. » Les Représentants vont toujours leur train ; il paraît que rien ne les intimide; ils continuent à s'exercer et à se for- tifier. » Ils ont mis. la semaine passée, la main à l'exécution de leur édit du 10 février, sans plus d'égard à tout ce que les puissances en ont dit que si elles ne parlaient pas. Ils sont, disent-ils, souverains et maîtres chez eux ; ils doivent trans- férer, cette semaine, ceux qui sont détenus aux Balances, dans la Maison-de-Ville. Le roi de Prusse a répondu aux Messieurs de Berne, en les blâmant d'avoir usé ci-devant de trop d'indulgence envers les Représentants, et en approu- vant les moyens dont ils usent maintenant. » Les Représentants ne laissent plus approcher qui que ce soit de leurs fortifications et ferment leurs portes beaucoup plus tôt qu'à l'ordinaire. Ils font des projets d'accommode- ment en leur faveur ; ils voudraient forcer les Négatifs de les accepter, ce qu'ils refusent constamment. » Ce 17 juin. « Comme vous m'avez dit que vous viendriez aujourd'hui à Carouge. je pense que vous y passerez quelque 262 temps pour voir et examiner la fabrique; il faut prendre garde en montant et en descendant les degrés.» Le 19 juin. « Suivant les continuelles dispositions du peuple audacieux de Genève, il y a toute apparence qu'il se défendra et ne se rendra qu'à la force. On a usé de trop d'indulgence dès 1767, à leur égard; c'est ce qui les rend si téméraires; ils croient d'en imposer parleur résistance, et se persuadent grossièrement que leur existence est trop nécessaire, pour que l'on veuille agir avec rigueur contre eux, surtout s'ils montrent, disent-ils, de la fermeté. Cette populace fait honte par ses manœuvres au\ braves Représentants. » Ce 18 juillet. « Je me propose, à votre arrivée, de vous céder ici ma place, et d'aller pour quelques jours à Évian, pour boire les eaux dont j'ai besoin, outre que ma belle- mère, que je n'ai pas vue depuis le séjour du duc de Chablais, m'en presse depuis longtemps. Il y a quelqu'apparence que ce sera pour la dernière fois que nous nous verrons; car elle est, dit-on, fort caduque. » Il n'y a rien de nouveau à Genève, depuis que cette ville s'est rendue'. Les Français doivent, dit-on, s'en aller de- 1. Nous rappelons ici brièvement les principaux faits relatifs à la red- dition et à l'occupation militaire de Genève : « Le 22 juin, à 6 heures du matin, Jaucotirt somma la ville de capi- tuler, au nom des trois généraux. Le tocsin sonna, les Cercles s'assem- blèrent. Les assiégeants demandaient que vingt-un citoyens s'éloignassent, et cette injonction fut repoussée. Alors Jaucourt lit avancer des troupes et ouvrir la tranchée. Il avait élevé de formidables batteries de canons et de mortiers, entre autres aux Diiices, à cinq minutes de la ville. La résistance s'annonçait comme opiniâtre. Mais cependant les Représen- tants et les Natifs n'étaient pas d'accord. Au commencement du mois de juillet, les premiers parlaient de se rendre ; les Natifs voulaient s'en- sevelir sous les ruines de Genève, devenue une nouvelle Sagonte. Au commencement des délibérations l'avis de ceux-ci l'emporta d'abord» Clavière et Durovray, chefs des Représentants, firent les plus grands 263 main, retourner en France et emmener leur artillerie. 11? laissent à Genève deux régiments. Nassau el Normandie, qui y passeront l'hiver. Les Genevois craignent, disent-ils. qu'Us ne s'j oublient; c'est-à-dire qu'ils n'y restent toujours; je ne le crois pas. On dit qu'au pins tôt on j fera un théâtre de comédie. • Evian, ce 28 juillet. » La juste douleur dont M. de Grïlly, mon beau-frère., est affligé par le malheureux accident ar- rivé à son tils. officier dans votre régiment, ne lui permet pas de vous en informer, ni de vous l'aire le détail de cette fatale affaire, dont il ignore les circonstances; M. De onnaz a efforts pour décider à la soumission. On les accabla des plus sanglants outrages. La salle où délibéraient les délégués des Cercles devint un théâtre de liassions déchaînées. Enfin, an milieu du désordre, ">7 vois contre m décidèrent qu'il fallait se soumettre. Une déclaration fut ré- digée au milieu d'un incroyable tumulte. Elle portait entre autres: Les citoyens, bourgeois, natifs et sujets de la République de Ge- nève, ne pouvant plus envisager comme leur patrie une ville dont les meilleurs citoyens sont forcés de s'éloigner, déclarent qu'ils iront cher- cher sous un autre ciel une terre où ils puissent respirer en paix Tair de la liberté. Les membres de la Commission de sûreté, avant de divulguer leur résolution, rendirent aux otages la liberté, et mirent les poudre- en sûreté. Quand elle fut connue, il j eut un désordre extrême. Les sol- dits, débandés et sans chefs, liraient au hasard e de Veyrier. 265 n'est plus directeur des coches, que J'on a substitué à sa place M. Cornuaud, au grand déplaisir des Représentants. P II ne m'a pas été possible de pouvoir vendre, comme je l'espérais, les marchandises de la fabrique de Carouge. Pour les bazins turcs, personne n'en use par ici ; je les ai fait voir à des marchands, à des colporteurs, à des dames, etc. Les uns disent que les couleurs ne sont pas belles; les marchands, que les prix en sont trop hauts, (sans doute, disent-ils. que l'on en paie les façons trop cher); qu'ils en tirent à meilleur compte d'Allemagne ; et sous l'offre de les leur laisser à tant de bénéfice pour le débit, on m'a répondu qu'ils craignaient que cette marchandise ne restât six mois, — peut-être un an dans le magasin : ils m'ont aussi ajouté que les étoffes et les rubans étaient malproprement travaillés. Je crains bien que le sieur Rousset ne sache pas se tirer d'affaires, encore moins conduire cette fabrique, à la tête de laquelle il faudrait une personne intelligente Vous êtes sur les lieux, vous pourriez juger de ce qu'il en est, et du peu de débit. » Les buveurs d'Eaux s'en vont tous les jours; le temps passe. Elles ont été très-bonnes cette année; chacun qui en a bu, en chante merveille; elles guérissent de tous les maux pour lesquels on en a fait usage. Il y avait ici des Parisiens, des Lyonnais, des gens de Gex, de Chamhéry, d'Annecy, de Bonneville, de Genève. Mais à présent ils s'en retournent; il n'y reste pas, je crois, cent personnes qui, la semaine pro- chaine, se proposent aussi de partir. Il y a toujours, soir et matin, une banque de cent louis dans la salle d'assemblée, où les pontes font souvent naufrage, et le dimanche bal, où les l)u,> Serre se distinguent. M. le comte de Menthon-Mont- trottier me disait hier qu'il n'avait pas vu mieux danser, avec plus d'oreille et de légèreté, que ces D"M Serre-Lucadoux; la belle dame Labat et les dames Gayla et Pasteur ne peuvent les imiter. 266 •> MM. de Thonne et d'Ossan sont venus aussi tenir la banque; ce sont les troisièmes. Ils ont bien fait leurs affaires avant-hier, pourvu que cela dure. Pour moi, je ne perds ni ne gagne, ne jouant jamais et n'aimant pas le jeu. MM. les intendants de Bonneville e! de Thonon sont acteurs, particu- lièrement ce dernier. » C'est ici que finit, un peu brusquement et par un suje assez étranger à celui que M. de Veyrier traitait d'ordinaire, sa correspondance avec son frère, le commandeur de Châ- tillon. Celui-ci obtint le régiment de Genevois, dont il fut colonel, peu après l'occupation de Genève par les troupes combinées de la France, de la Sardaigne et du canton de Berne. S'il continua de correspondre avec son frère au sujet de Carouge (comme cela est probable), les lettres de celui-ci ne nous sont pas parvenues, et c'est dommage, parce qu'à travers les préjugés, les idées d'un autre temps et les tendances aristocratiques dont elles sont imbues par-ci par-là, elles ré- vèlent chez celui qui les écrivait un grand fond de bon sens, de probité et d'honneur. Pour continuer à suivre les destinées de Carouge, nous avons dû rechercher d'autres documents, puisque la source des lettres de M. de Veyrier était épuisée. Nous en avons ren- contré un dans les Archives de Genève, qui remplissait par- faitement notre but. C'est la correspondance du Résident de Genève à Paris, M. Des Franches1. Ce citoyen genevois, que I. Les rois de France avaient entretenu à Genève, depuis les événe- ments qui donnèrent à cette ville une importance religieuse et politique, un chargé d'affaires qui Taisait passer en Suisse et en Italie les dépêches du gouvernement français, et qui recevait celles qu'on leur adressait de ces pays. Mais ces fonctions n'avaient pas un caractère diplomatique, et elles étaient remplies d'ordinaire par un citoyen genevois. Le ministre Jean Favre, qui en était revêtu, étant venu à mourir au mois de mai 261 M. deVeyrier cite comme attaché au parti négatif, avait rem- placé le célèbre Neckér dans la place do chargé d'affaires de la république de Genève auprès du gouvernemenl de Louis XVI. Mais, avant de transcrire sa correspondance avec les Conseils de Genève an sujet de Carouge, il importe de tracer en quelques lignes le tableau des événements qui sui- virent immédiatement la médiation année du 1782. £ VII. C»enève et Carotide après la médiation armée «le lî«î. Le parti aristocratique reprit le dessus dans Genève après la soumission forcée du parti démocratique. Mais celui-ci demeura profondément ulcéré, et il garda une profonde rancune qui devait faire incessamment explosion. Jusqu'à ce moment-là que devait naturellement faire naître la grande révolution française de 1789, la réaction se donna carrière iti"!", plusieurs Genevois demandèrent sa place, mais ils furent écon- diiits. Louis XIV manifesta l'intention de revêtir un de ses sujets d'un caractère dans Genève et tic lui conférer le titre de Résident de France. La eréation de ce poste diplomatique, à la veille de la révocation de l'Kdit de Nantes contre les réformés, lit naître à Genève bien des ap- préhensions. L'établissement d'un Résident français entraînait nécessai- rement l'exercice de sa religion, et, par conséquent, l'introduction de la messe à Genève. On sait que plusieurs fois il en résulta de graves complications. Les Conseils de Genève, qui, depuis le seizième siècle, avaient tou- jours envoyé des citoyens notables en mission temporaire auprès du gou- vernement français, toutes les fois qu'il y avait eu quelqu'objet impor- tant à traiter, unirent par accréditer aussi, de leur coté, un Résident "ii permanence auprès du ministère du roi de France. Sa mission avait un caractère à la lois diplomatique et commercial. Le Résident de Genève était ordinairement quelque (ienevois lancé à Paris dans les affaires de finance et de banque. Presque tous se distinguèrent par leur intelli- gence et leur désintéressement, et plusieurs jouirent d'un véritable crédit auprès du ministère de Versailles. dans Genève. Une jeune aristocratie remplaça l'ancienne avec plus de morgue et moins de prudence et d'habileté. Pe- tit à petit l'occupation militaire fut réduite, mais elle dura jusqu'à 1784. Le travail de la pacification se fit avec l'aide des baïonnettes. Elle fut accompagnée d'un acte de garantie et d'un traité de neutralité, ce dernier dirigé surtout contre la cour de Turin que l'on supposait toujours avoir des vues secrètes sur Genève, vues auxquelles la création et l'accrois- sement de la ville de Carouge semblaient donner une nou- velle consistance. Le 13 novembre 1782, ces trois documents furent pré- sentés aux syndics réinstallés. Les citoyens avaient huit jours pour se prononcer sur ces pièces qui formaient un volume de plus de 200 pages, divisé en vingt-cinq titres, et réglemen- tant tout, depuis les bases de la Constitution jusqu'aux droits sur les cartes à jouer. La liberté fut confinée dans d'étroites limites. Les droits du Conseil-Général furent surtout res- treints. Le droit de représentation fut aboli. Les cercles restèrent supprimés. La presse fut strictement bâillonnée, et l'on établit dans Genève une garnison de mille hommes, dont le colonel et le major devaient être deux officiers étrangers, auxquels leur nomination conférait le droit de siéger dans les Conseils. Enfin il y eut un désarmement général, et les milices furent aussi supprimées avec les sociétés de tir à l'arquebuse et au mousquet. Ces étranges injonctions ayant été adoptées par quatorze centet onzecitoyens contre cent et treize, les plénipotentiaires des puissances médiatrices prononcèrent une amnistie géné- rales dont furent exclus les Représentants les plus compro- mis, Ctavière, Du Rovray, Flournois et seize autres. Des médailles furent frappées en l'honneur des plénipoten- tiaires. Au milieu de cette intervention armée, un spectacle permanent fut autorisé, et la construction d'un théâtre 269 décidée. Ainsi étaient momentanément vaincues les doc- trines du Contrat social et les antipathies de l'illustre citoyen de Genève, Jean-Jacques Rousseau, contre les jeux scéniques. Mais cette restauration de l'oligarchie ne lit que surexciter l'esprit répuhlicain violemment comprimé. Les mécontents et les proscrits se retirèrent un peu par- tout. Ca rouge en eut sa bonne part. Ce n'étaient plus les Négatifs ou les oligarques, mais bien les Représentants et les démocrates, qui affluaient dans cette nouvelle cité qui continuait de s'élever aux portes de Genève. Rientôt la presse politique,exilée de Genève, se donna carrière à Carouge dans un déluge e brochures ^ui étaient devenues comme une né- cessité au milieu de l'agitation des dernières années1. L'antagonisme de Genève et de Carouge redoubla ainsi d'intensité. Le gouvernement genevois reprochait à l'admi- nistration sarde de tolérer, si ce n'était d'encourager, à Ca- rouge, une presse anarchique et démocratique, ce qui pa- raissait d'autant plus malséant que celte administration représentait un gouvernement essentiellement conservateur. Carouge voulait à tout prix, disaient les hommes du parti dominant dans Genève, s'augmenter et s'enrichir aux dépens de sa grande voisine, et pour cela tous les moyens ét.iienl bons, même ceux qui répugnaient à la religion et à la morale. Carouge, de son côté, répondait que Phospitatité qu'il ac- cordait aux proscrits genevois, était un devoir d'humanité avant d'être une spéculation politique. Qn ne pouvait pas sans injustice imputer à crime des faits grossis par les appré- hensions qui travaillaient incessamment un pouvoir impopu- laire, installé par l'étranger et qui menaçait de tomber, dès que celui-ci lui retirerait l'appui de ses armes. I. Nous donrtohs ;i lit tin (le celle Notice une nomenclature bibliogra- phique dus principales brochures politiques publiées à Genève en 1781 et 1782, avec les dates de leur publication . 270 Les griefs du( commerce genevois n'étaient ni moins nom- breux, ni moins vifs. Il se plaignait de ce que les banque- routiers et les gens poursuivis pour dettes trouvaient à Ca- rouge un asile et une protection dangereuse pour la sûreté des transactions. On comprend donc que quand l'ordre fut rétabli, en 1784, le nouveau gouvernement genevois vil avec inquiétude les allures des Carougeois, qui avaient manifesté l'intention de profiter des troubles de Genève pour s'agrandir au détriment de cette ville. Un autre sujet de plaintes continuelles provenait du prosélytisme. Le clergé de Carouge cherchait à opérer des conversions. Enfin, les malfaiteurs, les repris de justice, les contrebandiers avaient trouvé, disait-on, dans ce lieu un asile et une sorte de domicile. Le gouvernement sarde, de son côté, ne restait pas en ar- rière en fait de récriminations. 1) se plaignait à son tour de la propagande protestante faite par quelques membres du clergé et des particuliers de Genève. 11 signalait, aussi des faits d'embauchage opérés dans la population carougeoise par les recruteurs de Genève, dont la garnison avait été ren- forcée, comme on sait, après la fin des troubles. Les do- cuments que nous allons citer attesteront ces récrimina- tions. Au commencement de l'année 1784, nous trouvons déjà les preuves de la mésintelligence entre les deux gouverne- ments. « Le baron d'Espine, ministre de S. M. le roi de Sadaigne à Genève1, réclame contre les procédés d'enrôleurs genevois qui sont allés suborner des sujets sardes à Carouge pour les 1. Le baron d'Espine, secrétaire d'État, qui assista, en celte qua- lité, aux conférences qui précédèrent le traité d'Aix-la-Chapelle, en 1784, avait été nommé Résident de Savoie à Genève, depuis la pacifi- cation de 1782. ■21 1 faire entrer dans le régime/il de la république. 11 demande la cessation de cette manière de faire, eontraire.au bon voi- sinage. De son côté, le gouvernement genevois charge son repré- sentant auprès du gouvernement de Louis XVI. de saisir les occasions qui se présenteront pour insister auprès du cabinet de Versailles sur les dangers que présentait, même pour la France, l'agrandissement démesuré et forcé de Garouge. Le représentant genevois, Des Franches, s'acquitte de sa mis- sion avec beaucoup de zèle et d'habileté, comme on le voit dans les dépêches suivantes : « Il vient de i»ai ailic à Garouge deux nouveaux libelles el la cour de Turin a donné des ordres précis pour que ces écrits scandaleux oe s'imprimenl plus aux portes de Genève, .l'ai su que M. le minisire de Vergennes avait dû représenter à M. l'ambassadeur de Sardaigne qu'il était de la dignité et de la justice de son maître de prévenir dans ses États tout ce qui pourrait porter un toit sensible à une république à la res- tauration de laquelle il avait du contribuer, .l'ai lieu de croire que ce nouveau témoignage d'intérêl et de protection vigi- lante de la part de la France a eu également pour objet les soins qu'on se donne pour l'agrandissement de Carouge, le- quel ne pouvant avoir lieu qu'à notre détriment, semble présenter au premier coup d'œil une espèce de contraste avec les marques, de la bienveillance flatteuse que nous donne Sa Majesté sarde. " Des Franches, ministre résident de Genève à Paris. . « Le 11 mars 1784. Je ne perds pasde vue ce qui concerne L'agrandissement de Carouge. quoique je sente à merveille que le Conseil peut avoir de très-sages motifs pour ne me charger de rien à cet égard. L'objet, néanmoins, parait trop intéressant pour que je ne cherche pas à présenter comme de moi-même au mi- 272 nistre, par une suite de la confiance à laquelle il veut bien m'admettre, les considérations dont nous sommes tous égale- ment pénétrés. » Je n'appris rien à M. le comte de Vergennes en lui disant que ce village devenait, par son accroissement, le réceptacle des gens les plus suspects et quelquefois les plus coupables. Je ne passerai pas cette ligne au-delà de laquelle je n'ai jamais été. Mais si la sûreté de la frontière faisait désirer à la cour de France, dans son propre intérêt, que la police de Carouge fût un peu plus exacte, sans que nous y eussions aucune part, nous en tirerions un grand avantage et il ne serait pas possible de nous rien imputer. « -< Paris, 3 avril 1184. » Les réflexions que vous me faites l'honneur de m'adresser sur Carouge sont d'une évidence frappante. L'époque où Ton a cherché à lui donner de l'accroissement, les motifs qui l'ont déterminé, les vues et la conduite de ceux qui le provoquent, les bâtiments publics qu'on prépare dans le même lieu, les- quels indiquent la persévérance de la cour de Turin dans ce faux système, malgré les circonstances qui auraient dû le faire changer, tout cela doit surprendre et peut nous causer une inquiétude fondée. » Je ne crois pas néanmoins qu'un établissement de cette espèce, formé sous une domination très-absolue, et privé d'une police vigilante et sévère, qui pourrait seul le faire prospérer, puisse, quelque soin qu'on se donne à cet effet, nous enlever des manufactures, et balancer les avantages qu'offre un État libre, sagement régi, et où la réunion de tous les arts, ainsi que la circulation de l'argent, présentent plus d'appas et de ressources à l'industrie, ainsi que de sûreté dans les possessions. » Mais je ne me dissimule pas qu'il peut résulter au moins, de ce que nous craignons, une concurrence fâcheuse, une plus 273 grande disette d'ouvriers pour les professions les plus utiles, avec plus d'incertitude dans la jouissance de céttt que nos maîtres occupent. • J'envisage surtout, avec peine, la manière dont la nouvelle colonie est et sera composée, par le peu de soin qu'on se donne pour y maintenir le bon ordre et la >ù- reté. Que l'on y fasse quelques serrures, quelques pièces de menuiserie, quelques montres môme, ce ne serait pas un mal sans remè'lo. Mai* avoir à ses portes un repaire de brigands ou de gens sans aveu, c'est un malheur qui peut entraîner des suites très-fâchon- M ■vus très-bien que si tous les efforts mis en œuvre pour donner à Carouge une graude consistance font une espèce de contraste avec les relations que S. M. sarde vient de former avec nous, elle n'use pas moins d'un droit qui lui est incoo- u-stablement acquis. Je sai< également qu'il y aurait quelque danger dans des recommandations étranger»- -m cet objet, et que leur in- fluence mène pourrait donner lieu à quelque réaction dés- agréable. » Mais il rfen e;»t pas de même, à mon avis, par rapport au maintien de l'ordre public, dans un enilmit qui -e trouve :»ur la frontière de trois autres souveraineté. » Si Carouge devient un cloaque dont les malfaiteurs et une vile canaille puissent faire leur refuge, ils porteront le trouble dans les États limitrophes. Alors le propre intérêt de ce- États peut leur conseiller îles réclamation- trop légitimes pour que la cour de Turin puisse. a\ec quelqu'apparence Ide raison, nous en imputer l'effet. i Sans donc adresser, de notre part, aucune réquisition à la cour de France, je ne vois pas qu'il y ait le moindre in- convénient à lui faire connaître le simple détail des faits 274 résultant du manque de justice et de police à Carouge, et de la conduite des officiers locaux, puisque cela rejaillit nécessairement sur le pays de Gex et les provinces adja- centes. » Nos alliés de Berne n'auraient-ils pas le même droit et le même intérêt à faire de semblables représentations? Et si elles étaient exposées avec quelque force, n'en devrait-on pas attendre une très-grande diminution dans le mal qui nous alarme ? La sagesse du conseil appréciera ces raisons, et, jusqu'à sa réponse, je ne passerai pas les limites qu'il m'a prescrites. » Le 4 avril. « J'ai profité d'une occasion naturelle pour parler au ministre du peu de police qui s'observe à Carouge et dans la canaille qui s'y rassemble. M. Hennin, ancien ré- sident de France à Genève, en était parfaitement instruit, et le ministre me fit lui-même une partie des observations contenues dans ma dernière lettre » Je suis flatté de voir que les principes qui avaient réglé d'avance ma conduite, par rapport à Carouge, se sont trouvés répondre si bien aux vues du Conseil. J'ai donné quelques développements à ces principes, en faisant principalement portçr mes réflexions sur l'espèce d'anarchie qui règne à Carouge, et sur les maux qui eu peuvent naître pour le voisi- nage, sans y joindre aucune réquisition. Mes discours, m'a dit M. Hennin, ont déjà faitquelqu'impression. Ils en pro- duiront encore plus, si vous voulez bien me donner le plus de renseignements possibles sur ce qui se passe à Carouge, et sur l'effet malheureux qui doit résulter nécessairement du désordre actuel. J'aurai grand soin d'informer M. le marquis de Jaucourt de ce que vous me ferez connaître. Vous savez qu'il a, pour seconder nos vœux, des moyens que son affec- tion pour notre République lui fait toujours employer avec plaisir. M. de Jaucourt connaissait si bien l'anarchie de Ca- 275 rouge, et le mal qui en résultait pour nous et pour le pays de Vaud, qu'il concluait toujours que la République devait user pleinement de tous ses droits, avec prudence et modé- ration. m;iis a\ec la plus grande fermeté. » Son excellence le ministre m'a parlé dans ce sens : i Vos • lois sont à \ous. m'a dit ce grand homme, vous devez les « maintenir avec le plus grand soin, en y apportant de la » mesure et de la sagesse, mais en y joignant de la suite et >• de la fermeté. • • .le rappelai alors que ces principes avaient dirigé le Con- seil dams l'affaire de Carouge. qui était devenu un réceptacle de brigands. >< Je connais tout cela, me répondit M. le comte: aussi j'en • ai parlé à M. l'ambassadeur de Sardaigne avec tout l'intérêt » que la chose mérile. Cette cour a le droit de donner à Ca- » rouge l'extension qu'elle juge convenable: mais la police » doit y être sévèrement maintenue, et Ton ne saurait y con- » fier l'autorité à des gens trop sages, puisque la sûreté de » tout le voisinage en dépend à plusieurs égards. » Tout cela fut dil en présence de M. de Jenner. membre du Conseil souverain de Berne, homme de premier mérite, et l'un des meilleurs amis que nous ayons dans ce pays-là. Je vis M. de Jenner. qui est chargé ici d'une mission particu- lière, prêt à verser des larmes d'attendrissement et d'admi- ration. Tout cela sera envoyé à Berne et placé en bon lieu, avec des réflexions convenables, sans que nous ayons l'air d"y avoir la moindre pari. (l'est précisément ce que j'avais voulu, i La lettre suivante de M. Des Franches à M. Hennin', du 17 mai 1 78-4, nous apprend que de nouveaux griefs relativement à Carouge étaient venus s'ajouter aux précédents : 1. M. Hennin, ancien Résident de France à Genève, était devenu premier commis du ministère des affaires étrangères à Versailles. 276 « Le nommé Girod a été décrété et arrêté à Genève pour un acte de faux commis dans nos murs. Il est prévenu d'être le complice de tous les scélérats qui font de Carouge leur domicile et leur refuge. La démarche de la cour de Turin ne s'explique donc pas. Veuillez ne pas perdre de vue que la négligence et la partialité scandaleuses des juges de Carouge prescrivaient au Conseil l'activité la plus vigilante dans une époque où les crimes se multiplient, et où le secret et l'accé- lération étaient nécessaires. Le temps qu'on aurait mis à écrire à Turin aurait éventé la procédure. Quel est donc le tort du Conseil? Celui de s'être mis en garde contre les bri- gands de Carouge qui infestent, depuis deux ans, notre terri- toire et le pays de Vaud. » Une lettre de M. Des Franches au Conseil de Genève, du 18 mai 1784, nous apprend la suite de cette affaire : « M. Hennin et le ministre ont jugé que notre droit était incontestable et qu'il ne pouvait y avoir lieu ni à indemnité, nia réparation. J'ai trouvé M. Hennin si révolté de l'anarchie de Carouge, et si frappé de L'importance qu'il y avait pour tous les souverains du voisinage à mettre fin à ces désordres, qu'il m'a paru avoir à cœur que LL. EE. de Berne témoi- gnassent, de leur côté, l'intérêt qu'elles ont à ce que ce lieu ne devienne pas un réceptacle de malfaiteurs. » Je prends donc des mesures pour que l'on connaisse, ;'< Berne, les scandales de Carouge. 11 serait heureux que la commission de Lausanne fît connaître à LL. EE. le détail des vols faits dans le pays de Vaud. » Le 24 mai 1784. « J'ai encore causé des affaires de Ca- rouge avec M. de Jaucourt. « Nous avons travaillé, m'a-t-il dit encore une fois, pour que vous fussiez maître chez vous. Le droit de décréter, de juger et de punir des sujets de vos voisins pour des vols commis chez vous, est incontestable. » M. de Jaucourt était aussi parfaitement au fait de l'anarchie 277 de Carouge. Il en a parlé à l'ambassadeur de Sardaigne avec tout Pintérêt que la chose mérite. Le bienfaiteur de la Répu- blique veille constamment sur elle, et il est fort à propos de l'instruire avec précaution et diligence de ce qui s'y passe. En voyant autant d'indices des procédés indécents des offi- ciers de Carouge et de la mauvaise disposition de la cour de Turin à notre égard, j'aime mieux que tout se passe à décou- vert que si, par une malveillance plus sourde et plus habile- ment dirigée, on nous était les moyens de la constater. » Du S juin 1784. » La cessation de la jactance de Carouge dans les opérations qu'a occasionnées l'épizootie du bailliage de Ternier, est un signe rassurant. La communication des procédures de Lausanne, relative aux brigands de Carouge, a aussi produit à Turin quelqtf impression. »• La cour de Piémont voudrait donner une grande consis- tance à Carouge. Tout ce qui s'est passé le démontre. Sa ma- jesté sarde en est fort la maîtresse, et tant que cela ne blessera pas les règles de bon voisinage, il serait de la plus mauvaise politique d'y mettre obstacle, puisqu'en compromettant Pa- mour-propre de ceux qui favorisent cette entreprise et peut- être la dignité de la cour, on irait très-certainement à fins contraires. Vous savez, du reste, ce que je pense de la con- currence qu'on redoute pour Genève de la part de cette nouvelle ville et pourquoi je ne la crois pas dangereuse- Laissons donc faire le temps. Je suis bien aise que MM. les conseillers Desarts eUallabert soient allés en mission à Lau- sanne pour ces affaires. >■ De Paris, ///juillet 1784. « Les lumières qu'ont acquises à Lausanne nos deux magistrats, relativement à Carouge, n'ont pu que produire à Berne un effet avantageux. Je crois tou- jours que le mal ne peut être guéri par un remède bien prompt. Mais j'estime qu'on peut préparer la cure. Il vau- drait mieux pouvoir arrêter l'entreprise tout à coup, mais on 278 ne saurait raisonnablement s'en flatter. Ce sera déjà beau- coup si l'on parvient à empêcher, dans cette ville, l'admission de gens tlétris ou justement suspects. Les progrès de la peu- plade en seraient retardés, puisqu'on a besoin de cette vile ressource pour l'accroître. Il faut jouer avec le jeu que nous avons, ne pouvant espérer une révolution soudaine. J'apprends avec surprise que la cour de Turin réclame maintenant contre une sentinelle quia fait son devoir, se voyant insultée. Ces démarches ministérielles pour des objets de simple po- lice cachent un système secret peu satisfaisant pour nous. Vous me ferez donc un vrai plaisir en m'adressant au plus vite le travail que vous m'annoncez. Si les circonstances me conduisent à en tirer parti à Versailles, j'agirai toujours comme de moi-même et sans que le Conseil paraisse y avoir la moindre part. » En dépit des tiraillements et des griefs réciproques de Ge- nève et de Carouge, cette dernière localité continua de pros- pérer encore quelques années. Par lettres patentes du 31 jan- vier 1786, elle fut définitivement érigée en ville, capitale de la province de Carouge, la septième du duché de Savoie. Le roi Victor-Amédée III, par des lettres de la même date, y érigea enfin ce collège tant désiré et si souvent demandé par le comte de Veyrier. On y enseignait la rhétorique, les hu- manités, la grammaire, la belle écriture, la manière de tenir les livres des négociants, et toutes les parties relatives à l'a- rithmétique. Ce collège fut ouvert le 8 mai 1786, et il compta bientôt, dans son corps enseignant, un homme très-distingué, Jean-Louis Grillet, ancien chanoine-custode de la Roche, auteur du Dictionnaire historique, littéraire et statistique des déparlements du Mont-Blanc et du Léman', d'une histoire de la Roche et d'autres ouvrages très-estimés. Chaque année, le Conseil de ville distribuait, avec solennité, des prix aux l. Chambéry, 1807, 3 vol. in-8°. 279 «■radiants qui se distinguaient dans des exercice littéraires à la fin de l'année scolaire. Un revenu de trois mille livres, à prélever sur l'imposition annuelle des biens du clergé de Sa- voie, était assigné à ce collège. Un hôpital s'éleva également avec une dotation de cinq mifle livres de Piémont. L'année suivante, les Juifs obtinrent le droit d'habitation à Carouge, à l'égal des autres citoyens, et. eurent la permission d"\ éta- blir une synagogue'. Le culte public fut enfin permis aux réformés, qui jouirent d'une tolérance assez étendue, à l'exemple de ce qui se pratiqua en France à la même époque. On vit même, à la fin du régime sarde, des citoyens protes- tants occuper à Carouge des fonctions municipales. L'indus- trie nationale recevait aussi une protection intelligente. Les rues, tirées au cordeau, larges, commodes, bien ali- gnées, se multipliaient; deux places spacieuses, celle de Saint-Victor, et celle du marché, faisaient honneur aux ar- chitectes du roi de Sardaigne. Tout, en un mot, semblait promettre à la nouvelle cité un heureux avenir; les diffi- cultés paraissaient levées, quand, par un concours de circon- stances au-dessus de Imites les prévisions humaines, tous ces projets grandioses furent abandonnés en majeure partie, ou n'eurent qu'un faible commencement d'exécution. On aurait tort cependant de croire que les événements de 1789, qui changèrent les destinées de Carouge, aient influé uniquement sur son sort. Déjà avant cette époque, les émigrés genevois, qui s"\ étaient réfugiés, surtout depuis la réaction de 1782, quittèrent en majeure partie Carouge pour rentrer dans leur patrie, à la suite d'amnisties partielles, ou pour aller former plus loin, à Constance, en France, dans les Iles-Britanniques ou ailleurs, des établissements d'industrie et de commerce. t. Conformément aux instructions données, le "27 août 1787, au commandant militaire de Carouge, M. de Mesnies de Lojsinge, par le lieutenant-général du duché de Savoie. Ainsi la destinée de Carouge semblait suivre le sort de Versoix et de Fernex. Les Genevois répugnaient à contri- buer au développement de ces villes naissantes, au détri- ment et aux portes de leur cité natale. § VIII. Carouge depuis l'année 1999. Malgré cette désertion partielle des Genevois réfugiés à Carouge, cette ville comptait, en 1702. une population de 4,672 individus1. Outre les industries dont il a été fait men- tion dans les lettres du comte de Veyrier, on y voyait huit tanneries, dont celle de M. Chossat était la plus considérable2, et où l'on travaillait les cuirs à la manière russe et anglaise. Il y avait aussi des fabriques de couvertures de coton et de bourre de soie, de broderies à chaînettes, de tapisseries et de tentures en papier peint, de cire d'Espagne et d'autres menus objets. Le nombre des traiteurs, aubergistes, limo- nadiers et cabaretiers s'élevait au chiffre exorbitant de cent quarante-deux, qui vendaient journellement deux mille bou- teilles de vin, mesure de Genève, rapportant à l'octroi sept mille livres de Piémont par an. On avait établi sur le canal deux moulins à tan, deux à blé et deux martinets pour la fabrication du fer; l'épicerie avait deux magasins en gros et plus de quarante boutiques de détail. D'autres marchands vendaient en gros et en détail des draps, des mousselines, des soieries et des toiles. Les marchandises d'Italie, de France, de Suisse et d'Allemagne commençaient à prendre la route de Carouge par des messageries spéciales, pour être réparties dans l'intérieur de la Savoie. Le port de Bellerive et la route sur le pont de Sierne mettaient enfin la ville nouvelle en t. Voir à la page 34 les détails de ce recensement de 1792, fait avec beaucoup de soin, par le chevalier de Varax, troisième commandant à Carouge. 2. Les bâtiments de cette fabrique étaient évalués plus de 50,000 fr* 281 coqimuiiicaiion avec le Léman. Les prisons publiques et l'hôtel-de-ville étaient en construction, celui-ci sur un plan «... En dénonçant aux clubs de Genève les autorités constituées de Carouge on a fait un mal incroyable. C'est plutôt au club de Carouge à donner des certificats de oivisme > «... L'on persécute à Genève les amis de la République française. 283 Quand celle-ci fut opérée, et que les autorités française-; furent installées dans Genève. Carouge devint le chef-lieu du canton de ce nom clans l'arrondissement de (îenève (département du Léman). L'administration de M. Louis de Montfalcon, maire de Carouge, donna quelque relief à cette commune dont dépendaient, dans la hiérarchie civile et religieuse , les paroisses de Yeyrier, Archamp , Col- longe, Bernex, Compésières, Confignon, Lancy, Monnetier et Bossey. Pour le culte réformé, Carouge eut une église oratoriale, conjointement avec Fernex-Voltaire, sous la direction spiri- tuelle du Consistoire de Genève, et le culte se célébrait à peu près alternativement clans ces deux localités. Le collège Les auteurs de ces persécutions sont les agents de Messieurs de Berne. Précisément parce que Carouge est très-patriote, Messieurs de Genève et de Berne voudraient aussi y avoir des agents. L'on dit qneGderlnger n'a pas été admis dans Carouge uniquement parce qu'il passe pour ami de la France, bien nous garde des successeurs des Magnifiques '■ Il en est quelques-uns d'honnêtes ; mais l'esprit de corps corrompt tout. . . . Wittcl a agi en bonnète et bon patriote en empêchant, à Ca- rouge, d'opprimer l'Ami du /« uplc J'ai envoyé à Wittcl quinze de mes numéros et une adresse pour le club montagnard, qu'il imprimera. Je rêve quelquefois la régénération, et je vais au club de Genève; mais je n'accepte aucune fonction publique que celle de défenseur officieux du peuple. ■> Un journal, l'Écho des Alpes, feuille démocratique, de format in-4°, parut à Carouge, vers la lin de 1797. Il cessa lors de la réunion de «Ienève à la France. Sun principal rédacteur était F.-Ainédée Doppet, de Ghambéry, d'abord médecin et ensuite général au service de la Ré- publique française, mort à Aix, vers 1800. Le même Doppet a fait imprimer, à Carouge, divers volumes, entre autres un Essai sur les ealomnies dont on peut être accablé en révo- lution (Carouge, 1797), et un opuscule intitulé : < Le code du bonheur est encore à faire », réfutation du Code du bonheur, volumineux ou- vrage du Bernois d'Erlach. 284 de Carouge fut supprimé, et il D'y eut plus qu'une grande école primaire et un pensionnat dont un pasteur protestant, M. Perey, fut principal. Le régime français ne fut pas, en général, favorable à Ca- rouge, qui était un intermédiaire mal placé enlre les deux départements du Mont-Blanc et du Léman. Le chiffre de la population descendit rapidement. En 1814, il n'était plus que de 3,1 19 âmes, en y comprenant celle de quelques hameaux voisins (Grange-Colomb et Pinchat)'. Un événement capital pour la ville de Carouge fut la con- struction du pont de pierres monumental, sur l'Arve, qui remplaça l'ancien pont de bois qui existait déjà avant la constitution de l'indépendance genevoise en 1532, comme on peut le voir dans les récits de la Sœur Jeanne de Jussie, du couvent de Sainte-Claire; pont qui avait été refait égale- ment en bois, mais avec des piles en pierre vers les temps de l'Escalade, en 1602. Ce fut au passage de Napoléon Ier à Carouge, comme il se rendait à l'armée d'Italie, que les habitants de Carouge durent l'érection du beau pont actuel. Des citoyens notables de la localité saisirent cette occasion pour lui en démontrer la convenance et l'utilité, et il la saisit facilement. Au temps du blocus continental, l'industrie de Carouge fil des efforts soutenus pour atteindre les marchés de la Suisse et du continent. Le palais qu'avait fait construire l'intendant Mouthon de Bourdignin, et qui était le plus bel édifice de la ville, devint une grande filature de coton par les soins d'une compagnie d'actionnaires à la tête desquels était le comte Foncet, baron de Montailleur, créateur de cette belle manufacture, où tra- vaillaient jusqu'à six cents ouvriers. On essaya aussi une raffinerie de sucre. Mais la chute de l'Empire français et le 1. Voir l'annuaire du département du Léman pour 1 8 1 4 . 285 rétablissement des relations commerciales entre tous les pays, joints aux tarifs élevés des douanes étrangères, firent tomber rapidement ces industries. Dès les commencements du régime français, les esprits perspicaces avaient vu que c'en était fait de Carouge comme centre indépendant, et que cette localité ne pouvait plus dé- sormais que suivre les destinées de Genève. Dans son Voyage pittoresque et phiisico-êconomiqm duiis le Jura1, ouvrage qui, malgré la bizarrerie delà forme, renferme d'excellents aper- çus, le citoyen .I.-M. Lequinio, connu comme bomme poli- tique et comme économiste, s'evprimait ainsi : « Que me veut cette ville de Carouge, naissante, distribuée par alignements réguliers, ainsi que Rocbefort et Lorient, située aux portes de Genève, avec laquelle elle fait un si grand contraste ? » Genève, ville fort ancienne, placée dans un ordre supé- rieur par sa population de quarante mille âmes et par son commerce. n"a point d'alignement exact des rues, ni la ré- gularité des maisons qui llaltenl dans les villes que le siècle a vu oattrè. Carouge. qui n'en est qu'à un gros quart de lieue au sud-sud-ouest, aurait l'avantage sous ce rapport; mais Carouge n'cfil pont ainsi dire qu'une magnilique bour- gade, et deviendra dans quelques jours une portion de Ge- nève. L'espace qui les sépare doit disparaître, ou du moinsk se remplacer par des maisons qui lieront les deux villes, et n'en feront qu'une seule cité I C'est en effet un des caractères de l'histoire de donner aux lieux qu'elle illustre un privilège d'importance, de durée et d'agrandissement, indépendant des travaux des bommes. Par l'effet des révolutions, la destinée de Carouge, comme celle de Versoix, est venue se fondre dans celles de Genève, que ces deux villes devaient combattre et supplanter! 1. PbDUé à Paris, l'an IX, en i vol. in-S». 286 L'œuvre de Victor-Amédée III n'a pas eu un autre sort que l'œuvre de Louis XV. Les deux villes nouvelles, également déçues dans leurs espérances, partagent aujourd'hui le sort de cette Genève qu'elles étaient appelées à détruire. Fondées par deux monarques absolus, elles vivent sous une constitu- tion républicaine et font partie d'un canton suisse et d'une république fédérative ! Toutefois, on le comprend, la cession de Carouge à Ge- nève et à la Suisse ne se fit pas sans difficultés; il y eut même des luttes armées dans les environs de cette localité qui fut prise et reprise par les armées belligérantes. Après la restauration genevoise du mois de décembre 1813, les Autrichiens, sous les. auspices desquels elle fut opérée, restèrent d'abord concentrés dans Genève. Les Français, expulsés de cette ville, prirent position à Carouge et aux en- virons. Le département du Léman se trouvait ainsi coupé en deux. Le brave et habile général Dessaix. de ïhonon, ne tarda pas à reprendre, avec une poignée de monde, l'offen- sive contre les Autrichiens. Dans plusieurs rencontres, il les battit et les refoula dans Genève. Des hauteurs de Carouge, qu'il occupait, jl pouvait, brûler cette ville: il en avait même, dit-on, reçu l'ordre. Mais il écrivit à l'Empereur, qu'il le suppliait de le remplacer, s'il tenait à ce que cet ordre fût ^exécuté, attendu qu'il ne pouvait agir aussi rigoureusement contre les Genevois qui, la veille encore, étaient ses compa- triotes, et qui pouvaient le redevenir. Napoléon lui permit de suivre les inspirations de son cœur, et Genève n'eut point à souffrir, du côté de Carouge, des hostilités qui, d'ailleurs, eussent été inutiles, Dessaix n'ayant point assez de monde pour contraindre les Autrichiens à se retirer. L'abdication de Fontainebleau et le traité de Paris dissi- pèrent les inquiétudes fort vives des Genevois. Pour faire de Genève un canton suisse et joindre cette ville au territoire 287 helvétique, il fallait lui donner les territoires de Versoix d'un côté, et de Carouge de l'autre. Les cours de France et de Savoie liren! de grandes difficultés, surtout la première, qui nr roulait pas amoindrir l'ancienne France des Bourbons, en abandonnant une commune qui était française depuis Henri IV. L'opposition ne fut guère moindre du côté de la Savoie. Cette puissance, précisément parce qu'elle était se- condaire, devait tenir a honneur de garder pour elle une ville qui était une création toute nouvelle de la maison de Savoie. Mais enfin le gouvernement du roi deSardaigne, se rendant aux oœutt de» pmuamees alliées, consentit aune ces- sion du territoire situé entre le Rhône et l'Arve, entre les frontières de la partie de la Savoie possédée encore par la France, et le mont Salève avec le \illage deVeyrier. La ville de Carouge était comprise dans cette cession , avec environ dix mille aines de population. On sait combien peu il s'en fallut alors que le Chablais et le Faucigny ne devinssent Genevois et Suisses. L'immense événement des Cenls-.lours (1815) et la marche triomphale de Napoléon à travers la France transportèrent de nouveau le sort de l'Europe des salles du congrès de Vienne sur les champs de bataille. Genève et Carouge nY- chappèrenl pas à ces vicissitudes. Dans les derniers jours d'avril IHir>, de nombreux renforts étaient arrivés à la di- vision française stationnée dans le département du Mont- blanc. L'avant-garde d'un corps considérable se broutait rassemblée dans la partie de la Savoie restée à la France, apus les ordres du général Dessaix, et les bruits d'une attaque prochaine de Genève circulaient de nouveau. Carouge était alors occupé par des troupes sardes qui. à la rupture des négociations du congrès de Vienne, avaient repris cette ville comme une légitime propriété de la monarchie de Savoie, dont la cession devenait nulle. Trop faibles pour s'opposer au 288 passage du général français, ces troupes se préparaient à évacuer Carouge et à se replier au delà de l'Arve. On com- mençait à craindre que, moins généreux que l'année pvécé- dente, le général Dessaix n'atlaquât Genève à outrance. On se croyait dans cette ville à la veille d'être repris par les Français. Les hostilités, dans le voisinage de Genève, commencèrent en effet au moment où Napoléon ouvrit la campagne en Bel- gique. Les généraux français, qui commandaient dans les environs de Genève, rompirent toutes les communications sur la frontière, mais ne violèrent pas le territoire suisse propre- ment dit. Le passage de Versoix fut coupé. Carouge fut oc- cupé par les Français, et Genève se trouvait, le 15 juin, dans une sorte de blocus. Le général Dessaix. avait placé son quartier-général à Chêne. L'alarme redoubla dans Genève à la nouvelle des premiers avantages remportés par Napo- léon sur les Prussiens, les 15 et 16 juin; déjà Dessaix prenait ses dispositions pour prendre l'offensive, et des barques étaient préparées à Genève pour ménager la retraite des ba- taillons fédéraux. La nouvelle de la bataille de Waterloo, perdue par les Français le 18 juin, changea l'aspect des af- faires. Carouge fut abandonné par le général Dessaix le 28 juin, après un armistice ménagé entre les Français et les Au- trichiens par le général suisse de Sonnenberg et son chef d'état-major, le colonel Bontemps. Sonnenberg, immédiatement après, et de concert avec le Conseil d'État de Genève, voulut reprendre possession de Xarouge; mais les Autrichiens et les Sardes s'y opposèrent à la fois, en disant que cette occupation serait considérée comme un acte d'hostilité contre S. M. le roi de Sardaigne. L'extension du sol suisse et genevois, du côté de la Savoie, donna lieu de nouveau à des négociations longues et embar- rassées à la reprise du congrès de Vienne. Les répugnances 289 de la cour de Tarin touchant l'abandon de Carouge se mani- festèrent de rechef. Les conditions du remaniement des territoires de l'Europe en 1815 et en 1816 furent encore plus difficiles à déterminer que celles de 1814. Il devait naturellement en être ainsi. La maison de Savoie, en particulier, ne pouvait que renouveler ses objections à l'abandon de Carouge. cette création pour laquelle tant de dépenses avaient été faites de sa part. Faisant enfin acte d'abnégation et de générosité, elle consomma un sacrifice qui ne pouvait être, on le comprend, tout à fait volontaire. 11 fallut donc quelque peine pour assurer la ré- gularisation des frontières de ce côté. La conclusion finale de cet arrangement fut renvoyée, dans les négociations de Paris, à un traité particulier qui devait se discuter à Turin. M. Pictet de Rochemont, qui venait déjà de donner à sa patrie des preuves de dévouement, accepta encore la tâche de représenter Genève et la Suisse aux con- férences de Turin. Il y arriva le 3 janvier 1816, çt le traité de Turin fut signé le 16 mars 1816. Il cédait entre autres au canton de Genève les communes situées entre l'Arve, le Rhône et le Salève, savoir : Veyrier, Rossey-Troinex, Com- pesières, Avusy-Laconnex, Soral, Bernex, Aire-la-ville, Lancy et Carouge. Une zone ou bande de territoire savoisien, com- prise entre la frontière suisse et la ligne des douanes sardes, devait être libre de toute gêne dans les communications commerciales. La religion catholique fut maintenue, parle traité de Tu- rin, et protégée de la même manière qu'elle l'était sous le gouvernement sarde, dans tontes les communes cédées par le roi de Sardaigne et réunies au canton de Genève '. 1. C'est la révision decei article du traité de Turin que des pétitions genevoises demandent aujourd'hui au gouvernement du canton de Ge- nève el au gouvernement fédéral, Be fondant sur ce qu'il est contraire 19 290 Le sort des Israélites, qui avaient continué, sous le régime français, de résider à Carouge, au nombre d'une centaine, et d'y exercer librement leur culte, d'avoir une synagoge et un cimetière spécial, parut un moment compromis lors de l'adoption du traité de Turin. Une loi, rendue en 1816 par le Grand Conseil de Genève, excluait du droit de cité ceux qui ne professaient pas un culte chrétien. Mais une loi posté- rieure, rendue en 1832, admit les Juifs à faire valoir leurs réclamations contre cette disposition, qui a été abrogée défi- nitivement par le Grand Conseil en 1857. Aujourd'hui, après une expérience de plus de trente ans, on peut apprécier les effets de la réunion de Carouge au can- ton de Genève. Cette jolie ville, si elle a perdu quelque chose du côté de l'autonomie, a évidemment gagné sous tous les rapports essentiels qui constituent le bien-être, le progrès, les lumières dans notre civilisation moderne1. Elle a de nou- veau un collège spécial, qui est surveillé et administré comme à la liberté de conscience, et qu'il établit en réalité deux sortes de na- tionalités et de citoyens. Le fait est qu'on a voulu essentiellement, par ce traité, prévenir des actes de prosélytisme et des conflits entre les deux confessions. i. D'après le dernier recensement de la population suisse, ordonné eu 1851, par l'autorité fédérale, celle de Carouge était de i,403 âmes, dont 1,993 hommes et 2,410 femmes. Cette population, sous le rap- port du culte et de la nationalité, était ainsi répartie : catholiques, 3,-296 ; protestants, 1 ,092 ; israélites, 1 o. Bourgeois de la commune, 1 ,285 ; res- sortissants d'autres communes du canton, 1,206; ressortissants d'au- tres cantons, Ô07 ; heimathloses, 29; étrangers, 1516. On comptait à Carouge 1,194 feux et 367 propriétaires fonciers seu- lement. Sur la totalité de la population, 80 hommes et 61 femmes étaient absents de la Suisse. On voit par ce recensement que la population de Carouge, qui éhiii de 4,672 individus en 1792, et qui était descendue à 31 19 en 1814, est presque remontée au premier chiffre, qui était celui de la plus grande prospérité de Carouge au siècle dernier. -201 celui de Genève, de bonnes écoles primaires des deux sexes et des tleux confessions. Il s'y est formé aussi une institution privée pour l'éducation des jeunes demoiselles catholiques. Elle esl dirigée par des Daines nommées : « les Fidèles com- pagnes de Jésus », et les pensionnaires y aflluent de toutes les parties de la Suisse catholique et des pays étrangers. Naturel- lement, ces créations ne sont pas envisagées par tous les esprits de la même manière. Il y a des partis et de l'antago- nisme politique et confessionnel à Carouge, comme ailleurs: là aussi , comme partout , il y a des passions soulevées et le mal est mêlé au bien. .Mais on peut dire que le bon l'emporte de plus en plus sur le mauvais, et que, si l'on compare le présent au passé, il y a, en définitive, améliora- tion et progrès. Cetle heureuse tendance ne pourra que se manifester de plus en plus nettement, à mesure que Carouge s'identifiera davantage et sans arrière-pensée avec Genève et avec la Suisse. C'est là qu'est son avenir. Ce devoir d'affection pour la nationalité suisse et genevoise, gages de progrès à venir, se concilie parfaitement avec les sentiments de reconnaissance que Carouge doit garder envers le prince et la maison souveraine auxquels celte ville doit la naissance et ses premiers développements. L QUI SE TROUVENT à l'Hôtel- «le -Ville «le cette Commune. N° 12. Liasses des mémoires et états concernant la paroisse de Lancy, au nombre de vingt et une pièces. 20. Patentes concernant les foires et marchés du 6 juin 1777. 26. Copie du billet du roi à l'intendant général des gabelles, du 27 novembre 1781, concernant la fabrique des montres. 21. Patentes concernant la douane, du 3 avril 1781. 22. Patentes concernant l'impôt sur le vin, du 25 mars 1783. ■ 23. Patentes concernant le pouvoir de faire des Statuts de police, du 27 mai 1783. 27. Billet du roi, du 22 juillet 1783, concernant les montres fabri- quées à Garouge. 2 4. Patentes concernant l'Hôtel-Dieu, du 31 janvier 1786. 28. Patentes pour l'érection du bourg de Carouge en ville , du 31 janvier 1786. » Billet du roi concernant l'impôt du vin sur Lancy, du 27 jan- vier 1784. 29. Patentes concernant l'abergement du cours de l'eau de Drise dans le canal, du 9 mars 1784. » Autres patentes concernant l'abergement du cours de l'eau de Drise dans le canal, du 9 mars 1784. 31. Extrait des registres de la Chambre des comptes, concernant les foires et marchés de cette ville, du 24 janvier 1778. 32. Projets de Statuts de police de la ville de Carouge, sur grand papier timbré, contenant vingt feuilles utiles. 294 33. Copie de projet des Statuts de police de la ville. 24. Copies de patentes, délibérations, procédures et conclusions de l'avocat général concernant les Statuts de police; dix-neuf feuillets utiles. 55. Autre copie des Statuts de police, contenant vingt-cinq feuillets utiles. 131. Requêtes de différents particuliers à la ville, au nombre de ' quatre-vingt-dix. 46. Copie de patente concernant la gabelle de la viande. 55. Patente, du 20 septembre 1783, concernant le sieur Mauris et les moulins de Lancy. 585. Reconnaissance en emphythéose et abergement perpétuel fait par la ville de Carouge au royal domaine, du 16 avril 1784. 74. Addition aux Statuts de police, décrétée par le Sénat, le 29 août 1789, contenant six feuillets utiles. 105. Plan concernant le déversoir sur le canal, dressé par le sieur Giardin (le décret est du 2i octobre 1788). 125. Plan relatif au renouvellement et au pavé du canal (1784, 1785). 125. Plan pour la construction du décbargeoir sur le canal. 141. Plan d'un nouveau déversoir sur le ruisseau de Drise, dressé par le sieur Secrétan, le 30 juillet 1787. 142. Plan d'un projet d'établissement par les frères Trappier, sur le Canal (5 février 1787). Un cahier coté sous le n» 30, concernant Carouge, 1777, à l'occasion des foires du dit lieu, 6 juin 1777. — Un livre intitulé : « Registre des ordonnances de police pour 1791. » i \m>i:x DES PIÈCES RELATIVES A LA RÉVOLUTION DE G ENÈVE ANNEES 1781-1782-1789. Pièces datées de 1981. 94 septembre. Copie de la lettre de S. E. le comte de Vergennes aux 13 OCtobTt . tO octobre. 24 octobre. 29 octobre. » octobre. cantons de Zurich et Berne. N° Offrande à la Liberté et à la Pair, par un citoyen de Genève, ou Idées de conciliation. Supplément au n°98 de la Gazette de Philadelphie. Très-humble et très-respectueuse représentation des citoyens et bourgeois Représentants. Très-humble et très-respectueuse déclaration pré- sentée au Magn. Petit-Conseil par les membres du Magn. Conseil des Deux-Cents et par les ci- toyens et bourgeois constilutionnaires. Article Genève, tiré des Annales politiques, civiles il I il i n aires, tome I, N° 12. 296 29 octobre. Suite de l'article Genève, tiré des Annales politi- ques, civiles et letlèraires, tome 2, N° 13. N° 7 1S novembre. Troisième adresse aux membres du Comité des Représentants. 8 19 novembre. Nouvelle défense apologétique des citoyens de Ge- nève. 9 23 novembre Les deux Bannières. ( 0 4 décembre. Traduction de la lettre des louables cantons de Zurich et de Berne aux Syndics et Conseil de Genève. Il 10 décembre. Observations sur la réélection et sur le droit de refuser d'élire. 12 14 décembre. Très-humble et très-respectueuse réquisition des citoyens et bourgeois Représentants remise aux seigneurs Syndics et à M. le Procureur général. 13 24 décembre. Très-humble et très-respectueuse réquisition faite verbalement aux seigneurs Syndics par M. Jean Barde, suivi de la généralité des citoyens bour- geois Représentants. 14 26 décembre. Très-humble et très-respectueuse déclaration des membres du Magnanime Couseil des Deux-Cents, et des citoyens et bourgeois constitutionnaires, adressée au Magnifique Petit-Conseil. lo Pièces datées de 198%. 4 février. Sixième adresse aux membres du comité des Re- présentants. N° 16 11-12 avril. Lettres contenant la relation de quelques émeutes qui eurent lieu dans Genève. 17 23 avril. Traduction d'une lettre des louables cantons de Zurich et de Berne, adressée aux seigneurs Syn- dics. 18 2 mai. Lettre de S. E. M. le comte de Vergennes à M. l'am- bassadeur de France à Soleure. 19 9 mai. Lettre adressée aux M. P. et très-honorables Seign. les seigneurs Bourgmaîtres , Petit et Grand 297 Conseils de la Ville et République de Zurich, et le seigneur Avoyer, Petit et Grand Conseils de la ville et république de Berne, par les citoyens et bourgeois Représentants de la Ville et Répu- blique de Genève, suivie d'une adresse aux sei- gneurs Syndics de la Ville et République de Ge- nève, à eux [remise. N<, 20 10 mai. Traduction d'une lettre du louable canton de Berne adressée aux seigneurs syndics de la ville de Genève. „. Id. Brochure importante sur les troubles de Genève. 22 6-1S mai. Lettre d'un constitutionnaire à un Représentant sur les affaires de la République de Genève. 24 22-2i mai. Relations relatives aux affaires de Genève. 24 31 mai. Très-humble et très-respectueuse déclaration des citoyens et bourgeois Représentants, remise aux seigneurs Syndics et à M. le Procureur général. 23 M. Pièces relatives aux troubles actuels de Genève. 26 2 juin. Discours d'un citoyen Représentant sur la décla- ration remise, le 31 mai 1782, aux seigneurs Syndics, pour la généralité des citoyens ou bour- geois Représentants. 27 4 juin. Très-humble et très-respectueuse déclaration des nouveaux membres du Magnifique Conseil des Deux-Cents, remise aux seigneurs Syndics. 28 7 juin. Entendons-nous. 9 juin. Copie de la lettre de S. E. M. le comte de Ver- gennes au louable canton de Berne. 50 7-10-1 1 juin. Extrait des registres des Magnifiques Petit et Grand Conseil. ,, l'y juin. Très-humble et très-respectueuse adresse remise à la noble commission de sûreté par la généralité des citoyens et bourgeois Représentants. 32 M juin. Extrait d'une lettre relative aux affaires de Genève. 33 17 juin. Modèle de dévouement à la patrie, ou extrait d'un Précis historique du siège de Saint-Jean-de-Losne, 298 avec des réflexions dédiées à tous, les vrais Ge- nevois. N° 34 18 juin. Extrait de lettre relative à la Révolution de Genève. 36 23 juin. Extrait de lettre de Carouge relative à la Révo- lution de Genève. 36 28 juin. Autre extrait de lettre. 37 29 juin. Déclaration de délai accordé par le ministre de Jau- court à la ville de Genève pour délibérer si elle doit se rendre. 38 29 juin. Lettre anonyme à l'égard des affaires de Genève. 59 29 juin. Très-humble et très-respectueuse adresse aux sei- gneurs Syndics. 40 — — Mauifeste du comte de La Marmora, qui ordonne à tous les sujets du roi de Sardaigne qui se trou- vent dans Genève, d'en sortir si faire se peut. 41 » juin. Lettre du comte de La Marmora à MM. les Syndics de la Ville de Genève. 42 — — Déclaration du comte de La Marmora, adressée aux Syndics de Genève. 43 2 juillet. Extrait de lettre sur Carouge et sur les affaires de Genève. 44 1 juillet. Copie de lettre à l'égard de la révolution de Genève. 45 4 juillet. Déclaration des généraux des armées coalisées de nullité des actes postérieurs au 7 avril 1782. 46 5 juillet. Extrait de lettre à l'égard des affaires de Genève. 47 9 juillet. Extrait de lettre de Carouge sur les affaires de Genève. 48 10 juillet. Déclaration des généraux commandant les armées coalisées pour le désarmement des cit. de Genève. 49 5 novembre. Discours prononcé à l'audience du Petit-Conseil de Genève, par S. E. le comte de La Marmora. 50/° 18 novembre. Extrait des registres du Conseil, des 5, 6, 11, 12, 15 et 14 novembre 1782, approuvé au Magnifi- que, Conseil des Deux-Cents. fil 2° 21 novembre. Ed.it dudit jour. 52 21 novembre. Lettres des généraux des armées coalisées adres- 299 sées aux Syndics et Conseil de la République de Genève. N'o 32 il novembre. Réponse des Syndics, Petit et Grand Conseil, à la précédente. 55 ■ rcmbre. Discours prononcé à l'audience du Petit-Conseil de la République de Genève, par S. E. le marquis de Jaucourt. 34 » novembre. Ëdit de pacification pour la République de Genève. « Il forme un volume in-octavo séparé. » Pièce datée de 1983. — — Projet du Code des Ëdits politiques, contenant celles des lois politiques auxquelles il n'a pas été dé- rogé par l'Édit du 21 novembre 1782, rédigé par la Commission nommée par le MagniBq. Conseil des Deux-Cents. N° 35 Pièces datées de 19 89. il janvier. Double de lettre de Genève à l'égard des affaires de cette ville. >"" 38 30 janvier. Relation des troubles arrivés dans Genève les 26, 27, 28 et 29 janvier 1789, à l'occasiou de l'aug- mentation du prix du pain. 57 3 février. Double de lettre de Genève à l'égard des affaires courantes. 38 6 février. Extrait des registres du Conseil. 59 6 février. Double d'une lettre d'un Genevois établi à Carouge, adressée M. le Directeur des Gabelles Soleri. 60 10 février. Double de lettre de Genève. 61 10 février. Double de lettre d'un Genevois. 62 13 février. Double d'un P. S. d'une lettre écrite de Genève. 63 Pièces sans dates. Précis bistorique de la dernière révolution de la République de Genève. N° 64 300 Second moyen de nous concilier par nous-mêmes dans les cir- constances présentes. N» 65 Le Genevois à ses compatriotes. 66 Lettre d'un ami de la paix aux Genevois ses concitoyens. 67 Adresse qui devait être remise aux Syndics. 68 Discours aux Genevois par J.-L. Bremond. 69 Idées soumises à l'examen de tous les conciliateurs par un mé- diateur sans conséquence. 70 Considérations d'un patriote. 71 La loi fondamentale de la Constitution de Genève. 72 5 , ■ ■ g|JJ3i*nnn - _ --^Stâ^K EN VENTE A Genève, chez M. Kessmann, libraire de l'Institut Genevois, et chez les principaux libraires de la Suisse et de l'Étranger. Le Bulletin «le l'Institut Genevois. Tomes I à V, 5 volumes in-8°, contenant 12 .Numéros. Prix 6 fr. le vol. (Le sixième volume sera terminé au mois de septembre 1857.) Les Mémoires de l'Institut Genevois, Tomes 1 à IV. — 4 vol. grand in-4° avec planches col. Prix 25 fr. le vol., et 80 fr. les 4 vol. pris ensemble. Ces volumes renferment les mémoires de M. le professeur Cli. Vogt sur les animaux inférieur* de la Méditerranée; le mémoire de M. le professeur Hisely sur les Comtes de Genève et de Yaad avant le XHIm- siècle; le mémoire île M. le pro- fesseur Mayor père, sur la Nécrose des os; le mémoire de M. Gabriel Mortillet sur les coquilles d'Arménie; les mémoi- res de M. le professeur Gaullieur sur les livres Carolins de la Suisse et sur les chroniques de Savoie; le mémoire de M. de Gingins La Sarraz sur quelques localités du Bas-Valais au com- mencement de noire ère. eulr'uulressur Tauredunum et l'abbaye de Saint-Maurice d' Agaune ; le prodrome d' une géologie de la Sa- voie par M. Gabriel Mortillet; un mémoire deM. E. Ritter, doc- teur ès-sciences, sur une nouvelle méthode pour déterminer les éléments de l'orbite des astres; plusieurs mémoires mathémati- ques de M. Gabriel Oltramare; un mémoire de M. Moulinié fils sur les transformations des vers intestinaux, et les nouveaux principes d'Orographie jurassique de M. le professeur .1. Thur- mann (lre partie). Le cinquième volume, sous presse, comprendra la suite de ce dernier travail et divers autres Mémoires. AVIS. — Le N° 14 du Bulletin Genevois contenant le Compte rendu de la séance générale du 24 Août 1857, est sous presse, pour paraître incessament. BULLETIN Ml. \ Tome VII. -^^S^j^f^^f^. . \ . ftEXEVE. CHEZ KESSMANN, ÉDITEUR, LIBRAIRE DE l' INSTITUT GENEVOIS. ET CHEZ LES PRINCIPAUX LIBRAIRES DE LA SUISSE. 1858 IMPRIMERIE VANEY, RUE LA CROIX-D'OR, M. i:\TRAIT REGLEMENT GENERAL DE L'INSTITUT NATIONAL GENEVOIS. \i:t. 33. L'Institut publie un Bulletin et des Mémoires. Art. 34. Le Bulletin parait à des époques indéterminées, qui n'ex- cèdent cependant pas trois mois ; les Mémoires forment chaque année un volume. » Art. 35. Ces publications sont signées par le Secrétaire général. \kt. 36. Le Bulletin renferme le sommaire des travaux intérieurs des cinq Sections. La publication en est confiée au Secrétaire général. qui le rédige avec la coopération des Secrétaires de chaque Section. » Art. 37. Les Mémoires in-exlcnso, destinés au Recueil annuel, sont fournis par les Sections. \r. r. 38. Les Mémoires des trois catégories de n embres de l'In- stitut ' effectifs, honoraires, correspondants), sont admis dans le Recueil. i Art. 39. A ce Recueil pourront être joints les gravures, litho- graphies, morceaux de musique, etc., dont la publication aura été approuvée par la Section des Beaux-Arts. » Art. 10. Le Recueil des Mémoires sera classé en séries corres- pondantes aux cinq Sections de l'Institut, de manière à pouvoir être détachées, et au besoin acquises séparément. « Art. il. La publication du Recueil des Mémoires est confiée au Comité de gestion. » Le Secrétaire général de l'Institut national genevois. E.