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REPERTOIRE

DU

THÉÂTRE FRANÇAIS.

TOME XXXIV.

Chez

A PA U I S ,

{Ladrange , libraire, quai des Augusiins ,11° 19; Gdibert, libraire, rue Git-le-Cœur, n" lo; Lheureux, libraire, quai des Augiistins,u" 37; Verdière, libraire, même quai, n" a5.

CHEFS-D'ŒUVRE

DRAMATIQUES

DE

BARTHE, GOLDONI,

BT

DORAT.

IMPI'.IMIUIK l)K JULES DlDor AlNt,

IMPRIMEUR ni: ROI.

182.5.

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LES

FAUSSES INFIDÉLITÉS,

COMÉDIE EN UN ACTE,

PAR BARTHE,

Représentée, pour la première fois, le 2 5 janvier

1768.

NOTICE

SUR

BARTHE.

Nicolas-Thomas Barthe, fils d'un riche né- gociant de Marseille, y naquit en 1733. Il fit ses études avec beaucoup de succès chez les pères de l'Oratoire. Son père le destinoit au barreau; mais il préféra la poésie, et composa plusieurs ouvrages estimés. Il a donné quatre pièces au théâtre Français.

L'Amateur, comédie en un acte , en vers, fut jouée le 5 mars 1764- Quoiqu'elle eût été fort bien accueillie , l'auteur la retira pour y faire des corrections.

Les Fausses Infidélités , comédie en un acte, en vers, parut pour la première fois le aS jan- vier 1768, et eut dix-huit représentations très suivies.

NOTICE SUR BARTHE. 3

La Mère Jalouse, comédie en trois actes, en vers, représentée pour la première fois le 23 décembre 1771 , ne fut alors donnée que cinq fois , l'auteur l'ayant retirée pour y faire des changements. Elle a été reprise depuis , et est maintenant au courant du répertoire.

L'Homme Personnel, comédie en cinq actes, en vers, mise au théâtre le 21 février 1778, n'obtint que huit représentations.

Barthe mourut à Paris le 1 7 juin 1 786 , dans sa cinquante-troisième année.

PERSONNAGES.

BORIMÈNE, jeune veuve.

ANGÉLIQUE, cousine de Dorimène.

Le marquis de VALSAIN, amant de Dorimèue.

Le chevalier DORMILLI, amant d'AugéliqT.ie.

MONDOR.

La scène est à Paris, chez Dorimène.

LES

FAUSSES INFIDÉLITÉS,

COMÉDIE. SCÈNE I.

VALSAIN, DORMILLI.

VAL SAIN.

Chevalier , votre amour est une frénésie.

DORMILLI.

Marquis, le vôtre à peine est une fantaisie.

VALSAIN.

Vous aimez Angélique un peu trop vivement.

DORMILLI.

Vous aimez Dorimène un peu trop froidement.

VALSAIN.

Vous faites le malheur de la plus tendre amante. Votre scène d'hier fut bien extravagante ! Angélique est outrée.

DORMILLI.

Ah ! que dites-vous là? Il lui sied de bouder! Les femmes, les voilà. Ont-elles quelques torts ; si nous osons nous plaindre j Elles sont d'une adresse ! Elles savent contraindre A demander pardon du tort qu'elles ont eu.

6 LES FAUSSES INFIDÉLITÉS.

VALSAIN.

Mais voulez-vous toujours douter de leur vertu? Vous êtes plus jaloux qu'il n'est periuis de l'être...

DORMILLI.

Moi!

VALSAIN.

Sous ua triste nom c'est se faire conuoître. On cause , disons mieux, on rit à vos dépens.

DORMILLI.

Qui? ces gens du bel air, cœurs légers, froids plaisants De maîtresse et d'ami changeant comme de modes. Pacifiques époux, et même amants commodes. Je leur permets de rire : un cœur tel que le mieii Doit étonner le leur. Oh ! vous, vous aimez bien; C'est le plus beau sang-froid !...

VALSAIN.

Nous n'aimons pas de mêm Tyranniser les gens, ce n'est pas mon système. L'air froid cache souvent un coeur qui sait aimer; Et d'ailleurs l'amour vrai doit savoir estimer. Les femmes, j'en conviens, peuvent être infidèles. .

DORMILLI.

Peuvent être est fort bon.

VA LSAIN.

Mais , pour les croire telles , l'our les juger enfin coupables en amour. Je veux des preuves, moi, plus claires que le jour. ..

DORMILLI.

J'entends.

SCENE 1. 7

VALSAIN.

L'amour jaloux a trop l'air de la haine. Formons d'heureux liens, et point de triste chaîne. De l'amour, s'il se peut, n'ayons que les douceurs : Moi, j'en ai la tendresse... et d'autres, les fureurs.

DORMILLI.

D'accord ; vous êtes doux. Vous verriez Dorimène Pour quelque heureux mortel n'être pas inhumaine. Qu'immobile témoin et rival complaisant. Vous trouveriez , je crois, le procédé plaisant. Cela s'appelle aimer.

VALSA IN, riant. Pour vous prouver que j'aime, Je veux être jaloux , jaloux de Mondor même.

DORMILLI.

Pourquoi non? Ce Mondor me déplaît.

V ALS AIN.

Je le crois. Il est si dangereux !

DORMILLI.

Vous riez; mais je vois, Je vois tout. Franchement, votre Mondor m'assomme.

VALSA IN.

Hier, je m'en doutai.

DORMILLI.

Soyez sûr que cet homme A des desseins secrets. Je ne suis point jaloux : Mais je sais que Mondor conspire contre nous. Oui, j'ai vu Uorimène et luéine sa cousine

8 LES FAUSSES INFIDÉLITÉS.

[bas el (tun air effrayé.) Rire avec lui d'un air, la...

' VALSAI N.

C'est qu'on le badine. De tels originaux sont si divertissants! Un riche au ton badin , un fat de quarante ans, Quelque esprit, mais si vain qu'il en est parfois béte; Croyant à tout le sexe avoir tourné la tête, Lui prodiguant les bals, les fêtes, les soupes; Assez mauvais railleur sur les maris trompés; Achetant des travers par ses dépenses folies..-

DORMILLI.

Eh bien ! il réussit.

VALSAIN.

Oui , ces femmes frivoles , Qui ne se piquent pas de choisir leurs amants , Ont daigné quelquefois lui donner des momeats; Et, trompant avec art sa vanité crédule, En ont fait, à plaisir, un fat très ridicule. Et vous ne voulez pas qu'on en rie?

DORMILLI.

Oh! j'ai vu De vos femmes de bien, prodiges de vertu. Tel homme étoit d'abord plaisanté par ces dames. Qui bientôt... Tout s'arrange avec les bonnes âmes. Tenez, mon cher marquis, notre siècle, nos mœurs. Nos maris, nos amants, nos channantes noirceurs, Et ce sexe maudit que je hais , que j'adore , Et mon amante enfin , jeune et fidèle encore, Mais qui, peut-être, iiélas, dans peu uie trahira...

SCÈNE I. 9

Vous ne connoissez rien, monsieur, de tout cela. J'ai peine à concevoir comment on se marie : Vous le concevez, vous?

VALSAIN.

Très bien. Mais, je vous prie, Du respect pour le sexe , ou je romps avec vous : Ses vertus sont de lui, ses défauts sont de nous. Croyez à ses vertus...

DORMILLi, l'interrompant.

Comment! lorsque Angélique...

VALSAIN.

Apaisez-la bien vite; et, d'un ton pathétique,

Jurez-lui d'être enfin plus doux, moins emporté.

De ne plus tant crier à l'infidélité :

Mais sur-tout il faudra , comme à votre ordinaire.

Après avoir juré, protesté, n'eu rien faire.

( Dormilli, apercevant Mondor , s'en va , le reqarde

dun air ennemi, et le saliieà peine. Mondor s'arrête

quelque temps, étonné de l'accueil. )

SCÈNE II.

VALSAIN, MONDOR.

MONDOR, riant. Qu'a-t-il donc? Il me fuit; il salue à demi. Le moyen que cela puisse avoir un ami? J'observe qu'avec vous il dispute sans cesse. Et qu'il me boude, moi.

\

10 LES FAUSSES INFIDÉLITÉS.

VALSAIN.

Peu de chose le blesse,

11 est vrai : je m'accorde avec lui rarement.

MON DOR.

Nous sympathiserions tous deux plus aisément.

VALSAIN.

Vous me flattez.

MON DO R, cTiin air lérjer.

Non, non. Mais je plains sa manie On dit qu'il est atteint d'un peu de jalousie; Qu'il veut garder un cœur après l'avoir vaincu. Dans Paris, à son âge! diable a-t-il vécu? Il est quitté, la chose est-elle si cruelle? Une belle bientôt nous venge d'une belle; C'est dans l'ordre : on se prend , on s'aime, on se trahit Et les femmes toujours y trouvent leur profit. Je perds une conquête; eh bien, j'en fais dix autres

VALSAIN.

( à part.) { haut.)

Amusons-nous du fat. Des soins comme les vôtres Lui donnent de l'ombrage; il vous craint.

MO N DOR.

Qui? moi?

VALSAIN.

Vous Au reste , on est flatté de l'humeur d'un jaloux.

MON DOR.

On en est amusé. Mais il pourroit me craindre? Vous croyez?

SCENE II. ir

VALSAIN.

Pourquoi non? Je ne sais pas me plaindre. Si je voulois pourtant, à ne vous point mentir, Je vous ferois aussi l'honneur de vous haïr.

M o N D o R , d'un air modeste. Ah! monsieur!

VALSAIN.

Vous lorgnez d'assez près Doiimène. M ON D o R , d'un ton moitié badin. Vous tremblez donc aussi ?

VALSAIN.

Ma peur est-elle vaine? Pour gagner tant de cœurs et pour n'en perdre aucun , Comment faites-vous donc?

MONDOR.

J'ai cent moyens pour un. J'éveille l'amour-propre , et le pique et le flatte; En paroissant la fuir, je ramène une ingrate; On me voit triste, gai, timide, entreprenant: Et puis, sans me piquer d'un esprit transcendant, J ai toujours cru l'esprit... une grande ressource Dans la société.

VALSAIN.

Sans doute.

MONDOR.

Une autre source De tous les agréments dontjon me voit jouir. C'est... un peu de fortune, et l'or sait éblouir. L'or, mobile puissant des humaines foiblcsses.

12 LES FAUSSES INFIDÉLITÉS.

Je ne me targue point de mes vaines richesses. Mon théâtre, mes bals, ma petite maison , Peut-être un cuisinier qui s'est fait quelque nom. Et mes feux d'artifice, et mon hôtel qu'on cite, Et mon vin de Tokai, ne font pas mon mérite; Tout cela n'est pas moi, je le sais; mais enfin On éblouit ainsi le pauvre genre humain.

VALSAIN.

Savez-vous que voilà de la philosophie? Allier tant d'esprit à tant de modestie ! Vous devenez sublime, et c'est ce que je crains : Adieu; ménagez-moi dans vos vastes desseins.

SCÈNE III.

MONDOR.

Je le crois mon ami; sa franchisse intéresse: Mais, amicalement, soufflons-lui sa maîtresse. Sa maîtresse ! c'est peu; deux cœurs me sont acquis ; Monsieur le chevalier et monsieur le marquis Me seront immolés, la chose est manifeste; Je ne puis eu douter sans être ti'op modeste. Ils s'y prenoient fort mal. Le cœur d'une beauté Du sang-froid de Valsain doit être peu flatté; Et Dormilli, fougueux, a cette humeur jalouse Qui fatigue une amante et qui gêne une épouse; Bien vu ! Quant aux billets que je viens de risquer. Elles n'oseront pa-i se les comnuniiqiier : Elles m'aiment . l'amour rend les femmes discrètes.

SCÈNE III. i3

Je vais mener de front deux intrigues secrètes. Le jeu sera piquant : deux belles à-la-fois ! Ou bien , au pis aller, je pourrai faire un choix. Mais les voici , sortons prudemment : il me semble Qu'il n'est pas à propos que je les voie ensemble.

SCÈNE IV.

DORIMÈNE, ANGÉLIQUE.

D O U I M È N E.

Que se passe-t-il donc? Vous riez de bon cœur. Je ne vous vis jamais d'une si belle humeur.

ANGÉLIQUE.

Je reçois une lettre assez divertissante.

DORIMÈNE.

J'en reçois une aussi dont le style m'enchante.

[Anijèlique donne sa lettre.) La vôtre? Peut-on voir?... Mais le tour n'est pas mal, Vous avez la copie , et moi l'original. Nos billets sont pareils.

( Elle donne sa lettre à Anijéliqne.) ANGÉLIQUE la lisant.

Oh ! 1.1 plaisante chose! C'est un trait de Mondor.

DOKIMÈNE.

Voilà donc de sa ]irose : Un billet circulaire!... il faut nous réunir. ( montrant une laide oSi l'on pciil tUrire.) Mette/.-vous là.

i4 LES FAUSSES INFIDÉLITÉS.

ANGÉLIQUE.

Pourquoi ?

DORIMÈN E.

Pourquoi? Pour le punir. Le fat! Et puis je veux... L'idée est excellente. Par ses transports jaloux Dorniilli vous tourmente, Valsain me dé])laît fort avec ses tons glacés; Votre amant aime trop, et le mien pas assez. Ce seroient deux maris également à craindre.

ANGÉLIQUE.

Oui.

DORIMÈN E.

Je vois un moyeu; mais il s'agit de feindre. Répondez à l'épître, et même tendrement.

ANGÉLIQUE, riant.

Oui, par un billet doux peut-être?

DORIMÈNE.

Justement. C'est le vrai moyen de guérir l'un et l'autre. Feignons d'aimer Mondor. Vous allez voir le vôtre Si plaisamment jaloux, que , s'il veut l'être encor, Nous le ferons rougir au seul nom de Mondor; Et Valsain alarmé, malgré tout son mérite, Croira qu'il peut déplaire... Allons, écrivez; vite.

ANGÉLIQUE, avec réflexion. Feindre d'aimer Mondor!

DORIMÈNE.

F.h oui , pour nous venger.

ANGÉLIQUE.

Et trahir un jaloux !

SCENE IV. i5

D O R I M È N E.

Pour mieux le corriger. Il est bon quelquefois d'affliger ce qu'on aime. On guérit un défaut par ce défaut-là même.

( Anijéliriue s'assied.) JJe perdons pas de temps. Je dicte. Ecrivez... Bon !

ANGÉLIQU E.

Mais il ne sera plus jaloux au moins?

DORIMÈNE.

Eh non ! { dictant. ) " Je ne sais , monsieur, si je fais bien de vous ré- « pondre.

ANGÉLIQUE.

Je sais que je fais mal.

DO RiMÈNE, dictant. « J'ai combattu long-temps.

ANGÉLIQUE répète ce qu'elle écrit. « Long-temps.

D o n 1 M È N F. , dictant. » Mais je suis excédée de monsieur Dormilli... ANGÉLIQUE, écrivant.

Dites que je l'abhorre; Je l'ainrerois autant.

DORIMÈNE.

Eh bien ! « Je suis... si cruellement tourmentée.

ANGÉLIQUE.

l'Ius dur encore. Vous vous divertissez.

i6 LES FAUSSES INFIDÉLITÉS.

DORIM EN E.

Ceut fois vous m'avez dit Qu'il vous tourmentoit fort.

ANGÉLIQUE.

Oui, mais quand on écrit

D G R I M È N E.

Otez cruellement.

ANGÉLIQUE, avec vivacité. J'y pensois. DORIMÈNE, dictant. « En vérité , dans les impatiences qu'il me cause..;

ANGÉLIQUE.

A merveille. DORIMÈNE, dictant. •' Je ne sais qui je ne lui prcfèrerois pas. »

ANCSÉLIQUE.

Je ne mettrai jamais d'expression pareille.

DORIMÈNE.

Quelle enfance!

ANGÉLIQUE.

Jamais. Cédez-moi sur ce point. Ou...

DORIMÈNE.

Qu'importe le mot quand la chose n'est point?

ANGÉLIQU E.

il est fort, ce billet.

DORIMÈNE.

Et moi j'ose prétendre Qu'un jaloux ou qu'un fat peuvent seuls s'y méprem

Vous

Et If

SCENE IV. t-j

ANGÉLIQUE, achevant d'écrire. Vous vous figurez donc que Mondor nous croira? Se croire aimé de nous !

D O R I M È N E.

Bon ! il le croit déjà. Et les hommes, d'ailleurs... Quelle crainte est la vôtre? Ce sexe est vain, très vain... presque autant que le nôtre. Donnez-moi ce billet, je saurai l'envoyer; Et... soyez inflexible avec le chevalier; Profitez du moment. Allons. Je vais écrire.

( Angélicjue se lève pour lui céder la pince.) Moi, j'aime aussi Mondor, et je veux le lui dire.

( en s'asseyant.) Ils seront bien joués, bien plaisants tous les trois. Quel plaisir d'intriguer trois hommes à la Fois !

ANGÉLIQUE.

Mou dieu, vous aimez bien à voir souffrir... Silence : Ils s'approchent tous deux. C'est Valsain qui s'avance. Cachez votre papier. DORIMÈNE, assez liaut pour être entendue de l'alsain.

Vous moquez-vous de moi? Oh ! je ne suis point fausse.

SCÈNE V.

VALSAIN, DOUMILLI, DOIUMÈNE, ANGÉLIQUE.

DORMILLI, bas, à Falsain. Elle écrit. VALSAIN , froidement.

Je le vol.

i8 LES FAUSSES INFIDÉLITÉS.

O O R M I L L I , à Angélir/ut;. Je vous retrome enfin : vous me fuyez, cruelle?

AN gÉliq ue. M'allez-vous faire encor quelque scène nouvelle? Il est vrai, je vous fuis.

DOUMI LLI.

Vous fuyez vainement, Je vous suivrai par-tout.

( Ançjélitjue se réfugie auprès de Dorimène.) D o R 1 M F. N E , à part.

C'est bien un amant. Quand pourrai-je obtenir que Valsain lui ressemble?

( à Valsain.) Ah ! vous voilà, monsieur?

VALSAIN.

Nous arrivons ensemble. Et je n'osois, madame, interrompre un billet. noRinka^, sans le reqarder, et continuant d'écrire Mais vous faites fort bien; il faut être discret.

D o R .M I L L I . Discret! Vous écririez, madame, en sa présence , A cinq ou six rivaux; toujours sans défiance , Monsieur seroit content le lui-même et de vous.

DO I MÈNE.

c'est que précisément j'lltjs un billet doux.

DOR.'iI ! LLI.

Valsain, vous entendez, un billet doux.

VALSAI N'.

PeiiL-étrc Daigne-t-on s'occuper...

{no

SCENE V. 19

DORIMÈNE.

De qui?

VALSAIN.

De moi.

DORIMÈNE, à part.

Le traître! Encore un mot.

( Elle écrit ctun air très animé.)

VALSAIN.

Le style en doit être charmant. Vous avez dans les yeux le feu du sentiment. Ce billet sera tendre; heureux qui doit le lire!

( Dorimène plie son billet.) Mais c'est finir trop tôt : on ne peut trop écrire, Quand c'est le cœur qui dicte.

D 0 n I .M È N E , à part.

11 raille, le cruel ! Il me feroit écrire un billet doux réel.

( à un laquais.) Holà! quelqu'un? Portez bien vite cette lettre.

V A LS AIiV.

c'est peut-être chez, moi que l'on va la remettre.

DORIMÈNE.

Chez vous? Eh bien ! monsieur, allez la recevoir.

( Elle sort. ) VALSAIN, souriant. Ah! je suis pénétré d'un si Hatteur espoir; J'y cours.

20 LES FAUSSES INFIDÉLITÉS.

SCÈNE VI.

DORMILLI, ANGÉLIQUE.

D O H M I L L I , retenant yintjèliffiie qui veut iuinrc

Dorimene.

a.

Un moment donc. T

ANGÉLIQUE.

Je suis trop en colère. Ne me retenez point.

DORMILLI.

jVi-je pu vous déplaire Par un excès d'amour?

ANGÉLIQUE.

oh ! discours superflus. Monsieur.

DORMILLI.

Toujours monsieur !

ANGÉLIQUE.

Je ne pardonne plus. J'ai pardonné vingt fois, toujours dans l'espérance Que vous pourriez changer, ni;iis je perds patience. Hier, tout cet éclat, tout cet emportement l<"ut encor précédé d'un raccommodement.

DORMILLI.

Convenez donc aussi qu'hier, mademoiselle... J'attends; vous arrivez. Vous étiez la plus belle : Dès-lors, je ne vois plus que vous, que tant d'a]>|)as^ Et moi , je suis le seul que vous ne voyez j)as.

SCÈNE VL 2 1

Vos discours, pleins d'esprit, amusent, intéressent :

Mais à d'autres qu'à moi tous vos discours s'adressent.

Mondor, à vos côtés , d'un air mystérieux,

Vous tient de sots propos, vous cache à tous les yeux;

Vous ne soupçonnez point que ce fat-là m'ennuie.

On parle enfin d'un wisk; il fait votre partie :

J'en fais une autre, moi, loiu de vous, et comment?

Je suis distrait; je perds; je joue horriblement;

On me gronde ; on se plaint : \ otis éclatez de rire ,

Et vous et votre fat.

ANGÉLIQUE.

J'ai ri ; mais je puis dire Que je n'étois pas seule.

DOUMILLI.

Eh ! vraiment , je le croi. C'est que personne n'aime, ou n'aime comme moi; C'est qu'ils ne sentent poin t; c'est qu'ils n'ont pas mon ame. J'extravague en effet; car je veux qu'une femme N'ait pas l'ambition... de plaire... au monde entier.

ANGÉLIQUE.

Voilà comme un jaloux sait se justifier.

Ah! dût-il m'en coûter l'effort le plus pénible,

Je dois pour vous, monsieur, cesser d'être sensible.

A votre folle humeur il faut m'assiijettir.

Je ne puis, ni marcher, ni m'asseoir, ni sortir.

Ni parler, ni me taire. On me donne une lettre;

C'est celle d'un rival qu'on vient de me remettre.

Je danse avec quelqu'un , vous rêvez tristement.

Me voyez-vous parée, ah ! c'est pour un amant.

Ai-je fait à Mondor de simples politesses,

22 LES FAUSSES INFIDÉLITÉS

On met, sans le savoir, mon éventail en pièces. J'aimerois cent fois mieux un coeur indifférent ; Devenu mon époux , vous seriez mon tyran.

DOKMILH.

Votre tyran ! Jamais. Quelle crainte cruelle ! N'auriez- vous pas alors juré d'être fidèle?

A NGÉLIQUE.

Je crains que pour s'unir nos cœurs ne soient pas faits.

DORMIL LI.

Eh ! sans mon fol amour, que je vous hairois ! Vous saurez à la fin me faire aimer Julie : Elle m'aime; et pour moi vous l'avez embellie. Elle ne me voit point ces travers odieux : Ayant un autre cœur, Julie a d'autres yeux.

ANGÉLIQUE, auec dépit. Eh bien! monsieur, volez; fixez-vous auprès d'elle.

DORMILLI.

Oui, je vais l'adorer... l'aimer... mademoiselle. Je vais vous obéir. Mais, du moins, nommez-moi Celui qui m'a ravi votre cœur.

ANGÉLIQUE, souriant.

Et pourquoi Faut-il vous le nommer?

DOR.MILLI.

Qu'il tremble pour sa vie.

ANGÉLIQUE.

Ciel ! encor des fureurs? Il faut que l'on vous fuie.

DORMILLI, la suivant. Fuyez-moi, j'y consens, je ne vous cherche plus. Que m'importe un rival , son nom , et vos refus?

LES FAUSSES INFIDÉLITÉS. 23

SCÈINE vn.

DORMILLI.

C'est ici qu'un jaloux anroit lîien droit de l'être.

( Mnndor parnit.) Mais quel est ce rival? Je l'aperçois peut-être... C'est lui: précisément je le trouve aujourd'hui Deux fois plus fat eiicor et plus content de lui.

SCÈNE VIII.

DORMILLI, MOXDOR.

M O N' D o R , rfe loin et à part.

( haut et d'un air triomphant.] Boa! Toujours de Ihunieur? Dans l'âge des conquêtes, Quand oa plaît, quand on aime?

DORMILLI.

Oh! je sais que vous êtes Un excellent railleur; mais moi qui raille peu, Je vais, monsieur Mondor, vous faire un libre aveu. Votre présence ici... m'étoit fort agréable. Cependant ..

MO.v DOR, riant. Vous croyez que je suis redoutable , F.t que sur Angélique on a quelque dessein?

DORMILLI.

De grâce, expliquons-nous. Daignez, m'apprendre enfin

■à

24 LES FAUSSES INFIDÉLITÉS.

A qui vous en voulez.

MONDOR.

La demande est fort bonne Chevalier, si je puis n'en vouloir à personne , On peut...

OORMILLI.

Vous en vouloir? Eh bien ! qui vous en veut?

MONDOR.

Vous ne le diriez point à ma place.

D O R M I L L I .

Il se peut. ( En riant, et du ton d'un liomme cjui compte sur la fatuité de Monder.) Mais vous le direz, vous, n'est-ce pas?

M ONDOR.

Il est leste. Ma foi, si je le dis, c'est, je vous le proteste, Pour vous tranquilliser : vous êtes si pressant... Je vois que vous souffrez; je suis compatissant.

DORMILLI.

Au fait, par grâce.

MONDOR.

Eh bien! s'il faut vous en instruire... ( // snmuse de l'attention que lui prêle Dormilli.) Ces choses-là pourtant ne doivent pas se dire. DORMILLI, avec une impatience qu'il veut masquer

sous un ton badin. Aujourd'hui l'on dit tout : dites donc.

MONDOR.

Trop de feu ;

SCÈNE Vlll. 25

Trop (Je feu, clievalier: modérez-vous un peu. Si de mes soins ici quelqu'un doit être en peine , Ce n'est pas vous eucor.

DORMILLI.

Quoi, monsieur, Dorimène... M o X D G R , néijliqemment. Mais oui.

DORMILLI.

Plaisantez- vous?

MON DOR.

Jlais non.

DORMILLI.

D'honneur ?

M 0 N D O B .

D'honneur. Valsain vous vexe un peu : je suis votre vengeur. Réjouissez-vous bien de sa triste aventure. Dorimène a pour nous, c'est une chose sûre. Un goût très décidé, mais je dis décidé.

DORMILLI.

Ce soupçon-là , monsieur, peut être mal fondé.

MONDOR.

Soupçon u'est pas le mot : en voulez-vous des preuves? Oh! parbleu ! c'est me mettre à de rudes épreuves. Le moyen, avec vous, de garder un secret?

( // tire un portefeuille de sa pnche.) Parmi certains papiers , j'ai là... certain billet; l'aut-il, à l'instant même, avoir la complaisance De vou.s en faire part?

if, LES FAUSSES INFIDÉLITÉS.

DORMILLI.

Non vraiment, cur je pense Que vous ne l'avez point.

MONDO R.

Je ne l'ai point?... Lisez. ( // lui présente le billet : Dnrmilli veut s'en saisir et

Mnndor le retient. Dormilli lit avidement : Mondor

continue.) Sous un style badin ses feux sont déguisés : On badine d'abord, puis on est attendrie; Puis le moment fatal, et puis la jalousie; On tremble de nous perdre, on veut toujours nous voi' Et le roman finit par un beau désespoir.

( // éclate de rire.) Mais n'admirez-vous pas le sommeil létbargique De monsieur de Valsain? Vous craigniez qu'Angélique N'eût pour moi quelque goût; lui qu'on a supplanté. Il est , le cher marquis , d'une sécurité !

DORMILLI.

Le voilà donc enfin trahi par sa maîtresse! J'avois su le prévoir, je le disois sans cesse.

MONDOR.

Depuis que j'ai paru? ,

DORMILLI.

Non, très long-temps avant. Mai.*, Angélique?...

MONDOR.

Eh bien ? no R M I LLi , d'un ton brusque.

Eh bien ! je crois souvent

SCENE VIII. 27

Qu'elle me trompe aussi.

MONDOR.

Moi , je le conjecture.

DOR M ILLI.

Vous êtes consolant.

MONDOR, d'un air fin.

Néanmoins je vous jure Qu'à votre affliction, c'est vous parler sans tard. Personne en vérité ne prend autant de part. Mais adieu; je vous laisse à votre inquiétude.

( // chante le vers suivant , pris d'un opéra.) Les amants affligés aiment la solitude.

SCÈNE IX.

DOUMILLI.

Il chante! il est heureux! Mondor n'est point haï. On l'aime, et l'on me hait! et Valsain est trahi. Angélique, du moins~, quoiqu'elle dissimule. N'a sûrement pas fait un choix si ridicule. Mon pauvre ami Valsain sera fort étonné.

SCÈNE X.

DOUMILLI, VALSAIN.

uou M I LLi , à pari. Il me paroît hien triste.

VALSAIN, à pari.

Il a l'air iudiiiné.

28 LES FAUSSES INFIDÉLITÉS.

( Ils se regardent quelque temps en silence. )

DORMILLI.

Je vous l'ai dit cent fois; je n'eutends rieu aux femmes.

VALSAIN.

Ma foi , ni moi non plus.

DORMILLI.

Mou ami , quelles âmes !

VA LSA IN.

Quelles têtes, mon cher!

D o u M I L L I , à /wrf , en s'éloignani de Valscnn. A-t-il quelque soupçon? VALSAIN, à part, s'éloignani de même. Je dois lui dire tout; mais de quelle façon?

DORMILLI, à part. Comment m'y prendre?

{Ils se rapprochent l'un de l'autre.) (haut.) Il faut qu'avec vous je m'explique. Je viens d'entretenir tout à l'heure Angélique; Je ne la conçois plus. Je crois, sans vous flatter, Que votre aimable veuve a su me la gâter. C'est une étrange femme, au moins, que Dorimène ! Êtes-vous bien sûr d'elle ?

VALSAIN.

Ah ! très sûr ; j'aurois peine A croire... Mais la vôtre, avez-vous bien son cœur? Écoutez, cher ami; sur-tout, point de fureur. Je commence à penser enfin comme vous-même ; Oui, je doute, entre nous, qu'Angélique vous aime.

SCENE X. 29

DORMILH.

Fort bien! de mes amours vous êtes occupé : Et vous ne craignez pas de vous être trompé Sur les vôtres?

VALSAIN.

Quoi donc?

DORMILLI.

Pourriez-vous, je suppose, Me dire qu'Angélique aime... quelqu'un; qu'elle ose Écrire à ce quelqu'un; que cet araaut discret, Ce modeste rival , montre d'elle un billet? Que ce billet, enfin , vous venez de le lire?

VALSAIN.

Ma foi, vous m'étonnez: je u'osois vous le dire ; Vous savez tout. Mondor, qui nous croit ennemis, £t qui me met de plus au rang de ses amis, Vient de me confier ce billet d'Angélique, Écrit à lui Mondor. L'affaire est moins tragique , Puisque vous la saviez.

nORMILLl.

Comment donc?

VALSAIN.

Je l'ai lu.

DORMILLI.

Vous l'avez lu ?

VALSAIN.

Deux fois : j'en étois contondu. DORMILLI, (Tu ne voix étouffée . Qu'eiitciids-je?... Se peut-il?... Angélique perfide! Je n'en doute donc plus!... Quel cou|i!. . H me décide

3o LES FAUSSES INFIDÉLITÉS.

Ami, consolons-nous. Plus sensés désormais, Jurons de renoncer aux femmes j)our jamais. Ce parti...

V ALSAIN.

Seroit dur : il faut être équitable ; La mienne m'est fidèle, et je serois coupable Si...

D 0 R M I L L I , très vivement. Fidèle? Oui, fidèle ! Adorez-la. Mondor, Quelle fidélité ! , tout-à-1 heure encor... Elles poussent bien loin lu feinte et le caprice. Ne me croyez donc pas le seul que l'on trahisse. La vôtre... Mais au reste elle m'étonne moins.

V A L s A 1 1\ , posément. Ou'a-t-elle fait? Voyons.

DOHMILLI.

Digne objet de leurs soins Mondor tient un billet écrit par Dorimène, Billet qu'il montre aussi, que je croyois à peine; Voilà ce qu'elle a fait; voyez.

VALSAlN, à part.

Que dit-il là? [haut.) Deux billets à Mondor? Répétez-moi cela. Dorinièue...

DORMILLI, avec iitipalicncr. Oui , monsieur.

VA LSAI N.

Elle a donc fait remettre:

SCENE X. 3i

DORMILLI.

I Mil, monsieur.

V ALSAIN.

A Moudor?

DORMILLI.

Oui, monsieur.

VALSAIN.

Une lettre ? DORMILLI, impétueusement. Oui, monsieur, oui, monsieur, oui, monsieur. V ALSAIN, à part, et toujours de saiitj-froid.

A Mondor, Deux billets!... C'est un jeu.

DORMILLI.

Répéterai-je encor? V A L s A I N , soitria nt. Je vous suis obligé de votre complaisance.

DORMILLI.

J'avois tort d'accuser ce sexe d'inconstance:

II ne trahit pas ; non. « Ses vertus, disiez-vous, «Ses vertus sont de lui; ses défauts sont de nous. « Croyez à ses vertus. « Oh ! j'y crois.

V A LSAIN.

Moi dv même.

DORMILLI.

Aux vertus d'Angélique! Et c'est Moudor qu'elle aime!

VALSAIN.

Mondor de tout ceci doit être bien content.

DO R M 11. I I.

Belle réHexioii!

32 LES FAUSSES INFIDÉLITÉS.

VALSAI N, riant. Je reviens à l'instant.

( Il s'éloigne. )

DORMILLI.

La vôtre disoit bien, mais rien ne vous effraie : « J'écris un billet doux. »

V ALSAIN.

Du moins est-elle vraie.

(// veut sortir.) DORMILLI, lui serrant le bras avec colère. Du moins, concevez-vous, homme froid, cœur {jlacé, Concevez-vous Mondor? Le fat s'est empressé A vous communiquer le billet d'Angélique; Celui de Dorimène, il me le communique. Des procédés pareils se peuvent-ils souffrir?

VALSAIN.

Mondor est plaisant ; il veut se réjouir.

DORMILLI.

Valsain.) lui-même.) Ah ! fort bien. Croira-t-on qu'Angélique, à son âge, Avec cet air naïf, et le plus doux langage?...

Valsain. ) Que n'ai-je aimé Julie?... Enfin vous l'avez lu Cet indigne billet? L'auriez-vous retenu? Je puis, soyez-en sûr, l'écouter sans colère ; Dites les propres mots.

VALSAIN.

Mais Mondor pourra faire Quelque jour un recueil; alors vous l'y verrez-

1

SCENE X. 33

DORMILLI.

Quel ami! quel amaut! vous me désespérez! .. Voyons de près mon fat.

{Il sort.) VALSA IN, alarmé.

Pour une bagatelle, Tant de bruit ! Arrêtez. Angélique est fidèle. Moudor n'est point aimé.

DORMILLI, revenant.

Comment? Que dites-vous? V A L s A I N . Qu'on s'amuse à-la-fois de Mondor et de nous.

DORMILLI.

Quoi! ces billets...

VALSAIN.

Font voir l'accord des deux cousines. Deux lettres à-la-fois, et deux lettres badines! A Mondor... qui les montre! allons; réfléchissez.

DORMILLI, avec vivacité. Est-il bien vrai?... Comment!... de grâce... éclaircissez.

VALSAIN.

Mais tout est éclairci. L'une est jeune et timide; L autre n'est que maligne, et [)oint du tout perfide. Vous croyez leurs billets! je crois plutôt leurs cœurs. Qu'un fat ait du succès, j'y consens, mais d'ailleurs. Il n'en a |>oiiit ici.

DORMILLI, l'embrassant avec transport. Vous me rendez la vie. En eftet, Angélique... Oh! oui, je le parie,

à^ LES FAUSSES INFIDELITES.

Je suis encore aimé. Vous avez bien raison.

J'ai mille souvenirs. Elle, une trahison !

J'ai cru... J'étois donc fou. La découverte est bonne.

Angélique me trompe : eh bien ! je lui pardonne.

Elles nous ont joués toutes deux! mais enfin

Pour nous en imposer il faut être plus fin.

Nous sommes clairvoyants... Je ris de leur malice.

VALSAIN.

De vous présentement puis-je attendre un service?

DORMILLI, avec une effusion de tendresse. Ah ! je souscris d'avance à vos moindres désirs.

VALSAIN, souriant, et d'un air tranquille. Laissez vivre Mondor pour nos menus plaisirs.

D o R M I L L I , avec une joie excessive. Je ne le tuerai point.

VALSAIN.

Je vais chez Dorimène , De mon faux désespoir réjouir l'inhumaine.

(Il va pour sortir. ) DORMILLI, le retenant. Mais sommes-nous bien sûrs?... Croyez-vous fermemei C'est qu'on ne doit jamais croire légèrement.

VALSAIN.

Ah ! voilà mon jaloux !

DORMILLI

Nous n'avons pas de preuve. VALSAIN, rêvant. Eh bien! j'en vais avoir. J'imagine une épreuve Qui vous démontrera que leur crime est un jeu ,

ka

SCÈNE X. 35

Et qui pourra sur-tout les chagriner un peu.

DORMILLI.

Prenez garde pourtant...

V A L s A I N .

Cœur foibla que vous êtes ! part.) C'est pour vous détromper... et leur payer nos dettes.

DORMILLI.

A quoi songez-vous donc?

VALSA IN.

Je songe à vous servir. {(Cun ton badin. ) Je doute aussi, je doute, et je vais m'éclaircir. Partez.

(// veut le faire sortir. ) DORMILLI, revenant. Mais , mon ami , lisez sur leur visage , Dans leurs yeux, finement.

VALSA IN, le poussant toujours.

C'est à quoi je m'engage.

DORMILLI.

Vous ne tarderez point à me venir trouver?

VALSAIN.

Je ne tarderai point.

DORMILLI, résistant. Mais il faut...

VALSAIN.

Vous sauver.

D o R M I L L î .

Si vous clés sûr d'elle, (épargnez mou ainaute

3G LES FAUSSES INFIDÉLITÉS.

VALSAIN.

Une femme affligée est plus intéressante.

D o R M I L L I .

Que ferez-vous? Je crains...

VALSAIN.

Calmez ce tendre effroi. Sortez, dis-je, et gardez de paroître sans moi. (// le pousse erifin hors du théâtre. Un moment après

Dormilli rentre , et, sans être aperçu de Valsain, se

(jlisse dans un cabinet. )

SCÈNE XI.

VALSAIN.

Comment ! il a crié, fait un affreux vacarme ;

Moi-même , car ceci m'a causé quelque alarme,

J'aurai vu le Mondor, et rire à nos dépens,

Et de ses deux rivaux faire deux confidents ;

Le tout pour s'égayer, pour distraire ces dames :

Non parbleu, c'en est trop; ne gâtons pas les femmes. ;

Oh! rien n'est dangereux comme l'impunité...

N'y mettons pas pourtant trop d'inhumanité.

Ne soyons pas cruels... Bonnes gens que nous sommes!

{/jaiement. ) Qui désole une femme est le vengeur des hommes. Les voici. Bon.

Mot

kii

Aui

Jer*

LES FAUSSES INFIDÉLITÉS. 3?

SCÈNE XII.

DORIMÈNE, ANGÉLIQUE, VALSAIN.

DORI MÈNE,6rtS, à Angélique dans le fond du tliéâlrc.

Il est accablé de dotileur : ^loiidor aura parlé.

ANGKLIQUE, ba.'i à Donmène. Voyons. DORIMÈNE, à Valsain, qui se promène d'un air fort triste.

va monsieur?

VALSAIN.

le ne sais.

DORIMÈNE.

Cet air triste a lieu de me surprendre.

VALSAIN, se promenant toujours. A tant de perfidie aurois-je m'attendre? Kngager un amant, l'enflammer, l'attendrir. Lui promettre son cœur, sa main, et le trahir! \.r moyen qu'à ce couj) l'infortuné survive !

DORIMÈNE.

Il- ne mérite pas une douleur si vive. VALSAIN, s'arrctant. ^ olre inconstance aussi me touche infiniment ; M.iis je n'en parlois pas, madame., en ce moment. I' pense à mon ami, qui prend tout au tragique. I r.dii , comme lloland , par une autre Angélique; I mii'U.v coniiiif lui, plus digue de pitii-,

4

38 LES FAUSSES INFIDÉLITÉS.

Il a maudit l'amour et même l'amitié. Madame, je l'ai vu prêt à perdre la tête : Il la perdoit sans moi.

DORIMÈN E.

Vous êtes bien honnête. La vôtre étoit plus calme?

V ALS AIN.

Aussi , pour le sauver, Ai-je pris un moyeu... qu'il auroit pu trouver.

ANGÉLIQUE, alarmée. Et quel moyen ?

VALSAIN.

Très simple , il s'offroit de lui-même. Vous connoissez Julie, et savez qu'elle l'aime : Brune , vive , piquante ! .

DORimknE, feignant.

Eh bien ! il doit l'aimer.

VALSAIN.

Pour elle, tout d'un coup, je n'ai pu l'enflammer...

DORiMÈNE, à part. Bon.

VALSAIN, lentement. Mais, comme Jidie est jeune, tendre, et belle... ooRiMiÈNE, avec impatience. Jeune! tendre! achevons. Il a volé chez elle?

VALSAIN.

Non, madame; c'est moi qui viens de l'y mener. Il résistoit d'abord ; mais... j'ai su l'entraîner. DORIMÈNE, à part.

Le monstre !

1

[ J'ati

W

SCÈNE XII. 39

ANGÉLIQUE, à part.

Ah dieux !

VALSA IN, à Dorimene.

V^oyez cette scèae touchante , Mon ami consolé, les transports d'une amante : lU vouloient tout se dire et ne se parloient pasj ÎNIais quels regards! J'aimois jusqu'à leur embarras.

