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CHRONIQUE

D'ERNOUL

ET DE

BERNARD LE TRÉSORIER

LMPRIMERIE DE A. GOUVERNEUR

A NOGENT-LE-ROTHOU.

CHRONIQUE

D'ERNOUL

ET DE

BERNARD LE TRÉSORIER

PUBLIÉE, POUR LA PREMIÈRE FOIS, d'après les manuscrits de BRUXELLES, DE PARIS ET DE BERNE,

AVEC UN ESSAI DE CLASSIFICATION DES CONTINUATEURS DE GUILLAUME DE TYR,

POUR LA SOCIÉTÉ DE l'hISTOIRE DE FRANCE

Par m. L. DE MAS LATRIE

A PARIS

CHEZ M"^ V^ JULES RENOUARD

LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE l'hISTOIRE DE FRANCE RUE DE TOURNON , 6

M DCCC LXXI.

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EXTRAIT DU RÈGLEMENT.

Art. 44. Le Conseil désigne les ouvrages à publier, et choisit les personnes les plus capables d'en préparer et d'en suivre la publication.

11 nomme, par chaque ouvrage à publier, un Commissaire responsable, chargé d'en surveiller l'exécution.

Le nom de l'éditeur sera placé en tête de chaque volume.

Aucun volume ne pourra paraître sous le nom de la Société sans l'autorisation du Conseil, et s'il n'est accompagné d'une déclaration du Commissaire responsable, portant que le travail lui a paru mériter d'être publié.

Le Commissaire responsable soussigné déclare que V édition de la Chronique d'Ernoul et de Bernard le Tre'sorier, préparée par M. L. de IVIas Latrie, lui a paru digne d'être publiée par la Société de l'Histoire de France.

Fait à Paris , /e 4 8 octobre \ 87-1 .

Signé GUESSARD.

Certifié, Le Secrétaire de la Société de l'Histoire de France,

J. DESNOYERS.

AVERTISSEMENT.

Voici l'historique de l'erreur qui fait depuis trop longtemps attribuer à Bernard, trésorier de l'abbaye de Gorbie, sous l'autorité des noms les plus respec- tables, une œuvre qui n'est pas la sienne, en le privant de l'honneur plus modeste d'avoir composé une chro- nique dont il est le véritable auteur, ou plus exacte- ment le compilateur.

l.

En 1725, Muratori , revenu alors à Modène en qualité d'archiviste -bibliothécaire du duc Rinaldo, était arrivé à la fin du 6** volume de la grande collection qu'il consacrait aux Documents originaux de l'Italie du moyen âge. Ces premiers volumes ren- fermaient, avec beaucoup de chroniques locales, des œuvres d'un plan plus étendu relatives à l'histoire de la domination des princes lombards, francs et nor- mands de la Haute et Basse Italie, et les séries de la Vie des Papes commencées par Anastase le Bibliothé- caire. Avant que son recueil s'accrût davantage, Muratori voulut y comprendre une Histoire des Croi- sades, événements auxquels l'Italie entière avait pris une si grande part. Sans porter plus loin ses recher- ches, ce qui est regrettable , Muratori se décida à

a

ij AVERTISSEMENT.

publier l'abrégé des guerres d'Outremer qui se trouvait dans une chronique générale composée au Xiv^ siècle par un frère prêcheur nommé François Pipino, dont il avait un manuscrit sous la main à la Bibliothèque même de Modène.

Comme la connaissance de cette chronique est un des éléments principaux de la (juestion qui s'agite autour du nom de Bernard le Trésorier, il est indis- pensable de dire d'abord quelques mots de l'auteur, de son œuvre et du manuscrit qui la renferme.

II.

Le frère François Pipino vivait au couvent des Dominicains de Bologne dans la première moitié du xiv^ siècle. C'était un de ces religieux, comme il y en a toujours eu dans les cloîtres, ami de l'étude, curieux de s'instruire et heureux de donner aux travaux littéraires tout le temps que ne réclamaient pas les devoirs du chœur et de la prière. Il traduisit de la langue vulgaire en latin le voyage de Marc Polo et plusieurs romans de geste ; il rédigea l'Itinéraire d'un Pèlerinage ([u'il accomplit en Terre Sainte durant l'année 1 320; il composa enfin une ample chronique à peu près universelle, dont un manuscrit est parvenu avec la plupart de ses autres ouvrages à la Bibliothèque de la maison d'Esté, à Modène.

Le ms.^ est d'une écriture du xiv* siècle, et porte aujourd'hui le n'' 465 dans le Catalogue des ms. latins de cette bibliothèque. Au dos, on lit ce titre : Pipini

1. Voy. la Description des mss. à la suite de cet Avertissement.

AVERTISSEMENT. îîj

Chronicon; et sur le haut de la première page, les mots suivants ont été écrits par Muratori : Frcmcisci Pipini de Bononia. L'ensemble de la compilation, divisé en 31 livres, subdivisés en chapitres, s'étend de l'origine des rois francs et du règne de Pharamond au pontificat de Clément V et à la suppression de l'ordre du Temple. Ses limites chronologiques sont comprises, comme on le voit, entre le v" siècle et les années \ 31 1 à 1317. Les faits et les pays auxquels l'auteur revient plus particulièrement sont l'histoire des empereurs francs et des empereurs allemands, leurs successeurs, dont la prééminence historique lui fait considérer les autres événements comme les synchronismes de leur propre histoire; le règne des papes, l'histoire des rois de France et d'Angleterre, l'histoire des Croisades et l'histoire de l'empire de Constantinople dans ses rapports avec l'histoire des Croisades.

L'ouvrage n'est point à dédaigner, bien qu'il ne soit, à tout prendre, qu'un mélange d'extraits ou d'analyses d'œuvres diverses , la plupart connues aujourd'hui. Pipino ne cite pas toujours ses sources, à l'occasion de chacun des emprunts qu'il leur fait. Cela est certain , et c'est une négligence commune à tous les anciens écrivains. On lui reproche surtout* de s'être approprié trop souvent la chronique de Rico- baldo de Ferrare, son contemporain, qu'il a très-rare- ment nommé. Ses intentions et sa modestie pourraient être cependant défendues à bon droit, car il n'a fait connaître son propre nom comme auteur de cette grande composition que d'une façon tout à fait

1. Muratori, Script, rer. italic. t. IX. col. 58G.

iv AVERTISSEMENT.

incidente'; et il annonce très-souvent d'une manière générale qu'il prend à d'autres tout ce qui est utile à sa rédaction : De Papa Benedicto XI ex chronicis , de Papa Clémente V ex chronici$.

Les XXI premiers livres de la chronique de Pipino ont paru à Muratori, qui en a fait la lecture entière, ne rien renfermer d'intéressant et de nouveau. Ils arrivent à l'année 1176. Les principales sources consultées et citées par l'auteur dans cette période, sont Eginhard, Hugues de Flavigny, Martin le Polonais, Guillaume de Malmesbury, Geoffroy de Viterbe, Jacques de Voragine, Vincent de Beauvais et d'autres chroniques dont on trouvera le relevé dans les préfaces de Muratori ^ On pourrait peut-être ajouter déjà à ces sources notre Bernard le Trésorier, ou la traduction française de Guillaume de Tyr, dont Pipino semble s'être souvenu en rappelant la création de l'ordre du Temple , fondé vers l'an 1118, sous le règne du roi Baudouin II.

A partir du livre XXIP, et de l'année 1176, dans laquelle eut lieu la réconciliation de l'empereur Fré- déric P"" avec Alexandre III, l'utilité historique de la compilation s'accroît sensiblement, parce que Pipino a fait usage pour cette époque de quelques documents particuliers provenant d'archives ecclésiastiques^.

Le XXIP livre et les deux livres suivants, le XXIIP et le XXIV^, concernent les règnes des empereurs

1. Muratori, Script, t. VU. pag. 661.

2. Script, tom. IX. pag. 584-585.

3. La chronique de Pipino est une des voies par nous est parvenu le testament de FrédéricII. Muratori, Script, t. IX. col. GGI. Huillard-Bréholles, Hist. Frid. t. VI. part. 2. pag. 8U5.

AVERTISSEMENT. V

Frédéric P% Henri VI, Othon IV, et les événements survenus à la même époque dans le reste de l'Europe, surtout en Italie, en France et à Gonstantinople*. Ils embrassent l'intervalle compris entre l'année 1 1 76 et les années 1206 à 1208, car la limite inférieure n'est pas bien précise. A part quelques détails qu'il a pu extraire d'écrits inédits ou perdus , Pipino forme toujours le fonds principal de sa rédaction d' œuvres connues, dont il enchâsse quelquefois des fragments entiers dans sa composition , en rappelant ou omet- tant le nom de l'auteur. Ce sont les chroniques, quelques-unes utilisées déjà, de Vincent de Beauvais, de Jacques de Voragine, de Martin le Polonais et de Ricobaldo de Ferrare, les Vies des Papes du cardinal d'Aragon, l'histoire d'Olivier le Scholastique, le voyage de Marc Polo, et ici positivement la chronique des guerres d'Outremer, qu'il attribue nominativement et en plusieurs circonstances à Bernard le Trésorier ^.

Le XXV® livre offre un intérêt spécial par son objet et son étendue. C'est une histoire des Croisades, abrégée mais suivie, depuis les prédications de Pierre l'Ermite jusqu'à la fin de la croisade de Frédéric II, et au retour de l'empereur en Europe, événements de l'année 1230. Nous allons parler séparément de cette histoire, morceau capital de la chronique de Pipino.

Les derniers livres du religieux, du XXVP au XXXP et dernier, concernent l'histoire de l'Europe sous

1. Muratori, l. IX. col. 587-643.

2. Voy. Muratori, Script, tom. IX. col. 603. 610.617. 618.630. 632. A la colonne 616, les mots de Pipino : Alibi legiticr, se réfè- rent incontestablement au texte de Bernard le Trésorier; comme au t. VIL col. 816. Cf. le présent vol. p. 306. not.

VJ AVERT1SSEMEΫT.

Frédéric II et ses successeurs jusqu'aux années \3\\- 1317'. Ici encore % mais plus rarement que dans les livres XXII à XXIV, Pipino emploie quelquefois la chronique de Bernard le Trésorier, bien qu'il en ait fait passer la meilleure partie dans le XXV "^ livre, auquel nous nous arrêtons maintenant.

III.

Frappé de l'intérêt et de la nouveauté que présen- tait ce fragment, surtout dans sa seconde moitié, y trouvant un abrégé de la période la plus intéressante des croisades qu'il n'avait pas le loisir de chercher ailleurs, Muratori se décida, en 'l72o, comme nous l'avons dit, à l'insérer dans sa collection; et vérita- blement l'œuvre, quelque éloigné que soit le temps de sa rédaction des événements auxquels elle se réfère, méritait tout à fait cet honneur, car elle ajoutait, par l'insertion d'ini texte qu'on ne peut reculer au-delà des commencements du xiv*^ siècle et composé sur des écrits du xiii*^, un supplément fort utile au recueil de Bongars, ne se trouve qu'une seule chronique de ce dernier siècle. Le XXV livre de Pipiiio est en effel un ahi'égé d'écrits bien antérieurs à l'âge du religieux de Bologne, el il leproduit en latin la plus grande partie de la chroni(|ue française de Bernard le Trésorier, qui est du premier tiers du xiii" siècle.

Nous pouvons aujourd'hui mettre ces faits hors de doute, grâce à de nombreux manuscrits, et montrer le point I^luratori a fait fausse route au milieu des

i. Muralori, t. IX. col. Gi4-752.

2. Voy. le présent volume, pag. 406, not. 1; 448, not. I; 453 et suiv. not.; 456 et suiv. not.

AVERTISSEMEINT. VJj

obscurités et des contradictions de Pipino, que le savant éditeur des Scriptores Italici ne pouvait démêler sans le secours des textes nouveaux.

Pipino désigne de deux façons différentes l'œuvre principale à laquelle il emprunte ce qu'il dit des Croi- sades, soit dans le XXV*^ livre, soit dans les autres parties de sa chronique. Tantôt il indique d'une i'açon impersonnelle VHistoria Acquisitionis Terrœ Sanctœ ou le Liber Passagii ultramarini \' tantôt il la rapporte nommément à Bernard le Trésorier : Hœc de gestis régis Johannis sumta sunt ex Historia Bernardi The- saurarii^. Hxc hahentur ex Historia Acquisitionis Terrse Sanctee quant scripsit Bernardiis Thesaura- rius'\ Usée ex Historia de Passagio idtramarino tra- ducta sunt qiiam composait Bernardus Thesaurarius^\ et ailleurs : scribit Bernardus Thesaurarius in Libro Acquisitionis et Perditionis Terrse Sanctse •'.

Pipino attribue donc à Bernard le Trésorier une Histoire de la Conquête et de la Perte de Jérusalem, Acquisitionis et Perditionis; et en cela il se trompe. Nous savons aujourd'hui positivement par les mss. contemporains de Paris et de Berne dont nous avons parlé dans notre Essai de classification ^ qu'Ernoul et Bernard le Trésorier s'étaient proposé surtout de raconter, non la Conquête, mais la fin et la Perte du royaume de Jérusalem, de manière à ce que leur

1. Muratori, tom. IX. col. 603, 610, fil 7, 618, 667.

2. Muratori, t. VII. col. 846.

3. Muratori, t. IX. col. 630.

4. Muratori. t. IX, col. 650.

5. Muratori, t. IX. col. 632.

6. Voy. le présent volume page 493 et 5H.

Viij AVERTISSEMENT.

chronique fut, ce qu'elle est devenue depuis et vrai- semblablement à leur insu, une suite de celle de Guillaume de Tyr, qui paraît avoir été mise en fran- çais vers l'époque même ils écrivaient.

Le récit d'Ernoul et de Bernard remonte bien en réalité au règne de Godefroy de Bouillon, mais il est, dans ces premiers temps, extrêmement sommaire et incomplet. Il ne prend les proportions d'une histoire continue que vers l'année 1183, au règne de Baudouin V, et aux circonstances qui amenèrent la funeste bataille de Tibériade, la perte de la Vraie Croix et la prise de Jérusalem par Saladin en 1187. Le but essentiel d'Ernoul et de Bernard est de raconter ces événements sans les séparer des événements qui suivirent. Us l'annoncent expressément dè§ leurs pre- miers mots : « Oies et entendes comment la tiere de » Jherusalem et la Sainte Crois fu conquise de Sarrasins » sour Crestiens. » C'esten ces termes qu'Ernoul ouvre sa chronique et en fixe le vrai commencement historique, dans un début que Bernard le Trésorier ne fait aucun scrupule de s'approprier aussi bien que l'œuvre entière de son prédécesseur. Pour l'histoire des temps anté- rieurs au règne de Baudouin V, en remontant jusqu'à la conquête de Godefroy de Bouillon, période qui correspond aux 1 4o premiers cha|:>itres de son XXV livre, Pipino en prend la substance, soit dans la chroMi(|ue de Bernard le Trésorier, reproduction de celle d'Ernoul, dont la forme abrégée convenait à son dessein', soit dans le Liher Acquisitionis , qu'il cite parmi ses sources et qui ne peut être que le Livre du

t. Voy. la présontc ndition p. 12, 16, 22, 25, 27, 32, 49, etc., not.

AVERTISSEMENT. ÎX

Conquet, c'est-à-dire la chronique de Guillaume de Tyr mise dès lors en français, et probablement déjà continuée.

On sait^ que l'œuwe appelée au moyen âge des noms divers de Livre du Conquet , Livre du Conquet de Terre Sainte, et Histoire d'Héraclès, n'est autre que la version de Guillaume de Tyr, ordinairement suivie de quelques-unes des continuations qui lui ont été successivement annexées et qui ont conduit le récit général des événements d'Outremer, d'abord jus- qu'en 1 231 , puis jusqu'en 1 261 , 1 275-1 277 et 1 291 . Rappelons en passant que ce titre malencontreux d'Histoire d'Héraclès, particulier à l'Occident, a été donné par quelques rubriqueurs du moyen âge à la traduction de Guillaume de Tyr, uniquement parce que l'archevêque rappelle au début de son histoire la conquête de Jérusalem par les Perses, et la délivrance de la ville Sainte par l'empereur Héraclius : « Les « anciennes estoires dient que Eracles, qui moût fu « bons crestiens, governa l'empire de Rome, » etc.* Pipino commence de même l'histoire des croisades dans son XXV livre, par une phrase évidemment calquée sur ces mots de la version française de Guillaume de Tyr : Heraclio imperatore Christianis- simo romanum imperium gubernante, etc.^

La chronique de Bernard le Trésorier n'a servi qu'accidentellement à Pipino pour les deux premiers

1. Voy. notre Essai, pag. 478, 553; M. Louis Stroit, de rerum transmarinarum qui Giiillelmum Tyrium excepisse Jertur gallico auctore. Griswald, in-S». 1861. p. 4, 5.

2. Guillaume de Tyr, t. I. p. 9.

3. Muratori, Scripf. t. IX. col. 663.

X AVERTISSEMENT.

tiers de son histoire des guerres saintes, c'est-à-dire pour les 1 40 j)remi(M\s chapitres environ du ^o*^ hvre, (pii (Ml rcnfernie 2()*S, Elle devient au contraire le tonds habituel de la narration dans le dernier tiers du livre, qui amène l'histoire d'Outremer des années 1180-1183 à l'an 1230. Dans cette période môme, se trouve la valeur principale du XXV*^ livre et de la chroni(jue en général, elle n'est pas l'uniciue base du récit. i*i|>iMo interpole assez souvent l'abrégé qu'il (Il donne de fragments très-reconnaissables, même (piaiid il n'en in(li(|ue|)as la provenance, des écrits de Vincent de Beauvais, de Jacques de Vitry et d'Olivier le Scholasli(jue.' Mais on peut dire néanmoins, en négli<;('aiit les détails, (|ue Bernard le Trésorier est la source principale de Pipino à la fin de son XXV livre, comme le Guillaume de ïyr français l'a été pour le commencement.

Pipino a-t-il eu à sa disposition deux mss. distincts renfermant, l'un la version de Guillaume de Tyr, et l'autre la chroniciuc de Bernard le Trésorier? Gela est possible. Ce qu'il dit de ses auteurs nianc|ue de préci- sion et ne le |)rouve pas néanmoins. Quand il cite, à de courts inlervalles, le Livre anonyme du Gon(|uet, l/ihcr Acquisitionis Terne Sanetie et Vllistorid liernnrdi Tliesaitrtn-ii, il paraît avoir connu deux chi'oniques sé- parées cl diiVcrenlcs. .Mais son allribulion, d'ailleurs erronée, à Bernard le Trésorier, d'une Histoire de la Gonquèle et de la Perte de Jérusalem, confond aussitôt les deux œuvres en une seule, et semble indiquer (ju'il

\. Voy. ci-aprps p. 178. î3-i, U8. 254,259, 063, 264, 274, 277, 305, 396, 406, 410, 413, 426.

AVERTISSEMENT. XJ

a disposé et rédigé son Histoire des Croisades sur un manuscrit unique renfermant les deux chroniques: la traduction de Guillaume de Tyr et la chronique de Bernard , annexée en totalité ou en partie à la première. La question, au reste, n'a qu'un intérêt de curiosité, et quelle que soit la vraie solution, la réponse ne peut influer sur la démonstration qui nous occupe.

Ce qu'il y a de certain, c'est que le ms. unique de Pipino, ou son second ms., s'il en a eu deux, était moins complet que les mss. de Paris et de Berne. Pipino arrête son histoire des croisades en 1 230', à l'éva- cuation de la Pouille par l'armée du roi Jean de Brienne, et à la réconciliation de Frédéric II avec Grégoire IX. Les vrais manuscrits de Bernard le Trésorier (nos mss. A et B) atteignent l'année 12131, en rappelant, dans un dernier chaj)itre, la démarche des barons de Constantinople auprès de Jean de Brienne pour le déterminer à accepter la régence de l'emi^ire, les hésitations de Brienne, soii assentiment définitif et le mariage de sa fille avec Baudouin II. Ce qui est encore constant, c'est que Pipino, parvenu à la fin de son XXV^ livre, indique expressément la chronique de Bernard le Trésorier comme l'œuvre à laquelle il prend la substance de son récit : llœc de gestis Joliannis sumta sunt ex Historia Bernardi Thesaurarii. Qualis autem fuerit exitus non mveni, vel quod histo- riam^non compleverit, vel quod codex unde sumsi fuit imper fectiis^. C'est la mention qui a trompé Mura-

1. "Voyez la présente édition, p. 468. not. (i.

2. Muratori, t. VIL col. 846.

Xij AVERTISSEMENT.

tori. La citation de Pipino se réfère aux derniers événements de la chronique figure l'ancien roi de Jérusalem; tout au plus pourrait-elle se rapporter à la dernière partie, au dernier tiers du livre ; en l'appli- quant à toute l'histoire des croisades donnée par Pipino, dans son XXV^ livre, Muratori a exagéré, dénaturé tout à fait l'indication du religieux de Bologne et a donné naissance à l'erreur qui s'est depuis per- pétuée sous le couvert de son immense mais non infaillible érudition, au sujet de l'œuvre de Bernard.

IV.

L'erreur était d'autant plus difficile à éviter, en l'absence des manuscrits nouvellement reconnus, que Pipino lui-même, comme nous l'avons vu, attribue plusieurs fois et fort inconsidérément à Bernard le Trésorier, une Histoire générale de la Conquête et de la Perte de la Terre Sainte, Bernardus Thesaurarius in Libï'o Acquisitionis et Perditionis Terrée Sanctx; tandis que nous savons aujourd'hui, par des manuscrits authentiques, que l'histoire de Bernard le Trésorier, commençant en réalité un siècle après la première croisade, n'a pu fournir à Pipino la matière intégrale de son XXV "^ livre.

Au lieu de donner à ce grand fragment l'étiquette attrayante d'Histoire ou Livre de la Conquête de Terre Sainte, depuis Vannée 1095 jusquà Vannée 1230, composé par Bernard le Trésorier^ Muratori aurait

\. Bernardi Thesaurani Liber Acqnisilionis Terrœ sancfce ah anno \0% risque ad annum circiter 1230. Scripl. t. Vil. col. 6G0.

AVERTISSEMENT. xiij

l'annoncer simplement comme un extrait de la Chro- nique générale de fra Pipino relatif aux croisades, extrait composé sur des chroniques fort diverses, et dans sa dernière partie seulement, sur la chronique de Bernard le Trésorier.

Ce n'est pas au reste le seul procédé peu réguHer dont on ait usé à l'égard de l'œuvre de Pipino. Recon- naissant que la chronique du moine de Bologne, toute formée qu'elle soit d'emprunts et d'extraits, pouvait fournir des données utiles et nouvelles, Muratori ne voulut pas borner sa publication au XXV^ livre. Il fît un choix dans le reste de la chronique parmi les neuf hvres dont les faits sont postérieurs à l'année H 76, à savoir les XXIP, XXIIP, XXIV% XXVP à XXXP livres. Il en retira les passages les plus inté- ressants, et en composa arbitrairement une œuvre nouvelle , répartie en trois livres subdivisés en cha- pitres, à laquelle il donna le titre peu mérité de Chronicon Francisci PipiniK Cette chronique, qui n'a de l'unité que l'apparence, fut insérée dans le tome IX® des Scriptores Italici terminé en ]1%'7. Sa publi- cation est donc postérieure d'un an à l'apparition du XXV® livre, et cette publication supplémentaire d'un texte artificiel n'a pas peu contribué à obscurcir encore la question. Fréquemment Pipino, en racon- tant l'histoire des croisades dans son XXV® livre, touche à des événements dont il avait déjà parlé dans les premiers livres de sa chronique générale. En ce cas, son récit est plus sommaire; il énonce seule-

1. Muratori, tom. IX. col. 587. Incipit liber primus. Gaput primum. Deconcordia inter imperatorem et Alexandrum .

Xiv AVERTISSEMEIST.

ment les faits et rappelle qu'il en a été déjà ques- tion ailleurs, à peu près en ces termes : ut scribitur supra; ut perfimctorie dictum est supra; qualiter acci- derit habetur sub temporibus Eenrici; hsec historia non hic prosequitur, quum posita sit supra sub temporibus Friderici primi, etc/ Ces indications n'appartiennent point à Bernard le Trésorier, comme on pourrait le croire d'après le faux intitulé de Muratori ; elles sont de Pipino, l'écrivain du xiv^ siècle; elles renvoient d'un livre à un autre de la compilation générale du dominicain de Bologne , et elles se réfèrent, en sens inverse de l'ordre d'impression, du tome VII au tome IX des Scriptores italici. Mais c'est l'un des moin- dres inconvénients de la façon dont la chronique de François Pipino a été donnée au public, et je n'ai pas le dessein de m'occuper davantage ici des parties de cette œuvre antérieures ou postérieures au XXV*^ livre.

V.

Pendant que Muratori poursuivait le cours des travaux multi[)les au milieu desquels se complaisait son érudition, des publications historiques non moins considérables paraissaient en France par les soins des religieux de l'Oratoire et de la Congrégation de Saint-Maur,

Le l^"" volume de VAmplissiina collectio de dom Martène, qui fut imprimé en 1729, renfermait une continuation en français de l'Histoire de Guillaume de

1. Muratori, tom. VII. col. 752, 7G8, 814, et voy. aux notes du présent volume, pag. 16. p, 295. p. 347.

AVERTISSEMENT. XV

Tyr de 1184 à 1275, extraite du ms, de Gaston de Noailles, écrit à Rome en 1295, aujourd'hui à la Bibliothèque Nationale 9082.^ Les savants éditeurs ne remarquèrent pas la similitude extrême qui existe entre certaines parties de ce fragment et les passages chronologiquement correspondants du XXV® livre de Pipino inséré dans la collection des Historiens d'Italie. Muratori lui-même n'eut pas l'occasion de la constater; nous ne voyons pas du moins qu'il y fasse nulle part allusion dans la publication des onze derniers volumes de son recueil, qui se succédèrent régulièrement, et un peu hâtivement, de 1729 à 1738 ^

L'analogie, que n'avait pas aperçue dom Martène, frappa le savant P. Mànsi, occupé alors à Lucques de son édition critique des Annales de Baronius et de Raina Idi. En conférant les deux textes, l'un latin, l'autre français, Mansi soupçonna tout d'abord et établit bientôt leur commune origine : Duo hœc scripta unum idemque esse opus non suspicor tantummodo, sed et evidentihus his argumentis demonstro^. Ses raisons sont péremptoires, et nul doute n'est possible sur ce fait que la chronique publiée par dom Martène dans le premier volume de VAmplissima collectio ne soit, quant à sa première partie, c'est-à-dire de l'an 1184 à l'an 1231, la source première et principale de laquelle est sortie plus en abrégé la fin du XXV^ livre de la chronique latine de Pipino, donnée par Muratori sous le faux nom de Bernard le Tréso-

1. Voy. VEssai de classif. p. 485.

2. Le tome XXIV^ fut publié en 1738. Le tome XXV«^ renfer- mant un Supplément et les Tables parut en 1751.

3. Annales ecclesiasiici, t. XX. p. 567.

XVJ AVERTISSEMENT.

rier. Si le P. Mansi avait eu connaissance du ms. les éditeurs de VAmplissima collectio trouvèrent le précieux récit qu'ils {3ublièrent en 1729, nul doute qu'il n'eût constaté la même corrélation dans la partie antérieure de ce ms. qui, de l'année 1184, remonte, avec l'histoire de Guillaume de Tyr, jusqu'aux premières croisades. Le volume de Gaston de Noailles est en effet un des textes français de l'Histoire de l'archevêque de Tyr, continué jusqu'en 12175, comme les mss. dont nous avons formé la 5^ classe des Conti- nuateurs. Mais tout ce que le P. Mansi ajoute à cette judicieuse observation est conjectural ou entièrement erroné. De l'âge, de la patrie, du voyage de Bernard le Trésorier en Orient, nous n'en savons rien. Que Bernard ait écrit une Histoire générale de Terre Sainte depuis la Conquête jusqu'en 1275, cela est tout-à-fait inexact. Les mss. de Berne et de l'Arsenal montrent que son récit et celui d'Ernoul, son pré- décesseur, ne commencent réellement qu'à la fin du xii^ siècle et ne dépassent pas l'année 1231.

Ces faits ne pouvaient être constatés qu'au moyen des mss. étudiés de nos jours; et jusqu'à ce que l'attention des érudits eût été appelée sur ces sources nouvelles, l'on était autorisé à considérer l'opinion du P. Mansi comme vraie. Meusel, Fontette, les rédacteurs de l'Histoire littéraire de France, l'auteur de l'Histoire des Croisades, l'éditeur de la Collection des Mémoires relatifs à l'Histoire de France lui-même ne pouvaient (|u'en admettre la vraisemblance. Toute- fois M. Gui/.ot, sans le secours de textes nouveaux, signala le |)remier la différence de rédaction qui se manifeste dans la chronique publiée par ses soins en

AVERTISSEMENT. XVI I

1 824 après les années 1230-1231. Le savant éditeur n'insiste pas sur son observation, il n'en recherche pas les conséquences, mais il émet l'avis qu'un nouvel auteur a rédigé la chronique après cette dernière époque et que l'œuvre des premiers continuateurs de Guillaume de Tyr avait à son tour été continuée ^

C'est la notion la plus vraie et la plus utile à l'exa- men de ces textes qui eut été donnée depuis leur publication. J'espère qu'elle trouve une ample justifi- cation dans mon Essai de classification, qu'il a été indispensable de réimprimer à la suite de la présente édition. J.en'ai rédigé cet essai qu'après avoir examiné un grand nombre de mss., tous ceux que j'ai pu connaître. Ils étaient en 1848 au nombre de quarante environ. J'en ai consulté aujourd'hui plus de cin- quante. De nouvelles observations n'ont fait que confirmer dans mon esprit les résultats auxquels m'avaient conduit les premiers travaux.

Je crois avoir démontré qu'entre l'époque VHistoria rerum transmarinarum de Guillaume de Tyr, qui s'arrête à l'année 1 1 83, fut traduite en français, ce qui eut lieu très-probablement après la mort de l'ai^chevéque, vers la fin du douzième siècle , et l'époque les manuscrits nous donnent le texte français continué, plusieurs auteurs avaient écrit en Orient et en Europe sur les événements de Terre Sainte. Ernoul et Bernard le Trésorier sont de ce nombre ; ils ne furent probablement pas les seuls, comme l'indiquent et la composition variée des premières continuations et ce passage de Raoul de

1. Coll. des Mémoires, t. XIX. prêt", p. viii. 1824.

XViij AVERTISSEMENT.

Coggeshale qui parlait en 1218 d'une chronique fran- çaise déjà traduite en latin à Londres, dans laquelle se trouvait racontée la croisade du roi Richard d'An- gleterre et de Philippe-Auguste, effectuée en 1190 ^

Lorsque l'on posséda d'une part la version française de l'œuvre de l'archevêque, et d'autre part, des chroniques françaises plus ou moins spéciales aux événements postérieurs à la mort de Guillaume de Tyr, mais concernant ces événements, les copistes et les compilateurs ne durent pas tarder beaucoup à couper et à prendre dans ces derniers écrits ce qui leur convenait, en supprimant les prologues et les répétitions du début, pour donner des suites au texte français de l'archevêque, resté pendant tout le moyen- âge la grande Histoire de la Conquête de Terre Sainte. Je rentre ici en partie dans le sujet général de mon Essai, mais qu'on me permette cette redite, bien qu'elle ne se rattache qu'incidem.ment à l'objet spécial de la présente publication. Je l'abrégerai le plus possible; et en reproduisant quelques-unes des observations consignées déjà dans l'Essai, je pourrai, par suite de l'examen de nouveaux textes, résumer avec plus de précision le résultat de mes recherches sur l'origine, l'âge et la composition de toutes les continuations de Guillaume de Tyr qui me sont connues.

Ces grands recueils, si recherchés au moyen âge , comme l'atteste le nombre considérable de copies encore existantes, ont été pour la plupart composés en Orient et en Occident à quatre époques successives renfermées dans le xiu"' siècle ou atteignant le commen-

1. Essai, p. 497.

AVERTISSEMENT. Xix

cernent duxiv". La multiplicité des mss. permet de cons- tater en effet qu'une double série de copistes et de continuateurs du texte français de Guillaume de Tyr se forma en Terre Sainte et en Europe, et que le récit primitif de l'archevêque fut ainsi poursuivi au moyen d'œuvres et de mains bien diverses jusqu'en 1291.

Les premières éditions, si l'on peut employer ce terme, d'une Histoire de Guillaume de Tyr en français, suivie d'une continuation française, paraissent avoir été exécutées en Europe, mais avec des chroniques orientales, vers le milieu du xiii® siècle, peu après la croisade de Frédéric II, dont on avait tant espéré dans toute la chrétienté, et qui est précisément le terme de la chronique de Bernard le Trésorier. La chronique d'Ernoul, la rédaction plus développée des mss. de Colbert et de Fontainebleau,^ la chronique de Bernard le Trésorier, et bien d'autres éléments encore indéterminés, ont été employés dans la com- pilation, on pourrait dire dans la fabrication, de ces premières continuations. Bernard peut avoir écrit en Orient ou en Europe; on ne sait. Ernoul et l'auteur de la grande rédaction appartiennent à la Syrie ou à l'île de Chypre. Les mss. de ce premier âge sont les plus nombreux et les plus répandus en Europe. Fra Pipino a travaillé sur des textes provenant de ces premiers temps. Sanudo le vieux, au contraire, a manifestement employé une continuation bien plus étendue et arri- vant à la prise même de Saint-Jean d'Acre. Mais pendant longtemps on n'eut en Orient et en Europe que des Histoires d'Outremer limitées, comme la

4. Voy. V Essai, p. 500.

XX AVERTISSEMENT.

chronique de Bernard le Trésorier, à l'année 1231 . Et l'on voit d'après les manuscrits existants qu'il y eut au xiv^ et au XV'' siècle une famille de copies et de traduc- tions vulgaires, particulièrement italiennes, se succé- dant sur ce premier modèle, bien que le terme chronologique auquel il s'arrêtait fut depuis longtemps dépassé par d'autres continuations.

La seconde époque des continuateurs comprend les mss. dont les récits s'étendentjusqu'en1261 . L'événe- ment qui doima occasion à la composition de ces nouvelles formes du Livre du Conquet ou de l'Eracles prolongé est certainement la première croisade de S' Louis. L'auteur du texte primitif de ce groupe, dont la seule bibliothèque nationale de Paris renferme cinq mss., a employé dans sa compilation les mor- ceaux les plus divers et les plus disparates. Au milieu de digressions incohérentes sur les monstres marins et autres merveilles qui avaient cours surtout parmi les populations d'Occident, on y trouve quatre fragments de grande valeur. C'est d'abord la Description des rues et des places de la ville de Jérusalem, au temps des rois Francs, à l'époque de la capitulation obtenue de Saladin en 1187 par Balian d'Ibelin, description em- pruntée aux mss. d'Ernoul et de Bernard le Trésorier. Une narration écrite en France, mais sur le récit manifeste de témoins oculaires (peut-être de Philippe de Nanteuil, dont quekjues poésies composées en Egypte y sont rappelées), de la croisade deThibaud IV de Champagne, roi de Navarre. 3" Une lettre de Jean Sarrasin , chambellan du roi de France , écrite à Damiette en 1249; et k^ une relation des événements d'Outremer de 1250 à 1261 , relation que les premiers

AVERTISSEMENT. XXJ

éditeurs ' ont traitée comme faisant partie de la lettre même de Jean Sarrasin, et qu'il en faut bien distin- guer. L'auteur de ce fragment, transporté en France mais primitivement écrit en Orient et vraisemblable- ment à Saint-Jean d'Acre même, est peut-être l'un des chevaliers servant avec Geoffroy de Sergines, que Saint Louis, ne pouvant plus diriger personnellement la défense de la Terre Sainte, laissa après lui, dans le pays, en pourvoyant à leur solde. L'écrivain , identifié avec la population franque au milieu de laquelle il vivait, quoiqu'il ne lui appartint pas, parle comme de faits passés sous ses yeux de la guerre fatale que la rivalité des Pisans et des Vénitiens entretint dans les murs mêmes de Saint-Jean d'Acre, de 12157 à 1259, et qui ne contribua pas peu à affaiblir sa défense extérieure.

La époque ne se distingue pas seulement de la précédente parce qu'elle est plus étendue , puisqu'elle arrive jusqu'en 12!75, et même dans un ms. consulté par nous à Florence jusqu'en 1277. Aucun des quatre grands morceaux fiistoriques rapportés ou dictés en France par les croisés et utilisés dans les compilations de la %" classe , ne se retrouve dans la 3^ Celle-ci est une continuation directe, mais non homogène, des continuations de la l""^ époque qui se terminent en 1231. Un laïque, très-probablement un chevalier de Chypre ou de Syrie, a écrit la continuation jusqu'à l'année 1248, finit le XXV*' livre de l'édition de dom Martène. Ce morceau précieux donne l'histoire du royaume uni de Chypre et de Jérusalem pendant

1. MM. Micliaud el Poujoukit, Coll. de Mévi. t. i. p. 359.

Xxij AVERTISSEMENT.

la minorité du roi Henri II de Lusignan et la longue guerre des Impériaux. Assurément l'auteur n'était pas un homme d'église. Un clerc, au contraire, a écrit la suite, qui forme le XX VP livre de D. Martène, et arrive à l'année 1275, comme en témoigne l'attention particulière de l'auteur aux choses ecclésiastiques, aux conciles, à l'élection des papes et des prélats de Terre Sainte, tandis que dans les livres précédents dominent les faits de guerre, les préoccupations et les intérêts de l'esprit féodal. La nouvelle continuation est en outre d'une grande sécheresse de rédaction, et contraste encore à cet égard avec les livres précé- dents.

La seconde croisade de saint Louis, bien que cet événement n'y soit que très-sommairement mentionné, donna occasion à la composition des continuations de la 3" époque, comme la Prise de Saint-Jean d'Acre, en 12191 , motiva la formation du et dernier groupe. A vrai dire, les continuations de la 4^ époque, dont nous ne connaissons que deux mss., l'un à Paris, l'autre à Rome, mais tous deux du xiv'' siècle, ne sont (jue des copies des continuations de la époque arrêtées à 1 261 , auxquelles on a ajouté le texte fran- çais d'un récit de la prise de Saint-Jean d'Acre et des événements antérieurs depuis l'année 1288. La lacune historicjue qui existe dans ces deux séries d'origine occidentale, de l'an 1 261 à l'an 1 288, est heureusement comblée par les continuations de la 3^ époque.

Celles-ci forment, avec les continuations de la pre- mière épo(|ue, les vraies annales, la véritable Histoire d'Outremer. Ce sont j)articulièremenl les cliro- i)i(|ues qu'on appelait au moyen âge les Livres du

AVERTISSEMENT. XXiij

Conquet. Tout en elles atteste une origine orientale. La connaissance habituelle et circonstanciée des loca- lités et des familles de Chypre et de Syrie, la pratique de la vie générale de la société latine que régissaient les Assises, au milieu de populations soumises à d'autres usages, ne se retrouve pas avec le même caractère dans les continuations de la seconde et de la quatrième époque. Leurs auteurs ont manifestement vécu et écrit, soit dans l'ile de Chypre, soit sur le conti- nent, à S' Jean d'Acre ou à Tyr, comme Ernoul, comme Jean d'Ibelin, Philippe de Navarre, Geoffroy le Tort, et tant d'autres chevaliers, clercs ou bourgeois dont nous avons les œuvres. C'est dans la recherche et l'examen des mss. de ces deux époques qu'on peut espérer le plus de retrouver la trace des chroniques originales qui ont pu être composées par nos Français d'Outremer, et les moyens de les reconstituer.

De nouveaux manuscrits permettront peut-être de reconnaître un jour l'origine diverse et les auteurs des principaux fragments de ces continuateurs. Les mss. de Lyon mériteraient une étude spéciale dans cette direction. Mais un des résultats les plus désirables serait la découverte de la forme première et du nom de l'auteur (vraisemblablement un chevalier d'Outre- mer comme Ernoul, si ce n'est Ernoul lui-même) de l'œuvre qui forme jusqu'en 12130, la riche con- tinuation des mss. de Fontainebleau et de Colbert. Nous avions depuis longtemps signalé ces textes à l'attention des savants éditeurs du Recueil des Histo- riens occidentaux des Croisades , qui l'ont adopté dans leur publication. S'il était possible de lui rendre sa physionomie originale, ce récit, n'eût-on pas la

Xxiv AVERTISSEMENT.

satisfaction d'inscrire en tête le nom de son auteur, mériterait d'être publié de nouveau et séparément. Une semblable étude aiderait beaucoup à démêler le chaos de la première époque de formation des conti- nuations de Guillaume de Tyr, oii ont été employées les œuvres les plus diverses. En attendant, j'espère que la présente publication de la chronique du Tré- sorier, qui est l'une de ces œuvres, et à laquelle je reviens enfin, fera faire quelques pas à la question.

VI.

Les deux mss. de Paris et de Berne, A. et B., nous donnaient ce que l'on peut considérer définitivement comme la vraie chronique de Bernard le Trésorier (sauf la question de plagiat), puisqu'ils sont complets et terminés par une note contemporaine qui en déter- mine expressément l'auteur. Nous connaissions aussi le ms. 41 de Berne (notre D.), compilation historique du xiif siècle, est transcrite la Chronique d'Ernoul, coupée par de nombreuses insertions et rubriques explicatives, mais portant aussi la mention formelle du nom de l'auteur. Tout en tenant grand compte de cette dernière notion, nous étions résolus à publier la chronique du religieux de Corbie , en prenant pour base de l'édition les mss. A. et B., quand le savant baron Kervyn de Lettenhove appela noire attention, avec son obligeance habituelle, sur le ms. 1 1 142; de la Bibliothèque royale de Bruxelles.

L'œuNTc d'Ernoul jipparaît ici un peu plus person- nelle que dans les autres mss. Le nom de Bernard le Trésoi'ier n'y est point mêlé. Il est vrai qu'au dernier folio du ms. et tout à la suite du texte qui ne dépasse

AVERTISSEMENT. XXV

pas l'année 1 229 , à laquelle pouvait parvenir la rédaction d'Eriioul, déjà peut-être remaniée par un inconnu , se trouve transcrit le commencement même ajouté postérieurement par Bernard le Trésorier au texte d'ErnouP. Mais, sans pouvoir expliquer cette circonstance, nous remarquerons que les manuscrits de Bernard le Trésorier, A. et B., prouvant que la réelle chronique du moine de Corbie arrive jusqu'à l'année 1231, il est extrêmement probable que le copiste, ou les copistes de G. (car on peut soupçonner un changement de main vers la fin du ms. ^) , ont eu à leur disposition et ont voulu transcrire la chro- nique d'Ernoul, plutôt que celle de Bernard. Nous avons donc dans le manuscrit de Bruxelles un texte qui a plus de chance que tous les autres d'être le texte d'Ernoul, et qui certainement est plus voisin de la rédaction de l'écuyer que celui qui nous est parvenu sans le nom d'Ernoul dans les mss. de Bernard le Trésorier. Le style et le dialecte, de l'avis des plus compétents, montrent en outre l'antériorité du ms. de Bruxelles sur ceux de Paris et de Berne.

En cet état, je ne pouvais plus hésiter sur le parti à prendre. Quoique ma publication fût entièrement prête pour l'impression, je me résolus à la recom- mencer en adoptant pour fond principal de la nou- velle édition lems. de Bruxelles. C'est ce que j'ai fait.

Je publie donc aujourd'hui la chronique d'Ernoul,

1. A''oy. plus loin la Description des mss. lettre C.

2. Je ne me dissimule pas que cette obsei'vation, sur laquelle au reste j'insiste peu, aurait plus de poids, si le changement de copiste se manifestait précisément au folio vi au [)oinl com- mence le préambule do Bernard le Trésorier, ce qui n'est pas.

XXVJ AVEBTISSEMENT.

ùcuyer de Balian d'Ibelin, d'après le ms. de Bruxelles (ms. C), et j'y insère, en distinguant ces additions ou modifications du reste delà chronique par les procédés typographiques indiqués plus loin, ce qui peut passer, d'après A. et B., comme le travail particulier de Bernard le Trésorier; et cela se réduit à bien peu. On aura ainsi simultanément , mais de manière à ne pas les confondre, et la chronique totale de Ber- nard le Trésorier, et la chronique antérieure d'Ernoul utilisée par Bernard, ou du moins ce que nous devons considérer jusqu'à présent comme la chronique d'Ernoul.

Peut-être en effet n'avons-nous dans le ms . G . , comme dans les mss. D.E.F.O., qu'un abrégé d'Ernoul. Peut- être Ernoul, cet écuyer de Balian d'Ibelin, si bien à même de connaître les hommes et les événements d'Outremer, est-il l'auteur de la rédaction bien plus développée, quant aux faits historiques, des mss. de Colbert et de Fontainebleau \ Si ce grand récit n'est pas d'Ernoul, Ernoul l'a copié en l'abrégeant et l'enri- chissant de la Doscription de Jérusalem. J'ai exposé ces conjectures et les notions plus certaines relatives à la chroni(|ue de Bernard le Trésorier dans mon Essai. Il serait superflu de les reproduire ici.

On verra que l'œuvre propre du moine, d'ailleurs inconnu, qui fut trésorier de Saint-Pierre de Gorbie, n'est pas grand' chose. A part quelques passages à lui personnels, s'ils ne sont pas extraits de chroniques incoimues, et dont le plus étendu est relatif à la mort de Murtzuphle lors de la prise de Gonslantinople par les

I. Voy. VEssai,\). 'i99-50I.

AVEUTISSEMENT. XXVij

Français S Bernard reproduit en entier la chronique ou l'abrégé de la chronique d'Ernoul telle que nous la donnent les mss. G.D.E.F.O.Uy ajoute un prologue et une fin de quelques pages et divise le tout assez irré- gulièrement en XLI chapitres, pour lesquels, lui ou son copiste, ont rédigé de courtes rubriques presque toujours insuffisantes, qui sont transcrites en tête de la chronique. Ça été là, je crois, tout son labeur.

Le commencement de la chronique de Bernard se distingue aisément de celui de la chronique d'Ernoul par la comparaison des mss. A. B. aux mss. C.D.E.F.O. Tout ce commencement, d'ailleurs fort court, est en italique dans mon édition. On ne peut aussi facilement préciser la fin d'Ernoul et le commencement de la continuation de Bernard, parce que les compilateurs et les copistes, pas plus que les auteurs eux-mêmes, n'attachaient de valeur à ces distinctions, si utiles aujourd'hui pour attribuer à chaque écrivain la part qui lui revient d'une œuvre commune. Dans le ms. D. ne se trouve rien de Bernard le Trésorier, la rédac- tion s'arrête à l'année \%TI \ avant le départ réel de l'empereur Frédéric pour la Terre Sainte. On pourrait croire ainsi qu'à partir de ce point , la suite du récit fournie par les autres mss., appartient à Bernard, et nous l'avions pensé d'abord^Mais les mss. G. etE., le seul nom d'Ernoul est inscrit comme dans C, nous apportant un texte poursuivi jusqu'à la fin de la croi- sade de Frédéric II, en \2!2t9\ nous ne nous voyons

1. L'édition, pag. 373.

2. L'édition, pag. 458.

3. Essai, p. 496. 500. 513.

4. L'édition, p. 4G7.

XXViij AVEETISSEMENT.

plus suffisamment autorisés à attribuer à Bernard toute la partie de la rédaction qui dépasse l'année 1 227 . Nous inclmons donc aujourd'hui à diminuer encore un peu la rédaction originale du moine de Gorbie, que chaque nouvelle recherche amoindrit ainsi de plus en plus. Mais après le retour de l'empereur dans ses états, en 1229, nous ne trouvons plus motif de déniera Ber- nard le mérite d'être le vrai continuateur, et de figurer pour une part bien modeste mais personnelle au nombre des continuateurs de Guillaume de Tyr.

Nous imprimons cette fin en italique, comme le début, et nous donnons dans le même caractère les rubriques qui semblent encore lui appartenir. Nous ne pouvions procéder de même, et il n'y avait pas grande utilité à agir ainsi, pour les additions ou modifi- cations de détail apportées au fond même de la chro- nique. Nous allons en dire les raisons : si nous possédions, d'une manière certaine, le texte intégral et primitif de la rédaction d'Ernoul, il y aurait un véritable intérêt, ne fût-ce que pour voir de près les procédés de compilation des anciens chroniqueurs, à conférer mot à mot et jusqu'aux particularités cette première rédaction avec celle que nous a transmise Bernard en se l'appropriant. Mais il est fort douteux que nous ayons même dans lems. G. l'original de la compo- sition d'Ernoul . La chronique qui nous est parvenue avec son nom dans ce ms. semble avoir subi déjà bien des modifications. Ges remaniements peuvent avoir été considérables et affecter le fond comme la forme. Nous avons peut-être l'œuvre d'un abréviateur, déjà peut-être un continuateur. G'est tout au moins un compilateur, puisqu'il l'éunit un fragment de Bernard

AVERTISSEMENT. XXiX

le Trésorier à la Chronique d'Ernoul, et ce compila- teur a pu connaître et employer, surtout vers la fin de la chronique, d'autres récits que celui d'Ernoul. Nous n'oserions l'affirmer; le nier, moins encore. Dès lors, la comparaison littérale des deux rédactions perdait tout l'intérêt de curiosité qui en aurait fait excuser la minutie, et nous n'avions plus à nous occuper de la collation du texte, qu'afin d'en assurer la clarté et la valeur historique.

Nous avons, à cet effet, relevé dans toutes les circonstances qui nous ont paru le mériter les change- ments apportés au texte du ms. C, base de notre publication, par additions, développements ou sup- pressions. Nous mettons au bas des pages les simples variantes. Nous admettons dans le texte ^ et plaçons souvent entre crochets [ ] les mots ou les passages plus utiles au sens, étrangers à G. et qui peuvent être de Bernard.

VII.

Le labeur et le mérite personnels de Bernard le Trésorier ont été, comme l'on voit, bien exagérés, et se réduisent à bien peu de chose. J'y reviens et j'y insiste ici parce que je ne l'ai peut-être pas assez dit dans mon Essai. Bernard a vécu et s'est fait un nom de l'œuvre d' autrui. Il ne mettait du reste à son travail ni ruse ni malice, et ne comptait pas en tirer vanité. Gomme tant d'autres chroniqueurs , il est le plus naïf

1 . Les lettres non suivies de texte indiquent dans les Notes les mss. qui ont fourni le mot ou les derniers mots auxquels se rat- tache le renvoi.

XXX AVERTISSEMENT.

plagiaire. Il copie presque mot pour mot la chronique de son prédécesseur en conservant les formes les plus personnelles de la rédaction : « Avant que je ne vous « dise cornent la Sainte Crois fut conquise par les « Sarrasins sur les Chrétiens, je vous nomerai les rois « et les seigneurs qui furent après le temps de Godefroy « qui la conquit sur les Sarrasins ^ » « Je vous ai « parlé d'Andronic maintenant, parce qu'il fit la malice « par quoi les Français allèrent en Constantinople, au c( temps du roi Lépreux ; si j'ai la place et le temps, « je vous dirais en quel point la malice fut faite et « comment.^

« Je ne vous parlerai plus maintenant deNaplouse, « maisje vous dirai quand Saladin en sera parti, elle « sied et comment elle sied.^ » Bernard s'exprime ainsi par la plume et la bouche d'Ernoul. « Jésus Christ « dit encore bien d'autres paroles, maisje ne puis tout c< vous racontera » « Je ne vous parlerai plus « maintenant d'Erard de Brienne, mais peut-être vous « en parlerai-je encore plus tard^ »

Il ne change rien à l'ordre de la narration et ne prend pas la peine de rappi'ocher les diverses circon- stances du même événement, quelquefois séparées dans son auteur. Au milieu des conférences de Saladin avec les bourgeois de Jérusalem, lors de la capitula- tion de la ville, Ernoul, par une phrase incidente, rappelle un fait relatif à la reddition d'Ascalon dont il

1. L'édition p. 5.

2. L'édition, p. 16. cf. p. 82.

3. Pag. 106.

4. Pag. 109.

5. Pag. 409.

AVERTISSEMENT. XXXJ

avait précédemment parlé : « J'avais oublié de vous « dire que le jour Ascalon l'ut pris, on rendit à « Saladin tous les châteaux des environs'. » Bernard transcrit simplement les paroles d'Ernoul, et les compi- lateurs, qui ont plus tard employé leur chronique peur faire les continuations de G. de Tyr, répètent à leur tour ce qu'ils avaient dit l'un et l'autre. Des circonstances semblables se présentent dans toutes les parties de la chronique, au commencement comme à la fin : « Je vous parlerai maintenant du prince « Renaut, sire du Crac, qui fut en la bataille de Mont- er gesard, parce que j'avais oublié de vous dire les « prouesses qu'il y lit ^ » « Nous vous dirons mainte- ce nant, si vous voulez, ce que c'est qu'une caravane ^

« Je vous avais dit par devant que je vous dirai « quelque part comment il y avait eu pour la première « fois un roi en Arménie; je l'avais oublié. Mais main- « tenant il m'en est souvenu, et je vais vous le dire."*

« On fil pour eux une grande cité, et ils y sont encore ^ » « Aucunes fois avint il à nos temps '^, » etc. Tout cela est dit par le premier rédacteur et con- servé par le second.

A peine pourrait-on remarquer çà et quelques mots qui signaleraient chez Bernard le Trésorier une pensée vraiment personnelle et une individualité distincte de celle d'Ernoul, sans que Bernard ait pro-

1.

L'édition, p.

185,

et note ii.

2.

Pag.

54.

3.

Pag.

57.

4.

Pag.

318.

5.

Pag.

438.

6.

Pag.

441.

XXXij AVERTISSEMENT.

bablement cherché à l'accuser. Peut-être la circons- tance suivante, qui est bien insignifiante en elle- même, est la plus marquée. Dans le récit de la croisade de Constantinople, Ernoul nomme les conquérants, tantôt les Latins, tantôt les François. A ce dernier nom, Bernard substitue généralement le nom de Latins et il en dit la raison : « Je les nomme « Latins, parce qu'en la terre d'Outremer on appelé « les Franczois Latins ^ »

L'expression de « croisés au-delà des monts » remplacée quelquefois dans la même phrase par les mots « croisés en deçà des monts ^, » pourrait être considérée comme u*i autre indice de la différence originaire des deux rédacteurs, l'un écrivant Outremer et l'autre en Occident, indice conservé à travers toutes les compilations , les transcriptions et les remanie- ments des manuscrits; plus vraisemblablement, c'est un pur effet du hasard ou de l'inaltention des copistes. Mais c'est assez montrer, je crois, que sous le titre de Chronique de Bernard le Trésorier, nous avons surtout, môme dans nos mss. A. et B., une œuvre antérieure au religieux de Gorbîe, qui l'a complètement absorbée dans la sienne.

Je ne me suis pas borné à collationner entre eux les six mss. qui nous donnent les textes d'Ernoul et de Bernard le Trésorier. Comme ces rédactions se retrouvent en grande partie, malgré les mélanges qu'elles ont subis, dans les compilations générales du Gonquet et de l'Eracles, j'ai été amené souvent à les

1. Edition, p. 365. not. 3.

2. Edition, p. 337. note 10.

AVERTISSEMENT. XXXi'lj

conférer avec les diverses Continuations de Guillaume de Tyr. Mais je n'ai nullement cherché à compléter historiquement le texte de ma chronique. Je ne me suis occupé que du sens et de la clarté de la rédaction. Le reste est un travail tout différent, qui eût été ici déplacé et peu utile. En parcourant les sommaires qu'il m'a paru nécessaire de placer en tête de chaque chapitre, on verra facilement les événements racontés ou mentionnés par nos auteurs, et ce qui manque à leur récit.

Je termine en adressant mes sincères remerciements aux personnes qui ont bien voulu m' aider dans ma tâche par leurs communications, leur coopération ou leurs conseils : à M. le baron Kervyn de Lettenhove, à qui je dois la connaissance du ms. principal d'Ernoul, à M. Louis Carbonieri, bibliothécaire deModène, dont j'ai souvent mis l'obligeance à contribution pour com- pléter par des renseignements successifs ce que m'avait appris un premier examen du ms. de la chronique générale dePipino; à M. Louis de Steiger, bibliothécaire de Berne; à MM. Meyer et Tuetey, mes collaborateurs aux archives, qui m'ont si utilement secondé pour la révision et le collationnement des textes, enfin à M. Guessard, mon savant commissaire responsable et ami.

CONCORDANCE CHRONOLOGIQUE

DE LA CHRONIQUE d'ERNOUL et de BERNARD le TRÉSORIER

AVEC LES CONTINUATIONS DE GUILLAUME DE TYR IMPRIMEES ET AVEC LA CHRONIQUE DE FRANÇOIS PIPINO.

M.'

N.*

Dom Marlène.ï

G,.

Pag.

IL'

Chapitres

Chapitres

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Pag.

I.

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1118

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(partie inédile)

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1129-1169

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1179-1182

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1183-1186

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col. 585-586

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1185-1186

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1187

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1187

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84-90

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92-106

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XVII.

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1187

Rien.

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»

1187

161-103

20-23

106-118

82-90

1. Vingl-finqiiiéme livre de la chronique dePipino publié par Muratori dans le 1. VII. des Sa'ipiores Italix. 1. Extraits de la chronique de Pipino publiés par Muratori dans le t. IX.

3. Conlinuation de Guillaume de Tyr, publiée par dom Martène dans V Amplissima CoUeclio, lom. V.

4. Continuation publiée sous le nom de Bernard le Trésorier, par M. Guizot.

5. Conlinuation plus développée publiée par l'Académie des Inscriptions et Belles- Leltres. Jlisl. Occid. des Croisades, l. IL

CO^iCORDANCE CBROJiOLOGlQCE.

XXXV

M.

N.

Dom Martène.

G.

Pag.

H.

Pag.

Chapil

res

Chapitres

Col.

XIX.

1)

1187

163-166

n

23-29

118-138

90-104

1 XX.

))

1187

167

»

29

138-140

105-106

XXI.

))

1187-1188

168-171

624

»

30-35

140-160

106-122

XXII.

»

1188-1189

fia de 170-171

»

35

160-164

122-125

1. XXIV. 1

XXllI.

»

11 90

171-173

n

1-4

164-168

143- 148

XXIV.

«

1190-1192

172 et 174-177

607-609

»

4-12

168-194

149- 189

(

XXV.

»

1192-1194

178-180

»

13-16

194-208

189-199

XXVI.

»

1192-1197

181, en partie

609-611

et 629-630

»

17-21

208-220

200-212

X.\VII.

»

1193-1197

180-181

))

21

220-222

217-221

XXVIII.

»

1197-1198

180. 182-185

»

22-25

224-334

222-230

XXIX.

»

1194-1198

181, en partie

»

26-27

234 -242

213-210

1

XXX.

»

1194- 120 i

rien

630-632

n

28-30

244-248

231-238

XXXI.

»

1197-1203

183-184, en partie

610-612

»

31-37

250-268

238-252

XXXII.

)

1202-1204

183-184

en partie

ettrès-somra.

613-617

n

38-46

268.-296

252-270

XXXIII.

»

1204-1228

rien

617-623

chap.

33 à 39

n

47-57

298-334

270-295

XXXIV.

»

1208-1218

rien

636- 638

»

58-64

334-350

296-304

1

XXXV.

»

1205-1218

185 188 en partie

667

»

65-67

350-358

304-325

XX.Wl.

1

))

1218-1220

204-205

rien dans les

chap. 189, 190-203

1)

67-76

358-384

326-349

xxxvn.

»

1219-1220

208, presque rien

»

77-78

384- 392

rien

XXX vm.

»

1221

206

0

79-84

394- 40 i

350-352

XXXIX.

»

1222-1226

207

v

84-86

406-412

353-360

XL.

1

»

1227-1229

207-208 et dernier

647-648

n

86-92

412-426

363-379

XLI.

»

1229-1231

rien.

6i8-650

«

93 el dern. col. 702.

428-430

379.

MANUSCRITS ET IMPRIMES

AYANT SERVI A NOTRE ÉDITION.

LETTRES

sous LESQUELLES NOUS LES DESIGNONS.

A. Chronique de Bernard le Trésorier. Ms. de la Bibliothèque de l'Arsenal, à Pari?, n" 677, in-4°, parchemin, xiii<= siècle. Nous avons suivi ce Ms. pour Timpression de la continuation ajoutée par Bernard le Trésorier à la Chronique d'Ernoul. Nous avons donné le commencement de la Chronique, autre addition de Bernard à l'œuvre de son prédécesseur, d'après le ms. C, plus ancien que A.

Au folio 1'='^ du ms. sont les rubriques des 42 chapitres. La division des chapitres n'est pas marquée dans l'intérieur du ms. Commencement, fol. 1, verso : « En l'an de l'Incarnacion Nostre « Seignor Jhesu Crist, M. Cl. morut Godefrois, li dux de Boisson « (Boillon) et rois de Jherusalem. Apres lui fu rois Baldoins, ses « frères. « Au folio 2 v°, commence la Chronique d'Ernoul : « Oeç et entendez coment la terre de Jherusalem fu et la sainte « croîz fu conquise de Saracins sor Cristiens. » Rien n'indique l'endroit se termine le texte d'Ernoul et ovi commence la continuation de Bernard le Trésorier. Fin, folio 128 : « Li « empereres et li chevaliers de la terre hrent volentiers quanque « li rois Jehan lor devisa si com il avoient en convent et li rois à tant s'en tint. » Explicit Liber. « Ceste conte de la terre « d'Outremer fist faire li trésoriers Bernars de Saint Pierre de « Corbic, en la Carnation millcsimo. CC. XXXIL » A la suite, fol. 128-133 : Ci sunl li Saint Leu de Jérusalem. Indication des lieux à vénérer à Jérusalem et aux environs, puis des extraits en français de la notice rédigée par Jacques de Vitry sur l'état de l'Orient au temps de Saladin, intitulée : De Statu Saracenorum .- « Papes Innocens vout .savoir les us et les costumes et les cons- « trécs et la force et li lingnagc Saladins et des autres paiens. »

MANTISCIUTS ET IMPRIMES. XXXVlj

B. CnnoNiouB de Bernard le Trésorier. Ms. de la Bibliothèque de Berne, 340, in-4°, parchemin, xin^ siècle. Ce ms., qui a appartenu à Fauchet, puis à Bongars, est entièrement semblable au ms. A. Sinner l'intitule : « Histoire des guerres des Chrétiens en « Palestine, depuis la mort de Godefroi de Bouillon jusques à la a cession de Jérusalem par le roy Jean de Brienne et au voiage « de l'empereur Frédéric II son gendre en Terre Sainte, oii il se « fit couronner en 1228. » {Catalog. Cod. mss. Bibl. Bernensis, t. Il, p. 367).— Commencement : « En l'an de l'Incarnacion Nostre « Seignor Jhesu Crist M. G. I. morut Godefrois li duc de « Boillon , et roys de Jherusalem. » Fin .- « Li empereres « et li chevaliers de la terre firent volentiers quanque li rois « Jehan lor devisa si com H'avoient en convent etli rois à tant s'en « tint. » ExpUcit Liber. « Geste conte de la Terre d'Outremer fit « faire le Trésorier Bernars de Sain Pierre de Gorbie en l'Incar- « nacion M. GG. XXXII. » A la suite, les extraits français de Jacques de Vitry, comme dans A.

C. Ghroxique d'Ernoul, avec le nom de l'auteur. Ms. de la Bibliothèque royale de Bruxelles, n" 11142. Sur une fiche de papier fixée à l'un des folios est inscrit un ancien 804. Parchemin. Petit in-folio à deux colonnes. Miniatures, xin^ siècle. Reliure et numérotage modernes. Au verso du plat, armes coloriées de la famille de Groy. Sur la feuille de garde est écrit : C'est Livre de aucun Cronicqueur de Jherusalem et de la Conquesie de la Terre Sainte, il y a LXl. histoires, lequel est à Monseigneur Charles de Croy, comte de Chimay. (Signé). Charles.

Ge Ms. Ernoul, valet de Balian d'Ibelin, est nommé comme auteur du récit, a été adopté par nous pour base de notre publica- tion, en raison de sa priorité sur les autres. (Voy. l'Avertissement). Pas de table des Rubriques. Pas de division de chapitres. Com- mencement. Fol. 1 : M Oies et entendes comment latiere de Jhe- « rusalem et la Sainte Grois fu conquise de Sarrasins sour Gres- « tiiens. » Fol. 42, !■'« col. : « Dont fist descendre .1. sien (1 varlet qui avoit à non Ernoul. Ce fu cil qui cest conte fist mestre « en escript. » Fol. 110, v, l^» col. Une seconde main semble continuer le ms. à partir de ces mots : « Si comme consaus lor « avoit aporté, si le tinrent et prisent le mère se feme, si le misent « en .1. batiel. » (Peu avant la fin de notre chap. 34). Fin. Fol. 128 et dernier. Le récit d'Ernoul s'arrête à la fin de la pre- mière colonne du recto, à ces mots : « .'Vpres si amassa grant ost « et ala contre la roi Jehan et manda son fil en Alemagne. »

C

XXXVllJ MANUSCRITS

(1229). A la seconde colonne et sur le verso du folio est transcrit (comme dans E.) le préambule historique ajoulé par Bernard le Trésorier à la Chronique d'Ernoul, et qui se trouve à sa vraie place dans A et B: « L'an de l'Incarnation Nostrc Sctrnor Jhesu Gristmil « G. et .1. an, morut Godefrois. » Fin, 2^ colonne du verso : « Après « cestui, fu rois Bauduins ses fius. Et quant il fu mors, si fu rois « Amolris ses frère. »

D. Ghronique d'Ernoul, avec le nom de l'auteur. Ms. de la Bibliothèque de Berne, n" H. 41. Parchemin. In-folio à 3 colonnes, xni* siècle. Titre ancien : Varies estoires des rois Cres- tians et de tous les seignors d' Acre et de tote la terre que li Crestien ont tenu en la terre d' outremer puis le tens Godefroy de Buillon. (Sinner, Catalogue, t. II, p. 343).

Ce ms., mutilé au commencement, renferme le Roman des Sept Sages, la traduction de Turpin et divers morceaux concer- nant l'histoire d'Orient et les Croisades, entre autres la Ghronique d'Ernoul. Le copiste a coupé les œuvres qu'il transcrit par des divi- sions et des rubriques explicatives très-multipliées. Il semble avoir disposé ainsi son ms. pour des lectures détachées. Souvent il ajoute au commencement des chapitres qu'il crée arbitrairement, quelques mots rappelant les faits antérieurs, peut-être pour dispen- ser le lecteur de recourir aux chapitres précédents. Le l*"" folio moderne porte le numérotage ancien XL. En haut est le nom de Bongars. La Ghronique d'Ernoul commence au fol. 56 ancien, aujourd'hui fol. 17. On lit à la marge du haut : Hernoul valet de Balian d'Ibelinfist mestre cest conte en escnt.

Commencement. « Ci orrois varies estoires des rois crestians et « de tous les seignors d'Acre et de tote la terre d'Outremer puis (t le tens Godefroy de Buillon. » Ces mots appartiennent au com- pilateur; le texte d'Ernoul commence à la suite : « Oez et enten- « dez coumant la terre de Jérusalem et la Sainte Croiz fu conquise « de Sarrasins sor Crestians.» Fol. 73 ancien. « Dont Balian fist « descendre un suen vallet qui avoit à nom Hernoul. Ce fu cil « qui cest conte fist mètre en cscrit. » Fol. 80. Description de Jérusalem : « Jérusalem, la glorieuse cité, n'est ore mie, » etc. Fin de la chronique d'Ernoul et du ms. fol. 106 ancien, fol. 67 moderne : « Quant li apostoles dire que li empereres... Et « manda partol qu'oinsi treitement avoit traïz les pèlerins et qu'en « l'escommenyast par tote» les terres l'en croust Dieu (1227). » Ici fenist li Livres de Juli César, et l Olympiade, et le Livide des

ET TMI'RIMES. XXXIX

Rois, et l'estoire de la Terre d'Outremer qui moult plest à escouter, car moult i ade bons mots. Amen.

E. Chronique d'Ernoul, avec le nom de l'auteur. Ms. de la Bibliothèque Nationale à Paris. Mss. français, 781. Ancien 7188-5. Ancien fonds de Gange, n" 9 ou 20. Miniatures, xine siècle. Petit in-folio. Mutilé à la fin. Ce ms. renferme d'abord la Chronique de Godefroy de Bouillon, rédaction en prose du Chevalier au Cygne (fol. 1-62) et à la suite la chronique d'Ernoul (fol. 63-147), qui est nommé comme auteur de la rédaction.

Commencement, fol. 63 : « Oies et entendes, Seigneur, comment « le tere de Jherusalem et le Sainte Crois fu conquise de Sarra- a sins sur Grestiens. » Fol. 90 : « Dont fist descendre un sien « serjant qui avoit à non Ernous, che fu chil qui chest conte fist « mettre en escript. Et chelui Ernoul envoia Belians en le chité « et el castiel pour cerquier. « Fol 97. Description de Jéru- salem, à l'époque de la prise de la ville par Saladin. Fin, fol. 147 : « Quant li empereres fu arrivés, si envoia par toute se terre « que on laissast les maisons du Temple et quanques il avoient « d'avoir et fist on cachier tous les frères hors de se terre. Et « après si amassa grant ost et ala encontre le roy Jehan et manda « sen fil en Alemaigne. » (1229). On lit ensuite : « CM fine chis « esioire, et fait savoir l'Incarnacion quele ele estait quant Godefroy s « de Buillon morut . » A la suite (verso du folio 147) se trouve transcrit, comme dans G., le commencement de la Chronique de Bernard le Trésorier : « En l'an de l'Incarnation Nostre Seigneur « Diu Jhesu Grist M. G. et I. an morut Godefrois, qui fu dus de « Buillon et roys de Jherusalem. » L'addition de Bernard finit ainsi, fol. 148 : « Apres chestui fu roys Fouques qui tiers fu a quens d'Anjou et du Mans. Apres cestui fu roys Amauris ses « frères quens de Poitau. » Le copiste continue sans marquer de séparation : « A tant vous lairai à parler de ces roys et de cheste te matière. Si vous dirai de le prophesie de le tere de Jherusalem « et d'Egypte. » Prophéties et récits fabuleux sur Mahomet et Saladin, interrompu au fol. 150, à ces mots : « pour avoir la gloire « de Paradis qui tant est deliteuse que langue ne le porroit. »

F. Chronique d'Ernoul avec la continuation de Bernard le Trésorier, jusqu'en 1231. Ms. de la Bibliothèque de Berne, H, 113. Parchemin. In-folio à 2 colonnes, xin» siècle.

C'est un volume de Mélanges concernant la plupart la Terre Sainte, de 178 folios. (Sinner, Catalogue, t. II, p. 389). La Chro- nique d'Ernoul, avec la suite de Bernard le Trésorier (et non le

Xl MANUSCRITS

commencement) occupe les folios 116-166. Mais ni Ernoul ni Bernard n'y sont nommés. Sinner rappelle (Cataîog. p. 391) qu'il a communiqué ce Ms. à La Curne de Sainte-Palaye, et que les Bénédictins devaient s'en servir dans leur publication des Historiens de France ou des Croisades. Durant cette com- munication, on en fit exécuter à Paris une copie conservée aujourd'hui à la Bibliothèque Nationale. Nous avons recouru souvent à cette copie (Voy. lettre 0) pour suppléer aux extraits insuffisants que nous avions faits à Berne du ms. original.

Commencement. Fol. 116. Li Romans des Chroniques de la terre d'Outremer : « Chi commence li Cronikes de le terre « d'Outremer. El non le Père et le Fil et TEsperit Saintime. Oies « et entendes cornent la terre de Jherusalem et la Sainte Crois fu « conquise de Sarrasins sor Crestiens. » Fol. 131, verso : « Dont fist descendre un sien vallet et l'envoia dedens le chastel. » Fi7i, fol. 166, 2' col. : « Quant li vallés ot porté corone et il fu « empereres, li rois li requist qu'il li fesist ses convenenches et il « et li chevalier de le terre. Li empereres et li chevalier li fisent « volentiers quanqu'il devisa, si com il l'avoient en covent et li « rois à tant s'en tint. (1230-1231) Explicit.

Le Ms de Berne, H. 115, décrit dans le supplément du Cata- logue (t. in, p. 526) renferme aussi la Chronique d'Ernoul, qui s'arrêterait dans ce ms. d'après M. Sinner à Tannée 1227.

G. COXTLNUATIOX DE Gun.L.\UME DE TvR EX FRXSÇ.KIS, DE 1184 A

1275, publiée par M. Guizot sous le titre de « Continuation de « IHistoire des Croisades de Guillaume de Tyr par Bernard le « Trésorier. » Tome XIX de la Collection des Mémoires relatifs à l'Histoire de France. In-8°. Paris. 1824. Cette continuation avait été déjà publiée en 1729 par Dom Martène dans le tome V de VAmplissima Collectio (col. 583-752J sous le titre de Guillelmi, archiep. Ti/riensis continuata belli sacn historia gallico idiomate ah antiquo auctore ante annos CCCC . conscripta; d'après un ms. du Cardinal de Noailles, écrit à Rome en 1295, aujourd'hui à la Bibliothèque Nationale. Mss. français 9082 (ancien suppl. franc. 104). L'édition de M. Guizot a été revue sur le ms. original.

H. C0XTINU.\TI0X DE GciLL.\U.ME DE TvR EN FRANÇAIS, DE 1184 à

1230-1231 , publiée par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, d'après les mss. de Colbert et de Fontainebleau. (Voy. V Essai de classif., p. 484, 486 et 500), dan^ le Recueil des Historiens des Croi- sades, Historiens occidentaux, t. II, p. 1-381. In-fol. Paris. 1859.

ET IMPfllMÉS. Xlj

I. Traduction française de Guillaume de Tyr, avec la conti- nuation PARAiss.AST arriver A 1231. Ms. de la Bibliothèque natio- nale, à Paris. Fonds français, 24208. Ancien fonds de Sor- bonne 385. Richelieu, 451. xiii« siècle. Parchemin. Petit in-folio à 2 col. Miniatures. Mutilé à la fin. Le dernier folio conservé s'arrête en 1229 et à ces mots : « Li rois porcequ'il veoit le besoing de

« la terre et l'apostoile l'em prioit queli oirs delà terre espouse-

« roit une fille qu'il a\T)it et porteroit corone. » (fol. 249 v").

J. Traduction française de Guillaume de Tyr avec la conti- nuation Jusyu'EN 1231. Ms. de la Bihliotlièque Nationale, à Paris. Fonds français 9006. Ancien suppl. franc,, 450. Parchemin. In-folio, à deux colonnes. Fin du xiii^ siècle, ou commencement du xiv« siècle. Ms. désigné sous la lettre C. dans l'édition des Continuateurs pubhée par l'Académie des Inscriptions.

L'auteur de cette compilation , très-digne d'attention , parait avoir eu à sa disposition des œuvres diverses qu'il semble avoir comparées et qu'il a utiUsées avec discernement. Non-seulement il a connu la chronique d'Ernoul ou celle de Bernard le Trésorier qu'il emploie sans en retrancher la curieuse Description de Jéru- salem ; mais il a encore connu la rédaction plus développée qui nous est parvenue par les mss. de Colbert et de Fontainebleau, qu'ont publiée les savants éditeurs des Historiens des Croisades dans le tome II des Chroniques occidentales. L'étendue de cette rédaction semble ne lui avoir pas convenu. Il y fait cependant, en plus d'une occasion, des emprunts positifs. Voy. la présente édition, p. 132, net. 1; p. 178. not. 8, phrase empruntée à H.

Commencement : « Ci commence l'estoire dou Conquest de la 't terre d'Antyoche et dou reaume de Jérusalem. Les anciennes « estoires dient que Eracles qui fu molt bons crestiens governa « l'empire de Rome. » Folio 375 verso. Description de Jéru- salem. C'est à notre connaissance la seule continuation de Guillaume de Tyr de la première époque, dans laquelle se trouve cette Des- criptioa. Fin : « Et il le firent volentiers tout ensi corn li « rois le devisa; et li rois s'en tint à tant apaié. >-

K. Traduction française et continuation de Guillaume de Tyr jusqu'en 1261. Ms. de la Bibliothèque Nationale. Fonds français 24209. Ancien fonds de Sorbonne 387. Parchemin. Petit in-fol. à 2 col. xiv* siècle. Ce ms. a été suivi par M. Beugnot 'Assises, t. II, p. 531) pour la Description de Jérusalem, qui s'y trouve (fol. 304 v°) à l'époque de la reprise de la ville par les Arabes, après le départ de Frédéric H.

Xlij MA>TSCR1TS

L. Extrait de la continuation de Guillaume de Tyr, dite de Rothelin, publiée dans le tome II des Historiens occidentaux des Croisades, p. 489-507.

M. Vinj^t-cinquièmc livre de la Chronique de Franrois Pipino publiée par Muratori en 1725, dans le tome VII« des Scriptores rerum Italicarum, sous le titre (erroné) de : Bernardi Thesaurarii Liber de Acquisitions Terrce sancta ab anno 1095 usque ad annuin circiter 1230 (col. G63). Muratori n'a rien changé du reste à l'ordre ni à la division des chapitres de ce livre. Nous donnons plus loin la Description du ms. de Pipino, sous la lettre P.

N. Extraits de la Chronique de Pipino publiés en 1726 par Muratori dans le tome IX^ du recueil des Scriptores, sous ce titre peu exact : Chronicon fratris Francisci Pipini Bononiensis, ord. Prœdicatorum, ab anno Wlfï usque ad annum circiter 1314, nunc primum in lucem e^eriur e ms. codice Bibliothecœ Estensis. Col. 587-752.

Muratori est bien loin d'avoir donné la chronique entière de Pipino, en ajoutant même à la publication des extraits insérés au t. IX la publication intégrale du XX livre, paru déjà dans le tome VII. Ce qui est ici annoncé comme la chronique du religieux de Bologne n'est qu'un choix de 199 chapitres fait parmi les trois cent et tant de chapitres des neuf livres suivants de la chronique générale, qui en renferme 31, les livres XXII, XXIII et XXIV; XXVI, XXVII, XXVIII, XXIX, XXX et XXXI. De ces 199 chapitres, Muratori, en conservant d'ailleurs leur ordre, a composé une chronique qu'il a de son chef divisée en quatre livres.

Le premier livre est formé de 47 chapitres, empruntés au XXII« livre de Pipino, à partir de l'année 1176 et du chapitre 50, commençant à ces mots : « Anno post hec obumbrate virginis « MGLXXVI , timens imporator dominium perderc. » Trente- quatre chapitres sont omis dans la fin du livre XXI !•■ qui com- prend 126 chapitres. Ce sont les chapitres 64 à 66, 73 et 74, 78 à 94, 110 à 115, 117 à 119, 121 à 123.

Le second livre de Muratori, de 54 chapitres, est composé d'extraits des livres XXIII. XXIV et XXVI. Dans le livre XXIII, qui est de 21 chapitres, l'éditeur a supprimé les chapitres 7, 11 à 15, et 17 à 19. Dans le XXIV». qui a 92 cha- pitres, il a omis les chapitres 5 à 8, 11, 16 à 92. Dans le XXVI», les chapitres 24 à 58, 60 à 63.

Le troisième livre comprend tout le livre XXVU et une partie du XXVIIK

ET IMPRIMÉS. Xliij

Le quatrième enfin renferme le reste du livre XXVIII* et la totalité des livres XXIX, XXX et XXXI de Pipino.

O. Chronique d'Ernoul, sans le nom de l'auteur. Copie exécutée au xviii« siècle du ms. de la Bibliothèque de Berne, H. 113, décrit ci-dessus sous la lettre F. Bibliothèque Nationale, à Paris. Papier, in-folio, Collection Sainte-Palaye. Fonds Moreau, 1565.

La copie de la Chronique d'Ernoul occupe les folios 5-141. Com- mencement : Li Romans des chroniques de la terre d'Outremer. « Chi commence li kroniques de le terre d'Outremer. El non le « Père et le Fil et l'Esperit saintime. Oies et entendes cornent la « terre de Jherusalem et la Sainte Crois fu conquise de Sarrasins

« sor Crestiens. » Fin : « Quant li vallés Li empereres et li

« chevalier li fisent volentiers quanqu'il devisa si com il l'avoient « en covent., et li rois à tant s'en tint. » Explicit, Le livre de << M. Fauchet ajoute : Ceste route (conte) de la terre d'Outremer « fist faire le Trésoriers Bernars de Saint Piere de Corbie en « l'Incarnation Mille CG. XXX. IIL » En marge : « Ceci est écrit « au haut de la page, d'une main du dernier siècle. »

Le ms. do Fauchet, dont il est ici question est vraisembla- blement notre ms. B.

P. Chronique de François Pipino. Ms. de la Bibliothèque royale de Modène. 465 des mss. latins. Anciennement VI. H. 9. Grand in-folio à 2 colonnes avec lettres rouges. Parchemin xiv siècle. Titre sur le dos : Pipini chronicon. Au haut de la première page, de la main de Muratori : Francisci Pipini de Bononia.

Les quatre premiers folios du manuscrit sont occupés par le commencement de l'index ou table des rubriques, dont la suite se trouve à la fin du Ms., fol. 186. Commencement des rubriques : « Incipiunt capitula libri primi de origine regum « Francorum et prosapia, qui continet capitula 26. Cap. I. De « origine regum Francorum et prosapia. (Jap. 2. De Faramundo « primo rege Franchorum., etc. » Fin des rubriques : « Incipiunt capi- « tula XXXI libri, qui continet capitula 6, sub imperio Alberti. « Cap, 1. De Bénédicte XL Cap. 6. De cassatione Templariorum. »

La chronique est composée de 31 livres, subdivisés en chapitres.

Commencement .- « Lib. 1. Cap. 1. Karolus serenissimus Augustus

» a Deo ordinatus, magnus, pacificus imperator qui et Francorum

» et Longobardorum rex, romanum gubernans imperium, etc. »

« Liber XXII. Sub Friderico primo. » (126 chapitres.) Muratori

Xliv MANUSCRITS ET IMPRIMÉS.

a publié (les extraits de ce livre, réunis aux extraits de huit autres livres dans le t. I\ des Scriptores. Nous avons précédem- ment parlé de cette publication sous notre lettre N.

« Liber XXV. « Publié en entier par Muratori dans le tome VII des Scriptores. Voy. notre lettre M.

n Liber XXVI. Sub Friderico secundo » (40 chapitres). « Liber » XXXL Sub imperio Alberti » (6 chapitres). Des extraits de ce livre sont publiés dans le tome TX des Scriptores.

Fin du a^ chapitre et de la chronique de Pipino : « Raros con- » ventus cum confratribus habens, locis abditis abstractus et soli- » tarius mansit, ex quo lama contra ejus pudicitiam laboravit. »

R. Guillaume de Tyr ex français, avec quelques préliminaires ET la continuation jusqu'kn 12(Jl. Ms. de la Bibliothèque nationale à Paris. Ancien supplém. français 2311. Aujourd'hui ms. franc. 9083. Grand in-folio. xiv« siècle. Reliure en veau fauve aux armes de Foucault.

Nous avions pensé que c'était le ms. de Rothelin dont Ber- thereau a fait une copie utilisée par M. Michaud. (Voy. VEssai de classification, dans le présent vol. pag. 485i. M. L. Delisle confirme notre attribution, en nous faisant remarquer que les armes de l'in- tendant Foucault, dont plusieurs mss. furent acquis par l'abbé de Rothelin et parvinrent ainsi à la Bibliothèque royale, se trouvent sur les plats du volume. (LeCabinet des Mss., in-4°. 1868. p. 375, 378), L'ensemble de la compilation est divisé en 770 chapitres. Les rubriques sont au commencement du ms. -^Fol. 1. chap. 1. Des sainz liens de Jherusalem et de la contrée d'entour. Fol. 10. chap. 8 : Comment Vemperéour de Romme Evades retourna de Sillice , et lors Homar de Arrahe prist toute Suric. « Les anciennes estoires «dientquc Eracles, etc.» Fol. 302 v°. chap. 704. Description de Jérusalem, lors de la reprise de la ville par Saladin après le départ de Frédéric II : En quel estât la citez de Jherusalem et II sainz lieu esloient à cejor. Nous avons utilisé ce texte, comme ceux de nos lettres K et L, pour les variantes seules de la Des- cription de Jérusalem.

CHRO^^IQUE DTRNOUL

ET DE BERNARD LE TRÉSORIER

CHAPITRE I.

Premièrement, corne Baldoin fii rois, après la mort Godefri, son frère.

SOMMAIRE.

Commencement de la Chronique de Bernard le trésorier.

nOI-116'2. Aperçu des événements du royaume de Jérusalem, depuis la

mort de God^lYoy de Bouillon, jusqu'à la mort du roi Baudouin III.

Commencement de la Chronique d'Ernoul.

IU99-I118. Nouvelle entrée en matière. L'auteur se propose de raconter

la perte de la ville de Jérusalem. Reprise et résumé des événements

depuis le règne de Godefroy de Bouillon. Des filles de Baudouin II.

Uan de V Incarnation ^ Nostre Segnor Jhesu Crist mil .G. et .1. an, morut Godefrois, qui fu dus de Buil- lon, et rois de Jherusalem. Après lui fu rois Baiiduins [/"] ses frère , qui fu cuens de Edesse , com apele

1. A. B. : En l'an de l'Incarnacion.

2 CHRONIQUE d'ernoul [^^o^-^^62

RoJiais. Et en cel liu de celi Bauduin [/*'''], fii cuens de Itohais Dauduins [II] de Beure\ ses cousins, qui fu cuens- après celui Bauduin, sen cousin, si coin on^ dira après. Et après celui, fu cuens de Rohais Gonce- lins [/"] de Cortenai, et puis Goselins [II] ses fius. Et cl tans de celui Gosselin [II] daerrain ^ avint que Boitais, le nuit del Noël % à celé cure que les gens es- toient à matines porVonor de si haute^fieste, fu rendue as Tiirs, par .i. traitor qui dedens estoit. Et fu toute destruite, et tout H habitant qui dedens estaient.

Dont il avint que Van de V Incarnation mil .c. et .XLVi. ans, Colras, cjui estoit empereres d'Alemagne, et Loeys, qui estoit rois de France, et Tieris, H cuens de Flandres, en cel tans que Eugennes' estoit apos- teles de Rome, atout moult grant plenté de Crestiens, alerent * en Jherusalem par Constantinoble. Et cil meisme i avaient esté autrefois. Mais si avint, par lor peciés et par lor avarisse, que moult orent de maus et de tormens et de domages % en celé voie. Et moult de milliers de gens iotmors defain, et moult ocispar mains de Turs et de Sarrasin; si que on dist que on ne treuve lisant en nus escris, ne vies ne nues^'^, tant de gent en .1. ost estre mors corn il fu illeuc, el tans des princes que nous avons nommés.

En cel tans, avint que Flandrès^\ atout .t. lor ceve- taine ciui avoit non Crestiens, et castelains estoit de

l. A. B. : Bouire. Baudouin de Bourg, seigneur de Bourg en Retiiclois, fils cadet de Hugues, comte de Rethel.

2. A. B : qens. 3. A. B. G : si corn il. 4. A. 13 : demain.— 5. A : Roel.— B : Roheh— 6. A. B. C: de haute.

7. A. B : Uyenes. 8. A. B. G : ef alerent. 9. A. B.

C. : et de tormens. 10. A. B : ne novel. 11. A. B : Fla- mans.

^^0^-^^C2] et de bernard le trésorikii. 3

Dikemue^, vinrent par le mer de Flandres en Espagne, et prisent illeuques une bonne cité^ par force d'armes sor Sarrasins.

Après ce % Bauduins [P""] qui estoit rois de Jheru- salem, si que nos avons devant dit, prist une bonne cité es parties desPhilistiens, sor Sarrasins, con apele Para- mie \ qui est près del Nil. Puis avint que cil Bauduins \P% qui frère fu Godefroi de Buillon, al tans Bogier, qui fu secons evesques de Bames, morut, quant il ot bien ansçois disposet son règne'-' , et fu portés en Jlieru- salem par le Porte d'Orient, lejorde Paske florie. Et fu rechus à grant plour et à grant dolor des gens de le cité et del pa^is; et fu présentés en VOspital, et d'illeiic en fu portés à grans plour s de toutes les gens devant le Sépulcre. Et puis le saigna oti de le Sainte Crois; et V enfoui Eumaires % li archevesques de Cesaire, el mont de Calvaire, datés son frère Godefroi, Van de son règne .xvii. ans, et .m. mois. Après lui fu rois Bauduins [II] de Bourc'', qui fu cuens de Boitais; et sages hom de grant valour, qui tint le règne de Judée et le princeé d'Aîidioche et le conté^ de Mesapostames, et gouverna moult bien par sa vigour.

En cel tens, avint que Bogiers, qui fu prince d'An- dioce, à toute sa gent, ala combatre as Turs près d'un castel c'on apele Arcase. Et fu cis Bogiers ocis, et bien dusques à .vu. mil de ceux d'Andioce; mais des Turs n'i ot pas mors dusques à .xx. Ce ne fu mie mer-

1. A. B : Diquemue. Dixraude. 2. A. B : une cité hone. Lisbonne, on 1147. Pertz, Script, t. VI. p. 389, 453, otc. 3. A. B. G : ce que. 4. Pharamia, à l'E. de Péluse. 5. Bau- douin I*"" mourut le 7 avril 1118. G. Ehremarus, de GuiUaurao de Tvr. 7. A. B : Boute. 8. A. B : /a contrée.

4 CHRONIQUE d'ernoul [^^o^-^^62

velle se Damedius le souffri; car cil Rogiers et li autre de se terre, j a fus ce cose que Diuslor eust donné avoir et richeces asez\ il ne servoient Diu, ne ses comman- demens ne faisoient. Ains avoit cil Rogiers dalés se feme espousée autres femes assés, quil tenoit en aoute- rie^. Et autretel faisoient assé de ses barons, et de cels de se terre. Et saisis -^ tôt ce, désir etoit cil Rogiers Ruiemont [//] le fil son seigneur. Et cil Ruiemont, entre lui et se mère, estoient adonc enPuille.

Par ceste ocoison, avint que li secons reis Rauduins deRcure* prist le princeé d'Andioce et le tint longe- ment. Al daerrain, avint que Ruiemons [lï], li fius Ruiemont [I'^'] dont nous avons devant parlé, vint de Paille en Andioce, et fu reçus à grant procession et à grant feste. Et li rois le- rechut à niult bêle ciere; et parlèrent tant ensamle que li rois li rendi toute se terre, et li dona une de ses filles à mariage-'. Après, s'en retorna lirois en Jherusalem. Après cestui^', fu li rois Foukes', qui fu tiers cuens d'Anjo et del Mans. Après cestui^ fu rois Rauduins [///], ses fius. Et quant il fu mors, si fu rois Amolrisses frère.

Oies et entendes comment ^ la tiere de Jherusalem et la Sainte Crois fu concjuise de Sarrasins sour Cres-

1. A. B. 2. A. îi : en avutire. 3. A. B : e^ sans. 4. A. B : Baldoins de Burch. 5. Boémond H d'Antiocho ôpousa Alix , lille du roi Baudouin Jl. G. Baudouin 11 mourut le 21 août 1131. 7. A. B : Burques. 8. Foulques d'Anjou mourut en 1144. 9. 1) : Oez et entendez coumant. E : Oies et entendes, Seigneur, comnienl. F et O commencent ici : Chicomence Hkroni~ qites dp la /erre d'Ou/remcr. El non le Père et le Fil et l'Esperil Sainliiiie. Oiez et entendez, etc.

4 099-^ \ 1 8] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 5

tiiens^ Mais ançois que je vous die, vous noumerai les rois et les segneurs ki furenl puis le laiis Godel'roi, (|ni le conquist sour Sarrasins, il el li Crestiicn ki aveoc lui estoient.

Godefrois de Bullon en fu sires, mais ains n'i porta couronne; qu'il ne vot pas porter couronne u Jhesu Gris l'avoit portée. Cil Godefrois [régna .xiil. ans; si^] n'ot onques nul enfant. Un frère ot, qui ot non Bauduins% à cui la tiere cskéi quant il fu mors. Gil fu rois et porta couronne en Jherusalem [et régna ix. ans. Gil rois Bauduins, qui frère fu le duc Godefroi, n'ot nul enfant. Ains escliaï la terre à un sien cosin germain, qui quens estoit de Boliais, et ot à non Bau- duins^ Gil fu rois après lui, et régna xx. ans^]. .

Gil Bauduin ot.im. tilles, si n'ot nul tîl. Si fu pris en une bataille de Sarrasins, et fu menés en prison. Li baron de la tiere quisentHant et pourcacierent, qu'il \int à raencon, et qu'il le racaterent as Sarrasins. Une partie de le raençon paiiercnt, et de l'autre livrèrent ostages. Aveuc les ostages, ot une des filles le roy Bauduin. Quant il pot se racata' ses ostages; dont il avint que se fille qui en ostages estoit, que Sarrasin le violèrent^ Quant elle fu venue % si le vot ses pères marier. Et elle dist qu'ele n'aroit jamais baron, ains vorroit^'^ estre nonne". Et li rois estora adonc'^ une âbéie^^ et donna rentes en Betanie, u Jlicsu Gris

1. D: Crestians. 2. F. 0. A. B. G : Cil Godefrois n'ot. 3. Baudouin \^^. 4. Baudouin IL 5. F. O. Tout le passago manque dans A. B. G. D. (3. D : quislrent. 7. D : sirnrheta. 8. D : /a violierent. 9. D : Quant eh fu fors de prison, et ele fu revenue. E : Quant ele Ja revenue. 10. D : voloit. A. B : vodroit. 11. D. nonnain. A. B : mone. 12. D. 13. D : une ahaic en Betanye et donna rentes.

6 CHRO.MQTJE d'eBJNOCL [^099-^^^8

resuscita Lazaron de mort à vie. D'icel lieu fu elle abeesse K L'autre fille fu princesse d'Andioce^ et l'autre aprics, contesse de Triple^; et la quarte fu royne^ de Jherusalem.

Mais aiiçois ke je vous die qui ses barons fu, et qui fu rois de Jherusalem, vous veul dire des Templiers, comment il vinrent primes^ en avant. Car à cel tans, n'estoit il nus Templiers.

1. Elle se nommait Juète, ou Yvète. 2. Alix, fille de Bocmond 11. 3. Hodierne. 4. D: reigne. Melissende, qui épousa lo roi Foul({UCs. 5. D. C. E : comment il vinrent.

CHAPITRE IL

Cornent Templier vindrent en avant.

SOMMAIRE.

1118. Un certain nombre decheTalieis de l'Hôpital se délacheul de l'ordre et fondent la maison du Temple. Origine du nom de Templiers.*

Quant li Crestiien orent conquis Jherusalem, si se rendirent assés de chevaliers au temple del Sepucre*; et moût s'en i rendirent puis de toutes tieres. Et es- toient obéissant au prieus dou Sepucre. Il i ot des boins chevaliers rendus ; si prisent consel entr'iaus et disent : « Nous avoumes guerpies noz ^ tieres et nos » amis, et sommes chi venu pour la loy Dieu i lever » et^ essauchier. Si sommes chi arresté pour boire et

1 . Pipino rappelle en un mot la création de l'ordre du Temple dans son XXV» livre : « Ordo Templariorum iisdem ferme diolius )) inchoat. » Et il ajoute : « De cujus prima institutionc scribitur » sub temporibus Henrici V. » (M. Col. 752). Il en avait en effet traité un peu moins sommairement dans le XIX^ livre, con- sacré aux événements contemporains du règne de l'empereur Henri Y. Partie inédite du ms. de Pipino. Bibl. de Modène., fol. 70 recto, liv. XIX«, ch. 21: De prima institutione ordinis Templa- riorum.

2. D. A. B : au Sépulcre. - 3. A. B. D. 4. A. B.

g CHROMQCE d'eRNOUL [U\S

D pour mengier et por despendre\ sans oevre faire; » ne noient ne faisons d'armes, et besoingne en est en » le tiere; et sommes obéissant à un priestre, si ne B faisons euvre d'ai^mes. Prendons consel, et faisons » mestre * d'un de nos, pai" le congié de no prieus, ki » nous conduieen bataille quant lius ^ en sera. »

A icel tans estoit^ li rois Bauduins. Si vinrent à lui, et disent : « Sire, pour Dieu, consilliés nous, qu'ensi » faitement avons esgardé à faire maistre de l'un de » nous qiu* nous conduie en bataille % pour le secours » de le tiere » . Li rois en fut moût liés, et dist que vo- 1 entiers i meteroit consel et aïe.

Adont manda li rois le patriarche et les ai^clieves- ques et les veskes et les barons de la terre '^, pour consel prendre. prisent consel, et s'accordèrent tuit" que bien est oit à fere. vint li rois, si lor donna tiere et castiaus et villes. Et tist tant li rois et ses consaus viers le prieus dou Sepucre qu'il les quita de l'obedienche, et qu'il s'en^ départirent; fors tant que de l'ensegne de l'abit del Sepucre^ em portent encore une partie. L'ensegne de l'abit dou Sepucre est une crois vermelle à deux bras, [tele le porte li Ospitaus'"]. Et cil del Temple le portent toute single viermelle". [Et si jeta li Ospitaus le Temple, et se li dona son reliet et l'ensegne c'on apele l'ensegne del Bauçant^^].

Or vous dirai pourquoy il ont à non Templier.

1. A. B. 2. A. B : magisfre. 3. D : quant lex. 4. D : rr- gnoit. Baudouin IL Cf. Guill. de Tyr, 1. XII, c. 7. 5. D. 6. A. B. D. 7. D. 8. D. A. B : se. 9. A. B : ke de l'abit del Sépulcre. 10. F. 0. 1 1 . C. E : portent toute omple viermelle. A. B : toute roge vermeille. D : tote vei^iele. 0 : tote oinple vermelle. 12. F. 0.

^^.^8] et de bernard le trésorier. 9

Quant il se partirent del Sepucre, il n'orent u manoir. Li rois avoit .m. riches^ manoirs en le cité de Jherii- salem : .1. en haut, à la Tour Davi; et une en bas, de- vant le Tour Davi; et le tierce devant le Temple, ^ Dex ^ fu offert. Chel manoir apieloit on le Temple Sa- lemon ^; c'estoit li plus rices. 11 proierent le roy qu'il lor prestast celui manoir, de ci^ qu'il en averoient un fait. Li rois lor presta celui manoir c'on apiele Temple Salemon \ dont il ont à non Templier, pour çou qu'il y manoient. faisoient il le past le Roy, quant il por- toit couronne en Jherusalem". Puis fîsent il .i. biaus et * rice manoir encoste, que li Sarrasin abatirent quant il prisent la cité, que se li rois vosist avoir le sien, que il i peussent^ manoir. [Ansi li Templier [furent ^'-] en avant apelé Templier ^^]

1. A. B. D. 2. D.— 3. A. B. G : devant le Temple Del.— 4.Voy. M. de Voixué, Le Temple de Jérusalem, p. 77, 99. Paris, 1864, in-fol.; Biblioth. de l'Ecole des chartes, série, t. lY, p. 385. _ 5- D : d'ici adonc. 6. D. 7. Jssises de Jénis., t. I, p. 31. Jean d'Ibelin. 8. A. B.— 9. D : qiril ipeust. 10. Fu- rent, omis dans les mss. M. A. B.

CHAPITRE III.

Cornent Esmauris fu roys.

SOMMAIRE.

1129. Mort de Baudouin IL 1131-1162. Règne de Foulques et de Bau- douin m. 1162-1163. Avènement d'Amaury 1". De Théodora, veuve de Baudouin ill. 1167. Le roi Amaury épouse Marie Comnène. 1163-1 164. Exjiédilion d'Amaury en Egypte. De la Mulaine ou visir d'Egypte, nommé Chaver. 1168. Nouvelle expédition d'Amaury en Egypte. Prise de Belbeis. 1157. Pèlerinage de Thierry d'Alsace, romte de Flandre. Sa femme reste eu Terre Sainte. 1153. Renaud de Chalillon, frère du seigneur de Gien, épouse la prinresse d'An- lioche. 1169. Amaury va au seconds de la Mulaine d'Egy7)te, attaquée par les Arabes de Syrie. Thoros II, prince d'Arménie, se rend auprès du roi Amaury à Jérusalem.

Atant VOUS lairons des Templiers, si vous dirons dou roy Bauduin et de s'ainznéc \ fille, qu'il avoit à marier. Li rois prist consel k ses hommes u il jioroit sa fille marier ^ qu'il le vorroit donner à tel homme, qui le règne puisi gouverner apriès lui'. Ses consaus li aporta que il avoit un haut ' homme en Anjo , qui

1 . D. F. 0: l'ainsnce. A. B: sa masnée. G : sa viaisnéc fille. 2. C. D. F. O. Ce commencement de phrase est omis dans A. B. 3.W^. B. D. - 4. A. B. D.

4 i 29] CHRONIQUE DE BERNARD LE TRe'sORIER. \ 4

quens estoit, et avoit à non Foukes. Li rois, par le coiisel de ses hommes, le manda et se li donna sa fille. Cil Fouques avoit eut femme, dont il avoit une fille. Celle fille ïu mainée al conte Thieri de Flandres ; celle i'u mère au conte Plielippe [de Flandres et le comte Mahiu de Bologne ^] et mère le contesse [Margarite^] de Hainau, qui mère fu le conte Bauduin de Flandres ^ et Henri d'Anjo, qui puis furent empereur de Constantinoble, et [mère le comte Phelipe, qui al vieu comte de Namur son oncle toli le comté de Namur, dont Hermesens fu desiretée^], et mère le roine [YsabeP] de Franche, qui femme fu le roi Phelippe et mère le roy Loeis. Et si ot autres enfans, que jou ne nommerai mie chi , ains vous dirai d'autre affaire *^.

Or vous lairons de ce ester \ si vous dirons de Fouke d'Enjou^ qui est en la terre d'Outremer. Or est mors li rois Bauduins^ Et Foukes et sa femme fu-

1. F. O. 2. F. 0. 3. Baudouin VI. 4. F. 0. 5. F.

G. Isabelle, femme de Philippe-Auguste.

6. Au lieu de cette phrase, qu'Us n'ont pas, F. et 0 continuent ainsi, après ces mots : « Et mère le roi Lois. Et fu mère le com- » tesse Yolens de Namur, qui fu feme le comte Pieron d'Auçuere. » Celé Jolens fu mère le comte Phelippe de Namur, et mère l'em- » pereur de Constantinoble, et mère Henri de Namur, et mère » l'emperéor Bauduin le darrain des oirs de Hainau, et mère le » comtesse Margarite de Viane , et mère le roine lolent de » Hongerie, et mère madame Ysabel de Montagu que li quens » Gauchers de Bar ot premiers, et mère madame Marie qui fu » feme Lascre, et qui est en la terre Vatache, et mère madamoisel » Lienor, et mère madame Agnès, le princesse de le Morée, feme » Joifroi de Vileharduin . Et ceste lolens ot une seror qui ot à » non Sébile de Bialgiu. Si ot ni. enfans : monsegnor Ombert de » Bialgiu et Guichart et le comtesse de Campagne. »

7. D. G : de ceste. 8. D. 9. Baudouin II mourut en 1131.

-12 CHROMQCE d'ernocl [H3^-<462

rent couronné en Jérusalem'. A cel tans estoit encore^ Escalonne vers les Sarrasins ^ Escalonne est une cités sourmer, à .xii. liues de Jherusalem.

Or avint cose que, al tans chel roi% ala li rois Loeys de Franche, qui pères fu le roy Phelippe, Outremer aveuc l'emperéour d'Alemaigne , qui avoit à non Fedrich ■'. Et alerent par tiere. Adont fu la grans famine en l'ost de Satelie"; s'i vendoit on .v. fèves'' .vu. de- niers^. Et teus i ot qui mangoient par destrece de faim " les tacons de leur solers'^ Li rois et li cmpereres alierent tant parlor jornées qu'il" vinrent en Jherusa- lem, et fisent lor pèlerinage. Quant il orent fait lor pè- lerinage, si prisent consel, et disent que, si haut homme (fue il estoient, ne retourneroient mie dessi que il aroiont aucune cose conquesté sour Sarrasins. Parlor consel assamblcrent les os de la tiere et acompaignie- rent aveuc le '- lor, et alerent asscgier Damas, et furent devant Damas; si gasterent la tiere entour et les gar- dins, mais à le cité ne fisent il riens. Car, si com on dist, li Templier et li Hospitalier en orent sommiers '^ cargiés de faus besans, pour chou qu'il en fisent l'ost retourner ariere '^ Et par lor consel, s'en retournèrent

1. D. 2. 0.— 3. (' : devers. A. B : de Sarracins. 4. A. B : al lans cel roy. C : au tens lo roi Forcon de Jérusalem. Ce n'est pas au reste sous le roi Foulques, mort en 1144, mais soûs Baudouin III son successeur (1144-1 163), que Louis Vil et Conrad passèrent en Terre-Sainte. Cf. M. Col. 766. Ghap. 126. 5. F. 0. M : Conrad.— 6. D. F. 0.— G : de Salade. A B : Sathelio. 7. A. B : feus. 8. A. B. G. D. F. 0 : i. denier. 9. D. 10. F. 0 : les chevaus quant il moroient. 11 . D. 12. D : les. 13. F. 0 : cameus. Ki.Pipino a oonipi'is tout le contraire de ce (jue disent Ernoul et Bernard: « Fertur enini quod » a Tomplariis ot Ilospitalariis soducti i'uerunt qui sihi sommarios » byzanliorum iaisorum oblulerant. » M. Ghap. 12G. Gol. 766.

-H 3^ -'l 1 G2] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 1 3

arriéres et vinrent en^ la tiere deJherusalem, et asse- gierent Escalonne. Et furent grant pièce devant ; et nient n'i fisent. Quant il ne porent nient 1ère, si se parti li os. Si prist li empereres congié, si s'en ala en Alemaigne par tiere. Et li rois Loeis entra en mer, pour venir en France.

Or avint cose, quant il fu sour mer, ke vens le fist ariver en l'isle de Sesille, à une cité qui a à non Pa- lierne ^ N'avoit encore gaires quant li rois ariva en l'isle de Sesille , que Crestiien l'avoient conquis sour Sarrasins. Li sires ki le conquist avoit à non Rogiers; si estoit sires de Puilleet de Calabre. Gis Rogiers estoit en Palicrne, quant li rois i arriva. Et ala encontre lui, quant il sot que li rois de France estoit arivés. Il li pria c[u'il se^ herbegast aveuc lui en son castiel ; et li roisiherbega volentiers^ Et il li fist tant d'onnour que li rois s'en loa moût durement.

Ains que li rois s'en parti, se pourpensa Rogiers d'une moût grant voisdie ^ Et vint au roi, si li dist qu'il alast aveuc lui, par tout son castiel et à son tré- sor; [et quan qu'il li plairoitpreist à sa volenté, comme le suen. Li rois ala adonc avé li à son trésor^]. Et cil li fist moustrer tous les biaus joiaus que il avoit ; mais ' H rois n'en vot riens prendre. Rogiers prist une cou- ronne d'or moût biele, si vint al roy, si li dist : « Sire, » se vous plaisirs estoit que vous me mesissiés ceste » couronne d'or en ma tieste, pour savoir comment » elle me serroit? » Li rois, qui n'estoit mie malicieus,

1. D. F. 0. A. B. C : s'en reloumereni en. 2. A. B : Va- lérie Palenie. 3. A. B. 4. D. 5. A. B : hoisdie. - 0. D. F. O. 7. AB.

44 cHROîïiQCE d'ernoul [^^3^-H62

pour l'onnour qu'il li avoit douné et ^ fête, ne li vot escondire, dont il fu moût dolans apriès. Il prist la couronne en sa main^ si li mist sour la tieste. Quant Rogiers ot le couronne en le tieste, il s'agenoulla de- vant le roi, si l'en mercia moût hautement, et dist que plus hausliom de lui ne le peuist mie avoir couronné. Quant li rois vit^ çou, si se tint moût à engignié, et prist congié, si s'en ala en France. Et li rois Rogiers le convoia jusques à la mer, et fist porter apriès lui grant partie desesjoiaus^

Or vous tairons chi '" ester, si vous dirons del roi Fouques, qui est en Jherusalem. Li rois Fouques tint la tiere en pais, tant com il vesqui, fors seulement d'Escalonne, que il ne pot avoir. Li rois Foukes ot deux tins, li aisnés ot à non Rauduins et li autres Amaurris. Quant li rois Foukes fu mors, si porta Rau- duins [III] couronne , et si manda en Coustantinohle à l'emperéour Manuel, par le consel de ses hommes, qu'il li envoiast une siue nièce pour prendre à femme, pour çou qu'il n' avoit nulle fille qu'il peust avoir. Et li empereres li envoia mult" volenticrs. Gelé ot à non Todoiaire, et si n'ot nul enfant del roi Rauduin.

Au tans cel roi Rauduin, fu Escalonne assegie; et si le prisent Grestiien sour Sarrasin. Quant elle fu prise, si le donna son frère Amaurri, et se li donna le conté de Jaffc'. Et à trois Mines d'iluec, donna les Templiers I. castiel (jui a à non Gadres^ Ghis castiaux fu Sanson \v fort, dont il abati le palais sour lui, quant se femme prist autre baron. Et à .11. liues d'illuec, frema

1. A. B. 2. D. 3. D: Oï.— k. Cf. M. Cliap. 120. Col. 7G7. h. D : De ce. G. A. B. 7. D : La conté de Japhcs. 8. D : ù IIII.— 9. M : « Jadres. » Gaza.

'^^3^-^^62] et de bermard le trésorier. ify

li rois .1. casliel c'on apiele le Daron K Gis castiaus est à l'entrée, si con on entre pour aler en Egypte ^

Amaurris, li quens de Jaffe, prist à femme le fille le conte de Rohais. Celé ot un frère qui ot à non Josse- lins, qui quens fu de Rohais apriès le mort son père. Si vinrent Sarrasins sour lui, si li tolirent sa terre. Lors ^ vous noumerai les castiaus et les cités qui en satiere estoient. Il i estoit^ Rohais cités, et Monfer- rant^ cités, et Cesaire li grans, et la Gamele% et Hamani, u sains Abrahans funés. Celle tiere est entre Antioche et Triple. En le marche de celle tiere, ont H Hospitelier .II. castiaus : si a à non li uns le Crac' et li autres le Mergat. Et li Templier .l.: si a à non li Castiaus Elans*. a grant guerre souvent de Crestiiens as Sarrasins.

Quant li quens Josselins ot perdue sa tiere, si vint en la tiere de Jherusalem au roi Baudouin ^ Et li rois li donna rente à Acre, à le caine,'" et tiere dehors Acre.'^ Ne demoura gaires apriès ke li rois Bauduins fu mors,' si ne demoura nus'^ hoirs de se femme. Si eskéi li roiaumes à son frère Amaurri, qui estoit cuens de Jaffe.i^

Or vous dirai de Thodoaire, qu'ele fist, li femme le roi Bauduin qui mors estoit '^ Elle ot Acre en douaire.

i. CD. F. 0. cf. ci-après, ch. 4.— A: Lexarum.^ B: Lacarum. M. « Ledaron. » 2. A. B : en la terre d'Egypte. 3. D: Or.— 4.D.— A. B. G: est.— h. D. F. 0.— G: Montferrax. Manque dans A. B.— 6. A. B. G : Camele.— D: La Chamele. 7. A. B. F. 0.— D : Le Crat.-G : LeCrarc.-S. A. B. F.—0:Chastel Blanc. 9. D. 10. D : à la haine. Y.O.àla chaaine. Sur les droits d'entrée du port, fermé par une chaîne. Assises de Jérus. t. II. 11. A. B : dona terre dehors Acre à la cheaine. 12. Baudouin III mourut le 10 février 1162 ou 1163. 13. A. B : gaires nus. 14. A. B : gt estoit quens. 15. D. Le bas du folio 3 de G, ovi se trouvent ces derniers mots, fournis par

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46 CHRONIQUE d'ernoul [^^62-^^63

vint .1. sien' cousins giermains de Gonstentino- ble% qui avoit à non Andrones^. Si s'entraînèrent tant qu'il l'enmena en tiere de Sarrasin , et laissa sen douaire, et qu'il le tint tant^ qu'ele fu morte. Apriès çou, Androines s'en râla en Goustantinoble. Quant li empereres Manuials '' sot qu'il fu en sa tiere, il le fist prendre et nietre en prison, pour le honte que il li avoit faite de se nièce '^. Et Androisnes meismes estoit ses cousins germains, et issirent de deus frères.

Or vous dirai' pour coi jou ai chi parlé d'Androine, pour çou qu'il fist le malisse par coi li François alerent en Goustantinoble et la^ prisent. Se j'ai tant d'espasse et de tans, jou dirai en quel point li malisses fu fais et comment.^

Or lairons de çou atant ester, et si parlerons d'Amaurri, qui (juens estoit de Jaffe, à qui li roiaumes eskéi de par son frère. Il manda tous les barons de sa

i)., ost déchiré.— A. B : Or vos dirons de Todoire, la feme le roy, che ele devint.

\. A. B. D : uns suens. 2. D. 3. D. 4. A. B. 1). Q : et. 5. A. B : Manoiaus, D : Manuyax. 0 : Manuel. M : « Emmanuel. » 6. A.B: mère. Erreur de copiste, non répétée précédemment. 7. F. 0 : Signor, or vos dirai. 8. A.B. D. F. 0.

9. Ernoul parle en effet plus loin et à diverses reprises d'An- dronic et des événements de l'empire de Gonstantinople, dans les passages dont Bernard lo trésorier a fait les chapitres IX«, XI* et XXXU" de sa chronique. Quant à Pipino , il mentionne très- sommairement ces circonstances dans son XXVe livre, parce qu'il en avait précédemment traité : « Sed litec historia, non hic pro- » sequitur, quum posita sit supra, suh temporibus Friderici primi.» (M. Col. 768. Script, ilal., t. Vil). On les retrouve assez ample- ment racontées au XXIF' livre de sa chronique, chap. 95, 96 et 97, dont Muratori a publié des extraits dans le tome IX de son Recueil (N. Col. 589 et suiv.).

^ 162-4-163] ET DE BER?SiUD LE TRÉSOBIER. \1

tjere, et pour porter couronne en Jherusalem. Il i ale- rent tout, et prisent consel entre iaus. Kt quant il orent consoiP pris, si vinrent à lui et disent : « Sire, nos » savom^ bien que vous devez estre rois^; et si ne » nous^ acordons pas en nulle lin que vous portés i> couronne, jusques à celle eure que vous serés de- » {>artis de celle femme que vous avés\ Car telle n'est » que roine doie iestre% de si haute cité' comme de » Jherusalem. » vint li rois, ki ne vot estre contre le consel de ses hommes ne de le tiere, si se de|)arti de li. Et quant depaiiis s'en^ fu, se le donna à un des bai'ons de se tiere qui avoit non Hues^ de Belin. Et quant il ot ce fait, si porta couronne. 11 ^^ ot .11. enfans de celle femme .1. fil et une fille; li tîus ot à non Bau- duins", et h fille Sébile. ^^

Quant Amauris ot porté couronne , il manda ses hoimnes et pour consel prendre, u il poroit femme prendre. Il li conseillèrent que en^^ nul liu près de lui ne se poroit si bien marier que à une parente'^ l'empe- réour Manuel de Goustantinoble, ne dont il euist si tost secours, ne aïue, ne de gens, ne de deniers.

Li rois, par le consel de ses hommes, envoia àl'em-

t. A. B. I). Ces quelques mots substitués ici d'àprôs A.B. D. correspondent au du fol. 3 de G. dont le bas est déchiré. Voy. p. 15, note 15.— 2. A. B. D.— 3. A. B. D.— 4. A. B : mais nos ne nos. 5. Agnès de Gourtenai, ûlle de Joscelin II d'Edesse, veuve de Renaud de Mares, et déjà fiancée en secondes noces à Hugues d'Ibelin, quand le comte Amaury l'épousa. 6. A. B : estre. 7. A. B. D. 8. D. G : se.— 9. D: Huon. Hugues d'Ibelin, fds de Balian I^"", souche de cette famiUe illustre. Hugues avait épouser Agnès avant son mariage avec le comte de Jaffa. 10. Amaury. il. Baudouin IV. 12. La reine Sibylle, qui épousa Guy de Lusignan. 13. D. G : que.~- 14. A. B : corn en la nièce. ¥. O : con à une parente.

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^s cHRONiQtE d'ernoul [^^63-^^64

pereur Manuel, en Coustantinoble; et si li manda que, se lui plaisoit, que il li envoiast le plus prochaine pa- rente qu'il avoit, qu'il le prendroit ta femme, et le feroit roine de Jherusalem. Li empereres en fu moût liés; si esgarda le fille au plus rice homme de sa tiere, et le plus hautapriès lui, qui ses cousins germains estoit. Cis avoit non Protesavasto^ Protesavasto, c'est à dire en françois « Sires devant tous les contes » . Celle da- moisiele avoit non Marie. Li empereres fist atourner nés et galies, et fist cargier d'or et d'argent et de dras de soie, et de gent, et les envoia au roi en Jherusalem aveuc la damoisiele. Quant il orent tans et vent ^, si se partirent dou port de Coustantinoble, et vinrent à Acre. Quant li nés fu arivée, se le fist li rois mener à Sur et li fist porter couronne. De celle roine ot une fille, qui ot non Ysabiaus^.

Or vous dirons dou roi Amauri, qui preudom fu et sages et bons chevaliers, et les aventures qui avinrent en son tans, tant com il vesqui. A .i. jour amassa ses os pour aler en le tiere d'Egypte, et si assega Damiete ^

A cel tans, n'avoit nul soudaii en Egypte, ains i avoit .1. siergant^ c'on apieloit Mulane". Cil de la tiere

1. D : Prothesavato. A. B : Protesavasto. 2. D, 3. La reine Isabelle. 4. C'est l'expédition de 1164. Guill. de Tyr. 1. XIX. c. 7. page 893. 5. A. B. D. F. 0 : sei(/nor.

6. M. de Slane veut bien me remettre la note suivante sur le mot Mulane et sur le ministre égyptien dont il est question dans ce chapitre et le chapitre VI«. Elle rectifie ce qu'en a dit Guil- laume do Tyr, 1. XIX, ch. 20, p. 014 : « Moula, en arabe, signifie B maîLre; luoulana veut dire noire maître. Le pernionnage ainsi j) désigné se nommait Chaver; il était vizir du dernier khalife » fatemide El-A'ded. Fait prisonnier par Saladin, il fut mis à

■1^64] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. iO

l'aouroient comme Dieu. Quant il avoit nul malade en sa tiere, si le portoit on devant son palais, si crioit on devant son castiel, et quant il les ooit, si venoit, si escouoit^ sa manche à une fenestre^; et quant il avoient santé, si creoient que c'esloit par lui. Cil Mu- lane n'estoit mie chevaliers, ne noient ne savoit d'armes; mais tant estoit amés et cremus^ que li uns n'osoit meffaire à l'autre. Tant estoit cremus qu'il tenoit bien son règne en pais des gens de la tiere, et c'om li apor- toit ses rentes de tote la terre ^ d'Egypte et d'Alixan- dre à son castiel, u il manoit, qui a non li Gahaire^, priés de la cité de Babilone. A son tans, ne savoit on nul haut homme el mont qui tel trésor euist asamblé com il avoit à son castiel, à Gahaire, fors seulement l'empereres de Constant inoble.

Celle Mulane, quant il oy que li Crestiien estoient entré en sa tiere, et qu'il avoient assegié Damiete, si manda au roi de Nubie qu'il le venist secourre ; et il i vint^ Et si manda, en le tiere de Damas, Sarrasins, qu'il venissent à lui en saudées ; et il i vinrent. Et quant li rois de Jherusalem dire que si grans gens venoient sour lui , si n'osa demorer ; ains se leva del siège, si s'en revint en le tiere de Jherusa- lem. Et quant li rois s'en fu partis dou siège, li Mu-

I) mort par l'ordre d'Aced ed-Dine Ghîrcouh, général de Nour ed- 1' Dine. Gela eut lieu l'an 1169 de J.-C. Voy. le Biographical I Diclionary d'Ibn Khallikàn, vol. I, pp. 609, 627; AhuJfedœ s Annales, tom. III, p. 609; Vita et res gestœ Saladini, éd.Schul- » tens, p. 33. Le traducteur de ce dernier ouvragé, écrivant ein » latin, représente le nom de CAauer par Schjau-ar. «

1. D : escooil.— 2. A. B. D.— 3. A. B: coneux.— 4. A. B. D. F. 0. ses rentes de la terre, omis dans C. 5. A. B: Cahaircs. D : Caiere. 6. A. B.

20 CHRONIQUE d'eRNOUL [^^68

lane * paia moût bien ses sodoiiers et moût largement donna as Sarrasins ki l'avoient secouru. Et lor donna encore plus assés qu'il ne lor avoit en couvent , tant qu'il s'en loerent. Et li Mulane les en mercia moût, et lor donna congiet d'aler ariere en lor tieres; et il si lisent.

Je vous ai parlé de la Mulane ^, mais or vous en lairai atant. Et, se jou ai tans et eure, je vous dirai ^ comment ^ il fu ocis en son castiel, à Caliiere.

Quatre ans apriès çou que li rois Amaurris '' repaira dou siège de Damiete, amassa ses os, et si râla arrière en le tiere d'Egypte, et si assega une cité qui a à non Balhaïs ^ Si le prist à force, et l'abati; qu'il ne le peut mie tenir, pour çou que il n'estoit mie sour mer. Car s'elle fust sour mer, il ne l'eust mie abatue, ains l'euist garnie. Ensi gasta la tiere, et tant ot ocis de gent à l'issue '' de la cité par deviers une aighe % que li cevaus d'un chevalier ne pot issir hors, des gens qui mort estoient, ains i fu mors. Quant li rois ot prise la cité, si enmena moût grant gaaing, si com d'or et d'argent, et de rikes dras de soie, et de biestaille, et de hommes et de femmes et d'enfans, çou que il en porent avoir de vis ; et ^ tant d'avoir com une mer- velle ^^ Si s'en retourna ariere en le tiere de Jherusa- lem, à tout son gaaing ",

Or vous lairons del roi Amauri'^ si vous dirons du

1 . C : Mulaua. 2. G : de Mulane. 3. A. B : Atanl vos loirai à parler de la Mulaine desi à une autre fois vos dirai. 4. A. B : (intrement. 5. A. B : Mauris. G. A. B. D: Belhais. Expùditiuii (le !IG8. Guill. de Tyr, 1. XX. Ch. 5 et suiv., p. 948. 7. A. B: à Vensue. 8. A. B. D : eve. 0 : par devers une cavée. 9. A. li. 10. A. B : corne merveilles. H. A. B. 12. A.B. D : deu roi Amauri qui est en Jérusalem en pes.

^457] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 2i

conte Ticri de Flandres \ qui le fille le roi Fouke ot à femme, et seur estoit le roi Amaurri. Li quens et se femme se croisierent et si alerent Outremer, en Jlie- rusalem.

Quant arivé furent, et li rois le seut, si ala encontre; si les reçut si hautement com on doit faire tel home come ^ le conte de Flandres, et se sereur ausi ^

Li quens et se femme' alerent en Jherusalem, etfisent lor pèlerinage. Et quant fait l'eurent, la contesse ala en Betanie sejorner et reposer^ aveuc l'abesse, quiante estoit son frère. Et li quens cevauça et séjourna aveuc le roi. Quant li cuens eut esté en le tiere tant com lui plot, il ala en Betanie à la contesse se femme, si li dist : « Dame, atirés vous, si nous en rirons ariere, » en Flandres. » Et la dame li respondi que se ^ Dame Diu venoit à plaisir \ qu'en Flandres ne retorroit ele ' jamais, ne la mer ne passeroit. Ne onques pour proiiere que il seust fere, ne li vot otriier qu'ele se partist de la tiere, ne qu'ele s'en remuast ^ Quant il vit qu'il n'en venroit à chief % si vint au roy et au pa- triarche, si lor dist qu'ensi estoit ^^ que se femme ne pooit gieter d'ileuc pour riens que il seust dire ne fere. Si lor proia qu'il alaissent à li et tant fesissent, se il pooient, qu'il l'en peuist remener arrière en Flandres.

Atant il alerent et il aveuc aus. Et quant elle sot que il venoient à li, elle vint à l'abesse, si li demanda les dras pour estre nonne; et l'abeesse li donna. Quant

1. Thierry d'Alsace, comte de Flandres, épousa Sibylle, fille de Foulques, comte d'Anjou, roi de Jérusalem. 2. A. B. 3. A. B. 4. A. B. 5. D : que s'a.— 6. A. B : plaisait.

7. D. A.B:gw'eji Flandres n'enlreroit ele. Çi-.n'entenroit ele.

8. F. 0 : s'en revenist. 9. A. B : vendrait chief. 10. A. B.

22 CHRONIQUE d'eBNOIÎL [H53

vinrent pour parler à H, si trouvèrent que elle avoit les dras viestus, si en furent moût dolant. Li patriar- ches vint à li et li dist que çou ne pooit elle faire, puis que ses sires ne le veut\ Elle pria le patriache et le roi que pour Diu [)roiassent le conte qu'il li laissast ; il li proiierent, et elle meismes l'en ^ caï as pies, et li cria merchi et que pour Dieu le laissast illeuc pour sa peni- tance faire, que ellen'i demouroitpas pour mauvesté, se pour penitance non ^.

Li quens, quant il vit çou, si fu moût dolans, et si en ot grant pité pour le bonté de li, et par le proiiere dou roi et dou patriache li donna congié del demourer. Elle demoura, et li quens prist congié à li et au pa- triache et au roi, si s'en revint en Flandres. Ne de- moura puis gaires qu'il fu mors, et Phclippes ses fins ' fu quens de Flandres. Or fu la contesse nonne et sainte vie mena. Si vint l'abesse et les nonnains si proiierent pour Diu à la contesse que abeesse fust en son liu, (ju'els n'i voloit plus i estre. La dame li res- pondi que, se Diu plaist, abeesse ne seroit elle ja; qu'ele n'estoit mie rendue pour estre abeesse, mais pour i estre desciple.

Or vous lairons de la contesse de Flandres à parler % si vous dirons d'un chevalier, frère au signeur dau Gien sour Loire ^, quiot non Rainaus, s'ala outre mer.

[. \) : ne le vuele. F. 0 : ne le volist. 2.0: s'en. 3. Tout le paragraphe précédent, fourni par CD. F. O. manque dans A. B. i. A. B : ses frères. 5. D.

6. A. B : del Gien sot Loire. D : deu Gien sor Laire. M : « Hic enim Raynaldus fuit natione .Francigona, fraler domini del » Gcu sur Luire, x Gh. ISî. Col. 770. Pipino suit ici Bernard le trésorier plutôt que la version française de Guillaume de Tyr. Cf. Liv. XXVII. Chap. 2G. Pag. 802. '

^^69] ET DE BERNARD LE TRESORIER. 23

A cel tans qu'il tu arivcs, fu li princes d'Audioclie mors; et si demeura sa> femme .i. siens fîex petis, qui ot non Buiemons. Li rois de Jlierusalem parler de cel chevalier qui arivés estoit, et qu'il estoit^ de Franche nez, et haus hom et bons chevaliers. Si se pensa qu'il li donroit la princesse d'An- tioche à feme ^ qui s'ante estoit, pour sa tiere gar- der et gouvrener, et pour son cousin qui enfes es- toit. De çou prist il consel à ses hommes, et si homme li loerent. Si le donna au chevalier, et il le prist, et es- pousa. Et fu cis apielés princes Renaus''. Dont nous vous dirons, se nous avons tant d'espasse et de tans, lesoevres que il fist et comment il fu mors. Ne onc puis ^ que il fu princes , ne viesti drap de soie ^ de coulour, ne de vair, ne de gris.

Or vous tairons atant del prince Renaut, et si vous dirons de la Mulane de Babilone, que il avint des Sar- rasins ' de Damas qu'il avoit mandés en saudées pour secourre Damiete, que li rois de Jherusalem avoit asegie ^ Li sodoiier, apriès çou que il furent re- tourné de le Mulane, assamblerent autres gens aveuc eus, et vinrent en le tiere d'Egypte sour le Mulane, et prisent grant partie d'Egypte, si com Alixandre, Da- miete et autres tieres assés.

Quant li Muîane^ vit que li Sarrasin li toloient sa tiere, si manda le roi de Jherusalem, qu'il le secourust

i.T) : àsa. 2. A. B. D. 3. A. B. 4. D : Princes Rainaus d'Entiocke. Renaud de Chatillon épousa Constance d'An- tiochc en 1153. Guill. de Tyr^ p. 802. A la mort de la princesse, il se remaria avec la dame du Crac de Montréal. 5. A. B. D : Car puis. G : Ne puis. 6. A. B. 7 . D : et des Sarrasins. 8. Guillaume de Tyr complète et rectifie le récit suivant. Liv. XX. Gh. 14 etsuiv. Pag. 962. —9. A : Liamulaine.

pour Dieu '; et que, se il le pooit secourre, il tenroit se tiere de lui, et se li donroit cascun an grant tréu ^ de reconnissance; et puis le premier jour que il mouve- roit pour lui secourre, il averoit cascun jour .M. besans pour son cors; et cascuns de ses barons, selonc çou qu'il estoit haus hom, besans ^ à l'avenant; et cascuns chevaliers et serjanz *, selonc çou qu'il i ert ; et che- vaus^ et tout le despens de l'ost à sen coust; et toute le viande de sa tiere abandonnée,

Li rois en prist consel, et ses consaus li aporta qu'il i alast; maisançois fesist trives à soutans^ de Damas. Quant il ot fait trives, il garni ses castiaus et ses cités et toute la tiere, qu'il ne s'osa mie bien fier es trives.

Quant il ot çou fait, il assanla ses os, si s'en ala en Egypte et assega Damiete et le prist. Che fu la pre- mière cités que il assega. Apriès, si prist Alixandre, et si reconquist toute la tiere que li Sarrasin avoient conquise sour le IMulane, et si en caça les Sarrasins.

Dont vinrent li archevesque et li eveske, et li baron de l'ost, si prisent consel ensamble. Et vinrent au roi, si li disent : « Sire, faites le bien, envoiiés en France, » en Engletiere, et en Alemaigne, et par toute cres- » liienté, et faites savoir " que vous avés ceste tiere t> conf(uise, et que on vous envoit ce secours que vous » le puissiés pupler, » Et li rois respondi (|u'il n'en feroit nient; que ja, se Dieu plaist, reprouvé ne li seroit à lui ne à ses^ hoir (jue il mauvesté ne traïson euist

1. Cf. Pipino. M. Chap. 30. Col. 769. 2. A. B : ireuage.— 3. A.B : si com il estoit haus i. hesant. (pour haus hom).— 4. A. B. 5. A. B. 6. A. B : au soudain. L : au sodan. 7. A. B. D. 7. A. B. D. G : son hoir.

-Ilfi;»] ET DE BERNARD LE TRESORIER. 25

fête envers nul homine de! monde, Li evesque et li archeveske disent que il en prenderoient le pecié sour aus, et l'en leroient asaurre à l'Apostole. Li rois dist que pour noient en parloient, que il n'en feroit nient.

Apriès çou, vint à la Mulane pour prendre congié. Et li Mulane l'en mercia hautement del bien et del se- cours qu'il li avoit fait. Et se li creanta à envoiier cas- cun an .XX. mil besans à Acre pour le secours que il li avoit fait; et il li envoia tant com il vesqui'. Apriès si li fist paier des journées que il ot faites, puis que il mut de la tiere de Jlierusalem , et tant com il fu en la tiere d'Egypte, et tant com il mist à râler arriéres ^ en le tiere de Jlierusalem ; et assés plus k'en convent n'ot, à lui ne à toute s'ost. Li rois s'en retourna en se tiere, et tint son règne en pais tant com il vesqui.

Or vous dirai dou ^ signeur qui fuen Hermenie, qui ot à non Thoros ^ Ce ne fu mie d'Iermenie le grant, u li arce Noé est, ains est d'une lermenie ki est entre Antioche et le Coyne ^. Cil Thoros se croisa et ala en Jherusalem. Quant li rois l'oï dire, si manda par toutes ses cités et ses villes, c'autressi grant honnour li fesist on ^ com son' cors meismes. Et il lisent bien le commandement le roi sans contredit.

1. A. B : Et il li envoia tant come il vesqui chascun ans xx.™. besans de reconoisanre et d'oumage. 2. D. C : ariere à râler. 3. A. B. D: r/'wn.

4. Cf. le chap. 131, liv. XXV de Pipino. Dans M. col. 770.— 11 s'agit ici de Thoros II, fils de Léon I", prince d'Arménie, mort en 1167 ou M68. Nous avons dit que ni Guillaume de Tyr, ni les chroniques arméniennes ne parlent du voyage qu'il aurait fait à Jérusalem.

5. Iconium. 6. A. B : li fist-si-hom . 7. A. B. D : com à son cors.

CHAPITRE IV

Les Cités et les Chastians qi apendent au roiaume de Jherusalem.

SOMMAIRE.

Du royaiiine ilo Jérusalem cl do la principaulé d'Anlioche. Vers 1164- 1166. Séjour de Thoros d'Arménie à Jérusalem. Ses propositions au roi Araaury I". "Vers 1176. Le prince Renaud de Chatillon, veuf de la princesse d'Anlioche, épouse Stéphanie, dame du Crac de Montréal. 1 173. Mort (lu roi Amaury I". AvcnemcnJ de Baudouin IV ou Baudouin le Lépreux. 1177. Démêlés de Pliili])pe, comte de Flandres, et de I<audouin d'ibclin, au sujet du mariage d'Isabelle, sœur du roi Bau- douin. Philippe se retire à Anlioche.

Li première cités par devers Antioche del royaume de Jherusalem, si a à non Baruth. Apriès BarutliS si est la cités de Saiete, .ix. Hues. Après Seete, si est Sur, à .vu. liues^] Apriès Sur, si est Acre, à .ix. liues. Apriès Acre, si iest Gesaire, à .xii. liues. Apriès Cesaire, si est Jaffe % à .xii. liues. Apriès Jaffe, si est Escalongne,

1. Cos prpmiors mots, omis flan.«5 A. B. 2. D. F. 0. La phrase est omise ou défigurée dans A. B. C. 3. D. F. 0. Si i est Cesaire à xii. liues. Apriès Cesaire si est Jcfffe. Tout ce passage omis dans A B.

4464-4 -166] cHBomQCE de Bernard le trésorier. 27

à .VIII. lius^ A .VII. liues ^ d'Escalongne, si est par deu- vers Egypte ^ Aprics Escalongne, si a un eastiel, à .v. liues, c on apiele le Daron. Tant dure li roiaumes de Jherusalem de lonc par deviers le marine. Et u li roiaumes est plus lés, n'a il mie plus de .xxii. liues^ Et si a tel liu u il n'a mie .ii. liues de lé; c'est par de- viers Antioce. La tiere de Triple ne d'Antioce n'est mie dou roiaume.

Or vous dirons de Thoros de la Montaigne, qui sires estoit d'Ermenie. Quant il vint en Jherusalem, li rois i ■' ala encontre, et grant hounour li fist \ Cil Thoros merchia moût le roi de l'hounour que il li avoit faite et c'on li avoit faite par toute sa tiere, pour l'amour de lui. Quant il ot fet son pèlerinage, devant çou qu'il s'en ralast ariere en son pais, si vint au roi, si li dist : « Sire, Dius vous rende gueredon de l'ounour que j> vous m'avés fête; et je vous en renderai grant gue- » redon, se vous volés.

» Sire, dist Thoros au roy ', quant je vinç parmi » vostre tiere, et je demandoie des castiaus cui il es- » toient% li uns me disoit : « C'est del Temple »;H » autres : « De l'Hospital »; [l'autre : « De Monte a Syon^D .] Si que jou ne trouvai ne eastiel, ne cité, [ne

1. A. B. A : \iii. Uns, omis dans G. D. 2. F. 0 : àviii. liues. 3. Cette phrase, la limite du royaume vers l'Egypte est marquée, manque dans A. B. D. 4. G. F. 0. A. B. D : XII. liues. 5. A. B.

6. Le silence des anciennes chroniques latines et arméniennes sur le voyage de Thoros à la cour de Jérusalem, ne suffit pas pour l'infirmer. Il put avoir lieu de 11G4 à 1166 ou 1167. Pipino consacre un chapitre entier à ces événements (M. ch. 131. col. 770); mais il n'en parle que d'après Ernoul et Bernard.

7. A. B. _ 8. D. A. B : qice estaient. 9. F. 0.

28 CHROMQDE d'ernoul [^^64-^^66

» viles ', c'on deist^] qui fiist vostre, ne mais seule-

» ment .m., mais tout à Religion. N'en tout ^ vostre

» viloi^ n'a se Sarrasin non, fors es castiaus. Sire,

B dist Thoros au roi, or m'entendes, et me dites

» vous prendés siergans , (juant Sarrasin viennent

» sour vous? Et li rois respondi que il les liuoit ^ de

» ses deniers. « Et les prenés vous?''» fîst Thoros;

» car jou ne voi mie les rentes, dont vous puissiés

x> ost tenir.» Dist li rois : « Jou les emprunte^ tant

» com jou puisse mius fere.» « Sire, dist Thoros, je

j> ai grant pitc de vous et de la tiere; car vous n'i êtes

3> rois, se tant non com li Sarrasin vorront; vous n'en

» iestes se garde non, tant com il vorront. Et si

» vous dirai comment. En toutes les villes de vostre

» tiere mainent Sarrasin**; si sevent tous les destrois

j> de vostre tiere et tout l'afaire ensement^ Se ç'avient

» cose que ost de Sarrasin entre en vostre tiere , il

» ont " l'aïue et le consel des vilains de vostre tiere et

» des viandes et d'iaus meismes. S'il avient cose que

» Sarrasin soient descontit, vos gens meesme les

B metront^^ àsauveté; et se vous iestes descontit, ce

» sont cil qui pis ^^ vous feront, vo vilain meismes.

» Pour ce di jou, fait Thoros, que vous n'iestes se

D garde non de vostre tiere, se tant '^ com li Sarra-

» sin voiront. Pour l'ounour que vous m'avés faite et

» pour çou ke je voi que grans mestiers seroit à la

1. F. 0. 2. A. D. 3. n.- D: N'entovr. /(. A. B. D : vos vilois. 5. A. B. D : looit. 6. A. B : Et prendrées l'avoir f 7. A. B : >renprcnl . 8. D : n'a se sarrazin non. 0. A. B. 10. A. B : s'il avint chose qe ost. D: 5e ce avient. G : que que os. 11. A. B. D. 12. F. 0 : les conduie. A. B : conduira. 13. A. B : noianz. 14. C : se tant non.

^^64-^^^)6] et de bernard le trésorier. 29

» tiere, je vous eiivoierai .xxx. mil hommes de ma D tiere, à toutes lors maisnies, ti'estous armés, pour » vostre tiere garder et peupler de crestiiens, et pour » garnir, et hoster les Sarrasins^ de vostre tiere. Si î> que, cestpremier an, vousen envoierai .xv. mil, et » es autres .11. ans apriès, .xv. mil. Se vous ensi avés » garnie vostre tiere de Crestiiens, si pores estre sires » de vostre tiere et de vo roiaume. [Se Sarrasins en- » trent en vostre terre, et vos fêtes savoir partuit par » voz viles que les ,.ii. pars de vos genz viegnent à vos » à armes , et la tierce demort , landemain porroiz » avoir .xx. ™. homes à armes. Ne vous coûteront un » denier, et si porront li destroit de vostre terre estre » gardé ^ deu remanant des autres. S'il avient chose » que li Sarrasin soient desconfit, il les couvenra » passer parmi çaus qui sont demoré por la » terre garder, dont nen porront li Sarrasin tuiant » eschaper qu'il ne soient ocis et retenu au destroiz » vostre terre. S'insinc vostre terre^ est garriie de » Crestians, jamès ne troverez ost de Sarrasin qui en » vostre terre entre. En ceste manière porrez estre » rois et sires de vostre terre \ r>]

Li rois le merchia ^ moût durement de la proumesse que il li avoit fête. Si manda li rois le patriarche et les archeveskes et les eveskes et les barons de sa tiere en Jherusalem, pour mercier le signeur d'Ermenie de le proumesse que li avoit faite, et pour atirer le us et les coustumes par coi on les mainterroit ; car li sires

{. I) : et por oster les païens. A. B : ostoier. 2. A. B : demourer garni. 3. A. B. 4. Se Sarrasins entrent, etc. Ce lon£ç passage, qui manque clans C, se trouve dans A. B. D, F. O, Nous donnons le texte de D. 5. C : merchie. D : mercia.

30 CHRONIQUE d'emoul [<464-4<66

d'Iermenie voloit savoir comment on les mainterroit, ançois qu'il les envoiast hors de sa terre.

atira li rois et si baron que as us et as coustumes que li Sarrasin i estoient ^ les tenroit on; fors tant que se li rois ^ avoit mestier qu'il ^ les menast en l'ost, que il les y menroit. Encontre çou fu li clergiés. Et disent^ qu'il vorroient avoir les dimes d'iaus, pour çou que Crestiien estoient, dont li Sarrasin ne paioient nulle. Quant li sires d'Ermenie çou, si dist que •' par tel convenant ne venroient il mie en autrui tiere pour estre serf; mais s'il, as us et as coustumes que li ba- ron avoient estoré et que li Sarrasin estoient, les voloient tenir, il les i envoieroit, et autrement nient °. Ne onques à ce ' ne le pot on fere le clergié otroiier, s'il n'en avoient les dismes.

Dont vint li sires d'Ermenie, si prist congié au roi, si se retourna en sa tiere ^ Ne vesqui waires puis que il fu repairiez % ains fu mors ^^ De lui demoure- rent doi fil; li ainnés ot non l\upins et li autres Lyon. Celé tiere tenoit on adonc de le princeé d'Antioche, mais or ne l'en " tient on mie. Mais se jou ai tant d'es- passe et de leu^% je vous dirai comment il le perdi, et comment il y ot roi couronné, qui on(}ues mais n'i avoit esté ^^

Atant vous tairons dou seigneur d'Ermenie à par- ler^% si vous dirons dou prince Renaut d'Enthioche^^

1. A. B : (/estoient. 2. A. B. D. 3. D : avoit mestier d'aidé quHl. 4- D : car il distrent. 5. D. F. 0. 6. D : non. 7_ I), 8. M : « Et sic Glericis in sua pertinacia persistentibus, r princpps proposito mutato discnssit. » Cliap. 131. col. 770. 9. l). m. Kn llf.7 ou 1108.— W. \). C: le. 12. A. B.D. 13. Voy. ci-après, cliap. XXIX*. li. A. B. 15. D.

^^73] ET DE BERNARD LE TRESORIER. 3l

En celle tans \ fii li princesse se femme morte; et ses fiUastres Buiemons fii princes ^ Si li estut la liere lais- sier, si s'en ala au roi de Jherusalem; et li rois le retint. Ne démolira gaires apriès que li sires del Crac e de Monroial ^ fu mors. Et pour çou que li'' princes Renaut avoit bien gardée la tiere d'Antioche et que boins che- valiers esloit % li donna on la dame del Crac et de Mon- roial à famé ^ La dame del Crac avoit .11. enfans de son premier baron : .1. fil et une fille. Et del prince Renaut n'en ot elle nul. Li fille fu mariée à Rupin, qui sires fu ' d'Ermenie, et fu fins Tliorot. Li fins demoura aveuc le mère, si ot non Hainfrois. De cel Hainfroi ^ vous dirai jou, se j'ai tans et eure, qu'il fist, et quel vie il mena, et qu'il devint.

Or ^ vous tairons atant de Hainfroi, si vous dirons del roy Amaurri, cui "^ maladie prist de la mort. Il manda ses hommes, et lor " pria et commanda que son fil Bauduins, qu'il avoit eut de le fille le conte de Rohais, qu'il en fesissent roi et porter couronne. Et il li otriierent. Et li rois donna Nappes en douaire à le roine se femme, qui avoit à non Marie, et dont il avoit une fille qui avoit à non Ysabiaus. Ne demoura puis gaires que li rois Amaurris fu mors. [Cil Amaurris

1. A. B : en cel point. Voy. ci-dessus, p. 23. 2. Vers H 03. '—3. A.B: Del Crac et del MontroiaL—D: del Crac et de Montréal. Le Crac de Montréal au S. de la Mer Morte. Cette terre avait été d'abord du domaine royal. Le roi l'échangea contre Naplouse avec Philippe de Milly. Assises, t. II, p. 462.— 4. A. B. D.- 5. A. B : nosa estoit.— 6. A. B. Vers 1176. Stéphanie, dame du Crac, était veuve du Connétahle Humfroy II de Toron. 7. A. B : estoit, ~- 8. Ilumfroy III. 9. Cf. M. chap. 133. col. 771. 10. A. B. - G : qui. 11. A. B. D.

â2 CHBONiQUE d'ernoul. [^^73-'H77

régna .xill. ans'.] Quant il fu enfouis, si fist on de Bauduin son fil roi, et porta couronne.

Mais ançois qu'Amaurris fustmors, vous avoie ou- bliet à dire que il avoit un seigneur à Tabarie, qui castelains avoit esté de Saint Orner, et la dame de Ta- barie avoit à t'emme. Si fu mors, si l'en demourerenl .11 II. fil. Quant li sires de Tabarie fu mors -, li rois donna ^ le dame de Tabarie au conte de Triple, qui Rainions avoit à non, et esloit cousins germains le roi de Jherusalem.

Or ^ vous lairons atant del conte de Triple ester, dessi que tans et eure sera que nous en parlerons. Et dirons del roi Bauduin qui porta couronne, ki jouenes enfes estoit, cjuant il le |)orta. Cil rois Bauduins n'ot oiKjues femme, ains fu mesiaus ; et tint bien la tiere, tant com il vesqui, à l'aïue de Diu et de ses hommes.

A cel tans que Bauduins fu rois, se croisa li cuens Phelippcs de Flandres , qui ses cousins germains estoit, et ala outremer. Et enmena aveuc lui l'avoé '" de Bietune °, et chevaliers assés. Quant il vinrent ou- tremer', li rois et li baron de le tiere orent grantjoie de se venue; biele ciere^ li fisent. Et bien cuidoit avoir grant aine et grant confort de conquerre sour Sarra- sins, quant il fu venus. Dont ^ manda li rois tous ses

l. F. 0. 2. Si l'en demourerent , etc., manque dans A. B* = 3. C : li donna. D : li rois Amaurris donna, 4. Cf. M. ch. 134. col. 771. 5. A. B : Ze d-orae. 6. A. B : Betune. D : Be- tume. « Advocatus de Betuna », dit Guillaume de Tyr (XXI. 15 et suiv. p. 1029, 1033) ne se trouvent pas tous les détails qui suivent. F^ipino les reproduit d'après notre chronique. M. ch. 134. 7. D : Quant il furent en Jei^saîem venu. A.B: Qant il furent venu. S.A. B : hele acuilelc— F. O : bel recoilloit. 9. A. B : lors.

<477] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 33

barons et tout le consel de le tiere de * Jherusalem. Quant assamblé furent, et li quens Phelippes aveuc, pour fere ost et prendre consel pour aler sour Sarra- sins, dont vint li quens Phelippes au roi, voiant tous ses hommes : « Sire, dist il, vous avés une sereur, je » veul que vous le me donnés aveuc l'avoué ^ de Bie- » tune qui mes cousins est, et boins chevaliers; si r> r avéra à femme. »

Dont ^ vint uns des barons de la tiere avant , qui avoit à non Bauduins de Belin, qui départis estoit de se femme qu'il avoit, pour çou qu'il beoit * à avoir celle damoisiele à femme. Et dist au conte de Flan- dres : « Sire quens, estes vous venus en ces pais pour » mariage faire? Nouscuidiens que vous fussiés venus » pour le tiere aidier à consillier et pour acroistre et » pour aler sour Sarrasins , et vous parlés de mariage ! » Lirois n'est ore mie consilliés de mariage faire. Mais » se vous voliés venir en ost ^ aveuc le roi et aveuc » nous, sour Sarrasins, et Diex donnoit que nous » conquestissons sour Sarrasins, et nous reparissons » sain et sauf, et vos parliés " le roi ' de mariage » faire, li rois en seroit bien tost ^ consilliés. »

Dont vint li quens de Flandres, si se coursa et dist que plus ne demourroit en le tiere de Jherusalem^ Si prist congié au roy et s'en ala en Antioche. Si mena

1. A. B : en. 2. A. B : avec le viaire deBetune. D: Je vuel que vous la me doignoiz à l'avoé de Belune. M : « Leoino cogno- mento de Betune. » Gh. 134. col. 771. 3. A. B : Lors vint. Avant le commencement de cette phrase , les copistes de A. et de B. ont écrit par erreur ces mots : si dist au conte, qui appartien- nent à la phrase suivante et qu'ils auraient effacer ici. 4. F. 0 : vaoit. 5. A. B. D. 6. G : et la parliés. —U : et vos par- lésiez adont. 7. P. 0. 8. D. G : bien. 9. D.

3

34 CHROMQrE d'eris-oul [H77

aveuc iui le conte de Triple, [Raimon, qui cousins ger- mains estoit lo roi Amaurry qui fu,'] et chevaliers assés de la tiere, tant qu'il ne demoura mie el roiaume de Jherusalem, ne au Temple, ne à l'Ospital, ne au siècle plus de .Y. c. ^ chevaliers. Adont demoura Ro- biers de Bove ^ aveuc le roi.

Or vous dirai dou conte Phelippe , quant il vint en Andioche qu'il fîst. Il prist consel au prinche Buye- mont * et au conte de Triple , u il poroient aler guer- roiier sour Sarrasins. Et consaus lor porta qu'il allais- sent assegier .1. castiel qui à .v. Hues d' Andioche iert% et a à non Hierench ^ Il l'alerent assegier; et longhe- ment i sisent, et si nel prisent pas. Mais ançois que je vous die comment li quens Phelipes ^ s'en parti, or vous dirai comment la Mulane, sires d'Egy})te% fu mors, et comment il perdi sa terre ^.

1. D. 2. D : ce. 3. D : lioheri de Boves. 4. 1). . 5. D. 6. A. B. D : Heranc. F. 0 : Herenc. M : « oppidum He- ranae. « Guillaume de Tyr : castrumHarenc. liv. XXI. cli. 19, p. 1036. 7. D. 8. D. 9. A, B. D. F. 0.

CHAPITRE V

Cornent Saladins fii rechate% de jmson.

SOMMAIRE.

1167. Commencements de Saladin. Prisonnier des Chrétiens ;\ Montréal, il est racheté par son oncle. 11 projette U conquête de l'Egyple. Croyance populaire à une prophétie. Saladin assiège le Caire.'

Il avint à Damas qu'il i ot .1. prouvost ^ Sarrasin, qui moût rices estoit de grant meule K En le tiere d'Egypte avoit esté as sans ^ la Mulane , et puis i avoit esté pour le tiere conquerre, qant li "^ rois Amaurris le rescoust. Quant li rois Amaurris fu mors, si se pensa, cil prouvolz", que il iroit la tiere conquerre d'Egypte.

Il avoit .1. sien neveu" en prison au GracdeMon- roial, qui pris avoit esté au repairier^ qu'il fisent, quant

1. Cf. M. chap. 135. col. 772. 2. A. B : i. prestres.—F. 0 : provost. M : « praepositus. » Schircou, ou Siracon de Guillaume de Tyr. 3. A. B. D : mueble. 4. F. 0 : as sous. A. B : à sos. 5. A. B. D. F. 0.— C : et.— G. D. 7. A et B donnent ici un commencement de phrase, se trouvent quelques mots em- pruntés à la suite du chapitre et qui n'ont aucun sens : il avoit I. au chasiel à la porte del palais, etc. 8. D. C : au repair. F. O : al repair. A. B : aw reparier.

30 cnRONJQiE d'ernoul [H67

li rois Amaurris Jes cncaça de la tiere d'Egipte '. Il se pensa que il le racateroit, et qu'il l'ennienroit aveuc li, pour çou qu'il estoit larges et courtois, et moût amés de Sarrasins. Il manda au signeur del ^ Crac qu'il le ^ mesist à raençon, et il le racateroit volentiers. Et li sires del Crac si fîst', et en rechut l'avoir que chis li envoia. Quant il fu '* hors de prison, si pria au si- gneur dou castiel que il le fesist chevalier fran- çoise^ Et il si fist*^.] Puis fu li Sarrasins sires dou castiel.

Or vous dirai comment il ot non et qui il fu. Il ot non Salehadins. Li nous Salehadins, çou est à dire en françois : « C'est li sires qui euvre pour le loy. » Cil Salehadins est cil dont on parla tant par le mont, qui conquist Jherusalem. Mais ançois que je vous die com- ment il conquist la tiere de Jherusalem, vous dirai comment il conquist le roiaume d'Egypte et .v. roiau- mes sour Sarrasins apriès, et comment il ocist le Mulane.

Quant il fu hors de prison, Salehadins, et il fu fes chevaliers, il prist congié au signeur del Crac, si s'en ala à Damas, à son oncle, qui racaté l'avoit; et ses on- cles fîst de lui grant fieste. Quant il fu venus, si pren- dent ensanle consel d'aler en le tiere d'Egypte. Et Huè- rent' chevaliers et siergans, et fisent ost, et alerent en le tiere d'Egypte, et assegierent le Mulane en son cas- tiel, au Cahaire. Ne demoura gaires, puis qu'il Forent assegié, que li prouvos de Damas fu mors, qui l'ost y avoit amenée. Si demoura ses avoirs et çou qu'il ot à Salehadin.

1. D.~ C, ici et plus Las, de Crac— 2. A. W. D.— 3. A. B. D.

4. A. B. D. 5. F. ().— n. D.— Y.O -.et il le feisl chevalier.

7. I) : lûiercnt. O : louèrent. A. B : liurerent.

i \ 67] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 37

Ançois que je vous die plus de Salehadin, vous dirai- jou d'une prophesie que H Sarrasin avoient au castiel del Cahaire. Il avoit el castiel, devant le palais, à le porte le ^lulane, .il. destriers enselés et enfrenés, et apparelliés de monter sus. Tous jours i estoient, et par jour et par nuit. Je ne di mie qu'il i fuissent se par remuiiers non': cil qui i estoient le jour, ni estoient mie le nuit; car cil qui estoient le jour, il couvenoit que il mangassent le nuit, et cil qui par nuit i estoient, mangoient le jour; qu'il ne pooientmie mengier ^ les frains es bouches.

Or vous dirai des chevaus, pour coi il estoient là. Lor prophesie disoit k'uns hom isteroit de tiere ^ qui auroit non Ali, et monteroit sour ces cevaus, et seroit sires de toute Paienie et de partie de Crestiienté '*; et par tout le mon iroit sa ^ renonmée.

Or vous tairons atant de ce, si vous dirons de Sale- hadin qui le Cahaire avoit asegié. Il se pensa d'une grant voisdie ^ comment il poroit cel catiel avoir; cai% par avoir que il euist ne par gent nulle, ne le poroit ■^ il mie avoir à force. Et se pensa que se il avoit cel castiel, il averoit legierement ^ toute la terre d'Egite^ Adont manda dusques à .XL. des meillors et des plus preus siergans que il avoit, et lor dist à consel que il s'armassent par desous les dras ", et ^^ euissent les coutiaus aguz ^^ as cuisses loiiés , et

1. D: remuer.— F. 0: rermders.— M: « fiebatque equorum ipso- » rum vicissitude continua.»— 2. A. B.D.— F. 0: mangier.— G: megnier. 3. F. 0 : venroit sor ferre. 4. M : « qui Saraccno- » rum et Ghristianorum paritcr dominus esset. « 5. D. F. U.— C : IL 6. A. B : boisdie.— M : « mirabilc figraentum. 7. F. 0:pooit. 8. A. B. D. 9. D. 10. A. B. F. 0. 11. A. B. F. U. G : et pas desous les dras.-- 12. A. B. F. 0. 13. D.

38 CHRONIQUE d'er:socl [<<67

preisl cascuns une verge en sa main pour aler aveuc lui.