-U. GAILLIEIR. Professeur. BUREAUX DE L'INSTITUT NATIONAL GENEVOIS. Président de l"Institut, M. Charles Voct, professeur à l'Académie de Genève. Vice-Président, M. Marc Viridet, Chancelier. Secrétaire générai., M. E.-H. Gaulmecr, professeur d'histoire à l'Académie de Genève. Section des Sciences naturelles et mathématiques : Président, M. le professeur Ch. Vogt. — Vice-président, M. Elie Ritter, docteur ès- sciences. — Secrétaire, M. J. Moulinié. Section des Sciences morales et politiques, d'Archéologie et d'His- toire : Président, M. James Fazy. — Vice-Président, M. Massé, prési- dent du Tribunal criminel. — Secrétaire, M. Gaulliecr, professeur. — Vice-Secrétaire, M. Grivel, archiviste. Section de Littérature : Président, M. .Iules Vin, avocat. — Vice- Président, M. Cherblliez-Boiirrit, professeur. — Secrétaire, M. Henri Blanvalet. — Secrétaire-Adjoint, M. John Braillard. Section des Beaux-Arts : Président, M. Franc. Diday. — Secrétaire, M. Franc. Grast. Section d'Industrie et d'Agriculture : Président, M. Marc Viridet. — Secrétaire/M. Olivet fils, docteur en médecine. — Secrétaire-Ad- joint, M. Bouffier aine. — Trésorier, M. Hugues Darier. Comité de gestion et de publication. MM. le Président et le Secrétaire général de l'Institut, — A. Cher- buliez, professeur, — Longchamp, professeur, — James Fazy, — M. Viridet, — F. Diday. N» u — 1857. OCTOBRE. BULLETIN DE L'INSTITUT NATIONAL GENEVOIS. SÉANCE GÉNÉRALE DO LDNDI 24 AOUT 1857. Présidence de M. James FAZY. Pour cette séance générale, l'Institut s'est réuni au nou- veau local qui lui a été afl'ecté, dans le bâtiment électoral. Après la lecture du procès-verbal de la dernière séance, faite par M. le professeur Gaullieur, secrétaire général, M. James Fa/y, président de l'Institut Genevois, a prononcé le discours suivant : Messieurs, Depuis notre dernière séance générale, l'Institut a suivi régulièrement sa marche ascendante. Les prévisions de la loi qui l'a fondé n'ont pas été trom- pées, et chaque jour il réalise ce qu'on attendait de lui. L'intention a été de grouper en un seul corps les diverses branches des connaissances humaines dont on s'occupe à Genève, et d'établir entre elles la corrélation, si nécessaire aujourd'hui, pour les faire fructifier et les amener à des ap- plications utiles. 2 ■ Les sciences naturelles et mathématiques, dans toutes leurs divisions, les sciences morales et politiques, la littérature, les beaux-arts et les applications agricoles et industrielles, ont trouvé dans nos Sections de dignes représentants, et déjà des publications importantes ont eu lieu, qui ont prouvé au public que leurs occupations ne sont pas vaines. Dans le courant de cette année, en outre de ses travaux ordinaires, qui ont marché avec régularité, l'Institut a pris part à diverses entreprises d'utilité publique ; la coopération de sa Section d'Industrie et d'Agriculture a été, entre autres, très-utile aux organisateurs de l'Exposition suisse d'industrie, ouverte actuellement à Berne. Il est malheureux que les or- ganisateurs de celle des beaux-arts, ouverte dans la même ville, n'aient pas eu recours à l'assistance de notre Section des beaux-arts. A cette occasion, je vous rappellerai qu'une exposition genevoise des beaux-arts va être ouverte à la lin de sep- tembre, par les soins du gouvernement. Quelques personnes avaient craint que celle exposition, particulière à notre can- ton, mais dans laquelle les artistes suisses des autres cantons et étrangers sont admis, ne fût abandonnée pour ne plus con- courir qu'aux expositions nomades de la Société suisse. Vous savez que particulièrement notre Section des Beaux-Arts avait exprimé des regrets à ce sujet, et c'est avec satisfaction que je vous annonce que le gouvernement est décidé à continuer une telle exposition tous les deux ans. L'exposition aura lieu probablement dans le local destiné à l'Institut, dont nous occupons en ce moment la salle principale. Si cependant le nombre des objets envoyés se trouvait assez considérable, ce serait dans la grande salle des élections qu'elle aurait lieu. .l'ose espérer que la Section des Beaux-Arts et tout l'Institut prêteront (ont leur concours à la réussite de cette Expo- sition. 3 Les publications de l'Institut se sont soutenues cette an- née au niveau qu'elles avaient atteint dès le début. Le tome l'" des mémoires vient d'être achevé, et il va être délivré aux membres effectifs ; il contient des travaux scientifiques d'une valeur réelle. Le tome 5m'' du Bulletin a élé distribué il y a un mois. Le tome6me le sera avant la fin de l'automne. Ainsi, loin d'être en relard, le Comité de publication sera plutôt en avance. Les fonds de l'allocation affectée à l'Institut par le budget de l'Etat ont continué de recevoir leur destination réglemen- taire. U^> concours intéressants continuent d'être ouverts, et des Sections ont même pu doubler le chiffre ii\é primitive- ment pour les prix à décerner. Nous nous trouvons dès aujourd'hui installés dans un nou- veau local qui. je l'espère, va contribuer au développement de la pensée qui a présidé à la formation de l'Institut. Les diverses Sériions auront ici plus souvent l'occasion de se ren- contrer en séances familières; d'un autre côté, tous les mem- bres de rinstiiul pourront journellement fréquenter ce local ei > consulter les divers écrits périodiques que reçoit l'Institut et la Bibliothèque qui, nous l'espérons, va s'accroître rapi- dement. Ce sera aussi pour eux l'occasion de se voir plus souvent et de s'entretenir à loisir (\c> objets pour lesquels rinstiiul a été fondé. Avant de terminer, permettez-moi. Messieurs, d'offrir ici, au nom de tout l'Institut, nos remerciements à M. le Secré- taire général, dont le zèle en faveur du développement de l'Institut ne's'est pas ralenti un seul instant. Je dois surtout, en qualité de président qui, hélas I n'a pas pu s'occuper de ses fonctions autant qu'il l'aurait voulu, lui rendre l'hom- mage que c'est grâce à lui que nous avons pu suivre avec assez, d'exactitude les prescriptions réglementaires de notre organisation. 4 A ce sujet, Messieurs, permettez-moi, en vous adressant mes remercîments pour l'honneur que vous m'avez fait de me nommer votre Président, de vous prier de ne pas songer à moi dans l'élection à laquelle vous allez procéder, et de vouloir bien arrêter votre choix sur un de nos membres qui aie le bonheur de pouvoir y mettre plus de temps, et par conséquent plus de soins. Vous aurez à procéder aujourd'hui à l'élection du Prési- dent, du Vice-Président, du Secrétaire général et du Comité de gestion de l'Institut. M. le professeur Gaullieur, Secrétaire général, a fait ensuite, en ces termes, le rapport sur la situation de l'In- stitut : Messieurs et très-honorés Collègues, Bien que cette séance générale, aux termes de notre règle- ment, soit essentiellement consacrée au renouvellement du Bureau, je crois devoir par anticipation vous donner, sur la marche de l'Institut Genevois, un rapport qui sera complété dans notre séance générale de la fin de l'année. Les publications de l'Institut, qui avaient subi quelques re- tards par l'effet de circonstances indépendantes de la volonté de votre Secrétaire général, ont repris leur cours ordinaire. Le tome quatrième des Mémoires sera distribué dès que les planches de la première partie du Mémoire géologique de feu M. Jules Thurmann, que notre collègue, M. le professeur Vogt, a bien voulu revoir, auront été terminées. Les matériaux du tome cinquième des Mémoires sont réu- nis, et l'impression commencera incessamment. Il renfermera, entre autres, un Mémoire philologique et littéraire de M. le professeur Cherbuliez-Bourrit sur les rhé- teurs grecs, rempli de recherches savantes et ingénieuses. 5 Le cinquième volume du Bulletin de l'Institut a paru il y a un mois, et le sixième sera terminé à la fin du mois de sep- tembre prochain. Les matériaux pour le tome septième sont déjà réunis en très-grande partie. A l'occasion de ces publications, votre Commission de gestion doit vous soumettre, Messieurs et très-honorés Col- lègues, une question qui n'est pas sans quelque difficulté. Aux termes de votre décision, prise dans la sixième séance générale du 1" mars 1856, les volumes de Mémoires sont distribués gratuitement à tous les 'membres effectifs de l'Institut, et tous les volumes des Bulletins ont continué de l'être à tous les membres effectifs, honoraires et correspon- dants. Le tirage des publications de l'Institut s'étant fait jusqu'ici à 500 exemplaires, on peut, sans difficultés, continuer la dis- tribution des Mémoires comme vous l'avez décidée. Il n'en est pas de même pour le Bulletin. Le nombre des membres ho- noraires s'est tellement accru (puisqu'une seule Section, celle d'Industrie et d'Agriculture, en compte environ 150), et celui des correspondants s'est aussi tellement augmenté, que si l'on continuait la distribution gratuite du Bulletin sur le même pied que jusqu'à présent, il n'y aurait plus de quoi suffire aux échanges futurs avec les Sociétés savantes qui nous envoient leurs collections. Déjà quelques-uns de nos premiers numéros, qui ont été distribués aux membres du Grand Conseil ou envoyés de divers côtés comme essais, sont à peu près épuisés. Dans cet état de choses, le Comité de gestion désirerai prendre votre avis pour savoir s'il doit augmenter le tirage et par conséquent les frais d'impression du Bulletin, ou bien s'il ne conviendrait pas de supprimer l'envoi gratuit aux cor- respondants, d'autant plus que cet envoi est grevé de frais d'affranchissement pour ceux qui sont hors de la Suisse. 6 Peut-être conviendrait-il aussi de fixer un prix modique pour l'envoi du Bulletin aux membres honoraires. Votre Comité de gestion a remis des exemplaires des Mé- moires à une Section (celle d'Industrie et d'Agriculture) qui a désiré de pratiquer directement des échanges avec des So- ciétés savantes du dehors. Il croit qu'il importe de continuer sur le même pied, parce que les Sections sont les meilleures juges des relations qu'il leur convient d'entretenir à l'é- tranger. La prise de possession de notre nouveau local permettra de donner à notre bibliothèque une plus grande extension. On pourra même ménager des bibliothèques spéciales pour les Sections. A cette occasion, comme plusieurs membres avaient annoncé l'envoi d'ouvrages dont ils voulaient doter l'Institut, je rappellerai que rien ne s'oppose plus désormais à la réalisation de ces intentions généreuses. Dans le courant de cetle année, l'Institut a encore aug- menté beaucoup le nombre de ses membres honoraires, et il a fait l'acquisition de bons correspondants. Il a perdu deux membres estimables, dont vous allez entendre l'éloge nécro- logique. Enfin, pour terminer par ce qui concerne la situation financière de l'Institut, je dirai que sur l'aliocation de 7,000 francs qui est portée à l'actif de son budget pour l'année courante, 3,000 fr. seulement ont été touchés jusqu'ici. Ils ont été répartis comme suit : Fr. 600 — pour l'allocation de la Section de Littérature. » 600 — pour celle de la Section d'Industrie et d'Agri- culture. » 1772 50 pour frais d'impression des Mémoires et du Bulletin . Fr. 2972 50 1 Les autres frais ont été couverts par le solde resté à l'actif du budget de l'année dernière. Sur la proposition de MM. Viridet (Marc) etMoulinié pères la question soulevée, dans le rapport du Secrétaire général, touchant la publication du lluUrtht. est renvoyée au Comité de gestion. 11 est ensuite procédé à l'élection d'un Président et d'un Vira-Président de l'Institut, pour le ternie de deux ans. MM. Marc Viridet et Moulinié (ils sont désignés comme scrutateurs. 58 bulletins sont distribués. M. le professeur Vogt est élu président par 42 suffrages. M. le professeur Cherbuliez-Bourrit en obtient 12, M. James Fazy 4, M. Carteret (Antoine') 2. M. Viridet (Marc) est élu Vice-Président par 29 suffrages. M. Cherbuliez-Bourrit en obtient 12, M. Vogt 6, M. Ritter 3, M. Moulinié père •'!, el les autres suffrages sont répartis sur divers membres-, L'Institut réélit ensuite M. le professeur Gaullieur par 58 voi\ sur .">(J. Il est procédé à l'élection des cinq membres composant le Comité de gestion. Les membres sortants étaient MM. Vogt, Diday. Longchamp, Hugues Darier et Marc Viridet. 56 bulletins sont retrouvés dans l'urne. Sont élus, au scrutin de liste, MM. James Fazy par 50 voix, Marc Viridet par 3'.». Diday par 33, Cherbuliez par 29, Long- champ par '27). Les membres qui ont ensuite réuni le plus de voix sont MM.Vuy 18, Hugues Darier 17, Élie tiitter 13, Moulinié fîlsll. L'ordre du jour appelle le rapport de la Section de Litté- rature sur le quatrième concours qu'elle avait ouvert. Ce rapport est fait, pour le concours de poésie, par M. Jules Vuy, avocat, Président de la Section de Littérature. M. le Rapporteur s'exprime en ces termes : Messieurs, En 1856, la Section de Littérature avait, pour son qua- trième concours, proposé les prix suivants : 1° Recherches sur la poésie populaire dans les divers dialectes de la Suisse romande; 2° Nouvelle (ou roman) dont le sujet sera emprunté aux souvenirs historiques ou légendaires de la Suisse ; 3° Dante en exil, pour le prix de poésie ; 4° La poétique du roman ou le roman et ses variétés, étudiés du point de vue de F esthétique et de la morale1. Deux des sujets proposés par la Section ont trouvé des concurrents; M. le professeur Cherbuliez-Bourrit vous ren- dra compte de la partie du concours relative à la poétique du roman. Je suis chargé de vous parler du prix de poésie, et je vais vous faire part brièvement, Messieurs, des conclusions qui, après un examen sérieux, ont été admises par la Section de Littérature. Dante en exil, tel était le sujet de poésie choisi, l'année dernière; ce sujet, dont la beauté ne saurait être méconnue, présentait en même temps de graves difficultés pour être abordé avec un talent original et qui ne fût point trop au-dessous de l'auteur de la Divine Comédie. Ce n'était en effet qu'à l'aide de hautes études, de méditations approfon- dies, que l'on pouvait espérer de voir reproduire dignement l'austère figure de ce grand poète qui honore l'humanité tout entière et dont le nom suffirait pour illustrer une nation. Sur les cinq pièces envoyées à la Section, trois ont été im- médiatement écartées par le jury; ce sont les numéros deux, trois et quatre qui, d'emblée, n'ont point paru pouvoir tenir \. Bulletin de l'Institut, tome V, page 130. 9 devant une appréciation sévère et impartiale. Sans vouloir leur dénier tout mérite Quelconque et sans juger ici leur valeur comparative, nous n'avons donc pas à les apprécier de plus près, au point de vue du concours. Il ne restait ainsi en présence que deux pièces ; l'une (nu- méro un) qui porte pour épigraphe ces mots de Dante : « Pas de peines plus vives que de se souvenir, dans l'in- fortune, des jours de bonheur: • l'autre (numéro cinq) qui a pour épigraphe ces vers également de Danle : Et toi, tu t'en iras en laissant en arrière » Ceux à côté desquels la vie aurait coulé : Nt la le premier coup qui frappe l'esilé. Tu sentiras bien loin de Florence et des nôtres, » Qu'il est dur de monter les escaliers des autres » Et combien est amer le pain de l'étranger ! Ce qu'on a loué dans le numéro un, c'est une forme dra- matique assez heureuse, des descriptions qui ne sont pas dénuées de mérite, çà et là des pensées ingénieuses et quel- ques beaux vers; mais, en somme et dans son ensemble, la pièce est plutôt un exercice de rhétorique qu'une étude sé- rieuse et vraiment profonde du sujet proposé ; on y remarque des erreurs de goût, des longueurs fatigantes, des détails inu- tiles, parasites en quelque sorte ; le discours de Dante, en par- ticulier, esl démesuré etne rappelle point la grave brièveté du grand poète, la conclusion de l'œuvre esl traînante et lourde. On dirait un auteur qui a bien le sentiment poétique, mais qui, soit sous le rapport de l'exécution, soit sou.- le rapport des idées, laisse beaucoup à désirer et ne rend souvent qu'avec l'imperfection d'un novice ses pensées les plus heu- reuses. Ce qui' la Section blâme aussi dans cette œuvre, c'est une espèce de vasselage littéraire qui décèle de suite un ta- lent fort inexpérimenté et tout plein encore de ses lectures. Les apostrophe- adressées à Florence et à Home, par 10 exemple, ne sont-elles pas un reflet plus ou moins direct des apostrophes que Barbier, dans ses ïambes, adresse a Paris? Ne trouvons-nous pas aussi des traces évidentes et presque palpables du monologue de Don Carlos, de Victor Hugo, < 1 ; : 1 1 s cette lirade qui, à l'imitation près, renferme d'assez beaux vers ; ceux-ci, par exemple : « Tout comme aux premiers jours Dieu mit au front des El que l'humanité, dans une paix profonde, » Vit ces Atlas jumeaux porter le poids du monde. • Cette pièce, qui doit traiter de Dante et de Dante en exil, porte trop le cachet de l'époque contemporaine; certes, nous ne craignons pas les allusions au présent, mais nous aurions voulu que cette œuvre respirât davantage l'époque de Dante, et qu'elle ne trahît pas si souvent une imitation plus ou moins habile, toujours regrettable au point de vue de l'art, de poètes d'ailleurs très-distingués de notre temps, et dont le nom mérite de passer à la postérité. La pièce numéro un, à laquelle la Section accorde une mention honorable, ne devra, à notre avis, être publiée qu'après avoir subi, dans les détails et dans l'ensemble, de notables changements. L'auteur du numéro cinq est le seul qui sache réellement écrire en vers avec élégance et correction, et qui possède un talent déjà mûr ; il connaît bien son sujet et a saisi, d'une manière moins imparfaite que les autres concurrents, la phy- sionomie de Dante. Dante, exilé de sa patrie, le cœur navré, sentant l'espoir s'éloigner avec Florence, a, dans son âme de poète et en face de cette patrie même qu'il vient de quitter, une vision solen- 11 nelle. Il pressent Pidée-mère de la grande œuvre qui sera la pensée constante e! la nourriture de son exil, il entrevoit comme à \ Enfin, le glas sonne pour lui : «... C'est donc l'heure suprême, Non, c'est l'heure de gloire et d'immortalité ! • On l'a dit avec raison : « Sans vouloir exiger du poète an ordre rigoureux, il est permis du moins de lui demander une sorte d'enchaînement dans les idées qu'il exprime. » C'est- à-dire, en d'autres tenues, que le plan d'une oeuvre est une partie essentielle de l'art, et que, si tout, marbre renferme une statue, il n'y a que les grands maîtres qui sachent la découvrir et la tirer du bloc où elle est cachée. A ce point de vue, le plan de la pièce numéro cinq a été l'objet de quelques remarques; ces deux visions successives, l'une idéale, l'autre réelle, si je puis m'exprime? ainsi, sont- elles bien à l'abri de toute critique? Le plan de la pièce n'eût-il pas gagné à être conçu d'une manière un peu ditlé- renle? Ce smit ih^ scrupules dont nous ne voulons pas exa- gérer l'importance, et que nous nous bornons à soumettre à l'auteur du numéro cinq. Il en appréciera la valeur et le mérite. Nous ne nous arrêterons pôè davantage à une ou deux né- gligences de rythme ; nous n'insisterons pas non plus sur 12 une certaine monotonie de ton qui tient peut-être en partie au sujet lui-même. Nous tenons à terminer par un éloge qui a bien sa valeur, je veux parler de cette brièveté dans le style et de cette mesure dans l'expression qui se retrouvent sou- vent dans le numéro cinq, et que nous ne saurions qu'ap- prouver. C'est une qualité rare de notre temps; sans doute, elle ne doit pas dégénérer en sécheresse et devenir un des pires défauts, comme cela peut arriver facilement sous la plume d'un auteur médiocre, mais ne l'oublions point : l'abondance des paroles et les images prodiguées outre me- sure ne tendent pas toujours à mieux reproduire le type idéal que l'esprit seul découvre ; on étouffe trop souvent la donnée poétique en voulant la faire ressortir à outrance, et on lui enlève son relief en voulant lui en trop donner. Sous ce rapport, des éloges sont dus à l'auteur du numéro cinq, dont l'œuvre nous a paru digne d'encouragements. La Section de Littérature a accordé au numéro cinq un accessit de cent cinquante francs. M. le professeur Cherbiiîie:-Bourril a pris la parole, après M. Jules Yuy, pour rendre compte du concours ouvert sur cette question : « La poétique du roman. Il s'exprime ainsi : On ne peut refuser au roman une plaee éminente parmi les amusements et les plaisirs de notre civilisation. Qu'on se représente, pour s'en former quelque idée, une catastrophe qui le ferait disparaître, un conquérant barbare, un fanatique à la tête de hordes fanatiques, un autre Omar, farouche com- mandeur des Croyants, qui envahirait notre Europe, et dé- pouillerait nos bibliothèques et nos cabinets de lecture pour allumer d'immenses bûchers, et dont le décret inexorable, le Coran, rien d'autre que le Coran, arrêterait la plume de nos écrivains ! Soyons sincères ! Est-ce le roman que nous \s regretterions le moins? Quel vide nous laisseraient les œuvres d'un Richardson, d'un Le Sage, d'un Dickens, d'un Balzac, d'un Alexandre Dumas, d'un George Sand, d'un About et de tant d'autres aimables conteurs, auxquels nous avons dû tant de fois un agréable rafraîchissement d'esprit et l'oubli momentané de nos peines ! Quelle œuvre, en effet, si ce n'est celle du romancier, se prête à charnier la solitude comme à égayer la veillée au coin du feu, et s'adresse à toutes les portées, à tous les degrés d'instruction? Quelle autre a le secret d'etlleurer tour à tour la surface de notre être et d'en remuer les profondeurs ? A combien peu de frais, soit pour notre bourse, soit pour l'emploi du temps, si nous sommes sages, nous goûtons la jouissance de ce breu- vage enchanté, qui, pour ceux qui en usent avec choix et avec prudence, fait partie d'une bonne hygiène et favorise la santé de l'âme I Car enfin celte lecture peut-elle être, sans injustice, taxée de frivolité si nous y recherchons le spectacle instructif des choses humaines, la fidèle image de nos passions, de nos folies et de la destinée qu'elles nous font, la science de la vie, du monde et la connaissance plus précieuse encore du cœur humain ! I ii autre fait non moins frappant, non moins caractéris- tique, et qui achève de démontrer la popularité de ce genre de littérature, c'est sa prodigieuse fécondité. A ne prendre pour exemple qu'une des grandes nations de l'Europe, com- bien, en France, ne se publie-il pas de romans? C'esl par centaines, par milliers qu'on pourrait les compter; les unes, et ce n'est pas le pins petit nombre, ne vivent, comme cer- tains insectes ailés, que quelques heures ou meurent même en naissant; d'autres jouissent de quelques jours de vogue et s'enfoncent à jamais dans le lleuve de l'oubli ; d'autres enfin vivent dans la mémoire des générations et placent leurs auteurs au rang îles premiers génies de leur époque! Mais 14 quelle veine intarissable de production, et quel besoin vive- ment et généralement senti elle est appelée à satisfaire! La moyenne pour l'année serait curieuse à calculer ; on devrait y comprendre les réimpressions qui attestent des succès du- rables et des demandes répétées. Mais à quelle somme s'élè- verait cette élévation statistique si à la France on ajoutait l'Angleterre, la vaste Allemagne qui, déjà si productive, a cru devoir fonder naguère une Société avec des fonds considérables pour exciter la verve et l'émulation de ses romanciers, el l'Amérique, rivalisant de plus en plus avec l'Angleterre, et les Scandinaves, tiers de plus d'une nouvelle célébrité, el le Panslavisme qui suit déjà de près ou de loin les autres peuple.- dans cette carrière ! Remarquons eniin ce qui ne mérite pas moins d'être remarqué, c'est que les ro- manciers de tous ces différents pays, par le- traductions qui vont se multipliant, étendent de plus en plus l'horizon de leurs œuvres. Chaque peuple apprend ainsi à connaître, à comprendre les mœurs et l'esprit des autres peuple.-: les sa- lons de Stockholm, de Copenhague, de Londres, de Berlin ouvrent ainsi leurs portes toutes grandes à l'œil curieux du Parisien, qui. en retour, les initie aux mystères de sa société de tous les étages ! Gagnera-t-on plus qu'on ne perdra à ce rapprochement de plus en plus intime? Les nationalités tendent-elles, comme on ledit, à s'effacer? J'ai mon opinion sur ce point, et j'ai des raisons de la garder pour moi en ce moment. Seulement, on conviendra sans doute avec moi que la littérature, c'est-à-dire le commerce intellectuel et moral entre les diverses contrées, a son réseau de chemins de fer, qui est le roman. Et de ces faits, auxquels on pourrait en ajouter d'autres, résulte, par une induction évidente, l'union radicale et in- time qui associe le roman aux développements, à l'esprit de la civilisation moderne. Pour le fond comme pour la forme, 16 il est Dé de cette civilisation; les anciens ne Pont pas connu; leur vie, leurs mœurs ne s'y prêtaient guère, et les fictions qu'ils nous ont laissées, et auxquelles, Faute d*an autre terme, is avons donné cette démomination toute moderne, étaient d'une tout autre nature; on peut en dire autant de celles du Moyen-Age. Le vrai roman fait dater sa naissance dé l'oeuvre de Cervantes qui tout à la loi- porta le dernier coup à la che- valerie mourante, ou. pour mieux dire. aux fables où elle elle cherchai! à se survivre, et introduisit la peinture du monde réel et de la vie contemporaine; ainsi, par une loi générale dont on trouve plus d'une trace dans l'histoire, le dernier des chevaliers errants fut le premier héros du roman moderne, et l'avènement d"un fait nouveau dans les annales de l'esprit humain réunit les deux caractères opposés d'une transition naturelle qui le rattache au passé et d'un contraste frappant qui en fait une révolution. Quelle étude intéressante que celle de ces influences réci- proques de la civilisation sur le roman et du roman sur la ci- vitisationl Pour un f-piii réfléchi, quels problèmes - l'esprit moderne, les éléments divers de Pat- mosphère morale où nous vivons ; et c'est dans une telle rechen he 1 1 sans s'écarter de ce point de vue qu'il faut aborder la question d'utilité pratique; c'est en se plaçant sur le terrain de la culture générale que Ton jugera saine- ment el -ans donner dans l'exagération et le lien commun. l'action du roman sortes moeurs, que l'on se mettra à même de constater le bien et le mal qu'il fait ou qu'il peut faire; dè> lors la discussion sera dégagée de cejpù la compliquerait inutilement, el négligera sans inconvénient les cas d'une na- ture trop - les conclusions forcées et déclamatoires auxquelles il- donneraient lieu: elle laissera les instituteurs 16 et les parents se préoccuper, comme c'est leur devoir, des effets de cette lecture sur un âge qu'ils ont à protéger contre le malheur d'un développement précoce : le sujet d'étude que nous avons ici en vue n'est pas une question de péda- gogie; c'est un problème de philosophie sociale. Et, d'un autre côté, il ne faut pas confondre ce problème avec les recherches de l'esthétique et de la littérature, et pourtant il s'y rattache par une connexion évidente ; elles ont à lui fournir des lumières dont il ne peut se passer. La puissance que le roman exerce sur nous, et qui en fait un moyen de corruption ou de bonne et saine culture, quelle en est la nature, quels sont les ressorts dont elle dispose ? Avouons -le franchement au risque de contribuer involon- tairement pour notre part à le discréditer auprès de certains esprits moroses : l'attrait qu'il exerce, l'action magnétique à laquelle nous ne pouvons résister, c'est l'amusement qu'il nous promet et nous prodigue. Et comment nous amuse-t-il? en nous présentant la tidèle peinture de la vie : assis devant le cercle lumineux projeté par la lanterne de ce magicien, nous voyons s'y mouvoir maint original de notre connais- sance, et nous contemplons à l'aise, et à l'abri de leurs at- teintes, les travers et les folies de nos semblables. Dans le roman, comme dans la comédie, les côtés odieux de la na- ture humaine, ses grandes et petites iniquités, les tyrannies de l'égoïsme, les coudoiements de ces vanités qui s'entre- choquent, de ces prétentions qui s'entrecroisent, les complot même de la malice, de la cupidité, de l'envie, perdent sur notre humeur cet ascendant qui trop souvent dans la vie réelle triomphe de notre tranquillité; nous nous familiari- sons avec ces montres, non qu'ils deviennent plus aimables, mais parce que leurs griffes, leurs dents et leur laideur nous frappent moins sur ce théâtre que leur déraison et le carac- tère d'animalité et de machinal instinct auquel les rabaisse il leur penchant dominant. Combien de types admirablement frappés en ce genre nous devons au roman moderne t ils vivent dans la mémoire des hommes comme des personnages historiques, ou plutôt chacun de nous les a rencontrés dans les salons, à leur bureau, à la bourse ou dans la rue. Dans une matière si abondante, je cite au hasard : l'archevêque et ses homélies, les trois tuteurs de Cécilia dans le chef- d'œuvre de Miss Burney, le chanoine dévot, gourmand et égoïste dans Consuéh, n'égaieraienl-ils pas la mélancolie en personne, et ne sommes-nous pas à moitié réconciliés avec les travers qui ont posé devant, le peintre par le plaisir même que nous éprouvons à les reconnaître? Mais, dans ces vastes galeries que le génie de la fiction ouvre à l'exhibition de la nature humaine, le talent d'obser- vation du romancier ne se borne pas à l'esquisse des carac- tères comiques ou grotesques; quelqu'un a dit que pour l'homme de génie tous les hommes étaient autant d'origi- naux ; ils le deviennent en effet sous la plume d'un Le Sage, d'un Kielding, d'un Balzac ou d'un Dickens; les figures les plus ordinaires, celles que nous rencontrons chaque malin et chaque soir, acquièrent sous leur pinceau un relief qui met en pleine saillie les traits essentiels de la nature hu- maine; voilà bien le visage, le geste, l'allure de tous ces êtres vulgaires, jetés au moule de la médiocrité, les voilà tous avec leurs petits défauts et leurs petites vertus, avec leurs maximes de profession et de métier et leurs préjugés de coterie, et, à noire surprise, ils sont devenus intéressants tout en restant fidèles à leur nature. Le monde où ils consii- tuent l'immense majorité, grâce à leur présence» trop sou- vent nous lasse et nous ennuie; et dans le roman, il ne nous ennuie jamais. Beau privilège de l'art! mais il en possède un plus précieux encore ; d'un coup de sa baguette, il ouvre à nos regards un autre monde qu'il nous fait apparaître dans 18 les régions souterraines du cœur humain, de notre propre cœur; autre genre de talent, tout opposé à celui que nous venons de décrire, et qui, négligeant ou crayon- nant à peine la mimique des passions, la physionomie extérieure des penchants humains, s'attache à nous re- présenter le drame intérieur, la première naissance d'une passion, ses aliments cachés, ses progrès insensibles, ses mouvements rétrogrades, ses fatales recrudescences, ses crises et ses tempêtes, ses remords et ses tristesses; saisit en flagrant délit les mouvements, les révoltes et les hy- pocrisies de l'amour-propre, le jésuitisme de nos motifs, les victoires et plus souvent, hélas! les défaites du bon génie de l'humanité dans ses conflits avec les puissances ennemies. Tout cela semble peu gai de sa nature, et n'en offre pas moins un vif appât à notre curiosité : ce drame attire et captive notre attention par l'enchaînement de ses péripéties. Que Richardson nous promène sur les grandes routes des passions, sur la place publique ou Forum, théâtre des grandes émeutes, ou que Marivaux nous égare avec lui dans les sentiers du cœur, semés de tant de fleurs et de tant d'épines, ils nous procurent l'amusement le plus délicat, le plus profond dont notre intelligence puisse jouir: si Peau- d'Ane m'était conté, j'y prendrais un plaisir extrême; nous lassons-nous jamais de l'analyse exacte et savante de nos sentiments, et, mille fois contée, l'histoire du cœur humain peut-elle jamais perdre, pour nous, le charme de la nou- veauté ? Le roman a ses déprédateurs, ses ennemis, et je les vois sourire des éloges que je lui décerne. « Est-ce donc là, disent- ils, celle puissance tellement vantée? Son empire est un des indices alarmants de la décadence qui entraîne les mœurs et la société vers leur ruine ! Un futile amusement, belle re- commandation auprès des esprits sérieux t » Pas si futile, 19 répondrai-je, cl n'eût-il pas d'autre mérite, c'en serait assez pour qu'il fût digne de votre estime ! Vous rappellera i-jc la fable de Y Arc toujours banda, qui, pour être si vieille, n'en a pas moins de sens? Et, en retranchant de la vie l'amuse- ment et le plaisir, que faites-vous de la civilisation dont ils sont la fleur? La tristesse que vous répandriez sur ta société humaine rendrait-elle les hommes plus moraux, plus bien- veillants, leur commerce plus aimable et plus facile? Il ne leur resterait d'autres inspirations qu'un 'ascétisme farouche dont les vertus ne seraient sincères que chez le petit nombre, le sérieux dévorant île l'ambition ou d'une âpre cupidité, des sensualités grossières, beaucoup d'ennui el il"h> j>ocrisie. Si la culture el l'humanité des Grecs furent supérieures à celles des Romains, cela ne tenait-il point à ce que ce peuple ren- dait un culte aux Grâces, et, dans ses l'êtes et ses loisirs, mieux qu'aucun autre, savait s'amuser? L'indigne postérité des Scipion el des Brutus, dédaigneuse pour les distractions légères, allait se désennuyer à la vue du sang, des luttes désespérées et de l'agonie de ses gladiateurs ! En a\;iii-elle plus d'énergie contre l'oppression? Et nos arts, nos jouis- sances intellectuelles, nos romans nous ont-ils tellement amollis qu'ail jour de danger la patrie ne trouve point de bras pour la défendre? Pour être (dus humain, de nos jours, en est-on moins courageux ? Ces sympathies universelles, électriques, passionnées el ces dévouements sublimes qu'ex- citent d'affreuses et meurtrières catastrophes, tout cela ne répond-il pas aux calomniateurs de notre civilisation et de ses plaisirs1.' El, pour laisser de côté les peuples et leur his- toire, dans une vie bien ordonnée, l'imagination ne rcclame- t-elle point sa part? Celle folle de la maison que nulle sa- gesse n'a le pouvoir de déloger, fait à ses beures le charme du logis, et c'est la sagesse elle-même qui vient lui ôler sa chaîne ; alors notre intérieur s'égaie et se tapisse d'une 20 printanière verdure. Pour le rafraîchissement de l'âme et pour la restauration de ses forces, l'homme est appelé à redevenir enfant par intervalles. Ce retour vers l'innocence de cet âge heureux lui rend sa physionomie originelle; il redevient lui-même, il se ressaisit de sa liberté et redevient nature sans abdiquer l'usage de sa raison. « L'homme, dit Schiller, n'est homme complètement que lorsqu'il joue, » Ce mot profond, qui contient en germe toute l'esthétique de cette illustre penseur, achève de définir l'amusement que le roman nous procure. « L'imagination, dit-il encore, est une facullé dont toute l'activité est un jeu. » Malgré l'opinion reçue, l'imagination ne fait défaut à personne, et si, chez quelques-uns, elle vient à se glacer ou à s'éteindre, ils ne doivent s'en prendre qu'à leur mauvais vouloir; elle se venge du mépris qu'ils font d'elle et de ses bons offices. Veuillez donc bien me suivre, et il va nous pousser, à tous, des ailes, et, prenant le vol, nous promènerons nos regards sur des horizons nouveaux. Le roman, c'est la poésie ; c'est la dernière incarnation qu'elle a revêtue. Un jour, sans renoncer aux formes pleines de grâce, de majesté ou de gentillesse qu'elle avait déjà prises pour instruire et charmer les humains, et se gardant bien de jeter loin d'elle la trompette de l'épopée, la lyre de Pindare et d'Anaeréon, les socques de Thalie, le cothurne de Melpomène, ou de désapprendre l'esprit et la philosophie des bêles et le parler naïf de l'apologue, elle eut pourtant le caprice de se créer un corps plus agile, plus éla-lique, un vêtement dont l'ampleur et la souplesse pût se prêter à tous ses mouvements, et celte dernière forme, celle apparition nouvelle fut le roman. Il justifie cette origine par les richesses et la pleine lalilude d'invention dont il dispose, par l'alliance <îu vraisemblable et de l'extraordinaire ou du merveilleux, par les complications et les péripéties de l'intrigue, par le 21 progrès et les retards épisodiques de l'action, qui, à l'image- d'un beau lleuve, tantôt s'épand, s'élargit, se repose, en dé- crivant des courbes sinueuses, et se plaît à refléter dans son* onde paisible les bocages cl les sites riants ou pittoresque* de ses rives, tantôt s'élance comme une flèche et précipite son cours avec l'impétuosité irrésistible et le tonnerre d'un© cataracte ; ajoutons les ressources du dialogue, toutes les va- riétés de ton, de vivacité, d'énergie ou de naïveté familière dont il est susceptible, et celles du style diversifié par les convenances du sujel,des personnages et de la couleur locale. Mais la grande poésie du roman tient avant tout au jeu combiné de Irais éléments : les passions qui entraînent là volonté, la destinée qui les seconde, les contrarie ou venge le devoir el la loi qu'elles ont foulés aux pieds, et enfin la liberté qui résiste aux passions par une force héroïque, et s'élève au-dessus de la destinée par la grandeur morale. Des contrastes et des harmonies de ces puissances élémentaires résultent les situations où se concentre l'intérêt. Second efïe t principal du roman, et l'organe sur lequel il agit immédiate- ment est encore l'imagination, non plus effleurée par les doigts du musicien, mais émue, ébranlée dans ses cordes les plus sensibles et communiquant ses vibrations à l'âme en- tière. Plaisir d'une singulière nature! je tiens un livre entre mes mains, el les lieux environnants, les petits événe- ments de la journée, l'affaire qui m'occupait tout-à -l'heure et celle qui doit suivre ma pensée est à cent lieues de tout cela. L'ami qui me surprend dans cette lecture soup- çonne, à l'air de mon visage, à la contraction de mon front, au fen humide de mon regard, peut-être même à la présence d'une larme au coin de l'œil, le saisissement où elle mTâ jeté. Mais, à son arrivée, la fausse honte a refoulé mes im- pressions, et, à sa première question, ma réponse est que, 22 pour abréger une heure inoccupée, je parcourais un livre assez amusant. Est-ce là répondre de bonne foi, et mon pouls accéléré ne me donnerait-il pas le démenti? J'étais sous Pélreinte du pathétique, celte seconde puissance que nous venons de reconnaître au roman. Elle a ses degrés ou espèces qu'il est bon de distinguer : d'abord le pathétique tempéré, ou intérêt de sentiment, qui éveille doucement la sympathie ; l'amour, qui nous l'inspire plus que tout autre sentiment, occupe à bon droit une place éminente dans la plupart des œuvres les plus renommées; il nous touche et nous intéresse dès sa première apparition, parce qu'à peine éclos, modeste et s'ignorant lui-même, comme la violette cachée sous le gazon, intimidé par les circonstances les plus légères, nous le voyons grandir avec les obstacles, devenir bientôt le maître et le tyran de l'âme, et l'agiter à son gré par ses ravissements et ses inquiétudes, par ses doutes et ses ivresses, par ses brouilleries et ses rapprochements, aux- quels nous prenons une vive part. Telle histoire d'amour doit le nœud de son intrigue à quelque malentendu entre deux êtres faits pour s'aimer, mais dont les susceptibilités et la flère délicatesse s'entrechoquent dès la seconde ou la troi- sième rencontre, et traversent longtemps leur union et leur bonheur. En ce genre, qui se prêle d'ailleurs à la peinture amusante des caractères, la Nouvelle Emma, de miss Austen, est un chef-d'œuvre. Rien n'offre un milieu plus convenable à ce pathos modéré que les détails d'une vie de famille. La vie des champs et du village s'y prête aussi à merveille, et la petite Fadelte suffirait à le prouver. Mais que la scène soit un salon, le parc d'un beau domaine, ou la prairie et la chaumière, ce genre nous rappelle la couleur de l'idylle, et l'imagination aime à se laisser doucement bercer par le charme des émotions qu'il nous cause. Le haut pathétique trouve sa mesure et atteint, pour ainsi 23 dire, sa taille colossale dans les suprêmes agitations de l'âme, et sous les coups violents de l'adversité. C'est la tempête qui, annoncée par quelque léger nuage dans un ciel serein, couve par degrés, puis éclate, brise et dévaste deux vies dans sa fureur. Dans cette revue rapide et pressée des ressorts du roman, je me contente d'indiquer celui de l'amour malheureux. Après Shakespeare, qui nous le montre partagé dans Roméo et Juliette, quel artiste sut lui faire produire de plus déchi- rantes émotions que l'auteur de Charles Grandisson qui, dans la douleur et l'égarement de Clémentine, nous peint ce sen- timent non payé de retour? Quelle énergique série de scènes émouvantes depuis les premiers progrès de celte passion jusqu'à la folie qui s'empare de cette charmante fille! et combien on sait de gré à l'austère Richardson d'avoir si bien compris une âme italienne ! Le héros, dont le cœur est déjà en possession d'une autre femme, est admirable de noblesse, de véritable honneur, de délicatesse et de fermeté, et gran- dit à nos yeux dans les situations difficiles où le place l'a- mour de Clémentine et l'orgueil de sa famille; mais j'ai connu plus d'un lecteur, et surtout plus d'une lectrice, que le malheur de la noble fille des Porretta indisposait contre l'héroïne anglaise, la belle et correcte miss Byron, et tout l'art du romancier (suffisait à peine à les réconcilier avec elle, à racheter l'effet de ce sublime épisode. Il est encore une variété principale du pathétique : celui de la terreur, que le roman dispute à la tragédie. Rendons toute justice aux sombres créations de Mme Radcliffe, qui, malgré des critiques méritées, lut un vrai poète, et à la fantasmagorie pleine d'effet et de prestige de quelques écrivains anglais et alle- mands, tels que Lewis, Mathurin, Arnim et Brentano; mais on prend moins au sérieux les Mystères du château d'Udolphe que les mystères de la nature humaine et l'effroi qu'excite ta la fatalité d'un penchant irrésistible. À ce propos, je cite d'autant plus volontiers l'œuvre de Godwin qu'elle offre un exemple remarquable du roman sans amour. Placé, comme secrétaire, auprès d'un seigneur anglais dont le mérite et les vertus répondent à sa haute naissance, Caleb William, né dans une condition peu aisée, voit la fortune sourire à ses vœux ; une existence prospère lui est assurée, à lui, à sa femme et à ses enfants, auprès de ce protecteur aussi opu- lent que généreux ; mais cette maison, abri de son bonheur et de ses espérances, recèle un secret terrible, dont Caleb aperçoit les premiers indices dans certaines singularités ou habitudes mystérieuses de son puissant ami. Dès lors nous voyons naître et se développer en lui une curiosité fatale, qui ne lui laisse plus de trêve; le tableau s'assombrit graduel- lement à chaque pas, à chaque démarche qui le rapproche de la découverte; la terreur nous saisit lorsqu'il surprend enfin l'épouvantable secret, et que ce lord, si noble de carac- tère, si révéré de tous, l'ami du pauvre et le modèle des grandes manières, se trouve être un vil assassin. La victime a été frappée dans l'ombre et le crime caché à force d'argent, de précautions et d'hypocrites apparences; mais, lorsque l'in- discrétion de Caleb excite le soupçon et menace d'être décou- verte à son tour; lorsque le maître, ce cœur violent et vindi- catif, reconnaît dans son protégé un espion, un témoin du remords implacable qui hante sa mémoire et infeste son som- meil, lorsque son ressentiment éclate, le lecteur sent les cheveux se dresser sur sa tête, comme dut le faire le malheu- reux Caleb, qui expie sa faute par les détresses d'une persé- cution sans pitié et sans fin. Mais, ainsi sommes-nous faits, l'âme ne se trouve pas bien de rester trop longtemps sous le joug de la sensation, douce ou violente, n'importe. Pour la satisfaire pleinement, il faut qu'une œuvre d'art, après nous avoir émus, et par ses émo- *5 tions même et en vertu de cette loi d'association qui porte, de proche en proche, dans toutes las parties de notre être une impulsion reçue, éveille à leur tour nos facultés supé- rieures ; la raison, dans les créations du vrai poète, a sa part d'activité et de plaisir, et le triomphe de son art est de nous faire trouver le calme dans le mouvement, et la possession sereine de toutes choses et de nous-mêmes dans la guerre incessante des éléments et dans le choc et le tumulte des pas- sions. Voyez Vile enchantée de Shakespeare : on dirait que le grand poète y voulût symboliser les secrets et la destination souverain*! de l'art. Prospéro, appelant à son aide les esprits aériens et ceux de l'enfer, soulève la tempête, multiplie les visions lerrihles ou ravissantes; les vagues mugissantes de la mer ont menacé les nues, et, dans les groltos et les bocages, des symphonies mystérieuses se sont fait entendre ; l'en- chanteur voit à ses pieds* ses ennemis étonnés, confondus, éperdus; ses lins s'accomplissent, des cœurs farouches s'ou- vrent au repentir, à la réconciliation, à la paix, et c'est à ce moment qu'assuré de sa victoire, il jette a la mer sa baguette et son livre d'évocations. Voilà bien la magie qui maîtrise l'âme pour l'affranchir et qui n'appartient qu'aux grands ar- tistes. Beauté de la perspective morale, troisième puissance que le roman lient de la poésie. Le plan d'un poème a son unité d'intention, son but ou idée mère qui motive les développements et l'ordre dans le- quel ils sont disposés. Cette unité est de nature intellectuelle et rend témoignage à l'habileté, aux calculs qui ont ménagé la progression d'intérêt et coordonné les parties, les images, les situations, les tableaux. Mais unis n'avez, pas \u seule- ment des ligures apparaître, se grouper et se mouvoir sur là muraille ; elles vous ont fait éprouver une action sympathi- que, et ont produit en vous une succession de rctentisse*- ments intérieurs, de cet» secousses plus ou moins vives et 26 profondes qui affectent le moral. Ces impressions n'auront- elles pas aussi leur unité dans la conception de l'artiste et dans votre nature sensible? Il va sans dire que ces deux es- pèces d'unité s'entre-supposent; que la première sert de point d'appui a la seconde; qu'elles sont jumelles, comme l'image qui vient se peindre dans la rétine, et le sentiment agréable ou déplaisant qui l'accompagne. L'unité logique était, ne l'oublions pas, une pensée, un ensemble de rapports harmonieux, que saisissent l'attention et l'intelligence. L'u- nité affective ne sera-t-elle pas un sentiment dans lequel se trouveront concentrées toutes les impressions que l'œuvre d'art nous fait éprouver ? L'imagination n'est pas plus étran- gère à cet effet sympathique d'un bel ensemble qu'elle ne l'a été à ceux qui l'ont précédé, et, si vous avez de la peine à m'en croire, demandez vous si la musique, dont les sons ex- priment non des images, mais des sentiments, ne s'adresse pas, comme les autres arts, à cette faculté, et si le Freischutz de Weber, par exemple, ne la met pas vivement en jeu, s'il n'excite pas en nous un tourbillon d'images, de pensées ana- logues à la disposition rêveuse ou enthousiaste, gaie ou mé- lancolique dans laquelle nous laisse cet art enchanteur. Eh bien I dans cette unité de sentiment, dans cette impression totale et dans le pouvoir qu'elle a de nous faire rêver et penser, je reconnais l'effet moral d'une œuvre poétique; la raison y trouve sa part d'activité et de jouissance, la pensée s'éveille, et nous devenons tous à ce moment plus ou moins philosophes et moralistes. Mais, assurons-nous, en vérifiant ces notions par un ou deux exemples, que le terrain est solide sous nos pieds, et que nous ne sommes point dupes de quelque vision cornue d'une métaphysique nuageuse. Le Gil Blas est une lecture des plus divertissantes ; c'est un La Bruyère en action ; pas un caractère qui n'ait sa touche comique, saisie au naturel, et l'intrigue ou plutôt les mille 27 et une intrigues qui s'embrouillent et se débrouillent l'une après l'autre du début à la lin, ne laissent guère s'alanguir l'intérêt. • L'auteur, comme le remarque Sainte-Beuve, nous représente la vie humaine telle qu'elle est avec ses diversités et ses aventures, avec les bizarreries qui proviennent des jeux, du sort et de la fortune, et surtout avec celles qu'y in- troduit la variété de nos humeurs, de nos goûts et de nos défauts. » Mais n'est-ce pas justice d'ajouter, de notre côté, que cette représentation de la vie humaine ne s'élève jamais au-dessus d'une moralité vulgaire et parfois descend au-des- sous? Perversité et folies humaines composent toute la trame de cette fable ingénieuse : le grand et le sublime y font ab- sence. Voleurs de grands chemins, escrocs, valets, fripons, jeunes seigneurs débauchés, charlatans de toute espèce, ga- lants sur le retour, coquettes surannées, duègnes vénales, corrompus et intrigants de toutes les classes, de tous les étages, telle est la compagnie où l'auteur nous fait passer le temps. Et le héros à l'avenant : il n'a point mauvais cœur, il estvraij et, de plus, il est éducable, l'expérience lui pro- lite à la longue et finit par en faire un assez honnête homme, et surtout, comme dit son ami Fabrice, par lui mettre entre les mains l'outil universel ; mais par combien d'apprentis- sages compromettants pour son honneur n'a-t-il pas à passer pour en arriver là ! Plus d'un coup de main ou d'un tour de métier semblait plutôt l'acheminer aux galères ou à quelque chose de pis. En un mot, il nous a fort amusés, et rien de comique et de plaisant comme son histoire; mais il nous laisse pour lui et pour le genre humain une médiocre estime. Le monde, toujours vu sous cet aspect, finit par être un peu triste, et l'on aurait sujet de craindre que le rire ne tourne à la misanthropie, ou, pour le moins, à un certain dégoût. Est-ce là l'effet définitif que nous laisse la lecture de Gil Blas ? Non I me répond l'autorité du grand nombre, juge en premier ressort sur ces matières, et dont la sentence d'ac- quittement est confirmée par les plus éminénts critiques. Cet ouvrage, dit Walter Scott, laisse le lecteur content de lui- môme et du genre humain Pourquoi? C'est que le caractère du héros nous représente la bonne moyenne des humain* en fait de sentiments et de force, de valeur morale, que sa destinée y correspond, mêlée à proportion tolérable de bien et de mal, et qu'à tout prendre, la vie, si bien figurée dans les aventures de M. de Sanlillane, ne nous paraît pas trop lourde pour nos épaules. Ce qui semble passer la mesure or- dinaire dans les fautes et les entraînements du héros, ne dément point celte assertion : il part de plus bas que la plu- part des hommes : son éducation est en grande partie l'ou- vrage de la fortune et la sienne. L'expérience lui multiplie ses leçons, un peu rudes parfois, mais elle trouve en lui un excellent écolier, et nous sentons qu'il ne tient qu'à nous de le devenir nous-mêmes et qu'à celte école on finit par ap- prendre deux choses : supporter les autres, et prendre pa- tience avec soi-même tout en vivant de mieux en mieux avec sa conscience. Et puis, quelle fine et gracieuse ironie dans tous les portraits satiriques de ce roman I Or, l'ironie sans amertume est le sourire de l'homme aguerri, qui ne s'étonne de rien. Le Sage n'était point un Gil Blas, mais un vrai Breton, de franche humeur el d'une noble indépendance de caractère, un homme à principes, qui préféra la pauvreté à la richesse mal acquise et qui, fidèle à sa ligne de conduite, se retira de la finance, dès qu'il eut reconnu impossible d'y rester hon- nête homme, ne fit guère sa cour aux grands et ne voulut de l'intrigue à aucun prix, pas même pour solliciter un des quarante fauteuils de l'Académie. La gaieté'de son caractère égala sa probité et son esprit d'indépendance ; elle tint bon contre mainte inimitié et tempéra le tour satirique de son humeur. Nous retrouvons tout cela dans son œuvre : c'est lé le jour qui en éclaire toutes les parties comme un rayon de soleil couchant embellit un paysage dans une belle soirée. Son point de vue, pour juger la vie et les hommes, est celui d'une heureuse vieillesse qui calme les passions sans porter atteinte à la jeunesse du cœur et à la vigueur de l'âme. Vous voyez que l'unité all'ective du roman émane du caractère du poète, et vous, ne sauriez marquer assez fortement la diffé- rence entre deux théories que trop généralement on s'ob- stine à confondre, celle que vous avez bien voulu m'aider à construire, et celle du père Bossut, de pédantesque mémoire : Savez-vous ce qu'il eût dit du Cul Éhk de Le Sage, si du moins il eût daigné le lire ? Que l'auteur, ayant arrêté son choix sur une maxime importante, une thèse de morale, procéda ensuite à l'invention d'une fable propre à la démon- trer : cette thèse serait sans doute que le monde est plein de méchantes gens et de méchantes actions, et qu'il est sage au milieu de tant de fripons de se tenir sur ses gardes pour n'être ni leur dupe, ni leur complice. Celle moralité ne res- semblerait pas mal à celles dont la grave Angleterre, dans les éditions de son grand poêle, continue à décorer le fron- tispice de Madx'ih, de Ooréokm, {.VOUidlo, de Roméo et Ju- liette et de tant d'autres drames pleins de sens et de profon- deur. C'est là une queslion qui s'agite encore de nos jours et qui intéresse l'essence mémo et l'influence morale de la poésie : il ne s'agit de rien moins que de la fameuse maxime de l'art pour l'art, injustement attaquée par les uns, mal dé- fendue et surtout mal pratiquée par les autres. Et pourtant on la trouve admirablement établie dans les traités esthé- tiques de Schiller, et seule elle peut nous rendre raison de la puissance persuasive du roman, dans les œuvres des grands maîtres. Encore une analyse, et j'aurai terminé; les exemples, en pareille matière, sont plus probants que les 30 raisonnements; et je porte mon choix sur une composition d'un caractère tout opposé à. celui du Gil Blas. Une jeune lady, de bonne maison, se voit persécutée par ses parents, pétris de tous les préjugés et de la hauteur de leur caste. On lui impose un époux indigne d'elle, dont la richesse est le seul mérite et dont les imporlunités, soute- nues par le despotisme paternel, qui était encore dans les mœurs du temps, animent les persécutions d'une tyrannie secondée par un frère brutal et une sœur jalouse, et aggra- vent de jour en jour la douloureuse situation d'un ange de beauté, de grâces et de vertu. Un admirateur de Pliéroïne s'était présenté avant l'odieux Solmes, et la valeur, l'air dis- tingué, l'esprit brillant et cultivé de ce gentilhomme accom- pli font ressortir encore plus vivement l'ignoble figure de son rival. Mais sous les beaux dehors de Lovelace se cachent un orgueil impie, d'indomptables passions, une immoralité sans frein, une résolution implacable de tirer vengeance du refus qu'il a essuyé de la part des insolents Harlowe, enfin, la perfidie et les embûches d'un dangereux séducteur. La jeune fille, entre les sévérités croissantes de sa redoutable famille et les fascinations de ce tigre qui tourne autour de sa proie, est réduite au désespoir et s'enfuit de la maison pa- ternelle. Trop généreuse et trop candide pour soupçonner toute la noirceur des complots de Lovelace, elle tombe dans le piège. La perle de son honneur et les angoisses du re- mord, si terribles pour une âme comme la sienne, la font descendre au tombeau. En Angleterre, plus encore qu'en France, la fashion du jour dédaigne la lecture de Richardson comme une mode vieillie : on y préfère, dit-on, les romans d'édification et ceux de Paul de Kock. Clarisse Harlowe est pourtant un des chefs-d'œuvre de la belle et riche littéra- ture de la Grande-Bretagne On ne dépassera jamais la puissance de pathétique déployée dans les péripéties de ce 31 grand poème, et surtout le saisissement qu'elle fait éprouver aux derniers moments de l'héroïne Les contemporains de Kichardson l'assaillirent de leurs instances pour qu'il lui sauvât la vie, et, de tous côtés, à ce sujet, il reçut des lettres suppliantes. Mais il tint bon, comme devait faire un homme de son génie». Les lecteurs qui demandent qu'un roman finisse toujours bien, ne peuvent être édifiés que par le spectacle du vice puni et de la vertu récompensée, ma- nière de voir qui tient quelque peu de la théorie du père Dossut. Je pense que Richardson les raillai! tout en se mettant à leur portée : on lui reprochait d'avoir fait périr Clarisse si misérablement: « C'est, répondit-il, que je n'ai jamais pu lui pardonner d'avoir quitté la maison de son père. » Celle répartie, je soupçonne, était railleuse au fond; à bon enten- deur demi-mot : elle protestait en faveur de la liberté de l'art et de la vraie moralité de l'artiste. Eu effet, ce dénoue- ment, pour quiconque sait lire et comprendre, bien loin de scandaliser la conscience el le goût, donne la clef de celte œuvre immense et du monde si varié qu'elle fait vivre el palpiter sous nos yeux. Toutes les dissonnances viennent se fondre dans un résultai harmonieux. Une belle, el innocente vie, la faute qui la ternit, dont plus d'une circonstance fatale atténue la gravité, et dont le plus loucha ni repentir implore le pardon, et, pour tout dire en un mot, la foi sublime du juste persécuté par les hommes et brisé par une chute, mais adres- sant au ciel son dernier regard, compensent et concilient tout par un sens moral d'une valeur infinie; le sentiment d'un ordre caché, mais triomphant, vient démentir les accu- sations qu'un désordre apparent élevait contre les dispen- salions divines. La Providence est justifiée avant le duel où Lovelace expire son crime. 