Anrjélirjue.) \'iius auriez pris plaisir sur-tout à voir Julie. Tous deux me ravissoieut : j'en ai l'ame attendrie.

( ù Dorimene. ) c'est que rien n'est si beau que l'aspect du bonheur. Pour moi , du moins. Enfin j'ai décidé son cœur ;

Anrjélique.) Dorimene.)

lisseront l'un à l'autre... Et quant à moi, madame. J'attends : peut-être un jour trouverai-je une femme c^Lii daignera m'aimer; notre rival heureux, Mondor, monsieur Mondor en a bien trouvé deux. f // salue respectueusement ; on ne lui rend point ses révérences ; il sort.)

SCÈNE XIII.

DORIMENE, ANGÉLIQUE.

rj o K I M È N E , après un long silence, pendant Icfjuel elle

n'ose lever les yeux sur Angélique. Quel homme!... Et je l'aimois!

A N G 1': M Q IJ E.

Ah ! vous m'avez perdue.

4o LES FAUSSES INFIDÉLITÉS.

Mais quelle idée aussi ! C'est vous qui l'avez eue,

Qui m'avez fait écrire. Il le faut avouer.

De votre habileté j'ai fort à me louer!

[Dormilli sort du cabinet ou on l'a vu entrer, et s'ar- rête dans le fond du théâtre. Pendant cette scène, il fait, de temps en temps, des pas vers Angéliriue.) DORMILLI, bas.

Écoutons.

DORIMÈNE.

L'aventure est heureuse peut-être; Et je me félicite enfin de les connoître : Ils ue méritent point que l'on se plaigne d'eux. Les voilà donc ! voilà comme ils aimoient tous deux ! L'un...

ANGÉLIQUE.

Ils ont fort bien fait; oui, madame, à leur place J'en aurois fait autant. Quoi ! Mondor a l'audace D'écrire un sot billet , et nous lui répondons ! C'est pour un tel rival que nous les trahissons ! Pouvoient-ils?...

DO rimî;n E. Us pouvoient, au moins par bienséanci Gémir un jour ou deux; ce n'est pas trop, je pense. J'ai vu votre jaloux, soupirant à vos pieds, Promettre de mourir, si vous l'abandonniez. Eh bien! qui l'empéchoit de vous tenir parole?

ANGÉLIQUE.

Qui l'empéchoit? ô ciel!

DORIMÈNE.

Oui , c'étoit la son rôle ,

SCENE XIII. 4,

Le rôle de Valsain, de tout amant quitté : Le nôtre esta présent celui de la fierté. Cachez donc vos regrets quand l'honneur vous l'ordonne.

ANGELIQUE, pleurant presque. L'honneur ! L'honneur consiste à ne tromper personne.

DORMiLLi, bas , dans le fond du théâtre. Charmante !

( // s'approche d'elle. ) ANGÉLIQUE.

Il m'aimoit tant ! Vous vouliez aujourd'hui Que Totre froid Valsain fût jaloux comme lui. Ah! par son défaut même il doit plaire à Julie; Et je dois regretter jusqu'à sa jalousie. retrouver jamais un cœur comme le sien? Si du moins il voyoit le désespoir du mien !... Je veux le détromper.

SCÈNE XIV.

UOUMILLI, DORIMÈNE, ANGÉLIQUE.

DORMILLI, avec transport.

Il l'est, il vous adore.

ANGÉLIQUE.

Ahciel! ah! Dormilli!

DORMILLI.

Quoi! vous m'aimez encore? Quoi! vous doutiez d'un cœur vous régnez toujours? Disposez de mon sort, de ma main , de mes jours.

4.

i

42 LES FAUSSES INFIDÉLITÉS.

DORIMÈNE, avec un air de dépit et de joie. Ce traître de Valsairi !

DORMILLl.

A vu votre artifice, Et s'est un peu vengé.

ANGÉLIQUE.

Vous étiez son complice?

DORMILLl.

oh! non pas tout-à-fait; mais quelle heureuse erreur!

Dorimene.) N'allez pas le gronder; je lui dois mou bonheur. Sans lui j'ignorerois ce que je viens d'entendre;

Angélique.) Je n'aurois pas joui d'une douleur si tendre. Me le pardonnez-vous?

ANGÉLIQUE.

Vous avez entendu?

DORMILLl, avec l'ivresse de la joie. Je vous ai laissé dire, et n'en ai rien perdu.

DORIMÈNE, qui Voit venir Valsain. Paix.

SCÈNE XV.

VALSAIN, DORMILLl, DORIMENE, ANGÉLIQUE.

VALSAIN, entrant de l'air d'un homme qui cherche

quelqu'un.

C'est lui «(ue je \nis. Aura-t-il j)u se taire?

SCENE XV. 43

(// s'avance et reçjarde quelque temps.) Ces daines savent tout.

D O R I M È N E.

Votre affreux caractère M est enfin dévoilé: vous êtes le mortel I.e plus faux...

VALSAI.\.

J'en conviens; mais lui, le plus cruel. On ne peut avec lui se venger à son aise. Won pauvre chevalier, ah ! qu'un secret vous pèse ! Plus de société désormais entre nous :

((paiement, ) Du moins , pour les noirceurs , je les ferai sans vous.

DORMI LLI.

Je le veux bien, sans moi.

D o R I M È .N E.

Comme il se justifie!

DORMILLI.

Angélique.) Valsain.)

Le croirez-vous encor? J'é[)0use donc Julie?

Angélique. ) Quand je jui-e à vos pieds...

(// tombe aux pieds d'Angélique.)

44 LES FAUSSES INFIDÉLITÉS.

SCÈNE XVI.

MONDOR, VALSAIN, DORMILLI, DORIMÈNE, ANGÉLIQUE.

MON DOK, avec un éclat de rire, voyant Dormilli à genoux.

Il est, ma foi, charmant! Ce tendre chevalier aime excessivement. Pourquoi le maltraiter ainsi, mademoiselle?

(bas, à Valsain qui rit.) Vous riez de le voir aux pieds d'une infidèle, Méchant! il aime encor l'objet que j'ai charmé.

( bas , à Dormilli qui rit aussi. ) Le malheureux Valsain se croit toujours aimé. (Dormilli et Valsain rient de Mondor sans se ijêner.)

part.) Ron ! chacun rit de l'autre. ( Ils rient tous trois.)

VALSAIN, à Mondor.

On rit de vous.

Dorimène.) Madame , Pour qu'il n'en doute pas, daignez être ma femme.

DORIMÈNE.

Traître, tu t'applaudis : mais le cœur est pour toi... Je te cède l'honneur de tromper mieux que moi.

VALSAI N.

D un simple amusement ne faites pas un crime.

SCÈNE XVI. 45

Je n'étois point jaloux, mais par excès d'estime; Et mon ami l'étoit par un excès d'amour. Allons, pardonnez-nous; et qu'en cet heureux jour,

{désignant Mondor.) Monsieur soit seul puni de toutes nos querelles.

DORMlLLi,rf« ton le plus railleur. C'est ainsi que Mondor triomphe de Jeux belles. (Dorimène , Ançjélifjue , Valsain , et Dormilli, font à Mondor des révérences ironifjues , et sortent en riant. )

SCÈNE XVII.

MONDOR.

Expliquera, morbleu, les femmes qui pourra... L'amour me les ravit, l'hymen me les rendra.

FIN DES FAUSSES INFIDELITES.

J.

LA

MÈRE JALOUSE,

COMÉDIE EN TROIS ACTES,

PAR BARTHE,

Représentée, pour la première fois, le 2 3 décembre

PERSONNAGES.

Madame de MELCOUR. M. DE Ml'LGOUR, ancien militaire. JULIE, fille de madame de Melcour. Madame de NOZAN , tante de Julie. M. DE VILMON , ami de M. de Melcour. M. DE TERVILLE, amant de Julie. M. DE JERSAC.

Un PEINTRE.

Une FEMME DE CHAMBRE.

I-AQUAIS.

La scène est à Paris, chez monsieur et madame de Melcour,

I.

LA

MÈRE JALOUSE

COMÉDIE.

ACTE PREMIER.

SCÈNE [.

M. DE MELCOUB, M. de VILMON.

V 1 L M O iS- .

Elle repose enfin dans le petit saloti.

,M E L c o u R . Je ne connois plus rien au train de ma maison. Jadis nous étions gais, et d'une gaieté folle; >ous voilà d un ennui, d'un froid qui me dt'sole.

VILMON.

Il est vpai qu'autrefois ou rioit un peu plus.

M E L c o u R . Nos soupers, nos cojicerts, sont tous interrompus.

VILMON.

Madame cependant aime fort la musique.

M E L c o u R . Elle étoit dissipée, elle est mélancolique.

So LA MÈRE JALOUSE.

Elle vouloit tout voir, et se montrer par-tout;

Des fêtes, des plaisirs, elle a perdu le jjoût.

{en riant. ) Enfin, excepté nous, et Terville que j'aime, Et ce monsieur Jersac présenté par vous-même. Elle ne voit personne, et boude l'univers. Son esprit même... a pris je ne sais quel travers; Cet esprit enjoué , qui savoit tout séduire. Tourne presqu'à l'aigreur, et vise à la satire. De tous ces changements n'êtes-vous point frappé?

VILMON.

Croyez que tout cela ne m'est point échappé; Et ce qui me confond, ce qui doit vous surprendre, ( Vous êtes pour Julie un beau-père si tendre ! ) Mon ami, je ne sais, mais j'ai cru remarquer... Là-dessus cependant j'ai peine à m'expliquer: Cela seroit fâcheux, cela ne peut pas être.

MELCOIIR.

Vous m'alarmez, Vilmon.

VlLMON.

Je le devrois peut-être. J'ai vécu, j'ai servi, je demeure avec vous; Et je ne puis enfin observer qu'entre nous Qu'avec sa fille même elle est d'une tristesse , D'une humeur!

MELCOUR.

Eh mais! oui ; par excès de tendresse. Elle la veut parfaite; à cet âge! elle a tort.

VlLMON.

La voit-on négligée, on la gronde d'abord.

ACTE 1, SCÈNE 1. Si

MELCOOR.

On a raison.

VILMON.

Parée , on est plus mécontente.

MELCOUR.

On a raison. Faut-il que sa folle de tante. Qui ne rêve que d'elle et la prône toujours , Lui donne un goût de luxe?

VILMON.

Enfin , depuis neuf jours Que d'un triste couvent elle a franchi la porte, Madame ne sort pas, et défend qu'elle sorte.

MELCOUR.

Et la migraine donc?

VILMON.

S'il ne faut point flatter, Cette migraine-là nous vint, je sais dater, Le jour du couvent la petite est sortie ; Moi , j'ai vu la migraine entrer avec Julie.

MELCOITR.

Mais, Vilmon , c'est me dire, et sans trop de détour. Que vous soupçonneriez madame de Melcour... (// est interrompu , et, dans toute la scène suivante, il a l'air triste et pensif.)

52 LA MERE JALOUSE.

SCÈNE II.

MADAME DE iN U Z A N , M. DE M L L G O U R , M. DE VILMON.

Mine DE NOZAN, de loin. Je i'ai mis dans ma tête , il faut que je l'emmène , Qu'elle sorte avec moi ; sa mère a la migraine, Ma nièce ne l'a point, et la prendroit aussi. On me la tyrannise, on l'emprisonne ici; Mais avec elle enfin je vais courir le monde.

[Elle met des gants.) Monsieur, à mon retour que votre femme gronde. Cela m'est fort égal, je pars, et promptemeut.

[avec joie et iCun air de confidence.) Je l'ai fait habiller ti'ès clandestinement. Chez moi : vous m'entendez? J'ai même aidé Lisette.

( Une femme de chambre lui porte un éuentail. ) Bon! j'avois ouhlié mou éventail. Rosette, Est-elle descendue?

nosETTE, à demi-voix. Elle descend.

[Rosette sort. )

Mine DE NOZAN.

Adieu. Je m'en vais la montrer.

M E L c 0 u II .

Vous revenez dans peu?

ACTE I, SCÈNE II. 53

MDie DE NOZAN.

oh! si vous la voyiez! Elle est... dans sa parure. Elle est d'une beauté! Mais j'entends ma voiture. Adieu; je vous l'enlève.

VILMON.

Elle a, ma foi, raison.

SCÈNE m.

M. DE MELCOUK, M. de VILMON.

MELCOUR, cCun air distrait et rêveur. Madame de Melcour... le pensez-vous, Vilmon? .lalouse... de sa fille !

VILMON.

A vous parler sans feinte, Je n'en suis pas très sûr; mais j'en ai quelque crainte.

MELCOUR.

Pouvez-vous lui prêter une pareille horreur? Jalouse! de sa fille!... Allons donc, quelle erreur! Vous voilà bien, au reste, avec votre finesse. Le tic d'observer tout , de deviner sans cesse.

VILMON.

Je voudrois me tromper.

MELCOUR.

Et vous vous trompez fort ; Une mère jamais eut-elle un pareil tort, Uu foible si honteux? .Mais je vois le contraire , La beauté d'une fille enor|j[ueillit sa mère.

5.

54 LA MERE JALOUSE.

VILMON.

Cela doit être au moius ; jeu connais toutefois...

M E L c G u . Savez-voiis quand du sang on étouffe la voix, Quand on peut se résoudre à n'aimer point sa fille? C'est lorsque sa laideur dépare une famille. Ou ilevient niéuie alors cruel jiar vanité, j'ai vu plus d'une mère, ivre de la beauté. Punir dans une enfaul la laideur comme un crime; D'un barbare amour-propre en faire la victime, Et, pour n'en pas rougir, l'ensevelir souveut Dans le fond d'une terre, ou l'ombre d'un couvent. Julie a-t-elle donc ce tort avec sa mère?

VILMQN.

Non : au public pourtant on ne la montre guère.

MELCOOR.

Vous êtes cruel.

V I I, M o N . Vrai.

iVIELCO U K.

La nature a des droits. .

VILMON.

Respectés, je le saLS, du peuple, des bourgeois. Mais dans un siècle vain, dans un monde frivole, la beauté du sexe est sa jtremière idole; les femmes de plaire ont toutes la fureur, Vijudroient de leur jeunes.se éteruiser la Heur, !)is|iutent le terrain à l'âge qui s'avance, l.t font contre le temps la plus belle défense; Ou leur coquetterie ( on ne nous entend pas )

ACTE 1, SCÈNE III. 5)

Dure deux ou trois fois autant que leurs appas; Mou ami, ce travers, sans doute fort bizarre. Quoique peu remarqué, n'est pourtant pas très rare.

M EL COUR.

Je ne l'ai jamais vu.

VILMON.

c'est qu'on sait le cacher.

MELCOUR.

On en fait un secret?

V I L M o .\ . Eh oui! pour l'arracher. Peut-être assiduement faut-il voir une mère Idolâtre du monde et coquette légère, Que sa fille... importune, et déjà suit de près. Et dont un gendre, hélas, va dater les attraits.

IMELCOUR.

Ma femme enfin, monsieur, n'aime donc point la sienne?

VILMON.

Elle l'aime beaucoup, il faut que j'en convienne; Et s'il falloit la perdre ou craindre pour ses jours, Vous la verriez trembler, prodiguer ses secours.

MELCOUR.

Mais accordez-vous donc.

VILMOX.

Est-ce me contredire? Une nière, en un mot, je souffre de le dire. Oui , peut aimer sa fille, et peut ne pas l'aimer, D un (fielleux parallèle en secret s'alarmer. Peut s'applaudir tout haut de la voir jeune et lieilc. Et soupirer tout bas de pl.niv un peu moins qu elle.

S6 LA MEKE JALOUSE.

Ce sont là, mun ami...

MELCOUR.

Des contrariétés.

VILMON.

Dans le cœur d'une fernme?

MELCODR.

Oh!... vous me tourmeute». J'aime sa fille, moi qui ne suis qu'un beau-père; Et vous craignez, monsieur, vous voulez qu'une mère...

VILMON.

Je ne veux point, j'ai vu, j'ai cru voir. Cependant Hâtez- vous, croyez-moi, d'établir cette enfant.

MELCOUR.

Tenez, vous allez voir son humeur déridée Par le joli tableau dont je vous dois l'idée.

VILMON.

Eh bien ! il vous dira si j'avois deviné.

MELCOUR.

Ce tableau?

VILMON.

C'est pour vous qu'il est imaginé, Un peu plus que pour moi.

MELCOUK, vivement.

Je suis sûr qu'il doit plaire.

VILMON.

Boa ! une fille peinte à côté de sa mère !

Cela ne prendra point, vous m'allez croire enfin.

MEI.COUR.

Moi, je vous attends là. Mais votre homme divin Me fait aussi damner : la veille de la fête ,

ACTE I, SCÈNE 111. S

N être pas prêt encor; c'est à perdre la tête. Amenez-nous ce peintre, oh\\^,ez-Tnoi , pardon. Le jieintre mort ou vif, le tableau fait ou non.

VI L \i ON , à part. C'étoit bien mon projet.

SCÈNE IV.

MADAME DE MELCOUR, M. DF. MELCOUR.

Mine DE MELCOUR.

Quoi! ma fille est sortie? Il est fort sinjjulier qu'à l'âge de .Iulie On sorte sans sa mère.

MELCOUR.

Ou sa taute.

Mine OE JIELCOUR.

Fort bien ! Elle est avec sa tante.

MELCOUR, cCun air de boute.

Allons, ne dites rien;

Pour une demi-heure au plus je l'ai cédée.

Madame de N'ozan , qui me l'a demandée,

A vous dire le vrai, vient d'en avoir pitié.

Mme DE MELCOUR.

Pitié !

MELCOUK.

La pjuvre enfant a\ oit l'air ennuyé. Aussi ne voir le jour de f)lur. d'une semaine , C'est... changer de couvent.

S8 LA MERE JALOUSE.

Mme DE !\IELCOUR.

Quoi donc! j'ai la migraine, Je me sens un peu mieux, et je fais avertir Mademoiselle : mais elle vient de sortir! l'aura-t-on menée? Ah! quelle extravaj^ance ! Une enfant... qui n'est rien, n'a point de contenance, Vous le savez vous-même; un air timide, neuf, Un ton ! pour dire un mot elle en épelle neuf. Et sa tante ! Julie est bien avec sa tante. J'aime... ma belle-sœur, elle a l'anie excellente; Pour la tête ! pensant après avoir parlé , Ne dissimulant rien , mais rien , cerveau brûlé. Je les vois toutes deux : l'une, aisée à confondre, A trente questions ne saura que répondre; Et l'autre pour l'aider, haussant vite la voix , Glapira brusquement vingt choses à-la-fois. Félicitez-vous bien !

MELCOUR.

Soyez sûre...

Mine DE MELCOUR. .

Oui, très sûre Qu'elles vont revenir avec quelque aventure, Quelque bon ridicule.

M E L c o u p. . Un peu moins de frayeur. Votre fille est aimable, et votre belle-sœur...

Mme DE MELCOIIR.

L'est fort peu.

MELCOUR.

lionne et gaie, et plait par-tout.

ACTE 1, SCENE IV. 5g

Mlle DE M ELCOUR.

Peut-être

l);ins ses sociétés. Enfin , peut-elle être Celte tante si bonne?

M ELCOUR.

Où?

Mille DE MELCOUR.

Piiis-je le savoir?

MELCOUR.

.\[ais s;ins doute... à choisir des bouquets pour ce soir, l'orcelaines, bijoux: on pense à votre fête.

Mille DE MELCOUR.

.Mon dieu, ma chère sœur, vous êtes trop honnête.

MELCOUR.

Kli bien ! laissons la tante, et parlons sans humeur D'un mari pour la nièce.

Mlle DE MELCOUR.

A propos de ma sœur , Xc convenez-vous pas qu'elle est d'une folie? I lie passe son temps à me gâter Julie.

i>r E L G 0 U R , avec impa tiencc. Madame, voulei-vous qu'on ne la gâte point? Mariez-la bien vite.

Mine DE MELCOUR.

Eh ! d'accord sur ce poiut. Elle m'y fait penser. La voit-elle inquiète, Cn peu triste, « Aurois-tu quelque peine secrète, « Quelque chagrin? Dis moi : peut-être souffres-tu? •• Le visage un peu p.'ile; ah dieux! tout est perdu. A table, oii poliment près de mademoiselle

6o LA MÈRE JALOUSE.

Elle ne sert, ne voit, et ne regarde qu'elle :

" Mais tu ne manjjes point ! » Ailleurs : " Tu ne dis rien

Et la très chère sœur, qui parle bien , très bien,

Jour et nuit, ne voit pas qu'il faut savoir se taire,

Qu'une entant qui se tait n'a rien de mieux à faire.

Quel engouement d'ailleurs ! quelle ivresse ! et pourquoi

Hier , je fais venir des étoffes pour moi ;

La voilà qui déroule et parcourt chaque pièce :

« Ma sœur, ces quatre ou cinq iroient bien à ma nièce.

Souvent dans un accès, d'un air mystérieux,

Elle prend par la main une personne ou deux,

Et les mène en silence et tout droit devant elle :

« Eh mais! admirez donc, voyez comme elle est belle!

On regarde , ou sourit : excellente leçon !

MELCOUR.

Sa tante a quelque tort , elle a quelque raison. Votre fille est si bien !

Mille DE MELCOUR.

Est-on mal à son âge?

MELCOUR.

Quoi! les plus jolis traits, le plus joli visage! D'abord, vous m'avouerez qu'elle est d'une fraîcheur!

mille DE MELCOUR.

Oui, fraîcheur de seize aus.

MELCOUR.

Le teint, d'une blaucheur!

Mine DE MKLCOUR.

Un peu fade; son front...

MELCOUR.

Va bien à sa figure ;

ACTE I, SCENE IV. 6i

Et quant aux yeux, ce sont les vôtres, je vous jure. Oui; tirez-vous de là.

Mme DE MEI.COUR.

Je conviens que les yeux (Je n'y mets point d'humeur) sont ce qu'elle a de mieux. En revanche peut-être...

M E r. c G u R .

Et puis , osez le dire , Un son de voix charmant , et le plus fin sourire.

Mine DE MELCOUR.

Mais, elle sourit doue? Je ne m'en doutois pas.

MELCOUR.

Eh ! c'est que devant vous elle a de l'embarras : Elle ne sait comment s'y prendre pour vous plaire; Pourquoi l'effaroucher?

Mme DE ME LCOUR.

ici le a peur de sa mère? Point du tout; cet air gauche est l'effet des couvents.

MELCOUR, avec vivacité. Et vous vouliez encor l'y laisser pour deux ans !

Mine D E MELCOUR, du même ton. Et j'avois des raisons que j'ose trouver bonnes. Faut-il qu l'Ile ressemble à ces jeunes personnes Qu'on affiche trop tôt, qu'on a le mauvais goût De montrer, d'étaler, de promener j)ar-tout? Aux jardins, aux soupers, aux bals, en grande loge. Leur beauté vous poursuit et court après l'éloge. Veut-on les établir, les regards sont usés. Par des attraits plus neufs les leurs sont éclipsés; Elles brillent encore, et n'ont plus rien qui tente,

6

62 LA MEKE JALOUSK.

Et l'on croit, à vingt ans, qu'elles en ont quarante.

M El, COUR.

Madame, finissons; je vois mieux tout ceci. Vous aimez cette enfant, sa tante l'aime aussi : Vous donnez toutes deux dans un excès contraire. L'une trop induljjente, et l'autre trop sévère ; Elle lui passe tout, vous ne lui passez rien. Çà, reparlons du gendre, il en est temps.

M"ie DE MELCOUR.

Eh bien?

SCÈNE V.

M. DE MELCOUlî, MADAME DE MELCOUR;

JULIE, MADAME DE NOZAN.

Mme DE noz A S . dans le fond du théâtre. Ah ciel ! je n'en puis plus, je meurs, je suis brisée.

MELCOUR.

Quoi donc?

M""^ DE NOZAN.

Anéantie.

( Elle se jette dans un fauteuil. )

JUI.I E.

Et moi {juère amusée. Comment avons-nous fait pour nous tirer de là?

M>ne DE NOZAN.

c'est, je crois, un miracle : à la fin nous voilà.

J U I, I E.

Nous y serions encor sans monsieur de Tervilie.

ACTE I, SCÈNE V. 63

Ah ! comme il s'empressoit ! et pour nous être utile.

Mme DE N G Z A N .

Il s'est fort près de nous heureusement trouvé.

Mine DE MËLCOUR, s' approchant de Julie. De quoi s'agit-il donc?

MELCOUR.

Qu'est-il donc arrivé? MDie DE M ELCO UR, aZarmee, et prenant la main de sa fille. Je vous l'ai déjà dit, monsieur; quelque folie.

Aime DE Noz AN , 5e /euoiif. Quelque folie ! Un jour... le plus beau de ma vie! L'n triom{)he! Mon cœur, allons, repose-toi; Tu dois être excédée et plus lasse que moi.

[Elle fait asseoir Julie.)

JULIE.

Je le suis, il est vrai. Mon dieu! quelle assemblée! Quel tumulte!

Mme DE y oz\y , caressant sa nièce.

Elle en est encor toute troublée. M E I, c o u R . Mais éciaircissez-nous.

Mme DE MELCOUR.

Mais vous m'alarmez fort.

M"'e DE NOZAN.

Figurez-vous, ma sœur, que nous entrons d'abord Dans cette gr.inde allée.

Mme DE MEI.COl'R.

doue?

64 LA MÈRE JALOUSE.

Mine DE NOZAN.

Aux Tuileries; Uu monde affreux.

Mine DE MELCOUR, pâlissant.

Toujours quelques étourderies.

Mine DE NOZAIV.

J'ai peine à respirer : tout Puris étoit là, Tout Paris en extase ! Il falloit voir cela. Si vous saviez combien je \ous ai désirée ! Ah ! que vous auriez vu votre fille admirée! D'abord un, et puis deux, et puis vingt, et puis cent, Puis deux mille : c étoit un tableau ravissant. Je ne l'emliellis point, et je ne sais pas feindre; Pour vous dédommager, tâchez de vous le peindre. Ils accouroient en foule, et pressés, coudoyés, Se serroient, se heurtoient, s'élevoient sur leurs pieds; Les uns causeurs bruyants; les autres plus honnêtes Regardoient en silence, et par-dessus les têtes.

Mine DE M E L c O U R .

Madame assurément a lieu de triompher... Vous exposiez ma fille à se faire étouffer.

Mine DE NOZAN.

Étouffer est fort bon! étouffer! Je vous aime.

G'etoit le plus beau cercle ! ils se rangeoient d'eux-mêmi

Et quand nous avancions, le cercle reculoit.

MELCOUR.

L'aventure est charmante, et le récit m'en ]ilaît.

JULIE, se levant. Oh! moi, je n'étois pas tout-à-fait si contente. Pour la première fois je sors avec ma tante.

ACTE 1, SCÈNE V. 65

Et je >ois tout ce inonde... Ah! qu'il m'iutimidoit ! Je ne savois d'abord pourquoi l'on regardoit; Je regardois aussi: je me suis aperçue Que c'ëtoit moi ; jugez comme j'étois émue. Et même j'ai pensé qu'ils se... moquoient de moi. Que mon air, ma parure, ou bien je ne sais quoi, Étoient peut-être mal : je l'ai dit à ma tante ; Elle s'est mise à rire. Enfin toute tremblante , Pour me débarrasser de ces gens curieux. Je me détourne : bon! par-tout, par-tout des yeux; Et des miens, à la fiu, je ne savois que faire.

MELC0DR,à madame de Nozan. Vous étiez moins timide?

Mme DE NOZA.\.

Intrépide, beau-père.

MELCOUR.

D'honneur! Vous faisiez face à tout ce monde-là?

Mine DE NOZ AX.

J'étuis au ciel.

jvinie DE MELCOUH, à part. La folle! Mine DE .N O Z A N , e»l riant.

Et pourtant, tout cela N'étoit pas pour mon compte; et vous devez comprendre Que même un seul instant je n'ai pu m'y méprendre.

MHie DE MELCOUR, à part.

Je le crois.

Mme DE NOZAN.

Mais c'étoient des regards, des souris, t)cs..

6.

66 LA MERE JALOUSE,

Mine DE Melcour. Et ma fille est donc la fable de Paris?

Mme DE NOZAN.

La fable! En vérité vous êtes fort à plaindre.

{Elle se place entre M. et madame de Melcour, les prend par la main et leur parle bas , en imitant les voix de plusieurs personnes qui interrogent et c/ui répondent.)

Ondisoit: « Elle est bien. Mais elle est faite à peindre,

« Quelle taille! Et ces yeux! Elle sort du couvent;

« Nous ne l'avions pas vue. On ne voit pas souvent

« De ces figures-là. Quel air doux et modeste !

« Sa rougeur l'embellit. Elle sera céleste.

« Elle l'est. Ce doit être un bon parti. Très bon.

>• Seize ans? Au plus. » Et puis on demandoit son nom,

Etquelqu'un vous nommoit. «Cette dame? Est sa tante,

« Qui lui laissera bien dix mille écus de rente. "

Baise-moi, mou enfant, tu les auras.

( Elle la baise sur Irs deux joues.) Mine DE MELCOUR, à Julie. Rentrez,

Et ne sortez jamais sans mon ordre,

{Julie l'entre.)

ACTE I, SCÈNK VI. 67

SCÈNE VI.

M. deMELCOUR, madame de MELCOUR,

MADAME DE NOZAN.

Miue DE NOZAN, à Melcoiir.

Admirez De quel ton...

MELCOUR.

Il est dur.

Mme DE MELCOUR.

Moi je le trouve sage. Et je l'ai pris trop tard Pensez-vous quel ravage Peuvent faire en un jour tous ces joli.s propos, Ces douceurs , ces fadeurs , cette extase des sots, Toute cette folie enfin... qu'on exagère? Beau succès! beau début! Madame, soyez fière. Il ne tient pas à vous qu'en ce même moment Ma fdie n'ait sa part de cet enivrement; Que son petit orgueil et sa petite tête N'aient cru de tout Paris avoir fait la conquête. A seize ans !

Mil»; DE NOZAN.

Pourquoi non? Le compte est merveilleux. Faut-il pour être belle en avoir trente-deux?

MELCOUR, (ipercevoni Tcrvillc. Paix.

68 LA MERE JALOUSE.

SCÈNE VII.

M. CE MELCOUR, madame de MELCOUR, M. DE TERVILLE, madame de NOZAN.

TERVILLE.

Mesdames, pardon ; j'ai gagné ma voiture Un peu tard: mille gens, témoins de l'aventure, Sont venus me rejoindre; et pour m'interroger, On me faisoit aussi l'honneur de m'assiéger : Sans leur répondre à tous je n'ai pu m'en défaire. Je nommois lour-à-tour et la fille et la mère. Je croyois partager un triomphe si doux, Madame. Votre fille enchante!... comme vous, Et vous sa\iez déjà sans doute la nouvelle. On s'est hâté, je penge?...

Mille de MELCOUR, 5èc/ie?n(;;i<. Oui. TERVILLE, cherchant des yeux Julie.

Miiis mademoiselle?

M'tie DE MELCOUR.

Je vous sais gré, monsieur, de vos soins obligeants; Laissons cela , de grâce.

MELCOUR, à part.

Il est de sottes (;ens ! Mon maudit peintre !

( Un laquais jiaroU dans le fond. )

Entin le voici; je m'étonne;

ACTE I, SCENE VII. 69

Mme DE MELCOUR,au laquais. Ah ! ue seroit-ce point ce monsieur de Bayonne? M E L c 0 u R . ( à part.) Non. Il vient à propos pour ma femme et pour nous.

SCÈNE VllI.

M. DE MELCOUR, MADAME DE MELCOUR,

M. deTEUVILLE, madame de NO Z AN, JULIE, M. DE VILMON; un PEINTR E, pre'cecfc' de deux LAQUAIS qui portent un tableau.

viLMOX, prenant Julie par la main. Venez, mademoiselle; on a besoin de vous. Mille de MELCOUR, fifi peintre. Qu'est-ce?

MELCOUR, avec joie, montrant le tableau placé au milieu de la scène. part.) Votre bouquet. Observons. Miiie de n g z a n , étonnée.

Ciel! Julie'. Et sa mère près d'elle.

Mme DE MELCOUR, à part. Encore une folie ! T K R V I L I. E, regardant Julie et le tableau, bas à f^iluion. Quels traits! elle est parlante.

Mlle DE .\ o z A !S , " Julie.

O 11 ! si je ne craignois

70 LA MEHE JALOUSE.

De gâter la peinture, oui, je le baiserois.

{Elle approche pour baiser le portrait, le peintre l'arrête. ) Mme DE M El. COVR, à part. Quelle tête!

jiiiie DE NOZAJ^ , au peintre. Alonsieur, j'en veux une copie.

Mine DE MELCOUR.

Madame, celte idée est de vous, je parie.

^ime DE NOZAN.

Ah! je le votidrois bien; je n'ai pas ce bonheur.

(Madame de Melcour se relnurnc vers son mari.)

MELCOUR.

Ni moi; c'est à Vilmon qu'il faut en faire hoimeur. VIL MON, à madame de Melcour , d'un air de bonhomie. Mais je la crois heureuse.

M^ie DE MELCOUR, avec une colère retenue. Heureuse ! J'ose dire... Oui, monsieur, qu'elle est folle !... Eh mais ! c'est un délire.

VILMON, à pari. Fort bien ! j'ai deviné.

[Pendant celte scène, l'ilmon observe M. de Melcour, qui écouteet regarde sa femme dun airinquiet. Ma- dame de Nozan contemple sa nièce , la rapproche du tableau, la compare à son portrait, parle bas au peintre , etc.)

M ELCOU K.

Mais voyez...

ACTE 1, SCENE VIII. 71

Mine DE MELCOUR.

Mais je vois Qu'il a Fallu d'abord négliger pour un mois Les maîtres de dessin, de musique, et de danse.

JULIE.

Je vousjure...

Mme DE .MELCOUR, l'interrompant. Il étoit d'une grande importance Que pour ce beau portrait tout fût abandonné! Car, un premier portrait, sa tête en a tourné. Comment ne pas sentir?

Mme DE TU oz K'S , la prenant par la main.

Grondeuse que vous êtes. Regardez donc; mais c'est à renverser les tètes.

Mme DE MELCOUR.

Oui, la sienne. Madame, il faut vous parler franc. Vous avez la fureur de gâter cette enfant. Deux scènes en ua jour! L'une folle, bruyante; L'autre, pardon, madame, un peu moins indécente , Et non moins dangereuse. Exacte à s'admirer, Dans ce tableau sans cesse il faudra se mirer, .Se sourire, en secrt-t s'applaudir d'être belle, Et lutter d'agréments pour vaincre ce modèle.

v I L M o N , souriant malignement. Madame, craignez-vous?..

Mme D E MELCOUB.

Monsieur, vous ni'étonnez. .\vpc votre bon sens, vous aussi , vous donnez Dans un pareil travers; vous l'imaginez même,

72 LA MERE JALOUSE.

Et dissimulez mal votre plaisir extrême ; Et modestement fier, venez encore ici M'étaler ce chef-d'œuvre.

TERVILLE, avec transport.

Eh ! c'en est un aussi. ( Sur un coup ctœil de Vilmon il se reprend.) ( bas, à Julie. ) Votre portrait...^ le vôtre.

MDie DE MELCOUR.

oh! vous êtes aimable, Et vous ne dites rien que de très agréable; Votre ton est poli; votre propos flatteur.., TERVILLE, bas, regardant .fulie. Mais je ne flatte point...

( Vilmon l'arrête par un nouveau signe.) M™E DE MELCOUR, à Terville.

Je sais , je sais par cœur Que tout portrait de femme est divin à votre âge : Bien ou mal , laide ou non, on a votre suffrage. Si le portrait ressemble, il est délicieux; S'il ne ressemble pas, l'original est mieux. Cela s'est dit par-tout; à quoi bon le redire?

LE PEINTRE.

oh! je ne prétends pas, madame, qu'on admire; Meus, jiour la ressemblance...

MiiiL- DE TAEi^covT.. , l'interrompant.

Il ressemble; charmant, Sublime! Permettez un conseil seulement : Ne nous peignez jamais de femme sur copie; Et pour peindre une enfant, attendez, je vous prie.

ACTE I, SCÈNE VllI. jS

( à un laquais. ) L agrément de sa mère. Allons, ôtez cela. ( On emporte le tableau. ) Mine DE NOZAN, à M. rfe Melcour. Mais concevez-vous rien à cet orage-là? -Mais à quel âge donc veut-elle que ma nièce?... Mais dites-moi,masœur,qu'avez-vousdanc^quoi! qu'est-ce? Faut-il pour son portrait attendre soixante ans, Ou'au lieu de cheveux blonds elle ait des cheveux blancs , •Ju'au lieu de ces couleurs fraîches et naturelles, Et de ces beaux sourcils et de ces dents si belles, iJe ce charmant visage enfin que je lui voi. Elle soit bien ridée et laide... comme moi? Eh fi! cela seroit peut-être pittoresque. Mais, croye/.-moi, fort triste.

Miue DE MEI.COUR, à parf.

Oh ! je le croirois presque. MELCOUR, d'un ton honnête, au peintre. Vous avez fait, monsieur, un excellent tableau.

Mine DE NOZAN.

Excellent

LE PEINTRE, à M. de Melcour.

Je ne suis ni La Tour ui Vanlo, Mais je crois ceci bon: souffrez que j'en dispose, Et qu'au premier salon , madame, je l'expose.

Mme DE MELCOUR.

Mais tout le monde ici perd la tête, je croi. Au premier salon?

V I I. M o N .

Oui.

J

74 LA MERE JALOUSE.

MDic DE MELCOUR, très vite.

Monsieur, ma fille et moi Nous n'irons pas grossir cette foule... imbécile De portraits, qui, placés, pressés, rangés en file. De leurs cadres dorés sortent de toutes parts. Et dès l'escalier méine assiègent nos regards. Eh ! messieurs, voulez-vous une solide gloire? Donnez dans vos salons de grands tableaux d'histoire, ■Non des têtes de femme et de marmots d'enfants.

LE PEINTRE, souriautduii air malin. Les hommes sont, madame, un peu plus indulgents.

Mme DE NOZAN.

On vous distinguera, j'y mènerai Julie... Mtne DE MELCOUR, « /jart. Non.

Mme DE NOZAN.

Vous serez vengé.

MELCOUR, au peintre.

Moi, je vous remercie. Et dans mon cabinet vais vous dire deux mots; Daignez, me suivre.

( M. de Melcour sort avec te peintre.]

M'"^ de NOZAN.

Et moi, j'ai besoin de repos, ( regardant Julie. ) ( « part.)

Grand besoin ; elle aussi; viens. Le sang me pétille.

( Las, à madame de Melcour.) Je crains de vous manquer aux yeux de votre fille. ( Elle emmène sa nièce.)

ACTE I, SCÈNE Vlll. 76

rERviLI.E,à part, en regardant Julie et sa mère. Ah dieux!

( filinon accompar/ne madame de Nozan , et Terville Julie. )

Mme DE MELCOUR.

Mademoiselle, arrêtez; un moment. [Terville sort , Julie revient vers sa mère.)

SCÈNE IX.

MADAME DE M E L C O U R , JULIE.

Mme DE MELCOUR, après avoir retjardé sa fille quelffue temps en silence. Je ne vous ai pas fait quitter votre couvent l'our aller prendre l'air lorsque j'ai la migraine. Dans (les jardins publics donner vite une scène, l'erdre à votre toilette un demi-jour .lu moins... Éparpiller le temps en mille petits soins. Comme vous voilà mise! et ce bel étalage, <:et immense panier!... coiffée à triple étage! Il faut, mademoiselle, il faut vous préparer A ne sortir, rester, vous coiffer, vous parer. Vous faire peindre, rien enfin, que je n'ordonne; Mi)i seule, entendez-vous? je n'excepte personne. Retournez, s'il vous plaît, à votre clavecin...

(Julie fait deux /tas.) Que vous négligez fort ainsi que le dessin. Et n'allez pas penser que cela vous ressemble : c'est que tout est flatté, les détails et l'ensemble ,

■jC, LA MÈRi: JALOUSE.

Tout.

1 V LIE , ù part, et pleurant prescjue. 'l'erville du moius n'entend pas.

Mme DE MELCOUR.

Ce regard ! La, cet air ! puis-je donc \ous mener quelque part? [Julie a le cœur gros , et est prête à pleurer ; sa mère at- tendrie lui prend la main, et dit d'un ion plus doux.) ISlon enfant, on vous perd par ce jargon d'usage Dont on berce par-tout les fdles de votre âge; Et... Baisez-moi.

(apercevant son mari.) Kentrez. (Julie sort ; M. de Melcour remarque son air abattu, et s'arrête un instant.)

SCÈNE X.

MADAME DE M E L C O U U , M. DE MELCOUR.

M E L c o u r, .

Je puis eulin parler, >:ouS voilà seuls: j'ai cru devoir dissimuler; Tour ne pas éclater, j'ai gardé le silence.

M'ue DE MELCOUR.

Je me suis fait, monsieur, la même violence Pour ne pas éclater; entre nous, ce portrait IN'a pas le sens commun , je le dis à regret.

MELCOUR, dun ton sec. Madame, j'a vois cru vous plaire et vous surprendre;

ACTE I, SCENE X. 77

N'en parlons plus. Enfin vous plairoit-il d'entendre La liste des partis?...

Mine DE M F. I. c o u n .

La liste!

MELCODH.

Ils sont nombreux.

Mine OE MELCOUR.

oh ! j'ai dans ce moment un mal de tête affreux. Mais n'importe, voyons, puisqu'il me faut un gendre.

MELCOUR.

Le bruit de sa beauté commence à se répandre...

Mille DE MELCOUR.

vite, voyons.

MELCOU R.

D'abord, monsieur de Bourlevois Uiclie, homme de finance, et...