Apriès, manda Salehadins les haus hommes de s'ost. EL si lor dist en consel que il s'armassent coiement, et fesissent armer leur gent coiement, que s'il avoit mes- tier d'aide, ne ' s'il ooient cri ne noise el castiel, u il voloit aler, que il le secourussent. Apriès, si prist un mesage pour envoiier à la Mulane, et si dist au me- sagier : « Va, se di à la Mulane, que ses siers^ Sale- » hadins vient à lui à mierchi. » Et s'il te demande : « Comment vient-il? »; se li peus dire que je vieng :> comme asnes, le somme au coP, pour cargier et » pour tourser * et pour kierkier " sour iui quankes » il vous plairoit ''. » Et s'il te " demande quel gent » j'amaine aveuc moi, se li peus dire que jou n'amaine » seulement fors que .XL. personnes \ les verges es » mains, pour moi gai^der de la presse^ des gens. »

Et li messagiers s'en ala^% si fist son mesage à la Mulane. Quant li Mulane l'oï, si en fu moût liés et moût joians, et dist c'or faisoil il moût bien; or l'ame- roit il et seroit ses boins îîus", et se li donroit grant partie de son trésor. Dont vint la Mulane, si tîst crier parmi la cité ^^ qu'il estoit boine pais, et que il fussent tout coi, et que Salehadins venoit à merclîi; et qu'il venis- sent esgarder le grant ^' mervelle comment il i'^ venoit.

1. A. B. F. O, se trouve quelque confusion. 2. A. B. F. 0 : sers. 3. F. 0 : la some sor le dos. 4. I) : trousser. A. B : iroser. F. 0 : lorser. 5. D : charchier. A. B : ckaryier. F. O : carrier. 6. D : quanqu'il vos plaira. A. B : qanqiie vos i voudres mètre. 7. A. B. D. 8. A. B. D : Scrjanz. 0. A. B. F. 0 : de la prise et. 10. A. B : Atant s'en ala li mesagiers Saladin. il. A. B : ses amis fins. F. 0 '.fix. 11. 1): (/(' Bahiloyne. 13. A. B : ù yrant merveille. 14. F. 0.

CHAPITRE VI

Cornent ocist la Mulahme.^

SOMMAIRE.

1169. Ruse de Saladin pour réaliser la prophétie. 11 tue le visir Chaver, puis il s'empare du Caire et de l'Egypte. 1170-1177. Ses attaques contre le royaume de Jérusalem. 1177. Novembre. Les Chrétiens obtiennent un avantage à Montgesard, près de Rama. 1177-1178. Le comte de Flandre lève le siège de Harenc et se rend à Constantinople, l'empereur le charge d'un message pour le roi de France. 1176. Novembre. Guillaume de Monlferrat, dit Longue Epée, fils du marquis de Montferrat, épouse Sibylle, sœur du roi Baudouin IV. 1177-1178. Saladin s'empare du royaume de Damas. Il envahit le royaume de Jé- rusalem. Premier succès, suivi de la défaite des Chrétiens, près de Beauforl.

Dont vint Saleliadins, si s'arma desoiis ses dras, et mist le coutiel fort et trencant à le cuisse, et prist une somme d'asne ^ et le porte sour ses espaules, et se met à le voie. Si s'en va droit ement ^ à le Cahaire entre lui et ses gens ^ à le Mulane. Quant il vint à le

\. Cf. M: De la fin du chap. 135. col. 772, à partir de ces mots : « Quamquc Saladinus Gayrum obsidens », jusqu'à la fin du chap. 138. col. 775. 2. M : « sellam asinariam. « 3. D. 4. D : et ses xl. serjanz.

40 cnfiOMQTJE d'ernocl [h 69

porte del castiel, si li ouvri on, et il entra ens, et il et si siergant. Lors refrema on le porte del castiel apriès lui. Et il se mist à .iiii. pies, quant il vint dedens le castiel; et si homme le caçoient devant aus, de ver- ges, aussi com on cace l'asne. Quant li chevalier et li sergant del castiel le virent, si orent' grant risée et vinrent à le iMulane qui se séoit en son faudesteuf ^, et li contèrent comment il venoit, et li Mulanes en fu moult liés. Quant Salehadins vint devant le palais le Mulane, et vit les .11. cevausqui apparellié estoient de monter sus , si se pensa que se Damediu plaisoit, qu'il monteroit sus et seroit Aly.

Tout si ^ com Salehadins le pensa, tout si le fîst. Après çou, monta el palais à .1111. pies, et vint devant le Mulane pour son piet baisier. Et li Mulane dist qu'il faisoit bien, et que boin gré l'en savoit et boin guerre- don en averoit. Quant Salehadins dut le pié le Mulane baisier, si gieta jus le somme que il avoit sour le dos, et tret le coutiel qu'il avoit à le cuisse \ s'en fiert le Mulane parmi le cors, si ^ocist^ Et li siergant que Salehadins avoit aveuc lui menet, tret cascuns son coutiel, et fièrent de çà et de là; si ocient chevahers et sergans quanques il en i avoit ou castiel. Ensi fu li castiaus pris. Dont mandèrent ^ en l'ost qu'il se mesis- sent en la cité de Babilone; et cil ' i entrèrent % et pri- sent le cité, que cil de le cité ne s'en donnèrent garde. Li Gahairesest li castiaus de Babilone.

■1. A. B : vinrent sonercnt.— 2. A. U. D: faudesfucL— 3. A. B : Tout ansi. 4. A. B : à la cose. F. O : à se cuisse. M : « suh Ibmore. « 5. si l'ocist, manque dans A. B. Voy. sur le vizir (Iliavcr, dont il est ici question, ci-dessus, p. 18. note 6. 6. A. B : donc manda Saladin. 7. A. B. D. C : qu'il. 8. A. B. D. G : entrent.

i\TO-\m'\ ET DE BERNARD LF, TRÉSORIER. 41

Dont vint Salehadins, si monta sour les cevaus qui atendoientAly, et aloit criant par le cité qu'il estoitAly', qui venus estoit à ceval. [One puis ni ot cheval ^] Apriès, si manda en le ticre de Damas et de Halape et par toute Paienime serrans et chevaliers qu'il venis- sentà lui, et qu'il lor donroit bons sols ^ et feroit rices hommes. Quant si tetement sorent qu'il '' avoit ^Babi- lone et le Cahaire conquis, iP en i ala moût soudoiers et serjans ^ Et si lor donna largement ^ de l'avoir, qu'il avoit trouvé dedens le Cahaire. Quant cil ^ d'Alixandre et de Damiete, et cil de le tiere d'Egipte '% oirent dire que si faitement estoit lor sires mors, et que Salehadins avoit conquis Babilone et le Cahaire, et que si grant gent i " avoient amassé , il se pensèrent qu'il iroient à lui à merchi, et qu'il ne se lairoient mie essillier, et que il le receveroient comme signeur. Il i alerent et si li rendirent la tiere.

Ensi conquist Salehadins le tiere d'Egypte. Et quant '^ il ot la tiere, si garni moût bien les castiaus. Apriès , se pensa qu'il avoit moût grant gent et que li tiere de Jherusalem estoit vuide ^^ de chevaliers et de

1. Et aloit, etc., manque dans A. B. 2. A. B. D. 3. D ; bones soudées. 4. D. 5. A. B : riches hommes, qant si faite- ment avoit. G : Et k' ensi faitement avoit. 6. A. B. C : et il. 7. D. 8. D. A. B : l'argent. 9. A. B : Qant cil car. 10. D. li. A. B. D : pueple.

12. Cf. M. chap. 137. Col. 773. Il y a beaucoup de désordre dans tous ces premiers récits d'Ernoul et de Bernard, que les com- pilateurs et les copistes paraissent avoir transposés et amalgamés arbitrairement. De la première invasion de Saladin dans le royaume de Jérusalem (décembre 1170. Guill. de Tyr, 1. XX. ch. 19. p. 973), le récit passe ici brusquement à la campagne de 1177, dont il a été déjà question dans le chapitre précédent.

13. A. B : vuidée.

42 CHRONIQUE d'erpjocl [^ 477, Novembre

sergans, et que li quens Phelippes de Flandres les a voit menés à le siège de Herench '. Donc se pensa ^ Salehadins qu'il avoit grant gent, et que bien poroit la tiere conquerre; dont aparella s'ost et ala en le tiere de Jherusalem, et bien aveue lui .lx. mil ^ hommes à cheval.

Quant li rois Bauduins, qui mesiaus fu, dire que Salehadins venoit sour lui et en se tiere, à tout grant gent, si assambla toute s'ost à Escalonne; et quant il l'ot toute assamblée, n'ot il que .v. C. chevaliers \ que del Temple, que de Tllospital, que del siècle. Apriès prisent consel qu'il manderoient en Jherusalem et par toute le tiere tous chiaus qui poroient armes porter, qu'il venissentà Escalonne, au roi. Ançois que li arrière bans veriist à Escalonne ^, vint Salehadins devant Escalonne, et assega le roi dedens. Et li Sainte Crois estoit dedens aveuc le roi. Tout si com li arrière bans venoit à Escalonne, à le mesure qu'il venoicnt, Salehadins les prenoit®. Si prisent les bourgois de Jhe- rusalem et grant partie de ciaus de le tiere qui de plus loing venoient.

Quant Salehadins otesté .m." jours au siège devant Escalonne, se li aporta ses consaus que il aiast en Jhe- rusalem, qu'il n'i avoit nullui, et qu'il le poroit bien prendre, car il avoit les bourgois tous pris; et que* se il pooient tant fere que il peussent avoir garnies ' les montaigncs, bien le poroient avoir.

1 . A. B : Herenc. D : Heranc. 2. D : dist à li meismes. 3. A. B. D : XL. m. F. 0 : ix. mil. M : « scxaiïinta millia )' cquitum armatorum.» 4. D: d. chevaliers. 5. Le commen- cement de la phrase manque dans A. B. 6. A. B -.prévoir. 7. A. B. D : .II. - 8. A. B. D. 9. D. A. B : garnir.

^^77] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 43

Al tierç jour, se parti Salehadins del siège d'Esca- lonne et ala à une cité qui est es plains de Rames, qui a à non Saint Jore ', à .vu. Hues d'Escalonne. Et hierbega, et si escilla la cité. Quant Salehadins se fu partis d'Escalonne, li rois issi hors, et ala apriès à toute s'ost; et se hierbega à .11. Hues près de lui, à .1. castel que on apiele Ybelin. Quant che vint l'endennain par matin, l'ost des Sarrasins mut pour aler en Jherusalem. Cest jour fu fieste sainte Cathe- rine en vver, et eu \enredi^ Damedius Jhesu Cris vit le poi de gent et la foiblece qu'il avoit en la tiere^ si estendi sa grasse et s'aide '' et son confort, et vaut moustrer qu'en assés de gent ne doit on avoir fiance, mais en lui. Li Sarrasin avoient bien .lx. mil ^ cheva- liers, et li Crestiien n'estoient que .v. C.^ Et si avoient H Sarrasin pris et loiiet ' les bourgois qui esloient venu à l'aiTiere ban % et les avoient loiiets sour les

cameus^.

Or mist Dius en cuer et en talent as Crestiiens qu'il se combateroient as Sarrasins , à si poi de gent com il avoient. Si s'armèrent, et Dius lor aida, et mesires sains Jorges qui en le bataiHe fu le jor '\ et cui " glise li Sarrasin avoient essillie et gastée la nuit, et le liu u il avoit esté martiriiés. Si atirierent '- li Crestiien lor escieles, et alerent encontre les Sarrasins et assamble- rent devaiit .1. castiel c'on apiele Mongisart'^ es plains

1. D : Saint Jorge. M : « Beatus Georgius. » 2. M : « feria sexta. » d. D : en la cité de Jérusalem, 4. F. 0 : sa graisse et s' aïue. 5. A. B. D : xl. j/zi?. F. 0 : ix. mi7. 6. D: plus de d. M : « équités quingentos. » 7. D : liez. 8. A. B : au riere ban. 9. A. B : chamois. 10. A. B. H. A. B. G : qui. 12. D. G : atirent. A. B : allèrent. 13. A. B. D. F. 0. M : « oppidum Montis Gisart. » G :

44 CHRONIQUE d'ernoul [iMl

de Rames. Dont vint li sires de Rames, qui avoit non Bauduins ', au roi, et dist : « Sire, je vous demant le » première jouste. » Pourçou li demanda la première jouste, qu'il se devoil conbatre en sa tiere; si devoit avoir le première bataille. Et li rois li otria. Che fu cil Bauduins (jui parla au conte Phelippe de Flandres devant le roy, quant il parla del mariage, et li quens s'en courça et vuida le païs^ Cis Bauduins avoit .1. frère cjui avoit non Belians de Belin ^ et avoit le roine Marie à femme, qui fu femme * le roi Amauri.

Or vous lairai atant de Belyan ester, si vous dirons de la bataille qui fu devant Monghisart. Bauduins de Raymes^ et ses frères Belyans^ ki le première bataille eurent, coisirent le plus forte bataille que li Sarrasin avoient et poinsent viers aus, si le desrompirent toute et venquirent. Et si ne demoura mie atant que il d'ar- mes ne fesissent ^ quankes il porent dusque à le nuit sour les Sarrasins, c'onques Rollans ne Oliviers ne fîsent tant d'armes en Rainscevaus ^, con li doi frère ^ fîsent le jour en le bataille, à l'aïue Diu et de monseigneur Saint Joi'ge, qui en la bataille fu o els '°.

Hues deTabarie et Guillaumes ses frères, qui jouene chevalier estoient, et furent fil le castelain de Saint Omer, et fillasire le conte de Triple estoient, se prou-

Monsigart. Ce combat out lieu le 25 (et non le 28) novembre 1177. Guill. de Tyr, lib. XXI. chap. 23. pag. )042 et suiv. 1. Baudouin d'Ibelin , seigneur de Rama, fils de Balian I^"" d'Ibelin. 2. Gi-dessus, pag- 33. 3. D. 4. G. D. F. 0. A. B, par erreur, mère. Balian II d'Ibelin épousa Marie Gomnone, nièce de l'empereur Manuel, et veuve du roi Amaury I" de Jéru- salem. — 5. D. 6. Y. 0. ajoutent : et Giles de Cien. 7. A. B : et chaplerent. 8. D : Roncevaus. 9. F. 0 : corn cil trois. 10. D. G : en la bataille fu.

^^77-^'^78] et de bernard le trésorier. 45

verent moût bien le jor en le bataille; et moût i fisent d'armes, et' grant los i acuellierent. Li Temples et li Ilospitaus s'i proverent moût bien, atant com il avoient de gent^ En l'eskiele le roi estoit Robiers de Bove % qui moût bien s'i prouva; et toute li eskiele le roi, tant k'à l'aie de Diu, li SaiTasin i furent desconfit. Et li Crestiien les encacierent tant com jours lor dura; et les prisent et ocisent, et de lor harnas n'escampa * point. Li bourgois qui sour les cameus estoient loiié ^ [qant il virent ke li Sarrasin furent desconfit, si^] des- loia li uns l'autre ; et ocient ' cens qui les harnas gar- doient et retinrent le harnas. Il ot assés en le bataille sergans et chevaliers qui disent qu'il lor fu avis que la Sainte Crois, qui en la bataille fu, estoit si haute qu'elle avenoit dusques au ciel. Et si ot chevaliers Sarrasins pris qui demandèrent ^ as Crestiiens, qui^ pris les avoient'^ qui cil chevaliers as blances armes estoit, qui tant avoitde lor gentocise le jour? Et il respondirent qu'il cuidoient que chefustli sains cui " gliseil avoient gastée le jour devant.

Quant Salehadins fu desconfis, si s'en ala en Egypte, et li rois de Jherusalem demoura en sa tiere. Ce fu moût biele miracles que Dieus fist pour Crestiiens, que .y. c. chevaliers venquirent .lx.'^ mil Sarrasins.

Or vous lairai del roi de Jherusalem et de Salehadin

1. A. B. D. 2. D : c/e tant de genf com il avoient. 3. D : Boves. 4. A. B. D. h.D : Li borjois de Jérusalem que li Sar- rasins avoient pns et estoient liez sus lor chamex, 6. A. B. D: ocioient. C : crient, pour ocient. 7. A. B : ocistrent. 8. A. B : et enquistrent. 9. G: que. 10. C : l'avoient. 11. A. B. C : qui. 12. A. B. D : xl.

46 CQROMQUE d'ernoul [u^^-^^^s

à parler ', desi que tans et eure en sera, et si dirons dou conte Phelippon de Flandres, qui fu al siège de- vant Herenc ^ En cel point que la bataille fu, vinrent nouvieles au conte Phelippon et as barons de l'ost, que li rois de Jherusalem avoit desconfit les Sarrasins qui estoient entret en se tiere. Li quens en fu moult ^ liés et joians; et il et toute l'ost ^ en rendirent grassesà Diu. D'autre part, fu li quens de Flandres si ^ dolans qu'il se leva del siège, et prist congiéau prince d'An- tioce et au conte de Triple et as barons qui aveuc lui estoient au siège, pour râler en sa tiere. Ensi se départi® li sièges de Hierenc.

Or s'esmut '^ li quens Phelippes, pour venir par tiere en Flandres, et vint en Coustantinoble. trouva ^ l'empcrcour Manuel qui grant hounour li fist, et moût fu liés de se venue, et moût li do^na de ses joiaus, com de çaintures^ et d'or et d'argent et de dras de soie; et séjourna tant qu'il lui plot. En ce qu'il séjourna là, li demanda li empereres, se li rois Loeis de France '^ avoit nulle fille à marier, et li quens res- pondi qu'il en avoit une, mais petite estoit et jouene. Dont li dist" li empereres Manuas '^ qu'il n'avoitke .1. fil (jui estoit jouenes enfes, et que se li rois li voloit envoiier se fille aveuc '^ son fil, que si tost com elle i se- roit venue, il la '^ li feroit espouser, et li feroit porter couronne, et lui ausi ; il '^ seroit empereres et elle emperréis. Dont parla et pria li empereres au conte

1. A. B. 2. Ci-dessus, page 34. 3. D. 4. C : l'os. 5. A. B. D. 6. A. B : Einsi départi. 7. D, A. B : Or s'en musl. C : s' en vint. 8. C : trou. 9. 1). F. 0 : desain- luaires. A. B : saintures. 10. A. B. D. 11. A. B. D. 12. A. B : Manoiauz. 13. D : à. 14. D. 15. F. 0 : si.

4476] ET DE BERNARD LE TRESORIER. 47

que il au roi en fust messages, que plus gentil homme de lui ne poroit il mie trover ne' envoiier. Et il envoie- roit aveuc lui de ses mius vaillans ^ hommes pour amener la damoisiele, se li rois lor voloit cargier.

Li quens respondi que volontiers en ^ feroit le me- sage \ et se peneroit qu'il l'averoit. Dont vint li empe- reres; si fist aparellier ses messages et lor carja or et argent assés à despendre, et les envoia en France aveuc le conte. Et quant il vinrent en France, li quens vint au roi et fist son message de par l'em- peréour.

Dont lu li rois liés et joians. Si vit que il ne le pooit mieus marier; si le fîst apparellier moult hautement ^ et moût ricement, [comme tîlle à si haut home comme lo roi de France ^] et le kierga as messages, et il l'enme- nerent en Coustantinoble à l'emperéour. Celle damoi- siele "^ fu seur au roi Phelippe de Franche, germaine de père et de mère. Or s'en alerent li message à tout le damoisiele, etli quens Phelippes demoura en Flandres. Quant il vinrent en Coustantinoble, li empereres en fu moût liés, et hautement le reçut, et si le tist à son fîlz * espouser et porter couronne. [Et fu empereriz et il fu emperieres ^]

Or vous lairons atant de l'emperéour Manuel et des enfans, de si •" qu'à une autre fois que nous en parle- rons, et si dirons de la tiere de Jherusalem. Il ot arivé en le tiere de Jherusalem .i. chevaliers de Lombardie

1. A. B. 2. A. B : vasah. 3. D. 4. A. B. D. - 5. A.

B : Si vit q'il ne la pooit mie plus hautement appareillier. 6. A. B.D. G : et moût ricement et le kierya. 7. Agnès, fille de Louis VII. 8. A. B. D. 9. A. B. D. 10. C : si. A. B : desin.

A 8 CHRONIQUE d'ernoul [1 ^ 77-1 178

qui ot non Guillaumes Longhespée '. Cil estoit boins chevaliers et gentiushom, et estoit fins le marcis de Monferras, qui avoit non Bonifasce K Li rois Bauduins de Jherusalem, qui mesiaus estoit, dire tant de bien de lui qu'il li donna se suer à femme qui avoit non Sebille, et li donna le conté ^ de Jaffe et d'Escalonne.

Quant Bauduins de Rames vit que li rois ot mariée sa seurà autrui k'à lui, si en fu moût dolans. Si ala, s'espousa le fille au seigneur de Cesaire, [qui li dona Naples avec sa fille '']. Si en ot .1. fil, et la dame mo- rut ^. Si demoura Bauduins veves. La contesse Sibille de Jaffes et d'Escalonne % li seur le roi, ne fu gaires aveuc son signour, qui cspousée l'ot, Guillaumes Longue Espée^; ains fu mors. La dame en ot .i. fil qui ot non Bauduins.

Apriès% avint cose que li rois dire que li soudans de Damas estoit mors, qui ot non Noiradins ^ Dont vint li rois mesiaus, si asanla ses os, si en ala en le tiere de Damas , et gasta et cscilla la tiere et grant gaing i fist. Il n'i prist ne castiel, ne cité ne assega.

Quant la dame de Damas dire que li rois de Jherusalem asanloit ses os pour entrer en sa tiere, elle

1. A. B. D : Longue Espce. Cf. M. Ghap. 138. col. 774. Guil- laume Longue Epée arriva en Syrie vers le commencement du mois d'octobre 117G. (Guili. de Tyr, lib. XXI. chap. 13. pag. 1025).

2. Erreur générale et constante dans tous nos mss. et textes imprimés. Cf. ci-après, cli. XL Le père de Guillaume de Mont- terrat, surnommé Longue-Epéc, était le marquis Guillaume 111 dit leVieux;Bonifaceétait{'rère,etnonpère,deGuillaumeLongue-Epée.

3. A. B : la contrée. 4. F. 0. 5. D : en ot i. fill, dont la dame morul . 6. D. 7. A. B. D. Guillaume mourut à Ascalon en juin 1177. Guill. de Tyr, 1. XXL Cli. 13. Pag. 1026. - 8. A. B D. ('. : Et. 9. Noureddin était mort en 1174.

H7S] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 49

envoia ses mesages à Salehadin , qui sires cstoit d'Egypte, qu'il le venist secourre, que li Crestiien es- toient entré ^ en sa tiere. Et Salehadins asanla grans gens, si l'ala secourre. Quant li rois dire que li se- cours venoit, si se départi de celle tiere à tout le gaaing que il i avoit fait, et s'en repaira en la tiere de Jheru- salem. Et Salehadins ala à Damas, si espousa la dame. Einsinc^ conquist le roiaume de Damas par le secours qu'il ot fait à Damas et à la dame ^

Or eut il .11. roiaumes. Quant il fu sires de Damas, si assambla ses os pour aler sour le Roi de Jherusalem, pour le despit que lirois li avoit devant fet *. Si entra en le tiere de Jherusalem par deviers une cité qui a à nonSaiete^, qui est entre Sur et Baruth. Li rois de Jherusalem, quant il l'oï dire, si amassa ses os et ala encontre, si que les os des Sarrasins et des Crestiiens assanlerent devant un castiel de Crestiiens qui a à non Biaufors^ fu la bataille de Crestiiens et de Sarra- sins, si que li Sarrasin en orent le pior celle fois, et li Crestiien le millour. Et quant desconfit les orent, si furent H Crestiien si aigres' au gaaing et à l'avoir** prendre, qu'il laissierent l'encauc ^ des Sarrasins. Et

1. D. 2. A. B. D, G : Et. Les historiens arabes rectifient beaucoup de choses dans ce récit.

3. Fra Pipino ajoute ici à notre texte, qu'il suit toujours, en l'abrégeant d'ailleurs, une courte description de Damas. M. chap. 138. col. 775. 4. Au lieu de cette fin de phrase, on lit dans A. B. D : por aler sor le roy de Jherusalem, et por recovrer la perte et le doumage que li roys de Jherusalem li avoit fait à Damas, et porce que li roys le desconjît devant JJonyisart, si s'en vengeroit s'il pooit. 5. M : « Sidonem. » 6. M: « Belfort. » 7. A. B. G : si engrés. 8. A. B. G : ci l'avoir. D : de l'avoir. 9. D : l'enchaux. F. 0 : l'en cave. M : « magis priedandi quam insequondi avidi. »

4

50 CHRONIQUE d'eRNOUL [U7B

quant li Sarrasin virrent qu'il entendoient * à l'avoir, si retournèrent sour aus et les desconfîrent et rescou- sent^leur avoir. prisent il le maistre dou Temple et Bauduin de Rames ^, et les enmenerent en prison à Damas; et si s'en retournèrent li Sarrasin à tout lor gaaing, et li rois demoura en sa tiere.

1. D : tendoient. 2. A. B : et recouvrèrent. D : resqueutrent. 3. M : « Balduinus de Rames dominus castri Moatis Gisart. »

CHAPITRE VIL'

Cornent Saladms ala conquerre le Roiame de Perse. De la mer del Diable.

SOMMAIRE.

1179. Les Templiers réédifienl le cbàleau du Gué de Jacob, contrairement à la trêve et malgré l'avis du roi. Saladin s'empare du Gué de Jacob. Renaud de Cbatillon, prince du Crac, dépouille une caravane arabe. Ce que c'est qu'une caravane. Baudouin d'ibelin, sire de Rama, se rachète de la prison de Saladin pour épouser la comtesse Sibylle de Jaffa, sœur du roi. L'empereur Manuel l'aide à payer sa rançon. Amaury de Lusignan, connétable du royaume de Jérusalem, négocie le mariage de son frère Guy avec la comtesse de Jaffa. 1180. Avril. Le roi marie Guy de Lusignan à sa sœur et le crée comte de JafiFa. Mécon- tentement de Baudouin de Rama. 1182. Saladin, ne pouvant obtenir satisfaction de l'aggression de Renaud de Cbatillon, envahit le royaume du côté de Forbelet, sur le Jourdain. 11 assiège le Crac de Montréal. De Raoul de Benibrac. Du Jourdain, du Liban, et de quelques villes voisines. Des deux sources du Jourdain.

Dont^ vint Salehadins ; si se pourpensa qu'il ne guerrieroit ore plus les Grestiiens desi qu'à une autre fois, ains feroit trives à aus, pour aler conquerre le

1. Cf. pour la première partie du chapitre : M. cliap. 139, - chap. 141. col. 775-778. 2. D : Après.

52 CHRO^"IQUE D'ER^'OCL [\\^9

roiaume de Pierse, dont il voloit estre soudans. Dont fist trives au roi de Jherusalem, si amassa ses os et s'en ala conquerrant toute le tiere, si com il ala. Et a bien de Damas dusques en Perse, trois semaines d'errure.

Endementiers qu'il estoitlà, vinrent li Templier en le tiere de Jherusalem au roi, et disent qu'il voloient frenier .i. castiel en tiere de Sarrasins, en .i. liu c'on apiele le « Wés Jacob » \ près d'une eve ^. Cil lius qui est apielés li Gués Jacob, c'est u Jacob luita à l'angle, et u il ot brisie le cuisse, quant il repairait ^ d'Aran *, u il estoit fuis pour Esau, son frère. En cel liu fu ce que li angeles li dist qu'il ne s'apielast mais Jacob, mais Israël '". Dont dist li rois as Templiers que castiel ne pooient il fremer en nulle tiere en trives. Dont disent li Templier qu'il ne voloient mie qu'il le fremast, ains le fremeroient ; mais tan proiierent le roi qu'il i alast avec eus ^, entre lui et ses chevaliers séjourner, tant qu'il l'eussent fait, pour garder que li Sarrasin ne li meffesissent ' nule rien, ne as Sarrasins ne meffesis- sent noient, li rois amassa ses os et ala aveuc les Templiers pour le castiel fremer.

Quant Salehadins , qui en Piersie estoit, dire que li rois fremoit castiel en se tiere, si fu moût dolans, et si manda au roy (|u'il ne faisoit mie bien, quant castiel fremoit en se tiere en trive®; et qu'il l'amen-

1. D : Le Gué Jacob. A.B : le Lett Jacob. 2. M : « Yadum Jacob, super torrentem Jabocli. » 3. Le mot est inachevé dans C. A. B : reparoil. 4. A. B : Arair. D. F. 0: Aran.— M: de Ran. llaran, en Mésopotamie. Gen. XXVIII. 10. 5. A. B : Jherusalem. fi. D. 7. D: furfeisscnl. 8. si fu moiity etc. omis dans A. B.

-inP] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 53

deroit (juant il poroit. Et. tant séjourna Salehadins en la tiere, qu'il conquist toute Pierse.

Apriès, ala asseir un autre royaume * qui a à non Molle % .VIII. journées outre Pierse. Quant il l'ot con- quise, si garni la tiere, si s'en retourna ariere en le tiere de Damas. Adont ot il .ini. roiaumes conquis. Endementiers k'il fu en celé tiere qu'il ^ conquist, fu li Gués Jacob fremés, que li Templier fremerent, ensi com vous aves oï. Et furent li Templier et le gardè- rent; et li rois s'en repaira en Jherusalem.

Quant Salehadins fu repairiés en la tiere de Damas, ne demoura puis gaires apriès que se femme tu morte, et s'en ala tantost après * en le tiere de Halape il avoitcaciet^ ses tillastres. Si conquist le roiaume de Halape. Or ot il .v. roiaumes conquis. Apriès vint à toute s'ost, et assega le Gués Jacob.

Quant li rois de Jherusalem dire que li Gués Jacob estoit assegiés, si asanla ses os à une cité qui ot non Tabai^ie, à .v. liues del Gués Jacob, por secorrele Gué Jacob ^. En cel tans estoit li quens Henris de Cam- paigne, qui frères estoit le roine de France, outre mer; et Pi ère de Court ray ', qui frère estoit le roi Loei. Cil

1. D : chastel. A. B : chnstel royaume. F. O : ala en ,i. autre roiaume.

2. A. B: Mole. F. 0 : Messie. M: « nec non et ad regnum quod Molle dicitur, inde distans dietis \n. » Il s'agit peut-être ici de Mosoul, que Saladin assiégea en effet. Tout ceci au reste manque d'exactitude. L'Yémen dont il ect question ailleurs ne fut pas conquis par Saladin, mais par Touran Schaii, son frère. (Observ. de M. Defrémery.)

3. A. B. D. G : qui. 4. D. 5. A. B : chaciées. D : chaciez. 6. A. B. D. 7. A : de Cortenai. D : CorUnoi,

54 CHRONIQrE D'EB^•OUL [^ 479

furent en l'ost aveuc le roi, pour ' rescourre le castieP. Quant li rois ot toute s'ost amassée pour le castiel rescourre, n'orent il mie tant de hardement qu'il l'osaissent rescourre, ains le laissierent perdre. Et Salchadins prist le castiel à force. Et quant il l'ot pris, n'i demoura il onques frère dou Temple qu'iP ne fesist le tieste coper; et les autres qui n'estoient mie Templier prist vis et les fist mener à Damas en prison; et puis fist le castiel abatre jus ^

Quant li castiaus fu abatus, si prist trives au roi de Jherusalem pour aler .1. roiaume conquerre qui estoit lonc d'iluec .i. mois d'errure et avoit à non Yémen. ^ îl i ala, si le conquist par force et il et si homme.

Donques s'en tourna li quens Henris de Campaigne et Pieres de Courtrai ® en France par Coustantinoble, lor nièce estoit emperris, car il ' estoit frères le roi de France, et li cjuiens Henris frères la reigne ^.

Or^ vous dirai del prince Renaut sires dou Crac'^ ki fu en le bataille de Mongisart, dont je vous obliai à dire de le bataille qu'il fist et des proueces. Ce fu cil qui le grignour prouece i fist. Or vous dirai le mal qu'il fist apriès. Il avint cose qu'en cel point que Salchadins estoit aies conquerre celle tiere, dont je vous ai dit, L'Iemen, que li marceant Sarrasin " de Damas fisent une carvane ^^ pour aler en Egypte. Et vinrent pour

1. A. B : <?n pour, G : de pour. D : à pour. 2. D : Ze Gué Jacoh. 3. D : cui il. 4. D. A. B : tout abatre. 5. D : l'Yemer. M : « quoi Lyemen dicitur. » G. D : Corlenai. 7. A. B : car Pieres. 8. D. C : frères le roi. 9. Cf. M. chap. 1 iO. col. 776. 10. G : dou Crac sires. D: qui sires estoit del Crac. II. D.— 12. A. B : carvene. H. rapporte un cvé- nement semblable en 1186. Pag. 34.

4 479] ET DE BERNARD LE TRIÎSORIER. 55

aler, et se hierbegierent desous le Crac, et ne quidie- rent avoir garde de^ Crestiiens, pour çou que trives estoient. vint li princes Renaus, si fist armer ses hommes, et fist prendre et femmes et hommes qui en ^ la carvane^ estoit, et biestes et quanqu'il i ot. Et fist tout mètre dedens son castiel. Et bien valoit CG. mil * besans celle carvane.

Li rois mesiaus, quant il qu'il avoit ensi fait, et que la carvane avoit prise, si li manda que il n' avoit mie bien fait, quant il les Sarrasins avoit desrobés en trives, mais rendist ies^ Li princes remanda ariere qu'il ne '^ renderoit mie pour pooir qu'il peuist fere. Dont vint li rois, si i envoia Templiers et Hospiteliers et gens de religion et des barons de la tiere, et li proiierent qu'il le ^ rendist, et que bien ne faisoit mie quant il faisoit le roi parjurer, car il avoit les trives jurées. Et il lor respondi que pour pooir que li rois euist, ne les rendroit% [ne plus ne l'en proiassent, car il n'en feroit noiant. N'il ne si fistrent, ainz s'en retornerent ^]

Quant Salehadins dire, qui en l'Yemen estoit, que li princes Renaus^° avoit ses hommes pris, si manda au roy de Jherusalem qu'il ne tenoit mie bien convenant ne son serement, ne le trive que il li avoit fête; et que ses hommes li ^^ fesist rendre et lor avoir; et s'il ne le faisoit, il l'amenderoit quant il poroit. Et li rois li

l. A. B : des. 2. D. 3. F. 0 : cui la carvane. 4. A. B. D. C : II. mil. 5. A. B. D : rendist la. F. 0 : rendist le.

6. A. B : 7ie le. D : ne la. 7. A. B : le. D : la. 8. A. B : ne la rendrait. D : ne lor rendrait il. F. 0 : nel rendrait.

9. A; E. 10. D : li princes Renaus del Crac et de Monreal.

11. A. B. D. C : lor.

56 CHRONIQUE DEUNOrL [^^79-^^80

manda ariere que plus n'en pooit fere, qu'assés li avoit amonesté et mandé et proiiet qu'il les rendist, et rendre ne les voloit pour lui.

Or vous dirons, se vous volés , quel cose est car- vanne ^ Li marceant, quant il veullent aler en mar- ceandise en lontaines tieres, parolent ensanle de faire carvanne, et sont par aventure ensanle ^ .xx. u .xxx. u .XL. Et cascuns si a sommiers u cameus, selonc çou qu'il est rices, cargiés de marceandises, et si se ralient^ d'aler ensanle et portent lor tentes aveuc aus, sur les chamex'*, et les font tendre dehors les villes, u il se liierbiergent. [Por ce portent lor tentes avec aus, qu'il ne herbergent onques en vile desin qu'il vienent en la terre ou en la vile il vêlent aler et il descar- gent lor marchandise; ainz se herbergent quant il ont fait lor jornées dehors les viles, et tendent lor tentes.""] Dont vient li sires dou païs, si les fait garder et par jour et par nuit, et conduire hors de satiere pour ks tra- viers® qu'il en a. Et ensi font tout li segnour parmi quel tiere il ' passent.

Or vous lairons del prince Renaut à parler desci qu'à autre fois que nous vous en dirons de lui et de ses oevres. Or vous dirons de Bauduin de Rames qui en prison estoit à Damas, et avoit esté pris à ledescon- fiturc de Biaufort^ Li contessc de JafTe, li seurs le roi

1. D : carvenne. Aucun de ces détails n'est dans M. 2. D : assemblé. 3. D : salient. 4. D. F.O. 5. A. B. D. F. 0. 6. A. B : les traver. D : le travers. F. 0 : por le travers qu'il en a. 7. D : parmi la terre oie il. 8. La suite du récit jusqu'à la p. 47 répond à M. chap. 141. col. 177 : « Interea )) quura Balduinus de Rames apud Damascum a Saladino detine- 1) retur. »

^ 4 79-4 180] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 57

mesiel, qui veuve estoit \ li manda qu'il se racatast au plus tos qu'il poroit; que s'il estoit hors de prison, elle feroit tant enviers le roi son frère qu'il l'aroit à femme.

Dont vint Bauduins à Salehadin, si li pria mcrchi et qu'il presist raençon de lui. Salehadinsdist qu'il n'avoit cure d'avoir, qu'il estoit assés rices hom, etgrans hou- nours li ^ estoit avenue^ quant il avoit .1. si vaillant chevalier en se prison, c'onques n'avoit parler n'en Crestiienté ne en Paienie de si boin chevalier com il estoit. Dont fist tant Bauduins viers le consel Saleha- din, que Salehadins otria qu'il venist à raençon; et puis en fu moût dolans qu'il l'avoit * otriié. Dont vint Salehadins, si apiela si haut ^ le raençon Bauduin, que pour vendre sa tiere denier à denier, n'en^ peust il mie paiier le disme ^ Don dist Bauduins qu'il ne poroit mie paiier celle raençon. Dont dist Salehadins qu'il paie- roittele raençon, u il li feroit traire tous les dens de sa goule, pour çou que dolans estoit de la ^ raençon. Et Bauduins dist qu'il fesist son commandement, qu'il ne poroit mie paiier. Dont commanda Salehadins c'on li traisist les dens. Et on li en traist .11. Quant on l'en et .11. trais, si ot grant engousse qu'il cria merchi, et dist qu'i paieroit le rançon, qui bien montoit à .11. c. mil besans. Dont Salehadins fu moût dolans car, s'il quidast que tel raençon li deust donner, il ne l'eust ja mis à raençon.

Quant Bauduins fu raiiens% et il ot fait marchié de

1 . D : vfive estoit et avoit eu Guillaume Longue Espée, etc. 2. A. B. D. 3. F. 0. 4. A. B. D : qu'il li ot. 5. A. B. D. F. O. G : si saut. 6. D. A. B. C : ne. 7. A. B : asme. 8. A. B. D. 9. A. B : raainx. F. O : raiens.

58 CHRONIQUE d'ernoul [^079-^^80

sa raençon \ il manda à Belyan de Belin son frère ^ qu'ensi fetement s'estoit raiiens, et pour Dieu qu'il li aidast tant com il fust hors de prison, et qu'il emprun- tassent une partie de l'avoir, et de l'autre partie liverra ostages et pièges teus comme le roi de Jheru- salem et le Temple et l'Ospital plaira. Quant on ot fine de sa raençon, si issi Bauduins hors de prison^ [et vint en la terre de Jherusalem ^] .

Quant Bauduins de Bames fu hors de prison, et il fu venus à Crestiienté, il vint à le contesse de Jafe qui veve estoit, si li dist qu'elle proiast le roi son frère et fesist tant qu'il l'euist à femme. Elle respondi que quant sa raençons seroit paie, elle en aroit conseP, qu'elle ne voloit mie que sa tiere fust engagie pour sa raençon paiier, mais pourquesist ^ qu'elle fust paie, adonc s'en parleroit.

Dont vint Bauduins', si s'en ala en Coustantinôhle à l'empereor Manuel. [Et li empereur Manuel, quant il fu venus, fist grant joie et grant feste de lui. Or quant Bauduin fu venus à l'empereur Manuel ^] , si li dist qu'il estoit venus à lui pour aïue à sa raençon paiier. Et li empereres dist [que bien fust il venus ^], qu'il liaideroit volenticrs, [por amor de ce que prodom estoit, et '"] pour l'amour de Balyan son frère". Dont dist li empereres que nombre d'avoir ne li saroit donner; si tist aporterune caiière^^ et fist Bauduin sus

1. D:/m mîsa reançon. 2. D:qui barons estoit la reù/ne Mai-ian, etc. 3. A. B. F. 0. 4. A. B. 5. A. B : elle n'aurait bon ronsceil. fi. A. B : porchaçast. G x porqueist. 7. A. B : Donc se mist Baldoin à la voie— 8. F. 0. 9. A. B. 10. A. B. 11. D : qui la famé de son cosin go^main avoit àfame'ccle qui fu famé la roi Aviaurri. 12. A. B : chaière.

I \ 79-1 i 80] ET DE BERNARD LE TRE'sORIER. 59

seoir [en mi la sale^]. Dont vint li empereres, si fist aporter pourpres ^ d'or, si l'en fist tous ^ acouvrir, et tant com on en pot acombler entour lui, de si que sor

le cief."

De che fist il aïue à Bauduin à sa raençon paiier. Et bien monta cis avoir assés plus qu'il n'estoit raiens ^ Dont tist Bauduins prendre son avoir et mettre ^ en sauf. Quant il ot esté tant com il vot, et il s'en vot aler, si prist congié à l'empereour ^lanuel. Dont fist li empereres amener ' galies, et si le fist conduire dus- quesàAcre.

Quant Bauduins fu arivés à Acre, si parpaia sa raen- çon et ^ délivra ses hostages et ses pièges. Dont quida bien avoir la contesse, mais il ne l'ot mie. Car il avint endementiers ke Bauduins ^ estoit en Coustanlinoble pour sa raençon pourcacier, il ot un chevalier en la tiere d'outremer ^^ qui le fille chel Bauduin avoit à femme, qui connestables estoit le roi, qui maintes " fois avoit fet ses volentés de le mère le roi. Dont elle avoit tant fait \âers le roi son fiP^ qu'il en ot fet son connestable. Il vint à la contesse de JafFe, et si li dist qu'il avoit .1. sien frère, un des biaus chevaliers del mont, et s'elle voloit, il iroit por lui ^^ et l'aroit à femme. Et fist tant viers le mère le contesse et ^^ers H, qu'ele li fiancha qu'ele ne prenderoit baron, si se-

1. A. B. E : emmi le sale. F. 0 : emi le palais. "2. A. B : perpres.— 3. A. B : fout.— 4. A. B : qu'en sor le chief. D: d'ici au cief. 5. F. 0 : à .m. tans plus qu'Une s' estoit raiens.

6. A. B. G : Bauduins son avoir mettre. 7. A. B : armer.

8. A. B : et Saladins. 9. A. B : il ne l'ot mie, car je vo dirai comment il avint. Endementiers ke Baldoin. 10. D. 11. A. B : et maintes. 12. A. B. 13. A. B. G. D. F. 0, ont tous de mauvaises leçons : il V iroit prenc, il l'iroit porec.

60 CHRONIQUE d'ernoul [^ ^79-^ 4 80

roit ' venus. Dont s'en ala en son pais pour son frère. Or vous dirai comment cil connestables ot non et dont il fu. Il ot non Ilammeris^ et fu nés de Lesegnon% en Poitau, et fu fins Iluon le Brun, qui sires fu de Le- zegnon. Dont on parla de se prouece par toute Gres- tiienté, qui si boins chevaliers fu. Et cliil ot à non Guis que il estoit venus ^ querre, qu'il mena outre mer, qui ses frères fu, qui moût biaus chevaliers estoit. IMais il ne fu ne preus^ ne sages. Gil Guis fu puis rois de Jherusalem. Dont Jofrois deLesegnon, li boins cheva- liers, quant la nouviele vint à lui que Guis, ses frères, estoit rois de Jherusalem dist : « Dont deuist il bien » iestre®, par droit, Dieus! »

Or enmena li connestables Guion sen frcre outre mer. Quant en leticre furent venu, si vijit li connes- tables à le contesse et le mère le confesse, et parlèrent au roi. Et fisent tant que li rois donna se sereur à i'emme Guion et le fist conte de Jaffe'.

Quant Bauduins de Rames vit cheS si espousa femme le fille le connestable de Triple. Celi femme il le mescréi d'un sien chevalier, dont il caça le cheva- lier hors de sa tiere. Li chevaliers s'en° ala vers Sarrasins et fist puis moût de mal à Crestiienté ; dont on parlera en avant, se liu et tans en vient, dou mal qu'il fist. Gis chevaliers ot non Piaous de Bcnibrac'". Or vous lairons de çou ester, si parlerons de Sale-

1. A. B. D. F. 0 : ains serait. 2. A. B : Ilommeris. D. Aymeris. F. () : Ilainmeris. 3. D : de Lisignen. 4. A. B : estoit alez. 5. A. B : prcus. 6. C : eslre. 7. Aux fêtes de Pâques 1180.— 8. A. B: vit qe la contesse de Jaje fu ma- riée, sifu miilt dolanz. 9. A. B. D. C : en. 10. F. 0.— D : Raoul de Benyhrac. A. B. G : Bcmhrac. M : « Raous de Hembrach. « cliap. 141. col. 778.

-H82] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 6^

hadin qui fu venus de l'Yemen. Quant venus fu, si manda le roi^ de Jherusalem de recief, qu'il li fesist rendre ses hommes et l'avoir que li princes Renaus avoit pris en trives, et s'il ne faisoit rendre, il le des- fioit^ [ctl'appeloit de trive enfrainte^]. Etliroisli manda qu'il n'en pooit riens faire. Dont amassa Salehadins ses os, et passa outre le flun, et entra en le tiere de Jherusalem. Et vint devant .1. castiel qui ot non For- belet^, et est de l'Hospital. Gis castiaus siet sour une haute montaigne près del flun.

Quant li rois de Jherusalem dire que Sarrasin venoient en se tiere, il amassa ses os et si ala à ren- contre"', et si le trouva devant Forbelet, u il estoit sour une aiguë, [mais n'estoit mie eve de rivière^]. assanlerent li Crestiienas Sarrasins; et si lor tollirenf l'aiguë par force. Mais autre bataille n'i ot il que de l'aigiie tolir; car il fist mont caut le jour; ne li Gres- tiien n'osoient l'aiguë laissier pour le caut, ne requerre les Sarrasins, ne li Sarrasins n'osoient requerre les Crestiiens, pour çou qu'il estoient à l'aighe.

Ensi faitement furent il toute jour, fors tant seule- ment^ que li un traioient as autres la foie ^] dusque au viespre. [Quant ce vint au viespre ^''] , h Sarrasin passèrent le flun^^ et H rois demoura devant Forbelet ^^. Quant ce vint lendemain, Salehadins s'en ala, à toute s'ost, si asseia le Grac, u li princes Renaus estoit.

1. A. B : aw roy. 2. A. B. D. F. 0. 3. A. B. D : il le deffioit et l'apeloit de trive enfreinte. 4. M. suite du chap. 140. col. 776. « Forbeleth. » 5. A. B. D. F. O. G : et si contre. 6. A. B. D. F. 0. 7. A. B : si ke li Cristien lor toUrent. 8. A. B. D. 9. A. B. D : à lafoir. F. 0 : <i lajie. 10. A. B. D. F. 0. M. A. B. D. F. 0. G ; au flun. - 12. G : Forbelot.

62 CHRONIQUE d'eRNOUL [1-182

Or vous lairons de Salehadin qui est au siège devant le Crac, et si parlerons del flun, la u il naist et comment il va, ne il kiet. Cil fluns devise le tiere de Sarrasins et de Crestiiens, tout si com il keurt. La tiere de Crestiiens, qui de ça est, à a non la Tiere de Promission, [et cel des Sarrasins à nom Arabes. En la Terre de Promissions] si apiele on toutes les iaues fluns. Au piet dou mont, sourdent .11. fontaines; li une a non Jour, et l'autre Dain. Or vous dirai de cel mont, comment il a non. 11 a non Mons de Ninban^ Cis mons dure .ni. ajournées de lonc, dusque à un castiel qui est outre Triple c'on apiele Arces. fut faite liarce Noë, dont li mariens fut pris en ce mont dou Ninban ; et pour çou a à non chis castiaus Arches, que li arce Noë i fu faite. Cis mons partist le Paienime et le Crestiienté très endroit Sur, jusques outre Triple, selonc la marine. estli Crestiientés et d'autre part li Paienime.

En cel mont a moût de bonne tiere et de bonnes villes, dont li Crestiien et li Sarrasin partissent moitiet à moitiet." En tel liu i a qu'ele est toute [de Sar- rasins, et en tel leu i a q'elle est tote^] de Cres- tiiens. Entre ces .11. montaignes a une valée c'on apiele le Val Bacar% [là li home Alexandre alerent en fuere, quand il aseja Sur. Dont on dist encore el Romans del Fuere de Gadres ' qu'il estoient aie el Val de Josafas. Mais ce n'estoit mie li vaus de Josafas, mais

1. A. B. D. F. 0. et cel Promision, omis dans G.

2. A. B. E. F. 0 : Niban.— D : Nibam.— 3. A. B. D. F. 0 : un. 4. U. ajoute ici : eii tel endroit i a. 5. A. B. D. E. F. 0. 6. A. B : Val de Bâchas. E : Val de Belcase.

1. Le Fuere de Gadres est une partie du Roman d'Alexandre, œuvre de Lambert li Tors et d'Alexandre de Bernay. Ni la vallée de Bacar, ni la vallée de Josaphat n'y sont nommées, mais l'allusion

4482] ET DE BERNAKD LE TRÉSORIER. 03

li vaus de Bacar\] dont cil qui le Romanten fist pour mius mener se rime le noma le Val de Josaphas, por sa rime faire.*

Or vous avons dit dou mont dou Nyban [dont les II. fontaines sordent au pié^]. Or vous dirons d'une cité bas el pendant del mont% sor le fontaines, qui a non Belinas. Elle fu ja de Crestiiens au tans Godefroi de Buillon ; mais ne vous sai à dire au tans de quel roi il le perdirent. Mais puis fremerent il .11. castiaus priés d'iluec, liuns à non li Thorons. Gis castiaus fu le roi et esta .v. lieues de Sur, à .iiii lieues de ccle cité de Belinas ^ Et li autres a non Saffet. Gil estoit al Temple et .iiii. lieues de le cité.

Or vous dirons de Belinas" quels cités ce fu, et com- ment elle ot non anciienement. Elle fu Phelippon ; si otnon Cesaire-Plielippe. Gil Phelippon"' fu frères He- rode, qui saint Jehan Baptiste fist decoler ; et fu barons le femme que Herodes tenoit, quant il fist saint Jehan decoler. Et por ce qe il dist à Herode q'il ne devoit mie tenir la feme son frère, pour ce li fist il couper. A celi Gesaire donna nostres sires saint Pieres les clés de Paradis et poesté de loiier et de desloiier. Gelle cité est près de Galilée.

d'Ernoul pourrait se rapporter, nous dit M. Michelant, à ces vers des Regrets des xii. Pers, autre partie du Roman d'Alexandre :

Et li douna la tiere del val de Josafas, Le rente et le tréu de l'ounor de Baudas.

(Edit. Michelant. Stuttgart. 1846. Pag. 534).

1. F. 0. Manque dans A. B. G. D. 2. E : dont cil quile Rovimant fist le nomma Val de Josaphas pour mix faire le rime. 3. A. B. D. F. 0. 4. A. B : qi est el pendant del mont.

5. D. G : /m le roi à .v. Unes de Sur .m. Hues de celé cité.

6. A. B. D. F. 0. G : Linas. 7. A. B : cil Phelipes.

64 CHRONIQUE d'een'OUl [^ ^ 82

Or^ vous dirons des .11. fontaines qui keurent vers le mer de Galilée. Ains qu'eles entrent en la mer, si s'asamblcnt et vient tôt ^ à une. L'une des .11. fontaines a à non Jour, et li autre a à non Dain. Et quant elles s'asanlent, si a à non Jourdain. Celle eve entre en le mer par deviers Belinas, et keurt parmi le mer del lonc, de si à un pont c'on apiele le Pont de Tabarie, et puis k'elle passe le pont, si a à non fluns Jourdains.

Or vous dirons de celi mer, qués mers çou est. Celle mers n'est pas sallée, ains est douce et bonne à boire. Celle mers n'a que .1111. lieues de lonc et .11. de lé. Celle mers apiele escripture Mer de Galilée et en autre liu Mer de Tabaî'ie, pour çou que li cités de Ta- barie siet sor la mer^ par devers Crestiiens. En autre liu, l'apiele l'escripture XEstancde Nazareth.

Sour celi mer ala Jhesu Cris ses pies'*, et saint Pieres qui en une nef estoiten le mer, si li pria qu'il le laisasl alcr apriès lui. Et Jhesu Cris li tcndi sa main, et se li dist qu'il venist. Et Sains Pierre sali en le mer, si cancela et douta ^ et cria merci à Jhesu Crist, qu'il le secourust. Et Jhesu Cris li dist que petit de foi avoit. En celi mer pescha Saint Pieres une nuit entre lui et ses compaignons en .11. nés, et riens ne prisent. Et Jhesu Cris vint la matinée sour le rive de la mer, si lor demanda s'il avoient point de poisson ; et il respon- dirent qu'il ne avoient riens pris. « Or, gietés, dist » Jhesu Cris, vos rois à main diestre. » Et Saint Pieres H respondi : « Sire, nous avons toute nuit villié, et si » n'avons riens pris, mais en vostre non gieterons « nos rois. » Si le gicterent, et lor rois empli toute de

1. M. ne donne rien de cette fin de chapitre. 2. F. O. 3. A. B. 4. A. B. D : sec pié. F. 0 : à secpié. 5. D.

HS2] ET DE BERNARD LE TRESORIER. 65

poison et emplirent leur .11. nés, et que les rois rom- pirent. '

Sour celle mer fu ce que Jhesu Cris fist de l'eve vin, quant il fu as noces Archedeclin, en le cité de Tabarie. Entre Tabarie et Belinas a .1. leu qu'en apele la Table, priés ^ de le mer de Galilée ^ En cel liu, fu ce que Jliesus Cris repeut les apostles et .v. mil hommes de .V. pains d'orge et de .11. poissons, si qu'il en de- moura . 11.^ corbillies de relief.

D'autre part, deseure le mer, par deviers le Paie- nime, a une cité c'on apiele Capharnaon, u sains Pieres et sains Andrius furent né, et u Jesu Cristfist mainte biele miracle, de gens saner, com del fil le roy et d'autres. Apriès, si a une cité c'on apiele Naïm ^ u Jhesu Cris ala un jour, et il et si apostle. Et quant il aproça la porte, si encontra .1. vallet c'om empor- toit enfouir. Dont li dist qu'il levast sus, et cil tantost sali sus, car Jhesus Cris l'avoit resuscité. De requief aloit Notre Sires en celle contrée, si encontra un liomme qui estoit hors del sens, que nus loiiens ne pooit tenir qu'il ne rompist. Cil de la vile couroient apriès lui pour prendre, qu'il ne s'alast noiier. Dont dist Jhesu Cris à lui qu'il fustcois, et cil fu cois. Apriès dist Jhesu Cris : « Qui es tu dedens cel cors qui si « travaille cest homme? » Et il dist que c'estoit une légions d'anemi [qi aillors ne puent estre s'en cors non de gens] \ Dont commanda Jhesu Cris qu'il issent fors, et il disent que il lor commandast que il entrais- sent en autres cors, llluec paissoit une porkerie de

1. A. B. D. G : Belinas à une Hue pries. 2. D. 3. A. B xxir. D : xii. 4. A. B : Enaïm. -- 5. A. B. F. O.

66 CHRONIQUE d'ernoul [-H 82

pourciaus, et Jhesu Cris lor commanda que il entras- sent laiens es cors des pourciaux , et il si fisent ; et 11 pourciel entrèrent en la mer, et li hom s'en ala tous sains en se maison. Celle miracle, et assés plus que jou ne die, fist Jhesu Cris entour le mer. A .v. liues de ccîi mer Tabarie a une cité c'on apiele Nazareth \ et si est à .Yi. liues d'Acre.

A celle cité, fu Notre Dame Sainte Marie née. Et en celle cité meismes li aporta li angeles le nouvele que Jhesu Cris prenderoit car et sanc en li. Quant Nostre Dame Sainte Marie fu ençainte del fil Diu, elle ala à une montaigne qui priés de Nazareth estoit, u Sainte Elizaljeth manoit; et estoit ençainte de monsigneur Saint Jehan Baptiste. Tantost com elle vint là, si Je salua. Tantost que la vois le mère Diu entra en l'orelle Sainte Elisabeth, li enfes qu'elle avoit en son ventre s'esjoï encontre le venue son signour. En cel liu aune abéie [de Greus^] c'on apiele saint Çacharie^ ; pour çou que Zacaries mest ; et cil fu pères Saint Jehan Baptiste.

Priés de Nazaret, [ja demi lieue ^], a un biel mont qui a à non en latin, [Montem'"] excelsum valde, et en rou- mans rapicl'on le Sauf^, pour chou que en" le costiere^ de cest mont a une falise ^ u on menoit chiaus de Naza- reth qui mort avoient deservie, pour faire salir jus. Dont il avint une fois que Jhesu Cris i fu menés pour faire salir jus, pour une parole qu'il avoit dite as Juis en Nazaret. Et quant il vint là, si s'esvanui d'aus, et

1. D : Naxareph. 2. A. B. D : Griex. F. 0 : Grius.— 3 A. B. C : Saint Acarie. - F. 0 : Zacharie. 4. A. B. 5. A. B. F. 0. 6. D : l'estanc. 7. A. B. C. D. E. 8. A. B : contrée. 9. A. B '.falaise. G : falaise.

-1482] ET DE BERNARD LE TRe'sORIER, 67

s'asist sour une piere qui encore i est, si qu'il ne le porent ne veoir^ ne trouver.

Cil monsqui est en haut, qui estdesus le falise, c'est li mons u li diaules porta Jhesu Cris, quant il l'ot porté de le Quarentaine leu iP juna sour le Temple, et desour le Temple le prist, si le porta sour cel mont, et li mostra tout le pais et toute le rikece qui estoit en le tiere, et se li dist qu'il li donroit quanques il veoit, si l'aourast. Et Jhesu Cris li dist qu'il s'en alast, et que jamais ne le tentast. Li diaules s'en ala, et li angele vinrent priés de cel mont.

[Desoz cel mont ^] si i a un autre mont, ki n'est mie si haut, [por ce je vos die desoz ^]. Il i a moût biele plaingne entre deus mons. Cel autre mont apiele on Mont de Tabour^ Sour cel mont mena une fois Jhesu Cris saint Piere et saint Jehan et saint Jake, et se tran- fîgura devant aus ; dont on fait en moût de tieres le fieste de celle Tranfiguration . virent il son veste- ment blanc et .11. hommes aveuc lui, dont on dit '^ que li uns fu Moïses et li autres Elyes. Dont vint sains Pieres à Jhesu Crist pour le grant glore qu'il vit là, si li dist : « Sire, dist il, chi feroit moût boin estre ; fai- » sons chi trois tabernacles, vous un, Elye un, Moysef » un. » Quant sains Pieres ot ensi la parole dite, si vint^ une vois par devers le ciel aussi comme ton- noires, se dist que çou estoit ses fius qu'il avoit en- voiiet en tiere. Dont li Apostre eurent si grant fréeur quant il l'oïrent, que il caïrent pasmé sour

1. A. B. C : vîr. D : vooir. F. 0 : veir. 2. A. B. D : ou il jeûna. F. 0: qu'il. 3. A. B. F. 0. D : Près de ce mont. 4. A. B. F. 0. 5. A. B : Mont Tabor. 6. A. B. 7. A. B : Moïses. 8. A. B.

68 CHRONIQUE d'eRNOUL [•( i 82

lor visages. Quant il se levèrent de pamisons^ et il se regardèrent, ne virent il fors seulement Jhesu Crist aveuc iaus;etil s'en avalèrent de le montaigne. Et Jhesu Cris lor dist ke de l'avision que il avoient veue, ne desissent mot jusques adonc qu'il seroit resuscités de mort à vie.

Je vous avoie oubliié à dire quant je parlai^, com- bien il a de Jherusalem dusque à cel mont, u li diaules porta Jhesu Crist ; il i a .11. journées grans. - Or vous dirai del flun Jourdain, comment il keurt, ne u il ciet. Puis qu'il kiet^ de le mer de Galilée, il keurt viers midi, et si keurt bien .m. journées de lonc. Et si kiet en le mer c'on apiele le Mer del dijable ; en le ticre et en l'escripture l'apiele on le 31er de sel, pour chou (ju'il a une montaigne de sel sour le rive par deviers le Crac, et pour çou qu'ele est si sausse et si amcre que nulle riens ne se peut comparer à le grant sausse, ne à l'amertume^ de li. N'est riens de le grant mer à li et si n'a point de cours, ains est ensi com uns estans, et se n'i a nul poisson, que poissons n'i poroit durer ; et si fu ja toute tierelàulimers est. Et celle tiere sist entre une cité ki a non Saint Abraham et le Crac.

Ançois (jue je vous parole plus de celle mer, vous dirai u li Crac siet. Il siet en Arabe''. Apriès si est Mon s Synai, en la terre le seignor de Crac''. Cel Mous Synaï'si est entre le mer Rouge ^ et le Crac^ Là'"

1. A. B : posmoison. F. 0 : pasmison. 2. D : quant je vi' en parti. 3. A. B : est. D : part. 4. F. 0. 5. D : ^rrabe. G. A. B. F. O. 7. A. B. F. 0. C. a omis les mots : en la terre le Seignor de Crac. Cel Mous Syndi. 8. A. B. F. 0. 0. C. répète ici inutilement Entre le Rouge mer et le Crac si est Mous Synai. 10. A. B. F. 0 : Sor cel Mont Sinay.

^-182] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. fiî)

donna Diex le loy à Moysen, apriès çou que il ot passé le Rouge mer. En cel mont u li lois fu donnée, por- tèrent li angele le cors sainte Katerine, quant elle ol le cief copé en Egypte. gist en oille que ses cors rent. Et lassus a une abéie de moines gris^ Mais li maistre abéie de celé maison [ne est mie là, ains'] est al pié del mont. estli abbes et li couvens; et ne peut on aler el mont cheval ^] ne porter viande dont il puissent tout vivre lassus.

Mais lassus % a xiii moines qui forte^ vie mainent. Lassus lor porte on pain sans plus, et teus i a qui ne manguent que .ni. fois le semaine pain et iaue; et teus i a qui manguent aveuc lor pain crues ierbes^ qu'il aunenf lassus. Sour cel mont,junaMoyses .XL. jours, c ainz* ne manga devant chou que la lois i fu donnée.

Or vous dirons de la Mer Rouge, qui apriès est. Çou est li mers que Moïses feri de la verge, et li mers se parti, et si fu comme maisiere d'une part et d'autre. C'est li mer que li fil d'Israël passèrent sec piet, quant il vinrent d'Egypte. Et quant il l'orent passet, h rois Pharaon qui apriès aus venoit, entra ens, et les voloit ocirre et prendre, et il et toute s' os. Moyses retourna sa verge et feri le mer, et li mers reclost; et Pharaons et toute s' os fu noie, c'onkes nus n'en es- capa. Et li fil Israël escaperent, car il furent outre an- çoisqu'ele fust raclose.

Sourie rive de celle mer fist une fois princes Rcnaus faire .v. galies. Quant il les ot faites, si les fist mètre

1. A. B : Greus. D : Gnex. 2. A. B. D. F. 0. 3. A. B. D. 4. A. B : sus en su le mont. 5. A. B. D. F. 0 : fort. 6. A. B : ?es herhelefes. 7. A. B, C: ahanent, sans doute pour ak'ùnenl. 8. A. B : ^e onnc. 0 : c'ainc.

70 CHROMQUE d'eRXOUL [4 ^ 82

en mer, et si i fist entrer chevaliers et siergans et viandes assés pour cierkier et pour savoir quels gens manoient sour celé mer d'autre part. Il se partirent d'ileuc, quant il se furent apparellié, et se mirent en haute mer; n'ainc puis k'il se partirent de là, on n'oi parler, ne ne sot on k'il devinrent. Et parmi celle Rouge Mcv cuertuns fluns de Paradis. Et quant il ist hors de le mer, si s'en court parmi le tiere d'Egypte. Cel llun apiele on en l'escripture Sison ^ et en le tiere l'apiele on Nil.

Or vous lairons de cel Nil ester, si vous dirons de la cité saint Abraham qui est outre le mer dcl Dyable, en le tiere de Promission. Cis lius u la cités est, si a à non Ebron. conversa et mest sains Abraham quant il fu venus de Ilamain^ u il lu nés, que l'Es- cripture apiele Arain% quant Dius li dist qu'il issist^ et alast manoir en une tiere qu'il li ensegneroit^ En cel liu acata il un camp de tiere à lui enfouir et à sses gens, et fu il enfouis et ses fîus Ysaac, et Jacob, li fils Ysaac % qui mors fu en Egypte [et père fu Judas et Ruben et Gad et Nephtalin et Manasé et Syméon et Levi et Ysachar et Zabulon et Dam et Joseph et Ren- jamin. Ce sont les .xii. fil Israël. En la terre Israël en a IX. lignics et demie et en Crestienté et Paienie ii. et demie'. Joseph, (juant ses pères fu mort en Egipte^], il le fist aportcr et le fist enfouir aveuc ses frères ° en Ebron'". Et quant Joseph fu mors, lifil Israël, quant il vinrent de le tiere d'Egypte en le tiere de Promis-

1. A. B : ^son. D : PMson. F. O : Syson. 2. F. 0 : Hamnm. 3. A. B : .iram. D : Araim. i. A. B : qu'il isisl. de nailc. 5. A. B : yiouslreroit . (i. A. B. D. 7. F. O. 8. D. F. U. U. F. 0 : ses pères. 10. A. B : Ebreu.

■iJ82] ET DE BERNAUU LE TRÉSORIER. 7J

sion, il i aporterent ses os, et si les enfouirent aveuc lors pères. El tans que Abraham mest là, n'i avoit il point de ville, mais puis i fist on celle cité et l'apiel' on Saint Abraham, pour çou que saint Abrabams mest là. Celle cités estoit au signeur del Crac. Et si est ^ à .v. bues de Betelem^, u Jhesu Cris funés^.

Bethléem^ est cités, mais n'est mie grans qu'il n'i a c'une rue. Et de Bethléem a .u. liues jusques à Jbe- rusalem.

Entre Bethléem et Jherusalem a un moustier, u il a moines Gris^, que on apiele le Gloria in exeelsis Deo. Ce fu u li angele le canterent, quant Jhesu Cris fu nés. Et il parlèrent as pasteurs et anuncierent ke li Sau\ ères '^ dou mont estoit nés ; et disent qu'il alais- sent en Jherusalem u il estoit, et qu'il le trouve- roient envolepé en drapiaus. Et il i alerent, et si le trouvèrent tout si com li angeles lor avoit dit. Dont ren- dirent grasces et loenges à Jhesu Cris de çou que il l'avoient veu. Priés de cel moustier a un camp de tiere c'on apiele Camp flori.

Or vous dirons de le mer del Diable'^. Il avint .i. jour que Abraham se seoitMesous .1. arbre, [en une vallée^ qui avoit à nom Mambré^''], et vit venir un homme en le

1. A. B.— 2. A. B.— D : BeUeam.—F.O: Belleem.— C: Jheru- salem. — 3. A. B :/m mors. 4. A. B : Bethelem. D : Bel- leam. F. 0 : Belleem. 5. A. B : Griés. D : Griex. 6. A. B : Sauluvieres. 7. E : le Mer des Dyables. 8. A. B. F. 0 : se sist.

9. Le. sens exige l'addition de ces trois mots ou de quelques mots semblables, qui manquent aux mss.

10, A. B. F. O. A. B : Marbré. La célèbre vallée de Mam- bré était située entre Hébron et Jérusalem. Voy. Victor Guérin, Descripl. de la Palesliue, t. III, p. 270. Paris, 1869.

72 CHRONIQUE d'erinoul [^482

cemin, et cil se leva, si ala encontre lui pour proiier k'il herbegast aveuc lui. Tout si que il vint priés de lui si l'aoura. En l'aourer qu'il fîst, s'en vit .ni. Un en vit, et .m. en aoura ; li .m. estoient en un ; et li uns estoit en .111 ; et tout en une personne. Il li proia qu'il herbegast aveuc lui, et se^ li lavcroit ses pies et si mangeroit dou pain et de l'eve. Et il demoura une pièce et paillèrent ensanle ; mais ne vous veul ore mie dire quanques il disent. Quant il orent esté une pièce, si s'en ala, et Abraham le convoia. Si com il orent eslongié le liu, si esgarda Nostrc Sires el plain par deviers le Crac, u la Mers le Dyable est ore, et vit .v. cités dont l'une avoit non Gomorre^ et l'autre Sodome. Des autres ne vous dirai jou mie les nous. Dont distnostre sires Jhesu Cris qu'il ne pooit plus souffrir la pueur^ de ces cités, et qu'il les feroit abismer pour l'ort pecié de contre nature qui estoit. Et pour ce apiele on encore cels qui pecent contre nature Sodomittes, pour le cité qui ot non Sodome. Gomorre si senefie autre pecié, comme d'avarisse et de convoitise, ke li avers ne li convoileus ne peut estre nient plus remplis, nient plus que Go- morre est del flun Jourdain ki ciet ens.

Or avoit Abraham .i. sien cousin germain en une des cités qui estoit aveuc lui venus de se tiere. Et cil avoit à non Loth. Quant Abraham ensi parler Noslre Signcur de ces cités que elles fonderoient, si ot grant paour de Loth son parent et de ses filles .11. ke il avoit, et de se femme. Dont il avint que Abreham vint à nostre Seigneur, si li dist k'il li souvenist dou siere-

1. A.B : si. 2. A. B : Godomore. 8. A. B : le puant. F. O : le puor.

^^82] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 73

ment qu'il avoit fet à Noë, quant il fist le delouvo', que jamais ne feroit delouve. Apriès li dist Ahreliam, que s'il avoit en le cité .l. preudommes, s'il lairoit pour çou le venjanchc à prendre. Et Diex dist qu'il n'en prenderoit nient venjance, s'il en i avoit .L. Apriès li demanda de .xlv. et Diex dist aussi ; et tant le mena en abaissant de .Y. à .v. qu'il vint à .x. Et Diex dist que s'il en i avoit .x. qu'il n'en prenderoit point de venjance. Dont ot peur Abraham que il n'anuiast Nostre Signeur, si se teut. Atant prist congié, si s'en al a.

Dont vint Diex, si envoia .n. angeles en Sodome à Loth en guise de .u. vallés et il i alerent, et Loth les hierbega. Dont vinrent cil de la cité qui les virent^ entrer en l'ostel, si alerent apriès, et les vorrent avoir à faire lor volenté. Dont vint Loth à l'encontre ; si lor pria merchi, et dist qu'en l'ostel n'en avoit nul, mais il avoit .11. filles dont ilpooient fere lor volenté. Et il se traisent ariere ; et assanlerent gent pour la maison assalir et prendre. Dont ne troverent ne huis ne fenestre en le maison, ains fu ensi comme maisiere contremont ; dont se départirent et ala cascuns en son ostel.

Dont vint li angeles, si dist à Loth ke les cités fon- deroient lendemain, et que s'il avoit nul ami en le ville ([ue il en vosist mener, qu'il l'enmenast. Dont vint Loth à^ .11. hommes qui ses .11. filles avoientplevies, si lor dist qu'il s'en ississent, ke les cités fonderoient lendemain ; il ne s'en volrent issir, ains demourerent. Quant ce vint lendemain par matin, li .11. angele prisent Loth

1. A. B. D: le déluge.— F. 0 : le deloive. 2. A. B : qi les avaient veu. G : vinrent. 3. A. B: as.

74 CHROMQIE d'ernocl [-1 -I 82

et se femme et ses .11. filles si s'en alerent. Quant il orent eslongié le cité une pièce, si vinrent li angele, si prisent congié, et si lor disent que pour cose que il oissent, ne regardaissent ariere aus.

Quant li angele orent pris congié, si s'en alerent. Estes vous, un effondre^ qui vint deviers le ciel qui arst et abisma toute li tiere et les cités et gent et quankesil i avoit. Elliu u celle tiere estoit, si est celle mers qui est apelée del Diable ^ Li femme Loth, quant elle le frainte ^ des cités, si se regai^da deriere li, et elle caï tantost, si devint une pierre de sel. Dont il avient, si com li païsant d'entour dient, c'une bieste noire vient et ist hors de le mer le lundi, par matin, et lece celé piere de sel, au semedi à nonne est toute lecie. Et celle bieste que je vous di est aussi com une vake, et cascun lundi, quant elle vient, le treuve toute entière. Et ce avient cascune semainne.

Or vous dirons de Lotli qui s'enfui entre lui et ses .11. filles ; et fuirent tant que il vinrent à une cité qui a à non Segor. Quant Loth vint à celle cité entre lui et ses .n. filles, si n'i trouvèrent nului, ains s'en estoient tout fui. Dont vinrent les filles Loth, si parlèrent en- sanle et cuidierent qu'il ne fust plus demoré de gent el siècle que aus. m., et que Diex les eust laissies pour montcpliier le peuple. Dont prisent consel comment lor pères poroit à elles gésir, car il estoit si preudom et si sains [hom 'J que s'elles ne faisoient cose dont il fust dcceus, il ne girroit '" mie à elles. Dont vinrent, se li donnèrent tant à boire del vin qu'elcs trouvèrent en

1. A. B. I) : une foudre. 2. D. 3. F. 0 : lefriente. 4. A. B. 5. A. B: ycscroit. D : yerroit.

^^82] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 73

celle cité qu'il fu yvres; puis se couça li ainsnée des filles aveuc li, et il jut à li et engenra .i. fil, dont puis issi grans pules. Lendemain fit ensi li autres, et il jut à li, et engenra .1. fil, dont puis issi grans pules.

Or vous lairons atant de Loth, si vous dirons d'une cité qui est à .n. liues priés du flun, que les gens du pais fremerent, quant il oïrent dire que li fil Israhel venoient en le tiere de Promission et qu'il devoit illue- ques passer. Celle cités a à non Jcricop, et fu fermée de pierre d'aimant \ Quant li fil Israël orent passé le flun, si l'asegierent, pour çou qu'ele estoit en le tiere de Promissions, à l'entrée. Celle cités estoit si fors, qu'il n'i pooient riens faire. Dont priierent " Nostre Seigneur qu'il les consellast et aidast, qu'il peussent avoir celle cité. Dont lor manda Nostre Sires que il fesissent buisines d'arain et junassent .m. jours, et alaissent à pourcession entour le cité, al tierç jour por- taissent cascuns se buisine, et quant il seroient aren- gié ^ entour le cité, que cascuns sonnast se buisine, ensi prendroient le cité. Il ne mescréirent mie ceste parole; ains fisent le commandement Jhesu Crist, et fisent tout si com il lor avoit commandé. Si sonnèrent lor buisines, quant il furent arengié, et quant elles sonnèrent, sicairentli mur de le cité. Et il entrèrent ens et ensi le prisent.

1. D: d'ayviant. 2. A. B: proiereni. 3. A. B; alemjié.

CHAPITRE VIII.

De II. Serpens ki sunt en Arabe.

SOMMAIRE.

Serpents extraordinaires près de Jéricho. De deux serpents qui vivent dans les déserts du pays des Arabes. Histoire de Zachée de Jéricho. Montagne de la Quarantaine. Fontaine d'Elysée. Abbaye de Saint-Jean. La Citerne rouge. Le bon Samaritain. 1182. Siège du Crac de Mont- réal par Saladin. Le roi Baudouin secourt le Crac et force Saladin à s'éloigner. Isabelle, sœur du roi. Trêves avec Saladin. 1180. Mort d'.\maury, patriarche de Jérusalem. De Guillaume, archevêque de Tyr, et d'Iléraclius, archevêque de Césarèe. Guillaume de Tyr s'oppose à l'élection d'IIéraclius comme patriarche. Du mode d'élection du patriarche de Jérusalem. La mère du roi Baudouin détermine la nomination d'Hé- raclius. 1183. Guillaume de Tyr, excommunié par Iléraclius, se rend à Rome. Bon accueil qui lui est fait. - 118i. 11 meurt, empoisonné par un émissaire d'IIéraclius. Mœurs dissolues d'IIéraclius et de son clergé.

Priés' de celle cité a une gastine qui est loute plaine de serpcns. prent on les serpens dont on l'ait le triade ^ Et si vous dirai comment on les prent. Li lions qui les prent si tait .i. cerne ^ enlour le gastine et va

1. A. B. C. D. 0 donnent seuls le commencement de ce cha- pitre. — 2. A. B : la triade. La Tliériaquc. 3. A. B : ra faisant tinserne. F. 0 : cherne.

H 82] ET TE BERNARD LE TRÉSORIER. 77

disant son carne ^ en cantant al cerne faire. Tont li ser- pent qui l'oent vienent à lui, et il les prent aussi sim- plement com .1. aigniel, et les porte vendre par les cités à ciaus qui font le triade. Or en i a des sages de ces serpens, quant il enlent (|ue cil commence sen carnin ^, si boute une de ses orelles entière, et l'autre estoupe de sa keue pour che qu'il n'oe l'encant; par tant si escape. De cel triade c' on fait de ces serpens, garist on de tous envenimemens ^

[Or vos dirai encore de .11. serpens qui sunt en Arabe, et sunt es desers parfont. Il n'en est onques ke .IL, ne plus n'en puet estre, et sunt de si caude nature et de puant, qu'il n'est nus oisiaus qi vole par desus lui, oîi il converse, q'il [ne li] estuece cheoir'* mort de la calor ^ et de la puor q'il rent; ne n'est hom ne beste por q'il sente la puor d'aus, q'il ne l'estuet cheoir mort. Or vos dirai cornent il naisent et coment il vieiient en avant, car il lor estuet de morir. Qant ce vient el point q'il sunt en amor, si vient li masles, si met sa teste dedenz la boche de sa femele''; conçoit. En ce q'ele conçoit, si estraint les dens et escaçe '^ le masle la teste, et insi muert. Et quant ce vient à l'en- fanter, si se partist, et dui feon^ vienent d'avant, li uns masles, li autre femelle. Einsi faitement font tôt lens.^]

Or^** vous lairons des serpens, et si vous dirons d'un rice homme ki manoit en Jericop, au tans que Jhesu

1. A. B : I. carme. D. F. 0: charme, 2. D : charme. 3. F. 0 : de tos envenimemens que li hom a. 4. F. 0 : qu'il ne li estuèce chair. G : q'il n'estuèce cheoir. 5. F. 0 : chaure. 6. F. 0 : de sefumele. 7. F. 0 : el esquate. 8. F. O : et li n.faon. - 9. A. B. F. 0. lU. A. B : Atarit.

78 CHRONIQUE d'eRNOUL [US2

Cris aloit par tiere. Aucunes gens disent qu'il estoit useriers. Cil avoit moût désiré à veoir Jhesu Cris. Il 01 un jour que Jhesu Cris venoit en Jhericop, et il ala à rencontre, et si monta sour .i. arbre, qui sour le voie estoit Jhesu Cris devoit passer, pour lui bien veoir; et pour ce qu'il estoit petis, et qu'il ne le peust mie veoir s'il ne fust montés sour l'arbre, pour le grant priese^ de gens. Quant Jhesu Cris aproça l'arbre, si sot bien qui estoit sus, et pour coi il estoit montés. Il l'apiela par sen non, et se li dist qu'il descendist de chel arbre et qu'il voloit aveuc lui herbegier en son castiel. Cil ot non Zaçeus^. Il descendi liés etjoians, et grant feste faisant de che que Jhesu Cris li ot dit qu'il herbegeroit aveuc lui. Il vint à Jhesu Cris, se li dist : « Sire, pour l'ounour que vous ^ me faites de çou » k'aveuc moi herbegiés, le moitié de tous mes biens » donrai as povres ; et se j'ai de nului eut par maie » raison, je le renderai à .un. doubles. »

Illuec en celle voie rendi Jhesu Cris .1. homme qui crioitapriès lui, le veue, k'il n'avoitnul oel. D'illueques jusquesà une liue de Jhericop, est la Quarantaine, Diexjuna en une montaigne haute.

Al pié de celle montaigne a une fontaine bonne et belc qui au tans Elyzeie * le prophète estoit de mervil- leuse manière : ([ue sous ciel n'avoit leu celé eve ^ atoucast, que nule vrcdure ° i creust; n'avoit "^ femme el mont, se elle en beust, que jamais eust enfant; ne bieste femele enscment que jamais eust faon^ Dont

1. A.B ; prese. 2. D : Jaçeus. 3. C : vou. 4. F. 0 : Elyseus. 5. A. li. D. F. O : C : que sous ciel n'a homme nul ou celle fonlaine. G. A. li. D. F. 0 ; verdure. 7. C .• n'a.

8. A. I3:/e(;«.

^^82] ET DE BERNARD LE TRESORIER. 79

vint ^ Elizeus, si le saintefia et si mist sel ens. N'ainc puis qu'Elizeus l'ot saintefiie ne fist nul mal, se grant bien non. Et si aboivre toute la tiere et les gardins d'ilueques duscjues al flun. Celé Quarentaine Diex juna est es desiers dechà le flun; et li desiers sains Jehans conversa si est delà le flun. Et priés del flun, illuec batizoit il ciaus qui venoient à lui pour batisier, et si i batisa Jhesu Crist. Et sour le rive del flun il baptisa Jhesu Crist, a une abéie de moines Gris^, c'on apiele Saint Jehan.

Entre Jericop et Jherusalem a .]. liu c'on apele le Rouge Cisterne. soloit avoir une hierbegerie, cil herbegoient qui de Jherusalem aloient en Jhericop et au flun. Et fu çou que li Samaritains porta l'omme qu'il trouva navré en la voie, dont Jhesu Cris dist en un evangille quant li Juis li demandèrent qui chil proisme^ estoit. Dont il lor parla, quant il li demanda li quels estoit li grignours ^ commandemens de le loy. Et il lor dist : «d'amer Diu sour toute rien, et son » proisme^ comme lui meisme. » Adont lor dist c'uns hom aloit de Jherusalem en Jhericop, si s'enbati sour larons, dont li laron le prisent et despoullierent et na- vrèrent et laissierent comme mort sour le cemin. Apriès ce, passa par illuec .1. priestres et le regarda et s'en passa outre et le laissa. Apriés che, passa uns diacres et fist autel. Apriés passa li Samaritains; et cevauçoit une jument. Quant il le vit, si descendi et mist l'omme sus et le porta en le hierbegerie, si com je vous di, et vint à une maison, et donna .11. deniers au

1. A. B. D. F. 0. 2. A. B .- Grieus. D : Griex. 3. A. B : prismes. '(. A. B ; graindres. 5. 1) : presme.

80 CHROMQUE d'ernoul [H 82

signeur de le maison et fist laver ses plaies de vin et oindre d'oille. Et dist al seignour de le maison que il preist garde de lui, et il 11 renderoit tous les cous et les despens qu'il fcroit, tant qu'il seroit garis. Dont dist Jhesu Cris as Juis qu'il lor estoit avis li qués estoit plus proismes? Et il disent que chil qui ot pitié de lui, et Jhesu Gris lor dist qu'il alaissent, et fcsissent aussi .

Or vous ai parlé de le mer de Galilée et del Flun et de chà et de là, et de le devise de Grestiiens et de Sar- rasins, pour çou que je vous avoie dit que li Sarrasin avoient passé le Flun, quant il orent esté .1. jour devant Forbelet et estoient aie assegier le Grac.

Or vous dirai del Grac S que li Sarrasin orent asse- gié. Il furent bien .v. mois à celle fois devant; et si damagierent moût les murs et les tours del castlel, que perriere ne mangonniaus n'i pooit plus oeuvre faire, car on ne pot le castiel assegier que d'une part, car il siet sour une falise, [et la falise est ^] si roide et si dure et si grant d'une part c'on n'i pooit riens faire, et d'autre pari à si grans fossés (ju'à paines ose on re- garder le fons. Et (juaiit Salehadins vit qu'il ot le cas- tiel si damagié, et qu'il ne le '^ poroit avoir s'il ne fai- soit emplir le fossé, dont se pourpensa qu'il ne le po- roit mie emjilir de mairien, qu'il n'en i saroient tant geler que cil del castiel n'arsissent, sans iaus grever; donl ' fist faire deus voies desous tiere qui aloient très

1, La suite du récit correspond, toujours d'une manière inégale, ù G. pag. 78-82; à H. pag. 57-G2; ot à M, cliap. 140. col. 777.

2. F. (). - ■^. A. B. i. F. O : adonc.

%

A

-^82] ET DE BERNARD [-E TRÉSORIER. Si

le fossé de si à Fost' ; l'une li carkié ^ aloient, l'au- tre où il en revenoient ^. Et si portoient tiere en paniers. Dont fist il krier par toute la tere que tout chil qui vauroient gaegnier, venissent ; et. de cascun panier qu'il porteroient, il aroient .1. besant. Dont i vint assés de gent, et commencierent le fossé à emplir et par jour et par nuit.

Quant li princes Renaut vit che, qui dedens le Crac estoit, qu'ensi faitement emploit on * le fossé, il fist avaler un homme par le falise et manda au roi de Jherusalem qu'ensi faitement l'avoit damagié et si fai- tement emploit on le fossé. Dont vint li rois, si amassa ses os, et si l'aîa secourre. Quant Salehadins dire que si faitement venoit li rois^ secourre le castiel, il se leva del siège, et s'en ala en sa tiere ^ Et li rois ala toutes voies ' au castiel et fist le fossé vuidier que li Sarrasin emploient, et donna le prince Renaut grant avoir pour le castiel refremer que li Sarrasin avoient abatu.

Encore adont, quant li rois ala à cel castiel, avoit il une serour à marier qui fille fu le roi Amaurri, et fille estoit le roine Mariien, qui femme estoit Balyan de Belin. [Et celé demoisele otà nom Ysabiaus^]. Li

1. A.B : gi aloient très l'ost desinc au fossé. D : qui aloient deu fossé d'ici à l'ost. F. 0 : qui alaissent trover l'ost jusc al fossé. 2. A. B : chargié. F. 0 : carchié G : carki. 3. A. B. F. 0 : l'autre li vuit venaient. 4. D : emplissoit l'en. 5. A. B. D. 6. M : « discessit. » Ghap. 140. Gui. 777. 7. F. 0 : totes eures.

8. D. Isabelle de Jérusalem, qui épousa successivement Humiroy de Toron, Conrad de Montierrat, Henri de Ghampagne et Amaury I*"" de Lusignan.

6

82 CHRONIQUE d'eRXOUL [^^80

rois le donna àîlainfroi^ qui fu fillastres le prince Renaut mais ne l'espousa mie lues^ Puis s'en retourna li rois en le tiere de Jherusalem. Quant revenus fu enletiere, si fisent trives entre lui et Salehadin, en lonc tans ^.

Or est li rois en pais en se tiere. Or vous dirons d'Androne % qui en prison estoit % qui fist le malisse pour coi li Franchois alerent en Goustanti- noble, qui au tans le roi mesel fu fait.

Mais ançois que jel vous die, vous dirai de .11. clcrs qui en le tiere de Jherusalem estoient, à chel tans, dont li uns estoit archevesques de Sur et li autres archevosques de Cesaire. Ce n'est mie de cel Cesaire c'en dist à Gesairc-Phelippe, ains est à Cesaire sour le mer. Li archevesques de Sur ot à non Guillaumes, et fu nés en Jherusalem, et ne savoit on en Crestiienté mellour clerc de lui, à son tans. Li archevesques de Cesaire ot non Eracles, et fu nés d'Auvergne, et povres clers ala en le tiere ^. Et pour sa biauté l'ama li mère le roi, et si le fist arcevesque de Cesaire.

Or avint au tans de ces .11. clers que li patriarches de Jherusalem morut, qui adont estoit'. Dont vint li

1. A. B : Gif roi. Pipino a suivi un ms. qui donne aussi cette mauvaise leçon : « Guifredo privigno Raynaldi dédit in conjugem. » M. chap. 140. col. 777. 2. G .- mi lues. D : lors.

3 . M : « Postremo in Hierusalem reversus, longis cum Saladino « Grmatis treugis quievit [in] pace. » Fin du chap. 140. col 777.

4. M. chap. 142. col. 778. 5. Voy. ci-dessus. 6. G : tere. 7. Le patriarche Amaury. Gf. Guill. de Tyr, 1. XXII. chap. 4.

Pag. 1068. Les faits rappelés dans cette fin du chapitre VllI, faits qui se retrouvent dans tous les mss. antérieurs aux continuations A. B. G. D. F. L. 0, sont supprimés dans J (fol. 371) abrégés dans M. (chap. 142. col 778) et se retrouvent plus loin, avant la bataille de Tihériade dans le récit des Gontinuateurs. G. pag. 78-82. H. pag. 57-62.

^i^G] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 83

rois, si manda les archevesques de le tiere qu'il venis- sent en Jherusalem, à le élection del ' patriarche ; et il i alerent. Quant il furent tout assamblé là, si vint li archevesques de Sur as canoines del Sepucre, à cui li élections del patriarche estoit à faire, si lor dist en ^ capitre et pria merchi : « Segnour, j'ai trouvé en » escripture ke Eracles conquist le Sainte Crois en » Perse et l'aporta^* en Jherusalem, et que Eracles » le gieteroit de Jherusalem, et à sen tans seroit » perdue. Pour ce vous pri, pour Diu, que vous ne » le noumés en élection à estre patriarche ; car, se » vous le noumés, je sai bien que li rois le prendera'', » et sachiez bien^ que li cités est perdue, s'il est » patriarces, et toute li tiere. Et ne cuidiés mie que » che soit pour béanche^ que je aie de estre patriarces, » ains le di pour che que li tiere est perdue s'il est » patriarches. Mais, pour Diu, noumés .11. autres que » nos .11. ; et se vous ne le trouvés en cest païs, nous T> vous aiderons bien à mètre consel de preudomme » querre en France d'estre patriarce. »

Li canoine del Sépulcre n'en fisent noient, car la mère le roi lor avoit proiié d'Eracle l'archevesque de Cesaire qu'il le noumassent, et il le noumerent', et l'archevesque de Sur^ Car tés est l'elections de la

\. G : de. 2. G : Zor dist on dist ou. 3. D. G : et aporta.

4. A. B : Sachiez bien de voir que li roys le prendra à mal.

5. A. B. D. F. 0. C : savons. 6. D : beance. F. 0 : baance. Toute la phrase manque dans A. B.

7. Gette première partie de la phrase est seulement dans G. F. 0.

8. La fin de la phrase dans G seul. Ernoul veut dire que les chanoines du Saint Sépulcre nommèrent l'archevêque de Gésarée en premier et l'arclievèque de Tyr en second. Bernard le tré-

84 cHRO>'iQUE d'er?{Odl [N80

tiere d'Outremer de patriarce et d'archevesque et d'evesque et d'abés, qu'il en noument .îi. et les* présentent le roi; et li rois en prent un. S'on li présente le matinée, il le doit prendre^ dedens vespres sonnans, et s'on li présente au viespre, lendemain le prent apriès canter^ Celé élection^ fisent li apostle quant Judas fu mors, qu'il esliurent .11. Joseph le jusle et Mathias. [Et geterent sors et li sors chai sors Mathias ^]. Ensi le font il encore en le tiere. Et li rois, si est li sors% et si prent lequel qu'il veut. Si furent présenté li doi arche vesque au roi, et li rois prist Eracle l'archcvesque de Gesaire, pour ce que sa mère l'en avoit proiié ; il l'en a\ oit donné le don qu'il seroit patriarces. Par tel manière fu Eracles patriarces de Jherusalem.

Quant Eracles fu patriarches de Jherusalem, il com- manda les archevesques et les evesques de le tiere qu'il li ' fessisent obédience, et il si fisent tout, fors seulement l'arcevesque de Sur. Cil apiela à Roume, se prope personne ^, et dist •' que bien

sorier exprime aussi la double présentation du sujet; mais les Continuateurs G et K. ont rendu le texte plus clair et plus précis par l'addition de quelques mots. On lit dans A et B : Li canoine ne firent mie ce (je li arcevesques de Sur lor avoit dit d' Eracle, l'ar- cevesque de Cesuire qu'il ne le nomenassent. Et il le nomerent [pre~ miereinent G. A'.]; et si nomerent l'arcevesqe Guilaume de Sur [après G. K.]. Par ce nomerent li canoine del Sepucre l'arcevesqe Eracle qe la mère le roy Ven avoit proies.

1. D. 2. A B. D. F. 0. G: rendre. ~'à. A.B.F.O: après messe. 4. A. B. D. F. 0. G : celé eleclio. 5. F. 0.

G. l) : et li lois en est li sors. K : et li rois est li sort. p. 59. cf. p. 203, 204. Var. le fort est une erreur. M : « supplebat « quocjue rex sorlium vices. »

7. F. (). 8. A B : .^a propre personne. 9. D. F. O.

•1180-H84] ET DE BERNAUlt LK TRÉSORIER. 85

moustcrroit que tcus estoiL que palriarces ne devoit estre.

Quant li archevesques ot fait son apiel, si atira son oirre et passa le mer, si s'en ala à Roume. Li apos- toiles fu moût liés de se venue, et li porta moût grant hounour, et iP et li cardonnal ansement^. N'onques n'avoit on parler de clerc qui venist à Roume, que^ li apostoiles liounourast tant ne li cardonnal, com il lisent lui. Et si avint .1. jour que li apostoles li fist canter messe et fist revestir les cardonnaus pour lui servira l'autel. Et tant avoit ja fait vers l'apostole et vers les cardonnaus, que s'il eust tant vescu que li patriarces fust venus à Roume, il eust esté desposés. Or vous dirai comment il fu mors, ains que li patriar- ches venist ^

Quant li patriarces sot que li arcevesques estoit aies à Rome, si sot bien que s'il vivoit tant qu'il venist ^ à Rome, qu'il seroit despossés. Dont vint il a .i. sien fusesiien % se li dist qu'il alast à Roume apriès l'arcevesque de Sur, et si l'enpuisonnast. Et cil si fist, eV ensi fu mors. Apriès ala li patriarches à

1. A. B, 2. D. 3. A. B. G : qui.

4. Les faits ne se passèrent point comme le disent nos chroni- queurs. L'élévation d'Héraclius au siège patriarcal e«t de l'année 1180. Guillaume de Tyr ne se rendit à Rome qu'en 1183, pour protester contre l'excommunication dont l'avait frappé le nouveau patriarche (Contin. de Guill. de Tyr. Edit de l'Acad. H. 1. XXIII. chap. pag, 61). Il y mourut en 118-i.

5. A. B : g'iZ le trovast.

G. A. B. H :fifticien. D : fisician. D.O. fusicien, M : «physi- cum.» 7.A.B.

86 CHRONIQUE d'er^oul [-H 80-^^84

Roume, et fist çou qu'il vaut, et s'en revint arierre en Jherusalem.

Or vous dirai de sa vie \ Quant il fu venus de Rome, si ama le femme à un merchier, qui manoit à Naples, à .XII. liues de Jherusalem. Et il le mandoit souvent; et celle i aloit, et il li donnoit assés de sen avoir pour estre bien de sen baron. Ne demoura gaires apriès que ses barons fu mors. Apriès vint li patriarches, si le fist venir manoir aveuques lui en Jherusalem, et li acata bonne maison de piere, et sen père et se mère qu'ele avoit adont ; et le tenoit ^ tout à le veue dou siècle, ausi coin U hom fait se femme, fors tant qu'ele ne matioit mie aveuc li. Qant elle aloit au moustier, elle estoit acesmée^ aussi de rices dras, comme se ce fust une emperéis, [ou une royne '], et ses sergans devant li. Quant il avenoit cose que aucunes gens le veoient qui ne le connissoient, et demandoient qui celle dame estoit, si com on fait de dame ^ c'on ne connoist, chil qui le cormissoient disoient que c'estoit li Patriarcesse, li l'emme au patriarche.

Ele avoit à non Paske de Riveri *^, et si avoit enl'ans del palriarce. Dont il avint une fois qu'en une ost li rois estoit", et li patriarches et li baron de la tiere, pour conscl prendre de conbatre as Sarrasins qui priés d'illeuc estoient, dont vous orés auchune fois [de

1. Cf. H. p. 60-61. M : chap. 143. col. 779 : « De infami vita ejusdem Heraclii. » 2. D: et la maintenoit. 3. A. B: aornce. 4. A. B. 5. A. B. C : d'arme. 6. A. B : Pasque de Riven. D. F. Gr. K : Pasque, Pasques ou Paske de Riven. II. : de Riveti. M : « Pasclia de Riveri. » 7. A. B.

^'^80-^^84] et de berinaud le tre'sorier. 87

celé ost'] conimcnt il i furent^ et qu'il avint^ vint uns fols % il estoient à consel, et dist ^ au patriarce. « Sire patriarces, donnés moi bon loiier% » je vous aport bonnes nouvieles. Paske de Riveri"', » vostre f'eme, a une biele fille. » Li patriarces le ver- gonda % et dist : « Tais te, fols ^ »

Pour che vous di je que li patriarches estoit de tele vie, si prenoient li homme example à lui, et li pries- tre et li clerc et li moine, et cil de le cité, k'il faisoient tant de luxure et d'avoutere qu'à paines trouvast on une bonne femme en le cité. Quant nostre sires Diex Jhesu Cris vit le pecié et l'ordure qu'il faisoient en le cité il fu crucefiiés et espandi son sanc pour le monde racater, ne le pot il nient plus souffrir comme il fist de Gomorre et de Sodome ; ains esnetia la cité si des habitans qui i estoient al tans del pa- triarce Eracle, de l'orde luxure^" puant qui en le cité estoit, qu'il n'i demoura ne homme, ne femme, ne enfant fors seulement .n. hommes, s'esclaves ne furent".

Li uns de ches deus hommes avoit à non Robiers de Gorbie ^% et fu al prendre le cité, quant Godefrois de Buillon le prist, et li autres avoit non Flokes Fiole^^

1. A. B. 2. A. B. D. G : comment il firent. 3. D. Voy. ci-après. 4. M : « insanus quidam. « 5. A. B. D. 6. M : « prœmia. » 7. A B ; de Riviv.n. 8. A. B : Lors se vergoi- (jna li patriarces. 9. A. B : Tais toi fox! Tais toi fos! M : « Tace stultc. » 10. M : « sordibus luxuriae. « 11. Ici finit le chap. 143, dans M. 12. A. B. D. F. 0. : Robert de CorUe. H : Robert de Codre. pa-. 01. 13. A. B. F. 0. C Fouqttes Fiole. D. : Forques Folie. H.: Focher Fiole. M. ne rappelle pas ces particularités. Cf. col. 779, 797-801.

88 CHROINIQUE D'ER>'OrL [^^80-i'l84

Ce fil li premiers hom qui fu nés en le cité puis que Godefrois le prist. Cil doi homme ne s'en voloient issir, ains demeurèrent en le cité, et Salehadins lor fist donner quanques mestiers lor fu, tant com il ves- quirent.

CHAPITRE IX;

Cornent Quirsac conquist rempire de Constantinople

encontre Endroine.

SOMMAIRE.

ÉVÉNEMENTS DE l'eMPIRE DE CONSTANTINOPLE.

1180-1183. Mort de Manuel Comnène. L'empereur, avant de mourir, confie la régence à Andronic 1". Andronic, secondé par Langosse, fait périr Alexis fils de Manuel, et usurpe la couronne. Isaac Comnène se pro- clame indépendant en Chypre. 1183-1185. Mœurs dissolues et cruelles d'Andronic I". On l'indispose contre Kirsac. (Isaac l'Ange). Kirsac est mandé par l'empereur. Il rencontre sur son chemin Langosse et le tue. Il se fait couronner à Sainte Sophie. Mort misérable d'An- dronic I". 1185-1195. Règne d'Isaac l'Ange. Ses heureux com- mencements. Alexis son frère ordonne de lui crever les yeux et se fait proclamer à sa place.

ÉVÉNEMENTS DE TERRE-SAINTE.

1182. Saladin, ne pouvant obtenir satisfaction des agressions de Renaud de Chatillon, menace d'envahir le royaume. Le roi Baudouin et l'armée viennent s'établir à la fontaine de Saphorie. Saladin passe le Jourdain. Les armées s'observent et escarmouchent entre le château de la Fève et Forbelel. Rencontre et conversation d'un Turcople et d'un Sarrasin. L'armée de Saladin se relire et se porte vers le Crac.— 1182-1183. Humfroy de Toron épouse Isabelle, sœur du roi Baudouin IV, héritière du royaume. Saladin lève le siège du Crac et vient à Naplouse. Description de Naplouse. Saladin se retire à Damas.

Or VOUS lairons atant à parler de le tiere de Jheru- salem, de si que tans et lieus en sera, et si vous dirons

1. Cf. G. En partie, pag. 24-32. H. pay. 16 à 25. Pipino

90 cHRoisiQrE d'£r>'oul [^^80-^^83

de Coustantinoble et de l'empereour Manuel. Il avint cose que li empereres Manuel jut au lit mortel \ Si manda ses hommes pour demander consel à qui il poroit laissier son fil et l'empire à garder, tant que il fust de âge. Gonsaus li porta que il fesist bailliu d'An- droine ^ que il tenoit en prison et ses plus proismes cstoit. Et il le fîst geter de prison, se li commanda l'empire à garder en boine foi et sen fil.

Ne demoura gaires que li empereres fu mors, et Androines demora à garder la tiere et l'enfant. Dont vint Androines, se se pourpensa d'une grant traïson ; et par le conseil d'un sien maistre escrivain ki avoit à non Lagousses ^ il ^ tist une nuit prendre lejouene empereur enfant, ki barons estoitle fille leroyLoey de France, et qui il devoit garder en bonne foy; si le fist mètre en .1. sac et le fist mètre en .1. batiel, si l'enmena on en mer, et le fist geter ens. En si fu noiiés.

Ançois que ceste cose fust seue, manda Androines les parens l'empereur''. A le mesure k'il venoient, si les faisoit mètre en une cambre ; lor faisoit les ieux crever, et à teus i avoit cui il faisoit les nés cauper et les baulèvres aveuc les iex crever^. Ensi fist il atour-

suit notre auteur pour les événements de Terre-Sainte dans son XKV" livre (M. cliap. l/i4-145. col. 779-781). Quant aux événe- ments de Gonstantinople il en a mis le récit dans les livres pré- cédents de sa chronique générale. (N. col. 613-616.)

1. Manuel Comnèno mourut le 24 septembre 1180. 2. An- dronic P"" (lomnènc, dit le \'ieux. 3. A. B : Langouses. D : Lenyouses. F. O : Lagousel. N. : « adcito sibi scriba suc Angustioso nomine. » Col. 613. Son vrai nom est Etienne Hagio- christopliorite. H. p. 17 n. Les Continuateurs ont transporté plus loin ce récit des événements byzantins. Voy. ci-après. 4. F. 0. A. B. D. 0: e^ 5. En 1183. 6. La lin de la phrase manque dans A. B,

< ^ 80-^ 1 83] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 9^

ner ^ le plus des parens l'empereour, tous ciaus qu'il en pot trouver. Aprics si porta couronne et lu empe- reres ; et puis fist tant de mal que vous orés dire ^

Mais ançois que je vous die plus de lui, vous dirai d'un homme qui estoit parens l'empereur Manuel ^ qui avoit non Kirsac % qui s'enfui de Coustantinoble pour le paour d'Androine qu'il ne le tuast. Si s'en ala en l'ille de Cypre [par Hermenic, etmenadesHermins avec lui en l'ile de Cipre ^]. Et fist tant quant il vint là, pour clie qu'il avoit esté parens l'empereour Manuel, que par force que par amisté li rendi on l'ille de Cypre, et le fist on empereur, et porta courone. Puis le prist li rois Ricars d'Epgletiere, quant il ala Outremer, et il conquist l'ille de Cypre sour lui. Dont vous orés en aucun tans'' comment il le conquist et pour quoi.

Or vous dirons d'Androine, qui empereres fu de Coustantinople. Il ne demouroit biele nonne en toute le tiere, ne fille à chevalier, ne fille à bourgeois, ne femme, [ne une ne autre',] por^que elle h seist bele% que il ne le presist, et gisoit à li à force ; ne abéie nulle que il ne raensist ^'^ et desiretast. Et si estoit si haïs pour le malisse k'il faisoit, que aine haus hom qui tiere tenist, ne fu onques si haïs de toutes gens, com il estoit.

Or avint cose .1. jor que Lagousses vint à lui, et se li dist : « Sire, il a .1. chevalier en ceste ville, qui » estoit" parens l'empereour IManuel; se vous m'en » creiés, vous le manderiés et le meteriés en prison,

1. A.B: atirer. D:atorner. 2. A. B: et plus asex. 3. D. 4. Isaac Comnène. 5. F. 0. 6. D : orés dire ci-après. 7. A. B. 8. A. B. D. F. 0. G : prenc. 9. A. B. C. F. 0 : li sesist. 10. D : reeinsist. 11. A. B : g^ /«.

92 CHROMQCE D'ER?(OrL [^^83-^^85

» ou vous le deffîgurés, ou vous le faites ocire ; car » jou sai bien, se vous le laissiés ensi que vous n'en » faciès çou que je vous di, il vous guerriera \ car il j> est rous et de pute aire ^ » . Li empereres vint, si le manda qu'il venist parler à lui. Cil chevaliers avoit non Kirsac^, et si avoit un frère qui avoit non Alex.

Quant Kirsac la nouvelc que li empereres le manda, sifu moutdolans. Il dist al mesage qu'il s'en alast, et qu'il iroitapriès lui. Dont vint, si manda son frère Alex et ses compaignons, et si lor dist qu'ensi faitement l'avoit Androines mandé. « Je sai bien, dist » il, que je suis encusés à lui, et que Lagousscs m'i a » encusé et que çou est pour moi ocire. Quel consel » me donrés''' Irai jou « Dont, dist ses frères, et si » compaignon, nous loons bien que vous i ailliés, et » nous irons avcuc vous, et si orons que il vous dira. » Dist Kirsac : « Puis que vous le me loés, jou irai, et si » sai bien que c'est pour moi ocirre qu'il me mande, » mais se je puis, je n'i morrai mie seus ^ ». Dont vint, si s'arma desous ses dras, et il et si frère, et çainsent les espées et montèrent es cevaus, et si compaignon, et si ala à Blakerne ^ li empereres estoit. Blakerne si est uns manoirs l'empereur; si est al cief de Coustantinoble par deviers terre.

Tout si que Kirsac s'en aloit à l'empereur, et il vint en une estroite rue % si eiicontra Lagousse il venoit de l'cmpereour et aloit disner à son ostel. Quant

1. A. B : grèvera. 2. A.B : deputaires. D : âepulaire.

3. Isaac l'Ange, descondant d'Alexis Gomnène- Cf. H. p. 19.

4. A. B : soûls. 5. A. B : Blasqeurnne, Blanquerne. N : 'I Blaqucrnia. 6. N : « in angiportu seu ilexura vi;o. » Col. 014.

'^■^83-^^85] et de bernard le trésoriku. 93

Kirsac vit que Lagousse ne pooit Irestourner qu'il ne venist par lui, il traist l'espée, se li copa le teste et le dépeça tout, si qu'il en fu tous sannens^ et il et s'espée.

Atant s'en tourna ariere et broce le ^ ceval des espourons, et va criant parmi la ville, l'espée traite : « Segnour, venés apriès moi, que j'ai tué le diable ! » Quant li cris leva aval le ville qu'ensi faitement avoit Krisac ocis Lagousset, si alerent tout apriès lui à Boke de Lion ^, il ala. Dont vint, si prist Bouke de Lion, et si le garni et si i mist ses hommes ens. Cil Bouke de Lion estoit ,i. des maistres manoirs l'empereour. Et siest sour le mer, et s'i estoit li plus de son trésor. Dont vint Kirsac, si prist le vestiment l'empe- reour, et ala à Sainte Soufie, si se courona à empe- reur". Quant porté ot couronne, si manda tous ceus de la cité, si les fist tous armer et pour aler asallir Balkerne.

Quant Androines dire que Kirsac avoit tué Lagousset, et k'il avoit pris Bouke de Lyon et son trésor, et qu'il avoit porté couronne, si ne fu mie liés et ne sot que faire. Si s'arma et fist armer ses hommes, çou qu'il en avoit aveuc lui, pour lui deffendre ; mais ne li valut rien. Quant Kirsac vint devant Balkerne ; et cil dedens virent que lor deffense ne lor vaurroit riens, si se rendirent. Dont vint Kirsac, si se pour- pensa de quel vil mort il le feroit morir, pour son signour droiturier qu'il avoit noie en le mer, qui lieux

1. A. B : se(jna{n):. D : senglans 0 : sanens. 2. A. B : et brocha h. 3. A. B : Bouquelyon. D : Bouche de Lion. N : (' Bucca Leonis. » 4. Cette phrase et la précédente man- quent dans A. B.

O^i CHRONIQUE d'ernoul [l^83-^^85

avoit esté rempereour Manuel, et pour les grans malisses qu'il avoit fais. Dont vint, si le fîst despoul- lier tout nu, et si fîst aporter une ries d'aus \ mes 11 ail n'i estoient mie : si l'en fist faire une couronne et le fîst couroner comme roi, et si le fîst bertauder^ et tondre en crois, et si fîst amener une anesse, si le fîst torner ^ çou devant deriere et tenir le keue en se main, comme frain. Ensi le fîst mener par toutes les rues de Coustantinoble, et porter couronne en tel manière.

Or vous dirai que les femes faisoient. Elle avoient apparellié escfoi ' et merde et longaine ^ se li saloient au devant et li ruoient en mi le visage, [et celés qi n'i pooient avenir, montoient es solieils ^ et si avoient aparilié la puinesie " et la longaigne, si li ruoient sor la teste ^] Ensi li faisoiton en ^ cascunerue il venoit^". Ensi porta couronne Androines aval Coustantinoble, de si qu'il fu fors de le cité. Quant il fu fors de le cité, si le livra on as femmes. Et les femmes li coururent sus comme li ciens famelleus fait à la carougne, et le depicierent tout pièce à pièce. Et celle qui en pooit avoir aussi gros com une fève, si le mangoient, et raioient le car de sous les os à lor coutiaus, si le mangoient". Ne onqucs n'i demora

1. A. B : roix d'aus. D : rais d'aux. F. 0 : une resdaus.

J., dont le récit diffère d'ailleurs entièrement : wie reste d'aus.

H : une resl d'aux. Pai^. 21. N : « restem alei spicis nuila- « tam in curonaï modmii capiti ejus imponi. » Col. 615.

2. A. B : berlouder. 3. D : monter sus. 4. A. B : escler. 5. V . O : longagne. J : pissasce et longaigne. B : pissace et hngaiyne N : « fœcibus et urinis. » col. 615. 6. F. 0 : sor les soliers. 7. F. 0 : îi puasme. 8. A B. F. 0. 9. A. B.

10. A. B. 11. Et raioient le car, etc., n'est pas dans A. B.

^'l85-^^9;)] et de bernard le trésouieu. 9:^

uns oissiaus^ ne jointure, que les femes ne mangais- sent. Et disoient que toutes celles qui avoient mangié de lui estoient salves^, pour che que elles avoient aidié à vengierle malisse qu'il avoit fait. Ensifina Androine.

Or vous dirons de Kirsac qui empereres est ^. Il fu moût durement amés des gens de le tiere pour le malisse qu'il avoit vengié d' Androine et deLagousset. Et des abéies fu il moût amés ; et n'ot abéie en Cous- t antinoble que s' image ne fust escripte sur le porte. Il n' avoit point de feme, quant il porta couronne. Il manda al roi de Honglierie qu'il li envoiast une siue serour qu'il avoit à marier, si le prendroit à femme. Et li rois li envoia moût volentiers, et en fu moût liés. Quant elle fu en Coustantinoble, li empereres l'espousa, et se li fîst porter couronne à sainte Sophie.'' Puis orent .1. fil, qui ot non Alex.

Or avint cose que li empereres Kirsac cevauçoit aval se tiere et vint à une abbéie qui est priés de Felippe. En celle cité qui a non Phelippe fu li rois Alixandres nés, et est à .Yi. journées de Coustantinoble. Et en celle cité fist sains Pos^ une partie des epitres ; dont on dist encore, quant on dist'' celles qu'il i fist, à" Filipenses.

A chelle abbéie que je vous di, séjourna li empereres Kirsac, et se reposa et ce fist^ sainier. Quant Alix ses frères dire que ses frères li empereres sejournoit à peu de gent, si ala atout ses hommes, si le fist prendre

1. D : un ossel. 2. A. B : savées. N : « credentes se « posse salvare si ex carnibus tantis infectis nequitiis maiiduca- « rent. « Col. 615. 3. A. B : fu. 4. D. - Le 12 septembre 1185. Cf. II. p. 22 et suiv. 5. A. B : Pouls. F. 0 .- Pois. N. col. G15. 6. A. B : list. —1. A.B : ad D : aus. 8. D. C : ei fist.

96 CHRONIQUE d'eR>OUL [1 ] 82

et se li fîst les ieux crever. Si le laissa enTabéie, et s'en revint ariere en Coustantinoble, [et devient empereres et porta corone^ Qant il fu empereres et il ot porté corone, si manda son frère Cliirsac en l'abaie et le fîst amener en Constentinoble ^.] Illuec le fîst garder et servir et livrer quanques mestiers li fu.

Quant li emperéis ^ sot qu'Alix avoit l'empereour son segnour si faitement les ieux crevés, si en fu moût dolente, dont ot paour qu'il ne fesist son fil Alix ^ ocire, qui enfes estoit. Dont vint, si le carca coiement à chevaliers et à siergans, si l'envoia au roi de Hon- gherie en garde, qui frères estoit la dame '\ Et il le garda et nouri, desi au tans que mute ^ fu de France et d'autres tieres qui Outremer aloient ''.

Je ne vous dirai ore plus de cesle matere, desi adont que tans en sera, ains vous dirai de le tiere de Jheru- salem et del roi mesiel Bauduin, qui trives avoit as Sarrasins. Il avint cose qu'i ot* marceans en Egypte qui fisent une carvane pour aler à Damas ^. Quant il orent apparellie lor carvane, si murent et cirent'" tant qu'il vinrent près dou Crac. Quant li princes Renaus dire que li carvane venoit, il fîst armer ses gens et prendre le cai^vane, et mener en son castel, aussi com

1. Le 8 avril 1195. 2. A. B. D. F. 0. 3. Marguerite de Hongrie, seconde femme d'Isaac l'Ange.

4. Le fils de Marguerite se nommait Manuel. Alexis était fils de la première femme d'Isaac L'Ange. Il y a beaucoup d'errours dans nos clironiqueurs, comme dans les diverses continuations, au sujet de ces événements de l'empire de Constantinople. Voy. les notes rectificatives de M. Lebas. H. pag. 24 et précéd.

ô. D; qui oncles estoit à l'enfant. 6. A. B : muite. 7. N : Col. Gi6. 8. A. B : qu'il ot. 9. Cf. M. chap. 144. col. 779. lu. A. B : ercr^n!. D : errierent.

^^82] ET DE BERNARD LE TRe'sORIER. 97

il avoit autrefois fait en trives. Quant li rois de Jheru- salem dire que li princes Renaus avoit prise celle carvaneet retenue, se li manda qu'il le rendist, et qu'i n' avoit mie bien fait, qui ^ les marceans avoit desrobés et pris en trives ; et li princes li manda qu'il n'en ren- deroit nul ^ pour lui.

Quant Salehadins 6i dire qu'ensi fîiitement estoient li marceant desreubé, il manda au roi de Jherusalem que le cai'vai^ne fesist rendre et qu'il ne tenoit woires bien ' les trives qu'il avoit données ne sen sairement ; et s'il ne li faisoit rendre, il l'amenderoit quant il poroit. Et li rois li remanda qu'il ne li pooit faire rendre, que assés l'en avoit amonesté et priié, et riens n'en voloit faire pour lui.

Dont vint Salehadins, si manda en Perse et par toutes les teres qu'il avoit conquises qu'il venissent à lui, si com pour entrer en le tiere des Crestiiens, et pour vengier le honte et le damage c'on li avoit fait de ses hommes c'on li avoit pris et dérobés .n. fois, [en trives *]. Quant li rois de Jherusalem dire que Salehadins mandoit tous ses hommes pour venir en se tiere, li rois manda toutes ses os et assanla en un liu c'on apiele les Fontaines de Saforie^ [et siet es plains de Raymes*^]. Pour çou les noume on les fontaines de Saforie, qu'eles sont priés d'une ville c'on apiele Saforie. Et en celle ville fu née Sainte Anne '', li mère Nostre Dame Sainte Marie. A ces fontaines sejournoit li rois les estes quant il n'avoit les trives as Sarrasin,

1. F. 0 : quant. 2. A.B : noiant. 3. A. B : mie bien. 4. A. B. D. 5. A. B : Safroie. M : « ad locum qui dicitur Fontes Saifrojic, a SaftVoja urbe, in qua orta est Beata Anna. » 6. D. 7. F. O : S. Ayne.

7

98 CHRONIQUE d'ernoul [^ ^ 82

et il et si chevalier et Templier et Hospitalier, et tout 11 baron de le tiere. Pour ce sejournoient illuec que, se Sarrasin entrassent en le tiere, qu'il fussent tost appa- rellié d'aler à l'encontre ^ Cil lius ces fontaines estoient, si est à une liue de Nazaret et à .Y. liues de Tabarie^ et à .V. liues d'Acre. séjourna li rois de Jherusalem .fii. mois et il et toute s'os, ançois que Salehadins entrast en le tiere, et ançois qu'il ot ses os assemblées.

Quant Salehadins ot ses os assemblées et amassées à Damas, si vint ^ et erra tant par ses journées qu'il passa le flun et vint herbegier à une fontaine c'on apiele le Fon- taine de TubanieS et est el pié d'une montaigne par de- sous^ une roche. Celle fontaine est à .iiii. liues des fon- taines Saforie, u li rois de Jherusalem estoit à ost, et à" .II. liues d'un castiel c'on apiele Le Gerin. Cil cas- tiaus si est en .i. liu c'on apiele Dotain '. En cel liu est li cislerne li fil ^ Israël jetèrent lor frère Joseph, et le vendirent as marceans qui le menèrent en Egypte.

Quant li rois Bauduins dire que Salehadins estoit entrés en se tiere, et qu'il estoit herbegiés si priés de lui, si mut de il estoit et ala encontre ; et se hierbega à une liue priés de lui, à un castiel c'on apielle le Feve^. Gel jour fu venredis '".

Quant che vint l'endemain, le semedi, li patriarces fist acumeniier tous les chevaliers et les serjans de

1. La phrase est défigurée dans A. B, 2. M : « a civitate Ta- baria; septem. « 3. A. B. D : mut. h. G: Cuhanie. D : Txi- benie. 5. A. B : herberyier à .i. Jontainepar desor. 6. A. B. D. 7. A. B : DoiUain. 8. A. B. D.— 9. A. B. D : La Fève. F. U : Le Fève. M : Gastrum Faba. » C : le Fene. 10. M : Feria sexta. » '

'I'I82] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 99

Tost, et si les asost tous de lor peciés. Quant, acunie- niié ' furent li chevalier et li sergant, li rois fîst crier par l'ost que tout li chevalier alaissent en conroi - et alast cascuns en s'eskiele ^ Quant il furent en conroi, si murent pour aler conbatre as Sarrasins. Li Sarra- sin ne s'oublièrent mie, ains furent armé d'autre part et murent encontre. Et li Grestiien se ^ traisent tous- jours viers le fontaine li Sarrasin erent herbegié, et prisent le fontaine. Et li Sarrasin se traisent ariere vers le montaigne, fors tant qu'il ot .n. de lor batailles qui poinsent^ vers le bataille le connestable Haimeri et frouerent '^ le bataille.

Quant Bauduins de Rames et Balyans de Belin, ses frères, qui l'ariere garde faisoient, virent qu'ensi estoit celle eschiele frouée^ si poinsent sour les Sar- rasins. Quant li Sarrasin les virent, si tournèrent en fuies et s'en alerent es montaignes aveuc les autres. Dont se loga Salehadins es montaignes devant For- belet, et dura bien lor os .n. liues. Et li rois se hier- bega sour le Fontaine deTubanie^ et estoit bien li une os priés de l'autre à demie liue, qui^ furent illuec jus- ques al juesdi, à nonne. Si n'osa viande sivir le roi ne l'ost ^\ Quant ce vint le diemence, au viespre, si failli viande en l'ost le roi. Dont vint li rois et li baron de la tiere, si envoiierent lors sommiers à le viande, à Nazareth et al Gerin", et à le tiere illueques priés, et

1. A. B : comunié. 2. A. B : au conroy. ¥. 0 '. en conroy. 3, D. A. B : ses eschiele. ■— C : en eskieîe. 4. D : se très- trent. 5. A. B : qui poistrent. 6. A. B -. froerent. D : froissierent. F. 0 : frouerent. 7. A. B : froudé. 8. 0 : Cubanie. 9. D : Or. 10. A. B : Or n'osa viande sor l'ost le roy venir. D : n'osa viande syvre l'ost lo roy. F. 0 : suir l'ost le roi. 11. A. B : .4m Geririn.

-100 CHRONIQUE d'eRNOUL [1^82

de celle part li Sarrazin n'estoient mie. Quant che vint le lundi par matin, si disent li siergant de l'ost ou il se combateroient as Sarrasins ou il s'en iroient, car il n'avoient point de viande, ains moroient de fain.

Dont vint li rois, si manda les barons de l'ost et le maistre del Temple et de l'Hospital pour prendre con- sel se il se combateroient ou il s'en iroient. Ende- mentiers qu'il estoient à consel, estoient sergant sourie fontaine, si esgardoient en le fontaine, si veoient pois- son; lors^ si se despoullent ^ lor cemises, et si en font nasses et puis salent ens, et poisson à venir. prisent tant de poisson tout li sergant de l'ost que toute li os en fu raemplie ; et lor sanloit, quant il estoient en le fon- taine, qu'il n'i cust se poisson non. lllueques prisent tant de poisson qu'il en vesquirent chel jour. Et l'en- demain par matin, le mai^di, vinrent li sommier et li camel tout cargié de viande que li baron avoient mandé, dont fu l'os bien raemplie. Si départi on le viande as sergans, c'onques n'en vendi on point.

Quant ce vint le mardi al nuit, si envoia Dame Diex le fu nouvel devant le Sainte Crois [qui en l'ost estoit^,] dont fist on si grant joie en l'ost, et si grans lumi- naires de candoiles com il lisent le nuit. Dont li Sar- rasin furent moût esmarietmout dolant, quant il oirent et virent le joie qu'il faisoientet le luminaire, et moult s'esmervillierent pour coi c'estoit qu'il faisoient tel joie.

Quant che vint l'endcmain, le merkcdi, par matin, et li rois ot messe, si manda les barons de l'ost conseil '] pour conbatre as Sarrasins. On ne li consella

1. A. B. 2. F. 0. C : clesponlloient. _ 3. D. 4. D. A. B : por prendre consceil de conbatre.

^^82] ET DE BERNARD LE TRe'sORIER, ^0^

mie (ju'il alast requcrrc les Sarrasins en le montaigne, ne que il laissas! l'aiglie douce. Ensi demoura jiis(jue à lendemain, le jiiesdi. fu ce à cel consel (jue li fols aporta la novelc au patriarce que Paske de Riveri, se femme, avoit une [mult bêle'] fille ^.

Quant ce vint le joedi, par matin, si alerent li sier- gant à cheval c'on apiele Turcoples, et issirent de l'ost pour hardiier [as Sarrasins ^] Quand il orent hardiié une pièce, dusques viers le miedi d'une part, .1. che- valiers Sarrasins acena un Turcople qu'il alast parler à lui, et li Turcoples i ala pour chou qu'il cuidoit qu'il se vausist relainquir^ et estre Crestiiens, ou que il venist au roi en mesage de par Salehadin. Quant li uns lu priés de l'autre, si conjura li Sarrasins le Cres- tiien par le loi qu'il tenoit, qu'il li desist voir de ce qu'il li demanderoit; et li Crestiiens li dist que volen- tiers le feroit. « Dont vous demant je, fait h Sarrasins, » pour coi vous fesistes si grant joie devant ersoir^ » et si grant luminaire en vostre ost. » Et li Crestiiens dist que li clartés del ciel estoit venue en l'ost devant le Sainte Crois. Quant li Sarrasins ce, ^ il hurta le' cheval des espourons, si le va dire Salehadin, et li Crestiiens s'en retourna en l'ost; et si conta au roi son signour comment il avoit parlé au Sarrasin et li Sar- rasin à lui.

1. A. B. F. 0.— 2. M: « Contigitet in ipso principum consilio » stultum secundo advenire nuntiantem patriarchae Heraclio ama- » siam cjus filiam peperisse. » Ghap. 144. 3. G : hardiier. F. 0 : hardoier. A. B : ardoier as Sarrasins. D : annuair les Sarrasins.

4. A. B : relenquir. F. 0 : relinguir. 5. A. B : avaiit her soir. D : essoir. 6. A. B : si se lorna d'iluec el hurta. -7. A. B.

402 CHRONIQUE d'ernocl [U82

Endementiers qu'il li contoit, et il esgarderent vers l'ost des Sarrasins, si virent qu'il se deslogoient. Car tantost que Salehadins dire que li clartés del ciel estoit descendue devant le Crois, si commanda à des- logier^

Quant li Crestiiens virent que li Sarrasin se deslo- gierent, si s'armèrent tout et se deslogierent ansi. Et si ala cascune esciele en conroi , et si ordenerent lors batailles , car il cuidoient bien que Sarrasin deussent sour aus venir por conbatre, et se tinrent illueques tout coi desi qu'il vinrent que li Sarrasin avaloient les montaingnes d'autre part, et s'en aloient vers le flun. Quant li Crestiien virent qu'il s'en aloient vers le flun, si orent paour qu'il n'alaissent vers Tabarie l'endemain. Dont se partirent d'iluec; si alerent lier- begier à le Fève, pour estre l'endemain audevant ' des Sarrasins.

Quant che vint l'endemain, si se partirent d'ilueques li Crestiien pour aler à Tabarie, et li Sarrasin passè- rent le llun pour aler en lor terre. Lors vinrent les espies le roi, si espiierent les Sarrasins, si disent au roi que li Sarrasin avoient le flun passé et qu'il aloient en lor tiere. Dont vint li rois, si s'en ala ariere logier as Fontaines de Saf'orie, et ne vaut mie départir s'ost desi qu'il seust (jue ' Salehadins eust départie le siene. Quant Salehadins et passé le llun et il fu en se tiere, si se pourpensa qu'ensi ne lairoit mie le prince Renaut en pais, (jui le honte li avoit fait de ses hommes, qu'il avoit pris en trive, et le carvane re-

1. A. B. —G : c/. 2. M. Fin du chap. 144. 3. A. B. I). F. G : au decant. 4. A. B : se.

'H82] ET DE BERNARD LE TRÉSORIEE. 403

tenue; si ala assegier le Grac\ Quant li rois dire que Salchadins estoit vers ^ le Crac, si s'en ala vers Jherusalem, et si départi s'ost, et si lor commanda que si tost com il verroient son message, qu'il fuissent tout apparelliet com d'aler en l'ost aveuc lui, et qu'il venissent errant il seroit, car il ne voloit mie si tost aler secourre le Crac, desi que li princes fust auques matés.

Le jour que Salchadins vint devant le Crac, otespou- sée Ilainfrois ^ le serour le roi mesiel qui avoit à non Ysabiaus, [qui fille avoit esté le roi Amaurri et fille la reigne Marian. Dont vint la mère Heinfroi\] qui femme estoit le prince Renaut. Si envoia àSalehadin des noces de son fil pain et vin et bues et moutons; et si li manda salut, qu'il ^ l'avoit maintes fois portée entre ses bras quant il estoit esclave el castiel, et elle estoit enfes. Quant Salchadins vit le présent, si en fu moût liés , si le fist reçoivre , et si l'en merchia moût hautement ; et si demanda à chiaus qui le présent avoient aporté, en lequele tour li cspousés et li es- pousée estoient et giroient ®; et il li moustrerent. Dont vint Salchadins, 'si fist criier par toute s'ost que nuP ne fust si hardis qui à celle tour traisist, ne lançast, ne assaillist. Or fu bien Salchadins devant cel castiel vm. semaines ^ Et faisoit assaillir par jour et par nuit à perrieres ^ et à mangonniaus, fors seulement à celle tour H espousés et li espousée se gisoient.

1. Cf. M. chap. 145. 2. A. B : près. 3. Humfroy de Toron. M. mal : « Gaufridus. » 4. A. B. D. F. 0., avec des variantes. Nous donnons la leçon de D. Omis dans G. 5. F. 0 : porce qu'il. 6. F. 0 : gerroient. 7. A. B. 8. A.B: vj. semaines.— M : « sox mensibus.»— 9. K.B: petriercs.

^04 CHRONIQUE d'er.noul ['H82-H83

Quant li princes Renaus vit c'on l'asaloit si dure- ment et c'on le grevoit si, et qu'il n'avoit mie plenté de' viande el castiel, si fist avaler un siergant par le falise ^, et manda au roi en Jherusalem qu'il le secou- rust ; et s'il ne le secouroit proçainement, il perderoit le castiel, car il n'avoit gaires de viande. Encore, aveuc tout che que li princes Renaut avoit envoiié le message, faisoit il cascune nuit faire fu desour une des tours du castiel, pour che cjue on le conneust ^ en Jherusalem, et pour haster le secours ; et d'autre part il n'estoit mie à tianche que li messages qu'il i envoia fust escapés.

Et ore est coustumc en le tierre d'Outremer * que quant il sevent que Sarrasins doivent entrer en le tiere d'aucune part, cil qui premiers le set, si fait fu. Et quant ii autre viles '" le voient, si fait cascuns fu; dont voit on les fus par toute le tiere ; dont sevent il bien que Sarrasins doivent entrer en le tiere, si se garnist cascuns.

Quant li rois de Jherusalem le mesagc qui fu venus del Crac, si manda par toute le tiere as barons et as chevaliers et as serjans qu'il venissent à lui, et pour aler le Crac secourre ^, qu'ensi faitcment est assegiés. Et il i vinrent tout à lui en Jherusalem, et en Jherusalem assanla ses os.

Le nuit devant che que il venissent' en Jherusalem pour aler secourre le Crac, fist li rois faire grant fu

1. A. B. 2. A. B : lafalouse. 3. A. B. D : veist. 4. D : de Jérusalem. 5. A. B. F. 0. 0. F. O : rescorre. 7. D. G : venist. A. B. F. 0 : devant ce q'il meusseni de Jérusalem.

4^83] ET BERNARD LE TRÉSORIER. ^ 05

sour le tour Davi, pour che que il le veissent^ au Crac et sévissent qu'il aroient secours. Quant che vint l'endemain, si mut li rois pour eaus secourre. Et si s'ala herbegier sur le flun Jourdain, et ne vaut mie aler par il ala ^ à l'autre fois ^ ains volt aler à l'encontre de Sarrasins. Et quant che vint l'endemain, si passa le flun et ala vers le Crac, et erra tant que il fu tans de herbegier et se herbega sour le flun, près de le Mer del Dyable.

Quant Salehadins dire que li rois avoit le flun passé, et qu'il venoit viers le Crac, si se leva dou siège et vint encontre lui, et se herbega priés de lui à .11. Hues." Quant che vint l'endemain, si s'armèrent h Crestiien et apparellierent lors batailles qu'il cuidiercnt conbatre as Sarrasins, et li Sarrasin se murent par matin et fisent sanlant d'aler en lor terre. ^ Quant li rois sot que li Sarrasin aloient en lor tiere% si s'en ala au Crac pour veoir comment li Sarrasin l'avoient da- magié et pour veoir se serour qui nouvelement estoit mariée. Quant Salehadins seut que li rois fu au Crac, si passa le flun et fîst le wanceue % et entra en le tiere as Crestiiens, et ala en une ville c'on apiele Naples. Et séjourna làii. jours pour veoir le, pour ce qu'il avoit molt désirée à veoir la \ pour çou qu'il avoit dire que elle estoit mont à aise K Li Sarrasin l'apelent le Petit Damas, pour çou qu'il i a gardins et fruis et fon-

1. D. F. 0. A. B : viisent. Q, '. il venissent. 2. D. 3. F. 0 : par il les ala autrefois socorre.— 4. M : « duabus leucis. » 5. A. B. F. "0. Mal dans G et D : d'aler à lor encontre. 6. A. B. G. F. 0. Mal dans 0 : à leur encontre. 7. A. B : fist Vavan queue. F. 0 : le wankeue. Omis dans D. 8. A. B. D. F. 0. 9. A. B. D : aesiée. F. 0 : aaisie.

J06 cHBOMotE d'eb>oul [H83

taines, ausi com il a à Damas, mais n'i a mie tant de gardins com il a à Damas. Je ne vous dirai ore plus de Naples. mais je vous dirai, quant Salehadins en sera partis, conmient elle siet et elle siet.

Quant li rois dire , qui au Crac estoit , que Salehadins avoit passé le flun , et qu'il estoit en- tré PD se tiere , si parti du Crac et il et toute SOS pour aler apriès. et pour lui mètre hors. Quant Salehadins dire, qui à Naples estoit. que li rois ve- noit, si s'en parti saiis damage faire à le ville ne as gardins, se de viande ne fu, et s'en ala par le Gerin et par le Fontaine de Tubanie , et par desous Forbelet et passa le tlun. Si s'en ala à Damas, si départi ses os. Quant li rois, qui apriès lui venoit, dire que Saleha- dins avoit passé le flun et s'en estoit aies en se tiere et qu'il avoit départi ses os. si s'en râla ariere en Jhe- rusalem, si départi ses os ensement K

l. Pipino termine ici le chapitre 145 de son XXV^ livre par quelques détails sur la campagne de Xaplouse qu'il emprunta au chapitre suivant de notre chronique. M. col. 781.

CHAPITRE X

Cornent la cités de JSaples siet.

SOMMAIRE.

De la ville de Naplouse et des montagnes voisines. De Samarie et du prophète Elysée. Du château de Beteron et du dévouement de Judith. De Gérard de Ridefort, chevalier Hamand. qui devint grand maître du Temple. Origine et motifs de sa haine contre Raymond, comte de Tri- poli. — 1183. Baudouin lY, le Lépreux, sentant approcher sa fin, pro- pose aux barons du royaume de proclamer roi Baudouin, fils de sa sœur Sibylle, veuve de Guillaume de Montferrat, remariée à Guy de Lusignan. Les barons adhèrent à sa proposition, en exigeant que la régence soit confiée à Raymond, comte de Tripoli.' Conditions aux- quelles le comte de Tripoli accepte le gouvernement. Le comte de Tripoli est chargé de la régence du royaume, et le comte Joscelin d'Edesse de la garde de l'Enfant royal. Couronnement de Baudouin V. Usages suivis lors du couronnement du roi de Jérusalem. 1186. Mort de Baudouin lY. Du lieu de sépulture des rois de Jérusalem. Hommage prêté à Baudouin V du vivant de Baudouin iV, son oncle. 1186. Après son couronnement, Baudouin V est confié au comte Joscelin. Raymond de Tripoli gouverne comme régent.

Or ^ Yous dirons de Naples, comment elle siet, ne elle siet, c'al tans que Jhesu Cris aloit par tiere,

1. La Chronique de Guillaume de Tyr ne dépasse pas ces événements .

2. Le commencement du chapitre manque dans D.

4 os CHRONIQUE d'eRNODL

n'estoit mie Naples encore. Et si se ^ hierbegierent primes ^ Samaritain. Naples siet entre .11. montaignes, dont cil del pais apelenl l'une des montaignes le Mon- taigne Kaïn ^ et l'autre le Montaigne Abel. Li montai- gne Abel est tonsjours verde, et y ver et esté, et par le grant plenté des oliviers qui i sont. Et li montaigne Kaïn est tousjours seke, qu'il n'i a se pieres non et cailleus^ Al pié de le montaigne Kaïn, a une cité qui a à non Cicar. Celle cités est par devers solel levant. Tenant au cief de le montaigne Abel, par devers solel levant, tient une montaigne '" c'on apielc la ]\Iontaigne ^ Saint Abraham. En son le montaigne, a .1. liu c'on apele Betcl.'^ C'est li lius Abrahans mena son fîl Ysaac pour faire sacre- fisse, quant Diex li commanda; et li ot li angeles appareillé agniel pour faire sacrefisse en liu de sen fil.^

Encoste de celle montaigne , par devers solel levant, avoit une cité quant Jliesu Cris aloit par tiere c'on appeloit Samaire. " Desous celle cité, avoit une plaigne c'on apeloit Cycem. avoit .1. pucli que Jacob fist, et si le donna Joseph son fil, cil de le cité aloicnt à l'eve. Dont il avint .1. jour que Jhesu Cris aloit de Galilée en Jherusalem, et vint à cel puch pour atendre ses dessiples, qui estoient aie à Cicar acater à mangier, et trouva illueques une Sama-

i. A. B : Et se. 2- A. B : primers li. 3. Le Mont Ebal et le mont Garizim. 4. F. 0 : callaus. 5. A. B. F. 0. C : une cités. G. A. B. F. 0. 7. A. B : Beccl. 8. Quaiit Dicx, etc., manque dans A. B. 9. A. B : Samaite. lU. A. B; Scisenc.

ET DE BERNARD LE TRESORIER. i09

ritaine qui estoit de le cite de Samaire venue à l'eve. Dont vint Jhesu Cris, se li dist qu'ele H donnast à boire, et elle li dist : « Tu es Juis, je sui Samaritaine, » il ne me loist mie que tu boives à men vassiel . ^ » Dont dist Jhesu Cris à le Samaritaine : « Se tu seusses » qui ce est qui te demande à boire, tu li deisses qu'il » te donnast eve vive à boire. » Dont dist li Samari- taine : « Sire, donné ^ me tele eve vive à boire ^ qu'il ne » m'estuece mais venir chi, car li puis est moût par- » fons, et li cités est moût haute, si me fait moût mal » à venir ci eve querre. » Dont li dist Jhesu Cris que elle alast apeler son baron , et elle dist qu'ele n'avoit point de baron , et Jhesu Cris li dist qu'ele disoit voir, et qu'ele en avoit eut .v. ^ et que cil n'es- toit mie ses barons qui estoit aveuc li. Assés li dist Jhesu Cris plus de paroles que je ne vous di, mais je ne vous puis mie tout raconter.

Dont vint li Samai^itaine, si laissa ses vaissiaus et ala criant par toute la cité qu'il venissent, et qu'ele avoit trouvé .i. vrai prophète qui tout li avoit dit quanqu'ele avoit fait. Apriès vinrent li apostle de Cicar il avoient acaté à mangier et disent à Jhesu Crist qu'il mangast, et il lor dist qu'il avoit mangié de tel viande dont il ne savoient mot. Dont disent li apostre entr'iaus que li Samaritaine li avoit donné à mengier, et moult s'esmervillierent, quant il les virent seul à seul entre lui et le Samaritaine. Cil puis est à demie liuedeNaples.

Or vous dirai de le cité qui a à non Samaire, qu'il

1. Dont vint, etc., manque dans A. B. 2. F. O : donés. 3. Dont dist, etc., manque dans A. B. 4. A. B. F. 0 : eu .v.

^ ^ 0 CHRONIQUE d'eRNOUL

avint au tans Elysei^ le prophète. Il avint que li rois de Damas assega le cité et fist tant devant que il orent si granl famine dedens que .11. femes ^ i avoit ki tisent marchié de .n. enfans qu'eles avoient qu'eles les man- geroient ; quant li uns seroit mangiés, si mangeroient l'autre. Dont avint qu'eles en mangierent l'un. Quant li enfes à l'une iu mangiés, l'endemain celle qui sen enfant avoit mangié entre lui et se compaigne, si dist à celi qui sen enfant avoit encore vif, qu'ele le tuast, si le mangeroient. Et celle dist que son enfant ne mange- roient elle ja, se Dieu plaist.

En che qu'eles tençoieiit ^ de cel enfant, passa li rois de le tiere devant, et lor demanda (ju'elles avoient; et elles disent qu'ensi faitemenl avoient fait marchié de lor enfans. Dont fu li rois si dolans qu'il descira ses dras, et se laissa caoir de son ceval à tiere et manda par .1. sergant Elyseu^ le prophète pour ocirre, pour che que c'estoit avenu à son tans. En ce que li sergans aloit pour Elyseu, esloit Elyseu en son ostel avoec preudommes et parloit à ans, et si lor dist : « Li rois » envoie chi son serjant pour moi ocire. »Endementiers que li sergans hurta'' à l'uis, fu li rois apriès lui. Dont vint li rois à Elyseu, se li dist qu'ensi faitement estoit avenu. Et dont il avint que le quarte part de le fiente d'un coulon ^ vendoit on .v. deniers en le cité, si com li escripturc dist. Dont vint Elyseus, si dist au roi qu'il ne fust mie à malaise", que el demain, devant solail levant, auroit tel plenté en le cité c'on aroit le muy de

1. F. O : Elyseus. 2. Femes, omis dans G. 3. A. B : tençonoient . 4. A. B : Elyseum. 5. A. B : chticoit. F. 0: huçoit. 0 F. 0 : que la quarte part d'une fève. 7. t^. 0 : à maleiise.

ET DE BERNARD LE TRESORIER. ^^^

ferine' pour .11. deniers et le muy d'orge pour .11. Dont il avint c'uns chevaliers qui encoste le roi estoit et oui li rois tenoit le main sour ses espaules, dist que s'il plouvoit maintenant ferine et orge jusques à demain, n'en seroit il mie teus marchiés com il dist. Dont dist Elyseus qu'il le verroit à ses iex et si ne ^ mangeroitja.

Or avoit mesiaus en le cité, si prisent consel que il isteroient hors, en l'ost, et qu'il avoient plus chier c'on lestuast en l'ost, que il morussent de fain en le cité. Quant ce vint le nuit, si issirent de le cité, et alerent en l'ost; et quant il i vinrent n'i trouvèrent il homme ne femme, ains trouvèrent les loges et les tentes toutes garnies de viandes, et les sommiers et les biestes toz^ atachiés. Lors alerent, si mangierent et burent assés; et prisent des avoirs tant com il vaurrent, et mucierent ançois qu'il le fesissent savoir en le cité. Quant che vint al point du jour, si vinrent à le porte de le cité, et apelerent ciaus qui le porte gardoient% et si lor disent qu'il fesissent savoir au roi que il n'avoit nului en l'ost, et qu'ensi faitement avoient l'ost trouvée toute garnie de tous biens, et que chil de l'ost s'en estoient aie [et avoient toutlasié^]. Li rois vint, si fist monter .xxx. hommes à cheval et les fist issir hors pour cerkier le tiere tout entour, pour che qu'il ne fussent embuissié, que ^ cil qui dehors le cité estoient au siège '' savoient bien qu'il avoient grant famine dedens le cité ; pour ce se doutèrent* cil de le cité qu'il ne se mesissent

1. A. B. F. 0 -.farine. G : J'rine, plus bas/erme. 2. A. B : n'en. 3. A. B. 4. A. B. G : gardèrent. 5. A. B. 6. F. 0 : car. 7. A. B. F. O : al siège. G : assegié, 8. F, O : doutaient.

^ ^ 2 CHRONIQUE d'eRNOUL

entr' aus, en le ville, se cil de la ville s'en ississent'.

Quant li rois sot qu'il s'en estoient aie et qu'il n'i avoit point d'enbuissement, si fist ouvrir le porte de le cité, et si issirent les gens^ hors à le viande. Dont [vint li roys au chevalier à cui Elyseus avoit dit q'il veroit la plenté de la viande^] et si n'en gousteroit. Se li commanda li rois le porte à garder qu'il ne fesissent mellée ne bataille. vit il à ses iex le marchié de le viande, si com Elyseus avoit dit que il verroit le plenté de le viande, si n'en gousteroit. Si et si grant priesse que il i fu cstains.

Celle cités de Samaire * fu toute abatue puis le tans ^ Jhesu Crist, en cel tans que Vaspasianus fu en le tiere; n'ainc puis n'i ot ville, forz .1. moustier que li Samari- tain i ont, il font lor sacrefise à lor Paske ; ne aillours ne pevent nient sacrefiier, nient plus que li Juis pevent sacrifiier aillors c'al temple de Jherusalem. vicnent li Samaritain de la tiere d'Egypte, et de le tiere de Damas, et de par toute Paienime, et des tieres il manoicnt. Si vienent ces gens là^, al jour de Paskes ; et lor Paske si est quant li Paske as Juis est. font lor sacrefisse.

A .V. liues deNaples a .i. casticl c'on apieleBeteron. Dont il avint jadis anciienement c'uns senescaus Nabu- godonozor, qui rois estoit de Perse, aseja cel castiel. Cil senescaus avoit non Oliferne. Si furent moult à malaise cil dou castiel, quant il furent asegîé , qu'il n'atendoicnt nul secours, se de Diu non. Dont junerent et lisent orison vers Dame Diu, (ju'il les secourust.

1. A. B. F. 0. 2. A. B. F. O. 3. A. B. F. O. Omis dans G. 4. A. B : Samarie. 5. A. B : pîus la resureccion. G. F. O. - Ces premiers mots manquent dans A. B. C.

^ 182] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. \\3

Nostrc sires Diex vit lor junes, si lor orisons, si les secouru en tel manière com je vous dirai. Car Diex mist en cuer et en talent à une dame veve qui el castiel estoit, et avoitànon Judit\ qu'elle issi hors du castiel bien vestue et acesmée, et ala en l'ost, et fist tant par son sens et par art et par enging et par le volenté NostreSigiiourqu'ele, une nuit, Oliferne, qui sires estoit de l'ost, caupa la tieste, et porta el castiel et le fist mètre en .i. pel sour la porte del castiel. Quant cil de l'ost se levèrent l'endemain par matin, et il esgarderent vers le porte du castiel, si virent le teste lor segnour, si tournèrent tuit^ en fuies. Et cil del cliastiel s'en issirent ^ tout apriès aus * , si les cacierent et ocisent tant que jours lor dura. Ensi secouru Dame Dieus cel castiel.

A deus liues de Naples, a une cité c'on apiele Sabat, et est en le voie si c'on ^ va de Naples à Nazareth. A celle cité fu li cors monsigneur saint Jehan Baptiste enfois. le portèrent si desciple, quand Herodes li ot fait le chief coper. Une pièce apriès, quant li feme Herode dire qu'il estoit enfouis, si envoia et fîst ses os traire de tiere et ardoir et venter le pourre ^; et pour ce font encore li enfant le nuit saint Jehan le fu d'os pour che que si os furent ars.

11 a de Naples en Jherusalem .xii. '^ liues, et de Naples en Nazareth .xii. ^ liues ; et si est Naples en mi voies de Nazareth et de Jherusalem. Or a de Naples à Cesaire sour mer .xii.^ liues, et de Naples au llun Jourdain

I. A. B : Judif. 2. A. B. 3. A. B. F. 0. Mal clans G : tournèrent enfuies s'en tournèrent et issirent. 4. A. B. 5. F. 0 : si com on. 6. A. B : ?a poudre. 7. A. B. F. 0. G : H. 8. B. F. 0. G : ii. 9. A. F. O. G : ii.

8

414 CHRONintE d'er^ioul [^182

.V.Miues, mais cil fluîis n'est mie en cel endroit Jhesu Cris fu batisiés, car il i a assés plus de Naples u il fu baptisiés; mais tout est .i. iluns.

Or vous ai dit de Naples comment elle siet, si vous dirai d'un clerc de Flandres qui ot à non Girras de Ridefort * qui en le tiere estoit. Pour che veul dire de lui cjue ce fu .1. de ciaus par coi la tiere fu perdue. Il estoit marissaus de Jherusalem. Il avint qu'en le tiere le conte de Triple avoit une dame de castiel à marier ^ et li castiaus dont elle estoit dame avoit non li Boteron \ 11 vint au conte de Triple, si li proia qu'il li donnast celle dameàfeme; li quens de Triple dist qu'il ne li donroit mie^ Quant Girras de Ridefort vit que li quens li otescondite le dame, si fu si dolans, et si coureciés qu'il se rendi al Temple ; n'onques puis n'ama le conte de Triple, ains li pourcaça mal tant com il pot. Et celle haine fu commencemens " de la tiere pierdre, si com vous orés dire ci après'. Girras de Ridefort n'ot gaires esté al Temple que li maistres fu mors; si fist on maistredelui.

\. A. B. F. 0 : VI. 2. A. B : qi avait à non liiderfort. D : Girarl de liitlevorl.

3. La fille et l'héritière de Guillaume Dorel, seigneur de Bo- tron, vassal du comte de Tripoli.

4. A. B : Li Boulron. D : Li Bâterons- ¥. 0 : Le Bo- tron. L'ancien Botrus, au sud de Tripoli.

5. Non-seulement le comte de Tripoli ne donna pas la main de l'héritière du Botron à Gérard de Ridefort, mais, après la lui avoir promise, il l'accorda à un riche marchand de Pise, nommé Plivaiii, qui paya, dit-on, au comte, ce nohle mariage le pesant d'or de lu fiancée. H. donne sur cette circonstance qui eut de si fatales conséquences des détails précis et fort curieux. Pair. 51-52.

G. A. U : fa achcsons. 7. D.

^^83] ET DE BERNARD LE TRT?SORIER. \\T)

Or vous dirai dou roi mesiel qui aproça de se fin, etfu si malades qu'il ne li demoura dois en main, ne oel, ne nés. Et manda tous ses jjarons en Jherusalem qu'il venissent à lui, et il i vinrent. Quant il i furent venu, si lors dist : a Signour, pour Dieu, or aidiés » conscl à mètre en le tiere, car ie n'i ^ vivrai mie Ion- » guement. Car par le consel de Diu et de vous, vaur- i> roie tant faire que l'ounour de Diu fust et de vous, » et le sauvetés de m'ame, car jou n'ai nul oir. » Dont disent li baron : « Sire, qu'avés vous empensé à j> faire? ne que vaudrés vous faire? Ce que vous avés » empensé à faire, faites le nous savoir, et selonc che y> que nous orons, nous vous consillerons. » Lors dist li rois : « J'ai .i. mien neveu ^ qui a à non Bau- » duins, et est fiex me sereur le contesse de Jaffe, se » li ferai porter couronne à me vie, se vous le me loés ; » et pour ce qu'il n'i ait descorde entre vous apriès » me mort pour che que jou ai deus sereurs.» Dont » respondirent li baron au roi : « Sire , nous le vous » loons bien à faire, par si qu.e vous metés tel balliu en » le tiere, tant qu'il soit d'aage, que le règne puist » gouvrener, et qui nous croie de nos consaus, car » nous ne volons mie que se li enfes a porté courone, » que [Guis de Lisegnon,^] ses parastres, soit baillius » de le tiere, car nos le coruiissons tant qu'il ne » saroit ne ne poroit le règne gouvrener. »

Lors dist li rois : « Or, esgardés entre vous à qui je » porai baillier le tiere et l'enfant. » Il esgarderent entr'aus k'à nului ne le poroit il si bien commander

1. A. B. l) -.ne. 2. Baudouin V, fils de Sibylle et de Guil- laume de Moni'errat. 3. D.

i\6 CHRONIQUE d'eRKOUL [1483

c'al ' conte de Tri])le. Dont manda H rois le conte de Triple, se li proia qu'il reçeust le baillie dei règne et de l'enfant % à .x. ans, tant que li enfes fust d'eage^.

Li quens de Triple respondi ^ que volenliers receve- roit le baillie, par si qu'il ne fust mie garde de l'enfant, car il ne voloit mie c'on desist que se li enfes '■" estoit mors dedens les .x. ans, qu'il fust mors par lui " ; et si voloit que li castiel et les fermetés fuissent mises en le main del Temple et de l'Hospital, car il n'en voloit mie estre mescreus, ne c'on en pensast sour lui nul mal- vaisté". Et si vaurroit estre assenés il se tenroit^, se il au règne metoit nul coust, car il n'estoit nulle trive as Sarrasins, ne li tiere n'estoit mie si rendans qu'il peuist ost tenir contre les Sarrasins, sans grant coust ^ Et si voloit c'on l'aseurast^" d'avoir le baillie à .x. ans en tel manière que se li enfes moroit dedens les .x. ans, qu'il tenist le baillie ausi comme devant", desci

1. D : Qu'à Raymond. 2. A. B : qu'il receust le règne et l'en- fant en baillie, à x. ans.

3. C'est à ces laits que s'arrête la Chronique de Guillaume de Tyr et l'unique fragment du livre XX1U« que l'arclievr'quc ait écrit. Ilist. Occident, des Crois, t. I. p. 1134.

4. Ici commence la concordance chronologique de notre chro- nique avec les continuations de l'Histoire de Guillaume de Tyr, et avec le XXV« livre de Pipino que Muratori a publié comme une traduction de Bernard le Trésorier. j\r. col. 781. chap. 146.

5. 0 : enfet.

6. M : « Hœc enim requisivit cornes ut omnem quae in se con- s cipi posset suspicionem ambiendi regnura, a cordibus singulo- » rum cxcluderetur. » Chap. 146. col. 781.

7. A. B. 1) : mauvestie. 8. A. B : tendroii. il se rembour- serait.— 9. D : cousiement. 1(1. I : qtic l'en Vasenast. 11. A. B : la baillie tenroit comme devant.

•H83] ET PE BERNARD LE TRÉSORIER. U7

celle eure que par l'apostoile de Roume et par le consel l'empereour d'Aleinaigne et le roi de France et le roi d'Engleliere seroit jugiés' li règnes à l'une des deus sereurs, ou à l'aisnce ou à le maisnée, pour ce que li rois Amaurris, ses pères % f'u départis de le mère à l'aisnée sereur ains que il l'ust rois, et li maisnée fu de roi et de roine. Pour ce ne s'acordoient ^ mie li baron de le tiere que li ainsnée l'eust, se li entes moroit, sans le consel de ces .iiii. que je vous ai només; et pour ce l'atira ensi li quens de Triple qu'il ne voloit mie qu'il euist discorde en le tiere, se li enfes moroit; et pour çou en voloit il estre tenans desci à cel eure que li .iiil. i eussent mis consail.

Geste cose fu gréé del roi et des barons tout si que li quens le divisa. Illueques atirent que li quens Josselins, qui oncles estoit le mère à l'enfant, le garde- roit et que li quens de Triple auroit Barut, et qu'il le garniroit pour chou que s'il metoit coust el règne, par les barons de le tiere que fust asenés desci qu'il aroit ses cous, [se nul en i fesoit.^]

Quant ensi orent atourné^ à l'afaire, si commanda li rois c'on couronnast l'enfant. Et on le mena au Sepucrc, et si le couronna on ^. Et se le fîst on porter à .1. chevalier entre ses bras desci qu'ai Temple Domini'

1 . M : « adjudicatum . » col. 781-782. I : parle consoil l'apos- toile, etc. 2. F. 0.— 3. F. 0.— A. B. C. D. I : s aconlerenf .

■i. D. H : il en fa assenez tant que il eust eu ses costenges. Pag. 8. Pipino traduit et abrège exactement tout ceci : « Quodque )) cornes pncfatuspro expensis, quas eum pro regni negotiis subire » contingeret, Berythum urbem pignoris nomine possideret. » Chap. 146. col. 782.

5. A. B : aliré. G. Le 20 novembre H83. Guillaume de Tyr a parlé du couronnement de Baudouin V. 7. Le Temple,

^^8 COROKIQIIE d'eRNODL [1483

pour che qu'il cstoit petis, qu'il ne voloit mie qu'il fust plus bas d'aus. Et li chevaliers estoit grans et levés, et avoit à non Balyans de Belin^ et estoit uns des" barons de le tiere.

Il est^ coustume en Jherusalem, quant li rois porte couronne al Sepucre,[il prent le corone au Sepucre^] et si le porte sour son cief dcsci al Temple, Jhesu Cris fu offiers. si offre se couronne, mais il l'offre par racat. Ausi soloit on taire cfuant li feme avoit sen premier enfant malle; elle Toffroit au Temple, et le racatoitd'un agniel ou de deus coulombiaus, ou de .11. lourlereules. Quant li rois avoit ofïierte se couronne au Tem[)le, il avaloituns degrés qui sont dehors le Temple et s'en entroit en son palais, el Temple Salemon, li Templier manoient. estoient mises les napes et les tables pour mangier, li rois s'aseoit et il et si baron et tout cil qui mangier voloient, fors seulement li bourjois de Jherusalem qui servoient; que tant dévoient il de service al roi, que quant li rois avoit porté couronne, qu'il servoient al mangier devant lui et ses barons.

