^^^^^^•^•B Fill 1 ill ill ill 1 1 B "B 133 'CHARLES DARWIN HENRY DE VARIGNY I U V R A G E RON! i 'i PARIS LIBRAIRIE HACIIETTK EC C1 70 i5 , •: T'.l 1889 CHARLES DARWIN CHARLES DAI! WIN. CHARLES DARWIN PAR HENRY DE VARIGNY Dooteur es sciences. OUVRAGE CONTENANT 20 FIGURES PARIS LIBRAIR1E HAGHETTE ET Cic 79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 70 1889 Urmts de traduction cl de reprodoc'.ion rtierit*. AVANT-PROPOS Nous nous sommes propose, dans Ics pages qui suivent, d'esquisser a grands traits la vie et 1'cuuvre de Charles Darwin. C'est ici un tra- vail de simple analyse, ou la discussion et la controverse n'ont aucune part. On a beau- coup parle des theories de Darwin, et Ton a souvent oublie de les connaitre prealablement; de la les erreurs sans nombre que Ton a enoncees et que Ton enoncera encore a ce sujet. Ces er- reurs tiennent surtout a ce que Ton a voulu faire dire a Darwin des choses qu'il n'a jamais dites. et transporter ses theories sur des terrains autrcs que celui de la zoologie pure. — Nous n'avons pas la prevention dc faire cesser Fen-cur ou la calomnie, mais simplement de donner, a ceux que la question interesse, quelques notions generates sur Tamvrc de Darwin et sur 1'esprit de celle-ci. eYoooi YI AVANT-PROPOS. La premiere partie de ce livre , chapitres I a IV inclusivemont, aete publieeala fin de 1887, dans la Revue des Deux Mondes (n° du ler no- vembre), a propos de la publication de 1'inipor- tante biographic de Charles Darwin par son fils Francis. J'adresse tous mes remercieinents a M. (Charles Buloz, dirccteur de la Revue, pour I'autorisalion qu'il m'a donnee de rcproduire ce travail, el a M. Francis Darwin pour m'avoir per- in is de reproduire ici ccrtaines figures emprun- aux ocuvrcs de son pere. CHARLES DARWIN GHAPITRE I Charles Darwin est un des plus grands penseurs qui aient encore vecu, un des hommes qui ont le plus profondement remue et feconde le champ de la pensee humaine. II n'eut jamais d'autre culte que celui de la science, il ne rechercha ni gloire, ni honneurs, content de tracer, dans une vie paisible et austere, son sillon large et profond, sans crainte, sans emoi, ne voyant, n'aimant, ne poursuivant que la verite. Sa vie presente un charme puissant, celui qui resulte de 1'alliance de la grandeur de la pensee avec la simplicite du cceur, la modestie et le nature!, alliance trop rare, et que Ton prise double- ment en raison de sa rarete meme. A la connaitre, on eprouve bientot que I'affection, la sympathie, le disputent a 1'admiration. Gette vie a ete racontee d'une faQon tres complete dans une volumineuse et precieuse publication, intitulee Vie et Correspon- 1 2 CHARLES DARWIN. dance de Charles Darwin ', par Francis Darwin, 1'un des fils du grand naturaliste. C'est a celle-ci que sont empruntes les details qui vont suivre. Toutefois, 1 'impression de vive affection et de sym- pathie profonde que Ton eprouve bien vite pour celui a la mempire duquel ces pages sont consacrees, n'est p&s le rfsuHat d'un artifice, d'une habilete du biography qai/-daris le cas actuel, pourrait etre suspect en sa qualite de fils. Ge n'est en effet qu'une autobiographic que cette vie de Darwin, une auto- biographic ecrite au jour le jour, composee de lettres intimes, adressees a des savants tels que Lyell, Hooker, Gray, Huxley, a des amis d'enfance, et dans lesquelles Darwin se revele en toute sim- plicite, avec tout son naturel. Mais c'est aussi ce qui permet au lecteur de s'abandonner en toute con- fiance a son impression. II sait que les pieces qu'il a sous les yeux sont authentiques et que Ton ne cherche point a surprendre sa religion. L'oeuvre de Francis Darwin comprend trois ele- ments distincts : une autobiographic dequatre-vingls ou quatre-vingt-dix pages, e*crite par Charles Darwin lui-meme pour ses enfants; des souvenirs person- nels, r6partis en diffe"rents chapitres, de ceux-ci et de son fils Francis en particulier; enlin - et c'est la partie la plus importante — des lettres de 1. Deux volumes in-S de 1500 pa-'.-. Ir.nluils p;ir II. de Varigny. Paris, H«'in\vald, 1888. LA FAMILLE DARWIN. 3 Charles Darwin, depuis sa dix-neuvieme annee jusqu'a 1'epoque de sa mort, et que relie un com- mentaire perpetuel de F. Darwin , commentaire consistant soil en explications que les lettres ne fournissent point, soit en extraits de missives qu'il a paru inutile de citer in extenso. Charles Darwin est ne le 12 fevrier 1809, a Shrewsbury, dans une bonne et ancienne famille. Son grand-pere, Erasme Darwin (ne en 1731, mort en 1802), s'est fait un nom dans les sciences par sa Zoonomie. On trouve dans cet ouvrage des apergus ingenieux, interessants et, chose curieuse, le germe de la theorie transformiste, qui a ete 1'ceuvre capitale de Charles Darwin f Le docteur Robert-Waring Darwin, fils d'Erasme, pere de Charles, etait un homme fort distingue, sur lequel ce dernier nous a laisse des souvenirs interessants. C'etait un praticien tres repandu, fort expert — malgre 1'horreur de lavue du sang, qu'il conserva toujours et transmit a son fils — et un homme tres perspicace au point de vue psychologique, que sa penetration et son attitude generate faisaient assez redouter. Robert- Waring Darwin eut six enfants, quatre filles et deux fils : les deux fils furent Erasme junior et Charles. Erasme, pour lequel son frere cadet a toujours conserve une vive et touchante affection, mourut en 1881, un an avant Charles; — il etait de sante tres debile et vecut inoccupe. Sur 4 CHARLES DARWIN. 1'enfance de Charles Darwin, les premieres pages de 1'autobiographie nous fournissent quelques donnees interessantes : « Ma mere mourut en juillet 1817; j'avais un peu plus de huit ans, et il est etrange que je ne puisse rien me rappeler h. son sujet, si ce n'est son lit de mort, sa robe de velours noir, et sa table & ouvrage curieusement construite. Dans le printemps de la meme annee, je fus envoye comme eleve externe a une ecole de Shrewsbury, ou je restai un an. J'ai entendu dire que j'apprenais beaucoup plus lente- ment que ma plus jeune soeur Catherine, et je crois qu'a divers points de vue j'etais unmechant gargon. A. 1'epoque ou j'allai a cette ecole, mon gout pour Thistoire naturelle, et plus specialement pour les collections, etait bien developpe. J'essayais d'ap- prendre le nom des plantes, et je collectionnais toute sorte de choses, coquilles, sceaux, timbres, medailles, mineraux. retres ! » Aussitot il fut decide que le jeune Darwin irait faire ses humanites a Cambridge, oil il arriva au d^but de 1828, apres avoir refait un peu connaissance avec le grec et le latin, grace au secours d'un pre- Lvpteur. Uelativement a son sejour a Cambridge, ses lettres et son autobiographie nous fournissent ETUDES A CAMBRIDGE. 11 des donnees fort interessantes. Le genre de vie qu'il y mene est agreable, et ses souvenirs de Cambridge ont toujours eu pour lui le plus grand charme; mais ce qu'il regrette de Cambridge — dans ses lettres cela est fort apparent, - - ce n'est point YAlma Mater; ce qu'il en aime, ce n'est pas le lieu de tra- vail, ce sont les plaisirs et quelques amis. Darwin a toujours considere comme entierernent perdu, au point de vue du travail et de la discipline mentale, le temps qu'il passa a Cambridge ; c'est un fait sur lequel il revient volontiers, disant qu'il y a perdu son temps aussi completement qu'a Shrewsbury ou a Edimbourg. Non seulement Darwin ne travaille guere a Cambridge — d'ou il sort pourtant avec le dixieme rang en 1831, — mais il y mene une vie assez dissipee, ou la chasse, les courses et les diners fins tiennent une place considerable : « Par suite de ma passion pour la chasse et le tir, et, quand ces exercices etaient impraticables, pour les courses a cheval a travers la campagne, je me langai dans un monde de sport comprenant quel- ques jeunes gens dissipes et d'ordre inferieur. Nous dinions souvent ensemble le soir, et, bien que par- fois il se trouvat la des jeunes gens de caractere plus eleve, nous buvions quelquefois trop, nous chan- tions et nous jouions aux cartes apres le repas. Je devrais etre honteux de 1'emploi de ces jours et de ces soirs ecoules, mais quelques-uns d'entre rnes 12 CHARLES DARWIN. amis d'alors etaient tres agreables, et nous etions tous de si joyeuse humeur que je ne puis m'em- p6cher de me rememorer cette epoque avec un vif plaisir. » Darwin a toutefois des gouts plus releves, et ce genre de vie ne peut lui convenir longtemps. Ses gouts esthetiques, qui se formerent a Cambridge, furent assez puissants, mais ils out singulierement diminue dans la suite de sa vie. A Cambridge, il allait souvent au musee Fitz-William admirer les oeuvres d'art; il aimait la musique, allant a la cha- pelle pour entendre les chants, payant les enfants de chceur pour venir chanter chez lui, recherchant les societes musicales et les concerts. Avec cela, une oreille etrangement dressee, incapable de per- cevoir une dissonance, de sentir la mesure : il ne pouvait fredonner un air correctement. Pourtant la musique lui causait un veritable plaisir ; il parle souvent des « frissons qui lui passent clans la colonne vertebrale » quand il entend de belle musique. II aimait aussi la po^sie et la lecture en general. « Jusiju'u 1'age de trente ans ou environ, la poesie de tout genre — les ceuvres de Milton, Gray, Byron, Wordsworth, Coleridge, Shelley — me procura un vif plaisir. Shakspeare fit mes delices, principa- lement par ses drames historiques, lorsque j'etais ecolier. J'ai dit aussi que la peinture, la niusifmc surtout, me procuraient d'agreables sensations. GOUTS ESTHETIQUES. 13 Maintenant, depuis un bon nombre d'annees, je ne puis supporter la lecture d'une ligne de poesie; j'ai essaye dernierement de lire Shakspeare, et je Pai trouve si ennuyeux qu'il me degoutait. « J'ai aussi presque perdu mon gout pour la pein- ture et la musique. La musique me fait, en general, penser trop fortement au sujet que je viens d'etu- dier, au lieu de me donner du plaisir. J'ai conserve quelque gout pour les beaux paysages, mais leur vue ne me donne plus la jouissance exquise que j'eprouvais autrefois. « D'un autre c6te, les romans qui sont des oeuvres d'imagination, ceux meme qui n'ont rien de remar- quable, m'ont procure pendant des annees un pro- digieux soulagement, un grand plaisir, et je benis souvent tous les romanciers. Un grand nombre de romans m'ont ete lus a haute voix, je les aime tous, meme s'ils ne sont bons qu'a demi, et surtout s'ils fmissent bien. Une loi devrait les empecher de mal finir. » Darwin a possede & un haut degre encore, durant sa vieillesse, Pamour de la lecture legere, des ro- mans en particulier; sur ce point, il nous fait une profession de foi singuliere et interessante : « Un roman, suivant mon gout, n'est une oeuvre de premier ordre que s'il contient quelque person- nage que Pon puisse aimer; et si ce personnage est une jolie femme, tout est pour le mieux. » 14 CHARLES DARWIN. Gette maniere de voir n'est cependant pas excep- tionnelle, et Ton comprend qu'un cerveau dont le tra- vail consiste a prendre corps a corps les plus hauls problemes de la science ne voie dans les ceuvres lit- teraires qu'un moyen de se detendre 1'esprit, et ac- corde ses preferences a celles qui y parviennent et qui, sans prevention a une psychologie plus ou moins cherchee, n'ont d'autre but que d'amuser et de reposer la pensee fatiguee, comme une viande legere, un estomac epuise par une trop forte alimentation. Parmi les livres serieux qui ont le plus impres- sionne 1'esprit de Darwin adolescent, nous citerons deux ceuvres, de grande valeur d'ailleurs : « Durant ma derniere annee a Cambridge, je lus avec attention et interet les recits de voyages de Humboldt. Get ouvrage et celui de Sir J. Herschel, V Introduction to the Study of Natural Philosophy, m'inspirerent un zele ardent. Je voulais ajouter, si humble qu'elle put etre, ma pierre au noble edifice des sciences naturelles. Aucun autre livre n'exerga autant d'influence sur moi que ces deux ouvrages. Je copiai dans Humboldt de longs passages relatifs a 'JV'iie>ifre, et je les lus a haute voix, pendant une des excursions mentionnees plus haut, a Henslow, Ramsay et Dawes, car j'avais, dans une excursion • l.-iite, park; des beautes de TenerilTe, et quel- ques-uns d'entre nous avaient declare qu'ils tache- ttt il'y alirr; mais je suppose qu'ils ne parlaient VIE A CAMBRIDGE. 15 pas serieusement. Pour moi j'etais tres serieux, et j'obtins une introduction aupres d'un negociant de Londres, afm de m'informer au sujet des moyens de transport. » En dehors de ses camarades de plaisir et de chasse, il sut se Her a Cambridge avec des amis plus serieux. Quelques-uns faisaient partie du Club des Gourmets (ou des Gloutonst), dont Darwin etait membre. Le club avait pour but de faire des recherches experi- mentales sur des mets nouveaux, et Ton essayait chaque semaine de quelque animal j usque-la dedai- gne par le palais humain. On essaya du faucon et d'autres betes; mais le zele du club mollit apres 1'essai d'un vieux hibou brun, « qui fut indescrip- tible », dit Fun des convives. Darwin se lia beau- coup — plus que cela n'avait communement lieu entre eleve et maitre — avec Henslow, professeur de botanique. Gette amitie eut une influence decisive sur sa vie. Henslow etait un homme de savoir tres etendu, ne se contentant pas de ses connaissances speciales, mais possedant a fond beaucoup de sujets etrangers a la botanique. C'etait un erudit de pre- mier ordre, mais il n'y avait rien de pedant en lui; son coeur et sa bonte rapprochaient ceux que son intelligence eut pu tenir a distance, et Ton sentait en lui un ami, un camarade a cote du maitre. Durant son sejour a Cambridge, Darwin ne tra- vailla guere, a-t-il ete deja dit. Les humanites ne le 16 CHARLES DARWIN. seduisaient pas, les mathematiques lui repugnaient. II n'aimait, en realite, que la musique, la chasse et la recolte des insectes. Cette derniere occupation 1'interessait beaucoup et temoignait du vif attrait qu'avaient pour lui les sciences naturelles. Non seulement il pratiquait 1'entomologie avec un zele infatigable, mais il inoculait encore ce gout a ses amis, les priant de chercher, durant les vacances, les insectes qui lui manquaient; tels d'entre eux, a quarante ans de distance, se rappellent encore des noms d'especes rares auxquelles il avait reussi a les interesser. L'entomologie faisait du tort au programme des etudes, car, dans une lettre a son ami intime et parent Fox, il ecrit en 1829 : « Graham a souri et m'a salue si poliment, (juand il m'a dit qu'il avait ete" designe pour faire partie des six examinateurs, et qu'ils etaient decides tous a rendre 1'examen tout diUV'rent de ce qu'il a ete jusqu'ici, que je conclus de ceci que ce sera le diable a passer pour les pares- seux et les entomologistes ». Cela ne 1'empecha cependant pas de passer son examen, et les vacances furent joyeusement consa- cr£es a la peche et aux insectes. KM is:; I Ihirwin quitta Cambridge, ayant sor de de maitre «'-s ;u-ts. Apres une excursion geo- I...L;i<|ii(' (|iril lit avec Sedgwick dans laparlic nord du pays de Galles, exclusion i|ui ,-ivait pour l)iil d( PROJETS DE VOYAGE. 17 le familiariser avec la geologie, a 1'etude de laquelle Henslow le poussait fort, il trouva a son retour, a Shrewsbury, une lettre de Henslow contenant une interessante proposition qui cadrait bien avec les desirs de voyage du jeune naturaliste. En avril 1831, en effet, il ecrivait a Fox : « J'ai en tete — que je parle, pense ou reve — un projet que j'ai presque amene a eclosion, qui consiste a aller aux iles Canaries. Depuis longtemps je desire voir un paysage et la vegetation des tropiques, et, selon Humboldt, Teneriffe est un fort joli echantillon. » En mai, de nouveau : « Quant a mon projet concernant les iles Canaries, il est temeraire de me ques- tionner ; mes amis voudraient m'y voir, tant je les harcele de mes paysages tropicaux, etc. Eyton ira 1'ete prochain, et j'apprends 1'espagnol. » La lettre en question informait Darwin que G. Peacock, professeur d'astronomie a Cambridge, venait d'ecrire a Henslow pour le prier de lui recommander quelque jeune naturaliste qui put accompagner une expedition hydrographique a la Terre de Feu et dans Farchipel Indien, pour faire des etudes d'histoire naturelle, et Henslow avait pense a Darwin. « Peacock m'a demande — il lira cette lettre et vous 1'enverra de Londres — de lui recommander un naturaliste qui accompagnerait le capitaine Fitz- Roy, charge par le gouvernement de reconnaitre 2 18 CHARLES DAUWIN. les cotes sud de 1'Amerique. J'ai declare qiie je vous considerais comme la personne la plus capable de mener a bien cette tuche. « Ge n'est pas que je vous considere comme un naturaliste acheve, mais je sais que vous pouvez collectionner, observer et noter ce qui est digne d'etre enregislre en histoire naturelle. » Henslow repondit a Peacock que Darwin pourrait lui convenir, et Peacock ecrivil bienlol a ce dernier, lui donnant les details de 1'aflaire. Darwin en rei'era a son ami Henslow, a son pere et a son oncle Josiah \\Vdgwood. Henslow 1'engageait vivement a accep- ter. Lui-meme sentait combien 1'oflre etait avanla- geuse, mais le docteur Darwin y etait oppose pour differentes raisons : il considerail que ce voyage enleverait a son fils le gout des habitudes seden- laires et interromprait bien inutilement sa prepara- tion aux ordres. Le jeune homme consulta son oncle Wedgwood. II lui adressa la liste des objections fonnulees par son pere en lui demandant son avis sur la main1 re. Le docteur Darwin avail grande confiance dans le jugement de son beau-frere,et s'en rapporlail volon- liers b ce qu'il disait. La letlre de Josiah Wedgwood lui Ires favorable au projet. Le docleur Darwin se rendit aux raisons qui lui elaienldonnees et accorda son consentemenl. Pour le decider, son lils lui disait) faisant allusion a ses dc-penses un peu exa- LE « BEAGLE ». 19 gerees a Cambridge, « qu'il lui faudrait elre diable- ment habile pour depenser plus que sa pension a bord du Beagle ». A quoi le pere riposta, avec un sourire d'homme qui sail ce qu'il dit : « Mais on m'assure que vous etes tres habile sous ce rap- port ». Fort du consentement paternel, le jeune Darwin ecrivit a Henslow pour lui annoncer sa decision, et se rendit a Cambridge pour savoir si la place etait encore libre, prendre ses arrangements pour le voyage et elucider un certain nombre de points importants. II fit la connaissance de Fitz-Roy, le commandant de 1'expedition, homme tres jeune encore — il n'avait que vingt-quatrc ans! — mais fort entreprenant et intelligent, et pour lequel il se jnit d'une vive affection. II alia aussi voir le Beagle. C'etait un fort petit vaisseau de 242 tonnes, equipe en barque, portant six canons; on le classait dans la categorie jdite des cerciteils, a cause de la facheuse tendance de cette sorte de navires a couler par le gros temps. L'es- pace y etait restreint et mesure avec une parcimo- nie extreme. L'equipement en etait excellent, et 1'equipage choisi avec grand soin; plusieurs des officiers arriverent par la suite a des positions emi- nentes. La mission du Beagle consistait a relever les cotes de Patagonie et de la Terre de Feu, du Chili, du Perou et de quelques lies du Pacifique, et a faire une serie d'observations chronometriques en •>0 CHARLES DARWIN. vue de determiner la longitude de divers points du globe. Fixe primitivement pour la fin de septembre 1831, le depart du Beagle ne s'efiectua que fin decembre. La periode d'hesitations, d'attente, de preparatifs, fatigua fort le jeune naturaliste : « Ges deux mois passes a Plymouth ont ete les plus malheureux que j'aie vecus, bien que mes occupations y fussent tres variees. J'etais attriste par la pensee de quitter toute ma famille et mes amis pendant une aussi longue periode, et le temps me paraissait inexpri- mablement lugubre. Je souffrais aussi de palpita- tions et de douleurs au coeur; et, n'ayant acquis qu'un faible savoir medical , j'etais convaincu , commc tous les ignorants, que j'avais une maladie, de coeur. Je ne voulus pas consulter le docteur, crai- gnant d'entendre un verdict qui m'empecherait de partir, et j'etais decide a partir a tout hasard. » Ge voyage fut certainement penible pour le jeune homme; il souflrit du mal de mer a 1'exces, et Ton a souvent attribue la mauvaise sante de Darwin aux epreuves que ce mal fit subir a son organisme. Les amiraux Mellersh et Sulivan, qui furent les compa- gnons de Darwin sur le Beagle, ou ils servaient en qualit^ d'officiers, ont donne le recit des sou flrai ices du malheureux naturaliste. Son travail etait con- slarnnicnt interrompu, et son ('-iicr^ic ne pouvait le tuujours; il s'etendait dans son hamac et INSTALLATION A BORD. 21 travaillait alternativement. II etait installe fort a 1'etroit d'apres Sulivan : « L'espace etroit au bout de la table aux cartes etait le seul endroit oil il put travailler, s'babiller et dormir. Le hamac restait suspendu au-dessus de sa tete dans la journee, et lorsque la mer etait mauvaise et qu'il ne pouvait plus rester ainsi devant la table, il s'etendait dedans avec un livre. « Le seul endroit ou il put enfermer ses vetements consistait en plusieurs petits tiroirs dans le coin, allant d'un pont a un autre. Le tiroir d'en haut etait tire lorsque le hamac etait suspendu, sans quoi il n'y aurait pas eu assez de longueur, et les crochets etaient fixes dans 1'emplacement du tiroir du haut. Une petite cabine sous le gaillard d'avant etait reservee a ses echantillons. » Cette installation lui suffisait cependant, et Dar- win soutient meme que I'exigmte de 1'espace dont il disposait lui fut tres utile, en ce qu'elle lui donna des habitudes methodiques. Sa vie s'ecoulait fort paisible sur le petit vaisseau; ses relations avec les officiers et avec Fitz-Roy etaient excellentes. Tout le monde aimait « le cher vieux philosophe », comme 1'appelaient les officiers; « 1'attrapeur de mouches », selon la designation des matelots. Mel- lersh ecrit : « Je revois votre pere en imagination avec autant de nettete que si j'avais encore ete avec lui, la semaine derniere, sur le Beagle; son sourire 22 CHARLES DARWIN. aimable et sa conversation ne peuvent s'oublier lors- qu'on a vu Tun et entendu 1'autre. Jamais un mot n'a ete prononce contre lui, et je crois que c'est le seul dont ceci puisse etre dit parmi ceux que j'ai con- mis, et c'est beaucoup, car les personnes enfermees ensemble pendant cinq ans, sur un vaisseau, sont fort exposees a s'agacer mutuellement. » G'est a la Terre de Feu que Darwin eprouva pour la premiere fois la singuliere et instructive sensa- tion resultant de la contemplation de 1'bomme sau- vage : « Aucun spectacle ne peut etre plus interes- sant que celui de Thomme dans son etat de sau- vagerie primitif. On ne peut en comprendre tout 1'interet que lorsqu'on en a fait 1'experience. Je n'ou- blierai jamais les hurlements avec lesquels nous rerut un groupe de sauvages lorsque nous penetrames dans la baie de Bon-Succes. Us etaient assis sur une pointe de rochers, entoures d'une sombre foret de hetres ; ils jetaient leurs bras au-dessus de leur tete, et leurs longs cheveux pendants les faisaient res- sembler a des esprits troubles d'un autre monde. » De la Terre de Feu, le Beagle remonte la cote du Chili. Darwin fut fort malade vers cette epoque, et ' six MMiiaines au lit, a Valparaiso, altoint d'une maladie dont le diagnostic demeura toujours obscur et qui rafTail)lit liiMiiroiip. II commencait cepondant ;i xjuhaiter le retour. DESIR DU RETOUR. 