Mine DEM RLCOU R.

l'our ce premier choix , Vous m'en dispenserez. On le dit très aimable. Mais tous ces messieurs-là sont d'un luxe effroyniile; On en cause, on en rit, on en est fatigué.

MELCOUR.

Autrefois.

Mine DE MELCOUR.

Aujourdhui. rolleinent jirodigue, Tout mon bien s'en iroit en paies, en avenues. En châteaux, en boudoirs, en. . S(itti.s;>s connues.

MELCOU H.

Celui que je propose est Jiiodeste el r.iiit;»'.

7-

78 LA MÈRE JALOUSE.

M"ie DE MELCOUR.

'l'aiit mieux pour lui; passons.

MELCOUR.

Monsieur de Norangé, Jeutie et brave officier, qui dans plusieurs affaires...

Mille DE .MELCOUR.

oh ! je respecte fort messieurs vos militaires, Mais if s'agit d'un gendre, et j'ai su quelquefois Qu'avec de tels maris on est veuve six mois. Ln héros... ue vit guère; ou s'il revoit sa femme, Monsieur arrive un jour au lever de madame, Heureux de rapporter, pour prix de ses exploits , Avec un oeil d'émail une jambe de bois.

MELCOUR.

Mais quel déchaînement !

Mlle DE :melcour.

Mais non , rien de plus sage.

MELCOUK.

Que la beauté du moiijs soit le prix du courage; Et ne condamnez point , madame, au célibat Lps appuis généreux du trône et de l'état.

Mine DE MELCOUR.

Ail ! j'ai tremblé pour vous la moitié de ma vie; Que je ne passe point l'autre, je vous supplie, A trembler pour un gendre.

MELCOUR, dun air d humeur très marqué.

Eu bien ! ne tremblez pas. Mais vous déchirerez ainsi tous les états. Il n'en est pas un seul , si l'on veut en médire. Qui, par quelque coté, ne prèle à la satire.

ACTE I, SCENE X. 79

M«ne DE MELCOUR.

Après?

MELCOCR.

Que direz-vous du comte de Gercour, Homme de qualité, couau bieu à la cour?

MHie DE MELCOUR.

Qu'il nous convient , j'e pense , un peu moins que les autres. Ma fille! un grand seigneur! Quels projets sont les vôtres^ Je lui veux un mari qui sache au moins l'aimer, L'aimer quoique sa femme, et vous m'allez nommer Un homme de la cour !

MELCOUR, étonné de ces refus cotitinuels , la regarde

un instant.

Enfin...

Mme DE MELCOUR.

Mais cette liste Ne finit point.

MELCOUR.

Un homme encor jeune, un peu triste...

Mnie DE MELCOUR.

Le président? .Sortir pour aller au Palais, Rentrer, diner en poste, et ne souper jamais? Un président qui soupe est un être qu'on cite.

MELCOUR.

Quoi ! pour ne pas souper!...

Mme DE MELCOUR.

D'ailleurs gens de mérite; Mais tant soit peu de morgue, épineux quelquefois. Et tellement au fait du dédale des lois, Des tours et dos délo'irs, qu'ils plaident père, mère,

8o LA MÈRE JALOUSE.

Enfants, petits-enfants : si ma Klle m'est chère, Les procès me font peur.

M E L c o u R , s'etnportant.

Quel tliable de travers ! Votre esprit est grippé contre tout l'univers. Le financier n'a pas le bonheur de vous plaire ; Vous reculez de peur au nom du militaire; L'homme de cour, titré, n'en a pas plus d'accès; A tous les présidents vous faites le procès : U ne nous reste plus, madame, que l'église.

Mme DE MELCOUR.

Vous vous trompez. Faut-il qu'enfin je vous le dise. Monsieur? j'ai pour ma fille un excellent parti...

MELCOUR, étonné. Vous?

Mme DE MELCOUR. Moi : naissance . biens, mœurs, tout est assorti. MELCOUR, dun air de joie. Terxille, sûrement?

Mine DE M K 1. C O JJ R, souriant.

Point. L'homme à qui je pense N'ira p.js dissiper un héritage immense , Recevoir en héros une balle à vingt ans. Daignera même aimer sa femme, ses enfants; Iles querelles d' autrui ne se mêlera guères, Et donnera son temps à ses propres affaires.

MELCOUR.

Vous le nommez?

Mille un MELCOUR.

C'est le gendre qu'il me faut

ACTt I, SCENE X. 81

M E L C O rj R .

Vous le nommez?

Mille DE MELCOUB.

Reutrons; vous le verrez tantôt. J'ai l'état de ses biens , je vais vous en instruire , Vous montrer ses papiers; mais... souffrez qu'on respire; Ma tête , et tout ceci!

M E L c o u n . Sans doute il m'est connu?

Mltie DE MELCOUR.

Un peu; venez.

[Elle porte une main sur sa tête, et appuie l'autre sur

le bras de M. de Met cour. ) MELCOUR, à part.

Vilmon , hélas , a trop bien vu.

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE SECOND.

SCÈNE I.

JULIE, M. DE VILMON, M. de TERVlLLli.

JULIE, à elle-même. Ciel!

TER VILLE, à lui-même. J'en devieudrai fou.

VILMON, à liii-inêmc.

Se peut-il? TERVILLE, à Vilmon.

Une mère! Enfin vous entendez.

JULIE, à Vilmon. Vous voyez,

TERVILLE.

Comment faire?

JULIE.

Aidez-nous.

TERVI LLE.

Par pitié.

JULIE.

Monsieur, vous le pouvez.

LA MERE JALOUSE. 83

TERVILL E.

Je VOUS dirai bien plus, c'est que vous le devez. Sans vous je n'aurois point connu mademoiselle. Vous m'avez, malgré moi, ([ne je vous le rappelle. Conduit à ce couvent ; et vous deviez prévoir, ^Monsieur, qu'impunément je ne pourrois la voir.

vrLMON, à lui-même. Un homme de province !

JULIE.

Oui, ma mère est entrée Avec un grand monsieur qui m'a désespérée. .) étois au clavecin...

TER VILLE.

Bien de figure ?

JULIE.

Hélas! Je n'en sais rien encor , mais... je ne le crois pas. Mais je sais qu'il m'épouse.

TER VILLE.

Ah dieux! Mademoiselle, Vous n'y consentez point. Jurez d'être fidèle. Et de le bien haïr, et de n'aimer que moi. Ave/.-vous du courage?

J ULIE, d'un air timide. Oh ! oui.

V 1 L M O .N .

Beaucoup, je croi. Jugez de son courage à cette voix tremblante.

T E n v I L L E , impétueusement. Si j'allois me jeter aux genoux de sa tante?

84 LA MERE JALOUSE.

JULIE.

Oui.

VILMON.

Non. Elle u'est pas fort éprise de vous; Car elle a remarqué , j'en ris même entre nous , Que vous lui vantez peu cette nièce si chère. Et que vous proiiijjuez les fadeurs à la mère. Oh! c'est un double tort.

T F. R V I L I, E.

Grâces à vos avis. Depuis deux mortels mois je les ai trop suivis. Courtisan assidu... d'une mère cruelle, Je souffre, me contrains, je m'enchaîne auprès d'elle, Lui dis qu'elle est charmante ; et, d'après ce beau plan, J'ai su m'indisposer madame de Nozan. Je brûle , et je me tais ; le beau-père l'ignore : Présentement, monsieur, faut-il attendre encore, Pour demander sa main , qu'un autre ait épousé ? Me le conseillez-vous?

VILMON, après avoir hésité en apparence. Non : rien de plus aisé Que d'avoir leur aveu; c'est celui de la mère Que...

TER VIL LE.

J'y cours.

VILMON.

Attendez. Cet homme peut déplaire: Peut-être il fera mieux vos affaires que vous. Eh! laissez-lui le temps de travailler pour nous. D'ailleurs je la verrai.

ACTE M, SCÈNE l.

85

JULIE.

Parlez avec courage.

TERVILLE.

Dites-lui tout cruement que sou beau mariage N'a pas le sens commun.

JULIE.

Oui ; qu'il me déplaît fort.

TERVILLE.

Qu'il ne se fera pas.

JULIE.

Que j'aime mieux la mort.

TERVILLE.

Que je peux lui tuer son gendre dans une heure.

JULIE.

Que je préfèrerois un couvent pour demeure,

TERVILLE.

Qu'elle va, par ce trait, révolter tout Paris.

JULIE.

Que ma tante à coup surjettera les hauts cris.

TERVILLE.

Que...

JULIE.

Que...

VILMOX.

Mon Uieu ! je sais tout ce qu'il faut lui dire; Part».

TERVILLE.

' Vous promettez d'oser la contredire?

VI L MON.

Soit.

8

86 LA MÈRE JALOUSE.

T E K V I L L E.

Si ce fol hymen s'achève, les parents Doivent perdre le droit d'établir leurs enfants.

JULIE.

Sans doute.

TEK VILLE, s'enf ayant. Elle vient.

TU L I E , s'enfuyant. Ciel! [Ils sortent par deux côtés opposés : Vilmon rit de leur fuite. )

SCÈNE II.

M. DE VILMON.

Mais elle est surprenante. L'établir à l'insu de Meicour , de sa tante ! Ah! j'entends : nous voulons l'éconduire au plus tôt. Nous voulons devenir grand'mère incognito. Eh quoi?Jersac!

SCÈNE III.

MADAME DE MELCOUR , JERSAC , M. de VILMON.

M'iie DE MELCOUR, à Vilmon.

Monsieur, vous venez de me rendre Un service important, et je vous dois mon gendre.

ACTE II, SCÈNE III. 87

VIL M ON, à Jersac. Quoi ! c'est vous ; c'est monsieur qui...

JERSAC, très content et affectueux.

Moi-même, oui vraiment; Félicitez-moi donc. Mais quel étonnement ! J'ai voulu de ceci vous faire confidence Un peu plus tôt ; madame exigeoit le silence. Je m'empresse du moins à vous remercier. C'est à vous que je dois, je veux le publier. Le bonheur de connoitre et madame et sa fille; Et bientôt, grâce à vous, je suis de la famille.

VI LIMON, à part. Bientôt ! Et grâce à moi !

JERSAC.

Monsieur connoît mou bien.

Mme DE MELCOU R.

Monsieur m'a fort vanté sa terre de Vangien.

JERSAC.

Bon ! je l'y fis un jour souper avec des femmes ; Même il y fut charmant, très goûté de nos dames.

IVjHie DE MELCOU R.

Comme ici.

JERSAC

Plus, ma charge, un assez bon effet; Entre les mains d'un homme, on sait bien ce que c'est. Ma maison de campagne aussi, vous l'avez vue?

viLMON , distrait. Je le crois.

J EUS AC.

Je le crois! Elle vous est connue.

8S LA MERE JALOUSE.

viLMON, à -part. Oli ! dans quel maudit piège elle a su ra'engager !

JERSAC.

De belles eaux, un parc, un vaste potager,

madame de Melcour.) Cinq cents arpents de bois mis en coupe n'glée.

y limon. ) Plus, ma terre d'Olbec.

VILMON.

D'Olbec?

JERSAC.

Très bien peuplée , Gros bourg, excellent vin : vous eu boirez. VILMON, toujours distrait.

Fort bon. JERSAC, à madame de Melcour. C'est un fief, et ma femme en portera le nom. Je ne vous parle point d'une petite terre Que je compte arrondir, mais je ne vais guère. En attendant j'afferme. Et puis, pour dernier lot. Deux parents dont j'hérite... et qui mourront bientôt.

VI LMON.

Vous avez leur parole?

JERSAC.

Oui, car ne vous déplaise. L'un a quatre-vingts ans, l'autre soixante et seize.

madame de Melcour.) La tante? sur son bien on peut compter?

Mine DE MELCOUR.

D'accord.

ACTE II, SCENE III. 89

JERSAC.

Elle ii'est plus... très jeune.

VILMON.

Elle est très verte encor. part.) Je veux qu'aujourd'hui même elle nous eu délivre.

Jersac.) Il faut malgré son bien lui permettre de vivre.

JERSAC, riant. Il est vrai qu'aux parents on doit quelques égards. J'ai vu deux fois la nièce. Ah! les plus beaux regards!.

VILMON, à part. Bon!

JERSAC.

Une taille !

VILMON, malignement. Un teint !

JERSAC.

Les roses du bel âge.

Mme DE MELCOUR.

Les roses! La beauté n'est qu'un frêle avantage.

JERSAC.

La sienne durera.

VILMON.

Croyez-vous?

JERSAC.

Je prétends Vous la ramener belle encore à quarante ans.

VILMON.

Elle va faire ua bruit !

90 LA MKRE JALOUSK.

JERSAC.

Nos dames de Bayonne Vont me haïr un peu, mais je le leur pardonne. J'ai pourtant cru lui voir un petit air d'humeur.

Mme DE MELCOUn.

Les filles qu'on marie ont assez l'air boudeur.

JERSAC, dun air de confidence. Nous espérons dans peu vous appeler grand'mère. De ses petits-enfants on est , je crois , bien hère !

VILMON.

Plus que des siens, dit-on.

JERSAC.

On vous en enverra, Et vous les gâterez autant qu'il vous plaira.

M'iie DE MELCOUR.

Mon mari vous attend.

JERSAC, à Vilmon.

Quel bonheur nous rassemble ! Qui m'eût dit autrefois, quand nous fîmes ensemble Ce grand dîner sur mer, que quelque beau matin Je serois à Paris marié de sa main?

(// lui serre tendrement la main et s'en va.) VILMON, à part. Marié de ma main ! c'est moi qui le marie !

ACTE II, SCÈNE IV 91

SCÈNE IV.

MADAME DE MELCOUR, M. DE VILMON. VILMON.

Mais, est-ce tout de bon? Est-ce plaisanterie? J'entends déjà des cris sur cet enlèvement. Sa tante qui l'adore...

Mine DE MELCOUR.

Eh! c'est précisément Sa tante qui l'adore, et la gâte sans cesse. Que je dois sensément séparer de sa nièce. Sans doute, près de moi... j'ainierois mieux... l'avoir.

VILMON.

Choisissez dans Paris.-.

Mme DE .MELCODR.

Dans Paris! pour y voir Mille travers, des fats blasés dès leur jeunesse. Ne pouvant rien aimer, pas même une maîtresse; Des sottises de mode, un tas déjeunes fous, Très prodigues amants, très volages époux; Enfin, un luxe affreux, les plus folles dépenses; Des enfants renommés par cent extravagances, En proie aux usuriers, ruines dès vingt ans. Et calculant déjà les jours de leurs parents. Avouez : cet air-ci, pour une jeune femme...

VILMON.

Coiitafîieus?

92 LA MERE JALOUSE.

M^e DE MELCO UR.

Mortel.

VILMON.

En province , madame , On n'est pas plus farouche.

MlHe DE MELCOUR.

Un fat est moins couru; On y rougit du vice et non de la vertu; Nos puérilités n'y tournent pas les têtes; Au lieu de parler bals, soupers, proverbes, fêtes, On pense à ses devoirs, on vit chez soi content: Peut-être un agréable est moins important; En revanche on y voit des époux et des pères. Plus de bonheur, et moins de riens et de misères.

VILMON.

Mais...

Mme DE MELCOUR.

Je l'ai résolu.

VILMON.

Mais...

Mme DE MELCOUR.

Pardon , tous vos mais Ne m'ébraaleront pas.

VIL MON.

Madame , je me tais. Mme DE MELCOUR. nprès un silence. Sauriez-vous un parti?

VILMON.

Peut-être.

ACTE II, SCENE IV.

Mine DE MELCOUR.

Qui?

VILMON.

Terville. Vous riez? Moi , je crois qu'il seroit difficile De trouver mieux; bien né, jeune, riche.

jinie DE MELCOUR.

y3

Oui vraiment.

D'une figure...

Mme DE MELCOUR.

Aimable.

VILMON.

Et d'un esprit...

«me DE MELCO UR.

Charmant. Dites, si vous voulez, qu'il est peut-être unique. Empressé sans fadeur, gai sans être caustique, Le meilleur ton, par-tout également goûté, Et cependant point d'airs, nulle fatuité, Les grâces de son âge et la raison du vôtre.

VILMON, souriant. Eh bien ! convenez-en, ce gendre éclipse l'autre.

Mme DE .MELCOUR, souriant aussi. Il ne lésera point.

VILMO.N.

Il vous convient.

M""' DE MELCOUR.

'l'rès fort.

94 LA MÈRE JALOUSE.

VILMON.

Vous le voyez souvent.

Mme DE M ELCOUR.

Oui.

VILMON.

Tous les jours. MHie DE MELCOUR, avec une impatience cjaie.

D'accord.

VILMON.

Il peut aimer Julie.

Mme DE MELCOUR, piquée. Oh! point du tout.

VILMON.

Peut-être. Ses assiduités...

Mme DE MELCOUR.

Vous croyez le connoître; Il aime ailleurs; adieu. Vous qui savez tout voir, Vous auriez dû, monsieur, vous en apercevoir.

[en riant.) Cette difficulté, je crois, n'est pas légère.

VILMON, à part. Je crains d'avoir encor fait une belle affaire.

[haut.) Il aime ailleurs?

Mme DE MELCOUR.

Mais oui.

VILMON.

Vous, sans doute?

ACTE II, SCÈNE IV. gS

Mme DE MELCOUR, souriant.

Mais... non. V I L M o N . Vous !e croyez épris?

Mille DE MELCOUR.

Je ne crois rien, Vilmon. Je ne puis empêcher qu'une jeune cervelle Ne se dérange un peu; mais. .

VILMON.

Vous serez cruelle.

Mine DE MELCOUR.

Adieu.

VILMON, à part. Maudits conseils !

SCÈNE V.

MADAME DE MELCOUR, M. DE VILMON,

M. DE TERVILLE.

VILMON, apercevant Terville, à part. Justement le voici. Bon.

Mine DE MELCOUR, à part. Il me faut hâter ce mariage-ci. VILMON, en sortant, à l'oreille de Terville. Allez.

T E H V I L L E.

Oui; mais je crains...

9G LA MÈRE JALOUSE.

SCÈNE VI.

MADAME DE M E L C O U II , M. DE TEStVILLE.

[Madame de Melcour va pour sortir.)

TERVILLE, timide et embarrassé.

Daignerez- vous m'entendra, Madame?... Je veux... j'ose... oui, je dois vous apprendre Un secret... dans mon cœur trop long-temps retenu; .Si je diffère eiicor...

Mine DE MELCOUR, SOU Ha ni. Ce secret m'est connu.

TERVILLE.

Mes regards... mes discours ont pu vous en instruire. Mais au fond de mon cœur vous ne pouviez pas lire; Non, vous ne savez pas à quel point... il chérit... pourrois-je trouver tant de beauté, d'esprit, De grâces? Décidez du bonheur de ma vie; Mou sort dépend de vous.

Mme DE 51ELC0UR, gaiement.

De moi? Quelle folie!

( à part. ) Je ris pourtant de voir qu'à l'heure, qu'au moment j'établis ma tille, il me vieime un amant A mes pieds, malgré inoi, se déclarer en forme.

[haut. ) Terville, il ne faut pas qu'ici je vous endorme D'un vain espoir.

ACTE II, SCENE VI. 97

TER VILLE.

O ciel ! M"ie D E M E I, c o t' R , (Cun air noble et presque sérieux.

Finissons; à mon gré, Tout ce petit roman a déjà trop duré , Trop; et puis, ce beau feu, que je crois très sincère, A monsieur de Melcour ne peiit-il pas déplaire?

TERV ILL E.

Il l'ignore : d'ailleurs il partage vos goûts : Il est si complaisant, a tant d'égards pour vous ! Mme DE MELCOUR, avec un éclat de rire. Tant d'égards! tant d'égards! l'expression m'étonne. Vous appelez égards!... elle est neuve, très bonne.

TER VILLE.

^"otre gaieté, madame, est cruelle pour moi; Décidez, prononcez.

Mme DE MELCOUR.

Terville, je ne doi Ni ne puis vous entendre; il Faut que je vous laisse.

TERVILLE.

Je connois mon rival; je sais votre promesse

YX \os engagements; vous me sacrifiez:

Mais je veux , ou les rompre, ou mourir à vos pieds.

Mine DE MELCOUR.

Quoi ! des eng igements! un rival! Mais quel style ! Je ne vous entends plus; vous êtes fou, Terville.

TERVILLE.

Je le suis de douleur. .Si Julie, en ce jour. Si votre fille enfin est le prix de l'amour, J'ai droit de l'obtenir.

y

LA MÈRE JALOUSE.

Mine DE MELCODR, très étonnée. Ma fille !

TER VILLE.

Je l'adore. Faut-il vous le jurer, vous le redire encore? Je l'ai vue au couvent et l'aime pour jamais. A son premier regard je sentis que j'aimois. Un oncle me parloit d'Hortense, d'Emilie; Je repoussai cet oncle, et parlai de Julie : Ne m'en sachez pas gré, c'est qu'elle éclipse tout. Seule, .seule à mes yeux , je la voyois p;ir-tout. J'aime, j'ai quelque bien, un nnm connu, je pense : Et puis, je n'aurois pas la dure extravagance De venir l'arracher à ces bras maternels; Ne me supposez point des projets si cruels. Près de vous, trop heureux, dans Paris, l'un et l'autre, Vos goûts seront nos goûts, votre maison la nôtre.

{après une pause. ) Quoi! vous m'abandonnez à tout mon désespoir!

SCÈNE VII.

MADAME DE MKLCOUR, M. DE TERVILLE,

MADAME DE NOZAN.

Mme DE NOZAN, dans le fond, se tournant vers la

coulisse. Non, monsieur de Jersac, non. Je prétends la voir. (Elle s'avance , et s'arrête, voyant Terville qui s'est jeté une seconde fois aux pieds de madame de Melcour.)

ACTE 11, SCENE Vil. 99

TERVILLE.

Vous ne me dites rieu : il y va de ma vie. Miue DE NOZAN, très étonnée. Fort bien !

TERVILLE, 56 relevant. Parlez pour moi, madame , je vous prie. Mine DE NOZAN, avec indignation. Perd-il la tête? Allez.

TERVILLE.

Juste ciel ! .le ne voi Qu'un seul homme <jui puisse avoir pitié de moi; Courons.

[Il sort.) MDie DENOZA!N,/e suivant de l'œil. Mais en effet '.

SCÈNE VIII.

MADAME DE M E L C O U R , MADAME DE NOZAN. Mme DE NOZAK.

La découverte est bonne : IVe vous figurez pas au moins qu'elle m'étonne. On veut plaire, on s'expose; on voit des étourdis Jeunes, entreprenants, et, de plus, enhardis. Très pathétiquement, à genoux, d'un air tendre, Ils viennent supplier qu'on daigne les entendre. Qu'on ait quelque pitié de leurs timides feux. Les étourdis font bien , oui , le tort n'est pas d'eux : Ou quête adroitement ces belles entreprises;

loo LA MÈRE JALOUSE

Je n'entendis jamais, moi, de telles sottises.

Mine DE MELCOUR.

Que vent dire ce bruit?

Mine DE NOZAN.

Ce bruit?

Mme DE MELCOCn.

Qu'entendez-vous?

Mme DE NOZAN.

J'entends que j'ai la clef de ses propos si doux , De ses souris flatteurs, de ses coups d'œil , de» vôtres, Et d'éj^ards pour vous seule et d'oubli pour les autres; Car on ne voit plus rien quand on a le cœur pris, On ne voit qu'un objet. Ces tranquilles maris! Non... que j'ose penser...

Mine DE MELCOUR.

Madame, étes-vous folle?

Mme DE NOZ AN.

Le traître! Et pas un mot, une donce parole A ma charmante nièce! Entre ces deux portraits, Monsieur n'étoit frappé que du vôtre; vos traits. Vos traits seuls le charmoient. Qu'il a su me déplaire!

Mine DE MELCOUR, très vivement. Et vous aviez raison.

Mme DE NOZAN, à demi-voix.

Vous qui seriez sa mère.

Le petit sot!

Mme DE MELCOUR.

Sa mère !

Mme DE NOZ AN.

Et voilà donc pourquoi

ACTE II, SCÈNE Vlll. loi

On veut la marier, l'exiler loin de moi A Bayonne, à Pékin. Mais il a m'entendre, Mais je l'ai harangué, votre prétendu gendre. Si du moins il parloit de s'établir ici !

(Elle est interrompue par M. de Melcour.)

SCÈNE IX.

MADAME DE MELCOUR, M. DE MELCOUR, MADAME DE NOZAN.

MELCOUR, avec joie. Ou se querelle encor? Quoi ! qu'est-ce que ceci? Eh! félicitez-vous; excellente nouvelle!

Mine DE NOZAN.

part.) Melcour.)

Ces maris sont plaisants! Excellente, oui, fort belle!

MELCOUR.

Écoutez, écoutez : Terville est amoureux.

MO'e DE MELCOUR, d'un air tranquille. Monsieur, je le savois.

MELCOUR.

Nous sommes trop heureux ! Mais épris comme un fou, comme on l'est à sou âge : Il presse, il sollicite, il veut en mariage...

Mme DE NOZAN. En mariage! qui?

MKLCOUll.

Julie.

9-

I02 LA MÈRE JALOUSE.

Mme DE NOZAN.

Ah! quelle erreur ! Quoi ! Julie ?

Mine DE MELCOUR, avec un sourire forcé. Oui, Julie.

Mille DE NOZAN.

O ciel! pardon, ma sœur. Pardon. J'ai pu penser (n'éliez-vous p:is surprise?) Que c'est vous qu'il aimoit; je me suis Lieu méprise. Mais comme il étoit tendre! Et moi je vous ai dit... Me pardounerez-vous?j'avois perdu l'esprit.

Mine DE MELCOUR.

Oui , madame.

Mme DE NOZAN.

Je suis injuste, extravagante.

M"'e DE MELCOUR.

Oui, madame.

Mme DE NOZAN.

Étourdie.

Mme DE MELCOUR.

Eh oui !

Mme DE NOZAN.

Presque méchaute. Vous devez m'en vouloir.

Mme DE MELCOUR.

Eh non !

Mme DE NOZAN.

J'ai lies remords.

Mme DE MELCOUR.

Gardeî-les, tout est dit.

ACTE II, SCENE IX. io3

M'iie DE NOZAN.

Oh! lorsque] ai des torts. Je sais les réparer, et bien vite.

Mine DE MELCOUR.

Par d'autres.

Mme DE NOZAN.

Je n'y manque jamais.

.MELCOUR, trèf! étonné.

Quels discours sont les vôtres? Quelle énigme!

Mine DE NOZAN.

Monsieur, rien ne peut m'excuser. Imagiiiez-vous donc que j'ai pu m' abuser Jusqu'à croire Tervilîe... occupé de madame.

( bas M. de Melcour. ) Elle est bien; mais ma nièce...

Mme DE MELCOUR Se rapproche, et entend; à part. Impertinente femme !

Mme DE NOZAN.

J'ai pensé, j'ai parlé, j'ai vu tout de travers. Maintenant à vos pieds je verrois l'univers, Je croirois l'univers amoureux de ma nièce Et qu'on vous parle d'elle; adieu.

[Elle s'en va.) Mme DE MELCOUR, à part.

Cruelle espèce !

jMELCOUR.

Tervilîe auroit bien parler un peu plus tôt. Mais vous, qui le saviez, pourquoi n'en dire mol?

io4 LA MÈRE JALOUSE.

Mme DE NOZAN, revenant et prenant madame de Melcoiir par la main. Vous m'avez pardonné , ma soeur, cette méprise? Point de rancune.

Mine DE MELCOUR.

Encor?

Mme DH NOZAN.

Mon dieu ! quelle sottise ! Mille , mille pardons.

SCÈNE X.

MADAME DE MELCOUR, M. DE MELCOUR.

Mme DE MELCOUR regardant au fond du théâtre. Elle va revenir. MELCOUR de même. Non. Elle est un peu folle, il faut en convenir, Mais bonne femme au fond. Or çà, ce mariage...

Mme DE MELCOUR.

Vous allez m'en parler?

MELCOUR.

N'eût-il que l'avantage De fixer près de vous...

Mnie DE MELCOUR.

Bon! unir deux enfants? A-t-on un caractère, une tête à vingt ans? Le beau projet! Monsieur, c'est immoler Julie, C'est unir la folie enfin à la folie.

ACTE II, SCE-NE X. io5

M EL COUR, vivement. C'est faire leur bouheur. Terville en est charme; Tersille l'aime trop pour u'eu pas être aimé.

Mme DE MELCOUR, vivement. J'entends, c'est pour cela que je la lui refuse. Ces belles passions dcmt l'éloquence amuse Feront bien réussir des contes, des romans ; Des mariajjes, non. Je crains les engouements. Faut-il s'idolâtrer avant de se connoitre?

M E L c o c R . Mais doit-on, pour s'unir, ne pas s'aimer?

MDle DE MELCOCR.

Peut-être. Ces nœuds seroient plus sûrs, le regret moins cruel. Quand deux jeunes époux paroissent à l'autel. Par pitié pour cet âge on devroit , ce me semble , Leur demander d'abord si l'amour les rassemble, .■^i par enthousiasme ils viennent se lier...

MELCOUR, l'interrompant dun air froid. Et répondent-ils. Oui: vite les renvoyer.

Mme DE MELCOUR.

Sans doute... Est-ce l'amourqu'il faut prendre pour guide?

[avec chaleur. ) Lue telle union veut un esprit solide. L'avenir, lavenir : voilà ce qu'il faut voir. Des biens à conserver, des enfants à pourvoir, la état à remplir, un nom à rendre illustre. Dis postes importants et qui donnent du lustre. Lutin unir les noms, les fortunes, les rangs. C'est ce dont il s'agit, et de tendres amants

io5 LA MÈRE JALOUSE.

S'inquiètent fort peu de tout cela, je pense.

(Elle se détourne pour sortir ; aux premiers mots de M. de Melcour elle s'arrête, et paroit l'écouter avec impatience. )

MELCOUR.

Très bien ! à deux époux prêcher l'indifférence.

Moins d'intérêt, madame, et plus de sentiment.

Croyez-moi; le bonheur que l'un goûte en s'aimant

Nuit aux frivolités et non pas aux affaires.

Eh! pourquoi a'est-il plus d'enfants, d'époux, de pères?

Pourquoi même ces noms sont-ils presque ignorés?

C'est qu'un vil intérêt nous a dénaturés ;

c'est que, grâce à l'orgueil, l'hymen même est avare;

C'est qu'on unit les biens; les cœurs, on les sépare.

Mil"-" DE MELCOUR.

Moi, pour mieux les unir, je leur défends d'aimer.

Et puis votre Terville a trop su m'alarmer;

Sa fièvre m'épouvante, il faut que j'en convienne.

Une... petite tête a pu tourner la sienne !

Si comme moi, monsieur, vous l'aviez entendu:

Tenez, il étoit là, gémissant, éperdu.

En mots entrecoupés exprimant son délire,

(n demi-voix.) Criant, n'écoutant rieu. Puisqu'il faut vous le dire, Cela faisoit pitié.

MELCOUR.

Madame , c'est ainsi Que je viens de le voir, et j'en étois ravi.

M">C DE MELCOUR.

Havi;

ACTE II, SCENE X. 107

MELCOUR.

Qu'a cet amour enfin de si funeste?

Mille DEM ELCOU R.

Monsieur, l'amour finit, le caractère reste.

Et de ces cœurs brûlants il faut se défier.

Lui-même il aideroit à me justifier.

Il ne tarderoit pas. Rien n'est long-temps extrême.

C'est ma fille aujourd'hui qu'il croit aimer, qu'il aime.

Qu'il l'épouse, et demain sa sensibilité

Aux pieds d'un autre objet l'aura précipité;

D'un autre objet peut-être ou plus ou moins aimable.

M ELCOII R.

Oh! je sens tout le prix d'un être raisonnable, Calme, tranqidlle, froid. Je l'avouerai pourtant, D'un cœur sensible et chaud le mien est plus content; Ces cœurs-là sont les bons, et d'abord ils préviennent: Ils peuvent s'égarer , mais bientôt ils reviennent; Jusque dans leurs écarts, estimés, généreux; Et. le peu de bonheur que l'on a , nous vient d'eux. Oui, Terville inconstant aurt)it encor pour elle I.es soins d'un cœur honnête et d'un ami fidèle. Bref, ce monsieur Jersac est ici peu connu; H arrive... d'hier! à peine l'ai-je vu. Une charge , du bien; quels titres pour nous plaire ! Terville est estimé, madame; il vous révère; Votre sœur est pour lui , je l'aime et je le dois : Vous me l'avez loué vous-même mille fois.

Mine DE MELCOUR.

Et je veux bien encor, monsieur, le louer raille, Pourvu qu'il ne soit point...

io8 LA MERE JALOUSE.

M E L c o r n .

Votre gendre..

Mme DE MELCOUR.

Terville... Ne le sera jamais; enfin, vous dis-je...

MELCOUR. '

Enfin , Vous voilà résolue?

Mme DE MELCOUR.

Oui, tel est mon dessein... Que rien ne peut chanjjer, ni ma soeur, ni vous-même. {Elle veut sortir.) MELCOUR l'arrête, et après un silence: Julie est votre fille, il est vrai: mais je l'aime, Mais de ses premiers ans mes yeux furent témoins; Elle est la mienne aussi: tendresses, maîtres, soins... Tout ce que pour mon fils on me voit iaire encore. Pour elle je l'ai tait, personne ne l'ignore. Et, (juand pour votre hymen j'osai me présenter, Quelle frayeur alors devoit vous arrêter? Celle de voir un jour dans la même famille Les fils ifun second lit opprimer votre fille. De me voir négliger votre enfant pour les miens. J'ai défendu ses droits, j'ai même accru ses biens; Vous m'avez vu sou père, et non pas sou beau-père : Je saurai l'être encor.

Mme DE MELCOUR.

Ne suis-je point sa mère? Et, si je peux souscrire à cet éloignement. Si mon cœur se résout. . .

ACTE II, SCENE X. 109

MELCOCR.

Madame, franclienieiit Dans un cœur maternel ce courage me blesse.

Mme DE MELCOUR.

De ma fille, en un mot, monsieur, je suis maîtresse, Et maîtresse absolue.

{Elle veut, soi-tir. ) M EL COUR i arrête encore.

Oui, mais pour son bonheur, Et le mien en dépend; je dis ['lus, mou honneur. Que diroit-on par-tout? que c'est la mon ouvrage ; Qu'une ame intéressée a fait ce mariage. Dans un monde frondeur, et ne pardonnant rien. Qui voit tout, rit de tout, blâme... même le bien. Les uns m'accuseroieut d'une couj)able adresse; D'autres, plus indulgents, d'une lâche foiblesse.

M""^ OE MEi.COUR.

Le monde est ridicule, inju.ste, faux, jaloux....

M ELCOL'R.

Voici présentement ce qu'il diroit de vous...

Mme DE MELCOUR.

Je sais le mépriser, et m'en tiens a bien faire.

M E I, c o u R . Que Julie... a sans doute une excellente mère. Mais qu'elle vous plaît moins, oui, moins depuis un temps; Que peut-être elle a tort d'avoir déjà seize ans; Que de jeux, de plaisirs , de fêtes entourée , Vous ne haïssez pas de vous voir .idoréc... Eh ! que sais-je? Madame , ils seroient assf-z fou< Pour aller vous prêter des sentiments jaloux.

1 lo LA MERE JALOUSE.

«nie pE MEI.COIJ R.

Quoi ! monsieur...

M ELCOUR.

Au couvent vous l'auriez retenue Deux ans de trop. Ici personne ne l'a vuej Vous avez tout-à-coup suspendu vos concerts; Vos soupers, si brillants, sont aujourd'hui déserts; Ces migraines d'ailleurs, ces nerfs, ces bouderies, La scène du taldeau , celle des Tuileries , Et Terville éconduit, et Jersac préféré : Faut-il vous parler net, enfin? Je les croirai, .Si je ne suis ici détrompé par vous-même.

Mine DE MELCOUR, prête à sortir. S'il faut vous détromper en changeant de système , S'il faut, pour des caquets, rompre un engagement, A monsieur de Jersac faire un sot compliment , Le chasser, accepter un étourdi pour gendre , De vos soupçons, monsieur, rien ne jieut me défendre, Et j'ose m'y livrer. {Madame (le Nozan reparaît et s'arrête dans le fond.)

Au surplus, je vous voi, Vous, madame, Vilmoii , tous ligués contre moi; Mais ma fille peut-être obéit à sa mère ; Je dispose des biens que m'a laissés .'son père; J'ai mon avis aussi; j'ai des droits, un pouvoir,

[d'un ton plus doux. ) Et je m'en vais songer à les faire valoir.

ACTE H, SCÈNE XI. m

SCÈNE XI.

M. DE MELCOUB, MADAME DE NOZAX.

[Ils se regardent quelque temps d'un air triste et sans se parler. )

M-ne DE NOZA.N.

Quoi ! je viens de donner une fausse es[>érance A notre chère enfant?

MELCOUR.

Dieux! quelle préférence! Quel hymen! Comme vous, j'en gémis; mais, hélas! Madame , elle le veut.

MDie DE XOZAN.

Moi , je ne le veux pas : Cela ne sera pas. Monsieur gémit, soupire!

MEI.COUR.

Eh! que n'ai-je pas dit?...

Mme DE NOZAN.

Il s'agit bien de dire ! Ces maris! ils ont tous l'orgueil de commander, Et quand il faut \ouloir ne savent que céder.

[en se retournant.) Mais c'est être à-la-fois ridicule et barbare. Madame On nous l'enlève! 6 ciel! on nous sépare!

Mclcour. ) Non, ne le craignes pas; vous êtes dans Terreur; Vous ne me comptez point. Non , madame ma sœur.

112 LA MÈRE JALOUSK.

Je cours chez nos parents, chez tous; je vais contre elle

Ameuter l'univers. Et cette autre cervelle.

Ce beau provincial ! Oh ! de la tête aux pieds ,

Comme je vais le peindre ! Ils seront effrayés

De cet enlèvement. A Bayonne, son gendre!

Je voudrois, par plaisir, qu'il fût pour m'entendre.

Si je ne réussis... Mais je réussirai,

Je... je ne réponds pas de ce que je ferai.

Mes chevaux, mes chevaux, vite, le moment presse.

Allons. Ma pauvre nièce! hélas, ma pauvre nièce!

Kl IN DU SECOND ACTE.

ACTE TROISIÈME.

SCÈNE I.

JULIE, M. DE TERVILLK.

JULIE, s'avançant peu à peu, et regardant derrière

elle. Ah ! Terville... Monsieur, j'ai peine à resiurer. Je m'échappe un instant, je vais vite rentrer. C'est la première fois... je suis toute tremblante. Que je vous parle seule.

TERVILLE.

Eh bien donc? votre tante? JULIE, toujours iair DKjuiet, regardant derrière elle à

droite et à gauche, même jeu pendant toute la

scène. Ma tante? Elle est sortie, et tarde a revenir. Mais ma mère! grand dieu! que vais-je devenir? Elle m'a dit encore, et même avec colère...

TER VI LLE.

D'épouser ce Jersac?

JULIE.

Et puis, d'un ton sévère, Très sec... m'a dit de vous , oh , bien du mal. Hélas ! M'auroit-elle dit vrai? Non, je ne le croi^ pas.

lO.

ii4 LA MERE JALOUSE.

TER VIL LE.

Quel mal? Comment! Parlez, parlez, mademoiselle...

JULIE, toujours alarmée. N'entendez- vous rien?

TEHViLLE, écoutant.

Rien. Enfin, quoi? que dit-elle?

JULIE.

Mais elle dit d'abord...

TER VILLE.

Ménageons les instants.

JULIE.

Que vous êtes trop jeune.

T E R V 1 L L E.

Et j'ai plus de vingt ans. Ensuite?

JULIE.

Elle est venue à votre caractère, A compté vingt défauts, que je ne vous vois guère. Je ne sais, moi, comment elle peut vous juger Avec cette rigueur; elle vous croit... léger, Elle a même osé dire... éventé... sans cervelle. Je me suis récriée, et j'ai dit, devant elle, Que vous me paroissiez plein de sens, de raison, Et qu'elle se trompoit.

TERVILLE, lui baise la main avec transport. Est-ce tout?

JULIE.

Mon dieu non ; Et tout cela n'est rien , ou du moins peu de chose. Près du dernier reproche.

ACTE m, SCÈNE I. ii5

T E R V I L L E , effrayé.

Et quel est-il? JULIE, pleurant presque.

Je n'ose , Je n'ose vous le dire; il m'a percé le cœur. TEU VILLE, avec plus d'effroi. Qu'est-ce donc? ciel ! d'abord, ce n'est rien sur l'honneur?

JULIE.

Mon dieu si.

TER VI L LK.

Comment donc! parlez, je vous conjure. L'honneur !

JOLIE.

C'est qu'elle croit, que dis-je , elle m'assure Que bientôt...

T E R V I L L E.

Que bientôt?

JOLIE.

Vous ne m'aimerez plus. T E R V I L L E , souriant. Non , elle veut par colorer ses refus...

JULIE, l'interrompant. Elle m'a dit aussi tant de mal de moi-même. Elle qui doit m'aimer, et qui sans doute m'aime, Qu'en vérité je crains, oui, que vous ne changiez. Et qu'elle n'ait raison.

T E R v I L L E , avec clialeur.

O dieux ! vous le croiriez ! i Elle ne le croit pas, l'artifice est visible. Mais il faudroit d'abord que cela fût possible.

ii6 LA MÈRE JALOUSE.

Ciel! plus cruellement peut-ou me soupçonner?

Voilà de ces propos qu'on ne peut pardonner;

Us pouvoient me coûter votre cœur... et la vie.

Je cesserois d'aimer! j'aimerois moins Julie!

Moi ! IMais qui donc , mais qui pourriez-vous me nommer?

Qui veut-elle que j'aime ou que je puisse aimer?