Ne demoura puis gaires que li enfes ot porté cou- ronne que li rois mesiaus fu mors^. Devant che que li rois mesiaus fust mors, manda il tous ses hommes que il venissent à lui en Jherusalem. Et il i vinrent tout, à cel point que il, que le nuit [q'il vindrenf^], trespassailde chest siècle, et qu'il furent tout à se mort. L'endemain

et non le S. Sépulcre (H. p. 8). Voy. Bibl. de l'Ecole des Chartes, sùrie. tom. IV. p. 385. 1. Balian II d'Ibelin, dont il va être si souvent question. 11 fut père du Vieux sire de Beyrouth. 2. C: de,— 3. A. li : il estoit. 4. A. B. D. F. 0. 5. Bau- douin IV mourut le IG mars 1180. G. ^. U. D. F. O.

USG] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. i \ 9

l'enfoireiit il el moustier dcl Sepucre, li roi a\ oient esté enfoui puis le tans Godefroi de Buillon. 11 avoient esté enfoui entre mont de Calvaire, Jliesu Gris avoit esté mis en crois, et le Sépulcre il fumis. Et tout est dedens le moustier del Sépulcre, mont de Galvaire et Gorgatas.

Devant che que li rois mesiaus fust mors et li enfes ot porté couronne, li list il faire à tous les barons de le tiere feuté^ et hommage, comme à [droiturier'^] signour et com à roi. Apriès se li fîst faire hommage al conle de Triple comme de bail, et si fist jurer as barons de toute le tiere que l'atirement des .11. sereurs ensi qu'il avoit esté fais tenroient, et aideroient le conte de Triple le tiere à maintenir et à garder, se li emfcs moroit dedenz les .x. anz\ Quant li rois mesiax fu morz et li emfes Bauduin ot porté coronne, si le charja l'en le comte Joscelin de Rohes à garder''. Et il l'enniena à Acre, si li garda al mex qu'il pot. Et li quens de Triple fu baillius de le tierce

1. D : seurté. I : feueuté. 2. F. 0. 3. D. F. 0. Les deux derniers mss. ajoutent ici : Cil Bauduin qui fa mesiaus régna XXV ans. 4. A. B. 1).F. 0. G: omet tout le passage: se li emfes moroit dedens les X. ans... à garder.

5. Cf. M. chap. 147. col. 782 : « Mortuo itaque Balduino

» Raymundus vero Tripolitanus cornes regnique balivus, » etc.

CHAPITRE Xr

Cornent Germains trova le Puis Jacob.

SOMMAIRE.

1185. Sécheresse en Syrie. De la générosité d'un bourgeois de Jérusalem nommé Germain. Craintes du comte de Tripoli. Il conclut des trêves do quatre ans avec Saladin. Largesses annuelles des Bourgeois de Jérusalem à la fontaine de Siloé. 1185. Guillaume III (et non Bo- niface), marquis de Montfcrrat, père de Guillaume dit Longue Epée et de Conrad de Montferral, passe en Terre Sainte, sous le règne de Bau- douin V, son petit-fils. Conrad de Montfcrrat, parti pourla Terre Sainte, est forcé par les mauvais temps de se rendre à Constanlinople. —1 ISS- US?. Isaac l'Ange l'y retient. Il bat et tue Livernas (Alexis Branas), révolté contre Isaac— 118G. Mort de Baudouin V. Joscelin, comte d'Edesse, s'empare déloyalemenl de Saint Je m d'Acre et de Beyrouth, pour favoriser le couronnement de Sibylle, mère du roi, sa nièce. Le comte de Tripoli convo([ue les barons du royaume à Naplouse et .se plaint du comte Joscelin. La comtesse Sibylle se rend à Jérusalem. Ses adhérents veulent la faire couronner. Le comte de Tripoli et les barons retirés à Naplouse refusent de se rendre à Jérusalem. Le grand maître de rHo|)ital ne veui pas assister au couronnement de Sibylle. Récit du couronnement et des circonsUnues (jui le |irccéiliienL Sibylle, investie de la royauté, couronne roi Guy deLusignan, son mari. Inquiétude des barons retirés à N iplouse sur l'avenir du Royaume. Baudouin d'Ibelin, comte de Rama, veut quitter le pays. Le comte de Tripoli propose de

1 . Cf. G. pag. 12-46. H. pag. 10-3 i, ch. 6-22, du Livre XXIII, plus développé que A et 13.— M. suite du chap. 147 au cliap. lOO. col. 782-785.

^^84] CHR0?(1QUE DE BERINARI) LE TRÉSORIER. ^2^

proclaiTier Humfroy de Toron, mari d'Isabelle, sœur cadcUe de Sibylle. Humfroy refuse, s'enfuit à Jérusalem, e( fail hommage à Sibylle. Malgré l'avis de Baudouin de Rama et du comte de Tripoli, les barons de Naplouse se décident à faire l'hommage à Sibylle et à Guy de Lusignan. Le comte de Tripoli se relire à Tibériade. Baudouin de Rama envoie son lils à Jciusaleni, faire hommage au roi et demander la saisine de la seigneurie paternelle. Le roi exige l'hommage personnel de Baudouin de Rama. Baudouin se décide à venir à Jérusalem. Il fail son hommage sans saluer le roi. 11 demande que le roi investisse son fils de ses terres, ne voulant rien tenir de Guy de Lusignan, et se retire dans la principauté d'Antioche.

Or avilit chel premerain an' [ke li roys mesiaus fu moi^s^] qu'il ne plut point en le tiere de Jherusalem, ne qu'en Jherusalem ne requelli on point d'iaue, ne qu'il n'avoient que boire, se poi^ non. Et il avint qu'il avoit en Jherusalem .i. bourgois qui moût volentiers i'aisoit pour Dieu bien, et avoit à non Germains. Il avoit en .m. lius en Jherusalem .m. cuves de marbre enseellées en maisieres ; et si avoit en cascune de ces cuves .II. bacins enchaînés; et si les faisoit tous tans tenir plains d'iaue. si aloient boire tout cil et toutes celles qui boire voloient. Quant chil Germains vit qu'en ses cuves n'avoit gaires preu ^ d'iaue et qu'il ne plou- voit point, si fu moût dolans, pour che qu'il avoit jiaour qu'il ne perdist l'aumosne à faire, qu'il avoit commenchié, à [faire d'^Jabuvrer les povres gens. Dont h sovint de che qu'il avoit dire as anciiens hommes de le tiere, qu'en le valée de Jozafas, [en coste la Fon- taine de Siloé ^] avoit un pue' anciien, que Joseph fist ;

1. A. 13. D. 1. J : premier an. 2. A. B. M. ne dit (ju^uii mot des faits rappelés au commencement de ce chapitre, (cbap. 147. col. 782). Son récit est moins abrégea partir de la mort de Baudouin V. D. a ici de nombreuses lacunes.— 4. A. B : se mid( poi. D : pou. 5. A. B : n'avoit prou. D. F : n'avoit gaires. j. D. 6. A. B. F. 0. 7. A. B. D : un puis.

^22 cHRomQDE d'erkocl [^ 4 85

et estoit enkeus^ et emplis, et gaagnoit on [et laboroit on ^] la tiere par deseure , et c'a paines seroit trouvés. Dont proia Germains à Nostre Segnour que, se ses plaisirs estoit, qu'il li laissast cel puch trouver, et qu'il li aidast à maintenir le bien qu'il avoit commenchié à faire ; et que [il li laissast tant faire ^], par sen plaisir, que ses povres pules ^ eust secours d'iaue. Quant ce vint l'endcmain par matin, si se leva et ala al moustier, et proia Dieu qu'il le conseillast^ Et puis s'en ala en le place, et prist ouvriers et les mena on li avoit dit que li pus estoit, et fist fouir et hauer ^ tant qu'il trouva le puch. Quant il l'ot trouvé, si le fist Miidier et mai- serer " tout neuf, et tout à sen coust. Puis si fist faire par deseure une roc c'uns cevaus tournoit, il avoit pos, si que li pot plain venoient à mont, et li vuit aloient aval. Et avoit fet^ mètre cuves de pieres celle eve couroit% c'on traioit del puch. Et venoient tout cil de le cité qui voloient de l'eve, si le portoient en le cité. Et li bourgois faisoient traire l'eve nuit et jour à ses cevaus, et raemplissoit le cité, à tous cens qui prendre en voloient, et tout à sen coust, desci que Dame Diex lor envoia pluie, et qu'il ot de l'eve en lor cisternes. Encore ne s'en tenoit'° mie à tant liprcudom; ains avoit .m. sommiers et .m. serjans qui ne faisoient autre coso que porter eve à ses cuves qu'il avoit en le cité, à abuvrer les povres gens. Cil pus il faisoit

1. A. B: encheus. D .- couvers. F. 0 : enschaus. 2. A. B. F. O. 3. F. O. (\ : et que par sen plaisir. 4. D : pueples. F. 0 : peules. 5. Tout le commencement du ^ man- que dans A. B. Il est dans H. p. 10. 6. A. B : chaver. D : caver. F. O : hauer. 7. F. 0 : maçonner. 8. A. B. D. 9. D : ckeoit.— F. 0 : chaoil.— 10. D. F. 0. A. B : ne se Jais- soiL-il. C : Encore ne faisoit.

^^83] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 123

traire celle eve avoit bien .xl. toises de parfont. Puis le depcciercnt et emplirent li ^ Crestiien, quant il oïrent dire que li Sarrasin venoient le cité assegier.

Or vous dirai de le fontaine de Siloé, qui priés dou pue est. Elle n'est mie bonne à boire, ains est sause^. De celle eve tanoit on les cuirs de le cité, et si en lavoit on les dras, et si en abuvroit on les gardins qui desous en le valée estoient. Chelle fontaine ne court noient les samedis, ains est toute coie.

Or^ vous dirai qu'il avint à celle fontaine .1. jour, au tans que Jhesu Cris aloit par tiere. Jhesu Cris estoit .1. jour en Jherusalem entre lui et ses apostles, et pas- soient par une rue, et virent .1. homme qui n'avoit nul oel, ne qui onques n'avoit eut oil. Dont vinrent li apostre, si demandèrent à Jhesu Cris se c' estoit pour le pecié del père et de le mère ou d'aucun parent que il eust, qu'il estoit sans iex. Jhesu Cris lor respondi que ce n'estoit pour pecié dou père ne de le mère, ne de parent qu'il euist, mais pour çou qu'il ouverroit^en lui. Dont vint Jhesu Cris, si escopi à tiere, si fist .1. poi de boe, se li mist h oel dévoient estre, et se li dist qu'il alast à le fontaine de Syloé, si se lavast et si veroit ; et il i ala, et si se lava, et si ot iex, et si vit. Dont revint ainere en le cité de Jherusalem à ses parens qui moût s'esmervellent de che qu'il a iex et moût li demandent comment ; et à paines creoient il que che fust il. Apriès, quant li Juis et li maistre de le loy oyrent dire que cil qui onques n'avoit veu avoit iex, si le man- dèrent et se li demandèrent comment estoit qu'il avoit

1. A. 13. 2. A. B. F. 0 : salée. G -.fausse. 3. Ce long jJ qui est dans G. D. F. 0. G. (pag. 16) H. (p. 11-12), man- que dans A. B. 4. I : ouvroiù. J : ovroit.

<24 cHRo:siQCE d'ernoul [^^85

iex; et il lor conta comment est oit. Et il ne le vaurrent mie croire, ains mandèrent ses parens et lor deman- dèrent s'il estoient certain que ce fust il ; et il disent que oil.

Or vous dirons del conte de Triple, qui baillius estoit de le tiere de Jlierusalem. Quant il vit qu'il ne plouvoit noient, et (jue li blé ne croissoient, qui semé estoient, si ot paour de cliier tans. Si manda les barons de le tiere et le maistre du Temple et de l'Ospital, si lor dist; « Seignour, quel consel me donnés vous? Il ne pleut, » ne blé ne croissent. J'ai paour que li Sarrasin ne j> s'aperçoivent que nous aions cier tans, et que il ne » nous keurent sus. Quel consel me donrés vous? » Ferai jou les trives as Sarrasins, pour le doute dou » cier tans? i> Li baron li loerent bien, [que bon estoit à faire '] ; et il manda trives à Salehadin .un. ans. Et il le ^ donna volontiers.

Quant il ot trives entre Crestiiens et Sarrasins, li Sarrasin amenèrent tant de viande ^ as Crestiiens que bon tans eurent durement, et que s'on n'eust fait trives, il fussent tout mort de fain. Dont li quens de Triples, pour les trives qu'il fist adont as Sarrasins, fu moût amés des gens de le tiere et moût l'en proiiercnt^ de beneiçons.

Je vous avoie oubliié à dire, quant je parlai de le fontaine de Syloé, d'une aumosîie (jno li bourjois de Jhcrusalem faisoicnt; mais or le vous dirai; et en qua- resme^ il le faisoient, le jour c'on list l'evangille dou Povre Homme ([ue "^ Jliesu Cris tist iex de boe ; et il le

1. D. -2. A. B. I). C. 0. V : li.- 3. D : blé. 4. A. B honorent. 5. A. B. F. (). 6. 0 ; que que.

^^85-MS7] ET DE BEllNARD LE TKÉSORIER. ^25

rouva' aler laver à le fontaine de Syloé, et si fîst, si ot iex et si vit. Pour celle ramenbrance faisoient il ceste aumosne que je vous dirai. Il faisoient mener cuves et mètre sour le fontaine, et si les faisoient toutes emplir de vin et si faisoient mener les sommiers carciés de pain et de vin à tel plenté que toutes les povres gens qui i aloient avoient pain et vin à grant plenté ; et si avoient de l'argent aveuc. Et si aloient li homme et les femmes à pourcession à cel jour, et pour faire ceste aumosne.

Or vous ai dit de l'aumosne c'on faisoit sour le fon- taine, si vous dirai d'un haut homme de Lombardie qui avoit à non Bonifasses^, et estoit marchis de Montferras. Cil marchis estoit taions" le roi Bauduin {|ui enfes estoit; et pères fu Guillaume Longlie Espée, qui [quens fu de Jaffes et d'Escalonne et^] pères fu le roi\ Quant il 01 dire que ses niés estoit rois de Jherusalem, si en fu moult liés et moût joians. Si vint, si se croisa et si laissa se tiere à sen aisné til et s'en ala Outremer. Quant il fu venus en le tiere d'Outremer, li rois et li quens

1. A. B : trova. 0. F : rova.

2. A. B. C. D. F. G. H. I. J. 0. Erreur déjà signalée (ci-des- sus p. 48) des mss. et des imprimés. Le marquis de Monferrat, père de Guillaume Longue-Épée, et par conséquent aieul du roi Baudouin V, est Guillaume III dit le Vieux. Bonilace- de Mont- ierrat, qui fut roi de Salonique, était frère de Guillaume Longue- Epée et de Conrad^ seigneur de Tyr, dont il va être beaucoup parlé dans notre chronique. Voy. Benv. di San Giorgio, Hist. Montisferr. ap. Murât. Script. liai. t. XXIII. col. 337.

3. A. B. C. F. 0. I) : aiels. G : aiel. I : escu. J : aiols. 4. D. 5. G. D. E. F. G. H. I. J. 0. Guil- laume Longue Epée de Montferrat fut le premier mari de Sibylle de Jérusalem qui épousa ensuite Guy de Lusignan. 11 en eut Baudouin V.

^26 CHRO^inrE d'ernoul [1185-N87

de Triple et li baron le rechurent moût hautement, et moût furent lié de se venue.

Dont vint li rois, se li donna .1. castiel qui est es desiers\ deçà le flun, priés de Jhesu Cris juna le quarentaine. Cil castiausest à .vii.^ liues de Jherusalem età .iiii.^ del flun, et sieten unemontaigne. Et l'apele on Saint Elyes. Pour çou, l'apele on Elye, que, si com on dist, que c'est li lius Elyes souffri si grief paine comme de juner .XL. jours, et si s'endormi ; et que Diex li envoia illueques une pièce de pain et de l'eve en .1. vaissiel et si le fîst esvellicr à l'angcle pour ce qu'il beust et mengast ; et il but et manga çou que Diex li envoia, puis si s'endormi, et autre fois li envoia Diex del pain et de l'eve ensement, et le fist esvellier. Et pour çou que c'avint cil castiaus est, l'apelent cil dou pais Saint Elye^

Or vous dirai d'un fil que li marcis Bonifasses^avoit, qui avoità non Golrras^ Il se croisa pour alerenle tiere d'Outi^emer apriés son père, à son neveu % qui rois esloit de Jérusalem ^ Et vint^, et fu sour mer. Dont ne vaut Nostre Sires Dex souffrir qu'il passast d'Outremer, ains l'envoia en Coustaiitinoble, pour çou qu'il avoit pourveu la perdission de le tiere d'Outremer et que par cel Coirras en seroit retenue une partie, si com vous orés dire aucune fois, comment il le tint et garda pour le courous que il avoit as gens de le tiere, pour le

1 . F. I. 0 : dcsers. J : en désert. II : ou désert. A. B : desrens. 2. F. I. 0 : VIL A. B : F. D. G : //.— 3. A. B. 0. F. O : ///. 4. A. B : Saint Ilehje. Quelques dévelop- pements dans I (fol. 300 y°) et H (p. 14). 5. Lisez: Guillaume. Voy. p. 48. 6. A. B : Coras. D : dorras. 7. G : neve. 8. D. 0. A. B : Si riiit. D : Et mut.

ET DE BERNARD LE TRESORIER, -127

pecié qu'il faisoient en Jherusalem et en le tiere; pour le pecié qu'il faisoient d'avoutire^ Il ne le volt mie tout destruire, ains lor en laissa .1. poi, si com vous orés dire, por aucun preudomme, [ausi cum il fist au fil Salemon ^] ; que Diex se courça à Salemon pour pecié de luxure, qu'il ot fait d'une paiienne^ qu'il tenoit, qu'il ne devoit mie avoir, qu'elelifist faire pour l'amour qu'il a voit à li. Se li fist faire .m. mahomeries sour .m. montaignes, de cascune à .m. liues en Jherusalem, et le tierce sour le mont Olivet. Dont Dame Diex se courouça plus de le mahomerie qu'il avoit faite sour le mont d'Olivet que de tout l'autre pecié qu'il avoit fait, pour chou que del mont d'Olivet monta il es cieus devant les apostles, quant il fu resuscités de mort à vie, et descendra il à^ jugement.

Dont vint Dame Diex, si dist à Salemon qu'il ^ l'avoit courechié, et se pour le grant amor ne fust qu'il ot à David, son père, qu'il le destruisist, mais or s'en souf- ferix)it atant com il vivroit; mais seust, apriès se mort, ne tenroit mie ses fins le règne, fors seulement un poi; et cel poi li lairoit il pour l'amour qu'il avoit à son père David. Aussi ° ne vaut Dame Dex desireter Cres- tiienté de toute le tiere pour aucun preudomme qui en la tiere estoit. Ausi com il laissa le fil Salemon pour Davi, ainsi' laissa une cité qui a à non Sur pour Courat qui en Goustantinoble estoit, si con vous orés aucune fois dire comment il le retint.

En cel point que Colrras fu arivés en Goustantinoble, estoit Krysac empereres, et n'avoit mie encore les iex

1. D. Q, : delà outre. F. 0 : de luxure. 2. A. B. F. O.

3. F. J. O : d'une femme paiene. 4. A. 3: au. 5. C : qui.

A. B : q'il. 6. F. 0 : Ami. 7. G : ains.

-128 CHROl^lQTTE d'eRNOUL [-1487

crevés. Il avoit .1. haut homme en le tiere de Coustan- tinoble (jui avoit à non Livernas', qui cousins avoit esté bien priés l'empereur Manuel. Cil Livernas^ s'estoit muciés et destourncs^ al tans que Androines estoit empereres; et pour çou se muça il et destourna que Androines fie le deffigurast, aussi com il fist les autres parens l'empereor Manuel. Quant il dire Androines estoit mors, et que Krysac estoit empereres pour çou qu'il avoit ensi le siècle délivré d'Androine, il se pour- pensa qu'il seroit mieudres ^ drois qu'il fust empereres que Krisac, pour çou que plus avoit esté proçains l'em- pereour Manuel^. Dont vint, si amassa grans gens et leur promist et leur donna tant qu'il amassa grant gent% et vint devant Coustantinohle à ost. Quant li empereres vit que Livernas venoit sour lui à ost, si proia le marcis (|ui en Coustantinohle estoit qu'il de- mourast avoec lui en Coustantinohle [tant q'il eut sa guerre tinée''], et il et si homme; et li marcis i demoura.

Quant ce vint al joui' que Livernas vint devant Cous- tantinohle pour assegier, Livernas fu en le première bataille devant. Li empereres ne vaut issir encontre Livernas, pour çou qu'il avoit grant linage dedens ^ le cité, [et porce q'il ne fermassent les portes après lui. Ains se tint toz jors dedenz lacité'-*]. Dont vint li

1. F. 0 : Li Vernat. Alexis Branas. I : Cil Vernas. 2. J: Cil Yvernas. 3. G. H (p. 16) J: repost et dcstornés. 4. D: miels.

5. (i. pas. 24-32. H. pai?. 17 et J. (fol. 361) insèrent ici le récit de la trahison de Langosse, que notre chroniqueur a racontée précédemment. Chap. IX. pag. 72.

6. F. 0: qu'ilôt ifranl (fent. 7. A . B. —8. A. B. D. C : devens. 'J. A. B. F. O.

USC^] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER, 429

marcis, si s'arma et issi hors encontre Livernat, et fu ^ sour .1. moût boin ce val, et demanda liqués estoit Livernas, et on li ensegna, et il poinst encontre lui. Dont cuida Livernas et cil de s'ost que il euist lassié le cité et fust venus à lui pour lui aidier. Et quant il fu pries de Livernas, si broce ^ son ce val des espourons et fiert Livernas parmi le cors, si l'abat mort, et tourne ariere en Goustantinoble.

Quant cil qui Goustantinoble avoîent^ assegiet virent que lors sires estoit mors, si tournèrent en fuies. Dont vint li empereres, si manda Colrrat en son palais, si le tint aveuc lui pour ce qu'il ne voloit que cil de le cité cui parent il avoit ocis, li fesissent anui ne mal. fu Golrra avoec l'empereur desci que à celle eure que il fu tans d'aler en le tiere d'Outremer, pour garder le cité que Diex avoit pourveu qu'il le lairoit as Crestiiens.

Or vous lairons atant à parler de Colrrat, si vous dirons del roi Bauduin l'enfant, qui à Acre estoit, en le garde le conte Josselin, qui oncles estoit se mère *. Maladie le prist, si fu mors ^. Dont se pourpensa li quens Josselins d'une moût grant traison. Dont vint au conte de Triple, se li dist qu'il alast à Tabarie '', et qu'il n'alast mie aveuc le roi en Jherusalem à 1"' enfouir, ne n'i laissast aler nul des barons de la tiere; ains le

1. D : et sist. 2. A. B : brocha. D : coiia. Ces événe- ments sont de l'an H87. Voy. les notes de M. Lebas. H. p. 24.

3. A. B. D. F. 0 : volaient.

4. M. suite du chap. 147. col. 782 : « Puer autem rcx cum » esset Accon, in custodiam Joncelini, » etc. Cf. H. p. 25. chap. 17.

5. En septembre 1186. 6. A. B : Barbarie. H : Tabarie.

M : « Tabariam. » 7. D. G : à Jérusalem enfouir.

'taO CHRONIQUE d'eRNOCL [^^86

cargast as Templiers, que il le portassent en Jherusa- lem enfoïr. Li quens de Triple créi le conseil que H quens Josselins li dist, si fîsL que fols. Et li Templier emportèrent le roi en Jherusalem enfoïr, et li quens de Triple alaàTabarie, sa cité\

Dont vint li quens Josselins, si saisi le castiel d'Acre, et si le garni, et si s'en ala à Baruth que li quens de Triple avoit engagés pour le despens de le tiere, et si entra ens en traison, et si le garni de chevaliers et de sergans. Apriès manda à le contesse de Jaffe, qui se nièce estoit ^ qu'ele alast en Jherusalem, et si baron et tout si chevalier; et (juant li rois ses fins seroit enfoïs, qu'il saisesissent le cité et garnesissent et portast cou- ronne ^ car il avoit le castiel d'Acre et celui de Barut

saisi aveuc son oes ^

Quant li cuens de Triple dire et sot qu'ensi l'avoit trahi li quens Josselins, si manda tous les haus hom- mes de le tiere et tous les chevaliers, sour l'omage et sour le sairement qu'il li ^ avoient fait, qu'il venissent tout à lui, à Naples. Et il i alerent tout, fors seulement li quens Josselins et li princes Renaus del Crac. Li quens Josselins ne vaut mie laissier^ Acre, ains le gar- doit'. Le contesse de Jaffe, qui seur fu le roi de Jhe- rusalem, [fu en Jherusalem entre**] li et sen baronet ses chevaliers, et fu à l'enfouir le roi son fil. Et s'i fu li marcis Bonifasses ses taions ^ et li patriarces et li

i. D. 2. C. F. H. J. 0. G : mère le roi. A. B : qe sa viere esioii. M : « comitissae Japliet, Sibiliie, matri pueri régis » defuncti. » 3. D. J : et se Jeisse coroner à roiiie. M : « sibi » coronam assumeret. » 'i. A. B. G. I) : à son oes. F. 0 : à son ues. 5. D. 0. A : mie aler à. 7. Cf. M. cliap. 148. Cul. 783. 8. A. B. F. 0. 9. D : aiex.

Usa] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. ^3^

maistre del Temple et de l'Ospltal. [Cil rois Bauduin régna .m. ans^].

Quant 11 rois fu enfouis, si vint li contesse de Jaffe al patriarce et au maistre del Temple et de l'IIospital, et si lor demanda, pour Dieu, qu'il le consellaissent. vint li patriarces et li maistres del Temple^, si disent qu'ele ne fust mie à malaise, et disent que il le couronneroient, malgré ^ tous ciaus de le tiere, li pa- triarces^ pour l'amour de se mere^ et li maistres del Temple pour le haine qu'il avoit au conte de Triple. Dont vinrent, si mandèrent le prince Renaut del Crac qui estoit au Crac, que il venist en Jherusalem, et il i vint; dont prisent consel qu'il feroient.

Consaus lor porta que li contesse mandast al conte de Triple et as barons, qui estoient à Naples, qu'il ve- nissent à li en Jherusalem à son couronnement pour che que li règnes li estoit eskeus. Elle i envoia ses mes- sages ®. Et li baron respondirent as messages qu'il n'iroient pas; ains prisent .11. abés de l'ordene de Cistiaus, ' et si les envoient ® en Jherusalem, et al maistre del Temple et de l'Hospital, et si lor comman- dèrent qu'il desissent au patriarce , al maistre del

1. B. F. O. 2. D : qui ot a nom Girart et estoit de Ridevort an Flandres. 3. G : mal. D : maugré. 4. 0 : li patriarces le disl. A. mal : li princes.

5. M : « Votis comitissce adherebant, sed diversis respectibus. » Patriarcha quidem quod spécial! eam diligebat affectu », etc. Pipino ne rend pas le vrai sens. C'est son affection pour la mère de la comtesse Sibylle et non pour la comtesse elle-même qui in- fluait sur la conduite du patriarclie.

6. A. B : messagiers. M. chap. 148. col. 788. H. pajj. 27 et suiv. plus développé que notre texte.

7. A. B : de l'ordre de Cisteaus. 8. A. B : envoierent.

^132 cnRO?<iQCE d'ernoul [^^86

Temple et de l'Ospital, et cîeffendissent, de par Diuet de par l'Apostoile, qu'il ne courounassent mie le con- tesse de Jaffe desci à icelle eure c'on i aroit le consel de ciaus dont on i avoit fait le sairement, au tans le roi Mesiel. Li abbé alerent en Jherusalem et fisent lor mesage ^

[Li patriarche et li^ maistre del Temple et li princes Renausdistrent q'il n'entendroient ja foi ne sairement^, ainz coroneroient la dame. Li maistres de l'Ospital * ne vout onques estre au coronemant , ainz dist q'il n'i seroit ja ne veuz ne oïz, car il dist q'il erreroit ^ contre Deu et contre lor sairement. Atant fistrent fermer les portes de la cité, ke nus n'i pot entrer ne issir, ke il aveoient peor qe li barron, qi estoient à Naples, à .xil. liues d'iluec, n'entrassent en la cité entrues ° q'il coro- noient la dame, ne q'il n'i ' eust mêlée. Quant li baron oïrent dire, qi à Naples estoient, q'ensi faitement estoit la cité fermée, qe l'en n'i pooit ni entrer ni issir, si vestirent .1. serjant, qi de Jherusalem estoit nez, ausi come un moine, et l'envoierent en Jherusalem ppr espier cornent la dame porteroit corone. 11 i ala et si ne pot entrer en Jherusalem par nule porte ke i fust. Donc ala à la IMaladerie de Jherusalem, qi tient as murs. Et si i avoit une petite posterne par il pooient bien entrer en la cité. Si fist tant vers le maistre de la

1 . J : Z/i Abé alerent en Jérusalem et deus chevaliers avec eaus, Johan de Belestne et Guillaume Le Queu, qui fu pères Thomas de Saint Berlin, et firent lor massage; phrase empruntée à H. p. 27.

2. F. 0. A. B : lor. 3. J : distrent que il n'entendroient point de sairement ne de foi. 4. F. G. H. J. M. 0. A. B : Li maistres del Temple et de l'Ospital. 5. F. O : qu'il faisaient.

G : que ce seroit. (1. G. H : endementiers. 7. F. O. A. B ; q'il ne.

US6] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. ^33

Maladerie q'il le mistrent enz par celé posterne. Et ala au Sépulcre, et fuMà tant q'il ot veu et seu ce por quoi on li avoit envoie ^]

Li patriarces et li maistres del Temple et li prinches Renaus prisent le dame, et si le menèrent al patriarce et au Sepulchre ^ pour couroner. Quant au Sépulcre vint li dame, si vint li patriarces al maistre dcl Temple, se li demanda les clés dou trésor, les couronnes estoient. Li maistres del Temple li bailla volentiers, apriès mandèrent le maistre de l'Ospital qu'il aportast la soie clef. Li maistres de l'IIospital lor manda qu'il ne lor en envoieroit nulle, se ce n'estoit par le consel des barons de le tiere. Dont vinrent li patriarces et li maistres del Temple et li princes Renaus, si alerent au maistre de l'Hospital pour les clés. Et quant il sot qu'il venoient à lui, si se destourna en le maison de l'Ospital; et fu priés de nonne ains qu'il l'eussent trouvé ne qu'il peussent parler à lui. Quant il l'orent trouvé, se li proiierent que il lor baillast les clés, et il dist que il ne lor en bailleroit nulle.

Tant li proiierent et anuiierent que il s'aïra, et les clés que il tenoit en sa main, pour paour que aucuns rendus de le maison ne les presist et livrast au patriar- che, si gieta les clés en mi le maison. ^ Dont vint li maistres del Temple et li princes Renaus, si prisent les clés et alerent au trésor. Si en misent fors deus couronnes, et si les portèrent aupatriai^che. Li patriar-

1. F. 0. A. B :fisf.- 2. A. B. F. G. H. J. O. - Ce g manque dans G. D. E. 3. D : menèrent au Sépulcre.

4. M : « projecit ad eos, per hoc insinuans non esse in hoc ois ï voto conformem. »

434 cHRoriiQUE d'er>ocl [^^86

ces en mist l'une soiir l'autel del Sépulcre, et de l'autre couronna le contesse de Jaffe K

Quant la contesse sefu couronnée et elle fu roine, si vint li patriarces, se li dist : « Dame, vous iestes » feine ^, il vous convient avoir avoé qui^ vo règne » gouverne \ [qui maies soit^]. Vés là, dist il, j> une couronne , prenés le , et si le donnés à tel » homme qui vo règne puist gouvrener. » Ele vint, » si apela son signour, qui devant ii estoit , se li dist : « Sire , venés avant , et si recevés ceste cou- j> ronne; car je ne sai je le puisse miex emploiier » que à vous. » Cil ala avant, et si s'agenoulla devant li; et elle li mist le coronc en le tieste. Si fu rois et elle fu roine. Ensi furent couronné.

Et li quens de Triple et li baron avoient envoiié .i. scrjant ^' en Jlierusalem apparellié à guise de moine pour veir et pour entendre l'afaire de le cité. [Qant li serjanz , qi estoit ' venu en guise de moine et estoit alcz porespierlecoronement, ill'outveu, si s'en râla à la Posterne par il estoit entrés en la cité, et li malade le misent hors; et si s'en ala à Naples au conte de Triple et as barons, qi envoie l'avoient. Et si lor dist et conta qant q'il avoit veu et seu ^].

Quant Bauduins de Rames que li quens de Jaffe

1. Vers le milieu de septembre H86. 2. A : vos sestesfeme. B : vos estes feme. E. F. M. 0 : vos estes royne et vos estes feme. G : vous estes famé. 3. A. B : avoir qi. D. F. 0 : avoué qui. En mettant l'accent sur avoé, je donne au mot le sens à^iclvocatus, tutor, hallivus. Mais avoe (pour auoec) peut avoir aussi le sens (['avec. 1 : avoir avec vous qui. J : avoir avesques vos qui. 4.1: qui vostrc roialme gouvernera. J : qui vos aide à garder et à gouverner ei qui maies soit. 5.1. 6. D : «re message. 7. Aux m.ss. estoient, ici et plus bas. 8. A. B. F. O.

i \ 86] ET DE BERNARD LE TRE'sORIER. ^ 35

estoit couronnés et qu'il avoit porté couronne en Jhe- rusalem , si dist : « Gui de Lesegnon est rois de Jheru- » salem! C'est par .i. couvent qu'il ne lésera pas rois » .1. an. ^ » Et il si ne fu; car il fu couronés en mi septembre, et il perdi le tiere à le saint Martin le boul- lant, qui est devant aoust, en juing.

Dont vint Bauduins de Rames, si dist au conte de Triple et as barons : « Signor, faites au miex que vous » poés, que li tiere est perdue. Car je vuiderai le tiere, î) pour çou que je ne veul avoir reproce ne blasme à » le perdicion de le tiere. Car je coniiois tant le roi qui » ore est à fol et à musart, que par men consail , ne 3> par les vostres, ne fera il riens; ains voira errer ^ B par le consail de cens qui riens ne sevent. Pour çou » vuiderai le pais. » Dont dist li quens de Triple : « Pour » Dieu, sire Bauduin, aiiés merchi de le Crestiienté. » Prendons consel, comment nous porons le tiere ga- j> randir et sauver. Nous avons chi le fille ^ al roi » Amaurri et sen baron Hainfroi ^; nous lecouronerons » et si irons en Jherusalem et si le prendrons, car » nous avons le force des barons de le tiere et del » maistre de l'Ospital, [et de tos ^], fors seulement le » prince Renaut, [et del maistre del Temple^], qui est » aveuc le roi en Jherusalem. Et si ai trives as Sarra- » sins, [et aurai tant com je voudrai'';] ne point ne serai » grevés d'iaus,ainsnousaideront, se mestier en avons.»

1. M. lia du chap. 148. col. 783. Pipino rapporte en outre cette autre exclamation attribuée par divers continuateurs à Geoffroy de Lusignan, frère de Guy : « Si rex est merito futurus est Deus! »

2. D : ouvrer. —3.0: Ysabel la fille. 4. A. B : Heinfroi. G : Honfroi. M : « Homfrcdus. » Chap. 149. col. 784. 5. D. G. D. F. G. H. (pag. 30). J : fors solement del prince Renaut. 7. A. B.

\ 36 CHR0]N1QU£ d'ernoul [4 \ 86

A cel consel s'acorderent tout et creanterent qu'il coroneroient l'endemain par matin Hainfroi. Quant Hainfrois sot qu'on le voloit coroner et faire roi, si se pourpensa qu'il ne poroit le paine sofTrir. Et vint le nuit, si monta à ceval et il et si chevalier, et erra tant qu'il vint en Jherusalem. Quant che vint l'endemain par matin li baron furent levé, il s'aparellierent pour Hainfroi coroner, si oirent dire qu'il s'en en estoit fuis al roi en Jherusalem très le nuit devant.

Quant Hainfrois vint en Jherusalem et il vint devant le roine, cui sereur il avoit, si le salua, et elle dist qu'elc ne respondoit mie pour çou qu'il avoit esté en- contre li, et qu'il n'avoit esté à sen couronnement. Il commença à grater se tieste, aussi com li enfes hon- teus, et se li respondi : « Dame, je n'en poi mais, car » on me retint et vaut faire roi à force, et me voloit on » hui coroner. Et je m'en sui afuis, pour ce c'on me » voloit faire roi à force. » Et li roine respondi : « Biaus frcre ' Hainfroi, vous avés droit; que grant » honte vous voloient faire, quant il vous voloient » faire ^ roi. Mais, puis que vous avés ensi fait, je » vous pardoins mon mallalent; or venés avant et si » faites votre hommage au roi. » Hainfrois merchia la roine de çou qu'ele li avoit pardonné son malta- lent, et ala avant. [Si fist son omage et demora avec^] le roine en Jherusalem,

Quant li quens de Triple et li baron, qui à Naples estoient, oirent dire que Hainfrois s'en estoit fuis en Jherusalem et qu'il avoit fait son homage al roi, si en furent moût dolant et ne sorent que faire, puis qu'il

1. A. R : Bians sire. F. 0 : Biax frère, sire. 2. C. répète ; quant il vous voloient faire. 3. A. B.

H86] ET DE BERNARD LE TRI^SORIER. ^37

orent celui perdu dont il se dévoient aidier à consel- lier le tiere. Si furent moût esmari. Dont vinrent li baron al conte de Triple, se li disent : « Sire, pour B Dieu, or nous conselliés del sairement que li rois » mesiaus nous fîst faire à vous. Car nous ne volons' » faire cose dont nous aions ^ blasme ne reproce, ne » que nous ne meffaisons enviers vous. » Li quens lor respondi qu'il tenissent lor sairement, tout si qu'il ^ l'avoientjuré, car autre^ conseil ne lor savoit il donner. Dont vinrent li baron, si prisent conseil entre iaus, et vinrent al conte, se li disent : « Sire, puis que » tant est la cose alée qu'il a roi en Jherusalem, nos » ne porriens mie ranner ^ encontre lui; car blasme » en ariens et reproce, ne faire ne le deveriens. Ains x> vous prierons pour Dieu que vous ne nos saciés mie » mal gré; mais aies vous ent à Tabarie, et soiiés illue- » ques; et nous irons en Jherusalem, et ferons nos » hommages au roi. Et toute l'aiue et le conseil que j> nos vous porons donner, nos le vous ferons, sauves » nos honneurs. Et querrons et pourcacerons que » tous les cous'' que vous avés mis en le tiere, dont » li rois Mesiaus vous avoit mis Barut en gages, que » vous les rares. '^ » A cel conseil ne vaut estre Bauduins de Rames.

Quant ^ li quens de Triples vit qu'ensi li estoient failli tout li baron, si s'enala à Tabarie. Et li baron s'en alerent en Jherusalem au roy, pour faire lor bornages, fors seulement Bauduin de Rames. [Cil n'i vost aler ®].

1. A. B : voUmes. F. 0 ; voriemes. 2. A. B : avons. F. 0 : eussons. 3. A. B. D .- comil. 4. A. B. G : car conseil. 5. A. B : régner. D. F. O : regnier. 6. D : consternent. 7. D : raurcz. 8. M. chap. M9-150. col. 784-785. 9. D.

i38 chroisiqijE d'ernOUL [^^86

Ains ienvoia .1. sien fil qu'il avoit, jouene vaslet\ et si proia les barons qu'il proiassent le roi que il mesist son fil en saisine de le tiere, et presist son hommage.

Quant li baron orent fais lors homages, si proiierent au roi del fil Bauduin de Rames, qu'il le mesist en saisine de le tiere sen père, et presissent son homage ^ Li rois respondi qu'en saisine ne le meteroit il mie de le tiere, ne son homage ne prendroit il mie, desci c'a icele eure que li pères li aroit fait homage; mais se li pères li avoit homage fait, il aroit bien consel de son fil mètre en vesteure derhyretage\ Et seussent il bien, se Bauduins de Rames ne venoit avant et ne faisoit homage, il saissiroit le tiere.

Quant Bauduins de Rames sot que il li esteveroit * aler faire homage al roi Gui de Lesegnon, si fu moût dolans, et ala en Jherusalem pour faire son homage. Et vint devant le roi, si ne le salua pas et lidist: « Rois » Guis, je vous faç homage, comme cil qui de vous ne » vorra tiere tenir ne ne tenra ja^ » Ensi fist Bauduins de Rames son homage al roi, et si ne le baisa mie à l'ommage faire. Et il s'en issi, et si fist son fil *"' mètre en vesteure de se tiere et son homage faire. Et il s'en issi, puis demanda congief^ al roi d'issir liors de sa tiere. Et li rois li donna.

Quant Bauduins de Rames ot ensi fait, si vint à Balyan de Belin sen frère, se li carja son fil et sa tiere à garder, et prist congiet, si s'en ala. Dont che fu

1 . A. B : joenne vaslct.— C -.jouene— 2. Cette phrase manque flans A. li.— 3. D: en sesine delà ferre— 4. A.B : q'il estouroit. 1): eslouvenroii. 5. F. 0.— G : comme cil qui de vous ne vou- dra tenir terra. 6. D : Baudouin, qu'il avoit eu de la fdle le seigneur de Caaire. 7. A. B. D : conduit.

^^86] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 439

mout grans duels * et grans domages^ à le tiere% el dont Sarrasin furent mout lié; car il ne doutèrent puis homme qui fust en le tiere, fors Balyan son frère seu- lement ki demoura.

Bauduins ne s'aseura * mie encore en l'aseurement que li rois li avoit fait, ains prist son frère Balian et tous les chevaliers de se tiere, et errèrent tant par jour et par nuit qu'il fu hors du pooir le roi. Et quant il fu hors del pooir le roi, si prist congié à Balyan sen frère et à ses chevaliers, et s'en ala en Antioche. Quant li prinches d'Antioce dire que Bauduins venoit à lui, si en fu mout liés, et ata encontre lui. Si le reçut mout hautement, et se li donna .m. tans de tiere qu'il n'avoit laissiés, et castiaus et cités. ^

1. A. B. F. 0. D : deh. G : diex. 2. A. B. F. 0. 3. A. B. D. F. 0.— G : aveuques. 4. A. B : ne se fia. 5. G : tant de terre qu'il n'avoit laissié.

CHAPITRE XII/

Cornent li roys Gui ala assigier Tatarie.

SOMMAIRE.

1186. Sur le conseil dn «rand maître du Temple, le roi Guy ron\oque l'osl des barons à Nazareth, pour assiéger Tibériade, ville du comté de Tripoli. Saladiu envoie des secours au comte de Tripoli et réunit des forces à Bélinas, afin de se porter personnellement à son aide. Sur le conseil de Balian d'ibelin, frère de Beaudouin de Rama, le roi Guy licencie son armée et envoie des messages au comte de Tripoli. Condi- tions du comte à faire sa paix avec le roi. 1186-1187. Les Barons conseillent au roi de s'entendre avec le comte de Trijjoli. Les grands Maîtres, l'archevêque de Tyr, Balian d'ibelin et Renaud de Sidon, en- voyés par le roi auprès du comte de Trijjoli, s'arnMenl au cliAleau de la Fève. 1187. L'émir Noureddin, lils de Saladin, nouvellement armé chevalier, fait une cavalcade dans le pays chrétien, avec l'assen- timent du comte de Trijjoli. Conditions mises à la promenade de l'émir, afin (pie les chrétiens n'en re^-ussent aucun dommage. Soins du comte de Tripoli dans le même but. Le grand Maître du Temple, apprenant les Conventions arrêtées entre le comte de Trijioli et Noureddin, fait attaquer les Sarrasins à la Fontaine du Cresson, au moment l'émir se préparait à repasser le Jourdain, sans avoir commis aucun dégât. Défaite essuyée par les Chrétiens (!•" mai 1187). Balian d'ibelin se disposant à rejoindre les envoyés du roi au château de la Fève, ap- prend le d 'sasire delà Fontaine du Cresson. Les messagers du roi se rendent à Tibériade. Ils confèrent avec le comte de Tripoli des condi- tions de l'accord. Le comte s'en remet à eux. Entrevue et réconciliation du Roi et du comte de Tripoli, au château de Saint Job. Le Roi concentre ses forces à Saphorie.

1. G. p. 46-54. M. suite du cbap. 150 au chap. 152. col. 785-787. - II. chap. 24-29 du liv. XX111«, pa-. 34-46.

■1186] CHRONIQUE I)E BERNARD LE TRESORIER. iH

Or vous lairons de Bauduin, qui est en Antioce à grant honnour et à grant signourie; et si vous dirons del roi, qui est en Jherusalem. Il prist conseil ^ au maistre del Temple qu'il poroit faire del conte de Triple qui ne^ voloit faire son bornage. Limaistres del Temple li donna consel qu'il alast assegier ^ Tabarie; s'il pooit tant faire qu'il peust prendre Tabarie et le conte de Triple, il en aroit grant avoir. Dont vint li rois Gui, si semont ses os, qu'il fuissent tout à .i. jour que il nouma, à Nazaret. Et Nazarés si est à .v. liues de Tabarie. Quant li quens de Triple dire qu'il avoit semons^ ses os pour venir sour lui, si ne fu mie liés. Il manda à Saleliadin, qui sires estoit de Damas, que li rois Guis avoit assanlés ses os à Nazareth, pour venir sour lui; et se li manda que il ^ avoit mestier d'aiue; pour Diu, qu'il le secourust. Salehadins li envoia che- valiers et sergans sarrasins à grant plenté , et arbales- triers et armes assés. Et se li manda que, s'on l'assaloit le matinée, al vespre le secourroit, et s'on l'asseoit au viespre, l'endemain, al matin % seroit secourus. Dont semont Salehadins ses os, et assanla à Belinas, à .vi. liues de Tabarie.

Quant li rois Guis ot assamblée s'ost à Nazaret, si vint Balyans ' de Belin al roi, se li dist : « Sire, pour » coi avés vous chi ceste ost assamblée? volés vous » aler à toute vostre ost? Il n'est ore mie tans de tenir

1. A. B. G : il prisl. 2. A. B : q'il ne. D : qui ne li, 3. D : qu'il Valast assegier dedens. 4. G : semonses.— 5. F. 0. M : « quod opportune sibi adesset subsidio. » G : que se il. 0. A. B. D. F. O. G : s'on l'asseoit al matin, au viespre seroit secourus. 7. A. ot B. écrivent presque toujours : Belyas et Balyas. M : « Balianus. »

AA2 CHRONIQUE d'ernocl [^^86

» ost encontre yver. » Et li rois li dist qu'il voloit aler assegier Tabarie. Dont dist Balyans : « Par quel » consel es ce que vous volés chou faire? Cis consaus » est mauvais et faus, ne onquessaigeshom cest consel j> ne vous donna; et saciés bien que par men consel, » ne par les barons ^ de le tiere, n'i porterés vos pies; » car il a grant chevalerie dedens Tabarie de Crestiiens » et de Sarrasins, et vous avés poi de gent pour asse- » gier Tabarie. Et saciés vous bien, se vous y aies, il » n'en escapera ja pies; et quetantos que vous Tarés » assegie, Salehadins le secourra à tout grant gent. » Mais départes vostre ost, et jou et une partie des ba- » rons de vostre tiere irons al conte de Triple parler; j> et si ferons pais, se nous poons, entre vous et lui, » que li haine n'i est mie bonne. »

Dont départi li rois ses os*, et si envoia à Tabarie ses messages, si comme Belyans li avoit consellié et loé. Quant il vinrent al conte, et il parlèrent ^ de faire pais, li quens de Triple respondi k'à nulle pais il n'en- tenderoit ^ desci à icelle eure qu'il l'averoit resaisi del castiel ■' dont on l'avoit dessaisi. Et s'il estoit saisis del castiel, il en feroit tant que gré l'en sauroit on. Li mes- sage s'en retournèrent arrière et vinrent al roi, et se li disent che (|u'il avoient trouvé.

Si demoura li afaires atant tout l'iver*^ desci k'apriès le Paske. Quant ce vint apriès Pasques^, [li mesaje fu- rent revenu en Jérusalem au roi du comte de Triple ^] Si li rois dire que Salehadins assanloit ses os pour

1. A. B : ne par le cunsceil des barons. ~ 2. M : « cxcrcitum remisil ad propria. » 3. F. 0 : l aparlerent . 4. G : ne feroit. 5. I) : castiel de Baruth. 6. G. II. I. J. 7. J : le Pascor . Pâques 1187. M. cliap. loi. col. 784. 8. D.

^^S7J ET DE BERNAUD LE TRÉSORIER. 443

entrer en sa tiere. Dont manda li rois Guis tous les barons de sa tiere, et les arceveskes et les evesques, qu'il alaissent à lui en Jherusalem; et il i alerent. Et quant il furent venu devant lui, il lor demanda conseil qu'il feroit, qu'ensi faitementassambloit Salehadins ses os pour venir sour lui. Li baron de le tiere li loerent qu'il s'acordast au conte de Triple; et s'il ne s'acordoit, il ne poroit ost tenir encontre les Sarrasins; car li quens de Triple avoit grant clievalerie aveuc lui et estoit sages hom; car, s'il estoit bien de lui, et il voloit croire son conseil, il ne li couverroit noient ^ douter les Sar- rasins. « Sire, [dient li baron ^,] vous avés perdu le » millour chevalier de vostretierre, Bauduin de Rames; » se vous perdes l'aiue et le consel del conte de Triple, » vous avés tout perdu. »

Dont dist li rois que volentiers feroit pais à lui et s'acorderoit, et volentiers feroit çou qu'il li Ioeroient^ et que boin seroit à faire. Dont apela le maistre del Temple et le maistre de l'Hospital et l'arcevesque de Sur, et Balyan de Belin et Renaut de Saiiete ^; et si lor commanda qu'il alaissent à Tabarie al conte de Triple parler pour pais faire. Tel pais qu'il feroient, il tenroit de iaus .v. Dont murent li message, si alerent gésir à Naples, [li .un. Et Renaus de Saiete ala un autre che- min. Or furent la première nuit à Naples.^] Et Balyans de Belin vint au maistre del Temple et de l'Hospital, et à l'arcevesque de Sur. Si lor dist que lor journée estoit lendemain al castiel de le Fève ^ à gésir; et qu'il iroient

1. A. B : t7 ne poroit noiant. J : il ne porroit riens. 2. D.

3. A. B. G : loeront.— 4. M : « Raynaldum Sidoniensem.

5. A. B. F. J. 0.— G. A. B. F. 0.— D : la Fave.^ M : « op- pidum Fabse. » G : Ze Fenne, ou le Feuve.

444 CHRONIQUE d'ernocl [^187

l'endemain et il demourroit^ à Naples, que il i avoit à faire ^ et qu'il mouveroit la nuit et erroit toute la nuit, tant qu'il seroit à aus al point del jour. Ensi s'en alerent l'endemain, etBalyansdemoura^

Or vous lairai atant des messages, et si vous dirai d'un desfîex Salehadin, qui nouvelement estoit adou- bés ^ Il manda al conte de Triple qu'il le laissast entrer en le tiere as Crestiiens, parmi se tiere, et pour faire une coursée". Quant li quens le mandement, si fu moût dolans, et se pensa que s'il li escondissoit cel don que il li demandoit, il se douloit que il neperdist l'aiue et le confort de Salehadin sen père; et siliotrioit, grant honte et grant blasme i aroit des Crestiiens.

Dont se pensa li quens de Triple qu'il le feroit ^ en tel manière qu'il garniroit ' si les Crestiens, qu'il n'i perderoient noient, ne que li tiex Salehadins mal gré ne l'en saroit. Lors manda au fil Salehadin qu'il li don- noit bon congié d'aler parmi sa tiere, et entrer en le tiere des Crestiiens, par tel convent que de solel lui- sant* passeroit le tlun et iroit en le tiere as Crestiiens, et dedens solail esconsant ^ repasseroit le tlun ariere et

i. A. B. C : (lemour raient. 2. D : à faire à la reigne Ma- rian sa famé. 3. I) : demoura à Naples, à la reiyne Mariam sa famé qui esloit.

4. D : adoubés chevaliers. Et ot à nom Nychoredex. F. et H. (pag. 37) : adobez à chevalier, que l'en nomoit Noradin Emir Ali, qui fu puis sires de Damas, etc. G : esloit à Doutes (pag. 52). M : « filius Saladini, novus tyro. .-' L'émir Nourcddin.

f). A. B : une corse. M : « curcitare volens cum suis in regno » Hierusalem. »

6. F. 0 : feroit sagement. 7. A. B: garderait. 8. A. B : au soleil levant. 9. A. B. F. 0 : et del soleil luisant. & : et de- dens soleil couchant. II : au solau cochant.

^^87] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. -1/|5

iroit en se tiere, ne que dedens ^ ville ne dedens maison nulle cose ne prenderoit, ne damage n'i feroit. Ensi li creanta li fiels Salehadin à faire et à tenir. Quant clie vintl'endemain par matin, si passa le flun, et vint par devant Tabarie, et entra en le tiere as Crestiiens; et li quens de Triple fist fremer ^ les portes de Tabarie, que cil dedens n'en ississent pour eus faire damage.

Or savoit ^ bien li quens de Triple, très le jour devant, que li messaige le roi de Jherusalem venoient à lui. Il fist faire laitres, et prist messages , et fîst porter les lettres à Nazaret, as chevaliers qui estoient en garnisons, de par le roi et par toute la tiere il savoit ^ que Sarrasin dévoient entrer, que, pour cose qu'il oïssent nai '" que il veissent cel jour, ne se meussent des viles ne de lor m.aisons; que li Sarrasin dévoient entrer en le tiere, et que, s'il se tenoient coi, qu'il n'ississent des viles [ne des maisons''], il n'aroient garde'; et s' on les trouvoit ^ as cans, on les prende- roit et ocirroit et quanques il trouveroient as cans.

Ensi garni li quens de Triple cens dou pais. Apriès ala li messages à le Fève, al maistre del Temple et al maistre de l'Hospital, et à l'arcevesque de Sur. Et si lor porta les lettres de par le conte de Triple. Quant li maistre del Temple et seut ^ que li Sarrasin dé- voient l'endemain par matin entrer en le tiere, si prist un message et l'envoia erranment bâtant al couvent del Temple, qui estoit à .iiii. liues"^ d'illuec, à une ville

1. G : ne guident dedens (pag. 52). 2. A. B. D '.fermer. 3. A. B : setit. 4. C : savaient. 5. D. E : ne. 6. A. B. 7. M : « neminem offensurus intra urbes et oppida. » -- 8. D. F. 0. G : tenait. A. B : tenroit. 9. A. B : senti. D : sot. 10. H : à quatre milles (pag. 39).

10

446 CHRONIQUE d'ernoul [UH7

qui a à non Caco '.Et si lor manda par ses lettres que tantost qu'il aroient son commandement, montais- sent et venissent à lui, car l'endemain par matin dévoient entrer li Sarrasin en le tiere. Tantos que li couvens ^ le mandement le maistre, si montèrent et vinrent ^ ains mienuit; et tendirent lor tentes ^ de- vant le castel.

Quant ce vint l'endemain par matin, si murent et alerent devant Nazaret; et estoient .iiiix^. chevalier del Temple"' et .x.*^de l'OspitaP qui estoient aveuques le maistre. Et prisent à Nazareth .xl. chevaliers qui i estoient de parle roi [en garnison*^], et passèrent Naza- reth bien .11. liues viers Tabarie, et trouvèrent les Sarrasins à une fontaine [c'om apelle la Fontaine'^] del Cresson ^'^ , qui retournèrent " ariere pour passer le flun, sans damage faire les Grestiiens; car li Grestiien estoient ensi garni comme li quens lor avoit mandé.

Dont vint li maistres del Temple et li chevalier qui estoient aveuques lui, si [se^^] ferirent entre les Sarra- sins à rencontre; et li maistres de l'Hospital ensement. Et les Sarrasin les recoillirent hardiement, et si les en- closent'^ que li Grestiien ne parurent entre iaus, car li Sarrasin estoient encore .vu. mil '^ chevaliers à armes et li Grestiien n'estoient que VIF-'^*^ eut li maistres de rOspital la tieste copée; et tout li chevalier del Temple

1. M : « Oppidum Cacho. 2. C. G. H. O. A. B : quens.— 3. D : à li, à la Fève. 4. A. H : et se legierent. 5. D. A. B.G : et .X. del Temple.— G. A. B : IX.— 7. C : chevalier. Tout le passage confus dans G. 8. A. B. D. 9. A. B. 10. A. B : del Kerson. Q : du Creson. M : « ad Fontem Kerson. » 11. G : qui s'en retornoient. 12. A. B. D. 13. A. B : encloslrent. 14. A. B : VI. mil, et plus bas : F/.«. 13. A. B : P'/.xx. AI : « milites Gliristianorum cxl. »

HS7] ET DE BEnNAlîr» LE TRESORIER. 447

et de rOspital ensement, fors seulement li maistres del Temple qui en escapa, lui ^ tierc de chevaliers. Et li .XL. chevalier qui estoient en garnison le roi [furent^] tout pris. Quant li escuiier del Temple et de rOspital virent que li chevalier s'estoient féru entre les Sarrasins , si tournèrent en fuies à tout le harnas; si que de Tharnas as Crestiiens n'i ot il riens perdu.

Or vous dirai que li maistres del Temple ot fait quant il ot passé Nazareth, et il aloit encontre les Sar- rasins. Il eiivoia .1. serjant à ce val ariere bâtant et iist crier par Nazareth que tout cil qui poroient armes porter, venissent apriès lui al gaing, qu'il avoit les Sarrasins desconfis. Lors s'en issirent de Nazaret tout cil qui aler pooient, viel et jouene , et coururent tout tant k'il vinrent li bataille fu, et trouvèrent les Crestiiens mors et desconfis; et li Sarrasin lor couru- rent sus, si les prisent tous. Quant li Sarrasin orent desconfis les Crestiiens et ocis, si prisent les testes des Crestiiens qu'il avoient ocis , si les estechie- rent en son lor lances % et s'enmenerent lors pri- sons loiiés^ et passèrent [outre le flum, par^] devant Tabarie.

Quant li Crestiien qui devant Tabarie estoient virent que li Crestiien avoient esté desconfit, et que li Sar- rasin port oient les testes des Crestiiens sour lor lances qui estoient ocis, et que l'en enmenoit les autres*^ pris et loiiés, si orent grant duel, c'onques si grans deuls

1. D. G : li.— A. B : la. 2. D. 0.— 3. A. B : en sor les fers des lances. 4. A. B : logiez. Gr. H : liés. M : « vinctos.» 5. D. G. D. A. B. G : el c'on les enmenoit.

448 cHRONiQrE d'ernoul [^^87

ne fu veus en une cité, pour cou que i! veoient les testes de lor amis porter et trainer, et les autres qui estoient pris mener loiiés par devant lor ieux ; et de chou qu'il ne les pooient secourre ne aidier ne ven- gier, si en faisoient si grant deul, que pour .i. poi qu'il ne se tuoient.

Ensi passa le fiex ^ Sakhadin [le flum, et retorna arriéres^] de solail luisant et il et ses gens; et bien tint al conte de Triple convenences , n'onques en castiel n'en maison ne en ville ne fisent point de damage, se de che non qu'il trouvèrent as cans. Celle bataille fu en venredi. Et cel jour, fu il feste saint Phelippe et saint Jakeme, le premier jor de Mai.^

Or * vous dirons de Balyan de Belin, qui à Naples estoit [dcmorez arrière^]. Quant ce vint la nuit, si mut si com il ot en couvent al maistre del Temple et al maistre de l'Hospital, pour aler apriès iaus. Quant ot csré .H. liues, il '^ vint à une cité qui a à non le Sabat"; se se pourpensa qu'il estoit moult haus jours et qu'il n'iroit avant, si aroit messe. Dont tourna en le maison l'evesque, si le fist lever et sist ^ aveuc lui, et parla desci que li gaite ^ traist le jour/*^ Quant li gaite ot trait le jour, si fist li vesques revestir un capelain et li" fist canter messe.

Quant Balians ot messe, si s'en ala à grant aleure apriès le maistre del Temple et de rOsj)ital et prist

1. D : li Corediex. 2. D. C : Salehadin, de soleil, etc. 3. 1" Mai 1187. M : « Foria sexta, Kalendis Mail. » Fin ilu chap. 151. 4. M. cliap. 152. col. 787. 5. D. 6. A. 13. G : et il. 1. A.B : le Sabnst. D : U Sabas. 8. 0 -.fisl. II : assist. 0. A. B ; la gaite. 10. Cr : corna le jor. 11. A. 13. C : et fist.

H8T] ET DE BERNARD LE TRE'sORIER. ^49

congié à l'evesque et erra tant qu'il vint à le Fève ', li maistre del Temple et de TOspital avoient le nuit jiit-. trouva dehors le castiel les tentes del couvent del Temple tendues, et si n'i avoit nului. Lors ala avant, si trouva le porte dou castiel ouverte et se n'i avoit nului. Adont s'esmervilla moût de çou qu'il ne veoit home nul à cui il demandast que ce pooit estre. Dont fist descendre .1. sien varlet qui avoit à non Ernous ^. Ce fu cil qui cest conte fist mètre en escript. Celui Ernoul envoia Balyans de Belin dedens le castiel, pour cierkier et pour enquerre s'il avoit nului dedens le ville qui li peust dire nouveles que ce pooit estre. Et li variés i entra, et huça et cria aval et

1. A. B : au chastel de la Fave. F : la Fève. G : la Feue. M : « oppidum Fabse. »

2. F. 0 : (jmt. I : geu. F. continue ainsi : n'en trouva nul. Ains trova les tentes del covent le Temple tendues.

C'est dans la suite de ce paragraptie qu'Ernoul est nommé comme auteur de la Chronique. Le fragment avec le nom d'Ernoul se trouve dans les mss. C. D. E. Les mss. de Bernard le Trésorier et les continuateurs de Guillaume de Tyr abrègent le passage, en supprimant le nom d'Ernoul. G. p. 58. H. p. 42. M. 787. Voici le texte de A. B :

trova il dehors le chastel les tentes del covent le Temple ten- deues, et si n avoit nului. Adonc se merveilla mult q'il ne voit nului home à cui il demandast ke ce poroit estre. Donc fist crier laienz ./. suen valet por savoir qe cefust, ne se il poroit trover dedenz le chastel qi li disist noveles. Li valez entra el chastel et cerca et cria aval et amont, ainx n'i vit home qi li seust dire noveles , fors soule- ment .II. malades, qi ne li sorent rien dire. Donc li comanda ses sires q'il montast, et alast après lui et il si fist, Atant partirent d'iluec el s'en alerent vers Nazaret. Qant il orenl .I.poi eslonyié le chastel, si issi .1. frères del Temple, etc.

3. D : Dont Balian de Belin fist descendre un suen vallet qui avoit à nom Hernoul; ce fu cil qui cest conte fist mètre en escrit.

^50 CHRONIQUE d'eRNOUL [-li 87

amont le castiel, ne aine ne vit homme ne femme qui li peust dire noveles, fors seulement .11. home qui gisoient malade en une cambre, et cil ne li sorent riens à dire de cose qu'il demandast. Dont s'en revint ariere à son segnour et dist qu'il n'i avoit nului trouvé qui no vêle li peust dire ne seust.

Dont se départirent de illuec \ si s'en alerent vers Nazareth. Quant il orent .1. poi eslongié ^ le castiel, si issi .1. frère del Temple à ceval et commença à hucier^ apriès aus qu'il l'atendissent, et il l'atendirent tant qu'il vint à aus. Lors li demanda Balians : « Quels » noveles? » Et il respondi : « malvaises. » Se h conta que li maistres de l'Ospital avoit le tieste copée, il et si chevalier, et tout li chevalier del Temple cnsement tout ocis; n'en i avoit que .m. escapés, le maistre del Temple et .11. de ses chevaliers; et li .xl. chevaliers que li rois avoit mis à Nazareth [en garnison ^] sont tout pris.

Quant Balyans de Belin oy ces nouvelles , si com- mença à braire et à crier et à faire grant duel, et il et si chevalier qui aveuc lui estoient. Si appella un sien serjant et l'envoia [ariere à Naples'^] à le roine ^ [Ma- rianr] se feme, pour conter ches nouvelles; et ^ pour dire qu'elle commandast tous les chevaliers de Naples qu'il fuissent le nuit sour nuit " apriès lui à Nazaret. Aj)riès ce que Balians ot envoie à Naples, si s'en ala grant aleure à Nazareth, et quant il vint à demie Hue"'

1 . A. 3 : A tant partirent d'Huée. 2. A. B : eslogié. 3. A. B : à huier. 0 : à crier. 4. A. B. 5. A. B. D. 6. A. B. D. Par erreur dans G : au roi et à la roine. 7. D. 8. A. B. 9. C. D. A. B : q'il fussent la nuit tuit. 10. A. B : à mains d'une Hue. .

^^87] ET DE BER.NARD LE TRÉSORIER. 45i

priés de Nazaret, si encontra les escuiiers qui ame- noient le harnas as chevaliers del Temple, qui estoient escapé de le desconfiture. Et saciés vous bien pour voir, se il ne fust tournés al Sabat pour oïr messe, il fust bien venus à tans à le bataille.

Quant Balyans vint à Nazaret, si trouva si grant cri et si grant plour en le cité pour ciaus de le ville qui avoient esté mort en le bataille, que poi y avoit de maisons qu'il n'en y eust ou de mors, u de navrés, u de pris. trouva le maistre del Temple qui escapés estoit. se herbega Balyans et atendi ses chevaliers desci qu'il vinrent de Naples, qu'il n'osa aler avant desci que si chevalier fussent venu. Puis fist savoir à Tabarie al conte de Triples qu'il estoit à Nazaret. Quant li quens dire qu'il estoit à Nazaret, et qu'il n' avoit mie esté en le bataille, si en fu moût liés. Quant che vint lendemain, si envoia bien dusques à .lx. * chevaliers encontre lui pour lui conduire.

Quant Balyans ot trouvé le maistre del Temple, si ala à luv et se li demanda de celle bataille, comment avoit esté; et il li conta. Et se li dist que moût s'i ^ estoient bien prové, et moût avoient ocis li Crestiien de Sarrasins, et estoient desconfi li Sarrasin, quant uns embussemens qu'il avoient deriere en une montaigne les enclost et les desconfist \ Lors prisent consel qu'il envoieroient [el champ, là^J oùli bataille avoit esté, pour les cors des chevaliers qui estoient mort faire en- fouir. Lors fisent prendre tous les sommiers de le cité et les envoiierent pour les cors; et les fisent aporter à

1. A. B : XL. 2. A. B. C : moût i. 3- A. B :par il furent desconjit. 0 : par coi. 4. D.

^52 cnnoxinuE d'eooul [M 87

Nazaret et les fisent enfouir. Quant ce vint l'endemain, si se mut Balyans et li arceveskes de Sur et li maistres del Temple, pour aler à Tabarie.

Quant il furent hors de le cité, si retourna li mais- tres del Temple \ qu'il ne pooit clievaucliier. Si estoit il dolereus des caus - que il avoit eu en le bataille le jour devant; et Balyans et li arcevesques de Sur [alerent à Tabarie. Quant li quens de Triple dire ke Balyans et l'arcevesqes de Sur ^] venoient, si ala encontre aus moût dolant et moût courchié de l'aventure qui estoit avenue le jour devant par l'orguel le maistre del Temple. Quant li quens ot encontre les messages, si les reçut moût hautement et les mena aveuc lui en son castiel. Et en cel point vint aveuc Renaus de Saiete \ Quant li message furent el castiel aveuc le conte, si contèrent lor message; et li quens lor respondi qu'il estoit moût dolans de l'aventure qui avenue estoit et moût honteus, et quanques il diroient et feroient entr'iaus .m. % il feroit ^ car il savoit bien que il ne le mesconselleroient mie.

Lors li disent que il mesist les Sarrasins hors de le cité de Tabarie, et qu'il s'en venist aveuc aus au roy. Li quens fist tout ensi comme il disent, car il disent que tout ensi qu'il s'estoit mis en iaus .iii., si estoit mis li rois de le pais faire. [Et li quens fîst tôt ausi com il s'estoit mis en aus, come ils li dislrcîit, sanz contredit.'] Quîuit li mesage orent l'otroi le conte de le

1 . Pour (lier à Tabarie, etc., omis dans A. B. 2. A. B : des cnux. M : « languidus et impotens equitandi. » 3. A. B. I). •'i . M : « ubi etiani alTuit Raynaldus Sidoniensis ipsorum collega- » rius. » 5. D. O. C : cnlriaus. G. A. B : il Icndroit. 7. A. B. 0.

-UST] ET DE BEIlNAUl) LE TRÉSOIUER. 453

pais, si envoierent .i. mesage bâtant au roy et li fiscnt savoir qu'il amenoient le conte aveuc aus.

Quant li rois dire que li quens venoit à lui, si en fu moût liés ; et moût avoit esté dolans del damage que li Templier avoient eut. Lors vint li rois de Jhe- rusalem il estoit, si ala encontre; et erra tant li rois encontre le conte, et li quens encontre le roi, qu'il s'entrecontrerent ^ .i. castiel c'on apiele Saint Job^ Cil castiaus estoit de l'Ospital, et estoit à l'entrée de le tiere de Thaym^; et pour çou l'apieloiton [Saint^] Job, que on dist, [el pais '"], que mest^ Job, [et ke ce fu ses manoirs '] .

De si loinc que li rois vit le conte de Triple venir, descendi à pié et ala encontre lui. Et quant li quens vit que li rois venoit encontre lui à pié, [il descendi ensement et ala encontre li à pié ^] . Et quant li uns fu priés de l'autre, li quens de Triple s'agenoula devant le roi et li rois l'en leva, se li jeta ses bras au col, et l'acola et baisa. [Puis^] s'en retournèrent arrière à Naples et alerent herbegier. prist li rois consel al conte de Triples et as barons qu'il feroient. li loa li quens de Triple qu'il semonsist ses os et les amassast as fontaines de Saforie ^\ car il savoit bien que Sale- hadins amassoit ses gens por entrer en le tiere. Et se li consella qu'il mandast al prince d'Andioce ^^ qu'il le

4. A. B : devant. 2. M : « apud castrum quod Sancti Job » dicitur. » 3. A. B : Thàim. D : Taym. 0 : de Dotain. G. H. M. ne donnent pas la phrase. La plaine de Dothain dans la Samarie. 4. A. B. 5. A. B. 6. C : mest. H : maneit.

7. A. B. 0. 8. A. B. D. 9. D. 10. D. G : si.

11. A. B : Safroie. M : « apud fontem Saphorie. » 12. A. B : AntiocJie.

-154 CHRONIQDE d'eR>'OUL [HSl

secourust, qu ensi faitement avoit perclus ses cheva- liers et le couvent del Temple et le maistre de i'Hos- pital. Li rois fist chou que li quens li consella et ala à Saforie, et assanla illuec ses os. li envoia li princes d'Antiocc un sien fil, à tout .lx. ^ chevaliers.

1. I) : XL. G : cinquante (pag. 64). M : « cum militibus » LX. » H : li envoia li princes d'Antioche son ainzné fiz Reimonl, et o lui .L. chevaliers.

CHAPITRE XIIi;

Cornent la Sainte Croiz fu aportée en Vost.

- SOMMAIRE.

1187. Le prieur du Saint Sépulcre apporte la Sainte Croix à Saphoric, au milieu de l'armée. Le grand maître du Temple engage le roi à convo- quer l'arrière-ban et lui abandonne le trésor, que le roi d'Angleterre avait au Temple pour payer la solde. A quelle occasion le roi Henri d'Angleterre avait formé un trésor dans les maisons du Temple et de l'Hô- pital à Jérusalem. Saladia met le siège devant Tibériade. La comtesse de Tripoli, enfermée dans cette ville avec quelques troupes, demande des secours au roi Guy et à son mari. Conférences des barons. Le comte de Tripoli dissuade le roi d'aller au secours de Tibériade; il l'engage âne pas quitter sa position et à attendre les Sarrasins de pied ferme pour les combattre. Propos blessant du maitre du Temple contre le comte de Tripoli. Les barons partagent l'avis du comte de Tripoli. Le grand maitre du Temple se rend auprès du l'oi dans la nuit et change ses ré- solutions. Le roi donne des ordres pour que l'armée entière prenne les armes et suive la Sainte Croix. Etonnemenl des barons. Confusion dans l'armée. Le roi refuse les explications et donne l'ordre aux barons de marcher en avant avec lui. Prodiges racontés d'une sorcière sarrasi- noise. De Balaam et de son âne, et du siège de Jérusalem.

Dont ' manda li rois au patriache en Jherusalem qu'il li envoiast ou aportast la Sainte Crois en l'ost. Li

1. Cf. G. pag. 64-76. H. chap. 29-37 du XXHIe livre, p. 46- 57. M. suite du chap. 152 au chap, 154. col. 787-789. N. chap. 23. col. 603.

2. A. B : Lors.

^56 CHRONIQUE d'ernocl [^^87

patriaches prist le Sainte Crois, et si le porta ^ hors de Jherusalem. Si le carja ^ le ^ prieux del Sepucre, et si li dist qu'il le portast en l'ost al roi, cai^ il estoit ensouniiés * se n'i pooit aler, car griés cose li estoit d'aler en ost et lassier dame Paske de Riveri ^. Or lu avérée li prophesie que li arceveskes Guil- laumes dist, quant on l'eslist à estre patriarces de Jhe- rusalem : k'Eracles avoit conquise la sainte Crois en Pierse ^ et raportée en Jherusalem, et que Erakles l'en gieteroit, et seroit perdue à son tans. De tele eure jeta adonc Eracles le sainte Crois de Jherusalem, c'onques puis n'i entra, ains fu perdue en le bataille, si com vous orés.

Quant la sainte Crois fu en l'ost aveuc le roi, si vint li maistres dou Temple et si consella le roi qu'il mandast l'ariere ban par toute se tiere, et qu'il fesist crier par toute se tiere que tout chil qui saus ^ vol- roient, qu'il venissent à lui, il lor donroit bons sals^ et li ° abandonnoit le trezor que li rois Henris"^ d'Engle- tiere avoit en le maison del Temple.

Or vous dirai de cel trésor que li rois Ilenris avoit al Temple et à l'Ospital. Quant il ot fait martiriier saint Thumas de Cantorbie ", si se pensa que il avoit mal

1 . A. B : ^a gita. 2. A. B : Et qant il ol. hors gitée de Jhe~ rusalem, si le carja. 3. D : au. 'i. A. B : ensogniés. D : deshailiés. H : car il avoit essoine. Pag. 46.

5. M : « Molcstum si quidem illi erat ad cxercitum o(|uitare, ab » amasia seccssuro. » Les continuateurs G. et II (pai,'. 46) ne rappellent pas cette invraisemblable excuse, et disent : grief chose li esloit d'aler en ost .

6. A. B. D : Perse. M : « Persidam. « 7. A. B : soûls. D : sondées. 8. I). sols. 0. D. 10. Henri II. 11. 0 : S. Thumas de CanLorbire.

^^87] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 457

fait, et qu'il iroit Outremer et qu'il i feroit tant à l'aiue de Dieu, qu'il se racorderoit à lui ^ de ces mef- fais et d'autres. Dont il avenoit cascun an puis que S. Thumas fu martyriiés, que il envoioit grant avoir [Outremer^], à cascun passage, pour mètre en trésor à le maison del Temple et de l'Ospital en Jherusalem ^. Et voloit quant il venroit qu'il trouvast grant avoir, pour le tiere secourre et aidier.

Ghel trésor que li Temples avoit livra li maistres del Temple al roi Guion; et se li dist qu'il voloit qu'il as- sanlast tant de gent qu'il se peust conbatre contre Sarrasins, et pour vengier le honte et le damage qu'il li avoient fait. Dont prist li rois le trésor del Temple, si le donna as chevaliers et as siergans et commanda al maistre connestable des serjans que cascuns eust baniere des * armes le roi d'Engletiere, pour çou que de son avoir estoient paiié et retenu ^.

Quant li rois ot esté illuec entour .v. semaines et il ot amassé grans gens, si vint Salehadins, si passa le flun et asseja Tabarie*^. Li contesse, li feme le conte

1. A. B : q'il s'acorderoii à Damedeu. 2. D.

3. H. pag. 47. M : « pecuniam multam quse in custodiam » magistri Templi deputabatur. » Pipino avait déjà parlé de ce trésor dans la partie antérieure de sa chronique. N. col. G03 : De pœnitentia régis Henrici. Le trésor ne fut point épuisé du reste par la solde des troupes. On y recourut encore pour payer la ran- çon du pauvre peuple après la prise de Jérusalem. Ci-après eh. 18.

4. C : de.

5. H. (p. 47) ne dit rien de semblable. M : « Porro in hujus » rei memoriam rex Guido jussit ut omnes conestabiles in vex- » illis eorum Anglorum régis signa déferrent. » Fin du chap. 152. tom. VII. Pipino avait déjà répété le fait dans les parties anté- rieures de sa chronique. N. col. 603.

C. M. chap. 153. col. 788.

458 CHRONIQUE d'ernoul [^^87

de Triple, estoit dedens Tabarie quant Salehadins l'assega; et si n'avoit nul chevalier aveuc li; ains estoient en l'ost aveuc le conte et .iiii. fil chevalier qu'ele avoit, qui furent fil le castelain de Saint Orner. Li ainsnés des fiex avoit à non Hues de Tabarie, et li autre apriès avoit à non Guillaumes, et li tiers ot non Raols \ et h quars ot non Hostes ^.

Quant li contesse vit que li Sarrasin l'orent assegie, et elle vit qu'elle ne poroit mie le cité tenir à si poi de gent com elle avoit, encontre tant de gent qui l'avoient assegie, si prist .i. mesage, si l'envoia au roi Guion et à sen segnour le conte de Triple, qui estoient as fontaines de Saforie, et si lor manda qu'il le secourussent; et que s'il ne le secouroient procai- nement, qu'ele perderoit le cité; qu'ele n'avoit mie tant de gent qu'elle le peust tenir encontre si grant ost comme li Sarrasin avoient. Ce lu .i. jour Juedi, [au vespre ^,] que li messages vint au roi de par le contesse.

Quant li rois ot oy le message, si manda le mestre del Temple et le commandeur de l'IIospilal , et les barons de l'ost, qu'il venissent à lui pour prendre consel; et il y alerent. Quant assamblé furent, si lor demanda li rois consel, car ^ li Sarrasin avoient assegie Tabarie; et le contesse dedens a poi de gent; et si l'avoit fait ^ savoir li contesse (jue s'on ne le secou- roit prochainement, cjue elle perderoit le cité. Lors vint au conte de Triple, se li dist : « Sire, quel consel , » nous donrés vous? » Et li quens respondi : « Sire,

1. A. B : Raous. M : « Raontcm. » 2. D : Othes. M : « Goatoncm, d 3. A. B. I). 4. A. B : et dist ke. 5. A. B. G : avoit lassié.

^^87] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. ^59

» je donroie bon consel, se j'en estoie creus. [Mais je » sai bien ke je n'en serai mie creuz ']. » « Toutes » eures, dist li rois, nous dites che que il vous en » samble à faire pour le mieus. »

Dont dist li quens al roi : « Sire, ore oiiés mon » conseil, et vous et li baron qui chi sont. Je consel, » dist il, c'on laist Tabarie pierdre ^, se je ne puis » viers les Sarrasins faire qu'il s'en voisent ariere ^. » Et se je ne puis faire enviers iaus qu'il s'en voisent, » je lo bien que vous ne le secoures mie, ains le lais- » siés perdre. Et si vous dirai raison pour coi. Ta- » barie est moie, et si i est me feme et mes avoirs, ne » nus n'i perdra tant com je ferai, s'elle est perdue. » Et si sai bien que se li Sarrasin le prendent qu'il ne » le tenront pas, ains l'abateront, [puis^] si s'en iront, » qu'il ne nous vendront ^ mie chi querre en nos her- » berges. Et s'il prendent me feme et mes hommes et » mon avoir, et il abatent me cité, jou les raverai » quant je porrai, et refremerai me cité quant je » porai; qu'encore aroie jou plus chier que Tabarie » fust abatue et me feme et mi homme et mes avoirs » pris ensement, que toute li tiere fust perdue. Car je » say bien, se nous Talons rescourre toute la tiere est » perdue, et s' estes ^ pris et mors et vous et toute li » os. Et si vous dirai comment. Entre chi et Tabarie » n'a point d'iaue , fors que seulement une petite » fontaine de! Cresson '. C'est noient à ost. Et se sai

1. A. B. 2. A. B : prendre. 3. M : « Laudo tamen Taba- » riœ civitati non succurrere, si contingat Saracenos nolle precibus » meis inde discedere. » 4. D. 5. A. B. G : venroient.

6. A. B : e^ si serez. Q : et serais. 7. A. B : rfe Qelson.

0 : del Kerson. M : « Fons Kelson. »

-160 CHR0>'IQCE d'er?joul [-H 87

» bien que tantost que vous mouverés de chi, se vous » Talés rescourre, vous seront li Sarrasin al devant, j> et vous hardieront toute jour, et trairont tant qu'il » vous tenront toute jour en mi voies de chi et de » Tabarie. Et si vous feront herbegier maugré vostre; » car vous ne pores combatre pour le caut\ pour çou » ke li sergant n'aront que boire, [ainz morront de » soif ^.] Car se vous poigniés, li Sarrasin feront rent^ » et se trairont es montaignes, ne vous ne pores aler » sans vos serjans. Et s'il vous estuet herbegier illuec, » que feront vo gentet vo ceval de boire? Seront ils » sanz boivre? [Celle voie^] sont il mort, et lendemain » nous prenderont tous, car il aront les eves et les » viandes, et seront tout frés. Si serons tout mort et » pris. Et pour çou vous loe jou miex que vous le » laissiés'' perdre, que tote li tiere soit perdue; car » certes, se vous y aies, elle est perdue. »

Atant passa avant li maistres dou Temple, si dist qu'encore y avoit dou poil de l'ours^. Li quens ne prist mie ceste parole sor lui, ains fîst sourdes orelles, et bien l'oy, et dist al roy : « Sire, se tout [ce "] n'avient » quanques je vous di, se vous i aies, je vous aban- » doing que vous me faites le teste coper ^. » Lors demanda li rois as barons qu'il lor estoit avis de cel consel que li quens donnoit. Et il respondirent que li

1. A. B. D : le chaut. 2. A. B. 3. A. B : rens. 0 : renc.

4. A. B. D. C : voit. 5. A. B : Àe vos laissiez Tabarie perdre.

6. A. B : ke encore avoit il del poil del louf. D. 0 : del leu.

Il : dou poil dou loup (pag. 49-50). M : « Vix verba finierat, » 'juum Templi magister orationem ejus interrumpens : De pila, » inquit, lapino adhuc supersunt reliquiœ. »

7. A. B. 8. 11 (pag. iJO), dont le récit est tout diffôrout.

4-J87] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. iOi

quens disoit voir de quanques il disoit, et bien s'acor- doient tout qu'ensi le fesist on. Et li Hospitaus s'i acordoit bien; et li rois meismes s'acordoit bien à cel consel, et tout li baron, fors seulement le maistres del Temple. Toutes eures, [li ^] creanta li rois et tout li baron qu'ensi leferoiton.

Quant il orent ensi atourné, si lor donna li rois congié d'aler à lor herberges % et il si fîsent. Et quant il se départirent, si estoit ja priés de mienuit. Li rois s'asist al souper. Et quant il ot soupe, si vint li mais- tres del Temple à lui, et se li dist : « Sire, créés vous » chel traïtour qui tel consel vous a donné? C'est » pour vous honnir qu'il le vous a donné. Car grans » hontes vos iert et grant reproviers ^ se vos , qui » estes * novelement rois, [et avés si grant ost que ^] » onques ^ mais rois qui fust en ceste tiere n'assambla » si grant ^ [com vos avés fait^] en si poi de tamps ^, » se vous laissiés à .vi. liues priés de vous perdre une » cité. Et s'est li première besoigne qui sus vous est » courute pus que vous fustes coronés. Et saciés » bien pour voir que anssois meteroient li Templier » les blans mantiaus jus, et venderoient et enwage- » roient" [quant q'il ont^^], que li honte ne fust vengie, » que li Sarrasin m'ont faite et ^^] tous ensement. » Aies, dist il, si faites crier par l'ost qu'il s'arment

1. A. B. 2. A. B : chascuns à sa herbergerie. 3. 0 : re- pi-uec/ies. M : « infamife nota perpétua regni tui decus et glo- » riam obfuscares. » 4. J. A. B : si estes. G : reproviers et siestes. 5. J. 6. A. B. G : n'onques. 7. A. B. (l : grant ost. 8. D. 9. A. B. G : répètent ici : ciertes grans hontes vous sera. 10. A. B. D : coruc . 11. A. B: engazeroient . 12. A. B. 13. A. B. ,

11

i62 CHROXincE d'ernoul [h 87

» tout et voist cascuns en se bataille, et sivent ^ le » conianon de le sainte Crois. »

Li rois ne l'osa desdire , ains [fist ^] clie que il com- mandast, car il l'amoit et cremoit ^ pour çou qu'il l'avoit fait roi, et qu'il li avoit abandonné le trésor le roi d'Engletiere. Li rois manda son banier % et si li commanda que il criast par l'ost qu'il s'armassent tout et qu'il sivissent le gonfanon de le Sainte Crois. Li baniers fist le commandement le roi, et cria par l'ost as chevaliers qu'il s'armaissent.

Quant ^ li baron oïrent le ban le roi, si s'esmervil- lierent moût. Et ala li uns à l'autre, et demandoient que che pooit iestre, el par quel conseil c'estoit que li rois faisoit ce faire. Et cascuns respondoit endroit lui ® que ce n'estoit mie par lui. Dor^t s'esmervilla moût toute li os des barons, par quel consel c'estoit que li rois faisoit ce faire, et ne voloient mie croire le ba- nier ' le roi. Ains alerent tout li baron à le tente le roi, pour destourner s'il pooient faire qu'il ne se meussent.

Quant li baron vinrent à le tente le roi, si trouvè- rent le roi qui ^ s'armoit. Quant li rois les vit, si ne vaut mie qu'il parlaissent à lui ; ains lor commanda qu'il s'alaissent armer errant, et alaissent apriès lui. Il retournèrent, et alerent à lor herbcrges, et fisent le commandement le roi. Si s'armèrent moult dolant, car il savoient bien que nus biens ne lor en pooit venir se maus non. Et ala cascuns à se bataille.

1. D. - A. B : siaient. C : siuce. 2. A. B. D. 3. M : « (liliu'obat eum (luidom et verphatur. » 4. A. B : son baron et baniere. 5. M. cliap. 154. col. 789. G. A. B : soi.— 7. A. B. C : le baniere. 8. C. J. A. B. C: /e roi ou. il.

^^87] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 463

Chel jour fist Balyansde Beliii Tarière garde \ qui moût i souffri et moût i perdi de ses chevaliers. Ançois que li rois se partist des herberges % furent li Sarrasin devant l'ost, si com li quens de Triple avoit dit; et commencierent à traire ^.

Ançois que je vous die plus de l'ost, vous dirai ge d'une aventure qu'il avint, c'on tenra par aventure à fable. Li siergant de l'eskiele de l'arriére garde de l'ost trouvèrent une vielle Sarrasine deseure une anesse^ qui estoit esclave à un Suriien de Nazareth. Si le prisent et misent à destrece ^, tant qu'il li lisent dire qui ele estoit, ne qu'elle aloit querant en celle ost. Et dist qu'elle aloit entour l'ost por l'ost loiier^ par son encantement et par ses paroles. Dont elle i avoit ja .II. nuis aie; et s' elle peust avoir celle nuit toute avironnée l'ost, et qu'elle i eust fait tout son tour, il fuscent si loiié que ja pies nen escapast '^ de le bataille il aloient. Et seuissent il bien de voir que se [il ^] aloient avant, peu en escaperoit, et cel poi qui en es- caperoit [ce seroit^] pour çou qu'elle ne pooit faire son tour. EtqueSalehadins, sonsignour, [li'"] en avoit donné grant avoir" pour cel liien faire. Lors li demandèrent s' elle les poroit deffaire, et elle dist : « Oil bien, » par si que cascuns alast à ses herberges, aussi com il es-

1. G. G. H. 0. A. B : la tierce garde. 2. G : herbeges. 3. G : mult espessement à traire. La tin du chapitre manque dans D. La suite du récit est différente et plus développée dans H. (pag. 53). 4. M : « annosa mulier incantatrix asellam ine- » quitans. « 5. H : en gehine. 6. A. B : loier. F. G. K : lier. M : « ut eum (exercitum) suis carminibus verbisque ma- » gicis adjuraret. » 7. A. B : escampast. 8. A. B. 9. 0. 10. A. B. H. G : Salehadins en avoit donné grant avoir son signour.

-ffi/» rnRONiQUE d'ernoul [U^l

toient quant elle les loia. Et que, s'il ne se herbegoient, elle n'en poroit riens faire.

Lors fisent li sergant .1. grant feu de lor loges pour li ardoir, si le misent ens; et elle réissi ^ hors, c'on- ques ne pot ardoir. Et il le rebouterent ariere el feu, et elle réissi hors, c'onques ne pot ardoir. Ne tant * ne le savoit on rebouter ens, qu'ele ne s'en réissist. Dont ilavint qu'il avoit illuec .1. sergant qui avoit une hache,* si l'en feri parmi le tieste, si le tua.

Or ne tenés mie à fable de ceste vielle; que on treuve en escripture, qu'il ot [jadis ^] .i. home en Jherusalem qui si loiast une ost pour qu'il peust aler entour, qu'il n'eust homme en l'ost qui se peust aidier de membre qu'il eust, tant l'estrainsist il '" par son liement et par ses paroles. Chis bons ot à non Balaans ^ li prophètes. Ce fu cil qui prophétisa que une estoile isteroit de Jacob. Celle estoile fu medame sainte Marie, qui issi de le lignie Jacob, qui est apelée Estoile de mer. Car tout aussi comme li maronnier sont ravoié '' par l'es- toille de le mer, sont li peceur ravoiié par medame sainte Marie, qui est appelée Estoille de mer.

Or vous dirai qu'il avint une fois de Balaan, qui en Jherusalem estoit. Il avint cose que grans gens es- toient, et s'asanlerent pour venir en Jherusalem à ost. Quant cil de Jherusalem l'oïrent dire , si orent grant paouret vinrent à Balaan, se li proiierent tant et don- \ nerent qu'il ala à cel ost pour loiier l'ost. Si monta

sor un asne, et si issi hors de le cité et ala viers l'ost. Quant il fu en .1. tertre dehors Jherusalem, si vint ses

1. A. B : issi. 2. A. B. C : Ne quant. 3. H : une hache danese. 4. A. B. 5. A. B : les contraissist-il . 6. M : « Balaac. » 7. A. B : vont à voie.

U81] ET DE BERNARD LE TRE'sORIER. ^ 65

asnes, si s'aresta; et Balaans fiert son asne, et li asnes à reculer; et que plus le feroit, plus reculoit. Lors parla li asnes, se li dist : « Pour coi me fiers tu? Je ne » sent rien de quanques tu me fiers, ne tu ne me fais » mal, car li angeles Dame Dieu me fiert de une espée » de fu ens el musiel, si que je ne puis aler avant. » Lors sot bien Balaans que Diex ne voloit mie qu'il alast en avant, si s'en retourna ariere en le cité et dist à ceaus de le cité que il fesissent al miex que il peuis- sent, qu'il n'en pooit riens faire, car Diex ne voloit, et que si faitement avoit ses asnes parlé à lui. Quant ce vint l'endemain, si vint li sièges devant le cité, et fu li cités assegie; et l'asalirent durement. Quant cil de le cité virent qu'il estoient si durement assalli, si vinrent à Balaan, et se li disent qu'il fesist aucune cose ou desist, par coi il se peussent deffendre enviers ciaus de l'ost. Balaans lordist qu'il liestoit avis qu'il ne lor pooit riens faire encontre le volenté de Dieu. Et il li demandèrent que pour Diu les conscllast qu'il poroient faire et qu'il feroient. Lors lor dist Balaans et conseilla que toutes les jouenes femes de le cité fissent bien vestir et acesmer et les envoiassent hors de le cité, en l'ost. Et seussent il bien de voir, se il [avenoit chose ke^] les meskines renvoioient^ ariere, qu'il rendissent le cité ; c' autre consel ne leur savoit il donner. Et se che avenoit cose qu'il les retenissent .ii. jours ou .iii, si ouvrissent les portes et ississent hors de le cité, et se conbatissent à eaus, si les desconfi- roient. Tout si comme Balaans leur conseilla, le fisent, et envoiiereiit les damoiselles en l'ost. Cil de l'ost ne

1. A. B. 2. A. B : renvoiassent.

^66 CHRONIQUE DERNOIîL [\iSl

renvoiierent mie les femes, ains prist cascuns le siue et en fist se volenté. Quant cil de le cité virent que cil de l'ost ne renvoioient^ mie les femmes, si ouvrirent les portes et lor coururent sus; si les ocirrent et des- confirent. Ensi fu levés li sièges de le cité.

En cel liu li asnes parla à Balaam estoit li Mala- derie des femmes de Jlierusalem. Cixr li Maladerie des femmes n'estoit mie aveuc le Maladerie des hommes; car li Maladerie des hommes tenoit as murs de Jhe- rusalem, et li Maladerie des femmes estoit en sus, grant pieche ^.

1. C : renvoient.

2. G. (pag. 78-82) et H. (pag. 57-02. chap. 38 et 39) donnent ici sur le mode d'élection du patriarche et la vie scandaleuse d'IIéraclius, les détails qu'Ernoul et Bernard le Trésorier ont rap- portés précédemment (ciiap. 8), à l'occasion de la mort du patriarche Amaury en 1180.

CHAPITRE XIV/

Cornent li rois Gtiiz fii pris et desconjïz par Saladin.

SOMMAIRE.

1187. Le roi Guy de Lusigiian se porte au secours de Tibériade. Les pré- visions du comte de Tripoli se réalisent. Le comte de Tripoli conseille à tort au roi de camper à mi-chemin entre Saphorie et Tibériade. Bataille de Tibériade (4 juillet). Déroule complète des chrétiens. Le roi et un grand nombre de chevaliers sont faits prisonniers. Perle de la Sainte Croix. Elle est plus tard recherchée, du temps de Henri de Champagne, sur les indications d'un Templier.

Or vous dirons del roi Guioii et de s'ost, qui mut des fontaines de Saforie^ il avoit s'ost assamblée, pour^ aler rescourre Tabarie. Et tantost coni il murent, lor furent li Sarrasin au devant pour hardiier "*, ensi comme li quens de Triple lor avoit dit. Li Sarrasin les traisent ^ et tinrent toute jour et hardierent à aus desi qu'il ^ fu bien nonne, et qu'il furent bien en mi voie

1. Cf. G. pag. 84-90. H. chap. 40-45 du livre XXin«, Pag. 62-67. M. chap. 155-156. col. 790-791.

2. A. B : Safroie. 3. C : e^ pour. 4. A. B : ardïer. D: defrier. 0 : hardoier. 5. D : les delaierent. 6. A. B : les atendirenl tant q'il. 0 : les atrasent et tinrent cort tôle jor et hardoierenl à aus desci qu'il.

168 CQRONIQCE d'eRNOCL [^^87

de Tabarie et des fontaines de Saforie. Dont dist li rois al conte de Triple quel consel il li donroit, ne qu'il feroient. Et li quens de Triple li donna adont mauvais consel, car il li conseilla adont qu'il fesist tendre se tente, et qu'il ^ se herbegassent. Et si vous di bien pour voir, si comme aucunes gens disent qui furent en celle ost, que ki euist point encontres les Sarrasins ^ el point c'on se herbega, que li Sarrasin fuissent tout desconfit, car il n'avoient adont que traire. Adont crei li rois Gui le mauvais consel le conte, et le bon ne vaut croire.

Quant li Sarrasin virent que li Crestiien se herbe- goient [si faitement^], si en furent moût lié. Et se hier- begierent tout entour l'ost des Grestiiens si priés que li un parloientà l'autre; et s'il y eust .i. cat '' qui s'en fuist de l'ost as Grestiiens, ne peust il mie escaper que li Sarrasin ne le presissent. Gelé nuit furent li Grestiien à moult grant meskief en l'ost; car il n'i ot home, ne ceval, ne beste qui bcust en toute le nuit.

Gel jour qu'il se partirent des lierbcrgcs estoit ven- rcdis ^ Et l'endemain, le semcdi, fu fieste saint Martin le Boullnnt, devant aoust. Toute celle nuit furent li Grestiien armé; et si orent moût grant angousse de soif. Et quant ce vint l'endemain, al jour % si montè- rent li chevalier à cheval tout '' armé, appareillé pour conl)atre, et li Sarrasin aussi d'autre part. Mais li Sar- rasin se traisent arrière, et ne vaurrent mie conbatre desci que li caus^ fust levés. Et si vous dirai qu'il

1. D. A. B. C : et si.— 2. M : « si tune rex fuisset pro.sres- » sus ad pnclium. » 3. A. B. 4. A. B : tin chevalier. D : un chat. T). M : « soxta foria. » 6. A. B : par matin. 7. C ; toute. 8. A. B. D : lichaus.

^^87] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. ^69

fisent. Il avoit grant brueroie d'arbres \ li Cres- tiien avoient esté ^; lors vinrent li Sarrasin, si boutè- rent ens le fu tôt entour, pour che que li Grestiien fuscent à grignour meschief, que ^ de le calour del fu que del solel. Et si les * tinrent bien ensi desci qu'il fu haute tierce.

Lors se partirent .v. chevalier de l'eskiele le conte de Triple, si s'en alerent à Salehadin , et disent : « Sire, c'atendés vous? Poigniés sour aus, qu'il ne se » pueent mais aidier; il sont tout mort. » Et li sergant à pié jetèrent jus lor armes; et si s'alerent rendre as Sarrasins, les goules baées pour destrece de soif. Quant li rois vit le destrece et l'angousse de l'ost, et que li sergant s'en aloient as Sarrasins, si manda au conte de Triple qu'il poinsist sour les Sarrasins, pour ce que s'entente estoit de la bataille ^; qu'il devoit [bien ^] avoir le première pointe^.

Lors point li quens de Triple [et toute s'eschiele ^] sour les Sarrasins, et si poinst en un pendant contre- val °. Et li Sarrasin, tantost com il les virent poindre vers aus, si se pai^tirent, et si li Usent voie; et li quens s'en passa outre.

Tantost com il fu outre passés , li Sarrasin se

i. A. B : grant hruiere d'erbe. D : bruieroie d'erbe.. 2. A. B : li Cristiens estaient. 3. C : et que. 4. A. B. G : Si les.

5. D. G. H. 0. J : por ce qu'en sa terre estoit la bataille. Cl". Le ms. de la ville de Lyon, plus développé sur cette particularité des usages militaires. (Var. de H. p. 64-65). M : « Hoc enim » de more bcUorum spectabat ad comitem, quia in ipsius comitatu » tune erat exercitus. » A. incomplet.— B. plus fautif encore.

6. D. —l.B '.joule. 8. D. 9. M : loco declivi contra » vallem. »

-170 CHRONIQUE d'erkocl [4 ^ 87

racloent ' et coururent sus le roi qui demorés estoit. Si prisent le roi et tous chiaus qui estoient aveuc luy, et tout le harnas, fors seulement ciaus qui en Tarière garde estoient, qui s'en escaperent. Quant li quens de Triple ot point % et il vit que li rois estoit pris, et il et ses gens, il ne tourna mie ariere, ains s'enfui; si s'en ala à Sur. Et si estoit Tabarie à .u. liues ^ d'iloec, et se n'î osa mie aler, pour ce qu'il savoit bien que s'il aloit à Tabarie, qu'il seroit pris, et qu'il n'en pooit escaper. Li fiex le prince de Antioce et si chevalier qu'il avoit amenés estoient aveuc luy, et si .im. fillastre ^; et es- caperent aveuc lui. Balians de Belin, qui en l'ariere garde estoit, escapa aussi [et fui à Sur^]; et Renaus de Saiete , [qui uns des barons estoit. '^]

En celle bataille fu la Sainte Crois perdue, ne ne seut on que elle devint. Fors tant que, grant pièce apriès, au tans que li quens Henris de Campaigne estoit sires d'Acre et de le tiere que Crestiien tenoient, vint à lui .i. frère del Temple qui en le bataille avoit esté, et se li dist : « Sire, s'on savoit nul homme en » ceste tiere qui me peust ne seust mener en le pièce » de tiere li bataille fu, je trouvcroie bien la Sainte » Crois, car jou l'enfoui à mes mains endementiers » que li desconfiture fu. » Lors manda li quens Henris .1. sien sergant qui de le tiere estoit nés, se li demanda se il saroit aler en le pièce de tiere u li bataille avoit esté. Et cil dist : « Oil, moût bien »; et bien sauroit assener en le pièce de tiere li rois fu pris.

1. A. B : «e raconsent. I) : se reclostrent . 0 : se reclosent. M : « statim sese jungentes. » 2. H : o/ fres- passez Sarrasins. 3. H : « //. milles.— 4. Et si I III. fillastre, niauque dans A. B. 5. A. B. 6, A. B.

U81] ET DE BERNARD LE TRE'sORIER. 47-1

Lors li commanda li quons que il alast aveuc le frère dou Temple, qu'ensi faitement li avoit dit qu'il li avoit enfouie le Sainte Crois. Et ciP li dist qu'il n'i pooit aler se par nuit non; que s'il i aloit par jour, il seroit pris et retenus. « De par Dieu ! dit li quens, aies i en » tel point que vous savés qu'il fait millour aler. » Et il i alerent, et si foirent par .m. nuis; et si n'i peurent riens trouver *.

l.D :Etli valiez. 2 Cf. H. p. 66, note.

CHAPITRE jy:

Cornent Saladin coupa cm conte Raynaut la tête.

SOMMAIRE.

1187. Saladin fail amenor dans sa lente les principaux prisonniers chré- tiens. Il fait olfrir à boire au roi. Le roi passe la coupe à Renaud de Chatillon. Mécontentement de Saladin. Le sultan reproche à Renaud de Chatillon d'avoir enfreint les trêves. Il le fait conduire hors de sa tente cl lui tranche la l(Me. 11 envoie les prisonniers à Damas. Tibé- riade, Nazareth et Saint-Jean d'Acre lui ouvrent leurs portes. Balian d'ibelin obtient un sauf-conduit de Saladin pour aller de Tyr à Jéru- .salem, chercher la reine Marie Comnène sa femme. La ]io]uilalion de Jérusalem conjure Balian de rester dans la ville. Le patriarche le relève du .serment qu'il avait fait à Saladin. Balian reçoit l'hommaue comme régent. Il crée des chevaliers. Il fait battre monnaie avec les plaques d'argent qui recouvraient le Saint Sépulcre.

Or vous dirons des Sarrasins qui ont desconfis les Crestiiens et pris. Il se herbegiercnt , et Saleliadins rendi grasces à Nostre Seigneur de l'onour qu'il li avoit laite. Et fist crier par l'ost c'on li amenast à se tente tous les chevaliers c'on avoit pris ; et on li amena. Si commanda c'on mesist tous les barons

\. Cf. G. pa-. 00-02.— H. pag. 67-71. Cliap. 45-46. - xM.Ghap. 156-157. col. 791.

^187] cnnONIQCE DE BERNARD LE TRÉSORIER. i73

devant lui en se tente, qu'il les voloit veoir; et les au- tres laissast on dehors. Dont mist on en le roi, et Sale- hadins le fist seoir devant lui. Apriès si mist on le prinche Renaut del Crac; apriès si mist on Hainfroi sen fillastre ^ ; apriès le maistre del Temple ; apriès le marchis Bonifasse de Montferras; apriès le conte Jos- selin; apriès le connestable Aimmeri, qui frères estoit le roi; apriès si mist on le marescal le roy^ Tout chil haut homme furent pris aveuc le roi en le bataille. Gel jour fu sam.edi et fieste saint Martin le boullant, devant aoust ^.

Quant Salehadins vit le roi et ses barons qui estoient en se merchi devant lui, si en fu moût liés. Et vit que li rois avoit caut, si sot bien que il buveroit volentiers. Si fist aporter plaine coupe de sirop à boire por re- froidier. Quant li rois eut beut, si tendi le coupe al prinche Renaut del Crac, qui d'encoste lui seoit. Quant Salehadins vit que li rois avoit donné à boire le prince Renaut devant lui, l'omme el siècle que il plus haoit^ si en fu moult dolans. ^

Si dist al roi % que ce pesoit lui que donné li avoit

1. M : « Gaufridus privignus ejus. » Humfroy de Toron.

2. Ces derniers mots manquent dans A. B.

3. Ms. de la ville de Lyon, dans les Var. de H : Celé mésaven- ture avint en un, leu que l'on nome Karnehatin, près de Tha-

barie, à quatre milles, en l'an ... M. C. IIII . XX. et VII. le quart jor de juignet, par un samedi. G : Cette desconjiture fu le cinquiesme jor de juignet.

4. M : « babebat enim eum prae cunctis exosum. »

5. H. est beaucoup plus développé qu'Ernoul et Bernard. Le ms. de la ville de Lyon (dans les Var. de H.) donne un récit tout particulier de ces événements. Nous n'avons pas à nous occuper de ces rédactions.

6. A. B : Lors dist Saladins au roy Gui. G : si en fu mult

1 74 CHRONIQUE d'ernoul [1 4 87

boivre ']; mais pus qu'il li avoit donné, bien beust; maische^ seroit par .1. couvent que jamais d'autre ne buveroit, car pour nul avoir c'on li seuist donner, ne le lairoit plus vivre, qu'il ne [li ^] copast la tieste il meismes de sa main, pourche c'onques foi ne saire- ment ne li tint de trives c'on li donnast. Quant li prinches Renaus ot bust, si le fist Salehadins prendre et mener hors de se tente ^ et si demanda une espée; et on li aporta, et il le prist, si en copa au prince Re- naut la tieste. Et si fîst sa tieste prendre, et si com- manda qu'ele fust traînée par tous les castiaus et les cités de se tiere. Et elle si fu.

Quant Salehadins ot copé al prince Renaut la tieste, si fist prendre le roi et lous ses prisons, si les envoia à Damas en prison. Et se parti d'iluec, si s'ala logier devant Tabarie. Quant li contesse vit et seut que li rois estoit pris, et que li Crestiien estoient desconfit, si rendi Tabarie à Salehadin, [sauve vie ^]. Et cel jour meesmes envoia Salehadin de ses hommes à Nazareth; se li rendi on. Cel jour meismes que li desconfiture fu, li rendi on ces .11. cités, Tabarie et Nazareth. Le mer- kedi, ala devant Acre, se li rendi on. Apriès si ala à Sur, mais il ne le ^ vaut mie assegier, pour çou qu'en- core estoit li cavalerie dedens, et li baron et li cheva- lier, qui de le bataille estoient escapé.

Or ■^ vint Balyans de Belin (jui dedens Sur estoit, si

irez et dist au roi (pas;. 9U). H : sien fu moult durement corrocés et dolenz, et dist au roi.

1. A. B. 2. A. B : mais ce. 3. A. B. 4. Dans le récit du ms. de la ville de Lyon le prince Renaud fait ici une i^rande (ii,'ure. Cf. Yar. de H. pag. GS-GO. 5. D. 6. C : se. A. B : la. 7. M. cLiap. 157. col. 791.

1187] ET DE BERNARD LE TRESORIER. 175

manda em priant à Salehadin qu'il li donnast congié * d'aler en Jherusalem , pour amener le roine se feme et ses enfans. Et il li donna volentiers, par si qu'en Jherusalem ne demorroit ^ que une nuit, ne que arme ne porteroit contre lui.

Quant Balyans vint en Jherusalem, si en furent moût lié cil de le cité, et grant joie fisent de se venue. Et se li rendirent le cité ; se li proiierent pour Diu qu'il le gaixlast, et k'il en fust sires. Il dist qu'il ne pooit mie demorer et qu'il avoit créante à Salehadin qu'il n'i demorroit que une nuit, ne qu'il n'i poroit demourer, [ne la cité neporroit il garder^]. Dont vint li patriarces à lui et se li dist : « Sire, je vous assot del » pecié et del sairement que avés fait enviers Sale- » hadin. Et si vous di bien que gregnour pecié ares » vous el sairement tenir que el trespasser, car grant » hontes seroit [et grant reproche ^] à vous et à vos » hoirs, se vous en tel point laissiés le cité de Jheru- » salem, et vous en aliés; ne jamais honnour ne de- » veriés avoir en tiere vous fuissiés. »

Lors creanta Balyans qu'il demorroit; et tout chil de le cité li lisent homage, et le recurent à segnour. Encore estoit li roine [Sibile^], li feme al roi Guion, en Jherusalem. Or n'avoit en toute le cité de Jherusalem que .II. chevaliers; cil estoient escapé de le bataille. Lors prist Balyans dusques à .LX.'^fîex de bourgois; si les fist chevaliers. Et si vous di pour voir que li cités estoit encore si plaine de gent, de femes et d'en- fans qui s'en estoient afui dedens le cité, quant il

1. A. B : conduit. 2. A. B : demoreroit. 3. D. 4. A. B. 5. D. G. A. B. D.G. J: l.

i 76 CHRONIQUE d'eRNOCL [^ ^ 87

oïrent dire que li rois estoit prins et que li Crestiien estoient desconfît; si vous di bien pour voir qu'il en i avoit tant afui ^ (ju'il ne pooient mie estre dedens les maisons; ains les couvenoit estre en mi les rues.

Dont vint li patriarces à Balian, si fist - descouvrir le Monument deseure le Sépulcre, qui estoit tous cou- viers d'argent; si en fîsent ^ oster, et batre monnoie pour donner as chevaliers et as sergans, cascun jour, à loiier. [Et aloient chascun jor^] li chevalier et li ser- vant par le tiere entour le cité, [et^] atraoient dedens le cité quanques il pooient de viandes, car il savoient bien que il seroient assegié.

1. G : aji7i. 2. A. B : Donc vint Balians et li patriarche; si fistrent.— 3. A. B: si lefistrent. 4. A. B. D. 5. D. A. B: et traoient.

CHAPITRE WV

Cornent Saladm alla asaiger Saiete.

SOMMAIRE.

1187. Saladin, sachant qu'un grand nombre de chevaliers étaient ren- fermés dans Tyr, s'éloigne de la ville. Il s'empare de Sidon et de Bey- routh, puis de Gibelet et de Botron, villes dépendantes du comté de Tripoli. Mort du comte de Tripoli. Renaud de Sidon et le châtelain de Tyr, n'espérant pas défendre celte dernière ville, traitent secrètement de la capitulation avec Saladin. Arrangements pris à cet effet. Saladin .se rapproche de Tyr. Secours inespéré que Dieu réservait à Tyr. De Conrad de Montferrat resté à Constantinople. Il s'embarque pour Saint- Jean d'Acre. Apprenant que Saladin était maître de la ville, Conrad .se dirige vers Tyr. Il y est reçu avec joie par la population. Renaud de Sidon et le châtelain de Tyr s'enfuient à Tripoli. Tout projet de capitulation est abandonné. Saladin attaque Tyr et fait amener devant la ville le marquis de Montferrat, Guillaume III, père de Conrad, retenu à Damas avec les autres prisonniers de Tibériade. Conrad refuse de rendre Tyr à Saladin, en échange de son père. Saladin s'éloigne de nouveau de Tyr. Il s'empare de Cesarée et deJaffa. Ascalonlui résisle. Conditions de l'échange de la ville d'Ascalon contre la personne du roi Guy (août 1187). Sala- din propose aux Bourgeois de Jérusalem de capituler. Ils refusent de «esser la défense de la Ville Sainte. Saladin, pour rendre hommage à leur bravoure et à la dignité de la ville, leur promet de ne pas exiger leur soumission sans avoir livré l'assaut. Balian d'ibelin obtient un sauf-conduit de Saladin pour que sa femme et ses enfants se retirent à Tripoli. Saladin assiège le Crac qui résiste pendant deux ans. Sa géné- rosité vis-à-vis de la population et de la garnison du Crac (1189). 1187. Saladin se dispose à assiéger Jérusalem.

1. Cf. G. pag. 92-106. H. chap. 47-54 du livre XXIII«. pa?. 7l-«-2. M. chap. 157-lGI. col. 792-795.

12

<78 cERO^JiQrE d'eii>'Oul [^^87

Or vous lairons atant de parler de Jherusalem desci que poins ^ en sera; si vous dirons de Salehadin, qui estoit devant Sur. II se pensa qu'il ne feroit oevre [plus ^] à Sur, pour le cevalerie ^ qui dedens estoit. Il passa avant outre; si ala asegier une cité qui estoit à .vu. Hues de Sur, et a à non Saiete. Si le prist, et ala apriès à Barut, qui cités est; si le prist tantost. Apriès si entra en le tiere de Triple, et si prist une cité qui a à non Gibelet. Apriès [si prist *] .1. castiel qui a à non le Botcron ^. De cel castiel estoit li dame que li quens ne vaut mie donner à Girart de Ridefort, qui se rendi al Temple par mal talent, [si com vos avés par de- vant ^,] et dont [la '] haine commença par quoi la tiere fu perdue ®.

Quant li quens de Triple dire que Salehadins estoit entrés en se tiere, si entra en mer, entre lui et le fîl le prince d'Andioce et quanques il pot avoir de chevaliers; si s'en ala à Triple. Puis qu'il fu arivés à Triple, ne vesqui il mie longemcnt, ains fu mors de duel ^, si comme on dist. Si laissa sa tiere au fil le prince d'Antioce, qui puis en fu quens.'

10

1. D : temps et point. 2. A. B. G : feroit néant. 3. A. B. D : por la chevalerie. l : la grant chevalerie. M : « quum » inibi esscnt milites qui a pra? lio fusa cvaserant. » 4. A. B. 5. A. B : Boutron. G : Boceron. D. Li Bouterons. \ : le Bolron. G : Boierim. M : « Lebrothon. n 6. 1). Voyez ci-dessus, pa.i,'. lli. 7. A. B.

8. J : qui se rendi au Temple pour le corrous qu'il en ot. Et por ce comença la haine entre le conte de Triple et celui Girard, qui fu mais Ire don Temple, par quoi la terre fu perdue.

9. D : doil. M : « ut creditur doloris vehementia. » Cf. H. pa-. 72.

10. Pipino ajoute ici, d'après Vincent de Beauvais, qu'il cite ex- pressément (M. col. 792), quelques détails particuliers sur la mort

^^87] ET DE BERNARD LE TRfeORIEK. ^9

Quant Renaus de Saiete et li castelains de Sur virent que tout en estoient aie li chevalier, et qu'il i avoit poidegent, et qu'il n'avoientpreu [de^] viande dedens Sur, si mandèrent Salehadin qu'il s'en retournast de il estoit ^ et il li renderoient Sur.

Quant Salehadins 6i celle noviele, si en fu moût liés. Si prent .1. chevalier, se li carge .11. [de^] ses ba- nieres, et se li dist qu'il voist à Sur et si les mete sour le castiel ^ Quant li chevaliers vint à Sur, si dist al castelain qu'il presist les banieres et les mesist sour le castiel. Li castelains dist qu'il n'en i meteroit nule, pour les gens de le ville; mais tantost que Salehadins venroit devant, il les i meteroit et les banieres deten- roitiP. Li chevaliers s'en tourna d'ilueques, si l'ala dire ensi à Salehadin. Quant Salehadins 01 ce, si s'es- ploita d'errer "^ al plus qu'il pot, desci qu'il vint à Sur. Mais ançois qu'il i parvenist, i envoia Dame Diex consel et secours, qu'il ne voloit mie qu'ele fust per- due^. Ains vaut laissier celle cité as Crestiiens, si com vous avés 01 par devant, qu'il esnetieroit * le tiere, mais .1. petit ^ lor en lairoit.

Or vous dirai del consel et del secours que Diex envoia à Sur. Gouras ^'^ h marcis, qui en Goustantinoble

du comte de Tripoli, sur les projets de trahison qu'on lui attribuait et sur l'origine de sa querelle avec Gérard de Rideibrt, plus tard grand maître du Temple, dont il a été question précédemment dans notre chronique. Pag. 114.

1. A. B. 2. A. B ; q'il retornast de il aloit. 3. D. 4. Cf. le récit du ms. de la ville de Lyon dans les Variantes de H. p. 73 et suiv. 5. A. B: detendroit. 6. A. B: s'esploita de Sur. 7. J : qu'il ne voloit mie que la terre fu del tôt perdue. 8. H. J : qu'il netoieroit. 9. A. B. J. 0 : mais tm poi, 10. A. B : Carat. D : Carrât.

480 CHRONIQUE d'erivoul [H 87

estoit, vint à l'empereur se li dist : « Sire, mi cheva- » lier et mi homme qui ci sont aveuc moi veulent » aler en Jherusalem al Sépulcre, ne je ne les puis plus » tenir; mais il m'ont créante que ^ quant il auront fait » lor pèlerinage qu'il revenront chi à mi, car je ne » vous puis laissier. » Et se fist il à entendant à l'em- pereur qu'il ne se mouveroit, pour çou qu'il ne voloit mie que cil de le cité ne li empereres [meisme'^] seus- sent qu'il s'en vausist aler; car il savoit [bien que^] s'il le savoient en le cité, qu'il s'en vausist aler, que li parent Le Vernat qu'il * avoit ocis, qui en le cité estoient, l'agaiteroient et ociroient. Li empereres fist apparellier une nef, et si fist mètre viandes assez ^ et armes, et si entrèrent ens li maisnie le marcis ^; et quant il orcnt tans, si murent.

En cel point que il murent, estoit li empereres et li marchis à Boukelion '. Quant li marchis vit passer le nef à Boukelion, si vint à l'cmperour, se li dist : « Sire% j'ai oublié une besoingne à dire à mes homes, » [que doi mander à mon pere^. t>] Dont vint li mar- cis, si entra en .i. baliel et ala apriès le nef. Quant il fu à le nef, si sailli ens. Et ([uant il fu ens salis. Dame Diex donna bon tans et bon vent; aine ne finerent de sigler, si vinrent devant Acre.

Quant il vinrent devant Acre, et il durent ancre

\. 0:i! m'ont cncovcntquc.— 2.D. C: de Iccilémcisme.— 3. D. 4. D. 0. G : qui il. 5. G : assé. —CD: H chevalier au marchis. 7. U : Bouche de Lion. O : Bouke de Lion.

8. Le lonir passai^e qui suit le mot Sire, au commencement du para!?raplie précédent, et qui se poursuit jusqu'ici, manque dans A. B. M. supprime tous ces développements.

D. A. B.

^-ÏST] ET DE BERNAllU LE TaÉSOKIER. ^81

geter, si virent que batiel ne venoient encontre ans, ne que il n'ooient cloques sonner. Si furent moût esmari, et si n'osèrent ancre geter, ains se traisent ariere. Quant li Sarrasin d'Acre virent qu'il n'arivoient point, ne qu'il ne prendoient tiere, si enlra .1. cheva- liers sarrasins en un batiel, si alaà le nef pour savoir quels gens c'estoient. Quant li marcis vit le batiel venir, si deffendi à ses hommes que nus ne fust si hardis qu'il parlast, et qu'il parleroit [il meesmes^] Quant li Sarrasins vint devant le nef, si demanda quels gens c'estoient; et li marcis respondi qu'il estoient marceant \ « Et pour coi, fait li SaiTasin, n'arivés » vous et prendés tiere? » Li marcis respondi qu'il ne voloient ariver pour çou qu'il ne savoient qués gens il avoit dedens Acre. Et li Sarrasins respondi que bien pooient il ariver et prendre tiere en le fiance Salehadin, car Acre estoit Salehadin ^ et qu'il l'avoit conquise; et avoit pris le roi de Jherusalem et tous ses barons, et menés à Damas en prison ; et qu'il avoit toute le tiere conquise fors seulement Suret Jherusalem, il estoient^ assegié ; et s'il voloient descendre en le fiance Sale- hadin, seurement pooient descendre. Quant li marcis et li chevaliers oïrent ces noveles, si furent moût do- lant. Quant li Sarrasins vit qu'il ne prenderoient mie tiere, si retourna ariere à Acre pour faire armer les

1. D.

2. M : « Negotiatores sumus. » Chap. 158. col. 793. Pipino ré- sume dans ce chapitre ce qui a été dit précédemment (pag. 125) des événements à la suite desquels Guillaume de Montferrat et son fils Conrad vinrent en Orient. Il reprend ensuite , en l'abrégeant toujours, le récit de notre chroniqueur.

3. Tout ce passage est altéré dans A. B. i. G : estoit.

482 CHRONIQUE d'erîsocl [4187

vaissaus d'Acre pour le nef prendre, s'il peussent. Et nostre sire Dame Diex, qui les y avoit amenés pour Sur secorre, ne le vaut mie soffrir, ains lor envoia bon vent qui les mena à Sur.

Ouunt li nés le marcis Conrat vint endroit Sur, et cil de Sur le virent, si entrèrent es batiaus et alerent encontre pour savoir qués gens c'estoient. Quant li marcis les vit venir, si en fu moût liés, quant il sorent que ce furent Crestiien et que Sur n'estoit mie rendue as Sarrasins. Dont li proiierent, pour Dieu, qu'il venist et qu'il y arivast et les secourust et eust pité de le Crestiienté. Il i tourna volentiers et ariva. Quant cil de le cité sorent qu'il estoit fiex le marcis de Monferras, si en furent moût lié ; et issirent encontre lui à pour- cession, et se li rendirent Sur, et le misent dedens le castiel lui et ses chevaliers.

Quant Renaus de Saiete et li castelains de Sur * virent que Sur estoit rendue al marcis, si orent grant paour, pour çou que il dévoient rendre [l'endemain^j la cité à Salehadin. Si entrèrent le nuit en .i. batiel et s'enfuirent à Triple. Quant li marcis fu dedens le cas- tiel, si le cierca ^ pour savoir comment il estoit garnis d'armes et d'autre cosc. En clic qu'il le ciercoit, si trouva les .n. banieres Salehadin qu'il avoit envoies pour mètre sour le castiel. Dont demanda cui ces banieres estoient. Lors vint .i. hom (|ui estoit ^ se li dist que c'estoient banieres Salehadin, et c'on les devoit l'endemain mètre sour le castiel , et que li cités

[. G : le chastelain de laiens. M ; < Raynaldus princeps Si- » donicnsis cuni castoUano municipii Tyronsis. » II. et I : tou- jour? plus développés ^11. pa,^. 76).

2. D. 3. A. B ; le cerclia. 4. D : gui les connoissoil.

^^87] ET DE BERNARD LE TRe'sORIER. | 83

dcvoit iestre Fendue. Lors vint li marcis, si les fist jeter ou fons del fossés

Quant^ ce vint l'endemain que li marchis fu venus à Sur, si vint Saleliadins devant; et bien cuidoit qu'elc li deust estre maintenant rendue. IMais il fu bien qui li devea^, car Diex i ot envoiié le secours. Quant Sale- hadins vit qu'il n'aroit mie Sur, et que mie on ne li renderoit, si s'esmervilla moult, et pour çou c'on l'avoit mandé. Dont demanda que ce pooit estre. On li dist que li fiex le marcis de Monferras, qu'il avoit en se prison, estoit arivés; et se li avoit on rendu le castiel et le cité, et il l'avoit bien garnie, et le tenroit contre lui, à Faiue de Diu.

Quant Saleliadins çou, si assega Sur, et manda c'on li amenast le marcis de Alonferras, le père celui qui dedens Sur estoit; car pai^ lui et par avoir donner cuidoit * bien avoir Sur. Quant li marcis lu amenés en l'ost, si manda à Courras sen fil, [qui dedens estoit^] , que s'il li voloit rendre [Sur "^J , il li donroit grant avoir, et se li renderoit son père. Li marcis manda ariere que le plus petite pierete ' de Sur ne li donroit il mie pour son père ; mais loiast le à une estake *, et il i trairoit^ à lui, car il estoit trop viex et s' avoit trop ves- cui'"; et si nel voloit souffrir ", si le tuast.

Quant Saleliadins vit qu'il ne poroit riens faire illuec, si se leva de devant Sur, et ala assegier Cesaire, si le

1. M : « Saladini vexillaquoe marchio projici mandavit in foveis » civitatis. » 2. M. chap. 159. col. 794. 3. A. B : Ze devoia. D : conlredist. 4. Au lieu de cuidoit, les copistes de A. et B. ont écrit : g'iZ doit. 5. A. B.— 6. A. B. D. 7. A. B. D. G. H : inerre. M : « se nec minimam lapidem Tyri pro pâtre da- » turam. d —8. M: « ad stipitem. » 9. A. B. U.— G: tairoit.— 10. A. B : vescu. 11. D : voloit plus garder.

\SA CHR0:S1QCE DER^OÏÏL [< ^ 87

prist. Apriès ala à Jaffe \ si le prist. Apriès ala devant Escalone, si l'assega; mais Escalone estoit fors, si ne le pot mie si tos prendre , ains envoia à Damas, si fist amener le roi de Jherusalem en s'ost. Quant li rois fu amenés en l'ost Salehadin devant Escalone, se li dist Salehadins que s'il voloit rendre Escalone, il le deli- verroit, et si l'en lairoit aler tout quite. Li rois dist qu'il em parleroit volentiers à ses hommes qui dedens estoient.

Il manda ses bourgois *, car il n'i avoit nul cheva- lier, qu'il venissent parler à lui , et il i vinrent. Lors lor dist li rois qu'il ne voioit mie qu'il rendissent Esca- lone pour lui, car grans damages seroit s'il rendoient une cité pour .1. homme; mais il lor prioit que s'il ave- noit qu'il ne peussent tenir Escalone et lor convcnoit rendre, que, pour Diu, fesissent plait qu'il ^ fust déli- vrés, s'il pooient. Apriès rentrèrent * li bourgois en le cité, et prisent conseil au commun de le vile. pri- sent consel , et disent qu'il ne veoient de nule part dont secors ^ leur peust venir; car, s'il veoient que nul secors lor peuist venir de nule part, il tenroient bien Escalone ; et si venoit miex qu'il rendissent le cité, sauves lor vies et lors cors et lor avoirs, qu'il fuissent afamé, [ne^] pris dedens à force.

Dont rendirent le cité à Salehadin par tel ma- nière que je vous dirai , qu'il furent délivré lors cors et lor avoirs. Et si les list Salehadins sauvement conduire en tiere de Crestiiens, et li rois [fu'] délivrés

1. M : « .lapliPt. « î. A. et B. par erreur, acs barons. M : « primoribus civitatis. « 3. A. B : qu'il feissent tant qu'il. 4. A. B. G : entrèrent. h. D. G. II. 0. A. B. G : con- saus. 6. A. B. 7. A. B. D.

H 87] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. ^85

lui disime \ teus 'con li rois les coisiroit' en le prison Salehadin. Mais tant i ot, que li rois devoit estre en prison jusques à l'issue de marc ^; et Escalone fu ren- due à l'issue de l'aoust devant ^

Quant Salehadins ot Escalone, si envoia le roi séjour- ner à Naples, et si manda le roine, le feme le roi, qu'ele s'en alast aveuc son signour à Naples séjourner, qu'il ne voloit mie qu'ele fust dedens Jlierusalem quant il l'iroit assegier. Quant la roine le message, si s'en ala à Naples al roi, et fu desci que Salehadins ot pris Jlierusalem .

Le jour ^ que Escalone fu rendue à Salehadin es- taient venu li bourgois de Jherusalem à Salehadin, qu'il avoit mandés, pour faire pais à aus de-le cité, s'il peust. Cel jour fu venredis ', et si se mua li solaus en droit [orede*] nonne, qu'il samblabien qu'il fustnuis.'

Or vint Salehadins as bourgois de jherusalem , et si lor dist qu'il venoient bien, [s'il lui voloient rendre la cité de Jherusalem'"]; qu'il avoit toute la tiere conquise fors Jherusalem, et que s'il li voloient rendre, il feroient bien. Je vous avoie oblié à dire que le jour qu'Esca- lone avoit esté rendue, li rendi on tous les castiaus qui entour estoient". Li bourgois de Jherusalem res-

I. A. B : desime. D : desiesmes. 2. D : tiels. 3. A. B : corn li rois les choisi. 4. M : « in exitu mensis Martii. » 5. A. B: à l'essue de l'ost. G. IL 0: l'issue d'aousl devant. M: «men- » sis Augustus. » 6. M. Ciiap. 160. col. 795. 7. A. B. D.— M : « Feria sexta. G : samedis. 8. A. B. D.— 9. M ; « Tan- » tam passus est eclypsim, ut fere nox esset. » 10. D.

II. Cette phrase incidente d'Ernoul so retrouve ainsi dans A. B. CD. G. H. (pag. 80) 0, et dan? la plupart des mss. Bernard le trésorier la reproduit, et il est encore plus étrange que les Conti- nuateurs l'aient conservée. Pipino ne s'y arrête pas.

^86 cHfiO.MocE d'er>oul [4 ^ 87

pondirent à Salehadin que, se Diu plaist, le cité ne li renderoient il ja. « Or vous dirai, dist Salehadins, que » vous faciès. Je croi bien que Jherusalem est maison » Dame Diu \ et c'est vo ^ créance; ne je volentiers » ne meleroie siège en le maison Dame Diu, ne ne » feroie assalir. Se je le pooie avoir par pais e\ par » amour, je vous dirai que je vous ferai. Je vous ï donrai .xxx. mil besans en aiue à fremer le cité de » Jherusalem; et si vous donrai .v. liues d'espasse à » aler vqus vaudrés, et de gaaignier et de » labourer ^ à .v. liues environ le cité; et si vous ferai » venir à si grant plenté viande, que [en^] nul lia en » toute me tiere n'iert viande à si grant marcié, com » je vous i ferai venir; et si avérés trives desci qu'à » Pentecouste. Se vous veés que vous puissiés estre > secourut, si vous tenés bien; et se vous veés que » vous ne puissiés avoir secours, si rendes la cité, et » je vous ferai conduire sauvement en tiere de Cres- » tiiens, vos cors et vos avoirs. » Il respondirent que, se Diu plaist , la cité ne renderoient il ja Diex reçut mort et passion, et espandi son sanc por eaus; [aius espanderoicnt lelor por lui, ausi come il iîst pour iaus.^] Quant Salehadins vit qu'il ne renderoient mie la cité, si tist son sairement que jamais ne les prenderoit, s'a force non^.

Quant Salehadins fu devant Escalone, se manda Balyans de bcliii à Salehadin que, pour Diu, donnast conduit se feme et ses enfans d'aler à Triple; et que

î. M : « mansio Dei. « 2. A. B : vostre. 3. M : « qiiilms » agriculturse vacaro possent. » 4. D. 5. E. F. J. U. 6. M : « non nisi per gladium. n

< < 87- H 89] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 1 87

le couvent qu'il li ot fait, quant il li donna congiet d'aler en Jherusalem, il ne li pooit tenir, car il estoit si priés gardés en Jherusalem, qu'il ne s'en pooit issir. Salehadins i envoia .L. chevaliers; si le fist conduire et mener desci qu'elle fu à Triple, sauveté M

Or ot Salehadins pris tout le roiaume de Jherusalem, fors seulement Jherusalem et Sur et le Crac. Au Crac, ne mist il onques siège; ains se tint, puis qu'il ot le tiere conquise, .il. ans. Et tant se tint li Crac que, par droite force de famine, l'estut rendre. Et devant che qu'il se rendissent, vendirent il lor femes et lor enfans as Sarrasins ^, pour avoir de le viande; et qu'il ne lor demoura beste ne nule cose à mangier dedens le castel qu'il peussent mangier. Quant il n'orent plus que vendre ne que mangier, si rendirent le castel à Salehadin, sauves lor vies; et pour çou qu'il savoient bien qu'il n'auroient point de secours.

Salehadins fu moût liés quant on li ot rendu le cas- tiel. Et si fist racater lor femes et lor enfans qu'il avoient vendu, si lor fist rendre, et lor donna grant avoir, et si les fist conduire en tiere de Crestiiens. Pour ce lor fist ce, qu'il avoient si bien et si longe- ment tenu lor castiel , tant com il peurent et sans

signour.

Lors ^ vint Salehadins d'Escalone pour aler assegier

1. A. B.

2. M : « ut nounulU conjuges et libcros, quum nil eis man- » dibile superesset, vendiderunt. »

3. M. cliap. 161. col. 795. Pipino omet ici, comme G et H^ la Description de Jérusalem que donnent Ernoul et Bernard le Tré- sorier, et que divers Continuateurs de Guillaume de Tyr ont

488 CHRO.MQUE d'ernoul [^^87

Jherusalern. Mais aiiçois que je vous die comment il assega Jherusalern et comment il le prist, vous dirai Testât comment elle siet.

reproduite. Pipino reprend sa paraphrase abrégée de notre chro- nique au chapitre XVIII.

CHAPITRE XYIV

Coynent Jherusalem siet et lestât de li.

SOMMAIRE.

1187. Description de la ville de Jérusalem, telle qu'elle était au moment Saladin en forma le siège et s'en empara. Ancien emplaccmenl de Jérusalem. Couvent de Sainte-Marie du Mont Sion. Couvent de Sainte- Marie de Josaphat. L'église du Saint-Sépulcre. Les quatre grandes portes de la ville. I. La porte David. Abbaye de Saint-Jacques de Galice. Rue David. Rue du Patriarche. Le Change. Rue du Mont-Syon. Rue des Herbes. Place aux poissons et aux fromages. Quartier des Or- fèvres. Abbaye de Sainte-Marie la Grande. Abbaye de Sainte-Marie Latine. L'Hôpital. Saint-Jacques des Jacobins. Le Calvaire, Le Go! gotha. Chapelle de la Sainte-Trinité. Le Monument, ou tombeau de Notre- Seignenr. Le Compas ou Lutrin. Chapelle de Sainte-Hélène. Cloître, réfectoire et dortoirs des chanoines du Saint-Sépulcre. Le Change. La rue Malcuisinat. La rue Couverte. II. Les Portes Oires ou Porte Dorée. La rue du Temple. La Boucherie. L'Hôpital des Allemands. Rue des Allemands. Le Pont. Abbaye de Saint-Gilles. Les Portes Précieuses. Le Temple Domini. Le Pavement. Le Temple Salomon. Chapelle Saint- Jacques le Mineur. Encore les Portes Oires. La poterne de Josaphat. Le couvent du Berceau. Les quatre portes du Temple. III. La Porte St-Etienne. Abbaye de St-Etienne. L'Anerie. Poterne St-Lazare. Poterne de la Tannerie. Rue St-Etienne. Le Change des Syriens. La Draperie. Rue du Séjjulcre. La rue de l'Arc Judas. Couvent de St-Martin.— IV. Porte du Mont Syon. Les trois rues qui y aboutissent. Couvent de Saint-Pierre en Gallicante. Route de Bethléem. L'étang de Germain. Le Chaudemar.

1. G. H. et M. ne renferment rien du contenu de ce chapitre, Voy. à la fin du chapitre la Note relative aux divers mss. oii nous avons reconnu la présente description de Jérusalem.

490 CHRONIQUE d'ernoul [1187

L'étang du Patriarche. Le charnier du Lion. Abbaye des Géorgiens. Du bois de la Vraie Croix. De la tête d'Adam sculptée au bas des crucifix. De la nation des Géorgiens. Des Amazones. La Fontaine d'Emaiis. La rue de Josaphat. La porte Douloureuse. Le Ruisseau. Le couvent de Saint-Jean l'Evangéliste. Quartier des Syriens, La Juiverie. Courent de Sainte-Marie-Madeleine. Le Repos. Maison de Pilate. .\bb.iye de Sainte- Anne. La Piscine. Abbaye de Sainte-Marie. Le rocher de Gethsemani. La montagne des Oliviers. Le couvent de Saint-Sauveur. La vallée de Josaphat. I^'abbaye du Mont des Oliviers. Couvent de la Sainle-Pate- nôtre. Le couvent de Betphagé.

Jherusalem n'est pas ^ en cel liu elle estoit quant Jhesu Cris fu crucefiiés, ne u il resuscita de mort à vie. Adont quant Jhesu Cris estoit à tiere, estoit li cités sour le mont de Syon, mais elle n'i est ore mie pas^ Il n'i a seulement c'une abeie ^, et en celé abeie a .1. moustier de medame Sainte Marie. li moustiers est, si quem on fait à entendre ^ fu li maisons Jhesu Cris chena ^ aveuc ses apostles, le jeudi absolu, etfist le sacrement de l'autel. En cel moustier est li lius il moustra les plaies de ses pies et de ses mains et de son costé à saint Thumas, as octaves de Pasques*', quant il resuscita de mort à vie ; et se li dist qu'il h mostrast sen doit, et il li bouta en son costé; si creist fermement et noient ne doutast; si ne fust mie mes- creans, ains creist fermement que c'estoit il. Et meismes, s'aparut iP le jour de l'Ascension à ses apos- tres, (juant il vint prendre congié à aus, et il vaut

\. D: Jérusalem, la glorieuse cité, n'est ore mie. Nombreuses la- cunes dans ce ms. 2. A. B. I). C : n'i estoit ore pas. 3. L : une église et une abaie de moinnes. 4. A. B : Si com on fait entendant . D : si com l'en dit. 5. A. B. D : cena. 6. La lin de la phrase et la phrase suivante inanquenl dans A. B. 7. A. B : raparui il.

4187] ET DE BERNARD LE TRésOKlEli. 191

monter es chieiix, D'illuec, le convoiierent il dusques au mont d'Olivet, et de monta il ens es chius.

Dont retournèrent li apostle ariiere et atendirent le Saint Esperit, si comme Jhesu Cris lor avoit dit, en cel liu meisme, [qu'il retornassent arrière en la cité ^], et qu'il atendisent le Saint Esperit, qu'il lor avoit pro- mis. En cel liu lor envoia il le grasse del Saint Esperit, le jour de le Pentecouste.

En cel moustier meisme est li lius medame Sainte Marie trespassa^ D'illuec l'emportèrent li an- gele^ enfoïr el val de Josafas, et [la^] misent en. i. sépulcre. li sépulcres medame Sainte Marie est, a .i. mos- tier c'on apiele le Mostier medame sainte Marie de Jozafas, et si a une abeie de noirs moines. Li mostiers de monte Syon a à non li Mostiers medame sainte Marie de Monte Syon; et si a une abbeie de canoines ^.

Ces .II. abeies sont dehors les murs de le cité, l'une el mont et l'autre el val. L'abeie de Monte Syon est à destre de le cité en droit miedi ; et celé de Josafas est devers solail levant, entre mont Olivef^ et monte Syon. Li mostiers del Sépulcre qui ore est el mont de Cal- vaire estoit, quant Jhesu Cris fu crucefiiés, dehors les murs de la cité; or est en miliu de la cité '. Et si est li cités auques en .1. pendant; et peut vers mont Olivet, qui est vers soleil levant, desour^ le val de Josafas.

Il a en Jherusalem .iiii. maistres portes en crois,

I. A. B. 2. Par erreur dans 0. et dans M. de Vogué : trespassa en Galilée. 3. A. B : Zi Apostre. D : Zi Ange. 4. D. 5. A. B. omettent cette phrase. J. K : chanoines reçu- lers, 6. G : mont Olivent. A. B : monte Oliveie. 7. A. B. D. G : en miliu de l'ahheie. 8. A. B : dcsouz. D : devers. 0 : desos. J : desus.

192 cHRONinrE d'erînocl [4<87

l'une en droit l'autre, [estre les posternes']. Si les vous nommerai, comment elles siéent.

Li Porte Davi est viers solail couçant. Et est à le droiture de portes Oires^, ki sont vers solel levant, deriere le Temple Domini ^. [Celle porte tient à la tor Davi, por ce Tapelle on la porte ^ Davi ^] Quant on est dedens celle porte, si torne on à main dextre en une rue par devant le tour Davi ; si puet on aler in monte Syon '^; car celle rue va à le rue de Monte Syon, par une posterne qui est. En celle rue, à main senestre, ains c'on isse hors de [la'] posterne, a .1. mostier mon- signeur Saint Jake de Galisse, ki frères fu monsigneur Saint Jehan Evangeliste. dist on que sains Jakes ot le teste copée; et pour çou fist on cel moustier.

Li grans rue qui va de le porte Davi droit as portes Ories*, apele on le Rue Davi. Celle rue desci al Cange est apelée li rue Davi.

A main seniestre de le tour Davi, a une place, u on vent le blé. Et quant on a .1. poi aie avant de celle rue c'on apele le rue Davi, si treuve on le rue, à main seniestre, qui a à non le Rue le Patriarce, pour ce que li patriarccs maint au cief de le rue. Et à main diestre de le rue le Patriarce, a une porte ® par on entre en le maison l'Ospital. Apriès, si a une porte par on entre el moustier del Sépulcre , mais n'est mie li maistre porte.

Quant on vient al Cange, li rue Davi faut, si

\. O. T. J : sans les posternes. FI : entre les posternes. Pag. 492. 2. D : aires. 3. F. J. U. A. B. C : Temple Da- vid. — 4. I. J. 5. A. D. I). 1. J.— 6. A. B : FA monl de Syon. 7. A. B. D. 8. A. B : portes Oircs. 1) : aires. 9. A. n : posterne.

-UST] " ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 493

treuve on une rue qui a à non [la Rue^] de Monte Syon, car celle rue va droit à^ Monte Syon.

Et à seniestre del Gange, trouve on une rue toute couverte à vaute^ qui a non li Rue des Herbes. vent on tout le fruit de le ville, et les herbes et les espesses^ Al cief de celle rue, a .1. liu on vent le poisson; et deriere le marchié on vent le poisson, a une grandisme place u on vent les oes et les fromages et les poules et les ânes.

A main diestre de cel marcié sont les escopes '" des orfèvres Suriiens. Et là^ si vent on les paumes ' que li pèlerin ^ aportent d'Outremer. A main diestre de cel marcié sont les escopes des orfèvres Latins.

Au cief de ces escopes, a une abbeie c'on apiele Sainte Marie le Grant, si est de nonnains. Apriès celé abeie, treuve on une abbeie de moines noirs, c'on apiele Sainte Marie le Latine'^. Apriès treuve on le maison de l'Hospital. est li maistre porte de l'Hos- pital, à main destre.

Et à main destre de l'Ospital ^** est li maistre porte del Sépulcre. [Devant celé mestre porte du Sepucre"], a une [mult bele^^] place pavée de marbre. A main diestre ^^ de celle porte del Sépulcre, a .1. [moustier c'om apelle Saint Jaques des Jacopins. A main senestre^\ devant celé porte del Sépulcre, a .i.'^]

1. A. B. D. 2. J. 0. C : va à le rue de. 3. A. B. D à volte. i. A. B : les espices. 5. A. B : les escoupes. D escophes. J : estacons. 6. J. d : Et s'i. 7. A. B paumes. D. J : palmes. 0 : pâmes. 8. A. B : que li pau- miers. 9. J : que l'en apele Latine. 10. J. M. de Vogué et la plupart des mss. : à main destre de l'endroiture (ou de la droiture) de l'Ospital. 11. D. J. 12. A. B. J. 13. A. B : seneslre.— 14. D.— A. B : désire.— 15. A. B. D. J.

13

^ 94 CHRONIQUE d'ernoul [i ^ 87

degrés par on monte sur le mont de Calvaire. Lassiis, en son le mont, a une moût bêle capele. Et [d'autre part ^] si a .1. autre huis en celé capiele pai^ on entre é avale el moustier del Sépulcre, par uns autres degrés qui sont. Tout si comme on entre el moustier, main destre ^], desous mont de Calvaire, si est Gorgatas^ A main destre, est li clokiers del Sépulcre; et si a une capele c'on apele Sainte Trinité. Celé capiele si est grans, car on i espousoit toutes les femes de le cité; et estoient li Tons on baptisoit . tous les enfans de le cité. Et celle capiele si est tenans al moustier del Sépulcre, si qu'il i a une porte dont on entre el moustier del Sépulcre. A le droiture de celle porte est li Monumens.

En cel endroit li Monumens est, est li moustiers tous reons. Et si est ou vers par deseure, sains covre- ture ^ Et dedens cel monument est li piere del Sé- pulcre. Et li Monumens est couviersà valte^ Al cavec^ de cel monument, ausci comme au cief d'un autel ', par dehors, [a un auteP] c'on apele le Cavec\ cant'on cascun jour messe al point del jour. Il a moût biele place [tôt''] entourlc'^ Monumcnt'^ et toute pavée, si c'on va à procession entour le Monument ^\

A[)riès, viers Oriant, est li cuers del Sépulcre, li canoines [chantent; si est Ions. Entre le cuer,

1. J. 2. A. B. 3. A. B : Golyotas. 4. A. B. D : cou- verture. — 5. A. B : voûte. D : volte. G. A. B : au chief. D : chevez. 7. L : de l'autel. 8. J. 0. 9. D : chancel. 0 : ckavec. J : chevez. 10. A. B : chantoit on. 11. J. O. _ G : entour. 12. A. B : au chief del. 13. A. B. D. J. Q. _ C : Moustier. 14. A. B. D. J. L. 0. A. B : si corn va au porches Syon toi enlor le Monuiaent. G : entour le Moustier.

HR7] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 495

li chanoine^] sont et^ le Monument a un autel li Griu cantent; mais qu'il a .1. enclos entre deus; et si i a .1. huis, on va ^ de l'un à l'autre. En milieu del cuer as canoines, a .i. letril * de marbre, c'on apiele le Compas. Lasus list on l'epistre.

A main destre del maistre autel de cel cuer est li mons de Calvaire; si que quant on cante messe de le Résurrection, et li diacres, quant il list l'evangille, si se tourne devers mont de Calvaire, quant il dist : Cru- cifixum; apriès si se retorne devers le Monument, et il dist : Surrexit non est hic; apriès si monstre al doit: Ecce locus uhi imsuerunt eum. Et puis s'en retourne al livre, et pardist son evangille.

Al cavec del cuer a une porte par li canoine entrent en lor offecines. Et à main diestre, entre celé porte et mont de Calvaire, a une moût parfonde fosse on avale à degrés. Là, a une capele c'on apele Sainte Elaine. trouva sainte Elaine le Sainte Crois .et les claus et le martiel et le couroune. En celé fosse, al tans que Jhesu Cris fu crucefiiés, jetoit on les crois li laron avoient esté crucefîié, et les membres qu'il avoient deservi à coper [por lor mefîais^] . Et pour çou apele on cel mont Mont de Calvaire c'on i faisoit les justices et çou que li lois aportoit, et c'on i escauvoit* les membres c'on lor jugeoit à perdre '.

Tout si comme li canoine issoient del Sépulcre, à main seniestre, estoit li Dortoirs ^; et à main destre

1. A. B. D. J. 2. C : et viers. 3. A. B : par on n'en va. 4. A : letrun. B : letrim. D. J : letrin. 0 '. un tru. 5. J. 6. A. B : escalvoit. D : yitoit. 1. i : et que l'en ckavoit les malfaitors des membres que Ven lor jugeit à coper. 8. A. B : (lormitors. 0 : dortois. L : dorlouers.

496 CHRONIQUE d'eRNOUL [HSl

estoit li Refrotoirs \ et tenoit al mont de Calvaire. Entre ches .11. offecines est lor enclostres ^ et lor praiaus. En miliu del praiel a une grant ovreture, par u on voit ^ le capele Sainte Elaine qui desous est; car autrement '' n'i veuroit on noient.

Or vous ai dit del Sépulcre, comment il est. Or revenrai ariere, al Gange ^

Devant le Gange, tenant à le rue des Herbes a une rue c'on apele Malquissinat ^. En celle rue cuisoit on le viande c'on vendoit as pèlerins. Et si i lavoit on lor' ciés. Et si aloit on de celle rue au Sépulcre. Tenant à celle rue^ Malquisinat, a une rue c'on apele le Rue Couverte, u on vent le draperie; et est toute à vaute par dessus. Et par celle rue va on au Sépulcre.

II. Or lairons^ le Gange, si venronsas portes Oires''*. Celle rue dont on vait del Gange as portes Oires a à non li Rue del Temple. [Por ce l'apele l'on la rue del Temple^'], c'on vient ançois al Temple qu'à portes Oires.

A main seniestre, si comme on avale celé rue à aler al Temple, est li Bouceric, [l'en^^] vent le car de le vile. A main diestre, a une rue par on va à rOspital des Alemans. Celle rue a à non li Rue des Alemans.

A main senestre, sour le pont ^^ a .1. moustier c'on apele le moustier Saint Cille. Al cief de celle rue,

1. A. B : refroilors. 0 : refroitoires. L : refraitors- 2. A. B : clostres. 3. A. B : par l'en va à la ^ I : dont l'en voit. 4. A. B. G : autre. 5. A. B : Change. 6. I : Malcuisinat. 7. I. 0 : les. Cette phrase et la suivante sont inintelligibles dans A. B. 8. L : Toul au devant de celé rue. 9. A. B : Or lairai . . . si m'en irai. 10. D : Aires. 11. I). L. 0. I^. A. B.— 13. A. B '.point.

^^87] ET DE BERINAlli) LE TllÉSORIER. ^ 97

treuve on unes portes c'on apele \es Portes Précieuses .^ Pour çou les apele on les portes Précieuses que ^ par ces portes entroit Jhesu Cris en Jherusalem, quant il aloit par tiere. Ces portes sont en un mur qui est entre le cité et le mur des portes Oires.

[Entre le mur de la cité de Jérusalem et portes Oires^] si est li Temples. Et si a une place qui a plus d'une grant traitie ^ de lonc et le giet d'une piere ^ de lé, ains c'on viegne au Temple. Celé place si est pavée, dont on apele celé place le Pavement.

A main diestre, si comme on ist de ces portes, estli Temples Salemon, li Templier manoient. A l'en- droiture " des portes Précieuses et des portes Oires, est li moustiers del Temple Domini. Et siet en haut, si c'on i ' monte à degrés haus ^ Et quant on a montés ces degrés, si treuve on une grant place toute pavée de marbre, et moût large; et cil pavemens va tout entour del mostier del Temple.

Li moustiers del Temple est tous reons. A main seniestre ^ de cel pavement haut del Temple, est l'of- f'ecine de l'abbeie et des canoines. Et de celle part a uns degrés par u on monte al Temple del bas pa- vement el haut.

Devers solel levant, tenant al moustier del Temple, a une capele de monsigneur Saint Jake le Meneur. Pour ce est illuec ^" celle capele k'il i fu martyriés,

1. A. B : Portes Precioses. I : Portes Specluuses. 2. Jhesu- Cris, répété ici dans G. 3. D. J. 4. J : plus d'une archie.— 5. I : d'une petite pierre. 6. A. B. D : ?a droitures. 7. A. B. D. C : si c^on. S. J : que l'en i monte par un degrés. h . et si estait en haut, si comme il monta aus deyres haus. 9. I) : destrc. 10. J : iqui.

-198 CHROMQUE D'eR.NOUL [H87

quant li Juif le jetèrent^ de deseure le Temple aval. Dedens celé capele est li lius Diex délivra la pece- resse que on menoit martyrier % pour çou qu'elle es- toit prise en aoltere ^ Et il li demanda quant il Tôt délivrée cil estoient quil'avoient acusée; et elle dist qu'ele ne savoit. Adont li dist Diex que elle en alast, et qu'elle ne pecast mais.

Al cief de cel pavement, par dévier s soleil levant, ravale on uns degrés à aler as portes Oires. Quant on les a avalés, si treuve on une grant place, ains c'on viegne as portes Oires. est li atres^ que Salemon

fist.

Par ces portes ne passoit nus, ains estoient enmu- récs. Et se n'i passoit nus, [fors seulement -'J que .11. fois en l'an, c'on les desmuroit; et i aloit on a pour- cession, [c'est à savoir le jorde Pasque Florie, porce qe Jliesus Griz i passa cel jor et fu recoilis à proces- sion '^J; et le jour de le fîeste Sainte Crois Saltasse", pour che que par ces portes fu raportée la sainte Crois en Jherusalem, quant li empereres Eracles de Rome le conquesta en Perse; et par celé porte le remist on en le cité de Jherusalem, et ala on à pourccssion en- contre li. Pour ce que on n'issoit mie hors de ches portes de le ville, avoit il une posterne par d'encoste^ c'on apeloit le Posterne de Josaffas^. Par celé part, de celé posterne, issoient cil hors de le cité^". Et celle pos- terne est à main seniestre des portes Oires.

1, I : le trabuchierent. 2. I : lapider. 3. A. B : avotire.— D : avoUire. 4. A. B : autres. 1. J : aitres. 5. J. L. 6. A.B. D. .T. O 7. J.L : et le jor de la Sainte Croiz en Selem- brc. La FiHc de l'Exallalion de la Sainte Croix. 8. A. B : par de colé. 9. A. B : k Porte de Josefas. 10. Plus clairement

HST\ ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. -199

Par devers miedi, ravale on del haut pavement del Temple en ^ bas [par un degrez^] dont on va al Temple Salemon^ A main seniestre, si com on avale del haut pavement el bas, îl.i. moustier c'on apele le Berch*. estoit li bers ^ Diex fu bierciés en s'en- fance, si com on dist.

El mostier del Temple avoit "^ .iiii. portes en Crois. Li première est deviers soleil couçant; par celi en- troient cil de le cité el Temple. Et par celi devers solel levant entroit on en le capele Saint Jake; et si en ris- soit on d'illueques à aler as portes Oires. Par le porte devers miedi entroit on el Temple Salemon; et par le porte devers aquilon entroit on en l'abeie.

Or vous ai devisé del Sépulcre et del Temple com- ment il siet, et de l'Ospital, et des rues qui sont très le porte Davi dusques as portes Oires, l'une endroit l'autre, dont l'une est deviers soleil levant, l'autre de- viers solel couçant. Or vous dirai des autres .11. portes, dont l'une est endroit l'autre.

m. Celle deviers aquilon, a à non Porte Saint Este- vene '. Par celle porte entroient li pèlerin en le cité, et tout cil qui par deviers Acre venoient en Jherusa- lem, et de par toute le tiere dusques al flun, desci^ que à le mer d'Escalone.

Dehors celle porte, ains c'on i entre, à main destre, avoit .1. moustier de monsigneur Saint Estevenes. dist on que Saint Estevenes fu lapidés. Devant cel

dans A. B : Par celeposterne, issoient cil de la cité de celé pari.

r. J.— C : el. 2. J. 3. A. B : Temple bas.— 4. D, O : Le Berc. I : Le Bers. L : Le Biers. 5. D : le herceus. 6. A. B : a. 7. A. B : Estene. D : Estienne. 8- A. B : dés. D : deçà.

200 CHRONIQUE DERISOUL [^^S7

moustier, à main seniestre, avoit une grant maison c'on apeloit VAsnerie. soloient gésir li asne et li sommier de l'Hospital; pour çou avoit à non l'Asnerie. Cel moustier de Saint Estevene abatirent li Crestien de Jherusalem devant chou que il i'uscent assegié, pour elle que li moustiers estoit près des murs. L'As- nerie ne fu pas abatue; ains ot puis grant mestier as pèlerins qui par treuage venoient en Jherusalem, quant elle estoit as Sarrasins, c'on nés laissoit mie ' herbegier dedens le cité. Pour çou lor ot li maison de l'Asnerie grant mestier.

A main destre de le porte Saint Estevene estoit li Maladerie de Jherusalem, tenant as murs. Tenant à le Maladerie avoit une posterne c'on apeloit le Posterne Saint Ladre. [Par^] metoient li Sarrasin les Crestiiens en le cité pour [aler^] couvertement al Sépulcre, que li Sarrasin ne voloient mie que li Crestiien veissent l'afaire ^ de le cité; et les metoit on [enz^] par le pos- terne ^ [qui est en la rue '] le Patriarce el moustier del Sépulcre^ Ne les metoient [l'en^ mie par le maistre Porte.^'^

Quant on entre en le cité de Jherusalem par le rue S. Estevene, si treuve on .n. rues, l'une à diestre qui va à le porte Monte Syon, qui est endroit midi; et le porte Monte Syon si est à le droiture de le porte

1. A. 13 : qu'il n'es laissait mie. 1) : c'on nés les. 0 : parce que li Sarrasins ne les laissaient mie. 2. I). 3. A.B I). •')..): les afaires. L : veissent leur cauvine ne celui de la cité. 5. L. G. A. B : la Forte. 7. A. B. 8. A. B. G : el Sé- pulcre oit maiisfier. L : par la porte le Patriarche qui estoit en la rue del Moustier del Sépulcre. 9. D. 10. Ici addition pos- térieure, dans L : Mais sachiez bien devoir, etc. (p. 500).

