LES OISEAUX ISSECTIVORES ET LES ARBRES D'ORNEMENT , iOT FORESTIERS Par l'Abbé Provancher. Publie sur demande de l'Hon. P. Fortin, Ministre des Terres dis la Couronne. \ QUÉBEC: ATELIER TYPOGllAPHIQUE DE C. DARVEAU, No. 8, Rue La Montagne, Basse-Ville. . 1874. '—nçrii wTaT^ijsa » .■ ^vf.-r 'iÉài'\ àÊài-:^â^; LES OISEAUX INSECTIVORES ET LES ARBRES D'ORNEMENT ET FORESTIERS Par l'Abbé Provancher. Publie sur demande de l'Hon. P. Fortin, Ministre des Terres de la Couronne. ■#|, yx. QUÉBEC : ATELIER TYPOGRAPHIQUE DE C. DARVEAU, No. 8, Rue La Montagne, Basse-Ville. 1874. . t. t,. - • \ "- -, " .^ < ' ■■'V w w / V >W\-' ! ■ ■*■/ :-. . V LE PIC DORÉ OU PIVART, Colàjaies auratus, Swainson, LES OISEAUX INSECTIVORES. / I. Le Déparlement des Terres de cette Province vient d'adresser une circulaire aux directeurs de collèges, préfets de comtés, curés, gardes-forestiers, magistrats, et autres, pour la due observation des lois de chasse et de protection deg oiseaux insectivores. C'est un sujet plus important qu'on ne le juge généralement ; car de la non observation de ces sages règlements, peut résulter pour nous les con- séquences les plus graves. Il faut reconnaître que la Providence nous a fait naître dans un pays richement, et très richement doté de la na- ture ; climat des plus salubres, espace sans fin, productions naturelles aussi riches que variées, ressources de tout genre mises à notre disposition, etc. Mais nous ne pouvons nier, d'un autre côté, que nous usons et mésusons de ces dons précieux avec une imprévoyance, un manque de mesure, bien propres à faire suspecter notre sagesse et à accuser notre intelligence. 11 viendra un temps qui n'est pas éloigné — il paraît même déjà arrivé pour certaines localités — où nous serons forcés de reconnaître notre faute, de condamner la prodi- galité avec laquelle nous aurons dissipé des richesses incai* culables à notre disposition, et de chercher, avec bien des 6 LES 018KAUX 1N8ECT1V0RKS. peines et nn auccès incertain, des remèdes à un état de choses où notre imprévoyance seule nous aura conduits. Nos forêts si vastes, si riches, si densément boisées, disparaissent à vue d'oeil soxxa la hache aveugle de notre imprévoyant cultivateur. On le croirait parfoivs pris d'une espèce de furie pour faire disparaître toute trace de végé- tation forestière. Le feu est souvent appe'é à prêter son con- cours au fer pour une plus prompte destruction ; et on balaye si net, que déjà, dans un grand nombre de paroisses, on voit des espaces immenses, où l'œil ne peut rencontrer un seul arbre au milieu des champs, pour offrir son ombre rafraî chissante aux animaux des pàtunges, ou autour des habi- tations, pour égayer, diversifier le paysage et purifier l'air que l'on respire. C'est à tel point, qu'en plusieurs endroits, des terres qui par leur étendue pouvaient, tout en offrant des champs suffisants pour la culture, conserver du bois à perpétuité pour les besoins de la ferme, n'ont plus aujour- d'hui de quoi faire une perche, un piquet, un manche d'ou- til, pas même une hart ! Déjà l'on est obligé d'aller cher- cher le combustible pour nos rudes hivers, à des 5, 6 et 7 lieues ! Et qu'en sera-t-il dans 20 ans, 30 ans, 40 ans d'ici ^•• Mais laissons de côté pour le moment ce sujet que je traiterai spécialement plus loin et poursuivons le même aveuglement du cultivateur relativement aux oiseaux insec- tivores, que la loi protège et dont on ne paraît pas assez priser l'importince. On met à la destruction des oiseaux un acharnement plus stupide encore que pour la disparition des forêts. Je dis stupide, et je ne crois pas que le terme soit trop fort. En effet, ne faut-il pas manquer d'intelligence, d'huma- nité, pour maltraiter et mettre à mort des êtresjouissant de la vie, sensibles à la douleur comme nous, et qui semblent rechercher notre société, non pas pour s'érig^T en ennemis, mais plutôt pour nous aider à supporter plus allègrement les peines de la vie, pour nous donner des leçons dans les devoirs de la maternité, l}s soins dus au jeune âge, l'édu- cation de la famille ! Est-il rien de plus égayant, de plus propre à chasser la mélancolie, de plus invitant au travail, que le babil des Hirondelles, le ch.ant des Pinsons (lioasi- LES OISEAUX INSR0TIVORE8. 7 gnols), des Fauvettes, etc., qui dès la première aurore font retentir les échos de leurs notes, et avant même qu'un rayon de soleil ait pénétré dans votre fenêtre, apportent déjà la becquée à leur jeune couvée ! L'Hirondelle, qui partant du rivage ou de la mare voisine, le boc plein du mortier qui doit entrer dans sa nouvelle construction, au lieu d'aller en droite ligne, paraît s'égayer à multiplier ses gyrations, tout en répétant ses notes amoureuses, avant de parvenir à la corniche de votre demeure, ne semble-t-elle pas dire au laboureur, pénible- ment courbé sur le soc de sa charrue : qu'il faut ainsi en prendre gaiement son parti? que l'attachement, l'amour des êtres qui sont là, à la demeure, le dédommageront des sueurs qu'il répand ainsi pour eux ? Quan<: au soin de la famille, qu'on me permette deciter ici Buffbii, ce grand peintre de la nature. " Tout mariage, dit BufFon, suppose une nécessité d'ar- rangement pour soi-même et pour ce qui doit en résulter ; les oiseaux qui sont forcés, pour déposer leurs œufs, de construire un nid que la femelle commence par nécessité, et auquel le mâle amoureux travaille par complaisance, s'occupant ensemble de cet ouvrage, prennent de l'attache- ment l'un pour l'autre. Les soins multipliés, les secours mutuels, les inquiétudes communes, fortihent ce sentiment, qui augmente encore et qui devient plus durable par une seconde nécessité, celle de ne pas laisser refroidir les œufs, ni perdre le fruit de leurs amours pour lequel ils ont pris déjà tant de soins ; la femelle ne pouvant les quitter, le mâle va chercher et lui apporte sa subsistance ; quelquefois même il la remplace, ou se réunit avec elle pour augmen- ter la chaleur du nid ot partager les ennuis de sa situation ; l'attachement qui vient de succéder à l'amour subsiste