0 vertu I qui oserait, près du lit ' de mort de Clarisse, s'écrier avec Brutus que tu n'es qu'un vain nom? 32 Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que c'est bien a ces trois ressorts de l'amusement, de l'intérêt pathétique et de la persuasion indirecte, que le roman doit sa puissance et la domination qu'il exerce sur les esprits. Point de moule plus docile aux inspirations de l'écrivain, point de contact plus électrique entre l'âme du poète et celle de son lecteur. Le roman, sans afficher la prétention d'enseigner, de mora- liser, ou par cela même qu'il ne l'affiche pas, est plus éloquent que l'éloquence même. C'est un des engins les plus puissants au service des convictions et des idées. Faut-il s'étonner de voir les opinions philosophiques, religieuses, politiques, économiques, socialistes, se saisir à l'envi de cette arme, et le ehamp jadis paisible de l'art devenir une arène de discordes et de combats, où se mesurent les partis? Faut-il s'étonner encore de l'autorité et de l'ascendant que le roman assure aux écrivains qui s'entendent à remuer la libre populaire? Une romancière Scandinave, M"e Bremer, n'a-t-elle pas acquis, par ce moyen, l'influence qu'elle exerce chez son peuple, et qui la met à même d'élever la voix avec succès contre les abus enracinés de la législation suédoise? Et der- nièrement, lorsque l'auteur de Baniella traçait avec franchise l'état moral de l'Italie, l'orgueil national, en se soulevant contre elle, ne reconnaissait-il pas la puissance que cette femme célèbre exerce sur l'opinion ? Si son témoignage eût été moins grave, moins redouté, eût-il excité à ce point contre elle des susceptibilités ombrageuses, l'outrage et le défi? Et pourtant sa voix était celle d'une raison éclairée et d'un cœur sincèrement attaché à la cause héroïque de l'Italie, et le fanatisme qu'elle a si fort irrité n'a que trop prouvé de- puis, par ses témérités et ses violences, combien il comprend mal le présent et l'avenir de la Péninsule. Ainsi un vers d'Homère terminait jadis un différend de limites et de terri- toire entre des peuples voisins, et pas plus tôt qu'hier, quel- 33 qnes lignes du plus beau génie épique du dix-neuvième siècle mettaient, pour ainsi dire, aux prises deux nations dont la plus faible ne peut guère se passer de la plus forte pour la réalisation de ses vœux les plus légitimes. Mais on ne doit pas mettre sur le compte de l'aimable et puissant poète un conflit causé par les prétentions d'un orgueil déraisonnable : les œuvres de la maturité de Georges Sand, les plus belles et les plus saines qui soient sorties de sa plume, les Mosaïstes et Consuelo, par exemple, ne respirent point la discorde et les passions haineuses : si l'on peut leur assigner une ten- dance marquée, elle se trouve dans l'idée du progrès, tel que le comprend ou du moins doit le comprendre le dix-neuvième siècle, c'est-à-dire l'harmonie des tendances jusqu'ici dé- chaînées les unes contre les autres, le libre usage du droit «l'examen, où l'âme puise les convictions fortes et un respect intelligent pour celles d'autrui, l'amour éclairé de l'art em- bellissant la vie, sans l'absorber au détriment du devoir et an courage intellectuel et moral qui entreprend et accomplit les grandes choses, la vraie culture en un mot, avec ses sen- timents*d'humanité et de tolérance, le plus précieux trésor de notre civilisation avancée. Servir le progrès ainsi conçu, c'est le vrai titre de gloire auquel la littérature et le roman peuvent prétendre, et les œuvres mêmes qui doivent leur naissance à d'autres impulsions ne vivent et ne revivront que grâce à l'essor du talent qui a élevé leurs auteurs au senti- ment de l'humanité. Dans cette faible et incomplète esquisse de la Poétique du roman, j'ai cherché à définir les ressorts dont il dispose, à faire comprendre son pouvoir, sans m'occuper du bon et du mauvais usage qu'il en a fait. N'ayant en vue que de planter les principaux jalons d'une théorie, je n'ai abordé qu'une M face de la question littéraire, laissant de côté le développe- ment, historique et les ramifications du genre, et empruntant mes exemples justificatifs, non aux romanciers de nos jours, mais aux classiques dès longtemps reconnus et consacrés par l'estime générale. Dans ces limites, j'ai réussi peut-être à démontrer l'intérêt de celte recherche de théorie, matière très-riche et presque entièrement neuve. Quant au point de vue moral, il demande encore à être approfondi, malgré la récente publication d'un Mémoire couronné par l'Académie des Sciences morales de l'Institut de France; cet ouvrage, dont l'auteur est M. Poitou, juge à la cour d'Angers, est un véritable factum ou réquisi- toire, écrit avec chaleur, mais inspiré par des vues étroites et vulgaires, et qui ne sort guère du ton d"une polémique acerbe, devant laquelle de nobles talents, entre autres celui de Vigny, n'ont pu trouver grâce. Toutes distinctes qu'elles soient de leur nature, la questin littéraire et la question mo- rale sont étroitement liées, et le Mémoire de M. Poitou suffit à prouver ce que la seconde perd à s'isoler de la première. La Section de Littérature de l'Institut Genevois les avait réu- nies dans le programme de son concours de prose pour cette année, et les avait formulées en ces termes : «< La Poètiqne du Roman, ou le Roman et ses variétés an point de vue de ïesthéliijue et de la morale. » Deux Mémoires nous ont été présentés; malheureusement, un seul nous a été remis avant la clôture .du concours, l'autre n'est arrivé qu'un mois après. Ce travail, qui n'était pas dé- pourvu d'intérêt, avait souffert évidemment d'une rédaction précipitée; et, quand même il se serait recommandé par un mérite émincnt de pensée et de style, l'équité et la règle ne nous permettaient pas de l'admettre à concourir. Le Mémoire dont j'ai à rendre compte porte cette épi- graphe, tirée des lettres de Betlina Brentano : « L'œuvre 35 d'art ne doit exprimer que ce qui élève l'àme et la réjouit noblement, cl rien de plus. Le sentiment de l'artiste ne doit porter que là-dessus : toul le reste est faux. » La question > est-elle traitée d'une manière satisfaisante '. Il semble d'abord le promettre par son éiemlue considérable, -oi\ante-six pages in-folio, el par la table des matières qui annonce des pointe de vue variés, une certaine originalité dans les aperças. M;iis. à la lecture, celle al lente n'a été que très-faiblement justifiée, Ce travail ne nous a paru répandre que peu ou point de lumière sur la nature, les lois esthé- tiques, les destinées, les formes ei l'influence du roman, question- si graves par leur portée. Qu'a-t-il manqué à Pau- leur [tour les traiter d'une manière satisfaisante ? Avant tout, Cette patience de méditation et d'étude, qui seule peut >aisn un problème dans son véritable jour, le décomposer en ses parties essentielles, concevoir nettement lesidées fondamen- tales, coordonner ei généraliser les observations de délitait nature qui sont à la tbéorie littéraire ce que les phénomènes sont aux sciences naturelles. De cette absence de l'esprit d'analyse et de méthode résulte un plan confus, des tigres* sions, d'innombrables redites, une extrême Eaiblesse didac- tique: Les définitions seul la plupart vicieuses, tes déductions gauches, les divisions inexactes, les énumération> incom- plètes, défauts capitaux dans une recherche de celle nature. On voil que l'auteur est nouée dans l'art de penser, el que la philosophie, la métaphysique de l'art contre laquelle d ne manque pas de lancer, en passant, te sarcasme d'nsage, .1 été soigneusement écartée de sou travail; et pourtant, malgré son dédain pour l'analyse exacte des idées, il Hii a bien fallu, dans un pareil sujet, aborder au début quelques considérations générales. Le principe sur lequel repose son système, si l'ex- pression esl admissible en pareil cas, c'est que le beau et le bien sont identiques. Axiome vairue et obscur en lui-môme, 36 et que les efforts et les affirmations répétées de l'auteur ne font que rendre plus vague et plus "'obscur encore; d'une page à l'autre, le beau dans la poésie et le roman se trouve assimilé au bien, à la morale; puis, le beau, c'est la femme; et plus loin, le beau, c'est Dieu. Cette notion confuse a beau se reproduire de chapitre en chapitre; elle n'explique rien, elle ne rend raison de rien, et c'est en vain qu'on s'attend à en voir sortir la poétique du roman. Dans le fait, cette disser- tation volumineuse ne répond guère à la question mise au concours, ou du moins ne l'aborde que par une face : c'est une critique de tendance à l'adresse des romanciers du jour, dont le classement repose en partie sur des raisons superfi- cielles et arbitraires : est-il vrai, par exemple, que le roman- feuilleton puisse constituer une catégorie à part ? Il valait la peine de distinguer, par leurs caractères essentiels, les es- pèces principales d'un genre de poésie si vaste et si fécond, de les suivre dans leurs développements et leurs ramifica- tions variées, et de les expliquer par la marche de l'esprit humain, par l'action de la vie politique et des mœurs, par les influences qui modifient, d'une époque à l'autre, le goût, les idées et la littérature. Si le Mémoire que nous jugeons ne présentait aucun in- dice d'esprit, de talent et de connaissances, on éprouverait moins de peine à voir l'auteur s'égarer, et môme, disons-le, échouer entièrement, faute de carte et de boussole. Ce qui motive de justes regrets, ce sont les ressources et les talents précieux qu'il apportait à ce travail; riches matériaux tournis par des lectures fort étendues, dans lesquelles cepen- dant on peut regretter que les œuvres classiques des siècles précédents et même du commencement du nôtre occupent si peu de place, aspirations saines et élevées, sens moral dont les jugements, lors même qu'on peut en contester la justesse, ou lorsqu'on peut les trouver passionnés,! honorent 37 le caractère et les intentions qui les ont dictés, vivacité d'i- magination, verve, ardeur dont il s'échappe un peu partout des étincelles, voilà certes des qualités fort estimables et qui, bien dirigées, pouvaient assurer le succès. Mais, encore une fois, elles ne peuvent remplir la place de cet art de penser, d'approfondir méthodiquement une matière, qu'il est à la mode aujourd'hui d'ignorer ou de mépriser. Faut-il s'étonner que le style s'en ressente, le style, cette seconde condition que la Section de Littérature, avec raison, demande à voir remplie pour accorder son suffrage ? La logique est plus vindicative qu'on ne croit : non contente de condamner celui qui la dédaigne à beaucoup marcher sans avancer, elle frappe son style d'impuissance. Avec de la chaleur, du mou- vement et des images, on peut éviter d'être classé parmi les écrivains languissants et insipides ; mais vaut-il beaucoup mieux l'être parmi les écrivains fatigants, qui ennuient aussi à leur manière le lecteur par leurs idées confuses et par leur prolixité, par leur marche embarrassée? Le tissu de la composition, dans ce Mémoire, est parfois un enchevêtrement inextricable ; la phrase est incorrecte, souvent mal construite; la diction très-inégale, tour à tour bizarre ou dépourvue de noblesse. Les métaphores éblouissent sans éclairer, parce qu'à peine écloses, d'autres métaphores toutes différentes les étouffent, ("est une suite de fusées qui, à peine élevées à quel- ques pieds de terre , retombent dans une épaisse fumée. Quelques morceaux mieux écrits que le reste, des expressions heureuses, l'apparition passagère d'une composition moins «-«cohérente, relevée d'ailleurs par le sentiment et le coloris, ne font que rendre plus sensibles, par leur contraste, ces gnves imperfections. Enfin l'auteur me permettra de le mettre en garde contre une certaine affectation et de lui en indiquer peut-être la véritable cause. A tout prendre, la simplicité du style didac- 38 tique, une exposition franche et directe de la vérité est le meilleur moyen de se faire comprendre et même d'opérer la persuasion; Buffon et Rousseau ne l'ont guère dédaignée et ne. s'en sont pas trop mal trouvés; elle n'exclut, chez eux, à ce qu'il me semhle, ni la vraie chaleur, ni la beauté et l'élé- gance des formes, ni même le piquant d'un tour ingénieux. Il est une autre méthode, celle de Stem et de Jean Paul, par exemple, qui amuse ou étonne l'esprit par ses écarts, par ses bonds irréguliers, par l'adresse qu'elle déploie à cacher son jeu, par la brusquerie et l'imprévu de ses mouvements en avani et de ses reculades. Chez l'écrivain à qui elle est natu- relle elle a beaucoup de grâce et d'agrément; mais lorsqu'elle sent l'artifice, la recherche, elle est insupportable, surtout dans le genre didactique. Celui qui s'en fait une étude court le risque de négliger le fond pour la forme, et pour quelle forme? Je voudrais savoir ce que gagne une dissertation de littérature à se découper en chapitres ainsi conçus : Chap. II. La beauté, la femme et l'amour dans le roman . Chap. III. Halte où l'on devise sur le beau et le bien. — Union de ces deux grands principes inséparables en toute œuvre d'art, Chap. IV. On se remet en marche. Le roman de mœurs et la comédie humaine, etc. Chap. VII. L'auteur en rerient à conclure que les femmes... Dans les développements même recherche et même bizar- rerie : ce ton et cette allure dénotent une manière, et, ce qui est fâcheux, une manière empruntée. Nous ne blâmons point l'imitation comme procédé littéraire; loin de là! C'est <', meilleure discipline pour qui veut se former un bon style. Mais il faut du jugement dans le choix des modèles, sinon l'imitation devient dangereuse. C'est aux styles classiques, au mouvement et au coloris des grands maîtres qu'elle doit s'attacher. Tel écrivain a conquis une célébrité méritée par 3» la sève originale <1<* son talent; par le tour humoriste de son Offrit. Il Assista, raisonne, établi! une Dièse sans qu'on s'en aperçoive : c'esl le s<-nlu'i- (];n»s la f'orèl cl la imôii I;il; nr où l'on s'égare avec plaisir sur les pas iln guide, cl on l'on arrive à des perspectives inattendues. Dans le fait, railleur des Menus propos d'un ptintre genevois, sait très-bien où il va, où il veul nous conduire. Il lient ie lil. et ne le lâche pas tout en le cachant si bien: c'est un |icn>eur exercé, et il a profondément étudié la matière. Mais est-ce un modèle sûr pour les novices en Tait d'écrire? Il ne le croyait pas lui- même, cl. dans les essais d'un (''lève, rien ne lui déplaisait plus que le voir singer sa manière. En effet, à une plume comme celle de Topl'er. on risque de n'emprunter que «les formes, des allures qui chez lui étaient nature avant tout, et qui chez le copiste dégénèrent en affectation, en grimace, allais— je dire. En conscience, nous ne pouvons décerner un prix ni même un accessit à mi Mémoire si défeclueiix. soit pour le fonds, soit pour la forme. D'un autre côté. BOUS avons sent l'obligation d'offrir une marque d'estime à Tailleur d'un tra- vail si considérable. Avions-nous à faire à un esprit stérile, sans vie. sans portée? Loin de là ? En lui offrant la moitié du prix, à titre d'encouragement, nous avons cru concilier Ions nos devoirs. D'après les conclusions des deux rapports de MM. Vu\ et Çherbuliez-Bourrit, un accessil de 150 francs est accordé, pour le concours de poésie, à l'auteur de la pièce n" 5. L'ou- verture du billet cacheté indique que c'est M. Louis Gross, de Martigny, étudiant en droit à Sion. (ne mention honorable est accordée, pour le même con- cours, à l'auteur de la pièce qui porte le n° C>. dont l'auteur est M. Auguste BétaiH/cr. instituteur au collège de Morges . 40 Pour le concours de prose, « la Poétique du roman » , l'encouragement de 100 francs est accordé à l'auteur d'un Mémoire qui, pour des raisons particulières, désire, pour le moment, n'être connu que sous le pseudonyme de Pierre Allix. La parole a été ensuite accordée à M. le chancelier Marc Viridet, président de la Section de l'Agriculture et de l'In- dustrie, pour prononcer les éloges de deux membres de l'Institut, décédés dans le courant de l'année, MM. Jacques Marécha et Etienne Franscini. VIE DE JACQUES MARÉCHAL. Messieurs les Membres de l'Institut, Nous avons à vous parler aujourd'hui de deux hommes qui, dans des sphères variées et à des degrés différents, ont voulu et su se rendre utiles à leur pays. Commençons par celui qui nous touche de plus près et que nous avons le mieux pu connaître et apprécier. Dans une presqu'île écartée, entre deux bras du Rhône, s'élève le village paroissial d'Aire-la-Ville, qui, si nous re- montons à une trentaine d'années en arrière, n'était qu'un coin de terre perdu, une partie du Canton qu'on ne connais- sait guère à Genève que pour la précocité de ses fruits qui venaient iigurer comme primeurs sur nos marchés ou à notre fête des Promotions. C'est dans ce modeste hameau que na- quit, le 44 Février 1823, Jacques Maréchal, qui devait, plus tard, être maire d'Aire-la-Ville, député au Grand Conseil et membre honoraire de la Section d'Industrie et d'Agriculture de l'Institut genevois. Nous n'aurons à parler de M. Maréchal que dans ses rap- H ports avec sa Commune et avec l'État, son admission comme membre de l'Institut genevois étant récente, et la mort ne lui ayant point permis de partager nos travaux, ainsi qu'il aurait désiré le faire. L'heureux caractère de Maréchal, sa vénération pour ses pa- rents, son extrême obligeance et son dévouement pour tout ce qui l'entourait, le firent de bonne heure remarquer, chérir et estimer des habitants de son village. Jeunes et vieux son- geaient a lui confier un jour l'administration île la Commune, lorsque l'ancien maire. François Mauris. donna sa démission. Jacques Maréchal lui succéda le 9 Juin 1850. 11 comprit aussitôt combien il y avait à faire pour tirer le village d'Aire- la-Ville de l'étal d'isolement et d'oubli où il se trouvait malheureusement placé. Il prit vigoureusement en main les intérêts de >es administrés, surveilla avec intelligence tous les travaux de la Commune et chercha à faire ou- vrir sur Aire-la-Ville de nouvelles voies de communication. Les qualités privées qui avaient distingué sa première jeu- nesse, se fortifièrent et mûrirent avec l'âge, lue active bien- veillance, un grand désintéressement, une charité modeste et un esprit à la lois ternie et conciliant lui méritèrent et lui obtinrent l'estime et L'affection des électeurs qui, en 1854, lui continuèrent les fonctions dont ils l'avaient précédem- ment investi. Citons, entre plusieurs, un trait qui fera connaître quel était le cœur de Jacques Maréchal. Au printemps de 1851, royant dans sa Commune quelques pères de famille dans la détresse, il soumissionna un lot des travaux relatifs à la dé- molition des fortifications, en face de la caserne de Chante- poulet, dans l'unique intention de venir en aide à ces infor- tunés. Le lot lui fut adjugé. Malgré quelques difficultés, presque inévitables, avec les travailleurs ordinaires des chan- tiers publics, il mena son ouvrage à bonne fin, et paya régu- 42 lièrement ses ouvriers à deux francs par jour. Quand toul fut terminé. l'État lui remit la somme qui lui était due pour les terrassements exécutés. Maréchal en déduisit ce qu'il avait payé en journées et partagea le reste par portions égales entre ous ses ouvriers. Ceux-ci, touchés de cet acte de générosité et de dévoue- ment, se cotisèrent pour lui donner un témoignage de leur reconnaissance. Réunissant leurs offrandes, ils purent lui faire présent d'une chaîne en argent et d'une montre sur le fond de laquelle on lisait ces mots : Les ouvriers ri'Aire-la- ïille à leur .V<ùre Jacques Maré'fuil. 1851. Dans ses rapports avec les Autorités cantonales, Maréchal se montra constamment appliqué à faciliter les travaux or- donnés dans sa Commune, à prévenir et adoucir les frotte- ments, à faciliter toutes les tractations. Pendant la construction du premier pont de Peney, il lit tout son possible pour contribuer à rendre la vie moins pé- nible aux ouvriers de la fabrique que le manque d'ouvrage et la crise commerciale obligeaient à travailler momentané- ment comme manoeuvres près d'Aire-!a-Ville. Il offrit et donna son cautionnement à plusieurs entrepreneurs. Il fit tout, en un mot, pour contribuer, dans la limite de ses forces, à l'amélioration de l'état de sa Commune et des com- munications entre la Rive droite et la Rive gauche. Plusieurs chagrins l'affligèrent dans ses dernières années. La chute du pont de Peney le priva d'un ami, le frère de celle qui allait devenir la compagne de sa vie. S'étant marié peu après, il perdit, dans l'espace de peu d'années, ses deux enfants et son épouse. Vers le commencement de Juin, Maréchal se rendit à la foire de Vulbens, près de Saint-Julien, pour y acheter des bœufs, et, après avoir gaiement fini la journée avec un de ses amis, le député JSallet. de Sezegnins, il rentra au logis vers les dix heures Honorons donc. Messieurs, l'homme qui, dans une sphère même modeste, a mi se rendre utile et mériter l'estime de se- concitoyens. D'ÉTIMUNI FKANSCINI. Comme le cardinal d'Ostie, comme Sixte-Quint, comme fumera) Durai, comme Pierre Molière, l'inventeur; en un moi. comme plusieurs hommes distingués, Etienne Frans- cini fut d'abord berger. H naquit, en 1796, à Hodio. dan> la Levantine, qui était alor> un des bailliages italiens et qui, depuis 17'JK. fait partie du Canton du Tessin. Il appartenait à une simple famille d'honnêtes pavsans. Pendant les première* .innées de sa vie, pendant même une partie de son adolescence, il garda les troupeaux de son 44 père. Plus tard, l'amour du savoir et le vœu de ses parents qui le destinaient à l'état ecclésiastique, l'attirèrent au sémi- naire de Sainte-Marie ou des Trois-Vallées, à Poleggio. Là. Franscini fait d'assez rapides progrès dans ses études pour être admis au grand séminaire de Milan ; mais, bientôt, poussé par son instinct ou par ses convictions, il renonce à la carrière théologique, et embrasse celle de l'enseigne- ment. Il accepte une place de précepteur chez un Milanais. Malgré des succès pédagogiques et littéraires, il sent que la Lombardie n'est pas le champ qui lui est destiné L'amour de la patrie le rappelle dans le Tessin, et il quitte Milan. Alors dénué de ressources, presque inconnu à ses conci- toyens, il s'ensevelit dans une humble habitation d'un obscur village, et commence à se livrer à ses recherches statistiques, qui sont et resteront son plus véritable titre à la célébrité. Pendant vingt ans, de 1827 à 1847, il \ consacra son temps, d'une manière* non interrompue, travaillant d'abord à la statistique du Canton du Tessin, puis à celle de la Suisse, à laquelle la position qu'il occupa plus tard à Berne lui per- mit de donner de vastes et importants développements. Une brochure que Franscini publie, en 1827, sur la néces- sité de réorganiser l'instruction publique dans le Canton du Tessin, le met en évidence comme homme politique. Bientôt, il s'empare de la presse périodique: il réveille les esprits, les prédispose à des réformes : il traite toutes les questions d'intérêt public: il se mêle activement aux efforts du parti libéral qui voulait débarrasser le Tessin de la domination cléricale et de l'influence autrichienne. En 1830, quelques mois avant les journées de Juillet, les libéraux arrivèrent au pouvoir. Franscini devint alors successivement chancelier, conseiller d'Étal et député à la Haute Diète. Le rôle joué par Franscini dans son Canton fut important, utile et honorable. Il créa, pour ainsi dire, l'instruction pri- 46 maire dans le Tessin et mérita d'y être regardé comme le père de l'instruction publique en général. Laborieux, con- vaincu, persévérant, il contribua pour beaucoup à la révo- lution tessinoisc de 1830, qui précéda la plupart des antres révolutions cantonales. Il combattit avec énergie les habi- tudes de corruption qui s'étaient introduites dans plusieurs branches du service administratif. A-l-il complètement réussi dans cette tâche délicate et difficile; c'est ce que nous n'o- sons complètement assurer. Mais, en pareille matière, c'est déjà beaucoup d'avoir essayé. En définitive, aucun progrès, comme le dit M. Pioda, n'a été accompli depuis 1830 dans le Tessin, dont le germe ne fût contenu dans les actes ou dans les ouvrages de Franscini. L'influence politique du magistrat tessinois grandit encore à la suite des troubles de 1830, et lorsqu'arriva la révolu- tion fédérale de 184-7, il était l'homme le plus en vue de la Suisse méridionale, celui que l'opinion publique désignait pour la représenter dans le pouvoir exécutif de la Confédé- ration. Il entra donc au Conseil (édéral à L'époque de la formation île ce Corps, après avoir rempli deux missions, l'une dans le Canton de Vaud et l'autre à Naples. Depuis lors jusqu'à ses derniers moments, il n'a cessé de faire partie du pouvoir exécutif de la Suisse: les travaux utiles aux- quels il se livrait au point de vue de la statistique, sa qualité de représentant de la population suisse italienne, la considé- ration de sa nombreuse famille dont l'éducation n'était point achevée, bien plus que la qualité d'homme politique placé en saillie, paraissent l'avoir, jusqu'au bout de sa carrière, protégé contre la non-réélection lors des renouvellements successifs du Conseil fédéral. Dans le Tessin, Franscini avait exercé une puissante initia- tive, une influence directrice et prépondérante ; il n'en fut pas de même au Conseil fédéral, où il ne compta point parmi 46 les hommes politiques. Il ne parlait que rarement dans les Assemblées fédérales, ce qu'il faut sans doute attribuer moins à un manque de zèle et d'intérêt pour les affaires générales de la Confédération, qu'à la surdité qui l'affligea pendant les dernières années de sa vie et qui l'empêchait de suivre faci- lement les discussions des Conseils. Néanmoins, Franscinifut encore très-utile à la Confédéra- tion par ses vastes travaux statistiques sur la Suisse, qui ont fondé et étendu sa réputation, qui ont été, en partie, tra- duits d'italien en français, et qui lui valurent, en 1856,1e titre de membre correspondant de l'Institut national de France (Section d'Économie politique). Comme statisticien, Franscini formait encore de vastes projets, lorsqu'un refroidissement, suivi de graves compli- cations, vint l'enlever à sa famille, à sa patrie et à ses nom- breux amis. Franscini avait été nommé membre correspondant de la Section d'Industrie et d'Agriculture de l'Institut Genevois, établissement pour lequel il éprouvait un vif intérêt et auquel il avait promis de transmettre soit ses ouvrages imprimés, soit d'autres communications utiles. Peu de temps avant sa mort, il avait déjà fait parvenir à la Section des Sciences morales et politiques les trois pre- miers des quatre volumes résumant ses longues et patientes recherches sur le recensement fédéral de 1850. Remarquons, en passant, pour ceux qui seraient peu dis- posés à bien juger de ces travaux de Franscini, qu'il y a deux manières d'entendre la statistique : les uns, plus pas- sionnés qu'amis du vrai, arrangent, groupent et tourmentent les chiffres pour en tirer la démonstration d'opinions pré- conçues ou de systèmes tout d'une pièce; d'autres, au contraire, réunissent avec persévérance des éléments nu- mériques pour parvenir à la découverte des notions réelles 47 qu'on en peut déduire sur 1 "état des sociétés humaines ou sur les remèdes qu'on y pourrait apporter. C'est à cette der- nière et honorable école qu'appartenait Kranscini, qui fai- sait de la statistique d'une manière impartiale, naïve et candide. En résumé, Kranscini est mort avec la réputation d'un homme droit, d'un travailleur infatigable, d'un Bavant mo- deste, d'un citoyen utile el dévoué. Ce qui prouve son par- fait désintéressement, c'est qu'après avoir, pendant près de trente ans. rempli les plus hautes fonctions, il est mort pauvre comme Aristide. La Confédération, à la suite d'une propo- sition de M. liriiillc. a dû chercher un moyen, sans manquer aux traditions générales des institutions républicaines, de prendre en considération le manque de fortune de sa jeune et nombreux' famille. Le Conseil fédéral a été chargé de traiter avec cette dernière pour l'achat des ouvrages et des manuscrits statistiques ou historiques laissés par Kranseini. et susceptibles d'être utilisés par la Confédération ou par les Cantons qui en ont été l'objet. Kranscini avait ainsi, prudemment nu sans le savoir, préparé d'a\;iiiee de pré- cieuse- ressources à ses enfants. On peut en juger par l'imenl.uie suivant de la succession littéraire de l'honorable Tcssinuis. Franscini a laissé ; 1° La statistique de la Suisse, 18°27, un volume. 2° La nouvelle statistique, 1847, deux volumes avec sup- plément. 3° La statistique du canton de Heine, manuscrit prêt à être livré à l'impression. 4° L'histoire et la statistique du Valais, 14 cahiers. 5° Des notes sur plusieurs hommes illustres de la Sui>se : Jean d'Attinghausen: Rodolphe d'Erlach; Jean, Henri et Adrien de Huhenberg ; Rodolphe Broune; le landammann 48 Gundoldingen ; Rodolphe Hofmeister; Rodolphe Stussi ; Ital Reding; Nicolas et Guillaume deDiesbach; Waldmann et Nicolas de Scharnachtal; enfin, la biographie du comte de Carmagnola. 6° L'histoire du Tessin sous le régime unitaire et sous la médiation, de 1797 à 1813. Les funérailles de Franscini ont été célébrées, à Rerne, avec l'appareil convenable à un homme dans sa position et de son mérite. M. Pioda, son ancien collègue au Conseil d'État du Tessin, prononça sur sa tombe un discours d'une éloquence grave et touchante, auquel nous avons emprunté quelques détails, et nous croyons ne pouvoir mieux terminer notre esquisse biographique qu'en citant la fin de cette oraison funèbre : '« Nous t'avons perdu, ô Franscini, mais tu nous laisses la satisfaction de t'avoir vu à la fin de ta carrière aussi pur que lorsque tu y es entré. » Tu as traversé tout le champ des tentations, sans y suc- comber. » Au milieu des luttes de la situation politique, tu luttais avec les difficultés de la vie matérielle, sans faiblir. Honneur à ta vertu, à ton courage, à ta persévérance, à ton désinté- ressement, à ton abnégation, à ton dévouement poussé à la dernière limite, jusqu'au sublime! Vénération a tes cendres et à ta mémoire ! » Adieu ! un dernier adieu t Mais, avant que la terre te reçoive à jamais, que j'apporte encore à ton cercueil, pour te faire tressaillir, la vibration du nom le plus cher à ton cœur : Vive la Patrie I Elle vivra tant que les magistrats pra- tiqueront tes vertus t » L'Assemblée entend diverses lectures, faites par des mem- bres de la Section de Littérature. m M. John Braillard, membre honoraire de la Section de Littérature, lit un morceau de sa composition intitulé : FRAGMENT D'UN fOfati in» intsis. Malgré ce qui la distingue déjà de l'Occident, Varsovie est encore une ville européenne; mais, quand on a passé laVis- tule et qu'on s'avance vers la Lithuanie et la Russie-Blanche, on reconnaît clairement qu'on a enfin mis le pied sur le ter- ritoire slave. Au point de vue du paysage, la Prusse occiden- tale; ne diffère pourtant pas beaucoup des provinces russes que je viens de nommer; mais l'homme n'est plus le môme, et par conséquent tout ce qui tientà l'homme. C'est une autre civilisation: on quitte délinitivement la vieille Europe, etl' Asie commence. Voyez ces villages dont les cabanes sans fonda- tions sont alignées et séparées les unes des autres : on dirait les établissements temporaires de tribus nomades. Regardez bien ces hommes à longue barbe : leur vêtement n'est qu'une variété de la robe orientale, et toute leur ligure rappelle les traits des peuplades qui errent au-delà de la mer Caspienne cl sur les frontières de la Chine. Écoutez-les, et vous enten- drez des sons étranges que votre langue ne saurait imiter. Kxaminez ce charriot grossier qui vous porte, ces trois pe- tits chevaux sauvages si singulièrement attelés, ce cocher qui conduit debout et en poussant des cris inarticulés, et dites- moi si tout cela ne vous fait pas rêver de l'antique Orient. Le sol lui-même n'offre aucune ressemblance avec les campa- gnes accidentées de la France et de l'Allemagne. 50 La grande route qui conduit de Varsovie à Pétersbourg traverse un pays fort peu intéressant. Ce sont de vastes plaines sablonneuses ou marécageuses, coupées par le Boug, le Niémen et la Dwina. En Russie, le paysage est partout le même; de la mer Noire à la mer Blanche il n'y a que des plis de terrain. Rien n'arrête pour ainsi dire le regard sur cet immense espace de 200,000 lieues carrées : les collines, les forêts, les rives des fleuves font à peine saillie sur la ligne de l'horizon. On rencontre bien parfois un site agréable, une maison de seigneur appuyée à un bouquet de pins ou de bouleaux, avec sa pièce d'eau d'un bleu pâle, son église de bois et ses chaumières le long du chemin ; mais ce petit ta- bleau n'a de pittoresque et de couleur que par le contraste. Pour trouver un paysage un peu caractérisé, il faut l'aller chercher en Finlande, au Caucase, jusqu'en Sibérie, dans la chaîne de l'Altaï. En dehors de ces trois régions, la Russie d'Europe, y compris le royaume de Pologne, est d'une dé- solante uniformité. Une tristesse involontaire saisit le cœur, quand on traverse ces solitudes sans limites que n'éclaire jamais le splendide soleil du midi. Dans les bassins du Don et du Dnieper, l'œil est, du moins occupe; il ne se lasse pas de contempler ces immenses champs de blé qui pourraient nourrir l'Europe entière, ces steppes où paissent des millions de mérinos, où galopent à votre approche d'innombrables troupeaux de chevaux à de- mi-sauvages, et où, pendant les chaleurs de l'été, le mirage donne comme une idée des déserts de l'Afrique centrale. Mais entre Varsovie et Pétersbourg la nature est loin de présenter un aussi riche aspect. Les fleuves, presque tou- jours grisâtres, roulent entre des rives dont le dessin est froid et monotone: la végétation est maigre et souffrante; les villages sont rares et pauvres, et les êtres qui les habitent sont généralement sales, chétifs et apathiques. C'est peut- sa être l,i seule portion de la Russie où la population n'ait pas de caractère. Kl le n'a en elle! ni la lente bonhomie des Allemand s. ni le laisser-aller artistique des l'elils-Russiens, ni la rude beauté îles Moscovites. C'est quelque cause de terne, dV tracé. qui inspire plus de pitié que d'intérêt, et qui porte l'empreinte de l'esclavage et de la mort spirituelle : ou dirait d'une plante rabougrie et privée de la bienfaisante lumière du soleil. le trouvais pourtant une certaine poésie dans la nudité de ce paysage. Vers le soir, par exemple, quand la pluie cessait un instant et que le vent éclaircis»ait le voile épais des nuages, j'aimai.- a plonger mon regard à travers les espaces sans bornes qui s'ouvraient devant moi. La terre, d'abord séparée du ciel par un ruban d'un jaune pale, semblait s'en rapprocher à mesure que s'efiaçaienl les dernières lueurs du couchant. Peu à peu le ruban se rétrécissait jusqu'à ne plus laisser voir qu'une ligne, et bientôt, la ligne elle-même dis- paraissant, le ciel et la terre finissaient par se confondre dans les brumes de l'horizon. Je distinguais à peine les objets intermédiaires, tant ils présentaient peu de relief, tant leur couleur s'harmpniail avec la demi-obscurité du crépuscule. Je me sentais comme perdu au milieu d'une vaste solitude; je me croyais en mer. car ces plaines sans fin ont quelque chose qui rappelle les lointains de l'Océan. L'absence d'êtres vivants autour île moi. le silence, le moelleux balancement de la voi- ture augmentaient encore cette illusion de mes sens. Alors je me laissais envahir par d'ineffables rêverie-, mon âme ne rencontrait plus d'obstacles dans ses élans, et graduellement j'arrivais à percevoir la notion de l'infini. Ce sentiment de l'infini, on l'éprouve aussi fortement dam les pays de montagnes, en Suisse surtout, mais alors il agit sur l'âme d'une autre manière. Les grandes Alpes ne sauraient m'inspirer d'autre sentiment que celui de ma faiblesse et de mon néant; elles pèsent sur moi, elles m'écrasent. Kn mou- ■ 52 tant la Gemmi, en franchissant la Handeck, j'ai besoin de me souvenir de cette admirable pensée de Pascal, que l'homme est un roseau, mais un roseau pensant, et que si même l'univers l'écrasait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue. Mais sur mer ou au milieu des steppes de la Russie, mon âme, au lieu d'être oppressée, se dilate outre mesure, s'élance par delà les cieux visibles, et ne s'arrête qu'aux barrières du monde invisible et infini. Oh! je vou- drais pouvoir rendre par des mots ces voyages aériens de ma pensée, ces visions mystérieuses qui doivent être le pé- ristyle de cette autre vie dont le tombeau est l'entrée ! Faute de ces sublimes rêveries, le temps m'aurait semblé long. Nous roulâmes huit jours et huit nuits sur cette route uniforme. Chaque matin nous retrouvions, en nous ré- veillant, le même paysage que la veille; une pluie fine et froide qui nous prit au sortir de Varsovie nous accompagna jusqu'à Saint-Pétersbourg. Les villages que nous traver- sâmes nous parurent si sales et si misérables que nous n'eûmes pas la moindre envie de nous y reposer. Le soir du cinquième jour, cependant, vaincus par la fatigue, nous nous étendîmes presque involontairement, après le thé, sur les divans crasseux qui ornaient les deux chambres de la station de poste. Chaudement ensevelis dans nos pelisses, nous trou- vions une certaine jouissance à allonger nos membres para- lysés. Peu à peu le sommeil nous gagna. J'ignore si je dor- mis longtemps, mais je fus réveillé par une sensation étrange; quelque chose se mouvait mystérieusement sur moi et autour de moi; je crus entendre comme une armée en marche dans les ténèbres. Je moucliai la chandelle dont la mèche charbonnée avait deux pouces de hauteur, et je l'approchai de moi. J'étais pris d'assaut par d'innombrables légions d'insectes. C'étaient les multitudes de Xerxès, cava- lerie et infanterie, de toutes formes et de toutes couleurs. , M Je ne les dénombrerai point, car leurs noms seuls feraient horreur, .le ne poussai pas de cris, comme fit le marquis §6 Cusline en semblable position : je ne i\< pas de sauts de carpe pour me débarrasser des étreintes de ces monstres; non : je regardai, stupéfait, ma chandelle à la main, et je me de- mandai philosophiquement de quelle utilité de pareils ani- maux peuvent être dans l'ordre providentiel de ce monde, question que je n'ai point résolue et que j'abandonne à la sagacité des naturalistes qui me liront, .le compris dès lors, pourquoi les Russes, lorsqu'ils voyagent, transportent avec eux leur lit, leur matelas, leurs couvertures, leurs oreillers, et pourquoi ils préfèrent passer la nuit dans leur voiture plutôt ([lie dans les stations de poste. Quant au \o\ageur qui n'a pas de véhicule confortable, je lui indiquerai un moyen de se garantir de ces attaques nocturnes : c'est de se se métier des moelleux divans ; de prendre un banc de bois, d'en mettre les quatre pieds dans quatre pots pleins d'eau. et de s'étendre sentimentalement sur ce lit d'une nouvelle espèce. J'en ai fait l'expérience; votre épine dorsale en souf- frira, j"en conviens : vous ne serez pas positivement dans d'aussi bons draps que les chanoines de Roilcau, mais voire sang du moins n'abreuvera pas vos féroces ennemis. Si vous n'en avez jamais vu, vous ne sauriez vous faire une idée d'un village rus>e. Vous \ reconnaissez du premier coup d'oéil le cachet de la misère et de l'esclavage : une malpropreté repoussante et une incurie fabuleuse. Ce n'est pas le serf qtfïl faut blâmer de ce triste état de choses. Il ne possède rien : pourquoi se donnerait-il la peine de tant soigner le bien d'autrui. Le champ qu'il cultive, il n'est pas sûr d'en partager la récolte; sa chaumière et tout ce qu'elle contient est à la merci d'un seigneur obéré; sa femme, .-<•. enfants eux-mêmes ne lui appartiennent pas. Quand sa fille a seize ans, on la déshonore et on la donne ensuite, safnfs consulter, à un paysan qui ne la connaît pas et qui Habite parfois à cinq cents lieues de là. Quand son fils a vingt ans, un impitoyable inteîidant le sépare de la famille, le marie malgré lui, pour enrichir son maître, ou le livre à un recru- teur, et le fouette dans tous les cas, si le malheureux essaie de résister au sort qu'on veut lui faire. Le chef de la famille lui-même est moins qu'un homme; c'est un animal que l'on vend, qui laboure et qui procrée, non pour lui, mais pour le petit despote qui l'a acheté. La fortune du seigneur ne s'éva- lue pas en arpents, mais en âmes. N'y a-t-il pas là de quoi briser le courage et tuer l'intelli- gence? de quoi justifier cette apalhie qui révolte les hommes libres? Quoique plus éloignés encore de la civilisation occi- dentale, les Moscovites et les Petits-Russiens ne poussent pourtant pas à ce point l'abandon de soi-même ; leurs vil- lages sont plus riches, plus coquets; mais en Lithuanie et dans la Russie-Blanche, la nature marâtre semble avoir conspiré avec les institutions pour faire descendre l'homme au dernier degré de l'échelle sociale. Les villages russes sont presque tous bâtis sur le même plan. Ils s'étendent en longues lignes de chaque côté de la route, mais les chaumières sont isolées et séparées par des cours. Un peu à l'écart, une espèce de place contient l'é- glise et la maison du seigneur, qui ne diffère souvent de celle du paysan que par les dimensions. Toutes ces constructions sont en bois à peine équarri et recouvert de terre glaise. Dans certaines provinces, elles rappellent un peu les chalets des cantons de Berne et de Fribourg, et ont, comme ceux- ci, des frontons, des avant-toits et des contre-vent sculptés. Elles n'ont d'ordinaire qu'un rez-de-chaussée de plain-pied avec la route Les portes en sont basses, les fenêtres petites et rares, les toits couverts de chaume, et les cheminées com- posées de quatre bâtons entourés d'une serpillière. Sur le 55 seuil ou dans la cour, où n'a jamais passé le balai, grouillent dans la fange, au milieu des cochons et des oies, une fourmi- lière d'enfants demi-nus et d'un blond crayeux. L'intérieur forme quelquefois deux pièces, plus souvent une seule, au centre de laquelle s'élève un énorme poêle en briques. Le poêle, en lîussie, est la partie importante de la maison du paysan. Il est construit comme un four et sert à plusieurs tins: non seulement il chauffe, mais encore il supporte la toiture, et il est assez vaste pour que la mère y fasse la cuisine et pour que la famille entière trouve en hiver des lits sur le- espèces de gradins qui l'entourent. Le mobilier se compose invaria- blement d'un banc de bois courant le long des parois, d'une table et de quelques grossiers ustensiles de cuisine, car le paysan russe ne fait guère usage de lit. En hiver, il dort sur le poêle; en été, il se contente de la terre battue qui remplace le parquet. Il se passe d'armoire, par l'excellente raison qu'il n'a rien à enfermer. Ou ne saurait croire combien les besoins du paysan russe sont restreints et combien il a d'indifférence pour ces mille brimborions que nos villageois civilisés regar- dent comme de première nécessité. Tous ses vêtements sont -ui sa personne. Les jours de fête, il sort d'un gros coffre rouge qui gît en un coin, son petit chapeau plat et son caf- tan de drap vert ou bleu; il peigne sa barbe, lisse ses cheveux • •t graisse ses bottes. Voilà sa plus grande toilette, et, en vé- rité, il n'est pas mal ainsi. Durant la semaine, on le voit vaquer à ses travaux en pantalon de toile, bouffant et arrêté au genou, et en chemise de couleur serrée à la taille, tombant par-dessus le pantalon et figurant assez bien la tunique des anciens, Ajoutons à cet inventaire la peau de mouton pour l'hiver, et nous aurons toute la garde-robe du paysan russe. Sa table est encore moins somptueuse que son mobilier et sa toilette. Du sarrazin cuit à Teau, de rognon, du chou aigre, du pain noir trempé dans de la petite bière, de temps en 56 temps un verre d'eau-de-vie, et à Pâques un morceau de pain blanc et de viande, voilà le menu de ses festins. La famille entière mange à une gamelle de bois avec des cuil- lers de bois. Pendant la belle saison, quand les paysans fatigués re- viennent de leurs champs; quand, assis en cercle devant leurs chaumières, il prennent le repas du soir, entourés des enfants et des animaux domestiques; quand le soleil couchant colore de ses chauds rayons ces scènes primitives, le tableau qu'offre un village russe ne manque ni de pittoresque ni d'originalité; il surprend par son étrangeté, et, si notre délicatesse, un peu trop raffinée, ne s'accommode guère des taches qui le souillent, l'œil du moins se repose sur ces scènes flamandes du spectacle monotone que la nature pré- sente presque partout en Russie. J'admire peu les villages russes, mais j'admire encore moins les bourgs juifs. Je n'ai rien vu de plus dégoûtant dans le reste de l'Europe. Si vous vous en approchez et que vous ayez le vent contraire, vous les sentez à une bonne demi-lieue. En Russie et en Pologne, le Juif est un être à part; il tranche vivement sur le fond de la population slave. Parqué dans des villages et des bourgs où le slave ne s'établit jamais, il n'a rien adopté des mœurs chrétiennes. Il vit et s'habille à sa manière. Il se plie facilement aux circonstances et devant les hommes, quand l'occasion le demande, mais uniquement en vue du profit qu'il compte en tirer. Son regard éveillé et as- tucieux, sa figure pâle et effilée, sa physionomie mobile et inquiète, sa parole entortillée ou nette, rapide ou hésitante, selon le besoin, toujours mielleuse et intarissable, toute sa- turée de mots étrangers horriblement prononcés; ses gestes retenus et gracieux, sa démarche souple et craintive, ses sa- luts profonds et multipliés, sa robe sombre et graisseuse, ses longs cheveux bouclés sur les tempes et sa barbe taillée en r.7 pointe, tout, jusqu'au parfum qui s'exhale .lésa personne, tout en lui révèle le hanni qui garde raneune à la société d'où il es( rejeté. Le .luif de ces contrées est véritablement immonde: un ('prouve à sa vue une sensation analogue à celle que produit 'le contact d'une chenille ou d'un ver de terre: mais, malgré celte impression, on admire celte sou- plesse et celle vélocité qui ne doutent de rien et qui répon- dent à toutes vos exigences. Quand on compare le descendant d'Abraliam au Polonais si catholique, au Russe si orthodoxe, on ne peut s'empêcher de reconnaître que la supériorité in- tellectuelle n'est pas du coté des Chrétiens. Continuellement aux priMS avec les employés russes, rien ne saurait donner une idée de la dextérité qu'il déploie pour se tirer de leurs mains : ce sont des tours de force dignes des plus fameux sal- timbanques. Il soit de ces luttes rançonné, déchiré, écorché; mais l'air papelard avec lequel il délie sa bourse et achète la conscience du chrétien, prouve qu'il se regarde connue victorieux. Le Juif s'est emparé de tout le commerce de la Kus-iic méridionale et occidentale, qu'il inonde des produiN de su contrebande. Il est partout où le gouvernement ne lui a pas interdit de mettre le pied. Il parcourt les campagnes, monté mit son chariot traîné par deux petits chevaux cosa- ques, et. sans se rebuter An distances, des intempéries, ni des mauvais traitements, il erre d'un bout de l'année A l'autre, visitant toutes les foires, mais préférant l'innocent propriétaire trop éloigné des villes pour s'y aller approvi- sionner, cl qui, après avoir bien marchandé, se laisse séduire par les toiles de la Hollande, les soieries de Lyon et les pom- mades de la rue Saint-Denis. Demandez au Juif tout ce que vous voudrez : s'il ne l'a pas, il vous le procurera, car il a des magasins secrets et des compères partout. Plutôt que de ne pas trafiquer, il vendrait sa femme, sa fille et lui-même par-dessus le marché. Heureusement qu'il ne peut mettre la 58 main sur le Dieu d'Israël, car il vous le proposerait au rabais. La passion du lucre est pour beaucoup dans cette étonnante activité, mais la passion des affaires balance, je crois, chez lui, l'attrait de l'or. C'est dans la race, depuis Rothschild jusqu'au plus infime de ses coreligionnaires. Le temps devenait de plus en plus affreux à mesure que nous avancions vers Pétersbourg ; ce fut un véritable déluge pendant les deux derniers jours du voyage. Rien de plus triste que les environs de la ville de Pierre-le-Grand ; c'est un pays pauvre, nu, désolé. Le sol n'est qu'un marais qui ne porte aucun des beaux arbres de notre vieille Europe; les animaux sont d'une race dégénérée et les hommes ne diffèr rent guère de leur bétail. L'impression que me fit ce tableau fut douloureuse. Je cherchai à me rendre compte des causes qui avaient pu engager Pierre-le-Grand à bâtir sa capitale dans une contrée aussi déshéritée, et je ne vis dans un sem- blable dessein que le caprice d'un despote insouciant de la vie de ses sujets et assez orgueilleux pour vouloir vaincre les éléments. Le contraste était, pour moi, d'autant plus grand que, tout récemment, j'avais joui du splendide spec- tacle du golfe de Naples ; Vienne, Dresde, les bords du Rhin que j'avais visités ensuite me semblaient encore un paradis en comparaison de l'Ingrie. J'avais hâte d'arriver à Saint- Pétersbourg, où j'espérais du moins retrouver une image du monde vivant, et où je comptais endormir par le travail le dégoût qui me prenait de cette contrée sans soleil et sans végétation. Le soir du huitième jour, je fus réveillé par le bruit des roues sur le pavé ; je mis la tête à la portière : nous passions en ce moment sous l'arc-de-triomphe élevé par l'empereur Alexandre à l'armée russe, lors de son retour de Paris. Les rues que nous traversâmes étaient désertes, interminables, mal éclairées. Enfin, au bout d'une demi- heure de secousses sur le plus abominable pavé que j'aie 69 vu de ma vie, notre voiture s'arrêta devant une maison d'assez belle apparence. C'était là que le sort m'appelait à passer les plus belles années de ma jeonesse. M. Henri Blanvalet, secrétaire de la Section de Littérature, lit une poésie de M. John Petit-Scnn, membre effectif de cette Section : 3GÏÏYSNIB D'UNE MÈRE. Le bonheur des humains comme l'ombre procède, Souvenir, il les suit; espoir, il les précède : "Le radieux passé, dont Poeil est ébloui, On le regrette mieux que l'on en a joui. D'un beau jour envolé la mémoire s'empare, De son prisme attrayant le couronne, le pare, Nous le montre plus vif lorsqu'il fuit loin de nous, Et les plaisirs passés sont toujours les plus don\. La mort de nos amis ajoute à leur mérite, D'un surcroit d'intérêt, de nous, leur tombe hérite; On ne s'en souvient plus que par leurs bons cotes, Et l'on sent tout leur prix quand ils nous sont ôtés. Mais au sein des portraits de cette galerie Rayonne et resplendit une mère chérie, Qui, toujours souriante, à nos yeux vient s'offrir: Que d'un voile d'oubli le temps peut couvrir; Dont l'œil ne cherche encor sa terrestre demeure Que pour y découvrir un enfant qui la pleure, Pour souffrir de ses maux, jouir de son bonheur Et le voir s'avancer au sentier de l'honneur. Comme en un cadre saint dans notre âme se trouve Celle dont le regard nous blâme et nous approuve, Selon que, du devoir écoutant les leçons, Nous en suivons la trace ou nous la délaissons. 60 Quand sur nos bords fleuris, l'été, je me promène, A ce cher souvenir, tout me pousse et m'eritrafne; L'arbre, dont la feuillée ombrage mon chemin, Entre le ciel et moi, me semble être sa main ; La nuit, le cri lointain de l'oiseau de passage, Tombé du haut des airs, me semble son message ; La marguerite, éclose au milieu du pré vert, Est son œil maternel, sur moi, sans cesse ouvert ; Par un souffle léger les roses caressées, Sur l'aile des parfums m'apportent ses pensées, Et je vois, quand le vent courbe les peupliers, Dans leurs balancements ses adieux familiers. Tout, dans cette nature, à mOn sort s'intéresse Et du cœur maternel exprime la tendresse : Dans les cieux,dans les champs, sur les eaux, dans les bois, Tout revêt son amour et paTle avec sa voix. 1. Pëtit-SHnin. La séance a été terminée par la lecture d'un chant natio- nal, imitation du Rufst du mein Vaterland, dont l'auteur est M. Jules Vuy, président de la Section de Littérature. (Start iitltirt minm* « Les Alpes sont à notis. » Patrie, à ton appel, nul cœur qui ne réponde ! Ton peuple tout entier en dévoûment abonde, Sois heureuse et prospère ; à toi nos cœurs, nos bras ! Des fils dignes de toi sont là, Suisse chérie ; Comme aux champs de Saint-Jacque, immorlidle prairie, Tu les verrais encor, s'il le faut, ô patrie I Tout ioveux voler aux combats. 6i Si tes âpres sommets, ces Alpes éternelles Que Dieu même créa comme des citadelles, Ne te défendaient pas dans les jours de malheur. Tes fils, que rien n'arrête et que rien n'épouvante. Souriraient sans pâlir à la mêlée ardente, Serrés près du drapeau, comme une Àlpe vivante, Pour toi bravant mort et douleur! Rudes, libres, loyaux, o terre maternelle, Nous avons bu le lait de la forte mamelle ! O pays des grands monts et de nos grands aïeux ! Que vienne le péril el la race vaillante, Brisant de l'ennemi la fureur insolente, Traversera gaiment cette aurore sanglante Des combats fiers et glorieux. Calme et tranquille au pied de nos Alpes de neige, Il dort le lac profond que le glacier protège, Farfois notre courage est immobile ainsi ; Mais que soudain se lève et que gronde l'orage, Le lac monte et mugit, furieux et sauvage Et nous, nous réveillant pour la lutte, à la rage Opposons notre rage aussi! Et comme du plus haut des monts aux cimes blanches, Promptes comme l'éclair, roulent les avalanches. Écrasant tout au loin et tout engloutissant; , A gravir nos sentiers si l'étranger s'apprête, Que des balles partout la terrible tempête Vomisse sans pitié la foudre sur sa tête. Tempête de mort et de sang ! 62 « Libres, libres toujours ! » soit notre cri de guerre; Ce cri que PHelvétie a répété naguère. Que du fond de nos cœurs il s'élève aujourd'hui ! Libre qui sait mourir ! libre, dans sa vaillance, Qui, héros généreux et redouté, s'avance Et, comme un autre Tell, intrépide, s'élance Sans regarder derrière lui ! Mais si, loin de ces jours d'orageuses batailles, Loin des soucis fiévreux des armes sans entrailles, La paix brillait encor sur nos monts bien-aimés, Qui ne préférerait te voir tranquille et fière, Après tant de hasards, ô ma Suisse guerrière t Qui de nous ne voudrait, digne enfant de sa mère, Te rendre heureuse à tout jamais! Jules Vuy. Bords de l'Arve. Ouverte à 3 heures et un quart, cette huitième séance a été levée à 6 heures et demie. 03 SECTION DES SCIENCES NATURELLES ET MATHÉMATIQUES. NOMINATION. Membre correspondant. M. Berthold. (Novembre 1856.) NOTES COMMUNIQUÉES. Octobre 1856. — De la Térébenthine, de sou huile essen- tielle, etc.; par E. Mouchon, membre correspondant de la Section, à Lyon. (Voir le présent Bulletin, page 67.) Novembre 1856, — M. Ritter signale à l'attention de la Section un résultai assez singulier auquel est arrivé M. Han- sen dans ses recherches sur les mouvements de la lune. Pour rendre compte du fait de L'accord entre le moyen mouvement de la lune en longitude et son mouvement de rotation, le savant astronome a été conduit à supposer que le centre de gravité de cet astre n'est pas placé dans son 64 centre de figure, et, en recherchant les conséquences de cette supposition, il en a trouvé une confirmation et en* même temps un moyen d'évaluation. Ce déplacement, en effet, exerce une influence sur la valeur théorique des coef- ficients des principales inégalités de la lune, amplifiant cette valeur si le centre de gravité de la lune est au-delà de son centre de figure à l'égard de la terre, et l'amoindrissant dans le cas contraire. Comme l'observation montre que la pre- mière de ces alternatives se réalise, l'auteur en conclut que le centre de gravité de la lune est placé plus près de la sur- face de son hémisphère invisible ; il a pu même mesurer ce déplacement, qui est de 49 kilomètres. Il en résulte que la partie de la lune que nous voyons constitue un soulèvement ou un renflement de sa surface, une espèce de haute et vaste montagne, et que, de ce que cette partie est dépourvue d'atmosphère, et par conséquent des éléments de la vie ani- male ou végétale, telle qu'elle est constituée sur la terre, on ne peut pas conclure que l'autre partie, l'hémisphère constamment soustrait à nos regards, ne puisse en être doué. M. Oltramare. Note sur quelques propriétés nouvelles des séries. Décembre 1856. — M. Ritter lit, par extraits, la première partie d'un Mémoire sur le calcul de réduction des observa- tions des étoiles fixes. M. R. Main, en calculant les observations de l'étoile 7 du Dragon, faites à l'Observatoire de Greenwich dans les années 1837 à 1848, est arrivé à des résultats inadmissibles et, en particulier, à une parallaxe négative pour cette étoile. Il a publié les observations et les calculs auxquels il les a sou- mises, dans le tome vingt-quatrième des Mémoires de la So- ciété astronomique de Londres, et termine son travail en 65 disant : For ihe présent J Icare this paper in the hands ofas- tronomers, with the hope thaï some one interested in the subject may be able to offer some elucidation of the difficulty thus presented. C'est pour répondre à cet appel que M. Ritter a entrepris le travail dont il présente la première partie. Les astro- nomes ont l'habitude, dans la réduction des observations, de calculer la parallaxe et l'aberration dans l'hypothèse d'une orbite circulaire pour la terre. Cette supposition est sans inconvénient quant à l'aberration, parce que l'effet de l'ellipticité de l'orbite de la terre se réduit à un déplacement du lieu moyen de Tétoile. Mais il n'en est pas de même de la parallaxe, et, en la calculant elliptiquement, M. Ritter est arrivé à un résultat notablement différent de celui de M. Main. En suivant la marche tracée par ce savant et en utilisant une partie de ses calculs et de ses tables, mais en calculant la parallaxe elliptique, M. Ritter a obtenu pour la parallaxe de 7 du Dragon — 0 ',2716, au lieu de — 0 ',378 que trouve M. Main. Dans la seconde partie de son Mémoire, qu'il présentera prochainement à la Section, M. Hitler se propose de re- prendre le calcul entier des observations en modifiant à plusieurs égards la marche suivie par M. Main. La conséquence qui lui semble résulter du travail qu'il présente aujourd'hui, c'est qu'il est indispensable que tes astronomes abandonnent, dans le calcul des réductions des observations des étoiles fixes, l'hypothèse de la parallaxe circulaire,- puisque cette hypothèse inexacte conduit, pour les observations dont il s'agit, à des résultats qui diffèrent dans le rapport de 4 à 3 de ceux auxquels conduit l'hypothèse elliptique. Février 1857. — M. Oltramare. Note sur des formules $6 particulières jouissant de la propriété de donner des nom- bres premiers. M. Michaud. Note sur une huile essentielle particulière qui se dégage, pendant la carbonisation à l'air libre, de l'oi- gnon, et à laquelle on doit attribuer la propriété, du reste très-réelle, qu'a ce végétal d'arrêter la combustion. Mars 1857. — M. Hitler présente l'analyse d'un Mémoire de M. Airy, directeur de l'Observatoire de (ireenwich, sur les expériences de ce savant dans les mines de Harton pour déterminer la densité moyenne de la terre. (Voir Bibl. uni- verselle, mai 1857,) Avril 1857. — M. Michaud, sur la présence d'une forte proportion de magnésie dans les eaux de l'Ane, l'ail constaté pour la première fois par M. Brun, pharmacien, à Genève. M. Michaud, sur la présence de l'acide picrique dans quelques bières. La présence de ce principe vénéneux, qui parait prendre naissance au sein du liquide, à la suite de réactions encore indéterminées, peut être décelée par le procédé suivant, indiqué par M. Liehig. On plonge dans le liquide qu'on veut essayer, et qu'on a soin de main- tenir à une température d'environ 50°, de la soie blanche; celle-ci prend aussitôt une coloration brune, si la bière con- tient de l'acide picrique, même en très-faible quantité. "5-^VO - DE LA TÉRÉBENTHINE DE ET DE QUELQUES PRODUITS PHARMACEUTIQUES A RASE DE TÉRÉBENTHINE Emile MOUCHON PHARMACIEN A LYON, BNIBRE DE [.'institut GENEVOIS kt i>k pummma corps savants. La lérébenthiue el son essence^ sans être complètement discréditées, ont singulièrement déchu dans l'opinion des praticiens français, n v a |(,i„. en effet, de la confiance dont elles jouissent aujourd'hui, en Kramv «In moins, sinon en Angleterre, â ceHe qu'elles possédaient il y a seulement v ingi- nil,l n,i trente ans. Il j a foin des éloges pompeux qui lenr hronl prodigués naguère, des innombrables formules qui Pn»n»aienl alors, à l'espèc léfareir oui tend à frapper de nullité et ces agents eux-mêmes, et toul cet arsenal phar- maceutique dont la pharmacopée universelle, entre autres, nous étale les richesses atec nue grande profusion. C'esl qu'autrefois on se montrait généralement par trop passionné pour les agents qui avalent une valeur réelle, el qu'aujourd'hui on ne l'est peut-être pas assez: c'est que exagération amené toujours la méfiance, comme le mon- 68 songe amène l'incrédulité. Cependant, il faut reconnaître qu'entre ces deux extrêmes se cachent des vérités pratiques qui pourraient donner gain de cause à la térébenthine et à son essence, si ces produits végétaux étaient mûrement et sagement soumis à l'appréciation exacte et dégagée de toute prévention des hommes qui aiment à rendre hommage à la vérité. Pour moi, la térébenthine et son essence seront en possession de la faveur du monde médical, lorsqu'il saura en régler l'emploi sans le généraliser outre mesure et sans dé- passer les bornes de la prudence ; car il ne faut pas oublier qu'ici, comme dans maintes circonstances, l'excès est en- nemi du bien, et c'est surtout pour avoir trop souvent mé- connu ce sage précepte que l'on a gravement compromis la réputation d'une foule d'agents utiles, au nombre desquels nous ne craignons pas de placer la térébenthine et ses dé- rivés. A côté de l'abus qui a motivé des plaintes amèrcs contre ces produits, est venue se glisser une déplorable confusion dont les conséquences ont été et sont également funestes à leur réputation, les praticiens en général prescrivant, sans désignation spéciale, la térébenthine ou l'essence, tandis qu'il est avéré que la préférence doit être accordée, dans la presque totalité des cas, soit à la térébenthine du mélèze, soit surtout à celle du sapin et à l'essence qui en provient, comme possédant des qualités qui manquent essentiellement à la térébenthine et à l'essence du pin maritime, du pin syl- vestre, etc. En effet, non seulement la nature des produits oléo-rési- neux des espèces du genre Abies et du genre Pinus n'est pas identiquement la même, non seulement l'arôme qu'ils exha- lent, diffère sensiblement entre eux, mais encore cette diffé- rence se fait remarquer entre les espèces du même genre; aussi leur essence est-elle plus ou moins abondante, plus m ou moins repoussante, plus ou moins suave, selon qu'elle provient de telle ou telle espèce, de tel ou (el genre, abstrac- tion l'aile des modifications que peut y apporter la prépara- tion; car il est évident que plus ces huiles volatiles sont rec- tifiées ou dépouillées de la résine et de l'acide qui souil- lent celles du commerce, plus elles approchent de leur état de pureté, plus elles se confondent, physiquement et chimiquement parlant, ce qui veut positivement dire que ces essences ne devraient être introduites dans le do- maine médical qu'après avoir été soigneusement rectifiées selon toutes les données et toutes les règles de la science ; or, personne n'ignore qu'il n'en est nullement ainsi, sinon toujours, du moins presque toujours. Aussi ne voit-on géné- ralement dans les officines que des essences qui, loin d'avoir la saveur et la suavité des essences chimiquement pures, n'ont qu'une odeur et une saveur repoussantes. Si les pharmaciens prenaient la peine de distiller eux- mêmes celles de ces huiles essentielles qu'ils débitent jour- nellement, celles surtout qui devraient être destinées aux diverses applications médicales internes qu'elles peuvent recevoir, ils seraient en possession de produits d'autant plus recommandantes, qu'ils les auraient extraits de la térében- thine du mélèze ou de celle du sapin, à l'exclusion de celle du pin maritime, que nous trouvons abondamment répandue dans le commerce, et que nous employons presque exclusi- vement. La térébenthine du sapin, dite térébenthine citronnée, celle qui provient des utricules de cet arbre si essentielle- ment utile, fournil une essence telle, qu'une première dis- tillation, avec addition d'eau, comme cela devrait toujours se pratiquer, donne déjà d'excellents résultats qui font sentir beaucoup moins impérieusement le besoin des recti- fications successives. Rigoureusement parlant, une seule 70 rectification peut suffire à une telle essence, pour lui donner les caractères d'un très-bon produit, alors surtout que l'on a fait intervenir la vapeur d'eau surchauffée pour l'isoler de la térébenthine. Quant à la térébenthine elle-même, ce qui précède suffit pour faire comprendre l'utilité du choix con- seillé par les auteurs en faveur de Tune ou de l'autre, que nous conseillons nous-mêmes pour l'extraction de l'essence. Selon l'opinion la plus accréditée, ce choix devrait porter- plus particulièrement sur celle dite de Venise ou du mélèze ; cependant, mon expérience me porte à croire que celle de Strasbourg ou du sapin commun lui est préférable, pourvu qu'elle ait tous les caractères qui appartiennent en propre au suc oléo-résineux qui exsude des vésicules de cette conifère. La térébenthine de Bordeaux ou du pin maritime devrait, à mon avis, être complètement ou presque com- plètement exclue des pharmacies, pour être abandonnée aux arts industriels et à la médecine hippiatrique. Un seul cas d'exception pourrait peut-être la faire admettre dans la pratique, lorsqu'il s'agit de la solidification de la térében- thine par la magnésie calcinée, celle-ci n'entrant qu'en quantité relative très-minime dans l'opération, en raison de la nature plus résineuse de celle-là ; mais ce cas se présente si rarement aujourd'hui qu'il ne vaut pas la peine d'être pris en sérieuse considération, et cela avec d'autant plus de rai- son que si les autres térébenthines (les térébenthines fines) réclament beaucoup plus de magnésie pour se solidifier, elles doivent cette propriété absorbante plus grande à la présence d'une proportion plus forte d'huile essentielle; et comme c'est à elle seule surtout que les térébenthines doi- vent leurs principales propriétés, nous pensons qu'il y a une sorte de compensation dans cette grande absorption. Ainsi que je l'ai établi dans le temps, soit en 1834 (Journal de Chimie médicale) , les térébenthines fines de moyenne con- 71 ■tatance réclament, terme moyen, an pouls à peu pris égal au leur de magnésie hydrocarbonatée, on trois lois leur poids d'oxide de magnésium, pour se solidifier presque in- stantanément ou en i >< - * i de temps, tandis que ma lérében- Ihiiu's communes, par une action inverse, qui tient particulié - renient à la nal lire coin p|e\e de leur ma lièfe résineuse, exigent, pour produire le même phénomène, infiniment pins de car- bonate que d'oxide, soit pin- des deux tiers ,ii> leur poids ie I un el un vingt-huilii me au plus de l'autre. Dans l'espace de :it) heures, j'ai pu Faire prendre une consistance pdulaireà une masse de térébenthine de Bordeaux un peu ancienne., à l'aide d'un soixante-douzième de magnésie lorteiiieul cal- cinée. Kn portant au cinquantième la proportion de cet oxide. la solidification peut être instantanée dans la mène térébenthine. Ce n'est eue lorsqae cette olécHréune est toute Récente^ et par conséquent claire et transparente, gemme l'entend L'honorable M. taure, de Bordeaux, qu'elle ne prend environ qu'un vingt-huitième .d'oxide. D'après ce qui précède, il est évident que. pour rendre magistrales les pilules de térébenthine, il £*•( porter du28,ne au 5U"" la proportion relative de magnésie c;dciuée. lors- qu'on veut solidifier par cet agent de la lérébeiithine com- mune, nouvelle ou ancienne: que cette proportion doit changer du tout au tout avec la magnésie carbonates ; mais que. lorsqu'il s'agit d'opérer le même phénomène sur une térébenthine fine, sur celle de Venise par exemple, le poids •les deux constituants doit être, à peu de chose près, le même, lorsqu'on s'adresse au carbonate, et d'une partie d"oléo-ré- sine pour trois de magnésie, lorsque la préférence porte sur l'oxide de cette hase alcaline. Si la térébenthine cuite avait une grande valeur médicale, nous ne serions pas revenus sur ce sujet, bien que nous ne le, croyons pas dénué d'intérêt; car qu'est-ce que la téré- 72 benthine complètement privée de son huile essentielle, sinon un corps peu énergique ? Digne d'une autre époque, ce pro- duit pourrait être à tout jamais banni de la thérapeutique, attendu que ce n'est autre chose que de la poix blanche ou de la poix-résine, résultant de la térébenthine que l'on a privée de son essence par distillation ; or, lorsqu'on sort la résine proprement dite de ses usages externes, je ne crois pas que l'on puisse en tirer un grand parti en médecine, comparativement du moins à ce qu'on peut attendre de la térébenthine elle-même, combinée ou non à la magnésie ou à tout autre agent modificateur. Si nul agent n'a été plus préconisé que la térébenthine, nul plus qu'elle n'a eu les honneurs du formulaire et du laboratoire officinal. Pour se convaincre de cette vérité, on n'a qu'à ouvrir la pharma- copée universelle de Jourdan. Là se montrent sous toutes les formes, sous toutes les nuances, sous toutes les variantes et sous toutes les appellations, les innombrables formules applicables à tous les usages, tant internes qu'externes, que peut recevoir la térébenthine et tout ce qui lui appartient. Puisées dans toutes les pharmacopées et dans tous les for- mulaires existant dans le monde médical, bon nombre d'entre elles peuvent être considérées, à bon droit, comme entachées de nullité, tandis que d'autres ont une valeur in- contestable. Quelque nombreuses et quelque variées que soient ces formules, pour ne parler que de celles qui s'appliquent aux usages externes, elles ne le sont pas tellement qu'elles ne laissent subsister quelques lacunes regrettables. Et, d'ail- leurs, s'il est avéré que toutes les propriétés que l'on peut demander soit à l'essence, soit à la térébenthine, résident dans cette dernière aussi bien, pour ne pas dire mieux, que dans l'essence seule, isolée de la partie résineuse, pourquoi ne nous adresserions-nous pas exclusivement, ou presque 73 exclusivement à elle ? Cette préférence que j'aurais pour la térébenthine pourvue de tous les principes qui la constituent me paraîtrait d'autant plus fondée, que cette combinaison naturelle, tout en se prêtant mieux aux diverses transforma- tions ou modifications que nous sommes obligés de faire subir à l'un ou à l'autre de ces agents, pour en rendre l'usage possible, doit exercer sur nos organes une action moins vive que sa partie essentielle mise à nu. S'il fallait choisir ensuite parmi toutes les formes qu'il nous est permis de faire prendre à la térébenthine pour la convertir en médicament proprement dit, je n'hésiterais pas à faire porter mon choix sur un sirop, sur un saccharure ou sur des pastilles, et ce sont précisément ces produits qui manquent dans nos officines, pour compléter la nombreuse série des agents à base de térébenthine; et c'est peut-être autant parce qu'ils font défaut que parce qu'on ne rend pas assez de justice à ce corps oléo-résineux que les médecins de notre époque négligent son emploi. Au reste, que ce soit ou non à de telles causes que nous devions cette espèce de défaveur qui pèse sur la térébenthine, il n'en est peut-être pas moins utile de combler la lacune existante, et c'est parce que je crois à cette utilité que je fais figurer ici les procédés fort simples à l'aide desquels on peut se procurer un sirop, un saccharure et des tablettes ayant pour base ce produit naturel. La térébenthine de sapin, celle qui provient, comme je l'ai déjà dit, des utricules ou vésicules de l'arbre, étant beaucoup plus riche en essence que tous les produits du même genre, que la térébenthine du Larix enropœa, dite de Venise, en particulier, et ayant d'ailleurs une saveur ci- tronnée qui doit la faire rechercher, devrait, selon moi, être préférée, même à cette dernière, que les botanistes et les auteurs de matière médicale en général désignent, je ne sais 74 trop pourquoi, comme l'emportant sur les autres térében- thines fines pour l'usage médicinal; elle doit l'être d'autant plus qu'elle est. de toutes les térébenthines, celle qui se laisse émulsionner avec le plus de facilité, et dont l'interpo- sition ou l'enchaînement moléculaire, dans un liquide ap- proprié, conserve le plus la stabilité que l'on peut et doit désirer dans lousles produits liquides à base de térébenthine, notamment dans le sirop dont voici la formule : Sirop de térébenthine on abiétiqne.' Térébenthine de sapin (abies pectinata) 30 Gomme, arabique pulvérisée 15 Eau commune l.S Sirop simple ' 940 Total 1,000 Formez, par simple trituration, dans un mortier de marbre ou de porcelaine, un mucilage avec la gomme et l'eau; in- corporez-y intimement la térébenthine, puis projetez peu à peu le sirop dans ce mélange gommo-résineux, en battant continuellement la masse, de manière à constituer un tout homogène, d'un blanc de lait et d'une grande fixité. Après quelques heures de repos, introduisez ce sirop dans les flacons destinés à le recevoir, et conservez pour l'usage. Bien que ce produit, par la permanence de son homogé- 1. Cette dernière dénomination me paraîtrait assez convenable, par ce double motif qu'en exprimant assez bien, pour les hommes de l'art, l'origine ou la base du produit, elle dissimulerait en môme temps la nature de ce même produit aux personnes qui, par ignorance ou par préjugé, pourraient voir en lui un agent, sinon dangereux, au moins repoussant. 