23 a J'aimerais a savoir dans quel etat vous etes, moralement et physiquement, ecrit-il a son ami Fox. Qitien sabe"? comme on dit ici (et Dieu salt qu'ils le peuvent dire, car ils sont suffisamment ignorants !), peut-etre etes-vous marie, et soignez-vous, ainsi que le dit Mile Austen, de petites branches d'olivier, petits gages d'une mutuelle affection? « Eh! eh! ceci me rememore certaines visions d'avenir oil je voyais du repos, des cottages ver- doyants et des jupons blancs. Qu'adviendra-t-il de moi apres ceci? Je 1' ignore. Je me sens comme un homme mine qui ne sait ni ne se soucie de savoir comment il arrivera a se degager. » Le retour s'effectua par Sainte-Helene, a la fin de 1836, apres une absence de cinq ans. L'importance de ce voyage a ete capitale pour la destinee de Darwin, et c'esta juste raison qu'il con- siderait la date du depart comme une nouvelle nais- sance. Les resultats de cette longue absence ne sont pas seulement ceux qu'il a consignes dans 1'inte- ressant Voyage d'un Naturalists, resume de ses notes et de ses lettres, et dont divers fragments ont ete expedies comme lettres a sa famille, et dans les memoires presentes par lui, a son retour, aux societes savantes. Ils sont principalement dans Tex- perience qu'il acquit dans 1'etude des sciences natu- relles, dans les observations de toute sorte qu'il put faire, et dans les reflexions que les faits firent surgir 24 CHARLES DARWIN. en son esprit. Ge voyage a ete pour Darwin 1'initia- tion veritable a 1 'observation, a la methode, a la science, et il parait certain qu'il a ete, pour le deve- loppement de son esprit, de ses idees, 1'evenement capital de son existence. Au retour du voyage, il n'est plus question pour Darwin de devenir un clergyman. II s'occupe de mettre ses collections et documents en ordre pour en tirer parti. L'idee de 1'Kglise est entitlement aban- donnee, sans qu'il en ait etc" meme parle. Au cours de son voyage deja, Darwin avait bien senti que sa vie avait change d'orient, et que ses plans originels devaient se modifier; mais il ne voyait guere en quel sens. A son retour, nulle hesitation : il sait ses caisses et ses cahiers de notes pleins d'echantillons a decrire, de faits a expliquer, et il se met au travail. « Je n'ai rien a desirer, si ce n'est une meilleure sante, afin de continuer les occupations auxquelles j'ai joyeusement decide" de consacrer ma vie. » — « Mon pere espere a peine que 1'etat de ma sante puisse s'ameliorer avant quelques annees. La decep- tion est amere pour moi, lorsque j'arrive a la con- clusion que « la course est gagnee par le plus fort », et que je ne ferai pas grand'chose de plus que de me contenter d'admirer les enjambees que font les autres dans le domaine de la science. » C'est ce l.idieux 6tat qui 1'obligea plus tard a renoncer a la vie de Londres. Mais n'anticipons pas. A son TRAVAUX DIVERS. 25 retour, apres quelque temps passe a Shrewsbury aupres de sa famille, il s'etablita Cambridge, puis a Londres, pour etudier ses collections, ses notes, et en tirer differents travaux. Son embarras estd'abord grand ; il sent qu'il ne pourra suffire a tout : geolo- gic, botanique et zoologie. A qui s'adresser pour se charger de certaines parties de ses collections, et pour que son travail ne soit pas perdu? Au debut, Ton ne fait guere bon accueil au jeune naturaliste : chacun a trop a faire pour s'occuper de ses collec- tions, si peniblement reunies. Les choses finissent cependant par s'arranger : les materiaux recueillis par Darwin ne seront point perdus, grace a quel- ques collaborateurs de bonne volonte pour divers sujets dont Darwin ne peut se charger : il se reserve d'ecrire un resume de voyage et quelques monogra- phies. Peu de temps apres, il obtient du gouverne- ment une subvention de 25 000 francs pour la publi- cation des resultats scientifiques de son voyage. Son Voyage 1'occupe fort, mais n'avance que len- tement a cause des distractions de Cambridge; il voit beaucoup Lyell, avec qui il discute la geologic de 1'Amerique. Durant 1'automne de 1837 il est si fatigue qu'il lui faut s'arreter un peu : ses palpitations de cceur le reprennent, le medecin lui present un repos complet de quelques semaines. A la meme epoque on lui propose les fonctions de secretaire de la Societe Geologique, qui lui repugnent fort pour VI' CHARLES DARWIN. di verses raisons, parmi lesquelles son ignorance des langues etrangeres et le temps que cela lui prendrait; il les accepte cependant et les conserve de 1838 & 1841. Entre temps et pour se reposer, il fait quelques excursions rapides, durant lesquelles il s'occupe de geologic : la plus importante fut celle de Glen-Roy, dont il chercha £ expliquer les diffe- rentes routes paralleles d'origine glaciaire, mais sans y reussir. II se lia beaucoup avec Lyell, & cette epoque, Lyell qui, avec ses Principles of Geology, venait de secouer de fond en comble la geologie classique d'alors, et de lui fournir de nouvelles et solides bases, et qui etait plein de sympathie pour le jeune naturaliste. Dans plusieurs de ses lettres de cette epoque, Darwin dit qu'il paresse beaucoup, mais d'une fagon particuliere : « J'ai 6te dernierement fort tente d'etre pares- seux, en ce qui concerne la geologie pure, par suite du nombre e"tonnantd'aperc.us nouveaux qui se pre- sentaient d'affilee et d'une facon serree a mon esprit sur la classification, les affmites, les instincts des animaux.... lus importantes ont ete : 1'amour de la science, une patience sans limites pour reilecbir sur JUGEMENT DE DARWIN SUR LUI-MEME. 51 un sujet quelconque, 1'ingeniosite a reunir les fails et a les observer, une moyenne d' invention aussi bien que de sens commun. Avec les capacites mo- derees que je possede, il est vraiment surprenant que j'aie pu influencer a un degre considerable 1'opi- nion des savants sur quelques points importants. » Revenons maintenant k 1'expose de la vie de Charles Darwin. Installe a Down, celui-ci y travaille avec plus d'ar- deur que jamais. II n'est guere connu du public encore ; en dehors de certains savants qui 1'appre- cient fort, comme Lyeil, nul ne s'occupe de lui. Son volume sur les recifs de corail voit le jour en 1842, et un autre travail sur les iles volcaniques en 1844. Le volume sur les recifs de corail presente un grand interet. Cette oeuvre "a conquis pour Darwin une place eminente dans 1'histoire de la geologic; les conclusions en ont ete amplement confirmees, et sa theorie est acceptee des geologues en general. De 18ic2 a 1854 Darwin public divers travaux. Malgre sa mauvaise sante pendant ces douze annees, il ne passe que quinze mois hors de Down, dont pres de cinq mois a Malvern, a differentes reprises, pour son hydrotherapie. Ses autres excursions sont motivees par des visites a la famille et des congres de societes savantes. Parmi ses oeuvres de cette epoque, il y a 'divers travaux zoologiques et geologiques, entre les-. quels il convient de signaler un travail geologique 52 CHARLES DARWIN. pour une publication de 1'Amiraute, et rmivrcige sur les cirripedes vivants et fossiles. Ce dernier lui a pris beaucoup de temps, huit ans, et il se demande sou- vent si le sujet en valait la peine. On apprend, par son Journal, combien de temps chaque partie de cet ouvrage lui a pris. Ge travail le fatigue et 1'en- nuie beaucoup ; il le trouve tres aride, et la matiere a ete si mal etudiee qu'il reste beaucoup a faire pour lui. Ge n'est cependant pas du temps perdu, comme le montre Huxley dans une lettre a F. Darwin ; cela a ete un exercice tres utile, qui lui a donne 1'habi- tude de 1'anatomie pure, et lui a fait comprendre les diflicultes de 1'observation. Ce travail, qui 1'oblige a des recherches bibliographiques etendues, lui sug- gere quelques idees qu'il developpe dans sa corres- pondance avec Hooker et Strickland, en particulier, sur la tres facheuse habitude qu'ont les naturalistes de dernier ordre de chercher a se faire connaitre par des descriptions de genres nouveaux ou par de nouvelles descriptions d'etres deja connus. 11 est d'usage, en effet, que le zoologiste qui decrit une espece a nouveau, ou pour la premiere fois, la bap- tise comme il lui cunvient, en accolant son norn & crlui de 1'animal. La description reposant en general sur des caracteres purement exterieurs, il en results que les clsussiiicateurs - les coquillards, selon l't'X|»re.ssiun vulgaire, qui provient de ce que ce TRAVAUX DE 1842-1854. .r»3 sont les amateurs de coquilles, de mollusques qui s'adonnent le plus a cet inintelligent exercice — multiplient les descriptions, qu'ils font courtes, ra- pides, incompletes, en general, pour le simple plai- sir de substituer leur nom a celui de quelque autre zoologiste. II y a un abus veritable, qui ne profite a personne, et compliquela synonymie. Darwin reagit fortement centre cette tendance, et fait remarquer qu'il est ridicule de laisser se perpetuer une cou- tume qui n'est justifiable que dans le cas ou le tra- vail du descripteur est approfondi et serieux, qui n'existe ni chez les chimistes, ni chez les mine- ralogistes, lorsqu'il arrive a ceux-ci de decou- vrir des substances nouvelles, et qui ne sert qu'a favor iser une sotte vanite et 1'eclosion de mauvais travaux. Parmi les lettres de 1842 a 1854, nous ne noterons que celles qui se rapportent a une discussion enta- mee avec Lyell et Hooker, sur 1'origine de la houille : la theorie que propose Darwin n'a pas ete acceptee; il s'y attend bien d'ailleurs, d'apres 1'accueil que lui font ses deux amis, et, pour s'amuser, il la soumet a deux autres naturalistes. cc A ce propos, ecrit-il, comme la theorie marine de la houille vous a mis si fort en colere, j'ai eu 1'idee d'en faire 1'experience sur Falconer et Bunbury, et cela les a rendus plus furieux encore. « D'aussi infernalesbetises devraient « etre extirpees de votre cervelle », m'ont-ils dit.... 54 CHARLES DARWIN. Je sais maintenant comment il faut s'y prendre pour secouer un botaniste et le mettre en mouvement. Je me demande si les geologues et les zoologistes ont aussi leurs points tendres : j'aimerais h le savoir. » II note en passant une critique fort inalveillante, dans I'AtJtenxum, de la rendition du Voyage, dediee a sir Charles Lyell, mais ne s'en emeut guere : il sait que les sarcasmes et les epithetes desagreables d'un cri- tique incompetent n'ont jamais nui a une oeuvre serieuse. A mesure que les annees se succedent, les preoc- cupations domestiques augmentent. A Fox, son ami qui lui ecrit pour annoncer la naissance de son dixieme enfant, il repond en envoyant ses felicita- ti'iiis et ses condoleances, ajoutant que, si la chose lui arrive jamais, a lui Darwin, il sera inutile d'en- voyer des felicitations : les condoleances lui suffi- ront. II ajoute que, chaque fils donnant autant de peine £ elever que trois filles, sa famille comprend dix-sept enfants (cinq ills et deux filles). L'education des premiers le preoccupe fort : il trouve r education classique mal adaptee a la lutte pour 1'existence, et defectueuse au point de vue du developpement de Tesprit. Mais ce qu'il craint par-dessus tout, c'est une faiblesse de constitution hereditaire, ot en maintelettre il revientsur ce point. Sa propre s.uilt- est d'ailleurs fort mauvaise k cette 6poque, et 1'oblige h aller faire une cure & Malvern. Son pere meurt PREOCCUPATIONS. 55 durant cette periode, et son etat ne lui permet meme pas d'aller rendre k celui-ci les derniers devoirs; c'est aussi vers cette epoque que la Societe Royale lui decerne une medaille pour le recompenser de ses travaux. CHAPITRE III LA PUBLICATION DE L' « ORIGINE DBS ESPECES » La grande oeuvre de Darwin, c'est I' Origins des //'res. Par son importance, et par le retentisse- ment qu'elle a eu dans les sciences qui traitent de Forganisme vivant, et par la multiplicity de ses ap- plications, les theories developpees dans cc livre me*ritent que nous nous y arretions, non pour en exposer ou discuter les principes, qui sont bien conn us, mais pour en montrer le developpement et signaler 1'accueil qui lui fut fait. Gette oeuvre, murie pendant plus de vingt ans, et qui n'aurait peut-etre vu le jour qu'apres une incu- J MI ion plus longue encore sans un heureux accident, cette oeuvre a occupe 1'esprit de Darwin des une iue lointaine, des le milieu de la periode que remplit son voyage autour du monde. L'Origine des Especes precede directement du voyage, durant le- quel Darwin emmagasine une foule de faits qu'il ne peut expliquer au moyen des theories courantes. EBAUCHES DE L' « ORIGINS DES ESPECES ». 57 Comment les interpreter? A son retour en Angle- terre, en 1837, il voit bien que la theorie acceptee de 1'immutabilite des especes est le point delicat des doctrines zoologiques, et cela le conduit a etudier les bases sur lesquelles elle repose. Des le mois de juillet 1837 il ecrit dans son Journal : « En juillet, commence mon premier livre de notes sur la muta- bilite des especes. J'avais ete tres frappe, des le mois de mars precedent, du caractere des fossiles de rAmerique du Sud et des especes des iles Gala- pagos. Ges faits, les derniers surtout, origine de toutes mes vues. » II se mit a lire tout ce qui se rapporte de pres ou de loin a la question, s'occu- pant beaucoup, avec raison, des variations provo- quees par la domestication, et notant- tous les faits eonnus. II y a certainement, dans la premiere edi- tion du Voyage cTun naturaliste, des passages indi- quant que 1'idee de la mutabilite des especes ohse- dait deja Tesprit de Darwin durantson voyage; mais ce qui est plus interessant, c'est la comparaison des deux editions de cette oeuvre : on y trouve des diffe- rences marquees, et nombre de passages, que M. F. Darwin a su bien choisir et mettre en relief, indi- quent combien cette idee s'est imposee a lui dans Fintervalle qui les separe. G'est de 1836 a 1839, en effet, que la theorie de 1'origine des especes s'est developpee et a pris corps dans la pensee de Darwin. Plus interessant encore est 1'examen d'un livre de 58 CHARLES DARWIN. notes redigees de juillet 1836 a fevrier 1838. La lec- ture en pre'sente un puissant interet; on voit, par les passages qui nous en ont ete conserves, tous les progres de la pensee de Darwin, ses doutes, ses hesitations et aussi sa conviction croissante : toute YOrigine est la en germe. En 1842, puis en 1844, Darwin rassemble ces notes, ou plutot les condense en essais demeures ine'dits, dont le dernier seul, celui de 1844, existe encore. Ge travail, de 231 pages in-folio, divise en deux parties, coincide assez etroitement avec YOri- gine des Especes : la repartition seule des matieres en varie sur quelques points. Graignant que sa sante ne lui permette pas d'achever 1'oeuvre e*bauchee, Darwin nous a laisse de cette epoque un document fort interessant, une sorte de lettre-testament adres- see a sa femme, et dans laquelle il la prie, au cas oil il viendrait a mourir sans avoir pu achever son oeuvre, de veiller a ce que son esquisse soit publiee par les soins d'une personne competente, Lyell, Hooker, Forbes ou Henslow, par exemple, qui se chargerait, moyennant un legs specialement affecte a cette destination, de revoir ce travail, et, au besoin, de le completer avec des documents non encore uti- li-'-s, mais classes et re"unis par Darwin. A cette e"poque (1844), la the'orie de la variability des es- peces est tres nette dans son esprit et il ne veut pas que son labeur demeure inutile. EBAUCHES DE L* « ORIGINE DES ESPECES ». 59 « J'ai lu, ecrit-il a Hooker, j'ai lu des monceaux cle livres d'agriculture et d'horticulture, et je n'ai cesse de reunir des fails. Des rayons de lumiere sont enfm venus, et je suis presque convaincu, contrairement a 1'opinion que j'avais au debut, que les especes ne sont pas immuables (je me fais 1'effet d'avouer un meurtre). Le ciel me preserve des sottes erreurs de Lamarck, de sa « tendance a la progression » et des « adaptations dues a la volonte continue des ani- maux ! etc. » Mais les conclusions ^tuxquelles je suis amene ne different pas beaucoup des siennes, bien que les agents des modifications soient entierement diffeaents. Je pense que j'ai trouve — c'est ici qu'est la presomption — la maniere tres simple 'par la- quelle les especes s'adaptent parfaitement a des fins variees. Vous allez gemir et vous vous direz inte- rieurement : « Est-il possible que j'aie perdu mon « temps a ecrire a pareil homme? » J'aurais pense de meme il y a cinq ans. » II reste cependant bien des points a elucider, et la correspondanceechangeeavec Hooker, des cette epo- que, jusqu'en 1856, est particulierement interessante par la mention qui y est faite des observations et des experiences auxquelles se livre Darwin pour elever et consolider les nombreux arcs-boutants de son edi- fice. Ici c'est une serie de lettres qui se rapportent a la distribution geographique des animaux et des plantes, et aux circonstances qui peuvent expliquer 60 CHARLES DARWIN. la repartition d'especes identiques ou voisines en des regions distantes, separees par la mer, sujet £ la fois de geologic, de zoologie et de botanique, dans lequel Darwin se complait h 1'extreme ; ailleurs il s'agit de 1'explication & fournir de la diminution ou de 1'extinction des especes, etc. Toutes ces lettres, particulierement int£ressantes par la facon dont on voit Darwin successivement soulever les difficultes, les discuter, les expliquer, suggerer des etudes nouvelles, des points de vue jusque-l£ negliges, le naturaliste les lira avec le plus grand profit. Signa- lons aussi celles ou il parle de ses experiences sur la resistance des oeufs a 1'action de 1'eau salee, sur la lutte des plantes entre elles, sur le transport des graines et des oeufs. Cela dure ainsi de 1844 a 1856. En 1850 Lyell, temoin eclaire" et judicieux de ses efforts, lui con- seille de reprendre son esquisse de 1844, de la deve- lopper dans un grand ouvrage, avec le secours des faits nouveaux dont il dispose. Darwin, apres quel- ques hesitations, se decide a suivre ce conseil. Ge travail devait etre fort etendu : reunissant les notes dfl !>.n\vin, le resultat de ses experiences et obser- vations, des citations empruntees ^ une foule de ir.ivaiix, Fouvrage devait former quatre volumes de la dimension de celui que nous connaissons sous le litre d'Oriyiiin 's Especes, et devait renfermer tous nis coninis pour et contre la mutabilite des for- TRAVAIL DE 1856. 61 mes animales. L'ceuvre est commencee en inai 1856, et poursuivie jusqu'en 1858, sans autres interrup- tions que celles que necessite la sante de Darwin. Au debut, il croit pouvoir faire bref, mais il s'aper- goit bientot qu'il lui faudra donner de grands deve- loppements pour soumettre au lecteur 1'etat complet de la question. Le travail avance lentement : il y a des contretemps, parfois des erreurs qui desolent Darwin, 1'obligeant a reprendre les questions qu'il croyait resolues. « Je suis, ecrit-il, le chien le plus miserable, le plus embourbe, le plus stupide de toute la Grande -Bretagne, et je suis pres de pleurer d'ennui sur mon aveuglement et ma presomption. II y a de quoi me faire dechirer mon manuscrit et tout planter la en desespoir de cause . » En revanche, aussi, il a des jouissances profon- des, tant son travail 1'interesse, une fois les obsta- cles surmontes. Mais, en 1858, un incident se pro- duit qui change ses plans. Un naturaliste anglais, Wallace, alors dans 1'archipel Malais, lui adresse un memoire manuscrit Sur la tendance des varie'tes a s'e'carter inde'finiment du type originel. Ge me- moire — public depuis — contient presque toute la theorie de Darwin, moins les exemples et les applications. L'ayant lu, comme Wallace Fen prie, il ecrit aussitot a Lyell (18 juin 1858) : « Je n'ai jamais vu de coincidence plus frappante ; si Wallace avait eu le manuscrit de mon esquisse 62 CHARLES DARWIN. ecrite en 1842, il n'aurait pu en faire un meilleur resume. Ses propres termes sont les litres de mes chapitres. Je vous prie de me renvoyer le manu- scrit : il ne me dit pas qu'il desire le publier, rnais naturellement je lui ecrirai et je lui offrirai de 1'en- voyer a n'importe quel journal. De la sorte, toute mon originalite, quelle qu'elle puisse etre, va se trouver ane"antie, bien que mon livre, s'il a jamais quelque valeur, n'en doive aucunement souffrir, car tout le travail consiste dans Fapplication do la tlu'urie. J'espere que vous approuverez 1'esquisse de Wallace et que je pourrai lui dire ce que vous en pensez. » Cette lettre caracterise Darwin, et la derniere phrase est encore bien de lui : la question de prio- rite lui parait secondaire, 1'es.sentiel est que la theo- rie soit publiee. II faut dire, du reste, que dans cette circonstance, oil tant de savants se fussent disputes et eussent recrimine sans fin - - nous en avons cliaque jour des exemples apropos de decouvertes secondaires, — Darwin et Wallace se sont conduits d'une faron particulierement noble et genereuse, comme il convient a des esprits vraiment eleves. En fait, tous deux etaient arrives, d'une fa^on inde- pendante, aux memes conclusions : Darwin avail certainemerit la priorite reelle, car le sujet 1'occu- pait depuis plus de vin-t aiis, mais Wallace 1(3 pla- rait dans une situation fausse par 1'envoi de ce PUBLICATION DE WALLACE. 