dans toute sa force peiidant le temps de l'incubation, et il paraît s'accroître encore et s'épanouir davantage à la naissance des petits; c'est une autre jouissance, mais en même temps ce sont de nouveaux liens ; leur éducation est un nouvel ouvrage auquel le père et la mère doivent travailler de con- cert. Les oiseaux nous représentent donc tout ce qui se passe dans un ménage honnête : de l'amour suivi d'un at- 1B LES 0I8EADX INSECTIVORES. • tacbement sans parta^re, et qui ne so répand ensuite que sur la famille. Tout cela tient, comme l'on voit, à la néces- sité de s'occuper ensemble de soins indispensables et de travaux communs ; et ne voit-on pas aussi que cette néces- sité de travail ne se trouvant chez nous que dans la seconde classe, les hommes de la première pouvant s'en dispenser, l'indifférence et l'inKdélité n'ont pu manquer de gagner les conditions élevées ? ♦' Nos oiseaux domestiques, dit encore Buffon, gâtés par l'abondance dans laquelle ils vivent, par toutes les commo- dités que l'homme leur fournit, se trouvent soustraits à la nécessité du travail en commun ; ils ont goûté au luxe et à l'opulence, et n'ont pas tardé à en montrer les premiers ef- fets, libertinage et paresse. " Et ce sont ces êtres charmants, ces gais compagnons de travail, ces chanteurs infatigables, que l'homme des cham'- =• s'acharne à poursuivre. Non seulement il les tue dès q se trouvent à sa portée, mais il semble vouloir en exte . . ner la race, frappant la famille dans sa source en enlevant les œufs, en détruisant leurs nids ! En voyant les enfants tendre avec tant de soins leurs cages et trébuchets, et ces longs chapelets d'œufs qu'on étale sur les murailles des de- meures de nos cultivateurs, ne serait-on pas porté à croire que les gens de la campagne considèrent tous les oiseaux comme autant d'ennemis, et que ces œufs ainsi enfilés sont là, étalés comme autant de trophées de leurs victoires ? Et presque toujours ces trophées ne sont pas le pro- duit d'oiseaux nuisibles ou indifférents, mais bien de ceux que la loi protège et que le cultivateur a le plus grand in- térêt à conserver. Car la plupart sont des insectivores, de l'ordre des Passereaux. Ces oiseaux se nourrissant d'in- sectes, fréquentent habituellement vos jardins, vos vergers et vos champs, parce que les nombreux jnsectes qui rava- gent vos cultures leur offrent là, en tout temps, mais sur- tout lors de l'éducation de leur petits, une nourriture* abon- dante et facile. Aussi voyez ces Tritris qui viennent placer leur nid dans votre verger, par ce que les nombreuses chenilles qui ravagent vos pommiers et pruniers seront toujours à leur disposition, tant pour leur propre nourriture LES OISEAUX INSECTIVORES. 9 que pour celle de leur nouvelle famille; des Fauvettes viennent cacher leur berceau dans vos gadelliers, de là elles goberont au passage les mouches £ans nombre qui passeront audessus d'elles, elles n'auront qu'à allonger le cou pour met- tre dans le bec de leurs petits les nombreuses larves de né- mates qui dévorent les feuilles des arbrisseaux où elles sont placées ; et ainsi pour dos centaines d'autres. Ajoutons pour le Tritri, qu'il gardera encore votre basse-cour conire les dé- prédations des Corneilles, car marigot ramasse bien avec satis- faction les pois et autres grains que vous venez de semer, elle ouvre même assez lestement en automne les épis de bléd'inde pour en enlever les grains, mais elle aime aussi à se régaler par fois des succulents poussins d'une récente couvée. Cependant si votre ^'erger recèle seulement un nid de Tritri, votre basse-cour est à l'abri contre les rava- ges de la maraudeuse, car ceux-ci lui feront continuelle- ment la chasse, et, du moment qu'elle se montrera, la force- ront par des pour -suites incessantes à s'éloignc^r prompte- ment. II. On dit que le Calife Omar, un jour qu'il était à table, vit tomber sur son assiette une sauterelle sur l'aile de laquelle il put lire : " nous sommes 99, et si nous étions 100, nous ferions bientôt disparaître toute végétation de la terre." C'est là, sans doute, une de ces hyperboles si communes aux orientaux ; cependant, nous sommes forcés de recon- naître, lorsque nous étudions la vie et les mœurs des in- sectes, que vu leur prodigieuse fécondité, ils seraient bien- tôt les maîtres du monde, s'ils pouvaient tout à coup se soustraire aux causes nombreuses qui restreignent leur développement. Voyez donc, par exemple, les pucerons, dont un seul couple suffit pour donner naissance, dans une seule saison, à 27,000,000 d'individus ! Mettez donc cent 10 LES OISEAUX INSECTIVORES , couples, 1,000 couples de ces petits êtres dans une même localité, vous voilà de suite avec une progéniture pres- que incalculable ! Aussi les pucerons, quoique de très petite taille, et bien que pourvus, au lieu de bouche, d'une trom- pe aussi déliée qu'un cheveu pour sucer les sucs des nou- velles pousses des plantes, l'ont souvent périr des grands arbres, par leur multitude. La divine Providence a disposé toute chose en ce monde dans une harmonie parfaite ; les instincts pernicieux de certains êtres sont modérés par d'autres à propensions opposées qui leur font la guerre; tel genre d'animaux, deviendrait bientôt exclusivement maître de toute une contrée, s'il ne s'en trouvait à côté, d'autres plus puissants qui en font leurs proies ; telle espèce plus faible disparai- trait bientôt de la terre, si elle n'avait, dans sa manière de vivre, certaines ressources pour se soustraire à ses ennemis, etc., etc., ; et ainsi se conserve l'harmonie du nombre entre les dittérents êtres, et l'équilibre entre des forces opposées et de puissance fort inégale ! Oui ! mnis cette harmonie du nombre et des forces opposées entre les différents êtres se trouve souvent dé- rangée par l'homme lui-même, bien qu'il ait à en souffrir le premier et plus que tous les autres. Pour satisfaire à ses besoins et souvent aussi à son luxe et à sa mollesse, il offre dans ses cultures les occasions les plus favorables au développement des insectes nuisibles. Chaque espèce d'insectes n'a, à peu près, qu'un certain nombre de plantes (jui peuvent lui convenir pour sa nourriture ; et ces plantes, entremêlées à beaucoup d'autres, ne se présentant, dans l'état naturel, qu'à des distances assez éloignées, l'in- secte dans ses recherchas se trouve exposé à une foule d'ennemis ou d'occasions qui peuvent plus ou moins effica- cement lui devenir fatales. Mais voilà que l'homme dans ses cultures, isole les plantes les unes des autres, et les mul- tiplie outre mesuie dans des champs considérables ; et de suite, les insectes qui ailectionuent ces plantes, de s'y mul- tiplier en quantité innombrable, trouvant là une nourriture abondante, a l'abri d'une foule d'ennemis qu'ils étaient expvjsés a rencontrer dans leur recherche dans des lieux LES OJSEADX INSECTIVORES. 