Si jamais... je ne puis achever; la parole

Me manque à celte idée : elle est cruelle et toile.

JULIE.

Je le pense de même.

TER VILLE.

Allons, rassurez- vous.

JULIE.

Enfin elle a repris un air un peu plus doux, Sa vue avec bonté sur moi s'est attachée; J'étois prête à pleurer, elle a paru touchée : Mais tout-à-coup... Monsieur, j'obéis mal.

TERVILLE.

Mais?

JULIE.

Mais Elle m'a défendu de vous parler jamais.

( Elle fuit.) Ne me retenez pas, elle peut nous surpi'endre.

TERVILLE, In retenant. Un mot.

JULIE, tremblante. Quittez ma main... O ciel ! je crois l'entendre. ( Elle fuit très vitejuscfu'au fond du théâtre , et, aperce- vant sa tante , elle s'arrête et revient peu à peu. )

ACTE III, SCÈNE II. 117

SCÈNE II.

JULIE, MADAME DE NOZAN, M. DE TERVILLE.

Mme DE NOi AN , sans se montrer. J'ai couru tout Paris, j'ai crevé mes chevaux.

{Elle entre.) Ah ! bon dieu! quelles gens! quelles gens! quels propos! Avec eux, dieu merci, me vodà bien brouillée. D'abord notre comtesse, à peine réveillée. Passant les nuits au jeu. J'entre, on me fait asseoir. « Quoi ! si matin? » Matin ! à sept heures du soir. Bâillant, frottant ses yeux : « La petite est jolie, « Je l'aime, votre nièce; eh bien! on la marie?» Le tout d'un ton traînant à me faire périr. Je l'interromps, m'explique, et l'invite à courir, A me suivre par-tout. « Moi! pour un mariage? « M'en mêler! non, madame, il faut bien du courage « Pour marier les gens. »

TERVILLE, (jui l'écoule avec impatience. Mais, votre magistrat?

JULIE.

Eh bien?

Mine DE NOZAN.

Avoit encor sa robe et son rabat.

TER VI LL L.

Je le connois beaucoup.

Mine DE N O Z A iN .

Je vous en félicite.

ii8 LA MERE JALOUSE.

Monsieur le président me pérore; il me cUe

Des lois! « La lui, madame, ordonne expressément...

« Qu'une mère, monsieur, très ridiculi^ment

« Dispose de sa fille? Oui, telle est l'ordonnance.

« Que de se marier l'enfant eût la licence.

Il Ce seroit pis eiicor. "

TERVILLE, criant.

iMais, monsieur, il s'agit Du bonheur de Julie.

Mine DE NOZAN

Eh ! c'est ce que j'ai dit. Et cet autre long, sec , froid , avec sa manie Des chevaux! je le hais. Et la jeune Génie?

TER VI LLE.

Sa compagne au couvent?

JULIE.

Oh ! celle-là d'abord M'aime, et j'en suis bien sûre.

Mine DE NOZAN.

Elle t'aime, eh! oui, fort; Mais la danse un peu plus. Droite devant sa glace, Ma petite étourdie essayoit avec grâce Un domino. " Pardon, je vais ce soir au bal; u Madame, regardez, il ne me va point mal. » Et je parlois de toi !

JULIE.

Quels parents!

TERVILLE.

Quelles âmes ! Nul n'a pitié de nous ?

1

ACTE III, SCENE II tig

Mine DE NOZAN.

Nul. JULIE, (fini air ingénu et plein de bonne foi. Pas même les femmes?

Mine DK iNOZAN.

Bon! et le jeu! le bal!

TER V ILLE.

Oii bien ! puisqu'en ce jour Mère, parents, ;iniis , et monsieur de Melcour, Et vous-même, madame, à qui Julie est chère, Vous, qui daignez pourtant lui tenir lieu de mère, Puisque rien ou ne veut ou ne peut nous servir,

( à lui-même.) Malheur à l'imprudent qui croit me la ravir!

Mme DE NOZA.\,à elle-même. Il est temps d'être enfin et moins bête et moins bonne.

JULIE, à elle-même. Que je le haïrai?

Mine DE NOZAN.

Madame, j'abandonne Vous, Melcoiir, cet hôtel...

JULIE.

Eh quoi ! ma tante , eh quoi !

Mine DE NOZAN.

Oui , ma nièce , je veux ne plus songer qu'à moi.

J C LI-K.

Ah ciel ! me séparer pour jamais de ma mère , De monsieur de Melcour que j'aime comme un père. Et vous ma tante, aussi, me séparer <le vous. Pour... suivre nn étranger dont on fait mon époux !

I20 LA MERE JALOUSE. |

(Elle regarde Terville.) «

Quitter enfin , quitter... Ah I je suis donc perdue.

( Elle s'en va.) Mine DE ^OZAN. m

Désobéis , crois-moi : je t'ai biea défendue , |

Défends-toi maintenant.

SCÈNE IH.

MADAME DE NOZAN, M. DE TERVILLE.

TERVILLE.

Mais n'est-il plus d'espoir?

Mine DE NOZAN.

Je vais trouver Jersac, et lui dire : Homme noir. Homme affreux, je sais bien , moi, ce qui t'intéresse. Tu cherches mou argent encor plus que ma nièce; Ne compte pas toucher un denier de mon bien.

TERVILLE.

Eh ! Julie est si belle ! il la prendra pour rien. Mme DE NOZA N.

J'irai, devant ma sœur et toute ma famille. Brûler le testament que j'ai fait pour sa fille.

TERVILLE.

Bon ! n'en feriez-vous pas un autre avant deux jours?

Mme DE NOZAN.

Deuxjours,deuxmois, deuxans! C'en est fait pour toujours.

TERVILLE.

\\^ iif le cr.iiiidront pas; vous êtes bonne.

ACTE ni, SCENE III. la

Mille DE NOZAN.

Dure.

TEK VILLE.

Vous vous attendrirez.

M"1C DE .\OZaN.

Non , ma sœur, je vous jure Qu'on ne m'attendrit point.

TER VILLE.

Vous aurez beau crier. Mme DE ti07.k^ , à plie-même , en i,e jetant dans un fauteuil. N'aurois-je pas vingt fois me remarier? Pauvre dupe!... Ils dévoient me ménager peut-être. ... Ma chère Jielle-sœur, vous allez me connoître... Et me croire, j'espère. Oui, oui, nous allons voir.

TER VILLE, à lui-même. Moi, je ne prends conseil que de mon désespoir; Il faut, sans plus tarder, faire un coup de ma tête.

( // sort. )

SCÈNE IV.

MADAME DE NOZAN, M. DE VII^MON.

viLMON, à part. Sachons ce qu'elle a fait.

Mine DE N0ZAiN,à part , après un silence. Après tout, qui m'arrête?

VILMON.

Vous les avez tons vus?

122 LA MERE JALOUSE.

Mme DE NOZAN.

Tous.

VII, M ON.

En si peu de temps? Eh bien?

Mine DE NOZAN, 5e levant. Eh bien! monsieur, je ne veux ni n'entends Que votre Rayonnais, qu'un triste personnage Qui vient de faire en poste un sot et long voyage Pour me ravir ma nièce et pour me dépouiller, Service votre zèle a su se signaler, Ait quelque jour de moi dix mille écus de rente. Il calcule sans moi; je ne suis point sa tante; Mon bien n'est pas pour lui... je me marie. V 1 L M o N , so» riant.

Eh quoi!...

Mine DE NOZAN.

Monsieur rit, je suis vieille.

VILMON.

oh! non; même je croi...

Mme DE NOZAN.

Vous mentez, je le suis; oui, vieille, très majeure: Mais j'aurai trois maris , si je veux , tout-à-lheure ; .le suis riche.

v I L M o N' . .Sans doute. Et pourrois-je, entre nous, Vous demander ici?

vinie DE NOZAN.

Qui j'épouse? Mais... vous. Je serai très paisible et très fidèle épouse ,

ACTE III, SCENE IV. ia3

jN'uilemeut exigeante, et moins encor jalouse. Vous ferez, vous, monsieur, ce qui vous conviendra. Et moi , de mon côté , tout ce qui me plciira.

V I L M o N .

De tels arrangements sont très bons; mais Julie! Votre nièce, une enfant!...

Mme DE NOZAN.

Que j'aime à la folie , M'allez-vous dire? Soit.

V I L .■« o .\ .

Madame, en bonne foi ..

Mme DE NOZAN.

Croyez-vous donc aimer ma nièce plus que moi ? Dois-je donc, après tout, l'aimer plus que sa mère? Comment! un inconnu, quelle absurde chimère! Froidement de sa chaise à nos yeux descendra. Prendre mon bien , ma nièce , et puis repartira ! Mais vous êtes plaisant.

V I L M o N .

Mais vous allez plus vite; Vous la déshéritez.

MBic DE NOZAN, pleurant. Oui , je la déshérite , Et la mère, et la fille , et son cruel époux:

( en essuyant ses larmes.) J'ai tout vu , tout pesé. Monsieur... me voulezr-vous? Ne me voulez-vous point?

v I L >! o N .

.Serai-je assez barbare?...

laj LA MÈRE JALOUSE.

Mine DE NOZAN.

>'ous connoissez Dornet, ennuyeux, gauche, avare. Il est amoureux fou de huit cent mille francs: .le ne le puis souffrir; balancez, je le prends; Le sot, depuis dix ans, me conte son martyre. Et vous, vous êtes pauvre... ou plutôt, je veux dire Que vous n'êtes pas riche... On ne me répond pas! l*renez-y garde, au moins, car j'y vais de ce pas.

viLMON , à part. IN'allonspas la brusquer sur une étourderie.

( haut.) .le suis tout décidé.

Mine DE NOZAN. \

Mais , sans plaisanterie ?

VILMON.

Oui, madame.

Mme DE NOZAN.

Je puis y compter?

VILMON.

.Sûrement.

Mme DE NOZAN.

Aller chez le notaire? y courir... Un moment.

{Elle tire un crayon et des tablettes.) Votre nom de baptême?

VILMON.

Alexandre.

Mme DE NOZAN.

Votre âge ?

VILMON.

Eh I cinquante-deux ans sonnés.

ACTE III, SCENE IV. i^S

Mine DE N O Z A N .

Pcis davantage? Je vous en croyois plus; c'est neuf ans moins que moi. Ni père ni mère?

VILMO s.

Oui.

Mme DE :>( G Z A N .

Tant mieux : ma sœur, je croi , Me les feroit haïr.

VI (.MON , à pail. Son idée est heureuse, vjme DE KozAm, fermant ses tablettes. Madame de Melcour, vous serez furieuse; Je m'en flatte du moins.

(Elle veut sortir et l'aperçoit.)

SCÈNE V.

MADAME DE NOZAN, MADAME DE MELCOUR,

M. DE VILMON.

Mine DE MELCOUR.

Eh bien , madame , eh bien , Étes-vous décidée?

Mme DE NOZ AS , d'un air froid. Oui. Je donne mon bien A monsieur... que j'épouse.

{ Elle salue et s'en va. )

126 LA MERE JALOUSE.

SCÈNE VI.

MADAME DE M E L C O U II , M. DE VILMON.

Mine DE MELCOV n , effrayée , se tait uninstant. Elle est folle, je pense. Je n'entends rien, monsieur, à cette extravagance; Me l'expliquerez-vous?

VILMON.

Mais elle veut, je croi...

Mine DE MELCOUR.

Déshériter sa nièce?

VILMON.

Et m'épouser; oui, moi, Madame , grâce à vous.

SCÈNE VU.

MADAME DE MELCOUR, M. DE J E R ,S A C ,

M. DE VILMON.

J E R s A c j daiis le fond

Bon dieu ! l'étrange femrne ! c'est votre belle-sœur dont je parle, madame. J'approche; elle me fuit, me jette un mot ou deux; Elle avoit presque l'air de m'arracher les yeux. Mine DE MELCOUR, à yilmon , dun air indigné. ( à Jersac. ) part. )

Je sors... Je vais... Jersac reculeroit, sans doute.

ACTE m, SCENE VII. 127

( haut.) Il Faut que je lui parle, il tant qu'elle m'écoute; Ne vous ert'rayez pas.

[Elle sort.)

JERSAC.

Ue quoi donc m'effrayer?

SCÈNE VIII.

M. DE JERSAC, iM. UE VILMOiN.

JERSAC.

Mais ils s'entendent tous pour rae contrarier!

Une nièce boudeuse, une tante revèche,

Une mère qui fuit, un beau-père qui prêche,

Un ami des plus secs! un petit insensé,

Qui chez moi, m'a-t-on dit, a tout bouleverse,

Qui me ciierclioit par-tout. Que veut-on? quelle rage!

V I L M o N .

Le jietit insensé veut vous tuer, je gage ;

La petite boudeuse a peu de goiit pour vous;

Le beau-père, qui luiuie, ap|)uie un autre époux;

Et la tante soustrait dix mille écus de rente...

JERSAC.

De la dot?

V I L M o .\ .

De la dot

J ERS A<:. oh! oh!

ii8 LA MÈI'.E JALOUSE.

VILMON.

Mais, notre tante Est folle de sa nièce , et vous voit arriver Du fond de la Biscaye exprès pour l'enlever...

J E R s A c, d'un air pensif. Eh que ne parle-t-elle? On peut la satisfaire, Et.

V 1 1, M ON , finement Rester à Paris? Cela ne se peut guère.

JERSAC.

Pourquoi non?

V I r, M o N . Cette charge.

JERSAC.

Après?

VILMON.

F,t vos parent; , L'ne famille.

i E u s A c. Bah!

VIL MON.

Tous vos arrangements. Cela seroit trop fou.

JERSAC.

Cela seroit très sage.

VI LMON.

Vous ne le ferez point.

J E R S A C

Je le ferai; j'enrage!

ACTE III, SCENI, VIll. 129

V 1 L M O N .

L'idée, à mon avis...

JERSAC, très content.

Lumineuse à mon gré.

VILMON.

Vous ne la suivrez point.

JERSAC, avec une impatience gaie.

Parbleu, je la suivrai. De mon éloignement elle me fait un crime ; A cela près, monsieur, j'ai , je crois, sou estime: Eh bien ! je vends ma charge ; elle en croira plutôt Ce sacrifice-là qu'une promesse, un mot; Et tout est aplani : la tante moins rebelle Me paye eu bous contrats ce que je fais pour elle; Le sensible Melcour à mon hymen souscrit; l'our la première fois la nièce me sourit; Dans ce moment de joie, elle est jeune, elle est femme. L'amour peut aisément se glisser dans son ame. Mais la mère !... Vilmon, la mère! que d'heureux! Notre hôtel près du sien, sa iille sous ses yeux! A toute heure, par-tout, dans les cercles, à table, On se voit, on se fête, on est inséparable. L'une me garde l'autre, observez ce point-ci; Une mère au besoin veille pour un mari. Adieu. Sans perdre temps je vais chez dix notaires: J'ai même ici quelqu'un versé dans les affaires , Ami de ces messieurs, et qui ilans peu de jours l'eut me débarrasser de ma charge; j'y cours. J'en placerai les fonds.

i3o MÈRE JALOUSE.

viLMON, n'ont.

T/agréable surprise Que vous nous ménagez!

j E R s A c , riant aussi.

J'avoue avec franchise ( en s'en allant. ) Que je n'y pensois pas; soit. Excellent moyen !

VILMON , seul. Pour nous.

SCÈNE IX.

MADAME DE MKLCOUR, M. DE VILMON.

Mine DE MEi.couR, dun air troublé. Maudite sœur! elle va, n'entend rien. Monsieur de Melcour même , alarmé de sa fuite , N'a pu me l'arrêter, et vole à sa poursuite. Mais vous, monsieur, mais vous...

VILMON.

Rien n'est encor perdu ! Jersac, rassurez-vous, va vous être rendu; Je le sais prêt encore à remplir votre attente.

Mine DE M E L c O u R , anec _;oîe. Quoi, monsieur!

VILMON, lentement. H fait plus; pour le bien de la tante... Et le vôtre, sans doute... il se fixe à Paris. Il vient de m'en instruire, et ne m'a pas surpris. Les mœurs de la province avoieut votre suffrage,

ACTE III, SCÈNE IX. i3i

Et non pas le séjour; on les garde à son âge.

L'heureux projet! Madame, il remédie à tout;

Il satisfait Melcour, votre sœur, votre goût ;

Il laisse à votre fille une tante, une mère;

Il ne vous prive point d'une fille si chère;

Il me rend votre estime, et j'en suis très jaloux,

Madame : en la perdant, je perdois plus que vous.

SCÈNE X.

MADAME DE MELCOUR.

Avec quelle douceur cet homme m'assassine ! C'est lui qui fait jouer cette nouvelle mine. Vilmon, Jersac, ma sœur, un jeune extravagant, Que de têtes en l'air... pour celle d'un enfant! Kt moi-même, après tout, j'ai [)eiue à m'en défendre. t>ui , je crains d'écouter un sentiment trop tendre , U'étre aussi foible qu'eux. Quoi qu'il puisse arriver, c'est pour son intérêt que je veux m'en priver; J'ai peut-être un moyen.

scÈîSfc: XI.

MADAME DE .MELCOUK, M. DE TERVILLE.

TER v 1 1, [, E, de loin.

Ah ! madame, qu'entends-je? Est-il vrai? Saurie/.-vous? Quel changement i-trange! Il vend, dit-on, sa i harge, et se fixe à l'aris.

1.^2 LA MERE JAEOUSE.

MH'f UE M F. LCOIJK.

On leilit.

T E R V I L L F..

Votre tille est sans doute à ce prix. C'en est Fait !...

Mine DE MELCOUR.

iN'allez pas rejouer une scène, Crier, gesticuler. L'objet de tant de haine. Le fortuné rival qui tait tant de jaloux, De ma Klie , monsieur, n'est point encor l'éfjoux.

TER VI L LE.

Se ))eut-il?

Mine DE MELCOUU,

Sûrement. TERViLLE, avec une joie excessive. c'est me sauver la vie. Quoi ! vous daignez eutin lui refuser Julie? Il ne l'épouse point? Madame, l'heureux jour ! Vous avez donc pitié de moi, de mon amour? Eh bien! je dois, je puis vous le dire à vous-même; Julie... il en est temps, vous savez si je l'aime. Vous savez si ce cœur est pour elle entlammé; J'ai le bonheur... je suis... j'ose me croire aimé.

Mine DE MELCOUR, d'un ton dt' dépit. Que Julie à vos feux soit propice ou sévère. Qu'elle vous aime ou non, monsieur, je suis sa mère; Je l'ai dit, le répète, et c'est un dessein |)ris. Je n'établirai |)i)int ma tille dans Paris : Jersuc veut s'y li>:er, .lersuc n'est plus mon gendre.

ACTF. m, SCKNF, XI. lAi

( avec finesse.) l'ar la inéme raison vous ny pouvez prétendre, Par la même raison je la refiiserois A vingt autres partis.

TERVILLE.

Qu'entends-je? je pourrois!

Mme DE MELCOUR.

Vous pourriez... vous fixer?...

TERVILLE.

Madame , au bout du monde, Par-tout, dans un désert.

Mine DE MELCOUR, à part, avec joie.

Sa démence est profonde. ( haut. ) La pro\ince, monsieur, lorsqu'à Paris déjà...

TERVl LLE.

La province , madame? Eh ! l'on n'est bien que là. c'est qu'on sait aimer, qu'on jouit de son anie , Qu'on est heureux, je dis, heureux près de sa femme; Point de distraction, les moments les plus doux ; On ne vit que pour elle, elle aussi f[ue pour vous; Chaque jour, cliaque instant, chaque lieu vous r.issemble; Onue se quitte pas, on dîne, on soupe ensemble. Julie... oh ! la province est un divin séjour!

Mme DE MELCOUR, toujoiiis plus coiileiite. Change-t-on de liens, de demeure en un jour ? Mais vous extravaguez.

T E R V 1 L L K.

Madame , au moment même ,

i34 LA MÈRE JALOUSE.

Je puis... vous le savez; et je suis libre et j'aime.

Mille DE MELCOU K .

Bon ! promesse d'aniaut.

TER VI LLE.

Je promets par i'houneur.

Mme DE MELCOUR.

L'honneur, oui; mais pourtant il vous faudroit, monsieur. Un état. ,

T Ë n V I L L E.

Une charge? Eh ! qu'à cela ne tienne, part.) Mais Jersac, ra'a-t-on dit, pense à quitter la sienne; O ciel! si je pouvois!... Je crois l'apercevoir.

Mine DE MELCOUR, tt part , très gaie. Que de gens étonnés!

TERVILLE.

lui-même ) Je reviens. Quel espoir! Dieux!

SCÈNE XII.

MADA.ME DE MELCOUR; ety dans te fond , du théâtre, M. DE MELCOUR, MADAME oE NOZAN , ayant chacun à la main un contrat.

Mine DE K0ZAN,à Melcour. Qu'elle cède enfin, que je la persuade. Ou... ceci dure trop, j'en tomberois malade. Je veux bien me j'orter. îMadame, écoutez-moi.

ACTE 111, SCENE Xll. i35

Vous voyez ce papier ?

Mme DE M ELCOU R, <fwn air n'ont, ^ladame, je le voi.

MDle DE iN OZAN.

Bon. Ce n'est qu'un contrat, contrat de mariage, Arrangé , tout dressé , tout prêt , et qui m'engage A monsieur de Vilmon; vous entendez?

Mine DE MELCOUR.

J'entends.

Mme DE .\0ZAN.

Je lui donne mon bien , mes huit cent mille francs.

MELCOURjà sa femme. Moi, je vous en propose un autre tout contraire, Où, grâce à moi, Julie est nommée héritière. Et que madame encore a bien voulu dicter. Vous avez à choisir, pourriez-vous hésiter?

Mme DE -siZi-COVR, gaiement. Quoi! deux contrats?

Mme DE .\ o z A N .

Oui, deux. Par l'un je me marie.

MELCOUR.

Par l'autre votre fille...

Mme DE NOZAN, dun tnn dur. Ou ma nièce.

MELCOUR.

Oui, Julie... Mme DE NOZAN.

Épouse, non Jersac, mais Terville.

Mme OE M EL 00 un.

Fort l)ien.

i3fi LA MERE JALOUSE.

Mme DE NOZAN.

Signez, je donne tout.

MELCOUR.

Tout, sans excepter rien.

Mme DE NOZAN.

Vous riez? Mais, ma sœur, mais je dois me connoître: Je la verrai pleurer, je pleurerai peut-être, Très inutilement; car ici, dès ce jour, La chose sera faite et faite sans retour.

Mine DE MELCOUR.

C'est une tyrannie.

MH'e DE NOZAN veut prendre une plume. Allons. MELCOUR, l'arrêtant.

Qu'allez-vous faire?

SCÈNE Xill.

M. DE MELCOUR, MADAME DE MELCOUR, JULIE, MADAME DE NOZAN, M. DE VILMON.

MELCOUR, à Julie. Venez, venez tomber aux pieds de votre mère, Mon enfant, aidez-nous.

JULIE, en pleurant.

C'est à vous de m'aider; Et je n'ai qu'une grâce, hélas, à demander...

Mme DE NOZAN , pleurant aussi. Tais-toi, petite sotte, imbécile pleureuse;

ACTE 111, SCENE XIII. i3-j

Je ne souffrirai point que tu sois malheureuse.

madame de Melcour, d'un ton très ferme.) Ou signez , ou je signe.

SCÈNE XIV.

M. DE MELCOUR, MADAME DE MELCOUR,

M. DE TERVILLE, JULIE, M. de JERSAC,

.MADAME UE N O Z A N , M. DE VILMON.

TERVILLE, accourant, à mndame de Melcour; il se place entre elle et sa fille.

Enfin je suis heureux. JERSAC, accourant , à madame de Nozan. Enfin je suis, madame , au comble de mes vœux : Plus de charge.

T F. R V 1 1. L E , à madame de Melcour. Je l'ai; je me fixe à Bayonne, JERSAC, à madame de Nozan. Je me fixe à Paris.

Mme DE MELCOUR.

Mais, monsieur, je m'étonne...

TERVILLE.

Qu'en aussi peu de temps...

JERSAC.

Nous ayons pu traiter?

TERVILLE.

Monsieur brîiloit de vendre.

r E u s A c

Et monsieur, d'aciieter.

I 2.

i38 LA MERK JALOUSE.

TER VIL LE, à madame rie Mclcoiir. Nous venons de signer un écrit l'un et l'autre.

JERSAC, à madame de Nozan. Chez vous-même, un dédit.

( // le mnntre. ) T E R V IL L E , à Julie.

Qitel bonheur est le notre ! JERS A c, à Julie. Il veut dire le mien.

VILMO N, étonné. Qu'ai-je donc fait ici?

MELCO UR.

'lerville, y pensez-vous?

Mine DE NOZAN, à Terville.

Quoi! \uonstre, vous aussi... ( Terville va se placer à côté de madame de Nozan, et Jersac à côté de madame de Melcour. )

TER VILLE.

Melcour.) Vilmon.)

O madame, monsiour, monsieur, mademoiselle! Suis-je donc si coupable en quittant tout pour elle?

( à madame de Nozan. ) l'ardon, que voulez-vous? Que faut-il? .Son bonheur? Moi, je vous le promets, fiez-vous à mou cœur, A mes soins. Il n'est rien dont je ne vous reponde:

Melcour.) Je l'aimerai pour vous, pour vous, pour tout le monde; Je serai son ami, son époux, .sou amant. )-.h! je n'ai pas besoin rl'cn faire le serment.

ACTE 111, SCENE XIV. 1^9

JULIE.

Non, ne regardez plus qui je hais ou qui j'aime : .Mais ue disposez point de moi malgré raoi-méme.

Mme DE NOZAN, à madame de Melcour. Il faut que vous ayez des entrailles de fer.

JULIE.

Ah! j'ai trop désuni ce que j'ai île plus cher. Vous étiez plus d'accord sans doute en mon absence, J'aime mieux m'éloigner et pleurer en silence ; J'aimerois mieux ne voir Terville de mes jours. Rentrer dans mon couvent , y rentrer pour toujours.

(en se jetant aux pieds de sa mère. ) c'est votre fiile, hélas, c'est moi qui vous conjure...

Mine i) E M F. L c o 17 R , u ttendrie. Je ne résiste plus au cri de la nature. J'ai failli te coûter ton repos , ton bonheur. Ta fortune; en un jour, je faisois le malheur De mon époux, de toi, d'une tante qui t'aime : Ma tille, je le sens, j'aurois fait le mien même. Heste auprès de ta mère, et soyons tons heureux: Je t'unis à Terville.

( Elle signe. )

T E R V I L L K.

O ciel !

.1 u L I E.

Qu'en teuds-je? M K L c o u R , aiier joie.

Dieux!

M">C UK .NOZA.N, Ul'lCJOW.

\Ia sceur !

i4o LA MERE JALOUSE.

Mine DE MELCOUB, à Jersctc: Vous ue veniez, monsieur, dans raa famille..

Mille i> E N O Z A N .

Que pour compter des sacs et marchander sa fille.

M'i'e DE MELCOUR.

J'ai fait ce que j'ai dû.

JERSAC.

Mais ceci n'est pas mal ! Je viens en poste, exprès, marier mon rival; On me trompe à plaisir; et, par un tour d'adresse, On m'enlève à la fois ma charge et ma maîtresse. Et je paierois encor ce dédit 1 Non , morbleu , Non, fallût-il plaider pendant vingt ans. Adieu.

(// son.) Mme DE NOZAN, à Jermc. Je paierai le dédit.

SCÈNE XV.

M. DE MELCOUH, M. de TER VILLE, madame DE MELCOUR, JULIE, M. de VILMON,

MADAME DE NOZAN.

Mme DE MELCOUR.

Embrassez-moi, ma fille.

MELCOUR.

INous ue ferons donc plus qu'une même famille !

TER VILLE.

Nous allons vivre ensemble!

ACTE III, SCÈNE XV. i4i

JULIE.

O jour heureux pour moi ! Mme DE NO 7, AN, à Vilmon. Vous étiez peu tenté de m'épouser, je croi? Ah! ma sœur, pour jamais comptez sur ma tendresse.

( aux autres acteurs. ] Vous voyez : rien ne peut résister à ma nièce.

FIN DE LA MERE JALOUSE.

LE

BOURRU BIENFAISANT,

COMÉDIE EN TROIS ACTES,

PAR GOLDONI,

Représeutée, pour la première fois, le 4 novembre 1771.

NOTICE

SUR

GOLDONl.

Charles Goldom naquit à Venise en 1707. Il se sentit de bonne heuro un penchant décidé pour le théâtre, et composa une comédie dès l'âge de huit ans. Ses parents le placèrent d'a- bord chez le procureur, et le firent recevoir avocat; mais à peine eut-il plaidé sa première cause, qu'il quitta le barreau et se mita voyager. Nous n'entreprendrons pas de le suivre dans le cours de ses aventures , dont il a donné une re- lation fort amusante en trois volumes in-S". Nous nous bornerons à dire qu'il fut le réfor- mateur du théâtre on Italie, il donna |)lus de ceril cinquante pièces qui, pour la plu[)art,

i\G NOTICE SUR GOLDONI.

ont obtenu un grand succès, et dont plusieurs ont été imitées sur la scène française. Nous ne pouvons cependant nous dispenser de rappor- ter, pour prouver l'extrême facilité de cet au- teur, qu'étant lié avec une troupe de comédiens à Venise il fit annoncer, à la fin de l'année 1 749? que, dans le cours de la suivante, il seroit donné seize pièces nouvelles du sieur Goldoni sous des titres qui furent indiqués. Cet enga- gement extraordinaire fut rempli avec exacti- tude, et presque toutes ces pièces réussirent.

Goldoni vint en France en 1761 , et ne put résister au désir de travailler pour le théâtre Français. Il y Ht jouer le Bourru Bienfaisant. Cette comédie parut, pour la première fois , le 4 novembre 1 77 1 , et eut treize représentations. On la donne souvent encore, et elle fait tou- jours plaisir.

L'accueil que l'auteur italien avoit reçu à Paris le détermina à s'y fixer. Lagrément de son esprit, son extrême gaieté, et l'aimable

NOTICE SUR GOLUONI. t^-

franchise, qui étoit la base de son caractère, le faisoient désirer par-tout. Il devint aveugle sur la fin de ses jours, et il venoit d'obtenir une pension du gouvernement, lorsqu'il mourut en 1792, âgé de quatre-vingt-cinq ans.

PERSONNAGES.

M. GÉRONTE.

M. DALANCOUR , neveu de M. Ge'ronte.

DORVAL, ami de M. Ge'roate.

VALÈRE , amoureux d'Angélique.

PICARD , laquais de M. Ge'ronte.

Un LAQUAIS de M. Dalaucour.

MADAME DALANCOUR.

ANGÉLIQUE , sœur de M. Dalaneour.

MARTHON, gouvernante de M. Ge'ronte.

La scène se passe dans un salon chez MM. Géronte et Dalaneour. Il y a trois portes , dont l'une introduit dans l'appartement de M. Géronte ; l'autre, vis-à-vis, dans celui de M. Dalaneour; et la troisième , dans le fond , sert d'entrée et de sortie à tout le monde. Il y aura des chaises, des fauteuils, et une table avec un échiquier.

LE

BOURRU BIENFAISANT,

COMÉDIE. ACTE PREMIER.

SCÈNE I.

MARTHON, ANGÉLIQUE, VALÈRE.

ANGÉLIQUE.

Laissez-moi, Valère, je vous en prie. Je crains pour moi, je crains pour vous. Ah ! si nous étions surpris...

VALÈRE.

Ma chère Angélique !...

MARTHON.

Partez, monsieur.

V A L È B K , a Ma rthon . De grâce, un instant; si je pouvois m assurer...

MA «THON.

De quoi?

i3.

LE BOURRU BIENFAISANT.

VA LE RE.

De son amour, de sa constance...

A N G f^ L 1 Q D E.

Ail! Valère, pourriez-vous en douter?

MARTHON.

Allez, allez, monsieur, elle ne vous aime que trop.

VALÈRE.

(J'est le bonheur de ma vie.

M ART H os.

Partez vite. Si mon maître arrivoit... AKGÉLiQUE, (i Marllwti. Il ne sort jamais si matin.

MARTHON.

Cela est vrai. Mais dans ce salon (vous le sa- vez bien ) , il s'y promène , il s'y amuse. Voilà-t-il pas ses échecs? 11 y joue très souvent. Oh! vous ne connoissez pas M. Gcronte.

VALÈRE.

Pardonnez-moi ; c'est l'oncle d'Angélique, je le sais: mon père étoit son ami; mais je ne lui ai jamais parlé.

MARTHON.

(J'est un homme, monsieur, comme il n'y en a point : il est foncièrement bon , généreux ; mais il est fort brusque et très difficile.

ACTE 1, SCÈNE I. i5i

ANGÉLIQUE.

Oui : il me dit «[u'il m' aime , et je le crois ; ce- pendant toutes les fois qu'il me parle, il me fait trembler.

v A L È H E , à Aiigéiuiue.

Mais qu'avez-vous à craindre? Vous n'avez ni père ni mère : votre frère doit disposer de vous; il est mon ami, je lui parlerai.

JIARTHOX.

Eh! oui, fiez-vous à JM. Dalancour!

VALÈRE, h Marthon. Quoi ! pouiToit-il me la refuser?

MARTHON.

Ma foi, je crois que oui.

VALÈRE.

Comment?

MARTHON.

Écoutez en quatre mots, Anijélitjue. ) Mon neveu , le nouveau clerc du procureur de mou- sieur votre frère, m'a appris ce que je vais vous dire. Comme il n'y a que quinze jours qu'il y est entre, il ne nie l'a dit que ce matin : mais c'est sous le plus grand secret qu'il me l'a conhé ; ne me vendez pas , au moins.

V A LKHE.

Ne ciaijïnez rien.

î;V... LE BOURRU BII.MF AISANT.

ANGÉLIQUE.

Vous ma connoissez. M A II T H o IN , adressant la parole à f^alère , h demi- voix et toujours regardant aux coulisses.

M. Ualancour est un homme ruiné, abymc; il a mangé tout sou bien, et peut-être celui de sa sœur; il est perdu de dettes. Angélique lui pèse sur les bras, et pour s'en débarrasser il voudroit la mettre dans un couvent.

AAGÉLIQUE.

Dieu ! que me dites-vous ?

V ALÈRE.

Comment! est-il possible? Je le counois de- puis long-temps; Dalancour m'a toujours paru un garçon sage, honnête, vif, emporté même «[uelquefois ; mais...

M ARTHON.

Vif! oh! très vif, jiresque autant que son oncle; mais il n'a pas les mêmes sentiments, il s'en faut de beaucoup.

VALÈRE.

Tcjut le monde l'estimoit, le ohénssoit. Son père étoit très content de lui.

M ARTHON.

Eh! monsieur, depuis quil est marié, ce n'est plus le même.

ACTE I, SCENE I. i53

VA 1ÈRE.

Se pourroit-il que madame Dalancour?...

M ART HO N.

Oui , c'est elle , à ce qu'on dit, qui a causé ce beau chan{T;ement. Monsieur Ge'ronte ne s'est brouillé avec son neveu que par la sotte com- plaisance qu'il a pour sa femme; et... je n'en sais rien, mais je parierois que c'est elle qui a imaginé le projet du couvent.

ANOÉHQLE, à Marthon.

Qu'entends-je? ma belle-sœur, quejecroyois si raisonnable, qui me marquoit tant d'amitié! je ne l'aurois jamais pensé.

VALÈRE.

C'est le caractère le plus doux...

MARTHON.

C'est précisément cela qui a séduit son mari.

VALÈRE.

Je la connois, et je ne peux pas le croire.

MARTHON.

Vous vous moquez, je crois. Est-il de femme plus recherchée dans sa parure? y a-t-ildes modes fpi'elle ne saisisse d'abord? y a-t-il des bals, des spectacles elle n'aille pas la première?

V A L È R E.

Mais son mari est toujours avec elle.

i54 LK «OURRU BIENFAISANT.

ANGÉLIQUE.

Oui, mon frère ne la quitte pas.

M ARTHO>.

Eh bien! ils sont fous tous deux, et ils se rui- nent ensemble.

VALÈRE.

Cela est inconcevable

MARTHON.

Allons, allons, monsieur, vous voilà instruit de ce que vous vouliez savoir; sortez vite, et n'exposez pas mademoiselle à se perdre dans l'esprit de son oncle , qui est h- seul {|ui puisse lui faire du bien.

VALÈRE, à An(jéli(iue.

Tranquillisez-vous , ma chère Angélique ; l'in- térêt ne formera jamais un obstacle...

MARTHON.

J'entends du bruit; sortez vite.

( f^atère sort. )

SCÈNE II.

MARTHON, ANGÉLIQUE.

ANGÉLK^UE.

Qtie je suis malheureuse !

MARTHON.

iJ'est sûrement votre oncle. Ne l'avois-je pas dit ?

ACTE 1, SCÈNE II. i55

ANGÉLIQUE.

Je m'en vais.

M A RTHON.

Au contraire, restez, et ouvrez-lui votre cœur.

ANGÉLIQUE.

Je le crain.s comme le feu.

MARTHON.

Allons , allons , courage. Il est fougueux quel- quefois ; mais il n'est pas méchant.

ANGÉLIQUE.

Vous êtes sa gouvernante, vous avez dn cré- dit auprès de lui; parlez-lui pour moi.

M ARTHON.

Point du tout ; il faut que vous lui parliez vous-même. Tout au plus , je pourrois le préve- venir, et le disposer à vous entendre.

ANGÉLIQUE.

Oui, oui, dites-lui quelque chose; je lui par- lerai après. i^Elle veut s'en aller. )

MARTHON.

Ne vous en allez pas.

ANGÉLIQUE.

Non, non : appelez-moi; je n'irai pas loin.

( Elle sort. )

iSG LE BOURRU BIENFAISANT.

SCÈNE ni.

MARTHON.

Qu'elle est douce! qu'elle est aimable! je l'ai vue naître ; je l'aime, je la plains, et je voudrois la voir heureuse. (^Apercevant M. Gérante.) Le voici.

SCÈNE IV.

M. GÉRONTE, MARTHON.

M. GÉRONTE, adressant la parole à Marthon. Picard !

MARTHOX.

Monsieur...

M. GÉnONTE.

Que Picard vienne me parler.

MARTHON.

Oui, monsieur. Mais pourroit-on vous dire un mot ?

M. GÉRONTE, fort et avec vivacité. Picard ! Picard !

MARTHON, fort et en colère. Picard ! Picard !

ACTE I, SCENE V. iS^

SCÈINE V.

M. GÉRO^'TE, PICARD, MARTHON.

PICARD, a Marthon. Me voilà, me voilà.

MARTHON , a Picard , avec humeur. Votre maître...

PICARD, h M. Géronte. Monsieur...

M. GÉRONTE, à Picard. Va chez mon ami Dorval; dis-lui que je l'at- tends pour jouer une partie d'échecs.

PICARD.

Oui, monsieur; mais...

M. GÉRONTE.

Quoi?

PICARD.

J'ai une commission.

M. GÉRONTE.

Quoi donc ?

PICARD.

Monsieur votre neveu...

M. GÉRONTE, vivement. Va-t'en chez Dorval.

PICARD.

Il voiidroit vous parler...

iï8 LE BOURRU BIENFAISANT.

M. GÉRONTE.

%'a donc, coquin.

PICA HD.

Quel homme!

( // sort. )

SCÈNE VI.

M. GÉRONTE, MARTHON.

M. GÉRONTE, S approchant de la table. Le fat! le misérable! Non, je ne veux pas le voir ; je ne veux pas qu'il vienne altérer ma tran- quillité.

MARTHON, a part. Le voilà maintenant dans le chagrin : il n'y manquoit que cela.

M. GÉRONTE, assis.

Le coup d'hier! Oh! ce coup d'hier! Comment

ai-je pu être mat avec un jeu si bien disposé?

Voyons un peu. Je n'ai pas dormi de la nuit.

( // examine le jeu. )

MARTHON.

Monsieur, pourroit-on vous parler?

M. GÉRONTE.

Non.

MARTHON.

Non? Cependant j'aurois quelque chose d'in- téressant...

ACTE I, SCENE VI. 1.S9

M. GÉROîtTB.

Eh bien ! qu'as-tu à rae dire? Dëpêche-toL

MARTHON.

Votre nièce voudroit vous parler.

M. GÉROKTE.

Je n'ai pas le temps.

M AKTHO>.

Bon!... C'est donc quelque chose de bien sé- rieux que vous faites là?

M. GÉliONTE.

Oui, cela est très sérieux. Je ne m'amuse guère; mais, quand je m'amuse, je n'aime pas qu'on vienne me rompre la tète , entends-tu ?

MARTHON.

Cette pauvre fille !.. .

M. GÉBONTE.

Que lui est-il arrivé?

MARTHON.

On veut la mettre dans un couvent. M. GÉRONTE, Se levant.

Dans un couvent! Mettre ma nièce au couvent ! Disposer de ma nièce sans ma participation , sans mon consentement!

M A B T II o K .

Vous savez les dérangements de monsieur Da-. lancour?

iGo LE BOURKU BIENFAISANT.

M. GÉRONTE.

Je n'entre point dans les désordres de mon ne- veu , ni dans les folies de sa femme. Il a son bien ; qu'il le mange, qu'il se ruine, tant pis' pour lui: mais, pour ma nièce, je suis le chef delà famille, je suis le maître, c'est à moi à lui donner un état.

M ARTHON.

Tant mieux pour elle, monsieur; tant mieux. Je suis enchantée de vous voir prendre feu pour les intérêts de cette chère enfant.

M. GÉKONTE.

est-elle ?

MARTHOK.

Elle est tout près d'ici, monsieur; elle attend le moment...

M. GÉRONTE.

Qu'elle vienne.

MARTHON.