2. En remplaçant le sirop simple par le sirop d'orgeat ou le sirop de lait, on modifierait utilement, pour certains cas particuliers, l'action parfois trop stimulante, trop active de la térébenthine, tout en appro- priant mieux le remède à ces mêmes cas. 75 néité et par la nature de ses constituants, puisse résistera l'action du temps, il peut être placé parmi les médicaments magistraux, en raison de sa prompte et facile prépara- tion. Avant l'adoption de ce procédé, le plus convenable de tous, j'ai constitué plusiears sirops, par l'intermède du jaune d'u-ul'. de la magnésie, de deux parties d'alcool rectifié pour une d'oléo-résine, etc., mettant chaque lois en parallèle la térébenthine du Lmir evropœa et celle de VAbiespêCtinûta. La comparaison a inujours été en faveur de celle dernière, liicn i|in' imis ces intermèdes aient laissé quelque chose à êésirer, que l'on ait employé de la térébenthine du mélèze, ou de celle de sapin, sont et plus homogènes et plus agréa- bits au goûl : mais tous, quels qu'ils soient, ont moins de stabilité que celui où ligure la gomme, lequel, du reste, ne cristallise jamais, contrairement à ce qui a lieu pour le sirop magnésien et pour le sirop alcoolique. La térébenthine entrant pour un trente-deuxième dans ce saccharolé, il est permis d'employer ce produit depuis une jusqu'à quatre fortes cuillerées à bouche dans les vingt- quatre heures, un et quatre grammes de hase entrant à peu près dans ces limites, que Ton peut considérer du reste comme les plus ordinaires, en tenant compte de certains cas exceptionnels heureusement assez, rares. Saeeharnre de térébenthine on ahiétlque. IVivlR'iiiliine abiétique 60 Alcool rectifié à !)<> çeptésim i-0 Sucre eu reeaux 1,000 Faites dissoudre, à froid, la térébenthine dans l'alcool, à l'aide d'une forte agitation imprimée au vase contenant l'un et l'autre; laissez déposer la faible quantité de matière qui aura résisté à l'action dissolvante du menstrue : arrosez le 76 sucre avec cet alcoolé, opérez la dessication dans une étuve convenablement chauffée et réduisez-le en poudre fine. Cette opération peut être faite en moins de vingt-quatre heures, lorsqu'elle est conduite avec les soins convenables, la térébenthine se dissolvant dans l'alcool avec assez de faci- lité, et la dessication du saccharure pouvant s'opérer en douze heures au plus, sous l'influence d'une chaleur d'étuve modérée, mais soutenue. Ce saccharure se prête à la pulvérisation aussi bien que le sucre lui-même. Il est, du reste, comme le sirop, agréable- ment aromatique, et, comme lui, il peut recevoir diverses applications utiles. Comme les saccharures en général, il peut, de plus, être converti en tablettes, à l'aide du mode opératoire suivant. Tablettes de saccharure de térébenthine ou abiétiques. Saccharure abiétique 1 ,000 Gomme adraganthe entière 12 Eau de fontaine 90 Formez un mucilage et incorporez-le dans la poudre pour constituer une pâte homogène, que vous convertirez en ta- blettes ovales, du poids d'un gramme. Ces tablettes ont une saveur assez agréable, quoique chaude et franchement aromatique. Sauf quelques rares exceptions, ces trois produits peuvent se prêter à toutes, ou presque toutes les applications internes qui appartiennent aux produits des conifères en général, le sirop et le saccharure pouvant subir toutes les transforma- tions, s'approprier à toutes les formes, liquides ou solides, que voudra leur faire prendre le médecin, seul juge com- pétent, en présence des besoins du moment. Aussi croyons- nous qu'à l'aide de ce simple bagage pharmaceutique, celui-ci 71 pourra satisfaire à la plupart des indications propres à ce genre de médication, sans aller consulter les nombreuses formules consignées dans certaines pharmacopées. N'en fut-il pas ainsi d'ailleurs, la lacune qui existait n'en serait pas moins comblée par les trois formules qui précèdent, et l'u- tilité que présentent celles-ci me semblerait justifier d'au- tant plus cette modeste publication que j'ai cru aussi ajouter à cette utilité, en rappelant à l'attention du corps médical des agents dont il néglige beaucoup trop l'emploi, eu égard aux propriétés incontestables qu'ils possèdent, aux impor- tants services qu'ils peuvent rendre à l'art médical. - **&£* *5Éîfc&ç89 autour de Genève! b) l'ne prise d'armes a tienne; lettres do Jem.-Klie Dunant sur les troubles ei la médiation de 1737-1738. C) Rapport sur les .Me ires inédits d'K/éel.iel Spanheioi. d) Des arts en Suisse, el notamment ;. Genève, avant la Réformation. e) tomptes-rendus d 'ouvrages divers | Intrigues diplomati- ques contre Genève au XVI* et au XVII* siècle). f) Héraldique suisse. .<&£* *em * SI SECTION DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES, d'archéologie et d'histoire (Pour le compte-rendu des séances précédentes, voir le tome V d ■ Bulletin de l'Institul genevois, pages 100 à 127.) SEANCE DU VENDREDI 1er MAI 1857. Présidence de M. MASSÉ, Vice-Président. Le secrétaire de la Section dépose sur le bureau les Mémoires de la Société de statistique de Dublin, avec une lettre dans laquelle l'un des secrétaires de cette Association, M. Henri Dix Hutlon, remercie la Section pour le diplôme de membre correspondant qui lui a été adressé. M. le professeur Adriani, à Turin, envoie un exemplaire de l'ouvrage in-folio qu'il rient de publier sur les mémoires et les correspondances de Monseigneur Ferrero Ponziglione, envoyé de Turin auprès de la cour de Piome'. Le secrétaire est chargé de faire un rapport sur celte publication qui inté- 1. Le titre de ce livre porta : • lUemorie délia cita et dei lempi de Monsignor Gio. Seconda Ferrero-PoruigUone, referendario aposto- Ueo, etc., raccolli ed illustrait per Giovian-Balisla Adriani, pro- fes$ore di storia, etc. Torino, f8$6. » lu-folio de 70-2 payes, avec portraits, tables généalogiques, etc. (Voyez ci-après le compte-rendu de ce livre, spécialement en ce qui concerne l'histoire de la Suisse et de Genève.) 6 8-2 resse l'histoire de Genève, et de remercier l'auteur en lui conférant le titre de membre correspondant. Les membres île la Section d'Industrie et d'Agriculture ont été convoqués pour celte séance, à l'effet d'entendre, conjointement avec les membres de la Section des Sciences morales et politiques. d'Archéologie et d'Histoire, la lecture d'une première partie d'un Mémoire sur l'origine et le déve- loppement de la ville de Carouge. par M. le professeur Gaullieur. Cette communication donne lieu à une discussion intéres- sante, à laquelle prennent part MM. Massé, président; Bénit, docteur en médecine; Viridet, chancelier; Jules Vuy, pré- sident de la Section de Littérature, et plusieurs autres mem- bres présents. SÉANCE DU VENDREDI 12 JUIN 1857. Présidence de M. James FAZV. M. le professeur Gaullieur présente un manuscrit qui, d'a- près ses recherches, paraît en partie inédit et renferme des faits intéressants sur l'histoire de Genève en 1589. Il sera fait ultérieurement un rapport sur ces Mémoires, dont M. Gaul- lieur doit la communication à l'obligeance de M. Henri Sar.- razin, étudiant à l'Académie de Genève. Les membres de la Section d'Industrie et d'Agriculture ont encore été convoqués pour cette séance, conjointement avec ceux de la Section des Sciences morales et politiques, d'Ar- chéologie et d'Histoire. M. le Secrétaire dépose sur le bureau plusieurs publica- tions qui ont été adressées à la Section, entre autres un im- 83 primé de M. le comte Greppi, correspondant à Turin, inti- tulé : '< Bettificazione historicité dedicate alla Gazettu offiziale di Milmio. » Cet écrit a trait aux insinuations de ce journal, touchant la politique du Piémont à diverses époques. M. le professeur Dameth lit la première partie d'un Mé- moire intitulé « Estai philosophique sur le progrès. » M. le professeur Gaullieur continue la lecture de son Mé- moire et des documents sur la ville de Carouge. L'impression de ce Mémoire est volée par la Section. (Il forme le tome VI, N° 13 du Bulletin de V Institut Genevois.) M. Gaullieur donne quelques nouveaux renseignements sur le manuscrit communiqué par M. H. Sarrazin, dont il a été fait mention dans la séance précédente. La première partie de ce volume, in-8° de 193 pages, d'une écriture fine et serrée du di\-septième siècle, paraît inédite, du moins en majeure partie. Elle renferme 56 pages, et traite des événements survenus autour de Genève, l'an 1589, lors de la guerre que les Genevois, unis aux Français et aux Bernois, déclarèrent au duc de Savoie. L'auteur prin- cipal de ce récit est le ministre Du Perril1, qui fut pasteur de I. M. Grivel, archiviste du canton de Genève et membre honoraire de la Section des Sciences morales et politiques de l'Institut genevois, ;i bien voulu compulser les registres des Conseils pour chercher quel- ques indications sur Jean Du Perril. 11 a trouvé sa nomination à la cure de Vandœuvres, et d'autres renseignements qui paraissent concerner une de ses tilles. Voici ces extraits : REGISTRE DU CONSEIL, F» 23, V», ANNÉE 1583. // février 1385. Le sieur de lîèze (Théodore) a proposé, de la part de la Compagnie des ministres, que, d'aultant que la place de Vandcuvres et Collogny est vacante, (l'ayant peu trouver aultre que ledit Aliset, qui s'est offert s'il est appelle de Dieu, de servir à ceste église ; et d'aultant que maistre Jean Du Perril a servy ringt-d< u\ mis à Neydens, et qu'il est vieux et chargé d'enfants, il désirerait (comme aussy entre eux le trouvent bon\ 84 l'église de Vandœuvres, depuis, l'année 1583 jusqu'à l'année de l'aproctaer et ainsy le mettre à Vandœuvres, et ledit Aliset serait mis à Neydens, sinon que Messieurs avisassent aultrement, parce que le- dit Aliset est subjeet de Savoie et ayant esté cy-devant prisonier du côté de Pont-de-Vau\, on le relascha soubz la rançon de 400 écus d'or au soleil, avec défense de dogmatiser, etc. A esté arresté qu'il soil faict selon leur advis (de la Compagnie des ministres). MÊME VOLUME, F" 103, V». 12 juillet (même année). (GuiCHARD des Praz, bolengier. Élisabet fille du S. Jean Dl) Perril.) » Renvoies du Consistoire, assavoir ledit Guichard, pour avoir soli- cité à mariage ladite fille a l'insceu de son père, et avoir heu au nom du mariage avec elle, et luy avoir donné des gans, et«elle, pour avoir mandé quérir ledit Guichard et luy avoir donné des jarretières , les- quelles elle a nvées obstinément au Consistoire. Estant sur ce veue la requesle de speetable Du Perril, requérant déclarer le tout nul et par- doner à sadite fille ladite faulte faite par induction, a esté arresté, es- tant ouyes les parties, qu'on déclaire nul tout ce qui a esté arresté faict, déboutant ledit Guichard de l'opposition qu'il avait dressée sur le mariage contracté entre ladite fille et Perret, et qu'ilz se rendent ce qu'ilz se sont donnés l'nng l'aultre. » REGISTRE DU CONSEIL, 1384. îï août ■ « S.Jean Du Perril a préseuté requeste tendante à le décharger pour ['advenir des despendz du procès que le procureur général a poursuivy soubz son nom contre les hoirs de Claude Jove, et rembourser le sieur de La Ryve de 65 florins qu'il a fraie an sien, oultre 75 florins 5 sols que le suppléant a fourny audit sieur de La Ryve. A esté arresté que pour l'advenir on suyve ledit procès aux despendz de la Seigneurie et pour le surplus qu'on y advise a la Chambre des comptes. » l ii Jean Du Perril, reçu à la bourgeoisie de Genève l'année 1331, était probablement le père de l'auteur des Mémoires que nous impri- mons. Senebier (Histoire Utléraire île Genève, tome 2, page 110), dit que celui-ci a publié une Relation île la guerre faite autour de Gé- nère en 13X9. Nous avons en vain cherché cette publication, et non» croyons qu'il faut entendre par là les extraits, plus ou moins arrangés et mutilés, du Journal de la Ligue. 85 1508, qui est celle de sa mort. Les dernières pages ont été écrites par Esaïe Chabrey, qui est également connu dans les annales genevoises*. C'esl un narré, l'ai! jour par jour et très-exactement, de tous [es faits de guerre survenus à Genève et aux environs, depuis le mois de janvier 1589 jusqu'au H décembre de la même année. Les mêmes faits, mais présentés autrement et avec l'omission «l'une l'unie de circonstances locales, ont déjà paru dans les Mémoires ëe lu Ligue, publiés, à la fin du seizième siècle el an commencement du du-septième, par Simon Goulard, de Sentis, pasteur tic l'église de Genève, et réimprimés en 1758, par l'abbé Goujet, en six volumes in-4». Le récit de Du Perril diffère de celui des auteurs <|e> Mémoires rie lu Ligua, en ce qu'il insiste sur le désaccord existant entre les Bernois el les Genevois touchant les opérations de la guerre. Le rédacteur des Mémoires l'autre coté de la pièce se présentent fréquemment pour les pays cor- respondant au premier royaume de Bourgogne. Je ne citerai ici que les Les Mémoires et les Rapports qui suivent sont ceux dont il vient d'être fait mention. Nous les publions dans l'ordre sui- vant : 1° Relations de Jean Du Perril et d'Esaïe Chabrey; 2° Une prise d'armes à Genève (1737-1738); 3° Rapport sur les Mémoires inédit* d'Ézéchiel Span- heim ; 4° Des arts en Suisse avant la Réforme (à l'occasion d'un ancien tableau genevois) ; 5° Comptes-rendus d'ouvrages divers (Intrigues diploma- tiques contre Genève au XVIe et au XVIIe siècle) ; 6° Notices héraldiques suisses. trientes suivants : celui de Saint-Jean-de-Maurienne (u° 600 du cata- logue de M. Guillemot), celui de Mâcon (n° 59b du même catalogue), ceux de Lyon (n"s 353 et 555 du même), celui d'Aoste (Lettre de M. Fillon à M. Dugast-Matifeux (pi. I, n° 12), celui de Gap (Revue de numismatique, 1854, page 341), et je renvoie à la Revue de numisma- tique (1850, p. 23, 24, 25 et 233; et 1854, p. 422), où se trouve un article de M. Bretagne qui contient une liste de plusieurs tiers de sol d'or sur lesquels on voit simultanément le nom et les initiales d'une ville. Je suis heureux de pouvoir constater que ce fait est tout parti- culier à l'ancien royaume de Bourgogne. C'est encore dans ses limites que se trouve le nouvel exemple apporté aujourd'hui par les triens da Lausanne du musée de Cbambéry. D'après les données actuelles de la science, le poids et le type de cette pièce la renvoient au septième siècle. » ~Qs5-QftSyt><£yr>- ntuiriiQin pamtiiciisoèrê ni; i k GUERRE FAITE AUTOUR DE GENEVE EN 1589 tirée EN PARTIE D'UN JOURNAL FAIT PAR le sieur DU FEItillJL' ET EN PARTIE DES REMARQUES DE M. Ésaïe CHABRET. Les Syndics de cette année étaient Pierre Chenallat, Ami Vakro, Jean Maillet et François De Chapeairouge. Aumoisdc.janvierl589, furent députés à Berne les seigneurs Roset et Chevalier, pour représenter à leurs Excellences les torts et violences, desseins, pratiques et hostilités de Charles- Emmanuel, duc tle Savoie, contre la république de Genève, qui auraient induit et porté les seigneurs de la dite ville à vouloir venger par force ouverte les injures par eux souf- fertes, et se prévaloir de l'occasion de la dissipation de la Ligue en France par la mort du duc de Guise qui en était l'auteur et le chef, â laquelle Ligue le duc de Savoie avait continuellement adhéré. Et ce, après avoir, à diverses fois, prié le dit seigneur duc, tant par lettres que par députations, 1. Ce sieur Du Perril était ministre de l'église de Vandœuvres, depuis l'an 1583 jusqu'en 1598, année qu'il mourut. 90 de faire cesser telles molestes et faire retirer les gens de guerre qu'il avait fait venir autour de la dite ville, nonob- stant les traités et prononciations aimables par lui faites el acceptées. Sur ces plaintes et remontrances, quelques sei- gneurs du Conseil de Berne, à ces fins commis, témoignèrent de la part de leurs supérieurs une inclination favorable à leurs désirs et réquisitions; deux députés de Zurich assis- tèrent aussi à cette conférence, lesquels écoutèrent très-vo- lontiers leurs propositions et déclarèrent vouloir s'intéresser en la défense d'une si juste cause, puisque les desseins dudit seigneur duc n'étaient pas arrêtés à une seule ville de Ge- nève, mais aussi aux États de messeigneurs de Berne, leurs alliés. Et toutefois ils trouvèrent à propos de surseoir cette résolution jusqu'à une journée, en laquelle se devait tenir une assemblée a Baden, où assisterait l'ambassadeur de France. Le 9 février fut assemblé le Conseil des Deux-Cents à Berne, où étant ouïes les propositions du seigneur de Sanc\. ambassadeur du roi Henri III. il y fut conclu et arrêté de faire la guerre contre le duc de S;noie. el pour cet effet de faire une armée de 30, OUI» hommes conjointement avec leurs alliés, savoir : 1.000 *\v> Grisons et dix enseignes de Valai- sans. Mais, nonobstant celte résolution, les Bernois ne mirent en campagne que 5,000 hommes, et la ville de Genève four- nit 2,000 hommes de pied et 200 chevaux. Messeigneurs des Ligues reçurent des lettres du duc, du 3 février, qu'il leur écrivait pour se justifier des plaintes faites contre lui, tant par les Bernois que par ceux de Genève, niant avoir pris une part aux pratiques el machinations donl il avait été chargé, et qui sont mentionnées dans les lettres qu'ils avaient écrites; el imputant tous les désordres etmésin- telligences survenues aux dits Genevois. Quant aux troupes qu'il avait fait passer deçà les monts, il dit que c'est pour la 91 défense et sûreté de ses trois pays, et pour le garder des in- sultes des gens de la dite ville, qui seraient venus sur ses États en armes et y auraient tué de ses sujets, auraient fait mourir le seigneur de Ville' et brûlé sa maison; que les Ber- nois et ceux de Zurich auraient envoyé nombre de soldats à Genève; qu'il avait trouvé bon. pour cette raison, d'envoyer aussi gens sur violences et remédier aux torts faits par I. Ce lui h> capitaine De Goile l*;ui 1382, et le seigneur il«' Ville— la- Grand. 92 le duc de Savoie. Messieurs auraient travaillé avec la plus grande diligence qu'il a été possible, et essayé tous les moyens avant qu'ils viennent à l'extrême remède, savoir : la guerre, suivant l'avis des sages: mais voyant qu'au lieu d'a- vancer, l'ennemi se renforçait, abusant toujours plus de notre patience, dont il n'y a nul en la compagnie qui n'en ait senti ou en public ou en particulier grand intérêt. C'est pourquoi Messieurs ont tâché d'empêcher qu'il n'en abusât plus, et ce., par le seul moyen de la guerre, afin qu'elle attire une bonne paix. Et toutefois, considérant l'importance de la guerre, ils ont examiné les forces de l'ennemi, et ils ont eu recours aux alliés, desquels on attendait assistance. Mais ils sont tant éloignés des maux que nous endurons, qu'ils ont exhorté Messieurs d'user de patience, à quoi ils se sont laissés conduire, afin qu'ils eussent plus grande occasion de nous venger. Les choses continuèrent de la sorte ; mais la providence de Dieu, qui gouverne tout et limite les temps, ayant eu pitié de nous et n'ayant eu égard à nos fautes, sans avoir souffert que la verge fût toujours sur le dos de son Église, a usé d'un moyen non espéré, en quoi nous pouvons connaître son œuvre miraculeuse, et reconnaître de lui notre délivrance, savoir pour celui qui se serait déclaré en- nemi de son Église, en maintenant le moyen et l'instrument pour nous délivrer, savoir le roi de France. Il a été permis qu'il survint une telle nécessité que Dieu l'a contraint de venir à nous pour impétier secours et se joindre avec lui pour avoir vengeance de son ennemi et le nôtre, le duc de Savoie. Messieurs n'ont refusé d'y entendre afin de tirer rai- son des torts qu'il nous a faits; même après avoir entendu que Messieurs nos alliés voulaient se ressentir de la trahison faite contre leur pays de Vaud. C'est la raison pour laquelle Messieurs ont accepté ce moyen comme leur étant favorable. et ils se sont résolus de se joindre à cette cause, moyennant 93 lf bon plaisir du Magnanime Conseil des Deux-Cents. El, à cel effet, suivant la charge qu'il leur a plu leur donner, pour que la commodité -«■ présente, on mil la main à la besogne à bon escient, alin que nus ennemis n'attribuent notre pa- tience à la pusillanimité. Que cela nous doit encourager à n'\ épargner aucuns moyens, à l'imitation de nos ancêtres : nous destins résister à la roroe cl à la violence de nos enne- mis eu égard à la justice de notre cause, ne doutant nulle - menl de la victoire sur eux. nonobstant nos fautes passées. Et d'autant pins qu'en telle affaire la diligence y est très*- requise, afin que l'ennemi ne prenne l'avantage qu'il désire, suivanl les avertissements qu'on en a. si le commencement n'était prévenu par une promptitude â saisir de- places pro- chaines, par le bon nombre île gens qu'on espère avoir, connue il appert par les lettres de l'ambassadeur du roi, qui ont été lues. Que cela suit donc résidu, moyennant l;i grâce de Dieu, de prévenir l'ennemi proiuptemenl et ne laisser échapper une telle commodité. » Sur ce. il a été délibéré et conclu finalement île faire la guerre cl saisir les ponte pro- chains et place- fortes. Ce que Dieu bénisse par sa grâce, ayant été l'heure de la sortie assignée ;'i sept heures du soir du même jour. Le même soir donc partit une partie de l'armée pour aller du côté de Bonne, ei a\ani que les nôtres se fussent recon- nu-, lisse battirent les uns contre les autres, dont il y en eut deux de mort-, (les troupes étaient composées de trois com- pagnies de cavalerie, dont étaient chefs ou capitaines les Nobles François de Chàpeaurouge, syndic; François de te >'U-.\Vu\e. cl Paul Chevalier, conseillers: et trois com- pagnies d'infanterie, dont étaient chefs Benjamin Pépin, François Celerier et Jacques du tfolard : ayant pour colonels ou généraux et conducteurs de l'armée MM. de Sancy, am- bassadeur du roi de France, de Guitry et de Beaujeu. faisant pour et au nom du dit roi en cette affaire contre le duc de Savoie. Ces compagnies, étant en Faucigny, emportèrent le châ- teau de Monthou par un pétard, eL se saisirent de celui de Saint- Joire et de la \ il le de Bonne et du mandement de Thiez, où est le château de Marcossey, où elles laissèrent une garnison, et elles s'en revinrent à la ville, le dimanche 6 avril. Le 2 avril, on Ht prisonnier le commandeur de Compe- zières; et une compagnie d'infanterie se saisit delà personne de Philibert Franc, demeurant au pont d'Arve, et de tous ses meubles ; on l'amena prisonnier à Genève, et ses meubles à l'hôpital; et dès le lendemain on commença à démolir les maisons delà d'Arve, voisines du pont, et faire un fort au- près des maisons plus prochaines du pont, où aussi on mena trois pièces de canon. Le Noble Claude Andrion fut établi commissaire des vivres. Et pour conseil de guerre ont été établis le seigneur syn- dic Yarro, le seigneur lieutenant Chabrey, le seigneur Roset et le seigneur Maillet. Le 4 avril, le pont de Buringe a été abattu par les enne- mis. Le dit jour, on est allé petarder la Cluse, mais l'entre- prise a failli à cause d'une vis qui manquait pour poser le pétard. L'ennemi s'en est aperçu, et quelques soldats ont re- connu des armes sur un chariot. Le 7, les troupes partirent avec 8 pièces de gros canon pour aller à Gex. Ayant pris la ville et le château, le Noble François de la Maison-Neuve, avec sa compagnie, amena, à Genève, le 9 du dit mois, Claude Pobel, baron de la Pierre et gouverneur du duc au dit château de Gex, et à Ternier et au Chablais, avec environ cent soldats piémontais, qui étaient au dit château de Gex avec le dit Pobel, lors de sa prise. 05 M. Dufresne. secrétaire dé M. de Guitry, n rapporté que le dit seigneur b trouvé da refroidissement à Berne, et »jae MM. deMulinen et Wyse ont ilit qu'il n'y avait pas i!o prépa- ratifs suffisants à Genève. Le seigneur île Bonsteten, bailli de Morges, e>t entré en Q^nseil, et s'est plaint contre le seigneur Dufresne de ce qu'il favail accusé d'infidélité pour une lettre écrite à Lau- sanne, portant qu'il doit avoir reçu du seigneur Alt ou des siens environ "no écus : que s'il est ainsi, sauf respect, il dit qu'il a menti. Le seigneur Dufresne, présent, a dit qu'il n'avait parlé de lui autrement que d'un gentilhomme d'hon- neur. Le 10 avril, le seigneur de Sa ne y fui uni en G >nseil et fit entendre ;'i Messieurs la bonté du roi envers cet État, avec offre de faire part à Messieurs des conquêtes qu'on fera sur la Savoie, en supportant notre part des frais de la guerre, ce qui ne sera qu'une avance dont nous serons reconnus et remboursés; que Messieurs de Berne lui ont prêté 100,000 écus au denier 80; qu'il leur a accordé le bailliage de Ge\ et le Chablais, lesquels leur demeureront pour les frais de la guerre. Le château de i'.e\ ayant été pris par les troupes de Genève, le seigneur de Sancy a prié Messeigneurs, par leltres^'envoyer dire au seigneur Glialonges, y commandant, de remettre la place aux seigneurs de Berne, en disant qu'il y était en- gagé par sa parole. Sur quoi Messeigneurs ont fait quelque- difficultés à cause de plusieurs terres qu'ils ont. mêlées dans le bailliage, dont un pourrait faire quelques échanges ou partager le- c piétés. Mais le dit seigneur a offert d'autres récompenses du côté du Raucignj, Après longue délibéra* tuui. d a été résolu de l'abandonner aux Bernois. Le. prisonniers de guerre ont été récusa composition, sa- treir : le commandeur de Compeaièrés à -2.000 écus: le cbà- 96 telain Gabet à 500; le seigneur de Grenant de Nantua à 500; le seigneur Morny à 1,000; le châtelain Régis, de Sacconnex, à 300; le seigneur Cliesnay, châtelain de Bonne, à 1,000; Mercier, de Malua, à 200; le seigneur de Sanche à 200, et Chavanod, de Lussinge, à 500. Le 11 avril, nos troupes, conduites par le seigneur de Gui- try, allèrent se saisir delà Cluse, où on trouva une forte ré- sistance ; ce qui fit que le dit seigneur envoya demander deux canons qu'on y fit conduire avec du renfort d'hommes pour attaquer la place et gagner le dessus de la montagne. Cependant, le capitaine Bois commandait dans Bonne; d'où l'ennemi, s'étant approché, le fit retirer, après avoir fait mettre le feu en la basse Bonne. Il a été dressé et lu un contrat avec M. de Sancy, qui a promis nous livrer le bailliage de Ternier et de Gaillard au même état que Messeigneurs de Berne l'ont tenu, avec la souveraineté sur Saint-Victor et les chapitres y enclavés. Ilem les mandements de Cursille, Vuache et Chaumont. Item les mandements deMonthou et de Bonne. En outre, il a été convenu que ni Sa Majesté, ni ceux de Genève, ni aucun de leur part, ne feront paix ni accord avec le duc de Savoie, ses successeurs, sujets ou adhérents, sans le sceau et consente- ment des uns et des autres, et il ne sera rien innové ni changé sur le fait de la religion des pays conquis sur la Sa- voie. Le dit contrat a été arrêté et approuvé. Le seigneur de Sancy a dit qu'il avait reçu des lettres du roi, par lesquelles il lui commande de mener l'armée en France pour livrer bataille à ses ennemis, afin de recon- quérir sa couronne. Messeigneurs de Berne, auxquels il a fait entendre l'intention du roi, ont dit que cette proposition était contraire à la capitulation, et qu'elle les expose et les aban- donne au besoin. Sur ce, l'ambassadeur du roi a remontré que l'intention du roi n'était pas de cesser mais de continuer 97 la guerre aisément en avançant la paie: que le pays ne de- meurera dégarni ; que, >\ on a besoin de mille ou deux mille arquebusiers français, il les fera venir. Les Bernois, enfin, considérant la nécessité du roi. el qu'il étail prél de donner bataille, sont contents que l'armée marche. Ils ont dépêché des capitaines avec cinq compagnies qui garderont Thonon; et l'armée passera par Genève pour se rendre à Xeuchâtel et de là en Bourgogne. On a été en peine des incommodités que tel passage doit donner, et de ce qu'on doit demander. Monsieur de Bèze a été appelé et, interrogé de son avis, a dit qu'il lui semble bon d'aviser aux conditions de la guerre, et qui paiera les garnisons et les vivres; et qu'on rasse la guerre au nom du roi. Cependant, le siège de la Cluse continuait; il dura huit ou dix jours. Plusieurs y furent tués de part et d'autre, mais on n'avança rien pour cela, et on ne put gagner le fort avec quelques canonades qu'on lâcha, parce qu'il est tout dans la roche, et qu'on ne peut l'attaquer du côté qu'on l'avait pris, mais il fallait l'attaquer depuis l'autre côté du Rhône au travers de la rivière. Le 14 avril, sur l'avis qu'on reçut que l'ennemi s'était avancé vers Longerey et avait chargé nos gens avec 800 ar- quebusiers et 250 chevaux, où quelques-uns des nôtres étaient restés, on y a envoyé M. Varro avec le seigneur de Beaubois, pour faire passer l'artillerie de l'autre côté du Rhône et changer de batterie. Monseigneur de Guitrj a porté plaintes contre le capitaine Pépin pour n'avoir voulu aller en garnison au château de Pierre, qui, quoique commandé, était allé à la montagne, puis retourné. Le dit Pépin, interrogé sur la rébellion, a ré- pondu qu'étant mal commandé il n'est pas tenu d'obéir, mais qu'il obéirait à Hesseigneurs; ses suidais ont aussi dit qn'ils n'étaient pas plus tenus de suivre que lui de les conduire. 98 M. Chevalier lui a réparti qu'il avait sa vie bien chère, et il lui a été dit qu'il était un couard. Le 15, les seigneurs Roset, Delarive et Barrillet allèrent au camp devant la Cluse, où ils eurent quelques paroles avec Favoyer de Berne et le colonel d'Erlach au sujet de deux gros canons qu'on n'avait pas envoyés, et de quelques mau- vais propos tenus contre cette seigneurie concernant le paie- ment des soldats : mais tout fut apaisé sur-le-champ. Enfin, on laissa le siège, et, ayant laissé quelque garnison à Collonge, on. s'en revint avec les canons qu'on y avait menés. Le 10 avril, Messieurs envoyèrent à Bonne le Noble Jean Aubert, conseiller, pour la police. Le mercredi 23 du même mois, quelque cavalerie des en- nemis s'étant approchée du pont d'Arve, on sonna l'alarme avec la grosse cloche à dix heures du matin, et on envoya promptement une compagnie de mousquetaires et arquebu- siers au pont; quelques-uns de ces cavaliers s'approchant trop près, un d'eux fut tué d'une mousquetade, et un autre fut blessé. Après qu'ils eurent ainsi bravé jusqu'à environ une ou deux heures après midi, ils se retirèrent du côté de Saint-Julien, ayant au préalable brûlé cinq ou six charrettes chargées de meubles qu'on amenait en ville, et tué à coups de coutelas Pierre Cuzin, dit Mutillet, Claude Chevillard, et un passementier, qui avec d'autres étaient sortis sous la con- duite et à la sollicitation de qui peut-être pensait re- couvrer son honneur qu'il avait perdu ailleurs, mais l'issue ne lui apporta point de louange. Cette cavalerie prit et em- mena MM. Etienne Trembley, ministre à Bossey, et Guil- laume Colomb, de Troinex; mais ce dernier fut relâché, au bout de deux ou trois jours, en payant rançon. Ce même jour 23, deux de nos compagnies de cavalerie, avec de l'infanterie, sur les huit heures du matin, prirent le • 99 chemin de Thonon, où ils entrèrent étant reçus bien volon- tairement par ceu\ du lieu ; niais, par contre, l'entrée, tant au château de Thonon qu'à Ripaille, était difficile. Le ven- dredi :2r> iln même jour, on chargea trois grands bateaux de canons et, entre autres, on mit dans les dits bateaux les deux doubles canons, et il n'y en avait point de semblables à ces deux-là à l'arsenal : on en mena encore d'autres, par terre, qui partirent le jour suivant, escortés par le reste des Suisses qui n'étaient pas partis le 23, et par 700 lansquenets, de compte fait, qui avaient eu leurs inspections, à Plainpalais, deux jours avant. Il n'est pas à oublier que M. Simon Goulard, ministre de Genève, accompagna les troupes à Gex et à la Cluse, et de- puis à Thonon ; et M. d'Orival, ministre à Chancy, fut en- \i'\é à Bonne. On rapporta, le 26 avril, que les soldats du château deTho- non s'étaient rendus sans toutefois avoir vu le canon qui était en chemin, et que la vie avait été accordée auxdits soldats et congédiés avec une baguette blanche à la main ; mais que le capitaine était retenu prisonnier à merci. D'autres disent que les dits soldais sortirent avec l'arquebuse, la mèche éteinte, ayant prêté serment de ne jamais porter les armes contre le roi, contre Berne et Genève. On eut aussi avis qu'environ cent soldats de Ripaille ayant fait une sortie, les nôtres en tuèrent environ dix. On dit de même que les soldats du château d'Ivoire s'étaient rendus; et que, comme les vingt- cinq soldais, qui étaient au château de la Fléchière, ne vou- laient pas se rendre, on y mit le feu où neuf ou dix soldats furent brûlés'. Le vendredi 25 avril, fut arquebuse à Saint-Joire le capi- taine de la garnison du dit heu, surnommé Sarrazin, Provin- 1. D'Aubigné ajoute la reddition de Balaizon, et dit que quelques sol- dats de la Tour de La Klécliière furent pendus. 100 cial, étant convaincu d'avoir voulu rendre le château dudit Saint-Joire à l'ennemi, moyennant 1200 écus. Auquel juge- ment présida Jean Aubert, commis, de la part de Messei- gneurs de Genève, en Faucigny. Le 2 mai, fut exécuté audit Saint-Joire un certain complice de Sarrazin à la reddi- tion du château, et qui avait déjà touché 40 écus pour cet effet. Le 27 avril, passèrent par le pont de Buringe environ deux mille soldats pour aller à Thonon combattre notre armée qui était audit Thonon et aux alentours. Le 28 du même mois, fut pendu Jacques Tornier, de Cler- got en la comté de Montbéliard, âgé de seize à dix-huit ans. pour avoir le 6 du dit mois, au retour de Faucigny (nos com- pagnies étant répandues à Yille-la-Grand et lieux circon- voisins), tué d'une arquehusade, à Popelinge, une servante, dans une cuisine, qui ne lui avait voulu donner ses souliers, et d'un même coup blessé une petite fille que cette servante portait sur ses bras. La nuit du dit 28, passèrent par le haut du Faucigny jus- qu'à 400 lanciers, bien montés et équipés, tirant vers Tho- non, pour le duc de Savoie ; parmi lesquels étaient dom Amédée, frère donné du dit duc, et le comte de Marti- nengue. Cette même nuit et la matinée suivante, nos gens rom- pirent avec le canon la muraille de Ripaille', mais ils ne furent pas maîtres de la place jusqu'à ce que, le 1er mai sui- vant, ils eussent abattu avec les doubles canons une grosse tour, où plusieurs étaient écrasés. Les autres qui étaient dans Ripaille, se voyant trop faibles pour résister, se ren- dirent : d'où sortirent 300 soldats avec l'épée et la dague, et i. Ripaille était une assez forte place qui consistait en sept tours : on y trouva deux grandes galères et deux frégates, qui furent brûlées par suite de la jalousie des Suisses, qui en demandaient leur part. I<ïl 100 paysans; on trouva là-dedans beaucoup d'armes et de grande munition. Deux jours auparavant, la susdite cavalerie étant venue trouver nos gens jusqu'aux portes de Thonon. un des enfants du baron de Virj j fui tué d'une mousquetade, et comme cette cavalerie tâchait de s'emparer de Ripaille', ils furent riremenl repoussés par les nôtres. Nos gens étant bravés jusqu'aux portes de Thonon, notre cavalerie sortit sur l'ennemi, mais parce qu'elle n'était pas suivie des arquebusiers pour en être soutenue, ils furent contraints de se retirer en toute diligence, étant poursuivis de l'ennemi, et toutefois il n'y eut aucun perle des nôtres, grâce à Dieu. Le lendemain 30 avril, ils présentèrent encore le combat à l'ennemi, pour ne pas paraître qu'ils eus>eni perdu courage, mais ils se retirèrent. Le 29 avril, on amena à Genève les deux cloches de Mon- thpu, dont la plus grosse* était datée de l'an 1580: entre au- tres choses, ceci y était écrit : Amblard Guillet. seigneur M IfOHTHOU. On résolut de faire prières extraordinaires au sujet de la guerre, savoir les mercredi et vendredi, dès les 4 heures et demie jusqu'à 5 heures; on les commença le dernier jour d'avril. Le jeune fut aussi publié pour le dimanche i mai. Le contrat passé a\ec M. de Sancy contenait que,, pour ré- compense île- dommages que Messeigneurs ont longtemps souffert de toutes manières d'hostilités, du duc de Savoie, et en reconnaissance de- services que cette ville ;i faits et fait journellement à la couronne de France tant du passé qu'à présent en cette guerre, qui sera faite et poursuivie au nom et aux dépens du roi, le dit seigneur de Sancy. suivant le 1. Le comte de Martinengue > tut blessé. 2. Elle fut transportée au boulevard de Cuniawn. 102 pouvoir de sa majesté, conjointement et séparément avec M. de Sillery, ambassadeur ordinaire, remet et abandonne à mes dits seigneurs en toute propriété le bailliage de Ter- nier et Gaillard et la souveraineté de Saint-Victor et cha- pitre, avec les mandements de Croisille, du Vuache et du Chaumont. D'autant plus que pour la suite de cette guerre, Genève fournissait jusqu'à la somme de 55,200 écus, le dit M. de Sancy donne à tenir en gage et en hypothèque à Messeigneurs la souveraineté et le revenu du pays de Faucigny ; à les tenir jusqu'à entier paiement ds la dite somme et des intérêts au denier douze, ensemble de tout ce qu'ils fourniront ci- après pour le service de Sa Majesté pour la présente guerre, à con- dition qu'en remboursant pour Sa Majesté à mes dits Sei- gneurs la dite somme, ils seront tenus lui rendre, ou restituer à celui à qui elle ordonnera, le dit pays et les appartenances, sauf le mandement de Thiez appartenant à la ville de Genève, ainsi que ceux de Bonne et de Monthou et ce qui en dépend, lesquels trois mandements appartiendront dès à présent en toute propriété à la dite ville, et les dites terres de Ternier et de Gaillard avec le surplus qui leur a été laissé et remis ci-dessus, depuis les Husses jusqu'au Rhône. En outre, la ville de Genève avec son territoire, ensemble avec le susdit pays, tant celui qui lui est laissé en propriété que celui qui lui est donné en engagement, sera comprise au même traité de la paix perpétuelle de la couronne de France avec le général du pays des Ligues. Ni Sa Majesté, ni les dits de Genève, ni aucun de leur part, ne pourront faire ni paix, ni accord avec le duc de Savoie sans le consentement des uns et des autres. Le samedi 3 mai, Philibert Franc, fils de Claude Franc, . citoyen de* Genève, qui avait été amené prisonnier de son logis du pont d'Arve, fut décapité au Molard, et son bien II).-! confisqué. Il était coupable de Lèze-majesté, n'ayant de longtemps voulut obéir à la justice de Genève. Quand il y était appelé ou ajourné, il demandait à être envoyé ailleurs ce qui plus est, s'en étanl allé, il u'a comparu qu'au son de trompe, parce qu'il avait été publié que tous ceux qui avaient dû à la ville dussent s'j retirer; plus, il avait eu la charge d'empêcher qu'on n'amenât aucunes graines dans la ville; en cela il avait fait beaucoup dfl tort à plusieurs personnes; plus, apercevant quelque danger de peste, il en avertissait soudain les officiers de Savoie pour empêcher le commerce ; il donnait aussi avertissement à notre ennemi de tout ce qu'on faisait cl disait dans la ville, et sa maison servait de retraite aux ennemis. 11 demanda sa grâce, mais le Conseil des Deux-Cents assemblé la lui refusa. Le dit jour 3 mai. on mit le feu à toutes les tours de Ri- paille: et l'artillerie de Genève, ne pouvant revenir en ba- teau à cause d'un grand vent 'lu midi, fut menée à Horges où elle demeura jusqu'au 8 du même moi^ qu'on la ramena à Genève. Quant aux troupes des Suis>c.-: Lansquenets el Grisonnais, eu revenant de Thunun et de Ripaille, elles séjournèrent en divers lieux où elles firent beaucoup de pilleries. Le i nient de Berne, étant parti de Cranue le matin du H > mai, arriva le soir à la paroisse de Vandœuvres. Ce régiment était de 1000 à 1-200 hommes, qui demeurèrent à la dite paroisse jusqu'au 1 i Alors les dits Suisses, avec les Grisonnais et Lansquenets, qui étaient dans les paroisses île Chole.x, Ville et Thonnex, se retirèrent du côté de Nyon pour aller en Bourgogne et de là descendre dans la Bresse pour le service du mi, au lieu d'aller dans le Faucignv pour prendre Bonne- ville. Cluses, la Roche, et de là aller à Clusilles, Bemilly. en Cependant, on laissa la cavalerie et l'infanterie de Ge- nève pour la garde de la ville, qui avait son ennemi autour 104 d'elle, sans comparaison plus envenimé qu'auparavant, comme il le démontrait bien par tant de pilleries et cruautés qu'il fit dans tout le bailliage de Ternier comme à Bernex. et Cartegny, où on força des filles, et à Veiry où ils crevèrent les yeux à une femme pour lui faire déclarer où était son argent. Le lundi 12 du même mois, qui est le 22, suivant le nou- veau style, on mit à ferme les montagnes de la terre de Gex au nom et au profit du roi, selon ce qui a été publié par billets affichés en divers lieux de la part de M. de Sancy, conseiller du roi. Le jeudi 15 mai, l'ennemi alla mettre le feu au château de Boêge, gardé par seize soldats des nôtres, qui furent con- traints de se rendre. Le 16 du même, on amena à Genève les cloches d'Anne- masse. Le 18 du même, la Sainte-Cène fut célébrée la première fois à Bonne pour la garnison du dit lieu, par M. d'Orival, ministre qui y était établi depuis qu'on l'avait prise. Lemême jour, la garnison du fort d'Arve célébra aussi la Cène. Le dit jour, quelques compagnies de cavalerie et d'infan- terie, sorties dès le soir précédent, rencontrèrent à l'heure du dîner l'ennemi vers la montagne de Salève proche de la Croisette : ils en tuèrent environ vingt-cinq, tant piétons que cavaliers; ils apportèrent aussi une trompette et un tambour de l'ennemi et amenèrent aussi quelque quantité de gros bétail. Mais la joie de ce petit succès fut tempérée par une plus grande perte qui arriva ce même jour; c'est que les ennemis reprirent Saint-Joire par la lâcheté d'Émeran du Melay qui y commandait, ayant des vivres et autres munitions pour plus de trois mois, outre que l'ennemi n'avait aucune pièce de batterie, et que le château, étant bâti sur la roche, ne pouvait être miné. 105 Le 19, Claude Pobel, baron de la Pierre, prisonnier de guerre dès la prise de Gex, où il avait été gouverneur pour le duc de Savoie, fut élargi moyennant 2,000 écus de ran- çon, qu'il paya à MM, de Guitry, de Villeneuve et de Beaujeu. Le mardi 20 mai, M. Guillaume-le-Morgue, dit de Marais, ministre à Peney, administra la Sainte -Cène à la garnison de Mont hou. Le même jour 20 mai, sortirent environ 200 hommes à cheval avec des compagnies d'infanterie pour aller en Fau- cigny ; mais à cause des grandes pluies arrivées la nuit après leur départ, et continuées tout le lendemain, les dites troupes bien trempées furent contraintes de s'en retourner à Genève le 21 jusqu'à temps plus opportun. Le samedi 24, sur les dix heures du soir, quelque compa- gnie d'infanterie des ennemis s'approcha pour enfoncer le pont-levis et les barrières du fort du pont d'An e ; mais, voyant qu'ils étaient découverts, ils se retirèrent jusqu'au lendemain de bon matin, que la cavalerie des ennemis s'approcha assez près du dit fort. Ce qu'apercevant le guet sur la tour de Saint-Pierre, on sonna l'alarme pour la se- conde fois avec la grosse cloche incontinent après les quatre heures du matin : ce qui fut cause qu'il n'y put avoir prédi- cation à cette heure-là, parce que le peuple s'écoula bientôt du temple. Au temple de Saint-Gervais on paracheva la pré- dication, parce que le peuple n'aperçut rien de cette alarme. On avait mis en délibération si on garderait le château de Marcossay pris sur Tennemi, ou si on le ruinerait : il fut ar- rêté qu'on le brûlerait plutôt que de le garder avec grand'- peine et frais; ce qui fut fait. La nuit entre le 26 et 27, les ennemis vinrent avec un pé- tard pour forcer le château de Ternier, mais la garnison pour Genève qui y était, ayant découvert l'ennemi, n'en lit point de semblant jusqu'à ce qu'ils fussent approchés, et 106 alors ils tirèrent dessus et jetèrent de grosses pierres sur ceux qui voulaient appliquer le pétard : il y eut environ vingt des ennemis de tués. La même nuit, sortirent de Genève quelques compagnies, tant de chevaux que de fantassins, pour aller en Faucigny, parce qu'on craignait que l'ennemi ne voulut attaquer Bonne, mais il se retira après avoir aperçu les nôtres, qui revinrent à Genève le soir suivant. Le dit jour 27, fut pendu Jean Blanc du petit Bornan, ha- bitant Marcorens, qui servait d'espion à l'ennemi pendant que l'armée était auprès du fort de Ripaille. Aussi furent pendus Jacques du Grest et Claude Pouger, du pont d'Arve, qui, quoiqu'ils ne fussent point commis pour la rétention des graines que le duc de Savoie ne voulait pas qu'elles soient portées à Genève, ni ailleurs hors de ses terres, néan- moins depuis trois ans ils retenaient les graines des bour- geois et sujets de Genève, qu'ils appliquaient à leur particu- lier, et même ils leur dérobaient leur argent, comme ils confessèrent qu'ils avaient ôté 25 francs aux uns et 31 aux aulres. Le même jour, l'ennemi brûla le village de Collonges près de la Cluse, quoiqu'il y eût deux ou trois mille Bernois dans le bailliage de Gex. M. Roset s'achemina vers Berne pour avoir de l'argent en prêt, mais il n'y put rien obtenir. Les dits seigneurs lui ré- pondirent que les Français les en avaient dessaisis. Il de- manda des lettres de faveur aux mêmes tins pour messieurs de Strasbourg, ce qu'on lui refusa; on lui en offrit bien chez Messieurs les alliés. Le seigneur d'Avully alla à Berne pour le duc, pour traiter de la paix ; le sieur Bosct pria qu'on ne fît rien sans Genè\ e ; on écouta ledit seigneur d'Avully. Deux avoyers le vont at- tendre avec cinq conseillers. On répondit qu'on était content d'ouïr parler de paix, pourvu qu'il n'y eût point de trom- 107 perie. et que ce fût une chose nette pour eux et pour Ge- nève; mais rTAvully voulait qu'on laissât Genève en arrière, parce qu'ils ont commencé et se sont jetés sur le pays du duc. Il va à Fribourg pour les prier d'être médiateurs avec Zurich; mais les Fribourgeois répondirent qu'ils ne se vou- laient mêler de cette affaire. Le sieur Roset remontra que tout cela n'était que pour les endormir : que l'armée cepen- dant faisait de la dépense et que l'ennemi se renforçait. L'avoyer répond que ses Seigneurs ont 5,000 hommes, qu'on ne souffrira aucun mal, et qu'il tiendra la main à tout. On demeura de bon accord de consulter des affaires par deçà, et il trouva les dits Seigneurs fort gracieux à son départ, puisqu'ils l'exhortèrent de bien garder Bonne et le pont d'Arve. Le 28 mai, on fit le dénombrement des soldats qui étaient dehors dans les garnisons, revenant à 877 hommes, sous 13 capitaines de la ville. Le Conseil des Deux-Cents, assem- blé, arrêta qu'on ferait fournir aux frais de la guerre, et que le plus haut serait mis et cotisé à deux cents écus par mois. Le 31, Messieurs de Genève firent saper le château de Gaillard. Le dimanche 2 juin, les ennemis ayant battu le château de Tenùer de 121 coups de canon, depuis onze heures jusqu'à quatre heures après midi, firent brèche en deux lieux ; ce que voyant ceux de la garnison, ils se rendirent par composition à la vie sauve. Ce qui ne leur fut tenu, car le duc fit pendre tous ceux qui parlaient savoyard, soit qu'ils fussent de Genève ou de Savoie, donnant la vie seulement à quelques Français qui s'y trouvèrent. Ce même jour, environ les onze heures du soir, la garnison qui était au château de Saconnex-Vandel vint se rendre au fort du pont d'Arve. Celle du château de Confignon était déjà revenue la veille. 108 Le 2 juin, une partie de l'armée de Sovoie s'approcha jus- qu'à Lancy, où ils firent des feux de joie à l'occasion de leur victoire de Ternier ; ceux de Genève ignoraient encore alors ce qui était avenu. Ce même jour, arriva un soldat du dit Ternier' , qui s'était sauvé, comme on croit, pour pendre les autres. Un caporal fut tué d'un coup de mousquet à la fenêtre. Le dit jour, Philippe Merlin, citoyen de Genève, qui était dans l'armée du duc, revenant du dit lieu de Ternier, rap- porta que le canon n'avait point fait de brèche suffisante pour pouvoir entrer, mais seulement il avait démantelé le château et rompu les meurtrières; mais que les assaillants, voyant qu'ils perdaient leur temps de se battre, se mirent à parlementer avec la garnison, et que, pendant qu'ils les amusaient, la porte du château fut rompue avec un pé- tard. La garnison2, se voyant surprise parce moyen, demanda de sortir la vie sauve, ce qui lui fut promis, mais aussitôt la foi fut violée; car le duc, étant là en personne, en fit pendre il, et un jour ou deux après il fit encore pendre presque tous ceux qu'ils. avaient retenus prisonniers. Le même jour 2 juin, on prit trois prisonniers des enne- mis qu'on amena à la ville, dont l'un était capitaine d'in- fanterie1. Le lendemain 3, on prit un espion qui, après avoir reçu une arquebusade, fut jeté à l'Arve. Le caporal Bionni a envoyé dire que Bonne ne tiendra pas mieux que Ternier, si on les assiège, le capitaine Bois com- 1. C'est une tradition crue encore aujourd'hui des Genevois que deux soldats de la garnison de Ternier, nommés Maudry et Mâchard, pendi- rent leurs compagnons pour se sauver. 2. Les hommes de cette garnison de Ternier, pour la plupart, étaient des imprimeurs. 3. Le baron de Pressiaz, nommé d'Andelot, Bressan. 109 mençant de quitter la place. On dit que l'armée du duc est de 10,000 hommes de piétons et 2,000 chevaux. (in mil en délibération d'abattre le fortd'Arve. parce qu'il était imparfait et nuisible, intenable contre l'artillerie, et qu'il est à craindre que, le pont étant abattu, nos gens n'y demeurent tous, quand même ils tueraient nombre d'en- nemis. Le dit jour mardi 3 juin, l'ennemi ayant paru au Plan-les- Ouates, les nôtres sortirent sur eux et escamouchèrent, pen- dant trois heures, sur la plaine au-delà d'Arve, près du fort de Carouge et au-delà de la plaine jusqu'à Pezay et Pin- cliat'. On avait mis de l'artillerie sur le haut de Champet qui fit beaucoup d'effet ; on dit qu'jin coup de canon tua deux che- vaux sous leurs maîtres, et un autre tua deux cavaliers qui étaient bien près du duc, qui dit, en voyant que plusieurs des siens tombaient par terre : « les poltrons tueront tous mes gens. » Il n'y fut tué qu'un seul des nôtres, grâce à Dieu, et il y eut dix blessés : mais on n'a pas pu savoir, au vrai dire, le nombre de ceux que l'ennemi y perdit; on l'estime à près (te w200. On n'en trouva que douze près du fort, entre lesquels était le baron de Saleneuve2, mignon du duc de Savoie, grand-maréchal-de-camp de son armée : il fut tué d'un coup de mousquet, et son corps fut apporté à Genève. Il était fils d'un président de Dôle, nommé Mermier, riche et de grande maison, qui avait autrefois payé vingt mille écus de rançon 1. Il y avait 5,000 nommes d'infanterie et 1,000 chevaux de l'armée ilu duc. Les nôtres, qui, de là, passèrent l'Ane, étaient au nombre de H)0. Outre le comte de Salenove, il y eut un autre comte espagnol de tué. i. Il s'appelait Simon de Mermier, seigneoi de Massy, comte de Salenove en Genevois, gentilhomme du comté il'' Bourgogne, mestre- de-camp-général de Tanin- de Savoie (Guichenon). HO lorsqu'il était prisonnier en Flandres, et on dit qu'il avait prêté cinquante mille écus au duc pour faire la guerre contre Genève. Comme on amenait un prisonnier en ville, il y en eut qui, après lui avoir donné plusieurs coups d'épée, le je- tèrent à l'Arve de dessus le pont, irrités de l'affaire de Ter- nier. le 4 juin, quelques soldats des nôtres, étant allés vers la Grange-Colomb pour y mettre le feu, y trouvèrent dix-huit corps morts des ennemis qu'on y avait apportés le jour pré- cédent à mesure qu'ils étaient blessés à l'escarmouche. Le même jour, quelques-uns de nos soldats mirent le feu aux moulins de Lancy, comme on l'avait fait, le jour précédent, à quelques maisons qui restaient encore autour du fort d'Arve, et à une autre maison au-dessus de Pinchat, comme grandement préjudiciable au dit fort. Quelques compagnies de Suisses, qui étaient venus pour garder le bailliage de Gex remis aux seigneurs de Berne par M. de Sancy, passèrent la montagne et brûlèrent Longerey près la Cluse, et se saisirent du pont de Gresin et de celui de Bellegarde; mais, deux jours après, l'ennemi chassa les Suisses de ces lieux-là, reprit les dits ponts et s'empara du fort de la Cluse. Cependant, le seigneur d'Avully, agent de S. A., travail- lait à Berne pour la paix, et sollicitait à nommer des députés pour en traiter, et que le duc en ferait de même, promettant qu'on ferait quelque chose de bon, quoique les Fribourgeois ne voulussent s'en mêler. Au Conseil du duc il y avait deux conseillers d'Espagne et le comte de Martinengue qui s'oppo- saient à la paix, surtout à l'égard de Genève, exhortant les Bernois de se déporter d'eux et de l'alliance du roi. Le sei- gneur d'Erlach dit au seigneur d'Avully qu'il se mêlait de trop d'affaires, et qu'il ne s'en trouverait pas bien; mais celui-ci répondit qu'il se tenait comme sujet de Berne, et qu'il ne 141 prenail argent ni du duc. ni d'autres; qu'il ne veut point tromper; que le doc esl bien aigri contre Genève. Il y eut conférences entre le seigneur d'Erlach et les sei- gueurs Kosel et Chevalier pour la conservation îles places et pour chasser l'ennemi du pays. Un travaillait à faire avan- cer les forces de Berne. Le 6 juin, on rendit le corps du comte de Saleneuvenioyen- nani ISOécus de rançon, outre une belle chaîne d'or qu'il avait à son col quand il fui tué, et que les soldats qui s'y trou- vaient se partagèrent entre eux. Le dit jour, un jeune homme du comté de Bourgogne fut pendu comme espion. L'ennemi L'avait envoyé au pont d'Arve pour reconnaître l'artillerie qui y était et quel en était le Dombre. Le 8 juin, le seigneur Aubert, commandant à Bonne, donne avis que les soldats du capitaine Bois s'en vont ne pouvant s'accorder avec ceux du capitaine Navier. On n'es- liinail pas la place tenable contre le siège et le canon. On pressait forl le secours de Berne, mais le colonel d'Erlach dil qu'il o'étail besoin défaire venir tant de gens, et qu'on espérait la paix. Il n'y avait que délais, par lesquels on était en danger de perdre le pont d'Arve et Bonne. Le 9 juin vin- rent des lettres de Berne à M. d'Erlach pour faire avancer l'armée nonobstant l'amusement de paix. Le lu juin, l'ennemi entra sur la terre deGex par le pont de Gresin. Les Suisses les rencontrèrent àEscorran, près de la Cluse, où il \ eut un rude combat depuis cinq heures du soir jusqu'à neuf, mais enfin la victoire demeura aux Suisses, qui envoyèrent cette même nuit demander du secoursàGe- nè\e, qui leur fui envoyé dès le lendemain malin, ce qui les réjouit fort : ce secours consistait en une compagnie de ca- valerie et deux d'infanterie faisant deux cents hommes, con- duite par le capitaine de la Maison-Neuve; ils repoussèrent 112 par deux fois l'ennemi, dont il en demeura 17 sur la place, outre les prisonniers. Ce même jour 11, on envoya aussi du renfort, à Bonne, de cavalerie et d'infanterie. Et, sur les sept heures du malin, nos gens, ayant reconnu que l'ennemi s'était retiré deLancy, mirent le feu au village et aussi à la maison de Philibert Franc ; au-dessous de Pesey, ils trouvèrent encore quelques soldats de l'ennemi qu'ils amenèrent jusqu'au fort d'Arve, où ils en firent mourir quelques-uns en vengeance de Ter- nier. Ce même jour, noire garnison, qui était à Bonne, brûla le village de Filinge, parce que l'ennemi y faisait sa retraite et molestait continuellement la dite garnison, les venant sou- vent attaquer et agacer, en sorte qu'il y avait souvent des leurs de tués et de blessés. La nuit du 13 au 14, la garnison de Bonne alla attaquer l'ennemi sur la montagne voisine, d'où ils amenèrent envi- ron vingt-cinq chevaux dont ils avaient tué les maîtres; il n'y demeura des nôtres qu'un seul qui était enseigne, nommé Châtillon, et un autre blessé : toutefois les nôtres ayant mis entre les mains de leurs goujats quelque bétail qu'ils avaient pillés, l'ennemi l'ôta peu après aux dits goujats et en tua quelques-uns. Le vendredi 20, l'ennemi attaqua vigoureuse- ment la garnison de Bonne l. Le 23, il y eut conférence à Lausanne entre les seigneurs d'Erlach, Tillier et Tachsloffer, et les seigneurs Boset et Manlich, députés de Genève, touchant l'entrée de l'armée dans la Savoie, tant du côté de Thonon que de celui de Ternier, et pour prévenir l'ennemi à la moisson des blés : on en envoya la délibération à Genève. Le dit jour lundi 23, quelques cavaliers de l'ennemi, à 1. D'Aubigné dit qu'il y eut un combat au pont de Maura, où les Sa- voyards avaient dressé une embuscade à la garnison de Bonne. 413 trois heures du matin, s'approchèrent du fort d'Arve ; l'on crut qu'ils voulaient attirer les noires hors du fort pour les faire tomher en quelque embuscade, ou qu'ils voulaient môme forcer le fort, ce qui fit qu'on sonna le tocsin avec la grosse cloche et avec le tambour par la ville. Toutefois l'en- nemi se retira pour lors, puis il se présenta encore sur midi; l'on connut bien qu'il voulait attirer les nôtres loin de la re- trait'', espérant de pouvoir aisément les accabler, les ayant enclos et surpris par des embuscades, et parce qu'il crai- gnait d'être atteint des gros canons de Champet, comme il lui était arrivé le 3 juin. Le lendemain, à une heure après midi, sortirent quelques-uns des nôtres, entre autres la compagnie du capitaine Lance, et allèrent attaquer l'ennemi jusqu'à Sacconnex-Vandel, où ils mirent le feu à quelques maisons, et de là, l'ayant chassé, ils le poursuivirent jusqu'au Plan-les- Ouates, où, ayant longtemps combattu, finalement, grâce à Dieu, la victoire demeura aux nôtres, dont il n'y eut que peu de blessés; et beaucoup des ennemis demeurèrent sur la place. Ensuite les nôtres, s'en retournant, furent en- core chargés par quelques cornettes de cavalerie et lanciers de l'ennemi, qui s'approchèrent jusque dessous Pin chat pour ceindre les nôtres. Une volée du canon de Champet en versa par terre sept ou huit. Les nôtres les repoussèrent aussi et ils en tuèrent plusieurs', dont ils apportèrent les lances, casques, arquebuses et autres hardes; ils prirent aussi quatre pri- sonniers, dont un a été jeié à l'Arve ; les trois autres étaient M. de Saint-Cergue, très-méchant homme, ennemi juré de Genève, qui avait pratiqué, en l'an 82, plusieurs citoyens pour trahir la ville et la livrer au duc; M. de la Balme, gen- tilhomme d'auprès d'Annecy, homme fort bien fait, et un troisième blessé d'un coutelas et d'un coup de mousquet. Il y 1. D'Aubigné dit que l'ennemi y perdit près de 80 hommes, entre autres Bellegarde et un de leurs cornettes. a H4 eut environ cinquante des ennemis de tués: il y resta deux des nôtres et deux y furent blessés. Après que l'ennemi se fut retiré, nos compagnies revinrent sur les six heures du soir, et, après s'être un peu rafraîchi, tout le peuple s'as- sembla aux temples au son des cloches, à sept heures, pour rendre grâces et louanges à Dieu de la victoire qu'il nous avait donnée : on en envoya les nouvelles à M. l'avoyer de Wattwyll et à M. le colonel d'Erlaeh. Le 26 juin, on a rapporté qu'il y a eu grand bruit au Con- seil des Deux-Cents, à Berne, au sujet d'une proposition faite par M. l'avoyer de Mellune, de faire une paix perpé- tuelle avec le duc en quittant l'alliance de Genève. M. l'a- voyer de Wattwyll dit que, si l'on pouvait faire la paix, cela serait bon, mais qu'il ne trouvait pas bon de quitter Genève, leur ancienne alliée et de. même religion, qui esl la clef du pays. Son avis a été suivi. Le samedi 28 juin, l'ennemi, étant d'environ 1000 ou 1200 hommes, assaillit Bonne, où il n'y avait que 200 hommes de garnison, et vinrent escalader le dit lieu, mais ils furent re- poussés sans aucune perte des nôtres, grâce à Dieu ; ils y perdirent de leurs gens, du moins on trouva beaucoup de sang après qu'ils se furent retirés; cette alarme dura environ sept heures. On établit à Genève les gages de la cavalerie, savoir au ca- pitaine 50 écus par mois, au lieutenant 35 écus, au cornelte 35, au maréchal 25, au fourrier 10, au secrétaire 10, aux ar- quebusiers à cheval 8\ Au commencement de juillet, M. Guillaume-le-Morgue, dit de Marsis, ministre, succéda à d'Orival, qui avait servi trois mois à Bonne. Le mercredi 2 juillet, l'ennemi se présenta au Plan-les- Ouales, dont on ne lit point de compte : le jour suivant l'en- I. C'étaient des écus d'or, \alanl alors 7 fl. ti sols. 115 nemi s'étant derechef présenté là en grand nombre, tant cavalerie qu'infanterie, nos compagnies sortirent pour com- battre et s'avancèrent jusque par-delà le nant deDerise; toutefois l'ennemi n'approcha point, tâchant d'attirer les nôtres au IMan-les-Ouates. où ils avaient dressé dés embus- cades de toutes parts, et ainsi il n'y eut autre chose pour ce jour-là. Le ï. le seigneur Aubert, conseiller, fut de nouveau établi gouverneur à Bonne et Monthmi sur 300 hommes comman- dés par le capitaine Bois-.loly . La nuit entiv le 8 et le'.», deux compagnies, sortant de la ville, faillirent à rompre avec un pétard la porte du château de Sacconnex-Vandel, au-dessous de Compezières, dont l'ennemi irrité vint sur les neuf heures du matin, du 9, avec force cavalerie et infanterie, par-dessus le vignoble de Lancy et aux prairies par-dessous, où il y eut de rudes escar- mouches. Sept ou huit des nôtres y furent tués, et quelques blessés, mais l'ennemi y perdit beaucoup plus de gens, car en reconnaissant les siens par le rôle, il trouva qu'il \ en avait 37 de tués et \~2 autres qu'on ne savait ce qu'ils étaient devenus. Il \ eut un cavalier de l'ennemi versé par terre d'une volée île canon qui jouait depuis les prés d'Ane, et, comme l'ennemi, quittant le vignoble de Lancy, se fut jeté dans les bois de la Bâtie sur l'Arve. il lut salué de plusieurs canonades de dessus les vignes île Saint-Jean, n'y avant que le Rhône entre deux: quelques-uns lurent atteints du canon. Le samedi 12 juillet, l'ennemi vint se présenter avec grand» nombre de cavalerie et d'infanterie. Pour leur répondre, quelques compagnies d'infanterie seulement sortirent et s'a- vancèrent jusqu'aux tranchées les plus éloignées du fort, où la cavalerie de l'ennemi vint les attaquer si rudement que, quoique les nôtres lissent tous les efforts possibles, ils ne 116 purent empêcher que quarante ou cinquante cavaliers n'en- trassent dans les tranchées, où ils nous tuèrent quelques hommes à coups de coutelas; l'ennemi y laissa aussi quel- ques-uns des siens, entre autres un du Ghassay de Bonne', qui, peu d'années auparavant, avait tué Jean Corne, citoyen de Genève, son beau-frère, presqu'au même lieu où Dieu permit qu'il fut aussi tué. Ce fut comme par miracle que toute notre infanterie qui était là ne fût taillée en pièces avant que de pouvoir se retrancher dans le ravelin plus près du fort. Messieurs étant avertis par le tocsin, que l'on sonna longtemps au fort, envoyèrent d'autres compagnies d'infan- terie avec la cavalerie et les argoulets, environ deux cents, conduits par le capitaine du Bois, lieutenant-général de la cavalerie, en Pahsence du sieur Ami Varro, colonel. Il y vint aussi une compagnie de Suisses, conduite par le sieur Dies- bach de Berne. Notre cavalerie, côtoyant TArve, vint se rendre sous le coteau de Pinchat, et, arrivant vers l'extré- mité audit coteau, devers le vent, Dieu leur montra encore sa faveur singulière, en ce que, malgré qu'ils reçussent toutes les mousquetades de l'ennemi2, qui pleuvaient dru comme grêle, néanmoins il n'y en eut que trois ou quatre de tués et quelques-uns de blessés ; deux furent emmenés prisonniers, dont l'un est Abraham Gallatin. Après que les mousquetaires ennemis eurent déchargé tous leurs coups, ils furent vive- ment chargés par notre cavalerie, qui fit fort bien son devoir et en tailla plusieurs en pièces. Il n'y avait encore point eu d'escarmouche qui eût autant coûté que les deux de ce jour, £ar, tant cavaliers que fantassins, on porte à dix le nombre des morts et autant de blessés. Il y eut aussi huit chevaux de tués. En cette dernière rencontre, on cite parmi les cavaliers 1. fié Du Chassey conduisait la dite troupe de cavalerie. 