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Photographie

Sciences CorpoMon

23 WEST MAIN STREET

WEBSTER, N.Y. 14580

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CIHM/ICMH

Microfiche

Séries.

CIHM/ICMH Collection de microfiches.

Canadien Institute for Historical Microreproductions / institut cenedien de microreproductions historiques

Tvchnical and Bibliographie Notas/Not«s tachniquaa «t bibiiographiquas

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Un des symbiales suivants apparaîtra sur la dernière image de chaque microfiche, selon le cas: la symbole '—^ signifie "A SUIVRE", le symbole y signifie "FIN".

Maps. plates, charte, etc.. may be filmed at différent réduction ratioa. Thoaa too large to be entirely inciufled in one exposura are filmed beginning in the upper left hand corner, left to right and top to bottom. as many framaa as required. The following diagrams illustrate the method:

Les cartes, planches, tableaux; etc., peuvent être filmés è des taux de réduction différents. Lorsque le document est trop grand pour être reproduit en un seul cliché, il est filmé é partir de l'angle supérieur gauche, de gauche è droite, et de haut en bas,. en prenant la nombre d'images nécessaire. Les diagrammes suivants illustrent la méthode.

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HISTOIRE

RELIGIEUSE, POLITIQUE ET LITTÉIUIKE

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COMPAGNIE DE JÉSUS,

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HISTOIRE

«ELir.IKUSi:, POIJTIQUK ET LITTKRAIKE

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COMPAGNIE DE JÉSIS

COMTOSÉR

SUH LKS DOCUMENTS INlilDITS ET AUTHENTIQUES PAR .1. CRÉTINEAU-JOLY.

Ouvrage orn« ilr poriraliit pi fae-tlmlle

TROISIÈMK ÈDITIOM, K^^

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TOME CINQUIÈME.

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HISTOIRE

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COMPAGNIE DE JÉSUS.

CIIAI'ITIIE l'ItKMIKR.

l>iiri>rcnco «les Missions irOrii-iil d'uvec relies dei iluiix Anu'ri<|iics. l.u l'iio Itesicau en Palesliiic. KOsiileiiee il Aiiili'ino|)lc. La peslo el lesJiVuilvs. Le IVrè (jivliod cl lits l>j|{iicg île C«iMMaiiliiiu|ile. Lf} l'i're llirhoril au ihiimI Atlios. Lo Père BraciHiniur ci le ciiiiile Ti'kOli. Braconnier ii 'l'Ii tloniiine.

'Havaux dus Ji'suiles en Orient. Ldlre du Père Tarlllon au conile de Pnnl- (iiarlrain. Les Ji^suiles el les Arméniens. Les Maronites illes Cu|>les. L<s Palrianhes de l'Eolise Qreciiuc se rOunisienl en cuniile pour s'u|)po!>cr anv ))tO|]u>s du (iallioliiisinc par les Ji'suitcs Assenibli-o des Maronites dans le l.ilun en faveur dv's Missionnaires. Len Pères Lonueau el Ptilliier en fersi*.— Heureux eH'ilsdu la Mission de Perse. Tliainas KoHii-Kuu et lo Frère Daxin.— Lu Pèro Uul)an on Crimée. Ses travaux. Lu Père Sicard en Egypte Si>i l'iMirses nposloliquos. Sus découvertes scicntiliiiuc^. Sicard se dévoue pour les pestiférés du Caire Sa Hn)rt. Les Jé^uile9 Ahyssinic. Guerres du nlioioii Silualion de PAby^kinieel de l'Ethiopie.— Lo Sultan SeQlied II et les Calholii|ueH. Persécution contre les Jé^u'les. Lettre do Séh-Cliristos , OUI lo de l'umpercur, aux priiices et aui ^'uplis catlioli<|ue8.— Les Pères de Drè- «edeiit et Du Bernai Lo 1 liibet el les l'ère» Di'siiJéri cl Freirc. Leurs fati(jne.<t et leurs dangers. Lo Père de Sanvitores aux Iles Murianncs. Son zèle el son martyre. (iiierrero, archevêque de Manille , rétracte ses niandenients contre les Missionnaires de lu Conipaonic. L'empereur du M(i(|(il se fuit leur ennemi

Los Jésuites médiateurs cntro les 'marchands anQlois et liullandais d'Agra et do Surate— Les Jésuites poursuivis en Coihinchine. Ils chttcnl duiis k> royaume do Siam.— Lo Père Maroici el le oranil-vi/.ir de Si.ini , (kinsliuiru Phaulkon. Amhassade du Louis XIV k Siam. Les Pères de Funlaney, Ta- cliard , Bouvet , Uerbillun , Le Comte el Visdelou.— Mission reliQieusc et scicnli- flque de ces Pères. L'Académie dos sciences et les Jésuites. Le roi de Siam et SCS dispositions. Hévolution il Siam. Mort de Constance Pulitit|ue de Louis XIV développée par les Missions. Il en crée ii Pondichéry el dans rindoslan. Les Jésuites au M^duré. Le Pi<re Beschi , orand-viramamouni.

Son luxe et ses travaux. Le Pèro Bouchot dans les Missions. Elles s'é- tendent partout. Les Jésuites brahmes et pariahs. Leur plan pour réunir ,les castes divisées. Guerre des Fiançais et des Anglais dans l'Inde. Uifll- cultég ecclésiastiques sur les rites malubares. En quoi consistaient ces dif II- cullés. Li Qntion du pulriarche Mailluid de Tournon à Pondichéry. Deux Jésuites Taident h résoudra les cas épineux. ~ Pénible situation des Jésuitci entre l'iifcéissanco au légat cl leurs convictions sur les rites malubares. Tour- non arrive en Chine. L'empereur Kang-Hi protège les Catholiques. Son amitié pour les Jésuites. Le Père Verbicsl, président des niathémaiiqucs. Le Pape Clén.ent XI el Louis XIV fnvorisent les Missionnaires chinois. Verbiesl fond des canons par ordre de l'empereur. Les Pètes français suspects aux Portugais. —Les Pères Gerbillon el Pereira, ambassadeurs en Russie. L'empereur rcvèt Gerbillon de son costume impérial Les Frères Rhodes il

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L«t l'ère tlti (îovillt!, missionnaire, ot les J(<siiilos asironuiiios ou oiiographo.

Discussions sur les cértiniunics chinoises. PuinI «le «lOpait des deux partis.

Diiri'rence entre les croyances des grands et du peuple en Chine.— Pro- position des Jésuites nu Pape de s'en rapporter à l'empereur. Tournon arrive h Pékin par l'entremise des Jésuites. Kan;{-Eli s'iniiuiètc de ce voyage et des difllcultOs religieuses qu'il provoque. Mandement du Ii'Qat, qui proscrit les cérémonies chinoises du culte catholique. Colère de l'empe- reur.— Tournon livré aux Portugais, ses ennemis. Il est emprisonné à Macao. Il meurt. Ac-.usations contre les Jésuites. Leurs fautes et leur désobéissance aux ordres du Saint-Siégc. Mort du Père Gerbillon. Le Père Purrenin. Opinion de Lcibnil/ sur la politique des Jésuites dans l'afluire des cérémonies. Commencement de la persécution. Légation de Mezza!>arl>a Les Jésuites la favorisent. Le Père Lauréali facilite son arrivée a Pékin. Mort de Kang-Hi. Yong-Tching, son successeur, cède ii la violence des man- darins et des nonzes contre le Christianisme. l>es Jésuites sont, A cause de leur science, exceptés des mesures du proscription. Le Pcre Uaubil et les enfants exposés. Jugement d'Abel «le Kéinusaisur Gaubil. Le Père Parre- nin, grand-mandarin.— Il est choisi pour médiateur entre les Itusses et les Chinois. —Travaux de Bouvet, de Parreniii et de Gaubil. Les Frères (^sti- glione et Attiret, peintres de l'empereur. Mort de Parrenin. Les bulles de Itenolt XIV mettent fln aux discussions. Soumission de iou.s les Jésuites. Décadence de la Chrétienté chinoise.

Les Missions d'Orient n'offraient pas , comme celles des deux Amériques , l'attrait de la nouveauté et le contact de ces popu- lations vierges que la voix des Jésuites entraînait de la barbarie à la civilisation. Dans le Levant , c'était un monde peu à peu dégradé qu'il fallait reconstituer; mais ce monde avait de vagues souvenirs de son ancienne splendeur, dos préjugés enracinés , ,qui, pour lui, remplaçaient la liberté et le Christianisme. Sous le sabre des Ottomans , il courbait la tète en essayant de se faire un bouclier de sa duplicité. Dans ce climat brûlant, la peste et des fièvres pernicieuses semblaient se naturaliser, les Jésuites avaient poursuivi l'œuvre de réparation ; leur sainte opiniAtreté triomphait à la fin de l'apathie des Grecs schismatiques et du fatalisme des Turcs. Souvent la mort interrompait leur carrière à peine commencée ; ce trépas prématuré , loin de la patrie et de la famille , sur une terre désolée , fut un dernier stimulant pour les Pères. Dans l'année 4673, Nicolas de Caulmon et François Richard expirèrent pleins de jours , l'un à Saïde , l'autre à Négrepont. En 4684 , Antoine Resteau , le missionnaire de la Palestine , périt au pied même du Calvaire , en se dévouant pour les pestiférés. Le marquis de Châteauneuf , ambassadeur de Louis XIV, a compris quel puissant levier la Religion mettait aux mains de la Franco dans l'Orient dégénéré. H veut le faire

DK LA COIPACNIE DP! JRSUS

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inoiivoir, et les Jésuites , en 1080 , tondent une Mission h Andrinople, dans la résidence habituelle du Sultan. Lestravauv et les maladies contractées au service des pauvres ou des esclaves eurent bientôt emporté les disciples de l'Institut de Loyola. Un seul leur survivait , c'était le Père Pierre Bernard ; il disparut ù son tour. Les prêtres arméniens eurent des larmes et des prières à verser pendant sept jours sur ce tombeau , puis toute la nation écrivit ' à ses frères de Gonstantinople :

« Dieu soit béni de ce qu'il a frappé notre tête et de ce qu'il nous a laissés sans yeux et sans lumière. Nous n'avions qu'un pasteur, et il a plu ù Dieu de nous l'enlever ; nous n'avions qu'un vigneron, et nous l'avons perdu. Nous sommes des orphelins abandonnés à la fureur des hérétiques , contre lesquels notre ange et notre apôtre , le feu Père Bernard, nous défendait. Peut- ' être les eût-il convertis, s'il eût vécu plus longtemps , car nul de notre nation ne pouvait résister à la douceur et à la force de son zèle, qui le faisait travailler infatigablement pour nous ; mais il est dans le ciel, et il ne nous oubliera pas. »

Pierre Bernard ne fut pas le dernier Jésuite martyr de sa charité dans le Levant^. C'était un tribut que chaque année ils payaient à la mort; ce tribut n'arrêta jamais leur course. Il y avait au bagne du Grand-Seigneur de nombreux Chrétiens dont

' Relation arlressée ait Clergé de France assemblé en 1695, p. 105.

> Dans lu ciinclièie public «le Conglanlinoplc, sur la pierre lumulairc qui reçoit vrc les restes des Pères de la Compagnie de Jésus inorls au service des peslir<'riS<, on lit l'inscriplion suivante, qui serait beaucoup plus longue si on eiti rt^uni dans l;i nit^mc tombe tous les missionnaires frappés par le fléau :

t IHS HIC lACENT PATRES SOCIETATIS lESU PESTE INTEUEMPTI. P. LUDOVICUS CHIZOLA, moluxxv. P. CAUOLUS GOBIN, 1012. P. LUDOVICUS GRANGIER, 1615, P. FRANCISCIS MARTIN , IC62. P. NICOLAUS DE Sïe-GENEVIÈVE , ICHO P. PETRUS BERNARD , 468.%. P. NICOLAUS VABOIS, «686. P. HENRICUS VANDERMAN , IC96. P. JACOBUS CACIIOD, <719. P. FRANCISCUS RANGEART, 17-20. P. MARCUS CHAROT, I7.%l. P. ANSELMUS BAVLE , «7i6. P PETRIS CLERCJET, 1750

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4 r.llAl». I. IIISTOIIIE

il fallait soutenir la fui, alin de leur rendre muins aiïrcuse leur misérable condition. Ce fut le privilège exclusif des Jésuites , celui qu'ils réclamèrent toujours avec les plus vives instances. Dans cette enceinte , toutes les calamités découlaient de la servitude, la première de toutes, ils ne trouvaient à remplir que de pénibles devoirs ; ils ne se mettaient en contact qu'avec les maux du corps et de l'âme. Ils se condamnaient à toutes les souffrances pour adoucir celles des esclaves ; ils les suivaient dans leurs rudes travaux ou sur les galères ottomanes ; ils men- diaient pour les soulager ; ils mouraient pour les encourager à supporter la vie. Ce dévouement était de tous les jours et de toutes les heures; et, dans l'année 1707 , le Père Jacques Ca- chod , l'un de ces héros dont l'histoire dédaigne la sublimité ignorée , écrivait de Constantinople : « Maintenant je me suis mis au-dessus de toutes les craintes que donnent les maladies contagieuses, et, s'il plaît à Dieu , je ne mourrai plus de ce mal après les hasards que je viens de courir. Je sors du bagne , j'ai donné les derniers sacrements et fermé les yeux à quatre- vingt-dix personnes , les seules qui soient mortes en trois se- maines dans ce lieu si décrié , pendant qu'à la ville et au grand air les hommes mouraient à milliers. Durant le jour, je n'étais, ce me semble , étonné de rien , il n'y avait que la nuit , pendant le peu de sommeil qu'on me laissait prendre , que je me sentais l'esprit tout rempli d'idées effrayantes. Le plus grand péril que j'aie couru et que je courrai peut-être de ma vie , a été à fond de cale d'une sultane de quatre-vingt-deux canons. Les esclaves, de concert avec les gardions , m'y avaient fait entrer sur le soir pour les confesser toute la nuit et leur dire la messe de grand matin. Nous fûmes enfermés à double cadenas , comme c'est la coutume. De cinquante-deux esclaves que je confessai et com- muniai , douze étaient malades et trois moururent avant que je fusse sorti. Jugez quel air je pouvais respirer dans ce lieu ren- fermé et sans la moindre ouverture. Dieu qui , par sa bonté , m'a sauvé de ce pas-là, me sauvera de bien d'autres. »

Douze ans plus tard, en 1719, Jacques Cachod, que les esclaves surnommaient leur père, périt an milieu de ces dou- leurs qu'il a tant de fois soubigces ; d'autres Jésuites lui sucoé-

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DE LA COMPAGNIE DE JESUS. , O

dèrcnt. Â Scio , ils ont créé un collège ils forment ù la vortu et à l'étude des belles-lettres plus de trois cents élèves. La Mis- sion a tellement prospéré qu'en 1695 onze Jésuites indigènes gouvernent celte Chrétienté , dépassant le chiffre de quatre-vingt mille. Ils sont en butte aux avanies des Turcs , qu'alimentent les excitations des Grecs schismatiques ; mais les Pères ne se découragent pas : ils savent que la persécution les attend dans le succès, ils marchent toujours. Scio est catholique, ils rêvent de pénétrer dans les îles de Mételin et de Samos. Les musulmans détruisent le collège ; un vice-consul français leur est donné comme protecteur. Les Pères Albertin , Ottaviani et Gorré suc- combent dans la lutte : ils sont remplacés par deux autres Jé- suites, Antoine Grimaldi et Stanislas d'Andria. Leur maison a été mise ù sac , les Pères en ouvrent deux autres les enfants sont reçus sans distinction de culte ut de patrie. Les uns travail- lent à émanciper l'Orient par le Christianisme, les autres, comme le Père François Richard , s'élancent sur le mont Athos , tantôt pour y vérifier des observations scientifiques, tantôt pour étudier les vieux manuscrits ou appeler à l'Unité les six mille moines qui, dans ces déserts, vivent de superstition et d'ignorance.

Sous la protection de Louis XIV, qui sait faire honorer le drapeau de la France à tous ces peuples, le Père Braconnier a maintenu la Foi parmi les Chrétiens de Constantinople ; il a pu même ramener à l'Eglise catholique le fameux comte Eméric Tékéli, ce héros que le Luthéranisme et l'ambition poussèrent dans les rang de l'armée ottomane ^ . Braconnier était Mission- naire avant tout ; mais son apostolat ne l'empêchait pas de cher- cher à instruire l'Europe, tout en évangélisant les Orientaux, il détermine la position de l'ancienne Philippcs, capitale de la Macédoine ; puis sur les lieux mômes, le 29 janvier 4 706, il établit une résidence à Thessalonique. Deux Jésuites, Vincent et Pipéri, l'accompagnent ; pour les mettre à l'abri des insultes, le roi de France et son ambassadeur, le marquis de Fériol, leur ont accordé des brevets diplomatiques. Ils travaillent avec tant d'ardeur à la propagation de la Foi roncaine et de l'archéologie.

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CHAP. I. HISTOIRE

qu'ils ont biunlùt visité toutes les Chrétientés voisines, et déchit'- l'ré les inscriptions gravées sur les vieux monuments contem- porains d'Alexandre. Braconnier a entrepris une œuvre aussi diificile que périlleuse. 11 est au milieu des Grecs, et il leur prê- che l'Unité. H a gagné l'estime de Michel Paléologue, l'un des adeptes de l'erreur; en 1709, Paléologue revient à l'Eglise; il consacre une maison pour servir de lieu de prières et de col- lège aux familles que les Jésuites ont faites Catholiques. Elles étaient encore peu nombreuses ; mais Braconnier, dont l'élo- quence est presque aussi grande que la charité, ne connaissait pas d'obstacles. La contagion ne l'effrayait pas plus que les mauvais traitements. Le bâton des Turcs se levait souvent sur sa tête; ici on le frappait, on le mutilait; le Père n'en con- tinue pas moins son entreprise. La guerre et la peste déciment incessamment ces populations; les premiers soins du Jésuite sont pour ceux qui l'ont meurtri ou persécuté. Il est au bagne des esclaves encore plus souvent que dans la demeure des riches, et lorsqu'en 1716 la rnort couronna une vie si pleine de travaux, la Mission de Thessalonique n'avait plus besoin que d'ouvriers. Les Pères Souciet, Tarillon et Gresset lui succédèrent.

La Société de Jésus avait en Orient une multitude de résiden- ces, dont les principales étaient à Constantinople, Smyme, Thes- salonique, Scio, Naxos, Saïde, Eubée, Trébizonde, Santorin et Damas, l'œil de l'Orient, ainsi que Julien surnommait cette ville. De là, ils se dispersaient dans le Levant et portaient partout les lumières de l'Evangile. La conviction ne se faisait jamais jour dans les âmes qu'après de pénibles discussions. Ils n'avaient point, dans ces climats, de sauvages à dompter et de tribus bar- bares à conduire peu à peu à la civilisation. Le schismatiquc grec et l'Arménien ne se laissaient pas facilement convaincre ; depuis de longs siècles, ils professaient leur culte, ils en avaient sucé avec le lait les erreurs et les préjugés. Enfants dégénérés d'un grand peuple, ils vivaient en mendiants orgueilleux sur une gloire qu'ils ne pouvaient raviver, et au milieu des dé- bris de la Grèce, dont ils ne comprenaient ni la poésie ni les splendeurs mortes. C'était cette opiniâtreté qu'il importait de déraciner. Les Jésuites se firent une loi do la patience; et, dans

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iiiiu luUrc du Père Tarillon au comte de Pontchartrairi, le Mis- sionnaire explique au secrétaire d'Etat la marche adoptée. M Quant au rit grec, qui en soi n'a rien de mauvais, écrit-il en 1713, nous n'obligeons personne à le quitter pour passer au latin. Lorsqu'il se trouve des curée ou autres ecclésiastiques qui errent dans quelques articles de la Foi, les Orthodoxes ont sur cela les règles du Saint-Siège, selon lesquelles ils peuvent com- muniquer avec eux en ce qu'ils ont de bon et d'utile, et doi- vent constamment rejeter le reste. C'est sur ces régies que nous nous conduisons et que nous conduisons les autres. Ceux qui refusent de s'y conformer ne reçoivent de nous aucune abso- lution; nous ne les excluons pas pourtant des églises latines, quand ils viennent implorer le secours de Dieu , nous proposer leurs ditficultés et prendre l'estime et le goût de nos cérémo- nies. Cette condescendance gagne les esprits, et nous avons l'expérience que c'est la voie la plus eflicace pour les faire ren- trer dans le sein de l'Eglise. » >,

La dialectique du controversistc remplaçait donc l'entrainc- ment du Missionnaire; les éclats de l'enthousiasme s'effaçaient dans ces luttes incessantes ; il fallait (^tre armé de démonstra- tions et de syllogismes historiques pour réduire au silence ces esprits de rhéteurs toujours amants de la dispute. La position était ainsi faite aux Jésuites, ils l'acceptèrent. Pour rapprocher les Grecs de l'Unité, plusieurs Missions furent établies dans l'Archipel ; les îles de Siphanto , de Serpho , de Therasia et de Paros en recueillirent les premiers bienfaits. Les Jésuites ap- prenaient à ces insulaires le secret de la charité; puis, dans le même temps, ils développaient en Syrie l'œuvre de leurs de- vanciers. Le champ était immense; ils uvaient d'abord à con- server dans la Foi les Catholiques ; ils devaient ensuite agir sur des Maronites, des Arméniens, des Chaldéens et dos Coptes, qui pratiquaient leur religion en payant tribut à la Subli- me-Porte. Ces différents rites avaient leurs Patriarches, leurs Evoques, leurs prêtres ; à chaque pas ils suscitaient des obsta- cles ;iu\ MissioiiiiMircs. Il était humaiticuicnt impossible de vaincre toutes les réputiiiiaiiccs ; los Jésuites ne se roidiicnt pas conlrc la diiru'uUé, ils essavôrenl ilc la lomiier. Les Crocs eux-

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IIISTOiHE

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mûmes lus regardaient comme les seuls instituteurs de la jeu- nesse ; ils leur envoyaient les enfants à élever avec ceux des Européens et des Arméniens. La Compagnie de Jésus sentit ({ue 1 éducation devait, dans un temps donné, accomplir sur les générations naissantes le changement que les hommes faits n'acceptaient qu'individuellement. A Tripoli et à Damas, ils se placèrent ainsi en embuscade contre le schisme. En 1717, leur Mission grandissait; et les patriarches d'Alep et d'Alexandrie, convaincus de la suprématie du Pontife romain, ne craignirent pas d'adresser à Clément XI leur profession d'orthodoxie.

Six années s'étaient écoulées depuis ce jour; l'exemple des deux Patriarches avait ébraidé les convictions et décidé un cer- tain nombre de Chrétiens à saluer la Chaire apostolique comme la règle de leur foi , lorsque les Patriarches de Constantinople, de Jérusalem, d'Antioche et de Damas se réunirent en Synode, afm d'arrêter l'élan vers le Catholicisme. La désertion se met- tait dans leur troupeau ; les pasteurs en confièrent la garde aux janissaires du sérail. A force d'argent, ils obtinrent du Grand- Seigneur des ordres de persécution que la France alors ne pou- vait pas conjurer ; car la régence de Philippe avait aflaibli son ascendant. L'édit rendu à la prière du Synode défendait aux Chrétiens d'embrasser la Religion catholique; il enjoignait à ceux qui déjà s'étaient réunis à la Communion romaine d'y renon- cer sur-le-champ, et il était interdit aux Jésuites de communi- quer avec les Grecs, les Arméniens et les Syriens , sous prétexte de les instruire. Les Jésuites n'abandonnèrent pas la partie ; on emprisonnait, on menaçait de mort les Patriarches et les Orientaux catholiques ; ils crurent qu'il leur appartenait de conjurer la tempête que l'or des schismaliques soulevait. Le consul de France à Alep recule devant une généreuse initiative, les Pères de l'Institut s'adressent au marquis de Bonnac, am- bassadeur de Louis XV. Bonnac menace, il invoque le nom du la France, et les Jésuites peuvent un toute sécurité se livrer à leurs travaux.

Une autre Mission avait été formée à Antoura ; elle se pro- |)agcnit sur lu Liban, lorsque, le 30 septembre 1730, un Synode s'assumltle dans la montagne. Trois Evèquus catholiques ot qua-

DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.

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torzc maronites, conduits par leur Patriarche, viennent avec l'élite de la noblesse du pays traiter de leur réunion ù l'Eglise sous la présidence de Joseph Âssemani, ablégat du Saint-Siège. Les Jésuites étaient les promoteurs de cette assemblée ; les Chré- tiens du Liban en recueillirent les fruits, car, à la demande des Pères, douze femmes pieuses furent autorisées à créer, prés d'Ântoura , un couvent de la Visitation , destiné à recevoir ou à élever les veuves et les filles des Catholiques. Le Père Fro- mage, supérieur de la Mission d'Âlep, dont le mérite était si honoré dans la montagne, ne consentit pas à perdre les avan- tages que ce Synode devait procurer. De concert avec les Pères Venturi, de Busly et le Frère Richard, il établit des Congréga- tions chez les Arméniens, les Grecs et les Maronites. Ces insti- tutions de jeunes gens aidaient au dévcloppeipent de la Foi; elles acclimataient l'Europe au sein du Liban.

En 1G82, les Pères Longeau et Pothicr, chargés des riches présents que Louis XIV adressait au Schah de Perse, se mettent en route pour suivre le plan que le Père Alexandre de Rhodes a (racé. Ils sont les ambassadeurs du grand, roi , la Perse les accueille avec respect. 11 y avait déjà des Jésuites à Ispahan et à Chamakhi ; le prince en autorise un nouvel établissement à Erivan. Leur ambition du salut des ûmes ne se contente pas de ces résidences, dans lesquelles il faut commencer par se dé- vouer ù toutes les misères ; une autre est obtenue pour eux à Erzcroum; les Pères Roche et Boauvollier on prennent posses- sion. Comme à Erivan, ils meurent de la peste ou sous le fer des fanatiques; mais le Dieu que, du fond de l'Europe, ils ac- courent prêcher, trouve des adorateurs; mais leur sang versé, leur vie consacrée aux pauvres , sont un excitant pour les Jé- suites. Vingt-cinq ans après, ces Missions, ouvertes sous de si funestes auspices, comptaient chacune plus de cent mille Fi- dèles. La Perse était affaiblie, un grand homme parait à su tète; tout-ù-coup elle se révèle la plus puissante des nations. Schah- Nadir, dont le nom de Thumas Kouli-Kan a immortalisé les exploits, venait d'usurper le trône, et, dans sa soif de conquêtes, il poussait ses armées sur l'indostan. La dévastation et l'incen- die étaient les compagnes de sa gloire militaire. L'Alexandre de

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la burburic ne connaissait pas d'antres raisons que le ter et le t'en. Les Jésuites se glissèrent sous sa tente , et, en face de ce guerrier au caractère indomptable, à la taille athlétique, à l'es- prit plein de cruauté et d'élévation , les hommes de paix ne se sentirent point intimidés. Les schismatiques demandaient à Kouli-Kan de disperser les bergers et le troupeau orthodoxes ; les Jésuites lui font comprendre qu'il est placé trop haut pour ne pas avoir des idées de justice. Kouli-Kan , qui a porté ses armes victorieuses par toutes les Indes, rend hommage au Christ que les Jésuites annoncent; il publie un édit par lequel la liberté de prêcher leur est accordée ; mais ce terrible Schah a entendu parler de la science médicale du Frère Bazin. Le ré- sident et les négociants anglais lui ont dit que ce Coadjuteur temporel était au-dessus de tous les t^avants de la Perse , il veut que le Frère Jésuite soit spécialement attaché ù sa personne. Les Anglais espéraient se donner un protecteur auprès do Kouli- Kan , et les Missionnaires un appui. Le Frère Bazin fut accordé à ses prières, il le suivit dans ses voyages, il devint son conlî- dcnt, et lorsque le vainqueur tomba à son tour, victime d'une conspiration de palais, le Frère Bazin était encore à côté de lui. La mort du Schah replongeait la Perse dans des révolu- tions sans fin , les Jésuites en subirent le contre-coup. Plusieurs d'entre eux périrent sous le bâton. Les soldats dépouillèrent les ôglises , les officiers civils accablèrent les Pères de toute espèce de vexations ; mais on ne put les faire renoncer à leur projet. Le Christianisme prenait racine sur cette terre , ils ne consen- tirent jamais à briser la croix que leurs mains* avaient plantée.

Rien n'abattait le zèle des Jésuites, rien ne faisait chanceler leur audace. Au mois de juillet 1706, un médecin français, at- (;iché au Kan des Petits-Tartares , arrive à Constantinople. Il peint aux prêtres de la Société le déplorable état des Chrétiens (le Crimée , il leur dit que parmi ces esclaves , condamnes à tous les tourments , il y a une foule de Polonais , de Hongrois , de Croates, et que , deux années auparavant, un Jésuite est mort (le la peste en leur prodiguani ses soins. A ce récit, le Père Du- Iciii se ij>ent ému de pilié, il part pour la Crimée, et il implon^ tic tîazi-Guir.iv, mallro de l'ainionno Tituride, la c;ràcc d'as-

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sistcr les esclaves et les Chrétiens qui languissent sous su loi . Au milieu des douleurs qui leur sont tenues en réserve , les uns s'étaient faits Mahométans ou hérétiques, les autres, dans un abrutissement qui procédait du désespoir et de l'ignorance, avaient oublié jusqu'au souvenir de Dieu. Cette atmosphère de dépravation s'était étendue peu à peu ; des esclaves elle avait passé au peuple, du peuple elle montait aux prêtres du rj grec.

Duban ne se laisse pas décourager par le spectacle de ta corruption. Il réunit dans un coin d'une pauvre église a nienne quelques infortunés que sa charité a soulagés, il révèle les préceptes de l'Evangile et de la morale. Le Jcsu" s'était dévoué pour ces Chrétiens , les Chrétiens se montrèren dignes de son affection. Ils accoururent pour l'entendre ; bientôt cet homme seul triompha du désespoir, de l'esclavage et de la tyrannie même. Le Père Duban avait entrepris et achevé une tâche presque impossible. Afin d'offrir à son apostolat les ga- ranties qu'un caprice ou qu'un changement de gouverneur pouvait lui enlever, la France revêtit ce Jésuite d'un titre di- plomatique : elle le nomma consul en Ciimée, et le Père Ta- rillon lui fut adjoint. Le Missionnaire affrontait toutes les cala- mités de la servitude : pendant huit ans , à force de tendresse et de charitables enseignements , il adoucit le sort des captifs et réveilla chez eux les principes de la Foi. Il n'y avait pour lui ni Grecs, ni Gentils, ni Luthériens, ni Calvinistes. H les con- fondait tous dans un même amour; tors se prcssaienl autour de lui dans un même sentiment de reconnaissance et de piété. Le bruit de cette transformation se répandit au loin. Les pasteurs de Suéde se jetèrent à la traverse du bien dont l'idée n'avait pas germé dans leurs cœurs. Le Jésuite ramenait à l'Eglise les Protestants consolés par le Catholicisme ; il les avait tirés de la dégradation pour les épurer par ses leçons. Les Luthériens ne consentirent pas à le laisser jouir en paix d'une gloire si chère- ment achetée. Il n'y avait plus qu'à recueillir, ils s'abattirent sur la f^riniéc ; mais personne ne prêta l'oreille à hius insinua- tions et à leurs promesses. Duban resta seul le guide des esclaves qu'il avait conquis à la vertu.

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On a ilujù vu (les Jésiiilus pénétrer ilaris les déserls de l'K- {i;y|)tc ; au nom du Saint-Siégo , ils s'cllbrccnt de reconstituer l'Unité chrétienne et de fuirc rentrer au bercail de l'Eglise ces Coptes que douze cents ans de schisme n'ont pas déshérités du la vertu évangélique. Leurs tentatives ne furent quo partielle- ment heureuses ; cet échec ne les découragea point , et , au com- mencement du dix-huitième siècle, le Père Claude Sicard , à Aubngne en 1077, y apparut, tantôt comme Missionnaire, tantôt comme savant. Il était or même temps le chargé d'af- faires de l'Eglise et celui de l'Académie des sciences. Dans ce double but, il parcourt ù travers mille dangers les monastères vivent, aussi frugalement qu'au temps des Pacômc , des iMacaire l'ancien et des Sérapion , les religieux avec lesquels il a besoin de se mettre en rapport. Le Jésuite était convaincu , il fit nailre des doutes , il gagna h l'Unité ces solitaires , il vécut de leur existence misérable , se pliant à tous leurs usages, et, pè- lerin catholique , poursuivant jusqu'au bout la tâche qu'il s'é- tait donnée. Le Père Sicard voyageait seul dans ces plaines sa- blonneuses, seul encore il s'engageait dans les montagnes. Il n'avait à craindre que pour sa vie ; aux yeux du Missionnaire , le sentiment de la conservation s^eiTace sous l'accomplissement du devoir. C'est le soldat de la Foi jeté aux avant-postes , le soldat qui ne doit jamais raisonner son obéissance , jamais cal- culer le péril , et qui n'a de gloire à recueillir qu'au ciel.

Dans une de ses pérégrinations, le Jésuite tombeau milieu d'une horde de vagabonds dont le pillage est l'unique industrie. Ces Arabes lui demandent son argent. « Je n'en ai jamais , » répond-il; et, reconnaissant le prêtre catholi(|ue à son cos- tume , ils l'entourent, ils le supplient de guérir leurs maux ou de panser leurs blessures. Sicard condescend à ce vœu : il leur oiTrc des remèdes ; mais ne s'arrêtent point pour lui les ser- vices qu'il peut rendre à ces misérables. Il sait les crimes dont ils se souillent, il leur adresse des reproches mêlés de sages con- seils ; puis , se séparant d'eux , il poursuit sa route. Les Chrétiens ot les moines d'Egypte restaient plongés dans l'ignorance ; la . Fluligion n'était plus qu'un tissu de fables arrangées pour satis- faire les mauvais penchants. Sicard entreprit de vaincre ces dé-

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r<'>){loincnls de la ponsôu : il traversa ainsi la liiiiit«'-K^y|it(: et la IVisso-Tliébaïilc , récliaulTant la pit'ito au cœur des Fidèles cl provoquant le remords dans les Chrétientés gangrenées par le vice. A l'exemple du Père de lirèvedent, l'un de ces Jésuites qui l'ont devancé sur tes bords du Nil , et qui rendirent tant de services à l'Eglise et aux lettres , Sieard , sur cette terre féconde en prodiges , veut faire marcher de pair la bienfaisance et l'élude.

Il s'est rendu maître de la langue arabe , il connaît h fond le caractère et les mœurs des peuples avec lesquels il doit traiter des choses de Dieu. Dans cet incessant voyage de vingt années , que la fatigue ou le danger ne suspendent jamais, il recueille (les observations si judicieuses que la Compagnie de Jésus , le duc d'Orléans , Régent du royaume , et l'Académie des sciences expriment le vœu de le voir continuer ses travaux. Le Régent lui mande de s'occuper activement de la recherche et de la description des anciens monuments, le Général des Jésuites lui transmet le môme ordre : Sieard , sans sacrifier une heure des occupations du Missionnaire, abroge ses nuits afin de répondre aux désirs de l'Europe savante. 11 remonte le Nil, et h travers le Delta , il visite Thèbes, il parcourt les bords de la Mer Rouge, il décrit le mont Sinaï, les cataractes, les monuments d'Elé- phantine et de Philoë ; il lève les plans ainsi que les des- sins des édifices et des villes qu'il découvre. L'Académie des sciences l'interroge sur les propriétés du sel ammoniac , de la soude carbonatée et sur les pierres d'Egypte. Le Jésuite est en mesure de répondre à toutes ces questions. La terre des Pha- raons n'a plus de secrets pour lui; il en étudie, il en divulgue les mystères. Il dresse une grande carte géographique que sui- vront d'Anville et tous les savants ; il réunit dans un cadre im- mense le fruit de ses investigations. 11 veut consacrer quelques mois de repos à mettre la dernière main à cette œuvre, lorsqu'il apprend que la peste étend ses ravages sur le Caire. Les joies de la science disparaissent en face des devoirs du Jésuite. Il y a des Chrétiens qui loin de lui meurent sans secours , des hom- mes qui n'attendent que l'eau du baptême pour se régénérer dans les bras de la mort : Sieard se dirige vers la cité atteinte ,

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il que (oui If iiioiiilu ubaiuluniie. Il > iniprovist' h* niéilei'in, l'angu consolateur des pcstifért's ; il leur prodi^MM; les .soins île l'Ame et du corps; puis, le 1:2 avril 17!20, le Jcsuitn, trappe par le fléau, expire à l'Age de quarante-neuf ans.

En Abyssinie, les Pères de la Compagnie do Jésus soutenaient une lutte plus terrible et moins retentissante. La destinée d'An- dré Oviédo no les elTrayait point, et ils connaissaient le sort que les révolutions d'Ethiopie leur réservaient. Ils avaient d<^ Chrétiens à maintenir dans la foi, des schismatiques à y ra- mener , des idolâtres h civiliser ; rien ne les détourna dr lonr but. L'empereur Atznaf-Scghcd a, sous la main du 1 érr !*:,/,, embrassé la Religion catholique ; mais son zèle de riéophylo ne sait pas se borner : Atznaf Seghcd veut que son peuple obéisse à la loi qu'il proclame la seule vraie. Paëz lui recommande en vain la modération; l'empereur ordonne, et il périt dans la guerre civile. Susneios, son successeur, écoute les avis dm Jé- suite : il apaise la sédition, et, afin de consacrer sa victoire, il demande un Père do l'Institut pour patriarche d'Ethiopie. Al- phonse de Mendcz arrive en 1G25 revêtu de cette dignité. Le Jésuite patriarche i^ttit un homme de conciliation; il ordon- ne ou réintègre en leurs fonctions cent prêtres indigènes, et leur confie autant de paroisses à gouverner. Les Abyssins ac- ceptaient la Heligion catholique ; ils se soumettaient au Vicaire de Jésus-Christ; ils laissaient peu à peu s'introduire la disci- pline et les rites romains; mais le feu couvait sous la cendre. Basilides, fils de l'empereur, et Sarsachristos , vice-roi de Go- jam, conspirèrent pour renverser le culte que Mendcz et les Jésuites venaient d'établir. Une nouvelle guerre se déclare. L'empereur triomphe encore; mais là, sur le (■liainp de bat.'^ill'' les officiers qui contribuèrent à sa victo v Itr libxl entendre des plaintes : « Prince , lui disent-ils , ceux que vous voyez étendus morts à vos pieds, quoique rebelles, quoique bien dignes de perdre la vie, sont néanmoins vos sujets. Dans ces monceaux (le cadavres vous pouvez apercevoir de nombreux, de dévoués servit surs , (ks amis , des parents. Ce carnage , c'est la Religion nov, llemeni introduite qui l'a causé; et elle en causera de p'us sanglanu^ encore si vous ne vous y opposez. Ce n'est que le

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ntiiiiiionccinoiu tli> Iji giiorrc, i;lli ^iroilnirn île |ilii> iiIVkmix tir- >.istros. Le |i 'iple Irôniu, il rcdomaiule la l-'oi tl'A iiiulrio, i|u'il a reçue de se» ancAlrcs. L'aiuli«'<* tin peuple ne i octc rien, p<is mùuie les rois, lorsqu'il s'agit le religion. Plu iu'8 tic vos généraux ont déserté volf «'tendan! les autres sui\iunt liienli^t si vous continuez & écoutei los doci urs étrangers. Q\w la Foi romaine soit plus .sainte, nois l'accordons; qu'une ré- loruie dans les mœurs soit nécessaire, nous l'avouons; néan- moins il faut y procéder avec mo«lérntion ; sinon c'est courir î\ une ruine certaine, c'est vous perdre et poi 're I mpire. »

Ces raisons devaient paraître concluanlt s h lin prince; mais ce n'étaient pas les plus péremptoires, les seul s que l'on faisait valoir dans l'intimité du conseil. On chargm les Jésuites dr crimes bien moins excusables que les dissen^ii us civiles, dont ils n'étaient (pie le prétexte. Des abus, des dcs-ordros de toute espèce s'étaient introduits parmi ces Clir. tien^ moitié juifs, moitié musulmans. Les Jésuites, qu'on accusait, au Maduré et en Chine, de tolérer les rites idolâtres, étaient blà iésen Abys- sinic pour chercher à détruire l'usage de la circou ision, l'ob- servanco du sabbat et la pluralité des femmes, ils forçaient leurs néophytes à n'avoir qu'une épouse légitime ; le rcs) "ct du lion conjugal fut peut-être la cause déterminante de cettt révolution religieuse. Les concubines renvoyées se liguèrent avec les offi- ciers schisma tiques, et tous ces motifs réunis amenèrent h chute de l'Eglise abyssinienne.

Les monarques d'Ethiopie n'étaient , comme la plupart des souverains d'Orient , que des créatures de l'armée. Un caprictr les portait au trône , un autre caprice les en faisait descendre ; parfois leur tète tombait en même temps que leur couronne. Placé dans une cruelle alternative , l'empereur ne consentit pas à résigner le pouvoir afm de vivre catholique. Le sceptre lui parut préférable à la vérité , et , cédant aux prières menaçantes 4e son fds, il ordonna de convoquer tous les corps de l'Etat afm do trancher la question à la pluralité des suffrages. Les néo- phytes furent écartés de l'Assemblée, on les proscrivit sans en- tendre lenr défense. Dans les camps, dans les villes, cette pro- scripiitm fut iiccueillie par des cris de vencteance. Les Fidèles

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|)arlai(MU tic so soulever. Uii sou|M(tiint' le Pèr*; Meiidez e( les autres Jésuites de fomenter la sédition; les scliismatifiues re- doutent leur influence sur le peuple : on les exile. L'empereur comprend alors qu'il a ouvert la voie à des calamités sans fm : il maudit sa faiblesse , il se sent frappe à mort ; mais du moins il veut mourir catholique. Le Père Diego de Matos accourt au- près de lui, il reçoit ses tristes et suprêmes confidences, et le !20 septembre 1032 l'empereur expire.

Basilidcs régnait enfm sous le nom de sultan Scglicd IL II avait vingt-cinq frères , il les fait tous périr par le fer ou par le poison. Il redoutait le courage et les talents de Séla-Christos , son oncle , il le relègue dans un désert. Il fallait donner des gages aux schismatiques, il nomme pour abonna ou patriarche un aventurier égyptien. Le premier soin de cet homme est de déclarer qu'il ne pourra vivre en Abyssinie si les Jésuites habitent encore cette terre. II parlait au nom d'un parti dont les derniers événements avaient accru l'orgueil : l'abouna fut obéi. Les Jésuites prirent la route de l'exil. Elle était longue et périlleuse ; les schismatiques songèrent à l'entourer de nou- veaux dangers. Le pacha de Suakem, sur le territoire du(juel la caravane devait passer, est prévenu que les Missionnaires sont chargés d'or : il les arrête , les dépouille , saisit leur for- tune, qui consistait en deux calices et en quelques modestes reliquaires. Puis il leur annonce que la liberté ne leur sera ren- due que contre une rançon de trente mille piastres. C'était au fond de la Nubie que cet attentat se consommait. Piichelieu l'ap- prit par le Général des Jésuites : le consul de France à Mempbis reçut ordre de travailler eftlcacement à leur délivrance. Le pacha de Suakem fut bientôt forcé d'abandonner sa proie.

Cependant six Pères de l'Institut étaient restés cachés en Ethiopie sous la conduite du Jésuite Apollinaire Alméida , Évê- que de Nicée. Ils avaient des Chrétiens à fortifier dans la Foi ; la mort leur apparaissait sous toutes les formes , ils la bravè- rent ; et, réfugiés dans le Sennaar et dans le Rordofan , ils se virent exposés à périr de faim ou à être dévorés par les bêtes féroces. Ils ont sous les yeux les exemples de résignation que les Catholiques , que Séla-Christos leur donnent : ils surent se

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Irz t>| les ((lies n;- [imporeiir sans fin : I moins il ourt au- is , et le

icd H. Il ou par le Christos , tnner des îatriarche mmc est > Jésuites parti dont jouna fut longue et de noi:- c duquel ionnaires eur for- modestes sera ren- 'ctait au ieu l'ap- VIempbis nce. Le ie. icliés en a, Evè- la Foi ; bravè- , ils se es bêtes tion que lurent se

montrer dignes de leurs catéchumènes. Les uns étaient préci- pites du Alite des grandeurs dans l'humiliation ; les autres , con- damnés aux misères de fexil , supportaient avec patience toutes les calamités. Los Jésuites se firent un devoir d'encourager tant de dévouements. Seghed U comprend que des Missionnaires sont restés dans le royaume de Tigré , puisqu'il s'y trouve en- core des Chrétiens indomptables. Il les fait chercher : on en découvre trois au fond d'une vallée. C'étaient les Pères Paëz , Bruni et Pereira ; on les immole à ses vengeances. Les autres sont insaisissables. L'empereur feint de s'adoucir : des paroles de clémence tombent de sa bouche ; il témoigne même le désir de les voir à sa cour. Âlméida et les autres Pères étaient in- struits par le vice-roi de Temben que cette bienveillance sou- daine recelait un piège. Ils croyaient à son hypocrisie , mais ils jugèrent opportun de l'affronter. L'Evêque de Nicée, avec les Pères Francisci et Rodriguez , profitent du sauf-conduit accordé. Ils arrivent sous la tente de l'empereur. Les trois Jésuites sont chargés de fers et condamnés à la peine capitale. Une mort trop prompte n'aurait pas satisfait la cruauté des schismati- ques : on tortura les Missionnaires, on les chargea de coups et d'ignominies. Lorsque, au mois de juin 1638 , on eut épuisé sur eux les outrages, le souverain les offrit à la colère de ses cour- tisans, qui les lapidèrent.

Bruni survivait à ses blessures. Il ne restait plus d'autres Jésuites dans l'Âbyssinie que lui et le Père Cadeira. Ils mouru- rent comme leurs devanciers. Le Pape crut que des Capu- cins français seraient plus heureux que des Jésuites espagnols ou portugais : les Pères Agathange de Vendôme, Cassien de Nantes , Chérubin et François furent envoyés en Ethiopie ; ils tombèrent sous les coups des schismatiques. U n'y avait pour gouverner ces populations que quelques prêtres portugais, ou in- digènes formés par les Jésuites. Bernard Nogueira, portugais et vicaire du patriarche Mendoz , adressa , au nom de Sèla-Chris- tos , la lettre suivante aux princes et peuples catholiques :

« Très-illustres seigneurs. Évoques et gouverneurs des Indes, Séla-Christos à tous les Chrétiens catholiques et vrais enfants do l'Eglise de Dieu paix, et salut en notre Seigneur.

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» .le no sais en quelle langue je dois vous écrire ni tlo quels termes je puis me servir pour représenter les périls et les souf- frances de cette Eglise, qui m'affligent d'autant plus que je les vois de mes yeux. Je prie notre Seigneur Jésus-Clirist, qui a été attaché en croix, qui est plein de miséricorde, de les faire con- naître à tous nos frères, à tous les Recteurs, Prélats, Evoques, Archevêques, Rois , vice-Rois , Princes , Gouverneurs, qui ont (pielque autorité au-delà des mers. J'ai toujours cru, et je me suis souvent dit à moi-même qu'ils nous auraient secourus, et qu'ils n'auraient pas tarit tardé à nous racheter de la main de ces barbares et de cette nation perverse, si la multitude et l'énormité de mes péchés n'y étaient un obstacle. Autrefois, lorsqu'il n'y avait pas d'Eglise ici, lorsque le nom de Chrétien et de Catholi- que nous était inconnu, on est venu à notre secours, on nous a délivrés de la puissance des Mahomélans. Aujourd'hui qu'il y a un si grand nombre de Fidèles on nous oublie, et personne ne pense à nous secourir. Quoi ! le Pontife romain, notre père, no- tre pasteur, que nous chérissons tant, n'est-il pas sur la chaire inébranlable de saint Pierre, ou ne veut-il plus songer à nous consoler? Nous qui sommes ses brebis, n'aurons-nous point la satisfaction, avant que nous sortions de cette méprisable vie, d'apprendre qu'il pense à nous, et qu'il veut empêcher que ces hérétiques, qui nous font une si cruelle guerre, ne nous dévo- rent? Le Portugal n'a-t-il plus de princes qui aient ce zèle ardent qu'avait Christophe de Gama* ? N'y a-t-il point quelque prélat qui lève ses mains au ciel pour nous obtenir le secours dont nous avons besoin? Je me tais ; ma langue se sèche, et la source de mes iarmes ne tarit point. Couvert de poussière et de cendre, je prie et je conjure tous les Fidèles de nous secourir promptement, de peur que nous ne périssions. Tous les jours mes chaînes deviennent plus pesantes, et on me dit : Rangez- vous de notre parti , rentrez dans notre communion, et nous vous rappellerons de votre exil. On me tient ce discours pour me

I Christophe de Gania, (Ils du ranicux Vasco de Gama, à h Kle de quatre reiils Portugais , dt^Uvra l'Abyssinte det Mores, qui , sous la conduite de Gragix^, rava- gonii'ul rot empire depuis quatorz)' aus. Apres des prodiges de valeur, le ht^ros chnMieii tomba entre les mains dos Sarrasiiis, qui le llrcnl pt^rir au milieu des plus cruels lourmenis et des plus sanglants oulraBos.

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penlre et pour l'aire j)érir avec moi tout ce qu'il y a ici de Callioliques. On veut ruiner l'Eglise de Dieu, et la miner de tond en comble. Si donc il y a encore des Chrétiens au delà des mers, qu'ils nous en donnent des marques, et qu'ils nous recon- naissent pour leurs frères en Jésus Christ, qui soutenons la vérité comme eux, et qu'ils nous délivrent de cette captivité d'Egypte. » < •. ..

« Ici, ajoutait Nogueira en son propre nom, ici finissent les paroles de Séla-Christos, notre ami. il me les a dictées lui-même en 1640. C'est à mon tour aujourd'hui de pleurer. Un torrent de larmes fait échapper la plume de mes mains. Mes compagnons ne sont plus que des squelettes animés. Ils ont été traînés en pri- son et fouettés. Leur peau tombe de misère; et, s'ils ne sont pas encore morts, ils soulfrcnt tout ce que la plus extrême pauvreté a de plus rude. » ' i

Cette lettre, si éloquente de douleur, aurait réveillé le zèle du patriarche Mondez, si ce zèle eût éprouvé quelque ralentis- sement ; mais le Jésuite, toujours en vue de son Eglise désolée, n'avait jamais consenti à s'éloigner des Indes. Il espérait que l'Ethiopie serait enfm ouverte à ses derniers jours comme une palme réservée à son ambition du martyre ; il mourut sans pou- voir l'atteindre. La terre d'Ethiopie se fermait devant eux; on les vit à différentes reprises tâcher d'en forcer l'entrée. Louis XIV leur accorda son appui, et vers Tannée 1 700 le Père de Bréve- dent expira de fatigue au milieu du désert. Dans le même tendps les Pères Grenier et Paulel s'avançaient dans le Sennaar, et le Père du Bernât rêvait une autre tentative. Elles échouèrent à peu près toutes.

Le schisme d'Orient et les calculs des hommes repoussaient les Jésuites de l'Ethiopie : ils s'élancent sur le Caucase. Les Pères Ilippolyte Désideri et Emmanuel Freire prennent la ré- solution de poiter l'Evangile jusque dans le Tliibet. Us parcou- rent le Mogol, ils franchissent des montagnes qu'aucun pied euro- péen n'a encore foulées, puis, après de longs mois de voyages à travers les torrents et les précipices, ils descendent dans les vallées de Cachemire. Ce n'est pas que les appelle leur pas- sion civilisatrice. Les peuples de ces contrées fertiles sont ma-

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CHAP. I. HISTOIHE

hométans et heureux. Ils iront rien h demander à la terre, ils ne songent peut-être pas à solliciter du Ciel autre chose que le bonheur dont ils jouissent; mais dans le Grand-Thibet il y a des idolâtres perdus entre deux chaînes de rochers arides qu'il faut gravir, au risque d'être englouti à chaque pas au fond des abîmes' grondant sous les pieds. Les Jésuites n'hésitent point; ils cou* rent au péril, ils s'engagent sur ces montagnes impraticables. Ils ont pour toute nourriture une espèce de farine de sattu ou d'oi^e, pour tout lit la pierre couverte de glace et de neige ; et ils marchent cependant. Les voici à Ladack, réside le souve- rain du pays. Â des populations primitives, dont les mœurs étaient pures, ils pouvaient en toute liberté révéler les bienfaits de la croix; la croix devait y être comprise. Ils en propagèrent le signe, ils apprirent à le vénérer. Mais ne s'arrêtait point la mission des Jésuites. Ils avaient à accomplir une prédiction de TEvangile : il fallait que le Christianisme retentit à tous les coins du monde, et on leur disait que derrière des glaciers gi- gantesques, qu'après mille torrents, il existait une autre tribu complètement séparée du reste de la terre. Six mois de travaux inouïs leur étaient nécessaires pour parvenir à Lassa, capitale ce troisième Thibet. Les Jésuites reprennent leur bâton de missionnaire, ils arrivent, et ils prêchent.

D'autres, en sillonnant les mers, ont remarqué entre le tro- pique du Cancer et la ligne équinoxialc , à l'extrémité de l'O- céan Pacifique, un groupe d'îles, où, racontc-t-on, les indigènes vivent dans l'ignorance la plus absolue : c'est l'état de barbarie élevé à sa dernière puissance ; car ils n'ont pour loi qu'im grossier instinct et pour mœurs qu'une corruption anticipée. Le Père Diégo-Louis de Sanvitorès, qu! a déjà évangélisé les Philippines, forme le projet de pénétrer dans cet archipel et d'y annoncer le Christianisme. Il part d'Acapulco avec les Pères Thomas Cardefîoso, Louis de Médina, Pierre de Casanova, Louis de Moralez et le Frère Laurent Bustillos. Vers la fm de 1668 ils abordent aux îles Mariannes ou de los Larones. Les habitants les accueillirent avec des démonstrations de joie. Une croix fut dressée sur le rivage, et les Jésuites s'empressèrent de parcou- rir le pays afin d'en prendre possession par le baptême admi-

DE LA COMHAUNIE DE JESUS.

nistrù uux petits enfants. Guam est la principale de ces îles. Sanvitorès se chargea de l'instruire des mystères de la Foi, Cardeiioso et Moralez se dirigèrent sur Tinian, Médina sur Saypan, plus tard Saint-Joseph.

Les Missionnaires ne rencontraient aucun obstacle ; ces peu- ples étaient doux, intelligents : ils comprenaient, ils goûtaient la morale chrétienne ; ils se montraient disposés à favorablement accepter les principes d'ordre venant à la suite d'une Religion qui leur enseignait de nouveaux devoirs. L'idée de la famille n'existait pas parmi eux, et cependant ils se croyaient la seule nation qui fût au monde. Vivant dans un libertinage tradition- nel, ils ignoraient ce que pouvait signifier le mot de vertu. Leur nudité était complète ; et, par une étrange pensée de coquette- rie, les femmes ne se croyaient réellement belles que lorsqu'elles étaient parvenues à noircir leurs dent% et à blanchir leurs che- veux. .

Sanvitorès avait, comme tous les Jésuites, placé ses plus chères espérances dans les enfants : il les forma avec un soin particulier. Il jeta les fondements d'un collège, afin de déve- lopper par l'éducation le germe des vertus et de le faire entrer dans les familles par les jeunes gens. LUnfluence du Christia- nisme et l'attrait de la nouveauté avaient suspendu les vieilles querelles; mais peu à peu elles se réveillèrent. Malgré les prières et les menaces des Jésuites, la guerre éclata. Elle rendit aux insulaires leur férocité native, et le 29 janvier 1670 Louis de Médina périt à Saypan sous les coups d'une multitude égarée. Le sang montait à la tête des Mariannais : Sanvitorès et ses com- pagnons jugèrent que le sort de Médina leur était réservé ; ils s'y préparèrent avec joie. Ils continuèrent leur apostolat, vivifiant la Foi dans le cœur de leurs catéchumènes et leur apprenant à être chastes et humains. Le 2 avril 1672 Sanvitorès expirait martyr. En peu d'années il avait créé dans ces îles huit églises et trois collèges, il avait baptisé plus de cinquante mille sauvages. Médina et Sanvitorès tombaient sous la lance des insulaires, le Père Solano mourait d'épuisement à quelques mois d'intervalle. Le 2 février 1674 le sang d'un autre Jésuite fécondait ce sol inculte : le Père Ezquerra, Louis de Vera-Picaço et ses caté-

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Cil.Vl'. 1. lilSTOlUb:

chistes subiront le supplice que leurs vœux appelaient. Les in- digènes massacrèrent tous les Missionnaires qu'ils purent saisir . Pierre Diaz, coadjuteur temporel ; les Pères do Saint-Basile, Sébastien de Mauroy, Strobach, Charles Boranga et Comans trouvèrent le martyre. Leur mort-, que l'Eglise et la civilisation glorifiaient, fut un stimulant pour l'Ordre de Jésus. Sanvitorès et ses compagnons n'avaient ouvert à croix qu'un champ restreint, et la perfidie superstitieuse de quelques indigènes avait étoutfé leur voix dans les tourments; mais, en 1697, les Pères Antoine Fuccio, Basile Leroux et Paul Clain virent se multiplier sojs leurs yeux la moisson que le sang faisait germer. Les Ma- riannais embrassèrent le Christianisme, et il se propagea dans ces archipels. '

Ji'œuvrc des Jésuites prenait une rapide extension : de Borne et de Goa *, ces deux centres d'action, elle étendait ses rameaux par tout l'univers. Elle fondait de nouvelles Résidences sans jamais abandonner les anciennes. Le Christianisme volait h la con- quête des mondes inconnus. Dans ce perpétuel combat de la civilisation chrétienne contre le fanatisme ou l'ignorance, les Jé- suites, toujours au premier rang, ne se laissèrent jamais en- dormir par le succès ou abattre par la défaite. Engagés dans cette lutte sans fin, que François-Xavier avait ouverte, ils mar- chaient à leurbut sans so préoccuper des obstacles. Les guerres, les révolutions dont tant de royaumes étaient le théâtre pou- vaient bien modifier leurs plans, renverser leurs espérances ou leur arracher la vie ; ils avaient prévu ces éventualités de l'apos- tolat, ils s'y soumettaient avec bonheur. On les proscrivait, on les tuait sur un point, ils reparaissaient sur un autre. Le sacri- fice de leur existence était consommé en idée lorsqu'ils posaient le pied sur le vaisseau français, espagnol ou portugais, cinglant vers les régions orientales. Ils savaient qu'une mort prématurée les attendait : cette destinée ne fit qu'enflammer les courages. C'est ainsi que, sans autre secours qu'une ardente charité, ils

* La province de Uoa coinpiail plusieurs rollooos et plusieurs si'miuaires charQt's «l'aliinenler Ifg Missions tic l'Indoslan : le Colli^ije de Sain(e-Ftii, (établi par saint François -Xavier; celui de Saint-Paul et la Résidence de Bantloughor ; le Noviciat de Gna ; le CoIIoqc de Railiour, ceux de Bu(;«ïin, de Daman, Je Taiiah , de Diu , de Cliaul, (l'Agrah et de Deihy.

Dli LA CUMl'AdME Uï. JESUS. 18

rcalisèl'ent lu conquête des Indes, de l'Asie et des deux Améri- ques. Dans ces Missions , dont il serait peut-être impossible do reconstruire l'ensemble , ils eurent de cruelles alternatives, de bons et de mauvais jours ; mais, par une persévérance à toute épreuve, ils se nrantrèrent plus forts que les événements com- binés avec les passions des hommes, ils virent plus d'un triomphateur, comme Tliamas Kouli-Kan, tenir le monde at- tentif au bruit de ses exploits, et ils surent obtenir de lui lu pro- tection que le guerrier n'accordait môme pas aux ministres de ïon culte.

Ils avaient des ennemis puissants, d'implacables rivaux, qui grossissaient leurs fautes, qui transformaient leurs erreurs en crimes. On les chargeait, au Brésil, au Pérou, au Mexique, dans le Maduré et en Chine, des imputations les plus contradic- toires. Quelquefois même les Evoques, à lexemple de Juan de Palufox et de Bernardin de Cardenas, se prenaient ù maudire cette activité ^lévorante qui poussait les Jésuites sur tous les con- tinents. Lu guerre intestine ne les efl'rayait pas plus que lu guerre aux idoles ou aux vices de l'humanité, et souvent les prélats du Nouveau-Monde réparèrent, comme Fernand Guer- roro, archevêque de Manille, l'injustice que de fausses alléga- tions leur avaient fait commettre envers la Société de Jésus. Guerrero avait, dans un moment d'irritation, privé les Mission- naires du droit d'évangéliser les Philippines, il revint à des sen- timents plus modérés et il rétracta lui-même son interdit.

« Par ce présent acte, lit-on dans V Histoire des Philip- pines \ nous annulons, en général comme en particulier, le décret que nous avons publié le 16 octobre dernier, et par le- quel nous interdisions aux Religieux de la Compagnie de Jésus de prêcher hors de leurs églises dans toute "étendue de notre archevêché. De plus nous annulons l'acte publié le 1') octobre, et nous déclarons que les motifs que nous appelions justes, et (|ui nous déterminaient ù défendre uuxdits Religieux de prêcher hors de leurs églises , n'étaient de leur part ni une doctrine erronée, ni de mauvais exemples, ni aucune autre cause désho-

> Hisloria dclle PliUi/iiilnc, p. 2;o.

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CHAI'. I.

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norantc pour la Compagnie de Jésus ou pour quelqu'un de ses membres. (Vêlait uniquement la peine que nous éprou- vions de ce que lesdits Pères ne s'étaient pas rendus à l'assem- blée convoqué»! par nous le 19 octobre afin d'y traiter d'jiffaires imporiantes, et qu'ils s'étaient excusés en disant qu'ils avaient pour le faire de justes motifs, dont nous avons été informé. En foi de quoi nous déclarons que lesdits Pères de la Compagnie de Jésus peuvent librement prêcher dans toute l'étendue de notre archevêché , hors de leurs églises et en quelque lieu que ce soit. »

Quand la persécution ne venait pas de la part des peuples , elle naissait dans le palais des rois. Au gré de leurs caprices , ils accordaient ou retiraient l'autorisation de propager le Chris- tianisme. D'amis des Jésuites, ils s'en faisaient sans transition les geôliers ou les bourreaux. Vers le milieu du dix-septième siècle , Jéhangire , empereur du Mogol , donna subitement un de ces exemples. Akébar, son pèt'e, avait accueilli les disci- ples de Loyola; mais, excité par les brahmes, dont Tautorité s'aiïaiblissait de jour en jour, intimidé parleurs menaces, il enjoint aux Missionnaires de se retirer du Mogol et à ses sujets de renoncer à la Foi nouvelle. Quelques Jésuites périssent , et parmi eux le Père Fiaillio. Leurs églises de Lahore , de Delhy et d'Âgra sont détruites ; les catéchumènes se voient condamnés au bannissement ou à la mort. On les prive de leurs dignités , on les dépouille de leurs biens. Ils se résignent à tous ces maux pour ne pas blasphémer le Dieu qu'ils ont reçu d'Occident. Au milieu de tant de tribulations, les Jésuites ne perdent ni espé- rance ni courage. Ils comptent des partisans avoués ou secrets dans l'intimité et jusque dans la famille de l'empereur: ils les font agir avec discrétion. Mirza Fulkarnem, le frère de lait de Jéhan- gire, élève la voix du fond de l'exil. Celte voix est entendue, et les Jésuites peuvent enfin continuer leur mission.

À Agra , les Anglais et les Hollandais avaient obtenu l'établis sèment de quelques comptoirs dépendants de Surate. Les mar- chands hérétiques se sont lait un jeu cruel d'animer l'empereur et les habitants du Mogol ; mais des discussions d'intérêt , des rivalités de commerce ont promptement divisé ces hommes,

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m LA COMPAUMIi: JESUS.

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toujours prêts h se coaliser contre le Catholicisme. Lu dissension qui se manifeste peut devenir fatale à l'Angleterre et à la \\o\- lande. Les consuls des deux nations , résidant à Surate , épuisent pour les réconcilier toutes les prières et toutes les menaces, ils no savent plus de quelle manière terminer ce ditîérend , ils en appellent à la justice des Pères de la Compagnie de Jésus , ils les nomment arbitres suprêmes dans une cause (|ui leur est complètement étrangère. Les Jésuites prononcent leur jugement avec tant d'équité que les deux parties l'acceptent comme la base de leurs transactions futures. Ainsi se trouva vengé le sang de cette multitude de Missionnaires que les Anglicans et les Hollandais avaient répandu , et qu'ils ne cessaient encore de répandre.

Depuis que le Père Alexandre de Rhodes s'était introduit dans le Tong-King et dans la Cochinchine', le Christianisme y avait été exposé à des chances diverses. Ainsi que partout, les Jésuites y subissaient le contre-coup du fanatisme et des colères locales ; mais , tantôt comme médecins , tantôt comme mathé- maticiens du roi, ils purent conjurer l'orage. Le 14 mai 1G08, la tempête éclata. Les Pères Arnedo, Belmonte, Pélisson et Candone se trouvent en butte aux outrages des Païens. Les idoles ont été brisées pendant une nuit, et leurs prêtres accu- sent les Jésuites d'un crime que, dans les jours les plus heu- reux, ils ne songèrent pas à commettre. Il faut fouler aux pieds l'image du Sauveur mourant sur la croix ou expirer dans les tourments. L\ encore le martyre est l'unique consolation des Missionnaires ; Joseph Candone , l'un d'eux , périt dans les cachots ; les autres, captifs ou errants de retraite en retraite, soutinrent l'ardeur des néophytes. Ils succombèrent à la peine ; mais de nouveaux Jésuites accoururent pour prendre leur

I Lorsque la Fui calhnliquc fut proscrite au Japon, les Jc'suilcs qui appartenaient b celle province continiiïMcnt à dépendre d'un Provincial, qui lixa sa rc^sidenceà Macao cl qui gouvcrn» h'g Missionnaires de Siam, du Tonc-Kinc, de la Cothin- cliine et de plusieurs slalioiis dans le céli*.-<le empire. Le nom duli province du Japon, conservô jusqu'à Pexlinction de l'Ordre do Ji'sus, en 1773, révèle dans les Pores le nu^me esprit qui inspire ii l'ICglisc de conserver les titres des anciens iWiVliés aujourd'hui silui's dans les pays de Genlilitii. Les t>vôch(>s in partibus indiquent l'espoir que le Saint-Sit^ge n'a jamais perdu de voir le vieux cullo diré- liun ic ranimer li il brilla d'un si vif Oclal. Le riMablissenienl du siOce d'Alger prouve <|ue celle espérance n'est pas chimérique.

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ciiAi'. I. msToinE

place. Dix avaient perdu lu vie dans ces combats do lu Foi ; vingt se présentent sons la conduite des Pères Moleiso , Kofler, LaurezKu et Monteiro.

.)us(|u'à l'année 1030 , les Jésuites n'avaient fait que des excursions passagères dans le royaume de Siani. A cette épocpie, les Pères Morejon, Cardim et Ninscio y pénétrèrent comme envoyés du gouverneur des Philippines , chargés du rachat des Chrétiens esclaves. Le roi savait que les Missionnaires d'Oc- cident possédaient le secret d'une vie plus fortunée et dos dictâmes pour tous les maux du corps et de l'esprit. En témoi- gnage de sa bienveillance, il délivra, sans rançon, les Espa- gnols, et voulut conserver auprès de lui deu:. de ces hommes apostoliques, dont la renommée retentissait jusqu'au pied de son trône. Les Jésuites profitèrent de l'affecticn du prince , et le Père Margici vint à leur aide. Des néophyies se formèrent; on commença à élever des églises , à travailler ù l'éducation de la jeunesse. Le Christianisme s'établissait sans lutte sur les rives fécondes du Meinnn, lorsqu'un corsaire espagnol attaqua e!; brûla un navire du roi, chîi'qc des plus riches marchan- dises. Le corsaire sortait des Philippines, on accusa les Mis- sionnaires d'être d'intelligeiice avec lui : les esprits s'enflamment ; le Père Margici est jeté dans un cachot, il y meurt empoisonné. Quelques années plus tard la Religion et les Jésuites rentraient triomphants à Siam , sous les auspices de Louis XIV et des S;jiences.

Un aventurier de l'Ile de Céphalonie , nommé Constance Phaulkon , gouvernait les Etats du roi de Siam , sous le titre de vizir. Dans une cour si féconde en révolutions de palais. Constance, schismatique grec, converti par un Père de l'In- stitut, cherche à donner îi son autorité un appui extérieur. Catholique fervent, il engage le monarque siamois à faire al- liance avec le grand roi d'Occident; et deux ambassadeurs, chargés de présents, se dirigent ver? la France, afin de pro- poser, au nom de leur maître, un traité de commerce et une espérance de Christianisme. Cette ambassade extraordinaire , partie fond de l'Orient pour saluer Louis XIV, périt dans la traversée; mais l'idée flattait ses goûts d'ostentation, elle

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entrait iUma ses vues do propngalion ciillioliqiic ut ri'iii)i;nisc. Il saisit aviduincnt les ouvertures de Constance, et il se décida ù répondre aux avances qui lui étaient laites.

Le "28 janvier 4085, le roi, par un décret eonlre-sigué Colbert, accordait à six Jésuites le titre de ses inutliémutici<'Ms à la Chine et aux Indes; ces six Jésuites étaient les Pérès du Fontaney, Tacliard, Le Comte, Bouvet, Gerbillon et Visdelou. L'ordonnance nominative pour chacun des Missionnaires con- tenait la déclaration suivante : « Ktant bien aise de contribuer de notre part à tout ce qui peut de plus en plus établir lu sûreté de la navigation et perfectionner les sciences et les arts, nous avons cru que, pour y parvenir plus sûrement, il éloit nécessaire d'envoyer dans les Indes et h la Chine quelques per- sonnes savantes et capables de faire des observations d'Kurope ; et jugeant que, pour cet efl'et , nous ne pouvions faire un meil- leur choix que du Père de Fontaney, Jésuite, par la connois- saiice particulière que nous avons de son extraordinaire capacité, à ces cause'! et autres ù ce nous mouvans, de notre grDce spéciale, pleine puissance et autorité royale, avons ledit Pérc de Fontaney, ordonné et établi et par ces présentes, signées de notre main, ordonnons et établissons notre mathématicien. »

Les cinq autres Jésuites reçurent un acte semblable. Ils allaient, au nom de la Religion et de l'humanité, répandre le germe de l'Evangile sur des terres inconnues , et étudier, sous d'autres cieux , les rapports de l'homme et de la nature. L'Aca- démie des sciences désira , elle aussi , faire honneur ù ces humbles Missionnaires ; elle les admit dans son sein ; elle les pria de songer au perfectionnement des arts, de recueillir les observations astronomiques , de déterminer les longitudes , d'approfondir et de lever plusieurs diflicultés , alors insolubles , sur la géométrie, la physique, l'anatomie et les plantes. Chaque savant fit d'un de ces six Jésuites le délégué de ses études particulières. Les uns leur donnèrent à examiner dans les Indes les éclipses de soleil et de lune, les autres les chargèrent de faire des expériences sur le vide ; tous sollicitèrent d'eux des renseignements sur les arts utiles. L'Académie se scindait ; les v*; X Jésuites partaient pour les Indes ; les autres membres res-

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CHAP. I. HI8T01HE

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talent & Paris; mais il fut convenu qiio, do loin comme de prés, ils seraient frères par lu science, comme ils l'étaient déj.'i |tar la patrie et par le culte. Les Jésuites s'embarquèrent ii Hrcst avec le chevalier do Chaumont , nommé ambassadeur à Siam ; lo 22 septembre 1G80 , ils mouillaient dans lu Meinan.

Cette mission devait avoir pour eux quelque chose dMnsolite , ils n'avaient aucun péril h aiïronter. Sous la protection d'un roi dont lo nom retentissait glorieusement dans l'univers , ils marchaient à la conquête d'un peuple que son souverain sem- blait d'avance destiner à la religion des savants d'Europe; mais le luxe diplomatique et guerrier dont ils étaient entourés dépouillait leui- apostolat do son prestige. Les soutTrances et le martyre ne se trouvaient pas suspendus sur leurs tètos; les Jésuites se conformèrent à la position qui leur était faite. Le roi de Siam les comblait d'honneurs ; il les fit admettre à voir l'éléphant blanc , qui , comme le cheval-consul de Caligula , était servi dans des vases d'ov ; ils visitèrent la riche pagode et tous les monuments ; puis le prince , qui vénérait les astro- nomes et les mathématiciens, leur demanda douze autres Jé- suites, afm d'ériger dans ses Etats un obscrvatoit% comme ceux do Paris et de Pékin. La conversion du roi de Siam se traitait par plénipotentiaires; les enfants de Loyola s'occupèrent des intérêts do la science , bien persuadés que c'était le chemin lo plus direct pour ébranler les croyances païennes. Us firent devant lui des observations astronomiques ; et le Père Tachard se remit en route pour la France avec les ambassadeurs siamois, qui allaient à Rome et à Versailles remplir ics intentions de leur prince.

11 sollicitait des Jésuites plutôt comme savmts que comme missionnaires; mais tout faisait espérer que la connaissance des secrets de la nature l'amènerait insensiblement à proclamer la nécessité d'un seul Dieu et d'une seule Foi. Louis XIV et le Général de la Compagnie accédèrent à ce vœu. Les Pères Le Rover, de Bèze, Thionville, Dolu, Richaud, Colusson, Bou- chot , Comilh , d'Ëspanhac , de Saint-Martin , Lo Blanc , de Chatz , Rochette et de La Breuille furent choisis dans les pro-

PF LA COMIWr.MR DR JF.SL'S. W

vincos (le Paris, île Guicnnc, do Languedoc, do Champagne et do Lyon , pour développer le germe du Christianisme qui se miinifestait dans cette partie des Indes. Louis XIV avait voulu les voir tous réunis ; il leur dit de travailler pour la gloire de Dieu et pour l'honneur do la France. Los Jésuites allaient tenir parole; et, afin do les accréditer auprès du souverain siamois, le roi lui écrivit le !20 janvier 1 087 :

« Nous nous sentons encore obligé de témoigner h Votre Majesté que nous avons d'autant plus agréable la demande qu'elle nous a fait faire par ses ambassadeurs et par le Père de Lachaise , notre confesseur , de douze Pérès Jésuites , mathé- maticiens françois , pour les établir dans les deux villes royales de Siam et de Louvo ; qu'ayant toujours éprouvé le zèle , la la sagesse et la capacité de ces religieux , nous espérons que les services qu'ils rendront à Votre Majesté et à vos sujets contri- bueront encore beaucoup à affermir de plus en plus notre al- liance royale et à unir les deux nations dans le soin (pi'ils auront de leur inspirer le môme esprit et les rnèmes connois* sanccs. Nous les recommandons aussi à Votre Majesté comme des personnes qui nous sont chères , et pour lesquelles nous avons une considérulion particulière. »

L'escadre française , aux ordres de Vatidricourt , arriva dans les eaux de Siam au mois d'octobre 1687 ; elle avait à bord un nombreux état-major et quelques régiments. Le dé- ploiement de ces forces, les haines de cour que la haute for- time de Constance entretenait , les rivalités de religion que les talapoins et les docteurs de Siam suscitaient aux Jésuites , tout présageait des calamités prochaines; un événement intérieur les décida. Le monarque avait pour favorite une sœur de Pi- tracha , l'un des principaux Mandarins. Cette femme trahit l'amour du roi en faveur de son frère , plus jeune que lui ; le roi la fit joici nux tigres. Pitraclia saisit cette occasion, et, de concert avec les talapoins , il conspira tout à la fois contre le vizir, contre les Jésuites et contre les Français qui prenaient position h Bankok et à Merguy. Pitracha possédait au plui haut degré l'astuce indienne ; il parvint à diviser les Européens et à provofpier des soupçons dans l'esprit de quelques-uns sur

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Ifi pouvoir réel dn Constance, l-e roi s'niViiiljlissait chaque jonr; Sii mort était prévue , et le mandarin conspirateur faisait iléjji pressentir (pi'il serait bienlôt le maître. H s'était emparé des sceaux de l'Etat , il disposait de la multitude ; l'étiquette sia- moise ne permettait ù aucun étranger de voir le roi dans sa maladie; Pitracha sut habilement tirer parti de toutes ces circonstances. Malgré les conseils des Jésuites , l'abbé de Lyonne , Evèque de Rosalie , et un certain nombre d'oflîcicrs njoulaicnt foi aux bruits de complot que le mandarin mettait on circulation contre le vizir; ils l'abandonnaient, croyant ainsi se ménager un ami dans Pitracha. Le G juin i088, Constance l'ut condanmé et exécuté comme coupable d'un crime tramé par sf accusateurs et par ses juges. Cette mort est le signa' de la porsécution ; les catéchumènes sont proscrits ou empri- sonnés; les Jésuites eux-mêmes se voient exposés aux mauvais Iraitenieiits , et , le, 0 juin , le Père Saint-Martin écrivait : « GrAce à Dieu ! il paraît que notre fm est proche; nous avons à chaque heure de plus grandes espérances, et nous nous voyons aujourd'hui réduits à de plus dures extrémités que ja- mais. Si c'est la volonté de Dieu, qu'elle s'accomplisse. »

Les Jésuites rentraient dans leur condition normale; ils en acceptaient avec joie les [lérils. Los investigations de la science ne les avaient point détournés de leur but ; en remplissant les vues des lettrés de France , en donnant une solution à toutes les difficultés astronomiques, maritimes et géologiques que l'A- (;adémie leur soumettait , ils n'avaient pas oublié qu'avant tout ils étaient Missionnaires. Tous ensemble, ils avaient uni leurs ell'orts pour mettre à profit la bienveillance du roi. Le Chris- tianisme s'était introduit par eux dans un grand nombre de fa- jnilles; ces familles, ûevenues françaises par l'adoption chré- tienne, ne voulaient ni trahir leur Dieu, ni l'amitié qu'elles vouaient aux Jésuites. Pitracha et son fils leur enjoignent d'ab- jurer; elles résistent : on les menace, on les dépouille de leurs biens , on vend leurs enfants , on les fait périr dans les tortures > j sous le bâton. Les Jésuites se constituent leurs défenseurs, â'itracha a succédé au roi de Siam; il négocie pour que les Européens abandonnent les forts de Ilankok et de Mergny. Les

cliaqiio jour; r fHÎ&ait de'jà emparé des étiquette sia- 3 roi dans sa î toutes ces , l'abbé de re d'oflîcicrs !arin mettait nroyant ainsi t, Constance crime tramé est le signa' 3 ou empri- lux mauvais in écrivait : nous avons nous nous ités qufija- )lisse. « lale; ils en la science plissant les m à toutes 2S que l'A- avant tout uni leurs Le Chris- )re de fa- tion chré- qu'elles [lent d'ab- e de leurs is lortures ôfenseurs. r que les

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oflicicrs consentent à se retirer du pays; mais les Jésuites ont d'autres intérêts à soutenir : il ne s'agit pas pour eux de comp- toirs de commerce ; il y a des Chrétiens qui languissent dans les fers , ou qui peut-être chancelleront dans leur foi ; les Jé- suites se décident ù laisser les Pères de La Dreuil^; et Bouchet au milieu de leurs catéchumènes ; puis ils vont chercher de nouvelles terres à évangéliser.

Dans ce temps-là , les disciples de Saint Ignace , dont Louis XIV sentait le besoin pour répandre partout le nom français , et le faire bénir avec les idées de civilisation , cou- vraient les Indes de néophytes. De Pondichéry, dont ils fai- saient le chef-lieu de leurs missions , ils s'élançaient sur les points les plus éloignés. Il n'étaient pas venus les premiers moissonner dans le champ du père de famille, la onzième heure avait sonné pour eux; mais, ouvriers actifs, ils répa- raient le temps perdu en se multipliant. Ce fut dans l'indostan et à h Chine qu'ils déployèrent le plus d'ardeur; le Maduré surtout devint leur terre de prédilection. Ils y avaient été pré- (iédés par Robert de' Nobili et Jean de Britto. Le Père Constant Besclii fut leur modèle , c'est le troisième type du Jésuite Brahme; mais ce dernier efface les deux autres par l'empire qu'il exerça sur les indigènes et par l'auréole poétique dont il s'enveloppa à leurs yeux. Le Père Beschi arrive dans l'Inde en 1700; son premier soin est de surpasser en austérités les Sa- niassis les plus pénitents. Il s'astreint dans sa case et au dehors à ne toucher à aucun être qui ait eu vie ; il porte au front le potou de Sandanam , sur sa tète la coulla, espèce de toque en velours , à forme cylindrique ; le somen serre ses reins ; à ses pieds se suspendent des socques à chevilles de bois et des perles chargent ses oreilles. 11 ne voyage jamais qu'en palanquin , ja- mais qu'assis sur des peaux de tigre , tandis que deux hommes agitent autour de lui de riches éventails , formés de plumes do paon, et qu'un autre élève un parasol de soie surmonté d'un globe d'or.

Afin de dompter l'orgueil de ces peuples , le Père Beschi , qu'ils surnommaient respectueusement le grand-viramamouni , avait contraint son humilité à ompriuitor ros dehors de luxe.

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CIIAP. I.

HIST0I1U<:

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Il avait renoncé aux mœurs , au langage de l'Italie , sa patrie ; il n'était même Jésuite que le moins possible, c'cst-ù-dire il cachait sous la science du Saniassi toute la charité dont son cœur débordait. Beschi connaissait déjà les langues mortes et vivantes : il approfondit le sanscrit , le tclcnga et le tamoul ; il étudia les poètes de l'Indostan , il le devint même dans leur idiome; puis, sur les bords du Cavcry, il composa des chants dont les Brahmes font encore leurs délices. Ces vers, pleins d'élégance indienne, célébraient les douleurs du Christ, la vir- ginité de Marie et les mystères du Catholicisme. C'était la pré- dication de i'Evangile mise à la portée de ces esprits orgueil- leux, qu'il fallait capter par l'attrait du langage. Beschi soutint ce rôle pendant près de quarante ans. Il eut tous les honn<^urs publics de VJsmat Saniassi, c'est-à-dire du pénitent sans tache; mais par des moyens aussi extraordinaires il lit pénétrer dans ces nations la connaissance du Christianisme. Il leur en- seigna l'existence d'un Dieu unique ; il leur apprit à dédaigner leurs vieilles superstitions, à pratiquer les devoirs de la famille , à suivre les lois de la chasteté ; et, honoré par les grands ainsi que par les peuples, il vécut parmi eux comme un homme dont chacun vénérait les talents et la vertu. Beschi ne s'en tint pas là. Le Nabab de Trichirapalli, enthousiasmé par ses dis- cours, lui accorde le titre et la charge de son premier minis- tre. Le Jésuite accepte ce rang suprême : il ne marche plus qu'accompagné de trente cavaliers, de douze porte-drapeaux et d'une musique militaire , que suivaient de nombreux cha- meaux. Ainsi escorté, il s'avançait dans les campagnes et dans les villes. Ces magnificences orientales ne lui avaient rien fait perdre de son zèle. Ce luxe auquel il se soumettait, n'avait pour but que de sauver les âmes, que d'inspirer aux savants du Maduré des pensées chrétiennes. Il l'atteignit avec tant de bonheur que plus d'une fois il força leo brahmes à recevoir le baptême ou à lui offrir en dépouilles opimes leurs chevelures longues de cinq à six pieds , et qui , tressées et liées comme des bottes de pailles , restaient suspendues dans le vestibule de son église de Tiroucavalour, Ce furent les trophées de ses victoires.

DE LA COMPAGMB DE JESUS.

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Le Jésuite saniassi était comblé d'honneurs; mais là, comme partout, le Gapitole avait sa Roche Tarpéienne, et un contem- porain deBeschi, le Père Bouchet, nous révèle, dans une de ses lettres, que toutes ces dignités ne préservaient pas de la persécution. Il écrit : « Quand le Missionnaire se lève le matin, il n'oserait assurer qu'il ne couchera pas le soir dans quelque cachot. 11 est rare qu'il s'en trouve un seul qui échappe aux horreurs de la prison, et j'en ai connu qui ont été emprison- nés deux fois en moins d'une année. »

Quarante-deux ans avant la mort de Beschi, ce même Bou- chet , l'un des Brahmes les plus célèbres de la Compagnie de Jésus, écrivait au Père Charles Le Gobien, le 4*' décem- bre 1700.

« Notre mission de Maduré est plus florissante que jamais, nous avons eu quatre grandes persécutions cette année. On a fait sauter les dents à coups de bâton u un de nos missionnaires, et actuellement je suis à la cour du prince de ces terres pour faire délivrer le Père Borghése , qui a déjà demeuré quarante jours dans les prisons de Trichirapali , avec quatre de ses ca- téchistes qu'on a mis aux fers. Mais le sang de nos chrétiens, répandu pour Jésus- Christ, est comme autrefois la semence d'une infinité de prosélytes.

» Dans mon particulier, ces cinq dernières années, j'ai baptisé plus d'onze mille personnes, et près de vingt mille depuis que je suis dans cette Mission. J'ai soin de trente petites églises, et d'environ trente mille Chrétiens ; je ne saurais vous dire le nom- bre des confessions : je crois en avoir ouï plus de cent mille.

» Vous avez souvent entendu dire que les Missionnaires de Maduré ne mangent ni viande, ni poissons, ni œufs; qu'ils ne boivent jamais de vin ni d'autres liqueurs semblables; qu'ils vivent dans de méchantes cabanes couvertes de paille, sans lit, sans siège, sans meubles; qu'ils sont obligés de manger sans table, sans serviettes , sans couteau , sans fourchette , sans cuil- ler. Cela paraît étonnant; mais, croyez-moi, mon cher Père, ce n'est pas ce qui nous coûte le plus. Je vous avoue franche- ment que, depuis douze ans que je mène ceUc vie, jo n'y pense seulement pas. »

V. 8

31 CHAP. I. HISTOIHK

Les Pères avaient déjà les Missions dn MadnrA, dn Tanjaonr cl du Marawa ; les Français y ajoutèrent celle du r.arnato, qui, s'élcndant au Nord , depuis Pondichéry jusqu'à Boucapouram, à la hauteur de Masulipatain , renfermaient seize Chrétientés florissantes dans un rayon de deux cenls lieues. D'autres pro- |)ageaient le Christianisme dans le Bengale et au Mogol. Du cap de Comorin aux frontières de la Chine, de la côte de Coroman- del aux sources du Gange, il se trouvait partout des Jésuites et des Chrétiens. Les Pères portugais avaient fondé un Collège non loin de Chandernagor ; ils étaient à Bakka dans la province d'Arcate et sur le territoire d'Aoude. Les ccMes du Malabar, de la Pêcherie et de Travancor, avait retenti la voix de saint François-Xavier, se soumettaient à l'action des Missionnaires; ils bâtissaient des églises et formaient des familles ; ils instrui- saient les peuples et se faisaient les amis des monarques. Bcschi et Bouchet avaient adopté le costume et le genre d'exis- tence des Brahnies saniassis, ils vivaient parmi eux sur le pied de la plus complète égalité ; mais ils ne pouvaient communi(juer avec la caste des pariahs, sous peine de devenir pariahs eux- mêmes. Les Pères Emmanuel Lopez, Antoine Acosta et plu- sieurs autres ne consentirent pas à laisser sans secours celte population avilie. Ils s'habillèrent comme les rayas; ils se placè- rent en intermédiaires, afin de pouvoir offrir à tous les soins de leur charité. « N'était-ce pas un spectacle tout à-fait comique, raconte un voyageur *, de voir deux confrères, deux membres du njême Institut, deux amis, qui, quelque part qu'ils se rencon- trassent, ne pouvaient ni manger ensemble, ni loger dans la môme maison, ni môme se parler? L'un était vôtu d'un angui éclatant comme un grand seigneur, il montait un cheval de prix ou se faisait porter faslueusement en palanquin; pendant que l'autre voyageait demi-nu et couvert de haillons, marchant à pied, entouré de quelques gueux, dont l'accoutrement était en- core plus misérable que le sien. Le Missionnaire des nobles allait tête levée, et ne saluait personne. Le pauvre Gourou des pariahs saluait de loin son confrère, se prosternait à son pas-

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f'ounge dans Vliidnsttiii, jinr Porriii. I. u, p. IfiC et 1(17.

IIE LA COMPACNIE DR JRSIS.

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'ïnge, Pl lîinilait la main sur sa bonclip, cnmme s'il ertt crainl trinloclpr tlf^ son haleine le docteur des grands. Celui-ci ne tnanj^eait que cîu riz préparé pnr des brahmes, et l'autre se nourrissait de quelque morceau de viande corrompue dont ses malheureux disciples le régalaient.. Rien sans doute n'honore plus la Religion que ces ressources du zèle, rien ne fait plus l'éloge d'un prêtre que de pareils sacrifices faits au désir qu'il a d'attacher les hommes à la vérité ; mais cnfm ces sacrifices sont trop pénibles pour durer longtemps. Aussi cette méthode était déjà abolie à mon arrivée dans l'indostan'. »

Benoît XIV l'avait approuvée dans la bulle de 1744, et, pour encourager les Jésuites, ce grand Pape s'exprime ainsi * :

« Lorsque, excité par les enseignements du Christ Noire Seigneur et par l'exemple des Pontifes qui nous ont précédé, nous cherchions avec anxiété par quel n^oyen nous pourrions eiitln réellement obtenir ce que nos prédécesseurs avaient tant désiré , il arriva fort à propos que les missionnaires de la Com- pagnie de Jésus, auxquels surtout sont confiées les Missions du Maduré, de Maïssour et de Carnate, après nous avoir demandé ime déclaration sur l'article des pariahs, se sont oflerts et nous ont promis (si cependant nous l'approuvions) de déléguer quel- ques Missionnaires qui seraient spécialement oc(;upés de la conversion et de la direction des pariahs. Nous vons espéré que ce moyen pourvoirait èuffisamment à leur conversion et à leur salut ; le recevant donc avec une joie paternelle, nous avons pensé qu'à cause des circonstances du tcnips il fallait l'approu- ver et le recommander. »

Cette sép.'fation éternelle des Jésuites missionnaires, ce mur infranchissable qu'ils élevaient volontairement entre eux, afin de travailler sur la même terre au bonheur d'une population que des préjugés invincibles divisaient, cette vie de grandeur et d'abaissement à laquelle les uns et les autres se condamna'ent, tout cela était accepté avec joie. Les plus heureux étaient les Pères qui obtenaient l'honneur des hmniliations, et, dans une lettre d'tm Missionnaire de Goa , écrite à Rome , or voit qiiels

' M l'on in ii'.in iva nu Madiiro qu'npiôs la suppression île la Compagnie, î BiiUnriiim lUnvdkti Ml, (. i p, Sû\.

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CHAI'. I. HISTOlItE

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étaient les transports de ceux qui se dévouaient à la dégrada- tion pour servir les pariahs. Le Jésuite s'exprime ainsi :

« Allez, allez par ce royal chemin de la Croix, fidèles com- pagnons du Christ, votre chef et votre maître. Vous voilà, sui- vant le langage de l'Àpôtre, réputés comme les ordures du monde , comme les balayures rejetées de tous , mais en réalité la gloire véritable de notre Compagnie et le plus bel ornement de cette province. Que votre cœur ne se trouble pas de ce que vous ôîes devenus étrangers à vos frères , inconnus aux fils de votre mère, en sorte qu'ils vous refuseront les embrassements ordinaires et fuiront votre abord, bien que, si la chose était permise , ils voulussent vous rendre tous les devoirs de la cha- rité. Lorsqu'en les rencontrant vous leur répéterez avec Paul : Vous voilà nobles, et nous misérables; je vous réponds que vous leur tirerez des larmes des yeux , que vous les forcerez à envier saintement votre ignominie. »

Celte exaltation religieuse ne s'affaiblit jamais ; les Jésuites avaient trouvé le seul moyen de réunir les castes indiennes , ils espéraient les amener à Tégalité par le Christianisme. Ce fut une pensée morale qui les dirigea dans l'accomplissement d'une œuvre aussi difficile; par les résultats qu'ils obtinrent, on peut conjecturer que , dans un temps donné , ils auraient brisé la bar- rière placée entre les enfants d'un même Dieu et d'un même pays. Des difficultés venues du fofld de l'Europe, la suppres- sion de l'Ordre ne permirent pas de réaliser ce? projets.

Brahmes ou pariahs, les Jésuites ne tendaient qu'à un but unique : ils l'atteignirent; et, animés par la même pensée, quoique séparés par les flots ou par les préjugés du culte, ils marchaient tous au développement de l'idée civilisatrice. Le nombre des Chrétiens vivant au cœur des Indes était incalcu- lable : les Missionnaires avaient trouvé ces peuples lâches, ef- féminés, sans caractère, toujours accessibles à la flatterie, tou- jours prêts à se laisser séduire par l'indolence ou par l'attrait du plaisir, la Foi réveilla dans ces na'.ures inertes l'énergie qui sommeillait depuis de longs siècles; elle leur communiqua une nouvelle vie, elle épura leurs mœurs, elle les fit généreux et constan's, forts contre la persécution et grands dans les souf-

DE LA COMPAGNIK DE JESUS.

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t'raiict'ii. La guerre passa souvent sur cette immense prcsqu'ile; on désola à diverses reprises, on brûla, on égorga toutes les populations qui ne se réfugiaient pas dans les forêts. Les Marittcs vinrent en corsaires ravager les côtes du Maduré, d'autres des- cendirent des montagnes du nord -ouest et saccagèrent les provinces. Les Européens, à leur tour, se mêlèrent à ces dé- vastations : Mores et Chrétiens, Français et Hindoux s'atta» quèrent, se poursuivirent sans reiftche pour conserver ou pour conquérir l'empire. Les Jésuites éprouvèrent le contre-coup de tant de déchirements. Les Européens, dans les Indes, commirent des excès de plus d'une sorte; ces excès retentissaient au loin; ils justifiaient l'aversion instinctive que le naturel d'un pays porte à l'étranger qui veut le dominer ; ils rejaillissaient jusque sur la religion , en détruisant dans l'esprit des Hindoux le salu- taire effet que produisaient la vérité de ses dogmes et la pureté de sa morale. En présence de ces fléaux, les Jésuites ne se sentirent pas découragés, ei ce que les Pères Bouchet, Dolu, Lopez, Âcosta, Diusse, Mauduit, Petit, Garvalho, Berthold, Ta- chard, de Lafontaine, du Tremblay, Seignes, d'Origny, Barbosa, de Lemos, Borghèse, Timothée -Xavier, Artaud, Cœurdoux, Celaya, Pimentel, Alexandri, Laynès, Martin, Saint-Estevan et Yard entreprirent de 1700 à 1770, d'autres le continuèrent avec un égal succès. Dans cet espace de plus d'un demi-siècle, les Français et les Anglais luttèrent pour savoir à qui resterait enfin l'influence sur ces contrées lointaines, le nom de Jo- seph Dupleix , de Lally et de Sufîren retentit encore ; les Jé- suites soufl'rirp^t, mais ne désespérèrent jamais du triomphe de l'Evangile. Les brahmes et les pariahs se réunissaient dans une pensée de haine contre les Européens ; les Jésuites, vic- times eux-mêmes de tant de guerres acharnées, se firent un devoir de calmer leur irritation ; mais à ces obstacles renais- sants il s'en joignit un autre qui ne fut pas moins fertile en désastres.

Le champ ouvert à la prédication était si étendu que les Missionnaires accoururent de tous côtés, afin de le défricher. Le zèle les poussait, l'esprit de discorde se glissa parmi eux; il produisit de funestes querelles et des controverses qui de TO-

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ric^nt passeront bion vil« en Knroiie, pour raviver ki iiiiiiiiliés el justifier les jalousies.

Les rites malabircs consisliMit h omettre (pielrpies c(^n?nio- nic9 ihins l'administration du baptême, on respectant toutefois l'essence du sacrement ; à cacher les noms de quelques objets du culte catholique sous des appellations moins communes, à marier les endmts avant r.âge de puberté, à laisser aux femmes un bijou nommé taly, qu'elles reçoivent le jour des fiançailles, et sur lequel est gravée l'image d'une idole ; h ne pas entrer dans les maisons des pariahs même en leurs maladies, et à les priver de certains secours spirituels. Les Jésuites du Maduré, du Maïssour et du Carnate se trouvèrent en face de tant de su- perstitieuses pratiques, qu'ils crurent devoir tolérer celles qui , à leur avis, ne préjudiciaient pas à la Religion chrétienne. Ils étu- dièrent les mœurs de ces nations, ils s'appliquèrent à distinguer les coutumes popidaires d'avec les fausses croyances ou les usa- ges païens. Comme tous les peuples sans mouvement intellectuel, sans commerce avec l'extérieur, les Indiens s'immobilisaient dans leurs préjugés, devenus la suprême loi. Afin de sauver l'essen- tiel, les Jésuites sacrifièrent l'accessoire. Us n'avaient pas re- noncé à leur patrie, à leur famille, à leur avenir, ils ne s'étaient pas condamnés à de périlleuses navigations, à un jeAne absolu, à une vie misérable, sous un ciel dévorant, pour entretenir les naturels dans leur idolAtrie. Ils commençaient à réaliser le bien, ils voulurent aller jusqu'au mieux, et ils s'égarèrent.

La question des rites malabares était déji\ un sujet de division entre les Missionnaires des différents ordres religieux épars sur ces continents, lorsqu'en 1703 Charles-Thomas Maillard de Tournon, Patriarche d'Antiocho , nommé par Clément XI légat du Saint-Siège aux Indes et en Chine , prit terre à Pondichéry : investi de tous les pouvoirs ecclésiastiques , il avait ordre de mettre fin à des dispu'es qui menaçaient les chrétientés nais- santes. Tournon venait pour réformer les abus qu'un zèle peut- être excessif introduisait par les Jésuites dans les pratiques rehgieuses; afin dose pénétrer de l'étendue de ses devoirs, il consulta deux Pères de la Compagnie. Le Mandement qu'il publia sur les rites malabares a souvent été invoqué ; mais, par

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iiiitj iiicxjiliciiljle I" •ciipiilioii, les liislorifiis, les pulémislos qui tiloiit ce docuiueut ont oublié de relater un luit qui s'y trouve consii^nc. L'archevêque il'Antioche ne connaissait pas pleine- ment lus sujets de la mésintelligence , il les apprit de la bouclio luèinc des Jésuites; c'est ce passage du Mandement que tous les écrivains ont omis. Le légat parle ainsi ' : » Ce que nous n'avons pu faire immédiatement par nous-mèmc a été heureuscmei;!, suppléé par l'obéissance que le l'ère Venant Bouthct , supérieur de la Mission du Carnate, et le Père Michel Berthold , mission- naire du Maduré, tous les deux reconnnandables par leur dtclrinc, par leur zèle pour la propagation de la Foi, ont témoignée au Saint-Siège et à nous. Ces deux Missionnaires depuis longtemps instruits des mœurs, de la langue et de la religion de ces peuples, par le séjour qu'ils ont tait parmi eux, nous ayant révélé divers abus (jui rendent les branches de cette vigne languiisantes et stériles, parce qu'elles s'attachent [tlus aux vanités des Gentils qu'à la véritable vigne, qui est Jésus-Chris', l'abondance de notre joie a été mêlée de beaucoup de tribula- tions, »

Le légat, de môme que tous les hommes qui arrivent dans un pays revêtus d'une autorité illimitée, avait tranché les ques- tions; et, au moment de son départ pour la Chine, il lançait son Mandem^;ut connne pour éluder les objections. L'Arche- vêque de Goa et l'Evèque do San-Tliomé résistèrent à ce décret, le conseil supérieur de Pondichéry le déclara abusif, les Jésuites se rangèrent à cet avis. La précipitation du Patriarche évoquai^ plus d'un danger; mais les disciples de Loyola devaient trop avoir l'instinct de l'autorité pour en compromettre le représeu- taut apostolique. Il fallait obéir d'abord ^, sauf à recourir au Saint-Siège et à expliquer les perplexités de leur situation. Les choses ne se passèrent point ainsi. L'Eglise voulait conquérir à la croix tous les peuples de l'Inde : elle y envoyait des Mission- naires de difl'èrents Instituts; et, par l'extinction des Chrétientés

nullnriiim romanttm, \vi, 232.

* Mais alors voiiiiiiciit s'eiiloiidrc aveu lus Ëvi'quuii des liouT, qui aviiienl lu juri- (liiliuiï (irdiiiii^Tc sur les Mihsloniiuircs ; ol <|uelle nurnil pu iMre, cuire les uns cl les autres, l'unilt^ d'ucliun dans le niinislorc nuprèii das indinènes?

(!i')lc de iÈdikur.)

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jupoiiiiisos, clic ii'ignornit poiirtiint pas que la ilivortiilc des es- prits ou des mélliodes enfanterait des inconvénients de plus d'une sorte. La cour de Rome crut pourvoir à tout on nommant un légat ; ce légat envenima les querelles au lieu de les calmer. Avec de hautes vertus et des intentions excellentes, qu'un zèle moins intempérant aurait di^ diriger, Tournon brisait l'édifice élevé avec tant de peine. Mais il parlait au nom du pouvoir : il appartenait aux Jésuites, si la chose eut été possible, de se sou- mettre sans réflexion. Le besoin de sauver d'une ruine complète les régions déjà catholiques, une connaissance approfondie des mœurs et des lois indiennes, la pureté de leurs vues, tout se com- bina pour les exciter à la résistance. Une lutte étrange dans cette histoire s'ouvrait au fond de l'Asie. Les hommes les plus dévoués à l'autorité pontificale allaient s'engager contre elle dans une guerre de devoirs évangéliques et de principes moraux. Cette guerre , commencée à Pondichéry, se développe à la Chine sur un plus vaste théâtre. La question s'y présente dans toutes ses subtilités : c'est donc qu'il s'agit de l'étudier.