11 dispers(''S. Los Altises qui s'attaquent particulièremont aux plantes de la famille des Crac ieres: choux, navets, cresson, raves etc. ; les Anthomies qui dévorent les og-nons ; les vers gris qui coupent toutes lesj'ennes plantes des jardins: choux, melons, tabac, etc ; les G-aléru'iues (petit barbeau barré jaune et noir) qui ravagent les citrouilles, melons, concombres, etc., et une foule d'autres en sont autant d'exemples Comment donc combattre ces êtres minuscules qui se présentent par milliers et en myriades pour détruire nos moissons, qui nous imposent leur tribut d'une manière si tyrannique que souvent il ne nous reste presque plus rien ? La chose n'est pas facile ; leur petitesse les soustrait à nos pièges et embuscades, et leur multitude avec leur prodi- gieuse fécondité les fait bientôt survivre aux poisons les plus énergiques que nous semons autour d'eux. Nous n'a- vons vu que trop souvent l'insuccès de nos efforts dans la guerre que nous leur avons déclarée. Mais ces ennemis de l'homme, ont eux-mêmes leur propres ennemis, qui savent bien mieux que nous les armes qu'il faut employer contre eux, qui connaissent les retraites où il faut aller les chercher, qui sont au fait des ruses et des détours qu'ils mettent en œuvre pour se soustraire aux attaques ; or, voilà les auxiliaires qui nous conviennent, voilà les combattants qu'il nous faut enrôler de préférence dans la guerre d'extermination que nous voulons pour- suivre. Parmi ces auxiliaires, dont nous fie connaissons qu'un bien petit nombre, la plupart ne sauraient obéir à notre coi aandement ; mais les plus puissants, les pins capables de servir nos vues, nous offrent leur concours à une condi- tion des plus faciles ; i^'esù que nous ne les molestions point, que nous les laissions tranquillement continuer leurs /.'oursuiies. Et ceux-ci sont : les oiseaux insectivores. Pourrions- nous refuser des conditions si faciles et si avantageuses ? " Dieu, dit un naturaliste français, a créé les ois.'aux pour protéger les moissons, les légumes, les arbres, les fruits, contre les ravages des insectes. Chaque oiseau luort, ce J2 LES OISEAUX INSECTIVORIÎS. sont des millions d'insectes sauvés, et les millions d'insectes amènent la famine." En cïïet, si on ouvre l'estomac d'une Hirondelle, d'un Moucherolle, d'un Eng^oulevînt (mangeur d*^ maringouins), c'est par centaines qu'en pourra y compter les barbeaux, chenilles, mouches, etc., dont l'oiseau s'était repu. L'oiseau a contre l'insecte des ressources autrement efficaces que toutes celles que nous pouvons employer ; plus que l'insecte encore, l'oiseau est l'habitant de l'air ; comme lui il a des ailos, mais plus amples, plus puissantes, lui assurant un vol plus rapide. Il a de plus des ongles pour aller retirer l'être de la nuit de ses retraites souter- raines, et un bec allongé, effilé, rigide pour pénétrer dans les anfractuosités des écorses, les bois en décomposition, et jusque dans les troncs desséchés des arbres, pour retirer l'insecte de ses cachettes mêmes les moins apparentes. Ajoutez à tous ces avantages une agilité sans pareille et une vue des plus perçantes, et vous avez dans l'oiseau le des- tructeur par excellence du plus puissant ravageur de nos moissons. Car nous sommes forcés de reconnaître notre impuissance contre la plupart de ces déprédateurs si petits mais si puissants. Qu'on me permette de citer ici, à ce propos, Michelet, le chantre de l'oiseau par excellence. " D'en haut, d'en bas, à droite, à gauche, ces peuples rongeurs échelonnés par légions qui se succèdent et se ra- layent chacune à son mois, à son jour, immense, irrésistible conscription de la nature, marchera à la conquête des œuvres de l'homme. La division du travail est parfaite. Chacun a son poste d'avance et ne se trompe pas. Chacun tout droit ira à son arbre, à sa plante. Et tel sera leur nombre épouvantable, qu'il n'y aura pas une feuille qui n'ait sa légion. *' Que feras tu, pauvre homme ? Comment te multipli- ras tu ? As-tu des ailes pour les suivre ? As-tu même des yeux pour les voir ? Tu peux en tuer à ton plaisir ; leur sécurité est complète ; tue, écrase à millions ; ils vivent par milliards. Où tu triomphes par le fer et le feu en détrui- sant la plante même, tu entends à côté le bruissement de la LES OISEAUX INSECTIVORES. 13 grande armée des atomes, qui ne songe guère à ta victoire et ronge invisiblement. " La vie inerte et sans défense, la végétale surtout pri- vée de locomotion, y succomberait sans l'appui de l'infati- gable ennemi du parasite, ftpre chasseur, vainqueur ailé des monstres, I'Oiseau." De petits moucherons jaunes apparaissent pendant une soirée de l'été, ils voltigent par millions sur les blés, s'a- battent sur les épis en fleur, et y déposent par milliers leurs œufs imperceptibles. De chaque œuf sort un petit ver presque invisible, qui après avoir suce la sève du blé, sort de l'épi et s'enfonce en terre pour en sortir au prin- temps suivant à l'état d'insecte parfait. Quand la cécydo- mie, car tel est le nom de ce moucheron, s'abat sur les blés, le tiers, le quart, la moitié, les trois quarts, et souvent encore une plus forte proportion de la récolte est perdue. L'homme est impuissant contre cet ennemi ; il est égalemet impuissant contre