2. Il leur fallait essuyer le l'eu de 4,000 mousquets. 117 morts un vaillant écolier nommé Henry, Allemand ou Fla- mand de nation, de bonne maison, et Emerand du Melay1, qui avait rendu Saint-Jeoire à l'ennemi; un cavalier, son camarade, lui dit en allant au combat: « Emerand, recouvre ton honneur! » car, depuis la perte de Saint-Jeoire, il ne vivait qu'à regret, étant regardé de travers de tout le monde Le dimanche 13, la cavalerie ennemie, ayant attaqué Mon- thou, fut vivement repoussée. Le lundi 14, on rendit à l'ennemi le corps de du Chassay, en échange de celui d'Abraham Tremhley, qui avait aussi été tué en L'escarmouche du samedi. Le même jour, l'armée de Berne, qui était d'environ douze à treize mille hommes, tant cavalerie qu'infanterie, sans les garnisons laissées au bailliage de Gex et de Chablais, est partie pour aller vers le Faucigny, menant avec eux vingt- quatre pièces de canon et trois cents chariots pour les muni- tions; le général était M. de Wattenville, l'un des avoyers de Berne. Ils avaient séjourné dix-huit jours dans la terre de Gex, où ils absorbèrent tout pendant qu'ils s'amusaient à des conférences avec le duc de Savoie, qui tirait les choses en longueur : Bonsteste, député des chefs de l'armée de Berne, demandait que le duc de Savoie mît bas les armes, laissant en paix le pays, et qu'il payât une forte somme pour les frais de la guerre. Le duc, au contraire, répondit qu'ils lui rendissent Lausanne et tout le pays de Vaud, sur lesquels il prétend avoir droit; et qu'au reste, ils eussent à se dé- partir de l'alliance avec ceux de Genève. Ce dernier point a été déhattuau Petit Conseil et au Grand Conseil de Berne; mais la conclusion n'a pas été selon le désir des partisans du duc de Savoie. 1 . 11 s'appelait Émeran le Mêlais, et on voit des livres imprimés pour lui l'an 1577. 118 Le même jour 14 juillet lorsque l'armée passa, sortirent nos compagnies, tant cavalerie, dont était colonel M. Ami Varro, deuxième syndic, que l'infanterie, dont était colonel le sieur Jean du Villars, conseiller, ayant avec eux. pour ministre le sieur de La Maisonneuve, élu à cet effet dans la Compagnie des Pasteurs, le vendredi 11 de ce mois. Nos troupes menant aussi avec elles quelques pièces d'artillerie et les munition- nécessaires, se joignirent à l'armée de Berne, espérant de voir, moyenant Ta grâce de Dieu, quelques bons succès de si belle et si grande compagnie. L'armée sortant de la ville et allant le long du boulevard du Pin, l'ennemi se présenta sur la côte de Pinchat pour la considérer. Cependant le duc tâchait de tirer les choses en longueur, aiin d'avancer son fort de Sonvy ou Sonzy, qu'il avait nommé Fort-Sainte-Catherine, du nom de la duchesse sa femme, et aiin de se renforcer en amassant plus grande armée, et rendre impuissante celle de Berne. Ceux qui négociaient ces traités étaient Bonsteste de Berne, Watten ville, parent de l'a- voyer, mais habitant dès longtemps en Bourgogne, et un gentilhomme de Chablais, seigneur d'Avully, dont la mère était de Berne. Cependant Bonsteste fut contraint, par com- mandement exprès de ses Seigneurs, d'aller, le 14 du dit, délier le duc et lui annoncer la guerre au nom de ses maî- tres. Le mardi 15 juillet, l'ennemi brûla plusieurs blés, blessa beaucoup de personnes, hommes et femmes, qui moisson- naient près de l'Arve, et tua même quelques enfants qui gla- naient. Le 1 7, on pendit un espion des environs de Chambéry, qui avait reçu de l'argent de l'ennemi pour brûler les blés, et pour entrer dans Genève et y mettre le feu, s'il le pou- vait. Le 19 et le 20, le canon joua fort et ferme vers le pont de ♦19 Buringe, et enfin on rasa le château qui se trouvait près du pont. Le 21, ob amena du camp de Buringe le sieur Jandé, tué d'un coup d'arquebuse; il fut beaucoup regretté, car c'était un jeune homme bien lettré et de grande espérance. Le même jour, on envoya plusieurs moissonneurs de Ge- nève autour de Bonne, el plusieurs de Genève \ allaient ' acheter du blé, qui ne se vendait là que 8 florins la coupe, au lieu qu'à Gex, il valait 18 ou -20 florins. Le 24, M Etienne Trembles, prisonnier depuis le -23 avril, François de La Bottière, et un Allemand nommé Henri Hotïner. demeranl à Genève, ce dernier prisonnier depuis l'escarmouche du samedi 12 juillet, revinrent ensemble. Le susdit M. Trembiey rapporta qu'il avait vu à Rumilly, depuis son élargissement des prisons, quatorze pièces de canon, dont trois d'une certaine grosseur, et une autre fois dix; et que l'armée du duc était renforcée de six mille Milanais, ar- rivés depuis peu de jours, et que le bruit courait qu'on devait mener l'artillerie à La Roche, et de là passer PArve, pour venir du côté de Bonne. Le dit jour 24, l'armée de Berne, après avoir démoli le cbàteau de Buringe, partit de là pour aller contre Vyu et Marcossey, ne communiquant de rien avec les chefs des troupes de Genève qui étaient par delà, comme si la cause de la guerre n'était pas commune aux deux républiques. Le samedi 26 juillet, nos gens ayant pris une femme qui portait trois quarts de livre de poudre à canon à l'ennemi, étant avertis par elle qu'il était dépourvu de munition, toute notre cavalerie et infanterie, avec dix-sept enseignes suisses, allèrent l'attaquer vivement près de Pellionnex et sur les coteaux de Saint-Jeoire, et le défirent entièrement. Comme plusieurs d'entre eux demandèrent quartier, on leur répon- dit toutefois qu'on leur ferait la même grâce que celle de 120 Ternier, et qu'on les traiterait comme ils avaient traité les nôtres ; ce qui fit qu'il y en eut jusqu'à 4 ou 500 de tués, et n'eût été la montagne voisine, qui servit bien à l'ennemi pour s'y retirer, il y aurait eu une plus grande défaite : nos gens en ont rapporté quantité de butin, entre autres 80 ca- saques de velours. On y gagna aussi deux forts que l'ennemi avait faits devant et assez loin de Saint-Jeoire, depuis qu'il leur avait été rendu par Émerand du Melay. Et chose mira- culeuse est que l'ennemi, qui était si bien muni et fortifié parla situation du lieu entre deux montagnes, n'ait entière- ment défait nos gens et les ail repoussés de leurs forts. En quoi il faut reconnaître la grande faveur de Dieu. Il n'y de- meura des nôtres qu'un seul homme et deux Suisses ; toute- fois le capitaine Bois, lieutenant du seigneur Varro, notre général, y fut blessé d'un coup de lance à la tête dont il mourut trois jours après, ce qui fut une grande perte'. I. D'Aubigné raconte ce combat de la manière suivante (tome III, liv. 2, ehap. 24) : <> Le 26 juillet, le duc, se trouvant près de Saint-Jeoire, présenta 1 ,500 lances, commandées par le marquis d'Est, accompagné des comtes de Valpergue, Massin et Vivalde. Cette troupe avait à son aile droite le baron d'Armance avec les carabins, lequel, étant arrivé de bonne heure, embusqua 800 arquebusiers piémontais clans la baie du champ de bataille désigné, y pratiquant ses avantages. >> L'armée des Bernois ne faisait qu'un grand bataillon, qui avait à sa gauche les forces de Genève avec une cornette blanche. Sur le midi, le général Watteville démêla de sa tête trois troupes : la 1™ donna aux haies de gauche et les tit abandonner à ceux que le baron d'Armance y avait logés; la 2s courut plus bas, où étaient les Faucigniens, et les mit en déroute; la 3P, favorisée de deux pièces de campagne, se fit aussi faire place. Watteville, sur cet avantage, fit maicher les Genevois dans un champ, où, derrière des noyers, ils virent le marquis d'Est et les siens; ceux-là, aussitôt aperçus, furent chargés par le capitaine Bois, qui eut affaire aux comtes de Valpergue et Massin, et encore à Sonas, qui ne faisait qu'arriver. Les deux premiers rangs ayant combattu, le 121 Parmi les cavaliers morts de l'ennemi on a reconnu le sei- gneur de Compois, révolté, grand ennemi de Genève et pratiqueur de traîtres, et deux comtes, savoir de Valpergue, Piémontais, dont l'un, nommé Alexandre, entretenait cent cinquante lanciers à ses dépens, et un comte milanais, nom- mé de Saint-Martin. On parle diversement du nombre des morts de l'en peau : les uns le mettent à 500: les autres à 120. Cependant, il esl certain (pie. quoiqu'on n'ait trouvé qu'environ 00 morts sur la place du combat, toutefois il s'en esl trouvé beaucoup par les chemins et par les liois. et que beaucoup -e sont aussi retirés Chee eux. de sorte que l'en- nemi a trouvé qu'il manquait 500 des siens après le combat. On croit que, si nos gens eussent poussé leur peinte, la Bonne- ville el Cluse leur auraient ouvert leurs portes. Le lendemain ±1. les seigneurs de berne, qui étaient au camp, envoyèrent quérir deux grosses pièces de canon qu'ils avaient encore à Genève, pour abattre le cbâteau de Saint- .leoire, mais ceux qui étaient dans la place la rendirent avant que le canon jouât : on y trouva quatorze prisonniers des nôtre- qui lurent relâchés. Pendant sept ou huit jours, après l'escarmouche du 2C>. tant les Suisses que les noires pillèrent tout le pays eirconvoisin el en la plaine et en la montagne, et emmenèrent grande quantité de bétail de toutes sortes, et beaucoup de meubles qui se vendaient par les soldats à fort peste tourna visage vers Saint-Jeoire par un chemin étroit, ce qui fut OHM de perles non seulement (l'iioiiiines, mais encore de dent retran- chements gardés pur des Espagnol! et des Piémontais. » Là furent lues les deux comtes de Valpergue el Massin, el trente- cinq ou quarante soldats; d'autre part, le capitaine Bois tut blessé à mort par le lits du comte de Vivalde, son cbeval l'ayant emporté dans une direction contraire a celle qu'il voulait prendre; quant à l'infan- terie, il en fut tué environ soixante hommes sur le lieu du combat, et plus de deux cents furent assommes par les paysans dès montagnes où ils se sauvaient. • 122 bon marché; ceux qui avaient moyens y accouraient de tous côtés, et de ta ville et des villages, hommes et femmes, et on amena dans Genève une grande quantité de butin, car le grand nombre des acheteurs qui y allaient donnait occa- sion aux soldats de piller plus qu'ils n'auraient fait sans cette commodité. On amena aussi beaucoup de blé. Cependant, le baron d'Hermance attendait du secours pour se rendre maître du pont de Buringe. M. Roset a rapporté en Conseil quelques discours qu'il avait eus avec le seigneur Bonstetten concernant le traité avec le duc pour la paix, et des reproches de ce qui avait été fait au préjudice de Genève : sur quoi ayant délibéré en Conseil, on a arrêté qu'on députerait le dit seigneur Roset à Berne avec charge d'y faire assembler les Deux-Cents, et les prier de ne rien faire que nous n'y fussions compris. Or, le duc ne voulut traiter en aucune façon avec nous. Les petits cantons se présentèrent avec Zurich etLucerne pour être médiateurs, mais les Bernois les refusèrent. Le seigneur Bonstetten dit au seigneur Roset, comme il avait parlé au duc qui voulait faire la paix, que Messeigneurs de Berne n'avaient d'autres inten- tions que de mettre cette ville en assurance, et que, pour y parvenir, les généraux de l'armée bernoise ont accordé une surséance d'armes, à la réserve toutefois de notre consente- ment. Le seigneur Roset répondit que les intérêts des deux villes étaient communs, que telle surséance était préjudiciable, puisqu'elle obligerait Genève à soutenir toutes les forces de S. A., que les trêves ci-devant accordées avaient apporté beaucoup de dommage. Le seigneur Bonstetten lui répliqua : « Je marche rondement, je m'en vais à Berne, pour aviser à vos affaires. » Le syndic Varro, commandé pour se saisir du village et château de Boége, quoique les chefs bernois lui eussent en- voyé dire de ne rien faire, néanmoins après avoir participé m d'avis^ somma Le commandant de se rendre. Ledit comman- dant, nomme Montfolan, demanda terme, et le lendemain il rendit la place. Les syndics du lieu promirent de faire dé- molir le château à leurs dépens. Le vendredi le l,r août et le dimanche 3, on apporta de tort grandes cloches de Peillonnex, où il y avait un monas- tère de moines que les Suisses ruinèrent. Le même jour, le Conseil des Deux-Cents fut assemblé sur les nouvelles qu'on eut d'un pourparler de paix entre son Altesse et Messeigneurs de Berne et de plusieurs allées et venues de part et d'autre, sans qu'on put savoir ce que c'était, sinon qu'on disait qu'on avait fait des trêves sans que Messeigneurs de Genève eussent été appelés ni ouïs, et que le duc ne voulait du tout point traiter avec eux. Là-dessus, on représenta notre faiblesse et notre impuissance à rien en- treprendre sans nos alliés, et le danger qu'il y avait de se sé- parer d'eux. Il fut conclu de démontrer à Messeigneurs de Berne l'importance de cette affaire, en les priant de considé- rer le naturel du prince qui n'a rien tenu de ce qu'il avait promis. Néanmoins, on résolut de s'arrêter à ce qui a été fait, moyennant qu'il n*y eût ni hostilité, ni innovation de part ni d'autre. Finalement, le duc condescendit que ceux de Genève fussent compris audit traité, et, par cet effet, que l'on tiendrait au plus tôt une journée à Bonneville, où se trouveraient les ambassadeurs du duc, de Berne et de Ge- nève, pour y dresser les articles de paix. L'on lit aussitôt partir le seigneur Jacques Manlich, con- seiller, pour aller à Berne, et cependant il y eut surséance d'armes de tous côtés. Ceux de Genève et les paysans du bailliage de Ternier, réfugiés dès le commencement des troubles, voulant se retirer dans leurs maisons pendant ces trêves pour recueillir leurs moissons, aussitôt il y eut de l'empêchement, et il fut dit qu'on n'irait point moissonner 124 plus loin que le Bachex de Pesey avec grandes peines, et ainsi toute la cueillette des foins et grains par delà le dit Bachex jusqu'au mont de Sion, et depuis Salève jusqu'au Rhône était perdue pour ceux de Genève et pour ceux qui s'y étaient réfugiés; car quant à ceux qui sont demeurés dans leurs maisons et ne se sont point retirés hors du bailliage, il leur a été permis de cueillir leurs moissons. Toutefois depuis, les Genevois et les réfugiés ne se lassèrent point de moisson- ner à Onnex, Confignon, Sacconnex, Landessi, Troinex, etc. Le (> août, on reçut la nouvelle de la morl de Henri IIP, roi de France, et ensuite on reçut les lettres du nouveau roi, Henri IV. par lesquelles il assurait Messeigneursde son affec- tion, et les priait d'avoir patience pour le paiement de ce qui leur était dû. Le 7 août. Baptista Sappona, Calabrais, reçu depuis long- temps comme habitant, fut décapité, et sa télé fut attachée au gibet de Ghampet pour avoir promis à un nommé Paschal de faire service au duc en lui indiquant le moyen de pouvoir surprendre la ville par un lieu qu'il disait être propre, et pour avoir dit, pendant l'escarmouche du 12 juillet, qu'il voudrait que le choc fût si rude que l'ennemi entrât dans la ville. L'ambassadeur du roi, étant en Suisse, entendant que le duc de Savoie et Messeigneurs de Berne voulaient faire quelque traité de paix entre eux, a protesté, à Berne, dans le Conseil, de la nullité de tout ce qui pourrait être fait au dé- savantage du roi, demandant que le duc eût à quitter les trois bailliages, Chablais, Gex et Ternier, et qu'il eût à rendre au roi le marquisat de Saluées. Le 8, le sieur Manlich, député de Berne, écrivit qu'il avait eu audience en Deux-Cents, où on lui avait répondu que nous ne devions nullement douter ni craindre qu'ils vou- 1. Il fut tué le ttfr août. 125 lussent nous délaisser ni faire aucun traité à notre désavan- tage. On appella au Conseil MM. de Bèze et Germain Colladon, pour avoir leur avis sur les occurences. Ils conseillèrent de ne point se séparer des Bernois, et démontrèrent la nécessité de prendre les armes et que nous ne devions rien faire au préjudice du roi ni sans son consentement. Le dimanche 10 arrivèrent à Genève trois députés de Berne, pour se trouver en la conférence qui devait se tenir avec le duc, le 24, à la Bonneville. Mais rien n'ayant pu s'y conclure, l'année de Berne décampa tlt Peillonnex, Saint- Jeoire et lieux circonvoisins, le 16 août, sans avertir les vivandiers, dont plusieurs étaient de Genève, qui perdirent quantité de vivres, soit pain, vin et fromage, et dont l'en- nemi se saisit aussitôt qu'il s'aperçût du départ des Bernois Ainsi cette armée, de dix. à douze mille hommes avec vingt- quatre pièces d'artillerie, en cinq semaines, c'est-à-dire depuis le 14 juillet, qu'elle passa par Genève pour aller en Faucigny, jusqu'au jour de son départ, n'opéra rien dans notre guerre pour nous secourir, sinon qu'elle battit le châ- teau de Buringe et brûla celui de Saint-.Ieoire. Au reste, elle ne s'est pas fait défaut de piller et de saccager le pays. Il est vrai aussi que nos soldats de Bonne ne se sont point feints dans ces pillages. Comme Messieurs eurent appris l'évacuation de l'armée, ils prièrent les généraux de ne pas nous abandonner, mais passer outre, ou au moins assurer le pont de Buringe, de peur que l'ennemi n'entrât par là dans le Chaînais. Les généraux s'excusèrent sur ce qu'ils ne pouvaient plus retenir leurs paysans ni pour or pour argent, et que la ma- ladie était dans leur camp. M. de Bèze fut de rechef appelé dans ces circonstances difficiles. 11 consola Messieurs, et les rassura sur la Provi- 126 dence divine par les exemples du passé, les conseillant de recourir au roi et à l'aide de Zurich. On ne prit autre réso- lution sinon de se recommander à Dieu, et d'écrire au roi et aux alliés. Les sieurs Varro, Boset et Manlich s'en allèrent à l'armée parler aux chefs et leur remontrer le danger qu'il y a dans leur retraite : ils répondent que leurs sujets sont si mal contents qu'on ne peut les retenir, qu'il n'y a ordre détenir, sinon qu'on veuille se perdre, et qu'il est impossible de faire la guerre contre un si puissant prince. Le mardi 19 août, le duc envoya un trompette à ceux de Bonne pour les sommer de se rendre ; auquel il fut répondu qu'ils tenaient la ville pour le roi de France, et que, quand il lui plairait qu'on la rendît, ils étaient prêts de le faire. Cependant, nos gens étant contraints de quitter Buringe, l'ennemi passa au-delà pour investir Bonne. Le lendemain 20, à trois heures du matin, la cavalerie et quelques compagnies d'infanterie, commandées par la sei- gneurie, partirent pour aller en Bonne; mais, ayant eu avis que l'ennemi s'était retiré, ils retournèrent le même jour à Genève. Cette même nuit, entre le 19 et le 20, quelques ennemis du fort de Lullin. delà les Tremhlières, passèrent l'Ane et mirent le feu à trois ou quatre maisons de Gaillard, où fut brûlé beaucoup de blé et foin, avec quelques enfants. Cependant, on envoya demander du secours aux Bernois; ils répondirent que leurs soldats se débandaient, priant d'être excusés. On délibère si on quittera la place et si on y mettra le feu : on se résout d'y envoyer encore les mêmes compa- gnies de la ville et solliciter les chefs de l'armée bernoise pour du secours : c'est pourquoi on députe les seigneurs Bo- set et Manlich à Ville-la-Grand, où s'était arrêté la dite ar- mée. Ils déclarent aux députés qu'ils ne peuvent être obéis, 1-27 dont ils ont du regret : ils prienl Messeignençs de laisser passer leurs gens par La ville avec l'artillerie, et empocher qu'ils ne fassent du bruit arec les bourgeois: ils offrent de laisser dix enseignes pour la conservation de Gex et de Thonon, en protestant de vouloir toujours être bons alliés. On leur démontre le mal et le déshonneur qui adviendra de cette retraite: os dit qu'on les a secourus tant à Gex qu'à PEscluse ;ui temps de leur besoin. On leur l'ait voir le d;inger où ils mettent tout le pays. Ils répondent qu'on peut en taire le rapport à leurs seigneurs, mais que, quanta eux, ils n'ont charge de faire autre chose; Le> seigneurs Auspurger et \ ierman se présentent en Conseil et disent que leur armée est composée îles hommes de leur sujettion. la plupart gens riches, qu'ils ne peuvent retenir, d'autant plus, disent-ils. qu'ils ne sont pas venus pour conquérir du pays, mais pour garder le leur: partant ils requièrent qu'on laisse passer leurs charrois et leur infanterie le lendemain matin par la porte Neuve, en tenant les chemins serrés afin qu'ils ne s'é- cartent, et pour éviter du bruit et des mauvaises paroles qu'ils entendent qu'on profère contre eux, et qui pourraient nuire ; que, quanl à eux, ils sont bien mécontents de ce dé- part. Cependant, le canon joue contre lionne. Le 21, notre cavalerie, avec trois compagnies d'infanterie, sortit derechef sur les à heures du soir, après avoir entendu que lionne (Hait assiégée, et elle \ campa autour de Montbou. Le lendemain ±1. nos troupes désiraient passer outre pour secourir ceux de Bonne, mais elles ne purent pas aller plu avant que Burlier et la Berga, étant en trop petit nombre pour résister à l'ennemi, et ne pouvant avoir aucun secours de L'armée de llerne qui (Hait toujours campée à Ville— la— Grand et aux environs, n'ignorant pas l'état misérable de la garnison de Bonne. On retourna dereohel vers les chefs qui entendaient battre 128 la place ; on les conjura de se souvenir du serment de l'al- liance comme on a fait de notre côté, quoiqu'on eût peu de gens à la ville et l'ennemi en tête au fort de PArve, môme en pleine nuit; que, si ils étaient bien loin, on les prierait de s'approcher et de venir au secours. Ils répondirent que l'ennemi était fort, que la plupart s'étant débandés, il n'y avait pas apparence d'aller l'attaquer. On les prie, au nom de Dieu, d'empêcher ce malheur, et de conserver et de sauver la vie aux hommes qui leur ont fait service ; qu'il s'agissait de la mort de 400 hommes que le duc menaçait de faire pendre. L'avoyer dit : « Vous me fâchez et vous voulez nous contraindre de faire plus que nous ne pouvons ; j'y irai moi-même. Prenez nos gens, mais une partie est allée à Ge- nève ; nous voudrions être morts si nous ne pouvons pas les tenir. » Ainsi, quelques instants que l'on fît, l'on ne put rien obtenir d'eux. La garnison de Bonne, ne pouvant donc point avoir de se- cours, se rendit enfin par composition à l'ennemi le 22 août. Les articles portaient qu'ils sortiraient vies et bagues sauves, les capitaines à cheval avec leurs armes, et les soldats avec l'épée, qui étaient au nombre de 370, sous trois capitaines, François Celerier, Claude Lance et Navier. La capitulation fut bien signée, mais mal observée; car, quoique le comte de Martinenge leur eût faitde belles promesses (on dit même que le duc était présent), cependant, lorsqu'ils sortirent, on les désarma et on les tailla en pièces, de sorte que très-peu échappèrent. On a rapporté qu'on en lit passer au fil de Pépée jusqu'au nombre de 362, entre lesquels fut Jean Au- bert, conseiller de Genève, qui y était établi comme gouver- neur, et Guillaume-le-Morgue, dit de Marsis, qui y avait servi au ministère dès le commencement de juillet Nos en- nemis se sont comportés envers cette garnison de Bonne avec la même perfidie qu'envers celle de Ternier le 1er juin 129 précédent en les massacrant contre la loi promise. L'occa- sion de cette affaire lui que. Lorsque Les nôtres sortaient de la place, le> soldats de L'ennemi, étant entrés en grand nombre dans la maison où était logé le dit seigneur Aubert, et étant allés à la cave pour boire, quelqu'un d'entre eux, portant de la mèche allumée, laissa tomber du feu sur quatre ou cinq quintaux de poudre qui se trouvait là, de sorte que plusieurs forent tués; ce qui lit qu'ils se jetèrent sur les nôtres, comme s'ils en étaient cause, eux qui étaient déjà sortis1. Le lendemain matin 33 passèrent trente-neuf enseignes de Berne - par Genève pour retourner dans leurs maisons : Ton peut penser que ce ne fut pas sans b aucoup de reproches et d'injures des bourgeois et de ceux dont les parents avaient été massacrés à Bonne, qui disaient que les Bernois s'étaient montrés lâches et traîtres envers leurs combourgeois', et les avaient vendus dans la conférence qu'ils eurent avec l'en- nemi à Bonneville sans que ceux de Genève y fussent appelés; et eu effet ils virent bien patiemment L'extrémité où étaient les nôtres dans Bonne lorsqu'on la battait du canon, et le massacre qui en fut fait comme devant leurs yeux, sans qu'ils lissent le moindre semblant de leur donner du secours, quoiqu'ils en eussent été requis instamment par les députés ». Le comte de Saint-Trivter en lut un peu brûlé au visage, ce qui le dépita au point qu'il fut la cause que tant de pauvres jjens furent misérablement assassinés contre la foi donnée Blâme à l'insu du comte de Martinengue, chef de l'armée, qui en sauva quelques-uns. ~-2. Il passèrent par la ville, la mèche éteinte. 3. Il faut noter que Du Perril, qui a fait ce recueil, parle un peu ai- grement contre les Bernois, parce qu'il était irrité de la perte récente qu'il avait faite au massacre de Bonne, où le sieur Jean Aubert, son beau-frère, et son Bis aîné, Jean Un Perril, avaient été tués, et Pierre, son lils puîné, fait prisonnier avec très-peu d'autres échappés à cette tuerie. 9 130 de cette ville le jour précédent, ce qu'ils ne devaient pas même attendre qu'on leur demandât, s'ils eussent eu tant soit peu de générosité et d'honneur en recommandation, et ainsi on peut dire, en parlant humainement, que ce désastre arriva parleur seule perfidie et déloyauté, puisqu'ils eussent pu l'empêcher facilement. Le dimanche 24, l'ennemi vint se camper à Vandœuvres et lieux circon voisins. Le 25, le duc reprit la ville de Thonon sans résistance, et n'eut pas besoin de faire sommer la garnison bernoise qui s'y trouvait, car elle abandonna la place dès qu'elle entendit la venue du duc et de son armée. On envoya le seigneur de La Violette en ambassade à So- leure, où il fit entendre qu'il était mieux que nous fussions secourus d'argent que d'hommes. Le seigneur de Sanc\ fut de même avis. On les remercia et on approuva leurs con- seils, par suite desquels M. Roset fut député en Suisse pour emprunter el amasser de l'argent. Il rencontra de la bonne volonté dans plusieurs villes, mais peu d'argent. Il conféra de nos affaires avec M. de Sillery, ambassadeur à Soleure, où il apprit que les Bernois étaient fort déroutés. Il se plaignit de la grande nécessité d'argent où nous étions et de ce que nous étions si mal secourus, le priant d'en bien peser les conséquences. Le dit ambassadeur lui récita les discours qu'il avait tenus avec le seigneur avoyer de Milhune, et les plaintes qu'il lui avait faites de la séparation des deux villes, et de ce que Genève était ainsi délaissée ; que Milhune s'était excusé sur la nécessité et sur la mauvaise disposition des Suisses. Le i septembre, le duc. ayant laissé garnison à Thonon, fil passer son armée sur le pont des Trenibières pour venir du côté de Chancy, afin d'y passer le Rhône et entrer, s'il le pouvait, au bailliage de Gex. Et, en effet, le jour suivant, une 131 compagnie de Bourguignons descendit au droit de Fai cl, sans le secours de Genève, il.- eussent gagné le château de Pierre, et eussent ainsi tacitement protégé L'armée de Savoie pour son passage du Rhône par le pont île Ghancy, puisque les Suisses qui tenaient là garnison; étaient prêts â quitter la place, entraînant à leur suite les paysans qui sau- vaient leur bétail el leurs meubles, si bien que la nuit après les chemins étaient pleins de gens et de bestiaux jusqu'aux portes de Genève, où ils se réfugiaient. Les Genevois donc, voulant rendre le bien puni- le mal, y envoyèrent prompte- raent une compagnie de cavalerie, une d'argoulets et trois d'infanterie, qui mirent en déroute les cavaliers bourgui- gnons. Dans cette affaire, le capitaine Guinel se distingua vaillamment. Des ennemis, il y eut, selon les uns, une tren- taine de tués, selon les autres, il n'y en eut que six. On y fil aussi quelques prisonniers, et plusieurs chevaux y furent pris. La nuit suivante, une autre compagnie de cavalerie sortit de Genève pour renforcer les troupe- parties pour la terre de Gex. Le capitaine Mourron. qui avait été laissé en garni- son à Gex lorsqu'on s'était emparé île cette place, en sortit et aiila an désarroi de l'ennemi. Le vendredi 5 septembre, l'armée 'le Sa\oie descendit contre le pont île Gresin, pour j passer le Rhône, afin île combattre les quatre compagnies qui étaient allées dans la terre de Gex. Le vendredi 1-2 septembre, l'année de Savoie, après avoir combattu toute la nuit contre les nôtres en deçà de llluse, entra dans le bailliage de Gex, et mit toutes nos eompagnies en déroute, tant celles qui y étaient allées de Genève que celles qui j étaient venues du pays de Yaud. depuis Moudon. Les Suisses qui s'y trouvaient ont été la cause de ce mal- heur, "ii quittant volontairement Gex el en se montrant aussi 432 lâches que déloyaux, comme ils l'avaient fait à Bonne, trois semaines auparavant. Ce qui fit croire cela, c'est que Bons- teste était venu de Berne pour parlementer avec l'ennemi, et qu'ensuite il fut permis aux Bernois de se retirer bagues sauves, au lieu que les nôtres, ainsi abandonnés, ayant sur les bras toute l'armée de Savoie, ont été contraints de se sauver comme ils ont pu. Ce n'est pas ainsi qu'on en a usé envers eux ; car, seulement le 2 de ce mois, le seigneur Diesbach, qui était au bailliage de Gex pour ceux de Berne, se voyant pressé par l'ennemi, n'eût pas plus tôt demandé du secours à Genève qu'on lui en envoya autant que faire se pût. Ainsi, par leur faute, les bailliages de Chablais, de Gex et de Ternier ont été réduits tous les trois sous la main du duc de Savoie, et leurs églises ne présentent plus que ruine et désolation. Le 43 septembre. Pierre Goula, citoyen, fut amené prison- nier de Versoix à Genève. Ici unit l'écrit de Pierre Du Perril. Afin de continuer le récit précédent jusqu'à la fin de l'an- née 4589, ce qui suit a été extrait de l'Histoire universelle de D'Aubigné, et de la Chronique de Sacoie, par Paradin et Jean De Tournes : « L'armée de Savoie où son Altesse était en personne, com- posée de huit à dix mille hommes de piétons et quinze cents à deux mille chevaux, dont la plupart étaient lanciers, étant entrée au bailliage de Gex par le pas de la Cluse, les Espa- gnols y firent un horrible ravage et d'étranges cruautés, nonobstant la présence du duc, qui avait essayé s'il pouvait obtenir quelque soumission de ceux de Genève, et, ne le pouvant, il fit construire, en septembre, le fort de Versoix, m qu'il nomma Si-Maurice, au haut d'une bourgade de soixante maisons, assise »U bord du lac, sur le grand chemin de Lau- sanne à Genève, d'où elle n'esl distante qne d'une lieue. Ce fort bouclait la dite ville, tant par eau que par terre, et lui empêchait tout libre commerce au pays de ses alliés, d'où elle reçoit le plus de commodité; Les Genevois, ne pouvant s'opposer à une si puissante armée, sont contraints de souf- frir beaucoup d'incommodités jusqu'à se voir brûlés bien près de leurs portes, tans oser sortir de leur ville de ce côté- là. Us ne restèrent pas cependant longtemps sans assiéger, abattre et raser le château de Vcigy, comme aussi le château de l'Hermitage sur la montagne de Salève. » L'armée du duc ayant séjourné, près de deux mois, dans le bailliage de Gex, en attendant qu'on eût mis en défense le fort de Versoi\. la dyssenterie. les fièvres chaudes et autres maladies épidémiques commencèrent à s'y glisser. Ce qui fit que son Altesse pensa plutôt à faire sa retraite, avant même que la rigueur de l'hiver lui rendît le passage des Alpes plus difficile. Il parti donc, sur la fin d'octobre, pour aller en Pro- vence travailler à ses desseins contre le roi, après avoir au préalable laissé une forte garnison à Ce\. et muni Versoix, sur- tout le château, de fossés et de bastions, et y avoir laissé toutes choses nécessaires, tant de vivres que d'autres munitions de guerre, et même c'était pour servir comme de magasin pour les autres garnisons des environs. Il y avait aussi dans la ville, sur le bord du lac, une plateforme garnie de deux couleuvrines pour combattre sur le lac, à Heur d'eau, pour incommoder les vaisseaux de Genève, outre quatre canons de batterie qui étaient dans le château qu'ils appelaient les Clefs de Genève, avec un grand nombre de boulets et de poudre. Le duc y laissa pour gouverneur le baron de la Serra, avec environ 600 soldats d'élite et 70 à 80 forçats, la plupart turcs, pour aider à parachever la fortification. Son 134 Altesse aussi. a\ant son départ, pourvut don Amédée du gouvernement de Savoie et laissa dans le pays 3 à 4,000 pié- tons et 5 à 600 chevaux qu'Espagnols, qu'Italiens, que des hommes du pays, sous la charge de don Olivaros, châtelain de Milan, général du roi d'Espagne, du marquis de la Chambre, du comte de Châteauneuf, du seigneur de la Sonas, du baron d'Hermance et d'autres chefs. » Or, tandis que son Altesse faisait ses-prépara tifs en Piémont pour s'acheminer en personne vers la Provence (où, depuis, beaucoup de villes ligueuses, rehelles à leur roi, Pintrodui- siit t), les Genevois, se voyant comme bouclés à cause du dit fort de Versoix, résolurent de ne souffrir davantage une telle épine à leur pied et de faire un bon effort pour l'en- lever. » Ayant donc appris qu'on pouvait entrer dans le dit fort par une ruelle du côté du lac, lieu qu'on estimait inacces- sible, les troupes s'embarquèrent, le jeudi 6 novembre, à minuit, faisant leur compte de prendre terre près du dit Versoix et y arriver ainsi plus à couvert; mais le jour les ayant surpris, ils furent découverts, et les ennemis leur ti- rèrent force canonades, tellement qu'ils s'en revinrent sans rien faire, ce qui fut cause que la garnison de Versoix fut renforcée le lendemain de 120 hommes. Nonobstant quoi, ceux de Genève sortirent de la ville par terre le vendredi 7, \ ers les dix heures du soir, sous la conduite du seigneur de Lurbigny, au nombre de 6 à 700 hommes de pied et environ 200 chevaux, savoir : deux compagnies de gendarmes, et deux d'argoulets avec quelques pétards, et échelles noircies, et autres équipages. Cette petite troupe était à peine éloignée des portes de la ville, qu'il parut en l'air un admirable mé- téore en forme d'un arc-en-ciel rouge et étincelant, qui ra versait de montagne en montagne, dont cette troupe prit pour un bon signal et s'en réjouit; comme, au contraire, 135 ceux de Versoix s'en épouvantèrent. Ils arrivèrent, 3 heures avaul jour, au ruisseau de Versoix qu'ils passèrent vers un moulin : la plupart des gens de pied vont accompagner le pétard à la porte de la ville qui regarde du côté de Coppet; d'autres sont destinés pour donner L'escalade au-dessus el au- dessous de ia dite porte, qui. couverts de chemises, fuient pris pour des chèvres, comme aussi ils les contrefaisaient. " Tue autre troupe de 17 hommes armés, aussi revêtus de chemises afin de s'entreconnallre, la plupart citoyens ou bourgeois de Genève, commandés par le capitaine ('.baudet, colonel de leur infanterie, ayant mis pied à terre non loin de la dite porte de Coppet, suivirent un paysan qui, avec un levier sur le col. les mena entre la bourgade el le lac vers une petite ruelle, où il y avait un retranchement de pierre sèche; il en remua assez pour passer et entra le premier, les dix-sept le suivirent, et, au moment que la sentinelle s'écria el leur tira, ils se jettent avec, une brave résolution dans un corps-do-garde, on ils jouèrent du coutelas d'une étrange façon. » Le baron de la Serra el les principaux qui s'étaient retirés, las de veiller, courent aux armes, et ceux de la forteresse, commençant à reconnaître le petit nombre des dix-sept qui avaient déjà soutenu tout seuls le combat environ un demi- quart d'heure, leur allaient donner beaucoup de besogne. lorsque le pétard joua Là-dessus Deluc répondit : • J'ai lu non seulement ces livres, mais bien d'autres, et je > n'ai trouvé en aucun lieu un peuple aussi sage et aussi >- modéré que l'a été celui de Genève, dans les mois de juillet » et de décembre 1734. » Sur quoi le premier syndic Grenus lui dit : t Vous en repentiriez- vous? — Non, Monsieur le premier (lui dit le cousin Deluc), non- nous applaudissons au contraire de n'avoir fait porter le deuil à personne. » i Telle fut la représentation de dimanche. Les s\ ml tas pro- mirent qu'ils en feraient part aux Conseils du lendemain lundi X. Pendant la nuit, il courut un bruit par en haut que les parents de Dunant devaient monter le lundi, accompa- gnés de quatre à cinq cents citoyens, pour obliger le Conseil à faire droil à Leur représentation en plein. Sur ce bruit, on fit monter à l'Hôtel-de-Yille et sur la Treille, le lundi matin. 150 deux cents à deux cents cinquante habitants et natifs, satel- lites de Montréal. Une telle manœuvre fit monter, de leur côté, deux citoyens pour en parler à un de MM. les Syndics. Il leur dit bonnement que c'était à cause du bruit qui cou- rait. Or, ce bruit était si faux que je te proteste que l'idée n'en était venue à aucun de nos parents, ni même aux ci- toyens. Il n'y eut que mon père et mon cousin Dunant l'aîné qui montèrent pour savoir les résolutions du Conseil, et qui virent tout ce monde. Le Conseil ne voulant rien changer à la sentence, j'allai fermer ma boutique et je subis mon juge- ment. J'ai resté sept jours en prison, quoique le jugement en portât huit. » Sur ces entrefaites, on découvrit qu'il s'était fait un repas chez Jobert, d'une soixantaine de ces habitants et braves natifs montréalistes'. Les citoyens et bourgeois, informés de cela, se tinrent sur leurs gardes et patrouillèrent toute la nuit. Le lendemain, il courut un bruit que dans la nuit du 8 au 9 la garde au poste de l'Ile avait été renforcée de six hommes, et celui de Longemalle aussi. Nombre de citoyens montèrent à la Maison-de-Ville et se plaignirent de cela, requérant qu'on en fit des informations. » Quant à ce qui était du renfort de l'Ile, M. Pictet, syndic de la garde, protesta tju'il n'en savait rien, puisqu'il en de- vait répondre sur sa tête. On prit des renseignements, d'où 1. Bernard de Rude, seigneur de Vérace, ancien officier aux gardes suisses, du Conseil des Deux-Cents, connu sous le nom de comte de Montréal et très-populaire au commencement des démêlés entre la bour- geoisie et le gouvernement, avait d'abord favorisé les citoyens. Il s'était ensuite détaché de ce parti, soit parce qu'il n'y dominait pas assez, soit parce qu'il trouvait qu'il était allé trop loin et dépassait le but. Lié un moment avec Micheli-Ducrêt, il s'était séparé violemment de lui et des michelistes. Riche et considéré, le comte de Montréal avait beaucoup d'influence, sur tout sur les habitants des communes rurales du territoire genevois. Les citadins le détestaient. 151 il résulta que Picot BandoJ, interrogé sur ce qu'il a\ ait vu. dit qu'étant sur le pont. Houx l'aîné, Plince fils et Galiine l'appelèrent et lui dirent : • Venez voir six soldats qui sor- tent du corps-de-garde avec leurs armes »; qu'ils les virent en effet, et qu'une demi-heure après, ils virent aus^i relever le poste qui, à son ordinaire, était de di\ hommes avec le caporal, les ayant bien comptés. Les dits Plince, Galiine et Roux tirent la même déposition. Le vendredi 12 du passé, on les envoya en prison, où ils furent séparément en chambre close, et Picot, trois ou quatre jours après, fut mis aux. fers. Les procédures ont duré quinze jours. Comme on ne les a pas, je ne peux rien t'en dire de positif, sinon qu'on permit, il y a six jours, de les aller voir, et leurs plus près parents seulement eurent la permission. Ils ont été rasés et on a ôté les fers à Picot, parce qu'ils lui avaient écorché les pieds. Voilà, pauvres citoyens, la manière dont on vous traite pour une chose qu'on a vue de ses propres yeux ! Picot ne \eul point d'avocat et plaidera lui-même. Les parents et amis sont tous choisis. Un est fort tranquille sur le sort des pri- sonniers. Je crois qu'il n'est pas nécessaire de te faire pari d'autres réflexions sur l'irrégularité d'une telle procédure, car n'est-ce pas le monde renversé que de faire appeler des témoins sur un fait, de les prendre pour parties, tandis que l'on prend pour témoins les véritables parties qui sont les soldats du poste? Pour celui de Longemalle, il a été prouvé que, comme l'eau était grande et qu'il faisait une grosse bise. le poste ik'^ Chaînes s'était retiré dans celui-là, à cause du danger qu'il y aurait eu à rester sur des pilotis plantés es avant dans le Rhône. Les eaux ont été en elle! extraordinai- rement grandes. Le 'M juillet 1737. elles se sont jointes de façon qu'il y avait un grand courant depuis Longenialle jus- qu'aux Balances, et tout le long derrière le Rhône. L'eau est entrée dans notre boutique, nos fusles ont été à la nage. 152 et nous avons été une vingtaine dans l'eau pour les arrêter. Adieu, salue tous les amis qui me connaissent. Presque toute la bourgeoisie, au sortir de la prison, est venue me témoi- gner ses amitiés. On a été content de mes réponses. La pro- cédure de Picot coûte déjà cinquante livres dix sous argent courant. » « Genève, le 26 août 1737. » Mon très-cher frère et mon très-cher ami Delrieux, » Me voici, par une grâce toute particulière de la divinité devant laquelle je me prosterne humblement, plein de vie et en bonne santé. Les tristes situations où nous nous som- mes trouvés, depuis mercredi matin 21 du courant, situa- tions causées par ce qu'une guerre civile peut avoir de plus affreux, doivent bien faire penser à tous mes concitoyens et à moi, que si le Tout-Puissant ne nous avait pas regardés d'un œil favorable, nous continuant sa sainte protection, hélas! nous-étions tous perdus ! Notre chère patrie était renversée de fond en comble, comme vous allez le voir par ma rela- tion ci-après : » Mercredi matin, vers les dix heures, on sortit de prison, pour les mener à la Maison-de- Ville, les quatre prisonniers détenus pour l'affaire du corps-de-garde de l'Ile. On leur prononça leurs sentences par lesquelles Picot fut condamné à demander pardon à Dieu et à la justice, et au bannissement perpétuel sous peine de la vie; Plince, à la même formalité et à dix ans d'exil; Roux et Galline, aussi à l'amende hono- rable et à cinq ans de prison dans leurs maisons, avec priva- tion et cassation de la bourgeoisie. Gomme ces jugements, surtout les deux premiers, parurent extraordinairement sévères et remplis de passion, aux parents des détenus, la mère de Plince fut pleurer à la Maison-de-Ville près des 153 magistrats, qui la rebutèrent) Un grand nombre de ces habi- tants montréalîstes, qu'on appelle des Avateun de goujon*' , qui étaient montés de grand matin, lui firent insulte. D'au- tres femmes la défendirent, et la querelle s'engagea entre elles el ces scélérats, qui crièrent sur-le-champ aux armes. » Dans un instant, MM. Marc-Conrad Chappuis. Dida\ el Pasteur, l'avocat, frère de Pierrot, et Louis Pasteur, montè- rent à la Maison-de-Yille , qui était leur place d'armes, avec leurs fusils el la baïonnette au bout. Ds n'y furent pas plus tôt arrivés que le syndic de la garde fit ouvrir l'arsenal, donna des armes et des munitions à trois ou quatre cents de ces coquins, qui sautèrent sur ces quatre braves citoyens, qui se défendirent autant que cela était possible. Mais ayant été enveloppés, et Pasteur, l'avocat, blessé d'un coup de baïon- nette à la gorge, mais légèrement, ils furent menés ou plutôt portés dans le corps-de-garde de la Maison-de-Ville, et maltraités à coups de canne par nombre de petits-maîtres, mais surtout par le major et le capitaine Lullin. Mais le jeune Louis Pasteur échappa de leurs mains, et plût à Dieu qu'il fût de même sorti en vie du combat! Je le rencontrai comme il descendait par le Perron, et que je montais avec un déta- chement de six hommes, et il me récita tout ce que je viens de vous dire. » Cependant, le bruit se répandait de plus en plus dans la ville qu'on avait arrêté ces citoyens; un détachement de cin- quante hommes du Molard et ensuite un autre de trente vinrent nous rejoindre au Perron. Nous nous arrêtâmes au I. On appelait ainsi les partisans de Montréal, du nom du poisson qui sert à en prendre de plus gros à l'hameçon. On disait : <« Ils mil avilir le aniijon>, pour dire : « Ils ont été gagnés OU corrompus. Les montréalistes appelaient, de leur côté, leurs adversaires Rnffrs, du nom d'un autre poisson armes, et en voilà seize qui » passent! » » Ce sont des gens qui se retirent,. » nie répon- dit-il. « Pour nous, lui répartis-je, nous ne nous retirerons absolument point, » quoique Sl-Gervais et ceux du Bourg- de-Four l'eussent déjà fait. J'ajoutai que bien que restés seuls, cela ire nous faisait rien, et que s'il fallait en découdre, nous étions toujours prêts. » «Comme je lui parlais encore, toujours en montant, le sieur Dantand, ce grand et brave garçon, qui est sergent aux Gardes-Suisses à Paris; Lombard, ce jeune homme, fils de la veuve marchande toilière au Molard; Gabriel Declé; Phi- lippe Plan; Pierrot Pasteur; Louis Pasteur; Gaudy; Jean- Jacques Coulin ; l'housard et moi, nous montâmes avec le syndic de la garde, pensant qu'il ne voulait pas nous tromper. Quand Louis Pasteur et Lombard furent au haut du Perron, ils me firent signe de monter. Je quittai le syndic de la garde, et comme nous étions déjà sous le Cavalier, M. le syndic Desarts commença, de son côté, à descendre. M. Pictet lui cria avec force, comme pour se faire entendre de ceux qui étaient ventre à terre sur le Cavalier : « Monsieur Desarls. d'où vient que vous laissez monter ces gens? »> M. Desart-^ répond : « Je ne peux pas les empêcher, » et le syndic Pictet, après avoir crié encore une fois, se cache dans une allée d'où il entre dans une boutique. En même temps le capitaine Bourdillal de la garnison, Deprès, Lefort, De Bergeries, Rigot-Lullin et Lullin, son parrain, font fort à l'entrée du Perron, tout en haut, vers la maison Maurice. Le dit Dan- tand, ce brave, prend la parole et, s'adressant au capitaine Bourdillat : « Monsieur le capitaine, lui dit-il, je vous crois très- honnête homme et très-bon citoyen. Youdriez-vous tremper votre main dans le sang de vos compatriotes? » — « Crois-tu, lui repart le capitaine, que j'ai peur de toi? » En même 156 temps il tire son épée, et, Danland lui répliquant qu'il avait encore moins peur de lui et qu'il en avait bien vu d'autres, le capitaine crie à ses gens de faire feu. Alors ces coquins, qui étaient ventre à terre sur la terrasse ou Cavalier, se le- vèrent promptement et firent un feu épouvantable et conti- nuel pendant près de trois quarts d'heure, avec des grenades de fer. Le feu commença à quatre beures et demie. Nous qui nous trouvions en haut, nous leur répondîmes vigoureu- sement, faisant aussi nos décharges à brûle pourpoint, sur- tout Dantand, Lombard, Pierre et Louis Pasteur, J. -Jacques Coulin, Declé, Gaudy et Plan. Pour nous, qui étions un peu plus bas, nous essuyâmes une volée d'au moins cent coups de fusil, à quoi nous répondîmes de notre mieux en leur tirant autant juste qu'il nous fut possible, ne leur voyant que la moitié de la tête et la terrasse leur servant de rempart. Ensuite, quand nous nous retirâmes, il nous fallut encore essuyer une autre bonne volée de coups de fusil, parce qu'il nous a fallu descendre par le beau milieu du Perron pour nous retrancher derrière le coin des maisons Grosjean et Compare!, où le gros des nôtres était resté, car nous n'étions pas montés plus de vingt à vingt-cinq; encore u'étions-nous pas tous ensemble, car il y en avait une partie au milieu et les autres au haut du Perron. Nous fîmes encore feu dans cette position retranchée. De part et d'autre il y a eu de.> morts. Voici d'abord le nom des citoyens qui, de notre côté, ont succombé en défendant la patrie et la liberté : » Louis Pasteur, frère de Pierrot et de l'avocat, et l'un de mes plus chers amis. Il reçut deux différentes blessures, au haut du Perron et ensuite en descendant, la première à l'es- tomac et la seconde au bas-ventre et aux mains. Tout blessé qu'il était, il ne cessa de faire face jusqu'au bas de la seconde barrière d'où on lui aida à entrer dans l'allée qui est tout en haut du Perron à gauche en montant. C'est là qu'il dit en- 151 core : « Courage, amis, que cela ne vous épouvante pas. Je i me trouve heureux de mourir pour la liberté de ma patrie." Après que le feu eui cessé, on l'emporta et il vécut encore jusqu'il une heure et demie de la nuit. Pendant l'affaire je ne pouvais assez admirer son bon cœur et son zèle. Il encou- rageait notre détachement, disant : « Ayons bon courage; allons-y comme si nous allions à noce.» Nous ne mangeâmes rien de tout le jour et nous ne bûmes que deux verres de vin qu'une servante nous tendit. » Augustin Martin, l'orfèvre, dit Lantirolet, est resté raide tout en haut du Perron, près de la maison de M. Maurice blessé d'un coup de feu à l'estomac et de deux coups de baïonnette à l'œil et à la joue, le tout du côté gauche. On lui prit son épée et tout ce qu'il avait. » Binet, l'orfèvre de la Fusterie, lui qui avait été si long- temps dans les troupes, est mort blessé au bas-ventre, deux ou trois boutiques plus bas que le Cavalier. Les intestins lui sortaient du corps et il vécut ainsi jusqu'à neuf heures et demie du soir. » Abraham BUrnc, frère du balancier, tomba frappé à l'es- tomac et de deux balles aux liras, dont une lui fendit le coude et l'autre le grand os. On lui aida à entrer dans cette grande allée qui traversait autrefois jusqu'à la cour de Saint-Pierre, là même où Louis Pasteur était entré. Il vécut encore plu- sieurs ^heures*. » Diedey, neveu de M. David Diedey. reçut trois balles au front, qui lui firent sauter la cervelle. Il resta sur la place au milieu du Perron. C'était un jeune homme de seize à dix-huit Mis, mais rempli de courage. Nous avons eu aussi plusieurs blessés : Pietri Pastëvr, qui a en la clavicule de l'épaule gauche rompue, mais cela ne sera rien (ainsi des trois Itères un est mort et deux sont blessés, l'avocat ayanl été" nappé à la gorge d'un coup de 158 baïonnette vers PHôtel-de- Ville) ; Jaquel, le fripier, qui a eu la jambe cassée et qui ne pourra plus marcher; Lombard, (ils de la veuve Lombard, blessé dans le côté ; un jeune gre- nadier, nommé Passavant, blessé à la cuisse; J&sse, notre grenadier, a eu le bras cassé; un jeune homme, que je ne connais pas, a eu la tête offensée au sommet; le jeune Coindet, orfèvre, a eu son couteau de chasse frappé de deux balles; plusieurs autres onteu leurs habits et leurs chapeaux percés, ou des égratignures. » Pour moi, une balle atteignit au beau milieu de mon fusil et me fit une grosse bosse, au point que je ne pus plus tirer. Peut-être que cela m'a sauvé la vie, par la grâce de Dieu, car je faisais face en haut du Perron. C'était affreux d'entendre les balles siffler à nos oreilles. Je puis mettre en- core au nombre des blessés M. le syndic Desarts, qui eut la main droite percée d'un coup de fusil ou plutôt d'un éclat de grenade. C'est un miracle de Dieu, si nous n'avons pas eu au moins vingt-cinq hommes de tués, ayant essuyé plus de trois cents coups de fusil, soit de la lerrasse, soit des fenêtres voi- sines. •> D'un autre côté, voici les noms de nos adversaires qui ont perdu la vie sur la terrasse : Le capitaine Bourdillat (ce qui fut un grand bonheur, car il était courageux et aurait foncé certainement sur nous) ; Coums, sergent de la garni- son ; un caporal et quatre soldats; Mestrezat, de la chancel- lerie; Toreilli; cordonnier; un autre soldat tué à la rue Verdaine. Lemaire-Rigot a été blessé. On soupçonne qu'il y en a encore d'autres que l'on cache. » Je reviens au lieu du combat. Nos compagnies, ayant appris la manière indigne dont on nous avait trahis, remon- tèrent dans le même ordre, ceux de Saint-Gervais et de Bel- Air par la Grand'rue, jusqu'au haut de la Cité, et ceux du Molard et de Rive par le Bourg-de-Four. On voulait forcer 159 pour toujours, au péril de nos vies, cette race de scélérats. Mais, quand ils furent en haut, ceux de Saint-Gervais ne ju- gèrent pas à propos d'aller plus avant. On resta donc jusqu'à la nuit et alors on se retira, après avoir fait de bons déta- chements dans toutes les avenues. Le lendemain, 22, qui fut un jeudi, on envoya un fort détachement à Rive pour prendre le poste delà porte, et nous y menâmes du canon. M. Chenot, le capitaine, voyant qu'il n'y avait pas à résister, nous Abandonna le poste et se retira à l'avancée. i M. le Résident de France', ayant appris la manière dont on nous avait traités, offrit sa médiation à nos compagnies, qui eurent bien de la peine à se résoudre de l'accepter. Mais il leur fit voir que la vie d'un des nôtres était plus précieuse que celle de tous ces scélérats; qu'à la vérité nous les dé- truirions tous, mais qu'il n'y avait point de guerre où il ne restât quelque soldat. Il ajouta qu'il fallait épargner le sang des citoyens, et qu'il y en avait déjà assez de répandu. Enfin, on se rendit à ses avis, et ils capitulèrent avec nous qu'ils mettraient bas les armes, qu'on leur laisserait la vie et les biens saufs, qu'ils sortiraient de leur enceinte, et qu'il n'y aurait aucune recherche pour la prise d'armes. Cela fut exé- cuté le 22, à une heure et demie, sons la réserve qu'étant maîtres de toutes les portes et de la place de la Maison-de- Ville, on y monterait sur-le-champ la garde. Quand on ou- \rit la porte de Neuve, presque tous ces scélérats sortirent M st^ retirèrent à Carouge et à Lancy. Le même jour, nous créâmes des députés pour prendre îles mesures que nous crûmes les plus propres pour assurer la paix et la tranquillité publiques. C'est à quoi nos députés >mt travaillé. Et depuis qu'on a monté la garde aux portes et à la Maison-de-Ville, nous avons retiré les pièces de canon I. De La C.losure. 160 que nous avions postées dans toutes les avenues des rues pour empêcher qu'ils ne descendissent dans le bas. Voilà,, mon cher frère et mon très-cher ami Delrieux, comment Dieu nous a protégés. Priez-le sans cesse qu'il continue à nous regarder d'un œil favorable et qu'il nous soit propice. » Le jeudi 22 du courant, l'on a enseveli et porté en lerre Blanc à trois heures et Martin à quatre heures, Binet à cinq heures et Diedey à six heures. Pour les trois premiers, on ne put pas leur faire de grands honneurs, parce qu'on était encore tous sous les armes; mais pour Diedey il y eut plus de treize cents hommes à son enterrement avec les armes et le tambour battant. Je lui ai rendu les derniers devoirs avec les autres grenadiers qui s'étaient trouvés au combat. Nous le portâmes avec l'habit uniforme et le sabre au côté. Le len- demain vendredi 23 du courant, je rendis aussi les mêmes devoirs à mon cher ami Louis Pasteur, qui était aussi grena- dier. Je vous écris de cela la larme à l'œil, ne pouvant me consoler d'une telle perte, surtout quand je viens à me rap- peler les paroles qu'il prononçait quand il fut blessé, et qui témoignaient de son attachement à la patrie. Il était trois heures après midi quand nous le portâmes au cimetière, dix grenadiers pour soutenir la bière, quatre pour tenir les coins du drap mortuaire, et deux autres grenadiers qui portaient les escabelles. Nous y mîmes toute la pompe et la solennité possibles. Ceux qui portaient la bière étaient Jean-Louis Du- nand, Nourrisson, Gabriel Declé, Abraham Dunand, Aimé Gaudy, Chappuis, Isaac Baisin, Jean-Louis Bovet, Bouvier et moi. Les coins du drap étaient tenus par Jean-Jacques Cou- lin l'aîné, Henri Bouvard, Antoine Joly et Paul Bosson. Les officiers de toutes les compagnies étaient en uniforme, et le fusil à la main; tous les grenadiers de la ville de même, avec équipage et fusil, et tambour en tête. Il y eut bien trois mille personnes, et il était impossible de pouvoir traverser le 161 chemin, à cause de la quantité de femmes, de filles et de jeunes gens qu'il y avait depuis la porte de M. Pierre Eyrand, qui demeure à la rue des Orfèvres, au-delà du Molard, jus- qu'au cimelière du Temple de Saint-Gervais. Il faisait pilié de voir comme on pleurait et se lamentait. Nous demeu- râmes bien une heure et demie pour le porter et une heure pour revenir. On ferma presque toutes les boutiques. Quand les cinq bières furent dans la fosse, on fit une décharge de seize ou vingt coups de fusil. Gravez dans vos cœurs les noms de ces cinq illustres citoyens ou habitants qui sont morts pour la liberté de la patrie. » Nous avons, il faut le dire, beaucoup d'obligations à une partie des habitants qui se sont joints à nous; mais, en re- \ anche, il y en a eu aussi beaucoup de traîtres, aussi bien que des citoyens et bourgeois montréalistes. Massé, le père, ei ses deux fils aînés et ton parrain Lullin étaient .'. la Maison- de-Yille avec plus de deux cents autres, et nous couchèrent plusieurs fois en joue. Il y a eu aussi quinze ministres qui ont pris les armes contre nous. Je ne connais pas encore bien leurs noms. On m'a nommé le jeune Maurice, Laget, Cardoin, Ami Lullin. Quant à ceux de la bourgeoisie, voici ceux qui ont. gauchi, et qui nous auraient détruits, si- Dieu n'avait pas été pour nous : » Presque tout le Deux-Cents et tous leurs domestiques; » Tous les valets de ville; » Les racle-cheminées; » Les jardiniers de Plainpalais; » Tous les capitaines de la garnison ; i Tous les sergents et caporaux de la garnison ; » Les officiers-majors ; » Toutes les compagnies de la garnison (mais elles ne furent pas au complet, parce que nous arrêtâmes nombre de sol- dats) ; H 162 » Tous les petits-maîtres de par le Haut et de par le Bas: » Quinze ministres dont je vous donnerai les noms plus au long ; » Pierre Picot et Baraban, qui conduisaient une vingtaine de marchands, mais qu'on ne laissa pas passer. » Parmi les bourgeois et citoyens : Pelissary. delà Cité; Jolivet-le-Jeune; Le Cointe et son fds le proposant; Bouchet, germain de Pelissary; Bertrand-le-Biche ; Choisy, avocat: Mallet-Gallatin, jeune homme de chez M. Dejean, épicier; Delorme, avocat; Jacques Collavin : Énard ; le jeune Taxesy: Augustin Girod; Debary-Mallet; Senebier. le cadet; Jaquier, horloger: Deville, fils aîné, du Molard; Arlaud, horloger, frère du peintre: Jean-Jacques Lullin : Rilliet. le praticien ; Michel Marchet. associé il'Alléon; le grand Dohna, père; son grand fils; le grand Palard; Naville; Azemar: plusieurs Gar delle; René, l'apothicaire: Voullaire, auditeur du charbon; Déjean, toilier, le jeune; Palard, horloger; Bonafoux- l'Oncle; Chevalier, orfèvre; Flournois, commis au port; les fils Patron; Odier, associé de Barde; Pichard, sellier; Jean- Benedict Martin : Massé, le père; Pierre et Jacques Massé, fils; Barthélémy, fils : Dubit, procureur; les deux aînés Ca- zenove ; Camus, père ; Gibeau et ses fils ; Billon, architecte ; Ferrier-le-Fort : Senevier-1'ancien-Roi ; Richard -Buenot, père (le fds a été bon citoyen); et enfin deux cents natifs ou habitants. » Massé, le père, qui avait été contre nous, eut la hardiesse de descendre en bas, et fut arrêté et enfermé dans le corps- de-garde de file. Le lendemain matin, il fut amené à la Grenette. Avant que d'entrer, on lui fît faire le tour des Rues- Basses, et, derrière le Rhône, les femmes voulaient le jeter dans l'eau et finjuraient. Mais on usa de charité à cause de ses fils cadets. Son fils aîné, Jacques, descendit de la Maison- de-Ville et voulut se jeter de dessus le pont dans le Rhône; 163 on voulait lui lirer dessus, mais comme il savait bien nager, il se tir.i d'affaire, Ce fui Balexser qui empêcha de faire feu sur lui. Quand la Grenette fui pleine, on attacha une barque au port, et on mil dessus tous oeui qui étaient employés aux grains, tellement qu'elle en était chargée; puis on la mit fort avant dans le Bhùne. Les étrangers venaient voir cela. .I>spère que ces événements mettront fin, s"il plaît au Seigneur, à nos troubles, et que dorénavant nous jouirons, avec son aide, d'une parfaite tranquillité. Nos trente»- quatre députés furent samedi. 24 du courant, se faire reconnaître en Conseil. Outre la garde que l'on monte aux portes et à la Haison-de-Ville, il y a dans chaque quartier une vingtaine d'hommes de garde, atin qu'il n'y ait personne de surpris dans les maisons. Il y en a aussi qui prennent garde pour le dehors; car le bras de Dieu qui nous a conduits, lorsque nous étions au Perron, a montré que nous ne devions pas nous fier pleinement à des paroles. Nous avons découvert que le dessein de nos ennemis était, si noua nous étions retirés, de fondre sur nous avec des grenades et une affreuse artillerie. On ne cesse de répandre, parmi les étrangers. que c'est nous qui avons attaqué; mais comment aurions- nous pu le faire, nous qui n'étions que dix hommes au haut du Perron, dix au milieu et le reste en bas? Eux étaient au moins quatre cents sur cette terrasse où nous montions à la bonne foi, puisque le syndic nous soutenait qu'il n'\ avait plus personne. Il a fallu couper un doigt au syndic Desarts. Nos députés s'assemblent tous les jours pour discuter nos griefs, i Genève, le 2 septembre 1737. « Eu vous confirmant ma relation du 26. j'ajouterai que 164 ces scélérats d'habitants, qui sortirent de la ville, se tiennent toujours aux environs. Il y en a toujours quelques-uns qui rentrent, et je vous assure que cela me ferait bien de la peine si on les tolérait. Comment pourrais-je voir devant mes yeux ces hommes qui m'ont lâché plusieurs coups de fusil et aux- quels nous n'avons échappé que par miracle ? Pourrais-je revoir un scélérat de Droullion, un Bochon de Lancy, un Gachery, qui ont tué mon cher ami Pasteur? Nos députés, auxquels je ne cesse de porter mes plaintes, mp disent pour toute raison que nous avons donné notre parole qu'il n'y aurait pas de recherche. Ils m'ont pourtant promis qu'on empêcherait aux moins convenables de rentrer; si cela avait lieu, nous serions derechef tantôt en querelle et tantôt em- baillés. » Messieurs les Représentants de Berne ' arrivèrent le 27 du mois pass,é, et nos députés travaillent du matin au soir à ramener la paix. Il ne transpire rien de ce qu'ils font, car ils sont sous le serment. M. le premier syndic leur a fait dire qu'on verrait de bon œil qu'ils fissent une visite aux députés de Berne. Les compagnies assemblées leur donnèrent charge d'y aller, à condition qu'ils n'entreraient dans aucune négociation. Ils le firent, car ce ne fut qu'une visite de com- pliments, dans laquelle nos députés reçurent force caresses. Avant l'arrivée de ces messieurs de Berne, le bailli de Nyon faisait arrêter tous nos citoyens, les questionnait et les me- naçait de les mettre dans la tour. Quelquefois même il les faisait conduire par deux fusiliers hors des terres de Suisse. Tout cela a fini dès que les Représentants ont été ici. On a trouvé sur les soldats de la garnison beaucoup de munitions, et, ce qu'il y a de plus affreux, c'étaient presque toutes des balles mâchées. i. n'étaient l'avoyer Isaac Steiger et Louis de Watteville, ancien banneret et commandant du pays de Vaud. 165 » On dit que tous les Suisses ont ordre de se tenir prêts au premier commandement. » Aux ministres qui ont pris les armes il faut ajouter Ro- cheraont, Pictet. Chevalan jeune. Joly, Bourlamaqui. Me- jonnet et autres que je ne connais pas. Sai ra/iii-le-Jeune g "y serait bien trouvé, mais on ne le laissa pas sortir de Saint- Gervais, et l'on alla chez lui où l'un trouva si\ fusils chargés à balle. Un jour de la semaine passée, comme il allait faire le prêche, M. Miget, le père, L'arrêta aux Rues-Basses et lui demanda s'il n'avait pas deux pistolets dans chacune de ses poches. Tous ces ministres qui ont pris les armes ne lais?ent pas que de prêcher, et cela me passe comment ils peuvent se présenter devant Dieu. Encore hier, comme il fallait se présenter à la table du Seigneur, nous avons été beaucoup qui nous sommes abstenus de communier. On a renvoyé le Jeûne. Messieurs les Représentants île Zurich sont arrivés hier au soir1. Nos députés doivent aller leur faire une visite qui ne sera que comme l'autre, c'est-à-dire de compliments. Dans ce moment, le capitaine Du Jerdil \ient d'arriver pour donner avis qu'on avait fait battre la caisse dans le Mande- ment. Sur-le-champ, le commandant, qui est Masson, notre sergent, est parti pour voir ce que cela pouvait être. On di- sait que le comte Montréal avec lesLullin, Pelissary et autres chefs du parti, étaient aux environs.- J'espère qu'on va as sembler les compagnies et qu'on verra à quoi on en est. Dieu veuille nous donner sa bénédiction, afin de ramener la paix dans cet État qui souffre depuis si longtemps ! Je vous écris les larmes aux yeux en pensant à la manière dont il nous a protégés. » « Le 6 septembre 1737. » Le 3 du courant, nos députés firent assembler les com- I . Le bourgueuiestre Jean Hoffmeister et Jeau-Gaspard Escher, stat- halter. 