63 manuscrit, dont il ne demandait d'ailleurs pas la publication. Darwin pouvait parfaitement publier soit son esquisse de 1844, soit un memoire plus etendu : il n'y songe pas; des le debut il pense a faire publier le memoire de Wallace. Le cas est em- barrassant, et il en ecrit a Lyell une semaine apres : « L'esquisse de Wallace ne contientrien qui ne soit deja plus developpe dans mon esquisse copiee en 1844, et dont Hooker a pris connaissance il y a une douzaine d'annees. II y a environ un an, j'ai envoye a Asa Gray un resume de mes vues, dont j'ai garde la copie (a cause de notre correspondance sur plu- sieurs points), de sorte qu'il m'est possible d'affir- mer avec verite et de prouver que je n'emprunte rien a WTallace. (( Je serais tres heureux de publier maintenant une esquisse de mes vues generates en une douzaine de pages environ, mais je me demande si je puis le faire honorablement. Wallace ne parle pas de la publication, et je vous envoie sa lettre. Comme je n'avais aucune intention de publier une esquisse, puis-je le faire honnetement maintenant que Wal- lace m'a envoye un apercu de sa doctrine? Mais il m'est impossible de discerner si en publiant mainte- nant je n'agirais pas d'une fagon vile et mesquine. Cela a ete ma premiere impression, et je me serais certainement guide sur elle si je n'avais regu votre lettre. » 64 CHARLES DARWIN. Lyell lui conseille de publier tout de suite. Dar- win hesite, et il se fait nombre d'obj actions : « Wallace pourrait dire : « Vous n'aviez pas 1'inten- « tion de publier un resume de votre theorie avant le « moment oil vousavez rec.u ma communication. Est- « il honnete a vous de retirer un avantage de ce que <( je vous ai communique mes idees librement, sans « que vous me les ayez, il est vrai, demandees, et de « m'empecher ainsi de vous devancer? » L'avantage que je retirerais serait d'avoir ete decide a publier par le fait que je sais, d'une maniere privee, que Wallace est dans la meme voie que moi. II me sem- ble dur d'etre oblige de perdre mon droit de priorite, qui date deplusieurs annees; mais, d'un autre cote, je ne puis croire que ceci rende ma cause plus juste. Les premieres impressions sont generalement les bonnes, et des le debut j'ai pense qu'il serait peu honorable a moi de publier maintenant. » . \pres consultation avec Ly.ell et Hooker, il finit cependant par se decider, avec peine il est vrai, car, dit-il dans son autobiographic, « je pensais que M. Wallace pouvait trouver mon precede injusti- fi;il»le : je ne savais pas alors combien noble et gene- reux Ml >"ii caractere ». Suivant le conseil de ses amis, il iv done un resume qui accompagne le travail de Wallace, et Let deux oeuvres sont presentees a la seance de la Societe Linneenne du lcr juillet 1858. Gette solution PUBLICATION DU MEMOIRE DE 1858. 65 est la meilleure que Ton put imaginer. D'une part, Darwin ne perd pas le benefice de son labeur acharne, dont 1'anteriorite est bien etablie par la copie d'une lettre par lui adressee a Asa Gray en 1856, et par le resume de 1844 que Hooker peut certifier reconnaitre pour 1'avoir lu a 1'epoque. D'autre part, le travail de Wallace est publie inte- gralement, et porte a la connaissance du public, bien qu'il n'en ait aucunement manifesto le desir, et Wallace ne peut considerer Darwin comme ayant deloyalement profite de la connaissance qu'a celui- ci de son manuscrit pour prendre les devants. Le double travail des deux naturalistes est done lu a la Societe Linneenne, et 1'impression produite est serieuse. Sir Joseph Hooker ecrit : « L'interet provoque fut considerable, mais le sujet etait trop nouveau, de trop mauvais augure pour que la vieille ecole entrat . dans la lice avant d'avoir revetu son armure. Apres la reunion, Ton en parla avec une emotion conte- nue : 1'approbation de Lyell et peut-etre un peu celle que je donnais en qualite de lieutenant de Lyell dans 1'aflaire, en imposa aux membres, qui autrementse fussent insurges contre la doctrine. Nous avions aussi 1'avantage d'etre farniliers avec les auteurs et avec leur theorie. » Darwin a toujours garde a ses amis Lyell et Hoo- ker une profonde reconnaissance pour le conseil et 66 CHARLES DARWIN. 1'appui qu'ils lui ont donnes en cette circonstance : ses lettres en sont un temoignage fidele. « Je m'etais tout a fait resigne, ecrit-il a Hooker, et j 'avals deja ecrit la moitie d'une lettre a Wallace, ou je lui aban- donnais toute priorite, et je n'eusse certes pas change d'avis sans votre extraordinaire bonte, a Lyell et a vous. » La publication de Wallace determine Darwin a changer ses plans. II cesse de travailler a 1'oeuvre entreprise, oeuvre qui devait etre considerable, avons-nous dit, et se decide a faire un resume de celle-ci, mais un resume qui, il le voit bientot, devra former un volume de dimensions assez considera- bles. Ge resume, c'est I'Origine des Especes. II y tra- vaille avec ardeur, tenant ses amis au courant de ses progres, trop lents a son gre, leur envoyant le iiuuiuscrit des chapitres au fur et a mesure, pour les soumettre a leur appreciation, continuant aussi a noter, a observer, a experimenter. A cette epoque se rapporte une lettre qu'il adresse a Wallace, en reponse ii un billet de celui-ci, et qui indique bien le caractere particulierement droit et la courtoisie des deux hommes : « Permettez-moi, dit-il, laisant allusion a deux lettres de Wallace, permettex-moi de vous dire combien j'admire du fond du cceur 1'esprit dans lequel elles sont cong-ues.... Je vous souhaite de tout ccnur sant^ et entier succes dans tout ce que vous entreprendrez, et Dieu sail que, si REDACTION DE « I/ORIGINE DES ESPECES ». 67 un zele admirable et 1'energie meritent le succes, vous le meritez amplement. Je considere ma car- riere cornme presque fmie. Si je puis publier mon resume (I'Origine des Especes), et peut-etre mon ouvrage plus etendu sur la meme matiere, je consi- dererai ma course comme fournie. » L'editeur Murray, qui a entendu parler -- par Lyell, semble-t-il — du volume que prepare Dar- win, offre de le publier. Darwin accepte, a la condi- tion que Murray parcoure d'abord le manuscrit, et ne s'engage point sans en avoir pris connaissance ; il craint que Torthodoxie de 1'editeur n'en soit bles- see. Murray parcourt quelques chapitres et main- tient son offre, qui est defmitivement acceptee. L'impression est commencee aussitot. La correction des epreuves est chose terrible pour Darwin. II trouve son style detestable, souvent obscur, et, en raison du nombre des corrections, il offre a Murray de prendre a sa charge une partie des frais. Ces epreuves sont communiquees a ses amis, qui lui donnent leur sentiment. Vers la fin, Darwin se sent a tel point fatigue que force lui est de se refu- gier a Ilkley, oil il subit un traitement hydrothera- pique, tout en achevant la correction des epreuves. En fin, en novembre 1859, YOrigine des Especes voit le jour. Des idees renfermees dans cette ceuvre capitale, il sera question plus loin (chapitre ix). On sait 68 CHARLES DARWIN. que Darwin y propose une theorie nouvelle de 1'origine des especes, contraire a celle qui etait jusque-la classique, a celle des creations spocifi- ques, et que sa theorie repose sur la variabilite et la selection naturelle, lesquelles sufiiraient a faire deriver toutes les especes d'un nombre tres res- treint de types originels, grace a des lois generates constamment en action. II ne sera question ici que de 1'accueil qui fut fait a ce livre, qui bouleversa les esprits, non point tant par ce qu'il renfermait, que par 1'extension logiquement imposee aux conclu- sions purement zoologiques par 1'esprit des lecteurs intelligents. Les 1 250 exemplaires de la premiere edition sont enleves le jour de la vente, et aussi- I6t I'&Iiteur Murray travaille en hate a en tirer 3 000 exemplaires de plus. A ce point de vue - secondaire d'ailleurs, — le succes est grand, et il indique de la part du public une ardeur conside- rable, ce qui ne laisse pas de surprendre Darwin. Mais ce qui interesse plus que le succes de librai- rie, si significatif soit-il pour une oeuvre aussi sp6- ciale, c'est 1'impression, le jugement des personnes compe"tentes. Darwin tient particulierement a Tap- probation de Lyell, Hooker, Gray et Huxley, qui sont a la t6te des sciences naturelles. Lyell se rallie dans une grande mesure, chose fort importante pour Darwin. « D'autre part, Lyell, jusque-l;i le pilier des antimutabilistes (qui le considererent par ACCUEIL FAIT A « L'ORIGINE DES ESPECES ». 69 la suite comme Pallas Athene a pu considerer Diane apres 1'affaire d'Endymion), se declara darwinien, mais non sans de serieuses reserves », dit Huxley dans un tres interessant chapitre par lui ecrit pour 1'oeuvre de M. F. Darwin. Les hesitations de Lyell tiennent surtout a 1'antipathie qu'il a pour un corol- laire necessaire de la theorie, 1'origine simienne de rhomme. Cela ne 1'empeche pas - - et c'est une preuve de grand courage et de vigueur intellectuelle de la part d'un homme qui a passe sa vie a com- battre les doctrines, mal etayees, il est vrai, de Lamarck -- d'abandonner « des idees anciennes et longuement cheries, qui constituaient pour moi le charme de la partie theorique de la science, dans mes jours de jeunesse, alors qu'avec Pascal je croyais a la theorie de 1'archange dechu ». Pour Hooker, c'est un converli — ou un « per- verti » — d'avant la lettre, et qui accepte les theories de Darwin bien avant qu'elles soient portees a la connaissance du public. II public dans le Gardener's Chronicle un article fort elogieux. Gray, 1'eminent botaniste americain (mort en 1888), est plus que convert! : c'est un adepte militant qui livre un combat formidable aux Etats-Unis en faveur de Darwin. Huxley se rallie aussi, et ecrit a Darwin : « J'espere que vous ne vous laisserez pas ennuyer ou degouter par les injures nombreuses et les mesinterpreta- tions qui, si je ne me trompe fort, vous attendent. 70 CHARLES DARWIN. Soyez bien persuade que vous avez droit a la reconnaissance eternelle de tous ceux qui pensent. Quant aux roquets qui aboieront et grogneront, rappelez-vous que quelques-uns de vos amis, en somme, sont doues d'un degre de combativite qui, bien que vous 1'ayez souvent et a juste titre blame, peut vous etre d'un grand secours. J'aiguise bee et ongles en prevision de Pavenir.... » Non content de declarer ainsi sa foi, Huxley la veut proclamer a tous, et publie dans le Times un article admirable — comme la plupart des productions du maitre ecrivain qui double Peminent savant, — tout en faveur de Darwin. A cote de ces convertis de la premiere heure, il faut ranger encore Wallace natu- rellement, qui s'exprime en termes chaleureux, sir John Lubbock, Watson, Ramsay, von Baer, Ben- tham, M. Dareste, le marquis de Saporta, et des admirateurs comme M. de Quatrefages, a 1'opi- nion duquel Darwin attache une haute valeur, M. Laugel, dont Particle publie dans la Revue Au risque d'affaiblir par le commentaire Padmirable phrase qui precede, nous dirons qu'elle suffit a montrer qu'en Darwin le coeur etait a la hauteur du genie. GHAPITRE V VOYAGE D'UN NATUIIALISTE Nous aliens maintenant rapidement analyser les oeuvres principales de Darwin. L'ordre que nous suivrons sera a peu pres chronologique, mais de preference methodique : nous grouperons ensemble les ceuvres de meme nature, si nous commenc.ons par les travaux generaux. Le Journal of Researches, public en 1839, pour la premiere fois, dans la collection des comptes rendus de 1'expedition du Beagle, puis public en volume isole en 1845, et sous le titre, qu'il a conserve desormais, de A Naturalists Voyage, a ete traduit en frangais sous le titre de Voyage dun naturaliste autour du monde. Ce volume, le premier qui, des oeuvres de Darwin, ait eu quelque succes aupres du grand public, renferme le recit en langue familiere, depouillee des termes trop techniques, des circon- stances qui ont accompagne le voyage du jeune na- turaliste antour du monde, du 27 decembre 1831 au 86 CHARLES DARWIN. 2 octobre 1836; c'est encore un expose rapido, rnais precis, des grandes questions et des fails nouveaux qui 1'ont occupe. L'oeuvre est pleine de charme et merite de demeurer le modele des narrations de ce genre. L'auteur est profondement epris des beautes de la nature, et 1'esprit scientifique chez lui ne nuit en rien a la faculte de sentir; le savant et 1'artiste vivent en lui, cote a cote, en excel lente harmonie, 1'artiste s'emerveillant d'autant plus que le savant lui revele de nouvelles raisons d'admirer. Le voyage de Darwin ne fut certainement pas une partie de plaisir d'un bout a 1'autre. II est toujours penible de quitter son foyer et les siens pour cinq ans, quelles que soient d'ailleurs les compensations intellectuelles que Ton puisse s'offrir pour la souf- france morale, et, si Ton ajoute a cette duree du voyage la lenteur des communications avec la mere patrie, et la desastreuse sensibilite du voyageur au mal de mer, on comprend certaines expressions de regret, vers la fin du voyage, et les souhaits non equivoques d'un prochain retour. « Qu'adviendra-t-il de moi apres ceci? ecrit-il le 23 juillet 1834, je 1'ignore; je me sens comme un homme ruin6 qui ne sait ni se soucie de savoir comment il arrivera a se degager. II est evident que ce voyage doit avoir une fin : ma raison me le dit, sans quoi je ne la verrais pas.... » Et, en 1830, de : « Oh! combien je desire ardemment VOYAGE D'UN NATURALISTE. 87 vivre tranquille sans avoir devant moi un seul objet nouveau ! On ne peut connaitre ce sentiment que lorsqu'on a roule autour du monde pendant cinq ans, dans un brick a dix canons. » Ces regrets etaient surtout 1'efiet de sa mauvaise sante, car des qu'il etait de nouveau bien portant, le ton de ses lettres etait plein d'entrain. Que sa sante fut bonne ou mauvaise, il travaillait avec acharne- ment : « Tout s'efface cependant, ecrit-il a propos de ses souffrances, devant le plaisir de deterrer de vieux os et de capturer des animaux nouveaux. » Avant meme d'avoir touche terre pour la premiere fois apres le depart d'Angleterre, le jeune natura- liste a etudie au microscope la poussiere fine qui tombe sur le pont du navire, et y a constate Texis- tence de 67 especes distinctes de formes animales ou vegetales. A terre, son temps se passe en excursions ou il regarde, observe, recueille des animaux, des plantes, des echantillons de roches, releve des coupes geologiques, en un mot emporte tout ce qu'il peut pour ses cheres etudes, et dessine, ou analyse, ou note par ecrit ce qu'il ne peut prendre avec lui. En mer, il classe, il range, il redige, il observe les ani- maux marins, les regarde au microscope, les disse- que et prepare ses travaux futurs. Son voyage a ete une longue periode de labeur, periode ou les soucis et la souffrance ont eu leur part, mais ou le voyageur a eprouve aussi des jouissances exquises. La con- 88 CHARLES DARWIN. templation des spectacles qui se sont successivement offerts a ses yeux, beaux de beautes diverses, tristes ou gais, desseches et nus, ou luxuriants et eclatants de vie, les plus differents que Ton puisse imaginer, mais ayant comme tout coin de la nature leur charme . propre et personnel, cette contemplation a laisse a Darwin des souvenirs inoubliables, et, dans ses lettres de Tepoque, comme dans les conversations de sa vieillesse relatives a ce voyage, on retrouve un sentiment tres ardent de la nature. De son voyage autour du monde, il appreciait tous les avantages : « De quelque fagon que d'autres 1'envisagent, ecri- vait-il au retour au capitaine du Beagle, a Fitz- Roy, maintenant que les petits desagrements en sont oublies, je pense, au sujet du voyage, que cela a ete de beaucoup la plus heureuse circomtance de ma vie.... Les plus vives, les plus delicieuses visions de ce que j'ai vu a bord du Beagle passent souvent devant mes yeux. Ces reminiscences, et ce que j'ai appris en histoire naturelle, je ne 1'echangerais pas centre 20 000 livres de rente. » Darwin avait raison de penser ainsi. Le voyage autour du monde a etc une circonstance singulierement heureuse sans laquelle Darwin n'efit peut-6tre pas e"te" ce qu'il fut. Durant les cinq ans qu'a dures cette excursion, une infinite de formes animates se sont successivement oilertes aux yeux du jeune naturaliste; il a vu de pros un nombre considerable dVspr-n-s \v^ri;ilos et do fos- AVANTAGES DU VOYAGE. 89 siles, et a ete amene, par les circonstances memes oil il s'est trouve, a etudier les questions les plus variees. De ce voyage, Darwin est sorti naturaliste, an sens le plus large, et aujourd'hui le plus excep- tionnel, du mot. En eflet, les naturalistes sont rares, par le temps d'analyse et de specialisation ou nous vivons ; il est peu d'esprits capables d'aborder les questions generates, les seules interessantes des sciences naturelles; 1'immense majorite des natura- listes est cantonnee dans d'etroits domaines, d'oii ils ne sortent point. Prepare par ses etudes anterieures a preter son attention a toutes les questions qui se presentaient a lui, en geologic, en botanique ou en zoologie, Darwin sut ne point s'attacher aux unes au detriment des autres : toutes 1'interessaient ega- lement, toutes sollicitaient son attention, d'autant plus d'ailleurs qu'il parcourait des regions peu etudiees jusque-la, dont quelques - unes meme n'avaient point encore regu la visite d'un natura- liste veritable. Pendant cinq ans, done, il fit de This- toire naturelle pratique , verifiant ce qu'il avait appris a 1'universite, rectifiant les erreurs, eten- dant les observations incompletes, remplissant les lacunes. Ni les analyses les plus minutieuses, ni les recherches les plus speciales, ne purent toutefois faire tort a Tesprit generalisateur du jeune natura- liste ; il sut ne point s'absorber exclusivement dans les details : bien au contraire, les grands horizons 90 CHARLES DARWIN. naturels en presence desquels il vecut semblont avoir elargi son horizon intellectuel. Pendant sa longue excursion a travers PAmerique du Sud, 1'Oceanie, etc., Darwin accumule les obser- vations, les echantillons et les notes : il y puise les elements de publications tres diverses, sur la geologic, la paleontologie et la zoologie principa- lement. En ce qui concerne cette derniere science, nous signalerons en particulier une oeuvre des plus considerables, la monographic des Cirripedes, groupe important de Crustaces degeneres, dont Darwin a etudie les especes connues, tant tbssiles que vivanles (1851-1854). Ge travail a coute une peine considerable a son auteur, et celui-ci s'est sou vent demande si le sujet valait les huit anne*es de travail « abominable » auquel il s'etait livre. Huit ans, c'est beaucoup dans la vie utile d'un homme, et cependant il faut reconnaitre que ces huit annees ne furent pas perdues pour Darwin. II s'en est rendu compte d'ailleurs, et a bien avoue que ce travail fastidieux et inintelligent de la dia- gnose et de la description des especes lui avait servi d'une excellente ecole pratique. Ge dont il doutait, c'e*tait la valeur intrinseque de I'oeuvre, en dehors des avantages que le travail depense" a 1*61 ever lui avait pu confe"rer comme discipline et methode. Comme le dit avec raison Huxley, « ce fut un tra- vail d'autodiscipline critique dont l'eflet se mani- RECHERCHES SUR LES CIRRIPEDES. 91 festa dans tous les ecrits qui suivirent, et epargna a votre pere * des erreurs de detail sans nombre... ». Cela lui apprit encore comment « s'acquierent les materiaux bruts » des diverses branches de la zoo- logie, et, par cela meme, il toucha du doigt les causes d'erreur possibles de la methode et la valeur approximative des faits, et ce savoir lui fut d'un secours precieux quand il s'occupa de 1'origine des especes. La monographic des Girripedes demeure une cpuvre de premier ordre. Sur quelques points Darwin s'est trompe, mais ils sont rares, et il fut le premier a reconnaitre ses legeres erreurs. Ges 1 000 pages in-4 represented ' un labeur acharne, et montrent combien 1'esprit de Darwin etait bien doue pour le travail analytique, minutieux de 1'anatomie. II est heureux toutefois que ce travail ne Fait point absorbe, et qu'il ait eu la sagesse de se consacrer a des recherches plus ge- nerales, plus philosophiques. L'un des faits les plus importants decouverts par Darwin chez les Girri- pedes, c'est 1'existence de males complementaires, parasitaires des femelles, et vivant a leurs depens. Pour en revenir au Voyage d"un Naturalists, c'est le recit du voyage a bord du Beagle, recit ou les questions scientifiques tiennent naturellement une 1. Ce passage est tire d'une lettre de Huxley a Francis Darwin sur 1'oeuvre zoologique de Charles Darwin. Vie et Correspondance. p. 409. 92 CHARLES DARWIN. grande place. Ici, pas de details techniques et ari- des, pas de zoologie scientifique, mais de I'liistoire: naturelle au sens large du mot, pleine d'interel et! de faits nouveaux : les details scientifiques sont! renvoyes aux oeuvres speciales, aux monographies. , Descriptions d'animaux curieux, de plantes etran- ges, de phenomenes naturels, singuliers ou alar- mantSjd'anomalies de la nature, impressions esthe- tiques ou morales, tout se melange d'une lac. on naturelle, sans apprets, pour former un livre plein de charme en mSme temps que profondement inte- ressant. Nous aurons a y revenir a propos de 1'Ori- yine des Especes, car nombre de passages de ce livre indiquent combien la preoccupation de la grande question de la zoologie — et de la philosophic — etait pre"sente a 1'esprit de Darwin durant son voyage : aussi n'y insisterons-nous pas plus longue- ment ici. Du reste, une oeuvre de details comme celle-la ne s'analyse point, et Ton n'en peut qu'in- diquer la tendance generale. GHAPITRE VI I/OEUVRE GEOLOGIQUE La geologie a tenu une place considerable dans les recherches executees par Darwin au cours de son voyage autour du monde. Nous avons vu plus haut combien il avait pris la geologie en horreur lorsqu'il Tetudiait a Edimbourg, mais ses etudes a Cambridge le firent revenir sur ce sentiment. Hens- low, son maitre, le dirigea du c6te de cette science, et le jeune etudiant eut, a la fin de ses etudes, la bonne fortune de pouvoir accompagner — grace a Intervention et a la recommandation de Henslow — 1'un des bons geologues de 1'epoque dans une tournee geologique au pays de Galles. Avec Sedg- wick, qui allait poursuivre des recherches depuis quelque temps commencees, Darwin s'initia done a la geologie pratique, a 1'art de lever les coupes de terrain, de reconnaitre les couches, leur orien- tation, leur superposition, en un mot la nature et la conformation du sol. Ge lui fut un excellent 94 CHARLES DAK WIN". exercice, et qui lui servit beaucoup par la suite. Ge qui vint renforcer encore son gout pour la geologic, fut la lecture qu'il fit, durant son voyage, du premier volume des immortels Principles of Geology que Lyell venait de publier. Ge livre, qui rompait avec nombre de doctrines du passe, et creait des points de vue absolument nouveaux, a du son succes en grande partie au fait qu'il explique le passe par le present, et qu'il n'invoque point, pour 1'interprela- tion des phenomenes geologiques, des causes ou facteurs autres que ceux dont Faction et 1'influence existent presentement et sous nos yeux : la ou Ton invoquait des cataclysrnes de cause inconnue, Lyell invnque 1'action des phenomenes dont nous sommes journellement temoins : 1'unitbrmitarisme se dres- sait lentement pour renverser 1'ecole cataclysmique. - L'argumentation solide et tranquille de Lyell se- duisit naturellement 1'esprit du jeune naturaliste, comme elle a d'ailleurs rallie a elle toute 1'ecole geologique depuis lors, et Darwin se sentit pris d'un beau zele pour cette science qui se revelait a lui sous un jour plus simple, plus naturel. Au cours de son voyage, il lit done beaucoup de geologic, les regions qu'il visilail • t;mt peu connues a ce point de vue, et il en rapporta de nombreux documents. Ceux-ci sont condenses dans les publications spc ciales resumant 1'oeuvre Hcientifique execulee au cours du vu\u<4(' du Beagle, et se rapportenl u RECHERCHES GEOLOGIQUES. . 