^^87] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 20\

S. Estevene. La rue à main senestre si va droit à une posterne c'on apele \aPosterne de la Tannerie\ et [si^] va droit par desous^ le pont. Celé rue qui va droit à le porte de Monte Syon a à non li Rue S' Estevene, desci c'on vient al Gange des Suriiens.

Ançois c'on viegne al Gange des Suriiens, a une rue, à main diestre, c'on apiele le Rue del Sépulcre. est li porte de le maison del Sépulcre. Par en- trent cil del Sépulcre en lors manoirs.

Quant on vient devant chel Gange, si treuve on une rue, à main diestre, couverte à volte, par on va al moustier del Sépulcre. En celé rue vendent li Suriien lor draperie, et s'i fait on ^ les candelles de cire.

Devant cel Gange vent on le poisson. A ces canges tiennent les .m. ^ rues qui tiennent as autres canges des Latins, dont l'une des .m. rues a à non la Rue Couverte. vendent li drapier Latin lor draperie. Et li autre a à non la Rue des Herbes; vent on les espeses; et la tierce [a à non ^] de Malquisinat. Par le rue des Herbes va on en le rue Monte Syon ; dont on va à le porte Monte Syon, et trescope on le rue Davi.'^ Par le rue Couverte va on en une ^ rue, par le Gange des Latins ; celé rue apele on le Rue de VArc Judas; et trescop' on le rue del Temple^, Et celle rue va droit à le rue de Monte Syon. Gelle rue apele on le rue de

1. D. J. L. 0. ~ A. h : de la Tempnerie. G : de la Tanière. 2. A. B. S.A. B : par desus. 0 : desos. J : desoz. 4. A. B : et si i vent on. 5. J : les quatre. 6. D. 7. D : et tôt outre en la rue David. 8. 0. C : va on en le. A. et B. sont ici incomplets. 9. J. considère la rue de l'Arc Judas comme la quatrième rue tenant au ('hangc des Latins , fol . 378.

202 CHRONIQUE d'ERNOUL [^ i 87

l'Arc Judas, pour çou c'on dist que Judas s'i pendi à .1. arc de piere.

A senestre de celé rue, a .i. moustier c'on apele le Moiistier Saint Martin. Et près de cel moustier S à main seniestre, a .1. moustier ^ de Saint Piere. dist on que ce fu que Jhesu Cris fist le boe qu'il mist as iex de celui qui onques n'avoit eu oel; et qu'il com- manda qu'il s'alast laver à le fontaine de S}'loé, [si ver- roit^]. Et si fist il, et ot iex, et si vit.

IV. [Tot^] droit% si com on ist hors de le porte Monte Syon, si treuve on .nu. voies*^; une voie à main destre qui va à l'abeie' de Monte Syon. Entre l'abeie et les murs de le cité, si avoit .1. grant atre ^ et .i. moustier en miliu.

Li voie à main seniestre si va selonc les murs de le cité droit as portes Oires. Et d'illeuc avale on droit el val de JosaiTas, et si en va on droit à le fontaine de Syloé. Et de celle porte, à main destre, sour celé voie, a .1. mostier c'on apele S. Piere en Gallicante \ En cel moustier avoit une fosse parfonde, on dist que Sains Pieres se muça'*» quant il ot Jhesu Crist renoiiet, et il oy le coc canter; et ploura il.

Li voie à la droiture de le porte devers midi si va pardesousle mont [de Syon"], desci c'on a passé l'abeie. [Quant on a passé l'abaïe''], si avale on le mont; et va on par celle voie en Betleem.

1. A. n. C : Et près de celle porte. 2. A. B : a i. autre moustier. 3. A. B. 4. J. 5. G : Dont. 6. A. B : si treuve on m. voies. 7. A. B : qui va à l'ahaie el au mouslier. 8. I) : aislrc. I : ungrant cimitere. —9. A. B. D. C : En- glaycante. lU. U : mucha. A. B : mucza. 11. D. 12. A. B.

\ \ 87] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 203

Quant on a avalé le mont, si treuve on .i. lai ^ en le valée c'on apelele Lai Germain. Pour ce l'apele on le lai Germain, que Germains^ le fist faire, pour requellir les eves qui descendoient des montaignes, quant il plouvoit. Et abewoit on les cevaus de le cité.

D'autre part le valée, à main senestre, priés d'ileu- ques, a .1. carnier c'on apiele Caiidemar^. getoit on les pèlerins qui moroient à l'Ospital de Jherusalem^ Celé pièce de tiere li carniers est fu acatée des de- niers dont Judas vendi le car Nostre Segneur Jhesu Crist, si comme l'évangile tesmongne.

Dehors le porte Davi a .1. lai devers soleil couçant c'on apiele le Lai del Patriarce, u on requelloit les eves d'illeuc entor à abuvrer les cevaus. Priés de cel lai avoitun carnier c'on apeloit le Carnier del lyon'\ [Or vos dirai porquoi l'on l'apelait einsi % Il avint, si comme on dist, à .i. jour qui passés est, qu'il ot une bataille entre cel carnier et Jherusalem, il ot moût de Crestiiens ocis, et que cil de le cité les dévoient l'endemain tous [fere'] ardoirpour le pueur; tant qu'il avint c'uns lions vint par nuit, si les porta tous en celle fosse, si com on dist. Et sour cel carnier avoit .1. moustier on cantoit cascun jour [messe ^]

Apriès d'ilueques, à une Hue % avoit une abeie de Jorjans^^ on dist que l'une des pièces fu cuellie"

1. D. J. L : lac. 2. Cf. ci-dessus, pag. 121. 3. A. B. K : Chaudemar. D : Caudemar. 0 : Champ de niar. J : la Chaude mer. 4. J : qui moroient en Jérusalem et en la maison de l'Ospital. 5. G : de lyon. A. B : Le charnier del lyon. K : du lyon. D : Ze charnel deu lion. 6. A. B. D. 0. 7. D. 8. D. 9. 0 : à une mille. 10. Géorgiens. D. L : de nonnains. 11. A. B :fu prise. 0 : toillue.

204 CHRONIQUE d'erkoll [H87

de le vraie crois ^ L'estake de le crois fu prise devant le Temple, [car ele fu aportée du Liban avec le marrien dou Temple ^] . Ele ^ estoit demoréc del Temple [Sale- mon^ por ce^] c'on ne pooit trouver lieu elle s'affre- sist ^, qu'ele ne fust ou trop longe ou trop courte. Dont il avenoit, si queni on dist, que quant les gens venoient al Temple et il avoient les pies emboés ', qu'il les ter- doient illuec. Dont il avint c'une roine^i passa une fois; si le vit emboée, si le terst^ de ses dras et [puis^°] si l'aoura et enclina.

Or vous dirai de celle pièce de fust, dont elle vint, si comon distel pais. 11 avint cose que [quant"] Adans jut el lit mortel, si proia .1. de ses fiex, pour Dieu, qu'il li aportast .1. rainsiel de l'arbre dont il avoitman- giet le fruit, quant il pécha. On li aporta et il le prist, si le mist à se bouce. Quant il ot à se bouce le rain- siel, si estraint les dens et l'ame s'en ala, n'onques puis le rainsiel ne li pot on esrachier des dens; ains fu enfoïs atout. Cil rainsials, si comme on dist, reprist; et devint biaus arbres. [Et quant ce vint que li déluges fu, si esracha cel arbre''.] Et le mena li delouves el mont de Nibam '^ et d'ilueques fu il menés en Jheru- salem aveuc le mairicn dont li Temples fu fais , qui fu tailliés cl mont de Nibam. Il avint, si comme on dist,

1. .1 et L ajoutent ici : La terre dont il estaient avoit non Avegie. Aucune yenz si disoienl que ce estoit la terre de Femeaie. Au lieu (lo ces deux phrases, A. B. C. O donnent plus loin (p. 205) tout un para,L,'raplie sur l'Abasie et la «Téor^io.

2. .1 . 3. A. B. G : qu'ele. li. 1). 5. A. B. (3. A. B. I) : s'aferist. 7. A. B : anboés. .1 : ioillics. 8. D : qui Sibile estoit apelée.— 9. D : si la lerdi.— J : si la terst de sa robe. 10. I). li. D. G : que Adans. 12. A. B. 13. A. B : Juban. J : Libanne.

-UST] ET DR BERNARD LE TRÉSORIER. 205

quant Jhesii Cris fu crucefiiés, que li teste Adan estoit dedens le boise \ et quant li sans Jhesu Crist issi hors des plaies ^, la tieste Adam issi hors de le crois et re- quelli le sanc. Dont il avient encore qu'en tous les cru- cefis c'on fait en le tiere de Jherusalem , c'au pié de le crois, a une tieste en ramenbrance de cheli.

Or vous dirai des Jorjans ^ qui sont en l'abeie l'une des parties de le crois tu prise, quésgens ce sont, ne de quel tiere. Li tiere dont il sont a à non Avegie \ et si a roy et roine; dont aucunes gens apelent celé terre tiere de Femenie. Pour çou l'apelent tiere de Femenie que li roine cevauce et tient ost de ses femmes, ausibien comme li rois fait de ses homes. En celle tiere n'ont les femes c'une mamiele, et si vous dirai pour coi. Quant li feme est née et elle est un poi crule, se li cuist on la destre mamele d'un fer caut, et le seniestre li lesse on pour ses enfans norir. Et pour çou li cuist on le diestre qu'ele ne li nuise mie al traire l'espée, quant elle est en bataille ^

A .iii.*^ Hues de Jherusalem, devers solel couçant, a une fontaine c'on apele le Fontaine crEmaus\ soloit avoir .i. castiel. Dont il avint, si comme l'evan- gille tesmoigne, que Nostre Sires ala aveuc .11. de ses desiples, quant il fu resuscités, dusque à cel castiel, et s'asisent à celé fontaine pour mangier, si qu'il ne le connurent mie, desci qu'il brisa le pain. Adont si s'es-

1. A. B : la boise. 2. G : plaie. 3. A. B. G : Jorans.— 4. J : Avegine. L'Abasie, voisine de la Géorgie.

5. Ge paragraphe manque dans D. et dans plusieurs des Gonti- nuateurs qui donnent la Description de Jérusalem.

6. A. B : à quatre. 7. J. A. B : tZes Esmaus. G : des Esmax. D : d'Esmax.

206 CHRONIQUE d'ernottl [^ ^ 87

vanui d'aus. Et d'illeuc, retornerent en Jherusalem as apostres, pour faire savoir à aus comment il avoient à lui parlé.

Or revieng à le porte Saint Estevene, à le rue qui va à main senestre qui va à le porte * de le Tanerie, Quant on a aie une pièce de celle rue, si treuve on une rue à main senestre c'on apele le Rue de Josaffas. Quant on a .i. poi aie avant, si treuve on .i. quarre- four d'une voie, dont li voie qui vient à senestre vient del Temple, et va al Sépulcre. Au cief de celle voie, a une porte, par devers le Temple, c'on apele Porte Doleretise. Par issi Jhesu Cris quant on le mena el - mont de CaKaire, pour crucefiier; et pour ce les apele on portes Dolereuses.

A main destre, sour le quarefour de celle voie, fu li ruissiaus dont l'evangille tesmoingne que Nostre Sires passa, quant il fu menés crucefiier. En cel endroit, a .1. moustier de S. Jehan l'Evangeliste; et si avoit .i. grant manoir. Cil manoirs et li moustiers estoit des non- nains de l'abeie de Betanie. manoient elles quant i! estoit guerre de Sarrasins.

Or revieng à le rue de Josaffas. Entre le rue de Josaffas et les murs de le cité, à main senestre, dusque à le porte de Josaffas, a rues ausi com une ville. manoient li plus des Suriiens de Jherusalem. Et ces rues apeloit on le JuerieJ En celle rue de Juerie avoit .1. moiistierde sainte Marie Madelaine. Et près de cel mostier avoit une posterne dont on ne pooit mie hors issir as cans, mais entre .11. murs aloit on.

1 . D : à la posterne. i : à la rue qui voit devers senestre pis- que à la Tennerie. 2. D : La Guérie. J : La Jiiderie. L : G'uiverie.

^^87] ET DE BERNARD LE TRE'sORIER. 207

A main destre de celle rue de Josaffas, avoit .i. mous- tier c'on apeloit le Repos. dist on que Jhesu Gris reposa, quant on le mena crucefiier; et estoit li pri- sons u il fu mis le nuit que il fu pris en Gessemani. Un poi avant, à main senestre de celle rue, estoit li mai- sons Pilate. Devant celle maison avoit une porte par u on aloit al Temple. Priés de le porte de Josaffas \ à main seniestre, avoit une abeie de nonnains, si avoit à non Sainte Anne. Devant celle abbeie a une fontaine c'on apele le Pecine.^

Deseure le fontainne avoit .1. moustier. Et celle fon- taine ne quert point, ains est [en ^] une fosse deseure * le moustier. A celé fontaine, au tans que Jhesu Gris fu en tiere, avenoit que li angeles venoit par foys mo- voir celle eve, et quant il l'avoit mute, qui primes descendoit à celle fontaine pour baignier apriès ce que li angeles l'avoit mute, il estoit garis de quel en- fremeté qu'il eust. Devant celle fontaine, avoit .v. portes ^ et devant ches .v. portes avoit moût de ma- lades et d'enfers et de languereus, pour atendre le mouvement de Fève. Dont il avint que Jhesu Gris vint .1. jour et trouva .1. home gissant en son lit, qui .xxxvm. ans y avoit geu. Se li demanda Jhesu Gris s'il voloit estre garis. « Sire, [dist il ''j, jou n'ai home qui » m'aiut '^ à descendre en le fontaine. Quant li angeles » a mute l'eve, et jou me esmeut descendre de mon

1 . Tout ce qui précède depuis le mot Josaffas de la 22» ligne (page 206) manque dans A. et B.

2. K : qu'on apele la Fontaine dessous la Pccine. L : la Fon- tainne desus la Pecine. 3. A. B. J. 4. J : desouz. 5. L : porches. 6. D. 7. A. B : qui m'ai. J : Je n'ai mil home qui m'ait. . 0 : qui in'aiwe.

208 CHRONIQUE p'ERNOrL ['UST

» lit^] pour aler là, si truis .i. autre qui s'i est baigniés » devant moi. » Dont li dist Jhesu Cris qu'il ostast son lit et si s'en alast, qu'il estoit tous sains. Et cil saili sus tous sains, si s'en ala. Gel jour estoit semedis, si com l'évangile tesinoingne.

Si comme on ist ^ de le porte de Josaffas ^ si aval'on el val de Josaffas * . A main diestre de celé porte sont portes Oires. El val de Josaffas avoit une abeie de noirs moines. En celle abeie avoit un moustier de medame Sainte Marie. En cel moustier estoit li Sépulcres elle fu enfoïe et est encore. Li Sarrasin, quant 11 orent pris la cité, abatircnt celé abeie et emportèrent les pieres à le cité fremer, mais le moustier n'abatirent il mie.

Devant cel moustier, al pié de Mont Olivet, a .1. moustier en une roce, c'on apiele Gessemani. fu Jhesu Cris pris. D'autre part la voie, si comme on monte el mont Olivet, tant comme on geteroit une piere, avoit .1. moustier c'on apeloit S. Salveur ^. ala Jhesu Cris orer le nuit qu'il fu pris; et li dégoûta li sans de son cors, aussi comme sueurs.

El val de Josaffas avoit hermites et rendus *^ assés, tout contreval, que je ne vous sai mie nommer, dessi qu'à le fontaine de Syloé.

En son le mont " d'Olivet, avoit une abeie de blans moines, l^rès de celle abeie, avoit une voie qui aloit ne

i. D. 2. A. B. D. C : on dist. J : Ensi com l'en ist. 3. D : de la porte Si Estienne. Elle avait ces deux noms. 4. J : de la porte de Josaphatpor avaler en Josaphas. K : De la porte de Josaphat si avaloit on en val de Josaphat. 5. A. B : Saint Salveor. D. K : S. Sauveur. J : S. Sauveor.— G. A. B : et rendus. K : r'/ vercles. J : reclus. 7. J : desus le mont.

-11X7] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 209

Betanie, toute le costiere de le montaigne. Sor le tour* de celé voie, à main destre, avoit .1. moustier c' on apiele [la^] Sainte Patrenostre. [Là fu ce que Dex fist le Pater Noster ^] et l'ensegna * à ses apostres. Priés d'illeuc fu li figiers que Diex maldist, quant il aloit en Jherusalem, pour clie que li apostre i aloient cuellir leur figues, se n'en i trouvèrent nulle et se n'estoit mie tans qu'elles i deussent estre. Gel jour meisme, retourna Jhesu Cris pour aler en Betanie de Jherusa- lem; et li apostre alerent par devant le figier% si le trouvèrent sech.

Entre le moustier de le Patrenostre et Betanie , en le coste de le montaigne '', avoit .1. moustier qui avoit non Betfage '. vint Jhesu Cris le jour de Pasques Flories, et d'ileuques envoia en Jherusalem .11. de ses desciples pour une anesse; et d'ileuc ala il sor l'anesse en Jherusalem, quant il l'orent amenée.

Or vous ai je [dit et^] noraés les mostiers et les abbeies de Jherusalem et de dehors Jherusalem, une Hue près^], et les rues, des Latins. Mais je ne vous nome- rai ne n'ai només les abbeies ne les moustiers des Suriiens, ne des Griffons, ne des Jacopins, ne des Boamins*^ ne des Nestorins, ne des Hermins, ne des autres manières de gens qui n'estoient " mie obéissant à Rome; dont il avoit abeies et moustiers [plusieurs'^] en le cité. Pour che ne vous veul mie parler de toutes

1. A. B : sor le tor. K : seur le tour. 2. A. B. 3. A. B. l). E. 0. 4. J : qu'on apele Sainte Pater-Nostre, por ce que l'enseigna. K : Sainte Patenostre. 5. K : figuier.

C. D : Entre le moustier de Betanie et la montaigne. 7. J. C : Belfage.—8. A. B. 9. D. 10. A. B. K : Boanins.

11. D : porce qu'il ne f oient. 12. D.

u

210 CHRONFQUE d'eRNOUL [HS7

ches gens que j'ai clii nommés, qu'il ne sont mie obéissant à Rome ^

1. A. B : à la loi de Rome. L. donne à la suite (pag. 507) la Description des lieux de Pèlerinages que les fidèles pouvaient suc- cessivement parcourir et vénérer en Terre Sainte. Cet itinéraire publié par M. de Vogué d'après le ms. 104. suppl. franc, de la Bibliothèque Imp. {Eglises de Terre Sainte, p. 444) se trouve à la lin des mss. A. et B., mais rien n'autorise à croire qu'il soit d'Er- noul ni de Bernard le Trésorier.

Quanta la Description même de la Ville de Jérusalem dont Ber- nard le Trésorier a formé le XVU^ chapitre de sa compilation, elle se trouve dans tous les mss. de nos chroniques (A. B. C. D. E.) avant le récit du siège et de la prise de la ville par Saladin, en 1187. Les mss. F. et 0. (semblables aux mss. C. D. E., sauf la suppression de la phrase Ernoul est nommé), donnent aussi la Description à la même date. Le ms. J., seul des Continuateurs de Guillaume de Tyr de la première période s'arrêtant à 1230-1231, qui, à notre connaissance, renferme la Des- cription de la ville de Jérusalem, l'insère à la même époque que les précédents mss. Les Continuateurs que nous appelons Continua- teurs de la seconde période, arrivant à 1261, donnent également la Description de Jérusalem, mais à une époque différente; ils l'ont placée en 1230, quand les Sarrasins reprennent la ville aux Chré- tiens, après le départ de l'empereur Frédéric IL

M. le Cte Beugnot a, le premier, publié des fragments de cette curieuse Topographie de la Jérusalem dos Croisés d'après le ms. de Sorb. 387, notre K. (Assises, t. II). Les savants éditeurs du Recueil des Historiens occidentaux des Croisades l'ont donnée in- tégralement dans leur édition de la Continuation dite de Rothelin del220-12Gl (tom. II, p. 490). M. le docteur Tobler l'a publiée d'après trois mss. de Borne; M. le C*« de Vogué d'après les mss. 8404, ancien fonds, 383 et 387 fonds de Sorbonne. Le Suppl. franc. 104 ne renferme pas, comme on l'a dit, la Description de Jérusalem. Il donne seulement l'Itinéraire descriptif des loca- lités à visiter par les pèlerins aux alentours de Jérusalem.

CHAPITRE XVTir

Cornent Suladin vint asegier Jlierusaleni.

SOMMAIRE.

1187. Saladin forme le siège de Jérusalem. Positions il s'établit. Ses nouvelles propositions aux assiégés. Combats et escarmouches. Succès des Chrétiens. Saladin change ses dispositions d'attaque. Avantages de ses nouvelles positions. Progrès des mineurs sarrasins. Les chrétiens de Jérusalem veulent faire une sortie désespérée. Le Patriarche les en détourne. Ils prient Balian d'ibelin d'aller traiter de la paix avec Sa- ladin. Un assaut des Sarrasins est repoussé. Les péchés des habitants de Jérusalem empêchent leurs prières de monter au ciel. Nouveaux pourparlers de Balian d'ibelin avec Saladin. Conditions de la soumis- sion de la ville. Les habitants se rendent à merci comme si la ville était prise d'assaut. Chaque chrétien est tenu de se racheter. Débals et difli- cultés au sujet du rachat du menu peuple. Du trésor déposé par le roi d'Angleterre au Temple et à l'Hôpital.

Or VOUS dirai ^ de Salehadin, qui Jherusalem vint assegier. Il se herbega devant Jherusalem en .i. jeusdi, al soir \ Le venredi, par matin, l'assega^ et se loga

1. Cf. G. pag. 106-118. —H. chap. 55-59 du XXUI^ livre. Pag. 82-90. M. chap. 161-163. col. 796-798. 2. A. B : ^ tant vos lairai à parler de ce. Si vos dirai. 3. G : Salahadin vint d'Eschalone aseoir Jérusalem un jeudi à soir. 4. M : « vr. » feria obsidiunem iucœpit. »

2^2 CHRONIQUE d'eRI^OUL [WSl

très le Maladerie des femes ', par devant le tour Davi ^ et par devant le Maladerie des homes, desci qu'à le porte S. Estevene.

Ançois qu'il fesist assalir le cité, manda il à ciaus de le cité de Jherusalem [qu'il li rendissent la cité^] et que les couvenences qu'il lor avoit en couvent, quant il les manda devant Escalone, lors tenroit, mais qu'il rendissent le cité; et seussent il bien de voir qu'il en avoit fait tel sairement que, s'il le faisoit assalir, qu'il ne le prendroit jamais s'a force ne le preiidoit ^ Cil de Jherusalem li mandèrent ariere qu'il fesist le miex k'il peust, que le cité ne li renderoient il ja.

Dont fist Salehadins armer ses homes pour assalir le cité. Et cil de le cité issirent hors encontre tout armé, et se combatirent li Crestiien as Sarrasins. Mais li bataile ne dura gaires , pour ce que li Sarrasin avoient le solel de le matinée en mi les iex. Si se trai- sent ariere dusque al vespre. Au vespre, si recom- mcnchiercnt à assalir jusque al nuit.

Ensi sist Salehadins .viii. jours de celle part au siège. N'onques [les Sarrasins^], pour pooirSju'iJ eus- sent, les Crestiiens ne porent mètre ens en le cité, à force que toute jour ne fussent hors as portes aveuc aus, tant con li jours duroit; et que .11. foison .111., ccscun jour, faisoieiit li Crestiien rcllatir les Sarrasins ariere jusque en lor tentes.'' N'onques, de celle part, ne porent li Sarrasin drecier pcrriere, ne mangonnel,

n engien.

1 . C : de femes. î. D : d'ici à la porte David. 3. A. D.

4. -M : « nuUas ami)lius cum cis conditiones admitterct. »

5. G. G. C : N'onques pour pooir. 7. ^^ : « cogehant » rotrocodoro. n

^^87] ET DE BERÎVARD LE TRIÎSORIER. 2<3

Or vous dirai comment Salehadins et li Sarrasin assaloicnt et requeroient les Grestiiens. Il ne reque- roient ' onques desci que nonne estoit passée. Quant nonne estoit passée, et li Sarrasin avoient le soleil adossé, et li Crestiien l'avoient en mi les visages, don- ques assaloient li Sarrasin dusque à le nuit. Et si avoient pelés dont il ventoient le pourre en haut; et li pourre voloit [sor^J les Grestiiens ens es iex et es visa- ges; et avoient le soleil et le pourre.

Quant li Sarrasin virent qu'il ne poroient riens faire à celle part, si remuèrent le siège, et s'alerent logier d'autre part très le porte S. Estevene jusques à le porte / de Josaffas, et dusques à l'abeie de Mont 01ivet^ Et cliil qui estoientà MontOlivetveoient quanqu'il fosoient aval les rues de le cité , fors es rues couvertes. Li remuemens del siège fu fais le venredi apriès celui venredi qu'il orent assegié le cité. Adont furent li Grestiien enclos dedens le cité, qu'il n'en pooient issir; car très le porte S. Estevene jusque à le porte de Josaffas, tout si com li sièges duroit, n'avoit porte ne posterne il peussent issir à camp, fors seulement le porte de le Madelaine dont on issoit pour aler entre .11. murs ^ Le jour que Salehadins se remua del siège, fist il drechier une perriere qui jeta cel jour meesme .111. fois al mur de le cité, et le nuit [après ^], par nuit, fist il tant drecier de perrieres que mangon- niaus qu'eu l'endemain par matin, en i conta on .xl.^ tous estaciés.

\.\}: Unes assailloienl. 2. A. B. 3. M: « intcr portam S. Stc- » phani et portam Josaphat, usque ad abbatiam Montis Calvari;c. » Erreur de Pipino. 4. M : « porta Magdalenae, quœ inter duos » muros ibat. » 5. D. 6. A.B -.XI. D: LX.

214 . CHRONIQUE d'ER>ODL [UHl

Quant che vintrendemain, par matin, si fist Saleha- dins armer ses chevaliers et fist .m. batailles pour aler assalir le cité. Et lors alerent assallir, les targes devant aus; et deriere aus estoient li arcier qui traioient si dru com pluie; ne n'avoit si hardi home dedens le cité qui as murs osast moustrer le doit. Et vinrent jusque sus le fossé. Et fisent el fossé avaler les mineurs, et fisent les eschieles drecier as murs de le barbacane pour miner. Si minèrent en .n. jors ^ bien .xv. toises del mur.

Quant [li^] Sarrasin orent miné le mur, etestançonné, et mis ens lor atrait, si boutèrent le fu en lor atrait; et li murs versa ens el fossé, çou qu'il avoient miné. Li Crestiien ne porent mie miner encontre, car il dou- toient les pierres^ des mangonniaus et des engiens et les quariaus et les saietes, qu'il n'i pooient estre.

Dont * vinrent li Crestiien de le cité, si s'asanlerent cnsanle pour prendre consel qu'il feroient. Et vinrent al patriarce et à Balian de Belin, se li disent qu'il s'en voloient issir par nuit et feriren l'ost [des Sarrasins^]; et qu'il avoient plus cier'' qu'il fussent mort en bataille honnerablement, qu'il fuissent pris en le cité et hon- teusement ocis; car il voient bien qu'en le cité tenir ne vauroit' nient*^ leur deffcnse, et qu'il avoient plus cier à morir Jhesu Cris reçut mort pour aus, qu'il ren- dissent le cité.

A cel consel s'acorderent chevalier et bourgois et scrgant. Mais li palriarces lor dist encontre: «Segneur,

1. A. B. D. C : en II. lius. 2. A. B. 3. A, B. I). C : les perrieres des mangonniaus. 4. M. chap. 162. col. 796. 5. A. B. 6. I) : plus chier.— M : « honorabilius foro in belln mori. » 7. D. C : vaut. 8. D : rien.

1187] ET DE BERNARD LE TRESORIER. 2i5

» dist il, ce tenroi ge à bien, mais autre cose i a. Se » nous nos salvons et nous perdons ame que nous » puissons salver, ce n'est mie biens, che m'est avis; » car à cascun home qu'il a en ceste cité, il i a bien, j> [mon esciant^], .XL. que femes que enfans; et se nous » somes mort, li Sarrasin prenderont et femes et en- » fans; et si n'en ocirront nul, ains les feront convertir, » lors seront tout perdu à Diu. Et qui poroit tant » faire envers les Sarrasins, à l'aiue de Dieu, que » nous peuissons estre hors, et aler à Grestiienté, il » me sembleroit miex c'aler combatre, pour sauver » les femmes, et les enfans mener à Grestiienté. »

A cel consel s'acorderent tuit. Dont proiierent Ba- lyan de Belin qu'il alast à Salehadin, pour assentir quel pais il poroient faire. Et il i ala et parla à lui. En cel point [que^] Balians estoit devant Salehadin et parloit à lui de le cité rendre, fisent li Sarrasin .i. assaut à le cité; et aporterent eskieles et les drecierent as mais- tres murs de le cité , et furent bien monté dusque à .X. banieres ou .xii. sour les murs. Et estoient entré par li mur estoient ceu ^ qu'il avoient miné.

Quant Salehadins vit ses banieres et ses homes sur les murs de le cité, si dist à Balyan de Belin : « Pour » coi me requerés vous de le cité rendre et faire pais, » quant vous veés mes baneres et mes gens apparel- » liés d'entrer ens? C'est à tort, et bien veés que li » cités est moie. »

A celle eure k'il parloient, ensi presta Dame Diex as Grestiiens qui estoient sour le mur force et vigour,

1. O. 2. A. B. D. 3. A. B : ou li mur estoient cheoil. O : estoient chai.

2<6 CHROISIQUE d'eR^OCL [HST

[tant'] qu'il fisent les Sarrasins, qui sour le mur es- toient et sour les eskieles, flatrir aval el fons del fossé. Lors fu Salehadin moût dolans; et dist à Balyan qu'il s'en alast ariere en le cité, que il n'en feroit ore plus, et l'endemain venist parler à lui, qu'il oroit volcntiers qu'il volroit dire. [Et Balians s'en retorne à la cité ^] .

Or vous dirai que il avint le nuit. Il avint c'une pierre d'une perriere feri^ si le hordeis d'une tour \ queli hordeis caï, si fist trop^ grant effrois. Dont les escargaites "^ de l'ost et les escargaitcs de le cité orent si grant paour que cascuns commença à crier : « Traï ! Irai! " » Dont cuidierent cil de le cité que li Sarrasin fuissent entré ens, et chil de l'ost cuidierent que li Crestiien fussent féru en l'ost.

Or vous dirai que les dames de le cité fisent. Elle lisent porter cuves et mètre en le place devant mont de Calvaire et emplir d'iaue froide. Et si fisent lors filles despoullier toutes nues et entrer ens jusques as cols, et lor treces coper et geter fuer^ Et li moine et li prestre et les nonnains aloient tout dessaus ^ sour le mur à pourcession , et faisoient porter le Sainte Crois que liSuriien avoient devant aus; et li prestre portoient Corpus Domini sour leur ciés. Nostres sires DamcDiex ne pooit oir [lor '"] clamour ne proiicre c'on li fesist en le cité, car l'orde puans luxure et l'avoltere qui en le cité estoit ne laissoit monter orison ne proiiere c'on

1. D. 2. A. B. 1). 3. C : d'une perriere quiferi. 4. G : à Vordois d'une lornacc. M : « angulum cujusdam turris. » 5. I) : si. G. II : eschaugeiles. M : « qui excubabant. « O : les escgailes. 7. M : « vociferavcrint trabi, trabi. « 8. C : puer.— A. B : et giter fors.— 0. A. B. I) : deschaus.— 10. A. li.

-1187] ET DE BERNARD LE TRIÎSORIER, 2<7

fesist devant Diu, et H puans peciés contre nature. Si estoitli cités si empiillentée, c'orisons ne pooit amont monter, et que Dame Diex ne le pot plus souffrir. Ains esnetia si le cité des habitans qu'il n'i demoura home ne feme en poesté, fors seulement .11. homes d'aage, qui ne vesquirent gaires apriès.

Or' vous lairons de ceste pueur ester, si vous dirons de Balyan de Belin qui ala à Salehadin pour le cité rendre. Quant Balyans vint devant Salehadin, se li dist que li Crestiien de Jherusalem li renderoient le cité, salves lor vies, qu'ensi li mandoient il. Salehadins li respondi qu'il avoient à tart parlé; et quant il lor tist [la^] bel offre qu'il li rendissent le cité, il ne le vaurrent mie rendre^; et qu'il avoit fait sen sairement qu'il ne le prenderoit jamais s'a force non. Et s'il se voloient rendre en se merchi, à faire se volenté d'aus, [come esclave^], il les prenderoit; autrement nient: « Car » vous veés bien, dist il, que vous n'avés nul secours » et que il n'a que prendre le cité.^ »

Dont vint Balyans, se li cria merchi et que, pour Dieu, eeust merchi d'aus. Lors respondi Salehadins : « Sire, pour l'amor de Diu et de vous, je vous dirai » que je ferai. Et pour l'amour de chou que, [puis » qe^] je commençai à guerroier sour les Crestiiens, » a on tant espandu de sanc et ocis, j'avérai merchi » d'aus en une manière que je vous dirai, et pour men » sairement sauver. Il se renderont à moi comme pris » à force, et je lor lairai lor meuble et lor avoirs, si » en feront lor volentés comme del lor, mais lor cors

l. M. chap. 163. col. 797. 2. D. 3. D. G. A. B. G prendre. 4. A. B. 5. G : en le cité. 6. A. B.

2<8 cHRor^iQDE d'eraocl [^^87

seront en me prison. Et qui racater se vaurra et x> pora, si se racat, et je le métrai à raençon devisée. > Et qui ne le pora ne ne valdra, il demourra en ma » prison, comme lions pris à force. »

Lors li dist Balyans : a Sire, quels ert li nombres » de le raenchon? » '. Et Saleliadins respondi que li nombres et li raençons seroit tele et as po\res et as rices, que li bons donroit .xx. besans et li feme .x. et li enfes .V. Et qui celle raençon ne poroit paiier, il de- mourroit esclave. Dont respondi Balyans : « Sire, dist » il, en celle cité laiens n'a que un poi de gent qui » aidier se puissent, fors seulement les bourgois de le » cité. Et à ^ cascun bome qu'il a dedens le cité ({ui ï celle raençon puissent paiier, en i a il .c. qui n'en B aroient mie .11. besans; car li cités est toute plaine » de menu pule de gens de le tiere, de fcmes^ et » d'enfans, dont \ous avés les pères des enfans et les » barons des femes ocis en bataille ou pris *. Et puis » que Diex vous a mis en cuer et en talent que vous j> ares merci del pucple qui laiens est, si metés tel » raençon et tel mesure c'on les puist racaîer. » Et Saleliadins respondi qu'il se pourpenseroit, et que vo- lent iers i meteroit raison et mesure; et qu'il s'en alast en le cité ariere, et l'endcmain revenist parler à lui.

Lors prist Balyans congiet à Saleliadin et s'en râla ariere en le cité et vint al patriarcc, si manda tous les bourgois por dire çou qu'il avoil trové à Salehadin. Quant il oïrent ce, si lurent moût esmari ^ pour le menu peuple de le cilé. Si prisent consel ensanle, et

1. M : « Redomptionis texatio. « "2. II : c/ par. .T. C : feme. 4. il. A. B. C : et pris. 5. G. H : corociés. M : « tristes. »

4-187] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 219

disent qu'il avoit grant avoir del roi d'Engleliere ' en le maison de l'Ospital, et s'il pooient tant faire vers les Hospitaliers qu'il eussent cel avoir à racater .1. nombre del menu peuple de le cité, ce seroit boin à faire. Aussi comme li rois [Guis^] fist tant vers le maistre del Temple qu'il li l)ailla le trésor le roi d'Engletiere '\ qui estoit à le maison del Temple; dont il luia les che- valiers et sergans qu'il mena en le bataille il fu pris et li vraie Crois fu perdue aveuc.

Lors vint li patriarces et Balyans et li bourgois , si mandèrent le commandeur de l'Ospital, et se li disent qu'ensi faitement avoient parlé ensanle, et qu'il voloient avoir le trésor al roi d'Engletiere, que il avoient en garde pour racater le menu pueple qui en le cité estoit, s'il pooient tant faire vers Salehadin. Et li commanderes dist qu'il en prenderoit consel as frères de l'Hospital. Et chil de le cité disent qu'il gardaissent bien quel consel il prenderoient ; et seussent il bien pour voir que s'il ne lor livroient l'avoir le roi d'Engletiere pour racater les povres de le cité, que il le feroient prendre à force ^ à Salehadin ; et si ne lor en saroit gret Diex ne Crestiientés.

Atant s'en ala li commanderes ^ de l'Ospital et prist consel à ses frères. Li frère H consellierent que biens estoit à faire, et que bien s'i acordoient; et que se li trésors estoit de le maison, si se ^ acordoient il bien

1. D : del roi Hienri d'Éngleterre. 1. A. B. D. 3. Voy. ci-dessus, chap. XIII. pag. 156-157.

4. G. D. G. H. J. 0. M : « comminantes nisi traderetur. » sese inducturos Saladinum urbe potitum ut caperet eum. « Mal dans A. et B : les feroient pendre as forches .

5. M : i! Praeceplor. » G. A. B. D. ~ G : se si.

220 CHRONIQUE D'ERNOIL [1487

c'oii en racatast les povres gens. Atant s'en revint li commanderes de l'Ospital al patriarce et à Balyan'de Belin et as bourgois, si lor nonça ce qu'il avoient trové, et si lor dist qu'il voloient bien que le trésor le roy d'Engletiere, et quanques il poroient faire, fust abandonné à racater les povres gens de le cité K

i. H : que il voloienl bien que li avoirs dou roi d' Engleterre fust à rachater les povres genz.

CHAPITRE XIX/

Cornent Saladin prist Jherusalem et tnist ces de dens à reancon.

SOMMAIRE.

1187. Nouveaux pourparlers de Balian d'Ibelin avec Saladin au sujet du chiffre de la rançon des hommes, des femmes et des enfants de ceux qui pouvaient payer. Rachat du menu peuple. Délai fixé pour l'évacua- tion de la ville. Il est permis aux Chrétiens de sortir avec leurs armes et leurs bagages. On remet les clefs de la ville à Saladin (2 octobre).— Toutes les portes de la cité sont fermées , sauf la porte de la tour David. Mesures prises par Saladin pour la protection des Chrétiens, à leur sortie de Jérusalem. Délivrance successive et sans rançon du reste de la population pauvre par la générosité de Saphadin, du patriarche, de Balian d'Ibelin et de Saladin lui-même. Ordre de retenir et d'empri- sonner tout individu racheté gratuitement qui emporterait clandestine- ment quelque chose dont il put payer sa rançon. Générosité de Saladin à l'égard des dames chrétiennes dont les parents étaient morts ou pri- sonniers. Les Chrétiens, divisés en trois corps, et protégés par les Sarrasins, quittent Jérusalem pour se rendre dans la seigneurie du comte de Tripoli. Mauvais accueil qui leur est fait par le comte de Tripoli. 1187-1188. Les Chrétiens expulsés d'Ascalon sont au con- traire reçus généreusement en Egypte. Mars 1188. Les émigrants traitent à Alexandrie avec des patrons Pisans, Génois et Vénitiens pour être transportés en pays chrétien. L'émir d'Alexandrie obligé de prendre leur défense vis-à-vis des patrons chrétiens. 1187. Saladin fait laver le Temple de Jérusalem à l'eau de rose. Il fait abattre la croix d'or qui surmontait la coupole. Il envoie son armée devant Tyr, et la rejoint peu après.

1. Cf. G. pag. 118-138. H. chap. 59 du XXIIIe livre au chap. 2 du XXIV». Pag. 90-1 0'j. M. fin du cUap. 163 au cliap. IGG. col. 798-801.

222 CHRONIQUE d'erxoul [1187

Adont proiierent tout communément à Balyan qu'il alast à Salehadin, et qu'il fesist le mellour pais qu'il poroit. Lors s'en ala Balyansà Salehadin en l'ost, si le salua; et Salehadins le bienvigna '; et si le fist seoir datés lui; et se li demanda qu'il estoit venus querre, ne qu'il voloit. Et Balyans respondi : « Sire, je sui j> venus devant vous pour che dont je vous avoie » proie. » Et Salehadins respondi que chou qu'il li avoit en convent, il li tenroit, et s'il ne li eust en couvent, il ne li l'esist jamais; que li cités et tout çou qu'il i avoit estoit tout sien. Dont li dist Balyans : « Sire, pour Dieu merchi, metés resnable raençon^ as » bonnes gens de le cité; et je ferai, se je puis, c'on » le vousrendera; car de .C. n'en i aroit il mie .li. » qui celle raençon peussent paiier. » Lors s'amolia Salehadins, et dist que, pour Diu , avant, et pour i'amor de lui c[ui l'em prioit, metroit le raençon à raison, si qu'il i poroient avenir. Dont atirerent illeu- ques que li hom donroit .x. besans^; et lifeme .v., et li enfes .i. Ensi atirerent le raençon à çaus qui racater se poroient. Et de quanques il averoient de meuble, et de che que il poroient [ne*] vendre, ne aloer^, si l'em- portaissent salvement; qu'il ne trouveroient qui tort lor fesist.

Quant ensi orent atiré le raençon, si dist Balyans à Salehadin : ce Sire, or avons nous atiré le raençon as » rices gens. Or nous estent atirer le raençon as » povresgens; qu'encore en a plus de .xx. mil dé- fi dens le cité qui ne poroient mie paiier le raençon

i. C : bienigna. A. B : 7t rendi son salu. 2. H '.fuer res- nable.— 3. M : « qui annum decimum excesserat aureos decem. » -i. A. B. D. J. U. y. U. J : aleyier. U : aluuer.

iIST] ET DE BERNARD LE TRRSORIEK. 223

» d'un seul home. » Pour Dieu, s'i metés raison et consel, et je pourcaçerai al patriarce et à ceus de! Temple et de l'Ospital , que, se vous i volés mètre raison, qu'il seront délivré.

Lors dist Salehadins que volentiers i metroit raison, et que pour .c. mil besans l&iroittous les povres aler. Dont respondi Balyans : « Sire, quant tout cil qui ra- » cater se poront, seront racaté, ne lor demorroit il » mie la moitié ^ de çou que vous demandés as po- » vres; mais, pour Dieu, mctés i raison. » Dont res- pondi Salehadins qu'il autrement ne le feroit. Lors se pourpensa Balyans qu'il ne feroit mie marchié tout racater ensanle, mais d'une partie racater; [et s'il en avoit une partie racheté ^] il auroit espoir raison de l'autre partie, à l'aiue de Diu. Dont demanda à Sale- hadin pour combien il li donroit .vu. mil hommes; et Salehadins respondi pour .l. mil besans. Et Balyans respondi : a A! Sire, pour Dieu, ce ne poroit estre! j) Mais, pour Dieu, metés i mesure. » Lors parlèrent tant ensanle Salehadins et Balyans qu'il finerent lor marchié à .xxx. mil besans, del nombre de .vu. mil hommes. Ensi atirerent ^ pour le nombre de .vu. mil homes, c'on conteroit .11. femes pour .1. homme, et .X. enfans pour .1. homme, qui de âge ne seroit.

Quant ensi orent atiré, Salehadins mist jour * de lor coses vendre et alouer, et de lor raençon avoir paie, et de le cité vuidier. Et si commanda que dedens .XL. jours eussent vuidie le cité, et lor raençon paie; et qui puis .XL. jors i seroit trovés, cors et avoirs demorroit

1. A. B. D. 0. C : le monte. 2. A. B. D. 3. D : a/or- nierent. 4. A. B : viisf terme.

224 CHRONIQUE d'er^îoul [^^87

en le main Salehadin. Et quant il seroient hors de le cité, il les feroit conduire sauvement à Crestiienté, [et garder ^J. Et si dist à Balyan qu'il commandast à tous chiaus de le cité que tout chil qui armes aroient et porter les poroient, qu'il les portaissent. [Por ce dist Saladins que li Crestien portassent lor armes-], que s'il avenoit cose que larron ne robeour se mesisseni entre eaus, ne qu'il les assalissent ne par jour ne par nuit, qu'il se defFendissent et aidaissent ceaus qu'il lor liverroit ^ pour aus conduire. Et quant ce venroit as destrois, que les gens armés gardaissent les destrois, tant que li desarmé seroient passé.

Quant ensi orent le pais atornée, si prist Balians congié à Salehadin, et se li dist : « Sire, jou irai en le » cité, et si noncerai ceste pais à ceus de le cité; et se 5 ceste pais lor grée, on vous aportera les clés de le » cité. »

Dont ^ s'en torna Balyans de Salehadin, et entra en Jherusalem , et vint al patriarce. Et mandèrent les Templiers et les Hospitaliers et les borgois de le cité, pour dire le pais ({u'il avoit faite se il le looient. Quant tout lurent assanlé, si lor dist Balyans ensi comme il avoit fait et atiré le pais envers Salehadin, s'il lor grcoit. Et il li respondirent que bien le greoient, quant miex ne pooient faire. Lors prisent les clés des portes, si les envoia on à Salehadin. Quant Salehadins ot les clés, si en lu moût liés, et en rendi grasses à Dame Diu. Si envoia chevaliers et sergans pour garder le tour Davi, et tist mètre ses baiiieres sus. Et tist toutes les

1. A. B. —1. A. n.~ 3. A. n : livreroil.— 4. M. ch.ip. IGi. col. 708.

•M 87, 2 octobre] ET de ber>'ard le trésorier. 225

portes de le vile fremer' fors une, celle fu li porte Davi. mist il chevaliers et sergans, que Crestiien n'en ississeni. Par entroient et issoient li Sarrasin pour acater chou que li Crestiien avoient à vendre.

Le jour que Jherusalem fu prise ^ fu venredis, et fu feste saint Legier^, le secont jour d'octembre. '' Quant Salehadins ot fait garnir le tour Davi et les portes de le cité, si fist crier par le cité qu'il portais- sent lor raençon à le tour Davi, à ses baillius et à ses escrivens, que il i avoit mis pour le raençon requellir; et qu'il n'atendissent mie tant que li .xl.^ jour fuissent passé, et bien se gardaissent; [que'^] qui, puis les .xl. jours, i seroit trouvés, cors et avoirs demourroit par devers lui.^

Apriès alerent li patriarces et Balyans à l'Ospital, et fîsent prendre .xxx. mil besans et porter à le tour Davi, pour le raençon de .vu. mil homes povres paier. Quant li .xxx. mil besant furent paiié, si mandèrent les bourgoys de le cité. Quant il furent venu, si pri- sent de cascune rue .ii. des plus preudomes qu'il i savoient, et si lor commandèrent et fisent tant jurer

1. Pipino traduit et développe même la leçon fremer, qui est celle de G. et de H : « Portas omnes, excepta porta David, firmari » jussit novis repagulis, et signa sua erigi. » Mais fermer de A. B. D. G. 0. est préférable.

2. A. B. D : rendue. 3. G. 0 : Saint Liyier. H : Saint Jorge.

4. A. B : octovre. D : setembre. G. ajoute : en l'an de l'Incarnation Nostre Seigneur mil cent et quatre vingt et huit. C'est 1187. Pipino développe les éléments et les concordances de cette date. Il donne quelques notions historiques sur S. Léger et sur Urbain III, pape régnant. M. col. 799.

5. H : L. jors. 6. A. B. 7. M : « cura omni suppelectile » sua servituti manciparentur, »

15

226 CHRONiQDE d'ernoul [^ ^ 87

sour sains qu'il n'espargneroient ne home ne feme qu'il seuscent, ne pour parenté ne pour amour, qu'il ne lor fesissent jurer sor sains et nomer çou qu'il avoient [sor lor sairement qu'il avoit fait'], et qu'il ne laii^oient à nului qu'il presissent se tant non qu'il aroient assés pour iijer à Crestiienté ^. Pour ce le faisoient ensi, que s'il avoient plus que pour aler à Crestiienté, que on en racatast les autres povres gens. Et fîst on mètre en cscript le nombre des povres gens qu'il avoit en cas- cune rue; et que on i ^ prenderoit selonc ce qu'il es- toientpreudome, l'un plus, l'autre mains; tant qu'il ati- rerent illuec le nombre des .vu. mil homes. Et si mist on hors les .vu. m. homes de le cité.

Quant chil .vii. mil home furent hors, ne parut il gaires al remanant. Lors vint li patriarccs et Balyans, si prisent consel ensanle, et mandèrent les Templiers et les Hospitaliers et les bourgoys; si lor proiierent, pour Dieu, qu'il mesissent conseil et aiue as povres gens qui en Jherusalem estoient demouré. Il i aidie- rent; et li Temples et li Hospitaus i donna; mais n'i donnèrent mie tant com il deussent, ne li bourgoys ensement; car il n'avoient mie peur c'on lor tolist à force, puis que Salehadins les avoit asseurés^ Car, s'il quidaissent c'on lor en deust faire force, il en eus- sent plus donné de çou qu'il donnèrent. Et de che qu'il prisent as povres gens qui s'en estoient issu, deP

1. A. B. M : « secundum bonoe conscientiaj taxamentum. «

2. .1 : e/ que il ne lairoient à nul de ciaus quifust délivrés par celé raençon de XXX. M. besans fors salement tant dont il poissent aler jusqu'en la Crestienlé.

3. A. B. G : que on. 4. A. B : les en avoit fait asseurer. 5. A. B. C : de.

^^87] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 227

sourplus de lor despeiis , racaterent il des povres gens; mais ne vous en sai le nombre dire.

Or vous dirai comment Salehadins fist garder le cité de Jherusalem, pour ce que Sarrasin ne fesissent tort ne damage ne mellées as Grestiiens qui dedens es- toient. Il mist en cascune porte et cascune rue^ .x. sergans et .n. chevaliers pour garder. Et il le gardè- rent si bien, c'onques n'oï on parler de mesprison qu'il fesissent à Grestiien.

A le mesure que li Grestiien issoient hors de Jheru- salem, si se logoient devant l'ost des Sarrasins; si qu'il n'avoit mie plus d'une traitie d'arc de l'une ost desci que à l'autre. s'asanlerent desci qu'il furent tuit issu. Et Salehadins faisoit l'ost des Grestiens gar- der et par jour et par nuit, c'on ne lor fesist damage et que laron ne s'i embatissent.

Quant ^ tout furent issu de Jherusalem cil qui racater se pooient, et li povre qui racaté estoient, si demora moult de povre gent encore. Dont vint Saphadins à sen frère Salehadin, se li dist : « Sire, je vous ai aidié » à conquerre le tiere, à l'aiue de Diu, et ceste cité; si » vos pri et requier que vous me donnés mil esclaves » de ces povres gens qui en le cité sont. » Et Saleha- dins li demanda qu'il en feroit; et il li dist qu'il en feroit se volonté, s'il li denoit^ Et Salehadins li dona, et si manda à ses baillius qu'il li donnaissent mil esclaves. Et quant cil oirent le commandement Salehadin, si fisent çou qu'il commandoit. Et quant Saphadins ot les mil esclaves povres, si les délivra, pour Dieu.

1. A. B. D. G. 0 : /Z mist à chascune des rues. 2. M. chap. 165. col. 800. 3. A. B : donnait.

228 CHROMQUE d'ernotîl [^ ^ 87

Apriès vint li patriarces, se li proia, por Dieu, qu'il li donnast de ses povres, qui ne se pooient racater, qui en le cité estoient; et il l'en donna v^, et li pa- triarces les délivra. Apriès vint Balyans de Belin à Salehadin, se li demanda de ses povres, et il l'en donna v*^, et Balyans les délivra. Apriès dist Salehadins à ses homes : « Mes frères a fait s'aumosne, et li pa- » triarces et Balyans le siue ; or vaudrai je faire le » moie. » Si commanda à ses baillius de Jherusalem qu'il fesissent ouvrir une posterne d'encoste S^ Ladre, et si mesissent siergans à le porte Davi, et fesist on crier parmi Jherusalem que toutes les povres gens s'en ississent de le cité. Et commanda as sergans qu'il fesissent esquerre^ ciaus qui isteroient par le porte Davi; et s'il en i avoitnul qui eust [sor lui^] dont il se peust racater, c'on li tolist, et les menast on en prison ^ Et les jouenes homes et les jouenes femes, mesist on entre deus murs; et les vielles gens mesist on hors de le cité. Celle enquestions et celle gens mètre hors dura de solel levant dusque à solel couçant; et furent mis hors par le posterne Saint Ladre ^ Ce fu l'aumosne que Salehadins fist sans nombre des povres gens.

Apriès si conta on ciaus qui demouré estoient; s'en i trouva on .xi. mile ■'. Quant li patriarces et Balyans

1. A. B : Et commanda as baillius qu'il feissent as serjanz enquerre. 2. 0.

3. Cf. H. (p. 97, not.)Extr. du ms. de la Bibliothèque de Lyon.— M : « Ne quid exeuntes secum déférant undc possent libertatem » redimere, sed repertos hujusmodi spoiiatos vinculis manci- » parent. »

4. (t. 0 : par la posterne. H : par la posterne de la Madeleine. M : « per porticum Sancti Lazari ab ortu solis usque ad oc- » casum. ») 5. D : A'A'. mile. M : « undecim millia. »

■1 -1 87] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 229

sorent qu'encore en i avoit .xi. mil à racater, si vin- rent à Salehadin , se li prièrent, por Dieu, qu'il les tenist en hostages et qu'il delivrast les povres gens; et il feroient pourcacier lor raençon à Crestiienté, tant que il seroient racaté. Salehadins lor dist que che ne feroit il mie; qu'il ne tenroit ' mie .11. homes pour .XI. mil , ne que plus n'en parlaissent. Et il non firent ^; [et atant si demora ^].

Or vous dirai d'une grant courtoisie que Salehadins fist les dames et les filles as chevaliers qui estoient afuies en Jherusalem, cui lor segneur avoient esté mort et pris en le bataille. Quant les feme furent racatées et issues de Jherusalem, si s'asanlerent et alerent devant Salehadin crier merchi. Quant Salehadin les vit, si de- manda qui elles estoient ne que elles queroient. Et on li dist que c'estoient [les dames et^] les filles as cheva- liers qui avoient esté pris et mort en le bataille. Dont demanda qu'elles voloient. Et elles li respondirent que, pour Diu, eust merci d'eles; qu'il avoit les barons à tele i avoit en prison, et teles i avoit mors; et lor tieres avoient perdues; et que, pour Diu, i mesist conseil et aiue. Quant Salehadins les vit plorer, si en ot grant pitié; et il meismes en ploura de pitié. Si dist as dames cui lor baron estoient vif, qu'eles fesisent savoir s'il estoient en prison; car"^ quanques il aroit en se prison, il les feroit délivrer. Et tout furent délivré, quanques on en i trouva. Apriès si commanda c'on donnast as dames et as damoisieles cui père et cui seignour estoient mort, durement del sien, l'une

1. A. B : detendroit. 2. A. B. D. 0 : Ne il ne firent. 3. A. B. D. 0. 4. A. B. D. 5. D : Si dist as dames .... qu'eles se teussenl, car.

230 CHRONIQUE d'eRINOUL [M 87

plus et l'autre mains, selonc çou qu'elles estoient. Et on lor en dona tant qu'eles s'en loerent drument \ à Diu et au siècle, del bien et del honnour que Saleha- dins lor avoit fait.

Quant tout li Crestiien furent issu de Jlierusalem, cil qui issir en durent, et povre et rice, et il furent tout ensanle par d'autre part l'ost* des Sarrasins, si s'esmervillicrent moût li Sarrasin dont si fais ^ pueles estoit issus. Et si le fisent savoir à Salehadin, et se li disent que si fais pueles ne poroit aler ensanle. Dont commanda Saleliadins c'on le partist en .m. pars^; et que li Temples en menast une partie, et li Hospitals l'autre, et li patriarces et Balyans la tierce.

Quant il orent ensi paratourné lor muete, si bailla à cascune des parties .l. chevaliers, pour conduire sal- vement à Grestiienté, et pour garder [les '"]. Et si vous dirai comment il les conduisent et gardèrent^ Li .xxv. chevalier faisoient l'avant garde, et li .xxv. Tarière garde. Cil qui l'avant garde faisoient, quant il avoient mangié, si se couçoient dormir; et fasoient doner lor pro vendes à lor cevaus de jours. Quant il avoient soupe, si montoient tout armé sor lor cevaus et aloient toute nuit entour les Crestiiens, que laron ne s'i em- batissent entr' aus '. Cil qui l'aricre garde faisoient, quant il veoient home, ne feme ne enfans qui estoient recreu ne qui ne pooient mais aler, si faisoient lor escuiers descendre et aler à pié; et faisoient porter les recreus dusques as herberges. Et il meismes portoient

I. A. R ; durement. 2. A. B : tôt ensamhle d'autre part de l'ost. 3. A. I) : dont si fet. 4. G : ère quatre parties. 5. D. fi. A. B : comment li chevalier Sarracin conduisoient les Crestiens. 7. A. B : ne s'embatissent en aus.

^^ 87-1^88] ET DE BERNARD LE TRESORIER. 23i

les enfans devant aus et deriere , sour lor cevaus. Quant il venoieiit as herberges et il avoient soupe, si se couçoient dormir. Et cil qui le jour avoient fait l'avant garde, faisoient l'endemain Tarière garde. Et quant che venoit as destrois [là il se dotoient ^] , si faisoient armer les Crestiiens qui armes avoient, tant que tout li autre estoient passé. Et quant on estoit herbegic, li vilain de le tiere aportoient viande à grant plenté, si que li Crestiien en avoient grant marchié.

De ces .m. routes qui ensi furent atournées, menè- rent li Templier l'une .xxv. jours ^ devant les autres, et li Hospitalier le seconde , et li patriarces et Balyans de Belin le tierce. Pour çou demourerent ^ li pa- triarces [et Balyans d'Ibelin ^] à daeirains ^ qu'il qui- dierent toute jour vaincre Salehadin par proiiere de Crestiiens qui ariere demouroient. Ensi les fit con- duire Salehadins salvement tant con se tierre dura desi qu'en le tiere de Triplée Et quant il vinrent devant Triple, li quens de Triple fist les portes fremer. Si n'en laissa nul dedens entrer; ains fist issir de ses chevaliers as chans, et fist prendre les riches borjois et tollir lor avoir, que Salehadins lor avoit laissié. Li plus des povres gens s'en alerent en le tiere d'Antioce et d'Ermenie; et l'autre partie remestrent'' devant^ Triple, qui puis y entrèrent. Ensi faitement furent li Crestiien venu devant Triple, quant il escaperent des mains as Sarrasins. Ensi faitement ne furent mie

I. A. B. 2. A. B. D : XV jors. 3. D. A. B. G : de- moura. 4. A. B. D. 5. D : aus darreains. G : au dernière.

6. M: « Quumquo iii comitatu Tripolitano venissent, Saraceni » qui conductum eis fccerant abierunt. »

7. A. B. 0. C : et V autre partie entra. 8. G ; dedens.

232 CHRONIQUE d'bRNOUL [^^88

recuelli cil d'Escalone ne des castiaus entour, quant il alerent en Alixandre séjourner et [y verner^] en tiere de Sarrasins, [com cil de Jérusalem furent ^].

Quant li Crestiien vinrent devant Alixandre, li baillius de le tiere les fist herbegier [devant la cité ^], et faire bonnes lices entour aus. Et si les faisoit garder et par jour et par nuit, c'on ne lor fesistanui ne da- mage. Là demourerent^ moût à pais^ dessi qu'ai march, qu'il entrèrent es nés pour passer mer, poraler en tiere de Crestiiens ^

Or vous dirai que li Sarracin' d' Alixandre faisoient cascun jour. Li preudome de le cité issoient cascun jor hors et venoient as Crestiien, et faisoient grans données as povres de pains et de deniers. Li rice Cres- tiien ^ qui lor deniers avoient, acatoient le marcean- dise et les avoirs qu'il misent es nés, quant il passèrent le mer, il gaaingnierent grant avoir.

Or vous dirai quele aventure il lor avint. Il arive- rent ^ el port d' Alixandre .xxxvi. nés de Pissans et de Genevois "^ et de Vcnissiiens et d'autre gent. Dont il orent al march grant marchié de passage. Quant che vint al march'', il'^ furent recueli es nés li rice; et li povre demorcrent. [Si en demora bien .M. Crestiens

I . I). A. B : enverncr. C : séjourner el furent.

2. I). J.a rédaction de J. (fol. 384 v"), celle ilu ins. de la ville de Lyon (dans les variantes de H. p. 101. not.)otM. disent plus clairement que les émii,'rés chrétiens rcrurcnt meilleur accueil des Sarrasins d'EL'vpto (jue du comte de Tripoli.

3. I). 'i. A. B : meinerent. D. G. J. U : y ver nier en t . S.A. B : moU à esse. G. H. Fin du chap. 64 et dernier du liv. XXm«. 7. A. B. D.J.O.— C:Zi Crestien. 8. A. B : li riche home. 0. A. B : ivernerent. 10. A. B : Pisains. Jenovois. j 1. A. B. D : marz. 12. C : et il.

^^88] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 233

povres, qui n'orent de quoi les nés loer, ne de quoi viande acheter por mètre es nés ^] . Si vinrent li se- gneur des nés al balliu d'Alixandre , si s'aquiterent moût bien de ce qu'il dévoient ; puis li disent qu'il lor fesist délivrer lor très et lor gouvrenals ^, que quant il auroient tans [et vens ^] il s'en vaurroient aler. Dont respondi li baillius que lor très ne lor gouvrenals ne lor renderoit il mie, jusque à celé eure que les povres gens, k'il avoient ariere laissiés, seroient es nés tout. Et il respondirent qu'es nés nés i meteroient il miq, qu'il n'avoient mie les nés loées, ne viande cargie à lor oes. « Qu'en^ vaurrés vous dont faire?» dist li ballius [Et il respondirent : « Par foi , nos les lairons ester. » Li baillius lor demanda s'il estoient Grestien. Et il dis- trent : « Oil. » « Comment, dist li baillius^], les volés » vous donc chi laissier pour perdre et pour estre » esclaves, et brisier le fiance que Salehadins lor a » donnée? Ce ne puet estre. Mener les vos estuet. Et » si vos dirai ce que je ferai pour le fiance de Saleha- » din garder, et pour Diu. Je lor donrai pain et eve » assés pour le mer passer; et vos les metés es nés, » c' autrement ne poés vous avoir vos gouvrenals ne » vos très. »

Quant li maronnier virent c' autrement ne pooient estre, si disent qu'il les passeroient. « Or venés avant,

1. A. B.

2.0: lor biés. J : lor voiles et lor timons. M : « Tentori.i » et gubernacula navium. » En quelques pays musulmans, mais non au Magreb, aussitôt qu'un navire chrétien jetait l'ancre dans le port, la douane enlevait ses cordages et son gouvernail . Elle ne rendait ces agrès au capitaine qu'au moment du départ, après l'acquittement des droits et redevances d'usage.

3. D. 4. A. B. C : Que. 5. A. B.

234 CHROMQCE d'er.^'oul [WSl

» fait li baillius, si jurés sour sains que bien et loyau- » ment les menrés à Crestiienté et à port de salu; ne » pour force que je vous aie faite d'iaus mener, ne les » meterés se non vous meterés les rices homes, » ne mal ne lor ferés. Et se je puis savoir que vous » lor aiiés fait ne mal ne vilenie, je m'en prenderay » as marçans de vostre tiere qui venront en cest pais. » Ensi faitement s'en alerent li Crestiien à sauveté, qui par tierre de Crestiiens s'en alerent yvrener en Alixandre, par tierre de Sarrasins.

Or ' vous dirai que Salehadins fist, quant il ot pris Jherusalem et il en ot envoie - le première route par les Templiers. Il ne se valt partir de Jherusalem devant ce qu'il eust esté devant le Temple et aouré le Temple^, et tant que li Crestiien fussent tout hors. Il ot mandé à Damas eve rose assés pour le Temple laver, ansçois qu'il i vausist entrer, pour çou que li Crestiien i avoient esté; et si [qu'en dist^] qu'il en ot encore .nii. cameus '" ou .v. tous cargiés ançois qu'il fesist le Temple laver de ^ celé eve rose. Ne ançois qu'il i en- trast, fist il abatre une grandisme crois dorée qui sour le Temple estoit à tiere. Et quant elle fu à tiere, li Sarrasin le prisent et loiierent à cordes et le traine- rent jusques à le tour Davi. le depicierent; etgrant hucrie i fisent li Sarrasin apriès le crois, quant il le

1. M. chap. 166. col. 801. 2. A. B. D. G. C : pris.

3. D : au Temple. Le ms. do la ville de Lyon donne quelques détails particuliers (dans les -Variantes de H. p. 103). Pipino ajoute ici divers renseignements empruntés à Vincent de Beau- vais, ce qu'il annonce lui-même : « Scribit hoc loco Vincentius » quod idem Saladinus, » etc. M. col. 801.

4. D. A. B: Dont il i oit, si com l'on dist. 5.D : somels cha- rnels. — 6. C : el de.

^^87] ET DE BERNARD LE TRe'SORIER. 235

traînèrent. Et ne vous di pas que ce fust par le com- mandement Salehadin, par aventure.

Quant li crois tu jus del Temple, Salehadins fist laver le Temple, si entra ens. Et si ora à Dame Dieu et rendi grasses de ce qu'il li avoit doné signorie sour se mai- son. Apriès si envoia une partie de s'ost pour assegier Sur, et l'autre laissa devant Jherusalem, tant que tuit li Crestiien s'en turent issu, qui aler s'en dévoient hors de Jherusalem.

CHAPITRE W:

Cornent Saladin manda à Coraz de Montferarz, si II rendait Sur, qil li renderoit son père.

SOMMAIRE.

187. Novembre. Saladin, arrivé devant Tyr, propose encore à Conrad de Montferrat la liberté de son père en échange de la ville. Nouveau refus de Conrad. Saladin presse le siège parterre et parnier. Prouesses d'un chevalier espagnol, nommé le Chevalier Vert. Conrad se sert avantageusement de Barbettes. Il demande des secours au comte de Tripoli.

Atant s'en ala Salehadins apriès s'ost qu'il avoit en- voie pour asegier Sur.^

Quant il vint devant Sur, si manda à Damas c'on li amenast en s'ost le marchis de Montferras; et on H amena. Et quant li Crestien qu'il avoit laissié devant Jherusalem vinrent devant Sur, Salehadins les fist logier devant Sur, d'une part de s'ost, pour cou que

1. Cf. G. pag. 138-140. H. Partie du chap. 2 du XXIV" livre. Pag. 105-106. M. chap. 167. col. 801-802.

2. La clironiquo rappollo, quelques pages plus loin, que Saladin mit le siège devant Tyr à la Toussaint.

-UST] CORONIQDE DE BERNARD LE TRESORIER. 237

li Crestien les veissent qui dedens Sur estoient. Apriès si manda à Colras, le fil le marcis qu'il avoit en prison, qui dedens Sur estoit, qu'il avoit pris Jherusalem, et t(u'il pooit bien veoir ceus de Jherusalem qu'il avoit pris, et que, s'il voloit rendre Sur, il li renderoit son père et se li donroit grant avoir. Et li marcis li re- manda ariere qu'il fesist le miex qu'il peust, que Sur ne li renderoit il ja; ains le tenroit bien, à l'aie de Diu, encontre luy et encontre tous ceus qui nuire li vaurroient.

Lors envoia Salehadins à Acre et fîst armer .xiiii. galies; si les fist venir devant Sur pour garder le mer, que viande ne peust entrer dedens^ Sur. Et si fist dre- cier devers tiere .xvii. que perrieres que mangon- niaus qui jetoient et par jour et par nuit; mais n'i fai- soient preu. Et si n'estoit nus jours que Crestiien ne fesissent saillie sor les Sarrasins, .11. fois ou .m. [Et tôt ce faisaient faire^] par .1. chevalier d'Espaigne qui de- dens Sur estoit, qui unes verdes armes portoit. Dont il avenoit que quant il estoit issus hors, que li Sarrasin s'estourmissoient^ plus pour veoir son bel contene- menf que pour el. Et si l'apeloient H Sarrasin^ le Vert Chevalier,^ [Car il portoit vert armes']; et il por- toit unes cornes de cerf* sour son hiaume toutes verdes. [Et seoit sor .1. grandisme cheval chouvert de vert. Cil chevalier faissoit sovent et menu les Sarracin

1 . G : devens. 2. G 3. A. B : s'estormisoient. 4. A. B :

demenement. b. G : li Turc. 6. M : « Militem viridem. » 7. A. B. 1).

8. J. 0 : unes cornes de Cerf. G : une chaînes de fer. H : unes banes de Cerf. M : « supra galeam habens cervina cornua )) pro cimerio, et quia signa sua colore viridia deferebat. »

238 CHRONIQUE d'ernoul [H87

fermoier, car il faisoit tant de proesces que Grestiens ne Sarracins ne le veoit qui ne le prisast en son cuer. Et Saladins le veoit plus volentiers que nus hom, car Saladins amoit sor tote rien bon chevalier/]

Li marcliis fist faire vaissiaus couviers de cuir en tel manière c'on les menoit bien priés de tiere; et si avoit arbalestriers dedens, et si estoient les fenestres par il traioient hors. Cil vaissiel fisent moût de mal as Sarrasins; que galyes ne autre vaissiel nés pooient aproismier.^ Ces vaissiaux apeloit on Barbotes ^. Quant li marchis vit qu'il estoit assegiés et par mer et par tiere, si fist armer .i. batiel et si le fist issir hors, par nuit, et si l'envoia à Triple al conte, por secours. Et si manda, pour Dieu, c'on le secourust et de gent et de viande; que Salehadins l'avoit assegié par mer et par lierre, et que graiit mestier en avoit.

1. A. B.— 2. A. B. D : nés osoient aprochier.— 3. D:Barbustes. M : « Ilaec enim vasa Barbotes dicebant. »

CHAPITRE \\i:

Cornent li quens de Triple envoia secors au marclm

de Montferaz.

SOMMAIRE.

1187. Novcmbre-Décembro. Les secours envoyés par le comte de Tripoli ne peuvent entrer à Tyr. Ruse de Conrad, qui amène une nouvelle attaque des Sarrasins par terre et par mer. Grand succès des Chrétiens {1*"' janvier 1188). 1188. Saladin se résout à lever le siège de Tyr et se retire à Damas. L'archevêque de Tyr se rend en Europe, pour exposer le fâcheux état de . la Terre Sainte. Il arrive et séjourne en Sicile. Comment le roi Guillaume de Sicile, par les préparatifs qu'il fit contre l'empire de Constant inople, nuisit à la Terre Sainte. La flotte du roi Guillaume s'empare de Durazzo et de Salonique. Les Grecs de ces contrées déterminent les chevaliers de la flotte de Sicile à débarquer, en offrant de les conduire par terre à Constantinople. Il les font massa- crer par la population dans les environs de Philippopoli. Le roi Guillaume envoie des secours en Terre Sainte. Il meurt. L'archevêque de Tyr vient à Rome. Le pape fait prêcher la croisade. 1188-1189. Frédéric l", empereur d'Allemagne, passe avec une armée en Orient. Il meurt en Arménie (9 juin 1190). 1188. Saladin, apprenant les pré- paratifs de croisade qu'on faisait en Occident, fortifie S. Jean d'Acre, et les villes de la côte de Syrie. Il assiège Tripoli. Conrad de Mont- ferrat, avec les renforts de Sicile qu'il reçoit à Tyr, va au secours de Tripoli. Saladin demande une entrevue au Chevalier Vert. Il lève le siège de Tripoli et se dirige vers Tortose. Sur la demande de la reine Sibylle, Saladin rend la liberté au roi Guy de Lusignan. Guillaume de Montfer rat, père de Conrad, le Maitre du Temple, le connétable, Amaury de Lusignan, Humfroy de Toron et autres prisonniers, sont également délivrés de la captivité. Saladin leur fait jurer de ne pas porter les armes contre lui.

1. Cf. G. pag. 'UO-ieO. - H. chap. 2-12, du XXIVe livre, pag. 106-122. M. chap. 168-171. col. 802-804. N. col. 624. De Guilhehno rege.

240 CHRONIQUE d'ernoul [< ^ 87

Quant li quens [de Triple ^] sot que li marcis avoit mestier de secors, si fîst armer .x. ^ que galyes que galions % si fîst entrer [enz^] chevaliers et sergans^ et viandes tant com il en pot avoir, et si les envoia à Sur. Mais Diex ne vaut qu'il y entraissent; car quant il vinrent à .11. Hues près de Sur, si leva une tourmente qui bien depiça le moitié des vaissiaus [et rebota arrière à Triple^]; mais n'i ot nului péri. Quant li marcis' vit qu'il n'aroit point de secours et qu'il avoit poi de viande, siproia à Dame Diu qu'il le [secorust et*] consillast. Et Dame Diex le consella et li aida, si com vous orés. Il avint cose qu'il avoit en l'ost .1. vallet sarrasin, fil à .1. amiral ; si se courça à sen père, et si entra dedens Sur et devint crestiiens.

Or vous dirai que li marchis fist, quant cil vallés [ot reçeu batesme et®] ot esté une pièce dedens Sur. Li marchis fist faire unes lettres de par ce vallet qui cres- tiiens fu devenus, à Salehadin, qu'il li mandoit salus, com à son signour ; et se li faisoit savoir qu'il savoit tout le couvine de Sur ; et se li mandoit que li Grestiien s'en dévoient le nuit fuir et entrer es vaissiaus ; et que s'il nel voloit croire, fesit faire'" ascout, il orroit le noise et le marteleis'^ al port. Quant les lettres furent faites, si les fist li marcis hier à une saiete, et si les envoia par .1. sergant traire en l'ost des Sarrasins. Quant li Sarrasin virent les lettres, si les prisent et portèrent à Salehadin. Salehadins fist lire les lettres, si sot qu'il i ot ; dont le list savoir à ses amiraus ; et si fist

1. A. B. D. 2. A. B. G. D. H. O : XL.— G : vinyt.— 3. U : que vessiaus que galies jusqu'à X. 4. D.* 5. G : ser. 6. A. B. —7. M. chap. 1G8. col. 802. 8. A. B. 9. A. B. Kl. I) : penre. I I. A. B. 1). O. G : matelcis.

^'I,S7] ET DE BERINARI) LE ÏRÉSOUIEU. 2\\

de le millour gent qu'il ot entrer es galies, pour estre à rencontre des Crestiiens.

Dont vint li marcis, si fîst garnir le tor sour le maistre porte de Sur, et si mist garnisons as maistres murs, pour ce que se li Sarrasin i vausissent entrer ne mètre eskieles, qu'il se deffendisent. Et si commanda as gar- nisons qu'il se tenissent tout coi, c'on ne les^ veist dessci que mestiers en seroit. Apriès che, fist fremer les portes des barbacanes, et se n'i laissa nul homme ; ains furent tout dedens le cité.

Quant li marchis ot ensi garnie se tour et les murs, si s'en ala al port, et fist .11.^ galies et çou^ qu'il avoit de vaissiaus [bien armer ^] ; et commanda que tout chil qui armes pooient porter fuissent le nuit al port ; et il s'i furent, et grant noise firent toute nuit. Dont quidierent li Sarrasin que ce qu'il avoit mandé fust voirs; et si s'armèrent [adonc^] tout d'autre part et entrèrent es galyes, pour estre à l'encontre des Cres- tiiens. Et quant ce vint al point don jour, le demain ^, si se ferirent li Sarrasin el port. Et li caine dou port estoit avalée, pour çou qu'il voloient que li Sarrasin entrassent ens'. Et les .11. tours^ qui sont à le caine estoient moût bien garnies de gent, qui bien le fisent lejour^. Quant li marcis vit qu'il ot tant de galyes entrées dedens le port, si fist lever le chaine, si em prist .v., et ocist quanqu'il avoit de Sarrasins

1. G : le.— 2. D : m.— 3. A. B. D. 0. G : de çou.— 4. A. B. D. G. 0. 5. D. 6. A. B : Vendeviain. —l.A.B.Li marchis avoit fait avaler la cheaine del port por ce qu'il voloit que les galies entrassent enz. 8. G. H. J : Zes trois torx. 9. A, B. H. J : qui molt bien lesfistrent lejor. G : qui niult bien se firent le joT.

1G

242 CDRONIQUE d'erxoul [HSl

dedens les .v. galies. Quant les .v. galyes furent pri- ses, si les fist armer de chevaliers et de sergans, et les .n. aveuc qu'il avoit dedens Sur. Si issirent hors pour conbatre as galyes qui demorées estoient aus' Sarrasins.

Quant li Sarrasin oui les galyes estoient ' virent qu'il avoient perdues .v. galyes et qu'eles estoient armées de Grestiiens, si se traisent ariere; et virent bien qu'il ne poroient durer vers aus, et pour avoir l'aiue des Sarrasins. veist on grant duel que li Sarrasin iaisoient , quant les galyes de Sur coururent sus les galies as Sarrasins. Li rivages estoit si covers de Sarrasins armés à cheval ; et entroient en le mer quanqu'il pooient [poraidier^] lor galies, et f'aisoient noer lor cevaus en le mer, si qu'il en y ot assés de noiiés. Quant chil des galyes as Sarrasins virent qu'il ne poroient plus durera si se ferirent à tiere en lor ost, les .vu. ^; et les .11. fuirent à Barut. Ces .11. galies qui s'enfuirent à Barut fîsent puis grant damage as Grestiiens, si con vous orés en aucun tans.

Or vous dirai des Sarrasins, c'une partie fist de ceus qui estoient en l'ost. Endementiers que li bataille estoit en le mer, il aporterent eskieles as murs des barbacanes et entrèrent ens, et alerent desci c'al mur, et vaurent mètre les eskieles al maistre mur. Mais il estoit trop haus, se^ nés i pooient mètre; et se lor eskieles fuissent encore assés longhes, ne peussent il entrer ens, pour les garnisons qui sour le mur estoient. Quant li Sarrasin virent qu'il ne poroient monter as

1. D. A. B. C : les. 2. A. B. D : qui es galies estoient. 3. A. B. 4. A. B : endurer la bataille. 5. : les V. yalées. 6. A. B. D : si.

^'I8SJ ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 243

mui's, si mandèrent les mineurs, si les misent as murs, si les tisent miner. Et minèrent le' premerain^ pare- ment et tout le moilon^, si qu'ih n'i avoit fors à miner" le parement qui devers le cité estoit [et de bouter le feu*^], quant Dame Diex les secourut.

Quant li Grestiien orent desconfîs les Sarrasins de le mer, si lor tist on savoir que li Sarrasin minoient les murs de le cité, et que les barbacanes estoient plaines de Sarrasins. Quant li marcis ce, si vint à le porte de le cité, se le fîst ouvrir; et issirent hors tout à .i. fais, sor les Sarrasins. Quant li Sarrasin virent les Grestiiens de le cité issir sour aus, si s'en fuirent ; et se laissoient caoir jus des barbacanes cil qui pooient ; et ceus qui ne pooient fuir, tuoit on. Et les cacierent desci en l'ost. Et prisa on bien à mil homes', les Sarrasins qui furent ocis es barbacanes. Ensi faitement secourut Dame Diex Sur, par son plaisir. Ghele des- confiture que li Grestiien fisent sour les Sarrasins fu faite le jour de l'An renuef^ Et li sièges estoit venus devant Sur à le feste de Toussains^

Quant Salehadins vit qu'il estoit desconfis par mer et par tiere, si fu moût dolans et si deffendi c'on

l. G : et le. 2. A. B. D : primier. 3. G : le niearn. J : le mailon. M : « per subterraneas fossiones muros conaren- « lur demoliri. 4. A. B. D. J. 0. G, G : e; qu'il. 5. J.

G : à bouter. D : àhouter outre. 6. J. G- : et n'i avoit que (le bouter Vatret. 7. M : « fere mille. » 8. D : l'An renoif.

A. B : VAnnenouf.

9. M : « Obsidio vero die Kal. Novembris fuerat inchoata. » Pipino traduit l'An renuef par Die Circumcisionis Dominici, ou le ]." janvier. Il ne serait pas impossible cependant que la dé- faite de Saladin et la délivrance de Tyr fussent du 25 décembre 1187, attendu que les Francs Orientaux commençaient l'année à la Noël .

244 CHRONIQUE d'ernoul ['HSS

n'asalist plus à le cité. Et quant ce \int al vespre, si fist bouter le fu en ses perieres et en ses galies et en ses mangonniaus, si fist tout ardoir. Et si se desloga le nuit , et ala herbegier bien une liue en sus de Sur. départi ses os l'endemain, et ala à Damas sejorner et reposer \

Or vous lairons [ore^] de Salehadin à parler, si vous dirons de l'arcevesque de Sur^ qui vint à l'Apostole de Rome en message, et aporta noveles de le grant dolor qui estoit avenue en le tiere de Promission. Il entra en une galye dont li tré^ estoient taint en noir. Pour çou estoient ensi taint, que quant les galyes venroient priés de tiere, que cil qui les veroient seussent qu'il aportoient mortels noveles ^ Celle galie ariva en le tiere le roi Guillaume, qui rois estoit de Sesille et de Puille et de Calabre. Cil rois Guillaumes avoit une fille le roi d'Engletiere à feme ; et avoità non Jehenne^ Li rois Guillaumes estoit prés de li arcevesques ariva. En cel point qu'il vint al port, li arcevesques vit qu'il estoit priés d'illuec, si ala à lui et se li dist et fist savoir le grant damage qui estoit avenus en le tiere de Jherusalem. Quant li rois Guil- laumes l'oy, si en fu moût dolans et grant deul en démena. Et si se pensa qu'il estoit auques coupaules'

1. Lo ms. de la ville de Lyon ajoute ici quelques faits particu- liers. Dans les Var. de H. p. 110.-2. A. B. 3. M. chap. 169. col. 803. L'archevêque Josse, successeur de Guillaume de Tyr. 4. A. B. D. 0 : dont li tref. 5. J : Et porce que les gens des terres par cil arcevesques passerait seussent qu'il portait mortels noveles, la voile de sa yalie estoit tainte en noir.

6. Pipino s'est servi de notre chronique, dans ce qu'il dit du roi Guillaume et de ses expéditions en Grèce. N. col. 624-625.

7. A. B : coupables.

^'I88] ET DE BEIIINAIU) LE TRESORIER. 245

de le perdicion de le tiere ; et si vous dirai comment. Quant il fu avenu k'Aliex^ ot sen frère fait, qui cmpereres estoit, les iex crever, et estoit devenus empereres, si prist consel ^ à ses hommes ; et dist qu'il enmenroit grant gent en le tiere de Coustantinoble^, pour le tiere conquerre à sen oes^ Et il li loerent bien que il [li-^] fesist. 11 fîst une estoire grant*' apparellier de nés et de galyes, et si manda en le tiere d'Oltremer et en toutes les tieres qui près de lui estoient, chevaliers et sergans ; et il lor donroit sans, selonc çou que il seroient ; et si détint' les pèlerins qui de toutes tieres aloient par se tiere pour passer. Et tint ensi le passage •U. ans, que nus ne passa en le tiere d'Outremer, ke, del passage des pèlerins [qu'il détint^] et de le gent qui vinrent de le tiere d'Outremer à lui en saudées, fu si litière afoibliie, que quant li rois [Gui^] fu desconfîs, qu'il avoit moût poi de gent; qu'il avoit mené [o soi ^°] en le bataille quan qu'il pot [avoir"]. Si que, quant Salehadins vint as cités et as castiaus, ne trouva il qui encontre lui fust; ains li rendi l'on tout'% fors seulement Sur. Pour ceste occoison, dist li rois Guil- laumes qu'il estoit coupaules durement [de '^] le per- dicion de le tiere.

1. A. B : Alis. D : Alixis. O : Alex. G : Alexe. 2. H. (pag. 112) : congé.

3. G : Si prist conseil à ses gens de Constantinople. La- cune dans le ms. de Noailles^ à laquelle suppléait une ingénieuse conjecture de M. Guizot (Pag. 146-148. not.) devenue su- perflue.

4. G : à son hues. H : à son eus. 5. A. B. 6. A. B : U7ie grant estoire. 7. A. B : et firent. 8. A. B. D. 9. J. 10. i : et si mena ilo soi. 11. J. 12. A. B. G : Ains li rendaient tout. 13. A. B.

246 CHROiNiQCE d'ernoul [^^88

Or vous dirai que celle estoire devint; apriès, si vous dirai du secours qu'il envoia en le tiere d'Outre- mer. Li rois Guillaumes n'ala mie en celle estoire, ains demoura pour envoiier gent et viande apriès l'estoire, se mestier en eussent. Si envoia des plus haus homes de se tiere pour estre guieur et gardes^ de celle gent. Quant les nés et les galies furent apparellies, si murent et ariverent à Duras en Gresse. Si le prisent et gar- nirent. Apriès, si alerent à Salenique, tout conquérant le tiere qui est entre Duras et Salenique. Et prisent Salnique* et le garnirent ; et passèrent Salenique, vers Coustantinoblc.

Quant li Grifon^ de le tiere virent qu'il avoient tant conquis et tant conqueroient, si furent moût dolant ; et vinrent as cievetaines de l'ost, et disent que bien fussent il venu, que moût estoient lié de lor venue, et moût seroient lié se il pooient vengier le prodome cui ^ on avoit les iex crevés, qui le malisse avoit vengie c'Androines avoit fait. Et puis, si lor disent qu'il avoient trop lonc tour à faire à aler par mer en Coustantinoblc ; mais par tiere alaissent , et il iroient aveuc, et si les conduiroient ; et feroient venir viande à granl fuison de le tiere, car il haoient moût l'em- pereur. Tant proiierent il et losengierent li Grifon chiaus de l'estoire qu'il alerent aveuc aus, et laissierent lor estoire. Et tant les menèrent, qu'il vinrent à .vi. journées de Coustantinoblc, priés d'une cité qui a à non Plielippe, se herbegierent en une valée. Quant li Grifon menoient ciaus de l'estoire par terre, si tisent

1. A. li : (juieres et garde. G : chavetaine et. garde. J : por guier celé gent et governei\ 2. C. écrit Salnique et Salenique. d.C.li Frison.— A. B : Grison. 4. A. B. D. C : qui.

-H88] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 247

à savoir ceus de le tiere qu'il fussent encontre eus à armes près de Phelippe; et il si furent. Quant li cris de le tiere vint là' et il furent tout assamblé, si s'ar- mèrent tuit l'endemain, au point dou jour, si coururent sus ciaus de l'estoire, si les ocisentet prisent, fors ciaus qui s'en escaperent et alerent à l'estoire ariere. Ensi faitement fu l'estoire perdue.

Or vous dirai del roi Guillaume, quels secours il envoia en le tiere d'Outremer. Il i envoia [au mars après, en^] galies^ .ii*^. chevaliers, et à l'aoust apriès .iii'^. che- valiers^ por aidier à garder cel tant de terre qui estoit demourée en le tiere d'Outremer. Apriès si fîst faire grant estoire de nés et de galyes pour envoiier apriès, ou pour aler ens, ou pour aler al roi d'Engletiere, cui fille il avoit. Je ne vous di pas qu'il fust croisiés. Ne demoura gaires apriès ce qu'il ot tele estoire commen- chie, que il fu mors sans hoir, ains que li rois d'Engle- tiere i alast. Dont vinrent cil del pais, quant li rois fu mors; si prisent .i. sien cousin germain, qui quens estoit de Puille, si en fisent roi et avoit à non Tangrés.

Or vous lairai de Tangré à parler dessi que tans et liusen sera; si vous diray de l'arcevesque de Sur, qui arivés estoit en le tiere le roy Guillaume. Li rois Guillaumes li fist cargier cevalçeures et avoir à lui et à ses hommes pour aler jusque à Rome. Quant li arce-

1. C. D. H. 0. A. B : Quant il virent là. G : Quant H Grés de la terre vint là. 2. J. 3. J. G : Il i envoia al march .II'. yalies (ce qui est impossible) et. 4. A. B : Il envoia au marchis IP. yalies et //^ chevaliers et en l'ost III'. chevaliers. 0 : Il i envoia al marc II'. galies et II'. cheva- liers, et à l'aost III'. G : Il i envoia cent galies. R : Il envoia II II. galies et CC . chevaliers, et à l'aost III'.

248 CHKO.MQUE d'er^oul 4 488

vesques vint à Rome', si trouva l'Apostoile, et vint devant lui. Si li conta et fist savoir le grant damage qui estoit avenus en le tiere d'Outremer, et comment Sarrasin l'avoient conquise.

Quant li Apostoiles ces nouveles, si fu moût dolans. Si prist mesages, si les envoia par toute Crestiienté, pour faire savoir la novele c'on li avoit aportée de le tiere de Promission. Et si manda à tous les haus homes de Crestiienté, as rois, as dus, à contes et as empe- reours et as marchis, as chevaliers et as bourgois et sergans, que tout cil qui se croiseroient pour aler Outremer, que tous les peciés qu'il avoient fais, dont il estoient confès, il les prendoit sour luy et quite quite entr' als et DameDiu^ Si manda que tout cil qui voloient prendre de lor homes dimes, qu'il le pre- sissent, de quanques il avoient vaillant, et bien lor abandonnoit, pour le voie [d'Outremer^] faire. Quant li haut home de par toute Crestiienté oirent les noveles, et roi et empereur et duc et conte , arcevesque et vesque et abé et autres gens , si se croisierent et appareil icrent d'aler.

Li haus hom qui premiers y ala, ce fu li empe- reres d'Allemaigne^ Et ala par terre; et mena bien

1. Suite du cluip. 169. col. 8(13. dans M. (cl", ci-dessus p. 244) Pipino ne dit rien des faits intermédiaires. 2. B.: et les aqiuteit ci et devant Deu. 3. D.

4. Dans M. suite du chapitre 169. col. 804. Pipino ajoute ici, sans en indiquer la source, un jjassage abrégé de \ incent de Beauvais, sur rassemblée des barons et des prélats de France qui décrétèrent la dime saladine : « Mense autem Januarii, etc. » Ce passage se trouve dans "Vincent de Beauvais , -SpecifZ. Ilisi.. lib. XXIX. cap. 45. tom. IV. p. 1201. Muratori aurait pu faire pré- céder cet extrait des mots : Aildiiamenla frai ris Pipini, par les-

•^^88-^^90] et de bekinaiid le trésorier. 249

.LX. .M.' homes à ceval, estre ceus à pié. Et errèrent tant qu'il furent en Costantinoble et qu'il passèrent le bracli Saint Jorge, et furent en Turkie. Li empereres de Costantinoble commanda c'on lor aportast à vendre le viande de par toute se tiere. Et si manda al soudant ^ del Coine, qui ses hom estoit% qu'il lor fesist aporter le viande de par toute se tiere al cemin, et qu'il les fesist conduire salvement.

Or vous dirai que li Alemant lisent quant il furent en le tiere de Turkie et del Coine. Il commencierent le viande à tolir as païsans qui lor aportoient ; et li païsant se traisent ariere, quant il virent c'on les desreuboit; si n'aporterent point de viande [au chemin à vendre'']. Ensi faitement errèrent li Alemant .m. semaines, c'onques ne mangierent, se lor cevals ne fu. Et errèrent en ceste manière tant qu'il vinrent en Hermenie. Et bien en y ot mort le moitié ou plus, ains qu'il i venissent.

Un jour se fu li empereres hebregiés en Hermenie sour une rivierete '" ; se li prist talens de bengnier ; si entra en celle rivière, si fu noiiés^ Quant li empereres mut d'Alemaigne, il avoit .mi.' fins; si enmena l'un aveuc luy. Celuy qu'il enmena aveuc luy, quant il fu

quels il signale quelquefois les additions de Pipino à la chronique d'Outremer.

1. A. B. G. J. M. 0. D : XL. mil.— G. H : cinquante mille. 2. D.— A. B : sordain.— G : salan. 0 : soutan. .— 3. G : manda à Vamiraut d'Ocoine qui son home linge estait. M. est incxiict dans ce qui suit. 4. D. 5. M. « in ripa fluminis » quod Ferlyn dicitur. » Dans le Selef. Chron. Claustroneoh. ap. Pertz. Script, t. IX. p. 633. 6. Le 9 juin 1190. M. « Anne gratiœ Gliristi mg.vc, » etc. Fin du chap. 169. 7. G. H : trois.

250 CUROMQUE d'eRiNOUL [^^88

mors, il s'en ala en Andioche séjourner, et il et tout cil qui escapé estoient de celé famine.

Li ainsnés des .m. fiex qui demoré estoient pour garder l'empire avoit à non Henris; et si avoit feme l'antain le roi Guillaume [de Sezile^]. Li autres frères ot à non Othes, et estoit dus de Borgoigne; et ot à feme'' le fille le conte Thiehaut de Blois ; et fu mors sans hoir. Li tiers ot à non Phelippes, et fu dus de Souave. Pour çou vous ai mut^ aparlé '' des enfans l'emperéour qu'en aucun tans vous dira on qu'il fisent, ne^ qu'il devinrent. [Or vos dirai del roi de France*^].

Li rois de Franche ne mut mie si tos à aler Outre- mer, pour çou que puis qu'il fu croisiés, et il et li rois d'Engletiere guerroiicrent il ensanle. Je ne vous dirai ore plus de le guerre le roi de France ne le roi d'Engle- tiere, desci qu'à une autre fois; ains vous dirai de Salehadin qui en se tiere estoit et sejornoit.

Noveles vinrent à Salehadin que li empereres d'Ale- maigne' estoit croisiés, et li rois de France et li rois d'Engletiere et tout li haut baron de Cresliienté, et chevalier et serganl, bourgois, arcevesque, evesque et abbé pour venir sour luy. Lors ne fu mie liés, ne asséur. Il fist Acre moût bien fremcr ; et si le fist moût bien garnir de viande et de gent, et s'i mist des plus haus homes qu'il avoit et de chiaus il ()lus se fioit, pour Acre garder. Car il savoit bien que li Crestiien ariveroicnt et que si grans gens que il estoient ne pooienl ariver, se non. Et si commanda que pour poi de gent, ne pour auqucs de gent que il veissent, ne

I. D. II : la ante dou roi Guillaume. 2. A. B : a famé. 3. A. li: Par ce vos ai je moût. 4. A. B. 0: aparler.— 5. A. B. G : ou. D : e^ 6. 0. 7. M. chap. 170. col. 8U4.

^^88] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 25^

ississent hors, mais se tenissent coi dedens le cité. Apriès, silor jura que s'il estoient assegié deCrestiiens, c'on li fesist savoir en quel tiere que il fust, et que tantost les secourroit; que s'il estoit assis al disner, n'atendroit il mie tant qu'il eust mengié, ains monteroit taiitos et toutes ses gens, si les secourroit. Ne nulle eure ne venroit le mesage, ne par jour ne par nuit, qu'il ne montast tantost et il et toute s'os pour aus secourre; et s'il gisoit malades, se s'i feroit il porter en litière. Quant Salehadins ot ensi garni Acre, si fîst garnir les cités et les castiaus, quanques il en avoit conquis sour le mer'. Apriès si tist semonre ses os, si ala assegier Triple. En cel point que Salehadins ot Triple assegie, ariverent les nés et les galies le roy Guillaume à Sur [et li .II. c- chevaliers ^] Dont vint li marchis Conras, si fist armer de ses galyes pour aler secourre Triple, et commanda des chevaliers^ le roy Guillaume qu'il alais- sent secourre Triple et il i alerent. Aveuc les chevaliers que li marcis i envoia estoit li Vers Chevaliers. Quant li secours fu arivés à Triple et il furent un poi reposé, si fîsent une assaillie en l'ost as Sarrasins, et li Vers GhevaHers fu tous devant, qui [merveilles"*] i fist. Quant li Sarrasin virent le Vert Ghevalier, si s'es- mervillierent moût qu'il avoit [avé lui ^] tel fuison [de gent^]; el le fisent savoir à Salehadin qu'il estoit venus al secours. Et Salehadins li manda en priant qu'il venist parler à lui, qu'il le desiroit moût à veir, sauf aler et sauf venir. Et il i ala. Et Salehadins li fîst moût biel sanlant ; et moût li présenta de ses cevaus et de

[. D : la marine. 2. A. B. 3. D : aux chevaliers. 4. D. - 5. D. 6. O.

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252 GHROMQUE d'eRNOUL [\iSS

ses joaius et de son avoir. Mais il n'en vaut onques riens prendre. Et se li dist que, s'il voloit demourer à lui, il li donroit grant tiere et grant avoir'. Et il li respondi qu'il n'i demorroit mie; car il n'estoit mie venus en le tiere pour demourer as Sarrasin, mais pour eaus grever et confondre ; et il les greveroit quanqu'il poroit. Lors prist congié, si s'en râla ainere à Triple. Quant Salehadins vit qu'il avoit tant de nés arivées à Triple, et de galyes et de gent crestiiens, pour secorre Triple, et il vit qu'il n'i poroit noient faire, si se parti de Triple, et s'en ala à .xii. liues d'illeuques asseir une cité sour mer qui a à non Tortose^.

Ançois que Salehadins partist de devant Triple % li roine [Sibile de Jérusalem"], li feme au roy Guion, qui dedens Triple estoit, li manda que les couvenences qu'il ot son signour quant il parti d'Escalone, li tenist; et il en estoit bien tans ; et qu'il le fesist délivrer. Et Salehadins li manda que volentiers le feroit. Et puis si manda à Damas c'on li envoiast le roi et .x. chevaliers, teus com il coisiroit, en le prison avec lui ; et c'on li amenast devant Tourtouse. Et si manda c'on presist le marcis de Montferras, et si le menast on à Sur, et si le presentast on sen fil ^ de par lui . Tout ce fu fait tantost comme Salchadin l'ot commandé. Quant li prison

1 . D : grant yuerison .

2. Pipino ajoute ici (col. 805) une description historique de la ville ot des environs de Tortosc: « Fuit autem hœc civitas Tortosa ;. olim Anteradum dicta, » etc.; et termine ainsi le chapitre 170, en mentionnant la prise de Gibcl et l'arrivée de Saladin devant Aniioche, événements rappelés par notre chronique au commen- cement du chapitre suivant.

d. Cf. M. cluip. 171, col. 800 - i. D.— j. G. 11. ,i:àsunps.

-14 88] ET nE BElVNARn LE TRÉSOllIKR. 253

vinrent devant Salehadin à Tourtose, tel comme li rois les coisi en le prison, il lor fist jurer sour sains que jamais armes ne porteroient encontre lui. Apriès les cnvoia à Triple.

Li uns de çaus qui fu délivrés aveuc le roi, ce fu li maistres del Temple; li autres fu li connestables llaimeris\ qui frères estoit le roy; et li tiers fu li mariscals. Mais les autres ne vous sai ge mie nomer. Quant li rois et si compaignon furent délivré, si envoia Salehadins à le feme le prince Renaut del Crac sen fil Hainfroi, tout délivré.

1. Amaury de Lusignan. Mal dans G (pag. 158) : Bauneris. Mal dans H : Aynars.

CHAPITRE XXII/

Cornent Saladin ala asigier la Roche Guillaume.

SOMMAIRE.

1188. Saladin s'empare de Valenie, de Gibel et de Laodicée. II va assié- ger le château de la Uoche-Guillaume, dans les environs d'Antioche. Motifs de la haine de Saladin contre le chevalier Jean Gale, qui défen- dait ce château. 1 189. La reine Sibylle et Guy de Lusignan quittent Tripoli et se présentent devant Tyr. Conrad de Monlferrat leur refuse l'entrée de la ville. Guy de Lusignan se décide à former le siège de Saint-Jean d'Acre, et donne rendez-vous aux chevaliers du pays et aux croisés sous les murs de celte ville.

Quant Salehadins ot esté une pièce devant Tortose , et il vit que il n'i poroit oevre faire, si s'en ala avant à une cité qui est à .vu. liues d'illeuques, qui a à non Valenie; se le prist et gasta, qu'ele n'estoit mie fors. N'il ne le vaut mie garnir, pour un castiel qui pries

l.Cr. G. pa-. Kin-ir.'i. II. chap. 12-14 du XXIV^ livre, pag. 122-125. M. lin du cliap. 170 et chap. 171. Col. 805-807. Pipino abrège beaucoup le texte de notre chronique et y intercale des plirases prises dans Vincent de Beauvais {Spec. Hist. t. IV. lib. 29. cap. 48. pag. 1202) et dans Jacques de Vitry.

H88] CHRONIQUE DE BERNARD LE TRÉSORIER. 255

d'illeuc est de l'Ospital, en le montaigne, et a à non Mergat\ Quant il se parti d'illeuc, si ala à une cité à .VII. Hues priés qui a à non GibeP; si le prist et si le garni. Apriès si ala à une cité [sor mer^] qui a à non Li Lice^ priés d'Antioce^; si le prist ° et si le garni'. D'illeuques s'en ala à Antioce, mais ne l'asega mie.

Illueques dire Salehadins que uns hom^ cui il haoit à mort, estoit dedens .1. castiel en le tiere d' An- tioce. Cil castiaus avoit à non li Roce Guillaumes®. Et pour le haine de cel chevalier ala il assegier le castiel, nient pour autre cose ; que s'il le peust tenir, il n'en euist nient plus de pitié comme il eut del prince Renaut, cui il copa la tieste. Et si eust droit '^ car cil chevaliers li fist mal encontre bien qu'il H avoit fait. Et si vous dirai comment.

Cil chevaliers ocist sen signeur lige en son pais", pour chou qu'il le trova aveuc se feme. Si l'en convint fuir. Si s'enalaàSalehadin, lui cuinquismes^^ de frères, et Salehadins le retint ^^ moût bêlement, et si lor dona grans trésors et grans tieres et grans garisons. Quant il ot une pièce esté aveuc les Sarrasins, si fu moût bien

1.0: Margat. _ M : « Mergad. » 2. M : « Gibel, scilicet a )) civitate Valania leucis septem. « col. 805. Gibel, aujourd'hui Djebali, dans l'ancienne principauté d'Antioche. Gibelet ou Dje- baïl était du comté de Tripoli. 3. A. B. 4. D : La Liche. Laodicée. 5. H. pag. 122 : près d'Antioche à XX. Hues. 6. Ces mots sont répétés dans G. 7. La phrase entière il est question de Laodicée manque dans A. B. G. Et il faut remar- quer que M. ne mentionne pas le fait. 8. M : « proditor qui- ). dam. )> col. 807. 9. A. B : Za Roche Guillaume. M : « Rocba Willelmi. » 10. J : Et eust raison. 11. D : en son paies. 12. A. B : quixieme. D : cinqierme. J. 0 : cin- quième. — G : cuiqu'une. 13. A, H : le recueilli.

256 CHRONIQUE d'ernoiîl [^^88-^^89

d'un neveu Salehadin ; si vint à lui une vesprée, se li pria que il alast aveuc luy hors de le cité, et il i ala, si l'enmena en le tiere de Crestiiens par nuit, et le mist en .1. castiel du Temple qui a à nonSaffet, [en prison^]. Il lor donna le moitié de le raençon cel vallet, pour lui garentir envers les parens son signour qu'il avoit ocis. Cil chevaliers avoit à non Jehans Gale ^ Li rois Phelippe de France parler de cel chevalier quant il fu croisiés. Si le manda qu'il venist parler à lui pour demander et enquerre l'affaire de le tiere d'Outremer % et il i vint.

Or vous lairons de Salehadin devant le Roce Guil- laume, [au siège ^], si vous dirons del roi Gui, qui à Triple^ estoit délivrés^. On li consella qu'il alast à Sur séjourner, et il et li roine, tant qu'il eust force et aiue qu'il alast Acre assegier. Il mut de Triple et quanqu'il pot avoir de gent ; si vint à Sur par tiere.

Quant li marcis Colras dire que li rois venoit et li roine à Sur, si fîst armer ses gens et fremer les portes ; et fu tous armés sour le porte et il et si home. Quant li rois Guis fu près de Sur, se li fîst on asavoir que li marcis avoit fremée le porte encontre lui. Il ala avant jusques à le porte, et commença à crier c'on li ouvrist les portes. Li marcis vint avant à .1. des crestiaus' de le tour qui sour le porte estoit , et demanda qui c'estoit qui si hautement rouvoit ouvrir^ le porte; et il dist qu'il estoit li rois Gui et li roine se feme, qui

I. D. 2. G : Johan Gale. 3. A. B : Tafaire des Saracins.

4. A. B. 5. A. B : qui au Temple. 6. M. cliap. 171. col. 806. Ici commence le XXIV« livre dans Dom Martène. 7. A. B : crestiens. D : creniax. O : crenaus. 8. A. B : qui si baudement rovoit ovrir. J : qui si hautement comandoit à ovrir.

G : qui si abandonnement voloit ouvrir. Il : rovoit qu'en li ovrist.

'HS^] ET DE BERNARD LE TRÉSOBIEK. 257

voloit entrer en se cité. Li marcis respondi que ce n'estoit mie lor, ains estoit siue ; que Diex li avoit donée et bien le garderoit et que jamais dedens ne meteroit le pié; mais alaissent avant herbegier, que ne her- begeroient il mie. Quant li roi Gui vit che, si fu moût dolans, et li roine se feme, quant en se cité [meismes^] ne le laissoit on mie herbegier. Il prist un mesage, si Tenvoia ariere à Triple, as chevaliers le roi Guillaume, et as- ses homes, qu'il amenassent le navie devant Acre, qu'il aloit Acre assegier. Li rois Gui se parti de Sur tous dervés^ [et toz forsenez^]. Et si fu grans mervelle qu'il fist, qu'il ala assegier Acre à si poi de gent que il avoit; car à cascun home qu'il avoit, quant il ala assegier Acre, estoient il bien .im. Sarrasin dedens.

4. D. 2. A. B: à. 3. A. B : tôt devez. D. J : moult cour- rouciez. — G : tout de sues (pour desvés). 4. A. B.

17.

r

CHAPITRE XXIIL'

Cognent li roijs de France et li roijs (TEnyletefe paserent

Outremer.

SOMMAIRE.

1190. Guy (le Lusignan établit son camp devant Acre. Saladinse porte au secours de la ville. Le fils de l'empereur Frédéric et les Allemands se réunissent à l'armée du roi Guy. Les rois de France et d'Angleterre arrivent à Saint-Jean d'Acre. De la guerre qui avait longtemps divisé ces princes et retardé leur départ pour la Terre Sainte. Nombreux sei- gneurs qui se croisent en même temps que les rois de France et d'Angleterre. Philippe Auguste arrive le premier en Si<ile et hiverne à Messine.

Quant li rois Guis vint devant Acre, si se herbega sour .1. toron qui devant Acre est, sor le tiere^ S. Nicolay. se licierent et fisent bones lices. Et si avoient l'eve dcl flun, dont il bcvoient et abevroient lor cevaus, et faisoient çou que il en avoient à faire. A le mesure qu'il veoient les nés et les galyes et les gens

1. Cf. G. pag. 164-168. H. chap. 5-9, du XXV-^ livre. Pag. 1/i3-ri8. M. chap. 171-173. col. 806-808.

2. A. B : le tertre. D. 0 : /a terre. J : h cimetière. G : en la terre. M : « supra collem saucti Nicolai. » col. 806.

]{90] CnilOMQCE DE BERNARD LE TRESORIER. 2î>9

venir [de totes terres^], si s'armoit une partie de cels de Tost et aloit encontre eaiis ; si depeçoient les vais- siaus et aportoient en Fost, pour aus licier^; et pre- noient terre tousjours avant. Quant li Sarrasin d'Acre virent que li os croissoit, si prisent .1. mesage, si l'envoiierent à Salehadin qui avoit asegie le Roce Guillaume , se li fisent savoir que li rois Gui les avoit assegiés à Acre^.

Quant Salehadins le mesage, si se leva dou siège et se mist à le voie ; et s'en ala à Acre, et assega les Grestiiens devant Acre. Et si vous di bien pour voir que s'il fussent corut sus les Grestiiens, bien les peus- sent avoir adamagiés, que à cascun Grestiien qu'il estoient, estoit il bien .x. Sarrasin. Or fu bien li sièges .1. an devant Acre, c'onques cil dedens Acre n'en laissierent à aler en l'ost as Sarrasins, ne cil de l'ost à aler à Acre pour porter viande.

Quant li fiex l'emperéour et li Alemant virent, qui aveuc lui estoient, que li Grestiien avoient Acre assegie, si alerent al siège tant com il purent par tiere. Et quant tiere lor failli, si alerent par eve. A le mesure c'on avoit apparellie l'oire, si aloient à Acre qui estoit assegie. Li rois de France et li rois d'Engletiere% ce

t. D. 2. A. B : logier.

3. A pai'tir de ces mots, qui répondent à la première phrase du 15e chapitre du XXIV^ livre de l'édition de l'Académie (p. 126), H. donne jusqu'au 5^ chapitre du XXV^ livre (p. 143) une rédaction particulière. D. G. J. et M. continuent à correspondre inégalement aux rédactions de A. B. G. Pipino ajoute à notre texte des détails en grande partie empruntés à Vincent de Beau- vais {Spec. Hist. 1. 29. cap. 48. t. IV. p. 12U2) sur les diverses na- tions chrétiennes qui vinrent alors au secours de la Terre Sainte. M. col. 80G.

4. En abrégeant toujours le récit de notre chronique, Pipino y

260 cHRO.MQiE u'ernoul [1-190

furent cil qui daerain i alerent, pour une guerre qui entr'eus .11. estoit. Et si vous dirai comment li guerre mut.

Il avint cose que li rois d'Engletiere ^ avoit .11. fîex*; li ainsnés avoit à non Ricars et estoit quens de Poitiers, et li maisnés avoit à non Jehan sans Tiere. Li rois d'Engletiere , ains qu'il alast Outremer, vaut faire coroner Jehan sans Tiere, sen fil, à estre roi d'Engle- tiere, et Ricart donner toute le tiere de ça, qui quens estoit de Poitiers. Quant Ricars le sot, si ne fu mie liés, ains fu moût dolans et vint al roi de France, se li pria merchi et se li dist : « Sire, pour Diu, ne souffres » que je soie desiretés , qu'ensi veut mes pères faire ; » et j'ai vo seur plevie, se le doi avoir à feme; mais, » pour Diu, aidiés me mon droit à détenir et le vo » sereur. » Li rois semont ses os et ala sor le roi d'Engletiere al Mans, il sot qu'il estoit. prist li roi de France le Mans. Et li rois d'Engletiere s'en ala à Saint Martin ; li rois de France ala apriès et passa Loirre à gués, et prist Tours; et li rois d'Engletiere s'enfui à Chinon '\ Quant li rois de France ot pris Tours, si lisent pais, en tel manière que li rois d'Engletiere rendi Auvergne al roi de Franche ; ensi fu li pais faite. Apriès chou que li pais fu faite, li rois d'Engletiere en fu mors de duel pour le pais dont il estoit desiretés''.

Quant li rois [Ilenris^] d'Engletiere [fu morz'], si vint

intercale encore ici, sans l'annoncer, un passage de Tincent de Boauvais {Spec Hist. 1. XXIX. cap. 50. t. IV. p. IÎ02). xM. chap. 173. col. 808.

1. Henri 11. Cl'. H. (pag. 143) plus complet et plus exact. II : ////. fiz. 0 : III. Jlx. 2.0: porce que dolenz estoit qu'il avoit fianciée la suer lo roi P/ielipe. 3. C : Chion. D : Cinon. 4. Henri II mourut le G juillet 1189. 5. D. G. A. B. D.

^^90] ET DE BERNARD LE TRESORIER. 2G1

Richars, qui ses aines fiex estoit, al roi de France ; se li fïst homage de le tiere deçà le mer\ et li rois li rendi quanqu'il avoit conquis sour sen père, Tours et le Mans. Et si prist Ricars congié d'aler en Engletiere et de porter corone, et quant il aroit porté corone et se tiere afinée^, il revenroit arrière et atourneroit lor voie à aler Outremer entr'iaus deus. Ensi demoura li rois en France, et Ricars s'en ala en Engletiere et porta courone à Londres en Engletiere, et reçut ses homages de ciaus de le tiere. Apriès, si laissa baillius et gardes en Engletiere des plus preudomes u il plus se fioit. Quant ensi ot fait asigner se tiere, il passa mer et vint en Normendie et tinrent parlement^ entre lui et le roi de France de lor mute atourner, et le jour del movoir.

Quant li doi roi furent ensanle, se dist li rois Ricars al roi de France : « Sire, je sui .1. jouenes hom, et tel » voie ai entreprise com vous savés d'aler Outremer. » Si n'averoie ore mie mestier de feme esposer. J'ai » vostre sereur plevie, si me donés respit [de l'es- » pouser^] tant que nos soions revenu, et je vous » créant que dedens les .XL. jours que Diex me » ramenra, que j'espouserai^ vo sereur. » Li rois de Franche le soffri ensi ; et si atirerent le jour de lor mouvoir à le Feste Saint Jehan, le première qu'il aten- doient. En tel manière [fu atiré*^] que li rois de France prenderoit cel jor''] s'escerpe^ et sen bourdon à Saint Denise, et s'en iroit al plus droit qu'il poroit à

l.G'.de la terre de Calame. Rectifié par M. Guizot. Pag. 166. 2. A. B. D: assigniée. J . 0 : asenée. G: asurée. 3. G : et quidrent pleinement . 4. D . 5. G :j'espousera. 6. A. B. 7. A. B. G'.prenderoit le jour de. 8. A.B: s'escherpe. D : s'eschierpe.

262 CHROiNlQDE DEHNOCL [\\90

Jenueves^ sour le mer, et passeroit à l'aiue de Diu. Li rois d'Anglctiere creaiita que cel jour meisme pren- deroit il s'escerpe et sen bourdon à Saint Martin, à Tours, et s'eniroital plus droit qu'il poroit à Marselle, et passeroit à l'aiue de Diu. Et il si fist.

Adont mut ^ li dus de Borgoigne et li quens Henris de Campaigne et li quens Tiebaus de Blois et li quens Estievenes de Sanseure , li quens de Clermont, li quens de Pontiu^ li quens de Flandres, li quens de Saint Pol et autres contes assés que je ne sai mie nomer et toute li chevalerie de France qui croisié estoient ; fors seule- ment li quens Renaus^ de Dantemartiii, que li rois laissa aveuc l'arcevesque de Rains, son oncle, pour garder le tiere et pour estre regart de France ^ Je ne vous di pas que tout cil chevalier passassent al port li rois passa et li rois d'Engletiere , ains alerent à plui- seurs pors passer.

Quant li rois de France, qui à Geneves^ estoit, ot fait ses viandes et ses engiens carjicr , quant Diex lor donna tans, si murent. [Et li rois d'Englcterre et li autre baron, quant il orent atiré, et il orent vent, si murent"]. Teus i ot qui passèrent droil à Acre, et teus i ot qui ne porcnt passer; ains alerent en l'ille de Sesille. Li navie le roi de France n'ot gaires aie par mer, quant tormentc les prist. Dont li rois à

l. A. B : Gènes. D : Gennes. 2. A. B : En cel point que li rois de France et li rois d'Engelterre murent, mut.

3. A. B : Poitou, Mauvaise leçon, suivie par Pipino : « PicLa- » viensis conics. » M. col. 808. G. J : Ponii. Cf. H. p. 146.

4. O. G : R. lacune dans A. B. 5. A : reggart. G : garde de France. H : por garder son roiaume. M : « ad cus- » todiam regni. » fi. A. B. D : Gènes. 7. A. B. D. 0. G : Le roi Richart et ses barons murent ausi à Marseille.

^^90] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 263

celle tourmente ot grant damage de se viande et de ses engiens qui furent geté en mer ; et cil qui en escapa ala droit à Acre. Li quens Henris de Gampaigne qui estoit arivés à Acre\ quant les nés le roi de France furent arivées, il prist le viande et les engiens. Le viande il le fist aluier^ et les engiens fist drecier as murs pour lancier. Si que, quant li rois de France fu arivés à Acre, ne fust li viande qu'il avoit cargie^ à Mescine, il eust eut toute disete^ de celi qu'il avoit envoie devant.

Li rois de France ne passa mie en cel yver^; mais apriès le tourmente qu'il ot eue ariva à Mescines. Quant li rois Tangré, qui rois estoit de le tiere, dire que li rois de France estoit arivés, si ala encontre lui, et si le reçut moût hautement. Et se li proia, pour Dieu, qu'il n'entrast plus en le mer, ains sejornast en le cité dusques al mai^ç; et qu'il ne se grevast point °, et il li abandonnoit toute se tiere à faire se volenté. Li rois li otria qu'il i demorroit [volentiers '] ; et li rois Tangrés li délivra son manoir qu'il avoit moût rice^ à Mescines. Se s'i herbega li rois de France, et illueques yvrena l'yver dusque al march^.

1. G : ançois arrivé à Acre que nul des autres. 2. A. B. D : La viande, il la fist aloer. 0 : aliuer. J : garder. G : Z,e cuens ... prist les viandes. 3. A. B : fait chargier. 4. A. B : il eust tote disgeste. D : il eust eu disete. G : il eust en (eu) soffrance. 5. G : ne passa mie jusqu'à Acre l'iver. 6. J : ne se traveillast or plus. 7. D. 8. D : moût bel.

9. G : Jusques au mars. Pipino termine ici son cliapitre 173 (M. col. 808) en reproduisant presque littéralement un nouveau passage du Spéculum historiale, sans en nommer l'auteur : « A » qua prius discedens rex Francorum in vigilia Pascbae, etc., » quod ad eam capiendam non nisi assaltus deesset. » Vincent de Beauvais, 1. XXIX. cap. 50. pag. 1203.

CHAPITRE XXIV;

Cornent Cristien conquistrent Acre sor Sarracin.

SOMMAIRE.

1 190. Les Chrétiens resserrent le siège autour de Saint-Jean d'Acre. Dé- tresse des assiégés. Disette dans l'armée des croisés, entourée par Saladin. Tentative malheureuse des sergents de l'armée. Mort de la reine Sihylle. Conrad de Montferrat parvient à faire rompre le mariage d'Homfroy de Toron et d'Isabelle, sœur de Sibylle, héritière de la cou- ronne de Jérusalem, et à épouser la princesse. 1190-1191. Richard, roi d'Angleterre, hiverne en Sicile avec le roi de France. Il fortifie le chAleau de Mategrifon. Éléonore de Guyenne , sa mère, vient en Sicile pour lui faire épouser la sœur du roi de ISavarre. 1191. Incidents qui amènent le roi d'Angleterre à débarquer en Chypre et à s'emparer de Limassol. -- Mai. Le roi Guy de Lusignan vient rejoindre le roi d'Angleterre en Chypre. Richard fait la conquête de l'ile et l'engage temporairement aux chevaliers du Temple.— Juin. Le roi Richard rejoint le roi de France devant Saint-Jean d'Acre. Le siège de la i)lace esl re- pris avec i)lus de vigueur. 13 juillet. Capitulation de St-Jeau d'.Vcre.

l. Cf. G. pag. 168-194. H. cliap. 10 du XXV" livre au chap. 10. du XXVI" livre, pag. 149-189. Récit différent et beau- coup plus développé.— Pipino a utilisé deux fois ce fragmfMit. Il a donné d'abord co qui concerne le roi Richard dans la partie générale do sa chronique (N. 607-609. De Ricardo reye Jnglorum et (jestis ejus). Il a composé ensuite avec le reste du chapitre qu'il entremêle de passages littéralement transcrits de Vincent de Beau- vais. sans on indiquer la source, les chapitres 172 et 174-177 de son XXVc livre, plus spécialement réservé à l'Histoire des Croi- sades. M. col. 8U7 et 808-812.

^^90] CHROîflQDE DE BERNARD LE TRE'sORIER. 265

Partage de la ville entre les princes croisés. Arrangement intervenu entre les anciens propriétaires de maisons et d'hôtels à Saint-Jean d'Acre et les chevaliers qui s'y étaient établis depuis la prise de la ville. L'accord relatif à la restitution de la Vraie Croix et à l'échange des prisonniers n'est pas tidèlemenl observé par les Sarrasins. Baladin fait démanteler Ascalon. Philippe Auguste revient en France, et laisse le duc de Bourgogne comme son lieutenant en Syrie (3 aoiit). 1192. Le roi d'Angleterre et le duc de Bourgogne entreprennent de concert une expédition sur Jérusalem. Le duc de Bourgogne et les Français aban- donnent l'entreprise et se retirent vers Saint-Jean d'Acre. Le roi d'An- gleterre revient après eux à Saint-Jean d'Acre. Le duc de Bourgogne meurt. Saladin assiège Jafla. Le roi Richard se rend par mer au secours de la ville et contribue, en combattant personnellement, à repousser les Sarrasins, maîtres déjà du château. Désir manifesté par Saladin de voir le roi d'Angleterre. Gracieuseté qu'il lui fait un jour. La renommée de la bravoure et des prouesses du roi Richard se répand parmi les Sarrasins. Saladin se porte au devant du corps chrétien qui se rendait par terre au secours de Jafla. 11 le rencontre et le bat à Arsur. Mort de Jacques d'Avesnes. Richard s'empare d'une riche caravane. Il relève les fortifications d'Ascalon, occupe Gaza et le Daron, et séjourne dans les environs.

A cel passage de cel aoust que li rois entra en mer pour passer outre, ariva tant de gent devant Acre qu'il assegierent Acre de l'une mer à l'autre, tout' entour,à la* reotide. Et lisent une fosse ^ en sus d'Acre, en le sablonniere, par il fisent aler le flun qui couroit à meisme d'Acre, pour tolir le douce eve as Sarrasins; car^ dedens Acre n'avoit s'eve non de pucli salée, fors aucune cisterne d'eve de pluie ; mais poi en y avoit ; et niens estoit à tant de gent con dedens avoit en le cité. A grant mescief furent li Sarrasin dedens Acre, quant il orent perdue l'iaue douce et le voie de le viande qui lor venoit de l'ost; fors tant que il avoient secour aucune fie d'une ville qui est à l'endroiture d'Acre qui

1. C : tour. 2. A. B. G : à reonde. 3. A. B : Et si firent .1 . fossé. 4. D. A. B. C : Par.

266 CHROINIQDE DER.^OUL [H90

a à non Cayphas. Salehadins avoit fait garnir celle ville, et faisoit garnir les vaissiaus de viande. Quant il avoient bon tans, se les metoient en aventure, et trescopoient le mer et se traioient à Acre, quant il pooient, s'entroient en le ville d'Acre.

Or vous di jou qu'il ot si grant cierté en l'ost des Grestiiens^ qu'il fu tele cure c'on vendi le mui de forment .lx. besans et le mui de ferine .lxx. Or vous dirai conbien li muys est : çou c'uns porteres ^ porte à son col est li muis de le tiere. Et .i. oef vendoit on .XII. deniers ; et une geline .XX. sols; et une pume .vi. deniers. Vins et cars parestoit si ciers c'on n'en pooit avoir, se de ce val non, quant il moroit. En celle ost, morut moût de gent de fain et de mesaise.

Il avint .1. jour que il s'esmurent^ bien dusque à .x. M.^ sergans, et vinrent as barons de l'ost; et disent que, pour Diu, lor donnassent à mangier, ou se çou non il iroient conquerre sour Sarrasins. Il ne porent avoir consel ne aïue de haut home de l'ost d'avoir viande ne [congié ^] d'aler sour Sarrasins ; il ne porent plus endurer [la famine^] , ains issirent de l'ost une matinée et se ferirent en l'ost des SaiTasins. Quant li Sarrasin les virent venir, si vuidierent lor loges et les lessierent venir. Et li Grestiien entrèrent es loges, si se cargierent de viande ; et quant cargié furent, si se misent al retour. Quant li Sarrasin virent que li sergant estoient cargié et qu'il s'en retornoient ariere, si poîn- sent à aus% si les ocisent tous. Apriès si les amassèrent,

1. Cf. M. chap. 172. col. 807. 2. A. B : vus portiers. U : uns home. ,1 : ce. que un home puet porter à son col . 3. G. J.— A. B. C. 1). O : s'eslurenl.— 4. D : F//c. 5. A.B.— 0. D. A.B:î7 ne pooioni plus atcndre. 7. A. Ji'.sisepoinstrent sor aus.

-HOO] ET DE BËRWARD LE TRÉSORIER. 267

et les gelèrent el flun et les envoiierent en l'ost as Crestiiens. Ensi faitement fu perdue cest compaigne ' de ces sergans, c'onques secors n'orent de l'ost.

Or vous di ge que tout ausi comme li Crestiien avoient assegié Acre, de l'une mer à l'autre, assisent li Sarrasin par deriere les Crestiiens de l'une mer à l'autre. Et toutes les eures que li Crestiien assaloient as murs d'Acre, assaloient li Sarrasin les Crestiiens par deriere.

Or vous dirai qu'il avint en l'ost d'Acre. Il avint que li roine [Sibile^], li feme le roi Gui, fu morte et .im. enfant^ que elle avoit et que li tiere eskei à Ysabiel, [sasereur^], qui femeestoitHainfroi, qui s'en fui quant li baron de le tiere le vaurrent coroner. Quant li marchis Colras sot que li tiere et li royaumes estoit esceue à Ysabiel et à Hainfroi, si ala à l'evesque de Biauvais, qui en l'ost esloit, se li pria qu'il li aidast et mesist consail que Hainfrois fust départis de se feme et qu'il l'eust à feme ; que^ Hainfrois estoit si mauvais® qu'il ne poroit le tiere tenir. Lors dist li vesques de Biavais qu'il s'en conselleroit. Il em parla as arce- vesques et as evesques et as barons de l'ost, et si lor moustra le malvaisté de Hainfroi. Teus i ot qui s'acor- derent al départir, et tels i ot qui dist qu'il' ne pooit estre. Dont dist li vesques de Belvais qu'il parleroit à Hainfroi, et fist tant vers lui qu'il clama quite se feme

1. A. B/m partie celé compaignie. 2. D. Sibylle mourut le 15 juillet 1190. M. parle de ces événements au chap. 172. col. 807. 3. G. D. J. 0. G : quatre. A.B : 1. enfant. H : En celé saison fu morte la roine Sébile et ses .II, filles Aelis et Marie. 4. D. 5. A. B : Car. 0. G : si couarl. 7. A. B. D : que ce.

268 CHRONIQUE DERiNOCL [\\90

al marchis, par deniers donans, et qu'il s'en départi. Quant Hainfrois fu départis de Ysabiel, li marcis l'espousa et si l'enmena à Sur.

Or vous lairons à parler del siège d'Acre \ si vous dirons del roi d'Engletiere qui meus fu de Marselle. Quant il vint endroit l'ille de Sesille, si se pensa qu'il ariveroit pour oïr novelles del roi de France, s'il estoit passés ou s'il estoit demorés en l'ille ; et pour savoir de se sereur, qui roine avoit esté de le tiere. Il fist tourner vers terre et arrivèrent ses galyes à une cité qui a à non Palierne% al cief de Sesille, devers [la mer. Et Meschines est à l'autre chief de Sezile, par devers^] tiere [ferme ']. Et si a .vu. journées de l'un à l'autre, de Paliernc dusques à Mescines.

Quant li rois d'Engletiere fu arivés, il demanda novieles del roi de France. On li dist qu'il estoit à Mescines, et qu'il yvernoit là. Quant il ces nouveles, si ala à Mescines apriès et ariva là, et yverna avoec le roy de France desci qu'ai mardi, qu'il passèrent.

Quant li rois sot que li rois d'Engletiere venoit, si fu moût liés et ala encontre, et lisent feste de ce qu'il se trouvèrent sain et helié. Li rois de France estoit her- begiés al cief de le cité, el palais le roi Tangré, qui sires estoit de le tiere; et li rois d'Engletiere herbega à l'autre cief de le cité, hors de le ville. Il ne volt mie herbegier priés del roy, pour çou qu'il ne voloit mie que si home fesisscnt mellée as homes le roi de France. frema li rois [d'Engel terre'] .1. castiel près de Mescines, sor .i. torun, si le'' mist à non Mate

1. M. chap. 174. col. 808. 2. A. B : Palerne. 3. A. B. D. G. 4. A. B. 5. A. B. 6. A. B : IL

-1^90] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 269

GrifTom^ Pour ce fîst li rois d'Engletiere cel castiel, qu'il et mellée entre ses homes et les homes le roi Tangré, si ot moût oci des homes le roi Tangré. Et pour ce fîst cel castiel, que se mestiers fust à ses homes, qu'il les requellist dedens cel castiel pour l'esfors^ de le terre qui estoit le roi Tangré ^ Mais li rois de France en fîst pais.

Apriès vint li rois d'Engletiere, si proia se sereur qu'ele vendist sen douaire, se li^ prestast l'avoir, et qu'elle alast aveuc luy Outremer; et quant Diex le ramenroit, il li renderoit son avoir, et si le marieroit hautement. Et elle respondi qu'ele feroit volentiers son plaisir. Quant li rois d'Engletiere fu venus d'Oultremer et il et li roine [Johane^] se suer, il le maria al conte de Saint Gille. Ele en ot .i. fil, qui quens estoit ^ de S. Gille, quant on fîst pais de le tiere d'Aubyjois''. Quant li rois d'Engletiere ot l'otroi de se sereur de sen douaire vendre, il parla al roi Tangré del vendre, et il l'acata moult volentiers, et li paia l'avoir.

Quant il fu tans de cargier lor nés, li rois de France et li rois d'Engletiere lisent cargier viande, tant com il lor vint en cuer et en volenté. Et quant il orent appa- relliet et il fu tans, si murent. Li rois de Franche ala

1. Pipino qui, même dans les premiers livres de sa chronique, traduit souvent notre texte sans le citer, ne rend pas tou- jours exactement le sens des mots français : « Macte grijon, quod » sonat in latinum Grœcorum occisorum. » N. col. 607. chap. De Ricardo rege Anglorum et gestis ejus.

2. 0 ; l'effors. D : V esforcement . 3. N : « Hoc autem ideo » fecit ut suos tueretur, quicum Tancredo Siciliae rege litem habue- » rant. » col. 608. 4. A. B : cf quelle li. 5. D. 6. D : quifu cuens. 7. A. B : d'Aubijois. D : des Auhijois. G : d'AzcbuJois. 0 : d'Aubelois.

270 CHRONIQUE d'eRNOUL ['l^90-^19^

par nef et si ariva à Acre, ançois que li rois d'Engle- tiere ne fist, car li rois d'Engletiere ala à galyes. Et se li avint une aventure que vous orés, pour coy il ne pot mie si tost venir à Acre.

11 avint cose que se mère, li vielle roine, estoit en Poitau, s'oï dire que li rois ses fiex ivrenoit à Mesines\ Pour çou qu'ele ne voloit mie que li rois ses fiex espou- sast le sereur le roi de France Phelippe, elle manda al roy de Navarre qu'il li envoiast une sereur qu'il avoit, aveuc le roi sen fil, et elle le menroit à Messines, il estoit, et se li feroit espouser. Li rois de Navare fu moût liés quant il vit^ le message, se li envoia. Quant li roine d'Engletiere ot la damoisiele, elle fist apparellier sen oirre, si s'en alerent à Messines. [Quant ele vint à Meschines^] si s'en estoit ja ses fiex [meuz et^] aies, mais que tant estoit avenu que se fille, li roine Jehane, n'estoit mie encore mute, ains mut l'endemain. Li roine d'Engletiere li dist : « Biele fille, menés ceste » damoisiele aveuques vous al roi vo frère. Se li poés » dire que je li niant qu'il l'espeusece^. » Elle le fist volentiers, si le fist entrer en se nef, si s'en alerent. Et li roine d'Engletiere s'en retourna en Poitau.

Or vous dirai qu'il avint à le roine Jehane, quant elle vint priés de l'ille de Cypre. Li roine dist asmaron- niers de le nef qu'il presissent tiere, pour savoir s'il oroient nulle nouviele del roi d'Engletiere, sen frère. Li maronnier fisent le commandement le roine, et tournèrent vicrs une cité qui a à non Limeçon. En cel point estoit li empereres de Cypre logiés devant Lime-

1. M. chap. 174. col. 808-809. G. p. 176. 2. A. B : oï. 3. D. G. J. 0. 4. A. B. h. A. B : que il l'espoust. 0 : qu'il l'espeui.

ii2\] ET DE BERNARD LE TRESORIER. 271

çonS et il et toute s'os, pour çou que cil qui aloient en le tiere d'Outremer vausissent faire force en l'ille de Cypre, qu'il fust apparelliés pour défendre.

Quant li empereres vit le nef arivée, si envoia un batiel pour savoir quels gens c'estoient. Et cil de le nef ne se celèrent mie, ains disent que c'estoit li roine de Sesille et li feme le roi d'Engletiere. Li batiaus torna ariere, et si conta* à l'empereur quels gens c'estoient. Lors prist li empereres .11. chevaliers, si les envoia à le roine Jehane ; se li manda qu'ele descendist à tiere, pour li sejorner et rafrescir, et il li feroit d'onor^ ce qu'il poroit. Li roine li manda qu'elle ne descenderoit mie; puis lor demanda s'il savoient se li rois estoit passés. Et il disent qu'il n'en savoient nient. Li message retournèrent ariere droit à l'emperéour, se li disent qu'ele ne descenderoit mie.

Quant li empereres vit qu'elle ne descenderoit mie, si fist armer vaissiaus qu'il avoit al port de Limechon pour aler prendre le nef, s'il peussent. Quant cil de le nef virent les galyes ariver, si se pensèrent que ce n'estoit mie por bien ; si levèrent lor ancre et se traisent en haute mer. N'orent gaires esté en haute mer, quant li rois d'Engletiere vint à toutes ses galyes et tourna vers le mer, pour savoir quels gens c'estoient en le nef. Quant ^ H rois d'Engletiere sot que c'estoit li nés se sereur, si entra ens pour aler à li et pour bien- vegnier. [En ce qu'iP] parloit à se sereur, si vit la damoisiele, si demanda qui elle estoit, et ele li respondi

1. A. B : Limeczon. M : « Limecon. » Col. 809. N : « Li- » mezon. » col. 608. 2. A. B : confièrent. 3. A. B. D : d'ennor. G : feroit douer. 4. G : Quan. 5. J. A. B : Que qxCil. G : Quoi qu'il. D : Quan qu'il. G : Or ce qu'il.

272 CHRONIQUE d'eRNOUL [^^9^

que c'estoit li suer le roi de Navarre , que se mère li envoioit ; et se li mandoit qu'il ne laissast pour rien qu'il ne l'espousast. Apriès, li dist comment li empe- reres de Cypre l'avoit faite desaancrer.

Quant li rois d'Engletiere l'afaire de l'emperéour de Cypre, il entra en une galye, et s'en ala prendre tiere à Limeçon, et il et toutes ses galyes. Quant li empereres vit les galyes, et il sot que li rois d'Engle- tiereyestoit, si sautsour .i. cevaltous à as\ si s'enfui*. Quant cil de l'ost virent qu'il s'en fuioit, si s'enfui cascuns al miex qu'il pot. Li rois descendi à tiere et prist le cité et quanque il estoit demoré en l'ost. guaingna il cevaus et bestes et grant avoir, et toutes ses gens. Quant li rois d'Engletiere ot pris tiere et le cité, il descendi à tiere et se suer 11 fîst mener la damoisiele à .1. moustier dehors le cité ; l'espousa. Quant li rois ot pris le cité et espousée sa feme, si séjourna une pièce là.

Li rois Guis qui à Acre estoit, quant il dire que li rois d'Engletiere venoit, si entra en une galye, si ala encontre à Limechon, si le trouva. Quant ii rois Guis ot trové le roi d'Engletiere, si fist moût grant joie li uns de l'autre.

Apriès si atournerent que li rois Guis menroit le navie le roy d'Engletiere à .i. port^ qui a à non Lesquit% qui priés est d'une cité qui a à non Licois- sie-', et est en miliu de l'ille de Cipre ; pour ce

1. A. B. U : tos des chaus. D : tôt à hast. 2. Tout ce récit, semblable d'ailleurs dans A. B. G. D. G. J. 0., est fort sommaire et peu exact, relativement à H. Voy. notre Hisf. de Chypre, t. I. 3. D. A. 13 : mi port. G : à port. 4. A. B : />(? Kit. J : Le Quit. Larnaca, le vieux Cilium. j. B : Lecoisie. 0 : Ldcossie. J : Nicossie. G : Nicocie.

^^9^, mai-juin] et de bernaed le trésorier. 273

que, se li rois eust mestier de se navie, qu'ele li fiist preste S car il iroit apriès l'empereur par tierc. Ensi s'en ala li rois Gui par mer et li rois d'Engletiere par tiere. Et cacha tant l'emperéour qu'il l'assega en .i. castiel*, et si le prist et se feme et une fille qu'il avoit, et grant avoir qui estoit castel ; car tous li trésors de l'ille de Cipre estoit trais, pour çou que li castiaus estoit bons et fors.

Quant li rois ot pris l'ille de Cypre et l'emperéour, il commanda l'ille as Templiers, et qu'il le gardaissent, et si lor vot donner. Et il disent qu'il neu^ prende- roient mie, ains le garderoient une pièce, tant com il poroient. Ensi laissa li rois Cipre à garder as Templiers, et s'en ala Outremer ; et mena l'empereur et se feme et se fille et ses prisons, et ariva à Acre''.

Quant li rois de Franche sot que li rois d'Engletiere venoit, et qu'il avoit feme espousée, si en fu moût dolans ; et ne laissa mie pour chou qu'il n'alast encontre. fu li rois de France de si grant douceur et de si grant humelité% qu'il descendi de son ceval à tiere et prist le feme le roy Ricart entre ses bras et mist à tiere hors del batiel, si com on dist. Quant li rois d'Engle- tiere fu arivés, et il ot .1. poi séjourné, si fist assalir Acre. Et li rois de France faisoit assalir cascun jour. Il avint .1. jour qu'il faisoit les François assalir as murs, et qu'il entrèrent entre .ii. murs; fu li marissaus de France ocis, qui ot non Auberis Clymens^

1. A. B: qu'un fust près.— 2. Voy. notre Hist. de Chypre, 1. 1, p. 12.— 3. A.B-.ne la.— k. Gf.M. chap. 174 et 178. col. 809, 812.—

5. G : fu. de si grant cortoisie. J : fu si cortois et si humiles.

6. Nom omis, ou défiguré dans A. B. D. G. J. 0. D : Aubris Climent. D. Bouquet, t. XVII, p. 426, 430.

18

274 CHRONIQUE i)'er?{Oul [-HO^, juillet

Or ot ja li sièges duré .11. ans^ devant Acre; si furent li Sarrasin dedens moût grevé et moût afebloiié de gent et de viande. Il fisent savoir à Salehadin qu'il mesist consel comment il peussent issir hors, qu'il ne se pooient mais tenir. Quant Saleliadins le sot, si fu moult dolans ; et bien savoit qu'il estoient à grant mescief. Il manda al roi de France et al roi d'Engle- tiere qu'il donnaissent trives tant qu'il eust parlé à cens de le cité, et jours de pais. Li rois lor donna trives, et prist jours de pais. Dedens ces trives, fîst on pais ensi com je vous dirai : c'on rendi Acre al roi de France, et se li dut on rendre le Sainte Crois ^; et pour cascun Sarrasin qui dedens cstoit .1. Crestiien; et pour les haus homes qui dedens estoient, raencon devisée. Et de le Crois raporter, et de l'avoir^ faire venir, prist on jour.

Quant il orent celle pais atirée, si entrèrent li Cres- tiien dedens Acre et misent tous les Sarrasins en prison; et se herbegierent, teus i ot, dedens Acre ; car tout li Crestiien n'i peussent mie estre. Li rois de France ot le castel d'Acre, et le fist garnir et herbega dedens. Et li rois d'Engletiere se herbega dedens le vile, en le maison del Temple^. Li bourgois d'Acre et les gens ki yretaige i avoient devant che que li Sarrasin le presis-

1. G : plus d'un an.

2. Cf. M. cliap. 175. col. 8lU. Pipino a composé en grande partie la fin de ce chapitre 175 d'extraits textuels de Vincent de Beauvais (Spec. Ilist. pag. 1203). Le commencement du chapitre, Pipino insiste sur le fâcheux effet de la rivalité des deux rois en Terre Sainte, pourrait être de sa propre rédaction.

3. A. B : e/ de la raanzon. D : et de la rendre. 4. G. ajoute ici : Ainsi fu Acre prise et rendue l'an de V Incarnation Nostre Sei- f/nor mil et cent et quatre vingt onze.

U9i juillet] ET DE BERNARD LE TRe'sORIER. 275

sent, [se'] traisent à lor yretaige, et le vaurrent avoir. Li chevalier qui pris les avoient ^, disent qu'il n'en averoient nul, qu'il ne lor counissoient nient ^, et qu'il les avoient conquis sor Sarrasins. Li bourgois d'Acre se traisent au roi de France, se li criierent merchi, et qu'il ne souffrist mie que il fuissent deshi- reté, car il n' avoient lor yretage n'engagié ne vendu ; mais li Sarrasin lor avoient tolus; et puis que DameDiex l'avoit rendu à Crestiienté, il lor estoit avis qu'il n'estoit mie raisons qu'il le deussent perdre ; mais pour Dieu il i mesist consel.

Li rois lor dist que volentiers i metroit consel. Il manda le roi d'Engletiere et les barons de l'ost, qu'il venissent à lui pour consel mètre en cel afaire, dont on li avoit proiié. Quant li rois d'Engletiere et li baron furent venu, si lor dist li rois de France qu'ensi faite- ment li avoient li bourgois d'Acre requis et qu'il y mesissent consel. Apriès, si lor dist qu'il n'est oient mie aie en le tiere pour maisons ne pour yretaiges con- querre, mais pour le tiere secourre et remetre ens es mains de Crestiiens; et que bien li estoit avis, puis qu'il avoient le cité conquise, que cil qui iretaiges i avoient n'i avoient droit à perdre ; et que teus estoit ses consaus, s'il s'i acordoient. Il s'i acorderent tout, et disent que ses consaus estoit bons et biaus^

Là, otria^ li rois de France et li rois d'Engletiere et li baron de l'ost que quiconques poroit moustrer par bon tesmongnage que li hiretages eust esté siens, ne

1. G. A. B. D : traistrent.— 2. A. B. D. G.— G : Li cheva- lier qui priés estaient. 3. A. B : qu'il ne les connoissoient noient. 4. A. B ; ef que bien estoit à faire. 5. A. B. D : atira.

276 CDROMQUE d'eRNOTJL [^^9^

de parent^ qu'il eust, c'on li deliverroit. Apriès, si atire- rent que li chevalier qui les maisons y avoient prises et dedens Acre estoient, que cil cui li hyretages estoit, manroit^ aveuclui en le maison d'une part^ tant com li chevaliers vaurroit estre en le tiere; et se li liverroit son vivre.

Quant li jours fu venus que Salehadins devoit déli- vrer le Sainte Crois et les Crestiiens, pour les Sarrasins qui dedens Acre estoient, il manda al roi de Franche qu'il li donnast .1. autre jour; que il n'avoit mie appa- rellié çou que il li devoit livrer. Li rois li donna. Et quantce vint au jour, il ne li délivra mie; ains li manda que il li donnast .1. autre jour. Li rois de France se courouça de ce que Salehadins le gilloit^ ensi. Se li manda c'un jour averoit il par ensi que^ s'il ne li delivroit çou qu'il devoit délivrer, il ieroit tous les Sarrasins qui dedens Acre estoient les tiestes cauper.

Quant ce vint al jour, il ne li délivra mie; et li rois fist prendre tous les Sarrasins d'Acre fors les amiraus, si les fist mener en sus d'Acre, et si lor fist tous les tiestes coper^ Les amiraus détint il, pour ce ke li guerre n'estoit mie finée, et pour ce que, s' on presist

1. A. B : de parant. G : ne parent.

2. A. B : nauroit. G : manidroient (maindroient) . 3. J : Après devisèrent que li chevalier qui les maisons avoient prises et dedens estoient lairoient celui de cui l'eritaye estoit Tierheryier o eaus d'une part en la maison. Cf. II. pag. 17G. liv. XX YI. chap. 1.

4. A. B. D. 0 : (juilloit. G : trichoit. h. A. B : c'unjor auroit il par .1 . covent que. G : Si li dona jor par covenant que.

0. Exagération évidonto, dômontréo par la suite du récit. Pipino rapporte d'autre part que le roi Richard, indigné de se voir refu- ser la vraie croix, malgré les conventions, fit mettre à mort 5,000 Sarrasins (ci-après p. 277. note'i.); et ce fait même n'est pas certain.

N9^ août] ET DE BERNARD LE TRE'sORIER. 277

.1. ^ haut home crestiien, c'on rendist l'un pour l'autre. Des Sarrasins ^ d'Acre c'on détint ^ et c'on ne tua mie, et li rois de France le moitié et li rois d'Engletiere l'autre.

Quant Salehadins ot rendue Acre as Crestiiens, il se traist ariere en se tiere, et si envoia à Escalonne qu'il avoit conquise sour Crestiiens, et si le fist abatre, pour çou qu'il ot peur que Crestiien ne le fesissent

assegier.^

Apriès çou qu'Acre fu prise, ne demoura gaires que li quens Phelippes de Flandres fu mors et grans maladie prist al roi de France. [Li rois de France^] quant il com- mença à garir, il fist appareiller une galye et prist congié as barons de l'ost et entra en le galye, si s'en vint en France^. Et laissa le duc de Bourgoigne en sen liu ; et se li laissa son avoir et ses homes. Dont aucunes gens disent, quant' li quens de Flandres dut morir, qu'il manda le roi et se li dist qu'il s'en venist [en France^], c'on avoit se mort jurée. Et aucunes gens disent, quant il fu malades, c'on l'avoit empuisonné^.

1. A. B : nul. 2. A. B : Des haus homes sarracins. 3. A. B. D. Ce. G : c'on tient.

4. Pipino répète ce fait d'après notre chronique et ajoute: « Aliln (Vincent de Beauvais; Spec. Hist. lib. XXIX. cap. 52. pag. 1203),

, » legitur quod rex Angliœ, paganis petentibus, multo auri pretio » funditus eam diruit. Qui etiam quinque millia captivorum de- » collari mandavit. » M. chap. 176. col. 811. Pipino avait déjà rappelé cette circonstance dans les livres antérieurs de sa ciironiquc. N. col. 609.

5. A. B. 6. Il partit le 3 août 1191. Pipino reproduit à cette occasion textuellement un fragment de Vincent de Beauvais, qu'il ne nomme pas : « Timens itaque Philippus, etc. » M. chap. 176. col. 811. Spec. Hist. pag. 1203. 7. D : que quant. 8. D. 9. Cf. H. pag. 179-180, très-hostile au roi d'Angleterre.

278 CHRONIQUE d'ernoul [M 92

Et aucunes gens disent qu'il estoit venus pour le tiere le conte de Flandres qui li estoit eskeue, qu'il avoit donné à se nièce ^ en mariage, pour çou qu'il avoit peur que li quens de Hainau, à cui li contées estoit eskeue, ne le saisesist.

Or vous lairons del roi de France à parler, ki sauve- ment s'en va, et ariva et vint en France par Rome et parla à l'Apostole. Si dirons del roi d'Engletiere et des barons qui demourerent^.

On fiist asavoir al roi d'Engletiere que li Sarrasin avoient vuidie Jherusalem, et bien le poroient avoir, s'il i aloient, sans traire et sans lanciner. Li rois d'En- gletiere le fist savoir al duc de Borgoigne et as barons de l'ost. prisent consel qu'il iroient et garniroient bien Acre. Et cargierent lor nés de viandes, si les envolèrent à .i. castiel qui a à non Jafîe, à .x. liues de Jherusalem; et il alerent par tiere jusque al castiel. D'illeuques murent; si alerent [herbergier •*] à .v. liues de Jherusalem, à une vile qui a à non Betunuble^ atirerent lor batailles et ordenerent lors qui feroit l'avant garde [et l'arriére garde"]. Li rois d'Engletiere dut faire l'avant garde et li dus de Bourgoigne l'ainere garde.

Ouant ensi orent atiré lor batailles, si ala cascuns à se herbege. Lors pensa [mult*"] li dus de Borgoigne. Qudnt il ot pensé, si manda des haus homes de France' k'il savoit qui plus amoient Iccorone de France, et lor dist (fu'il avoit pensé : « Segnour, vous savés bien

1 . A. B. .T : à 5a mère. 2. Pour la suite, cf. M. chap. 177. col. SI I. 3. A. B. 4. D. 0. A. 13 : Bethunuhle. G : Balenuble. C : Betunule. 5. A. B. 6. G. 7. G. 0 : les barons de France.

^^92] ET DE BERNARD LE TRE'sORIER. 279

» que nos sires li rois de France s'en est aies, oui Diex » conduie ! et que toute li cevalerie et li flors ^ de sen » règne est chi demorée, et que li rois d'Engletiere » n'a c'un poi de gent avers ^ çou que li rois de France » a. Se nous alons en Jherusalem et nous le prenons, » on ne dira pas que nous l'aions prise, ains dira on » que li rois d'Engletiere l'a prise. Si ert grans hontes » à^ France [et grant reproviers^] ; se dira on que li » rois de France s'en sera fuis, et li rois d'Engletiere » aura pris Jherusalem. Ne jamais ne sera jours, tant » que li siècles durece% que France n'en ait reproce''. » Quel consel, dist li dus de Borgoigne as François, » me donrés vous ? » Teuls i ot qui disent que bien disoit et que bien s'acordoient à se volenté faire ; et tels i ot qui ne s'i acordoient mie.

Lors dist h dus de Borgoigne qu'il n'iroit [plus''] en avant, ains retourneroit arierre ; si le sivist qui sivir le vauroit^ Quant ce vint l'endemain par matin, h rois d'Engletiere s'arma et il et si home, si s'en ala vers Jherusalem. Et vint à .i. castiel qui estoit priés de Jherusalem à .v. liues; et [era tant qu'il vint à .11. Hues près de Jérusalem et^] qu'il vit le cité, si quem on dist'«.

Li dus de Borgoigne fist armer les François et se mist al retour vers Acre. Aucun i ot des barons qui

1. A. B. 0 : r[ue tote la flors de la chevalerie. 2. 0 : envers.

3. G. J. A. B. C : en. 4. A. B. 5. A. B. D : durt.

6. J : à tozjors mes durera cist reproches à France. G : Ne James ne sera que France n'en ait reproche. 7. A. B. 8. Cf. H. pag. 186, toujours plus développé. 9. A. B. J. O. H. ne dit rien de semblable. 10. A. B : si com hom dist.

280 CHRONIQUE DERNOUL [] ^ 92

amoit^ le roi d'Eiigletiere et envoia apriès lui; et li fist savoir qu'il retornast, que li François retornoient. Quant li rois d'Engletiere le novele, si s'en retourna et vint à Jaffe ; et si le garni moût bien de gent et de viande, et si s'en vint à Acre apriès le duc de Bour- goigne.

Ne demora gaires apriès ce que li dus de Borgoigne fu venus à Acre, qu'il tu mors et que Salehadins asanla ses os et ala assegier Jaffe ^. Quant cil de Jaffe furent assegié, il envoiierent .1. message al roi d'Engletiere bâtant, qu'il les secourust ; car li castiaus n'estoit mie [si^] fors à tenir encontre si grantgent, comme Saleha- dins avoit amenée. Quant li rois d'Engletiere les noveles que cil de Jaffe li avoient mandé , si le fist savoir as haus hommes qui à Acre estoient. Et si lor dist qu'il iroit secorre Jaffe ; et si lor demanda s'il iroient aveuc lui. Et il respondirent qu'en tous les lius Grestiientés aroit mestier de lor aiue, tant com il seroient en le tiere, il iroient.

Adont ordenerent lor eschieles et lor batailles, et si murent pour aler secourre Jaffe ; et si laissierent Acre garnie. Lors dist li rois d'Engletiere as barons qu'il errassent seurement^ par tiere, et qu'il iroit par mer, pour plus tos venir al castiel, et pour le castiel tenir ^ tant qu'il venroient là; car il savoit bien que li castiaus ne se tenroit mie tant qu'il i pcussent venir par tiere ^. Lors fist îirmer li rois d'Engletiere galyes si [entra'] ens,

1. A. B. G : amoient .... envolèrent ...fistrent savoir. 2. M ; « JalTot. » 3. A. B. 4. 0 : serreemeni. J : hastivement. G . seulement. 5. J : por aidier à tenir le. fi. J : car il dotoit que li chnstiaus ne se peust tenir tant qu'il venissent par terre. 7. A. B. D.

^^92] ET PE BEBMRD LE TRÉSORIER. 2S\

et si mist de ses hommes tant com il vaut; et erra tant et par jour et par nuit qu'il vint à Jaffe.

Quant il ariva devant Jaffe, si estoit li castiaus pris, et li Sarrasin dedens entré, il lioient les Crestiiens pour mener en l'ost. Si sailli li rois à tiere et mist l'escu al col et le hace danoise^ en le main ; si entra el castiel et si home apriès lui. rescoust le castiel et ocist les Sarrasins qui dedens estoient, et si cacha ceuls qui dehors les murs estoient desi c'a l'ost ; et arresta sour .1. toron, qui devant l'ost estoit, il et si home. Lors demanda Salehadins à ses hommes que c'estoit et de quoi il avoient eu paour, qui [si^] fuioient. Et on li dist que li rois d'Engletiere estoit arivés dedens le castiel et avoit ses homes ocis et pris et cachiés, et rescous le castiel.

Lors demanda Salehadins il estoit. Et on li dist : « Sire, vés le là, sor cel toron, à pié, aveuc ses homes. » « Comment [est-ce?^], fait^ Salehadins, que rois est » à piet aveuc ses homes! N'affiert point! » « Va, y> dist il à .1. de ses serrans, ensiele .1. ceval et se h » maine. Se li di que jou h envoie; k'il n'affiert pas à » si haut home comme il est qu'il soit à pié, en tel liu, B aveuc ses homes. » Li serjans^ fist le commande- ment Salehadin, et si mena le ceval al roi d'Engletiere et si fist sen message. Et li rois d'Engletiere l'en mercia, mais ne monta pas sus; ains fist monter .i.

1 . Pipino traduit textuellement ces mots de notre chronique : « Quo vise, ' statim rex navem egressus ad terram prosiliit , et r> clypœo protectus, manuque gladio déferons, quem la ache dan- » noise vulgo nominant. » M. chap. 177. col. 811.

2. D. A. B : que si. 3. D. 4. A. B : dist. 5. D. A. B. G : X<t Sarrasins.

282 CHROMQIE d'ernoul [^^92

sien sergant, et fist poindre devant lui. Quant li sergans ot point le ceval, et il cuida retorner, ce ne f'ust jamais ; ains l'emporta li cevaus, quel gret* qu'il en eust, en l'ost as Sarrasins. Et Salehadinsen fumout honteus de ce que li cevaus estoit retornés. Si en fist .1. autre apparellier, et selirenvoia^ Et li rois d'En- gletiere retorna arrière al castiel. Mais^ Salehadins ne se desloga pas cel jour desci qu'à l'endemain.

Pour celle proece que li rois Ricars fist illuec et aillours, à .1. autre castiel, qui a à non li Daron, qu'il prist sour Sarrasin, fu il moût doutés par toute Paie- nimc. Et si c'on dist qu'il avenoit aucune fois que quant li petit enfant ploroient, que les Sarrasines lor mères disoient : « Taist toi, pour le roi d'Engletiere! » Et quant aucuns SaiTasins cevaloit ceval umbrage% et il veoit ou buisson ou ombre, et il reculoit ariere, que li Sarrasin hurtoit des esporons et dissoit à son ceval : « Guides tu que li rois d'Engleterre soit mucziez en » ces buisson?^ » ou en cel ombre, ou en ce dont li cheval avoit paor.

Quant Salehadins sot que li [autre*'] Crestiien [venoient par terre '] à Jaffe il estoit al siège, il se leva del siège, si ala encontre et si les encontra devant .i. castiel

1. A. B : gré.

2. Suivant le rédacteur du texte de la ville de Lyon, ce fut une trahison préméditée, non de Saladin, mais de son frère. Voy. H. pag. 195, dans les var. Pipino suit le récit de A. B. G.

3. C : Mas. 4. G : rétif. 5. A. B. D. G. La phrase est tronquée dans G. M : « Putasne regem Anglicum in hoc ccspite » evasisse? » Pipino l'avait déjà rappelé : « Cogitas-ne in hune ru- )) hum, sive cespitem, Ricardum Angliœ regem confugisse? » N. col. 609. Gf. H. p. 189. - G. A. H. G. 7. J. - A. B. C. D. G. 0. donnent la mauvaise leçon : soi que li Cresliien esloient.