166 pagnies, à sept heures du matin, pour leur faire lecture du règlement auquel ils ont travaillé durant huit jours. Il y a soixante- quatre articles, auxquels on donna son approba- tion presque tous d'une commune voix II y eut pourtant des compagnies qui restèrent jusqu'au soir à délibérer. Le dit règlement a été porté par nos députés au Conseil, et on lui accorda huit jours pour délibérer. On ne cédera rien de ce qu'on demande. Allez chez M. François Lefort, rue Neuve- Saint- Eustache, et vous verrez ce même règlement que M. Lantelme lui a envoyé par le 'courrier de ce jour. A l'égard de la caisse qu'on avait fait battre, cela n'a rien été. On n'a pas renvoyé le Jeûne, comme on avait dit. Chaque jour on découvre des ministres qui avaient pris les armes. Voici ceux que je ne vous ai pas indiqués : Grenus, Trembley, Jalabert, Mallet. J'avais oublié de vous dire que le lende- main de la prise d'armes on devait tirer le prix franc à la Coulouvrenière. On a fait M. Grenus seigneur commis. C'était ce jour-là que devaient être exécutés les mauvais desseins de nos ennemis. Par toute la Suisse on continue de nous calomnier. J'ai reçu avec autant de plaisir que de reconnais- sance la lettre de notre cher Delrieux J'en ai fait lecture à ceux qui ont été au Perron avec moi, ensuite au cousin Deluc, à nuire père et à la commission. Je suis chargé par les uns et les autres de le remercier de cet excellent esprit qui l'anime. Je vous envoie les dépositions de Clerc, l'orfèvre, de Jean-Pierre Durovray et de Jean-David Diedey, officier de la compagnie Gallatin, qui ont été maltraités à l'Hôtel -de- Ville. Je n'ai rien négligé pour vous rapporter fidèlement les choses. Les autres relations qui courent sont de gens qui, au premier mouvement qu'ils virent, allèrent se cacher. >» « Le 27 septembre. » J'ai le chagrin de vous annoncer que tant de peines, que 167 nos députés ont prises, sont inutiles jusqu'à présent, à cause du grand nombre de nos ennemis. Pendant qu'ils travaillaient de concert avec les magnifiques Conseils 'les Vingt-Cinq et des Deux-Cenl>, et qu'ils obtenaient tons les articles que nous avions demandés, ces ennemis du dedans ei du dehors tra- vaillaient, de leur côté. ;'i détruire ce qu'on obtenait. Il> n'y oui que trop bien réussi. Il 5 a douze joui- que les Conseils avaient nommé neuf de leurs membres pour finir aimable- ment avec nos députés. Geux-rci étaient fort contents des propositions de ces neuf commissaires, mais comme ils n'a- vaient pas le pouvoir de conclure, ils résolurent d'assembler le- compagnies. Sur ces entrefaites, M. le Résident de France reçut, le lu courant, un courrier extraordinaire du roi. son maître, avec une lettre de M. Amelol. datée du 15, par la- quelle Sa Majesté offre -a médiation de concert avec les louables cantons de Zurich et de Berne. Le même jour. Al. le Résident Ht appeler chez lui nos trente-quatre députés, et il leur communiqua la dite lettre. Ainsi tombèrent les propo- sitions de- oeuf commissaire . » Le samedi 21, nos députés firent assembler les compa- gnies pour leur demander les pouvoirs nécessaires atin de terminer. On les leur donna. Le même jour, le Conseil des Vingt-Cinq acceptait la médiation du roi. et lundi 25 courant, cette résolution tut portée au Conseil des Deux-Cents qui l'accepta aussi. Mon père avec quelques bons citoyens furent le malin au Conseil, avant qu'il prit cette résolution. Ils le prièrent de linir cette affaire de Genevois à Genevois, attendu qu'elle ne devait point regarder les Puissances, et qu'il était dangereux de les voir intervenir ainsi dans nos démêlés do- mestiques. Rajouta : «Si vous ne finissez pas sans médiation, nous nous en lavons les mains. » La médiation n'en lut pas moins acceptée. Nus députés représentaient à ceux qui trou- vaient cela mauvais, qu'ils avaient ordre des compagnies d'en 168 finir. Une fois la médiation acceptée, le Conseil nomma les neuf mêmes députés qui travaillèrent avec les nôtres le lundi et le mardi. Ils finirent le mardi au soir, et le mercredi matin les compagnies furent assemblées pour donner leur approbation à ce qui avait été résolu. On approuva tout d'une commune voix, mais comme nos députés voulurent aller chez le Résident de France pour lui annoncer cette résolu- tion et le remercier, il refusa de les recevoir et persista à vouloir la médiation du roi. Le Conseil des Deux-Cents étant assemblé, il lui fit la même déclaration, et ainsi il n'y eut pas moyen d'en finir. Nos députés, après être restés sept heures à la Maison-de-Ville, voyant que les Deux-Cents se ran- geaient à la médiation, bien que tout fût accommodé depuis le mardi, et qu'un Conseil Général eût été arrêté pour le jeudi, firent de nouveau assembler les compagnies et leur représentèrent le danger qu'il y aurait de ne pas accepter aussi cette médiation. Le plus grand nombre des compagnies s'y rangea, bien que celle des canonniers ne voulût point en entendre parler ni passer aux suffrages, affirmant avee rai- son que ce n'était qu'en Conseil Général qu'on pouvait donner une telle approbation. Pendant ces débats, MM. les députés de Zurich et de Berne firent imprimer et distribuer un Mémoire dans lequel ils déclaraient qu'ils voulaient qu'on acceptât la médiation du roi. Le Résident en fit aussi dis- tribuer un dans le même sens, où il tance nos députés et parle très-haut. » « Lundi 14 octobre 1737. » Le 27 du mois passé, nos députés firent assembler les compagnies pour les remercier de la charge dont elles les avaient honorés, ajoutant qu'il n'était pas convenable qu'il y eût des députés jusqu'à ce que le médiateur de France fût 169 arrivé. Là-dessus, grand débat. Notre compagnie, entre au- tres, ne voulut jamais donner décharge à ses députés, qui étaient MM. MomhardetPallard. Comme les esprits s'échauf- faient, on leva la séance, et le lendemain, considérant que toutes les autres compagnies axaient donné décharge, nous la donnâmes aussi, mais bien à contre cœur. Ainsi nous n'avons plus de députés, jusqu'à l'arrivée du comte de Lau- trec, qu'on attend mercredi ou jeudi prochain. » Le Résident et les représentants de Zurich et de Berne ont fait distribuer un nouveau mémoire, par lequel ils vou- laient que la bourgeoisie mit bas les armes, mais ils n'ont pu y réussir. Nous voilà de nouveau dans les chagrins et les inquiétudes. M. le premier (syndic), ce brave homme, fit appeler chez lui quatre de nos ci-devant députés, un par régiment, et leur dit que le Conseil souhaitait de pouvoir entretenir nos députés. Ils répondirent qu'il n'y en avait plus, qu'ils avaient remis leur commission, comme il le savait fort bien. Il insista pour qu'on avertît tous ces mes- sieurs, qui étaient ci-devant députés, de se trouver tous en conseil, à quatre heures, le lundi 7 du courant. Ils s'y ren- dirent tous. Le Conseil leur communiqua que l'intention de M. Amelot était qu'on remît la garde des portes au Conseil, insistant fort là-dessus. Mais nos messieurs leur répondirent avec toute sorte de fermeté et de sagesse qu'ils aimeraient mieux perdre la vie que de consentir à de telles propositions. M. Mallet me dit que M. Marcet avait fait merveille en cette occasion, et que lui aussi avait fort bien répondu. Comme les imprimés en question avaient fait quelqu'impression sur cer- tains natifs et habitants, il y en eut qui ne voulurent pas monter la garde. On s'en plaignit à M. l'ancien syndic Bar- thélémy Gallatin, colonel d'un régiment, qui ordonna que l'on pût immédiatement prendre des effets chez ceux qui ne voudraient pas monter la garde. C'est ce qu'on exécuta mer- 170 credi, chez un récalcitrant, et. depuis lors, il n'y a plus eu de refus de monter la dite garde. » Mercredi 8, M. le premier fit encore appeler chez lui quelques patrimoniaux, pour les questionner et savoir d'eux s'il n'y aurait pas moyen d'assembler les compagnies pour leur proposer de remettre la garde des portes. M. Gevray, qui est de notre compagnie, lui dit que pour rien au monde il n'oserait se charger d'une telle commission ; qu'il connais- sait trop bien les citoyens pour leur parler de cela, et qu'en son particulier, il n'y donnerait jamais la main. » Le vendredi 11, le Conseil fit appeler de nouveau les quatre mêmes députés qui avaient été chez M. le premier syndic. MM. Marcet, Lombard et Viridet s'y rendirent. Le syndic insista de nouveau pour qu'on mît bas les armes. M. Marcet nous «lit que M. Lombard avait fait merveille: et, quand le Conseil vit leur fermeté et leur sagesse, il leur montra une lettre de Sa Majesté (qu'il avait déjà reçue le jeudi), et qui porte que les choses doivent rester ce qu'elles sont jusqu'à ce que M. le comte de Lautrec soit arrivé. Voyez donc que de tentatives pour nous faire mettre bas les armes ! » Il y a eu hier huit jours, c'est-à-dire le dimanche 6 du courant, les sieurs Picot et Plince, condamnés pour l'affaire du corps-de -garde de l'Ile, ont subi leur jugement. Ils sor- tirent de prison, et, le lendemain 7, il leur fallut sortir de la ville, sous peine de la vie, ce qu'ils exécutèrent. » On se dispose à faire tous les honneurs à l'arrivée du médiateur, M. le comte de Lautrec. Pour cet effet, il y a déjà quatre compagnies bourgeoises de commandées, deux du régiment de Saint-Gervais et deux du nôtre, avec ordre de se tenir prêt pour mercredi ou jeudi prochain, en habit gris d'uniforme, chapeau bordé et bas blancs. On se pique fort d'être tous bien propres : presque tous les officiers ont fait 171 des habits neufs, ainsi que quantité de marchands et autres Les gants blancs sont aussi commandas. » Le cousin Deluc nie charge de te dire que notre mémoire esi tout prêt et que vous en serez très-content. Il est fort clair, et la constitution de notre Conseil général > est fort bien établie. Dès qu'il aura été remisa IL le comte de Lau- trec, on vous en enverra une copie à Paris, et on le fera im- primer. C'est beaucoup mieux qu'il n'ait pas paru plus tôt, parce que nos ennemis n'auront plus rien à dire'. • « Genève, le mercredi 23 octobre 1737. Les mouvements par lesquels notre chère patrie est con- tinuellement agitée doivent bien faire penser à tous mes concitoyens et à moi, que si le tout-Puissant ne nous regarde pas d'un œil favorable et propice, on ne peut dire ce qu'elle deviendra. C'est pourquoi adressons-lui nos prières. Lui seul ne nous abandonnera point, car on voit aujourd'hui combien peu il faut compter sur les hommes, tant ils sont faux à eux- mêmes et mobiles. » Avant-hier, qui fut lundi 21 du courant, les compagnies nommèrent deux députés dans chaque compagnie, suivant l'ordre que le Conseil du Vingt-Cinq avait donné aux patri- moniaux. Le même jour, à deux heures après midi, ils furent se faire connaître en Conseil. Nos députés demandèrent acte, 1. Mémoire instructif caressé, par Ut bourgeoisie de Genève, au très-illustre et très-exceUent seigneur M. le comte tic j.tiutrec, lieute- nant-général du roi en la province de Guienne, maréchal des camps et armées, plénipotentiaire (i Genève de la part de Sa Majesté tris- rhrétirnne. Ce mémoire est aussi adressé, par contre-coup, aux représentants de Zurich et de Berne; mais leurs noms ne figurent dans la dédicace qu'en seconde ligne et en petits caractères. 172 mais les Conseils ne voulurent l'accorder qu'à de certaines conditions, savoir qu'ils ne présenteraient au comte de Lau- trec que de très-respectueuses représentations. Nos députés voulaient, comme de juste, que l'on mit seulement que nos griefs seraient présentés. Ils se quittèrent comme cela. Ils furent ensuite, à trois heures, chez M. le comte de Lautrec pour lui faire la révérence et le compliment dont ils étaient chargés par les compagnies. M. Marcet, qui était chargé de cela, lui fit un magnifique discours. Ils voulurent ensuite entrer en matière. Mais M. le comte de Lautrec leur dit d'a- bord qu'il ne recevrait aucune proposition que préalable- ment nous n'eussions mis bas les armes, et que telle était l'intention du roi. Nos députés eurent beau lui donner d'ex- cellentes raisons et se prévaloir de notre convenant avec le magistrat, le 22 août, fait en présence de M. le Résident de France. Il leur répondit : « Vous avez fort bien agi par le passé, je loue même la sagesse de la bourgeoisie; mais, pour- le présent, vous devez déférer aux ordres du roi. Voulez-vous tirer la baguette avec lui ?» Nos députés, voyant qu'il n'y avait pas à résister, représentèrent néanmoins qu'il n'y au- rait plus aucune sûreté, ni pour la généralité ni pour les particuliers, et qu'il devait se rappeler 1707. Il répondit en- core qu'il connaissait bien ce qui s'était passé alors ; mais qu'il répondait de tout sur sa tête et qu'il nous donnait parole de roi, ce qui était tout dire. « J'aime la bourgeoisie, ajouta-t-il, et elle sera contente de moi. Qu'elle vienne me trouver, et je recevrai et écouterai avec bien du plaisir de- puis le plus petit jusqu'au plus grand. Mais à l'égard des armes, il faut les poser, car l'honneur du roi y est inté- ressé. Je ne voudrais pas pour deux millions que vous refu- sassiez de le faire. » » Nos députés se rendirent chez MM. les représentants de Zurich et de Berne, après avoir bien réfléchi à ce que le 173 comte de Lautrec leur avait 'lit. Ils conseillèrent aussi de remettre la garde des portes. Les députés n'insistèrent plus, et travaillèrent à faire accepter cette condition à la bour- geoisie. Les temporisëurs et les marchands tirent de leur côté les mêmes efforts. Hier, qui fut mardi 22 du courant, les compagnies furent assemblée», à 9 heures du matin. Les députés nous représentèrent le danger qu'il y avait à se roidir. Il y eut de grands débats. Plusieurs compagnies refu- sèrent. D'autres n'étaient pas au complet. Dans la nôtre, qui est toujours de quatre-vingts hommes, il y eut trente -huit voix pour l'approbation et dix pour la rejection. Beaucoup de citoyens, très-chagrins de ce qui se passait, n'avaient pas répondu à l'appel. Il y eut deux compagnies de Saint- Gervais, trois de la ville et celle des canonniers qui refusè- rent en plein. Néanmoins on rassembla toutes les voix, et la ligne d'approbation l'emporta de quelques suffrages. Dans l'après-midi, ce résultat fut communiqué au comte de Lau- trec. » La garnison croyait déjà de monter la garde hier, et plus de deux cents soldais étaient à cet effet à la Maison-de- Ville. Les compagnies bourgeoises y montèrent de leur côté, un moment avant midi, comme de coutume, pour tirer au sort. Après cette opération, chaque compagnie se rendit à l'endroit marqué par le sort. Le régiment de Saint-Gervais eut celui de rester à l'Hôtel-de-Yille. Le conseiller Rilliet était a?ec plusieurs de nos officiers bourgeois. Ceux-ci, \o\;int que les militaires de la solde restaient, les prièrent de >e retirer de devant le corps-de-garde. Il y eut quelques paroles, car ils murmuraient en disant que c'était à eux de monter la garde. Ces scélérats de soldats eurent même la hardiesse de crier aux armes. D'ahord, nos gens voulurent faire feu dessus, mais ils agirent de prudence et ne tirèrent pas. Le comte de Lautrec, s'étant aperçu de tout ce bruit, se 174 rendit sur-le-champ à la Maison-de- Ville et donna ordre à nos gens de se saisir de tous les soldats qu'il y avait là et rte les conduire en prison. En effet, on y en conduisit dix-huit, qui sont encore enfermes. » Nos députés se rendirent ensuite chez le comte de Lau- trec, et lui exposèrent qu'en effet on avait délibéré de re- mettre la garde des portes, mais qu'on retirait sa parole à cause des manœuvres de la garnison. Le comte les pria de rassembler incessamment les compagnies et d'obtenir la re- mise de la garde, disant qu'il répondait de tout. Les compa- gnies turent en effet réunies hier soir; on accepta la remise, et. aujourd'hui mercredi 23 octobre 1737. c'est la garnison qui est aux portes ! » « Le 2 décembre 1737. » Je continue à vous instruire de ce qui s'est passé dans notre chère patrie. A l'égard des soldats mis en prison, cela est allé en fumée. Depuis lors est venue une publication qui attaque fort l'honneur de la bourgeoisie. On en fit des plaintes à nos députés et au comte de Lautrec. Celui-ci dit que tout cela s'effacerait par l'édit de pacification qui devait se faire dans peu Cette publication défendait de parler davantage de goujons, et je puis vous prolester qu'on en parle bien da- vantage aujourd'hui. Il s'est même fait diverses chansons là- dessus. Chacun les chante, du plus petit ^u plus grand. De leur côté, ces goujons s'entretiennent toujours ensemble, à cela près que quand ils passent par les rues, ils n'osent pas lever le nez. On les siffle et on les senaille. C'est toujours chez eux la même ambition, la même aigreur, la même envie. Il faut le dire, ils sont terriblement poltrons. Quand on reproche à nos gros de s'être associés avec les plus basses et les plus infimes créatures, ils ne savent que répondre. On 175 lit pas où se tient le comte de Montréal. Le soir de l'é- lection lin lieotenanl '-i des auditeurs, la médiation jugea à propos qu'il n'y eût à la Maison- de-Ville ni compagnie bourgeoise ni autre. Cela était pourtant contraire à un édit solennel, fait il y a quelques années, A dire vrai, nous n'avons en jusqu'ici que des paroles el rien de solide. Nos dépotés D'oui pas été depuis pir- d'un mois chez lis Représentants d»' Zurich cl de Berne, parce qu'ils en avaient été mal reçus. Tins les jours il s'en rend quelqu'un chez M. le comte de Lautrec. Avant hier M. l'ancien svndic Lefort reçut une lettre fort gracieuse de S. Km. M. le cardinal de Fleury. Le cousin de Luc, qui fut hier chez M. «le Lautrec. apprit cela de lui, el les petits-maltrea en onl été fort capots. Le comte et M. Le- forl mit été compères à M. Marcel. Cela a donné un furieux soufflet à M. Grenus, premier syndic. • Le lieutenant, qui est M. Gallatin, avait donné permission a plusieurs goujons de faire citer et appeler plusieurs de nos citoyens qui avaient été chez eux pour prendre des armes, le -21 août dernier. Ces armes, à mesure qu'on les prenait, étaient apportées aux compagnies. Il est vrai qu'il s'en est égaré quelques-unes, mais cela De pouvait être autrement, mi qu'avec ces armes on armaii dans les compagnies ceux qui n'en avaient point. Le lieutenant voulait cependant faire payer ces armes à ceux qui les avaient prises, mais sans en avoir profité, et pour les remettre à d'autres. Comme si l'on n'était pa- convenu que tout ce qui s'était fait et passé les 21 et -2-2. devait être mis en oubli I Tous les honnêtes gens qui avaient eu de ces armes s'étaient déjà empressés de les rapporter aux compagnies, el elles avaient été- rendues à qui de droit. Noua portâmes plainte de cela à M. de Lautrec. qui envoya M. Gauffecourt pour dire au lieutenant qu'il n'était point dans -a compétence de < Du 10 mai 1738. • Enfin, avant-hier, Pédit de médiation a été porté au peuple, et, après le discours du premier syndic Calandrini, il a été accepté par mille trois cent et seize voix contre trente-neuf qui le rejetèrent. Je ne dis plus rien, puisque cela est accompli. On assure que Trembley va rentrer, ainsi que Micheli-Ducrêt, que Lenieps, Plince rentreront, mais que Picot ne rentrera pas. Dieu veuille toujours protéger notre chère patrie ! M. le comte de Lautrec et Messieurs de Zurich et de Berne assistaient au Conseil Général, qui fut à huit heures du matin dans le temple de Saint-Pierre. Pendant que M. Turettini, le secrétaire d'État, faisait lecture de l'ou- vrage de la médiation, une cigogne faisait trois fois le tour de l'église. Il y aurait eu bien plus de voix pour la réjection, si le cousin Deluc ne s'était pas donné beaucoup de peine pour faire approuver Pacte de médiation, disant qu'il n'était pas autant à notre désavantage qu'on le croyait; qu'il n'y avait que l'article des magistrats dégradés, qui fut mauvais 12 178 pour nous. Au premier jour vous verrez le dit ouvrage im - primé. Pour moi, il me semble que nous sommes bien gênés, et que cet article des dégradés est tout-à-fait à notre dés- avantage. On sortit du Conseil Général à dix heures et trois quarts, et d'abord qu'on fut dehors, il y eut une prière d'ac- tions de grâce. Elnfin, une fois la prière finie, on lit trois dé- charges de canon de soixante-deux pièces chaque fois. Point de parti ne parut, à vrai dire, joyeux. Nous fîmes bien quel- ques parties de souper, mais cela n'était ni considérable ni gai. Toutefois, espérons en la Providence et attendons avec foi et résignation ses décrets t Arnen » Les vœux de l'auteur de cette narration furent accomplis, autant du moins que nous pouvons attendre, dans ce monde imparfait et misérable, de voir exaucer les prières que nous adressons à Dieu dans un but particulier, pour nous ou pour notre patrie. On sait, en effet, que le quart de siècle qui suivit la médiation de 1738 fut pour Genève une ère de prospérité et de calme sans exemple. Les plaies de la guerre civile se cicatrisèrent comme par enchantement, et le commerce et l'industrie avaient repris un vaste essor, quand éclatèrent de nouveau, vingt -un ans après, les troubles de 1765 suivis de l'intervention des puissances garantes, entre autres de la France, représentée par le chevalier de Beauteville. L'éditde pacification de 1 738 avait porté tous ses fruits, mais son action était usée, et elle avait fait son temps lorsqu'arrjvè- rent ces dernières complications. Cetéditavaitrégularisé l'ac- tionjusqu'alorsdésordonnéede ladémocratie. C'était unesorte de puissance tribunilienne que les médiateurs avaient confiée an Conseil Général. « Vous pouvez lotit, disait Lautrec aux citoyens, dès que, sans vous., on ne pourra rien changer, ni in- nover. » Les citoyens n'avaient en effet aucune initiative, mais ils avaient le droit de refuser les lois et les magistrats m que le Conseil Exécutif leur présentait. On sait comment, par leur persistance à user de ce droit et à refuser systématique- ment tous ceux qui leur étaient présentés comme magistrats, ils amenèrent le gouvernement à de nouvelles concessions et à l'édit de 1768, qui eut au inoins cela de bon qu'il fut l'ouvrage des citoyens eux-mêmes, la médiation des puis- sances étrangères n'ayant été cette fois qu'indirecte. --S'<^*3^4Rf'#*-' là G® (DR 11 tiilS SBf ET L'ÉTAT DE LA FRANGE A LA Fiji DU XVIIe SIÈCLE PAR ÉzécMiel SPASTHEOI. Ézëchiel Spanheim a été plus connu jusqu'ici comme phi- lologue et comme érudit que comme diplomate. Sa vie de savant et ses livres d'érudition sont appréciés, mais sa car- rière politique est restée dans l'ombre. Cependant il eut aussi, sous ce rapport, une supériorité réelle, et il a exercé une véritable influence dans des circonstances importantes, entre autres pendant les années qui précédèrent immédiate- ment la révocation de l'édit de Nantes. Né à Genève en 1629, du fameux théologien Frédéric Spanheim et d'une mère qui descendait de l'illustre Guil- laume Budé, le jeune Ézéchiel passa avec son père à l'Aca- démie de Leyde en 1642. Là, il cultiva l'amitié de Saumaise et de Heinsius, et publia ses premiers ouvrages. Nommé 481 gouverneur du fils de l'électeur palatin, Charles-Louis, il se mit à étudier le droit public de l'Allemagne, et fut envoyé par ce prince en Italie pour surveiller les intrigues des élec- teurs catholiques de l'empire auprès du saint-siége. Il vit alors de très-près la fameuse Christine de Suède, à laquelle il dédia sa première dissertation sur les médailles antiques. De retour à Heidclberg, résidence de l'électeur, Spanheim ne cessa plus d'être employé aux affaires les plus difficiles, sans que sa passion pour l'élude soutînt de ses devoirs diplo- matiques. « Il est surprenant, dit Niceron, qu'en faisant les fonctions de ministre public, il ait trouvé assez de temps pour faire les ouvrages qu'il a publiés. On peut dire de lui qu'il s'est acquitté des devoirs dont il a été chargé comme aurait fait un homme qui n'aurait eu autre chose en tête, et qu'il a écrit comme un homme qu aurait pu employer tout son temps à écrire dans le cabinet. » Saint-Simon, dans ses mémoires (à l'année 1710), rend aussi justice au double mérite de Spanheim. «Il était, dit-il, très-connu dans la répu- blique des lettres, et il ne l'a pas été moins par ses négocia- tions et ses emplois. Il mourut à quatre-vingts ans, à Lon- dres, avec une aussi bonne tête que jamais, et une santé parfaite jusqu'à la fin. Il avait été à Paris envoyé de l'élec- teur de Brandebourg, et il passa en la même qualité à Lon- dres, lorsque les affaires se brouillèrent sur la succession d'Espagne. » En effet, quand la colère de Louis XIV éclata d'une ma- nière si terrible contre le Palatinat, le malheureux électeur Charles -Louis dut céder Spanheim à l'électeur de Brande- bourg, Georges-Guillaume, mieux en position que lui de sou- tenir les intérêts des princes protestants de l'Allemagne. En 1680, notre savant vint à Paris avec le titre d'envoyé extra- ordinaire, et pendant neuf années il ne sortit de France que deux fois, la première pour aller recevoir à Berlin la diguité 182 de ministre d'État à l'avènement de l'électeur Frédéric- Guillaume, et la seconde pour aller complimenter Jacques 11 sur son avènement. Après cette longue ambassade, Span- heim quitta la cour de France, quand la guerre recommença entre Louis XIV et l'empire. Mais il y revint après la paix de Ryswick, et il y resta jusqu'à la guerre de la succession d'Espagne. Alors il fut envoyé à Londres par l'électeur Fré- déric, devenu premier roi de Prusse en 1701, pour repré- senter celte puissance auprès de Guillaume d'Orange, devenu roi d'Angleterre. Il mourut en 1710, et il fut inhumé à Westminster. Pendant ses deux ambassades en France, Spanheim avait composé des mémoires sur la cour de Louis XIV et sur les affaires du temps, pour l'instruction de ses deux neveux, Frédéric et Louis Bonet, d'une ancienne famille genevoise (qu'il ne faut pas confondre avec celle du naturaliste), et qui l'un et l'autre furent, après lui, ministres de Prusse à Lon- dres. Dans ces mémoires, restés inédits et dont nous possé- dons le manuscrit autographe, le savant et judicieux Span- heim se rendait un compte exact et tidèle du caractère, des mœurs, de la capacité, des vertus et des vices des person- nages avec lesquels il était en contact, Il y résumait aussi les rapports et les notes qu'il transmettait à sa cour. Il appor- tait dans ce travail une telle exactitude, que le volume, qui est un fort in-folio, est terminé par un tableau complet et très-ample du personnel de toute la cour de France , depuis le roi jusqu'au dernier duc, avec des signes particuliers représentant les bonnes et les mauvaises qualités des per- sonnages1. Les appréciations de Spanheim sont un mélange 1. A côté de chaque nom, Spanheim inscrit les alliances du person- nage, le nombre de ses enfants, les remarques particulières sur son caractère. Ainsi, à l'article du duc de Chartres, qui fut depuis le ré- gent, on lit : Savani, curieux, connaisseur et brave. A côté du nom 1S3 de précision et de Familiarité, de retenue cl d'abandon. I! est bien de son époque. Son français est celui du grand siècle, et on peut dire qu'il ne le cède en rien à plusieurs bons écrivains du temps pour la finesse, la justesse, la sobriété des expressions. Voici, par exemple, comment il fait le por- trait de Racine : . M. de Racine a passé du théâtre à la cour, où il est de- venu haVile courtisan, dé?ol même. Le mérite de ses pièces dramatiques n'égale pas celui qu'il a eu de se former en ce pays-là où il fait toutes sortes de personnages, où il compli- mente avec la foule, où il blâme et crie dans le tête-à-tête, où il s'accommode à toutes les intrigues dont on le veut mettre; mais celle de la dévotion domine chez lui ; il tâche toujours de tenir à ceux qui en sont les chefs. Le jansénisme en France n'est plus à la mode (4680), mais pour paraître plus honnête homme, et pour passer pour spirituel, il n'est pas fâché qu'on le croie janséniste. On s'en est aperçu, et cela lui a fait tort. Il débite la science avec beaucoup de gravite . il donne ses décisions avec une modestie suffisante qui impose. Il est bon grec, bon latin; son français est le plus pur. quelquefois élevé, quelquefois médiocre, et presque toujours rempli de nouveauté. Je ne sais si M. de Racine s'acquerra autant de réputation dans l'histoire que dans la poésie, mais je doute qu'il soit tidèle historien. Il voudrait bien qu'on le crût propre à rendre service, mais il n'a ni la volonté ni le pouvoir de le faire. C'est encore beaucoup pour lui que de se soutenir. Pour un homme venu de rien, il a pris aisément les manières de la cour. Les comédiens lui eo du duc de Roquelaure soul les signes qui signifient : Beaucoup d'es- prit, débauché, peu riche, brave homme, estimé de tout le monde. A l'article da duc de Saint-Simon "v prit, qu'elle s'en acquittait par pure déférence de ce qu'on exigeait d'elle. Elle l'a témoigné aussi, dans toute la suite de sa conduite, par le peu de bigoterie qu'elle a fait paraître, et par divers dis- cours et usages peu conformes aux sentiments et à la pratique d'une véritable convertie. Pour la personne de Madame, elle apporta en France, avec l'âge de dix-neuf ans, une taille belle cl libre, un port dégagé, un air ouvert et aisé, un visage qui, sans avoir les traits d'une beauté délicate et régulière, ne laissait pas d'avoir de l'agrément, de la noblesse et de la douceur. Elle y joignait des manières tranches, libres, honnêtes, éloignées entièrement d'alïectation et d'artifice; d'ailleurs, elle était peu portée à vouloir plaire par sa parure ou le grand soin de son ajustement. On s'aperçut bientôt qu'elle avait le meilleur cœur du monde, droit, sincère, sensible à l'amitié pour les personnes qu'elle en jugeait dignes, avec une considération particulière pour les gens de son pays et de sa nation. D'ailleurs, elle était insensible à ces commerces et attachements assez ordinaires â la cour. On ne lui en vit même de véritable et auquel elle prit un goût 188 particulier que pour les parties de chasse, où elle accompa- gnait toujours le roi, et faisait également paraître son adresse, sa vigueur à courre le cerf durant un jour entier. On a voulu tourner en ridicule ses actions et ses discours. On a voulu même décrier sa conduite auprès de Monsieur, et la lui rendre suspecte par l'endroit où elle paraissait le plus à couvert, jusqu'à prétendre qu'elle fût capable de quelque penchant ou considération pour un gentilhomme de la cour, nommé le chevalier de Sainssans, qui était grand écuyer du prince de Condé et officier dans le régiment des gardes du roi. Quoique tout cela n'eût aucun fondement légitime, Ma- dame n'en fut pas moins outrée. Cette bonne princesse a donc eu le malheur de se voir- exposée à des déplaisirs sen- sibles qui aussi, quelque bonne mine qu'elle tâche de faire, ont troublé et troublent tout le repos et toute la douceur de sa vie. A quoi se sont joints en dernier lieu ses regrets et ses larmes pour la cruelle désolation du pauvre Palatinat, de l'ancienne demeure de ses ancêtres, où elle avait pris nais- sance, sans avoir pu rien faire pour les détourner, et au contraire, voyant pour surcroît d'affliction que ses droits prétendus servaient malheureusement de prétexte, ainsi qu'elle m'a fait l'honneur de me le témoigner plus d'une fois avec toutes les marques d'une douleur extrême. Elle a même eu le malheur, pour comble de ces infortunes, qu'elle supporte néanmoins ou dissimule comme elle peut, de voir diminuer la considération particulière que le roi avait eue assez longtemps pour elle. Il n'y a guère d'apparence que sa condition devienne plus heureuse avec le temps, ou que Monsieur change d'inclination et de conduite à son égard, ou que le roi, incapable de retour dans ses premiers sentiments, quand il les a une fois quittés, lui redonne toute la même considération qu'il avait témoignée assez longtemps pour elle. » 489 On comprend que le portrait de Louis XIV occupe une grande place dans les Mémoires de Spanheim. L'envoyé de l'électeur de Brandebourg nous parle longuement de la constitution du prince, de ses qualités personnelles et de ses défauts. Le chapitre de ses amours n'est pas oublié. On voit quel intérêt présentent les Mémoires de Span- heim, et nous croyons que la publication intégrale de ce manuscrit autographe, serait bien accueillie par tous ceux qui s'occupent de l'histoire du grand règne de Louis XIV, et aussi des Genevois qui ont à cœur toutes les illustrations de leur pays. §BS MTTS ffl OTSSB LA RÉFORME. =- -~-&'-7&&e*!Zr£l*—> On sait combien sont rares dans notre Suisse réformée les monuments plastiques plus anciens que le seizième siècle. La suppression du culte catholique et de ses pompes fut aussi celle des images soit peintes, soit sculptées ; c'est le sens de l'inscription qu'on lit encore dans la collégiale de Neuchâte) : « L'idolâtrie fut abolie de céans par les bourgeois. » Cependant, en dépit d'un zèle dont les traces ne se voient que trop aux portails et sur les murs de nos églises, quelques rares et curieux spécimens des arts du dessin et de la peinture avant la Renaissance reviennent de temps en temps en lumière. Ces monuments, exclusivement religieux, existaient en telle profusion dans les temps qui suivirent immédiatement le Moyen-Age, que le rigorisme le plus strict n'a pas pu tout anéantir, malgré sa durée. On aurait tort, en effet, de croire que cette destruction des peintures et des statues qui rem- plissaient nos couvents et nos églises, fût uniquement l'af- faire d'un moment, d'une fièvre bientôt calmée. On y revint à plusieurs reprises, et ce qui avait échappé à un premier destructeur fut enlevé par un second, qui agissait presque toujours avec un caractère officiel. 191 Voyez ce qui se passe a Genève, qui, dès le quatorzième siècle, avait un grand mouvement commercial, et dont le commerce n'était pas étranger aux arLs. On voit par d'an- cien.- neiMiM'monts que les artiste et les ouvriers exerçant àes professions de luxe \ étaient nombreux. Ses orfèvres, ses sculpteurs en bois, ses imagiers, avaient renom à cent lieues à la ronde. A la Réforme tout ce mouvement artis- tique s'évanouit, et les artistes se dispersèrent à Lyon, à Bourg, à Chambéry, à Grenoble, à Turin, etc. Kntre toutes les églises de Genève, celle de Saint-Pierre se distinguait par la magnificence et la profusion de ses ornements. « Klle » était, dit Bonivard dans ses chroniques, bien parée d'ha- • bits d'église, calices, reliquaires, chandeliers, parements • d'autels, images, et semblables choses; mais l'Évangile a » tout soufflé bas. « lin autre chroniqueur. S;ivion, en par- lant des sculptures qui décoraient l'ancienne façade de cette cathédrale, et qui furent alors brisées, ne peut s'empêcher de dire que «■ de cela eurent grand regret les gens d'esprit » et les amateurs d'antiquités. » Néanmoins, tout n'avait pas disparu. La Béformation, nous apprend Senebier, en effaçant les peintures qui ornaient les plafonds, avait respecté une belle figure de la Vierge peinte à fresque dans une chapelle, et quelques autres tètes très-remarquables. Mais, en 1643, le Conseil et la vénérable Compagnie des pasteurs arrêtèrent « de faire effacer les images qui se trouvaient encore à Saint- » Pierre, vu que les capucins v venaient faire leurs dévo- » tions. • Néanmoins, ce zèle religieux mal éclairé n'a pas seul amené l'anéantissement des objets d'art antérieurs à la Ré- forme. Deux autres causes y ont contribué : la cupidité et le mauvais goût. Les métaux précieux et les pierreries ei/traient pour beaucoup dans les ornements de nos églises. Le trésor de Saint-Pierre était cité pour sa richesse. Celui de Notre- 492 Dame de Lausanne ne le lui cédait pas, à en juger par les inventaires que nous avons de toutes ses dépouilles, où l'art et la matière luttaient à qui mieux mieux, et qui furent trans- férées de Lausanne à Berne après la conquête du pays de Vaud. Les douze apôtres d'argent, par exemple, qui ornaient cette belle église devaient être d'un poids et d'une valeur considérables, à en juger par les piédestaux taillés dans les murs qu'ort voit encore aujourd'hui. Les finances de certains cantons suisses ont donc été singulièrement améliorées par ces changements de destination de tant d'objets précieux consacrés au culte. Le mauvais goût aussi a fait disparaître, ou plutôt il a laissé perdre une foule de productions des arts, dont le grand tort était encore bien plus d'être gothiques que d'être pa- pistes. Quoiqu'il soit bien prouvé aujourd'hui que les Goths n'ont rien inventé en fait de style architectural, et que l'ogive, entre autres, n'a rien à démêler avec ce peuple du Nord, on a flétri durant plusieurs siècles de l'épilhète de gothique tout ce qui n'était pas au goût du jour, lequel n'était trop souvent que le mauvais goût. Au temps de la Renaissance, par exemple, alors qu'on cherchait à remettre partout en hon- neur les Grecs et les Romains, dans les arts comme dans les lettres, on donnait par mépris le nom de gothique à tout ce qui s'éloignait du style classique de ces deux peuples anciens. Les aristarques réussissaient ainsi à faire prendre en pitié tous ces monuments du moyen-âge qu'on voulait faire passer pour barbares en les attribuant à ces peuples de l'invasion, dont le nom était devenu synonyme de misère, d'ignorance et de brutalité. On mettait au rebut, on abandonnait aux vers des millions de meubles, de peintures, de sculptures et d'ornements, que le goût actuel, passé rapidement du ton du mépris à celui de l'admiration et de l'enthousiasme, paierait aujourd'hui des prix exorbitants. 193 Estimons-nous donc heureux quand de rares débris des âges anciens qui ont surnagé dans cette triple tempête viennent échouer sur nos rives et nous rappeler un autre culte, une autre organisation sociale, d'autres mœurs et d'autres goûts, qui furent toute la vie de nos pères. Ce discours nous est suggéré par un ancien tableau votif, provenant originairement d'une église de Genève (très-pro- bablement de Saint-Pierre), qui vient de rentrer dans sa ville natale après une émigration forcée de plus de trois siècles chez nos voisins de Savoie. Cette peinture réunit à un degré suffisant les deux mérites de la valeur intrinsèque comme art et de l'intérêt historique. Les connaisseurs s'ac- cordent avec les antiquaires pour la faire remonter à la se- conde moitié du quinzième siècle. Déplus, elle est très-bien conservée et n'a pas subi de restaurations dans les parties capitales. Ce tableau est peint à l'encaustique, procédé que les anciens connaissaient déjà et que la peinture à l'huile a rem- placé; il couvre un épais panneau de cbêne de plus de huit pieds de bauteur sur environ six de largeur Le bois est en- duit d'une légère coucbe d'un plâtre très-fin, sur laquelle la peinture a été appliquée. On peut voir en divers endroits que l'artiste avait tracé très-légèrement son esquisse avec une pointe avant de l'arrêter définitivement avec la couleur. On remarque le même procédé chez plusieurs peintres italiens du quinzième siècle et même dans les premiers tableaux de Raphaël. Le style de notre tableau est celui des artistes qui ont précédé immédiatement la Renaissance ; il est sec, mais singulièrement expressif, surtout dans les ligures. Tout le fond est revêtu d'une couche d'or, comme dans les peintures byzantines et lés premières peintures italiennes. Les divers compartiments qui occupent cette grande surface sont sé- parés par des ornements sculptés en bois avec délicatesse, et 13 (94 qui appartiennent au style gothique de la seconde époque. Ce sont des arceaux avec des festons, des feuilles déchi- quetées, des découpures en forme de compartiments flam- boyants et pointus. Tout en haut on lit l'inscription suivante, taillée profondément en forme de légende et tracée en ca- ractères gothiques : t hanc. tabvllam. fecit. fïeri. petrus rvp. civis. etmercator. gerenas. Al), s. s. Cette inscription est placée immédiatement au-dessus des images îles saints personnages auxquels le tableau est dédié. Un document récemment publié par M. le docteur Cha- ponnière dans les Mémoires de la Société d'Histoire et d'Ar- chéologie de Genève, est venu fort à propos nous édifier sur le compte du marchand genevois, dont la richesse permit à sa piété de consacrer une somme assez forte à cette peinture. On sait qu'en 1475, au plus fort des guerres de Bourgogne, Genève n'échappa à l'occupation et peut-être même à la conquête dont les Suisses la menaçaient que moyennant une imposition ou rançon de 26,000 écus d'or, grosse somme assurément pour cette époque. Afin de trouver ce capital, il fallut imposer aux bourgeois une taxe extraordinaire, et pour cela estimer la fortune immobilière et mobilière de tous les particuliers. L'original du travail de la Commission de taxation nommée à cet effet existe aux Archives de Genève, et M. le docteur Chaponnière vient de le publier1. 11 nous apprend que parmi les nombreux pelletiers ou mégissiers que cette ville comptait alors, figurait un certain Jem Hup ou de Hupl. Pelliparius, qui demeurait aux confins des quar- tiers de Sainl-Gervais et de la Corraterie. Ce dernier était particulièrement affecté aux tanneurs et corroyeurs (ce qui, l. Le résultat de l'évaluation des biens genevois fut de 385,426 fl. pour les immeubles, et de 122, 150 fl. pour les bieus meubles. A la vérité, quelques grosses fortunes du temps, comme celle des Versonay, trouvèrent moyen d'échapper à la taie. 195 pour le dire en passant, renverse Tétyroologie de M. Galiffe, qui veut que l'ancienne Corraterie fût ainsi appelée parce qu'on y faisait courir les chevaux. On y rourratait bel et bien leur cuir, mais on ne les y exerçai p Le Pierre Rup tic notre tableau paraît avoir été de la famille de Jean Rup do l'inventaire de 1475, probablement son père. Le fils, selon l'usage du temps, avait embrassé la " profession paternelle1. On voit au pied du tableau l'image du donateur, peinte avec tout le soin que l'on donne aux por- traits pour en assurer la ressemblance II est vêtu d'un man- teau de fourrure, et porte le costume des riches bourgeois du quinzième siècle. C'est la bonne figure, à la fois fine, in- telligente el cupide, d'un homme d'environ cinquante ans. Les images de saints el de personnages appartenant à l'al- légorie chrétienne sont superposées et réparties sur trois rangs. Leur grandeur diminue à partir de la ligne inférieure. Dans le bas, et tout à côté du donateur qui a ordonné le tableau, on voit saint Pierre, son patron, avec les insignes bien connus que lui assigne la légende dorée. La tête en est remarqua- blement, belle. Vient ensuite saint .Jean-Baptiste, autre figure très-expressive, où l'on peut reconnaître le type qui a servi à tous les peintres italiens, et particulièrement à Pierre Perugin, le maître de Raphaël. Le troisième personnage est un saint revêtu du riche costume épiscopal sous lequel on représente ordinairement saint Germain,, saint Nicolas, saint Augustin et d'autres évoques canonisés. Ce qui nous ferait croire qu'on a voulu peindre ce dernier, ce sont des carac- 1. tin Pierre Rup tlgore au nombre des Conseillers d'État de l':mnée 1410, de compagnie avec Pierre d'Aubères, Berthet, de Garro, etc. Le 10 janvier 1-H1 l'évêqoe de Génère, François de Mies, donne commis- sion à provide Pierre Rup, C. G., pour fixer le prix des espicet el aromates. L'épilhète de Provide n'était donnée qu'aux personnes de distinction, tels que les syudics et les conseillers. (Regisl.des Conseils,) 496 tères phéniciens tracés sur la couverture du livre richement orné de pierres précieuses qu'il tient dans l'une de ses mains, tandis que dans l'autre main on remarque une brosse de cheval ou étrille. L'un e! l'autre signe semblent pouvoir se rapporter à l'illustre prélat d'Hippone (aujourd'hui Bone en Afrique). Il ne faut pas oublier néanmoins que dans les figures de la légende des saints, Augustin tient ordinaire- ment dans sa main un cœur enflammé'. La quatrième figure est celle de saint Etienne, reconnaissable aux pierres, instru- ments de son martyre, que l'on voit dans sa main droite et sur sa tête. Cette tête est empreinte d'un sentiment de mélancolie que les peintres d'une époque postérieure ont bien rarement su rendre avec autant de vérité et de force naïve. Ces quatre figures ont environ quatre pieds de hau- teur. Les ajustements sont peints avec une conscience, an amour des détails d'autant plus remarquables que ces soins donnés aux parties secondaires ne détournent pas un instant l'attention que réclament tout d'abord ces belles têtes. Le terrain que foulent les pieds des saints est émaillé de fleurs, comme dans les tableaux italiens de celte époque. On dis- tingue dans la mîlre du saint évêque des soleils rayon- nants, que l'on dit avoir été les premières armoiries de Genève. Au-dessus de ces quatre figures principales sont quatre autre- images de saints et de saintes, mais seulement en buste et de la hauteur d'un pied environ : ce sont la sainte Vierge, tenant une légende déroulée sur laquelle on lit : Ecce ancilla domini et secundum verbum tuum; saint Antoine, recon- naissable à sa clochette et à son bâton en forme deT; sainte Catherine, tenant la roue, instrument de son supplice; et enliu un autre saint en habit pontifical. La ressemblance 1. L'étrillé ou la brosse est assez souvent le signe distinctif de saint ' Biaisé. 197 que l'on remarque entre cet évoque canonisé et celui qui est plus bas, tant dans l'air des têtes que dans l'attitude, pourrait induire à penser que l'artiste a voulu faire le portrait de l'évoque régnant alors et occupant le siège de Genève. Cependant celte interprétation se concilierait diffi- cilement avec la chronologie. Enfin, dans la partie supérieure du tableau, on voit planer au-dessus de tous ces personnages huit anges ailés et entourés de draperies fantastiques, jouant ête divers instru- ments. Cette peinture fut achetée il y a quelques années près d'Annecy, où elle ornait une église de campagne, par M. le marquis Léon Costa de Beauregard, le plus éclairé des ama- teurs d'art ancien et de littérature historique que possède la Savoie. Peut-être avait-elle été transférée là par le chapitre des Macchabées ou de Saint-Pierre de Genève, avec d'autres ornements d'église et avec les reliques, au moment où surgit la Réforme. M. de Costa, après l'avoir possédée quelque temps, vient de la céder par voie d'échange contre d'autres objets d'art à M. Kiïhn, antiquaire à Genève, dans le riche magasin duquel on a pu l'admirer longtemps. On disait que la cure catholique de Genève songeait à son tour à acquérir ce morceau remarquable, pour en orner la nouvelle église de Notre-Dame de Genève que l'on érige en ce moment. Ce serait un bizarre coup de la fortune qui rendrait à sa desti- nation primitive, après plus de trois cents années, ce monu- ment de la piété du marchand Pierre Rup. Parti forcément d'un temple catholique genevois, il rentrerait dans un autre temple du même culte et de la même ville, après avoir tra- versé l'ère de la réforme calviniste. Ce serait peut-être logi- que. Mais, à vrai dire, nous aimerions autant contempler ce tableau au Musée municipal, qui ne possède, en fait d'ancien art genevois, que les portes d'un rétable ou buffet d'autel 198 bien inférieures, sous le rapport du mérite intrinsèque et malgré leur valeur historique incontestable, à la peinture dont nous avons essayé de donner une idée. N. B. Depuis que ce rapport a été fait à la Section d'his- toire et d'archéologie de l'Institut de Genève, le tableau dont il a été question a été acheté pour un amateur de Dijon. Il aurait bien figuré dans le nouveau Musée archéologique que le Conseil d'État de Genève vient de fonder. *_-o^^>-» INTRIGUES DIPLOMATIQUES AU XVI' ET AL' XVII'' SIECLE. Lettres de Calvin, articles de M. Mignet dans le Journal des Savants (année 1857). - Nemorie délia vita et deî tempi dl THF G. -S. Fcrrcro-Ponziglione. ret'erendario apostolicu, COD un saggio di letteve e monumenti raceolti perd.-B. Adriani; Toriuo, 1856. In-folio, fig. Chaque année voit paraître quelque révélation nouvelle concernant notre histoire nationale. A mesure que les re- cherches de nos Sociétés savantes et de nos érudits tendentà compléter celle-ci, lesécrivains du dehors nousapportentaussi leur contingent de renseignements. Les grands traits sont tous connus ou peu s'en faut ; mais, quant aux détails, il nous en reste encore beaucoup à découvrir. Ils servent, à mesure qu'on les recueille et qu'on les classe, à donner de la précision, de la couleur, de la vérité à ce que l'on savait déjà. En lisant récemment les deux ouvrages dont nous venons de donner les titres, nous avons été plus particulièrement attiré par quelques pages dans lesquelles notre histoire na- tionale se trouve mêlée à l'histoire générale, de manière à 200 ce que celle-ci ne puisse être bien comprise sans une con- naissance suffisante de celle-là. On sait que M. Jules Bonnet a publié récemment deux vo- lumes des lettres françaises de Calvin, recueillies un peu partout, mais en majeure partie dans les manuscrits de la Bibliothèque publique de Genève. M. Mignet, Secrétaire per- pétuel de l'Académie des Sciences morales et politiques de Paris, a donné à son tour, dans le Journal des Savants (an- nées 1856 et 1857), sur cette publication ou plutôt à son occasion, une série d'articles concernant l'histoire de la Bé- formation, dans lesquels, au milieu de choses connues, on en trouve quelques-unes de nouvelles. Le nom de Genève revient souvent dans le travail de M. Mignet. Ce savant, en compulsant les archives de la France et d'autres pays, entre autres les dépêches du duc d'Albe adressées au roi d'Es- pagne Philippe II, qui sont gardées au dépôt de Simancas, a mis en lumière divers faits importants et curieux pour notre histoire particulière. Nous avons cru qu'il serait intéressant de les extraire et de les détacher de l'ensemble du travail de M. Mignet, qui concerne plus particulièrement la France, afin de les présenter au public genevois et suisse qui n'a pas facilement l'occasion de rencontrer et de lire le Journal des Savants, celui-ci ne sortant guère de quelques rares biblio- thèques publiques ou particulières. Nous prenons le récit de M. Mignet au moment où il ra- conte les persécutions contre les réformés de France, sous le règne de Henri II. «L'Église protestante de Paris étaitdevenue rapidement très- considérable: elle s'était constituée en septembre 1555', dans la maison que possédait au Pré-aux-Clercs un gentilhomme 1. Th. de Bèze, Histoire ecclésiastique des Églises réformées, etc., t. K liv. II, p. 99. 201 du Maine, nommé La Fcrrière. Depuis lors, le nombre tba- jours croissant do ses membres avait augmenté le péril de ses assemblées. Bien qu'ils ne se rendissent pas tous dans les lieux désignés pour la célébration de leur culte, selon le rite de Genève ; qu'ils y arrivassent les uns après les autres et de nuit, ils ne pouvaient pas, malgré leurs précautions, échapper toujours aux recherches des magistrats et à la surveillance fanatique du peuple. Une de leurs réunions nocturnes, dans une vaste maison de la rue Saint-Jacques, derrière la Sor- honne, en face du collège Du Plessis, fut surprise le 4 sep- tembre 1557. Trois à quatre cents personnes y assistaient, et, parmi elles, des gens d'épée et des femmes de la noblesse. Aprè> avoir prié avec ferveur, chanté les psaumes à petit bruit et reçu pieusement la cène qui leur avait été distribuée par le ministre venu de Genève, l'assemblée allait se dissiper vers minuit, en gardant à la sortie les mêmes précautions et et le môme silence qu'à l'entrée, lorsqu'un cri tumultueux, parti de la rue, glaça d'effroi tous les assistants et leur apprit qu'ils étaient découverts et perdus. Des prêtres attachés au collège Du Plessis s'étaient aperçus, depuis quelque temps, de la venue mystérieuse de beaucoup de gens inconnus dans le quartier. Ce soir-là, ils avaient tout préparé pour les en- velopper et les saisir. Ils avaient fait prévenir le guet de la ville et ameuté les habitants du quartier. Le peuple en armes avait allumé des feus pour éclairer la rue et tenait a>siégée la maison où ces infortunés, longtemps incertains sur ce qu'ils devaient faire, demeuraient enfermés. Les plus intré- pides se décidèrent enfin à sortir en troupe, l'épée à la main, et à s'ouvrir un passage à travers la populace, disposée à les massacrer s'ils ne se défendaient pas, mais incapables de leur résister s'ils fondaient sur elle. Ils se sauvèrent ainsi va- leureusement et ne laissèrent sur le pavé qu'un d'entre eux qui y tomba blessé et qu'on assomma. 202 » Mais les bourgeois désarmés et les femmes timides étaient restés dans la maison, attendant le triste et inévitable sort qui leur était réservé. Le procureur du roi et les sergents du Ghâtelet, qui survinrent bientôt, les conduisirent dans les prisons, sans pouvoir les protéger contre les outrages de la foule qui les accabla d'injures, les souilla de boue et les meurtrit de coups1. Les prisonniers, parmi lesquels se trou- vaient des femmes d'une noble naissance et de la plus déli- cate jeunesse, furent jetés dans des cachots petits, profonds, infects et obscurs, d'où l'on tira les voleurs et les meurtriers pour les y mettre, et, dans ces basses-fosses, comme l'écri- vait à Calvin le ministre François de Morel, « on ne pouvait » ni rester debout, ni s'asseoir, ni se coucher, tant on y était » serré à l'étroit2. » » On tira de ces noirs cacbots le maître d'école Nicolas Clinet et l'avocat Taurin Glavelle, l'un et l'autre anciens de l'Église de Paris, ainsi qu'une belle et courageuse jeune femme, Philippe de Lunz, veuve du seigneur de Graverou, à peine âgée de vingt-trois ans, pour les conduire au bûcher, sur la place Maubert, Avant de les placer sur le tombereau et de quitter le Palais de justice, on leur coupa la langue pour leur interdire sans doute de prier tout haut. Ils ne sourcillèrent pas en souffrant cette cruelle mutilation, et l'intrépide Philippe de Lunz dit même, en présentant sa langue au bourreau : « Puisque je ne plains pas mon corps, 1. Ce récit est fait, avec quelques variantes dans les détails, par Th. de Bôze, Histoire ecclésiastique des Églises réformées du royaume de France, etc., t. I«r, liv. 11, p. 116 à 120, et par J. Crispin, Histoire des Martyrs, etc., f. 424 à 430. L'un et l'autre, établis à Genève, étaient immédiatement instruits de tout ce qui se passait en France. 2. « Illic nec stare, nec sedere, nec cubare licet, adeo in angustum contrahitur. » Lettre de François Morel à Calvin, extraite des manus- crite de Genève, par M. J. Bonnet, citée en note, p. 125 du tome II des Lettres de Calvin. 203 plaindrais-je ma langue? Non, non. » Tous les trois, les regards tournés vers le ciel, conservèrent une sérénité mer- veilleuse durant le lugubre trajet et subirent le supplice du feu avec un héroïque courage. « La demoiselle, dit Théodore » de Bèze, semblait encore surmonter les autres, car elle » estoit aucunement changée de visage : mais, assise dessus • le tombereau, monstroit une face vermeille et d'une ex- » cellente beauté. Estant arrivés à la place Mauberl, lieu de » leur mort, avec ceste constance ils furent ars et bruslés : » Clinet et Gravellc vifs ; la damoiselle estranglée, après » avoir esté (lambloyée aux pieds et au visage, Ce triomphe » fut admirable ! ' • » Il en restait dans les cachots un grand nombre d'autres dont Cakin se hâta de soulager la détresse, d'encourager la constance, et dont il entreprit même de sauver la vie. Il fit des collectes pour eux dans les Églises helvétiques. » Il provoquait, en faveur des prisonniers du Châtelet, l'intervention des puissants cantons de Berne et de Zurich, du duc Christophe de Wurtemberg, et «le l'électeur palatin Othon Henri, auprès desquels il avait envoyé Guillaume Farel, Jean de Budée et Théodore de Bèze. Il faisait de leur état la plus lamentable peinture et il exposait le péril dans lequel ils pouvaient entraîner tous leurs frères, s'ils faiblis- saient un instant. • Henri II s'adoucit enfin; les supplices cessèrent. Plu- sieurs des prisonniers furent relâchés, après avoir fait, pour la plupart, devant l'official de l'évéque, des professions de fois ambiguës ; les plus jeunes furent enfermés dans des mo- nastères où ils étaient mal gardés et d'où ils s'évadèrent. Le protestantisme continua le cours de ses progrès. Les livres de Calvin et les missionnaires envoyés par lui de Genève 1. Th. do Hôze, Hist. ceci., etc., t. I«, p. <29. 204 répandirent de plus en plus parmi les classes éclairées la croyance évangélique, qui s'étendit dans le peuple, et gagna même la grande noblesse. La puissante famille des Châtillon, qui devait s'y convertir tout entière, l'embrassa la première. Les trois frères, neveux du connétable Anne de Montmo- rency, et tous d'un esprit grand ou distingué, d'un cœur haut, d'un caractère hardi ou opiniâtre, de la plus entrepre- nante valeur et de l'habileté la plus profonde, avaient beau- coup d'importance dans l'État et dans l'Église par leurs charges comme par leur mérite. Gaspard de Coligny était amiral de France, Odet de Châtillon était cardinal, arche- vêque de Toulouse, comle-évêque de Beauvais, François d'Andelol, colonel général de l'infanterie française. Ce fut d'Andelot qui donna l'exemple à ses frères. Calvin fut l'au- teur de sa conversion. » Dénoncé par le cardinal de Lorraine comme un héré- tique avoué et comme un infracteur audacieux des édits, d'Andelol fut mandé par Henri II, qui voulut l'interroger lui-même. Il lui exprima sa surprise de son changement de croyance, et s'en plaignit avec affection, lui rappelant qu'é- levé à ses côtés, il n'avait cessé de recevoir des marques de son attachement; il lui dit qu'il avait été très-étonné et très- affligé de savoir qu'il eût une autre religion que la sienne, qu'il eût fait prêcher cette religion, qu'il eût assisté aux réunions du Pré-aux-Clercs, qu'il eût cessé d'aller à la messe pendant le siège de Calais, et qu'il eût envoyé des livres de Genève à l'amiral son frère. » D'Andelot répondit au roi avec une sincérité hardie et dangereuse. Il avoua qu'il n'était pas allé depuis longtemps à la messe, déclara qu'il n'y irait jamais plus, et il finit en disant : « Je vous supplie, Sire, de laisser ma conscience » sauve et vous servir du corps et des biens qui sont du tout * vôtres. » Henri II irrité, le prenant alors par le collier de 205 Saint-Michel qu'il portait au cou : « Je ne vous avais pas » donné cet ordre, lui dit-il, pour en user ainsi: car vous » aviez juré et promis d'aller à la messe et de suivre ma reli- » gion. » — « Je ne savais pas alors, répliqua d'Andelot, ce » que c'était que d'être chrétien, sans cela je ne l'eusse pas » accepté à cette condition. » Le roi, hors de lui-même, le fit arrêter par les archers de la garde et conduire au château de Melun . » Dès que Calvin apprit son arrestation, il le félicita du courage qu'il avait montré et le mit en garde contre les assauts qu'on ne manquerait pas de livrer à sa constance. » » Vers l'époque même où Calvin fortifiait de ses lettres d'Andelot, il attirait définitivement à la croyance réformée l'amiral son frère, captif des Espagnols dans les Pays-Bas, après la prise de Saint-Quentin! Gaspard de Coligny y incli- nait depuis longtemps. Déjà, en 1555, il avait montré une compatissante faveur à ceux qu'on persécutait en France à cause d'elle, et dont il avait secondé l'établissement en Amé- rique. Ayant sous ses ordres l'une des plus vastes provinces du royaume comme gouverneur de Picardie, disposant des côtes de la Normandie, de la Bretagne et de la Guyenne comme amiral de France, il avait obtenu d'Henri II, pour Nicolas Durand de Villegagnon, de l'argent et deux vaisseaux de l'État, sur lesquels une petite colonie protestante avait été transportée au Brésil. Il avait demandé lui-même deux pasteurs à l'Église de Genève, qui lui avait envoyé les minis- tres Pierre Richer et Guillaume Chartier, partis en 1556 de Honlleur avec trois navires chargés de nouveaux réfugiés. » Les secrètes dispositions de l'amiral de Chàtillon étaient connues de Calvin, qui lira parti de sa captivité et de ses lectures pour les changer en résolutions avouées. » Calvin s'était réjoui de conquêtes qui semblaient plus importantes encore en étant plus hantes. Les deux premiers 206 prince du sang, Antoine de Bourbon, duc de Vendôme, et Louis de Bourbon, prince de Condé, avaient successivement embrassé les doctrines nouvelles. Devenu roi de Navarre à la mort d'Henri d'Albret. dont il avait épousé la fille, Antoine de Bourbon, gagné à la Réforme par un ancien moine, nommé David, avait tiré de Genève les deux ministres François Leguay dit Boisnormand et de La Pierre, qu'il avait envoyé prêcber publiquement dans la chapelle du château de Nérac. Moins résolu en France qu'en Béarn, dans le pays où il était simple sujet, que dans celui dont il était souverain, le roi de Navarre n'avait cependant pas agi sans hardiesse à Paris môme. Venu du fond du Béarn, au commencement de 1558, pour complimenter Henri H sur la prise de Calais, il assista à des assemblées secrètes. Il se rendit ensuite publiquement avec le prince de Condé, son frère, et avec une suite de sei- gneurs et de gentilshommes, à ta promenade du Pré-aux- Œercs, dans le faubourg Saint-Germain, qu'on appela bientôt une Pelile-Genève, et où l'on cbantait les psaumes traduits en vers par Clément Marot et Théodore de Bèze, et mis en musique par Goudimel. Il osa môme un jour entreprendre sur l'autorité royale. Le ministre de La Roche-Chandieu, surpris dans une assemblée secrète, avait été renfermé au Châtolel, d'où il ne serait sorti que pour aller au bûcher. Le roi de Navarre alla le réclamer le lendemain, comme étant de sa maison, et le sauva '. M. Mignet continue de rapporter les efforts de Calvin pour engager les princes français et les seigneurs de la cour con- vertis par ses soins à faire une profession ouverte de la foi réformée en face môme de Henri II. Il rend compte de la manière, suffisamment connue par l'histoire de ces temps, dont le roi de France fut amené à accorder aux réformés t. Th. de Bèze, Hùt. eccl. du royaume de France, l. I«r, liv. Il, p. 140, Hl. 207 dp son royaume les premiers édits appelés de tolérance et de pacification, tout en prenant des mesures contre le prosély- tisme : • Dans l'édil de ChâteaHbriant et dans celui de (lom- piègne, porté si\ ans plus lard'. Henri 11 prenait les pré- cautions les plus minutieuses pouf faire cesser tout rapport avec Genève, et n'oubliait rien de ce qui pouvait réprimer les novateurs en les épouvantant el en les châtiant. Il mainte- nait contre eux la double juridiction de l'Église et de l'État, afin que, s'ils en éludaient une. ils n'échappassent point à l'autre. Il ne conservait pas seulement ces juridictions, il les fortifiait. Outre le jugement de l'hérésie devant leurs tribu- naux, les évoques obtenaient envers les hérétiques le droit de prise de corps, réservé jusqu'alors aux officiers de la justice royale. D'un autre côté, l'examen des faits relatifs à l'hérésie, surtout lorsqu'ils se produisaient dan- des assem- blées ou par des tumultes, était dévolu aux cours du Par- lement et aux sièges présidianx, qui, appelant les évêques ou leurs vicaires dans leur sein, devaient juger sans appel et punir avec une rapide inflexibilité. • Afin d'empêcher le mal de s'étendre, il était interdit de tirer des livres de Genève et de les colporter en France. Les libraires ne pouvaient plus vendre, ni les imprimeurs pu- blier, que des livres autorisés par la Fatuité de théologie. Tous les ouvrages ou tous les commentaires, faits depuis quarante ans, en latin, en grec, en hébreu, en français et dans les autres langues, sur l'Écriture sainte et la religion, étaient défendus, à moins qu'ils n'eussent reçu l'approbation de la Sorbonne. Les libraires, soumis à des visites fré- quentes, ne pouvaient ouvrir les balles de livres qui leur étaient adressées qu'en présence de deux bons personnages t i. L'édit du Châteaubriant était du 27 juin 1551; celui de Coœpiègue ftil du 2* juillet 1557. 