Oui, elle le désire très fort; mais...

M. GÉRONTE.

Quoi?

MARTHOM.

Elle est timide...

M. GÉRONTE.

Eh Lien ?

MARTHOK.

Si vous lui parlez...

ACTE I, SCENE VI. j6i

M. GÉRONTE, Vivement. Il faut bien que je lui parle.

MARTHO^.

Oui ; mais ce ton de voix...

M. GÉRONTE.

Mon ton ne fait de mal à personne. Qu'elle vienne , et qu'elle s'en rapporte à mon cœur et non pas à ma voix.

MARTHON.

Cela est vrai, monsieur; je vous connois, je sais que vous êtes bon, humain, charitable : mais, je vous en prie , ménagez cette pauvre enfant ;. parlez-lui avec un peu de douceur.

M. GÉRONTE.

Oui, je lui parlerai avec douceur

MARTHON.

Me le promettez-vous?

M. GÉRONTE.

Je te le promets.

MARTHON.

Ne l'oubliez pas.

M. GÉRONTE,

Non.

(/f commence à s'impatienter.)

MARTHON.

Sur-tout, n'allez pas vous impatienter.

i4.

i62 LE BOURRU BIENFAISANT.

M. G ÉRONTE, virement. Non, te dis-je.

M XKTnoti^ à part , en s en allant. Je tremble pour Angélique.

{Elle sort.)

SCÈNE VII.

GÉRONTE.

Elle a raison. Je me laisse emporter quelque- fois par ma vivacité ; ma petite nièce mérite qu'on la traite avec douceur.

SCÈNE VIII.

M. GÉRONTE; ANGÉLIQUE, 5e tenant à

ifuelque distance.

M. GÉRONTE.

Approchez. ANGÉLIQUE, avec timidité, ne faisant qu'un pas. Monsieur...

M. GÉRONTE, un peu vivement. Comment voulez -vous que je vous entende, i\ vous êtes à une lieue de moi?

ANGÉLIQUE, s'avaiice en tremblant. Excusez, monsieur.

ACTE 1, SCÉNK VIII. i63

M. GÉKOVTK^ avec douceur. Qu'avez-vous à me dire?

ANGÉLIQUE.

Marthon ne vou» a - t - elle pas dit quelque chose ?

M. GÉRONTE, Commençant avec tranquillité et s échauffant peu à peu.

Oui; elle m'a parlé de vous; elle m'a parlé de votre frère , de cet insensé , de cet extravagant , qui se laisse mener par une femme imprudente, qui s'est ruiné, qui s'est perdu, et qui me manque encore de respect! (^Anqélique veut s'en aller.) allez-vous?

ANGÉLiQCE,en tremblant.

Monsieur, vous êtes en colère...

M. GÉBONTE.

Qu'est-ce que cela vous fait? Si je me mets en colère contre un sot, ce n'est pas contre vous. Approchez, parlex, et n'ayez pas peur de ma colère.

ANGÉLIQUE.

Mon cher oncle, je ne saurois vous parler, si je ne vous vois tranquille.

M . G É p. o N T K , ù pn rt.

Quel martyre! Anrjéli<jue,vn secontraiçjnunl.) Me voilà iraïKjiiiUe. Parlez.

i64 LE BOURRU BIENFAISANT.

ANGÉLIQUE-

Monsieur... Marthon vous aura dit...

M. G É HONTE.

Je ne prends pas garde à ce que m'a dit Mar- thon ; c'est de vous que je le veux savoir. ANGÉLIQUE, avec timidité. Mon frère...

M. GÉBONTE, la contrefaisant. Votre frère...

ANGÉLIQUE.

Voudroit me mettre dans un couvent.

M. GÉRONTE.

Eh bien! aimez-vous le couvent ?

ANGÉLIQUE.

Mais , monsieur...

M. GÉRONTE, Vivement. Parlez donc.

ANGÉLIQUE.

Ce n'est pas à moi à me décider.

M. GÉRONTE, eucove plus Vivement. Je ne dis pas que vous vous décidiez: mais je veux savoir quel est votre penchant.

ANGÉLIQUE.

Monsieur, vous me faites trembler.

M. GÉRONTE, rt ;jrt)(.

J'enrage! ( en se contraignant.) Approchez, je

ACTE I, SCENE VIII. i65

vous comprends; vous n'aimez donc pas le cou- vent?

ANGÉLIQUE.

Non, monsieur.

M. OÉROSTE.

Quel est l'état que vous aimeriez davantage?

ANGÉLIQUE.

Monsieur...

M. BONTE, uii pcu Vivement. Ne craignez rien, je suis tranquille; parlez- moi librement.

A > G É L I Q u E , « part. Ah! que nai-je le courage!...

M. GÉRONTE.

Venez ici. Voudriez-vous vous marier?

ANGÉLIQUE.

Monsieur...

M. GÉRONTK, vivemejit. Oui , ou non ?

ANGÉLIQUE.

Si vous vouliez...

M. GÉRONTE, vivement. Oui , ou non?

ANGÉLIQUE.

Mais, oui.

M. GÉnoNTE, encore plus vivement. Oui? Vous voulez vous marier, perdre la li-

i66 LE BOURRU BIENFAISANT, berté, la tranquillité? Eh bien! tant pis pour vous; oui, je vous marierai.

ANGÉLIQUE, à paît.

Qu'il est charmant, avec sa colère. M. GÉRONTE, brusquement. Avez-vous quelque Inclination?

ANGÉLIQUE, rt part.

Sij'osoislui parler de Valère!

M. GÉRONTE,^ vivemeut. Quoi! auriez-vous quelque amant?

ANGÉLIQUE, à part. Ce n'est pas le moment; je lui ferai parler par sa gouvernante.

M. GÉRONTE, toujours avcc vivacité. Allons, finissons. La maison vous êtes, les personnes avec lesquelles vous vivez, vous au- roient-elles fourni l'occasion de vous attacher à quelqu'un? Je veux savoir la vérité. Oui, je vous ferai du bien ; mais à condition que vous le mé- riterei!, entendez-vous?

ANGÉLIQUE, eii tremblant. Oui, monsieur.

M. GÉRONTE, avec le même toti. Parlez -moi nettement, franchement; avez- vous quelque inclination?

ANGÉLIQUE, ett hésitant et tremblant. Mais... noxi, monsieur, je n'en ai aucune.

ACTE I, SCENE VIII. 167

M. GÉRONTE.

Tant mieux. Je penserai à vous trouver un mari.

ANGÉLIQUE, à part.

Dieu! je ne voudrois pas... M. Gérante. ) Monsieur...

M. GÉRONTE.

Quoi?

ANGÉLIQUE.

Vous connoissez ma timidité.

M. GÉRONTE.

Oui, oui, votre timidité. Je connois les femmes : vous êtes à présent une colombe ; quand vous se- rez mariée, vous deviendrez un dragon.

ANGÉLIQUE.

Hélas! mon oncle, puisque vous êtes si bon...

M. GÉRONTE.

Pas trop.

ANGÉLIQUE.

Permettez-moi de vous dire...

M. GÉRONTE, en s^ approchant delà table.

Mais Dorval ne vient pas.

ANGÉLIQUE.

Ecoutez-moi , mon cher oncle.

M. GÉRONTE, occupé h SOU échiquier. Tiaissez-moi.

163 LE BOURRU BIENFAISANT.

ANGKLIQTE.

Un seul mot.

M. GÉRONTE, ybff vivetnetit. Tout est dit.

ANGÉLIQUE, à paH , en s'en allant. Ciel! me voilà plus malheureuse que jamais; que vais-je devenir? Eh! ma chère Marthoane m'abandonnera pas.

SCÈNE IX.

M. GÉRONTE.

C'est une bonne fille; je suis bien aise de lui faire du bien. Si même elle avoit eu quelque in- clination, j'aurois tâché de la contenter; mais elle n'en a point. Je verrai... je chercherai. ..Mais que diantre fait ce Dorval , qui ne vient pas? Je meurs d'envie d'essayer une seconde fois ce mau- dit coup qui m'a fait perdre la partie. C'étoit sûr, je devois gagner. Il falloit que j'eusse perdu la tête. Voyons un peu... Voilà l'arrangement de mes pièces; voilà celui de Dorval. Je place le roi à la case de sa tour. Dorval pousse son fou à la seconde case de son roi. Moi... échec; oui, et je prends le pion. Dorval... a-t-il pris mon fou, Dorval? Oui, il a .pris mon fou, et moi...

ACTE I, SCÈNE IX. i6>j

double échec avec le cavalier. Parbleu! Dorval a perdu sa dame. Il joue son roi; je prends sa dame. Ce coquin, avec son roi, a pris mon ca- valier. Mais tant pis pour lui ; le voilà dans mes filets ; le voilà engagé avec son roi. Voi- là ma dame; oui, la voilà; échec et mat; c'est clair: échec et mat, cela est gagné... Ah, si Dor- val venoit, je lui ferois voir. [Il appelle.) Picard !

SCÈNE X.

M. GÉRONTE, M. DALANCOUR.

M. D A L .\ >' c o r R , rt part, et d'un air très

embarrassé. Mon oncle est tout seul ; s'il vouloit m écouter.

M. GÉROUTE, sans voir Dalancour. J'arrangerai le jeu comme il étoit. (// appelle plus fort.) Picard !

M . DALANCOUR.

Monsieur... M. G ÉRCS TE, sans se détourner., croyant parler à Picard. Eh bien ! as-tu trouvé Doi-val ?

170 LE BOURRU BIENFAISANT.

SCÈNE XI.

M. GÉRONTE, DORVAL, M. DALANCOUR.

DOR V A L, qui entre par la porte du milieu , <i monsieur Gérante. Me voilà, mon ami.

M. n AL ANCOUR, J'urt air résolu. Mon oncle... (Af. Gérante., se retournant, aperçoit Dalancour, se lève brusquement , renverse la chaise, s'en vasans rien dire , et sort par laporte dumilieu.)

SCÈNE XII.

M. DALANCOUR, DORVAL.

DORVAL, souriant. Qu'est-ce que cela signifie?

M. DALANCOUR, Vivement. Cela est afFreux ; c'est moi à qui il en veut.

DORVAL, toujours du m.ême ton. Je reconnois bien mon ami Géronte.

M. DALANCOUR.

J'en suis fâché pour vous.

DORVAL.

Vraiment, je suis arrivé dans un mauvais mo- ment.

ACTE I, SCENE XII. 171

M. n AL AN COUR.

Pardonnez sa vivacité.

UORVAL, souriant. Oh! je le gronderai.

M. DALANCOUR.

Ah ! mon cher ami , il n'y a que vous qui puis- siez me rendre service auprès de lui. noRVAL. Je le voudrois bien de tout mon cœur ; mais...

M. DALANCOCR.

Je conviens que, sur les apparences, mon oncle a des reproches à me faire ; mais, .s'il pou- voit lire au fond de mon cœur, il me rendroit toute sa tendresse, et je suis sûr qu'il ne s'en re- pentiroit pas.

DORVAL.

Oui, je vous connois, je crois qu'on pourroit tout espérer de vous ; mais madame Dalancour... M. DALANCOUR, un peu Vivement.

Ma femme, monsieur? Ah! vous ne la connois- sezpas; tout le monde se trompe sur son compte, et mon oncle le premier. Il faut que je lui rende justice, et que je vous découvre la vérité : elle ne sait rien de tous les malheurs dont je suis acca- blé : elle m'a cru plus riche que je n'étois, je lui ai toujours caché mon état. Je l'aime ; nous nous sommes maric's fort jeunes : je ne lui ai jamais

172 LE BOURRU BIENFAISANT,

donné le temps de rien demander, de rien dési- rer; j'allois toujours au-devant de tout ce qui pouvoit lui faire plaisir : c'est de cette manière que je me suis ruiné.

non VA L. Contenter une femme! prévenir ses désirs! La besogne n'est pas petite.

Bl. DALANCOCR.

Je suis sur que, si elle avoit su mon état, elle eût été la première à me retenir sur les dépenses que j'ai faites pour elle.

DORVAL.

Cependant elle ne les a pas empêchées.

M. DALANCOUR.

Non, parcequ'elle ne s'en doutoit pas.

DOR V AL, en riant. Mon pauvre ami !

M. DALANCOUR, d'uti air fciché. Quoi?

DORVAL, toujours cn riant. Je vous plains.

M. DALANCODR, vivemeut. Vous moqueriez-vous de moi?

DORVAL, toujours en souriant. Point du tout. Mais... vous aimez prodigieuse- ment votre femme.

ACTE 1, SCÈNE XII. 173

M. DALA>conR, encorc plus vivement. Oui, je l'aime, je l'ai toujours aimée, et je l'ai- merai toute ma vie; je la connois; je connois toute l'étendue de son mérite, et je ne souffrirai jamais qu'on lui donne des torts qu'elle n'a pas. D o R V .A L , sérieusemen t. Doucement, mon ami, doucement; modérez cette vivacité de famille.

M. DALANCOCR, tOHJouvs vivcment. Je vous demande mille pardons; je serois au désespoir de vous avoir déplu; mais quand il s'a- git de ma femme...

nORVAL.

Allons, allons, n'en parlons plus.

M. DALANCODR.

Mais jevoudrois que vous en fussiez convaincu.

D o R V A L , froidem en t. Oui, je le suis.

M. BALANCOCR, Vivement. Non, vous ne l'êtes pa.s.

DonvAL, un peu plus vivement. Pardonnez-moi, vous dis-je.

M. DALANCOTJB.

Allons, je vous crois, j'en suis ravi. Ah! mon cher ami, parlez à mon oncle pour moi.

!)OH V Al,.

. Je lui parlerai.

|5.

174 LE BOURRU BIENFAISANT.

M. DALANGOUR.

Que je vous aurai d'obligations!

DO II VAL.

Mais encore il faudra bien kii dire quelques raisons. Comment avez-vous fait pour vous rui- ner en si peu de temps? Il n'y a que quatre ans que votre père est mort; il vous a laissé un bien considérable, et on dit que vous avez tout dis- sipé?

M. DALAKCOUB.

Si vous saviez tous les malheurs qui me sont arrivés! J'ai vu que mes affaires alloient se dé- ranger, j'ai voulu y remédier, et le remède a été encore pire que le mal. J'ai écouté des projets; j'ai entrepris des affaires; j'ai engagé mon bien, et j'ai tout perdu.

nORVAL.

Et voilà le mal. Des projets nouveaux! ils en ont ruiné bien d'autres.

M. DALANCOCK.

Et moi sans retour.

DORVAL.

Vous avez très mal fait, mon cher ami; d'au- tant plus que vous avez une sœur.

M. DAl-ANCOrr,.

Oïii, et il faudroit penser à lui donner un ('lat.

ACTE 1, SCKNF. XII. 175

dorval. Chaque jour, elle embellit. Madame Dalancour voit beaui'oup tie monde chez elle ; et la jeu- nesse, mon cher ami... quelquefois... vous devez m'entendre.

M. DALANCOUn.

C'est pour cela qu'en attendant que j'aie trouvé quelque expédient j'ai formé le projet de la mettre dans un couvent. DonvAL.

La mettre au couvent ; cela est bon : mais en avez-vous parlé à votre oncle?

M. DALANCOUR.

Non ; il ne veut pas m'écouter : mais vous lui parlerez pour moi, vous lui parlerez pour Angé- lique ; il vous estime , il vous aime , il vous écoute , il a de la confiance en vous, il ne vous refusera pas.

DORVAL.

Je n'en sais rien.

M. DALANCOUR, vivcinent. Oh! j'en suis sûr; voyez-le, je vous eu prie, tout à l'heure.

DORVAL.

Je le veux bien. Mais est-il maintenant?

M. DALANCOUR.

Je vais le savoir. Voyons: holà, quelqu un!

176 LE BOURRU BIENFAISANT.

SCÈNE XIII.

PICARD, M. DALANCOUR, DORVAL.

piCAnD,rtM. Dalaticour. Monsieur.

M. DALANCOUR, h Picard. Mou oncle est-il sorti ?

PICARD.

Non, monsieur; il est descendu dans le jardin.

M. DALAKCOUR.

Dans le jardin! à l'heure qu'il est!

PICARD.

Cela est f'gal, monsieur: quand il a de l'hu- meur, il se promène, il va prendre l'air. DORVAL, à M. Dalancour. Je vais le joindre.

M. DALANCOUR, « Dorval.

Non, monsieur: je connois mon oncle ; il faut lui donner le temps de se calmer, il faut l'at- tendre.

DORVAL.

Mais s'il alloit sortir, s'il ne remontoit pas?

PICARD, à Dorval. Pardonnez-moi, monsieur, il ne tardera pas à remonter. Je sais comme il est : un demi-quart

ACTE I, SCENE XUI. 177

d'heure lui suffit. D'ailleurs, monsieur, il sera bien aise de vous trouver ici.

M. DALANCODR, vivement. Eh bien, mon cher ami, passez dans son ap- partement; faites-moi le plaisir de l'attendre.

no R VAL.

Je le veux bien. Je sens combien votre situa- tion est cruelle; il faut y remédier: je lui parle- rai pour vous; mais à condition...

M. DALANCOUR, vivement.

Je vous donne ma parole d'honneur.

DORVAL.

Cela suffit. (// entre dat^s V appartement de M. Gérante.)

SCÈNE XIV.

PICARD, M. DALANCOUR.

M. DALAKCOUR.

Tu n as pas dit à mon oncle ce c|ue je t'avois chargé de lui dire?

PICARD.

Vardonnez-moi, monsieur, je lui ai dit; mais il m'a renvoyé à son ordinaire.

M. DALANCOL'R.

Jeu suis fâché. Avertis-moi des bous moments

178 LE BOURRU BIENFAISANT, je pourrai lui parler; un jour je te récompen- serai bien.

p I C A H I).

Je vous suis bien obligé, monsieur ; mais, Dieu merci, je n'ai besoin de rien.

M. nALANCOUR.

Tu es donc riche?

PICARD.

Je ne suis pas riche ; mais j'ai un maître qui ne me laisse manquer de rien. J'ai une femme, j'ai quatre enfants; je devrois être dans l'embar- ras: mais mon maître est si bon! je les nourris sans peine, et on ne connoît pas chez moi la mi- sère.

(Il sort.)

SCÈNE XV. M. DALANCOUR.

Ah ! le digne homme que mon oncle ! Si Dorval gagnoit quelque chose sur son esprit! Si je pou- vois me flatter d'un secours proportionné à mon besoin!... Si je pouvois cacher à ma femme!... Ah ! pourquoi l'ai-je trompée ? Pourquoi me suis-je trompé moi-même? Mon oncle ne revient pas. Tous les moments sont précieux pour moi. Allons, en attendant, chez mon procureur... Que

ACTE I, SCÈNE XV. i-g

j'y vais avec peine! Il me flatte, il est vrai, que, malgré la sentence, il trouvera le moyen de ga- gner du temps : mais la chicane est odieuse; l'es- prit souffre, et l'honneur est compromis. Mal- heur à ceux qui ont besoin de tous ces honteux détours !

(// veut s'en aller.)

SCÈNE XVI.

M. DALANCOUR, madame DALANCOUR.

M. DALANCODR, apercevant SU femme. Voici ma femme.

M"»*^ DALAKCODR.

Ah, ah! vous voilà, mon ami? Je vous cher- chois par-tout.

M. DALANCOUR.

J'allois sortir...

MOie DALANCOUR.

Je viens de rencontrer ce bourru... Il grondoit, il grondoit !

M. DALANCOUR.

Est-ce de mon oncle que vous parlez?

M"'e DALANCOUR.

Oui. J'ai vu un rayon de soleil ; j'ai été me pro- mener dans le jardin, et je l'ai rencontré : il pes-

i8o LE BOURRU BIENFAISANT, toit, il parloit tout seul et tout haut; mais tout haut... Dites-moi une chose... n'y a-t-il pas chez lui quelque domestique de marié?

M. DALANCOUIl.

Oui.

M"'e DAL.\NCOtJR.

Assurément, il faut que cela sioit: il disoit du mal du mari et de la femme; mais du mal!... Je vous en réponds.

M. DALANCOUR, à part.

Je me doute bien de qui il parloit.

Mme DALANCOUR.

C'est un homme bien insupportable.

M. DALANCOUR.

Cependant il faudroit avoir quelques éjjards pour lui.

M"ie DALANCOUR.

Peut-il se plaindre de moi? Lui ai-je manqué en rien? Je respecte son âge, sa qualité d'oncle. Si je me moque de lui quelquefois, c'est entre vous et moi ; vous me le pardonnez bien . Au reste, j'ai tous les égards possibles pour lui. Mais dites-moi sincèrement, en a-t-il pour vous? en a- t-il pour moi? 11 nous traite très durement, il nous hait souverainement; moi sur-tout, il me méprise on' ne peut pas davantage. Faut-il, mal- gré tout cela, le flatter, aller lui faire notre cour?

ACTE I, SCENE XVI. i8i

H. DALASCOUH, avec un air embarrassé. Mais... quand nous lui ferions notre cour... il est notre oncle. D'ailleurs nous pourrions en avoir besoin.

MUie nALANCOCR.

Besoin de lui , nous ? Comment ? N'avons-nons pas assez de bien pour vi%'re honnêtement? Vous êtes rangé; je suis raisonnable ; je ne vous de- mande rien de plus ([ue ce que vous avez fait pour moi jusqu'à présent. Continuons avec la même modération, et nous n'aurous besoin de personne.

M . D A L A >■ C O D R , d'un air pas'sion né.

Continuons avec la même modération...

M">e DALANCOUIi.

Mais oui; je n'ai point de vanité, je ne vous demande pas davantage.

M. DALASCOCR, il part.

Malheureux que je suis!

M"'^ DALAKCOUR.

Mais vous me paroissez inquiet, rêveur; vous avez quelque chose. . . vous n'êtes pas tran- quille.

M. nALA.NCOUR.

Vous vous trompez , je n'ai rien.

M"'« I) ALA NCOUR.

Pardonnez-moi; je vous connois, mon cher

tb

i89, LE BOURRU BIENFAISANT.

ami : si quelque chose vous fait de la peine, vou-

driez-vous me le cacher?

M. DALANCOUR, toujours embarrassé. C'est ma sœur qui m'occupe, voilà tout.

M"ie DALANCOtl R.

Votre sœur? Pourquoi donc ? C'est la meilleure enfant du monde , je l'aime de tout mon cœur. Tenez, mon ami, si vous vouliez m'en croire, vous pourriez vous débarrasser de ce soin, et la rendre lieureuse en même temps.

M. DALANCOtIR.

Comment?

Mme DALANCOUR.

Vous voulez la mettre dans un couvent; et je sais de bonne part qu'elle en seroit très fâ- chée.

M. DALANCOUR, un peu ffiché.

A son âge, doit-elle avoir des volontés?

M™e DALANCOUB.

Non; elle est assez sage pour se soumettre à celle de ses parents. Mais pourquoi ne la mariez- vous pas?

M. DALANCOUR.

Elle est encore trop jeune.

Mme DALANCOUR.

Bon! étois-je plus âgée, quand nous nous sommes niariés?

ACTE 1, SCENE XVI. i83

M. DALANCODR, Vivement. Eh bien! irai-je de porte en porte lui chercher un mari.

Mine DALANCOCR.

Ecoutez, écoutez-moi, mon cher ami ; ne vous fâchez pas, je vous en prie. Je crois, si je ne me trompe, m'étre aperçue que Valère l'aime, et qu'il en est aimé.

M. DALANCOTJR, h part.

Dieu ! que je souffre !

Mine D AL A X COUR.

Vous le connoissez : y auroit-il pour Angélique un parti mieux assorti que celui-là?

M. DALANCOTJR, toujours embarrassé. Nous verrons; nous en parlerons.

Mme daLANCOTjR.

Faites-moi ce plaisir , je vous le demande en grâce; permettez-moi de me mêler de cette af- faire ; toute mon ambition seroit d'y réussir. M. DALAXCOCR, très embarrassé.

Madame...

M'"<^ DALANCOUR.

Eh bien?

M. DALAKCOUR.

Cela ne se peut pas.

M>ni- nALA NCOPR. Non? Pourquoi?

i8i LE BOURRU BIENFAISANT.

M. DALANCOUR, toujoiirs embarrassé. Mon oncle y consentiroit-il?

Mme DALANCOTJR.

A la bonne heure. Je veux bien qu'on lui rende tout ce qui lui est : mais vous êtes le frère ; la dot est entre vos mains; le plus ou le moins ne dépend que de vous. Permettez-moi de m'assurer de leurs inclinations, et que j'arrange à peu près l'article de l'intérêt.

M. nALkvcovn, viuement.

Non; gardez-vous-en bien, s'il vous plaît.

M'"e DALAKCOUR.

Est-ce que vous ne voudriez point marier votre so'ur?

M. DALANCOUR.

Au contraire.

Mi"e DALANCOUR.

Est-ce que...

M. DALANCOUR.

I! faut que je sorte : nous parlerons de cela à mon retour.

( // veut s'en aller.)

M'"<^ DALANCOUR

Trouvez-vous mauvais que je m'en mêle?

M. D A L A N c o u R , en s'en allant. Point du tout.

ACTE 1, SCÈNE XVI. 1 85

Mme DAtAHCOBR.

Écoutez; seroit-ce pour la dot?

M. UALANCOTJR.

Je n'en sais rien. ( // sort.)

SCÈNE XVII.

MADAME DALANCOUR.

Qu'est-ce que cela signifie? Je n'y entends rien. Se pourroit-il que mon mari... Non, il est trop sage pour avoir rien à se reprocher.

SCÉÎNE XVIII. MADAME DALANCOUR, ANGÉLIQUE,

ANGÉLIQUE, suTis voiimadame Dalancour. Si je pouvois parler à Marthon...

M"'e DALANCOUR.

Ma sœur.

ANGÉLIQUE, d'uti air fâché. Madame.

M"": DALANCOUR, avec amitié. allez-vous, ma sœur?

ANGÉLIQUE, dun air fâché. Je m'en allois, madame.

M>ne DALANCOUR.

Ah, ah ! vous êtes donc fâchée?

ANliÉLIQUE.

Je dois l'être.

iG.

.86 LK BOUKRU BIENFAISANT.

M"i<' T)A r.\>corR. Etes-vous fâchée contre inoi?

ANGÉLIQUE.

Mais, madame...

Mme DALANCOUR.

Écoutez, mon enfant. Si c'est le projet du cou- vent qui vous fâche, ne croyez pas que jy aie part ; au contraire. Je vous aime , et je ferai tout ce que je pourrai pour vous rendre heureuse. ANGÉLIQUE, rt /Jnrf, en pleurant.

Qu'elle est fausse!

Mme DALANCOUn.

Qu'avez-vous ? vous pleurez, je crois.

AN(;ÉLiQUE, h part. Elle m'a bien tiompée. (^E lie s'esuiie les jeux.)

M"ie UALANCOUR.

Quel est le sujet de votre chagrin? ANGÉLIQUE, avec dépit. Hélas ! ce sont les dérangements de mon frère.

M"'e DAL AN COUR, ayecetonnemenf. Les dérangements de votre frère?

ANGÉLIQUE.

(^ui ; personne ne le sait mieux que vous.

Mine n AL AN COUR.

Que dites-vous là? Expliquez-vous, s'il vous plait.

ACTE I, SCÈNE XVllI. 187

ANGliLlQUE.

Cela est inutile.

SCÈNE XIX.

M. GÉRONTE, madame DALANCOUR, ANGÉLIQUE; PlC.Wil), sortant de T ap- partement de M. Gérante.

M. GÉRONTE.

Picard !

l'ICA Rn. Monsieur.

M. GÉRONTE, h Picard, vivement. Eh bien! Dorval?

PICARII.

Monsieur, il est dans votre chambre: il vous attend.

M. GÉRONTE.

Il est dans ma chambre , et tu ne me le dis pas?

l'IC ARn. Monsieur, je n'ai pas eu le temps. M. GÉRONTE, apcrcevan t Angéliijue et madame Dalancour, parle a Angélique, mais en se totu- nant de temps en temps vers madame Dalan- cour, pour qu'elle en ait sa part. Que faites-vous ici? C'est mon salon, .fc ne

i88 LE BOURRU BIENFAISANT.

veux pas de femme ici ; je ne veux pas de votre

famille; allez-vous-en.

AN GÉLIQUE.

Mon cher oncle..,

M. GKRONTE.

Allez-vous-en, vous dis-je.''

(Angélique s'en va mortifiée.)

SCÈNE XX.

PICARD, MADAME DALANCOUR, M. GÉRONTE.

M'"e DALANCOUR, àM. Géroute. Monsieur, je vous demande pardon.

M. GÉRONTE, se tournant du côté par Angé- lique est sortie ; mais, de temps en temps, se tournant vers m.adame Dalancour. Cela est singulier ! Cette impertinente ! elle

veut venir me gêner. Il y a un autre escalier pour

sortir. Je condanmerai cette porte.

M"'e DALANCOUR.

Ne vous fâchez pas monsieur. Pour moi, je

vous assure...

M. GÉRONTE voudrait aller dans son apparte- ment, mais il ne voudrait pas passer devant madame Delancour. Il dit à Picard: Dorval , dis-tu, est dans ma chambreV

ACTE 1, SCÈNE XX, 189

piCAnn. Oui, monsieur. M'os DALANCOTiR, S apercevant de la contrainte de M. Gérante^ se recule. Passez, passez, monsieur ; je ne vous gêne pas. M. GÉROXTE, h madame Datancoiir, en passant, et la saluant à peine. Serviteur. Je condamncrni cette porte.

( // entre chez lui; Picard le suit.)

SCÈNE XXI.

MADAME DALANCOUR.

Quel caractère ! Mais ce n'est pas cela qui m'in- quiète le plus, c'est le trouble de mon mari, ce sont les propos d'Anyélique. Je doute, je crains; je voudrois connoitre la vérité, et je tremble de l'approfondir.

FIN ni3 PKEMIER ACTE.

ACTE SECOND.

SCÈNE I.

DORVAL, M. GÉRONTE.

M. GÉRONTE.

Allons jouer, et ne m'en parlez plus.

nORVAL.

Mais il s'agit d'un neveu.

M. GÉRONTE, vivemeiit. D'un sot, d'un imbécile, qui est l'esclave de sa femme, et la victime de sa vanité.

DORVAL.

De la douceur, mon cher ami, de la douceur.

M. GÉRONTE.

Et vous, avec votre flegme, vous me feriez enrager.

DORVAL.

Je parle pour le bien.

M. GÉRONTE.

Prenez une chaise. ( Il s'assied.) DORV AL, </'u>t ton compatissant, pendant qu'il approche une chaise. Le pauvre garçon!

LE BOURRU BIENFAISANT. lyi

M. GÉRONTE.

Voyons ce coup d'hier.

DORVAL, toujours du même ton. Vous le perdrez.

M. GÉRONTE.

Point du tout; voyons.

DORVAL.

Vous le perdrez, vous dis-je.

M. GÉRONTE.

Je suis sûr que non.

DORVAL.

Si VOUS ne le secourez pas, vous le perdrez.

M. GÉRONTE.

Qui?

DORVAL.

Votre neveu.

M. GÉRONTE, uii^ement. Eh! je parle du jeu, moi. Asseyez-vous.

DORVAL, s' asseyant. Oui, je veux bien jouer; mais ccoutez-moi auparavant.

M. GÉRONTE.

Me parlerez-vous encore de Dalancour?

DORVAL.

Cela se pourroit bien.

M. GÉRONTE.

Je ne vous écoute pas.

igi LE BOURRU BIENFAISANT.

nORVàL.

V^ous haïssez donc Dalaocour?

M. GÉROiSTE.

Point du tout; je ne hai^ personne.

DORVAL.

Mais si vous ne voulez pas...

M. GÉRONTE.

Finissez; jouez: jouons, ou je m'en vais.

DORVAL.

Encore un mot, et je finis.

M. GÉRONTE.

Quelle patience !

DORVAL.

Vous avez du bien.

M. GÉRONTE.

Oui, grâce au ciel.

DORVAL.

Plus qu'il ne vous en faut.

M. GÉRONTE.

Oui; au service de mes amis.

DORVAL.

Et vous ne voulez rien donner à votre neveu?

M. GÉRONTE.

Pas une obole.

nOR VA L. Par conséquent...

ACTE II, SCÈNE I. i<)3

M. GKRONTK.

Pnr conséquent?...

non VAL. Vous le haïssez.

M. cÉTioyt f:, plus vii'ement. Par conséquent, vous ne savez ce que vous dites. Je hais, je déte.ste sa façon de penser, sa mauvaise conduite : kii donner de l'argent ne serviroit qu'à entretenir sa vanité, sa prodiga- lité , ses folies. Qu'il change de système, je chan- gerai aussi vis-à-vis de lui. Je veux que le re- pentir mérite le bienfait, et je ne veux pas (jue le bienfait empêche le repentir. DORVAL, après un moment de silence, parott convaincu, et dit fort doucement : Jouons, jouons.

M. GÉRONTE.

Jouons.

noRVAi,, en jouant. J'en suis fâché.

M. GÉIIO >TE, <'»i yoitrtXf.

Echec au roi.

DORVAL, enjonant. Va cette pauvre fille?

M. OKnONTE.

Qui?

'7

194 LE BOURRU BIENFAISANT.

DORVAL.

Angélique.

M. OÉRONTE.

Ah! pour celle-là, c'est autre chose. Parlez- moi décela. ( // laisse le jeu.)

DORVAL.

Elle doit bien souffrir aussi.

M. GERONTE.

J'y ai pensé, j'y ai pourvu; je la marierai.

DORVAL.

Tant mieux. Elle le mérite bien.

M. GÉRONTE,

Voilà , par exemple , une petite personne ac- complie, n'est-ce pas?

DORVAL.

Oui.

M. GÉBONTE.

Heureux celui qui l'aura ! (// rêve un instant , se lève en appelant.) Dorval !

DORVAL.

Mon ami.

M. OÉRONTE.

Ecoutez.

DORVAL, se levant, ah bien?

M. GÉRONTE.

Vous êtes mon ami.

ACTE II, SCENE 1. igS

DORVAL.

Oh! sûrement.

M. GÉROME.

Si VOUS la voulez, je VOUS la donne.

DORVAL.

Quoi?

M. GÉRONTE.

Oui, ma nièce.

DORVAL.

Comment?

M. GÉRONTE, vivemetil.

Comment ! comment ! Eles-vous sourd? ne ni'enteiidez-vous pas? Je parle clairement. Oui , si vous la voulez, je vous la donne.

DORVAL.

Ah! ah!

M. GÉRONTE.

Et si VOUS l'ëpousez, outre sa dot, je lui don- nerai cent mille livres du mien. Hem ! qu'en dites-vous?

DORVAL.

Mon cher ami, vous me faites honneur.

M. GÉRONTE.

Je vous connois; je ne tcrois que le bonheur de ma nièce.

non V A L. Mais...

n,l) LK BOURRU BIENF AIS AMT.

M. GÉRONÏE.

Quoi?

DORV AL.

Son frère!...

M. GÉRONTE.

Son frère! Son frère n'est rien... C'est moi qui en dois disposer. La loi, le testament de mon frère... J'en suis le maitre. Allons, décidez-vous sur-le-champ.

DORV AI,.

Mon ami, ce que vous me proposez-là n'est pas une chose à précipiter; vous êtes trop vif.

M. GÉRONTE.

Je n'y vois point de difficultés; si vous l'aimez, si vous l'estimez, si elle vous convient, tout est dit.

nORV AL.

Mais...

M. GÉRONTE ,/i7c/ie'.

Mais, mais. Voyons votre mais.

DORV A L.

Comptez- vous pour rien la disproportion de seize à quarante-cinq?

M. GÉRONTE.

Point du tout; vous êtes encore jeune; et je connois Angélique , ce n'est pas une tête éventée.

ACTE II, SCENE I. 197

DOR V AL.

D'ailleurs elle pourroit avoir quelque incli- nation.

M. GÉR05TE.

Elle n'en a point.

DORVAL.

En étes-vous bien sûr?

M. OÉRONTE.

Trèssiir. Allons, concluons. Je vais chez mon notaire ; je fais dresser le contrat; elle est à vous.

DOR VAL.

Doucement, mon ami, doucement. M. r, ÉRONTE, vivement.

Eh bien! quoi? Voulez-vous encore me fati- guer, me chagriner, m'ennuyer avec votre len- teur, votre sang-froid?

DORVAL.

Vous voudriez donc?...

M. GÉRONTE.

Oui, vous donner une jolie fille, sage, hon- nête, vertueuse, avec cent mille écus de dot, et cent mille livres de présent de noce ; cela vous fâche-r-il?

UOR VAL.

C'est beaucoup plus que je iic mérite.

iqS le bourru RIENFAlSAiNT. M. GÉRONTE, Vivement. Votre modestie, dans ce moment- ci, me le- roit donner au diable.

DORV AL.

Ne vous fâchez pas. Vous le voulez?

M. CtÉRONTE.

Oui.

DORVàL.

Eh bien! j'y consens.

M. GÉRONTE, avecjoic. Vrai?

DORVAL.

Mais, à condition...

M. GÉRONTE.

Quoi?

DORVAL.

Qu'Angélique y consentira.

M. GÉRONTE.

Vous n'avez pas d'autres difficultés?

DORVAL.

Que celle-là.

M. GÉRONTE.

J'en suis bien aise, je vous en réponds.

nORVAL.

Tant mieux, si cela se vérifie.

ACTE II, SCENE I. 199

M. GÉRONTE.

Sur , très iùr. Embrassez - moi , mon cher neveu.

DOR V AL.

Embrassons-nous donc, mon cher oncle,

SCÈNE II.

M. DALANCOUR, M. GÉRONTE, DORVAL.

( M. Dalancour entre par la porte du fond ; il voit son oncle , il écoute en passant. Il se sauve chez lui; mais il reste à la porte pour écouter.)

M. OÉROWTE.

C'est le jour le plus heureux de ma vie.

DOn VAL.

Que vous êtes adorable, mon cher ami!

.M. GÉROKTE.

Je vais chez mon notaire ; tout sera prêt pour aujourd'hui. (// appelle.) Picard !

SCÈNE m.

M. UALANGOUll, M. GÉRONTE, DORVAL, PIGARI).

M. O ÉRONTK,« l*icurd-

Ma canne, mon cliapi^an.

( Picard sort.)

2oo LE BOUKIIU BIENFAISANT.

SCÈINE iV.

DORVAL, M. GÉROJNTE; M. DALANGOUR,

h sa parle.

nORVAL.

J'irai, en attendant, chez moi.

-SCÈNE V.

DORVAL, M. GÉRONTE, M. DALANGOUR, PIGARD.

( Picard donne à son maître sa canne et son chapeau, et rentre.)

SCÈNE VI.

DORVAL, M. GÉRONTE; M. DALANGOUR,

h sa porte.

M. G É BON TE.

Non, non : vous n'avez qu'à m'attendre. Je vais revenir; vous dînerez avec moi.

DORVAL.

J'ai à écrire. Il faut que je fasse venir mon homme d'affaires qui est à une lieue de Paris.

M. GKRONrK.

Allez «laiis ma chamhre ; écrivez; eirvoyez la lettre par l'icard. Oui, Picard ira lui-même la

ACTE H, SCENE VI. 201

porter; c'est un bon garçon, sage, fidèle: je le gronde quelquefois, mais je lui veux du bien.

DORV A L.

Allons, j'écrirai -dedans, puisque vous le voulez absolument.

M. GÉRONTE.

Tout est dit.

DORVAL.

Oui, comme nous sommes convenus.

M. GÉRONTE, en lui prenant la main. Parole d'honneur?

DORVAL, en donnant la main. Parole d'honneur.

M. GKKo^TK, en s'en allant. Mon cher neveu!... (// sort.^ (M. Dalancour, au dernier mot, manjue de la joie. )

SCÈNE VII. M. DALANCOUR, DORVAL.

DORVAL, a soi-même. En vérité, tout ce qui m'arrive me paroît un songe. Me marier, moi qui n'y ai jamais pensé! M. DALANCOITR, avec la plus grande joie. Ah! mon cher ami, je ne sais comment vous marquer ma reconnoissancc.

J02 LE BOURRU BIENFAISANT.

D O R V A L.

De quoi?

M. DALANCOUR.

N'ai-je pas entendu ce qu'a dit mon oncle? Il m'aime, il me plaint, il va chez son notaire; il vous a donné sa parole d'honneur: je vois bien ce que vous avez fait pour moi. Je suis l'homme du monde le plus heureux.

D OR VAL.

Ne vous flattez pas tant, mon cher ami. Il n'y a pas le mot de vrai, de tout ce que vous ima- ginez là.

M. DALANCODR.

Comment donc?

DORVAL.

J'espère bien, avec le temps, pouvoir vous être utile auprès de lui; et désormais, j'aurai même un titre pour m'intéresser davantage en votre faveur : mais, jusqu'à présent... M. DALANCOUR, vivement.

Sur quoi a-t-il donc donné sa parole d'hon- neur?

DORV AL.

Je vais vous le dire... C'est qu'il m'a fait l'hon- neur de me proposer votre sœur en mariage...

M. DALANCOUR, UVCC joie.

Ma sœur! L'acceptez-vous?

ACTE II, SCENE VII. 2o3

nORVAL.

Si vous en êtes content.

M . D ."i L A s c o u n . J'en suis ravi ; j'en suis enchante. Pour In dot , vous savez mon ëtat actuel.

D O R V A L ,

Nous parlerons de cela.

M. DALANCOUR.

Mon cher frère, que je vous embrasse de tout mon camr!

DORV AL.

Je me flatte que votre oncle, dans cette occa- sion...

M. DALANCOUR.

Voilà un lien qui fera mon bonheur. J'en avois le plus grand besoin. J'ai e'té chez mon procureur, je ne l'ai pas trouvé.

SCÈNE VIII.

MADAME DALANCOUR, M. DALANCOUR, DORVAL.