En 1609 la majorité de l'empereur Kang-Hi avait rendu les disciples de saint Ignace à leurs néophytes. Pour donner à ses sUjjts un témoignage éclatant de sa gratitude en faveur des Missionnaires, il accorda au Jésuite Adam Schall, l'ami de son père, les honneurs solennels de la sépulture. Ce fut l'Etat qui paya les frais de cette cérémonie, à laquelle un mandarin assista comme délégué de l'Empereur. Kang-Hi ne se contenta pas de cette réparation. On avait persécuté en son nom des hommes qui accroissaient le domaine de la science : il leur laissa toute latitude religieuse , et il nomma le Père Ferdinand Vcrbiost président de son tribunal des mathémati(|ues. Sous un prince qui sentait sa force, et qui désirait faire régner la justice dans son empire, les Missionnaires eurent bientôt repris dms les provinces l'ascendant que l'exil , la prison ou la nior' leur avaient fait perdre. Ils revinrent à leur point de départ : ils rouvrirent leurs églises, ils rassemblèrent leur troupeau dis- persé, et, l'année môme de leur retour (1670), ils convertirent p'.'js de vingt mille infidèles. L'action du Christianisme sur les Chinois était incessante : elle s'étendait insensiblement, car ii

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iiii|turti«it iiux Jésuites de ne pas cflrîiycr ce peuple d'un progrès qu'un culte étranger réalisait au milieu de lui. Ils mardiaicnt avec circonspection, et, dans les villes les moins considérables comme dans les capitales des provinces, ils se créaient une su- périorité dont la Foi catholique retirait autant d'avantages que l'érudition.

Louis XIV avait compris les changements qu'un pareil état de choses provoquait en Europe. Afin d'assurer un jour à la France la plénitude du commerce dans ces empires, il chercha à donner à la Mission chinoise un cachet national. Le Père Verbiest se- conda ses vœux. Il obtint de Kang-Hi un édit par lequel la Religion chrétienne était déclarée sainte et exempte de tout reproche, et le 3 décembre 1681, Innocent XI, s'associant aux espérances de Louis XIV, adressa à ce Jésuite le bref suivant : « Mon cher fils, vos lettres nous ont causé une joie presque incroyable. Il nous a été surtout bien doux de reconnaître avec quelle sagesse et quel à-propos vous appliquez l'usage des sciences humaines au salut des peuples de la Chine, à l'accrois- sement et à l'utilité de la Religion, repoussant par ce moyen les fausses accusations et les calomnies que quelques-uns vo- missaient contre le nom chrétien ; gagnant la faveur de l'Em- pereur et de ses conseillers pour vous mettre à couvert vous- même des fâcheuses avanies que vous avez longtemps souffertes avec tant de force et de grandeur d'àme, pour rappeler de l'exil les compagnons de votre apostolat, et rendre non-seulement la Religion à son ancienne liberté et gloire, mais aussi afm de l'amener de jour en jour à de meilleures espérances ; car il n'est rien qu'on ne puisse espérer, avec les secours du Ciel, de vous et d'hommes semblables à vous, faisant valoir la Religion dans CCS contrées. »

Des événements politiques augmentèrent encore le crédit des Jésuites à la cour de Pékin. Usanguey, ce général qui autre- fois avait introduit les Tartares en Chine, se révolta, et cntrauia dans son porti les provinces occidentales. Retiré au sein des montagn(iS, il semblait braver les armées impériales. Il fallait le forcer dans ses retranchements ou laisser une porte toujours ouverte à l'insurrection. Kang-Hi se décide à l'attaquer; mais,

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|Miiir iviissii' dans i'cllc (lillicilr ('iitn'|iiMM', les jj;rMir'iaiix et rKiiipereur lui-iiu>iiie soiiUmiI ({iii< rarlillci'ie «!sl iiiili>|i(;iihiibli!. Lo l'i'i'o Verliiost, (lui acconi|iiiym! rarinûc, rc(;oit l'ordre do roiidrc dos pièces du canon du divers calibres. Il résisie, et duiiito pour excuse ([ue suit iniiii^tère lait descondrn les béiiédicliuns du ciersiir les princes et sur les peuples, mais ([u'il no leur l'ournit pas de nouveaux moyens de destruction. Lu nom chré- tien avait des emiemis auprès du monanpie. Us lui persuadent (|ue les Jésuites sont les coniplii«;s d'Usanguey , et que leur relïis est un actu d'hostilité ; Kang-lli menace les Missionnaires et leurs .Néophytes : Verbicsl se soumet. 11 crée une Ibnde- rie, il en dirige les travaux, et la victoire si impalienunent aî'Miduo couronne les armes de riùnpereur. 11 la devait aux Jésuites, c'est au Chrisliauismo (pi'ils en laissèrent la récoin- [tense. Vcrbiest s'avouait (pie le nombre des l'éres était insulVi- sant ; il avait rendu un service signalé à Kang-lli ; il le pria d'ouvrir ses Irontiéros à d'autres disciples de l'Institut, et spé- cialement aux Français , dont le caractère sympathisait mieux avec celui des Chinois.

Le roi de Siam dcman.lait des savants à Louis X|V , on lui envoyait des Jésuites ; le chci' du céleste ernpiro l'ormail le môme vœu, les Pérès liouvet, Gorbillon, Fontaney, Lo Comte, Tachard et Visdelou partirent avec une mission analogue pour la Chine. Ils y arrivèrent le 7 février 1()S8 ; leur présence sou- leva une question embarrassante. Le Pape seul ayant le droit d'accorder les pouvoiis apostoliques, le roi de France s'était contenté de les charger de travaux d'astronomie et de science. Le i'ortu^d avait jusqu'alors dii-juné dans ces parages, elles Jésuites de «e «ieruier royaume, craignant de iléplairc à leur souverain iw roç»//r<'iLî point sans dillicullés les Français qui leur venaieMt en aide. La mort ne laissa pas le temps à Verbiest de les accueillir ; mais trois mois après leur installation, Kang- lli mmune les Pères François Gerbillon et Thomas Pcreira ses ambassadeurs auprès du C^ar de Ilussie. ils doivent négoci'r la paix et icgler les limites des deux empires. Le diplomate russe avait déjà le ^énie des atTaires , Gerbillon néanmoins eut l'art iUi lut l'aire accepter les condiiions do Kang-Hi; et lorsque le Je-

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siiilo lui tic nîlniir l'i l't'kiii , | orlriir d'iMi liiiit(' si ii'.jirit;ij;ci.x , ri'!iii|ii>iviii' vuiiliit i|iril i-('V(Mil son co^tiiiiii; iinpAriiil. Il I choi- sit puiir son nifiltru (h; ni;illi(Miintii|no.s, et In lV>rn nouvel t\il iioninu' son profossciir de pliilosopiiie. (îerbillon élait, roinnie Hotivcl , le commensal il); Kan(r-Hi : ils lu siiivaionl dans ses promenades, dans ses vnya^'os; ils l'assistaient dans ses mala- dies, ('eltfl laveur d(!vait tourner an prolit de la Ilelii^'ion : les deux Jésuites sont autorisés à (•onstruire dans l'intérieur même du palais une éj,'lise et une résidence. Le "2^1 mars [Wi un dé- cret, sollicité par le i'ére Thomas Pereira , accorde aux Mis- sionnaires la faculté de prêcher l'Kvan^ile dans ses Ktals. Les Jésuites avaient si bien disposé le cœur du prince cpie , sans se séparer lui-même du I*aganisme, il l'avorisail oslriisihleiiient un cidte dont il comprenait la sainteté , et dont il estimait les mi- nistres. Une église s'élev.iit dans son palais : les IV;ies y créent une Congrégation toutes les teuvres de Licrd'ai.^^ance, de zéhj t!l de piété se développèrent.

Les .Jésuites, en Chine, étaient missionnaires et astronomes : ils travaillaient au salut des Ames et à la conquête des sciences. Les Frères condjoteurs de l'Ordre devinrent médecuis. liernard Uhodes I l'ieno Fraperie se distinguèrent surtout dans cette l'acoUé. Ils avaient commencé par les pauvres : leur réputation grawàiu, >()mme leur charité; et lorsque l'Kmpereur se trouva iliiils î«n étal désespéré , les médecins chinois eurent recours à Uhodes comme au dernier moyen de l'art. Il traita Kanglli, il lui rendit la santé. Le monarque élait généreux : alin de re- connaître un pareil bienfait, il envoya aux Jésuites des lingots d'or dont la vente produisit une sonune de deux cent mille francs '.

' La (losliiK'c «le wl arjonl n qiifli|iifi v]w-c iIp si hciiiornblc potir la Cnnipagiiio aMQlai:^*' des Indes (|ue iiuiis cmyoïis devoir iikuiiIim' Ii> l'ail en peu du mots. Lus siipOriuiirs des Missimis iivaieiil placi' ci'llp Miimne ^lll• l;i (;oinpauiiio aiiuliise, il - I:i seule condilion que la renie iiunuelle scrail appli(|iii^c il Imis lu^ Jt'suiles du C.liiiiu el ile.1 luttes qui se liouveraiciil diins le besoin. Au iiiouieiil de la ilesliuc- lion du l'Ordre de Jésus , la (!oin|in;;iiie aii(jlaisu fui leiilce de si;ivru l'eMuiplu que les princes eii||i(dli|ues lui duunaieni ; elle conllsqun les 200,(00 Trancs cl cessa d'un 8cr\ il' les in U'iols, [lour les consacrer a IVnlieiien dus lio|.iliiux. Le» Jésuites élaii'ul supprimes counneStuiétc». unis, individufll'inenl . \\^ se livriiient aux suius lie t'apoiiiulal dans le:< Indes Ils nuuiinerent un depuié puur reclanw>r a Londres auprès de la mur des diieileuis. Leurs rictumuiion» fuient accucllies avec sollicitude , el les directeurs écrivireni u leurs inandaluires que << si les autrui

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Louis XIV avait chargé les Pércs de la vcritication des cartes géographiques de la Chine : ces études avançaient ; néanmoins l'Empereur ne consentait pas à se priver des Missionnaires dont il était entouré, et qui, dans les provinces, enseignaient à ses sujets à obéir, non plus par crainte, mais par dévouement. 11 les laissait populariser leur Foi. En 1697 même, i^entant que tôt ou tard la mort ferait des vides irréparables parmi les Jé- suites, il en demanda de nouveaux à la France. Le Père Bou- vet fut son ambassadeur ï, et il revint à la cour de Chine avec six Jésuites, parmi lesquels on distinguait Dominique Parrenin. Le Christianisme ilorissait dans les provinces, dans le Fo-Kien et à Nankin surtout. Une lettre écrite du Kiang-Si, le 17 octo- bre 1703, par le Père de Goville, donne de curieux détails sur ces Missions. « L'Empereur, ainsi s'exprime le Jésuite, a fait cette année un voyage dans le Tche-Kiang. Tous les Mission- naires des environs lui ont été présentés par nos deux Frères qui étaient à sa suite : tous ont reçu des marques de sa libéra- lité, surtout le Père de Broissia, avec qui il s'entretint long- temps, et à qui, outre la somme d'argent commune à tons, il fit donner , selon la coutume, différentes choses à manger. » Dans la même lettre, se reportant aux discussions depuis si longtemps soulevées sur les cérémonies chinoises, et aux ad- versaires que la Compagnie rencontrait, Goville ajoute : « C'est un étrange pays que celui-ci, quand on ne garde pas une certaine conduite. Ils seront encore obligés d'avoir recours aux Pères de Pékin pour pacifier les troubles. C'est ainsi que

gouvcrticiiiciils avaioiil commis une faute Qrave contre le droit des gens, ce n'était pas une raison pour la Coinpaonic des Indes de les imiter, en violant les enQose* mvnis lus plus sacrés. » Les directeur» njnutaienl qu'en considération des services que les Jésuites de Puiidicliéry rendaient à leurs indi<'ns et aux AuQlais, la Com- pagnie .-ivoii ilicidé que la s^umme serait conservée intaclc, et la rente exactement pu^ée jusqu'à hi mort du dernier missionnaire Jésuite. Elle ordonnait en mémo temps lu rembour>ement des trois années d'arrérages. Ainsi, les hérétiques croyaient , autant dans l'intérêt de l'humanité que dans celui de la justice , devoir lai^8er au\ eiiT.mtadu Loyida , leurs adversaires, la fortune dont les suu>erain8 calh liquo- les dépouill lient. Kn 1813, tou> les Jésuites de Pi k in et de Pondiclury élai.t morts, la Propai^ande de Rome décida, malgré ]e< instances de la (loiigré- galitii) dis .^lis^lun8-Éllun^crcs, que cette ^onlnlU ^eruil appliquée^aux Luzai isles de la Cil i lie

< C'est dans ck \oyage <|ue lu Père Bouvet offrit k Louis XIV, do la part de kang-lli, les (|uaraiilu neuf volumes ihinois qui furent l'uiiiiinu de la collection actuelle ('" la Blblioihéquc royale.

DE LA COMPAGNIE DE JESUS.

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nous nous vengeons ici , en faisant le bien pour le mai. » 11 existait un grave différend entre les Jésuites d'un côté et les Missionnaires des différents Instituts de l'autre. Les Jésuites, pour juger le sens des paroles religieuses et des cérémonies chi- noises, consultèrent les mandarins et les lettrés; ils en apprirent que les honneurs rendus à Confucius et aux ancêtres ne perdaient jamais le caractère qu'ils avaient eu dès le principe : qu'ils se réduisaient au respect dont l'histoire et les monuments font foi. Les Dominicains et les Vicaires apostoliques, tels que Maigrot, Evêque de Conon, s'appuyèrent sur les traditions populaires, sur les pratiques superstitieuses introduites par les Bonzes. De ces cérémonies, dont les Pères de la Société de Jésus conser- vaient l'usage pour arriver plus facilement à le déraciner, ils firent surgir des accusations d'idolâtrie ou d'apostasie. Les Chi- nois étaient si invinciblement attachés à leurs coutumes que, depuis l'origine de la Misision , il avait paru indispensable de ménager tant de susceptibilités. Ne pas accepter quelques céré- monies déclarées purement civiles par l'élite de la nation, c'était, aux yeux des JésuHes, exposer la Foi à un naufrage inévitable, et, dans une leltre au pape Clément XI, ils s'expliquaient en ces termes : a Nous souhaiterions de tout notre cœur qu'il fût en notre pouvoir d'abolir toutes les coutumes et les rites des païens l'on pourrait apercevoir le moindre soupçon de mal. Mais, dans la crainte de fermer par cette sévérité l'entrée de l'Evangile et la porte du ciel à un grand nombre d'âmes, nous sommes obligés, à l'exemple des Saints Pères au temps de la primitive Eglise, de tolérer les cérémonies des Gentils qui sont purement civiles ; de manière cependant qu'autant que la chose peut se faire sans danger, nous les retranchons peu à peu, en y substituant des cérémonies chrétiennes. »

Ces quelques lignes initient au plan conçu par les Jésuites ; ils procédaient par voie de douceur; ils acceptaient temporaire- ment ce qu'après des études préalables ils regardaient comme impossible de rejeter; ce qui surtout n'ofl'rait aucun contact avec une idée ou une pratique païenne. Ils savaient que l'homme ne peut qu'à la longue modifier essentiellement les mœurs d'un peuple, et; forts d'une conviction basée sur l'expérience, ils

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CHAP. I. HISTOIRE

.«oUicUîiicnt le Souverain -Pontife de trancher la question (Milenr faveur. Dans le courant ilc l'année 1700, lorsque ces intermi- nables discussions occupaient tous les savants, les Pères An- toine Thomas, Philippe Grimaldi, Pereira, Gerbillon, Bouvet, Joseph Suarez, Kiliau Stumpf, J.-H. Régis, Louis Pernoli et Parrenin, Jésuites fameux dans l'histoire des sciences, firent au Saiiit-Siége la proposition suivante : « Puisque, écrivaient- ils, l'alVaire a été poilée de nouveau à Rome, et ne peut être tiMiuinée qu'après plusieurs années et un long travail, chaque parti appuyant son opinion sur le sens véritable des cérémonies par des textes d'ouvrages anciens , il nous a paru convenable de «hercher, afin d'abréger cette controverse, un moyen qui sé- rail agiéable à Sa Sainteté. Elle désire avant tout l'union ; elle ft^rait disparaître ainsi tout doute sur une question prolongée durant tant d'années, et les inquiétudes qui à cette occasion tourmentent quelques consciences.

» D'après donc l'avis commun de tous les Pères de la Com- pagnie de Jésus résidant à la cour de Pékin, on a jugé à propos de s'adresser à l'Empereur et de lui demander une sentence certaine et sûre touchant le sens véritable et légitime des rites et des cérémonies de son empire , afin de constater s'il était pu- reuuînt civil , ou bien s'il contenait quelque autre chose à l'é- t;ard du philosophe Confuoins et des ancêtres morts. i\ous avons dit une sentence certaine et sûre, puisqu'il n'appartient qu'à

I Empereur de définir ce qu'il faut fai.c et penser dans ces ma- tières*. En elVi't, èlant le législateur suprême de son empire, tant pour les choses sacrées que pour les choses politiques et ci- viles, son autorité est si absolue, qu'il décide sans appel, poin* tout l'empire, ce qu'il faut faire et penser au sujet des rites, et (ju'd définit dans quel sens il faut entendre les écrits des anciens. Ajoutez à l'autorité de sa définition la haute réputation qu'il s'est acquise par la science dans tout l'empire. »

Ce projet, dont Leibnitz a loué la prudence * ne satisfit pas

1 l.Viii|iprrur a«i-i'iuMii l-s grands, 1"s rii;iniliirins et les lollr.'S , p1 Ious procli- mi'ri'iil " (|u'i'n inv(i<|i:atit Kiiiiî-'l'ion. il; iiiviKiiiiiienl t'ivliv Mipri''iii(! , li.'Seii>iiciir ilu (licl , I ttispetisaU'ur <!(.■ Ions lt>s liions, i|iii vnil imil, (iiii luiiiialt tout, cl doiil

II |(i'iiviiti'iii-t; (joiivcrnc l'Ol univers. »

"■' Dans les fJHnvn's Hv Lcilniit;, (i. vi, p. 191, loltrc 27, M'\[. ilc fieubve iIp 1708),

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DE LA COMFAGMR DE JÉSUS.

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If^s justes scmpnlos do la Chaire apostolique : elle cherchait nn inoyni terme entre une funeste condescendance et des rigueurs qui pouvaient anéantir un siècle de travaux. Elle hésitait, espé- rant toujours qu'elle trouverait une voie de conciliation. Dans cette idée, Clément XI nomma Tournon légat du Saint-Siège en Chine. Les esprits étaient divisés sur trois points principaux : Fallait-il permettre de rendre à Confitcius des hommages ayant force de loi et dont l'apparence trahissait un culte? Dovait-on tolérer certaines cérémonies en l'honneur des ancêtres? De quel nom chinois se servirait-on pour exprimer l'idée de Dieu? Telles étaient les propositions controversées, et qui déjà, sous plusieurs Pontifes, avaient agité l'Eglise. La question était neuve: elle importait au salut d'une partie de la terre, elle devenait en n ')me temps religieuse et politique. Les Papes ne voulurent pas pré- cipiter leur jugement, et, vers le milieu du dix-septiéme siècle, ils se contentèrent de prendre quelques mesures : tantôt pour restreindre, tantôt pour autoriser les rites chinois dans ih justes limites. Cette sagesse de la cour de Rome aurait S':!rvir de guide aux Vicaires apostoliques, aux Missionnaires et aux Jé- suites, appelés tous ensemhie à défricher le même champ du Père de famille; il n'en fut rien. De déplorables maler.tendus Tnent naître des conflits théologiques plus déplorables encore. Par son Mandement daté de Pondichéry le 23 juin 1701, Tournon avait excité dans la presqu'île indienne un orage qui allait retentir au loin. Les Jésuites se persuadèrent qu'il avait outre-passé ses pouvoirs, que l'exécution de ses ordres entraî- nait la ruine du Christianisme sur les bords du Gange et de l'in- dus. Les motifs de leur résistance ne parurent pas assez con- cluants à Rome ; ils y sollicitaient la permission de conserver les pratiques du pays, elle ne leur fut pas accordée. Un décret de l'Inquisition du 7 janvier 170G enjoignit d'obi.erver le Man- dement du légat; Clément XI renouvela plusieurs fois la mènio injonction, les partisans des rites malabares n'en continuèrent

on lil : (( Je ne vois pas comment on peul récuspr le ju({cmcn( (ie renipercnr do la < liino (.'l ili'.s lioiniiK's roinat'(|u.ililrs dt' ce pays, (|iiiui>l il s'mjil ilo l> signiliciilioii tlt's niols. SiippoHV. que l'iipluion ronlniire à celle <les JiViiiles rrtt pnWalii jiisqii loi, elle cesse ceiiuiiienienl du innnient ou l'empereur a exposé dans quel sens il ruiil inlerpri'ler les rites cl l-s autres f-ignes de l.i pensée. »

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CHAP. I. HISTOIRE

pas moins h les pratiquer. Mus par le penchant qui porte l'homme à s'attacher aux choses qui lui ont coAté le plus de peine , les Jésuites se mettaient en désaccord avec le Pape ; ils substituaient leur expérience locale aux ordres de la cour ro- maine ne donnant pas encore une solution de Foi ; ils argu- mentaient, ils invoquaient des transactions, ils marchandaient leur obéissance. Le 8 avrd 1705, le légat, arrivé à Canton, fait prier les Jésuites d'obtenir de l'Empereur des sauf-conduits qui lui permettront de se rendre à Pékin. Kang-Hi refusa de recevoir Tournon; les Pérès sentirent que, dans l'état des cho- ses, l'opiniâtreté du monarque serait pour eux un grave sujet de reproches, et qu'on les accuserait d'avoir fermé la porte du céleste empire à l'envoyé du Saint-Siège. Ils vainquinjut donc la résistance de Kang-Hi , et Tournon se présenta sous leurs auspices. Le 29 juin 1706, le légat fut reçu en audience solen- nelle ; il avait des préventions contre les cérémonies chinoises et contre les Jésuites ; il ne déguisa pas, même devant l'Empereur, quel était le but de sa nonciature. Kang-Hi, soupçonneux comme tous les Chinois, ne vit dans le dissentiment soulevé entre le Patriarche d'Antioche et le;: Jésuites qu'une cause im- minente de troubles : afm d'assurer la tranquillité publique, il eut recours à la force. Tournon leçut ordre de sortir de Pékin. Le 25 janvier 1607, le légat fit acte d'autorité : il publia un Mandement qui interdisait aux Chrétiens les cérémonies en l'hon- neur de Confucius ou des ancêtres, et qui défendait de saluer le vrai Dieu des noms de Xanti et de Tien. Ce Mandement, dont la courageuse initiative ne peut faire excuser l'inopportunité, irrita Kang-Hi comme prince et comme homme. Il avait essayé de modifier les idées de Tournon, de lui expliquer le sens propre et figuré des mots; ce dernier était resté inébranlable dans ses convictions^ son Mandement ne laissait aucune incertitude sur ce point.

Kang-Hi n'était pas habitué à voir douter de sa parole et de son autorité; il ne tolérait la contradiction que par passe-temps, elle venait sous la forme d'un outrage : il bannit de son em- pire Maigrot, Vicaire apostolique, et il ordonna de livrer aux Portugais le légat du Saint-Siège. Les Portugais étaient les en-

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ncniis naturels de Tournon, qui , pendant aon séjour à Pékin, avait formé le projet ùe les l'aire expulser de toute la Chine, et qui se trouvait en rivalité de juridiction avec leur métropo- litain de Gou. Kang-Hi s'était déchargé du soin de sa vengeance sur des Chrétiens ; les Chrétiens se montrèrent sans pitié. Tournon, que Clément XI honorait de la pourpre sacrée, fut jeté dans un cachot ; le vice-roi des Indes, l'archevêque de Goa et l'évoque de Macao lui signifient défense d'exercer ses pou- voirs de légat dans toutes les contrées soumises à la couronne de Portugal. Le cardinal de Tournon n'est point ahattu ; on lui interdit de faire acte de puissance ; il excommunie l'évéque et le capitaine-général de Macao ; mais, après quelques années d'une dure captivité, cet homme, dont la santé avait toujours été délicate, expira le 8 juin 1710, à l'âge de quarante-deux ans.

Le cardinal s'était plaint, à dilVérentes reprises, des obstacles que les Jésuites lui suscitaient. Il se disait leur antagoniste ; on connaissait le crédit dont ils jouissaient auprès de l'Empereur : il n'en fallut pas tant pour les faire accuser des indignes traite- ments auxquels les Portugais le soumirent. Aux yeux des Jansé- nistes, Tournon fut un martyr qui trouva des bourreaux dans la Compagnie de Jésus. Les Jansénistes, en révolte contre le Saint- Siège, ne voulaient pas laisser aux Missionnaires le droit d'ex- pliquer leur pensée. Home avat parlé, elle semblait condamner les Jésuites ; le Jansénisme rebelle n'avait pas assez de malédic - tions pour flétrir leur désobéissance conditionnelle. Il s'élevait contre eux de toute sa haine, ci, , après les avoir peints comme des idolâtres ou des impies, il ajoutait : « Avec quelle fureur, eu effet, la Société n'a-t-elie pas persécuté dans les Indes Orien- tales : M. Pallu, évoque d'Héliopolis; M. Lambert, évêque de Béryte; M. Didier, évèque d'Auran; M. de Bourges, évèque d'Ascala ; M. Maigret, évoque de Conon; M. de Lionne, évèque de Rosalie; M. Aleonissa, Franciscain, évèque de P^ryte; M. de Cicé, évoque de Sabula; M. Martin Labbé, évêque d'Héliopolis; le P. Visdelou, Jésuite et évèque de Claudiopolis ; le P. Fouquet, autre Jésuite, évèque d'Eleuthéropolis ; M. de La Beaume, évèque

' Histoire générale de la naissance de la Compagnie de Jésus , par le jansé- niste CoudreUe, l. ii, p. 285.

V. 4

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CHAF. I. HISTOIRE

II

d'Halicnrnassc, et tant d'autres Vicaires apostoliques qui, 'sans ôtre revêtus du caractère cpiscopal, ont été envoyés par le 8aint-Siége pour gouverner les églises des Indes ! Les Légats du Saint-Siège, le cardinal de Tournon et Mezzabarba n'ont p^s été épargnés, et l'on sait à quels excès les Jésuites se sont portés à l'égard de ce saint Cardinal , dont ils ont été proprement les meurtriers. » i

Aucune preuve directe ou indirecte ne corrobore ces impu- tations ; il n'y a pas même de traces qui mettent sur la voie d'un conseil donné à Kang-Hi ou d'un encouragement accordé aux vengeances portugaises. Les Jésuites restèrent neutres dans cette circonstance; leur neutralité, qui serait un habile calcul selon la politique humaine, est une faute aux yeux de l'histoire et de la Religion. Le cardinal-légat se posait en adversaire de leurs opinions ; mais ils devaient respecter son rang et ses ver- tus. Le meilleur moyen de faire comprendre ce respect, c'était d'user de leur crédit pour protéger sa liberté. Ils n'osèrent pas se porter médiateurs entre le Monarque et le légat ; cette in- différence eut pour eux des résultats que calomnie envenima.

L'ambassade du cardinal , ses discours , ses projets , avaient exaspéré l'Empereur; le Père Gerbillon, supérieur des Missions en Chine, qui s'était montré plein de déférence pour le légat, mourut en 1707, au milieu des troubles provoqués par le Man- dement. Gerbillon était l'ami de Kang-Hi; le Prince ne con- sentit pas à imposer silence à sa colère, en face même d'un cercueil; et le Père Le Coulteux, écrivant au Père Etienne Souciet, raconte ainsi les effets du ressentiment impérial : « C'est, dit-il en parlant du trépas de Gerbillon, une perte très- considérable pour la Mission en général et pour nous autres Jésuites en particulier; l'Empereur n'a honoré sa mémoire d'aucune marque d'estime , contre sa coutume à l'égard des Eu- ropéens qu'il a distingués comme il avait fait. Tout le monde « Chinois et Européens , sait que ce n'a été que parce que ce Père parut trop attaché à monseigneur le Patriarche, et toujours prêt à l'excuser auprès du Prince et des grands. »

Le Père Dominique Parrenin, en 1605 au Russey près Pontarlier, n'avait pris aucune part à ces divisions; Kang-Hi

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DE LA COMPAGNIE DE JESUS. B)

lui accorda sa confiance, et dans la même lettre du Père Lo Coulteux on lit : « Depuis la mort du Père Gerbilloh et celle du Père Thomas Pereira, l'Empereur parait beaucoup consi- dérer le Père Pcrrenin, de la Province de Lyon. Il l'a toujours auprès de sa personne à Pékin, et il le prend dans tous ses voyages, tant à cause de son talent à parler les deux langues chinoise et tartare , qu'à cause de son caractère d'esprit qu'il a goAté. L'an passé, il nomma les Pères Bouvet, Régis et Jartoux, tous trois Français, pour faire la carte de la Tartarie; et il a paru content de ce qu'ils ont fait. » , r

Les dissensions excitées par les rites malabares et par les cérémonies chinoises devenaient pour les savants de l'Europe une question du plus haut intérêt. Le Jansénisme s'en faisait une arme contre les Jésu ''s; mais les Protestants voyaient d'un autre œil cette querelle tou. à la lois doctrinale et scientifique. Leibnitz écrivait alors * : « Parmi les opuscules que vous m'a- vez envoyés , il y en a deux qui m'ont fait un plaisir singulier : ce sont le supplément des Mémoires pour Rome , et X Histoire apologétique de la conduite des Jésuites de la Chine. Dans cette histoire, ce qui est dit à la page 6 me parait bien digne de remarque ; à savoir : que les Mahométans , qui sont reconnus pour ennemis déclarés de Tic )lâtrie , ne se montrent pas con- traires aux cérémonies chinoises, et que, par un décret d'un Empereur de la Chine de l'an de Jésus-Christ 1384, il fit dé- fendre d'accorder à Confucius les honneurs divins. J'ai vu aussi avec plaisir que l'Archevêque de Manille et l'Evêque de Zébu , qui avaient écrit au Pape contre les Jésuites du temps d'Ur- bain VIII , si je ne me trompe , avaient plus tard , lorsqu'ils fu- rent mieux instruits des choses , écrit de nouveau pour retirer leurs plaintes.

» Mais le. supplément nous doime des renseignements non moins curieux. Le récit de la conduite qu'a tenue à Pékin le Cardinal , fait par un homme d'opinion contraire , et qui assu- rément n'est pas Jésuite , et cependant de grande autorité , pré- sente beaucoup de vraisemblance. Je crois que l'Evêque de

* Leibnilzii Opem, t. vi, p. 101 (Gciicrc, 1768).

M CHAP. I. •— HISTOIRE

Conon lui-même ne peut pas nier que le Cardinal n'ait point agi avec assez de circonspection et de respect dans ses rapports avec l'Empereur de la Chine. Je regarde en outre les deux dé- crets impériaux comme d'un très-grand poids, et je ne vois pas comment on peut récuser son léninignage ainsi que celui des principaux de la nation, lorsqu'il s'agit de la valeur des mots. En admettant donc que jusqu'alors on y eût attaché communément un autre sens, toujours est-il évident que cela n'a plus lieu aujourd'hui , que l'Empereur a donné la significa- tion propre des cérémonies et le sens qu'on doit y chercher. « Les Jésuites en Chine pensaient comme le philosophe alle- mand; ils avaient conçu un plan hardi que l'unité d'action pouvait seule faire réussir; ils tentaient une réforme insensible et graduelle dans les habitudes les plus intimes de ces peuples ; ils aspiraient à les régénérer sans violence , sans secousse , pur la force même du principe chrétien. Des rivalités d'apostolat, des influences contradictoires se jetèrent à la traverse. La di- vision se glissa parmi les Missionnaires , elle produisit dans le céleste empire de funestes conséquences. En Europe, elle fit accuser l'Eglise universelle de s'engager dans une voie super- stitieuse. L'Eglise, entre ces deux écucils , n'avait pas à hési- ter : elh devait courir les chances d'une ruine plus ou moins prochaine des Chrétientés chinoises, ou accepter le double scandale de ces querelles. EUe sacrifia l'incertain, et, le 25 septembre 1710, Clément XI condamna quelques-unes des cérémonies que les Jésuites regardaient comme indifférentes. A Rome , on ne jugeait pas les choses du même point de vue qu'à Pékin. Le Général de la Société et les Pères de toutes les Provinces, assemblés au mois de novembre 1711 , se rendi- rent au Vatican pour protester, aux genoux de Clément, de leur inaltérable fidélité au Saint-Siège, et, en présence du Pon- tife, Michel-Ange Tamburini termina ainsi la déclaration de l'Ordre de Jésus : « Si cependant il se trouvait à l'avenir quel- qu'un parmi nous, en quelque endroit du monde que ce fût, ce qu'à Dieu ne plaise, qui eût d'autres sentiments, ou qui tînt un autre l' ngage , car la prudence des hommes ne peut assez ni prévenir ni empêcher de semblables événements dans

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une si grande multitude de sujets , le Général déclare, assure et proleste, au nom de la Compagnie, qu'elle le réprouve dés à présent et le répudie; qu'il est digne de châtiment, et ne peut ^tre reconnu pour véritable et légitime enfant de la Compagnie de Jésus. »

Rien n'était plus explicite que ces paroles. Les Missionnaires auraient les adopter comme régie de conduite ; ils cherchè- rent à éluder par des subtilités la décision pontificale. Elle ne blâmait que certaines pratiques; ils se crurent autorisés à iie pas rejeter les autres. Quoique attachés du fond des entrailles i'i la Chaire de saint Pierre, on sent à leur résistance qu'il leur en coûte de renoncer à ces Chrétientés que leurs sueurs ont fécondées; ils désobéissent plutôt dans la forme que dans le fond. C'était une condition de vie ou de mort, et ils n'osaient pas abandonner aux ténèbres de l'idolâtrie les peuples qu'ils avaient eu l'espérance de ramener à l'Unité catholique. Le Pape ne prononçait pas sur toutes les cérémonies : ils se rat- tachèrent à cette dernière planche de salut. Ils pensèrent que leurs écrits, que leurs larmes convaincraient ou fléchiraient le Saint-Siège. 11 semblait le...- entrouvrir une porte d'appel, ils 3'y précipitèrent à corps perdu. Ce combat entre l'obéissance et l'accomplissement d'un devoir impérieux a sans doute quel- que chose de respectable ; mais les Jésuites, en s'eiforçant de taire triompher leurs idées , oublièrent trop qu'il eût été plus glorieux de donner au monde un exemple de soumission aveugle que de raisonner ainsi leur dévouement. Ils se trou- vaient en face d'une autorité qui a droit de faire incliner toutes les intelligences, et qui trace aux volontés humaines des bor- nes qu'il ne faut jamais franchir ; ils lui disputèrent pied à pied le terrain.

Cependant Kang-Hi, en prince habile, refusa de laisser éter- niser ces discussions. Dès 1706 il avait enjoint à tous les Mis- sionnaires de ne rien enseigner contre les coutumes chinoises. Les uns obéirent à ce décret, les autres refusèrent de s'y soumettre , et prirent le parti de se cacher tout en poursui- vant l'œuvre de leur apostolat. L'Empereur avait des instincts catholiques : il était à même de comparer les vertus et la

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CHAP. I.

HISTOIRE

science des Missionnaires avec les vices et l'ignorance super- stitieuse des Honzos; mais il ne voulait pas sacrifier la paix de son royauiae au Christianisme. Il se contenta de fermer les yeux et do vivre dans l'intimité des Jésuites. Ces derniers en- trevoyaient des calamités prochaines ; ils espéraient les conjurer ; mais la mort du cardinal de Tournon, les moyens dilatoires qu'ils ne cessaient de mettre on œuvre portèrent le Pape à frapper un coup décisif. Le 19 mars 1715 la bulle i5'j7 illa die renversait toutes \m difficultés, elle allait au-devant de tous les subterfuges, et, en imposant un serment solennel aux Mission- naires, elle les forçait de rompre avec les cérémonies chinoises. Les Jésuites savaient qu'en adhérant h la formule prescrite par Clément XI ils signaient la ruine de la nouvelle église : ils ne reculèrent pas devant ce sacrifice. Us furent héroïques d'o- béissance après avoir épuisé tous les palliatifs. Mais, à une semblable distance, le Saint-Siège désirait se rendre un compte exact de la position : Âmbroise de Mezzabarba fut nommé lé< ç^at dans le céleste empire. Ce titre et cette mission devaient inquiéter Kang-Hi. Personne n'osait ouvrir à l'envoyé ponti- fical la route de Pékin ; le Père Lauréati , Visiteur de la Chine, prend sur lui d'affronter la colère impériale. A force d'adresse, il obtint des mandarins de Canton de laisser passer Mezzabarba. Il le recommande au Père Joseph Pereira , et le Nonce arrive dans la capitale. A cette nouvelle, Kang-Hi fait jeter dans les fers Lauréati et les mandarins qu'il a séduits. Mais le légat demandait son audience : il fallait la lui accorder : ce fut Joseph Pereira qui le présenta à l'Empereur. Le 30 mars 1721 Lauréati écrivait au Pape , et ce document est d'un haut intérêt dans la question. Le Jésuite s'exprime ainsi : « J'ose paraître une se- conde fois prosterné aux pieds de Votre Sainteté pour lui ren- dre compte de l'accomplissement de mes devoirs et de l'état actuel des Missions dans re pays ; compte dont Votre Sainteté est peut-être déjà instruite par le Père Gianpriamo , que l'Em- pereur a envoyé à Votre Sainteté par la voie de Russie.

» Après beaucoup de sollicitations de ma part , les manda- rins permirent à Monseigneur le légat apostolique de partir de Canton et d'avancer vers Pékin sans attendre le consentement

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DE LA COMPAGNIR OR JÉSUS.

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lie rKmpnrftiir et n'fipnt étA interrogé que fort siiperncielle- ment sur le but de son voyage. C'est par un cflet de la divine Providence que les choses se sont passées ainsi; car, si les questions et les réponses qui ont été faites à Pékin eussent été faites à Canton , tout le monde convient que Monseigneur le Légat n'aurait jamais obtenu la permission d'entrer à Pékin, et que les Missionnaires auraient reçu ordre de se retirer.

« Votre Légat , ayant été retenu auprès de Pékin , n'oublia rien pour obtenir la permission de faire mettre à exécution les ordonnances apostoliques. Il fit les prières les plus instantes , il gémit beaucoup , il eut aussi beaucoup à soutlrir, et il ne put rien obtenir, pas même par sa présence. Ses prières furent re- gardées comme un crime, ses larmes comme une injure et un mépris pour les lois de l'Empereur. S'il eût persévéré encore un jour à faire les mêmes demandes , ce jour aurait été le dernier pour la Mission. Nos Pères de Pékin prièrent alors M. l'abbé Ripa de se joindre à eux pour aller tous ensemble chez l'Empe- reur, et le prier de concert de permettre que l'ordonnance de "Votre Sainteté fut exécutée. M. l'abbé Ripa répondit, comme aurait répondu tout homme qui aurait connu le génie de cette cour, que cette démarche serait déplacée et ne convenait en aucune façon, parce qu'il ne la croyait propre qu'à irriter l'Empereur de plus en plus. Outre cela, Sa Majesté avait abso- lument défendu à nos Pères de se mêler de cette affaire , pré- tendant qu'elle ne pouvait être terminée que par elle-même et Votre Sainteté.

a Monseigneur votre légat , voyant enfin l'état déplorable des affaires, qu'une ruine entière et très-prochaine menaçait, se servit d'un expédient très-prudent : il commença par exposer devant l'Empereur les articles que Votre Sainteté avait la bonté de permettre, en l'assurant que tout ce qu'il pouvait faire de plus, c'était de retourner vers Votre Sainteté pour lui rendre compte de ce que Sa Majesté voudrait bien lui dire touchant la vérita- ble signification des rites, et de ce qu'il avait vu lui-même de la ferme résolution était Sa Majesté de les soutenir, promet- tant de revenir ensuite en Chine avec les dernières réponses de Votre Sainteté.

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CHAP. I. HIRTOIRE

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» Ce moyen , omploy»'; ft propos par Monseigneur le l^gat , Ht changer toiit-&-coup la face des ailaires , et on rendit alors tant d'honneurs à Votre Sainteté et à Monseigneur le légat , qu'on en fut étonné à la cour et dans l'Empire. La modestie ne me permet pas de parler des mouvements que les Jésuites se don- nèrent pour procurer ces grands honneurs.

I Monseigneur le légnt et les Missionnaires de sa suite se sont convaincus qu'il n'était pas vrai , comme ils l'avaient cru , que l'Empereur ne prit aucun intérêt aux rites du pays. Ils l'ont entendu parler sur ce sujet de la manière la plus claire et la plus précise , d'un ton et dans des termes si forts et si absolus qu'il paraissait être dans une espèce de frémissement de tout le corps ; disposition , pour ce prince , absolument opposée à cette gravité qu'on voit toujours en lui , et qui lui est naturelle. Ils ont reconnu qu'il n'était point vrai que les Chrétiens pussent vivre tranquillement dans la Chine sans se conformer aux rites du pays. Ils savent que cet obstacle arrête tout. 11 y a actuellement neuf persoimes du sang royal et plusieurs centaines d'hommes dans Pékin qui désirent ardemment de recevoir le baptême , et un bien plus grand nombre encore qui voudraient s'approcher des sacrements de Pénitence et d'Eucharistie ; et ils n'osent li> faire r.i les uns ni les autres , parce qu'il leur est impossible , disent- ils, de mettre en prati'^'ie l'ordonnance de Votre Sainteté. Us ont connu que tous les Pères de la Société ne peuvent rien dans cette affaire, parce que l'Empire peut se passer d'eux, mais ne peut pas également se passer de ses lois fondamentales. Ils at- testent que tant s'en faut que l'Empereur soit athée , comme on a osé l'assurer par la plus imprudente des calomnies ; ils l'ont entendu raisonner d'une manière très-juste et très-exacte sur l'immortalité de l'ûme , sur l'existence des Anges et sur l'essence et l'unité du véritable Dieu, lis avoueront qu'ils lui ont entendu dire qu'il adorait avec le plus profond respect le même Dieu qu'on adore en Europe, et que c'était de ce môme Dieu qu'il avait reçu le trône sur lequel il était assis. Ils ont connu ses pieuses dispositions à l'égard du bois sacré de la Croix, qu'il a demandé à Monseigneur le légat ; et ils savent que, voulant rendre à ce pieux trésor, qu'il a obtenu , le respect

DR LA COMPAONIR M. itW».

VI

f|iii lui est (lit , il (lt''sirn de tout snn cmiir d'tHrc instruit du nillo précis dont il laut honorer cet instrument de notre saint.

M Qu'il inc soit cependant permis de former ici , avec toute la modestie possible, quehjues plaintes contre cet excellent Pré- lat. A quoi ont abouti toutes les coimaissances qu'il avait ac- quises, et dont jo viens de parler; puisqu'il a refusé d'appliquer aux maux qu'il connaissait le souverain remède qui était abso- liunent nécessaire? Il a promis d'aller ù Rome, d'y rapporter lidèlement ce qu'il avait vu et entendu ; mais , en tomporisant ainsi , les allairos dépérissent. Il demeure néanmoins ; mais l'Kmpereur fait do nouvelles défenses , fhxs presfintes que les premières, d'exercer les fonctions apostoliques ; les oppos" 'ons de lu part des mandarins sont toujours les mêmes; la h i u des Gentils contre les Missionnaires se fortifie de p' is en plus , et les dilllcultés de la part des Chrétiens ne font q le se multiplier, Plusieurs d'entr' eux retournant en arriére, il ne s'en fait que très-peu de nouveaux ; et on peut dire que la Mission est entre les bras delà mort, abandonnée aux prises avec elle. Monsei- t,fneur le légat craint, il dit qu'il a les mains liées; il assure qu'il mettrait la Mission en état de remplir ses fonctions s'il croyait pouvoir le faire. Ce n'est donc que de Votre Sainteté , Très-Saint-Père, que nous devons attendre notre salut, car ce serait inutilement qu'on l'attendrait de tout autre que de ceux qui tiennent la place du Sauveur même.

» Monseigneur le légat priait i ; .-pereur d'avoir pitié des Missionnaires. Kt pourquoi ôtes-vous sans compassion vous- même pour mes sujets chinois? lui répondit l'Empereur. Cette réponse de Sa Majesté lit coule i les larmes de bien des gens; mais ces larmes furent inutiles et sans fruit. Mais celles que Votre Sainteté répandra , qui seront l'expression de votre ten- dresse et de votre compassion , auront plus d'ett'et : semblables à celles que Jésus-Christ répandit pour ressusciter le Lazare , elles produiront la vie et le salut. »

La mission pacificatrice de Mezzabarba , les concessions que , sur les lieux, il avait cru devoir faire en dehors du décret pon- tifical, concessions que, par la bulle £x quo singulariy Be-

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CHAP. I. HISTOIRE

noU XIV Annula en 1042, tout tendait à raviver les querelles. Le lugat autorisait ce que le Pape avait prohibé , on se retran- cha derrière ce rempart inespéré; les Missionnaires reprirent let hostilités et leur apostokL. Le 20 décembre 1722, Kang>Hi mourut; le premier soin de Yong-Tching , son héritier, fut de proscrire de tout l'Empire les lois et le culte de l'Eglise catho- Hque. Les Pères Parrenin, Gaubil, Maillac, Bouvet, Jartoux» Régis , du Tartre , Henderer , Domange , d'Entrecolles , Jacques Suarez, Kœgler, Magalhans , Slavisleck , deRezende, Contan- cin, Ghalier, Hervieu, Prémare, Staidlin et Porquet, qui, comme les autres Jésuites , étaient protégés par leur savoir , essaient d'adoucir les ordres de persécution; l'Empereur dé- clare que ces mesures rigoureuses lui sont imposées par les exigences des mandarins de ses provinces et par le peuple , qui croit sa religion en péril. Pendant dix ans, les disciples de Loyola , dont , ainsi que son père Kang-Hi , il respecte les ta- lents, luttent pour faire casser les décrets d'intolérance; l'Em- pereur résiste à leurs supplications. Il a des princes de sa fa- mille qui ont embrassé le Christianisme et qui ne transigent pas avec leur Foi ; il les exile , il les dépouille de leurs dignités, il les menace de la mort la plus cruelle. Les Néophytes de sang impérial acceptent , ainsi que les autres catéchumènes , toutes les conséquences du principe chrétien, et, sans se plaindre, ils subissent la destinée qu'ils ont conquise. Les Missionnaires de tous les Ordres sont relégués à Macao. les Jésuites seuls trou- vent grâce aux yeux de Yong-Tching ; mais ce n'est pas leur qualité de prêtres qui a suspendu sa colère. L'Empereur estime l'érudition, il aime la personne des Jésuites; ils dressent la carte géographique de la Chine; ils développent l'amour des sciences exactes ; ils lui rendent d'importants services dans la législation et dans l'astronomie ; ils sont ses négociateurs avec le Czar Pierre !♦«■. Yong-Tching les comble d'honneurs en pu- blic ; lui et ses mandarins mettent en secret toutes sortes d'en- traves à leur ministère. Dans les villes principales, h Pékin, h Canton, à Nankin, les Pères ont fondé des maisons pour re- cueillir les enfants chinois exposés. Ces enfants sont abandonnés par leurs fairiilles , ils en rencontrent une dans la Compagnie

DE LA COMPAGNIE DE JESUS.

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(le Jésus. La Compagnie les arraclie â la mort, bile les élève, elle les instruit, et les Chinois, qui ne peuvent s'expliquer un pareil dévouement, se prennent h l'admirer, tout en laissant ù b loi le soin de poursuivre une humanité qui accuse leur bar- barie. Cette singulière position est ainsi appréciée par le Père Gaubil; le 6 octobre 1726 il mande de Pékin, au Père Mai- gnan, à Paris :

« Les Jésuites ont ici trois grandes églises ; ils baptisent par an trois mille petits enfants exposés. Autant que je puis conjec- turer par les confessions et les communions , il y a ici trois mille Chrétiens , qui fréquentent les Sacrements , et il y a bien quatre mille Chrétiennes. Dans ce nombre, il n'y a que quatre ou cinq petits mandarins, deux ou trois lettrés, le reste est composé de pauvres gens. Je ne sais pas bien le nombre des lettrés et des mandarins qui, étant chrétiens, ne fréquentent pas les Sacrements, et je ne vois pas trop comment, dans ces circonstances, un mandarin ou un lettré peut le faire et observer les décrets de notre Saint-Père le Pape. Outre les princes chré- tiens, dont vous avez su la ferveur et les malheurs, deux autres princes qui sont ici ont renoncé à leurs charges et à leurs em- plois pour vivre en Chrétiens. Ainsi on ne baptise que de pau- vres geuo ; les lettrés et gens en place qui voudraient se faire Chrétiens nous quittent dès que nous leur publions les dé- crets, même avec les permissions que leur laissa M. le patriarche Mezzabarba. L'Empereur n'aime pas la Religion : les grands et les princes nous fuient par cette raison. Nous ne paraissons au palais que rarement. L'Empereur a besoin de nous pour le tri- bunal des mathématiques, 'pour les affaires des Moscovites et pour les instruments et autres choses qui viennent d'Europe. U appréhende que s'il nous chasse d'ici et de Canton, les mar- chands ne viennent plus à Canton ; voilà pourquoi il nous souf- fre encore ici et i Canton, et nous fait même de temps en temps quelques grâces et honneurs extraordinaires. En un mot, nous lui sommes suspects, mille ennemis secrets lui parlent contre nous. Les disputes passées, les légations des deux patriarches, l'idée généralement répandue que nous n'avons point d'obéis- sance filiale, et que nous n'avons rien de fixe dans nos lois, tout

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CHAP. I. HISTOIRE

cela rend aujourd'hui les Missionnaires méprisables ; et si nous sommes dans cet état trois ou quatre ans de suite, c'en est fait mon Révérend Père, la Religion est ici perdue, et perdue sans ressource.

» Tandis que nous serons ici et à Canton on pourra secourir les Chrétiens de ces deux provinces. Dans les seules villes de Chang-Nan et de Song-Kiang il y a plus de cent mille Chré- tiens, c'est dans la province de Nankin ; ces Chrétiens font des efforts, et ils ont obtenu secrètement des mandarins de laisser encore deux ou trois Jésuites portugais : outre cela deux Jé- suites-prêtres chinois courent les chrétientés de Nankin. Les Pères Henderer, Porquet et Jacquemin soutiennent encore les chrétientés qu'ils ont dans le Tsiang-Lang, dans le Nankin et dans l'île de Tsim-Kim. Si ces Pères pourront longtemps les soutenir, c'est, mon Révérend Père, ce qu'il est difficile de sa- voir. Les Chrétientés de Chamsi et de Cherosi sont secourues par un Jésuite chinois et quatre Franciscains cachés, celles du Hou-Kang par un ecclésiastique chinois et un Jésuite portugais cachés, et nous y allons prendre des mesures sûres pour secou- rir la belle Mission* du Père Domange, Jésuite français, dans le Hou-Ang et le Hou-Kang. Les chrétientés de Kang-Si ont jus- qu'ici été secourues. Cinq Dominicains sont cachés dans le Fo- Kien. On espère pouvoir secourir les Chrétiens du Chang-Lang. Les chrétientés de Tartarie sont et seront sans secours , et on ne voit aucun jour pour y remédier. Les Propagandistes se dis- posent à secourir le Suen-Hoa. Mais, hélas ! mon Révérend Père, une seule accusation portée à l'Empereur contre un Mission- naire caché est capable de perdre tout ; si on nous chasse de Pf'kin, tout est perdu. Dans le Kang-Si, il n'y a que très-peu de Chrétiens. Dans le Yunnan et le Queih-Lan, il n'y a point de chrétientés formées. Je ne crois pas qu'en Chine et en Tartarie il y ait plus de trois cent mille Chrétiens. En Tartarie, il n'y en a pas plus de cinq à six mille. Il est inutile de vous remplir le cœur d'amertume en vous assurant que , sans les disputes pas- sée., , il y aurait bien quatre à cinq millions de Chrétiens en Chine.

» Les Jésuites français ont entrepris d'établir à Canton la

DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.

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bonne œuvre de baptiser les petits enfants exposés. Le Père du Bodin, saint Missionnaire, avance bien cette bonne œuvre, et je crois bien que , depuis deux ans, on a baptisé deux mille cinq cents enfants qui sont allés au ciel. Sans la persécution on aurait établi cette bonne œuvre dans plusieurs grandes villes, et, dans peu d'années , on aurait envoyé par an dans le ciel plus de vingt mille petits enfants. »

Gaubil entre ici dans le détail des persécutions qui attendent les Missionnaires et leurs Néophytes, il proteste surtout contre les inculpations dont la Compagnie de Jésus est l'objet relative- ment aux cérémonies chinoises , puis il termine ainsi sa lettre : « Pardonnez-moi, mon Révérend Père, ces points mal digérés (|u'une mauvaise plume écrit. J'ai mille choses à faire , et je suis accablé de la plus vive douleur. Du reste, je suis plein de santé et de forcp Outre le chinois, j'ai assez appris de tartare, et, avec un peu d'exercice, j'espère être utile de ce côté-là. Selon l'ordre de mes supérieurs, je communique à messieurs de l'Académie plu- sieurs observations astronomiques, et à d'autres savants ce que je trouve de plus curieux et de plus important dans l'histoire chi- noise et dans la vieille astronomie de cette nation. Mais, dans le fond, je ne fais tout cela que par obéissance et à contre-cœur, et j'abandonne tout cela avec plaisir pour baptiser, confesser et communier, et surtout pour instruire les Fidèles et les Gentils. On fait peu de chose, mais il s'agit de se mettre en état de le bien faire. »

C'était par obéissance, à contre-cœur, que le Jésuite corres- pondait avec l'Académie des sciences de Paris et celle de Pé- tersbourg, qui, toutes deux, s'honoraient de l'admettre dans leur sein ; il n'était pas venu en Chine pour conquérir une gloire mondaine, il ne songeait qu'à instruire les pauvres et les igno - rants. Le 20 novembre 1728, écrivant de Pékin au Père Etienne Souciet, Gaubil révèle dans la simplicité de ses ambi- tions le fruit qu'il espère de ses travaux littéraires : « Je sais, dit-il à Souciet , que Votre Révérence est pleine de zèle, et les objets n'en manquent pas. Je vous prie d'envisager en particu- lier la bonne œuvre des petits enfants exposés, d'ici et de Canton. Rien de plus beau, et je m'estimerais bien heureux si , par ce

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CHA1>. I.

HISTOIHE

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que je vous envoie, vous pouviez avoir occasion de l'aire bien connaître à des gens puissants l'importance de la bonne œuvre. J'en ai écrit à bien des personnes, et je ne sais si cela a été avec succès. »

Parrer.in, qui exerçait les fonctions de grand-mandarin, et qui , niéiiaiour entre les Russes et les Chinois , se voyait com- blé des faveurs de Pierre-le-Grand ; Bouvet, le géographe impérial, rivalisaient de zèle avec le Père Gaubil : comme lui*, ils faisaient servir la science à capter les bonnes grâces du prince. La faveur, si dignement acquise, tournait au profit de l'humanité ; ils s'échappaient du palais pour visiter les indigents et pour secourir l'enfance. La charité était la plus chère de leurs occupations; la gloire scientifique, qui leur venait de sur- croît, ne les touchait qu'au point de vue de leurs bonn&s œu- vres. Cependant, s'il faut en croire Abel de Rémusat, juge compétent en pareille matière, cette gloire retentit au loin. « Envoyé à la Chine en 1723, Gaubil , ainsi parle l'orientaliste ', se mit alors à étudier les langues chinoises et mandchoue. 11 y fit de si grands progrès que, suivant le Père Amyot, les doc- teurs chinois eux-mêmes trouvaient â s'instruire avec lui. Ces graves et orgueilleux lettrés étaient dans le plus grand étonne- ment de voir cet homme, venu de l'extrémité du monde, leur développer les endroits les plus difficiles des King, leur foire le parallèle de la doctrine des anciens avec celle des

temps postérieurs et cela avec une clarté, une aisance, une

facihté qui. les contraignaient d'avouer que la science chinoise de ce docteur européen surpassa?* de beaucoup la leur. Ces études, qu'on croit capables d'absorber la vie d'un homme, ne suffisaient pas encore à l'esprit infatigable du Missionnaire. Les devoirs de son état, qu'il remplissait avec ardeur et con- stance , les sciences et principalement l'astronomie, dont il s'oc- cupa toujours avec prédilection, partageaient son application sans l'affaiblir.

» Gaubil fut bientôt distingué et nommé par l'Empereur in- terprête des Européens que la cour chinoise consentait à r c-

Biographte univenclle, arliclc Gaubil.

DE LA COMPAGNIE DK JESUS.

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voir comme artistes et mathématiciens, tout en les repoussant ou en les persécutant comme Missionnaires. Le Père Parrenin, qui avait la direction du collège des jeunes Mandchoux, étant venu à mourir, le Père Gaubil fut choisi pour lui succéder. Il fut de plus interprète pour le latin et le tartare, charge que les relations établies entre la Russie et la Chine ont rendue très- importante, traduire du latin en mandchou, du mandchou ou du chinois en î Mn; faire concorder les idiomes les plus dispa- rates que Pespwt humain ait créés; écrire, parler, composer, rédiger, au milieu des hommes les plus amis de l'exactitude et les plus attachés aux minuties de leur langue et de leur écri- ture ; s'acquitter de tous ces devoirs, à toute heure, sans pré- paration, devant les ministres, devant l'Empereur lui-même; demeurer exposé aux malentendus qui ne peuvent manquer d'a- voir lieu entre les Russes et les Chinois, surmonter toutes ces difficultés pendant plus de trente années , et mériter de toutes parts l'estime et l'admiration les mieux fondées , voilà l'un des titres du Père Gaubil h la gloire. Cet illustre Missionnaire nous en présente bien d'autres encore. On a peine à concevoir il pouvait trouver le temps que doit lui avoir demandé la compo- sition de ses ouvrages , presque tous complets et profonds , et roulant sur Ips matières les plus épineuses * . »

Les travaux des Jésuites étaient immenses, les Académies d'Europe s'en emparaient ; on arrêtait leurs idées et leurs dé- couvertes au passage, on se les appropriait, et l'on n'honorait môme pas d'un souvenir de reconnaissance le Missionnaire obscur qui consacrait sa vie h glorifier la charité et la science. Ils savaient que tel était le prix réservé â leurs labeurs ; ils les continuaient u' -^moins, et Gaubil écrivait encore au Père Sou- ciet: « Dans les circonstances, c'est beaucoup que messieurs de rObsen'atoire vous aient aidé dans la fabrique et l'épreuve des réticules, micromètres, lunettes, etc., qu'ils aient examiné les observations, qu'ils pensent â en profiter. Je ne m'embarrasse

Le Pore Gaubil a puMié un Traité hUlorique et critique de l'astronomie chinoise, la Iraduclioii de Clioii-King, l'ouvrage qui , selon Abcl de ROinusat , fait le plus d'honneur au Père. L'Histoire de Gengis-Kan et de toute la dynastie des A/o»i/ou.-i- est encore, d'après UOuiusai, un ouvrage qui ettl aulU fi la lépuluUuii d'un autre écrivain.

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CHAP. I. HISTOIRE

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nullement qu'ils me nomment ou non , mais Je souhaite qu'on sache que cela vient des Jésuites i'ran(,\.M!> que h roi enl^'olieni à la Chine. Cela est du reste pour le bien <ovnmur., et je ne fais nul cas du petit honneur qui poîirraii m'en revenir. J)e tous les Missionnaires, je suis celui qi'i incriic le uuaûs d'fcUe honoré. »

Ces sentiments sont ceux de tous les Pères ; Dieu et l'Iui- manité passent bien avanl la science, mais déjà ils compren- nent que leur œuvre est condanméc à ]-\ stérilité, i'cissjnt q^ic les controverses S'',r les côrùiHonics ciuuoises avaient iriïppé le Christianisme au cœur, ils cherchèrent seulement * èJoigu'jr sa chute. Dans cette intention , ils se rcnJiient pias indispensables que jamais. La mort de Yong-Tching et l'avènement de Kliiang- Loung' au trône n'aiVaiblirent point la puissance qu'ils s'étaient créée. On les repoussait comme prêtres catholiques, ils se fai- àiùeïit accepter comme astronomes, malhématiciens, annalistes, géographes, médecins, peintres et iiorlogers. En 1737, dans la seconde année du règne de Khiang-Loung, les Jésuites ont sauvé un grand nombre d'enfants exposés. Le tribunal des crimes est saisi de cette accusation ; il punit ces coupables de bienfaisance. Les Pères Kœgler et Parrenin interviennent, leurs sollicitations restent sans eifet ; celles du Frère Castiglionc , peintre, dont l'Empereur aime le talent, furent plus heuicuses. Mais, le 27 septembre 1741, Parrenin mourut, et treize jours après, le Père Chalier, écrivant au Père Verchère, Provincial de, Lyon, déplorait en ces termes le nouveau malheur des Chrétientés chinoises : « Cette Mission vient de faire une perte qui nous est et nous sera longtemps infiniment sensible. La mort nous a enlevé le Père Parrenin dans la soixante-dix-sep- tième année de son ûge et dans la cinquante-septième depuis son entrée dans la Compagnie. Il semble que , par une pro- vidence particulière, Dieu l'avait formé pour être dans des temps très-diflficiles le soutien et l'âme de cette Mission ; il avait réuni dans sa personne les qualités de corps et d'esprit, dont l'assemblage a fait un des plus zélés et des plus infatigables ouvriers que notre Compagnie ait jamais donnés à la Chine : une constitution robuste , un corp» grand et bien fait , un port

DE LA COMPAGNIE DE JESUS.

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miijcstiieux , un uir vénérable et prévenant , une tacilité éton- nante ù s'énoncer dans les différentes langues qu'il avait apprises , une mémoire heureuse , un esprit vif, juste , péné- trant , une multiplicité de connaissances que les voyages qu'il a faits et les occupations qu'il a eues semblent dj pouvoir permettre de trouver réunies dans un môme sujet. »

Cependant Benoit XIV avait senti la nécessité de mettre un terme aux querelles sur les cérémonies chinoises et les rites malabares. jut 11 juillet 1742 et le 12 septembre 1744, le Pape, par ses bulles Ex quo singulari et Omnium sollicitu- dinum, résolvait tous les doutes, tranchait toutes les dilTicultés et sacriliait l'incertain an certain , les espérances de l'avenir aux réalités du présent. Les Jésuites du Maduré n'avaient pas attendu la bulle de Benoît XIV pour obéir au Saint-Siège, et, l(î 22 décembre 1735, les Pères Le Gac, de Montalembert , Turpin et Vicary remirent à lUuuas, gouverneur de Pondichéry, une adhésion ainsi conçue : « Nous soussignés déclarons que nous recevons très-volontiers le décret de notre Saint-Père Clément XII, que nous le garderons purement et simplement et que nous le ferons observer dans nos Missions. » En 1741 , les Jésuites de la Chine et des Indes avaient fait séparément la lucnie déclaration ; mais la distance des lieux et la ditli- cultè des communications retardèrent l'arrivée de ces lettres à Uonie, et Benoît XIV leur adressa ces reproches : « Après la bulle Ejc illa die, par la(|uelle Clément XI croyait avoir mis lin aux disputes, il semblait juste et convenable que ceux qui font profession spéciale d'obéissance au Saint-Siège se sou- missent avec humilité et simplicité à cet arrêt solennel , et l'on ne devait pas s'attendre à les voir créer de nouveaux obstacles. Cependant des honnnes désobéissants et pointilleux pensèrent pouvoir éluder les prescriptions de la bulle , par cette raison qu'elle portait en titre le mot de précepte *, et qu'elle n'avait point, par conséquent, la force d'une loi im- muable , mais seulement d'un précepte positif ecclésiastique ,

' On pciil se dispenser (l'un |)r(5ceplc positif eccl'siasiique ijuanil il y a danger de la vie, de l'honneur, ou perle de la forluiie, pourvu qu'il n'y ail pas m(*pris du Vréccpte. Un ne se dispense jamais d'une lui iuiniuablc, i)arcu qu'elle défend des choses mauvaises en soi.

V. 5

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CHAP. I. HISIOIHE

OU iiien encore parce qu'elle aurait été inlirniée par certaines permissions qu'aurait données le Patriarche d'Alexandrie , Ambroise Mezzaburba , lorsqu'il remplissait, dans ce pays, les fonctions et de commissaire et de visiteur apostolique. »

En face de cette sentence qui , h mots couverts , ne les mé- nageait pas , les Jésuites ne firent entendre aucune plainte ; ils se soumirent, sans distinction, sans réserves aucunes , et de l'Asie ainsi que de l'Europe il ne s'éleva qu'un cri d'obéissance. Quelques Pères avaient pu jusqu'alors s'attacher à leurs idées et se faire une arme de l'hésitation du Saint-Siège à condamner leurs doctrines ; le bien relatif de l'Eglise amnistiait à leurs yeux une résistance conditionnelle. La Chaire apostolique avait parlé ; de Pékin et de Macao, de Su-Cheu et de Méliapour , du Maduré et de la côte de la Pêcherie , de la Cochinchine et de Siam , du Malabar et de Goa , tous acceptèrent la décision pontificale comme règle de leur foi et de leur conduite; du fond des déserts et des forêts , du haut des montagnes les plus inaccessibles , ils adhérèrent de cœur et d'esprit aux décrets de Benoit XIV. Ils avaient combattu tant que le champ- clos leur avait été ouvert : le Saint-Siège blâmait et réprouvait cette lutte si sainte même dans ses coupables rébellions ; les Jésuites déposèrent les armes , ils ne les reprirent jamais.

Ainsi qu'ils l'avaient prévu , leur déférencr au jugement pontifical fut le signal de la chute du Christianifiie sur les bords du fleuve Jaune et du Gange. Les Missionnaires furent emprisonnés, proscrits ou voués à la mort. La persécution commença dans le Fo-Kien ; les Pères Ilervieu , Ghalier , iJeuth et de Saint-André en furent les premières victimes ; elle s'étendit comme un vaste im udie; bientôt les Pères Du Gad et Des Roberts dans le Hou-Kang , le Père de Neuvialle dans les montagnes, Tristan de Athémis et Joseph Ilenriquez à Sou- Tcheou-Fou périssent dans les supplices ou cachés dans les bois. Les mandarins des provinces, stimulés par les bonzes, s'associèrent partout à cette réaction; mais à Pékin, TEm- pereur, qui sait les services rendus par les Jésuites, laisse, en faveur de ses astronomes et de ses négociateurs, reposer les lois de bannissement. Le Cliristianisiue expirait à la Chhie

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DE LA COMPAGNIE DK Jf.SUS.

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dans un ounr^me combat; les JésuitOù, pour conserver queli|uc gcfiiie de Foi , le plai;aient sous la sauvegarde des sciences.

Honorés des faveurs inpériales comme lettrés, maudits comme prêtres catholiques , ils se conformèrent h la condition (jui leur était faite. Le Père de Ventavon résidait à la cour en qualité de mécanicien de l'Empereur ; les Frères Castiglione et Attiret étaient ses peintres de prédilection ; le Père Hallersteiii se voyait placé l\ la tête du tribunal des mathcmati(|ues. Les uns créaient des horloges avec des figures mouvantes , les au- tres demandaient aux beaux-arts ou h l'industrie quelques hi- ventions dignes de plaire à Kiang-Loung; tous se mettaient l'esprit A la torture pour détourner l'orage qui grondait sur la tète des Chrétiens. Le Père Michel Benoît appliquait les lois de l'hydraulique. L'eau jaillissante, dont l'art n'était pas encore connu en Chine, excita les applaudissements du prince et de sa «our. Il voulut multiplier ce prodige dans ses jardins ; Benoît fut chargé de la direction des travaux Ils lui offraient une oc- casion de voir fréquemment l'Empereur , de combattre ses pré- jugés sur le Christianisme et sur les Européens; le Jésuite se met à l'œuvre. Ce n'est pas la seule tûche à laquelle il se con- damne dans un intérêt religieux ; il étudie la manière de graver au burin et à l'eau-forte, il élève des artistes; il imagine des presses en taille- douce ; il initie Riang-Loung à l'usage du té- lescope à réttexion et au mystère de la machine pneumatique. Le 23 octobre 1774, le Père Benoît succombe sous tant de fatigues. Artiste pendant le jour, afin de pouvoir, pendant la nuit, fortifier la persévérance de ses catéchumènes, il meurt emportant les regrets de l'Empereur et ceux des Jésuites. Les Pères de Uocha et Sichelbart furent avec lui les dernières colonnes de cette Chrétienté; les Missionnaires s'épuisèrent dans de généieux mais stériles efi'orts, tandis qu'au Tong-King, dans le Maduré, en Cochinchine et dans l'Indostan les Pères Al- * varès , Cratz , d'Abreu et d'Acunha tombaient sous le sabre des bourreaux, et que les autres, errants ou abandonnés, voyaient s'écrouler leurs églises d'Orient comme au môme moment la Compagnie de Jésus disparaissait en Europe.

De tout ce que les Missionnaires de la Compagnie de Jésus

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CHAP. l. HISTOIUR

2ivai(*nt cntr/'pris et rculisc de bien à la Cliinc , il nu resta plus ;iii bout de quelques années qu'un petit nombre de Cbrctiens dont d'autres prôtres catholiques se churgèrcnt de vivilicr la foi. Les Lazaristes acceptèrent cette tAcbe; ils firent tous leurs eflbrls pour féconder b? Cbristianisme au cœur de ces popula- tions, mais peu h peu les souvenirs de lu Religion s'éva- nouirent avec celui des hommes qui l'avaient implantée. Les monuments, les tombeaux eux-mêmes disparurent sous la main du temps, et, le 12 octobre 18.'i5, M. l'abbé Mouly, do la Congrégation de Saint-Lazare et Missionnaire apostolique, constatait cette dégradation. Après avoir dépeint à son supé- rieur général les lieux habitèrent, furent ensevelis les plus célèbres Jésuites, M. Mouly s'exprime ainsi :

« Cette môme salle était autrefois ornée d'un grand nombre de portraits de Pères Jésuites, mais ils disparurent au milieu des désastres de la persécution. Deux seuls ont échappé et s'y trouvent encore, celui du Père Parrcnin et celui du l'ère Bourgeois; ils sont placés aux deux cotés d'une longue épi- taphc écrite par le révérend Père Amyot , au nom de tous ses confrères, lorsqu'ils apprirent h dissolution de leur illustre Société, en 1774. Quoique je ne sois pas naturellement très- sensible, mon cœur fut profondément ému, et mes larmes coulèrent en abondance , à la simple lecture de cette épitaplie. Elle est écrite sur un papier fort, collé sur bois. Malheureu- sement le temps et l'humidité en ont fait disparaître plus de trois lignes. Le portrait du Père Amyot était autrefois placé au-dessous de cette épitaphe. Voici tout ce qu'on peut lire :

IN NOMINE JESU :

AMËN.

1NC0NCU9SA

DIU, TANDEM

TOT VICTA PROCELLIS , OCCU-

BUIT.

STA, VIATOR, ET

LEGE :

Alii'jo humanaruni inconslanliain rcrum paiilispcr Tccum repula. Hic jaccni Missioiiarîi Galli , ex llla , iluin vivereiit, celcberriiiia Societale qu» Ubiquc lucorum gciiuinum vcri Oei culluni Docuil et promovit; quo; Jt>»uni , a quu nuineii Acccpil , iu omnibus , iiuauluui patitur huiiiaua

>■; ;

m LA COMPAONIK DE JKSIS.

Imbcrillilas , prapiiis iiiiilalnr inlcr laborc* («1 ;1-!niini)ost

Nos Jus^pliti» Maria Aniyul , Cii'Iri'iquK ux eaileiii Suiielale Missionorii Unlli, ilum Pekiiii Slimruin , siib auspiriit El UittMn Tarlaro-Sinici nionarclui' , Obleiilu scii'iilio) ut artium , rem Divinain atlliuc proinovoinus ; duni in ipso Impuriali palaliu, loi inlor iiiaiiiuin Dcliibra ileurum , prarulgct ailbuc (iiillicana Nostra Ecilesia : bcii ! ail iilliniuin vil»! dioin Tatile suspliantcs , b»i' fralcrnn piolatis Monunieiiluni l'crulfs mler luros posuimus. Abi , vialiir, rongiutularc riioiiuia , Condolovivis, ora pro omnibus, mirareet Taoe.

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' Voici Ut nioti cITiicéi, qui mit vti- trouTéi dam Ici nrc'iiTOi de nirliicurl de Saiiit-I.tiii'i- ù Paris :

. . . Virluli'in l'xcnluit , prn>iniuni jiivil, <'t Onin'i niiiiiiliiia fiictii , ut oiiiiies liicriraciTi-t, l'cr (lun et uinpliun airula r|ulliuii iluiiiit, <uoi Dédit KcclefiiB niarljrei < t cuiifi'»orei.

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CIUP. II. IIISTOIKK

CHAPITRE II.

Lu lli^tluclioni du l'ar«ouay cl lo INto Aiidn* i\o llada. Lo P^re Pakiiir «he/. Ion MnlAHuayo!*. Sysloinc niililairc tieit Ji^miilra, I.p» Pjtcs Soliiiaii cl diui /aralt^ pi^riMcnl «oui le» loups det sauvaQci. I.pb Toliai i*t \e» MornvU. l.a UOduiiioii du Turija. Le PiTC de Arcé tur lu (iiia|iay. llt'duiiioiii dtt riii(|uile8. l.a reinine raïue de Ions leurs maux. Les Ji'suilei du Paraouoy consei-veiit h Philippe V la nd(^lilé doi NVophylet que les Allemands et les Aii- Ijlnis leiilcnl dVbrniiler. Lettre de Philippe V an Provincial du Paraguay. L'isolement dos Néophytes favorable b la monarchie. Le Père ('.avalluro chez les Pnrasis, les Manaciras et les (.)uii'ii|uii-a<i. Maihoni ut Venros chc/. lui Lulles. Les l'ui/.oras niosk.irrcnt Cavalluro. Martyre du Fr^ro Hunit^ro , dn douze Nt^ophyles et de» P^res do Arn». de Blende, Sylvn ut Moco Les Pères d'A||uilar ut Catilunaru/. vunQunt toutes res morts. Don Joseph de AnlU(|uura uhuruhc à entraîner dans son parti les ClinMions du Puriiiiiiay. Les JcSuilrs en l'ace do l'insurrection. Antecpiura, uondiimnù ii mort, lus appelle pour le nuulenir. Philippe V favoribO le d(Welo|ipement dus Ht'duitions. Lo Pùic Li/ardi et ses trnvaux. Il meurt sur un rocher. ('.aslunaru/ chez lus /amu- ros. Les J<^uilcs étudient le cours dus llcuvus. Le CulléKe de Corrieiiti's.

Les Tobatincs retournent h la vie urranlo.— Le Père Yujros lus poursuit ut lus ramène. Los l'ampus ou Tuulcliès. Le Père QuiroQa aux Turres-Magolla- niqucs ou PalaQunie. Le Père liiira/.oct lus Moxcs. Cruuutti du ces peuples.

Travaux du Jt^suilc. Bariue est luu pur lus Hauros. Le fleuve dus Ama- zones cl lus Missionnaires. Le Pure Vieira au Maragnon. Il proche l't^man- t ipalion dus est luves. Le Jèsuile pucillcaleur cuire lus siiuva|]us et les Porlugaiii.

Les PImos accusés de domination. DiVrel du roi de Porluijal. Douze Jèiuileg massacres sur le Xiiiou. Leurs collèocs aux rives du MaroQuon. Les Jésuites persUculi's par les marchands, et défendus par le Conseil royal. Le Père Kichicr sur l'L'cayle. Il est vf,orQ>'' par les Xiberos. Le Père Arlul chuz les Cunisiens. Les Jésuites en Californie. Roberlson et Ilumboldt. Le Père Sepp chez les Tscharos. Les Pères Lombard et llamelle a la Guyane.

Industrieuse activité du Lombard. Sus moyens de civilisation. Les Jé- suites aux Antilles. Le Père de La Rorde défend l'Ile de Saiul-Christopho ronirc les Anglais. Les NèQces protégés par les Ji'suiics. Leur apostolat en (iuinéeet au Congo. Us créent une Société des Naufrages. Les Jésuites au t^anada. Situation des Missions. La Nouvelle- francu ut h NouvelleAn- nleterre conlinueul sur les lacs de l'Amérique seplenlrionnle lu vieille lutte d'Europe.— Les Iroquois alliés des Anglais. Vie des Jébuitus parmi les tri- bus. — Mort du Père Marquette et la rivière de la Uobe-Noire. Les Jésuites chez les Illinois. Le Père (iraviur. Il est lue par les Péouarias. Pollti(|ue des Jésuites en faveur de la France. Barbé-.Murl)ois et Chateaubriand. Lus Missionnaires réunissent les Hurons dispersés par lus Iro(|tiois. La Réduc- tion de Lorelle Les Pères Enjalran et de Carhuil négociunt la paix. Les Anglais excitent à la débauche les Iroquois. Les Jésuites chuz lus Iroquois. Leurs souffrances. La tribu des Abénakis française pur conviction. Les Anglais égorgent le Père Kasle. Le Père du Rhu fonde une Chrétienté à l'ein- boiichure du Mistissipi, Les Pères Joseph de Limoges et Duugé à la Basse- Louisiane. Les Nalchuz massacrent le Père du Poisson. Les Chicacas font brûler le Père Sénat. Les Jésuites sur l'Uhio. Le Sachem (Jllunsai , l'ami de la France. Il assiège lus Anglais— Les Robes-Noires et la tribu des Utavvas. Conclusion des Missions.

On sait par quelle industrieuse patience les Jésuites firent des hommes et des Clirétieiis de tontes les tribi.s dispersées sur

nP. LA COMPAONIR DR JP.AI S.

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le bord ili^s llciives ou crmut duns los m()ntii(i[i)(<s de rAiii('ri(|iii>. Ils y Ibntlèronl d'iniionibrubics Missions; lits (>in|uros l<!s plut llorissiints, les roiUinoiits b;s plus désiirts, les ilos les plus éloi- gnées, tout est devenu par eux lu cuiKiuète de la croix. Il reste h examiner si, dans l'administration de tant d(! peuples que le dévouement catlioliijuo civilisa, le miracle s'est perpétué, ot si les Jésuites ont maintenu et consolidé l'umvre de leurs prédé- cesseurs.

Ceux du Paraguay avaient enfin ménagé une trêve do six ans entre les Indigènes et les Kspagnols ; cette trôve leur permettait (le se reconnaître au milieu des événements. I,e Père André de Rada, Provincial du Pérou, nommé Visiteur des Réductions, devait rechercher les causes des dissentiments entre don Ilcr- nardin de Cardenas, Evoque de l'Assomption , et la Compagnie de Jésus. Le nom de ce Missionnaire avait traversé les mors, et quand la mort le surprit quelques années après au Collège im- périal de Madrid , dont il éluil recteur, l'Espagne entière s'as- socia au deuil de l'Institut. Uada avait épuisé ses forces dans les Missions; il consacra ses derniers jours à servir les malades dans les hospices, une fièvre contagieuse s'était déclaré. Il succomba; le respect que ses vertus inspiraient fut si grand, que le cardinal d'Aragon , archevêque de Tolède , le Conseil royal des Indes et les oiTiciers supérieurs de l'armée se dispu- tèrent le dangereux honneur de le porter au tombeau. Rada parcourut en détail cette république chrétienne ; le nouvel Evoque de l'Asomption , Gabriel de Guillestigui , en fit autant do son côté ; tous deux, mus par le môme sentiment d'équité, rendirent au roi d'Espagne et au Général de l'Ordre un compte favorable de la situation des choses.

Peu de temps après, en 1GG8, le Père Juan Pastor faisait une nouvelle tentative sur le Chaco. A deux reprises différentes, il avait essayé d'y répandre la Foi ; les sauvages le repoussèrent. Mais ces échecs ne servirent qu'à le fortifier dans son projet. Avec deux Jésuites pour toute escorte, il pénètre chez les Ma- taguayos. Il est accueilli sans colère ; bientôt les sauvages con- spirent contre ses jours. Afin de ne pas les charger d'un crime qui rendrait impossible l'introduction de l'Evangile dans leur

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CHAP. II. HISTOIRE

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pays , les Missionnaires se dérobent à une mort qu'ils envient. En 1071, une Réduction fut commencée près d'Elsteco. Les Pères Altamirano et Barthélémy Diaz la gouvernèrent; mais, ce n'était pas assez d'avoir créé la Réduction, il fallait la peupler, et les sauvages s'opiuiAtraient à vivre de cette vie nomade A laquelle on les appelait à renoncer. Les Néophytes des Réduc- tions étaient ouvriers et soldats. Ils élevaient des villes; iis marchaient à l'avant-garde de l'armée ; ils construisaient des citadelles et des ports; ils défendaient le drapeau que l'Espagne confiait à leur fidélité éprouvée. De ces travaux et de ces périls les Néophytes ne retiraient aucun salaire. Les Jésuites n'avaient pas voulu les habituer à vendre leur sang ou leurs bras à la patrie qui les adoptait, et au roi qui les protégeait. Le com- merce, l'industrie, l'agriculture fournissaient au-delà de leurs besoins et de ceux "de leurs famdles; dans la pensée des Mis- sionnaires, il ne fallait pas donner aux Chrétiens des idées de cupidité.

Vingt années s'écoulèrent dans ces alternatives de bons et de mauvais succès; mais, en 108!^, sous le provincialat de Tho- mas de Baeza, les Pères Diego Ruiz et Antoine Soliuas risquè- rent encore une incursion dans le Chaco. Cette terre semblait se fermer à l'Evangile, les Jésuites s'obstinaient à la féconder de leurs sueurs; ils avaient fini par faire comprendre aux gou- verneurs de Rio de la Plata et aux rois d'Espagne que la porte du Chaco ne s'ouvrirait jamais par la force ou par la crainte, et que ses habitants )ie se soumettraient qu'après avoir appris à obéir par la connaissance de Dieu. Ce n'était donc pas des soldats qu'il importait de lancer dans le Chaco, mais des Apôtres. Fernand de Luna et Nicolas d'Ulloa, l'un gouverneur et l'autre Evoque du ïucuman, cédèrent à ces observations; les deux Jésuites furent chargés de la Mission. Le !20 avril lOSîj, ils partent de Jujuy, accompagnés de Pedro Ortiz de Zaraté, pieux ecclésiastique aspirant à la Qouronne du martyre. Ils franchissent la montagne du Chaco ; puis, dans les plaines de Ledesma , ils voient accourir à leur rencontre le Cacique des Oyatas, qui, avec su tribu et une partie de colles de Tobas et de Tanos, s'offre pour entrer en Réduction. On en établit une

DE LA COMPAGNIE DE JESUS.

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sons le titro de Saint-Raphaël. Quatre cents familles la compo- sèrent; riiiver approchait, il allait intercepter les communica- tions avec le Tucuman. Le Père Ruiz se décide à s'y rendre pour ne pas laisser sa nouvelle colonie en proie à la famine. Il part, son retour est annoncé. Les Missionnaires et les catéchu- mènes s'avancent à quelques lienes de Saint-Raphaël, afin de saluer son arrivée, lorsque, le 17 mars 108G, ils sont assaillis par une multitude de sauvages campés dans «ne forêt voisine. Solinas et don Zaraté périssent sous les flèches ou sous le ma- canas ; leurs Néophytes partagent le même sort.

La trahison des Tobas et des Mocovis n'intimida point les Jésuites. Ils se savaient destinés à toutes les perfidies et à tous les supplices; ils n'en continuaient pas moins leur apostolat. Pour les préserver de ces embûches, le roi d'Espagne veut en vain les faire escorter par ses troupes; les Missionnaires sen- tent que la force est inutile. Elle exaspérera les sauvages, que le Christianisme eil'raie encore moins que la servitude. Ceux qui ont apprécié le dévouement des Pères ne sont pas éloignés d'embrasser leur croyance; mais, comme les plus opiniâtres, ils ne veulent pas que le prêtre catholique vienne à eux sous la protection des Espagnols.

Une cité a été fondée dans la vallée de Tarija , dont elle prend le nom ; par la province des Charcas et par celle des Chirigua- nes, elle fournit un moyen d'entrer dans le Chaco. En 1090, le Père Ruiz institue un collège à Tarija ; cette maison doit être le point de départ, le centre et la retraite des Jésuites qui entre- prendront de porter la Foi dans le Chaco. Le marquis del Valle Toxo et dona Clementia Bcrmudez, son épouse, consacrent leur fortune à cet établissement, dont le Père Joseph de Arcé est nommé supérieur. De Arcé crée une Réduction sur le Gua- pay; mais les progrès de la Compagnie renouvelaient lescrainter^ des marchands d'esclaves. L'avidité des uns s'ellbrçait de nuire au zèle des autres. Chaque jour elle élevait des conflits; elle cherchait par de sourdes manœuvres à calomnier, même au- près des Indiens, la Religion et les Jésuites qui les aflranchis- saient.

A travers ces difFicultés renaissantes , les Pères de Arcé ,

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CIIAP. II.

HISTOIRE

Centcno, Ilervas, de Zéa, Philippe Suarez, Fideli et Denis d'Avila maintiennent leur œuvre. Les Cliiquites sont attaqués par les Mamelus ; de Arcé est éloigné de la Réduction, et les Néophytes ne combattront que sous ses yeux. Pour qu'ils puis- sent triompher de leurs ennemis, ils implorent la bénédiction de celui qui les a faits chrétiens ; Arcé accourt, et les Chiquites sont vainqueurs. Ce succès, qui date de l'année 1004, donna un rapide développement aux Réductions. De 1095 à 1707, il s'en forma quatre qui prospérèrent et qui bientôt n'eurent rien à envier à celles des Guaranis. Les Chiquites habitaient les rives du Guapay et du Parapiti, qui, sous le nom de Rio de la Madera, se jettent dans le fleuve des Amazones. Sur cette terre peu féconde , et les variations de la température enfante cha- que année des maladies pestilentielles, il n'existe pour tout remnie qu'un fanatisme déplorable. Ces Indiens se persuadent que la femme est la cause de tous leurs maux. Au premier signe de douleurs, ils peuvent faire mourir leur mère, leur épouse, leur fdle ou toute autre femme qu'ils indiquent au Cacique. En de- hors de cette croyance, les Chiquites ne sont ni cruels, ni san- guinaires ; mais ils n'ont aucune idée de la famille, aucune trace de la loi naturelle. Quand la lune, qu'ils appellent leur mère, s'éclipsait ou se couvrait de nuages rouges, ils s'imaginaient que des cochons, à force de la mordre, la mettaient tout en sang. Pour la délivrer, ils lançaient des flèches en l'air jusqu'au mo- ment où elle reprenait son éclat. Les Jésuites triomphèrent peu à peu de ces instincts mauvais ou superstitieux ; ils assoupli- rent ces caractères de sauvages, qu'une ivresse presque continue abrutissait.

La guerre de la succession s'était ouverte on Espagne. La France d'un côté, l'Allemagne et l'Angleterre de l'autre, se disputaient le trône de la Péninsule. Les Jésuites avaient re- connu le petit-fds de Louis XIV; comme le grand roi, ils dé- siraient qii'il n'y eût plus de Pyrénées. La colonie du Paraguay fournissait au roi catholique des soldats dont le courage et la subordination étaient appréciés; elle pouvait oflVir, dans les circonstances, un bon ou mauvais exemple. De ces provinces dépendait peut-être l'avenir de l'Amérique espagnole ; les Au-

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glais inspirèrent aux Autriciiiens la pensée de séduire le dévoue- ment des catéchumènes. I\ien n'était possible par les Jésuites, on choisit des Trinitaires engagés sous le drapeau de l'Archiduc pour détacher les naturels du Paraguay de leur obéissance au roi et aux Pères. Le 5 mars 1703, Philippe V donna lui-même avis de ce complot.

« Vénérable et dévoué Père Provincial de la Compagnie de Jésus dans la Province de Rio de la Plata , écrit le roi , j'ai ap- pris qu'un des phns de mes ennemis est d'envoyer dans votre Province des religieux espagnols, sous prétexte d'assurer les na- turels du pays qu'ils seront maintenus dans l'exercice de notre sainte Ileligioii catholique , mais , en eflet , pour jeter le trouble dans ces possessions par les discours qu'on leur tiendra en fa- veur de l'Empereur. J'ai même su depuis peu qu'il y a actuel- lement à Londres deux religieux trinitaires, dont l'un est Cas- tillan et l'autre Allemand, qui doivent passer dans ces provinces, et , s'ils peuvent s'y introduire secrètement , reprendre l'habit de leur Ordre. Ils sont charges de plusieurs milliers d'un ma- nifeste imprimé au nom de l'Empereur, qu'ils doivent appuyer par leurs discours en public et en particulier, aim de tenter la iidélité de mes vassaux. Us se prétendent Missionnaires apos- toliques , ce qu'ils ne sont point. On a eu aussi des nouvelles qu'il se trouve à Londres deux ' aliers qu'on dit devoir pa- reillement passer au Paraguay, dont l'un a été secrétaire du comte d'Harrach, ci-devant ambassadeur de l'Empereur dans cette cour. Pour prévenir !cs choses préjudiciables au service de Dieu et au mien et à la tranquillité de mes vassaux , qu'oc- casionnerait l'introduction d'étrangers ennemis de cette cou- ronne, j'ai résolu de vous écrire la présente, par laquelle je vous prie et vous enjoins , si quelques religieux espagnols ou étrangers, ou d'autres personnes, de quelque état et qualité qu'elles soient, donnent lieu à des soupçons, de les en faire sor- tir et embarquer pour l'Espagne , requérant les supérieurs des réi^uliers d'exécuter la môme chose. »

liCS Jésuites du Paraguay n'avaient peint îi se mêler d'intrigues politiques; mais celui que la métropole avait salué pour sou- verain faisait appel à leur fidélité, ils acceptèrent le nouveau

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CHAP. II. HISTOTRK

(Ifîvoir q'.ii leur l't.'iit iinposô. Par une préc.inlion dont la con- ronm» sentait l'iniporfr.nco , ils avaient isolé leurs Néophytes t le tont contact avec les étrangers ; la démarclie du roi no pouvait rpje les fortifier dans leur idée première. Les indigènes étaient heureux , les Jésuites se gardèrent bien de leur apprendre les discordes dont la mère-patrio était le théâtre ; ils se conten- tèrent de leur recommander une surveillance plus active. La .,uerre d'Espagne passa au-dessus de leurs tètes sans qu'ils connussent même Je nom les princes qui se disputaient le sceptre. Charles II avait eu pour successeur Philippe V, ils n'avaient pas besoin d'en savoir davantage ; lei rélioité ne fut troublée par aucune commotion.

'Cependant le Père Cavallero arrivait chez les Puraxis. Il les gngna promptement à la civilisation ; puis , comme si le repos fatiguait son ardeur, le Jésuite prend la résolution de pénétrer sur le territoire des Mafiacicas. Il y a des périls à braver , une mort presque certaine à alfronter, Cavallero a foi dars le Dieu qui le soutient; malgré les prières des Puraxis, il tente le voyage. Les Mafiacicas le re(;oivent avec respecl : il leur an- nonce l'Evangile , et de il s'avance vers les Sibacas. Le Mis- sionnaire les fait chrétiens; emporté par son impétuosité, il ose se présenter devant les Quiriquicas . les ennemis les plus achar- nés de ses Néophytes; son voyage est un triomphe pour la croix. On le menace souvent de mort, on essaie de le faire tomber dans quelque embuscade ; sa prudence et la protection du Ciel le préservent de tout péril. Il avait répandu le Chris- tianisme au milieu des populations sauvages ; il s'elforce d'en inspirer une connaissance première aux Jurucarez , aux Subu- racas, aux Arupurocas et aux Bahocas : il y parvient.

Le besoin de former d'autres Réductions se faisait sentir, li'autorité espagnole s'était d'abord opposée à cet accroissement de la Foi , parce que , aux yeux des négociants , plus les Chré- tiens se multipliaient, plus les esclaves devenaient rares; mais enfin la crainte des Jésuites ne tonrnicnlait plus ses rêves. Elle voyait qu'ils n'avaient pai détourné de l'obéissance ces popu- lations , qu'un mot de leur bouche aurait pu poi/sser aussi fa- cilement à la fidélité qu'à la révolte. Les Jésinlcs étaient les plus

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lulùlus serviteurs de la monarchie , le vice-roi du Tucunian boiigc à leur créer des Résidences chez les Ojatus et chez les Lulles. Les Pères Machoni et de Ycgros lurent choisis. Comme la plupart des Indiens , les Lulles s'imaginaient que le baptême était un poison. Ce préjugé s'enracina si fortement oans leur esprit , qu'ils ne virent d'abord dans ios ?fIissionnaires que des assassins. En I71i, après des efforts de tous les instants, les deux Jésuites, qui avaient capté leur confiance par une amé- nité sans exemple, purent faire descendre sur ce peuple les huniéres de la Foi. Ce peuple se montra docile à leurs Ic- (,',ons.

Machoni et Ycgros avaient apprivoisé les Lulles; Cavallero, exténué de lassitude , poursuivait son apostolat. De bourgade en bourgade et de Mission en Mission, il arrivait sur le territoire des i'uizocas. Le 17 septembre 1711 , il expire avec ses compa- gnons sous les coups de leurs inacanas. Ce premier martyre n'était (jue le prélude de beaucoup d'autres. Le Père de Zéa prêchait le Christianisme aux IJuiez, tandis que Yegros et le Frère Albert Koméro s'occupaient de convertir les Zamucos. Tout-à-coup ces derniers changent de disposition : hier ils pa- raissaient pleins de bonne volonté , aujourd'hui ils sont en révolte ouverte contre les ?ilissionnaires. Les Missionnaires n'avaient pour eux que la force morale , le Frère Roméro et douze Néo- phytes sont massacrés. Vers la même époque, on 1717, les i'èri-s de Arcé, de Blende, Sylva et Maco périssent sous le fer des Payaguas. Le sang des Jésuites pouvait mouler à la tète des catéchumènes non encore formés , on leur cachait ces meurtres , pour ne pas leur faire naître l'idée d'en comuicttre d'autres ; on les accoutumait peu à peu au travail; mais la paresse native du sauvage ne se prêtait point à des labeurs dont il ne compre- nait pas le but. Les Pères Yegros, Machoni et de Monligo se liront laboureurs pour leur offrir l'exemple. Les Zamucos, après avoir tué le Frère Koméro, avaient pris la fuite; ils se croyaient à l'abri des vengeances du Ciel et de la prédication des Jésuites. Les Pères d'Aguilar et Castanarez ne consentent pas à laisser cette désertion iiupunie. Ils savent que , dans ces na- tures légères le souvenir du crime s'efface aussi vite que la trace

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CHAP. II.

HlSiOlKE

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du sang , et que , par une volonté plus tenace que leur insou- ciance , on panient toujours à les dominer. D'Aguilar et Casta- narez ont , ainsi que tous les Jésuites , fait cette expérience. Les Zaniucos se vantent d'être pour jamais délivrés des Pères , au moment môme ils en voient deux s'introduire sous leurs tentes. Entraînés par leur douceur , ils les suivent à la Réduction de Saint-Raphaël , ils reprirent avec bonheur les exercices des catéchumènes.

Ce n'était plus de la part de« Indiens, en guerre avec la civilisation, que les Jésuites avaient à redouter de nouveaux désastres. Ces massacres partiels ne modiiiaient point le plan tracé; le trépas de quelques-uns n'arrêtait point l'essor im- primé aux autres. Les Réductions s'organisaient, et, sous la main des Pères , elles arrivaient à un haut degré de prospérité morale et matérielle. Néanmoins des événements politiques, des rivalités de personnes avaient apporté le trouble dans ces provinces jusqu'.ilors si paisibles. Don Diego de Los Reyès était gouverneur du Paraguay. Sa naissance ne répondait pas à la dignité dont le monarque l'honorait; il crut que, par l'indul- gence et par l'équité, il désarmerait l'opposition. Il vouhit être juste , il prit le parti du faible et de l'opprimé. Il froissait ainsi des cupidités , il dérangeait des calculs que les Missionnaires avaient souvent comprimés. 11 osait faire emprisonner ceux qui cherchaient à affaiblir son pouvoir ou à dénaturer ses intentions. Los Reyès n'avait que sa conscience pour lui; tous les Eu- ropéens lui étaient hostiles ; la haine fit si rapidement marcher les choses , que le gouverneur se vit accusé , et qu'un membre de l'Aîulience royale de Charcas fut envoyé à l'Af'oniption pour iiiiormer. Il se nommait don Joseph de Antequera. Impétueux, dévoré d'ambition, toujours prêt à seconder une intrigue ou à l'ourdir , Antequera était aussi insatiable de fortune que d'autorité. De magistrat instructeur, il se fit juge; de juge , il s'improvisa gouverneur à la place de sa vic- time. Don Joseph avait été élevé par les Jésuites de la Plata et de Lima , mais il n'ignorait point que ses ini(juités et son usurpation évo(iueraicnt peu d'approbateurs dans la Compa- gnie ; il savait même que Los Reyès s'était retiré sur le Pa-

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rana, afin «le se mettre en rapport, soit avec les Jésuites, soit avec les Réductions; il vint camper au-delà du Tabi- quari. Les Missionnaires virent une provocation dans cette démarche; toutefois, ils se gardèrent bien de témoigner de l'inqpJétude , ot, pour ne pas engager une lutte funeste, ils écrivirent à Anlequera de prévenir ce malheur par une re- traite volontaire. Le gouverneur, dont les pouvoirs n'étaient pas réguliers, craignit que les Néophytes ne prissent fait et cause en faveur de la loi violée. Les Pères François de Roblez et Antoine de Ribcra conduisirent à son camp les al- cades et les olliciers des Réductions ; ils lui déclarèrent qu'au- cun niouvGinent militaire ne se ferait sans un ordre exprès du roi.

Tranijuille de ce coté, don Joseph s'occupe de réaliser ses pliins. Il espère n'avoir rien à redouter des Néophytes; il va, pour donner plus de consistance à ses projets, bannir de l'As- somption tous les Pères de la Société de Jésus. De là, il pré- tend occuper les Réductions, et peut-être s'en déclarer le chef, après les avoir soustraites à. la couronne d'Espagne. Par ce qui se passait à l'Assomption, les Missionnaires comprirent quels étaient les desseins d'Antequera ; ils résolurent de déjouer ses intrigues. Ce magistrat avait apporté la guerre civile, elle écla- tait; Antequera la commence en calomniant les Jésuites. Il s'i- magine qu'il doit les perdre, s'il veut triompher ; il n'épargne rien pour arriver à son but. Mais les Jésuites avaient eu le temps de se prémunir contre une pareille agression ; les c;ité- chumènes leur étaient aussi dévoués qu'au roi d'Espagne, et déjà le parti d'Antequera allait en s'aiVaiblissant ; car chacun s'avouait que le Conseil royal des Inde?; ne tolérerait jamais de semblables abus.

Antequera se vit peu à peu abandonné par l'année qu'il avait recrutée ; sa voix ,trêcha la révolte, il succomba cepen- dant; mais, à l'aspect de l'échafaud qui l'attend, cet homme, jusqu'alors si lier, n'ose pas rester sans amis , sans consola- teurs; il a persécuté les Jésuites, il les appelle dans sa prison. Les Pères Thomas Cavero et Manuel de Galezan se vendent à sa prière : il se jette à leurs genoux, il témoigne un vif repentir

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CHAF. II.

HISTOIKE

tl(!,s crimes (fuc l'ambition lui lit coP7n»ettre ; il tlomuiult' mémo à s'entretenir avec plusieurs de ses anciens professeurs ou de SCS condisciples, membres de la Société de Jésus. Cette répara- tion n'arrêtait point le mal que tant de passions mises en jeu enfantèrent. On avait abandonné le traître qui levait l'étendard de la rébellion; on le plaignit, on admira le prétendu martyr de la liberté. Antequcra avait rêvé qu'il travaillait à l'alVranchisse- ment du Paraguay; Sc: «'ompliccs ou ses dupes no pouvaient ex- cuser leur lAchet.!) ou se faire p.Tdonncr leur désertion qu'en se disant victimes des Jésuites. Les exécutions d'Anteifuera et de Juan de Mena , alguazil-n'ajor , récbaulVérent le parti qu'ils avaient formé. Ce fut le 5 juillet 17îJl qu'Antcquera expia ses fautes par une mort tragique. Un mois après, la junte rebelle de l'Assonqilion proscrivit fiioore les disciples de Loyola, et rKvè(iuc don Josepli Palos écrivait au Père Jérôme llerran, pro- vincial du Paraguay : '

« Voici, mon llévèrend Père, le plus malbcureux jour do ma vie, et je regarde comme un miracle qu'il n'en ait point été le dernier. Je vais mourir de l'excès de ma douleur à la vue de mes très-chers Frères et de mes respectables Pères cbassés par la Comirumo, dont je n'ai pu \aincre l'opiniàtroté par trois monilions consécutives de l'exconniuniicaliou portée par la bulle fn cœnà Domini, et qui ont été faites à tous ceux (|ui conseillèrent, favorisèrent ou exécutèrent un crime si éuormc!, par l'inlerdit général et personnel que j'ai jeté sur la ville et sur toute la province, quoiipic l'on ait mis des soMats à la tour de ma caîliédrale, et dél'cndu, sous peine de la vie, de sonner les cloches. Au premier avis que j'eus de leur dessc'n, je lis avertir le Père recteur de fermer toutes les portes du collège, mais ces sacrilèges les ont enfoncées et rompues à coups de hache. J'étais moi-même investi de soldats dans ma maison, sans avoir la liberté de me montrer à la porte, et j'aurais ex- posé mon caractère, si j'avais voulu suivre mon penchant, qui était d'accompagner mes chers Pères, de secouer la poussière de mes sandales et de laisser pour toujours ces excommuniés. »

L'autorité royale était méconnue comme celle de l'Eglise ; l'insurrection allait faire ilc rapides progrès. Le vice-roi du

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Pérou, marquis de Castel-Fuerte, (onvoque les principaux ofiî- cicrs de la couronne, et, le '21 juin 1732, le conseil prend la détermination de repousser la force par la force. Pour réaliser ce plan, des soldats braves et fidèles étaient nécessaires ; le conseil s'adresse aux Jésuites des Réductions ; on lit dans son rapport : « Lecture faite de différentes pièces et papiers con- cernant les troubles de la province du Paraguay ; après de niiVres délibérations sur l'importance des événements, il a été résolu de prier Son FAcellence d'enjoindre au Père Provincial de la Compagnie de Jésus au Paraguay ou, en son absence, à celui qui gouverne les Missions de ladite province du Paraguay, de fournir promptenient au seigneur don Bruno Maurice de Zavala ou à don Augustin dt; Ruiloba, gouverneur du Para- guay, le nombre d'Indiens Tapés et des autres peuplades, bien armés , qu'ils demanderont pour contraindre les rebelles à rentrer dans l'obéissance qu'ils doivent à Sa Majesté. »

Les Espagnols et les naturels du pays s'insurgeaient contre la métropole ; le pouvoir ne trouvait d'autres moyens pour les dompter que de faire appel aux Néophytes. Le Père d'Aguilar, supérieur des Réductiotïs du Parana , se mit à la tète de sept mille Chrétiens ; le Provincial ordonna de faire prendre les armes à toute la population. La révolte fut comprimée ; mais cette victoire du bon droit leur coûta cher. Le service militaire les avait tenus éloignés de leurs travaux habituels , et la famine , traînant à sa suite toutes les maladies contagieuses , ne tarda pas à sévir dans les Réductions.