^^92] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER 283

qui a à non Asur^ assanlerent li Crestiien as Sarrasins. Si se conbatirent, et grant damage i reçu- rent li Crestiien plus que li Sarrasin ne lisent. Mais toutes eures s'en partirent Crestiien sans desconfiture et alerent à Jaffe li rois estoit. A l'assanlée que Crestiien et Sarrasin lisent devant Assur, fu Jakemes d'Avesnes^, li bons chevaliers, ocis.Li Crestiien furent à Jaffe, et Saleliadins se traist ariere en se tiere.

Or vous dirai qu'il avint [devant Jaffe ^]. Une car- vane de Sarrasins venoit de le tiere d'Egypte et aloit à Damas. Et avoient dire que Salehadins estoit devant Jaffe , pour çou aloient plus seurement. Et se furent herbegié .v. Hues priés de Jaffe. On fîst asavoir al roi d'Engletiere que làavoit une moût rice carvane, et que grant avoir i poroit gagnier, s'il le prenoit. Li rois d'Engletiere fîst armer ses homes et ses chevaliers, si i ala et si le prist; et quant prise l'ot si le mena à Jaffe.

Apriès, si assanla les barons de l'ost et les chevaliers et dist qu'il voloit aler fremer Escalone, et que s'elle estoit fremée, il seroient moût enforchié en le tiere. Il disent qu'il iroient volentiers; il i alerent, et si freme- rent Escalone moût bien et garnirent. Et si prisent .II. castiaus qui priés d'illeuc estoient, dont h unsavoit à non Gasdres^ et li autres li Daron^. séjourna li rois d'Engletiere et li baron de l'ost, pour ce que li tiere estoit plus saine qu'ele n'estoit à Acre^

1. A. B : Assur. D. G. J. 0 : Arsur. 2. A. B : Jaques d'Esvenes. 3. D. 4. A. B. G : Gadres. D : Jadres. Cf. H. pag. 198. var. Gazere. 5. Cf. H. pag. 189. 6. G : plus saine que aillors. F. et 0. (fol. 93 Y*'-95) insèrent ici une cnu- mération imaginaire des seigneurs présents alors en Terre Sainte et le récit non moins fabuleux de quelques aventures.

CHAPITRE XXV;

De risle de Cypre et des Grifons.

SOMMAIRE.

1192. Les Templiers, maîtres de l'ile de Chj-pre, répriment une révolte des Grecs. Ils rendent l'ile au roi d'Angleterre qui la vend au roi Guy de Lusignan. Guy de Lusignan appelle en Chypre les chrétiens d'Ar- ménie et de Syrie. 11 dote un grand nombre de chevaliers, de sergents et de bourgeois. 1194. Il meurt. Amaury, son successeur, est obligé de reprendre une partie des biens que Guy avait donnés. 1192. Conrad de Monlferrat enlève de force les marchandises d'un navire du pays du Vieux de la Montagne, venu à Tyr. Le Vieux de la Montagne, n'ayant pu obtenir satisfaction, charge deux de ses fidèles d'aller poi- gnarder le marquis.— 27 avril. Circonstances de l'assassinat du marquis Conrad. Le roi d'Angleterre détermine Henri de Champagne à épouser la reine Isabelle, veuve de Conrad de Monferrat, trois jours après le meurtre du marquis. 10 aoàt. Trêves conclues entre Saladin et Henri de Champagne. Saladin rend une partie de ses conquêtes aux Chrétiens. 1192-1194. Mariages projetés entre les enfants du comte Henri et ceux d'Amaury de Lusignan, seigneur de Chypre.

Or vous lairai^ à parler de le tiere d'Outremer, si vous dirai .1. poi de le tiere ^ de Cypre.

1. Cf. G. paf,'. 194-208. H. chap. 11-17 du livre XXVI*. pag. 189-199. M. cliap. 178-180. col. 812-814.

2. A. B : Or vos luirai un poi. 3. A. B : si vos dirai de l'isle.

^-192, avril] coroinique de bernard le trésorier. 285

Il avint cose que li Grifon ' s'asanlerent et parlèrent ensanle, et prisent consel d'ocire les Latins, qui estoient aveue les Templiers, à oui li rois d'Engletiere avoit le tiere laissie et commandée. On fist asavoir as Templiers et as Latins que li Grifon s'asanloient pour eaus ocirre. Se lor consella on que il mandassent secors, et que il se m.esissent en une forterece, tant qu'il eussent secors. Dont vinrent, si s'asanlerent de par- tout et vinrent à Lecoisie^ Si entrèrent ens el castiel, et ne furent pas plus de cent Latin ens el castiel; et tantyot assanlé de gent [griffonne^] entour le cité, que on n'i véoit se gens non tout entour.

Quant li Latin furent dedens le castiel, une nuit, le semmedi devant le grant Paske^ si virent bien qu'il n'avoient mie viande pour le castiel tenir, ne que li castiaus n'estoit mie fors pour tenir encontre tant de gent. Si disent entr'aus quemieus lor venoit [iP] morir à armes que morir dedens le castiel defain. prisent conseil qu'il s'en istroient et se metroient en aventure ''. Quant ce vint l'endemain, le jour de Paske Florie', il se confessèrent et s'armèrent et acumeniierent , et issirent hors tout, fors seulement .x. des plus feules,

1. A. B. D. F. G. J. 0.— G : li Frison. - M : « Grifones sive » Grœcos. » 2. A. B : Licossie. J : Nicossie. G : Nicosie. -3. D.

4. A. B : Ze samedi de la grant Pasque. D -. de Pasque Florie. G : une veille de Pasques. Le samedi 28 mars, veille du dimanche des Rameaux, suivant quelques mss., ou le samedi 4 avril, veille de Pâques, suivant d'autres récits. Voy. notre Hist. de Chypre, t. I, p. 33; t. IL p. 7. n.

5. A. B. 6. J. ajoute ce fait bien précis : Et ce conseil fu pris un samedi à soir la nuit de Pasque. Fol. 395. 7. G. D. A. B. J : le jor de Pasques. Le 5 avril. G. et M. ne précisent pas.

286 CHRONIQUE d'eRNOUL [-1192

qui demorerent à le porte del castiel, que se mestiers lor fustS qui recouvraissent el castiel. Et lors issirent li Latin hors del castiel et se ferirent entre les Griffons aussi comme entre brebis ; et nient plus ne se desfen- dirent il comme brebis fesissent. Et li Latin en tuèrent tant que ce fu une mervelle, c'onques toute jour ne finerent de tuer et de cacier; tant qu'il vuidierent toute la cité qu'il n'i demoura ne home ne feme.

L'endemain forèrent il toute le viande de le cité^ et [le ^] menèrent el castiel. Apriès ce fisent savoir al maistre del Temple et al roi d'Engletiere, comment il avoient fait. Dont vinrent li Templier al roi d'Engle- tiere et se li disent qu'il fesist de l'ille à se volenté, qu'il ne le pooient plus garder. Quant li rois Guis, qui n'avoit point de tiere, dire que li Templier avoient rendue l'ille de Cipre al roi d'Engletiere, par le consel le maistre del Temple % si l'acata et il li vendi.

Or vous dirai que li rois Guis fist, quant il ot celle tiere acatée. Il envoia en le tiere d'Ermenie et en An- tioce et à Acre ses mesages et par toute le tiere delà le mer qu'il venissent en l'ille de Cypre à luy, et il lor donroit terres et garisons% tant com il en oseroient demandera Li chevalier qui desireté estoient, cui li Sarrasin avoient lors terres tolues, et les dames cui lor mari estoient ocis, et les pucieles orfenines alerent là. Et li rois Guis lor donna terre à grant plentés , ne nus

1. G : Dix des plus faibles demorerent laiens por ouvrir la porte se mestier fust, 2. A. B : L'endemain forrerent li Latin lote la cité de viande et d'avoir. G : troverent tote la cité plaine de viandes et d'avoir. D : L'endemain f arriérent. 3. O. 4. A. B : si vint à parler al maistre del Temple. 5. G : garnisons. 6. J : selonc ce que chascuns serait.

'l^92-^^9^] et de bernaud le trésorier. 287

n'i aloit cui il ne donnast à grant plenté^ Il maria les veves et les orfenines, et lor donna avoir à grant plenté. Et tant donna qu'il fieva .m*^. chevaliers en le tiere, et .11^ sergans à ceval, aveuc^ les bourgois qui^ il donna grans tieres et grans garisons. Quant il ot tant doné, il ne li demoura mie tant de tiere qu'il peust tenir lui .xx.™^^ de chevaliers [de mesnie^]. Ensi faitement peupla li rois Gui l'ille de Cypre. Et si vous di bien pour voir que se li quens Bauduins eust aussi bien peuplée le tiere de Costantinoble, quant il fu empereres, il ne l'eust mie perdue ; mais il convoita tout par mau- vais consel, si perdi tout, et son corset se tiere.

Apriès ce que li rois Gui ot si peuplée se tiere de l'ille de Cypre, ne demora puis gaires qu'il fu mors^ et li tiere eskéi al connestable Haimeri sen frère. Si vous dirai qu'il fîst.

Il vit qu'il avoit poi de tiere et que [les terres que '] ses frères avoit doné pour mil besans valoient au double. Il manda tous les chevaliers de le tiere; si lor dist [quant il furent venu^] que li rois Guis ses frères avoit abandoné se tiere à cascun, et cascuns en avoit pris tant com il voloit. « Il vous dona tant que riens ne li » demora. Li tiere m'est eskeue tant que Diu plaira » tenir, et sires en suis, et vos estes mi home^].

î. A. B : Ne nus ni aloit qui n'en eust assez, ne ni fallait se par défaut non de cuer qu'il n'osoient demander. 3 : Li rois Guis lor dona à tos quanqu'il osaient demander. 2. A. B. D : estre. 3. A. B : à cui. 4. D : huitierme. G : dont il peust tenir vingt chevaliers de maisnie. M : « ut fere XX. collateralibus militibus )> in necessariis provideret. » Ces faits manquent dans H. Voy. Hist de Chypre, t. H. 5. A. B. G-. 6. Avril 1194. 7. À. B. I). G. J. 8. A. B. 9. A. B. D.

288 CHROMQUE d'erînoul [^^92-^^94

» Et je n'ai point de tiere ; et il i a aucun de vous qui » en a plus que je n'aie. Comment sera çou que je serai » povres et vous serés tout rice, et n'arai que » despendre? Il n'affiert point. Or prendés conseil » entre vous; si me relaist^ cascuns tant de se tiere » que je puisse estre entre vous comme sires, et que » je vous puisse aidier comme mes homes. » Il prisent consel ; et se li dona cascuns de se tiere tant com lui plot'. Apriès fist tantli connestables Haimeris, par force u par amistié, ou par son sens, c'al jour qu'il fu mors, li valoient ses rentes de l'ille de Cypre .m*^. mil besans^. Li connestables Haimeris, lues'' que l'ille de Cypre li fu eskeue, ne porta mie lues corone ; car il ne le vaut mie porter desci que il [la ^] presist [de ^] haut home de cui il tenist l'ille de Cypre.

Or' vous lairons de l'ille de Cypre parler*] dessi que lius en sera, et si vous dirons de le tiere d'Outre- mer. Il avint cose .1. jourc'une nés [de marcheans^] de le tiere [le seignor'"] des Ilassasis ariva à Sur. Li marcis [Corras "J ot mestier d'avoir; si envoia de ses homes en le nef et fist prendre de l'avoir tant com il vault. Li marceant descendirent à tiere, et si se plainsent al marchis c'on les avoit desrobés en le mer ; et que pour

1. D : lest. G : rendes. 2. A. B : tant com de suen cuers li vint. 0 ■■ li cuers h vint. 3. A. B. G. D. J. O.— G: deux cens mille besans. Le ms. de Pipino portait vraisemblablement XXX mil besans : « Sua sic industria roditus fisci rogii ad summam tri- )> ginta millium byzantiorum adduxit. » M. col. 812. i. A. B : quant. D : lors. 5. A. B. D. G. A. B. D : d'aucun.

1. Pipino résume les faits suivants et rappelle les divers motifs attribués au meurtre de Conrad sans suivre rigoureusement le texte de la cbronique. M. cbap. 179. col. 813.

8. A. B. - 9. A. B. 10. A. B. 11. D.

^^i)2] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 289

Diu lor fesist rendre lor avoir. Li marcis respondi que l'avoir ne raveroient il jamais ; mais gardaissent bien le remanant. Et il disent [que^], puis qu'il ne lor voloit [faire*] rendre, il s'en iroient à lor signour et s'en plainderoient. Et li marcis [lor respondi^] alaissent il vausissent.

Lors se partirent d'iluec et alerent en lor tiere et se plainsent à lor segnour. Quant li sires des Hassasis sot que li marcis avoit desrobés ses homes , se li manda que l'avoir rendist à ses homes. Li marcis li remanda qu'il ne li renderoit mie. Encore li remanda li sires des Hassasis qu'il li rendist l'avoir à ses hommes ; et seust il bien de voir, s'il ne li rendoit, qu'il'' en morroit. Li marcis li manda qu'il ne li renderoit mie. Lors com- manda li sires des Hassasis .11. de ses homes qu'il alaissent à Sur ^ et si tuaissent le marcis. Et il i alerent. Et quant il vinrent à Sur, si se fîsent crestiiener ; dont li uns mest entor le marcis, et li autres entor Balyan*^, qui le roine Marie' avoit à feme et qui à Sur manoit.

Or avint cose .1. jour que li marcise Ysabiaus estoit as bains, qui feme estoit le marcis Colras, et que li marcis ne vaut mangier [dusqu'à tant qu'ele^], se fust baignie. Elle demora trop, ce fu avis al marcis, si ot talent de mangier; si monta à ceval entre lui et .11. che- valiers, et ala à le maison l'evesque de Belvais^ pour mangier aveuc luy, s'il n'eust mangié. Quant [il vint"'] là,

1. D. 2. A. B. D. 3. A. B. D. 4. A. C : il. J :

seust il qu'il leferoit ocirre. 5. A. B : à-s Sur. 6. Balian II d'ibelin, père de Jean d'Ibelin, le vieux sire de Beyrouth. Cf. H. p. 193. 7. Marie Gomnène, veuve d'Aniaury I*"". 8. A. B. J. G : jusques qu'ele fu venue. 9. A. B : Biauvais. 10. A. B. D. J.

19

290 cuBOMQUE d'ernottl [M 92

S! avoit li vesqucs mangié. Si dist à l'evesque. « Sire » vesques, j'estoie chi venus pour mangier aveuc vous ; » mais puis que vous avés mangié je m'en retornerai. » Li vesques le bievegna et se li pria moût qu'il demou- rast, qu'il li feroit assés donner à mangier. Li marcis dist qu'il ne demorroit mie, ains s'en retorna.

Tout si que li marcis fu entrés en une estroite rue de Sur qui est priés del Gange, si seoit uns hom d'une part de le rue et .1. autre d'autre part. Tout si com il vint endroit ces .11. homes, si se levèrent encontre lui. Se vint li uns, se li mostra^ unes lettres, et li marcis tendi sa main pour prendre ; et cil trait .1. coutiel, si l'en feri parmi le cors. Et li autres, qui d'autre part estoit, retraist .1. autre cotiel, si l'en refiert pai^mi le cors. Si Fabatirent mors. [Cil furent tantost pris et essillié.^]

Ensi tesmoignent cil de le tiere que li marcis fu mors. Aucunes gens disent que c' avoit fait li rois d'Engletiere faire, et qu'il avoit tant fait vers le seigneur des Ilas- sasis qu'il avoit envoiiet en France pour faire tuer le roi Phelippon de France. Dont, encore ne fu çou mie voirs, fîst on savoir le roi de France qu'ensi avoit fait li rois d'Engletiere. Quant li rois de France ot les noveles, si en ot grant paour et bien se fîst garder, et si fu lonc tans que il ne laissa nului venir devant lui c'on ne conneust moût bien.

En cel point que li marcis fu ocis, estoit li rois d'En- gletiere à Acre. Quant li novele vint à Acre que li marcis estoit mors, li rois d'Engletiere monta tantost ^

1. J. A. B : rendi. D. G : tendi. G : (iWislhle) présenta? 2. D. 3. monta tantost, dans A. li. C. D. G. O.— H : monta tantost à cheval.

^92] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 29^

si com on dist, et s'en ala à Sur'. Et mena aveuc lui le conte Henri de Campaigne, qui ses niés estoit. Et se li fist espouser Ysabiel, le feme al marcis qui mors estoit. Pourcemescreirent, maintes gens i ot, qu'il ot coupés^ en le mort le marcis ; car il fu mort le mardi, et il fist sen neveu espouser le jeudi. ^

Quant li quens Henris de Campaigne mut pour aler en le tiere d'Outremer, il estoit tenanset prendans^ de le conté de Campaigne. Il le bailla et laissa à se mère en baillie et en garde ; et elle li envoia tant com il vesqui les rentes de le tiere. Et si [en=] paioit les dettes qu'il faisoit à Acre, qu'ele li envoioitpour paiier [chascun an^]. Ensi faitement tint li quens Henris se tiere, tant com il vesqui. Dont maintes gens s'esmervilierent puis- sedi"' que si hoir furent desireté de le conté. Il demoura aveuc le contesse de Campaigne .i. fil et une fille qui frère estoient et seur le conte Henri. Dont li fille fu mariée al conte ^ Bauduin de Flandres , qui puis fu empereres de Constantinoble ; et li vallés, apriès le mort le conte Henri et apriès [la®] se mère le contesse, li rois Phelippes le fist chevalier et se li dona le conté. Il ot à non Tiebaus ; et si ot à feme une sereur le roi de Navarre et suer le roine d'Engletiere, le feme al roi Richart.

Quant li rois d'Engletiere ot donné feme à son neveu

1. A. B : à Acre. 2. J : coulpés. D : corpés. 3. M : » In quo de ipsa nece idem rex habitus est suspectas.» 4. A. B. G : et prenans. 5. A. B. 6. D. G : et paioit les dettes de qu'il acreoit en Acre as rnarchans qui venaient de en Cham- paigne. J : e^ paioit les detes qu'il acreoit en Surie à ciaus qu'il envoioit à li pour estrepaiez. 7. A. B : puis cel di. 8. A. B: au roi. Marie de Gtiampagne, fille de Henri !«■•, sœur de Henri 11. morte en 1204. 9. A. B.

292 CHRONIQUE d'eRNOUL [\\92

le conte Henri de Campaigne, et il vit que li chevalier et li pèlerin s'en revenoient ariere en lor tierres, et que poi de gent demoroit en le tiere, il dist al conte Henri qu'il feroit trives as Sarrasins, et si s'en riroiten son païs, et qu'il amasseroit grant gent et grant avoir pour lui aidier et secorre el point que les trives deve- roient faillir. Et li quens li dist que puis qu'il le voloit faire, bien li plaisoit'; mais, pour Dieu, ne l'obliast mie, car il savoit bien comment il le laissoit el pais.

Li quens Henris, pour çou que cil estoit sires del païs, afferoient^ les trives à lui à requerre; si les requist^ à Salehadin. Saleliadins sot bien que li rois d'Engletiere et li pèlerin s'en venoient^ en lor pais et voloient venir, et pour ce requeroit li quens les trives. Salchadins li manda que nulle trive ne li donroit, se li rois d'Engletiere ne faisoit abatre Escalone, qu'il avoit fait fremer, et Cadres et le Daron.

Quant li rois d'Engletiere qu'il li estevroit^ abatre les castiaus qu'il avoit fremés [s'il voloit trives avoir "^J, si en fu moût dolans, et de chou que [de'] tant descrois- teroit le tiere le conte Henri, de si^ bonne tiere que le tiere d'Escalone. Puis dist al conte Henri : « Biaus » niés, je ne puis plus demorer en cest païs, ains m'en » convint aler. Ne pour Escalone faire abatre, ne lai- » re ge mie que je ne m'en voise; ains le ferai abatre, » et prcndons trives. Et je, à l'aiue de Dieu, se j'ai vie » et santé, vos amenrai tant de gent que nous rarons » Escalone et toute le tiere, et porterés courone en

i. A. B : belli estoit. _ 2. C : affroient. 3. A. B. D. G. G : reprist. -'/.A. B : et li pelenn qui estaient s'en iraient. 5. A. B : convenait. 1) : estaroit. 6. A. B. 7. A. B. 8. A. B. G : et si.

M 92. août] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 293

» Jherusalem. » Eiisi faitemcnt furent les trives faites, c'on abati Escalone, et Cadres et le Daron^

Apriès^ quant li trive fu faite, si ot pitc^ Salehadins des haus homes de le tiere qu'il avoit desiretés qui encore vivoient. Si dona al signeur de Saiete [la moitié^] des rentes de Saiete et .i. bone ville a .un. liues de Sur qui a à non Sarfent^ Et dona à Balyan de Belin, qui barons estoit le roine Marie, .i. castiel à .v. lius d'Acre et le tiere qui i apartenoit ; li castiaus a à non Ghaimon \ Au segnor de Chayphas rendi Cayphas. Al segnor de Cesaire rendi Cesaire. Al segnor d'Arsur' rendi Arsur et l'apartenance. Et al conte Henri dona Jaffe«.

Puis ot li quens Henris .m. filles entre lui et se feme. Dont il fist mariage de toutes .m. as .m. fieus que li connestables^ avoit, qui sires estoit de l'ille de Cypre, de l'ainnet à l'aisnée quant il seroient d'aage. Pour clie di ge de l'ainsné à l'ainsnée, que s' aucuns en morust, qu'il ne perdist mie que li ainsnés n'eust l'ainsnée. Et donna Jaffe al roi de Cypre, aveuc ses filles^". Il ne lor

1. M : « Treugas quinquennales composuit cum Saladino, con- » cessitque ipsi Saladino quod posset diruere Ascalonam, quam » rex ipse reœdificaverat. » chap. 179. col. 814.

2. M. chap. 180. col. 814. 3. A. B. D. G : pitié. G : prière. 4. A. B. et M : « reditus .... pro dimidia. » 5. A. B : Sarffent. D : Saffet. G. 0 : Serfent. H. J. M : Sarfent.

6. A. B : Chaymon. D : Cannon. 0 : Chdimon. J : un chasteï à V. liues d'Acre qui a nom Caymon. G : ?e chastel a nom Laqueimonl; pour Le Queimont ou Le Quaïmont, bonne leron de K. M : « Chaymon. »

7. A. B. M : Asur. 8. M : « Japhet. » Sur tous les laits qui précèdent, cf. H. p. 198-199. 9. A. B : li comtes Haimeris. 10. A. B -.por ses filles. M : « Quam (civitatem Japhet)

294 CHROMQUE DERNOUL [^192-^^94

pot plus douer de le tiere, que ^ se feme avoit une fille del marcis, qui puis fu roine, si com vous orés dire, et qui elle ot à segnor, et qui en fu rois. Li sires de Cypre ot Jaffe. Si le list garnir de chevaliers et de sergans et de viande, et si le tint. [Et la terre fu une pièce en bone pes et enbonetrive'].

). idem cornes in dotem filite dédit quam régis Cypri Aymerici » fdius habuit in uxorem. » l.G. 0 : car. 2. J.

CHAPITRE \\\V

Cornent le roijs cVEngletere pasa mer por reparier

en sa terre.

SOMMAIRE.

1192. 9 octobre. Richard d'Angleterre s'embarque à Saint-Jean d'Acre, pour revenir en Europe. Afin d'échapper à ses ennemis, il cherche à voyager sans être connu et à rentrer furtivement en Angleterre, avec le concours du grand maître du Temple. 21 décembre. Il est arrêté près de Vienne, par ordre du duc d'Autriche.— 1193. Le roi de France s'empare de Gisors. 1194, 4 février. Le roi Richard est racheté de prison. 1194, avril. L'empereur Henri VI est couronné roi de Sicile à Palerme. Naissance de Frédéric IL— 1 195-1196. Henri VI fait préparer une grande croisade. 1197. Août-septembre. La croisade allemande passe en Orient sous les ordres de Conrad, évêque d'IIildesheim, chan- celier de l'Empire. Marguerite de France, reine de Hongrie, meurt à Saint- Jean d'Acre. Amaury de Lusignan est couronné roi de Chypre à Nicosie, par le chancelier Conrad, au nom de l'empereur.

Or vous lairons à pailler de le tiere, qu'il i a bone pais et bones trives. Si vous dirons del roi d'Engletiere, comment il s'en revint en son pais.

1. Cf. G. pag. 208-220. H. chap. 18-24 du livre XXVI^. Pag. 200-212. M. dit quelques mots de la croisade des Allemands dans son chap. 181. col. 815-816. 11 avait raconté le départ et la captivité du roi Richard, ainsi que les événements de Sicile, dans la partie antérieure de sa chronique. N. col. GO'9 : De caplione ejusdem régis, et col. 629-630 : Qualité?- irnperator Apii- liam, etc.

296 CHRONIQUE d'ernoul [-H 02. oclobre

Quant on ot fait trives as Sarrasins, il tîst apparel- lier ses nés et ses galyes, et cargier de viande et de gent, et si fist entrer ens se feme et se sereur et le feme l'empereur de Gypre, qui mors estoit en se pri- son, et se fille, et ses chevaliers et ses sergans. Apriès vint al maistre du Temple S se li dist : « Sire^ je sai » bien que je ne sui mie bien amés de toutes gens ^ » et si sai bien, se je pas le mer, c'on m'i sace \ que » je n'ariverai en cel liu que jou n'i soie ou mors u » pris. Si vous pri, pour Diu, que vous me bailliés de » vos frères chevaliers et de vos frères sergans, qui » venront aveuc moi en une galie , et ^ quant nous » serons arivé, qui '^ me conduiront, ausi comme je » soie Templiers, dusques en mon païs\ » Li mai sires dist que volontiers le feroit. Il fist apparellier cheva- liers et serjans tout coiement et fist entrer en une galye. Li rois prist congié au conte Henri et as Tem- pliers et à ceus de le tiere et entra en une nef. Et quant che vint al viespre, si entra en une galye, li Templier estoient. Si prist congié à se feme et à se maisnie; si ala li uns d'une part, et li autres d'autre. Or ne seut ^ si coiement faire li rois d'Engletiere qu'il nefust aperçeus; et [que cil ne"] fu apparelliés qui entra en le galye aveuc lui, pour ^^ lui faire prendre".

1. Dans n. p. 200. Var. du ms. de la ville de Lyon : Frère Rnhcri de Sahlni. Pipinn reproduit la suite en abrégé, dans N. col. filO. 2. A. B : Sire Maistre. 3. A. B. D. 4. O : que je soie conus. F : se l'on me conoisl. '^. A. B. 0. 6. A. B. G. J : arivé de là. il. II : si. 7. G. ajoute ici : « Sans )) faille, le roi avait fait vilainie à aunins Templiers devant Acre )) quant il arriva, meisuiement an duc d'Osleriche, dont il ne covient » pas que le Livre en ait parlé. » 8. O : sot. 9. G. 10. C : et pour. 11. J : mais ne se sol onques li rois tant gaitier

^^^2,2^déc.] et de hernau» le tivksorier. 297

Et ala aveiic lui tant qu'il furent arivé, et plus encore. Il ariverent priés d'Aquillée.* Aquillée si est en l'entrée d'Alemaigne, par devers le mer de Gresse.

Quant li Templier et li rois d'Engletiere furent arivé, il pourquisent^ cevauçeures assés, et montèrent sus et alerent par Alemaigne. Et cil qui dedens le galie estoit entrés pour le roi faire prendre estoit aveuc aus adiés^ Et ala tant aveuc aus qu'il se herbe- gierent en .1. castiel le duc de Osterice, en Alemaigne. Et tant avint que li dus d' Osterice estoit adont el cas- tel. Quant cil ki cachoit ^ le roi, pour lui prendre, sot que li dus estoit el castiel, si vint à lui, se li dist : « Sire, or del bien faire! Li rois d'Engletiere est en » ceste ville herbegiés, gardés qu'il ne vous escapt » mie. » Li dus fu moût liés quant cil li aporta les nouveles, pour çou c'aucunes gens disent qu'il li avoit fait laidure devant Acre en l'ost. Lors commanda li dus d'Osterice c'on alast les portes fermer del castiel. Et il s'arma, et fîst ses gens armer, et ala à l'ostel il estoil herbegiés, et mena celui aveuc, qui ches noveles li avoit aportées, pour lui faire connoistre.

On fist asavoir al roi d'Engletiere c'on venoit en le maison pour lui prendre. Li rois fu souspris, si ne sot que faire. Il prist une malvaise cote, si le jeta en son dos pour lui desconnoistre, si entra en le quisine, et si s'asist pour tourner les capons au fu. Mais je ne le di mie pour voir, mais ensi le disent aucunes gens.

Les gens le duc d'Osterice entrèrent en le maison;

que il n'entrast avec lui en sa galée tel (cel) qui le voloit faire prendre.

1. C : Aquiloe. 2. A. B : porquistrenf. 3. A. B. D : adès. 4. A. B : qi chacxoit. J : qui voloit le roi /ère prendre.

298 CHRONIQCE DERNOITL [1^93

si quisent de çà et de là; mais ne trouvèrent se gens de! Temple non, et ceuls qui atiroient le viande en le quisine. Cil qui le roi d'Engletiere ot encusé entra en le quisine et vit le roi d'Engletiere il tournoit les capons, si comme on dist. Si vint à lui, se li dist : « Maistres, levés sus, trop i avés esté. » Puis dist as chevaliers le duc : « Seigneur, veés le ci, prené le. » Et il i gieterent les mains; si le prisent et le misent en prison. [Et fu en prison*] grant pièce, desci adont que il vint à raenchon.

Or vous dirai del roi de France, qu'il fist. Quant '^ il 01 dire que li rois d'Engletiere avoit passée le mer, et qu'il estoit arrestés en Alemaigne, [il en fu moult liés^] pour le honte de se sereur qu'il li ot faite, que il li avoit créante qu'il l'espouseroit, quant il reven- roit, et il avoit autre [famé *] prise. Si semonst ses os, et entra en se tiere. Et prist Gissors et autres castiaus; et arst de se tiere une partie; et prist le conte de Lyecestre % qui regars ^ estoit de se tiere de Normen- die et gardoit le tiere.

A cel point que li rois d'Engletiere fu pris en Ale- maigne, estoit Henris, li fîex l'empereour Fedric, em- pereres, que Fedric avoit laissié en Alemaigne pour estre garde de le tiere. Quant li rois d'Engletiere ot esté grant pièce em prison, si pria à l'empereur que, pour Dieu, le fesist mètre à raençon; et il li donroit (|uaMqucs il oseroit demander; et que plus estoit do- lans de çou que li rois de France li argoit " se tiere et

1. A. B. 2. A. B. D. H. C : Avant. 3. H. pag. 203. 3 : si ne l'en pesa yaires. 4. D. 5. I) : Guinceslre. J : Lei- ceslrc. G : Ceslrc. II : Huinceslre. G. G : garde. 7. A. B. D. G : li ardait.

4 I i)3-4 i 94] ET I)E BERNAllD LE TUE'sORIER. 299

escilloit que de çou qu'il est oit em prison. Li empe- reres manda le duc d'Osterice pour mètre le roi à raençon. Adont le misent à raençon par le consel le roi de France, si comme on dist. Et fu raiens ^ grant avoir, si comme aucunes gens disent : .C. mil mars et .XL. .M. mars ^ De celle raençon ot li empereres le grignour [partie^] et li dus d'Osterice l'autre. Et li rois de France en ot se part pour le raençon laissier passer parmi se tiere. Apriès jura li rois d'Engletiere sour sains le raençon à rendre; et si li livra bons pièges''. Quant li rois d'Angletiere fuhors de prison, li empereres le fîst conduire parmi se tiere et entra en mer et s'en ala en Engletiere.

[Quant il fu en sa terre, si porquist vivement^ sa reanczon, et envoia l'empereor, et aquita son saire- ment, et délivra sesplaiges. Quant li rois d'Engleterre ot paie sa raanczon, si passa mer et ala en Normen- die. Si semonst ses ois, por aler sor le roi de France, por rescorre^ son domaige', s'il peust. Lors com- mencza la guerre le roi d'Engleterre et del roi de France. Mais je ne vos en dirai '^ ore plus, dusque une autre foiz ; ainz vos dirai de l'empereor Henri, qui en Alemaigne estoit. Li roiaumes de Cezille et de

1. A. B : raainz. D : reains.

2. A. B. G. J : cent soixante mil mars. D : C. M. mars et XL. M. mars d'or. H : C LX. mile mars d'argent. H. var. du ms. de la \illo de Lyon : deus cent mil mars d'argent. N : « ducentarum milliummarcharum argenti, vel ut alii dicunt, cen- » tum sexaginta millium. » col. 610-611.

3. A. B. 4. G : ostage. Sa délivrance eut lieu le 4 février 1194. 5. J : vistement. 6. G. 0. A. B : secorre. 7. G. H. J. 0 : se perte. 8. A. B : dira. J : Mais je m'en tairai ores.

300 CHRONIQUE d'eRNOCL [^^94

Puille et de Chalabre estoit escheuz à sa feme, très ce qe ses niés, li rois Guillaume, fu mors, et que on fist roi de Tangré en la terre. Quant li roiames li fu escheuz, il n'i ot loisir d'aler ', que tuit li baron de la terre estoient aie avec son père et li plus de la che- valerie. Quant ses pères fu mors, et il fu empereres, il ot assez à fere d'aler par sa terre et à recevoir ses homages *.]

Quant li empereres d'Alemaigne Henris ot eue le raençon le roi Richart^ d'Engletiere et il ot loisir, il ala amasser grant gent. Si s'en ala en Puille, et laissa son frère Phelippe, qui dus estoit de Souave, pour cstre regars de le tiere.

Ançois que li empereres meust, fu li rois Tangrcs mors, et ot on fait d'un fil qu'il avoit roi. Quant li rois de Sesille dire que li empereres venoit ^ en se tiere, il amassa ses os et ala encontre, tant qu'il s'entrecon- trerent devant une cité qui a à non Naples, en tiere de Labour. se conbatirent, et fu li empereres des- confis; et moût i perdi de ses homes.

Quant li empereres fu desconfis, si se traist ariere et si manda gent. Entrementiers que il amassoit gent pour entrer en Puille, fu li rois de Sesille mors. Et quant cil de le tiere n'orent point de signour, si ren- dirent le tiere à l'emperéour, Puille et Calabre^ Il ot I. [haut*^] home ou pais de Sesille qui vaut le tiere tenir encontre l'empereur et vaut .i. sien neveu faire roi;

I. G. II. 2. A. B. G. H. J. O, (^e passage manque dans C. D. 3. G : le roi R. 4. A. B. G : ve7iroii.

5. Cf. N. col. G29 : Qualiter imperator Apuliam, etc., la chronique de Bernard est citée.

6. A. B. D. N : « vir priepotens. »

'^'^94-^^96] et de bernarr le trésorier. 301

mais il n'ot mie le force en le tiere, car aucunes gens i ot qui encontre [li ^] furent. Quant li empereres ot garnie Puille et Calabre et c'on li ot rendu, il passa en Tille de Sesille , si le prist, et si cacha tant le haut home que il le prist et le fist morir de maie mort, por ce qu'il avoit contre lui esté; et si fist son neveu de cui il vol oit faire roi les iex crever, Apriès si porta li empereres et se feme corone à Palierne, pour le roine ^ de Sesille.

Encore adont, quant li empereres et li emperis vin- rent en Sesille, n'avoient il onques eu enfant. Puis qu'il vinrent en le tiere fu li emperis grosse. Si ot .i. fil, si comme on dist. Mais moût de gent ne porent croire qu'elle eust eu cel fil, pour ce qu'ele estoitde si grant eage qu'ele ne peust mie, à lor avis, avoir en- fant. Cil enfes ot à non Fedric ^

Or vous dirai que li empereres Henris fist, quant il ot le tiere conquise il estoit. Il fist atorner nés et galyes et vaissiaus pour envoiier en le tiere d'Outre- mer grant gent. Il envoia par toute Alemaigne, et fist crier que tout cil qui vaurroient aler Outremer et haut et bas, et povre et Vice, il lor liverroit^ viande et passage qui prendre le vaurroient. Adont se croisa moût de gent en Alemaigne, et alerent li empe- reres estoit pour passer.

Quant cil d' Alemaigne . furent assanlé et les gens que li empereres i envoia à sen coust, si prisa on qu'il i ot bien .mi. mil chevaliers; et si i ot moût grant gent à pié [d'autre part^].

1. D. 2. A. B : le roiaume. D : le reaime. 3 D. ajoute ici ces mots : et fu apelez en maint !eu Emfes de Puille, qui sont plus loin dans A.B. C 4. A. B : livreroit.— h.A.B.

302 CHRONIQUE It'ERNOUL [1197

envoia li empereres le cancelier d'Alemaigne pour estre cievetaine de l'ost, et fist creanter à tous ceus de l'ost qui i aloient que il feroietit son comman- dement. Et li empereres lor creanta qu'il ne se move- roit de le tiere il estoit tant comme il seroit en le tiere d'Outremer; et qu'il lor envoieroit viande et gent à grant fuison. Quant il orent apparellies les nés et atourné le passage, si murent.

En cel tans, avoit une roine en Hongerie; s'estoit ses sires mors^ et elle demora veve sans hoir. Et se tiere eskéi à .i. frère son signor. Et elle li vendi son doaire grant avoir ; si s'en ala Outremer à tout l'avoir qu'ele avoit eu de son doaire, et mena chevaliers et sergans aveuc li. Et passa al passage li Alemant passèrent, et ariva à Sur^ Et li quens Henris le reçut à grant lionour, et si le fist volentiers , car il le dut bien faire, car elle estoit s'ante, suer se mère, et feme avoit esté le jouene roi^ d'Engletiere, sen oncle; et suer estoit le roi Phelippe de France. Celle dame ne vesqui mie plus de vuit jours, puis qu'ele fu arivée. Quant elle fu morte, si demora cils avoirs al conte Henri; mais moût poi en goy.

Or vous dirai des Alemans ([ui passèrent. Il en ariva une partie à Acre, et une partie en l'ille de Gypre. Aveuc ceus qui ariverent en l'ille de Cypre, estoit li canceliers d'Alemaigne.

Quant li sires de Cypre dire que li canceliers d'Ale- maigne estoit arivés en se tiere, si en fu moût liés; et, ala encontre [Itii '] cl li lisl grant honneur. Seli dist que

1. A. B : qui ses sires estait mors. 0 : à cui. H : à qui, 'î. A. D : ù-sSur. 3. A. B : /e joene Henri. 4. D.

^■i 07, Sept.] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 303

mout avoit désiré se venue, car puis qu'il estoit el liu l'empereour, il voloit qu'il le coronast ; car il \oloit se tierc tenir de l'empereur. Li canceliers [!i '] dist que Yolentiers le feroit, puis qu'il le requeroit; et mout en fu liés. Et prist de ses chevaliers aveuc lui, et ala à Licoissie- aveuc le signor de Gipre; et si le corona. Quant il l'ot coroné, si s'en râla à ses nés ; et entrèrent ens, et s'en alerent apriès les autres devers à Acre.

1. A. B. 2. A. B : Nicocie.

CHAPITRE XXVIT.'

Cornent Saladins fii mors.

SOMMAIRE.

1197. Mort deSaladin. La dame de Gibelet, réfugiée dansla ville de Tripoli, parvient à rentrer en possession de Gibelet, de connivence avec les Sar- rasins. La mort de Saladin amène la rupture des trêves en Syrie. Malec Adel, sultan de Damas, assiège Jaffa. Henri de Champagne envoie l'armée et les chevaliers allemands, débarqués à Acre, au secours de la ville. Le comte Henri tombe du haut d'une fenêtre du palais de Saint-Jean d'Acre et meurt. L'armée est rappelée. Jafla est enlevée par les Sarrasins.

Ançois que li Alemant fuissent arivé à Acre, fu Salehadiiismors. Et avoitasigtiéçou qu'il avoit conquis à ses fiex et donné à cascun çou qu'il vaut^ Mais Saphadin^] son frère, qui li avoit aidié à conquerre, n'en dona point; ains s'en^ ala aveuc son neveu en E^^ypte, à cui ses père Saleliadins l'avoit donée. Et

s

1. Cf. G. pag. 220-222. H. cliap. l à 4, du livre XXVIJe. Pag. 217-221. M. chap. 180-181. col. 814-816, suit très- irrégulièrement notre chronique et y insère des passages de Vincent de Boauvais.

2. J -.si covi un plot. 3. 1).— Malec-Adel Afdal Seif-Eddin, que les Francs appelaient Saphadin. 4. A. B. C : en.

-I-IOT] CHRONIQUE DE BERNARD LE TRESORIER. 305

l'aisné de ses fiex ' , donna le roiaume de Damas et de Jherusalem ; et à l'autre donna le royaume de Ilalaphe ; et à l'autre dona tant qu'il assena toute se tiere à .xxii*. tîex qu'il avoit.

En cel point que Salehadins fu mors% avoit une haute dame à Triple qui dame avoit esté de Gibelet. Si porcaça tant [etfist] as^ Sarrasins à qui Salehadins l'avoit conmiandé àgarder^ quant il ot pris le cité de Gibelet sour Crestiiens, k'il s'en issirent à une ajornée*^, et li dame i entra et si' chevalier et si home, et si garni le castiel et le cité. Ensi faitement rendi Damediex le cité [de Gibelet^] as Crestiiens.

En cel point que li Alemant ariverent à Acre, estoient les trives routes, pour le mort Salehadin, qui avoient esté prises au tans le roi d'Engletiere. Li fiex Salehadin, qui sires estoit de Damas et de Jherusalem, amassa ses os pour venir sour Crestiiens; et quant il les ot amassées, si ala assegier Jaffe. Ce fu li fiex Sale- hadin à cui li quens de Triple donna congié d'entrer

1. Malec-Adel, et non Saphadin, comme le dit par erreur Pipino : « Saphadino suo primogenito. » M. col. 814.

2. M : « decem octo. » Pipino ajoute diverses circonstances qu'il emprunte à Vincent de Beauvais, sans le nommer : « signife- » rum suum vocavit, etc. » Col. 815. Cf. Spec. Hist. 1. XXIX. chap. 54. pag. 1204.

3. J : morut. 4. A. B. J : tant et fist envers les. 5. G : à cui Salahadin avoit Gibelet baillée à garder. 6. J. C: k'il s'en issi à une aj ornée et li Sarrasin qui aveuc lui estoient, 7. J : o ses.

8. J. La haute dame dont il s'agit ici est Stéphanie, fdle de Henri de Milly, dit Le Buffle, et d'Agnès, fds d'Eustache Gar- nier, premier seigneur de Sidon. Stéphanie était alors veuve de Hugues de Giblet, son second mari, fils de Hugues Embriac, de Gènes, qui avait été le premier seigneur latin de Giblet. Voy. Hist. occ. des Crois, t. H. p. 51. Assises, t. H, p. 462, 465, 468.

20

306 CHRONIQUE d'eRNOCL ['I \ 97

parmi se tiere en letiere as Grestiiens, quant li Templier furent desconfît, li maistres de l'Hospital fu ocis, devant ce que li vraie crois fust perdue \

Quant cil de Jaffe furent assegié, si mandèrent secours al conte Henri, car il savoient bien que li castiaus n'estoit mie fors; et que pour Dieu les secou- rust al plus tost qu'il poroit. Quant li quens celle novele, si semont ses os et les Alemans; si les lîst movoir et aler logier à Cayfas, à .mi. Hues d'Acre. Et il lor dist qu'il moveroit l'endemain, car il avoit à conter à ses homes et à atirer son afaire. Li os mut, et li quens demora ; et conta à ses homes, et fu vespres quant il ot conté. Dont fist mètre les tables pour souper, et demanda de l'eve à laver, et on li aporta. Et il vint en droit une grant fenestre qui estoit en le tour haut il manoit; si commença à laver ses mains. Si com il lavoit, si se lança [par mescheance^] avant, et caï de le fenestre de le tour aval, si fu mors. Li vallés, qui li tenoit le touelle, se laissa caïr^ apriès, pour çou qu'il ne vaut mie c'on desist qu'il l'eust bouté. Il ne fu mie mors, mais il ot le quisse brisie. Aucunes gens disent que se cil ne se fust laissiés cair apriès le conte % il ne fust mie mors^.

Quant li quens fu ensi céus, on ne sot que che fu. Si cria on : as armes/ qu'il quidoient (jue Sarrasin

1. Voyez ci-dessus, pag. 170. 2. A. B. 3. G : chair. 4. Ms. Ville de Lyon : Dont l'on dit que se le chaiire dou nain ne fust. H. p. 220. Var. 5. Vers la fin de 1197. Les circonstances de l'événomont sont autrement rapportées dans II. p. 220. Pipino, après avoir dit comme Vincent de Beauvais (Spec. 7/isf. pag. 120G) que le comte Henri se laissa choir d'une fenêtre de son palais, en s'appuyant sur la balustrade, donne ensuite la version de notre chro- nique, en l'annonçant ainsi : « Alibi legitur. » etc. M. col 816.

1^97] ET DE BERNARD LE TRIÎSORIER. 307

fuissent entré dedens le ville, pour çou que l'os s'en estoit partie. Et fu li cris aval le ville '; et couroit li uns encontre l'autre [dusques à mie nuit^] ainçois c'on seust que ce fust. Li valés qui estoit céus aveuc^ le conte entre .11. murs, se traina tant qu'il vint à une posterne, si oy gens [passer^] par defors, si commença à crier. Quant cil oïrent crier, si alerent celle part, et deman- dèrent que c' estoit qui crioit, et qu'il avoit. Et il lor dist que, pour Dieu, fesissent alumer, et fesissent venir chevaliers pour emporter le conte qui gisoit mors. Il alerent pour les chevaliers le conte ; si trouvèrent le conte mort, et il le prisent et le portèrent au moustier^ et l'ensevelirent^.

Or esgardés que li cuers li disoit de celé fenestre, par il caï, qu'ele feroit aucun anui. Il avoit commandé par pluiseurs fois c'on le fesist treillier [de fer"], pour les enfans ; que li cuers ii disoit bien qu'ele feroit à cui que soit damage. On ne le fist mie trellier devant ce que li cuens i fust céus, mais apriès. Quant li quens fu mors et ensevelis, si fist on moût grant duel ; et si envoia on bâtant apriès l'ost qu'il s'en retournassent, que li cuens estoit mors. Li os s'en retourna. Si en- foirent le cors el moustier Sainte Croisa Et li Sarrasin qui devant Jaffe estoient le prisent à force, et si abati- rent le castiel, et enmenerent les Crestiiens qui dedens estoient.

1. J : Cel effroi dura par la ville. 2. A. B. 3. A. B : après*

4. A. B. 5. D : el paies. G. J : si l'ensevelirent en Vyglise de Sainte Croix à Acre. M: « Apud monasterium Sanctau Cru- » cis. » Gela est dit quelques lignes plus loin par notre chroniqueur.

7. A. B. 8. H : Et fu mis li nains à ses piex. Sa sépulture est en une des eles de Vyylise, près de la porte qui est devers le Change. Pag. 221.

CHAPITRE XXYIIL'

Cornent Safadins deserita les fih ScUadin de lor terres

après sa mort.

SOMMAIRE.

1197-1198. Mort de Malec Aziz, sullan d'Egj-pte. Débats parmi les barons (le Syrie an sujet du mariage de la reine Isabelle, veuve de Henri de Champagne. Prétentions des seigneurs de Tibériade. 1198. Janvier. Amaury de Lusignan, roi de Chypre, épouse la reine Isabelle, et devient roi de Jérusalem. Attentat contre la vie d'Amaury. Le roi Amaury fait gérer séparément les revenus de la couronne de Jérusalem et les reve- nus de la couronne de Chypre. Délibérations des barons sur la direc- tion des opérations militaires. Les Chrétiens se décident à assiéger la ville de Beyrouth. Dévouement et aventures d'un charpentier chrétien. Beyrouth est occupé par les Francs. Des dommages occasionnés aux Chrétiens jiar deux galères sarrasinoises qui s'abritaient derrière le cap de Beyrouth. L'armée chrétienne se porte sur le château de Toron. Février. A la nouvelle de la mort de l'empereur Henri, les Allemands quittent le siège de Toron, pour revenir en Europe. Amaury renouvelle les trêves avec les Sarrasins.

Or vous dirai que il avint en cel point en tiere de Sarrasins. Li soudans d'Egypte^ (\u\ fix avoit esté

1. Cf. G. patr. 224-2.34.— II. cliap. .S-li« du livre XXVII^. Pag. 222-230. M. lin du cliap. 180. col. 815, et chap. 182. col. 816-818.

2. Mak'C-Aziz, mort le 27 novembre 1198. Pipino l'appelle « Meralucius ». M. chap. 180.

'H97-'H98] CHRONIQUE DE BERNARD LE TRe'sORIER. 309

Salehadin aloit .i. jour cacier^ Si caï de son ceval, si fu mors. Quant [Salphadins^] ses oncles, qui point de tiere n'avoit, vit que ses niés estoit mors, si saisi le tiere et garni. Et manda par toute Paienie chevaliers et sergans, qu'il venissent à lui ; il les retenroit, et donroit bones saudées. Q^uant li soudans de Damas ^, qui JafTe avoit prise, dire que ses frères estoit mors, et que ses oncles avoit le tiere saisie et garnie, si ot grant paour; et se traist arrière vers Damas et amassa gent. Car il savoit que ses oncles le desireteroit, s'il pooit; et il si fist.

Quant li quens Henris de Gampaigne^ fu enfoïs, si prist on conseil de faire segnour en le tiere, et de le dame se feme marier.

Il ot un haut home en le tiere, qui avoit non Hues de Tabarie ; et fillastres avoit esté le conte de Triple , et avoit le sereur^ celle dame à feme. Cil avoit .i. sien frère, qui avoit à non Raous, à cui il consella® c'on le mariast ; et que elle i seroit bien emploie. Aucunes gens de le tiere s'en tenoient à lui , mais ce n'estoient mie tout. Li Temples et li Hospitaus en furent encontre ; et disent que, par lor consel, ne le donroient il mie à home qui le tiere ne peust gouvrener et aidier de tiere' qui de par lui venist ; car de toute l'aïue qui venoit le conte de se tiere de Gampaigne, ne pooit il mie le tiere

1. A. B : chacier. 2. D. 3. Noureddin Ali, fils de Saladin. 4. M. chap. 182.

5. Ilu.i^'ues de Tibériade avait épousé Marguerite d'Ibelin, fille de Balian II d'Ibelin, et de la reine Marie Comnène. Il était donc frère utérin de la reine Isabelle, veuve d'Henri de Champagne, qu'il voulait remarier à son frère, le célèbre Raoul de Tibériade.

6. C : se conseUa. 7. A. B : à home qi de ht terre fust, ne d'autre terre enseinent , s'il ne pooit- aidier la terre de terre.

310 CHRONIQUE DERiSOUL [H9S

furnir. Ains i fu^ maint jour à grant povreté;^que il fu maint jour que quant il se levoit, qu'il ne savoit qu'il devoit mangier ^, et qu'il demancloit à son senescal qu'il et se maisnie mangeroient; et il respondoient que il ne sa\ oient coi, car il ne trouvoient qui riens lor volsist croire ^ Lors faisoient prendre gages, et envoiier à le viande. Ensi com vous avés oï^ avint maint jor al conte Henri. Et comment, [distrent li baron^] , donrons nous le tiere^ à home « qui nient n'a, quant cius, à » toute le tiere et l'aïue que il avoit de Campaigne, » ne pooit mie le tiere gouvrener. Ains prenderons » consel ; si le donrons à tel home, se Diu plaist, qui » bien gouvrenerale tiere. » Il prisent consel ensanle, et s'acordcrent à chou que, se li rois de Cypre le voloit prendre, il ne savoient nul liu ele fust miex emploie, ne dont li tiere fust plus tost consellie et aidie qu'ele scroit de lui. Il s'acordcrent ce'] ensanle, et par le consel le cancelier d'Alemaigne, et mandèrent [querre^] le roi de Cypre, Ilaymeri, se li douèrent le dame. Si l'espousa, et elle porta courone. Dont^ primes fu elle

roine'^

Or avint, puiscedi" que li rois Haymcris ot espousée la dame, qu'il cevaiçoit .i. jour dehors Sur, entre lui et

I. A. B : i-ffu. 2. A. B : devoit disner. 3. J : aprester ne croire sans bons gages. 4. A. B : coin je vos ai dit. 5. A. B. 6. A. B : la dame. 7. A. B. 8. G. J. 9. J : Et adonc. G. H : Lors à.

10. Cf. H. p. 223. note a. Jacques de Vitry coafirnie le témoignage de notre chronique et celui des Continuations de Guillaume de Tyr. Cet accord établit que le mariage d'Amaury de Lusignan avec la reine Isabelle de Jérusalem, précéda le siège de Beyrouth. Ilist. de Chypre, t. I. pag. liC-150.

II. A. B : puis cel di. D : puis grant pièce. U ; puissedi.

^^1)8] ET DE BERNARD LE TRJÎSORIEK. 3i ^

ses chevaliers; et que doi home' vinrent à ceval; se li coururent sus pour lui ocirre. Il ne l'ocisent mie, mais le navrèrent [durement^]. Il furent pris et essilié. N'onques ne vaurent dire^ qui ce lor avoit fait faire. Dont on mescréi ciaus de Tabarie, pour çou qu'il n'orent le roine à feme. On nés en vaut mie aprover% n'entrer en paine de l'aprover^; ains les bani on hors de le tiere à tous jours.

Quant li rois Haymeris de l'ille de Cypre ot espousée le roine Ysabiel, il manda tous ses chevaliers qui rentes avoient dedens Acre, et si lor dist qu'il esleuissent .11. chevaliers qui fuissent avoeque ses baillius as rentes d'A(;re garder, et pour départir entr'aus, quant il les aroient requellies, et à cascun doner çou qu'il i deve- roit avoir, s'il pooit estre ; car il ne voloit rien mètre ^ en lor rentes paiier, se il i faloit. Il n'i voloit riens mètre, ains viveroit, il et si chevalier, des rentes de se tiere ; et il vesquissent des rentes il estoient assené'.

Apriès ce que li rois Haimmeris ot espousée le roine Ysabiel, il prist consel al Temple et à l'Ospital et al cancelier d'Alemaigne et as Alemans et as barons de le tiere de aler sour Sarrasins. Il li donnèrent conseil qu'il alaissentBarutassegier. Quant on ot conseil d'aler Barut assegier, il lisent cargier les nés et les galyes de viandes, armer et aler [par mer ^] ; et l'os s'en ala par tiere. Quant li Sarrasin, qui à Barut estoient, oïrent

I . II : que IIII. chevalier aleman. H. p. 228, toujours plus dé- taillé et plus précis. 2. A. B. 3. A. B. G. J : ne voudrent gehir. 4. D : esprouver. 5. A. B : de l'esprover. D : de ce prouver. G. A. B : rien prendre ne rien mètre. G : rien per- dre ne rien mètre. 7. A. B : asiyné. Rien de ce qui précède dans M. chap. 182. col. 817. 8. A. B.

312 CHRONIQUE d'eRNOCL [1198

dire que li Crestien venoient Barut assegier, il vuidie- rent tout le castiel de femes et d'enfans et des fevles gens et de tous les esclaves qui dedens le castiel estoient, fors deus seulement, et .i. carpentiers [cres- tien^] qui dedens estoit manans ; mais se feme et si enfant estoient^ en Paienie en ostages, pour çou qu'il ne fesist aucune traison dedens le castiel.

Quant li Sarrasin sorent que li Crestiien venoient et aproçoient le castiel, il s'armèrent et se issirent hors et alerent encontre. Quant li carpentiers vit que li Sarra- sin estoient tout hors, il vint as .11. esclaves crestiiens qui estoient en le ville ; si^ lor dist: «Or del bien faire ! ■* » Se vous me volés aidier, nous avons le castiel pris. » Il disent qu'il haideroient; desist, il feroient'\ Dont alerent, si fremerent le porte del castiel. Si dist à l'un des esclaves qu'il fust sour le tour de le porte, et se li Sarrasin venisent qu'il jetast pieres et se deffendist drument*'; et il monteroit sour le maistre tour haute qui priés estoit de le porte, si li aideroit [la porte dos- fendre']. A l'autre dist qu'il alast à l'autre tour, qui estoit sour le mer, et montast sus et fesist une crois, et quant il verroit les nés priés, si criast : Diex aïuef Sains Sépulcres^ f apriés si descendist, et si lor ouvrist le porte ^ de sour le mer pour entrer cns. Quant il orent ensi devisé, si alacascuns en se garnison.

L A. B. M : « Tribus servis solum exceptis quorum unus » cliristianus crat arto labrili limiarius. » Col. 827. Cl', li. p. 22.5. 2. A. B. J : envolèrent à I . chastel. L) : avoient li Sarrasin envoie. 3. A. B. D. G : cil. 4. M : « Aqite, precor, mc- » cum, 0 socii, et macte virtutis estote. » col. 817. J : Seignor, or delhienjaire ! 5 . J: dcvisast et il feraient . 6 . A . B : durement. l.A.B.ij.J.O.— G: si lor aideroit. A.B: aidierent.— S.M: c Ad- » juva nos Sancte Sépulcre! »— 9. A.B: posteme. M : « posticum.»

4^98] KT DE BElllNARI! LE TRÉSORIER. 3< 3

Quant li Sarrasin qui estoient issu hors virent les Crestiiens qui aproçoient par mer et par tiere, si retournèrent ariere et quidierent entrer el castiel ; et quant il cuidierent ens entrer, si le trouvèrent fermé. Et cil qui sour le porte et sour le maistre tour estoient commencierent pieres à ruer et à crier : Diex aïiief Sains Sepulchresf Lors virent bien li Sarrasin qu'il avoient tout perdu; et se il demouroient illuec, il seroient pris et ocis , et li secours des Crestiiens estoit moût priés; si s'enfuirent de le tiere. Et li castiaus demoura as Crestiiens. Ensi faitement fu pris Barut, [com je vos di^]. Quant li vaissiel qui par mer venoient furent priés de Barut, et il oïrent crier celui qui sour le porte estoit : Diex aine! Sains Sepucresl si s'esmer- villierent moût que ce pooit iestre, et quidierent c'on le fesist par Iraïson. Cil qui sour le porte estoit descendi et ovri^ le posterne; et cil qui sour le maistre tour estoit, lor cria que il venissent seurement, qu'il n'avoit nullui ou castiel, et que li Sarrasin s'en estoient tout fui. Dont s'armèrent dusque à .x. serjans et vinrent et entrèrent el castiel à grant doutance. Et quant il virent qu'il n'avoit nului el castiel, si coururent à le porte; si l'ouvrirent, et crièrent qu'il n'avoit nului el castiel. Et il aproçierent le tiere et jetèrent ancres et issirent à tiere et entrèrent tout el castiel. Apriés si envoierent encontre le roi [bâtant^] qui par tiere venoit; si mandèrent qu'il venist seurement, et que il avoient pris le castiel .

Or vous dirai que cil qui par mer furent venu lisent .

1. A. B. 2. A. B. D. G. 0. C : estoient, descendirent, ovrirent. 3. A. B.

3^4 CHROMQCE d'eRNODL [^^98

11 entrèrent el eastiel et prisent les .11. esclaves et les misent à destreclie^ pour çou qu'il lor ensegnassent l'avoir [et le trésor qu'il disoient qu'il avoit^] repu^ el eastiel. Cil disent que il n'en savoient nient; et que il faisoient mal et pecié, quant il les en destraignoient. Toutes eures les destrainsent tant que il en furent mort.

Apriès vinrent as portes de le maistre [tor^], si les cuidiercnt depecier ; mais elles estoient de fier, et si estoient bien barées par dedens. Et cius qui dessus estoit lor dist qu'il se Iraisissent ensus et que il ne ferissent plus à le porte, et s'il ne se traioient ariere, il ne en i venroit ja tant com il en ociroit% ne que jamais n'enterroit en le porte desi adont qu'il verroit le roi llaimmeri ou^ son message.

Apriès çou que les nés furent arivées, vint li rois devant Barut [et tote l'ost']. Et grant joie fisent ; et grasses et mercis rendirent à Jhesu Cris de çou qu'il avoit lors le cité rendue. Quant li rois fu logiés devant Barut, et il sot que li carpcntiers estoit dedens le maistre tour et qu'il ne voloit descendre devant ce qu'il l'eustveu, u lui u son message, il i envoia .1. chevalier et se li manda qu'il venist à lui parler seurement ; et si envoia chevaliers et serjans pour le porte garder. Quant li carpcntiers vit le mesage, si descendi et vint

1. A. B : à destrece. M : « Intérim qui jam intraverant » sclavos subdiderunt, proli nefas! quœstionibus et tormentis. »— 2. A. B.— C : l'avoir qu'il avaient.— 3. A. B : mucié.— 4. A. B.

M : « Ad municipium civitatis. » 5. A. B : il ni vendrait tant came il en ociroil. i : et ne hiirtassenl plus à la porte, ou se nonja tant n'en i vendrait com il en ocirroit. 6. A. B. D.

C -.et. 1. A. B.

-1-198] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 3-15

al roi' et li rois fist grant fieste de lui. Puis li demanda comment 11 Sarrasin avoient vuidié le castiel, et il li conte tout, si com il avoit esté. Lors vint li rois, pour ce que par lui avoit esté li castiaus pris, se li dona [belle ^] rente dedens le castiel à lui et à ses hoirs ; et se li pourcacha tant qu'il ot se feme et ses enfans tous délivrés ensi faitement, que paiien avoient par devers aus^.

Ensi faitement rendi Damediex ces .li. castiaus, com vous avés oï, Ghibelet et Barut, dont il n'a que .11. "* liues de l'un à l'autre. Li rois garni Barut de chevaliers et de sergans, quant Diex lor ot rendu; car autre gar- nison n'i convenoit il mètre, car il trouva le castiel bien garni d'armes et de viandes à .Yii. ans, fors seu- lement de vin. Et si trouva on escript el castiel que les .11. galies qui escaperent de Sur et vinrent à Barut, avoient fait damage de plus de .xiii.^ mil homes, qu'il avoient pris en le mer et envoiiés en Espaigne et en Paienie, estre mis hors cens qu'il avoient ocis. Et si vous dirai comment.

Il a une pointe ^ de une montaigne devant Barut, qui lance en le mer. Au pié de celle montaigne', en le mer, estoient les galies tous jours armées. Et dessus en le

1. Pipino, en abrégeant toujours notre chronique, manque quel- quefois d'exactitude. Col. 818.

2. A. B.

3. Dans le récit des faits précédents H. (pag. 225) est excep- tionnellement moins développé que notre chronique.

4. A. B. J : VU. D : II. G : cinq milles. Aucune de ces indications n'est exacte. Il y a environ 10 lieues communes de Beyrouth à (iiblet.

5. A. B : ///. D : XX. G. H : quatorze. M : « tre- » centa millia. » G. M : « angulus.»— 7. A. B : de celé pointe.

Si6 CHRONIQUE d'eRNOUL [^^98

montaigne, avoit gaites qui gaitoient tous jours en le mer pour les vaissiaus gaitier qui venoient de le tiere d'Ermenie et d'Antioce et de Triple, et aloient à Sur et à Acre ; car on ne pooit aler de ces .11. tieres à Sur ne à Acre, ne de Sur ne de Acre râler à ces tieres, que il n'esteut passer par devant Barut. Et quant les gaites les veoient, si le faisoient savoir as galyes; et elles mouvoient, si les prendoient et ocioient, s'il pooient. Ensi faitement faisoient damage ches .n. galyes as Crestiiens, [tant comme Barut fu as Sarracins'].

Quant li rois Haimmeris ot garni le castiel, si s'en tourna et ala ariere à .1. castiel ki a à non le Toron, à .V. liues priés de Sur. Si l'assega, et fu tant devant le castiel que cil dedens se vaurrent rendre salves lor vies. Et il ne les vout^ mie prendre [par tel covenant^].

N'ot gaires esté illeuc puis c'on li vaut le castiel rendre, c'uns messages vint bâtant, unevesprée% qui dist que li empereres d'Alemaigne estoit mors^ Quant li canceliers d'Alemaigne et li Aiemant oïrent che, si se levèrent del siège ; si s'en alerent tout aussi com il fuissent dcscoiifit^ Et alerent à Sur, c'oiiques n'i atendi li uns l'autre, et tisent atirer lor navie pour passer le mer ariere et cargier lor viande. Et entrèrent es nés, si s'en alerent en lor tiere.

Quant li rois Haimmeris vit que li Aiemant s'en aloient, si list trives al soudan (|ui frères avoit esté Salehadin et ses neveus avoit desiretés. En le! point fist les trives comme Saleliadins les avoit faites al

1. A. B. G. 2. A. B. (1. C : volrent. 3. H. 4. A. B : une avcspre. 5. Henri VI était mort à Messino, le 28 sep- tembre 111)7. 6. M : « tanquam in fugam positi. »

4 -198] ET DE BERNARD LE TRf'SORIER. 3^7

conte Henri, de le tiere qu'il li avoit rendue, [estre' la terre que Dex li avoit rendue^], si comme Barut^ et Gibelet.

i. J: Les trives furent teles com Saladins les avoit faites au conte Henri, estre. Mal dans H : estait.

2. A. B. D. J. O. H : que Dex li avoit consentue à avoir. 3. D. H. J. 0. A. B : si combatirent. G : de la terre qu'il li avoit rendue entre Baruth.

CHAPITRE XXIX/

Cornent il ot roy premièrement en Hermenie.

SOMMAIRE.

1194-1195. Boémoad III, prince d'Antioche, convie Léon II, seigneur d'Arménie, son vassal, à une entrevue. Hésitations de Léon. L'entrevue a lieu, iJoémond veut s'emparer de la personne de Léon. Le seigneur d'Arménie le prévient et relient Boémond prisonnier. Il ravage la prin- cipauté d'Antioche. 1194-1196. Le comte Henri de Champagne se rend en Arménie et ménage la paix entre Léon et Boémond, qui re- nonce à l'hommage du seigneur d'Arménie. 1201-1208. Troubles et guerre dans la principauté d'Antioche après la mort de Boémond III. 1198, G janvier. Léon est couronné roi d'Arménie. 1195-1198. Le comle Henri de Cliampagne rend visite au Vieux de la Montagne.

Je vous avoie dit par deça^ que je vous diroie voir en auchun tans comment il ot roi en Ermenie premie-

1. Cf. G. pag. 234-242. H. chap. 25-28 et dernier du livre XXVK Pa^. 213-216. M. résume, en deux phrases, tout ce chapitre dont il reproduit l'erreur capitale au sujet du prétendu couronnement de Léon comme roi d'Arménie par Henri de Ghampat^nc : « Hic etiam Henricus dominum Armeniae, qui » lii,Mus liomo erat principis Antiochia.',... coronavit in regem Ar- » meniae. Divertens quoque per terram Vetuli de Montana, » magno ah co honore receptus est. » Chap. 181. Col. 816. A la suite, une lacune. La concordance reprend plus loin.

2. A. B : Vur devanl.

^^94-^'19^)l] chronique de BERNARD LE TRÉSORIER. 3i 9

rement, [qui onques n'avoit esté^]. Jou l'avoie oublié, mais or m'en est souvenu ; si le vous dirai.

Il avint cose, au tans que li quens Henris de Cam- paigne estoit sires de le tiere d'Outremer que li Cres- tiien tenoient, que li princes d' Antioce manda al seignour d'Ermenie^ qui ses hom liges estoit, qu'il venist parler à lui, en .i. liu qu'il li noma. Li sire d'Ermenie li manda qu'il n'iroit pas ; qu'il n'i osoit aler, pour ce que, à .1. jour qui passés estoit, avoit mandé son frère Rupin, qui sires estoit de le tiere ; et il i ala et il le fîst mètre en prison ; puis entra en se tiere, si prist de ses castiaus cou qu'il pot. Apriès si le raembra^ mais puis le^ recovra il ; et prist et castiaus et cités sor le prince. Et pour ce qu'il avoit [ce ^] fait '] son frère, n'i osoit^il aler. Li princes li manda ariere qu'il venist à fiance ; et qu'il n'iroit que lui disime. Et li sire d'Ermenie li manda qu'il iroit. [Si pristrent jor, et il ala au jor. Je vos dirai que li sires d'Ermenie fîst ^] Il fistbien armer •II. cens chevaliers que serjans, et si les fist enbuissier priés de li parlemens devoit estre ; et si lor com- manda que tantost qu'il l'oroient corner, qu'iP** le secourussent ; car il se doutoit moût que li princes ne le fesist prendre.

Li sire d'Ermenie ala^% lui tierç, au prince; et si

\. Nous donnons la date approximative des événements d'Ar- ménie d'après les clironiques d'Héthoum de Gorhigos et de Sem- pad, dont les récits sont d'ailleurs bien sommaires. Rec. des Hist. des Croisades. M. Dulaurier, Chron. armén. t. I. p. 479, 632.

2. A. B. 3. Léon II, frère de Roupen m, seigneur et non encore roi d'Arménie, titre que lui donnent à tort A. et B. 4. A. B : raent. D : reaint. 5. D : se. 6, A. B. 7. A. B. 8. A.B.— C: osa. 9. A. B.— G : il pristrent jor et i ala, et vous dirai comment. 10. A. B. G : qui. \i.G: ala à lui.

320 CHRONIQUE d'ernoul ['l^94-^^95

mena aveuc lui .1. vallet à tout .1. cor. Et le^ fist estre en sus de lui , et se li dist que s'il veoit que li princes le vausist prendre, que tantost sonast son cor.

Quant li sires d'Ermenie et li sires d'Antioce furent asanlé, si parlèrent une pièce. Quant il orent parlé une pièce ensanle, et li princes vit que li sires d'Ermenie n'estoit que lui tierç, si le commanda à prendre; et si chevalier jetent les mains, si le prendent. Quant li vallés qui le cor tenoit vit c'on prendoit son signour, si corna ; et cil qui embuissiet estoient saillirent tantost, si rescousent lor signor, et si prisent le prince et ses .X. chevaliers; si les menèrent en prison. Et li sires d'Ermenie semonst ses os pour aler en le tiere d'An- tioce, et entra et gasta, et prist de ses castiaus et de ses cités.

Quant li princes vit que li sires d'Ermenie prendoit ses castiaus et ses cités, et qu'il n'avoit nule merchi de lui, il prist .1. message, si l'envoia al conte Henri à Acre, et se li manda priant pour Diu qu'il veinst en le tiere; et se li aidast qu'il f'ust hors de prison, car s'il ne li aidoit, il n'en isteroit jamais. Li quens Ilenris atorna son oirre^, et s'en ala enErmenie. Quant li sires d'Ermenie dire que li quens venoit en le tiere, si [en f'u moult liéset^] ala encontre lui, et si le recuelli à grant honor. Si fu moût liés de se venue, et se li dist que bien fust il venus ; et se li abandona se tiere à faire son commandement, fors seulement dou prince d'Antioce, qu'il tenoit en prison. Quant li quens ot une pièce sejorné en le tiere d'Ermenie, il prist congié al segnor d'Ermenie de parler al prince d'Antioche, et pour

1. A. 15. I). C : et. 2. G : erre. 3. ().

-HOe] ET DE BEIINARI» LE TRESOIIIER. 32<

mètre pais entre eus .11., se i! peust. Il l'en dona con- gié , et il ala al prince, et parla à lui, et fist pais entr' aus .IL, tele con vous orés, et le fist mètre hors de prison*.

Li pais fu tele que li princes quita l'omage al segnor d'Ermenie^ et devint ses hom^ et que li tiere qu'il avoit conquise sor le prince li demora. Et si ot mariage fait d'une nièce le segnor d'Ermenie, fille son frère Rupin, et de l'ainsné fil le prince^ d'autre part, par tel convenens que li princes devoit mètre son fil en ves- teure de le tiere. Mais ne li mist mie ; ains avint que li vallés qui le demisiele avoit espousée morut devant son père, et s'en demora .1. fiex^; etli princes renvoia et le mère et le fil ariere en Hermenie. Et li sires d'Ermenie les garda tant que li princes fu mors ; car il les vaut bien garder pour ce qu'il cuidoit avoir Antioce et le tiere délivre^], tout cuitement; car li princes avoit fait jurer à tous ceus de le tiere que le tiere et Antioce renderoient à sen fil tout quitement apriès se mort. Mais autrement ne l'avoit il mis en vesteure'.

Quant li princes^ fu mors, si envoierent cil d' Antioce bâtant al conte de Triple % qui fiex estoit le prince, qu'il venist là, et il li renderoient Antioce. Quant li quens le novele, si ala à Antioce, et on li rendi. Quant li sire d'Ermenie dire que li princes estoit

1. A. B : en 'prison. 2. J : q^uita au seignor d'Ermenie son homage. 3. Rien de semblable dans les cbroniques d'Arménie.

4. Alix, fille de Roupen III, épousa en effet Raymond III, comte de Tripoli, fils aine de Boémond III, qui mourut peu de temps avant son père.

5. Raymond-Rupin, ou Roupen, prince d'Antiocbe. 6. J.O. 7. J : Mes autrement ne l'en avoit saisi. 8. Boémond III mou- rut en 1201. 9. Boémond IV, fils cadet de Boémond III.

21

322 CHRONIQUE i/ernoul [H94-II9G

mors, si prist se nièce et l'enfant S si vint devant An- tioce et cuida entrer ens. Mais li quens de Triple fu ens, qui bien le contretint ^; et li sires d'Ermenie semonst ses os pour venir devant Antioce. Li quens qui dedens estoit envoia en Halape al Soudan, se li cria merchi, et se li pria pour Dieu qu'il li aidast, qu'ensi faitement le voloit li sires d'Ermenie desireter. Li soudans li manda ariere que toutes les eures qu'il aroit mestier d'aïue, qu'il le secourroit de gent et de viande, et de ce que mestiers li seroit, car il n'amoit point le seignor d'Er- menie. Et li soudans li tint bien ses couvenens, que li quens de Triple ne peust mie avoir tenue Antioce, se li soudans ne l'ustLcn s'aide'^]. Car li sires d'Ermenie avoit grant pooir en le tiere. Et si dura bien li guerre .vu. ans. Puis rendi on Antioce au segnour d'Ermenie par Iraïson. [Et quant il l'ot garnie, si la rendi on puis au conte de Triple par trayson^]. Et moult dura li guerre enlr'als^

Quant li quens Henris ot fait le pais dou seigneur d'Ermenie et du prince d' Antioce, si prist congié al segnor d'Ermenie d'aler en se tiere. Dont dist li sire d'Ermenie al conte Henri : « Sire, j'ai assés grant tiere » et cités et castiaus; et grans rentes ai, pour estre » rois; et s'est li princes d' Antioce mes hom. Je vous » pri et requier que vous me coronés, car plus » haut hom ne [)lus gentiex ne me |)oroit coro- » ner. » Li quens Ilenris le fîst volentiers, si le corona maintenant*^. Ensi ot roi en Ilermenie. Quant li sires

1 . Raymond-Rupin. 2. G : contredist. 3. A. B. O : en s'aïue. 4. A. B. 0. 5. J. ne donne ni cette phrase ni la pré- cédente.

(j. Contrairement ù cette assertion, qui se trouve non-seulement

^^95-^^98] et de bermrd le trésorier. 323

d'Ermenie fu rois, si s'en ala li quens Henris en se tiere. Et 11 rois d'Ermenie li dona grant avoir, et si le convoia tant qu'il fu hors de se tiere.

[Quant ^] li sires de Hassasis dire que li quens Henris estoit enllermenie, se li manda, pourDiu, qu'ai revenir qu'il feroit qu'il venist par lui; et que se il voloit tant faire qu'il venist, il l'en saroit moût bon gré, car il le desiroit moût à veoir% et se n'i perde- roit noient. Li quens li manda qu'il iroit volentiers, et il si fist al repairier d'Ermenie.

Quant li sires des Hassasis sot que li quens venoit, si ala encontre, et grant lionor li fist et hautement^ le reçut. Si le mena par se tiere et par ses castiaus ; tant que il avint .1. jour qu'il cevauçoient devant .1. sien castiel. En chel castiel avoit une moût bêle tour et haute, et sour cascun cresteP de celé tour avoit .il. homes tos blans vestus. Lors dist li sires des Hassasis : « Sire, vostre home ne feroient mie çou pour vous » que li mien font pour moi. » Et li quens respondi :

(lansA.B.G.D. mais dans G.J.K.M.(col. 816) et 0., et dans la plu- part des Continuateurs, il est établi, par la coïncidence des témoi- gnages de plusieurs écrivains latins et des chroniqueurs arméniens eux-mêmes, que le premier roi de la Petite-Arménie reçut la couronne, non point du cornte Henri de Champagne, seigneur du royaume de Jérusalem, mais de l'un des représentants de l'empe- reur d'Allemagne, alors en Orient, et au nom de l'empereur. Les indications varient sur la personne même qui remplaça l'em- pereur. Ce fut le chancelier de l'empire, suivant les uns (Hist. occid. des Crois, t. II, p. 215); l'archevêque de Mayence, Conrad de Wittelspach, suivant d'autres. {Ibid.^. 220. Var. du ms. D. de Lyon. Dulaurier, Chron. armén. in-fol. p, 633. Yoy. notre Hist. de Chypre, 1. 1. p. 141).

1. A. B. 2. A. B. C : à vir. - 3. A. B : haitiement .— G : liement. 'i. A. B : crenel. D : qiiernel.

324 CHRONIQUE d'ernodl [^^9G-^^98

« Sire, bien puet iestre. » Lors s'escria li sires des Hassasis , et doi des homes qui estoient as crestiaus se lancierent'aval et [se^] brisicrent les cols. Lors s'esmer- \illa li quens, et dist que voirement n'avoitil home qui ce fesist por lui. Et il dist al conte : a Sire, se vous » volés, je ferai ja tous les autres de lassus saillir » aval. 5) Et li quens li respondi qu'il ne voloit qu'il en fesist plus saillir^.

Quant li quens ot esté tant comme il vaut en le tiere le seignour des Hassasis, si prist congié. Et li sires de le tiere li fist doner grant avoir et grant partie de ses joiaus [et le convoia hors de sa terre] ^ Al départir li dist que por l'onor qu'il li avoit faite, de ce que il es- toit venus en se tiere, il l'aseuroit à tous jours mais; et s'il estoit nus hom qui li fesist cose dont il li anuiast'% [feist lui à savoir et°] il le feroit tantost ocire. [Atant se départirent"].

1. G : lanciere. 2. A. B. 3. A. B : ?i respondi nenil. J : que non. G : ne nul. 4. A. B. 5. A. B : li peisasl. 6. A. B. —7. A. B.

CHAPITRE XXX.'

Cornent li haut home de Crestienté se croisierent par

passer mer.

SOMMAIRE.

Evénements d'Allemagne et de Fouille.

1194-1197. Dispositions de l'empereur Henri VI avant sa fin. 1197. 11 meurt. 1198. L'impératrice Constance de Sicile fait reconnaître et couronner son fils Frédéric II. Elle place son fils sous la protection du Saint-Siège. 1198-1207. Le pape fait élever Frédéric à Palerrae. Révoltes en Sicile contre les Allemands.

1198-1204. Une fille de Tancrède de Sicile épouse Gautier III de Brienne. Gautier fait la conquête de la Fouille. II est attaqué et mis à mort par le comte Diepold.

Or VOUS lairons à parler de le ticre d'Outremer et del roiHaymmeri, qui trives a as Sarrasins et en pais tient

1. Cf. G. pag. 244-248. H. chap. 12-26 du livre XXVII«. Pag. 231-238. ~ Pipino ne dit rien de ces événements dans son XXVe livre (cf. M. col. 818). 11 en avait parlé précédemment, en citant formellement Bernard le Trésorier, qu'il abrège toujours : « Haec quae dicta sunt de morte Henrici imperatoris, et imperii ac » regni dispositione, necnon et promotione Friderici pueri filii » ejus ad impcrium et seditione orta in regno Sicilia-, scribit I3er- )i nardus Tlicsaurarius in Libro Acquisitionis et Perditionis Tcrrœ » Sanctœ. » De morte Henrici imperatoris. De seditione Sicilite. N. col. 630-632.

32fi CHROisiQUE d'ernoul [^^l>-^-H97

se tiere, desci que tans et eure en sera. Et si vous dirons d'aucunes gens qui se croisierent deçà le mer, qui puis alerent en le tiere d'Outremer ; si vos dirai en (juel manière il i alerent et en quel tans.

Il avint cose devant ce que li empereres Henris d'Alemaigne, qui en Sesille estoit et avoit envoie les Alemans en le tiere d'Outremer, fustmors, que se feme l'emperéis ot .i. fil, .i. an^ devant de che que li empe- reres fust mors. Il li mist à non Fedric, le non de son pere^ Apriès si manda .11. Iiaus homes d'Alemaigne, si les fist venir devant lui; et si commanda l'un^] Puillc et Galabre à garder aveuc son fil tant cju'il fust de âge ; cil ot à non Tiebaus^ L'autre commanda l'ille de Sesille et se feme et son fil à garder. [Et cil ot à non Marcomax^]. Et sen frère Felipe, qui dus estoit de Souavc, manda ({u'il gardast bien l'empire d'Alemaigne aveuc son fil, tant que li enfes aroit eage. Et il si fist tant corne il vesqui ; mais puis en fu il ocis, si com vous orés dire, par aventure, en aucun tans**. Quant li em- pereres otensi atiré' se tiere, si fu mors.

Ne demoura mie .1. an apriès ce que li emjicreres fu mors, que li emperéis morut^ Mais devant ce qu'ele morust manda elle tous les arcevesques et tous les evesques et tous les barons de se tiere qu'il venissent àli, à Messines; et il i alerent. Quant il furent tout assanlé, si lor disl qu'ele voloit son fil couroner; et

■1. Frédéric II naquit le 26 décnml)ro 1194; Henri VI, son père, mourut trois ans après, le 28 septembre 1197. 2. G : le nom de son aiel. J : rfe son perere. 3. A. B. L). J. 4. Nie Theo- » baldo. » Le comte Dieppold. 5. D. Le comte Markwald. fi. J : en avant. 7. A. 15 : asennée. H. O : asenée. 8. Constance mourut le 27 novembre 1198.

UQS] ET VE BERNARD LE TRESORIER. 327

voloit c'on asseurast son fil de se tiere comme drois hoirs qu'il estoit ; et ne voloit mie tant atendre qu'ele fust morte, ains voloit c'on l'asseurast et requellist à signour à son vivant ; car elle doutoit, s' on ne le re- cuelloit à son vivant, c'apriès li ne le recuellissent mie. Li haut home disent qu'il em parleroient, si en alerent à conseil.

Quant il revinrent de consel, si disent à le dame : « Dame, nous ne volons mie qu'il soit coronés; ne » homage ne li ferons, ne pour seignour ne le tenrons; » car vous estes de si grant eage, que nous ne créons » mie que vous l'aies porté en vostre ventre. » Lors lor dist la dame : « Pour coi cargeroie je m'ame, et » desireteroie autrui pour faire cest enfant coroner, » [s'il n'estoit mes fiz^]? Je ne le feroie mie. Mais par » mi tôt ce, vous estes mi home ; or esgardés entre » vous que j'en doie faire ; que je l'enfant portai dedens » mon ventre ^ , et fiex est l'empereour Henri qui mors » est; je le ferai volentiers [et améement^]. » Il esgar- derent entr'aus qu'ele jureroit^ sour sains que li enfes estoit siens, et qu'ele l'avoit porté en sen ventre. Elle en fist quanques il esgarderent que faire en deusl. Apriès, si le reçurent à segnor et coronerent^

Quant la dame ot [einsi '^] fait l'enfant asseurer de le tiere, elle envoia unes lettres à l'apostoile et se li manda qu'ele laissoit son fil et sa tiere à garder à lui. Quant la dame ot ensi atourné son affaire si fu morte.

Quant li dame fu morte, li apostoiles envoia .1. car-

I. .1. 2. 0 : en mes flans. 3. 0.— 4. A. B. J. C : jueroit. D : jurroit. 5. Le couronnement eut lieu à Palcrme le 17 mai 1198. 6. A. B. J.

32S CHRO-MQL'E d'ernoul [^^98-^207

donnai en Sesille pour l'enfant garder, et manda à .m. evesques de le tiere qu'il fuissent aveue le cardonal pour l'enfant garder, et il si furent ^ Si l'enmenerent à Palierne; illuec le gardèrent bien, et longement.

Apriès ce que li emperéis fust morte, li haut home de le tiere ne porent soufTrir les Alemans, que li empe- reres avoit laissiés pour garder le tiere. Ains lor cou- rurent sus, pour euls [ocirre et por ax ^J cacier hors de le tiere ; mais il se tinrent bien encontre eaus tant com Maconsals^ lor sire vesqui; et quant il fu mors% si vuidierent li Alemant le tiere.

Apriès ce que li Alemant en furent aie, commença li guerre entre les haus homes de Sesille ; et vaut cascuns estre sires. Et guerroiierent moult longement, si qu'il i ot si grant cicrté en le tiere que ce fu une mervelle, et c'on ne pooit gagnier^ les tieres; et cascuns disoit qu'il voloit avoir le tiere aveuc le roi. Et tant toli li uns l'autre aveuc le roi, que*^ li rois n'i ot riens , ne ne li demora que .11. cités en Sesile, Messines et Palerne. Et le castiel de Palerne prisent Pisan' et le tolirent le roi. Et si conquisont en Sesile une cité sour le roi qui a à non Saragoucc. Puis que li Pisan^ orent pris Sara- gouce, l'asissent Jencvois et le prisent à force, et puis le tinrent longement. Li Sarrasin de Sesile, quant il virent le guerre entre les Crestiiens, si s'asanlerent

I. A. D -.firent. 1. I). 3. A. B : Marczoneaus. I) : Marconyax. G : Marcodes. F : Marcocux. 0 : Marconaus. 4. C : mur. 5. A. li : yaagnier. G. J : gaaignier. 6. A : Et tant touli li uns l'autre avec le roi, qe. H : Et tant touli li uns Vautre qe. I) : en deveu deu roi que. J : Tant pristrent ckascuns de la terre que. 7. A. B. G. .T. 0. D : Persant. N : « Pisani. » 8. C : Persant.

d<98-i207] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 329

tout [ensemble'] et alerenten unes montaignes. Si se fremerent si fort% que li Crestiien ne pooient venir à aus; et couroient sovent en le tiere as Crestiiens et gaagnoient sor aus et assés en ochioient.

Or vous lairons à parler^ de Sesile, et del roi Fedric qui enfes estoit, et puis fu apelés en mains lius li Enfes de Puille*. Si vous dirons d'une damoisiele qui en Puille estoit, qui fille avoit esté le roi Tangré. Elle% par le consel l'apostoile et le consel d'aucun preudome, ala en Campaigne, al conte Gautier de Braine et fist tant qu'il l'espousa ^ Et quant il Fot espousée, elle l'en- mena en Puille, et alerent par Rome. Et li apostoles, pour çou que par sen consel [et par son los'^], avoit le damoisiele espousée, li dona du sien, et li carga gent et li commanda qu'il entrast en Puille et qu'il le con- quesist ; et il li aideroit quanques il poroit. Li quens Gautiers entra en Puille et cil dou pais en furent moût lié, et grant partie li rendirent de le tiere. Et toute li eussent rendue, ne fust Tiebaus, à oui li empereres Henris l' avoit commandé à garder, et qui encontre fu, et grans gens avoit. Tant poursivi Thiebaus le conte Gautier, que li quens se fu logiés devant une cité, et il et s'os. Quant ce vint par nuit que li quens fu couciés, et il fu endormis, Tiebaus entra en l'ost à laron, et il

1. A. B. 2. A. B : durement. 3. A. B : «/e ne vos dirai ore plus. 4. N : « Apuliie puer. » col. 631. Cf. H. p. 234-238. 5. A. B. J. G : Et.

6. Go serait dès l'année 1191, suivant VArt de vérifier les dates, mais les Gesia Innocenlii III, prouvent que le mariage de la fille de Tancrèdc avec Gautier de Brienne eut lieu seulement sous le pontificat du pape Innocent 111, élu en 1198. (Edit. La Porte Du Theil, pag. 17).

7. A. B. J.

330 CHROiMQUE d'ernoul [^^98-^204

et de ses chevaliers ; et vinrent à l'entrée de le tente le conte et coperent les cordes et abatirent le tente sour lui, si rocisent\

Quant li quens fu mors, si fu toute se gent descon- fite, et Tiebaus reconquist toute le tiere ariere. A le feme le conte Gautier demora .i, fil del conte Gautier^, et ot à non Gantiers, [ausi corne ses peres^]. Si fu puis quens de Braine. Aucune fois vous en dira on chi apriès, par aventure \ [qu'il devint^] .

1. Cf. Huillard-Bréholles, Hist. diplom. Frider. Introd. p. cccxc. 2. J : un fil qu'ele ot de lui. 3. A. B. Gautier IV. 4. A. B: Aucune fois vos dirai je, par aventure, qu'il devint. J: Aucune foiz, par aventure, vos dira l'en qu'il devint. 5. A. B. J.

CHAPITRE \\\V

Cornent li roys de France (jiieroia le roy d'Engletere

et cil lui.

SOMMAIRE.

Evénements de France.

1197-1198. Le roi Richard d'Angleterre, délivré de prison, et ligué avec le comte de Flandre, fait la guerre au roi de France. L'évéque de Beau- vais enlevé par les routiers. Echec des Français à Gisors. Siège d'Arras. Mort de Jean de Hangest. 1 198. Trêves entre le roi de France et le roi d'Angleterre. 1198-1199. Le roi Richard réclame la moitié d'un trésor trouvé en Limousin. 26 mars. 1199. Il est tué devant le châ- teau de Chalus qu'il assiégeait.

Evénements d'Allemagne et de France. 1199. Othon de Saxe, proclamé empereur au détriment de Frédéric II. Préoccupation des barons ([ui s'étaient ligués contre le roi de France. Ils convoquent uu tournoi à Ecry-sur-Aisne. La croisade y est décidée. 1200. Seigneurs qui prennent la croix à Ecry. Mort de Foulques de Neuilly. Le trésor destiné à la Terre Sainte, que Foulques avait confié pour la plus grande partie à l'ordre de Citeaux, est envoyé en deux fois Outremer. Affirmations à ce sujet. Projets attribués au roi Richard d'Angleterre. 1201. Les barons de France se mettent en rapport avec les Vénitiens pour effectuer la Croisade. Conférences de Corbie entre les barons et les envoyés vénitiens. Thibaud de Champagne étant mort , Boniface de Montferrat est reconnu chef de la croisade.

1. G. pag. 250-268.— H. chap. 17 du livre XXVIP, au chap. 2 du livre XXVIile. Pag. 238-252. M. chap. 183-184. col. 818- 820. Ci-après, pag. 336. not. 7. N. col. 610-612.

332 CHROINIQUE d'ernoul [^^97-^^98

Éve:nements de Terre Sainte. J202. Une partie des seigneurs croisés va s'embarquer à Marseille el à Gènes pour la Syrie. Amaury de Lusignan résiste aux croisés arrivés en Terre Sainte qui voulaient commencer les hostilités, sans respecter la trêve. 1203. Plusieurs des chevaliers croisés quittent Saint-Jean d'Acre avec Renaud de Dampierrc, pour se rendre auprès du prince d'Antioche el l'aider contre le roi d'Arménie. Ils arrivent à Gibel, L'émir de Gibel cherche A les dissuader de continuer leur marche sans être munis d'un sauf-conduit du sultan d'Alep. Us négligent les conseils de l'émir et sont massacrés par les Sarrasins près de Laodicée. 1198-1199. Saphadin (Malec-Adel), sultan d'Egypte, lève des troupes et renforce les garnisons des places de Syrie et d'Egypte. Négociations secrètes entre le sultan d'Egypte et les Vénitiens pour empêcher la croisade d'arriver en Terre Sainte ou en Egypte.

Or vous la irons de le tiere de Galabre et de Puille et de Sesille, desci qu'à une autre fois, que poins et eure en sera , si vous dirons del roi de France et del roy d'Engietierc, qui guère avoient [ensemble^], li uns à l'autre.

Quant li rois d'Engletiere fu liors de prison, si f'u moût dolans de se tiere qu'il avoit perdue. Si manda gens et semonst ses os, de par toute se tiere ; et manda route ^ en le tiere ^ de Provence. Et si s'acorderent enti^c lui et le conte Bauduin de Flandres en tel manière, [qu'il ne lairoienL la guerre, ne^] que li uns ne faurroit^ l'autre, dessi qu'il raroient lor tieres ariere ; et tjue li qu(îns Bauduins raveroit le tiere que li rois tenoit et qu'il avoit pris en mariage à se sercur^', et li rois d'Engletiere le tiere (|ue li rois Pliclippes avoit conquise sor lui. Et li rois d'Engletiere avoit [ja^] tant lait as

1. A. ]}. 2. 1) : ioulés. () : nmliers. V : et manda por routiers. G: et manda coreors. ',]. d: par la terre. II: si entra en la terre. 'i. A. B. .5. A. B. I) : faiidroit à. G. V. G. II : o se seur. 7. D.

^^97-^^08] et de bernard le tre'sorîer. 333

barons de France qu'il avoit lor cuers, encore fuissent li corsel service le roi'.

Quant li rois d'Engletiere et li quens Bauduins se furent atiré ensanle, si semonst li quens Bauduins ses os. Si commença à guerroiier devers Flandres, et li rois d'Engletiere devers Normendie. Il avint cose .1. jour que li fourrier^ le roi d'Engletiere coururent devant Belvais^ ; et li vesques^ issi hors et si chevalier [et ses gens^], et cacierent tant que li routier tournèrent sour aus, si les prisent tous^ A .i. autre jour, avint que li rois de France estoit priés de Gissors ; et n'avoit mie aveuc lui plus de .iiii. vins chevaliers, et cevaucoient par le tiere, tant qu'il s'enbati sor .i. enbuissement que li rois d'Engletiere avoit fait de grant gent et estoit aveuc. Quant li François virent qu'il s'estoient embatu folement sour l'embuissement le roi d'Engletiere, et il virent que il ne poroient mie tourner sans grant honte et sans grant damage, si priierent le roi qu'il s'en tournast grant aleure devers Gissors , car s'il demouroit, il seroit pris; et il demorroient et [les'^] contretenroient çou qu'il* poroient.

Ensi faitement s'en parti li rois de ses chevaliers par lor consel, et s'en vint à Gissors ^ Quant li rois d'En- gletiere vit les Franchois, si les courut sus, et les en-

1 . N : « ita quod licet cordialiter essent in régis Francorum ob- » sequio, eorum tamen affectus rex Angliœ possidebat. » Col. 6H.

2. A. B : li routier. G : courier. N : «prœdones. » Col. 611. 3. A. B : Biauvais. 4. Thomas. Au mois de juin 1197. H. pag. 239. n. h. 5. A. B. G. H : et sergens. 6. Q : et les chacierent; une partie des autres qui en agait estaient lors saillirent et les pristrent. J : et chacierent tant qu'il atainsirent les rou- tiers si les pris Irent tojis. 7. D. G : et contre. 8. A. B. D : tant corne il. 9. Septembre 1198. H. p. 240 n.

M

334 CHRONIQUE p'ernoul [<498

clost, si les prist tous. Et bien cuida avoir pris le roi de France por çou qu'il i ot .1. chevalier pris, si comme on dist, qui estoit armés des armes le roi de France.

Li rois de France fu à Gissors moût dolans et moût coureciés de ses chevaliers qu'il avoit perdus et del honte qu'il li estoit avenue. 11 manda par toute se tiere, et semonst ses os, et assanla grant gent. Li quens Bau- duins entra en le tiere le roi par devers Flandres ; et on li rendi Aire et Saint Omer. Puis ala assegier Arras, mais il n'i tîst riens, qu'il avoit grant cevalerie dedens Arras que li rois i avoit envoiie, fors tant c'a .1. jour, à .1. assaut, i tua on .1. des millours chevaliers de France, qui avoit à non Jehans [de Hangest^]. Li quens Bauduins vit qu'il ne feroit riens à Arras ^ si se leva del siège, si courut en le tiere le roi de France, s'i fist grant damage. Apriès, avint [.i. jor^J que h quens de Namur, li frères le conte Bauduin, courutdevant à Arras. Cil d' Arras issirenthors, si le prisent et si l'envoiierent en France. Quant li rois de France ot ses os assanlées, si ala encontre le roi d'Engletiere, et li rois d'Engletiere encontre lui. Quant il durent assanler ensanle, si alerent li baron entre deus, si prisent trives.

Je vous avoie oublié à dire que, puis que lirois d'En- gletiere fu hors de prison et il fu en Normendie, asseia li rois de France Aubemarle^ et si le prist. fu l'acorde faite dou roi d'Engletiere et dou conte de Flandres de guerroiier le roi de France, si com vous avés .

Quant li rois d'Engletiere ot trives al roi de France,

1 C ,1. ()._ A. B : Hancest.— D : Engest.— H : Haut Gué.— -2. A. H : Erras. 3. A. B.— 4. A. B : Aubemalle. En il%

14 98- H 99] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 335

on li fist asavoir c uns siens hom, sires d'un' castiel, avoit trouvé en tiere grant avoir. Li rois d'Engletiere li manda qu'il li envoiast l'avoir qu'il avoit trovc en se tiere ; et s'il nel faisoit, il l'iroit assegier en son castiel et prendre. Li chevaliers li manda qu'il fesist le miex qu'il peuist, car il n'avoit riens dou sien, ne riens ne li envoieroit. Et li rois d'Engletiere i ala et assega le cas- tiel. Cil castiaus est en. le tiere de Limoges ^ Quant li rois fu devant le castiel, si lor dist qu'il lor rendissent le castiel, et s'il ne li rendoient, seussent il bien qu'il les penderoit tous par les geules. Endementiers que li rois d'Engletiere maneçoit ^ceuls dou castel, vint uns arbalestriersS si fiert le roi parmi le cors ; et li rois jeta le main al quariel, si le jeta hors. Ne vesqui puis gaires, ains fu mors. Ensi fu mors li rois Ricars d'Angletiere, si quem on dist^.

Il avint cose devant chou qu'il fust [mors^] , qu'il avoit aveuc lui .i. sien neveu, fil de se sereur et fil au duc de Saissoine', qu'il avoit amené aveuc lui d'Alemaigne, quant il issi de prison, et l'avoit fait conte de Poitiers. Il dire à son vivant que li empereres Henris qui l'avoit eu en se prison estoit mors, dont dist il à Othon, sen neveu, qu'il s'atirast et s'en alast en Alemaigne; et qu'il feroit tant viers l'apostoile et viers les barons d'Alemaigne qu'il seroit empereres.

Othes s'en ala en Alemaigne, et li rois Ricars manda [à^] l'apostole et as barons d'Alemaigne. Silorpromist

1. G-.O.— A. B:de. G:rfe?.— 2.Lechâteau de Chalus.— 3. A.B: menaczoit. 4. A. B. 0: vint uns arbales tiers del chastel, si tent une arbaleste et laisse corre. G. J: uns arhalestriers dou chastel prist une arbalesire et traist à lui, 5. 26 mars 1199. G. A. B. 7. Gr : Soissons. O : Sassogne. Othon de Saxe. 8. A. B.

336 CHRo:^iQiîE d'ernoul [H99

tant et dona qu'il ot l'otroi de tous d'Othon sen neveu faire empereur, fors seulement del duc de Souave^ qui encontre fu ; et frères a\ oit esté l'emperéour Henri qui mors estoit. Et disoit bien k'emperéour n'i aroit il ja fors Fedric, sen neveu, qui hoirs estoit de le tiere^, [et à cui il gardoit la terre ^]. Grant pièce tint on ensi^ l'empire contre l'apostoile et encontre les haus homes d'Alemaigne; tant qu'il avint j. jour c'uns chevaliers li copa le teste en sa cambre meisme\ Quant li dus de Souave fu mors, si fist on Oton emperéour°.

Mais ançois que je vous die plus d'Othon comment il fu empereres et comment il fina, vous dirai du conte Bauduin de Flandres et des barons de France qui en- contre le roi de France avoient esté, qu'il lisent, qui al roi d'Engletiere estoient aie, ançois qu'il fust mors'.

1. G : Souane. 2. A. B : fors son neveu Federik, qui en Sesile estait, qui eslre le devait. 3. A. B. D, 4. A. B : tint einsi. 5. En 1208. G. Dans M., toujours très sommaire, la concor- dance reprend ici. Ghap. 183-184. col. 818-820.

7. O. ajoute ce long passage, que nous ne trouvons ni dans les autres mss., ni dans les Gontinuations imprimées : [Puis que li sièges d'Aubemarle fu départis, si se doutèrent moult li baron par le ban rai Richart d'Engleterre, dont il avaient perdu Vaïue et le confort de lui, puis que mors estoit. Li quens Baudauins de Flandres s^en doutait plus que tôt li autre. Et s'estait : la reine Isabiaus, se suer, et li contesse Yalens, qui le conte Perron d'Au- çuerre avait à baron, qui oncles estait le roi Felipe, et li contesse Sébile, se suer, qui le segnor de Biaju avait à baron; et s'avoit en aïue le conte Renaul de Boulogne et le conte Simon de Pantiu, sen frère. Maintes fois prisent cansel li baron qu'il par raient faire. Cansaus lor aparta qu'il iraient par lot as armes, et sivroient les tomois; et qu'il ne lairoient mie les tornois por le roi de France. Il alerent par tout et cerkierent les tornois et fisent asés d'armes. Adont avait la contesse Marie, la feme le comte Bauduin, une fille qui ot à non Jehanne; et se le laissa ençainte de Margarile. Li baron s'asamblerent.]

^^ 99- 1200] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 337

Il fisent .1. tournoy crier entre Brai^ et Encre^, et s'i alerent tuit. Quant il furent armé d'une part et d'autre pour tournoiier et il durent assambler, si estèrent lor armes ^ et corurent as crois et se croisierent pour aler Outremer. Dont aucunes gens disent qu'il se croisierent pour le [doute dou''] roi de France, qu'il ne les gre- vast por çou que contre lui avoient esté.

Or vous nomerai les contes qui se croisierent. Li quens Bauduins de Flandres se croisa premerains et Ilenris del Mans% ses frères, li quens Tiebaus de Cam- paigne, li quens Loeys de Blois, li quens" de Perce, et li quens"' de Saint Pol , li quens Simons de Monfort et Guis ses frères, et Jehans de Neele*, Engerrans de Bove^ et si .m. frère, li quens Renaus de Dampiere et haus homes assés, dont je ne vos nomerai ore plus. Et bien prisoit on à mil chevaliers ceuls qui se croisierent de là'*^ les mons.

Dont il avint, devant che que li baron se croisierent, qu'il ot .1. priestre en France qui ot à non Foukes", qui devant et apriès, ançois que li baron se croisassent, preecha des crois. Et moût se croisa de chevaliers et d'autre gent; et moût grant avoir [li'^] donna on^^ por despendre en le tiere d'Outremer. Mais il ne li porta mie, ains fu mors [anczois que la muete fust'^]. Dont

1. Bray sur Somme, en Picardie. Mal dans H : Bar sur Aube. 2. Encre, auj. Albert, sur la riv. d'Encre, au N. 0. de Bray. J : entre Brai et Provins. G : un tornoiement sur Somme et entre. 3. A. B : lor hiaumes. 4. A. B : Za doute.

5. A. B. D. 1 : d'Anjou. 6. D : Estienes.— 7. D : Hues.

8. D : chastelains de Bruges. A. B: Jehans d'Ucelle. 9. I: de Quoci.— 10. A. B: decza.—l: deçà.— J: en celés partie.— i[.0: maislre Fouques. F : Fouque de Nulli. 12. D. 13. A. B : et mull granl avoir amassa, qe l'en li dona. 14. A. B.

33.S CHRONIQUE d'ernoul [1200

aucunes gens disent qu'il fu mors de deul, pour son avoir qu'il avoit commandé, c'on li cela'. Mais il ne fu mie ensi, par aventure , que je vous di bien por voir que la graindre ^ pars de son avoir fu commandée à Gystiaus. Et bien peut estre, par aventure, qu'il en commanda aucune cose en aucun lieu qui celée li fu^. Li avoirs qui fu commandés à Gystiaus^ fu portés Outremer par .11. foys, et par les frères de le maison. Et si vous di bien c'onques avoirs qui alast en le tiere d'Outremer ne vint si bien à point, [ne si grant bien ne fîst^], comme cil fîst que maistre Fouques avoit à Gys- tiaus; car li crauUes*^ avoit esté en le tiere, si estoient fondu li mur de Sur et de Barut et d'Acre, c'on refist tous de grant partie de cel avoir.

Or vous dirai une parole que je vous avoie oblié à dire del roi d'Engletiere Ricars, qu'il avoit proposée' devant chou qu'il fust mors ; que s'il pooit tant faire en sen vivant ({u'il peust ravoir le tiere que li rois de France li avoit tolue, qu'il feroit une grant estoire, et qu'il iroit conquerre le tiere d'Egypte; apriès s'iroit conquerre le tiere de Jherusalem , et de illcuc iroit en Gonstantinoble, et si le conquerroist et si seroit^ empereres.

Or vous dirai des barons de France qui croisié estoient. Il prisent consel ensanle pour faire estoire à aus mener. Gonsaus lor porta qu'il envoiassent en Venisse, et fesissent venir des Venissiens [en France^],

G. et H. (p. 244) sont Inexacts. 1. A. B. D. G. G: celast. 2. A. B : grandre. 0 : la plus grande. G. J: la greignor. 3. A. B:c'offt li cela. 4. A.B: que maistres Fouques commanda. 5. A.B. G. A.B -.croilles. G.I.J.O: croZ^es. Rien de ces i'aits dans M,— 7. A. B : porpensé. 8. A. B.— C : e^ seroiL— 9. A. B.

^20^] ET DR BF.RNAlin LE TRESORIER. 339

pour faire marciel à ans d'estoire^ faire. Quant li Ve- nissien l'oirent, si furent moût lié. Si s'asanlerent et envoierent de lor plus sages homes en France, pour faire marchié as barons.

Quant li Venesiien furent venu en France, si s'asan- lerent li baron et li Venissien tout à Gorbie^ ensanle. Et fu li marchiés^ fais des nés et des galyes et des uissieres as cevaus mener, et à estre el service des croisiés .11. ans, u [il^] les voldroient mener par mer. Grant nombre i ot d'avoir [mis^], mais ne vous sai dire combien; et le moitié des conquestes^ qu'il feroient'', fors seulement en le tiere de Promission. jurèrent* li conte et li home qui estoient à Gorbie, à cel parle- ment, sour sains des couvenences faire tenir ^ ens, et l'avoir à rendre. Et li Venissien jurèrent sor sains des nés et des galies avoir apparelliés au terme qui mis i fu.

Quant li haut home orentluié^" l'estoire, si parlèrent entr' auls et disent qu'il feroient d'un d'eaus signor, à

1. E: défaire une estoire à aus mener outremer. J : navie.

2. A.B. D. E. G.I. J. K. O.Tous ces textes sont ici conformes à G. et donnent la leçon Corhie, répétée plus loin. Le ms. de la Ville de Lyon (D. dans l'édition de l'Académie), ainsi que le ms. 104 Suppl. fr. (G. de l'Académie) portent également Corhie. Robert de Glary dit en effet d'une façon positive que les pourparlers des barons français avec les commissaires vénitiens eurent lieu à Gorbie (édit P. Riant, p. 9), bien que les seigneurs s'assemblas- sent souvent à Soissons pour s'occuper de la croisade. Corhueil de H. (pag. 245) est donc une erreur. Ni Villehardouin, ni Ganale (pag. 318) n'indiquent au reste le lieu des conférences que l'on eut avec les envoyés de Venise.

3. J : lifuers. 4. D. 0. 5. A. B. 6. A. B : aquestes.

7. D : en la terre d'Oulremer. 8. Mal dans A. B : ivernerent.

- 9. D. G. J. 0. A. B. G : venir. 10. A. B : loié. D. E: lesnéslieuées. G : louée. H: loée. i:orent affiné de lanavie.

3^0 cimo.MQUE d'ernoul [^20I-I202

cui il seroient obéissant del tout. esgarderent li conte et li baron le conte Tiebaut de Gampaigne , si en fisent seignour. Atant se départirent. Ne demora gaires apriès que li quens Tiebaus fu mors* ; si se rassamble- rent^ li baron pour faire signor. Gonsaus lor porta qu'il feroient del marchis de Monl'erras seignour, qui croisiés estoit, et preudom estoit. Atant mandèrent li baron le marcis de Montferras, si en fisent segnor ; et atourne- rent lor mute de mouvoir à un jour qu'il i^ misent.

Assés ot de barons en France qui ne furent pas à l'acort de ceste mute ne n'i alerent pas. Ains alerent passer à Marselle, teuls i ot, et de tels i ot à Genueves \ Et Jebans de Niiele^ si entra au deraen^ en mer, et grant partie de Flamens ; et si s'en alerent par les destrois de Marroht'. Tout li croisié deçà les mons murent à .1. point de lor osteus* et alerent à Acre, fors cils qui alerent en Venisse. Et bien furent .m. cent chevaliei' et plus de toutes tieres ; et moût i passa de toutes, de menue gent% à cliel passage. A cel passage, passa li quens de Forois'"; mais ne vesqui mie grantment, ains fu lues mors qu'il ariva à Acre.

Uns chevalier i ol arivé de France qui se faisoit

1. En 1201. 2. A. B : ralierent. 3. A. B. 4. D. O ; à Gennes. G : à Marseille, et tex i ot par autre lieu. 5. A. B. Gr. H : Neelle. 6. A. B. G : entra el dan. D : entra dëi. O : au dan. F : entra au derrain, G : entra adonc. H : entra en mer derreeins. M : « Joliannes cornes de Nigolla » qui ultimus ex baronibus mare intraverat. « Col. 819. Voy. ci-après p. 352. not. 2. 7. A. B : Marroc. D : Marroch. 8. A. B : hosteus. J : osleh. II : ostcs. 9. A. B: et moult i passa de menues gens. J : Bien CCC. chevaliers et moult de menue (/enf n'aJerenl mie en Venise, mais entrèrent autre part en mer el arrivèrent à Acre. 10. A. B : Forez.

^ 202-^203] ET I>E BERNARD LE TRÉSORIER. 3U

apeier li quens Regnars de Danpiere'. Cil quens vint al roi Haimeri, et se li dist qu'il voloit les trives brisier, et tant estoient de gent que bien poroient guerroiier les Sarrasins. Li rois li respondi que il n'estoit mie bons qui deust les trives brisier; ains atendroient les haus homes qui en Venisse estoient aie. Cil quens fu moût dolans de ce que li rois ot si faitement parlé à lui, et qu'il ne li laissoit les trives brisier. Si parla moût laide- ment al roy, en tel maniéré c'on ne deust mie parler à roi. Li rois fu sages, si escouta et li laissa dire ce qu'il vaut, qu'il ne voloit mie as pèlerins faire noisse ^ ne meslée.

Quant cil quens Regnars vit qu'il ne poroit riens faire en le tiere, si parla as chevaliers qui estoient passé à cel passage, et prisent consel entr'iaus, et disent^ qu'il ne demorroient mie en le tiere, ains en'iroient en Andioce, al prince, pour lui aidier à guerroiier le roi d'Ermenie cuiil avoit guerre, por ce que li rois Haimeris estoit vers * le roi d'Ermenie ^] . Il s'asamblerent tant que il furent bien .mi""". ^ chevalier ou plus; et si ot moût de menue gent à pié et à ceval ; et murent d'Acre pour aler en Andioce. Et errèrent tant qu'il furent hors' de le tiere as Crestiiens, et vinrent en une cité de Sarra- sins qui ot à non Gibel*. Celé cités siest entre Mergat et le Lice^.

I. A. B : Reynard de Danpierre. G : Renaut de Darnpierre .

M : « cornes Reginaldus de Domno Petro. » Col. 819. Sa- nudo : « Stephanus Domini Pétri cornes. » pag. 203. ap. Bongars.

2. G : tençon. J : car il ne voloit mie estre mal des pèlerins.

3. H : de tex i ot qui distrent. 4. J. 0 : estoit devers. 5. A. B. D. J. 0.— 6. G. D. G. H. J. 0.— A. B: TIIP— 7. A. B. G ; vindrent hors. 8. A. B. D. C : Gribel. 9. G. J : la Liche.—^l : « inter Margad et Laodiciam. »

342 CHROMQUE d'ernocl [4203

Quant li sires de le cité dire que si grans gens ' venoit là, si ala encontre pour çou qu'il avoit trives as Crestiiens, et si les bienvegna', et lor fist grant honor, et les fist logier dehors le castiel-. Apriès si lor fist venir viande à grant plenté, en l'ost, de se tiere, à vendre; et si lor demanda il voloient aler. Et il disent qu'il iroient en Antioce. Et li sires lor dist qu'en Antioce ne pooient il mie aler, s'il n'avoient l'ascurement le Soudan de ïlalape, parmi quel tiere il lor convenoit passer; et s'il voloient, il envoieroit a! prince, et feroit savoir qu'il a illuec grant cevalerie et grant gent, et vont à lui por lui aidier, et qu'il lor prenge asseurement al Soudan de passer parmi se tiere. Il disent qu'il ne sejourneroient mie tant que li mesages fust revenus, et qu'il passeroient bien; qu'il cstoient grans gens. Li Sarrasin disent qu'il ne feroient mie savoir % s'il s'en aloient devant çou qu'il eussent asseu- rement al Soudan; [que s'il s'en aloient^], il n'en esca- peroit ja pies. Et il disent toutes voies qu'il iroient. Et li Sarrasin dist : « Pour coi ne me créés vous? Vous ne » faites mie bien. En avés vous grant marcié de » viande? En nul liu n'en avérés vous tel marcié? » Toutes cures s'aparcllierent li Crestiien, et disent qu'il s'en iroient, et qu'il ne demorroient plus. Quant li Sarrasin vit qu'il nés pooit détenir, ne pour proiiere ne pour manace, si dist : « Signour, j'ai trives as » Cresliicns, ne je ne vaurroie mie avoir blasme en » cose que je fesisse ne (jui vous avenist^ Parmi me » tiere, vous conduirai jou sauvement ; mais tant vous

i. H. G. 0 : les salua. 2. A. H : /a cité. 3. G : qu'il ne feroit mie sens. H : sen. F : qu'il ne f croient pas que sage. 4. A. B. 5. A. B : de chose que vos uvenist.

-1203] ET DE BKIliXAIlD LE TIIÉSORIER. 343

» di je bien pour voir, que tantost que vous isterés de » me tiere, que vous serés pris, car on vous gaite. »

11 ne le vaurrent mie croire, ains s'en alcrenl. Et il les conduist tant que se tiere dura. Quant il furent hors de se tiere, et il vinrent priés de le Lice, une cité de Sarrasins, [li Sarrasins^] qui les atendoient et embuissié estoient, saillirent et les prisent tous. Et n'en escapa nés un% n'a pié ne à ceval, fors seulement .i. cheva- liers, qui puis qu'il fu pris escapa il le nuit. Cil ot non Sohiers de Trasegnies^. Et fu pris Bernars de Mo- rueP. Ensi faitement, [com vos avez of], furent il pris par lor soties % pour çou qu'il ne vaurrent croire conseil'.

Or^ vous dirai dou Soudan de Babilone^, qui frères fu Salehadin, qui la tiere d'Egypte avoit saisie, apriés le mort sen neveu, et qui sen autre neveu avoit desireté de le tiere de Damas et de Jherusalem. Je vous dirai qu'il fîst. Quant il dire que li Gresliien avoient leué estoire pour venir en le tiere d'Egypte, il tîst mètre bonnes gardes^*^ à Damas et en le tiere, pour sen neveu.

1. D. J. 0. 2. A. B : n'en eschapa chevalier ne hom, 3. A. B : Sehiers de Treseignies. D : Sohiers de Trasegnies. J : Soihiet's de Tresignies. G : Sohiers d' Entreseignes . H : Siers de Tressaignes . 4. S : de 3Iarueil. D : de Moroil. 5. A. B. 6. G. H. J : lor folie. 7. M. donne ici (col. 819, fin du chap. 183) un précis des événements racontés dans le chapitre 32 de notre chronique.

8. Cette fin de chapitre manque dans D. Le ms. de Flo- rence (Bibl. S. Laur. Plut. LXI. n" X.) indique ici (fol. 407) un chapitre particulier sous ce titre : Que le Soudan d'Egyple vmnda en Venise destourber le passage. H. commence le XXVIII" livre. Pag. 250. M. chap. 184. col. 819-820.

9. Saphadin, ou Malec-Adel, ci-dessus, p. 309. 10. A. B : garnisons.

344 CHRONIQUE d'er?*oul [ii98-i499

que il avoit desireté. Adont s'en ala li soudans de Ba- bilone en Egypte pour prendre conseil comment il poroit le tiere garnir encontre les Crestiiens qui en le tiere dévoient venir.

Quant il fu en le tiere, si manda les arcevesques et les evesques et les priestres de se loy\ si lor dist : « Signor, li Grestiien ont fait grant estoire pour venir » en ccste tiere et pour le tiere prendre, s'il pevent. » Il estuet que vous aiiés cevaus et armes, et que vous » soiiés bien garni por le tiere garnir et aidier à def- » fendre, car j'ai guerre al Soudan de Halapeetàmes » neveus, si ne porai mie avoir chi toutes mes gens, » ains me convenra os^ tenir et ci et là; si vous con- i> verra que vous m'aidics. » Il disent que armes ne porteroient il ja, ne point ne se conbateroient ; car lor lois lor deffendoit à conbatre, ne contre lor loy ne conbatroient il mie; ains iroient as mabomeries et prieroient Dame Diu, et il deffendist bien le tiere ; car autre cose lie dévoient il faire, ne ne pooient.

Lors lor dist li soudans : « Se li Grestiien vienent ci, » et il vous tolent le tiere, irés vous? et que ferés » vous? » Il disent : « Ge que Dieu plaira ferons. » Lors lor dist, li soudans : « Puis que vous ne volés, » ne poés conbatre, je querrai qui conbatra pour 9 vous. » Lors list venir .i. escrivcnt devant lui. Apriès, si fist apelcr tous les plus haus arcevesques' qu'il avoit et les plus rices, et se lor demanda com- bien il avoit de rente, ne combien le arceveskié valoit et seoit; et qu'il ne li mcntist mie. Gil li dist vérité, et

I . .T : il manda por les caadis cl por les prestres de la terre.

2. A. \i : usl. 3. .1 : de ses caadis. M : « pruelatos. »

-HDS-J-fOO) ET l)K BEUAAKIJ l,K TllKSOIUKU. 345

il le fist mètre en escript ensement. [Après, les autres apela .1. et .i. et tîst mètre en escrit ensement. Quant il ot tout escript^], si fist sommer^ combien lortieres valoient , et vit que .11. tans de tiere avoient^ qu'il n'avoit^ Si lor dist : « Segnor, vous avés assés plus » de tiere que je n'aie, si ares moût grant damage se » vous le perdes; jou saisirai le^ tiere ^ et si vous en » donrai vos vivres , et de! rertianant luierrai serjans » et chevaliers et deffendrai le tiere. » Il lor disent : « Sire, çou ne ferés vous ja, se Dieu plaist, que vous » toilliés les aumosnes que li ancisseur ont données, » 11 lor dist qu'il ne lor voloit mie tolir, ains le voloit garandir et garandiroit^

Il saisi toutes lor tieres , et lor assena à le siue rente, selonc çou que cascuns estoit, d'avoir son vivre'. Puis si fist apparellier messages, si lor carja grant avoir, puis les envoia en Venisse; et si envoia au duc de Venisse et as Venissiiens grans presens , et si lor manda salus et amistés. Et si lor manda que se il pooient tant faire qu'il destournaissent les Crestiiens^ qu'il n'alais- sent en le tiere d'Egypte, il lor donroit grant frankise el port d'Alixandre et grant avoir ^ Li message alerent

1. A. B. D, 0 : apela un à un. 2. A. B : asommer. 3. G. H. J. 0 : avaient il de redites en le terre. i. A. B : et vit que II. tanz valoient lor rentes en la terre que la soe. 5. A. B : vos terres. 6. H : /Z dist que il ne les voloit mie tolir; que ce serait contre droit se il ce faisait, ne se il les rentes apetiseit , ains les voloit garder et garentir à son poeir. 7. A. B : selonc ce que chascuns estoit, donoil son vivre. 3 : et dona à chascun, selonc ce qu'il estoit, sa vie. 8. A. B : les croicies. E : les Franchois.

9. E : que il lor donroit grant avoir, et si lor donroit grant fran- quise el port d'Alixandre. H. I : granz trésors et grans franchises ou port d'Alissandre. M : « Promittens se duci et Venctis in

346 CHRONIQUE DERINOUL [^^98-'H99

en Venisse et fîsent bien ce [qu'il durent et ce^] qu'il quisent% et puis si s'en retournèrent.

Endementiers que li soudans de Babilone estoit en Egypte, li soudans de Halape et li fil Salehadin qui desireté estoient assegierent Damas, à moult grant gent. Quant cil de Damas furent assegic, il mandèrent le Soudan qu'il les secourust, qu'il estoient assegié. Quant li soudans oi dire qu'il estoient assegié, si s'en ala secourre Damas, à tant de gent com il avoit. Et vint en le tiere de Jherusalem, et assanla ses os à une vile qui a à non Naples, qui est à une jornée d'Acre, et à .V. journées de Damas. fist il tant par son sens, qu'il leva le siège de Damas, n'onques de plus priés ne le secorut^.

» portu Alexandrie; magnas concessurum libertates. » Col. 820.— Voy. sur les Négociations de Saphadin avec la république de Ve- nise, notre Hist. de Chypre, t. I. p. 161-163.

1 . A. B. 2. A. B. G : quistrent. E : ei si fisent moult, bien che qu'il quiseiit as Venissiens. I : et firent bien ce qu'il dévoient fgre. 3. J : qu'il leva le siège de Damas, sans aler plus avant. M : « ab obsidione secesserunt. « Col. 820.

CHAPITRE XXXIi;

Cornent II croisié avivèrent en Venise.

SOMMAIRE.

1202. Les croisés arrivent à Venise. Les Vénitiens refusent de les em- barquer avant d'avoir reçu d'eux le paiement intégral des prix de nolis convenus. Octobre-novembre. Les Vénitiens proposent aux croisés d'assiéger pour le compte de la république la ville de Zara, apparte- nant au roi de Hongrie. Après quelques hésitations, les croisés adhè- rent à la proposition du doge, et prennent Zara. Ils sont excommuniés par un légat du pape. Plusieurs barons et prélats se séparent de l'armée el se rendent en Syrie, pour rester lidèles au but de la croisade. 1202-1203. Jean de Nesle et les Flamands hivernent à Marseille. Aven-

1. Cf. G. pag. 268-296. - H. chap. 3-16 du livre XXVHIe. pag. 252-270. M. chap. 183-184. col. 818-820. Pipino men- tionne seulement, dans le XXV^ livre , la croisade de Constanti- nople et renvoie à ce qu'il en a dit précédemment d'après Ber- nard le Trésorier et Vincent de Beauvais : « Quum non sint de » pncsonti matoria, hoc omittuntur loco. Habentur tamen sujira » ubi agitur de Gonstantinopolitanis impei^atoribus sub temporibus » Frederici I. » (M. 819) : « Qualiter autem hujus rei effectus » fucrit in opinione patenti multorura est, si legantur quse Veneti » cum baronibus peregerunt, .. ut jam perfunctorie dictum est )) supra. » M. col. 320. C'est Pipino et non Bernard le Trésorier qui parle ainsi dans Muratori, en renvoyant aux livres précédents de sa chronique. N. col. 613-617.

Le ms. de Florence déjà cité commence ici un chapitre intitulé: Cornent les Venicien par malice destourberent le passage.

348 CHRO-MQKE DERISOUL [1202

tuies de la lille d'Isaac Comnène, emmenée de Chypre, par le roi Richard. Un chevalier flamand, parent de Baudouin, l'épouse à Marseille, et ré- clame le royaume de Chypre à Amaury de Lusignan. 1203. Les Flamands ne pouvant faire la guerre aux Sarrasins dans le royaume de Jérusalem, avant la lin des trêves, passent à Anlioche et en Arménie.

1203. Un émir voisin de Sidon, ne respectant pas les trêves, fait courir des galères dans les eaux de Chypre. Amaury se plaint vaine- ment au sultan. Les gens d'Acre attaquent des vaisseaux chargés de blé appartenant à l'émir arabe du pays de Sidon. Le roi Amaury fait des courses dans le pays sarrasin. 1203-1204. Les croisés venus de Flandre et d'autres pays, apprenant la rupture des trêves, se rendent à Saint-Jean d'Acre pour prendre part à la guerre. Expédition au-delà du Jourdain. 1204. Coradin (Malec-Moadam), fils de Saphadin, s'avance vers Saint-Jean d'Acre, puis se retire. Amaury ordonne des courses contre les Sarrasins sur terre et sur mer. Septembre. Plusieurs chevaliers croisés retournent en Occident. Guy de Montfort épouse la dame de Sidon. Trêves avec le sultan.

Événements de Constantinople.

1203. Alexis l'Ange, réfugié en Hongrie, vient trouver les croisés à Zara et sollicite leur aide contre son oncle l'empereur .\lexis 111. Convention conclue à cet effet entre Alexis, les Vénitiens et les chevaliers croisés. Le jeune Alexis se rend sur la flotte vénitienne qui fait voile vers Constiintinopie. Comme quoi les Vénitiens tinrent la promesse qu'ils avaient faite au sultan d'Egypte. Préparatifs de défense de l'empereur Alexis III à Constantinople. Les Latins s'emparent de la tour de Galata.

18 juillet. Prise de Constantinople.— 1203-1204. Mort d'Isaac l'Ange. Son fils Alexis le Jeune proclamé empereur. Murlzuphle (Alexis Ducas) régent de l'empire. Il engage les croisés à s'établir hors de Constanti- nople. Sédition du iieuple contre les Francs.

Or VOUS lairons à parler de le tiere d'Outremer, si vous dirons des croisiés qui alerent en Venisse.

Il a une ille priés de Venisse c'on apiele l'ille Saint Nicolai^ A le mesure que li Grestiien venoient en Venisse, si les passoit on [en^] celle ille.^ establi on et assena cascun à se nef, des liaus homes \ et com-

1. A. B : -S. Nicolas. Sanudo : « Insula Sancti Nicolai de « littorc. » Pag. 203. S. Nicolas du Lido. 2. A. B. I). 3. A. B : si les faisait on passer en ccle isle et herbergier. -i. A. B : ckuscim haut home.

^202] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER, 349

bien cascuns paieroit, et prist on le paiement çou que cascuns en devoit païer. Et quant il orent tout paie ce c'on ot à cascun assené, ne fu mie l'estoire le moitié paie de çou c'on lor ot en couvent. Et moût en retourna ariere en lor pais, de le menue gent, et moût en espandi ' par le tiere [por querre lor vivre ^] .

Quant li pèlerin orent ^ paiié çou qu'il avoient^ si disent as Venissiiens qu'il les passent ^ Li Venissiien respondirent qu'il n'enterroient en mer desci qu'il aroient toute lor couvenence, car il avoient bien faites les leur. Li haut home lor volrent livrer pièges de l'avoir et creanter à rendre; et il respondirent qu'il n'en feroient noient, ne n'enterroient en mer dessi que il seroient paie. les tinrent tant, en celle ille, qu'il furent sour l'iver, et qu'il ne pooient*^ passera Lors furent li haut home moût dolant et moût cour- chié de lor avoir qu'il avoient despendu, et de ce qu'il ne pooient esploitier çou qu'il voloient faire et dé- voient.

Quant li Venissiien virent qu'il estoient à si grant malaise, si furent moût lié. Dont vint li dus as haus barons de l'ost et si lor dist qu'il avoit illuec priés une cité qui moût lor avoit de mal fait et moult grevé, et que s'il se voloient acorder ensanle, et consaus lor portoit qu'il ^ alaissent aveuc aus et aidaissent celle cité à prendre, il lor en quiteroient l'avoir qu'il dé- voient avoir de l'estoire, et si les menroient il les dévoient mener. Li haut home disent qu'il en prende-

{. A. B : en spandi. 2. G. H : lor viande. 3. A. B. (J : avoient _ 4. D : ce qu'il dévoient. 5. A. B. D. G : pas- sassent. — G. G. H. O : ne porent.— 7. G. H : por le froit. 8. A. B : lor aportotf qu'il alassenl . C : portoit il alaissent.

350 ' CHRONIQUE d'ernoul [i202

roient volentiers consel et en parleroient as pèlerins de l'ost. Il en parlèrent, et prisent consel entr'aus; et disent qu'il lor esteveroit tel cose faire qu'il ne deve- roient pas faire \ ou il s'en retourneroient honteuse- ment ariere. s'acorderent li pèlerin, et disent qu'il feroient le volenté as Venissiiens, et iroient il vaurroient. Quant li Venissiien oirent ce, si furent moût lié; et lisent cargier viande, et si les lisent re- quellir es nés et es vaissiaus. Si alerent à celle cité, si prisent tiere et l'assegierent. Celle cités a à non Jasdres ^ , en Esclavonie , et si estoit le roi de Ilungherie.

Quant li rois de Hongherie dire que li pèlerin, qui Outremer aloient, avoient se cité assegie, et gas- toient se tiere, si fu moût dolans. Si manda as barons de l'ost et as pèlerins qu'il ne faisoient mie bien, qui gastoient se tiere; car aussi bien estoit il croisiés com il estoient, et pour aler en le tiere d'Outremer; et ne faisoient mie çou que frères^ dévoient faire ^ à autre; et ({ue, pour Dieu, se levaissent del siège; et s'il voloient del sien, il lor en donroit à grant plenté; et si iroit aveuc aus en le tiere d'Outremer. Il li mandèrent ariere qu'il ne s'en pooient partir, car il avoient juré l'aïue ^ des Venessiiens, si lor aideroient. Lors manda li rois de Hongeric à l'apostole que, pour Dieu , eust merci de lui, car li pèlerin qui Outremer aloient es- toient en se tiere si le gastoient et essilloient; et si ne lor avoit riens meffait, il l'amenderoit à lor volenté.

1. J : et virent bien qu'il lor convendroit tel chose Jaire quHl ne (leussent pas faire. O : qu'il lor es/avoit tel chose à faire qu'il ne dévoient pas faire. 2. A. B : Jadres. G : Gadres. 3. A. 1! _ c •.faire.— 'i. A. 13.— C : frère.— 5. A. B : avoient l'aide.

^ 202] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 35^

Quant li apostoles ces noveles, si ne fu mie liés. Si envoia .1. cardonal pour eaus amonester qu'il issis- sent hors de le tiere le roi, et s'il n'en issoient, qu'il les escumeniast. Li cardonaus i ala, et lor ^ amonesta; mais il ne valrent riens faire, ains prisent le cité. Lors les escumenia li cardonnaus de par l'apostole. Quant escumeniié furent, si s'asanlerent et parlèrent ensanle et envoierent à l'apostole et crièrent merci. Et se li fisent asavoir l'occoison pour coi il estoient aie, et que, pour Diu, eust merchi d'eaus. Cest mesage fist Robiersde Bove^. Et li cardonals s'en retourna ariere, (juant il les ot escumeniiés.

Quant Robiers de Bove ot fait son mesage à l'apos- toile, de par les pèlerins , il ne retourna mie à aus pour renonchier le message; ains s'en ala en Puille, pour passer en le tiere de Jherusalem. Et passa et arriva à Acre. Engerrans^ de Bove, ses frères, ne vaut mie demorer en l'escumeniement ; ains s'en ala al roi de Hongerie, et fu entour lui grant pièce. Li quens Simons de Monfort et Guis, ses frères, ne vaurrent mie demourer en l'escumeniement de Jas- dres; ains s'en alerent al porf* et passèrent quant tans lu. Si passèrent aveuc [els^] .11. abés de l'ordene de Cystiaus : li abés de Vaus^ et li abés de Cierkenciel ', et Estievene dou Perce, et RenausMe Montmiral, et autre chevalier assés, que je ne sai mie nomer. Et

\. A. B : les. 2. D : Robert de Boves. 3. A. B. H : Et Morans. J : Enjorans. G : Enguerran. 4. A. B : à ./. port. 5. D. 6. A. B : des Vaus. —B.: de Vais. L'abbé des Vaux de Gernay, près Paris. 7. 0 : Cherhencel. G : Sar- quanciau. H : Serquancel. Gercanceau, au diocèse de Sens. 8. A. B : Renars. G. H : Renmil.

352 CHRONIQUE d'ernoul [^202

passèrent en le tiere d'Outremer. Li conte et li autre remessent à Jasdres, quant il l'orent prise. [Et furent tôt iver ^]

Or vous lairons à parler des pèlerins qui vinrent à Jasdres; si vous dirons de Jehan de Niele et des Fla- mensqui entrèrent en mer au derrain ^. Il s'en alerent par les destrois de Marroht, et prisent cité sour Sarra- sins et fisent grant gaaing. Quant il orent celle cité f)rise, il ne vaurent mie demourer; ains le [douèrent as frères de l'Espée, qui la^] garnirent [et latindrent^]; et s'en alerent ^ yverner à Marseille.

Il avoit aveuc ces Flamens*' .1. chevalier qui parens estoit l'empereur Bauduin. Cil s'acointa d'une dame qui à Marselle estoit, qui fille estoit l'empereur de Cypre', que li rois d'Engletiere avoit prise, quant il ot pris l'ille de Cypre; et le manda ^ en son pais. Et quant il fu mors, si le délivra; et [ele^] s'en raloit en son pais ariere. En ce que elle s'en raloit et elle fu à Marselle, li quens de Saint Gille le prist et espousa. Et quant il l'ot tenue tant com il vaut, il le mist hors de se tiere; et il esposa le sereur le roi d'Arragone. Et le trova cil chevaliers que je vous di, et fist tant qu'il l'esposa. Et cuida bien, à l'aïue le conte de Flandres, qui ses parens estoit, et des Flamens, qu'il reust Tille de Cypre qui fu sen pere^*^.

I.A.B. 2. F. A.B: au demain. C.E.J.O:e« mer au dan. I) : au dam en mer. G : adonc en mer. IL I: en mer Vendemain que II autre murent. M : « ultimus ex baronihus. « Col. 819. Voy. ci-dessus, pag. 340. not. 6. 3. A. B. 4. A. B. G. J : et la tiennent encore. 5. D : quant il l'orent garnie. (i. Mal dans II : avec ces d'Amiens. Pag. 250. 7. Voy. notre Hist. de Chypre, t. I, p. 156-159.— 8. A. B : et l'enmena.— 9. D. 10. O : qui fu le père le dame.

1202-1203] ET DE BERNARD LE TRÉSOIUKR. 353

Quant ce vint qu'il fu tans de passer, Jelians de Niele et li autre pèlerin qui yverné avoient à Marseille et à autres pors passèrent, quant il porent, et arive- rent en le tiere d'Oltremer. Quant arivé furent delà, li chevaliers qui le fille l'empereur de Gypre avoit à feme prist de ses amis et des Flamens, quant il furent arivé, et alerent devant le roi Ilaymeri , se li requist qu'il li rendist l'ille de Cypre; qu'il avoit le fille l'em- pereur [à fame^] cui elle fu et cui elle devoit iestre.

Quant li rois Haymeris ceste requeste, si le tint pour musart ; et se li commanda qu'il vuidast se tiere, sor cors ^ à escillier, et s'il ne le faisoit, il l'es- cilleroit. Li chevaliers n'ot mie consel qu'il demorast, ains vuida le tiere et s'en ala en le tiere le roi d'Ermenie.

A cel passage que li Flament passèrent, passa grant gent et ariverent en le tiere d'Outremer. Mais il n'i fisent oevre , car il i avoit ^ trives en le tiere. Ains s'en ala une partie à Triple ^ et une partie en Antioce, au prince, qui guerre avoit au roi d'Ermenie. Jehans de Niele ala au signeur d'Ermenie % à .1. siège qui fu devant Antioce; et furent veus ses '^ banieres sour les murs d' Antioce, si comme aucunes gens disent. Dont il en ot grant blasme en le tiere d'Outremer; car si preudom ' com il est ne deust mie estre en l'aïue le roi d'Ermenie encontre le prince d' Antioce. Et si vous di bien por voir que cil qui alerent en Ermenie et en

1. D. 2. G. H : sor le cors. J : si chier com il avoit son cors. 0 : sor son cors. 3. A. B. G : il avoient. 4. D : en Hermenie. 5. A. B : ala sejorner an Hermenie et fu avec le roi d'Ermenie. 6. A. B. D. G. G : les. 7. A. B : grant home.

23

3134 ciiRO^iiQLE d'ernoul [^203

Andioce n'alerent mie si folement com li autre fîsent\ qui furent pris^ ; ains orent sauf conduit à l'aler.

Or vous lairons à '^ parler des Crestiiens qui en le tiere d'Outremer estoient, tant que tans et eure en sera. Si vous dirons d'un amiral qui en le tiere d'Egypte estoit, et avoit castiaus en le tiere de Saiete. Il fist armer galyes, et si les mist en mer, et les en- voia gaaingnier, et si estoient trives \ Les galyes furent devant l'ille de Cypre et prisent .11. batiaus, et ne prisent mie ens plus de .v. homes ; et plus nefisent de damage as Crestiiens.

On fîst asavoir al roi Haymeri que les galyes les Sar- rasins avoient pris des Crestiiens devant Cypre. Quant li rois l'oy, si manda al Soudan qu'il li fesist rendre ses homes, c'on li avoit pris en trives devant Cypre. Li soudans manda à l'amiraut qu'il les rendist. Et li amiraus dist qu'il n'en renderoit nul. Toutes voies % requist encore li rois ses homes al soulan *''. Li soudans respondi qu'il ne li pooit faire rendre, que li amiraus n'en voloit riens faire pour luy; et li rois li manda qu'il soufferroit ' et l'amenderoit, quant il poroit ^

Or vous dirai que li amirauls fist, qui les homes le roi avoit en prison. Il fist cargier .xx. vaissiaus d'orge et de forment pour garnir ses castiaus qui estoienl en le tiere de Saiete, pour paiier les garnisons ; cai' il se doutoit que li pèlerin ki yvernoieiit à Jasdres, quant il

1. A. B : com cil devant alerent. 2. Cf. ci-dessus, pag. 342.

3. A. B. 4. A. B : si les envoiapor gaaigner dedenz trives.

5. H. J. 0 : toutes eures. 6. Devant Cypre. Li soudans, etc. Le passage manque dans A. B. 7. A. B : qu'il s'en souffrait. II : qtte il forfereit. J : qu'il souffreroit . 0 : qu'il s'offeroit.

8. G : H rois dist qu'il l'amenderait quant il porroit.

^203] KT IIE BERNARD LR TRÉSORIER. 355

seroicnt arivé à Acre\ n'assegasseni ses castiaus. Pour çou les voloit il garnir. Quant li vaissiel furent cargié et il orent tans, si murent tout ensanle.

Quant il vinrent priés d'Acre, et les gens d'Acre virent qu'il passeroient^ outre et qu'il ne tourneroient mie al port, si sorent bien que c'estoient nés à Sarra- sins; si coururent as vaissiaus et as nés et as galyes, et entrèrent ens; si s'armèrent et alerent encontre , si les prisent et amenèrent à Acre. Et bien ot dedens ces vaissiaus .u*^. Sarrasins ou plus. Tous chis gaains fu le roi Haimeri, del blé et des vaissiaus. Si prisa on qu'il y ot, que forment que orge, au muy de letiere% .xx'".'* muis. Et bien prisa on le gaaing qui à celle voie^ fu fais à .LX. miP besans.

Or vous dirai que li rois fist, quant il ot l'avoir fait descargier et mener à sauveté, et mis les Sarrasins en prison. Parle consel del Temple et de l'Hospital, .i.jour apriès çou et apriès midi', fist les portes d'Acre bien fremer et bien garder, que nus hom n'en peust ^ issir, ne entrer. Et pour çou le fist qu'il ne voloit mie c'on fesist^ savoir as Sarrasins, pour aus garnir, çou qu'il voloit faire. Dont manda as Crestiiens '^ qui à Acre estoient et à ceuls qui cevaus avoient, qu'il lor douas- sent provendes, et que tantos qu'il oroientles araines " soner, qu'il s'armassent et montaissent et alaissent apriès lui. Quant cil d'Acre oïrent ceste novele, si

1. A. B. D. G. ~ G : arivéet ancré. 2. A. B : ^assoient. ... tourneroient. 3. J ; au muis d'Acre. 4. G : quinze mil. H. J : vint mile. 5. G : à celé emprainte. J : adonc. 0. H : cinquante mile. 7. H : puis midi. 8. G. H. G : pooit. 9. G : le fesist. 10. A. B : Donc commanda as chevaliers. II. G : les nacaires. H : les areignes.

356 CHRONIQUE d'ernoul [i203

furent moût lié, car il desiroient moût à aler sor Sar- rasins et moût lor targoit \ Quant ce vint al vespre, que li ceval orent mengié lor provendes, li rois fîst sonner les araines et s'arma et tist armer ses cheva- liers. Et murent à l'avesprée^ et errèrent toute nuit; et moût issi de gent à pié aveuc. Li Temples et li llos- pitaus i fu; si fîst li uns l'avant garde et li autres l'arierre garde, à l'aler et al venir.

Quant ce vint al point du jour et il furent en tiere de Sarrasins, il s'espandirent aval le païs; si aquellirent^ grans proies et moût i prisent de homes et de femes et d'enfans, et grant gaaing i fisent\ et amenèrent sauvemcnt à Acre , fors tant que li cris leva en le tiere, et que Sarrasin s'asanlerent et alerent apriès et qu'il virent^ .1. poi l'ariere garde, mais n'i fîsent mie damage. On fistasavoir al Soudan, qui à Damas estoit, que li rois Ilaymeris estoit entrés en se tiere, et qu'il avoit ])ris de ses homes et menée le proie et gastée le tiere. Quant li soudans l'oy, s'en fu moût liés ; et dist que biel li estoit et assés y poroit entrer et gaster, quant° par lui ne par son consel en seroit destornés. Mais bien gar- dast cascuns çou qu'il avoit à garder, car ore avoit bien li rois Ilaimmeris recouvré sa perte, que li ami- raus li avoit tolu'^ [de^J .v. homes [qu'il avoit perduz^].

Quant Jehans de Niele, qui en le tiere d'Ermenie et li chevaliei' qui aveuc lui estoient^^ oirent dire que li

i. A. B : tardait. 2. A. B : à la vesprer. 3. A. B : acuillierent. 4. A. B : i-f firent . Tt. C. D. A. B : et qui- rerent. O : et cuiverent. En nuir^'L', d'une main modorne : con- sidèrent. — ^ : et costoierent. H : et se hurlèrent. 6. A. B : car. - 7. A. B : faite. —8.0.— 9. A. B. lU. J : et li chevalier qui en Antioche estaient.

^203-^20i] ET DE BERNARD LE TRe'sORIER 357

trive cstoit route, si s'en partirent et alerent à Acre, li guerre estoit sor Sarrasins. Et li rois, par pluiseurs fois, entroit en le tiere as Sarrasin , et amenoit proies, et grant gaaing faisoient souvent sor Sarrasins. Une fois ala il en le tiere par deçà le flun, et ne trouva riens; et passa outre le flun bien parfont, et aquellirent grans proies, et grans gaains lisent; et revinrent par deçà ariere , et passèrent le flun et se hierljegierent illuec. Dont on ot en cel jour à Acre moût grant paour d'iaus, et si vous dirai pour coi.

Quant il orent toute le proie aquellie [et il s'en re- tornoient^], il prisent .1. coulon, ains qu'il eussent le flun passé, se li loiierent .1. fil rouge entor le col et se l'envoiierent à Acre. Quant li coulons vint à Acre, si fu pris; si ne trova on nule lettre, fors le fil rouge; dont orent grant paour, et furent moût dotant, car il espe- roient que ce fust senefiance de bataille et de sanc espandre. Quant li rois ot passé le flun par deçà, il fist escrire unes lettres et loiier à .i. autre coulon; si les envoia à Acre, et si lor fist asavoir qu'il estoient tout sain et tout sauf et qu'il estoient illuec lierbegié. Et si lor fist asavoir comment il avoient le flun passé et comment il l'avoient fait, et qu'il ne fuissent point à malaise d'eaus. L'endemain s'en retourna li rois sauve- ment, à tout sen gaaing.

Or vous dirai que li fieus le soudan fist, qui avoit à non ly Goredix. Fel estoit et de put' aire et moutliaoit Crcstiens. Quant il vit que li rois ttaimmeris gastoit le tiere, et que ses pères n'en prendoit nul conseil, si fu moutdolans. Si amassa grant gent, et ala hcrbegier à

l.A. B.

338 CHRONIQUE d'emoll [^ 204

.V. liues d'Acre, à unes fontaines c'on apele les Fon- taines de Saforie'; et faisoit courre un u .11. de ses sergans le jour devant Acre. Quant li rois sot que li Sarrasin estoient si priés herbegié d'Acre , si fîst ses tentes tendre dehors Acre ; si y ala mangier - et boire et dormir et gésir; et fîst tous les chevaliers d'Acre logier dehors Acre, aveuc lui. Et bien avenoit souvent que quant on mengoit en l'ost qui dehors Acre estoit, que li coureur Sarrasin venoient si priés des herberges que bien i pooient traire.

Or avint .1. jour que U Cordeis mut et toutes ses gens, et vint à une Hue près d'Acre, à .1. castiel c'on apicle Doc^. Quant li rois sot que li Coredix estoit venus si prés de lui, il s'arma et fist armer tous ses chevaliers et ses serjans, qui armes pooient porter, à pié et à ceval; et alerent encontre les Sarrasins, et fissent ordener lor batailles. Et furent si près des Sar- rasins que li un traioient as autres. ot li rois moul de requestes de poindre, des batailles qui estoient aveuc lui, et moût l'en proiierent durement, qu'il les laissast poindre. Et li rois lor proia qu'il souffrissent^ tant que li lius en seroit^ car il avoit envoiiés ses descouvreurs pour descouvrir le païs ; qu'il se dotoit (jue Sarrasin n'eussent fait cnbuissement , et que s'il se combatoient, que Sarrasin ne se mesissent entr' als et le cité. Et griés cose fust, s'il i eust enbusscment, de repaiirier^ ariere à le cité.

furent dés none dcsci aP vespre, que li nuis les

I. A. B : Safroie. J : Saphoric— 2. A. B : manoir. 3. A. B : Doh. - C. G. II. J. 0 : Doc. D : Dot. - 4. H : que il se soffrisscnl. 5. A. B : que leus en seroil.— G. A. B : de recovrer, 7. A. B : très nonne jusqu'au.

1204] ET DE BERNAllI) LE TRE'sOUIER. 359

départi, c'onques ne fourfist' li uns sour l'autre, fors seulement .11. chevaliers qui issirent hors de lor ba- tailles et coururent sour .11. Sarrasins si les abatirent, et les gens les ocisent. Li uns des chevaliers qui poinst sour les Sarrasins fu d'OrlenoisS et avoit à non Guil- laumes Pruneles^ Et li autres estoit de Calabre% et avoit à non Guillaume de ^Amandelier^

Quant li descouvreur'' le roi furent venu, et il fisent asavoir qu'il n'avoient nului veu, ne qu'il n'i avoit point d'enbuissement, iP manda as chevaliers qui li avoient prié de poindre qu'il poinsissent, et qu'il lor donoit congié de poindre. Je vous di bien pour voir qu'il n'i ot si hardie bataille qui poinsist, ne qui poindre vau- sist, tant lor seust H rois proiier ne mander^; ains furent tout coi dessi qu'à la nuit, que li Sarrasin s'en retournèrent. Quant li Crestiien virent que li Sarrasin s'en tornoient, si s'en revinrent ariere à Acre sans plus faire. Bien prisa on à mil chevaliers crestiiens ciaus qui furent. Il s'en retornerent ariere à Acre, et se aisie- rent al miex qu'il porent. Et quant se vint l'endemain, si en acouça^ moût de malades, et l'autre demain [encore'^] plus. Tant en i ot de malades et de mors c'onques puis li rois por besoigne qu'il eust ne pot amasser" .v.'^ chevaliers.

Li rois list armer galies et vaissiaus, et les envoia en

1. 0 : conques ne poinst. B : ne forfirent. 2. D : de Loo- nois. G. O : d'Orliens. J : d'Orlenois. H : d'Olenois. 3. D : Guillaume Prunelles. G : Guillaume Prunel. 4. A. B : Chalabre. 5. i : de VAmandelée. Famille fixée en Orient. 0. A. B : discorreor. J : descoureor. G : descouvreor. H : li coreor. 1 . A. B : li rois. 8. G : tant les ens eust (en seust) le roi prier. 9. G. H. J. 0 : acoucha. 10. D. 11. J : as- sembler. — li : ajosler.

360 CHiiOiMQiE d'er.nocl [1204

le tiere de Damiete, à grant gent. Et entrèrent en le tiere de Damiete et si i fisent grant gaaing, et s'en repairierent^ ariere sauvement. Grant gaaing fist li rois Ilaimmeris, par mer et par tiere, sor Sarrasins, pour Toquison de ses .v. homes, que Sarrasin avoient pris en trives.

Quant ce vint al passage de septembre, li plus des chevaliers loerent lors nés et repassèrent^ ariere. Et Jehans deNiele, et Robiers de Bove, et li quens Simons de Montfort, et Guis ses frères demorerent en le tiere. Cil Guis prist à feme le dame de Saiete^ Quant li rois Haimmeris vit que li chevalier s'en venoient et que li tiere dcmoroit vuide, si fist trives as Sarrasins.

Or vousiaironsàparlerde le tiere d'Outremer dessi que poins et eure en sera. Si vous dirons des^ conte et des pèlerins qui yvernoient à Jasdres, et del fîl l'em- pereur Krysac, qui les icx ot crevés, que l'emperéis ot envoie en Ilongeric, à garendise, à sen^ frère le roy, que cil qui les iex ot fait crever à sen père ^ ne le tuast. Li cnfes fu grans vallés; se li consella on qu'il alast à Jasdres, et que il fesist tant vers les pèlerins et les Venissiicns qui estoient, et par prometre et par dî)ner, qu'il alaissent aveuc luy en Coustanlinoble; et qu'il li aidaisseiit à ravoir se tiere dont il esloit desi- retés. Et il i ala, si lor pria moût, pour Dieu, qu'il li aidaissentàravoir[se terre"], et il lor donroit (|uan(|ues

] . A. B : reparlicrcnl . 2. A. B. C : passèrent .

3. Cotte clame de Sidon est llùloïso d'Il)clin, fille de Jean I" d'Ibcliii , le vieux sire de Beyroutii, veuve alors de Renaud de Sidon. Pipino, très-sommaire ici, n'a rien reproduit de ces faits, ni dans M. ni dans N.

4. A. B. G : del. 5. A. H : à yaranlisse de son. G. D. G. H. - A. B. G \frerc. 7. 0.

-1203] ET DE BEUINAHI) LE TRÉSORIER. 36i

onques il deviseroient . Li Venissiien disent qu'il s en conselleroient. Il parlèrent ensanle, et consauslor porta qu'il i alaissent, s'il faisoit lor gré. Dont vinrent à lui et^ se li disent qu'il estoient consellié, et s'il voloit faire lor gré, il iroient. Et il lor dist qu'il desissent, il feroit^

atirerent^ que li quens de Flandres aroit .c. .M. mars^; li dus de Venissc .C. M. mars; li marcis .c. .M. mars ; et li quens de S. Pol .l. mil mars. Cil avoirs lor fu créantes à doner pour eaus et pour les chevaliers de lor tieres. Et si creanta qu'il renderoit à cascun pèlerin povre et rice tout çou qu'il avoif^ paie à l'estoire; et si luierroit^ l'estoire .11. ans avant' çou qu'il l'avoient à tenir* ; et si luierroit° .v*^. chevaliers .11. ans, et viande à toute l'estoire .11. ans.

Ensi le jura li enfes à tenir, s'il pooient tant faire qu'il fust en Coustantinoble et qu'il reust le tiere. Et il li creanterent qu'il ne li faurroient, ains li aideroient, à l'aïue de Diu, tant qu'il seroit empereres et qu'il raveroit le tiere de Coustantinoble.

Quant ensi fu créante d'une part et d'autre, li vallés s'en ala en Hongerie prendre congié à son oncle, et pour lui atirer pour aler aveuc les pèlerins. Li Venis- siien fisent les nés atirer et les galyes, et fîsent cargier les viandes et recuellirent les pèlerins. Et quant tans fu, si murent de Jasdres, et si s'en alerent en l'ille c'on

1. A. B. 2. A. B : il lor ferait. 3. A. B.— 0 : atirent.— 4. A. B : por lui et pour les chevaliers de sa terre. N. col. 616. 5. H : auroit. 6. H J : loeroit. 7. A. B. G : avoec. H : avec. I) : devarit. 8. H : avec ce qui il avoient à tenir, se il poeenl tant faire que il reust sa terre. 9. G. J :querroit. Cette phrase manque dans IL

362 CBROMQUE d'ernocl [^203

apiele l'illc de Corfot'. Celle ille si est entre Duras et Puille; atendirent le vallet tant qu'il vint à aus. Et quant il fu venus, si murent d'illuec et alerent en Coustantinoblc. Or orent bien oï^ le proiere et le requeste que li soudans d'Egypte lor fist, qu'il destour- nassent les pèlerins à mener en Alixandre% dont je vous parlai clii devant.

Quant li empereres Alix de Coustantinoble dii^e que ses niés amenoit si grant estoire sour lui, si ne fu mie liés. Ains manda tous les haus barons de le tiere et fist asavoir qu'ensi faitement amenoit ses niés grant gent sour lui , et qu'il fuissent appareillé de lor armes pour aus deffcndre. Et il li creanterent qu'il li aide- roient, comme lor droit seignour. Quant il sorent que li Crestiien^ approçoient de Coustantinoble, si fisent une caine lever qui estoit à l'entrée del port pour çou que les nés n'entraissent dedens le port.

Or vous dirai combien celle kaine estoit longe. Elle avoit bien plus de .m. traities "de lonc d'arc % et si estoit bien aussi grosse comme li bras d'un home. Li uns des ciés" estoit à une des tours de Coustantinoble, li autres si estoit à une ville d'autre pari c'on ai)iele Peire^ manoient li Juis de Coustantinoble. Au cief de celle rue * avoit une tour, li ciés de le caine estoit qui de Coustantinoble venoit; celle tours estoit

l. A. B : Corforl. I) : Com/ort. 2. A. B. D. G. li : fait. 3. G : qu'il destournassent les pèlerins qu il n'alassent en Alixandre. H : que il destornassent les pèlerins d'aler en la terre de Surie.— J : qu'il destorbas^ent les pèlerins de passer en Egypte. Voy. ci-dessus, pag. 34ô. 4. A. B. D : li pèlerin. G : li Vé- nitiens. — 5. J : trois archies. 6. A. B : cex. J : chiés. G : chevaliers. li : chcs.— 7. A. B. D : Perre.— G : Parte. II : Pcrc. 8. A. B. G : ville.

^203, jiiin-juill.j et de Bernard le trésorier. 363

moût bien garnie, pour çou qu'il savoit bien que li Crestiien^ prenderoient tiere celle part. Et en tel manière l'avoient garnie pour le caine garder. Or vous dirai comment celle tours avoit non. [Ele avoit à non^] li Tors de Galatas. fîst Sains Pos une partie des epystles^ Ore errèrent tant li pèlerin françois qu'il vinrent, [un joesdi^], devant Costantinoble. Mais ne porent entrer dedens le port; ains ariverent d'autre part desus le Juerie% priés d'un liu c'on apele le Rouge Abbéie. ariverent li François et prisent tiere ^, mais n'i ot mie grant contredit de ceuls de Coustantinoble. Dont il avint que cil de le ville, quant il virent les Fran- çois, vinrent à l'empereur, se li disent : « Sire, c'or' » issons hors! Si lor deffendons tiere à prendre. » Li empereres dist que non feroit , ains les lairoit on ariver; et quant il seroient herbegié, il feroit issir toutes les putains de Costantinoble. si les feroit monter dessus une montaigne qui estoit celle part il estoient herbe- gié , et si les feroit tant pissier qu'il seroient tou noie en lor escloi ^ ; cai^ de si vil mort les feroit il morir^ Je nel vous di mie pour voir , mais cnsi le disent aucunes gens, qu'ensi l'avoit ditli empereres par orguel.