208 commis par la Faculté de théologie ou bien d'un délégué de l'évêque et du juge présidial. Il n'était permis à aucun étranger de passage dans le royaume d'avoir des entretiens et d'engager des controverses sur les matières religieuses, et la dénonciation de l'hérésie était exigée sous peine de châ- timent. Assister à des conventicules, c'était ajouter le trouble public à l'erreur religieuse et se rendre coupable de sédition en même temps que d'hérésie. Communiquer avec Genève, y aller, en venir, en rapporter des livres, y envoyer de l'ar- gent aux réfugiés, en recevoir des lettres, c'était enfreindre les édits, et cela faisait encourir la peine de mort. Malgré toutes ces défenses et toutes ces rigueurs, le royaume était de plus en plus traversé par des prédicants genevois, inondé d'ouvrages calvinistes, couvert d'assemblées évangéliques. Henri II l'avouait en catholique irrité et en monarque ef- frayé. » Ses craintes et son courroux s'accrurent encore lorsque la croyance nouvelle eut pénétré parmi les princes de son sang et rencontré l'indulgence de ses Cours de Justice, où elle trouvait des partisans. Le Parlement de Paris lui-même, qui avait si longtemps défendu la religion orthodoxe par ses arrêts, comme la Sorbonne la défendait par ses doctrines, commençait à fléchir. » Le 10 juin, Henri II se rendit, dans tout l'appareil de la puissance royale, au couvent des Grands-Augustins, où le Parlement tenait ses séances, pendant que se faisaient au Palais de Justice les préparatifs pour les fêtes qui devaient suivre les mariages de sa fille Elisabeth avec Philippe II, et de sa sœur Marguerite avec le duc de Savoie, Philibert- Emmanuel. » En quelques paroles brèves et impérieuses, il déclara qu'il désirait assurer le repos de l'État et le maintien de la religion ; qu'après avoir affermi la paix au dehors par un 200 double mariage, il n'entendait point qu'elle fût troublée au dedans par des désordres religieux. » Dans ces périlleuses conjonctures, Calvin ne manqua point d'écrire à tous les fidèles de France pour les soutenir. « Très-cbers et honorés frères, leur disait-il, d'autant que » vous estes tous affligez en général, et que l'orage est telle- • ment desbordé qu'il n'y a lieu qui n'en soit tcoublé » Nous n'avons pu mieux faire que de vous escrire en com- » mun pour vous exhorter au nom de Dieu de ne point dé- » faillir, ou, en vous retirant du combat, cfuitter le fruict de » la victoire qui vous est promis et assurer » » De nostre costé, nous ne sçavons pas si nous sommes » loing des coups; tant il y a que nous sommes menacés par » dessus tout le reste'. » Le danger était en eflèt très-grand du côté de Genève. Le pape Paul IV prêchait en ce moment une croisade contre cette ville, qui était le siège de l'hérésie. « C'est dans son » nid, disait-il, qu'il faut étouffer la couleuvre2. » Henri II et Philippe II. réconciliés par un traité et unis par des ma- riages, avaient un intérêt égal à fermer l'asile où se réfu- giaient leurs sujets expatriés pour cause de religion. Ces deux princes, aux efforts combinés desquels rien n'était alors capable de résister, semblaient devoir s'entendre d'autant plus aisément pour faire triompher cet intérêt qui leur était commun, que la ville de Genève pouvait être remise entre les mains fort catholiques du duc de Savoie, proche parent de Philippe 11, dont il avait naguère commandé glorieuse- ment les armées, beau-frère d'Henri II, dont il épousait la sœur, Marguerite de France, et qui lui avait restitué ses Étals l. Lettres de Calvin, etc., t. Il, p. ^27-i à v281. 3. Lettre de Paul IV à la cour de Savoie (Archives de Turin); citée par H. Valliemiii dans l'Histoire de la Confédération suisse, au XVIe et au XVII' siècle, etc., t. Il, p. 21 ; in-8", Paris et Lausanne, 1841. 14 210 par le traité de Cateau-Cambrésis. L'ambitieux Philibert- Einmanuel avait des prétentions héréditaires sur Genève. Son père. Charles 111. en avait été dépossédé, et lui espérait j rentrer les armes à la main avec l'appui des deux rois. Henri II fit à Philippe 11 la proposition directe de s'emparer de la métropole protestante. Ardent adversaire de l'hérésie, ce dernier monarque, qui la voyait se propager dans les Pays- Bas, et se montrer même au-delà des Pyrénées, où Ton avait découvert sur plusieurs points de mystérieuses et redoutables affiliations protestantes, voulait travaillera son entière extinc- tion. A l'emploi Irès-procbain des auto-da-ié en Espagne, il désirai! ajouter, s'il en était besoin, remploi des armes en France. Le principal de ses ambassadeurs auprès d'Henri H pour l'exécution de la paix ci l'accomplissement des mariages, If duc d'Akbe, confident des desseins de sou maître, offrit au roi de France de mettre les forces espagnoles à sa disposi- tion pour rétablir l'unité catholique dans ses États. Henri II s'en ouvrit avec le prince d'Orange, qui était l'un des envoyés du roi d'Espagne et devait rester quelque temps à Paris comme otage de la paix; il lui dit « qu'il traitait avec le « duc d'Albc des moyens d'exterminer tous les suspects de » religion en France, dans les Pays-Bas et par toute la chré- » tien lé. » » En effet, le 24 juin, cinq jours avant que Galvin adressât sa prévoyante lettre aux tidèles de Paris, Henri II envoya le connétable Anne de Montmorency auprès du duc d'Albe, pour conclure cette négociation religieuse, que M. Mignet fait connaître par la dépêche même de l'ambassadeur de Philippe II '. Le connétable exprima, de la part d'Henri II, au duc d'Albe, toute la reconnaissance que lui inspirait l'offre du roi d'Espagne, dont il sentait d'autant plus le prix, qu'il ! . Dépêche du duc d'Albe à Philippe II, écrite le 20 juin 1539. Pa- piers des Archive* de Simancas, série B, lég. 62-140. 211 apercevait mieux chaque jour toute Pétendnc du m;»! déjà fait dans son royaume. Le connétable dit au duc qu'il l'aver- tirait quand son maître aurai! besoin de l'assistance armée du sien, puis il ajouta : « Genève est la sentine de toute cette cor- » ruplion: c'est là que se réfugient les condamnés de France » et d'tëspagne; c'est de là qu'on porte le désordre dans les » deux royaumes. Il faut rpje les deux rois s'entendent pour " détruire cette Genève, laquelle une fois détruite, il ne restera » pln^ d'asile à leurs sujets respectifs, qui ne pourront fuir » nulle part, sans être rendus aussitôt qu'ils seront ré- • clamés. » Il ajouta que le roi de France ordonnerait pour cela que tout ce qu'il avait de foires fût mis à la disposition du roi d'Espagne. Le duc d'Albe écoula cette proposition, mais n'y adhéra point. Un excès de prudence le retint. Il eut peur, non d'une attaque contre Genève, mais d'une rup- ture avec les cantons suisses, que Philippe II avait intérêt à ménager, pour la tranquille possession de la Franche-Comté et le libre passage du Milanais dans les Pays-Bas, à travers les Alpes. Il répondit donc an connétable que le roi, son maître, était prêt à rendre ;iu roi de France, dès qu'il le voudrait, l'office qu'il avait eu l'ordre de lui offrir et. selon son expression, lui prêterait diligemment, ses épaules pour qu'il pût passer plus avant. * Quant à ce qui concerne Ge- • nève. écrivit-il à Philippe IL je ne suivis pas le connétable • dans le chemin qu'il prenait, parce qu'il ne me parut pas » convenir au service de Votre Majesté, de leur donner le » moyen de dire, en aucun temps, que Votre Majesté avait • voulu faire une entreprise contre les Suisses. Je me bornai » donc à lui répondre : qu'il avait bien raison touchaul » Genève; qu'il serait grandement du service; de Dieu, de » celui de Votre Majesté et du roi son maître, de chercher à » empêcher que vos sujets et les siens y trouvassent un re- » fuge, et serait bien d'examiner, puisqu'on s'en occupait à 212 » ce point, quelle voie on pourrait prendre pour arriver à ce » qu'ils n'y fussent pas reçus. » On peut dire que les progrès du protestantisme sur le continent et dans la Grande-Bretagne furent indirectement l'œuvre de Philippe II, dont la politique se trouva en dés- accord avec la croyance. Ainsi, par ménagement pour la Suisse, il laissa Genève subsister dans son indépendance et poursuivre son prosély- tisme. Le parti huguenot, qui avait ses racines dans cette ville, où Philippe II n'osait pas tenter de le détruire, s'agrandit de plus en plus en France. Il y devint bientôt capable de faire la guerre, de la soutenir près de quarante ans, et de conquérir la liberté religieuse. Les doctrines calvinistes gagnèrent aussi les Pays-Bas, où elles s'étendirent. Avant peu, sept des provinces que le monarque espagnol tenait en héritage de la maison de Bourgogne, se détachèrent de sa domination pour former une république protestante. » En éludant, au nom de Philippe II, contre Genève, une agression qui aurait été suivie de la ruine de cette ville, le duc d'Albe changea le cours des événements en Europe, comme fut changée, en France, la situation du parti protes- tant, par le coup de lance qui, quinze jours après, frappa Henri II à mort dans le tournoi de la rue Saint-Antoine, en face du palais des Tournelles. » Philippe II, ce roi dont on a fait le type du catholicisme, était avant tout un monarque politique, et ici ses prévisions politiques se trouvèrent heureusement en désaccord avec ses tendances. Genève doit s'en souvenir. Les griefs et le mauvais vouloir à l'égard de Genève con- tinuèrent pendant tout le cours des guerres de religion en France sous les règnes de François II, de Charles IX, de 213 Henri III. L'avènement de Henri IV et l'édit de Nantes y mi- rent quelque trêve, mais ils recommencèrent sous LouisXIII. Calvin était parvenu à les faire taire un moment ou à les at- ténuer beaucoup, en blâmant hautement la conspiration d'Amltoise, organisée en Suisse avec beaucoup d'audace par la Renaudie. C'est ce que M. Mignet expose très-clairement dans les articles consacrés à l'examen de la correspondance du Réformateur de Genève. Les jésuites ayant repris leur empire, à la lin du règne de Henri IV et au commencement de celui de Louis XIII, avant le ministère de Richelieu,, le mauvais vouloir contre Genève se manifesta de nouveau dans des négociations diplomatiques et par des faits. Nous trouvons à cet égard des renseignements nouveaux et curieux dans les Mémoires sur lu rie et l'époque de Ferrero Ponsigliour. référendaire apostolique, que vient de publier à Turin le professeur G.-B. Adriani. Voici ce qu'écrivait au prince cardinal Maurice de Sa\oie, envoyé à Rome par la cour de Turin, un secrétaire particu- lier du dit Prince, sous la date de Turin, le 12 décembre 1621 : « Votre Seigneurie voudra bien avertir, de la part de Son Altesse le Duc (Charles-Emmanuel) de Savoie, les Cardinaux qui sont au fait de l'affaire touchant Genève, des nouvelles circonstances qui y sont relatives et qui font espérer qu'elle cheminera bien. Elle tiendra la main à ce que le person- nage auquel il importe de celer |l'affaire, n'en soit point informé. • Ce personnage, dont on redoutait l'opposition, était le car- dinal Bentivoglio. Le pape Grégoire XV, qui avait réussi à organiser une nouvelle entreprise contre la république de Genève, conjointement avec le duc de Savoie, se méfiait de Bentivoglio, dont la modération était connue. 214 ' 4 Le même prince cardinal de Savoie écrivait de Turin, le 31 décembre 1621, à Ferrero Ponsigliorie, son agent à Rome : « Son Altesse est dans l'intention d'envoyer quelqu'un de sûr en France, où la mort du connétable de Luynes va amener nécessairement des changements'. » 11 faut savoir qu'en elîet Luynes, ministre favori de Louis Xlli, avait enfin donné son consentement à l'entreprise contre Cenève, aiusi que le prouve cette lettre du comte Antoine de Scarnafigi, ambassadeur de la cour de Turin à Rom<% au duc Charles-Emmanuel, en date du 14- novembre 4621 : « Les illustres cardinaux, attachés à Votre Sérénissime Maison, affirment qu'enfin on pourra avoir toute satisfaction du côté de la France, pour l'affaire de Genève, si l'on envoie dans ce pays le Prince Cardinal votre fils. » Il s'agissait d'obtenir le consentement du roi Louis XIII, et encore plus celui de Luynes, son favori, pour exécuter l'en- treprise sur Genève au printemps prochain. « La confiance qu'a le Connétable dans le Prince Cardinal (continue l'ambassadeur) et son inclination naturelle pour sa personne, est un gage certain de réussite. Cette affaire, qui intéresse à un si haut degré la religion catholique et le ser- vice de la sainte Église, n'est pas au-dessous de la sollicitude et de la personne du Prince Cardinal. Mais il importe d'éloi- gner de Rome cette pierre de scandale (le cardinal Bentivo- glio), qui est le conseil de toutes les intrigues contre votre Illustre Maison. » Le même ambassadeur écrivait, le 28 décembre 1621, au sujet de la dite entreprise sur Genève, le résultat d'une con- 1. Luynes était mort le 14 décembre 1621, au camp de Monheur, après avoir échoué au siège de Montauban, auquel il avait conduit Louis XIII, croyant anéantir le parti protestant de France. 21 fi férence particulière qu'il venait d'avoir avec le cardinal La— dovisi h la cour de Turin : * Le cardinal, notre ami. e;a qu'il tenoit prisonnier, haianl tout le royaume pour prison, leur donnant charge de donner leur voix et de tascher à en faire donner es autres pour eslire d'Amboise en la papauté, qui n'estoit que ut» asne, non haiant en teste fois orgueil et outrecuidance, et l'ap- pelloit-on communément en France rAsnc rot/c, ce *]ue tous deux promirent au roy et outre ce marin et montes. Mais un messire Claude de Se-yssel qui bavoit esté premièrement ar- chevesque de Marseille et maistre de requestes, et après de 227 Turin, ha raconté, moy présent, comme il estoit lors ambas- sadeur à Rome pour le roy, lequel luy avoil escrit qu'il allas* treuverle cardinal de ïîuere devant qu'il? entrassent; en con- clave et le prier de sa pari d'havoir souvenance de lu pro- 5e qu'il lu> h.iviiii faiete louchant détection dn légat, réservant tçutles fois que s'il prélendoit, luy, à la papauté qui ne l'en vouloil pas presser plus avanl mais luy aidetott de tout son crédit et pouvoir. Lors le Cardinal luy respondit : ïDiselti à la majesté del reche non voglioesserpapa, maneo che quello superbo asino lo sia. Gorpoidi Diol quandoeramo in Fran/a non godevamo parlar con lui, e si parlavomo hi- sognava 'lie lusse Oori la lierre lia in man. Ghe fàrebbe lo si er.i papa? Corpo di Die nel sara! • Si entrèrent en conclave et pour ce ipie à cause de certaines brigues il ne pouvoit pas pour lors estré esïen il lasclia lanl qu'il tisl eslire Pie, duquel nousliavons parlé, pour ce qu'il estoit forl ancien et ne-pou- voit plus guères vivre et se pensoil que sa vie durant il pra- tiqueroil pour luy succéder; ce qu'il iilei l'ut pape après luy. Apre* quoy il n'eut plus grandi hàste que de avancer ses parent/, et de gueffoier suyvanl son naturel! - Pour ce que le roy de France se voulant aider de la pragmatique sanction ne lu\ vouloil pas souffrir conférer en Franco lés bénéfices à son appétit, il coneeul contré luy griefve haine. Il commença la guerre contre un comte de la Miramlule qui lenoit le parti de Franco: et alla, lui en per- sono. assiéger la Mirabdote, ta : un proe gourmaul et bouveur, combien que non yvrogne; non adonnant que à voluplez à boire et manger, quelquefois à la chasse. Touchant à paillardise, lu> n'estant que cardinal n'en estoit point accoulpé. » Pour le moins, s'il ne faisoit mal, il n'empéchoit pas à le faire, car estant à table et haiant devant icelle ses musiciens, buffons, joueurz de farces et semblables playsanteurz il ne se soucioit d'autre ; ains, quant on luy portoil nouvelles de 230 quelque affaire publique ou particulier où il falloit pourveoir cependant qu'il estoit en ses plaisirs, il disoit : « De gratia lassiet mi goder quesio papalo in pace. Domini Dio mi l'ha dato. Andati da monsignor de Medecis. ■ Ce monscgnor de Medicis estoit Julien, (in frotté, caut et mauvais garson, come à bastardt et Florentin appartient, de Tordre des chevallierz de Rhodes et grandt prieur de Rome, lequel Léon fit cardi- nal désirant qu'il fut pape, combien que, parles loix papales mesmes, bastardtz sont incapables de chappeaux roges; mais le cardinal Sancti et quattre luy pres.tèrent la main pour jurer d'bavoir veu à son père espouser sa mère secrettemenl. S'ilz havoient juré vérité Dieu le sçait., mais cependant ce cardinal estoit pape de faict, l'autre de libre tout seullement; car il ne failloit que le pape fist chose contre la volonté do son frèro ou s'il la fnisoit c'estoit sans vallue. Quelquefois le pape donnoitun bénéfice à un et le cardinal à un autre etrecevoit le pape mesme l'annale; le cardinal sourvenant luy faisoit révoquer tout cela; puis si le premier s'en venoit plaindre au pape, il luy respondoit : • Voi l'havemo dato ; ma isatis réserva vera mus nobis in pectore pro tali. » Si l'autre deman- doit restitution de ses denierz, il havoit ceste response : « Habiate pacienlia pro questa volta, un giorno viegnera che vuoi recompensaremo. » Si l'autre ne se contentoit, qu'il prinst une carte s'il vouloit. Davantage faisoient les provi- sion- si embrouillées que nul en pouvoit havoir sinon par procès, et immortel car il failloit que l'acteur impetrast du pape ie juge de la cause, qui se nomoit auditeur; et quant l'on havoit longtemps plaidoyé, celluy qui havoit peur d'estre condamné impétroit un autre rescrit, par argent ou faveur, par lequel le pape révoquoit la cause de devant le premier juge et la commettoit-on à un autre favorisant au suppliant et aînés à un autre et sic in infinitum. Si que j'hai cogneu feux gentilzhomes qui bout, plaidoyé l'un contre l'autre un 231 bénéfice ïi tel?- oostz que s*il/. eussent employé l'argent à part ilzen eussent pcti fonder un bénéfice île plu- grande vallue. Tout esloit à fendre, chapp. -. mylhres, tt%& chappeaux de protonotaires, abbayes, prieurez, peerostee, chanoinie.-. cures, veini jusqu'au chapelles ile la vallue de dix florins. Si qu'ils devin. lient chappellierzear ilzcousurent bien x.xxi chappeaux roges qu'ils vendue nt touz en un jour lùen chèrement, àsçavoir lesuns iOjOOQ ducata, les autres ^0,000, les autres 40,000, voire jusques a la somme de 100 mille, à aucuns chanlz marchant? qui vouloieir bien achalter la famée sans manger >e tempe à en deviser el en l'ut jijuée une comédie à deux personnages, à gçaroir un cardinal qui n'havoil que uuvallet en tout snn train, auquel il havoil commandé par deux foyz qu'il allast « in campo de tiori à oomprar l'insalata. qu'il lit: mais il le lui commanda pour la lllu" foys, el lors le vallet lu> dici : • ¥e gii son jà andato due volte, vui gli po-» » detti ben andar roi usa'; andici donque. » » Haianl le pape nouvelles de la bataille de Marii-nan. s'en vint à grandes journées à Bologne et manda le roy (fftncois l,r) qui l'alla treuver là, où le roy luy baisa la pantouffle, et après »'entretirent grandes caresses, l'inalle- ment le pape, par confirmation d'amitié, donna au roy une belle grande enseigne de taffetas par laquelle il le cousti- tuoit Corouel et Confanonnier de l'Église pour aller recon- 232 quester la Terre-Saincle et Constantinople sur les mécréantz ; et pour fournir aux frays de cela, belles et amples bulles ou burles de pardon, et rémission de paine et de coulpe à tous ceux qui y contribueraient, et davantage qu'autant de testonz qu'on donneroit pour cela autant delivreroit-on d'âmes de purgatoire. Sus cecy mon fol de roy s'en retourne en France avec ses bulles et son confanon, faict escrire forces doubles de ces bulles, et au pied estoit pourtraict armé de toutes pièces et à genoux devant le pape qui, assis dans sa chairre, luy donnoit le confanon ; et bavoit-on treuvé un porte colace qui havoit presto la lengue et la plume au roy, annonçant ses prouesses par lesquelles il conquesteroil le Thurch, la Thurchie et tout le monde, s'il havoit subside d'argent; pourquoy exhortoit tout le monde à y contribuer, et entre tant de verz ne me souvient que de cestuy-cy : Oallica Thurea ferox seutiet arma staiim. Mais nonobstant que ce roy fust fort cholérisé contre le Thurch et le voulust aller prendre, tout soubdainement après qu'il eut recouvré pour ce force denierz, la régente sa mère le pria tant qu'il eut pitié de luy et dict qu'il valloit mieux employer cela au service de Venus que de Mars; ce que fut faict, et en eut bien sa part madame d'Estampes et *ie souffit encorpas de l'argent de la croysade pour fournir à la guerre vénérienne, mais faillut encore casser xve homes d'armes par faute d'argent, de quoy la bazouche joua la farce telle que bavons racontée. i» D'autre costé, si le roy et sa cour faisoient grandt chère, le pape et la sienne n'en faisoient pas moins pour ce qu'ilz estoient sans soucy. Il n'estoit question que déjouer farces et comédies, aller en masque, prebstres, moynes, évesques et cardinaux, treuver les curlisanes et ne furent jamais en 233 telle bobance du lemps de mémoire de pape que de cestuy- cy. Je fus à Rome soubz son pontificat l'an 1518 qu'il me fut dict que le pape bavait touz les ans de tribut d'elles 11,800 ducatz luy pa\ant, une cbascune qui bavoit plus de trois amoureux, tant seullement un ducat pour teste ; celles qu'en havoienl moins estoient franches. J'havoie affaire à un et le me faillut aller trouver chieux une curtisane où il estoit avec un sien compaignon, devisant/ avec la dame, qu'estoit bras- vement acoustrée, le beau bonet de veloux ferré d'or, au rebras, la belle image de dix éscuz, dessus le beau plumas voletant, dessoubz la belle coiphe d'or, au corps la belle verdizalle de tapbas décbiquetée par les bras et dessoubz la chemise de toile de Hollande flosquante, le poignardt d'ar- gent sus le cul. Bref, on l'eiist tenue pour une princesse. Et à l'haut bout de la table, il y bavoit un petit bonho- meau tout debout qui ne portait pas sus so\ d'acoustremenl à la vallue d'un escu. Je demandai à ces deux, en nostre len- guage que la dame ni le bonhomeau n'entendoienl pas, quel estoit ce bonhomeau? Hz me respondirent que c'estoit un évesque cspaignol, à droict bien favori de la dame, car elle havoit de luy 50 ducatz touz lesmoyz. « Corne vous soufre-t- » il donc icy?» dis-je. Hz me répondirent : ■ Il est bien » forcé, car ce n'est pas aujourd'hui son jour, veu qu'il n'ha » fors un jour de la sepmaine. • Je disois lors : - L'un dict en » nostre pays que touz les folz ne sont pas à Home, mais si » en y ba-il beaucoup. > » Or ce poltron de pape, se révoltant contre les François; par ses menées leur lit perdre Milan : de quoy il fut si esjoui que riant, bernant et bancquetlant, il mourut de joye soud- dainement. la neuvième année de son pontificat, de Christ 1524 et le premier de décembre. ■ HÉRALDIQUE SUISSE. -K-.vîiK-M--- La scienœhérttidiqué, appelée .iussi vience du blason ou des armoiries, est la connaissance des divers emblèmes que les États, les familles ou les corporations nobles ont adoptés héréditairement comme signas dislinolifs. On en a fait re- monter l'origine à la création du monde, et André Favyn, dans son Théâtre d'honneur et de rhrrakric. affirme que la postérité de Setb emprunta des armoiries au règne végétal ou animal, tandis que les enfants de Gain peignaient sur leurs boucliers des instruments aratoires. Charles Segoing, dans son Mercure armoriai, attribue l'invention du blason à Noë, sortant de l'Arche. De pareilles rêveries iront besoin d'aucune réfutation. Loin d'être contemporain des premiers âges, le blason n'était pas même connu des anciens. Les signes que les soldats romains, selon Végèce, peignaient, sur leurs écus, n'étaient pas Ira ad- missibles. Ce fut seulement à la fin du Moyen-Age que la féodalité imagina d'enjoliver par des décorations variées les écus et les enseignes, afin d'otïrir des points de ralliement aux troupes pendant la mêlée. Ces ligures constituèrent les premiers éléments du blason. Elles n'étaient point hérédi- taires, et Jean de Garlande, qui écrivait à la fin du onzième siècle (vers l'an 1080), une description de Paris, nous apprend que les marchands de boucliers vendaient aux chevaliers des 235 écus couverts de toile, de cuir ou de chrysocale, où étaient peints des lions et de* fleurs de lys. Ainsi, à cette époque, les rois de France n'avaient point encore d'armoiries spé- ciales. Cependant, an siècle suivant, certains Masuns commen- cèrent à devenir héréditaires. Dès l'an 1487, il est question des lionceaux ou léopards que la famille Plantagenet avait dans ses année, lie fut pendant le douzième siècle que les armoiries se multiplièrent, par l'effet des Croisades, dont l'époque esi assez caractérisée par les couleurs ou cmau.r du blason. Le bleu d'azur ou lapis lazuli venait d'être importe' d'Orient, et son nom actuel ^'outremer est encore une ré- miniscence des expéditions lointaines des Croisés. Le muge devait sa qualification Ae gueules (an pluriel) à des parements d'hermine, dont les chevaliers se garnissaient le cou et les poignets, et qui étaient feinte en pourpre avec du minium. Le vert du blason ou lesinople était aussi une matière tincto- riale que les Croisés rapportèrent de Sinope. Colonie del'Asio- Mineure, sur le Pont-Kuxin. Les pièces de l'écu rappellent de même les temps où la chevalerie guerroyait en Palestine. Les c&quitleê appar- tiennent aux pèlerins; les mnlrlles. oiseaux voyageurs, re- portent la pensée vers Jérusalem; les besants d'or sont le prix d'une forte rançon payée aux Infidèles. La guerre sainte est de môme indiquée par la multiplicité îles croix, variées à l'infini dans le blason, et qu'on nommait croix tréflées. potencées, panées, pommelées, alésées, èdUqueiéss, nrmi- tettées, etc.. etc. Quand les communes s'émancipèrent, elléfi voulurent avoir leurs arme.- comme les seigneurs. Ainsi, lès truies de la ville de Beaujeu, capitale du Beaujolais, d'or à un lion de subie, armé si lumpussé de gueules, soid décrites dans ce quatrain du treizième siècle : 236 Un lion nai en champ d'ora Les ongles roges et la qiioua, Un lambey roges sur la joua, Sont les armes de Bejoua. La ville de Saint-Gall, en Suisse, portait « d'or à l'ours debout de sable accolé de champ. » La science du blason s'étendit donc des familles nobles et des maisons souveraines aux villes, aux communes, aux cor- porations et même enfin jusqu'aux bourgeois. Le quatorzième siècle fut la plus brillante époque du bla- son. Nous ne pouvons entrer dans un de nos vieux châteaux de Suisse ou de Savoie sans être frappé par ces armoiries qui figurent partout, sur les linteaux des portes, sur les manteaux des cheminées, sur les vitraux ou les pavés des chapelles, sur les tapis et même sur les vieux ajuste- ments. Au quinzième siècle le blason se compliqua. Au-dessus du bouclier ou de l'écu on plaça le heaume, c'est-à-dire le casque, couronné diversement selon les degrés de noblesse, posé de face ou de profil. L'agencement de ce casque indi- quait exactement la position et le titre de chaque chevalier. Les heaumes se compliquèrent encore de lambrequins, c'est- à-dire de morceaux d'étoffe. Les cimiers des casques de- vinrent des ornements essentiels et affectèrent les formes les plus singulières comme des cornes, des lions, des bras armés de poignards, des chimères et toutes sortes d'animaux. On prit aussi l'habitude de superposer au cimier des banderoles portant les cris d'armes des familles qui avaient conduit des troupes sous leurs bannières. C'est à ce genre de cris qu'ap- partenait celui des rois de France : « Monljoye, Saint-Denis I » Les Chalant en Savoie criaient : « Tout est et n'est rien f » A la croix de Savoie étaient accolées ces quatre lettres, 237 sur lesquelles on a émis des volumes : F. E. R. T., et dont aucun auteur n'a donné une interprétation bien satisfai- sante. Les armoiries et leurs accessoires devinrent ainsi, avec le temps, une science auxiliaire de l'histoire. Elles furent plus qu'un simple objet de curiosité nobiliaire. Il est telle science d'une utilité incontestable, celle de la numismatique ou des monnaies, par exemple, qui, au Moyen-Age, serait totale- ment perdue si la science du blason ne parvenait à l'illustrer. Les armoiries des anciennes familles, des corporations mu- nicipales ou religieuses, des tribus d'arts et métiers se trou- •vent reproduites, notamment en Suisse, sur les monnaies, 1rs édifices publics, les vitraux des églises, des châteaux et, en général, sur tous les monuments qui nous restent du Moyen-Age. Reconnaître la famille ou la corporation à qui appartenait tel ou tel blason est souvent le seul moyen qui reste à l'his- torien et à l'archéologue pour connaître l'origine, la date, le but, la destination de tel monument qui sans cela demeure- rait inexpliqué. Ces indications suffisent pour justifier le soin avec lequel on a recueilli en Suisse, dès les siècles précédents, les ar- chives des villes, des États, des familles et des corpora- tions. Rien que nous vivions à une époque très-peu favorable aux prétentions nobiliaires, ces dernières années ont vu paraître en Suisse plusieurs publications héraldiques, dont nous vou- lons dire quelques mots. Leur apparition s'explique par ce que nous avons exposé touchant l'utilité du blason pour l'histoire, et aussi par l'importance que mettent les États et les familles, en dépit des idées de nivellement, à sauver de l'oubli ce qui se rattache à la mémoire des ancêtres, aussi bien pour les peuples que pour les individus. 238 f» Armoriai vnudoi». Depuis longtemps déjà nous avions des armoriaux suisses, recueillis pour les archives, les bibliothèques, les collections publiques elparliculières. La bibliothèque de Berne possède trois grands recueils, dessinés et coloriés à la main, renfer- mant les armoiries des villes, des bailliages et lies familles du canton de Renie. Les deux premiers ont été formés au dix-septième siècle, et le troisième au siècle passé. Le canton de Vaud. démembré du canton de Berne dont il était le sujet, a eu depuis longtemps un bel armoriai recueilli parle- baron d'Estavayer. Il en possède aujourd'hui un autre plus parliculier. et qui esl comme un abrégé du précédent. Il a été publié récemment, grâce aux soins de MM. Bacon de Seigncux, Alphonse de Mandrot et David Martignier. V Ar- moriai vaudms. édité par ces Messieurs, contient : 1° les armoiries des évoques de Lausanne : 2° celles des baillis de Vaud sous la maison de Savoie; 3° celles des villes et bourgs de l'ancien Pays de Vaud; 4' celles des familles nobles et notables du pays snus les régimes anciens. Naturellement cet armoriai, exécuté avec luxe et reproduisant les émaux ou les couleurs des écns (ceux-ci au nombre de cinq cents), ne peut être qu'un extrait des documents héraldiques qui existent en très-grand nombre dans l'ancien Pays de Vaud. Nous apprenons qu'un amateur zélé et infatigable de l'art héraldique, M. Jean Monnier, de Nyon. travaille incessamment à le compléter. Il a déjà réuni pour eela des matériaux très- nombreux, et il s'occupe de leur classement avec M. Oscar Hurt-Binet, versé, comme lui, dans la science des armoiries et des généalogies. 239 S<> Armoriai genevois, p.ir MM. flALIfVB, docteur en droit, et Alphonse de Manmot. Sur un plan à peu près semblable à celui de V Armoriai inmiiois, M. Galilïe, tils de l'historien auquel Genève doit tant de recherches sur son ancienne histoire, et M. Alphonse au Mandrot. que nous avons déjà nommé; ont entrepris de pu- blier un Armoriai voisins, et même plusieurs *\v> ("in- tous sui-ses les plus libéraux. s'occupent sérieusement de l'héraldique. Au milieu de n?> manifestations historiques. Genève, cette antique cité, qui a su traverser toutes les formes politiques et sociales Domines sans perdre île son importance et île son individnalilé. ne pouvait rester en arrière et cela d'autant moins qu'il n'est pas de pays en Europe où la vérité, en pareille matière, offre moins les in- convi '■ 1 1 i i ■ 1 1 1 - qu'on pourrait redouter ailleurs. Pour faciliter l'intelligence de VArmorialigetncwis, nous l'avons divisé en deux séries distinctes, séparées par l'année décisive de 1535 : 1° Genève épuooptUef çl ± G&tèvfi mfoanée. La première série comprendra donc, dans toutes leurs variétés; les anfMs des anciens comtes de Genève, de leurs apanage», dasi maisons qui s\ rattachent |iar substitution ou autre voie de suci sion; puis xiendiDiil successivement les piinees-évéques et vidomnes île Genève, et enlin. pai ordre alphabétique, les principaux dignitaires de l'Église et de la municipalité, et, parmi ces derniers, tout naturellement, les illustres patriote! auxquels notre pays doit son indépendance. » La plupart des blasons de cette série ont été puisés aux 240 sources premières, soit sur les monuments, soit surtout sur les sceaux, originaux, dont plusieurs remontent à la naissance de l'institution héraldique. » La seconde série, composée en entier de noms de toutes nations, inconnus à Genève avant 1535, appartenant en majeure partie à des réfugiés pour cause de religion, offre un autre genre d'intérêt à cause de sa variété même. On y verra, d'ailleurs, figurer les principales célébrités qui ont illustré Genève au dehors dans ces derniers siècles. La pre- mière difficulté, dans celte seconde série, se bornait à nous maintenir dans certaines limites, d'autant plus que l'authen- ticité historique constitue r-eule le mérite d'un ouvrage comme celui-ci. Aussi, sauf de rares exceptions suffisam- ment légitimées, n'avons-nous pas cru devoir aller au-delà des premières dignités magistrales. Encore n'avons-nous admis que les armes qui nous ont paru réunir les conditions d'authenticité requises en pareil cas, notamment la posses- sion non interrompue, datant d'une époque plus ou moins ancienne, prouvée, comme dans la première série, par des sceaux ou cachets originaux, ou tout au moins par la coïnci- dence des prétentions de ceux qui ont porté ces armes, avec l'opinion d'historiens ou de généalogistes d'une autorité reconnue. Cette restriction pourra peut-être nuire au succès momentané de notre œuvre, mais le public consciencieux nous approuvera. » Là était en effet l'écueil. Il est toujours à craindre, dans des publications de ce genre, qu'une large part ne soit faite à la vanité, à l'amour-propre des individus et des familles. Dans notre siècle, qui se dit si indifférent en fait de préten- tions nobiliaires, ces sortes de mobiles jouent un rôle d'au- tant plus grand qu'on affecte à leur égard un plus grand air de désintéressement. Nous félicitons les éditeurs de l' Armoriai genevois d'avoir 24-1 voulu faire une œuvre historique sérieuse et non point une spéculation 2 Renseignements sur les Armoiries et les Sceaux de la Ville et République de Genève, recueillis par M. J.-K. Massé, vice-Président de la Section des Sciences morales et politiques, d'Archéologie él d'Histoire de l'Institut genevois. Ce travail est aussi, par sa nature, entièrement en dehors des calculs intéressés d'un éditeur qui veut viser au gain et faire appel .aux passions dont nous avons parlé. Son auteur l'a rédigé à la demande du Comité de la Société des anti- quaires et des archéologues de Zurich, qui publie dans la collection de ses beaux Mémoires une série de livraisons consacrées aux armoiries et aux marques héraldiques de tous les cantons suisses. L'œuvre est déjà fort avancée, notamment pour les cantons allemands, et il ne reste guère à publier que les cantons français. Celui de Genève, à cause de son importance historique, méritait une attention particu- lière. M. Masse, vice-président de la Section des Sciences morales et poliques, d'Archéologie et d'Histoire de l'Institut genevois, a communiqué à ses collègues, dans la séance du 30 octobre 1857, le Mémoire très-intéressant sur les armoiries de Genève, qu'il a composé à la demande de la Société des antiquaires de Zurich. Il explique dans ce Mémoire tous les symboles héraldi- ques de la ville de Genève. C'est d'abord le soleil que l'on croyait adoré dans celte cité au temps du paganisme ; puis la clef de sain! Pierre ri 155): puis ensuite les clefs épisco- pales, el enfin ['aigle impériale. Ce l'ut, en effet, à l'époque où Genève devint ville impériale (1367) que l'aigle fut ajoutée à la clef. 16 242 Cette aigle ne fut pas d'abord à deux tètes. Les actes de l'empereur Charles IV portaient encore l'aigle simple. Plus tard l'aigle à deux tètes fut adoptée, comme on le voit dans le Missel de 1491 . « Nos pères, dit Simon Goukird. ont adopté l'ècusson genevois pour montrer que leur cité était « ville impériale » , et qu'elle avait une dévotion particulière pour l'apôtre saint Pierre. » M. Massé a passé en revue, dans son travail, tous les monuments, les sceaux. 1rs peintures où figurent, avec diverses modifications», les armoiries de Genève. En 1536, à partir de la Réforme, l'écasson de Genève figure au milieu d'une couronne . avec deux rameaux en guise de sup- ports. Quant à la légende de l'écusson genevois, elle ne ligure pas dans les peintures primitives. Les chroniqueurs Savion ei lloset disent qu'au commencement du seizième siècle, vers 1530, la divise était : « Post tenebms qpero Ivmn. » Vers 1 5 43 on mit : « Posl tenebms far « , pour montrer que Genève, par la Réformation, avait atteint la lumière. Dans les années révolutionnaires, l'ancien écusson gene- vois continua d'être employé, mais avec différents insignes emblématiques, selon l'usage du temps, comme la pique, des drapeaux, etc. L'aigle fui alors figurée avec les ailes éployées. Quand Genève lui incorporée à L'empire français, ses an- ciennes armoiries furent conservées, mais aussi avec des modifications. Comme banne ville forme- plus élégantes et quelques ornements> » Quant aux sceaux judiciaires, ils restèrent semblables aux anciens et conservèrent, au lieu de la devise nationale, la légende d'indication : Sccnit ■ Les sceaux sur cire ou oublies sont de deux dimensions, savoir : le grand sceau, qui a vingt et une lignes, soit cinq centimètres et demi de diamètre, et le petit, qui a dix-huit 1. Le sceau de la ville fui conforme aux armoiries nouvelles, à la elef et l'aigle concédées par Tempereur. Il portait comme inscription, comme pour toutes les bonnes villes, le nom de la ville, Genève, puis celui du département, département du lÀiH'i" 249 lignes, soit à peu près quatre centimètres de diamètre. Ils sont semblables l'un à l'autre. La clef cl l'aigle y sont repré- sentées dans un écusson de forme gracieuse accollé de brandies de laurier, et. ayant pour cimier un soleil rayon- nant, portant le monogramme .1HS. ils portent tous deux la dense Post tenebras lux. Mais au petit, elle est inscrite ftous l'écusson, et au grand elle l'esl au-dessus, » Le sceau ou timbre noir représente la clef ei l'aigle dans un écusson, précédemment en forme de bouclier pointu et maintenant de forme carrée en baul et arrondie en bas, finis- sant en pointe, -ans aucun ornement ni rameaux, avec le soleil pour cimier. 11 ne porte pas la devise ; il porte pour toute légende Respubtica genevenm. » Quant aux sceaux judiciaire-, qui ne sont que des tim- bres noirs, ils sont semblables aux sceaux noirs de l'Etat; seulement, au lieu des moX&respublica genevensis, ils portent en légende les mots « République et Canton de Genève » , et le nom de la cour ou du tribunal auquel ils appartiennent. • M. Massé a fail aussi îles recherches sur les armoiries et les sceaux des villes secondaires du canton de Genève, comme llermanee et Garouge. Pour Hermance, M. Massé n'a rien trouvé, el cela s'explique parles désastres que cette lo- calité, jadis importante, eut à subir. Mais \oici le résultat des recherches auxquelles M. Massé s'esl livré sur les armoiries et le> sceaux de Carouge : « Les lettrés patentes du 31 janvier 1186, qui érigèrent le bourg de Garouge en ville, ne font aucune mention de con- cession d'armoiries ou de sceaux particuliers pour cette nou- velle ville. Dans les papiers et. titres du temps, on ne retrouve que i]c> sceaux pTirement nationaux, c'est-à-dire de la pro- vince sarde dont Carouge faisait partie. i Bu 179-2, Garouge devint française. On trouve 3 cette époque des sceaux nationaux français. 250 » Cependant, après des recherches exactes. M: Massé a trouvé, dans les archives de cette mairie, un sceau en cuivre qui laisse à penser que Carouge aurait eu par tradition, ou autrement, des insignes communaux hases plus ou moins sur des circonstances spéciales locales. » Ce sceau eu cuivre, ovale, dont le grand diamètre est de dix-neuf lignes et qui date sûrement de l'époque révolution- naire, porte un écusson triangulaire de gueules avec m arbre en pal de sinople. reposant sur une hase de sinople. L'écusson est surmonté d'ornements tenant à l'époque, savoir des pi- ques, drapeaux et un bonnet de liberté. Il porte en légende : Municipalité de Carouge. » Pourquoi cet arbre dans f écusson, d'où provient-il ? » Voici la supposition faite : !» L'arbre a tout-à-fait l'apparence d'un caroubier, arbre toujours vert, analogue pour la forme avec le pommier. On sait que l'écorcc de cet arbre sert à la préparation des cuirs, en guise de tan, et que, dans le commerce, on donne à cette écorce le nom de Carouge. (Voir les dictionnaires d'histoire naturelle.) » Or, comme dès les premiers temps, on travailla beaucoup aux cuirs, et que le nombre des tanneries fut très-considé- rable à Carouge, ne serait-il pas possible que l'arbre dont on tirait un grand profit, soit devenu, par reconnaissance ou autrement, la base d'armoiries, plus ou moins parlantes, pour cette ville naissante ? » Sous l'empire français, le sceau ne fut plus en usage à Carouge. Cette commune eut, comme toutes les autres de l'empire, un sceau à l'aigle impériale avec h légende : Mairie de Carouge. » Carouge, étant aujourd'hui une ville suisse, ne pourrait- elle pas reprendre son sceau ancien et ses couleurs d'ar- 251 moiiies vert et rouge, comme la plupart des autre? villes suisses, par exemple Rolle, Nyon. Lausanne. Thoune, etc. » 4» Armoriai neuchàtclois. Galerie historique du Château de Neu- cbâtel, contenant les armoiries des comtes et primes de Neuchâtel, des gouverneurs ^qui ont administré le pays en lei r nom. ainsi que de quatre bourgeoisies. Ce splendide armoriai, publié à Berne el à Neuchâtel par l'éditeur F.-L. Davoine, est aussi une œuvre de désintéresse- ment. puisqu'il ne renferme nue les blasons de familles princières on de maisons nobles éteintes dès longtemps, et avec lesquelles le canton de Neuchâtel o'a plus aucun rap- port. La notice qui précède les planches de V Armoriai a été rédigée par M. Félix Bovet, bibliothécaire à Neuchâtel, qui. en comparant le plan de son ouvrage à celui de V Armoriai ge- nevois de M. Blavignac, publié en 1849 (2 vol. in-8°V- s'op- prime ainsi : 1 II é'iaità désirer que Neuchâtel, donl l'histoire et les an- tiquités ont été, depuis \ingl ans surtout, l'objet de travaux consciencieux et approfondis, possédai aus>i on recueil hé- raldique. M. Uavoine a entrepris cette publication. Il a pris pour base de sou recueil la galerie d'armoiries qui orne la salle des États au château de Neuehâtel, et qui a été exécu- tée, nu du moins commencée sous le règne de la duel de Nemours, dépendant, cette galerie n'e-t pas complète; elle donne, il est vrai, les armoiries de tous les gouverneurs du comté, mais ou n'y trouve pas le- .•eus des premiers sei- gneurs de Fenia et de Neuchâtel, non plus que ceux de dos derniers princes. Elle n'est pas non plus exempt- de toute inexactitude soit dans le dessin même, soit surtout dans les émaux qui eut été altérés par le temps ou par des réparations inintelligentes. L'éditeur de V Armoriai neuchâtelois a cherché à combler ces lacunes et à corriger ces erreurs II a joint aussi aux planches des notes explicatives, afin de les rendre plus intéressantes aux personnes qui ne sont pas suffisam- ment familiarisées avec les éludes historiques et héraldi- ques. Ces notes forment une bonne introduction à l'histoire de Neuchâlel. L'auteur passe en revue les différentes maisons princières qui ont possédé ce pays. C'est donc une excel- lente illustration des Annales neuchâteloises qui sont, comme on sait, assez compliquées. » L'histoire héraldique de la première maison de Neu- châtel est extrêmement ohscure. Le premier sceau d'un Richard de Neuchâlel (en 1272), consiste en un écu à trois pals. Au retour de la deuxième Croisade, Ulrich II de Fenis fixa sa résidence à Neuchâtel et prit le nom de sa nouvelle habitation, avec des armes figurant un pignon tlanqué de deux tours, sorte d'armoiries parlantes qui furent l'origine des chevrons de Neuchâtel. Le nombre des pals et des che- vrons resta longtemps indéterminé. Louis de Neuchâtel por- tait Vécu d'or nu pal de gueules chargé île trois cherrons d'argent. » Huit planches de l'Armoriai sont consacrées à la pre- mière maison de Neuchâlel. Vient ensuite la maison de Fri- bourg (planches 9 à 11) qui commence avec Egon de Fribourg, mari de Varenne de Neuchâlel. (Les alliances ou les armoiries de femmes sont constamment coloriées à côté de celles de leurs époux.) Après la maison de Neuchâlel- Fribourg, vient celle de Neuchâtel-Hochberg, remontant aux Zferingen (planches 12 à 14). Jeanne de Hochbcrg épouse Louis d'Orléans, et alors commence la maison des Orléans- Longueville, comtes de Neuchâtel, qui était une branche bâtarde des ducs d'Orléans de la maison de Valois, remon- 253 tant au célèbre Dunois, bâtard de Louis d'Orléans, fils du roi Charles V (planches 15 à 21). » A la mort de Marie d'Orléans, duchesse de Nemours, en 4707, s'ouvre le fameux procès qui adjuge Neuchàtel à la maison de Prusse, dont les armoiries, avec tous leurs quar- tiers compliqués, occupent les planches 22 et 23. Vient en- suite la domination de la France et de Berthier de 1806 à 4814 (planche 24). i Ici se termine la première partie de l'Armoriai neuchà- telois. La seconde est consacrée aux armoiries des gouver- neurs de la principauté sows ces divers régimes. Ce sont Philibert de Chamirey, George de Rive, J.-J. Bonstetteo, George de Diesbacb, Pierre Valier, François d'Affry, Jacques de Stavay-Hollondin, François de Langes de Lubières, Paul de Froment, Philippe de Brueys de Bezuc, Jean de Nalalis, George Keith, maréchal d'Ecosse, Robert-Scipion de Lentu- lus. Louis-Théophile de Béville, François Lesperot, J.-B. de Chambiior, Frédéric-Guillaume de Zastrow et Adolphe-Henri de l'fuel (planches 22 à 42). » La dernière partie de l'Armoriai neuchâtelois est consa- crée aux armoiries des quatre bourgeoisies de Neuchàtel. du Landeron, de Boudry et de Valangin. » Un beau frontispice représente la salle des États de Neu- chàtel, les statues du monument des anciens comtes que l'on voit dans l'église collégiale et deux vues du Château de Neu- chAtel . IOTHM L'ÉGLISE DE GENÈVE DEPUIS LES TEMPS PRIMITIFS JTJSCtO'EN 1815 J. GlBEREL aDcien pasteur. TROIS VOLWMKS IN-OCTAVO. Cel ouvrage, dont le dernier volume paraîtra dans le cou- rant de l'hiver de 1 858, est le résultat de recherches sérieuses et consciencieuses. L'auteur avait puhlié le premier volume en 1854: il s'était surtout servi des chroniques de seconde main, d'après lesquelles sont composées les histoires de Ge- nève, imprimées jusqu'à ce jour. Les recherches entreprises pour le deuxième volume, lui firent découvrir des faits ab- solument ignorés. M. Gaberel eut le courage de retirer le volume publié el de le refaire complètement. Il sera large- ment récompensé de ce procédé peu commun par le privilège d'offrir du nouveau sur le thème rebattu du seizième siècle. Voici, du reste, les sources où il a puisé : Ier volume. Période épiscopale. — Registres des chanoines de Genève. 255 Constitutions synodales de l'évêque Antoine Champion en 1403. Le livre de la Sapience de 1 178. Poésies ci drames genevois de 1528. Correspondances des Dominicains de Plainpalaàs avec les Conseils genevois i Archive.- de Genève). Registres des Conseil» de 1513 jusqu'en 1530. Lettres des papes anx ducs de Savoie au sujet de Genève; idem de Charlemagne (Archives de Turin). Lettres de Berne à Pierre de la Baume, etc. Période réformée de ($30 à 1815. — Registres des Con- seils, copiés d'après les originaux de 1530 à 1504. Lettres de Berne à Genève, inédites et collationnées par M. le chancelier de Stwrler,de 152" à 1504. Lettres des ambassadeurs genevois à Reine (Collection Ga- liffc. Procès des Peneysans avec tous les actes qui s'j rap- portent. Procès des Béfprmés en Savoie et à Lyon (Archives de Berne). Lettres des ambassadeurs sardes à Rome au sujet de Ge- nève. Dossier des affaires de Genève à Turin, les douze premières catégories. Manuscrits contemporains sur la mission de Saint François de Sales, de 1519 à 1754. Mémoires au pape sur la rébellion de Genève. Correspondances romaines pour le concile de Trente (Turin). Mémoires des otliciers sardes sur les guerres de Genève au seizième siècle. Lettres du cardinal d'Ossal, ambassadeur de Henri IV à Rome (Collection de M. Gaullieur). 256 Manuscrits el lettres des ducs de Savoie durant le seizième siècle. Manuscrits et brochures piémontaises touchant les entre- prises contre Genève (Idem). (Bibliothèque de S. M. Victor-Emmanuel.) Mémoires des Réformateurs sur l'établissement successif de l'Église de Genève, de 1537 à 1541 (Archives de Genève). Lettres de Calvin (Collection de M. Bonnet). Procès des adversaires de l'Église genevoise de 1542 à 1555 (Archives de Genève et collection de M. Galiffe). Lettres de réfugiés italiens sur Genève en 1555 (Biblioth. de Zurich). Règlements originaux du Consistoire et de la Compagnie des Pasteurs. Correspondance de l'Église de Genève avec les Églises étrangères, dix-neuf portefeuilles (Biblioth. de Genève). Mémoires et correspondances de diverses familles gene- voises, dont les noms ont marqué dans l'histoire ecclésias- tique de ce pays. Mémoires manuscrits des Archives de la Véo. Compagnie sur les luttes concernant le développement de la liberté de conscience au dix-septième siècle. Mémoires inédits touchant les réfugiés de la Révocation de l'édit de Nantes. Mémoires divers concernant l'École philosophique du dix- huitième siècle. Documents contemporains sur Genève durant la Révolu- tion et l'Empire. s ■■•» a&cSy&ex*^ 257 SECTION DE LITTÉRATURE. >G=S**3!S^&0-« — I. COMPTE-RENDU DES SÉANCES. C'est au 7 février 1857 que s'arrête, dans le précédent Bulletin, le compte-rendu des séances de la Section de Litté- rature. Cette Section a depuis lors commencé sa troisième session, et, jusqu'au 27 juillet, a tenu six séances, dont trois pour tous les membres, trois pour les membres effectifs seu- lement. Le samedi 14 mars 1857 (lre séance de la troisième ses- sion), le Président annonce à l'assemblée que, malgré toutes les informations qu'il a pu prendre, il ne comprend point précisément encore quelles sont lés vues de M. Morhardt, en demandant à la Section, par le ministère de son frère, si elle pourrait utiliser les études qu'il a faites sur les États- Unis. M. Braillard croyant savoir que M. Morhardt espère re- tirer quelque profit pécuniaire de son travail statistique et littéraire à la fois, on le prie d'écrire à M. Morhardt, avec- lequel il est en rapport, pour en obtenir de plus amples in- formations. L'ancien Secrétaire donne lecture des lettres de MM. Max Buchon, Dominique Bacci, Nicolas Glasson, qui acceptent leur élection de membres correspondants de la Section ; le troisième, cependant, d'une manière conditionnelle : il de- mande à connaître les règlements de l'Institut. 17 258 Suivant l'ordre du jour, M. Braillard lit les premières pages de ses Souvenirs d'un Instituteur, souvenirs pleins d'obser- vation, de vues fines et justes, de coloris, de vie, et qui font attendre avec impatience leur continuation. — M. Cherbu- liez-Bourrit reprend ensuite sa lecture sur Aristide de Smyrne. Il est écouté avec le plus grand intérêt. La partie de son travail qu'il communique aujourd'hui, se compose elle-même de deux parties-: l'une critique, et elle semble à chacun juste, sûre, convaincante ; l'autre littéraire, et elle fait pénétrer profondément dans la Grèce à une épnque qui, en général, est assez peu et assez mal connue. On re- marque surtout la traduction du premier des cinq discours d'Aristide le Politicos, traduction remarquable par son origi- nalité et sa grâce. Le i avril 1857 (2e séance) — A l'ouverture de la séance, M. le Président, considérant que le terme fixé pour l'envoi des travaux destinés au concours (31 mars 1857) est expiré, invite MM. les membres effectifs à rester après la séance ordinaire, pour nommer des jurés. M. Adolphe Pictet, ayant remercié la Section de l'avoir admis au nombre de ses membres effectifs, donne lecture de son Introduction à un Essai de Paléontologie linguistique. Ce remarquable travail, dans lequel l'auteur traite de l'ori- gine de cette nouvelle science, de ses bases, de ses pro- grès, du but qu'elle espère atteindre, de ses difficultés, de ses chances, etc., est écouté avec l'attention la plus sou- tenue et le plus vif intérêt. La lecture achevée, M. Gberbu- liez-Bourrit fait remarquer ce qu'il y a de vraiment neuf à l'idée de tirer de la philologie l'étude des faits primitifs so- ciaux; et après lui, chacun loue la pureté, la clarté, le pitto- resque de cette exposition bien digne de la réputation de son auteur. 259 Dans une imitation libre du : Rufst du mein Vaterland, que l'auteur, M. Vuy, communique à la Section, et qui est faite dans un tout autre but et un tout autre rythme que celles auxquelles ces derniers temps avaient donné le jour, on s'accorde à reconnaître une magnifique paraphrase du chant national suisse-allemand, laquelle paraphrase se distingue surtout par la fidélité avec laquelle elle suit l'original, tout en développant une ampleur, une richesse, une franche al- lure poétique qui exclut l'idée d'imitation. M. Cherbuliez continue enfin la série de ses lectures sur Aristide de Sinyme. Suivant l'invitation qui en avait été faite par le Président, les membres effectifs demeurent après la séance plénière, et M. le professeur Amiel leur annonce que sur les quatre su- jets qui ont été proposés pour le concours de l'année 1856 — 1857, deux seulement ont été traités, à savoir, pour la poé- sie : Dante en exil; — pour la critique : Du Roman et de ses variétés au point de vue de l'esthétique et de la morale. Cinq pièces de vers ont été envoyées sur le premier sujet; un seul travail sur le second. On décide de former deux jurys : l'un pour la prose, l'autre pour les vers, et l'on nomme jurés : Pour la critique : MM. Cherbuliez-Bourrit, » H. -F. Amiel. Pour la poésie : MM. H. -F. Amiel, » Petit-Senn, » Albert Richard, » J. Vuy, » Henri Blanyalet. 260 Le 2 mai 1857 (3me séance), M. le professeur Oltramare prend le premier la parole, selon l'ordre du jour, et, ayant appelé en quelques mots le sujet des premiers livres de Dioiùre de Sicile, il lit la continuation de ses études sur cet auteur. Ce travail, bien apprécié des auditeurs, est tout rempli d'érudition ; il est écrit avec pureté et élégance, et il offre autant d'intérêt par les faits nouveaux qu'il renferme, que par la justesse des observations personnelles de l'auteur. Le Secrétaire lit ensuite une poésie de M. Petit-Senn. Ce morceau, d'un genre sérieux, est fort bien accueilli. M. Car- teret en loue les sentiments élevés et vrais, et y trouve sur- tout une couleur d'impressions éprouvées, qu'on rencontre rarement dans ces sortes de pièces, où des douleurs et des chagrins imaginaires sont trop souvent chantés sur un mode traditionnel. La séance se termine par la continuation des Souvenirs d'un instituteur. M. Braillard est suivi avec une attention qui prouve toute la part que chacun prend soit à ses aventures, soit à ses impressions, et, sa lecture terminée, des éloges cha- leureux et sincères lui sont adressés par plusieurs des mem- bres de l'auditoire. Quelques observations au sujet d'appré- ciations qui peuvent être erronées, sont cependant faites à l'auteur, qui admet les unes et qui discute les autres. Le samedi 9 mai 1857 (4me séance). Cette séance est parti- culière, et il s'agit d'apprécier les travaux envoyés au con- cours. Les opinions sont peu favorables aux concurrents, et les jurés ayant remis au Secrétaire leurs appréciations, dont il est fait lecture, il est décidé : 1" Que la poésie portant pour épigraphe : 261 Et toi, tu t'en iras en laissant en arrière Ceux à côté desquels ta vie aurait coulé, etc., est la première en rang; mais, comme celte pièce elle-même n'est pas d'une bien grande valeur absolue, on lui accordera un accessit de 150 francs. On adopte en même temps la pro- position de donner une mention honorable à la pièce ayant pour épigraphe ces mots : Nessun maggior dolore Che ricordarsi del tempo felice Nella iniseria. (INF. o.) Quant à la Poétique du Roman, on décide d'accorder à l'auteur du Mémoire, à titre d'encouragement, un accessit de 400 francs. M. Cherbuliez-Bourrit se charge de faire à l'assemblée générale le rapport sur le Roman; M. Vuy sur Dante en exil. Le 13 juin 1857 (5me séance), M. Lamorte, invité, pré- sente à la Section quelques exemplaires d'une poésie qui lui a été inspirée par la catastrophe du Hauenstein. M. Amiel lit ensuite une lettre de M. Eugène Rambert, professeur de littérature à l'Académie de Lausanne, qui re- mercie la Section de l'avoir reçu au nombre de ses membres correspondants. M. Vuy annonce la prochaine publication des poésies de M. de Bons, un des membres correspondants de la Section. Suit un rapport sur un ouvrage soumis à l'examen de la Section, et pour lequel M. le Président a nommé deux jurés : MM. Amiel, membre effectif, et Braillard, membre honoraire. Il s'agit d'un manuscrit volumineux sur les homonymes fran- 262 çais, et dont l'auteur, M. Goldberg, de Saint-Pétersbourg, est de passage en Suisse. Le jury estime que, nonobstant quelques imperfections, cet ouvrage mérite les encourage- ments et l'approbation de la Section ; car ce dictionnaire est non seulement un des plus complets qui existent pour la langue française, mais encore l'idée spéciale qui a dirigé l'auteur est neuve et ingénieuse. Quelques défauts sont ce- pendant signalés, et la Section charge le jury de rédiger une formule d'approbation, qui contienne toutefois les réserves mentionnées. L'ordre du jour amène une lecture de M. Victor Duret, ayant pour titre : Étude sur Reboul de Nîmes. Ce travail, d'une certaine étendue, est un des fruits du voyage que l'auteur vient de faire dans le midi de la France. Il s'agit spécialement du dernier volume du poète-boulanger. M. Duret en analyse les morceaux les plus saillants, il les examine sous le point de vue dogmatique et sous celui de la forme, et finit son Etude par un portrait et un petit tableau d'intérieur. Cette lecture, écoutée avec beaucoup d'intérêt, a donné lieu à des observations intéressantes et variées. M. Vuy termine la séance par la traduction de trois petites pièces du poète allemand Kern, pièces qui se font remar- quer par le sentiment et par une simplicité gracieuse, qui semblent avoir passé, sans rien perdre, de l'original dans la traduction,. Le 27 juillet 1857 (6me séance), l'ordre du jour est le sui- vant : 1° Rapports spr le concours de 1856 — 1857 ; 2° Pro- positions sur le concours à ouvrir. En conséquence, M. Cherbuliez-Bourrit et M. Vuy lisent chacun leur rapport : l'un sur le Roman et ses variétés; l'autre sur le Dante en exil. Les deux rapports étant approuvés, ils 263 seront lus dans l'Assemblée générale et insérés dans le Bulletin. Quant aux propositions sur le prochain concours, après une discussion assez soutenue, la Section tombe d'accord et décide de ne proposer que deux prix, l'un et l'autre de cinq cents francs : Le premier, pour la meilleure étude sur ce sujet : Recherches sur la Poésie populaire dans les divers dialectes de la Suisse romande; Le second, pour la meilleure composition dans le genre de la Nouvelle. Ceci ayant été arrêté, la Section se déclare en vacances pour la durée de trois mois. Henri KLAWALIT. — zv8&&t&*r— 264 II. PARTIE LITTÉRAIRE. ^v^\ \v^v\* Henri BLiNTÂLET. 1/ Al CM ET LE IHMIOY. l'n aigle fut pris, d'aventure, Par un berger, je ne sais où ; Celui-ci, fier de sa capture, Jugea hors de propos de lui tordre le cou. Il le porte à la ferme, où grande fut la fête De narguer le roi des oiseaux; A juger le captif, en congrès, on s*apprète, Et l'unanime avis fut d'user des ciseaux. On vous coupe son aile aussi ras que possible, On vous rogne son bec et son ongle tranchant, Et, pour le transformer en citoyen paisible, Le fermier comptant fort sur l'exemple touchant Que basse-cour offre au méchant, De coqs et de dindons vous le fait camarade. Or, vous pensez quelle algarade Pour les pauvrets ! Du monarque, tout bas, on contait les méfaits : De ses droits cependant il ne fil point usage Et vécut en bon voisinage. 265 C'était bien; mais l'oiseau royal Goûtait peu son Escurial : L'air lui semblait épais, le soleil sans lumière. Il rêvait des rochers qui trônent dans les airs. Et, tandis que son aile arpentait la poussière, Son regard lançait des éclairs. Chacun en le voyant s'étonnait de sa peine; Son gîte était couvert, sa mangeoire était pleine, Que faut-il donc pour être heureux?... Un dindon au cœur tendre Vrai dindon s'il en fut, mais des moins orgueilleux, Résolut, à part lui, de lui faire comprendre Que nulle part ailleurs il ne pouvait prétendre A vivre mieux. Je dis que mon dindon avait l'âme sensible, C'est possible, Mais il croyait encor Parler d'or. Aussitôt voici que s'avance, Tout gonflé de son importance, Notre docteur au rabat couleur feu. Ayant fait son salut, il recule d'un peu, Glousse en façon de toux, et, perché sur la patte, Rentre son cou dans sa cravate ; Sa queue en éventail se prend à s'étaler Et tout annonce en lui dindon qui va parler. « Sire, dit-il alors, quel chagrin vous consume ? Du soir jusqu'au matin, de l'aurore à la brume, Vos yeux 9 Sont fixés sur les cieux. Qu'y cherchez-vous donc tant, quand ici, sur la terre, Le boire et le manger vous sont à pleine main Chaque jour prodigués jusques au lendemain? Je ne puis m expliquer votre ennui solitaire. 266 Regardez alentour de vous, Tout chacun est content du sort et de soi-même, D'où peut donc provenir votre tristesse extrême, Quand nous sommes heureux, de quel droit souffrez-vous? » L'aigle, un moment surpris de ce jet d'éloquence, Ouvrait un œil ardent et cherchait en silence De quel mont, de quel ciel était tombé celui Qui, pour le consoler, se comparait à lui. . . A ses pieds épatés il reconnut la bête : « Merci, répondit-il en secouant la tète, Mais, crois-m'en, goûte en paix les bienfaits du fermier Sans tant de soin pour moi, car ta faconde est vaine; Que peux-tu savoir de ma peine, Jamais tu ne tombas que du haut d'un fumier. » iiA iivmE et sojv diage. » Attrape! attrape encor! » disait Jean l'aviné, Assaillant à grands coups de pierre Le disque lumineux qu'au fond de la rivière La lune, en se mirant, y montrait dessiné. « Et de deux ! et de trois ! je t'ai juré rancune, Lune, Du soir où, pour complaire au sot qu'en dira-l-on, Tu fis voir tout à coup ton odieux visage, Afin que nul ne pût ignorer au village Que Jean embrassait Jeanneton. » Ah ! vous aviez donc cru, sur vos hauteurs perchée, Madame la bégueule, éviter mon courroux... Lors il ne fallait point, par le bain alléchée, 1 267 Sans môme avoir l'esprit de vous tenir cachée, Descendre effrontément : ma foi, tant pis pour vous ! Et pierres de pleuvoir, et dans l'onde affolée L'image à chaque jet d'être tout en émoi ; Cependant que la lune, accomplissant sa loi, Sereine, cheminait sous la voûte étoilée. Que de tribuns, que de rhéteufs, Que de songe-creux et d'auteurs, Sans doute à jeun, mais d'humeur acre, S'acharnent contre un simulacre ! POUR VOIiEK... — Mes yeux ! mes pauvres yeux ! oh ! je ne peux plus voir !. Geignait, d'un coup de poing, aveuglé dans la rue, Un gamin délabré dont avait fait recrue Quelque maître voleur, pour voler au mouchoir. L'horion, à vrai dire, était rude : un avare, Se sentant détrousser sans qu'on lui criât : gare! L'avait administré, sauvegardant ainsi Son bien de prime abord, puis la morale aussi. De Genève pourtant l'orgueilleuse devise Pour l'enfant ahuri se retrouva de mise : Après l'obscurité, la lumière se fit. — Oh ! dit-il, accostant son patron déconfit, Qui, le chapeau sur l'œil, se tenait là tout proche, Les mains, par grand hasard, dedans sa propre poche. - Oh! mon père a raison, le métier est mauvais, Vaut mieux être honnête homme, adieu, car je m'en vais.— 268 — Mon enfant, lui dit l'autre, en montrant à distance Le palais somptueux d'un roi de la finance, Ton père est un vieux sot qui jamais ne fit rien. Ce n'est pas au métier que son propos s'adresse ; Mais à qui s'y fourvoie ayant trop peu d'adresse : Pour voler, il faut voler bien. L'OS ET IiES DEUX CHIENS. Le barbet d'un aveugle, un jour de liberté, En fouillant les fumiers, trouva par aventure Un os des mieux garnis. C'était riche pâture! Maître barbet, ma foi ! fut presque épouvanté. Mais il n'avait, durant sa chétive existence, Jamais flairé, bien moins goûté, pareil morceau ; Et ne sachant comment entamer la pitance, Il se mit à rêver, assis dans le ruisseau. « Bah! se dit-il enfin, sans me rompre la tête, Je m'en vais en parler à Caio, mon voisin ; Caro n'est pas trop fier et m'appelle cousin Chaque fois qu'un mâtin à le rosser s'apprête. «Allons donc le trouver! » Notre innocent barbet, Portant l'os comme on porte une sainte relique, A l'opulent voisin s'en vient conter le fait Et lui décrit, penaud, son embarras rustique. « Donne ici, lui dit l'autre, et regarde-moi bien ! Pour un mets si friand, il faut de la méthode, Voici comme on le mange à la dernière mode. . . » Et Caro mange l'os au nez du pauvre chien. 269 Cette fable s'adresse à qui ne sait rien faire Sans prendre le conseil d'un plus roué que lui ; Caro n'est qu'un fripon, soit dit sans lui déplaire, Mais sot fut le barbet de consulter autrui. DANTE EN EXIL. Et toi, tu t'en iras en laissant en arrière Ceux à côté desquels ta vie aurait coulé : C'est la le premier coup qui frappe l'exilé. Tu sentiras bien loin de Florence et des nôtres Qu'il est dur de monter les escaliers des autres Et combien est amer le pain de l'étranger. Divine comédie. 0 Dante ! ils t'ont proscrit de ta ville natale, Mais ta voix, en pleurant, lui jette ses adieux, Tandis que dans ses murs la discorde fatale Élève pour les tiens ses gibets odieux. 