05 diverses lies volcaniques et a 1'Amerique du Sud. Sans avoir 1'importance et la portee de ses travaux en botanique et surtout en zoologie philosophique, son ceuvre geologique presente un grand interet. La methode en est exccllente, et 1'application pene- trante. Nous ne saurions analyser en detail 1'im- mense ensemble d'observations personnelles sur lesquelles reposent les conclusions tiroes par 1'il- lustre naturaliste, mais on peut indiquer sommai- rement ces conclusions. De ses observations sur les lies volcaniques il est amene a s'elever centre la theorie des crateres d'elevation, et il note, au cours de ses recherches sur ce point, nombre de faits interessants concernant Faction des forces sou- terraines (eruptions volcaniques, tremblements de terre, etc.). II a ete 1'un des premiers a signaler 1'immensite de I'ceuvre de denudation a laquelle ont ete soumises la plupart des couches geologi- ques, et a su forcer la science a reconnaitre com- bien a ete grand le role de 1'eau dans la destruction comme dans la creation des strates terrestres. De ses recherches sur les cotes de 1'Amerique du Sud, il a conclu a un fait geologique de haute impor- tance, a 1'elevation, ou emersion, lente, ininterrom- pue, de TAmerique du Sud durant les dernieres epo- ques geologiques, emersion qui est etablie par la presence de coquilles marines a des niveaux supe- rieurs a celui qu'occupe actuellemert la mer. II a 90 CHARLES DARWIN. encore ete Tun des premiers a reconnaitre en An- gieterre les traces, les vestiges - - inattaquables d'ailleurs --de 1'epoque glaciaire, sous forme de roches striees et moutonnees, de moraines, etc. A ce sujet il est curieux de noter, comme il le dit a propos de son excursion geologique en compagnie de Sedgwick en 1831, « la facilite avec laquelle on peut laisser passer inapercu un phenomene, quelque frappant qu'il soit, lorsqu'il n'a pas ete observe" precedemment.... Aucun de nous ne vit les traces des etonnants phenomenes glaciaires visibles autour de nous. Nous ne remarqu times pas les roches striees, les blocs erratiques, les moraines laterales et terminales. Et pourtant ces phenomenes sont si frappants... qu'une maison incendiee ne revele pas plus clairement son histoire que ne le fait cette vallee '. » L'observation est profondement juste : rien de plus aise que de revoir ce qui a ete deja vu, ce que Ton s'attend a voir; rien de plus difficile que de voir pour la premiere fois ce qui n'a point encore ete signale. Darwin a toujours conserve un faible pour la geo- logic, en souvenir sans doute des heures qu'il avait passe"es, le marteau en main, a courir les rocs, a fouiller les cavernes, a deterrer les fossiles, et des emotions pleines de charme que ses trouvailles {. \ ' ' 'liini;-, Irad. t'ranr;.. p. lil-Hi' 1 eau : les recifs persistent, s'exhaussant toujours; mais, au lieu d'tA'tre contigus a la terrej ferme, comme auparavant, ilsse trouvent former une ceinture plus ou moins e"loignee des parties encore 104 CHARLES DARWIN. emergees les plus basses de 1'ile, bien qu'a une distance toujours identique du centre ge"ometrique de la region consideree : a cette phase nous voyons une terre ferme restreinte, un piton, un pic, entoure a distance d'une ceinture de recifs. Le mouvement d'affaissement continue, la terre s'enfonce, le recif s'exhausse : vient un moment oil la terre disparait sous les eaux, le recif seul demeure, de forme a peu .pres ou tout a fait circulaire, selon la forme de la terre qu'il entourait, il demeure, seul vestige de Tile ou du continent englouti. Mais a la place de celui-c-i, s'en formera un nouveau, surles ruines du premier, grace a 1'attoll qui existe toujours et a la mer qui se charge de le transformer peu a peu en terre ferme, quand 1'afiaissement de la region engloutie aura cesse. Telle est la theorie que formula Darwin en 1842, apres avoir soumis a Lyell et les faits qu'il avait observes dans le Pacifique, et 1'interpretation qu'il en donnait. II est a remarquer que, contraire- rnent a ce qui se passe en general, cette theorie pril corps dans 1'esprit de Darwin avant qu'il <>fii « vu un seul recif de corail » '. La theorie de Darwin a e"te generalement acceptee du monde scientifique, et actuellement elle est admise partout. Pour dire la verity, cependant, je dois signaler en Angle- terre une tendance marquee, en ce moment, a sou- \. Vie el Cotri'siitnitlanrr. trad, fratir., I. I. p. T.\. ORIGINE DES RECIFS. 105 mettre la question £ une revision approfondie, et a modifier la theorie de Darwin. Nul ne se prononce encore, et des recherches nouvelles sont necessaires avant qu'on se decide a le faire; cependant, aux lecteurs curieux de s'instruire de ce debat, je recom- manderai de parcourir les quatre ou cinq annees du journal anglais Nature; ils y trouveront les arguments pour et contre, exposes par leurs princi- paux adherents, M. Murray, un zoologiste distingue, etant 1'adversaire principal de la theorie de Darwin. M. Murray suppose que les attolls et recifs reposent non sur des regions en voie d'affaissement, mais sur des pics et montagnes en voie d'exhaussement, ce qui est precisement le contraire. En realite, il est tres possible que les deux explications soient bonnes, bien que, pour la plupart des geologues, Finterpre- tation de Darwin soit de beaucoup la meilleure; Ge dernier jugeait tres philosophiquement la question, en 1881, peu de temps avant sa mort, quand, a pro- pos des idees de M. Murray, il ecrivait * : « Si je suis dans 1'erreur, plus t6t Ton m'assommera et Ton m'annihilera, mieux cela vaudra ». Non moins interessante que les Recifs de Corail est 1'autre grande oeuvre geologique de Darwin, le travail sur la formation de la terre vegetale par les vers de terre. G'est un pur chef-d'oeuvre, dont tout 1. Vie et Cot'respondance, t. II, p. 521. 106 CHARLES DARWIN. jeune naturaliste devrait se penetrer commo tout! penseur se doit penetrer du Discours de la M<;il«>>. G'est en quelque sorte le commentaire applique de. ce dernier, c'est la preuve de la puissance invincible! de la logique et de 1'observation, le temoignage, 1 J symbole de la grandeur des resultats que Ton pent obtenir en traitant par la bonne methode le fait on apparence le plus insignifiant. La Formation de la\ tiTi-ft vege'tale par les vers de terre est la deriiieiv grande osuvrede Darwin : elle date de 1881 — ii <>st mort en 1882 — et porte 1'empreinte de son auleur. Lyellavait coutume de dire que les savants devraient] mourir a soixante ans, et Darwin 1'approuvait, ce] que nous ne saurions faire, car jamais vieillesse n'ai ete plus fertile en belles oeuvres que celle de Dar-| win, et il est rare qu'un savant ait le privilege de< disparaitre en aussi pleine possession de son talent. Chose singuliere, et qui d'ailleurs montre bien le caractere scientifique de Darwin, la derniere ffiuvre du grand naturaliste se rapporte a 1'une des ques- tions qu'il a depuis le plus longtemps commence a etudier. Ses premieres recherches sur les vers de terre datent de 1837, au retour de son voyage autour du monde : & la seance du lcr novembre de la Societe Ge*ologique il donna lecture d'un court rnemoire suri ce sujet. G'est en 1881 que parut le volume dont nous voulons dire quelques mots. Durant cette longue pe"riode de quarante-quatre ans. si bien remplie par ROLE r,EOLOGIQUE DBS VERS DE TERRE. 107 tant de travaux divers, Darwin ne perdit pas de vue la question des vers de terre, et recueillit entre temps divers renseignements et observations. G'est bien de Darwin, et c'est une chose a admirer que cette faculte qu'il a de ne point perdre de vue les sujets qui Font une fois occupe, et de continuer a les etudier de pres ou de loin. Le volume sur les vers de terre, public en 1881, renferme les resultats acquis des 1837 et beaucoup d'autres qui lui furent fournis par des experiences qu'il fit dans sa vieillesse. II est consacre a Tetude de 1'organisation, des moeurs, et surtout du role geo- logique de ces animaux. Apres avoir indique com- bien les vers de terre sont repandus en tout pays, le naturaliste s'etend sur leurs aptitudes, montrant combien ils sont peu doues, etant aveugles quoique sensibles a la lumiere, sourds bien que sentant les vibrations des corps. Ils sont cepejidant pourvus .* d'odorat, mais il ne parait bien developpe que pour les objets alimentaires : ils savent tres bien retrou- ver des feuilles de chou ou des morceaux d'oignon caches sous terre, tandis que les autres odeurs sem- blent ne point les impressionner. Sur leurs moeurs — surtout nocturnes, car ils ne sortent guere de jour, — sur leur fac,on d'aller aux provisions, sur leurs preferences alimentaires, Dar- win nous donne une foule de details curieux. II s'oc- cupe longuement aussi de leurs galeries souterrai- 108 CHARLES DARWIN. nes, de 1'habitude constants qu'ils ont d'en boucher 1'orifice au rnoyen des petits tas de gravier et des pe- tioles de feuilles accumules, que chacun a pu reniar- quer dans les jardins, surles routes decani pagne, etc. II ne semble pas, a premiere vue, qu'il y ait dans ces petits tas de feuilles matiere a des etudes bien interessantes : eh bien, Darwin trouve la le sujet de vingt pages tres curieuses, ou il montre quelles sont les preferences des vers pour telle ou telle sorte de feuilles, avec quelle intelligence ils choisissent telle extremite pour Tintroduire dans I'orifice et la bou- cher, telle sorte de feuilles pour en defendre 1'acces (feuilles de pin), comment ils les saisissent pour les bien introduire, combien ils tiennent a introduire telle extremite plulot que telle autre, etc. Ges faits sont des plus singuliers. Etudiant ensuite la maniere dont ils creusent leurs galeries (en repoussant la terre, et en 1'avalant pour 1'expulser ensuite), il en vient a 1'etude des petits tas de dejections terreuses faits par les vers, et que Ton connait bien pour les avoir remarques a I'orifice de leurs galeries. Ges tas, qui deviennent parfois fort considerables, sont formes de terre avalee par les vers pour se nourrir, et pour creuser leurs galeries; c'est une terre tres fine, qu'ils expulsent a 1'elat de boue un pen vis- queuse, et qui, dessechee par 1'air et le soleil, so dis- perse en poussiere, ou est entrained par les eau* pluviales. Gela n'a pas 1'air de grand'chose, assun'-- MOEURS DBS VERS DE TERRE. 103 ment, ces petits tas, mais si Ton considere leur nombre, leur poids et la frequence avec laquelle les vers les renouvellent, si Ton etudie encore leur provenance et leur sort ulterieur, on s'apergoit que Ton est en presence d'un probleme geologique des plus interessants. II est vrai que, pour s'en aperce- voir, il faut qu'un Darwin vienne vous ouvrir les yeux. Gette terre fine, d'ou vient-elle? Du sol ou j sont creusees les galeries, c'est-a-dire de la couche | de terre superficielle, jusqu'a une profondeur de 6 ou 8 pieds. Oil va-t-elle? Elle reste a la surface, evi- demment, entrainee aupres ou au loin par le vent et la pluie, et se superpose a la couche superficielle de terre ferme. Ceci pose, il est bien evident qu'etant donne le nombre des vers de terre, la quanlite des dejections qu'ils produisent, et un laps de temps raisonnable, ce qui est aujourd'hui la couche super- ficielle ne le sera plus dans un mois, un an ou un siecle : la couche superficielle d'aujourd'hui sera domain enfoncee, a une profondeur tres variable d'ailleurs, sous la couche formee par la terre des dejections etaleea la surface et repartie par les soins du vent et de la pluie. D'autre part, les galeries abandonnees par les vers s'affaissent peu a peu, la terre de la paroi superieure s'eboulant sur le plan- cher, par le tassement, les infiltrations d'eau et la pesanteur. Le niveau du sol ne change done pas par le fait des vers de terre, mais ce qui change sans Ill* CHARLES DARWIN. cesse, c'est la composition meme de la couche su- perficielle. Les vers, en amenant a la surface le sol des profondeurs, executent un perpetuel labourage, dont on peut d'ailleurs leur garder de la reconnais- sance. La preuve de ce labourage est aisee a fournir. En 1827, dit Darwin, un certain champ fut recon- vert de chaux vive en couche epaisse, pour 1'amen- der. Dix ans plus tard, en 1837, on eut 1'occasion d'y creuser un certain nombre de trous carres. L'ins- pection des parois verticales de ces trous revela le fait suivant : la superficie du champ consistait en une couche de 3 pouces d'epaisseur formee de terre fine, claire, remplie de racines d'herbe : c'est seule- ment au-dessous de celte couche que se trouvait 1'assise de chaux. Autre fait : une piece de terre fut, en 1822, drainee, labouree, hersee, puis couverte d'une couche de marne calcinee et de cendres, et enfin ensemencee d'herbe. En 1837, c'est-a-dire quinze ans apres, la couche de marne se trouvait a 3 pou- ces de profondeur, recouverte par de la terre vege- tale fine (fig. 5, p. 111). Darwin rapporte un certain nombre de ces faits, tous tres nets, et en conclut que les vers de terre, ramenant sans cesse de la terre des profondeurs du sol, ont ete les agents actifs de cet enfouissement de la chaux ou de la i ii, -i rue primitivement superficielle . D'autre part, cette disparition de matieres abandonnees a la sur- face n'est pas chose exceptionnelle ; les fermiers LABOUHAGE PAR LES VERS DE TERRE. Ill savont qu'elles s'enfoncent peu a peu, et que les pierres elles-memes ont la meme tendance. Mais, dira-t-on, qu'est-ce qui prouve que c'est 1'oeuvre j. 3. — Coupe, a la moitie de grandeur naturelie. d'un chump drainc el amende quinze ans auparavant. — A, gazon. — B. terre vegetale sans pierres. — C. terre vegetale avec fragments de marne calcinee, cendres et cailloux de quartz. — D. sous-sol de sable noir, tourbe avec cailloux de quartz. (D'apres Darwin. Vers de terre, p. 110.) les vers de. terre? Les poussieres de Tair, la boue entrainee par 1'eau pluviale des sommets dans les funds n'ont-elles pu arnener ce resultat? u, Xun, replique Darwin, car je vais montrer que ll'J CHARLES DARWIN. les dejections des vers de terre suffisent amplement a la besogne. Voici un carre de terrain, champ ou jardin : chaque jour je vais recueillir et peser les tas de terre excretee par les vers; nous verrons ce que cela fait au bout d'un temps donne : nous calcule- rons aisement, n'est-ce pas, ce qu'il s'en prod ui rait en six mois, un an, un siecle, et d'autre part, en me- surant experimentalement 1'epaisseur de la couche formee par la terre des dejections repartie uniibr- mement sur une surface connue, j'ai tous les ele- ments pour faire savoir quelle epaisseur aura la couche de terre rejetee par les vers (supposee etalee sur le sol, par les vents et la pluie) au bout du temps que Ton voudra, et nous verrons bien si les vers ont pu produire le resultat que je leur attri- bue. » Sitot dit, sitot fait. Darwin prouve d'abord que la quantite excretee sur une superficie donnee, pendant un temps connu, est telle que par acre et par annee le poids de terre remontee a la surface varie entre 17 et 18 tonnes. D'autre part, le calcul montre que la couche ainsi formee doit avoir de 1 a 1 pouce 1/2 au bout de nserver les monuments historiques ou prehis- toriques. En effet, nombre d'habitations romaines ne sont parvenues a nous que grace a ces utiles petits animaux, qui, avec le temps, arrivent a creuser le beton et le mortier meme, recouvrent de terre les murs bas et les dallages anciens, et les derobent ainsi a la curiosite, souvent inintelligente, et a la cu- pidite des paysans. G'est ainsi que Ton a pu retrou- vcr, dans un etat de conservation suffisant pour que 1'interet en demeure tres grand, divers vestiges ro- mains en diflerents points de 1'Angleterre ; a Abinger (Surrey), ce sont les restes d'une villa romaine (car- relage, poteries, monnaies) qui a du etre detruite il y a quatorze ou quinze cents ans; on les a trouves 8 114 CHARLES DARWIN. sous un champ cultive; et Darwin a pu saisir sur le vit' le travail des vers, une fois la place deblayee : les orifices des galeries des vers de terre, dans les interstices des carreaux, presentaient chaque matin une certaine quantite de dejections; ces dejections en s'accumulant avaient recouvert peu a peu toutce qui restait de la villa : le sous-sol, mine par les vers, s'etait aflaisse, et c'est de cette fagon que la villa avait ete lentement ensevelie. Quinze cents ans apres avoir enseveli le monument, les vers etaient prets a recommence!1, et indiquaient avec une nettete" partaite la maniere dont avaient opere leurs devan- ciers des premiers siecles de notre ere. Pareillement, 1'abbaye de Beaulieu (dans le Hampshire), la villa romaine de Ghedworth, celles de Brading, do Sil- chester, de "YVroxeter, etc., ont ete ensevelies par les vers de terre et, de cette fagon, conservees a 1'abri de certaines intemperies et de la main devas- tatrice de I'hornme. G'est par eux encore qu'auraient ete recouvertes les fleches trouvees il y a quelque temps surl'ancien champ de bataille de Shrewsbury (1403) : la chose est tres probable, d'apres ce que nous savons des vers. Au point de vue geologique, le role de ces pel its etres est tort important et presente un grand inte- i(l. Ge sont des agents tres actifs dans la denuda- tion du sol, c'est-a-dire dans le transport des matc- riaux dc - tburnis paries ruches primitives KNFOUISSEMENT DBS MONUMENTS PAR LES VERS. 115 du globe, a un niveau inferieur, c'est-a-dire dans les vallees, les fleuves et la mer. La denudation est e"nonne et le nivellement du globe se produit, pour qui le *ait voir sous 1'apparente lenteur avec laquelle Fi_-. •'). — Section pratiquee dans la fondation d'une villa romaine a Abinger. — A, terre vegetate. — B, terre foncee avec pierres. — C, terre vegotale noire. — D, fragments de mortier. — E. terre noire. — F, sous- SM! intact. — G, mosaique. — H, beton. — I, couche de nature iii>'uniiUL'. — W, mur enfonce sous le sol. (D'apres Darwin, Vers de 1- terre, p. 149.) il s'opere, avec une rapidite et a un degre extraor- dinaires. Cette denudation suppose d'abord une de- sagregation des couches superficielles : la pluie, le soleil et la gelee jouent ici un role preponderant. Mais les vers agissent aussi : leurs secretions et les 116 CHARLES DARWIN. substances que, par le fait meme de la vie, ils aban- donnent au sol qirils parcourent, agissent chimi- quement sur celui-ci, et contribuent, par voie chi-j mique, a en desagreger les parties dures, solides.^ Ils exercent encore une action mecanique, en tritu- rant les parcelles de terre qu'ils avalent constam- ment. Enfin, en deposant sans cesse a la surface des amas de terre fine, ils favorisent beaucoup la denu- dation : sechee par le soleil, cette terre est aisement enlevee par Tair, sous forme de poussieres, qui sont transporters parfois a d'enormes distances de leur lieu d'origine, par-dessus d'irnmenses etendues de terre, et jusque dans le milieu des mers; entrainee par les eaux pluviales, elle arrive aisement, en raison de sa legerete, jusque dans les torrents et les rivie- res, qui 1'entrainent lentement a la mer. Les vers sont done des agents chimiques et mecaniques do la desagregation du sol massif, des roches; ils ser- vent en outre, conside"rablement, afavoriser le trans- port du sol desagrege, au loin, c'est-a-dire, en dor- nit -re analyse, toujours a la mer. Enfin. le ver de terre est un pre"cieux allie pour 1'agriculteur. Labourant sans cesse les champs, les retournant sans desemparer en en melangeant les ele- ments d'une faQon constante, il favorise certaine- ment la vegetation en arrant le sol et en le remuant. D'animal dedaign6, voila le ver de terre, par la u grand n;iliiraliste,devenuunutileaiixili;iir-o ROLE DES VERS. 117 des archeologues, une force que les geologues con- siderent avec respect, un serviteur volontaire et ;Fijr. 7. — Dejection lurriforme due probablement a une espeee de Peri- r/iaeta (ver de terre), en ar JVxperience. Un point important a considerer, pnur les plantes volubiles, est la longueur de la portion repliee qui se meut, car de cette longueur et do hi duree dc la gyration depend pour elle la possibililo ou rimpossibilite dc s'erirouler autour dc ^rus troncs. En ellet, si la partie mobile est courto et LE MOUVEMENT CHEZ LES PLANTES. 