Tandis que le gouverneur du Paraguay rétablissait dans les villes et dans les campagnes l'autorité dont tant de commotions successives avait ébranlé la base , les Goaycurus et les Mocovis mettent à profit les discordes du Paraguay ; ils portent le ra- vage jusqu'au sein de la capitale. Il ne fallait plus combattre les sédLieux, mais les préserver du désastre d'une invasion. Le gouverneur a recours aux milices des Néophytes; les Jésuites leur annoncent qu'ils doivent marcher à la défense de leurs frères épuisés par des luttes intestines ; ces Chrétiens se dé- vouent encore au salut de tous. Ils repoussent les Guaycurus, ils battent les Mocovis, et, partout vainqueurs, ils rentrent sous V. 6

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la coiuluilc des l'crcs dans les paroisses li'où ils iiu sortait iil que pour défendre la Religion et In patri ! ccuimune.

Ces guerres, nées à la suite d'une révolution , n'avaient point comprimé l'élan des Missionnaires. La couronne d'Espagne sen- tit enfin que ce serait dans les Réductions qu'elle trouverait ses jdus fidèles sujets ; elle excita les Pères à entreprendre de nou- velles courses. Pour accroître l'industrie des Néophytes et les ressources de la Mission , Philippe décida môme qu'à l'avenir le Général de l'Ordre aurait la faculté d'envoyer au Paraguay un certain nombre de Jésuites non espagnols. La ville de Tarija était plus que jamais exposée aux insultes des Chiriguanes ; le vice-roi projette do la délivrer en soumettant ces tribus, qui lui permettront ainsi de s'étendre dans le Chaco. L'intervention apostolique était plus elVicace que les armées : le vice-roi de- mande au Père Herran des ouvriers pour défricher cclfe terre. Julien de Lizardi, Ignace Chômé et Joseph Pons furent dési- gnés. Ils arrivent à Tarija, ils apprennent que la guerre est dé- darée, et que, comme condition de paix, ou imposera aux vaiu- {•.m la Mission des Jésuites. Ce n'était ni par le fer ni par la vioisnce qu'ils espéraient civiliser ces tribus , mais par la charité. Le Père Lizardi et ses collègues refusent de s'associer à un pa- rod dessein. Une Réduction abandonnée existait non loin de la ville ; afin de la peupler , ils se mettent à la poursuite des sau- vages; ils franchissent les montagnes , ils s'enfoncent dans l'é- paisseur des forêts , ils traversent des fleuves inconnus , ils bravent les intempéries des saisons. Tant de périls ne sont pas couronnés de succès : les Indiens fuient toujours devant eux , quelquefois même , pour ralentir leur marche, ils les trompent par de faux semblants de piété. Leur santé était altérée , mais ic courage les soutenait encore. Cependant les Néophytes de la Conception s'inquiétaient de la turbulence des Chiriguanes, leurs voisins ; le Père Lizardi reçut ordre de venir les protéger. Le 15 mai 1735, il est averti que les tribus de la vallée d'Ingré se disposent à attaquer ses Réductions. Chaque jour elles ré- pandaient de perfides avis pour lasser la vigilance des Chrétiens. Lizardi ne prend aucune précaution, il monte à l'autel, et, tandis qu'il célèbre les saints mystères» , une troupe de Chiri*

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gUHiiBs fond sur ht Ixturgade. i<c peuple s'cnl'iiit, et le Jésuilo est traîné en captivité. I.es vidienccs et le iVoid ont bientôt épui$é ses tbfces ; les naturels s'aperçoivent que la mort va saisir leur victime, ils dépouillent le Père de ses vêtements, ils le placent sur un rocher , et il sert ainsi de b..t à leurs flèches. Il expib. le 17 mai 1735, à IMge de trente-nelif ans. Lorstjue, le 7 juin, les Néophytes , de retour n H Conception, voulUi'ent connaître le sort de Lizardi, ils f' «t le cadaVre â moitié dévoré par

les oiseaux de proie. Ui martyr était ouvert à l'ol-

lice des morts , et un . iistitut reposait & côté de sou

iiucilix. On efitdit qu'à a uen.jore heure Lizardi avait essayé de réciter sur lui-même les prières de l'jigonie, et qu'en périssant d'une manière si déplorable il avait cherché à s'entourer de toutt's les images, de tous les souvenirs clicrs à son cœur de Cluctien et de Jésuite.

Le Père Pons restait seul ; il rassemble, il conserve les débris de laRéduttion, et le Père Chômé se dirige mms la tribu des Chicas. Ces désastres ne raliMi tissaient point l»* mouvement im- prinjc. Les Zamucos avaient, en 17:23, m;issacré un Mission- naire; d'autres accourent pour contiiuier j'œuvrc que la mort seule interrompra. Le Père Hervas> expire dans^les labeurs du voyage ; CaSlaflarez, son compagnon, apprivoise les Zamucos. De là, il passe à Saint-Joseph des Chiquites, puis, sans se laisser arrêter par le danger, il s avance vers le pays des Zatienos ; il est repoussé par la force. Les Jésuites ne se rebutaient jamais ; depuis longtemps ils nourrissaient l'idée de trouver un point de communication entre les provinces de ce continent. Les uns le dcinandaient aux fleuves, les autres aux montagnes ; ils en ('fiidiaient le cours ou les pentes ; mais ce but d'utilité ne les détournait pas de leur principal oUlce. Au Paraguay, ils étaient apôtres avant de songera se révéler hommes de science. L'autorité qu'ils avaient créée à l'Espagne devenait pour elle t.tiitôt un sujet de joie, tantôt une occasion d'alarmes, selon les circonstances. L'isolement dans lequel les Pères main- tenaient leurs Néophytes faisait concevoir des soupçons que l'on transformait promptément en réalité. On avait déjà vu plu- sieurs prélats et des gouverneurs du Paraguay manifester quel-

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ques craintes sur l'influence exercée par les Jésuites. On les disait maîtres absolus de leurs disciples ; ce fut en s'appuyant sur cette omnipotence et sur le mode de paiement adopté par les Réductions tributaires de la couroni^e que don Martin de Barua sut provoquer à Madrid de sérieuses inquiétudes. Le Père Rodero répondit à cette attaque, que le Conseil des Indes hésitait à prendre en considération ; en 1737 le Père d'A- guilar adressa au roi un mémoire justiticatif. Les faits avaient été tellement dénaturés que le Conseil refusa de s'associer à des haines personnelles ou aux méfiances tendant à compromettre l'avenir du pays. Six ans plus tard, en 1743, après avoir fait examiner en détail les moyens d'action des Missionnaires, leur système d^enseignement et la grave question de l'isolement com- plet des Néophytes, Philippe V approuva tout ce qui se faisait au Paraguay ' .

Au milieu f des intrigues dont ils étaient l'occasion à Madrid, les Jésuites ne se laissaient point endormir par le succès. Ils avaient tout créé : le sauvage était devenu homme ; mais il fal- lait que chaque génération de Pères apportât son tribut à l'Evan- gile. Us avaient fondé trente Réductions; ils les entretenaient dans la piété par des retraites, dans l'amour du travail par des récompenses. Leurs collèges prospéraient ; néanmoins il restait encore des peuplades à émanciper. La lumière commençait à pénétrer par le spectacle même des vertus et du bonheur régnant dans les bourgades chrétiennes. Quelques Mocovis ont visité le Collège de Corrientès ; ils demandent que trois ou quatre Pères les accom[)agnent au pays des Âbipons , qui ont si longtemps résisté à l'armée espagnole. Les Jésuites, conduits par Casta- iiarez, se mettent en marche avec eux; ils parviennent à les former en réduction. Les Mataguyos font la même prière. Cas- tanarez part en 1744 pour se rendre à leur vœu. Â peine a-t-il mis le pied sur leur sol qu'il tombe victime de sa confiance.

Les Tobatines avaient disparu de la Réduction de Saintç- Foi ; depuis dix ans ils erraient sans laisser de vestiges de leur passage à travers le désert. Le Père de Yegros s'était mis à leur poursuite ; après onze ans de courses, il rejoignit enfin ces fa-

Voyez au cliapiire buivaiit le décret de Philippe V. <,

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milles nomades. Elles s*obstinaient à ne pas rrntrer dansieur ancienne Réduction , il s'établit au milieu d'un peuple aussi in- constant. D'autres Missionnaires accourent à son aide ; ils com- mencent à faire goûter les premiers fruits de la civilisation aux Tobatines. Dans la môme année, les Jésuites s'ouvraient les Terres magellaniques. Les Pampas ou Tuelchés, habitants de la Patago- nie, ont pris les idées du monde à rebours. Tout est bizarre dans leur culte ainsi que dans leurs mœurs; ce son^> les enfants qui com- mandent et les pères qui obéissent. Du reste, aimant la paresse avec volupté, adonnés à toutes les débauches, ils sont joueurs, avides ; la croyance à l'immortalité de l'âme est la seule trace de Religion naturelle qui ne soit pas effacée sous tant de siècles d'abrutissement. Les Jésuites s'occupent d'abord de vaincre leur insatiable besoin de locomotion ; ils adoucissent peu à peu leur barbarie, ils combattent avec de douces paroles leur vicieux naturel , ils leur enseignent l'art de faire produire la terre , ils les gagnent au Christianisme avant même de leur avoir révélé tous les avantages de la civilisation. À cette nouvelle conquête de la Foi , Philippe V adopte des mesures pour développer un pareil germe de richesse.

Il veut que d'autres Pères partent sur une frégate de l'Etat bommandéo par Joachim d'Olivarès. Joseph de Quiroga, l'un des marins les plus distingués d'Espagne avant d'entrer dans la Compagnie de Jésus , Mathias Strobl et Cardiel prennent pas- sage sur le Saint- Antoine. Quiroga est chargé d'une double mission : comme navigateur, il doit explorer ces parages et y chercher quelque baie les vaisseaux pourront relâcher; comme Jésuite , il tentera de créer des Réductions. Le travail et les obstacles ne manquèrent pas aux Pères Quiroga, Strobl et Cardiel ; mais , après mille dangers, ils se virent contraints de renoncer à leur entreprise. Une grande partie de la Patago- nie refusa le bienfait de l'Evangile.

Les Jésuites étaient parvenus à former une nation de toutes ces tribus inconnues les unes aux autres : ils en avaient fait un peuple de frères; mais, au fond des déserts, à la crête des montagnes, dans les marais ou sur les rives des fleuves encore ignorés, il existait d'autres sauvages à qui la Foi n'avait point

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été pqrtéé. Les Réductions du Paraguay jouissaient d'un bon- heur si constant que les successeurs de saint Francpis-Xavier songèrent à pénétrer jusqu'au cœur d'une région des soufr frqnces de toute fiatujre seinblaient défier ]eur passion du salut (]es âmes. La république çhfétieniie du Paraguay était pour tous un ii^odèle. i|s avaient su rendre agréable à des êtres i)b)r^tis le joug de l'obéissance, du travail et de la fainille. L'Aniérique méridiqn^ie vit de npuveau:iL Pères de l'Institut inarcher h la découvert^ de npuveUes peuplades. On leur di- sait qu'elles étaicr,t epppre plu^ sanguinaires, plus dissolues quâ celles dont ils avaient cpmpriiné les instinpts : ces récits furet)' pour eux un stin^uj^nt. On les entretenait surtout avec eifrpi de h n'itiof^ des Moxes , assemblage de différentes tri- llU^> vivai^t^usla zone tprrjde, sans Ipj, sans gouvernement, sans Heligion. 1^ jjistiçe ppur eux, c'est la vengeance indivi- duellp, Ip vengeance qp'ils trouvent dans les breuvages em- poisonnés pu Si\\ bput de leu>^3 flèches. Depuis un siècle et demi le^ Jésuites avaient en yain essayé de s'ouvrir cette terre dé- solée, fie Père Çypfien Paraze fut plus Iieureu^. 11 part de Lima en 1675 avec le Frère del Castillo; sur une frêle embarcation, ^s jsletfqrcent (le remOP^er Ip Guapay. Après douze jours de navigation ils arrivent ^ cettp tribu> Son climat, la langue, sa ^tupide férocité, tppt devenait obstacle pour les Jésuites. Le Père Bara^e plierche à en triompher par la patience ; ses soins furfpt inutiles. \>^ fièvre qui l'avait saisi k son entrôf dans le pays redoulila ^'intpn^ltô- Lp3 supérieurs le rappelèrent h Santa- Crq^; m^is 1^ c^t hommOi (]ui ne songeais qu'à m sauvages, conçut un pr^ljet pins extraordinaire : il apprit le métier de tjsserand af^n ^^ \^^^ Çnseignpr à faire 1^ toi}e ; et, tout joyeux, jl retpTirna 4^ns Ipur contrée . A fprcp de prévenance et de sqnmission^ l^nrs désirs, il commença une Chrétienté; puis, quand les Moxes eurent savpuré les premiers fruits de la civir lis^lipn? Bar^zp confia ce peuple de Néophytes à des Mission- najrp^ (|p Compagnie, pt il s'éjança vers des périls plus cer- tains. $an^ guides, s£ins dlreption, il parcourut le^ montagnes et le§ forets. plnAp |l découvrit dps créatures humaines encore plf^s dépr^v(|e§, et qw» nourrissaient les unes contre le? autres

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des haines implacables. Sa vertu essaya de dompter les colères passées dans le sang : on le vit s'asseoir parmi ces barbares, se mêler à leurs entretiens, se conformer h leurs moindres mpuvements et imiter leurs gestes ridicules. Il dormit sous leur tente, il se nourrit de leurs mets repoussants, il se fit sauvage pour leur complaire.

Gomme la plupart des Jésuites destinés aux Missions, il avait étudié la médecine et la chirurgie. Il s'improvisa leur garde- malade, il lava, il pansa leurs plaies ; il les veilla pendant le jour, durant la nuit il s'associa à leur insomnie. Cette inexpli- cable charité étonna d'abord les naturels; bientôt elle leur ap- prit h honorer le Dieu qui inspiraient de pareils sacrifices. Us s'avouèrent vaincus sans combat. Ils étaient dispersés, Baraze les réunit dans une bourgade qu'il appela Sainte-Trinité. Le Jésuite avait le don de convaincre : il instruisit peu à peu ces esprits grossiers. Le Père les avait trouvés sans industrie, sans mœurs, même sans chef : il se fit pour eux législateur et ouvrier. Afin de les empêcher de retourner à leur vie errante, il leur imposa des caciques ; il leur enseigna les arts les plus nécessaire^, l'a- griculture et la maçonnerie, he pays était stérile : il offrit ù ses enfants des taureaux et des vaches, que lui-même allait ache- ter à Santa-Cruz. Ils n'avaient aucune notion d'un temple ou d'une maison : Baraze se constitua architecte. Il bâtit deux églises ; après avoir disposé ces malheureux à apprécier le prix de la vie, il les plaça sons la garde de quelques autres Jésuites, et il reprit sa course. De peuplade en peuplade, de danger en danger, le Père Cyprien, toujours infatigable, toujours prêt à vaincre par la douceur, arriva chez les Guarayus , peuples si sauvages qu'ils allaient à la chasse des hommes, et qu'ils dévo- raient leur proie à mesure que la faim les pressait. Les Gua- rayiis renoncèrent à cet horrible plaisir, devenu un besoin. De le Missionnaire se rendit chez les Tapacures et 'chez les Baures. >^--- ;■'- ■■^-■■-^■■'' "'--^ -^ - ^ -' -

Jusqu'alors la roule du Pérou au pays des Moxes, centre de sa Mission, avait été aussi longue que difficile. L'enfant de Loyola acceptait bien pour lui toutes ces souffrances; mais il espérait les diminuer pour les autres. Il visita les montagnes ;

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il s'enfonça dans les marais pestilentiels, bravant à tête nue les ardeurs du soleil de la zone torride et les morsures des mosqiti- tes. iEnfm il découvrit le sentier qui devait résoudre son pro- blème géographique. Quand il l'eut indiqué, il entrevit le pays des Amazones, et il retourna chez les Baures. Il se trouvait en présence d'une terre plus fertile et d'hommes dont les vices se rapprochaient davantage de la civilisation. Le 16 septembre 1702, les Baures lui firent expier sa confiance : ils le massacrè- rent. Baraze succombait après vingt-sept ans de combats et de gloires ignorés. Comme tant de ses prédécesseurs ou de ses successeurs dans l'Institut de saint Ignace, il était apôtre ; il mourait martyr. Mais il laissait parmi les Jésuites de nombreux imitateurs et dans les Moxes un peuple si admirablement dis- posé que les Missionnaires n'eurent plus qu'à semer pour re- cueillir d'abondantes moissons de Chrétiens. L'œuvre du Père Baraze prospéra avec tant de rapidité que peu après sa mort elle offrait le même tableau de bonheur isolé et de concorde que les Réductions du Paraguay. Nyel, un des Jésuites qui la dirigeaient, écrivait alors au Père Jean Dez :

« Nos Pères, au nombre de trente j y ont formé quinze à seize boui^ades, toutes bien alignées. On assigne à chaque fa- mille une portion de terre qu'elle doit cultiver. Il y a des biens communs destinés à l'église et à l'hôpital. Au commencement de chaque année on choisit des juges et des magistrats. Chaque faute a sa punition. Deux de nos Pères habitent chaque bour- gade. On est plein pour eux de déférence ; eux, de leur côté, ne s'épargnent pas. Rien de plus beau que les cérémonies reli- gieuses. Chaque église, proprement bâtie, a sa musique. Tous nos Indiens en sont enchantés. Us les ont embelUes eux-mêmes de petits ouvrages de peinture et de sculpture ; ce qui, joint aux aumônes de quelques pieuses personnes, fait que nous pouvons encore assez embellir ces temples, objets d'admiration pour nos bons Néophytes. Pour remédier à la diversité des lan- gues parmi ces Infidèles, on a choisi parmi elles la plus générale et la plus aisée, et on en fait la langue de ce peuple, qui est obligé de l'apprendre. On en a composé une grammaire, qu'on étudie dans les écoles. Le supérieur de la Mission a choisi la

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bourgade centre de la peuplade pour sa résidence. C'est qu'est la bibliothèque, la pharmacie commune; c'est aussi le lieu de retraite pour les Missionnaires eux-mêmes. » ,,

L'Amérique méridionale était le théâtre privilégié des Jésuites espagnols et portugais, comme l'Amérique septentrionale fut celui des Pères français. Les Réductions établies chez les Guaranis, chez les Chiquites et chez les Moxes atteignaient leur apogée. Dans le même temps les rives du Maragnon ou fleuve des Amazones secourraient de Néophytes. Ce ne fut pas sans de longues souf- frances et sans des calamités de toute espèce que les Jésuites purent faire pénétrer la lumière de l'Evangile au cœur de ces populations. Ils n'eurent pas seulement à combattre l'ignorance des uns, l'abrutissement des autres, la férocité de tous ; il vint un jour le Protestantisme se rua sur la Chrétienté nouvelle. Le 24 novembre 1641, les Hollandais s'emparèrent de l'Ile et de la ville de Maragnon ; leur premier soin fut de détruire par- tout les signes du Catholicisme. A la vue du péril qui menace la Foi, les Pères de Couto et Benoît Amadei, ne consultant que leur courage, excitent les Portugais et les indigènes à secouer le joug. Ils prêchent l'insurrection; ils se mettent à sa tête. Le 20 février 1644, elle éclate sur tous les points. Les Hollandais sont chassés de la colonie naissante. Pour conserver le souvenir de ce service rendu à la Religion et à la Monarchie, le gouver- neur, Teixeira de Mello, déclare, par un acte public du 14 mars 1647, que le succès de l'entreprise est entièrement aux deux Missionnaires. Ils sortaient d'arracher les populations du Mara- gnon aux mains de l'hérésie : ils demandent à la famille de Bragance de récompenser leur dévouement*. Dès 1600 les Pères de l'Institut avaient obtenu l'abolition de l'esclavage au Brésil, ils sollicitent le même bienfait pour le Maragnon. Au commen- cement de l'année 1652 le roi de Portugal accède au vœu d'humanité qu'ils font entendre du fond de ces contrées. Mais la liberté consacrée en principe était la ruine des négociants : de même qu'au Mexique, au Pérou et au Brésil, ils accusent

I Ces événements se pussaieul au Maraoïion pendant les premières années de la révolution de Portugal (t640) qui rendit i-e pays ë sa nationalité et aux descen- dants de ses anciens rois. Jean IV était alors assis sur le trône de Portugal.

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les Jésuites d'usurper le pouvoir au détriment de la métropole. La calomnie s'organise. On menace leurs jours ; et, à l'instant le Père Antoine Vieira débarque sur la rive du Maragnon , Té- meute l'accueille avec des cris de rage ; elle réclame sa tête.

Vieira, l'orateur, le jurisconsulte, le diplomate du Portugal, possédait la confiance du roi et l'estime des souverains étran- gers : il pouvait vivre heureux au milieu des enivrements de la gloire, il abandonne tout cela pour s'élancer dans la carrière des Missions. Celle du Maragnon offre les plus grands obstacles : c'est celle-là qu'il choisit ; et, malgré les prières du roi, il part de Lisbonne le 16 janvier 1653. Vieira était un homme de con- ciliation et de fermeté. Sa parole domine ces colères intéressées, et il se met à l'œuvre. En quelques années, avec le concours des Pères Juan Paiva, Gonzalés Véras, Pedro Monteiro, Ber- nard Âlméida, Jean-Marie de Dominis et l'Irlandais Richard Garew, il propage tellement le Christianisme que des peuplades entières s'essaient à la civilisation. Le Portugal alors se trouvait dans une ère de félicité. Ses armées, conduites à la victoire par le maréchal de Schomberg , reconquéraient l'indépendance nationale; elles triomphaient de l'Espagnol. Dans Tannée 1659 le Pèro adresse au roi les états de situation de cette province ; son manuscrit, que nous traduisons, commence ainsi :

« Pour obéir aux ordres de Votre Majesté, je lui rends compte des Missions du Mitragnon et des progrès que par elles l'Evangile fait chaque jour dans ces contrées. Ainsi Votre Majesté verra que la Providence se plaît à glorifier partout son heureux règne. Et, tandis que Ton nous mande de la métropole ses miraculeuses victoires, nous aussi, nous lui annonçons des conquêtes pour son royaume, conquêtes qu'avec encore plus de fondement on peut appeler victoires vraiment miraculeuses. Dieu est vain- queur, il est vrai, mais avec du sang, des ruines et des larmes; ici Dieu est vainqueur, sans eifusion de sang. Il n'y a ni guerre ni ruines, pas même de dépenses ; et, au lieu des douleurs et des larmes du vaincu , tous triomphent avec joie, aux applau- dissements de l'Eglise, qui répare le sang versé en Europe par l'acquisition des peuples, des notions et des provinces qu'elle gagne au Christianisme. » . -

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Vicira et ses compagnons avaient entrepris une œuvre diffîcile : ils tendaient ù civiliser les peuplades errantes sur les bords de cp fleuve, le plus grand de tous les fleuves connus, et qui, de su soMfce ù son ernbouchure , contient une multitude d'iles habitées. Un pareil projet aurait eflrayé tous les rois de l'Europe; il ne Ht pas reculer les Jésuites. Selon le rapport de Vieira, ils commencèrent par diviser la Mission en quatre colonies princi- pales. Six Pères s'établirent dans chacune de ces Résidences, h Scara, au Maragnon, au Para et à la rivière Amazone. Puis, s'étendapt sur un espace de quatre cents lieues de côtes, on les vit prêcher la liberté que le Christ accordait et racheter les esclaves. Cette double mission était dangereuse ; car les sauvages n'osaient plus ajouter foi aux promisses des Portugais. Us avaient été si souvent abusés qu'ils se cachaient dans leurs montagnes, qu'ils interceptaient les passages, et que, toujours armés, ils veillaient sur leur indépendance avec une astuce qui déjouait l'adresse mémo des Jésuites. Les Pères Gonzalès, Veloso et Michel Perez avaient déjà forcé quelques-unes de ces retraites. Afm de réussir ^ans leur plan, il fallait saisir l'imagination des indigènes. Une guerre existait entre les Portugais et plusieurs tribus nommées Nhéengaibas. Ces tribus acueillirent d'abord sans défiance les Européens, elles se livrèrent à eux; mais, après avoir vu que la Religion n'était qu'un prétexte pour les asservir, elles s'armèrent, et du fond de leurs aidées, la hardiesse et la ruse les protégeaient, elles ne laissèrent aucun repos à leurs ennemis, l^es Nhéengaibas entretenaient des rela- tions cpmmerçiales avec les Hollandais. Ces relations pouvaient amenqr up traité d'alliance et accroître les embarras. Le gou- verneur, don Pedro ^e Mello, se décide à pousser vivement les |iosti|ités afin do paralyser l'intervention des Européens. Chacun dans le cpnseil s'avouait que la guerre volante, faite par les sanvages à poup de flèches , du haut des arbres ou du milieu des çanpts, était une perte sans profit pour la métropole : on Ten- trepiren^it à CQntre-cœur, lorsque Vieira s'pffre pour aller porter (les paroles de paix aux Nhéengaibas. Depuis vingt ans la guerre n*a ppjnt cessé , et tous les parlementaires ont été mis à mort.

Le Jésuite fait annoncer aux tribus belligérantes qu'il veut

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se rendre dans leur tle en ambassadeur pacifique ; il leur écrit que son vœu le plus cher est de travailler à leur repos. Les Nhéengaibas avaient entendu parler de sa charité pour les es- claves ; ils n'ignoraient pas que les Pérès étaient les plus élo- quents défenseurs de leur cause. Les sauvages ont sa parole. Sept de leurs chefs accourent au Collège des Jésuites : ce sont les otages qui serviront de garantie à Vieira. Le 15 août 1658, le Missionnaire, escorté d'une multitude de barques chargées d'Indiens, s'avance sur le tieuve. D'autres l'attendent au rivage, et de tous les points s'élancent des cris de joie, auxquels ré- pondent les amicales démonstrations des Portugais. Pour rece- voir dignement Yieira , les Nhéengaibas avaient élevé une église et une maison. Les chefs des nations voisines sont appelés à l'entrevue et aux négociations. Vieira, qu'ils surnommaient le grand Père, s'insinue dans leur confiance. En leur parlant de Dieu et de la liberté, il sait si bien vaincre leurs préventions qu'il les décide à souscrire à une paix dont les Jésuites seront les arbitres. 11 la conclut; et, pour perpétuer le souvenir de cette journée, dans laquelle le Christianisme prenait possession d'une terre jusqu'alors fermée, Vieira veut que sauvages et Eu- ropéens assistent ensemble à une messe solennelle de réconci- liation. Ils étaient tous sujets du roi de Portugal, aux mêmes chaînes et aux mêmes bénéfices. Quand, des marches de l'au- tel, Vieira leur eut expliqué les devoirs qu'ils contractaient, les officiers de la couronne s'avancent pour attester par serment la sincérité de leurs promesses. Âpres eux chaque chef de peu- plade, le corps à demi nu et s'appuyant sur l'arc et les flèches, se présente : tous jettent aux pieds du Jésuite les armes dont les Portugais ont si souvent maudit la trempe empoisonnée. Us prennent dans leurs mains les mains du Père, et, les élevant vers le ciel , ils répètent l'un après l'autre cette énei^ique for- mule de serment : « Moi, chef de ma nation, en mon nom et au nom de tous mes sujets et descendants , je promets à Dieu et au roi du Portugal d'embrasser la Foi de Jésus-Christ , notre Seigneur; d'être, comme je le suis dès ce jour, sujet de Sa Majesté; d'avoir paix perpétuelle avec les Portugais, étant ami de leurs amis, ennemi de leurs ennemis. »

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L'ile des Nhéengaibas était chrétienne d'intention; plus de cent mille habitants des bords du fleuve adhéraient au traité que le Père Vieira venait de négocier. Il ne restait plus qu'i entretenir ces bonnes dispositions , qu'à éclairer ces peuples en leur apprenant la pratique des vertus. Les Jésuites se chaînè- rent de cette tâche, ils l'accomplirent. Le Père Gaspard Wisch, à la tète des Chrétientés , n'avait plus qu'à déraciner quelques vices inhérents à leur nature sauvage ; les Portugais ne lui en laissèrent pas le temps. Ils croyaient que tous les habitants d'au- delà des mers n'étaient destinés qu'à assouvir leur cupidité ou leurs caprices. Ils les corrompaient par le spectacle de leur li- cence. Ils incendiaient les habitations indiennes afin de réduire les possesseurs en servitude. Ils massacraient sans pitié ceux qu'on soupçonnait d'audace. Les Nhéengaibas demeuraient fi- dèles à la parole donnée en présence du grand Père ; mais une agitation sourde fermentait dans les tribus, qui se lassaient d'être victimes. Vieira instruisit le roi de cet élat de choses : un édit sévère parut pour réprimer tant de désordres et pour protéger les catéchumènes. Â la promulgation de cette loi, la colère des trafiquants d'esclaves ne connut plus de bornes. Ils avaient espéré que la paix avec les Nhéengaibas serait pour eux une source de gains sans péril ; les Jésuites faisaient échouer leurs coupables espérances. Au commencement de mai 1661 , les Portugais, dans le but de se débarrasser de toute censure, ar- rêtent le même jour les Missionnaires du Para ; Vieira lui-même est emprisonné, jeté sur une mauvaise barque avec tous les Pè- res et conduit à Lisbonne, ils arrivèrent le 6 janvier 166!2.

L'avidité civilisée arrachait aux barbares les Missionnaires qui les préparaient au Christianisme : les barbares ne consen- tirent plus à garder seuls une trêve dont leurs familles et les Jésuites étaient exclus. En protestant qu'ils ne renonceraient jamais à la Religion que le grand Père leur avait enseignée , ils déclarèrent que les hostilités allaient se rouvrir entre eux et les Européens. Us avaient construit des maisons , des villages sur le bord du fleuve: ils y mirent le feu; puis ils se retirèrent dans les forêts. Vieira cependant avait fait retentir les chaires du Portugal de son énergique parole ; il avait peint sous de chaudes

Il CilAP. 11. IIISiUltlE

couleurs la cruaùî.' de ses compatriotes ; il s'était , en face tnèiiiu (le cbui*, posé comme le tuteur naturel de liberté des Indiens >. Par un édit dU A septembti; 1603, Alphonse VI et son conseil flétrirent les excès commis. Les Portugais avaient chassé les Jésuites: le décret les rétablissait, et on y lit : « H n'existé aucune raison apparente ^"ur enlever ces Missions aux Pères de la Compagnie ; il y en a , au contraire , de très-nom- breuses qui prouvent que leur saint zèle y est nécessaire. » Tt-ois ans s'étaient écoulés depuis le jour de la dispersion. Vicira et ses compagnons , en retournant au Para , ne trouvèrent que dé- tiance contre les Portugais et affection pour eux. Us reprirent le travail précédemment commencé .

Cependant, sur d'autres parties du fleuve des Amazones , les Jésuites ne restaient pas inactifs. Les Bocari et les Mouraui acceptaient la parole de Dieu. Le Père Jean Teixeira la dis- tribuait aux peuplades de Touri et de Tiniirusi. Le Père Louis Figueira plantait la croix au rivage du Xingu ; et, en coordon- nant une grammaire , il formait une langue commune de tous les divers dialectes. L'abondance de la moisson lui lit com- prendre le besoin d'obtenir d'autres ouvriers : il part pour l'Eu- rope, il revient avec douze Pères. La tempête les jette à la côte ; ils sont égorgés par les Amani à l'embouchure du Maragnon. A cette nouvelle , Vieira se met en route pour fortifier dans la Foi les Néophytes du Xingu. 11 consolide l'œuvre de Figueira , et laisse le Père Maria au milieu de la Réduction. Vieira ne s'oc- cupait pas seulement du présent; sa pensée plongeait dans l'a- venir. Inspirés par lui, les Jésuites n'avaient point adopté le même plan qu'au Paraguay , ils ne colonisaient pas de la même manière ; mais , dans un pays si fertile , au sein de ces plaines que fécondent tant de fleuves , qu'ombragent tant de belles forêts , ils n'avaient pas eu besoin d'oi^niser le travail avec une aussi parcimonieuse vigilance. Leur Mission ne se restreignait point; ils retendaient chaque jour; chaque jour les Fidèles, plus heu- reux, appelaient leurs frères de la montagne ou les insu- laires à partager leur félicité. Des multitudes de sauvages aban-

' Voir au 4* volume de ses fermons.

UK LA COMPAGNIE DE JESUS.

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(loiinùrent leurs retraites pour se soumettre à la vie commuPi-. Non contents de ces catéchumènes, les Jésuites ne cessaient d'en recruter de nouveaux. Les Uns se lançaient sur des pirogues t\ la recherche des sauvages , les autres perçaient l'épaisseur des forêts pour évangéliser les nations. Deux Collèges avaient été bâtis, à Saint-Louis-de-Maragnon, et à Belem. Plusieurs établis- sements dépendants de ces maisons principales naissaient dans les Résidences. , par une fusion qui produisait de salutaires cITets, l'on élevait sous la môme loi et avec les mêmes soins les enfants portugais et les naturels. Vicira était mort en bé- nissant ce monde qu'il avait ouvert au Christianisme; d'autres Jésuites marchent sur ses traces. Le Père Bettendorsi dirige en 1678 les Missions dont le fleuve des Amazones se couvre, et ù celte époque il adresse au Général de la Compagnie des lettres qui nous serviront de guide dans le récit des événements. Les Pères Pierre de Sylva , Gonzalés de Véras , Salvator délia Valle , Juan Nuilez , Christophe de Cunha , Louis Consalvi , Maria Por- soni et Manuel Perez se livrent à des eflÎDrts inouïs. Ce zèle n'est pas toujours récompensé. Il y a des luttes à soutenir con- tre les sauvages, qui repoussent le Christianisme parce que, pour aucun prix, ils ne consentent à aliéner leur liberté.

À la date du 31 mars 1680, le roi don Pedro eut égard aux plaintes que la Société de Jésus faisait entendre sur ce trafic d'hommes dont les menaces célestes et les lois humaines ne détournaient pas les Européens. Un édit prohibant de réduire les Indiens en esclavage parut ce jour-lù même. Il enjoignait de laisser aux Jésuites seuls le soin des peuples d'Amérique. II les en créait pour ainsi dire les suprêmes arbitres. Ce remède ^ appliqué sur une plaie incurable, envenime le mal. La disper- sion des Pères en 1661 était restée impunie: vingt-trois ans plus tard elle se renouvelle avec les mêmes péripéties. Les Jé- suites se virent encore expulsés par la violence de ces parages , les naturels ne demandaient qu'eux pour chefs spirituels. Cette instabilité , toujours provoquée par une cupide désobéis- sance, lit naître l'idée d'envoyer sur les lieux un commissaire extraordinaire. Les Européensjsc plaignaient des entraves que les Jésuites uiettuient au commerce : ils disaient que les Pères

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CHAP. II. HISTOIHK

s'insinuaient par de coupables complaisances dans l'esprit des barbares , et qu'un jour, sous leur inspiration , ces peuplades se détacheraient de la métropole. Gomez Freire d'Ândrada , muni des pleins pouvoirs du monarque , arrive , sous cette impres- sion , au f.euve des Amazones. 11 étudie les faits , il remonte à leurs causes , et , sur son rapport , le roi ordonne qu'à partir de ce moment les Jésuites auront non-seulement l'administra- tion spirituelle, mais encore le gouvernement temporel des tribus.

C'était rouvrir à la Compagnie de Jésus la lice des souffran- ces et du martyre : elle y rentra. Les Pères François de Fi- gucroa en 1C66 , Pierre Suarez en 1667, Augustin de Hurtado en 1677, étaient tombés sous les flèches des Indiens. En 1095 le Père Henri Richler, en Bohême dans l'année 1653 , périt eomme eux ; mais cette mort qu'ils ambitionnaient ne venait qu'après de longs sacrifices , elle couronnait toute une vie d'ab- négation. Richler, à peine débarqué à Saint-Louis-de-Maragnon, part pour la Mission de Maynas. De il veut évangéliser les tribus des bords de l'Ucayale. Seul pendant douze ans parmi ces barbares , il se nourrit d'herbes et de racines. Ses succès étaient si bien constatés que, en désespoir de cause, on résolut d'envoyer le Père tenter un dernier effort sur les Xiberos. C'é- tait une nation renommée par sa férocité , et qui , vivant dans des montagnes inaccessibles , avait jusqu'à ce jour refusé toute espèce de communication avec les Missionnaires. Richler s'y rend accompagné du Père Gaspar Vidal. Les deux Jésuites pénètrent au sein de cette peuplade. Ils y séjournent cinq ans , exposes à toutes les misères et à toutes les humiliations. Tant de courage ne put apprivoiser leur instinct. Les Xiberos , im- portunés de voir toujours Richler soufl'rir, toujours prêcher l'Evangile, le massacrèrent enfin.

Plusieurs années s'écoulèrent ainsi entre les privations et la mort , entre les succès et le martyre. Les générations de l'Insti- tut se renouvelaient souvent ; car la chaleur dévorait ceux que la fatigue ne tuait pas. Néanmoins tant de services n'avaient pas été perdus pour la civilisation. Le Christianisme prospérait sur le tleuve des Amazones, dont le Père Samuel Frilz traça la

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première* carte. Les catéchumènes avaient fait souche de Chré- tiens. Leur nombre s'accroissait chaque année; mais en 1736 les Jésuites virent encore les marchands d'esclaves se coaliser contre eux. La question commerciale se plaçait en face de celle d'ém'^ncipation. Elle semblait devoir l'emporter : car elle se déguisait sous la calomnie. Paul de Sylva-Nuftez fut envoyé à Lisbonne avec mandat de soutenir les intérêts des négociants , et surtout d'inspirer des craintes au roi sur l'abus que les Mis- sionnaires s'apprêtaient à faire de leur autorit«;. Les hommes que le trafic de chair humaine enrichissait comptaient à la cour ainsi que dans le Portugal de nombreux auxiliaires. Jean V songe à mettre un terme à cette situation : le 16 avril 1734, il donne mission à Edouard dos Santos de se rendre au Mara- gnon. Dos Santos était un magistrat intègre. Pendant vingt mois il parcourut les Résidences et les Collèges de la Compagnie. 11 interrogea les chefs des tribus et les Européens, il fut témoin de tout ce qui se faisait , et on lit dans son rapport adressé au roi : « L'exécrable barbarie avec laquelle on réduit les Indiens en servitude eet tellement passée ici en usage qu'on la regarde comme un acte de vertu. Tout ce qu'on dit contre cette cou- tume inhumaine est accueilli avec tant de répugnance et si promptement oublié que les Pères de la Compagnie , dans la charité desquels ces infortunés trouvent asile et protection , et qui compatissent à leur misérable sort , deviennent , à cause de cela même et plus que tout autre corps, un objet de haine pour ces hommes cupides. »

Le rapport d'Edouard dos Santos était aussi énergique, aussi clair que possible. Le roi et le conseil de l'amirauté prirent des mesures en conséquence. Mais les Jésuites du Maragnon frois- saient trop d'intérêts pour que la lutte commencée sur le fleuve des Amazones ne se réveillAt pas en Portugal. L'affranchisse* ment d'un monde, c'était la ruine de quelques spéculateurs. On ne pouvait plus attaquer les Pères sur ce point , on chercha si , en Europe , ils ne seraient pas vulnérables sur d'autres. On épia une occasion propice, et moins de trente ans après, le marquis de Pombal donna satisfaction à toutes ces avidités si longtemps comprimées.

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CHAP. II.

HISTOIRE

Les Moxes et les tribus du fleuve des Amazones avaient em- brassé la Foi du Christ. Ces victoires de la civilisation tentèrent d'autres Jésuites. En i6*J7, le Père Stanislas Ârlet s'enfonce dans les forôts et les montagnes les plus inaccessibles du Pérou. On lui a dit que il existe des créatures humaines qui n'ont aucun sentiment religieux , pas même un vestige de superstition et de lois. Toujours nus, ils ne savent pas ce que c'est que )n pudeur. Les femmes ignorent jusqu'à l'amour maternel , et les hommes , en guerre éternelle les uns contre les autres, se font un délicieux plaisir de manger leurs prisonniers encore vivants. Les Ganisiens sont l' effroi des peuplades môme incultes. Le Père Ârlet se décide à les visiter sous leurs tentes : il est au milieu d'eux. Les arcs et les javelots tombent de leurs mains ; ils restent stupéfaits et immobiles. Le Jésuite ne pouvait s'ex- pliquer cette attitude; il en sut bientôt la cause. Les Canisiens n'avaient jamais vu de chevaux et d'hommes couverts de vête- ments. Dans leur impuissance à expliquer ce phénomène, ils prenaient le Jésuite et son cheval pour un seul et même être. C'était un monstre nouveau dans leurs forêts. Un dès interprètes du Père dissipe cette terreur ; Arlet , tirant parti de l'impression produite à son insu , annonce le but de son voyage. Il dit qu'il sera leur frère , leur ami , leur serviteur. Son langage force la conviction dans les âmes : six nations accourent pour se faire instruire. Arlet fonde la bourgade de Saint-Pierre au quator> ztème degré de latitude australe. Par une patience et une dou- ceur à toute épreuve il apprivoise ces natures rebelles : il abolit la pluralité des femmes. En soignant , en aimant les petits en- fants , il révèle à leurs cœurs le sentiment de la maternité ; quand il s'est entouré d'un certain nombre de Néophytes fer- vents , il les dissémine chez les autres tribus pour préparer la voie au Christianisme.

Cette même année 1797 vit encore s'ouvrir la Mission de Californie. Les Pères Picolo et Salvatierra y abordent sans autres armes que la croix. Les Californiens les repoussent d'abord comme ennemis de leur indépendance ; la première fureur cal- mée , ils se laissent gagner par les enseignements des Jésuites. A peine ces derniers ont-ils réuni autour d'eux quelques caté-

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rd li- ts.

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riinmèncs qu'ils sr dirigent l'un vers le nord, Tanlre. voVs le midi, et qu'ils courent à la découverte de nouvelles tribus. Le Ciel bénit leurs travaux. Le Pérè d'Ugarle, qui a rejojrit Sal-- vatierra, assouplit de son côté les naturels de Trippué et de Loppu. Enfin les trois Pères formèrent de la Californie quatre' Missions. Ils firent lu ce qu'ils faisaient partout : ils civiliséfent' les sauvages par le Christianisme; ils leur apprirent le secret de l'agriculture et du travail , secret plus difficile qu'ailleurs ; car l'ouragan ne cessait de dévaster les campagnes. La persévérance triompha enfin de l'insalubrité du climat. La vigne et l'olivier s'implantèrent sur ce terrain ingrat et les troupeaux purent s'y multiplier en liberté. Par lettres patentes du roi d'Espagne, les Jésuites , qui créent des peuples et engendrent des nations & la vie sociale, administraient la justice en Californie. Ils obtiennent que leurs Néophytes ne seront pas forcés de travailler aux mines. « Ils parviennent en peu de temps , raconte M. de Moires , dans son Exploration de l'Orégon*, à convertir toute la Californie et le plan qu'ils adoptèrent devra toujours servir de modèle. »

Le génie des Pères se développait sous toutes les formes. Us ne trouvent pas de paroles dans la langue de ces Indiens pour indiquer la résurrection des morts. Ce dogme néanmoins doit être expliqué aux sauvages ; l'idée de la résurrection n'existe pas dans leur esprit. Les Missionnaires prennent une mouche, ils la plongent dans l'eau jusqu'à ce que l'existence soit anéan- tie. L'insecte rendu à l'air revient peu à peu à la vie sous l'influence du soleil. Témoins de l'expérience, les Indiens s'é- crient : Jbimuhucité. Aussitôt les Jésuites s'emparent de ce mot pour désigner la résurrection du Christ que les barbares comprirent à l'instant même. Le succès couronnait partout leur œuvre ; mais l'outrage vint à sa suite , et Robertson , dérogeant à ses habitudes d'impa/tialité , prétend que les Missionnaires de Californie * , « afin de consen'er sur leurs Néophytes une autorité absolue et sans partage , avaient grand soin de laisser une mauvaise idée du pays en représentant le climat comme si malsain , le sol comme si stérile , que le seul zèle de la

' Vol. I, p. 103.

' Histoire de l'Amérique, par Roberison.

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conversion des Indiens avait pn les dtV.cnnincr à s'y établir. » Pour donner plus de poids à ses assertions, l'écrivain an- glican s'appuie sur le Père Vénégas, Tun de ces Jésuites à qui la géographie doit tant de lumières; mais les travaux du Père sont inédits, et c'est seulement sur ses notes qu'en 1757 la Société de Jésus fit paraître à Madrid YffUtoire de la Californie et de sa conquête temporelle et spirituelle. Ro- bertson se trompait en s'étayant du témoignage de Vénégas ; il se trompe encore lorsqu'il affirme que les Pères de l'Institut écartaient les Européens par des récits mensongers ; car, en mettant de côté la version des Missionnaires, il n'en reste pas moins établi que la Californie était une terre stérile. Le baron de Humboldt, dans son Fssai politique sur la Nou- velle-Espagne, n'ose pas, quoique Protestant lui-même, se prêter à cet esprit d'injustice. Il a vu les lieux , et il raconte * : « Les établissements que les Jésuites firent dans la vieille Californie depuis l'année 1683 donnèrent occasion de reconnaître la grande aridité de ce pays et l'extrême difficulté de le cultiver. Le peu de succès qu'eurent les mines qu'on exploita à Sainte- Anne, au nord du cap Palmo, diminua l'enthousiasme avec lequel on avait préconisé les richesses métalliques de la presqu'île. Mais la malveillance et la haine qu'on portait aux Jésuites firent naître le soupçon que cet Ordre cachait aux yeux du gouvernement les trésors que renfermait une terre si anciennement vantée. Ces considérations déterminèrent le visitador don José de Galvez, que son esprit chevaleresque avait engagé dans une expédition contre les Indiens de la Sonora, à passer en Californie. Il y trouva des montagnes nues, sans terre végétale et sans eaux ; des roquettes et des mimoses arborescentes naissaient dans les fentes des rochers. Rien n'annonçait l'or et l'argent que Ton accusait les Jésuites d'avoir tiré du fond de la terre ; mais partout on re- connut les traces de leur activité, de leur industrie et du zèle louable avec lequel ils avaient travaillé à cultiver un pays désert et aride. Les voyages intéressants de trois Jésuites, Eusébe Kiilin

Ensai politique sur la Nouvelle-Espagne, par M. de Huinboldi, I. ii, p. 361. M. de Hiinibolili place la date de l'entrée des Jésuites eu Californie tanlèl en 464'J, tantùl en l(,83. Il y a erreur; cor, d'après les manuscrits de l'Ordre, ce n'est «|u'eu 1697 <|ui* ctimmença colle Mlisinn,

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ou Kino, Maria Salvniierra et Jean Ugarte, firent connaître lu situation physique du pays. Le village de Loretto avait déjà été fondé, sous le nom de Presidio de San-Dionisio, en 1697. Soùs le règne de Philippe Y, surtout depuis 1744, les établissements espagnols en Californie devinrent très-considérables. Les Pères Jésuites y déployèrent cette industrie commerciale et cette activité auxquelles ils ont tant de succès, et qui les ont exposés à tant de calomnies dans les deux Indes. En très- I)eu d'années ils construisirent seize villages dans l'intérieur de la presqu'île. » ' : .- -.

Tandis que les Jésuites portaient la bonne nouvelle du salut à tant de nations, et qu'ils les façonnaient à la véritable liberté en les initiant aux bienfaits de la morale chrétienne, les Pères Bôhm , Doctili et Sepp s'avancent vers le pays des Tscharos. Là, oomme dans beaucoup de ces contrées, Thomme avait perdu jusqu'à la dernière trace d'humanité. Tout était barbare en lui ; mais les Tscharos avaient , par respect pour leurs morts, intro- duit une coutume qui les signalait à l'attention des Missionnai- res. Quand ils perdaient un de leurs proches, ils se coupaient les extrémités des mains et des pieds. Cet usage faisait loi. A peine les Jésuites se furent-ils assis au foyer de l'hospitalité qu'ils s'aperçurent de la surveillance inquiète dont ils étaient l'objet. Ils ignoraient l'idiome du pays : leur interprète les trahis- sait en dénaturant le sens de leurs paroles et en les rendant odieux. Les Pères ainsi exposés surent se soustraire à la pre- mière fureur des Tscharos ; mais ils ne tardèrent pas à revenir : alors ces tribus se laissèrent peu à peu gagner à l'Evangile. La peste sévit vers le même temps. Sepp réunit les malades dans une maison qu'il ouvre à toutes les douleurs. II révèle ce que c'est que la charité : il calme leurs souffrances ; et quand son dévouement a neiîtralisé le fléau, la gratitude fait encore plus de Chréliens que la parole. Le nombre des Néophytes s'accrut en de tt'ilcs proportions que, la Résidence de Saint-Michel ne pouvant les contenir (ous, Sepp en décida une partie à le suivre. Une îuitrc Réduction fui fondée dans un pays fertile à l'est de Saint- iMitlicl. Sous lii direclion du Jésuito les hommes commencèrent il liA'.ir des maisons et à oiiscnicnccrlos terres. Une année ne s'é-

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CHAI». H. HISTOIRE

tait pas écQuIée que les temnos et les enfants accouriiicnt s'ins- taller dans leurs demeures. Ces nations étaient industrieuses , inaiç peu intelligentes; elles imitaient avec une dextérité adini- nkl^ tous les objets d'art. Se^n les applique à ces travaux sé- dentaires qui lui permettent de développer leur raison abA- tardic et de les amener aux idées de la famille et du Ca- tholicisme.

Vers le commencement du dix-huitième siècle , l'Amérique méridionale était sillonnée en tous sens par les Missionnaires ; mais chaque année on découvrait quelque peuple qui n'avait pas pu recueillir leurs enseignements. Sur la fin de 1708 \es Pères Lombard et Ramette s'ouvrent les déserts de la Guyane, ils en parcourent les points habités. Afin de se populariser parmi le» indigènes, ils s'attachent à leur rendre les services les plus humiliants : ils se font leurs esclaves, ils les suivent dans leurs «ourses vagabondes, ils s'efforcent de saisir leur idiome pour le maîtriser et arriver à leur inculquer les principes de l'Evan- gile. Après plus de trente mois passés dans de si pénibles labeurs. Lombard et Ramette s'aperçoivent que l'esprit de ces nations est impossible à fixer, et que de la veille au lendemain elles ont complètement oublié tout ce qu'ils imposent ù leur mémoire. Les voyages et les maladies avaient altéré les forces de Ramette : le Père Crossard le rappelle à Cayenne. Loniburd était seul, sans appui, presque sans espérance ; il ne se décou- rage cependant pas. Pour faire fructifier son apostolat, il forme le dessein de réunir autour de lui les sauvages au lieu de se jeter dans d'éternelles pérégrinations. Avec deux nègres et quel- ques naturels, dont il fait ses premiers catéchumènes, il défriche 1 1 terre afui qu'elle produise du manioc, du blé des Indes cl du maïs qui assureront la subsistance de ses futurs disciples, il construit une chamelle et une grande case. Lorsque tout est disposé, le Jésuite se met en route : il va demander aux diverses peuplades de lui confier quelques-uns de leurs enfants. Lom- bard était aimé de ces tribus éparses : chacune d'elles se mon- tra favorable à son vœu. Le Père avait des élèves : il leur en- seigna la langue française ; il leur apprit à connaître, à servir Dieu; il les façonna peu à peu; il les enflamma du zèle dont il

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était animé, li les avait reçus sauvages, il les rendait à leurs familles chrétiens et apôtres; il en redemandait d'autres. A peine de retour dans les tribus , ces enfants, que l'éducation transformait en hommes , devinrent pour tous un objet d'ad- miration. Ils dominaient par la supériorité de leur intelligence, ils se firent chérir par leur modestie. Les catéchistes, ainsi introduits dans chaque nation, y semèrent l'exemple des vertus. Ils enseignèrent à leurs parents et à leurs voisins ce que le Jésuite leur avait révélé; ils les préparèrent au baptême, et chnque année Lombard visitait les quartiers, cimentant par le Sacrement l'œuvre que ses petits catéchistes avaient ébauchée.

Le Père se trouvait , au bout de quinze ans, à la tète d'une Chrétienté nombreuse. U la convoqua en société : hommes, femmes, enfants, vieillards, tous se mirent au travail pour créer un village et édifier une église. Le 12 décembre 1728 elle fut inaugurée. Lombard venait de triompher des sauvages; ce premier succès donne à sa vieillesse une énergie juvénile. Avec les Pères Lavit et Fauque, il se met à la recherche des tribus plus enfoncées dans les terres : ils parcourent les bords des fleuves. Bientôt ils ramènent au bercail des tribus entières ou ils établissent sur les lieux mêmes d'autres Réductions.

Le 29 novembre 1705, Louis XIV, par lettres patentes, ac- cordait exclusivement aux Jésuites l'administration spirituelle des colonies françaises de la côte de Saint-Domingue. Les Pères Margat, Olivier, Boutin, Laval, Le Pers, Le Breton, Fauque, Jacques de La Vallière, de Lecey, Guilain, Marchul, Larcher, d'Ayma, de Guyenne, d'Huberland, de Creuilly et Crossard se ré- pandirent de Gayenne jusqu'au fond des Antilles. Là, par des efforts inouïs, ils opérèrent sur ce sol vierge le miracle du Para- guay. Soixante-cinq ans auparavant, d'autres Jésuites y avaient planté la croix. Le germe d# salut s'était multiplié; leur sang l'avait fécondé. Ils ne se montraient pas seulement Misi:ion- iiaires au milieu de ces peuples enfants; ils voulaient faire aimer le nom de la France; ils savaient aussi bien m(»urir pour la patrie que pour la Religion. Le nom du Père Hemri de La Borde était encore honoré par les indigènes et par les nègres. Pendant seize ans, ce Jésuite, arrivé aux Antilles en

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1650, ne cessa de se sacrifier pour eux; mais, lci's«|uc, en 1666, les Anglais envahirent l'ile de Saint-Christophe, Henri de La Borde ne recula ni devant les adversaires de sa Foi ni devant les ennemis de son pays. Il réunit les Français , il les anima de sa parole et de ses conseils; et, relevant tous les cœurs abattus, il fit chasser de l'ile les soldats anglais. Le Pérc Henri leur était hostile à double titre. Le 20 avril 1666, ils lui tendent une embuscade, et ils l'assassinent. Les naturels n'avaient jamais perdu le souvenir de ce crime. Le non du Jésuite La Borde était vénéré dans leurs tribus, il servit de passe-port à ceux qui après lui traversaient les mers.

L'insalubrité du climat, les fatigues, les dangers qu'il fallait atVronter, tout conspirait contre eux. Us mouraient en posant le pied sur cette terre dévorante, où, pâles, exténués, ils traî- naient dans les élans de la charité une existence que la Foi seule ravivait: Chaque jour amenait la découverte de quelque peuplade. Ici c'était la nation des Àmikouanes ou Indiens à longues oreilles; là, celles des Palikours, des Corunarious, des Pyayes, des Galilis, des Tocoyénes, des Maraones, des Macapas et des Ouays. A ces tribus, vivant dans une dis- solution effrayante, il fallait envoyer des Missionnaires; et ce n'était pas seulement aux habitants des Antilles qu'ils avaient ù distribuer le pain de la parole de vie. Il existait dans les colo- nies des milliers de noirs esclaves qui, achetés au Sénégal et au Congo, venaient, sous le coup des plus cruels traitements, grossir la fortune de leurs propriétaires. A l'exemple du Père Claver, les Jésuites avaient fondé des résidences dans tous les entrepôts des négriers. Ils s'étaient établis à Loando, à Gabou, et à San-Yago , pour tâcher de secourir ces misères de la ser- vitude, pour leur apprendre qu'elles avaient dans le ciel un maître moins impitoyable que ceux d ici-bas; mais cette initia- tion aux mystères consolateurs de l'Evangile ne pouvait s'a- dresser à la multitude d'esclaves exportés. La plupart arrivaient à Saint-Domingue et ù la Martinique dans un état de dégrada- tion tel qu'ils ignoraient jusqu'au nom de Dieu. Les Jésuites se tirent les amis de ces ^ègres : ils étaient abandonnés', les Jésuites se déclarèrent leurs proloctcurs. « iNous avons, écrit le

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l'ère Mongiii en 108!2, quatre maisons de Nègres clans l'ilu du la Martinique , une dans celle de la Guadeloupe , deux dans cellu de Saint-Christophe et une à Cayenne, Nous sommes seuls du prêtres pour les Français, les Nègres et les Indiens. »

Ils acceptaient un triple fardeau aux Antilles : d'un côté ils se constituaient les avocats des esclaves, ils s'etforçaicnt de rendre les colons moins exigeants et plus humains; de l'autre ils marchaient à la découverte des terres inconnues, et ils of- fraient la croix comme principe civilisateur. Ils surent un même temps former une langue de toutes ces langues particulières et créer aux indigènes une patrie, un culte et une éducation. Un les voyait tantôt préchant aux planteurs l'humanité, qui alors pour eux n'était qu'un mot, tantôt s'élançant sur les mornes les Nègres marrons se réfugiaient. Il y avait partout des pé- rils à braver : les Jésuites les surmontèrent tous. Aux uns ils parlaient de clémence, aux autres d'un devoir dont le Ciel seul serait juge. Cette charité de toutes les heures, que la génération succombant à la peine léguait à la génération qui la remplaçait, ne s'affaiblit jamais. Le nombre des Jésuites qui moururent dans ces Missions est incalculable; cependant il s'en présenta tou- jours de nouveaux. En 1740 la seule province de la Nouvelle- Espagne ou du Mexique occupait cent quarante-quatre Pères. Ils avaient sous leur direction plus de cinq cent mille Chrétiens. Aux Antilles françaises l'Institut produisit les mêmes résultats.

Sur los côtes d'Afrique, à Angola, au Congo et dans l'inté- rieur des terres, ils poursuivaient l'œuvre commencée par Icths devanciers. Le succès ne put pas, même à la longue, couronmir leurs efforts , car ils se trouvaient en face d'une population que la traite des Noirs rend essentiellement mobile. Les Jésuites ne s'adressent jamais aux mêmes hommes qui , libres aujourd'hui et esclaves le lendemain, disparaissent pour toujours. Cette si- tuation précaire faisait de la charité en Afrique une fatigue in- cessante que ne compensaient qu'à de rares intervalles les joies de l'apostolat. Chez les sauvages le prêtre avait du moins l'es- pérance; il parvenait à civilucr des tribus barbares et à leur inspirer l'amour de la famille. En Guinée et à la Sénégambie, il n'en est pas ainsi; néanmoins les Jési;itcs ne renoncent ja-

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CHAP. II.

iiiSToihi:

mais à de telles Missions. Ils pék'isscnt dans ces parages si fé- conds en naufrages avant d'avoir touché au port, ils meurent de toutes les maladies pestilentielles ou sous le fer des Nègres ([u'ils se dévouaient à instruire. Ces naufrages et ces trépas, que l'on calcule d'avance, ne compriment point l'élan qui pousse les Pères de l'Ordre de Jé$us vers ces côtes néfastes. Ils étii- blissent deux collèges, l'un au Congo, l'autre ù Angola; dans leur église de Loando , ils fondent une société des Naufrages , heu- reuse idée, que la philosophie empruntera à In charité chré- tienne. Leur but était de recueillir les marins et les passagers que la mer jetait au rivage après avoir englouti leur fortune; ils disputaient cette proie aux flots courroucés ; ils en préservaient plusieurs de la mort; mais ne s'arrêtait pas l'eiricacité de leur bienfaisance. Il fallait secourir les naufragés, leur assurer des ressources et leur faciliter leur retour dans leur patrie. Les Jésuites enrôlèrent toutes les femmes riches de la colonie; ils leur firent un pieux devoir de travailler aux vêtements dont les malheureux avaient besoin, et, au milieu des calamités qui frap- pèrent la Mission d'Afrique, ils surent maintenir cette associa- tion. Us rétendirent même à d'autres rives.

Tout en combinant leurs efforts pour propager la croix sur tant de points, les Jésuites n'avaient pas oublié leur patrie; ils cherchaient à accroître sa puissance et ses ressources en lui donnant, comme alliés ou comme sujets, les peuples qu'ils ar- rachaient à la barbarie. La diffusion des lumières agrandissait le cercle des idées, elle multipliait les centres d'action commer- ciale : il importait donc de leur créer des débouchés. Les Jésuites furent les plus ardents promoteurs du système do colonisation ; dans ce but, ils renoncèrent à leur pensée toujours commune, afin de se dévouer au service de leur pays. Nous avons vu ce que les Pères espagnols et portugais avaient réalisé aux Indes et dans l'Amérique méridionale pour faire triompher le drapeau de la métropole, il reste à dire ce que les Jésuites français tentè- rent au Canada.

Des miracles de civilisation s'y étaient opérés sous la main des premiers Missionnaires dont nous avons raconté les travaux et les martyres ; d'autres leur avaient succédé ; ils appliquèrent

DR LA COMI'AGMK tiE JÉSUS.

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d'une niaiiiérc si intelli^^ente lo plan de leurs prédécesseurs que bientôt la nicillnure partie du Canada tut chrétienne et française. " i . ,' i

La Nouvelle-France était voiâine de la Nouvelle-Angleterre ; cette proximité réveillait les vieilles inimitiés et les jalousies des deux nations. Les Anglicans voyaient d'un œil inquiet les progrés que le Calholicisme et le nom des Bourbons faisaient dans l'Amérique septentrionale. Les Jésuites avaient régénéré ces tribus ; les Ihirons, les Esquimaux, les Algonkins, les Abéna- kis, les Illinois et les Miamis acceptaient avec joie l'Evangile. De l'état sauvage ils étaient peu à peu arrivés à une condition heureuse. Us apprenaient à confondre dans le même amour le Christ et la France. Apres leur avoir donné un culte , des mœurs, une famille, on leur offrait une patrie qui les protégeait. Les Canadiens, par vénérnlion pour la mémoire des Pères qui ont consacré leur vie à cet apostolat, marchèrent sans hési- ter dans la voie que les autres leur traçaient ; ils suivirent la Itobf-l\'oh'e^ , comme un enfant timide s'attache à sa mère. La Robe-Noire leur disait détre fidèles à Dieu et au roi, ils obéirent. Cet empire exercé sur des populations vierges dé- plaisait aux Anglais, ils surent créer dans les déserts du Labrador et sur les lacs du Canada une opposition toujours armée. Les Iroquois leur servirent de levier pour battre en brèche la civi- lisation qui s'opérait au profit de la France. Le Jésuite était devenu l'ami de toutes les tribus, elles le choisissaient comme médiateur dans leurs diiférends, elles l'honoraient dans leurs fêtes, elles l'entouraient d'un prestige que son inaltérable pa- tience grandissait au moins autant que son savoir. Elles lui de- mandaient la paix, mais, en cas de guerre, elles le supposaient assez omnipotent pour leur accorder la victoire.

Afin de conserver sur tant d'esprits volages une autorité qu'un seul caprice pouvait anéantir, les Pères de l'Institut se con- damnèrent à une existence nomade. Pendant l'été, les uns ac- compagnaient les Néophytes dans les chasses ou sur les lacs ;

* Le nom de Kobes-Noires , apfiliqiit; dans li principe aux seuls Ji^tiuiles par les sauvages , s'élomlit à tous les Missionnaires catholiques ; m»U , par ce mot , les Canadiens ilOsiancreut loujours plus spi'cialeuient les prières de la Compagnie de Jésus.

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CHAI'. 11. Hi8ruii«i<:

l«.>s iiulrcs, puiiduiit riiivvr, hc bloUissdieiit avoc eux dans Itturs csibanes cnfiiiiices sons la neige. Les Pères de Crépieul, Mu- niin, Nouvel, Silvy, Boucher, Dalmas, André, Beschefer, Al- louez, d'Ablon et Ko Jeune passèrent ainsi leur vie. Pour maintenir la Foi chez tant de peuplades à peine sorties de la barbarie, on les voyait souvent s'engager sur la glace et par- courir trente ou quarante lieues. Dans ces courses oi'i la mort leur apparaissait sous mille formes, ils visitaient les familles que l'hiver retenait sur les montagnes ou au fond des bois. Le Père .Marquette part, au mois de mai lOlT), pour Michilimakinac. En route, il tombe d'épuisement; il expire à l'embouchure d'une rivière. Marquette était connu et aimé de tous les Canadiens. On l'inhuma à l'endroit môme il avait rendu le dernier soupir, et pour eux ce petit fleuve ne fut plus que la Rivière de la Hobe- IS'oirc.

La guerre incessante que les Iroquois, alliés de l'Angleterre, entretenaient, soit contre les tribus , soit contre la France , amenait chaque jour son contingent de malheurs. Les Anglais portaient envie à ces florissantes colonies, ils s'eff'orcérent de les ruiner ou de les détacher de la métropole. Les Jésuites étaient incorruptibles, on chercha à les rem'ro odieux. Le mensonge prit les travestissements les plus étranges ; il échoua partout, ces honnêtes natures le repoussèrent avec mépris. Elles n'a- vaient rien d'anglais, ni au cœur, ni à la tète, et quand l'ami- ral Philipps r'ssiégea la ville de Québec, en 1690, les Cana- diens, encourugés par les Jésuites, luttèrent avec tant d'énergie contre les forces de la Grande-Bretagne que l'escadre de blocus fut contrainte de se retirer.

Le Père Marquette avait ; deux ans avant sa mort , fondé une Mission à Kaskasquias, chez les Illinois; ils se montrèrent do- edes à ses enseigh<'me'.its. Son trépas laissait à d'autres le soin de continuer une (jctvre si périlleuse; les Pères Jean Mermet, Gabriel Mareslet Juiu^nBincteau s'olTrircnt comme ses héritiers; mais c'est le Pèrr. Jacnncs ''ravier qui attacha son nom à cette Chrétienté. Ir cliiii... des Illitiois n'était pas aussi rude que celui de la plujart l'is Missions. De grandes rivières, de vertes prairies, de riches forets en faisaient l'oasis de l'Ame-

DR LA COMr.Vr.MK

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rii|iic so|)(rntrioi)ali> ; hs iiiii'iirs du |rii|>lu su rrssf'Mhiiont d «* ItH'n-i^tro. (Jriivior y ptiiôtre vers l'uiiut ITlK), et, ipfondé |»iir l'oiix ({ui ont niivort ccltt* Icrrn un CIn'isliiiiiisiiiR, il arrive on pen de temps à initier les naturels ù lu Religion, dont ils saisissent la mystérieuse beauté. Les Illinois étaient doiii, ''^ , Gravier sVlan< •> vers les Peouarias. Ils recueillent ses instn <-- tions, ils s y «oumcttcnt ; mais les Français, qui se faisaiimf toujours jireiiA'er par des Jésuites, commencèrent h s'étahhr au i.iid* i]". la Louisiane, vers Temboucliure du Mississipi. Afin •le se ibtffîcr un boulevard contre les attaques des Anglais , ils songèrent à rapprocher les Peouarias de leur ville naissante. Il fallait [M-éparer les sauvages devenus Néophytes i\ cette transmi- gration. Le Jésuite était populaire dans les tribus, ce lut lui qu'on chargea de les déterminer. Gravier y voyait des incon- vénients de tonte nature , cependant il cède aux instances des otficiers. Son absence avîiit rendu aux jongleurs et aux prêtres des idoles leur empire miné par la prédication. Gravier périt dans une révolte, mais son œuvre de prédilection n'en progressa pas moins. Les Pères Bineteau , Marest , Ghardon et Pinrt s'y dévouèrent, et en 1721, au moment Gharlevoix, l'his- torien du Canada , parcourut ces contrées , il n'y trouva que des Chrétiens.

C'était chez les Illinois que les Missionnaires avaient obtenu les plus durables succès , ce fut aussi que le nom de la France se vit en plus grande vénération. Les Illinois s'attachèrent à la métropole par affection pour les Jésuites ; au milieu de toutes les guerres , ils .se firent un devoir de repousser les avances des Tcha» 'as et les promo*;ses britanniques. Lorsqu'on i763Ghoiseul abandonna les possessions de l'Amérique septentrionale à l'An- gleterre, Pontias, le chef de la tribu des Ottaonais, ne con- sentit point à subir ce traité honteux. Il était Français , il se relira chez les I^Vmois comme dans le dernier refuge l'on pourrait encore battre en l'honneur de sa patrie d'adoption ; car , selon la parole d(< Chateaubriand * , « si la France con- serva si longt<*m<ps le Canada contre les Iroquois et les Anglais

' (iéitie du Christianisme , V paii., iiv. i , ih. vitl.

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CHAr. 11. HISTOIKE

unis , elle dut presque tous ses succès aux Jésuites. » Le PAre Charlevoix avait commencé sa carrière dans les Missions dont il devait plus tard être l'annaliste. En 17201e Régent le chargea de visiter de nouveau ces contrées , et d'y recueillir les rensei- gnements dont le pouvoir avait besoin pour augmenter la prospé- rité des colonies. Chr ir voix traça un plan que Louis XIV n'aurait pas ri.-;iqué de faire fri.ctifier ; son successeur se contenta d'en prohiber la publication. « Les lettres de ce Jésuite, dit le comte Barbé-Marl'ois ', étaient adressées à la duchesse de Lesdiguiéres. On les tint fort secrètes. Si elles eussent été publiées alors, la colonie aurait eu infailliblement une autre destinée ; mais cette correspondance ne vit le jour que vingt-cinq ans plus tard. »

Les projets du Père Charlevoix effrayèrent le gouvernement de Louis XV, qui , à peine sorti des mains de la régence, se croyait encore obligé d'être anglais. Ce que Charlevoix démontrait avec l'expérience des faits , d'autres Jésuites le réalisèrent. L'Anglican était l'ennemi de leur Foi et de leur patrie , ils apprirent à tous les Néophytes à se délier de lui. Les Iroquois avaient dispersé les Chrétientés des Hurons , elles s'étaient répandues dans le Canada, portant partout le deuil de la famille et du pays. Les Mission- naires ne voulaient pas leur laisser ainsi le droit d'accuser la France et de chercher peut- être dans leur désespoir une protec- tion moins variable. On les vit se mettre sur leurs traces , les réunir un à un , et créer avec ces débris de peuples un autre peuple de Chrétiens. Us saluèrent cette Réduction du nom de Lo- rette; les Pères Chaumonot, Chollence, Découverts, Martin, Bouvard, Louis d'Avaugour et Richer y fécondèrent tour à tour le germe des vertus.

Cependant les Jésuites et le comte de Frontenac , gouverneur du Canada , avaient senti que la paix était nécessaire. Les tri- bus ne demandaient pas mieux, il fallait amener les Iroquois au même vœu. Les Pères de Carheil et Enjalran les décidèrent, en août 1701 , à se joindre aux députés de toutes les nations assemblées. Les Iroquois furent séduits par les deux Mission- naires, ils acceptèrent les (onditions proposées. La paix, dont

Histoire de la Louisiane, p. 122.

DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.

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un chef huron , célèbre sous le nom du Rut , avait dicté les clauses avec le chevalier de Caillerc, ouvrait aux Jésuites cette terre hostile, ils y entrèrent la croix à la main.

Les Iroquois , que le marquis de Tracy et Courcelles avaient vaincus en 1660, ne pardonnèrent jamais ce triomphe aux Fran- çais. Indépendants par nature, sanguinaires par besoin ou par plaisir, ils se faisaient un jeu de la cruauté et du parjure. Ils voulaient conserver leur liberté entre les trois puissances européennes qui se disputaient l'empire du Canada, et, tou- jours en garde, tantôt contre les Hollandais, tantôt contre les armées britanniques et contre la France , ils ne laissaient jamais violer leurs frontières. Les Anglais néanmoins parvin- rent, à force de ruses et de présents, à gagner les princi- paux chefs ; ils s'en créèrent des alliés, ils excitèrent leur farouche instinct , ils fournirent des armes à leurs colères. Cette situation était pleine de dangers pour les Chrétientés; les Jésuites crurent que , pour conjurer le péril , il fallait le brciver au centre même de l'ennemi. De l'année 1667 à 1688, les Pères Frémin , Pierson , Bruyas , Carheil , Garnier , Millet , Vaillant de Gueslis , Boniface, les deux Lamberville et le Frère Meigneray affrontèrent toutes les douleurs du corps , toutes les souffrances de l'âme, afin d'apprivoiser les Iroquois. Les Hollandais et les Anglais avaient compris qu'il importait i\ leurs calculs protestants et politiques de rendre les Jésuites im- possibles. Pour réussir dans leur dessein , ils développèrent fchez ces tribus la passion des liqueurs fortes ; ils l'alimentèrent * par toute espèce de sacrifices ; puis , après qu'elle fut devenue in- curable , ils se mirent à spéculer sur le rhum et l'cau-de-vie , dont ils avaient fait un besoin.

Les Anglais, voisins des Iroquois, n'avaient qu'un but; 5 tout prix, ils voulaient chasser les Jésuites de ce pays, bien assurés qu'ils en seraient un jour les seuls maîtres si , par l'i- vresse d'un côté et par les prédicants de l'autre , ils arrivaient

1 On remarqua cependant quelques offlciers anglais qui ne s'associèrenl pas à co raleul d'inlempi^rancc. Le 18 novembre 1668, François Lovelace, commandant du Torl James, à la Nouvelle-York, promettait au Jésuite Piersou de mettre un terme à de pareils abus , dont quelques chefs iroquois, plus prudents que les autres, de- mandaient eux^mômes la suppression.

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CIIAP. 11.

illSTOlUE

à le dominer. Les Pères ne se iiiissérenl ni inliiiiidcr par les ou- trages ni tromper par l'astuce. Ils avaient à cœur de régénérer le peuple ; ils bravèrent ses lureurs , ils tinrent tête aux émis- saires de la Grande-Bretagne. Après de longs tourments, ils virent qu'il leur serait permis d'espérer un meilleur avenir. ïls conso- laient les prisonniers enlevés par les Iroquois , ils les faisaient Chrétiens dans la souffrance, ou ils leur administraient le baptême au moment du supplice. I!s adoucissaient aux autres une mort qui à chaque heure planait sur leurs propres tètes. Du Sault- Saint-Louis au fond de ces régions , ils avaient h combattre les vices les plus ignobles et les corruptions de l'Angleterre.

Les Iroquois parlent de manger les Robes-Noires, le comte de Bellamont, qui dirige les troupes et la politique de la Grande- Bretagne, menace à chaque instant de les faire pendre : les Pères ne s'effraient point de ces périls. On les prive de la li- berté , on les traîne captifs à la suite des hordes vagabondes ; ils marchent avec elles , cherchant en tous lieux à répandre des germes de Christianisme. Cependant, en 1708, au plus fort des guerres , les Jésuites furent contraints de renoncer à ce sol in- grat. Les Iroquois proclamaient leur neutralité, et ils préparaient un armement contre les Français. Le Père Pierre de Mareuil était sous les tentes des sauvages , il avertit le marquis de Vau- dreuil , gouverneur du Canada , que l'Angleterre les a encore décidés à attaquer. Les Anglais saisissent le Missionnaire , ils le conduisent prisonnier à New-York : ce fut le dernier Jésuite qui posa le pied sur le territoire iroquois.

Us étaient en même temps au nord et au midi ; ils occupaient les postes les plus difficiles et les passages les plus importants ; car les chefs militaires se servaient d'eux comme d'un drapeau que les Néophytes n'abandonnaient jamais dans la mêlée. Mais, en dehors des combats , ils exerçaient un ascendant qui plus tard devait porter d'heureux fruits. Dans le centre du Canada ils formaient une colonie qui n'eut rien à envier aux Réductions du Paraguay. Les Abénakis, tribu de la rive droite du fleuve Saint-Laurent, reçurent en 1 046 la parole de Dieu, que le Père Dreuillettes leur annonça; les Pères Pierson, Richard et Morain s'avancèrent sur la rivière .'aint-Joan. An mois de juin 1070,

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DE LA COMPAGNIE JESUS.

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Jacques VauUicr fonda définitivement les Chrétientés que Bigot, Gassot, Aubéry, Lauverjat, de La Chasse et Sébastien Rnsie étendirent des deux côtés du fleuve. Plusieurs Réductions furent ainsi créées dans les forêts, car il fallait mettre à l'abri des hosti- lités les femmes, les vieillards et les enfants, afin de conserver le germe catholique. Les Abénakis, plus voisins de Boston que de Québec, avaient intérêt ù lier des relations commerciales avec les Anglais ; le désir de conserver intact le dépôt de la Foi leur fit repousser comme une mauvaise pensée toute démarche qui les rapprocherait des enne>nis de l'Eglise et de la France. Les Anglais accusaient les Jésuites de cet éloignement ; le Père Basic surtout leur était odieux. Le 23 août 1724 ils tombent à l'improviste sur la bourgade de Narantsouak, le Jésuite ré- side. Rasle sait que les Anglais en veulent à sa vie, il s'offre à leurs coups afin de préserver ses Néophytes; il périt dans les tourments. Cet attentat aurait exaspéré des hommes civilisés, les Abénakis étaient encore à demi sauvages, ils n'écoutent que leur vengeance. Peu d'heures après, l'incendie et la mort des- cendent sur les habitations anglaises. Les Abénakis virent s'é- couler de longs jours dans les joies de la primitive Eglise ; sous la houlette des Jésuites, ce troupeau ne connut ni les passions ni le besoin. Lorsque, en 1756, le marquis de Montcalm vint tenir tête à l'armée de lord Loudon et combattre les généraux Wolf et Abercromby, il trouva. toujours au premier rang les intrépides Néophytes, dont le Père Charles Germain excitait le courage.

Quand la France ne se défendit plus au Canada , quand la mort de Montcalm, les victoires du général Wolf sous Québec et de l'américain Washington devant le fort Duquesne eurent fait désespérer des affaires de la métropole, les tribus canadien- nes s'engagèrent dans une lutte suprême pour prévenir la chute de leurs alliés. Les Ottaonais se distinguèrent surtout au mi- lieu de ces combats. Ils avaient à leur tête Pontias, le chrétien le plus fervent et le soldat le plus déterminé. La France n'a ja- mais su, dans ses annales, glorifier par un souvenir ce Sachcm- oltaonai qui fut son ami ; c'est devant les historiens anglais ou américains, ses adversaires, que le Sachem a trouvé justice. Tout était perdu, il ne restait phis aux Néophylos qu'à faire V. K

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CHAI*. II. HISTOIRE

leur paix avec la Grande-Bretagne. La France déserte la cause de ses colonies, les colonies ne veulent pas se séparer du dra- peau blanc. Pontias forme le projet de surprendre par un hardi coup de main les onze postes militaires qu'occupent les Anglais. Huit de ces postes tombent en son pouvoir. Niagara, Pittsburg et Détroit résistent seuls à l'attaque du Sachem. Détroit est le plus fort et le plus important : le Sachem se décide à en faire le siège. Durant une année entière il retint ses inconstants 'compatriotes sous les murs de cette citadelle. La paix de 1763 ne met point un terme à ses hostilités. Seul sur le champ de bataille oiî les Jésuites lui apprirent à se dévouer pour la France, il veut en- core combattre à la tête de sa nation.

Le Haut et Bas-Canada était livré aux enfants de Loyola ; ils en firent une contrée heureuse par la pureté de ses mœurs et pnr un charme d'innocence qui étonna toujours les chefs mili- taires de la colonie. Pour acclimater la vertu chez ces peuples, voyageurs par goût et par nécessité, les Missionnaires se con- damnaient à des courses sans terme, à toutes les misères de la vie sauvage, à toutes les intempéries des saisons. Ils précédaient on ils accompagnaient le drapeau de la France. En i700d'lber- villc fonde un établissement vers l'embouchure du Mississipi, le Père Paul du Bhu élève un grand Calvaire sur les rives du tieuve. Les Français prenaient possession du pays en y bâtissant une forteresse, les Jésuites s'emparaient des âmes en leur ré- vélant les mystères de la croix. Le Père Marquette avait décou- vert ce sol fécond, d'autres Jésuites y apportèrent la semence de l'Evangile. Paul jlu Rhu, à la Basse-Louisiane, commence une Réduction ; les Pères Joseph de Limoges et Dongé accoure^it partager ses labeurs. La confiance que les sauvages accordaient aux Missionnaires était un éternel sujet d'anxiété pour les di- recteurs de la Compagnie des Indes occidentales ; on force les Jésuites à déserter leurs résidences du Mississipi. Quelques an- nées s'écoulèrent ainsi ; mais l'absence des Robes-Noires causait de vifs regrets aux naturels. En 4725 le Père de Vitré rentre à la Nouvelle-Orléans avec une colonie de Jésuites dirigée par de Beaubois, de Ville et Le Petit. Leur sang devait fertiliser cette tîrre; le 28 novembre 1720 le Père du Poisson , qui évangélisp

DE LA COMPAGNIE DE JESUS.

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le

les Akansas, pénttire chez les Natchez, sa tête tombe sous la hache d'un des chefs de cette tribu. Le 11 décembre de la même année le Père Soiiel , qui a reproché à d'autres leurs crimes et leurs excès , périt par leurs miins dans un jour de colère.

Les Jésuites accompagnaient les catéchumènes dans leurs guerres ; ils se constituaient prisonniers pour escorter les vain- cus dans la captivité ; ils partageaient leurs bûchers afin de les aider h bien mourir. En 1736 le Père Sénat fut brûlé par les Chicachas, parce qu'il n'avait pas voulu cesser d'exhorter à la mort les victimes que le feu allait dévorer. La Louisiane, arrosée du sang des Missionnaires , ne tarda pas à devenir chrétienne. Les Jésuites étendirent leurs conquêtes pacifiques sur l'Ohio ; peu à peu ils assouplirent au joug de la famille et des lois ces peuplades errantes. Ils les avaient trouvées sauvages, ils en firent des hommes.

De terribles , de glorieuses révolutions ont achevé leur œuvre. L'Angleterre d'un côté, les Etats-Unis d'Amérique de l'autre ont changé la face du pays. 11 n'y avait plus de Jésuites pour lutter à armes égales contre les diverses sectes qui envahissaient le Canada ; le Catholicisme s'éteignit dans les cœurs. La guerre et la liberté , l'absence des Missionnaires et l'action des Pres- bytériens , des Quakers et des Anabaptistes détruisirent la plu- part de ces Chrétientés ; mais au fond des tribus dont le con- tact hérétique ne pouvait altérer la Foi , le souvenir des Robes- Noires survécut. Les voyageurs de tous les cultes et de tous les pays constatent cette reconnaissance ; les actes officiels eux- mêmes en rendent témoignage , et les Ottawas , que les Jésuites émancipèrent au dix-septième siècle , viennent , cent cinquante années après, en demander au président de l'Union Américaine. En 1823, ils lui écrivent, par l'intermédiaire de leur chef Pinesinidjigo , \ Oiseau Noir ' :

* Dans la môme ann<<e, d'autres tribus précisaient encore mieux leur demande, l'I le prt^sident des Elats-Uiiis recevait l'adresse suivante :

"Nous, soussiQnùs, capitaine, cliets de famille et autres de la tribu des Ollawas, demeurant à l'Arbre-Courbe, sur la rive orientale du lac Michigan, prenons celta voie pour communiquer à noire père, le Président des Elals-Uni$, nos demandes et nos besoins. Nous remercions noire père et le congrès de tous les elTorts qu'ils ont faits pour nous amener b la civilisation et b la connaissance de Jésus, lédemp- leur des hommes rouges et blancs. Nous confiant dans votre bonté paterncllt* , nous réclamons la liberté de ronsciencp , et vous prions de nous accorder tin maître , ou

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CHAP. II. IIISTOIRK

, « Mon Père, c'est à présent que je désire que tu m'éconlcs , moi et tous les enfants de cette contrée éloignée ; ils tendent les bras pour te serrer la main ; nous , les chefs , les pères de famille et autres Oltawas , résidant à l'Ârbre-Grochii , te prions instamment et te supplions , toi , notre respectable Père , de nous procurer une Robe-Noire comme ceux qui instruisent les Indiens dans le voisinage de Moiitréal.

» Notre Père, sois charitable envers tes enfants; écoute-les. Nous désirons être instruits dans les mêmes principes de Religion que professaient nos ancêires quand la Mission de saint Ignace existait.

» Nous nous adressons à toi , le premier et principal chef des Etat-Unis; nous te prions de nous aider ù élever une maison de prière.

» Nous donnerons de la terre à cultiver à ce ministre du Grand-Esprit que tu enverras pour nous instruire , nous et nos enfants. Nous nous efforcerons de lui plaire et de suivre ses bons avis. Nous nous trouverons heureux , si tu veux bien nous envoyer un homme de Dieu , de la Religion catholique , de la môme sorte que ceux qui ont instruit nos Pères. Tei est le désir de tes enfants dévoués. Ils ont la confiance que toi , qui es leur Père, auras la bonté de les écouter. Voilà tout ce que tes enfants te demandent h présent.

» Tous tes enfants , Père , te présentent la main et serrent la tienne avec toute l'affection de leur cœur.

» Signé : Magati, Pinesinidjigo. »

ministre ile rEvaiigilo, qui apparlicnne à la même Socii^té iloiil élaienl les niom. bres de la Compagnie catholique de saint Ignace, établie autrefois à Mirhillimacki- nac, a l'Arbre-Courbé, par le Père Marquette et d'autres Missionnaires <lc l'Onlre des Jt'suitps. Ils résidèrent au milieu de nous pendant de longues années. Us culli- vèrent un champ sur notre territoire pour nous apprendre les principes de l'agri- culture et du Christianisme.

u Depuis ce temps , nous avons toujours désiré de semblables ministres ; si vous daignez nous les accorder, nous les inviterons h venir s'établir sur le même lerriiiu anciennement occupé par le Père Du launay, sur les rives du lac Michigan , proche de notre village à l'A bre Courbé.

n SI vous accueillez celte humble demande de vos llls fidèles, ils en seront éter- nellement reconnaissants, et prieront le Grand-Esprit de répandre ses bénédictions sur les bhncs.

» En foi de ceci, nous avons apposé nos signatures, ce 12 août 18-23.

» Signé : EPF.nviT.R, Poisson , Cue?(Iu.f,, Grce. Aic.le, » Pd.ssos -Volant, Oirs, Cerf. »

DE LA COMl'AtiiNIl!: UE JESUS.

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l^ne nouvelle forme de gouvernement a produit de nouvelles mœurs : la population primitive du Canada , dont une partie a refusé d'abandonner ses savanes , vit au fond des forêts. Là, .s'arrangcant un bonheur ù sa manière, elle invoque le concours dr président des Etats-Unis, « pour être instruite dans les mûiucs principes de religion que professaient ses ancêtres quand la Mission de saint Ignace existait. » Et ce souvenir des temps passés, qui frappe au cœur les peuples dont la virginité n'a pas été souillée par les révolutions, ce n'est pas seulement chez les tribus canadiennes qu'il se réveille. Les Catholiques de l'Amérique méridionale font entendre le même vœu ; de la Louisiane à la Nouvelle -Grenade, il retentit. Dans un même sentiment de gratitude et d'espérance , tous demandent à l'In- stitut religieux qui civilisa leurs pères de venir apprendre à leurs enfants les devoirs du chrétien et du citoyen. Les monar- ques de l'Europe avaient, dans un jour de faiblesse que tant d'autres, plus coupables, suivirent, consommé la ruine de la Société de Jésus ; ils brisaient ainsi la chaîne qui attachait le Nouveau-Monde à l'ancien, dont il était tributaire.

Le Nouveau-Monde, libre et républicain, n'accepte point les préjugés ou les haines de convention qui fermentent contre la Société de saint Ignace de Loyola. Il sait les services qu'elle a rendus à cet univers créé par ses travaux ; il appelle les Jé- suites pour qu'ils continuent à en rendre de semblables dans un autre ordre d'idées. Tous ces peuples, tirés de la barbarie par les Missionnaires, ont des intérêts différents, des passions et des vues opposées ; mais, du haut des Montagnes Rocheuses à la mer des Caraïbes, de l'Inde au Paraguay, ils se confondent dans un même désir. Us remontent tous le courant des révolu- tions, afin d'offrir à la jeunesse comme à l'âge mur les guides spirituels dont leurs ancêtres éprouvèrent la foi, et dont eux veulent mettre à profit le zèle et la science.

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CHAP/ m. ^ HiSTOIHE

CHAPITRE III.

SHui(lt>n dei esprit* en Europe. La Compagnie de Jésus en face dei adver&airr* do l'ordre social Tcus ont pour premier but la doslruition des Jt^suiles. Le inarqnis de Ponibalh Lisbonne. Son caracttrc. •• Il est prolOgé par les Jésui- tes. — Il domine le Taible Joseph I". Ses mesures et son arbitraire. 11 règne sur le roi en lui faisant peur de complots chinK^riques. Ponibal comprend que, nour rester seul maître de la position, il faut éloigner les Jésuites. Il cherche k détacher le roi des Pères de l'Institut. Exil des Pères Bullisler et Fonséca. Causes de cet exil. Monopole administratif. Tremblement du terre de Lisbonne. Courage de Pombal et des Jésuites. Charité du Pcru Haiagrida. Le roi revient de ses préventions contre la Société. Pombal n'est pas d'intelligence avec la secte encyclopédique. DilTorence de leurs plans. Pombal rêve d'établir une espèce de religion tnniicaneen Portugal.— 11 calomnio la Compagnie de Jésus dans ses Missions. Traité d'échange enire l'Espagne et le Portugal. Les sept Réductions dt: l'Uruguay et la colonie du Saiul-Sacre- ment. Motifs de cet échange. Les mines d'or des Jésuites. Les doux coui s chargent les Pères de préparer les Néophytes à l'émigralion. Les l'èrct Barreda et NeydorlTert. Les Jésuites, au risque de perdre le Christianisme et leur popularité , obéissent à l'injonction. On les accuse de soulever les Indiens. Concessions qui deviennent funestes. Leur obéissance les com- promet dans les deux camps. Les Néophytes se révoltent. Proscription des Jésuites au Maiagnou. Les Indiens sont vaincus parce qu'il n'y a pas eu accord entre eux. Expulsion des Jésuites. On se met à U rccharche dca mines d'or. Il est démontré qu'il n'y en a Jamais eu. Pombal pamphlétaire contre les Jésuites. Les rois d'Espagne, Ferdinand VI et Charles III , font brûler soh ouvrage. Don Zevalos et Guliierez de La Huerla. Les Jésuites disculpés par les autorités espagnoles. Leur éloge des Réductions du Para- guay. — timidité des Jésuites enhardit Ponibal. >-ll demande à Renolt \1V un bref de réforme. Benoit XIV et le cardinol Passionei. Le capucin Nor- bert protégé par Passionei. Le commerce des Jésuites au Paraguay el dans les Missions. Ce que c'était que ce négoce. Edit de Philippe V qui l'ap- prouve. — Pombal s'imagine que les Jésuites ont dévié de leur Institut. Il prétend les y ramener. Benoit XIV mourant se laisse forcer la main, et signe le bref de visite et de réforme. Le cardinal Saldanha et Pombal. Les Jésui- tes, confesseurs du roi et des infants, enlevés de la cour. Le Provincial Heiiiriquez et le Général do l'Ordre enjoignent de garder le silence et d'obéir. Hoi-1 de Itenott XIV. Sàldaiiha exerce des pouvoirs périm*^. U condainnu les Jésuites comme convaincus de commerce illicite.— Election de Clément XIII.

Son caractère. Le Général des Jésuites, Laurent Ricci , se plaint du car- dinal Saldanha et des mesures prises sans contradicteurs. Exil des Pères Fonséca, Feireira, Malagrida et Torros.— Le Père Jacques de Caméra.— Attentat k la vie de Joseph l". Le niarquis de Tavora accusé. Aprè.s trois mois de sik-nce, on l'arrOte avec sa .'amille. Motifs secrets de la i4dèi'e de Ponibal contre les Tavora. Le tribunal de Vliiconftdence présidé par Ponibal. Les Tavora à la question. Le duc d'Aveiro dans les torlures s'accuse lui-même. 11 accuse ses parents et les Jésuites. Il se rétracte. Supplices de ces familles.

Arrestation de huit Jésuites. Malagrida, Mattos et Jean-Alexandre con- damnés à mort. Les autres Jésuites en suspicion. Manifeste de Joseph 1°>' aux Evé(jues portugais. Deux cents prélats catholiques protestent contre cet écrit. On enlève les Missionnaires de toutes les Réductions. Faux bref pour l'expulsion des Jésuites du Portugal. l'ombal en fait partir un premier convoi pour les Etats pontificaux. Les Dominicains de Civila-Veccbia les accueillent.

Le cardinal Saldanha cherchée gagner les jeunes Jésuites. Pombal, dé-

DE LA COMrAGME DE JESUS.

birrsssi'dcs Muiles, ii'uocupc tic son ichUiiic nalioiiiil. Le ri<re MuUori'lt^ condamné romine ré|jicitlc, e^l britli' comme sorcirr. Son jugement par l'In- «tuitilion, (loni Poinbal est le cr(*ateur. Proscripliun de la Compagnie Jëiui en Porluoal. Les Ji'sullet prisonniers. Lettre du Père Kaulen. L'eiem- ple de Pombal encourase les adversaires do la Société. On ressuscite toutes les vieilles calomnies. On Invente un Père Henry brûlé h Anvers. Am- broise Guis cl son héritaoc Faux arrêt du conseil. Les Jésuites condamnés h restituer huit millions. Le Père Girard et Catherine La Cadière. L* jcuuo illle illuminée et le Jésuite crédule. Intrigues des Jansénistes. Parlement d*Aix acquitte le PJ!re Girard. Le Père Chamillard mort appelant de la bulle.— Les miracles faits à ton tombeau.— Le Père Chamillard retiusclte. Sa lettre.

Tant que la Société de Jésus n'eut qu'à lutter contre l'in- stinctive cruauté clés sauvages, contre les haines périodiques des Huguenots, des Universités et des Jansénistes, on la vit s'opposer aux attaques et souvent même jeter dans ie camp ennemi la division ou la honte. Forte du principe d'autorité qu'elle proclamait sous tous les modes de gouvernement, elle avait jusqu'alors, à quelques rares exceptions près, trouvé dans les chefs des peuples un constant appui, une intelligente protection qui tournait à l'avantage des nations et des princes. De Rome, le centre de la catholicité, elle régnait par le martyre ou par l'humilité, par les services rendus à l'éducation ou par la gloire littéraire. Le Saint-Siège la présentait dans ses ba- tailles théologiques comme l'avant-garde et la phalange sacrée de l'Eglise; mais, au contact d'une nouvelle école qui sapait les trônes en flattant les rois, qui détruisait la morale en ca- lomniant la vertu et en glorifiant le vice, les monarques avaient vu se glisser dans leurs âmes un sentiment de crainte et d'c- goïsme. Endormis sur le trône, ils voulaient vivre heureux, sans songer que ce bonheur viager serait la mort de leur em- pire. Pour ne pas être agité dans leur royale fainéantise , ils laissaient un à un briser entre leurs mains les ressorts de la puissance publique. Us s'annihilaient pour le bien, ils n'évo- quaient une somnolente énergie que pour consacrer le mal.

Dans cet afl'aisseinent de la force sociale, dans celte décom- position du pouvoir, que les philosophes du dix -huitième siè- cle, nés d'une orgie de la Régence , firent accepter comme un progrés, les Jésuites furent désignés à toutes les colères. Il fallait leur passer sur le corps afin d'arriver au cœur de la vieille unité ; on remua le ciel et la terre. Les incrédules eu-

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r.ii.M*. III.

iiisroiiiK

rcnt foi dans l'Eglise; les Gallicans condescendirent à pru- clamer l'infaillibililé du Pape , les extrêmes se rapprochèrent ; il y eut une ligue de toutes les vanités, de tous les rôves, de toutes les erreurs et de tous les préjugés. On y enrôla les ministres des rois ainsi que les ennemis des monarchies , l(;s propagateurs de l'impiété et quelques prélats do!it la capacité n'était pus au niveau de leurs turbulentes vertus. Le Saint- Siège était entré dans la voie des concessions. Pur amour de la paix , il se laissait dépouiller de ses droits , il sacrifiait son initiative à des besoins factices, il atermoyait avec les passions pour essayer de les calmer ou tout au moins de les diriger.

La Compagnie de Jésus avait signalé en Europe ces sources de désordres intellectuels; elle s'y était opposée, tantôt avec uuduce, tantôt avec modération ; elle avait lutté contre les sectes séparées de la Communion catholique, elle luttait contre le Jansénisme fomentant la guerre civile au sein de l'Eglitic. Un nouvel allié était de ces éternels adversaires. Cet allié, c'était le Philosophisme , qui , marchant plus franchement à son biU, s'attaquait à toutes les religions établies et se faisait une •'irtue <te leurs dissensions intérieures pour les traduire au tribunal de ses poètes erotiques ou de ses rhéteurs ampoulés. Les nouveaux maîtres proclamaient l'indifférence et la vertu spéculative pour tout principe ; ils s'arrangeaient un Dieu et un monde à leur guise , sans foi et sans culte ; ils se plaçaient sur un terrain encore inexploré. Leur esprit frondeur prodiguait le sarcasme aux choses saintes, ils envenimaient les querelles entre l'Epis- copat français et les Parlements ; ils tournaient en ridicule les billets de confession et les refus de sacrements ', grave question

1 Lus difflcullôs qui suicjissenl dans les iiialicrcs de foi ou de disc'i|iliiie ecclé- slasiique sont toujours séileuses et coiii|ilii|U(}es; elles viitralnent a leur suite des daiiQers, ellvs provoquent souvent dos révolutions. L'airuire des billets de confes- sion et dos refus de sacrements avait une double origine; die tenait au for inlô- rieur cl ii la loi civile. La bulle (Jniginitiis, sollicitOe par l'Eeli'e de France, surtout par Fénelon, roinine l'unique moyen de mettre un terme iiu Jan30ni^nte, n'alteiQuit pas entièrement le but (|u'elle se proposait. Louis XIV, le Réijent et Louis XV, avec les Parlements et la presque unanimité du Clergé, curent beau rnccepler,il se trouva quelques Evoques et un. certain nombre de réguliers et de sé- culiers qui se llrent appelants. Nous avons dit à (|ut-l point les cluises en étaient sous la régence de Philippe d'Orléans, ou a vu lu part que les Jésuites y prirent ; il fiul raconter en peu de mots l'oi igine di s refus de sacrements. On l'ulti iliu!> aux Jésuites ; eu étudiant IcàécriNuiiis du Janà<'nii:niu, un c&t (oui cionae d'appieudru que ce ne

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Ue LA CUMI'AliiMK DE JKSUS. lii

(|uc Voltaire Uiu sous le feu de ses luoiiuerics. Les philosophes du dix-huitième siècle tendaient à ranéantissement des idées pieuses par toutes les routes possibles ; ils en ouvraient de nou- velles à leur besoin de destruction. Le Catholicisme était la Re- ligion seule immuable et la plus populaire; ce fut sur elle qu'ils concentrèrent leurs etlorts. Dans cette levée de boucliers, les Jésuites ne se déguisèrent pas que tant d'assauts habilement combinés devaient porter un coup funeste à leur Ordre ; mais ils avaient à sauvegarder la foi des peuples. On les vit se jeter

luiit po» le» Pères de la Coini)a0iiie «lui invenlircnl cch précautions et qui les pous* sèi'cnl jusqu'à l'abus.

En 17:10, UauJry, lieulenanl de police, lit compartllre devant lui environ tiuis cenU JansOnitle», prOirei pour la pluparl; un certain nombre furent exilés. Dor- sannc, à la page U4 du tome ii de son Journal, nomme l'auteur d'un pareil acte. <( Celle procédure, dit-il, avait été imaginée par le Père de LaTour, Général de rUraluire. » L'abbé Cuuel, le confesseur du cardinal de Noailles, et l'un des agents les plus actifs de la secte, « voulant, raconte Dorsannc, faire entrer l'abbé Dubois dans ce genre de procédure, eu avait dressé le projet et le lui avait envoyé. » Ainsi ce ne sout pas le^ Jésuites qui persécutent les Jansénistes, mais les Jansénistei mitigés qui poursuivent les Jansénistes exaltés. Le premier refus de sacrements, toujours au témoignage de Dorsanne, eut lieu en 1731. Le curé de Suint-Louis en- rile ce consentit point ii admini trer l'Oratorien Lclong, qui ne voulait pas rétrac- ter son appel. Le second exemple de ce refu' e<t signalé dons la ville d'Arles en tl'i'i, L'ulibé Boche, appelant, est sur le point de mourir; le Père Savornin, de l'Urdre de Saint-Dominique, refuse de l'absoudre ; le prêtre qui l'administra fut interdit par l'urclievéquc. Cm faits se multiplièrent ; bient6t on demanda aux ma- lades leurs billets de confession , pour savoir s'ils avaient été secourus par un prêtre orthodoxe Mémo avec nos idées de tolérance, celte mesure sera légitime aux yeux de tout homme qui comi'rend assez largement la liberté pour laisser aux autres le droit (|u'il s'accorde à lui-même. Si on veut vivre et mourir c.thuliquo, il faut bien te soumcllrc aux prescriptions de l'I-'glise catholique, qui ne nous' contraint pat à accepter sa loi , mais qui nous repousse de son sein si nous n'avons pas voulu y rentrer. Cependant celte mesure des billets de confession eut des (onsé- qucnces si funestes qu'on ne sait si on doit l'approuver ou la blâmer. Les Jansé- nistes se plaçaient dans une situation particulière et qu'aucun sectaire n'uvuit encore adoptée. Les hérétiques, en se séparant du corps de l'Kglise, se clorillaicnt de rom- pre sa communion et son unité, ils auraient rougi de itnrticiper a ses sacrements. Le Janséniste fut plus perllde : il osa être eiifunt de l'I^glisc malgré elle, et il maintint son dire jusque dans les brus de la mort.