les chenilles, les charançons, les pucerons qui détruisent les grains, les pommes, les prunes les fleurs des jardins, les fruits des vergers ; contre les né- mates qui détruisent les groseilles ; les anthomyes qui dé- truisent l'ognon ; les piérides qui détruisent les choux ; les vers gris qui détruisent tout. L'oiseau seul peut arrêter la production indéfinie d'ennemis si redoutables. Celui qui protège l'oiseau, travaille donc à écarter la famine. Par contre celui qui tue un petit oiseau, contribue à rendre le pain plus cher. On a si bien compris en Europe les services que les oiseaux insectivores rendent à l'agriculture, que dans tous les états, leur protection est sauvegardée par des pénalités sévères contre les infracteurs des règlements à cet égard. Dans bien des endroits même, on place des nids artificiels dans les vergers, sur les arbres qui avoisinent les demeures ou dispersés dans les champs et le long des routes, pour inviter les oiseaux à venir y placer leur nichée. Ici, en Canada, nous avons bien le texte de la loi pour la protection des oiseaux insectivores, mais c'est à peu près une lettre morte. 14 LES OISEAUX INSECTIVORES. Les enfants trouvent-ils dans l'herbe des pâturages ou sur les branches des taillis des nids de Pinsons, de Fau- vettes, de Moucherolles, de suite ils en enlèvent les œufs, détruisent le nid. Le charmant Chardonneret, avec ses ailes d'ébène sur sa livrée jaune-citron, qui a choisi un gadellier ou un rosier du jardin, tout près de la fenêtre, pour y élever sa couvée, ne peut même trouver grâce à leurs yeux. Voyez quelle peine infinie se donnent ces dénicheurs pour parvenir au trou que ce Pivart a creusé dans le haut de ce chicot, ou pour escalader ce sapin dans lequel ils ont aperçu un nid de G-rives ! Et les parents de ces gamins souffrent sans mot dire ces déprédations ! Que dis-je ? souvent même ils y prêtent leur concours! Et les instituteurs, et les magistrats, et les curés, tous ceux en un mot qui par leur position et leur autorité pourraient apporter un remède à de tels abus, sem- blent voir le tout comme si la chose ne les regardait pas, comme si les prescriptions d'une loi sage s'il en fût étaient simplement facultatives, comme si leurs lumières et leur éducation ne leur permettaient pas de voir, de juger la chose autrement que ne le font ces gamins, plus étourdis que mal intentionnés, et le plus souvent coupables que parce qu'ils sont ignorants ! Ajoutons que presque tous les oiseaux insectivores sont de ceux qui ne peuvent nous être utiles que sous ce seul rapport. La plupart sont des chanteurs dont les notes plaisent à tout le monde, et très peu peuvent paraître sur nos tables. Et cependant on les tue, sans projet, sans mo- tifs, pour s'amuser, pour s'exercer ! Mais tous les oiseaux ne sont pas insectivores, et quels sont ceux que l'on doit à ce titre protéger ? in. Comment distinguer dans le grand nombre d'oiseaux qui nous visitent chaque année, ceux que nous devons pro- téger ; tous les oiseaux ne sont pas insectivores ? LBF, OISEAUX INSKCTIVORES. 15 Tenons-nous en au texte de la loi, nous ne pouvons nous tromper. Que dit la loi ? L'acte pour la protection des oiseaux insectivores et autres utiles à l'agriculture, sanctionné le 30 juin 1864, dit dans sa première section : " Il est défi^ndu de tirer, détruire, tuer ou blesser aucune espèce d'oiseaux quelconque, sauf et excepté les aigles, faucons, éperviers, et autres oiseaux de la famille des aigles, pigeons sauvages (tourtes), les embérizes orizivores, les martins-pêcheurs, les corbeaux et corneilles, entre le premier jour de mars et le premier jour d'août de chaque année;" et ce sous une pénalité de $1 à $10, avec les dé- pens, ou l'emprisonnement à défaut de paiement immédiat. Ainsi, il n'y a guère lieu à se tromper, puisque tous les oiseaux sont protégés par la loi entre le 1er mars et le 1er août à l'exceptiou des rapaces (aigles, éperviers, hiboux, chouettes, autours, etc.,) des tourtes, des corbeaux et cor- neilles, des embérizes (goglus), et des martins-pêcheurs. Le texte de la loi étant précis, nous devons l'admettre tel qu'il est. Je pense cependant qu'il pourrait subir avec avantage quelques modifications. Disons d'abord que tous les oiseaux sont insectivores, c'est-à-dire se nourrissent avec plaisir des insectes qui vien- nent à leur portée ; qu'il en est cependant parmi eux pour qui les insectes constituent la nourriture habituelle, qui ne se prêteraient que difficilement à un autre régime, et ce sont ceux-ci que la loi protège, tels sont: les Hirondelles, Moucherolles, Fauvettes, Tritris, Engoulevents, Pics, etc. Quant aux autres, carnassiers et granivores, bien qu'ils saississent avidement les insectes qu'ils peuvent atteindre par circonstance, comme leur nourriture habituelle con- siste en grains ou en d'autres petits animaux plus faibles qu'eux, la loi ne les couvre pas de sa protection, considérant que les services qu'ils peuvent rendre occasionnellement ne compensent pas les dommages qu'ils causent sous d'autres rapports. • - . • Ci suit la liste des oiseaux les plus communs que nous 18 LES OIPEAHX INSECTIV0HE8. devons particulièrement protéger, rangés dans l'ordre qu'ils doivent occuper dans l'estime du cultivateur, relativement aux services qu'ils lui rendent. Je donne pour chaque espèce ses noms vulgaires, fran- çais et anglais. 1° OISEAUX ÉMINEMMENT INSECTIVORES. L'Hirondelle des granges, Hirundu horreorum, Bart. Angl. Barn Swalloiu. L'Hirondelle des rivages, Hirundo riparia, Boie. Angl. Bank Swalluio. ' • ■ Le Martinet* ou Hirondelle des cheminées, Chœtura pe- lasgia, Steph. Angl. Chimney Swallow. Le Tritri, Tyrannm Caroliniensis, Baird. Angl. Bee Martin. Les Fauvettes, Dendroica, Myiodioctes, Helminlophaga, Geotlypis etc. Angl. Warblers. Les Moucherolles, Sayornis, Empidonax, Myiarchus, etc. Angl. Catchjlies. Les Pics, Picus, Hylatomus, Picoides, Colaptes, etc. Angl. Wooodpeckers. Les Engoulevents, Chordeiles,Antrostomus.Ang\. Night- Hawk^ Whip-pom-will. 2° OISEAUX INSECTIVORES ET GRANIVORES. Le Rossignol, Pinson chanteur, et les autres Pinsons, Melospiza, Spizella, etc. AngL Long Sparrow, Field Sparroio. Les Mésanges, Parus. Angl. Titmouses. Le Chardonneret, Chrysomitris trislis, Bonap.' Angl. Yellow bird. Les G^rives, Turdus, Miinus etc. Angl. Trushes. L'Etourneau, MoloHirus,pecoris, Swains. Angl. Cow-bird. Le Carouge, Agelaius phœniceus, Vieill. Angl. Red-wing- ed Blackbird. Les Mainates, Quiscalus, Scolecophagus. Angl. Black- birds. Les Grosbecs, Pinicota, Guiraca. Angl. Grosbeaks. .]' Les Jaseurs, Ampelis. Angl. Waxwingy Cedar bird. Le Goglu, Dolichonyz orizivorus, Sw. Angl. BoboUnk. ^ -,-■£. .. T.ES OISEAUX INSECTIVORES. 