131 la gyration rapide, il est impossible a la plante de s'enrouler sur un objet volumineux : tel est le cas pour le haricot. Differentes circonstances exercent une action tres sensible sur la revolution. Ainsi, une plante volubile eclairee d'un cote seulement execute sa revolution en un certain temps : mais le temps employe pour le trajet durant lequel la plante s'eloigne de la lumiere est le triple ou le quadruple de celui qu'il faut pour le trajet vers celle-ci. Geci pent s'observer aisement en plagant une plante volubile de telle sorte que la lumiere vienne a elle d'un cote seulement. Chez certaines plantes, toutes les branches sont volubiles; chez d'autres, la moti- lite est 1'apanage de quelques-unes seulement. II en est qui xie sont volubiles que dans certains mo- ments; il en est encore qui, non volubiles a Tetat sauvage et nature!, le deviennent a 1'etat cuitive. Les plantes qui forment la seconde categoric de plantes a motilite tres developpee sont celles chez qui le mouvement est localise dans des organes speciaux, que nous connaissons tous sous le nom de vrilles. Celles de la vigne, de diverses cucurbi- tacees sont bien connues de tous. II y a cependant d'autres organes qui ne sont pas de veritables vrilles et qui jouissent de la meme propriete. Ce sont les petioles, doues d'un mouvement revolutif trus net, et aussi d'une sensibilite au contact qui fait que la plus legere pression determine une 132 CHARLES DARWIN. flexion qui arrete le mouvement. Quand la pres- sion est fugitive, le petiole continue a se plier quel- que temps, puis il se redresse; si la pression est continue, la flexion se produit, augmente et deter- mine 1'enroulement autour de 1'objet etranger. Gette flexion se produit parfois en quelques minutes seu- lement. Les vrilles sont tres curieuses a etudier, et Darwin a fait sur leur mobilite des observations et des experiences tres interessantes. Chez le Biynonia, les vrilles sont ramifiees a leur extremite, de fagon a presenter Taspect de la patte et des doigts d'un oiseau : des qu'une de ces vrilles vient au contact d'un objet, les ramifications sur lesquelles il presse se recourbent sur celui-ci et 1'entourent fortement. La partie de la vrille qui supporte les ramifications jouit d'un mouvement de revolution. Un autre Bi- ynonia presente cette particular-He que ses vrilles fuient la lumiere et que, lorsqu'elles sont entrees en contact avec un corps etranger, elles secretent une substance resineuse qui augmente 1'adherence, laquelle devient de la sorte extremement puissante. La vigne vierge presente des vrilles depourvues de mouvement gyratoire, mais se dirigeant vers les par- ties sombres : elles fuient la lumiere, et, en outre, n'ont aucune sensibilite. Elles precedent, pour se fixer, de la fagon suivante. Les extremes de la vrille, une fois qu'elles ont rencontre une surface quelconque, pressent sur elle, puis se gonflent et MOUVEMENT DES PETIOLES ET VRILLES. 133 donnent naissance a de petits disques tres adhe- rents; en meme temps, les filaments de la vrille augmentent d'epaisseur et de force. Le Cobsea a des vrilles tres longues, a mouvement gyratoire rapide (une heure environ), divisees en de nombreuses ra- mifications se terminant par un petit crochet dur, pointu, qui se fixe tres aisement. Les ramifications sont tres sensibles, et s'enroulent en quelques mi- nutes. II est a remarquer que beau coup de vrilles, une fois qu'elles sont fixees a un objet, au lieu de demeurer droites, se contractent, de facon a former une spirale. Gette contraction tire la tige vers 1'objet sur lequel s'est fixee la vrille, ce qui est un avan- tage. En outre, la forme spirale de celle-ci lui donne une elasticite que la tige et les branches ne posse- dent pointj, et qui est tres avantageuse, elle aussi, pour empecher 1'arrachement quand la plante est agitee par le vent ou par un animal; 1'elasticite permet de ceder un peu, au lieu que, sans elle, il pourrait se produire un arrachement ou une rupture des parties tiraillees. Gette contraction des vrilles fixees s'opere tantot dans un seul sens, tant6t dans les deux directions alternativement, au lieu qu'une vrille non fixee se contracte dans un seul sens. La sensibilite des vrilles au contact a ete trouvee tres considerable par Darwin, pour certaines plantes. Chez une Passiflora, la vrille s'inflechit pour un poids de im milligramme, et cela en moins d'une demi- 13 1 CHARLES DARWIN. minute. Quand le contact est passager, avons-nous dit, la vrille continue a s'inflechir quelque temps apres qu'il a disparu, mais, apres cela, elle se deroule. II est extremement curieux de remarquer que le contact d'une goutte d'eau ne determine pas de flexion, non plus que celui d'une autre vrille, meme chez les organes prehensiles si sensibles de la Pas- si/lora etudiee par Darwin. On se demande com- ment s'opere la distinction entre le contact avec un corps elranger et celui avec un autre appendice de la m£me plante. En tous cas, 1'utilite de cette distinc- tion saute aux yeux, car une ondee, un leger vent feraient cerlainernenl contracter sans profit toutes les vrilles de la plante, et 1'empecheraienl ainsi de profiler des contacts avantageux auxquels elle pou- vail elre soumise durant le coup de vent cm la pluie. Tous les fails qui precedenl sont certainement Ires singuliers, el onl ele observes avec une patience infinie par le grand naturalisle. II ne s'en esl pas lenu la loulefois, el son elude n'a servi qu'a lui inspirer le d£sir d'en savoir plus long sur la molilito des planles : de la, nous Tavons dit, les recherches qu'il a entreprises par la suite, et dont le resullal nous esl donne dans le volume sur la Facnlle motrice des Planles. Gette oeuvre esl consacree a 1'elude de la molililo en general ch<-/. l.-s ])lanles, el non a une forrne par- liculiere de celle-ci, el Darwin considere les mou- MOUVEMENT DES VRILLES. 135 vements presentes par ies jeunes plantes, par les cotyledons, les tiges, les racines, les feuilles, dont il examine les phenomenes connus sous le nom de sommeil des feuilles, en se livrant encore a 1'etude de tl'action de la pesanteur, de la lumiere et d'autres cir- constances. Les faits qu'il a observes sont tres nom- breux, et si les conclusions qu'il en tire n'ont pas ete encore definitivement adoptees par le monde savant, les phenomenes sur lesquels elles reposent i demeurent acquis a la science. On nous permettra tuutefbis, en raison de son caractere tres special, de ne pas trop insister sur cette importante oeuvre dont I nous donnerons cependant une idee. Considerons d'abord un jeune plant de Crucifere, un Brassica oleracea par exemple, pourvu de ses parties consti- tuantes. La motilite se manifeste de toutes parts. Chez la radicule on constate une inclinaison vers le bas; elle tente de penetrer dans la terrc. Puis son extremite prend un mouvement de circumnutation, c'est-a-dire qu'elle se meut comme le font les tiges et vrilles dont nous avons parle plus haut; elle se meut en se dirigeant tour a tour vers tous les points de 1'horizon, de facon a decrire des cercles com- plets : ce mouvement de circumnutation, tres net chez la radicule de la plante hors de terre, est cer- tainementalTaibli chez la jeune plante dans son milieu naturel, mais il a pour celle-ci un avantage evident, il lui permet de decouvrir les points du sol qui 136 CHARLES DAB WIN. insistent le moins a sa penetration, et celle-ci y penetre grAce au point d'appui fourni par le poids de la graine, ou de la terre qui la recouvre. La force des radicules est considerable, dans le sens trans- versal et longitudinal, et Darwin a pu Pevaluer par le poids que peut supporter une radicule. Dans le1 sens transversal, on l*a evaluee en voyant quel ecar-^ tement la radicule fait subir a une pince a ressort, et quelle force il faut appliquer a cette pince pour produire le meme ecar tement : cette force corres- pond a celle d'un poids de 2 ou 3 kilogrammes. La force verticale est de 100 ou 120 grammes. Go sont ces deux forces qui permettent a la radicule de pene- trer dans le sol. D'autre part, la partie aerienne de la plante presente, elle aussi, une mobilite tres nette. Gette partie vient au jour presque toujours avec une forme arquee, tres avantageuse d'ailleurs a la plante, car elle lui donne plus de force pour soulever la terre sus-jacente : cette force correspond a quelques cen- taines de grammes (300 ou 400). Gette incurvation est le r6sultat de la circumnutation. Gette derniere est tres nette pendant que la plante est encore entierement sous terre, et continue apres que la partie aerienne est sortie de celle-ci. Le mouvement est faible, mais on peut 1'apprecier etfle mesurer. Les cotyledons s'agitent aussi, surtout dans le plan vertical, avec une rapidite" tres variable, comme Timliquent les expcM-imc.^ ! d'autant plus forte que la jeune plante a dr auparavant moins exposee a la lumiere. Ce qui est tres curieux, c'est de voir combien une excitation lumineuse faible et courte exerce une action nette . et de longue duree. « Nous constatames, dit Darwin, que des semis garde's a 1'obscurite. et eclaires par une petite bougie pendant deux ou trois minutes seulement, a des intervalles de trois quarts d'heure ou d*une heure environ, se courbaient tous vcrs Ic pi tint ON ;i\;iit ete placee la bougie. » Cette sensibi- lii«'«, parfois exquise, a la liiniii-rf csi geiieralement localisee en des points restreints, <>i si la iuniiriv c>t INFLUENCE DE LA LUMIERE. 139 dirigee, grace a un artifice, de fagon a baigner toute laplante, sauf le point sensible, aucun phenomene ne se produit. Ces mouvements des plantes , si delicats , si curieux, et d'une utilite si grande, ont beaucoup frappe 1'esprit de Danvin. « II est impossible, dit-il, de n'etre pas frappe par la ressemblance qui existe entre les mouvements que nous venons d'analyser dans les plantes , et beaucoup d'entre les actes inconsciemment executes par les animaux infe- rieurs. » II y a en effet une adaptation si intelli- gente qu'elle ne saurait manquer d'etonner, surtout quaml on considere la sensibilite et la motilite de la radicule. « Nous croyons, dit 1'auteur, qu'il n'y a dans les plantes aucune structure plusremarquable, au moins pour ce qui a rapport a la fonction, que celle de 1'extremite radiculaire. Que cette pointe soil legerement pressee ou cauterisee, ou coupee, et elle transmettra aux parties voisines une influence qui determinera leur incurvation verslecote oppose. Bien plus, 1'extremite pourra distinguer entre un objet un peu plus lourd et un autre un peu plus leger, places sur ses faces opposees. Si cependant la radicule est pressee par un objet similaire un peu au-dessus de son extremite, la partie comprimee ne transmettra aucune influence aux parties voisines, et s'inclinera brusquement sur 1'objet qui la toucbe. Si 1'extremite de la radicule est exposee dans une 140 CHARLES DARWIN. atmosphere un peu plus humide sur une de ses faceaj que sur 1'autre, elle transmettra encore aux partiea voisines une influence qui determinera leur incur* vation vers la source d'humidite. Lorsque 1'extre- mite est exposee a 1'influence de la lumier-e(bien que pour les radicules nous n'ayons eu qu'un seulexemple de ce fait), la partie voisine s'incline pour s'eloigner1 de la source lumineuse; mais, lorsqu'elle subifc Faction de la pesanteur, la meme partie s'inc'urve vers le centre de gravite. Dans tous ces cas, nous pourrons apercevoir clairement le but final ou les; avantages des divers mouvements. Deux (ou mf'ine plus) des causes excitantes agissent souvent simulta- nement sur I'extremite, et 1'une d'elles Pemportej sur 1'autre, sans aucun doute, suivant 1'importance, qu'elle a pour la vie de la plante. La march e suivie par la radicule lorsqu'elle penetre dans le sol doit etre determinee par 1'extremite, et c'est dans ce but qu'elle a acquis ces diverses sortes de sensibility. II est a peine exagere de dire que la pointe radicu- laire ainsi douee, et possedant le pouvoir de diriger les parties voisines, agit comme le cerveau d'un animal inferieur : cet organe, en eiTet, place" a la partie anterieure du corps, recoit les impressions des organes des sens, et dirige les divers mouve- ments. » Et ailleurs : « On a souvent vaguement affirme" que les plantes se distinguent des animaux en ce PLANTES CARNIVORES. 141 qu'elles ne sont point douees de la faculte de se mouvoir. On devrait plutot dire que les plantes acquierent et manifestent cette faculte seulement dans les cas oil elle leur est de quelque avantage, ce qui est comparativement rare.... » Gette faculte motrice, sous des formes variees0 n'est pour lui que la manifestation d'une propriete qui demeure toujours identique a elle-meme, la circurnnutation. L'avenirnous dira si 1'hypothese est exacte : qu'elle le soit, ou ne le soit point, les faits acquis demeurent toutefois, observes avec la minutie et la precision a laquelle le grand naturaliste nous a habitues. Les Plantes carnivores. « Pendant Tete de 1860 je me reposais et je pa- ressais pres de Hartfield, ou deux especes de Drosera sont abondantes, et je remarquai que de nombreux insectes avaient ete attrapes par les feuilles. J'em- portai a la maison quelques plantes, et, en leur don- nant des insectes, je vis les mouvements de leurs tentacules. J'eus 1'idee que les insectes devaient etre attrapes dans un but special. » Tel fut, selon les termes memes de Darwin *, le d^but des recherches qui sont relatees dans le volume sur les Plantes carnivores. Ghacun sait de quelles plantes il s'agit 1. Vie et Correspondance, t. I, p. 98* 142 CHARLES DARWIN. ici, et nul n'ignore que le Drosera ou Ros solis, la Dionee attrapc-nt ouches et d'autres vegetaux, qui se rencontrent assez generalement en France duns les lieux marecageux ou humides, presentent ft 'lie particularity que certaines de leurs parties son! munies d'appendices, ou pourvues d'une conforma-j tion qui leur permet de saisir les insectes fl, d'apres Darwin, de s'en nourrir. Ge sont veritable! ment des vegetaux carnivores. Ce genre d'alimenlaJ tion est assez exceptionnel parmi les plantes pour qu'il y ait lieu de s'arreter quelque peu sur 1'anah se] de 1'oeuvre de Darwin qui se rapporte a ces singu-i liers vegetaux. Le Drosera porte de deux a six leuilles, genera- lement horizontals, de forme ovale ou arrondie selon] les especes, et dont la face superieure est recou-j verte de filaments ou tentacules dont 1'extremit! libre porte une petite glande. Ges fiKimeiits sontj plus longs sur la peripherie qu'au centre de la! feuille, et leur nombre, par feuille, varie de 1)50 a "200, la inoyenne etant 19£2 : la glande qui les tor- mine secrete un liquide visqueux et brillant, ct ils jouissentd'une mobilite tres marquee. Pour observer cette mobilite, plagons un insecte sur le milieu de la feuille, ou bien un nmrceau de viande : les Icn- tacules voisins du point oil est 1'inseclc ou la \ i.mdo s'inclinent vers celui-ci et pressent sur lui, fn so recourbant considerablement, puis ceux qui soul. PLANTES CARNIVORES. 143 plus eloignes agissent de meme, et au bout d'un temps qui varie selon Fobjet, 1'age de la feuille, la temperature, etc., 1'objet se trouve entierement pris entre la feuille et les filaments qui se recour- bent sur lui. Le meme phenomene de I'inflexion se produit si, au lieu d'abandonner un objet a la surface de la feuille, on en chatouille les filaments centraux, ou encore si Ton depose sur le milieu quelques guuttes de difle rents liquides (salive, sel d'ammo- niaque en solution), ou si on la plonge en entier dans une solution faible d'ammoniaque. On pent, a volonle, faire qu'un seui tentacule s'inflechisse, au lieu de la totalite ; pour cela il suffit d'en toucher un seul ou d'abandonner a son extremite un fragment quelconque : en quelques secondes il commence a s'intlechir, quand meme le poids de Fobjet serai t extremement faible. Quand un tentacule sur 1'ex- tremite duquel on a pose un fragment de substance alimentaire, Fa amene, par son inflexion, vers le centre de la feuille, les filaments centraux au contact desquels il a ete ainsi apporte transmettent a ccux de la peripherie une excitation qui les fait s'inflediir aussi vers 1'ubjct, t<>ut cmnme s'il avail ele pose des le debut sur le centre de la feuille. Quand c'est une guutte de liquide (lait, solution de sel d'ammo- niaque, etc.) que Ton place sur le milieu de la feuille, non seulement tous les filaments se flechis- sent vers elle, inais les bords meme de la feuille se 144 CHARLES DARWIN. redressent parfois, de fagon a donner a celle-d la forme d'une coupe. Une fois inflechis vers un objet, les tentacules gardent leur pusition pendant 1111 temps variable (de un a sept jours) selon sa nature : plus long quand Tobjet est alimentaire que s'il ne Test point. La tres visqueuse secretion des glandes augmente des qu'un objet vient a leur contact, et divers liquides ont la propriete d'accroitre cette secretion, quand bien ineme ils ne determineraient . aucun mouvement des filaments. En meme temps qu'elle augmente, la secretion devient acide. Quand] les tentacules se redressent, la secretion diminue ou cesse, pour recommencer seulemftrit lorsqu'nV sont de nouveau totalernent redresses. Gette secre- tion semble avoir deux fins : elle englue les insectes qui se posent sur la feuille, et permet de les retenir jusqu'a ce que les filaments en se courbant lesaierit' emprisonnes; elle sert a les digerer. II semble qu'elle attire les insectes, par 1'odeur qu'elle degage probablement. Tels sont les faits principaux qu'il nous taut maintenant revoir avec quelque detail, pour penetrer plus avant dans le m£canisme et le j but de cet etrange appareil, la feuille du Drosera. CommenQons par le mouvement des h'larfients foliaires, que Darwin a etudie avec un grand so in. Nous avons vu que les filaments sont mobiles quand on les louche, mais il convient de noter que le contact, pour determiner le mouvement, doit por- MOrVEMENTS DU DROSERA. 145 ter sur une partie speciale de ceux-ci : cette partie, c'est 1'extremite, c'est la glande qui les termine. C'est done la glande qui est irritable, et non la totalite da filament. Par centre, la glande n'est pas douee de mouvement, c'est le filament qui se meut. La glande sert done d'organe dont 1'excitation deter- mine une modification particuliere, inconnue, dans le tissu du filament, modification qui se traduit par, et aboutit a un mouvement de ce dernier; modifi- cation qui n'est pas limitee au tentacule dont la glande a ete irritee, mais se propage, comme nous rav<>ns vu, aux filaments voisins. En etudiant les mouvements determines dans les filaments periphe- riques par exemple, par 1'attouchement de la glande d'un filament central - - il s'agit done ici d'une excitation indirecte, — Darwin est arrive a certains resultats curieux. En excitant les glandes centrales, par l'attouchement passager, on determine Tin- flexion des filaments peripheriques : pour les uns elle est complete au bout d'une heure, pour d'autres il taut quatre ou buit heures; le redressement s'opere en quinze ou vingt heures. Quand I'excitation des glandes est due a un objet etranger qu'on laisse en contact permanent, 1'inflexion se produit dans un temps qui varie entre une et vingt-quatre heures, et le re'our a Petal normal s'effectue au bout d'une periode variant entre un et dix jours, selon la nature de Pobjet. La situation de la glande ou des glandes 10 146 CHARLES DARWIN. primitivement excitees par un corps etranger a und influence sur le nombre des tentacules qui s'infle-* chissent. Quand il s'agitd'un tentacule peripherique,, il n'y a generalement que les filaments du monies cote de la feuille qui s'inflechissent, et ceux dej 1'autre cote demeurent immobiles ; au lieu que, s'il s'agit d'un tentacule central, tous se replient. D'unej fagon generate, il est a noter que les substance* alimentaires determinent un mouvement plus rapidej et plus intense que ne le font les matieres non alimentaires, comme Darwin s'en est plusieurs l< »is assure. Pour le mouvement direct (celui du filament dont la glande a ete excitee), Darwin a vu qu'en posant sur les glandes un fragment tres petit de viandei crue par exemple, on determine une inflexion du filament corisidere, qui commence au bout de quel-j ques secondes (10 au moins) et s'est achevee an b< mi d'un quart d'heure environ. En s'infle'chissant vers le centre, ce filament porte la parcelle de viande au contact d'autres glandes, et celles-ci — par la propagation de 1'irritation dont elles sont 1'ohjet, aux tentacules p^ripheriques — d^terminent 1'in- flexion de ces derniers en quelques heures. Ainsij qu'une parcelle alimentaire soit directement sur les glandes centrales ou qu'elle y soit par un tentacule determine, le resultat est le meme :j les tentacules p^ripheriquess'inflecliisscnt vers elle;! MOUVEMENTS DU DROSERA. 147 toutefois, dans le deuxieme cas, le temps necessaire pour que 1'inflexion totale soit obtenue est plus long, car il faut au tentacule le temps de se replier et d'exciter les glandes centrales, et ce temps peut atleindre une, deux, dix ou vingt heures, surtout s'il s'agit de matieres peu ou non alimentaires (charbon, etc.) ou tres legeres. G'est ainsi qu'ayant place des parcelles de cendre de charbon sur 4 ten- tacules, Darwin a vu que le transport au centre s'est effectue pour 1'un en quatre heures, pour le deuxieme en neuf heures, le troisieme en vingt- quatre heures ; le dernier n'avait, au bout de vingt- quatre heures, fait qu'une tres petite partie du chemin. Tres frappe de Tirritabilite des glandes par des parcelles qui n'avaient qu'un poids insignifiant, Darwin a voulu mesurer cette irritabilite, en em- ployant des fragments d'un poids infinitesimal, mais bien determine, et il a vu que les glandes des fila- ments sont sensibles a des poids, non seulement de un milligramme, ou d'un demi-milligramme, mais d'un centieme, d'un millieme, et meme de quelques dix-milliemes de milligramme. « N'est-il pas curieux, ecrit Darwin a son ami Hooker J , qu'une plante soit beaucoup plus sensible au toucher que n'importe quel nerf dans le corps humain? Gepen- dant, je suis absolument certain qu'il en est ainsi. » 1. Vie et Correspondence, t. II, p. 697. 148 CHARLES DARWIN. Le resultat est en effet extraordinaire. Gette sensil bilite extreme a des contacts avec des parcelles di poids infinitesimal amena Darwin a se demanderi quelles sont les conditions necessaires pour que eel parcelles si tenues determinent un mouvement.X II vit que ce n'est pas une affaire de poids, car em mettant une goutte d'eau, beaucoup plus luurde' que les parcelles susceptibles d'agir sur les glandel d'un filament, il ne determinait aucun mouvementl Ce n'est pas non plus 1'ombre, presque nulle d'aiB leurs, portee par la parcelle, car, a 1'obscurite 1 I'inflexion se produit pareillement. En realite, c'eal affaire de contact. Pour qu'une substance agisse, il faut qu'elle traverse la secretion et vienne au contact de la glande m6me, et, dans tous les cas ou lei parcelles determinaient une inflexion , Darwin les retrouva au contact de celle-ci. Ce contact se pro-j duit d'ailleurs avec une vitesse variable, et le tompsj employe par les parcelles pour traverser la secretion; pour arrivera toucher la glande memo, diflere beau-l coup; d'oii la difference dans la rapidite de l'in-1 flexion. Un autre exemple de la sensibilite oxtivme des glandes est fourni par le fait que, en plongoant une feuille dans de 1'eau renfermant une pnudro quelconque, impalpable, on obtient une inflexion. Dans ce cas, des parcelles infiniment petites ont M aperQues au contact de la glande. Ces faits sont assu-j Foment extraordinaires, mais le soin avec lequcl ils SENSIBILITE DU DROSERA. 