L'usage des billets de confession pour les malades est expre. sèment établi dans les avis de saint Charl(>$ Borromée et dans l'un des conciles île .Milan. L'assemblée du Clergé de t65i l'avait consacré; le cardinal de Noailles en recommanda lui- mome l'observation. Les Jésuites, s'ils y ont eu part, exécutèrent ce ((ue l'é|iiscopiit enjoignait. Un a prétendu qu'ils avaient inspiré et poussé la mesure aussi loin que possible. Les preuves de cette accusation manquent partout. L'immixtion du Pai- leincnt dans ces alTuires du coii>ciciice, qui ne nml pas du ilomainu de la poliie publique, rendit le m:il incurable. Le Purlemeiit prêta aux Jansénistes une iir.prii- «lente prulecliun qui alla jusqu'iiu sacrilège. Il lit profaner les sacremenis, il loii- damnn les curés k udminisliur les hoiiiines qui dècUiaieiit pci sévèrer dans leneur. Souvent il for<;a les pièires a porter le viali(|un entre des solJats (|ue lu force judi- ciaire requérait pour sanctionner ses coupal)les arrêts. De 1738 il t75'.(, ceM-andale envahit la l""iaiue; il fiuii nil au\ adv r>Qires de la Iteliglon le droil d'uulrage tt de iiiiiqueiie; la riiblf.ic du GJUMrncmuit Ht le risle.

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ciiAP. ni. iiisTome

daiis l'arcno et, sans niesuror In (orcft de leurs fînncmis, com- battre avoc In parole et avec lu plume. Ces savantes discussions, auxquelles le Pérc Herthier et les autres disciples de saint Ignare conviaient les novateurs, pouvaient entraver leur marche ; elles les forçaient h démasquer avant le temps leurs secrètes batteries ; elles éclairaient le gouvernement sur des projets dont il leur eiU été opportun de nier encore l'existence. Lo Parlement, hostile aux philosophes, proscrivait d'une main les ouvrages qu'il en- courageait de l'autre. Il sévissait en corps contre les doctrines impies ou révolutionnaires, il y applaudissait individuellement ; il laissait se détendre le frein modcr-'iteur des peuples. Pour peu qu'on fit une guerre sourde ou patente aux Jésuites, il accordait droit de passe ù toutes les idées subversives. Engagés dans des luttes sans dignité cl forts de l'appui que la magistrature leur offrait, les Jansénistes évoquaient chaque conflit sacerdotal à la barre de la Grand'Chambrc. Ils vivaient en opposition avec la loi catholique, ils voulaient mourir impénitents et absous par elle. Ils niaient son autorité souveraine, et, par une dérision de la conscience, ils l'anpelaient ù leurs derniers moments pour la braver et la comprooicttre.

Cette situation intolérable prêtait des armes à toutes les pas- sio .c. La malignité publique fut t^nue en éveil par le bruit que l'on sut faire des refus de sacrements. Les Evêqucs, le Clergé et les Ordres religieux remplissaient un devoir. Dans son ac- complissement, il y eut peut-être des abus, des excès ; quelques prêtres poussèrent les précautions jusqu'à l'intolérance; les Jansénistes et les philosophes s'attachèrent à montrer partout la main des Jésuites. Les Jésuites furent dévolus aux inimitiés ; ils avaient, disait-on, provoqué la bulle Unif/enitus^ et c'était à cette Constitution apostolique qu'il fallait faire remonter les désordres. On avait trouvé un levier pour battre incessamment en brèche les Pères de l'Institut, on l'employait à toute fin. Les Jansénistes et les Parlementaires se coalisaient avec les Ency- clopédistes pour miner la Société ; les plus ardents concevaient même déjà la pensée de la dissoudre. L'orage s'amoncelait à l'abri de tant d'intelligences et de tant de vœux opposés qui néanmoins se réunissaient dans une espérance commune; il

DE LA COMPAGNIE DK JESUS.

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ôcbta sur lo point prrsoiiiic n'aurait ost'> lo signulur. liC l'or- tii({iil fut le iircinicr drs royaumes catholiques qui entra en campagne.

Il y avait à la cour de Lisbonne un ministre qui , pour éterni- ser son ascendant sur Joseph I*^ ne craignait pas de le tenir en tutelle cl de remplir son imagination de fantastiques complots contre ses jours. Ce ministre se nommait Sébastien Carvalho, comte d'Oeyras, marquis de Pombal. en 1699, ù Sourc, d'une famille sans fortune , Pombal , car c'est sous ce titre qu'il est connu dans l'histoire, ne manquait ni d'énergie ni de talcntii administratifs. Souvent son énergie dégénérait en violence * , plus souvent encore la vigueur do son esprit était obscurcie par (les manœuvres hypocrites, par une avidité sans frein et par des colères jalouses qui , avec son caractère , devaient l'emporter dans des voies sanglantes. Orgueilleux, despote, vindicatif, cet houmie , qui n'entreprenait le bien qu'à coups de hache , s'était pris en Allemagne et en Angleterre d'une haine profonde pour les Religieux et pour la hiérarchie ecclésiastique. La noblesse portugaise l'avait repoussé, il se déclara son ennemi , et lorsque , le 31 juillet 1750, Jean V mourut, laissant la couronne à don Joseph, son fils, Pombal comprit qu'un grand rôle lui était destiné. Ce prince, comme la plupart des monarques de son siècle, était soupçonneux, timide, faible, voluptueux, toujours prêt à accorder sa confiance au moins digne et au plus courtisan. Pour arriver au ministère, il fallait avoir l'approbation du Père Joseph Moreira, confesseur de l'infant devenu roi. Pombal avait préparé ses plans de longue main - à force d'artifices , il s'était insinué dans l'amitié des Jésuites '^ ; il avait gagné leur

' La violence et la cruauté «étaient si bien enracinées dans la fainilli; Carvallio, ((n'a Oeyras miMnc il existait un Icci pour la cunstater. Chaque dinutnthe, Iccuru devait , b la mnsse paroissiale , réciter trois fuis le Pater noshr avec lus lUélei pour (|ue le Ciel les délivrât tous de la furt... .'.^a Carvalho.

' On lit à la pa^e 25 du VHisloire de la chute des Jésuites, par le comte Alexis •le Saliit-Priest, les lignes suivnntes : n En pou''suivant la Société, il (Pombal) n'accusait pas les Jésuites d'appartenir à un Institut coupable ni de prorcsser des niaxiines immorales et mauvaises; il leur reprochait seulement d'être restés moins UiU'lvs que leurs devanciers aux principes de saint lonaïc, et même il se fuisiiit Bluire d'être aitaché au tiers-ordre de Jésus et d'en observer les pniliques. >< L'his- torien de la Chute des Jésuites est complètement dans vrai pour la première Partie (le sa proposition, il n'en sera pas de môme pour la seconde; car si par Tiers- Ordre de Jésus il entend une congrécation, une amiiation quelconque

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CHAI'. 111.

iusiuiKti:

estime par des dehors pieux, et le second de ses lîls, encore enfant , était par lui revêtu de l'habit de la Compagnie. Ainsi que beaucoup de ses collègues , le Père Moreira ne croyait pas à l'hypocrisie. Le zèle dont Pombal faisait parade l'éblouit ; il ne vit que ses brillantes qualités. Sans vouloir sonder les vices de ce caractère et les duplicités de cette ambition, il tomba dans le piège que l'intrigue lui tendait. L'homme que Jean V avait toujours écarté du pouvoir se trouva tout-à-coup secrétaire tl'Ktat des affaires étrangères. Bientôt après il devint principal ministre et , comme il aimait à se l'entendre dire, le Richelieu du Louis Xlll portugais.

11 connaissait les ombrageuses susceptibilités de son souve- rain ; il s'imagina qu'en se présentant lui-même en victime , il capterait encore mieux ses bonnes grâces. Dans le mois d'aoïH 1751, il fit signer au roi un décret par lequel il était dit « qu'un ministre d'Etat pourrait bien être assassiné par le manège de quelqu'un. » Un pareil attentat était assimilé au crime de lés3- majesté, et le sénateur Pedro Gonzalès Cordeïro, l'âme damnée de Pombal, fut chargé de faire des informations continuelles et illimitées. Séjan, dans les plus beaux jours de sa tyrannie, n'avait jamais poussé si loin le mépris des hommes. L'arbitraire no prenait plus la peine de se déguiser; Pombal avait couvert de prisons les bords du Tage ; ceux qui lui étaient odieux ou suspects, prêtres ou gentilshommes, moines ou citadins, les remplirent. La délation était encouragée, il la tenait à sa solde; elle soupçonna, elle dénonça. Joseph I"' n'eut pas de peine à se persuader que , si la vie de Pombal était ainsi exposée , la sienne devait nécessairement courir des dangers encore plus certains ; il trembla , et laissa passer sans contrôle les iniquités de son ministre. Ce dernier redoutait les contradicteurs ; il crai-

(IcpcndHiit (le rinslilul de saint Ignacu, M. «le Saiiit-Priesl est, comitie tous tico, (luviuiciers, dans u\ic cireur rompU'te. 11 oxislait à l.isslxinnc un tiers-ordre et une i^Uliso (le Jésus; mais l'OglIse et le tiers-ordre appartenaient aux Pranciscaiiis, appelés les Pères du tiers or.'.< --la pénitence. Un tiers-ordre de séculiers était élultli dans celle ét'Iise; Poiin en fui lu chet ou le ministre ; mais relie ConQré- niilion n'avait rien de commun avec les Jésuites ; ils n'ont jamais eu de tiers- ordre, de tertiaire^, pns plus en Porlugal, en Rsp»|jnc qu'ailleurs. C'est pour cela i|ue tous les écrivains hostiles a Id Compagnie en voient partout , et que les mi- nistres d'Espagne, dans leurs correspondances secrètes ou ofliciellos, chcrchcronl il atcri'dilii ce i.icnsonge historique.

r)E LA COMl'Ar.NlF. I»K JKSLS.

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gnait que d'autics boiiclics ne révélassent au roi le mystère d'épouvante qui l'enveloppait. Quelques hommes dont la fran- chise lui paraissait trop expansive sont plongés dans les cachots ; c'était un avis pour les autres , ils en profitèrent. Mais il sentait qu'il ne lui serait plus possible d'abuser les Jésuites : leur saj^e attitude , le crédit dont ils jouissaient à la cour, chez les grands et dans le peuple, devaient le perdre tôt ou tard. Pombal se détermina à prendre l'initiative : il était audacieux , et il n'avait en face de lui que des hommes timorés; il agissait avant de réfléchir, son succès matériel était donc assuré. Cinq Pères de l'Institut se partageaient la confiance de la famille royale. Mo- teïa dirigeait le roi et la reine, Oliveira instruisait les Infantes, Costa était le confesseur de don Pedro , frère de Joseph ; Campo et Aranjuès , ceux de don Antoine et de don Emmanuel , oncles du roi.

L'éloignement des Jésuites ne pouvait pas s'obtenir de haute lutte; Pombal appela l'intrigue à son aide. Il fit entrer le soup- çon dans l'âme du monarque; il lui persuada que son frère voulait jouer en Portugal le rôle de tous les Pedro, qu'il se rendait populaire dans cette intention, et que les Jésuites le secondaient. Il n'en fallait pas tant pour éveiller les inquié- tudes de Joseph ; Pombal avait mêlé le nom des Jésuites ù celui de son frère, dont le roi enviait la grâce chevaleresque : les Jésuites devinrent peu à peu u!i objet de défiance pour lui. Le ministre s'aperçut des progrès que cette idée faisait dans un esprit sur lequel il avait pleinement assuré son empire; il son- gea à tirer parti d'une première calomnie. Il nourrit le cœur de ce prince de tous les ouvrages contre la Société de Jésus, en lui recommandant le plus inviolable secret sur ces lectures : elles eurent l'attrait du fruit défendu. Il venait de risquer sur le roi une expérience qui avait réussi , il la tenta sur le peuple. Il inonda le Portugal des œuvres qui, à diverses époques, avaient cherché à flétrir les Jésuites. Quand il jugea que ses artifices n'avaient plus rien à redouter, il fit rejaillir sur les Pères de l'Institut la persécution dont leurs amis étaient déjà victimes.

Doux Jésuites furent exilés : le Père Ballislrr, comme soup-

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HISTOIRE

çonné d'avoir fuit en chaire des allusions contre une idée de Pombal; le Père Fonséca, parce qu'il avait donné un sage avis à des négociants portugais le consultant sur cette môme idée. Le ministre avait besoin d'or, les confiscations ne l'enrichis- saient pas assez vite; il créa une compagnie du Maragnon qui ruinait le commerce, et, sous peine de bannissement, il fallut admirer le monopole qu'il inventait. Fonséca fit comprendra aux marchands que cette mesure était déplorable. Les mar- chands adressent une requête au roi; Tombai les proscrit ou les jette dans les cachots. 11 parlait même déjà de frapper l'Ordre de Jésus, lorsque, le 1" novembre 1755, un tremble- ment de terre, auquel l'incendie joignit .ses ravages, vint por- ter le deuil et la misère dans Lisbonne. A cette ville si cruelle- ment éprouvée, et la mort plane avec la dévastation, des hommes de courage et de dévouement sont nécessaires. Pom- bal fut beau de calme, d'intrépidité et de prévoyance sur ce théâtre d'horreur. Les Jésuites, à ses côtés ou devant lui, se précipitèrent dans les ruines et au milieu des flammes pour disputer quelques victimes au trépas. Leurs sept maisons étaient renversées ou brûlées ' , le malheur des autres fut la scple ca- lamité qui put émouvoir leurs cœurs. Leur charité trouva des ressources pour offrir un asile à ces multitudes consternées, à (^(Utc foule de blessés que la faim tourmentait, que la douleur et l'eiTroi rendaient slupides. Ils les rassurèrent en priant avec elles, ils leur apprirent à avoir foi dans l'énergie religieuse; le Père Gabriel de Malagrida et le Frère Biaise furent pour tant d'infortunés une providence dont, sur les débris de Lisbonne, chacun bénissait le nom avec celui de Pombal.

Ces bénédictions du peuple remontèrent jusqu'au trône ; don Joseph eut un mouvement de gratitude ou de repentir. Afin de récompenser les Jésuites, il rappela de l'exil Ballisler et

» L"h6lel (le ronibal avail <<lé préserve dans le désaslre général, et lo roi fut I. Ileiiienl frappé .le w fait qu'il ne lessail de l'allribuer à une providence parli- ciiliiTc. Le comie d'Obidos, célèbre par les saillies do son esprit , lui répondit un jour : « Oui, Sire, il est vrai q te la maison de duii Carvalho a été conservée , mais «•Iles de la rue Suja ont eu le même bonheur. » Or la rue Suja . ou rue de Boue , Lisbonne, élail le réceptacle de toutes les prosliluées. Au dire de Link, dans son l'oyige en Portugal , le comte d'Obidos expia cette plaisanlerio par plusieurs années dr prison. , »- ,

DE L\ COMPAGNIE DE JESUS.

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Fonséca ; il voulut même quon rebâtît la Maison-Professe aux frais (le la couronne , et Malagrida prit assez d'ascendant sur cette nature léthargique pour la ramener ù des sentiments pieux. Ce retour dérangeait les plans de Pombal, il faisait échouer ses rêves de grandeur. Un péril commun avait con- fondu dans une même pensée de zèle patriotique les Jésuites et le ministre; le péril n'existait plus, le ministre fit peur au roi, et Malagrida fut baimi. On ne pouvait encore frapper l'Ordre tout entier, Pombal se résigne à l'attaquer en détail. Pour le vaincre , il a besoin de lui chercher des crimes dans les deux hémisphères : les Protestants et les Jansénistes fournis- .saient à l'Eu.upe un contingent de forfaits, il leur offrit en échange ceux qu'il improviserait en Amérique. Pombal n'avait aucune liaison avec les philosophes du dix-huitième siècle. Leurs idées d'affranchissement et de liberté inquiétaient son despotisme; et, en les jugeant sur leurs écrits, il accusait sou- vent ces hommes de vouloir briser les fers des peuples par le raisonnoment. C'était une erreur; mais, comme toutes celles qui se font jour dans les caractères de cette trempe , elle de- vait être aussi tenace qu'irréfléchie. Pombal servait les Ency- clopédistes français sans les estimer; eux devinrent ses auxi- liaires tout en blâmant ce qu'il y avait de trop odieux dans son arbitraire réformateur. Le ministre portugais doutait de tout, excepté de la force brutale ; les philosophes espéraient bien en arriver à ce point , la dernière raison du sophisme révolution- naire ; mais ils jugeaient que l'heure n'avait pas encore ïonné. Ces dissidences d'opinion n'empêchaient pas Pombal et les écrivains du dix-huitième siècle de se prêter un mutuel appui pour renverser l'édifice social. Le Portugais s'arrêtait dans ses innovations religieuses^au culte anglican ; il espérait ressusciter sur les bords du Tage les sanglantes péripéties du règne de Henri VIII d'Angleterre: les philosophes le dépassaient dans ses rêves: ils allaient jusqu'à la consécration légale de l'a- théisme. Néanmoins, pour eux ainsi que pour le Portugais, il existait un ennemi dont il fallait se défaire à tout prix: cet ennemi , c'était la Compagnie de Jésus. Pombal avait isolé les Jésuites; il avait frappé de stupeur, d'exil ou de confiscation

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CIIAP. III. IIISTOIRK

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Iftiirs protecteurs et leurs clients ; ils restaient à peu près seuls sur la brèche en face de lui, qui concentrait, qui résumait tous les pouvoirs. Avant de marcher résolument à la destruction de l'Ordre, il voulut procéder par la calomnie. Afin que la preuve ne piit pas renverser trop vite son échafaudage d'im- posture , il transporta en Amérique la première scène de son drame.

On a vu qu'à diverses reprises le bruit de mines d'or exis- tant dans les Réductions du Paraguay s'était répandu en Europe , et que ce bruit avait été démenti , d'abord par les faits , en- suite par les commissaires royaux envoyés sur les lieux. L'Es- pagne savait à quoi s'en tenir sur de pareilles rumeurs, lorsque (iomez d'Ândrada , gouverneur de Rio-Janeiro , en 1 740 , pensa que les Jésuites ne faisaient si bonne garde autour des Ré- ductions du Parana que pour dérober aux regards indiscrets la trace de cette chimérique fortune. Andrada conçut le projet d'un échange entre les deux couronnes, et, pour obtenir les sept Réductions de l'Uruguay, il imagina de céder à l'Espagne la belle colonie dn Saint-Sacrement. Il avait découvert un nou- veau Pactole , il en fit part à la cour de Lisbonne , qui s'em- pressa de négocier avec le cabinet de Madrid. L'échange était trop avantageux à ce dernier pour ne pas être accepté. Le Portugal abandonnait un pays fertile qui , par sa situation sur la Plata, ouvrait ou fermait la navigation du fleuve, et, pour compensation , il ne demandait qu'une terre condamnée à la stérilité. L'Espagne adhéra au Iraité ; mais , comme si les di< plomates des deux Etats eussent eu le pouvoir de dire à ces sauvages devenus hommes d'emporter leur patrie à la semelle de leurs souliers , il fut stipulé que les habitants des sept Ré- ductions cédée; iraient défricher loin de un sol aussi' désert qu'inculte. Désirant exploiter tout h son aise les mines d'or dont il avait leurre le conseil de Lisbonne , Gomez d^Andrada avait posé pour condition que trente mille âmes se trouveraient subi- tement sans patrie, sans famille , et qu'elles pourraient aller à la grâce de Dieu recommencer leur vie errante.

Les Jésuites étaient les pères , les maîtres , les amis de ces Néophytes ; ils avaient une infiuence déterminante sur eux.

IIK LA COMIAt:NIE I)K JKSUS.

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Le 15 lévrier 1750, ils furent chargés par les deux cours signataires du trailé et par le chef de l'Institut de disposer le peuple à cette transmigration. François Retz, Général de la Compagnie , expédiait , pour plus de sAreté , quatre copies de son ordre. Après avoir pris toutes les précautions , il ajoutait qu'il se ferait lui-même un devoir de vaincre les obstacles qui le relouaient à Rome , et d'accourir dans ces vastes contrées pour favoriser , par sa présence , la prompte exécution des vo- lontés royales, tant il avait à cœur de satisfaire les deux puis- sances. Le Père Rarreda , provincial du Paraguay, se met en route ; il était vieux et cassé par l'Age : il nomme pour le rem- placer Bernard Neydorffert, qui, depuis trente-cinq ans, rési- dait parmi les Néophytes et leur était cher à plus d'un titre. Le Jésuite communique cet étrange projet aux Caciques; de tous il reçut la même réponse : tous déclarèrent qu'ils aimaient mieux la mort sur le sol de la patrie, qu'un exil sans terme, immérité, et qui les arrachait au tombeau de leurs aïeux, au berceau de leurs enfants, pour consommer leur ruine. Les Jé- suites s'attendaient à ces naïves douleurs : ils s'y associèrent, et nous regrettons qu'ils n'aient pas eu le courage de s'opposer à de pareilles violences. Us connaissaient les sourdes manœuvres aux- quelles la Compagnie était en butte ; ils n'ignoraient pas que des coalitions de préjugés ou de haines se formaient contre elle ; ils crurent les conjurer en se faisant les auxiliaires des cabinets de Madrid et de Lisbonne, qui trafiquaient des Néophytes comme d'un bétail. Cette condescendance fut un tort qui, au lieu de les préserver, hâta leur chute. Pombal les voyait tenter d'inutiles cITorts pour calmer l'irritation des Indiens, il accusa les Mission- naires d'entretenir sous main le mécontentement. Les Pères, bien loin de résister, se prêtaient avec un douloureux abandon aux mesures que la cupidité et l'ambition suggéraient : Pombal sentit que de pareils adversaires étaient vaincus d'avance. U se servit d'eux pour désorganiser les Réductions*, et pour les écraser, tout en peignant les Missionnaires comme des fauteurs de révolte.

Le li'ai(Lt ilVrlianBc avait iH6 conclu avunl que Pombal arriM\l au minislèie; ministre, il en pressa rext.Vutioii,«t en exagt'ra les co!i8(*quenccs,

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CIIAP. Iir. IIISTOIUE

Les Pères avaient In clef de rechange immoral proposé par la cour de Lisbonne; ils savaient que la dispersion des Néophytes n'était réclamée qu'afm de laisser aux agents portugais la faculté de tarir les fabuleuses mines d'or auxquelles les Jésuites puisaient d'une manière si discrète. La vérité et l'honneur de l'Institut étaient en- gagés dans la question, ils aimèrent mieux seconder leurs ennemis que de s'appuyer sur leurs amis. Ils entraient dans cette funeste voie des concessions qui n'a Jamais sauvé personne, et qui a perdu plus d'une juste cause, en jetant un vernis de déshonneur sur ses derniers moments. Les Jésuites s'effrayèrent des clameurs soule- vées autour d'eux ; ils crurent en amortir le coup en pactisant avec ceux qui le dirigeaient. Pour ne pas soulever une tempête peut- être utile alors , ils se résignèrent au rôle d'hécatombes involon- taires et de martyrs par concession, le seul chemin qui conduit à la mort sans profit et sans gloire. Les Indiens en appelaient à la force afin de paralyser l'arbitraire ; l'arbitraire incrimina les Jé- suites, et Pombal les dénonça à l'Europe comme excitant ou- vertement les peuples à l'insurrection. Les Jésuites n'eupent pas l'heureuse pensée d'être aussi noblement coupables. Des intrigues de catholiques se coalisaient pour tourner à mal leurs actions, un écrivain protestant se montra plus équi- table, et Schœll put dire * : c Lorsque les Indiens de la co- lonie du Saint-Sacrement, attroupés au nombre de dix ou quator/e mille, exercés dans les armes et pourvus de ca- nons,- refusèrent de se soumettre à l'ordre d'expatriation, on ajouta difficilement foi aux aux assertions des Pères d'avoir employé tout leur pouvoir pour les engager à l'obéissance. 11 est cependant prouvé que les Pères firent, extérieurement du moins, toutes les démarches nécessaires pour cela ; mais on peut supposer que leurs exhortations, dictées par le de- voir, mais répugnant à leur sentiment, n'avaient pas toute la chaleur qu'ils leur auraient donnée dans une autre occa- sion. Une pareille supposition ne suflit pas pour construire une accusation de révolte. Que deviendrait l'histoire, que de- viendrait \-\ justice, si, sur les assurances d'un ministre, des-

^ Cours d'hi.iloire des l-Util.i tudopèi'Hs, [. \x\\\ p. S).

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lilnéos (In prciivo, il était loisible de flélrir la réputation d'un homme ou d'une corporation? »

Par amour de la paix, les Jésuites se plaçaient entre deux écucils : d'un cAlé, ils s'exposaient aux justes reproches des Indiens ; de l'autre, ils se mettaient à la discrétion des adver- saires de l'Institut. On allait calomnier jusqu'à leur incompré- hensible abnégation , et ils se dépouillaient de leurs armes au moment môme on leur imputait de s'armer. Les Néophytes avaient en eux la confiance la plus illimitée ; les Missionnaires pouvaient d'un mot soulever toutes les Réductions et , paj: une guerre entre la métropole et les colonies, faire vibrer au cœur des Indiens ce sentiment d'indépendance qu'ils avaient eu tant de peine à refouler. Ils n'osèrent pas évoquer une pensée géné- reuse ; ils prêchèrent l'obéissance à la loi, et ils se virent en butte aux traits des deux partis.

Les familles bannies attribuèrent à leur faiblesse les maux dont elles se voyaient les victimes; elles menacèrent, elles poursuivirent même quelques Jésuites, qui, comme le Père Altamirano, se croyaient forcés dans l'intérêt général d'accepter les fonctions de commissaires chargés de l'exécution du traité d'échange. A la respectueuse affection jusqu'alors témoignée aux Missionnaires succédaient des soupçons que d'habiles agents avaient soin de fomenter dans l'âme des Néophytes ; il fallait les entraîner à une guerre partielle, afm de briser h tout jamais , par le sang versé , l'union existant entre les Indiens et les disciples de l'Institut. Ce résultat fut obtenu. On avait ar- raché les tribus chrétiennes du Maragnon à la garde spirituelle des Jésuites , on voulait leur enlever leurs pieuses conquêtes de l'Uruguay. Dars ce tiraillement intérieur, les Néophytes ne purent agiv avec ensemble : ils n'étaient habitués qu'à l'obéis- sance volontaire; tout-à-coup ils se trouvaient, sans chef et sans Jésuites, obligés de lutter pour conserver leur patrie. L'action pacifique des Pères se faisait encore sentir sur quel- ques Réductions ; ils les amenaient à subir en silence l'exil auquel on les vouait. Cet éparpillement de la force commune produisit de tristes effets : quelques tribus coururent aux armes ; plu- sieurs, contenues par les Missionnaires , se contentèrent de uiur-

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niiAP. III.

liisroïKF.

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murer. Les unes furent vaincues, les autres, au contact de la corruption marchande , s'imprégnèrent peu à peu des vices de l'Europe. Ce fut ainsi que l'on commença à ébranler ce vaste édifice des Missions qui avait coûté tant de sacrifices. ^

Gomez d'Andrada demeurait maître des Réductions de l'U- ruguay. Les Jésuites et leurs Indiens en étaient expulsés , ici par la violence , \h par la ruse ; il ne lui restait plus qu'à décou- vrir les mines d'or et d'argent qu'il avait promises au Portugal. Il fit battre les plaines , arpenter les forêts , étudier les monta- gnes , sonder les lacs et interroger partout les entrailles de la terre. Des ingénieurs lurent appelés ; ils mirent la science au service de sa crédulité. La science, dans ses explorations, m fut pas plus heureuse que Gomez dans ses rôves. Cet homme s'avoua enfin la faute qui l'avait poussé à tant d'irréparables désordres ; il la confessa aux Jésuites et ù Pombal ; il les supplia de travailler, chacun dans la sphère de ses pouvoirs , à rompre le traité de limites provoqué par son insatiable avidité. La Compagnie n'était plus en mesure de couvrir ses erreurs ; Pombal les jugeait favorables k ses desseins ultérieurs ; Gomez fut condamné à la honte , et le ministre dont il avait flatté les cupides instincts usa de ses menteuses révélations pour déna- turer les faits.

C'était l'époque oi!i les esprits, travaillés par un mal in- connu , se jetaient dans la corruption pour arriver plus vite à une perfection idéale, que la philosophie leur faisait entrevoir sans Dieu , sans culte , sans mœurs et sans lois. On marchait résolument à l'assaut des principes et des vertus , on cher- chait à briser tout ce qui pouvait devenir barrière à l'idée destructive. Sous le titre de : Relation abrégée de la répu- blique que les Jésuites des provinces du Portugal ont établie dans les possessions d'outre-mery et de la gnerre qu'ils ont excitée et sovtenue contre les armées des deux couronnes, Pombal répandit à profusion , dans la Péninsule et en Europe , des récits dont la preuve , toujours annoncée , ne se donnait jamais. Les Jésuites , selon cette relation , faisaient au Pa- raguay monop(de des corps et des âmes , ils étaient le Bénit- Père ou iiM de chaque Héduction. Ils avaient même tenté de

itE LA comi'.V(;mk de i us.

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réunir ces provinces sous le sceptre d'un de leurs Frères Coad- juteurs, à qui l'on accorda le titre d'empereur Nicolas I"'". A cette distance des lieux et des hommes, Pombal avait le droit de calomnie ; il calomnia pour le compte des deux royaumes. En Portugal, son autorité et ses menaces empê- chaient la vérité de briser ce faisceau de mensonges ; mais l'Espagne , qu'il associait à ces crimes de la pensée , refusa d'en accepter la solidarité. Pombal avait cherché dans le gouver- nement de Ferdinand VI des complices aussi intéressés que lui à populariser l'erreur; à l'exception du duc d'Albe, il ne trouva que des hommes indignés de son audace. Le roi d'Espa- gne et son conseil , éclairés par don Zcvalos , gouverneur du Paraguay, prirent en pitié l'œuvre du ministre portugais. Afm de manifester le sentiment que cet écrit leur faisait éprouver, la cour suprême de Madrid le condamna à être brûlé publi- quement par la main du bourreau. A trois reprises, le 13 mai 1755, le 27 septembre 1759 et le 19 février 1761, Ferdi- nand Vi et Charles 111 flétrirent , par des décrets royaux , le libelle do Pombal. Sa cupidité avait semé la désorganisation ' dans ces provinces ; Charles 111 , qui bientôt va s'allier à lui contre les Jésuites , commence son règne par leur rendre complète justice. Le 10 août 1759 Ferdinand VI mourait; à peine assis sur le trône d'Espagne , Charles III, son frère, rom- pit le fatal traité d'échange, auquel il s'était toujours montré hostile. *

Don Zcvalos était venu, au nom de la métropole, pour renver- ser le trône et combattre les armées de cet empereur Nicolas, que l'imagination de Pombal et celle du duc d'Albe avaient créé, qui , disaient-ils, faisait frapper à son coin l'or et l'argent tiré des mines dont l'existence fut un appAt tendu à d'oisives cré- dulités. « Qu'est-ce qu'il trouva de tout cela dans ces peuples inno- cents? se demande don Francisco Guttierez de La Huerta, dans son rapport au conseil de Casiille du 12 avril 1815 *. » Et ce ma- gistrat ajoute : « Que l'on examine les relations de Zevalos, et elles répondront à cette (jueslion en disant que ce que l'on trouva, ce

1 Esposicion y dicUnnen dcl fiscal dtl ronstjo y camarii D. Francisco Gui' lierez de La Huerta.

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tut lu ilÛKunchunlunuMit cl Tt-vidence îles l'iiiiiiMJlés iiivuiilties en Europe : des peuples soumis uu lieu de peuples soulevés ; des vas- saux sujets pacifiques, au lieu de rôvoltés ; des religieux excmplui- r^a au lieu de séducteurs ; des Missionnaires zélés au liou de cltefs de bandits. En un mot, on trouva des conquôtes faites à la Boligion et \ l'Etat par les seules armes de la douceur, du bon exemple et de la charité, et un empire composé de sauvages civilisés, venus d'eux-mêmes à demander la connaissance de la loi , assujettis volontairement à elle, et mis en société par les liens de l'Evangile, la pratique de la vertu et les mwurs simples des premiers siècles du Christianisme. » , '... , '

Au di>e du gouvernement espagnol, voilà ce que Zevalos avait remarqué dans les Réductions du Paraguay ; il leur restituait la paix , mais il n'était plus possible de leur rendre cette inno- «ence primitive, cette piété docile que les Pères leur avaient tispirée. Les Néophytes avaient sucé le vice au contact de la mauvaise foi européenne ; on leur avait appris à se défier de leurs pasteurs, on avait 'jsayé de les corrompre pour les amener à déclarer devant les magistrats que chaque entant de saint Ignace était un fauteur d'insurrection. Les Néophytes ne transitent pas ' avec leur conscience, ils s'accusent seuls ; leurs Caciques ra- content môme les soupçons que les etforts pacifiques des Jésuites firent germer dans leurs âmes, Ils avaient regardé les Mission- naires comme les complices des Portugais et des Espagnols ; à l'appui de leur injuste méfiance, ils apportent tant de té- moignages, que Zevalos crut de son devoir de renverser l'écha- faudage d'iniquités dont Pombal se faisait un bélier contre la Société de Jésus. , < r, .

Ces événements se passaient en 1757 ; ils auraient éclairer 4'Eurûpe et le Saint-Siège sur les projets de Pombal. Ce ministre avait contribué à détruire en quelques années une œuvre de civi- lisation qui avait coûté des siècles de patience et de martyre. Son arbitraire frappait en même temps sur les rives de l'Uru- guay et sur les bords du Maragnon; sous sa main, la vérité se transformait en calomnie. Il réveillait les anciennes querelles des marchands portugais et des Jésuites; il excitait la soif du lucre chez les uns, et la défiance contre les autres. Il s'emparait

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lies vices (litisi iiuc des vorlus jioiir civcr do tuiit cela une lein- |)èlo d'iii'ciisulions, au milieu de hic{iielle la probité et riiilclli- j^cMco auraient peine à discerner le mensonge do l'crrcm' involontaire. Son but était atteint ; ses libelles, répudiés par lo clergé, par la noblesse, par lo peuple portugais , trouvaient du complaisants écbos dans les pamphlets des Philosophes, dans les œuvres des Jansénistes, dans les vieilles animo<><tés des Protes- tants. Tombai fut un ministre selon leur cœur. Ils célébrèrent son courage, ils exaltèrent ses talents, ils le dotèrent de toutes les perfe'^'ions. Les tables qu'il avait inventées furent procla- mées cumme vérités absolues par des hommes qui doutaient de tout ; et , dans ce siècle singulier, tout était matière à so- phisme, on crut aveuglément à une imposture |qui no prenait même pas le soin de se déguiser.

Pombal venait de frapper un grand conp, et il n'avait rencontré chez les Jésuites qu'obéissance et timidité; cette découverte, à laqiv^Uc il ne s'était peut-être pas attendu, l'en- hardit. De l'Amérique méridionale il résolut d'acclimater en Europe la guerre qu'il déclarait à la Compagnie. Mais cet homme si téméraire dans ses plans, sentait qu'en présence d'un peuple religieux, il fallait procéder par des voies souter- raines et miner la place avant de l'attaquer à force ouverte. Ce fut à Rome qu'il alla chercher les armes dont il avait besoin.

On voyait sur la chaire de saint Pierre un Pontife dont le monde chrétien salua les tolérantes vertus, et que le monde savant honora comme une de ses gloires. Benoit XIV , de la famille Lambertini , régnait depuis 1740. Ami des lettres, pro- tecteur des arts , profond canoniste , politique plein d'habileté , il avait rendu à l'Eglise d'éminents services , et son nom était si révéré , que les Anglicans , que les Philosophes eux-mêmes l'entouraient de leurs hommages. Benoit XIV, élève des Jé- suites, s'était trouvé, sur certains points, en désaccord avec eux, notamment dans la question des cérémonies chinoises. Mais ces différences de sentiments., ces improbations même , tom- bées du Siège apostolique sur quelques Pères de l'Institut, n'altérèrent en rien l'estime qu'il avait vouée à la Compagnie. En 1742 , il condamnait au silence les Missionnaires du Ma-

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lahiir ot ilu ccMeslc em|iiic; en 1740, 1748 et 175.'}, par ses bulles Devntam , (Jloriosœ Dominœ et Quantum vcvssn, il conibluit des marques les plus échitnntes do son aiïection « les Religieux do cette Société, marchant, ainsi qu'il le dit lui-mômc, sur les traces glorieu!?es de leur père. » Benoit XIV n'était donc pas hostile aux Jésuites; mais il avait pour con- seiller intime et pour ministre un cardinal qui ne les aimait pas : c'était le célèbre diplomate Dominique Passionei , esprit supérieur, quoique toujours disposé ii la lutte et no cédant jamais. Ce prince de l'Eglise s'était fait contre les Ordres religieux, et en particulier contre celui de saint Ignace ', une théorie dont il ne se dépu.tit que le plus rarement possible. Tenace dans ses convictions et les défendant avec un acharne- ment dont sa vive intelligence n'aurait pas eu besoin , Passionei jouissait auprès du Souverain-Pontife d'un ascendant incontesté. ! n'avait pas vu sans une joie secrète les manœuvres de Pom- bal , dont il ignorait sans aucun doute les desseins anti-catho- liques ; il l'avait plus d'une fois encourage de ses vœux ; il allait , au moment le Pape se débattait avec l'agonie , lui offrir un gage de cette alliance.

Dans le cours de ce beau pontificat , Benoît XIV déploya tant d'aimables vertus , Passionei se posa toujours en conlraste de son aménité. Comme pour mieux en faire ressortir l'échil, il s'efforça de se montrer savamment opiniAtre , lorsque Lanibi-r- tini apparaissait conciliant et modéré. Le Pape, dans ses rap- ports avec les princes et avec les grands écrivjiins , poussait quel- quefois la condescendance jusqn "i la faiblesse; Passiwnci se révélait toujours acerbe , toujours |,Mi<^rri»ant contre les Instituts religeux. Depuis longtemps les li^iiitirs avaient éprouvé ses mauvais vouloirs; Pombal, qui conn;nssaîl la siituation, l'exploita au profit doses calculs. En 1714, PasMonoi avait donné une preuve significative do sa répulsion pour la Compa:^»iic de Jésus;

D'Alonihcrl , h In jingo 38 do son (nivrnRi' sir h Dcal m-tinn des Jrsiiilt.'s, s'cupriiiie ainsi : •< Un ll^slll'U (|iii' li> fou canliiHil l'iis>i(iiici l'uuvowli la Imino niiilrc les Jo$uil08 jii!>i|ii'aii v'>i>'l ''« n'» 'inollii! ilaiis si lielli.' <;l i!i(nil>i'ciisi; hiMiollioiiue niicuii ('crivaiii tie la SucicUo. JVi< miikLiiIu' |>(>iii- Ii MIiI.dIIkmiuo <ri imiirlK nialli't>; l'une y ponlail bcaui'i)ii|i «Irlmn» '■ ivs, cl l'aulio , si i>ii IomiiiIic 4'aillour.s , a ic «ju'on assiii'i', nr IVUii giàM > n ; iil. »

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le ministre portugais, en évo(|iiuiit ce souvenir, était sur que le cardinal s'empresserait d'accueillir ses projets. A cette époque , un Capucin, connu sous le nom de Norbert, puis d'abbé Pla- tel, avait publié en Italie un livre intitulé : Mémoires histo- riques sur les affaires des Jésuites. Norbert avait visité les Indes et l'Amérique; il s'était affîlié à toutes les sectes pro- testantes , il apportait sa gerbe à la moisson de haines qu'elles amassaient contre l'Institut. On déféra son œuvre au Saint- Office , et une commission fut nommée pour l'examiner. Dans cette congrégation figuraient Passionei et lecordclicrGanganelli, qui sera le Pape Clément XIV. Passionei se prononça en faveur de Norbert , et il remit au Souverain -Pontife un mémoire contre la censure infligée au livre du Capucin. L'autorité que les fonctions et le talent du cardinal donnaient à ses avis était grande. Passionei essayait de justifier Norbert, qui accusait les Missionnaires du la Société de se livrer à un commerce profane. Ce grief était sérieux; en démontrer la véracité, ce devait être tout à la fois la perte des Jésuites et le salut du Capucin ; Passionei pouvait le soutenir en avocat ou en prêtre. Ministre tout-puis- sant, il avait sous la main les élémtMils de l'accusation, il aima mieux recourir à des subterfup;o^ l'our défendre son protégé, il s'eflbrvu ilc prouver que Noriu .i! r, inprochait pas aux Jésuites des faits de commerce. « Le Ca+twcim., ainsi s'exprime Passionei, cite sur ce point une lettre de )4. Martin, gouverneur de Pondichéry, et il cite cette lettre imprimée dans les voyages de M. Duqucsnc. Il parle donc sur le témoignage d'autrui , et non sur le sien , et, pour plus ample correctif de ce qu'il doit dire, il ajoute (tome 1"'" de ses Mémoires, p. 152) : « Nous ne voulons pas que le lecteur croie à ce gouverneur ni à tant d'autres qui attestent que ces Pè- res vendent et achètent les plus belles marchandises des Indes. Ils savent bien leur devoir; ils savent que les Papes et les Conciles défendent le commerce aux ecclésiastiques sous peine d'excommu- nication. » Et tout cela, ainsi conclut Passionei, ne s'appelle pas, en bonne loi de discours, reprocher le délit de commerce. » Cet artifice de langage ne trompa personne. Aux yeux du Cardinal, Norbert ne mérite pas d'être censuré, non point parce que les Jésuites sont réijljement coupables du commerce dont

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CHAP. 111.

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il les iiccuse, mais parce qu'il ne les en u pas accusés C*ust sur cet unique argument que Passionei basait la dclcnse du Norbert. Si les Missionnaires étaient soupçonnés de cette infrac- tion aux lois ecclésiastiques, le Cardinal , dans l'intérêt de l'E- glise et de la morale publique, devait poursuivre ù outrance et no s'arrêter que lorsque justice aurait été faite. Avec son ca- ractère et son animosité contre les Jésuites, il n'était pas homme à reculer, si ses espérances eussent répondu à son désir. 11 avoue donc tacitement que, jusqu'en 1745, les Missionnaires de la Compagnie apparaissent purs de ce crime ; nous Verrons s'ils le furent toujours * .

Néanmoins Schœll, qui, du haut do sa probité historique, démasque ces calomnies, adresse à la Société de Jésus un repro- che qui n'a pas de solide fondement. Benoit XIV avait, en 1740, publié une bulle contre les Clercs se livrant à des négoces in- terdits par les Canons. Les Jésuites n'y sont ni nommés ni dé- signés, aucune allusion directe ou indirecte n'est faite à leur Société ; Schœll cependant, armé du décret pontifical, dit ' : « Les deux bulles de Benoit XIV ne pouvaient être exécutées dans les Missions des Jésuites, les Indiens, dans leur licu-

* Un Qraïul nombre d'asscriions gônérales, vacties par consi^quent, ont éié pork'cs contre les JOsuilcs, relativement au cuinmerce. Ces asseilions ne s't'layaienl lur au- cune buse, on ne pouvait que les démentir ; mais , aussitôt qu'elles se sont traduites en luits et qu'elles ont été pnriiculurisdcs, des tOmoignages aulliiiiti(iurs et irn'cusa- bles les confondirent. Ainsi on a souvent imputé aux Missionnaires du Canada do trallquer sur les pelleteries. En 16t3, La Furté, Dordier et les autres directeurs ou associes de la conipaonie de U Nouvelle-France, dont les Jésuites se seraient établis les concurrents, attestèrent juridiquement que celle incriminitliou était sans aucun foudenienl. Ainsi on accusa à difrorentes reprises Us Jésuites du Paraguay d'exploi- ter des mines d'or et d'argent au préjudice de la couronne d'Espagne, Eu septembre cl octobre f USâ, don Juan de Valverde, cS, îe 28 décembre 1743, Philippe V, décla- rèrent qu'il n'y avait aucune trace de mines dans ces contrées. Si les monarques de la Péninsule avaient été trompés pendant deux siècles sur leurs intérêts, ces mines auraient été retrouvées depuis l'expulsion des Jésuites, à moins que l'on no suppose qu'ils les aient emportées avec eux au monent ils abandonnèrent les Réductions. Ainsi eniorc, l'auteur anonyme des Anecdotts sur la Chine imputa au Père do (joville d'exercer à Canton un négoce qui consistiiit A cbanger les pièces d'or chi- noises contre l'argent européen. (iiiviUe évo(|ua des témoins et des autorités com- pétentes. Le procureur général de U Propagande à Canton, Joseph Céru , hommo peu Tavorableaux Jésuites; La Bretcsche, directeur de la compagnie des Indes !i t^anlon, et du Velul, son successeur; du Brussay et de l'Age , lieutenant et capi- taine de vaisseau; Arsun, négociant, rerlitlèrent, par acte auîhcntiqtni, <|ue jauiais le Père de Goville ni aucun auirc Jésuite n'avaien; e.xercé ni pu exercer lu cliange.

^ Cours d'Iiiiloirv dis Elats eiirtnicni', t. )ixxi,.<, p ol.

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reusu simplicité, nu connuissaicnt de chefs, du iiiuitrus, nous aurions presque dit de providence, que les Pères, et tout commerce était entre les mains de ces derniers. » i

Pour porter un jugement dans celte question, il faut connaître et les lois de l'Eglise sur le commerce des Clercs, et la position des Jésuites au Paraguay, ainsi que dans les autres Chrétientés, ils furent en même temps Missionnaires et administrateurs du temporel.

Le négoce que les Canons interdisent au Clercs et aux Reli- gieux, celui que l'Institut de Loyola défend à ses disciples, consiste à acheter pour vendre ; mais les lois ecclésiastiques nu se sont jamais étendues jusqu'au débit des denrées ou des fruits provenant de ses domaines.- Les Jésuites étaient les tuteurs des Chrétiens qu'ils avaient réunis en société au Paraguay. Vu l'in- capacité de ces sauvages, que la Religion civilisait, plusieurs rois d'Espagne, et Philippe V par son décret du '28 décembre 1743, renouvelant et confirmant des édits antérieurs, accordè- rent aux Missionnaires le droit d'aliéner les denrées des terres cultivées par les Néophytes, ainsi que le produit de leur indus- trie. Ce commerce s'est toujours fait publiquement. Les Papes, les rois, tout l'univers en furent témoins pendant cent cin- quante années; et il ne s'éleva aucune réclamation. Les ponti- fes et les monarques encouragèrent les Jésuites, tantôt par des brefs, tantôt par des lettres approbatives. Les Evêques du Pa- raguay célèbrent même à diverses époques le désintéresse- ment des Pères; les autorités civiles, qui apuraient les comptes annuels , louèrent leur économie et leur fidèle administration ' .

< Nous rroyoni tevoir incitro sous les yeux du Icrieur les deuxième el qualrionie arlirlus du dOiret de Philippe V, daté du 28 déreinbre 1743. Leur teneur fera mieux comprendre que liiulos les explicalions la iimiiièMe de gérer adupltic par les Jésuilt's au Paraguay.

Le second article indique quels fruits ou recueille dans ces bourgades ; on les n(?Oocie; leur prit respectif; la quantilt^ de l'herbu (|u'ou retire chaque année; oii ou la porte; l'usage qu'on eu fait, et combien elle se vend.

Il résulte des informations (|u'ou a remues de don Juan Vasquez, sur des recher- ches qu'il a faites, que le produit de l'herbe, du tiibae et des autres fruits, est île cent mille écus par an; que ce sont les procureurs du ces Pcies qui , à raison de l'incapacité des Indiens, ci-dessus rcmar<iuée, sont chargés de les vendre et d'en tirer l'argent....

Enfin, ayant devant les yeux la preuve que le produit de l'herbe, des autres fruits «le la icrrc et de l'industrie de ces Indiens est de cent mille éius, ce qui s'accorde avec le que disent les Pères, lesquels ceitilient qu'il ne lestu rien du celle somme

»

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CHAI'. III. HISTOIKE

I ! '■!

Un tel négoce patent et nécessaire n'avait rien d'illicite ; c'étîjit le propriétaire ou son ayant-cause qui vendait le produit de ses biens et de son travail. M-'iis ce négoce, objectera-t-on, lésait les intérêts du gouvernement ainsi que ceux de certains marchands. Le gouvernement avait lui-même fixé la législation de ses colonies du Paraguay ; cette législation établissait le commerce des Jé- suites dans ce sens Ils devaient veiller au bien-être et h la for- tune des peuples concpiis par eux au Christianisme. Leur vigilance a pu, elle a même A\\ fiustrer des calculs tendant à spéculer sur la simplicité des catéchumènes ; mais nous pensons qu'il est diffîcile de bAtir une accusation sur de semblables données, et Schœll , qui a discuté tous ces points , est le premier à en dé- truire l'etfet en avouant que « dans cette discussion les Pérès ont

pour l'entrcti* il des Iruiilc bourcailcs de mille hakilniils chacune , ce qui , h raison de cinq personnes pour chaque haliilant, fait lo nombre de cent cinquante mille personnes, qui, sur la somme de cent mille dcus, n'ont chacune que sept réaies pour aciielor leurs oulils et pour cnirelcnir leurs églises dans la décence elles dont; ce qui, élant prouvé, fait voir que ces Indiens n'ont pas môme de fonds pour le léger tribut qu'ils paient. Cela posé : » J'ai jugé à propos qu'on ne chanQCàt rien » dans la manière dont les fruits qui se recueillent dans ces bourgades se négocient » par les mains des Hères-procureurs, comme il s'est pratiqué jusqu'à présent, el » que les ortlcicrs de mon trésor roy^il de Sanla-Fé et de Buenos Ayrcs envoient » tous les r ils un compte exact de la quantité et de la qualité de ce!> fruits, suivant » l'ordre qui en sera expédié par une cédulc de ce jour, auquel ordre ils se confor- » merontavec h plus poiiclupllc obéissance. »

Le (|unlriènic article se réduit h savoir si ces Indiens ont un domaine particu- lier, ou si ce domaine ou son adminisiralion est entre les mains des Hères.

11 conste, par les informations faites sur cet article, par les actes de confér Mces et les autres pièces, que, vu l'incapacité et l'indolenlc paresse de ces Indiens dans le nianicnuMit de leur bien, on as>ignc à chacun une purlion de terre pour la culti- ver et pour, de ce (|u'il en retire, entretenir sa finnille ; que le restant des terres est en commun; que ce qu'on en recueille de grains, de racines , comestibles et colon, est administré par les Indiens, sous la direction des curés, aussi bien que l'herbe el les troupeaux : que du tout on fasse trois lois, le premier pour payer le tribut à nicii trésor royal , sur quoi sont prises les pensions des curés; le second pour l'ornement et l'enlrelien des églises; le Iroisièmo pour la nourriture et le vêlement des veuves , des orphelins et des infirmes, de ceux qui sont employés ailleurs, et pour les autres nécessités qui sm .iennent, n'y ayant presque pas un de ceux a (\»i on a donné un terrain en propre pour le cultiver qui en relire de quoi s'entreleiiir pendant toute l'année; que, dans chaque bourgade, des Indiens major- domes, compulisles, liscaux cl garde-magasins tiennent un compte exact de celte administration, et marquent sur leurs livres tout ce qui entre et tout ce qui sort du produit de la bourgade, et que tout cela s'observe avec d'autant plus de ponclualité, qu'il est défendu aux curés, par leur Général , sous des peines très-grièves, de faire tourner à leur prolK rien de ce qui appartient aux Indiens, même à tilro d'auniùno ou d'emprunt, ou sous quelque prétexte que ce soit; qu'ils sont obligés, par le mémo préccpti* , de rendre compte de tout au Provincial. C'est ce qu'assure le llévérend Frère Pierre Faxardo, ci-devant Evéque de Buenos-Ayres, qui, au retour de la visite qu'il avait f.iile de ces bourgades , proteste qu'il n'avait jamais rien vu de mieux réglé, ni un désintéressement pareil à celui des Pères Jésuites, puisqu'ils

m: LA COMl'AGMK DK JKSL'S.

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hd conilai;ini's par l'esprit de parti ' , sans avoir été entendus dans leur défense. »

11 n'allait pas au génie de Ponibal d'attaquer un ennemi avec, la raison pour unique bouclier. 11 aimait à surprendre au mo- ment où l'on s'y attendait le moins. Quand cet homme d'Etat avait dressé ses batteries , il poursuivait son adversaire avec tant d'impétuosité qu'il ne lui laissait même pas le temps de se re- connaître. Les écrits commandés ou inspirés par le ministre , ceux qu'il composait avaient eu plus de retentissement en Eu- rope qu'à Lisbonne. En Portugal, il épouvantait, mais ne con- vainquait pas. En France et en Allemagne, il servait des inimi- tiés qui ne se déguisaient plus ; ses lourds pamphlets passaient pour des oracles dictés par le bon goût et par la vérité. Pombal, entouré de tout '' ^ui était hostile aux Jésuites, tenant à ses gages le capuci- ' ert, et aspirant l'encens que ses flatteurs ou ses parasitiis avaient intérêt à faire fumer au pied de l'autel qu'il s'érigeait, Pombal sollicitait du Saint-Siège un bref de

ne liicnl absolument rien de leurs Indiens, ni pour leur nourriture , ni pour leur vt^lonicnl. Ce léinoiQnane s'accorde parraiteincnt avec plusieurs autres qui ne sont pas moins surs, et surtout avec les inrorniations qui m'ont élO envoyées en dernier lieu par le RiWércnd Ëv«>quc de Buénos-Ayrt» , dom Joseph de Peralla , de l'Ordre de saint Dominique, dans la lettre du 8 de janvier de la présente année 174.1 , ren- dant compte de la visite qu'il venait d'achever des susdites bourgades , tant <!e celles de son diocèse que de plusieurs de l'évôvhé du Paraguay, avec la per- miïsion du chapitre de la cathédrale, le siège étant vacant, appuyant surtout sur la hunue éducation que ces Pères donnent ii leurs Indiens, qu'il a trouvés si bien instruits de la llcligion et en tout ce qui regarde mon service, et si bien gouvernés pour le temporel, qu'il n'a quitté ces bourgades qu'A regret. Tous c(8 inotirs m'engagent h déclarer : « Que ma volonté royale est qu'il ne soit rien » innové duus l'adminislratiou de> biens de ces bourgades , cl que l'on continue » comme on a fait jusqu'à présent dos le comnienceaieni dos Uéductions de ces » Indiens, de leur consentement et de leur grand avantage, les Missionnaires- » curés n'en étant proprement que les directeurs, qui, par leur sage économie, » les ont préservés de la mauvaise distribution et des niujvcrsalions qui se remai- » qucnt dans presque toutes les autres bourgades indiennes de l'un et de l'autre M royaume. »

Et quoique, par une cédule royale de l'année 1661, il ail été ordonné que les Pères n'exerceraient point l'oftlce de prolecteurs dos Indiens; comme cette défense leur avait été faite sur ce qu'on leur imputait de s'être ingérés dans la juridiction ecclésiastique et temporelle , et d'empOthcr qu'on ne levât les tributs, et comme cette imputatioD était alors incertaine, que le contraire même a été vérifié depuis, et que la protection qu'ils ronnaient aux Indiens se bornait h les bien gouverner, soit dans le spirituel, soit dans le temporel, » j'ai jugé » qu'il convenait de déclarer la vérité de ce fait, et de commander, comme je fais, » qu'on n'altère en rien la forme du gouvernement établi présentement dans ces » bourgades. »

^ Cours d'histoire, \,\x\\\, p. sa.

L'-«Han

112

nilAr. III. HISTOIUF

n'ilbrme pour la Compagnie, A ses yeux, elle déviait de l'Insti- tiit, et il préten<'"jt l'y ramener en la supprimant. Dans les conseils du Po' lué, les cardinaux Passionei et Ârchinto se- condaient ses démarches ; par obsession ou par subterfuge, ils devaient à la longue les taire réussir. Benoît XIV était au lit de mort; le i" avril 1758, le bref si ardemment désiré fut signé par le Pape. Les négociations relatives à cette mesure furent tenues si secrètes, que les Jésuites de Rome n'en soup- çonnèrent l'existence qu'au moment Pombal annonça ces premières victoires à l'Europe. En bouleversant les Réductions, en expulsant par ruse ou par force les Missionnaires des pays que leur sang avait fertilisés, il venait de dépouiller l'arbre de ses rameaux les plus productifs. 11 ne restait plus qu'à en saper les racines; le ministre, armé du décret pontifical, se mit à l'œuvre.

Cependant, au milieu des affaissements de l'agonie, Benoît XIV pressentit que des esprits jaloux ou passionnés pouvaient més- user du bref de réforme. Il était adressé au cardinal Sai lanlia, chargé de le faire exécuter; le Pontife voulut l'initier à ses dernières pensées, cl il dicta à Ârchinto des instructions pleines de justice '. Le cardinal portugais était nommé visiteur des maisons de la Compagnie dans le royaume très -fidèle, et Benoît XIV lui recommandait d'agir avec discrétion et dou- ceur, de garder sur tous les chefs d'accusation le silence le plus absolu , de l'imposer à ses subordonnés , de tout peser avec maturité, de repousser les suggestions des adversaires de l'In- stitut, de ne rien communiquer aux ministres d'Etat ou au pu- blic , enfin de ne rien décider, et seulement de faire un rapport consciencieux an Saint-Siège , qui se réservait le droit de pro- noncer. Ces prescriptions étaient sages, mais elles contrariaient les plans de Pombal ; elles furent mises de côté comme les rêves d'un moribond. Le 2 mai 1 758 le bre' fut signifié aux Jésuites, et le 3 Benoit XIV expira avec la crainte d'outre-passer son devoir.

Les Jésuites étaient frappés au cœur. Confier la réforme d'une société religieuse, qui n'en avait pas besoin, au ministre

1 lleuedkli Xlf Poii/ificis Maximi sirniioni mandata Lirca visitalionrm cunliiHili SaUUmha observauda.

DF. LA COMrAfiNIE DE JESUS.

143

qui jurait la perte de celte société, c'était l'étonlTer sons une calomnie légale, ils avaient défendu l'Eglise, et l'Eglise les abandonnait. Il dut y avoir, dans ces âmes éprouvées par de longs travaux, une heu/e de fatal découragement, car le com- plot ne faisait plus doute, et Saldanlia, le protégé de Pombal, s'étaiî entouré des plus violents ennemis de l'Institut. Le jour d'un suprême combat commençait à poindre, et les Jésuites, se fi.mt à la sagesse du Siège apostolique comme à la recon- naissance des monarques , n'avaient rien prévu. Sans autres armes que la croix, sans autre appui que la probité de leur vie, ils marchaient à l'ennemi qui s'élançait sur eux et qui déjà faisait retentir le cri du triomphe. Ils s'étaient laissé imposer la loi au Maragnon et au Paraguay, ils allaient accepter la défaite en Portugal, sans même essayer une résistance que l'état du pays aurait rendue si facile. Il y eut de leur part une funeste pro- stration de la force morale ou un sentiment d'obéissance poussé jusqu'au sublime de l'abnégation chrétienne. Les saints doivent admirer une pareille abnégation ; les hommes déploreront tou- jours cette torpeur qui cherche à pactiser avec le danger, et qui perd les sociétés et les trônes en les déshonorant aux yeu.t de leurs adversaire:.

Pombal a été accusé d'avoir eu en but deux projets secrets : l'un de détruire la Religion catholique dans la Péninsule; il poursuivait donc les Jésuites, comme les défenseurs les plus persévérants du Saint-Siège : l'autre, de changer l'ordre de suc- cession dans la monarchie, et de mettre, par un mariage, la cou- ronne sur la tête da duc de Gumberland' ; il lui importait donc

visUaNowm

I (c Oa sait qu« le duo de Cuiiiberhiiil sVtait llallu do devenir rui de Porlugal. Je netioule |)os <|u'il n'y eut rt^ussi, si les Jt^suites, cuufeiiscurs de lu Tamillc ruyalc ne s'y fussent opuosés. Voil » le crime qu'on n'a .'amais pu leur pardonner. » Teslu- meut polilique du marnhal de livlle-lsle, page 108

L'idOe de proteslanliser le Portugal , en mariant le duc de Gumberland avec la princesse de lleira, germait depuis longtemps dans la tùte de Pombal , et le rumie Alexis tie Sainl-Priest , dans %o\\ Histoire de la chute des Jcsm<7'4, page 3i, en apporte d'autres preuves. Il s'exprime ainsi : » Upposii a l'Angleterre en paroles , Pombal lui fut toujours soumis de Tait. Tandis qu'il proclamait haulenionl la li- hertO du Portugal , il soulevait la ville de Por'.o pour l'Olahlisscment de la com- iiagnie qui livrait aux Anglais le monopole des vins. H esl niOmc rie tradition dans je monde diplomatique, ii Li>bunne, que ces rodotHonladcs du nmrquis liaient parfois concertt^cs avec le cabinet de Londres pour servir de voile a des complai- sances. »; Pombal avait surtout pour but de s'élever et de dominer.

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GIIAI». III. IIISiOlUK

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il'uvilir la laïuillc royale et il'humilier les gramls qui ne se fai- saient pas les esclaves de ses caprices. Pour mener ù bonne tin cette double entreprise , »a politique ne recula devant aucun moyen. Les plus extr es étaient ceux qui entraient le mieux dans les ardeurs de ,n caractère : il n'épargna ni la corrup- tion ni l'intimidation. Il tourmenta les gentilshommes, qui étaient hostiles ù sa personne ou à ses idées ; il ne pouvait pas s'élever <i leur rang ; dans son orgueil de parvenu , il voulut les l'aire descendre plus bas que le point d'où il était parti. Âtin de se faire accueillir par la haute noblesse , il la dégrada ou la proscrivit. A ce piinistre , ne sachant même pas être modéré dans le bien qu'il conct ait , des hommes dont toute l'intelli- gence pût se résumer en une obéissance passive étaient de première nécessité. Il plaça ses créatures ou ses parents à la tête de la hiérarchie administrative; il réduisit le roi à n'être qu'une machine à contre-seing , il l'isola de toute l'influence ca- tholique ou monarchique, il lui gangrena le cœur, il étouffa ses principes religieux, il ouvrit l'entrée des Universités aux Jansénistes et aux Protestants; puis, lorsqu'il eut établi son omnipolence , on le vit marcher à grands pas à la réalisation de ses projets. Le 19 septembre 1757, il avait fait enlever du palais les Pères Moreira , Costa et Oliveira. Il écrivait le même jour aux infants don Antoine et don Emmanuel , oncles du mo- narque , qu'ils eussent à se choisir d'autres confesseurs que les Pères Campo et Aranjués. Il interdisait aux Jésuites de venir à la cour, et, par des mesures arbitraires, il s'efforçait de les constituer en rébellion , ou tout au moins en mécontentement. Les Jésuites baissèrent la tête et se lurent. A la vue de ces hostilités , le Père Henriquez, Provincial de Lisbonne , se contente d'enjoindre à ses frères de l'Institut de garder le silence ; le Général leur ordonne de ne pas relever le gant qu'on leur jette ; les Jésuites obéis- sent. La malveillance et l'outrage acquéraient ainsi droit d'im- punité ; l'attitude des Pères enhardit PombaP. Tout se dres-

« SclicBll raconte, à la page 52 du Ircnte-lroisième volume do son Cours d'his- toire des Etats européens : « Le 3 févriui' 1757, Ponibal publia , sous la forme d'un nianircstc, la diatribe inliluk'c : Précis de tu conduite et des dernières uctions des Jésuites en Portui/al et à la cour de Lisbonne. CVlail un rOcit enlièrement passionné de tout ce qui élail arrivé en Amérique depuis les pre-

DE LA COMPAGNIE DR JESUS.

145

s:uit en Portugal contre la Société , et , au lieu de se défendre , elle ne songeait qu'à faire respecter la verge qui allait la frapper.

Sur ces entrefaites , le bref de Benoit X'V fut nolitié par le cardinal Saldanha au Provincial de la Compagnie. Le Pape était mourant; son trépas prévu remettait en question ce qui avait été arraché à sa faiblesse; Pombal crut qu'en brusquant les événei..ents il leur donnerait la sanction de la chose accomplie; Saldanha mit l'autorité dont il était investi à la merci du mi- nistre. Au terme des lois ecclésiastiques , les commissions des Nonces ou des Visiteurs apostoliques expirent par la mort du Pape , pour tous les lieux oîi le bref n'a point été signifié de spn vivant. La Province du Brésil se trouvait dans ce cas. Sal- danha entretient Pombal de ses scrupules ; Pombal les lève par un arrêt du conseil. L'irrégularité canonique était fl^^ nte ; Sal- danha passe outre, et, le 15 mai, treize jours après avoir reçu le bref, il déclare dans un mandement que les Jésuites s'occu- pent d'un commerce prohibé par les lois de l'Eglise. En l'es- pace de treize jours , le réformateur avait embrassé les faits et gestes de l'Institut dans les quatre parties du monde; il les condamnait à son tribunal sans avoir entendu leur défense. Le ministre, dans sa polémique ou dans ses édits, accusai- les Jé- suites d'enfreindre les canons ; le cardinal , dans son mande- ment, les déclarait convaincus de transactions coupables. Ce mandement n'avait pas seulement le tort de la précipitation , il devenait injuste parce que le négoce auquel se livraient les pro- cureurs des Missions cî-'it autorisé par le bon sens , par les Sou- verains-Pontifes ot par les Monarques.

Mais alors il ne s'agissait ni d'équité ni de droit. La force et l'astuce se coalisaient pour détruire ; l'ambition et l'impéritie se donnaient la main pour seconder !a violence. Les registres tics Pères , leurs livres de comptes et de correspondance , leurs magasins , tout fut ouvert, tout fut saisi. On Ht le dénombrement de leurs biens et de leurs revcnu«« ; on constata l'état des dettes et dos obligations dont chaque maison était grevée ; on remonta

niioi's t'iQblissi'iiieiiU que les Jiisiuilcs a\aiciil roriiu's tlaiis l'iiiltiriour de rc vasic pys. La calomnie <^Uil ^t maiiifesle que le Provincial et cnsuilc le Général lie rUi'dre jugèrent couvcnaMe d'abandonner celle Table à son tort , sans daiouer la rOfuter. »

V. 10 .

446

CHAP. III HISTOIRE

! !|

jusqu'à l'origine de la Société, on ne découvrit aucune trace d'un négoce illicite. La vérité ajiparaissait sur un point, le ministre l'ensevelit dans la poussière de ses archives, et il cherche^ une autre voie. Le 7 juin 1758 le cardinal -patriarche de Lisbonne, Joseph-Emmanuel, dont Saldanha convoitait le siège, interdit les Jésuites dans toute l'étendue de son diocèse. On avait inti midé ce vieillard moribond en faisant intervenir la volonté du roi. Il expira peu de jours après, et Saldanha fut appelé à lui succéder.

Dans le même moment le Conclave faisait asseoir sur la Chaire de saint Pierre le cardinal Rezzonico , qui prit le nom de Clément Xm. Elu le 6 juillet 1758, le nouveau Pape sen- tait vivement le besoin de relever aux yeux des puissances sé- culières la dignité de la tiare. C'était un de ces prêtres de haute vertu et de grand cœur, tels que l'Eglise en a tant vu à sa tête. En face de la philosophie tour à tour sceptique et railleuse du dix-rhuitième siècle, au spectacle plein de tristesse que l'incurie des rois offrait à l'Europe, Clément XllI ne pensa pas que le seul moyen de sauver la Catholicité fût d'attiédir le zèle et de protester timidement contre les excès de l'intelligence qui de- vaient enfanter des révolutions. Modéré, parce qu'il se jugeait fort de l'autorité de sa Foi, et ne reculant jamais devant l'ac- complissement d'un devoir, ce Pcntife allait soulever contre lui toutes les passions. 11 était équitable et bienfaisant, le père de son peuple ' et le chef courageux de l'Eglise militante. On ne lui épargna ni la calomnie ni l'injure. Il arrivait à une épo- que où la vieille société européenne se dissolvait plutôt par l'im- péritie des princes et par la corruption des grands que par les agressions auxquelles elle se trouvait en butte. On n'attaquait plus le Catholicisme par l'hérésie, on le minait par le doute ou

I L'asiroiiotiie François Je I.alaiii1c, dints smi f'oyanevn Italie, \ v, pafl[t>4S2, parle (le Ck'iiieiil XllI en ces leriiiu> i « Le Pape, dit-Il en liailuhl la «|iu'sliuii tlu dossétiieiiieiit des Murait PoiilhiH, lu dosiruil |ioi>oiiiiellt'iiieitt Lorst|ue je rondi'i coinptt^ h Sa Sninivlù de relie rarlie de mon >»yRge, elle y pi i( un intOrOl marqué cl me demanda avec rnipre.-triii 'ni ce que jo penhai> du la puAkibililO el de» avun- lagcs de co proji-l. Je les lui nyi» ai en di'lail ; ina'« ayant pris i.i lilierld d'uJMUier que ce 'iCrail une <.^pO(|uc de Qloire puur «un rè,;ne, le religieux Punlifo inlerrunipil ce discuurs prorjne ,'rl , jutyiiant les mains vers le ciel , il nie dit, presque les lar- !»ei aux yeux : « Co u'e>l pat la gluire qui lutui tnuilic, c'est le bien de nos pcupict u que iiout cberclioiis. »

*

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DE LA COMPACME DE JESUS.

147

par In licence des mœurs. On ne cherchait phis & renverser les trônes en soufflant au cœur des nations des désirs d'affranchis- sement ou de pillage ; on avilissait la royauté en la berçaot âe cruelles flatteries, on l'endormait dans les bras de la volupté en u.pprenant aux peuples à lui préparer un sanglant réveil. Clé-, ment XUl ne consentit pas à ôtre le muet témoin ou le complice de ces hontes. L'Ordre de Jésus était le point de mire des en- nemis de l'Eglise, le Pape se déclara le protecteur des Jésuites. La situation était difficile , car de tous côtés il surgissait un écueil. Tout se faisait hostile au pouvoir, le pouvoir lui-même; et, dans ce chaos, la voix de la raison ne s'élevait que pour* retomber étoulTée sou« le rire moqueur des uns ou sous la phra- séologie des autres. j

Rome avait un nouveau Pontife; le 21 mai 1758 la Compa- gnie s'était donné un nouveau chef. A peine installé sur le siège apostolique. Clément XllI voit, le 31 juillet 1758, Laurent Ricci, Général des Jésuites, s'agenouiller au pied de son trône et re- mettre entre ses mains le mémoire suivant :

t « Très-saint Père , ' .

» Le Général de la Compagnie de Jésus, prosterné âevant Votre Sainteté, vous représente humblement l'extrême acca- blement et les malheurs qu'éprouve son Ordre par les révolu- lions connues du Portugal. Car, en attribuant les crimes les plus graves à ceux de ces Religieux qui sont habitués dans les possessions de Sa Majesté très-fidèle, on a obtenu deBenottXlV, d'heureuse mémoire, un bref qui crée Son Eminence le Cardi- nal Saldanha Visiteur et réformateur, et lui attribue les pou- voirs les plus étendus. Ce bref a non-seulement été publié en Portugal, mais encore réimprimé dans toute l'Italie. En consé- quence, l'éminenlissime Visiteur a publié un décret on dé- clare tous ces Religieux coupables de faite le commerce. De plus. Son Eminence le Cardinal-Patriarche, n'ayant aucun égard ù la Constitution Svperna de Clément X, qui défend aux Evo- ques d'ôlcr à toute communauté religieuse à la fois les pouvoirs de confesser sans en avoir consulté le Saint*Siége, incmsulia Sede Aposloltctt, a interdit de la confession et de la prêdica»

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CHAP. ni. HISTOiriE

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l-(\ :

tion tous les Religieux de la Compagnie qui sont non-seule- ment dans son diocèse de LisboHne, luais encore dans toute l'étendue du patriarcat.. Sans leur avoir intimé personnellement un pareil interdit , il en a fait subitement afliclier le décret à toutes les églises de Lisbonne : faits dont le Général a en main des preuves authentiques.

» Les Religieux de Portugal ont supporté ces exécutions si accablantes pour eux avec l'humble soumission qu'ils devaient. Ils sont très-intimement persuadés de la droiture des intentions de Sa Majesté très-fidèle, de ses ministres et des deux émincntis* simes cardinaux. Cependant ils craignent qu'ils ne soient pré- venus par les artifices de personnes mal intentionnées. Ils ne peuvent se persuader que leurs frères soient coupables de délits si atroces, d'autant que, aucun d'eux n'ayant été appelé personnel- lement en justice, ils n'ont point eu lieu de produire leurs dé- fenses et leurs décharges.

» Au reste, quand il y aurait des particuliers coupables des crimes atroces qu'on leur suppose, ils se flattent que ce délit n'est pas celui de tous ni même de la plus grande partie, quoi- qu'ils se voient tous enveloppés dans la même peine. Enfin , quand même tous les Religieux qui se trouvent dans les États de Sa Majesté très-fidèle seraient coupables, depuis le premier jus- qu'au dernier, ce qui ne parait pas pouvoir se supposer, les au- tres, qui dans les diverses parties du monde emploient leurs fati- gues et leurs travaux à procurer l'honneur de Dieu et le salut des âmes, selon le peu d'étendue de leur pouvoir, demandent in- stamment d'être au moins traités avec bonté. Le discrédit et le mal s'étend à toute la Communauté, quoiqu'elle ait en horreur les crimes qu'on aîtribue aux Pères du Portugal, et spécialement tout ce qui peut tendre le moins du monde à offenser les supé- rieurs, tant ecclésiaslii|ut'S que séculiers El'e désire au con- traire, et fait en sorte, autant qu'il est possible, d'être exempte de ces manquements auxquels la condition humaine est sujette et surtout la multitude.

Assurément les supérieurs de la Société, comme il paraît sur les registres et par les lettres écrites ou reçues, ont toujours in- sisté sur l'observance des Règles la plus exacto, dans les Provinces

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DK LA COMI'AOMK DE JÉSUS. .|40

du Portugal ainsi que dans toutes les autres. En certaines occa- sions on les a informés de manquements d'un autre genre ; mais, pour les délits qu'on impute aujourd'hui à ces Religieux, ils n'en ont jamais été instruits ; on ne les en a point préalable- ment avertis ni requis d'y apporter remède.

» Informés enfm , quoique indirectement, que ces Pérès avaient encouru la disgrâce de Sa Majesté, ils ont témoigné la plus extrême douleur. Ils ont supplié qu'on leur donnât une con- naissance particulière des délits et des coupables. Ils ont offert d'envoyer des pays étrangers les plus capables et les plus accré- dités de la Compagnie pour visiter et réformer les abus qui pou- vaient s'être introduits ; mais leurs humbles prières et leurs offres n'ont pu mériter d'être écoutées.

» De plus, on craint fort que cette visite et rcfurme, au lieu d'être profitables, n'occasionnent des troubles sans aucune uti- lité. C'est ce que l'on redoute surtout pour les pays d'outre-mer, pour lesquels l'éminentissime Cardinal Saldanha est obligé et a pouvoir de déléguer. On a toute confiance dans ce cardinal pour ce qu'il fera par lui-même ; mais il semble qu'on peut craindre avec raison que dans les délégations il ne se trouve des person- nes ou peu nu fait des Constitutions des Réguliers ou mal inten- tionnées, qui, par conséquent, pourront causer de grands maux. Pour toutes ces raisons, le Général de la Compagnie de Jésus, nu nom même de la Société, implore avec les plus humbles et les plus sincères prières l'autorité de Votre Sainteté. Il la supplie de pourvoir, par les moyens que lui suggérera sa hàuto prudence, à la sûreté et garantie de ceux qui ne sont pas coupables et particulièrement à l'honneur de toute la Société : qu'ainsi on ne la rende donc point inutile ii la gloire de Dieu et au salut des âmes, qu'on ne l'empêche pas de servir le Saint-Siège et de se- conder le pieux zèle de Votre Sainteté, pour qui le Général lui- même et sa Compagnie offriront à Dieu les vœux les plus sincères afm de lui obtenir toutes les bénédictions célestes, une longue suite d'années, à l'avantage et à U prospérité de l'Eglise universelle. »

Le Souverain-Pontife reçut ce mémoire d'un accusé deman- dant des juges, la seule chose que les hommes ne peuvent pas

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180 CIUP. III. - IIISTOII-.B

refuser à nii iiiilro liuminc. Une Congrôgation est iiomiiiée. Sa réponse fut favorablemu Jésuites*. Poinbul n'ullail plus ugir sans conti'ôle ; il avait à lutter contre un pontife qui no se lais- serait pas tromper par d'hypocrites démonstrations. Les ressorts de sa politique étaient mis à découvert. Il avait exilé de Lisbonne les Jésuites qu'il redoutait : Fonséca , Ferrcira , Malagrida et Torrès. Le Père Jacques de Camura , tils du comte de Ribuira et d'une Rohan, avait énergiquement repoussé toute espèce d'inti- midation. Pombal essaya de provoquer dans l'Ordre de Jésus quelques défections, qu'il aurait su rendre éclatantes. 11 existait parmi les Jésuites portugais doux Pères que leurs antécédents désignaient aux intrigues du ministre : l'un était le Père C<)jé- tan , esprit chagrin , mais intelligence aussi vive que profonde ; l'autre, Ignace Suarez. En les flattant, Pombal espérait qu'il serait facile de les amener à trahir une Compagnie dont la tendance de leurs caractères portait à croire qu'ils ne devaient pas avoir toujours eu à se louer. Le cardinal Saldanha fut chargé de les enrôler sous la bannière ministérielle. Gajétan et Suarez, que le Patriarche caressait d'un côté , qu'il menaçait de l'autre ,

-dédaignèrent de s'associer à de pareils projets. Us avaient chan- celé dans leur Foi de JésL'ites lorsque l'Institut était puissant; ils s'y rattachèrent au moment la persécution lui arrivait. Cette opposition et les mesures prises à Rome compromettaient les espérances de Pomhul ; un événement imprévu changea tout-à- coup 'i face des affaires.

Dans la nuit du 3 au 4 septembre 1758, moins de deux ans après l'attentat de Damiens sur Louis XV, le roi don Joseph, revenant en carrosse de l'hôtel de Tavora au palais, fut frappé d'une balle dans le bras. Ce crime, que le lendemain toute la ville attribuait au marquis de Tavora vengeant son honneur sur le royal séducteur de dona Teresa son épouse , ce crime

- offrait à Pombal une chance inespérée. Les Tavora étaient ses

* Le commanilrur Alinailn, pareiil do Poinital v( son aiiibatsatleur ^ Rome, 1)1 lm|iriiii«r e( répamlre partout une fausse dOiUioii de celle ConBit^galiuM. CiMmi peul-Olre l'avis parlirulier d'un dos cardinaux auquel Almada prClail de son clnl' louic auiorilé. Cet arrM fuppost} Tut brù\6 ti Rome et à Madrid par la main du bour- reau, comme pièce apucryiihe et calomnieuse, Paglinrini.ionvaincu de l'avoir ini|ri- niOe, fut mis en pri-on et d'npros lu vole de Mgr Braschi, depuis Pie V], banni îles Etats romains par le cardinal Archinlo. Pombal le recueillit et le combla d'honneurs.

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IIK LA UOMI*i«<;MK UK itMi.

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ennemis, car ils nvuicnl rcpoiiSM! l'allianco du son Dis. lU op- pnrlcnaiont h la plus haute noiticssc ; tout semblait conspirer en faveur du ministre. A délinil d'autres preuve^ , la clameur publique sntVisait pour faire arnHcr les meurtriers ou les fau- teurs présumés du meurtre. Dans un autre pays, la justice aurait ainsi procédé; Pombal n'adopta point cette marche régulière: il frappa de terreur le souverain, il le tint caché à tous les re- gards , à ceux même de la famille royale ; il fit planer le soupçon sur les gentilshommes dont il redoutait le crédit ou dont il convoitait les richesses; il représenta toujoura et partout «es Jésuites comme les instigateurs du régicide. Il laissa ainsi s'amonceler la tempête , dont à son gré il dirigeait les nuages Les Tavora continuèrent à venir à la cour, et, le 12 décembre, plus de trois mois après l'attentat, que l'inexplicable inaction de Pombal faisait alors rejeter au nombre des fables ou des paradoxes , le duc d'Aveiro , le marquis de Tavora , dona Eléo- nora , sa mère , leurs parents et leurs amis furent saisis à l'im- proviste et plongés dans les cachots. Les femmes obtinrent des couvents pour prison, mais la pitié envers tous ces person- nages devint, aux yeux de Pombal, un titre de proscription. On fut suspect parce qu'on les plaignit; on se trouva criminel pour douter des mystérieuses trames qui avaient coâté trois mois de réflexion au minisire. La haute noblesse refusait de l'ac- cepter comme un des siens , elle lui avait fait expier son orgueil par des sarcasmes ou par le mépris ; Pombal se vengeait de ces aiïronts en se baignant dans le sang des races les plus i j.:!res. L'opinion publique ne vit en tout cela qu'une maclhiation de Pombal pour absorber ses ennemis dans un complot im- possible. Les lenteurs calculées, les mensonges ('q^Iomatiques ou judiciaires du ministre furent si pleinement percés à jour, que ses panégyristes les plus exaltés réprouvèrent tant de cruautés , et n'eurent pas le courage de s'associer à sa fureur. « Les Encyclopédistes , dit le comte de Saint-Priest * , auraient dik lui servir d'auxiliaires zélés et fidèles. Pourtant il n'en 'fut pas ainsi. Les pièces émanées de la cour de Lisbonne parurent ridi-

' Hiiloire de la Chute des Jésuiten, (>8(je 94,

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r.iiAi . lit.

lusioiiti:

cilles iliins lu furmc et maladroites au fond. Ccl holocauste des chefs de la noblesse choqua les classes supérieures , jusqu'alors soigneusement ménagées par les philosophes. Tant de cruauté contrastait trop avec les mœurs d'une société déjà frondeuse, mais encore trés-élégante. On eut pitié des victimes , on se moqua du bourreau. »

Le bourreau, car jamais homme ne mérita mieux que Pombal ce titre sanglant, le bourreau tenait sous sa main une partie de ses adversaires; mais, pour la satisfaction de ses haines, ce n'était pas assez. L'attentat du 3 septembre lui four- nissait une occasipn toute naturelle de mêler le nom des Jé- suites à un régicide présumé. « Les reproches qu'il leur avait adressés dans ses manifestes, raconte l'historien peu véridiquc de la Chute des Jésuites * , ne reposaient point sur des idées générales, mais sur des faits particuliers, contestables et mal exposés. » Pombar tenait beaucoup plus à sa vengeance qu'à l'opinion publique. Sa vengeance se trouvait d'accord avec des projets anti-calholiques ; il fit de tout cela un horrible mélange, et, en confondant les notions de justice et d'humanité, il enve- loppa dans cette catastrophe tous les Jésuites résidant en Por- tugal. D'Aveiro, lesTavora, Atonguia et la plupart des accusés auraient être jugés par leurs pairs ; le ministre créa un tri- bunal d'Inconfidence. Par un oubli des règles les plus sacrées, il présida lui-même cette commission exceptionnelle, dans la- quelle siégèrent d'Acunha et Gorte-Réal, ses deux collègues. La torture fut appliquée à chaque inculpé; ils la subirent avec fermeté. Le duc d'Aveiro seul , vaincu par les tourments , avoua tout ce qu'on exigeait de sa douleur. Il se déclara cou- pable ; il accusa ses amis et les Jésuites ; mais à peine fut-il délivré de la question, qu'il se hâta de nier ce que la violence lui avait arrache. Les juges refusèrent d'entendre sa rétracta- tion. Il n'y avait eu ni témoins, ni interrogatoires, ni débats ; on ignore même si les prisonniers 'furent défendus. Tout ce que l'on sait, c'est que le fiscal Costa Freire, le premier juris- consulte du royaume , proclama l'innocence des accusés , et

' Histoire de la Chute des Jésuites, page 30.

DE LA CU.MPAr.Nllf; DE JESUS. -^f^

que sa probité le lit charger de chaînes ; c'est que le sénateur Juan Bucallao se plaignit de la violation des formes judiciaires et de l'iniquité de la procédure ; c'est que Poinbal lui-méniu rédigea la sentence d3 mort, et qu'elle est écrite de sa main. Elle fut rendue le 12 janvier 1759, on l'exécuta le lendemain. Le peuple et l'armée murmuraient ; les grands s'agitaient ; Pombal ordonna de dresser l'échafaud dans le village de Bc- 1cm, à une demi-lieue de Lisbonne. Portant la barbarie jusque dans les moindres détails, il avait voulu que la marquise de Tavora et que toutes les victimes parussent sur l'échafaud la corde au cou et presque nues. C'était une dernière humiliation qu'il réservait à ceux qui l'avaient accablé de leurs dédains. Dona Eléonora ^ encore plus fière en ce moment qu'aux jours de ses prospérités, arriva la première sur cette immense es- trade, où le billot, la roue, le bûcher et le poteau s'élevaient, comme pour réunir les diffcients supplices sous les yeux des condamnés. Elle s'avança , le crucifix à la main, pleine de calme et de dignité. L'exécuteur veut lui lier les pieds : « Arrête, s'écrie-t-elle, et ne me touche que pour me tuer. » Le bourreau intimidé s'agenouille devant cette martyre de la justice hmnaine, il demande pardon. « Tiens, continue-t-elle plus doucement en tirant une bague de son doigt * , il ne me reste que cela ; prends, et fais ton devoir. La tète de dona Eléonora tomba sous la hache. De demi-heure en demi-heure, son mari , ses lils , ses gendres , ses domestiques et le duc d'A- veiro vinrent successivement , en face de ce cadavre palpitant, mourir dans les horreurs de la strangulation, sur la roue ou dans les flammes. Quand le massacre fut consommé, on mit le feu à l'échafaud, et le Tage roula dans ses eaux les cendres des immolés confondus avec les sanglants débris de la torture^.

i Mémoires du marquis de Pombal.

' Poinbol fui juQé & son tour; mais il rencontra dans la reine dona Maria, ho- filière de Joseph 1", plus de pilit' qu'il n'en devail inspirer. Le 7 avril 1781 , cet homme, âge de quatre vinQl-deux ans, fui h son lonr frappt^ d'une condamnalion que riii loire trouvera peu sL'vcie. Le conseil d'iLl.it el les inagiblrals di-rlarc- rcnl, il In mnjoriltWlc quinze voix conire trois, « (|ui' l.< peisoniios. Innl vivanlcs que mûries, qui furent Jusiicioes, ou exilées, ou iniprisoni «^os en vertu do lu sen- tence de t7.'>9, élaienl loulcs innouenles du trime iluiil on lis uvuil uinisoe». » Ce jugement de rc^habililalion est lonQuemenl el sndomenl niotiviV |i (im une grande force de la première sentcuue , qui abonde en cwnlradictlon^ et en faits se dèirui-

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UIAI'. III.

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Le 27 inurj 1750, Lu CondaiTiitio écrivait à iMuuperluis : « On no me persuadera jamais que les Jésuites aient en etlct commis l'horrible atlontat dont on les accuse, » et le sceptique Maupertuis lui répondait : « Je pense comme vous sur les Jé- suites; il faut qu'ils soient bien innocents, puisqu'on ne les a pas encore punis ; je ne les croirais pas même coupables quand j'apprendrais qu'ils ont été brûlés vifs. » Le Père Malagrida fut réservé à ce supplice, et un cri de réprobation universelle répondit à cette dernière lâcheté de la force. Tombai &'était attribué ou il avait partagé entre ses créatures les biens de ses victimes. Il les tuait dans le présent, il les déshonorait dans l'avenir de leurs familles ; mais il convoitait encore une autre proie. 11 venait de terrasser la noblesse, il voulut écraser les Pères de l'Ordre de Jésus. La fermeté de Clément XIU lui était connue, ses intrigues allaient être déjouées à Rome; par un de ces coups d'audace qui , au premier moment , font douter même de l'innocence de toute une vie , le ministre ne recula pas devant la plus absurde des accusations. Il en avait tant fait que personne n'osait plus prendre au sérieux un homme que la fureur poussait jusqu'aux limites de la déraison. La veille de l'exécution des Tavora, les Jésuites du Portugal, soumis de- puis quatre mois à la plus ombrageuse des inquisitions, sont déclarés en masse les instigateurs et les complices du régicide présumé. On emprisonne le Provincial Henriquoz, les Pères Malagrida, Perdigano, Suarez, Juan de Mattos, Oliveira, Fran-

«nn( les uns par les autres. Ainsi on lil , dans l'iinôt remlu par Poinbal i que n le coup (flissH e( ne fli que percer le derrière tlu rarrosse^ puis, que six coups pénc- trcreiil i la poitrine du roi: puis encore, que lu coup tirO par derrière pa^isa entre les liras et les cotes et ne 111 qu'enicun-r li'obri'inenl IViiaule droite par-devanl; » un peu plus bas, la sentence ajoute (|iiu « le roi eut des blessures consiidOrables et niorit'Iles. »

lle»tà peu prèsavi^ré maintenant que deux ou trois pistolets furent déchargeas sur h voiture de Joseph l". La version la plus accrOditi^e est que deux hommes attachOs a la maison de l'avora se piirterenl à ce crime; mais Pombal a mis tant de confusion et d'acharnement dans la proci'dure. qu'il est parvenu iiiOme ii faire douter de la ri'elitti de l'atteiilat, et que plusieurs hisiuriens n'ont pas craint de le lui utiribuer. O qui lui appartient d'une niaiiière incontestable, c'est l'iniquilé, et on doit diic aveu rdiinlais Sliirley, dans son Ma<jiuht de Londres, mars 1769 : n L'arriM du tribunal d'Incoiitldciice ne peut Otie regardé ni comme concluant pour le public, ni comme juste à l'égard des accusés... De quel poids peut être un jugement qui n'est d'un bout à l'autre qu'une vauuo déclamation, l'on cache au public les dépositions et le> témoins, ou toutes les formes légales ne sont pas moins violées que l'équité naturelle ' »

I)K LA COMl'AtiMK DK JESUS.

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çois Edouani et Ci.si,u. Ce dernier est l'iimi de riidaiit don l'e- dro, frère du roi. On l'applique à la question pour lui arracher dans les tortures un aveu ou une réticence qu'on essaiera de tourner contre le prince. Costa, tenaillé et déchiré, reste in- ébranlable.

Pombal avait tout dispose pour consommer son mystère d'ini- quité. Les Pères Malagrida, Mattos et Jean Alexandre , vieux Missionnaires blanchis dans les travaux de l'apostolat et de la charité, avaient passé leur jeunesse et leur âge mûr au milieu des sauvages du Maragnon et du Brésil. La marquise de Ta- vora suivait les exercices spiriluels de Malagrida; le Père de Mattos était lié avec la famille Ribeira ; Jean Alexandre , reve- nant des Indes, avait fait la traversée sur le même vaisseau que les Tavora. Tels furent les seuls griefs que Pombal allégua ; ils suffirent pour faire condanuier à mort les trois Jésuites. On ignore par quel motif le ministre leur épargna l'échafaud du 13 janvier.

La consternation régnait dans les maisons de la Compagnie ; les traitements les plus acerbes, les insinuations les plus per- tides, tout était mis en jeu pour désoler leur patience ou pour les compromettre; les Jésuites, qui n'avaient pas su dissiper cette tempête d'injustices , eurent le courage du martyre, lis étaient séparés les uns des autres, sans communication avec leurs frères ou avec leurs supérieurs, livrés à un homme qui ne cessait d'accuser sans jamais prouver la moindre de ses allé- gations, ils attendirent dans la dignité de leur silence le sort qu'on leur réservait. Le niinistre s'avoua que ses paroles per- daient de leur autorité; le 19 janvier 1759, il réduisit le sou- verain au rôle de pamphlétaire à sa suite. Chaque marche du trône se couvrait de sang; la captivité, l'exil ou la ruine était le partage de ses plus fidèles sujets ; on lui apprenait à se défier de ses amis et de sa famille. Pombal, afin de l'engager encore plus avant, plaça sous la sauvegarde de son nom les mensonges dont il sentait que tant de crimes auraient besoin pour être justifiés. Il prit à bail le contre-seing de ce monarque esclave, et il força la royauté à calomnier sciemment les hécatombes de son arbitraire ministériel. Il avait, au nom de Joseph 1'',

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CUAP. III. HISTOIRE

rédigé une lettre adressée à tous les Evéques portugais; elle fut répandue à profusion. Ce manifeste était la glorification de Pornbal et une honte jetée aux rois nrédécesscurs de Joseph.

Quelques Evoques s'en emparèrent pour créer un piédestal à leur fortune ecclésiastique; d'autres F'épouvantérent à l'idée seule d'affronter les colères du ministre omnipotent, et rEvê<|ue qui recule en face d'un devoir est bien prés d'immoler sa con- science pastorale ù de fausses nécessités de position. Ils se prê- tèrent aux exigences de Pombal, il y en eut même qui les ou- trèrent. Les Jésuites, frappés de stupeur, environnés des en- nemis inattendus que le malheur agglomérait autour de ses victimes, n'élevaient pas la voix même pour protester contre tant de fureurs calculées. Ils n'agissaient pas; Pombal imagina de les faire écrire. De virulentes satires contre le roi parurent sous le nom de plusieurs Pères. La mesure était comblée. Deux cents Evéques de ioutes les parties du monde chrétien, des cardinaux , les trois Electeurs ecclésiastiques n'osèrent pas res- ter spectateurs muets de cet opprobre , qui constituait un prince en flagrant délit d'imposture. Ils supplièrent Clément XIII de venger la Compagnie de Jésus. La voix de la Catholicité fut entendue, et le Père commun remplit le vœu de l'Eglise.

Pombal ne se laissait pas arrêter par des prières ou par des menaces ecclésiastiques. Son despotisme ne trouvait aucune résistance en Portugal ; il pensa qu'il serait toujours temps de l'expliquer lorsqu'il aurait consommé l'reuvre de destruction. Il tuait la Société de Jésus, mais c'était dans un but catho- lique, afin de la réformer et de la rendre plus parfaite. Le n-i- nislre portugais ne sortait pas de ce thème convenu. 11 accusait les Jésuites de tous les crimes que l'imagination de ses pam- phlétaires à gages pouvait inventer ; en même temps il décla- rait que sa pensée ne tendait qu'à ramener les disciples de saint Ignace à la pureté primitive de leurs règles. En présence des contradictions qu'offre ce grand procès, l'un des événe- ments les moins connus et les plus curieux du dix-huitième siècle , Voltaire a donc raison de dire * : « Ce qu'il y eut d'as-

OEuvrvi de Voltaire, Siècle de Louis Xr, t. xxii , p. 3M.

DE LA COMPAGNIE DE JESUS.

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scz étrange dans leur désastre presque universel, c'est qu'ils furent proscrits dans le Portugal pour avoir dégénéré de leur Institut , et en France , pour s'y être trop conformés. »

Les biens et les collèges de l'Ordre étaient sous le séquestre , il fallait se les approprier , afin de payer les complaisances ^épiscopales , de distraire le peuple pai- des fêtes et d'acheter l'ar- mée. Le ministre tenait captifs plus de quinze cents Jésuites, qu'il ?vait dépoui.lés de tout, même i droit de pleurer sur les rumes de leurs maisons. La pitié en leur faveur était un crime , il la punissait de mort ou de bannissement. Au Bré- sil et au Maragnon , ses agents les poursuivaient avec un achar- nement inouï; ils les enlevaient à leurs sauvages; ils les entas- saient, sans provisions, sans secours, sur le premier vaisseau faisant voile vers la métropole. Tous ces Jésuites , qui ne sa- vaient de quelle accusation il allait plaire au gouvernement de les charger, arrivaient à Lisbonne; on les agglomérait dans les prisons ou dans les lieux publics ; puis on les oubliait entre deux haies de soldats , qui, souvent moins cruels que l'autorité , partageaient leur pain avec eux.

Celte étrange situation ne pouvait durer. Le 20 avril 1759, Pombal fit remettre au Pape une leitrc de Joseph l*', qui an- nonçait l'intention d'expulser de ses Etats les membres de la Société de Jésus. Clément Xlll ne répondant pas assez vite aux désirs impatients du ministre , le ministre le prévint. Clément XIH ne prêtait pus les mains aux iniquités de Pombal ; Pombal , afin de tromper le roi, fait fabriquer à Rome, par Âlmada, son ambassadeur, un bref qui approuve ses projets, qui détermine à quel usage seront employés les biens de la Société de Jésus et qui autorise à punir de mort les coup., "s. Ce bref, si auda- cieusement supposé , entretenait l'Europe dans des dispositions malveillantes contre les Pères portugais ; il plaçait les Jésuites des autres contrées dans l'impossibilité de les défendre. Pombal se hâta de mettre à profit ces impressions. 11 savait que le Sou- verain-Pontife s'eflrayait de ses menaces de schisme, et que, pour maintenir la paix de l'Eglise, il ferait toutes les concessions compatibles avec la dignité jdu Saint-Siège. Le véritable bref n'était pas aussi explicite que celui dont Pombal s'était for^jé

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CHAP. III. IIISTOIHE

«no arme; le Pape desoenJait jusqu'à la prière pour vaincre l'injuste obstination du roi et de son luinislre. Ponibal s'indigna de voir le Vicaire de Jésus-Christ disputer à ses convoitises la proie qu'il leur promettait. Un conflit diplomalique entre les lieux cours lui parut nécessaire h susciter, Acciajuoli , Nonce en Portugal, croyant d'abord que les choses ne seraient jvas pous- sées si loin , avait favorisé les plans ofiîcieb ; mais, lorsqu'il en eut saisi la portée, il refusa de s'y associer. Il devint obstacle; Pombal mil tout en œuvre pour lui rendre impossible le séjour de Lisbonne. Clément Xfli et le cardinal Torregiani, son se- crétaire d'Etat, ne oithûciU p;is proscrire les Jésuites, par l'éternel principe d'équit'^ i\iu ne peiinot pas de confondre les innocents avec les coupahi >: ; Pombal s'imagine que ces refus équivalent à une déclaration de guerre ; il la fait h sa manière. Les Jésuites Mala^rida , Ilenriquez, Mattos, Moreira et Alexan- dre sont condamnés à être rompus vifs, comme instigateurs du ducd'Aveiro des n.arquis de Tavora. Le 31 juillet est le jour de la fête de saint Ignace de Loyola; Pombal choisit cet anni- versaire, si cher au cœur des disciples de l'Institut, pour rendre une sentence qui ne reçut ni publicité ni exécution, mais qui devait les exaspérer ou les consterner.

il y a Ici une appréciation que l'histoire ne doit pas oublier. Les Jésuites ont, pour se défaire de leurs ennemis, des moyens secrets ; ils ne reculent devant aucun crime Ils conseillent le régicide, ils l'absolvent, et, quand ils ne savent plus de quelle manière amener le triomphe de leurs ambitieux projets, le fer ou le poison leur viennent en aide. Jusqu'au jour Pombal s'acharna contre leur Institut, les Jésuites, si souvent accusés de légitimer les moyens par la fin, n'ont jamais eu recours à l'assassinat. Cette espèce de tribunal véhmique, dont des im- posteurs révélèrent l'existence, n'a été qu'une fable jetée en pâture à quelques crédulités imbéciles. Les Jésuites n'a\ aient jamais trouvé de séides dans leurs partisans ou dans leurs no- vices ; mais si, comme l'aflirmait le ministre portugais, la vie des hommes était si peu de chose à leurs yeux quand l'intérêt de l'Ordre périclitait, il faut bien convenir qu'en 1750 les Jésuites laissèrent écha^iper l'occasion la plus urgente d'appliquer

DE LA COMPAGNIE DE JESUS.

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Iftiir principe meurtrier. Un liomme seul brisait le passé et 1 avenir de la Société. Dans la situation des esprits, son exemple menaçait de devenir contagieux. Pombal ne se laissait arrêter itar aucun scrupule : il abusait de la faiblesse de son roi ; il défiait le Saint-Siège; il portait une main sacrilège sur l'arche ih l'Institut. Il dépouillait les Jésuiies ; il savait même trouver des magistrats pour les flétrir sans discussion, pour les con- damner sans examen. On les arru^hait à leur patrie; on leur annonçait qu'ils périraient tous dans un auto-da-fé ou qu'on les parquerait comme des pestiférés sur quelque côte déserte. Ils étaient réunis, dans l'attente prochaine de la mort ou de la proscription. Us n'avaient pas tout perdu, il leur restait des amis; ils auraient évoqué des vengeurs. En désespoir de cause, ces hommes si habdement vindicatifs, si bien préparés aux excès du fanatisme, pouvaient frapper Pombal dans l'ombre. Rien ne leur était plus facile. Des quinze cents prêtres qu'on disait liés les uns aux autres par de terribles serments, pas un seul ne conçut l'idée de cette expiation. Le ministre leur imputait de porter en germe la pensée de tous les forfaits, et le ministre vivait comme la démonstration la plus évidente de ses impos- tures * . Si jamais trépas a été nécessaire pour préserver l'Ordre

' LVmpha-e lie Pombal , sa cruaulo, ses injustices, qii<> plus lanl le duc de CIidIscuI devait rciiouvoltir eu |iai'lit>, iiis|)iraieiil A ce ilciiiier un >eiit.inoul de froide inoquvric. Ou eiileiidail souvciil lu iiiiiii,>'lie fiançais dire au prince de Kaunilz, en parlant du minisiire porlujui!) : » Ce monsieur a donc toujours un JOsiiile Ji cheval sur le ne/.! » Cette pli «unterie. i|ui peut s'adresser ti tous les Pombal du monde, ue le corri|{i!a pas de sa manie de voir de mettre partout des Jésuites. H los avait clmssOs des possessions du roi Ircs-lidéle; ih étaient prosriits de France et d'Espnone; tout lu moi de parlementaire, janséniste et philosopliit|ue , se lisuiit contre eux. Du fond de son palais de NoIre-Danie-d'Ajuda , Pombal r(>vc i|U ils sont phr puissants que jamais , ut , le 20 juin 1767, il adr^^sse au comte d'A Cunhn, ministre desair<iii-esCtraiiaores à Lisbonne, la leltre officielle dont nous exlrnirons ce passaQf : « Plusieurs fuils aussi certains que notoires ont prouvé ii Sa Majesté <tuc les Jésuites sont tout-itfuil d'inlulligence avec lis Aniiluis, auxqui-ls on sait tpi'ilj ont promis de les introtluire dans tons lus domaines que le PurtuQal el l'Espagne possèdent en drça du sud de In ligne, et du contril)uer a ce projet de toutes leurs forces, en employant toutes leurs trames, qui consistent toujours k semer le fanatisme pour tromper les peuples par les dehors de leur hypociisie, et le. sou.lever contre leurs souverains légitimes sous de faux prétextes de religion, cl * n atrectant des molifs purement spirituels. Ce que les Anglais peuvent entrepren- dre de commun accord avec les Jésuites se réduit aux trois cas suivants : en pre- mier lieu , les Anglais fourniraient aux Jéiuites des troupes, des armes el des mu- nitions, caihcraient les bras qui porteraient ces coups en couvrant les mililairca do frocs jésuitiques, comme on i'a déjii fait plusieurs fois, el la cour de Londres dirait que lout cela n'est que l'elfet de l'immense pouvoir des Jésuites.»