17 Les Geais, Cyanura, Perisorens. Angl. Jays. Le Moineau, Passer Domestîous, Brissot. Angl. $par- row, etc., etc. Tous les oiseaux de cette dernière catégorie ccnsument une quantité prodigieuse d'insectes au printemps, mais paraissent préférer les graines des plantes dès qu'elles com- mencent à mûrir. Je ne vois pas pourquoi le législateur a cru de- voir refuser protection au Goglu, Dolkhoni/x orizivorus, Sw. Le Goglu, cependant, ne se nourrit que d'insectes au prin- temps, surtout au temps de sa couvée et de l'élève de ses petits. On aurait pu par contre, ne pas protéger les Jaseuis (RécoUcts) qui deviennent très nuisibles au printemps, en dévorant les fleurs des arbres fruitiers, pommiers, pruniers, etc., et en enlevant les cerises dès qu'elles commencent à mûrir. De même pour l'Ecorcheur, Collyrio borealis, en an* glais, Slirike, qui continuellement fait la chasse aux Mou- cheroUes, Mésanges, etc. Puisque j'en suis sur le sujet, je ferai encore con- naître deux autres amis du cultivateur, qui lui rendent des services incalculables, et que cependant il poursuit d'ordinaire sans relâche. Ce sont le crapaud et la chauve-souris. Si la laideur était un vice et qu'on ne dût juger du mérite que par les apparences, j'avoue que ces deux animaux auraient peu de titres à notre protec- tion ; mais chez les bêtes comme parmi les hommes, les formes extérieures doivent céder le pas aux qualités qui distinguent les individus, et dans maintes occasions nous pouvons constater que les aptitudes les plus heureuses, les caractères les mieux doués sont cachés sous des apparences extérieures fort peu recommandables, comme si la nature voulant faire oublier son écart, se hâtait d'établir une com- pensation de ce que nous jugeons être un défaut. D'un autre côté, qu'est-ce que la beauté et la laideur ? Ce sont là des termes dont l'acception propre n'a rien de po- sitif, et qui n'ont de valeur que comparativement à l'estime que nous attachons à certains objets. Et puisque le noir est préféré au blanc en certains quartiers, qui sait si, même en 18 LES OISEAUX INSECTIVORES. dehors du monde des batraciens et des chéiroptères, les gales des crapauds avec les membranes alaires des chauves- souris ne sont pas des ornements for estimés de ceux qui en sont dépourvus ? Nos modes du jour parmi nos belles peuvent nous fournir des exemples d'excentricités encore plus surprenantes. Mais quoiqu'il en puisse être, le cra- paud et la chauve-souris, quelque laids que nous puissions les trouver, n'en sont pas moins dos êtres éminemment utiles, pour la quantité prodigieuse d'insectes qu'ils con- somment chaque jour, et à ce titre le cultivateur leur doit une protection toute spéciale. Ce sont d'ailleurs des êtres tout-à-fait inofiensifs sous tous les rapports. Espérons que ces quelques réflections, jointes aux nom- breuses circulaires que le Département des Terres a fait répandre dans toute la Province, suffiront pour ouvrir les yeux des intéressés et les engager à protéger leurs véri- tables amis, les oiseaux insectivores. iM '•;:)■ ■-.: -< .l'i'-^ i lp:s ARBRES D'ORNEMENT E'I" FORESTIERS. l'AU L'ABBE PROVANCllER. rubijé sur (limande de l'Honorable P. Fortin, Mlaistre des Terres de la Couronne. QUEBEC: ATELIER TYPOGRAPHIQUE DE C. DARVEAU, No. 8, Hue la Montagre, Basse- Ville. 1874. 'I /: '^■:^ '»)i ri'M;>1 4M( ri .. , ... ,_. " ,'f7 :>~\ I., 'b ■M.., i-i-li^ "Hit'' ARBRES D'ORNEMENT ET FORESTIERS. 1. Personne n'ignore que la forêt, vierge ou plus ou moins mutilée, est le séjour naturel des oiseaux. Les arbres, ou au moins les buissons, leur fournissent tout à la fois des retraites pour se soustraire à leurs ennemis, des cachettes pour y placer leurs nids, et le couvert tant pour se mettre à l'abri des orages que pour se soustraire aux rayons trop ardents du soleil. Le nombre de ces gais habitants de l'air qui nichent sur le sol et se confinent aux pâturages et aux champs cultivés est très restreint ; si donc vous ne laissez aucun arbre dans vos champs ni autour de vos demeuresi vous enlevez aux oiseaux leurs retraites nécessaires, et dès lors vous livrez sans merci vos cultures au formidable monde rongeur des atomes. L'être infiniment petit, ne trouvant plus d'autre végétation que celle de vos cultures, s'y abattra par millions, et les moissons les plus promet- tantes disparaîtront sous ses mâchoires. Ses ennemis na- turels auront disparu, parce qu'on les aura privés de leurs retraites, et dès lors il se multipliera sans obstacles d'après les lois de sa prodigieuse fécondité. 