1. D : lipeîerin. 2. D. 0. 3. Les Continuateurs répètent presque tous cette erreur. Elle n'est pas dans Pipino. Cf. M. col. 820; N. col. 615. 4. A. B. G. J. 0 : un samedi. R \un samedi, àXV.jorz de mars. Cf. Villehardouin, éd. P. Paris, pag. 39; Robert de Clary, pag. 34. 5. A. B : desus la marine. D : deseur la rive. K.O : la Juerie. J : la Juderie. G : desus la guirice. 6. Le débarquement de l'armée eut lieu, suivant Villehardouin (p. 39), la veille de la saint Jean, au mois de juin, c'est-à-dire le lundi 23 juin. 7. A. B : car. G : ores.

8. A. B : escler. 0 : escloi. J : pissace. H : csclat.

9. A. B : les devait on faire morir.

364 cHiiOMQCE d'ernoul [-1 203, juin-juilIeL

Quant ce vint rendemain, que nos gens vinrent à rive d'autre part' Costantinoble, si alerent assaillir à le tour de Galatas. Et se n'i ot mie trop grant assaut, si le prisent et boutèrent le fu en le ville as Juis ^ ; et si desconfirent les Griffons, qui estoient venu de Coustan- tinoble pour le tour rcscourre. Et moût en i ot de noies, quant on dépeça le caine, qui sus estoient monté, pour fuir en Coustantinoble à garison, car tantost corn li Crestien orent prise le tour dcpecierent il le chaine.

Quant li pèlerin orent le port délivre ^ pour entrer ens, si lisent les nés entrer el port et aler tôt outre dusque au cief, devant .i. castiel qui est al cief de Cous- tantinoble, par devers le tiere, qui a à non Blakerne^ estoit li .1. des manoirs l'empereur, et estoit il le plus [souvent^]. ancrèrent les nés, priés del castel. Et li chevalier et li j^clerin se logierent, et asscgierent de celé part Costantinoble , et fisent lices devant aus pour çou que cil de le ville n'ississent hors pour aus grever^. Il furent herbegié en une valée priés de lor nés, et il avoit deriereaus,en lemontaigne,une abbéie qui avoit à non Buiemons% qu'il avoient garnie. Quant il orent illuec esté une pièce, si atirerent lor batailles, que s'il avenoit cose que cil dedens ississent hors pour conbatre à aus, que cascuns alast à se bataille.

Ne demora gaires apriès ce que cil de Costantinoble vinrent à l'empereur, si li disent : « Sire, se vous ne

1. A. li. l) : furent arivé (l'autre part de. 2. A. D: en celle ville as Juis.— J : en la ville des Juis. N : « ubi dicitur Turris » Galathas Judicorum mansio. » Col. 617. 3. A. B. H. J. O: à délivre. 4. A. B : Blasqncrnc. G : Blaqucrrc. 5. J. 0.

6. J: por ce que cil de la vile, c'il cississent hors, ne lor peusscnt (jrever. 7. A. B : Iluiemons. G : Biaumont. I : Buiamonz.

J : Buimonl. 11 : Brilamon. l^ag. 2G7.

4203 juillet] et de Bernard le trésorier. 365

» nos délivrés de ces ciens qui nos ont asscgiés^ nous » lor renderons le cité. » Et il dist qu'il les [en^] deliverroit bien. Si manda ses chevaliers, si lor dist qu'il s'armaissent et s'iroient conbatre as Latins. Quant il furent armé, si issirent hors de Costantinoble par une porte c'on apiele Porte Romaine, à une liue priés de li Latin estoient herbegié. Quant li em- pereres fu hors de Costantinoble et il et ses gens tôt armé, si envoia jusque à .v. batailles vers les harbeges des Franchois^

Quant li François^ oïrent dire que cil de le cité issoient hors por venir sor aus, si s'armèrent et issirent hors des lices, et se tinrent tout coi. Et li Griffon refurent coi, d'autre part. Li Venissiien qui estoient as nés, sans ce qu'il [le^] fesissent savoir as François, quant il sorent que li empereres et ses gens estoient hors de Costantinoble, et li François estoient hors des lices tout armé et atendoient le bataille, il ne s'obliierent mie. Ains s'armèrent et entrèrent es batiaus , et portèrent eskieles aveuc aus et vinrent as murs de le cité par dessus Blakerne, et drecierent eskieles et entrèrent en le cité, et ouvrirent les portes de le cité par devers le mer, et boutèrent le fu en le cité. Apriès si mandèrent as François, se il avoient

1. A. B : se /m ne nos. . . qui nos ont avironés. 2. D.

3. Dans A. B. I. 0., le paragraphe se termine autrement que dans G., et il est suivi d'une piirase qui manque dans ce dernier ms. : Si envoia desi à .V. batailles vers les herherges des Latins. Por ce les nomme je Latins, qu'en la terre apele on les Franczois Latins. Cette légère modification de Bernard le Trésorier à la ré- daction d'Ernoul est passée dans plusieurs Continuateurs. H. pa?. 268.

4. A. B. G. H. I. O : li Latin. 5. E. G. H. J.

366 CHRONIQUE d'ernocl [^203-^20/«

mestier [de sergans, ne^ de chevaliers, qu'il lor [en^] en\ oieroient , que il estoient dedens le cité et l'avoient prise. Quant li empereres vit que li cités ardoit et que li Venissiien l'avoient prise, si se mist à le voie et s'enfui,^ et li chevalier qui estoient aveuc lui^ Et li François se herbegierent dedens le cité, et si misent celui en possession qui les iex avoit crevés.

Mais ne vesqui gaires apriès, ains fu mors% et li François coronerent le varlet qui ses fieus avoit esté% et qui menés les avoit en Costantinoble. Apriès si es- garderent .1. haut home de le tiere qui preudom lor sanloit', si le lisent bailliu de le tiere et de l'enfant, pour çou qu'il estoit jouenes, et pour çou qu'il [lor**] pourcaçast [et feist paier^] les couvenences teles que li enfes les avoit promises.

Quant ensi l'orent atiré, si vint cil, si lor dist: « Segnour, vous estes céens^'^ aveuc nous; si m'avés » esgardé à estre regars de l'empire et de l'emperéour . » 11 m'est avis, se vous le loés entre vous [et véez que B bien fust"] à faire, pour ce que niellée ne levast » entre nous et vous, que vous [isessiez de la cité et^^] » alissiés herbegier de en Peire, à le tour de Gala- » tas^% li Juis manoient devant qu'il fussent ars. Et » je vous envolerai de le viande assés, et querroie et » pourcaceroie que vous ariés les convenances teles » c'on les vous doit. »

1. 0. 2. O. 3. D. C : enfui. A. B : s'en ala. 4. O : enle terre as Sarrasins. 5. Isaac l'Ange mourut en janvier 1204. 6. Alexis IV, ou Alexis le Jeune. 7. Alexis Ducas, surnommé Murzuphle, le MorcoJ/les des Français. N : « Morculphus. » Col. (HT. 8. D. O. - G : qîi'il. 9. J. lu. A. B : zaiens. O : caiens. H : çà enz. 11. A. B. 12. A. B. 13. J : en Farte, par devers la ior.

^204] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 367

Lors parlèrent H François ensanle as Venissiiens et bien s'i acorderent, et s'alerent logier à le tor' de Galatas. Cil baillius que je vos di avoit nonMorcoffles^. Quant li François furent logié, et lor navie fu priés d'aus, si manda Morcoftles as Venissiiens qu'il seussent es escris combien li pèlerin avoient doné as nés, et li fesist on savoir.^

Li Venissiien i prisent garde et li fisent savoir. Et Morcofflies, quant il sot le nombre, il fîst prendre l'avoir, et lor fîst envoiier l'avoir en l'ost, et rendre cascun çou ç'on avoit trouvé en escript. Apriès si lor envoia Tour- ment et vin et car salée, à cascun selonc çou qu'il estoit. Ne demora gaires apriès ce qu'il ot ensi fait, qu'il leva grant mellée en Costantinoble des Griffons et des François^ qui imanoient^ devant ce que li estoire i alast. Dont li Griffon orent grant paour que cil [de^] dehors ne s'en mellassent. Si boutèrent le fu es maisons as Fran- çois. Par tés couvens' i fu boutés* c'onques ne fina d'ardoir .ix. jors et .ix. nuis, au travers de le cité, de l'une mer à l'autre.

1. A. B : après la tor. H. 0 : ?a tor. J : delex. 2. A. B. D. H. J. 0 : Morcoufles, Morchqfles, 3Iarcofles. ~ 3. G : sa- voir combien estoit li nombre de l'avoir. 4. A. B. G : des Latins, ici et plus Las. 5. A. B. G. C : qui manoient. 6. 0. H : cil de Vost. G : cil dehors. 7. A. B : convent. 0 : covent. H : par tel hore. 8. J : Lifeus se prist si fort.

CHAPITRE XXXIII/

Cornent Vemperere de Costantinople fu mordn% en sa

chambre.

SOMMAIRE.

Événements de Constantinople. 1204. L'empereur Alexis le Jeune est étranglé par un émissaire de Murtzuphle. Murtzuphlc se fait couronner à Sainte-Sophie. Il fait em- prisonner et mettre à mort Nicolas Canabe. Son mauvais vouloir à l'égard des Francs, campés hors de la ville. 12 Avril. Nouvel assaut livré à Constanlinoiile par les Français et les Véniliens. Prise de la ville. Mort de Murizu])hie, De la Tour dite le .Saw^ de Murlzuphle. Du traité et des conventions qui avaient été arrêtés entre les Français et les Vénitiens, avant l'assaut, |)Our le partage de la ville et de l'Empire. Plaintes contre les Vénitiens. IG mai. Baudouin de Flandre est cou- ronné empereur de Constantinople. Partage des terres de l'Empire. L'empereur investit Roniface de Monlferrat du royaume de Thessalo- niqiie. Expéditions d'Henri d'Anjou et des Francs en Asie-Mineure. 12Ui-12U5. L'empereur engage les chevaliers et les bourgeois de Terre- Sainte à venir s'établir dans le royaume de Constantinople. Sa parci- monie ;\ leur égard. 1205. Les habilants d'.\ndrinople, tyrannisés par les Vénitiens, se soulèvent. Ils appellent à leur aide Joannice, roi de Valachie. Février. Les Véniliens abandonnent la ville. Mars. L'empereur Baudouin part pour assiéger Andrinoj)le. Il rappelle Ilonii d'.\njou d'Asie-Miiiciiro. Les habilants d'Andrinople ofl'rent de le

1. Cf. G. pag. 298-334. H. chap. 17 du livre XXVITI^ chap. 19 et dernier du livre XXIX. i)ag. 270-295.— M. m'iant. N. coi. G17-023.

-120/1] CHRONIQUE DE BERNARD LE TRÉSORIER. 369

reconnaître pour seigneur, mais refusent de lui ouvrir la ville, dans la crainte qu'il ne la rende aux Vénitiens. Avril. Siège d'Andrinople. Les Valaques et les Comans attaquent les retranchements des Francs. Le comte Louis de lîlois s'avance à leur poursuite et périt dans une embuscade. L'empereur allant au secours du comte de Blois, tombe dans l'embuscade et est l'ait prisonnier. Dandolo et Villehardouin lèvent le siège d'Andrinople et se replient sur Rodoslo. Arrivée de Baudouin de Beauvoir et de ses compagnons. 1205. Les Valaques se portent au-devant d'Henri d'Anjou qui avait passé le Bosphore avec 30,000 fa- milles arméniennes. Henri est obligé d'abandonner les Arméniens, il arrive à Rodosto. Les Arméniens sont massacrés par les Valaques. Conon de Béthune et le cardinal légat se mettent en rapport avec l'ar- mée de Rodosto, qui parvient à rentrer à Constanlinople. 1205-1206. Henri d'Anjou est nommé régent de l'Empire. Il fait rechercher son frère. 1206, 20 août. Henri est couronné empereur. La ville d'An- drinople fait sa soumission à la condition de n'appartenir ni aux Véni- tiens ni aux Français. L'empereur la donne à Livernas (Théodore Brana.s), qui avait épousé l'impératrice Agnès de France. 1210- 121G. Circons- tances diverses. Paix avec les Valaques. Henri épouse la fille de Joannice. Il meurt. 1217-1218. Pierre de Courlenai , élu empereur, est couronné à Rome avec sa femme, Yolande de Flandre, sœur des empe- reurs Henri et Baudouin, Ils arrivent à Durazzo en se rendant à Cons- tanlinople. Yolande continue son voyage par mer et arrive à Constanti- nople. Pierre voyage par terre. Trahison du seigneur de Durazzo, Théo- dore Comnène, prince d'Epire. Il retient l'empereur, qui meurt dans la prison.— 1219. Mort de l'impératrice Yolande. Philippe, comte de Namur, refuse la couronne de Constanlinople. 1221. Son frère cadet Robert est couronné à Sainte-Sophie. 1227-1228. L'empereur Robert épouse clandestinement la fille d'un chevalier d'Artois nommé Baudouin de Neuville. Mécontentement des chevaliers. Ils font défigurer l'impératrice et font noyer sa mère. L'empereur indigné se retire à Rome. Il meurt en Morée.

Or vous dirai [d'une grant felenie^] que Morcofïles fist apriès çou, [et^] de quoi il se pourpensa. Il fist entrer à Blakerne en le cambre li empereres se dormoit une nuit [un sergent^], si le fist estran- 1er ^ Or fu bien avérés^ li songes que cil empereres songa une nuit. Il avoit .i. porc sauvage de coivre

1. H. 2. A. B. 3. H. 4. Alexis le Jeune périt le 8 fé- vrier 1204. 5. A. B : averis. N : « adimpletum somnium «, col. 617.

S4

370 CHRONIQUE d'eRNOUL ['1204

contrefait \ à Bouke de Lion, le manoir l'empereur qui estoit sour le mer. Si sonja une nuit que ois pors l'estranloit. Et quant ce vint l'endemain, pour le paour qu'il avoit le nuit eue, si le fîstdepechier pièce à pièce, mais ne li valut riens, car toutes voies fu il estranlés. Quant li em'pereres fu mors, si le fist on savoir Mar- coftle, ja fuisse qu'il le seust bien. Et Marcoffles ala à Blakerne, si le fist enfouir, [et faire si hautservise com il aferoit à emperéor^].

Quant li empereres fu enfoïs, il manda les chevaliers de le cité, et ala à Sainte Soufie et porta corone et fu empereres ^ Mais devant çou qu'il fust coronés, fist bien garder les portes, que nus hom n'en peust issir ne entrer, et c'on ne seust le mort de l'empereur en l'ost [aus François^], ne le couvine de le cité. Il ot .i.haut home en le cité^ qui parens avoit esté'' à l'empereur, se li fu avis qu'il deust miex estre empereres que Mor- cofles. Si espia .i. jour que Morcofles estoit à Blakerne, si prit çou qu'il pot avoir de gent, si ala à Sainte Sofie, si s'asisten le caiiere', si porta corone. Quant Morcofies l'oï dire, si ala et iP et si home, si l'ocist.

Quant li François et li Venissiiens virent c'on avoit les portes fermées, que nus hom n'i pooit entrer ne issir, et (jue viande ne lor peut venir, si s'esmervellie- rent moût, et envoierent pour savoir à l'empereur que c'estoit^ Mais on ne les laissa mie'*^ entrer ens, ains dist on que li empereres estoitmalades. fCelechose"] ne

1. N : « ex materia cuprea. » 2. H. 3. Cf. H. pag. 271. not. 6. 4. D. 5. Nicolas Canabc. Cf. II. pag. 271. not.

G. G : avoi slé. 7. A. B : chaiere. G : chaere. 8. A. B.

0. G : s'esmerveillerent mult ou l'enipereor esloit aie. lU. J : l'en ne laissa lor message. II. D.

4204] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 374

pot mie estre longement celé, ains sorent comment li enfes avoit esté mors, et que Morcofïles estoit empe- reres. Ne demora gaires apriès ce que Morcofles com- mença les François à gerroiier et le viande à destrain- dre\ Et si vous dirai qu'il fist .i. jour. Il fist desci à .xim. nés emplir d'espines^; et quant il orent vent qui venoit deriere aus et aloit sour l'ost des François, il fisent le fu bouter ens , et li vens les mena viers le navie des François. Mais li Venissiien furent^ si bien garni et si bien se deffendirent de cel fu, c'onques damage n'i orent.

Illueques yvrenerent li François à grant mescief desci que ce vint al Quaresme, que li Venissiien fisent pons des mas de lor nés, et les atirerent par tel engien qu'il montoient sus tout armé; et quant il avaloient, si estoient sor les plus hautes tours de le ville par deviers le mer il dévoient assallir.

Ensi orent tout establi lor afaire à le Paske Florie. Quant ce vint l'endemain [de la Pasque Florie^], par

1. H : restreindre.— 2. G. H.— A. B. G. D. I: cVesprises.— 0 : de bacons (bâtons?) et de legnes. J -.de pois et de busche. Sur cet incident (qui n'est pas exactement rappelé dans N. col. 618), voyez H. p. 272. not. 3.0: estoient.

4. 0. D'après notre chronique, conforme sur ce point à Vil- lehardouin, Constantinople aurait donc été reconquise le lende- main du dimanche des Rameaux, c'est-à-dire le lundi 19 avril 1204. Il est certain néanmoins que l'événement avait eu lieu sept jours auparavant, le lundi de la Passion, 12 avril. Cela résulte de la lettre de l'empereur Baudouin lui-même, écrite après son cou- ronnement à Ste-Sophie, du récit de Nicétas Ghoniate (Rainaldi, Annal eccl. 1204. f{. 15. not. Mansi, t. XX. p. 178), et de la rela- tion de Robert de Clary, témoin oculaire comme Villehardouin (édit. de M. le G'« Riant, pag. 57-58). Suivant l'auteur do la grande Gontinuation. la prise de Gonstantinople serait du mardi 8

372 CHRONIQUE d'ernoul [1204, avril

matin, si s'armèrent et entrèrent es nés, et DameDex lor dona .1. poi de bon vent qui les mena desci as murs de Costantinoble. Li première nés qui vint as murs, ce fu li nés l'evesque de Soissons. Celle si avala tantost sen pont sour une tour ; et François et Venissiien en mon- tèrent sour le pont, si prisent celle tour. Cil qui pre- miers y entra fu Venissiiens' et fu ocis. Et li autres apriès fu un chevaliers françois, et ot à non Andriu Dureboise^. Cil gaaigna .c. mars et li autres apriès .l. mars^; qu'ensi^ fuestabli et créante que cil qui pre- miers enterroit en le cité aroit cent mars et li autres apriès .L. Tantost que celle tours fu prise, si avalèrent et ouvrirent les portes, si entrèrent eus que miex miex. Quant li empereres vit que François estoient en le cité, si s'enfui^'; si fu Costantinoble prisée

avril. Voy. H. pag. 273. Les choses n'allèrent pas du reste aussi vite qu'Ernoul et Bernard le laissent entendre, et l'on peut se rendre compte dans les autres chroniqueurs de l'énergique ré- sistance déployée par Alexis Ducas.

1. Ganale ne le nomme pas, et il appelle cette tour : la Tour du Virgiot, en raison peut-être de son voisinage du monastère de S. Evergète, comme le conjecture M. Cicogna (édit. Vieusseux, p. 336).

2. E : Andnx Dureboise. J : Andrcs Dure-Bouche. G : Audins Durebouche. H : André Dure Boche. O : Andrius Dureboise. Robert de Glary : Andriex de Dureboise. Ville- hardbuin : Andris d'TJrbaise. (éd. P. Paris.)

3. 0 ajoute ici : Ce fu Pieres de Braiecuel. Le fait est possible, quoiqu'il ne soit rappelé ni par Yillehardouin. ni par Robert de Glary, ni par les Gontinuateurs de Guillaume de Tyr. Ge Pierre de Braiecuel ou Brachuel, gentilhomme picard, fort remarqué en Orient par sa bravoure, devint un des principaux barons de l'em- pire de Gonstantinople.

4. O : Car. 5. O : Si s'enfui; mais puis fu ilpris et ramenés à Costcnlinoble.

G. II : Ensifu prise la noble cité de Costanlinople, à Vf II. jors

^204, avril] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 373

[Et' quant Morcoufles vit que li Latin estoient en la cité, si s'enfui en une haute tornelle an su^, por lui repoindre et mucier, s'il peust. Mais .1. crestiens franczois l'en vit fuir et corut après lui, et monta en la tornelle contremont les degrés, l'espée traite, por lui ocirre. Quant Morcoufles vit celui qui venoit après lui si grant alcure, contremont la tornelle, fu ^ molt effraés, car il li cria merci. « Certes, mal vais traitres, de si bas » come vos estes montés en haut, de si haut vos ferai » je venir au bas. » Et quant il l'aprocha, si entensa grant cop de la spée por lui ferir. Morcoufles vit le coup venir vers lui, si n'ot guenchir, ainz sailli parmi une fenestre de la tor à terre, qui endroit lui estoit. Si fu toz froez, car il salli de plus haut assez que l'on ne giteroit une piere petite. Icelle tornelle donc Morcoufles salli jus est encore apelée li Sauz Morcoufles*, por ce que Morcoufles en salli jus. Et quant il en fu sallis, si rua l'on tant de czavates^ et de pieres et de roches, q'il ot un grant mont sor lui, ne onques autrement ne fu enfoïz. Einsi fu prise la citez ^].

d'Avril, par un Mardi, en l'an de l'Incarnation de Nostre Seignor M. ce. I. (millésime erroné). N : « anno M. GG. IV. »

1. Ce paragraphe parait être uii récit particulier aux mss. A. fol. 100. etB. fol. 98. v". 11 manque dans G. D. E. G. H. I. J. Le ms. suivi par Pipino le contenait : « Dum Morculplius ipse » fugiens. » N. col. G18.

2. A. et B : aiuis, sans doute pour an su, an son, en som, au sommet.— H. a un récit tout différent. Pag. 240. 3. A. B : si. 4. « Sallus Morculphi, usque in liodiernum dicitur », répète Pipino au XIV^ siècle. N. col. 618. 5. N : « Gadaver illius » lapidibus et ruderibus obrutum. »

6. F. et 0. donnent la rédaction suivante quelques folios plus loin : Or vos (di)rai de Morcoufle qui repris fu et ramenés en Costanti- nohle; et que V empereres Bauduinjist asambler tos les haus home

374 CHRONIQUE d'ernocl [^204, avril

Or vous dirai que li François et li Venissiien atire- rent* ançois c'on assalist le cité. Il establirent et atire- rent que dedens moustier ne prenderoit on riens, et que les avoirs c'on prenderoit en le. cité, on les mete- roit tous ensanle et partiroit on à droit ; car li Venis- siien dévoient avoir moitiet partout. Car ensi fu il mis en couvent, quant il luierent l'estoire à Corbie^, que de toute le conqueste^, fors de le tiere de Jherusalem, en quel tiere que ce fust, dévoient il avoir le moitié. Après, quant il orent ce establi, si fîst on escumeniier à .m. eveskes qui i estoient, li veskes de Soissons et li vesques de Troies et .i. vesques d'Alemaigne, tous ceuls qui nulle cose destorneroient et qu'il ne porte- roient tout çou qu'il troveroient on l'establieroit pour partir ^ Apriès escumenia on tous cens qui dedens moustier prenderoient nule cose, ne prestre ne moine desreuberoient, de cose qu'il eussent sour aus, ne sor feme meteroient main.

Ensi fu establi et commandé, et li escumeniemens

en Bouke de Lyon : le conte Henri d'Ango, sen frère, et le conte Loi/s de Biais, et le marquis de Montferras, et le duc de Venisse, et Renaut de Montmirail, et Oedon de Caulistre, et Adan de Walain- cort, et Bauduin de Biavoir, et Gket de Tret (Renier de Trit?), et Will. de Gotnigies, et Goijroi tue l'Astie, et Gobert et Jerart, les III. frères d'Estruem et Aloul de Werecin, et Pieron de Braiecuer (Pierre de Braiecuel) et ' Andriu Dureboise. A tous se consella li empereres de quel mort on feroit Morcoujle morir. Consaus liaporta c'on le feroit monter sor le Piler des Profesies. On l'i mena, et fist on mener tôt en son; et de si haut corn li pilers estait, se jist on salir à l'al. Ensi fina Morcoujle. Et mil an devant çou qu'il salist, fu il prophetisiet et apelé : Saut Marcoujle.

1. A. B : firent. E : fisent et atirerent. 2. A. B. CD. J. O. G : quant il orent l'estoire accueillie. Voy. ci-dessus, p. 339. H : rien. 3. 0 : aquestes. 4. A. B : départir.

^204] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 375

fais. Devant ce que li François* entrassent en Gostan- tinoble ne presissent, estoient il plain de le grasse del Saint Espir, et avoient grant carité en aus; et se .c. Griffon veissent .x. François, si s'enfuissent il. Quant li François orent prise Gostantinoble, il avoient l'escu Dame Diu embracié devant aus, et tantos com il furent ens, il le jetèrent jus et embracierent l'escu al dyable^. Il coururent à Sainte Eglyse et brisierent premièrement les abbéies et reuberent. fu li couvoitise si grans entr' aus que quanques il dévoient porter amont, il portoient aval. fu si grans li haine [et la rancune^] entr' als que li chevalier disoient que les povres gens avoient tout , et les povres gens disoient que li chevalier et li prestre avoient tout ravi ^ ; dont il fu bien sem- blans^ à le départie. Et cil qui plus emblerent, ce furent li Venissiien, qui le portoient par nuit à lor nés. Dont il avint, quant il orent pris Gostantinoble, que li dus de Venisse vaut faire marchié de l'avoir qui estoit en le cité as François : qu'il feroit l'avoir amasser à ses hommes et mètre d'une part et les meubles, et si don- roit à cascun chevalier .iiii'^. mars et à cascun prestre et à cascun sergant à ceval .n''. mars, et à cascun home à pié .c. mars. Ensi l'euist il fait et créante, mais li François ne le vaurrent mie otrier. Dont si avint que l'en embla on tant*^ devant ce que on partist as Yenis- siiens et destourna, que de le partie as François n'ot

1. A. B.HtZi Latin. 2.. N. «scuto humani hostis apprehenso.» Col. 618.— 3. A. B. 4. A. B : et li clerc et Upresire ensement tôt pris et tôt mucié. 5. A. B : apareni, 0 : si com il parut bien. 6. 0. A. B. C : Ains en embla on tant. Cf. N. col. 619.

376 CHROJNIQDE d'er.aol'L [1204, mai

li chevaliers que .xx. mars, et li })restres et li serjans à cheval .x. mars, et li hom à pié .Y. mars. Quant il orent parti l'avoir, si partirent le cité par mi, si que li Venessien en orent le moitié et li François l'autre. Et si escaï li partie as François par devers le mer, et li partie as Venissiiens par devers tiere.

Quant il orent parti l'avoir et le cité, si prisent consel cntr' aus de cui il feroient empereur et patriarce. Et atira on que se on faisoit empereur de deçà les mons, cil de delà les mons feroient patriarce ; et se cil [de ^] delà les mons faisoient empereur, cil de declià les mons feroient patriarce. Et que li Venissiien donroient le quarte part de lor [partie de la ^] cité par devers le tiere à l'empereur; et li François le quarte part de lor partie par devers Bouke de Lion^ Quant ensi orent atourné, si eslut on le conte Bauduin de Flandres à empereur, et porta corone^

Quant li empereres Bauduins fu coronés, il départi les tieres et les illes de le tiere qui rendue lor fu^ d'entour Costantinoble , et as Venissiiens dona tel partie qu'avoir dévoient*^. Apriès, si laissa ses baillius

1. D. 2. B. J. 3. D :par devers mer. 4. A. B : si eslut on le comte Baldoin à emperéor, qui de Flandres estoit quens. Si porta corone et fu empereres. 5. 0 : li furent.

6. 0. ajoute ici : Après, prist li empereres ses homages et départi ses terres. Le marchis dona Salenikc; et le Champenois le Morée; et Jerars d'Estruem le ducée de Sinepople, par çoii que Jerars l'avoit prise et conquise, et il et si frère. Et li Champenois servi l'empereur et commanda se terre à Joifroi de Vile Harduin, qui le retint à sen îles, et à moult de prodomes ne dona rien. Meismes à sen frère, Henri d'Anjo, ne dona il riens, ne roiame, ne ducé , ne conté. Et qui les siens faut, li sien li doivent bienfalir. Dont ses Jrer es l'avoit si bien servi, à sen pooir, que nus miex de lui, Ainscois que l'empe- rere se remeust de Costantinoble, H vinrent noveles que sa feme

4204] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 377

et les Venissiens en Costantinoble et ala à Salenike, pour prendre, et pour délivrer aveuckes le marchis de MonferrasS oui il avoit donée Salenique et le royaume. Li marcis ala aveuc, et mena l'emperis se fcme qu'il avoit espousée, qui feme avoit esté l'emperéour Kyr- sac, et mère l'empereur oui Morchofles avoit fait estranler, et suer le roi de Hungherie ^. Celé dame ot .1. fil del marcis qui puis fu rois de Salenique^. Il a bien .xv.^ journées de Costantinoble dusques à Sale- nique.

Li empereres ala de Costantinoble en Salenique ; et en tous les lius il aloit, estoit reçus à segnour par toute le tiere. Et quant il vint à Salenique^, se li rendi on, et il le dona le marcis. Apriès li rendi on grant tiere sour le marine % par deviers Puille, qu'il dona les Campegnois', que puis tint Joffrois de Ville Harduin. Quant celle tiere fu délivrée, et il l'ot donée à ceus que je vous di, si retourna ariere en Costanti- noble. Là vint Henris d'Angou, ses frères, si prist gent et passa le braç Saint Jorge, et ala en Turkie et con- quist grant tiere. Paiens d'Orliens, Bauduins de Bele- voir^ et Pieres de Braiencel ^ prisent gent aveuc aus et passèrent le braç et alerent en Turkie, d'autre part, et

estoit agute d'une fille qui avoit à non Margarite , et Jehanne avoit III. ans. Dont I. sages hom vint à l'empereur, et li dist que de ces II. filles venroit grans maus à lui et à sen peuple. Dont fist bien garnir le cité de Costantinoble.

1. Boniface.— 2. Marguerite de Hongrie.— 3. Démétrius.— 4. G : vingt cinq. 5. Lacune dans H., que suppléent A. B. G. G. J. 6. A. B : sor la rivière. 7. J : as Champenois. (y : au chaps Peneis. 8. A. B : Baldoins de Biauveoir. 9. A. B: Braiencuel. 0 : Braicuel. G. H. J : Brachuel.

37S CHRONIQDE d'ernoul [4204-4203

conquisent grarit tiere. Li empereres Bauduins et li quensLoeys sejornerent en Gostantinoble.

Devant ce que li quens Bauduins fust empereres et qu'il eust pris Gostantinoble, pour çou qu'il avoient l'estoireaslongie plus qu'il n' avoient en couvent, manda ariere se femc^ qu'ele venist à lui en quel tiere qu'il fust. Quant la dame les noveles que se sires le man- doit, si s'aparella et ala en le tiere d'Outremer et ariva à Acre. En cel point ariva que ses sires estoit empe- reres. Noviele vint à l'empereur que se feme estoit à Acre. Il envoia chevaliers pour li faire venir en Gostan- tinoble. Et si manda en le tiere d'Outremer et fist crier par toute le tiere que qui vauroit avoir tiere, ne gari- son, qu'il venist à lui. il i ala bien à celé voie dusques à .c. chevaliers de le tiere, et bien d'autres dusques à .x.^ mil. Et quant il vinrent là, si ne lor valt^ riens doner ; ains se départirent par le tiere et alerent en- sanle il porent miex faire, par le pais. Li contesse de Flandres, [qui à Acre estoit^] , ne vesqui mie. xv .jours puis qu'ele fu mandée pour aler^ en Gostantinoble.

Or vous dirai des Griffons d'Andrenople qu'il fisent. La cités d'Andrenoples estoit des Venissiicns, (ju'ele estoit eskeue à lor partie. Il mesmenoient moût cel s de le cité, et moût lor faisoient de houle. Il mandèrent as castiaus et as cités qui près d'aus estoientque, pour Diii, s'acordaissent ensanle et qu'il mandaissent le segnor de Blakie que, pour Diu, qu'il les secourust et aidast ; et il li renderoient le tiere, car li Latin les mes- menoient moût ^ s'acorderent les cités et li castiel

1. A. B : à sa feme. 2. I) : XX. 3. A. 13 : vout. I) : volt. 4. A. B. G. 5. G : puis qu'ele fu venue. 6. A. B : les menoient moU mal.

4205] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 379

d'ileuc entour, et furent à l'acortj^ d'Andrenople ; et si mandèrent au seigneur de Blakie^ qu'il les secourust^. Il lor manda ariere que volentiers les secourroit dedens le Pasque, à tout grant gent. Et ce fu .xv. jours devant quaresme prenant que li mesages i ala. Il a^ .mi.^ jornées de Gostantinobie à Andrenople.

Or vous dirai que cil des castiaus et des cités [d'entor Andrenople ^] et [cil de la citez '] d'An- drenople fîsent, quant il oirent^ l'asseurement des Blas", qu'iP" les secorroient. Il vinrent as garni- sons " des Venissiiens qui estoient, et si lor disent qu'il vuidassent le cité, et s'il ne les vuidoient il les ociroient; mais en pais s'en alaissent ançois c'on les tuast. Les garnisons vuidierent, si s'en alerent, qui n'avoient mie le force '^, et alerent en Gostantinobie. Et ausi fist on faire à toutes les garnisons qui estoient as autres castiaus qui priés d'iluec estoient. Les garnisons envoierent .1. mesage bâtant ^^ à l'empereur, etli man- dèrent qu'ensi faitement s'en venoient et con faitement li Griffon les avoient^^ mis hors de le tiere.

Li messages vint en Gostantinobie le jour des

1. A. B. J. 0 : à la cor. G : à la tor. 2. J : Blaquie. G : Blaquerre. N : « regem Blancorum. » Col. 619. Joannice, roi de Bulgarie et de Valachie. 3. D : quant meslier en serait. 4. G: Il ala.— 5. H : XIIII.— Ç>. D.— 7. A. B.G.— S.A. B. D. G : orent. 9. G : Blaquerre. 10. A. B. D. F. 0. G : et qu'il. 11. A. B. D. J. G. 0. G : ils vinrent as Griffons et alerent as.

12. A. B. D : Les garnisons virent qu'il n'avoient mie la force en la cité; si s'en issirent. G : qu'il ne se porroient tenir, si s^en issirent fors. 13. A. B.

M. G : et li mandèrent qu'ensi faitement et con faitement s'en venoient li Griffon les avaient. A. B. D. G. O : e/î li firent savoir qu'ensi faitement s'en venoient et comment les Grifons les avaient.

380 CHRONIQUE d'er.nocl [1205, mars

Cendres ' , ensi com li empereres issoit de se capiele il avoit le service ; et se li dist li mesages qu'il aportoit.

Quant li empereres le mesage, si fu moût dolans; si entra en une cambre et s'i manda le duc de Venisse et le conte Loey [de Blois ^] et les chevaliers qui en Costantinoble estoient. Et moût furent dolant, quant li empereres lor dist le novele qu'il avoit oïe. prisent consel [et s'acorderent ^] d'aler à Andrenople ^ assegier et tout mètre à l'espée , car par Andrenople estoit la tiere relevée. Dont commanda li empereres que tout fuissent apparellié de movoir dedens le mi quaresme, et tout cil qui armes poroient porter, fors cil qui on esgarderoit pour le cité garder. Ensi com il le com- manda, fu fait.

Quant ce vint al mi quaresme, si murent et alerent assegier Andrenople. N'orent gaires esté devant An- drenople, quant li Blac et li Comain [furent^] illueques priés. Et couroient cascun jour devant l'ost^; et gar- doient' si le viande, c'a grant paine en pooit on point avoir. Et si fisent [les François^] lices par deriere aus, que li Blac et li Comain ne se ferissent^ en lor ost.

Quant li empereres sot que li sires de Blakic avoit amené si grant gent sor lui, si ot grant paour. Si prist mesages, si [les^"] envoia outre le brach Saint Jorge [en Turquie"] pour Henri d'Ango, sen frère; et se li manda

1. 24 février 1205. A. B : lejor de la Cendre. 2. A. B.— 3. A. B. 4. A. B : DandenopU, ici et plus loin. 5. A. B. G. D : et li Comain et li Grifon qui illueques estoient priés. 6. D : devant Endrenople et devant l'ost aus Latins. 7. G ; et gaitoienl. 8. D. 9. A. B. D. G. G './resissent. 10. G. -11. G.

-1205, avril] et de Bernard le trésorier. 38^

par letre que tantost com il veroit ses lettres qu'il laissast se tiere, et qu'il s'en venist à tout quanques il avoit de gent, car li Blac et li Commain l'avoient assegié devant Andrenople. Tout ensi manda il à Paien d'Or- liens et à Bauduin de Belvoir et à Pieron de Braienceul, qui une autre ost tenoit en Turkie.

Quant li empereres vint à Andrenople, cil de le cité issirent contre lui et le bienvegnierent ^ , comme signour ; et se li demandèrent pour coi il venoit sor aus et par coi il venoit le cité assegier, car il le connis- soient^ bien à signor et le cité li renderoient, s'il les voloit tenir à droit comme ses hommes ; mais le cité ne li renderoient il, ains se lairoient depecier pièce à pièce, pour qu'il le mesist^ en autrui main qu'en le siue ; et de che qu'il avoient mis hors les garnisons des Venissiiens qu'il i avoit ^ laissies^ il l'avoient fait sour lor droit ^ defTendant, car il les mesmenoient si à dolour de lor femes et de lor enfans qu'il ne le pooient' plus souffrir ; ne que jamais tant com il vesquissent, Venis- sien n'aroient segnorie sour aus.

Quant li empereres ce que cil d' Andrenople li avoient offert, si en prist consel. Et bien li aporta consaus que se li dus voloit prendre aillors tiere, qu'il li donast, par si qu'il li laissast Andrenople en pais. Li empereres le requist al duc; et li dus li respondi c' autre escange* n'en averoit il ja^ ains se vengeroit

1. A. B : saluèrent.— 2. D : tenoient.— 3. A. B. G : por qu'il les voussist mètre. ~J: se il les voloit mètre. 4. D. G : qîi'il l'a- voit. 5. A. B. D. G : et que ce qu'il avoient fait des garnisons qu'il avoient mis hors. 6. G : lor corps. 7. A. B. D. E. O. G : porcnt. 8. G. H : eschange. 9. J : que change n'en pren- drait il ja.

384 CHRONIQUE d'ernoul [i205, avril

le conte Loey, estre les Venissiens qui apriès aloient. Quant li agais qui saillis estoit , virent l'empereur venir, si se traisent ariere. Et li empereres ala avant.

Si trova le conte Loey il se moroit, et les chevaliers qui mort estoient [avec lui^]. Si fu moût dolans, et moût grant duel commença à faire sor le conte. Li quens Loeys li dist : « Sire, pour Dieu, ne faites duel » [pour moi ^] ; mais aiiés merchi de vous et de le » Crestienté, car je suis mors. Mais tenés vous tous » cois aveuc vos gens^, car il sera ja nuis^; si n'en » pores râler ariere as herberges, car je ai esté à » l'agait et veus les ai, et tant en y a que se vous aies » avant, [sachiez que^] ja pies n'en escapera. » Li empereres dist que ja Diu ne pleust qu'il euist repro- vier, ne oirs qu'il eust, qu'il eust lassié le conte Loey mort el camp; ou il l'emporteroit aveuc lui, ou il i morroit.

Or cevauça li empereres et si chevalier. Et li Blac et li Comain salirent hors de l'embuissement, si les avi- ronerent et se conbatireiit , et ocisent tous ceus de le compaignie l'empereur et lui aveuc ^ , fors ne sai quaus chevaliers et serjans, qui en escaperenl et tour- nèrent vers lor herberges.

1. B. 2. G. 3. A. B. G : e/ valiez vos gens ensemble.

4. A. B : car il ert nuis partens . G : qu'il iert nuit parlant.

5. A. B.

6. Ces mots : et lui aveuc, qui se retrouvent dans D. G. I. J. 0, mais qui ne sont ni dans E. ni dans H, induiraient en erreur. Baudouin ne périt pas à la bataille d'Andrinople. Fait prisonnier dans le combat, l'empereur fut égorii;é l'année suivante, par ordre de Joannice. A. et B, qui ne donnent pas ici la leçon : et lui avec, l'ont plus loin, pag. 386. Pipino n'en a pas tenu compte, et avec raison, si son ms. la portait. Cf. N. col. 621.

^205, avril] et de Bernard le tre'sorier. 385

Quant li Venissien et cil qui aveuc eaus estoient virent le bataille, si s'en tornerent vers lor herberges pour le grant peule' qu'il veoient; qu'il savoient bien s'il aloient avant, il n'i aroient durée. Il estoit ja bien prins soirs ^ quant il vinrent as herberges. Dont fisent savoir al duc de Venisse et al marissal de Gampaigne le meskeance, comment elle estoit avenue.

Quant il oïrent çou, si se levèrent dou siège coie- ment et si montèrent [seur lor chevaus^], si s'en ale- rent qui miex miex, et laissierent [le siège et^] lor harnas. Si s'en alerent toute nuit viers une cité sour mer qui [estoit de Veniciens, et ^] a à non Rodestohc ^ Et vers Costanti noble en ala une partie, mais poi en y ala, car tous li plus de l'ost ala à Rodestohc. Quant il orent toute nuit erré et ce vint l'endemain, al biel jour, il gardèrent; si virent de lonc ' grans gens à ceval, si cuidierent que ce fuissent li Blac , si commencierent à fiiir vers Rodestohc. Chil qu'il avoit veus, c'estoit li os Bauduins de Belvoir et Pieron de Orliens et Paien de Braienceul, qui venoient secorre l'empereur devant Andrenople.

Pieres de Braienceul les coisi* premièrement, et moût s'esmervilla qués gens c'estoient qui si fuioient [nepor quoi^]. Il esgarda vers aus, si coisi et connut une partie des banieres, et bien li fu avis que c'estoit de lor gens. Lors dist à ses compaignons qu'il li estoit bien avis que c'estoit de lor gens qui fuioient. « Venés,

1. A. B : péril. D : pueple. 2. A. B : pris soirs. D : prinsoir. G : prime soir. H : prime some. 3. D. d'une main peu ancienne. 4. A. B. 5. A. B. G. H. 6. G : Ro- descokt. A. B : Redestoc. E. G. H. J. 0 : Rodesloc. 7. A. B. G : de loing. 8. A. B : choisi les fuians. 9. A. B. G.

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384 CHRONIQUE d'ernocl [1205, avril

le conte Loey, estre les Venissiens qui apriès aloient. Quant li agais qui saillis estoit , virent l'empereur venir, si se traisent ariere. Et li empereres ala avant.

Si trova le conte Loey il se moroit, et les chevaliers qui mort estoient [avec lui']. Si fu moût dolans, et moût grant duel commença à faire sor le conte. Li quens Loeys li dist : « Sire, pour Dieu, ne faites duel x> [pour moi ^] ; mais aiiés merchi de vous et de le » Crestienté, car je suis mors. Mais tenés vous tous » cois aveuc vos gens^, car il sera ja nuis^; si n'en » pores râler ariere as herberges, car je ai esté à » l'agait et veus les ai, et tant en y a que se vous aies » avant, [sachiez que^] ja pies n'en escapera. » Li empereres dist que ja Diu ne pleust qu'il euist repro- vier, ne oirs qu'il eust, qu'il eust lassié le conte Loey mort el camp ; ou il l'emporteroit aveuc lui, ou il i morroit.

Or cevauça li empereres et si chevalier. Et li Blac et li Comain salirent hors de l'embuissement, si les avi- ronerent et se conbatirent, et ocisent tous ceus de le compaignie l'empereur et lui aveuc *^ , fors ne sai quans chevaliers et serjans, qui en escaperent et tour- nèrent vers lor herberges.

1. B. 2. G. 3. A. B. G : et râliez vos gens ensemble.

4. A. B : car il ert nuis partens . G : qu'il iert nuit partant.

5. A. B.

6. Ces mots : el lui aveuc, qui se retrouvent dans D. G. 1. J. 0, mais qui ne sont ni dans E. ni dans H, induiraient en erreur. Baudouin ne périt pas à la bataille d'Andrinople. Fait prisonnier dans le combat, l'empereur fut égorgé l'année suivante, par ordre de Joannice. A. et B, qui ne donnent pas ici la leçon : et lui avec, l'ont plus loin, pag. 386. Pipino n'en a pas tenu compte, et avec raison, si son ms. la portait. Cl". N. col. 621.

^205, avril] et de Bernard le tre'sorier. 385

Quant li Venissien et cil qui aveuc eaus estoient virent le bataille, si s'en tornerent vers lor herberges pour le grant peule' qu'il veoient; qu'il savoient bien s'il aloient avant, il n'i aroient durée. Il estoit ja bien prins soirs * quant il vinrent as herberges. Dont fisent savoir al duc de Venisse et al marissal de Campaigne le meskeance, comment elle estoit avenue.

Quant il oïrent çou, si se levèrent dou siège coie- ment et si montèrent [seur lor chevaus^], si s'en ale- rent qui miex miex, et laissierent [le siège et"*] lor harnas. Si s'en alerent toute nuit viers une cité sour mer qui [estoit de Veniciens, et ^] a à non Rodestohc''. Et vers Costantinoble en ala une partie, mais poi en y ala, car tous li plus de l'ost ala à Rodestohc. Quant il orent toute nuit erré et ce vint l'endemain, al biel jour, il gardèrent ; si virent de lonc " grans gens à ce val, si cuidierent que ce fuissent li Blac, si commencierent à fuir vers Rodestohc. Chil qu'il avoit veus, c'estoit li os Bauduins de Belvoir et Pieron de Orliens et Paien de Braienceul, qui venoient secorre l'empereur devant Andrenople.

Pieres de Braienceul les coisi* premièrement, et moût s'esmervilla qués gens c'estoient qui si fuioient [nepor quoi^]. Il esgarda vers aus, si coisi et connut une partie des banieres, et bien li fu avis que c'estoit de lor gens. Lors dist à ses compaignons qu'il li estoit bien avis que c'estoit de lor gens qui fuioient. « Venés,

1. A. B : péril. D : pueple. 2. A. B : pris soirs. D : prinsoir. G : prime soir. H : prime some. 3. D. d'une main peu ancienne. 4. A. B. 5. A. B. G. H. 6. G : Ro- descoht. A. B : Redesloc. E. G. H. J. 0 : Rodestoc. 7. A. B. G : de loing. 8. A. B : choisi les fuians. 9. A. B. G.

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386 CHRONIQUE d'eRNOUL [^20D

» dist il tout bêlement, et g'irai à aus\ si sarai que » çou est. » Il poinst et si les atainst. Et quant il le virenl venir seul, si l'atendirent ; et quant il vint à aus, si les reconut et il reconurent lui. Il lor demanda des noveles et il li disent. Quant Pieres de Braienceul des novieles, si démena grant duel et manda ses compaignons qu'il venissent avant et il i vinrent. Quant il furent venu, si alerent à Rodestohc. sejor- nerent et atendirent se Dame Diex lor envoieroit secours d'aucune part.

Quant li Blac^ orent ocis l'empereur et ses cheva- liers ^, si sorent que Henris, ses frères, avoit passé le braç, et qu'il aloit à Andrenople. Li Blac alerent encontre, pour lui ocirre, s'il le peussent ataindre. Mais Dame Diex ne le vaut mie souffrir , ains li envoia .1. paisant del pais pour dire les noveles de le mort l'empereur, et le conte Loy et des chevaliers qui mort estoient, et del siège qui estoit levés de Andrenople, et aies a Rodestohc, et que li Blac venoient encontre lui; et que s'il ne se hastoit d'aler a Rodestoc, et par jour et par nuit, as Latins qui estoient fui, il seroit ocis et tout cil qui aveuc lui estoient. [Mais, par Deu, pensast de son cors garantir et de ses compaignons \]

Quant Henris d'Ango ot le novele oie de le mort l'empereur sen frère et de ses compaignons, si fu moût dolans, et grant paour ot de le siue et de ceuls qui aveuc lui estoient , si ne sot que faire ; car il avoit bien

i. A. B : et je poindrai à aus. 2. A. B. G. G : Blanc, ici et dans la suite du récit. Pipino dit également « Blanci. » K Blanchi. » col. 620 et suiv. 3. A, B : ocis la mesnie Vempereor et lui avec. Voy. ci-dessus, pag. 384. not. G. 4. A. B. G. H.

1203] ET DE BERNARD LE TRÉSORIKR. 3S7

amené aveuc lui de Turkie .xxx™. maisnies d'ErminsS et lor femes et lor enfans et lor harnas, pour taire manoir en Costantinoble. Et si lor avoit juré que, pour riens qui avenist, ne lor faurroit dusques qu'il les averoit mis en Costantinoble^.

Si ne sot^ que faire ; car s'il s'en aloit, et les laissoit ensi com li païsans li avoit dit, il i aroit grant pechié et iroit contre son sairement. Dont prist consel as chevaliers de s'ost qu'il feroient. Li chevalier li consel- lierent qu'il li venoit miex qu'il laissast son menu peule en aventure, et s'en alaissent à Rodestohc à lor gens et se raliassent là, qu'il demorassent pour aus ocire; que seust il bien que, selonc ce que li païsans lor avoit fait à entendre, que ja pies n'en escaperoit. Si venoit miex que li Hermin fuissent mort, qu'il fust mort ; car seust il bien, s'il estoit mors, qu'en Costantinoble n'a Rodestoc [ne en tote la terre ^] , n'avoit pié ^ que tout ne fuissent mort et mis à l'espée ^.

Il fu bien avis à Henri que si chevalier li donoient bon consel. Lors demanda al païsant s'il le saroit mener à Rodestoc , et il dist que oïl moût bien , mais pour Diu esploitassent' d'aler. Henris mut et si chevalier et li païsans aveuc. Et errèrent .11. jours et .11. nuis, que ne mangierent ne burent, et moût perdirent de lor cevaus qui recréirent*, si que moût en convint aler à pié desci à Rodestoc. Et troverent lor compaignons

1. A. B : mesniers d'Erminois. G : mesnie d'Hermins. H. J : maisnées d'Ermins. 0 : maisnies d'Ermines. 2. O ajoute : Et si avoit bien avec lui V' chevaliers . 3. C : set. 4. A. B. 5. A. B. D : n'en avoit il pié. G : n'en aurait pié. H : ne remaindroit pié. 6. D : n'en demorroit nul que tuit ne fussent mis l'espée. 7. A. B : s' esploitassent . 8. A. B : ré- current. — G. J : recrurent. H : qui recrurent en la voie.

388 CHRONIQUE d'ernoul [1203

qui escapé estoient. Quant furent assanlé, et il se furent entreveu, si fisent moût grant joie de çou que Dieus les avoit amassés, selonc le meskeance qui avenue leur estoit, et grant duel fisent de ceus qui mort estoient. Li Blac^ atainsent^ les Ilermins que Henris avoit laissiés, [si les assalirent et oeistrent^] et, eus et lor mainies, fors aucuns qui en escaperent et alerent en Costantinoble.

Quant li novele vint en Costantinoble de le mort l'empereur et del conte Loeys et des autres chevaliers, et qu'il ne savoient nule novele de ceuls qui estoient levé du siège d'Andrenople, si furent moût dolant et moût esmari. Si ne fu mie mervelle. Kesnes ^ de Betune, qui estoit demorés en Costantinoble et .i. cardonals aveuc, quant il oïrent le novele, si mandèrent tous les Latins de Coustantinoble et les fisent asanler pour prendre consel qu'il feroient, et por commander que cascuns fust garnis^ de lui deffendre, s'il veoit que lius en fust ; car, à cascun Latin qu'il avoit ^ adont en Costantinoble, estoient il .c. Grifon, et si avoient le cri de le tiere.

prisent consel qu'il armeroient .i. vaissief et l'envoieroient à Rodestoc et feroient cerkier le marine, savoir s'il oroient nulle novele de Henri d'Ango et de ceus qui estoient parti d'Andrenople. Pour çou i en- voiierent par mer qu'il n'i pooiont envoiier par tiere. Il armèrent le vaissiel et se li envoiierent. Et bien

1. C : Li Blanc. 2. A. B. D : aleindrent. G : aceinslrent. H : atendirent . J : Iroverent. 3. A. B. I). 4. A. B : Quenes. I) : l'avoé. G : li cuens (p. 322). H : que Nés de Bclhune (p. 287). J : Hue. 5. A. B : appareilliez. ti. A. B. C : avoient. 7. A. B : un vallel.

^ 205-1 206] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER, 389

demora plus de .viii. jours puis qu'il les ot trouvés à Rodestoc. N'oiiques cil de Rodestoc ne lor fisent savoir desci que li vaisiaus revint ariere. Bien séjournèrent li Latin à Rodestoc .lxv. jours ^ puis qu'il furent ensanle asanlé, ne ne s'en osoient' partir [por les Blas^]. Et quant il sorent que li Blac s'estoient trait ariere , si s'en alerent en Costanlinoble et envoiierent le vaissiel avant, qui estoit venus pour oïr noveles d'aus et fisent savoir en Costantinoble qu'il venoient.

Quant il furent en Costantinoble, si s'asanlerent tout por prendre consel de faire segnor de le tiere. Il esgarderent entr' aus qu'il feroient de Henri d'Anjo, [le frère l'emperéor ^] , ballu^ de le tiere, desci qu'il saroient se li empereres fust mors u vis. li fisent homage comme à bailliu, et bien fu baillius plus d'un an. Et fist querre et cerkier et à moines et à autre gent et donna grant avoir , n'onques ne pot oïr noveles de l'empereur. Fors tant c'uns hom vint à lui, .i. jour, se li dist qu'il avoit entre lui et .11. homes l'empereur emblé et mené en une foriest , et l'avoit lassié là, et .11.^ homes aveuc lui pour lui garder, et qu'il envoiast aveuc lui par mer chevahers et serjans, si l'en amen- roient.

Henris d'Anjo fist armer .11.' galyes et si i mist* chevaliers et serjans et Kesnon de Biethune ® aveuc, et si les envoia en^'' le foriest cil les mena, qui est sor mer Major. Quant il vinrent là, si descendirent à tiere

1. A. B : XV. jors.— D : XLV. jors.— G : quinze j ors et plus.

2. A. B. C : osèrent _ 3. G : Blanc. 4. A. B.

5. A. B : baliu. D. G : balliu. H. J : bail. Q. G : et les .II. 7. A. B. J : trois. 8. A. B : fist. G : fist entrer.

9. N : « Cono de Bethuna. » col. 621.— 10. C : on en.

390 CHRONIQUE d'ernoul [4203-1206

et alerent desous l'arbre cil dist qu'il l'avoit lassié. nel trovereiit mie, ains troverent relief de pain et d'oignons et de sel , mais ne sorent qui y avoit mangié. Cil lor jura que illuec avoit laissié l'empereur aveuc .u. homes. On cerka le foriest, mais on ne trova riens, si retornerent ariere en Costantinoble. Yesci toute le novele de l'empereur Bauduin c'on pot onques savoir de lui puis qu'il fu perdus.

Je vous avoie oblié à dire del conte de Saint Pol, qui en Costantinople estoit. Il fu mors de se mort bien .XV. jours devant ce que li empereres Bauduins meust pour aler en Andrcnoplc.

Quant Ilenris ot esté plus' d'un an baillius de le tiere, et c'on ne pooit oïr noveles de l'empereur, si s'asanlerent cil del pais et en fisent empereur et le coronerent à Sainte Sotie.

Quant Henris d'Anjo ot porté coron ne en Costanti- noble, se li rendi on grant partie de le tiere qui avoit esté perdue priés de Costantinoble. Et se li rendi on Andrenople par tés couvens^ qu'il aroient segnor griffon et qu'il ne seroient mie desos la segnorie ^ de Venissiien ne de Latins, Toutes eures prist^ li empe- reres^ Henris le tiere, [ce c'om li rendi*^], et si le dona à .1. chevalier de le tiere qui avoit à non Livernas% (jui puis le servi bien. Chis Livernas ^ avoit à feme le sereur le roi de France , cheli " qui ot le fil l'empe- reur Manuel c'Androines fist noiier.

1. H : bien près. Du mois d'avril 1205 au 20 août 1206. 2. A. B: par tel division.— J '.devise. 3. G. C: desos seignor. 4. D: si feitemenf reçut. 5. C : emperes. 6. A. B. 7. A. B : Aver- nas. i : Le Vernas. H : Lave mas. Théodore Branas. 8. A. B : Cil Vernas. 9. Agnès de France, sœur de Philippe- Auguste, veuve déjà d'Alexis le Jeune et d'Andronic I=^

^209-^2^7] et de bermrd le tre'sorier. 39\

Li empereres Henris fist pais as Blas et prist le fille l'empereur de Blakie\ pour avoir l'aiue de lui [et de sa terre ^], et fist tant c'on li rendi le tiere de Salenique, et il y ala. Quant il i vint, si trouva mort le marcis. trouva .1. sien fil, si le corona et fist roi de Salenique ^ Ne demoura gaires apriès, quant il ot esté illuec une pièce, si fu mors^ Si chevalier et si home qui aveuc lui estoient, retornerent ariere en Gostantinoble. Lors prisent mesages , si les envoiierent en France al conte Pierron d'Auçoirre ^ qui cousins germains estoit al roi Felipe, et avoit le contesse de Namur à feme, qui suer estoit l'empereur Bauduin et l'empereur Henri. Se li mandèrent qu'il alast en Gostantinoble et il et se feme, car li empires estoit eskeue à se feme , et il le feroient empereur et li empereis, si com drois estoit.

Quant li quens Pieres d'Auçoire le novele, si murent [entre lui et sa feme^] et s'en alerent droit à Rome. Et si mena aveuc lui le conte de Sanseure' et chevaliers et serjans ; et si laissa .11. fieus qu'il avoit, dont li ainsnés fu quens de Namur. Quant li quens Pieres fu à Rome, si fist tant à l'apostoile qu'il corona et lui et se feme^ Quant coroné furent, si s'en alerent à Brandis en Puille, por passer en Gostantinoble, et li apostoles envoia aveuc lui un cardonal. Quant li em- pereres Pieres vint à Brandis, si fist apparellier nés et^

1. A. B : Basquie. G : de la Blaquerre. N : « régis Blan- » corum. » col. 622. En 1210. - 2. J. 0. 3. En 1209.— 4. Le 11 juin 1216.

5. J. 0 : Pierre d'Auçuere. Mal dans G : d'Auvergne. Mal dans N : « cornes de Alencione. » col. 622. Pierre de Cour- tenai, comte d'Auxerre, petit-fils de Louis-le-Gros.

6. A. B. 7. Guillaume de Sancerre, beau-frère de Pierre de Courtenai. 8. Le 9 avril 1217. 9. A. B.

392 CHRONIQUE d'erinool [V2\7-\2\S

vaissiaus et entrèrent ens et passèrent à Duras. Quant il furent arivé à Duras et li sires' sot que c estoit H empereres, si ala encontre et fist grant joie de lui et le reçut hautement comme segnor , et se li fîst homage et li rendi se tiere.

Duras est li première cités de le tiere ^ de Griesse par devers Puille. Quant li empereres ot illuec une pièce sejorné, se li dist li sires de Duras : « Sire, vous irés » en Costantinoble par tiere, et g' irai aveuc vous tant » que me tiere durra. Et puis c'on saura par Gresse » que je vous arai me tiere rendue et que je iere aveuc » vous, il n'en i ara nul qui contre vous soit; ains > venront à vous à merci et vous renderont toute le » tiere. » Li empereres le crei, si murent et alerent par tiere. Li empcris estoit grosse, si n'ala mie par tiere, ains ala par mer en Costantinoble. Ançois quele venist en Costantinople , ariva elle en le tiere Jofroi de Ville Harduin qui grant honor li fist. L'emperis avoit une fille et Jofrois .i. fil qui avoit à non Jofrois. L'empereis vit que cils avoit grant tiere et que se fille i seroit bien emploie "^ , si le dona sa fille ^ ; il le prist à feme, si l'cspousa. Apriès s'en a'ia l'empereis en Costantinoble; ne demora gaires apriès qu'ele [se^] délivra d'un fil dont elle estoit grosse ^ Or' vous dirai que li sires de Duras fist qui l'empe- réour conduisoit parmi se tiere. II n'orent pas eslongié Duras plus de .m. jornées, qu'il se herbegierent en .1. castiel moût fort. Quant il furent herbegié, et il furent

1. Théodore Comnène, prince d'Epire. 2. A. B : de l'entrée. 3. A. B : bien mariée. 4. A. B. G : sen fil. 5. A. B.— fi. Baudouin IL 7. H. donne un récit tout différent de ces évé- nements. Pag. 291-293.

^2^8-^220] et de behnard le tre'sorier. 393

assis au souper le nuit, le sire de Duras fist armer ses homes et fist prendre l'empereur et ses homes ; et assés en ocist on , et se les fist on mètre en prison. Et tant les tint on [en prison'] que li empereres i fu mors, et il et li quens de Sanseure^ Quant cil de Griesse oirent dire que li empereres estoit en prison, si se révélèrent et reconquisent toute le tiere que li empe- reres Henris avoit conquise.

Ne demora gaire apriès que li empereres fu mors, et que^ li emperis fu morte en Costantinoble \ Quant li emperis fu morte, li chevalier de le tiere mandèrent le conte de Namur qui fiex estoit l'emperis, qu'il alast en Costantinoble, que li tiere li estoit eskeue. Quant H mesages vinrent à lui et il orent conté lor message, il dist qu'il s'en conselleroit. Il s'en consella, mais [consaus^] ne li aporta mie qu'il i alast; ains i envoia Robert® sen frère, qui maisnés estoit de lui, et si lor manda qu'il le coronassent, qu'il n'i pooit aler et qu'il n'iroient noient. Cils Robers'^ ses frères i ala, et ala par Hunghcrie, pour chou que li roine de Hongerie estoit se suer et qu'il otle conduit et l'aïue le roi de Hongerie parmi se tiere et parmi Blakie. Et sauvement ala en Costantinoble et porta corone^ Et quant il ot porté corone, il ne fist gaires [d'esploit^] en le tiere, car il n'avoit mie mené gent dont il peustgranment esploitier, et si eust perdue se tiere et Costantinoble s'il n'eust

I. A. B. 2. L'empereur Pierre mourut en 1218. 3. A. B : apriès ce que li empereres fu morx, que. 4. En 1219. 5. A. B. 6. D. 7. D. 0.— Mal dans A. B. G. E. G. H. J : Henris. Pipino reproduit la mauvaise leçon : « Henricum natu minorem » direxit. » N. col. 623. 8. L'empereur Robert fut couronné à Sainte-Sophie le 25 mars 1221. 9. A. B. G. D : de profit.

394 CHRONIQUE d'erinotjl [422-1-4228

eue Taïue des Blas. Mais li Blac li aidierent se tiere à retenir, çou qu'il en trova.

Or vous dirai que cil empereres tîst. 11 avoit une dame en Costantinoble veuve', qui fille avoit esté .1. chevalier d'Artois, qui avoit à non Bauduins de Neu- ville ^ Celle dame avoit mère. Li empereres ama tant celle qu'il ne pooit [durer^] sans li, et si l'espousa coie- ment, et le mist aveuc lui en son manoir et le mère ensement. Quant li chevalier de Costantinoble sorent que il r avoit espousée, si en furent moult dolant de ce qu'il l'avoit espousée et de che qu'il estoit si assotés de li que pour besoingne que il euissent ne le pooient il traire de Costantinoble \ 11 prisent consel ensanle, qu'il feroient. Il alerent en le cambre li empereres estoit, si comme consaus lor avoit aporté, si [pristrent l'emperéor et^] le tinrent; et prisent le mère se feme, si le misent en .i. batiel, si l'envoierent noier en le mer. Après si vinrent à se feme, se le coperent le nés et le baulevre''. Atant si laissierent l'emperéour em pais.

Quant li empereres vit le honte c'on li ot fait de se feme, que on ot le nés copé, et de se mère que on ot noie en le mer, si fu moult dolans. Si fist armer galies et entra ens, si lassa Constantinoble et s'en ala à Rome. Quant il vint à Rome, si se plainst à l'apostole de le honte que si homme li avoient faite. Et li apostoles

1. Mal dans G: vaine dame. 2. D : Nueveviîle. G ; de No- veville. Pipino traduit mal : « de Villa-Nuda. » N. col. 623. 3. H.— J: eslre.— 4. A. B. G: molt dolent car il estoit sientrezen li, que, por besoigne qiCil eussent, ne le pooient traire de la cambre.

5. A. B. 6. G : /es bauhvres. H : Ze baulievre. J : /e

bas lèvre. N : « nasum mutilantes. » col. 623.

4228] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 395

le conforta drument^ et se li dona del sien et fist tant vers lui qu'il s'en retorna arrière en Constantinoble. En ce qu'il s'en retorna arrière en Constantinoble ^ si arriva en le tiere Joffroi de Vile Harduin. li prist maladie, si fu mors^

1. A. B. E: durement. J : bonement. 2. G. répète ces mots : en ce qu'il, etc.

3, En 1228.— N : « Eo autem redeunte Gonstantinopolim, dum )) per terram Gaufridi de Villa Hardoin, cujus fîlius uxorem ha- » bebat quondam Henrici imperatoris fratris Balduini filiam, diver- )) teret, languens in domo ipsius, debitum ibi naturae persolvit. » col. 623.

CHAPITRE XXXIV;

Cornent Otiies fu coronez à emperéor

SOMMAIRE.

Événements d'Allemagne et d'Italie. 1208-1209. Mort du duc de Souabe. Olhon de Saxe proclamé empereur est couronné à Rome. Il est excommunié. 1210-1211. Diépold, duc de Fouille, trahit la cause de Frédéric de Sicile. Olhon vient en Fouille et se retire en Allemagne sans obtenir de résultats. 1209. Frédéric de Sicile protégé par le clergé. Il épouse, d'après ses conseils, Constance, fille du roi d'Aragon. 1209-1215. Innocent III promet la couronne impériale à Frédéric de Sicile. Frédéric passe à Gaëte. Il demande le secours des Génois contre les Pisans. Il est couronné empereur en Allemagne. Il s'engage à prendre la croix et à passer Outremer. 1215. Comment Frédéric échappe à un complot formé contre sa vie. 1211- 1214. Entrevue de Frédéric et du fils du roi de France à Vaucouleurs. Union de l'empereur Othon avec le roi d'Angleterre et le comte de Flandre contre le roi de France. 27 juillet 1214. Le roi de France bat les coalisés à Rouvines.— 1215-1218. Guerre de Frédéric et d'Olhon. . Mort d'Othon.

Or VOUS lairons de Constantinoblo à parler desci à une autre fois, c on en parlei\t par avetiture, et si vous dirons de Fedricle, roi de Sesile, qui cstoit à Palerne,

1. Cf. G. pag. 334-350. H. p. 296-304. livre XXX. chap. 1 à 10. Rion dans M. N. col. 636-638. De initia imperii Oi- lonis IV. De jnigna inter Ottonem et Francos. Chap. sont cités xMarlin le Polonais, Vincent de Beauvuis et Bernard le Trésorier.

•^208-^209] CHRONIQUE DE BERNARD LE TRÉSORIER. 397

et que si home avoient desireté, et del duc de Souave, son oncle, qui l'empire d'Alemagne li gardoit dont il devoit estre empereres.

Il avint cose .i. jour que uns chevaliers entra en -se cambre S si l'ocist. Quant li haut home d'Alemagne sorent que li dus de Souave estoit mors, qui contre aus estoit d'Oton coroner % [il furent moult liés^]; et par les pramesses et par les dons qu'il avoient eut del roi d'Engletiere, il mandèrent Oton et si le corone- rent à Ais le Capiele ^

Quant Otes ot porté corone, si fîst querre le chevalier qui le duc de Souave avoit ochis et le fist tant chercier qu'il fu pris. Por lui jeter de blasme, por çou c'on li metoit sus le mort le duc , il fist le chevalier trainer et pendre. Après si s'en ala à Rome por coroner. Li apostoles le corona volentiers^, por çou que li rois d'Engletiere l'en avoit fais grant presens.

L'endemain que Othes fu coronés à Rome à empe- reur et il fu départis de Rome , si entra en le tiere l'apostole et commença à guerroier, et prist ses cas- tiaus et garni encontre l'apostole. Quant li apostoles sot que cil avoit pris ses castiaus et guerroioit encontre lui cui il avoit fait empereur, et faire nel devoit, et avoit aidié à desireter par covoitise celui qui devoit estre emperere, si fu moult dolans^ Si n'en pot autre cose faire ne autre venjance [prendre '] fors Othon es-

\. B : en la canhre del duc de Soave. Philippe de Souabe périt au mois de juin 1208. 2. H : qui encontre aus estoit, si parlèrent d'Othon coroner. 3. D. 4. A. B : à Aes à la Chapelle. Eu 1208. 5. En 1209. 6. A. B. D. G. est très-confus : Quant

li apostoles sot cui il avoit fait empereur, si ne pot autre

cose faire; si fu moult dolans et par çou que par convoitise avoit aidiet à desireter celui qui devoit estre emperere. 7. D.

398 CHRONIQUE d'eRNOUL [^209-^2^^

cumenier. [Si l'escumenia et fist escumenier ^] par toutes les tieres de Grestienté.-

Quant Thiebaus, qui baillius estoit de Puille, à oui li empereres Henris avoit laissié le tiere de Puille et de Galabre à garder avoec son fil Federic, quant il sot que Othes ot porté corone, si ala à lui. Si li dist qu'il alast en Puille, et qu'il li rendroit toute le tiere, et après iroit en Sesile et prendroient® Fedric, si l'ocirroient. Et s'il ne le faisoit, seust il bien que se li enfes venoit à aige, qu'il li tolroit se tiere. Li emperere garni bien ses castiaus qu'il avoit pris sor l'apostole, et puis si s'en ala en Puille avoec Thiebaut. Mais il n'i esploita gaires, car cil de le tiere furent encontre lui % n'onques ne li volrent rendre. Quant li empereres Othes vit qu'il ne feroit riens illeuc% si laissa Tiebautensen liu, si s'en ala en Lombardie [et^J si s'en ala en Toscane por prendre lessurtés''. Et' en Alemagne demora teus^ escume- niiés. Li apostolesatendiplus d'un an, por çou qu'il cui- doit qu'il venist à merci ^ de ce qu'il avoit mespris sor lui , mais il n'en ot talent ; et li apostoles en prist con- seil tel com vos orés. Mais ansçois vos dirai de Fedric, qui à Palerne estoit.

Fedric ot conseil des evesques et des arcevesques qui le gardoient qu'il se mariast, et en tel liu qu'il eust secors de se tiere ravoir que si home li avoient tolue. Il dist qu'il feroit volentiers, par lor conseil, ce qu'il voldroient. Lors li disent que li rois d'Arragonne, qui marcissoit à lui par deviers le mer, avoit une sereur

1. U. En 1210. 2. A. B. C : prendroit. 3. A. B. D. 4. D : si s'en parti. 5. A. B. D. E. 6. A. B : ses seurtés. J : sesfeautex. —7. D. 0.— 8. A. B. D. O : toz.— 9. A. B. H : ù amendement.

^209-^2^^] et de bernard le trésorier, 399

qui roine avoit esté de Hongeries ; et que s'il pooit tant faire qu'il l'eust à feme, il ne savoient liu dont il eust si tost secors, ne par mer ne par tiere. Lors lor dit Fedric qu'il i envoiassent s'il voloient , que s'on li voloit en\ oier, il l'espouseroit volentiers. Li arcevesque fisent armer galies et envoierent al roi d'Arragone, por^ se sereur avoec le roi de Sesile.

Quant li messaige vinrent al roi d'Arragone et i! orent dit lor message, li rois fu moult liés. Si fist armer galies et si les fist cargier d'armes et de viande, et fist se sereur entrer ens, si l'envoia en Sesile au roi, et si envoia aveuc son frère, qui cuens estoit de Provence^, et .v^ chevaliers, porlui aidier le tiere à rescorre, que si homme tenoient contre lui. Apriès chou que li suer le roi d'Arragone fu mute et se compaignie, ariverent à une cité qui a à non Palerne, [oîi^] estoit li rois de Sesile. Quant il furent arivé, si descendirent à tiere, et li rois ala encontre si espousa la dame. Quant il ot le dame espousée, si se partirent de Palerne et alerent par Sesile. Mais poi conquisent de le tiere, mais tant fisent qu'il alerent de Palerne à Messines [tôt conquer- rant. Il a dePalerme dusqu'à Meschines .v. jornées'']. Après çou que li rois de Sesile et li cuens de Provenche furent à Messines, ne demoura gaires si fu li cuens mors, et grans partie de ses chevaliers. Et li autre partie retourna arrière en son pais , et li rois demoura à Messines avoec ses bourgois, que de chevaliers n'avoit il gaires avoec lui.

Or oies le conseil que li apostoles ot encontre Othon.

1. A. B : por demander. H : por demander se il envoieroit sa seror au roi de Cesile. 2. Alfonse II, mort à Palerme en 1209. - 3. A. B. 4. A. B. G. 0.

400 CHRONIQUE d'eRNOUL [^209

Il dire que li rois de Sesile estoit mariés à Messines \ Il li manda que s'il pooit tant faire qu'il fust en Ale- magne, il manderoit ses arcevesques qu'il le coronais- sent à Ais, [et après^], quant il aroit porté corone à Ais, il le coroneroit à Rome. Quant li rois de Sesile ches novieles, si fu moult liés. Si fist apparellier une^ galie, si entra ens et ala à une siue cité qui est al cief de se tiere, à trois journées de Rome, qui a à non Gaieté ^ Mais ançois qu'il i alast, por çou qu'il ne savoit qui li estoit à avenir, corona il .1. sien fil qu'il a\oit de se feme. Et séjourna grant pièce à Gaieté^ por çou qu'il n'osoit aler avant, por les Pisans de Pise ^ qui le gai- toient por lui ocirre.

Quant il ot grant pieche sejorné, si manda les Genevois, pour Diu, qu'il le secourussent, et qu'il venissent por lui, qu'il ne se pooit removoir de Jaiete. Chil de Genueves' armèrent galies, et si envolèrent pour lui et si l'enmenerent à Genueves. [Et bien sejorna .vii.^ mois à Gènes ^] , c'onques n'issi de le cité ; car quant Otlies dire que li apostoles l'avoit mandé por faire coroner encontre lui et por envoiier en Alemagne, il envoia ses messages en Lombardie et en Toscane et en Alemagne, as cités et as destrois et as castiaus, et promis! grans dons à ciaus qui prendre le poroient^".

Quant li rois Phelippes de Franche dire que li rois de Sesile estoit à Genueves, et que li apostoles l'envoioit

1. A. B. D. G : estoil à Meschines et q'il avoit sa famé esposée. 2. G. O. 3. A. B. D. G. J. O.— H : II II. galies. 4. A. B. D. G : Jaiete. - C : Riete. 5. C : Raiete. - 6. A. B. H. J : parles Paissans. 7. A. B : Gènes. 8. G : huit. H : F. 9. A. B. D. G. H. 10. A. B. G. H. ajoutent: qu'il le preissent et reteinsent, et lor mandait il molt proiant.

'I2M-^2'I3] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 404

en Alemagne por coroner, si fu moult liés. Et il sot que Othes faisoit gaitier les destrois et les cemins por lui prendre ; si manda as Genevois qu'il mesissent coust et paine que li rois fust en Alemagne, et il lor guerre- doneroit bien. Li Genevois firent tant et porcacierent vers cens de Lombardie, que li rois fu en Alemagne, et qu'il porta corone à Ais \ Tantost que li rois fu coronés, si se croisa^ et voa à Dame Diu qu'il iroit en le tiere de Promission, et aideroit à son pooir à délivrer le tiere de le main as Sarrasins. Quant li rois de Sesile ot porté corone à Ais, li arcevesque et li evesque se tinrent à lui par le commandement l'apostole, et une partie des chevaliers et Loheraine toutes

Il avint cose .i. jor qu'il estoit en Loheraine, à .i. castel on ^ avoit porparlée se mort, et c'oii le devoit le nuit ocirre, par promesse que Othes ot faite à .1. chevalier. Uns chevaliers qui sot celé traison, vint à lui, si li dist c'on avoit se mort porparlée, et c'on le devoit le nuit ocirre ; et s'il voloit faire par son conseil, il le conselleroit et aideroit, qu'il ne seroit mie mors. Li rois dist que volentiers feroit par son conseil. « Sire, dist il, se vous movés ore, vos estes gaités de » toutes pars, ne vous ne poés de celé part aler, que » vous ne soies ocis. Je vous dirai que vous ferés. » Quant ce venra anquenuit^, vos ferés .i. varlet cou- » cier en vostre lit, si serés deriere l'uis de le cambre,

1. Frédéric fut une première fois couronné à Mayence le 6 dé- cembre 1212; et une seconde fois à Aix-la-Chapelle le 25 juillet 1215.

2. A. B: si prist la croiz d'Outremer et se croisa. 3. G : des chevaliers de Loheraine.. H. J : e^ Loheirrene tote. 4. A. B : et que on. 5. A. B. G : encore nuit. D : en qtie nuit. E : anquenuit, H : à nuit.

402 CHRONIQUE d'eRNOUL [12^^-^2^5

» et cil Guideront qui vous doivent oeirre, que vous » soies endormis ; et il verront que cil qui girra en » vostre lit, si cuideront que ce soies vous, et passeront » avant, et entenderont à celui oeirre; et vous tantost » isterés de chele cambre, et je serai apareilliés atout » cevalceures^ si vous enmenrai. Et li cris lèvera, » quant il vous cuideront avoir ocis, et atant s'enfui- » ront; et je, à l'aïue de Diu, je vousmeterai à sauveté, » [que ja n'i ares garde ^]. »

L'endemain ^ que ce avint, fu li cris levés par toute le tiere que li rois de Sesile estoit ocis en sen lit. Quant li cuens de Bar le Duc le sot, qui marcissoit à Loeraine, si le fîst asavoir al roi Phelipe de Franche. Quant li rois l'oï dire, si fu moult dolans, por çou qu'il se doutoit d'Othon, que s'il fust en possession [de l'empire d'Alemaigne^], qu'il ne li grevast. Le jour meisme que li cuens de Bar le Duc fîst asavoir al roi Phelipe que li rois de Sesile estoit mordris en son lit, li fîst il asavoir qu'il estoit escapés et comment , dont li rois fu moult liés.

Après ce, avint que li rois de Sesile manda au roi Phelipe que volent iers parleroit à lui à Valcolour. Li rois Phelipes n'i pot'' aler, ains i envoia Loeys son til, et furent à parlement ensanle. Mais de lor consaus ne vos sai je riens dire, fors tant qu'aucunes gens disent que li rois I^helipes li*^ presta grant avoir por maintenir se tiere encontre Othon.

Or vous dirai que Othes fîst. Il sot bien que li rois

i. A. B : chevaliers. D. H. J : chevaucheures . G : cheimu- cheors. 2. A. H. 3. A. B : Or vos dirai qu'il avint. La nuil et Vendemain. i. D. 5. D : vost. 6. A. B. D. G. C : lor. r/entrevue est de 1211 ou 1212.

^2^^-^2^5] f.t dk bernard le trésorier. ^03

de France amoit le roi de Sesile, et qu'il li aideroit del sien encontre lui. Il sot que li rois d'Engletiere , ses oncles, et li cuens de Flandres, qui Ferrans avoit non, estoient concordé ensamle, et amassoient gent pour guerroier le roi de France. Il amassa grant gent cl dus et contes, et s'en ala en Flandres, en l'aiue le conte, por grever le roi de France. Lirois d'Engletiere envoia grant gent al conte de Flandres, por estre contre le roi ; et si envoia .i. sien frère qui avoit à non Guillaumes Longe Espée, et le conte Renaut de Boulogne, qui avoec lui manoit enEngletiere et Huon de Bove. Après si passa li rois d'Engletiere en Poitau , atout grant gent et atout grant cevalerie.

Quant li rois de France dire que li rois d'Engle- tiere estoit arivés à Poitau et por entrer en se tiere, si envoia Loey son fil et le conte de Navers et grant cevalerie. Et tant i lisent, qu'il euissent pris le roi d'Engletiere en .i. castiel, ne fust uns cardenauls de Rome, qui englès estoit, et en le tiere estoit [venus*] por croisier [les gens^] de le crois d'Outremer. Quant il vit que li rois d'Engletiere en avoit le pieur^ il pria tant Loeys [le fil le roi ^] de Franche qu'il ot trives, que li rois d'Engletiere s'en ala. Ensifist escaper li cardenaus le roi d'Engletiere, qu'il ne fu mie pris.

Quant li rois de France dire que li cuens de Flandres amassoit grant gent, et que Othes et li frères le roi d'Engletiere et li cuens Renaus de Boulogne estoient venu en s'aïue, il semonst ses os et s'en ala en Flandres encontre lui, et si se herbega à .iiii. Hues

1. H. J. 0. 2. H. J : por preesc hier. 3. A. B : en ot Je pis. G. J : en avoit le pejor. H : nen avoit le poeir. \. A. B.

404 CHRONIQUE d'eRNOUL [^2^5

priés de lui, en une cité que on apiele Tournai. Gel jour que li rois vint àTornai, fu semmedis. L'endemain fu dymences; si dist li rois que il ne se mouveroit^ por le hauteche del jour^. Quant li Flamenc sorent que li rois estoit si près d'iaus, si s'armèrent et vinrent contre le roi. Il le cuidierent^ trouver àTornay. On fist savoir le roi^ que li Flamens venoient sor lui. Et li rois fist ses gens armer, et s'en ala ^ d'ileuc à une herbege dont il estoit venus le jor devant. ^ estabJi li rois s'arriére garde, et le fist faire' as Gampegnois. Et s'arriesta à .1. pont c'on apiele le Pont de Bouvines. atendoit s'arriére garde qu'ele venist, et qu'il ne voloit mie aler conbatre encontre les Flamens, por çou qu'il estoit dimences.

On fist asavoir al conte de Flandres que li rois s'en- fuioit et qu'il ne l'osoit atendre. Lors poinst li contes de Flandres, il et ses gens, qui mieus mius, tant qu'il se feri en l'arriére garde. L'arriére garde le recueilli [viguereusement^], à l'aïue deDiu et des chevaliers^ qui prest estoient. Si prisent le conte de Flandres et Guil- laume Longe Espée et le conte Pelu '" et Renaud " de Boulogne, et des Flamens grant partie, et autres che- valiers assés. Othes s'enfui, et li dus de Braibant qui avoec lui estoit et Hues de Bove si escaperent. Si s'en ala Othes en Alemagne.

Quant li rois Fedric dire que Othes estoit ensi

1. H : qu'il ne se comhairoit mie. 2. H : ne il ne fist. 3. 0 : qu'il le cuidoient. 'j. A. B : au roy. 5. A. B. O : revint.— 6. D. O. C : Dont.— 7. A. B : et la charja.— 8. D.— 9. A. B : à l'aide des cschieles des chevaliers. 10. A. B : et un comte d' Alemaiyne qe Von ajqjeloit le comte Pelu. G : le conte Pehi. Cfuillaumo l<"-, comte de Frise. H. p. 303. not.— 11. E.— C : et R.

^2^5-^2^8] et de bernard le trésorier. 405

desconfis en Flandres, et qu'il s'en estoit afuis, si amassa grant gent et ala sor lui. Quant Othes dire que li rois Fedric venoit sor lui atout grant gent, il issi d'AIemagne, si s'en ala en Sassoigne, en le tiere sen frère. Et li rois Fedric ala après, si le cacha tant qu'il l'atainsten .1. castiel, si l'asseia. prist maladie Othon, si fu mors^ Mais anssois qu'il fust mors, se demist il de l'empire et rendi le roi Fedrich le corone de Rome, et lesadous^ qu'il [avoit^] porté ^ quant il estoit^ emperere. Ensi faitement com vous avés aida Dame Dius Fedric, de si povre comme il fu al commencement. Et Fedric manda se femme et sen fil, qu'il avoit laissié en Sesile.

1. 19 mai 1218. 2. A. B : adouhemens. H : aornements. J ; les adobemenz emperiaus. N. « Diadema cum sceptro et reli- » quis imperialibus iiisignis coactus est tradere Frederico. » col. 639. 3. E. 4, G : qu'il porwit. 5. G. G : est. E : ert.

CHAPITRE XXXY;

Cornent Jehan ^ de Brene fu rois d'Acre.

SOMMAIRE.

J205-I208. Mort d'Ainaury de Liisignan. Marie de Monlferral, lillo du marquis Conrad, héritière de la couronne de Jérusalem. Jean I"' d'Ibe- lin, seigneur de Beyrouth, régent du royaume. 1208-1210. Les barons et les prélats du royaume de Jérusalem s'occupent du mariage de Marie de Monlferrat. On pense à Jean de Brienne, à qui l'on envoie un mes- sage. Brienne, après avoir consulté le roi de France, accepte les propo- sitions des barons d'Outrc-mer. Il arrive en Terre-Sainte. Il épouse Marie et est sacré roi. Rupture des trêves avec les Sarrasins. 1208. Mariage du roi de Chypre avec Alix de Champagne. 1215. Erard de Brienne, cousin du roi Jean, épouse Philippine de Champagne, sœur de la reine Alix.— 121 3-121 i. Jean de Brienne demande des secours au Pape. Innocent III fait prêcher la croisade. Prédication de Jacques de Vitry en France. Il est élu évéque d'Acre, puis nommé cardinal.

1. Cf. G. p. 350-358. H. p. 304-325, livre XXX, chap. 11- liv. XXXI, chap. 13. Récit ditîôrent ot plus développé. M. cliap. 185-188. col. 820-823. A partir de l'expédition de Damiette (col. 821), Pipino ajoute beaucoup au texte de notre chronique d'après Olivier le Scholastique. qu'il ne nomme pas. Cf. Hist. Da- viiat . , {{ 1-3. ap. Eccard. Corpus Hist. med. cevi. t. II. col. 1397- 1399; Gesta Dei per Francos, pag. 1129, le récit d'Olivier le Scholastique a été par erreur donné comme 3" livre de Jacques de Vitry. Dans une autre partie de sa chronique, Pipino rap- ])elle sommairement la croisade du roi de Hongrie et l'expédition de Damiette, et cite VHisloria Acquisitionis Terrœ Sanctœ. N. col. (367.

2. A : Iheche.

<205-^208] CDRONIQCE DE BERNARD LE TRÉSORIER. '(07

1217. Croisade d'André, roi de Hongrie, et de Lcopold, duc d'Autriche. 1212. Mort de Marie, reine de Jérusalem. Jean de Brienne épouse Stéphanie, fille de Léon d'Arménie. 1217. Nov.-déc. Les rois de Hon- grie, de Jérusalem, de Chypre et d'Arménie réunis à .\cre. Expédition sans résultat vers le Mont Thabor. Les Sarrasins font traîner la guerre en longueur. 1218. Les rois de Hongrie et d'Arménie quittent la Terre Sainte.

Or vous lairons à parler ^ dou roi Fedric qui en Ale- magne fu, etsejorna grant pièce ains qu'il alastàRome por estre coronés, desci que tans et eure en sera c'om en parlera , et si vous dirons de le tiere d'Outremer.

Il avint cose que li rois Haimeris^ fu mors ■^; et que li tiere escaï à le fille le marcis Gonras, que li Hassasiç tuèrent. Elle n'ot^ point de seignor; ains fiston d'un sien oncle bail de le tiere [desi qu'il aroient trové à cui il la donroient, et dont on feroit segnor de le terre ^J. Cil chevaliers de cui on fist bail estoit ses oncles et avoit à non Jehan d'Ybelin ", et fu fins Balian et le roine Marie', qui feme fu le roi Amalri^ Cil fu bien .mi. ans baus de le tiere, ançois que on trouvast à cui on don- nast le demoisiele , et tint bien le tiere en pais envers les Sarrasins.

Il avint cose que li patriarche, li archevesque et li evesque et li baron de le tiere s'asamlerent , et li Temples et li Hospitaus; si parlèrent ensamle, et prisent

i . A. B : ^ tant vos lairons à parler. H. : Ci endreit dist li contes que il vos laira à parler. 2. Mal dans A. B. et M : li rois Henris; « post mortem régis Henrici. » Col. 820. Mal dans G : le cuens Henris. Le roi Amaury II mourut le !<='' avril 1205. 3. J : et la royne Ysahel sa feme estoit morte. 4. A. B : n'avoit. 5. G. O. 6. Jean I^»" d'Ibelin, connu en Orient sous le nom du Vieux sire de Beyrouth , iils de Balian II et de la reine veuve Marie Gomnènc. 7. D : Mariant. 8. A. B : Es- mauri. Amaury !«•■.

408 CHRONIQUE d'ernoul ['I208-I2<0

conseil à cui il poroient doner la^ demoisiele, et faire roi de le tiere. Dont se leva uns chevaliers de le tiere^ en pies, si lor dist qu'il savoit .i. chevalier en France qui n'avoit point de femme, et estoit haus hom et proe- dom; et s'il voloient^ il li estoit bien avis que li roialmes i seroit bien assenés % et que elle i seroit bien emploie ^ Il demandèrent que il estoit et comment il avoit à non. Il lor dist qu'il avoit à non li cuens Jehans de Braigne^ Il en parlèrent ensamle, et s'en conseïl- lierent; et si ot assés de cens ki bien le connissoient et de ceus qui bien avoient parler de lui.

s'acorderent tout del mander et de lui donner le demoisiele, et de lui faire roi. Il appareillierent mes- sages, si l'envoierent querre. Li message vinrent à lui en France, il estoit, et se li disent que cil de le tiere d'Outremer le mandoient por faire roi. Quant il ce, se dist qu'il en prenderoit conseil. Atant s'en ala h cuens Jehans de Braine al roi", et li dist qu'ensi fai- tement l'avoit on mandé por estre roi en le tiere d'Outremer. FJ li rois li loa bien qu'il i alast\ Et i ala, et arriva à Acre% et on le rechut à grant honor et à

1. A. B. G ; lor. 2. D : de la terre lo roi de France. 3. A. B. D : et s'il s'i volaient acorder. 4. D. G. J : que li roiaumes li aferoit bien. 5. J : bien mariée. 6. A. B. D : Bnene. G. J : Brene. 0 : Braine. 7. D. G. J : a^ roi de France.

8. Le récit de' H. (pag. 307), peu bienveillant pour Jean de Brienne, diffère beaucoup de A. B. G. G. J. O. M. toujours très-sommaire (col. 820), n'a pas connu les mss. de H.

9. Après avoir débarque à Gayphas. H. p. 310. Jean de Brienne, parti de France, postérieurement à la St Jean de l'an 1210, entra à St Jean d'Acre le 13 septembre. Il épousa Marie de Montfcrrat le lendemain 14, et fut couronné à Tyr le l'""" octobre. 11. p. 311. 312. Sanudo, Secret. Jidel. p. 20(3. Pipino rapporte ces

-1 208-'! 24 5] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 409

grant signourie. Puis ala à Sur, et espousa le dame, et porta corone'. Quant li Sarrasin sorent qu'il avoit roi à Acre, si brisierent les trives qu'il avoient faites al bail ^ ; et commença H guerre entr' aus et les Crestiens.

Quant li rois Jehans ot porté corone, il manda le roi de Cypre qu'il presist se feme, le fille le conte Henri de Campagne, qui jurée li estoit, et que ses pères Haimeris et li cuens Henris, li pères le demoisiele, avoient fait le mariage avant qu'il morussent. Li rois de Cypre le manda et espousa et fist royne ^.

Li rois Jehans avoit .i. sien cousin germain qui avoit à non Erars de Braine^ 11 sot .1. jor que li rois estoit aies à Sur. 11 fîst tant vers le roine, qu'ele li donna l'autre fille al conte Henri, qui se seur estoit. Et il l'espousa coiement^, tantost qu'ele li ot donnée, por ce qu'il ne voloit mie que li rois en eust blasme, ne c'on desist que li rois li eust donée. Quant Erars ot espousée le fille le conte Henri, il passa mer, si s'en vint en France. Je ne vos parlerai ore plus de Erart, ne de se feme ; mais encore par aventure en orés [aucune fois*^] parler.

Li rois Jehans, qui à Acre estoit, manda à l'apostole, por Diu, qu'il le secourust, et qu'il avoit grant mestier de gent. Quant li apostoles le nouviele de le tiere d'Outremer, qu'il avoient mestier d'aïue et de secours,

événements à l'année 1209 (M. col. 820); et le P. Mansi incline vers cette date (Annal, eccles. de Rainaldi, t. XX. p. 293).

i. J : il et safevie. Cf. H. p. 308. G. J. 0 : et portèrent co- rone. — 2. H. en dit les motifs. Pag. 309. 3. Les seigneurs d'Ibelin avaient fait célébrer le mariage dès 1208. Notre Hist. de Chypre, t. I. p. 177. 4. D : Erras de Briene. Cf. H. p. 319.— 5. J -.privéement. En 1215. Hist. de Chypre, t. I. p. 177, 221. - 6. D.

4^0 CHHOMQCE DERNOUL [^ 24 4-4 217

si manda par toute Grestienté as meillors clers* que il savoit qu'il preeçassent le crois d'Outremer. Apriès si envoia cardenals, por aus conforter et por conter- mer ce qu'il faisoient ^ et moult en croisierent par toutes tieres.

Il ot en France .1. bon clerc, qui preeça de le crois, qui ot à non maistres Jakes de Viteri^ Cil en croisa moult, il estoit en prédication. L'eslirent li canonne d'Acre et mandèrent à l'apostole qu'il lor envoiast por lui faire evesque. Et saciés vous bien de voir, s'il n'en eust le commandement l'apostole, il ne l'eust mie recuellie*; mais toutes cures passa il outre mer et fu vesques, grant pièce. Et si fist moult de bien en le tiere ; mais puis le resigna il% et revint arrière en France, et puis le fist li apostoles cardenal de

Rome.

Li premiers haus hom qui passa de celé croiserie, ce fu li rois de Hongerie " qui grant gent mena. Et grans gens passèrent de toutes tieres, à cel passage 1" rois passa , et arivcrent à Acre.

En cel point qud li rois de Hongerie passa, fu li roine

1. A. B. G : chevaliers. O : mieudres cleres. 2. t) : di- raient. — .1 : feraient.

3. 0 : Jakes de Vitri. Cf. H. p. 319. M : « Quam in Fran- )) ciam tune magistcr Jacobus de Vitry, vir in sacris litteris eru- » ditus praedicavit; quoni pnstmoduni canonici Acon in opisco-

)) pum elepjorunt qui postea i'actus est cardinalis. » Col. 821.

Fin i!u chap. 185.

4. G. J: reçu. O : recailîie. 5. 0 : mais puis s'en retorna il, et.

f). M. ajoute ici (chap. 186-187. col. 821) des passades textuels d'Olivier le Scholastique. Cl". Eccard, Corpus hist. med. œvi. t. II. col. 1397.

1

-1 243-12^71 ET DE BEIINAIU» Lli TUÉSOIUEIV. ^-H

li femme le roi Jehan morte \ et si l'en demoura une tille. Li rois ne vaut mie estre sans femme , ains manda al roi d'Ermenie qu'il li envoiast une de ses filles, et il le prenderoit à feme^. Li rois li envoia et li rois Jehans l'espousa^. Après vint li rois d'Ermenie à Acre, quant li rois Jehan ot se fille espousée. Après si ala le rois de Cypre à tout grant gent.

Or furent à Acre .iiii. roi% et si ot moult grant peule [de toutes terres^], qui arivés i estoit. prisent conseil qu'il iroient asegier .i. castel à .viii. liues d'Acre, qui a à non Mont de Tabor ^ Il i alerent, et si l'asegierent, mais il ne le prisent pas, car li soudans avoit amasset grant gent, et vint son castel secorre.

Quant li Crestien sorent que ii soudans estoit près d'aus et qu'il venoit sour aus, il se levèrent del siège, et si alerent encontre lui, por' conbatre. Li Sarrasin furent es montagnes [en^] haut, et li Crestien furent el plain. Li Goredix^, li fins le Soudan, vint à son père, et si li dist^" : « Sire, c'or" descendons aval! et si nous » conbatons as Gresliens ! » Li soudans li dist que non feroit. « Vois, dist il, biaus fius, com il vienent espris

1. Marie de Montferrat mourut en 1212, et Jean de Brienne épousa la fille du roi d'Arménie l'année suivante.

2. A. et B. ont ici plusieurs lacunes. 3. Cf. H. p. 320. chap. IX.— 4. A. B. G. G. J. O.— M. col. 821 etN. col. 667 : « exer- » citus cum tribus regibus. » 5. D. 6. M. chap. 187. col. 822. 7. G : etpor.

8. G. Les montagnes au-dessus de Naïm. Gf., sur cette expédition des mois de novembre et décembre 1217, H. p. 323; M. chap. 187. col. 822 : « In secundo equitatu, » etc.; et Olivier le Scholastique : « In secundo equitatu, » etc. ap. Eccard, t. IL col. 1398.

9. G : Coredain. J : Coradins. 10. Gf. H. p. 323-324. H. A. B. O : Car. G : Ores.

442 CHRONIQUE d'ernoul [42'l7-i248

» et ardant de conbatre. Se nous descendons aval, » espoir nous n'en arons mie le mi 11 or, car aussi cier » sont il mort comme vif ^ Et ce m'est avis qu'il sont » tout abandonnet à le mort, et je ne veull mie mes » homes faire ocire. Vois, dist il, com il sont grant » geiit, et si n'ont point de segnor qui les gouverne , » et si vit chascuns del sien. Quant il aront despendu » çou qu'il ont, si s'en iront. » Li soudans se tint tous cois es ^ montagnes; et si n'ala mie^ aval pour conbatre as Grestiens. Et quant li Crestien virent qu'il n'avaleroit mie, si n'osèrent demorer al siège, por çou qu'il ne se mesissent entr' aus et Acre, et qu'il ne lor tolissent le viande.

Il n'orent esté gaires à Acre, puis qu'il furent revenu, que li rois de Hongerie [entra en mer et^] s'en ala en son pais ; et li rois d'Ermenie s'en ala ou sien ; et li rois de Cypre s'en retornoit arrière. Si ariva à Triple, li prist maladie, si fu mors^

1 . G : car ausi chier ont il à estre mort com vif. i : et autant lor est de la mort com de la vie. 2. G : et es. 3. 0 : 7i avala. 4. A. B. Février 1218.

5. M : « Ubi rex Gypri adolescentulus diem clausit extremum.» Ghap. 188. col. 823, et Olivier le Schoiastiquo, ap. Eccard. Corp. t. II. col. 1399. l 3.

1

CHAPITRE XXXVI/

Cornent Demiete fu conquise de Crestiens sor Saracins.

SOMMAIRE.

1218. Avril. Jean de Brienne et les barons d'Oulre-mer délibèrent sur la continuation de la guerre. 29 mai. Ils s'embarquent pour Damietle. 1218-1219. Lenteurs du siège. Prise delà tour de Damiette. Mesures du pape au sujet des croisés incapables de passer Outre-mer. Deux car- dinaux se rendent à Damiette. Le sultan Malec-Adel fait démanteler Jérusalem et les châteaux de Syrie. 11 vient au secours de Damiette avec son fils Malec-Kamel. Mort du sultan. Malec-Kamel lui succède. Il fait intercepter le Nil par une estacade. 1219. Février. Les Chré- tiens forcent le barrage et s'établissent, malgré les Sarrasins , sur la rive droite du fleuve, ils recommencent les travaux de siège. Malec- Kamel demande des secours à Coradin (Malec-Moaddam) son frère, et au calife de Bagdad. 1218. Du Chàteau-Pélerin, ou château du Dé- troit, près S. Jean d'Acre , fortifié par l'armée avant son départ pour l'Egypte. Coradin dirige des courses sur S. Jean d'Acre, Chàteau-Péle-

1. Cf. G. p. 358-384. H. pag. 326-349. liv. XXXI. chap. 14 à liv. XXXII. chap. 16. Récit différent et plus développé. Pipino abandonne ici complètement notre clironique et raconte l'expédition de Damiette d'après VHistoria Damiatina d'Olivier le Scliolastique, dont il reproduit textuellement de longs extraits. M. col. 825 k8i2: Anno itaqïie gratiœ, 1218, etc.; Oliv. le Scholast. Hist. Damiat, j{ 7-27. ap. Eccard, Corp. hist.med. œvi, t. IL col. 1401-1423: Anno gradœ, 1218. Pipino reprend le récit d'ErnouI ou de Bernard, qu'il abrège et modilie toujours, après la conquête de Damiette. Voy. ci-après, p. 426.

4^4 CHBOMQUE p'er>oul [^2^8, avril

rin et Césarée. 29 août. Echec des Chrétiens sous les murs d'Acre. La garnison du château de Césarée se réfugie à S. Jean d'Acre. Coradin abandonne le siège de Chàteau-Pélerin pour se rendre en Egypte. 1219. Août. Jean de Brienneet les croisés se décident à attaquer l'armée sarrasine devant Damielte. 29 août. Ils .sont baltus. Détresse de la gar- nison de Damielte. Le sultan parvient à faire entrer des renforts dans la ville. 4-5 novembre. Damielte est prist' à l'improviste par les gens du cardinal Pelage. 1220. Mésintelligence entre le cardinal Pelage et Jean de Brienne. Le roi Jean quitte l'armée. Mort de la reine Marie. Mesures rigoureu.ses du cardinal Pelage pour retenir les croisés en Egypte. Courses et captures des galères sarrasines sur les côtes de Syrie et de Chypre. Le cardinal croit trop tard aux rapports de ses espions.

Li rois Jehans fu^ à Acre. S'i ot moult grans gens et moult en venoit chascun jor [de totes terres^]. Si se por- pensa qu'il ne poroit riens esploitier en celé tiere, et que s'il avoit conseil del Temple et de l'Hospital, qu'il iroit moult volentiers à Alixandre ou Damiete assegier. Et se li estoit bien avis que, s'il pooit avoir une de ces .II. cités, il en poroit bien avoir le roialme de Jheru- salem. Quant ensi ot pensé, si manda les Templiers et les Hospitaliers et les barons de le tiere, por prendre conseil de ce qu'il avoit porpensé.

Quant il furent tout asanlé, si lor dist li rois : « Scignor, por Diu, or me conseilliés de ce que je vous » dirai. Nous avons ci moult grans gens, et moult en » i a de croisiés par Grestienté qui venront avant et » moult en croisera encore. Il m'est avis que nous ne » porons mie grantment esploitier en ceste tiere sor » Sarrasins. Et se vous veés qu'il fust boin à faire, » jou iroie volentiers en le tiere d'Egipte, assegier » Alixandre ou Damiete, car se nous poons avoir une » de ces cités, bien m'est avis que nous en poriemes

1 . .1 : demora. 2. D.

'I2^8, avril-mai] ET de Bernard î.e trésorier. 4<")

» bien avoir le roialme de Jherusalem^ » Atant en palpèrent ensanle li Templier et li Hospitalier et H chevalier, et prisent conseil ensanle. Et bien lor fu avis que li rois avoit fait bon porpens, et disent^ que bon se- roit à faire, se s'i acorderent et creanterent qu'il iroient.

Quant li rois vit qu'il se furent acordé à son porpens, et qu'il ot le creantement de l'aler, si commanda à chascun qu'il atirassent^ nés [et galies''] et cargaissent armes et viandes, chascuns selonc çou qu'il estoit, et prisent jour del mouvoir. Quant ensi fu atorné li mute, li rois garni moult bien Sur et Acre de chevaliers et de serjans et de viandes. Et laissa bien dedens Acre .v"^. chevaliers, que pèlerins que cens de le tierce Quant li rois ot bien gai^ni Sur et Acre, si fist crier parmi Acre que toi cil qui atiré'' estoient, fors cil qui demouroient es garnisons, entraissent es nés et alaissent apriès lui sor escumeniement.

Quant les nés et les galies furent apareillies, si entrè- rent ens, et quant Dame Dius lor donna bon tans, si murent'. Quant il furent mut, Dius lor donna si bon vent qu'en poi de tans furent devant Damiete, et prisent tiere ; et descendirent en une ille qui est devant Damiete, et se logierent illeuc sor le flun. furent

1. A. B. G. 0 : z7 m'' est avis que nos porrions avoir tote ceste terre por Vune des deux, se Dex la nos donnait prendre. F : se nos la volions rendre. 2. A. B : et distrent. 3. A. B : ator- nassent. 4. A. B. 5. D. O : chevaliers et serjanz mil. G. A. B : haitié.

7. Olivier le Scholastique dit que la flotte mit à la voile après l'Ascension, c'est-à-dire après le 24 mai (Voy. notre Hist. de Chypre, t. 1. p. 199); ce qui peut s'accorder avec le récit de H. suivant lequel le départ eut lieu à l'octave de la Pentecôte, date répondant au 29 mai, et non au 9 mai. Voy. H. Pag. 326, 704.

416 CHRONIQUE d'ernocl [^2^8-^2^9

bien .i. an, c'onques riens ne porent faire à Damiete, fors tant qu'il prisent une tour près [de la rive ^] del flun il estoient logié. En celé tour estoit li uns des ciés^ de le cliaine, et à Damiete li autres, qu'il levoient quant il voloient que vaissiaus ne montast ne avalast ^ le tlun. Quant li Greslien orent prise le tor, si brisie- rent le chaîne et le garnirent^; si que lor vaissiel, quant il estoient arivé, venoient en lor ost tout contre- mont le flun en le rive, par deviers aus.

Quant li apostoles sot que li Grestien avoient asegié Damiete, si manda par toute Grestienté ascroisiés qu'il meussent.'" Et apriès, si manda as pors as Grestiens% as archevesques et as evesques% qu'il fussent légat de descroisier les menues gens, et qu'il les descroisassent et renvoiassent arrière ceuls qui n'estoient mie aidaule% et presist on lor deniers, si les envoiast on en le tiere. Geuls que on descroisoit à Rome, ne laissoit on se tant d'argent non qu'il se peussent reconduire en lor pais à revenir arrière, si comme aucunes gens disent. Apriès ce, envoia li apostoles legas par toutes les tieres por descroisier et por faire movoir ceuls qui ne se descroisoient. Et si manda par tout qu'on ne fesist crestienlé^ à croisié qui ne mouveroit, ou don- roit del sien, tant que^° raison porteroit, à porter en le tiere d'Outremer ^\ et se descroiseroient. Apriès si

1. A. B. 2. A. B : chieus. Gc : un chief. J. 0 : chiés.— 3. Mal dans A. B : ne aliast. 4. G. J : il la garnirent et bri~ sierent la chaeine. 5.E. G. J. A. B. G: venissent,— 6. C'est-à- dire : manda aux ports de mer des Chrétiens. 7. A. B. G. J : manda as arcevesques et as esvesques des pors. 8. A. B. D : ai- dable. 9. A. B : corn ne feist crestienté. G : c'on ne feist nule droiture. 10. D. O : com. G : tant comme raison seroit. I I . .1 : ou qui ne donroit rainableinent de son avoir à l'aide d'Outremer.

I2^8-12<9] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. AM

envoia .11. cardenaus en l'ost à Damiete, le cardenal Robert \ qui englès estoit et le cardenal Pelage, fjui estoit de Portineral, Le cardenal Robiers i fu mors. Et li cardenals Pelages vescui; dont ce fu grans damages, et moult i fist de mal, si comme vous orés dire en aucun tans, si apriès, en cest conte.

Quant li soudans sot que li Grestien estoient mut por aler en le tiere de Egypte, si ne fu mie liés. Si fist abatre les murs de Jherusalem et les castiaus qui en le tiere estoient, fors seulement le Crac, car il cuidoit bien, quant li Grestien croient dire que li mur de Jhe- rusalem esteroient abatu et li castiel de le tiere, qu'il retorneroient arrière, et alaissent en Jherusalem faire lor pèlerinage et retornaissent arrière en lor pais. [Mes non firent ^ J , ains prisent tiere et se logierent devant Damiete, si com vous avés oï.

Quant li soudans vit qu'il ne retorneroient, et c'on li fist asavoir qu'il avoient pris tiere et assegie Damiete, si en fu moult dolans. Si amassa grant gent et ala et mena aveuc lui .1. sien fil qui a à non le Quemer^ à cui il donna le tiere d'Egypte, quant il dut morir. Son autre fil, qui avoit à non li Goredix, donna le tiere por garder; et à celui laissa il le tiere de Damas et de Jhe- rusalem, quant il dut morir.

Li soudans s'en ala en le tiere d'Egypte. Et quant il vint là, et il vit que li Grestien estoient priés de Damiete, par devers le flun, si fu moult dolans , et s' ala herbe- gier devant Damiete. Ne vesqui gaires apriès ; ains fu

1. Robert de Courson. 2. A. B. D : 3Iais nen firent. G : Mais ce ne firent il pas. 3. A. B : Le Kemer. G : Lo- quemel. J : Le Guemer. Maloc El-Kamel.

27

4^S cBRONrQCF, d'ernoul [^ 2^ 9, février

mors, et ses fîus fu sires de le tiere et maintint i'ost. Il fîst paler le flun de l'une rive dusqu'à l'autre, de grans mairiens\ por çou que li Crestien ne montassent le flun et presissent le tiere por venir sor eaus. Après, si fîst moult bien garnir le rive del flun desci à Damiete des paléis^, de celé part il estoient, que li Crestien n'i arrivaissent^.

Quant li Crestien orent bien .1. an esté en l'ille, si comme vous oistes qu'il ariverent, si prisent conseil qu'il feroient ; que ne faisoient il mie esploit, et qu'il lor estevoit^ passer par devers Damiete. Il disent qu'en nulle fin del monde ne pooient il prendre terre entre Damiete et le paléis, mais s'il pooient tant faire qu'il peuissent brisier le paléis, àl'aiue de Diu, il pren- deroient tiere. prisent conseil et s'acorderent qu'il iroient. Quant il furent acordé, si garnirent moult bien lor ost et lor lices.

Après si s'armèrent, et entrèrent es nés et es galies. Quant il se furent recueilli, Dame Dieus donna bon vent, si murent. En le nef qui devant fu estoit Gantiers le camberlens le roi de France, par cui li rois avoit envoiet grant avoir en le besogne de le tiere. Celé nés fu fors et si oit bon vent ^ ; si se fiert el paléis plaines voiles*'], si le froisse et passe outre et fait voie, et les autres nés après, et toutes passèrent oitre sauve- ment ; fors une du Temple qui traversa, que li Sarrasin arsent\ mais les gens escaperent. Quant li Sarrasin

1. A. li : de granz pauz. G : de grant pieus. 2. G: des les palis. J : des le paléis. 3. A. B : ni entrassent. 4. A. B: estovenoit, G. J : covenoit. 5. A. B : si o/ fort vent. 6. J. 7. A. B. D : arlrenl. 0 : arsent. J : arsirenl. G : urdirent.

1 2 i 9, février] et de bernard le trésorier. A\^

virent que li Crestien s'apareilloient por passer oitre ' le flun, si s'armèrent et alerent tout sor le rive por contretenir qu'il n'arivaissent. Et lançoient à eauls et traioient fu grigois. Quant li Crestien orent eslongie Damiete, si trouvèrent une rive il lor fu avis qu'il pooient bien ariver. Il virent que toute li tiere fu cou- verte de Sarrasins et tous li rivages. Si disent qu'il ne poroient mie ariver en cel point, car trop estoit li tiere couverte de Sarrasins. Il orent conseil qu'il ariveroient en l'ille par il montoient, et que l'endemain, à l'ajornée, prenderoient tiere d'autre part. Il ariverent et jetèrent ancres selonc le rive del flun ; et li Sarrasin d'autre part garnirent moult bien le rive, et alerent à lor herberges.

Or vous dirai que ^ il avint le nuit, et comment Dius aida les Grestiens. Il ot discorde d'un haut home de l'ost as Sarrasins et le soudan , que li soudans le voloit mettre en garnisons dedens Damiete. Mais cil dist qu'il n'i enterroitja, car Salehadins, ses oncles, avoit mis sen père dedens Acre en garnisons; si le laissa prendre as Grestiens, quant il prisent Acre. Gil haus hom s'en parti ^ le nuit de l'ost et grans gens aveuc lui ; mais il laissa ses harnas et ses tentes, por ce qu'il ne voloit mie c'on l'aperçeust ne qu'il fust pris. Quant cil qui en garnisons estoient sor le rive [por garder les Grestiens^] , oïrent le friente^ et le noise de cels qui s'en*^ aloient, si cuidierent estre traï et guerpirent la rive, si s'en alerent. Quant il commença à esclairier del jor,

I . A. B : por monter. 2. A. B. G : comment. 3. A. B. i) : se parti. G : départi. 4. A. B. 5. A. B : hi t'rainle. 6. A. B. G : en.

420 CHRONIQUE d'ernoul L^^'^j février

li Crestien, qui lor nés escargaitoient ' et gaitoient l'ost, esgarderent par devers l'autre rive, si ne virent nullui, et virent le rivage tout \Tiit. Il[le^] fisent savoir as Crestiens. Si s'armèrent, et levèrent [vistement^] lor ancres et passèrent le flun, et prisent tiere par d'autre part, et descendirent, et li chevalier et tout li autre, fors li maronnier qui remenerent aval le navie '' contre- val le flun; si se misent en conroi, et esrerent vers Damiete^

Quant li Sarrasin sorent que li Crestien avoient passé le flun, si s'armèrent et issirent hors des her- berges por venir encontre aus. Quant on fist savoir au Soudan que li haus hom qu'il avoit prié d'entrer dedens Damiete, s'en estoit aies, et toutes ses gens et grant partie de l'ost avoec lui, quant li soudans ce, si ne vaut mie aler encontre les Crestiens, ains guerpi ses herberges si s'en ala. Li Crestien les en virent [bien aler^], mais il ne vaulrent mie aler apriès ; ains alerent as herberges que h Sarrasin avoient lassies, se s'i herbegierent et assegierent Damiete. Il trouvèrent les herberges des Sarrasins moult bien garnies de viandes, qui mestier lor orent, et grant avoir i gaagnierent. Apriès si départirent les viandes et le gaaing, si en donnèrent à chascun selonc çou qu'il estoit. Apriès si fisent .II. pons par desus le flun de l'une ost à l'autre ; si que li un aloient as autres par desus les pons, quant il voloient. Apriès si fisent derrière aus bons fossés et bonnes lices, por ce que li Sarrasin ne lor courussent

1. A. B : eschargaitoient . D : eschaugueloient . 2. A. B. 3. J. 4. A. B : qui rémunèrent les nés. 5. J : fors les mariniers qui ramenèrent la navie contrerai le flum vers Damiete tote en conroi jusques il revindrent en l'ost. 6. A. B. D.

'^2^9] ET DE BEENARD LE TRE'sORIER. 42i

sus^ Puis si drecierent perrieres et mangoniaus et trebucés, por jeter as murs de Damiete. Mais n'i pooient riens faire, et faisoient asalir chascun jor; et bien i furent .1. an, c'onques riens n'i fîsent^.

Quant li Sarrasin orent guerpies lor herberges et il se furent trait arrière, et il sorent que li Crestien i estoient herbegié et qu'il orent engiens dreciés devant le vile et faisoient asalir, il se herbegierent à .il liues d'iaus, et envoierent chascun [jor ^] de lor gent, par establies, et faisoient asaillir^ as lices. Apriès, si manda li soudans à son frère le Coredix, qui estoit en le tiere de Jherusalem, qu'il le secourust atout tant qu'il poroit avoir de gent, car li Crestien avoient passé le flun et avoient Damiete assise, tout entour al reonde \ Apriès si manda à ^ califfe de Bandas [qui apostoiles est des Sarraçins^] qu'il le secourust; et s'il ne le secouroit, il perderoit le tiere, car li apostole des Crestiens i envoioit tant de gent, que ce n'estoit rois ne mesure^; et qu'il fesist aussi preecier parmi Paienie [ansi^] que cil faisoit parmi Crestienté, et si le secourust. Quant li califfes^^ que li Crestien entroient en le tiere d'Egypte à si grant fuison, si fist preecier par Paienie, et envoia au Soudan grant secors de gent par sen preeçement.

Ansçois que li Crestien meuscent d'Acre por aler en le tiere d'Egypte, fremerent il .i. castel, au cief d'une cité sur le mer, qui a à non Cesare". Un autre en com-

1. J : ne s'enbatissent sor eaus. 2. A. B : an, sanx rien faire.— 3. A. B. G.— 4. A. B. G. J: por assallir.— 5. A, B. D : à la reonde. 6. A. B : al. G : au. Le ji manque clans D. 7. A. B. G. J. 0. 8. A. B. G. 0 : ne comte ne mesure. J : quec'estoil sanx nombre. 9. A. B : ansi corn. G : ausi corn. 10. J. 0. A. B. C : Quant califfes. Lacune dans G.-- 11. A. B : Cessaire. G. J. O : Cesaire.

422 CHHO.MQCE d'erinoll [^2^8

mencierent à fremer, à .vu. liues d'Acre et .v. liues de Gesare, en .1. liu c'on apele Le Destroit\ Gis castiaus qu'il laissierent fremant quant il murent, est en le mer. Il li misent à non Castel Pèlerin, por ce que li pèlerin le commencierent à fremer. Et assés en i demeura puis que li rois en ala à Damiete, por le castel aidier à fremer. Gel castel tienent Templier, por çou qu'en lor tiere fu fermés.

Or vous dirai que li Goredix fist-, qui fu fius le Soudan de Damas. Il ot moult grant gent amassée .1. jour de feste Saint Jehan Décelasse, qui est le daerrain jor d'aoust% et si fist .i. enbuissement priés d'Acre, puis fist corre par devant \

Quant les garnisons d'Acre virent les coureours venir, si issirent après aus et cachierent tant qu'il vinrent sor l'enbuiscement. Quant li Grestien virent l'enbuissement, si arresterent et ne vaulrent aler avant, et si se tinrent por fol de ce qu'il avoient tant cachié. Quant li Sarrasin virent les Grcstiens, si saillirent et asanlerent à eauls; se conbatirent. Assés en i ot de mors d'une part et d'autre, tant que li Grestien ne porent plus endurer, ains tornerent en fuies vers Acre, qui escaper en pot. Et li Sarrasin [les '] encaucierent, et prisent assés, et occisent et cachierent dessi as portes d'Acre. Quant li Grestien qui à Acre estoient virent que lor gent s'en venoient tôt desconfit, si cou- rurent as armes, et fermèrent les portes et garnirent, que li Sarrasm n'entraissent dedens.

Quant li Goredix ot desconfit les garnisons d'Acre,

1. A. B. I). Ct. C : c'on apcJe Destroil. 2. A. B. I). 3, G : ô l'issue d'Aousl. 29 août. 4. J : puis manda ses correors devant Acre. 5. G. J : les suivent.

^2^8-^2^9] et de berinard le trésorieu. '(23

si ala à Gesaire, si aseja le castel. Quant cil del castiel furent assegié, si envoierent à Acre por secors. Cil d'Acre lor envoierent galies et lor mandèrent qu'il venissent à Acre, et laissaissent le castel, car il ne les pooientsecorre. Quant cil del castel oirentMes novieles, si entrèrent par nuit es galies et alerent à Acre, si laissierent le castiel. Et quant ce vint l'endemain, si s'armèrent li Sarrasin por aler assallir al castel, et quant il vinrent priés des murs et il vaurent aler , assaillir, si ne trouvèrent qui contre aus fust. Il firent aporter escieles et montèrent sour les murs, et entrè- rent el castel. Quant il orent le castel pris, il ne le vaurent mie garnir, ains l'abatirent. Quant il orent le castel abatu, si se partirent d'ileuc, et alerent asegier Castel Pèlerin. Il n'i orent ' gaires sis, quant li message li vint qui li aportoit les nouveles que ses frères le mandoit, qu'il l'alast secorre atout quanqu'il poroit avoir de gent. Et li Goredix se leva del siège de Gastiel Pèlerin, si garni le tiere, si s'en ala en Egypte, à son frère, le Soudan.

Quant li pèlerin orent esté une pièce devant Damiete, et que li Sarrasin lor venoient cascun jour desci as lices, il prirent conseil, et^ s'acorderent qu'il iroientrequerre les Sarrasins dusques es lices, et les leveroient de il estoient logiet, et se conbateroient à aus. Quant il orent pris conseil d'aler sor les Sarrasins, il atirerent ceus qui demoureroient por garder les lices et ceus qui iroient conbatre as Sarrasins.

Li rois Jehans issi avant de l'ost et li eslis de Biau- vais, qui puis fu vesques, et Gantiers li cambrelens, et

1. C ; l'oïrent. 2. A. B. C : ot. 3. A. B. G : qui.

424 CHROMQUE d'eRNOUL [\2\{)

François assés, et grans chevalerie de toutes tieres, et merveilles en issirent de gent à pié. Et errèrent tant qu'il vinrent près de l'ost as Sarrasins. Quant li Sarra- sin les virent venir, si se traisent arrière [de lor her- berges^] et s'ai^merent et montèrent sor lor cevaus. Et les gens à pié se ferirent es herberges, et se cargierent de viandes et de ce qu'il trouvèrent, puis vaurent aler ariere. Quant li Sarrasin virent que li Crestien avoient tant cargié^ si lor coururent sus. Li rois et li ceva- lerie qui les gardoient lor alerent encontre , si s'asanle- rent et se conbatirent , si que li Creslien en orent le pior et furent desconfît. Si fu pris li eslius de Biauvais et Gantiers li cambrelens, et grans cevalerie de France et d'aillors. Et des gens à pic n'escapa nus ; ains furent tout [ocis, ou''] mort de soif, car il fîst moult caut cel jour ; si n' orent point d'iaue il aloient, si cachie- rent desci as lices. Si eust esté li rois détenus, se n'eust esté li secors de ciaus qui as lices estoient. Ce jor fu feste Saint Jehan, à l'issue d'aoust. Chel jor ot .i. an que li Crestien furent desconfit devant Acre.

Grant joie fisent li Sarrasin des haus homes qu'il avoient pris, et de çou qu'il avoient desconfit le roi. Et li Crestien fisent grant deul en l'ost. Si vous di c'onques puis que li Crestien furent ariere devant Damiete et orent pris tiere, ne fu jors que li Sarrasin ne tuassent ou preissent Cresticns.

Or vous dirai des Sarrasins qui dedens Damiete estoient. Grans maladie lor prist, si qu'il en i* ot moult de mors et moult en i moroit chascun jour. 11

I . .T. 2. A. B : qu'il avoient. lor charge. 3. .T. A. B : ocis et mort. G .furent tout mort de soif et ocis. 4. A. B. G : en ot.

^2^9] ET DE BERNiRD LE TRe'sORIER. 425

le * fisent savoir al Soudan et disent qu'il renderoient le cité, u il lor envoiast gent qui deffcndre se peussent, car il ne se pooient mais deffendre. Li soudans fist apareillier .Y. chevaliers bien montés, et si lor donna tant et promist, et si lor dist, s'il pooient tant faire qu'il fussent dedens^ Damiete, il lor donroit tant que il deviseroient , et chil disent qu'il iroient et entreroient ens. Si s'apareillierent por entrer ens le nuit.

Quant ensi furent atorné, si lisent savoir à ceus de Damiete que quant il orroient le nuit le noise et le friente^ en l'ost as Crestiens, qu'il ouvrissent une porte par il enterroient "*. Quant che vint le nuit de prin soir^ que l'os des Crestiens fu endormie, li SaiTasin qui furent armé et bien monté se ferirent en l'ost parmi les gaites qui gaitoient les lices ; et li Sarrasin qui dedens Damiete estoient ouvrirent les portes, et cil entrèrent ens. De celé part il entrèrent en Damiete, estoit li cuens de Navers*' herbegiés. Dont il ot grant blasme, et li mist on sus qu'il en avoit eu grant avoir del Soudan pour entrer les Sarrasins en Damiete, parmi ses herberges. Dont il avint c'on le bani de l'ost.

Ne demora gaires apriès che que li Sarrasin furent entré en Damiete, que li mainnie'' le cardenal fisent l'escargaite ^ une nuit par devers le cité. Dont il

1. A. B. C : il fisent. 2. A. B. D. G. G : devens. 3. A. B. D. G : freinte, frainte. 4. A. B : entreroient. 5. A. B : Quant ce vint la nuit de souper et de prinsoir. G : la nuit de prlm somme. 6. A. B : Nevers. D : Nuevers. 7. A. B : la masnie. 8. A. B. D. G. 0 : l'eschargaite. Lacune à la suite, dans A. et B. - J : la chargaite. M : « excubiœ. » Cf. Hist. de Chypre, 1. 1, p. 203.— Pipino, qui abandonne notre chro- nique pour Olivier le Scliolastiquo dans ce qu'il dit de l'expédition de Damiette (Voy. ci-dessus pag. 413. n.), la cite cependant à

426 OHROMQUE d'erisoul [12^9-^220

avenoit que chascuns haus hom faisoit l'escargaite à sen tour; et celé nuit escaï al cardenal. Il donerent escout celé nuit, si n'oïrent nullui as murs, si comme il soloient faire; si s'esmervellierent que ce pooit estre. Il parlèrent ensanle, et apparcUierent escielles et misent as murs. Quant il fu jours, si montèrent amont, mais n'i trouvèrent nullui. Il le fisent savoir en l'ost et si avalèrent as portes , si les ouvrirent et on entra ens sans contredit. On trouva les mors parmi les rues et les malades, si que toute le vile en puoit. Gel tant^ de Sarrasins qu'il i avoit qui aidier se pooient, reculèrent en une tor , et furent pris. On jeta tos les mors qui i estoient el flun , si avalèrent en le mer. Quant li Crestien orent pris Damiete, si donnèrent à chascun se part de le cité et des avoirs selonc ce qu'il estoit.

Ne demora^ gaires apriès ce, qu'il ot grant mal- talent entre le roi Jehan et le cardenal. Dont il avint que li cardenals escommenioit chascun jor tos ceus et toutes celés qui en le partie de Damiete que li rois Jehans avoit manroient ne liueroient maison \ Li rois

propos de cet incident : « scribit Bernardus Tliesaurarius de modo » intrandi : quod quum excubiijo Ghristianorum solito more tumul- » tuantes, in noetc in urlic viros audirent, etc. « M. chap. 200. col. 837.

1. .1. O: Un poi. 2. Pipino , en suivant toujours comme son guide principal VHistoria Damiatina d'Olivier le Scholastiquc. revient cependant pour la seconde fois ot en ces termes à Ber- nard le Trésorier au sujet de la reddition de Damiette : « Hœc I) ex Historia Damiatœ sumta sunt. Sed de discessu régis » Johannis et qualiter Gliristiani Damialam soldano reddiderunt, » et nonnulla qu;B sequuta sunt postmodum, sic scribit Bernardus » Th.'saurarius;. » M. Fin du cliap. 204. col. 842. 3. A. B : inaind raient, ne loeroient maison. D: manoient , ne tooient meson.

•1220] ET DE BERINAKI) LE TRESORIER. 427

ostoit moult dolans de ce que li cardenaus faisoit, car gi'ant coust et grant painne avoit mis à Damiete prendre.

On aporta novieles al roi Jehan que li rois d'Ermenie, cui fille il avoit, estoit mors. Dont il f'u moult liés de çou ([u'il ot honerable ocoison de l'ost laissier; car il estoit moult anuiés et moult dolans de ce que li carde- nals avoit signourie sor lui , et avoit deffendu c'on ne fesist riens por lui en l'ost. II manda des chevaliers de l'ost, si prist congié; et si dist qu'il l'en estevoit^ aler en Hermenie, et que li tiere li estoit eskeue de par se femme. Cil de l'ost furent moult dolant, quant il sorent que li rois Jehans s'en aloit.

Li rois Jehans s'en ala en Hermenie , et quant il vint si requist le tiere. Cil d'Ermenie disent qu'il ne le connissoient mie à signor , mais s'il veoient lor dame le fille le roi, qui lor dame devoit estre, il le recueille- roient comme dame et li renderoient le tiere. Li rois Jehans s'en ala à Acre, por se feme mener en Hermenie. Quant il vint à Acre, se li fisent aucunes gens à entendre que se feme voloit empuisonner ^ se fille dont il tenoit le roialme. Li rois en fu moult dolans, si l'en bâti à espérons ^ Dont aucunes gens disent qu'ele fu morte de le bature^ Li rois ne retorna mie à Damiete, ains sejornaà Acre, et i fu bien un an puis qu'il s'en torna^ de Damiete, anscois qu'il i alast^ Dont il fu moult dolans

G : maindroit ne louerait maison. 1. A. B : qu'il li estovoit. J : convenoit. 2. A. B : empoisonner . D : emprisonner. 3. D : l'en laidanja violt. 4. M : « Tantis eam affecit verberi- » bus, ut exhalaverit misère spiritum. » Col. 843. chap. 205. 5. A. B. G: puis que se torna. 6. A. B. I: qu'il i ralast. M: « perannum moratus Accon. » Fin du chap. 205. Pipino ne dit rien de ce qui termine le présent chapitre de notre chronique.

428 CHRO'iQDE d'ernoul [4220

quant il i râla sitost , en grant aventure i fu de le vie ' perdre.

Quant li rois se parti de Damiete , li cardenals demora sires de l'ost. Or vous dirai que li cardenals avoit establi devant ce qu'il eust Damiete, et faisoit encore : que nus hom, tant eust laissie se feme ne ses enCans povres ne endetés, nulle cose ne li pooit renvoier arrière, ains li convenoit tout laissier en l'ost. Ains faisoit chascun jor escumenier tos cels qui riens en reportoient ' d'omme qui mors fust en l'ost. Apriès si faisoit jurer les signors^ des nés, qui les nés looient as pèlerins por revenir arrière, que nul n'en lairoient entrer dedens les nés ne nul n'en passeroient, s'il ne veoient sen seel. Et encore avoec tout ce le faisoit escu- menier ; mais bien lor laissoit lor nés [loer et *] cargier de viande, mais nul n'en laissoient entrer ens, s'il ne veissent sen seel. Autretel commandement fist faire ^ à Acre et en le tiere. Quant li pèlerin qui lor nés avoient loées et cargies lor viandes cuidoient'"' entrer ens, b" maronnier lor disoient bien qu'il n'i entcrroient s'il n'avoient le seel dou cardenal. Li pèlerin aloient al cardenal et demandoient por coi il avoit deffendu as maroniers qu'il ne les passassent; et il lor dist qu'il l'avoit deffendu por çou qu'il ne voloit mie qu'il s'en alaissent, qu'il ne laissaissent' del lor en l'ost.

Or vos dirai que tels i avoit [qui*^] disoient au carde- nal : « Sire, j'ai ci demoré .1. an ou .11.; n'ai je mie

1. A. B. D. J. 0. (Et non la ville. G. pag. 380). - E : Dont il fu moult dolans et moult courrouchiés quant il râla si tost en (frant aventure de perdre le vie. 2. A. B : riens enporteroient.

3. D : les mestrcs. 4. A. B. 5. A. B : Tôt ausifisl il faire.

F), i) : et cuidoient. 7. 0 : s'il ne laissoient. 8. A. B. D.

^220] ET f)E BERNARD LE TRÉSORIER. /|2^

» assés despendu? » « Toutes eures, faisoitil, laissiés, »por Diu, del vostre; » à cels qui avoient esté .i. an. Et qui mains i avoit esté, raimboit \\\ selonc ce que chascuns estoit ^; car on lor faisoit dire, sor escumenie- ment, combien il i avoient ^ ; et il en prendoit çou qu'il voloit, quant il s'en voloient venir, [car autrement ne pooient il venir ^] ne avoir son seel, s'il ne faisoient son gré. Tôt ensement faisoit il à Acre.

Or vous dirai qu'il avint. Li Sarrasin sorent que li Crestien n'avoient nulle galie sor mer, ne que li mers n'estoit mie gardée. Il lisent apareiller .x. galies et mètre en mer por destorber% et por prendre les Crestiens qui venoient Acre et ^] àDamiete. Et espies vinrent al cardenal, se li disent : « Sire, li Sarrasin » arment galies por mètre en mer. Appareilliés vous » encontre, et se vous ne le faites, vous aurés damage » et li Crestien. » Li cardenals ne le vaut croire. Ains lors fîst donner à mangier [et à boivre '] . Si s'en alerent. Quant les galies furent armées, et elles furent en mer, les espies revinrent al cardenal, et se li disent : « Sire, » or vous gardés ! Les galies sont en mer. » Li carde- nals dis! : « Quant cil vilain voelent mangier, si » vienent dire aucune novele. Va, dist il à .i. serjant, » si lor donc del vin et à mangier. » Les galies qui estoient en mer ne s'oublièrent pas; ains alerent en l'ile de Cypre, et trouvèrent nés gargés* de pèlerins

1. A. B : raemboii il. D ; reemboil il. ~ E : Et s'il y avoient esté mains d'un an, il le raemboit. 2. I: J : Toutes heures prenait il de chascun selonc ce qu'il estoit. 3. A. B : quanquil avoient.

4. A. B. D. E. 5. A. B : desroher. 6. A. B. 7. A. B. 8. C : nés et garges.— A. B ; assez nés de pèlerins ckargiés.

D : les nés chargiées. G : nés assés chargiés.

/i30 cnRONiQUF, d'ernoul [1220

au port de Cypre^ [qui aloienlà Damyete^]. Il alerent avant, si boutèrent le fu ens, si les arsent, et les pèlerins, et furent grant pièce illeuc ; et ardoient et prendoient toutes les nés qui venoient d'Acre à^ Damiete. Li novele en ala al cardenal, que les galyes as Sarrasins avoient fait grant damage as Grestiens et estoient enTile de Cypre ; et bien avoient ja\ que pris, que ocis, que ars, plus de .xm. mile Grestiens, estre l'autre gaagn^ qu'il avoient fait es nés.

Quant li cardenals le novele, si fu moult dolans ; et si ot droit, que cis damages estoit avenus par lui, car il ne volt croire ceuls qui l'en avoient garni. Il fist armer galies, si les envoia en l'ile de Gypre , mais ce fu à tart. Quant eles i vinrent, si ne trouvèrent mie les galyes des Sarrasins, car eles s'en estoient retornées en lor tieres, bien cargies de gens et d'avoir, qu'il avoient gaagnié*'.

1. A. B. 1 : à un port devant ïisle. G : à un port devant Limeçon. 2. D. 3. A. B : à Acre et à. 4. A. B. ô. A. B. E : gaaing. 6. A. B : s'en estoient retornées en lor contrées à tût lor gaaing . Comme nous l'avons remarqué déjà, Pipino ne dit rien de ces faits. M. col. 843.

I

CHAPITRE XXXYII.'

De .II. clers qui alerent preeschier au Soudain.

SOMMAIRE.

VU9. Deux clercs de l'armée chrélienuc se rendent, avec la permission du légat, auprès de Coradin , sultan de Damas. Ils lui démontrent la fausseté de la loi de Mahomet. Les Imans demandent au sultan de leur faire trancher la tête, au lieu de discourir avec eux. Le sultan les traite avec égards et les fait reconduire chez les Chrétiens. 1220. Les Sar- rasins offrent aux croisés de rendre Jérusalem s'ils consentent à éva- cuer Damiette. Les Chrétiens refusent l'échange dans l'espérance de voir arriver l'empereur Frédéric et de conquérir avec son aide l'Egypte entière et Jérusalem. Honorius III fait hâter la croisade en Occident et engage Frédéric à passer Outre-mer. 22 novembre. Le pape couronne Frédéric à Rome et le presse de se mettre en route. Frédéric ajourne son départ. Motifs de ce retard. La Fouille et la Calabre font leur soumission à l'empereur.

Or vous dirai de .11. clers ^ qui estoient en l'ost à Damiete. Il vinrent au cardenal, si disent qu'il voloient

1. Cf. G. I). 384-392. M. Pipino ne prend rien de ce chapitre, rii ce n'est la mention de l'entrevue des deux clercs avec le sultan de Damas qu'il rappelle accidentellement dans un chapitre subsé- quent de sa chronique à l'occasion de la mort du sultan Cora- din. dont il fait l'éloge en citant Bernard le Trésorier : « De » humanilate autem et clementia ejusdem Conradini soldani, idem » Bernardus taie relerl exemplum. » Col. 846. chap. 208.

2. Il s'a^il de la démarche de saint François d'Assise auprès de

432 CHROMQUE d'ernoul [1249

aler al Soudan preçier, et qu'il n'i voloient mie aler sans [son^] congié. Et li cardenals lor dist que par son congié ne par son commandement n'iroient il pas , car il ne lor voloit mie donner coiigiet à essient d'aler en tel liu il fuissent ocis; car il savoit^ bien s'il i aloient, il n'en revenroient ja. Il disent, s'il i aloient, qu'il n'i aroit point de pecié, car il nés i envoioit pas, mais soufrist tant qu'il i alaissent. Moult l'en proierent. Quant li cardenal vit qu'il estoient en si granl [volenté d'aler^], si lor dist : « Signor, je ne sai quel vo cuer ne » vos pensées sont, ne s'eles sont bonnes ou mal- » vaises, et se vous i aies, gardés que vo cuer et vos » pensées soient tousjours à Dame Diu. » Il disent qu'il n'i voloient aler se por grant bien non, se i pooient esploitier. Dont dist li cardenals que bien i pooient '' aler s'il voloient, mais ce n'estoit mie par son congiet. Atant se partirent^ li clerc de l'ost as Crestiens, si s'en alerent vers l'ost as Sarrasins. Quant li Sarrasins qui escargaitoient lor ost les virent venir, si cuidierent qu'il venissent en message ou por renoier. Il alerent encontre, si les prisent, si les enmenerent devant le soudant. Quant il vim^ent devant le soudant, si le saluèrent; li soudans les salua aussi, puis lor demanda s'il voloient estre sarrasin, ou il estoient venu en message. Et il respondirent que sarrasin ne seroient il ja ; mais il estoient venu à lui en message, de par Dame

Coradin, que la grande Continuation mentionne en quelques mots. H. pag. 348. Sanudo, Secret. Jidel. Pag. 209. Rainaldi, Annal, ecdes. not. de Mansi. t. XX. pag. 455. 1219. ^ 15. not. 2.

1. A. B. 2. A. B. C : savaient. 3. J. A. B. E : qu'il estoient si en cirant. I. 0 : si en grant d'aler. 4. A. B. C : poroient. 5. A. B. C : parlent.

12-19] ET PE BERNARD LE TRÉSORIER. 433

Diu, et por s'ame rendre à Diu'. « Se vous ne volés » croire, [disent iP], nous renderons vostre ame à Diu, » car nous vous disons por voir que se vous mores en » ceste loi vous estes, vos estes perdus, ne Dius » n'ara mie vostre ame. Et por çou somes nous venu » à vous. Se vous nous volés oir et entendre, nous vos » mosterrons par droite raison, voiant les plus preu- » dommes de vostre tiere, se vous les mandés, que » vostre lois est noiens. »

Li soudans lor respondi qu'il avoit de sa loi^ arche- vesques et vesqnes et bons clers , et sans aus ne pooit il mie oir^ [ce^] qu'il disoient. Li clerc li respondirent°: « De ce sommes nous moult liet; mandés les, et se » nous ne les poons mostrer par droites raisons que » c'est voirs que nous vos disons, que vostre lois est » niens, s'il nous veulent oir et entendre, faites nos » les testes coper, » Li soudans les manda [querre'^] et il vinrent à lui en se tente. Et si ot des plus haus homes et des plus saiges de se tiere , et li doi clerc i furent en sèment.

Quant il furent tôt asamblé, si lor dist li soudans por coi iNes avoit mandés, et si lor conta çou por coi il estoient asanlé, et çou que li clerc li avoient dit, et por coi il estoient venu. Et il li respondirent : « Sire, » tu es espée de le loi, et si dois le loi maintenir et » garder. Nous te commandons, de par Diu, et de par » Malioii, qui le loi nos donna, que tu lor faices les » tiestes colper, car nous n'orrions ^ cose qu'il dient;

1. G ; pour sa vie sauver. 2. F. O. 3. G. A. B. G : de lor loi. 4. A. B. G. G : ne pooit on muele oir. 5. A. B. 6. A. B. G : respondoient. 7. G. 8. A. B. G. J. G : n'otrions.

43/» CHROMQUE I)'kR!NOUL [1219

» et si vous deffendons que vous n'oés cose qu'il » dient, car li lois deffent ({ue on n'en n'oie ^ nul pree- » chement. Et s'il est nus qui veuille preecer ne parler » contre le loi, li lois commande c'on li colpe le teste. » Et por çou te commandommes, de par Diu et de » par le loi, que tu lor faices les testes colper, carensi » le commande li lois. »

Atant prisent congiet , si s'en alerent, ne n'en volrent plus oïr. Et li soudans demora, et li doi clerc. Lors lor dist li soudans : « Signor, il m'ont dit, de par Diu » et de par le loi, que je vos face les testes colper, car » ensi le commande li lois; mais je irai .i. poi contre » le commandement, ne je ne vous ferai mie les testes » colper, car malvais guerredon vous renderoie de » çou que vous vos estes mis en aventure de morir » pour m'ame, à vos esciens, rendre à Dame Diu^ » Apriès si lor dist li soudans que s'il voloient demorer^ avoec lui, qu'il lor donroit grans tiere et grans posses- sions; et il li disent qu'i n'i demorroient mie, puis que on ne les voloit entendre, ne escouter; il s'en riroient arrière, en l'ost as Grestiens, se ses commandemens i estoit.

Atant lor dist li soudans que volentiers les feroit conduire en l'ost sauvement. Après si lor fist aporter et or et argent et dras de soie à grant plenté, et com- manda qu'il presissent çou qu'il volroient. Il disent qu'il ne prenderoient noient, puis qu'il ne pooient avoir l'ame de lui avoec Dame Diu ; que plus cier [aroient l'ame de lui avec Dame Diu^] qu'il n'aroient quanques

1. A. B. O. C. G. J : que l'en ne croie. "2. J : por m^ame sauver. 3. C : deviore. 4. F. 0.

•1220] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 435

il avoit' valissant^ à lor eus^; mais (esist lor doner à mangier, puis si s'en iroieiit% puis c autre cose nen pooient faire. Li soudaiis lor^ fist donner à mangier assés et à boire; et quant il orent mangié assés, si prisent congié au Soudan , et il les fist conduire salve- ment dusqu'à l'ost des Crestiens.

Quant li Sarrasin orent perdue Damiete, et li Cres- tien l'orent conquise, si furent moult dotant. Si lor mandèrent [que''] s'il voloient rendre Damiete, il lor renderoit toute le tiere de Jherusalem, si comme li Crestien le tinrent % fors seulement le Crac, et tous les Crestiens qui en prison estoient en paiennie^ Li Crestien en parlèrent et prisent conseil^. Et consaus lor porta qu'il ne [la^'*] renderoient mie, et que par Damiete poroient il conquerre toute le tiere d'Egipte et de Jherusalem; car cil qui emperere de Rome^' devoit estre estoit croisiés et grant gent amenroit en le tiere , et moult avoit de croisiés par toutes tieres , et assés en croisei'oit'^ encore par le monde. Et [que*^] se l'em- pereres estoit là, atout sen pooir, et li croisiet qui estoient encore à venir à l'aïue et al commencement'^ qu'il avoient de Damiete, bien poroient, à l'aïue de Diu, ravoir toute le tiere d'Egypte et le tiere de Jherusalem, et qu'il le feroient savoir à l'apostole.

1. J. G : il a. 2. A. B : quanques il avoient vaillant. J : il avoit vaillant. 3. A. B. J. 0 : à lor oes. 4. A. B. G : s'en iroit. 5. A. B. ^- G : li, G. A. B. D : mandèrent au cardenal. 7. A. B. G : la tindrent. 8. A. B : oît en pai- nieme. G : paienisme. 9. D : Li cardonals s'en consela. 10. A. B. G-. 11. A. B : d'Alemaigne. G : d' AUemaigne estait. 12. A. B. D. G. G : croisait.— 13. D. 14. A. B : com- mandement. — G. J. O : aZ commencement de Damiete qu'il avoient. E: à l'àieue et au coinmenchement qu'il avoient de Damiete.

436 CHRONIQUE d'euinoul [4220

Il avint, quant' li rois Phelippes de France dire qu'il pooieiit avoir .i. roialme por une cité, qu'il les en tint à fols et à musars, (juant il ne le rendirent. Et li cardenals manda à ra|)Ostole (jue Dius lor avoit donné prendre Damiete , et (jue c'estoit li clés de le liere d'Egypte, et que Sarrasin lor voloient rendre le tiere de Jherusalem j)or Damiete, fors le Crac; mais cil de le tiere ne s'i acordoient pas, por le grant secors qu'il atendoient de l'empereur, qui croisiés estoit, et des autres croisiés qui croisié estoient par Crcstienté. Et bien li faisoit savoir que s'il estoient passé ^ à l'aïue de Diu, qu'il aroienl toute le tiere de Jherusalem.

Moult fu liés li aposloles (|uant il ceste noviele, et le fist savoir par toute Crestienlé , et manda c'on fesist mouvoir tous les pèlerins qui croisié estoient et aler. Et après, si manda Fedric, tjui en Alemagne estoit, (ju'il venist à Rome et portast corone, puis alast en le tiere d'Outremer. Li empereres envoia lanlost à Messines, et lor manda qu'il fesissent nés et galies à grant plenté et huisieres^ à chevaus mener ; et c'on fesist en toutes les cités et tous les castiaus t[ui en se tiere estoient sor mer nés et galies à grant plenté pour lui passer.

Quant Fedric ot le message (jue li apostoles li mandoit, qu'il alast à Rome, por lui coroner, il prist congié en Alemagne, et laissa son fil et s'en ala à Rome, entre lui et se feme, et portèrent corones. Mais ansçois qu'il portast corone, rendi il l'apostole^ les cités et les castiaus qu'Olhes li avoit tolus. Quant Fedric ot

1. A. B. D. 0. C : que. 2. A. B : se li empereres estoit passez. 3. A. IV I). G : huissiers. 4. A. B. G : à Vapostole.

4220] ET DE BEKNARD LE TRKSORIER. 437

porté corone, se li commanda li apostoles qu'il alast en le tiere d'Oui remer et f'esist de bien quanqucs il poroit, car gjraut mesticr i avoit ou de lui ' et de s'aïue. Et li empereros li dist qu'il u'i poroit mie si tost aler, qu'il avoil moult de Sarrasins enScsile, al coron' de se tiere, qu'il volroitansçoisoster; car s'il s'en aloit avant qu'il lussent osté hors, il poroient bien prendre l'ille de Sesile, à l'aiue qu'il aroient del roi d'Aufrike^ Et d'autre part, il n'avoit '* mie touille ne Calabre ne Sesile à se volenté, que si home avoient tenut contre lui ; ne qu'il ne s'en pooit aler desci qu'il eust se tiere mise à point. [Mes s'il avoit sa terre mise à point, il passeroit ^ à trop grant gent°,] et moult feroit de bien, à l'aiue de Diu. Apriès si ala li empereres en touille, à une siue cité qui a non Capes.

Quant li chevalier et li haut home [de Puille^] oirent que Fedric avoit porté corone, et qu'il estoit à Capes, assés en i ot qui vinrent à lui à merci, et li rendirent lor tieres. [Et tex i ot qui ne l'osèrent atendre, ne venir à merci, ainz s'enfuirent en la terre d'Outremer^.] Et tels i ot qui^ se rendirent au Temple, et tels i ot dont il ne vaut avoir merci, et les fist prendre et pendre. Ensi li rendi on toute le tiere de Puille et de Calabre, il estoit à Capes, et de Sesile^", fors seulement li Sarrasin qui en Sesile esloient". Mais puis les prist il,

1.0: de Deu. 2. A. B. O. G : al toren. D : au chief.

G : mult de Sarrasins en sa terre et en Cesile. J : eZ coron.

3. Le roi de Tunis. 4. A. B. D. G. G : avoient. 5. A. B. G. J. 0. - 6. A. B. 7. D. 8. A. B. D. G. J. 9. 0 : Asés i ot qui. 10. A. B. D. G. 0 : le tiere de Puille et de Calabre et de Sesile, où. il estoit à Capes. 11. J : fors ce que li Sarrasin tenaient.

438 CHRONIQUE d'ernoul [^220

si les envoia en Puille. en fîst on une grant cité ensus de le mer'. Et encore i sont, mais n'i sont mie tout, ains en a assés es bonnes viles ^ de Puille

manans.^

1. Lucera. 2. A. B : par totes les villes. G : aires en ala par les villes. F. 0 : ains en a par toutes les bones viles. 3. I : mais n'i sont mie tuil, ainz en a par le pais d'entor menans adès. J : ainz en a de manans par les viles de Puille,

CHAPITRE XXXYIIL'

Cornent li roys Jehans de Breue ^ et li Crestien^ furent desconfit par Saracins.

SOMMAIRE.

1221. juin-juillet. Les Croisés espérant que l'empereur Frédéric ne tanle- rait pas à passer Outre-raer, marchent sur le Caire. Des crues annuelles du Nil. Les Sarrasins construisent le Pont de fer. Jean de Brienne ar- rive à l'armée. Le cardinal Pelage précipite le mouvement en avant. Les Sarrasins enveloppent l'armée chrétienne. Le sultan fait rompre les écluses. Le camp des Chrétiens est inondé. Pourparlers de Jean de Brienne et de Jacques de Vitry avec le sultan pour la capitulation. 28 août. Traité avec les Sarrasins. Trêve pour huit ans. Le sultan envoie des vivres aux Croisés. Les Croisés évacuent Damiette cl ren- trent en Syrie.

Or vous ' lairons de l'empereur d'Alemagne à parler, desi que tans et eure en sera. Si vous dirons des Crestiens qui sont à Damiete.

Il oïrent dire que li emperere avoit porté corone, et qu'il fasoit grant apareillement de passer et d'als secorre. Il parlèrent ensanle et prisent conseil, et

I. Cr. G. p. 394-40'!. IL pag. 350-352. liv. XXXII. chap. 16 et 17. M. chap. 206. col. 843-844. 1. A: li roys Jeke. d. A : et Cristien. 4. A. B : Atant.

440 cHROiNiQiiE d'erinocl [^22^,juin

disent qu'il pooient bien aler assegier le Gahaire^ Cil qui ce conseil lor donnèrent en cel point, lor donnè- rent conseil d'auls noier, car je vous dirai qu'il avint- en le tiere. 11 i a escluses^ sor le flun par toute le tiere d'Egipte, por l'eve tenir". Cil fluns a .vu. braj;)ces. Quant li fluns vient à l'entrée d'Egipte, si se part en .VI. "" et tous chiet en le mer de Griesse. Li graindres bras des .vi. si vient en Babilone et al Chalhaire. Babilone est li cités, et li Chalhaire est li castiaus. Desous Babilone force *^ cis bras [et se part en .11. ']. Li une de ces parties si court à Damiete et ciet en le mer, et l'autres si court à une cité qui a à non Fouée^ et ciet ensi^ en le mer'". Et cascuns de ces bras" si porte navie. Entre ces .11. eves, prisent li Crestien tiere, quant il vinrent devant Damicïte; et c'est l'ille dont vous oïstcs parler, il se herbegierent. Or vous dirai des escluses de ces .11. fluns. Il avient cose chascun an que. Te jour de le mi aoust, ront on ces escluses, si que l'eve' s'espant par toute le tiere d'Egypte, si aboivre le tiere. Quant l'eve est retraite, si semme on

1. M : « Carras. « A. B. G : Caire. 2. A. B : avenoit. D. 0 : avient. 3. M : « restœ sive clusic. » 4. G : détenir. 5. G. J. M : en VII. 6. A. B. D. G. J : forche. 7. A. B. G. 8. 0 : Foee. G : Fae. Foua, en amont et sur la branche de Rosette. 9. A. B : ausi.

10. J. ajoute: qui luit chient en la mer de Grèce. Li fluns est en Bahiloinc el au Caire tous enterins. Bahiloine et le Caire sont deus citez l'une près de l'autre, a un mille; el si sont tôles deus acintes d'un mur par devers la montaigne. Et de l'autre part dou flun au Caire a un chastel qui sicl en la pointe d'une montaigne auques en haut. Desouz Babilone, entor une jornée, forche le flum. L'une des parties corl vers Rcsith, et l'autre vers Damiete et chiet en mer.

11. A. B : de ces jhms.

'I22'l, juin] ET DE BERNARD LE TRESORIER. 44^

les blés. Autrement, se celé eveiie s'espandoit [einsi'j, par pluie qu'il face, blés ne venroit en le tiere. Aucune fois avint il, à no tans^, que li fluns ne s'espandit^ mie, ne qu'il n'i avoit mie tant d'eve qu'il se peust espandre , dont il avint que cil de le tiere furent tôt mort de fain.

En cel point que li fluns se devoit espandre ^ alerent il vers le Chaaire\ Dont je vous di que cil lor donna mal vais conseil, qu'il lor conseilla en cel point aler au Caire ^ que li fluns se devoit espandre. Li Sarrasin qui avoient perdue Damiete sorent bien que li Grestien ne [le'] lairoient mie atant, ains iroient apriès en Babi- lone et al Ghahaire. Il lisent sor le flun, li eve esforche^ .i. pont ; si le covrirent tout de fier. Et por ce, l'apeloit on le Pont de fer. Et si fisent bones des- fenses et si le garnirent bien. Et por ce le firent el fort^ de ces eves, pour çou qu'il ne voloient mie que li Grestien peussent aler en l'autre braç del flun, ne monter le flun, ne aler vers Babilone.

Quant li Grestien orent pris conseil d'aler al Gha- haire, il garnirent bien Damiete et s'atirerent por aler. Ançois qu'il meussent, manda li cardenals le roi Jehan, qui à Acre estoit, qu'il venist à Damiete, et qu'il estoient atorné^'' por aler assegier le Ghahaire. Li rois li manda qu'il n'iroit pas, ains garderoit se tiere ; et bien li convenist de le tiere dont il estoit sire, qui

1. A. B. 2. A. B. D : à nos tens. G. 0 : eti nos tans. J : aucune fois est il avenu. 3. 0. A. B. D. E. G : espandoit.

C : espant. 4. M : « Mense Augusti. » 5. G : Chaaine.

6. A. B. G : à la Chaaine. 7. A. B. 8. A. B -.forche.

E : fourche. G : enforce. 9. D : el forcement. E : el fourck. G : M fort. 10. J : aiirié.

442 CBROMQCE DERNOUL [^22^ , juin-juillet

demorée li estoit [et '] qu'il avoit aidiet à con- querrez

Quant li Sarrasin oïrent dire que li Crestien s'apa- reilloient por aler en Babilone et al Chahaire, il alerent logier al Pont de fier, por garder le passage. Apriès, si manda li soudans al cardinal et as ,Grestiens que s'il li voloit rendre Damiete, il li renderoit toute le tiere de Jherusalem, si comme il l'avoient tenue, fors le Crac; et si refremeroit .Iherusalem à son coust et tous les castiaus qui estoient abatu, puis qu'il murent à aler à Damiete; et si donroit^ trives fà^] .xxx. ans, tant qu'il poroient bien avoir garnie^ le tiere des Crestiens. A celé pais s'acorda li Temples et li Ospitaus, et li baron de le tiere. Mais li cardenals ne s'i acorda pas, ains mut, et fist movoir tous les barons de l'ost, fors les garisons, por aler al Chahaire, tout contremont le flun. Et lor navie ala par eve, et il alerent pai" tiere ; si qu'il herbegoient tous jors ansanle l'uns d'encoste l'autre.

Quant li cardenals fu mus, si manda le roi Jehan que, por Diu, eust merci de le Crestienté, et qu'il estoit mus por aler al Chahaire et que, por Diu, venist apriès aus et qu'il paieroit bien çou dont il estoit endetés, .C. mile besans, qu'il devoit por l'ost de Damiete. Quant

1. A. B.

2. Il s'y rendit néanmoins peu après, comme le disent et notre chronique elle-même, à la page suivante, et Pipino, dans son abrégé : « Tandem rex Joannes ... cum omnibus copiis ad obsi- « dionem ipsam pcrvenit. » Ghap. 206. col. 844. Suivant Olivier le Scholastique, Jean de Brienne arriva on Egypte avec la che- valerie de Chypre et de Syrie, dès la fm de juin, et avant la marclie de l'armée sur le Caire, qu'il ne put empêcher. Notre Ris t. de Chypre, t. 1. p. 208.