M. DALANCOUR, apercevant Sa femme. Ah! madame Dalancour...

M'"c D AL A NCOUR, rt M. X>a/«ncour. Je vous attendois avec impatience. J'ai enten- du votre voix...

2o4 LE BOURRU BIENFAISANT.

M . n A L A N C O U It .

Ma femme, V(jilà monsieur Dorval que je vous présente, en qualité de mon frère, d'époux d' A n- gélicjue.

Mlle DALANCOUR, avec joic. Oui?

DORVAL, à madame Dalancour. Je serai bien flatté, madame, si mon bonheur peut mériter votre a])probation.

Mlle BALANCOUR, Ô Dorwrt/.

Monsieur, j'en suis enchantée. Je vous en fé- licite de tout mon cœur, (a part.) Qu'est-ce qu'on me disoit donc du dérangement de mon mari?

M. DALANCOUR, h M. DovVal.

Ma sœur le sait-elle?

DORVAL, rt M. Dalancour. Je ne le crois pas.

M'"C DALANCOUR, a part.

Ce n est donc pas Dalancour qui fait ce ma- riage-là?

M. DALANCOUR.

Voulez-vous que je la fasse venir?

D o R V A L

Non ; il faudroit la prévenir : il pourroit y avoir encore une difficulté.

M. DALANCOUR,

Quelle?

ACTE II, SCÈNE VIII. 2o5

nORV AL.

Celle de son agrément.

M. nALANCOtJR.

Ne craignez rien ; je connois Angélique : d'ail- leurs votre état, votre mérite. . . Laissez - moi faire ; je parlerai à ma sœur.

DOR VAL.

Non, cher ami, je vous en prie; ne gâtons rien : laissons faire monsieur Geronte.

M. DALANCOCR.

A la bonne heure.

Mme D A L A N C O U F. , à part.

Je n'entends rien à tout cela.

nORVAL.

Je passe dans l'appartement de votre oncle pour y écrire ; mon ami me l'a permis : il m'a or- donné même de l'attendre. Sans adieu. Nous nous reverrons tantôt. ( // entre dans l'appartement de M. Gt-roiite.)

SCÈNE IX.

M. DALANCOUR, madame DALANCOUR.

M"li' DALANCOUR.

A ce que je vois, ce n'est pas vous qui maiiez votre sœur.

i8

2o6 LE BOURRU BIENFAISANT. M. DALAKCOUR, em bnrmssé. C'est mon oncle.

Mnif^ n A L A N C O t] R .

Votre oncle! Vous eu a-t-il parlé? Vous a-l-il demandé votre consentement?

M. D ALA NCOuR, u?î peu vivement. Mon consentement? N'avez-vous pas vu Dor- val? Ne mel'a-t-il pas dit? Cela ne s'appelle-t-il pas demander mon consentement?

M'"*' nAL A^C'^CR, 7tK yîeu vivement. Oui, c'est une politesse de la part de monsieur Dorval; mais votre oncle ne vous en a rien dit. M. DALANCOCR, embarrassé. C'est que...

M>ne DALANCOUR.

C'est que... il nous méprise complètement. M. DALANCODR, viVemenf. Mais vous prenez tout de travers, cela est af- freux; vous êtes insupportable.

M™fi DALANCotiR, un peu fâchce. Moi, insupportable! Vous me trouvez insup- portable! (fort tendrement.') Ah! mon ami, voilà la première fois qu'une telle expression vous é<;happe. 11 faut que vous ayez bien du chagrin , pour vous oublier à ce point.

M. DALANCOUR, h part, avec transport. Ah! celan'est que trop vrai! madame Dalan-

ACTE II, SCÈNE IX. 207

cour.) Ma chère femme, je vous demande pardon de tout mon cœur ; mais vous connoissez mon oncle; voulez -vous que nous nous brouillions davantage? Voulez-vous que je fasse tort à ma sœur? Le parti est bon , il n'y a rien à dire : mon oncle l'a choisi, tant mieux; voilà un embarras de moins pour vous et pour moi. M°>e dala>coi:r.

Allons, j'aime bien que vous preniez la chose en bonne part : je vous en loue et vous admire ; mais permettez-moi une réflexion. Qui est-ce qui aura soin des apprêts nécessaires pour une jeune personne qui va se marier? Est-ce votre oncle qui s'en chargera? Seroit-il honnête, seroit-ii dé- cent?...

•M . n A L A ^ c o u R .

Vous avez raison. . .Mais il y a encore du temps, nous en parlerons.

Mlle nALANCOUn.

Ecoutez. J'aime Angélique, vous le savez; cette petite ingrate ne mériteroit pas que je prisse aucun soin d'elle : cependant elle est votre sœur.

M. AL A m; ou H.

Comment! vous appelez ma sœur une ingrate ! Pourquoi?

ao8 LE BOURRU BIENFAISANT.

M"ie DALANCOUR.

JN'en parlons pas pour le présent. Je lui de- manderai une explication entre elle et moi; et, ensuite...

M. DALANCOUR.

Non; je veux le savoir*

IVl™e DALAKCOUR.

Attendez , mon cher ami...

M. DALANCOUR, très vivctnetit. Non ; je veux le savoir, vous dis-je.

M™e DALANCOUR.

Puisque vous le voulez, il faut vous contenter.

M. DALANCOUR, rt ^ar(.

Ciel ! je tremble toujours.

Mme DALANCOUR.

Votre sœur...

M. DALANCOUR.

Eh bien?

Rime DALAHCOUR.

Je la crois du parti de votre oncle.

M. DALANCOUR.

Pourquoi?

M™<^ DALANCOUR.

Elle a eu la hardiesse de me dire à moi-même que vos affaires ëtoient dérangées, et que...

M. DALANCOUR.

Mes affaires dérangées!... Le croyez-vous?

ACTE II, SCENE IX. J09

Mme nALANCOUR.

Non; mais elle m'a parlé tle façon à me taire croire qu'elle me soupçonnoit d'en être la cause, ou du moins d'y avoir contribué.

M. DAi, A. N COUR, encore plus vivement.

Vous? Elle vous soupçonne, vous ?

M"'e DALANCOTJR.

Ne vous fâchez pas, mon cher ami. Je vois bien qu'elle n'a pas le sens commun.

M. VkLkVCOCR., ai'ec passion. Ma chère femme !

M">e I) ALANCOe R.

Que cela ne vous affecte pas. Pour moi, te- nez, je n'y pense pas. Tout vient de là; votre oncle est la cause de tout.

M. nALANCODR.

Eh non! mon oncle n'est pas méchant.

MU'e DALANCOUR.

Il n'est pas méchant! (jiel ! y a-t-il rien de pis sur la terre? Tout à l'heurt; oncor(!, no m'a -t -il pas fait voir?... Mais je le lui pardonne.

210 LE BOURRU BIENFAISANT

SCÈNE X.

MADAME DALANCOUR, M. DALANCOUR,

UN LAQUAIS.

LE LAQUAIS, a M. Dalancour. Monsieur, on vientd'apporter cette lettre pour vous.

M. DALANCOUR, ew/jresie, pre/if/ la lettre. Donne. {Le laquais sort.)

SCÈNE XI.

MADAME DALANCOUR, M. DALANCOUR.

M. BAL ANCOUR, rt parf, avec agitation. Voyons. C'est de mon procureur.

( // ouvre la lettre.)

jinie DALANCOUr,.

Qui est-ce qui vous écrit?

M. DALANCOUR, emtarrasse.

Un moment.

(Use retire h l'écart, il lit tout bas, et marque

du chaqriu. )

M"»e DALANCOUR, à part.

Y auroit-il quelque malheur?

M. DALAKCOur., après avoir lu. Je suis perdu.

ACTE II, SCÈNE XI. 2ii

M™e D AL A K COUR, à part. Le cœur me bat. M. DALAKCOCR, à part , avec la plus grande agitation. Ma pauvre femme, que va-t-elle devenir? Com- ment lui dire? Je n'en ai pas le courage. 5i"i« nALA>coiTn, en pleurant. Mon cher Dalancour, dites-moi ce que c'est, confiez-le-moi; ne suis -je pas votre meilleure amie?

M. DALANCOUR.

Tenez, Usez : voilà mon ëtat.

( // lui donne la lettre et sort.)

SCÈNE XII.

MADAME DALANCOUR.

Je tremble. [Elle lit.) «Tout est perdu, mon- u sieur; les créanciers n'ont pas voulu signer. La K sentence vient d'être confirmée; elle vous sera <c signifiée. Prenez-y garde, il y a prise de corps.» Ah ! qu'ai-je lu ? Que viens-je d'apprendre ? Mon mari... endetté... en danger de perdre la liber- té!... Mais... comment cela se peut -il? point de j(!U... point de sociétés dangereuses... point de tastc... pour lui .. Seroit- ce pour moi? Ah dieu! (juclle lumiore affreuse vient m'éclairer. Les re-

312 LE BOUHKU BIENFAISANT,

proches d'Ahjjélique, cette haine de monsieur Géronte , ce mépris qu'il a toujours marqué pour moi... Le voile se déchire. Je vois la faute de mon mari, je vois la mienne. Son trop d'amour l'a séduit, mon inexpérience m'a aveuglée. Da- lancour est coupable, et je le suis peut-être au- tant que lui... Mais quel remède à cette cruelle situation? Son oncle seul... oui, son oncle pour- roit y remédier... Mais Dalancour seroit-il en état, dans ce moment d'abattement et de cha- grin?... Eh! si j'en suis la cause... involontaire... pourquoi n'irois-je pas moi-même? Oui, quand je devrois me jeter à ses pieds... Mais, avec ce caractère âpre, intraitable, puis-je me Hatter de le fléchir?... Irai-je m'exposer à ses duretés?. . . Ah! qu'importe? que sont toutes les humiliations auprès de l'état affreux de mon mari? Oui, j'y cours ; cette seule idée doit me donner du cou- rage.

( Elle veut s'en aller du côté de l' appartement de M. Géronte.)

ACTE II, SCÈNE XIH. ai3

SCÈÎSE XIII.

MADAME DALANCOUR, MARTHON.

M AP.THOIN.

Que faites-vous ici, madame? Monsieur Da- lancour s'abandonne au désespoir.

M«»e DALANCOUR.

Ciel! je vole à son secours. ( Elle soi't.)

SCÈNE XIV.

MARTHON.

Quels malheurs! quels désordres! Si c'est elle qui en est la cause, elle le mérite bien... Qui vois-je?

SCÈNE XV.

MARTHON, VALÈRE.

MAUTHON.

Monsieur, que venez-vous faire ici ? Vous avez mal pris votre temps. Toute la maison est dans le chajjrin.

V A b È 11 E .

Je m'en doulois bien ; je viens de (juiller le

ai4 LE BOURRU BIENFAISANT,

procureur de Dalancour, et je viens lui offrir ma bourse et mon crédit.

MARTHON.

Cela est bien honnête. Rien n'est plus géné- reux.

VAL ÈRE.

Monsieur Géronte est-il chez lui?

M A R T H O K .

Non. Le domestique m'a dit qu'il venoit de le voir chez son notaire.

V ALÈR E.

Chez son notaire?

MARTHON.

Oui; il a toujours des affaires. Mais, est-ce que vous voudriez lui parler?

V A L È R E.

Oui; je veux parler à tout le monde. Je vois avec peine le dérangement de monsieur Dalan- cour. Je suis seul, j'ai du bien, j'en puis dispo- ser. J'aime Angélique; je viens lui offrir de l'é- pouser sans dot, et de partager avec elle mon état et ma fortune.

MARTHON.

Que cela est bien digne de vous! Rien ne marque plus l'estime, l'amour, la générosité.

VALÈRE.

Croyez-vous que je puisse me flatter?...

ACTE II, SCENE XV. 2i5

M A R T H o N , avec joie. Oui ; d'autant plus que mademoiselle est dans les bonnes grâces de son oncle, et qu'il veut la marier.

VA LE RE.

Il veut la marier?

MARTHON, avec joie. Oui.

V ALÈRE.

Mais, si c'est lui qui veut la marier, il voudi-a être le maitre de lui proposer le parti.

MARTHON, après lin moment de silence. Cela se pourroit bien.

V ALÈRE.

Est-ce une consolation pour moi?

MARTHON.

Pourquoi pas? {en se tournant vers la cou- lisse.) Venez, venez, mademoiselle.

SCÈNE XVI. MARTHON, ANGÉLIQUE, VALÈRE.

APiGKLlQl'E.

Je suis tout effrayée.

VALÈRE, à Angélique. Qu'avez-vous , uiaàemoiselle?

ii6 LE BOURRU BIENFAISANT, ANGÉLIQUE, à Valère. Mon pauvre frère...

MATiTHON, h Jngéliq ue. Toujours de même?

ANGÉLIQUE, à Marthoti. II est un peu plus tranrjuille.

M ART H ON.

Écoutez, écoutez, niademoiselle : monsieur m'a dit des choses charmantes pour vous et pour votre frère.

ANGÉLIQUE.

Pour lui aussi?

M AP.THON.

Si vous saviez le sacrifice qu'il se propose de faire !

VALÈRE, bas, à Marthon.

Ne lui dites rien, (se tournant du côté d'Anrjé- /t'^we.) Y a-t-il des sacrifices qu'elle neme'rite pas?

MARTHON.

Mais il faudra en parler à monsieur Géronte.

ANGÉLIQUE.

Ma bonne amie, si vous vouliez vous en charger.

MARTHON.

Je le veux bien. Que lui dirai- je? Voyons : consultons. Mais j'entends quelqu'un. (£//e court vers l'appartement de M. Géronte et revient.)

ACTE II, SCÈNE XVI. 217

C'est monsieur Dorval. (rt Valère.^ Ne vous mon- trez pas encore. Allons dans ma chambre, et nous parlerons à notre aise.

VAL ÈRE, h Angélique. Si vous voyez votre frère...

MARTHON.

Eh! venez donc, monsieur, venez donc. ( Elle le pousse, le fait sortir, et elle sort avec lui.)

SCÈNE XVII.

DORVAL, ANGÉLIQUE.

ANGÉLIQUE, a soi-même. Que ferai-je ici avec monsieur Dorval? Je puis m'en aller.

DORVAL, à Angélique, qui va pour sortir. Ah! mademoiselle... mademoiselle!

ANGÉLIQUE.

Monsieur.

nORV AL.

Avez-vous A'u monsieur votre oncle? ne vous a-t-il rien dit.'*

ANGÉLIQUE.

Monsieur, je l'ai vu ce matin.

DOltV \ L.

Avant qu'il sortît?

r>i8 LE BOURRU BIENFAISANT.

ANGÉLIQUE.

Oui, monsieur.

l)ORV AL.

Est-il rentré?

ANGÉLIQUE.

Non, monsieur.

D o R V A L , à part. Ah! bon; elle ne sait encore rien.

ANGÉLIQUE.

Monsieur, je vous demande pardon. Y a-t-il quelque chose de nouveau qui me regarde?

DORVAL.

Il vous aime bien , votre oncle.

ANGÉLIQUE, avcc modest'ie. Il est bon.

DORVAL.

Il pense à vous... sérieusement.

ANGÉLIQUE.

C'est un bonheur pour moi.

nORV AL.

Il pense à vous marier. (^Angélique ne marque que de la modestie.) Hem! Qu'en dites -vous? (^Angélique ne marque toujours que de la modes- tie.) Seriez-vous bien aise de vous marier? ANGÉLIQUE, modestemen t.

Je dépends de mon oncle.

ACTE 11, SCENE XVll. 219

DORVAI,.

Voulez-vous que je vous dise quelque chose de plus ?

ANGÉLIQUE, avcc un peu de curiosité. Mais... tout comme il vous plaira, monsieur

UOR V AL.

C'est que le choix en est déjà fait.

ANGÉLIQUE, rt part. Ah ciel! que je crains!

DORVàL, à part. C'est de la joie, je crois.

ASGÉLiQtîE, en tremblant. Monsieur, oserois-je vous demander...

DORVAL.

Quoi, mademoiselle?

ANGÉLIQUE, toujours CH tremblant. Connoissez-vous celui qu'on m'a destiné?

LlOR^V AL.

Oui, je le connois ; et vous le connuissez aussi .

ANGÉLIQUE, avec UH pcu (le joîe. Je le connois aussi ? ,

1) O II V A L .

Certainement, vous le connoissez.

ANGÉLIQUE.

Monsieur, oserois-je...

non VA L. Parlez, mademoiselle.

lio LE BOURRU BIENFAISANT.

ANGÉLIQUE.

Vous demander le nom du jeune homme?

UORVAL.

Le nom du jeune homme?

ANGÉLIQUE.

Oui; si vous le connoissèz.

DORVAL.

Mais... Si ce n'étoit pas tout- à -fait un jeune homme?

ANGÉLIQO E, a part ^ avec agitation. Ciel!

DORVAL.

Vous êtes sage... Vous dépendez de votre oncle...

ANGÉLIQUE, €11 tremblant.

Croyez-vous, monsieur, que mon oncle veuille me sacrifier?

DORVAL.

Qu'appelez-vous sacrifier?

ANGÉLIQUE, avec passion . Mais... sans l'aveu de mon cœur. Il est si bon ! Qui pourroit lui avoir donné ce conseil? Qui est-ce qui lui auroit proposé ce parti? DORVAL, un peu picjué. Mais. ..ce parti.. .Si c'étoit moi, mademoiselle?..

ANGÉLIQUE, avec de la joie. Vous, monsieur? Tant mieux.

ACTE II, SCENE XVII, an

DORVAL, avec un air content. Tant mieux?

ANGÉLIQUE.

Oui: je vous connois, vous êtes raisonnable, vous êtes sensible; je me confie à vous. Si vous avez donné cet avis à mon oncle, si vous avez proposé ce parti, j'espère que vous trouverez le moyen de l'en détourner.

DORVAL, rt part.

Ah! ah! cela n'est pas mal. Angélique.) Mademoiselle!

ANGÉLIQUE, tristement.

Monsieur.

DORVAL.

Auriez-vous le cœur prévenu ?

ANGÉLIQUE, avec passion. Ah, monsieur!

DORVAL.

Je vous entends.

ANGÉLIQUE.

Ayez pitié de moi.

DORVAL, à part.

Je l'ai bien dit; je l'avois bien prévu : heureu- sement je n'en suis pas amoureux, mais je com- mençois à y prendre un peu de goût.

ANGÉLIQUE.

Monsieur, vous ne me dites rien.

LE BOURRU P.IENFA1.SAN r.

DORVAL.

Mais, niadenioiselle...

ANGÉLIQUE.

Prendriez-vous quelque intérêt particulier à celui qu'on voudroit me donner? nOR V AL. Un peu.

AîfGÉHQUE, avec passion et fermeté. Je le haïrois, je vous en avertis.

DORVAL, à part. La pauvre enfant ! j'aime sa sincérité'.

ANGÉLIQUE.

Hélas! soyez compatissant, soyez généreux.

DORVAL.

Eh bien! mademoiselle... je le serai... je vous le promets... Je parlerai à votre oncle pour vous; je ferai mon possible pour que vous soyez satis- faite.

ANGÉLIQUE, avec joie. Ah ! que je vous aime !

DORVAL, content. La pauvre petite!

ANGÉLIQUE, uvec transport. Vous êtes mon bienfaiteur, mon protecteur, mon père. ( Elle le prend par la main.)

DOR V A L.

Ma chère enfant !

ACTE II, .SCÈNE XVlll. 22',

SCÈNE XVIII.

DORVAL, M. GÉRONTE, ANGÉLIQUE.

M. GÉRONTE, avec gaieté, n sa manière. Bon, bon, courage! J'en suis ravi, mes en- fants. {Angélique se retire toute mortifiée, et Dor- val sourit. ) Comment donc? est-ce que ma pré- sence vous fait peur? Je ne condamne pas des empressements légitimes. Tu as bien fait, toi, Dorval, delà prévenir. Allons, mademoiselle, embrassez votre époux.

ANGÉLIQUE, coustemée. Qu'entends-je?

DORVAL, rt part, en souriant. Me voilà découvert.

M. GÉROME, à Angélique , avec vivacité. Qu'est-ce que cela signifie? Quelle modestie déplacée! Quand je n'y suis pas, tu t'approches; et quand j'arrive, tu t'éloignes. Avance-toi. Dorval, en colère.) Allons, vous, approchez donc aussi.

nORV AL, en riant. Doucement, mon ami Géronte.

M. f;Kn()^TE. Oui, vouj rie/, vous sentez votre bonheur; je

224 LE BOURRU BIENFAISANT, veux bien que l'on rie : mais je ne veux pas qu'on me fasse enrager; entendez-vous, monsieur le rieur? Venez ici, et ecoutez-moi. nonvAL. Mais écoutez vous-même.

M. GÉEONTE, à Angélique. Approchez donc.

( // veut la prendre pur la main. ) ANGÉLIQUE, en pleurant. Mon oncle...

M. GÉRONTE, rt Angélique. Tu pleures, tu fais l'enfant. Tu te moques de moi, je crois. (// la prend par la main^ et la force de s'avancer au milieu du théâtre; ensuite il se tourne du côté de Dorval, et lui dit avec une espèce de gaieté : ) Je la tiens.

D O B V A L.

Laissez-moi parler, au moins.

M. GÉRONTE, vivement. Paix !

ANGÉLIQUE.

Mon cher oncle...

M. GÉRONTE, Vivement.

Paix. ( // change de ton et dit tranquillement : ) J'ai été chez mon notaire; j'ai tout arrangé: il a fait la minute devant moi; il l'apportera tantôt, et nous signerons.

ACTE II, 8CÈIVE XVIll. 225

I) OR VAL.

Mais, si vous vouliez m'e'couter...

M. GÉRONTE.

Paix! Pour la dot, mon frère a fait la sottise (le la laisser entre les mains de son fils : je me doute bien qu'il y aura quelque malversation de sa part; mais cela ne m'embarrasse pas. Ceux qui ont fait des affaires avec lui les auront mal faites; la dot ne peut pas périr; et en tout cas c'est moi qui vous en réponds.

ANGÉLIQUE, h part. Je n'en puis plus.

n O R V A L , em ba rrassé. Tout cela est très bien; mais...

M. GÉRONTE.

Quoi?

DO R V A L , recjardant Angélique. Mademoiselle auroit quelque chose à vous dire là-dessus.

ANGÉLIQUE, vite et en tremblant. Moi, monsieur?...

M. GÉRONTE.

Je voudrois bien voir r|u'elle trouvât quelque chose à redire sur ce que je fais, sur ce que j'or- donne et sur ce que je veux. Ce que je veux, ce que j'ordonne et ce que je fais, je le fais, je le veux et je l'ordonne pour ton bien; eutcuds-tu?

326 LE BOURRU BIENFAISANT.

DORVAL.

Je parlerai donc moi-même.

M. GÉnONTE.

Et qu'avez-vous à me dire?

DORVAL.

Que j'en suis fâché, mais que ce mariage ue peut pas se faire.

M. GÉRONTE.

Ventrebleu ! ( Angélicjue s'éloigne tout ef- frayée, Dorval recule aussi.) Vous m'avez donné votre parole d'honneur.

DORVAL.

Oui, mais à condition... M. GÉRONTE, se retournant vers Angélique. Seroit-ce cette impertinente? Si je pouvois le croire... Si je pouvois m'en douter... (// la me- nace. )

DORVAL, sérieusement. Non, monsieur; vous avez tort.

M. GÉRONTE, se tournant vcrs Dorval. C'est donc vous qui me manquez?

{^Angélique saisit le moment et se sauve.)

ACTE II, SCÈNK XIX. 227

SCÈNE XIX.

M. GÉRONTE, DORVAL.

M. GÉRONTE Continue. Qui abusez de mon amitié et de mon attache- ment pour vous ?

DORVAL, haussant la voix. Mais écoutez les raisons...

M. GÉRONTE.

Point de raisons; je suis un homme d'honneur, et si vous l'êtes aussi, allons tout à l'heure... (en se retournant , il appelle. ) Anf[élic[ue! DORVAL, en se sauvant.

Peste soit de l'homme ! il me pousseroit à bout.

M. GÉRONTE.

est-elle? Angélique! Holà! quelqu'un!

SCÈNE XX.

M. GÉRONTE, «7 appelle toujours.

Picard! Marthon! la Pierre! Courtois!... Mais je la trouverai. C'est vous à qui j'en veux. (// se tourne et ne voit plus Dorval : il reste intei-Jit.) Comment donc! il me plante là? [Il appelle.) Dorval! mon ami Dorval! .\h l'indigne! ah l'in- grat ! Holà! quelqu'un! Picard!

028 LE BOURRU BIENFAISANT.

SCÈNE XXI.

PICARD, M. GÉRONTE.

PICARD.

Monsieur.

M. GÉRONTE.

Coquin ! tu ne reponds pas?

PICARD.

Pardonnez-moi, monsieur, me voilà.

M. GÉRONTE.

Malheureux! je t'ai appelé dix fois.

PICARD.

J'en suis fâché...

M. GÉRONTE.

Dix fois , malheureux !

PICARD, à part, d'un air fâché. Il est bien dur quelquefois.

M. GÉRONTE.

As-tu vu Dorval?

PICARD, brusijuement. Oui, monsieur.

M. GÉRONTE.

est-il?

PICARD.

11 est parti.

ACTE II, SCÈNE XXI -iig

M. GÉRONTE, vivemcnt Comment est-il parti?

PICARD, brusquement- Il est parti comme l'on part.

M. GÉRONTE, très fâché. Ah! pendard! est-ce ainsi que l'on répond à son maître? (7/ le menace et le fait reculer. ) piCAR|r), en reculant, d'un air très fâché. Monsieur, renvoyez-moi...

M. GÉRONTE.

Te renvoyer, malheureux! (// le menace, le fait reculer; Picard , en reculant., tombe entre la chaise et la table; M. Gérante couH a son secours et le fait lever. )

PICARD.

Ah ! (// s'appuie au dos de la chaise, et il mar- que beaucoup de douleur. )

M. GÉRONTE, embarrassé. Qu'est-ce que c'est donc?

PICARD.

Je suis blessé, monsieur; vous m'avez estropié.

M. GÉRONTE, d'un air pénétré et à part. J'en sviis fâché, (n Picard.) Peux-tu marcher? PIC A R D, toujours fâché ; il essaie et marche mal. Je crois que oui , monsieur.

M. GÉRONTE, brusquement. Va-l'en.

a3o I,E BOURRU BIENFAISANT.

PICARD, tristement. Vous rae renvoyez, monsieur?

M. GÉRONTE, vivemeiit. Point du tout. Va-t'en (.hez ta femme, qu'on te soigne. (// tire sa bourse , et veut lui donner de V argent.) Tiens, pour te faire panser. PICARD, h part, et attendri. Quel maître!

M. GÉRONTE, eu lui offrant de l'argent. Tiens Jonc.

PICARD, m odestem eut. Eh! non, monsieur: j'espère que cela ne sera rien.

M. GÉRONTE.

Tiens toujours.

PICABD, en refusant par honnêteté. Monsieur,..

M. GÉRONTE, vivement. Comment! tu refuses de l'argent? Est-ce par orgueil? est-ce par dépit? est-ce par haine? Crois- tu que je l'aie fait exprès? Prends cet argent, prends-le, mon ami; ne rae fais pas enrager. PICARD, prenant V argent. Ne vous fâchez pas, monsieur; je vous remer- cie de vos bontés.

M. GÉRONTE.

Va-t'en tout à l'heure.

ACTE II, SCENE XXI. a3i

PICARD.

Oui, monsieur. (// marche mal.)

M. GÉBOKTE.

Va doucement.

PICARD.

Oui, monsieur.

M. GÉRONTE.

Attends, attends ; tiens ma canne.

PICARD.

Monsieur...

M. GÉRONTE.

Prends-la, te dis-je; je le veux.

picxnn prend la canne et dit en s'en allant:

Quelle bonté! (// sort.)

SCÈNE XXII.

M. GÉRONTE, MARTHON.

M. GÉRONTE.

C'est la première fois de ma vie... Peste soit de ma vivacité! (se promenant n grands pas.) C'est Dorval qui m'a impatienté.

MARTHON.

Monsieur, voulez-vous dîner?

M. GÉRONTE, très vivement. Va-t'en à tous les diables. (Il court et s'enferma dans son appartement.)

23:? LE BOURRU BIENFAISANT

SCÈNE XXIII. MARTHON.

Bon ! fort bien. Je ne pourrai rien faire aujour- d'hui pour Angélique; autant vaut que Valère s'en aille.

FIN nv SECOND ACTE.

ACTE TimiSIÈME.

SCÈNE I.

PICARD, MARTHON.

(Picard entre par la porte du milieu, Marllioii par celle de M. Dalancour.)

MARTHON.

Vous voilà donc de retour?

PICARD, ayant la canne de son maure.

Oui. Je boite un peu; mais cela n'est rien , j'ai eu plus de peur que de mal : cela ne méritoit pas l'argent qu'il m'a donné pour me faire panser.

MARTHON.

Allons, allons, à quelque chose malheur est bon.

PICARD, d'un air content.

Mon pauvre maître! Ma foi, ce trait-là m'a touché jusqu'aux larmes; il m'auroit cassé la jambe, que je lui aurois pardonné.

MARTHON.

Il a un criur!... C'est dommage qu'il ait ce vilain défaut.

234 T.E BOURRU BIENFAISANT.

PICAKD.

Qui e-;t-ce qui n'en a pas?

M ARTHON.

Allez, allez le voir. Savez-vous bien qu'il n'a pas encore dîné?

PICARD.

Pourquoi donc?

M ARTHON.

Eh! il y a des choses, mon enfant, des choses terribles dans cette maison.

PICARD.

Je le sais : j'ai rencontré votre neveu , et il m'a tout conté. C'est pour cela que je suis revenu tout de suite. Le sait-il, mon maître?

MARTHO».

Je ne le crois pas.

PICARD,

Ah ! qu'il en sera fâché !

MARTHON.

Oui; et la pauvre Angélique?

PICA RD.

Mais Valère...

MARTHON.

Valère '.Valère est toujours ici; il n'a pas voulu s'en aller : il est ; il encourage le frère ; il re- garde la sœur; il console madame. L'un pleure ,

ACTE m, SCÈNF, I. 2'Mi

l'autre soupire, l'autre se desespère. C'est un chaos, un véritable chaos.

PICARD.

Ne vous étiez-vous pas chargée de parler à monsieur?...

M ARTHON.

Oui , je lui parlerai ; mais à présent il est trop en colère.

PICARD.

Je vais voir, je vais lui reporter sa canne.

M AnTHOK.

Allez; et, si vous voyez que l'orage soit un peu calmé, dites-lui quelque chose de l'état malheu- reux de son neveu.

PICARD.

Oui , je lui en parlerai, et je vous en donnerai

des nouvelles

(// ouvre tout doucement, il entre dans l'apparte- ment de M. Gérante et il ferme la porte. ^

JI A n T H o N . Oui, mon cher ami. Allez doucement.

23fi LE COIHUIU BIENFAISANT.

SCÈNE II.

MARTHON.

C'est un bon garçon que ce Picard; doux, honnête, serviable: c'est le seul qui me plaise dans cette maison. Je ne me lie pas avec tout le inonde, moi.

SCÈNE IM.

MARTHON, DORVAL.

D O H V A L , parlant bas et souriant. Eh bien, Marthon?

MARTHOS.

Monsieur, votre très humble servante.

DORVAL, en souriant. Monsieur Géronte est-il toujours en colère?

MARTHON.

Il n'y auroit rien d'extraordinaire en cela ; vous le connoissez mieux que personne.

DORVAL.

Est-il toujours bien indigné contre moi?

MARTHON.

('outre vous, monsieur? il s'est fà(^hé contre

ACTE III, SCENE III. 2.^7

DO R VAL, en riant et parlant toujours. Sans doute; mais cela n'est rien : je le con- nois; je parie que, si je vais le voir, il sera le premier à se jeter à mon cou.

MARTDON.

Cela se pourroit bien; il vous aime, il vous estime; vous êtes son ami unique... C'est singu- lier cependant : un homme vif comme lui! et vous, sauf votre respect, vous êtes le mortel le plus flegniatique...

DO R VAL.

C'est cela précisément qui a con.servé si long- temps notre liaison.

M ARTHON.

Allez, allez le voir.

n OR VAL.

Pas encore : je voudrois auparavant voir ma- demoiselle Angélique. est-elle?

MARTiiON, avec passion. Elle est avec son frère. Savez-^ ous tous les malheurs de son frère?

D OR V A..,, d'un air pénétré. Hélas, oui; tout le monde en parle.

M ARTHON.

Et qu'est-ce qu'on en dit? non V A L. Peux-tu le demander? Les bons le plaignent ,

238 LE BOURRU BIENFAISANT, les méchants s'en moquent, et les ingrats l'aban- donnent.

M ARTHON.

Ah ciel! Et cette pauvre demoiselle?'

DORVAL.

Il faut que je lui parie.

MARTHON.

Pourrois-je vous demander de quoi il s'agit? Je m intéresse trop à elle pour ne pas mériter cette complaisance.

DORV AL.

Je viens d'apprendre qu'un certain Valère...

M A R T H o K , en riant. Ah! ah! Valère?

DORVAL.

Le connoissez-vous?

MARTHON.

Beaucoup, monsieur; c'est mon ouvrage que tout cela.

DORVAL.

Tant mieux; vous me seconderez.

MARTHON.

De tout mon cœur.

DORVAL.

Il faut que j'aille ni'assurer si Angélique...

MARTHON.

Et ensuite si Valère...

ACTE III, SCÈNE III. a.lg

rjORV AL.

Oui, j'irai le chercher aussi.

MARTHON, en souriant. Allez, allez chez monsieur Dalancour. Vous ferez d'une pierre deux coups.

DOnVAL.

Comment donc ?

M ART HO s.

Il est là.

D O R V A L.

Valère ?

MARTHON.

Oui.

DORVAL.

J'en suis bien aise ; j'y vais de ce pas.

MARTHON.

Attendez, attendez; voulez-vous que je vous fasse annoncer?

DORVAL, en riant.

Bon ! irai-je me faire annoncer chez mon beau- frère ?

MARTHON.

Votre beau-frère ?

DORVAL.

Oui.

MARTHON.

Qui donc?

24o LE BOURRU BIENFAISANT.

DORVAL.

Tu ne sais donc rien?

MARTHON.

Non.

DORVAL.

Eh bien! tu le sauras une autre fois.

(// entre chez M. Dalancour. )

SCÈNE IV.

MARTHON. Il est fou...

SCÈNE V.

M. GÉRONTE, MARTHON.

M. GÉRONTE j/jar/a/it toujours vers la porte de son appartement. Reste là; je ferai porter la lettre par un autre: reste là... je le \ea->i...(^Il se ?'efoMn(e.) Marthon !

M ARTHOS.

Monsieur?

M. GÉR05 TE.

Va chercher un domestique, et qu'il aille fout à l'heure porter cette lettre à DoiAal. ( se tour-

ACTE III, SCENE V. 24i

nant vers la porte de son appartement.) L'imbë- cile ! il boite encore , et il voudroit sortir ! ( à Marthon.) Va donc.

M A R T H o s . Mais, monsieur ..

M. GÉRONTE.

Dépêche-toi...

M .\ R T H O >• .

Mais Dorval...

M. GÉROSTE, vivement. Oui, chez Doi-val.

MARTHON.

Il est ici.

M. GÉRONTE.

Qui?

MARTHON.

Dorval.

M. GÉRONTE.

Où?

AI A R T H O > .

Ici.

M. GÉRONTE.

Dorval est

ici

?

M A R T II O > .

Oui, monsieur.

M. GÉRONTE.

Ou est-il?

242 LE BOURRU BIENFAISANT.

MARTHOS.

Chez monsieur Dalancour.

M. GKRONTE, d'uii air fàché.

Cliez Dalancour! Dorval chez Dalancour! Je vois à présent ce que c'est; je comprends tout, (rt Marlhon.) Va chercher Dorval ; dis-lui de ma part... Non, je ne veux pas qu'on aille dans ce maudit appartement. Si tu y mets les pieds, je te renvoie sur-le-champ. Appelle les gens de ce misérable... Point du tout, qu'ils ne viennent pas... Vas-y toi; oui , oui; qu'il vienne tout de suite. Eh bien ?

M A R T H O ^• .

Irai-je? ou n'irai-je pas?

M. GÉRONTE.

Vas-y; ne m impatiente pas davantage.

(Marthon entre chez M. Dalancour.^

SCÈNE VI.

M. GÉRONTE.

Oui, c'est cela. Dorval a pe'nétré dans quel j^ abynie affreux ce malheureux est tombé; oui, il '\ l'a su avant moi; et je n'en aurois rien su encore, si Picard ne me l'eut pas dit. C'est cela même; Dorval craint l'alliance d'un homme perdu : il est là, il l'examine peut-être pour s'en assurer

ACTE 111, SCÈNE VI. 243

davantage. Mais pourquoi ne me l'a-t-il pas dit? Je l'aurois persuadé, je l'aurois convaincu. .. Pourquoi n'a-t-il pas parlé? Dira-t-il que ma vivacité ne lui a pas donné le temps ? Point du tout; il n'avoit qu'à attendre, il n'avoit qu'à res- ter; ma fougue se seroit calmée et il auroit par- lé. Neveu indigne! tiaître! perfide! tu as sacrifié ton bien, ton honneur. Je t'ai aimé, scélérat! je ne t'ai aimé que trop; je t'effacerai tout-à-fait de mon cœur et de ma mémoire... Sors d'ici; va périr ailleurs... Mais oii iroit-il? N'importe, je n'y pense plus ; c'est sa sœur qui m'intéresse , c'est elle seule qui mérite ma tendresse , mes soins... Dorval est mon ami, Dorval l'épousera; je lui donnerai tout mon bien, tout. Je laisserai souffrir le coupable; mais je n'abandonnerai jamais l'innocente.

SCÈNE Vil.

M. DALANCOUR, M. GÉRONTE.

M. ij AL A>' cotJR , avec un air effrayé , se jette

aux pieds de M. Gérante.

Ah! mon oncle, écoutez-moi, de grâce!

M. «JEUONTE, s't' retourne, voit IJalancour et

recule un peu.

Qu'est-ce «jue tu veux? lève-toi.

a44 LE BOURRU BIENFAISANT. M. DALAKCOCR, da7is la même posture. Mon cher oncle! voyez le plus malheureux des hommes; de grâce, écoutez-moi. M, ge:ronte,u/i peu touché, mais toujours avec colère. Lève-toi, te dis-je.

M. D ALASCOtl R , « jreJiOUJC.

Vous dont le ca;ur est si généreux , si sensible , m'abandonnerez-vous pour une faute qui n'est que celle de l'amour, et d'un amour honnête et vertueux? J'ai eu tort, sans doute, de m'écarter de vos conseils, de négliger votre tendresse pa- ternelle; mais, mon cher oncle, au nom du sang qui m'a donné la vie, de ce sang qui vous est commun avec moi , laissez-vous toucher, laissez- vous fléchir.

M. G K R o N T E , pcu à peu s'attendrit et s'essuie les yeux en secachant de Dalancour, et dit ii part:

Quoi! tu oses encore!...

M. DALANCOt'R.

Ce n'est pas la perte de mon état qui me dé- sole : un sentiment plus digne de vous m'anime, c'est l'honneur. Souffrirez- vous <jue votre neveu ait à rougir? Je ne vous demande rien pour nous. Que je m'ac(|uitte noblement; et je lépoiids, pour ma femme et pour moi, que l'indigence n'effraiera

ACTE m, .SCKNE VîL 24.1

pas nos cœurs, quand, au sein de l'infortune, nous aurons pour consolation une probité sans tache, notre amour, votre tendresse, et votre estime.

M. GÉBOSTE.

Malheureux!... tu meriterois... Mais je suis un imbécile ; cette espèce de fanatisme du sang me parle en faveur d'un ingrat! Lève -toi, traître! je paierai tes dettes, et par je te mettrai peut- être en état d'en faire d'autres.

M. DALAîiCODR, (Tun air pénétré.

Eh! non, mon oncle, je vous réponds. ..Vous verrez par ma conduite...

M. GÉROXTE.

Quelle conduite , misérable écervelé ! celle d'un mari infatué, cpii se laisse mener par sa femme, par une femme vaine, présomptueuse, coquette...

M. n M. .\J\CovR, vivement.

Non, je vous jure; ce n'est point la faute de ma femme: vous ne la connoissez pas...

M. GÉBONTE, cncore plus vivement.

Tu la défends ! tu mens devant moi ! Prends -fjarde : il s'en faut peu qu'à cause de ta femme, je ne révoque la promesse que tu m'as arra- chée... Oui, oui, je la révoqiu;rai ; tu n'auras rien

24(î LE BOURRU RliîNFAltiANT. de moi. Ta femme, ta femme ! je ne peux la souf- frir, je ne veux pas la voir.

M. DALANCOCR.

Ah! mon oncle, vous me déchirez le cœur!

SCÈNE VIII.

M. DALANCOUR, M. GÉRONTE, madame DALANCOUR.

Mine DALANCOUR.

Hélas! monsieur, si vous me croyez la cause des dérangements de votre neveu , il est juste que j'en porte seule la peine. L'ignorance dans la- quelle j'ai vécu jusqu'à présent n'est pas une excuse suffisante à vos yeux. Jeune, sans expé- rience, je me suis laissé conduire par un mari que j'aimois; le monde m'a entraînée, l'exemple m'a séduite; j'étois contente, et je me croyois heureuse : mais je parois coupable, cela suffit ; et pourvu que mon mari soit digne de vos bien- faits, je souscris à votre fatal arrêt; je m'arra- cherai de ses bras. Je ne vous demande qu'une grâce : modérez votre haine pour moi ; excusez mon sexe, mon âge; excusez la foiblesse d'uii mari qui, par trop d'amour...