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CHA»'. ni. HISTOIKE

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de Jésus (le quelques désastres, ce fut à coup sûr celui de Pombal ; et cet homme, dans les combinaisons de son audace, ne songea pas que ses jours couraient quelque danger, il con- naissait beaucoup mieux les Pères qu'il ne le donnait à entendre, il les calomniait tout haut, mais tout bas il no daignait même point prendre les précautions dont la tyrannie s'enveloppe plutôt pour le vulgaire que pour sa propre sécurité. Pombal survécut vingt-lrois ans à la destruction de l'Ordre, et il ne rencontra jamais ni de Châtel ni de Barrière pour prévenir ses desseins, ou pour lui faire expier le succès de son complot. Cet argument en action doit peser davantage dans la balance de l'histoire que toutes les théories de régicide qu'aucun fait n'a justifiées. Les Jésuites ne tuèrent pas l'homme qui leur fit le plus de mal , et dont l'existence était à leur merci. Faut-il les supposer assez in- conséquents pour créer, contre des rois qui les protégeaient en les aimant , un système de meurtre qu'ils n'auraient pas osé ap- pliquer à des ennemis plus déterminés , et dont la mort n'en- traînait ni périls ni désordres?

Pombal , qui régnatt sur don Joseph en lui faisant peur des Jésuites , ne concevait pour sa vie aucune crainte personnelle. Il se jouait de ses victimes avec une froide cruauté , qui provoquait la vengeance ; la vengeance ne vint pas. Le Souverain-Pontife ne cessait de supplier le roi de savoir être juste envers les inno- cents comme envers les coupables ; Portibal répondit à ces prières par des proscriptions en masse. Le Pape , dévoué aux Jésuites , faisait toutes les concessions ; le ministre se roidissait dans son opiniâtreté. Le Saint-Siège traitait avec lui de puissance à puis- sance ; le Pape aurait eu le courage de mourir ; mais , croyant que la condescendar :e atténuerait des colères mal fondées , il s'efforçait de calmer l'irritition. Pombal affecta d'autant plus de violence qu'il semblait même à ses propres yeux être devenu un objet de terreur. Les craintes des autres firent que le ministre commença à se prendre au sérieux. Il menaçait, et on s*humiliait

Ces! au ridicule seul qu'il opparlicnt de faire Justice de pareilles inepties. Nous ne citons relie Icllre de Pombal , qui se conserve prc'cicuscuieiil à Li>l)ounc dans le quinzième registre des Ordres, de 1766 à 1768, que pour moiilrcr jusqu'à quel point la passion contre le Ji'suitc peut troubler quelques inlrlligences qui veulent avoir le mal de la peur.

DE LA COMPAGNIE DE JESL'S.

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devant lui ; il frappa, bien si\r <l';r,T.iice que le pardon 6!iil au boni de la plus insignifianle concession ou du remords le moins coMiprtniellant. .,,,,,, k .; *f ..^ ; .. , , ,,

Le Pape aimait les Jésuites; le ministre, qui, jusqu^au i"*' sep- tembre 1759, est resté irrésolu sur les mesures définitives qu'il adoplcta contre eux, se décide ù les faire jeter au rivage romain. A travers toutes les douleurs qu'un caraetère comme celui de Tom- bai peut susciter, le premier convoi d'exilés arrive à l'embouchure du Tage, l'attendait un navire de commerce, sans provisions et nullement destiné à recevoir un si grand nombre de passagers. Le pain et l'eau manquaient à '^^ssein; mais les flots ne secon> dèrent pas le projet du ministre. Le bâtiment fut obligé de relâ- cher dans les ports d'Espagne ; les vents contraires le poussèrent encore sur les côtes d'Italie. De partout il ne s'éleva qu'un cri de généreuse pitié en faveur de ces proscrits , bénissant la main qui les frappait. La charité fit renaître l'abondance sur le vaisseau ; elle rendit aux voyageurs l'énergie dont ils avaient besoin. Le 24 octobre 1759, ils débarquèrent à Civita-Vecchia au nombre de cent trente-trois. Ils avaient été reçus avec respect dans toutes les villes oij le navire fut contraint de faire relâche ; à CivitaVecchia on les salua avec admiration. Les magistrats se firent honneur d'c.itnurer de bons soins ces prêtres qui priaient encore pour leurs persécuteurs. Les Corps religieux leur offrirent une hospitalité toute fraternelle ; mais la réception des Domini- cains eut quelque chose de plus cordial encore. On les procla- mait les émules de la Compagnie de Jésus ; leur rivalité s'était montrée dans les tournois théologiques et dans les Missions, rivalité que la conscience et le talent inspiraient plutôt que la jaL isie. Il y eut tant d'unanimité dans l'accueil fait à ces pre- miers exilés annonçant de nouvelles teinpêtes, que les habitants de Civita-Vecchia consacrèrent sur le marbre , dans l'église des Frères- Prêcheurs , le passage des Jésuites. Les Dominicains eux-mêmes érigèrent un monument pour rappeler celte alliance contractée à la veille des désastres ' . D'autres navires , chargés

t l/inscriplioii des Frùrcs-Piùchcurti élail aiii^i connue :

D. 0. M.

Lusilauis Patribus Soiietalis Jcsu ,

ob Qravisgiinasainid Rvqciii calumiiias,

V. Il '

I r

I-

102

CMAI'. III.

iiiSTOinf:

(le Pérès de la Compagnie, partirent A diH'érenIcs époques pour les Etats ecclésiastiques. Le Pnpn était leur (iélcnseur ; Pombal, en encombrant la ville de Home ;lc celle multitude de bannis, espérait le faire repentir de sa justice et de sa pitié.

Tandis que l'exil ou la captivité s appesantissait sur les Profès ds rOidre , le cardinal Saldanha s'arrogeait le pouvoir de dis- penser de leurs vœux les jeunes Jésuites. L'éducation publique était comprofliise dans ses œuvres vives ; le ministre et le pa- triarche cherchèrent à provoquer des défections pour ne pas se trouver pris au dépoun'u. Ils en appelèrent aux caresses des familles, aux menaces de l'autorité, aux séductions de la patrie et de la fortune. Quelques-uns de ces novices se laissèrent gagner ; mais alors ces apostasies devinrent l'objet de l'animad- version universelle. Le peupb et les soldats de garde autour des maisons et des collèges accueillirent avec des huées ces hommes que l'imminence du danger effrayait, et qui ouvraient leur carrière par une lâcheté. Le plus grand nombre résista aux flat- teries et à Tintir lidation H y eut à Evora , à Bragance, à Coïm- bre surtout , ûes luttois oîi la franchise de la jeunesse l'emporta sur la prudence de l\c niAr. Un parent de Pombal, le Père Joseph de Carvalho , se mit à la tète du mouvement généreux qui entraînait les Jésuites non encore Profès à suivre le sort de leurs aînés dans l'Institut. Ils soutinrent le choc avec tant du courage, que les agents de Saldanha , vaincus, les reléguèrent dans les cachots. Ce qui s'accomplissait uu sein de la métropole se faisait simultanément sur tous les points de Mission. Chez les

pvst probosas iio*as.

iiiiilli|ili('csci-ui'ialu>,

boiioruin |)ublicalioiiein,

ail llulliB oruin aiiiaiiitalis ;

leri'A iiiaritiue

inlegi'iialc, |ialiuiMià, coiiitl.-Milia /' ■''

probuiibsnnis.

)n liAc Saiirli lloiiiiitiii ade (tNrcplis,

aniui M. iicc. I.IX ,

.'aires PrtPilii'utiiios,

clirUtianw Uilo iiitreiiiciiio cl lui) lie

et il stilu:o inleiili,

ipsique Sociclali Jesu

CI inajuiutii siioruin dcdflis

expmpliMjue <)«viiicti8simi ,

poiieiiilum curaruiii.

«•

UK LA COMPAtiME DR ii:AV9,.

163

(clives et .111 nr«'>sil, iiii Muinbar, sur la ctUo de Salseltn, partout rnlin les J«'>siiilRs nvaionl lertili."/; le désert, on les crdeva à jours travaux civiiisatcura. On les réunit à (îoa , les cupidités (lo Pomlial cuuimonçaient la spoliation du tombeau du saint i'Vaiivois Xavier ; puis , après les avoir entassés sur quelques galiotcs, on les laissa errer sur les mers.

L'Ordre de Jésus n'existait plus en Portugal ; le ministre poursuivait son œuvre : >'. chercbait par d'incessantes attaques contre le Saint-Siège à réaliser sa cbimère d'église nationale. Le schisme étail dans ses espérances; en étudiant les doctrines de Fra Paolo et de Giannone, il essaya de le faire passer dans les mœurs du peuple Là, il rencontra des obstacles devant lesquels son invincible ténacité se vit contrainte de reculer. Pombal avait (les magistrats complaisants, des Evoques dévoués jusqu'à la bassesse , qui lui arrangeaient un culte , qui traçaient au gré de ses désirs les limites du spirituel et du temporel ; mais ce n'est pas avec des légistes ou quelques prêtres courtisans que l'on change une religion. Le peuple était catholique, il répudiait avec tant d'énergie ce qui portait atteinte à sa vieille foi , que le ministre s'aperçut enfm de l'inutilité de ses tentatives. Elles lui servaient de contre-poids à Rome, il persévéra dans ses menaces. Rome, qui, en sa faveur, poussait la condescendance jusqu'à la faiblesse , recevait dans les Etats pontificaux les Jé- suites expulsés de Portugal. Sur le littoral de la Méditerranée, comme dans les cités maritimes de l'Espagne , les bannis avaient été salués en martyrs. Cet hommage inquiétait les orgueilleuses susceptibilités de Pombal ; les princes et les Catholiques avaient alors de lui l'opinion qu'un écrivain protestant devait exprimai* plus tard. « Les conséquences de cette destruction , soit t ï bien, soit en mal, dit Schœll*, nous restent ici étrangères. Sim- ple historien, nous allons rapporter les faits en tant qu'ils con- cernent le Portugal. 11 est vrai que ces faits ont été envelop- pés dans les ténèbres, et que plus d'une fois il est impossible de pénétrer jusqu'à la vérité. Néanmoins, malgré les ombres qu'on a épaissies autour d'elle , une chose est claire : c'est que les

< Cours d'histoire des Etats européens, t. xxxix , p. 50,

4-»

104

CHAH. III.

HISTOIHK

reproches fondés que Carvallio a pu faire à ces Pi'^res se rédui- sent A bien peu de chose. Le ministre s'est phis souvent servi (les armes de In mauvaise foi, de la calomnie et de l'exagération , que de celles de la loyauté. »

Pombal s'irritait du silence qiù se faisait autour de lui et des ovations de la charité accueillant partout les victimes de son arbitraire ; il crut qu'il modifierait le sentiment universel en livrant un Jésuite aux bûchers de l'Inquisition. Le Père Mala- grida lui était depuis longtemps odieux , ce fut A lui qu'il demanda compte de la réprobation dont les peuples le frap- paient. Gabriel de Malagrida était un vieillard presque octogé- naire. Né en Italie, le 18 septembre 1089, il avait passé dans les Missions la moitié de son existence. Rappelé en Portugal, il était, surtout depuis le tremblement de terre de Lisbonne, un objet de vénération pour les pauvres et pour les riches. Il vivait dans l'intimité de la famille des Tavora, mais cette liaison ne le constituait pas complice évident de l'attentat du 3 sep- tembre 1758. Pour l'y mêler, il fallait d'abord établir la pré- méditation , connaître les coupables , et procéder les |)reuves à In mnin. Pombal ne s'arrêta point à cea indispensables préli- minaires de la justice : il souhaitait que Malagrida et d'autres prêtres de l'Institut fussent les fauteurs du régicide, la sentence qu'il rendit le déclara. Le Jésuite devait périr avec ses coac- cusés, un caprice ministériel le réserva pour de plus longues souffrances. Malagrida languit trois ans dans les fers ; il y paraissait oublié, lorsque tout-à-coup Pombal se ravise. Le Père est sous le coup d'un arrêt de mort; en vertu du juge- ment, il peut être exécuté d'un jour à l'autre comme instiga- teur d'un attentat contre la vie du roi ; Pombal dédaigne cette première sentence. 11 a lui-même condamné Malagrida, il veut que l'Inquisition prononce à son tour sur ce vieillard. Il ne s'agit plus de régicide, mais de fausse prophétie et de dévote immoralité. On lui impute d'avoir, dans la solitude de son ca- chot , composé dc!X libelles, sur le Ilègne de l'Antéchrist, et la Vie de la glorieuse sainte j4mu-, dictée par Jésus et sa Sainte Mère.

Malagrida, infirme et captif, sans force, privé d'air, de

DR L.\ COMI'AIJMK W. JF.SUS.

165

lumière, d'encre, de plumes et de papier, était supposé se re- paître d'allucinations qui , relatées dans sun jugement, attes- tent bien plutôt un cerveau malade qu'un hérésiarque. Le manuscrit n'est pas représenté ; on cite quelques fragments de ces deux ouvrages, que le capucin Norbert arrangea pour la circonstance, et on appelle le Saint-Offîce à flétrir le Jésuite. Un des frères du roi était grand-Inquisiteur, il refuse de juger le délire ou l'innocence ; ses assesseurs l'imitent. Pombal saisit ce prétexte pour conférer la dignité de grand-Inquisiteur à Paul Garvalho Mendoza, son frère, qui fut au Maragnon l'en- nemi le plus implacable de la Compagni? de Jésus. Un nou- veau tribunal est formé. 11 n'a pas l'institution pontificale, il ne peut exercer aucun pouvoir juridique; mais Pombal lui a dicté ses ordres, le tribunal s'y conforme. Le Père Malagrida est déclaré auteur d'hérésie, impudique, blasphémateur et dé- chu du sacerdoce. On le livre au bras séculier, et il périt , le 21 septembre 1761, dans un auto-da-fé solennel. « L'excès du ridicule et de l'absurdité, dit Voltaire *, fut joint à l'excès d'hor- reur. Le coupable ne fut mis en jugement que comme un prophète, et ne fut brûlé que pour avoir été fou, et non pas pour avoir été parricide. »

Malgré Voltaire et cette inquisition de contrebande, le Jé- suite n'était pas plus insensé que parricide. Ses réponses devant le tribunal, le bâillon dont on couvrit sa bouche pendant le trajet funèbre, les paroles qu'il prononça sur le bûcher, tout atteste qu'il mourut comme il avait vécu, dans la plénitude de sa raison et de sa piété.

Âfm de braver le Pape jusque sur la Chaire apostolique, et de lui prouver que ses prières étaient aussi inefficaces que ses injonctions, Pombal avait jugé à propos de lui renvoyer dans un dénûment complet la plupart des Jésuites dont il confisquait les biens. Il en avait assez réuni dans ses proscriptions géné- rales pour essayer de fatiguer l'inépuisable charité du Pontife. Clément Xlll se montra toujours plein de dévouement; Pombal, en face des prisonniers qu'il s'était réservés, ne transigea ja-

de

' Œuvre» tic VolUirc, Sirdc de Louis AA , t. xxii, p. 331.

166

CliVl-. ill.

illSTOlKË

ii!

mais avec ses ciniaulcs. Le Pape et le minisire porfiigjiis reslc- rent dans le rôle qu'ils s'étaient tracé : l'un adoticissiiit des souiTrances imméritées , l'autre cherchait à les aggraver. Il avait fait abandonner sur les côtes d'Italie le trop plein de ses prisons ; les captifs qu'il garda assumèrent sur eux seuls les tortures dont il aurait voulu accabler la Compagnie. Il avait fait saisir dans les Missions plusieurs Pères français ou allemands; il conserva de préférence les Jésuites étrangers, car il espérait qu'aucune famille n'élèverait la voix pour les réclamer. Il les soumit aux misères de détail que la tyrannie la plus tracassière peut inventer. Il en avait retenu deux cents vingt-un dans ses chaînes : quatre-vingt-huit y périrent; d'autres furent arra- chés à sa barbarie par dona Maria, l'héritière du trône de Portugal; par Marie-Thérèse d'Autriche et par la reine de France ' . Il reste encore un certain nombre de lettres écrites par les Jésuites prisonniers de Pombal; toutes retracent les mêmes douleurs et la môme patience. Le protestant Christophe de Murr en a recueilli quelques-unes sur l'autographe latin ponr les reproduire dans son journal'. Nous lui empruntons celle que le Père Laurent Kaulen adressait de la tour de Saint- Julien au Provincial du Bas-Rhin.

« Mon Révérend Père,

» La huitième année de ma captivité est prête à Hnir, et y^ trouve pour la première fois l'occasion de faire passer celle lettre. Celui qui m'en a donné le moyen est un de nos Pères français, compagnon de ma captivité, et à présent libre par les soins de la reine de France.

» Je suis prisonnier depuis 1759. Enlevé par des soldais qui, lépée à la main, me conduisirent à un fort appelé 01»- reïda, sur la frontière du Portugal, j'y fus jeté dans un caclnil affreux, rempli de rats si importuns qu'ils infectaient mon lit et partagaient ma nourriture, sans que je pusse les écarter, à

* 1^ reine Marie Locziiiska, i^poiise de Louis XV, avait chni'Df^ le nmri|uis ili' Sriiiil-Priesl, aiiibissaileiinle France en Portugal, de r(^clumnr les JOsuitos riaiiiiii- (|uu Pdiiilial icienail captirs. Ce fut ainsi que les l'crcs Du (îjd, do itanieuu cl lo Fii'f»' Delsarl se virent dOlivrt*s.

5 Journal de la Littérature et des Jrts, t. iv, i>. 306.

Dii LA COMl'AUMt-: DE JESUS.

167

cause de robsciiritc du lieu. Nous étions vingt Jésuites rcn- fenncs chacun séparément. Les quatre premiers mois, on nous traita avec quelques égards ; après cela, on commença à ne nous donner d'aiiments que ce qu'il fallait pour nous empo- cher de mourir de faim. On nous enleva avec violence nus bréviaires et ce que nous avions de médailles, d'images de saints et d'autres meubles de dévotion : on voulut même arra- cher à l'un de nous son crucifix ; il fit une si forte résistance qu'on le lui laissa, et on ne chercha pas à exercer sur les autres une si indigne violence. Un mois après, on nous rendit nos bréviaires : nous souffrîmes dans ces cachots obscurs la faim et beaucoup d'autres incommodités : on n'y donnait aucun secours aux malades. Nous y étions depuis trois ans, lorsque, à l'occasion de la guerre qui survint, on nous en retira au nombre de dix-neuf : un de nous était mort. Nous traversâmes le Portugal escortés par des escadrons de cavalerie, qui nous conduisirent aux prisons de Lisbonne. Il nous prit en route, à trois Allemands que nous étions , une grande défaillance ; on nous fit passer la première nuit avec les prisonniers renfermés pour crimes. Le lendemain , nous fûmes amenés dans ce fort, qu'on appelle de Saint-Julien, sur le bord de la mer, je suis avec les autres Jésuites. Au moment je vous écris, notre prison est des plus horribles : c'est un cachot souterrain, obscur et infect, il n'entre de jour que par une ouverture de trois palmes de haut sur trois doigts de large. On nous y donne un peu d'huile pour la lampe, une modique et mauvaise nourriture , de mauvaise eau , souvent corrompue et remplie de vers; nous avons une demi-livre de pain par jour; on donne aux malades la cinquième partie d'une poule; on ne nous accorde les sacrements qu'à la mort, et il faut que le danger soit attesté par le chirurgien qui fait l'office de médecin dans notre prison. Gomme il demeure hors du fort et qu'il n'est permis à aucun autre de nous voir, il n'y a aucun secours spirituel ni corporel à espérer pendant la nuit. Les cachots sont remplis de quantité de vers et d'autres insectes, et de petits animaux qui m'étaient inconnus. L'eau suinte sans cesse le long des murs, ce qui fait que les vêtements et autres choses

108

CilAI*. III.

iiisl'Oliti!:

y pourrissent en peu de temps ; aussi le gouverneur du fort disait-il dernièrement ù quelqu'un qui me l'a répété : « Chose admirable! tout se pourrit promptement : il n'y a ici que les Pères qui s'y conservent. » A la vérité, nous paraissons con- servés par miracle, afin de souffrir pour Jésus-Christ. Le chi- rurgien s'étonne souvent comment plusieurs malades d'entre nous se guérissent et se rétablissent ; il avoue que leurs gué- risons ne sont pas l'effet des remèdes, mais d'une vertu divine. Quelques-uns recouvrent la santé après les vœux qu'ils ont faits; un de nous, prêt à mourir, fut subitement guéri, après avoir pris de la farine miraculeuse de saint Louis do Gonzague ; un autre tombé en délire, dans lequel il jetait les plus horri- bles cris, se rétablit tout d'un coup après quelques prières dites auprès de lui par un de ses compagnons ; im autre, après avoir reçu la sainte Eucharistie , se trouva sur-le-champ sou- lagé et fortifié dans une maladie qui l'a réduit plusieurs fois à l'extrémité. Le chirurgien, qui a vu cela, dit ordinairement t (I Je sais le remède de celui-ci : donnez-lui le corps de Notre- Seigneur pour l'empêcher de mourir. » 11 en est mort un dont le visage a pris un éclat qu'il n'avait pas pendant sa vie, en sorte que les soldats et les autres qui le contemplaient ne pou- vaient s'empêcher dédire : « Voilà le visage d'un bienheureux. » Témoins de ces choses, et fortifiés par le ciel en d'autres ma- nières, nous nous réjouissons avec ceux d'entre nous qui meurent, et nous envions en quelque sorte leur destin, non parce qu'ils sont au bout de leurs travaux , mais parce qu'ils ont remporté la palme. Les vœux de la plupart sont de mourir sur le champ de bataille. Les trois Français qui ont été mis en liberté en ont été tristes , regardant notre position plus heu- reuse que la leur. Nous sommes "dans l'affliction, et cependant presque toujours dans la joie, quoique n'ayant pas un moment sans quelque souffrance et presoue nus ; il y en a peu d'entre nous qui conservent quelques lambeaux de leurs soutanes. A peine pouvons-nous obtenir de quoi nous couvrir autant que la modestie l'exige. Un tissu de je ne sais quel poil à pointes aiguës nous sert de couverture, un peu de paille est tout notre lit; elle pourrit en peu de temps, ainsi que la couverture, et

DE LA COMrAGMË DE JËSLS.

16V>

nous avons bien de la peine à en obtenir d'iiuti'c; ce n'et^t souvent qu'après ei^ avoir manqué longtemps.

» 11 ne nous est permis de parler à personne; et personne ne peut parler et demander pour nous. Le geôlier est d'une dureté extrême et s'étudie à nous faire souflrir; il nous dit rarement un mot de douceur et paraît ne nous donner qu'avec répu- gnance les choses dont nous avons besoin. On oft're la liberté et toutes sortes de bons traitements à ceux qui voudront ab- jurer l'Institut. Nos P^res qui étaient à Macao, et dont quel- ques-uns ont déjà enduré avec courage, parmi les infidèles, les prisons, les fers et des tourments souvent réitérés, ont été aussi amenés ici ; et il a été, ce semble, plus agréable à Dieu de les voir souffrir en ce pays, sans l'avoir mérité, que de mourir pour la Foi chez les idolâtres. Nous avons été dans ces cachots vingt-sept de la province de Goa, un de la province de Malabar, dix de celle de Portugal, neuf de celle du Brésil, vingt- trois de celle de Maragnon, dix de celle du Japon, douze de la province de Chine. Dans ce nombre, il y avait un Italien, treize Allemands, trois Chinois, cinquante-quatre Portugais, trois Français et deux Espagnols. De ce nombre , trois sont morts et trois ont été mis en liberté.

» Nous restons encore soixante-seize ; il y en a d'autr s en- fermés dans les tours; mais je n'ai pu savoir qui ils sos.t, ni en quel nombre, ni de quel pays. Nous demandons aux Pères de votre Province des prières pour nous, non pas comme des hommes à plaindre, puisque nous nous estim ;- heureux. Pour moi, quoique je souhaite la délivrance de mes compa- pagnons de souffrances, je ne changerais pas mon état avec le vôtre. Nous souhaitons à nos Pères une bonne sanlé et le bon- heur de travailler courageusement pour Dieu dans votre pays, afin que sa gloire reçoive autant d'accroissement qu'elle reçoit ici de diminution. >

« De la prison de Saint-Julien, sur le bord du Tage, le 12 octobre 1766.

» De Votre Révérence le très-huu)ble et très -obéissant serviteur.

» Lal'rem Kaiilen, captif de Jésus -Christ. »

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170

ciiAi'. m.

HlSTOIliE

D'autres lettres sont ;iussi éloquentes de douleur , aussi ma- gnifiques de courage chrétien. Ces Jésuites, dont le nombre décroissait chaque année , étaient pour Pombal une satisfaction de tous les instants. Il se délectait à les voir souffrir comme ii aimait à réaliser des projets auxquels le sang versé paraissait être a insurmontable obstacle. Il avait rêvé, dans les premiers jours i^e sa puissance, le - ^ariage de son fils avec une Tavora. Un r^fus entraîna peut-être les malheurs que; nous venons de racnnît f Pombal avait brisé cette illustre famille, il voulut que sou îiis réalisât le plan fornié dans sa tète. L'enfant du boun<^an épousa la fille des victimes. Pombal avait tout fait pour rendre impossible aux Jésuites leur réintégration dans le royaume. En 1829, lorsqu'on les y rappela, le marquis de Pombal et la comtesse d'Oliveira , les deux héritiers du ministre portugais , les reçurent à leur arrivée. Ils les comblèrent de témoignages d'aiTectueux regrets, et les trois premiers enfants présentés aux Pères depuis leur retour en Portugal , furent les arrière-petits- fils de l'homme qui travailla le plus activement à la destruction des Jésuites '.

La facilité avec laquelle il avait pu tromper son roi , éluder

1 Quelque chose inaii(|uei'ail a ro récit, si nous ne donnions pas un Tragment d'une lellie éirile de lii ville (le Pornl»»l |,ar le Père Delvaux, qui, en 1829, fui chargé de léinslallor les Josiiii'-» en Poriugal. Les restes mortels du ijrand viar- 9///S n'avaient pas encore été iJep\>^é8 dans le tombeau (|uc, suivant ses dernières volontés, sa famille lui lit ériger à Oeyras. Le cercueil, couvert d'un drap funèbre, était confié ii la gank des Franciscains. Le Père Delvaut raconte les tristes vicissitudes qu'éprouvu ce cercucd pund.uit les guéries de la Péninsule , puis il ajoute ':

<c II faut remarquer que Pombal est la première population du diocèse de Coïivibre, du côté de Lisboiine. Or. l'Evéquc de Coimbre avait envoyé l'ordre à toutes les pa.'oisscs que nous devions traverser de nous recevoir en triomphe. C'est donc à la lettre iiu'il avait fallu me dérober au tiiomplie pour couiir à Saint- François; mais c'était un besoin du cœur. Je ne saurais rendre ce que j'éprouvai en olfraiil la victime de propiliaiioii. l'Agnean qui pria sur la croix pour ses bour- reaux , en l'oflrant pour le rep"s >le l'Ame de don Sébastien «Jarvalbo. inoquis de l'oiiibiil, curporc prtsscnlv! !t y avait donc cinquante ans (|u'il a'U'iidait la, au passage, celte Compagnie revenant de l'exil auquil il l'avait si duroiiieiit coii- dainine, t-i dont , nu rc^le, lui même hi:iU prédit le icSour.

» Pcndanf (|uc je sviiisrai>uis à ce devoir religieux, le triomphe (lu'oti nous forçait d'ucccpler, je voulais dire endurer, ébranlait toule la ville cl ses environs; tontes les duchés soiiiiaient; le prieur, archi-prélre, venait protcssioÉiiicllement chercher nos Pères pour les conduire a IVglise ou tout était illuminé. C'était co:iime un songe. »

La vengeance des Jésuites ne pouvait pas, en effet, être plus complète. Ils se déro- baient à l'ciilhousiasiiic dont ils devenaient l'objet à Pi>mbal , pour se recueillir et prier en sileuce sur le tuuibeau non encore fermé du ministre leur ennemi.

DK I.A COMI'.Vr.MK 1)K JKSt S

ni

les prières on les décrets du S!iint-Siét,'o, et iirriver j)res(|iic sans opposition au renversement de la Société t!« Jésus, tut un en- couragement pour les adversaires qu'elle comptait en Europe. Pombal avait réussi par des moyens coupables : les Phdosoplies, les Jansénistes et les Parlementaires blâmaient sa froide cruaulé, son despolis^nie inintelligent; mais, forts de l'expérience tentée, ils commenvaieiit à espérer qu'avec des mesures moins acerbes ils pourraient parvenir au même but. La chute des Jésuites dans le rojaume Irés-fidéle réveilla les haines. On ne songea pas à les tuer ; on crut que la calomnie sutVirait pour s'en débar- rasser. On attisa contre eux cette guerre de sarcasmes ou d'invraisemblances qui avait eu ses intermittences , mais qui alors se développa dans toute son extension. Depuis l'origine de la Société, il y avait tradition, chaîne non interrompue de libelles et de mensonges. On exhuma ce vieux passé d'impos- tures. Les Protestants avaient commencé, les Jansénistes en- chérirent encore. Il est impossible de ramasser toutes ces hontes de la pensée ; mais l'histoire se voit condamnée à enregistrer celles qui sont pour ainsi dire légales. Avant d'tnlrer dans le récit des événements relatifs à la France , à l'Espagne et à l'Italie, il faut donc s'arrêter à quelques faits qui portent leur enseignement avec eux.

Les Jésuites étaient les infatigables tenants contre le Protes- tantisme. En 1G02, au moment oii Henri IV se disposait à les rétablir, le Synode calviniste assemblé à Grenoble prend la ré- solution d'employer tous les moyens de s'opposer à leur retour. L'Histoire du P. Henry , Jésuite^ brûlé à Anvers le 12 août 1601, sort des presses hérétiques. Elle est b ntôt répan- due en France. Le Père Henry avait commis tous les crimes, elle titre du livre annonçait que « cette histoire était tournée 'le flamand en français. » Le roi et les Jésuites établissent une eiKjiiéte dans toutes les Flandres. Il n'a jamais été (piestion ni de cet auto-da-fé ni du Jésuite. Guillaume de Bergues, Evoque d'Anvers, constate le mensonge. Il en fait retomber la confusion sur les sectaires, » gens accoutumés, selon lui , à ijromouvoir leur Evangile par telles feintes. » Les magistrats de la ville le Père Henry était né, il avait prêché, il venait d'être

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CIIAr. m. HISTOIHE

brûlé, déclarent que ces événements ne sont qu'un tissu de fa- bles. Ce Père était un être de raison. Les hérétiques procla- maient qu'il se nommait Henry Mangot, fils de Jean Mnngot, fourbisseur; les magistrats attestent que, « de mémoire d'homme, il ne s'est fait à Anvers punition du crime abominable dont on accusait le prétendu Père Henry, qu'il n'y a jamais eu à Anvers de Jésuite du nom de Henry Mangot, et qu'entre les bourgeois d'Anvers il n'y a jamais eu de nommé Jean Mangot, même du métier des fourbisscurs. »

L'ioiposture était confondue : elle lit la morte pour se réveil- ler qua.nd les animosités seraient plus vivaces. Elle reparut en i .58, comme si un siècle et demi auparavant elle n'avait pas été »?craséc sous le poids des preuves juridiques. Le fait du Père Henr^ >;;ut notoire. Au moment de la suppression, on l'évoqua contre les Jésuites, il en fut de même pour la mort et pour l'hé- ritage d'Amhroisc Guis.

En 1716 un artisan de Marseille, nommé Esprit Bérengier, et Honoré Guérin, prêtre interdit par son Evêque, arrivent à Brest. Ils annoncent qu'ils viennent réclamer une fortune de plus de deux millions qu'a laisser un de leurs parents, Ambroise Guis, mort, selon eux, à Brest en 1701. Leurs démarches n'a- boutissent à aucun résultat. Personne n'a vu, n'a connu cet homme si riche. L'autorité locide n'en a jamais entendu parler. Deux années s'écoulent, et en 1718 les Jésuites du Collège de la Marine sont tout-à-coup accusés d'avoir attiré dans leur maison Guis, qui débarquait malade, et de l'avoir dépouillé de son tré- sor. Guis, disait-on , avait été tuô chez les Jésuites, et l'abbé Ro- gnant, recteur de la paroisse de Saint-Louis, avait fait transpor- ter le cadavre à l'hôpital, il fut inhumé.

L'imputation était grave. Les Jésuites réunissent les éléments qui peuvent la détruire. Le gouvernement, de son côté, charge Le Bret, premier président du Parlement d'Aix, d'informer. Ce magistrat, qui était en même temps intendant de la province, fail mterroger à Marseille les parents d'Ambroise. Ils racontent que Guis, tombé dans la misère et déjà vieux, s'embarqua pour Alicnte en loGl, et que, par divers rapports, il était venu à leuc connaissance qu'il n'avait pas été plus heureux en

DE LA COMPAGNIE DE JESUS.

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Espagne qu'en France. Le premier président écrit à Aliennte : il en reçoit cet extrait mortuaire ' : « Ambroise (îuis, Français (le nation. Le vendredi 6 novembre 1605 on enterra le susdit dans cette église pour l'amour de Dieu, et tout le clergé y as- sista en exécution de l'ordonnance et décret du Grand-Vicaire forain de cette ville d'Alican'.s et de son territoire. » Cet acte, dont copie authentique et légale était certifiée par trois notaires et par le consul français, renversait l'échafaudage de succession si péniblement dressé contre les Jésuites. On avait ajouté foi aux insinuations de la malveillance, on se tut devant cette preuve irrécusable. Les héritiers d'Ambroise Guis avaient évo- qué l'affaire au Parlement de Bretagne. Le 11) février 1724 « la Cour, fîùsant droit sur les charges, informations et requêtes des Pères Jésuites d* Brest, les a envoyés hors l'accusation, sauf à eux à se pourvoir pour leurs réparations, dépens, dommages et intérêts, »

Cette fable avait eu le sort de tant d'autres : elle était depuis longtemps oubliée ainsi que la succession d'Ambroise Guis; mais contre les Jésuites la calomnie ne subit jamais de prescrip- tion éternelle. On a toujours une heure elle peut abuser d'autres générations. Pombal était dans le feu de ses violences. Il parut en France un écrit destiné à réveiller cette affaire. 11 avait pour titre : Arrêt du conseil d'Etat du roi qui condamne tous les Jésuites du Royaume solidairement à rendre aux héritiers d^^mbioise Guis les effets en nature de sa succession, ou à leur payer, par forme de restitution, la somme de huit millions de livres. Le 3 mars 4759 cet arrêt fut signifié aux Jésuites de Paris. L'audace de ceux qui l'avaient fabriqué était grande ; mais à cette époque le pouvoir s'enfonçait dans des voies qui le conduisaient à l'opprobre et au suicide. Circonvenu par tant de corruptions avouées ou secrètes, il ne .e trouvait encouragé que pour faire le mal. Une trame habilemeit ourdie avait essayé de séduire la probité du secrétaire de la chancellerie ; cette trame fut déjoué». Le 30 mars le conseil d'Etat annula l'édit supposé, et on lit dans ses registres : « Sa Majesté a estimé ne devoir pas laisser subsister la signification d'un arrêt qui n'a

' Archive; l'c la pa^.)i8:^c Sainle-Maric, p. 2.18.

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CHAP, lU. HISTOIRE

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jamais été rendu, et il est de sa justice de faire punir sévèrement ceux qui seront convaincus d'avoir eu part à la fabrication du prétendu arrêt et de l'avoir imprimé, vendu, débité ou autrement distribué en public •. »

A Brest, à Paris, on accusait les Jésuites de vol et d'homi- ciao. Vers la même époque la Provence retentissait d'inculpa- tions non moins délicates contre l'honneur d'un Père de la Compagnie. Jean-Baptiste Girard, recteur du Séminaire royal de la Marine, à Toulon, était un prêtre pieux, ma's crédule. 11 fut trompé par les enthousiasmes d'une jeune iillo portant au plus haut degré la passion d'une célébrité de dévote. Catherine La Cadiérc feignait des extases. Elle avait reçu les stif;males , comme sainte Catherine de Sienne. Elle écrivait de^ leltros brûlantes de la plus haute spiritualité, comnac sjjnte Thé- rèse, et le Père Girard prêtait une oreille docile à ces récits de visionnaire. Sa foi fut si entière qu'il ne soupçonna que deux ans après l'erreur dans laquelle cette jeune fdle le faisait tom- ber. Par une candeur inexcusable le Jésuite s'étiUt fourvoyé dans un labyrinthe de mysticisme non sans péril pour le direc- teur et pour la pénitente. Il fit retraite, et dans une lettre aussi convenable que sage-' il engagea La Cadière à choisir un autre confesseur. Cet abandon froii^sa l'irritable vanité de la jeune il- luminée. Il dérangeait les calculs de ses deux frères, qui rédi- geaient sa correspondance, et qui, quoique prêtres, cherchaient à abuser de la crédulité d'un autre prêtre. Catherine était re- poussée par un Jésuite : elle dut nécessairement chercher sa vengeance chez les Jansénistes. Elle s'adressa à un Carme nommé le Père Nicolas , fervent disciple de Quesnel. C'était le temps des convulsions et des miracles du cimetière de Saint- Médard. Les philosophes commençaient à ne plus croire en Dieu; les sectateurs du diacre PAris acceptaient plus facilement que l'Evangile toutes les merveilleuses absurdités s'improvisant à son tombeau. La mode était aux possessions: La Cadière feint d'être possédée du démon. Le Père Girard a exercé contre elle

*si

> l.'auluiir (Im fauT fut anviL'; il se lua lui-iiiôiiiecn prison. ' (ii'tle W Ire a ('<10 proiluilu au pi'uccs de La CluJiiMe, tlunt un a eu l'arl de former six volumes iii-13.

m hh COMPAGNIE OB JKSUS.

175

tant (le sortilèges et d'enchantements qu'elle s'avoue inliintitidc. F.e crime se mêlait à l'imposture religieuse. Le Janséniste comprit que sa secte tirerait bon parti de cette femme, entraînée par la vengeance jusqu'au sacrifice de son honneur. La cause est portée devant la grand'chambre du Parlement d'Aix. Catherine, soumise à une minutieuse instruction , se trouve en face de ma- gistrats que ses visions n'éblouissent guère. Arjourd'hui elle ac- cuse le Jésuile, le lendemain elle rétracte ses dires. Giraïd pour elle est tantôt un homme de mœurs exemplaires et de solide piété, tantôt un ange déchu. Dans cette confusion de récits, le Parlement hésitait. La cornspondance de Girard avec La Cadière fit cesser ses doutes. La conviction de ce Jésuite s'y révélait à chatpie mot : on l'y trouvait toujours simple et crédule, mais aussi toujours chaste et pieux.

Cet étrange procès était un coup de partie pour les ennemis de la Société de Jésus ; on l'exploita de toutes les manières * . Le pamphlet et la chanson, le raisonnement et l'injure, ladèhancc janséniste et le sarcasme philosophique, tout fut mis enjeu. On annonça même que le Père Girard avait été brûlé vif à Aix, comme sorcier et quiétiste. On s'efforça de tenir en haleine toutes les passions. Enfm , ce drame qui a fait couler tant de flots d'encre , se termina , le 40 octobre 4731 , par un arrêt ainsi conçu : « Dit a esté que la cour, faisant droit sur toutes les fms et conclusions des parties, a déchargé et décharge J.-B. Girard des accusations et crimes à lui imputés, l'a mis et met sur iceux hors de cour et de procès. »

Les Jansénistes n'étaient plus dangereux , ils avaient perdu leurs homme:, de génie ; personne ne remplaçait cette génération ties Arnauld , de Pascal , de Sacy et de Nicole. L'intrigue suc- cédait au talent, l'hypociisieà la Foi. L'autel élevé par des mains

' Calhcrine ses dei" frcios el le (' 'ine no furciil p«iiil mis en juQcnieul ; la sccio Jiiii.sciiiil les o\»il ailiiplcs, el alors elle (luininuil ; iimis l'Evi>(|ue de Toulon, l.u Tour du I'. I Moiitaubiiii, duiis sa dt^|io>tlioii Oci'ilc el duns un nicrnoire oïlressé nu Pai'Ieinciit, dcilai qu'ayant inicrdil lu Cainie Nicolas el le Jacobin Ca<li('ie, |ioui' avoir f<iiljauer |>ubliquciiient à lu jeune Oailiore des scènes de possédée, ces deux moines revii'.renl le letidviiiain prier le pri lai de leur rendre des pouvoirs ou de les ùler au Pore Girard. Ce (lue l'Evéque ayani refusé, ils lui déclarèrent qu'ils porleraient l'airaire en jusiice; qu'ils avaient de quoi perdre le Père (jirard; cl qu'on leur proinèllail (|iie rien ne leur nianquerail s'ils voulaient Tenlreprendre ; qu'on leuroflVait pour cela cinquante mille livres.

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CHAP. III - HISTOIRR

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puissantes s'aiïaissait sous le ridicule; les Jiuisénistes ne pou* valent plus rien par eux-rnAmes, ils cruroni qu'ils seraient plus heureux en se donnant un Jésuite pour complice de leurs mi- racles. En 1 732, au moment le procès de La Cadière finissait, comme tout finit en France , par la lassitude , les Jansénistes inventèrent que le Père Chamiliard était mort à Paris en appelant de la bulle Unigenitus. L'appel était la parole sacramentelle de l'époque, le mot d'ordre soutflé aux factions. Au dire des sec- taires, dont les gazettes étaient les porte-voix, un combat s'était livré sur le cercueil de Chamiliard , que se disputaient les deux partis, et la cause du Jansénisme avait enfin triomphé. Le Père Chamiliard , mort en odeur de sainteté hérétique , avait été déposé dans une cave ; de , il exhalait un tel parfum , que son intercession avait Ip vertu de guérir toutes les maladies du corps et de l'esprit. Il y a des hommes qui ont pour principe de croire h l'impossible. Un enfant de Loyola, devenu disciple de Jansénius, était quelque chose de si étrange, que tous les adeptes s'empressèrent d'y ajoule» foi; mais le Père Chamiliard, qui n'était ni mort ni pariitai* lie VAugustinus, ressuscita tout-à- coup, et, le 15 fé'iiw i'î32, il écrivit une lettre se terminant ainsi: H est évident, p;ir ce qui vient d'arriver à mon égard, qi^e si les Jésuites voulaient se rendre appelants de la Constitu- tion , dès-lors ils deviendraient tous de grands hommes et des hommes à miracles, au jugement de ceux qui sont aujourd'hui si acharnés à les décrier, comme je le suis devenu un moment sur le bruit de mon prétendu appel. Mais nous n'achetons pas à ce prix les éloges des novateurs. Nous nous croyons honorés par leurs outrages, quand nous faisons réflexion que ceux qui nous déchirent si cruellement dans leurs discours et dans leurs libelles, sont les mêmes qui blasphèment avec tant d'impiété contre ce qu'il y a de plus respectable et de plus sacré dans l'Eglise et dans l'Etat. »

Ce que le Jésuite disait en 1 732 sera vrai tant qu'il y aura des partie dans le monde. Il mettait le doigt sur la plaie vive de toutes les oppositions; cela n'arrêta point les Jansénistes dans leurs attaques. L'Ordre de Jésus était en butte à tous les coups. Mille accusations du genre de celles que nous avons retracées

DE LA COMPAGNIE DE JÉSJJS.

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SR roiioiivt'Iuicnt ilans les royaumes calholiqties '. La paix et le li(>iili< itr 'iiihlaiont devoir partout renaître , si enfin la proscrip- tion atteignait l'Institut Je saint I|^nace , le seul obstacle ;i la concilialion des esprits. Prolestants, Encyclopédistes, Univeii-i- taires , membres du Parlement ou sectateurs du Jansénisme , tous sortis d" camps si divers , se réunissaient dans <\e pensée (commune; cbacun s'apprêtait à écraser les .Ié<' ir pré-

parer le triomphe de sa cause. Un événemen. lia

prise à toutes Ips espérances, et oflrit une réalu les

accusations ; cet événoi lent fut la banqueroute du i'ure uava- letfe.

* Vert iiuiiio lt>iii|)sii peu prà, en 4738, il iiVtRit bruit ii Kruxelles eldnn» loule lu IHoique (|ac d'une sutiiniu An 100,000 lloriiiH «-xloniui'ii , disail-on , it iiiie ilniiic Viaiii'ii |iai' le l'ore Juiisseiis, Jtsuile de Bi'uivlli'S. Le Conseil souverain de Hrajmiii en ju|)ea iMiIrenienl; il iliUUra le Josnile inMiireul et exempt 4le tout ro- (iroclie. Oc, à ((iieliiues anin'os d'inlervallc, en 1740 , niouriiil , u l'Ih'ttel-l lieu de Piiiis, un lluriiiind noiunu^ JusM! Derousen ; cl sur son iii df mort , après avoir reçu los derniers ^URreinenls, il ili^i luinil , devum Iuh prOIres -vicaires dudil IiùimIuI, MM. LiinoRes, prctre; de Ponnniinac, proire ; Viaiioz, pri''l!e ; Cussai , preire- rappuiteur, avuir fait depuis peu de jours un iV^il , sinnO et racheli' de sa propre main, au dus duquel il uvait mis: i mir le Conseil souverain de Rruhaul. Ledit écrit fui euvoyt», avec le procos-verbal des témoins, au Conseil souve- rain de lirubanl où, suivant la volonté expresse du déclarant, il fui lu en pleine <.éanre dovaid deux notaires. Il contenait une réli'aclalion du faux lémoignane porlé par Icdil .losse Demosen dans le procôs intenté ])ui' la dame Viaiicn contre le l^'ie .liiiissens, Il coniniencHit aiubi : ' Messieurs, Dieu m'ayanl fui cunnalln- par la voie dt' SCS ministres el encore |i|iis par sa (în'ice l'injure (|ue je lui ai li. u , le domiiiage que j'ai causé a nioii proclinin el le coup mortel que j'ai porté n mon i\tt\'.: par lu Uu\ I '.'noi|;nu|>,e «pie j'ai tendu au sujet des :!0O,OOO llorins.... el C4)nv:iincu par le siiini Evanuile, que je ne saurais lieu alleuiire de la iniséricorde du Mci|;nciir, ni avoir la nmiudrc part ii la rIouc <le ses Uis, si je ne rélraclais ( > que l'ai rnnsscmenl avancé a>cc serment ; ji- le réli acl> .,' mon plein (^ré. ...» Ut plus bis :<< .le vous prie, Messieurs, de icjjaidcr h déclaration que je lis alors devant .M. Du tiliaisiie , rapporteur, cumim; faus"' el extorquée par sollici- laliuns, etc., cle. »

Toujours la même marche el les mêmes moyens contre les Jésuiles : des ca- lomnies alroics, appuyé) s sur des taux lémoiQiiaQes cl des parjure».

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CHAP. IV. IIISTOfHE

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CHAPITRE IV.

Causes de la destruction des Jésuites en France. Opinions des écrivains proles- lanls. Louis XV, rt Voltaire roi . Coalition des Parlements, des .lansénisles et des Philosophes contre la Société. imputations qu'on lui adresse. Les conrusseurs de la famille royale. Portrait do Louis XV. Allentat de l)a- miens. Madame de Pompadour veut faire amnistier ^a vie passée par un J)<- suile. -- Le Père de Sacy et la marquise. Elle négocie b Home. Sa lettre confidentielle. Le Pbre de Lavalette )i la Murtinique. Il est dénoncé pour fait de négoce. L'intendant de la Martinique prend sa défente Encoura- gements qu0 lui donne le ministre de la marine. De retour aux Antilles, La- Valette achète des terres h la Dominique. Ses travaux et ses emprunts. Son commerce dans les ports de Hollande. Les corsaires anglais capturent ses vaisseaux. Les traites du Pl>re Lavaleitu sont protesiées. —Les Jésuites ne s'accordent pu sur les moyens d'apaiser ce scandale. Ils sont condamnés ii payer solidairement. Question de solidarité. Ils en appellent des tribu- naux consulaires au Parlement. Les Visiteurs nommés pour la Martinique. Accidents qui les retiennent. Le Père de La M4rche parvient eniln aux An- tilles. '^ \\ JMge et condamne Lavalelle. Sa déclaration. •>■ Les créanciers au Parlement. Le maréchal de Belle-lsie et le duc de Choiseul. Caractère de ce dernier. Sa lettre à Louis XVI sur les Jésuites.— De la question de faillite le Parlement remonte aux Constitutions de l'Ordre. Les Congrégations supprimées. Arrêt du 8 mai 1761. -r- Le Conseil du roi et le Parlement '. om- ment, chacun de «on côté, uqe commission pour l'examen de l'Institut. Chau- velin et Le Pelletier Saiiit-Furgeau. Rapport de Chauvelin. -^ Le roi ordonne de surseoir. Le Parlement élude l'ordre. Le Parlement reçoit le procureur- général appelant de toutes les bulles , biefs , en faveur des Jésuites. Arrêts sur arrêts. Les Jésuites ne se drfenticiit pas, Louis XV consulte les Evéqucs de France sur l'Institut. Leur réponse Cinq voix de minorité demandent quel(|uc8 niodlilcations. Les Jésuites ftnit une ili'clurulion; ils aditcrcnl à rtinseisnemcni des Ountie-arlicles de 1G83. Concession innliie. I.c roi annule toutes les procédures enlaméis l'ainpldels contre lit Société de Jésus.

F.vtraits des Assertions Les Jcsuitis cxpulOs de leurs colligi's Assen.- Iiléc extraordinaire du Clergé de France L'u>senildée se pro'iuncc on luveiir des Jésuites. Sa lettre au roi. VulLiirc et d'Alenihert. Les Parlements de province. Li Chulutais , UuJon cl Moiitl>r, proiureuru-géiiéraux de Hennés, de llordenux et d'Aix. Leuis rompies-reutius Situation des Par- lementa de province La majorité et lu minorité. Le présiilvnl d'Eguilles et ses mémoires inédits. Le Purlonient de Paris pmuonce ton aritM de dçktrui tiun i!e II Compagnie— Les Parl-meuts do Kranche-Ciimté et de Lorrraine, les cours souxcraine.sd'Alsaïc, de Flandie et d'Artois s'up|ui!ieiil à l'expulsion des Jésuites.

l'ontlsiation des biens de lu Suciitr*. l'ttihiun fjite n\i\ Jé.suiles. Juge- n)<>nt i|ue portent les Protestants sur cet at rit. Proscription des Jésuites Causes de la prosiriplion.— Sclia'll et La Mi'iiiiiiis.— Cliiii>tii|ihv de Keaumont, ar- t'tievéi|ue de Paris, et sa lettre pa.-'torale sur h-s Jésuites. Colùie du Paileineid.

CIn istoplie de Heauniont cité à lu barre. Su lettre brûlée pur lu main du bourreau. Les Jésuites forcés d'opter entre ruimslusie el l'exil. (jn(| sur i|ualre niille. Letire des confesseurs d>' li f.iniillt! royale o Louis XV. Sa répi)n.«e. Le Dunpliin uu CooFeil.— Eilil ilu rni qui restreint l's arrêts du Parlement. Clément XIII el la biilli; .-tposfolicinu. Les Jé.uilisen Espa- gne. — Charles III les défend contre Ponikil. L'émeute des Citapeaux apai- sée par les Jésuites. Kesseutiincnt du roi d'Espagne Le lumte d'Aranda devient ministre.— Le duc d'Albe, inventeur <lc l'empereur Nicolas 1". Les historiens protestants racontent de ((uelle manière ou indisposa Charles 111 contre

DE LA COMPAGNIK DR JE8US.

479

ii(lei<t eut à liii v»m . Asseii.- luveiir emciiis m lie Par- ues et uiliuii cours suites. JuBO- iles oui, ar- li'ineiil. min du iii| sur -Sa vis «lu Es|)a- aiiai" Araiiila Les contre

|;i Sui iiMé. Les lettres apocryphes. Choiseul el d'Aranila. -^ La wnlenca du (JMucil. extraordinaire. Mystérit>use (rame contre les Jësuilet. Ordre du roi ilonntf k tout ses omciers civils el militaires pour enlever let Jésuites k la niônio heure. Les, Jésuites arrôli^s en Espagne, en Amérique et aux Indes»

Ils ob(<issont.— Le Pcre Joseph Pignalelli.— Clément XIII supplie Charles III de lui faire connaître les cautei de celte grande mesure. Réticence du roi, son oitstin ilion. Bref du Pape Leit Jésuites jetés sur le territoire romain.

Cnuscs qui les en font repousser. -^ Protestant contre CaihcMque. Let Jé- snileg àNuplet. Tanucci imite d'Aranda. Les Tesuilet proscrits. —On les r\piil.>e de Parme et de Malte. Clément XIll proclame la déchéance du duc lie l'aime. La France s'empare d'Avignon , Naplet de Bénévent el de Ponte- CiM'vo. Menaces du marquis d'Aubeterre a», nom de CJioiseul. —Courage du Pape. Sa mort.

Afin d'apprécier avec équité les événements qui vont précipiter en France la chute de l'Ordre de saint Ignace, il faut se placer nu point de vue protestant. Dans ce fait de la destruction des Jé- suites il y eut, sans aucun doute, des causes accessoires, des mo- biles subalternes, des intérêts accidentels ; mais celui qui pré domine fut incontestablement le besoin qu'avaient toutes les sectes combinées d'isoler le Catholicisme et de le trouver sans défenseurs au moment elles l'attaqueraient à fond. Les écri- vains calvinistes ou luthériens ont parfaitement saisi cette situa- tion. Schlosser écrit* : « On avait juré une haine irréconciUable » In Religion catholique, depuis des siècles incorporée à l'Etat. . . Pour achever celte révolution intérieure et pour ôter à l'antique système religieux et catholique son soutien principal, les di- vorscs cours de la maison de Bourbon, ignorant qu'elles allaient inetire par l'instruction de la jeunesse en des mains bien dif- féronlfis, se réunirent contre les Jésuites, auxquels les Jatsé- nistes avaient fait perdre dès longtemps, et par des moyens sou- vrnl équivoques, l'estime acquise depuis des siècles. »

Ce n'est pas le seul témoignage que rende à la vérité l'école pr.>liistante. Schœll s'exprime ainsi * : « Une conspiration s'était forniée entre les anciens Jansénistes et le parti des philosophes ; ou plutôt comme ces deux factions tendaient au même but, elles y travaillaient dans une telle harmonie qu'on aiArait pu croire qu'elles concertaient leurs moyens. Les Jansénistes, sous l'ap- parence d'un grand zèle religieux, et les philosophes, en affî- ciiant des sentiments de philanthropie, travaillaient tous les deux

' Histoire des révolutions politiques el littéraires de l'Europe au àix-hui- tihne siècle, 1. 1, par Schlosser. professeur d'histoire h l'université de Heidelberg. ^ Cours d'histoire des Etats européens, t. y.hi\,f,H. . , ■\>..,f\.

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CHAP. IV. HISTOIRK

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au renversement de l'autorité pontificale. Tel fut l'aveuglement (le beaucoup d'hommes . bien pensants qu'ils firent cause com- mune avec une secte qu'ils auraient abhorrée s'ils en avaient connu les intentions. Ces sortes d'erreurs ne sont pas rares ; chaque siècle a la sienne... Mais, pour renverser la puissance ecclésiastique, il fallait l'isoler en lui enlevant l'appui de cette phalange sacrée qui s'était dévouée à la défense du trône pon- tifical , c'est-a-dire les Jésuites. Telle fut la. vraie cause de la haine qurn voua à cette Société. Les imprudences que commi- rent quelques-uns de ses membres fournirent des armes pour combattre l'Ordre, et la guerre contre les Jésuites devint popii- pulaire ; ou plutôt, haïr et persécuter un Ordre dont l'existence ter"«t à celle de la Religion catholique et du trône devint un titre qui donnait le droit de se dire philosophe. »

Les écrivains protestants tranchent la question. D'après eux, les Jésuites ne furent calomniés et sacrifiés que parce qu'ils étaient l'avant-garde et le corps de réserve de l'Eglise. L'ani- mosité et la passion ne s'attachèrent à les détruire qu'au moment il fut démontré que rien ne pourrait les séparer du centre d'unité; on ne les accabla que lorsqu'il fut avéré qu'ils ne tran- sigeraient jamais avec leur devoir de prêtres catholique.^» lis te- naient en main les générations futures, ils entravaient I ive- incnt imprimé. Rien d'hostile au Saint-Siège, et , pir con.-v^({ncnt, à la Religion, ne pouvait réussir tant que les Jésuites seraient pour d(ijoucr les complots de la pensée om pour rompre le faisceau de haines que l'on s'efforçait de grossir en les agglo- mérant. Les Jésuites étaient inébvanlables dans leur foi. Ils re- poussaient toute idée de conjuration menaçant l'autorité spiri- tuelle. Ils vivaient sans demander à des utopies politiques le dernier mot de la royauté. On conspira contre eux; on les dé- clara coupables puisqu'ils refusaient de s'associer aux trames enveloppant le Saint-Siège et les monarchies. « Dans toutes les cours, au dix-huitième siècle, dit Léopold Ranke ', se formè- rent deux partis, dont l'un faisait la guerre à la Papauté, à l'E- glise, à l'Etat, et dont l'aulre cherchait à maintenir les choses

Histoire (ff la Pnpmih-, \. iv, p. A8C.

DE LA COMPAUMIK DE JKSUS.

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telles qu'elles étaient et à conserver la prérogative de TEglisc universelle. Ce dernier parti était surtout représenté par les Jé- suites. Cet ordre apparut comme le plus formidable boulevard des principes catholiques : c'est contre lui que se dirigea immé- diatement l'orage. »

L'orage s'était amoncelé de plusieurs côtés à la fois. Vieilles inimitiés, jeunes espérances , illusions philanthropiques, songes décevants , ambitieuses pensées , tout se coalisait pour précipiter la ruine des Jésuites. Les Encyclopédistes suspendirent leurs feux croisés contre les disciples de Jansénius ; il y eut trêve entre eux parce qu'ils avaient un même ennemi à étoulfer. Les uns oublièrent leur foi parlementaire, les autres leur rancune philosophique; tous ensemble ils s'acharnèrent sur la Compagnie. Elle avait en face d'elle de redoutables athlètes, il n'était ce- pendant pas impossible de leur résister ; mais, au moment du combat , les Jésuites se virent trahis par le gouvernement. Alors, saisis de ce vertige qui s'emparait de toutes les tètes , ils s'aban- donnèrent eux-mêmes. Le pouVoir et l'autorité morale ne rési- daient plus dans la royauté ; ils ne se concentraient pas dans les grands corps de l'Etat. "

Au milieu de ses insouciants plaisirs et du profond ennui qui l'accablait , Louis XV prenait à tâche d'avilir la m;>jesté du trône. H la déconsidérait par ses faiblesses, il la déshonorait par ses mœurs. Comme à Louis XIV, son aïeul , il lui avait été donné de voir sr.rgir autour de lui d'illustres capitaines, de sa- vants et vertueux prélats , des hommes de génie qui , en étendant le cercle des idées, pouvaient produire dans les intelligences un mouvement pacifique vei'S le bien. L'incurie du prince fit tourner ces avantages contre la Religion et contre la monarchie. Louis XV n'osa pas être le roi de son siècle , Voltaire usurpa ce glorieux titre ; il fut en réalité le maître de ses contemporains.

C'était l'esprit français élevé à sa dernière puissance , et , dans son éternelle mobilité, ébranlant, plutôt par saillie que par conviction , tout ce qui jusqu'à ce jour avait été saint et honoré. Voltaire s'était imposé une mission qu'il remplissait en faisant servir à ses fins le théAtre et l'histoire , la poésie et le roman , le pamphlet et la plus active de loutcs les correspondances. Ré-

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CHAI'. IV. IIISIOlItK

formateur sans miaulé, bienfaisant par naUuo, sopliislu par entraînement , adulateur du pouvoir par caractère et par calcul , hypocrite sans nécessité, mais par cynisme, cœur ardent qui se laissait aussi vite emporter par un sentiment d'humanité que par lui blasphème , intelligence sceptique qui aurait pu avoir l'or- gueil du génie, et qui se contenta de la vanité de l'esprit, Vol- taire réunissait tous les contrastes. Avec un art merveilleux il savait les approprier à toutes les classes. 11 corrompait parce qu'il devinait que la corruption était l'élément de cette société du dix-huitième siècle, encore si élégante à la surface, et néan- moins si gangrenée i l'intérieur. Il la résume dans ses ouvrages, il la reflète dans sa vie , il plane sur elle dans les annales du monde. Les rois et les ministres , les généraux d'armée et les magistrats , tout se rapetisse à son contact. Depuis h régence do Philippe d'Orléans jusqu'aux premiers jours de la Révolution française, tout se donne la main pour former cortège ii cet homme , qui entassa tant de ruines autour de lui , et qui régne encofé par sa moqueuse incrédulité. Voltaire avait fait les hom- mes de son temps à l'image de ses pussions : il se créa le dis- tributeur de la célébrité. La science, b talent, les services rendus au pays furent peu de chose tant qu'il ne vint pas les consacret" par son suffrage. La France et l'Europe se prirent d'UÉi ^1 enthousiasme pour un homme qui immolait sous une i^aillerie la vieille Foi et les gloires nationales. Puis , quand le fiie ou rindîfférênce eurent légitimé celte souveraineté. Voltaire laissa à ses adeptes le soin d'achever l'œuvre de destruction.

L'ascendant que le patriarche de Ferney exerçait sur son siècle eut quelque chose de si prodigieux qu'il fit accepter comme intelligences d'élite cette cohue de médiocrités vivant l'esprit des autres et exagérant leurs haines. Voltaire, élève des Jt'siiites, se plaisait à honorer ses anciens maîtres. H les savait tuléraiils et amis des lettres : il n'aurait jamais songé à les sacrifier aux Parlements et aux Jansénistes , dont la morgue revêche et le rigorisme d'apparat n'allaient point à son caractère. Gepciulant , pour arriver au cœur de l'Unité catholique , il fallait passer sur le corps des grenadiers de l'Eglise. Voltaire immola son affec- tion pour les Jésuites au vaste plan que lui et les siens uvuiont

IIK LA CUMI'AUME lll:; JESUS.

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conçu. Ils voulaient rcrancr t'infdme, mot d'ordre cpouviiii- table qui retentit si souven'; au dix-huiliômc siècle. Les Jésuilcs seuls s'opposaient à lu réal.sation de leur pensée : les Jésuilrs se virent en butte à toutes les attaques. D'Alembert les poursuivit avec le raisonnement, Voltaire avec l'artillerie de ses sarcasmes, les Jansénistes avec leur infatigable inimitié. On mina le terrain sous leurs pieds , on les représenta sous les traits les plus dis- parates : ici on leur accorda une fabuleuse omnipotence , on les fit plus faibles qu'ils n'étaient en réalité. Les ennemis de l'Eglise se portèrent les avocats des privilèges épiscopaux. On enrégimenta dans cette croisade contre la Société toutes les passions et tous les intérêts. BuiTon dédaignait de s'y associer. Montesquieu, en 1755, mourait chrétien entre les bras du Péro Bernard Routh ; mais ces deux écrivains, isolés dans leur gloire, ne se mêlaient que de loin au tumulte des idées. On respecta leur neutralité. Il n'en fut pas de même pour Jean-Jacques Rousseau. Le philosophe de Genève était à Tapogée de son gé- nie. Du fond de sa solitude, cet homme, pour qui la pauvreté fut un luxe et un besoin, s'était créé une immense réputation. Les adversaires de la Société cherchèrent à l'attirer sous leur bannière. Jean-Jacques, comme beauccjp d'esprits éclairés, se prononçait toujours en faveur des opprimés. <? On a sévi contre moi , dit-il dans sa lettre à Christophe de Beaumont , pour avoir refusé d'embrasser le parti des Jansénistes et pour n'avoir pus voulu prendre la plume contre les Jésuites , que je n'aime pas , mais dont je n'ai pas à me plaindre, et que je vois persécutés. » Ces exceptions ne modifiaient pas le plan tracé , elles n'em- pêchaient point d'Alembert de mandéf à Voltaire ^ : « Je ne sais ce que deviendra la Religion de Jésus; mais, en attendant, sa Compagnie est dans de mauvais draps. » Et, lorsque la coalition a triomphé, d'Alembert laisse échapper le cri de la philosophie, le dernier vœu qu'il a contenu jusqu'au jour de la chute de l'Ordre de saint Ignace. Les Encyclopédistes ont terrassé le plus ferme appui de l'Eglise, voilà le plan qui se déroule sous leur plume. D'Alembert écrit au patriarche : « Pour moi, qui vois

Œuvres complètes «le Voltaire, t. xlviii, p. 300. Lettre du 4 mai 1793.

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CIIAI'. IV.

IllSTOlKl!;

tuiit en co moment couleur ilc rose, je vois d'ici les Jaiisénisles mourant l'unnéc prochaine de leur belle mort, uprès avoir liiit périr celte année-ci les Jésuites de mort violente , la tolérance s'établir, les Protestants rappelés, les prêtres maries, la con- fession abolie et le fanatisme écrasé sans qu'on s'en aperçoive. »

S'il eût été donné à l'homme de prévaloir ainsi contre la Ueligion catholique, jamais il n'aurait pu trouver de circon- stances pins favorables à ses desseins, et cependant l'Eglise a survécu à cette longue tourmente qui, née au souffle de Voltaire, tombera d'épuisement sur l'échafaud de la Révolution.

En 1757 l'on n'apercevait que le beau côté du rêve anti- chrétien. Les Encyclopédistes le poursuivaient en tuant la So- ciété de Jésus; les cours judiciaires, en sapant l'autorité royale. Les questions religieuses se confondaient avec les questions politiques. Le Parlement de Paris s'était vu exilé en 1753; et, pour offrir à sa vengeance une victime que personne ne lui dis- puterait, il accusa les Jésuites de ce coup de vigueur. Les Jésuites, disait-on, inspiraient à la reine et au Dauphin des sentiments de répulsion contre la magistrature; ils gouvernaient l'archevêque de Paris, ce Christophe de Beaumont qui poussa la vertu jusqu'à l'audace; ils disposaient de Boyer, ancien Evêque de Mirepoix, chargé de la feuille des bénéfices * . Ils nourrissaient chez le

' Le Pcre P<'ru>seau, coiiresseur du roi , élanl mort en 17.13, on forma une ligue pour riiluver CCS fondions aux Jt^suiles. L'ancien EvCque de Mirepoix s'y opposa ; vl, dans les archives du Gesii , à Rome, il existe une lellre de ce prOlal au Gdnt^iul de rinslilul, dans laquelle on lit : » Je n'ai pas grand m(^ri(c dans re que je viens du faire pour votre Compagnie, 6m\ Boyer le 16 juillet 1753. Il fallait ou abandon- ner la Rvlioion , dOjà trop «ïbranli'e dans ces temps fâcheux , ou placer un Jésuite dans le po«te en question. J'ai suivi mes inclinations, je l'avoue; mais iri le de- voir parlait bivn aussi haut quA'inclinalion. Cesl votre gliiire et en munie temps votre consolation qu'au moins, dans les circonstances présentes, l'apparence seule d'une diF|{rAce pour la Compagnie en eût été pour ainsi dire une véi iluble pour l> ncliQion. Les Jésuilcs exclus de la pince, le Jansénisme triomphait, et, avec lu Jansénisme, une troupe de mécréants, qui n'est aujourd'hui que trop nombreu>e

Le l'crc Unuphre Desmarelz succéda au Vbre Pérusseuu. D'après ces dates, re- levées sur les archives de la CompaQuie de Jésuc, d'après celle li-lire do l'Iiivéque de .Mirepoix , i|ui les confirmerait au besoin, il devient bien diflicile il'efpliqiicr h* mol qu'au tome iv, page 32 de son Histoire de France pendant le dix hnitiàmn niidv, M, Lacrelelle allribue à Louis XV. Kn parlunt de la sécularisation des Jé- suites, ordonnée par le Parlement , il raconte : » On croyait le roi fort ngiié ; il alfeclade montrer l'indinorcncc la plus apaHiique. << Il sera plaistiut, d'sait il, do voir en abbé le Père Pérusseuu. » Or, l'arrêt du Parleniont est de 1762, neuf ans après la mort de ce Jésuite. Le comte de Saint-Priest, qui, A In pai;c 52 de sa Chute des Jésuites, reproduit le mé:ne mol, tombe dans la même erreur.

DE LA COMrAr.MK DE JESUS

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comte d'At'gcnson des prevenlinns (|iic les Pniienieiits ne son- geaient pas à justifier ; ils régentaient le maréchal de Bellc-lsie, vaillant capitaine , habile diplomate et ministre qui ne transigea jamais avec son devoir; ils dominaient Machault et Paulmy; ils ini]uiétaient la conscience du roi; ils tenaient la marquise du Pumpadour en échec au pied de leur confessioimal. Tout-puis- sants à la cour et dans les provinces , ils enrayaient le mouve- ment que , par des motifs divers , les tribunaux , les Jansénistes et les Philosophes cherchaient à imprimer. Quelques-unes de ces allégations n'étaient pas sans fondement. Louis XV, vieux avant l'âge, dégoûté de tout, aspirant au repos, et, afm de se le procurer, fermant l'oreille ù tout bruit sinistre ; Louis XV n'a- vait plus même assez d'énergie pour imposer sa volonté. Es- prit lucide au milieu de la voluptueuse apathie à laquelle il s'était laissé condamner, il voyait le mal, il indiquait le remède; mais il ne se sentait pas la force de l'appliquer. La monarchie devait durer autant que lui, son égoïsme royal n'allait pas au delà, il vivait entre la débauche et le remords, quand, autour de lui, sa famille et tous les cœurs généreux ne cessaient d'exposer le tableau des misères matérielles et morales qui accablaient la France.

Le Parlement était disgracié lorsque, le 5 janvier 1757, un homme frappe le roi d'un coup de poignard. Cet homme a serv'i comme domestiqua chez les Jésuites d'abord, chez plusieurs parlementaires ensuite. Il est Janséniste ardent : les Jansénistes s'empressent de porter l'attentat au compte des disciples de saint Ignace. L'occ-«sion de remettre en lumicrQ les doctrines de régicide attribuées à la Société de Jésus se présentait tout naturellement : personne ne s'en fit faute. Voltaire seul recula devant cette calomnie, 3t, en écrivant à Damilaville, un de ses proxénètes d'impiété, il disait *■ : « Mes frères, vous devez vous apercevoir que je n'ai point ménagé les Jésuites ; mais je soulè- verais la postérité en leur faveur si je les accusais d'un crim'e dont l'Europe et Damien les ont justifiés. Je ne serais qu'un vil écho des Jansénistes, si je parlais autrement. » Les Jansé-

> Œuvres de Voltaire, Lettre du 3 mars 1763.

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CHAI'. IV.

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liislus n'curunl [kis cette loyauté. La blessure de Luiiis XV l'avait disposé nu repentir; ù peine guéri, il rentra sous le joug de la marquise de Ponipadour.

Cette femme n'avait jamais eu qu'une seule passion : elle aspirait à gouverner la France comme elle régentait le rui. Les Philosophes et les Jansénistes s'étaient fait d'elle un bouclier. A l'abri des adulations dont ils l'enivraient, on les voyait ob- tenir partout droit d'impunité et propager leurs principes dans toutes les classes. Madame de Pompadour aurait depuis long- temps marché de concert avec les Jésuites si ces inventeurs de la morale relArhée eussent eu pour le prince ainsi que pour elle les accommodements de conscience dont Pascal leur avait fuit un crime. Elle n'ignorait pas les sentiments de la famille royale à son égard : elle voulut les réduire nu silence. Aiin de recon- quérir l'estime dont son âge mûr commençait à éprouver le be- soin, elle essaya d'implorer au tribunal de la pénitence une sau- vegarde contre le mépris public. Tout-à-coup elle aiVichc des dehors de piété ; elle a un oratoire. Sur sa toilette on voit suc- céder aux romans licencieux de Crébillon, aux poésies erotiques de Gentil-Bernard, les livres des ascètes les plus consommés. Elle feint môme un rapprochement épistolaire entre elle et Lenor- mand-d'Etioles, son mari. Cette hypocrisie ne trompant per- sonne, madame de Pompadour croit nécessaire de jouer son rùle jusqu'au bout. Les Jésuites ont la confiance de la famille royale : Louis XV les estime, la marquise résolut de s'adresser à eux. Le Père de Sacy avait été le guide spirituel de son ado- lescence. Elle, espéra que ce souvenir l'amènerait à une transac- tion avec sa conscience. Apres avoir combiné ses artifices, elle sollicite des entrevues particulières, elle les btient, et pendant deux années elle lutte avec Sacy, tandis que le roi, de son côté, livre les mêmes assauts à la fermeté de son directeur. L'abso- lution que Sacy déniait à madame de Pompadour, les Pères Pérusseau et Desmarctz la refusaient à Louis XV. Le scandale était public ; mais le roi, mais la marquise, mais la plupart des courtisans, savaient alors le voiler de spécieux prétextes. Les Jésuites n'ignoraient pas à quel péril leur Compagnie s'exposait. Madame de Pompadour pouvait apaibcr l'orage, ou tout au niuius

IIK I.A ('.OMI*.\(JMK DE JKSl'^.

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cri fliiiortii' les coups. Hioii iic (léloiinia Sacy, IViiisseim i.-l Dcs- inarelx de la ligne de leurs devoirs. La iriarqiiise n'avait pu enlacer les Jésuiles dans ses filets, elle imagina (pic le Saiiil- Siége serait plus facile (pic ces inlrailablcs casiiistcs. Par l'in- termédiaire d'un agent secret, elle fit mettre sous les yeux du Pape une note ainsi conçue ' :

# Au commencement de 1754, déterminée (par des inolils dont il est inutile de rendre coniple) à ne conserver pour le roi que les sentiments de la reconnaissance et de rattache- ment le plus pur, je le déclarai à Sa Majesté en la suppliant de faire consulter les docteurs de Sorbonne, et d'écrire à son con- fesseur pour qu'il en consultât d'autres, afin de trouver les moyens de me laisser auprès de sa personne (puisqu'il le désirait), sans être exposée au soupçon d'une faiblesse que je n'avais plus. Le Roi , connaissant mon caractère , sentit qu'il n'y avait pas de retour à espérer de ma part , et se prêta à ce que je désirais. Il fit consulter des docteurs, et écrivit au Père Périisseaii , le- quel lui demanda une séparation totale. Le Roi lui répondit ((u'il n'était nullement dans le cas d'y consentir, que ce n'était pas pour lui qu'il désirait un arrangement qui ne laissât point de soupçon au public; mais pour ma propre satisfaction; (|iie j'étais nécessaire au bonhenr de sa vie , au bien de ses alVaires; que j'étais la seule qui lui osât dire la vérité, si utile aux Rois, etc. Le bon Père espéra dans ce moment qu'il se ren- drait maître de l'esprit du Roi , et répéta toujours la niènie chose. Les docteurs firent des réponses sur lesquelles il aurait été possible de s'arranger, si les Jésuites y avaient consenti. Je parlai dans ce temps à des personnes qui désiraient le bien du Roi et de la Religion ; je les assurai que, si le Père Pcrusseau n'enchaînait pas le Roi par les sacrements , il se livrerait à une façon de vivre dont tout le monde serait fûché. Je ne persuadai pas, et l'on vit en peu de temps que je ne m'étais pas Ironiiiéc. Les choses en restèrent donc (en apparence) comme par le passé jusqu'en 1755. Puis, de longues réflexions sur les mal- heurs qui m'avaient poursuivie, même dans la plus grande Ibr-

1 Maiiusci'ilg ilu duc de Choi-cul.

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CHAH. tV. lllâiOlHK

tune , lu certitiidu ilu n'i^trc jamais licurciiso par les biuns du inot II!, |)uis(iiic aucuns no m'avaient nian({u6 et (|ue je n'avais |)U parvenir au bonheur, le ilélacliement des ilioses (|ui m'a- nnisaient le plus, tout mo porta ù croire (pie le seul bonheur était en Dieu. Je m'adressai au Père de Sacy, comme ù l'Iiommu le plus pénétré de celte vérité ; je lui montrai mon Ame toulo nue : il m'éprouva en secret depuis le mois de septembre jus- (pi'à la lin de janvier 1751). Il me propo a dans ce temps d'é- crire une lettre à mon mari , dont j'ai le brouillon (pi'il écrivit lui-même. Mon mari refusa de me jamais voir. Le Père me lit demander une place chez ta Reine pour plus de décence ; il lit changer les escaliers (pii donnaient dans mon apparteniitut, et le [lui n'y entra jdus ipie par la pièce de compagnie. Il mu prescrivit une règle de conduite que j'observai exactement; ce changement lit grand bruit à la cour et ù la ville : les intrigants do toutes les espèces s'en mêlèrent ; le Père de Sacy en fut en- touré, et me dit qu'il me refuserait les sacrements tant que je serais ù lu cour. Je lui présentai tous les engagements qu'il m'a- vait fait prendre , la différence que l'intrigue avait mise dans sa façon de penser. 11 finit par me dire : « Que l'on s'était » trop moqué du confesseur du feu lloi quand M. le comte du » Toulouse était arrivé au monde, ( t qu'il ne voulait pas qu'il U lui en arrivikt autant. » Je n'eus rie i à répondre à un sembla- ble motif, et, après avoir épuisé tout ce que le désir que j'avais de remplir mes devoirs put me faire trouver de plus propre à le ]iersuader de n'écouter que la Religion et non l'intrigue, je ne le vis plus. L'abominable 5 janvier 1757 arriva, et fut suivi des mômes intrigues de l'année d'avant. Le Roi fit tout son possi- b'(3 pour amener le Père Desmaretz à la vérité de la Religion : I s mêmes motifs le faisant agir, la réponse ne fut pas différente, et le Roi, qui désirait vivement de remplir ses devoirs de chré- lii/n , en fut privé , et retomba peu après dans les mômes erreurs , d.)nt on l'aurait certainement tiré si l'on avait agi de bonne foi. » Malgré la patience extrême dont j'avais fait usage pendant ilix-huit mois avec le Père de Sacy , mon cœur n'en était pas moins déchiré de ma situation ; j'en parlai à un honnête homme en qui j'avais confiance : il en fut touché , et il chercha les

DR LA COMPAf.NIR DR JASUS.

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moyens dn In fiiirn rosser. Vn nblté de sos nmis , niissi snv.int (|irinti>llignnl , exposa m.i position i^ un lioininc fsiit uinsi r|ii(> lui ponr la juger ; ils pensèrent l'un et l'imtre que ma conduite ne méritait pas la peine que l'on me faisait éprouver. En con- séquence, mon confesseur, après un nouveau temps d'épreuve assez long, a fait cesser cette injustice , en me permettant d'ap- procher des sacrements ; et , quoique je sente quelque peine du secret qu'il faut garder ( pour éviter des noirceurs à mon con- fesseur ), c'est cependant une grande consolation pour mon Ame,

» La négociation dont il s'agit n'est donc pas relative à moi , mais elle m'intéresse vivement pour le Roi, ù qui je suis aussi attachée que je dois l'être ; ce n'est pas de mon côté qu'il faut craindre de mettre des conditions désagréables ; celle de retour- ner avec mon mari n'est plus proposahie, puisqu'il a refusé pour jamais, et que par conséquent ma conscience est fort tran- quille h ce sujet : toutes les autres ne me feront aucune peine ; il s'agit de voir celles qui seront proposées au Roi , c'est aux persofmos habiles et désirant le bien de Sa iMajesté à en recher- cher les moyens.

» Le roi, pénétré des vérités et des devoirs de la Religion, désire employer tous les moyens qui sont en lui pour marquer son obéissance aux actes de religion prescrits par l'Kglise, et principalement Sa Majesté voudrait lever toutes les oppositions qu'elle rencontre à l'approche des sacrements ; le roi est peiné des diflicultés que son confesseur lui a marquées sur cet article, et il est persuadé que le Pape et ceux que Sa Majesté ve"t bien consulter h Rome, étant instruits des faits, lèveront par leur conseil et leur autorité les obstacles qui éloignent le roi de remplir un devoir saint pour lui et édifiant pour les peuples.

» Il est nécessaire de présenter au Pape et au cardinal Spi- nelli la suite véritable des faits, pour qu'ils connaissent et puis- sent apporter remède aux difficultés qui sont suscitées, tant pour le fond de la chose que par les intrigues qui les suscitent. »

Le Pape n'avait rien à voir dans ces scrupules des Jésuites, révélés avec une si perfide candeur par madame de Pompadour elle-même; il devait les consacrer comme les approuveront tous les cœurs honnêtes, à quelque cuHe qu'ils appartiennent. C'é-

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CIIAP. IV.

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fait renverser les projets d'avenir de la marquise, ne lui laisser que la honte d'un échec ou la perspective de triompher de» rc|)ugnance$ de la famille royale, en se vengeant de Talfront qu'elle sub-ssait. Madame de Pompadour ne recula pas. Les événements de Portugal faisaient déborder en France les iniuii- tiés que la Société de Jésus s'était attirées. Il y avait recru- descence de haines, parce que chacun comprenait que l'irrita- tion de la marquise était un levier dont il importait de profiter. Le T'arlement voyait les Jésuites se défendre à Lisbonne avec tant de mollesse, qu'il jugea que ceux de France n'auraient pas plus de courage humain. Us tombaient à la voix de Pombal, dans un pays tout leur était dévoué; qu'allaient-ils devenir dans le royaume très-chrétien , une coalition d'intérêts réunis- sriit le ministère, les corps de Magistrature, les Jansénistes et les Philosophes, c'est-à-dire la force légale et les accapareurs de l'opinion publique? Un prétexte seul manquait pour mettre en mouvement tant de mauvais vouloirs ; le fait le plus inattendu le provoqua.

Antoine de Lavalet'e résidait à la Martinique. en qualité de supérieur-général. Issu de la famille du Grand-Maître de Mallo, qui illustra ce nom, le Jésuite, témoin de l'état de pénurie au- quel étaient réduits les Missionnaires, conçut le projet d'y remé- dier. Né le 21 octobre 1707 près de Saint-AlTrique , il partit pour les Antilles en 1741. La carrière des Missions allait à son rar.ictère entreprenant; il la remplit pendant de longues an- nées; puis, en 1753, il fut tout-à-coup dénoncé au gouverne- mont comme se livrant à des actes de négoce'. Rouillé, mi- nistre de la ma'ine, et le Père Visconti, Général de la Compagnie, lui intiment l'ordre de revenir en France pour se justifier ; niais tlnrson, intendant des îles du Vent, se constitue le défenseur

I.o Porc Lavalettc . comme tous les Procureurs des Missions, comme tous les (olmi», vuiiiliiilou <^iliai)(;eui( eu Fiaiicu lesuire, rnidiQo , le calé elles aulies (leiirét's (|ue p'oduisaieni les terres appurlenaiil aux maisons qu'il iliritjcail. Comme DIX encore, il avait en France îles correspondants qui achetaient leurs lu'uiluits oi| leur faisaient pa.ser en CilDiiQe les denrc^es ou marcliandiser. d'un uulre genre, telli-s que farines , \iiis, ioiles, (MolPes. Ce besoin dVchanQc i^taltlis>ail des niiérations coniineiciulei. îles comptes cnurants et un roulenieiit de fonds plus ou (iioins important. Mais ces Irnnsactiuiis se réduisaient n vendre le produit des terres pour acheter d'unlres ohjels de première uicessilt'. Jusque-là il n'y avail lUtnc rien d'illicile.

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DE LA COMPAGNIE DE JESUS.

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ntViciel du Jésuite. En date de la Martinique, il écrit au chef de l'Institut le 17 septembre 1753: ! .

« Mon très-révérend Père. "

» Je vous avoue que j'ai été extrêmement surpris, ainsi que tous les honnêtes gens de ce pays, d'un ordre que nous avono reçu de renvoyer en France le Révérend Père de Lavalctle, et cela sous prétexte de commerce étranger. 11 y a trois ans que M. de Bompar et moi nous gouvernons cette colonie, et, loin (l'avoir eu la moindre suspicion contre !e Père de Lavalette à ce sujet, nous lui avons toujours rendu la justice la plus complète sur cet objet, ainsi que sur les autres qui regardent son minis- tère. Il a eu ici des ennemis qui ont tant crié auprès du ministre, qu'ils ont surpris l'ordre en question :

» 1" Je commence par vous assurer et vous jurer que jamais le Père de Lavalette n'a, de près ni de loin , fait le commerce étranger. Ce témoignage lui sera rendu par M. de Bompar, par moi et par tous les gens en place. Vous y pouvez compter, ot vous pouvez parler haut dans cette occasion, sans craindre d'avoir du dessous et du désagrément, parce que, plus les choses seront éclaircies, plus son innocence et la méchanceté horrible de ses accusateurs seront éclatantes.

» Il n'y a point d'exemple que dans ce pays on se soit Qonduit ainsi vis-à-vis d'un homme en place et d'un supérieur. On examine auparavant; on se fait rendre compte des faits. Je conclus de que le ministre , qui est rempli de justice et d'é- quité , a été surpris. Si les soupçons ou les imputations étaient suscités par les chefs du pays , cela mériterait attention ', mais lorsque les accusateurs n'osent pas se nommer, il me semble qu'on doit aller doucement, et vérifier auparavant.

» J'ajouterai à tous ces motifs la considération que mérite une Société comme la vôtre , et le bien infmi que je lui vois faire ici, par l'usage que vos supérieurs, et surtout le Père (juillin et ensuite le Père de Lavalette, ont fait du bien de h Mission , pour rendre service à quantité d'honnête» gens qui , sans eux , auraient été bien embarrassés. Si je n'étais sûr de l'innocence entière du Père de Lavalette çt de sa conduite , je

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OHAP. IV. HISTOlItE

puis VOUS assurer que je ne parlerais pas si affirmativement. » Le Père Le Forestier, Provincial de France, recevait dans le même temps des lettres semblables. Toutes attestaient que La- valette n'exerçait aucun négoce prohibé. Il était aimé h la Mar- tinique ; il s^y rendait utile ; on jugea convenable de l'y ren- voyer. Ce fut peut-être une faute, car dans ces matières le soupçon seul vaut preuve contre un Jésuite. La faute commise, le Père Lavalette devait renoncer à tout commerce illicite , s'il en avait entrepris déjà , ce qui parait improbable , ou ne pas se laisser tenter par son caractère. Il ne sut point se tenir dans la réserve qu'une pareille leçon lui imposait. Chargé tout à la fois du spirituel et du temporel , il ne chancelait pas sous cette double tâche. LMnsoucinnce dans les affaires chez les Jésuites était si universellement reconnue * , que la plupart de leurs maisons se trouvaient obérées. Celle de Saint-Pierre de la Mar- tinique avait une dette de 435,000 livres tournois. Âfm d'amé- liorer les terres et de les mettre en valeur , il songea à donner une plus large extension à l'agriculture. 11 acheta des nègres ; il multiplia ses engagements ; il devint en peu de temps le pins intelligent et le plus téméraire des colons. Sa prospérité égala son audace. 11 avait fait appel au crédit; d'abondantes récoltes couronnèrent ses espérances; elles lui permirent d'éteindre une partie des dettes, ou de faire face aux emprunts par lui contractés. ,

A son retour à la Martinique au mois de mai 1755, Lava- lette s'aperçut que l'administration du temporel avait souffert de son absence; il répara ces pertes, et, comme si son voyage ù Paris , ses entrevues avec le ministre et les encouragements qu'il lui avait accordés donnaient à son esprit quelque chose de plus vivace encore, Lavalette réalisa les grands desseins que son imagination avait si longtemps caressés. Ce ne fut plus

> Le premier prcsidcnl, Guillaume de Lamoignon, disait souvent Il Taiidrait traiter les Jésuites comme des enfants, et leur nommer un curateur. »

Un Jésuite, h propos m<>me de Lavalette , confirme les paroles du premier prési- dent. Le Fére Balbani, à la page 53 du Premier appel à la raison, juge ainsi les Procureurs de l'Ordre : « Pour un Prociu'eur des Jésuites industrieux , arlifel in- lellieent, il y en- a cent qui n'ont pas les premières notions des alTaires. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à voir leur vie. Ils passent dans un confessionnal le limps que d'autres Religieux passeraient dans le cellier ou derrière des valets de charrue. Ceci suit dit sans déplaire b personne, ce n'est point notre intention. »

5^ DK LA COMPAGNIE DE JêsÙs. ' ~ 103

seulement sur les provenances liés bietis de la niaisoh qu'il voulut opérer; ses instincts de spéculateur à*étâîent dévelop- pés ; il réalisa l'achat de terres immettsès à la tloiiiihiqUë. Pdùt les défricher et les exploiter, il rassembla dèyx tHîlle Nêgrès. Lavalette avait eu besoin d'un million ; stiti Médit était si bièH établi a Marseille ei dans les aUtfes clléS maritlriies , ijiie des négociants lui en firent l'avance. Il entrait d^îis une voie péril- leuse; il y entrait sans l'appui de ses supérieurs, sJJcliàht d'une manière certaine qUC cet appui lui serait toujours déftiè ; mais , fort de son activité , Lavalette s' étourdissait sur l'àvèhîr. Con- centrant dans ses lïiaîns tous les pouvoirs , séparé de la riiétro- [)ole par l'Océan , il n'avait â redouter aucune surveîllaUcé im- portune. C'est dans Cet abandon que l'Institut a' péché ; cair, si le supérieur eût eu à ses côtés un Jésuite fèrhiè et prévoyàiït , qui aurait répondu de ses actes ainsi que de sa vie, â coup sitr il ne se fût pas lancé, tôte baissée, dans de sènlÉrfabtes opérations, oU le Général de l'Ordre, mis eU demeuré, les au- rait entravées à l'instant même. ^^ Au milieu des travaux de défrichernenï qiie tàvàlètte faisait exécuter à la Dominique , une épidémie survint ; elle enleva une partie de ses Nègres. Un premier désastre n'altère point la confiance de ce génie aventureux. Les termes de rerUboùrse- nients approchent , il fout satisfaire ses créanciers. Pour affermir sa réputation, Lavalette contracte un second emprunt â dés charges onéreuses. Il veut couvrir sort déficit eri réalisant de plus larges bénéfices : il s'improvise marchand et banquier. îl ne se borne plus à échanger ses denrées Coloniales contre les prodUc- lions de l'Europe, il en achète poUr les revendre. En France, sur les marchés des villes de commerce, ces spéculations n'au- raient pu manquer d'attirer les regards des Jésuites : Lavalette dirige vers la Hollande les navires qU'il a frétés. 11 s'est pro- curé des comptoirs et des courtiers sur toutes ces cotes ; ils ont ordre de vendre ses cargaisons et lui renvoyer les bâti- ments chargés de marchandises, que d'autres agents secrets placeront à son profit dans les ports d'Amérique. Lavalette avait tout prévu, tout, excepté la guerre. Elle éclate subitement entre la France et la Grande-Bretagne. Les corsaires anglais V. Î3

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CHAP. IV. JIISTOIHE

iiiicstcnt les mers. Dès 1755, ils capturent, sans déclaration d'hostilités, les bâtiments de commerce portant pavillon fran- çais. Ceux du Jésuite se trouvent dans le nombre : plus de cinq cent mille livres tournois sont englouties. Lavalette veut tenir tôte à Toragc. La rapacité britannique a dérangé ses calculs , il en fait d'autres qu'il croit plus infaillibles. L'interruption des relations avec le continent européen rendait incertain, impos- sible peut-être, le paiement de ses lettres de change : pour parer à CCS obstacles, Lavalette tente des opérations commerciales encore plus décevantes. Sur ces entrefaites, les frères Lioncy, porteurs d'une partie des titres de créance, s'inquiètent de cet état de choses ; l'alarme se répand parmi les autres cor- respondants du Père; mais rien ne transpire encore. Les Jésuites de Marseille sont enfin prévenus : ils font part à Le Forestier, Provincial de France, alors à Rome, et au chef de l'Ordre, des malversations de Lavalette. Il fut décidé que l'on chercherait tous les moyens d étouffer cette affaire. Le meil- leur était de rembourser, on ne s'y arrêta qu'imparfaitement*. On fit deux catégories de créanciers : les pauvres, dont les besoins étaient urgents; les riclies, auxquels on garantissait les sommes dues. La maison de la Martinique et l'habitation de la Dominique devenaient leur gage ; elles pouvaient et au-delà couvrir le passif. Le Père de Sacy, procureur de la Mission des iles du Vent, est autorisé à emprunter deux cent mille francs : Sacy avait déjà opéré quelques remboursements ; cette nouvelle somme, répartie entre les créanciers les plus nécessi- teux, lui laissait la facuhé de s'entendre avec les autres ; mais, à Paris, les Pères investis des pouvoirs du Provincial s'oppo- sent à cet emprunt : ils veulent, et c'est une version inédite que nous indiquons sans la discuter, ils veulent que Lavalette dépose son bilan , qu'il fasse banqueroute , afin que l'odieux de ces pirateries retombe sur le gouvernement anglais. La pensée avait quelque chose de national, et ceux qui l'avaient con(;ue

Il est de Iradition dans la famille Si^guicr que lorsqu'on .4760 ravocal-g(!u<^i-al de ce nom vit le danger que courait la Cunipaguic de Ji'sus, il alla trouver le Porc de La Tour, son ancien maître : >< Mou Pore, lui dit ravocal-CL'néral, il vous faut faire tous les sacrillcos , autrement vous ôtos perdus. » Et le vieux Jésuite , en se- couant la tëie avec résiQualion, reprit : « L'arQont ne nous sauvera pas; notre ruine est assurée. Fenit summa dies «t ineluclabUe tcmpits. »

UK LA CUMI'AUMl!: UE JESUS.

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csiicraiciit que la cour appuicrall celte dcuiarchc. Mais ce parti pris dans les circonstances la Compagnie se trouvait, l'ournissait contre elle des armes terribles ; il soulevait l'opinion publique, il appelait les tribunaux séculiers à connaître d'une cause qui ne pouvait qu'ôtre préjudiciable aux Jésuites. On consulta des banquiers : tous furent d'avis qu'il fallait renoncer ù ce projet déshonorant sans aucun avantage. Le temps s'écou- lait ainsi en pourjjarlcrs et en correspondance. La veuve Grou et son fils, négociants de Nantes, intentent un procès devant le tribunal consulaire de Paris; les frères Lioncv, de Marseille, suivent la môme niarclie. Le DO janvier 1760, les Jésuites sont condaumés ù payer solidairement les trente mille francs dus pur Lavalelte à la v^^uvc Grou. La sentence était injuste * ; mais

' La jiirispi'uilciicc sur ces malicies a disparu en France avec Ici Ordres rcli- Qicux; nuus croyons oppurluu de lu rappeler dans une airaire qui a exrilO un si lung rclciilisseuieiit. A pari les Cuusiilulious des diverses sociéU's religieuses , Conslilulions suppusani ou élablissaiit la iioii-solidarilù eiilrc les maisons du iiiL'Mie Ordre, cet élat du choses se Irouvait appuyé sur d'autres rondcmcnls iu- coule»lés. Il avait pour lui les lettres patentes, qui, en aut()ri^alll chaque établissement religieux, collé|<e , niouaslëre , communauté, lui donnaient une existence civile propre et distincte. Ces lettres patentes lui assuraient la propriété séparée et inattaquable de son patrimoine et de ses domaines. Eu vertu de pa- reils actes royaux , chaque maison religieuse jouissait de la faculté particulière de contracter par son administrateur; celle d'ester en justice, d'ac(iuérir, de rc- cRvoir des dons ou des Icqs d'une manière indéDuie ou avec restrictions lui était aussi concédée. Ainsi il existait autant d'élres civils qu'il y avait de ninisous régu- lièrement autorisées, et les biens de l'une ne se confondaient Jamais avec l-ss biens de l'autre.

Ces lettres patentes formaient la base du droit de non-solidarité ; l'inlenlion des fondateurs n'était pas moins spéciale. Ces fondateurs, (|u'ils fussent corps muni- cipaux , villes ou particuliers, en bâtissant, eu dotant une maison reli|{ieuse, se proposaient pour but le culte de Dieu, les divers ministères ecclé.siastiqucs, l'édu- cation de la jeunesse, le soulagement des pauvres ou d'autres fins utiles. La loi laïque, venant c(niflrmcr le contrat d'élublissemenl, assurais à chaque maison la propriété de sa dotation ou de ses biens, selon le désir du fondateur et pour l'acquit de la fondation. Les maisons religieuses du mOmc Ordre étaient sœurs; néanuutins, dans les intérêts pécuniaires, dans les perles ou dans les acquêts, il n'y avait rien de commun entre elles. L'amitié et la charité pouvaient, en certaines circonstances, faire natire des devoirs de famille ; il n'y avait aucune obligation de justice rigou- reuse, aucun lien de solidarité.

Saint Ignace de Loyola trouva ce droit commun en vigueur, il l'adopta pour son Institut. Les Maisons-Professes qui ne peuvent avoir de revenus, ne possèdent que le domicile des Proies. Les Collèges, Noviciats, Résidences transatlantiques jouissent de biens-fonds et de revenus, mais ces biens n'appartiennent qu'il chaque Collège, Mission ou Noviciat déterminé. Le Général, qui a la charge d'administrer par lui uu par d'autres les propriétés, ne peut passer de contrats que pour l'ulilité et l'avantage de ces maisons , in coruimlein nliUlatcm et lioiium ((Jonsliiiil., part. IX, c, IV; Jixam. ijrncr., c. i , ii" 4; IhUla Oregorii Xlll , 1382). Si h s revenus . annuels des Collèges, destinés, pur l'Intention du fondateur et par le dispositif de l'Institut, à renlrelieu et à la nuurrilure des Jésuites qui y habitent, excèdent ces

196 CHAI'. IV. HISrOlKE

son iiii({uit'; ilevuit dessiller les yeux des Pères qui s'opposaient à une transaction, il n'en fut rien. Les légistes leur disaient

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dL'jtenscs, l'cxct^daiit doit è'r-'. tout ciilier c«insacré dans chaque maison , non pas ù augnicnlcr les bàlinicnls, mais à éleiiidre ses délies ou a accrollrc ses revenus (Iiisf. pro admin. tit. pro rect., 6). L'Eglise et l'Etat avaient rcronnu co droit de non-solidarité chex les Ji'suites par l'union de bénOtices en faveur des maisons lion sufllsanimcnt dotées. Quand un Collège, un Séminaire, un Noviciat était trop pauvre, on ne s'eiiquérait pas si les autres établisseinepts du royaume ou delà province avaient une fortune surabondante ; on vérifiait uniquement le chiffre des revenus et des charges de la maison a laquelle l'union était projetée. Les revenus étant juQés insuffisants , les deux puissances décrétaient et opéraient l'union du bé- nélice à l'établissement. La loi ecclésiastique ou civile admettait donc que les maisons d'un même Ordre, attachées entre elles par le lien moral d'une règle commune et de l'obéissance au luéinc supérieur, fussent parfaitement distinctes et séparées en tout ce qui regardait les intérêts purement temporels.

Jusqu'en 1760, personne n'avait contesté aux Jésuites ce droit de non-solidarité qui leur était commun avec tous les Ordres religieux. On nu le contesta jamais aux autres Instituts, on ne l'attaqua que dans celui de saint Ignace. Voici sous quels prétextes. On allégua que le Général de la Compagnie rognait en despote, qu'il était maître absolu des personnes et des choses, par conséquent propriétaire universel des biens de l'Ordre. Aux termes des Constitutions, cette assertion était sans force, mais , sous l'influence de certaines inimitiés passionnées, elle fut érigée en principe.

La législation de l'Institut est cependant bien claire sur ce point. Le Général est placé dans la même catégorie que ses confrères; il a fait vœu de pauvreté et ne peut disposer d'aucun bien. Dans les Sociétés religieuses, ce ne sont pas les personnes ou les supérieurs qui possèdent, mais les élablissemonts, espèce d'êtres flclifs reconnus légalement par le droit ecclésiastique et civil. Le texte des Constitutions de saint Ignace montrent partout le Général administrateur et non propriétaire des biens de la Société. Dans son odministration , que les Constitutions (part, iv, chap. <f) appuient surin tendance, parce que c'est lui qui nomme les autres supérieurs ou administrateurs tenus de lui rendre compte de leur gestion, le Général est soumis, pour tous les points essentiels, au contrôle des Congrégations Générales. Sans leur assentiment, il nc'i)eut aliéner, dissoudre un Collège ou un autre établissement, et la violation de cette loi serait pour lui un cas de déposition ou même d'exclusion de la Compagnie, prévu par les Constitutions (part, ix, ch. iv). 11 peut recevoir les propriétés ou les dons oll'erts il la Compagnie; il peut, quand l'intention du fonda- teur n'a pas été furmui'e, les appliquer ii telle maison ou (>ollégc; mais, l'appli- cation une fois faite, il ne lui est pas permis d'en détourner le fruit, de prélever sur les revenus, soit pour son usage, soit pour donner U des étrangers, notamment à sa famille. Par lui ou par d'autres , le Général a le droit de passer toute sorte de contrats de vente, d'achat de biens temporels mobiliers, de quelque espoca que ce soit, tant des Collèges que des maisons de la Société; il peut constituer ou racheter des rentes sur les biens fixes {stabilia) des Collèges, mais seulement pour l'utilité et dans l'intérêt des maisons.