3. A. B. G : donroicnf. 4. A. B. G. 5. J : pucplées et garnie.

^22^, jiiin-jiiil.] et de berîsard le tre'sorier 443

)i messages dist le roi que l'os cstoit mule por aler al Chahaire, si fu moulL dolans li rois de ce qu'en tel point estoit mus, qu'en grant aventure aloit de tout perdre, si comme il firent ^ Li rois vit bien qu'il li estevoit^ alerapriès, car^ s'il n'i aloit, il lor mescheroit, et il i aroit grant blasme. Il se parti d'Acre et ala apriès aus, et erra tant qu'il vint^ il estoient logiet, au Pont de fer, près de l'ost as Sarrasins. Li vassiel de l'ost aloient chascun jor à Damiete à le viande, et venoient en l'ost, si que l'ost estoit bien plentive.

Or vous dirai que li Sarrasin fisent. Il fisent lor galies armer, qui estoient el flun de Fouée% si les fisent monter desi al pont et avaler coiement el flun de Damiete. Et si avalèrent si coiement c'onques li navies as Grestiens qui à l'autre lés estoient ne s'en per- çurent ^ Les galies as Sarrasins se misent entre l'ost et Damiete. lUeuc s'aresterent , et si prenoient les vais- siaus qui aloient de l'ost à Damiete, et cens qui venoient de Damiete à l'ost, à toute le viande. Ensi closent le cemin de l'eve, et que viande ne pooit venir en l'ost. Et bien fu .viii. jors et plus, c'onques viande n'ala en l'ost. Dont cil de l'ost s'esmerveilloient moult que ce pooit estre, que il ne pooient oïr noviele de Damiete ne ni viande avoir, ne cil de Damiete ne pooient savoir nule noviele de l'ost.

Dont il avint qu'en cel point que les galies des Sarra- sins avalèrent del flun de Fouée el flun de Damiete, estoient .C. galies arivces à Damiete, que li emperere

1. D, J. A. B. C -.furent. G : Jinrenf. 2. A. B : eslo- voit. G. J : convenait. 3. A. B. G : ei. 4. A. B. G : vinrent. 5. J : eZ ftuvi à la Foue. 6. J : ne s'en aparçurent onques.

444 CHROMQCE D'ER?iOiJL [^22^ , juin-juillet

Fedric' i avoit envoies. Et sejornerent, que s'il seussent qu'il eust galyes de Sarrasins entr'als et l'ost, il les eussent pris et secourue l'ost, et si n'eust mie esté Damiete perdue. Quant li soudans sot qu'il avoit galies de Crestiens arivées al port de Damiete, si dist qu'il se poroit bien trop cargier^ des Crestiens à damagier. Il fist coper les escluses, et l'eve s'esparst. Si s'en ala à l'ost as Crestiens, si qu'il furent tout en l'eve, teuls i ot jusques à le geule, et moult en i ot de noies , et lor viande fu toute perdue ; n'il ne pooient n'avant n'arriére n'aler à lor vaissiaus ne venir à tiere. Et si furent si atorné de l'eve, que se li soudans lor donast congié d'aler [arrière^] salvement à Damiete, n'en peust pies escaper, (|ue tout ne fussent noiet.

Quant li rois Jehan vit le meskeance de l'ost, si manda al Soudan qu'il se conbateroit s'il voloit. Et li soudans li manda qu'il ne se conbateroit mie , qu'il estoient tôt mort; s'il voloit, il n'en escaperoitja pies, que tout ne fussent noie. Et si manda al roi, se ses plaisirs estoit, qu'il venissent parler à lui. Li rois i ala, par le congié le cardenal. Si mena maistre Jake ^ avoec lui, qui vesques estoit d'Acre. Quant li rois vint devant le soudant, si fist li sodans grant fieste de lui, et le fist seir d'encoste lui. Apriès li dist : « Sire rois, j'ai grant » pité de vous et de vos gens qui morront"^ à si » grant dolour, car il morront de fain ou il ^ seront

1. A. B : H empererer d'Alemaiyne. M : « centum galeaî im- » peratoris Fridcrici. » 2. D : ù targier. J : tarsier. 3. A. B.

4. D. J : maistre Jaque de Vitry. E : maistre Jaquemon— M : « De assensu legati, ad soldanum magistrum Jacobum de Vitrico, » episcopum Anconitanum, virum eruditissimum. » 5. A. B. I). E. J. C : qui làmeutenl. 6. D. J. A. B. C: et si.

^22^ , juillet] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 445

» noie. Et se vous en voliés avoir pitié, vous les » garandiriés bien de le mort. » Li rois dist : « Sire, comment? » « Jel vous dirai, » dist li sou- dans. « Se vous voliés rendre Damiete, je vous^ fcroie » tous mètre à sauveté, et oster de cel péril. » Li rois dist que Damiete n'estoit mie toute siue, ains i avoit parçonniers assés , et^ sans cens qui parçonnier i estoient^ ne pooit il riens faire. Et s'il voloit, il le i'eroit savoir à auls ; çou qu'il en feroient, il l'otrieroit volentiers; se ses plaisirs i estoit, il i envoieroit. Li soudans dist que biel li estoit, [envoiast iP.] Li rois Jelians i envoia le vesque d'Acre, al cardenal et à cels qui en l'eve estoient , et il lor fist à savoir le requeste que li soudans lor^ avoit faite.

Li cardenals et cil de l'ost s'acorderent ensanle, et moult furent lié de le requeste , et moult lor tardoit qu'il fuissent hors de l'eve. Li cardenals et cil de l'ost mandèrent al roi qu'il fesissent le millor pais^ qu'il poroient, mais qu'il peuissent escaper de il estoient; cjuanques il en feroit, il le tenroient. Li vesques s'en torna arrière au roi, se li fist asavoir çou qu'il avoit trouvet al cardenal et à cels de l'ost. atirerent entre le roi et le Soudan le pais tele que je vous dirai"'. Il rendirent Damiete au Soudan, et si rendirent quanques il avoient en prison de Sarrasins en Crestienté de le mer^. Et li soudans rendi tous les Crestiens qui^ estoient en le tiere en prison, et en

1. A. B : je les.— 2. A.B. D. 3. A. B. D : qui part i avoient. 4. A. B. D. 0. G : si enveoit. 5. D. 0 : li. 6. A. B : plait. G -.plet. D : pes. 7. Le 28 août 1221. H. p. 351. note c. 8. J : rfe Sarrazins en prison en lor pooir. G : en prison deçà mer. 9. A. B, I). C : qu'il.

AAiJ CHRONIQUE o'ERisorL [-^22^,août

le tiere le Coredex, sen frère. Et dist qu'il rendroit avoec le Sainte Crois. 11 rendi une crois , mes ce ne fu mie li crois qui fu perdue en le bataille ^ Et si lisent trives .yi. aiis^ en le tiere de Jherusaiem, en tel point qu'eles estoient ' quant li rois Jehan p(jrta corone.

Quant li pais fu ensi creantée d'une part et d'autre, li soudans envoia des vilains de le tiere por faire pons et escluses, par li Grestien peuissent issir de l'eve [et aler à sèche terre ^]. Apriès si dist U soudans al roi qu'il voloit avoir ostage del cardenal, de le pais à tenir, tant qu'il et ses gens seroient entré en Damiete et que li Grestien en seroient hors. Li rois Jehans demora en ostage et li vesques d'Acre. Apriès si envoia en Damiete, et fist on issir hors les Grestiens ; si le délivra on au Soudan et tous les prisons qui ens estoient. Quant ensi orent fait, li rois se seoit devant [le soudan'^], si com- mencha à plorer. Encore adont estoient li Grestien en l'eve, il moroient de faim. Li soudans regarda le roi et le vit plorer, se li demanda "^ : « Sire, porcoi » plorés vous? Il n'afîert pas à roi qu'il doie plorer, » Li rois li respondi : « Sire, j'ai droit se je pleure, » car je voi le peule" que Dius m'a cargié morir de » faim à si graiit glave*, et si sont en celé eve. » Li tente le Soudan estoit en .i. tertre, si ffuil veoit bien l'ost de Grestiens qui estoit el plain par desous. Si ot li soudans pitié de çou qu'il vit le roi plourer et de ce

1. J : li rois Gui fu pris. G : en la bataille devant Acre. 2. C. D. O. A. B. G. H (pag. 3ôl) : à huit ans. 8. D : leles coin eles estoient.— 4. A. B. G. J. 5. A. B. C. A. B. C : demande. 7. A. B : pueple. 0 .pule. 8. A. B. 0 : glaive. [) : (jlaive couie de faim, Ci : à si ifrani mesaige {mesaise ! ] comme de faim.

•1224, août] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 'î^iT

qu'il li dist, si plora aussi. Apriès, si li dist qu'il ne plorast plus, qu'il aroient à mangier. Il lor envoia .XXX. mil pains por départir entre als as povres et as rices. Et ensi lor envoia il .iiii. jors, tant qu'il furent hors de l'eve. Si lor envoia il le marceandise del pain et de le viande à cels qui acater le poroient, qu'il l'aca- taissent ; et as povres envoia chascun jor del pain tant qu'il furent illeuc, bien .xv. jors'. furent dessi adont que li messages revint arrière al Soudan [et li dist -] qu'il ravoit Damiete ^

Quant li messages fu venus, li soudans lor donna congié qu'il s'en alaissent. Il s'en alerent à Damiete , si entrèrent es nés et s'en alerent chascuns en son païs * . Et li rois s'en ala à Acre, et si laissa chevalier ^ en le tiere por chercier les cités et les castiaus et les viles, por délivrer ° les Crestiens qui estoient en prison. Quant il vint à Acre, si envoia ensement les chevaliers à Damas et en Jherusalem et en le tiere le Coredix , por délivrer les Crestiens qui en prison estoient.

1. J : et as povres gens envoia chascun jor dou pain bien par XV. jors. 2. D. 3. A. B : au soudan qu'il avoit envoie à Damiete. G : aw Soudan qui avoit esté à Damiete. 0 : qu'il avoit Da- miete. — 4. A. B : en son esduit. ^ : en sa terre. G. Z : en son endroit. M : « Quibus reversis, ... discessit exercitus. » Gaptivi quoque Ghristianorum ubilibet relaxati sunt. » Fin du chap. 206. 5. A. B. G. CD: laissa Crestiens. 6. J : por rendre Jes esclas (et) por délivrer. G '. et délivrèrent.

CHAPITRE XXXIX/

La clamor del roy Jehan à Vapostoille del cardinal.

SOMMAIRE.

1222-1223. JeandeBrieniie se rend en Europe, pours'occuperdn mariage de sa fille Isabelle, héritière du royaume de Jérusalem, et se plaindre au pape du légal Pelage. Ses Voyages. 11 épouse Bérengère de Castille. 1224. Il rejoint l'empereur Frédéric en Fouille. 9 novembre. 1225. Frédéric II épouse Isabelle de Brienne. Il la néglige bientôt et préfère une de ses cousines. Rupture de Jean de Brienne et de Frédéric. Jean de Brienne se retire à Rome. Bon accueil qu'on lui fait à Bologne. Mauvais traite- ments qu'endure l'impératrice. 122G. Réconciliation momentanée de Frédéric et de Jean de Brienne. Honorius III remet à Jean de Brienne le commandement des terres du S. Siège.— 1228. Naissance de Conrad. Mort de l'impératrice Isabelle de Brienne.

Quant li rois ot jjartout^ les Grestiens fait délivrer, ce c'on en pot trouver, il iist un sien parent bailliu ^ de le tiere qui avoit à non Oedes de Montbeliart\ Et

1. Cf. G. p. 406-412. H. pag. 353-360. liv. XXXII. chap. 18 à 20. M. chap. 207. col. 844 et 845. N. col. 647-648. Qualiter imperator régis Hierusalem filiam duxit uxorem. Qualiter imperator cum reye reconcilialns est.

2. A. B. E, 0: par tote Paienime.— 3, G : Quant le roi ot ainsi fait, si fist un sien parent haillif. 4. M : « His peractis, rex

» Johannes quuni venisset Acon, reliclo inibi Oddone de Monte- » Baliardo. )- Col. 8^4. Commencement du chap. 207. *

^222-^223] CHRONIQUE 1)K BERNARD LE TRÉSORIER. 449

puis passa le mer por venir à Rome à l'apostole, et en France au roi, et à l'empereur d'Alemagne, et al roi d'Engletiere, por avoir secors de le tiere d'Outremer; et por plaindre à l'apostole de le honte que li cardenals li avoit faite devant Damiete ; et por querre baron avoec se fille ^ , qui le tiere peust gouverner et mainte- nir. Li rois ariva en Puille. Quant li emperere sot qu'il estoit arivés, si ala encontre lui, si le recuelli à grant honor , et grant joie fist de se venue. Puis li fîst doner cevals et sommiers, à lui et à toute se mainsnie, et si ala avoec lui tant qu'il vint à l'apostole.

Quant li apostoles sot que li rois Jehans d'Acre venoit, si ala encontre lui, et [le^] recuelli à grant honour. Apriès, se plainst li rois à l'apostole et à l'empereur de le honte et de le perdission^ de Damiete, que li cardenals li avoit fait faire de le cité^ atirerent li apostoles et li empereres que jamais parçon^ ne feroit on de tiere ne de cose c'on fcsist ne conquesist, puis c'on seroit mut à aler Outremer, ains seroit tout al roi de Jherusalem^

En cel point que li rois Jehans fu arivés en Puille, fu li femme l'empereur morte'. Et quant il orent fait cel atirement, dont je vous di, de conquestes deiiiorer al roi, li apostoles parla à l'empereur de le fille le roi Jehan prendre à feme. Li emperere respondi à l'apos- tole qu'il le prenderoit volentiers par le grant amor

1 . G. J : « sa p,lle. 2. A. B. J. 3. A. B : et des partisions .

D : jyerdicion. E : perte. 4. G. J : se plaint de la honte que li chardonax li avoit faite. 5, A. B. G. J '.partisions. E iparchon.

6. M : « libère et absolute spectarent ad regem. » J : de chose que l'en conquist j^uisque l'en seroit meuz à aler en la terre de Jérusalem. 7. Constance d'Aragon mourut le 23 juin 1222.

29

450 cHRO>"TQrE d'erînoul [I222-'I223

qu'il avoit al père. le plevP en le main l'apostole, et li rois le plevi aussi. Et moult en fu liés et joians , et grasces rendi à Dame Diu de ce que se fille seroit si hautement mariée. Quant ensi orent fait, si se dépar- tirent , et li emperere s'en ala en Puille et li rois Jehans s'en ala avoec l'apostole à Rome, on le recueilli à procession. Et d'illeuc s'en ala en France, au roi Phelipe, qui adont vivoit et grant honor li fist. Apriès, en ala en Angletiere au roi , et si retorna arrière en France. Et si vous di bien por voir qu'en toutes les tieres, et es cités et es castiaus et es bours il venoit M et aloit, on venoit contre lui à porcession et grant teste

li fasoit on.

Ne demoura gaires, puis que li rois Jehans fu en France, que li roisPhelipes morut. Si laissa grant avoir al roi Jehan, et^grant avoir à envoier^ en le tiere d'Outremer. Li rois Jehans fu à Saint Denise à l'enfouir le roi Phelipe. Apriès si fu au coroner le roi Loey, sen fil, à Rains^ Puis pristcongié en France, si s'en ala à Saint Jakme. Al revenir k'il faisoit de S. Jakme, fu li rois d'Espagne à l'encontre à Burs", qui granl honor li avoit faite en se tiere et fist encore. li dona li rois à feme une sereur qu'il avoit ^ Si l'espousa et grant avoir li donna.

Quant li rois Jehans ot espousée se feme, si prist

1. A. J3 : la plavi. G : la plein. J : l'ajia. N : « spo- » pondit. » 2. A. B. D : et granl ihresor por porter. 3. Juillet- août 1223. 4. M : « apud Burs. » Burgos.

5. Béi-cngoro de Castille, fiUo d'Alfonse IX, sœur do Ferdi- nand lU. Mal dans G : à feme une sereur à se femme. A. B. D : une seror qu'il avoit à feme. G : U7te soue sçror à famé qu'il avoit. .1 : // dona à feme une suer qu'il avoit.

^ 224- 1225] ET DE BERNARD LE TRESORIER. A%\

congié, si s'en ala en France. Quant il ot esté une pièce en France, si prist congié al roi Loey et as barons. Si dist ((u'il l'en estevoit râler, que li emperere l'atendoit en Puille por passer mer et por se fille espouser. 11 s'en ala, et erra tant qu'il vint en Puille à l'empereur. Quaiit il fut là, li emperere li dist qu'il mandast se fille et le fesist venir par deçà, si l'espouseroit; qu'il ne voloit mie ore passer, por le trive'qui estoit en le tiere d'Outremer. Li rois le manda, on li amena en Puille. Quant ele fu venue, li emperere l'espousa' et li fist porter corone. Et moult ama le roi Jehan, et le fist segnor de se tiere.

Li dyables d'infîer, qui vit le grant amor entre l'em- pereur et le roi, fu moult dolans. Si entra et cor- l'em- pereur et li fist aamer une nièce le roi Jehan, qui estoit venue d'Outremer avoec se fille. Si le.despucela, s'i mist s'amor et se femme en haï. Il avint .i. jour que li rois Jehan ala veoir i'emperéis se fille , si le trouva en se cambre moult corecie, se li demanda que ele avoit. Ele li conta qu'ensi faitement erroit^ li emperere de se nieche, et qu'il l'avoit despucelée et le tenoit, et li en haoit. Quant il l'oï, s'en fu moult dolans, et si conforta se fille au plus qu'il pot , et prist congié, et s'en ala à l'empereur il estoit. Quant il vint à l'empereur, li emperere se leva encontre lui et le bienvegna. Et li rois dist qu'il ne le saluoit pas , que si desloial home [ne si mescreant^] comme il estoit ne devoit on pas saluer ; et que honni fuissent tout cil par cui il estoit

1. Frédéric II épousa Isabelle de Brienne à Brindes, le 9 no- vembre 1225. Hist. de Chypre, t. II. p. 22G. 2. J : el cuer. 3. A. B : esloil. G. J : et ele li dist que tout ainsi avait fait. 'i. A. B. E.

/(;>2 CHROMQUE d'eRNOUL [^ 223

cmperere, fors seulement le roi de France; et, se por pecié ne li fust et por reproce qu'il en aroit, il ne man- gast jamais', ains l'ociroit [tout maintenant'], en le pièce de terre ^. Quant li emperere ces paroles, si ot grant paour; se li commanda qu'il vuidast se tiere, et qu'il li rendist l'avoir que li rois de France li avoit laissié avoec le tiere d'Outremer ^ Li rois dist que l'avoir ne li renderoit il mie, mais se tiere vuideroit il, qu'en le tiere à si desloial home ne demoreroit il mie. Et assés plus le laidenga que je ne vous die ore.

Li rois Jehan ala hors de le tiere et ala à Rome. Cil de Rome oïrent dire que li rois venoit, et partis estoit de l'empereur par mallalent. Si alerent encontre et le recuellirent à grant honor, et li pormisent^ qu'il li aideroient de .XL. mil^escus, se mestier en avoit. Et il les en mercia moult. Si parti de Rome et ala en Lom- bardie, à Bologne le Grasse^, et séjourna là, il et se feme. Quant cil de Lombardie oïrent dire que li rois Jehans estoit venus à Bologne le Crasse, si s'asanlerent li consaus des cités*, et par le commun [conseil®] de le tiere'", et alerent al roi à Bologne, et le bienvegnierent. Et li disent que tous li communs de Lombardie et des cités et des castiaus li mandoient salus, et que bien lïisl il venus; et que s'il voloil,~il li renderoient toute

1. A. B : i7 ne mangeroit jamais. 0 :ja. 2. D. E. 3. E : et pour reproche, il l'ochirroit en le pieche de lerre tout maintenant.

G. J : fors le roi de France (I : et sauz l'apostoile de Rome) ; et que se por pechié ne fust, il l'ocirroit. 4. D : li avoit lessié à porter à la terre d'Outremer. E : laissié pour le tere d'Outremer.

T). A. B. D. J : promistrent. 6. A. B. G. J : LX. mil. 7. M : « in Pin,!,'ui Bononia. » Col. 8'i5. 8. A. B. 0: les poestét des cités. G : li postât des cités. J : les poestas. 0. A. B.

1(1. I) : au consoil de /oie la lerre.

^ 225-4 226] et de Bernard le trésorier. /,oS

le tiere, et [le'] coroneroient et feroientroi de le tiere. Li rois les en mercia, et si lor dist qu'il ne le refusoit pas * , mais li tiere estoit se fille qui dame en estoit et empereris; ne [en^] se tiere ne feroit il mie force ne cose que faire ne deust , ains soufferroit et sejorneroit^ en le tiere tant com il volroient.

Quant li empereres ot bani le roi Jehan de se tiere, si fu moult dolans de le honte que li rois liavoit dite. Si ala se feme estoit, si le bâti tant durement qu'à poi qu'ele"' n'en perdi l'enfant [dont ele estoit grosse ''j. Apriès le fist enfremer en .i. castiel. fu grant pieclie, desci à celé eure qu'il dire que li rois estoit en Lom- bardie. Adont le fist mettre hors de prison, et si le tint à amor si comme faire dut'.

Li emperere ot grant paour que li rois ne li tolist se tiere par l'aïue qu'il avoit de le tiere de Rome et de Lombardie ^; et manda le roi^ qu'il iroit à lui à merchi, et qu'il [li'^] amenderoit le honte et le vilenie qu'il li avoit laite [et dite"]. Li rois ne volt mie guerroier en- contre se fille n'cncontre l'empereur, ains li manda arrière qu'il li pardonroit moult volentiers, par si qu'il li amendast le honte qu'il li avoit faite. Li emperere amassa grant gent por aler guerroier les Lombars qui contre lui avoient tousjours esté. Et quant il vint en

1. A. B. 2. J : ne refusoit lor offre. 3. A. B. I). 4. G : mes soffrissent il il demorroil. ,] : mes souffrissent se el. il sejovr- neroit. 5. I) : tant que par un pou quel ne fu morte et quel. 6. 1). J : enceinte, G : si la hati durement, qu'à poi que l'en- fant que ele avoit en son ventre ne perdi. 7. D : si la tint à honor comme sa famé. 8. N : u timens ne rex ipse Johannes terrain » ('jus invaderet, sciens eum Romanos et Langobardos favorabiles » habere. » Col. 648. 9. A. B : si li manda. G : por ce li manda. 10. A. B. 11. A. B. J.

454 CHROMQCE d'er.nocl [^ 226- 1228

Lombardie, li rois cstoit, se li cria merchi, et li rois li pardonna sen maltalent. Puis mist li rois pais entre les Lombars et l'empereur, por l'onor que li Lombart li avoit faite. En tel manière, com je vous dirai, fu li pais faite : que toutes les cités communes de Lombardie amenderoient ' à l'empereur çou qu'il li avoient meffait par .v*^. clievaliers à mener ^ .11. ans à lor coust en le tiere d'Outremer. Quant li empereres ot fait pais à ches de Lombardie, si s'en ala en Puille; et li rois demora en Boulogne ^ por çou qu'il ne voloit aler avoec l'empereur.

Quant li apostoles 01 dire qu'il avoit pais^ entre le roi et l'empereur, si manda le roi Jehan qu'il alast à lui, et il i ala. Et tantost com il vint devant lui, li apostoles^ li commanda se tiere à garder, et qu'il reçeusttot et vesquist de ses rentes ^

Il avint que li feme l'empereur se délivra d'un fil, et ne demora gaires après qu'ele fu morte'. Quant li rois Jehan dire que se fille estoit morte, si fu moult

I. A. B : amendèrent. 2. J : à envoier cl à tenir. 3. A. B. G : à Boloigne.— 4. A. B. D. E. L J. 0, comme C— M : « cum » eo pacem composuit. G : Quant li apostole dire qu'il avoit maufalent. 5. D. mal : li emperieres.

6. A. B. J : et vesquil des renies. G : sa terre à garder et vivre des rentes. M : <( His compositis, rex in Apuliam reversas » est; cui papa patrimonii Beati Pctri curam commisit, et pro ip- » sius sumtibus sin.^ulos ejusdem patrimonii r.diius assisnavit. » Chap. 207- col. 845. N: « His compositis, imperator in Apuliam 1) rcmeavit, rex vero in Bononia pinirui remansit; quem non » multo post Innocentius IV ad se vocavit et universum patrimo- » nium Beati Pétri ei tradidit, concedens ei ut universos roditus a ojusdnm patrimonii ad proprios sumtus liabcrot. « Col. 648.

7. Conrad naquit à Andria \o 2.') avril 1228. Isaijollc do Brienno mourut quelques jours après sa délivrance.

■1228] ET DE BEUNAUD LE THÉSOUIER. /i55

dolans , et toutes voies, lu il liés que oir i avoit demoré'. Li apostoles commanda à l'empereur qu'il passast en le tiere d'Outremer et fesist son pèlerinage, et s'il ne le faisoit^, il en tenroit^ justice.^ Et li empereres li manda que volentiers passeroit, et jour prist d'entrer en mer.-'

1. M : « In hoc tamen consolationeirrresumens, quod hœredem )) reliquerat. » Ghap. 207. col. 845. N : « In hoc tamon conso- )i lationem aliquam resumens, quod superstitem rehquerat sobo- » lem. » Col. 648. i : de ce que hoir esLoit de lui remés. D. ajoute : cil avoit à nom Carrai.

2. A. B : s'il ni aloil. 3. A. B. D : il en ferait. 4.1: que s'il ne passait, il en ferait jatise. 5. E : e^ prisent jour d'entrer en mer.

CHAPITRE XL.'

Cornent Federich Vempereres pasa mer.

SOMMAIRE.

H"??. Arinemenls et préparatifs ordonnés à Brindes par l'empereur Fré- déric, en vue de la Croisade. 8 septembre 1227. L'empereur met à la voile. 11 débarque dans la nuit pour rentrer à Brindes, en laissant la flotte continuer sa route vers la Syrie. Il est excommunié. (Fin pos- sible de la Chronique d'ErnouL) Coradin, sultan de Damas, confie en mourant la garde de son fils à un leniplier espagnol, transfuge et non renégat. Les Croisés el les barons de Syrie réparent ou construisent les châteaux de Sidon, de Chàteau-Franc el de Césarée.— 1228. 28juin- 21 juillet. L'empereur part délinitivement pour la Terre Sainte sans avoir été relevé de l'excommunication. Il arrive en Chypre. Il envoie son maréchal à Acre pour suivre des négociations secrètes avec les Sarra- sins. Le maréchal maltraite les Croisés qui voulaient ouvrir les hosti- lités. Ses fréquents pourparlers avec les messagers du sultan. Les gens du pays dénoncent sa conduite au pape.— 7 septembre. L'empereur arrive à Saint-Jean d'Acre. Ses démarches pour obtenir l'absolution du Saint- Siège. Résistance du pape. Violents démêlés de l'empereur el des Tem- pliers. Novembre. Frédéric se rapproche de .(érusalem. Le sultan, con- naissant les dillicullés de la siluation de reiiii)ereur, se montre moins disposé à tenir les premières conventions faites j'iéc lui. 1228-1229.

1. Ci". G. p. 412-/i2G. lî. pair. 363 à 379. liv. XXXII. chap. 23, au liv. XXXIll. cliap. 12. Aulro Continuation. Pag. 563. 566- 579. Toutos deu.v différentes de notre chronique.

Pipino a deux fois utilisé ce chapitre, en l'attribuaiit chaque fois à Bernard le Trésorier. N. liv. TT. de la fin du chap. 29 au chap. 31. col. G'i8-6.5(). —M. de l;i lin du chap. 207 au chap. 208- et dernier, col. 845-846.

^227J CHROINIQIIE DE BERiNAUD LE TRÉSORIER. 457

Nouvelles négociations du sultan et de l'empereur. Trailc secret qui se discutait entre eux. 1229. 18 février. Le traité est enlin conclu. 18 mars. L'empereur est couronné à Jérusalem. Que le traité de l'empereur était mauvais et dérisoire. Frédéric notifie son couronnement aux princes de la chrétienté. Le pape défend les réjouissances publiques et main- tient l'excommunication. Il charge Jean de Hrienne d'envahir les domaines derempire.— 1^'niai. L'omjiereur s"embarque à S.Jean d'Acre pour revenir en Fouille. [Fin plus probuhle de la Chronique d'Ernoul).

1229-1230. Il reconquiert les terres occupées par Jean de Hrienne.

1230. Le duc d'Autriche s'entremet de la paix entre le S. Siège et l'empereur.— 28 août. L'empereur est absous. 1229-1230. Les Sar- rasins attaquent Jérusalem.

Quant li apostoles sot le jour que li emperei*e dut mouvoir, si manda que tout li croisié qui estoient en Crestienté meussent et alaissent ' à Brandis, que li emperere passeroit. Li emperere fu en Puille, et moult fist grant apareil faire de nés [et degalies'] à Brandis, et fîstcargier de viande et de gent, quant li peleiHn furent venu . Quant les nés furent cargies, et il ^ furent recuelli [enz^], et il orenttans, si murent. Li emperere entra en une galie et mut tout avant, et tôt li autre vaissiel après. Quant ce vint le viesprée^ et il fu anuitié, li emperere fist retorner se galye tôt coiement, c'onques nus ne le sot fors cil de le galye. Si s'en retorna arrière à Brandis , et cil qui es nés estoient passèrent oultre et ariverent à Acre.

Quant li apostoles dire que li empereres*' estoit ensi retornés, si fu moult dolans, et moult coureciés de çou qu'il avoit ensi trais les peleritis. Il l'cscommenia et fîst escumeniier, comme laron et traiter et deloial

1. A. B : si manda par tote Crestienté à lot ciaus qui croicic es- toient qu'il alassent. 2, A. B. 0 : et moult fist yrant apa- rellemcnt faire. 3. D : li pèlerin. i. D. 5. A. B : au vespre, (3. A. B. G. J. C : h rois.

458 CHRONIQUE n'ERNOUL [1227

(ju'il estoit , et manda par tout qu'ensi faitement avoit traï les pèlerins'.

Li empereres envoia messages al Soudan por faire pais forrée % si com vous orrés que pais i fu, aucune fois.

En cel point '^ que li pèlerin arrivèrent [h Acre ^] qui adont murent, lu li Goradix mors\ Si demora se tiere à ses enfans qui petit estoient. Li CoradLx, devant ce qu'il morust, laissa se tiere et ses enfans en baillie à .1. chevalier [qui estoit nez d'Espaigne"], qui frère avoit esté del Temple. Por çou li laissa en baillie que, puis qu'il avoit laissié les Crestiens et estoit venus à lui, l'avoit loialmcnt servi ; et por ce qu'il ne vaut onques devenir Sarrasin, ains tenoit se loi', fors tant qu'il aloit contre les Crestiens. Et por le loialté qu'il vit en lui, de se loi tenir et garder, sot il bien qu'il li garde- roi t loialment se tiere avoec ses enfans. Por ce li laissa en baillie, et nel vot mie as Sarrasins laissicr; qu'il sa voit bien qu'iP le renderoient à son frère le Soudan de Babiloiie.

Ouant li Coredix fu mors, et li trive fu route' en le tiere d'Outremer, se li pèlerin qui à Acre estoient et cil de le tiere euissent cief de signor'" qui les condui- sist, il fuissent entré en le tiere de Sarrasins. Et por ce qu'il n'avoient point de signor, prisent il conseil qu'il.

\. D. so tormine ici ot à cps mots : avoil trdix les pèlerins, el qu'en V escommenyast par lotes les terres l'en creust Dieu. Voy. la Descript. des mss. 2. E : pais fourée. G : pes forcé. 1. J : pes forrée.— O : pais forée.— 3. Cf. M. cliap. 208 et dernier de Mura- tori. Col. 846 : De ohilu Conradini soldani Daviasci. \. G. J. O.

5. Malec Mnadam mournlau mois do novembre 1227.— (i. 1. J.

7. M : « nontamcn (Uirislianui lidei apostatam. » 8. J : qu'il doloil qu'il. 9. G : mortes. iÛ. A. B : chief de lor sujnor.

^ 227-1 228] ET J»E BERNARD l,E TRÉSORIER. 459

iroient f'renier [un chastel à ^] une cité qui esta .xii.^ liues de Sur, [qui a à non Saiete^], et il i alerent. Et quant il vinrent là, consaus lor aporta qu'il ne le fre- maissent mie [là il avoit esté ^] , car trop i aroit à faire ^ et si ne seroit mie^ moult deffensable encontre Sarrasins; ains feroient .i. caslel en une illete qui est devant le cité, et feroint caucie de le tiere desci là. Et que se li castials i estoit fais, il ne douteroient nul assaut c'on lor peuist faire, ne par mer ne par tiere. Tôt cil de Tost s'i acorderent et sejornerent illeuc et fremerent le castel tout l'ivier, et lisent le caucie; et al cief ' de le cauchie, lisent [une porte et^] une tour moult deffensable^.

En cel ost ot moult d'Englès. Et s'i ot .11. evesques d'Engletiere qui moult fisent de bien en l'ost et aillors encore, si com vousorés. Li Alemant ne furent mie à cel castel fremer, ains estoient à l'Hospital des Ale- mans, qui estoit à .m. liues d'Acre, il fremoient .1. castiel qui avoit à non le Frans Castiaus'". Quant li pèlerin orent l'ivier fremé ces .11. castials, il alerent en l'esté" apriès à Gesaire, s'en fremerent .1. [autre'']. S'il eust Soudan à Damas, il n'eussent mie fremet ches castiaus; ne li Espaignas'^ qui le tiere [douGoradin et ses enfans'^] avoit en baillie n'osoit lassier le tiere ne desgarnir que li soudans de Babilone n'i entrast, qui autre cose ne

1. J. 2. A. B. J : à VIL - 3. A. B. G. J :

qu'il iroient fermer un chastel à Suiete. 4. J. 5. M : « nimiy » ?umtuosum erat. » Col. 846. 6. A. B: ja.— 7. J. 0: et au pié.

8. A.B. 9. G: une porte (0: une tor et une porte) bien deffensable.

10. M : « Gastellum Francum. » H. G. I. J. 0. A. B. C. E; en l'iver. 12. G. J:à Cesaire, il rejennerenl le chastel.

13. A. B : ne li Espaignois. ,] : li Espagnols. 14. J.

/♦60 CHROiMQUE d'ernoul [1228

gaitoit mais qu'il peust desireter ses ne vos. Por ce fremerent li Crestien ces castiaus en pais'.

Quant li message que li emperere avoit envoie al Soudan furent revenu à lui arrière, il entra tantost en mer, et s'en ala en le tiere d'Outremer, sans ce qu'il le fesist savoir à l'apostole, et qu'il se fesist asolre; ains s'en ala [toz^l escumeniés. Quant il vint droit en l'ille^ de Cypre, si torna et descendi à tiere ^ et sejorna illeuc. Il envoia sen mariscal à Acre et ^rans gens avoec por pailler al Soudan, et por savoir le fin de le pais qu'il li avoit mandée^. En cel point que li ma- riscaus arriva à Acre, estoient encoi'e li pèlerin à Saiete*^.

Il orent envoies .1. jor lor fouriers en Paienisme por de le viande'. Li fourier i alerent et grant bestaille en amenèrent, et grant gaaign, comme de pain et de blé et de car, et d'ommes et de femes et d'enfans. Li mariscaus l'empereur, qui à Acre estoit, dire que li

1 . Pipino résume ainsi ces derniers faits : « Et quia etiani His- » panus, regni ejus balivus, soldani Babylonije timons insidias, se » a Cliristianorum otïensionibus abstinehat. « 11 raconte ensuite comme témoignage des sentiments généreux de Coradin, l'entre- vue des deux religieux latins avec le sultan, que notre chronique a rapportée précédemment (pag. 431), en l'annonrant par ces mots : « De humanilate autem et clementia ejusdcm Conradini » soldani, idem Bernardus tulc refert excmplum. d -M. col. 8A6. Après ce récit, se termine le XX livre de la chronique générale de Pipino inséré dans la collection de Muratori sous if- nom de Bernard le Trésorier.

2. A. B. J. 3. A. B. J. G : endroit en Ville. 4. Parti de Brindes le 28 juin, Frédéric arriva en Chypre le 21 juillet.

5. N : « misitque ad soldanum ^Egypti marescallum suum cum I) gente non pauca ut percuss;c pacis tractatum complerot. » Col. 649. 0. A. B. C. J. O. G : à Cesaire. 1. G : por querre viandes. J : querre viande.

^22S] ET DE BKRNARU Li; TRKSOUIER. /^C^

Grestien cstoient eiilré en Paieuie el granl gaagn en amenoient , il monta et tîst monter ses chevaliers et ses gens, et ala encontre. Quant li fourier virent le mariscal et il connurent les ensegnes', il furent moult lié, car il cuidoient qu'il venist por eus aidier, s'il en avoient mestier. Mais cil n'en avoient talent, ains lor coururent sus, et tuèrent et navrèrent et bâtirent, et tolirent çou qu'il avoient gaagnié, et le renvoierent arrière en Paienie.

Quant li mariscaus ot ensi fait, [s'enretorna arrière à Acre^]. Si s'en aloit bien [sovent^] d'illuec en .i. lieu de le tiere as messages le Soudan, qu'il ne voloit* mie qu'il venissent à Acre por parler de le pais, ne que cil de le tiere seussent lor conseil. Cil de le tiere envoie- rent .i. message à l'apostole, et si li fisent savoir com- ment li gent l'empereur les avoient [maP] baillis; et comment il aloient souvent parler as Sarrasins, mais il ne savoient porcoi estoit.

Quant li emperere ot une pièce sejorné en Pile de Gypre, se li iist ses mariscaus savoir^ ce qu'il avoit trouvé el Soudan. Et il, tantost com il sot ce que ses mariscaus avoit fait al Soudan, si entra en mer et ariva à Acre'. En cel point qu'il ariva à Acre, estoient li Grestien devant Gesaire, il avoient fremé .i. castiel. Et d'ileuc s'en alerent à Jaffe% il en fremerent .i.

l. J : hanieres. 2. A. B. G. J. 0.

3. A. B : D'iluec n'en aloit bien sovenl. J : D'iluec aloil sou- vent. 4. A. B. J. G : voloient. J : car il ne volait. N : « multa cum nuutiis soldani habuit clandestina coUoquia. » Col. 649. 5. A. B. G: J : cornent les gens de l'empereor les me- naient, — 6. J : ses mareschaus lifist asavoir. 8. Le 7 septem- hro 1228. 7. A. B. G : à Jafe. 8. A. B. G. .1. (). C : Scaife, et plus bas : ù JnfJ'e.

462 CHRONIQUE d'ernottl [-1228

autre moult fort. Quant li empereres fu à Acre, si fist tantost armer une galye et mist ses messages ens et les envola à l'apostole. Et li fist asavoir qu'il estoit en le tiere d'Outremer, et qu'il l'assausist^; et il li creantoit que jamais ne repasseroit^ le mer arrière devant ce qu'il aroit délivré le tiere de Jherusalem de Sarrasins et conquise et mise en le main de Crestiens. Li apos- toles li manda qu'il ne l'asolroit mie, qu'il ne le tenoit mie por Crestien; ains estoit passés comme faus et comme traistres. Apriès si manda al patriaixhe, à l'Hospital et al Temple qu'il ne fussent n'a sen conseil, n'a sen acort, car il estoit traitres et mescreaiis ; ne à cose qu'il fesist ne se tenissent^; et que bien gardais- sent le tiere por lui \ car il n'i feroit ja bien, si cum il cuidoit.

Un jor se porpensa li emperere de grant traïson^ Il i a .1. castiel del Temple qui a à non Castiaus Pèlerins*'; si entra ens. Quant il fu dedens, si trouva le castel bien garni et moult fort. Il dist qu'il voloit avoir le castel, et qu'il le' vuidaissent, et manda ses homes por garnir**. Li Templier coururent as portes'^ et les fer- mèrent, et disent que s'il ne s'en aloit, il le meteroient en tel liu dont il n'isteroit jamais. Li emperere vit qu'il n'avoit mie le force dedens et qu'il n'estoit mie bien amés ou pais '^ si vuida le castel et ala à Acre, et fist

1. J. O : iassousist. 2. A. B. C : passeroil. G : jamès ne torneroit ariere. 3. N : « Mandavit papa pr.elatis trans- » marinis ne ejus consiliis intéressent nec se illius actibus im- » miscerent. » 'i. J : el bien se gardassent de lui, G : se prissent garde de lui. .">. J : malice. 6. A. B. J : Chastel Pel- lerin, G : Chastiau Pèlerin. 7. A. B. J : li. 3. A. B : el manda ses genz por la garnir. i). A. B : del chastel. II). A. B : de cex de/ pais.

^22S] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 463

armer' ses gens, et ala à le maison del Temple. Si le vaut prendre et abatre , et li Templier le^ desfendirent bien, [que la maison éstoit fors^]; tant comme consaus aporta Tempereur qu'il ne faisoit mie bien , si se traisl ariere. Si se parti d'Acre, etalaà Jaffe, onfremoit le castiel , et manda al Soudan qu'il li fesist les conve- nences'' por coi il avoit le mer passé.

Li soudans sot le discorde'^ qui estoit entre lui et l'apostole et les Templiers et cels de le tiere. Se li manda qu'il ne li ^ pooit mie bien tenir les convenances de le tiere, car li Caredix, ses frère, estoit mors; il ne pooit mie faire de se tiere à son talent, que elle estoit demoré en baillie ; ne si home ne li voloient mie otrier ce que ses frères li avoit en couvent. Li empe- reres fist sen sierement, et se li manda que s'il le faus- soit de ses'^ convenences, seust il bien que jamais n'aroit repos si l'aroit^ desireté de toute se tiere; car il, à l'aïue de Diu et al grant avoir qu'il avoit, le pooit il bien faire, et de le gent qu'il averoit de se tiere.

Quant li soldans ce, si manda ses neveus et cels qui le tiere avoient en baillie que il ne pooit mie faire pais à l'empereur sans auls, tele com il avoit en couvent. Li bailliu^ vinrent'*' al Soudan. Quant il furent venu, li soudans lor dist : « Signor, veés ci l'empereur » d'Alemagne, qui ci est venus por une pais que nous » aviemes porparlée entre moi et mon frère, et

1. A. B : amasser. 2. A. B. J : se. 3. A. B. 4. J : que il li feisl ce qu'il li avoit en covenant, 5. N : « Soldanus » autem agnita discordia, «etc. Col. 649. 6. A. B. G. J. G : le. 7. G. J : s'il ne li tenait ses. 8. G : jusques qu'il l'aurait. ,] : tant qu'il l'etist. 9. A. B : li haillif. F. () ; // hailliz. lu. J : vint.

\

46-î CBROMQCE d'ernoul ['l228-^2•29

» creautée li aviemes par nos messaiges. Il esteut que » vos li créantes ensement. Et se vous ne le créantes, » saciés [por voir '] il ira sur vous , ne nul confort ne » iiule aiue ii'arés de moi, ne de mes gens. » Quant cil oïrent ce, si dirent qu'il otrieroient quanques il feroit, car il lor estoit avis ^ que plus pooient perdre à le guei're qu'à le pais.

Or vous dirai de le pais qui porparlée estoit entre l'empereur et le soudan quels elle fu. Li soudans rendi toute le tiere de Jherusalem, si comme Crestien l'avoient tenue al jor que Sarrasin le conquisent sor Grestiens, à l'empereur faire se volenté, fors seulement le Crac de Mont Roial et .m. castiaus, en le tiere de Suret deSaiete, que [li'] haut home avoient garni, et ne les volrent^ rendre. Mais de ces .m. castials ne pot mie grantment caloir^ qu'il ne sont mie si fort c'on se sist mie longement devant à siege^ Mais del Crac fu ce' damages qu'il ne fu rendus, que toutes Crestientés^ poroit seir devant, quant il seroit pris, por tant qu'iP eussent à mangier dedens^". Le cité de Jherusalem ren- dirent ensement |)ar tel division, qu'il i aroit .m. Sai'- rasins'^ por garder le Temple oùDius fu offers'^ et que Cre^stien n'i aroient nule seignorie; et que sauvement, sans treuage [doner'^], venroient li pèlerin [Sarracin^^] al

1. A.B.— 2. 0: Quant il ce, etc. 3.E. i.E: vaurrent. G. J : voloient. 5. A. B ; ne pot (jaires caloir. G. I. J. 0 : chaloir. 6. A. B : c'om seisL longement. O : qu'il convenist eslre devant longuement à siège. 7. C : face. 8. A. B : que toxlemons. 9. U : tant coin. 10. E : s'iZ avoient dedens à mengier. 11. A. B. G : .//. (niil!) Sarrasins. E. G. I. J . 0 : trois Sarrasins. Dans N : « mille Saraceni. » Gol. 649. 12. J : por garder le Temple Doinini. 13. E. L J. C). 14. A. B. £. I. G. J. O Mal dans N : « Ghristiani peregrini. «

-(229] ET DE BERNARD LE TRe'sOUIER. 465

Temple. Et el manoir Saiemon, li Templier manoient au jor que li tiere fu perdue, mist li emperere Sarrasin ', en le viutance - des Templiers, por ço qu'il ne voloit mie qu'il se herbegassent dedens le cité. Et si que li empereres pooit fremer ^ cités et castiaus [qui oiiques avoient esté fermés^], mais nule fremeté noviele ne pooit faire \ Et ne se pooient faire li Sarrasin fremer^. Geste pais fu ensi creantée [d'une part et d'autre"'], et trives prises à .x. ans^

Quant ensi fu faite li pais et creantée et les trives prises, li sodans fist \Tiider le cité des Sarrasins, fors seulement del Temple. Li emperere i entra et si home, et porta corone, .i. jour de mi quaresme^ Quant il ot porté corone, si dona le manoir le roi qui devant le tour David est à l'Hospital des Alemans. A celé pais ne à ces trives ne fu li Temples, ne li Hospitaus, ne li patriarches, por çou que li apostoles lor avoit mandé qu'il ne fuissent à son conseil ne à s'aïue. Ne, d'autre part, se li apostoles ne l'eust mandé, n'eussent il mie greé^° tele pais à faire , car celé pais tint on à fausse et à malvaise.

1. J : Le manoir Saiemon mist V empereres en main de Sar-

razins. (Cf. H. pag. 375. Vai\ ital.) Mal dansG. 2. I. J : en viltance. E: viltanche. 3. A. B. 5: fermer. 4. A. B. J. Gi '. et ce qui avoit esté fermé. 5. A. B. J. 0. N : « nuUa » tamen de novo fundare. » Mal dans G : faire li Sarrasin. 6. A. B : El li Sarrasin ne se pooient noient fermer. G : ne H Sarrasins ne se pooient mie fermer. J ; et li Sarrasin ne pooient rien fermer. 7. A. B. 8. Le 18 février 1229. Ce traité fut rédigé en français, et on a conservé quelques fragments de sa rédaction. Hist. de Chypre, t. I. p. 249; t. III. pag. 626. 9. A. B : moi quaresme. ,J : de mi caresme. G : ou demi- quaresme. H : le Dimenche de mi carême, (p. 374). N : « Do- rt minica de Lœtare. » Le 18 mars 1229.— 10. A. B : souffert.—

30

466 CHRONIQUE d'ernoul [1229

Quant li emperere ot porté corone en Jherusalem, se fîst faire lettres et les carja .i. sien clerc et les envoia à l'apostole, et à son fil en Alemagne, et al roi de Franche; et si lor manda comment on li avoit le tiere rendue, si comme vous avés oï. Quant li apostoles ces noveles, si ne fu mie liés, por ce qu'il estoit escu- meniés, et por çou qu'il li estoit avis qu'il avoit mal- vaise pais faite, por ce que li Sarrasin avoient^ le Temple. Et por ce ne pot il souffrir- c'on le seust par lui, ne que sainte église en fesist fieste. Et manda par toute Crestienté c'on escumeniast l'empereur com des- loiaus^ qu'il estoit et mescreans. Apriès, si amassa grant gent, et les carga le roi Jehan et fist entrer en le tiere l'empereur, por prendre et por gaster en le tiere de sen demaine, ne mie^ en le tiere de l'empire. Li rois Jehan i entra, et prist castiaus et viles, et grant con- quest fist sur l'empereur. On le fist savoir à l'empereur, que li apostoles avoit carcié^ grant gent al roi Jehan, et qu'il prendoit ses castiaus et ses viles, et ocioit ses homes, et qu'il estoit entrés en se tiere*'.

Quant li empereres çou, si fist atirer ses galyes et entra ens. Si laissa ses baillius en le tiere de Jherusalem, et passa mer', et arriva en Puille; et commanda ses baillius qu'il fremassent Jherusalem. Quant li empereres fu arivés, si envoia par toute se tiere por saisir les maisons del Temple et quanques il avoient d'avoir, et

G : ne eussent il mie celé pes aidié à faire. J : n eussent il mie celé pes faite. 1. A. B. J : tenaient. 2. C : souffir. J : ne vosl il onqucs soujjrir. 3. A. B; escumeniés. G. O : renoié. J : desloial renoié. 4. A. B. G : non mie. J : non pas. 5. I : chargié. J : baillié. G. La phrase manque dans A. B. 7. Il s'embarqua à S. Joan d'Acre le l'»" mai l'2'29.

^ 229- 1230] ET DE BERNARD LE TRÉSORIER. 467

iist cacier tous les frères hors de le tiere. Apriès, si amassa grant ost et ala contre le roi Jehan, et manda son fil en Alemagne^ [qu'il le secorust à tôt grant gent^].

Quant ^ H rois vit * que li empereres venait sor lui, à tôt grant gent, et qiiil avoit mandé son fil en Alemaigne, et il vit quil n avoit mie la force contre lui, si se traist arrière et le manda à Vapostoile. Li apostoiles manda en France, [preant'"] porDeu, coyn le secorust; et li evesques de Biauvais i ala, et grant chevalerie avec lui'^.

Li empereres d'Alemaigne reconquist tote sa terre^ que li rois Jehans avoit prise. Li dus d'Osteriche, qui estoit aie en Vaide Vemperéor avec son fill, vint à rapostoile, si li dist que la guère naferoit'' pas de lui ne de V emperéor , mais feist peis. Et li apostoiles dist : « [Sires^] quel pais ferois je^ Il nia tant menti, qu à » poines porroie je croire chose cpiiil me deist, ne seire- » ment ([il me feist. » « Sire, dist li dus, vos ferez » pais, et de la pais ([uil vos fera F en vos en fera bien » fm^. » porparlerent une pais entre rapostoile et les chardonaus et le duc. Donc li apostoiles envoia .H. chardonaus et le duc à Vemperéor, par la forme de la pais. Quant li empereres sot la forme de la pais, si li

[. Ici se termine la chronique d'Ernoul dans C. et E. E : Et après, si amassa grant ost et ala encontre le roy Jehan et manda senjil en Alemaigne. 2. A. B. I. J : qu'il le secorust o tout son pooir. G : secorust à son pooir. N : « misitque filio suo ut de » Alemannia omnibus eductis copiis properaret ad eum. » Col. 650.

3. Cette un est prise dans A. B. 4.1: Quant li rois Jehans vit. J : Quant li rois .Johans sot. N : « Rex vero Joiiannes, » his cognitis, se non posse Imperatoris potentiee reluctari, » etc. Col. 650. 5. J. 6. M : « cum magna militia. « Col. 846.

N : « cum non parva comitiva. « Col. 650. 7. J. 0. A. B : neferoit. G : n'avenoit. 8. J. 9. J: Uen vos fera bien segur de la pes tenir. G : Ven vos seraseur de lapes.

/i68 CHRONIQUE d'ernoiil [^230

dist qtiil n'en feroit mie, ain% lor mut une autre pais quil feroit son voloir\ Li chardonal distrent qiiil 71 en feraient noient^. Ainz estriverent ensemble des .11. pais^, tant que li dusproia tant Vemperéor quil se mist en lui et es .11. chardoneaus, et jura sor saiïis que ce qu'il atireroient, qu'il tendroit. Et enfisthien fm\ et li char- donal le creanterent de par Vapostoile. La pais fu creantée d'une part et d'autre, si assot on^ V emperéor^ . Ihipoi après ce que l'empereres fust partis de la terre d'Outremer, s'asemblerent Sarraoins villainde la terre ^ et alerent en Jérusalem por ocirre les Crestiens qui estaient dedenz. Li Crestien furent bien gar^i, et se deffendirent bien, et ocistrent bien plus de .v*^. Sarra- cins. Et ni ot que ./. crestiens mort, et cil fu englois.

1 . O :ains lor mut (J. inoti)une autre pais qîi'il dist qu'il feroit . G : ains lor mut une autre pes qu'il feroit . 2. J. 0 : Li ckardo- naus disent que celé pais ne feraient il mie. 3. 0 : Ains estrive- rent asés de II. pars. J : Assés estriverent sor ces deuspes. G : Ains estriverent ensemble de deus pars. 4. G : et en fisl bien le créant. O : en fis t bien fi. 5. 0 : et on asoust.

6. Grégoire IX prononça l'absolution de Frédéric le 28 août 1230. Pipino a rappelé deux fois dans sa chronique la réconcilia- lion de l'empereur avec le pape ainsi que l'absolution de Frédéric, et il nomme, dans les deux circonstances, Bernard le Trésorier comme son auteur. Au livre XXIII, en ces termes : « Hîec exHis- » toria de Passagio ultramarino traducta sunt, quam composuit » Bernardus Thesaurarius. » (N. coi. G50). Au livre XXV, dans cette plirase souvent citée : « Haec de gestis ""gis Jobannis sumta » sunt ex Ilisloria Bernard i Thesaurarii . Qualis autem iuerit exi- » tus non inveni, vel quod historiam non compleverit, vel quod » codex unde sumsi fuit imperfectus. » (M. col. 846). C'est lafin, dans l'ordre chronologique des événements, du faux Bernard le Trésorier ot du chap. 207« publié par Muratori au tome YII des Scriptores. Le chapitre 208"^ et dernier, intitulé; de obitu Conradini, est un emprunt de Pipino au 37* chapitre de Bernard le Trésorier. Voy. ci-dessus, pag. 431.

CHAPITRE XLI.'

Cornent H roys Jehan conqiiist Constantinople.

SOMMAIRE.

1229-1230. Détresse des Latins de Constanlinople. Ils envoient des mes- sages à Jean de Brienne et au pape pour déterminer l'ancien roi de Jérusalem à accepter la régence de l'empire. Hésitations et refus de Jean de Brienne. A quelles conditions il accepte. 1231. Août-sep- tembre. Jean de Brienne arrive à Constantinople. Mariage de sa fille Marie avec l'empereur Baudouin II. L'eni[iereur et les barons confir- ment les engagements pris par leurs messages à l'égard du roi Jean.

Atant vos lairons à parler de la terre d'Outremer, si vos dirons de Constentinoble.

Li Crestien^ qui dedetiz estoient avoient tote perdue la terre, fors soulement la cité et .i. [poi^\ de terre dehors. Il pristrent consel ensemble , et distrent U plusor quil lairoient la cité, et s'en iroient. Li autre distrent que ce ne feroient ilja; que grant honte et grant reprovier en aroient en toz les leus il iroient, si

1. Cf. G. p. 428-430, ou finit le XXIV^ livre de Martène. Lo XXV« livre, à partir duquel la similitude de texte se rétablit entre Martène, G. et II. revient sur ces mêmes événements de Constantinople dont parle Bernard le Trésorier à la fin de sa chro- nique. (G. p. 433. H. p. 381.)

2. J : Cresden Latin. 3. F. I. 0. J: un petit.

470 COROMQUE DERÎNODL [^ 229

laissaient si riche cité j)or noiant. Ainz manderoient secors à rapostoile, et liferoient savoir V estât de la terre, et li manderoient priant que,por Deu, lor aidast, qu'il peussent avoir le roi Jehan à segnor; et que s'il le pooient avoir, il tendroient bien la terre à Vaide de Deu. Et manderoient le roi Jehan, quil venist en la terre [et tant tost com il vendrait en la terre^] , il li ren- draient^ et feraient [de lui^] segnor. A cel conseil s'acar- derent tuit. [Il aparellierent mesages et envoierent*] à Vapostoile et au roi Jeha7i.

Quant li messaige vinrent à Vapostoile, si firent lor message, et li apostailes manda le roi Jehan quil venist lui parler. Et il vint, et h apostoilles li dist ce c'om li avait mandé de Constentinohle, et malt li proia qu'il le feist, et quil s'en canseillast. Li rois dist quil en estait taz conseillez, car il n irait mie^; que il avait [air^\ en la terre\ ne il ne le volait deseriter mie; ne ne se volait mie mètre en [si grant^] aventure por autrui terre garantir. Malt f en proia li apastoiles qil i alast, et grant secars H promist d'avoir et de gent. Li rais dist qe por tele promesse n irait il mie, ne la promesse ne refussait il mie, s'il i alait, par aucune aventure^; [ains l'en inerciait ^'^l.

Li rois Jehans, por ce qu'il vit le besaing de la terre, et por ce que li apastoiles l'en priait , dist qu'il irait par tel devision, qe, se li chevalier de ia terre l'atrioient et li apastoiles le loait, que li airs qui devait estre em-

i. G. .1. —2. Ci. ,). 0. A. 1} : lendroient. 3. G. .T. 4. F. 0. T). J : que il n'en ferait riens. G. O. 7. G. J : car un enfant (I. c'uns emfes) estait remés de l'emperéor Pierre, qui estait hairs de la terre. 8. F. 0. 9. J : ne la promesse s'il i aloit en aucune manière ne refuserait il mie. 10. J.

^229] ET DK BERNARD LE TRE'sORIER. 47^

pereres^ espouseroit une fille qu'il avait [de sa feme r Espaignole^] et porteroit eorone^. [Apr'ès'*]^ quant il aurait espousée [se fille-'], il jureroit sor sains que tant comme il vivrait '^ serait en balliey ne segnarie n'aurait sor lui. Puis, li ferait tuit li chevalier de sa terre hamage se vie '] , et que tote la terre qu'il con- queroit, qe ses ancestres avoit tenue, tôt serait avec Vemperéor^; [et s'il conquerrait terre que ses ancestres neust tenue^], elle serait à ses airs, et de Vemperéor la tendraient^". « Se einsi le volaient faire, dist li rois » Jehan à Vapostoile, par le proiere et par F aide que » vasin avez promis, je irai, [autrement non^']. » Li apastoiles le laa bien. Li messaige rétamèrent arriérée en Canstentinable; si distrent ce qu'il avaient trové à Vapostoile et au rai Jehan. [Li chevalier parlèrent en- sanble^^] et il s'acorderent bien à ce que li apastoiles lar avoit mandé.

Cil de Canstentinable renvoierent au rai Jehan, et li mandèrent qu il ala[st\ en Constentinable, et il feraient quanquil avait devisé^^. Et li rais, [quant il at les mesages^'^], ala à l'apostoille, siprist congié à lui. Et li apastoiles li dona de son avoir, et li creanta qu'il le secarrerait et d'avoir et de gent, s'il en avoit mestier. Après s'atira lirais et ala en Venise, si entra en mer et ala en Canstentinable.

1. F. 0. A. B : qui devait cstre oirs. 2. J. A : une fille qu'ilavoi' . B : qui avoit. 3. I : que li oirs de la terre espou- seroit une fille qu'il avoit et porteroit corone. Fin du ms. dont la dernière feuille manque. 4. F. O. 5. F.O. 6. J : tant corn le roi vivrait. 7. J. 0. 8. J : serait de l'empereor. 9. J. 0. 10. 3. A.B .le tendrait.— 11. J. 12. J. 0.— 13. Traité de Rieti, confirmé par Grégoire IX à Pcrouse le 19 avril 1229. H. p. 381. n. 14. F.O.

472 CHRO.MQDE d'er.noul [•1234 sept.

Quant li rois Jehan fu arrivez en Constentinohle, U chevalier de la terre alerent encontre \lui^\ et le reczu- rent à grantjoie. Quant il ot ./. poti sejorné en Consten- tinoble, si manda toz les chevaliers de la terre, [et^] fist espouser sa fille au valet qui empereres devoit estre, et [si^] le fist porter corone. Quant li valez ot porté corone et il fu empereres, li rois li requist quil le* feist ses covenances, et il et li chevaliers de la terre. Li empereres et li chevaliers de la terre firent volentiers qiianque li rois Jehan lor devisa, si com il avoient en couvent, et li rois à tant s'en tint".

Explicit liber. **

Ceste conte de la terre d' Outremer fist faire li tréso- riers Bernars de Saint Pierre de Corhie, en V Incarna- tion'' mille^ ce. XXX. II^

1. J.— 2. F. 0.— 3. J.— 4. J. O : li. 5. J : et U rois s'en tint atant apaié. Fin du ms. G : el le roi atant s'en tint.

6. F : On lit à la fin de ce ms. la note suivante écrite d'une main moderne: Le livre de M. Fauchet ajoute : Ceste route (conte) de la Terre d'Outremer fist faire le Trésoriers Bernars de St Pierre de Corbie, en VIncarnation mille CC. XXX. III . La note est re- produite dans 0. fol. 141. V.

7. F. 0. A. B : Za carnation. 8. F. 0. A. B : milVo (millesimo). 9. F. 0 : CC. XXX. 111.

ESSAI DE CLASSIFICATION

DES CONTINUATEURS

I)K

L'HISTOIRE DES CROISADES

DE GUILLAUME DE TYR'.

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES.

CLASSES DIVERSES DE MANUSCRITS.

L'examen des nombreux écrits que l'on est convenu de désigner sous le titre de Continuations de Guillaume de Tyr, bien que plusieurs de ces écrits aient formé d'abord des oeuvres entièrement distinctes de la chronique de l'ar- chevêque de Tyr, est un des points curieux de l'histoire littéraire du moyen âge et en même temps de l'histoire des États possédés en Orient par les croisés. La célébrité de l'historien dont le nom est inséparablement uni à cette étude, l'importance des additions faites successivement à la traduction française de son œuvre comme sources origi-

1 . Extrait de la Bibliothèque de l'École des Chartes , 5* série, t. I. pag. 38 et 140. 1860.

MA ESSAI

nales et souvent uniques des événements de l'Orient latin pendant plus d'un siècle, enfin l'autorité des écrivains qui à différentes époques ont publié, employé ou examiné ces fragments historiques S tout appelle l'attention sur ce sujet et justifie l'intérêt qu'on peut y attacher.

Bien qu'agitée depuis longtemps, la question n'a pourtant été jamais traitée d'une manière générale. Les difficultés et les obscurités que l'on rencontre dès qu'on l'aborde dans ses détails semblent en avoir fait ajourner toujours l'étude; et peut-être encore aujourd'hui, avant d'y pénétrer, serait-il préférable d'attendre le résultat des recherches et des com- paraisons qne la nouvelle publication des suites de Guil- laume de Tyr pourra provoquer dans les bibliothèques pu- bliques d'Europe.

1. Voy. Muratori : Scriptores rerum italicarum, i. VII. In Tier- nardi Thesaurarii historiam .- de Acquisilione Terrœ sanctœ, prœ- fatio, col. 659.

Mansi : Notes à Ilinaldi, Annales ecdesiasl., t. XX, édit. de Lucques, Préface et p. 567, ann. 1226, jJ. ii. Not. Voy. aussi son édit. de Fabricius. Biblioth. média latinitatis, t. I, p. 234. Padoue, in-4°, 1754, ^ Bernardus Thesaurarius .

Rodolphe Sinner: Catalogus codicum Mss. hihliothecce Bernensis, Berne, 1770, t. II, p. 343 et suiv., p. 367 et suiv., p. 38'j et suiv.

M. Guizot: Continuation de l'Histoire des Croisades par Bernard h Trésorier, formant le t. XIX de la Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France, Paris, 1824. Préface.

M. Michaud : Contimiation de Guillaume de Ti/r, dans la Biblio- thèque des Croisades, t. 1, p. 366, Notice du manuscrit de Rothe- lin, dans la Bibliothèque des Croisades, t. I, p. 377. Histoire des Croisades, écrite en français par Bernard le Trésorier, dans la Bibl. des Crois., t. II, p. 555, Paris, 1829.

.M. Petit-Radel : Bernard, dit le Trésorier, traducteur et conti- nuateur (le Guillaume de Tyr, dans Y Histoire littéraire de France, t. XYIII, p. 414.

M. V. Leclerc : Relation anonyme de la prise d'Acre en 1291, dans {'Histoire littéraire de France, t. XX. p. 79.

M. PauUn VsLTÏà: Chronique française d'oM<re->/ter(UUU-1227)e<

DE CLASSIFICATION 475

Toutefois, ayant eu l'ocoasion de consulter h la biblio- thèque de Berne les manuscrits des traductions de la chro- nique de Guillaume de Tyr et des suites de cette chronique, réunis anciennement par Bongars; ayant depuis lors étendu nos observations sur les manuscrits analogues qu'il nous a été possible de retrouver à Florence, à Rome et à Paris, nous avons cru pouvoir tenter dès maintenant un premier aperçu sur l'ensemble du sujet et essayer une classification des continuations qui ont été annexées, en des temps et des pays très-éloignés, à la traduction de YHistoria rerum in partibus transmarinis gestarum.

Notre intention n'est point de nous occuper de l'œuvre même de Guillaume de Tyr, ni de la traduction française de cette œuvre, qui parait avoir été effectuée vers le milieu du xiif siècle ; nous voulons seulement rechercher l'ori- gine et la formation des annexes qui, soit dans les leçons déjà imprimées , soit dans les copies manuscrites , ont , à diverses reprises, prolongé le texte français de l'histoire de l'archevêque de Tyr depuis l'année 1183 jusqu'à la fin du xiif siècle. Nous essaierons de reconnaître les sources premières d'où ces additions sont provenues, quelle a pu être leur première forme et vers quel temps elles ont être successivement rattachées à la rédaction vulgaire de la grande histoire des croisades.

S'il ne nous est pas possible de répondre à toutes ces questions, peut-être parviendrons-nous à en éclaircir quel- ques-unes; nous espérons au moins satisfaire aux dernières, les plus immédiatement utiles pour la connaissance et l'em- ploi du monument auquel elles se rapportent , en marquant les points il nous semble qu'ont été annexées successi- vement les principales continuations de l'œuvre de Tarche-

autres Histoires des Croisades, dans V Histoire littéraire, t. XXI, p. 679. Les Manuscrits français de la Bibliothèque royale, t. I, p. 81; l. VI, p. 132, 159.

476 ESSAI

vêque. Il faut disjoindre et examiner séparément ces maté- riaux disparates, pour en mieux apprécier le caractère et le mérite historique.

Quelques remarques préalables, en résumant par avance les principales notions que nous a fournies l'étude des ma- nuscrits, nous serviront à suivre plus facilement dans ses détails une discussion que retarderont quelquefois des inci- dents nécessaires.

Un premier fait qui nous a paru résulter surtout des in- dications conservées dans les manuscrits de Berne, c'est que plusieurs chroniqueurs, dont les œuvres ont été posté- rieurement utilisées par les continuateurs de Guillaume de Tyr, avaient déjà écrit séparément en Orient et en Europe avant la formation et la propagation des recueils généraux de l'histoire des croisades. Nous avons été amené ainsi à dis- tinguer dès le principe une première série de chroniques vul- gairement dites d'outremer antérieures à ces compilations. Plus tard, vers le milieu duxm" siècle, quand déjà la version française de l'œuvre de l'archevêque de Tyr commençait à se répandre, d'autres écrivains, peut-être de simples copistes, joignirent, comme une suite naturelle à la grande histoire de l'archevêque, tout ou partie des chroniques fran- çaises déjà écrites sur les événements des croisades. C'est alors seulement que nous avons vu se former et se pour- suivre une véritable série de continuations de Guillaume de Tyr, qui ont été prolongées par des annexions diverses à peu près jusqu'à la fin des croisades.

Les plus anciens recueils de ce genre, dans lesquels la traduction ft^ançaise de Guillaume de Tyv est toujours le corps principal, nous semblent avoir été d'abord composés en Orient, et probablement dans la ville de Saint-Jean d'Acre ou dans le royaume de Chypre, comme divers livres des assises de Jérusalem. Transportées ensuite en Europe, ces premières et véritables histoires des croisades mises en français y reçurent des continuations particulières sensi-

DE CLASSlFICATlOiS 477

blement différentes de celles qui se continuèrent en Orient, et qui perpétuèrent en queli[ue sorte les annales particuliè- res du royaumç de Jérusalem.

Les sources del'liistoire de l'Europe au moyen-àge offrent plus d'un exemple semblable de chroniques originales con- tinuées sinmltanément, après la mort de leur auteur, en divers pays et d'une manière toute différente. On connaît les nombreuses suites qu'ont eues les Vies des Papes d'Anas- tase le Bibliothécaire et du cardinal d'Aragon, les suites des Chroniques de Sigebert de Gembloux, d'Helmold his- torien des Slaves, de Henri de Stéron, qui lui-même avait compilé et continué les anciennes chroniques du couvent d'Altach en Bavière. On peut remarquer que c'est princi- palement dans les chroniques anonymes ou dans les conti- nuations anonymes de chroniques, telles que les suites de Guillaume de Tyr, que l'on voit surtout les traces de plu- sieurs rédactions. On a reconnu ainsi des additions et des retouches de différentes époques dans les continuations sans nom d'auteur de Frédégaire, dans les Chroniques royales de Saint-Ulric de Vienne , dans celles des abbayes de Mailros en Ecosse, et de Wawerley en Angleterre, dans les suites de l'histoire de Padoue des Cortusii, de l'histoire de Barthélémy deUa Pugliola, de la Chronique de Nardo, des Chroniques de Pise et de Milan; on a récemment constaté les remaniements successifs de nos grandes chroniques de Saint-Denis ^; on a démêlé aussi ceux des continuations de Guillaume de Nangis. Il est peu de monuments du moyen- âge, examinés de près, l'on ne reconnût des reprises et des mélanges semblables, qui, sans amoindrir leurutihté historique, brisent cependant l'unité de leur rédaction et peuvent expliquer des contradictions dans les appréciations

1. M. de Wailly : Examen de quelques questions relatives à l'ori- gine des Chroniques de Saint-Denys. Mémoires de l'Acad. des ins- cript., t. XVII. p. 379.

478 ESSAI

ou dans l'exposé des faits. On doit par conséquent les rechercher et les signaler avec soin.

C'est par des accessions analogues, appartenant à des temps et à des auteurs très-différents, presque tous malheu- reusement inconnus, que se sont formées de part et d'autre, en Orient et en Europe, les chroniques vulgaires des guerres saintes dont les manuscrits ont été ensuite recopiés, multi- pliés et répandus k l'infini. Ils étaient désignés ordinairement sous les noms de Livres de la Terre Sainte ', Clu^oni- ques d'outremer, Contes de la terre d'outremer. Romans de Vhistoire d'outremer, Livres de voyages de Terre Sainte, Histoires du jiassage de Godefroy de Bouillo7i''^, et plus souvent sous les noms de Livres d' Brades et Livres du Conquet^. Nous conserverons

1. JoinvillP, ap. Bouquet, t. XX, 202.

2. Haïlon renvoie aux Historiée passagii Godofridi de Bolione, à propos d'événements du xni^ siècle. Hist. Orient, sive de Tar- tans, p. 25, in-4°, Brandebourg, 1671.

3. La traduction de Guillaume de Tyr commence par cette phrase, exactement reproduite du premier chapitre du texte latin, il est question des conquêtes et de la reprise de la vraie croix sur les Perses par l'empereur Héraclius : Les anciennes estoires dienl que Brades, qui moutfu bons crestiens, governa l'empire de Rome, etc. Ces mots ont suffi aux copistes et aux rédacteurs d'an- ciens catalogues pour intituler, sans plus ample examen, les ma- nuscrits du Guillaume do Tyr français : Le livre d'Erades, ou l'histoire d'Erades empereur de Rome. Gautier d'Arras, avec beau- coup plus de raison, a donné le titre à' Evades à son roman d'a- ventures, parce qu'Héraclius est véritablement le personnage principal auquel se rattache l'action du poème, qui n'a , du reste, qu'un rapport très-éloigné avec les croisades. VÉradius a été publié par M. Massman, à Quedlinburg et Leipsick, 1842, in-8°. Voy. Vllistoire littéraire de France, t. XXII, p. 791. D'autre part, M. le comte Beugnot a démontré que l'ouvrage cité par divers auteurs au moycn-rige, sous les titres de Livre du Conquet ou de Liber acquisitionis Ter r ce sanctcs, était la réunion de la traduction française et des continuations de Guillaume de

DE CLASSIFICATION. 479

ces dernières expressions, employées déjà par les savants, pour désigner d'un seul mot les anciennes compilations de l'histoire des croisades formées de la traduction française de Guillaume de Tyr et de ses continuations.

Un titre analogue fut donné au xiv" siècle à l'histoire de rétablissement des Français en Grèce, l'une des plus pré- cieuses découvertes de Buchon. Mais le Livre de la con- queste de la princèe de Morée ne s'éloigne pas moins de l'objet de nos recherches que les compilations de Baudouin d'Avesnes, ont été utilisées les chroniques de l'Eracles et de Villeliardouin. L'empire gallo-grec a eu des intérêts, des traditions et des historiens tout différents de ceux des royaumes de Terre-Sainte. Nous ne devons point nous y arrêter. Nous écarterons encore de notre examen et les chansons ou légendes poétiques inspirées par les événements des croisades, et les relations des guerres d'outre mer, exécutées tardivement, au xv*^ et au xvi^ siècles, pour ap- puyer les projets de croisades nouvelles devenus si fréquents depuis que les croisades étaient si difficiles. Nous hmiterons nos observations aux œuvres historiques composées pendant l'époque les croisés possédaient encore quelque partie de la Terre Sainte, et qui seules peuvent être comprises au nombre des continuations originales de Guillaume de Tyr.

En comparant les manuscrits qui appartiennent par leur composition historique à cette période, sans tenir compte du temps auquel ils ont été transcrits, nous avons cru recon- naître que les compilations générales de l'histoire des guerres d'outre-mer avaient été opérées à quatre époques principales qu'indiquent les divisions suivantes :

Première époque. Après la croisade de l'empereur Frédéric II (1228-1229) et l'arrivée de Jean de Brienne à Constautinople, qui est de l'année 1231.

Tyr. Assises de Jérusalem, t. II, p. 195. Cf. Hisloriens latins des Croisades, t. I, p. XXV.

480 ESSAI

Deuxième époque. Après la croisade de saint Louis en Egypte et le retour de ce prince en Europe.

Troisième époque. Entre la seconde croisade de saint Louis et la perte de Saint- Jean d'Acre.

Quatrième époque . Après la prise de cette ville, dernier siège du royaume de Jérusalem, enlevée aux chrétiens par Malec al Aschraf, en 1291.

Les manuscrits des continuations de Guillaume de Tyr dont nous avons jusqu'ici connaissance, se rangent tous, sans exception, dans Tune de ces divisions, et nous croyons qu'il sera possible d'y reporter aussi, sans modifier sensi- blement ce cadre, les manuscrits nouveaux à mesure qu'ils seront signalés.^

Ceux que nous avons examinés sont au nombre de qua- rante-cinq environ, en comprenant dans ce chiffre les ma- nuscrits de la version seule de Guillaume de Tyr et les ma- nuscrits des chroniques séparées, qui ont été utilisées pos- térieurement pour les additions à l'histoire de l'archevêque. Ces deux dernières divisions deviennent naturellement les premières dans la classification chronologique des manus- crits, dont l'ensemble se répartit de la sorte en six catégories :

PREMIÈRE CLASSE.

Manuscrits renfermant seulement la traduction française (le (ruillaume de Tyr.''

N. 8315-2-2. Fonds français. (Golbert , 1828). Aujourd'hui. 2634. Bibliothèque nationale de Paris. Première moitié du

1. Nous avons pu en effet, sans rien changer à notre première classification, y introduire l'indication de quelques nouveaux mss. (Note, 1871.)

2. Nous ajoutons aux anciennes indications des mss. de la Bibliothèque nationale les numéros qu'ils ont reçus dans le nou- veau classement dont le Catalogue est imprimé. (1871 1.

DE CLASSIFICATION. 484

xiii* siècle. Ce manuscrit, d'une écriture arrondie, semblable ii celle des manuscrits d'Italie et du midi de la France, parait pro- venir d'Orient. Les six derniers Iblios ont été écrits dans la seconde moitié du xin» siècle, et probablement en France, pour remplacer les anciens feuillets détruits.

N. 8404-5-5. Fonds français. (Golbert, 1121). Aujourd'hui. 2820. Bibliothèque nationale. Première moitié du xni^ siècle. Ce manus- crit, tronqué au commencement et à la fin, semble encore avoir été exécuté dans les pays d'outremer.

N. 2970. Supplément français. Bibliothèque nationale, xin*^ siècle.

N. 8314. Ancien fonds français. Aujourd'hui, 2627. Bibliothèque nationale, xv^ siècle.

DEUXIÈME CLASSE.

Manuscrits renfermant le texte ou l'abrégé des chroniques françaises d'outre-mer, qui nous paraissent avoir été composées avant la tni- duction de Guillaume de Tyr.

N. 677. In-4o. Bibliothèque de l'Arsenal, à Paris. xm« siècle. Chronique de Bernard, trésorier de Saint-Pierre de Corbie. Texte semblable à celui du manuscrit 340 de Berne. C'est notre ms. A.

N. 340. H. In-4°. Bibliothèque de Berne, xui^ siècle. Clironique de Bernard, trésorier de Saint-Pierre de Corbie. Ce manuscrit a appartenu à Bongars.' Notre ms. B.

N. 11142, Petit in-folio parchemin. Bibliothèque royale de Bruxelles, xin^ siècle. Armes des Croy. Chronique d'Ernoul, écuyer de Balian d'Ibelin. Notre ms. C. suivi pour la présente édition.

N. 41. H. in-fol. Bibliothèque publique de la ville de Berne. Ms. de Mélanges historiques et géographiques concernant l'Orient, xine siècle. Du fol. 56 au folio 106 se trouve la chronique d'Er- noul. Ce manuscrit, d'abord propriété de Fauchet, puis de Bon- gars, renferme le texte qui ne nous semble être (comme A. B. G. E.) que l'abrégé d'Ernoul, dont l'original serait peut-être conservé dans les manuscrits 8314-3 de Colbert, et 8316 de l'ancien fonds de

i.-Voy. ci-après, paçre 507.

31

482 ESSAI

Fontainebleau, à la Bibliothèque nationale de Paris' Notre ms. D.

N. 7188-5. Fonds français. (Cangé, numéroté une première fois 9, une seconde fois 20.) Aujourd'hui 781. Bibliothèque natio- nale, à Paris, xni^ siècle. Renferme (fol. 63 à 147) la Chronique d'Ernoul, qui est nommé. Notre ms. E.

N. 113. H. In-fol. Bibliothèque de Berne. Mélanges de prose et de vers français, renfermant du folio 116 au fol. 166 la chro- nique (ici sans nom d'auteur) de Bernard le Trésorier, xui^ siècle. Notre ms. F.

N. 1565 du fonds Moreau à la Bibliothèque nationale à Paris. Extraits du Ms. précédent (Berne H. 113) copiés au \\m^ siècle. La chronique d'Ernoul occupe les folios 5-141. Notre ms. 0.

TROISIÈME CLASSE.

Première époque des continuateurs. Manuscrits renfermant la tra- duction de Guillaume de Tyr et les continuations jusqu en 1231.

N. 8314-6. Fonds français. (Colbert, 2688). Aujourd'hui, 2630. Bibliothèque nationale de Paris, xur^ siècle. Ce manuscrit a servi de texte pour la publication de la traduction de Guillaume de Tyr dans le recueil des historiens occidentaux des croisades, tome I. Il nous paraît «Hre de la première moitié du xiii^ siècle, et appar- tenir, en raison de son écriture peu anguleuse, à la famille des manuscrits venus d'outremer.

N. 8409-5-5, A. Fonds français (Colbert, 1105). Aujourd'hui, 2827. Bibliothèque nationale, xm" siècle. Ce manuscrit, très- correct, semble provenir aussi d'Orient. Il a été consulté par les éditeurs do Guillaume de Tyr pour la publication du texte français.

N. 385. Fonds de Sorbonne (Richelieu, 451). Aujourd'hui, 24208. Bibliothèque nationale. Bon manuscrit. Milieu du xin^ siècle. Les derniers folios manquent. Notre ms. I.

N. 8403. Ancien fonds français. Aujourd'hui, 2824. Bibliothè- que nationale. Milieu du xni« siècle.

N. G77. A. Bibliothèque de l'Arsenal, à Paris. Milieu du mu» siècle. Bon texte.

1. Voy. sur ce ms. ci-dprès, pag. 491 et suiv.

DE CLASSIFICATION. 483

N. 112. H. Bibliothèque de Berne, xiii* siècle. Ce manuscrit, mutilé à la fin, a appartenu à Bongars.

N. 103. H. Bibliothèque de Berne, autrefois à Fauchet. xin« siècle. Les derniers feuillets manquent. Le récit s'arrête à l'an 1224.

N. 7188-2. Ancien fonds français. Aujourd'hui, 779. Bibliothè- que nationale de Paris. xui« siècle. Ce manusci'it est mutilé à la fin, au milieu du récit des événements de 1227-1228.

N. 1872. Supplément français. Bibliothèque nationale, xm*^ siè- cle. Incomplet.

N. 4.50. Ancien supplément français. Aujourd'hui, 9086. Biblio- thèque nationale, xiue-xiv^ siècle. Très -bon texte. Ms, G. de l'édi- tion de l'Académie. Notre ms.J.

N. 574. des mss. de la Bibl. de la ville, à Arras. Provenant de Saint- Vaast. Manuscrit à vignettes. Cité par Haenel sous le titre d'Histoire de Rome depuis Héraclius. xiv^ siècle. Les derniers feuillets manquent.

2^. 6743. Ancien fonds français. Aujourd'hui, 67. Bibliothèque nationale, xive siècle. Ce ms., qui parait avoir été écrit en Italie, contient : l'Histoire universelle de Guillaume de Nangis^ et 2" (fol. 81.) le Guillaume de Tyr français avec la continuation jus- qu'en 1231.

N. 6744. Ancien fonds français. Aujourd'hui, 68. Bibliothèque nationale, xv^ siècle. M. Michaud avait pensé que ce ms. ren- fermait l'œuvre complète et originale de Bernard le Trésorier. Bïbî. des Crois., t. II, p. 555.

N. 8314-5. Fonds français. (Colbert, 136.) Aujourd'hui, 2629. Bibliothèque nationale. Magnifique exemplaire à vignettes, aux armes de la ville de Rouen, xv^ siècle.

APPENDICE A LA TROISIÈME CLASSE.

Nous rangeons dans les dépendances de cette classe le ms. Càngé, numéroté 6 et 14; ms. français de la Bibliothèque royale 7185-3-3; aujourd'hui, 770.

Ce manuscrit renferme une histoire d'outremer, très-altérée par l'insertion de fables et de traditions populaires; mais il est mani- feste que la majeure partie du récit a été puisée à de bonnes sources. L'auteur a connu une chronique originale antérieure aux Continuations, vraisemblablement Ernoul. Le Ms. de Cangé, 9 uu

484 ESSAI

2u, ancien 7188-5, aujourd'hui 781, renferme la clu'onique d'Er- noul et a prendre rang dans notre deuxième classe. Nous le citons sous la lettre E. '

Le manuscrit 44, Pluteus LXI, de la bibliothèque Saint-Lau- rent, à Florence, se rattache encore à la première époque des compilations de l'Eracles. C'est une traduction italienne de Guil- laume de Tyr, datée de 1347, continuée jusqu'en 1231, lors de l'arrivée de Jean de Brienne à Constantinople. Bandini a décrit ce volume, Cataloyus manuscript. S. Laurent., tome V, col. "268.

QUATRIÈME CLASSE.

Deuxième époque des continuateurs. Manuscrits renfermant la traduction de Guillaume de Tyr et les continuations Jusqu'à Vannée 12G1.

N. 831G. Ancien fonds français venant du cliàteau de Fontai- nebleau. Aujourd'hui, 2634. Bibliothèque nationale, xin^ siècle. Ce manuscrit, que nous désignerons plus souvent sous le nom de Manuscrit de Fontainebleau, l'enferme la belle continuation du 8314-3, de Colhert (voy. les manuscrits de la cinquième classe), depuis la perte de Jérusalem jusqu'à la croisade do Frédéric II, et à la suite la continuation écrite en France et arrivant à 1261 '. C'est le ms. A. de l'édition de l'Académie.

N. 383. Fonds de Sorbonne (Riclielieu , 450.) Aujourd'hui. 22495. Bibliothèque nationale. xiv« siècle; daté de 1337. Grand in- fol. à trois colonnes. Miniatures. Ms. I. de l'édition de l'Académie.

N. 387. Fonds de Sorbonne. (Richelieu, 452.) Bibliothèque na- tionale, xive siècle. Ms. K. de l'édition de l'Académie. Nous le désignons sous la même lettre.

N. 10. Fonds La Vallière. Bibliothèque nationale. xiv« siècle. Le manuscrit se termine ainsi : « Adonc estoient li an de l'incar-

1. Ces mss. ont été décrits par M. 1'. Paris, t, VI, p. 130 et 157, des Manuscrits français.

2. Et non 1206, comme on lit à la fin du ms. et sur quelques- uns des mss. de la ([uatrième époque des continuateurs, n" 8404 Bilil. nationaii- l't n" 737 do la liiM. il(^ la reine de Suède, au Vatican.

.i:.

»'.

DE CLASSIFICATION. 485

nation do N. S. mgc. et l[x]i. » Les derniers événements du récit sont bien de 1261.

N. 2311. Ancien Supplément français. Bibliotlièque nationale. Aujourd'hui. 9083. (irand in-folio, xiv^ siècle. Ce beau volume nous paraît être le Manuscrit de Rothelin, dont le P. Berthereau a fait copier les extraits conservés à la Bibliothèque nationale, 2503-9-a-b. Supplément français. Fonds Berthereau, 9. 2 vol. in-4°. Ms. H de l'édition de l'Académie'. Notre ms. R.

N. 9492 et 9493. Bibliothèque royale de Bruxelles. Parchemin. In-folio. xni« siècle. Deux mss. autrefois séparés, reliés aujour- d'hui en un seul. Le premier ms. dont les premiers feuillets manquent, renferme la Continuation de Guillaume de Tyr avec la (Continuation de la première époque, s'arrétant on 1231, à ces mots : « Et li rois Johans à tant s'en tint. » La seconde partie renferme la Continuation qui arrive à 12G1 . Elle commence ainsi, au folio 177 moderne : « En grand péril laissa Eederic les » Crestiens en la cité de Jherusalem. » Elle finit à ces mots : « Et en mercierent et loerent moût durement Nostre Seigneur. » Adonc estoient li an de l'Incarnacion Nostre Seignor m. ce. et » Lxi. » Fol. 231, v.

CINQUIÈME CLASSE.

Troisième époque des continuateurs. Manuscrits renfermant la traduction de Guillaume de Tyr et les continuations jusqu'à 1275.

N. 104. Ancien Supplément français. Aujourd'imi, 9U82. Biblio- thèque nationale. xni« siècle. Daté de Rome au mois de mai 1295. C'est le Manuscrit de Noailles, sur lequel ont été faites les publications de dom Martène et de M. Guizot. 11 est désigné dans l'édition de l'Académie parla lettre G.

N. 8315. Ancien fonds français. Aujourd'hui, 2631. Bibliothèque

1. On pourrait citer encore, comme appendice de cotte classe, un abrégé de VHist. des Croisades depuis la conquête de Jérusalem jusqu'au retour de saint Louis en France, en 1254, que composa, au xive siècle, un prisonnier du Châtelet, pendant une détention de sept années. Bibl. nation., ms. n. 6972.

/(86 KSSAI

nationale. xiv« siècle. Ecrit probablement en Italie, et mutilé à la fm. Il peut appartenir à la quatrième ou à la cinquième classe, plus vi'aiso.mblablemcnt à cette dernière.

N. 8314-3. Fonds franrais. (Golbert, 272.) Aujourd'hui, 2628. Bibliothèque nationale. xni« siècle. La partie de ce manuscrit qui renferme la traduction de Guillaume de Tyr et ses continuations jusqu'à la première croisade de saint. Louis en 1249, a été écrite au xnie siècle; la suite, qui paraissait arriver à l'année 1275 , est une addition du xiv« siècle. Les derniers feuillets de parchemin ayant été détruits, le récit des événements s'arrête à l'an 1264. Ce précieux volume, que nous appellerons Manuscrit de Colbert, renferme seul avec le manuscrit de Fontainebleau, 8316 de la quatrième classe, la grande continuation de Guillaume de Tyr, plus développée, jusqu'à l'année 1231, qae le texte du manuscrit de Noailles ou de Martène et que nous supposons être la première rédaction d'Ernoul. Le manuscrit de Golbert, plus ancien et plus correct encore que io manuscrit de Fontainebleau, nous semble avoir été écrit on Orient même. C'est le ms. B. de l'édition de l'Académie.

N. 732 et 815 de la Bibliothèque do la ville de Lyon. Parche- min. ln-4°. xiv<^ siècle. Ms. D. de l'édition de l'Académie.

N. 42 et 733. de la Bibliotlièque de l'Académie de Lyon. Par- chemin. ln-4°. 2 colonnes. xv« siècle. Se rattacherait à la Conti- nuation dite de Rothelin, d'après les savants éditeurs des Histo- riens des Croisades, qui le citent et l'emploient sous la lettre E. (Hist. Occid. t. n. p. xxiv).

N. 483. des Mss. de la Bibliothèque publique d'Amiens. Un vol. in-folio, en parchemin. Magnifique exemplaire à vignette, aux armes de la famille de Créquy. Quinzième siècle. Provenance in- connue. Le texte est semblable à celui de Martène. Les derniers folios manquent.

N. 25. H. des manuscrits de la Bibliothèque de Berne. xv« siècle.

APPENDICE A LA CINQUIÈME CLASSE.

On comprend ordinairement parmi les continuations de Guil- laume de Tyr le ms. 8315-7 du fonds de Colbert à la Bibliothèque nationale. Bien que cette attribution du ms. soit fondée, puisque la plus grande partie de la compilation est puisée dans les événe- ments des croisade<3, et que le récit s'arrête précisément à l'année

DE CLASSIFICATION!. 487

1275-1276, avec la cinquième série de nos textes, il faut remar- quer toutefois que l'ensemble de l'ouvrage diffère beaucoup des véritables manuscrits de TEracles. Ce n'est pas accidentellement et par exception, comme les \Tais continuateurs de Guillaume de Tyr, que l'auteur quitte l'Orient; son intention positive a été au contraire de donner une chronique universelle de la chrétienté; et s'il s'arrête davantage aux événements des guerres saintes , c'est qu'il y trouve plus d'intérêt. Le ms. 831 5-7 est une nouvelle leçon des compilations d histoire générale attribuées à Baudouin d'Avesnes, mort en 12^9, que M. V. Leclerc a récemment fait connaître*. Ces compilations, renfermant de nombreux extraits des histoires de rEraclei*, peuvent être utilement conférées aux autres manuscrits plus complets des continuations. Les exemplaires que nous en connaissons à la Bibliothèque nationale sont au nombre de cinq :

N. 8315-7. Golbert, xui« siècle.

N. 139. Saint-Germain, xxa* siècle.

N. 939. Saint-Germain, xm< siècle.

N. 2228. Saint-Germain, x^* siècle.

N. 242. Fon4s de Baluze, ou 10197-2 2-A. xv* siècle'.

SIXIÈME CLASSE.

Quatrième et dernière époque des continuateurs. Manuscrits renfer- mant la traduction de Guillaume de Tyr. et les continuations qui dépassent Cannée 1275.

N. X. Pluteus LXL Manuscrit de la bibliothèque Saint-Lau-

1 . Histoire littéraire de France, t. XXI, p. 651 et suiv. Les fragments principaux de la chronique de Baudouin d'Avesnes concernant l'histoire de France ont paru en 1855 dans le t. XXI du Recueil des Historiens de France.

2. Ces deux derniers manuscrits ne renferment que l'abrégé de la Chronique générale transcrite dans les numéros précédents; ce sont les seuls pourtant se trouve le nom de Baudouin d'Aves- nes, auteur ou promoteur de la grande compilation. Les sources de l'histoire d'outremer nous semblent présenter une circons- •ance semblable au sujet d'Ernoul, écuyer de Balian d ibelin.

488 . ESSAI

rent, à Florence, xiii« siècle. Ecrit probablement en Italie. Arri- vant à 1277. Nous avons signalé ce manuscrit aux savants édi- teurs des continuations de Guillaume de Tyr, et leur en avons adressé de Florence la partie inédite qui prolonge le texte de Mar- tène de l'an 1275 à l'an 1277'. (Édit. de l'Acad., p. 473 à 481). Quelques autres fragments concernant des faits antérieurs ont été imprimés par nous dans les preuves de VHistoire de Chypre, t. III, p. 591.

N. 8404. Ancien fonds français. Aujourd'hui, 2825, de la Biblio- thèque nationale de Paris, xiv^ siècle. Lacune de 1261 à 1288. Atteignant l'année 1291 par l'insertion du texte français de VExcidium Acconis. (l'est le ms. F de l'édition de l'Académie.

N. 737 des manuscrits de la reine de Suède, à la bibliothèque du Vatican. In-folio à 2 colonnes, avec miniatures et rubriques, xiv» siècle. Ce manuscrit, apporté à Paris sous le Directoire, rendu à la bibliothèque pontificale en 1815, est encore marqué du timbre de la Bibliothèque nationale. Il appartiendrait en réalité à la qua- trième classe de notre classification, car il s'arrête aux événements de 1261 (et non 1266 comme l'a écrit par erreur le copiste), si la même main qui a transcrit le texte précédent n'eut ajouté immé- diatement, comme complément de l'histoire des croisades, la Des- truction d'Acre en 1291.

Maintenant une doui)le série de questions se présentent à nous. Nous devrions d'abord rechercher les noms des chro- niqueurs originaux qui ont écrit dans les deux premières pé- riodes avant et après la formation des recueils del'Eracles, en essayant de reconnaître l'étendue de leurs œuvres res- pectives. Nous aurions à retrouver ensuite le nom et le tra- vail particulier des principaux compilateurs ou abréviateurs qui se sont suivis, en profitant du travail de leurs prédéces- seurs; mais nous sommes bien loin de pouvoir éclairer tous ces points.

Nous croyons reconnaître trois rédacteurs différents et

1. Voy. sur ce ms. un(> lettre insérée dans les Archives des mis- sions scientifiques, t. 11, p. 257.

I)E CLASSIFICATION. ' 489

originaux dans la première époque, et nous pensons pouvoir déterminer cinq changements de rédaction dans la série des continuateurs. Il ne nous est guère possible d'aller au-delà. Nous ne trouvons point d'indices suffisants pour nous au- toriser à mettre à chacun de ces fragments historiques le nom de son auteur; nous le supposons pour quelques-uns, nous l'ignorons absolument pour les autres; et quelquefois, tout en signalant les preuves qui nous semblent manifestei- un changement de rédaction, il nous est impossible de pré- ciser le point même commence l'œuvre nouvelle, tant les remaniements continus des compilateurs et des copistes, par lesquels ont passé les premières chroniques, les ont modi- fiées, en les abrégeant, les étendant et les interpolant tour à tour.

Les écrivains du moyen-âge, chez qui la modestie excuse le plagiat, supprimaient souvent le nom des écrivains dont ils reproduisaient le travail; eux-mêmes négligent fréquem- ment de se nommer, de sorte que leurs rédactions diverses rattachées à celles qui les précèdent et qui les suivent par quelques phrases du dernier continuateur ou des compila- teurs, paraissent former au premier abord une œuvre uni- que et homogène. L'appropriation des chroniques anté- rieures va quelquefois plus loin. Divers écrivains, Jean d'Ypres, par exemple, auteur de la Chronique de Saint- Bertin, et comme lui Conrad de Lichtenau, compilateur des Annales d'Ursperg, en laissant parler à la première personne les auteurs originaux dont ils ont réuni les fragments, semblent raconter comme témoins oculaires des événements dont ils sont éloignés de plusieurs siècles.

Des difficultés semblables provenant d'emprunts et d'ad- ditions analogues se retrouvent dans les chroniques des croi- sades. L'incertitude et les obscurités qui se succèdent ainsi, en s'accumulant d'une compilation à l'autre, obligent a n'avancer qu'avec beaucoup de réserve dans l'étude nous

^90 ESSAI DE CLASSIFICATION.

allons entrer. Nous nous laisserons guider autant que pos- sible par les textes mêmes des continuateurs. Nous nous attacherons à constater les faits résultant de ces monuments mêmes, afin que le résumé donné par nous au commence- ment de cette dissertation en soit de nouveau la con- clusion.

PREMIÈRE l'ARTlE.

ECRIVAINS ANTEKIEURS A LA FORMATlOîS DES COMPILATIONS GENERALES DE l'oISTOIRE des CROISADES.

ernodl', valet de balian d'ibelin.

Il y a heureusement au début de ces recherches une pre- mière indication fournie par l'un des manuscrits de Berne-, que l'on peut prendre pour point de départ. Afin de n'avoir pas à revenir sur la chronique elle se trouve, nous exa- minerons l'ensemble de sa rédaction, en la comparant à certaines continuations de Guillaume de Tyr paraît s'être conservé un texte plus développé et plus ancien que la ré- daction de Berne.

De la seule mention renfermée dans ce manuscrit nous retirons d'abord une notion importante. Nous pouvons con- sidérer comme premier continuateur de Guillaume de Tyr, bien qu'il n'ait pas eu sans doute la pensée de rédiger précisément une suite à l'histoire de l'archevêque , un sei- gneur d'Orient nommé Hernoul, ou Ernoul, qui composa sa chronique avant d'avoir reçu le baudrier de chevalier, et pendant qu'il était encore valet ou écuyer, attaché, à la

1. Nous adoptons aujourd'hui l'orthographe du ms. C. (1871.)

2. H. 41. Indication corroborée aujourd'hui par deux autres manuscrits : C et E. (1871.)

492 ESSAI

personne de Balian d'Ibelin, l'un des premiers barons de Syrie, reconnu comme lieutenant du royaume lors de la prise du roi Guy de Lusignan a Hittiu, et chargé de la dé- fense de Jérusalem.

Ernoul avait assisté, auprès de son maître, à la défaite de Tibériade, à la prise du roi, à la reddition de la capitale, désastres dont Balian d'Ibelin put adoucir les conséquences , grâce à l'estime que son caractère inspirait k Saladin. Ernoul écrivit l'histoire de ces douloureux événements. Nous ignorerions cependant le nom de ce premier chroni- queur, si, à propos d'un voyage de Naplouse à Nazareth, ne se trouvait dans le manuscrit de Berne celte phrase im- prévue qu'intercala peut-être postérieurement le copiste ou l'abréviateur de la chronique : « Dont Balian d'Ibelin fist « descendre un suen ballet [qui avoit à nom Hernoul, se fu « cil qui ceste conte fist mettre enescrit,] et l'envoia dedens « le chastel ^ »

Le manuscrit de Berne, qui nous donne l'addition pré- cieuse renfermée ici entre parenthèses, est un volume de mélanges, formé, au xiif siècle, d'extraits traduits de la description de la terre sainte de Jacques de Vitry. et d'au- tres compositions relatives la plupart à TOrieut, L'histoire ou la chronique d'Ernoul commence ainsi au folio 56 : « Oez et entendez coumant la terre de Jérusalem et la sainte « croiz fu conquise de Sarrazins sor Crestiens. Mais ain- ^< çois que jeu vos die, vous nomerai les rois et les sei- « gneurs qui furent puis le tens Godefroi de Buillon, qui le « conquist seur Sarrazins, il et li Crestian qui aveuc lui « estoient -. »

1. Ms. JI. '(I do B(MMi(', t(»l. 73. La partie séparée par los «ro- chets [ ] manquo aux autres manuscrits et aux éditions de don Martèiio, Amplissima coUeclio, t. V, col. .^99, et de M. Guizot, ('ollecUo)i des Mémoires, t. XIX, p. 58. Cf. l'ôdit. do l'Acafléniie, p. 42. Voy. ci-dessus notre texte, p. 149.

2. Ms. il II. de Berue, loi. 5G.

I)K CLASSIFICATION. 493

Le dessein de l'auteur est bien indiqué dans ce prologue. D'autres avaient raconté la conquête de Jérusalem par les chrétiens; lui veut écrire l'histoire de la perte de la ville sainte, reprise par Saladin. Aussi, après un rapide aperçu du règne des premiers rois latins de terre sainte, se hâte-t-il d'arriver aux événements de son temps ^ . Il développe sa narration à parth' de l'année 1183, finit l'histoire de Guillaume de Tyr, lors des démêlés du roi Baudouin le Lépreux avec son beau-frère Guy de Lusignan , alors comte de JaiOfa, et la reconnaissance du comte de Tripoli pour régent du royaume.

La continuation imprimée et la plupart des manuscrits consacrent à ces événements un long passage commençant par ces mots : « Si grans haine estoit entre le rois et le « cuens de Jaffe ~, » traduction littérale du fi^agment unique que Guillaume de Tyr ait laissé de son XXIP et dernier livre. Ernoul, sans rien emprunter à son devancier, parle aussi des dissensions domestiques de la famille de Baudouin IV et de la proposition faite au comte de Tripoli d'accepter d'avance la tutelle de Baudouin V. Son récit diffère en quelques points de la relation de l'archevêque de Tyr, et par conséquent du manuscrit de Noailles , publié par dom Martène, comme du manuscrit de Rothelin, analysé par le savant historien des croisades, et généralement de toutes les autres continuations, qui ne sont encore ici que des tra- ductions. Mais à partir de l'acceptation de la régence par le comte de TripoH, première notion ajoutée à l'ancienne his- toire, et longtemps avant qu'il soit question de la prise de Jérusalem, le texte du manuscrit de Berne ne nous offre

1. La Chronique d'Ernoul occupe les folios 56 à lOG du ms. H. 41. Dès le folio 69 l'auteur a atteint la fin du règne de Bau- douin le Lépreux.

2. Edition de Martène, col. 583. Edition de M. Guizot, p. 2. Edition tle rAcadémie, p. 1.

494 ESSIT

rien de plus que les continuations imprimées par dom Martène et par M. Guizot, sauf d'utiles variantes. La similitude des rédactions commence à ces mots : « Li « quens de Triple respondi que volentiers recevrait la « baillie^ »

Dès ces premiers événements, au contraire, nous trou- vons dans les manuscrits 8314-3 de Colbert et 8316 de Fontainebleau des additions considérables aux éditions et aux manuscrits de Berne. Après avoir inséré la traduction textuelle du fragment du XXIIP livre de Guillaume de Tyr, qu'il complète seulement par une indication chronologique fixant les faits rapportés à l'an 1185-, le compilatem- du manuscrit de Colbert, dans une division nouvelle, revient sur les mêmes faits et raconte de nouveau les circonstances au milieu desquelles le malheureux roi, dévoré de la lèpre, se détermine, par une inutile prévoyance, à appeler comme régent auprès de son successeur le comte Raymond de Tripoli, que les barons préféraient à Guy de Lusignan. Cette rédaction, plus développée que celle du manuscrit de Berne, avec laquelle elle ne s'accoi'de même pas exactement sur les détails, annonce déjà une main et une œuvre diffé- rentes. Bien que les deux récits semblent devenir concor- dants à partir de l'acceptation conditionnelle du comte de Tripoli: « Li quens de Tripoh respondi, » etc., passage reproduit dans tous les manuscrits de l'Eracles, les diffé- rences se représentent et se multiplient dès les événements suivants. De la conférence des deux textes il résulte évi- demment que la rédaction de Berne comme la rédaction de Noailles publiée par dom Martène et par M. Guizot n'est qu'un précis, quelquefois très - raccourci , de la partie

i. iMs. \[ de Berno, fol. G'J v°. Martt'ne, col. 585. M. Guizot, p. 8. Edition de l'Académie, p. 6. Ci-dessus, notre texte p. Ii6.

2. Ms. 8314-3. Ms. 8310, fol. 300 v», i"= col. : « Ce fu en l'an ). de. rincurnation de INostre-Seiixner mil et cent et quatre vinz et » cincanz. » Edition de l'Académie, p. 3.

DE CLASSIFICATION. ^95

correspondante des manuscrits de Colbert et de Fontai- nebleau 1.

Contrairement aux termes de son début, qui semblent annoncer uniquement un récit de la prise de Jérusalem, l'auteur de la chronique de Berne s'arrête à tous les événe- ments marquants de l'histoire de Syrie et de l'histoire de Chypre, pays qu'un incident de la croisade du roi Richard avait rattaché au sort de la terre sainte. On doit même re- marquer qu'Ernoul n'offre pas autant de renseignements sur les circonstances du siège et de la capitulation de la ville sainte qu'on aurait pu l'attendre d'un écuyer placé comme lui auprès du lieutenant du royaume; et cependant l'abrégé de Berne, semblable, comme nous l'avons dit, au texte de dom Martène, reproduit à peu près tout ce que renferme la grande rédaction de Colbert sur cette première époque.

La chronique de Berne termine son récit après avoir parlé de la mésintelligence survenue entre le roi de Jérusa- lem Jean de Brienne et l'empereur Frédéric II, son gendre (1225-1226), et après avoir mentionné pour dernier fait historique l'excommunication de l'empereur, décrétée le 29 septembre 1227. Voici les derniers mots de la chronique de Berne : « Quant li apostoles dire que li empereur « estoit einsi retornez, si fa moult dolenz de ce qu'il avoit « einsi traïz les pèlerins. Il l'escommenia et fist escomme- « nyer comme larron et traïtor qu'il estoit. Et manda par- « tôt qu'einsi treitement avoit traïz les pèlerins, et qu'en « l'escommenyast par totes les terres oii l'on creust « Dieu''^. » Ce passage se retrouve, mais encore plus concis, dans le texte de Y Amplissima Collectio, avant la fin du

1. Ce que nous disons ici de la rédaction du ms. D, s'applique également aux mss. G. et E. (1871.)

-2. Ms. 41 de Berne, fol. 106, Cf. édit. de dom Martène, col. 097. Edit. de M. Guizot, p. 'i 1 4.

V.Ki ESSAI

XXIV" livre, tandis que dans les mss. de Colbert et de Fon- tainebleau les événements auxquels il se réfère sont racontés avec des développements très-circonstanciés et sensible- ment différents.

Le manuscrit de Berne, comme on l'a vu, nous apporte une indication précieuse; il nous donne un nom certain et jusqu'ici inconnu à inscrire en tête des chroniqueurs, dont les œuvres sont devenues les continuations de l'histoire de l'archevêque de Tyr. Mais maintenant nous pouvons nous demander si le texte, souvent très-sonnnaire, que renferme ce manuscrit, est bien exactement, dans toute son étendue, le texte même d'Ernoul, l'auteur nommé incidemment, peu avant la bataille de Tibériade, en 1187. Ce manuscrit repro- duit-il, en totalité ou en partie, la rédaction originale du valet deBalian d'Ibelin? L'écuyer a-t-il écrit l'histoire des guerres saintes depuis le temps de Godei'roy du Bouillon jusqu'à la croisade de Frédéric II, de 1096 à 1227, ou au moins de 1183 à 1227 ?

Nous ne le pensons pas. Nous croyons qu'Enioul n'a pas prolongé aussi loin son histoire. Il semble qu'une main étrangère ait déjà repris la suite du récit avant l'année 1227, et que, par une circonstance analogue à celle qu'on a reconnue dans les compilations attribuées à Baudouin d'Avesnes ' , le seul manuscrit - soit conservé le nom (hi |)remier auteur n'est peut-être qu'un abrégé de sa propre chronique , déjà continuée quand le manuscrit fut écrit. Ici, à défaut d'informations positives, nous devons reclierclier les inductions et les faits historiques qui nous paraissent donner quelque vraisemblance à cette opinion.

A l'époque Ernoul était encore auprès de Balian d'Ibelin, il y avait en Palestine un religieux anglais nommé Raoul, qui, i-evenu plus tai'd en Angleterre, il fut abbé

1. M. V. Lecîerc, Histoire Ultêraire de France, t. XXI, p. 763.

'l. Nous (levons dire .'luiounl'liui : los trois inauuscrits (1871).

DE CLASSIFICATION. ' 497

du monastère de Coggesliale, dans le comté d'Essex, com- posa deux chroniques, l'une sur l'histoire de la terre sainte, Chf'onicon Terrœ Sanctœ, l'autre sur l'histoire d'An- gleterre, Chronicon Anglicanum^. Nous possédons ces deux chroniques. La première, destinée surtout à raconter le siège de Jérusalem, Raoul avait été blessé d'une flèclie à la figure, s'arrête en 1191, lors de la croisade des rois de France et d'Angleterre, très-succinctement indiquée. La seconde ne dépasse pas l'année 1216, dans laquelle mourut le roi Jean sans Terre. Il paraît d'autre part que l'abbé de Coggeshale cessa de vivre en 1218; l'on connaît du moins les noms de ses successeurs d'une manière certaine dès l'année 12232.

Or Raoul de Coggeshale, pour justifier la brièveté des détails de son histoire d'outremer, sur le voyage des deux rois à Saint- Jean d'Acre dans l'année 1191 , brièveté à la- quelle ne pouvait suppléer complètement sa chronique anglaise, renvoie à une histoire française traitant plus par- ticulièrement de ces faits, et déjà, dit-il, traduite en latin à Londres par les soins du prieur de la Trinité : « Si quis « plenius scire desiderat, légat librum quem dominus prior « Sanctœ Trinitatis de Londoniis ex gallica lingua in lati- « num tam eleganti quam veraci stilo transferri fecit ^. » Voilà donc en 1218, en 1223 au plus tard, une histoire des

1 . Ces deux chroniques ont été publiées dans le volume même de VAmplissima Collectio, Martène a donné la continuation de Guillaume de Tyr, t. V. Le Chronicon Anglicanum a été réimprimé en extraits dans dom Bouquet, Recueil des Historiens de France, t. XIII, p. 217; t. XVJII, p. 59.

2. Monasticon Anglicanum. Nouvelle édition, t. V, p. 451. Mar- tène (Amplissima Collectio, t. V, col. 545), par une erreur d'im- pression, dit que la chronique anglaise de Raoul de Coggeshale arrive jusqu'en 1228; c'est 1218 qu'il faut lire.

3. Chronicon Terne Sanctce, ap. Martène, Amplissima Collectio, t. V, col. 577.

32

498 ESSAI

événements de Syrie écrite en français, arrivant au moins en 1191, et qui ne peut être évidemment la traduction de Guillaume de Tyr, laquelle s'arrête comme le texte latin, en 1183.

Il est bien difficile de croire que ce livre, recommandé par Raoul de Coggeshale comme le récit le plus complet des derniers événements de terre sainte, et si promptement ac- cueilli en Angleterre, se renfermât exclusivement dans la relation de la prise de Saint-Jean d'Acre par les croisés. Il est bien probable, il est certain, peut-on dire, qu'il remon- tait au moins k la perte de Jérusalem, désastre qui, en affli- geant l'Occident, avait déterminé la nouvelle croisade; et dès lors il se pourrait que cette chronique, sur laquelle nous manquons au reste de tous autres renseignements, fût la chronique même d'Ernoul.

Si des observations ultérieures venaient à justifier cette supposition, nous aurions une preuve indubitable qu'Ernoul n'a point écrit la continuation de Guillaume de Tyr, jus- qu'en 1227, pas même celle du manuscrit de Berne, se trouve, à propos de circonstances de 1187, la mention for- tuite de son nom. Si l'abbé de Coggeshale citait le Livre d'Ernoul, Ernoul avait arrêté sa chronique avant 1218, ou tout au moins avant 1223. Sans doute, rien absolument dans les indications de l'abbé Raoul ne désigne l'écuyer de Bahan d'Ibelin; mais la composition même des chroniques d'outremer, a passer postérieurement la rédaction d'Ernoul, permet de supposer que l'écuyer n'a pas pour- suivi son récit jusqu'en 1218, et qu'il a le terminer avant cette époque.

En conférant les mss. de Berne et de Colbert au texte de Martène, on ne peut méconnaître qu'un même auteur a écrit, indépendannnent de la prise de Jérusalem, le récit de la croisade de 1191, la conquête de l'île de Chypre par Richard I", et la prise de possession du pays par Guy de Lusignan. Le règne d'Amaury, comme roi de Jérusalem,

DE CLASSIFICATION. 499

après le comte Henri de Champagne, dépend encore de la même rédaction ; mais une main nouvelle se manifeste clairement dès la mort de Henri de Champagne (1197), racontée dans lesmss. de Colbert et de Fontainebleau avec des circonstances toutes différentes de celles que donne la rédaction de Berne, toujours semblable à l'ancienne conti- nuation imprimée^. Il y a vers cette époque, dans tout le récit, soit sur cet événement, soit sur l'accord relatif au mariage des enfants d'Amaury avec ceux du comte Henri, et sur les circonstances Léon d'Arménie se dégage de l'hommage du prince d'Antioche, avant de recevoir la cou- ronne roj^ale, des changements si considérables dans l'ordre de la narration et l'historique des mêmes événements, qu'ils semblent ne pouvoir provenir que du mélange de deux ré- dactions antérieures et différentes , et dont l'une aurait commencé vers la mort d'Henri de Champagne. Peut-être faudrait-il alors réduire aux années antérieures à 1197, si ce n'est la chronique primitive d'Ernoul , du moins une chro- nique antérieure employée par Ernoul. La suite serait d'un autre ou de plusieurs autres écrivains, dont le dernier aurait donné l'abrégé général de toutes ces rédactions, tel que l'a conservé, avec l'heureuse mention du nom d'Ernoul, pre- mier rédacteur ou compilateur, le copiste du manuscrit de Berne.

Le texte inséré dans cems.- ne paraît être en effet, quelle que soit l'époque parvienne la chronique de l'écuyer, qu'un abrégé d'une œuvre antérieure et plus complète connue par les compilateurs des mss. de Colbert et de Fontainebleau. La comparaison suivie par nous avec soin du texte de Berne avec la leçon de ces deux manuscrits nous semble démon-

1. Ms. 8314-3 8316. fol. 357. Ms. do Berne H. 41, fol. 9G et suiv. Martène, col. 644 et suiv. M. Guizot, p. 222 etsuiv. Acadé- mie, p. 219, 220 etsuiv.

2. De même que le texte des mss. (]. et E. (1871 .)

I

500 ESSAI

trer ce fait. Si on en excepte en effet les préambules, sup- primés ou refaits arbitrairement par les copistes; si on en excepte encore les descriptions géographiques de la terre sainte et de la ville de Jérusalem, dont on regrette surtout l'absence dans les deux mss. français, la chronique de Berne ^ est, à tout prendre, dans sa partie historique, pres- que identique aux éditions de dora Martène et de M. Guizot, entre les années 1183 et 1227. Or la continuation publiée d'abord par le savant bénédictin n'est formée que d'extraits et de résumés quelquefois modifiés , mais infiniment plus concis dans leur ensemble que les continuations de Colbert et de Fontainebleau. Les allocutions directes qui animent fréquemment le récit dans ces deux manuscrits , sont abré- gées dans Martène ou émises sous forme narrative; les mots qui ne sont pas absolument nécessaires à l'intelligence de la plirase sont passés; on sent partout dans l'édition de VAmplissima Collectio , comme dans la rédaction de Berne, le travail d'un second écrivain qui cherche à abréger et à condenser une composition antérieure.

Tout ce qu'il y a d'historique dans le ms. de Berne se re- trouve dans les deux manuscrits de France sous une forme plus développée; et dès lors on est amené à considérer la riche narration des mss. de Colbert et de Fontainebleau comme une première rédaction de la chronique d'Ernoul. Il est en effet peu vraisemblable que l'écuyer de Balian d'Ibelin, témoin de la bataille de Tibériade , témoin de la capitulation de Jérusalem, et aussi apte, comme la plupart des chevaliers des Assises, h dicter un livre qu'à soutenir une discussion féodale, se fût borné au modeste rôle d'abré- viateur du travail d'autrui sur les événements auxquels il avait lui-même directement participé.

D'autres observations pourraient confirmer encore cette conjecture. Les faits relatifs à l'histoire de Chypre

1. Comme la chronique des mss. G. et E. (1871.)

nK CLASSIFICATION. o04

sont de ceux que l'auteur de l'abrégé de Martène et de Berne a le plus volontiers sacrifiés comme offrant sans doute moins d'intérêt pour la généralité des lecteurs que ceux de la Palestine. On comprend très-bien, au contraire, com- ment Ernoul, attaché à la grande famille des Ibelins, aussi influente dans le royaume 'des Lusignans que dans le royaume de terre ferme, aurait suivi avec la même sollicitude et les mêmes détails l'histoire des deux pays. Enfin, si l'on n'admet pas que la chronique, conservée dans les deux grands mss., bien qu'anonyme, est l'original de toute la partie historique de la chronique de Berne, attribué nomi- nativement à Ernoul, quel que soit d'ailleurs le terme chronologique l'on arrête celle-ci, il faudra supposer qu'il y a eu, indépendamment de la rédaction dite de Col- bert ou de Fontainebleau, une autre relation également dé- veloppée sur les mêmes événements, et antérieure comme elle à l'abrégé de Berne, supposition assez difiScile à ad- mettre. Ces raisons nous portent à croire que la première rédaction d'Ernoul existe en grande partie dans les textes des mss. 8314-3 de Colbert et 8316 de Fontainebleau, soit de 1183 à 1227, soit de 1183 à 1197. Nous ne déses- pérons pas qu'on retrouve un jour de nouveaux mss. les caractères de son originalité seront plus nettement établis. Maintenant qu'on nous permette d'ajouter une dernière conjecture à celles que le défaut de témoignages formels nous contraint de faire souvent pour avancer quelque peu dans ce sujet si confus et si obscur. Nous avons recherché parmi les chevaliers d'outremer de cette époque, portant le nom d'Ernoul ou d'Hernoul, celui qui pouvait le plus vraisem- blablement être désigné comme l'auteur de la chronique conservée en abrégé ou en totalité dans le ms. de Berne. De grandes probabilités nous semblent désigner Ernoul de Giblei S que Jean d'ibelin, sire de Beyrouth, laissa comme

1 . Giblot est Vawc.Biblos, sur la côte de Syrie, au nord de Beyroutli .

502 ESSAI

capitaine de l'île de Chypre au mois de mai 1232 ^ lors- qu'il se détermina à passer en Palestine pour attaquer les Impériaux, et que l'on retrouve en 1233 sous le nom de Ar^naix de Gibellet parmi les chevaliers fidèles aux Ibe- lins, arrêtant à Nicosie un traité d'alliance avec les Génois-; puis sous le nom de messir^e Hernois de Giblet, ou seule- ment de messire Harneis^, messire Henioul, au nombre des « grands plaideors » de la haute cour, dont Philippe de Navarre recommande la mémoire,

Les familles de Giblet et d'Ibelin, presque égales en no- blesse et en richesse, s'étaient liées par de nombreux ma- riages. Il eût été très-naturel que Balian d'Ibelin, père du sire de Beyrouth, eût pris auprès de lui, en 1187, un des jeunes gens de la maison de Giblet pour le former au métier des armes. On expliquerait aussi très-bien comment Ernoul, qui fit probablement ses premières campagnes avec Jean d'Ibelin, en quahté de page ou d'écuyer de son père, devenu chevalier à son tour, fût nommé par le fils, alors régent de Chypre, capitaine du royaume, charge qui le plaçait mo- mentanément comme son lieutenant pour la défense du pays. Ernoul de Giblet manqua, dit-on, de prévoyance dans ces fonctions : la chronique d'outremer lui reproche du moins d'avoir négligé l'approvisionnement de quelques châteaux que les Impériaux trouvèrent dégarnis en revenant dans l'île au mois de juin 1232 ^ Cette circonstance s'accorde-

1. Edition de dom Martène, col. 713. Edition de M. Guizot, }). M2. Les mss. 8314-3 et 8316, semblables ici au texte de VAm- plissima Collectio, nomment l'écuvcM- « Arneis de Gibelte. » Edit. do l'Académie, p. SU'J.

2. Histoire de l'île de Chypre sous le règne des princes de la maison de Lusignan, t. 11, p. 56, n. 7.

3. Philippe de Navarre. Assises de Jérusalem, t. I, p. 51.5, 527, 545, 570.— Cf. Jean d'Ibelin, comte de Jaffa. ^4ssises de Jérusalem, t. 1, p. 384.

4. Edit. de dom Martène, col. 713. Édit. de M. Guizot, p. 472.

DE CLASSIFICATIOIX 503

raitavec la certitude, constatée d'ailleurs par lems. de Berne, que la partie des chroniques postérieures à 1227, devenue, comme nous le verrons plus tard , des continuations de Guillaume de Tyr, ne peut pas être attribuée à l'ancien varlet de Balian d'Ibelin.

II.

CONTINUATEUR INCONNU.

Quoi qu'il en soit de la supposition concernant Ernoul de GLblet, deux faits certains nous paraissent résulter des observations précédentes : premièrement, un personnage nommé Ernoul, et attaché en qualité d'écuyer à Balian d'Ibelin, lieutenant du royaume de Palestine, a écrit ou fait écrire une chronique sur la perte de Jérusalem en 1187 et sur les événements postérieurs; secondement cette chro- nique, dont on ne connaît pas exactement le terme, et que l'auteur arrêta probablement avant 1227, ne se prolon- geait pas, dans tous les cas, au-delà de cette dernière année. ^

Nous allons dès lors trouver un nouveau continuateur différent d'Ernoul, dont nous avons parlé, différent de Bernard le Trésorier, dont nous aurons à nous occuper bientôt, et intermédiaire entre ces deux auteurs.

Le continuateur publié par dom Martène et par M. Gui- zot, qui ne peut plus être ici l'écuyer d'Ibelin puisque nous arrivons à l'année 1228, en rappelant les événements de la croisade entreprise enfin après tant de délais, cette même année 1228, par l'empereur Frédéric II, déjà excommunié, et la guerre dite des Lombards, qui troubla l'Orient latin à

I . On verra dans mon avertissement que les mss. ne nous au- torisent pas à être aujourd'hui si formels à cet égard (1871).

504 ESSAI

la suite de la croisade ^ semble avoir consulté des relations écrites dans un esprit tout opposé. Tantôt il insiste complai- samment sur les événements défavorables à la politique et à la moralité de Frédéric II, tantôt il explique ou atténue les circonstances contraires à la cause impériale, comme aurait pu faire Richard de Saint-Germain, ou tout autre Gibelin dévoué. Ces ménagements, ces contradictions se re- trouvent aussi, après l'année 1227, dans la compilation des mss. de Colbert et de Fontainebleau, qui conservent néan- moins sur l'édition de dom Martène, pendant les années 1227 à 1230, toute leur supériorité.

Les conventions des Ibelins avec la reine-mère Alix de Champagne au sujet de la régence du royaume, sous la mi- norité d'Henri P"', les discussions qui ne tardèrent pas k s'envenimer enti'e une famille toute-puissante dans les deux royaumes et une princesse dont les droits étaient contestés; la formation d'un parti opposé aux Ibelins ; l'alliance de ce parti avec Frédéric ; le séjour de l'empereur en Chypre; ses démêlés avec le vieux sire de Beyrouth qui, en résis- tant aux desseins du prince, sut respecter toujours en lui la dignité souveraine et suspendre jusqu'à son départ des hos- tilités imminentes; tous ces événements, si longuement ex- posés par le digne continuateur de la grande rédaction que nous appelons de Colbert et de Fontainebleau-, sont totale- ment passés sous silence ou à peine indiqués à la fin du vingt-quatrième livre de l'ancienne continuation de Mar- tène; et toutefois cette continuation, bien que sommaire, donne quelquefois des détails et des faits saillants, négligés par l'auteur de la grande rédaction 'K

1. Martène, col. 607-700. M. Guizot, p. 412-426. Cf. l'édit. de l'Acad. p. 366 et suiv.

2. Cette riche Continuation est la base de l'édition de l'Acadé- mie, p. 360 et suiv.; p. 366 et suiv.

3. Tel est le passage l'auteur de l'aljrégé parle des circons- tances qui forcèrent Arnaury de Lusignan à reprendre une partie

DE CLASSIFICATION. 305

Il est donc possible qu'il y ait eu , indépendamment de la chronique métrique que l'on sait avoir été écrite par Pliilippe de Navarre sur les événements d'outremer à cette époque ' , une relation particulière de la croisade de Frédéric II et de la guerre civile dont elle porta le germe dans les colonies d'Orient, à laquelle divers continuateurs de Guillaume de Tyr ont postérieurement recouru.

Un chroniqueur florentin de la fin du xiif siècle, Ricor- dano Malispini, semble désigner cette histoire en renvoyant ses lecteurs, pour éviter les détails du voyage de l'empereur en Orient, au Livre du Conquet de Frédéric. Ce titre ne peut désigner qu'une relation de croisade. Mais proba- blement, au lieu d'indiquer une histoire spéciale et séparée du passage outremer de Frédéric, Malispini n'a-t-il en \nie que les compilations générales de l'histoire des guerres saintes, il est assez longuement question de la croisade de 1228, et qui existaient déjà depuis plus d'un quart de siècle à l'époque il écrivait.

Nous rapporterons en entier le passage delà Storia fîoren- tina, l'un des plus anciens monuments de la littérature ita- lienne; car, sans connaître autrement le Livre du conquet de Frédéric, nous pouvons retirer quelques conséquences nouvelles de l'indication qu'elle renferme : « In continente » che Federigo, dit Malispini, ebbe la novella oltramare-, » lasciô un suo maliscalco, il quale non contese ad altro » che a guerregiare... collo re Arrigo di Cipri e co' baroni

des fiefs donnés par son frère Guy (Martène, col. 638. Guizot, p. 198). Telles sont encore les circonstances de la donation d'un château que fit Saladin à Balian d'Ibelin (Martène, col. 640. Guizot, p. 207), et celles du mariage des enfants d'Amaury avec les enfants d'Henri de Champagne (Martène, col. 641. Guizot, p. 208). Voy. notre Hist. de Chypre, t. II, p. 8.

1. Voy. le Mémoire sur Philippe de Navarre, par M. Beugnot, Bibliothèque de l'Ecole des chartes, 1" série, t. 11, p. 17.

2. De l'invasion de Jean de Brienne en PouiUc.

:i06 ESSAI

» di Soria. E sconfissegli a Saette; ma poi fu egli scon- » fitto in Cipri, e perde quivi tutto suo reame di Geru- » salem in poco tempo, che la ripreseno i Saracini par » la discordia ch' era tra '1 detto maliscalco e gli altri si- » gnori de' cristiani. E chi queste storie vuole sapere » legga il Libro del conquisto di Federigo ^ . »

La défaite des Chypriotes sur la côte de Syrie, rappelée par le chroniqueur toscan , est du 3 mai 1232; la déroute des Impériaux près du village d'Agridi, en Chypre, est du 15 juin de la même année; leur expulsion de l'île, après la reddition du château deCérines, n'ayant eu lieu que l'année suivante, 1233, nous voyons d'abord que le^ Livre du conquet de FrédéHc, distinct ou non distinct des suites de Guillaume deT}T, mais dans tous les cas postérieur à la chro- que d'Ernoul, arrivait au moins jusqu'à l'époque les parti- sans de l'empereur furent définitivement chassés de l'île de Chypre, c'est-à-dire jusqu'à l'année 1233. Nous allons re- connaître maintenant que ce Livre ne peut être la chro- nique de Bernard le Trésorier, terminée en 1232. La source que citait Ricordano Malispini, vers la fin du xiii^ siècle, peut être la chronique de Bernard, déjà continuée; mais, plus vraisemblablement , la citation de Malispini se réfère, comme nous l'avons déjà dit, à la rédaction générale' du Conquet ou de l'Éracles renfermant le texte français de Guillaume de Tyr, avec l'une des continuations ajoutées à cette traduction au moyen des chroniques d'Ernoul, de Bernard le Trésorier et d'autres écrivains postérieurs. C'est ce que nous essaierons de prouver quand nous arrive- rons à parler de ces compilations. Nous devons nous occuper d'abord de Bernard le Trésorier et de son œuvre.

1. Storia jiorentina di Ricordano Malispini col serjui/o di Gia- como Malispini sino alV anno 1286, ridotla a miglior lexione, da V. FoUini, p. «J8. Florence, 1810, in-4<'.

DE CLASSIFICATION. 307

III.

BERNARD LE TRESORIER.

Le témoignage de deux monuments originaux ne permet pas de douter, quoi qu'on en ait dit, que le religieux nommé Bernard le Trésorier soit l'auteur de l'un des précis de l'histoire des croisades répandus au moyen-âge et conser- vés aujourd'hui, soit séparément, soit dans les manuscrits généraux des guerres d'outremer que nous nommons l'his- toire d'Eracles ou du Conquet. Ces monuments sont d'abord la clironique du xiii® siècle, existant en double copie con- temporaine, l'une à la bibliothèque de l'Arsenal, à Paris \ l'autre à la bibliothèque de Berne-, et secondement la rela- tion des guerres d'outremer, composée en latin, vers 1320, par un dominicain du couvent de Bologne nommé François Pipino ou Pépin, dont nous parlerons bientôt.

La chronique de Bernard le Trésorier, confondue presque toujours dans les manuscrits avec les divers matériaux historiques emploj^és dans les compilations de l'Eracles, se retrouve quelquefois isolément, mais sans nom d'auteur et comme une composition anonyme ^. Les manuscrits de Paris et de Berne seuls, parmi ceux que nous avons consultés, nous rendent, avec l'ensemble bien arrêté de son ouvrage, le nom même de l'auteur. Nous devons donc les prendre pour guide et pour terme de comparaison de toutes nos observations.

L'auteur est ainsi nommé à la fin des deux textes , non pas dans une indication inopinée, comme Ernoul sur le ms.

1. Ms. n. 677, in-4°, xiii^ s. —Aujourd'hui notre ms. A.

2. Ms. H. n. 340, in-4'', xm^ s. Notre ms. B.

3. Par exemple tlans le ms. de la bibliothèque de Berne, côté H. 113.

:i08 ESSAI

41 de Berne, mais dans une note formelle, écrite de la main même qui, au xni® siècle, a transcrit la chronique entière : « Explicit liber. Ceste conte de la terre d'Outremer fist » faire li trésoriers Bernars de Saint Pierre de Corbie en la » carnation mill'o CG. XXX. IP. » Cette note n'a pas paru suffisante à l'un des savants continuateurs de Y Histoire liltéraire de France pour voir dans Bernard le Trésorier l'auteur véritable de l'œuvre qu'elle termine. « Bernard » serait, dit-on, le protecteur du scribe ou de l'auteur du » volume, et non pas le scribe ou l'auteur lui-même. Il n'a » pas fait, il a fait faire ~. » Mais nous ne craignons pas d'en appeler sur ce point à un nouvel examen du savant critique, et nous croyons devoir maintenir l'attribution déjà indiquée par nous et par les derniers éditeurs de Guil- laume de Tyr^.

Il faut reconnaître sans doute que l'expression fai fait écrire, quand elle émane d'un personnage considérable dans l'Eglise ou dans l'Etat, comme pouvait être le seigneur Baudouin d'Avesnes, chez qui on la retrouve^, peut dési- gner quelquefois le patron éclairé chargeant un secrétaire ou un protégé de rédiger des mémoires, plutôt que l'auteur réel de la composition. Mais en général il est plus juste de considérer ces mots comme indiquant celui-là même qui a positivement rédigé ou dicté l'œuvre en question. Le moine de Corbie pas plus que l'écuyer de Balian d'Ibelin n'ont occupé une situation tellement élevée qu'ils ne pussent donner leurs soins à la composition des chroniques qu'ils disent avoir fait faire. On peut hét>iter d'autant moins à les regarder comme les vrais rédacteurs de ces chroniques que nous voyons la locuiion. J'ai fait faire, ou. J'ai fait ècrh-e, seul motif du

1. Ms. <lo l'Ai-sonal, loi. 128. Ms. de Bomo, fol. 127.

2. M. P. r*aris, Histoire littéraire de France, t. XXI, p. 683.

3. Historiens occidentaux des croisades , t. I, prêt"., p. xxm.

4. Voy. Histoire liltéraire de France, t. XXI, p. 651.

DE CLASSIFICATION. 509

doute émis sur l'œuvre de Bernard le Trésorier, employée par le modeste écrivain de la cour des bourgeois de Nicosie, comme par le sénéchal de Champagne: « Ce livre, dit l'auteur » de l'abrégé des Assises bourgeoises, peut estre appelés le » livre contrefais au livre des assises; et pour ce que celui » qui l'a fait et dite, l'a fait escrire par grant dezîr, et non » pas par seurté de son sens, mais, etc., non osant noumer » le Livre des Assises selon la petitesse de lui ^ » « Chier sire, disait d'autre part Joiiiville à Louis X, dans » la dédicace de ses Mémoires, ma dame la rojne vostre » mère qui moult m'amoit, me pria que je li feisse faire » un livre des saintes paroles et des bons faiz nostre roy » saint Looys, et je les y oi en convenant. Et à l'aide de V Dieu le livre est assouvi. . . Et ces choses ai-Je fait escrire » aussi à l'honneur du vrai cors saint, etc. ^ » L'expression fai fait faire, ou J'ai fait écrire provenait sans doute de l'usage de faire transcrire au net par des copistes de pro- fession une première rédaction, ou de l'habitude fréquente au moyen-âge de dicter à haute voix. Villehardouin se nomme ainsi comme le rédacteur de la Conquête de Cons- tantinople : « Joffrois li mareschaus qui ceste œuvre » dicta; » et ailleurs : « Joffrois li mareschaus de Cham- » paigne qui ceste oevre traita^. »

Bernard le Trésorier reste donc pour nous l'auteur per- sonnel et certain des chroniques renfermées sous son nom dans les deux manuscrits de Berne et de l'Arsenal. Et puisque, dès l'an 1232, Bernard a fait mettre par écrit son liistoire, dont les derniers événements sont de l'année 1230- 1231 , il ne peut avoir composé ce livre du Conquet de Fré- déric cité par Ricordano Malispini et qui arrivait au moins à l'année 1233.

1. Assises de Jérusalem, t. Il, p. 235.

2. Recueil des historiens de France, t. XX. p. 191.

3. Edit. P. Paris, p. 37, 54, 70, 152.

510 ESSAI

On pourrait croire toutefois que Bernard a connu l'Orient et l'a même peut-êti^e habité ou visité vers ce temps. L'his- toire de l'abbaye de Corbie, sur laquelle un bénédictin, originaire de Picardie, a recueilli de volumineux matériaux' , ne nous apprend malheureusement rien de ce qui peut con- cerner l'ancien trésorier, si ce n'est que l'office dont il a retenu la qualification existait en effet depuis le xiii'' siècle à Corbie. Nous n'avons trouvé d'ailleurs nulle mention de son nom ni de son œuvre dans les chroniques, les chartes , les anciens catalogues , les nécrologes même de l'abbaye, à moins qu'il n'ait été obscurément inscrit sous le nom de moine Bernard, Bernardus monachus noster, qu'on retrouve sur quelques obits. La maison semble avoir perdu tout-à-fait le souvenir d'un des religieux qui put contribuer beaucoup à sa renommée; et d'autre part, en présence du témoignage formel attestant que Ber- nard a été trésorier de l'abbaye de Saint-Pierre de Corbie, on est amené à croire que le religieux^ bien qu'ayant reçu le titre et sans doute exercé quelque temps les fonctions de trésorier du monastère, vécut ensuite hors de sa première communauté, il fut bientôt oublié, et peut-être en terre sainte, tant de pèlerins, de religieux et de fidèles venaient encore au xiif siècle terminer leurs jours. L'archidiacre de Liège, ancien chanoine de Lyon, vivait ainsi dans la retraite à Saint-Jean d'Acre, quand une détermination inattendue des cardinaux l'appela au saint-Siège, il prit le nom de Grégoire X.

Mais examinons de plus près quelle est l'œuvre du reli- gieux de Corbie, sans quitter les manuscrits originaux, car la compilation de Pipino de Bologne , utile pour constater surabondamment les titres de Bernard à prendre rang parmi

1. Dom Grenier. Les manuscrits réunis par ce savant religieux pour composer une histoire de la Picardie sont conservés à la Bi- bliothèque nationale à Paris.

DE CUSSIFICATION. 5^^

les historiens d'outremer, ne renferme cependant , comme nous le verrons plus tard, que des extraits fort abrégés de son histoire.

La chronique commence par ces mots, au premier folio des manuscrits de Paris et de Berne : « En l'an de l'incar- » nacion nostre seignor Jhesu Crist M. C. I. ^ , morut Go- » defrois, li dux de Boillon et rois de Jherusalem. Après » lu}^ fu rois Baldoins ses frères qui fu quens de Edesse » c'um apele Boais, et en leu de celui Baldoms fu quens de » Boais Baldoins de Bourre ~. » Elle continue ainsi, avec une brièveté quelquefois peu exacte, un aperçu rapide de rhistoire du royaume de Jérusalem, l'auteur, originaire peut-être de cette partie de la Picardie que possédèrent les comtes de Flandres, ne néglige pas les occasions de rappeler la coopération des Flamands aux premières croisades, et arrive cependant en quelques phrases aux temps de Bau- douin ni et d'Amaury T'". Il se borne à mentionner ensuite d'un mot les règnes des deux successeurs de Foulques : « Après cestui fu roys Baldoins ses filz. Et qant il fu morz, » si fu roys Amauh*is ses frères, quens de Jaffe.3 »

Du reste, si, dans cette entrée en matière, qui n'est qu'une sorte de prologue récapitulatif comme les chroni- queurs du temps en mettaient souvent en tête de leurs livres, le trésorier de Corbie est d'une telle concision, c'est qu'il va revenir sur les mêmes événements. Après la der- nière phrase que nous venons de citer, Bernard reprend en effet de la sorte : « Oez et entendez coment la terre de Jhe- » rusalem fu prise et la sainte croiz fu conquise de Saracins » sor Cristiens. Mais ainçois ke je vos die, vos nomerai les » roys et les seignors qui i furent puis le tens le duc Gode-

i. Sic, dans les deux manuscrits de Berne et de Paris. La vraie date de la mort de Godefroy est cependant 1100. '2. Ms. de l'Arsenal, fui. 1 v°. Ms. de Berne, 340, fol. 1. 3. Ms. de l'Arsenal, fol. 2 v». Ms. de Berne, fol. i v».

542 ESSAI

» froi de Buillon ^ . » Ces mots sont le début même de la chronique du manuscrit de Berne n'^ 41, que l'on doit appeler la chronique d'Ernoul, mais que nous avons considérée seulement comme l'abrégé de l'œuvre de l'écuyer.

Le religieux de Corbie, comme Ernoul ou l'abréviateur d'Ernoul, emprunte au récit des guerres saintes composé avant lui ce qui répond à son dessein ; il y ajoute bien, surtout dans le commencement, quelques faits nouveaux qu'il a pu recevoir lui-même de la tradition, et dont l'exac- titude d'ailleurs n'est pas toujours certaine; mais il suit géné- ralement pour la narration des faits historiques l'ancien abrégé, connu par la publication de Martène, qui forme la base même de sa chronique jusqu'à l'année 1227. L'histoire de Godefroy de Bouillon et de ses successeurs est aussi briève- ment indiquée dans les manuscrits de Bernard que dans l'abrégé d'Ernoul; les démêlés de Beaudouin IV et de Guy de Lusignan, la bataille de Tibériade, la prise de Jérusalem y sont racontés dans le même ordre, avec les mêmes ex- pressions. Arrivé au siège d'Ascalon par Saladin, et avant la prise de Jérusalem, Bernard le Trésorier comme Ernoul rattaclie très à propos à son récit l'ancienne description de la ville sainte, qui est un morceau de grand intérêt. Divers compilateurs de l'Eracles ont connu cette topographie de la Jérusalem des croisés; et ils l'ont difFéremment utilisée en la déplaçant. Au lieu de la donner comme Ernoul et Bernard lors de la reddition de la ville à Saladin, les uns l'ont in- sérée à l'époque de la cession de Jérusalem à l'empereur Frédéric II par le sultan d'Egypte en 1229 ~; les autres

1. Ms. de l'Arsenal, fol. 2 \°. Ms. de Berne, fol. 1 v.

2. Ms. 8404, Bibl. nat., fol. 310. Ms. 387. Fonds de Sorbonne. Bibl. nat., fol. 304. La plus t^rande partie de la description a été publiée d'après ce manuscrit par M. le comte Beaj^not, à la suite des extraits historiques du cartulaire du Saint-Sépulcre, Assises de Jérusalem, t. il, p. •^)3I.

DE CLASSIFICATION. 543

l'ont rejetée à la fin, comme l'Eracles de Noailles \ dom Martène l'a trouvée sans la reproduire.

Après cette description, qui annonce chez l'auteur une connaissance toute locale des rues de Jérusalem, Bernard le Trésorier suit toujours le texte de Berne, 41, absolument semblable au vingt-quatrième livre de dom Martène^. Le récit ne nous offre rien à remarquer, si ce n'est de nou- velles preuves de l'antériorité probable de la leçon de Ber- nard ou d'Ernoul dans les manuscrits de Berne et de l'Ar- senal sur la compilation publiée par dom Martène, et de la priorité de la rédaction des manuscrits de Colbert et de Fontainebleau sur toutes les autres.

Parvenu ainsi à l'année 1227, se termine le premier abrégé, Bernard continue sa narration dans les mêmes proportions que précédemment ; et tout ce qui suit jusqu'à la fin de la chronique, à partir de ces mots : « Li empereres » envoia messages al soutan por faire pais forée ^, » nous semble être sa rédaction et son œuvre propre. L'ancien reli- gieux de Corbie s'occupe surtout dans ces dernières pages de la croisade entreprise par Frédéric II , sous le coup de Tanathème de Grégoire IX. Il signale à plusieurs reprises '^ les relations secrètes du prince avec le sultan d'Egypte, relations niées par les historiens gibelins, presque inaper- çues même dans la rédaction des manuscrits de Colbert et de Fontainebleau, mais rappelées, avec les plus piquantes particularités, par les écrivains arabes^. Au prix de tous

1. Aujourd'hui ms. de la Bibl. nat., n" 104 du Suppl. français.

2. Ce livre répond aux pages 123-379 de l'édition de l'Académie, du chapitre xiii, XXIV^ livre, au chapitre xii, XXXIII^ livre, inclusivement.

3. Ms. de l'Arsenal, fol. 123 v. Ms. de Berne, fol. 122. Martène col. 697. M. Guizot, p. 414.

4. Martène, col. 697 et suiv.

' 5. M. Reinaud, Extraits des chroniqueurs arabes t. IV de la Bibliothèque des Croisades, ]). 42G et suiv.

33

314 ESSAI

les sacrifices, Frédéric pressait la conclusion d'un traité en apparence au moins satisfaisant pour son honneur, ou, comme dit Bernard, d'une paix fourrée. Il demandait sur- tout que le sultan lui remît, ne fut-ce que pour quelques temps, la possession de Jérusalem, afin de laisser attachée au souvenir de sa croisade, comme un défi adressé au pape qui l'avait excommunié, la gioire d'être rentré le premier dans la ville sainte, d'où les chrétiens étaient sortis depuis un demi-siècle. Tout le reste était chez l'empereur fauœ et mauvais. En lisant ce récit accusateur, on a peine à comprendre comment l'opinion de quelques écrivains d'Italie ^ qui ont fait de Bernard un trésorier de l'empereur Frédéric, a pu être sérieusement acceptée-.

Le chroniqueur se hâte de conduire l'empereur dans la ville de Jérusalem, ouverte enfin à son impatience par la paix du 18 février 1229. Il raconte son retour précipité en Italie à la nouvelle de l'agression de Jean de Brienne sur les terres de son domaine; et, sans dire un mot des inimitiés des Ihelins avec les Impériaux, manifestées cependant avant le départ de Frédéric pour l'Occident, il mentionne la récon- ciliation du pape avec l'empereur, revenu en Italie, que constata une bulle d'absolution du 28 août 1230; puis la reconnaissance de Jean de Brienne comme régent de l'em- pire de Constantinople, iait qui ne peut être antérieur, sui- vant Richard de Saint-Germain^, au milieu de l'année 1231, et termine ainsi sa chronique : « Li empereres (Bau- » douin II de Courtenai) et li chevaliers de la terre firent » volentiers quanque li rois Jehan lor devisa, si corn il » avoient en couvent, et li rois à tant s'en tint"*. »

\. Boiardo, entre autres, dont il sera parlé plus loin.

2. Voy. la Bibliothèque des croisades, t. II, p. 555, 582. M. Pe- til-Radel avait remarqué déjà l'invraisemblance de cette tradition. Histoire littéraire de France, t. XVIll, p. 414-415.

3. Chronic. ap. Muraturi, Script. Rer. Italie, t. VII, col. 1027.

4. M. de l'Arsenal, fol. 128. Ms. de Berne, fol. 127. Cf. Mar-

DE CLASSIFICATION. 515

Nous connaissons maintenant l'œuvre de Bernard le tré- sorier, et nous pouvons, en réduisant infiniment ses titres littéraires, constater son droit à figurer, pour une part bien faible, mais certaine, parmi les écrivains originaux de l'Éracles ou du Conquet. A son prologue historique, Ber- nard fait succéder l'abrégé de l'histoire d'outremer jusqu'en 1227, et le continue lui-même jusqu'en 1230-1231. Nous pouvons considérer comme son titre principal , et tout au plus comme son unique labeur historique, la courte conti- nuation de 1227 à 1231, qui est restée annexée à l'abrégé dans la plupart des manuscrits. Nous ne pouvons plus re- vendiquer pour lui le mérite d'avoir traduit et continué l'œuvre même de Guillaume de Tyr. Cette ancienne opi- nion , accréditée par Muratori l , admise par dom Car- pentier ^, par Mansi^, par M. Raynouard'* et par de sa- vants modernes^, doit nécessairement être abandonnée en présence des manuscrits originaux de Berne et de l'Arsenal. Toutefois il nous semble difficile de croire, avec un érudit dont l'assentiment confirme d'ailleurs les observations pré- cédentes'', que Bernard letrésorier, n'eût-il jamais quitté la Picardie, n'a pu connaître le grand ouvrage de Guil- laume de Tyr. Dès l'année 1218, en effet, et peut-être au-

tène, col. 702. M. Guizot, p. 430. A la suite de la Chronique se trouve, dans les deux manuscrits de Berne et de Paris, une tlescription des pèlerinages de terre sainte.

1. Scriptores Reriim Italicarum, t. VU. Praîf., p. 659 et suiv.

2. G^Zossar. édition des Bénédictins. Suppl. 1766. t. IV, p. xj.

3. Notes à Rinaldi, Annales ecclesiastici, 1747, t. XX. Praefat. et p. 567, not., et son édition de Fabricius, Bihlioth. mediœ lati- nitatis, t. I, p. 234, ''^, Bernardus Thesaurarius.

4. Journal des savants, 183G, p. 606.

5. M. Michaud, Bibliothèque des croisades, t. il, p. 555, 581 bis. M. Petit-Radel, Histoire littéraire de France, t. XVIII, p. 414. M. Guizot, Collection de Mémoires, t. XVI. Préf. p. iv. Traduction de Guillaume de Tyr.

G. Histoire littéraire de France, t. XXI, p. 684.

I

5^6 ESSAI

paravant, l'Angleterre possédait des relations françaises de la croisade de Saint-Jean d'Acre ; et nous avons encore des manuscrits de la version de l'histoire de l'archevêque, qui touchent par leur ancienneté au temps même vivait le religieux de Corbie.

Comme Ernoul, comme l'auteur inconnu qui avait conti- nué et abrégé peut-être déjà la chronique de l'écuyer de Balian, Bernard le trésorier composa un ouvrage complet en lui-même et qui ne devait faire suite à aucun autre. Ce n'est qu'ultérieurement et indépendamment de l'inten- tion de l'auteur, intention attestée par des manuscrits irrécusables, que son œuvre, réunie à celle des auteurs précédents, fut rattachée à la versicm française de Guillaume de Tyr, et utilisée en même temps que modifiée dans les compilations générales de l'histoire des croisades.

L'abrégé de Bernard le Trésorier s'étant rapidement répandu, remplaça l'ancien précis, qu'il dépassait, et fit négliger même l'ample chronique de Colbert que nous sup- posons être l'original d'Ernoul, circonstance étrange, mais qu'il est impossible de méconnaître, car sur les compilations des guerres d'outremer, au nombre de près de quarante signalées au commencement de ce mémoire, deux seulement ont conservé la grande rédaction, quand toutes les autres renferment à sa place l'abrégé qui en avait été fait.

Bernard le Trésorier ayant poursuivi sa continuation jus- qu'à la croisade de Frédéric II, dont le récit plus développé que la compilation à laquelle elle était réunie lui apparte- nait en propre, il se pourrait qu'on eût quelquefois désigné sa chronique sous le titre à! Histoire de la croisade de Frédéric II, événement récent sur lequel elle pouvait faire autorité. Bernard le Trésorier est dans tous les cas, et sans aucun doute, le guide qu'a suivi François Pipino dans sa chronique générale ^ en parlant de la croisade de l'empereur

I. Chronicon fralris Francisci Pipini Bononîensis ordinis Prœ-

DE CLASSIFICATION. oH

Frédéric. Après avoir sommairement rappelé les faits jus- qu'à la réconciliation du pape et de l'empereur en 1230, tels qu'ils sont racontés dans les manuscrits de Bernard 1(^ Tré- sorier et dans l'ancienne continuation imprimée, Pipino ajoute en effet : « Hsec ex historia de passagio ultramarino " » traducta sunt quam composuit Bernardus thesaurarius ' . » Il semblerait encore que le Livre du Conquet de Frédéric, cité dans l'histoire de Ricordano Malispini , pût être aussi la chronique de Bernard le Trésorier, mais nous avons re- connu que la som^ce consultée par le chroniqueur toscan, se prolongeant au moins jusqu'en 1233, ne pouvait être l'œuvre de Bernard le Trésorier , arrêtée aux événements de 1230-1231 et dont les manuscrits sont datés formellement de 1232.

Nous croyons que ce Livre du Conquet de Frédéric n'était déjà plus une des compositions originales comme celles d'Ernoul et de Bernard le Trésorier, mais bien une compilation générale de l'histoire des croisades, formée des chroniques antérieures et dès lors continuées. Pipino lui- même, dans la suite de sa chronique d'Italie, en revenant encore sur les événements de la croisade de l'empereur, semble abandonner l'histoire de Bernard le Trésorier, pour suivre le recueil du Conquet qu'il désigne suffisamment sous le titre de Historia de Acquisitione Terrœ Sanctœ'^. A l'époque écrivaient le religieux de Bologne et l'ancien historien de Florence, la chronique de Bernard le Trésorier était depuis longtemps en effet comprise dans les continua-

dicatorum, ahanno 1176 tisque ad annum circiier 1314, ap. Muratori, Script. Rerum Italie, t. IX, col. 581; différente de son histoire des croisades, intitulée (inexactement) Bemardi Thesaurarii His- toria de Acquisitione Terrœ sanctœ, et imprimée dans le t. VII de la collection.

1. Muratori, Scriptor. Rerum Italicarum., t. IX, col. 650.

2. Chronicon fr. Francisci Pipini, ap. Murât , t. IX, col. 667.

5^8 ESSAI DE CLASSIFICATION.

lions de Guillaume de Tyr, que nous allons voir dans la seconde partie de notre mémoire se former, s'étendre progressivement et arriver jusqu'à la prise de Saint-Jean d'Acre.

DEUXIÈME PARTIE.

COMPILATIOJNS GÉNÉBALES DE l'e'rACLES ET LEURS COINTINUATIOINS.

PREMIERE EPOQUE.

Réunion des chroniques précédentes à la traduction de Guillaume de Tyr. Traduction abrégée d'une compilation de cette époque, par François Pipino, de Bologne. Autres observations concernant l'œuvre de Bernay^d le Trésorier.

Nous sommes parvenus à l'année 1230-1231 de l'histoire des croisades et de l'histoire des royaumes latins d'outre- mer, sans qu'aucun des monuments successivement exa- minés nous autorise à croire qu'il existât encore à cette époque des compilations renfermant la chronique de Guil- laume de Tyr avec ses premières suites.

Avant d'entrer dans la période vont paraître et se succéder les vraies continuations de l'œuvre de l'arche- vêque, rappelons les faits principaux qui ont été exposés dans la première partie de notre mémoire, et précisons le point ils nous ont amenés.

Nous avons vu qu'un écuyer de Baliand'Ibelin, peut-être Ernoul de Giblet, devenu, plus tard, l'un des seigneurs et des habiles jurisconsultes de la haute cour de Chypre, était

520 ESSAI

Fauteur d'un récit des événements qui amenèrent la perte de Jérusalem, événements dont il avait été le témoin. Nous avons insisté sur les motife qui nous font croire que cette chronique, terminée en 1218 ou 1227, ne se trouve qu'en abrégé dans le manuscrit numéro 41 de la bibliothèque de Berne, et qu'elle existe avec ses développements originaux, à l'exception de la partie géographique, dans les manus- crits de Colbert et de Fontainebleau.

De nouvelles continuations, méconnaissables aujourd'hui dans les compilations elles ont été réunies confusément, nous ont paru commencer vers 1227, et atteindre au moins l'année 1232. Nous avons vu que, antérieurement à ces ' dernières rédactions, une compilation , résumé des chroni- ques précédentes arrivant en 1227, avait été entreprise par un écrivain ignoré. Suivant nous, c'est la chronique abré- gée qui se trouve dans le manuscrit de Berne, l'auteur, peut-être le copiste, par une addition très-heureuse, a con- servé le nom d'Ernoul, l'un des premiers historiens d'outre- mer, par sa date, après Guillaume de Tyr. Bernard le Tré- sorier, qui a peut-être vécu en Orient, ne nous paraît être que le continuateur de cet abrégé depuis l'année 1227 jus- qu'à l'année 1231 seulement.

Ces faits seraient-ils, dans leurs rapports et leur enchaî- nement, moins probables que nous le supposons, il paraît au moins établi que, dès le premier tiers du xiii® siècle, il existait en Orient et en Europe plusieurs chroniques fran- çaises relatives aux événements survenus outremer depuis la prise de Jérusalem par Saladin, en 1187, jusqu'à la croi- sade de l'empereur Frédéric II et à son retour en Itahe, de 1228 à 1231. Or rien ne prouve que la grande histoire latine de Guillaume de Tyr eût été encore à cette époque mise en français. Les manuscrits de Berne, comme celui de l'Arsenal, les plus importants monuments qu'on puisse ici consulter, tendent à établir au contraire qu'Ernoul et Ber- nard le Trésorier, conmie nous le pensons avec les savants

DE CLASSIFICATION. 52<

éditeurs du texte de Guillaume de Tyr ^ écrivirent avant la traduction de l'œuvre de l'archevêque.

C'est la notion principale que nous tenons surtout à conserver comme résultat de notre premier exposé. Si ce fait est bien établi, il justifie la division que nous avons faite des chroniqueurs dont les écrits ont été employés dans les continuations de Guillaume de Tyr en deux classes bien distinctes : premièrement celle des auteurs qui ont composé des chroniques séparées et antérieures à la version de la grande histoire des croisades, comme Ernoul et Bernard le Trésorier; secondement celle des auteurs qui ont écrit ou compilé postérieurement à la traduction de YHistoria transmaiina et qui se sont proposé expressément de la continuer, soit en Orient, soit en France.

Parvenus ainsi au milieu du xiii*' siècle , nous reconnais- sons, par de nombreux manuscrits-, que l'histoire de Guillaume de Tyr était dès lors traduite en français, et nous voyons cette traduction multipliée par les copistes de pré- férence à l'original latin. Nul monument du reste ne nous donne la date même à laquelle cette traduction fut exécutée; nulle indication ne nous fait connaître le nom de son auteur. Il est possible qu'un certain Hugues Plagon , dont nous aurons à parler plus tard, soit le traducteur, et l'on peut désigner le temps de la croisade de l'empereur Frédéric II comme l'époque la plus probable l'œuvre fut entreprise, en considérant l'âge des plus anciens manuscrits, la multipli- cité des écrits français et l'extension qu'avait acquise la langue française au commencement du xiif siècle. C'est

1. Historiens occidentaux des croisades, t. I, préface, p. xxv.

2. Les mss. des traductions françaises de Guillaume de Tyr, n°= 8315-2-2, 8404-5-5. 2970, suppl. français, et le 8314-6, por- tent les caractères de la première moitié du xiii<= siècle. Les ma- nuscrits 8409-5-5 A, 585, Sorbonne, 8403, 677 A, de l'Arsenal, sont du milieu de ce siècle, et quelques-uns même, le dernier no- tamment, pourraient être classés dans notre première époque.