149 ont ete observes rend impossible tout doute a leur egard. Nous avons vu plus haut que les contacts, les attouchements passagers de la glande determinent des mouvements comme le fait le contact permanent. II y a cependant des reserves a faire. Si, en frottant legerement les glandes des tentacules centraux, on determine une inflexion des tentacules exterieurs, rattouchement des glandes de ces derniers ne pro- voque leur inflexion que plus rarement. En somme et dans la grande majorite des cas, les contacts pas- sagers, meme forts, ne determinent pas 1'inflexion. Cela est tres utile a la plante, car, autrement, les feuilles, sans cesse touchees par les herbes ou les plantes qui croissent autour d'elles, passeraient leur temps a se replier pour des contacts passagers inutiles au vegetal, et se trouveraient ainsi souvent closes au moment oil un insecte viendrait a se poser. Non moins utile est le fait que les gouttes de pluie ne determinent aucune inflexion, bien que leur poids soit evidemment considerable. L' inflexion des tentacules s'accompagne toujours d'un phenomene particulier que Darwin a etudie avec soin. Ge phenomene consiste en ce que les cellules composant les tentacules prennent un aspect par- ticulier, ou en ce qu'une substance rougeatre, qui a 1'etat de repos est uniformement repandue dans les cellules, se condense, lors du mouvement, en masses 150 CHARLES DARWIN. compacles. C'est Ik ce que Darwin a appele 1'agre^j gallon du protoplasma des cellules. Ge phenomena peut se produire sans 1'inflexion du filament, mais] alors ilest consecutif a Fexcitation d'autres glandesj ou reconnait encore diverses causes (absorption del certaines substances, chaleur, etc.). II debute toul jours par une glande , et il est curieux de voir qui 1'irritation des glandes centrales determine indirecl tement 1'agregation du protoplasma de leurs cell lules ; c'est-a-dire que celle-ci ne se produit qu'aprJ excitation et mouvement des tentacules peripheril ques. Gette agregation est un phenomene vital trea curieux, et le protoplasma qui le presente a evidenol ment acquis des facultesde motilite" etde sensibilite bien superieures a celles du protoplasma en general! Nous avons indique plus haut que la reaction mol trice des tentacules du Drosera se produit avec une rapidite variable, selon la nature des substances qui la determinent. II convient d'ajouter que les 1 gui- des tenant des substances azotees en dissolution determinent 1'inflexion des tentacules, ce que ne; font que rarement les liquides non azotes : rVst I'absorption des matieres azotees par les glandea qui provoque 1'inflexion; nous avons vu encore <|ue 1'inflexion est beaucoup plus durable pour les ma- tieres azotees, organiques, qu'elle n'est pour celles] qui n'ont pas de puissance alimentaire, et que Tin- Ik-xion determine 1'acidite de la secretion. Gette] AGREGATION DU PROTOPLASMA. 151 acidite se produit toujours quand le filament s'infle- chit, quelle que soil 1'excitation qui a determine 1'inilexion, et est due a la formation d'un acide que Frankland croit etre 1'acide propionique, ou un melange de deux acides de la meme serie. Quel est le but de cette secretion d'acide? Pour Darwin, il s'agit de permettre a la plante de digerer les ma- tieres alimentaires retenues prisonnieres par ses ten- tacules foliaires. Pour voir si tel est bien le cas, il a etudie 1'action qu'exerce cette reaction sur divers aliments qu'il a abandonnes sur les feuilles. Em- ployant de petits cubes de blanc d'oeuf cuit, il a vu que ceux-ci, places sur la feuille du Drosera, se dis- solvent et disparaissent, sauf dans les cas ou les cubes sont trop gros. Us se liquefient, et le liquide produit est absorbe par la feuille. Inutile de dire que rien de pareil ne se passe si Ton abandonne un cube d'albumine sur la surface d'une feuille ordinaire : il moisit, il diminue, mais tres lentement, au lieu que sur la feuille de Drosera Faction est tres rapide, et que la liquefaction se fait sans moisissure. La dissolu- tion des cubes se fait en un temps variable (de quel- ques heures a quelques jours). Si Ton ajoute un peu d'acide chlorhydrique, la dissolution est acceleree ; si Ton ajoute un peu d'alcali, elle est au contraire retardee ou arretee. L'acide n'est pas 1'agent exclu- sif de la digestion du Drosera : il s'y joint, selon toute probability un ferment assez analogue a la pepsine 152 CHARLES DARWIN. de 1'estomac des animaux, mais ce ferment ne com-l mence a se produire, semble-t-il, qu'apres absurp- tion par la glande d'une petite quantite de la ma-1 tiere animale soluble. Sous 1'influence de 1'acide etl du ferment des glandes, les matieres animales sont dissoutes, liquefiees, rendues assimilables, et absor-1 bees par les glandes. II est curieux de noter quc la .' puissance digestive de la secretion glandulaire nel devient efflcace qu'apres absorption d'un pen des matieres solubles — et il y en a toujours un pen - de la substance a digerer : on sail que, d'apres' Schiff, la secretion de la pepsine par 1'estnmac no s'etablit qu'apres absorption de certaines substances solubles qu'il a appelees peptogenes. Le ineme phenomena se presente done chez les vegiHaux et les plantes, et Darwin a pu etablir le fait dont nous parlons en montrant que la secretion produito sous rinfluence d'une irritation mecanique n'est point apte a digerer. Les substances susceptibles d'etre digerees sont assez nombreuses : ce sont 1'al- j bumine, la chair musculaire, la fibrine, le cartilage, } la gelatine, la caseine, etc. Beaucoup d'autres, qui ne sont point susceptibles d'etre digerees par 1'estomac i des animaux, ne sont pas non plus digerees par le Drosera. Parrai les substances inorgannjncs <|iii n'ont pas besoin d'un travail digestif pour etrej assimilees, les sols d'ammoniaque jouissent d'une ! extraordinaire puissance d'action pour dulorininer DIGESTION CHEZ LE DHOSERA. 153 1'intlexion des tentacules : il suftlt que les glandes en absorbent une proportion infinitesimale (un mil- lionieme de milligramme d'apres Darwin, qui consi- dere que rammoniaque des eaux de pluie doit beau- coup servir a 1'alimentation du Drosera). D'autres substances agissent comme rammoniaque, d'autres n'agissent pas; les unes sont toxiques, les autres inoffensives : nous ne saurions entrer ici dans le detail des nombreuses experiences de Darwin a ce sujet. Signalons pourlant Faction toxique de la strychnine, de la nicotine, de 1'acide cyanhydrique. Le fait que les matieres alimentaires abandonnees sur les feuilles de Drosera sont imbibees du sue se- crete par les glandes et disparaissent ensuite, en se liqueliant et en etant absorbees par la plante, a amene Darwin a conclure que les insectes captu- res par les Drosera sont digeres par eux et servent a leur nutrition. De la, le nom de plantes carni- vores ou insectivores qu'on leur applique, ainsi qu'a quelques autres especes. Toutes en effet prennent les insectes en abondance, comme Font signale divers observateurs, et il n'est guere permis de douter que ces insectes ne servent a les nourrir. Les Drosera ne sont pas les seules plantes car- nivores connues. II y a encore la Dionee ou Trappe de Venus. La feuille de cette plante est divisee en deux Jobes garnis de poils allonges sur le bord, et de filaments courts sur leur surface superieure, fila- 154 CHARLES DARWIN. ments tres sensibles, dont le moindre attouchement] est suivi du brusque rapprochement des deux -lobes qui se juxtaposent de fagon a enserrer Tobjet jinse sur Fun d'eux. La Dionee secrete egalement un sue digestif. Gitons aussi 1'Aldrovandie, le Drosophyl-j lum, la Pinguiculaet 1'Utriculaire. Nous ne saurions suivre plus loin les tres interessantes recherches de Darwin sur ce point, mais il nous a paru utile de nous arreter quelque peu sur la partie qu'il a le' plus developpee, celle qui concerne le Drosera, pour] donner une idee des singuliers faits qu'il lui a (He donne de nous reveler. Les diffe'rentes Formes des fleurs. Nous disions plus haut combien la notion d«i la sexualite des fleurs avail eu de peine a se faire ac- cepter de la science, et combien elle etait de date recente, a 1'epoque oil Darwin faisait ses etudes a Cambridge. A peine acceptee, cependant, cette notion a subi des modifications profondes, par le tail meme des recherches du grand naturalistc qui, aux conceptions simples, a substitue des points de vue tres elargis et deconcertants. En realite, la sexualite des fleurs est bien plus compliquee qu'on ne le croyail depuis Linne. En ellet, a considerer les plantes hermaphrodites, d'abord, on — on, rVsl, Darwin — constate (ju'elles ne soul nulleinent adap- tees d'unefagon constante a la fertilisation directe, si FORMES DES FLEURS. 155 simple en apparence. II en est que Darwin a nom- inees hettirostylees et chez qui (la primevere par exemple) les styles (organes de la transmission du pollen du stigmate a 1'ovaire) sont ou fort longs, ou fort courts. Les individus a style long, bien que fertilisables par le pollen de la meme fleur, ne sont completement fertiles que s'il y a croisement, si la fertilisation est operee par le pollen d'une fleur a style court. D'autres sont cleistogames, c'est-a-dire qu'elles portent des fleurs hermaphrodites ordi- naires, epanouies, et aussi de petites fleurs closes. Ges dernieres se fecondent elles-memes (fertilisation directe); les autres ontbesoin des insectes pour pro- duire de la graine. Si Ton considere les plantes unisexuees, dont les fleurs sont les unes males, les autres femelles, la variabilite n'est pas moindre; meme chose pour les plantes dites polygames, qui ont a la fois des fleurs femelles et des fleurs hermaphrodites. Les plantes heterostylees sont celles qui ont le plus attire 1'attention de Darwin, et les faits qu'il a constates sont fort curieux. La primevere, type excel- lent de cette categorie de plantes, est une plante hermaphrodite, mais qui evite la fertilisation directe, par son heterostylisme, qui rend celle-ci malaisee. La fertilisation directe, que Darwin a nominee ille- gitime, donne moins de graines que ne le fait la fertilisation croisee (ou legitime, fertilisation d'une 156 CHARLES DARWIN. fleur a, style long, par le pollen d'une fleur ;i style court, ou reciproquement), et cela dans une propor- tion tres marquee. En outre, la graine legitime est plus vivace que ne I'estrillegitime. G'est une chose singuliere que cetavantage de la fecondation croisee, mais celle-ci repond certainement a une tendance naturelle. Une preuve en est fournie par le fait qu'en deposant successivement, a vingt-quatre heures d'in- tervalle, sur un stigmate de primevere a style court, par exemple, d'abord du pollen de primevere de meme espece, puis du pollen de primevere a style long, c'est ce dernier qui 1'emporte sur le premier, et qui feconde les ovules, comme le montre la pro- geniture obtenue. G'est assez dire que, quoique her- maphrodite, la primevere prefere la fertilisation croisee. Le Lythrum salicaria presente une com- plexite plus grande encore que le lin ou la pri- mevere : il presente non pas deux, mais trois formes sexuelles, que Ton reconnait aux differences de forme et de longueur des etamines et du style. Ici Darwin a montre que la fertilisation legitime (la plus avantageuse) est celle des fleurs a style long, par le pollen des fleurs ii etamines longues; des fleurs i vie muyen, par celui des fleurs a etamines moyennes; des fleurs a style court, par celui des fleurs a etamines courtes. En effet, la difference entre la proportion des produits legitimes et celle des produits obtenus par fertilisation illegitime POLYMORPHISMS FLORAL. 157 (style long, par pollen d'etamine courte, par exemple) pent atteindre celle de 100 a 50. II faut noter que non seulement les differences de longueur des styles et etamines tendent a favoriser la fertilisation croisee (qui s'opere par les insectes), celle-ci est encore faci- litee par le fait que le pollen des fleurs a style moyen possede un pouvoir fecondant moindre ; pour Darwin, les fleurs a style moyen tendent a 1'affaiblissement de la puissance fecondante des organes males. Un des points les plus interessants de 1'etude de Darwin sur les plantes dont nous parlons, c'est la comparaison qu'il fait des semis des graines obte- nues par fertilisation legitime, avec ceux des graines resultant de la fertilisation illegitime. II arrive a la conclusion que les semis illegitimes rappellent beau- coup les hybrides d'especes differentes a divers points de vue, et cette conclusion est d'un appui puissant a la theorie de Favantage du croisement et des inconvenients de la fertilisation directe. En effet, les plantes illegitimes (nees des graines obtenues par fertilisation directe) presentent tous les degres de la sterilite, depuis le simple affaiblissement du ' pouvoir reproducteur jusqu'a la sterilite complete, comme les hybrides. Gomme chez ceux ci encore, la sterilite reconnait pour cause surtout une altera- tion des organes males. II y a d'autres analogies : les plantes illegitimes sont souvent tres floriferes, comme les hybrides; plantes illegitimes et hybrides 158 CHARLES DARWIN. sont plus fecondes avec 1'un de leurs parents qu'avec leurs freres ou soeurs; si les graines hybrides ou illegitimes sont nombreuses, la sterilite est moindre que si elles sont rares; etc. Bret, un nombre serieux de caracteres importants rapproche beaucoup les hybrides et les plantes illegitimes. Ge fait est d'un grand interet, car Darwin en tire la conclusion que le criterium adopte pour diflerencier les especes n'est pas valable. Comment distingue-t-on deux especes? En voyant qu'elles ne sont point fertiles entre elles. Ge caractere est insuffisant, dit Darwin, puisque nous voyons des formes d'une menie espece Stre peu fertiles ou steriles entre elles. C'est dire que la sterilite et la fertilite dependent d'une diffe- rence non d'especes, mais simplement de structure des organes reproducteurs, et c'est la un fait d'une grande importance. Nous avons vu plus haut, a propos de la fertilisa- tion directe et croisee, que ce dernier mode de fecondation est favorise par diflerentes conditions. Ici le pollen et les ovules viennent a maturite a des epoques differentes dans une meme fleur; h'i la fecondation directe demeure sterile; ailleurs le pollen etranger 1'emporte sur celui de la m&me fleur; d'autres fois, la fleur presente une organisation parfois tres compliquee pour faciliter 1'acces dc- insectes et la fertilisation croisee, et cela au detri- ment de la fertilisation directe. L'heterostylie est, I - 8. — Diusranimo des fleurs dans los Irnis founds du Lytlmnn sati- taria. A, forme a long style; B, forme a style moyen ; C, forme a style [•otirt. Le? lignes ponctuees avec fleches indiquent les unions qai doi- vent etre r^alisees pour assurer la fecondite complete. (D'apres Darwin, Formes des fleurs, p. 145.) 160 CHARLES DARWIN. elle aussi, un des moyens employes par la nature pour prevenir la fertilisation directe, et faciliter la' fecondation croisee. Ge fait, ajoute aux precedents, contribue a demontrer avec plus de force encore, appuye qu'il est sur des chifi'res et sur des expe-! riences, combien la fertilisation croisee est avanta- = geuse et utile. Cette derniere idee a ete soutenue avec un talent infmi par le grand naturaliste anglais, et a ouvert des voies nouvelles a la science, en montrant combien les fails relatifs a la reproductions des vegetaux sont moins simples qu'on ne le soup-! connait, et combien est grande la variete des moyens • qu'emploie la nature pour parvenir a une meme fin.1 Les recberches de Darwin seront certainement, un jour, le point de depart de de"couvertes nouvellos et du plus haul interetphilosopbique sur les questions si ardues de 1'espece, de la reproduction et de The-' redite. Pour terminer 1'analyse de 1'oeuvre botanique de' Darwin, oeuvre admirable pour un bomme qui nYtuit point botaniste de profession, il nous faut signaler encore divers travaux encore inedits. L'un d'eux concerne 1'enveloppe cireuse qui revet beauconp de feuilles, comme celles du cbou, et qui leur donnei un aspect tout particulier quaml el les sont plough's dans Teau. Darwin s'est beaucoup preoccupr du r61e et de Putilit6 de ce revetement, qu'il cmyail destin^ i proteger les feuilles centre 1'eau, mais scs UEUVHE BOTANIQUE EN GENERAL. 161 redieirhes sont demeurees inachevees. Son fils doit, semble-t-il, les publier quelque jour. D'autres recher- ches avaient ete institutes, ou du moins le furent pendant quelque temps, sur les conditions alimen- taires susceptibles de faire varier les vegetaux. Enfin, un dernier temoignage de 1'interet porte par Darwin a la botanique se trouve dans le fait qu'il a eu 1'initiative de la publication d'une nomenclature complete de la botanique presente, et a contribue line somme importante pour aider a cette publica- tion. Get ouvrage colossal, qui a exige un travail enorme. paraitra dans quelques annees sous le titre de Xoinenclator botanicus Darwinianus, en memoire de son initiateur. Bien qu'il n'ait pas ete botaniste de profession, Darwin a execute, dans le domaine de 1'histoire naturelle des formes vegelales, une oeuvre tres con- siderable, dont 1'interet purement botanique est cer- tainement grand, mais dont 1'interet general, spe- culatif, est plus grand encore. Les conclusions de Darwin sur la fecondite et la sterilite, dans leurs relations avec la fertilisation croisee et la fertilisa- tion directe, ont de 1'interet pour la question de la reproduction des vegetaux, mais elles en ont bien plus pour la question de 1'espece en general, sur laquelle elles jettent une lumiere toute speciale, et qu'elles obligent a envisager d'une facon bien difTe- rente de celle ou Ton a coutume de le faire. Les faits 11 K'r2 CHARLES DARWIN. relatifs a la motilite des plantes, a la digestion dicz les plantes carnivores, a la sorte de sensibilite-, cL a la transmission des impulsions qui existent die/ ces dernieres, 1'etude des adaptations des ileurs aux insectes et a la fertilisation croisee, tout cela reprtx sente une oeuvre admirable, dans laquelle dix botan nistes de profession eussent pu se tailler une renoral mee. Et pourtant ces travaux justement admires n'ont ete pour Darwin que des accessoires, dea moyens pour arriver a des conclusions autreinent importantes que les faits eux-memes. GHAPITRE VIII L CEUVRE PSYCHOLOGIQUE Les travaux psychologiques de Danvin tiennent en deux oeuvres : 1'une qui traite de 1' Expression des Emotions, et 1'autre qui consiste en un memoire fort court concernant 1'instinct, et dont nous ne parle- rons pas ici, le travail etant incomplet, et n'ayant ete public , apres la mort de 1'auteur, qu'a titre Vindication des idees de Darwin sur 1'evolution des instincts *. L'ouvrage sur ^Expression des Emotions ne devait etre, au debut, dans la pensee de 1'ecrivain, qu'un chapitre du livre sur la Descendance de VHomme, mais il devint bientot evident qu'il fallait consacrer au sujet plus qu'un simple chapitre. L'ori- gine de cette etude psychologique remonte a 1839, epoque de la naissance du premier enfant du natu- i. En appendice a 1'oeuvre de J.-G. Romanes sur FEvolu* tion mentale chez tes animaux (trad, fran^aise par H. de Va- rigny; Reinwald, Paris). 164 CHARLES DARWIN. raliste, qui se mil aussitot a observer son enfant, et a prendre des notes sur ses expressions. « Je n'au-j rais jamais cru, ecrit-il a son ami Fox, qu'un bebe de cinq mois put renfermer tant de choses », faisant allusion a la variete de la mimique de ce dernier, j En meme temps qu'il observait, il lut 1'admirable oeuvre de Sir Charles Bell sur I'Expression et les moyens physiologiques qui en permettent l'exis-j tence, mais il se garda bien d'adopter Tune des prineipales idees de cet auteur, d'apres laquelle led muscles de la face out ete crees pour les besoins de ('expression. Ses premieres notes furent reunies et publiees dans le journal anglais Mind, en 1877, mais il y joignit- par la suite beaucoup d'autres faits, concernantj 1'homme et les animaux, et cet ensemble a cons- titue 1'ouvrage dont nous allons dire quelques mots ici. Dans toutes ses recherches, si variees qu'elles aient ete, Darwin a eu en vue bien plus la significa-] tion des faits pour ses theories generates, que lej simple desir d'ajouter aux connaissances acquises. j De meme que les faits de dimorphisme et de trimor-1 phisme puisent, pour lui, leur veritable interet dans cette consideration qu'ils sont d'une importance extreme pour la question de 1'espece, de memej 1'etude des expressions s'eclaire pour ses yeux j d'un int^ret tout particulier par le fait qu'elle vient \ a 1'appui de ses theories sur le traiistbrniisine. II I/EXPRESSION DES EMOTIONS. 165 n'aime et ne recherche les fails que pour les ratta- cher a des theories. « Des ma plus teudre enfance, dit-il dans son Autobiographic, j'ai eu un vif desir de comprendre et d'expliquer ce que j'avais observe, de grouper tous les faits sous quelques lois gene- rales.... Je me suis constamment efforce d'avoir I'esprit assez libre pour abandonner une hypothese quelconque, si seduisante qu'elle put etre a mes yeux — et je ne puis m'empecher d'en former sur chaque sujet, — aussitot qu'il m'est demontre que des faits lui sont contraires *. » L'expression des emotions, ou sentiments, qui agitent 1'homme est subordonnee, selon Darwin, a trois principes generaux. - - Le premier est celui des habitudes utiles & 1'individu . Primitivement volontaires (acte de fixer le regard, de cligner de Trail quand on craint un coup, de dresser Poreille, chez les animaux, de repousser un objet deplaisant, de fuir, etc.), ces actes se sont si bien ancres dans notre esprit qu'ils s'executent d'une fagon involon- taire, presque inconsciente, et cela meme dans les cas ou ils ne sont plus utiles. G'est ainsi que le chien tourne en rond avant de se coucher, comme le fai- saient ses ancetres sauvages pour fouler 1'herbe des prairies, ce qui ne lui sert de rien pour se coucher sur le sol ou sur un tapis; c'est ainsi encore que le 1. Vie et Correspondance, t. I, p. 106. 