0 poète ! tu vis l'injuste aréopage Prononcer ton arrêt sans froncer le sourcil : Du livre de tes jours c'est la seconde page, Hier la lutte ardente et maintenant l'exil. L'exil affreux, sinistre, amer, inexorable, Avec l'isolement, les chagrins, le remord, Le deuil — et la douleur, compagne inséparable De ce voyage ardu dont le terme est la mort. Tu fuis ; tu vois déjà les palais de Florence Bien loin s'envelopper dans les brumes du soir, Et sentant avec eux s'éloigner l'espérance, Sur le noir Tolmino, pensif, tu viens l'asseoir. 270 Et là, le front courbé par la tristesse amère, Du fleuve de tes ans tu remontes le cours, Tu revois un instant ta jeunesse éphémère Et le s;ai tourbillon de tes fraîches amours. Comme un songe, s'enfuit cette image brillante; De sinistres rougeurs montent au fond des cieux, Florence t'apparaît, désolée et sanglante, Mêlant au bruit du fer ses cris séditieux. Ton esprit sonde alors nos pleurs et nos misères Et sanglotte en voyant tant de maux réunis, Mais l'aigle du génie, ouvrant ses larges serres, T'emporte jusqu'au bord des mondes infinis. Tout à coup devant toi la profonde géhenne Fait rouler en grinçant ses deux portes de fer, Et tu vois le séjour de l'éternelle haine Et les grandes douleurs que recèle l'enfer. Une lumière étrange éclaire les ténèbres Où les esprits des morts volent en tourbillons, Les damnés, emportés dans leurs rondes funèbres, Découpent dans la nuit de flamboyants sillons. Ici le lac de feu gonfle ses rouges lames, Plus loin paraît Dite, la ville des tombeaux, Avec ses grandes tours que dévorent les flammes, Du gouffre ténébreux, gigantesques flambeaux. Le monstre Géryon t'emporte sur ses ailes; Tu descends jusqu'au bas de l'immense entonnoir Où Satan, dont les yeux lancent des étincelles, Etreint Judas rongé d'un morne désespoir. 271 Virgile te conduit, et, pour te satisfaire, Te l'ait sortir du fond de cet abîme ardent, Déjà tu vois aux cieux de l'austral hémisphère Briller la Croix-du-Sud auprès de l'Ëridan. C'est ici le séj Dur des âmes dans l'attente ; Quelques-unes bientôt vont prendre leur essor, Les anges, descendant de la voûte éclatante, Abaissent sur leurs fronts leurs grandes ailes d'or. Plus haut ton corps reçoit l'eau purificatrice. . . Mais quel éclat soudain illumine les airs! Sur un char de rubis t'apparait Béatrice, Comme une blanche étoile au fond des cieux déserts. Tu la suis, et tous deux vous franchissez l'espace, Vous arrivez au bord des empires de Dieu, Tu vois auprès de toi la comète qui passe En traînant dans l'élher sa chevelure en feu. Tu vois dans le lointain notre soleil qui sombre, Tu regardes tourner les mobiles essieux Des astres qui, pour nous, sur notre globe sombre, S'ouvrent toutes les nuits, semblables à des yeux. Tu découvres bientôt l'éternel empyrée, Et l'échelle qui monte aux trônes radieux, Et la rose mystique, immense, diaprée, D'où s'élèvent sans On des chants mélodieux. Ici roulent les eaux du fleuve de lumière : C'est l'espace blanchi que le soir nous voyons ; Plus loin, la croix du Christ, dans sa gloire première, Buisselle de splendeurs, d'âmes et de rayons. 272 Ton esprit s'éblouit, tu te voiles la face Quand soudain devant toi paraît la ïrinité, Alors ta vision, pâlissante, s'efface, Et te voilà rentré dans la réalité. Maintenant viens! reprends le fardeau de la vie, Dieu, pour te soutenir, à toi s'est dévoilé ; En pensant qu'à tes jours l'espérance est ravie, Porte souvent tes yeux sur le ciel étoile. Car tu n'as point vidé la coupe d'amertume Et l'exil a pour toi des malheurs imprévus; La douleur est un feu qui brûle et qui consume Ainsi que ces brasiers dans le gouffre entrevus. Souvent tu n'auras pas où reposer ta tête, Et tu seras chassé du seuil de la maison, Sur ton front nu battra le flot de la tempête Et tu n'auras pour lit qu'un peu de froid gazon. Les femmes, les enfants t'accableront de pierres, Sans oser les frapper tu lèveras la main, Et des larmes alors, tombant de tes paupières, Mouilleront trop souvent la poudre du chemin. Tu trouveras bien peu de gîte charitable, Craignant de demander, tu souffriras la faim, Et si quelque seigneur pour toi dresse sa table, Parfois avec l'affront tu mangeras ton pain. Florence ajoutera la vengeance à l'outrage Et tes vils ennemis, vainqueurs et triomphants, Ne pouvant plus sur toi satisfaire leur rage, Pour t'accabler encor, frapperont tes enfants. 273 Pour prix de ton retour ils mettront l'infamie, C'est alors que ton cœur, distillant tout son fiel, Répondra qu'en tons lieux est une tombe amie Et qu'ofi peut de partout voir la beauté du ciel. Tu rendras grâce au Dieu que ton esprit contemple, Et Paris te verra, sans plaindre ton malheur, Agenouillé le soir sous l'ombre d'un vieux temple Cherchant par ta prière à calmer ta douleur. L'espérance un instant effleurera ta joue, Le bonheur paraîtra vaincre l'adversité : Le bonbeur n'est qu'un flot qui s'enfuit et qui joue, Et pour un jour, hélas ! tu verras ta cité ! Le sort est inconstant et la joie éphémère ! L'exil autour de nous forme un cercle d'airain! L'espoir s'évanouit plus tôt qu'une chimère, Et nous courbons nos fronts sous un bras souverain ! A peine as-tu revu ta maison paternelle Que tu dois pour toujours en dépasser le seuil, Pauvre oiseau de l'exil qui ne ploiras ton aile Que sur la planche humide et sombre d'un cercueil. Tu suis les bords des bois, tu vas le long des grèves, N'emportant avec toi que ton livre divin, Où sont tracés tes maux, tes souvenirs, les rêves Et ces grandes leçons que tu donnais en vain. Tu n'aimes que le vent agitant la fouillée, La lune qui décroit sur la vague des mers Ou qui monte et parait, de pleurs toute mouillée, Ainsi qu'un globe d'or sortant des flots amers; 18 274 Et, tandis que tes yeux suivent de blanches voiles, Ton aine libre prend son vol capricieux Vers ces champs émaillés de brillantes étoiles Qui te semblent d'en-bas les soupiraux des deux." Ton cœur désabusé devient plus solitaire Et ta tète a plié sous le poids des ennuis ; Le travail a rempli tes jours sur cette terre ; L'angoisse et les tourments ont dévoré tes nuits. Ravenne t'ouvre enfin sa porte hospitalière Où tu vois ta famille embrasser tes genoux, Rien ne peut te calmer : la tristesse est un lierre Qui croit dans notre vie et se cramponne à nous. Sur ton chevet de mort tu poses ton front blême, Et ton âme en tremblant attend l'éternité, Le glas sonne. .. . pour toi voici l'heure suprême, Mais c'est l'heure de gloire et d'immortalité! Louis G ROSS, de Martigny. LA NATURE ET L'HOMME. SlfflLITÏÏBIiSo Oportet enim corruptibile hoc induere incorruptionem et mortale hoc induere immortalitatem. Saint Paul. I. Loin de nous les frimas! Place au soleil qui monte Pour bannir de nos champs la neige des hivers ! Place à ce roi puissant dont la splendeur si prompte Inonde et les monts et les mers. 275 Il chasse devant lui les nues ; Du front de nos Alpes chenues Il lance sur la terre un regard de pitié; Et la voyant si pale, après tant de froidure. Il la couvre en un jour de fleurs et de verdure Dans un doux baiser d'amitié! Arrière aussi dans la cabane L'essaim des soucis ténébreux, Et cette misère qui fane La figure des malheureux. Femmes, sortez de la chaumière, Bénissez la chaude lumière Qui ruisselle du firmament; Aïeuls courbés, triste famille, Debout, et vous, ô jeune fille Qui vous penchez languissamment. L'astre majestueux poursuit sa course immense ; Il ne s'est point assis depuis les anciens jours, Et, marcheur éternel, sans cesse il recommence Les espaces de son parcours. Il atteint, anime, colore Chaque plante qui vient d'éclore, Et de la caresser ne se lasse jamais, Semant, sans mesurer, ses rayons magnanimes Sur l'hysope croissant aux régions infimes Et sur le cèdre des sommets. Allons, enfants de la vallée, Ne défaillez pas en chemin! Votre paupière est désolée, Essuyez-la de votre main. . . Et, d'un pas résigné mais ferme, Avancez, frères, jusqu'au terme, Souffrant ou non, mais au devoir. Que le champ du bien se féconde 276 A la sueur qui vous inonde : Mais du repos quittez l'espoir. Oh ! voyez dans les bois, oh ! voyez sur la rive, Qui sommeillaient hier dans les bras de la mort ! Chaque rameau bourgeonne, et la sève captive A déjà repris son essor. A ces feux du midi superbe, L'arbre géant et le brin d'herbe, Tout y puise sa part de vie et de beauté ; Tout travaille eu secret, tout fermente et remue, Et les seins palpitants de la Cybèle émue Dans l'allégresse ont enfanté. Mon âme est frappée, est ravie Devant des mystères si doux! Et ce soleil, foyer de vie, C'est l'image d'un autre en nous; C'est par l'âme ardente et sereine Que mûrit la nature humaine Comme un froment à sa saison! Heureux, dans ce siècle où nous sommes, Quand ce n'est pas le sang des hommes Qui fait germer notre moisson ! Ëclose est chaque fleur; l'étamine inclinée Abandonne au pistil une poussière d'or, Et du premier baiser de ce seul hyménée Naissent des fruits en foule encor. Là-bas, à travers les distances, Pour nouer leurs deux existences, Les palmiers du désert ont pris l'aile du vent ; Ainsi que s'uniraient dans l'amitié deux âmes Qui mêlent à jamais leurs fraternelles flammes Qu'échauffe l'idéal fervent. 0 Dieu ! quand la pensée humaine Est entrée en sa floraison, 277 Une inspiration soudaine Lui dévoile un vaste horizon. Il faut que chaque grande idée Par l'action soit fécondée Et se change en une vertu ; Qu'une vertu de l'autre naisse, Comme le fruit de la jeunesse, Et dise au crime : Que veux-tu? Chasseur aux flèches d'or, l'astre frappe la terre La verdure en jaillit pour s'étendre en arceaux, Et les germes cachés vont par un doux mystère S'élancer en légers fuseaux. Et puis, par un nouveau prodige, Voyez sur chaque noble tige Les feuilles se tresser en tissus caressants, Se festonner de fleurs, qui de leurs frais calices Laissent s'évaporer, pour nos chastes délices, Leur ânie dans un mol encens. Ah ! si notre corps n'est qu'atomes Dissous au grand coup de la mort, Il revivra pour des royaumes Où nous attend un meilleur sort. Le Christ, ce soleil de justice, Vainquit la mort d'un sacriûce ; Il réunira pour toujours Les débris épars de notre être Dont l'esprit redevient le maître Dans la trame de nouveaux jours. Chaque plante a besoin de respirer pour vivre, Pour fleurir il lui faut les baisers du soleil. De chaleur, de lumière une fois qu'elle est ivre, Oh ! saluez son front vermeil. Elle balance sa corolle Au vent nocturne qui la frôle 278 Et secoue alentour de suaves senteurs. Sur le char ouduleux des zéphirs, chaque arôme De proche en proche gagne, atteint, pénètre, embaume Et les vallons et les hauteurs ! Le fils du jour boit la lumière, C'est le breuvage des élus. La fleur qui brille la première, Là haut, brille et ne s'éteint plus. D'autres s'épanouissent-elles ? Ce sont toutes des immortelles Que Dieu fait croître sous leurs pas. Ce sont, dans la divine sphère, De beaux anges que Dieu préfère Et qui ne se flétrissent pas. Et le ruisseau murmure et le saule soupire ; Le verger paternel est plein de rossignols. Et poussant de hauts cris, dans leur jiatal empire Les grands aigles ont pris leurs vols. Et le mouvement, c'est la vie A qui la nature couvie Les êtres destinés à l'hymne universel, A former le concert des mille voix créées Qui s'élèvent du jour à la nuit, agréées Par le paisible roi du ciel. Par delà nos tristes demeures Existe un fortuné séjour; Sans s'écouler passent les heures Qui ne se tissent que d'amour. Sans cesse une hymne d'harmonie Anime la voûte infinie Qu'habitent les ressuscites ! Du haut vide qui nous dévore, De la mélancolie encore Jamais les chants ne sont chantés. 279 il. Mais qu'ai-je dit, Soigneur? N'ai-je donc fait qu'un rêve, En contemplant un jour la large floraison Des maronniers, la-bas, qui dominent la grève, Des arbres nourriciers qui ferment l'horizon ? De l'incessant travail de la nature entière Je suis redescendu jusqu'au labeur humain; Désirant le repos ailleurs qu'au cimetière, L'homme mérite-t-il d'avoir un lendemain? Je me suis élevé de l'herbe renaissante A ce futur réveil où tous sont conviés, Quand l'ange sonnera de sa trompe puissante Ce jour qu'en vos linceuls, ô morts, vous enviez ! N'ai-je fait que rêver, Dieu seul grand, Dieu seul maître ? — « Non, tu n'as point rêvé : ma parole est effet. L'homme ne finit point dans la tombe son être : Ce que mon Verbe dit, mon Verbe aussi le fait. Quand le cours des saisons en est aux feuilles mortes, Qnc par moments déjà va soufflant l'aquilon, Que l'astre, du couchant touche plus tôt les portes, Considère le grain jeté dans le sillon. Le grain est lentement consumé dans la terre; Il dort ; la neige vient sur les champs assoupis. Mon soleil apparaît, et par un doux mystère L'herbe éparsc du sol monte en gerbes d'épis. L'homme ne vaut-il pas une frêle semence ! C'est le germe qui doit s'épanouir en dieu, Alors qu'au jugement pour le mortel commence Ce jour sans déclin pale et sans rayons d'adieu ! •> — 280 m. Grâces à vous, Seigneur ! Gloire vous soit rendue Du sein des temps, du fond de mon être fini. Créateur de tout siècle et de toute étendue, Dieu de l'éternité, maître de l'infini ! On vous devient semblable en vous étant uni ! Pour m'approcher de vous, Dieu, ma seule espérance, Dont l'œil ne peut souffrir l'ombre même du mal, Que n'ai-je du flot pur la chaste transparence, Ou la limpidité profonde du cristal, Ou les blancheurs du lis dans le vallon natal ! IV. Je suis courbé du poids d'une humble destinée. J'obtins la pauvreté pour compagne obstinée ; Depuis mon berceau rude et mes pas enfantins. Elle a toujours été fidèle à mes destins ! Et les sueurs des champs et les âpres études Ont chassé de mon sein les douces quiétudes, Ont tracé sur mon front des plis prématurés Et blanchi mes cheveux qui s'en vont par degrés. Et sentant me quitter ma vue, hélas ! qui tombe, Je répète en pleurant : Autant vaut l'autre tombe ! Ah ! si je ne devais plus voir cet univer, Qu'un monde intérieur, du moins, me soit ouvert ! Si ma prunelle, éteinte à la pure lumière, Restait indifférente à la nature entière, Que j'aie instruit mon œil à contempler le ciel Pour plonger jusqu'au vrai dans son jour éternel ! Que cet œil du dedans, que souvent l'autre tue, A regarder plus loin et plus haut s'habitue, Découvre sous le fait visible et passager Une invisible loi qui ne saurait changer. Dispose de ta créature, Puisqu'elle ne périra pas ; 281 Puisque la tombe nous assure Des impuissances du trépas! 0 principe et fin de mon âme, Si de mes yeux pâlit la flamme Qui m'élève au monde meilleur; Vers toi. Dieu, père de l'aurore, Je pourrai m'élancer encore Sur l'échelon de la douleur. Victor DLBET. Avril 1836. 282 « TRADUIT DU RUSSE DE BlTIOllHEHOFF Quoiqu'elle ait dernièrement attiré les regards de l'Europe entière, la Finlande est en général très-peu connue. Nous pensons donc faire plaisir aux lecteurs du Bulletin, et com- pléter ce que nous avons dit du paysage dans le Nord, en publiant la traduction d'une lettre écrite par un officier russe pendant la campagne de 1808-1809. Presque isolée du mouvement industriel et commercial qui transforme en ce moment la surface du globe, la Finlande n'a presque pas changé de physionomie depuis son annexion à l'empire russe, et la description qu'en a faite Batiouchekoff, il y a cinquante ans, est encore de nos jours d'une frappante vé- rité. J'ai vu une contrée voisine du pôle et de la mer Hyperbo- réenne, où la nature est pauvre et austère, où le soleil luit rarement, mais où, comme dans les pays les plus favorisés, les hommes peuvent trouver le bonheur. J'ai vu la Finlande, depuis les rives de la Kymène jusqu'à celles de l'Uléa, pen- dant une époque de trouble et de guerre, et je m'empresse de te communiquer la profonde impression qu'a produite sur mon âme la vue de cette terre nouvelle, sauvage, et pourtant pleine de charme. Ici la terre présente partout l'aspect de la solitude et de 283 la stérilité ; partout elle est sombre et morne. Ici l'été dure à peine six semaines, mais les tempêtes et les mauvais temps régnent pendant neuf mois. L'automne est horrible et le printemps ressemble à l'automne. De quelque côté que vous portiez vos regards, vous ne rencontrez que de l'eau et des pierres : ici des lacs longs et profonds baignent de leurs flots des rochers de granit sur lesquels le vent berce avec bruit des forêts de sapins; là gisent les gigantesques débris de montagnes granitiques, renversées par des feux souterrains ou par l'Océan débordé. Le printemps ne commence qu'avec le mois de mai. Alors les neiges fondent rapidement, et, du haut des montagnes où ils prennent naissance, les ruisseaux se précipitent, tu- multueux et écumanls, dans les lacs, qui, à leur tour, par des communications secrètes ou visibles, versent dans le golfe de Bothnie l'abondant tribut des neiges accumulées par un long hiver. Si le lac est tranquille, les rochers qui se dressent en pyramides sur le rivage se dessinent alors en bandes immenses sur le miroir des eaux. Au sommet de ces rochers, les oiseaux de proie construisent leurs nids, et, d'après l'antique tradition des Scandinaves, ils prédisent les orages par leurs cris, pendant les sombres heures de la nuit. Mais tout à coup le vent a souillé du .Nord, et le lac endormi s'est réveillé comme d'un profond sommeil. Entendez-vous avec quels rugissements sourds et prolongés il se biUe sur les rochers de granit, qui semblent dédaigner, immobiles depuis des siècles, les efforts de la tempête et la ragé des flots. Les forèls voisines répètent la voix de l'orage et la na- ture entière est bouleversée. Ce spectacle effrayant rappelle la sombre mythologie des Scandinaves, qui représentaient la divinité perpétuellement furieuse et prête à punir les fai- bles humains. Les forêts de la Finlande sont impraticables; elles croissent sur des rochers. Un silence éternel, une obscurité éternelle y régnent. Les arbres abattus parles années ou par le souffle des tempêtes obstruent la route du chasseur entreprenant. Dans ces soliludes effrayantes et stériles, le voyageur n'entend que les cris perçants des oiseaux de proie, les hurlements des loups qui cherchent leurs victimes, le fracas que font les rochers en tombant renversés par la main du temps, ou le murmure des ruisseaux qui coulent avec la rapidité d'une flèche dans leur lit de granit, surmontant tous les obstacles et entraînant dans leur cours des cailloux et des arbres. Mais autour de lui personne et aucun bruit humain. Voyez plus loin. Est-ce le feu du ciel ou l'infatigable main du laboureur qui a incendié ces forêts de pins? Ces sapins gisant sur le sol, arrachés des entrailles de la terre avec leurs profondes racines, ces rochers noircis par le feu, cette fumée qui s'élève en épais et noirs tourbillons de cet immense foyer, tout cela offre un tableau tellement sauvage, tellement sombre, que le voyageur frissonne involontairement et se hâte de reposer ses regards, ou sur le lac voisin qui som- meille majestueusement entre ses rives doucement inclinées, ou sur une verte prairie dont les troupeaux paissent l'herbe fraîche et touffue. Quel peuple a habité cette contrée dans l'antiquité ? Où sont les signes de son existence? Le temps a tout effacé sans doute, ou bien ces sauvages enfants des forêts ne se sont signalés par aucun exploit, et l'histoire, qui raconte avec complaisance les moindres événements des peuples orien- taux et méridionaux, a gardé le silence sur les peuples du Nord. Mais ils ont existé; fils austères et invincibles de la nature primitive ou exilés de contrées plus heureuses, ils habitaient ces cavernes, ils se nourrissaient du lait des bêtes sauvages, ils n'avaient d'autres jouissances que leurs succès à la chasse et le massacre de leurs ennemis, dans les crânes desquels 285 (affreux souvenir!) ils s'abreuvaient de sang en célébrant, leur courage. Quand l'hiver avait recouvert les rivières d'une épaisse couche de glace et enseveli la terre sous un linceul de neige, ils sortaient de leurs repaires, et, se frayant un chemin à travers la mer Hypcrboréenne, ils allaient à la re- cherche de nouvelles solitudes et de nouvelles forêts. Armés de haches et de massues, ils attaquaient les monstres de ces déserts; emportés par les rennes rapides à travers les plaines glacées, ils s'avançaient à la rencontre de leurs ennemis, combattaient, et, après la victoire, ils se livraient à leur san- glant festin. Poussés par une faim dévorante, aiguillonnés par des besoins de toutes sortes, doués d'un indomptable cou- rage, pleins d'une audacieuse résolution, méprisant égale- ment la vie et la mort, ils ne connaissaient pas la crainte et ne reculaient jamais devant le danger. Dans leur délire sau- vage, ils remplissaient les forêts de leurs cris et l'écho répé- tait leur voix dans la solitude immense. C'est ici l'empire de l'hiver. Au commencement d'octobre tout disparait sous la neige : les rochers les plus voisins montrent à peine leurs sommets dépouillés; le givre tombe en nuage épais, et la gelée du matin couvre les arbres de mille (leurs charmantes, qui réfléchissent au lever du soleil toutes les nuances de l'arc-en-ciel. Mais l'astre du jour semble contempler avec effroi les ravages de l'hiver. A peine s'est-il montré un instant au-dessus de l'horizon, qu'il se replonge dans un nuage pourpré, présage d'une forte gelée. Pendant toute la nuit, la lune répand sur la terre ses rayons d'argent et forme comme des cercles sur le pur azur du ciel, à travers lequel voyagent de fréquents météores. Pas le plus petit souffle de vent ne berce les arbres blanchis parle givre; leur immobilité tient de l'enchantement. Triste, mais char- mant spectacle que cette paix extraordinaire sur la terre et dans le ciel ! Le silence est universel. Le daim timide se glisse 286 précipitamment dans le fourré en secouant de ses cornes la neige glacée ; des troupes de coqs de bruyère sommeil- lent paisiblement au fond des bois, et l'étranger qui y pénètre entend chacun de ses pas au milieu de ces solitudes. Ici aussi pourtant la nature sourit d'un gai, mais fugitif sou- rire. Quand la neige se fond sous la tiède haleine des vents et sous les chauds rayons du soleil de mai ; quand les eaux s'é- coulent vers la mer en formant dans leur cours mille ruis- seaux, mille cascades, alors on voit la nature sortir de son long et pénible assoupissement. Tout d'un coup les champs ensemencés se revêtent d'un riche tapis de velours vert, et les prairies s'émaillent de fleurs odoriférantes. La marche de la végétation se remarque à l'œil nu. Aujourd'hui tout est mort ; demain tout sera en fleur et exhalera des parfums. Les fables populaires ont toujours un fond de vérité. Les an- ciens Scandinaves supposaient qu'Odin, ce grand magicien, avait une ouïe si subtile qu'il entendait pousser l'herbe au printemps, et cette hyperbole n'étonnera point ceux qui ont été témoins de cette incroyable rapidité de la végétation dans les contrées septentrionales. Les jours et les nuits d'été sont ici particulièrement agréa- bles. Une abondante rosée précède le jour. Le soleil, des- cendu depuis une heure à peine sous l'horizon, reparaît subitement dans toute sa splendeur et dore la surface des lacs de ses rayons vermeils. Les oiseaux secouent joyeuse- ment de leurs ailes le sommeil et la mollesse ; les écureuils folâtres s'élancent des sombres sapins de la forêt sous l'om- brage des bouleaux qui bordent le rivage. Les grands pois- sons sautent gaîment au-dessus des flots et font reluire au soleil leurs écailles dorées, tandis que les petits jouent en troupe au pied des hauts rochers. Le soir est plus frais, plus tranquille encore. Les rayons du soleil meurent lentement sur les rochers dont les nuances va- 287 rient sans cesse. Mille insectes, héphémèrcs habitants de ces charmantes solitudes, tantôt rasent la surface du lac, tantôt tourbillonnent au-dessus des roseaux et des saules inclinés. Des bandes de canards sauvages et de grues criardes volent sur le marais voisin, et des cygnes, nageant avec gravité, saluent les dernières lueurs du couchant. Bientôt le soleil s'enfonce dans les abime* du golfe de Bothnie et le désert rentre dans le silence et l'obscurité. Notre camp présente alors un tableau plein de grandeur et d'originalité. Ces vastes forêts, silencieuses peut-être depuis la création du monde, s'animent tout à coup ; les régiments arrivent peu à peu, le mouvement est général. Les torches de paille enflammée qui circulent, les foyers où flambent des monceaux de broussailles, de vieux troncs d'arbres et des sapins entiers, les colonnes de fumée qui montent en tour- noyant vers le ciel, le bruit des équipages militaires, le hen- nissement des chevaux, le cliquetis des armes, les cris confus des soldats qui se pressent joyeusement autour des feux du bivouac, les roulements du tambour, les fanfares des clairons, toute cette vie, tout ce tumulte, au milieu de ces majestueuses solitudes, offre un spectacle saisissant de nouveauté. Bientôt les voix s'apaisent, les feux s'éteignent, les soldats se repo- sent, et le silence primitif se rétablit. Il est parfois interrompu par le bruit lointain d'une cascade ou par le cri prolongé des sentinelles placées sur les hauteurs voisines en* face de l'en- nemi. La clarté de la lune, qui s'incline vers le couchant, enveloppe le camp silencieux. JT. BRAILLARD. t-^S~sC3Si>'~?^j3 Celte 14e livraison forme la lre partie du tome VII du Bulletin de l'Institut genevois. La seconde partie du volume, contenant le titre et les pièces liminaires, avec le compte- rendu des travaux de la Section d'Industrie et d'Agriculture, paraîtra incessamment. ÊM5. — 1858. AVRIL. BULLETIN DE L'INSTITUT NATIONAL GENEVOIS. Section d'Industrie et d'Agriculture. DES MOYENS D'AUGMENTER LA PRODUCTION DES CÉRÉALES. HAPPOllT SUR VUS MÉMOIRE »i: H. IIIKIMX. Lu, par M. le Docteur Mare-André Ouvet, à la .Section d'Industrie et d'Agriculture de l'Institut genevois. Messieurs, Dans une précédente séance, nous avea nommé une Com- mission pour l'examen d'un mémoire lu par M. Hcrpin à la Société centrale d'Agriculture de Paris . sur les causes de la cherté du blé en France et sur les moyens d*y obvier. Il y a, Messieurs , quatre principaux points dans ce mé- moire : 1° Le fait que 3, 4 ou 5 ans d'abondance sont suivis de 3, i ou 5 années de cherté ; 2° L'examen des moyens destinés à prévenir les di- settes ; Tom vu. 19 290 3° Les moyens d'accroître la production du froment ; 4-° L'intervention du Gouvernement dans la production et le commerce du tdé. Reprenons successivement ces quatre points': 1" Point. Chaque période de 3, 4 ou 5 ans d'abondance et de bon marché, est suivie régulièrement d'une période d'in- suffisance et de cherté de 3, 4 ou 5 années, et ainsi de suite. C'est un axiome déduit de l'examen du prix moyen du blé en France pendant un siècle. C'eSl une donnée intéressante, mais qui n"a aucune utilité pratique. Si la période était d'un nombre d'années fixe, l'on se pré- munirait d'avance, et quand on pourrait prévoir que dans un an ou deux ans il y aura pénurie de blé, l'on en sèmerait une plus grande quantité; mais cette période varie de 3 à 5 ans, et aucune prévision humaine ne peut réagir contre cette loi. 2e Point. Examen des moyens destinés à prévenir les di- settes. L'auteur^asse en revue différents moyens palliatifs, comme la conservation et les réserves des blés, l'importation des blés étrangers, et la substitution d'autres denrées alimentaires. Mais tous ces moyens ont peu de valeur. La conservation des blés ferait revenir à 32 fr., au bout de quelques années, des blés qui auraient coûté 20 fr., c'est-à- dire que la manutention, le déchet et les intérêts capitalisés, feraient ressortir le blé à un prix aussi élevé que celui qu'on récolle dans les années de disette. Quant à l'importation des blés étrangers, l'auteur démontre combien elle serait insuffisante pour la France qui, au moyen de tous ses vaisseaux de commerce, de 50,000 voitures et de 100.000 chevaux, ne pourrait importer que pour sept jours à peine de consommation à ses 36 millions d'habitants. Enfin, la substitution d'autres denrées alimentaires, pom- mes de terre, maïs, riz, etc.. ne comblerait qu'un vingtième 291 ou un quinzième du déficit. D'ailleurs, ces denrées ne rem- placenl pas le pain, el quand il \ a beaucoup de blé à trans- porter, le prix de voiture augmente et renchérirait aussi le prix de ces denrées sur le marché. Tous ces moyens nous semblent donc, comme à l'auteur, être insuffisants. Résinait donc le .-," l'uint : L'accroissement de la production du froment. Cet accroissement serait facilement réalisable au moyen d'une agriculture pêtféclîdtiriëé'. La moyenne du déficit de 181 1 à 1817 a été de i '/, jours pour la France, soit de '/«<■ l'^est-à-dire que. si tout agriculteur qui récolte 81 coupes par an, en eût récolté 85, la France n'eût pas eu besoin d'avoir recours à l'importation. Vous serez frappés comme nous, Messieurs, de ces chiffres. Ne serait-il pas facile d'augmenter ou d'améliorer de l/'n la production du blé en France? Mais aussi n'avons-nous pas à examiner sérieusement la même question pour notre Canton? Vous êtes tous persuadés que. les frais de transport étant diminués pat les chemins de fer, les prix du blé baisseront chez nous. A ceux qui ne le nuiraient pas. je rappellerai qu'en pre- nant la moyenne des cours du 25 Janvier 1N51 au 25 Janvier 1853, en France el à Genève, j'ai trouvé le blé plus élevé chez nous de :î fr. :55 c. la coupe. Nos blés tendront donc à descendre, et, si leur culture ne nous offre pas de bénéfice actuellement, elle constituera plus tard une perle. Kt qu'on ne vienne pas dire qu'on n'en cultivera plus! Il eti faudra toujours, sous peine de voir augmenter indé- finiment le prix du son el de la paille , et parce qu'on ne pourrait guère remplacer le blé dans un assolement. 292 Mais, si la quantité de 5 coupes par pose, qui est la moyenne du Canton, était portée à 5 !/2 ou 6 coupes, il n'y aurait plus de perte pour nous. Il suffirait donc, pour s'en tirer, d'augmenter la production d'un cinquième ou d'un dixième. C'est à nous, Messieurs, qu'il incombe de démontrer et de populariser les moyens qui doivent réaliser cette améliora- tion, en réunissant tous nos efforts pour obtenir ce que nous savons tous être possible, et ce qui intéresse si grandement le sort de notre agriculture et de notre pays tout entier. Permettez-nous de vous rappeler qu'il n'est pas de sujet si banal qui ne fournisse à l'observateur l'occasion de s'instruire et d'instruire les autres. Nous pensons, en particulier, que si, au moyen d'expérien- ces comparatives établies dans différentes localités sur l'état de fumure et de profondeur du terrain, sur l'époque et le mode des semailles, la quantité à semer par pose , la profondeur à laquelle doit se trouver le blé, nous éclairerions la pratique de la culture du blé, nous arriverions à des résultats positifs et très-satisfaisants, et nous rendrions au pays et à la science un service dont nous serions les premiers à profiter. Supposez, par exemple, qu'au moyen de ces expériences nous fussions parvenus à démontrer péremptoirement (et nous en avons pour notre part l'intime conviction) , qu'on peut économiser une demi-coupe par pose dans les semailles d'un terrain bien préparé et ensemencé au semoir et récolter au moins une coupe de plus en moyenne, l'on aurait, sur les 25,000 poses semées annuellement en blé dans notre Canton, 37,000 coupes de plus à livrer chaque année à la consomma- tion, soit la nourriture en blé de 12,000 personnes. Comme vous le voyez, Messieurs, votre Commission partage entièrement l'avis de M. Herpin, lorsqu'il dit que l'accrois- sement de la production du blé en France doit être obtenu 293 par l'introduction des machines et des procédés perfection-, nés, par le drainage, l'emploi des engrais exotiques ou artifi- ciels, etc. Mais là où nous ne sommes plus d'accord avec lui, c'est sur le 4" Point : L'intervention du gouvernement dans la production et le commerce du blé. Nous nous sommes d'abord étonnés qu'il n'ait pas songé à parler de cette intervention là où elle serait le plus directe, c'est-à-dire sur ses 10 millions de poses incultes. L'un de nous pensait qu'en affermant pour un prix modi- que ou même gratuitement , sous certaines conditions , les terres incultes de l'État et des communes, l'on augmenterait la production, l'on donnerait l'amour du travail et de l'agri- culture à une foule d'individus qui se jettent dans les villes avec beaucoup d'espérances et peu de chances de réus- site. Ce même membre pensait qu'en généralisant l'instruction dans lo> campagnes, on ferait des agriculteurs plus habiles et l'on formerait de jeunes hommes qui comprendraient que l'agriculture est un art aussi digne que tout autre d'exercer les facultés humaines Un autre membre voulait qu'en affermant ainsi les terrains incultes, on forçât les fermiers à en ensemencer toujours un sixième en froment. Il voulait, de plus, que la Loi frappât d'un impôt triple les terrains soit communaux, soit particuliers, qui ne produisent pas, tandis que la terre ensemencée en froment ne paierait que le tiers de ce que paie la jachère. Ces différentes propositions n'ont pas donné lieu à une vo- tation. comme bien vous pensez. Pour M. Herpin , l'intervention du Gouvernement consis- terait « à régulariser le prix du blé et à le maintenir à un 294 » prix uniforme, modéré, suffisant pour indemniser le produc- » leur de ses dépenses. » Quand, en 1847, nous avons semé du blé valant 40 fr. et que nous l'avons vendu 13 et 14 en 1848, comment le gou- vernement aurait-il maintenu son taux modéré, suffisant pour indemniser le producteur ? La chose a donc son impossibilité pratique; mais, en outre, théoriquement nous la repoussons de toutes nos forces et nous croyons, contrairement à Fauteur, que la réglementa- tion du prix ferait disparaître le blé du marché et en ren- drait la culture impossible. M. Herpin, supposant ensuite que tous les moyens propo- sés augmenteront la production du blé et amèneront du su- perflu, croit qu'il faudra favoriser l'exportation par des pri- mes, des réductions de prix de transport, etc. Nous pensons, au contraire, que ce serait amener la di- sette; car, si le producteur trouve de l'avantage à exporter. il exportera, et le prix du blé remontera dans son propre pays. On dépenserait beaucoup d'argent pour faire produire du blé à la France, mais du même coup on affamerait le pays. Voici cependant deux conclusions du mémoire qui, modi- fiées comme nous aurons l'honneur de vous le proposer , nous semblent devoir obtenir votre approbation. Voici comme Fauteur les formule : L'administration supérieure doit : 1° Diriger les efforts de l'agriculture vers les moyens de rendre la production du blé plus abondante et moins coû- teuse; 2° Encourager les réserves particulières de grains d'une année à la suivante, en procurant au cultivateur, par l'entre- mise d'institutions de crédit, des capitaux à un faible intérêt sur ses grains en consignation dans ses propres greniers. Votre Commission a eu, sur cette dernière conclusion, une discussion étendue et très-intéressante; mais le sujet valant la peine d'être étudié à part, et la question du crédit agricole ne pouvant pas être traitée d'une manière incidente, elle a pensé que lorsque L'occasion s'en présenterait, vous la feriez étudier par une Commission spéciale. Votre Commission ne s'est pas dissimulé que lorsqu'il ne s'agit que dé réserves d'une année à l'autre, il ne fallait pas encourager, mais seulement permettre ou faciliter cette opé- ration qui, au bout d'un certain nombre d'années et avec les fluctuations imprévues des prix de vente, ne constituerait ni perle ni bénéfice. Les prêts sur ces blés en consignation seraient une ebose désirable, et. tandis qu'un de vos commissaires voyait un grand avantage à ce que cette consignation pût avoir lieu dans les greniers de l'agriculture, les deux autres pensaient que les consignations dans un entrepôt seraient, plus faciles, offriraient plus dé confiance au préteur, et que, par consé- quent, les prèi> s'obtiendraient à un taux moins élevé. Votre Commission a été unanime pour désirer que ces con- signations pussent avoir lieu, non-seulement sur le froment, mais encore sur les autres denrées, et elle a l'honneur de vous proposer les deux conclusions suivantes : La Section d'industrie et d'Agriculture de l'institut national denevois doit : 1° Diriger les, efforts de l'agriculture vers les moyens de rendre la production du blé plus abondante et plus fruc- tueuse ; 2° Étudier la question du crédit agricole, et en particulier d'institutions où, moyennant un faible intérêt, l'agriculteur se procurerait de l'argent sur ses denrées en consignations. 296 MEMOIRE DE M. DIGHOSAL Directeur de la Maison des Aliénés, SUR LA CULTURE DE TROIS VARIÉTÉS DE BLÉ. Monsieur le Président et Messieurs, t Permettez-moi de vous soumettre les observations que j V faites en cultivant trois variétés de blé, que je crois peu con- nues dans notre Canton. Je vous demande d'avance toute votre indulgence pour tout ce qui pourra vous paraître peu clair ou insuffisant dans ce petit Rapport. Ces trois variétésconsistenlen bléde Judée, autrement appelé blé d'Egypte, dont l'épi est multiple et dont la paille ressemble en partie au jonc, en ce qu'elle est pleine depuis la moitié de sa hauteur jusqu'à l'épi ; en blé de Crimée, qui ressemble à celui de notre pays, avec cette différence que l'épi est plus gros et. plus long, et en blé de Sétif, dont l'épi ressemble à Porge, mais est moins long et plus large. Je dois faire observer que les deux premières de ces va- riétés ont été semées après une récolte de pommes de terre, et la troisième après du maïs. Le terrain sur lequel les blés de Judée et de Crimée ont été semés est d'une nature légère : la couche de terre végé- tale varie entre 10 et 14 pouces de profondeur, sur un fond de gravier et de sable ; l'engrais employé est du fumier de vaches et de porcs, répandu en quantité moyenne ; le labou- 29" rage a été fait A la bêche, par des malades, c'est vous dire qu'il a été assez irrégulièrement fait, les uns enfonçant la bêche tout entière, les autres seulement la moitié-. Les pluies qui se sont renouvelées presque chaque jour pendant la fin de Septembre et le commencement d'Octobre de l'année dernière, ont empêché de faire les semailles d'une manière régulière, puisqu'elles ont duré du 28 Septembre au 24 Octobre pour ensemencer 3 poses et 11 toises seulement. Ces blés ont tous été semés à Yessnrde. Le blé de Judée est cultivé dans l'Établissement depuis une dizaine d'années au moins ; mais il a été nécessaire, pour qu'il ne dégénérât pas, de choisir, après chaque récolte, les plus beaux épis, qui ont été battus séparément et les grains choisis comme étant les plus propres A une belle semence. lien a été semé 84 livres, du 28 Septembre au 8 Octobre, sur une étendue Ati 666 toises; la moisson a été faite du 25 au 28 Juillet; son produit a été de soixante-dix gerbes de moyenne grosseur, qui ont donné 1570 livres de graine, soit le 18 3/, pour un. ou 8 V, coupes forcées par pose. Le blé de Crimée n'est cultivé' ici que depuis cinq ans, et pendant ce laps de temps il n'a pas dégénéré. Il en a été semé 59 Va livres du 10 au 23 Octobre, sur une étendue de 484 toi- ses; la moisson a été faite les 23 et 24 Juillet, et le produit a été de 53 gerbes qui ont donné 1120 livres de grain, soit le 18 7/8 pour un, ou 8 7, coupes par pose. Le blé de Sétif n'est cultivé ici que depuis deux ans, et je ne peux que bien imparfaitement donner des renseignements un peu précis sur cette variété : 1° parce que la nature du terrain sur lequel il a été semé n'est pas propre A la culture du blé dans l'état où il est (c'est du sablon pourri sur fond de gravier) ; 2° parce qu'ayant été semé tard (les 23 et 24 Oc- tobre), il était A peine levé qu'il a eu à souffrir des gelées et des limaçons ; 3° il a été couvert plusieurs jours par les eaux en Mai dernier. Toutes ces circonstances ont contribué à rendre la tige faible, et, au premier venl d'été, il a versé. .l'en ai semé 10 livres sur une étendue de 70 toises; le produit a été de liuil gerbes, qui ont donné IG8 livres, soit le 10 '/zPour un, ou 8 '/, coupes par posfl. Maintenant, Messieurs, voici le résultai que j'ai ubtenu en faisant moudre 30 livres de chacune de ces trois \ariétés : Le blé de Judée a donné' 23 '.. livres farine de première qua- lité et 6 V. livres lin son. Ce blé a de plus l'avantage d'être excellent pour faire la soupe ; il est plus \ile cuit que le gros blé du pays et ne conserve pas de pellicules. Le blé de Crimée a produit 23 ' _, livres farine et tj !/a livres sou un. Le blé de Sétif qui, selon moi, aurait été le plus beau s'il avait été semé dans un terrain propre à sa culture et dans toutes les conditions convenables, a donné 22 livres de farine et o livres de son lin. J'ai pris 5 livres farine de cbaque qualité, et le produit a été de : 1° Pour le blé de Judée 6 liv. de pain. 2° Pour celui de Crimée ... 6 » 3° Pour celui de Sétif 6 liv. et 1 once de pain. Conforme aux échantillons. Je ne voudrais pas abuser plus longtemps de vos instants ; mais permettez-moi, Messieurs, en terminant ce petit mé- moire, de vous faire connaître que je ne laisse jamais aucune partie de terrain en jachère: que, dans beaucoup de parties, j'obtiens plutôt double (pue simple récolte : cela tient bien plus à ce que le terrain est bien préparé qu'à la quantité d'engrais que je fais mettre. Comme je vous l'ai dit plus haut» tout le blé de temps nous sépare seulement de la der- nière réunion générale dont ?ous renés d'entendre le procès- verbal. Il serait difficile, sans doute, de constater des progrès considérables daas ces quelques mois; contentons-nous de dire que les Sections ont rivalisé de zèle pour atteindre le but que l'Institut se propose: qu'elles ont continué la route, dont quelques années d'existence ont posé les jalons, et qu'elles ont fait ce qui était dans leur pouvoir pour contri- buer à l'avancement des sciences et des lettres, des arts et de l'industrie. Le cercle des relations avec rétranger a ét«; agrandi ; de précieuses preuves de bienveillance et de sym- pathie ont été recueillies; de fréquentes adhésions sont ve- nues augmenter le nombre de nos confrères. Quoique réunies dans un même faisceau . nos diverses 300 Sections n'en jouissent pas moins d'une vie indépendante. Les voies et moyens, par lesquels chacune d'elles cherche à con- tribuer à la marche générale vers le perfectionnement, sont différents. La Section des Sciences morales et politiques trouve son champ d'action principal dans le Bulletin et dans les nom- breux Mémoires par lesquels elle cherche tantôt à éclairer des points encore obscurs de notre histoire nationale, tantôt à exposer des principes de politique économique et sociale. — La Section de Littérature charme par ses produits poéti- ques et littéraires nos séances générales ; elle excite la noble passion des lettres en proposant de nombreux con- cours, et souvent les critiques attrayantes et spirituelles dont ces concours fournissent l'objet , nous paraissent non moins méritoires que les œuvres elles-mêmes. — Sobre en séances, la Section des Beaux-Arts a concentré jusqu'à présent son action principale dans les expositions publiques ; l'emploi de ses ressources a quelquefois contribué à procurer à ces ex- positions plus d'éclat et de variété en y appelant aussi des forces étrangères au canton. Des séances nombreuses, des travaux menés avec beaucoup d'activité, caractérisent notre Section d'Agriculture et d'industrie. Le nombre de ses mem- bres croît de jour en jour; l'ordre du jour des séances est. rempli, quelquefois même à tel point, que des discussions approfondies trouvent à peine leur place. Les travaux, les publications de cette Section portent le même cachet d'une marche impétueuse et rapide, qui caractérise en général l'industrie de notre époque. — La Section des Sciences natu- relles enfin (et vous me permettrez de la nommer en dernier lieu, vu que j'ai l'honneur d'en être membre), la Section des Sciences naturelles s'occupe plus spécialement des Mémoires, en cherchant à y attirer des travaux d'un mérite durable et d'une valeur intrinsèque même pour l'avenir. Dès la fonda- 301 tion de l'Institut, elle a constamment appliqué toutes les res- sources dont elle pouvait disposer, à la confection des plan- ches surtout, dont ses travaux ont souvent besoin Chacune des Sections s'est tracée ainsi une marche parti- culière, indépendante en quelque sorte de celle des autres mais adaptée aussi au but particulier quelle cherche à at- teindre. Je ne m'étendrai pas davantage sur cet objet- il suflit, Messieurs et chers Confrères, que chacun de nous 'se pénètre b.e.i du rôle que l'Institut doit jouer dans les roua- ges s. multiples de notre République, pour que son but soit réellement atteint. M. le Secrétaire général vous soumettra les rapports plus détailles, les comptes et le budget, dont cette séance générale «oit s occuper plus spécialement. Mais vous me permettrez de vous présenter, avant que je ne lui donne la parole, quel- ques considérations sur un point dont le Comité de publica- tion, ainsi que la Section des Sciences naturelles, se sont oc- cupés plus spécialement. Nous avons cm agir dans l'intérêt de la science autant que dans celui de l'Institut et du pays, en proposant au Comité de publication «rappliquer la plus grande partie des ressour- ces destinées aux Mémoires à un travail d'une certaine étendue, lequel est dû aux recherches consciencieuses d'un de nos jeunes compatriotes, M. Edouard Claparède, en col- laboration avec M. Laehma.m de llerlin. La dernière partie seulement de ce Mémoire, traitant de la génération des I„- fusoires , a été couronnée dernièrement par l'Institut de France, Académie des sciences, qui lui a décerné le grand prix des sciences physiques ; les deux premières parties traitant de l'anatomie et de la physiologie des Infusoires, et qui ont oie communiquées à votre Section des Sciences natu- relles, paraîtront conjointement avec la partie couronnée dans les prochains volumes de nos Mémoires. 302 On peut demander. Messieurs, pourquoi nous vous propo- sons une publication si considérable sur des objets microsco- piques, sur des animaux placés au plus bas de l'échelle, sui- des êtres dont la grande majorité des hommes n'aura jamais connaissance ? Nous pourrions vous répondre que les elïorts des natura- listes les plus distingués se sont groupés depuis une trentaine d'années autour de l'étude des animaux inférieurs : que la question proposée par l'Académie des sciences de Paris , il y a trois ans, témoigne de l'intérêt actuel de ces études — in- térêt qui est justifié par l'objet lui-même. Quoi de plus at- trayant, en effet, que de poursuivre les phénomènes de la vie animale jusque dans les êtres intiniment petits, jusque vers les dernières limites de l'organisation simplifiée où foutes les fonctions semblent s'effacer, tous les organes se confondre en une seule substance animée ! Quel haut et puissant inté- rêt philosophique en même temps, que d'étudier et d'appro- fondir les premières manifestations de la vie dans une orga- nisation simplifiée jusqu'au plus haut point et de comparer ces manifestations incomplètes, confondues et vagues, avec les rouages si compliqués , les fonctions si multiples et si nettement définies d'une organisation plus élevée! Certes, Messieurs, s'il est intéressant de poursuivre pas à pas le dé- veloppement d'un être naissant depuis le premier germe per- ceptible : s'il est intéressant de se rendre compte de la manière dont les formes accomplies d'un corps adulte s'éla- borent petit à petit sous les mains de la nature formatrice ; alors, Messieurs, l'étude des êtres inférieurs, de ces germes de l'animalité , doit porter aussi en elle-même un intérêt puissant et un haut enseignement philosophique. Descendre depuis la variété la plus étonnante jusque vers l'unité , de laquelle cette variété prend naissance ;. voir disparaître suc- cessivement les cloisons , qui paraissent séparer . dans les 309 animant supérieure^ les différentes fonctions et les différente appareils; trouver enfin celle unité, depuis laquelle diver- gent et rayonwent'ces formes- si diverses de la vie animale qui nous entoure — n'est-ce pas là un bal digne de nos ef- forts les plus soutenus, dé nos travaux lès mieux inspirés? Voilà qu;nii à l'dbjél dont traitent les Mémoires eu ques- tion. Mais une nuire considération a encore puissamment contribué à la détermination prise par eotre Comité: Ge- nèse a toujours brillé au premier rang. lorsqu'il -"est agi des études de sciences naturelles. Si. dans d'autres villes de la Suisse, le parti dominant courait le service étranger ou con- voitai! des bailliages dans le< pays soumis, au contraire, notre petite République a toujours compté dans smi sein des hom- mes animés d'un noble amour pour les sciences, et à aucune époque (lenève n'a manqué de noms dîgneS'd'Ôtre présentés comme exemples à la jeunesse laborieuse. Orlainement . si l'Institut a un luit sérieux, s'il comprend bien sa vocation, il doit encourager par tous ses moyens les efforts de nos jeunes compatriotes, qui ne Boni pas entraînés par le mouvement général vers le gain immédiat, mais qui cherchent à soutenir la position qu'occupe le pays en cultivant des branches de la science, qui fleurissent toujours, mais dont les fruits mûris- sent seulement trés-tardivement. Ce serait une grave erreur, Messieurs, que celle qui répudierait des études sérieuses, parce qu'eu apparence elles n'ont point d'utilité ni d'appli- cation immédiate. De même que l'enseignement primaire ne sullil pas pour cultiver l'esprit d'un peuple et pour le tenir à la hauteur du siècle ; qirfl faut l'enseignement supérieur semant dans les champs préparée par l'école primaire et vivi- fiant les germes déposés dans ces champs — «le même aussi dans tes sciences, le- éludes les plus ardues et les plu- éloi- gaéea en apparence d'une application quelconque se mun- irent d'une utilité incontestable en introduisant des prnblè- 304 mes nouveaux , des méthodes nouvelles, des solutions inattendues. Plusieurs fois déjà l'Instituta protesté contre des assertions qui ont voulu lui prêter un esprit exclusif ou de coterie. Montrons par des faits, Messieurs, que nous savons honorer les efforts scientifiques de quelque côté qu'ils viennent, et que dans la science nous ne connaissons qu'une seule jalousie — celle de faire mieux que nos concurrents. Encourageons nos jeunes compatriotes , pour qu'ils nous apportent encore beaucoup de ces travaux méritoires, comme nous en avons déjà publit set comme nous nous proposons d'en publier main- tenant; montrons-leur que l'Institut tient son Bulletin, ses Mémoires et ses séances à la disposition de tous ceux qui veulent travailler sérieusement, qui veulent augmenter la somme de nos connaissances et ajouter à la gloire de la pa- trie ; cédons-leur morne le pas, nous autres qui commençons déjà à nous courber sous le poids du harnais porté depuis des années, et réjouissons-nous qu'une organisation forte et large nous permette de leur ouvrir les voies de la publicité et de pouvoir aplanir les premiers pas de la route qu'ils sont appelés à parcourir. M. le Président a demandé ensuite à M. le Secrétaire gé- néral de présenter le compte-rendu de la gestion de ['Institut genevois pendant l'année 1857. Le Secrétaire géné- ral s'est exprimé ainsi : Messieurs et chers Collègues, C'est pour la neuvième fois que YInstitut Genevois se réunit aujourd'hui en séance générale, et cette fois-ci, comme les précédentes, nous avons à constater dans la marche de ses Sections des faits intéressants et heureux pour l'avenir de cette fondation. 305 Nous passerons rapidement en revue , comme d'habitude, ce qui concerne: \° le personnel de l'Institut, 2° ses publica- tions, et 3° son budget. I. A la suite du Congrès d'économie politique et de libre échange qui s'est tenu à Bruxelles en 1856, deux de vos Sec- tions (celle des Sciences morales et politiques, et celle d'In- dustrie et d'Agriculture) avaient nommé parmi les membres de cette grande réunion un certain nombre de correspon- dants. Nous avons profité de la réunion récente des Congrès de bienfaisance de Francfort pour leur faire parvenir nos di- plômes. Un certain nombre a déjà répondu d'une manière honorable et reconnaissante; d'autres réponses nous arri- vent encore journellement. Parmi nos membres effectifs, nous avons eu la douleur de perdre M. Moulinié père, de la Section d'Industrie et d'Agri- culture. Je laisserai au Président de cette Section le soin d'apprécier, dans la séance générale consacrée spécialement à ces éloges par notre règlement, les qualités et les services de ce citoyen si recommandable et si regrettable. Les séances des diverses Sections ont été plus ou moins fréquentes. Quelques-unes ont montré beaucoup de régula- rité dans leurs assemblées ordinaires ; il y a eu dans d'autres plus de laisser-aller. Mais il est à observer que dans celles-ci les mémoires fournis et les travaux écrits ont été relative- ment plus considérables. Votre Comité de gestion estime qu'à cet égard il faut laisser la plus grande liberté aux membres des Sections. La liberté est dans l'essence de notre institution. Toute disposition qui tendrait à la gêner manquerait son but. L'essentiel est que l'Institut donne de bons signes de vie par ses actes et ses publications, et à cet égard il ne laisse rien à désirer. II. Nous avons publié l'année dernière le tome IV de nos Mémoires, et les tomes V et VI avec la première partie du tome 20 306 VII de nos Bulletins. La deuxième partie de ce tome VII sera distribué dès qu'on pourra y joindre le compte-rendu de la séance générale de ce jour, c'est-à-dire le mois prochain. La composition du tome V de nos Mémoires est assez avancée. Il contiendra, outre deux mémoires de mathémati- ques de M. Oltramare, un travail considérable de MM. Éd. Claparède et J. Lachmann , qui vient d'être couronné en partie par l'Académie des Sciences de Paris, sur cette ques- tion mise au concours pour le grand prix des sciences phy- siques : « Etudier d'une manière rigoureuse et méthodique les métamorphoses et la reproduction des infusoires proprement dits. » Le mémoire de MM. Ed. Claparède et Lachmann a été re- commandé d'une manière toute spéciale par notre Section des Sciences naturelles et mathématiques au Comité de gestion et de publication de l'Institut genevois, et celui-ci a décidé sa publication immédiate. Elle sera répartie dans les tomes V et VI de nos Mémoires et accompagnée de planches gravées à Paris. La publication du mémoire de feu M. Jules Thur- mann, ancien correspondant, sur l'orographie du Jura, déjà commencée dans le tome IV de nos Mémoires, sera reprise en- suite immédiatement. Voilà pour la partie scientifique. Pour la partie littéraire et historique, nous aurons le mé- moire déjà annoncé de M. le professeur Cherbuliez-Bourrit sur les Rhéteurs grecs de l'Asie mineure, et la seconde partie du mémoire sur les Institutions politiques du moyen-Age et en particulier sur les Origines du système représentatif, par M. le professeur Edouard Sécrétai), membre correspondant, dont la première partie a paru dans le tome V de notre Bulletin. Des mémoires de MM. de C ingins La Sarra et Rodolphe Blanchet sur Vancien Evéché de Genève et les Monnaies an- demies, particulièrement épiscopules de cette ville, nous sont également promis. 307 M. J. Moulinié, Secrétaire de la Section des Sciences natu- relles et mathématiques, a bien voulu mettre à profit un sé- jour qu'il vient de faire à Paris, pour faciliter nos échanges île publications avec les Sociétés savantes de cette ville, et no- tamment avec l'Institut de France. Il a dirigé aussi la mise en train des gravures des mémoires de MM. Claparède et Lachmann dont nous avons parlé. III. Le budget de Y Institut genevois pour 1837 a présenté un boni de fr. 800, qui a été immédiatement appliqué à l'exé- cution desdites planches, dont le coût sera de fr. 2,000. La Section des Sciences naturelles et mathématiques a sacrifié, comme elle avait déjà fait les années précédentes, son allo- cation particulière de fr. 000, pour l'appliquer à cet ouvrage, qui la concerne plus spécialement. Elle fera de même cette année-ci, de telle sorte qu'en définitive les dépenses plus considérables concernant cette Section retombent en grande partie entièrement sur son budget particulier. Il est bon d'ob- server aussi que ce sont ces mêmes mémoires sur des décou- vertes d'histoire naturelle qui contribuent le plus au renom de V Institut Geuaois et île ses publications à l'étranger. C'est ce qui résulte des lettres et des renseignements que nous recevons fréquemment jusqu'à présent. Le compte-rendu des recettes et des dépenses de 4857, soumis au Comité de gestion et approuvé par lui dam M séance du 29 Janvier 1858. est déposé sur le bureau avec les pièces à l'appui. Nous avons soumis notre projet de budget pour la présente année 1858 au département de l'Instruction publique. Les recettes sont évaluées à fr. 8,180, et les dépenses à pareille somme, au minimum. — Aous aurions bien voulu couvrir a\ec cet actif les frais d'installation et d'ameublement du nouveau local que le Conseil d'État a bien voulu nous assi- gner dans le bâtiment électoral, et dont il conviendra de s'oc- 308 cuper incessamment; mais cela a été impossible, en raison des frais considérables de publication dans lesquels nous sommes engagés pour les deux années 1858 et 1859. Nous osons compter sur la bienveillance du Conseil d'Etat pour faire face à ces frais d'appropriation de ce local , cet objet ne pouvant raisonnablement être compris dans les dé- penses ordinaires et annuelles de l'Institut Genevois. Pour l'ordre du jour de la séance d'aujourd'hui, j'ai reçu, Messieurs, l'annonce des pièces suivantes dont vous allez en- tendre la lecture ou l'analyse : 1° Un travail de M. l'Archiviste Grivel sur tous les chefs de la République de Genève, de 1318 à nos jours, présenté par M. Marc Viridet. 2° Poésie (La Satyre du Temps), par M. Duret , membre honoraire de la Section littéraire. 3° Souvenirs d'un Instituteur, par M. John Braillard, mem- bre honoraire de la Section littéraire. 4° Poésies, par M. Vuy, Président de la Section littéraire. Les comptes à l'appui de ce rapport ont été déposés sur le bureau à la disposition des membres de l'Institut. M. le Chancelier Marc Viridet, Vice-Président de l'Institut, a présenté ensuite une liste de tous les chefs de la Répu- blique de Genève depuis 1318 jusqu'à nos jours. Ce travail est renvoyé à la Section des Sciences morales et politiques , d'archéologie et d'histoire, et au Comité de publication, sur les conclusions de M. Viridet, ainsi rédigées : M. Charles Hopp, privat-docent de l'Université de Bone, ayant demandé pour son atlas historique et généalogique une liste des chefs de la République de Genève jusqu'à nos jours, le Conseil d'État a chargé M. l'Archiviste Grivel de dresser cette liste ; 1» De 1318 à 1792; 2» De 1793 à 1798; 309 3° De 1798 au 31 décembre 1813 ; 4° De 18U au 9 octobre 1846; 5° De 1846 à la fin de 1857. J'ai l'honneur de déposer sur le bureau, pour la Section des Sciences morales et politiques, une copie du travail de M. l'Archiviste. Je me plais à constater ici tout le soin avec lequel ce tra- vail a été fait jusque dans ses moindres détails, et je prie l'Institut d'examiner s'il ne serait point convenable de l'insé- rer ou dans ses Mémoires ou dans son Bulletin. M. V. Duret, membre honoraire de la Section littéraire , a lu une pièce de poésie que nous reproduisons ici. La parole a été accordée à M. John Braillard , membre honoraire de la Section littéraire, pour lire un morceau de prose. M. Jules Vuy, Président de la Section littéraire, a lu quel- ques courtes pièces de poésie de sa composition. Ce sont : 1° Paysage d'automne ; 2° Traduction de V Ecole souabe ; 3° Causerie d'enfants. Après ces lectures, M. le Président a demandé aux Mem- bres présents s'ils avaient à faire des propositions indivi- duelles. M. Jouvet a demandé que les Séances générales eussent lieu désormais dans la soirée, comme celle de ce Jour. Il a été pris note de cette proposition , et la séance a été levée ensuite à 9 heures et demie. <^^ç«>Qyi}^~2 310 Sa (km d'^rjent -c-^4 Demain ! 'Si 9 Souviens-toi qu'après tout, bêlas ! tu n'es qu'un homme Financier ou seulement roi, Fils des prospérités, quelque nom qui te nomme, Demain peut n'être pas à toi! » Demain? eh bien! demain est à loi pour ta honte. Demain brille pour le flétrir, Pour prononcer l'arrêt que nul mortel n'aflroute : C'est ton heure, tu dois mourir. Mais il fallait compter avec l'apoplexie. Elle ne t'avertissait pas : Elle te redemande, ô dépouille endurcie, Ce que tu volais au trépas. Et ton corps ténébreux, la fosse le convie A s'étendre là pour jamais ! Dis au présent, railleur de la future vie : «Toi seul tiens ce que tu promets. Avec les aquilons qui glacent l'étendue. Entends ce rugissant concert Dont naguère la voix n'était pas entendue : Est-ce qu'elle crie au disert ? Réponds, tant d'orphelins et tant de tristes «m*a Que tu n'as su que dépouiller, Pleurent-ils vainement sur la rive des fleuves Où tu n'as plus qu'à te noyer! Sur les monte tu pensais, comme les anciens braves. Camper tes châteaux crénelés Sous leur masse écrasant les villages esclaves : Un jour les a démantelés ! Tôt ou tard le vautour est chassé de son aire: Plus elle s'approche du ciel, Plus elle attend les coups du patient tonnerre, Car le tonnerre est éternel. Victor DUBET. Novembre 1851 320 PAYSAGE D'AUTOMNE. Dans les cieux pas un coin vermeil Qui sourie à notre vallée, Partout la nature est voilée, Pas un seul rayon de soleil ! Voici cette forêt profonde Où je m'égarai tant de fois, Quand l'oiseau de sa douce voix Chantait au murmure de l'onde ; Quand, sur le paisible chemin, Compagne folâtre et chérie, L'insouciante rêverie Venait me prendre par la main! Mais aujourd'hui, marchant dans l'ombre, Perdu dans les brouillards épais, Loin de ces jours si pleins de paix, Je gravis la colline sombre! — Quel spectacle riant et pur Se montre à moi comme en un rêve! Soudain m'apparaît le Salève Qui se dessine dans l'azur; Et, debout sur la fière cime Où vont s'abîtlre les hivers, Grands et hardis, les sapins vertj Qui semblent délier l'abime ! 321 • Oui, debout ! ô vieux combattans A la robuste et haute taille, C'est la veille de la bataille Contre l'orage et les autans ! — A mes pieds, un lac de nuages S'étend et se déroule au loin ; Je l'admire, muet témoin, Ce lac a des monts pour rivages. Le ciel est bleu de toutes parts En sa profondeur étoilée ; Seule se cache la vallée Dans la brume et dans les brouillards ; Au sein d'une vague tristesse, Là-bas, le soir allait venir; Et ce jour, si lent à finir, C'était presque une nuit épaisse ! Là-haut, c'est la lune qui luit, La lune qui vient de paraître ; — Le jour vraiment semble renaître A l'heure où commence la nuit! Jules VUT. Bords de l'Arve. «-T?«C3»^«S-5^-> 21 TABLE DES MATIÈRES TOME VII DU BULLETIN DE L'INSTITUT GENEVOIS. Pages. Compte-rendu de la séance générale du lundi 24 Août 1857. . . 1 Rapport de M. Jules Vuy, Président de la Section de Littéra- ture, sur le concours de poésie ouvert par cette Section. . 7 Rapport de M. le Professeur Cherbuliez-Bourrit sur le concours ouvert par la même Section sur la Poétique du roman.. . 12 Vie de Jaques Maréchal, par M. Marc Viridet, Chancelier 40 Vie d'Etienne Franscini, par le môme 43 Fragment d'un Voyage en Russie, par M. John Braillard 49 Souvenir d'une Mère, poésie par M. J. Petit-Senn 59 Chant national, imitation du Rufst du mein Vaterland, par M. Jules Vuy 60 Compte-rendu des séances de la Section des Sciences naturelles et mathématiques 63 De la Térébenthine et de son huile essentielle, par E. Mouchon. 67 Compte-rendu des séances de la Section des Sciences morales et politiques 81 Relation de la guerre faite autour de Genève en 1589, par E.-H. Gaullieur 89 Une Prise d'armes à Genève en 1737, par le même 141 Mémoires de Spanheim, par le même 180 Des Arts en Suisse avant la Réforme, par le même 190 Intrigues diplomatiques contre Genève aux 16e et 17 siècles, par le même 199 Origine et progrès des institutions de la monarchie de Savoie, par M. L. Cibrario 216 3-23 Pages. Question de Menton et de Rocabruna, par M. Mélegari "218 François de Bonivard, historien des papes 2-21 Héraldique suisse 234 Compte-rendu des séances de la Section de Littérature 257 Quatre fables, par H. Blanvalet 264 Dante en exil, par L. Gross, de Martigny 2(59 La Nature et l'Homme, par V. Durel 274 La Finlande, trad. du russe, par J. Braillard 282 Compte-rendu des séances de la Section d'Industrie et d'Agri- culture 289 Des moyens d'augmenter la production des céréales, rapport sur un Mémoire de M. Herpin, lu par M. le docteur Olivet. 289 Mémoire de M. Duchosal, directeur de la Maison des Aliénés, sur la culture de trois variétés de blé 296 Compte-rendu de la séance générale du lundi 22 Février 1858. 299 La Crise d'argent, poème, par V. Duret 510 Paysage d'automne, poésie, par M. Jules Vuy 520 w t-y^vC^'^3iG*)"Xû''^v-»