522 ESSAI

donc environ aux années 1225-1228 que nous rapporte- rions l'époque de la traduction de Guillaume de Tyr, ou au moins au second quart du xiii'' siècle, de l'an 1225 à l'an 1250.

Dès que cette traduction se propagea, on dut avoir l'idée de réunir au nouveau texte les chroniques françaises des croisades déjà existantes. On complétait ainsi en la prolon- geant l'histoire des guerres d'outremer qu'avait écrite l'ar- chevêque de Tyr. Cette pensée put être réalisée par les soins mêmes du premier traducteur; plus probablement elle ne reçut son exécution que dans un second travail de re- production opéré par les compilateurs et les copistes. En effectuant le dépouillement des anciennes chroniques pour y rechercher ce qui pouvait servir à prolonger la narration, les écrivains, suivant leur habitude, et d'après les exi- gences de leur travail, retranchèrent ou modifièrent les préambules, interpolèrent ou réduisirent les textes, les divisèrent arbitrairement en livres et en chapitres , ou supprimèrent leurs rubriques, ce qui explique les perpé- tuelles variations du même récit dans les divers manuscrits.

Des différences plus notables se retrouvent dès les pre- mières suites à l'histoire de l'archevêque. Quelques compila- teurs adoptèrent l'ample chronique que nous supposons être l'original d'Ernoul et de ses continuateurs; d'autres, tel est celui du manuscrit 450 du supplément français de la Biblio- thèque nationale, sans conserver en entier cette riche rédac- tion, l'ont suivie assez souvent; mais la plupart se bornèrent à insérer dans leurs recueils l'abrégé dit de Bernard le Tré- sorier, en supprimant presque toutes ses descriptions géo- graphiques. Nous retrouvons seulement aujourd'hui la grande continuation dans deux compilations de la deuxième et de la troisième période, celle des manuscrits de Colbert et de Fontainebleau, dont les auteurs l'ont empruntée sans doute à des manuscrits de la première époque, ou puisée directement aux originaux, aujourd'hui perdus. Les manus-

DE CLASSIFICATION. 523

crits des compilations formées avec l'abrégé sont au con- traire très-nombreux ' ; et ce qui aurait lieu d'étonner, c'est qu'on ait continué jusqu'au xv" siècle à copier et à traduire dans les langues vulgaires de l'Europe^ des rédactions terminées ainsi en 1230-1231, quand, depuis deux cents ans, des continuations prolongées bien au-delà de ce terme étaient connues en Orient et en Europe.

Parmi les quatorze manuscrits que nous avons placés, en raison de leur contenu, dans la première époque des com- pilations^, il en est huit qui appartiennent incontestable- ment à cette classe. Ce sont les sept manuscrits de la Bi- bliothèque nationale n" 8314, 8403, 8409-5-5 A, 450. suppl. fr. 6743, 6744, 8314-5, du xiif au xv*' siècle, et le manuscrit 677. A, xiif siècle, de la bibliothèque de l'Ar- senal. Dans toutes ces leçons, la traduction de Guillaume de Tyr est suivie de la continuation abrégée telle que la donnent nos manuscrits de Bernard le Trésorier, de Paris et de Berne, à l'exception des préambules sur l'histoire de la terre sainte antérieurement à 1183, devenus inutiles, et des notions topographiques sur la Jérusalem des croisés que les nouveaux compilateurs ont fort mal à propos retranchées. Les manuscrits des continuations de la première classe se terminent tous uniformément, comme le livre du religieux de Corbie, à l'arrivée de Jean de Brienne à Constantinople, et par ces mots relatifs aux con- ventions du roi Jean avec les chevaliers du pays : « l'Em- » peréor et li chevaliers li firent ce qu'il devisa, si com il » avoient en couvent, et li rois à tant s'en tint. » L'on

1. Ce sont «tous les manuscrits des troisième, quatrième, cin- quième et sixième classes indiqués ci-dessus, à l'exception des n"^ 8314-3 Colbert, et 8316 Fontainebleau.

2. La bibliothèque Saint-Laurent à Florence possède une tra- duction italienne du xi\e siècle d'un Guillaume de Tyr continué seulement jusqu'en 1231.

3. Troisième division de la classilication générale des mss.

J24 ESSAI

retrouve précisément ces mots à la fin du XXIV Iiatc du manuscrit de Noailles ou de Martène, compilation de la troisième époque ^.

Le manuscrit 385 de l'ancien fonds de Sorbonne, écrit vers le milieu du xiii" siècle, nous semble appartenir aussi à la première époque des compilations, bien qu'il soit mutilé vers la fin. Il renferme une variété de continuations des plus dignes d'attention. Le fonds principal de ce texte est la chronique d'Ernoul, abrégée comme dans le manuscrit de Berne; mais le compilateur, initié évidemment à la vie et aux événements de l'Orient latin, ajoute souvent des faits ou des observations qui lui sont propres. Nous rangeons encore dans la même catégorie les manuscrits de Berne 112, 163 et ceux de Paris 450 suppl. franc. 1872 et 7188-2, altérés ou incomplets vers la fin. Le dernier ne paraît même avoir jamais atteint la limite de la première période, que nous voyons fixée invariablement, dans tous les manuscrits complets, à l'année 1230-1231. Il s'arrête vers l'an 1227, comme le manuscrit 41 de Berne.

On pourrait induire de ces difîérences que l'œuvre de Bernard le Trésorier n'a pas été dans le principe composée teUe qu'elle est restée dans la plupart des manuscrits. Il n'est pas rare en eâet de voir ainsi deux éditions , quelque- fois très-différentes, d'une ancienne chronique, données l'une et l'autre par le même auteur. Parmi les faits de ce genre que l'histoire httéraire a recueillis dans divers paj's, et sans descendre à l'exemple plus récent de Froissart, on pourrait citer ceux de Guillaume de Tripoli^, de Mathieu Paris, au- teur d'une grande et d'une petite chronique d'Angleterre, d'André Dandolo de Venise^, d'Herman Corner de Lubeck 'S

1. Ampllss. Colleclio, t. V. col. 702. Éd. de M. Guizot, p. 430.

2. Voy. Ecliard, Scriptores ordinis Prœdiculoriivi, 1. 1. col. 265.

3. Mnndor'i, Scriptores rerum liai., l. XU, p. l.

4. Eccard, Corpus hislor. incdii œvi, prél'. du t. II. i< 3.

DE CLASSIFICATION. 525

de Thierry d'Engelliusen ^ de Bernard Guidonis et de Ptolémée de Lucques. Bernard Guidonis, après avoir com- posé une Chronique des pontifes romains, des empe- reurs et des rois de France, jusques en 1313, chronique dont il rédigea lui-même un abrégé, fit ensuite une conti- nuation de sa première rédaction, que l'on trouve seulement dans quelques manuscrits 9. Ptolémée de Lucques, auteur d'une Histoire ecclésiastique, avait d'abord arrêté son récit à l'avènement de Bonitace VIII, élu pour succéder à Célestin V, en 1293. On a des manuscrits de cette pre- mière édition. Après un certain laps de temps, Ptolémée reprit son travail et y ajouta l'histoire de trois pontifes qui s'étaient succédé sur le saint-siége depuis l'achèvement de sa chronique, savoir : Boniface VIII, Benoit XI et Clément V, mort en 1314. Pendant ce temps un autre écrivain, un anonyme , avait composé aussi une suite aux premières vies des papes de Ptolémée, et l'on a des manuscrits de ces deux différentes continuations , existants l'un à Milan , l'autre à Padoue , et toutes deux publiées par Muratori^.

Bernard le Trésorier a pu se borner d'abord à donner une nouvelle rédaction de l'abrégé de l'histoire des croisades s'arrêtant à l'année 1227 ou peu après; et plus tard, en ajoutant à sa première chronique la continuation des évé- nements jusqu'en 1231, il a pu composer l'histoire définitive que nous retrouvons dans les manuscrits 677 de l'Arsenal et 340 de Berne. Mais déjà des copies de la première leçon avaient se répandre et les compilateurs des chroniques d'Orient, qui ne connurent pas la dernière rédaction du religieux de Corbie, utilisèrent son ancien livre.

1. Leibnitz, Scriptores Brunsvicenses, préf. dut. III, p. 54.

2. Scriptores rer. Ital., t. III, part. I, p. 275.

3. La continuation anonyme d'après le ms. de Milan, Script., t. XI, col. 1203; la continuation de Ptolémée lui-même, bien supérieure à laprécédente, d'après lemanuscrit dePadoue, col. 1217.

526 ESSAI

C'est, dans tous les cas, en se servant d'un manuscrit ainsi incomplet que le moine dominicain François Pipino inséra en 1 320 dans sa chronique gênéraleune histoire abrégée des guerres d'outremer. Il se peut que le religieux bolonais ait eu séparément à sa disposition la version française de Guillaume de Tyr et la première forme de la chronique de Bernard le Trésorier ; peut-être, au contraire, Pipino a-t-il effectué sa traduction sur un manuscrit de l'Eracles conti- nué jusqu'en 1227. Mais dans les deux cas son texte, quoique imparfait comme beaucoup d'autres manuscrits S attribuait expressément la continuation à Bernard le Tré- sorier. Le chroniqueur consigne en effet cette note à la fin de sa version après avoir parlé d'événements de l'an 1229 : « Hsec de gestis régis Joliannis (Jean de Brienne) » sumta sunt ex historia Bernardi Thesaurarii. Qualis » autem fuerit exitus non inveni : vel quod historiam » non compleverit, vel quod codex unde sumsi fuit im- » perfectus "-. »

La mention de Pipino ramène ici de nouveau le nom de Bernard le Trésorier dans notre discussion. Nous avons vu déjà comment les manuscrits de Berne et de l'Arsenal con- firmaient les principales observations de M, P. Paris relati- vement à l'ancien religieux de Corbie. Nous avons constaté comme lui que Bernard le Trésorier n'avait point traduit Guillaume de Tyr; il se peut encore rigoureusement que le chroniqueur picard ait ignoré l'existence de la grande his-

1. Notamment les mss. 103 de Berne, 7188-2 de Paris, etc. Voy. ci-dessus, p. 482-483.

2, Muratori, Script, rerum Ital., t. VII, col. 846. Ces mots ter- minent le 2(J7'-" chapitre de Pipino, et sont véritablement la fin de sa (;iironi(]ue. L'addition qui forme le 208"-' cliapitre, suivant le manuscrit de Muratori, appartient aux années antérieures, et se retrouve, en effet, précédemment dans les manuscrits de Bernard le Trésorier, comme dans l'édition de dom Martène, Amplissima Collectio, l. V, col. ti8*.), (iOd. M. Guizot, p. 384-388.

DE CLASSIFICATION. 527

toire des croisades ou de la traduction française; mais nous cessons de partager le sentiment de M. Paris quand le sa- vant écrivain pense que le nom de Bernard le Trésorier doit être écarté absolument et de la chronique publiée par dom Martène et de la traduction de Pipino i .

Déjà, en ce qui concerne plus particulièrement les em- prunts de Pipino à l'œuvre de Bernard le Trésorier, les paroles du chroniqueur bolonais que nous venons de citer les attestent de la laçon la plus formelle; la comparai- son suivie de son histoire des croisades avec la chro- nique de Bernard le Trésorier les mettrait seule hors de doute; elle établit en même temps les rapports intimes des deux œuvres avec la continuation donnée dans VA^nplisshna Collectio. Les deux premières parties de cette continuation, c'est-à-dire j)rès des trois quarts de l'ensemble , formant les XXIIP et XXIV« livres de l'édition de dom Martène -, comprenant la succession des événements d'Orient de l'an 1183 à l'année 1231, sont identiques (sauf les suppressions géographiques que nous avons signalées précédemment) aux manuscrits authenti- ques de Bernard le Trésorier; d'autre part, les soixante- trois derniers chapitres (sur 208) de l'histoire de François Pipino, renfermant à peu près la même période de 1183 à 1229, sont incontestablement traduits , généralement en abrégé, mais toujours de manière à conserver l'empreinte irrécusable de l'original français, sur la chronique de Bernard le Trésorier.

Muratori 3, avant la publication de VAm]jlissima Col- lectio, avait soupçonné déjà que l'œuvre de Pipino, livrée par ses soins à l'impression, était la reproduction en latin

1 . Les manusc. de la Bihl. royale, par M. P. Paris, 1. 1, p. 81 , 82.

2. Ces deux livres s'étendent, dans l'édition de l'Académie, jus- qu'au xiie chapitre du XXXIIIe livre, inclusivement.

3. In Bernardi Thesaurarii Historiam frœfatio. Script, ilal., t. VII, col. 661.

528 ESSAI

d'une histoire française des guerres saintes , citée par Du Gange dans ses annotations sur JoinviUe. Dom Martène, en publiant plus tard le texte même de cette histoire française d'outremer, ne remarqua pas l'analogie devinée par Muratori, confirmée depuis parMansii etparM. Guizot-, et aujourd'hui mise hors de doute par la comparaison facile de tous ces textes. Mais Muratori, ou le copiste du manuscrit de Pipino que Muratori a suivi, n'était pas autorisé, il faut le dire, à donner à l'ensemble de l'histoire du dominicain bolonais le titre de traduction de Bernard le Trésorier : Bernardi Thesaurarii liber gallice scriptus tiim in latinam lingumn conversus a fratre Francisco Pijiino 3. Ce titre erroné a fait croire que l'ouvrage de Pipino n'était qu'une simple version latine du français de Bernard, tandis que l'œuvre du religieux italien est une compilation générale de l'histoire des croisades , dans laquelle entre bien pour un des éléments principaux l'œuvre de Bernard le Trésorier, mais uniquement dans la dernière moitié de l'histoire des croisades et guère avant l'année 1183.

Que François Pipino ait eu à sa disposition un manuscrit général de l'Eracles ou séparément la version de Guillaume de Tyr et la chronique de Bernard le Trésorier pouvant former sa continuation, il est certain en effet que le chroni- queur de Bologne, pour les temps antérieurs à l'année 1183, les préUminaires de Bernard le Trésorier ne lui offraient qu'un sommaire insuffisant, a suivi, en l'abrégeant d'après la version française, la grande histoire de Guillaume de Tyr; et l'erreur du ms. de Muratori, ou de Muratori lui- même, a été de donner h. l'ensemble de l'œuvre traduite par le religieux bolonais le nom de Bernard le Trésorier,

1. Notes à Rinaldi, Annales ecdes., t. XX, préf. et page 567.

2. Coll. de Mémoires concernant l'hisl. de France, t.XIX, pn'f. , p. vij.

3. Muratori, Script, rer. Itah. t. VU, ciil. G57.

DE CLASSIFICATION. 529

auteur que Pipino nomme seulement dans les derniers temps de son histoire ^ .

Ainsi des nouvelles sources que nous venons de consulter revient le même résultat. Les emprunts de François Pipino confirment la mention des manuscrits de Berne et de l'Ar- senal, et nous trouvons de nouveau la preuve que Bernard, religieux de l'abbaye de Corbie, tout en s'appropriant des chroniques antérieures , a néanmoins composé vers l'an 1232 une histoire des croisades jusqu'au passage de Frédéric II inclusivement , histoire que les copistes , les compilateurs et les traducteurs ont diversement utilisée et dénaturée dans les chroniques générales d'outremer.

L'emploi qu'on a fait de l'œuvre de Bernard le Trésorier pour composer ces grands recueils serait encore attesté par Y Histoire impéi^iale, qu'un chanoine de Ravenne écrivit vers la fin du xiif siècle. A défaut de cet ouvrage, dont l'original n'existe plus, on peut invoquer au moins la traduction très-libre qu'en a donnée, au xv^ siècle, le comte Mathieu Boiardo, mort gouverneur de Reggio, près de Modène, en 1494 ~. Boiardo, d'une plume aussi dégagée en traduisant l'œuvre du chanoine Ricobaldo de Ferrare qu'en écrivant les scènes extravagantes de YOrlando innamo- rato, a défiguré les Annales impériales par des fables indignes de l'histoire; mais il est difficile de croire que le nouvelliste du xv"* siècle eût retiré de l'oubli le nom de Bernard le Trésorier, qu'il cite souvent, tantôt sous son véritable nom de Bernard, tantôt sous celui de Vincent^, si l'auteur dont il avait entrepris une traduction pour l'agrément de la cour de Ferrare ne l'eût mentionné lui- même en quelques circonstances. C'est dans Boiardo que

1. Édition de Muratori, Script, rer. Ital., t. Vil, col. 837-846. %

2. Istoria impériale, ap. Muratori. Scriptor. Ital., t. IX, col. 291. Cet ouvrage ne donne la traduction de Ricobaldo, chanoine de Ravenne, que jusqu'à l'année 1205.

3. Scriptores rer. Ital., t. IX, col. 407-413, etc.

34

#

530 ESSAI

l'on voit pour la première fois le moine Bernard devenir un trésorier de Frédéric II ^ , assertion aventurée avec tant d'autres et peu surprenante chez l'écrivain romanesque qui appelle l'archevêque de Tyr Renaud, qui donne l'île de Rhodes aux Templiers, qui fait périr le roi Guy de Lusignan assassiné, qui conduit le roi Richard d'Angleterre en Egypte, après avoir institué l'ordre de la Jarretière à Saint- Jean d'Acre.

Les manuscrits de Berne et de l'Arsenal sont superflus pour nous prémunir contre de semblables erreurs; mais leurs indications nous apportent des secours décisifs et nous font faire de nouveau quelques pas au milieu des obscurités qui cachent encore tant d'autres points de ce sujet.

Si nous ne pouvons plus dire avec Muratori et avec le savant traducteur des Mémoires relatifs à V Histoire de France-, que Bernard le Trésorier est l'auteur de la traduc- tion et de la continuation de Guillaume de Tyr, nous devons constater positivement, ainsi que l'a vu M. Guizot^, qu'après les faits relatifs à la croisade de Frédéric II commencent des continuations toutes nouvelles, non-seulement dans les textes que nous appelons de la deuxième période, mais encore dans ceux qui, plus conformes au ms. de NoaiUes, suivi par dom Martène, donnent comme une dépendance du précédent un vingt-cinquième livre s'ouvrant à ces mots : En cel point que l' envpereor se parti de la terre de Surie et de Chipi-e, Aelis, la roine de Chipre"^. Nous allons retrouver ces diverses chroniques employées par des auteurs inconnus dans les compilations des époques ultérieures.

1. Scriplores rer. Ttal., t. IX, col. 283, etc.

2. Voy. ci-dessus, p. 515.

3. CoUecl. de Mém. relat. à l'his/ . de France, t. XIX. p. 433, not.

4. iMartène. t. V, col. 702. M. Guizot, p. 432.

I)K CLASSIFICATION. o31

DEUXIÈME ET TROISIEME EPOQUE.

§ I-

Nouvelles continuations composées en Orient et en France. De Hugues Plagon et de l'auteur du vingt-cinquième livre de l'édition de dom Martine, renfermant la suite de la chronique d'outremer rédigée en Palestine. Rédaction correspondante dans les continuations rédigées en France.

Dès maintenant nous sommes assurés par de nombreux manuscrits que les premières compilations du Conquet ou de l'Éracles, formées, suivant nous, des chroniques écrites avant la traduction de Guillaume de Tyr, déjà diver- sement modifiées, et du texte français de l'archevêque, s'arrêtaient, dans leur plus grande extension, à Tannée 1231, à la fin du vingt-quatrième livre de l'édition de dom Martène ^ .

Pendant longtemps on ne dut avoir en Orient et en Europe que des histoires d'outremer ainsi limitées, et

1. Le XX Ve livre de Martène, dont nous nous occupons parti- culièrement dans ce paragraphe, répond à la iin du XXXIIP livre de l'édition de l'Académie, à partir du chapitre xiu et de ce pas- sage même que nous citions précédemment : En ce point que li empereresse fu partis de la terre de Surie et de Chypre. Voy . p. 380- 436. Montrer, comme nous cherchons à le faire ici, l'unité de rédaction du XXV^ livre de dom Martène, et en même temps ses différences avec les livres qui le précèdent et qui le suivent, c'est dire combien il nous eût semblé utile de le conserver sépa- rément dans son ancienne forme.

532 ESSAI

nous avons vu, d'après les textes encore existants, qu'il y eut au quatorzième et au quinzième siècle une série de copies et de traductions en langues étrangères, se succédant sur ce premier modèle, bien que le terme chronologique auquel il s'arrêtait fût depuis longtemps dépassé par d'autres conti- nuations. De nouveaux événements s'étaient en effet accom- plis dans la chrétienté d'Orient; de nouvelles croisades avaient eu lieu et de nouveaux auteurs avaient ajouté l'histoire de ces derniers faits aux anciens livres des guerres saintes.

Deux continuations très distinctes commencent parallè- lement dans les mss. de l'Eracles après la croisade de Frédéric II, l'une, celle de notre deuxième époque, exécutée en Occident, en France même , avec des matériaux rédigés par des Français; l'autre, formant notre troisième époque ou notre troisième catégorie, composée en Orient et en Palestine. La première, publiée d'abord partiellement par M. Michaud^ (et en entier aujourd'hui dans la nouvelle édition des continuations de Guillaume de Tyr)-, arrive à l'année 1261; elle forme à elle seule une chronique particu- lière, différente de la chronique d'outremer, et en quelque sorte parallèle à cette chronique. La seconde, qui se prolonge jusqu'en 1275, procède directement des premières suites de Guillaume de Tyr arrêtées en 1231 , qu'elle continue, en conservant la véritable tradition historique des royaumes d'outremer. Cette dernière termine (sous les divisions de vingt-cinquième et vingt-sixième livres, nous reconnaî- trons deux rédactions différentes), le manuscrit de Gaston de Noailles et l'édition de dom Martène.

La continuation formée d'additions françaises atteignant

1. Sous le titre de Lettre de Jean-Pierre Sarrasin^ dans la col- lection de Mémoires relatifs à l'IIist. de France, t. I, pag. 359. Nous nous en occupons plus loin.

2. Edit. de l'Académie. Contin. diaprés lems. de Rotkelin, p. 485.

DE CLASSIFICATION. 533

l'année 1261 se trouve dans quatre anciens manuscrits de notre deuxième époque des continuations, aujourd'liui k la Bibliothèque nationale , n'^* 383 et 387 de la Sorbonne, n" 10 de la Yallièreet n''23il du supplément français.^ Ces mss. ajoutent^ comme préambule à l'ancienne rédaction une histoire de la passion de J.-C. et de la perte de la vraie croix, récit qui se rattache facilement, après quelques pages, au premier chapitre de Guillaume de Tyr. Ils font suivre ce récit de la description de la ville de Jérusalem, dont nous avons précédemment parlé ^, et de la continuation qui arrive à l'an 1261. Le ms. 2311 du supplément français, à la Bibliothèque nationale, est formé sur le même modèle et renferme les mêmes matériaux avec une disposition à peu près semblable. Ce beau volume nous paraît être le ms. original de l'abbé de Rothelin, dont on retrouve une copie dans les transcriptions préparées par dom Berthereau pour la collection des historiens des croisades que projetait le savant religieux, et conservées aujourd'hui k la Bibliothèque nationale^. C'est d'après ce manuscrit que la continuation . française de 1261, est donnée dans l'édition de l'Académie. Le manuscrit 8316 de Fontainebleau est une compilation mixte. Il participe des manuscrits de la première époque, dans la partie correspondante au vingt-quatrième livre de jMartène, dont il renferme une plus ample rédaction. 11 donne en commun, avec les manuscrits de la troisième époque, le vingt-cinquième livre de dom Martène; et enfin il ressemble , dans sa dernière partie, aux compila- tions fi^ançaises de la deuxième époque , dans lesquelles il doit être classé; car il se termine, comme tous ces recueils,

1. Elle so trouve en outre dans le ms. 9242-3 île la bibliothèque roy. de Bruxelles. (1871).

2. Ms. 383 de Sorbonne dès le fol. 9.

3. Voy. ci-dessus, p. 512.

4. Supplém. français. N. 2503-9. a-b. "Voy. ci-det^sus, p. 48ô.

534 ESSAI

avec la continuation arrivant à l'an 1261, et non, comme le copiste a écrit, en 1266 ^.

Les continuations orientales sont nos compilations de la troisième époque; elles dépassent l'année 1261, sans atteindre l'année 1290. Elles ne renferment aucun des fragments propres à la deuxième époque, et continuent séparément la rédaction originale d'outremer. Tel estlems. 8314-3, n" 272 de Colbert, qui, après la grande rédaction du vingt-quatrième livre, pareille à celle de Fontainebleau, se confond avec l'édition de dom Martène jusqu'en 1264, le copiste s'est arrêté-. Tels sont encore le ms. H. 25 de Berne^, un ms. de Florence déjà signalé par nous^ et le ms. de Noailles , publié dans la partie postérieure à Guillaume de Tyr, par dom Martène et par M. Guizot jusqu'en 1275, il se termine. Les manuscrits de cette période, d'ailleurs assez rares, méritent d'être recher- chés avec soin; c'est surtout dans leurs textes que l'on pourra retrouver des fragments de chroniques locales qui paraissent avoir existé à Saint-Jean d'Acre, et au moyen desquelles l'histoire d'outremer serait continuée presque sans interruption jusqu'à la perte de la Palestine.

1. La même erreur se trouve, nous en avons déjà fait la re- marque, dans les mss. de la quatrième époque des continuations, n. 8404 de la Bibl. nat. à Paris, et n. 737 de la Reine de Suède au Vatican. Les mss. 383 et 387 du fonds de Sorbonnc et ii31t suppl. français donnent au contraire, comme la copie de dom Berthereau et l'édition de M. Michaud (Coll. de Mém., t. 1), la date de mcclxi, qui seule est exacte; les derniers événements de la Chronique se rapportent en effet à ravénpmentdeBil)ars Bondocdar. sultan d'Egypte, meurtrier de Koutouz, vers la Un de l'année 126U. Voy. Makrizi, Hist. des sultans mameloucs, trad. de M. Quatre- mère, t. I, p. 113-116.

2. La dernière phrase du manuscrit est même inachevée : En celui (ans, poi cqyrès, Cormrfîn. Martène, col. 739. M. Guizot, p. 564. Edit. de l'Académio, p. ''i49.

3. Sinner, Catalogus manuscriptorum bibl. Bernensis, t. II, p. 377.

4. Voy. la première partie, p. 487-488.

DE CLÀSSIFICATIOIN. o35

Chacune de ces continuations peut se diviser en deux corps de narration répondant aux deux derniers livres de dom Martène, et il est probable qu'il existe des mss. les premières parties des rédactions se retrouvent isolées de celles qui les suivent aujourd'hui ^ . Mais la composition des mss. de ces deux époques et la rareté de ceux de la troisième nous portent à croire que les deux derniers livres de dom Martène, bien que séparés, suivant toute apparence, dans l'origine en Orient, ont être connus simultanément et assez tard en Europe. Il est permis de penser, en effet, que si les continuateurs français de la deuxième époque avaient connu la chronique substantielle et précise qui est devenue le vingt-cinquième livre de dom Martène, d'après le manuscrit de Noailles, ils l'auraient insérée en entier dans leurs recueils, ou utilisée du moins en partie, de pré- férence aux renseignements vagues et presque sans intérêt, à l'exception de deux riches fragments, dont ils se sont contentés ^. Cette supposition acquiert quelque vraisemblance en voyant précisément un des compilateurs de la deuxième époque employer la rédaction du vingt-cinquième livre et négliger celle du vingt-sixième, qu'il a connue probable- ment.

Les détails dans lesquels nous sommes engagés depuis quelque temps .sont un peu minutieux, mais ils sont indis- pensables, et nous devons les poursuivre encore avant d'arriver à l'examen séparé des rédactions diverses que

1. Peut-être le ms. 8315 de l'ancien fonds français à laBiblio- thèque nationale, aujourd'hui mutilé à la lin, était-il de ce nombre.

2. L'un des compilateurs déclare en effet avoir voulu mettre dans son livre tout ce que l'on savait de l'histoire d'outremer jusqu'alors : Ci commence li romans de Godefroy de Buillon et de tous les autres roys qui ont esté outremer jusques à saint Loys qui daiè-enierement y fu. Et ce sont les Croniques ordenées sur tous les faits d'ontrem.er. Ms. de Sorbonne 383 daté de 1331, fol. 1; Ms. 387 du même fonds, fol. 1.

536 ESSAI

nous essayons en ce moment de reconnaître et de classer.

Nous pouvons déjà conjecturer, avec quelque confiance, d'après les dernières observations fournies par les manus- crits, que les parties de l'Éracles formant dans le ras. de dom Martène, écrit à Rome en 1295, les livres vingt-qua- trième, vingt-cinquième et vingt-sixième, ont été composées par intervalles et annexées à diverses époques aux rédac- tions et aux continuations antérieures. Nous dirons tout à l'heure les raisons qui nous semblent établir d'une manière positive que ces livres sont des écrits émanés de mains bien différentes, et non l'œuvre continue du même écrivain.

En marquant un changement de rédaction entre le vingt- quatrième et le vingt-cinquième livre dp dom Martène, nous ne contredisons pas le passage de Ricordano Malispini, d'où il résulte qu'une seule et même chronique d'outremer, connue de notre chroniqueur vers l'an 1278, renfermait l'histoire de la croisade de Frédéric II et l'histoire des guerres des Impériaux en Orient, poursuivie au moins jusqu'à l'année 1233. Dès le temps de Malispini, ainsi que les mss. de la fin du xin° siècle en font foi, il y avait déjà un nombre considérable de recueils généraux des guerres saintes, se trou'^'aient réunis dans un seul corps d'iiistoire le voyage de Frédéric et la guerre des Lombards en Orient. Mais originairement ces relations avaient pu être indépen- dantes l'une de l'autre dans les mss., et nous essayerons de démontrer que, dans tous les cas, elles sont dues à plusieurs auteurs. Leurs rapports historiques avec les continuations exécutées en France nous engagent à examiner simultané- ment les deux récits contemporains, afin de signaler plus facilement leurs différences.

Avantd'entreprendre cet examen comparatif, nous devons aborder une question relative à un nom souvent cité dans la l)ibHographie des croisades, celui de Hugues Plagon, qui ne peut rester en dehors de nos recherches, bien que nous

DE CLASSlFICATIOiV. 537

n'ayons pas de motifs suffisants pour l'inscrire sur aucune partie des chroniques d'outremer.

Indépendamment des inductions qu'autorise l'absence du vingt-cinquième livre de Martène dans plusieurs continua- tions manuscrites, ce livre porte encore en lui-même, après les modifications qu'il a subir dans son commencement pour être rattaché aux rédactions précédentes ^ des traces sensibles d'un travail nouveau. On a signalé déjà quelques contradictions entre ses premiers paragraphes et les der- niers passages du vingt-quatrième livre-; on peut remar- quer aussi comme une particularité fréquente chez les continuateurs le retour que fait la narration suj' les événe- ments antérieurs pour reprendre l'histoire des royaumes de terre sainte au départ de l'empereur Frédéric, en 1229, bien que déjà le récit eût de beaucoup dépassé ce terme à la fin du livre précédent. Ces faits constatés, nous ne trou- vons plus le moindre indice qui nous permette d'aller jusqu'à attribuer nominativement cette continuation à un écrivain nommé Hugues Plagon, ainsi qu'on la pensé.

Un titre plus sérieux de Plagon, personnage absolument

1. Rien n'est plus fréquent que les interpolations apportées ainsi par les auteurs du moyen-àge au commencement ou à la fin des écrits qu'ils se proposaient de continuer. Les copistes et les compilateurs conservaient souvent les transitions des premiers continuateurs, lors même qu'ils modifiaient la suite de leur tra- vail. On lit à la fin du XKV^ livre de Martène : Nous lairons ore à parler du fait d'Antioche et des Turquemans, parce qu'il convient poursuivre la matière de cest livre et mener en ordre ains comme les choses sont avenues u roiaume de Jérusalem et en la terre de Surie. (Dom Martène, col. 733. M. Guizot, p. 544. Edition de l'Académie, p. 435.) Ces mots ont être insérés dans l'Éracles de Noailles par les compilateurs de la tin du treizième siècle; on les retrouve cependant dans le ms. 8316, bien que la suite des compilations dans ce mcanuscrit soit totalement différente de l'autre.

2. M. Guizot, Collection de .Mémoires, t. XIX, p. 433, not. Continuation de Guillaume de Ti/r.

538 ESSAI

inconnu d'ailleurs, ce serait, d'avoir le premier mis en français l'histoire de Guillaume de Tyr. Du Gange nomme du moins Hugues Plagon comme traducteur de l'histoire de l'archevêque de Tyr dans la nomenclature des auteurs français consultés par lui pour la rédaction de son glossaire, en 1678. Après avoir, sous la rubrique : Scriptores gallici vernaculi, inscrit une Histoù^e des guerres d' outremer^ qui devait être un manuscrit de l'Eracles avec ou sans les continuations, il mentionne, quelques lignes plus bas, dans la même catégorie des écrivains français : Hugues Plagon, en la version de Guillaume de Tyr^, ce qui désigne positivement une traduction et non une continuation de l'histoire d'outremer. Du Gange cite encore Hugues Plagon comme traducteur de Guillaume de Tyr, dans ses observa- tions sur l'histoire de saint Louis ~, et quelquefois dans le texte de son glossaire^. Garpentier a été plus loin que Du Gange, et, le premier à notre connaissance, il a attribué à Hugues Plagon non-seulement la traduction, mais la conti- nuation de Guillaume de Tyr, publiée par dom Martène'*. Malheureusement ni Du Gange ni dom Garpentiei-, contrai- rement à leurs habitudes, n'ont donné ici les preuves sur lesquelles ils fondent leurs assertions. Fontette" et Meusel^

1. Glossarium, viedice latinitalis. Paris, IB78. Édition donnée par Du Gange, L 1, p. cxcj.

2. Edition Didot, à la suite du Glossaire latin, t. Vil, p. 352.

3. Au mot Paletare. V'oy. la Continuation de G. de Tyr, édit. de l'Académie, préf., p. ii.

4. Dans le texte du Glossaire, au mol Empoi/sonare, et dans la liste des sources, classe des écrivains iVanrais, en ajoutant, après la mention : Hugues Plagon, en la version de Guillaume de Tyr, les indications suivantes qui ne sont pas de Du Gange et qui ren- voient à la Continuation de (luillaume de Tyr : Edit. t. V. Ampl. C'ollect. M art €71.

5. Bibliothèque historique de la France, t. il, p. 14U.

6. Bibliotheca /listor., t. il; |)arl. 2, p. 294. Cf. M. Guizot, contin. de Guillaume de Tyr. Collection, t. XIX, prêt", p. vj. Si

DE CLASSIFICATION. 539

tiennent également Hugues Plagon pour le continuateur de Guillaume de Tyr; mais ils ont accepté, sans en vérifier l'origine, l'attribution gratuite de l'auteur du supplément au glossaire. Remarquons en passant que c'est par suite d'une confusion évidente faite entre les diverses éditions du glos- saire delà basse latinité qu'un savant moderne ^ en rejetant cette opinion, la fait remonter comme une erreur à Du Gange lui même. L'auteur du glossaire n'aurait pas à se reprocher davanta'ge la contradiction qu'on signale à tort chez lui - en disant qu'il cite à la fois Hugues Plagon et Bernard le Trésorier, comme auteurs de la continuation de Guillaume de Tyr, attendu que l'insertion du nom de Bernard le Trésorier parmi les sources du glossaire : Bernardus thesaurarius de Acquisitione terrœ sanctœ db anno 1095 ad annum 1230, est une inscription posté- rieure à Du Gange et une addition de dom Garpentier^ très-opportune, en 1766 (quoique entachée d'une erreur primitive "•), après l'édition de Bernard le Trésorier donnée pour la première fois par Muratori en 1725.

On ignore entièrement d'ailleurs le pays, la condition et l'époque même a vécu Plagon. En nous bornant au rappel de Du Gange, Plagon n'est que le traducteur de Guil-

nos recherches sont exactes, Montfaucon n'a pas nommé une seule fois Hugues Plagon dans sa Bibliotheca Bibliothecarum. Au t. I, p. 27, il cite bien un ms. des contniuations de Guillaume de Tyr sur lequel se trouve le nom d'un lettré du quatorzième siècle, Nicolas Falcon, dont nous aurons à nous occuper plus loin, mais nullement le nom de Hugues Plagon.

1. M. Petit- Radel , Histoire littéraire de France, t. XYHl, p. 417. Article de Bernard le Trésorier.

2. Histoire littéraire de France, t. XVIII, p. 417.

3. Supplementum Glossarii latini. Paris, 1766, t. IV, p. xj et p. Ixxxxvij.

4. Elle attribue, en effet, à Bernard le Trésorier la traduction ou la rédaction même de VRistoire des croisades antérieure aux con- tinuations; erreur accréditée par la publication de Muratori.

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laume de Tyr, et dans ce cas il peut appartenir au commen- cement du xiif siècle. Si Hugues Plagon doit prendre rang parmi les continuateurs de la chronique d'outremer, il ne peut ajouter à ce mérite que celui d'avoir fait précéder ses additions d'une traduction de l'Histoire générale des croi- sades de Guillaume de Tjr, exécutée avant lui.

Au reste, nous ne devons pas hésiter à le reconnaître, tout ce qu'ont dit Du Gange et Garpentier de la traduc- tion de Guillaume de Tyr, par Hugues Plagon, est entière- ment conjectural et vraisemblablement erroné. 11 faut en dire autant de la mention insérée par suite d'une confusion évidente dans le ms. 450 supplément français , si recom- mandable que soit d'ailleurs le texte de ce ms., mention d'après laquelle la traduction de Guillaume de Tyr serait l'œuvre d'un Guillaume nommé archidiacre de Tvr lors de la promotion de l'évêque Frédéric du siège d'Acre à l'arche- vêché de Tyr, attendu que cet archidiacre Guillaume est notre historien lui-même : archidiaconatus ejusdem ecclesiœ Tyrensis nobis liber aliter contulit ^

D'autre part, en acceptant comme prouvée l'opinion de Garpentier, de Fontetteet de Meusel, si l'on voulait consi- dérer Plagon comme un des auteurs des chroniques d'Orient faisant suite à l'Histoire de Guillaume de Tyr, il serait tout à fait impossible de revendiquer pour lui l'ensemble de la continuation imprimée de 1229 à 1275, qui forme les vingt-cinquième et vingt-sixième livres de dom Martène. Ces deux livres , comprenant l'histoire de quarante-six années, diffèrent trop dans le fond et par la forme pour appai'tenir au même auteur. Il est bien peu vraisemblable que l'auteur de l'intéressante et riche narration du premier

' 1. Hist. occid. des crois., t. I, p. 343. Voici le passage du ms. /jôO : « fiuillaiiinos, uns arcodiacros de Sur, fu esleuz à cvesque » d'Acre. Li rois pria l'arcovesque Forri qu'il donast i'arcediacré » de s'iglise à un autre Ouillaume, qui mist puis ceste estoirc de » latin en romanz. » Fol. 300 v".

DE CLASSIFICATION. 541

livre soit le même écrivain qui n'a pas su lier en un corps de récit les arides notions du second. Voyons cette question de plus près.

L'auteur du vingt-cinquième livre de dom Martène' est le véritable historien de la guerre des Impériaux qui troubla les royaumes d'outremer, de l'an 1229 à l'an 1240. Il remonte à l'origine de cette guerre, il en fait connaître tous les inci- dents remarquables, soit dans l'île deChj^pre, soit en Syrie, et la suit jusqu'à ia reddition du château de Tyr, dernière place forte occupée au nom de l'empereur en Orient. 11 reste presque entièrement étranger aux événements de l'empire latin de Constantinople , et s'occupe surtout du royaume de Jérusalem : il raconte la reprise définitive de la viUe sainte parles Arabes, peu après le départ de Frédéric II, l'expédition de Thibaut de Champagne, l'arrivée du comte de Cornouailles , les trêves avec le siûtan de Damas; l'alliance momentanée des Chrétiens avec les Arabes de Syrie pour repousser les Kharizmiens, alliés du sultan d'Egypte, et divers autres événements de terre sainte. Son hostilité contre l'empereur Frédéric, réelle, bien qu'elle ne l'entraînejamais jusqu'à l'injustice ou à l'injure, le retient volontiers sur la guerre des Génois contre les Gibelins de Pise, circonstances on le trouvera beaucoup moins inexact qu'on ne l'a dit -, si l'on recourt aux leçons correctes de sa chronique. Il ne néglige pas les divers conciles Innocent IV porta contre Frédéric les doubles griefs de la maison de Fieschi et de la cour de Rome; mais ce qu'il suit avec le plus d'intérêt, ce sont les événements de la guerre des seigneurs d'Orient contre le maréchal de l'empereur Richard Filangier.

1. Martène, col. 702-733. M. Guizot. p. 432-544. Académie, p. 380-436.

2. M. Guizot. p. 497. not.

542 ESSAI

La chronique métrique de Philippe de Navarre, connue seulement par les emprunts des histoires chypriotes d' Amadi et de Florio Bustron, nous manquant en original, cette partie des continuations de l'Eracles est la source la plus ancienne et la plus sûre que nous ayons, non-seulement pour la guerre des impériaux, mais pour l'histoire générale (les deux royaumes unis de Jérusalem et de Chypre, depuis l'an 1230 jusques à l'année 1249. Postérieure aux écrits de Jacques de Vitry et d'Olivier le Scolastique, elle précède Joinville et Sarrazin, qui sont originaux, Jordan et Sanudo le Vieux, qui, venus postérieurement, l'ont souvent tra- duite; elle ne pourrait être remplacée par la réunion de Mathieu Paris et de Richard de Saint-Germain, à Philippe Mouskes, à Vincent de Beauvais et aux autres contempo- rains. C'est, à notre avis, le fragment le plus digne d'atten- tion de l'édition entière de dom Martène. Jusque-là, le texte imprimé est bien inférieur à la rédaction des manuscrits de Colbert et de Fontainebleau. Après ce fragment, l'édition de dom Martène et de M. Guizot ne présente plus qu'une sèche énumération de faits et de dates, recommandable sans doute par son extrême utilité, mais sans intérêt et sans liaison. Le vingt-cinquième livre, au contraire, est à lui seul, pour les vingt années qu'il embrasse, une histoire suivie et complète des royaumes latins d'outremer.

Tout dans sa rédaction annonce un auteur écrivant en Orient même. Il vit au milieu de la population chrétienne dont il raconte l'histoire; il connaît exactement toute la Palestine, l'île de Chypre, et probablement l'Arménie. S'agit-il de décrire une bataille, celle de Casal-lmbert ou d'Agridi, une marche militaire, la navigation de quelques galères, il nomme les montagnes, les rivières, les caps remarquables près desquels on a passer. Le cap de Gavata, au sud de Limassol, lui est familier comme le Pui du Connétable près d'El Batroun en Syrie ; comme l'ilotqui ferme à l'est le port de Famagouste, la fontaine qui se trouve

DE CLASSIFICATION. 543

au-dessous du village de Saphorie en allant à Nazareth, recueil ignoré qui gît à quelques milles au sud de Beyrouth. Il a vu toutes ces localités. IJ n'ignore ni les difficiles chemins qu'il faut franchir pour gagner la plage de Saint- Jean-d'Acre en partant de Tyr, route sur laquelle le maré- clial Filangiei- surprit et battit les gens d'outremer, ni les gorges de la vallée de Cérines à Nicosie, les IbeUns prirent leur revanche des Impériaux.

Les seigneurs qui se sont fait remarquer dans la guerre des Lombards ou dans les expéditions de Syrie conti-e le sultan de Damas, il les désigne, il connaît leur parenté et leurs domaines. Il sait que les sires de Cèsarée et d'Ibehn vendirent quelques villages, dont il indique les noms et les prix, pour indemniser les chevahers de terre sainte de la défaite de Casal-Imbert et les décider à poursuivre les Lom- bards dans l'île de C^hypre. Il fait parler et agir avec une vérité qu'un étranger n'aurait pu saisir tous ces chevaliers si unis en ce moment, si résolus devant l'ennemi, et qu'on est étonné cependant de voir, dans les conjonctures les plus critiques, marchander tout à coup leur dévouement et déli- bérer en vrais légistes si le nouveau service demandé par le suzerain était bien conforme à cette loi traditionnelle, fon- dée sur un texte perdu, qu'on appelait toujours les assises de Jérusalem.

L'auteur n'appartenait point à l'Église. Nous le cher- cherions volontiers parmi les barons de Palestine ou de Chypre. S'il n'était pas chevalier, ce devait être un de ces notables bourgeois que les rois, par une sage politique, appelaient de temps à autre dans les rangs de la noblesse du pays^ et qui, en attendant, comme Raymond de Couches, fréquentaient les hommes-liges et étaient admis à plaider avec eux devant la haute-cour. C'était peut-être l'un des bourgeois de Saint-Jean-d'Acre qui vinrent jurer sur

1. Assises de Jérusalem, t. 1, p. 502.

544 ESSAI

le lutrin de l'église de Saint-André leur alliance avec les chevaliers des deux royaumes pour chasser les Lombards d'Orient * . Son style n'est point inférieur à celui des conti- nuateurs précédents et des auteurs de son temps. Il n'a pas la concision et le mouvement de Philippe de Navarre ; il est bien loin de l'aimable aisance de Joinville; son allure est souvent monotone; mais on ne lui contestera ni la clarté ni un certain talent de raconter qui le fait lire avec un véri- table intérêt.

Au lieu de cette chronique, nourrie 'de faits et de parti- cularités indiquant une connaissance habituelle de l'Orient, les continuateurs de la seconde époque ^ remplissent le long intervalle qui s'écoule entre le voyage de Frédéric II et la croisade de St Louis (1228-1248) par la description connue de Jérusalem et un récit de la croisade du roi de Navarre (1239-1240), passages dignes d'attention et bien supérieurs aux notions banales sur les prophéties arabes et sur les divers peuples d'Orient au milieu desquels ils se trouvent^. L'auteur de cette compilation incoliérente écrit, comme il le dit lui-même souvent, par deçà, c'est-à-dire en Occident et en France. La Palestine, l'Orient entier, est pour lui le pays d'outremer , tandis que dans la continuation con- temporaine formant le vingt-cinquième livre de Martène, trente-troisième delà nouvelle édition, l'Europe est toujours le pays de delà.

De ce qu'il raconte des populations et des événements d'outremer, il n'a rien vu par lui-même ; il ne sait proba-

L Martène, col. 709,710. M. Guizot, p. 456-4G2. Académie, p. 392, ch. xxvi; p. 395, ch. xxix.

2. Quatrième classe des manuscrits du Guillaume de Tyr fran- çais continué. Le manuscrit de Fontainebleau, n. 8316, seul de cette classe , donne le XXV» livre de la rédaction orientale du Conquet, comme nous l'avons déjà remarqué.

3. Cette rédaction forme les quarante et un premiers chapitres de la Continuation dite de Rothelin. Académie, p. Zi89.

DE CLASSIFICATION. 545

blement rien de la situation particulière des Etats d'Orient ; les circonstances les plus considérables de leur histoire lui sont inconnues, l'invasion des Impériaux, par exemple, qui bouleversa les deux royaumes de Jérusalem et de Chypre, passe inaperçue dans son livre, et il atteint la croisade de saint Louis nous le retrouverons n'avançant encore qu'au moyen d'emprunts nouveaux, sans avoir mentionné une seule fois cette guerre de cinq années qui renversa de fait la royauté de l'empereur Frédéric en Terre sainte.

Deux morceaux donnent cependant, comme nous l'avons dit, un grand prix à cette partie des continuations fran- çaises : le premier est la description de la ville de Jérusalem, que nous avons reconnue dans les anciens manuscrits d'Ernoul et de Bernard le Trésorier. Le compilateur de. la seconde époque reprend ce fragment, négligé par ceux de la première, et l'amène assez heureusement, en parlant de la croisade de Frédéric II, à propos des églises que l'empereur aurait pu relever à Jérusalem, s'il ne fût « cheu en la mecreandise. » Le second fragment, entièrement propre aux compilations de la deuxième époque, a plus d'impor- tance encore que le premier : c'est la relation complète de la croisade de Thibaut de Champagne avec les autres barons français, si bravement entreprise en 1239, si fatalement terminée en 1240 sous les oliviers de Gaza, un corps entier de chevalerie tomba au pouvoir des Arabes ^ , Ici la continuation devient tout à fait historique; elle sort du vague et des généralités, et l'on voit tout ce que la connais- sance directe des faits et du pays donne de fermeté, d'abon- dance et d'attrait à la relation de l'auteur inconnu que le compilateur reproduit.

Philippe de Nanteuil, conduit au Caire avec les autres

1. M. Michaud a donné quelques extraits de cette relation d'après les copies de dom Bertliereau, faites sur le manuscrit de Roihelin. Hist. des croisades, t. IV, p. 78, 84, 567; Biblioth. t. I. p. 377.

35

546 ESSAI

prisonniers de Gaza, composa, pour occuper les ennuis de sa captivité, plusieurs romances qu'il envoya au camp des Chrétiens. La chronique donne une de ces complaintes, le chevalier exprime assez heureusement son désir de revoir la « douce contrée de France ^ » L'à-propos de cette cita- tion semble signaler la main même du poète, flatté de rap- peler ainsi son œuvre en la sauvant de l'oubli. Peut-être Philippe de Nanteuil est-il le rédacteur primitif de ce fragment de l'Eracles, qui se détache très-avantageusement, par ses proportions et son caractère narratif, de l'ensemble des digressions vagues et confuses au milieu desquelles il a été noyé par les compilateurs. Ce fragment, dans tous les cas, a été composé en France, non en Palestine, à une époque voisine du retour des croisés, et évidemment d'après leurs propres récits.

DEUXIEME ET TROISIEME EPOQUE.

§2.

De la lettre de Jean Sarrasin et du vingt-sixième livre de la continuation dans l'édition de dom Martène ^.

Nous avons eu l'occasion de remarquer déjà que le com- pilateur du manuscrit de Fontainebleau semblait avoir recherché les meilleures sources de l'histoire des croisades pour en former son recueil. Il donne, comme l'auteur du ms. de Colbert, les parties les plus complètes que l'on con- naisse des chroniques correspondant au vingt-quatrième

1. Académie, p. 548, otM. Micliaud. Hist. des crois, t. IV, p. 86.

2. x.\xi\'« livre de l'édition de l'Académie, p. 436-481.

DE CLASSIFICATION. 547

livre de dom Martène, de l'an 1183 à 1229, depuis les événements qui précédèrent la prise de Jérusalem jusqu'à la croisade de Frédéric II *; seul, parmi les compilateurs de la deuxième période, il insère le vingt-cinquième livre de préférence aux mélanges géographiques des autres mss. que la description de Jérusalem et le fragment relatif à Thibaut de Champagne ne l'empêchent pas de sacrifier. Arrivé ainsi à la croisade de saint Louis, notre auteur prend dans les recueils de la deuxième classe, parmi lesquels il doit être compris, la belle continuation qui les termine tous^, et à laquelle il rattache, assez mal à propos d'aiUeurs, une dissertation sur les phénomènes naturels et imaginaires de la mer/ du Nil et de l'Egypte.

La nouvelle continuation, dégagée de ce hors-d'œuvre qui la dépare et des détails antérieurs au voyage de saint Louis qu'ont ajoutés les compilateurs, a été publiée par MM. Michaud et Poujoulat sous le titre de : Lettre de Jean Pierre Sarrasin, cliamhellan du roi de France, à Nicolas Arrode, sur la première croisade de saint Louis "^^ Ce titre ne répond qu'à une partie du long et curieux fragment donné par les éditeurs de la nouvelle collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France. Les

1. De la p. 123 à la p. 380, dans l'édition de l'Académie.

2. Ms. de Fontainebleau, 8316, fol. 4H y=. Ms. de dom Ber- thereau etms. 2311, suppl. français, fol. 321. Ms. fonds de Sor- bonne, 383, fol. 287. Ms. du même fonds, 387, fol. 325. Le copiste du ms. 8316 a interverti beaucoup de paragraphes, qui sont mieux coordonnés dans la copie de dom Berthereau et dans l'édition de M. Michaud. La même relation, interpolée de nom- breuses additions, se trouve dans les continuations de la quatrième époque, n. 8404, Bibl. nation., et n. 737 de la Reine de Suède au Vatican, sous ce titre : Comment li rois Looys, H quars de la lingnce Huon Ckapet, ala outremer.

3. Collection de Mémoires relatifs à l'histoire de France, t. I, p. 359. Dans l'édition de l'Académie, du chap. xui au chap. lxi, p. 568-593, de la continuation dite du ms. de Rothelin.

548 ESSAI

premiers paragraplies de la continuation sont bien en effet la lettre du chambellan de saint Louis, Jean Sarrasin, qu'il faut distinguer de Pierre Sarrasin ^ Cette lettre fut écrite à Damiette, le 23 juin 1249, au moment l'armée chré- tienne campait encore au milieu de la ville conquise, igno- rant si elle pénétrerait plus avant dans l'intérieur du pays. Mais toute la suite du récit, que les mss. comme l'édition confondent avec la lettre même, et qu'il fallait isoler, est une véritable chronique des événements survenus outremer durant les quatre dernières années du séjour de saint Louis en Palestine, et pendant les huit années qui suivirent immédiatement le départ du roi, L'Orient chrétien retrouve ici de précieuses pages de son histoire originale, pendant une période de quatorze années, de 1248 k 1261. Cette relation, bien supérieure pour le mérite de la composition et le récit des faits au vingt- sixième livre de dom Martène, n'est pas inférieure au vingt - cinquième et l'eût dignement continué , jusqu'à l'année 12C1 , elle s'arrête.

Comme les textes qui forment les derniers livres de Martène dans Y Amplis sima collectio, ce fragment a été certainement rédigé à Saint-Jean d'Acre. Ptolémaïs est le centre auquel l'écrivain rapporte toujours l'action et la pensée de son récit. Quelquefois il adopte pom' transition ce mode de narration qui donne à sa chronique l'apparence d'un journal des événements survenus pendant son séjour en Orient : « Après ces choses, viendrent nouveles en la cité d'Acre. » Il y a quelques raisons de croire que l'auteur était français et originaire de la province de Champagne. En racontant, comme pouvait seul le faire un témoin ocu- laire, la guerre acharnée qui, pendant les années 1257 à

1. Cf. Olim, t. I, p. m, xxiii; p. 767, xxxiv. Joinville, Recueil des Historiens de France, t. XX, p. 200. Pierre Sarrasin et Nicolas Arrode ont laissé leur nom à doux anciennes rues de Paris.

I

DE CLASSlFICATlOiX. 549

1259, divisa la ville de Saint-Jean d'Acre en deux camps ennemis, le chroniqueur dit qu'on vit les partis chrétiens lancer dans leurs combats, d'un quartier de la ville à l'autre, des blocs de pierre pesant au moins quinze cents livres au poids de Champaigne^. C'est peut-être un souvenir du pays natal, et peut-être l'indice que ce journal historique est à l'un des Français laissés par saint Louis en Orient sous les ordres de Geoffroy de Ser- gines, chevalier champenois, mort en Syrie le 11 avril 1269 -. Quant à Jean Sarrasin, il accompagna sans doute saint Louis, parti de Terre sainte au mois d'avril 1254, et continua son service auprès de lui. On possède les comptes de sa gestion comme chambellan chargé de la caisse de l'épargne royale pendant les années 1256-1257^; on le retrouve à Paris comme chambellan du roi en 1269 '*.

Avec la relation annexée à la lettre de Jean Sarrasin se terminent les continuations de l'Eracles de la seconde classe, dont nous n'avons plus qu'à dire un mot. Les compilations de cette époque offrent, comme on l'a vu, plus de ressources historiques pour leurs dernières années de 1248 à 1261 que les continuations orientales dites de la troisième époque ; mais celles-ci ont l'avantage de se pour- suivre encore pendant quatorze années au-delà des premières. Le terme auquel s'arrêtent les recueils de la troisième période varie, du reste, dans tous les mss. que nous avons examinés. Le 8315 de l'ancien fonds français de la Bibhothèque nationale, dégradé à la fin, ne paraît pas avoir été continué bien au-delà de l'année 1248, et finissait pro-

1. Académie. Continuation dite du manuscrit de Rothelin, p. 635. Michaud et Poujoulat. Collection de Mémoires, t. I, p. 398.

2. Académie, p. 457. Martène, col. 743. M. Guizot, p. 580.

3. Ces comptes viennent d'être publiés dans le tome XXI du Recueil des Historiens de France, p. 286.

4. Olim.t. I, p. 767, xxxiv. Cf. Recueil des Histonens de France, p. Î3ô et p. 200.

550 ESSAI

bablement vers cette époque même avec le vingt-cinquième livre de l'édition de dom Martène K Len" 8314-3 de Colbert est brusquement suspendu au milieu des événements de l'année 1264. Le ms. de Noailles, suivi par dom Martène, le plus complet de ceux que l'on connaisse, dépasse de dix années le dernier texte; le ms. de Florence, auquel nous reviendrons plus loin, se prolonge davantage encore.

Le déplacement de cette limite, l'imperfection de quelques uns des mss. de cette classe, manuscrits peu nombreux d'ailleurs, s'explique pour nous, en voyant dans ces varia- tions mêmes un nouvel indice qui prouve que la rédaction de l'Éracles ou du Conquet , surtout d^ns ses dernières parties, appartient à plusieurs auteurs, et que les compila- teurs l'ont utilisé et probablement connu par fragments successifs. La différence originaire entre le vingt-cinquième et le vingt-sixième livre de dom Martène (trente-troisième ^ et trente-quatrième de la nouvelle édition) est d'ailleurs bien réelle, quoique aujourd'hui ces deux livres semblent faire partie d'une seule rédaction continue.

De tous les caractères que nous avons reconnus dans le premier de ces livres, nous ne retrouvons plus dans le suivant que ceux d'où nous pouvons induire encore qu'il a été, comme toutes les continuations delà troisième classe, rédigé en Orient, au centre même du royaume de Palestine. Mais c'est le seul rapport à signaler entre ces deux parties de la Chronique d'outremer.

Bien que l'auteur du vingt-sixième livre ait toujours quelque éloge ou quelque parole de sympalhie pour les hommes d'armes d'Orient qu'il appelle les nôtres ^, rien ne

1. Son dernier parac^aphe : Or retomons à parler de la terre de Surie, répond dans l'édition de l'Acad. au chap. lv, p. 426. Martène, col. 728. M. Guizot, p. 52i.

2. A partir seulement du chap. xni, p. 380.

3. Académie; p. 455, p. 458. Martène, col. 742, 744. M. Guizot. p. 576. 582.

DE CLASSIFICATION. 554

fait soupçonner qu'il ait jamais pris part à leurs expéditions. Il n'était point chevalier; son état n'était point de faire la guerre. Les actions militaires, les détails féodaux et nobi- liaires, qui tiennent une si grande place dans les continua- tions antérieures et particulièrement dans le vingt-cinquième livre, le cèdent ici aux faits ecclésiastiques. L'écrivain ne paraît pas davantage appartenir à la bourgeoisie, il n'était pas assurément au nombre des hommes de loi, contre lesquels il lance un trait violent à propos de l'élection de Clément IV, « bon advocat, dit-il, et loiaus bons, ce que n'avient pas « souvent de gens de son mestier ^ » Ces sentiments, qu'ex- pliquaient les attaques continuelles des légistes contre tout ce qui leur était étranger; les expressions amères dont l'écrivain se sert en parlant de l'empereur Frédéric II et de son fils, tous les deux « félon, ivroigne, ravisseor, etparse- cutor de l'yglise^; » le soin avec lequel il consigne l'élec- tion et les principaux actes des souverains pontifes ; son attention à enregistrer les nominations de prélats aux différents sièges de la Palestine : toutes ces raisons nous portent à croire que notre auteur était clerc, et qu'il a écrit dans une église ou dans un monastère de Saint-Jean d'Acre.

Sa chronique, œuvre probablement collective, ressemble beaucoup aux éphémérides que l'on conservait dans les abbayes ; et chaque année le religieux désigné d'office ou disposé par son zèle et son talent à accepter cette tâche, mettait en écrit un sommaire des faits les plus importants dont il avait eu connaissance, en revenant parfois sur les événements déjà passés. Quelque superficielle qu'elle soit, quelques lacunes qui s'y trouvent, cette aride cln'onique a cependant un grand prix historique en raison de l'extrême rareté des monuments originaux concernant l'histoire

1. Académie, p. 448. Martène, col. 738. M. Guizot, p. 564.

2. Académie, p. 43'J. Martène, col. 734. M. Guizot, p. 548.

552 ESSAI

d'outremer dans le laps de temps qui s'écoule entre le départ de saint Louis et la prise de Saint-Jean d'Acre, surtout entre l'année 1261 , se terminent les com- pilations de la deuxième époque, et l'année 1288, oii commencent celles de la quatrième. Le dernier livre de l'Eracles, ou plutôt du Conquet, a le mérite, dans sa sèche concision, d'être pour cette période la source Marin Sanudo , le fi^ère Jordan , Guillaume de Nangis , Jean d' Ypres et beaucoup d'autres écrivains anciens , ont puisé les renseignements qu'ils donnent sur l'histoire des deux roj^aumes de Chypre et de Jérusalem.

Cette continuation se recommandait d'autant mieux à l'attention des chroniqueurs et des compilateurs d'Europe, elle doit aujourd'hui nous inspirer d'autant plus de con- fiance, qu'elle a été composée au milieu même des temps qu'elle concerne, ou peu après, car il n'est pas possible d'en reculer la rédaction au-delà de l'année 1295. Le manuscrit original de Noailles, sur lequel dom Martène a publié son édition, se termine en effet par la note suivante, datée de 1295 : « Cest hvre fu escrit et acompli à Rome l'an de « l'incarnationNostreSeignor Jhesu CristM. CC. IIIP^XV, « u mois de may, u tans de pape Boniface l'uitisme, nés « d'une cité qui est en Campaigne qui a non Anaigne, qui « fu eslut après pape Celestin le quint, qui ot nom frère « Pierre de Mouron, qui renunça en la cité de Naples K »

L'indication des circonstances historiques les plus récentes mentionnées dans ce livre est même manifestement antérieure à la prise de Saint-Jean d'Acre de 1291, à laquelle il n'est fait nulle allusion. L'auteur nous semble avoir accompli sa tâche à peu de distance de l'année 1275, il s'arrête après avoir donné de nouveaux détails sur les décisions prises en faveur de la chrétienté d'Orient au con-

1. Ms. 104. Suppl. français. Bibl. nation., aujourd'lmi 0082, fol. 325. Cf. Martène, Amplissima Collectio, t. V, col. âS.l.

DE CLASSIFICATIOÎS 553

cile général de Lyon ^ dont il avait été trop sommairement parlé en 1274 2.

Ainsi se termine la continuation la plus étendue de la troisième époque qu'aient connue dom Martène, M. Michaud et le savant éditeur des Mémoires concernant l'histoire de France. Les manuscrits de cette période sont très rares. Après celui de dom Martène, dont le texte est terminé en 1275, nous ne connaissons que le manuscrit de la biblio- thèque Saint-Laurent de Florence, Plut eus LXI, X, poursuivi jusqu'en 1277. Comme ceux de la première époque qu'ils continuent, ces recueils renferment ce que nous avons jusqu'ici de plus original sur l'histoire intérieure du royaume de Jérusalem au xiii*' siècle; leur récit est formé par la succession d'écrits contemporains appartenant tous à l'Orient et rattachés immédiatement à la traduction de Guillaume de Tyr. Ce sont des manuscrits de ces deux caté- gories que Joinville nommait le Livre de la Terre sainte'^, Sanudo Liber conquisitionis^, Pipino Liber acqui- sitioyiis terrœ sanctœ '', et Jean d'ibelin , comte de Jaffa, le Livre du Co7iquet^. Si l'on voulait adopter des dénominations qui aidassent à distinguer plus facilement les deux branches des continuations de Guillaume de Tyr, on pourrait conserver ce dernier titre aux compilations des textes français de l'archevêque avec leurs suites exécutées dans les Etats chrétiens du Levant, et réserver le nom de Livre d'Eracles, inusité en Orient, aux recueils semblables composés en France ou en Europe.

1. Martène, col. 752.

2. Martène, col. 747.

3. Voy. ci-dessus, pag. 478-479. n.

4. Sécréta fidelium crucis, p. 44.

5. Muratori, Script. Rer. Ital., t. Vil, col. 655 et t. IX, col. 650.

6. Assises de Jérusalem, t. il, p. 196, net.

554 ESSAI

QUATRIÈME ÉPOQUE.

Derniers continuateurs . De la relation de la prise de Saint-Jean d'Acre et de Nicolas Falcon.

Les continuations réunies dans le manuscrit de Noailles, publiées par dom Martène, conduisent, on l'a vu, l'histoire d'outremer jusqu'à l'année 1275. De cette époque aux événements qui amènent la chute du royaume de Jérusalem (1288-1291), il y a un intervalle de treize années, réduit à onze années par l'addition du manuscrit de Florence, dont les sources historiques ne se trouvent point dans les textes de l'Éracles ou du Conquet connus jusqu'ici. Il se pourrait toutefois qu'on eût composé également à cette époque, soit à Saint-Jean d'Acre, soit à Nicosie, si troublée qu'ait pu être alors la Palestine, quelque clironique locale, analogue à celle des années précédentes, et propre, si on la retrouve un jour, à former un vingt-septième (ou trente-cinquième) livre du texte français de Guillaume de Tyr. L'absence de cette continuation dans la série si nombreuse d'ailleurs des manuscrits de la Bibliothèque nationale et dans les autres manuscrits, bien qu'elle soit une circonstance négative, ne suffit point pour établir que ces continuations n'ont pu exister, car déjà l'addition inattendue fournie par le manu- scrit de Florence ^ remplit deux années de la période qui manque aux textes les plus complets de Paris et de Berne, et qui semblait former définitivement un vide total de qumze années.

Prenant les faits à l'époque s'arrête le texte de Martène, l'auteur du nouveau fragment poursuit l'histoire d'outremer jusqu'à l'année 1277 -. A l'exemple des conti-

1. "Voy. la VI« classe des mss. Ci-dessus, p. 487-488.

2. Edit. de rAcadémie, p. 473-481.

DE CLASSIFICATION. 555

niialeui's précédents, il insère dans son récit quelques détails sur les différents papes élus et morts durant le court inter- valle qu'il remplit ; mais son attention se fixe principalement sur les événements d'Orient, pays qui ne lui est pas étranger et tout semble indiquer qu'il habitait. Il raconte les démêlés du roi Hugues III de Lusignan, roi de Chypre et de Jérusalem, avec les Temphers de Syrie, toujours impa- tients de l'autorité royale, les instances des chevaliers du royaume de Jérusalem pour engager le roi de Chypre à revenir en Syrie, lui promettant de mieux respecter à l'avenir ses prérogatives, puis les réclamations élevées devant les hautes cours d'Orient, par la princesse Marie d'Antioche, cousine du roi Hugues, comme prétendante à la couronne de Palestine, du chef de Melissende de Lusi- gnan, fille du roi Amaury II de Lusignan ; il rappelle la prise de Saint-Jean d'Acre par l'armée du roi Charles d'Anjou, à qui la princesse, en désespoir de cause, avait fait abandon de ses droits ; enfin, avant le récit de la mort du pape Jean XXI qui termine sa chronique, il mentionne parmi les événements marquants des Etats d'Orient, dans l'année 1277, la mort de Bahan d'ibelin, sh'e d'Arsur, et la mort du sultan Bibars Bondocdar ^ , rectifiant ainsi sur ce dernier fait le continuateur précédent qui l'avait par erreur placé en 1275^. Ces deux circonstances sont exactement rappelées par Sanudo l'ancien ^, et en général il est mani- feste que le Liber secretorum fideliimi crucis, dans sa partie historique postérieure à la prise de Jérusalem, n'est qu'un abrégé des continuations de Guillaume de Tyr, comme dans la partie qui de cet événement remonte à l'ori- gine des croisades le récit de Sanudo n'est qu'un précis plus concis encore du texte de l'archevêque.

1. Édition de l'Académie, p. 478 et 479.

2. Académie, p. 467.

3. Liber secr. crucis. III, part. 12, ch. 16. Bongars, t. II, p. 227.

556 ESSAI

Sanudo rancien, notre guide le plus sûr dans l'époque intermédiaire qui va suivre, manquent les contemporains, a connu en effet un livre du Conquet ainsi continué, peut- être même plus complet encore que le manuscrit de Florence, et comblant en entier la lacune qui reste toujours pour nous de l'année 1277 à l'année 1288 dans les meilleurs manu- scrits de l'Eracles ou du Conquet. La partie historique du Sécréta fidelium crucis ne s'arrête en effet, ni en 1275, quand finit le texte de Martène , sa principale source pour le treizième siècle, ni en 1277, quand finit le manu- scrit de Florence. Son récit ne perd aucune de ses qualités : les faits sont aussi nombreux et aussi précis que dans les années antérieures. Non-seulement la marche générale de l'histoire du royaume chrétien de Syrie, dont on pressent la chute inévitable, mais les incidents secondaires des pas- sages de certains chevaliers, la mort d'autres personnages, telle que celle de Balian d'Ibelin, les changements dans les offices ou les dignités du royaume et d'autres particularités de riiistoire d'outremer y sont consignées comme précé- demment ; et il est impossible que la tradition orale eût seule fourni à Sanudo, à la distance de quarante années, de semblables détails, s'il n'avait eu à sa disposition pour former çt guider son récit historique des écrits remontant au temps même des événements qu'il rapporte. Privés aujourd'hui de ces informations originales, nous ne pouvons y suppléer qu'au moyen des écrits qui s'en rapprochent le plus. Il faut joindre ainsi à Sanudo quelques passages historiques des Assises de Jérusalem -, puis les notions éparses dans les œuvres de Guillaume de Nangis, du frère Jordan ^ , de Jean d'Ypres , d'Henri Knighton , de

1. Chap. 14-20 du livre III, part. 1-2. Ap. Bongars, p. 226-230.

2. Appendices au t. II, p. 401, chap. 3 et suiv.

3. Chronique manuscrite du Vatican, 1960, dont Muratori a publié des fragments dans les Anliquitates Italicc medii œvi, t. IV, col. 949, et Rinaldi de nombreux extraits dans les suites à Baro-

DE CLASSIFICATIO:^. 557

Rishanger, continuateur de Mathieu Paris, d'André Dan- dolo, de Jacques Doria, de Jean Yillani, d'Aboulpharadge et des auteurs musulmans, pour atteindre, sans trop de désavantage, l'époque de la perte de Saint-Jean d'Acre, qui anéantit définitivement le royaume fondé deux siècles auparavant par Godefroy de Bouillon.

Il n'est pas de pays chrétien ne parvinrent les nou- velles du siège et de la prise de cette ville. Aussi est-ce un des événements du moyen-âge sur lequel on possède le plus de notions contemporaines. Ces renseignements, quelquefois opposés et contradictoires, s'éclairent et se complètent cependant par leur diversité.

Un Français dont le nom est encore inconnu, ayant recueilli les rapports de plusieurs témoins de la prise de Saint -Jean d'Acre, en forma un récit qui nous est parvenu sous une double forme , en latin et en langue vulgaire. Il s'étend à peu près également dans les deux rédactions, depuis le sac de Tripoli, en 1288, et la rupture de la paix avec le sultan d'Egypte, en 1289, jusqu'à la retraite des derniers défenseurs de Saint-Jean d'Acre, en 1291, au moment une poignée de chevaliers, plutôt que de capituler, se jette dans la maison du Temple et prolonge quelque temps une résistance digne d'un meilleur sort. Le texte latin a été publié par dom Martène à la suite de la continuation française de Guillaume de Tyr, sous le titre de : Excidiwn Acconis, ou Gestorum Collectio « Rela- tion d'événements ^ ». La rédaction française, signalée par M. V. Le Clerc dans un volume de Mélanges, du treizième siècle, de l'ancienne Sorbonne ^, retrouvée depuis dans un

nius, Annales ecclesiaslici, t. XX à XXIV, passim. Voy. Hist. de Chypre, t. II, p. 130.

1. Amplissima Collectio, t. V, col. 757. Excidii Acconis in anno MCCXCI, Gestorum collectio.

2. N. 454, aujourd'hui à la Bibl. nation. M. Le Clerc, Histoire littéraire de France, t. XX, p. 85, 787.

558 ESSAI

manuscrit de l'Eracles au Vatican, collection de la reine de Suède ^ , existe aussi dans un manuscrit de la Bibliothèque Nationale ~. Le savant académicien qui, le premier, a reconnu le texte français, en a donné une analyse ^ se trouve complété et souvent rectifié ce qu'avait dit M. Michaud du texte latin ^.

M. Le Clerc a constaté qu'il n'existe aucune commu- nauté d'origine entre cette relation et la lettre de Jean de Villers, grand-maître de l'Hôpital, sur la prise de St-Jean d'Acre. Rien ne peut autoriser à penser aujourd'hui, avec notre historien des croisades, que la lettre du grand-maître ait été la première forme et la première rédaction du Gesio- rum Collectio. M. Le Clerc a prouvé en outre que la leçon française du récit, telle que la donne le manuscrit de Sor- bonne, n'est qu'une traduction du texte latin publié par dom Martène ^. Ces points sont évidemment établis et acquis à la discussion, mais il ne paraît pas aussi certain que la rédaction du manuscrit 8404 de la Bibliothèque Nationale soit également une version de la rédaction latine. Les erreurs et les lacunes de la version de Sorbonne ne se retrouvent pas dans le français du précédent manuscrit. La clarté correcte de ce texte semblerait, au contraire, indi- quer une composition originale ; et l'on pourrait croire, en le comparant au latin, dont il diffère parfois assez sensi- blement, que le texte français est ici une première rédac-

1. N. 737. Voy. M. Paul Lacroix, Dissertation sur les manuscrits relatifs àV histoire de France consen-ês dans les bibliothèques d'Italie, in-8°, 1839, p. 22-28. M. V. Le Clerc, Histoire littéraire de France, t. XX, p. 787.

2. Ancien fonds français, n. 8404. Bibl. nation, xiv» s.

3. M. V. Le Clerc, Histoire littéraire, t. XX, p. 79 et suiv. : Relation anonyme de la prise d'Acre en 1291.

4. Michauil, Histoire des croisades, 4"^ édition, t, V, p. 562. VA. p. 107 et Bibliothèque des Croisades, t. III, p. 384.

5. Histoire littéraire de France, L. XX, p. 85-89.

DE CLASSIFICATION 559

tion, et que peut-être il a existé deux relations contem- poraines de la prise d'Acre, l'une en français, l'autre en latin, toutes deux émanant peut-être du même auteur.

Quelques indications de Montfaucon et de Fontette nous avaient fait considérer d'abord cette coexistence des deux textes originaux comme certaine ; mais , après avoir vérifié à Rome, sur les manuscrits auxquels elles se rapportent, les citations de la Bibliotheca bibliothecarum et de la Bibliothèque historique de la France, nous devons reconnaître qu'elles n'ont point justifié notre prévision , et que la conjecture vers laquelle nous inclinions aurait besoin d'une base plus sûre.

Pour ne négliger aucun détail essentiel, nous reproduirons ici les mentions qui nous avaient paru autoriser cette opinion. Montfaucon inscrit, sous le 691 des manuscrits de la reine de Suède, un article ainsi conçu : Chro7iicon seu Historia de gestis Godefridi Biillionis gallice , cujus auctor censetur Nicolaus i^«/con ^; et plus loin, dans le nombre des volumes autrefois possédés par Petau, Montfaucon cite V Histoire des Guerres d'Orient, de Nicolas Falcon, 205. 1000^. D'autre part, Fontette^, après le P. Lelong, mentionne, sous le titre de : Chronique ou Histoire de Gode f roi de Bouillon, qu'on croit être de Nicolas Falcon, et sous le 691, un manuscrit qui paraissait être le même que le n" 737 décrit dans une disser- tation moderne, et sur lequel se trouve cette note de la main de Paul Petau : Inter manuscriptos bibliothecœ collegii Mertonensis Oxoniœ habet. 58 lib."^ historiarum par- tium Orientis, quemNic. Falcon scripsit primo gallico idiomate et de gallico transtulit anno 1300^.

1. Bibliotheca Bibliothecarum manuscriptorum, t. I, p. 28.

2. Bibl. Bibliolh. manuscriptorum ^ t. I, p. 74.

3. Bibliothèque historique de la France, t. II, p. 132. Art. 16589.

4. Sic. Sans doute, habetur liber.

5. M. Paul Lacroix, Dissertation citée, p. 22.

560 ESSAI

On pouvait croire, d'après ces différentes citations, qu'il existait tant dans la bibliothèque de la reine de Suède, au Vatican , que dans le fonds Merton , à la bilîliothèque d'Oxford, plusieurs manuscrits attribuant à Nicolas Falcon une histoire générale des croisades depuis Godefroj de Bouillon jusqu'à la fin du xiii^ siècle. Toutefois, en exami- nant ceux de ces manuscrits que nous avons pu retrouver à la bibliothèque du Vatican, nous n'avons rien reconnu qui justifiât l'induction qu'on en a tirée. Il ne nous a pas été possible de constater ce qu'étaient devenus les manus- crits 205 et 1000 d'Alexandre Petau, contenant, d'après le Catalogue de Montfaucon, Y Histoire des Guerres d'Orietit de Nicolas Falcon. Le ms. 691 de la reine de Suède, cité comme renfermant une Histoit^e de Godefroy de Bouillon, est un recueil d'écrits de Paul Orose, et de mélanges divers, totalement étrangers aux croisades et à Godefroy de Bouillon. Quant au ms. 737 de la même collection, il appartient bien aux sources historiques des guerres d'outremer, mais il ne nous donne pas les notions que nous avions espéré y trouver. Ce ms., inscrit par erreur dans le Catalogue de Montfaucon sous la rubrique de Christine de Pisan, Des faits et bonnes mœurs du roi Charles y^ porte au liant de sa première page ce titre ancien et exact : Croniques Godefroy de Buillon. E, 44. C'est en réalité une histoire entière des croisades, se trouve la traduction de Guillaume de Tyr, les continuations de la deuxième époque et le texte français de la Prise d'Acre ou Gestorum collectio. Nous l'avons classé parmi ceux de la quatrième époque des continuateurs^. Au bas de la première page de ce ms. 737, existe la note précitée de la main de Paul Petau , indiquant qu'il y a dans les manuscrits de la bibliothèque du collège de Merton, à

1. Bihliotheca Dihl. manuscriptorum, t. I, p, 29.

2. Ci-dessus, p. i88.

1»K CLASSIFICATION o6i

Oxford, un ouvrage sur l'histoire d'Orient, écrit en français et en latin, par Nicolas Falcon. Mais on peut être certain que l'ouvrage de Falcon qui se trouve dans le ms. d'Oxtbrd n'est pas une histoire générale des croisades, comme le donneraient à penser les rubriques de Montfaucon et de Petau précédemment citées. Il est bien invraisemblable qu'un auteur du commencemei^t du quatorzième siècle, et Falcon, si bien à même de donner à ses travaux une direc- tion plus utile, moins que tout autre, ait pris la tâche stérile de remettre en français et en latin les anciennes histoires de l'Eracles, universellement répandues de s©n temps dans les deux formes. La nature du talent de Falcon, sans le porter à composer des œuvres entièrement originales, semble avoir été très-apte à s'identifier à la pensée des autres pour la reproduire et la vulgariser. Le ms. d'Oxford doit renfermer, non une histoire des Croisades, mais un autre ouvrage intéressant à la fois l'Europe et le Levant, et que nous savons avoir été rédigé par Falcon.

En 1307, quand la chrétienté poursuivait de nouveau le projet de reconquérir Jérusalem par une alliance avec les Mongols, un prince arménien, devenu religieux prémontré, après ' avoir longtemps combattu les Mameloucs dans les armées du khan, se rendit à Poitiers pour conférer avec Clément V des desseins de la cour apostolique. Sur la demande du pape, Haïton se disposa à faire un livre de ses observations touchant la nation tartare, et un savant clerc, notre Nicolas Falcon, s'offrit pour mettre en écrit sa dictée française qu'il traduisit ensuite en latin. C'est ainsi que s'est formé le De Tartaris ou Historia orientalis d'Haïton, plusieurs lois imprimé aux seizième, dix- septième et dix-huitième siècles^. Les anciens mss., se trouve la

4. Helmstadt, in-4", 1585. Berlin, in-4'',167L Gryneus, Ramusio et Bergeron ont inséré l'ouvrage d'Haïton dans leurs relations de voyai^es. Un religieux, nommé frère Jean de Lonsdit, en composa

30

562 ESSAI

rédaction française de Falcon, encore inédite, se terminent par un avertissement de Nicolas Falcon lui-même qui nous a conservé tous ces renseignements : « Cy fine le Livre des « Histoires des parties d'Orient, compilé par religieux homme « frère Hayton, frère de l'ordre de Premontré, jadis seigneur « du Corc ^ cousin germain du roy d'Armenye, sur le pas- « saige de la Terre-Sainte, par le commandement du souve- « rain père Nostre Seigneur l'apostole, Clément Quint, en « la cité de Poytiers. Lequel livre, je, Nicole Falcon, escrips « premièrement en françois, si comme le dit frère Hayton « le ditoit de sa bouche, sans note ne exemplaire ; et de « rommans le translatay en latin. Et icellui livre donnay à « Nostre Seigneur le pappe, en l'an Nostre Seigneur mil « trois cens et sept, ou mois d'aoust. Deo gracias^. » Ce lïwe àe^ Histoires des parties d'Orient est évidemment le Liber Historiarum partium Orientis signalé par Paul Petau comme existant à Oxford et dont la note citée reporte la composition à l'an 1300 au lieu de 1307.

Ce que Nicolas Falcon a fait en reproduisant les détails d'Haïton sur les populations d'Orient, un autre écrivain, puisque rien ne nous autorise à attribuer cette nouvelle œuvre à Falcon, un autre écrivain, français comme lui, et comme lui vivant vers le commencement du quator- zième siècle, a pu l'effectuer aussi pour conserver la mémoire de la perte de Saint-Jean d'Acre, en écrivant

dans l'année 1351 une traduction française, qui fut imprimée à Paris, en 1529, sous le titre de : Histoire du grand empereur de Tar tarie, nommé le grand Cam, écrite en latin, par Hycone ou Hayton, sei- gneur de Courcy, chevalier et neveu du roi d'Arménie, in-ïo\. La rédaction française de Falcon n'a point été puldiée.

1. Gorhigos, aujourd'hui Korglio ou Curco, près de l'embou- chure du Selef. Voy. notre Hist. de Chypre, t. II, p. 75. n., t. 111. p. 48.

2. Ms. de l'Arsenal num. G73-G7i dernier folio. Ms. de la Bihl. nat. n. 8302. Ancien fonds français. Aujourd'hui, 2810. Fol. 22G. partie du ms. (1871).

DE CLASSIFICATION. 363

YEœcidium Acconis ou Gestorum coUectio, d'abord en latin, tel qu'on le connaît, puis en français, tel qu'il est dans le ms. 8404 de la Bibliothèque Nationale.

Le récit de l'écrivain encore anonyme témoigne au reste du soin qu'il mit à réunir les renseignements nécessaires à sa composition. « Je n'ai point vu ce que je raconte, dit-il, « mais je m'en suis informé d'une oreille avide, dans l'amei*- » tume de mon cœur, de ceux qui en furent les témoins « mêmes : a cliver sis diversorum in cor dis amaritudine « y^esolutus gestorum relatione aure avida suscepi ^ . » Et à la fin, quand les Sarrasins sont maîtres de la ville presque entière, il termine ainsi : « De ceux qui demeurèrent « au Temple, en la garde de Dieu, on ne dit rien de certain, « si ce n'est qu'ils vendirent chèrement leur vie, comme « Dieu le sait. L'on apprit ensuite par les navigateurs que « les Sarrasins avaient détruit la cité d'Acre jusqu'en ses « fondements^. »

Les compilateurs de l'histoire des Croisades qui ont connu cette relation l'ont ajoutée aux recueils anciens de Guillaume de Tyr continué, soit qu'ils aient conservé l'original français que l'on peut supposer avoir existé, soit qu'ayant seulement devers eux le texte latin, ils en aient entrepris la version nouvelle. C'est ainsi que le récit de la prise de Saint- Jean d'Acre se retrouve dans les mss. 737 du Vatican et 8404 de la Bibhothèque Nationale. Il est à remarquer que ce fragment n'a été annexé qu'aux conti- nuations de la deuxième époque ^, ce qu'explique natu-

1. Amplissima CoUectio, t. V, col. 758.

2. Amiûissima CoUectio, t. V, col. 782. L'auteur de la traduction de Sorbonne a développé ce passage en ajoutant quelques parti- cularités qui semblent lui être venues de sources certaines. Voy. M. Le Clerc, Histoire littéraire de France, t. XX, p. 87.

3. Nous ne connaissons pas encore un seul ms. de la troisième époque des continuations (cinquième catégorie do la classification généi'ale des mss.), oià se trouve la relation de la prise d'Acre.

o6/( ESSAI

rellement son origine occidentale, comme celle des conti- nuations auxquelles il est réuni. Cette adjonction complé- mentaire est en effet la seule particularité qui distingue les manuscrits de la quatrième période de ceux de la seconde. Les recueils historiques de ces deux époques, qui se complètent et se succèdent chronologiquement, conservent de la sorte leur caractère proprement français. Les continuations de la première et de la troisième époque, au contraire, restent exclusivement composées de rédactions faites au sein même des États chrétiens d'Orient. Mais de part et d'autre les deux séries de clironiques d'un intérêt très-inégal ont cependant le mérite d'être toujours contem- poraines ou très-rapprochées des événements qu'elles con- cernent. Nous connaissons ainsi, sans sortir des suites de Guillaume de T}^ et d'après les sources originales, un siècle entier de l'histoire du royaume de Jérusalem, depuis la défaite de Tihériade jusqu'à la prise de Saint-Jean

d'Acre.

Cet événement ferme en réalité la période des guerres saintes. Il ouvre pour le royaume d'Outremer, réduii dès lors à l'île de Chypre, une situation nouvelle le sentiment religieux des anciennes croisades, sans s'éteindre entière- ment, fut subordonné toujours aux préoccupations d'une politique essentiellement commerciale. Nous avons nous arrêter au terme qui marque cette révolution. Si l'on vou- lait rattacher aux grands passages de Terre-Sainte les expé- ditions particulières du quatorzième et du quinzième siècle, il faudrait, en considérant certaines parlies des écrits de Villani, de Guillaume de Machaut et de Monstrelet comme des continuations de Guillaume de Tyr, assimiler à Godefroy de Bouillon, ou à saint Louis, que la ferveur la plus désin- téressée conduisait en Orient, Pierre P"" de Lusignan, qui, dans ses guerres contre les infidèles, se préoccupait surtout d'établir des comptoirs sur la route des caravanes de l'Inde ; Poucicaut, qui. à la tête des forces génoises, incendiait les

DE CLASSIFICATION. 565

entrepôts vénitiens de Beyrouth, ou le roi Janus de Lusi- gnan, qui débarquait sur les terres des infidèles pour enlever les esclaves nécessaires à la culture de la canne à sucre sur ses domaines de Kouklia et de Paphos.

En circonscrivant notre étude au temps même des anciennes croisades, il a fallu borner encore nos observa- tions aux œuvres qui offrent toutes les garanties de la réalité historique. Nous avons par conséquent éloigner toutes les compositions, quelles que soient leurs formes, reposant principalement sur les récits populaires. Telle est, parmi les plus remarquables, et pour ne point nous arrêter à l'Eracles de Gautier d'Arras, dont le sujet est antérieur aux croisades, telle est l'histoire d'Outremer renfermée dans le manuscrit de Cangé, n" 6 ou 14, sorte de chanson de geste, affranchie de la versification^ dont Saladin est le héros ^ . L'auteur choisit quelques traits saillants de l'histoire des croisades et ajoute à ce fonds véritable toute une création romanesque d'incidents mer- veilleux et de pures fictions, comme les aventures des trois frères de Lusignan à Jérusalem et les voyages de la comtesse de Pontieu, aïeule de Saladin.

L'examen d'œuvres semblables appartient à un ordre d'idées tout à fait différent de celui dans lequel nous nous sommes renfermé, en cherchant à démêler et à classer les éléments rigoureusement historiques qui ont concouru à former les continuations de la grande chronique de Guillaume deTyr.

1. Voy. ci-dessus, p. 483. Manuscrits français de la Bibliothèque royale, t. VI, p. 132. Cf. p. 159.

TABLE DES CHAPITRES

DE LA CHRONIQUE

Pages CHAPITRE I. Premièrement, corne Baldoin fu rois, après

la mort Godefri, son frère 1

Commencement de la Chronique de Bernard le Trésorier. 1

Commencement de la Chronique d'Ernoul 4

CHAPITRE n. Cornent Templier vindrent en avant. . 7

CHAPITRE IH. Cornent Esmauris fu roys 10

CHAPITRE IV. Les Cités et les Chastiaus qi apendent

au roiaume de Jherusalem 26

CHAPITRE V. Cornent Saladins fu rechutez de prison. 35

CHAPITRE VI. Cornent ocist la Mulainne 39

CHAPITRE VII. Coment Saladi7is ala conquerre le Roiame

de Perse. De la mer del Diable 51

CHAPITRE VIU. De n. Serpens ki sunl en Arabe. . . 70

CHAPITRE IX. Coment Quirsac conquist l'empire de

Constantinople encontre Endroine 8'J

CHAPITRE X. Coment la cités de Naples siet . . . IU7

CHAPITRE XI. Coment Germains trova le Puis Jacob. 12U

CHAPITRE XII. Coment li roys Gui ala assigier Tabarie. 140

CHAPITRE XIII. Coment la Sainte Croix fu aportée

en l'ost 1^5

CHAPITRE XIV. Coment li ruis Guiz fu pris et des-

confiz par Saladin. * 107

CHAPITRE XVr Coment Saladin coupa au conte Ray naut

la tête 172

TABLE DES CUAl'ITRES. 567

Pages

CHAPITRE XVI. Cornent Saladin alla asaiger Saiete. . 177

CHAPITRE XVII. Cornent Jkerusalem siet et Testât de U 189

CHAPITRE XVIII. Cornent Saladin vint asseyier Jhe- rusalem 211

CHAPITRE XIX. Cornent Saladin prist Jkerusalem et viist ces de dens à reançon 221

CHAPITRE XX. Cornent Saladin manda à Curas de Montferaz, si H rendait Sur, q'il U renderoil son père . . 236

CHAPITRE XXI. Covient U quens de Triple envoia secors an marchis de Montferas 239

CHAPITRE XXII. Coment Saladin ala asigier la Roche Guillaume 254

CHAPITRE XXIII. Coment U roys de France et U roys d'Engletere paserent Outremer 258

CHAPITRE XXIV. Coment Cristien conquistrent Acre sor Sarracin 2G4

CHAPITRE XXV. De l'isle de Cypre et des Grifons. . 284

CHAPITRE XXVI. Coment le roys d'Enyleterre pasa mer, por reparier en sa terre 295

CHAPITRE XXVII. - Coment Saladins fu mors. ... 304

CHAPITRE XXVIII. Coment Safadins deserita les fh Saladin de lor terres après sa mort 308

CHAPITRE XXIX. Coment il ot roy premièrement en Hermenie 318

CHAPITRE XXX. Coment H haut home de Crestienté se croisierent por passer mer 325

CHAPITRE XXXI. Coment U roys de France gueroia le roy d'Engleterre et cil lui 331

CHAPITRE XXXII. Coment H croisié ariverent en Venise. 347

CHAPITRE XXXIll. Coment Vcmperere de Coslantinople fu mordris en sa chambre 368

CHAPITRE XXXIV. Coment Othes fu coronez à empereor . 396

CHAPITRE XXXV. Coment Jehan de Brene fu rois d'Acre. 406

CHAPITRE XXXVI. Coment Demiete fu conquise de Cres- tiens sor Saracins 413

568 TABLE DES CHAPITRES.

Pages CHAPITRE XXXVII. De .11. clers qui alerent preeschier au Soudain 431

CHAPITRE XXXVIII. Cornent U roys Jehans de Brene et li Crestien furent desconjïl par Saracins 439

CHAPITRE XXXIX. La clamor del roi Jehan à l'apos- toille del cardinal 448

CHAPITRE XL. Cornent Federich Vempereres pasa mer. 456

Fin possible de la Chronique d'Ernoul 458

Fin plus probable de la Chronique d'Ernoul 467

CHAPITRE XLI. Cornent li roys Jehan conquist Cons- ianlinople 469

FIN DE L.V CHRON'lgUE DE RERNAFU) I.E TRESORTEn.

TABLE ALPHABÉTIQUE

DES MATIÈRES.

A.

Abasie, ou Avegie, pays voisin de

la Géorgie, 205. Agnès de France, impératrice de C.

P., 47, 390. Aire, v. de France, 334. Aix-la-Chapelle , v. d'Allemagne,

397, 400. .\lberl-sur-Encre, v. de France,

337, n. Albigeois, pays de France, 269. Aîep (le royaume d'), 342, 344. Alexandre de Bernay, trouvère,

62, n. Alexandrie, v. d'Egypte, 232.

Franchises qui y sont données aux Vénitiens pour avoirdétourné les Croisés de venir en Egypte, 345-346, 362.

Alexis l'Ange, voy. Comnène. Alexis Branas, voy. Livernas. Alexis Ducas, dit Murlzuphle ou Morcoffles, régent de C. P.. 367.

fait étrangler Alexis IV Comnène et prend la couronne, 369-370.

ses mauvais procédés à l'égard des Croisés campés hors de la ville, 371.

sa mort, 373.

Alix d'Arménie, fille deRoupenlII,

321. Allemagne (le chancelier d'), voy.

Conrad. Allemands (croisés), 249, 259, 302,

305. 459.

l'hôpital des Allemands à Jéru- salem, 465.

Amandelée ou Amandelior (Guil- laume de I'), 359.

Amaury I", comte de Jafifa, roi de Jérusalem, 14, 15.

reçoit la couronne de Jérusalem, 16.

épouse Marie Comnène, 18, 407.

ses expéditions, 20, 23-24.

sa mort, 31. Amaury II, voy. Lusignan. Amaury, pair, de Jérusalem, 82. Andrinople, v. de l'empire grec, se

révolte contre les Francs, 378 et suiv.

bataille d'Andrinople Bau- douin I" est fait prisonnier, 384.

à quelles conditions se soumet aux Francs, 390.

Andronic, voy. Comnène.

Anglais (croisés), 269. 459, 468.

Angleterre (rois d'), leur trésor à Jérusalem, 156, 157, 219.

Anne (Sle), née à Saphorie. 97.

Antioche (v. et principauté d'), 321, 'S'il, voy. Boémond.

Antioche (Constance d'), 23.

Anase, château de byrie, 3.

Arménie (royaume de la Petite), quelque temps sous la dépen- dance du prince d'Anlioche, 30, 321.

quand il eut un roi pour la première fois, 322-323.

en guerre avec la principauté d'Antioche, 341. Voy. Léon Rou- pen.

Arménie. Jean de Brienne réclame en vain la couronne après le décès de sa femme Stéphanie, 427,

Arraéniens. Trente mille familles

37

570

TABLE ALPHABETIQUE

veulent s'établir à C. P. sous les empereurs français, 387-388.

Arras, v. de France, 33'j.

Arrode (Nicolas), 547, 548 n.

Arsur, v. de Syrie, 283, 293.

Ascalon, v, de Syrie, 12, 14, 42, 184, 185, 232.

démantelée par Saladin, 278.

et par les Francs, 292. Asi«-Mineure, voy. Turquie. Assassins (le seigneur des), voy.

Vieux de la Montagne. Aumale, v. de France, 334. Autriche (le duc d'), retient le roi

Ilicbard prisonnier, 297.

négocie la paix entre le pape et Frédéric II, 467.

Auxerre (le comte d'), voy. Cour-

tenai. Avegie, voy. Abasie. Avesnes (Baudouin d'), 487, 508. Avesnes (Jacques d'), 283.

B.

Babylone d'Egypte est la ville du

Caire, diflérênte de la forteresse,

440. Bacar (la vallée de), en Svrie, 62. Bagdad (le calife de), 421." Balaam, le prophète, 162-1G6. Barbotes, sorte de vaisseaux, 238. Bar-le-Duc (Thibaut P', comte de),

402. Baucéant (le), étendard du Temple,

8. Baudouin I", roi de Jérusalem, 1-

3. Baudouin H, roi de Jérusalem, 2.

ses tilles, 5-G, 10.

sa mort, 10-11.

Baudouin III, roi de Jérusalem, 4,

14. 15, n. Baudouin IV, le Meseau, roi de

Jérusalem, 32.

fait proclamer Baudouin V, son neveu, 115.

meurt, 118.

Baudouin V, l'Knfant, roi de Jéru- salem, reconnu roi sous la ré- gence de Guy de Lusignan, 115.

Baudouin I", "empereur de C P. et Baudouin IX, comte do Flan- dre, se liguent contre Philippe- Auguste, 332.

se croise, 337.

devient empereur de C. P., 291, 376.

eut tort de ue pas distribuer

assez généreusement des terres aux Latms, 287, 378.

investit Boniface de Montferrat de Thessalonique, 377.

mort de sa femme Marie de Champagne, à Acre, 378.

il part pour soumettre Andri- nople, révoltée contre les Véni- liens, 381.

fait prisonnier à la bataille d'An- drinople, 384, 386.

égorgé par ordre de Joannice, 384, n.

on cherche inutilement son corps, 389-390.

Baudouin de Rama, voy. Ibelin.

Beaufort. chat, de Syrie, 48, 56.

Beaujeu (Sibylle de)^ 11, n.

Beau vais (l'évêque de), voy. Tho- mas.

Beauvoir (Baudouin de), 377, 381, 385.

Belbeis, v. d'Egypte. 20.

Belinas, v. de Syrie, 63.

Benibrac ou Benibrac (Raoul de), 60.

Bérengére de Castille, 450.

Bernard, trésorier de l'abbaye de Saint-Pierre de Corbie.

Sa chronique, 472, 507 et suiv., 525, 526 et suiv, iv et suiv, xxiv, xxix.

Bétel, V. de Syrie, 108.

Beteron, v. et château de Syrie,

près (le Naplouse, 112. Bétanie, v. de Judée.

son abbaye, 5. 21, 206. Bethléem, v. de Palestine, 71. Bethenobie ou Belunuble, v. de

Palestine, 278. Béthune (Conon de) , 388, 389.

(l'avoué de), 32.

Betphagé (abbaye de), près de Jé- rusalem, 209.

Beyrouth (le vieux sire de), voyez Jean I" d'Ibclin.

Beyrouth, v. de Syrie, 178, 311- 314.

corsaires arabes qui se cachaient derrière le cap de. 31.5-316, 317.

Blakic, Blachie, voy. Valachic. Blas (les), voy. Valaques. Blaquerne, cliAt. impérial à C. P.,

92, 364, 365, 369. Blois (Louis, comte de), 337, 378,

380. 382-384. Boéinond P', prince d'Antioche, 4. BocincMid II, prince d'.\utioche, 4. Boéniond lit, l'Enfant, prince

d'Antioche, 23.

DES MATIERES.

574

ses démêlés avec Léon d'Armé- nie, d'abord son vassal, 319-3T2.

Boémond IV, prince d'Antioche, 321.

Boiardo (Malhieu), 529.

Bologne, v. d'ilalie. 452, 454.

Bospliore (le), voy. le Bras-Saint- Gcorges.

Bolron, Boutron, Boteron (le), v. et cMt. de Syrie, près de Tri- poli, 114, 178.

(l'hérlUére du), épouse un mar- chand de Pisc, 114 el n. 5.

Boulogne (Renaud comte de), 403,

404. Bouque de Lion, Boukelion, palais

de C. P. 93. 180, 370. Bourgogne (Hugues 111, duc de),

remplace Philippe-Auguste en

Terre Sainte. 277.

meurt à Acre, 280. Bouvines, v. de France, 404. Bove (Enguerrand de), 337, 351.

(Hugues de), 403, 404.

(Robert de), 34, 45, 351, 360. Brachuel, ou Braiecuel (Pierre de),

372, not., 377, 381.

nommé par erreur Paien, 385. Branas (Alexis), dans la chronique

Livernas, ou Li Vernas.

Sa révolte et sa mort, 128-129, 180.

Branas (Théodore), dit aussi Liver- nas, mari d'Agnès de France, gouverne Andrinople au nom des Français, 390.

Bras (le), voy. Saint-Georges.

Bray-sur-Somme , v. de France , 337.

Brienne (Erard de), épouse Philip- pine de Champagne, 409.

revient en France, 409. Brienne (Jean de), épouse Marie de

Monlferrai et devient roi de Jé- rusalem, 408-409.

rupture des trêves avec les Sar- rasins, 409.

demande des secours au pape pour la Terre Sainte, 410.

épouse Stéphanie d'Arménie , 411.

s'embarque à la tête de l'armée pour l'Egypte, 414-415.

assiège Damielte, 41(i et suiv.

mésintelligence qui survient entre lui et le cardinal Pelage, à la suite de la prise de Damielte, 426, 449.

se rend en Arménie et réclame en vain la couronne du chef de sa femme, 427.

séjourne à Acre, 427-428.

le ciirdinal le prie de retourner en Et;ypto, 4i!, 442.

s'y décide quand il apprend le danger se trouvait l'armée en marche vers le Caire, 4'i3.

négocie la pai.x avec le sultan pour la reddition de Damiette, 445-446.

reste comme otage en Egypte, 440.

se rend en Europe pour s'oc- cuper du mariage de sa lille Isa- belle , héritière du royaume de Jérusalem, 449.

Ses voyages, 449, 450-452.

Il épouse Bérengère de Castille, 450.

mariage de sa fille Isabelle avec l'empereur Frédéric, 451.

se brouille avec l'empereur, 451, 452.

le pape lui remet la défense des terres du Saint Siège, 454-466.

les barons de Constantinople lui offrent la régence de l'empire, 470.

conditions auxquelles il accepte, 471.

il arrive à Constantinople , 472. Brienne (Isabelle de), reine de Jé- rusalem. Voy. Isabelle.

Brienne (Gautier III de) , épouse la fille de Tancrede de Sicile, 329.

Sa mort, 330.

Brienne (Gautier IV de). Sa nais- sance, 330.

Brienne (Marie de), fille du roi Jean, épouse Baudouin II, empe- reur de C. P, 472.

Brindes, ou Brandis (v. d'Italie), 391, 451, 457.

Buiemons, abbaye près de Constan- tinople, 36'(.

Burgos, V. d'Espagne, 450.

G.

Caco, V. de Syrie, 146.

Caire (le), v. d'Egypte. Le Caire est le château ou la forteresse de Ba- bylone d'Egypte, 19, 440.

d'une prophétie qui s v ratta- chait, 37-41. Voy, Babylône.

Calvaire (le), à Jérusalem, 194- 195.

Capharnaum, v. de Palestine, 65.

Capoue, v. d'Italie, 437.

Caravanes arabes, 54-56, 96, 283.

Caudemar (le), à Jérusalem, 203.

)72

TABLE ALPHABETIQUE

Cayphas, v. de Syrie, 293, 306. Cène (la) de N.-S., 190. Cercanceau (l'abbé de), au dioc. de

Sens, 351. Césaree, v. de Syrie, sur le bord de

la mer, au s. du Carmel. 82,

183, 293.

son château, 421, 4"9, 461. Césarée de Philippe ou Panéas, auj.

Banias, v. de Syrie, dans la prin- cipauté d'Anlioche, 63, 82.

dite Césarée la Grande, 15. Chaïmon, ou Quaimont (le), v. et

chat, de Syrie, 293. Chaîne (la), droits de douane, 15. Chaius, chat, en Limousin, 335. Charnèle (la), voy. Emesse. Champagne (comté de), administré

[)ar Marie de France, mère du

comte Henri, 291, 309. Champagne (Aliv de', (ilie du comte

Henri, épouse Hugues P' de Lu-

signan, roi de Chypre', 409 et

note. Champagne ( Marie de ) , sœur

d'Henri U, femme de l'empereur

Baudouin, 291. Champagne (Marie de), femme de

Baudouin de Flandre, meurt à

Acre, 378. Champagne (Thibaut III, comte de),

291.

prend la croix, 387.

nommé chef de la croisade , 340.

meurt, 340.

Champagne (Thibaut IV de). Sa croisade, 545, xx.

Champagne (Philippine de), sœur de la reine .\lix, épouse Erard de lirienne, 409.

Champagne (maréchal de) , voy. Villehardouin.

Change (le) des Latins et des Sy- riens, à Jérusalem, 192, 201.

le Change de Tyr. 290. Château-Blanc, château de Syrie,

15. Châleau-Franc , chAt. de Svrie ,

459. Chàleau- Pèlerin, ou le Détroit,

422. Château des Templiers, en Svrie,

423, 462. Chalijlon (licnaud de), seigneur du

Crac, dit le Prince Renaud, 22-

23, 104.

épouse la dame du Crac, 31.

viole les trêves contre des mar- chands, 54-55, 96-97.

sa conduite à la mort de Bau- douin V, 130-131.

fait couronner Sibylle, 132- 133.

Saladin lui tranche la tête, 173- 174.

Chaver, vizir d'Egypte, 18, 23, 37-

40. Chevalerie accordée à l'un des fils

de Saladin, 144. Chevalier Vert (le), croisé espagnol,

237, 251.

Saladin demande à le voir, 251- 252.

Chrétien, châtelain de Dixmude,

2-3. Chypre (l'île de), 91.

conquise par Richard d'Angle- terre, 272-273.

engagée aux Templiers, 273.

révolte des Grecs, 285.

vendue par Richard à Guy de r.usignan, 286.

Chypre (roy;iume de) , constitué par Amaury de Lusignan. .303.

réclamé par un che^alier fla- mand, mari de la fille d Isaac Comnène, 351-352.

Clary (Robert de), 371. note.

Clément (Alhéric) , maréchal de France, 273.

Citeaux (abbaye de). Foulques de Neuilly y fait réunir les sommes reçues pour la croisade, 338.

Citerne-Rouge (la), près de Jérusa- lem, 79.

Coggeshale (Raoul de), 497, xviij.

Coine (le), ou Iconium, v. d'Asie- Mineure.

le sultan, vassal de l'empereur de C. P., 2i9.

Comans ou Comains (les), peuples voisins de G. P., 380 et suiv.

Comnène (Alexis III l'.Vnge, dit), 92.

fait crever les yeux à son frère Isaac l'Ange (Kirsac), et se fait proclamer à .sa place, 95, 245.

SOS préparatifs de défense contre les Francs qui ramenaient sou neveu .\lexis, 302.

Comnène (Alexis IV l'Ange , ou Alexis le Jeune), fils d'isaac l'Ange et de sa première femme, 9.5.

Marguerite de Hongrie, sa belle- mère, l'envoie en Hongrie pour le sauver, 96.

vient à Zara trouver les Croisés, 360.

DES MATIERES.

573

détermine les Croisés et les Vé- nitiens à le conduire à C. P., 361.

est couronné à la mort de son père, 366.

règne sous la tutelle d'Alexis Ducas, dit Murlzunhle , 306- 367.

est mis à mort par ordre d'Alexis Ducas, 369.

d'un songe qu'il fit un jour, 369-370.

avait épousé Agnès de France, 390.

Comnène (Vlexis), fils de Manuel, gendre du roi de France, 90.

Comnèue(Andronic I"' dit le Vieux), empereur de G. P., 16, 90.

fait mettre à mort le jeune Alexis, 90.

ses mœurs dissolues, 91.

sa déposition et sa mort, 93- 94.

Comnène (Isaac l'Ange), nommé Kirsac par les Latins, 92.

tue Langosse, 93.

est couronné, 93.

déjà veuf, épouse Marguerite, fille de Bêla, roi de Hongrie, 95- 96.

son frère Alexis lui faiU crever les veux, 96, 245, 360.

relient (lonrad de Moniferrat à C. P. pour soumettre Livernas, 128.

rétabli sur le trône par les Fran- çais et les Vénitiens, 366.

meurt, 366. Comnène (Isaac l'Ange).

Marguerite de Hongrie, sa veuve, épouse Boniface de Montferrat, 377.

Comnène (un Isaac), se rend indé- pendant en Chypre, 91, 271.

fait prisonnier par Richard d'Angleterre, 273.

aventures de sa fille, 352. Comnène (Manuel) empereur de C.

P., 16-18, 46, 58. Comnène (Marie), dite la reine Marie , reine de Jérusalem , épouse le roi Amaury 1", 18.

eut Naplouse en douaire, 31.

mère d'Isabelle de Jérusalem, 31-32.

épouse de Balian II d'ibelin, 44, 186-187.

mère du vieux sire de Beyrouth, 407 n.

Coranène(Théodore),princed'Epire,

trahit l'empereur Pierre de Cour- lenai, 392-393.

Conquel (le Livre du), 478, 533, ix.

Conrad, emp. d'Allemagne, 2, 12.

Conrad, (ils de Frédéric II et d'Isa- belle de Brienne.

Sa naissance, 454.

Conrad, év. d'Hildesheim, chance- lier d'Allemagne, passe en Orient, 302.

couronne Amaury de Lusignan roi de Chypre, au nom de 1 em- pereur, 303.

couronne peut-être Léon II roi d'Arménie, 323 n.

Conrad de Wittelsprtch, arch. de Mayence, 323 n.

Constance d'Aragon, femme de Fré- déric H, 450.

Constance de Sicile , femme de l'emp. Henri VI, 326-327.

Constantinople mise en état de dé- fense par Alexis IV contre les Francs, 362.

est prise par les Francs sur Alexis m, 364-365.

se soulève contre les Francs, 367.

reprise sur Alexis Ducas, 371- 372.

Coradin , Coredix , voy. Malec Moadara.

Corbeil, v. de France, 339 n.

Corbie, v. de France, lieu des con- férences entre les Vénitiens et les barons français, 339, 374. Voy. Bernard.

Corbie (Robert de), 87.

Corfou (île de), 362.

Couronnement des rois de Jérusa- lem, 118.

Courson (Robert de), cardinal, 417.

Courtenai (Agnès de), i7 et n.

Courlenai (Baudouin II de), empe- reur de C. P., épouse la fille de Jean de Brienne, 472.

Courlenai (Philippe de), comte de Namur, refuse la couronne de C. P., 393.

Courtenai ( Pierre de ) , comte d'Auxerre, élu empereur de C. P., 391.

Sa mort, 393. Courlenai (Pierre de), 53-54. Courlenai ( Robert de ) , fils de

Pierre, empeienr de C. P. sur le refus (le son frère Philippe, 393. indispose les chevaliers de l'em- pire et se relire à Rome, 394.

574

TABLE ALPHABETIQUE

sa mort , 395.

Crac (le), chat, des Hospitaliers dans la Syrie du Nord, 15.

Crac de Montréal (le), v. et château de byrie, dans la Syrie Sobal, au sud de la Mer Mo'rte, 31, 35, 61, 68, 417.

assiégé par Saladin, 80, 103.

les caravanes de Damas en Egypte passent sous ses murs, 55, 96.

pris par Saladin, 187.

sa force, 464.

Saint Abraham en dépendait féodalemcnl, 71.

Crac (Renaud, .seigneur du), voy.

Chatillon. Cresson (la fontaine du), près de

Tibériade, en Syrie, 146, 159. Cris de guerre des Croisés, 312,

313 et not. Croix de N. S. (la Vraie ou la

Sainte), 156, 162, 170, 276. Cruciiiv sculptés en Orient (des),

204-205. Cycem, voy. Sichem.

D.

Damas, v. de Syrie, 48 n. 346. Damielle, v. d'Egvpte, 24.

assiégée par les Croisés sous Jean de JJrienne, 415 et suiv.

prise par les Chrétiens, 425- 426.

le sultan propose de rendre en échange le roy. de Jérusalem, 435, 442.

branche du Nil qui y passe, 440.

est rendue au sultan d'Egypte, 447.

Daminarlin (Renaud de), 262. l)aiiii)icrrc (Renaud de), 337, 341-

343. Daadolo (Henri), doge de Venise,

3i5, .380, 385. Daron (le), v. et chat, de Svrie, 15,

27, 283, 293. Détroit (le), voy. Château -IV'lcrin. Diépold, ou Thiebaul, Tiébaus (le

comte), duc de Pouille, 326, 329-

330, 398. Divmude, v, de Flandres, 2-3, Doc. cAiùl, près de St-Jean d'Acre,

3.58. Dorel (Guillaume), .seigneur du

Rotron, 114 n. Dolain, ou Dolham, v. de Syrie,

dans la Samarie, 98, 153. Voy,

Thavm. Durazzo, ou Duras, v. de Grèce,

246, 392. Du reboise (André de), chev,, 372.

E.

Ecry-sur-Aisne, v. de France, 331 et dans les additions et correc- tions, pag. 586.

Edesse, ou Roha, v. et comté de Syrie, 1-2.

villes qui dépendaient du comté, 1.5.

Egypte (de la mulane ou vizir d'), 18,23.37-40.

(négociations du sultan d'), avec Tes Vénitiens pour empê- cher la croisade de se diriger sur l'Egypte ou la Svrie, 345-346, 362.

Eléonore d'Aquitaine, reine d'An- gleterre, 270.

Elizabeth (sainte), 66.

Elysée, le prophète, 110.

Emails (fontaine d'), 205.

Embriac (Hugues), 305 n.

Emesse, ou La Chamele, v. de Syrie, 15.

Enchantements d'une sorcière sar- rasine, 163-164.

Encre, auj. Albert, v. de France, 337.

Epée (chevaliers de l'), 352.

Ernoul, ou llcrnoul, écuycr de Balian dlbelin, peut-être Ernoul de Giblet, auteur de la chronique, 149, 491 et suiv., xxv.

Espagnol croisé, nommé le cheva- lier Vert. 237.

Espions et éclaireurs, 429.

Euraaire, arch. de Césarée, 3.

Famines, 266.

Fcrlvn, riv, d'Asie-Mineure, 249 n.

Ferrare (Ricobaldo de), 529.

Feux servant de signal, 104.

Fève (la), chat, de Syrie, 98, 102, ri3. 145.

Fiole (Fouques), bourg, de Jérusa- lem, 87.

Flamands (les), aux croisades, 2, 3i0. 352-353, 356.

battus à Bouvines, 404.

Flandre (le comte de), voy. Bau- douin i"' de C. P.

DES MATIERES.

575

Flandre (Ferrand, comte de) , 403,

404. Flandre (Philippe comte de), 32-34,

46. Voy. Baudouin. Flandre (Philiiipe duc de), 277. Forbelot, chàl. de Palestine, près

du Jourdain, 61, 80, 99, 106. Forez (le fomte de), 340. Foua, V. d'Esypte, 4iO, 442. Foulques de Nouilly, 337.

des sommes qu'il avait réunies pour la croisade, 338.

Foulques d'Anjou, roi de Jérusalem, 4-11.

Franc - Château , voy. Château - Franc.

Français ou Francs, assiègent et prennent Constantinople de con- cert avec les Vénitiens, 363 et suiv., 369 et suiv.

nommés Latins en Orient, 365, n.

du traité conclu par eux avec les Vénitiens pour le partage de l'empire de C. P., 374.

nomment Baudouin de Flandre empereur, 376.

François d'Assise (saint).

sa démarche auprès de Coradin, 431-432.

Frédéric P', emp. d'Allemagne ,

248-249. Frédéric II, emp. d'Allemagne , roi

de Sicile.

sa naissance, 301-326.

doutes sur sa légitimité, 327.

élevé et protégé par le S. Siège. 328 , 398.

appelé l'Infant de Sicile, 329.

épouse Constance d'Aragon, 399- 400.

Innocent III lui promet la cou- ronne impériale, 400.

est couronné et s'engage à passer Outremer, 401.

échappe à un complot, 401-402.

son entrevue avec le fils de Philippe Auguste, 402.

sa guerre contre Olhon, 404- 405.

Olhon lui remet les ornements impériaux, 405.

Honorius III le couronne à Rome et le presse de passer Outremer. 436 437.

motifs du retard de son départ, 437.

il soumet les révoltés de Fouille et de Calabre et les Arabes de Sicile, 437-438.

mort de sa femme Constance d'Aragon, 449.

on lui propose d'épouser Isabelle de Brienne, héritière de Jérusa- lem. 449-450.

il l'épouse et l'outrage peu après, 451.

se réconcilie avec Jean de Brienne, 454.

promet de passer Outremer, 455.

feint de partir pour la croisade, 457.

est excommunié, 457-458.

négocie secrètement avec le sultan d'Egvpte, 458, 460, 461, 463.

il part définitivement pour la Terre Sainte, 460.

il demande vainement au pape d'èlre relevé de Texcommunica- tion, 462.

traité de paix qu'il conclut avec le sultan, 46'i.

est couronné dans le Temple de Jérusalem, 465.

revient en Italie, 466.

se venge des Templiers, 466.

combat les troupes du pape et de Jean de Brienne, 467.

lait la paix avec le pape. 468. Frise (Guillaume I", comte de), dit

le comte Pelu, 404.

G.

Gaëte, v. d'Italie, 400.

Galata (la tour de), à C. P. 362.

Gale ( Jean ) , chev, d'Outremer, motifs de la haine que lui por- tait Saladin, 255-256.

Galilée (la mer de), 64.

Gautier, chambellan de France , 418, 423-424.

Gaza, ou Gadres, v. de Syrie, 14, 283, 293.

Gènes, v. d'Italie, 340.

Génois (les), 328.

favorables d'abord à Frédéric il, 400.

Géorgiens, habitant Jérusalem, 203. 205.

Gerin (le), chat, de Syrie, 98, 99, 106.

Germain, bourgeois de Jérusalem. Sa générosité, 121.

Gethsemani, abbaye près de Jéru- salem, 208.

Gibel, V. de Syrie, au N. de Tri- poli, 255, 341.

576

TABLE ALPHABETIQUE

Giblet, V. et seigneurie de Syrie, au S. de Tripoli, 178, 305 et n. 315, 317, 501 n.

Giblet ( Ernoul de ). Conjectures sur ce chevalier, auteur peut- être de la chronique, 501-502, 519.

Giblet (Hugues de), 305.

Gien-sur-I^oire, v. de France, 22.

Gisors, V. de France, 298, 333, 33i.

Godefroy de Bouillon, 1-3, 5.

Golgotha (le), à Jérusalem, 194.

Gomorre, v. de Palestine, 72.

Gorhi^ijs, v. d'Asie mineure, 562.

Grégoire l.\, pa])e, maintient l'ex- communication de Frédéric II, 466.

fait la paix avec l'empereur, 468.

Gué de Jacob (le), v. et chat, de Syrie, 52, 53.

Guillaume, arch. de Tyr. Ses qua- lités, 82-83.

se rend à Kome, 84;

y meurt, 85.

Guillaume, roi de Sicile, 244 , 247, 251.

comment ses préparatifs contre C. P. nuisirent à la Terre Sainte,

245. Guillaume Longue Epée, frère du roi d'Angleterre, 403, 404.

H.

Hache danoise, 281.

Haiton, seigneur de Gorhigos, reli- gieux prémontré. Sa chronique, 562.

Haraa, v. de Syrie, 15.

Hangest (Jean de), chcv., 334.

Haran, v. de Mésopotamie, 52.

Ilassassis (le seigneur des). Voy. le Vieux de la Montagne.

Hébron, voy. saint Aitrahani.

Henri M, emp. (rAlleinagne, (ils de Frédéric 1-, 250, 259, 298-299.

la Sicile échoit à sa femme, 300.

naissance de son fils Frédéric II, 301.

envoie une croisade en Syrie, .301-302.

samorl, 310, .326.

ses dispositions dernières, 326. Jlenii II , roi d'Anglelene. Du

ln;sor qu'il avait à Jériisalem, 156, 157 n. 260. Henri i" d'Anjou, empereur de C.

P. Ses expéditions sous le règne de son frère, 377, 380. 386, 388.

régent de l'empire, 389.

couronné empereur, 390.

fait la paix avec les Valaques, 391.

meurt, 391.

Henri II, comte de Champagne, 53, 54.

se croise, 262, 263.

épouse Isabelle, reine de Jéru- salem, 291.

fait des trêves avec Saladin, 292.

Vçoil Jaffa de Saladin, 293.

mariage de ses filles et des fils d'Amaury de Lusignan, 293.

sa mort, 306.

gène excessive dans laquelle il se trouva souvent pour vivre, 310.

ne couronna pas Léon roi d'Ar- ménie, 318. n. 323 n.

sa visite au Vieux de la Mon- tagne, 343.

Héraclius, emp. romain, 478.

Héradius, arch. de Césarée, puis patriarche de Jérusalem, 82-86, 101, 166 n.

Ileranc ou Haranc, v. et chat, de Syrie, 34, 42, 46.

Hernoul, voy. Ernoul.

Hongrie (Emeric, roi de), 350, 351.

Hongrie (André, roi de). Sa croi- sade, 4 10- il 2.

Hongrie (Marguerite de France , reine de), 3u2,

Honorius III, pape, couronne Fré- déric Il et le presse de passer Outremer, 436-437.

négocie son mariage avec Isa- belle de Briennc, héritière de Jérus;ilem, 449-'i5l.

remet à Jean de Brienne la dé- fense des terres du Saint Siège, 454, 466.

excommunie Frédéric H, 457, 462.

Hôpital (ordre de 1'). Ses armoiries, 8.

(maison de l'ordre de l'), à Jé- rusalem, 192.

Hugues Plagon. 521, 537-540.

I.

Ibi'liii. V. de Svric, 43.

Ibelin (Balian d'), sire dArsur, pe-

DES MATIERES.

577

tit-flls du vieux sire de Bevrouth, 555. Ibelin (Balian II d'), mari de la reine Marie Comnène, (ils de Balian l''', el frère de Baudouin d'ibeiin de Rama, 44, 138-139, 14U 179, '289, 407.

porte dans ses hras le jeune roi Baudouin V, le jour de son cou- rtinneinenl, 118.

son voyage au château de la Fève et à Naplouse, avec son écuyer Ernoul , auteur de la chronique, 149-151.

aj)res la balaille de Tibériade, se rend à Jérusalem du consente- ment de baladin, 174-175.

y est retenu malgré lui et prend défense de la ville, 176.

obtient de Saladin la faculté de faire sortir de la \ille la reine sa femme et ses enfants, 186-187.

négocie la capitulation de Jéru- salem, 215-224.

s'occupe du rachat des captifs, 225.

Saladin lui donne le château de Chaimon, 293.

Ibelin (Baudouin d), sire de Rama, dit Baudouin de Rama, fils de Balian I". bes démêlés avec le comte de Flaudre, 33, 44, 48, 50.

racheté de captivité, 57-59.

son dépit de ne pas obtenir la main de Sibylle , comtesse de Jafla, 60.

11 veut quitter le pays lors du couronnement de Guy de Lusi- gnan, 134-135.

refuse de faire hommage au roi et se retire à Antioche, 137-139- 141.

Ibelin (Héloise d'), fille de Balian II,

dame de bidon, 360. Ibelin (Hugues d), fils de Balian I",

épouse Agnès de Courtenai, 17. Ibelin (Jean I" d'), dit le vieux

sire de Beyrouth, fils de Balian

II et de la reine Marie Comnène,

407 et n.

récent de Jérusalem sous la mino- rité de Marie de Montferrat, 407.

Isaac l'Ange ou Kirsac, voy. Com- nène.

Isabelle de Brienne, reine de Jéru- salem.

On propose à Frédéric II de l'épouser, 449.

son mariage, 451.

outragée par l'empereur, 451.

sa mort, 454. Voy. Conrad. Isabolle de Ilainaut, reine de

France, 11. Isabelle de Jérusalem, fille d'Amaury l" et de Marie Comnene, 18, 31.

épouse Humfrov de Toron, 81- 82-103.

son mari refuse la couronne de Jérusalem, 135-136.

hérile de la couronne de Jérusa- lem à la mort de Sibylle sa sœur, 267.

se sépare de llumfroy et épouse Conrad de Montferrat, 267.

circonstances de la mort de son mari Conrad, 289-290.

épouse Henri de Champagne, 291.

épouse Amaury de Lusignan, roi de Chypre, 310.

morte avant n.

son mari, 407,

Jadres, voy. Gaza.

Jall'a, V. de Syrie, 184, donnée par

Saladin à Henri de Champagne,

293.

donnée par Henri à Amaury de Lusignan, 293, 294.

prise par les Sarrasins , 306- 307.

prise par Malec Afdal Nourreddin Ali. 309.

son château, 461. Jaffa (le comté de), 14. Jean Baptiste (St), 113.

Jean Sans Terre, fils d'Henri II

d'Angleterre, 260. Jeanne dAngleterre , femme de

Guillaume II de Sicile et de

Ravmond VI de Toulouse, 244,

269, 270. Jeanne de Sicile, 244. Jéricho, v. de Palestine, 75.

serpents près de cette ville, 76. Jérusalem, v. de Palestine.

les bourgeois refusent de rendre la ville à Saladin, 185-186, 212.

assiégée par Saladin, 211 et suiv.

prise, 225.

rendue à Frédéric II, 464.

reprise par les Sarrasins, 468. Jérusalem (Description to|)ograi^)hi-

quede la ville de) telle qu'elleelait à l'époque du siège cfe Saladin, 188-210.

578

TABLE ALPHABETIQUE

le manoir Salomon, 465.

Divers palais du roi, 9, 165. Jérusalem (patriarche de) esl élu

par les chanoines du S. Sépulcre, 83. Jérusalem (rois de), leur couronne- ment, 118.

lieu de leur sépulture, 119. Jérusalem (royaume de), ses limites,

26-27. Joannice, roi de Valachie et de Bulgarie, 379.

fait égorger Baudouin 1", 384 et n.

Joinville, sénéchal de Champagne, 509.

Josaphat (vallée de), près Jérusa- lem, 62-63, 121.

Joscelin, comte d'Edessc, 15.

chargé de la garde de Baudouin V, 117, 119.

à la mort du roi, s'empare de Saint-Jean d'Acre pour faire cou- ronner Sibylle, sa nièce, 129- 130.

pris à Tibériade, 173. Josse, arch. de Tyr, 244, 247. Jourdain, fl. de Syrie. Sa source et

son cours, 62, 64, 68. Judith, femme juive, 112.

K.

Karnehatin, lieu précis de la ba- taille de Tibériade, 173, n. 3.

Kirsac , ou Krysac, Voy. Isaac l'Ange Comncne.

Laodicée, ou La Liche, La Lice, Li Liche, v. de Svrie, 255, 341, 343.

Langosse, ou Etienne Ilagio-Chris- lophorite, 90, 91, 93.

Laruaca, voy. Lesquit.

Latins, ou Francs, 365, n.

Léon 11, roi (rAriiiéuie, ne fui pas couronné par Henri de Champa- gne, 318 n., 323 n,

ses démêlés avec Boémond 111 d'Antioche, dont il fut d'abord vassal, 318-322.

Lesquil, ou LeQuid, auj. Larnaca, V. de Chypre, 272.

Leycestre ("le comte de), 298.

Liban (le), inonls de Syrie, 62.

Liche (la), voy. Laodicée.

Limassol, v. de Chypre, 270.

Lisbonne, v. de Portugal, 3.

Livernas , ou Li Vernas , voyez Branas.

Lombards (les) offrent la souverai- neté du pa\s à Jean de Brienne, 452.

font la paix avec Frédéric, 454.

Louis Vil, roi de France, 12-13.

Louis Vlll, roi de France. Son en- trevue avec Frédéric II sous le rogne de son père, 402.

sa campagne contre les Anglais, 403.

Loth, patriarche, 72-75.

Lucera, v. d'Italie, 438.

Lusignan (Amaury 11 de), conné- table de Jérusalem, roi de Jéru- salem et de Chypre, 59-60.

pris à Tibériade, 173.

délivré de captivité, 253.

succède à son frère Guy en Chypre, 287.

sa bonne administration, 288, 311.

mariage de ses fils avec les filles de Henri de Champagne, 293.

esl couronné roi de Chypre par le chancelier d'Allemagne, 303.

épouse Isabelle, reine de Jéru- salem, 310.

attentat contre sa vie, 311.

ses dispositions nour la gestion des revenus des deux royaumes, 311.

assiège et prend Beyrouth, 311- 314.

ses autres expéditions, 315, 316.

fait la paix avec Saladin, 316.

un chevalier flamand lui con- teste le roy. de Chypre , 352- 353.

se plaint des corsaires au sultan, 354.

recommence les hostilités contre les Sarrasins, 356-359.

renouvelle les trêves, 360.

meurt, 407.

Lusignan (Geoffroy de), 60.

Lusignan (Guy de), mi de Jérusa- lem, seigneur de Chypre, épouse Silnlle de Jérusalem, comtesse de Jaffa, 59-60.

Les barons s'opposent à ce qu'il soit régent sous la mino- rité de Baudouin V, 1 15.

couronné roi par sa femme Sibylle, 13i.

fait sa paix avec Raymond, comte de Tripoli, 153.

DES MATIERES.

579

avis contraires qu'il reçoit dans sa marche contre Saladin, 158- 161.

tait prisonnier à la bataille de Tibériade, 170.

amené devant Saladin, 173.

délivré de captivité, 185, 252.

Conrad de Monlferrat lui refuse l'entrée de Tyr, 256.

assiège Saiut-Jean d'Acre, 257, 258.

mort de Sibylle sa femme, 267.

vient joindre le roi d'Angleterre en Chypre, 272.

achète l'ile au roi Richard, 286.

sa mort, 287.

Lusignan (Hugues l" de), roi de Chypre, épouse Alix d,e Cham- pagne, 409 et n.

passe en Syrie pour prendre part à la guerre, 411.

meurt, 412.

M.

Malec-Adel. Voy. Saphadin. Malec-Afdal Noureddin Ali, fils de Saladin, sultan de Damas.

armé chevalier par les Chrétiens du vivant de son père, 144-148.

obtient le roy. de Damas de Saladin, 305, n., il est nommé par erreur Malec Adel, 309.

Malec Aziz, sultan d'Egypte, 308. Malec-Kamel, fils de Malec Adel, sultan d'Egypte, 417.

demande des secours aux sultans de Jérusalem et de Bagdad, pour défendre Damiette. 421.

propose de rendre Jérusalem en échange de Damiette, 435, 442.

attire et submerge les Chrétiens, 442-443.

fait la paix avec eux, 446-447. Malec Moadara, ou Co radin, Coredix,

fils de Saphadin, 357, 411,417, 421-422.

bon accueil qu'il fait A deux clercs chrétiens, 431-432.

son éloge, 431 n.

-^ confie en mourant la tutelle de son (ils à un templier transfuge mais non renégat, 458.

Malispini (Ricordano), 505.

Mambré, vallée près de Jérusalem, 71.

Margat, v. et château des Hospita- liers en Syrie, 15, 255, 341.

Marguerite de France, reine de

Hongrie, 302. Marguerite de Hongrie, fille de Bêla, roi de Hongrie, épouse l'empereur Isaac l'Ange, déjà veuf, 95-96.

son fils nommé Manuel et non Alexis, 96 n.

épouse en secondes noces Boni- face H de Monlferrat, 377.

Marie (la reine), voy. Comnène. Markwald ou Marcomax (le comte),

326, 328. Maroc (détroit de) ou de Gibraltar,

340, 352. Marseille, v. de France, 268, 340,

352. Mate-Griffon, château de Sicile,

268-269. Mélissende, reine de Jérusalem, 6,

10. Mer-Morle dite Mer du Diable, et

Mer de Sel, 68, 71. Messine, v. de Sicile, 263, 268,

328. Milly (Stéphanie de), dame de

Giblet, 305. Montaigu (Isabelle de), 11, n. Montagne des Oliviers (la) , ou

Mont-Olivet, près de Jérusalem,

208. Montbéliard (Eudes de), 448. Monlferrand, v. et chat, de Syrie,

15. Monlferrat (Baudouin, de), fils de

Guillaume Longue-Épée, 48. Monlferrat (Boniface II, marquis

de), roi de Thessalonique, fils de

Guillaume III, 48-125.

mari de l'impératrice Marguerite de Hongrie, veuve d'isaac l'Ange, 377.

est nommé chef de la 4" croi- sade à la mort du comte Thibaut de Champagne, 340.

Monlferrat (Boniface II de), investi du royaume de Thessalonique, 377.

meurt, 391.

Monlferrat (Conrad de), seigneur de Tyr, fils de Guillaume 111, 125.

se croise et s'arrête à Constanti- nople. 126-127. .

lue Branas révolté contre l'em- pereur, 128.

parvient à quitter Constanti- noplc, 180.

arrive à Tyr et défend la ville contre Saladin, 181-183.

580

TABLE ALPHABETIQUE

refuse de rendre Tyr en échange de son père, 183, 236 237.

reçoit des secours du comte de Tripoli. 240.

ruse qu'il emploie dans la dé- fense, 240-242.

force baladin à lever le siège de Tyr. 244.

va au secours de Tripoli, 251.

refuse l'entrée de Tyr au roi Guy, 256.

épouse Isabelle de Jérusalem, 267-268.

enlevé les marchandises d'un navire du pays du Vieux de la Montagne, 288.

est poignardé par un envoyé de la Montagne, 289-290.

père de Marie de Monlferrat, 407.

Monlferrat (Démétrius de), iils de Bonifacc II, roi de Thessalonique, 377, 391.

Monlferrat (Guillaume III, nommé par erreur Boniface dans notre chronique, marquis de), dit le Vieux, 48 n. et 125 n.

vient à Jérusalem, sous le règne de Baudouin V, son pelil-lils, 125, 130.

fait prisonnier à la bataille de Tibériade, 173, 183.

délivré de captivité, 252. Monlferrat (Guillaume IV de) , dit

Longue-Epée, c(mile de Jalla et d'Ascalon, tils de Guillaume III, 48, 123.

mari de la reine Sibylle, 125.

reçoit le château de Saint-Elie, 126.

Monllerrat (Marie de), fille de Con- rad, hérile de la couronne de Jérusalem à la mort d'Amaury de Lusign.in, 407.

les barons la marient à Jean de Brieune, 408.

meurt, 411.

Montfort (Guy de), 337, 351.

épouse llfloise d'Ibelin, dame de Sidon, 360.

Montl'ort (bimon de), 337, 351,

300. Monlgesard, v. et château de Syrie,

43. 54. Montmirail (Renaud de), 351, 383. Mont Syon (le), à Jérusalem, 191,

192 cl suiv. MonI Tlialior (le), 66-67.

le clialeau de. 'i 1 1. Moreuil (Bernard de), 343.

Mulane, note sur ce mot, 18. Voy.

Chaver. Muratori. Son édition de Pipino,

507, 526, 527, i-xiv. Murtzuphle ou Morcoffles. Voy.

Alexis Ducas.

N.

î^abuchodonosor, roi de Perse, 112. Naim, V. de Palestine, 65. Nanteuil (Philippe de), 545-546, xx. Naples, V. d'Italie, 300. Naplouse, v. de byrie, 346, donné

en douaire à Marie Comnène, 31

et n.

dit le Petit Damas, 10.5, 107.

les barons opposés à bibylle s'y retirent, 130, 131. 134, 136.

Nazareth, v. de Judée, 66.

(rélang de), 64.

Nesle ( Jean de ) , châtelain de Bruges, 337, 3'i0, 352, 3.")6. 360.

aide le seigneur d'Arménie contre le prince d'.Antioche, 353.

Neuville (Baudouin de), 394. Nevers (Hervé, comte de), 403.

soupçonné de trahison et banni de l'armée croisée, 425.

Nicolas Canabe, se fait proclamer

empereur à C. P. 370. Nicolas Falcon écrit en français la

chronique d'IIaiton, 559-562. Nicosie, v. de Chypre, 272, 285,

303. Nil (du), fl. d'Egypte, 440. Noë (arche de), 62. Noureddiu (l'émir), fils de baladin,

armé chevalier. Fait une <-he-

vauchée en pays chrétien, 144,

148.

devient sultan de Damas, sous le nom de Malec Alïlal, 305, 309. Voy. Malec Aidai.

0.

Orléans (Payen d'), 377, 381.

nommé par erreur l'ieron. .385. Olbon «lue de Bourgogne, 2.50. Othon de Saxe, comte de Poitiers,

335.

empereur d'Allemagne, 336, 397.

attaque les états du S. Siège et est excommunié. 397-398.

cherche à faire tuer Frédéric II, 402.

forme une ligue contre Philippe Aujiusle, 402-403.

DES MATIERES,

584

ses partisans battus à Bouvines, 404.

sa mort, 405.

Palerme, v. de Sicile, 268, 328. Paul (saint), 363. Pelage (le cardinal), 417.

prise de Daniietle pendant que ses gens faisaient le guet, 425.

sa mésintelligence avec le roi Jean de Brienne, 426.

ses mesures pour retenir les Croisés en Egypte. 428.

manque de vigilance, 430.

permet à deux clercs de se ren- dre chez les Musulmans, 432.

refuse de rendre Damielte en échange du roy. de Jérusalem, 435, 442.

prie Jean de Brienne de négo- cier la paix avec Coradin, 445.

Brienne se plaint de lui au pape, 449.

Pelu (le comte), voy. Frise.

Péra , faub. de Constantinople ,

362. Perche (Etienne du), 337, 351,

383. Pharamia, v. d'Egypte, 3. Philippe Auguste, "roi de France,

256.

ses préparatifs de croisade, 250, 261.

ses guerres contre le roi d'An- gleterre, 260 298-299, 332.

s'embarque pour la Terre Sainte, 262.

séjourne en Sicile, 268.

prend Sainl-Je in d'Acre, 274.

revient en France, 277-278.

s'empare de Gisors, 298.

favorable à Frédéric II , 400, 402.

bat les Allemands à Bouvines, 404.

Philippes, ancienne ville de Macé- doine, auj. Turquie d'Asie, entre Salonique et C. P., 95, 246.

Pierre (l'empereur), voy. Courtenai.

Pigeons messagers, 357.

Pipino (François), religieux domi- nicain de Bologne, s'est servi de la chronique de Bernard le Tré- sorier dans son abrégé de l'Hist. des Croisades, 507,526, ij etsuiv.

Pisans (les), 318.

hostiles d'abord à Frédéric II. 400.

Plivain, ou Pievano, riche pisan, seigneur en Syrie. 114 n.

Ponthieu (la comtesse de), 565.

Portes de Jérusalem, 191 et suiv.

Protosevasto, 18.

Pruneles (Guillaume), chev. croisé, 359.

Q.

Quaïmont, voy. Chai'mon. Quarantaine (le mont de la), en Judée, 79.

R.

Rama, v. de Syrie (Roger, év. de),

Rama (Baudouin, seigneur de), voy.

Ibelin. Ravmond-Rupin, ou Roupen, prince

d'Antioche, 321, 322. Raymond 111, comte de Tripoli, fils

de Boémond III d'Antioche, 321. Raymond Yl, comte de Saint-Gilles

et de Toulouse, 269.

épouse la fille d'Isaac Comnène. 353.

Renaud (le prince), voy. Châtillon.

Renaud du Crac, voy. "Châtillon.

Richard I". ou Richard Cœur de Lion, roi d'Angleterre, 91. ' fait hommage à Philippe Au- guste, 260-261.

prend l'engagement de passer Outremer avec lui, 261.

il s'embarque, 262.

son séjour en Sicile, 268.

conquiert l'ile de Chypre , 271 et suiv.

séjourne à Acre, 274 et suiv.

ses expéditions en Terre Sainte après le départ du roi de France, 278 et suiv.

sa bravoure et sa renommée parmi les Sarrasins, 281-282.

vend Chypre à Guy de Lusignan, 286.

soupçonné par ses ennemis d'avoir voulu faire poignarder Philippe Auguste, 290.

Il marie Henri de Champagne son neveu à Isabelle de Jérusa- lem, 291.

son retour en Europe, 296.

sa captivité, 297.

sa rançon, 299. '

ses guerres contre le roi de France, 332.

582

TABLE ALPHABETIQUE

sa mort, 335.

soc projet d'une nouvelle croi- sade, 338.

Ridefort (Gérard de), grand Maître du Teraple.

origine et fâcheux effets de sa baine contre le comte de Tripoli, 114, 131, 178.

fait couronner Sibylle, 132-133.

échappe au désastre de la fon- taine du Cresson, 146, 151, 152.

funeste conseil qu'il donne au roi Guy, 162.

est fait prisonnier, 173.

délivré de captivité, 253.

engage le roi Guy à acheter Chypre , 286.

Riveri (Pasque ou Paske de), dite

la Patriarcesse, femme de Na-

plouse, 86-87, 105. Roche-Guillaume (la), chat, de

Svrie, 255-256. Rodosto, ou Rodestoc, v. sur la

mer de Marmara, 385-389. Roger, prince d'Antioche, 3, 4. Roger, ev. de Rama, 3. Roger II, couronné roi de Sicile,

13. Roba, Rohais, voy. Edesse. Roland, neveu de Charlemagne, 44. Roman du Fuere de Cadres (le),

62. Roncevaux (bataille de), 44. Rosette, v. d'Egypte, 440. Roupen 111, seigneur d'.\rménie,

321. Routiers, gens de guerre, 332.

S.

Sabat (le), v. et chat, de Syrie, entre Naplouse et Nazareth, 113, 148.

Saint-Abraham ou Ilébron, v. de Judée, 68, 70-71.

dépend lit du seigneur du Crac de Montréal, 71.

Saint-Elie, château en Syrie, 126. Saint-Georges ou Saint- Jorge (le

Rras), ou le Bosphore, 377, 380. Saint-Georges, v. de Syrie, 43. Sainl-Jean (abbaye de), prés de la

Moutagne de la Quarantaine, 79. Saint-Jean d'Acre, pris par Saladin,

174, 181.

fortilié par Saladin, 250.

assiégé par Guy de Lusiguan et les Croises, 257"el suiv.

pris par les Chrétiens, 27i.

débat sur la réintégration des

anciens propriétaires dans leurs biens, 275.

Henri de Champagne inhumé à Sainte-Croix, 307.

Saint-Job, château de Syrie, 153.

Saint- Nicolas (ile), au Lido de Ve- nise, 348.

Saint-Nicolas, lieu ainsi nommé prés Saint-Jean d'Acre, 258.

Samt-Omer, v. de France, 334.

Sainl-Omer (Hugues de) , châtelain de Saint-Omer, seigneur de Ti- bériade, 32, 44, 158. Voy. Tibé- riade.

Saint-Paul (le comte de), 390.

Saint Sépulcre (le), 7, 176, 191.

sa description, 194.

Sépulcre (Saint) , chanoines ou reli- gieux du , 8.

ont le droit d'élire le patriarche, 83.

Sainte-Catherine (couvent de), au

mont Sinai. 69. Saladin. ses débuts, 35.

soumet divers pays, 41, 49, 51- 53.

ses conquêtes sur les Chrétiens en Syrie. 42, 49, 97, 174, 178.

envoie des secours à Raymond de Tripoli contre le. roi Guv, 141- 143.

bat les Chrétiens à Tibériade, 170, 173.

assiège Jérusalem, 211 et suiv.

reçoit les clés de la ville, 224- 225.

sa générosité pour les vaincus, 228-229.

il entre à Jérusalem, 234.

assiège Tyr et ne peut s'en em- parer, 179-244.

ses préparatifs de défense en apprenant la nouvelle croisade des princes d'Europe, 250.

il assiège Tripoli dont il ne peut s'emparer, 251.

demande une entrevue au Che- valier Vert, 251-252.

enlève diverses villes aux Chré- tiens, 254.

motifs de sa haine contre le chevalier Jean Gale, 255.

secourt Saint-Jean d'Acre assiégé par les Chrétiens, 259.

sa générosité vis-à-vis des sei- gneurs chrétiens après la paix, 293.

sa mort, 304.

Salonique ou Thessaloniquc, v. de Grèce, 246.

DES MATIERES.

583

donnée en royaume à Boniface II de Montferrat, :î77.

passe à son fils, 391. Samarie, v. de Syrie, 108, 109-110,

112. Samaritain (le bon), 79. Samaritaine (le puits de la), 108-

109. Sancerre (Guillaume de), 391, 393. Saphadin ou Malec-Adel, frère de

Saiadin, sultan d'Egvpte, 304,

309.

ses négociations avec les Véni- tiens pour que la croisade ne se dirige sur l'Egypte ou la Syrie, 345-356.

sa mort, 417-418.

Saphet (le), chat, de Syrie, appar- tenant aux Templiers, 63, 256.

Saphorie, ou Saforie, v. de Syrie, 97, 98, 102, 153. 358.

Sarfend, v. de Syrie, 293.

Sarrasin (Jean), chambellan de Saint-Louis. Sa lettre datée de Damiette, 546-549.

Sarrasin (Pierre), confondu avec Jean, 548 et n.

Satalie. v. d'Asie mineure, 12.

Saut (le), montagne près de Naza- reth, 66. Voy. Mont Thabor.

Saut de Morcôuffle (le) , tour d'un palais impérial à C. P. 373.

Selef (le) , riv. d'Asie mineure, 249 n.

Sergines (Geoffroy de), 549.

Sibylle d'Anjou-Jérusalem, femme de Thieri7 d'Alsace, 21.

sœur du roi Beaudouin IV, comtesse de Jafla, 48.

recherchée par Baudouin d'Ibelin de Rama, 58-59.

couronnée reine à la mort de Baudouin V, son lîls, 132-133.

couronne son mari Guy de Lu- signan, 134.

renfermée à Jérusalem, 175.

Saiadin lui permet de sortir de Jérusalem avant d'assiéger la ville, 185.

réclame à Saiadin la délivrance du roi, 252.

meurt, 267.

Sachar, v. ancienne, près Naplouse, en Syrie, 108. "

Sichem, ou Cycem , v. et plaine de Syrie, la même que Sichar, 108.

Sicile (ile de), 13.

Sicile (royaume de), échoit à l'em- pereur Henri VI par sa femme Constance, 300.

se révolte contre les Allemands, 328.

troublé par la guerre civile, 328. Sicile (les Arabes de), 328-329.

soumis et transportés par Fré- déric II, 437-438.

Sidon, ou Saiete, v. et seigneurie de Svrie, 49, 178, 293, 459.

Sidon (Héloïse d'Ibelin, dame de), 360.

Sidon (Renaud de), 143, 170, 182, 360 n.

Siloé (fontaine de), près de Jérusa- lem, 121, 123, 124, 208.

Sinai (le mont), 68.

Sodome, v. de Palestine, 72.

Sorcière sarrasiue (d'une), 163- 164.

Souabe (Philippe, duc de), 250, 397.

Stéphanie d'Arménie, héritière de la couronne d'Arménie, épouse Jean de Brienne, 411.

meurt, 427. Syracuse, v. de Sicile, 328.

T.

Tancrède, roi de Sicile, 247. 263,

268, 300, 329. Temple-Domini (le), 117-118, 197. Temple Salomon (le), à Jérusalem,

9, 197-199, 204, 234, 464.

le manoir Salomon, 465.

Templier, transfuge, mais non re- négat, gouverne le roy. de Damas, 458.

Templiers. Origine de leur ordre et de leur nom, 6 et n., 7-9.

leur costume et leur croix, 8.

leurs actions de guerre, 54.

occupent quelque temps l'ile de Chypre, 273 et suiv. , 285. .

facilitent le retour du roi Ri- chard en Europe, 296.

en mésintelligence avec Frédéric II, 462-463, 465, 466.

Thaym (la terre de), c'est Dothaïn, 153. Voy. Dotain.

Théodora Comnène, reine de Jéru- salem, 14, 15-16.

Thériaque (la), substance médici- nale, 76.

Thessalonique, voy. Salonique.

Thiebaus (Le comte), voy. Die])old.

Thierry d'Alsace, comté de Flan- dre 2 11 21.

Thomas' év.' de Beauvais, 267, 289, 333, 423-424.

38/.

TABLE ALPHABETIQUE

Thomas de Cantorbéry (saint), 155. Thoros II, ou Thoros de la Mon- tagne, prince d'Arménie.

son voyage à Jérusalem, 25-30. Tibériade ou Tabarie, v. de Syrie

appartenant au comlo de Tripoli , menacée par Guy de Liislgnan. 111 -142.

assiégée par Saladin, 157, 167.

Guy de Lusif;nan y est battu par Saladin, 170.

Karnehatin est le lieu précis de la bataille, 173.

Tibériade (le lac de), 64.

Tibériade ( Echive de ) , tille de Hugues de Saint-Omer, seigneur de Tibériade, héritière de Tibé- riade, épouse Raymond II, comte de Tripoli, 32.

avait déjà 4 (ils, non du châte- lain de Sainl - Orner, mais de Guillaume de Bures, 32, 158.

Tibériade (Guillaume de), 44, 158.

Tibériade (Hugues de) , époux de Marguerite d'Ibciia - Couinène , veut marier la reine Isabelle de Jérusalem à son frère Raoul , 309.

banni, 310.

Tibériade (01 bes ou Ilostes de), 1 58. Tibériade (Raoul de), 158.

prétend à la main d'Isabelle de Jérusalem , veuve d'Henri de Champagne, 309.

banni, 311.

Tiébaus (le comte), voy. Diépold. Toron (le), chat, en Syrie, 63,

316. Toron (Huinfroi II de), 31. Toron (Humfroy 111 de), lils de

Hiimfroy 11, beau-tils de Renaud

de Chàlillon, 31.

épouse Isabelle de Jérusalem, 81-82, 103.

refuse la couronne et se soumet à la reine Sibylle, 1.36,

fait prisonnier à la bataille de Tibériade, 173.

délivré de captivité, 253.

divorce avec Isabelle de Jérusa- lem, 267-268.

Tortose, v. de Syrie, assiégée par Saladin, 252.

Tournai, v. de Belgique, 404.

Transfiguration (la) de J.-C, 67.

Trascgnies (Sohier de), 343.

Trésor des rois d'Angleterre ;\ Jé- rusalem, 156, 157 n., 219.

Tripoli, v. de Syrie, assiégée par Saladin, 251.

Tripoli (Raymond H, comte de), épouse Echive, héritière de Tibé- riade, déjà mère de 4 fils, 32, 158.

cause et fâcheux effets de sa mésintelligence avec le maître du Temple, 114.

chargé de la régence sous Bau- douin V, 116, 119, 124.

ses démêlés avec Joscelin d'Edesse à la mort de Baudouin V, 130.

lors du couronnement de Guy de Lusignan propose de procla- mer Humfroy de Toron, 135.

demande secours à Saladin "contre le roy Gui, 141.

fait sa paix avec le roi, 153.

dissuade le roi de secourir sa ville de Tibériade, 159.

|)arvient à s'échajjper de la ba- taille, 168-170.

sa mort, 178 et not.

Tripoli (Raymond lit, comte de), succède à Raymond H, 178.

mauvais accueil (ni'il fait aux Chrétiens chassés de Jérusalem, 231.

envoie des secours à Conrad de Montferrat à Tyr, 240.

Trumiaus Dieu (par les), juron au

moyen âge, 382. Tubanie, fontaine près de Naza-

relh, 98, 99, lOG. Turquie ou Asie-Mineure, 377, 381

el suiv. Tyr ou Sur, v. de Syrie, 174, 178,

187, 256.

assiégée par Saladin, 179, 236, 210.

secourue par Conrad de Mont- ferrat, 279 et suiv., 236-238.

Sabidin lève le siège, 244.

Conrad de Montferrat y est poi- gnardé, 290.

Tyr (Josse, arch. de), successeur de Guillaume, 244. 247.

V.

Vaisseaux appelés barbotes, 238.

Valachie (roi de), voy. Joannice.

Vahupies ou Blas (les), viennent au secours d'Andrinople révoltée contre les Francs, 379 el suiv.

Valenie, v. de Syrie, 254.

Vaux de Cernai, près Paris (l'abbé des), 351.

Venise, v. d'Italie, 348.

Vénitiens. Leurs délégués traitent

DES MATIERES.

585

avec les Français pour les trans- porter en Terre Sainte, 339.

reçoivent des franchises du sul- tan d'Egypte pour eiiipt^cher la croisade de débarcjuer en Syrie ou en Egypte. 315-346, 362.

leurs conventions avec les Croi- sés rendus à Venise, 349.

prennent Zara, 350.

de concert avec les Français, promettent à Alexis l'Ange de le rétablir sur le trône, 361-362.

s'emparent de G. P., 364-365.

s'élaulissent hors de la ville, 366.

reprennent la ville, unis aux Français, sur Alexis Ducas, 371- 372.

de leur traité avec les Français pour le partage de l'empire grec, 374.

Andrinople se révolte contre eux, 378 et suiv.

perdent la seigneurie de ville, 390.

Vieux de la Montagne (le), seigneur

des liassassis, ou des .\ssassias,

288, 323. Ville Hardouin (Geoffroy I" de),

maréchal de Champagne, 377,

383, 385, 392, 395.

Ville Hardouin ( Geoffroy 11 , lils de Geoff"roy !«' de), épouse la (ille de l'impératrice Yolande de Flandre, 392.

Villers (Jean de). Grand Maître de rilôpilal, 558.

Vitrv (Jacques de), prêche la croi- sade, 41U.

élu évoque d'Acre, puis cardi- nal, 410.

négocie la paix avec le sultan d'Egypte, de concert avec Jean de Brieïine, 444-445.

reste comme otage en Egypte, 446.

Yémen, pays d'Arabie, 53, n., 54. Yolande de Flandre, impérat. de G. P., 391.

son voyage, 392.

sa mort, 393.

Zachée, de Jéricho, 78. Zara, ou Jadres, v. d'Esclavonie , 350, 352, 360-361.

38

ADDlTlOiNS ET C0RRECT10^S.

Page l.Au sommaire, au lieu de : 110I-H62, lisez : 1100-1162.

et ajoutez en note : Godefroy do Bouillon mourut en 1100. Page iO. Ajoutez au sommaire : Croisade de Louis VII et de

l'empereur Conrad III. Page 77. ligne 21. Au lieu de : et escaçe le masie, lisez : et escate

le masle. Page 94. ligne 3. ries, lisez : ries. Page 98. ligne 17. Dotain^ lisez : Dotaïn. Page 128. note 5. ligne 3. Aie lieu de : p. 72, lisez : p. 92. Page 140. ligne 4 du Sommaire. Au lieu de : Beaudouin, lisez

Baudouin. Page 173. ligne 6. Boniface de Montferrat. Ajoutez en note .-

toujours pour Guillaume de Montferrat. Cf. pp. 48 et

125. not. Page 190 et suiv. Au lieu de : abeie, lisez .- abéie. Page 237. note 8. Supprimez : J. O : unes cornes de Cerf. Page 3"04.Au Sommaire, au lieu de : Gibelet, lisez : Giblet.

A la note 3, au lieu de : Malcc-Adel Afdal Seif-Eddin,

lisez : Malcc-Adel Seif-Eddin. Page 305. note 1. Au lieu de : Malec-Adel, lisez . Malec-Aidal-

Noureddin Ali. Page 337. note 2. Ajoutez : Mais suivant Villeliardouin, le tournoi

eut lieu au château d'Ecry- (et non Ecly) -sur-Aisne,

localité nommée aujourd'hui Avaux le Château, dans le

canton d'Asfeld (Ardennes), au N. de Reims. Pa^'c 385. lignes 19-20 : Pieron de Orliens et Paien de Braiencucl,

ajoutez 671 note : Ainsi au ms. pour Paien de Orlieub

et Pieron de Braiencuel. Page 414. ligne 9 du Sommaire. Au lieu de : Mort de la reine

Marie, lisez : Mort de la reine Stéphanie d'Arménie, et

ajoutez : Jean de Brienne réclame en vain la couronne

d'Arménie du chef de sa femme.

TABLE GENERALE

Avertissement j

Concordance chronologique de la Chronique d'Ernoul et île Bernard ie Trésorier, avec les Continuations de Guillaume de Tyr imprimées, et avec la Chronique de François Pipino xxxiv

Manuscrits et imprimés ayant servi à la présente édition, xxxvj

Chronique d'Ernoul et de Bernard le Trésorier ... 1

Essai de c'assiûcation des Continuateurs de l'Histoire des

Croisades de Guillaume de Tyr 473

Table des chapitres de la Chronique de Bernard le Tré- sorier 566

Table alphabétique des Matières 569

Additions et Corrections 586

FIN.

Nogent-lo-Rotrou. Imprimerie de A. Gouverneur.

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