166 __ CHARLES DARWIN. canard tadorne, lorsqu'il a faim, sautille, comme le faisaient ses devanciers sur le bord des plages, pour faire sortir les vers du sable. L'homme en colere serre les poings comme s'il allait s'en servir contre un ennemi : c'est une habitude ancestrale qui per- siste, malgre son inutilite, dans tous les cas oil 1'objet de cette colere n'est point present. Les gestes qui represented des vestiges d'habitudes autrefois utiles - elles le sont encore, parfois — sont nombreux, et c'est 1'heredite qui en assure la transmission. Comme ils ont ete utiles chez tous nos ancetres, ils se presentent chez nous tous, et se presenteront chez tous nos descendants. II arrive souvent que ces gestes continuent & se produire u 1'occasion de cir- constances differentes de celles qui les provoquaient originellement, mais offrant ce caractere qu'elles amenent un etat d'esprit voisin ou identique. Le chien leche son petit pour le nettoyer, mais ce soin s'estassocie avec un sentiment de tendresse pour sa progeniture; il leche done la main de son maitre qu'il aime. L'homme detournait la tete i>our refuser, pour e"viter un objet dirige vers lui : il la dgtourne pour refuser une proposition, ou nier une affirma- tion, et agit & 1'egard de phenomenes immatri-ids tout comme h 1'egard d'objets ou de gestes. Le chat a horreur de 1'eau; Darwin en a vu se secouci- les pattes en entendant verser de ce liquide : il a^issait uinsi en vertu de 1'etat d'esprit ou le mettaitce sun. L'EXPRESSIOX DES EMOTION-. 167 Le second principe est celui de Vantithese. Darwin suppose que 1'etre vivant a une tendance a produire, lorsqu'il est agite de tels ou tels sentiments, des gestes opposes, contraires a ceux qu'il manifeste lorsque les sentiments contraires existent dans son esprit. Ainsi le chat fait gros dos, ronronne et se frotte a son maltre, quand il est content, parce que c'est la Toppose de Tattitude du chat en colere qui va jouer de ses griffes. Ge principe ne parait pas tres solidement assis. Le troisieme principe est qu'il y a des actions inde- pendantes de la volonte, de 1'habitude, et qui tien- nent surtout a la constitution du systems nerveux. Une excitation vive se produit dans Tesprit , et engendre par cela meme tantot un degagement de force nerveuse, laquelle s'ecoule par les voies d'ecou- lement les plus faciles; tantot au contraire un abais- sement de cette force nerveuse. Dans le premier eas, la respiration, la circulation, le mouvement en general sont plus rapides; dans le deuxieme, ils sont ralentis. Les emotions du plaisir tiennent dans la premiere categorie ; le plaisir excite et stimule 1'organisme : on vit plus vite, Ton s'agite — 1'enfant surtout, —si bien que la fatigue survient parfois. Le chagrin, la peur, la douleur, souvent produisent au contraire une depression de 1'organisme. Les modi- fications les plus rapides sont celles qui se passent du cote" de la circulation, et, quand on dit d'une emo- 168 CHARLES DARWIN. lion qu'elle fait palpiter le coeur ou qu'elle rend lej cccur gros, il se passe reellement des phenomenesj tres nets et particuliers du cote du cceur. G'estj encore le coeur qui joue le grand role dans les lar- mes, car, par 1'afflux du sang qu'il determine vers] les yeux, il provoque la contraction des muscles del ces organes, contraction reflexe destinee a les pro-] teger centre cet afflux. Nous ne pouvons aborderj ici par le detail 1'explication physiologique desl signes varies par lesquels se manifestent nos emo-j tions si differenles et si riches en nuances delicates,] mais il nous fallait indiquer les principes fonda- mentaux de cette explication. Notons cependant; 1'ingenieuse interpretation de la rougeur de la hontei ou de la pudeur. Pour Darwin, ce n'est qu'un cas i particulier de ce phenomene physiologique consis-j tant en ce que, si nous fixons notre attention sur une partie du corps ou un organe (coeur, houche, telle j region de la peau, etc.), nous y de*terminons une modification, une palpitation, un ralentissement ou une acceleration an coeur, un exc6s de seen -lion salivaire, un afflux plus grand de sang a la peau. — Nous rougissons parce que nous sentons, ou imagi- nons, notre visage observe; nous portons aussilot notre attention vers lui, et cela determinerail la rougeur. GHAPITRE IX PHILOSOPHIE ZOOLOGIQUE Dans ce chapitre nous allons examiner trois oeuvres tres connexes, et qu'il y aurait desavantage a separer. Deux d'entre elles se groupent autour de la troisieme, 1'une la precedant logiquement. et 1'autre en etant le complement. La Variation des animaux et desplantes represente Tune des bases de la theorie des Especes; la Descendance de VHomme est une application particuliere des lois formulees dans YOrigine des Especes. Ges trois ceuvres n'ont pas fait leur apparition dans leur ordre logique, bien qu'elles aient ete concues dans cet ordre. Nous avons relate plus haut comment Darwin avait commence en 1856 une ceuvre considerable, qui ne vit jamais le jour, du moins sous la forme primitivement projetee. Gette ceuvre, qui devait comprendre trois ou quatre volumes des dimensions de YOrigine des Especes, devait renfermer tous les faits pour et contre la variabilite des etres et des 170 CHARLES DARWIN. especes, et I'expos6 de la theorie de Darwin sur 1'origine de ces dernieres. Mais en 1858 se produisit 1'incident que Ton sail, 1'envoi par Wallace a Darwin d'un memoire renfermant une theorie des especes identique a celle que Darwin avail formulee dans diverses lettres a des amis et dans ses notes et resumes personnels. Sur les conseils de Lyell et de Hooker, il abandonna aussitot son projet primitif, et — j'abrege, car ces details ont ete donnes plus haul, chapitre III — se mit a rediger un ouvrage qui devint YOrigine des Especes, et dans lequel ses doctrines seules sont exposees, les fails sur lesquels elles reposent etant Ires abreges ou laisse"s de cute. Ces faits, Darwin voulut cependant les faire connaihv, car ils representent en grande partie la base de sa theorie, et, quelques annees apres, il les publia, apres en avoir encore augmente le nombre : cette publication n'esl aulre que 1'ouvrage sur kiVariation desanimauxel des pi antes, qui precede logiqueinent, La Variation a paru en 1808, neuf ans apres rori- giiw. Ces neuf annees ont ete en partie employees par Darwin a la redaction, ;i la revision de ses notes et a la r^colte de faits nouveaux. Gel ouvrage a pour but, selon les expressions de 1'auteur lui-meme, non •« l.i d«'si-i'i|,|jon des nombreuses races d'animaux que 1'homme a reduits en domesticile, ni des plantes qu'il est parvenu ;'i mllivrr >•,... m.-iis .. d'indiquer, m Fi?. 9 — Le Biset ou Colnmba livin. sotiche de tontes les races de pigeons domestiques. (D'apres Darwin. Variation, p. H7 du t. I.) 172 CHARLES DARWIN. a propos de chaque espece, les fails que j'ai pu recueillir ou observer, en tant qu'ils temoignent de I'importance et de la nature des modifications sici Ic, d'apres les recherches de Darwin, doit avoir eh- Ic suivaiil. Conserves (>n voliere dans le pays ou ils ont et6^ VARIATION DES AN1MAUX. 179 captures — et le Biset a une distribution geogra- phique tres etendue, — les pigeons sauvages ont presente des variations legeres. Ges variations, ils les presentent a 1'etat naturel, comme on le pent Fig. 13. — Pigeon messager anglais. (D'apres G. Ure.) voir en comparant ceux d'un pays avec ceux d'un autre, mais elles sont plus accentuees a 1'etat domestique, et surtout si on les transporte d'un pays dans un autre, ce qui a du certainement arri- ver. Dans ce dernier cas, les variations sont plus 180 CHARLES DARWIN. faciles et rapides, car Ton salt qu'un changement de milieu, meme faible, facilite les modifications ou les determine. Parmi les variations qui se sont ainsi produites — et il s'en produit toujours encore qui pourraient servir de point de depart a la creation de varietes nouvelles, — il en est qui ont frappe les possesseurs des oiseaux, par leur etrangete ou par leur beaute. 11s ont desire les conserver, et pour cela ils ont methodiquement amene des unions entre animaux pareillement etranges ou pareille- ment beaux, les empechant de s'unir a ceux qui ne presentaient rien de particulier. De cette facon, ils ont fixe les caracteres aberrants, ayant le soin d'ex- clure toujours les oiseaux ordinaires, et de ne s'oc- cuper que de ceux qui sortent du commun. La mode a eu, et a encore beaucoup a faire avec la selection des pigeons. A telle epoque on recherche telle va- riete; a une autre, telle autre. On neglige les unes, pour developper les autres, et ce caprice de la mode est le resultat d'un caprice de la variation : il se presente tout a coup une variation nouvelle, que Ton fixe, le public s'engoue de la variete ainsi produite, et n'a d'yeux que pour elle; on la perfectionne, on 1'outre, jusqu'au moment ou le gout change. G'est un art tres difficile que celui de 1'eleveur, un art qui demande beaucoup d'observation et d'atten- tion, et dans lequel il faut savoir choisir intelli- gemment selon le but que Ton se proposed « J'en ai i^'. 14. — Cranes de pigeons Biset, Culbutant courte face. Messager an- glais et Messager bagadotten. Le crane du Biset est celui du haul de la figure, et relui du Messager bagadotten est au bas. (D'apres Darwin, V'D-i'ition. I. I. |>. 178.) 182 CHARLES DARWIN. connu un, dit Darwin *, qui chaque jour etudiait patiemment ses oiseaux pour decider lesquels il devait accoupler ou rejeter, eta ce propos M. Eaton, un des eleveurs les plus experimentes, dit ce qui suit : « Je dois particulierement vous mettre en « garde contre la tendance qui pousse a vouloir « elever une trop grande variete de pigeons.... Quel- « ques jeunes amateurs trop presses cherchent a « obtenir les cinq qualites a la fois, et, malgre toutes (( leurs peines, ils n'obtiennent rien du tout. » Les cinq qualites dont il s'agit sont 1'excellence de la tete, du bee, ou du plumage, etc. La citation qui precede montre assez quel soin l'homme deploic dans 1'art de creer des varietes nouvelles, et, en pre- sence de cette sollicitude, nous ne saurions nous etonner des resultats qu'il a obtenus. On se trompe- rait si Ton devait croire qu'il a du, par des operations quelconques, modifier directement ses eleves; mais, du moment ou la variability lui est fournie par la nature meme, la creation des varietes ri'est plus qu'une affaire de selection judicieuse etde patience. C'est d'ailleurs si bien une question de soins et de discernement que les animaux d'une meme variete" - les grosses-gorges par exemple — de ditlerents eleveurs pre"sentent toujours de petites differences, parfois malaisees a expriiner, mais nettementapprc- ciables. 1. Yin in / 1',. i i/r, iiniinaux et (!'•* />l'.<, I. 1, p. 23'i. VARIATION DES ANIMAUX. 183 L'histoire des chiens, des races galline (fig. des p. 185 a 193), ovine, porcine, etc., est absolument parallele a celle du pigeon, avec cette difference tou- tefois que I'homme a eu en vue, dans la selection de ces animaux, son interet direct bien plus que son agrement. II ne s'est pas dit, en apercevant une variation legere qui survenait chez un pore ou un boeuf, qu'en fixant cette variation il pourrait obtenir un animal plus elegant ou plus curieux : il n'a fait la selection que des caracteres utiles, c'est-a-dire des animaux presentant une laine plus abondante, ou plus riches en chair musculaire ou en lait. De la, ces races merveilleuses, qui semblent realiser le maximum du rendement possible, ici en laine, la en chair, ailleurs en lait. II y a pourtant aussi quelques races qui n'ont guere de particulier que leur origi- nalite; tels ces boeufs niatos de la Plata, a face de bouledogue. Compares a la race sauvage d'oii ils descendent, les chiens, les boeufs, les lapins (fig. des p. 197 et 199), les moutons domestiques presen- tent tous des differences considerables et, qui plus est, des differences diverses. D'un meme animal, 1'homme a, par la selection, su tirer une bete de trait et une bete de course, un animal producteur de viande et un autre producteur de laine, ou de lait. Pour cela, il a choisi entre les variations qui se sont produites naturellement, selon ses besoins, selon son avantage personnel, et, comme ceux-ci 184 CHARLES DARWIN. sont differents, il a cree des races dont les avantages sont differents. Meme chose pour les vegetaux, auxquels il a demande tantot 1'abondance dans la production, tantot la finesse du produit, ici la precocite, la le retard, etc. De la, les varietes si differemment carac- terisees de la plupart de nos plantes domestiques, et ces varietes n'ont d'autre origine que des varia- tions que 1'homme a compris lui etre avantageuses et qu'il a developpees, et fixees, volontairement, par la selection, ou qu'il a determinees en partie par la j culture, etc., et qu'il a fixees, souvent merne sans le vouloir, mais par des precedes bien connus. En somme, la conclusion de la Variation est que' tous les etres, sauvages ou domestiques, varient legerement, et que cette variabilite, aidee de la selection methodique operee par 1'homme en vue de son utilite ou de son agrement, a ete le point de ] depart des varietes nombreuses actuellement cxis- tantes dans nos races domestiques, comme elle pent 1'etre de races nouvelles, si 1'homme en veut obtenir de nouvelles. Gette conclusion, avons-nous dit, est une desj bases de la theorie formulee dans I'Oriyine des KsjHjces. Occupons-nous maintenant de celle-ci. Nous avons drja dit comment cette tlieorie ctait nee dans 1'esprit dc Darwin. C'est durant le voyage du Itrayli' <|u'«illc >'iiii[M).-a a lui, c(jininc seule ca- VARIATION DBS ANIMAUX. 185 pable d'expliquer les fails qu'il constatait. « J'avais ete, ecrit-il dans son Autobiographic ', pendant le Fig. 15. — Coq de la race huppee. (D'apres Darwin, Variation. t. I, p. 247.) voyage du Beagle, profondement frappe en decou- vrant dans les couches des pampas de grands ani- 1. Vie et Correspondance, t. I. p. 8i. 186 CHARLES DAUWIN. maux fossiles recouverts d'une armure semblable a celle des armadillos actuels, puis par 1'ordre selon lequel les animaux d'especes presque semblables se remplacent les uns les autres a mesure que Ton avance vers le sud du continent (de 1'Amerique du Sud), et enfin par le caractere sud-americain de la plupart des especes des iles Galapagos, et plus spe- cialement par la fagou dont elles different legerement entreellessurchaque ile du groupe : aucune de ces iles ne parait etre tres ancienne au point de vue geo- logique. II est evident que ces fails etbeaucoup d'au- tres analogues ne peuvent s'expliquer que par suppo- sition que les especes se modifient graduellement. » Ayant expose plus haut les conditions dans les- quelles YOrigine fut ecrite et publiee, etl'accueil qui lui fut fait, nous n'avons ici qu'a faire connailre brievement 1'idee principale de ce livre superbe qui souleva tant d'admirations et tant d'orages, et dont la publication demeure 1'un des grands evenements scientifiques de notre siecle. Le point de depart de la theorie darwinienne, c'est la variabilite nalurelle des ^tres, variabililc dont il a amplement demontre 1'existence dans son livre sur la Variation. Gette variabilite, certaiiic- ment plus grande chez les etres domestiques ou cultives, est surtout le resultat de petites difTe- rencesdans les conditions d'existenec, comme I'mil montrc de mjmbreuses observations, et de petites VARIATION DES ANIMAUX. 187 differences dans le milieu. Ges differences sont infi- nies, meme dans des cas ou il semblerait n'en point exister : differences d'alimentation, de sol, .d'aeration, d'humidite, etc., et leur action se mani- feste par les differences souvent marquees que Ton observe dans les plantes provenant de graines d'un meme fruit, ou les animaux d'une meme portee, et les especes sauvages temoignent d'une variabilite pareille a celle des especes domestiquees. L'etude de certaines families vegetales en particulier montre bien combien cette variabilite peut etre considera- ble, a en juger par le nombre des varietes creees par les botanistes dans certains genres. Ges varietes ne sont pour Darwin autre chose que des especes en voie de constitution, et elles se developpent en vertu du principe de la selection naturelle. Quel- ques mots d'explication sont necessaires ici. II est incontestable que, malgre le nombre considerable des representants de la plupart des especes sur terre, ce nombre est infinitesimal par rapport a celui qui pourrait exister si la progeniture de celles- ci arrivait toujours a l'age adulte. II y a une destruction enorme de germes et aussi de jeunes etres. Cette destruction est le resultat de la lutte pour 1'existence. Toutes les plantes d'une meme espece, par exemple, ont de memes besoins : toutes sont done des ennemies 1'une pour 1'autre, car elles se genent mutuellement, et ccla si bien 188 CHARLES DARWIN. qu'il n'en arrive a vivre qu'un tres petit noinbre relativement. Quelle est la cause qui donne a ce petit nombre cet avantage? La selection naturelle,] avons-nous dit, c'est-a-dire la survivance dn j>lus apte. Entre tous les representants d'une meine espece, ceux-la seuls survivront qui seront plus' aptes a vivre, c'est-a-dire chez qui des variations' naturelles seront survenues qui leur contereront quelque avantage marque sur les autres. II est bien] certain que parmi les variations que tout individu peut presenter, et presente reellement, il en peutj etre d'indifferentes, il en peut etre d'utiles, ou encore de nuisibles. Les variations utiles — qu'il s'agisse de la couleur, de la forme ou de tout an I re element — mnlereront, a ceux qui les present ml, un avantage marque sur les autres etres de nit'-mo espece, en les protegeant contre les ennemis de celle-ci, ou en leur facilitant la mile ou raJimcnla- tion, etc. Voila done, sur 1'ensemble des iiuhvidus faisant partie d'une meme espece, et ayant par suite les memes besoins et craignant les memes dan- gers, une petite elite qui vicnt di' se constitucr, ct (jui consiste en un certain nombre d'individus ar la que la cause nous en ecbappe pour le moment, - ont present^ certaines variations, lesqudh-s nr sond point necessairenient identi(jucs, (l';iillcur> : ces va- riations, peut-etre tres diilerentes de nature d d»' ORIGINE DBS ESPECES. 189 degre, leur sont d'une utilite certaine en ce sens qu'elles facilitent la vie ou la reproduction, par exemple, ou bien les mettent a 1'abri de certains •. ' j,r if, _ Coq »le la race de Hamhoiirg. (D'.-ipivs Darwin. Variation, t. I, p. 248.) dangers, ou encore les mettent en etat de vivre dans des conditions qui ne leur sont habituellement pas favorables. Gette petite elite va vivre a coup sur, au lieu qu'une partie de ses congeneres, moins favorises, va perir. En somme, il rest era 1'elite, et 190 CHARLES DARWIN. une certaine quantite du rulgum pecus. Tout cela] croit, grandit, arrive a Page reproducteur. Suppo-J sons qu'il s'agisse de plantes, pour mieux preciserj les idees. L'epoque de la floraison est venue. Le pollen des fleurs va se repartir un peu partout : unel partie fecondera la fleur d'ou il est ne; une autre,1 transported par le vent, les oiseaux ou les insectes,* , fecondera d'autres fleurs. Le pollen de Pelite, trans- porte sur les stigmates du vulgaire, fecondera eel dernier, et les chances pour que la variation pre-j sentee par celle-ci se reproduise dans cette deuxieme] generation sont faibles. Mais, si le hasard fait quei le pollen d'un individu presentant une variation] avantageuse determined vienne a feconder Fovaire] d'un individu presentant la meme variation, il y a.\ des chances plus grandes pour que la progeniture issue de cette union manifeste egalement celle-ci, a des degres divers d'ailleurs, et cette progeniture aura, sur celle qui n'a point varie, ou n'a pas varie j utilement, un avantage marque. La selection naturelle est done la survivance, de preference aux autres etres, de ceux qui presen-j tent une variation avantageuse; c'est en quelque sorte le choix opere par la nature, dans la reparti- j tion de la vie. Elle la retire a ceux qui ne se trou- ] vent pas bien ^quipes, ou, pour parler plus juste, : la vie se retire de ceux-ci, pour se refugier chez j ceux qui si mt bien pourvus. De m&me que, dans les \ SELECTION NATURELLE, 191 societes humaines, ceux-la seuls reussissent a vivre, et a bien vivre, qui, grace a un avanlage quelconque, Fig. 17. — Coq de race espagnole. (D'apres Uarwin, Variation, 1. 1, p. 247.) acquis ou hereditaire, sont mieux doues par leur force, leur intelligence oil leur fortune, de meme, parmi les animaux et les plantes, ces individus ou 192 CHARLES DARWIN. ces varietes surtout survivent, qui ont presente une variation qui les differencie avantageusement duj reste, et leur permet de lutter, de se nourrir et de se reproduire dans de meilleures conditions. Apparition de petites variations, inutiles, utiles ou nuisibles, chez les etres vivanls (fait prouvo par 1' observation) ; avantage confere, dans la lutte pour 1'existence, aux etres presentant des variations utiles, et desavantage incombant a ceux qui ne les presentent point, ou en ont d'inutiles ou nuisi- bles; transmission des variations identiques des parents a la progeniture de ceux-ci, d'ou predomi-; nance de vitalite et survivance plus facile de celle- • ci dans la lutte pour 1'existence : voila en soinme- 1'idee fondamentale de VOrigine des Especes, celles- ci ayant ete creees et etant chaque fois creees par 1'intervention de la selection naturelle. II n'y a entre la variete et Tespece que des differences so- condaires, la variete etant une espece au petit pi<-d ; et, pour Darwin, les differences entre les groups zoologiques plus etendus sont de la meme nalurc que les differences d'espece a variete. Kl.tnt donne que la variabilite est infmie, Darwin en arrive — par des considerations qu'il ne sera it pas possible de resumer ici — a d^velopper 1'liypo-j these qu'en definitive tous les etres vivants et fos-| siles descendent, selon toute vraisemblance, d'un 6tre tres simple, ayant v£cu au debut de I'linivers. I ORIGINS DES ESPECES. 193 Des le debut les difterents individus de cette espece auraient presente, comme les especes actuelles, des variations legeres et differentes, qui auraient amene la constitution de variete's distinctes, et celles-ci en Fi'.'. 