M. GÉRONTE.

Eh! inadarne, croyez-vous ni'abiiscr?

ACTE 111, SCÈNE VIM. 7.47

«"•e DAL4NCOC H.

() ciel ! ^l n'est donc [)lus de ressource ! Ah ! mon cher Dalancour, jet'ai donc perdu... Je mt; meurs. {Elle tombe sur un fauteuil ; M. Dalancour court a son secours.) M. GÉRONTE, infjuiet, ému, touché. Holà! quelqu'un! Marthon!

SCÈINE IX.

M GÉRONTE, MARTHON, M. DALANCOUR, MADAME DALANCOUR.

MARTHON.

Monsieur, monsieur, me voilà.

M. GÉRONTE, vivcment. Voyez... là... allons; allez, voyez, portez-lui du secours.

m'arthon. Madame, madame, qu'est-ce que c'est donc? M. GÉRONTE, donnant un flacon h Marthon. Tenez, tenez, voici de l'eau de Colo^jne. M. Dalancour.) Eh bien!

M. DALANCOUR.

Ah! mon oncle !.. M. GÉRONTE s'approche de madame Dalancour, et lui dit brus<iuemenl : Comment vous trouvez-vous?

248 LE BOURRU RIKNF AISANT. M""e DALANCOUR, se levant tout doucement et avec une voix languissante. Monsieur, vous êtes trop bon de vous inté- resser pour moi. Ne prenez pas garde à ma foi- blesse, c'est le cœur qui parle; je recouvrerai mes forces, je partirai, je soutiendrai mon mal- heur.

( M. Gérante s'attendrit, mais il ne dit mot.)

M. n XL AN GOVR^ tristement. Ah! mon oncle, souffrirez-vous... M. GÉRONTE,rt M. Dalancouv, vivement. Tais-toi. madame Dalancour brusquement.) Restez à la maison avec votre mari.

Mine DALANCOUR.

Ah, monsieur!

M. DALANCOUR, avec transport.

Ah! mon cher oncle! M. GÉRONTE, sérieux , mais sans emportemetit , et les prenant l'un et l'autre par la main.

Écoutez : mes épargnes n'étoient pas pour moi ; vous les auriez trouvées un jour: vous les man- gez aujourd'hui, la source en est tarie ; prenez-y garde : si la reconnoissance ne vous touche pas, que l'honneur vous y engage.

M"»e DALANCOUR.

Votre bonté...

ACTE m, SCENE IX. i^g

M. DALANCOCR

Votre générosité...

M. OKROME.

Cela suffit.

M ARTHON.

Monsieur...

M. GÉROSTE, a Marthon. Tais-toi , bavarde.

MARTHON.

Monsieur, vous êtes en train de faire du bien : ne ferez-vous pas aussi quelque chose pour ma- demoiselle Angélique?

M. GÉRON TE, wji'eme/if.

A propos, on est-elle?

MARTHON.

Elle n'est pas loin.

M. GÉRONTE.

Son prétendu y est-il?

MARTHON.

Son pnîtendu?

M. <;ÉRONTE.

Oui: est-ce qu'il est courrouce';? est-ce qu'il ne veut plus me voir? seroit-il parti?

MARTHON.

Monsieur... son prétendu... y est.

M . GÉRONTE.

Qu'ils viennent ici.

25)0 I,E BOUKKU BIK N F Al S A NT.

M ARTHOS.

Angélique et son prétendu?

M. GÉRONTE, vivement. Oui, Angélique et son prétendu.

MARTHON.

Tant mieux. Tout à l'heure, monsieur, (en s approchant de la coulisse.) Venez, venez, mes enfants; n'ayez pas peur.

SCÈNE X.

M. DALANCOUR, VALÈRE, DORVAL, M. GÉRONTE, ANGÉLIQUE, madame DALANCOUR, MARTHON.

M. GÉRONTE, voyaiit Valère et Dorval. Qu'est-ce que cela? Que veut-il, cet autre?

MARTHON.

Monsieur, c'est qu'il y a le prétendu et le té- moin.

M. G É R o N T E , n Angélique. Approchez. hJUGi.hicive. s approche en tremblant, et adresse la parole à madame Dalancour. Ah! ma sœur, que j'ai de pardons à vous de- mander!

MARTHON, à madame Dalancour. E( moi aussi, madame...

ACTE III, SCÈNE X. aSi

M. GÉROHTE, h DoTVal.

Venez ici, monsieur le prétendu. Eh bien! êtes-vous encore fâché? Ne viendrez-vous pas?

DOBVAL.

Est-ce moi ?

M. OÉROXTE.

V^ous-méme.

nORVAL.

Pardonnez-moi; je ne suis que le témoin.

M. GÉRONTE.

Le témoin?

D O R V A L.

Oui, voilà le mystère. Si vous m'aviez laissé parler...

M. GÉRO.NTE.

Du mystère ! ( h Angélique.) Il y a du mystère? DORVAL,d'u« ton séiieux et ferme.

Ecoutez-moi, mon ami. Vous connoissez Va- lère: il a su les désastres de cette maison; il est venu offrir son bien à monsieur Dalancour, et sa main à Anffélique. Il l'aime, il est prêt à l'é- pouser sans dot, et à lui assurer un douaire de douze mille livres de rente. Je vous connois , je sais que vous aimez les belles actions; je 1 ai re- tenu, et je me suis chargé de vous le présenter.

M. CÉKOniE, fort en colère et h Angélique.

Tu n'avois pas d'inclination? Tu m as trompé.

252 LE BOURRU BIENFAISANT.

Non , je ne le veux pas : c'est une supercherie Je part et d'autre; je ne le soufFrirai pas. A N o É L I Q u E , en pleurant. Mon cher oncle...

VAL ÈRE, dun air passionné et suppliant. Monsieur...

M. DALANCOIJR.

Vous êtes si bon!...

M'iie DALANCOUB.

Vous êtes si géne'reux !...

M A R T H O N .

Mon cher maître!...

M. GÉRONTE,« part., et touché.

Maudit soit mon chien de caractère ! Je ne puis pas garder ma colère comme je le voudrois. Je me souffleterois volontiers. (Tous à-/a-yois répètent leurs prières et l'entourent.) Taisez-vous, laissez- moi; rue le diable vous emporte, et qu'il i'é- pouse.

MARTHON, fort.

Qu'il l'épouse sans dot ?

M. GÉRONTE, h Marthon vivement.

Gomment sans dot! Est-ce que je marierai ma nièce sans dot? Est-ce que je n'aurois pas le moyen de lui donner une dot? Je connois Va- lère ; l'action généreuse fju'il vient de se propo-

ACTE III, SCENE X. sSS

ser mérite même une récompense. Oui, il aura la dot, et les cent mille livres que je lui ai pro- mises.

VALÈRE.

Que de grâces!

ANGÉLIQUE.

Que de bontés !

M™e DALANCODR.

Quel cœur!

M. DALANCOUR.

Quel exemple!

M ARTHON.

Vive mon maître !

DOR V AL.

Vive mon bon ami! (^Tous n-la-fois l'entourent, Faccahlent de ca- resses^ et répètent ses éloges. M. GÉRONTE tnche de se débarrasser et crie fort.

Paix, paix, paix! ( Il appelle.) Picard!

254 I^E BOURRU BIENlFAlSANT.

SCÈNE XI.

M. DALANCOUR, VALÈRE, DORVAL, M. GÉRONTE, ANGÉLIQUE, madame DALANCOUR, MARTHON, PICARD.

PICARD.

Monsieur?

M. OÉnONTE.

L'on soupera chez moi; tout le monde est prié. Dorval, en attendant, nous jouerons aux échecs.

FIN DU BOURRU BIENFAISANT.

LA

FEINTE PAR AMOUR,

COMÉDIE EN TROIS ACTES,

PAR DORAT.

Représentée, pour la première fois, le 3i juillet 1773.

NOTICE

SUR

DORAT.

Claude-Joseph Don AT, à Paris en 1734, étoitfils d'un auditeur des comptes. Ses parents le destinoient à la robe ; il parut préférer l'épée, et à l'âge de vingt-trois ans il entra dans les mousquetaires. Toutle monde connoitlepoëme de la Déclamation, que l'on regarde avec raison comme son meilleur ouvrage. Nous ne parle- rons point de ses autres productions. Nous citerons seulement ses pièces de théâtre. La première qu'il fit représenter fut Zulica , tragé- die, jouée le 7 janvier i 760, et retirée le len- demain. Elle reparut le 1 2 avril avec des cor- rections, et ne fut donnée que sept fois.

a58 NOTICE SUR DOPAT.

Son second essai fut encore moins heureux : Théagène , tragédie, donnée le 28 février 1 763, n'eut qu'une représentation.

Ces deux chu tes éloignèrent Dorât du théâtre pendant dix ans; mais, comme pour se dédom- mager, il fit paroitre le même jour, 3i juillet 1773, Régulas, tragédie en trois actes, et la Feinte par Amour , comédie en trois actes, en vers. Ces deux pièces fm'ent jouées treize fois, et la dernière est restée au répertoire.

Adélaïde de Hongrie, tragédie, mise au théâtre le 26 août 1774 ■> fut donnée seize fois.

Le Célibataire, comédie en cinq actes, en vers, donnée le 20 septembre 1775, eut seize représentations très suivies.

Le Malheureux imaginaire , comédie en cinq actes et en vers, obtint douze représentations; la première est du 7 décembre 1776.

Le Chevalier français a Turin, et le Chevalier français a Londres, comédies en vers, la pre- mière en quatre actes, et la seconde en txois, furent données le même jour 21 novembre 1778, et obtinrent du succès ; mais à la troisième re-

NOTICE SUR DORAT. 259

présentation, l'auteur retrancha un acte entier de la première de ces deux pièces.

Roséide ou l'Intrigant^ comédie en cinq actes, en vers, donnée le 20 octobre 1779, ne fut jouée que huit fois.

Piene-/e-G)an(/, tragédie, représentée avec succès le premier décembre 1779, est le même sujet que Zulica, sous d'auties noms. Cette pièce n'est pas restée au répertoire.

Dorât avoit encore composé les Preneurs, ou le Tartufe littéraire , comédie en trois actes, en vers, et Zoramis, tragédie; mais ces pièces n'ont point été représentées.

Cet auteur fécond mourut à Paris, le 29 avril 1780, dans sa quarante-septième année.

PERSONNAGES.

MÉLISE, jeune veuve.

DAMLS, amant de Mélise.

LISIMON , oncle de Mélise.

FLORICOURT.

DORINE, suivante de Mélise

GERMAIN , laquais de Damis.

La scène est dans la maison de Lisimon , commune à Mélise et à Damis.

LA

FEINTE PAR AMOUR,

COMÉDIE.

ACTE PREMIER.

SCENE I.

DORINE, GERMAIN.

GERMAIN.

Ce que c'est qu'habiter dans le même logis ! On va, l'ou se cultive, et l'on voit ses amis.

DORINE.

Ton maître?

GERMAIN.

Quel motif peut ici te conduire?

DORI.NE.

Un billet qu'à Damis Mélise vient d'écrire.

G ER MAIN.

Billet doux?

D O R 1 N E.

Il suffit; tout va se déclarer.

762 LA FEINTE PAli AMOUR. \

GERMAIN. j

Tu n'aimes point Damis?... ^

D o R 1 N E.

Eh ! comment l'endurer? Quel homme!...

GERMAIN- .

Réservé, n'osant rien se permettre. ]

DORINE. 1

Monsieur apparemment craint de se compromettre. i C'est uu air, c'est un ton équivoque et discret. Un feu sourd qui veut naître et soudain disparoît. '

Je veux, moi, qu'en aimant l'on bavarde, l'on rie, Qu'on se plaigne, se brouille, et se réconcilie. '■

GERMAIN. i

Qu'on ait le diable au corps.

DORIXE.

Ton Damis ne l'a pas; ;

Il est du plus beau froid!... ]

GERMAIN. j

Il te faut des éclats. Des soins... marqués. \

DORINE. ;

Oh ! oui. \

GERMAIN. I

.Sur ce pied-là , mon maître, ' Neuf ou dix mois plus tôt , étoit ton fait peut-être. \

Moi , je l'ai vu , soumis à la commune loi , j

Prodiguer, comme un autre, et son cœur et sa foi. Il est vrai qu'aujourd'hui ce n'est plus le même homme, Et. je te l'avouerai, quelquefois il m'assomme

ACTE I, SCÈNE I. 263

Avec son air tranquille et son ton mesuré. Non , depuis sa reforme , il n'est plus à mou gré ; J'en suis tâché pour lui.

DOHINE.

Tu n'es pas à connoître De quels graves motifs sa réforme a pu naître?

GERMAIN.

Mais... j'en fixe l'époque au goût très singulier

Que pour certaine femme il eut l'hiver dernier.

C'étoit un vrai lutin, ne voulant que séduire.

Attirant avec art , dans l'espoir d'éconduire.

Bien parjure, bien gai, de tout faisant un jeu :

Il alla brusquement l'étourdir d'un aveu;

La dame s'en moqua, prit son vol de plus belle;

Et voilà vingt amants attroupés autour d'elle.

Le dépit, la fureur, la plainte étoit son lot;

Bref, l'amour cette fois n'en avoit fait qu'un sot.

Depuis cet accident, il a juré sans doute.

Voulant un autre sort, de prendre une autre route ,

D'élaguer les soupirs, les protestations,

Et d'être moins alerte en déclarations.

Quelque amoureux qu'on soit, Dorine, Dieu sait comme

Quatre mois de rigueur découragent un homme I

DORINE.

C'est ce qui m'a semblé.

GERMAIN.

Malgré son cbangenuMit, Mélise l'aime enfin... assez passablement.

DORINE.

Tu crois ci'l;i?

264 LA FEINTE PAR AMOUR.

GERMAIN.

Très fort.

DORIME.

Va , va, pure chimère.

GERMAIN.

Point.

D O R I N E.

Allons ; à vingt ans on n'aspire qu'à plaire. Veuve d'un pédagogue, appelé son mari, Elle a pris dans le monde un maintien aguerri; Et, de la liberté connoissanî l'avantage, Elle ne voudra plus tàter de l'esclavage. D'honneur! l'indépendance est un état charmant. Les veilles, le spectacle, et les goûts du moment. Et la coquetterie à toute heure excitée. Et le renom flatteur d'une femme citée, Voilà ce qui l'enivre!. . à quelques humeurs près, Qui depuis plusieurs jours ont voilé ses attraits. Fière d'accumuler conquête sur conquête. Fort légère, un peu folle, et pourtant très honnête, Son unique désir, crois-moi, c'est de charmer: Nous vous laissons le soin et l'embarras d'aimer. Mais aussi, qu'un amant à mots couverts s'explique, Qu'il élude l'aveu... ma foi, cela nous pique. Vous entendre gémir et soupirer vos feux, Moi , c'est dans l'amour ce que j'aime le mieux : Un aveu réjouit... un soupir intéresse.

GERMAIN.

.ie suis tout stupéfait de ta délicatesse !

:ûon maître cependant, Mélise en conviendra,

ACTE I, SCENE I. 265

Peut tourner une tête alors qu'il le voudra ; Et j'ai, moi qui te parle, adopté son système : Ou se fait mieux aimer, ne disant pas qu'on aime. J'ai donné dans le piège lui-même il fut pris : Eh bien ! c'étoit l'enfer, et mépris sur mépris. Tu n'imagines pas, pour les plus minces charmes, Ce qu'il m'en a coûté de soupirs et de larmes; C'est une conscience !... Il faut changer cela. Et faire un peu la loi.

DORINE.

J'aime ce projet-là.

GERMAIN.

Qu'il me vienne à présent quelque adroite soubrette, Je vous la mené un train !...

DORINE.

Oai-dà?

GERMAIN.

J'ai la recette. Eh! ne valons-nous pas ton sublime marquis. Par sa frivolité connu d.ins tout Paris, Étourdi s'il en fut, grand conteur de sornettes. Et trop distrait sur-tout pour acquitter ses dettes? Mélise franchement...

DORINE.

Dis ce qu'il te plcdra , Nous savons mieux que toi tous les talents qu'il a. Il doit, il se ruine?

GERMAIN.

On le dit. ^

a3

a66 LA FEINTE PAR AMOUR.

DORINE.

Bagatelle. Il subvient à propos aux langueurs de mon zélé, Donne sans trop compter, et va toujours semant; Ce qui mène une intrigue et distingue un amant.

GERMAIN.

Comme il \oudroit enfin avancer ses affaires, N'a-t-il pas depuis peu doublé tes honoraires? Il a craint les langueurs... N'importe, malgré toi. Votre bon oncle est fou de Damis et de moi.

DORINE.

Il est vrai que Damis aujourd'hui s'en empare.

GERMAIN.

Il nous a proposé sa nièce.

DORINE.

Le barbare ! Ne me parle jamais de ce vieux éventé, c'est le dernier qu'il voit dont il est entêté; Ce qu'il veut le matin, le soir peut lui déplaire; Et, lassé de ton maître, il voudra s'en défaire: Tête vague , esprit foible, et sans le moindre plan. Ne fut-il pas jadi.s apprenti courtisan? Je riois de le voir, dans son humeur caustique , S'ériger en penseur, trancher du politique; Affectant tous les airs, et n'en ayant aucun , Il se croyoit utile, et ii'étoit qu'importun. Ce ton a disparu ; maintenant c'est un autre. Il est peut-être bon ; mais ce n'est jias le nôtre... On entre ; c'est Damis... il a l'air de rêver.

ACTE I, SCÈNE II. 267

SCÈNE 11.

DORINE, GERMAIN, DAMIS.

GERMAIN.

Ne l'iaterrompoiis point.

DORINE.

Laisse-moi l'observer , Chut!

GERMAIN, à part.

Il tient le portrait de Mélise elle-même. Il croit que je l'ignore.

DAMIS, contemplant un portrait, et à voix basse. Oui, c'est celle que j'aime. Voilà ces traits si doux; ce na'if enjouement , Ces regards l'esprit est joint au sentiment. Heureuse illusion, qui me rends sa présence. L'amour ne t'inventa que pour charmer l'absence. Je ne sais cependant ; ce portrait séducteur. En captivant mes yeux, contente peu mon cœur : Un reproche secret vient troubler mon ivresse. Qu'est-ce qu'un bien qui pèse à la délicatesse? Ce qui m'enchante ici , gage trop imparfait. N'est qu'un larcin, hélas! et dut être un bienfait.

DORINE. part.) (haut, à Germain. ) Il soupire! .. Sur quoi proméne-t-il sa vue?

GERMAIN.

C'est que de ses bijoux il a lait la revue;

a63 LA FEINTE PAR AiMOUR.

C'est un portrait qu'il a tiré de son écrin. De ces misères-là nous tenions magasin.

D o R I N E.

Un portrait !

D A M is. Que dis-tu? G ER M A J N , s'approclwnt ù la /gauche de Damis. Je dis que quelque belle Vous a sans doute fait cette faveur nouvelle.

D AMIS, à part. Le drôle n'en croit rien.

D o R I N E , s'approchant à la droite de Damis. Monsieur!... DAMIS, surpris.

Qu'est-ce?

DOR INE.

Un billet.

DAMIS, avec joie.

DeMélise?

DORI N E.

Prenez, et lisez, s'il vous plaît. DAMIS, à part. Voyons : d'un vaiu espoir je me flatte peut-être...

[après avoir parcouru le billet.) Me trompé-je? comment !... Ne laissons rien paroître.

(// relit le billet à voix basse. ) " Vos assiduités, j'aurois le prévoir, « Fixent sur moi les yeux d'un monde susceptible. " Échappons aux propos en cessant de nous voir. « Quel que soit cet effort, j'ai cru me le devoir.

ACTE l, SCENE II. 269

« Et votre calme heureux m y rendra moins sensible. »

[apercevant Germain qui a les yeux sur Ui lettre. ) Que fais-tu là? va-t'eu.

GERMAIN.

Peste, il n'y fait pas bon ! D A M I s. Qu'on sache si bientôt je puis voir Lisimon.

[Germain sort.)

SCÈNE III.

DAMIS, DORINE.

D AMIS, à part. Comment interpréter... je tremble...

DORINE.

Quel nuage. . . DAMIS, haut, en affectant un air serein. Je dois récompenser, Derine, un tel message.

DORINE.

Vous moquez-vous?

DAMIS, lui donnant sa bourse. Prenez.

DORINE.

Soit : mais, en vérité, Vous pouviez être ingrat avec sécurité.

DAMIS.

Je hais ce vice-là.

DORI N E.

Vous êtes magnifique.

•xi.

270 LA FEINTE PAR AMOUR.

Ce procédé, monsieur, est vraiment héroïque. Je n'imaginois pas (voyez le préjugé! ) Qu'à prix d'or quelquefois on payât un congé.

DAMI s, surpris. Comment?

OORINE.

Vous le tenez.

D A M I s. Je soutiens. . .

D CRI NE.

Je proteste... L'argent est bien donné... quitte à prouver le reste.

DAMIS.

Un congé, dites-vous?

n o R I N E , gaiement.

Oui, bien clair et bien net. J'ai vu, n'en doutez pas, composer ce billet; J'ai vu, j'ai lu , relu le congé qu'il renferme : Tans pis, si votre orgueil est offensé du terme. DAMis, après une pause, avec un dépit concentré et une gaieté contrainte. Je voulois de Mélise, en cette occasion. Couvrir l'étourderie et l'indiscrétion : A ce qu'il me paroît, ce zélé est inutile. Votre maîtresse en moi trouve un ami docile, Soumis , respectueux , qui n'a point hésité Pour souscrire à l'arrêt que son cœur a dicté.

DORI NE.

.l'admire le biais dont vous prenez la chose. Ainsi vous acceptez la loi qu'on vous impose ,

ACTE I, SCENE III. 271

Et ne murmurez pas d'un arrêt si soudain?

DAMis, avec une gaieté feinte. L'a-t-elle écrit gaiement?

DOKINE, l'obsei-vant.

Sans gaieté, sans chagrin, D'un air indifférent.

DAMIS.

Indifférent?

D o R I N E.

Sans doute. Pour écrire autrement ou sait ce qu'il en coûte.

OAMis, avec un peu plus de vivacité- Mais au fait, savez-vous le fin de tout ceci?

DORINE.

Je sais que cette nuit on a très mal dormi.

OAMIS.

Ah! voilà contre moi ce qui la détermine?

DORINE.

Mais ne diroit-on pas que ce n'est rien?

DAMIS.

Dorine Approuve sa maîtresse?

DORINE.

Eh! ne le dois-je pas?

OAMIS.

Sur-tout, quand elle fait de semblables éclats; La prudence le veut.

DORINE.

J'aime la remontrance. Éconduire un amant, c'est blesser la prudence,

272 LA FEINTE PAR AMOUR.

c'est bouleverser tout.

DAMIS.

Un amant est l'ort bon.

DORIN E.

Ce titre-là vous choque?

DAMIS.

Et c'est avec raison .. Mais brisons là-dessus. Quoi que Mélise fasse. Je saurai constamment endurer ma disgrâce; Et, puisque une insomnie a causé mon malheur, Je juge le motif pour calmer ma douleur. Ces événements-là n'ont plus rien qui m'étonne. Le caprice m'exclut, l'amitié lui pardonne ; L'indulgente amitié n'a jamais de fureurs, Et ne connoît point l'art de contraindre les cœurs.

DORINE.

Oh ! vive l'amitié ! qu'elle est calme et soumise ! Vous êtes surprenant. Je vais dire à Mélise Avec quelle douceur et quel air serein On accueille chez vous ses billets du matin.

(Elle sort.}

SCÈNE IV.

DAMIS, avec dépit.

Enhn, madame, enfin je connois votre style. Vous voulez m'affliger, et j'en suis plus tranquille

ACTE I, SCÈNE V. 273

SCÈNE V.

DAMIS, GERMAIN.

GERMAIN.

Lisimou est, dit-on, chez Mélise.

DAMIS, avec liumeur.

Il suffit. (// lit le billet et le chiffonne.) GERMAIN, à part. Ce diable de billet lui tourmente l'esprit.

DAMIS, se ■promenant toujours , et à part. Vous me chassez! fort bien.

GERMAIN, à part. Fort mal. DAMIS, à part.

A la bonne heure. Rien n'est eiicor perdu; mon secret me demeure.

GERMAIN.

Pauvre avoir que cela !

DAMIS, à part, et parcourant le théâtre. De l'éclat et du bruit. Des soins trop prodigués, c'est l'orgueil qui jouit. H faut un autre frein à votre humeur légère; Je vous ai fait parler, j'ai bien fait de me taire. On distrait votre cœur... il faut le ranimer. Et punir la coquette en la forçant d'aimer. Mais ce cruel billet... gardons-nous de m'en plaindre. J'ai le désirer beaucoup plus que le craindre;

274 LA FEINTE PAU AMOUR.

c'est quelque chose au moins... Qu'est-ce que je prétends? Fixer un cœur volage : il résiste , et j'attends... J'attendrai. Ce billet m'a rendu l'espérance.

Heureux d'être aujourd'hui l'objet d'une imprudence ! j

Trop heureux d'occuper! Pour qui s'y conuoît bien , ]

Un dépit... un coiij^é vaut toujours mieux que rien.

G E R M A 1 IV , s' approchant par degrés de Damis ,qui , uiarche toujours avec la même action.

Monsieur... '

o AMIS, brus(juement. j

Hein?... I

GERMAIN. I

Vous voulez me cacher votre flamme; '.

Je ne suis plus admis aux secrets de votre ame. i

o A M 1 s. (

Après ? > !

GERMAIN. i

Epargnez-vous ces inutiles soins; ; Ce qu'on ne me dit pas , je ne le sais pas moins.

DAMIS. î

.Si je le laisse aller, il va, par complaisance, \

De mes propres amours me faire confidence. ;

GERMAIN, avec intrépidité. '

Oui, monsieur, cet air l'roid qui cache votre feu , !

Vos discours , votre ton , tout cela n'est qu'un jeu. |

DAMlS.

Très scrupuleusement gardez vos conjectures : 1

S'il venoit jusqu'à moi les plus légers murmures,

Vous m'entendez?... \

ACTE I, SCENE V. 275

GERMAIN.

Ces mots sont significatifs. D A M I s. < ; est que je n'aiine point les esprits inventifs.

G EU M A IN.

Moi, je n'invente rien. Vous n'aimez pas Mélise? Sa maiu par Lisiinon ne vous est pas promise? Ce portrait que tantôt vous observiez?

DAMIS.

Eh bien ?

GERMAIN.

Me direz-vous aussi que ce n'est pas le sien? D'après son grand tableau, lorsqu'elle fut sortie. Vous fites l'autre jour tirer cette copie.

D AMIS.

Motus , encore un coup , ou gare...

GERMAIN.

Avec ce ton. Vous obtenez des droits sur ma discrétion.

DAMIS.

Prévenez là-dedans qu'à me suivre on s'apprête.

part.) Qu'on ne s'éloigne pas. iMa surprise est complète. (On entend chanter et faire du bruit derrière le théâtre. ) Qu'est-ce que ce train-là? Va-t'en voir à l'instant.

OEBMA IN.

Cest monsieur Fioricnurt q; i s'annonce en chantint. Il est votre ri\al.

376 LA FEINTE PAR AMOUR.

DAMIS.

Lui?

GERMAIN.

Déclaré.

DAMIS.

Quel conte!

SCÈNE VI.

FLORICOURT, DAMIS, GERMAIN.

GERMAIN.

Tenez, lui-même ici vous en rendra bon compte; Il est franc. ,

( Germain sort.) FLORICOURT, </u ton le plus gai. Je suis triste , et je viens près de toi Pour éclaircir le noir c[ui s'empare de moi. Que je te trouve heureux! Un esprit toujours lijjre, Tu maintiens dans tes goûts le plus juste équilibre; Le sort prévient tes voeux, tout succède à ton gré; Très peu d ambition , un amour tempéré. Moi, je suis ballotté de toutes les manières : Le feu , plus que jamais , s'est mis dans mes affaires ; Tout , depuis ce matin , m'affecte horriblement.

DAMIS.

Depuis ce matin ?

FLORICOURT.

Oui.

ACTE I, SCENE VI. 377

DAMIS.

Le terme est alarmant.

FLORICOURT.

Ma sensibilité devient insupportable.

DAMlS.

Allons, remettez-vous; un revers vous accable. Comment vont les amours, les projets, tout le train?

FLORICOURT.

Nous vivons, mon ami, dans un siècle d'airain.

lîien n'avance, ne va... J'ai plus de cent paroles ;

l'oLir les effets néant... J'ai beau changer de rôles,

.Saisir l'esprit , le ton de nos sociétés ,

Amuser tous les jours dix cercles d'hébétés ,

Voir les gens qu'il faut voir, briller par ma dépense,

Renchérir sur ces riens qui font notre importance;

Je reste tout net... On me berce d'espoir:

Vingt bUlets le matin m'inviteut pour le soir;

On me fête, et c'est tout : avantage stérile.

J'ai prouvé cependant que je puis être utile...

Tiens, pas plus tard qu'hier, dans un fort grand soupe.

J'eus des traits d'un bonheur... dont chacun fut frappé.

On murmuroit tout bas, Il est vraiment aimable.

J'abymai le baron; il parut détestable.

Je fis rire Ghloé, rire jusqu'à l'excès.

Une bégueule morne et qui ne rit jamais...

Tu sais qu'elle peut tout, qu'on obtient tout par elle :

Eh bien ! quand on sortit je réclamai son zèle ;

Elle me répondit par des airs nonchalants.

Me pria de descendre et d'appeler ses gens.

Eh ! sur ces tétes-là fondez quelque espérance !

•^4

ajS LA FEINTE PAR AMOUR.

Nulle solidité, point de reconnoissance. Qu'ils s'arrangent, je sens qu'il faut vivre pour soi, Et mon ingrat pays n'est pas digne de moi.

D A M I s. Comment? je vous croyois en faveur.

Fi.onicouRT, avec étourderie.

Quel vertige ! Crois-tu donc à ce mot, à ce brillant prestige? La faveur maintenant n'est qu'un flux et reflux: On a beau la poursuivre, on ne la fixe plus. Il semble qu'aujourd'hui la fortune vous rie : Demain le ciel se brouille, et la scène varie. Le terrain je marche est fertile en ingrats; C'est un sable mouvant qu'on sent fuir sous ses pas. Et le public léger, qu'un changement réveille, Brise, en riant , l'autel qu'il eucensoit la veille. Ainsi de crainte en crainte, et d'espoir en espoir, On se tue à briguer ce qu'on ne peut avoir. Parmi cent concurrents , coudoyé dans la foule, Moins de gré que de force , on cède au flot qui roule; Et, plus que mécontent, mais non pas converti, On se retrouve au point d'oii l'on étoit parti.

DAMIS.

Ce tableau me paroît frappant de ressemblance ; Vous devenez profond.

FLOniCOURT.

Il le faut bien... On pense C'est fait, je m'exécute et borne mon roman.

D A M I s . Propos !

k

ACTE 1, SCENE VI. 979

FLORICOURT.

Ton œil eiicor n'a pas saisi mon plan?

DAMIS.

Oh! pas le mot.

FLOKICOURT.

Écoute : Épouses-tu Mélise, Ne l'épouses-tu pas?

DAMlS.

La demande est exquise.

FLORICOURT.

Quels que soient tes projets, je n'y pénétre pas: Mais j'épouserai, moi.

DAMIS, ironiijuement.

Dès-lors plus d'embarras. De vos expédients j'admire la justesse.

FLOKICOURT.

Nul procédé, sur-tout : le prix est pour l'adresse.

Dorine me protège , elle sait babiller;

Moi, je possède l'art de la faire parler:

Je me la suis acquise, et sa foi m'est connue.

D A .M I s , à part. Cette Dorine-là me paroît entendue.

FLOR ICOURT.

Et Lisimon d'ailleurs servira mon amour. On dit t[u'il a jadis raffolé de la cour; Je veux lui mettre encor l'ambition en tète. C'est un ressort plaisant.

DAMIS.

Et sur-lout fort honnête. Ainsi vous épousez.

aSo LA FEINTE PAR AMOUR,

FLORICOURT.

Un peu.

D AMIS.

c'est mon avis.

FLORICODRT.

Tes conseils sont très bons , tu les verras suivis.

DAM is. Rien n'est mieux calculé qu'une telle conduite; Et c'est avec plaisir que j'en verrai la suite. Vous n'aimez pas Mélise, on conçoit bien cela; Votre cœur ne s'est point oublié jusque-là. Sa fraîcheur, sa jeunesse, une grâce piquante, D'un sourire attrayant la finesse éloquente , N'ont pu, j'en jurerois, vous inspirer un goût: Mais Lisimon est riche, et Mélise aura tout ; Voilà ce qu'il vous faut ; rien n'est plus convenable ; Et c'est ce qu'on appelle un hymen très sortable. s'aimer, détail bourgeois ! Bravant ce sot abus , Vous allez épouser... quelque cent mille écus.

FLORICOURT.

Oui. Par ce mariage, et tu m'y détermines , Je veux de ma fortune étayer les ruines. Pour les gens de notre ordre il n'est que ce recours. Étourdis par nos goûts, distraits par nos amours, Tant que l'activité nous tient lieu d'opulence. Nous vivons dans l'ivresse et dans l'indépendance. Autre temps, autres soins; risquant quelques soupirs, Nous implorons l'hymen pour payer nos plaisirs. Adieu. Je vais courir chez tous mes gens d'affaires,

ACTE I, SCENE VI. 281

Et mettre à la raison intendant et notaires. Tous ces animanx-Ià, qu'on voit eu enrageant, Ont toujours de l'humeur, et n'ont jamais d'argent.

DAMIS.

N'allez pas les manquer.

FLORICOURT, prenant la mahi de Dciinin.

Non vraiment. Je te quitte. J'emporte un avis sage, et mon cœur le mérite.

(// sort.)

SCÈNE VII.

DAMIS.

D'un moment de dépit il peut tout obtenir; Il va voir Lisimon, je dois le prévenir. N'eussé-je point d'amour. Je lui serois contraire; Je voudrois traverser le bonheur qu'il espère : L'amitié m'en eût seule inspiré le dessein. Sans adorer Mélise, il prétend à sa main. Ses grâces, son esprit, n'ont rien qui l'intéresse : En elle il considère, il cherche la richesse; Quel amant ! De mon but ne nous écartons point : L'amour me l'indiqua, la probité s'y joint. Mais si j'échoue enhn... si Mélise, enivrée , Se borne à cette cour dont elle est entourée. .. Je ne le sais que trop, la beauté bien souvent, Attentive à l'hommage , est sourde au sentiment.

74-

282 LA FEINTE PAU AMOUR.

Cachons encor le mien... Amour! tu sais si j'aime! Ce pénible détour m'est dicté par toi-même : Mélise , tu le vois , est prête à t'échapper , Et je crois te servir, en osant la tromper.

FiiX DU PREMIER ACTE

ACTE SECOND.

La scène est dans une avant-salle de l'appartement de Mélise.

SCÈNE I.

DAMIS.

Chez Mélise , aujourd'hui , moi ! quelle hardiesse ! Voyons : par l'oncle ici piquons un peu la nièce. Il va venir, osons; et, dans l'espoir que j'ai, En Feignant un refus , vengeons-nous d'un congé. Je puis bien à mou tour risquer une imprudence.

SCÈNE II.

DAMIS, LISIMON.

DAMIS.

Ah ! je vous attendois avec impatience.

L I s 1 MO N , absorbé dans la rêverie. Me voilà. J'en conviens, j'étois dans ce moment U'une vue assez neuve occupé lortement. Monsieur, c'est que le tact des affaires publiques

284 LA FEINTE PAR AMOUR.

Veut de mâles esprits et des cœurs énergiques. Quand je m'en escriraois, j'accordois tout cela; j

Le tableau de l'Europe étoit imprimé là. ]

Tu m'as fa't avertir ; j'accours , adieu l'idée : |

C'est le diable ! |

DAMIS. i

Pardon : votre humeur est fondée. ,

LISIMON. ,

C'est fait.,, que me veux-tu? i

DAMIS.

Je me suis consulté; Et je veux avec vous parler en liberté. Mélise est fort aimable ; elle a droit de prétendre Aux hommages , aux vœux de l'amant le plus tendre : Mais comment souffre-t-elle un cercle d'étourdis, I

D'agréables, de sots, par la mode enhardis. Du bon ton , qu'ils n'ont pas, se croyant les arbitres, Mettant leur ineptie à l'ombre de leurs titres , i

Traînant d'un luxe outré l'indiscret attirail. Petits sultans , honnis même dans leur sérail ; Tous ces demi-seigneurs sans talents et sans âmes, ]

Qui bornent leurs exploits à tromper quelques femmes,] De pères très fameux enfants très peu connus. Dont on cite les noms , au défaut de vertus? j

LISIMON.

Je vais, si tu le veux, t'expliquer ce mystère.

DA MIS.

Soit.

LISIMON.

Tel que tu me vois , jadis j'eus ma chinièie,

ACTE II, SCENE II. 285

Comme nu autre : à la cour j'étois fort assidu : Dans uu monde nouveau je rae croyois perdu. Je proposois alors des plans économiques, Que je te montrerai, tous bien patriotiques. Bien conçus...

D A M I s. Je le crois.

LIS! M ON.

J'osai les présenter. Mais l'embarras étoit de les faire adopter : Ces gens-ci m'y servoient, du moins en apparence; Je les reçus chez moi, par excès de prudence. Sous les dehors du zèle, ils venoient par essaims. En obsédant ma nièce, opiner sur mes vins. Moi, comme un franc Gaulois, j'aime encor ma patrie. Leurs protestations trompoient ma bonhomie. Qu'ai-je embrassé? du vent. On ne m'écouta pas; J'en fus pour mes calculs et pour mes résultats. Aussi tout va , Dieu sait ! Grâces à ma routine, J'aurois eu trois matins remonté la machine. Je n'y renonce point : mon portefeuille est plein; Aujourd'hui secondé, j'exécute demain. Oui, monsieur, qu'on m'installe et je réponds du reste. Je puis être à l'état d'un profit manifeste. Brouillant, bouleversant les principes connus. J'arbore la réforme et je pare aux abus. Voilà dans quel espoir ma folle complaisance A de ces importuns toléré l'affluence.

D A M I s. De leur zèle affecté voyez quels sont les fruits.

a86 LA FEINTE PAR AMOUR.

LISIMON.

Puisqu'ils ne peuvent rien, ils seront éconduits.

DAMIS.

Bon! change-t-on ainsi sa manière de vivre? Votre charmante nièce au tourbillon se livre; Et, croyant échapper à de tristes liens. Obéit à des goûts qui ne sont pas les siens. Elle est à cette époque l'ame , irrésolue , Entre différents choix reste encor suspendue. Sou naturel heureux lutte et perce toujours; Mais, s'il faut avec vous s'expliquer sans détours. Il incline un peu trop vers la coquetterie. Jeu cruel qui bientôt mène à la perfidie, Des plus doux sentiments corrompt la pureté, Éteint le caractère et nuit à la beauté. Il faudroit à Mélise un ami difficile, Qui tourmentât son cœur, encor neuf et docile. Employât pour le vaincre un manège innocent , Y jetât par degrés un trouble intéressant, Enveloppât de fleurs les traits de la censure. Et sût, à force d'art, le rendre à la nature.

LISIMON.

Eh bien ! sois cet ami.

DAMis, riant à demi. Moi?

LISIMON.

Toi-même, parbleu! Il faut, comme tu dis, la tourmenter un peu. Par de certains secrets dérouter son caprice , Retenir la coquette au bord du précipice;

ACTE 11, SCENE II. 387

Et , lui sauvant sur-tout l'ennui de la leçon , La forcer par humeur d'avoir de la raison... L'idée est lumineuse, et je l'ai bien saisie; A l'application. Je t'en cliarge.

DAMIS.

Folie ! Revenons, s'il vous plait, et daignez m'écouter.

(// regarde de tous côtés avec un air mystérieux. ) Vous m'offrîtes sa raain , je ne puis l'accepter. Je veux choisir, monsieur, quelqu'un qui me convienne, Dont la façon de voir s'accorde avec la mienne. Qui conuoisse le prix d'un amour délicat. Et sache préférer le bonheur à l'éclat.

LIS I MON.

Tu m'étounes beaucoup, et je te crois à peine. Sans doute elle t'a fait quelque nouvelle scène , Car c'est une étourdie... Ah ! je vais la tancer D'une belle façon !

DAMIS.

Gardez-vous d'y penser. Ne vous voilà-t-il pas, comme a. votre ordinaire, Emporté?...

LISIMON.

J'en conviens, je suis un peu colère.

DA MIS.

Un peu? Beaucoup.

LISIMON, se radoucissant.

Eh bien ! je me corrigerai. [reprenant le ton vif.) Mais on fera, morbleu, ce que je résoudrai.

288 LA FEINTE PAR AMOUR.

Dans ce que j'ai conclu je suis fixe et tenace; Ma nièce obéira.

DAMIS.

Modérez-vous, de grâce. De mou absence au moins choisissez le moment, Et qu'à cet entretien je ne sois pas présent... Ciel! Mélise!... je sors.

[Mélise entre dans ce moment; ils se font une révérence , et Damis sort. )

SCÈNE III.

MÉLISE, LISIMON, DORINE.

MÉLISE, avec étonnement. Damis ici ?

LISIMON.

Lui-même. Pourquoi non, s'il vous plaît?

MÉLISE.

Ma surprise est extrême. Quand nous mariez- vous?

LISIMON.

Je le voudrois eu vain : Vous l'avez trop bien su guérir de ce dessein.

MÉLISE, vivement. Quoi!...

LISIMON.

Bien.

ACTE II, SCENE III. 289

MEUSE.

Encore'...

L 1 s I M o N . Eli bien!...

MEUSE.

Parlez.

L7SIM0N.

.le vous annonce...

M É L I s E-

Mais quoi donc?