11 y a quelques quinze ans, des légions de sauterelles se montfjèrent dans les grains à Portneuf. En quelques 22 liES ARIlllES DORNKMENX K'C PORESTIKIIS. jours seulement, de vastes champs de blé, de seig-le, d'avoine, étaient dépouillés presque entièrement de leur feuillage. Déjà les redoutables insectes s'attaqaient aux épis pour en ronger les glumes ; les cultivateurs étaient désolés, ils voyaient leurs moissons perdues, lorsque des légions de corneilles s'abattirent tout à coup dans les champs et les purgèrent des insectes en quelques jours seulement. L'insecte nous cause des dommages infinis ; l'oiseau est par excellence le grand destructeur d'insectes ; mais l'oiseau a besoin d'arbres pour retraites ; il faut donc lui ménager ces retraites. Il est peu de pays où les arbres d'ornement sont si peu appréciés, si peu respectés, si fort négligés qu'en Ca- nada. Mais que dis je négligés ? Non-seulement on ne protège pas ces arbres, mais on les attaque, on les mutile sans motif, on se fait un malin plaisir de leur porter des coups, de leur faire des plaies plus ou moins domma- geables, lorsqu'on ne les fait pas de suite périr. Voyez ces ormes, ces frênes, ces érables qui bordent les chemins en certains endroits, portant sur leurs troncs les nom- breuses cicatrices des plaies que leur ont infligées des bûcherons, des cultivateurs, souvent dans le temps même qu'ils venaient chercher la fraîcheur de leur ombre ! Dans 11 > /e pays nouveau, encore si riche en essences forestières, le cultivateur est aussi, la plupart du temps, défricheur, et même assez souvent bûcheron de chantier. Habitué à faire table rase de sa hache des plus nobles pièces végétales, il poursuit cet entrain de destruction sur tout arbre qu'il rencontre, comme si aucun ne pouvait lui offrir autre chose que des bûches pour son foyer, et quelques pieds de terre dans l'emplacement de sa souche à ajouter à sa ferme déjà trop étendue. On le croirait pris parfois d'une manie de destruction contre tout végétal, tant l'abattage a été complet. La vue réjouissante de la vie végétale aux portes de sa demeure, la fraîcheur bienfaisante du feuillage qui pro- jette son ombre sur son toit dans la saison des chaleurs, le gai babil des oiseaux qui viennent à sa poite élever chaque LES ARBRES D'oRNEMENT ET FORESTIERS. 23 année une nouvelle famille, les services que ces précieux voisins lui rendent en protégeant ses moissons, tout cela est compté pour rien. La cognée a fait disparaître les troncs qui formaient la forêt, et une fois le sol livré à la charrue, il ne peut ci.ncevoir qu'on ouvre çà et là quelques fosses pour y fane venir do nouveaux quelques arbres. Voyez ce grand nombre do paroisses où l'on parcourt des concessions entières sans y rencontrer un seul arbre, pas même de ceux qui ofirent un double avantage dans les fruits qu'ils portent, pjst il rien de plus ennuyeux, de plus monotone, de plus plat que ces étendues immenses de champs, où les lignes de clôtures et les rangs de construc- tions se projettent seules au-dessus du sol ? Comme tout y paraît morne, silencieux ! Le bruissement de l'air à travers les épis des moissons semble s'harmoniser avec la mono- tonie du cnip d'œil, pour ne faire entendre qu'un frotte- ment égal, continu, sans fin dans ses ondulations. Les animaux, dans leur pacage rôtissent littéralement sous les brûlants rayons du soleil, contre lesquels rien ne peut les protéger. . . Pourquoi avoir ainsi privé, ces animaux d'un comfort si facile, et enlevé au paysage son attrayante diversitér pour le convertir en une morne plaine presque sans vie ? Pourquoi n'avoir pas conservé eu quelques endroits cer- tains représentants de (a forêt primitive, ou du moins ne les avoir pas remplacés par quelques plantations dispersées çà et là ? C'est que le défricheur peu réfléchi et insouciant ignorait la valeur d'un arbre d'ornement, et ne voyait dans tout végétal projetant sa cime au-dessus de sa tête, qu'un individu de cette ancienne forêt qu'il lui a fallu atta- quer avec tant de peines, et contre lequel il fallait encore employer la cognée. ., ^i 11 n'est presque pas de ferme où il ne se rencontre quelque butte, quelque élévation, où le roc trop voisin de la surface ou des cailloux trop drus semés rendent le sol à peu près impropre à la culture. Pourquoi avoir dénudé ces endroits? pourquoi les avoir dépouillée des arbres et arbrisseaux qui les couvraient? Est-ce que quelques érables ou peupliers ne seraient pas plus agréables que ces cailloux 24 LES ARBRES d'oBNEMENT £T FORESTIERS. blanchâtres qui reflètent les rayons du soleil ? Est-ce qu'un joli bouquet d'arbres verts, sous lesquels viendraient se reposer les animaux, ne serait pas préférable à la roche inerte qui projette aujourd'hui sou front chauve au des- sus du sol? Mais le mal n'est pas sans remède. Aujourd'hui qu'on commence à sentir le vide que l'on a fait autour de soi, et qu'on apprécie le tort que l'on s'est fait en rasant si net, il faut se hâter de réparer la faute en recourant aux plan- tations. Qu'on plante partout et abondamment. D'abord, un verger aux environs de chaque demeure, c'est le complément nécessaire à toute ferme ; et ensuite le long des routes. Qu'on tente aussi de reboiser certaines parties improductives de la ferme, comme celles par exemple où des cailloux trop nombreux empêchent la charrue de passer ; dans peu d'an- nées, on aura converti ces endroits en bouquets ou bocages qui joindront l'utile à l'agréable. Que dans les défriche- ments nouveaux on sache distinguer ces endroits, et les soustraire à la destruction commune pour les conserver. Cette dénudation complète des campagnes, surtout dans les terrains montagneux, a produit les plus graves inconvé- nients en certains pays d'Europe, comme le dépouillement des collines du sol qui les recouvraient pour l'entrainer dans les plaines, le gonflement subit des rivières pour causer des inondations, la soustraction de tout obstacle à l'impétuosité des vents qui balayent tout dans leur furie, etc, etc. C'est à tel point que les gouvernements, justement alarmés de cet état de choses, ont pourvu par de sages mesUres, au reboisement des collines en certains endroits, et à la planta, tion d'arbres le long des routes publiques. Pourquoi ne pro- fiterions-nous pas de ces exemples en ce pays et ne pren- drions-nous pas de suite le moyen de nous mettre à l'abri contre de si graves accidents ? Déjà, en certains endroits de cette Province, on commence à en ressentir les atteintes : les gonflements subits de nos rivières à la suite d'orages, l'abaissement continu du niveau de nos cours d'eau na- vigables, les vents déchaînés balayant jusqu'aux construc- tious des cultivateurs dans de vastes plaines, etc. LES ARBRES d'oRNEMENT ET FORKSTIER?. 