18. — Coupe dft rranes, grandeur naturelle, vus de cite. En haul, ••'HI hnppe; en has, coq de Cochinchine. (D'apres Darwin, Variation. I. I, p. faisant de meme, ainsi que les millions de genera- tions qui en descendent, auraient peu a peu produit la variete infinie que nous voyons aujourd'hui. C'est la line vue des plus hardies, et que Darwin a sou- tenue pour deux raisons. D'une part, il considere 13 194 CHARLES DARWIN. que sa theorie permet d'invoquer pareille explica- tion, et que certains faits bien averes viennent a 1'appui de celle-ci. D'un autre cote, 1'etude de la geologic revele, a chaque pas, 1'apparition d'es- peces nouvelles dans les couches successives qui forment 1'ecorce terrestre, et, si ces especes ne] sont point les descendants modifies des etres qui lesi ont precedees, il faut qu'elles aient ete creees par un acte special de la Divinite. Or cette idee repugne fort a Darwin. II ne croit pas a cette intervention] continuelle de Dieu, et prefere de beaucoup admctlro que le legislateur a des le debut donne les lois qui regissent la matiere vivante et son constant perfec-l tionnement, sans qu'il lui ait fallu de temps a aulre< remettre les mains a 1'oeuvre, dans un but d'ailleurs. inexplique. Nous venons de dire que certains faits bien averea viennent & Tappui de la theorie de Darwin, de son hypothese de Tenchainement des formes vivantes Ges faits sont les suivants. Si Ton etudie I'embryo- genie des animaux verte"bres, par exemple, on reconnait que, malgre les differences considerables qui se'parent le singe du cheval, le cheval de Foi- seau, Toiseau du reptile, le reptile du poisson et du batracien, lorsqu'ils sont adultes, il existe dans le de*veloppement de 1'oouf feconde, du fcetus de ces divers 6tres, des phases pendant lesquelles il est diilicile ou impossible, si Ton n'est prevemi, de ORTGINE DES ESPECES. 195 dire si 1'embryon consider^ appartient & 1'un ou a 1'autre des animaux cites, tant la ressemblance est grande. Le foetus humain, par exemple, presente a tel moment de sa formation certains des carac- teres du poisson et du batracien, au point de vue du systeme circulatoire . Les faits de ce genre abondent, et on les considere comme indiquant d'une facon evidente une parente etroite entre les etres qui les manifestent. Si les vertebres supe- rieurs presentent a une certaine phase de leur de- veloppement une disposition qui demeure caracte- ristique du poisson adulte, c'est qu'ils descendent de poissons modifies. II est difficile de comprendre la raison d'etre de ces analogies passageres entre le singe, par exemple, et le poisson, s'il n'y a pas quel- que lien de parente entre eux, et ces analogies sont tres nombreuses, non seulement entre les diffe- rents vertebres, mais entre les mollusques, les crustaces, les insectes, et meme, mais a un moindre degre, entre ces differents groupes d'animaux. Une autre categoric importante de faits est celle des documents geologiques. Ceux-ci fournissent en mainte occasion la preuve, par les fossiles des cou- ches terrestres, des liens qui relient certains grou- pes existants, et revelent 1'existence passee d'etres qui, par exemple, tiennent a la fois de 1'oiseau et du reptile, et indiquent par la une proche parente de ces deux classes; en meme temps la paleontologie 196 CHARLES DARWIN. nous fournit, dans de nombreuses occasions, 1'histo- rique tres etendu des transformations success ives de tel animal fossile et disparu, transformations qui ont abouti a la constitution du cheval, par exemple, ou du pore actuel. Je n'insiste pas davantage sur ces indications. Aussi bien, pour esquisser seulement les principaux arguments donnes par Darwin pour etablir la reality de la selection naturelle — car cela a ete son grand travail, — faudrait-il un espace dont je ne dispose point, et il suffit de montrer en quoi consiste cette theorie. En indiquer les applications, les preuves a 1'appui, enumerer les critiques que ses adversaires, et Darwin meme lui ont adressees, rechercher et signaler ce qui distingue le darwinisme des theories anterieures, dans lesquelles la«mutabilite des especes etait plus ou moins admise, faire ressortir la supe- riorite de 1'explication darwinienne de la mutability sur les autres, tout cela n'est point du cadre de cette, etude. Ce travail a etc" fait, et a maintes reprises,! par de nombreux auteurs !, auxquels je renverrai le \. Parmi los ouvra^rs conccrnant le darwinisme, rV-t-a- dire les doctrines rr{'ectionnement progressifs d'^tres anterieurs, qui tous se rattachent les uns aux autres — les liens sont DESCENDANCE DE L'HOMME. 203 d'ailleurs d'une nettete tres differente selon les cas — et derivent, selon toute vraisemblance , d'un type primitif extremement simple. La vie a-t-elle e"te insufflee au debut par le Createur, ou bien s'est-elle produite par la rencontre de certains elements, dans des conditions donnees, peu importe : cela n'a jamais pu se faire directement ou indirectement qu'en vertu de lois donnees par le Createur. Voyant ceci, je ne sais que penser a 1'egard des recits bibliques. et en particulier a 1'egard d'une intervention de la Divi- nite pour creer Thomme et lui donner des lois. Je comprends tres bien les liens evidents entre les etres, dans 1'hypothese de la descendance ; je ne les comprends guere dans Phypothese des creations speciales et successives. Nous ne nous melerons pas a ce debat, pensant, comme Darwin, qu'il vaut mieux suspendre son jugement sur de pareilles matieres, lorsqu'on n'a guere les elements necessaires pour se resoudre, et surtout lorsque la critique n'a point decide de la valeur respective de ces elements ; mais nous avons tenu a bien preciser qu'en realite 1'opposition faite au darwinisme est d'origine religieuse, et qu'elle a pour base la difficulte extreme que Ton voit a con- cilier renseignement traditionnel des livres sacres avec les consequences logiques et necessaires du dogme de la descendance. La Descendance de Vllomme, venant (1871)douze 204 CHARLES DARWIN. ans apres rOrigine, souleva infmiment moins de pro- testations que ne 1'avait fait I'oeuvre de 1859. Les esprits etaient prepares, et, bon gre mal gre, les idees de Darwin avaient fait un chemin considera- ble, bien que parfoisocculte. La Descendance n'etait, a tout prendre, qu'une application particuliere des principes de VOrigine, application prevue, et que ehacun avait faite mentalement, et si bien faite qu'en realite les critiques les plus passionnees de VOrigine s'adressaient bien plus a ce cas particulier et inevi- table de la theorie, qu'a 1'ensemble de cette derniere, et surtout a ses applications purement zoologi(iues. Ge qui epouvanta dans VOrigine^ c'etait le sentiment que la theorie s'appliquait a 1'homme; des betes et des plantes Ton n'avait guere cure, et il importait peu que Darwin les fitnaitre d'ici ou de la. II n'y cut done que peu de bruit lorsque la Descendance vit le jour, tant, en quelques annees, la theorie darwinienne avait seduit les esprits et prepare les voies a I'oeuvre nouvelle. En dehors des quelques chapitres consacres par Darwin a la demonstration de 1'origine simienne de 1'homme — je prefererais origine zoologique, car en realite le singe ne represente pour Darwin que Tun des chainons unissant la bete a i'hommc, et les ain-r-in-s du singe sont, dans cette liypothesc, les ai'eux de Thomrne, depuis le dernier quadrumane jusqu'a la premiere cellule qui prit vie sur notre SELECTION SEXUELLE. 205 globe, des parents eloignes et dont la parente" n'a plus de noms, mais des parents certainement, — en dehors de ces chapitres, la plus grande partie du volume est consacree a 1'expose de la theorie de la selection sexuelle. La selection sexuelle est une forme de la selection naturelle. Darwin suppose qu'une des raisons qui decident des unions entre animaux est la beaute, 1'ornementation des males, et que les femelles s'unissent plus volontiers et de preference aux males dont la beaute est plus grande. II appuie son hypothese sur des faits tres nom- breux et interessants, et pense que cette selection sexuelle est pour beaucoup dans 1'explication des parures brillantes dont se parent tant d'animaux a 1'epoque des amours. II parait certain, en effet, que les animaux ont bien un certain ideal de beaute, et il est probable que la realisation, dans une mesure variable d'ailleurs, de cet ideal joue un role dans les unions, mais nous ne saurions ici donner un expose satisfaisant de la question : force nous est, comme en bien d'autres circonstances, de nous borner a signaler les points importants sans nous y arreter. Ceux de nos lecteurs qui voudraient en savoir plus long sur ces points, sans toutefois se resoudre a lire les osuvres originales de Darwin, pourront lire les differents articles que la Revue scientifique a consa- cres aux livres de Darwin, a mesure qu'ils ont paru. Dans les pages qui precedent, nous avons desire" 206 CHARLES DARWIN. surtout mettre en relief I'ceuvre speciale ot technique du grand naturalists, et nous avons principalement insiste sur les travaux zoologiques ou botaniques. Nous avons tenu a montrer en effet que Darwin n'a pas ete seulement un theoricien de genie, et un admirable metteur en oeuvre de materiaux j usque-la inutilises et de valeur inconnue, c'est-a-dire nulle; il a ete aussi un grand naturaliste, et nous tenons a ce que cela ne soit point oublie. En outre, du moment ou Ton ne peut, faute d'espace, accumuler les faits et les raisonnements qui servent de base a des theories, 1'expose de celles-ci est bien vite fait. Ne pouvant dis- cuter et raisonner utilement les theories de Darwin, nous avons prefere les enoncer tout simplement. II ne manque pas d'oeuvres — et j'en sais d'ex- cellentes parmi celles que nous avons indiquees plus haut — qui mettront le lecteur desireux d'en savoir plus long, au courant non seulement des faits et des theories, mais aussi des discussions qui ont ete sou- levees paries uns ou les autres. Mais, si Ton consi- dere que I'expose" du darwinisme represente, avec les controverses qu'il a soulevees, le chapitre ca- pital de I'Histoire du developpement intellectuel au xixc siecle, Ton m'excusera de n'avoir point voulu faire plus que d'indiquer le sujet, le sommaire de ce chapitre. FIN TABLE DES MATIERES A VAM-PROPOS V CHAP. I. — Jeunesse de Danvin. — Voyage autour du monde .. 1 — II. — Vie quotidienne de Darwin 28 — 111. — La publication de VOrigine des Especes.... 56 — IV. — Dernieres annees 75 — V. — Le Voyage d'un Naturaliste 85 __ vi. — QEuvres geologiques : les Recifs de Corail; les Vers de terre 93 — VII. — GEuvres botaniques : le Mouvement chcz les plantes^ la Fertilisation des fleurs 119 — VIII. — OEuvre psychologique 103 IX. — OEuvres de philosophic zoologique : YOri- gine;\a. Variation-, la Descendance 1G9 COULOMMIERS. — Typog. P. BRODARD et GALLOIS. LIBRAIRIE IIAGHETTE ET Cic BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 70, A PARIS 1888 ROMANS, NOUVELLES (EUVRES DIVERSES Format in-16. Ire SERIE, A 3 FR. 50 LE VOLUME About (Edm.): Alsace (1871-1872); 5l Edition. 1 vol. — La Grece contemporaine ; 9s edit. 1 vol. — Le progres; 4" edit. 1 vol. — Le turco. — Le bal des artistes. — Le poicre. — L'ouverture an cha- l<-aii. — Tout Paris. — La chambre d'nmi. — Cha.tse • allemandc. — L'ins- prction ijenerale. — Lcs cinq perks ; 5' «-dit. 1 vol. - Madi'lon; 10e edit. 1 vol. — Tlu.'-atre impossible; 2e edit. 1 vol. — L'AUC dntravailleur;!' edit. 1vol. — L fdlah; 4« edit. 1 vol. L'iiif'im?;*' edit. 1 vol. — L" ruman d'un brace homme ; -id" ini'le. 1 vol. — De Pontoise a Slamboiil. — Le grain dc plumb. — Dans Its ruines. — L"x oeufs da Paques. — L<; jardin de mon orand-ptre. — Au petit Trianon. — Quatre discours. i vol. Amicis (de) : Souvenirs de Paris et de Londf-s , traduit de 1'italien par M"c J. Colomb. 1 vol. Barine (Arvede) : Portraits de femmes (Mine Carlyle. — George Eliot. — Une detraquee. — Un convent de femmes en Italic an \\i" siecle. — P?ychologie d'une sainte). 1 vol. Ouvrage couronne par 1'Academio fran- — Essaii et fantaisies. 1 vol. Charton (E.) : Le tableau de Cebcs, souvenirs de mon arrivee & Paris. 1 vol. Cherbuliez (V.), de 1'Academie fran- caise : Le comte Kostia; lle edit. 1 v. — "Prosper Randoce; 4e edit. 1 vol. — Paule Mere; 6" edit. 1 vol. — Le roman d'une honnSte fenime ; lle edit. 1 vol. — Lc yrand oeuore ; 3* edit. 1 vol. — L'aventure de Ladislas Bolski ; 1" ed. 1 vol. — La revanche de Joseph Xoircl ; 4« edit. 1 vol. — Met a Holdenis; 6e edit. 1 vol. - .!/<•*.* fiwell; 9« edit. 1 vol.- — Le fiance de .I/'" Saint-Maur ; 5« ed. 1 vol. — Samuel Brohl et C'« ; 6« edit. 1 vol. — L'ulee de Jean Ttterol;& edit. 1 vol. — fjlici-r Maugttnt; 6« edit. 1 vol. — Ainrmr.i frayili-s; :JJ edit. 1 vol. — \oirs et Rouye*; 7« edit. 1 vol. — La ferine du Ckoquard;T* edit. 1 v. — La bete; 1* edit. 1 vol. — La vocation du comte Ghislain ; 2' edit. 1 vol. — L'Kspagne po///^«s'delttter«turc et d'art. 1 vol. Du Camp (M.), de 1'Academie francaise : Paris, ses or (janes, set fonctions, sa vie; 7e edit. (5 vol. — Lcs convulsions de Paris; 6« edit, i vol. — La charite prive'e a Paris; 3« edit. 1 vol. Duruy (G.) : Andrc'e; 9« mille. 1 vol. — /.:• 1 vol. — .Voiii'i'aii.i' r('cits dc voi/af/e. 1 voll — Contcs populates dc dijfe'rcnls ]>t>ys, reoueillis et trad nits. 2 vol. — Nouct'll/'.s du .\ord. 1 vol. — Le'gcndcs dcs plantes et des oiseaiulM 1 vol. — A la maison. 1 vol. — A la villc et a la campagne. 1 vofl — Passe et Present, i vol. Mezieres (A.1), de 1'Acadcmie (Yanoaisel Unrs dc France. 1 vol. — En France. 1 vol. Michelet(J.) : L'visccte; 10" edit. 1 voU — L'oiwau; 15e edit. 1 vol. Millet (P.) : La France pt-oinncialeM Vie sociale. — Moeurs administ 1 vol. Mistral : Mireille , poeme provi'iirall traduit en vers francais, par K. 'llw tfaud, avec le texte en regard. 1 vofl Ralston : Contcs papula'' res dc In ItusA sie. 1 vol. Salntine (X.-B.) : Le chctnin dcs <'co~\ Hers: 4« edit. 1 vol. — Picciola; 51" edit. 1 vol. — Seul! 6« edit. 1 vol. tVfitt8r {H.)i Nouvelles gencvoises. 1 rJ — Rosa et Gertrude. 1 vol. — /,<• -/n't-sbi/tcre. 1 vol. — J{('/!ecionro/>av l^a-l ris (1870-1871). 1 vol. — Li's Anglais chez cux; 7° edit. 1 vom — Pctits romans. 1 vol. 2e SERIE, A 3 FR. LE VOLUME Carmen-Sylva : Nouvelles. 1 vol. Deltuf (P.): L'ordonnance de non-lieu. 1 vol. Erckmann-Chatrlan : L'ami Fritz ; 10" edition. 1 vol. La Cottiere (Jacob de) : Mes semblniih-s. 1 vol. Oulda : Umilta. — La recompense iln veteran. — /.»j.v o^atus »////< v In lu-liji-. — La di-riiirri- ill's Cattlemaine. — — L'assifttp dc mariat/c. Nouvelles traduites de 1'anglais. 1 vol. Oulda ("nitc) : La prittccw Zn'/roff" traduit par J. Girardin : 2° odifl 1 vol. — Les fresf/iies. — AM palnis Pitti. -1 Aprcx-midi. — A ('li. Nmi- velles tradtiilrs par Hcplicll. 1 vol.1 — Musa, imite par J. Girardin. ! vul. — \\'iin>ln. 1i-i ;ul 11 it par Bernard. 2 vol| — Les Napraxine, traduit par Hi-pin-]!. 2 vol. — Othmar, traduit par In mArno. 'J vi.l. L1BRAIRIE HACHETTE ET C'« 79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79 BIBLIOTH£QUE DES MEILLEURS ROMANS STRANGERS a 1 fr. 25 le volume. Ainsworth (W.) : Abigail, traduit de 1'anglais. 1 vol. — Chrichton. 2 vol. — Jack Sheppard, ou lea Chevaliers du brouillard. 2 vol. Alexander (Mrs) : L'epousera-t-il ? tra- duit de l'an: /tinltji-. 2 vol. Bleak-House. It vol. / Conic* de Noel. 1 vol. /innid Coppcrfield. 2 vol. Dombnj et fils. 3 vol. Lapi-lih' llnrnl. •>. vol. Le magasin d'anliquite's. 2 vol. Les ti-m/is ,//y//v//,'v. 1 vol. -V/r/.Vr/yy. % vol . Olivier Twist, i vol. Paris et Londres en 1793. 1 vol.- Vie ",t avcntures de Martin C/iuzz- lewitt. 2 vol. Dickens (Ch.) (suite) : Les grandcs espd* ranees. 2 vol. L'ami commun. 2 vol. Le mystdre d'Edtvin Drood. i volJ Dickens ct Collins : L'abtme, traduitj do 1'anglais. 1 vol. Disraeli : Sybil, traduit de 1'anglais.J 2 vol. — Lothair. 2 vol. Voir ci-dessus BEACONSFIELD. Edwardes (Mr? AnnieJ : Un bas-blcuM Irnduit de 1'an^lais. i vol. — Unc singulicre heroine. 1 vol. Edwards (Miss Amelia) : L'hc'ritar/r da Jacob Trcfalden, traduit de ranglais.l 2vol. Elliot (F.) : Les Italiens, traduit dJ 1'anglais. 1 vol. Eliot (G.) : Adam Dede, traduit de l'an-| glais. 2 vol. — La conversion de Jeanne. 1 vol. — Les tribulations du reverend A. Ztar-l ton. i vol. — Le moulin sur la Floss. 2 vol. — liomola, ou Florence et SavonaroloJ 2 vol. Farina (S.) : Amour aveugle. — Boium rasques conjugates. — I'n /innnncl heureux. — Valet dc pique. Nouvullea traduites de 1'ilalicn. 1 vol. — Lc trcsor de Donnina. 1 vol. — L'ecume de la rner. i vol. Fleming (M.) : Un mariage cxtravam ganti traduit de 1'anglais. 2 vol. — Le mystcre de Cat heron. 2 vol . — Les chaincs d'or. 1 vol. Fullerton (Lady) : L'oiseau du bon UicuM traduit de 1'anglais. 1 vol. — ffelenc Middlcton. 1 vol. Galdos (P.) : Maraniela, traduit d« 1'rspagnol. i vol. — L'ltuii Manso. i vol. Gaskell (Mrs) : (Euvres, traduites di 1'anglais, 7 volumes : Autour du sofa. 1 vol. Mnric Barton. 1 vol. Afarg write //all (Nord cl Sudfl 2 vol. Jluth. 1 vol. /.<"< nmrturi'ii.r de Sylvia, i vol. I Cousine Philis. — L'lrn.vre d'utm nuit de mat. — Le herns * vnrations. 1 vol. — La chasse d I'ideal. 1 vol. — Le journal d'nne hei'ititi'C ; 2" edit. 1 vol. — L>><; cltaviCK da fcr. \ vol. — Les fourchM caudincs. 1 vol. — Alasenca Humbert. \ vol . — L,' sirrtntHt d'/Jedidye. — Madame. de Muil/iac. 1 vol. — OlijiDpn da Mi'zicres. — Le mari de D-'lphine. 1 vol. — Yerta Slovoda. 1 vol. Ancelot (Mrnc) : Anlonia Vernon. i vol. Araquy (E. d') : Galienne. 1 vol. Arnould (A.) : Les (rois poetcs. 1 vol. Bernardin de Saint Pierre : Paul et Virginie. 1 vol. Berthet (Elie) : Les houilleurs de Poli- gnies; 4« edit. 1 vol. Bertrand (L.) : AH fond d<; mon cornier. 1 vol. Chapus (E.) : Le turf; 2" edit. 1 vol. Deschanel : Physiolotjie tL>s ecrivains ct des artistes, ou Essai de critique naturelle. 1 vol. Enault (L.) : Christina; 10" edit. 1 vol. — J'<:lr-M<>Ie, nouvelles ; 2C edit. 1 vol. — Histnirc. d'une femme ; G" edit. 2 vol. — Alba; 7« edit. 1 vol. — If ermine; I" edit. 1 vol. — En province; 2* edit. 1 vol. — Olya ; 3« edit. 1 vol. — Un drame intime : 2" edit. 1 vol. — Le roman d'une veuve ; 4« edit. 1 vol. — La piipille de la Legion dim 3« edit. 2 vol. — La destine'e ; 3e edit. 1 vol . '• — Le baptcme du samj ; 2* edit. 2 vol . — Le secret de la confession ; 3« edit. 2vol. — Irene. 1 vol. — La veuve; 2* edit. 1 vol. — L'unwur en vot/age ; 5" edit. 1 vol. ' •/<,•; fr t;dil.'l vol. — Stella; 5e edition. 1 vol. — Un amour en Laponie ; 2« 6dit. l' vol. COLLECTION A 2 1-R. LR VOLUME tnault (suite) : La vicrge du Liban; Jc edit. 2 vol. — La vie a deux; 4e edit. 1 vol. — Cordocal. 1 vol. — Les perl's nnires; 3e edit. 2 vol. — La rose blanche ; fc edit. 1 vol. F6val (P.) : Ca-nr r. 2 vol. — Le mari embamne. '2 vol. Figuier (Mme L.) : Nouvelles languc- dociennes. 1 vol. Guizot (F.) : L' amour dans le ma- nage; 12* edit. 1 vol. Houssaye (Arsene) : Gaterie de por- traits du. dix-fuiitieme siecle. o vol. Les deux premieres series soot epuisees. On vend separt'-ment : 3« serie : Poetst. — Romancierg. — Phi- lotoplifs. 4« st-nu : llommeg et femmft de cour. 5" serie : Sculpteurs. — I'eintreg. — Uu- ticiens. Jacques : Contes et causeries. i vol. Joanne (Ad.) : Albert Fleurier. 1 vol. I amartine (A . de) : Craziella. 1 vol. — Jiaplmt'l. 1 vol. — Le laillcur de pierres de Saint- Point. 1 vol. Laprade (J. de) : En France et en Tur- quie, nouvelles. 1 vol. Lasteyrie (F. de) : Causeries artisti- ques. 1 vol. Laurent de Rille : Olivier Vorpheo- niste. 1 vol. Marchand Gerin (Eug.): La nuit de la Toussaint. — Jl cantatore. i vol. Marco de Saint-Hilaire (E.) : Anecdotes dn temps de Napoleon /er. 1 vol. Michelet (Mme) : Mdmoires d'une en- fant. 1 vol. Prevost (1'abbe) : La colonie rocheloise, nouvelle extraile de J'Histoire de Cleveland. 1 vol. Renaut (E.) : La pcrle creuse. 1 vol. Reybaud (Mme Charles) : Afise //rim; 2« edit. 1 vol. — Espagnoles et Francaises. 1 vol. Viardot (L.) : Souvenirs de e/iasw ; 1" edit. 1 vol. Viennet : Epitres et satires. 1 vol. Wailly (Leon de) : Angelica Kauffmann. 2 vol. £>° SERIE PETITE BIBLIOTIlfiQUE DE LA FAMILLE Format petit in-16. A 2 FR. LE VOLUME La reliure en percaline gris perle, tranches rouges', se paye en sus 50 c. Girardin (J.) : Miss Sans-Cceur. 1 vol. — Les e/jrenre.s d'titicnne. 1 vol. — Les braves gens. 1 vol. Fleuriot(Mlle Z.) : Tomb*? "• 1 vol. — lt,-wl,i ; '.r ,-dil. 1 vol. r/'.V luilia JlnMK'f.' 1 Mil. — La vii' i'n fiiniiHi-; S i-dil. 1 vol. — I.i- cn'iir ft In ti'ti-. 1 vol. — An (iillililnf. 1 Vol. • >/). 1 vol. — /./• tlii'iitn1 i-lu'Z soi. Comedies et ]ll llS l'| IM-> . 1 Vol. Fleuriot-K6rinou. De fit >'n aii/iull,-. 1 vol. Clrardin (J.i : I.f loi'titnii-f es. 1 vol. Witt (Mine (!••), noe fJni/.ol : Tout slm-\ jili'ini'iii ; -" 1,-dit. 1 vol. — /icini' i't innUrffiai'. 1 vol. — Un .'ii-i-itinji'. 1 vol. i — f't-ii.r tfni nuns iiuiii'iit et cenx qntt HOI'S llinliiliM. 1 Vo1. — Suits tuns li'S I'K'ii.r. 1 vol D'autrcs >• >ni HI ptvpnration. THIS- BOOK IS DUE ON THE LAST DATE STAMPED BELOW AN INITIAL FINE OF 25 CENTS WILL BE ASSESSED FOR FAILURE TO RETURN THIS BOOK ON THE DATE DUE. THE PENALTY WILL INCREASE TO SO CENTS ON THE FOURTH DAY AND TO $1.OO ON THE SEVENTH DAY OVERDUE. ' 1 1935 MOV 2R 1 939 MAY 4J963 JUN C 1966 A^4*A i Ml «6*B • •3111^14 fQjfC , > 81 Inn,,, 7 670001 (214-5 UNIVERSITY OF CALIFORNIA LIBRARY LITT6RATURE POPULAIRE EDITION A 1 FRANC 25 c. LE VOLUME, FORMAT iN-16 '• t'.z [M. et Mm< Voyage ^ B : (Mn - : • . • • . i v. . • , , : •• . ' • .". . fro , ' . '•...' • . i •iues ('1 b ^5>'. ; • uker (S • •> : ' ft • ; , aHwia. Jju. ytr 1851-1866. Jarrau (i"1 ': ' . , iernard Fred '. . : Jonnechose (E. . da Gues- clin. 1 :. i i .'• i i \ Gourde. / : ' •iurton !• . '.' .alair.ard de la Fay*>' fa I'r • i arraud (M >i>LLrffois. "»r 1 vol. Barton (Ed • - ' iorne til . i i vol. rr . i 11 < >eherrypu. N^iah • ' , I voli • ; .• • rt • ' . • ' / -' ' '• . . " tario o 1 ',-'..-. . _ i . '. : rand . 'ranbhn '/ Joepp ft Ducou iray Le ; ' * ' •'• /•' : . • . ' . beau i , ' , udan Guillemln (A , ! ' ' . i-'ipeur et a yaz. 1 v Hauieau B ' le etsa •<•>•. 1 v Hayes Homere. Let beaut . '• '• Joinville fi M Jonveaux (Entile;. Uistoirc d ! vul. '"Hers cclebres. 1 vol. Jouault. At>rnh.-i.'i , -. R . : vol. Labouchere ] vol. Lacombe (P / \re du pcupl • La Fontaine Lanoye i Le Loyal Serviteur ,'// F< ! Lescure Livingstone. (( m , Mage i " • Wit • ! Milton ,. W-B. Choald* ; 'an Holier e Mouhot ... Muller 1 •RfL I : •• • , . • I Pieifiei • Piotr-.w:jki i Racine Rambaud. // . Red . 1 vnh Rendu '••' • Schweinlnrth Shakhji. : Spel Stanley. < - 'f > '• • • ' • • fay M i' • ',' i ^ntrin. . ' . . Wallon . <•» fainni' <. '.\r< 1 vo' rnii'omrnlM-i In, pi' 'irn.U-nl rt r.nil •.••,