Le Général n'est donc que l'administrateur, le tuteur de la Compagnie; partout et toujours domine le même système de séparation et de non-solidarité. « Mais, objectaient les Parlements de 1760, il n'en est pas de la Compagnie de Jésus lominc des autres Ordres les Religieux vivent et meurent dans la même maison, oii le supérieur est élu par les membres de la maison , et les affaires principales sont traitées et décidées par la Communauté réunie en chapitre. Avec cette législation , il est évident, ajoutaient les cours judiciaires, que chaque couvent est sépare pour le temporel des autres couvents du même Ordre. »

Ces variétés de jurisprudence parmi les Instituts ne sont que des dispositions accidentelles; elles ne peuvent influer essentiellement sur les (|uestions de solidarité ou de non- solidarité dus établissements du luOmc Ordre. 11 existait d'autres Sucié-

DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.

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i\\w lo droit commun et In loi étnicnt pour eux ' ; les Jésuites eiu'ont lo tort impardonnable do croire à de pareilles assertions. Individus, ils auraient peut-être trouvé de l'équité devant les tribunaux ; Ordre religieux , et mcm])rcs surtout d'un Institut qui portait ombrage à tant d'espérances, ils ne devaient s'at- tendre qu'à des injustices réfléchies. On les entraîna à faire appel au Parlement : c'était une faute irréparable; le Père Claude Frey de Neuville ^ pouvait l'éviter en se prévalant du droit de committimus 3 , accordé par lettres patentes de Louis XIV. L'évocation au Parlement blessait le Grand-Conseil dans ses attributions; il jetait la Société de Jésus entre les mains de ses adversaires les plus déterminés. On avait manœu- vré de toutes façons pour lui faire adopter ce parti, et, par aveuglement, elle s'ofl'rait elle-même en holocauste. Le 29 mai 1700, le consulat de Marseille suivait la même jurisprudence que celui de Paris : il permettait aux Lioncy et à (iouffre de porter leurs exécutions sur tous les biens de la Compagnie.

I6s, la Condrùsalinn de Saint-Maur, par exemple , les Religieux changeaient de maison h la volunté de leur supérieur, ainsi que rela se pratique chez les Jésuites, oii les chefs de chaque monastère nVtaient point élus par la Communauté, mais parle Chapitre général de l'Ordre. Enlhi, dans celui de Fontevrault, qui avait une femme pour supérieure générale des couvents d'hommes et do fi'mmes de la Con- grégation , celte abbesse exerçait, comme le Général de la Société de Jésus, la surintendance ou l'administration universelle des biens, et l'on n'a jamais prétendu que , dans l'Ordre de Fontevraull ou dans la Congrégation de Saint-Maur, les di- verses maisons fussent exclues du droit de non-solidarité.

Le principe était en faveur des Jésuites ; niaisi, dans la position le Père Lava- lelte plaçait la Compagnie , il fallait faire néchir ce principe et désintéresser les créanciers. Ce n'était pas d'équité stricte, mais, à coup sur, c'était de bonne poli- tique. La Société de Jésus aurait été attaquée sur d'autres point i; elle n'eût pas oITerl un côté vulnérable, et ses ennemis n'en eussent pas profité pour confondre à plaisir toutes les notions de justice.

I Huit des plus célèbres avocats de Paris délibérèrent la consultation suivante :

<( Le Conseil estime, d'après les faits et les moyens détaillés dans le mémoire que la maison de la Martinique est seule obligée; que non-seulement il n'y a point lieu il la solidarité, qui ne peut naître que d'une loi ou d'une convention expresse, mais qu'il n'y a aucune sorte d'action contre les maisons de France ou autres maisons (ic l'Ordre, et que les Jésuites ne doivent point s'attacher ti l'incompétence, leur défense au fond ne souffrant point de difficulté.

» Délibéré à Paris, le (5 mars <761. Signé : L'Herminier, Gillet, Maillard , Jaboué, de LaMonnoie, Habile , Thévenot , d'Epaule.»

» Le Jésuite Claude Frey de Neuville était frère de Charles de Neuville , le pré- dicateur.

1 Louis XIV, voyant l'acharnement que la cour judiciaire ne cessait de déployer contre les Jésuites toutes les fois qu'ils avaient besoin de ses arrêts, leur avait accordé In ficulté de porter leurs affaires au Grand-Conseil. C'est cède furultéque l'on appe- lait le droit île committimits.

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CHAP. IV. HISTOIRE

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Pendant ce t«?mps, Louis CenUirione, Général de l'Ordre, avait pris des mesures pour arrêter le mal à sa source. Au mois do septembre, puis au mois de novembre 17r)G, les Pères do Montigny et d'Huberlant sont nommés Visiteurs à lu Martinique. Ils doivent rendre compte du véritable état de la situation , et suspendre le négoce de Lavaletle. Des causes indépendantes de la volonté humaine empochèrent ce voyage. Le temps s'é- coula dans des correspondances qui de la Martinique devaient traverser la France pour aller à Rome. En 1759, .après avoir passé trois ans à lutter contre les obstacles, un autre Visiteur, !e Père Fronteau, meurt en route. Le Père de Launay, procu- reur des Missions du Canada, lui succède, il se casse la jambe à Versailles au moment de son départ. Un troisième Jésuite reçoit ordre de s'embarquer : il prend passage sur un bAtiment neutre. Nonobstant cette oi^écaution , il est capturé par les corsaires. Le mal était sans remède, lorsque le Père François de la Marche, muni d'un sauf-conduit du gouvernement britannique, aborde aux Antilles en 1702. Il instruit le procès de Lavalette, dont les Anglais, maîtres de l'île, se faisaient les protecteurs, et il rend ce jugement :

« Après avoir procédé, et môme par écrit, aux informations convenables, tant auprès de nos Pères qu'auprès des étrangers, sur l'administration du Père Antoine de Lavalette, depuis qu'il a obtenu la gestion des affaires de la Mission de la Compagnie de Jésus à la Martinique; après avoir interrogé ledit Père de Lavalette devant les principaux Pères de la Mission ; après l'a- voir entendu sur les griefs contre lui : attendu qu'il conste de ces informations : l" qu'il s'est livré à des affaires de commerce, au moins quant au for extérieur , au mépris des lois canoniques et des lois particulières de l'Institut de la Société; 2" que le même a dérobé la connaissance de ce négoce à nos Pères dans l'îb de la Martinique, et particulièrement aux supérieurs ma- jeurs de la Société; 3" qu'il a été fait des réclamations ouvertes et vives contre ces affaires de négoce du susdit, tant par les Pères de la Mission, quand ils connurent ces affaires, que par les supérieurs de la Société, aussitôt que le bruit, quoique en- core incertain, de ce genre de négoce parvint à leurs oreilles,

DE LA COMPAGNIE DE JASUS.

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de manière que, sans aucun retard, ils pensèrent à y pourvoir et h envoyer, pour établir une autre et bien diverse administra- tion, un Visiteur extraordinaire, ce qui fut tenté par eux en vain pendant six ans, et ne put avoir son effet que dans les der- niers temps, par suite d'obstacles qu'aucune faculté humaine ne pouvait prévoir ; nous , après avoir délibéré dans un examen juste, et souvent, et mûrement avec les Pères les plus expéri- mentés de la Mission de la Martinique ; après avoir adressé h Dieu les plus vives prières ; en vertu de l'autorité à nous com- mise, et de l'avis unanime de nos Pères : 1" nous voulons que le Père Antoine de Lavalette soit privé absolument de toute ad- ministration, tant spirituelle que temporelle; nous ordon- nons que ledit Père Antoine de Lavalette soit le plus tôt possible envoyé en Europe; 3" nous interdisons ledit P. Antoine de Lavalette, nous le déclarons interdit à sacris, jusqu'à ce qu'il soit absous de cette interdiction par l'autorité du très-révérend Père Général de la Compagnie de Jésus, auquel nous recon- naissons, comme il convient, tout droit sur notre jugement. Donné dans la principale résidence de la Compagnie de Jésus de la Martinique, le 25 avril 17C2.

» Signé Jean-François de La Marche, de la Compagnie de Jésus. »

Le jour même, la sentence fut adressée au Père Lavalette, qui donna la déclaration suivante : .:;»,!

« Je, soussigné, atteste reconnaître sincèrement dan;, tous ses points l'équité de la sentence portée contre moi , bien que ce soit faute de connaissance ou de réflexion , ou par une sorte de hasard, qu'il m'est arrivé de faire un commerce profane, auquel même j'ai renoncé à l'instant j'ai appris combien de troubles ce commerce avait causé dans la Compagnie et dans toute l'Europe. J'atteste encore avec serment que parmi les premiers supérieurs de la Compagnie il n'y en a pas un seul qui m'ait autorisé , ou conseillé , ou approuvé dans le commerce que j'avais entrepris , pas un seul qui y ait eu aucune sorte de participation, qui y soit de connivence. C'est pourquoi, plein de repentir et de confusion , je supplie les premiers supérieurs

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do la Compagnie d'onlonnor que la sentence rendue contre moi soit publiée et promulguée , ainsi que ce témoignage de ma faute et de mes regrets. Ënfm, je» prends Dieu à témoin ({uc je ne suis amené à une telle confession ni par force , ni par des menaces , ni par les caresses et autres artifices ; mais que je m'y prête de moi-même, avec une pleine liberté, aiin de rendre liommago à la vérité et de repousser, démentir, anéantir, autant qu'il est en moi, les calomnies dont, à mon occasion, l'on a chargé toute la Compagnie. Donné dans la résidence principale de la Mission de la Martinique , les jour , mois et an que dessus (-25 avril 1702).

» Signé Antoine dk Lavalkttk , de la Compagnie de Jésus. »

Ces pièces , que tant d'événements avaient fait oublier dans les archives du Gesù, ont, sans aucun doute, leur importance; elles peuvent modifier l'erreur des uns et le crime de l'autre ; mais, h nos yeux , elles no les atténueront que jusqu'à un certain point. Lavalette, expulsé de la Compagnie, vivant en Angleterre, et libre doses actes, n'a jamais démenti les aveux qu'il avait faits. Ils sont acquis i^ l'histoire; car, à cette époque et avec son ca- ractère, il a souvent être sollicité pour imputer aux Jésuites une partie de ses spéculations. Lavalette en a toujours seul assuitië la responsabilité ; il ne reste au Général et aux Pro- vinciaux que le tort d'avoir oublié une seule fois la surveillance qu'ils devaient exercer. Elle entraîna pour l'Institut de désas- treuses conséquences ; mais, à la faute déjà commise, de perfides conseils , des amitiés plus cruelles que la haine en durent ajouter une autre plus déplorable.

De concert avec les Jésuites, les principaux créanciers de liavalette cherchaient à réparer le mal. Plus de sept cent mille francs avaient été soldés ; il était possible , en prenant des termes, d'arriver à une conclusion qui ne léserait aucun des intérêts mis en jeu , et qui seulement appauvrirait momentanément la Société. Elle avait souscrit à ce projet : elle s'arrangeait pour le faire accepter, lorsque de funestes dissidences éclatent dans son sein. Les uns refusent de se rendre solidaires pour le Père

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Lnvalettn, les autres croient f|u'il faut étonIVer à tout prix une occasion (le scandale. L(3s imprudents remporlt''r(M)l euccuv une l'ois sur les sages , et, lorsipie le Parlement s(; saisit di^ l'aiVaire, il ne fut plus temps de signaler le péril. Les Jésuites s'étaient plac(!s sous le coup de leurs ennemis: il y avait à exerct^r contre eux des récriminations et des vengeances. Madame de Pompa- dour poussait à leur ruine; les Jansénistes et les Fhilosuplies y applaudissaient -, le Parhuncnt allait h consommer. Le duc de (llioiseul ne voulut pas seulement leur perte, il aspira à les dé- truire , mais par des nioy(!ns moins odieux que ceux dont Pondjal s'était servi.

Tant (pie le maréchal de Heilc-Isle avait vécu, les adversaires de la Compagnie s'étaient vus réduits à fonmder des vœux contre elle. Principal ministre, il étudiirit avec ell'roi les ten- dances de s(m siècle, et sa main essayait de les comprimer. Le 20 janvier 1701 , son trépas leur laissait toute latitude. Le duc de Choiseul, qui lui succéda, avait d'autres desseins et un ca- ractère qui offrait plus de prise à la llatterie. Choiseul était l'idéal des gentilshommes du dix-huitième siècle ; il en avait l'incrédidité ', l(îs gnkes, la vanité, lanohlesse, le luxe, l'inso- lence, le courage et cette légèreté qui aurait sacrifié le repos de l'Europe à une épigramme ou à une louange. Homme tout en dehors, il eilleurait les questions et les tranchait; il aimait il respirer l'encens que les Encyclopédistes lui prodiguaient, mais son orgueil se révoltait à l'idée qu'ils pouvaient devenir ses pédagogues: il ne voulait de maître ni sur le tn'ine ni au- des.sous. Il se montrait indilVérent aux Jésuites comme à tout ce qui n'était pas sa personnalité; il ne les connaissait que par le Père de Neuville, et il soup(,'onnait ce Jésuite d'avoir indis- posé contre lui le maréchal de Belle-lsle. C'était un grief, mais Choiseul avait trop de caprices amhitieux pour s'y arrêter. La pensée de toute sa vie était de gouverner la France , d'appliquer à ce pays malade les théories qu'il avait rêvées. Il ne pouvait y

1 i( Dans sa jeunesse, Choiseul avail eédé nu travers couiinuu d'iiisuller ii la Re- ligion. Puissant, il parut la rcspecler. Liii's(|u'il eut ii cDiiiluirc la lente alxiliticui (les Jésuites, il s'observa , pour ne iias l:ii>ser eroii e qu'un iiiiiiii>i;iil ees lleli|;i(Mix il l'iuipieté tlonùnante. » (Laerelelle, Histniir ilf Friiurc pnidniil /<■ ili.r-liiiiliènic stt-de, t. IV, p. .la)

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CHAP. IV. IIISTOinF

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parvenir qu'en so créant des pr<\nciirs parmi los «Vrivain** rpii alors (lisposaiont de l'opitiioii publique. Il séduisit les IMiiluso- plies , il ^agiia le ParlenuMit , il se Ht l'admirateur des Janséni.s- tes, il llalta madame de l'ouipaduur, il auuisale roi, le plus dinieilc de ses sucrés; puis, lorsqu'il eut entraîné tout le monde dans sa sphère, il se mit, pour ménager chaque parti, à la pour- suite de la Compagnie de Jésus.

Plus tard , sous le régne suivant , le duc de Choiscul a , dans un mémoire h Louis XVI, essayé d'expliquer la position neutre qu'il croyait avoir prise , et il s'exprime ainsi :

« .le suis persuadé que l'on a dit au Uoi que j'étais l'auteur de l'expulsion des Jésuites. Le hasard seul a conmieneé celle alVaire, l'événement arrivé en Espagne l'a terminée. J'étais fort éloigné d'être contre eux au commc^ncement ; je ne m'en suis pas mêlé à la fm : voilà la vérité. Mais , comme mes ennemis étaient amis des Jésuites, et que iou M. le Dauphui les proté- geait, il leur a paru utile de publier que j'étais l'instigateur de la perte de cette Société ; tandis que , h la lin d'ime guerre malheureuse, accablé d'affaires, je ne voyais qu'avec indiflé- rence subsister ou détruire une conimunnuté de moines. Ac- tuellement je ne suis plus ind'n'érent sur les Jésuites; j'ai ac- quis des preuves combien cet Ordre et tous ceux qui y tenaient ou qui y tiennent sont dangereux à la cour et à l'Etat, soit par fanatisme, soit par ambition, soit pour favoriser leurs intrigues et leurs vices; et, si j'étais dans le ministère, je conseillerais au Rci avec instance de ne jamais se laisser entamer sur le ré- tablissement d'une Société aussi pernicieuse. »

Les faits parlent plus haut que celle déclaration dénuée de preuves; et, si le duc de Choiscul était, ainsi qu'il le dit , ' N-i éloigné d'être contre eux au commencement , s'il ne s'en est pas mêlé à h f.n, » il faut convenir que ses actes se trouvent peu d'accord avec ses paroles. Les uns et les autres s'explique- ront par le récit des événements ; mais Simonde de Sismondi , dans son IJistoir': det ''>fl«ffl/« , a déjà répondu à ces allé- galions. » M> 'ame ùj Pompad^nr, dit l'historien prolestant *,

1. Histoiri' <lin Frtmriiis, I. xxix , p. 233.

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aspirait surtout à sn donner une r(''|iiitntion (Yénorç'''' dans !(• cararlèrc, vi elle» croyait en avoir •rouvô l'o ^iNion »'i. montrant (|n'('ll(' savait IVappcr un conp (l'Klat. La inAmc polil. -^t' d'es- prit avait aussi do ritdlucnco sur le duc. do (ilioisoul. Do pl"^ , tons doux ètaiont bien aises de (^'tourner l'attenfi >n ptdiliifue des ôv^icments de la guerre. Ils espéraient acquér, do lu pw- pnl.'oiié m flattant à la t'ois les Philosophes et les Jaii nistesct couvrir li'S dépenses de la guerre parla confiscation t.. s biens 'l'i'u Ordre fort riche, au lieu d'être réduits à des réformes ipM attristeraient le lloi et aliéneraient la cour. » Tel est le 'cit de l'écrivain genevois. Il dilfére des appréciations de Choisi d ; mais le témoignage de Sisniondi est an moins désintéressé d^n'î la rpiestion : il doit donc avoir plus de poids que celui d'ini ministre essayant de justifier l'arbitraire par la calomnie.

Le l'arlenient de Paris avait à prononcer sur une simple fail- lite, il réleva à la haid(MU' d'une question religieuse. Sous [M'é- texte de vérifier les motifs allégués dans la sentence consulaire, il enjoignit aux Jésuites , le 17 avril 17f)l, d'avoir à déposer au grelfe de la cour nn exemplaire des Constitutions de leur Or- dre. Une année auparavant, le 18 avril 17G0, un arrêt était intervenu pour supprimer leurs Congrégations '. Il importait d'isoler les Jésuites, de leur retirer toute influence sur la jeu- nesse et de les présenter comme des hommes dont la justice suspectait les manœuvres clandestines. Au nom de la Religion , le Parlement fit fermer ces asiles de la piété , il rompit cette longue chaîne de prières et de devoirs réunissant dans une même pensée les Chrétiens des deux hémisphères. Comme pour mettre le cm-hct de la moquerie voltairiennc ù cet acte sans précédent le ininislèn; et la cour judiciaire laissèrent se multi- plier en France les loges maçonniques. Elles y étaient presque inconnues, ce fut partir de cette époque qu'elles acquirent partout Iroil de cité.

Le dépôt A un exemplaire des Constitutions de VInslitnt était un piège tendu ;ui\ disciples de saint Ignace. Ils avaient trois jour> pimir oblempér» r Le Père de Montigny s'empressa de se

L'ulililéilea Coniîit'iiiilwé»!. tlutt »l bii-n ilt^nionlri'i?, que los Oratorioiis on «'-la- blii'uiil <laiis Inus leurs ci)lli't<,<'«.

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CHAP. IV.

HISTOIRE

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conlormcr ù l'injonction. Le Parlement avait agi dans l'inténH ries créanciers ; il les elTara du débat aussitôt «ju'il [nit remon- ter plus haut. Le scandale de la banqueroute servait d'échelon à des passions qui avaient été trop comprimées pour ne pas écla- ter. Le Parlement oublia les créanciers de Lavalette, qui ne fu- rent jamais comr"'ement payés, pas même après la confiscation i. biens de la Sot.été *, et il .s'attribua la mission de juger le fond de l'Institut. Trois conseillers, Chauvelin, Terray et Laverdy, sont désignés pour examiner ces formidables et mystérieuses Constitutions, que personne n'a jamais vues, assure-t-on, et dont plus d'un membre du Parlement, plus d'un Philosophe et plus d'un fauteur du Jansénisme possèdent un exemplaire. Le 8 mai 17(>1 le Parlement rendit pourtant, sur les conclusions de Le Pelletier de Saint-Fargeau , avocat-général, un arrêt qui « con- damne le Général et en sa personne le Corps et Société des Jésuites à acquitter, tant en principal qu'intérêts et frais, dans un an, à compter du jour de la signification du présent arrêt, les lettres de change qui ne seront point acquittées; ordonne que, faute d'acquitter lesditcs lettres de change dans ledit dé- lai, ledit Supérieur- Général et Société demeureront tenus, garants et responsables des intérêts tels que de droit et des frais de toutes poursuites; sinon, en venu du présent arrêt, et sans qu'il en soit besoin d'autre, permet aux parties de se pour- voir, pour le paiement des condanuiations ci-dessus, sur les biens appartenants à la Société des Jésuites dans le royaume. » Cet arrêt ne fut jamais exécuté en faveur des créanciers de Lavalette ; on ne s'en servit que pour renverser la Compagnie de Jésus. Le passif du Père Lavalette s'élevait à deux millions quatre cent mille livres tournois. On acquittait les dettes exi- gibles, on se disposait à prendre des aiTangcments pour les au- tres, lorsque, par un arrêt de saisie, le Parlement rendit la Com- pagnie insolvable. Alors le chiffre des créances s'enfïa jusqu'à cinq million*:: et ainsji fut renouvelée avec plus de succès l'histoire d'Ambroise Guis. Il y eut de fausses lettres de change en émis-

t maison de l.i Marlini(]ue cl les (erres de la Dominique furcnl aclicli'cs, par les \ii|;liiis vainqueurs, au priv de quatre millions. Ces proprif'lés pouvaient donr el au-delii ri'poudre d'une <l''lle de deu\ millions quatre eent mille livres.

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DE LA COMPAGNIE UE JESUS.

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sioii, et le Parlement se donna bien garde de le constater. Louis XV sentit le coup que l'on portait au pouvoir royal ; iltenla de l'amortir. Le Parlement avait nommé trois magistrats exami- nateurs de l'Institut; le prince voulut qu'une commission du Conseil fût chargée du môme soin. Il espérait annihiler l'une par l'autre; mais le contraire arriva. Gilbert des Voisins, Fcy- deau de Brou , d'Aguesseau de Fresne , Pontcarré de Viarme , de La Bourdonnaye et Flesselles furent délégués par le Conseil. Leur travail a plus de maturité que celui du Parlement, mais auprès du roi il nuisit davantage aux Jésuites que l'œuvre de l'abbé de Chauvelin. La commission du Conseil demandait de modifier quelques articles substantiels des règles de saint Ignace, et les Jésuites s'opposaient à toute espèce d'innovation. Louis XV ne comprenait pas que, pour vivre, de quelque vie que ce fut, on ne se résignât point aux derniers sacrifices, il n'avait de sen- timents religieux ou patriotiques que par accès, et son indolence habituelle lui faisait une loi des concessions. Afm de mettre son voluptueux repos à l'abri des prières de sa lamille et des représentations du Pape, il désirait que les Jésuites acceptas- sent les conditions du rapport de Flesselles, et il s'engageait à les faire agréer par le Parlement. Les Pères , qui faiblissaient en face du danger, eurent le courage de ne pas transiger avec leurs Constitutions. Us abandonnaient leur i'ortune à la merci des ennemis de la Société. Ils ne voulurent jamais les laisser arbi- tres de leur honneur et de leur conscience. Le roi était irré- solu, eux demeurèrent inébranlables dans leur foi de Jésuites, et, devant cette prostration morale, ils eurent néanmoins la force de résister à la tentation.

Dans son réquisitoire Le Pelletier de Saint-Fargcau les accu- sait de révolte permanente contre le souverain, il ressuscitait môme les vieilles théories de régicide qu'à trente-deux ans d'intervalle son tils, le Conventionnel, devait appliquer sur Louis XVI. (t Leduc de Clioiseul et la marquise de Pompadour, selon Lacrctellc', fomentaient la haine contre les Jésuites. La marquise, qui, en combattant le roi de Prusse, n'avait pu |jus-

Histoire du France pcndaiU le diX'liuitièinc sirelc, i, iv, p. 30.

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CHAP. 1. HISTOIRE

tilier ses préluntions à réncrgic du caractère , était impatiente de montrer, en détruisant les Jésuites, qu'elle savait frap- per un coup d'Etat. Le duc de Glioiseul n'était pas moins jaloux du même honneur. Les biens des moines pouvaient couvrir les dépenses de la guerre et dispenser de recourir à des réformes qui attristeraient le Roi et révolteraient la cour. Flatter à la fois deux partis puissants , celui des Philosophes et celui des Jansé- nistes, était un grand moyen de popularité. »

L'abbé de Ghauvelin , esprit hardi , nature judiciaire et pour ainsi dire malfaisante dans sa difformité , servait les projets de tout le monde. Un pied dans chaque camp. Janséniste par con- viction , courtisan par calcul , ami des Encyclopédistes par be- soin de célébrité , il s'était chargé de concilier les intérêts divers qui se groupaient pour assaillir la Compagnie de Jésus. Chau- veHn, Terray et Laverdy remplissaient une mission hostile. Simples commissaires, ils arrivaient sans transition nu rôle d'accusateurs; mais ils savaient que Choiseul et la marquise, que Berryer , le ministre de la Marine, et toutes les sectes pré- paraient l'opinion publique à une réaction contre les Jésuites. On persuadait aux masses qu'ils étaient les seuls auteurs des désastres pesant alors sur le royaume. La gloire et la paix , l'a- bondance et la fraternité, tout devait sourire à la nation lors- qu'elle n'aurait plus dans son sein ces agitateurs , qui réveil- laient le remords au cœur de Louis XV, et qui s'obstinaient à ne pas amnistier les scandales dont madame de Pompadour ne se repentait que par ambition. Ghauvelin avait entendu les cris de joie qui accueillirent le réquisitoire de Saint-Fargcau , il avait été témoin de l'enthousiasme avec lequel les adversaires des Jésuites reçurent l'arrêt du 8 mai 1761 : il désira de mêler son nom à ces ovations de parti. Le 8 juillet de la même année il lut au Parlement son rapport sur l'Institut. Ce fut une dé- nonciation en règle. Au milieu des corruptions de ce siècle le Parlement lui-même avait abdiqué sa gravité traditionnelle pour courir après le bruit de la rue et pour livrer sa toge à chaque vent de débauche, Ghauvelin incriminait les opinions pernicieuses, tant dans le dogme que dans la morale, de plu- sieurs Jésuites anciens et modernes. Il ajoutait que tel était l'en-

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DE LA COMPAGNIE DE JESUS.

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seignement constant et non interrompu de la Société ^ Il fallait tenir en haleine la curiosité publique, la passionner à un débat dont elle ne pouvait apprécier la portée. Le Parlement grandis- sait sur les ruines de la Compagnie de Jésus, il devenait popu- laire, il battait en brèche le pouvoir royal ; il saisit avidement le prétexte d'immoralité si audacieusement invoqué par Chauve- lin. 11 ordonna de nouvelles enquêtes.

Ces démarches précipitées, ces arrêts se succédant les uns aux autres sans interruption, tirèrent Louis XV de sa voluptueuse apat'Me. II avait l'instinct du vrai, le Dauphin en possédait l'in- telligence, la reine Marie Leczinska fermait les yeux sur les ou- trages de l'époux pour rendre au roi la force d'être juste. En face de tant d'agressions, Louis XV pensa qu'il ne devait pas laisser ainsi empiéter sur les prérogatives de la Couronne. 11 se déliait de l'esprit remuant de la magistrature; il craignait de la voir se décerner un triomphe. Le prince ne déguisait guère ses répugnances pour les idées philosophiques. Le 2 août 1701 il enjoignit au Parlement de surseoir pendant un an, et aux Jé- suites de remettre au Conseil les titres d'établissement de leurs n.aisons. Quatre jours après, selon le témoignage de Sismondi ', « le Parlement , secrètement encouragé par le duc de Choiseul, refusa d'enregistrer cet édit. » La cour judiciaire feignit ensuite d'obéir ; mais elle connaissait Louis XV ; elle savait qu'à Ver- sailles, au ministère ainsi que dans le monde, elle trouverait des appuis contre la volonté royale. On éluda l'ordre du monar- que par un subterfuge, et on déclara : « Il sera sursis pendant un an à statuer sur ledit Institut par arrêts définitifs ou provi- soires autres que ceux à l'égard desquels le serment <lc la cour, sa fidélité, son amour pour la personne sacrée du seigneur roi et son attention au repos public ne lui perrnettroient pas d'user de demeure et de dilation, suivant l'exigence des cas. »

' Un oubli singulier eut lieu ii celle Opoque. Le ParlomenI, qui avait incmoirc de tous les arri^ls, passa sous silence un acte coiisiQui^ dans ses registres de 1580. Par cet aile, les Jt^suiles, de leur propre niouvemcnt, renonçaient aux legs ou auniùnes qu'on pourrait leur oirrir en reconnaissance des soins qu'ils allaient donner aux peslirérés, et ils proteslaienl ne vouloir servir les moribonds qu'à cette condition. En 1720, au moment d'autres Pères de l'inslilut se préparaient à mourir en se dévouant pour les pestiférés do Marseille, ils renouvelèrent la même déclaration .

* Hisloirc iks Français, t. xxix , p. 234.

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CHAP. IV.

HISTOIHE

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I

Le même jour, 0 août, l 'exi^joncc se faisait sentir. Sur le rapport de l'abbé Terray, le Parlement, chambres assemblées, reçut le procureur-général appelant comme d'abus de toutes les bulles, brefs, lettres apostoliques concernant les prêtres et écoliers de la Société se disant de Jésus. Le roi demandait à la magistrature d'ajourner ses attaques contre l'autorité souve- raine. La magistrature condescendit à cette injonction en forme de prière ; mais le Parlement se rabattit sur le Saint-Siège. Le i*arlementn(; pouvait plus s'abriter derrière la question politique et protéger les monarchies ébranlées par la Société de Jésus. Il se prit à défendre l'Eglise contre l'Eglise elle-même. Il y a deux cent quarante ans que les Jésuites existent au centre de la Ca- tholicité. Ils ont couvert le monde entier de leurs travaux évangéliques, et vu dix-neuf Souverains-Pontiles applaudir hau- tement à leurs eiforts ainsi qu'à leurs doctrines. Le Parlement ne tient aucun compte de cette longue suite de combats, de re- vers et de triomphes en faveur du principe chrétien. 11 veut condamner la Société de Jésus ; il la proclame, malgré l'Eglise, ennemie de l'Eglise, ennemie des Conciles généraux et parti- culiers, ennemie du Saint-Siège, des libertés gallicanes et de tous les supérieurs. Ce jugement se minutait au moment même la cour donnait acte au procureur-général de son appel comme d'abus de tous les décrets apostoliques en faveur de la Compagnie.

11 importait de ne pas laisser reposer l'impatience des adver- saires de l'Institut. On avait mis l'existence des Jésuites en cause, on se passionna pour les anéantir. Une année (^^ sursis était accordée pour juger en dernier ressort, le Parlement la consacra tout entière à ses hostilités. Il dédaigna les intérêts privés des justiciables pour ne s'occuper que de la Société de Jésus. Il exhuma, il condamna des in-folio qui n'étaient lus que par les hommes graves et savanls ; il les fit lacérer et brûler en la cour du Palais, au pied du grand escalier. Par provision, il inhiba et défendit très-expressément à tous sujets du roi : 1" d'entrer dans ladite Société; 2"' à tout Jésuite de continuer aucunes leçons pubrupies ou particulières de théologie. Louis XV avait suspendu le coup que la magistrature aurait désiré frapper ;

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l)K l.A CUMI'AGNIË JKSUS.

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elle riiil1igr>ait en déltiil. Elle uriloiinait le déitôt nu grcilc de l'KUit dos biens ii)tpurlenunt à la Compagnie; elle la nuililait, elle la démembrait, afin qu'au jour donné à ses vengeances lé- gales elle n'eût plus à »>riser qu'un cadavre. Attentif à ce specta- cle, le calviniste Sismondi ne peut s'empéclier de faire cet aveu ' : « Le concert d'accusations et le plus souvent de calom- nies (pie nous trouvons contre les Jésuites dans les écrits du tcnq)s a quelque chose d'elï'rayant. »

Jusqu'à ce moment les Pères avaient adopté la même mar- che qu'en IWlugal. On eût dit que, surpris à l'improviste ]»ar une tempête si habilement dirigée, ils n'avaient ni la conscience de leur force ni l'énergie de leur innocence. En face de tant d'inimitiés qui, par la chanson ou par le pamphlet, par la ca- lomnie ou par le raisonnement, se ruaient sur leur vie , sur leur liberté, sur leur honneur, ils restèrent aussi calmes que si cet orage ne devait pas les atteindre. Cette incompréhensibh; longanimité aurait prouver qu'ils n'étaient ni dangereux ni coupables; ils n'agissaient pas, ils ne parlaient pas; ils se con- tentaient d'écouter ^. On tourna contre eux une semltlable nierlie. On les accusa de travailler dans l'ombre et d'ourdir de mystérieuses intrigues. La réserve qu'ils avaient cru devoir à leur dignité sacerdotale et au bon sens public fut attribuée à des espérances secrètes, dont les partis coalisés s'imaginèrent de fournir une chimérique explication. Les Jésuites se résignaient au silence ; la commission du Conseil, que le roi avait chargé d'examiner leur Institut, juge à propos de faire intervenir l'E- glise dans une affaire religieuse que le Parlement tranchait sans le concours des Evoques. Une réunion du Clergé est convoquée ; le roi lui soumet quatre questions à résoudre :

> Histoire dix Fmiirais, (. xxix , p. 231.

» Le Père Ualltaiii, aux itugcs i cl 2 de l'uvaiil-propos du Premier apini « ta niisoii, di'diiit les iimlifs qui oui enipCché les dinciples de Loyola de suuluuir Ici r ..'Uiisc. « Taudis que les Jésuites, écril-il, élaicul accablés de libelles el poursuivis par des arrOls, les supérieurs des Irois inaisous de Paris, trop ninliaids iliins leur iuuucciice, peul-OIre au^si duus lus paroles qu'uu leurdouuait, s'occupaient niuins du s')iu dVcrir(! poui' leur jiislilicalion que d'empêcher (ju'oii n'écrivll. Le rcvéreiul Père Provincial porlu uiéiue son alleuliou trop scrupuleuse jusqu'il défendre, en \erlu de h sainte obéissance, de rien publier lii-dcssus; el su loi fut une H:rle de cliaruie qui suspendit plus d'une |iluuiu bien laiilce. Nous u'exauiineruns pas laquelle des deux Tut plus aveugle, de lu défense ui du l'obéissance. »

V. (1

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niiAi'. IV. HisTomi':

« 1" L'utilitù dont les Jésuilos |icuvent èlrc eu Fruiiic, et les avantaj^cs ou les inconvénients qui peuvent résulter des dilVé- rentes fonctions qui leur sont confiées ;

M 2" La manière dont les Jésuites se comportent, dans ren- seignement et dans leur conduite, sur les opinions contraires à la sûreté de la personne des souverains, et sur la doctrine i\u Clergé de France, contenue dans sa Déclaration de 108i2, et en général sur les opinions ultramontaincs;

» La conduite des Jésuites sur la subordination qui est duo aux Kvèqucs et aux supérieurs ccdésiasticpies , et s'ils n'entreprennent point sur les droits et les l'onctions des pasteurs ;

» 4" Quel tempérament on pourrait .ipport(îr , en France , à l'étendue de l'autorité du Général des Jésuites, telle qu'elle s'y exerce. »

La situation était enfin normale ; l'Institut de Jésus avait d(>s juges compétents. On le disait opposé par ses Constitutions aux droits de l'Ordinaire, toujours en hostilités sourdes ou patentes contre le Clergé séculier. Ce fut l'épiscopat que l'on chargea de venger les outrages pour lesquels le Parlement , les Jansé- nistes et les Philosophes se faisaient solidaires. Le 30 novembre i 761 , cinquante et un cardinaux , archevêques et évoques s'assemblèrent sous la présidence du cardinal ,de Luynes. Douze prélats furent nommés commissaires ; représentants de l'Eglise gallicane , ils étudièrent pendant un mois avec maturilé les Constitutions et les statuts de l'Ordre. Ils s'entourèrent de toutes les lumières ecclésiastiques ; ils approfondirent toutes les diilicultés , et à l'unanimité, moins six voix *, ils prononcèrent

' Dans son Histoire de la thiite des Jésuites , le comlc <lc Saiiit-Piicsl a coni- niis une erreur que la prubité f.iit un devoir de regarder comme involoulaire. On lit , à la paQC 51 de son œuvre : « La, dit-il en parlant de relie assemblée , à l'uiia- niniilti moins six voi\, et après un examen approfondi des Conslilulions de l'Urdre, il avait été résolu que l'autorilé illimité^ du Général résidant à Uome était incom- patible avec les luis du royaume. »

Au tome VIII, II* partie (pièces justiflcatives), pages 347 cl 348 des Provùs-vur- baux des AsscmhUes générales du Clergé de France, il est dit : « l'ar ces raisons, nous pensons. Sire, qu'il n'y a aucun changement il faire dans les Constitutions de la Compa<j,nie de Jésus, par rapport ii ce qui regarde l'autorité du Uonoral. »

Le texte ofliciel de la déclaration est en complet désaccord avec la version du M. de Saint-Priest; le récit de d'Alemberl lui e>t aussi opposé. D'Alemberl , it la page 103 de la Destrurtioii des Jésuites, s'exprime ainsi : » Le roi avait consulté, sur l'Institut des Jésuites , les Evéqucs qui étaient il Paris ; environ quarante

et

IIK LA COMCACMI'; in-; .iKsrs. !2ll

('Il l'iivciir ilos .lôsiiilfs sur les (lualre (jiiestions. Cett»; laiMe iiiiiiurilé ()iio dirigeait le eardinal île Clinisciil ne ililTorait des (ipinions de l'Assemblée f|iie sur certaines modilications qu'elle aurait désiré inlrodiiire dans l'Institut. Un seul prélat, Franenis lie Fil/-Jaiiies, Kvéquo de Soissons, dont les verlus servaient de drapeau à la secte janséniste, demanda l'entière suppression des Jésuites. Tout en la sollicitant du roi, il leur accordait ce téinoiyiiaî^e d'un lojal adversaire ' : « Quant à leurs mœurs , elles sont pures. ()n leur vv\h[ volontiers la justice de recon- iiailrecprii n'y a peut-être point d'Ordre dans l'Kglise, dont les I lelii^ieux soient plus régulii.'rs et plus austères dans leurs mœurs. » L'Ktjlisd de France parlait par ses interprètes naturels ; le Jansénisme lui-même, représenté par ses cliefs , avait émis son vœu. Ce vœu, (pioiquc lii">tile , est encore un éloi^c pour la tlompayiiie de Jésus; mais, tandis (jue les cin(piantc et un Kvè{pies délibéraient, (piebpies-uns d'entre eux souliailéreni de eoimaître la ])ensée âvi^ l'ères français sur les Ouatre-articlcs de 10H2. Louis Xl'v n'avait pas voulu qu'aux jours de leur puis- sance ils si^'nassent un acte dont il pressentait d'avance les ré- sultats. (.jiialre-vin;^ls ans après, on appelait leurs successeurs dans l'Institut à formuler leur doctrine gallicane. Ce qui eût été cliose rationnelle sous Louis XIV devenait, dans la position laite à la Société, un cas de révolte théoloi^ique ou une com- plaisance en déi;(>si>oir de cause. Traqués sur tous les points, ayant la certitude que le Parlement et le ministère vainqueurs ii(! lAcberaifiit jamais leur proie, les Jésuites crurent devoir plutôt à leurs amis qu'à leur propre salut une concession qui ne les sauvait pas, mais qui tendait à les désiionorer. Le lU décembre 1701, ils présentèrent aux Evoques assemblés cxtra- ordinairement à Paris une déclaration ainsi conçue''^, et signée par cent seize Pères :

« Nous soussignés , Provincial des Jésuites, de la Province de

dViiliu eux , soil (.'crsiiasioii , soil ))olili({uc , avaiciil fail les plus grands t^Ioges de l'hisliltit lie la Sucic^lé ; six avaient iHù d'avis de niudilliT les (Juiisliliitluiis a cer- lains l'irinls. »

' l'nicii-rtr'iaux (l<s Jssciiihtccii gciu'ralcs J.ti Ckrfjè de Fraitcn, I. viii , liii-rcs jiislilicalives, ii'' partie, j) :\M ol 3;I2.

2 Procis-vvrliaii.v des .Issciitliki:)) f/iudni/cx du Cierge de France y I. vni, U' i>ailie, lùècos jiislillcalivcs, ii" I, j». 3VJ, 351.

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CIIAl». iV.

HISTOIHE

l'aris , Supérieur de la Muison Prol'esse , Recteur du collrgc Louis-lc-Graiid , Supérieur du Noviciat, et autres Jésuites pro- ies , rnème des premiers vœux , résidaut dans lesdites maisons , renouvelant en tant (|ue de besoin les déclarations déjà données par les Jésuites de France en 1620, 1713 et 1757, déclarons devant Nosseigneurs les Cardinaux, Archevêques et Evéqiies (|ui se trouvent actuellement à Paris , assemblés par ordre du Roi , pour donner à Sa Majesté leur avis sur plusieurs points de notre Institut :

» Qu'on ne peut être plus soumis que nous le sommes , ni plus inviolablcment attachés aux lois , aux maximes et aux usages de ce royaume sur les droits de la puissance royale, qui, pour le temporel, ne dépend ni directement ni indirec- tement d'aucune puissance qui soit sur la terre, et n'a que Dieu seul au-dessus d'elle ; reconnaissant que les liens par les- quels les sujets sont attachés à leur souverain sont indissolubles ; que nous condamnons, comme pernicieuse et digne de l'exécra- tion de tous les siècles, la doctrine contraire à la sûreté de la personne du Roi , non-seulement dans les ouvrages de quelques théologiens de notre Compagnie qui ont adopté celte doc- trine , mais encore dans quelque autre auteur ou théologien que ce soit ;

» 2" Que nous enseignerons, dans nos leçons de théologie pu- bliques et particulières, la doctrine établie par le Clergé de France dans les quatre propositions de l'Assemblée de 1682, et que nous n'enseignerons jamais rien qui y soit contraire ;

» 3" Que nous reconnaissons que les Evoques do France ont droit d'exercer sur nous toute l'autorité qui , selon les canons et la discipline de TEglise gallicane, leur appartient sur les régu- liers; renonçant expressément à tous privilèges à ce contraire (|ui auraient été accordés à notre Société , et môme qui pourraient lui être accordés à l'avenir ;

» Que si , à Dieu ne plaise , il pouvait arriver qu'il nous lût ordonné par notre Général quelque chose de contraire à celte présente déclaration, persuadés que nous ne pourrions y déférer sans péché, nous regarderions ces ordres comme illégitimes, nuls de plein droit , et i;tix<]uels même nous ne pourrions

DP LA COMPAfiME M. JESUS.

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ni lift devrions olu'ir en vertu des n'-^los de l'ohéissance nu Général telle qu'elle est prescrite par nos Constitutions ; supplions fju'il nous soit permis de faire enregistrer la présente décla- ration au grelVe de rOlficialité de Paris, et de l'adresser aux autres provinces du royaume , pour que cette même déclaration ainsi signée , étant déposée au grelVe des Olllcialités de chaque diocèse, y serve d'un témoignage toujours subsistant de notre fidélité.

» Etienne de La Croix , Provincial. »

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Pour les Evoques de France , cet acte était de surérogation ; ils voyaient les Jésuites à l'œuvre, et ils connaissaient leur sa- gesse dans l'enseignement. Pour les adversaires do la Société , la déclaration du 10 décembre avait une autre portée. Elle consta- tait une faiblesse morale que rien ne rachèterait ; elle donn.'i le signal d'attaques plus vives. Les Jés-uites cédaient sur un point ; on en conclut qu'ils étaient disposés à céder sur tout. Cette idée multiplia le nombre de leurs adversaires , elle dé- couragea leurs partisans. Louis XV avait interrogé les Evêques ; ils venaient de répondre ; soixante-dix autres écrivirent au roi pour se joindre à cette manifestation. Le roi , dans un but de conciliation impossible à atteindre , se rangea à l'avis de la mino- rité. Par un édit du mois de mars 1762, il annula les procé- dures entamées depuis le 1''' août 1761 ; il déclara les Pères de la h^ociété assujettis à la iuridiction de l'Ordinaire, aux lois de l'Etat, et il régla la manière dont le Général exercerait son auto- rité en France. Ce tempérament ne pouvait plaire à des hommes forts de la faiblesse du monarque ; le Parlement refuse d'enre- gistrer l'édit, et, dominé par Choiseul et par madame de Pom- padour, Louis le retire honteusement. C'était abandonner la vic- toire aux coalisés; ils n'épargnèrent rien pour la fixer sous leur drapeau.

La voix du chancelier Lamoignon de Blancménil, celle des plus graves magistrats étaient étouffées par l'exaltation philoso- phique et par le désir de complaire à la favorite. Les jeunes conseillers, que le président Rolland d'Ercevillo conduisait à l'assaut de la Société de Jésus, ne rer^nlaient devant aucun

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CIIAI». IV.

IlISTOIRK

moyen. Los Jésnilcs rlaicMil l«iiirsjuslici;ililns ; so liiis.-uit, Iiommos tl«' p.'irti an lion de rester ini|t;issililes snr Icins siô^os, t-cs inaj'istraLs sacriliitiont leur lurluiic, aliii ircuciMira^fcM' li's ciuic- mis de la C()ni|iai;iii(>. lin lui devaient de la niodôralion cl de réqnité; f|nel(jnes-niis se rninôieiit ponr l'écraser. Le prési- dent Unlland osa n)énie se créer un titn; diî gloire d'une seni- Mahie forfaiture '. Le pays snliissait les désastres d'nnc ^'iierre sans fçloire ; l'antorilé pnliiiiine s'avilissait à l'intérienr, le con- ra}^e des Français snr les mers sentit s'évanonir son presti^(» en face de (ant de hontes rpu^ la spirituelle lé<>érelé di; (lliniseid ((t l'afTéterie économiste de madanu! d(î l'ompadonr m\ parve- naient pins à convrir. Clioisenl allait liienlôt céder le (lanada à rAnjf|(!terrc; d'antres événements anssi fnnesles menaçaient de sonlever l'indit^nation palriotiqne; on essaya d'anmser la don- lein' nationale. Il y eut nne r(!c,rndescence d'attarpies diri|^ées sur rinstitnt, et ce ne sera pas la dernière qni servira à cacher rpuîlqne attentat contre l'honneur ou la liherté du pays. On allait sacrifier les conquêtes transatlan(ii|nes do la Fr(';e;on mit en jeu les Jésuites, et d'Alendjert, l'un des inilies à c.'Ke tactique, la révèle lui-nièmc eu ces termes - :

« La Marliiii(iiie, qui avait été déjà si fmieste à ces Pères en occasionnant le procès (ju'ils avaient perdu, précipita, dit-on, leur ruine par une circoustanco singulière. Ou reçut, à la lin de mars 17t'»:2, la triste nouvelle de la prise de cette colonie; cette prise, si inqiortaute pour l(>s Anglais, faisait tort diî plu- sieurs millions à notre cofumerce. La prudence du youvorMoment voulut prévenir les plaintes ([u'une si grande i)erte devait causer dans le public. On imagina, pour lairs: diversion, de fournir aux Français un autre olijet d'entretien, connue autrefois Al- cibiade avait imagine d(! couper la queue à son chien pour em-

' L(' prOaidi'iil liolliiiiil irilid'villi' avait ('^li' diMii'i'ili' par son (iiuU', Umiilli' tlis l'''illi'lit'ie^, (|iii 1 ■i;uu su Uirlii'n- a 1 1 Iniin ù Pcrrcllc, c'csl-ii-din" iinx .uuisimiisIis. Kiillaiid ne s'aUcndiit |i(iinl :i (c i'i<ii|i-la; il it'fti )i|ai(!iiil, «M allai|:ia lo Icslaiiii'iil duviin! les li'iliininiix. Il |uiblia un iiit'iuoii'o , ul , dans iinu Icllii; du 8 ni'liiliri' I77S, joiiilo au diosiirdii pi-dtès, un lit « l.'iiM'aii'f ;;■ nlo di'i. Jl'^nill'^ cl de-. (Icpirjit's MtiM'di'il"', <1«' mon nr;;enl, pliu de sinvmiic iiiilli' livrer . il . m vi'iil'. !'• Ii,iv:ui\ i|UOJ'ai t'aiU , siiridiil irlalivt mt'nl aux Ji' uiins , qui n'aui'iiiiiil pas i'l< i'li'ini> m ,|i' n'ciiSM' cdiisai iT a i( II.' uii\(i' nimi li-iiip- , nia Min'T' cl mon aii'.ciil, ne ilcvaici.l pii- Mi'allii'i r uni' CAJii ri'dalimi de mon uni le. i> .

'^ DisI nicliiiii 'ii's Ji .siiilis. pur d'Ali'inlii'il, p. Ilj^..

[)F. LA COMPAC.NrK DF. JKSUS.

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[mmImm' les Allirnifiis dn piirlcif d'iilliiiros pins si'rioiisos. On (ircl.iiM (liinr an principiil dn C.olli'vfo des Jésnilcs (pi'il ne Icnr rcsiail. |ilns qu'à oliûir au Pailcnicnt. <>

liiî 1"' avril, In l'arlonmnt lit Itîrmor tous les Coll('';^fts dns Jô- snitcs (1(5 son ressort ; dans lo mémo jour, les provinces et la capitale lïircnt inondées des ouvrages stM'ieux , des pamphlets , des réquisitoires dirigés contre l'institut. Ces œuvres, que les cinionstances rajeiuiissent de temps à autre, n'ont rien de sail- lant dans la forme ou dans le Tond. C'est toujours le môme c(>rcle vicieux, toujours les mômes préjugés mis au service des mêmes passions : mais, au milieu d'un pareil déluge d'écrits, il en est un qui fut réservé à une célébrité plus retentissante, il avait pour titre : PJxtrnits des assertions dangereuses et perrn- cli'uscs en tout (jenve, que les soi-disant Jôsuites ont dans tout temps et perse nér animent .soutenues, enseitjnêes et pu- bliées, etc. Ce recueil de textes tronqués, de passages lalsiliés, de doctrines étranges, le mensonge se substitue à la vérité, avait pour auteurs l'abbé Gojjet, Minard et Roussel de Latonr, conseiller au Parlement. Les Jésuites légitimaient tous les cri- mes, ils absolvaient tous les penchants coupables, on les voyait prêter la main à toutes les monstruosités. La mesure débordait; on les déshonorait dans leur passé pour les avilir dans le pré- sent : ils répondirent par des faits à des accusations qui enfin se reproduisaient d'une manière palpable. Ils démontrèrent *, et leur démonstration n'a jamais été réfutée, que les Assertions ne contenaient pas moins de sept cent cinquante-huit textes falsifiés. Les Evêques de France, le Souverain-Pontife lui- même s'élevèrent contre un outrage fait à la Religion, à la morale et à l'honneur des lettres. Le Parlement, qui cautionnait les Assertions, déclara que ses commissaires les avaient toutes vérii'iées et collationnées. il condamna les mandements des l'A'êques à être brûlés, puis il supprima les brefs du I^ape. La

On lil dans l\ CnrrcupDinhiiice dv Grhnm, v pari., I. iv, aiim'c i'M : » S'il où( ('U' pt'rmis aux Jcsuilos dViiiiioser oss*>rli<iii sur iissoriioii , ils en auraient pu rn- niasscnlo l'orl olr;iii(;i's dans le Code des rcnionlraïucs. » Ce fiil , <.'n ellel, Parlc- nM>nl ipii di'clara , ^olls l'.liai'k's VII, li.' roi d'Anfîii-tiM'ri' {l'uilimu sonvoniin de la rranct! ; je l'arlciiii ni (|iii lli'li il lit-nri il! ; W l'arltMin-nl <|iii dcfcndil ,1e recnnnaî- Ire Henri IV, sous peine dVlro p.'udii el l'Inuiftli'; li' Parlenienl i-nrore (|ui Mlliinia l:i iTi;.'!'! 1- de 1 1 rMiO'li.v

ill)

j;iiAi'. IV.

mSTOIIlK

inniivaisc fui nnvniil irtlo ilisnissioii; ^K^Ii!iO et les Jésuites rucctipluiont ; lu inrce brutale la l'crina.

Il avait lallu (li> li)n;>s travaux pour étalilir la prouve de tant «riinpiilatious. Les haines avaient pris le devant; elles pnipa- ^eaient la ealonniie avec une ini'onrevalde rapidité. La rectillea- tion n'arrivait rpie d'un pied boiteux; elle «Hait, comme toujours, étonIVée sous les clameurs de ia crédulité indi^Miée ou de la passion tpii n'avait pas besoin d'être convaincue. « Kn attendant (pie la vérité s'éclain.isse, écrivait alors d'Aleinberl, «u; recueil aura produit le bien que la nation en désirait, ranéaiitissemeiit des Jésuites. »

Cependant, le l*^^"" mai 17G'2, le Cdorgé de France se réunit en assemblée extraordinaire à Paris. Sons prétexte de déleriibe la puissance spirituelle contre les empiélitmcnts des Jé.snites, la iiia^istraliire annihilait cette même puissance. On allîrmait (pie c'était pour sauver l'Kglise que l'on voulait perdre la Société de Jésus, et l'Ej^lise tout entière, à la voix du successeur des ApiV Ires, repoussait ces avocats cruellement oflicieux, dont elle aviiit appris à se méfier. La France était enga^fée dans une guerre malheureuse; ell.; comptait plus de revers que de succès. li'Fital laisuit un appel pécuniaire au Clergé; le Clergé ne faillit pas à son vieux patriotisme; il vota des subsides. Mais, le 41} mai, en si; présentant devant le roi ù Ycrsaillcs, il déposa an pied du ti'ône Je vœu de l'Assemblée et celui di; la Cnlholicilé : ce vmu iHîiil la conservation des Jésuites. La Roche Aymon, archevêque de Marbonno, lut à Louis XV la lettre délibérée et signée, (pii le développait awc une courageuse éloquence» Elle se termine par ces, paroles ' : :i.'. •..î,;;;.. . .; ••■::..'•. ,::: .'..•■.!•'.■ . ',:,

« Ainsi, tout vous parle, Sire, en faveur des Jésuites. La rieligion vous recommande ses. défenseurs; l'Kglise, ses ininis- Ires; les amas chrcUiennes, les dépositaires du .secret de leur ((Ulscitsme; un grand nombre de vos sujets, les maîtres res- pectables qui les ont élevés; toute la jeunesse de votre royaunie, ceux qui doivent former leiir esprit et leur co'iir. Ne vous re- fusez pas, Sire, à tant de vœux réunis; ne souffrez donc pas

' Procî'K-verhauT. diot Axin-mbUet^ gciiérdlm tlii C'fertjt- du Fitiiia' , I. viii , M" iiailii!, pii'cts jusliniallvos, ii" 4, j». 379.

DK L.\ COMPAr.MK 01'. JKSU8.

217

que ilnns voire royaumo, r(nilr<' 1rs n'-f^lcs do lu justico, contre ri Iles (1« l'K^lisc , nwûiv. U'. droit civil, imo Sociclr ciilii'în» sdit dctriiilt' sans l'.ivdu nirritc. L'intércH de votre autoritr niAiiic l'oxiijjc, cl nons l'iiisons prnibssion d'ùlro «nssi jjdonx ilc ses droits (|iie d<'s nùlres. »

Voilà le liiM<^a']je que tenait le Clerj^é de France dans cette doidile crise, la ll('lij>ion et lu patrie /îtaient menacées en même tem|)s. Le i mai 17li:2, dix-iient' jours auparavant, d'Alendicrt, écrivant à Voltaire, s'occupait, lui aussi, do ces désastres, et il poussait un cri de joie : Unant à nous, disait- il \ malheureuse et drôle de nation, les Anglais nous l'ont jouer la Iraj^édie au dehors, et les Jésuites la comédie an dedans. L'évacuation du Collé«fe de Clermont nons occupe l)i'au<'oup plus que c(!l!(^ de la Martiniijue. Par ma foi, ceci est trés-sériciix, et les classes du l'arleuumt n'y vont pas de main morte. Ils croient servir la lUdij^ion, mais ils servent la raison sans s'en douter; ce sont des exécuteurs d(^ la haute justice pour la philosophie, dont ils prennent les ordnis sans le savoir; et les Jésuites pourraient dire à saint lyuace : ï\fon t'en', pardon naz-leur, car ils ne mvmt ce qu'ils font. Ce qui me parait singulier, c'est «pie la destruction de ces fantômes, qu'on croyait si redoutahles, se fasse avec aussi peu de bruit. La prise du cliAteiiu d'Arensberg n'a pas plus coûté aux llanovriens (jne la prise des biens des Jésuites à nos seigneurs ih\ Parlement. Ou .Se contente, à l'ordinaire, d'en plaisanter. On dit que Jésus- tlhrist est un pauvre capitaine réformé qui a perdu sa Com- pagnie. » .'■...: ;■ .• •<■ T..).!...., r:i; ...,:. ■<.■•■• •.

Les l'arlenients étaient « les exécuteurs de la haute justice pour la philosophie, dont ils prenaient les ordres sans le savoir; » on ne voulut pas laisser refroidir ce zèhî. Les Parlements se trouvaient à l'apogée de leur puissance; on avait besoin d'eux : o)j les enivra de louanges. La gloire leur vint avec la haine du nom de Jésuite; un réquisitoire et un arrêt contre l'hislitul fmrnt des titres à l'immortalité, dont les Kncyclopédisles st'- taicnt constitués les distributeurs. Dans cette vieille société . . .,-.'/ . ,, ■. ., , . 'i ,.../...•• 1,1 ......(,■•

> (tiirre.s (II- r(illniiY,\. \.\\iit,\>. -Î-O '''' ' '

418

en A»'. IV.

HISTOIRE

t'raïK.Miso, s'iilVaissant sur sa base, il était Itinn linilo dd (!iri|i;or lin iiionvoiuciil vors h; mal en llatlanl do i>vii('>r(;ii\ iiisliiicis. Ou avait oiitrahu'i 1(! l'arlenioul de Paris à faire d(! l'iiiiiislicii |)ai' esprit de religion ou de nationalité; on espéra que les niagis- 1 ratures de province dépasseraient le but indiqué. On les foira toutes à vider chacune dans son ressort la question des Jésuites, l/ainbitiou, la vanité, le désir d'attirer sur soi les regards de la France, et, pour d'autres, raccoiuplisseinent d'un devoir, iinpriuièrent à ces cours judiciaires une liévreuse activité. Ko t^onverneinent les mettait en mesure de se prononcer; elles évoipièrent les Constitutions de l'Ordre de Jésus à leur barre.

Ijoin du foyer de rintrit,fue e^ n'en démêlant pas bien tous les lils, les Parlements n'avaient pas un intérêt direct à la dcslriic- lion de la Société. Ils comptaient dans leurs rangs des magistrats pleins de science et d'équité, et qui, pour complaire à la maî- tresse ou au ministre du roi , n'étaient pas disposés à immoler leurs convictions. 11 y avait de l'opiniâtreté , des préjugés chez qiiebpies-uns ; dans le cœur de la plupart, dominait un senti- ment d'impartialité ou de reconnaissance nationale qu'il était .ditlicile d'alTaiblir. Le Parlement de Paris s'était engagé, il faisait appel à l'esprit du corps, toujours si puissant dans les tribunaux inamovibles. On rehaussait leur importance aux yeux du pouvoir royal : ils chargèrent les procureurs-généraux de leur rendre compte de 1 Institut de saint Ignace. C'était la cause la plus retentissante qui eût jamais été soumise à leur appréciation ; les procureurs-généraux s'imaginèrent d'abord ((ue cette belle proie; ne leur serait pas abandunuée ; mais lorsqu'ils eurent acquis la preuve cpie le roi laisserait parler, ils s'élancèrent dans l'arène. Tons cherchèrent à y briller par le talent ou par l'animosité.

Trois de ces com[)les-rendus ont survécu : Caradeuc de L;» (llhalolais, Ilipert de Monclar et Pierre-Jules Dudon, procu- reurs-généraux aux Parlements île lîrctagne, de Provence et de liordeaux , en étaient les auteurs. Cbauveiin, Sainl-Fargean et Joly de Flenry ,\.. eut pris l'initiative dans la capitale du rovaume : des magistrats plus éhxpients, plus nicisifs, les fai- saient oublier au fond des provinces. Avec des cnraclères et t\p>i esprits dill'èrents, mais avec un sentiment de probité religieuse

DR LA COMl'ACÎMK DE JKSUS.

-m

(|M0 I(\s <'lo[,'Os ot les oxciliitions dus l'iicvclopnlislos no p.irviii- rciil. poiiil i'i (''foiiiVi!!', Li> (îhiilolais, Diidoii cl Mondai" s'olUir- crront (rincniniiicr les statuts de Loyola. 11 y a, sans ancnn doute, de la pns-iion, de l'inifjnité involontaire dans leurs ré- (|iiisitoires ; mais , en tenant compto dos entralnonieuts de l'é- poque et des séductions (|ue tant d'utopies cxcreaicnt sur des natures ardentes, il faut avouer que ces grands mnt^istrats trou- vèrent souvent dans les amis des Jésuites la partialité dont ils avaient donné l'exemple*. On a jugé l'ouvrage, sans vouloir

' On n soiivciil ilil cl huivimiI i)iil)li(' qiio lu niinplp-icndii de La Chnlotiiis rlnil l'd'iivro lit' il'Alfiiilii'rl cl des J;lllSl•lli^ll'y, (|iii vu iin'piii'ri'iil les iniilôriiiux. O l'.iil nous t-iMiiltiu (.lOiiué (le t'iiiidi'iiii'iil. Ou a dll cnciire (|iil> les Jcsiiilcs sVluil vtuiQi's du l'auMMix pHicurfurgcncnil l)rol(iu ou le juM'si'cutiinl ol ru k' faisiiil ji'lor ou pi'isiiM. Los Jt'sui(es,))rosrrils alors, ii'iivnioul ni J'iulIuiMicu ui le leuips de proscrire los aulii's, ol La <'.li;ilolais lui ai'nMc le II iiovoiulire ITOj. ("osl Lavenly, l'uu <lc oos iuoud)i'os du Pai-lemenl do Paris si hoslilos ii \t\ Ciuupniïiii;'. i|ui , dovoiiu (ou- Irolour-ui'uoral sous le uliMi^l(•re du dm; do Clioisoul, no viuiliil plus Udoror les eiu|iir'loinouls dos cours judiciiiiros , au\i]i;('ls il .sVlail assooio. Ou a «joiilo ipie Ln riialolais nvail l'ail uuo u'uvro de ralcul cl do liaiue. Daus les papiers de sa famille, il ovisledos uiciuoiros iu.'dils du ninili? di- La iMUiilaie, (jiMidredu proiiirour-iît'- lu-ral, et, sous la ilalc de l'auuc'o 17(11, nous y lisnu'^ ors curieux di'lails :

<( A sa clôture, le l'arlouii lit cliari;ca M. de La (llMlidais de l'exauiou des Cousli lulioiis dos Jc^uilos, pour lui ou rcudro couiple sa roui r('c. Tous les l'arhMuculs do Krauco eu lireul autant Celait iiiie allairo majiMiro, exigeait uu travail éintrnu', (|ui devint .une cspéto di; concours do l;di;iit outre le; pn)cureurs-{;r'nOraux du loyauiue M. de La Clialolais uo put se pi'rsnador d'aliord iiuo le roi porinll cet oxanu'u; il avait uuo trop Iriiilo idi'o du okHIII iIos Jésuilos ii la cour, pour ne pas leur croire li.'s moyens de conjurer cet ura|;o. Il ne se pii'sfa donc point d'ontio- prordic ce loin; el r.islidieiix (ia\ail ([ni lui elait deuiniid(''. Niuis parliiiio-. oiisoiiilili; piuir (|iic!.;iies visites ilc laiiillle. Clieiniu l'ai'-aiil, il lisait los Coii.^liliilions des .li'- siiiles, et |d.is ilavaiieait dans ci Ile loduie, plus il s'elIVay.iil do riiii;iorlance ol ili; la lou|',iieur du travail in''ce;s!iro pour eu roiiilie cou.ple a lu rohiii'e du l'arle- iiioiil. Il me pria do riildiiriior il Uoiiiies, d'y voir de sa pari les moiiilires du Parle- meut i|iii s'y tioiivaioiil, ainsi que los poroiines de la socieli' ayant ùos iilalimc-, soil II Paris, soil ii li cour, el ili! lui iiiauiler, d'apri's ces conférences , si on pomail ci'(Mi'o (jue le roi laissirail jiai 1er les prorureurs-iîi'iiéraux sur les rniislilulious des .lesniles .le iii'eoi|ircssai Menlot d' lui iiiaiiiler (|iie, de tous ks renieianeiiieiils que j'av;iis pu ino pKK Hier, on iMUivail ion. Iiiie (priiii parli , lr>'s-|uiis,si.nt à la cour, seiiiidail jiii'valoii' mr le cn'ili! des Jesuiies a Nd saille», il le per.-uader que l'allaiio OLlaiin'c ciiiilre cet Ordre soiail suivie avoo riipioiir.

» M. de La C.lialolais se hàia de revenir a lleiines, s'oiirevina dans son cahinel, ol, ou six semaines d'un travail l'iirc'Mi.ii pril iiièiue sur sa saiiU^ il iilloi|>,iiit le Iml. Son comple-reiidii , dans celle alfaire , eut le suciès le plus coiiiplel , non-seul.'inonl au Parlement, auquel il le reiidil, mais dans lu sticielo, U fut iiieiilot iiiipi iiiii', répandu i) la coiir el a la \ille, ou il iiiirila ii sou aiileiir la ré|>uialieii la plu.-^ distliiQuoe lomiiie mij;islral, piililirisle et lilleraleui'.

1) ,1'enleiids dire el je lis aiij'iiiiirimi , d.iiis plusieiir., ouvraRor do Idli'ialure ro- lenls, que il. de La tllialut ii> eiail coiiiui poiii' oiiiieinl de i ol 0:ilie cclelire, que SIS conipie, rendus avaioiil l'Ie dieti's par la haine el la i^arlialile PerMUUi' mieux que moi ne peut deuniilir celle calo'iinie J'ai vu ol lu cli.icane des pa;;cs de tel oiivrai;o, a mesure qu'il a oie lui, ei je .'.ni . lice , aver l.oile \.'' i!.' , qiio iioii-soii- leinenl M, de La Clial ilais u'ii\ail am '.aie riru'. Iim; an! i eiii e i oiilre lolloSo-

220

CIIAI'. IV.

mSTOIRR

(lescp-ndrft dans la vie de l'auteur. Cette vie sévère et retirée fut cependant aussi digne que pieuse. La Chalotais et Monclar so laissèrent emporter par des violences dont ils ne calculèrent que plus tard les tristes otîets, et ils s'en repentirent. Dudon , plus maître de sa pensée et de sa parole, se contenta de discuter les Constitutions que le roi livrait à son examen. 11 fut prudent les autres substituaient la véhémence du sophisme à l'idée catholique. Son compte-rendu était serré et lumineux , il con- cluait contre les Jésuites ; mais , dans ses développements , il i'aisait ressortir les services dont le monde chrétien est redevable à l'Ordre. Son réquisitoire n'avait pas le brillant reflet des pas- sions dujour , aussi ne fut-il pas accueilli avec l'enthousiasme qui salua ceux de La Chalotais et de Monclar.

Kn France, habituellement on ne réfléchit qu'après coup, il sera toujours aisé de faire une opinion publique. Elle a été travaillée en chaque sens, et les masses se sont toujours con- formées à l'impulsion de ceux qui aspiraient h les diriger en les trompant. La popularité ne vient habituellement qu'aux hom- mes dont l'art consiste à faire naître des préjugés qu'ils exploi- tent. Le jour de l'abandon arrivait pour les Jésuites. Ils ne ré- sistaient pas, ils ne pouvaient pas résister à ce choc multiple, qui les enveloppait de toutes parts ; mais à l'encontre de tant de précipitations judiciaires, il surgit au sein des Parlements de courageuses minorités, qui ne consentirent point à flétrir la Religion et la justice. A Reunes, à Bordeaux, à Rouen, à Tou- louse, à Metz, à Dijon, à Pau, à Grenoble, à Perpignan, à Aix surtout*, la voix de Monclar avait éclaté, de longs con- flits s'élevèrent. Les passions s'agitaient au sein des cours; plus d'une sinistre prédiction , qu'un prochain avenir devait réaliser, se fit entendre. Ces orageuses délibérations mettaient en ques- tion le principe chrétien et le pouvoir monarchique, la liberté

cif'liy, mais infnie qu'il faisait graiid cns de |ilusieiirs de ses membres, lorsque le devoir de sa place le mil dans la mv-cssilé de donner son avis sur ces Coiisliluliuns; qu'iiirtipable de le faire i>ar haine d iiarlialilii (senlimenls qui n'enlrèient jamais dans sa belle àiue), il rcji.'la, .iu roulraire, loulc impulsion rlrani'i're à son opinimi personnelle, .l'ui vu cl lu une foule de lellre-i anonymes ((ul lui furent adressées (par <|U('lquPs Jansénistes sans doule) ; elliN élaionl pleines de llel el d'amertume , mais aussi de faits et de reclierclies profii;;des : il dédainmi d'i n faire usaije, el,plus

lard, même <le les lire. »

' Mniii>in's ini'dils de M. le président d'Kgiiilles , ir' part., arl. 0, p. 304.

Dli: LA CUMI'AUNIE DE JKSUS.

-2-21

do lj cuiisciciico et rinlolcrance pliilusoph'upic, le druit do la t'uiiiille et le droit des accusés.

Les Parlements élaient les sentinelles préposées à lu garile des intérêts sociaux : dans toute autre circonstance, ils les au- raient protégés ; mais on les conviait à détruire un Institut re- ligieux dont plus d'une l'ois ils avaient jalousé i'inlïuence sur les populations. Il y avait solidarité de corps, esprit de vengeance, désir immodéré d'étendre ses attributions : de pareilles cau- ses l'emportèrent. On vit les magistrats se constituer tout à la l'ois arbitres, accusateurs et témoins. Us n'écoutèrent ^loint les Jésuites en leur défense ; ils ne surent que proscrire, et le parti était si bien pris d'avance qu'à Aix une majorité primitive de vingt-neuf voix opprima une minorité de vingt-sept. Cette mi- norité comptait quatre présidents à mortier : Coriolis d'Espi- nouse , de (lueydan , l?oycr d'Eguilles et d'Entrecasteaux. Elle avait dans ses rangs Montvallon , Mirabeau, Beaurccueil , Cbar- leval , Tliorame, Despraux, La Canorgue, de Rousset, Mons , de Cloi'iolis, de Jonques, Fortis et Gamelin. Ces magistrats n'osaient pas juger la plus grande et la plus difficile des affaires, sans instruc- tion, sans pièces, sans rapport. On avait calculé les suffrages : les ennemis des Jésuites savaient qu'une majorité de deux voix leur était acquise, ils passèrent outre. Cette contrainte morale, cpii a quelque chose de révolutionnaire, pouvait être mal interprétée ; diiiis les mémoires inédits du président- d'Eguilles, nous trou- vons ce qu'en pensèrent ces hommes de profonde conviction. Le président se plaint au roi de la violence qu'on a cherché à leur faire subir, et, équitable même ea racontant les iniquités dont des résistances consciencieuses furent les victimes : il ajoute :

« Voilà, Sire, bien des choses que j'aurais bien voulu me cacher à moi-même. Elles m'ont surpris d'autant plus que je ne devais pas les attendre d'un corps de magistrats , tout rempli d'honneur et de probité, parmi lesquels, certainement, il n'y en a pas un seul qui fût capable de la moindre fausseté, de la moindre injustice pour im intérêt personnel. Il semble que les l'xcès l'on se porte en corps ne sont ceux de personne : l'i- ni(piité disparaît en se partageant, et l'on ose tout, parce qu'on ne se croit responsable de rien personnellement. Ce n'est pas

J

'>'>'>.

CHAI'. IV.

HISÏOIHK

(|u'il n'eu coûte, d'ahoid, mais le iiiiiiiv.'iis i!\t'm|iliï liiiL l'iiiiL' iiii preinicr piis , !;i viinitc un si'coiiil, l'aiiibilioii (Hieliiuolbis iiii ti'oisIciiR' ; (nisTiito, le i'aii.v lioinieur, la lioiilo (in'oii troiivoiait à iTciilc'i", les préjugés d'une coDipagnic, sa pi'étentlue gloire, son [ii'éton In intéivt, la colère contre ceux qui alttKpient, tou- l(!s les passions soulevées se réunissent, corronijtent iui^ensi- hleuient la pins belle ànic, et Unissent par mettre l'esprit et le rreur dans une espèce do convulsion habituelle il n'y i> pins d'venx pour la vérité, plus d'amour pour la justice , prestjue plus de liberté pour le bien ; de manière (pie, sans le vouloir, et pn^sipie toujours sans le croire, les plus bonnêles .gens, les plus i»elles âmes, les cœunï les plus himiains vont vers le niai aus.^i bien que les plus méchants iiommcs, en se déterminant commi! eux par la nécessité du moment : l'alTaire des Jésuites en Iburnit an monde un terrible exemple. »

De temps à autre, Louis XV comprenait les devoirs de la royauté. L'obsession, tlont le président d'Kguilles se plaiiniait avec une pudeur si parlementairemcnt contenue, réveilla dans U) cœur du monarque un sentiment de dignité. Le 12 septein- bri! 17G!2, le Dauphin écrivit la lettre suivante à d'Kguilles, venu à Versailles aiin de réc'amcr justice : « Avant votre dé- part, Monsieur, pour retom'uer à vos ibi.ctions, je ne piii.s m'enipèclier de vous témoigner toute ma s;!lisiaction du /èlc (pie le président d'Esj-rinouse et vous, à la tète de dix-neiil' magistrats, ont manpié, dans raliaire des Jésuites, jionr les intérêts de la Religion et ceux ite l'autorité du Iloi. Ces deux grands objets, étroitement liés, et que je ne perds pas de vue, m'engagent à vous prier d'assurer les magistrats qui les ont si bien remplis de toute ma bienveillance et do mon estime, et de compt ,r sur les mêmes sentiments pour vous. »

Dans ' plupart des cours judiciaires, une imperecqitible ma- jorité • consacra ces sentences, dont les considérants sont à

a roiifcrvi-lu' nombic lies sii(Triif;o.s qui, iIiiih jiîusit'iirs KHirs , .se p roi ion- i'<;rciil sur les .ItStiilos. Il est iiiiisi él-il>ii : ii Ileitiie.s, ;{2 coiilic-J'J; h Uoiieii , 20 l'onlre |:i ; il 'l'oulmise , 41 loiilio ;!i); a l'i'i'|iii',iiiiii , ti iiiiilrc .'i ; lldideaiix, 2;i conli'o IS ; ;i Aii, 24 eoiilie -22. l>a rc|)arliti(iii lîes voles de loiilos les iiulre.i ciiuis ei>l lu inOiiic, et jamais une majorité si disputée n'a inudiiil un h uiuiid OvOiiemcnt.

m LA COMl'ACNIi; l»K JKSUS.

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peu [irès basés sur los mêmes inotils. M'iis l'urrèt du l'itrkîmciit lie llretagne roucliéiit sur roNagération tics autres. Il déclara privés de toutes fonctions civiles et municipales les ))areuts qui enverraient leurs enfants étudier chez les Jésuites à l'étranger ; ces enfants, à leur retour, se trouvaient dans la même excep- tion. Le Parlement de Besançon, les Cours souveraines d'Al- sace*, ihi Flandre et d'Artois, refusèrent de s'associer au mou- vement de l'opinicju. Los tribunaux du royaume se coalisèrent pom- déclarer los Jé.>uites ennemis du bien public; les magistrats fie ces quatre provinces et ceux de Lorraine, régnait Stanislas de l'ologne, proclamèrent les disciples de saint Ignace « les plus fidèles sujets du roi de France, et les plus sûrs g'iranls de la moralité des peuples. » :

La voie était déblayée; le Parlement de Paris, soutenu par tous ces décrets de i)roscription , allait proscrire à son tour et frapper à mort la Compagnie de Jésus. Il l'avait assignée au 0 août 1702; ce jour-là même il rendit un jugement par lequel : « Dit qu'il y a abus dans ledit Institut de ladite Société, se di- sant de Jésus, bulles, brefs, lettres apostoliques, constitutions, déclarations sur lesdites constitutions, formules de vœux, dé- crets des Généraux et congrégations générales de ladite So- ciété, etc. Ce faisant, déclare ledit Institut inadmissible,

' Ia' cardiiiiil du l'olian , KvfMiiio de Sli'i(sI)ourf; , aval! (Ipiniiiiiio an roi l.i atii- scrvalioii tics Jo-uitos d'Al^aii!, tlnnt le ;)rii\ile cl l's luanislrals n'pudiisioiil à se s('|iiii't'i'. Le duc do Cliiii>L'id lui all|■L•s^a de Versailles, le 8 août 170-.!, la n'poiise

S(llV;inlC :

« 1,0 roi m'a remis la Icllrc que Voire Imminence lui a écrite pour lui faire pnrl (le SCS iiKiui'-ludos par l'apporl aux Jcbuilos '.l'Alsaco cl pnur lui rendre comjile de l'ulililé dont ces Hcligieuv siuil dans celle province, tant pour l'i-ducalinn de la jeunesse eu \>arliculicr (|tie pour IV^anlage de l;i Uelii;ion en ci-ncral. Sa Majcslo me charge de répondre là-dessus a Voire Eniinciice, en lui faisanl (diserver (|u'clle doil iMre d'autant plus rassurée sur le sort des Jé.-ui(es d'Ali^acc, que, jusipi'a présent, il ne s'est rien passé dans celle province qui lui doiiuc lieu deci-aindie les mentes événeuicnis qu'ils ont éprouves dans une partie du royiuime. Ku ellii , quand Votre Kinluencc ne conunllrait pas comme elle sait les disposilicms du roi par rapport à tout ce »iui peut intéresser la rclii;ii/:i, elle n'aurait pas m;iin,> la satii-l'aclion de voir ([ue son diocèse a joui Jusqu'à présent de toute la lrau(|ulllité que les circonstances actuelles n'ont point inlerrouipue, ce (fui devient ptun- elle et pour Votre iMuineuce un nouveau garant de l'exéculiou des inleuiions du roi , qui lu^veut pas (jue les Jésuites y éprouvent aucun changement dans leur élat. Votre Eminencc connaît l'inviolable utlachenieul avec lequel je i'ais profession de l'honorer plus que \ier8ounc. »

Le duc de Choiseul se garda bien de tenir promesse. Le Conseil souverain d'Alsace avail muiutenu les l'eres. Le ministre, à lorce d'intrigues et ilc manœuvres, sul ciillii obtenir de celle cour la suppression des .lésuitei.

•2-2 i

CIIAI'. IV. HISlOlKfc;

]iiii' sa n.iUii'i! , dans tout Ktat pulicé, cuihiiu; (;uiitraiœ an ilniit iiatuicl, atloiilatoirc ù tuiilc aiiturité spiritiiiillc et leiii- purcllo , et tondant à intiocluiro ilaiis l'Kj^liso et dans les Etats, sous le voile spécieux d'un Institut religieux, non un Ordre ({ui aspire véritablement et uniquement à la perfection évangéli((uc , mais plutôt un corps politique , dont l'essence consiste dans une activité contimielle pour parvenir par toutes sortes de voies, directes ci indirectes, sourdes et publiques, d'abord à une indépendance abs»lue, et successivement à l'u- surpation de toute autorité. »

Tel est le résumé des griefs et des imputations accumulés contre l'Institut : ce ne sont point des délits dont les Jésuites se seraient rendus coupables, mais dtis accusations de doctrines erronées , de faux principes , que le Parlement emprunte aux Extraits des assertions. Et ce n'est i)as un individu isolé qui a pu rêver et concilier tant de turpitudes morales; an dire de la cour judiciaire , tous les Jésuites sont coupables d'avoir enseigné en tous temps et persévérammcnt avCc l'approba- tion dt; leurs supérieurs et généraux « la simonie, le blas- pliémc, le sacrilège, la magie et le maléfice, l'astrologie, l'ir- réligion de tous les genres , l'idoliltrie et la superstition , l'impudicité , le parjure , le faux témoignage , les prévarica- tions des juges, le vol, le parricide, l'homicide, le suicide, le régicide.

» Leurs doctrines de tous les temps ont été lavorables au schisme des Grecs; attentatoires au dogme de la procession du Saint-Esprit; favorisant l'Arianisme, le Socinianisme, le Sabel- lianisme, le Nestorianisnie ; ébranlant la certitude d'aucuns dogmes sur la hiérarchie, sur les rites du sacrifice et du sacre- ment; renversant l'autorité de l'Eglise et du Siège apostolique; favorisant les Luthériens, les Calvinistes ci autres novateurs du seizième siècle; reproduisant l'hérésie de Wicief; renouvelant les erreurs de Tichonius, de Pelage, des Sémipélagiens, de Cassien, de Eaustc, des Marseillais; ajoutant le blasphème à l'hérésie; injurieuses aux saints Pères, aux Apôtres, à Abraham, aux

IX Aniïcs; oulraiiouses et

)phèlc

iptistc,

blasphémaloires contre la bienheureuse Vierge Mavie; ébranlant

DR LA COMPAGNIE DE JESLS.

225

les fondements de la Foi chrétienne ; destructives de la divinité de Jésus-Christ, attaquant le mystère de la Rédemption; favo- risant l'impiété des déistes; ressentant l'Epicuréismc ; appre- nant aux hommes à vivre en bôtcs et au:^ Chrétiens à vivre en païens; ofTi'nsant les oreilles chastes; nourrissant la concupis- cence et induisant à la tentation et aux plus grands péchés; éludant la loi divine par de fausses ventes, des sociétés simulées et autres artifices et fraudes de ce genre; palliant l'usure; in- duisant les juges à la prévarication; propres à fomenter des artifices diaboliques; troublant la paix des familles; ajoutant l'art de tromper à l'iniquité du vol ; ouvrant le chemin au vol ; ébranlant la fidélité des domestiques; ouvrant la voie au viole- ment de toutes les lois, soit civiles, ecclésiastiques ou aposto- liques; injurieuses aux souverains et aux gouvernements, et faisant dépendre de vains raisonnements et systèmes la vie des hommes et la règle des mœurs ; excusant la vengeance et l'ho- micide; approuvant la cruauté cl les vengeances personnelles; contraires au second commandement de la charité , et étouHant môme dans les pères et les enfants tous sentiments d'huma- nité; exécrables, contraires à l'amour filial; ouvrant le chemin à l'avarice et à la cruauté; propres à procurer des homicides et parricides inouïi; ouvert'îment opposés au Décalogue; pro- tégeant les massacres; menaçant les magistrats et la société humaine d'une perte certaine ; contraires aux maximes de l'E- vangile, aux exemples de Jésus-Christ, à la doctrine des Apô- tres, aux opinions des Saints^Pères, aux décisions de l'Eglise, à la sûreté de la vie et de l'honneur des princes, de leurs ministres et de leurs magistrats , au repos des familles , au bon ordre de la société civile; séditieuses, contraires au droit natu- rel , au droit divin , au droit positif et au droit des gens ; apla- nissant la voie au fanatisme et à des carnages horribles; por- turbalives de la société des hommes ; créant contre la vie des rois un péril toujours présent; doctrine dont le venin est si dangereux, et qui ne s'est que trop accréditée par de sacrilèges effets , qu'on n'a pu voir sans horreur. »

Cet arrêt, le ridicule s'unit à l'atroce, la contradiction dans les termes exclut forcément cette unité de doctrines tant

v.

2'iO

CHAI'. IV. mSTOlIlE

reprochée à la Cumpagnic, enjoint ù tons les IV-res de renoncer aux régies de l'Institut; il leur est défendu d'en garder l'habit, de vivre en commun , de correspondre avec les membres do l'Ordre , et de remplir aucune fonction sans avoir prêté le ser- ment annexé à l'arrêt. On confisca leurs biens , on les expulsa de leurs maisons , on dilapida leur fortupe ^ , on spolia leurs riches églises, on dispersa leurs précieuses bibliothèques, on ne leur accorda qu'une pension insulTîsante, et qu'il fallait acheter par toute sorte de sacrifices*. Ces quatre mille prêtres qui, dans leurs Collèges , dans leurs Missions, dans leurs tra- vaux apostoliques ou littéraires, avaient glorifié le nom de la France, se trouvèrent, de par la sentence, convaincus de tous les crimes possibles, de toutes les hérésies imaginables , depuis l'Ârianisme jusqu'au Luthéranisme , et réduits à la misère ou

* La Torlune des Jésuites m France, sans compter leurs biens des colonies, s'éle- vait de 56 h 60 millions, tinsi répartis en 1760 :

De biens«fonds improductifs, tels que vastes bâtiments, meubles , bibliothèques et sacristies 90 millions.

De capitaux productifs, dont le revenu servait ii acquitter 550,000 livres d'impositions ecclésiastiques ou civiles. . Il

D'autres propriétés, dont le revenu payait les intérêts de 4 millions de dettes et l'entretien des bâtiments. ... 7

De 20 millions, dont le revenu servait i> l'entretien, li la nourriture, dux voyages de 4,000 Religieux; ce qui élevait la dépense de chaque Jésuite ii 300 francs à peu près 20

Tulal 58 millions.

Dans ce chiffre ne sont pas compris les dons ou aumônes, surtout pour lesMii* sons-Professes.

3 Les Parlements de France assignèrent vingt sous par jour ii chaque Jésuile. Celui de Grenoble alla jusqu'à trente; mais la cour du Languedoc n'en accorila que douze. Une anecdote assez singulière fit modiller cette parcimonie. Toutes tes fois qu'une chaîne de galériens passait à Toulouse, les Jésuites avaient la charge d'en prendre soin; ils leur donnaient un ropas, et, alin d'Iiabituer de bonne heure leurs élèves h la vertu ainsi qu'il la piété, ils faisaient servir les forçais par les en- fants des familles les plus distinguées. Quelque temps après l'arrôl provisoire qui anéantissait la Compagnie, une chaîne du galériens traversa la ville. Conformé- ment ii l'usage, le Parlement dérida qu'ils dîneraient a^tx frais des Jésuites. On on lit prévenir lu séquestre, et la dépense fut tlxée à di^-sept sous par léte. Ainsi un prenait sur le bien des Jésuites dix-sept sous pour un diiier de forçat, et on n'eu nllribuait que douze par jour àchaque Père. Ce contraste frappa si vivement l'esprit du peuple, qu'uiln d'échapper au ridicule qui ne lui était guère épargné, le Parle- ment, toutes chambres assemblées, arrêta que sa générosité s'élè>erail au chiffre des autres cours du royaume.

Le Parlement de Paris n'accordait cette pension alimentaire qu'aux Profès : les Scolasliqucs en étaient privés. On ne voulait plus qu'ils fussent Jésuites, et ou enlevait ces jeunes gens le droit de rentrer dans leur pairinoine et la faculté de pouvoir hériter. On les déclarait morts civilement on morne temps qu'on les rappe- iail il la vie civile.

DE LA f.OMrAr.ME DE JlfSL'9.

227

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i\ ):) limite lie bliispliéincr l'In.iUiut (iii'ils uvciieiU lliit vœu de suivre jusqu'à la mort. Ce vœu lut le serment impie d'une règle impie. ^ ...- .

Des tribunaux catholiques Venaient de donnci* âti monde un l'atal exemple ; les écrivains protestants ne craignirent pas de le leur reprocher. « Cet arrôt du Parlement, dit SchœlP, porte trop visiblement le caractère de la passion et de l'injustice, pour ne pas être désapprouvé par tous les hommes de bien non prévenus. Exiger des Jésuites l'engagement de soutenir les principes qu'on appelle les libertés de l'Eglise gallicane , était un acte de tyrannie; car, quelque respectables que ces prin- cipes paraissent, ils n'étaient pourtant, selon l'opinion des docteurs les plus savants, que problématiques, quoique pro- bables, et nullement articles de foi. Vouloir forcer les Jésuites à repousser les principes de morale de l'Ordre , c'était décider arbitrairement un fait historique manifestement faux et con- trouvé. Mais dans les maladies de l'esprit humain , comme celle qui affectait la génération d'alors, la raison se tait , le juge- ment est obscurci par les préventions. Les Jésuites opposèrent la résignation aux persécutions dirigées contre eux. Ces hommes qu'on disait si disposés h se jouer de la Religion refusèrent de prêter le serment qu'on exigeait d'eux. De quatre mille Pères qu'ils étaient en France, à peine cinq s'y soumirent. »

La Compagnie n'existe plus dans le royaume très-chrétien. Ses membres sont dispersés ; on les force à rompre des vœux que la loi ne reconnaît plus , qu'elle poursuivra avec l'achar- nement des passions de pa.ti. On excite à l'apostasie , on offre d'immenses avantages aux enfants qui consentiront i\ renier leur mère outragée, et, au dire d'un écrivain protestant, à peine cinq Jésuites, sur quatre mille, trahissont-ils les serments dont ils sont juridiquement déliés. C'est le plus bel éloge qui ait ja- mais été fait d'une association religieuse.

La tyrannie en simarre ne devait pas s'arrêter sur la pente procédurière elle s'était engagée. Les Jésuites disséminés se voyaient appelés par les Evoques et par les peuples. Ils ne pou- vaient plus former l'enfance à la vertu et aux belles*-lettres ;

Cniirx iJ'hhloIre ih^s F.tnis européens, I. xi, p. SI cl Si.

»

■l'-ÀH

CHAI>. IV. HISTOIHR

I ^ *

l'Age mAr se pressait autour des chaires évangéliques, aOn tie recueillir leur enseignement. Ils étaient pauvres , mais leur cœur contenait une surabondance de richesse, et leur zèle ne restait pas oisif. Ils furent tout îi la fois Missionnaires et direc- teurs des âmes. Les Jésuites ne s'étaient pas défendus , leur apologie éclatait après coup; le Parlement n'osa même pas tolérer ce tardif appel à l'opinion publique. Deux prêtres, ac- cusés d'avoir censuré les arrêts du Parlement , se virent condamnés h être pendus : l'arrêt fut exécuté. Les Cours de justice et leurs alliés s'inquiétaient de ce mouvement de l'opi- nion, qui tournait contre eux. Les Jésuites, répandus dans les villes et dans les campagnes , elTrayaient la philosophie et la magistrature. D'Âlembert fit part de ses craintes à Voltaire ; le patriarche de Ferney, qui n'aimait pas les prescripteurs, lui répondit \ le 18 janvier 1763 : « Les Jésuites ne sont pas encore détruits : ils sont conservés en Alsace ; ils prêchent ù Dijon, à Grenoble, à Besançon. H y en a onze à Versailles, et un autre oui me dit la messe*. »

La blesijure faite h l'Institut de saint Ignace avait retenti dans tous les cœurs Cutholiques. Les pères de famille cher- chaient 'a quels maîtres ils confieraient désormais l'éducation de leurs enfants, les hommes sensés déploraient la perte de cette Compagnie 3, qui entretenait dans les peuples les senti- ments de religion ; qui se présentait partout il y avait quel- que bien à opérer , des lumières à répandre, des ignorants à instruire, de grands sacrifices à faire. Tous, dans l'amertume do

. Œuvres de Voltaire, I. Lxviii, p. 239.

s Ce Ji^uilc, recueilli par Voltaire, se nommait le Père Ailam. Au dire de son liôtc, il n'étiiil pas le premier homme du monde.

^ Le duc de Choiseul et le Parlement firent composer alors l'Arbre (rroQraplii- (|ue que nous reproduisions tel qu'il fut adressé aux princes et aux magistrats. Cul Arbre Qi^ographique est confiu'me au dernier catalogue gi^nt^ral de la Compa- gnie de Jt>sus, imprimé a Home en 1749; mais il ne représente pas IVtat de l'Ordre eii 1762. A cette époque l'Institut de saint Ignace comprenait une Assi»- lonce de plus, celle de Pologne, érigée en 17.50 por la xviii' Congrégation Générale, et formée des deux Provinces de Pologne et de Liihuanie, qui furent divisées et conslilucrenl les quatre Provinces de grande Pologne, de petite Pologne, de l.i- Ihuanic et de Mazovie.

Les doux Méduilliiiis ne sont pas aussi exacts que l'Arbre géographique. Leur litre et leurs indications peuvent induire en erreur.

Los otublissemcnts des Jésuites dans les Provinces-Unies n'étaient pas plus se- crets que ceux dos autres religieux ot des prêtres séculiers eux-mêmes. Pour les

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LA COMPAGNIE DE JESUS.

229

leurs pressentiments, s'écriaient avec l'abbé de Lit Mennais 1 : « J'ai parlé de dévouement, et à ce mot la pensée se reporte avec douleur sur cet Ordre, naguère florissant, dont l'existence tout entière fut qu'un grand dévouement à l'humanité et à la Religion. Ils le savaient, ceux qui l'ont détruit, et c'était pour eux une raison de le détruire, comme c'en est une pour nous de lui payer du moins le tribut de regrets et de reconnaissance qu'il mérite pour tant de bienfaits. Eh! qui pourrait les compter tous? Longtemps encore on s'apercevra du vide immense qu'ont laissé dans la Chrétienté ces hommes avides de sacrifices comme les autres le sont de jouissances, et Ton travaillera longtemps à le combler. Qui les a remplacés dans nos chaires ? qui les rem- placera dans nos collèges? qui, à leur place, s'offrira pour por- ter la Foi et la civilisation, avec l'amour du nom français^ dans les forêts de l'Amérique ou dans les vastes contrées de l'Asie, tant de fois arrosées de leur sang? On les accuse d'ambition : sans doute ils en avaient, et quel corps n'en a pas? Leur ambi- tion était de faire le bien, tout le bien qui était en eux; et qui ne sait que c'est souvent ce que les hommes pardonnent le moins ? Ils voulaient dominer partout : et donc dominaient- ils, si ce n'est dans ces régions du Nouveau-Monde, où, pour la première et In dernière fois, l'on vit se réaliser sous leur in- fluence ces chimères de bonheur que l'on pardonnait à peine à l'imagination des poètes? Ils étaient dangereux aux souverains : est-ce bien à b. philosophie à leur faire ce reproche? Quoi qu'il en soit, j'ouvre l'histoire, j'y vois des accusations , j'en cherche les preuves, et ne trouve qu'une justification éclatante. »

Cette justification des Jésuites, manifestée en termes m clo- qucnts, ne leur fut pas alors refusée par la Catholicité. Il y avait

*çr

uns, aiii>i que pour les autres, lotil le iiiyslore roiisislail en m i|uc le* églises catho- liques iic |<flu\!iien( avoir ni p'irics ni rrntMres ilounaul sur la rue, et (|u'il élnil «lorotithi aux Catholiques, sous |ieiiic d'une aineutlc «le trois florins , de s'y rendre un livre de priores h la main.

Les Missions <le Cuylfnihouris elMc Wuch Ic-Duerstede, dt'KÎdntîes dans le Mé- daillon de droite, nVxislaieul pa'*. Ces deux Méd'iillous n'indi(iucnt que quinze stations OIjMIos dans diMt/.c villes; elles ne suppitst'ul qucquin/.i! Missionnaire^. A lVpo(|UR p:)rut l'Arbre |i<''0|]t'aphi(|ue, ou coniplait vinQl-cinq stations dris vinfjl-lrois villes et quarante Missionnaires.

' nrflrxions sur l'état (te l'Fijlisc du l'rniice pvidant d- dix liuitlimc siècfe, p. 10 (Palis, 1820.)

i^0O ' CHAI'. IV. HISI'OIUK

sur le siège de Paris un prélat éprouve par l'exil, un archové- ({ue dont le courage et l'inépuisable charité seront toujours un des plus beaux souvenirs de la vieille basilique. C'était Chris- tophe de Beaumont, dont les Anglais et Frédéric II admiraient ]a vertu, dont le peuple bénissait le nom, et dont le Parlement, Jes Jansénistes et les Philosophes blâmaient l'apostolique viri- lité, tout en respectant la pureté de ses vues. Christophe de Beaumunt avait compris que la guerre faite aux Jésuites deve- nait le signal de la ruine des mœurs et de l'Eglise. Il tenait tète à toutes les attaques : le 28 octobre 1 7 G3, il jeta dans la mêlée sa célèbre Instruction pastorale. L'Âthanase français traduisit au tribunal de sa conscience do magistrat ecclésiasti- que ces juges séculiers oui, du haut de leurs sièges, espéraient forcer le pouvoir spirituel à n'être plus que le commissaire de police morale du pouvoir temporel. Il les confondit sur pièces, .<i^^)entant leur œuvre par des faits, opposant la vérité écrite au iifiensonge parlé, et prouvant que les Jésuites condamnés n'a- vaient été ni accusés ni jugés de bonne foi. Â cette savante in- trépidité, le Parlement ne connut plus de bornes. La modération de la forme n'afl'aiblissait point, dans la Lettre Pastorale, l'éner- gie du fond ; le Parlement était vaincu par la raison, il répondit par l'arbitraire. Le 21 janvier 1764, le môme bourreau qui la- cérait et brûlait ï Emile de Jean- Jacques et V Encyclopédie lacéra et brûla l'œuvre du Pontife. Christophe de Beaumont fut cité à comparaître : il aurait comparu , il aurait été flétri par arrêt et glorilié par la justice, si le roi n'eût trouvé un honteux palliatif: il exila de nouveau le premier pasteur du diocèse. L'archevêque échappait aux vengeances du Parlement, elles retombèrent sur la Compagnie de Jésus.

Il fut enjoint à tous les Pères d'abjurer leur Institut et de ratifier par serment les qualifications dont les arrêts précé- demment rendus l'avaient chargé. Il ne restait plus aux dis- ciples de saint Ignace qu'à opter entre le déshonneur ou le bannissement, que, la douleur dans l'ûme, le premier président WoIq, plein de, respect pour ses anciens maîtres, venait de pro- noncer. Le bannissement fut accepté. Les Parlements de Tou- louse , de Houen et de Pau se joignireut seuls à cette mesure ,

DK LA CUMl'AUMfc: 1»E JKSUS.

-231

et lus Jésuites dss quatre ressorts subirent, sans se pluiudrc, l'exil et l'indigence auxquels on les condamnait loin de leur patrie * . Le Parlement et Choiseul se montrèrent inexorables : ils n'exceptèrent ni l'âge, ni les talents, ni les services, ni les inllrmités ; mais du moins ils no furent pas cruels comme Pombal. La famille royale avait jusqu'alors maintenu au château de Versailles les Pères qui possédaient sa confiance, et le savant Berlhicr, qui préparait l'éducation des enfants de France. L'ana- thème les atteignit : Louis XV n'osa pas les disputer au Par- lement. Le jour (ju'ils prirent la route de l'exil , ils adressèrent au roi la lettre suivante :

« Sire,

» Votre Parlement de Paris vient de rendre un arrêt (|ui or- donne que tous ceux qui composaieiit la Société des Jésuites , et qui se trouvent actuellement dans le ressort de cette Cour, prê- teront le serment exigé.

» Quant au dernier article, Sire, lequel concerne la sûreté de votre personne sacrée, tous les Jésuites dispersés en votre royaume sont prêts à le signer, même de leur sang. Le seul soupçon qu'où semble former sur leurs sentiments à cet égard les remplit d'af- Hiction, et il n'est point de témoignages, point d'assurances qu'ils ne voulussent donner au monde entier pour le convaincre qu'en matière d'obéissance , de fidélité , de soumission , de dé- vouement à votre personne sacrée , ils ont toujours tenu , ils tiennent et tiendront toujours les meilleurs principes; qu'ils se croiraient heureux de donner leur vie pour la conservation do Votre Majesté, pour la défense de son autorité et pour le main- tien des droits de la couronne.

» Sur les autres articles contenus dans la formule du serment qu'exige votre Parlement de Paris, les Jésuites prennent la liberté de représenter très-humblement et très-respectueusement à Votre Majesté que leur conscience ne leur permet pas de s'y

I D'aprbs les regislrcs du Parlement de Paris , à la date du 9 mars 1764, il n'y l'ut (|uu huit Frères coadjiilcurs , douze jeunes rOgents déjà sortis de la Coinpagniu i'I cinq Profèsqui se soumirent au serment exigé. Cérutii était du nombre des jeuue« ré(ients. Auleur de VJpologie des JésuUis, il se laissa enivrer par les élooes qu'un prodiguait h son talent et à sa jeunesse. C'est un des rares Jésuites qui aient favorisé les idées révolulionnairos.

2:{'2

CHAP. IV. HISTOIRE

soumettre; que, si les vœux par lesquels ils s'étaient liés à Dieu, suivant la forme de l'Institut qu'ils avaient embrassé, se trouvent casses et annulés rar des arrêts rendus dans des tri- bunaux séculiers, ces mêmes vœux subsistent dans le for inté- rieur ; qu'ainsi les Jésui!< s s'mt obligés devant Dieu de les remplir autant qu'il leur est possible; qu'en cet état, ils ne peuvent , sans contrevenir au premier serment qu'ils ont prêté à la face des autels , en prêter un second , tel que celui qui est énoncé dans cette formule : « De ne point vivre désormais en » commun ou séparément sous l'empire de l'Institut et des » Constitutions de la Société se disant de Jésus, de n'entretenir » aucune correspondance avec le Général et les supérieurs de la- » dite ci-devant Société ou d'autres personnes par eux préposées, »» ni avec aucun membre d'icelle résidant en pays étrangers. »

» Un écrit plus long et plus détaillé que ne peut être celui-ci mettrait sous les yeux de Votre Majesté tous les rapports et toutes les conséquences de ce sermeht ; rapports et consé- quences que l'honneur et la conscience ne permettent pas aux Jésuites d'admettre ; s'ils étaient assez malheureux pour se lier par des obligations si contraires à leur état , ils encourraient la colère du Ciel , l'indignation des gens de bien , et Votre Majesté ne pourrait plus les regarder comme des sujets dignes de sa pro- tection.

» Ce considéré , Sire , Votre Majesté est trcs-humblenient et très-respectueusement suppliée de mettre les Jésuites de son royaume , ces hommes si fidèles et si infortunés , à couvert de toutes plus grandes poursuites de la part de votre Pirlement de Paris et de toutes les autres, et ils ne cesseront d'adresser au Ciel les plus ferventes prières pour la conservation de Votre Ma- jesté et pour la prospérité de son règne. »

A cette déclaration, que nous transcrivons sur une copie ori- ginale conservée à Rome, le roi répondit : « Je sais que ce sont leurs sentiments. » Cette phrase peignait la faiblesse et la jus- lice innée au cœur du monarque; mais elle ne rempêcha point de se prêter à la consommation de l'iniquité. Il fallait la faire sanctionner par le roi. Choiscul le décidîi à signer l'édit statuant *

' PivcvJiirt' roiiln: l'Iiinliltit l't les Cvimlifulioiis dva Jésiitlen, y 'fia.