25 Hâtons-nous de parer à tous ces inconvénients en fai- sant partout de nombreuses plantations. Entourons nos demeures de vergers ; pommiers, pruniers, cerisiers, etc. ; bordons nos voies publiques d'arbres d'ornement : ormes, érables, chênes, frênes, peupliers, etc. ; reboisons les par- ties incultes de nos champs, et sachons aussi mieux ména- ger les forêts que nous exploitons. Nos hivers sont longs et rigoureux, il nous faut chaque année une quantité con- sidérable de combustible. Le cultivateur prévoyant sait ne prendre, en faisant son bois de chauffage, que les pièces nécessaires, et se donne bien le garde de détruire, blesser ou mutiler celles qui sont encore trop jeunes pour pouvoir être utiles. Une forêt ainsi ménagée se rijfait en bien peu d'années. Après 8 ans, 10 ans, on peut glaner de nouveau dans les endroits ainsi exploités. Bien des cultivateurs, s'ils avaient pris ces sages précautions, ne se verraient pas forcés aujourd'hui d'aller chercher leur combustible à des 4, 5 et 6 lieues, ils le trouveraient encore sur leur ferme. Mais quand et comment planter, et quelles espèces de plants employer ? II. Quand faut-il planter ? Voilà la question qu'on m'a vingt fois posée, et à chaque fois, j'ai répondu ; plantez au printemps ; et je ré- ponde encore : plantez au printemps. On réussit souvent, dans les terrains secs, avec les plan- tations d'automne ; mais en général il vaut beaucoup mieux planter au printemps. Les plants que vous mettez en terre à l'automne, ayant perdu par l'arrachage leurs spongioles, ces extrémités dos racines extrêmement ténues qui pompent dans le sol les sucs nécessaires aux plantes, auront souvent à soufî'rir grandement de la déperdition, par l'évaporation due aux chaleurs d'automne, de leurs sucs nourriciers, qu'ils ne pourront remplacer qu'au printemps après l'émission d'un 2G liKS AIlBia-S D (.IINE.MINT hl FOliKSTltRS. nouveau chevelu ; tandis qae plantés au printemps, ils commencenr, aussitôt que la chaleur se l'ait sentir, à se pourvoir de suite des sucs nécessaires. Plantez au printemps, mais si vous êtes obligé de faire venir vos plants de loin, procurez vous les à l'automne. La sève étant dans un état de sommeil à l'automne, des plants convenab.enit'ut disposés peuvent demeurer des trois à quatre semaines en caisse sans i-ouffrir. Tandis qu'au ])riatemps, la sève réveillée par la chaleur, se met aui^sitôt en mouvement, même dans des arbres en caisse ; et on comprend que ne pouvant alors l'aire provision de nouveaux sucs, IfS plants auront bientôt épuisé ceux qu'ils recelaient. 11 nous est arrivé une fois, en ouvrant une caisse de ce'.isiers et pruniers que nous faisions venir des Etats-Unis au printemps, de trouver les plants tout en fleurs. Comment planter ? Le procédé est des plus simples iwur toute personne qui veut se rendre compte de sa manière de faire. Cepen- dant, il n'arrive encore que trop souvent que des plants manquent à la reprise, par ce que l'opération a été mal faite. On conçoit, par exemple, qu'enlever une pelletée de g.izon dans un ï)ré pour y enfoncer les racines d'un arbre que souvent l'on replie par ce que le trou est trop petit, n'est pas un mode bien rationnel d'agir, et ne doit réussir que fort difficilement. Les racines de votre plant, enlevées à un sol qui leur convciiuit, et plas ou moins maltraitées dans l'arrac^iage, s'accommoderont difficilement d'une terre compacte, peu divisée, qui souvent ne les touchera pas de toutes parts ou les mettra en contact avec les racines du gazon qui absorberont tous les sucs, si toutefois elles ne se mettent pas en fermentation par suite du bouleversement qu'on en aura fait, pour fan-e périr de suite les racines de votre arbre. Creusez toujours un trou beaucoup plus grand que l'étendue des racines de votre plant; et lors d • la plan- tation, ayez grand soin de ne mettre entre les racines que la terre la plus meuble, la plus divisée, alin qu'il ne reste aucun vide, et aussi riche que possible pour subvenir à l'é- LKS ARB'IES d'oRNEMKNT KT FORESTIERS. 27 tat do faiblesse où se trouve votre arbre ; pressez fortement la terre du pied en soulevant votre plant, afin de bien rem- plir tous les interstices, et ne renvoyez jamais dans le trou du gazon, des cailloux ou des grosses mottes qui pourraient nuire aux racines. Avant de planter un arbre, il faut procéder à ce qu'on appelle, en terme de jardinag-e, son habillement. Cet habil- lement consiste à lui retrancher plus ou moins de la tête, de manière à la proportionner aux racines qui ont été plus ou moins mutilées. J'ai dit plus haut qu'il fallait se procurer les plants à l'automne, lorsqu'on les fait venir de loin, et ne les planter qu'au printemps. Voici alors commiMit on les hi- verne. Tous creusez dans un endroit sec et bien égoutté une rigole de 12 à 15 pouces de profondeur; vous e.oupcz en talus l'un des bords de cette rigole, puis couchant vos plants en javelle sur ce talus, vous leur recouvrez la racine de la terre enlevée, de manière qu'il y en ait au moins 10 à 12 pouces par dessus. C'est ce qu'on appelle l\iire hiverner des plants en jauge. Vous mettez de plus une planche ou quelques branches de sapin sur les tiges pour les empêcher de se redresser au vent et les faire plus sûrement couvrir par la neige. De cette façon, les plants les plus faibles peuvent endurer l'hiver sans souffrir, et au printemps, vous les avez de suite à votre disposition pour les mettre en de- meure, lorsque le temps et l'état de votre terrain vous per- mettront de le faire. Maintenant quels plants employer ? Pour les arbres d'ornement, de même que pour les arbres fruitiers, il faut recourir aux pépinières. Lc»s arbres que l'on enlève à la forêt pour en faire des plantations sont toujours ceux qui oJBfrent le moins de chance pour la reprise. Ayant poussé à l'abri d'autres grands arbres, leurs tiges sont souvent effilées, étiolées, et leurs racines fort allongées, ne portant de chevelu qu'à leurs exiréruités, parce qu'elles se sont développées dans un sol tenu dan» une humidité constante. Il vous faut raccourcir ces racines, et j)f LES ARDUES d'ORNEMENT ET FORESTIERS. dès lors il ne vous reste plus que des tronçons assez gros, dépourvus du chevelu qui doit donner naissance aux spon- giolos ; de