LISI.MOX.

Que Damis à vos charmes renonce. De vos airs, de vos tons il est las à la fin. Il refuse , en un mot, le don de votre main.

M Élise. Il me refuse !

LISIMON.

Net. Mais cela sans colère, Toujours maître de lui, car c'est son caractère, Si posément enfin , et d'un air si glacé, Que tout autre à ma place en seroit courroucé.

M Élise, avec une gaieté contrainte. Courroucé ! pourquoi donc? Le trait est impayable.

LISIMON.

Vous paroît-il plaisant?

M ÉLISE, avec chaleur, et ne pouvant cacher son dépit. Damis est admirable ! C'est moi , monsieur, c est moi , qui, trompant son espoir. Lui mandois ce matin de ne me plus revoir.

ago LA FEINTE PAR AMOUR.

LISIMON.

Fable !

DORINE.

Rien n'est plus vrai : ma maîtresse est vengée. De l'exécution cette main fut chargée.

MÉLISE.

De sa froideur pour moi vous voilà convaincu?

r,l SIMON.

Oh ! oui.

MÉLISE.

Vous en a-t-il long-temps entretenu? Félicitez-vous bien, vantez votre conduite; De vos préventions voilà quelle est la suite.

LISIMON, brusquement. Moi, j'ai cru que ces nœuds seroient bien assortis;

{affectant de la finesse. ) J'ai même soupçonné que vous aimiez Damis.

MÉLISE.

Mon oncle, assurément le soupçon est unique. Vous êtes étonnant.

LISI.MON.

Non , je suis véridique.

DORINE.

Que monsieur Lisimon a l'esprit clairvoyant!

Rien ne peut échapper à son œil pénétrant.

Il lit , sans se tromper , jusqu'au fond de nos âmes :

Comme il déchiffre un cœur , comme il connoît les femme

LISIMON.

Que trop, en vérité. J'ai bien [)ayé cela.

On est dupe long-temps avant d'en venir là...

ACTE II, SCENE III. jjji

Mais dans ce moment-ci je m'abuse {3eut-ètre, Je ne démêle rien, je ne sais rien conuoître...

Mélise , avec humeur.) Que m'importe après tout? Congédiez Damis; Si vous le voulez même, épousez le marquis. Bel hymen !

MÉLISE, avec impatience. Vous l'aimiez dans ces jours de Folie les gens du bel air étoient votre manie; Quand mon oncle, en projets consumant chaque jour, En poste alloit chercher des chagrins à la cour... De tous ces messieurs-là vous goûtiez l'importance. Leur ton vous paroissoit le ton par excellence.

LISIMON.

Oh! j'avois mes raisons. Le bien public d'ailleui-s... Bret", c'est un autre temps, et je veux d'autres mœurs.

DORIN E.

Floricourt, au surplus, n'a rien pour vous déplaire.

D'une vieille parente il sera légataire ;

Sa naissance est illustre; il est jeune, bien fait.

MÉLISE, avec humeur. Ah! vous le protégez?...

DORl NK.

Enfin on s'y connoît. ( à Lisirnon. ) Puis, s'il vous revenoit un jour en fantaisie De vouer à l'état votre rare génie, Aux airs de coijrtisans il saura vous plier, Et c'est (ui honnue au moins (pii peut v(uis ajipuycr. Quel plaisir de briller, d'étendre un [>eu sa sphère!

21)1 LA FEINTE PAR AMOUR.

Une fois eu crédit, que d'heureux on doit faire !

LISIMON.

Tu crois donc qu'on pourroit...

DO RI NE.

Je vous ai dévoilé.

LISI MON.

Toi?... Coiumeut donc? par où?

DORINE.

Tout en vous m'a parlé : Discours obscurs, mais fins; silence énigmatique... Et ce rire ingénu qui cache un politique.

n s I M o N . L'y voilà.

M ÉLISE.

Finissez... Le beau raisonnement! L I s I M G N , après avoir réfiéclii. Eh! ce qu'elle dit n'est pas sans fondement; Elle voit assez bien. Mais j'insiste : ma nièce, Je veux encor pour vous signaler ma tendresse. Je regrette Damis , quoi que vous en disiez, Et veux le ramener dès ce soir à vos pieds. Je sens bien qu'il faudra, rappelant ma finesse, Négocier la chose avec un peu d'adresse... Mais on sait se tirer d'une difficulté. Et délicatement ménager un traité. Sois sûre... enfin...

ACTE H, SCENE IV. 293

SCÈNE IV.

MÉLISE, DOHINK.

M É L I s E

Mon oucle est incompréhensible.

DORINE.

Damis! toujours Damis! Ce caprice est risible... Oui; mais tous ces discours sont ici superflus; Damis est hors de cour, et vous n'y songez phis.

M ÉLISE.

Y songer! l\ faudroit que je fusse bien folie. Sa conduite avec moi cependant me désole; Je voudrois à mes pieds le voir s'humilier, Et...

D0R.1NE. Ce procédé-là seroit plus régulier.

MÉLISE.

N'en parlons plus.

DORINE.

Sans doute.

MÉLISE.

Au fond , je le déteste.

DORINE.

De vos ressentiments ce dépit est le reste.

MÉLISE.

Tu dis que mon billet n'a point paru l'aigrir?

DOR.I NE.

Non; tranqnillisez-vous.

a5.

29i LA FEINTE PAU AMOUR.

MÉLISE.

Je n'en puis revenir. Mais, moi, Dorine, aussi j'ai fait une imprudence. Que prétendois-je, enfin?

DORINE.

Punir son impudence.

MEUSE. '

L)is sa discrétion ; c'est le mot : en effet ,

'l'u le sais comme moi , qu'a-t-il dit , qu'a-t-il fait

Qui lui pût attirer cette rigueur extrême?

DORINE.

Comment! un insolent qui ne dit pas qu'il aime !

MÉLI SE.

Qu'il aime! il faut savoir s'il aime. Le sais-tu?

DORINE.

Eh mais ! rien n'est plus clair.

MÉLISE.

Moi, je n'en ai rien vu.

DORINE.

Moi, je vous garantis qu'il brûle au fond de l'ame.

I\I É L I s E.

Eh! que ne parle-t-il?

DORINE.

Mais il craint pour sa flamme.

MÉLISE.

Oh ! il a bien raison... Mais il faut s'expliquer.

DORINE.

>J'ayez pas seulement l'air de le remarquer,

M ÉLTSE.

Bon!

[ACTE II, SCENE iV. 395

DORINE. Laissons ce sujet , car il vous indispose.

' MÉLIsH.

Moi ! non : autant parler de lui que d'autre chose; Tu peux continuer.

D o R I N E.

Parlons-en donc... Eh bien ! Puisque vous le voulez, qu'en dirons-nous?

MEUSE.

Oh! rien.

DORIN E.

Pourquoi donc cette humeur et cette impatience? Si vous l'aimiez encor?

M É L 1 s E.

Tais- toi.

(Elles se taisent pendant un moment. )

D 0 R I N E.

Le beau silence !

M ÉLISE.

Tu n'as point remarqué le portrait qu il tenoit? Tu n'as point distingué?...

D G n I N E.

Non , il l'examinoit D'un œil très satisfait.

M ÉLISE, à part.

Je souffre le martyre. {haut.) Tu n'as rien entendu de ce qu'il a pu dire?

DORI N E.

U avoit l'air content... c'est tout ce que je sai.

296 I-A FEINTE PAR AMOUR.

M ÉLISE, avec la plus grande vivacité. Je ne demande pas s'il étoit triste ou gai : Répondez juste au moins.

D CRI NE.

Je quitte la partie. Mais j'aperçois Germain.

MÉLISE.

Demeurez, je vous prie; Qu'il approche.

SCÈNE V.

MÉLISE, DORINE, GERMAIN.

MÉLISE, dun air distrait. Ah! c'est toi', Germain?

GERMAIN.

Pour vous servir. Madame; commandez, et je cours obéir... Je montois chez Damis.

MÉLISE.

Il est ici ton maître?

GERMAIN.

Oui, même tout le soir je crois qu'il y doit être.

MÉLISE.

Seul?

GERMAIN.

Seul , je l'imagine.

MÉLISE.

Il ne peut être mieux.

ACTE II, SCENE V. 297

Pu sais apparemment qu'il est fort amoureux?

GERMAIN.

Lmoureux !

M ÉLISE.

Et bien plus, il ose le paroître...

GERMAIN.

tiadame, écoutez donc...

DO RI NE.

Dis , tu dois t'y connoître.

GERMAIN.

e sais qu'il s'est donné ces airs-là quelquefois.

D o R I N E.

îh ! sait-on quel objet a décidé son choix?

GERMAIN.

s'on : il est fort discret, il soupire en silence; Jien n'échappe avec lui...

M ÉLISE.

La bonue extravagance !

DOIS! NE.

ît ce portrait divin dont il est enivré ,

Ju'il observe sans cesse avec l'air égaré ;

l ton compte, Germain, n'est-ce point un indice?

mÉlise. fa, parle à coeur ouvert, et quitte l'artifice.

D o R I X E.

ians doute , allons , du cœur.

GERMAIN.

.s'il ne faut rien celer, Ze portrait lui plait fort, et...

jgS LA FEINTE PAR AMOUR.

M É L I s E , poussant Dorine.

Fais-le donc parler. DORINE, poussant Germain. V;i donc.

GERMAIN.

Seul dans un coin, quand il est à son aise, H le tourne et retourne , il le baise et rebaise ; II lui parle souvent comme s'il l'entendoit. Et lui reparle eucor, comme s'il rëpondoit. Cela me charme, moi; je me plais à l'entendre.

DORINE.

A cette école-là tu deviendras fort tendre.

M É L I s E.

Et l'on ne peut savoir quel est l'original?

GERMAIN.

Non.

DORINE.

Non?

M ÉLISE.

Germain discret! Mais cela n'est point mal.. Oh ! c'est, n'en doutons pas, quelque franche coquette.

GERMAIN.

Madame, en vérité...

M ÉLISE.

Quelque folle parfaite.

GERMAIN.

Madame, je rougis.

M ELISE.

J'en suis sûre.

ACTE II, SCKNE V. 299

GERMAIN.

Comment ? Quoi qu'il en soit enfin, le portrait est charmant.

■M Élise. Affreux , peut-être !

GERMAIN.

Affreux! cela vous plaît à dire.

M É LIS E.

Je le répète, affreux.

GERMAIN.

Je cède et me retire. Ah ! ce pauvre portrait, comme vous le traitez'. Mais vous ne savez pas ù qui vous insultez.

.M ÉLISE, le rappelant. Si Damis n'est point trop occupé de sa flamme, Dis-lui que je l'attends ici même.

GERMAIN.

Oui, madame.

( // sort. )

SCÈÎSE VI.

MÉLISE, DORINE.

MÉLISE.

Il faut que je lui parle indispensablement. Oui...

noR I N E, à pari. Ma maitrcsse en tient indubitablement

3oo LA FEINTE PAR AMOUR.

M ÉLISE.

Je veux qu'avant le soir tout ceci se termine.

DOR IN E.

<^omme il va s'applaudir!

MÉLISE.

Retirez-vous, Dorine.

J'entends du bruit : on vient. Ciel ! Floricourt! l'ennui!

Mais, feignons... Contre moi tout conspire aujourd'hui.

(Dorine en sortant rencontre Floricourt; ils se font

rèciproijueit,ent des signes. )

SCÈNE VIL

FLORICOURT, MÉLLSE.

FLORICOURT.

On vous rencontre enfin!,.. Mais vous êtes cliannante De disparoître ainsi, de tromper mon attente. Qu'elle est belle !

MÉLISE.

Oh ! laissez ce ton complimenteur. FLORICOURT, du ton le plus étourdi. Non , madame ; avec vous ce ton-là part du cœur.

MELISE, riant. Du cœur! y songez-vous? vous léger, vous frivole!... Recueillez-vous, marquis : est-ce votre rôle?

FLORICOURT.

Sans doute.

MÉLISE.

Encore un coup, supprimons la fadeur,

' ACTE II, SCÈNE VII. 3oi

Sinon, je vous le dis, j'aurai beaucoup d'humeur, Et je vous ennuierai.

FLORiconRT, avec galanterie et légèreté. Non , cela ne peut être. Je cherche le plaisir, et vos yeux le font naître: Mais, depuis près d'un mois, disons la vérité , Dans quelle solitude avez-vous végété? C'est se conduire mal : tout le monde en murmure. Plus de bals, de soupers, pas la moindre aventure. Vous avez de l'humeur; on n'eu est pas surpris. Vous prenez un travers, je vous eu avertis. Comment donc! belle, aimable, à la fleur de votre âge. S'enterrer chez un oncle , et s'ériger en sage ! Mais vous n'y pensez pas : il faut absolument Vous rendre à vos amis, vous remettre au courant. Je vous offre mes vœux, qui sont flatteurs peut-être; Mon nom, ce que je suis, et ce que je dois être; Une existence enfin. Allons, ouvrez les yeux; Le temps vole, il échappe, il emporte les jeux. Ressuscitez; sortez de cette nuit profonde, Et paroissons tous deux sur la scène du monde.

M Élise. Mais vous devenez fou !

F L o n I c o u R T , de l'air le plus évaporé. Non, je ne le suis ;)as. i C'est trop ensevelir de si brillants appas ,

Faits pour orner, madame, un plus décent asile I Que des cercles obscurs et l'ombre de la ville. Écoutea-moi : je viens d'apprendre en ce moment. J'en ai l'iivis sur tiioi, que je dois sûrement

■xti

Sot l.A FEINTE PAK AMOUR.

Hériter avant peu d'une tante éternelle!... Qui me remet toujours.

M ÉLISE.

Cette dame est cruelle.

FLORICODRT.

Elle ne finit pas. Mais, pour cette fois-ci. Il paroît cependant qu'elle a pris son parti. Elle a quatre- vingts ans, c'est l'âge des retraites. J'envahis sa fortune, elle est des plus complètes. Le tout vous est offert. Nous mêlerons nos biens , Et l'opulence encor va serrer nos liens.

M É L I s E.

L'opulence! Et le cœur? est-il un autre empire? Le trésor d'un amant, c'est l'amour qu'il inspire. Est-il riche, on l'ignore... ou songe à ses vertus; Est-il pauvre, on le venge en l'aimant encor plus : Voilà mes sentiments.

FLOBICOURT.

Je vous en félicite; Vous bravez la fortune et cédez au mérite: Ce sacrifice est noble et sur-tout bien placé. Je savois à quel cœur je m'étois adressé.

M ÉLIS E.

Par exemple, marquis, periîiettez-moi de rire. Quoi ! vous prenez pour vous ce que je viens de dire?

FLORicouRT, avec la plus grande cjaieté. Eh ! comment s'y tromper? le détour est charmant.

MÉLisr.. Encor?

ACTE II, SCÈ^K VII. 3o3

FLORICOURT, hors de lui. Vous me voyez dans un enchantemeut !... *"Je suis las d'espérer. Décidez-vous, de grâce. Écoutons la raison et laissons la grimace.

( // tombe à ses pieds. ) Ah ! je vous le demande au nom de nos beaux jours ; Faisons à tout Paris envier nos amours.

M ÉLISE.

Trêve donc, s'il vous plaît, à la plaisanterie...

Il extravague... on vient : levez-vous, je vous prie.

FLORICOUUT.

Non. Je lis dans: vos yeux, dans ce tendre embarras. Que mon hommage a pris et ne vous déplaît pas. (Damis entre dans ce moment. Il est aperçu de Mélise,

et non de Floriconrt. ) C est à moi d'affermir mou bonheur qui s'apprête. Tout me sert, et je cours assurer ma conquête. (Flnricoitrt en sortant rencontre Damis, et lui fait des signes d'un air Iriowplinnt. )

SCÈNE VIII.

DAMI.S, MÉLISE.

D A !M I s , du fond du théâtre Fort bien, le téte-à-téte est un peu hasardé. Est-ce pour ce tableau que vous m'avez mandé? Il est touchant!

MÉLISE.

A-t-il le bonheur de vous plaire?

3o4 LA FEINTE PAR AMOUR.

DAMis, avec une cfaieté contrainte. Beaucou|3.

M ÉLIS F., ironiijuemenl.

Il me parloit de son ardeur sincère.

DAMIS.

Et vous daigniez repondre à des transports si doux? C'est l'usage, au surplus.

M Élise, à part.

Mais, seroit-il jaloux? {luiul.) J'ctois libre, monsieur, lorsqu'on vous fit descendre.

DAMIS, très froidement. Vos ordres sont sacrés ; j'ai volé pour m'y rendre.

{ à part. ) L'entretien sera vif.

mÉlise. M expliquez-vous enfin Les propos que mou oncle a tenus ce matin? Qu'est-ce que cet hymen, ce refus, cet outrage Dont il vous accusoit?

DAMIS.

Quand tout vous rend hommage , Madame, en vérité pensez-vous à cela? C'est une vision que cet outrage-là. Ne le savez-voLts pas? qui raconte exagère. Et c'est l'art d'embrouiller la chose la plus claire. Votre oncle brusquement vient m'offrir votre main: Je ne m'attendois pas à ce boidieur soudain ; ,)e n'avois ni le droit ni l'orgueil d'y prétendre; c'est en in'appréciant que j'osai m'en défendre.

ACTi; II, SCÈNE VIII. 3o5

Voilà tout.

M EL I. SE, d'un ton ironique. Voilà tout?

D A M I s , se rapprochant.

Mais vous, madame, vous. M'expliquez-vous enfin quel est ce grand courroux , Cet étonnant billet qui de chez vous me chasse? Comment me suis-je donc attiré ma disgrâce?

M É L I s E. Ma lettre vous l'apprend sans rien dissimuler. Je suis lasse, monsieur, d'apprêter à parler: Je suis jeune, on m'observe, ou censure, on raisonne; Et, pour fuir les amants, je ne vois plus personne.

D A M I s. Est-ce à titre d'amant que je suis renvoyé?

M É L I s E , très vite. Point de détail.

DAMIS.

Je vois qu'on m'a calomnié. Quand on aime on s'échappe , on se trahit : madame. Vous ai-je dit un mot qui fît croire à ma flamme?

M É L I s E , avec vivacité. Eh ! quand cela seroit?

DAMIS.

Oui : mais... cela n'est pas. M É I, ! s E , avec clialeur. Quoi! votre empressement à suivre tous mes pas, Cette assiduité que tout Paris a vue, Et votre jalousie avec art retenue, M'annonçoient pas assez un homme qui prétend

3o6 LA FEINTE i>AR AMOUR.

Et semble , pour le dire, ;iux aguets d'un instant?

DAMIS.

Ah ! ue confouduus point : tout cela vouloit dire (ju'on rencontre chez vous ce que mon cœur désire , Des grâces, des talents...

M É L I s E.

Vous m'impatientez.

DAMIS.

Un commerce divin, cent belles qualités.

Cela signifioit que votre esprit enchante,

Qu'on se plaît à vous voir, que vous êtes charmante.

Eu&n...

MÉLISE.

Parlez

DAMIS.

Cela , je le dis sans détour , Prouvoit tous vos attraits, sans prouver mon amour.

MÉLISE.

.Soit, soit; eh! que me fait votre amour, je vous prie?

DAMIS.

Vous m'accusez , il faut que je me justifie.

MÉLISE.

De quoi donc? Il m'outrage à chaque mot!

DAMIS.

De quoi ? De l'amour prétendu qui vous révolte en moi.

MÉLISE.

Vous me haïssez donc, monsieur?

DAMIS.

Oui! moi, madame?

ACTE H, SCENE VllI. 3o-j

MEUSE.

Répondez.

DAMIS.

Mieux que moi vous lisez dau.s mou ame , Et c'est trop prolonger ici mou embarras. Comment! Lorsqu'on vous voit, dire qu'on n'aime pas? Un tel aveu pour vous seroit tout neuf peut-être; Il pourroit vous fâcher: mais vous lauriez fait naître. Car enfin, si vos lois n'en veulent qu'aux amants, Pourquoi m'envelopper dans vos ressentiments? Pourquoi , prompte à risquer un arrêt qui m'accable, Si je suis innocent, me traiter en coupable?

M ÉLISE.

Allez, monsieur, allez, vous m'êtes odieux.

DAMIS.

Vous ne fûtes jamais plus aimable à mes yeux.

M Élise. Éloignez-vous des miens.

DAMIS.

d'où vient cette colère? J'obéis et je sors, de peur de vous déplaire.

SCÈNE IX.

MÉLISE.

Et de cet homme-là je serois le jouet ! Qu'est-ce donc qui me tient? i'aiuierois-je en effet? Oh! que je l'aime ou non, je prétenils ([u'il fléchisse; Je le veux par raison, bien pl;is que par caprice...

3o8 LA FEINTE PAR AMOUR. i

J'ai su toucher son cceur, il a beau se masquer; j

Et son adroit orgueil ne veut pas s'expliquer.

C'est mon maudit billet!... Qui me forçoit d'écrire?

Que prétendois-je avant qu'il m'eût osé rien dire?

Ma conduite est étrange, incroyable vraiment.

Mais la sienne... La sienne est un afFront sanglant.

Oh! cet homme est un monstre... Eh bien! il est aimable.

C'est la régie... Que faire? O trouble insupportable!

Ce raonstre-là me plaît, je le sens, j'en rougis;

Mais je m'en vengerai quand je l'aurai soumis.

h I .\ ou >ECONU ACTE.

ACTE TROISIÈME.

SCÈNE I.

LISIMON.

Ma foi, ce Fioricourt n'est point aussi frivole...

Cet homme , avec le temps , peut jouer un grand rôle.

Dans ce moment encore il m'a très bien parlé.

Malgré mon air discret, comme il m'a démêlé!

La peste! quel coup d'œil ! Oui, j'étois un barbare:

Je désolois Mélise, il faut que je répare...

Le marquis lui convient; il pense... il ira loin,

Et de lui quelque jour ou peut avoir besoin.

Que sait-on?

SCÈNE II.

LISIMON, MÉLI.SE, DORINE.

LJ SI. VI ON.

Eh bien! qu'est-ce? Un air mélancolique? Moi je veux qu'on me parle et qu'on se communique. Çà, raisonnons un peu : j'avois jugé trop tôt. Damis, je le vois bien, n'est pas ce qu'il vous faut. Il a je ne sais quoi qui d'abord intéresse; Mais sa conduite sourde annonce trop d'adresse.

3io LA FEINTE PAR AMOOR.

Trop de Hegme, à la longue, est à périr d'ennui, Et je crois que vraiment je me gâte avec lui.

I) 0 R 1 s F,.

Vivat ! Enfin monsieur redevient raisonnable ! Damis a des moments , mais il n'est point aimable. Il aime avec méthode, il brûle sensément; La mode en peut venir, et rien n'est moins plaisant.

M ÉLISE.

A ravir! Comment donc!... Allez, mademoiselle. Sachez une autre fois mesurer votre zélé; Renfermez avec soin ces transports indiscrets, Et supprimez sur-tout le talent des portraits.

DORINE.

Madame , une autre fois je serai moins sincère. Et je saurai...

M ÉLISE.

Sachez m'obéir et vous taire.

LIS I MON.

Sans doute, elle outre un peu; mais je crois (ju'en effet Damis est trop contraint, et n'est point votre fait.

M É L I s E.

Y songez-vous? Laissez, laissez aller les choses : Je ne comprends plus rien à vos métamorphoses.

LI SIMON.

Oh ! je veux vous venger d'un insolent refus.

M ÉLISE.

Je vous dispense, moi, de ces soins superflus.

LISIMON.

Mon amitié pour lui, dans cette circonstance , Lui vaut de votre part un reste d'indulgence;

ACTE III, SCENE II. 3ii

Mais je vois clairement que vous le déteste/, Et je ue prétends pas forcer les volontés. Rcjf tez un hymen pour lui trop honorable.

MÉLISE.

Vous me perséciitez. Il est insupportable.

LISIMON.

Assurément il l'est, et j'en suis révolté. J'admire, en pareil cas, votre sécurité ; Je suis d'une fureur!... C'est que cette aventure Peut jirendre dans le monde une sotte tournure. Je vois loin.

M É L I s F..

Oui, très loin.

I.ÎSIMON.

Et puis d'ailleurs j'ai su Que ià-bas... à la cour, il est très peu connu.

MEUSE.

Quoi! cela vous reprend?

I.ISIMON.

L'obscurité me blesse. Tout bien considéré, se borner est foiblesse. Quand on a votre esprit, nos grâces, votre goût, Il faut prendre un mari fait pour aller à tout. J'ai des projets... je veux... L'affaire m'intéresse. Et , pour bien des raisons , je dois venger ma nièce , En ce jour, à l'instant : oui, j'y cours de ce pas... Vous m'arrêtez en vain, je n'en démordrai pas; Je n'ai point comme vous une tête légère. Qui veut et ne veut phi-. : il f.mt du caractère.

( // sort. )

3i2 LA FEINTE PAR AMOUR.

SCÈNE m.

MÉLISE, DORINE.

MÉLISE.

Voilà du Floricourt... Si pourtant son humeur...

Darais a dans mon oncle un zélé protecteur!

Je crois qu'il devient fou... Mais mol suis-je plus sage?

( à Dorine. ) De parler aujourd'hui vous avez une rage ?

DORINE.

Moi?

MÉLISE.

Damis est à plaindre.

DORINE, entre ses dents.

Il le mériteroit.

MÉLISE.

Hein? comment? Votre esprit se forme tout-à-fait. Je vous trouve aujourd'hui brillante en reparties.

( à part. ) Mais par de mon oncle arrêter les lubies? Il va trouver Damis, que lui va-t-il conter?

[Damis paraît; Dorine se relire.)

ACTE 111, SCÈNK IV. 3j3

SCÈNE IV.

MÉI.iSE, DAMIS.

MÉLISE.

Quoi! c'est vousi'

DAMIS.

Je me sauve.

MÉLISE.

Oh! vous pouvez rester. (après une pause.) Savez-vous que tantôt j'étois fort singulière.

DAMIS.

Vous vous en souvenez?

MÉLISE.

J'en ai ri la première ; Je ne Sciis j'ai pris ces indiscrets éclats. Il est tout simple au moins que vous ne m'aimiez pas.

D A M I s. Je vous ai rassurée.

MÉLISE.

Et j'en suis fort contente.

DAMIS.

Autant que je puis voir, l'amour vous épouvante.

MÉLISE.

Tout ce qui me fàchoit, c'est qu'en vous défendant Vous paroissicz encore avoir l'air d'un amant. Il régnoit dans vos tons je ne sais quelle gène Qui sur vos sentiments me laissoit incertaine:

3i4 LA TEINTE PAR AMOUU.

Oui; tenez, on eût dit que vous étiez piqué.

OAMIS.

Voilà ce que clans moi vous avez remarqué?

MEUSE.

c'est ce que j'ai cru voir.

UAMIS.

Idée!

MEUSE.

En conscience, Êtes-vous bien certain de votre indifférence?

D A M I s , liant. Celui-là vient de loin. Quoi! vous n'y croyez pas? Mais ue retournons point à nos premiers débats. Prenez garde : au traité vous êtes infidèle; C'est vous qui commencez à me chercher querelle. Quand je vous aimerois, pensez-vous, entre nous. Que j'irois l'avouer après votre courroux, Moi qui sais à quel point cela peut vous déplaire , Moi qu'on vient de chasser sans nul préliminaire? Si contre moi le doute a bien pu vous armer. Quel sort me feriez-vous, si j'osois vous aimer?

MIÎLISE.

Le cas est différent.

DAMIS.

Il devieudroit le même. Oh ! je vous tonnois bien , malheur à qui vous aime !

M É L 1 s E.

Quelle obstination !

DAMIS.

V.h bien! n'en parlons plus.

ACTE m, SCENF. IV. ^^^

Pourquoi, sans nul objet, sGchauffer là-dessus?

M ÉLISE-

Vous êtes incroyable avec votre système! Comment! Si vous m'aimiez par un malheur extrême! Loin d'en faire l'aveu, loin de me prévenir...

D A M I s , avec une sorte de crainte. Mais... il est quelquefois très bon de voir venir.

M É L I s E.

Et le cœur est soumis à ces calculs infâmes !

Les hommes! quels fléaux! Pui.s on s'en prend aux femmes.

D'un instinct libre et pur si l'amour est le fruit.

Du moment qu'on raisonne, il est déjà détruit.

L'homme honnête, monsieur, dédaignant la finesse,

Doit tout à son |jenchant et rien à son adresse.

Eh ! qu'attendre d'un cœur par lui-même gêné ,

Qui, s'observant toujours, n'est jamais entraîné?

Il faut s'abandonner, sentir tout, ne rien feindre.

S'enflammer pour le prix, sans projet pour l'atteindre.

Qui sait le mieux tromper plaît quelquefois le mieux;

Mais qui plaît sans aimer jouit sans être heureux.

Ah ! je plains bien le sort d'une femme sensible !.. .

OAMIS.

Ce phénix, s'il existe, est au moins invisible.

MÉI.ISK.

A vos yeux.

n A M I s. Le trouver, c'es^ l'affaire du temps. Sous le masque entre nous reconuoit-on les gens? De vos goûts passagers comment sui\ re les traces? Le sentiment chez vous disparoît sous les grâces.

.Si6 LA FEINTE PAR AMOUR.

MÉLISE.

Quoi ! vous ne savez pas lire au foud de nos cœurs?

DAMIS.

Moi ! vraiment je le donne aux plus fins connoisseurs.

MÉLISE.

Vous n'avez donc pas vu que cent fois dans sa vie, Floricourt, par exemple, et m'excède et m'ennuie? Vous n'avez donc point vu, malgré tous leurs propos, Que , même en les fêtant , je méprise les sots; Qu'au milieu du grand monde, je parois légère. Je me suis fait un plan, et presque un caractère; Qu'à la foule bruyante, à mille jolis riens. J'ai souvent préféré vos graves entretiens? Et que...

DAMIS.

Vous vous taisez? pourquoi doue? MÉLISE, à part.

Je m'admire. D A .M 1 s.

Eii bien?

MÉLIS E.

Kh bien! monsieur... je n'ai plus rien à dire.

DAMIS.

Quand le cœur ne sent rien.

ACTE m, .SCI^^E V. Biy

SCÈNE V.

MÉLISE, DAMKS, FLORICOURT.

F I, o R I c o u R T , riant aux éclats clans le fond du théâtre.

D'honneur le tour est gai. (^s'approchant.) Ah! je respire enfin, notre oncle est suhjugué. Jugez s'il m'aime! il veut, et dès cette journée. Décider mon houheur, fixer notre hyménée. U est expéditif.

MÉLISE.

Fort bien ! marquis , fort bien ! L'aveu de Lisimon vous assure du mien : Vous pouvez y compter.

FLORICOURT.

Après ce tour d'adresse , Il seroit trop piquant...

MÉLISE.

Mais par quelle finesse Avez-vous donc, monsieur, retourné son esjtrit? Car cela me paroit miraculeux.

FLOKICOU RT.

Bien dit. M É L I s F. , avec empressement. Voyons

FLORICOURT.

Pour le réduire il a fallu lui plaire.

37.

'ii8 LA FEINTE PAR AMOUR.

Votre oncle s'est d'abord armé d'un front sévère; J'ai radouci mon ton pour ne le point heurter, Et j'ai surpris enfin l'instant de le flatter, .l'ai vanté son discours soi-disant laconique, •Sa pénétration , sur-tout sa politique : Je me suis étonné qu'un homme tel que lui Ne fût point dans l'état très puissant aujourd'hui. Vous auriez un œil d'aijjle, un abord populaire, r.t l'art d'approfondir, joint avec l'art de plaire , Lui disois-je à peu près : il l'a cru bonnement ; Moi , de montrer alors un zélé véhément , D'offrir tout mon crédit... Enfin rien ne l'arrête, Le voilà décidé.

M ÉLISE.

Mais c'est une conquête. part et regardant Damis.) Voyez si rien l'émeut.

FLOR ICOURT.

L'amour agit pour nous. IM É L I s E , sérieusement. Puisque mon oncle enfin est appuyé par vous, A ses nouveaux desseins je n'ose être contraire. Il faut...

FLOP. ICOURT.

Vous convenez que pour moi tout prospère; Notre hymen...

MÉLISE.

Oui, marquis, devient très positif. UA.MIS, d'un ton piqué. La (^jrandeur de votre oncle est un point décisif,

ACTE III, SCENE V. ^ip

Et...

FLORICOURT.

J'ai craint de Damis quelque temps la poursuite ; On m'a tranquillisé.

DAMIS.

Qui donc? M É L I s E , vivement.

Dites-nous vite. FLORICOURT, à Mélise. Je sais qu'il aime ailleurs.

MÉLISE.

Il peut nous mettre au fait.

FLORICOURT.

Eh! comment donc? comment ? M Élise.

Il a certain portrait Qui ne le quitte pas.

FLORICOURT.

C'est Céladon lui-même.

MÉLISE.

Oui, pour ce portrait-là sa folie est extrême.

DAMIS.

Madame, il est trop vrai, je l'.iime éperdument.

MÉLISE, avec dépit. L'original , sans doute , est un objet charmant?

DAMIS, d'un ton passinn né. Oh! charmant !

MÉLISE.

Je le crois.

320 LA FEINTE PAR AMOUR.

D AM IS.

Je lui dois cet hommage.

FLORICOURT.

Eh bien! s'il est ainsi, montre-nous son image.

DAMIS.

Si madame le veut, ma prudence y consent; Mais à condition que vous serez absent.

FLORICOURT.

Moi?

DAMIS.

Vous.

FLORICOURT.

Pour un portrait? allons, quelle manie!

DAMIS.

Vous le faire entrevoir, c'est en donner copie.

FLORICOURT.

Il est d'une rigueur!... Madame, prononcez.

MÉLISE.

Mon sexe... est curieux.

FLORICOURT.

J'entends, vous me chassez. Je vais de Lisiuiou aiguillonner le zélé; Votre bonheur, le mien , près de lui me rappelle; J'y vole : en m' éclipsant d'un air paisible et doux. Je satisfais d'avance aux égards d'un époux.

( // baise la main de Mélise , et il sort. )

ACTE III, SCÈNE VI. 32i

SCÈNE VI.

MÉLISE. DAMIS.

D A M I S.

Cet hymeu me paroit uue affaire couclue.

MÉLISE.

Tout de bon , croyez-vous que j'y sois résolue?

DAMIS.

Pourquoi non? De votre oncle il a déjà l'aveu. Et... le vôtre suivra.

MÉLISE.

Le mien?... Voyons un peu Le portrait.

D.\M1S.

Un moment.

MÉLISE,

Volontiers. Mais, de grâce. Que vous importe enfin que cet hymen se fasse? Vous êtes occupé , tout le prouve et le dit : Ce que l'art veut cacher, l'art même le trahit. Pour moi , ce qui m'en plaît , tout haut je le confesse , C'est que vous possédez une étrange maîtresse. Elle est assurément calme dans ses amours ! Elle sait que chez moi vous êtes tous les jours. Et son orgueil se tait, et son cœur est tranquille! De tous vos soins pour moi spectatrice immobile , Madame ne dit mot, trouve que tout est bien,

.^22 LA FEINTE PAB AMOUR.

Et n'a garde avec vous de se plaindre de rien ! Elle a donc cinquante ans?

DAMIS.

Pas tout-à-fait encore. Elle n'en a que vingt.

MÉLISE, à part.

Quel conte! Je l'abhorre.

DAMIS.

Ah ! n'en parlez point mal. Quand vous la connoitrez, D'un jugement trop prompt vous vous repentirez; (^est moi qui vous le dis.

MÉLISE.

Vous dites à merveille.

DAMIS.

Vraiment?

MÉLISE.

Continuez, oui, je vous le conseille: Que m'im|)orte?... Ah! je vois... peut-être croyez-vous Qu'une humeur sans motif cache un dépit jaloux? Cela seroit nouveau! Moi, de la jalousie! Moi vous aimer! Non, non; je n'en ai nulle envie: Je ne m'oppose point à vos félicités.

DAMIS.

Vous ne devinez pas combien vous m'enchantez... C'est votre dernier mot?

MÉLISE.

Ce doute-là m'offense. Vos discours à la fin lassent ma patience. Allez trouver, monsieur, la beauté qui vous plaît, Et gardez constamment un aussi rare objet.

ACT1-; m, SCliNK VI. 323

D A M r s. Je rrifi le promets bien...

M É I, t s E , avec chaleur.

Mon Dieu ! j'en étois sûre. .. Je me ravise , et veux coinioître sa figure : Sou naturel paisiitle, unique en ses effets, Me donne le désir de contempler ses traits.

DAiVUS.

Oh ! dans ce moment-ci vous verriez mal sans doute.

M ÉLISE.

File craint mes regards?

D A M I s. C'est moi... qui les redoute.

M ÉLISE.

Mais j'ai \otre parole... Essuierai-je un refus?

DAMIS.

Pour juger sainement \os sens sont trop émus.

M Élise. Je le veux.

D A M I s. Je ne puis.

M ÉLIS E.

(Comptez, comptez d'avance. Puisqu'elle en a besoin, sur beaucoup d'indulgence.

DAMis, tirant le portrait. Vous l'exigez?

mÉlise, arraclirint le portrait.

Oui, oui. Mais donnez donc, monsieur.

l)AM is. Oli! tout cliarmant qu'il est, il va vous faire peur.

324 LA FEINTE PAR AMOUR.

mÉlise, avec le plus grand étonnemenl. Ciel!

D A M I s.

Je l'avois prévu.

MÉLISE.

Mon portrait !

D A. VII s.

Oui, lui-même. C'est un vol que j'ai fait.

MÉL ISE.

Cette audace est extrême ! [après une pause, et riant.) Vraiment je l'ai tantôt joliment arrangé.

DAMIS.

Puisqu'il est ressemblant, macramé, il est vengé.

MÉLISE.

D'honneur! il est parlant, et... Quel fourbe vous êtes! Voila donc contre nous les complots que vous faites? Sur l'excès de vos torts je n'ose ra'arréter. Pourquoi ravir un bien que l'on peut mériter? Mais ce portrait enfin suffit-il pour m'instruire?

DAMIS.

Il est chargé de tout; moi je n'ai rien à dire. D'ailleurs puis-je jamais fléchir votre courroux?

MÉLISE.

Puisque vous en parlez, je conviens avec vous... C'est le cas ou jamais d'être fort en colère.

DAMIS.

Oh ! oui, vous sévirez contre le téméraire.

ACTE 111, SCENE VI. 325

M É L I s F..

C'est selon... Cependant... je dois... Que sais-jo?

DAMIS.

Enfin...

M ÉLISE.

Quand le coupable plaît...

DAMIS.

Fait-on grâce au larcin? Il Kiut qu'absolument votre bouche prononce.

MKMSE, après un silence. 11 vous tint lieu d'aveu : qu'il soit donc ma réponse. [Elle lui rend le portrait.) DAMIS, avec In plus grande vivacité. Je tombe à vos genoux. Quel moment enchanteur! Plus je me suis contraint, plus je sens mon bonheur. Ne vous souvenez plus d'une ruse innocente. Qui peut-être a fixé votre ame indépendante... Ah ! la mienne est à vous : recevez son serment. Le calme de mon front cachoit un cœur brûlant. Je redoutois vos goûts, le marquis... vus caprices. Vous ne vous doutiez pas de tous mes sacrifices. Des combats douloureux, voilà mes seuls Forfaits. J'ai feint quelques instants pour ne feindre jamais. L'amour seul m'inspira ; c'est lui qiù me couronne. Le tour n'est pas si noir... vous riez. M Élise.

Je pardonne. { Damis se remet à ses fjenoux. )

28

..,_

326 LA FEINTE PAU AMOUll.

SCÈNE VIL

L 1 s I M O N , F L () li 1 C O V RT , au fond du théâtre ; DORINE, GERMAIN, entrant par une coulisse opposée; IJAMI.S, M ÉLISE.

[Ils restent tous dans une différente attitude.)

L I s I M O N .

(apercevant Daniis aux ç/enoux Dorine.) de Mélise.)

Que le notaire... Attends... Je reste confondu...

FLOiiicouHT, à Dnmis. L'attitude rae plaît... D'ailleur.s c'est un rendu : Vous avez votre tour.

Li simo 'S , à Floricourt. ,

Quel est doue ce mystère? Que diable ! je croyois que vous aviez su plaire.

FLORICOUBT.

Eh bien ! vous vous trompiez.

D A M I s , à Lisimon.

Daignez combler mes vœux. DORINE, se mettant entre Floricourt et Lisimnn. Courage... ou vous voilà disgraciés tous deux. FLORICOURT, à Lisimon , avec gaieté. Adieu nos grands jmijets ! Tout amant à ma pl.jce .s'en iroit contristé , honteux de sa disgrâce : Un tendre désespoir m'ennuieroit à mourir; Éprouvé-je nu revers, je médite un plaisir:

ACTE III, SCÈNE VII. Say

Je reviens à mes goûts; il me faut des coquettes.

(n Mélise.) Damis est trop heureux! je le suis, si vous l'êtes. (// s'échappe en faisant signe qu'on ne prenne pas garde à lui. )

SCÈNE VIII.

LISIMON, MEUSE, DAMIS, DORINE, GERMAIN.

LisiMON , à Damis. Pour chasser un rival ton secret est fort bon.

GERMAI.\, dun air triomphant. Nous avons es(|uivé la déclaratiou.

FIN.

TABLE DES PIÈCES

COMTENUES

DANS CE VOLUME.

Les fausses I.nfidélités, comédie, par Barthe.

Page I

La Mère jalouse, comédie, par le même. ... 4? Le Bourru bienfaisant, comédie, par Gol-

doiii 143

La Feinte par amour, comédie, par Dorât. . i55

FIN de I. a table.

JULES DIiX)T AIiNE, impiiheoii ru< du PoiU-'Ir-Lodi. 6.

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B66A19 dramatiques de Barthe

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