DE LA COMPAGNIE DE JESUS.

23a

« que lu Société des Jésuites n'uura plus lieu dans son royaume, terres et seigneuries de son obéissance. » Le Dauphin avait pro- testé énergiquement contre cette mesure ' . Sa protestation amena Louis XV à avoir un moment la conscience de son devoir. Le Dauphin censurait les incriminations dont regorgeaient les ar- rêts du Parlement ; il critiquait surtout la sentence d'exil (|ui frappait les Jésuites. Dans l'édit royal, enregistré le l" décem- bre 17C4, il ne lut fait une mention des considérants et du bannissement '. Louis permettait môme aux Jésuites de vivre en simples particuliers dans le royaume. Cette clause restrictive alarma le Parlement, qui stipula qu'ils résideraient chacun dans le diocèse il était né, sans pouvoir approcher de Paris, et que tous les six mois ils seraient obligés de se présenter aux magistrats chargés de leur surveillance.

Jusqu'à ce moment, Clément XllI avait, par des brefs réi- térés et par de tendres prières, cherché à relever le courage abattu de Louis XV : il avait plutôt parlé en père qu'en Pon- tife. Mais quand l'édit souverain qui sanctionnait la dcstrt tion

* Le Daupbin ne surrOcut pas longtemps a la dcsiruclion des Ji<suiles. Choisciil cl la secto philosophique redoutaient ses talents et sa feiineté ; une mort prématurée If's en délivra. On les a accusés d'avoir hâté cette mort par le poison. Ce bruit ii'u .jamais été prouvé, et nous le 'egarduns comme invraiscmljlable. Le temps des criiiies n'était pas encore venu. Les Fi'cyriopédistes ne tuèrent pas ce jeune prince; ils se réjouirent de son trépas, cl Horace AVai|>ole écrivait de Paris, au mois d'oc- tobre 1765 : •( Le Dauphin n'a plus inruilliblomenl que peu de jours a vivre. La perspective de sa mort remplit les Philosophes de la plus grande joie, pane (|u'il» redoutaient ses eflorts pour le rétablissement des Jésuites. » 11 ctpira le 20 décem- bre 1765. » La mort du Dauphin, dit Lacictcllc, Histoin; de France pvnilunt le dlx-huitUme siècle, t. iv, p. Cl, fut pour le peuple un coup aussi accald»nt que si elle cAl été imprévue. Pendant ra maladie, on avait vu le même concours dans les éQlisCs. Au premier bruit de sa mort, on s'assembla, pour le pleurer, autour de la statue de Henri IV. <•

9 11 existe une lettre de Louis XV au due de Choiscul, contenant 1rs observations du roi sur le préambule de l'eu ' ouis XV fait de judicieuses remarques sur plusieurs points, cl, tout en modilih e préambule, il termine ainsi :

<( L'expulsion y est marquée trop (gravement, toujours et irrévocable; mais ne sait-on pas que les plus forts édils ont été révo(|ués , quuiqu'avec toutes les cliuses possibles?

» Je n'aime point cordialement les Jésuites, mais toutes les hérésies les ont ton- jours détestés; ce qui est leur triomphe. Je n'en dis pas plus. Pour la paix de mon royaume, si je les renvoie contre mon nré, du moins ne vcux-je pas <|u'on croie que j'ai adhéré ii tout ce que les Parlements ont fait et dit contre eux.

» Je persiste dans mon senlimenl, qu'en les chassant il faudrait casser tout ce que le Parlement a fait contre eux.

» En me rendant ii l'avis des autres pour la tranquillité de mon royaume, il faut chanQer ce que je proposie, sans quoi ji.> ne ferai rit ii. Je me lui!<, car je par- lerais trop, »

-234

CIIAl*. IV, UISIOIUK

des Jésuilcs 011 France lui fut connu, Clément XiU penua qu'il restait au Successeur de Pierre un devoir Qolennel à rens- plir. Les Evoques de toutes les parties du monde le suppliaient da prendre en main la cause de l'Eglise et celle de la Compagtuo de Jésus : le Pape se rendit au vœu de h Catholii:ilé ; et, lo 7 janvier 1705, il donna la bulle Apostolk'uin. Juge raprèiu< en matière de Foi, en morale ainsi qu'en discipHne, le Pape in- sti [lisait à son tour le procès qui , en Portugal et en France, aboutit au même résultat par des motifs si différents. Du haut, de la Chaire infaillible, il élevait la voix, et, s'adressant à riitiivcrs catholique : « Nous repoussons, disait-il, l'injure yrave faite en môme temps i l'Eglise et au S.ùnt-Siége. Nous déclarons, de notre propre in<m\ em«Msf et science certaine, que l'Institut de la Compagnie de Jéoi s respire au plus haut degré la piété et la sainteté, bien qu'il se rencontre des hommes qui, après l'avoir défigurée par de méchantes interprétations, ii'aienf, pas craint de la qualifier d'irréligieuse et d'impie, insultant ainsi de la manière la plus outrageante l'Eglise de Dieu, qu'ils accu- sent équival'imment de s'être trompée jusqu'à juger et déclarer solennellement pieux et agréable au Ciel ce qui en soi était irré- li|»ieux et impie'. »

i Par tout ce que nous avons établi sur pièces irn^fracables, il est ddroonfrc' que le Suuverain-Pontifc, que la Reine, le Daupliin, Stanislas de Pologne , bcau-pèro de Louis XV, et Louis XV lui-même, désiraient conserver en France la Compa- gnie de Jésus. Elle avail pour appuis et pour avocals los Evéqucs de rEglise pN licane, une minorité qui, dans cliaiiue Parlement, bdlant^ait la majorité. Les Cours souveraines de Franche-Comté, d'Alsace, de Flandre et d'Artois, ainsi que la Lor- raine, refusaient do se soumettre au vœu d'expulsion devenu un mot d'ordre; la plupart des Etals de proviuce se montraient hostiles h la destruction ; néanmoiiiv un ministre de l'iDstruction publique n'a pas craint de regarder comme nulles ces prolosla'.iins. Dans son Expose des motifs du projet de loi sur l'Instruction secondaire (séance de la Chambre des pairs, du 2 février 1844), M. Villemain s'est exprimé ainsi : >• Lorsqu'en 1762, sous l'influence du ministre le plus courageux et le plus éclairé qui ait relevé la langueur de Louis XV, la Société de Jésus fut enfin dissoute, elle avait, dans les diverses provinces du royaume, 124 Collèges, la plupart importants et riches. Aucune voix accréditée ne s'éleva pour la défendre. »

JNous ne prétendons pas faire de l'histoire avec des préjugés ou avec des conve- nances parlementaires ; mais nous pensons que les déclarations du Pape, du Dau- phin, de la minorité des Cours judiciaires, de l'unanimité de l'épiscopat français et des Evoques catholiques sufliscnt pour furmer une voix accréditée, surtout quand cette voix sera mise en parallèle avec celle de madame de Pnmpadour et «ic Choiseul.

Un contemporain, témoin non suspect et peu ami des Jésuites, le philosophe Duilus ne partage pns la manière de voir de M. Villemain; il s'exprimait ainsi, en 1767, sur la destruction de la Société de Jésus en France : « Je ne crains pas d'assu-

ItE LA COMl'.UiMt: 1>K JK8LS.

^;j5

Les ci-(Jovant soi-disant Jùsuilcs, ainsi que le l'arleincnl les nommait, trouvaient un vengeur dans le Souverain-Pontile, un appui dans tous les Evùqucs, des amis dans tous les Catho- liques. L'édit du roi les autorisait à vivre dans leur jwtrie. En 1767, les événements qui éclatèrent dans la Péninsule rejailli- rent sur eux. Les i'arlemenls prirent texte de la colère de Charles 111 d'Espagne et du coup d'Etat de son ministre don Pedro d'Aranda, poui annuler l'édit de Louis XV et pour pros- crire du sol français les Pères, qui commençaient à se créer une nouvelle existence. « Cependant, raconte Sismondi*, la persécution contre les Jésuites s'étendait de pays en pays avec une rapidité qu'on a peine a s'expliquer. Choiseul en faisait pour lui-même une ail'aire personnelle. Il s'attachait surtout à les faire chasser de tous les Etats de la maison de Bourbon, et il profita, dans ce but, de l'inlluence qu'il avait acquise sur Charles m. »

Charles 111 régnait sur l'Espagne. Prince religieux et habile, intègre et éclairé, mais impétueux et tenace, il avait la plupart des qualités qui font le bonheur des peuples. Son caractère s'accordait parfaitement avec celui de ses sujets; comme eux, il poussait au plus haut degré l'esprit de famille et l'honneur du nom. A Naples, ainsi qu'à Madrid, Charles 111 s'était tou- jours montré dévoué à la Compagnie de Jésus. Lorsque le marquis de Pombal essaya de l'étoufler sous ses pamphlets et dans ses tortures, ce fut le roi d'Espagne qui, le premier, ilé- trit les calomnies oftîcicUes de la cour de Lisbonne. Cependant, plus d'une atteinte avait déjà été portée à l'Institut. Au mo- ment où, sous le règne de Ferdinand VI, le duc d'Albe et le général V^alh renversèrent le ministère du marquis d'Ense- nada, et firent triompher l'influence britannique sur la poli- tique française, on accusa le Père Ravago, confesseur du mo- narque, d'avoir cherché à faire soulever les Réductions du

rer (et j'ai vu les ihnsi's d'asfcz près), que les Jc'suiles avaient et ont encore sans romparaison plus de partisans que d'adversaires. La Clialolais et Monclar ont seuls donné l'impulsion à leurs compagnies. 11 a fallu faire jouer bien des ressorts dans les autres. Génc^ralement parlant, les provinces rcgretlent les Jc'suiles, et ils y re- paraîtraient avec acclauialion, pour des raisons que je développe dans un ouvrage particulier. » (foi/af/a en Italie, p. W.) I Hislo'nx iks Franruis, I. xxix, p. 30'J.

230

ClIAP. IV.

HISTOIKE

î^firtigiiay cl de l'Uruguay. S'il faut en croire la correspondance de sir Ilenjamin Kecnc, ambassadeur à Madrid', le duc d'Albe et Walh, dévoués à l'Angleterre, auraient, pour perdre Ra- vago, produit des lettres du Jésuite adressées à ses frères du Tucuman. Ces lettres venaient par l'intermédiaire de Pombal ; le roi n'en tint aucun compte; mais c'était un précédent. A l'ociasion, l'on pouvait s'en servir pour exciter des méfiances.

Le duc de Choiseul avait conçu l'heureuse pensée de réunir, dans luic communauté d'affections et d'intérêts , les diverses branches de la Maison de Bourbon. En 1761, il réalisa celle idée par le Pacte de famille. Afin de s'attirer les bonnes grâces de Charles III, Choiseul lui avait sacrifié une des prérogatives de la couronne. Les ambassadeurs de France occupaient en Europe le premier rang après ceux des empereurs d'Allemagne ; le minii^lrc de Louis XV sut décider le roi à renoncer à ce privilège en faveur de l'Espagne. On prenait Charles 111 par soii faible ; mais, afin de l'amener à détruire l'Ordre de Jésus, il fallait autre chose à ce souverain qu'un droit d'égalité diplo- matique. Sa foi était vive; il avait trop d'intelligente fermeté pour se laisser imposer la loi comme Joseph H' et Louis XV. On renonça donc à agir sur lui par des moyens de coercition ou par des llatteries.

Un iuouvement populaire éclata à Madrid le 26 mars 1 700, à propos de certaines réformes dans le costume espagnol et dans la taxe des comestibles; réformes dont le marquis de Squillaci, Napolitain, devenu muiistre, s'était fait le promo- Icur. Le roi fut contraint de se retirer sur Aranjucz. L'irritîî- tion fermentait; elle pouvait offrir plus d'un danger, lorsque les Jésuites, tout-puissants sur l'esprit du peuple se jettent dans la mêlée ci, parviennent à appaiser le tumulte. Les Madrilé- gènes cédaient aux instantes et aux menaces des Pères ; ils voulurent, en se séparant, leur témoigner leur affection. De toutes parts,, le cri de : Vivent les Jésuites ! retentit dans la ville pacifiée. Charles 111, humilié d'avoir jris la fiiile, plus humil.é peut-être encore de devoir la tranquillité de sa capitale

^LKsptnjiic sons Ivs rois ilc fa maison de Roiirhon , par Coxc, I. iv.

LTi LA COMPAGNIE DE JKSIS.

r.i:

à quelques prêtres, reparut dans la cité. Il y fut reçu avec joio, mais il avait autour de lui des hommes qui, alhl'Ae ù Cl.oiseul et au parti philosophique, sentaient le besoin d'envenimer le fait. Le marquis de Squillaci était ren' ilacé au ministère par le comte d'Aranda, et, depuis longtemps, le diplomate espa> gnol faisait cause commune avec les Encyclopédistes. D'Aranda, comme la plupart de ceux qui furent appelés au.\ affaires dans cette période du dix-huitième siècle, possédait des talents. Son caractère, mélange de taciturne roideur et d'originalité, était porté à l'intrigue ; mais il avait soif de louanges, et les Encyclopédistes exaltaient son génie. « Enivré, dit Schœll, de l'encens que les phi' }sophes français brûlaient sur son autel, il ne connaissait pas de plus grande gloire que d'être compté parmi les ennemis de la Religion H des trônes. » 11 marchait donc sous In bannière de l'incrédulité. Le duc d'Albe, ancien ministre de Ferdinand Vf, partageait ses idées ; il s'était fait l'apAIre des innovations et l'excitateur de la haine contre les Jésuites'. Le Portugal et la France venaient de les écraser; le duc d'Albe et d'Aranda n'osèrent pas rester en arrière. Le pré- texte de l'émeute de Madrid pour les capas et le sombrero avait produit Tcffet que l'on deyait en attendre ; il inspirait au roi des soupçons sur les Jésuites. Le prince ne pouvait pas s'expliquer que la majesté souveraine avait été bravée, l'autorité morale des Jésuites eût si facilement dompté la fou- gue populaire. On avait massacré ses gardes wallones et accepté l'intervention des Pères de l'Institut. Ce mystère, dont le contact des disciples de saint Ignace avec toutes les classes du peuple donnait si facilement la clef, fut commenté, dénaturé aux oreilles de Charles Ul. Le roi était favorable à la Compagnie de Jésus : on parvint à le rendre indifférent; puis, un jour, une trame ourdie de longue main l'enveloppa dans ses réseaux.

1 Au moment de mourir, le duc l'Âlbe déposa entre les mains du Grand Inqui- siteur, Philippe Berlram, (vf^que de Salamanque, une déclaration portant qu'i! <:'lail un des autours de Vémeule de» Chapeaux; qu'en 1766, il l'avait fomentée en haine des Jésuites, et pour la leur faire imputer. H avouait aussi avoir composé en grande partie la lellre supposée du Général de l'Institut contre le roi d'Espagne. Il rccuiinaisi^ait encore avoir inventé la fable de l'empereur Nicolas 1", et être l'un des fabricuteurs de la monnaie ii l'eflicic de ce faux monarque. Dans le Journal du proteslant Christophe de Murr (I. is, p. 222), on lit que le duc d'Albe donna, en t776, par écrit, la même déclaration à Charles III.

•J.'W

r.HAP. IV. FltSTOînE

l,ps amis de (llioiscul et dos l*lnloso|»li(>s n'avaiiMiJ pas voulu f'irn nccust'S d'alirntissoinont intollcctiu!! ; on loue avait dit <ln secouer le joug sacerdotal en conuucnçant par an»''anlir le> .!•''- suites. Pour se montrer dipncs de leurs maîtres, d'Aranda et le duc d'Albe trompèirent la confiance de Charles 111. Ils abusèrent de son respect pour la m«îmoii'e do sa mère, et ils calomnièrent In naissance du roi pour le rendre implacable.

Ici, l'histoire ne peut s'appuyer que sur des probabilités. 1 es lauteurs de la destruction de l'Ordre de Jésus et les parti- sans de ce même Ordre, tous d'accord sur le résultat, dillèrent essentiellement sur les causes. Les uns prétendent que {'(•meute ffes Chapeaux dessilla les yeux du roi, et lui fit soupronncr ce qu'était cette Société de prêtres, aspirant à détrôner son protecteur, ou tout au moins à s'emparer des colonies espa- gnoles. Les autres alFirnient (|ue d'Aranda ne lïil que le met- teur en œuvre d'un complot organise à Paris. Ce complot, di- sent-ils, eut pour base l'orgueil d'un lils qui ne veut pas avoir à rougir de mère. Dans l'incertitude où, en l'absence de tout doci'uieni positif, et d'une autorité irréfragable, l'écrivain conscien ''lUx c>t pl.icé, iious avons fait appel aux adversaires nés de l'Institut. Tniscjne les historiens catholiques, sans [ueuvcs décisives, sur ia nature de la trame et sur les moyens qui furent employés, se trouvent en désaccord, nous invoquons le témoi- gnage des Protestants. Or, voici la version de l'Anglican Coxe * :

« Dès-lors (en l 'Ci) le ministère français se proposa d'ache- ver la chute des Jésuites dans les autres pays, il s'occupa sur- tout d'obtenir leur liannissement complet du territoire espa- gnol. Choiscul n'épargna à cet effet aucun moyen ni aucune intrigue pour répandre l'alarme sur leurs principes et leur ca- ractère. 11 leur attribuait toutes les fautes qui paraissaient de- voir entraîner la disgrâce de leu" Ordre. 11 ne se lit pas le moindre scrupule de faire circuler des loutres apocryphes sous le nom de leur Général ■^ et autres supérieurs, et de répandre

' h'Eupariiie wi(S Ici rois 'Je la mtiison de Honrhon, t. V, j>. h.

* Les apologistes du due de Choiseul, le comlc de Sainl-Pricst entre aulrps, ont senti la iiLUcssitd du dL^nionlir les assertions de l'écrivain anglais, au moins désin- téressé dans la qucslion. I.ear seul motif jioiir croire que Choiscul est resté élraii- (jcr \\ louli' ct'Itr inirifjiio, cVst qu'on n'en dr'ooiivrc aiirune Iriicc dans lacorros-

DR LA COMrAfiNIE DE JRSt'S.

â.'IO

(rudicusos culomnics contm qnclqucs individus do la Socirli''. » Co.ve va plus loin et il ajouto * : « Des rumeurs circulaient par- tout relativement ù leurs con)plots supposés et à leurs conspi- rations contre le gouvernement espagnol. l'uiir rendre l'accu- sation vraisemblable, on fabriqua une lettre, qu'on supposait avoir été écrite par le Général de l'Ordre à Home , et adressée nu Provincial en Kspagne. Cette lettre lui ordonnait d'exciter des insurrections elle avait été envoyée de manière à être in- terceptée. On parlait des richesses immenses et des propriétés de l'Ordre : c'était une amorce pour obtenir son abolition. Les Jésuites eux-mêmes perdaient beaucoup de leur inlîuence sur l'esprit de Charles, en s'opposant à la canonisation qu'il dési- rait si ardemment de don Juan de Palafox. Mais la cause prin- cipale qui occasionna leur expulsion fut le succès d'js moyens employés pour faire croire au Hoi que c'était par leurs intri- gues que l'émeute qui venait d'avoir lieu à Madrid avait été excitée, et qu'ils formaient encore de nouvelles machinations contre sa propre famille et contre sa personne, iniluencé par cette opinion , Charles , de protecteur zélé , devint leur impla- cable ennemi ; il s'empressa de suivre l'exemple du gouverne- ment français , en chassant de ses Etats une Société qui lui sem- blait si dangereuse. »

Léopold Ranke adopte, lui aussi, l'idée de Coxe. « On per- suada, ditii ^, à Charles III d'Espagne que les Jésuites avaient conçu le plau de mettre sur le trône, à sa place, son frère don Louis, » Christophe de Murr suivit la même version ; Sismondi la développe. « Charles III, dit-il ', conservait un prof'r»nd res- sentiment de l'insurrection de Madrid; il la croyait i'o ; ige

pondance ofllciellc ou privi'O du ministre avec le marquis d'Ossun . fm p.ircnt, ambassadeur de France ii Madrid. Celle raison ddus semble peu ioii<lu.ii)ie, car, »u louie V, page V30, de Vllhtnire de la diptoimilie, pur de Flas«an, nous lisons, tt propos dos uOnocialions relalivcs aux Jésuites.

<i Le Icnips n'a pas encore sunisammcul dévoib' ces iiéuocialions,et ne les diS- voilcra peul-tlre Jamais, parce que beaucoup de démarches qui les accompagnè- renl fureiil condées ii des sous-ordres, ou opérées par des voies détournées. Ainsi, le duc de t'.lioiseul ne correspondait pas pour cet objet avec l'ambassadeur du roi n Madrid, mais avec l'ubbé Béliardy, chargé d'aiïaires de la marine cl du coiii- morce de France à Madrid. »

' L'Espagne sous U;n rois de In maison de Umirhnn, I. v, p. 9.

î Histoire de In Papnulv, I. iv, p. 49».

^ nisfniri' des Frainyiis, t. t;mx, p, 370.

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CHAI». IV. IIISTOinK

He rpiclque intrigue (Hranj^iVe; on n'iissit à lui pcrsindcr qn'ollo était l'œuvre des Jésuites, et ce tut le cuuimenccincnl de leur ruine en Espagne. Des bruits de coni|ilotâ, des accusations cu- lurnnicuses , dos lettres apocryphes dc.stinc(»i Ix être interceptées, et qui le furent en ciTet , achevèrent de décider le Uui. »

Un autre protestant, Schœll, corrobore cette unanimité, qui sera, aux yeux des lecteurs môme partiaux, un singulier té- moignage en faveur des Pères : « Depuis 170-4, raconte le di- plomate prussien *, le duc de Choiseul avait expulsé les Jésuites de France ; il persécutait cet Ordre jusqu'en Espagne. Ou em- ploya tous les moyens d'en faire un objet do terreur pour le roi , et l'on y réussit enfin par une calomnie atroce. On assure qu'on mit sous ses yeux une prétendue lettre du Père Hicci, Général des Jésuites, que le duc de Choiseul est accusé d'avoir fait fabriquer; lettre par laquelle le Général aurait annoncé h son correspondant qu'il avait réussi ù rassembler des doru- ments qui prouvaient incontestablement ({uc Charles III était un enfant de l'adultère. Cette absurde invention fit une telle impression sur le roi , qu'il se laissa arracher l'ordre d'expulser les Jésuites. »

L'historien anglican Adam donne la même version, et il ajoute " : « On peut, sans blesser les convenances , révoquer en doute les crimes et les mauvaises intentions attribuées aux Jé- suites , et il est plus naturel de croire qu'un parti ennemi, non- seulement de leur établissement comme corps, mais même de la Religion chrétienne en général , suscita une ruine ù laquelle les gouvernements se prêtèrent d'auUmt mieux qu'ils y trou- vaient leurs intérêts. »

Le texte des écrivains protestants est identique; nous no l'acceptons pas, nous ne le rejetons pas , nous le donnons dans son intégrité. Il explique naturellement ce qui , sans lui , serait inexplicable ', car un homme de la trempe de Charles III ne

Cours d'histoire des Etuts européens, t. xxxix, p. 163.

' Histoire d'Espaff ne, i. iv, p. 271.

■^ On trouve dans un ouvraQU qui parut en 1800 sous re titre : J)u rétabtissfl- ment des Jésuites et de l'éducation publique {Etuniw'nii , Laniborl RunuMi) un fait curieux ii l'appui de ces dires protestants. Le fait est connu de tous ceux qui uni séjourné à Rome, c'al une tradition de Catholiques ; mais oilt* conllrmc plol- nenicnl les TécWi de Schccll, de Ranke, de Coxe, d'Adam et de Sismondi.

W. LA COMrAr.MK m JÉSUS. t4t

moilinn pas en un seul jour les opinions de toute sa vin. flcstunt Clii'i'licn plein de l'crveur, il no vu pas briser un Institut <|ui, répandu dans chaque province de son empire, avait conquis plus de peuples à la monarchie espagnole que Christophe Co- lomb, CorIcK et Pizarre. Pour décider Charles III à cet acte do sévérité inouïe, il a fallu des motifs extraordinaires. Le plus plausible, le seul qui put allumer son courroux, c'était de jeter sur son royal écusson le stigmate de la bdtqrdise. On avait étu- dié à fond son caractère, on le croyait incapable de céder h des suggestions philosophiques, on le saisit par le point vulnérable. Dans l'impossibilité d'évoquer un autre fait révélateur otTrant quelque vraisemblance, il faut 'uien s'attacher à celui que les écrivains protestants racontent. Ce fait est avéré par d'autres témoignages contemporains et par les documents de la Com- pagnie de Jésus.

Blessé dans son orgueil et dans sa piété fdiale, le roi, entre les mains de qui les ministres avaient fait tomber les prétendues lettres écrites par Ricci, n'avait plus de conseils à demander qu'à sa vengeance. Dévoué au Souverain-Pontife, enfant res- pectueux de l'Eglise, il ne songea même pas h recourir à leur sagesse. Il se croyait outragé, il punissait l'injure tout en l'en- sevelissant au plus profond de son cœur.

De ténébreuses enquêtes furent ordonnées pour épier les dé- marches des Jésuites et pour encourager les délations. On prit des mesures que la discrétion espagnole pouvait seule couvrir

n 11 est bon d'ojouler ici une parlicularilé iiilCrcssanIc à l'iiistoirc des moyen!) employés pour perdre la Compagnie de Jésus (out cnlivrc dans Tespril de Char- les III. Outre la prétendue lettre du Père Iticci , il y eut d'autres pièces supposées, cl , parmi ces pièces mensongères , une Ivllrc , l'on avait parrailemcnt imité l'é- crilure d'un Jésuite italien , qui contenait dus invectives sauglanles contre le gou- vernement espagnol. Sur les instances que faisait Clément Xlll pour avoir quelques pièces de conviction qui pussent l'éclairer, celle lettre lui fut envoyée. Parmi ceux qui furent chargés de l'CKaminer se trouvait Pic VI, alors simple prélat. En y jeianl les yeux , il remarqua d'abord que le papier était de fabrique espognole, et il lui parut extraordinaire que, pour écrire du Itome, on eût été chercher du papier en Espagne. Uegurdant de plus près cl au grand jour, il aperçut que le papier portait non-seulement le nom d'une manufaclure espagnole , mais encore la date de l'année il avait été fabriqué. Ur, celte date était de deux ans postéiieuru a celle lie la lellre, d'où il suivait que la lellre aurait été écrite sur ce papier deux ans avant (|u'il cxislAI. L'imposture, lu l'jliiiiicaliun devenaient manifestes; mais lu coup était porté en Espagne, et Charles III n'élall pas homme à reconnaître et A répai'er uu tort. »

V.

16

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CHAP. IV.

HISTOIHE

des ombres du mystère. On interrogea la vie publique et privt''e de chaque membre de la Société. De tous ces dires, salariés par d'Arunda, on forma un faisceau d'accusations sans unité, et on présenta l'affaire au Conseil extraordinaire assemblé. Le aO janvier 1767 le fiscal de Castille, don Ruys de Campomanès, plaida contre eux, raconte le Protestant Jean do Muller*. « Il leur fit un crime de l'humilité de leur extérieur, des aumônes qu'ils répandaient, des soins qu'ils donnaient aux malades et aux prisonniers ; il les accusa de se servir de ces moyens pour séduire le peuple et le mettre dans leurs intérêts. » La sentence du tribunal commence ainsi :

« Supposé ce qui a été dit, le Conseil extraordinaire passe h exposer son sentiment sur l'exécution du bannissement des Jé- suites et sur les autres mesures qui en sont la conséquence, afin qu'il obtienne, dans l'ordre convenable, son entier et plein ac- complissement. » '

Si ce premier considérant a quelque chose d'étrange, les autres ne paraissent pas moins insolites. On ne touche à aucun point de l'Institut, on (n'incrimine jamais la discipline ou les mœurs des Jésuites. Il y est dit « qu'il sera également très-à-propos de faire entendre aux Evoques, aux Municipalités, aux Chapi- tres et aux autres assemblées ou corps politiques du Royaume, que Sa Majesté se réserve, à elle seule, la connaissance des graves motifs qui ont déterminé sa royale volonté à adopter cette juste mesure administrative en usant de l'autorité tutélaire qui lui appartient. » On y Ut encore : « Sa Majesté doit impo- ser de plus à ses sujets le silence sur cette affaire, afin que per- sonne n'écrive, ne publie ni ne répande d'ouvrages relatifs a l'expidsion des Jésuites, soit pour, soit contre, sans une per- niis:sion spéciale du gouvernement; que le commissaire chargé de la surveillance de la presse ainsi que ses subdélégués doivent être déclarés incompétents à connaître en cette matière , parce que tout ce qui la regarde doit être entièrement du ressort et sous l'autorité immédiate du président et des ministres du Con- seil extraordinaire. »

Hislnirr ii»ivene1lc, pur .tcan île Millier, (■ iv.

4

DE LA COMPAf.NiE DE JF.flUS.

i43

Rii Taisant la part liu prestige de terreur que celte conspira- tion «lu silence exerça sur le caractère espagnol , il faut bien convenir qu'un pareil jugement, dont les dispositifs restent un mystère scellé à l'Eglise, à l'èpiscopat, à la magistrature et au peuple, est tout au moins entaché de nullité. Depuis deux cent vingt ans les Jésuites vivent et prêchent en Espagne. Us sont comblés de bienfaits par des monarques dont ils étendent la souveraineté. Le Clergé et les masses acceptent avec bonheur leur intervention. Tout-à-coup l'Ordre se voit déclaré coupable d'un crime de lèse-majesté, d'un attentat public que personne ne peut spécifier. La sentence prononce la peine sans énoncer le délit. Dans les habitudes de la vie, l'assertion qui cache ta preuve affirme au moins le fait; ici, preuve et fait, tout est en- seveli dans l'ombre, tout dépasse les dernières limites de la crédibilité humaine. Les suppositions qui décident le Conseil extraordinaire ne sont pas justifiées, elles ne sont même pas énoncées. L'ambassadeur qui doit communiquer cette sentence au Pape « a ordre très-exprès de se refuser îli toute explication, et de se borner uniquement à la remise de la lettre royale. » Ainsi le Pontife suprême, qui He et délie sur la terre, ne connaîtra pas mieux que les Jésuites, que l'Espagne et le monde entier, les causes du bannissement. En Portugal on fait un scandale do la publication de ces causes, en France on les motive dans de longs arrêts, en Espagne elles sont condamnées au secret de la tombe. Tout ce que le gouvernement de Ferdinand Vil avoua depuis, c'est que « la Société de Jésus* fut chassée à per- pétuité en vertu d'une mesure arrachée par surprise et par les menées les plus artificieuses et les plus iniques à son magna- nime et pieux aïeul le roi Charles 111. »

Un crime contre les personnes ou contre la sûreté de l'Etat l.nisse après lui des traces. Il y a eu des témoins, des enquêtes, des interrogatoires, des soupçons ; rien de tout cela ne se prati- que ici; et, dans l'impuissance d'expliquer le jugement du Conseil

' F.rposicinii II dklnmeu ilcl fis"(il del consvjn y camarn I). l'ranrhrn CitUcrrez de La Hucrln, en elexped'wnte conxultivo sobre si coiivendru d uo permitir que se tcstuhkzia la Compaitia de Jésus en '•s^^s• reynos ij en su raso hiijd lie (jin: réglas y ralidndes dtberii vvrtfleariir.

244

CHAP. IV. HISTOIRE

I I

extraordinaire, on est réduit, malgré soi, h revenir ù la version des Protestants.

D'Aranda n'admit à ses confidences que Manuel de Roda, Mo- nifto et Campomanès. Ils travaillaient; ils conféraient entre eux avec tant de mystère que les plus jeunes pages, que des enfants leur servaient de copistes, incapables qu'ils étaient de corn* prendre ce qu'on leur faisait transcrire *. De semblables précau- tions furent employées afm de se disposer au coup tragique. On minuta dans le cabinet du roi les ordres adressés aux autorités espagnoles dans les deux mondes. Ces ordres, signés par Char- les III, contresignés par d'Âranda, étaient munis des trois sceaux. A la seconde enveloppe on lisait : «f Sous peine de mort, vous n'ouvrirez ce paquet que le 2 avril 17G7, au déclin du jour. »

La lettre du roi contenait ces lignes : « Je vous revêts de toute mon autorité et de toute ma puissance royale pour sur-le- champ vous transporter avec main-forte î!i la maison des Jésuites. Vous lerez saisir tous les Religieux et vous les ferez conduire comme prisonniers au port indiqué, dans les vingt-quatre heu- les. ils seront embarqués sur des vaisseaux à ce destinés. Au moment mAme de l'exécution, vous ferez apposer les scellés sur les archives de la maison et sur les papiers des individus, sans permettre h aucun d'emporter avec soi autre chose que ses livres de prières et le linge strictement nécessaire pour la tra- versée. Si , après l'embarquement, il existait encore un seul Jé- suite, même malade ou moribond, dans votre département, vous serez puni de mort.

»MOI, LE ROI.»

Pombal et Choiseul avaient essayé de donner une apparence juridique à leurs mcf^ures. D'Aranda pousse jusqu'à l'incroyable le roman de l'arbitraire. Les navires se trouvaient à l'ancre dans les ports d'Espagne et d'Amérique, les troupes étaient en mou- vement pour que force restât à la tyrannie, lorsque le 2 avril, à la chute du jour, le même ordre tut exécuté, à la même minute, dans toutes les possessions espagnoles. D'Aranda a\ait redouté

1 Souvenirs et portraits tlu duc de Lc'vis, p. 163.

I)K LA COMI'A(iMl!: DE JESUS.

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l'indiscrétion (le Cliois«;ul, son t'om|ilicc : il ne lui cornniuni(|Ma 8un plan qu'à l'heure nit>me il s'accomplissait.

Le "i avril, au moment on la Société de Jésus tombait frappée par la foudre, le roi ualholique lit paraître une pra^rnatir|U(> sanction destinée à justifier cet acte de bannissement général. La î'ragmalique est aussi réservée que la sentence du Con- seil extraordinaire. Elle n'ofl're aucun éclaircissement sur la nature des crimes imputés aux Jésuites. Ou y lit seulement : « que le Prince, déterminé par dos motifs de la plus haute importance, tels que l'obligalifm il est de n)ainteiiir l.i su- bordination, la paix et la justice parmi ses peuples, et par d'au- tres raisons également justes et nécessaires, a jugé à propos d'enjoindre que tous les Religieux de la Compagnie de Jésus sortent de ses Etats, et que leurs biens soient conlis(piés ; 2" que les motifs justes et sérieux qui l'ont obligé de donner cet ordre resteront pour toujours renfermés dans son cœur royal ; 3" que les autres Congrégations religieuses ont mérité son estime par leur fidélité, par leurs doctrines, enfm par fattentiou qu'elles ont de s'abstenir des affaires du goiivernement. »

Cet éloge, adressé aux autres Instituts, était un blâme indi- rect jeté sur les enfants de saint Ignace. Il insinue le crime qu'on veut \éi\v reprocher; mais ce crime d'u*; sujet, exagéré jusqu'à l'ambition la plus effrénée, n'a rien qui :,uit d(! nature à rester renfermé dans un cœur royal. Il fallait le dénoncer, le prouver à l'Espagne, au Pape et aux souverains étrangers, afin de ne laisser planer aucun soupçon suri;; ;i>tice de l'arnH. On s'en tint à ces aveux ; ils ne suHisent pas pour légitimer une, proscription établie sur une aussi vaste échelle.

Le mandement du roi était impitoyable : les autorités mili- taires et civiles s'y conformèrent sans le comprendre. Il y eut à cette heure-là d'indicibles souffrances, d'amers regrets et de cruels outrages à l'humanité. On s'adressait à six mille Jésuites épars en Espagne et dans le Nouveau -Monde ; on les enlevait, on les insultait, on les parquait, on les entassait sur le [»ont des vaisseaux, on les vouait à l'apostasie ou à la misère, on les sur- prenait dans leurs maison.s, on les dépouillait de leurs biens, de leurs œuvres, de leurs coriespoudances; on les arrachait à leurs

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i4G

CHAP. IV. HISTOIHK

('«ollégcs on à leurs Missions. Jeunes ou vieux, valides ou iiilir- nies, tous devaient subir l'ostracisinc dont personne n'avait le secret. Ils partaient pour un e.\il inconnu ; sous les menaces et les affronts, pas un seul ne fit entendre une plainte. Dans les papiers les plus intimes on ne trouva jamais une ligne qui put laire soupçonner quelque trame.

11 y avait parmi ces Jésuites des hommes de grand talent ou d'illustre naissance : Joseph et Nicola'; Pignatelli, petits-neveux d'Innocent XII et frères de l'ambassadeur d'Espagne à Paris, étaient de ce nombre. D'Aranda craint de s'aliène; 'es premières maisons du royaume ; il fait proposer à plusieurs Pères de se retirer dans le sein de leurs familles, ils seront libres et res- pectés. A l'exemple des Pignatelli, tous refusent d'accepter ce compromis avec l'apostasie. Le Père Joseph est malade ; on le presse, on le supplie de ne pas s'embarquer. Les instances le suivent jusqu'à Tarragone ; il répond toujours : « Ma résolution est inébranlable ; peu importe que mon corps soit la pâture des poissons ou celle des vers; mais ce que je désire avant tout, c'est de mourir dans la Société des Jésuites, mes frères. » Et le 4 août 1767, Roda, le collègue de d'Aranda au ministère, constatait lui-même ce courage qui ne se démentit jamais. Roda écrivait au chevalier d'Azara, plénipotentiaire d Espagne au- près du Saint-^iéje : « Les Pignatelli ont refusé absolument de quitter l'habit de la Compagnie : ils veulent vivre et mourir avec leui's frères. »

Cos frères étaient dispersés au milieu de tous les continents. Dans l'Amérique méridionale, ils jouissaient d'une autorité illi- mitée sur l'esprit des peuples. Ils pouvaient soulever en leur faveur les Pséophytes du Paraguay ; on avait déjà accusé les Péros d'aspirer à rei.Jreces Réductions indépcndant/'S de la Couronne, sous le gouvernement de la Compagnie. I,a f;il;le de l'empereur Nicolas 1" aurait pu se réidiser facilement; car les Néophytes exaspéré? no parlaient que de séparation avec la rfi'Hropole proscrivant leurs apôtres, l^n mot tonibé de la bou(he des Jé- suites cimentait une grande révolution : ce mot ne fut pas pro- noncé. 11 ne vint à la pensée d'aucun Missionnaire de le ylvr aux multitudes éplorées comme un signal d'alTranchissement et

DE LA CUMfAGME DK JE8US.

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vengeance. Les Pères prévoyaient la chute de leur monumonl de civilisation, ils avaient la force en main ; cependant ils se soumirent sans exception, sans résistance, sans murmure, à l'autorité qui parlait au nom du roi. L'obéissance f^st partout la môme, ot f^ans leurs adieux à ces peuples qu ils avaiont faits hommes et chrétiens, les Jésuites ne firent entendre que des paroles de Foi et d». patience. Aucun écrivain n'a pu saisir, dans une pareille spontanéité, la trace d'une révolte, l'émission d'une pensée coupable. Les uns se taisent sur cette glorieuse et funeste abnégation, les autres la constatent. Le voyageur Pages, qui alors se trouvait aux Philippines, n'a donc pas évoque de contradicteurs lorsqu'il a dit* : « Je ne puis terminer ce juste éloge des Jésuites sans remarquer que, dans une position l'extrême attachement des indigènes pour leurs pasteurs aurait pu , avec bien peu d'encouragement de leur part , donner occa- sion aux désordres qu'entraînent la violence et l'insurrection, je les ai vus obéir au décret d^ leur abolition avec la déférence due à l'autorité civile , et en même temps avec le calme et la fermeté des âmes vraiment héroïques. »

Sismondi n'est pas moins explicite. Voici en f|uels termes il )»arle des Jésuites arrachés à leurs travaux transatlantiques ' : « Au Mexique , au Pérou , au Chili , enfin aux Philippines , ils furent également investis dans leurs collèges, le même jour, à la même heure, leurs papiers saisis, leurs personnes arrêtées et embarquées. On craignait leur résistance dans les Missions , ils étaient adorés par les nouveaux convertis ; ils montrèrent , au contraire , une résignation et une humilité unies à un calme et à une fermeté vraiment héroïques. » Peu de jours auparavant, ces Jésuites, qtie l'on s'acharnait à peindre comme si avides et sins cesse disposés à s'enrichir aux dépens des familles, donnaient un nouvel exemple d'abnégation 2, « En 17G7 , une dame do Gua- dalaxara , dans la Nouvelle-Espagne ; dona Josefa de Miranda, laissa par son testament au Collège de la Compagnie de cette ville

' f'oi/nge de Payés, l. ii, p. 190.

2 flibtoirc dus Français, f. xxix, p. 372. V.tnnual Registtr, i. x, antK'c 1787^ ch. V, p. 27, ol k' Mercure historique de tloccmbre 1767, p. 'iM, ( onliriiicnt ces lails.

3 hxfiloratioH de l'Oréyon et de '■ Californie, par M. de MuiVas, ii" volume > pafle 266.

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CHAF. IV.

HISTOIRE

lin legs de plus de cent mille piastres Ibrles (510,000 francs), que les Jésuites, en butte déjà aux calomnies de toute l'Europe, eurent la délicatesse de refuser. »

La probité de Charleb 111 ne faisait pas plus doute que ses ta- lents. Clément XllI aimait ce prince ; le 16 avril 1707 , il lui écrivit pour le supplier , au nom de la Religion et de l'honneur, de déposer dans son sein paternel les causes d'une pareille pro- scription. Le Pape s'exprimait en ces termes pleins de douleur : « De tous les coups qui nous ont frappé pendant les malheureux neuf ans de notre pontificat , le plus sensible h notre cœur paternel a été cehii que Votre Majesté vient de nous annoncer. Ainsi , vous aussi , mon fils , tu quoque , fiH mi ; ainsi le roi Catholique, Charles 111, qui est si cher à notre cœur, remplit le calice de nos souffrances , plonge notre vieillesse dans un torrent de larmes et nous précipite au tombeau. Le pieux roi d'Espagne s'associe à ceux qui étenderit leurs bras , ce bras que Dieu leur a donné pour protéger son service, l'honneur de l'Eglise et le salut des âmes, à ceux, dis-je, qui prêtent leurs bras aux ennemis de Dieu et de l'Eglise. 11 songe à détruire une institution si utile et si bien affectionnée à cette Eglise, qui doit son origine et son lustre à ces saints héros que Dieu a choisis dans la nation espagnole pour répandre sa plus grande gloire par toute la terre. Peut-être , Sire , quelque individu de l'Ordre a-t-il troublé votre gouvernement? Mais dans ce cas, ô Sire ! pourquoi ne punissez-vous pas le coupable sans étendre la peine aux innocents? Nous attestons Dieu et les hommes que le corps, l'institution, l'esprit de la Société de Jésus sont innocents ; cette Société n'est jms seulement innocente, elle est pieuse, utile et sainte dans son objet, dans ses ' -is, dans ses maximes. »

Clément XIII s'engageait à ratifier toutes les mesures prises contre les Jésuites , et à punir ceux qui auraient manque à leurs devoirs de prèlres et de sujets fidèles. Le roi répondit : « Pour épargner au monde un grand scandale, je conserverai à jaiiAuià dans mon cœur l'abominable trame qui a uécessité ces rigueurs. Sa Sainteté doit m'en croire sur parole. La sûreté de ma vie exige de moi un profond silence sur celte affaire. »

A l'aspect d'une obstination qui se retranchait sous des parole»

DE LA compagnie: De JESUS.

2-io

dénuées de preuves , Clénient Xlll crut que sa charge de l*iisleur souverain lui faisait un devoir d'intervenir dans un procès ter- miné par la force brutale , lors même que ce procès n'avait pas été instruit. La colère des rois et de leurs ministres les avait mal servis et encore plus mal inspirés ; le Pape se contenta d'en appeler à la dignité de la raison humaine. Dans un bref adressé à Charles III , il déûara : « Que les actes du Hoi contre les Jésuites mettaient évidemment son salut en danger. Le corps et res[)rit de la Société sont innocents, ajoutait-il, et, quand bien même quelques Religieux se seraient rendus coupables, on ne devait pas les frapper avec tant de sévérité sans les avoir auparavant accusés et convaincus. »

Charles III ne revenait jamais sur une résolution prise. Les supplications et les larmes du Pape ne l'attendrirent pas ; il croyit à la fable .iventée par les ennemis des Jésuites, à ces lettres apocryphes qui avaient ulcéré son cœur. Il ne se décida jamais à révéler, même au Souverain-Pontife, la cause de sa subite inimitié contre la Société de Jésus. Ce fut un secret qu'il emporta dans la tombe; ce secret a transpiré malgré lui.

Les Jésuites , enlevés au même instant sur tous les points du territoire espagnol , ne devaient communiquer avec aucun être vivant jusqu'à leur arrivée à Civita-Vecchia. Le roi les décla- rait sans patrie ; mais, par un reste d'humanité , en s'cniparant de leurs biens, beaucoup plus consi lérables qu'en Fnince, il faisait à chacun d'eux une pension alimentaire de cent piastres par an. Une restriction était néanmoins apportée à cet acte. Les Pères exilés devaient s'abstenir de toute apologie de leur Ordre , de toute offense directe ou indirecte envers le gouvernement ; et la faute d'un seul , que des mains étrangères ou hostiles pou- vaient commettre, entraînait pour les autres la suppression im- médiate de ce secours viager '. !l était défendu à tout Espagnol ,

> L'nrlicle de !n Priif;ni<ilit|iie-SuiU'linti qui a Irait « h puiUMoii iiliiiiciiliiiro usl ainsi conçu :

« Je (ioclaro (pie, diiiis la coiilisciilion des biens de k Compagnie de Ji'siis , soi.l compris lous se.- liieiis el eirets, niculilo.^ et iniiiieiiLiies, de., sans pri'jiidico de leurs clinrce el des (loiiions niiiiientnires dc.'i individus, qui scruni : pour les Pn- Ircs , de tOO piast!'C:< leur vie durant , et de OU piastres -lour lus Ueligieux la'f>|ues ; les(|iielles portions alimentaires seront payables sur la masse Qi'neraie, itiii sei.i (■oniice des biens de ij CoiiipaQuie.

» Je déclare que ceux des Jésuites qui surliroiit dei Etats du Pape, uii ils suM

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CIIAP. IV.

HISTOittK

I

SOUS peine de îiaiite trahison , de parler, d'écrire , de réclamer contre ces mesures et de correspondre avec les Jésuites. L'on devait accepter sans examen cette étrange proscription , qui de- venait la ruine morale et matérielle de l'Espagne, ainsi que de SCS colonies. II y eut dans le peuple de sourdes fermentations , les grands s'indignèrent; mais d'Aranda avait pris ses précau- tions. Il calomniait ses victimes ou il frappait de terreur ceux qui s'apprêtaient à les défendre. Quelques voix libres s'élevè- rent pourtant , et Charles III entendit un Evoque lui reprocher l'iniquité de son décret.

Quand les premiers bâtiments de transport, qui ne devaient plus , jusqu'à destination , communiquer avec le rivage , furent en vue de Civita-Vccchia, les bannis, dont i\cs marches forcées, dos privations de toute espèce , des souiVri-nces de toute nature avaient épuisé le courage , espérèrent cniin. On s'était flatté que les Novices ne voudraient pas commencer leur carrière par l'exil, et qu'ils consentiraient à rester en Espagne. On les tenta par les souvenirs de la famille et de la patrie; il y eut dans plu- sieurs cités, à Valladolid surtout, des luttes l'on chercha à surprendre la candeur de cette jeunesse refusant de se séparer de ses maîtres. Les séductions et les menaces échouèrent ; bss Novices, saintement obstinés , suivirent leurs pères dans la voie des tourments. Ainsi qu'en France et en Portugal , l'Ordre de Jésus, en Espagne, ne vit que très-peu d'apostats. Cette soif de l'exil , sur laquelle d'Aranda n'avait pas compté , fut un embar- ras. Les navires manquèrent, on jeta les uns sur les autres ces hommes de tout Age et de toute condition , dont le ministère de Charles 111 semblait faire la traite , et on les dirigea sur l'Italie. D'Aranda avait tout combiné à l'intérieur, mais sa sollicitude de prescripteur ne dépassait pas la frontière. En arrivant sur la

onvoyOs, ou qui donnoront quelquo juste molif Je mi^ronlonlcnicnl a la Cour, par •les niics ou pur des écrits, perdront aussitôt pension qui leur est assignée. Et, (|uoiquc je ne doive p;is présumer que le corps de la Compagnie, manquant encore aux obligations les pius strictes et les plus importantes, permette qu'aucun de ses membres lasse des écrits contraires au respect cl h la soumi>sion due à ma volonté, fous pré(ex le d'apologie ou de défense i|ui tendraient à troubler la paix dans mes royaunics, ou que ladilc Compagnie «e serve d'émissaires seerels pour parvenir i> celte flu, si pareil cas arrivait, coiilio toute apparence, tous les individus perdraient h la fois leur pension "

DK LA COMPAGNIE DE JESUS.

iî")!

rade (lo Civila-Vccchia, « fçouvernoiir , qui, selon Stsmoiuli*, n'était point prévenu, ne voulut pas les recevoir, et ces mal- heureux, parmi lesquels il y avait beaucoup de vieillards et ih malades entassés comme des criiiiincls à bord des bAtiments do transport , furent réduits , pendant des semaines , à courir des bordées en vue de !a côte. Beaucoup d'entre eux périrent.

Cet événement a élé si cruellement dénaturé, aue nous n'a- von? chercbé à le juger que sur les récits des Calvinistes, ^ous publions la version de Sisinondi. Le Protestant, dont les sym- pathies religieuses et politiques sont si éloignées de la cour do Home et de l'Institut de Loyola , n'a pas mémo l'idée de l'aire un crime au Pape et au Général des Jésuites d'un incident qu'expliquent les lois sanitaires, la sûreté des Etats et les exi- gences de l'honneur, selon les idées reçues en diplomatie. Un Catholique n'a ni cette réserve ni cette équité. Dans son flis- toire de la chute des Jémitea *, le comte Alexis de Saint-Priest ne craint pas, sans aucune preuve à l'appui, sans le témoignage même d'un calomniateur , de torturer les laits et de donner un démenti aux actes les plus incontestables. Il s'exprime ainsi :

« Il faut en convenir, l'arrestation des Jésuites et leur embar- quement se firent avec une précipitation nécessaire peut-être, mais barbare. Prés de six mille prêtres de tous les Ages, de toutes les conditions, des hommes d'une naissance illustre, de doctes personnages, des vieillards accablés d'infirmités, privés des objets les plus indispensables, furent relégués à fond de cale et lancés en mer sans but déterminé, sans direction précise. Après quelques jours de navigation , ils arrivèrent devant Civita- Ved'hia. On les y attendait : ils furent reçus à coups de canon. Les Jésuites partirent furieux contre leur (lénéral ; ils lui repro- chèrent sa dureté et l'accusèrent de tous leurs malheurs. »

C'est une triste page que celle-là. La mémoire de Clément Xlll, ce les du cardinal Torregiani, son ministre, et de Laurent Ricci, G( aérai de la Compagnie, n'en seront pas souillées; mais, pour répondre d'avance à ces outrages sans profit, sans gloire et sans vérité, Sismondi ajoute : c Clément XIII regardait les

> Histoire des Frmiçais, I. xxix, y>. 372. * Histoire (le la chute des Jc\uiles, p. O'i.

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25-i

r.iiAi'. IV.

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lit !

Jésuites cumiiic lus Urfutbotirs les plus liuhiles et les plu < coii- sUuits de la lleli^ion et tie l'Eglise; il Jivait un tontire :itta*he- nient pour leur Ordre; leurs inallicurs lui arrachaieiit sans cesse (les larmes ; il se reprochaii en particulier la mort des in- fortunés qui avaient péri en vue de Civita-Vecchia : il doinui des ordres pour que tous ces déportés, qui lui arrivaient suc- sessivement d'ICurope et d'Amérique, fussent distribués dans les Ktals de l'Figlise, plusieurs d'entre eux acquirent dans la suite une haute réputation littéraire. »

Ce premier navire portait les Jésuites aragonais. Ils étaient au nombre de six cents; le Père Joseph Pignatelli les animait à la résignation. Les Jésuites écartés du rivage comprenaient les motifs (|ui avaient inspiré cette mesure au cardinal Torre- giani, ils l'approuvaient. Les Etats pontificaux sont peu fer- tiles, et six mille individus y arrivant subitement devaient pro- voipier la famine, ou tout au moins des murmures parmi le p(!U[ile. Les Jé«uites savaient encore que, si Clément Xlll les accueillait sans, faire auprès de Charles 111 des démarches olli- cielles, ce sfruit er\couragcr les autres cours à imiter Poudial, Choiseul et ^"Aniala. Le Pape se chargeait des enfants de saint Ignace, ou pouvaii donc impunément les spolier, les jeter pau- vres et nus sur lu territoire romain. La charité pontilicale veil- lait à leur entretien ; les ministres et les magistrats n'avaient qu'à se partager leurs dépouilles. Ce calcul ayant déjà réussi, d'autres ne demanderaient pas mieux que de le faire. La cour de Uome s'était, à juste titre, montrée fort olîensée des termes outrageants de la Pragmatique - S'mction de Charles 111. Ce j)riiice injprovisait le Pontife ^\c/;lier de six mille Espagnols, Sans avoir consulté le Vatican, il insultait à la dignité du sou- verain lemponl en choisissant un pays ami pour lieu de dépor- tation. Clément Xlll fut irrité de ces procédés insultants, et il ne voulut pas que le domaine de saint Pierre devînt la prison de tous les Pieligicux qu'il plairait aux gouvernements calho- liques mc bannir de leur territoire, sous prétexte qu'ils étaient dangereux à l'ordre public, mais en réalité parce que leur for- lune tentait les cujudités ministérielles.

Tels furent les motifs qui engagèrent le Pape à ne pas accrj»-

DK LA COMPAr.NIK DR JKSII8.

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'^cryl à Ajaccio

a ville. An

Il Bonitueio.

cède l'île au goû-

ter les divers convois de Jésuites qui se succédèrent. Dans l'iu- tériH et pour l'honneur du Siège apostolique, les Pères ne lirenl entendre aucune plainte; ils souiTrircnt, ne voulant pas qu'à cause d'eux la cour de Rome fût humiliée dans ses rapports avec les juiissances. Les Français occupaient militairencnt les villes maritimes de la Corse, Paoli poussait le cri de l'indépen- danre nationale. Ces ports étaient neutre le Pape obtient qu'ils s'ouvrent aux proscrits. Les pn au moment même Caffari met le s mois (laoût 1707, on les dépose sur le l'endant ce temps, la République de Gôiu » vernement de Louis XV. Le premier soin de Choiseul est de charger Marbœuf d'expulser tous les Jésuites ' ; on les <lirige sur (lènes, de ils se rendent à Bologne, puis entin ils s'établis- sent à Ferrare.

Avant de monter sur le frAne d'Espagne , Charles III avait régné à Naples. Son nom y était respecté, et, en partant pour Madrid, il donna l'investiture du royaume des Deux-Siciles à Ferdinatid IV, un de ses fds. Ferdinand, trop jeune pour gou- verner par lui-même, avait eu besoin d'un guide ; le juriscon- sulte Tanucci fut nommé son premier ministre. Les rois de la maison de Bourbon devaient périr ou être emportés dans la tempête que préparait la philosophie du dix-huitième siècle , et, par un esprit de vertige qu'il sera toujours impossible d'ex- pliquer, ces princes s'entouraient d^s ennemis les plus dange- reux de leur trône. Les idées de liberté <|ui conduisirent si rapidement aux idées de révolution, s'abritaient sous leur scep- tre; elles présidaient à leur gouvernement; elles s'infdtraient dans le peuple avec la garantie iu pouvoir. Choiseul régentait la France ; d'Aranda essayait de modifier les mœurs espagnoles ;

' Le ),)roleslanl Scliœll, dans son Cou /vv d'histoire des Etais européen» , t. xr , p. 53, raconle avec quelle cruauté le iliic de Choiseul flt procéder à ces persécu' Uoiis. Cl La manière dont cul lieu cette nouvelle eipubioa montra sous un liisle jour la prétendue philanthropie des coryphées de la philosophie. On avait été in- juste envers les Jésuites français ; mais la conduite qu'on tint envers les Jésuites espagnols, auT.quels la républiiiuc (;<>noise avait accordé asile dans l'Ile de Corse, fui barbare. On jeta les Religieux dans des vaisseaux où, par une chaleur éfoull'ante, ils étaient entassée sur le lillac , couchés les uns sur les autres, exposés lUX ardeurs du soleil. Ce lut ainsi qu'on les transporta à Gènes, d'où ils furent envoyé» dans l'Klat ecclésiastique. »

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CHAP. IV. HISTOIRE

Taniicci, ennemi comme eux du Saint-Siège, comme eux imbn des utopies économistes, les faisait triompher à Naples.

Clément Xlll suppliait le roi Catholique d'épargner à sa vieillesse et h l'Eglise un deuil aussi profond que légitime. « Loin d'y réussir, raconte Sismondi * , loin de déterminer ce monarque à motiver sa barbarie autrement que par les généra- lités les plus vagues, il ne put empêcher que Charles Ui et le duc de Choiseul n'entraînassent dans le môme système de per- sécution les deux autres branches des Bourbons en Italie. » Le roi d'Espagne avait toute autorité sur Tanucci , sa créature ; H lui écrivit. Aussitôt le ministre napolitain saisit l'occasion de s'attirer quelques éloges des Encyclopédistes. II allait braver Rome, complaire à Charles III, et disposer en maître de toutes les propriétés des Jésuites. Tanucci ne se mit pas en frais d'i- magination pour arriver à ce triple résultat. Il arracha au roi Ferdinand, à peine majeur, un édit contre les membres de la Compagnie, et, sans prendre le temps de couvrir son arbitraire de quelque prétexte, il résolut de suivre pas à pas \p plan qui avait si bien réussi à d'Âranda. Dans la nuit du 3 novembre 4767, il fit investir simultanément les Collèges et les maisons de la Société. Les portes furent enfoncées, les meubles brisés, les papiers saisis, et la force armée escorta vers la plage la plus voisine les Pères, auxquels on ne permit que de prendre leurs vêtements. Ces mesures furent exécutées avec tant de précipi- tation, que, au rapport du Général Coletta *, ceux qu'on avait enlevés de NapIcs à minuit faisaient, au jour naissant, voile vers Terracine.

La victoire de Choiseul et de d'Aranda n'était pas encore complète. Le jeune duc de Parme, petit-fils de France et in- fant d'Espagne, fut sollicité par eux d'entrer dans la coahtion contre les Jésuites. Il avait pour guide Du Tillot, marquis de Fclino, agent de la secte philosophique. Au commencement de 1768, les Jésuites se virent chassés de Parme. Pinto, grand- maître de Malte, était feudataire du royaume de Naple'. Les cours de France et d'Espagne obligèrent celle des Deux-Siciles

Histoire des Français, l, xsix, p. 373.

2 Storia di IS'apnli, t. f, liv. ii, f. 8, p. 1C8.

DE LA COMPAGNIE DE JËSl^. ^55

ù poursuivre Tlnstitut jusque sur le roclier des chevaliers do la Chrétienté. Tanucci s'empressa d'obtempérer. Le 22 avril 1768, le grand-maitre rendit un décret par lequel, cédant aux solli- citations du ministre napolitain, il bannissait de l'Ile la Compa- gnie de Jésus.

A ces coups réitérés, qui ébranlaient le Saint-Siège, le vieux .Pontife n'avait eu à opposer que la patience, les prières et la raison. Lorsqu'il vit que Ferdinand de Parme s'unissait aux ennemis de l'Eglise, il se rappela que ce prince avait du sang de Farnèse dans les veines, qu'il était vassal de Rome, et par une bulle il promulgua sa déchéance. Rczzonico était le fils d'un marchand de Venise, mais il était prince par l'élection, Sou- verain-Pontife par la miséricorde divine, il se trouvait en face de cette royale famille de Bourbon, qui conjurait la ruine des Jésuites, sans songer que quelques années plus tard ces mêmes Bourbons, calomniés , détrônés , fugitifs ou égorgés juridique- ment, invoqueraient l'Eglise comme le dernier juge sur la terre, qui pût leur ouvrir le ciel ou les consoler. Rome revendiquait des droits sur le duché de Parme, droits contestés peut-être, mais qu'il était politique de faire valoir dans les circonstances. Clément Xlil avait tout souffert; il n'osa point cependant abaisser la tiare aux pieds d'un de ses feudataires. Le 20 janvier 1768, il publia une sentence par laquelle il annulait les décrets promulgués dans ses principautés de Parme et de Plaisance ; aux termes de la bulle In cœna Dominiy il frappait d'excommunica- tion les administrateurs du duché. C'était porter atteinte au Pacte de famille et blesser Choiseul dans son oigueil diplomatique. Choiseul ameuta contre le Saint-Siège les Bourbons, qui alors faisaient servir leur union à humilier la Papauté; mais en oppo- sant des privilèges surannés à des haines inexplicables, elle n'a- vait pas tous les torts, car le calviniste Sismondi explique ainsi ce différend, de la destruction des Jésuites : % '

« Quelque peu fondée, dit-il*, que fût originairement la pré- tention de l'Eglise à la souveraineté de Parme et de Plaisance, c'était un fait établi depuis des siècles dans le droit public ; et,

' Histoirt df$ Français, t. xxix, p. 373.

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CIIAP. IV. HISTOIRE

quoique les grandes puissances, en disposant de Thcritage des Farnèse par les divers traités du dix -huitième siècle, y eussent eu peu d'égard, elles n'avaient point, par leur silence, aboli un droit constamment invoqué, et par le Saint-Siège, qui le récla- mait, et par les habitants de Parme et de Plaisance, qui y trou- vaient une garantie. »

Ainsi, le Saint-Siège, même en 1768, était, au dire d'un des écrivains les plus habiles du Protestantisme moderne, la (garantie des peuples contre les rois. Choiseul se garda bien d'en- visager la question au même point de vue. Le fils d'un mar- chand de Venise avait l'audace de rappeler à son devoir un prince de la Maison de Bourbon ; le ministre, protecteur des théories d'égalité philosophique , se trouva froissé dans ses va- nités de courtisan. Le 11 juin 1768, la France prit possession du Comtat Yenaissin ; Naples, à son instigation, s'empara de Bénévent et de Ponte-Corvo. Les Jésuites n'avaient pas été ex- pulsés de ces provinces, relevant du patrimoine de saint Pierre ; Choiseul et Tanucci les en chassèrent en confisquant leurs biens.

Les Jésuites, disait-on, étaient repoussés par les nations, l'esprit public se prononçait contre eux dans tous les royaumes ; et le premier jour il )>ut se manifester, il se déclara en faveur des Pères de l'Institut. Le 4 novembre 1" tait la fêle du roi Charles d'Espagne. Il y avait dix-ne^f m^ i, que les Jésuites, enlevés de la Péninsule, étaient à tou' jamais prosciits; il n'en existait pas un seul sur le territoï.Q espagnol, mais leur souvenir vivait dans le Clergé et dans le peuple. '( Le jour la Saint- Charles, dit le protestant Coxe >, lorsque le monarque se faisait voir au peuple sur le balcon de son palais, ont voulut profiter de la coutume d'accorder ce jour-là quelque demande générale, et, à la grande stupeur de toute la cour, les cris d'une foule immense firent entendre d'un commun accord le vœu que les Jésuites fussent réintégrés, et qu'on leur accordât la permission de vivre en Espagne, et de porter le costume du clergé séculier. Cet incident inattendu alarma et contraria le roi, qui, après

jiJRspagne sous les rois de la Maison de Bofirhon, par C<>xe, I. v, p. 25.

DE LA CfiMrAUME DE JÉSUS. 1^57

avoir pris des int'ornialions, jugea à propos d'exiler le cardinal- archevêque de Tolède et son grand-vicaire, accusés d'avoir été les fauteurs de cette demande tumultueuse. » On consultait le peuple espagnol, on le laissait libre d'exprimer ses vœux, il ré- clamait les Jésuites. Ce désir fut interprété par Charles 111 comme une action coupable. Elle le froissait dans ses inimitiés ; il ne s'en montra que plus ardent à provoquer l'extinction de la Compagnie.

Le Pontife était vieux, affaibli par les travaux, et surtout par la douleur; on espéra vaincre sa résistance m l'effrayant. Le niiirquis d'Âubeterre, ambassadeur de France à Rome, fut chargé de ce rôle; il présenta au Pape un mémoire pour de- mander la révocation de son bref contre Parme. Ce mémoire était si violent que Clément Xlll s'écria d'une voix entrecoupée ' : « Le Vicaire de Jésus-Christ est traité comme le dernier des hommes! il n'a sans doute ni armées ni canons; il est facile de l;ii prendre tout, mais il est hors du pouvoir des hommes de le faire agir contre sa conscience. »

Ce généreux cri d'un vieillard aurait dii émouvoir Choiseul; il lui donna l'idée de poursuivre à outrance la destruction des Jésuites, et, le 10 décembre 1768, d'Aubeterre, avec une nouvelle note, vint l'exiger du Pontife. Le Portugal s'unissait aux quatre cours de la maison de Boi.rbon pour formuler ce vœu; un trépas subit, et depuis longtemps désiré, arracha Clément Xlll aux tortures morales que les ennemis des Jésuites lu' faisaient endurer. Il expira le 2 février 1709, à l'Age de soi.\ante-seize ans'. Ce trépas compliquait la situation; il ou- vrait, pour les adversaires de l'Institut, un vaste champ à l'in- trigue. Nous allons dire de quelle manière ils l'exploitèrent.

' Histoire de la Chute des Jésuites, par le eornio de Saiiit-Priest, p. 78.

2 On voit, dans la basilique de Saint-Pierre de Rome, le Inmbeau de CIl'- ment Xlll , l'un des cli<Ts-d'u!uvrc dit Ciinova. L'immortel statuaire a placé aux pieds du Ponlird deux lions qui , par leur beauté, attirent tous les regards. Celui qui dort c'était, dans la pensée de l'artiste , le symbole do la mansuétude et de la conflance; celui qui veille et qui semble vouloir se défendre en montrant ses gritres, c'est, toujours d'après Canova, l'image de Clément Xlll ne voulant pas condamner la Société de Jésus. Les Jésuites n'existaient plus quand Canova, l'un do leurs der- niers élèves, traduisit dans le marbre les résistances catholiques de Clément Xlll , et proclama sa reconnaissance par une ingénieuse allégorie.

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CHAPITRE V.

Les Jésuilm b Home. Mort du Père Tamburinl. Saitième Cungn'oaliun Gv* uc^iale. Elcdion de François Hel/.. Mesures prises par riiislilul contre les l'crivains. Les Conort^Ralions des Procureur!. Mort du Pl>rc Retz. Ignace ViicoDti lui lucccde. H expire , et le Père Genturioue, nommé (îénéral k la place, meurt prumptement. Election de Laurent Ricci. Son caractère. Pressentimenls de la Congrégalion. Le Conclave de 1769. Menace* dea ani- bastadeurs de la maison de Bourbon. Le cardinal ChiQi et lei Zelanti, Instructions données par Louis XV aux cardinaux de Luynes et de Bcrnis. Les exclusions.— Remis au Conclave.— Intrigues des ambassadeurs.— Jus«pk II au Conclave. Arrivée des cardinaux espagnols. Proposiliuns faites pour nommer un Pape qui consente à la destruction des Jésuites. Luynes et Bernis s'y opposent. Moyens employés par le marquis d'Aubeterre pour vaincre la résistance du Sacré-ColléQe. Correspondance de l'ambassadeur de France avec Remis. Propositions de simonie. Bernis les repousse. Vingt-trois exclu- sions.—Gangauelli et le cardinal de Solis.— V eut-il un pacte secret? Lettre de Remis à C^hoiscul, qui divulgue celte afTaire. Election de Clément XIV. Portrait de Ganganelli. Son éloge des Jésuites. Laurent Ricci le fait nom- mer card nal. Les Philosophes et les Jansénistes espèrent en lui. D'Alem- bert et Frédéric 11. Leur correspondance. Bernis, pour complaire au Pape, atermoie avec la question des Jésuites. Lo comte de Kaunitz et le Pape. Défense faite au Général de la Société de Jésus de se présenter devant le Pape. Clément XIV et les puissances. —9a lettre b Louis XV. Ses motifs d'équité en faveur des Jésuites. Dépêche de Choiseul au cardinal de Bernis. Bernis , poussé à bout, engage le Pape à promettre, par écrit, au roi d'Espagne, qu'il abolira, dans un ^emps donné, la Compagnie de Jésus. Clément perd à Rome toute popularité. Ruontcmpi et Francesco. La chute de Choiseul rend aux Jésuites quelque espoir. Le duc d'Aiguillon et madame Du Rarry se tournent contre la Société. Le comte de Florida-Blanca envoyé h Rome. Il intimide, il domine Clément XIV. Leurs entrevues. Marie-Thérèse s'oppose à la destruction de la Compagnie , avec tous les Elacteurs catholiques d'Allemagne. -• Joseph H la décide , à condition qu'on lui accordera la propriété dea biens de l'Institut. MarvvThércse se joint à la maison de Bourbon. Procès intentés aux Jésuites. Alfani, leur juge. La succession des Pizani. Le Jésuite et le chevalier de Malte. Le Collège Romain condamné.— Le Séminaire Romain mis en suspicion.— Trois cardinaux Visiteurs. Les Jésuites chassés de leurs Collè- ges. — Le cardinal d'York demande au Pape leur maison de Frascati. ~ Les mesures du Pape tendent à accréditer le bruit que les Pères sont coupables de quelque méfait. Le bref Dominua ac Rctlernjtioi: L'Eglise gallicane re- fuse de le publier. Christophe de Beaumont rend compte au Pape des motifs de l'épiscopat. Opinion du cardinal Antonelli sur le bref de suppression. Commission nommée pour le faire exécuter. Les Jésuites insultés. On les enlève. Pillage organisé de leurs archives et de leurs sacristies. Le Père Laurent Ricci et ses Assistants transférés au château Saint-Ange. Défense est laite aux Jésuites de prendre parti en faveur de leur Institut. Le Père Faure. On interiogc les prisonniers. Leuis réponses.— Embarras de la commission.

Le bref est reçu en Europe, et de quelle manière. Joie des Philosophes et des Jansénistes. Mort de Clément XIV. Prédictions de Bernardine Reuii.

Clément XIV est-il mort empoisonné par les Jésuites? Compulsus fecL Lettres du cardinal de Bernis en France pour persuader que les Jésuites sont coupables. Frédéric 11 les défend. Déclaration des médecins et du Cordelier Marzoni. Le cardinal Braschi élu Pape. Son amitié secrète pour la Compa- l{nie.— Mort de Laurent Ricci.- Son testament. Le Pape force la commission

DE LA COMPAGNIE DR JESUS. f59

tnilitoéf par Clémenl XIV à prononcer une lenlence dam l'aflaire de* Jéauiiea . La commUiion acquille. Le bref de Clément XIV accepté par loui le» Pères, en Europe et ilani les Missions. Les Jésuites en Chine. Leur sou- mission. — Lours corrtapondances. Mort Ui trois P^ras h la nouvelle de la supprewion. Le Père Bourgeois et le Frère Panzi, Les Ji'suitrs sécularisés restent Missionnaires. Comment ils reçoivent leurs succeaaturs. •> La rési- gnation des Jésuites fut partout la même. , .

Au moment la Société de Jésus, dans Téoiat de sa ma- tuiîté, succombait en Portugal, en France, en Espagne et h Naples, elle semblait n'avoir rien à redouter de la part du Saint-Siège. Elle avait rendu tant de services à la Religion et b la Chaire apostolique, que tout portait à croire qu'un Souverain- Pontife ne consentirait jamais à détruire l'œuvre de prédilec- tion des Papes dont il ceignait la tiare. Cette pensée consolait la Catholicité, elle inspirait aux Jésuites une dernière espé- rance ; elle leur permettait d'envisager d'un œil serein la tem- pête qui les avait dispersés. Rome ne devait pas , ne pouvait pas faiblir, dans la lutte, sous peine d'abdiquer son autorité morale, et jamais l'Institut ne s'était montré plus intimement uni av successeur des Âpdtres. Jamais il n'y avait eu plus d'ac cord entre le Vicaire de Jésus-Christ et l'Ordre de saint Ignace que dans les années qui précédèrent sa suppression.

Les débats intérieurs ot* théologiques qui agitèrent la Com- pagnie sous quelques Pontifes étaient oubliés. Grâce à la sa- gesse de leur administration , les Généraux avaient cicatrisé la plaie faite au principe d'obéissance par les querelles sur les cérémonie chinoises. Il n'existait plus de ferments de discorde * >

I En dehors des Congrégations Générales, il y avait , loui les trois ans, les Con- nrégations des Procureurs. Il s'en était tenu deui sous saint François de Borgis, deux sous Mercurian, huit sous Aquaviva, huit sous Vilelleichl, deux sous Goswiii Nickel, six sons Oliva, une sttus Lliarlesde Noycllc, trois sous Oon)sal(!<i, cinq sous Tamburini , trois sous Retz. Plus d'une fois les guerres ou d'autres causes poltli- ques s'opposèrent à ers assemblées Irieiiiiales; U dernière, qui se tint en 1749. était la quarantième. Yingt-six de ces Conorégstions décidèrent , h l'unanimité, qu'on ne devait pas provoquer l'assemblée générale des Pères; dans huit, cette conv^t- calion ne réunit qu'un ou deux suinrages; dans quatre , elle ne fut différée quo p:.r une faible majorité. Deux Congrégations de Procureurs décrétèrent la Générale sous Claude Aquaviva et sous Tyrse tionialès. Nous avons fait connaître les motifs d'opposition mis en avant pour forcer la main à Aquaviva. Ceux qui déterminé! ont (iontalès k faire appel aux Profcs ne sont pas encore indiqués ; ils donnent cepen* dant la clef de cette obMssance, scrvile selon les détracteurs do l'inatltul, et si digne •ux yeux des hommes impartiaux.

Tyrse Gonulès était Général depuis 4697. C'était Tépoque oit le Probabilismc des théologiens de la Ckmipagnie était mis en cause. Dans l'année 1691, le chef de l'Ordre publia, h Dillingen , son ouvrage De recto Vau OpinhmHm proinMiuim,

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CHAH. V.

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et les trois Congrégations Générales appelées à donner de nou- veaux chefs ù la Société n'avaient eu qu'à constater les heu* reux eiïets d'une indissoluble alliance avec le Saint-Siège.

Michel-Ange Tamburini, après avoir gouverné l'Institut pen- dant vingt-six ans, était mort, le 28 février 1730, sans dési- gner de Vicaire. Le 7 mars les Profés nommèrent à ces fonc- tions le Père François Retz, Assistant d'Allemagne, qui tixa au i 7 novembre la seizième assemblée générale.. On y remarquait les Pères Charles Dubois, Martin Tramperinski , Jean Scotti, Antoine Casati , Xavier Hallever, François de La Gorrée, Fran- çois Sierra , Jérôme Santi , Louis La Guille , Xavier de La Grandville et Jean de Villafanne. Le 30 novembre, Retz, qui réunissait tous les suffrages, obtint, au premier tour de scrutin, l'unanimité moins sa voix. à Prague en 1073, le Père avait successivement rempH avec distinction les principaux rectorats de la Province de Bohème.

La Congrégation Générale termina ses travaux le 13 février 1731. Elle porta trente-neuf décrets. Le trente-troisième in- terdit aux Jésuites auteurs le droit de traiter avec les libraires pour la publication de leurs œuvres sans une permission spé- ciale du Provincial. Dans son décret lxxxiv la septième Con-

Tous les Assislonis demandcrenl que le livre fût supprimi' , Gonzalës consentit à le corriger seulement. Eu 1693, on devait nommer les di'puti's à la Ck)nQrL'gatioii des Procureurs ; au mois d'avril , la Province du Rome désiQua son repr<!sentanl. A la majorité de 33 voix contre 9, le Pl>re Paul Scgneri, l'un des plus éloquents adversaires des opinions soutenues par le Général, fut élu. Les autres Provinces de la Société, Mîlan, Venise, Naples, Ancleterre, Gnllo-Bcloique, Rhin inférieur et les cinq de l'Assistance frani:aise, suivirent l'exemple donné par Rome. Les Jé- suites craignirent de voir les Jansénistes se Taire une arme du livre deGonzalcs; ils l'attaquèrent avec une vivacité inexplicable dans des hommes qu'on nous re- présente sous Twil do leur Général comme un cadavre ou comme un bâton entre les mains du vieillard. Le 19 novembre, ils se réunirent. Les suffrages se balan- cèrent tellement que le décret pour convoquer l'assemblée générale fut rendu. Mais bientôt des difflcullcs s'élevèrent; il n'y avait qu'une demi-voix de majo- rité. Cette majorité mettait elle-même en doute si elle avait atteint son but et réalisé le plura meiUetate suffragia recommandé par les Constitutions. Le cas n'était pas prévu, on en appela au Souverain-Pontife, qui nomma une commis- sion composée des cardinaux Panciattici, Albani, Carpegna, Mariscotli et Spada. Le jugement de cette commission décida rinsufflsance de majorité, et la XIV* Con- gri'giitlon Générale trancha la question en déclarant que la majorité devait au moins être de trois voix.

Celte opposition contre les doctrines théologiques de leur chef est un acte qui sert à démontrer l'indépendance des Jésuites mùn<e en face du Général de l'In- stitut; et si la Compagnie ne l'a pas renouvelée plus souvent, c'est que l'occasion ue s'en est jamais offerte.

DE LA COMPAGNIE DR JÉSUS. if^j^^

grégation prohibait tous les aotes qui pourraient avoir môme l'apparence du négoce. Ce fut pour maintenir cette loi déji'i ancienne qu'en 1731 une autre vint la corroborer.

D'un consentement unanime il avait été arrêté dans la pr/'- cédcnte assemldée générale (décret ix) que les écrivains de la Compagnie ne devaient pas répondre avec aigreur ou vivacité aux attaques de leurs adversaires. Les Profés déclaraient qu'une polémique passionnée était contraire à l'esprit de l'Institut. Dans leur quinzième décret ils renouvelèrent la défense primitive de la douzième Congrégation', et, à la veille des assauts dont la Société allait être victime , elle prémunit la charité du prêtre contre les emportements de Técrivain. Il fut décidé que l'on chercherait à réprimer la facilité que chacun avait peu à peu conquise de publier ses ouvrages. La censure préalable s'était allaiblie avec le temps : il fallait la rajeunir. L'Assemblée voulut que les censeurs, pour l'examen des manuscrits, fussent in- connus aux écrivains, et les écrivains à leurs juges. Ces derniers avaient ordre de donner leur avis sans respect humain, sans aucun égard pour les personnes, et le Provincial devait veiller ù l'exécution des arrêts théologiques ou littéraires.

Retz venait dans un temps de calme, précurseur de la tem- pête. H 3e laissa être heureux avec la Compagnie. Il fut l'ami de Clément XII et de Benoit XIV. Il obtint la canonisation de saint François Régis, et par une sage admir: ovation il contri- bua beaucoup à la prospérité de l'Ordre. Plusieurs collèges, des séminaires et des maisons de retraite furent fondés , et , quand , le 19 novembre 1750, il mourut, presque dans les bras de Be-

I Le décret xix de la douzième Congrédation est ainsi convu : « S'il arrivait que quelqu'un des nôtre», de vive voix, par écrit ou de quelque autre manière que ce soil, blessât une personne quelconque élraneèreà la Compagnie, et spé- cialement des Religieux ou des grands, ou leur donnât un juste motif «l'offentc; d'abord, que les supérieurs fassent d'exactes recherches contre le coupable, qu'ils le chàtieiit avec la sévérité exigée par la justice, et que rien en celte matière ne demeure impuni ; ensuite qu'ils fassent en sorte que ceux qui auraient pu avec raisoB se croire lésés aient le plus proniptcmeiit possible la satisfaction qui leur est due. Si jamais on réimprimait les livres contenant certaines choses dont quel(|u'un peut se formaliser, qu'on le retranche entièrement. Enfin, de crainte que les supérieurs, que cela regarde, ne soient trop indulgents sur ce point, les consulteurs, tant locaux que provinciaux, sont tenus d'avertir les supérieurs médiats si quelqu'un a commis une faute de cette nature, et de déclarer si on lui a imposé une pi'nitence ou non, et quelle pénitence. »

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CHAP. V.

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noU XIV, il abandonna la Société plus llorissante et plus vivice que jamais. Le Pôro Retz avait désigné pour Vicaire-Général Ignace Visconti, qui fixa la Congrégation au i2i juin 1751. Parmi les Profés qui y assistèrent on comptait Louis Centurione, Léonard Tschiderer, Joseph de La Grandville, Pierre de Cespe» dés, Jean de Gusman , Claude Frey de Neuville , Antoine Ti- moni, Joseph de Andrada, Stanislas Popiel, Léonard des Plasses et Ignace de Sylveira , tous Assistants ou Provinciaux d'Italie , d'Allemagne , de France , d'Espagne , de Portugal et de Polo- gne. Le 4 juillet Visconti fut élu Général. Issu d'une grande famille milanaise , ce Jésuite avait longtemps gouverné la Pro- vince de Lombardie. 11 était aimé du Souverain-Pontife , et sos vertus ainsi que ses talents l'avaient rendu cher à l'Eglise ; mais , après quelques années d'un fructueux généralat , Visconti mourut le 4 mai i 755.

En sa qualité de Vicaire , le Père Centurione convoqua l'as- semblée d'élection au 17 novembre. Quatre-vingt-quatre Professe réunirent à Rome. On distinguait dans leurs rangs les Pères Scotti, Antoine. Vanossi, Louis Le Gallic, Laurent Ricci, Xavier Idiaquez de Grenade, Thomas Dunin, Pascal de Mattéis, Gaspard Hoch, André Wagner, Malhurin Le Forestier , Salvador Ossorio, An- toine Cabrai et Henri de Saint-Martin. Le 30 novembre Louis Centurione fut élu. 11 ne fit que languir au milieu de ses nom- breuses occupations, et le 2 octobre 1757 la mort mit un terme ù ses souffrances. Il avait nommé Vicaire le Père Jean- Antoine Tjmoni, qui convoqua pour le 8 mai 1758 la Congrégation Gé- nérale. C'était la dix-neuvième et la dernière qui se réunissait au Gesù. On distinguait parmi les Profès assemblés les Pères Garnier, de Maniaco, Philippe d'Elci, Ridolfi , Claude de Jame, Kosminski, Rota, Allani^ , Rhomberg , Velasco, de Sylva, Adalbert Bystronowski , Trigona, Lindner, Le Gallic, Ossorio , Jean de Gusman , Wagner et Pierre de Cespedés. Le il mai Laurent Ricci fut élu chef de l'Ordre.

à Florence le 2 août 1703, Ricci appartenait à une il- lustre famille ; mais les événements qui allaient se dérouler sous son généralat devaient donnjr à son nom un retentissement que sa piété et ses modestes vertus n'auraient jamais eu. Il était loin

DE LA COMPAONIR DE JÉSUH.

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lie posséder toutes les qualités propres à soutenir le combat dés- espéré qui s'engageait. Caractère dont la douceur approchait de la timidité , esprit cultivé , mais complètement étranger au jou des passions humaines , il avait jusqu'alors vécu de cette vie in- térieure que les Jésuites s'arrangeaient au milieu du monde , et à l'Age de cinquante-cinq ans il se trouvait chargé du gou- vernail de l'Institut. Ses mains étaient trop faibles pour le tenir en face des tempêtes amoncelées. Âquaviva ne les eût pas conjurées, Ricci devait se laisser emporter par elles presque sans résistance. La Congrégation Générale pressentait des calamités prochaines, et dans son décret xi , en recommandant l'exécution des lois et des règles , elle ajoutait : « Que les supérieurs en- joignent expressément à ceux qu'ils gouvernent le soin des choses spirituelles , et qu'ils leur inculquent souvent que c'est de cette fidélité aux devoirs de la piété et de la Religion que dépendent la conservation et la prospérité de la Compagnie ; car si , Dieu le permettant ainsi pour des desseins cachés que nous ne pouvons qu'adorer, nous devions être en butte aux adversités , le Seigneur n'abandonnera pas ceux qui lui demeu- reront attaches et unis intimement ; et , tant que nous pour- rons recourir à lui avec une Ame pure et un cœur sincère , aucun autre appui ne nous sera nécessaire. »

Dans le secret de leur Congrégation , voilà les seules mesures qu'adoptent ces honmies dont le monde diplomatique semble prendre à tâche de redouter les intrigues. Les premiers éclairs de l'orage ont déjà brillé. Tout devient hostile à la Société de Jésus. Pour rompre cette coalition de haines , de cupidités ou de passions impies , les Jésuites n'ont recours qu'à la Foi et à la patience. Nous avons dit le résultat de cette lutte inégale en Portugal , en France et en Espagne. Les ministres et les cours de justice , les princes de la maison de Bourbon, et les Philo- sophes ennemis de tous les cultes et de tous les trônes, ont jusqu'alors circonscrit le champ de bataille. Ils ont jugé , con- damné, exilé et dépouillé les Pères de l'Institut au tribunal privé de leurs colères , de leurs préventions ou de leurs espé- rances. La dispersion des Jésuites à Lisbonne, à Paris, à Madrid , à Naples et à Parme , a été le produit d'opinions et

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CIIAI'. V. HISTOIHK

(Ift cnlctils pontrairos. Dans rlia((iio Etal , les innnarqiios ol los ministres ont a^i presque isolément. On los a tentés par l'appAt (les louantes philosophiques. Ils se sont laissé séduire por la pensée qu'une inique spoliation les enrichirait. Maintenant que l'œuvre de destrur tion est consommée chez eux , ils veu- lent forcer le Sainl-Siége à sanctionner leurs décrets. Ils se coalisent pour faire suhir li la cour de Rome la loi qu'ils sen- tent le besoin de lui imposer pour légitimer leur arbitraire.

Jusqu'il ce moment les elVorts , les prières , les menaces des ambassadeurs avaient été inutiles. La mort de Clément XIII ouvrit un nouveau champ aux hostilités contre les Jésuites. L'alliance de quatre rois catholiques sollicitant l'extinction d'un Ordre religieux par tous les moyens possibles devait exercer une étrange influence sur les cardinaux. Il fallait savoir si la philosophie l'emporterait sur la Ueligion, et si l'Kglise, pressée de tous c(Ués, consentirait enfin à accorder aux princes le droit de suicide , qu'ils invoquaient en aveugles. La guerre ne se fai- sait plus partiellement; les adversaires de l'Ordre avaient com- biné leur attaque. Ils désiraient anéantir la Société en forçant le successeur futur de Clément Xlll à confirmer ce qu'ils avaient entrepris pour blesser l'autorité du Saint-Siège. Le Conclave qui se réunissait dans ces circonstances dllliciles offrait à l'Ks- pagne, à la France, au Portugal et aux Deux-Siciles une chan(;e inespérée de succès. Il fallait intimider le Sacré-Collège, l'ex- citer à immoler les Jésuites par une élection agréable aux puissances, et lui faire entrevoir dans un prochain avenir la paix que les dernières mesures de Clément Xlll avaient com- promise.

Le 15 février 1769, treize jours après la mort du Souverain- Poi:itife, dont les obsèques venaient de s'accomplir avec le cérémonial usité, le Conclave s'ouvrit. Les ambassadeurs de la maison de Bourbon ne cachaient ni leurs menées ni leur ac- tion. Au nom de leurs cours, ils demandaient, ils exigeaient môme, que l'on attendît les cardinaux français et espagnols. D'Aubeterre surtout parlait avec hauteur. Mais ces menaces di- plomatiques n'efirayèrent point une partie du Sacré-Collège. On voulait que le Saint-Siège s'humiliât devant des princes

I)K LA r.OMPAr.NIF. PR JKAtm.

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qui IIP suviuonl m«^ino pas ronsorver b ;!ignitA de In jiislicp. K«> pnrii des Xclnnti ' s'indigna de voir Louis XV parler do vortii, et Clioiseul, d'Aranda, Pombal ainsi que Tanucci pro- diguer à l'Kglise des t^nnoignages de leur vénération suspecte. Il tenta d'en iinir avec les intrigues qui s'agitaient i'i la porte du Vatican ' et l'élection du cardinal Cliigi n'échoua que faute de doux voix de majorité. Chigi était un prêtre qui n'aurait pas reculé , et (|ui n'aurait jamais sacrifié la (iOmpagnio de Jésus h des inimitiés philosophiqut^s ou jansénistes. D'Aubeterre et Azpuru , ministre d'Espagne, jetèrent les hauts cris, lis annoncèrent dans la ville <iue , si le vœu des Couronnes n'était pas exaucé, la France, l'Espagne, le Portugal et les Deux- Siciles se sépareraient de la Communion romaine. Ces violences morales produisirent l'effet attendu : (juelques cardinaux, ju- geant de la force du Catholicisme par leur propre faiblesse, n'osèrent pas exposer à de nouvelles tempêtes la barque de saint Pierre, qui n'est cependant jamais plus affermie sur les tlots que lorsqu'elle brave les vents de l'hérésie ou de l'iniquité. On consentit à différer l'élection jusqu'à l'arrivée des cardi-

I Hailke, dans son ll'mtoirr de lu Ptiiuiiilv, I. iv, p. 480, s'exprime aiiiti :

<i La scissinn i|ui partaocait le inonite calliolii|ue OTait pt^ni^lrt^ aussi, «oiiit eer- taiii rapport, pu sein de la roiir runiaine, un Jimix partis s'étuii'iil di'tlarOs, l'un plii& sOvi'rc, l'autre plus inodort'. »

Le parti <|ue l'Ocrivain prutestant design)) ranime le plus siWère, et qu'a Homo on appelle les Xeltiit/i, tenait TurtenuMit, dans le Sacrf-dolli'KP, pour les prOroQa- tives du Sainl-SiOQo ci pour toutes les liberti's de l'Edlise. Il se composait, en Ui'néral, des cardinaux les plus exacts cl les plus religieux. Clémeul XIII, Pie VI et Pie Vil le repri'sentérenl sur le tr6nc pontifical.

La Traction du Sacrt^-Collc^Qe que Uanke regarde comme plus mod(<r(^e, el qui fêtait connue sous le nom de parti dis Couronnes, pr -ait que, tout en conservant l'essentiel, il fallait faire des sacrillees aux puissances temporelles et i> l'esprit du sikie. Elle se formait, du moins dans ses membres les plus avanci^, d'hommes politiques, des cardinaux diplomate!!. Benoit XIV fut l'expression de celte nuance dans le sens le plus restreint; ClOment XIV la n'suma dans celui des concessions.

^ Sous le litre de Ctcmeut Xlf et les Jésuites, M. J. CnUineauJoly a public en l«47 trois «éditions successives d'un ouvrage «|ui a enfin diVhiré tous les voiles qui cachaient encore les mystères de la chulc de l'Institut de saint Ignace. L'his- torien de la Compagnie de Jésus a pu, ii force de bonheur et de patientes re- cherches, découvrir toutes les correspondances les plus secrètes relatives à cette immeiiiie question. Il l'a tranchée pour toujours avec raulorité des plus incon- testables documents. Pendant quatre mois, ces documents ont Ott^ déposés ii Paris et offerts à la curiosité publique. Nous ne pouvons donc que renvoyer ii ce vo- lume les lecteurs qui voudraient connaître dans tous leurs détails les intrigues et les calomnies que les cours de Krunce et d'Espagne, réunies à deux ou trois mem- bres du Sacié-Collégc, mirent en œuvre pour arriver it immoler les Jésuites sur l'uutel de la philosophie et de l'incrédulité. (.Vo/<' de l'éditeur.)

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CHAP. V. HI8T0IRK

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naui français et espagnols. Cette concession, arrachée & de méticuleuses habiletés ou inspirée par un sentiment de pacifi- cation toujours respectable, même dans ses erreurs, laissait la victoire aux mains des puissances temporelles. Dès-lors il no s'agit plus dans le Conclave que de faire surgir un cardinal ac- ceptant la ligne de conduite tracée par les Couronnes. Cette ligne se réduisait à quelques exigences plus ou moins déplo- rables pour l'Eglise. Le 19 février 1769, Louis XV et le duc de Choiseul les résumèrent dans les instructions données aux car- dinaux de Luynes et de Bornis partant pour Rome.

« Le régne de Clément XUI, lit-on dans ce document se- cret, n'a que trop démontré que la piété la plus sincère, les mœurs les plus pures et .les intentions les plus droites ne suf- fisent pas pour faire un bon Pape , et qu'il lui faut de plus les lumières et les connaissances nécessaires pour l'administration tant spirituelle que temporelle dont il est chargé, et qui man- quaient absolument à Clément XIII. De vient que, certai- nement sans le vouloir et vraisemblablement sans le savoir , il a fait plus de tort à l'Eglise romaine que plusieurs de ses pré- décesseurs moins réguliers et moins religieux que lui. Il n'avait aucune notion approfondie les cours, des affaires politiques et des égards qui sont dus à la personne et à l'autorité indépen- dante des autres souverains. Conduit par des conseils passion- nés et fanatiques, il a formé des entreprises et s'est porté à des démarches dont l'injustice et la violence ont obligé la France, l'Espagne, les Deux-Siciles, le Portugal , la République de Ve- nise et quelques autres puissances à réclamer hautement contre les atteintes qu'il a portées aux droits sacrés et inaliénables de leur souveraineté. »

Le même ton de dédaigneuse pitié ou de misérable Vuoité princière perce à chaque ligne de ces instructions. On sent que Louis XV et Choiseul essaient de se relever des hontes militaires ou diplomatiques qu'ils ont amassées sur la France, et c'est sur l'Eglise désarmée, sur la Compagnie de Jésus qui ne résiste pas, quMIs dirigent leurs batteries. L'abolition absolue et totale de la Société est la première des conditions à obtenir pour réconcilier les puissances avec la cour romaine ; les autres regardent le

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DR LA CdMPAGNIB DE JESUS.

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démêlés du Saint-Siégo avec le duo de Parme. Il y en a une qui intéresse directement la France. Choiseul a perdu la Marti- nique, il a lâchement abandonné le Canada aux Anglais ; pour offrir à son pays une glorieuse compensation, il déclare « que Sa Majesté a résolu de réunir à perpétuité à sa couronne la ville et le comtat d'Avignon. » Louis XV craignait les âmes vigou- reuses ; ses instructions sur ce point sont aussi tranchantes que sur lus autres. Choiseul ne veut pas qu'un Pontife de cœur et de tête vienne s'asseoir sur la chaire apostolique, et il dit : <r Le Roi n'a point personnellement de plan formé, soit pour porter au trône pontifical, soit pour en exclure tel ou tel mem- bre du Sacré-Collége. Sa Majesté désire même de ne se point trouver dans la nécessité de donner à quelqu'un d'eux une exclu- sion authentique. II y a cependant un cas il faudrait encore en user, et ce serait celui MM. les cardinaux de Luynes et de Bernis auraient lieu de penser que les voix nécessaires pour élire un Pape pourraient se réunir en faveur d'un sujet dont les préjugés personnels, les affections particulières et un zèle aveugle et imprudent ne pourraient que rendre son administration dan- gereuse, et peut-être pernicieuse et fatale à la Religion et à la tranquillité des Etats catholiques. De ce nombre sont les cardi- naux Torregiani, Boschi, Buonaccorsi et Castelli. »

Ces instructions étaient communes à Luynes et à Bernis; mais ce dernier possédait la confiance du cabinet de Versailles, il était chargé de ses pleins pouvoirs. Bernis avait été le protec- tecteur du duc de Choiseul , qui , redoutant en lui un rival, le lit exiler dans son diocèse d'Âlby. ce prince de l'Eglise, dont, jusqu'à ce moment, la cour et la ville n'avaient connu que l'élégance poétique, les charmes da l'esprit et l'aménité de carac- tère, oublia ses rêves de jeunesse, de plaisirs et d'ambition pour des vertus plus épiscopales. L'ami de madame de Pompadour, le poète que Voltaire avait surnommé Babet la Bouquetière, se transforma en prélat plein de magnificence et de charité. Dans son ambassade de Venise, il avait été agréable à Benoit XIV et au Saint-Siège ; il n'était hostile à personne ; il aimait l'éclat et l'apparence du pouvoir. On accorda à ses spirituelles vanités tout ce qu'elles pouvaient exiger; on le berça de l'idée que son aff'abi-

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criAP. V. iriSTOiHK

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litt^ lin peu manit^rtifî , qiio ses talents (liplomati(|ncs sétliiiraicnt h Sacré-Colh^gc ; on l'enivra d'encens, on lui promit l'am- bassade de Uome, s'il parvenait à l'aire élire un Pape agréable aux liourbons , et par conséquent ennemi des Jésuites. Bcrnis , sans haine ainsi que sans arrière-pensée , accepta lo rôle qu'on lui destinait.

Il s'était tlatté que ses grAces toutes françaises, que sa conver- sation pleine d'atticisme allaient enlever d'assaut les siiIVrages, et que, pour vaincre, il n'avait qu'à se montrer. En face de ces vieux Porporati italiens, ayant de plus graves intérêts ii satis- faire que l'amour-propre du cardinal de Hernis, il s'aperçut IiienltH que, pour discuter l'élection future, il fallait autre chose que des paroles de doucereuse conciliation ou de vagues pro- messes qui ne contentaient personne.

La majorité du Sacré-Collége était évidenuucnt opposée aux vœux des Bourbons ; on essaya de la modiiier dans leur sens par la corruption d'abord, parla violence ensuite. Le marquis d'Au- beterre, conseillé par Âzpuru, se chargea de ce rùle; c'est dans sa correspondance autographe avec le cardinal de Remis qu'il liuit chercher les preuves de cet acharnement contre les Jésuites, acharnement qui réduisait un ambassadeur du roi très-chrétien aux proportions d'un intrigant. Les Couronnes s'obstinaient h vouloir que le Pape futur signAt l'engagement de séculariser la Compagnie de Jésus. Demis s'y refusait. Le H avril, d'Aube- terre lui répond sous le n" 14 de sa correspondance inédite ' : « Je suis véritablement affligé que Votre Eminence répugne à l'arrangement particulier que je lui ai proposé , qui est désiré par l'Espagne et qui le serait infailliblement par la France si on avait touché cette question. La circonstance d'un nouveau Pape étflit celle qui put arriver de plus favorable à nos vues. Ne rien arranger avec lui d'avance, c'est tout manquer et laisser échapper la plus belle occasion ainsi que le meilleur moyen , bien plus sûr

I Celle coiTcspoiulaiice vnirc le cardinal do Rcriiis et le marquis d'Aubclerro conlieiil, jour ]iar jour, le \\\an qui fut suivi coiilre les cardinaux el la Sorii'li' de iôms. Nous aurions pu en citer de \ilus nombreux rra(;menls, ils n'auraienl Tuil que corroborer ce triste système de séduction cl de violence; mais, par resped pour la France, que d'Aubclerre représentait abtrs ii Uome, nous avons cru devoir passer sous silence plusieurs lettres l'injure adressée aux membres conscien- cieux du Sacré- l'ollége no prend niiMne pas la peine de se défjuiser.

m LA compaunig: de jesus.

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quo tous jcux qui pourraient ôtre employés dans la suite par les cours. Je ne connais de théologie que la naturelle, et je ne comprendrai jamais qu'un pacte qui n'a pour but que la sécula- risation d'un ordre religieux qu'on ne saurait nier devoir entre- tenir la division et le trouble dans l'Eglise tant qu'il subsistera , puisse être regardé comme un pacte illicite ; au contraire , une telle démarche ne saurait être envisagée que comme méritante et tendante au bien de la Religion. Je sens bien que je ne suis pas tait pour être le casuiste de Votre Eminence ; mais qu'elle s'en ouvre confidemmcnt au cardinal Ganganelli , un des plus célèbres théologiens de ce pays-ci , et qui n'a jamais passé pour avoir une morale rclAchée ; j'espère que peut-être il se rappro- cherait de mon sentiment. Il ne s'agit ici d'aucune temporalité , mais absolument d'une pure spiritualité, llicn de plus douteux (|uc ce que fera un Pape , quel qu'il soit , quand il sera élu , si on ne l'a pas lié auparavant. A

Demis résistait toujours , et d'Aubeterre ne se tenait pas pour battu ; quatorze jours après , le 25 avril 1 7G0 , il écrit au car- dinal :

« Quoiqu'il ne soit plus question de promesse particulière au sujet de la destruction des Jésuites, et que, dés que Votre Emi- nence y a eu répugné , celte matière ait été abandonnée , je crois pourtant devoir lui envoyer la copie de l'avis d'un des célèbres théologiens de celte ville , non pour convaincre Votre Eminence , je sais bien, d'après la façon dont elle s'est expliquée, que je n'y parviendrai pas ; mais au moins pour lui faire voir que mon opi- nion n'eét pus si déraisonnable , et qu'il y a de vrais théologiens qui pensent comme moi. »

Le lendemain, Bernis lui mande [n" 'ôi) : « Le mémoire théo- logique que vous m'avez envoyé porte tout entier sur ce principe : Il est incontestable que la destruction des Jésuites est le plus i>i'and bien que l'on puisse faire à la Religion. Ce principe dans les circonstances peut être vrai ; mais il est contesté par la moitié du Clergé au moins , par un grand nombre de cardinaux , d'Evèques et de gens de tous pays et do tous états. Ainsi , le prin- cipe fondamental est une supposition et non un ])rincipe. »

A ces raisons si concluantes, d'Aubeterre réplique le 27 avril:

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CHAP. V. •— HISTOIRE

Je conviens avec Votre Eminence que l'avis théologique porte en entier sur le principe que l'extinction des Jésuites est un grand bien pour la Religion , et c'est aussi le fondement de mon opinion. Je conviens encore que beaucoup de monde n'en con- vient pas ; mais je demande à Votre Eminence se trouve l'una- nimité? Ne faut-il pas séparer ce qui est esprit de parti d'avec ce qui est esprit de raison ? »

L'esprit de raison et la théologie naturelle invoqués par d'Âu- bcterre , c'était aux yeux des ministres de la famille de Bourbon la simonie organisée , la corruption pénétrant dans le Conclave 80U8 le manteau de la philosophie diplomatique. Bemis, dans un mémoire daté du 12 avril, et adressé au duc de Clioiseul, avait dit : « Demander au Pape futur la promesse, par écrit ou devant témoins, de la destruction des Jésuites, serait exposer visiblement l'honneur des Couronnes par la violation de toutes les règles canoniques. Si un cardinal était capable de faire un tel marché, on devrait le croire encore plus capable d'y man- (pier. Un prêtre, un Evêque instruit ne peuvent accepter ni proposer de pareilles conditions. * Les rois, celui d'Espagne surtout, tendaient à violenter la conscience de l'Eglise; le 3 mai, Bcmis écrivait : « On m'a dit aujourd'hui que les cardinaux espagnols étaient dans le principe que cette démarche ordonnée par le roi d'Espagne intéressait sa conscience seule si elle était mauvaise. En France, nous croyons que, dans ce genre, c'est aux Evéques à éclairer les rois sur les règles canoniques. » D'Âubeterre n'est pas de cet avis, qui froisse ses intérêts. Le 4 mai, il se retranche derrière sa raison individuelle et il dit : « Si j'étais Evêque, je ne penserais pas du tout que les rois eussent besoin d'être éclairés sur cette matière, dans laquelle je ne reconnais pour juge que la droite raison. » Deux jours après, il a de semblables ai^ments à opposer au cardinal. « La simonie et la confidence ne sont d'aucun état, écrit-il, mais elles cessent pour tous parle la droite raison. Peut-il y avoir une règle de l'Eglise qui empêche qu'on ne lui fasse du bien ? »

L'Eglise reftisait d'accepter un bienfait oftert sous forme de corruption ; on jetait aux cardinaux toute sorte de promesses ,

DE LA COMPAGNIl!. DE JESUS.