là ce manque de réussite si fréquent ; tandis que les arbres élevés de graines en pépinières vous pré- sentent des tiges fortes, robustes, avec des racines peu éten- dues et fortement pourvues de chevelu. Malheureusement nous n'avons encore en cette Pro- vince aucune pépinière véritablement digne de ce nom, et comme les demandes de plants de l'étranger sont assez dis- pendieuses et offrent plus d'un inconvénient, force nous est de recourir à la forêt pour nos arbres d'ornement. Il serait pourtant assez facile de parer à ce manque de pépinières en en formant de petites chacun pour soi. Prenez dans Ja forêt de tout jeunes plants, de 10 à 15 pouces de hauteur par exemple, plantez-les sur quelque coin de votre jardin, et dans deux ou trois ans vous aurez d'excellents sujets pour vos plantations. Quant aux arbres fruitiers, le manque de' pépinières se fait encore plus fortement sentir, si tant est qu'en bien des endroits nos cultivateurs commencent à comprendre la nécessité d'avoir des vergers et se laissent duper par les agents de pépiniéristes Américains malhonnêtes, qui vien- nent leur en imposer pour leur extorquer leur argent. Ces agents ne rougissent pas de vendre jusqu'à $9 et $10 la douzaine des plants de pommiers tout ordinaires ! On au- rait peine à croire que dans les seuls comtés de Portneuf et de Champlain, des agents de cet acabit, ont vendu de- puis quelques mois seulement, pour plus de $18,000 de plants de pommiers ? C'est ce que nous a pourtant assuré un curé sur les lieux qui le tenait de leur propre aveu. Quant on va dans une pépinière chercher un arbre extraor- dinaire, déjà en rapport, qu'on veut planter avec des pré- cautions toutes particulières pour ne pas le retarder, on nous le tait payer $1 ou même plus cher encore. Mais les arbres du commerce ordinaire ne se vendent jamais plus de $4 la douzaine, et souvent même on peut en obtenir à meilleur marché. Mais ce sont : la Pomme-Pêche, la Té- tofski, la Brunswickoise etc. ; soit, ces pommes sont très rustiques, mais sont loin de valoir la St. Laurent, la Fa- LES ARBRES d'oRNEMENT ET FORESTIERS. 29 meuse etc. ; d'ailleurs elles ne coûtent pas plus à propager que n'importe quelle autre espèce. Nous croyons devoir prévenir les cultivateurs contre ces prix exhorbitants que l'on exige, et les avertir que nons sommes à prendre des mesures pour que d'autres agents leur fournissent les mêmes plants aux prix ordinaires, en- viron deux chelins le pied, $4 la douzaine. Comme il arrive souvent qu'on attend avec impatience la croissance plus ou moins lente des jeunes plants que l'on a mis en terre, et qu'on se trouve pressé de jouir plus tôt de son travail, il est un moyen de se procurer presque de suite des bocages tout formés, c'est par la plantation d'hiver. Ce mode est passablement difficile, exige beaucoup de précautions, et est assez dispendieux, mais d'un autre côté il est presque toujours infaillible. Voici comment on opère. En plein hiver, en Février, Mars etc., lorsque la terre est encore gelée et couverte de neige, vous allez choisir vos plants dans la forêt, de 12, 15 et 20 pieds de hauteur. Vous tranchez la terre gelée autour de chaque arbre de manière à l'enlever avec une motte de largeur proportionnée à sa taille, vous le transportez avec précautions pour ne pas bri- ser les branches à l'endroit de la plantation, et l'assujétissez dans le trou que vous lui avez préparé. Vous ne mettez pas moins de quatre bons tuteurs pour le protéger contre Taction du vent» et vous ramenez la neige pour couvrir le tout. Aussitôt que la terre commence à dégeler au prin- temps, vous visitez souvent vos plants pour presser le sol qui ferait défaut et les maintenir dans leur position, et vous ne tardez pas à les voir continuer leur végétation sans presque s'en apercevoir, si l'opération a été bien faite. Les sapins, si difl5.ciles à la reprise, les pins, les bouleaux, les melèses, etc., se plantent avec avantage de cette manière. Quant au choix à faire parmi nos essences forestières pour nos arbres d'ornement, il doit se régler sur la qualité du sol à votre disposition. Le cormier, le cerisier à grappes, 30 LKS AUP.RES 1) OUNEMENT ET FORESTIEUP. i*^ petit merisier etc. sont surtout recherchés pour les arbres (11! petite taille. Parmi ceux de grande venue, l'orme se place au premier rang pour son élégance et sa majesté, mais il ne ])eut réussir partout, il lui faut une terre profonde et riche; l'érahlt», la plaine, le bouleau, le peuplier- baumier, le rae- lèse, le saule blanc, l'épinette, etc., sont des plus estimés. Ajoutons que les arbres contribuent grandement à as- sainir l'air que nous respirons. Seule la plante est capable de convertir la matière inorganique en corps organisés sus- ceptibles de nous servir de nourriture pour l'entretien de notre vie. La chair des animaux même dont nous nous nour- rissons n'est pas en dehors de cette loi, puisque l'animal ne tient sa vie que de la plante. La plante est l'intermédiaire nécessaire pour compléter le cercle entre les trois règnes de la nature. La plante décompose le minéral, le convertit en corps organisés ; l'animal ne subsiste que par ces corps organisés, et l'animal rend au minéral, par ses fonctions vitales ou sa décomposition finale, les éléments qu'il lui avait empruntés. ; . ,ï ^ .. •;•, Dans l'acte de la respiration, nous absorbons l'air at- mosphérique pour en retenir l'oxygène et l'hydrogène en laissant échapper le carbone ; et la plante, par un procédé tout contraire, dans ses fonctions vitales, hxe le carbone et laisse échapper l'oxygène et l'hydrogène qui nous con- viennent. On a constaté que les arbres laissent exhaler par leur feuilles une quantité considérable d'humidité. Plus donc il y aura d'arbres dans un endroit, plus l'humidité sera abondante ; et par conséquent, malgré la raréfaction de l'air dans les grandes chaleurs d'été, l'air atmosphérique y de- meurera toujours assez riche en principes convenables à nos fonctions vitales. . , 1 * ' ' i ' •• ' ' L'Abbé Provancher. CapRouge, Q., 12 Août 1874. , ; i.' j; *f?