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ils y restaient insensibles ; d'Aubeterre pensa qu'il serait pins heureux s'il employait les moyens de terreur. Les ministres d'Espagne et de Naples agirent dans le même sens. On ne parle plus de simonie ; Bemis prend à tâche d'elTrayer le Conclave. Les villes d'Avignon, de Bénévent et de Ponte-€orvo étaient occupées par les Couronnes ; on menace de pousser plus loin les hostilités. Les monarques de la maison de Bourbon jouissaient de trois voix d'exclusion dans le Sacré-Collége. Une lettre du cardinal de Bemis, du 22 avril, va nous initier au scandale que ces princes laissèrent donner en leur nom. « Si M. Azpuru veut faire attention que les listes d'Espagne et de France réunies donnent Texclusion à vingt-trois sujets, et que le Conclave ne sera composé que de quarante-six après l'arrivée des Espagnols, et que de ces quarante^six il faut en retrancher neuf ou dix qui ne sont pas papables, trouvera-t-on un Pape? M. Azpuru répondra qu'il restera Sersale, dont on ne veut pas ici ; Stopani, dont on ne veut pas davantage ; Malvezzi, qu'on a en horreur depuis qu'il parle pour nous ; les Napolitains, qui sont trop jeunes; Perelli et Pirelli, auxquels peu de voix se joindront; Ganganelli, qui est craint et pas assez considéré. M. Azpuru répondra que la lassitude forcera à en venir à Sersale ; mais la lassitude, jointe aux bruits qu'on sème déjà cortre la tyrannie des cours, dérangera à la fm le système de notre exclusive (1); les rois nous abandonneront, on fera un Pape malgré nous... C'est pour l'honneur des Couronnes que je parle. Jamais elles n'ont voulu faire un Pape, en excluant plus de la moitié du Sacré- Collége ! Cela est sans exemple, il &ut être raisonnable, et ne pas mettre le Sacré-Collége dans le cas de se séparer et de pro- tester de la violence. Il est impossible de former un plan de conduite sur un plan d'exclusive si général qu'il ne comprend à peine que quatre ou cinq sujets , dont quelques-uns sont trop

> On appelle exeluaivn des cardinaux^ dam le Conclave, l'oppoâilion eon»la»(e d'une partie des mcnibrea du Saci'é-CAlUoe contre l'autre dans le but d'euiptcUer l'exaltation au ponliilcat d'un cardinal dont ils ne veulent pas. L'exclusion des cour» est, au dire des Romains, un avis pacifique que les cours de Vienne, de Paris et de Madrid souoicltenl au Conclave pour un seul cardinal, en déclarant que son élection ne serait point agréable pour des motifs particuliers. Cet avis paci- fique était devenu une espèce de droit. Au Conclave de 1709, il a telleoenl dégé- néré en abus que ce scandale enfin dévoilé doit nécessairement anener l'Eglise à rester dans sou indépendance primitive. _

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CHAi'. V. inSiOlKE

jeunes. En ini mot, les bras tombent toutes les fuis (|u'il laut prendre la lune avec les dents ou pourrir en prison. » >■ r

D'Âubeterre ne concevait pas ces lenteurs et ces délicatesses de conscience. Les rois parlaient ; son égoïsme philosophique était d'accord avec eu\ ; il fallait que l'Eglise cédât. « Je crois bien, mande-t-il à Bernis, que le Sacré-Collége craint nos ex- clusions, mais ce n'est pas une raison pour nous priver de ce moyen. En excluant les vieillards, nous avons certainement, tant dans la classe des bons que dans celle des douteux et des in- ditl'érents, au moins douze sujets pour lesquels nous irons. Ainsi, ce n'est pas de notre côté qu'est la tyrannie, mais bien de celui du parti opposé, qui voudrait nous faire la loi, et nous donner un Pape Jésuite ou dépendant des Âlbani, ce qui est tout un. 11 est aisé de sentir les sujets qui peuvent convenir; il n'y a qu'à se concerter de bonne foi, et alors ils ne trouveront aucune opposition de notre part. Au reste, il n'y a point de mal qu'ils aient un peu de peur. L'expérience ((ue j'ai de ce pays-ci m'a fait connaître que c'était le meilleur moyen pour déterminer les esprits. 11 faut absolument leur en imposer, sans quoi ils nous foulent aux pieds. D'après ce principe, il n'y a pas de mal non plus qu'ils sachent que, si on élisait un Pape malgré les Couronnes, il ne serait pas reconnu par elles. Ou'on craigne les cours, qu'on aime et estime Votre Eminence, voilà ce qu'il nous faut. »

Le 25 avril, d'Aubeterre exclut encore les cardinaux Colonna et Pozzobonelli ; il dit que les princes veulent un Pontife phi- losophe ; et il ajoute : « Je pense qu'un Pape de cette trempe, c'est-à-dire sans scrupule, ne tenant à aucune opinion et ne consultant que son intérêt, aurait pu convenir aux Couronnes. » Les ambassadeurs parlent de se retirer de Rome si le Conclave n'obtempère pas à leurs ordres. D'Aubeterre pousse Bernis à agir dans son système de terreur. Le 7 mai , il lui écrit : « Que Votre Eminence parle haut. La plus sûre fsçon, pour qu'il n'y ait pas de schisme, est d'en parler souvent et avec assu- rance. Qu'elle se mette en colère, s'il est nécessaire. U faut les épouvanter. »

Cette contrainte morale, surgissant à chaque page de la volu-

V\i LA COMPAGNIii: UI:: JESUS.

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inineusu currespondance qui est sous nos yeux , ne laisse plus aucune incertitude à Tliistoire. Jusqu'alors on avait douté ; maintenant les faits sont irrécusables. Les ministres de France , d'Espagne et de Naples conspirèrent contre la liberté de l'E- glise; par des moyens que la Religion réprouvera toujours au- tant que l'honnôtclé , ils ont tâché d'égarer le Conclave et de le rendre injuste, afin de pouvoir faire amnistier l'iniquité de leurs cours. Dans les pays catholiques, on a jugé et proscrit ainsi les Jésuites ; on espère que le Saint-Siège , gagné d'avance ou intimidé, ne pourra pas refuser sa sanciion à l'œuvre des Bourbons. Le Sacré-Collège donna un démenti aux outrageantes hypothèses des ambassadeurs.

Les jours se passaient en stériles efforts ou en intrigues qui n'aboutissaient pas toutes à la porte du Conclave. Les ambas- sadeurs s'agitaient au dehors; l'empereur Joseph II et Lèo- pold de Toscane son frère prenaient au dedans une déplorable revanche. On les voyait braver et huniili(!r, plutôt par leur at- titude que par leur langage , ces électeur:» de l'Eglise , qui ré- sistèrent si souvent aux vœux et aux ctapiètements des mo- narques germaniques. Le Conclave èprouiaift le besoin de mettre fin à ces agitations se produisant à Rome s«us mille aspects di- vers. Le marquis d'Aubeterre demandait à haute voix un Pape qui ne fût que le docile instrument de la philosophie; on par- lait dans la ville de ses arrogances concertées avec Joseph II et Choiseul , arrogances qui allaient jusqu'à l'intimidation et à la vénalité. Remis avait épuisé toutes les ressources de sa politi- que de bous mots et de vaniteuses séductions ; il n'obtenait au- cun résultat. Le Conclave paraissait aux ordres des puissances ; les cardinaux espagnols de Solis et La Cerdajsembhrient retarder à dessein leur arrivée à Rome , pour trouver le Sacré-Collège fatigué , et enlever ainsi de guerre lasse l'élection que Remis n'avait pas su déterminer. Le Sacré-Collège se laissait décimer par de continuelles exclusions , il se prêtait à attendre la venue des Espagnols. Ils se présentèrent enfin aux cellules du Vati- can ; mais alors il ne resta plus à Remis que les apparences du pouvoir. Le cardinal de Solis , archevêque de Sèville , était le c(»nlident intime de Charles III. Ami des Jésuites jusqu'au V. 18

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474 •'-HAI'. V. lUSTOiKK

jour le rui il'Kspiigne leur tut déi'uvorablu , un l'avait vu écrire, 19 juin ilô'J, à Clément XllI ', pour le supplier do protéger et do soutenir l'innocunce de la Compagnie dans la tourmente (|ui la incna(;ait ; mais , renonçant à la fermeté sa- cerdotale pour se taire le courtisan d'une haine dont il n'avait poin^ le secret , Solis abandonna ses anciens protecteurs ; il se fit l'organe de son maitre contre eux. Ce prince de l'Eglise n'était pas hpmme ù s'enivrer comme Bernis de llatteries étu- diées : il fallait faire nommer un Pape s'engageant d'avance et par écrit ù la destruction dos Jésuites, il le chercha dans lus rangs du Sacré-Collégc. Le cardinal Ganganelli se tenait à l'é- cart des intrigues *, il se plaçait entre les Zelanti et le parti des Couronnes comme dans un juste-milieu pacificateur. Chaque fraction du Conclave l'avait entendu jeter quelques-uns de ces mots qui veulent être significatifs , et qui prêtent beaucoup à l'interprétation. « Leurs bras sont bien longs, disait-il en par- lant des princes de la maison de Bourbon, ils passent par-des- sus les Alpes et les Pyrénées. » Aux cardinaux qui ne sacrifiaient point les Jésuites à des accusations chimériques , il répétait avec un accent plein de sincérité : « Il ne faut pas plus songer û tuer la Société de Jésus qu'à renverser le dôme de Saint-Pierre. » Ces paroles , -cette attitude , dont l'art n'échappait point à la perspicacité romaine, firent comprendre aux cardinaux fran- çais et espagnols que Ganganelli ambitionnait la tiare. C'était le seul moine dans le Conclave ; ils crurent que des rivalités d'In- stitut pourraient être un nouveau levifîr pour l'accomplissement de leurs desseins. Bernis sonda le Cordelier; il le trouva calme et froid , ne promettant rien , mais , dans les finesses si déliées de la langue italienne , cherchant aussi à ne rien refuser. Gan- ganelli lui parut peu sûr ; il se mit on quête d'un autre candi-; dat. Solis avait sur ce caractère des notions plus exactes. A l'instigation d'Azpuru , ministre d'Espagne à Home , d'Anbe- terre demande qu'on exige du cardinal à élire une promesse écrite de supprimer les Jésuites, Cette promesse est la condi- tion irrévocable des cours , la seule qu'elles mettent à la ros-r

Vhionario dicrluli2iont•Avïcà\ilicTO(iSi{:[li\ulM^^vonï,i. xxx,p. II.'J.

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W. LA COMI'ACNIË UK JKSL'S.

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liliilioli (rAvii^iiuii ot (le Itûnévcnt. liurnis étuit lé^er, son liixG lui taisait un besoin des faveurs ministérielles ; il ne cessait do demander pour lui ou pour ga famille : néanmoins , de concert avec le cardinal de Luynes, il repousse énergiqucment ce mar-. elle, qui s'entache de simonie diplomatique.

Les Espagnols sentirent que Remis ne se prêterait jamais à It^ur combinaison , qu'il pourrait même faire partager ses râ" pugnanccs ù Louis XV, et leurs soupçons n\Haient pas sans fondement. Ils se décidèrent donc à passer outre. De concert avec le cardinal Malvezzi dans le Conclave, et les ambassa^ (leurs de France et d'Espagne au dehors , l'archevêque de Se- ville veut qu'on exige du candidat des Couronnes une pro- messe écrite de supprimer l'Ordre de Jésus. Cette prome.sse est la condition irrévocable des puissances. Solis négocie mysté- rieusement avec Ganganelli : il en obtient un billet adressé au roi d'Espagne. Dans ce billet, Ganganelli déclare « qu'il re- connaît au Souverain-Pontife le droit de pouvoir éteindre en conscience la Compagnie de Jésus, en observant les règles canoniques, et qu'il est à souhaiter que le futur Pape fasse tous ses efforts pour accompHr le vœu des Couronnes. »

Cet engagement n'est pas très-explicite. Le droit invoqué n'a jamais été contesté, et, dans d'autres circonstances, Solis se serait bien gardé de l'accepter comme obligatoire. Mais il savait que le caractère de Ganganelli ne tiendrait pasù la lutte, et qu'une fois pris entre le double écueil de son honneur et de son repos , il n'hésiterait pas à seconder la violence des oésirs de Charles lil. En le menaçant de publier cet acte, on devait faire du Pape futur tout ce que l'on voudrait ; cette oppression morale restait pour les trois puissances une garantie dont le texte même du billet n'était que l'occasion. D'ailleurs l'Italien, qui refusait d'aller au-delà par écrit , ne cachait pas à l'Espa- gnol ses plans ultérieurs. Il ouvrait son âme à l'espoir de ré- concilier le Sacerdoce et l'Empire ; il aspirait à les réunir dans la paix sur le cadavre de l'Ordre de Jésus , et à recouvrer ainsi les villes ù' Avignon et de Bénévent.

Le 10 mai. Demis était mis au courant de la négociation suivie entre le Cordelier italien et l'archevêque de Séville ; et dans v. 18*

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CHAI'. V. HISiOiUK

iiii post-scrijttuin il inanduit ù d'Aubelerrc : « Messieurs les Ks- [tagnols ne nous disent pas tout. S'ils avaient parlé , nous n'au- rions l'ail aucune réflexion sur Ganganelli. Nous l'avons vu porté par les Albani , cela nous a paru suspect. Il parait qu'on s'est arrangé avec lui , tout est dit. »

Le soir de ce monte jour, Bernis ne laisse plus aucune incer- titude à l'ambassadeur de France. Il lui raconte de quelle ma- nière il a été joué.

« J'étais si presse lorsque j'eus l'honneur d'écrire à Votre Excellence, avant et après diner, dans le même billet, que je crains do m'étre mal expliqué et que vous n'ayez cru que je me plaignais de votre réserve , tandis que je n'avais à me plaindre que de celle des Espagnols. Ils ont négocié avec Ganganelli : il n'était pas nécessaire qu'ils nous dissent le fond de cette négo- ciation, mais ils auraient nous dire seulement qu'ils étaient sûrs des sentiments de ce cardinal. Ce mystère nous a mis dans le cas de soupçonner Ganganelli «nous avons remarqué des pourparlers de ce cardinal avec Castelli : tout cela formait la preuve la plus complète du Jésuitisme de Ganganelli ; nos amis et surtout les Corsini en étaient effrayés , et je vous avoue que je croyais trahir le Roi en secondant son élection ; d'autant plus que dans la liste des bons, il n'était que le sixième ; voyez quel danger ce mystère faisait courir à la négociation des Es- pagnols Ce matin le cardinal de Solis, à qui j'ai montré mon

étonnement sur la liaison des Âlbani avec Ganganelli , m'a dit qu'il fallait dès le premier scrutin aller pour lui.. Je lui ai fait sentir que ce sujet me paraissait suspect par ses liaisons , et que je croyais qu'il fallait le voir venir et nous assurer de lui, en ne lui donnant nos voix qu'à propos. Il a pris ces réflexions pour un refus. Alors le bandeau fut levé, et j'ai rapproché les allées nocturnes de son secrélaifc chez Gan-

ganeUi J'ai donc déclaré aux Espagnols, après leur avoir fait

apercevoir légèrement que je voyais tout, qtie nous les sui- vrions dans la forme qu'ils désiraient, que tous les soupçons étaient dissipés dès qu'ils étaient assurés de Ganganelli et des négociateurs Albani. Solis est convenu qu'il avait espérance t\i\ii (tanganelli ferait Pallavicini secrétaire d'Etat; j'en ai été

DE LA COMPAGNIE DE JKSUS. ,j^ll

d'flccord nvcc Orsini , iiinsi que de conserver la secrAtnirerie des brefs à Negroni , et la daleric & Cavalchiiii , en recomman- dant pour cette place Malvezzi après la mort prochaine de Cavalchini. Tout cela a été convenu, et j'ai ajouté qu'il fallait nous avertir à l'avenir pour que nos idées , notre langage et nos démarches fussent uniformes. Voilà , monsieur l'Ambassa- deur, tous les mystères éclaircis; il n'est pas croyable, mais il serait possible que vous n'en fussiez pas instruit. La différence de nos opinions sur la promesse à exiger a pu nous rendre suspect -, mais ce serait à tort. Nous avons toujours dit que notre sentiment ne devait pas régler celui des autres. Nous sommes bien aises de n'avoir rien su des moyens ; mais il était nécessaire de nous instruire de la négociation en général pour régler notre conduite.

Quand ce drame fut joué , Bernis , sous le coup môme de l'élection de Ganganelli , écrivit à Choiseul le 17 mai : « On peut dire que jamais les cardinaux sujets de la maison de France n'ont montré plus de pouvoir que dans ce Conclave ; mais leur puissance se borne jusqu'ici à la destruction : nous avons le marteau qui démolit , mais nous n'avons pu saisir en- core l'instrument qui édifie. »

Vingt ans plus tard, la Révolution, à son tour, trouva le marteau qu'elle avait mis aux mains des rois pour abattre la Compagnie de Jésus , et ce fut contre les trônes qu'elle le dirigea.

Le 19 mai 1769 le cardinal Camerlingue de la sainte Eglise romaine annonçait à la ville et à l'univers que la Chrétienté avait un nouveau chef. Le Conclave était terminé ; le cardinal (langanelli montait sur la Chaire de Pierre. Il se nommait Clément XIV , et celte année 1 769 , qui enfanta tant d'in- trigues , qui vit naître tant d'hommes destinés à la célébrité , enregistrait sous quels déplorables auspices d parvenait au su- prême Pontificat. Entrant dans une lutte éternelle avec sa con- science, tantôt mise à l'aise par les caresses des cours, tantôt intimidée par leurs menaces , le Cordelier sous la tiare va en- fin se trouver aux prises avec les difficultés que son génie a.stiicinux espéra de conjurer. Le marché qui le donna à l'F^glise

27R

CH\P. V. HlSTOlHF

I

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rnlliolique , pour nous servir d'iino oxprossinn di; d'Aiibelorre , «0 mnrchA avait jusqu'ici ^'lû nié par kn Jfisuitds r. [làr plusieurs annalistes. ToUteé Ici relations du Conclave qui &^ trouvent aux archlTos du GesA et ailleurs , tous les écrits cnn- tt;mporaln8 ou postérielirs compbs6$ par les Pcrrs de l'Institiil sur ce sujet sont unanimes cnmtnc les lettres particuliérrs ^matiêies d'eux. Tous repoussent l'hypbtliése d'une transaction entre Ghngdnelli et les cardinaux es^agnMs.

Dahs l'ouvragé intitulé Cl^miênt XIV èl its Jéauites, nous liVons jeté sur ce pbllit Une Uiniiêrc inattendue. En face des do- cbnients exhuhiès et [tubliés par nous , l'historien doit laisser ;'< l'opinioli cathoUiJlie le soin protioncer sur ce grave procès dont tbnte^ \h pi^bcs Sdnt pi'odiiitds. Il ne nods re^te plus qu'à suivre Ganganclli dans la voie qu'il s'est ouverte.

Lndrcnt Gaiigifnelli , à San-Arcangelb le 3i octobre 4705, fut feçu jeune dans l'Ordre tieS C.oHvfmtUèls de Saitlt-Ffant'Oife , contlH soiis le nom de Cordclièrs. Il V passa de longues années dikhs rfitudé et dans rcxcrcicc de^ verliis sacerdotales. Il était illgênieijx et aimaiild , lit^'■l jteuir et artiste ; il bâchait Sous sbn frdb une de ces Ames r.indides dont bh pduvait fdcllétneiit abuséi* en lui faisant entrevoir au buut de ses cbncessions l'avantage de l'Eglise et le bonheur du hidrtde. Mais un de ces preJiSehllmbnls t|ui s'eh1{)arët1t avec tant de vivacité des imaginiitions romaines l'avait pliis d'une fois , dans ht solitude du Côlivent de6 Douze- Apôtres , bercé de l'idée qu'il serait appelé à recommencer ^h^àtoi^e de Sixe-QUllit. PaiiVrc comme lui , Cordelier comme lld; il s'était idliiginé t}Ue la tiare devait reposer sur son front, bette jieriSée secrète l'aVait dirigé datis les ttiucipnnx tctes de S.1 vie : Il essayait de se J.. dérober îllui-mér.i.. ni clinMe dé- nulrblié qu'il tentait le ramenait presque â s .rsû vers ce der- nier ttlbblie de se^ iispiralions. Au temps de la puissance des Jésuites il s'était fiiit leur ami. En ilVS, lorsqu'il professait au cttllêge Saiht-BbhaVenf'jre des Franciscains de Rome, oh Ib :■ jiréâ'-lër une sblennlté thédlogique dédiée à saint Ignace et dâh» î ;Mi(*Blie le jeune répondant, élève du Cordeliei" Gangdnelli, s ôni'ail en s'a-ir^^ssànt aux Jésuites : « SI j'avais pii crolfe ou hit'rtie sbupçbnner qu'il me fût possible de prendre polir sujet

m l\ COMVKC.Slf. DK J|f,*L'S. 279

(le cetlft (lisscrtaiioii iiiio hrnnrh*' d la sriourf saciro qui vous lK\t inconnue, inssiUM s<! ii.'iifnt lovés devant moi l«'s ' >mnios illustres de votre Compaj^nle, dont h nombre et le niéii'« au- raient dissipé tous mes doutes. S*agirail i u t'IVet de I' r- prétation de l'Ecriture, ici appai Uraient l<>s travaux prép. i- toircs de Salmeron, les comment., ics de t. rnélius, (le Tirinus et des autres. S'agirait-il de rhist<n>e : je trouverais liini ', Labbe, llardouin, Cossart et le célibrc Sirinond avec leurs dortes enseignements. S'occuperait-on de controverse; ce serait (îrégoiro de Valcntia avec la maturité de se jugni cnts, Suarez avec l'étendue de son génie, Vasquez ave l'Aj re pénétration tle son esprit, et cent autres. Enfm qu'il .s'a|.Ms '^ de lutter corps à corps avec les Mulëmis do la Foi et de veii er les droits de l'Kgliso, pourrais-je négliger la vigoureuse .n iimentalion de Ttellarmin? SI je veux aller au combat muni n irmes de toute espèce et me promettre une victoire assur'c, ( nblierai-je les livres d'or de Denis Petaii, glorieux rempart levé pour la dél'puse des dogmes catholiques? De quelque ciUé le je tourner les yeux, ((uelquc genre de connaissance qlie je pan iire, je vois des Pères de votre Compagnie qui s'y sont rendus et èbres. »

Tel était le jugement que dans des thèses approir -'^es par lui (langanelli portait des Jésuites. En 1751), Clément \'tli, à la recommandation de Laurent Ricci, Général de la Compagnie, songea à le décorer de la pourpre romaine. Ce fut le Père An- dréucci qu'on chargea des informations d'usage. Ce J. suite les lit si favorables que le Pape n'hésita pliis , et que le Cordelier se vit cardinal par le crédit l'Iiistitut. .\ Lisbonne, les en- fants de Loyola avaient fait nommer Pombal ministre, .t Home ils mettaient (iatiganelll sur le cbemin de la papauté. Dans un autre temps et avec des esprits moins ardents pour les nou- veautés sociales dont personne ne prévoyait les douloureuses eouséipienccs, Canganeili eut fait bénir son nom; ii aurait passé sur le trôné pontifical en honorant l'bumanité et en faisant ai- mer l'autorité apostolitjue. Mais ce caractère plein d'enjouement et de finesse, ^e cœur dont la fraricbise éxpansive savait avec

' Hhil II '4 ininniv np|inrlPiui ;i l.i Siirirli^ ili- .Irsiis ; il i-lni( rliHOoino,

â.'ir"

280 CIIAl'. V. lUSTOIHK

tant (l'ait so servir do la dissimuhitioi) comme d'un bouclier impénétrable, n'était pas de trempe à délier les passions. Arrivé au faîte des grandeurs, (iunganelli prétendait régner pour la satisfaction de ses songes intimes. Si l'orage qu'il avait cru calmer en temporisant ne l'eût pas poussé au-delà de ses vœux :■'. de ses prévisions, il n'aurait laissé dnns les annales de l'E- l,.ise qu'une mémoire dont les partis opposés ne se seraient ja- mais disputé la glorification ou le blAme. Il n'en fut pas ainsi. Clément XIV avait, tacitement au moins, consenti à faire tout ce que l'opinion dominante et les colères des princes de la maison de Bourbon exigeaient pour rendre à l'Eglise une paix alors impossible. 11 entra dans celte voie, que son élection venait d'ouvrir; il la parcourut jusqu'au bout plutôt en victime qu'en .sacrificateur.

Les premiers jours de son exaltation furent consacrés aux fêtes et aux emhrassements diplomatiques. Clément XIV était radieux, il s'imaginait que ses promesses dilatoires, que ses flatteries aux souverains, que surtout sa bonne volonté en paroles lui permettraient de gagner du temps, et qu'ainsi il pourrait, à l'aide d'une sage tolérance, arriver à cicatriser les plaies île la Catholicité, sans avoir besoin de frapper la Compagnie de Jésus. Cette politique expectnnte , qui entrait si bien dans les vues de Louis XV, ne convenait pas plus au roi d'Espagne qu'à Cboiseul, à Pombal et à d'Aranda. Les Philosophes espéraient en (élé- ment XiV. Le roi de Prusse, Frédéric li, était leur maître et leur adepte; mais Frédéric les connaissait de longue main. Il disait souvent que, s'il avait une de ses provinces à punir, il la donnerait à gouverner aux Philosophes. Il voulait récompenser la Silésie; malg.é les prières et les menaçants sarcasmes des Encyclopédistes, i' y maintint les Jésuites. La détermination du roi de Prusse était irrévocable ; d'Alembert cependant l'associait à la joie que l'élection de Clément XIV faisait éprouver aux in- crédules, et le 16 juin 1769 il lui mandait^ : « On dit que le Cordelier Ganganelli ne promet pas poires molles à la Société de Jésus, et que saint François d'Assise pourrait bien tuer saint

' dinvres philosophiques <ie(VAIi'nihefl, GirrespoiKhiiice, I. xviii.

1

[»r, i.A r.OMi>AGMii: dk jksiis.

^81

Ignarf!. Il nift semble qtic le Saint-Père, tout Cordelier qu'il est, t'eia nue grande sottise de casser ainsi son régiment des gardes, par complaisance pour les princes catholiques. Il me semble que ce traité ressemble à celui des loups avec les brebis, dont la première condition lut que celles-ci livrassent leurs chiens ; on sait comment elles s'en trouvèrent. Quoi qu'il en soit, il sera singulier, Sire, que, tandis que leurs Majestés Très- Chrétienne, Très-Catholique, Très-Apostolique et Très-Fidèle détruisent les grenadiers du Saint-Siège, votre très-hérétique Majesté soit la seule qui les conserve. »

Sous une forme légère, d'Alembert révèle le dernier mot des Philosophes, ile dernitr mot, c'est la condamnation de Clé- ment XIV, prononcée dans l'intimité par ceux qui, à force d'a- dulations, essaient de l'entraîner à sa ruine. Le Pontife hési- tait ; le 7 août de la même année, d'Alembert écrit encore à Frédéric II : « On assure que le Pape Cordelier se fait beau- coup tirer la manche pour abolir les Jésuites ' . Je n'en suis pas étonné. Proposer à un Pape de détruire cette brave milice, c'est comme si on proposait à Votre Majesté de licencier son régi- ment des "ardes. »

Ces aveux si remplis de prévisions révolutionnaires et anti- «•atholiques ne se faisaient qu'à voix basse, on les gardait pour les rêves d'avenir. En face de l'opinion et du Saint-Siège on prenait d'autres allures : on faisait retentir les imputations les plus étranges contre l'Ordre de Jésus; on l'accusait de saper les trônes et de perdre l'Eglise. Le roi protestant n'était pas la dupe de ce concert d'animad versions, et, le 15 avril 1770, il ré- pondait à d'Alembert ^ : « La Philosophie, encouragée dans ce siècle, s'est énoncée avec plus de force et de courage que jamais. Quels sont les progrès qu'elle a fïuts ? On a chassé les Jésuites, direz-vous. J'en conviens, mais je vous prouverai, si vous le voulez, que la vanité, des veut^eances secrètes, des cabales, enfin l'intérêt ont tout fait. » L'Encyclopédiste ne demanda [tas la preuve, elle était surabondante pour lui ; mais il n'en contiinia pas moins, avec ses adhérents de la cour, du ministère, du

« I/iidcm, 2 Ibidem.

i

582

CHAP. V. HISTOFHE

Parlohiénl 61 de la littérature, à joiipr le tloultle jeu qui leur réussit si bien.

Bërhis dvait succédé au inairquis d'Aubetèrre. Ambassadeur de {"rance prés le Saint-Siège et lier de la gratitude que lui tê- tnoignàit le Pape , ce cardinal croyait partager le fardeau des affairés. Par affection pour Clément XIV, ou par un sentiment d'équité en faveur des Jésuites, on le voyait se porter médiateur entré les impatiences espagnoles et les insolences de Pombal. Le Souverain-Pontife se inontrait bienveillant pour tous, il deman- dait à étudier mûrement la question ; Remis se chargea d'ob- tenir les délais. Pendant ce temps, on éloignait du Vatican les cardinaux qui avaient dirigé les affaires sous Rezzonico. On isolait Gariganelli, on lui persuadait en le flattant qu'il devait û sa politique de conciliation, ainsi qu'à sa connaissance des liorrimes, gouverner, tout voir par lui-même. On l'en- tourait peu a peu de prélats hostiles à la Société de Jésus, on tendait des pièges à son amour de la paix, on l'amenait à rompre insensiblement avec ceux qui auraient éclairé son équité na- tiirelle.

Ces sourdes manœuvres que, sous la protection de Remis et tl'Azpuru, les ambitions ou les liaines locales propageaient à l'ombre de la tiare, n'échappèrent point au comte de Kaunitz, ambassadeur de Marie-Thérèse. Le 14 juin 1760, Kaunitz, au nom de l'Impératrice, se présente à l'audience du Pape. Dans l'intérêt de l'Eglise, il lui recommande d'avoir égard au vœu de sa Souveraine, qui ne consentira jamais à laisser détruire l'Or- dre dé Jésus. Clément promet do faire ce qu'il pourra ; deux fois dans quarante jours il refuse de recevoir le Général des Jésuites venant le complimenter pour les fêtes de saint Louis de Conzague et de saint Ignace.

Dans un bref commençant par ces mots : Cœlestium mu- nrnim t/fesau7'os , Clément XIV, le 12 juillet 1700, accor- dait des indulgences aux Jésuites Missionnaires. Il disait : « Nous répandons volontiers les trésors des biens célestes sur ceux que nous savons procurer avec grande ardeur le salut des ànies, et par leur vive charité envers Dieu et envers le pro- chaii!, et par leur zèle infatigable pour le bien de la Religion.

DR LA COMPAf.NIE DR JÉSUS.

28S

r4orame nous comprenons parmi ces fervents ouvriers dans le champ du Seigneur les Religieux de la Compagnie de Jésus, et ceux surtout que notre bierl-aimé fils Laurent Ricci a dessein d'envoyer cette année et les années suivantes dans les diverses Provinces, pour y travailler au salut des âmes, nous désirons aussi très-certainement entreterlir fet acfcroître par des faveurs spirituelles la piété et le zèle entreprenant et actif de ces mêmes Religieux. »

A la lecture du bref accordé selon la coutume et dans la te- neur ordinaire, les cours d'Espagne, de Naples et de Parme font entendre les plus vives protestations. Elles réclament contre cet acte, qui n'est pas un témoignage de la bienveillance du Pontife, mais m usage immémorial. Elles s'indignent que la Sécréta irerie romaine ait suivi en faveur de la Société de Jésus le protocole adopté. Les Jésuites étaient condamnés au tribu- nal des Couronnes, ils n'avaient plus de justice, plus même d'indtilgences à attendre du Saint-Siège.

Clément XIV cherchait à s'insinuer dans les bonnes grâces de Charles 11! et de Joseph ^' . Il déférait à leurs vœux, il exauçait la moindre prière. Les relations diplomatiques entre Rome et le Portugal étaient renouées ; le Pape supprimait la promul- gation annuelle de la bulle Jn cœnn Dumini, il suspendait les effets du bref par lequel son prédécesseur avait excommu- nié le duc de Parme; mais ces avances cordiales ne désar- maient point les colères dont la Société de Jésus était l'objet. Le Pontife sentit si bien sa position, que moins de six mois après son exaltation il écrivait à Louis XV :

« Quant à ce qui concerne les Jésuites, je ne puis ni blâmer ni anéantir un Institut loué pdr dix-neuf de mes prédécesseurs. Je le puis d'autant moins qu'il a été confirmé par le saint Con- cile de Trente, et que, selon vos maximes françaises, le Con- cile Général est au-dessus du Pape. Si l'on veut, j'assemblerai un Concile Général tout sera discuté avec justice, à charge et à décharge, dans lequel les Jésuites seront entendus pour se défendre; car je leur dois, ainsi qu'à tout Ordre religieux, éqiiité et protection. D'ailleurs la Pologne, le roi de Sardaigne et le rt)i de Prusse même m'ont écrit en leur faveur. Ainsi je tie

àà

284

CHAP. V. HISTOIRF

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puis, par leur dpstritclion, contenler ((iiolfiuos priiicos f(ii'aii nu'î- conlcntenient des antres. »

Ce plan entrait dans les idées du roi de France, mais il n'al- lait pas aux emportements de Charles III, à Tinsouciance de Choiseul et au vœu des Philosophes. Le 26 août 1769, le mi- nistre de Louis XV faisait part au cardinal de Bernis de ses projets ultérieurs ; il le pressait d'en linir avec la Compagnie de Jésus ; Choiseul, dans (ictte dépêche, disait avec sa légèreté hahituelle : / ^

« Je ne pense pas : 1" qu'il faille confondre la dissolution des Jésuites avec les autres objets en contestation, desquels il ne faut pas môme parler à présent. Le seul objet actuel est la dis- solution. Tous les autres objets s'accommoderont d'eux-mêmes quand il n'y aura plus de Jésuites.

« 2" Je pense avec le roi d'Espagne que le Pape est faible ou faux : faible, tâtonnant d'opérer ce que son esprit, son cœur et ses promesses exigent ; faux, en cherchant à amuser les Couronnes par des espérances trompeuses. Dans les deux cas, les ménagements sont inutiles à son égard : car nous au- rons beau le ménager, s'il est faible, il lésera encore davantage quand il verra qu'il n'a rien à craindre de nous. S'il est faux, il serait ridicule de lui laisser concevoir l'espérance que nous sommes ses dupes ; ce serait l'être, monsieur le Cardinal, d'at- tendre que le Saint-Pére eût le consentement de tous les princes catholiques pour l'extinction des Jésuites : vous sentez combien cette voie entraîne de longueurs et de difficultés. La coin* de Vienne ne donnera son consentement qu'avec des res- trictions et une négociation avantageus»^. L'Allemagne le don- nera avec peine ; la Pologne, excitée par la Russie, pour nous faire niche, le refusera ; la Prusse et la Sardaigne ( j'en ai con- naissance) en useront de même. Ainsi le Pape ne parviendra sûrement pas à réunir ce consentement de princes, et, quand il nous avance ce préliminaire, il nous traite comme des enfants (pii n'ont aucune connaissance des hommes, des affaires et des cours.

» Mais , lorsque le Saint-Pére ajoute qu'au consentement des princes il faut ajouter celui du Clergé, il se moque réellement

1

DU. LA COMi'Ar.MË DE JKSUS.

2sr)

(le nous. Vous siivez aussi bien que nous, monsieur leCariliuul, que ce consentement du Clergé ne pourra se donner dans les l'ormes qu'en assemblant un Concile, et que de t'ait cette assemblée ne peut avoir lieu dans aucun pays catholique, soit par la volonté des princes, soit par celle du Pape même.

» Quand je vous ai mande de déclarer au Pape que les mi- nistres du Roi se retireraient, vous sentez que cette menace est comminatoire, et qu'elle doit vous servir pour que le Pape vous prie de rester, et pour qu'il vous engage à écrire au Roi pour rester, et à vous faire valoir auprès de Sa Sainteté. Je Unirai l'histoire des Jésuites en mettant sous vos yeux un tableau qui, je crois, vous frappera. Je ne sais s'il a été bien fait de renvoyer les Jésuites de France et d'Espagne ; ils sont renvoyés de tous les Ktats de la maison de Bourbon. Je crois qu'il a été encore plus mal fait, ces moines renvoyés, de faire à Rome une dé- marche d'éclat pour la suppression de l'Ordre et d'avertir l'Eu- rope de celte démarche. Elle est faite ; il se trouve que les rois de France, d'Espagne et de Naples sont en guerre ouverte contre les Jésuites et leurs partisans. Seront-ils supprimés, ne le seront- ils pas? Les rois l'emporteront-ils? Les Jésuites auront-ils la victoire? Voilà la question qui agite les cabinets, et qui est la source des intrigues, des tracasseries, des embarras de toutes les cours catholiques. En vérité, l'on ne peut pas voir ce tableau de sang-froid sans en sentir l'indécence ; et, si j'étais ambassadeur à Rome, je serais honteux de voir le Père Ricci l'antagoniste de mon maître. »

Le Général des Jésuites, à Florence, avait peut-être droit de se mettre en opposition avec un prince étranger qui, après avoir banni les Jésuites de son royaume, conspirait pour les faire proscrire des Etats pontificaux; mais, à coup sûr, Ricci n'aurait ja- mais insulté le fds et l'héritier de son souverain. Choiseul cepen- dant n'avait pas craint d'outrager dans ses vertus le Dauphin',

' On lit dans l'Histoire de France pendant te dit-huitième siècle, t. iv, p. rii, par Lacrcicllc : « Pendant les débats sur les Jésuites, il (lu Dauphin) ne tenta qu'un l'irort en leur Tavcur. Il fit remettre au rui un inémuire qui exprimait les plus vifs Uriefs contre le duc de Choiseul, et révélait ou supiiosait ses intrigues avec quel- ques chefs du Parlement pour opérer la dissolution de celle Société. Le roi en parut frappé et (il pendant (|ucl(iues jours un accueil sevcrc ii son ministre. Mais celui- ci fut bienttM instruit par lit U1arqui^c de l'onipadour des moyens qii'avaieid cm-

-280

CHAI*. V. HISTOIUE

(|no la Franco pleurait encore, lorsque cet liomnie d'Ktat adres- sait à Iternis riu(;oncevablc lettre dont nous venons de citer deux fragments.

Cette dépêche troublait la quiétude de Clément XIV, elle inquiétait Demis. Elle lui laissait entrevoir la possibilité d'a- bandonner son ambassade de Home, il s'arrangeait une vie de faste, de plaisirs décents et de bienfaisance artistique. Le cardinal n'hésita plus. Louis XV sollicitait un ajournement à la haine toujours active de Charles 111, il l'obtint ; mais Bernis, Azpuru, Orsini et les quelques cardinaux ou prélats marchant sous leur bannière comprirent que les efforts seraient toujours stériles auprès du Pape tant qu'ils ne l'auraient pas entraîné au-delà de ses intentions les [dus secrètes. Il fallait le prendre par ses idées de justice. On fit surgir procès sur procès contre les Jésuites ; on les attaqua en détail afin de les perdre dans l'esprit du Pontife qui devait les juger. Clément XIV voyait enfin que sa mansuétude n'était pour lui qu'une décevante illusion, et qu'elle l'exposait aux reproches des cours. Bernis le consolait dans ses amertumes; il avait de douces paroles à verser sur ce cœur ulcéré. Il le conduisait à l'abîme en essayant de couvrir de fleurs le chemin qui y aboutissait. Tandis que Pombal et Choiseul d'un côté, Monino, Roda, Grimaldi et le duc d'Albe, de l'autre, ne cessaient de presser Textinclion de la Compagnie, l'ambassadeur de France, qui peut-être ne cherchait que des expédients pour h retarder, engagea le Pape dans une démarche qui allait l'accélérer. Charles 111 avait dé- noncé au cabinet de Versailles les lenteurs du cardinal diplo- mate. Il accusait sa bonne foi, il exigeait son rappel, il me- naçait Rome. Bernis ne trouva qu'un moyen de conjurer cet orage : il supplia le Souverain-Pontife d'écrire au roi d'Espagne. Clément XIY, harcelé, vaincu par tant d'obsessions et espérant

pIoy<?s contre lui ses eiiiieinis. 11 osa se plaindre avec emportement du Dauphin et de ses conseillers ; il vint trouver ce prince pour lui d(^montrer la fausseté des lU- nouciations dont il s'était rendu l'orQane, et lui porta ce déll de la haine en lui adressant ces paroles : » Je puis être condamné au malheur d'Otre votre sujet, mais je ne serai jamais votre serviteur.»

Apres une telle insolence, il est difticile de s'expliquer l'étrange passage de la lettre Choiseul déclare qu'il serait honteux de voir le Père Ricci l'antaBoniste de ton maître.

•;#.

[)E LA COMI'AGMfe: DE JÉSUS. 'j|0T

y cchapi)er encore , se résigne à demander du temps pour opérer la suppression de l'Institut ; mais, en la reconnaissant indispensable, il ajoute que « les membres de cette Compagnie avaient mérité leur ruine par l'inquiétude de leur esprit et l'audace de leurs menées. »

Le 29 avril 1770 le cardinal de Demis se glorifie du coup de maître qu'il a exécuté. Pour rentrer en griloe auprès de Choiseul et des Philosophes, il dit : « La question n'est pas de savoir si le Pape ne désirerait pas d'éviter la sqppression des Jésuites , mais si, d'après les promesses formelles qu'il a faites par écrit au roi d'Espagne, Sa Sainteté peut se dispenser de les exécuter. Cette lettre que je lui ai fait écrire au roi catho- lique le lie d'une manière si forte que, à moins que la cour d'Espagne ne changeât de sentiment, le Pape est forcé malgré lui d'achever l'ouvrage. Il n'y a que sur le temps qu'il puisse gagner quelque chose; mais les retardements sont eux-mêmes limités. Sa Sainieté est trop éclairée pour ne pas sentir que, si le roi d'Espagne faisait imprimer la lettre qu'elle lui avait écrite , elle serait déshonorée, si elle refusait de tenir sa parole et de supprimer une Société de la destruction de laquelle elle a promis de communiquer le plan, et dont elle regarde les membres comme dangereux , inquiets et brouillons. »

Clément XIV était lié. Avec son caractère qui fuyait le bruit, et qui se serait si heureusement contepté d'une digne ojsiveié sur le trône, on savait qu'un peu plus tôt ou qu'un peu plus tard on le contraindrait à tenir cet engagement solennel. La France et l'Espagne le laissèrent respirer pendant quelques mois; néanmoins, comme si la persécution devait toujours s'acharner sur ce vieillard couronné, Pomhal et Tanucci repri- rent en sous-œuvre les intrigues de Choiseul et d'Aranda. Ils n'avaient pas l'insolente élégance de leurs maîtres; i'à furent grossiers dans leurs procédés. Ces derniers outrages irritèrent le peuple romain. Le Pape délestait le prestige des cérémonies religieuses, il ne gouvernait qu'à contre-cœur. Le dégoût des hommes lui faisait prendre les affaires en mépris. 11 n'avait pour confident <[ue deux Religieux de son couvent des Sajnts- Apôtres, Biiontempi et Francesco. Il écartait de son trône les

-2 «8

CilAI'. V. - IIISlUlliK

carilinaux et les princes. A ces sujets de mécontentement in- téricui" se joignit la diseltc, suite inévitable d'une mauvaise administration. Le Pape vit s'évanouir cette popularité dont les premiers transports avaient été si doux à son Ame. Les Pères de l'Institut pensèrent que cette situation ramènerait le Pontife à des idées plus justes, et que tous ensemble ils pourraient encore travailler à la gloire de l'Eglise. Ils étaient si complète- ment en dehors du mouvement des affaires, que le Père Garnier, ancien Provincial de Lyon et alors Assistant de France par in- térim, écrivait de Rome le G mars 1770 : « Les Jésuites savent qu'on sollicite leur abolition; mais le Pape garde un secret impénétrable sur cette affaire. Il ne voit que leurs ennemis. Ni cardinaux ni prélats ne sont appelés au Palais, et n'en ap- prochent que pour les fonctions publirpios. » Et le 20 juin de la même année le Père Garnier mandait encore à ses frères : « Les Jésuites ne s'aident point; ils ne savent, ils ne peuvent même s'aider, et les mesures sont bien prises contre eux. On répand ici, comme à Paris, le bruit que l'affaire est linie, (|ue le coup est porté. »

Ce fut dans ce moment que la chute du duc de Choiseul vint ranimer toutes les espérances des amis de la Compagnie. Après avoir été, jusqu'à la mort de madame de F*ompadour, le plus obséquieux courtisan de celte fenniie , il ne voulait plus saluer en madame Du Barry les déplorables caprices de Louis XV. L'orgueil de cet honnne d'Etat le précipita du faite des honneurs. Le 25 décembre 1770 Choiseul prit la route de l'exil, et le duc d'Aiguillon fut appelé à lui succéder. Le nouveau ministre avait toujours aimé, toujours défendu les Jésuites. Il arrivait dans un mommit opportun; car le peiqde, las des prodigalités de Choiseul, applaudissait à sa disgrâce, tandis que les courtisans, les traitants, les parlementaires et les Philosophes regrettaient avec fracas leur protecteur. D'Ai- guillon avait des vengeances à exercer contre la cour judiciaire : il la punit en la dissolvant, connne elle-même avait dissous la Socfété de Jésus. Il fut sans pitié pour les magistrats qui s'é- taient montrés inexorables pour les Jésuites : il proscrivit les prescripteurs. Mais, dans cette rajtide révolution, la main des

UE LA CUMPAUMK UK JÉSUS. 28U

Vcrea, iluiuiis luiigtuiiips bannis du royaiimu, nu se lit pas plus sentir de près que de loin. D'Aiguillon et le chancelier Maupeou avaient d'autres vues. Madame Du Barry, et c'est un hommage indirect qu'elle rendit à la vertu des Jésuites, madame Du Barry ne songeait nullement à reconstruire l'œuvre que sa devancière avait brisée. Cependant à la nouvelle des change- ments qui s'opèrent dans le ministère et à la cour, le Pape juge t|ue quelques mois de répit lui seront accordés. Louis XV ne voynit plus l'impérieux Choiseul lui dicter des ordres, d'Aiguil- lon ne devait lui l'aire aucune violence sur ce point. Le roi et le ministre ne demandaient pas mieux que de lulsser au Pape sa liberté d'action; niais il fallait lujnager Charles d'Espagne. Alin de le consoler de la disgrâce de Choiseul , d'Aiguillon consent à l'aire cause conniiune avec les ennemis des Jésuites. Le pouvoir l'avait tenté. Pour désarmer les méliances du cabinet de i\la- drid, il veut lui domier des gages. Charles III soupçonnait de^ puis longtemps le cardinal de Bernis de tiédeur dans ses pour- suites. D'Aiguillon lui en fournit la preuve en livrant à Pignatelli, comte de Fuentès, ambassadeur d Espagne à Paris, les dépèches de l'ambassadeur de France à Home. U^and cette lAcheté fut consonunce, Charles 111 et le duc d'Aiguillon concertèrent un nouveau plan de canipygne.

Sur ces entrefaites, Azpuru éluiit mort, Charles 111 nomme François Monino pour le remplacer dans ses fonctions diploma- ti(iues près le 8aint-Siége. Moniùo, qui a rendu célèbre dans l'histoire d'i^spagne le nom du comte de Florida - Blanca, ne sa- vait pas encore par expérience les funestes résultats des révo- lutions : il les secondait sans prévoir tpi'un jour il deviendrait l'un de leurs plus constants adversaires. Dans toute la force de l'âge et des passions ambitieuses, il se dévouait au prince qui l'avait tiré de l'obscurité pour mettre ses talents en lumière. 11 épousait sa querelle comme un moyen de fortune. Il arriva à Rome bien décidé à faire fléchir devant sa téméiaire opiniâtreté les dernières résistances du Pontife. Clément XIV le savait in- traitable ; il n'ignorait pas que le duc d'Aiguillon avait enjohitau cardinal de Bernis de seconder en toiit et partout les mesures ipic l'Iori lu-Blanca croirait utile de prescrire. La vonue de ce ne- V. 19

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CHAr. V. HlSlOlHR

guoiateur cntrt'preiiunt puralysail les temporiHations du cardinal , ulle frappait de stupeur le Suuverain-l'ontifc. L'audace pleine de jactance espagnole de Florida-Blanca le consternait : sous son influence il ne sut que trembler et se plaindre de la torture qu'on lui faisait subir.

L'ambassadeur de Charles 111 avait intimidé ou séduit à prix d'or les serviteurs du Pape : il le dominait pur la crainte ; et , quand Clément XIV suppliant sollicitait un nouveau délai : « Non, Saint-Pére *, s'écriait-il. C'est en arrachant la racine d'une dent qu'on fait cesser la douleur. Par les entrailles de Jésus-Christ, je conjure Votre Sainteté de voir en moi un homme ])lein d'amour pour la paix ; mais craignez que le roi mon maître n' approuve le projet adopté par plus d'une cour, celui de supprimer tous les Ordres religieux. Si vous voulez les sauver, ne confondez pas leur cause avec celle des Jésuites. Àh! reprenait Gangunclli, je le vois depuis longtemps, c'est qu'on en veut venir ! On prétend plus encore : la ruine de lu Religion catholique, le schisme, l'hérésie peut-être, voilà la secrète pensée des princes. » Après avoir laissé échapper ces plaintes do t'^ureuses, il essayait sur Florida-IManca lu séduction d'une confidence amicale et d'une douce naïveté. L'objet de tant de soins y résistait avec une in- flexibilité stoïque. Forcé de renoncer à cette ressource, Clé- ment cherchait à éveiller la pitié de son juge : il pariait de su santé, et l'Espagnol laissait percer une incrédulité si désespé- rante que le malheureux Ganganelli, rejetant en arrière une par- tic de ses vêtements , lui montra un jour ses bras nus couverts d'un éruption dartreuse. Tels étaient les moyens employés par le Pape pour fléchir l'agent de Charles III. C'est ainsi qu'il lui de- mandait la vie.

Le Vatican étonné voyait chaque jour se renouveler de pa- reilles scènes sous ses voûtes, tant de Papes, iiers de leur dignité et de leur bon droit, avaient tenu tète aux monarques les plus absolus. Florida-Blanca s'était imposé la mission de dompter les scrupules de Clément 'XIV, et de condamner le Vicaire de Jésus-Christ à une iniquité raisonnée. Bernis se

> Dt'pècliude Florida-Ulaiica au marquis de (iiiiiiaUli, lojiiillol y'i'î'i.— Uiatoire et la Chute des Jéêuitetf par lo cuuite de Saiiit-l'ricbl, i>. 153.

Ul;: LA CONFAUNli; JkStS.

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taisait ; miiia devant ce vieillard ù la Irôle stature se dreMait ù chaque heure l'Espagnol au port majestueux. Florida semblait l'écraser de toute sa force physique. Implacable commv la fa- talité, il poursuivait sa victime d(.> détour en détour, et lui accordait aucun repos. Kn lisant cette peisécution inouïe, on l'étudiant dans ses plus minutieux détails, on n'a plus besoin de chercher quel fut le meurtrier de Clément XIY, s'il en eut un. Ganganelli n'est pas uiort sous le poison des Jésuites ; il n été tué par les violences de Florida-Itlanca.

Une seule fois cependant le malheureux Pontife recouvra, dans l'indigniition de son Ame, un reste d'énergie. Le plénipo- tentiaire espagnol lui faisait ce jour-l& entrevoir qu'en échange de la bulle de suppression, los couronnes de France et de Na- |)les s'empresseraient de rendre au Siège apostolique les villes d'Avignon et de Bénévent, séquestrées par elles. Ganganelli se rappela enfm qu'il était le prôtre du Dieu qui chassait du tem- ple les vendeurs, et il s'écria : « Apprenez qu'un Pape gouverne les âmes, et n'en trafique pas. » Ci; fut son dernier éclair de courage. Le 8ouverain-Pontifc tomba all'aissé sous cet élan de dignité. Depuis ce moment, il ne se releva que pour mourir.

De tous les princes catholiques ayant alors une prépondé- rance réelle en Europe, Marie-Thérèse d'Autriche était la seule qui s'opposait avec eillcacité aux désirs de Charles III et au vœu le plus cher des Encyclopédistes. Le roi de Sardaigne, la Pologne, les électeurs de Bavière, de Trêves, de Cologne, de Muycnce, l'électeur palatin, les Cantons suisses, Venise et la république de Gènes s'unissaient à la cour de Vienne pour s'op- poser a la destruction de la Compagnie. Charles III se fit lui- même auprès de Marie-Thérèse l'interprète de ses tourments : il la supplia de lui accorder cette satisfaction. L'empereur Jo- seph II, fils de cette princesse, n'avait pour les Jésuites ni haine ni atl'ection ; mais il convoitait leurs richesses. Il promit de dé-^ cidcr sa mère si on lui garantissait la propriété des biens de l'Ordre. Les Bourbons ratifièrent ce marché, et l'Impératrice céda en pleurant aux avides importunités de son fils * ^

> 1.C l'uitvciKiuiiiiul ablii- iîi'VBuiic, m la |i«ue <T0 du wu UuUtin: dts tonJ\i»unfs des rois, uu racuate pas aiusi celle transuclioii ; U dit : « Lon du premier partage

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LU Al'. V. IllSIUlUl!;

1^ l'apc avilit «spéré poul-ùlrc (|iic Marie-lliérpse rcbistv- rait plus longtemps , nt que , femme pKtiiie de couragi; vt de vertus, elle compatirait h ses douleurs comme homme, à ses anxiétés comme Souverain-Ponlilc. (Iclle dernière chance lui était enlevée. Clément XIV n'avait pluà qu'à courber la létc il se résigna à l'iniquité. Ouand l'infortuné vieillard en eut pris son parti, il laissa les Jésuites devenir la proie de leurs ennemis. Tout était d'avance combiné pour ce jour si impatiemment at- tendu. APu) de motiver la destruction d'un Ordre dont l'Kglise avait si souvent exalté les services , on essaya de le déconsidé- rer en lui intentant des procès que les juges étaient disposés à lui faire perdre, sou» quelque prétexte que ce fi'it. Alfani, un de ces monsignori laïques qui n'ont rien de commun avec le sa- cerdoce que l'habit, était le magistrat délégué pour condamner les Jésuites. On leur suscita tant de chicanes, on essaya si bien de leur persuader qu'il n'y avait plus h Uome de justice pour eux, qu'ils ne crurent pas devoir nrendre la peine de se défen- dre. Le 19 janvier 177.'{ le Père (iarnier constatait ce décou- ragement, né de l'impuissance de leurs eiVorts. Il écrivait : « Vous demandez pourquoi les Jésuites ne se justifient pas : ils ne peuvent rien ici. Toutes les avenues., soit médiates, soit immédiat 7S, sont absolument fermées, murées et contre-murées.

Ue la Pologne , en 4773 , l'iiniiéiiilrice Mai-i<>-Tli<'mc cuiisiilta son confesseur, le Piiie JOsuiiti Paiiiiiinnr, sur lu justice d'uni' opr-iallon ou elle vlail co-parlaocanlc. Il crut devoir A ce Kujcl consulter ses supiM-icurs , el il tVrivit ii Home. AViIscck, niinislre «rAulriclic près la cour romuine, qui soupt.onna celte currospoiulance, parvint A se procurer une copie <le In lellrcde Parlianier el l'envoya sur-lc-clianip il Maric-TliCrc>e. Des ce monieni, elle n'Iu^siln plu» ii luire cause coniniune avec les gouverncmentg qui sollicilaicnl auprès do CIcnienI \IV rubolilion de la Société jésuitique. »

Grégoire n'a pas inventé ce récit, il l'a copié ii la page ttii du Catcchkmo dvi liemiiti ; mais il a pouitant assez de conscience pour réprouver celle que le comte de Gorani publia en 1703, dans le deuxième volume, page 59, de ses Mémoires secretu des goiivcrnemvnts. Dans cet ouvrage, dont la date seule de lu publication est presque une lionlc, Gorani prétend que ce n'était point une simple lettre qui fut saisie h Rome, mais lu confession gr>uérule de Marie-Thérèse, que son confes- seur faisait passer au Général de l'Ordre. Cliarles III, njoutc-l-il, se l'élant pro- curée, la transmit A l'impératrice, piuir la «lécider ii l'aire supprimeras Jésuites.

L'abbé Grégoire a lui-même llétri celle fable. Nuu& dédaignerons dune de nous y arrêter; mais la version adoptée par le conventionnel n'a pas un fondement plus solide. Elle pèche par lu base, car jamais le Père Purhamer ne fut confesseur de Marie-Thérèse. Il avait clé celui de son épuut , rcniperciir François l", el, avant comme après la suppression, il resta toujours il Vienne, dans la faveur de c«lt<; princcs3<; et de Jos^^ph II , son (Ils.

nr LA nOMPAONIK DF JFSIS.

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Il no. I«nr ost pas possililn d»» j'airt' parvenir \o iiioindro mi'»- moirc. l'orsonnc ici no pourrait se charger de le présenter. »

Uiielipies exemples de celte ini(|iiité rélléchic, arrachés aux dossiers d(; tant d'incompréhensibles procès, feront juger d(>s moyens mis en jeu. Un prélat, frère du Jésuite Pizani, était mort vers cette époque. Le Jésuite ne pouvait pas hériter. Un iiutro de ses frères, chevalier de Malte, lui écrit pour le prier de veiller h ses intérêts. A peine est-il de retour à Rome que la cupidité et les ennemis de l'Institut lui font naître l'idée que le Père a détourné h son profil une partie de la succession.' Elle aurait dA être commune si les vœux du Jésuite n'y eussent mi.s obstacle. Le Maltais dépose un mémorial aux pieds du Pape. Clément XIV donne Onuphre Alfani pour unique juge aux deux frères. Il procédera par voie économique, c'est-à- dire il ne rendra compte qu'au Pape de ses opér '♦!:.. . Le Jésuite n'avait pas fait établir un inventaire juridique, mais il possédait assez de titres légaux pour démontrer son innocence. Alfani en demande communication. Il les anéantit, et con- damne le Collège Romain à payer 25,000 écus. Alfani avait prononcé sa sentence; à Rome l'appel et le droit de récuser un magistrat sont le privilège de tout accusé, un privilège dont jouissent les Juifs eux-mêmes. On le dénie aux Pères de la Société. (3n les dépossède en même temps du Collège des Irlandais, on attaque leur Noviciat et le Collège Germanique. Alfani ne siégeait point par hasard dans celte dernière affaire. Le Collège Germanique gagna sa cause; néanmoins la sentence ne reçut jamais d'exécution, car il fallait apprendre aux dis- ciples de saint Ignace qu'ils étaient perdus.

Depuis Pie IV les Jésuites dirigeaient le Séminaire Romain. Cinq Papes et plus de cent cardinaux étaient sortis de cette maison des forfos études. On les blûme de n'avoir pas admi- nistré avec plus d'épargne. Clément XIV nomme pour Visiteurs les Cardinaux d'York, Marefoschi et Colonna. Les deux pre- miers était ouvertement hostiles à la Compagnie. Les Jésuites font observer que les denrées augmentent chaque année, et que les revenus du Séminaire n'ont jamais suivi cette pro- gression. Ils établissent la vérité de leurs dires par des chiflVes

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CIIAP. V.

HISTOIRE

iiTPfutables. Le 29 septeinbro 1772 on les oxpuiso préventivr- ment. Les Visiteurs avaient constaté que les revenus suffisaient pour l'entretien. A peine les Pères sont-ils dépouillés que le Pape lui-môme, en assignant une nouvelle provision de 100,000 iVnnes au Séminaire, se charge de justifier leurs comptes.

Le cardinal d'York venait d'arracher une de ses plus célèbres écoles à la Société ; il veut bénéficier lui-môme de son arrêt. Le dernier Stuart s'unissait aux derniers Bourbons, afin de pro- scrire les Jésuites. Il n'a pour tout royaume que son diocèse de Frascati : il convoite la maison que les Pères possèdent en cette ville, élément XIV la lui accorde de son propre mouve- ment et par la plénitude de son pouvoir apostolique.

A Bologne, d'où le cardinal archevêque Malvezzi ne cesse par la plus infatigable des correspondances * de souffler ses haines au cœur du Pontife , & Bologne , à Ravenne , à Ferrare , à Modéne, à Macerata, ce système se développe. On force les Novices et les Scolasliques à se retirer chez leurs parents. Ceux qui refusent d'obéir à une injonction aussi extraordinaire se voient privés des sacrements. On les appelle à quitter l'habit de l'Institut. Ces jeunes gens ne veulent pas s'en séparer : des soldats le déchirent sur leurs épaules, et, après les avoir revêtus d'un costume laïque, ils les contraignent ù prendre la route de leurlpatrie.

hiin d'aguerrir ù l'injustice son cœur plein d'équité natu- relle , Clément XIV avait fermé les yeux sur ces actes précur- seurs de la suppression ; mais cette tyrannie de détail ne rem- plissait pas les vues de Charles III et de Floriila-Blanca. Il fallait au monarque espagnol un triomphe plus complet; on déoide enfin le Pape à l'accorder. Le 21 juillet 1773 commen- çait au Gesù la neuvaine en l'honneur de la fête de saint Ignace ; les cloches s'ébranlaient. Le Pape en demande le motif; on le lui (ait connaître. Alors d'un air triste il ajoute : « Vous vous i ompez; ce n'est pas pour les saints qu'on sonne au (iesù, c'est pour les morts, * Clément XIV le savait mieux que per- sonne, car ce jour-là même il nigna lo hre Duminv s ac Re-

V«lr riimi>nt \lf et (en .Irinilex. «Milion, CIip/. l'Ion fri'ro*, ft Pdiis )

DR LA COMPAr.NIF DE JKSl'S. 295

(hmpfor nosfcr, qui supprime la Compagnie de Jésus dans tout l'univers chrétien.

tf Ce bref, dit le Protestant Schœll ' , ne condamne ni la doc- trine, ni les mœurs, ni la discipline des Jésuites. Les plaintes des cours contre l'Ordre sont les seuls motifs de sa suppression qui soient allégués, et le Pape la justifie par des exemples pré- cédents d'Ordres supprimés pour se conformer aux exigences de l'opinion publique. »

Le décret, donné à Sainte-Marie-Majeure et contre-signe par le cardinal Negroni, appartient à l'histoire des Jésuites comme la bulle de fondation de 1540. Nous le publions donc, en nous contentant d'en retrancher les premières pages , qui ne regar- dent pas directement la Société. Clément XIV, avant d'arriver aux Jésuites, énumére les divers Instituts retranchés du corps de l'Eglise ; mais il oublie de faire observer que ces Instituts ne furent sécularisés qu'en vertu des preuves acquises * , d'in- formations et de procédures juridiques ; puis le Souverain-Pon- life continue en ces termes :

« Après avoir mis sous nos yeux ces exemples et d'autres du |)lus grand poids et de la plus grande autorité, et brûlant de marcher avec confiance et d'un pas sur dans la résolution dont nous parlerons plus bas, nous n'avons omis ni soiiif) ni recherches pour connaître à fond tout ce qui concerne l'origine, les pro- grès et l'état actuel de l'Ordre religieux communément appelé /n Sodété de Jésus, et noua avons découvert qu'il avait été établi par son saint fondateur pour le salut des âmes, pour la ronversion des hérétiques et surtout des Infidèles, enfin pour donner à la piété et à la Religion de nouveaux accroissements ; c|ue, pour atteindre plus facilement et plus heureusement à ce

' Cours d'histoire des Etats européens, t. m,iv, p. 8n.

2 Au iiioinenl le Pape ClériuMil V, deroiiccrl avec Ptiilippe-le Bel, s'occupa de In <iuppl'e^siou des Templiers , il ronvoqua lous les Evoques de la Cliitilientc. Trois rt'iils pr<^l«ls exatninéreiil les impnlalions el les di^fenses, et chacun d'eux, kl'ux- leplioii lie quaire, di'cida qu'il iMait iif^cessuire d'entendre les dires des accusi's. Selon l'abbé Fleury, dans son Histoire, livre xci, pages 150 el 151, les Templiers furent individuellement (ilés ë comparaître en personne, pour eire jugés au moins par des Conciles provinciaux. On n'appliqua aux Jésuites aucune de ces mesures in- diquées par les plus simples noiinns de la justice. On procéda, en 1773, comme, en 1310, (JémenI V el Pliilippe-le-Bel n'avaient même pas sun|;é ù le faire. |.a forme et le fond du jugement contre les Jésuites restèrent étrangers aux lois cano- niques, aux coutumes de l'Eglise, ainsi qu'aux tribunaux séculiers.

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CHAP. V. IlIRTOinF

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liiit désir»', il iuail ('-li'' consacré à Dieu \y,\\' U \œ\\ trAs-étroil do pauvrelé ('vangélifiuc , tant en commun (pi'on particnlier, excepté les maisons d'études ou de belles-letlres, auxquollos on permit de posséder quelques revenus, de manière cependant qu'aucune partie n'en pourrait être détournée ni appliquée aux avantages, à l'utilité et à l'usage de cette Société.

» C'est d'après ces lois , et d'autres également sages , que Paul m, notre prédécesseur, approuva d'abord la Société de Jésus par sa bulle du tl septembre 1510, et lui permit de ré- diger des statuts <^t règlements qui assurassent sa tranquillité, son existence et son régime; et, quoiqu'il eût restreint celte Société naissante au nombre de soixante Religieux seulement, néanmoins, par une autre bulle du 28 février ir»i;{, il permit aux Supérieurs d'y admettre tous ceux dont la rè.eption leur paraîtrait utile et nécessaire. Alors le même Paul, notre pré- décesseur, par un bref du 15 novembre l'iiQ, accorda de très-grands privilèges à celte Société, et cordera à ses Géné- raux le pouvoir d'y introduire vingt Prêtres, en qualité de coadjuteurs spirituels, el de leur cominuni(|uer lee mêmes pri- vilèges, la même faveur el la même autorité dont jouissaient les Profès île la Société. Il voulut et ordonna que cette permis- sion put s'étendre, sans aucune restriction et sans nombre li- mité, à tous ceux qui en seraient jugés dignes par les Généraux. En outre, la Société elle-même, tous les mend)res dont elle était composée et leiu's biens furent entièrement soustraits ù toute supériorité, juridiction et correction des ordinaires, et ce Pape les prit sous sa protection et sous celle du Siège apostolique.

» Nos autres prédécesseurs ont exercé dans la suite la même munificence et la même libéralité envers cette Société. En el- fet, Jules 111, Paul IV, Pie IV et V, Grégoire XIII, Sixte V, Grégoire XIV, Clément VIII, et d'autres Souverains-Pontifes, ont ou confirmé, ou augmenté, ou déterminé plus particulière- ment les privilèges déjà accordés à ces Religieux. Cependant ta teneur même et les termes de ces Constitutions apostoliques nous apprennent (]ue la Société, presque encore au berceau, vit naître en son sein différents germes de discordes et de ja- lousies, qui non-seulement déchirèrent ses membres, mais qui

DR LA COMHAr.NIF DF, JÉSUS. ^^1

Ips porlvront » s'élover coiilre les autres Oniros religieux, contre l(! Clergé séculier, les Universités, les Collèges, les écoles publi- ques, et contre les souverains eux-mômcs qui les avaient ac;- cueillis et admis dans leius Etats, et que ces troubles et ces dis- sensions étaient tantôt excités au sujet de la nature et du caractère des vœux, du temps d'admettre les Novlfces à prononcer ces vœux, du pouvoir de les renvoyer, ou de les élever aux ordres sacrés sans un titre et sans avoir t'ait des vœux solennels, ce qui est contraire aux décisions du Concile de Trente ' et de Pie V, notre prédécesseur; tantôt au sujet de la puissance absolue que le Gé- néral s'arrogeait et de quelques autres articles concernant le ré- gime de la Société ; tantôt pour différents points de doctrine, pour les exemptions et privilèges que les Ordinaires et d'autres personnes constituées en dignité , soit ecclésiastique , soit sécu- lière , prétendaient blesser leur juridiction et leurs droits. Enfui il n'y eut presque aucune des plus graves accusations qui ne fôt intentée contre cette Société, et la paix et la tranquillité de la Chrétienté en furent longtemps troublées.

» De s'élevèrent mille plaintes contre ces Religieux , les- quelles furent déférées à Paul IV, Pie V et Sixte V, nos pré- décesseurs, appuyées de l'autorité de quelques princes. Phi- lippe Il , entre autres , d'illustre mémoire, roi d'Espagne, mit sous les yeux de Sixte V, notre prédécesseur, non-seulement les motifs graves, et pressants qui le déterminaient à cette démar- che ot les réclamations qui lui avaient été faites de la part des Inquisiteurs d'Espagne contre les privilèges excessifs de la So- ciété de Jésus ci contre la forme de son régime, mais encore lies points de disputes approuvés par plusieurs de ses msmbres, mémo les plus rccommandables par leur science et par leur piété , et sollicita ce Pontife à commettre et à nommer pour cet effet une visite apostolique dans cette Société.

» Les demandes et le zèle de Philippe paraissant fondés sur la justice et sur l'équité, le même Sixte V y eut égard, et nomma pour Visiteur apostolique un Evoque généralement re- conini par sa prudence , sa vertu et ses luiniéres. En outre , il

> Le Concile de Trente excepte et exempte, nommi^mcnt la Campagnie de Jt^sii^

ilu ili'iii'l i||ii nilict-l'iii' li's .\tnln>. >f». a\V, c. .\M, (If Kit/Hli'ititiis.

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CHAI'. V. HISTOIRE

diîsigna une Congrégalion d(; cardinaux qui devaient employer tous leurs soins et leur vigilance à terminer cette aiTaire. Mais, une mort prématurée ayant enlevé le mAine Sixte V, le projet salutaire qu'il avait formé s'évanouit et n'eut point d'effet. Grégoire XIV, d'heureuse mémoire , h peine élevé à la Chaire de Saint Pierre, donna lie nouveau, par sa huile du ^8 juin 1591 . l'approbation la plus étendue à l'Institut de la Société. 11 coniirnia et ratifia tous les privilèges qui lui avaient été accordés par ses prédécesseurs, et surtout celui d'exclure et de renvoyer les membres de cet Ordre sans employer aucune forme juridique, c'est-à-dire sans faire auparavant aucune information, sans dresser aucun acte, sans observer aucun ordre judiciaire, ni accorder aucun délai, môme essentiel, mais sur l'inspection seule de la vérité du fait , et n'ayant égard qu'à la faute bu à un motif suffisant d'expulsion , aux personnes et aux autres circonstances. De plus , il imposa un profond silence et défendit surtout, sous peine d'excommunication encourue par le fait, d'oser attaquer directement ou indirectement l'Institut, les Constitutions ou les décrets de la Société, ou de songer à y faire aucune espèce de changement. Cependant il laissa à chacun le droit de proposer et de représenter, à lui seulement et aux Papes ses successeurs , soit immédiatement, soit par les Légats ou Nonces du Saint-Siège, tout ce que l'on croirait devoir y être ajouté , ou être retranché , ou y être changé.

» Mais toutes ces précautions ne purent apaiser les clameurs et les plaintes élevées contre la Société ; au contraire , on vit alors se répandre de plus en plus dans presque tout l'univers les plus vives contestations touchant la doctrine de cet Ordre , que plusieurs accusèrent d'être totalement opposée à la Foi or- thodoxe et aux bonnes mœurs, te sein même de la Société fut déchiré par des dissensions intestines et extérieures; et, entre autres accusations intentées contre elle, on lui reprocha de re- chercher avec trop d'avidité et d'empressement les biens de la terre. Telle fut la source de ces troubles , qui ne sont , hélas ! que trop connus, qui ont causé au Siège apostolique tant de chagrin et de douleur; tel est le motif du parti que plusieurs souverains ont embrassé contre la Société. Il arriva de que

m LA COMPAfiNIE DE JKSUS.

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CCS ReligiPiix, voulant obtenir de Paul V, d'heureuse mémoire, une nouvelle confirmation de leur Institut et de leurs pri- vilèges, furent forcés de lui demander de vouloir bien ratifier et munir de son autorité quelques décrets publiés dans la cinquième Congrégation générale et insérés mot à mot dans sa bulle du 14 septembre 1000. Ces décrets portent expressé- ment que la Société , assemblée en Congrégation générale , a été obligée , tant à cause des troubles et des inimitiés fomen- tés parmi ses membres qu'à cause des plaintes et des accusations des étrangers contre elle , de faire le statut suivant : « Notre So- » cioté, qui a éié suscitée par Dieu même pour la propagation de » la Foi et le salut de» Ames , peut, par les fonctions propres de » son Institut, qui sont les armes spirituelles, atteindre heu- » reusement, sous l'étendard de la Croix, au but qu'elle se » propose , avec utilité pour l'Eglise et avec édification pour le prochain; mais, d'un autre côté, elle détruirait ces avantages, » et s'exposerait au plus grand danger si elle s'occupait des af- » faires du siècle et de celles qui concernent la politique et le » gouvernement des Etats : c'est pourquoi nos ancêtres ont » trés-sagement ordonné qu'en servant Dieu nous ne nous mê- lassions point des affaires qui sont opposées à notre profession. »» Mais , comme , dans ces temps malheureux , notre Ordre , » peut-être par la faute ou h cause de l'ambition et du zèle » indiscret de quelques-uns de ses membres , se trouve atta- » que dans différents endroits et ditïîimé auprès de plusieurs » souverains , dont notre Père Ignace , de bienheureuse mé- » moire , nous a pourtant recommandé de conserver la bion- » veillanc<^ et l'affection pour être plus agréable à Dieu ; et que » d'ailleurs la bonne odeur de Jésus-Christ est nécessaire pour » produire des fruits , la Congrégation a pensé qu'il fallait s'abs- » tenir de toute apparence de mal, et prévenir, autant qu'il » était possible, les plaintes mômes fondées sur de faux soupçons. » En conséquence, par le présent décret , elle défenii à tous » Religieux , sous les peines les plus rigoureuses , de se mêler » en aucune manière des affaires publiques , lors même qu'ils » y seraient invités et engagés par quelque r?ison , et de no ') s'écarter de l'Institut de la Société ni par prières ni par sol-

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CHAP. V.

HISTOIRE

» licitatlons ; et on outre ell»> a j'ccommanilô aux Pères ({«'Uni- » tours de régler avec soin et de prescrire les moyens les pins » propres à remédier à ces abus dans les cas nécessaires. »

» Nous avons observé avec la douleur la plus amô're que «es remèdes , et beaucoup d'autres employés dans la suite , n'ont eu ni assez d'etVicacité ni assez de force pour détruire et dissi- per les troubles . lec accusations et les plaintes formées contre cette Socioié ; et que nos autres prédécesseurs , Urbain VIU , Cléments IX, X, XI et Xll, Alexandres VU et Vlll, Inno- cents X , XI , XII et XIII et Benoit XIV , se sont vainement efforcés de rendre à l'Eglise la tranquillité désirée , par plu- sieurs Constitutions soit relatives aux affaires séculières dont la Société ne devait s'occuper ni hors les missions ni à leur occa- sion ; soit à l'égard des dissensions graves et des querelles vive- ment excitées par ses membres, non sarlfe entraîner la perte des Ames et au grand scandale des peuples , contre les Ordinaires des lieux , les Ordres religieux , les lieux consacrés à la piété , et les communautés de toute espèce en Europe , en Asie et en Amérique ; soit au sujet de l'interprétation et de la pratique de certaines cérémonies païennes tolérées et admises dans plusieurs endroits, en omettant celles qui sont approuvées par l'Eglise universelle ; soit sur l'usage et l'interprétation de ces maximes que le Saint-Siège a justement proscrites comme scandaleuses et évidemment nuisibles aux bonnes mœurs; soit enfin sur d'autres objets de la plus grande importance et absolument né- cessaires pour conserver aux dogmes de la Religion chrétienne leur pureté et leur intégrité , et qui ont donné lieu dans ce siè- cle et dans les précédents à dos abus et à des maux considérables, tels que les troubles et les séditions dans plusieurs Etats catho- liques , et même des persécutions contre l'Eglise dans quelques provinces de l'Asie et de l'Europe. Tous nos prédécesseurs en ont été vivement affligés, et, entre autres, le Pape Innocent XI, de pieuse mémoire , que la nécessité contraignit de défendre à la Société de donner l'habit à des Novices ; Innocent XIII , qui fut obligé de la menacer de la même peine , et enfin Benoît XIV, de récente mémoire, qui ordonna une visite des maisons et des collèges situés dans les Etats de notre très-cher lils en .lèsu*(-

l)K LA CUMI'AGNIE UK JE8US.'

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Christ le roi Irùslidèle de Portugal et des Algarves. Mais le Saiiit-Siége n'a retiré uans la suite aucune consolation , ni la Société aucun secours, ni la Chrétienté aucun avantage des der- nières lettres apostoliques de Clément Xlil, d'heureuse mémoire, notre prédécesseur immédiat, qui lui avaient été extorquées (suivant l'expression dont Grégoire X , notre prédécesseur, s'est servi dans le Concile œcuménique de Lyon, cité ci-dessus) plutôt qu'obtenues de lui , et dans lesquelles il loue infiniment et approuve de nouveau l'Institut de la Société de Jésus.

» Après tant d'orages , de secousses et de si horribles teni- pètes, les vrais fidèles espéraient de voir luire enfin ce jour qui devait ramener le calme et une paix profonde. Mais, sous le pontificat du même Clément XIII, notre prédécesseur, les temps devinrent encore plus difficiles et plus orageux. En effet, les clameurs et les plaintes contre la Société aug^mentant de jour en joi'.r, on vit s élever, dans quelques endroits, des troubles, des dissensions , des séditions très-dangereuses , et même des scandales qui , ayant brisé et totalement anéanti le lieu de la charité chrétienne , allumèrent dans le cœur des fidèles l'esprit de parti, les haines et les inimitiés. Le danger s'accrut au point que ceux mêmes dont la piété et la bienfaisance hé^-éditaires envers la Société sont avantageusement connues de toutes les nations, c'est-à-dire, nos trés-chers fils en Jésus-Christ les rois de France , d'Espagne , de Portugal et des Deux-Siciles, furent contraints de renvoyer et de bannir de leurs royaumes , Etats et provinces, tous les Religieux de cet Ordre, persuadés que ce moyen extrême était le seul remède à tant de maux, et le seul qu'il fallût employer pour empêcher les Chrétiens de s'insulter, de se provoquer mutuellement , et de se déchirer dans le sein même de l'Eglise, leur mère.

» Mais ces mêmes rois, nos très-chers fils en Jésus-Christ, pensèrent que ce remède ne pouvait avoir un effet durable ni suffire pour rétablir la tranquillité dans l'univers chrétien, si la Société elle-même n'était pas entièrement supprimée et abolie. En conséquence, ils firent connaître au même Clément XIII, notre prédécesseur, leurs désirs et volonté, et lui demandèrent d'uue commune voix, avec l'autorité qu'ils avaient, et à laquelle

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CHAP. V. HlSIOiUli

I

ils joignirent leurs prières et leurs instances, d'iissurer pur ce moyen eflîcaec la tranquillité perpétuelle de leurs sujets et le bien général de l'Eglise de Jésus-Christ. Mais la mort inattendue de ce Souverain- Pontife arrêta le cours et empêcha la conclusion de cette affaire. A peine avons-nous été élevé par la miséricorde de Dieu à la Chaire de saint Pierre, (pron nous n fait les mêmes prières, les mêmes demandes et les mêmes instances, auxquelles un grand nombre d'Ëvôques et d'autres personnages illustres par leur dignité, leur science et leur religion, ont joint leurs sollicitations et leurs avis.

» Mais, voulant embrasser le parti le plus sur dans une afl'airc si grave et si importante, nous avons cru avoir besoin d'un long espace de temps, non -seulement pour faire les plus exactes recherches , le plus sérieux examen , et pour délibérer ensuite avec toute la prudence nécessaire, mais aussi afin d'obtenir du Père des lumières son secours et son assistance particulière par nos gémissements et nos prières continuelles , après avoir eu soin de nous faire seconder auprès de Dieu par celle des lidèles, ainsi que par leurs bonnes œuvres. Nous avons .jugé à propos sv.rtout d'examiner sur quel fondement était appuyée cette opinion si répandue que l'Institut des clercs de la Société de Jésus eût été approuvé et confirmé d'une manière solennelle par le Concile de Trente, et nous avons reconnu qu'on n'y avait fait mention de cet Ordre que pour l'excepter du décret géné- ral par lequel il fut arrêté , relativement aux autres Ordres religieux, qu'après le temps de noviciat, les Novices seraient admis, s'ils en étaient jugés dignes, à la profession, ou renvoyés de la Société. C'est pourquoi le même Concile {Session '25, chap. XVI, de Reguinr.), déclara qu'il ne voulait rien innover, ni empêcher ces Religieux de servir Dieu et l'Eglise selon leur pieux Institut approuvé par le Saint-Siège.

» Après donc avoir usé de tant de moyens si nécessaires, aidé, comme nous osons le croire, de la présence et de l'inspi- ration du Saint-Esprit : forcé d'ailleurs par le devoir de notre place, qui nous oblige essentiellement de procurer, de maintenir et d'affermir de tout notre pouvoir le repos et la tranquillité du peuple chrétien, et d'extirper entièrement ce qui pourrait lui

DE LA CUMI'AGNlIi DE JÉSUS. 303

cnuMur le inuindrc jmmago ; en outre, ayant reconnu que la Société de Jésus ne pouvait plus produire ces fruits abondants et ces avantages considérables pour lesquels elle a été instituée, approuvée par tant de Papes, nos prédécesseurs, et munie de très-beaux privilèges, et qu'il était presque et tout-à-fait im- possible que l'Eglise jouit d'une paix véritable et solide tant que cet Ordre subsisterait ; engagé par des raisons aussi puissantes, et pressé par d'autres motifs que les lois de la prudence et la sage administration de l'Eglise universelle nous suggèrent, et que nous conservons au fond de notre cœur ; marchant sur lus traces de nos prédécesseurs, et particulièrement sur celles que Grégoire X, notre prédécesseur, nous a laissées dans le Concile général de Lyon, puisqu'il s'agit de même actuellement d'une Société comprise dans le nombre des Ordres mendiants, tant par son Institut que par ses privilèges ; après un mûr examen , de notre certaine science, et par la plénitude de notre puissance apostolique, nous supprimons et nous abolissons la Société de Jésus ; nous anéantissons et nous abrogeons tous et chacun de ses offices , fonctions et administrations , maisons , écoles , col- lèges, retraites, hospices et tous autres lieux qui lui appartien- nent de quelque manière que ce soit, et en quelque province, royaume ou Etat qu'ils soient situés ; toui> ses statuts, coutu- mes, usages, décrets, constitutions, môme confirmés par serment et par l'approbation du Saint-Siège ou autrement; ainsi que tous et chacun des privilèges et induits, tant généraux que par- ticuliers, dont nous voulons que la teneur soit regardée co^imc pleinement et suffisamment exprimée par ces présentes lettres, de môme que s'ils y étaient insérés mot à mot, nonobstant toute formule ou clause qui y serait contraire, et quqls que soient les décrets et autres obligations sur lesquels ils sont appuyés. C'est pourquoi nous déclarons cassée à perpétuité et entièrement éteinte toute espèce d'autorité, soit spirituelle, soit temporelle, du Général, des Provinciaux, des Visiteurs et autres supérieurs de cette Société, et nous transférons absolument et sans aucune restriction cette même autorité et cette même juridiction aux Ordinaires des lieux, selon les cas et les personnes, dans la forme et aux conditions que nous expliquerons ci-après ; défendant,

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1*

*:l:

CHAI'

le liérumlorii!

iiisrottiK

nous le ileiumions par ces |»réseiiles, de recevoir désor- iiiuis qui que ce soit duns cette Société, d'y uduiettre personne au noviciat et de l'aire prendre l'habit. Nous déleiidons égale- ment d'admettre en aucune manière ceux qui ont été ci-devant reçus à prononcer des vœux ou simpU'S ou solennels, sous peine de nullité de leur admission ou profession, et sous d'autres peines à notre volonté. De plus, nous voulons, ordonnons et enjoignons que ceux qui sont actuellement novices soient tout de suite, sur-le-cliamp, immédiatement et réellement renvoyés; et nous défendons que ceux qui n'ont fait que des vœux sinqiles et qui n'ont encore été initiés dans aucun Ordre sacré, puissent y être promus, ou sous le titre et le prétexte de leur proftission, ou en vertu des privilèges accordés à la Société contre les décrets du Concile de Trente.

Mais, comme le but que nous nous proposons et auquel nous brûlons d'atteindre est de veiller au bien général de l'Eglise et à la tranquillité des peuples, et en même temps d'apporter (les secours et de la consolation à chacun des mendires de celte Société, dont nous chérissons tendrement dans le Seigneur tous les indiviaus, aitn qu'étant délivrés de toutes les contestations, disputes et chagrins auxquels ils ont été en proie jusqu'à ce jour, ils cultivent avec plus de fruit la vigne du Seigneur, et travaillent avec plus de succès au salut des Ames ; nous statuons et ordonnons que les membres de cette Société qui n'ont fait que des vœux simples et qui ne sont point encore initiés duns les Ordres sacrés, sortiront tous, déliés de ces mêmes vœux, de leurs maisons et collèges pour embrasser l'état que chacun d'eux jugera être le plus conforme à sa vocation, à ses forces et à sa conscience, dans l'espace de temps qui sera fixé par les Ordi- naires des lieux, et reconnu suHisant pour qu'ils puissent se procurer un emploi ou une charge, ou trouver quel([ue i ien- faiteur qui les reçoive, sans l'étendre cependant au-delà J'un an à compter de la date de ces présentes, ainsi qu'en vertu des privilèges de la Société ils pouvaient en être exclus sans autre cause que celle que dictaient aux supérieurs la prudence et les circonstances, sans qu'on ait fait auparavant aucune citation, dressé aucun acte, observé aucun ordre judiciaire.

Dfe; LA CO.Ml'AtiMR: DE JÉSUS.

Quant

sonl éli

Ordres

3UÛ leur

'US, nous |iormcttons, ou de quitter leurs maisons et collèges, et d'entrer dfuis quelque Ordre religieux approuvé par le Sainl-Sicge, dans lequel ils devront remplir le temps d'épreuve prescrit par le Concile de Trente, s'ils ne sont liés à la Société que par des vœux simples, et s'ils ont fait des vœux solennels, le temps de cette épreuve ne sera que de six mois, en vertu de la dispense (|ue nous leur accordons à cet effet ; ou bien de rester dans le siècle comme prêtres et clercs séculiers, entièrement soumis à l'uutorité et à la juridiction des Ordinaires des lieux ils fixe- ront leur domicile ; ordonnons en outre qu'il sera assigné à ceux qui resteront ainsi dans le siècle, jusqu'à ce qu'ils soient pourvus d'ailleurs, une pension convenable sur les revenus de la maison ou du collège i!s demeuraient, eu égard cependant aux re- venus de ces maisons et aux charges qui leur sont attachées.

» Mais les Profés déjà admis aux Ordres sacrés, et qui, dans la crainte de n'avoir pas de quoi vivre honnêtement, soit par le défaut ou la modicité leur pension, soit par l'embarras de se procurer une retraite, ou qui, à cause de leur grand âge et de leurs infirmités, ou par quelqu'autre motif juste et raison- nable, ne jugeront point à ))ropos de quitter les maisons ou collèges de la Société, ceux-là auront la liberté d'y demeurer, à condition qu'ils ne conserveront aucune administration dans ces maisons ou collèges ; qu'ils ne porteront que l'habit des clercs séculiers , et qu'ils seront entièrement soumis aux Ordi- naires des lieux. Nous leur défendons expressément de remplacer les jujets qui manqueront , d'acquérir dans la suite aucune mai- son ou aucun lieu , conformément aux décrets du Concile de Lyon, et d'aliéner les maisons, les biens et les lieux qu'ils pos- sèdent actuellement. Ils pourront néanmoins se rassembler dans une seule ou dans plusieurs maisons, eu égard au nombre des sujets restants , de manière que les maisons qui seront évacuées puissent être converties à de pieux usages, suivant ce qui paraîtra plus conforme , en temps et lieu , aux saints Canons et à la vo- lonté des fondateurs , et plus utile à l'acciroissement de la Re- ligion , au salut des âmes et à l'utilité publique. Cependant , il sera désigné un personnage du Clergé séculier, recoin mandable V, 20

m

CHAI'. V. IIISTOIIU;

par sn pnuloricc ut si<s hoiiiics mœurs , pour présider 'a raditiinis- tratiuii (l«^ ce» maisons , le nom de lu Société étant totalement supprimé et aboli.

Nous déclarons être également compris dans cette suppres- sion générale de l'Ordre tous ceux qui se trouvent déjà expulsés de quelque pays (|uc ce soit, et nous voulons en conséquence que ces Jésuites bannis , quand même ils seraient élevés aux Ordres sacrés , s'ils ne sont point encore entrés dans un autre Ordre religieux , n'aient , dés ce moment , d'autre état que celui de Clercs et de Prêtres séculiers , et soient entièrement soumis aux Ordinaires des lieux.

» Si ces mêmes Ordinaires reconnaissent dans ceux qui , en vertu du présent Bref, ont passé de l'Institut de la Société do Jésus à l'état de Prêtres séculiers , cette science et cette inté- grité de mœurs si nécessaires , ils pourront leur accorder ou re- fuser, à leur gré, la permission de confesser les iidcles et de prêcher devant le peuple ; et, sans cette autorisation obtenue par écrit, aucun d'eux ne pourra exercer ces fonctions. Cependant les Evoques ou les Ordinaires des lieux n'accorderont jamais ces pouvoirs , relativement aux étrangers , h ceux qui vivront dans les maisons ou collèges ci-devant appartenant à la Société, et en conséquence nous leur défendons de prêcher et d'administrer aux étrangers le sacrement de pénitence , ainsi que Grégoire X , notre prédécesseur , le défendit dans le Concile général cité ci-dessus. Nous ch'"^cons expressément 'a conscience des Evêques de veiller à l'exécution de toutes ces choses, leur recommandant de songer sans «-esse au compte rigoureux (\u"\\s rendront un jour à Dieu des brebis confiées à leurs soins , et au jugement terrible dont le Souverain Juge des vivants et des morts menace ceux qui gouvernent les autres.

» En outr<» , si parmi ceux qui étaient membres de la Société il s'en trouvait quelques-uns qui fussent chargés de l'instruction de la jeunesse ou qui exerçassent les fonctions de professeurs dans |}tlusieurs collèges ou éc-oles, nous voulons qu'absolument drhus ^' toute direction, administration ou autorité, on nt leur per- mette de continuer ces fcmctions qu'autant qu'on aura lieu de bwn espérer de leurs travaux , et qu'ils paraîtront éloignct. de

DE LA CUMI'Af.NlK DE JESUS.

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Cil

ciélé il ion de s dans

ri hus

toutes CCS disuussituis ut de ces imiiits de duotriiie dont le relA- «liemcnt et b futilité u'occiisionueut et n'engendrent urJinnii-e- nient i|ue des inconvénients et de funestes contestutions ; et nous ordonnons que ces fonctions soient ù jamais interdites h ceux qui ne s'eflbrceriuent j)as de conserver la paix dans les écoles et la tranquillité puhliciue , et qu'ils en soient même privés , s'ils en étaient actuellement chargés.

» Quant aux Missions, que nous voulons être également com- prises dans tout ce que nous avons statué touchant la suppres- sion de la Société , nous nous réservons de prendre à cet égard les mesures propres à procurer le plus facilement et le plus sûre- ment la conversion des infidèles et la cessation de toute dispute.

» Or, après avoir cassé et abrogé entièrement, comme ci- dessus, tous les privilèges et statuts de cet Ordre, nous décla- rons tons SCS membres, dès qu'ils seront sortis des maisons et collèges, et qu'ils auront embrassé l'état de clercs séculiers, propres et habiles à obtenir, conformément aux décrets des saints Canons et Constitutions aposoliques, toutes sortes de bénélices ou simples ou à charge d'Ames, olfices, dignités, pei- sonnnf>^ - 1 autres dont ils étaient absolument exclus, tandis qu'ils étaient dans la Société, par le bref de (irégoire XIII du 10 sep- te»u»in '7)84, qui commence par ces mots: Satîs superque. Vwis (cur permettons encore de recevoir rétribution pour cé- lébrer la messe, ce qui leur était aussi défendu, et de jouir de toutes ces giAces et faveurs, dont ils auraient toujours été privés comme clercs réguliers de la Société de Jésus. Nous abrogeons pareillement toutes les permissions qu'ils avaient obtenues du Général et des autres Supérieurs, en vertu des privilèges ac- cordés par les Souverains-Pontifes, comme celle de lire les li- vres des héréliques et autres prohibés et condamnés par le Saint-Siège ; de ne point observer les jours de jeune, ou de ne point user des aliments d'abstinence en ces mêmes jours; d'a- vancer ou de retarder les heures prescrites pour réciter le bré- viaire, et toute autre de celte nature, dont nous leur défendons de faire usage dans la suite, sous les peines les plus sévères, notre intention étant (|u'à l'exemple des prêtres sècuhers, leur manière de vivre soit conforme aux règles du droit commun»

;i08

CHAI". V. HISiOiltE

» Nouij détendons qu'après la publicalinn de ce Bref, qui que ce soit ose en suspendre l'exécution, même sous couleur, titre uu prétexte de quelque demande, appel, recours, déclaration ou consultation de doutes qui pourraient s'élever, ou sous quelque autre prétexte prévu ou imprévu; car nous voulons que la ?■ op- pression et la cassation de toute la Société ainsi que de tous ses officiers, aient des ce moment et immédiatement leur plein et entier effet, dans la forme et de la manière que nous avons prescrites ci-dessus, sous peine d'excommunication majeure encourue par le seul fait, et réservée à nous et aux Papes, nos successeurs, contre quiconque oserait apporter le moindre ob- stacle, empêchement ou délai à l'exécution du présent Bref.

» Nous mandons en outre, et nous défendons en vertu de la sainte obéissance, ù tous et à chacun des ecclésiastiques ré- guliers et séculiers, quels que soient leur grade, dignité, qua- lité et condition, et notamment à ceux qui ont été jusqu'à pré- sent attachés à la Société et qui en faisaient partie, de s'opposer à cette suppression, de l'attaquer, d'écrire contre elle, et même d'en parler, ainsi que de ses causes et motifs, de l'Institut, des règles, des constitutions, de la discipline de la Société détruite, ou de toute autre chose relative à cette affaire, sans une per- mission expresse du Souverain-Pontife. Nous défendons à tous et à chacun, également sous peine d'excommunication réservée à nous et à nos successeurs, d'oser attaquer et insulter, à l'oc- casion de cette suppression, soit en secret , soit en public, de vive voix ou par écrit, par des disputes, injures, affronts, et par toute autre espèce de mépris, qui que ce soit et encore moins ceux qui étaient membres dudit Ordre-

» Nous «îxhortons tous les princes chrétiens, dont nous con- naissons l'attachement et le respect pour le Saint-Siège , à em- ployer pour h pleine et entière exécution de ce Bref leur zèle et leurs soins, la force, l'autorité et la puissance qu'ils ont re- çues de Dieu, afin de défendre et de protéger la sainte Eglise romaine ; à adhérer à tous les articles qu'il contient ; à lancer et publier de semblables décrets, par lesquels ils veillent sûre- ment à ce que l'exécution de notre présente volonté n'excite parmi les iUlèles ni querelles, ni contestations, ni divisions.

DE LA COMPAGNIE DB JESUS.

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» Nous exhortons enfin tons les chrétiens, et nous les conju- rons par les entrailles de Jésus -Christ Notre Seigneur, de se souvenir qu'ils ont tous le môme Maître, qui est dans les cieux, le même Sauveur, qui les a tous rachetés au prix de son sang, qu'ils ont tous été régénérés par la grAce du baptême , qu'ils sont tous établis fds de Dieu et cohéritiers de Jésus-Christ et nourris du même pain de la parole divine et de la doctrine» ca- tholique; qu'ils ne forment tous qu'un même corps en Jésus- Christ et sont les membres les uns des autres ; que , par consé- quent, il est nécessaire qu'étant tous unis par le lien de la charité, ils vivent en paix avec tous les hommes ; et que leur unique devoir est de s'aimer réciproquement, car celui qui aime son prochain a accompli la loi, et d'avoir en horreur les offenses, les haines, les disputes, les pièges et les autres maux que le vieux ennemi du genre humain a inventés, imaginés et suscités pour troubler l'Eglise de Dieu, et mettre des obstacles au bonheur éternel des Fidèles, sous le faux prétexte des opi- nions de l'école, souvent même sous l'apparence d'une plus grande perfection chrétienne; que tous enfin s'efforcent d'ac- quérir la véritable sagesse dont saint Jacques a parlé (chap. m, Ep. can.. Y, 13) : « Y a-t-il ici parmi vous quelque homme sage » et docte, que par sa sainte conversation il montre ses bonnes œuvresavec une sagesse pleine de douceur. Si vous êtes ani- » mes d'un zèle amer, et si l'esprit de discorde règne en vos » cœurs, ne vous enorgueillissez pas par une gloire contraire h » la vérité. Car ce n'est point la sagesse qui descend du Ciel ; » mais c'est une sagesse terrestre, sensuelle et diabolique. En » effet , se trouvent l'envie et l'animosité , sont aussi le » trouble et toutes sortes de mauvaises actions. Au lieu que la ') sagesse qui vient d'en haut est d'abord chaste, ensuite paisi- » ble, modeste, détachée de son propre sens, unie avec les » bons , pleine de miséricorde et de bonnes œuvres. Elle n'est » ni dissimulée ni envieuse. Or, ceux qui aiment la paix sèment » dans la paix les fruits de la justice. »

') Quand même les Supérieurs et autres religieux de cet Ordre , ainsi que tous ceux qui auraient intérêt ou qui préten- draient en avoir, de quelque manière que ce frtt, dans ce qui

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CHAP. V. IirSTOIRE

fi

a été statué ci-dessus, ne consentiraient point au présent Bref, et n'auraient été appelés ni entendus, nous voulons qu'il ne puisse jamais être attaqué , infirmé et invalidé pour cause de subreption, obreption, nullité ou invalidité, défaut d'intention de notre part, ou tout autre motif, quelque grand qu'il puisi-c être, non prévu et essentiel, ni pour avoir omis des formalités et autres choses qui auraient être observées dans les disposi- tions précédentes ou dans quelques-unes d'icelles, ni pour tout autre point capital résultant du droit ou de quelque coutume , même contenu dans le corps de droit , sous le prétexte d'une énorme, très-énorme et entière lésion, ni enfin pour tous autres prétextes, raisons ou causes, quelque justes , raisonnables et privilégiés qu'ils puissent être, même tels qu'ils auraient être nécessairemsnt exprimés pour la validité des règlements ci-dessus. Nous défendons qu'il soit jamais rétracté, discuté ou porté en justice, ou qu'on se pourvoie contre lui par voie de restitution en entier , de discussion , de réduction par les voies et termes de droit, ou par quelqu'autre moyen à obtenir de droit, de fait, de grâce ou de justice , de quelque manière qu'il eut été accordé et obtenu pour s'en servir, tant en justice qu'autrement. INIais nous voulons expressément que la présente Constitution soit dès ce moment et à perpétuité valide, stable et eflicace ; qu'elle ait son plein et entier effet, et qu'elle soit inviolablement observée par tous et chacun de ceux à qui il appartient et appartiendra dans la suite, de quelque manière que ce soit. »

Plein de respect pour lautorité pontificale, nous ne jugeons point un acte émané de la Chaire apostolique. Elle possède évi- deuuiient le droit de supprimer ce qu'elle-même a établi. Nous ne discuterons pas sur le plus ou le moins d'opportunité de la mesure. Cette appréciation doit ressortir des entrailles de l'his- toire. Nous ne dirons pas que le Successeur des Apôtres, en résumant ce procès, (|ui a duré deux cent trente- trois ans, entre la Société de Jésus et les passions déchaînées contre elle , essaie, à force d'habileté de langage , de donner le change aux adversaires des Jésuites en rapportant leurs accusations sans daigner les sanctionner. Nous n'examinerons même pas si la suppression prononcée est un châtiment infligé aux Jésuites ou

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DE LA COMPAGNIE DE JESUS.

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lin grand sacrifice fait à Tespoir de la paix. Cette paix était chi- mérique , Clément XIV ne l'ignorait pas ; mais il se persuadait que tant de concessions mettraient ses derniers jours à l'abri des violences , et il frappa d'ostracisme la Société de Jésus. Le bref Dominus ac Redeinptor fut accuelli par les ennemis de l'Eglise avec des transports de joie qui blessèrent au cœur le Souverain-Pontife. Si celte joie lui fut amêre, que la tristesse chrétienne du Sacré-ColIége et de l'Episcopat dut lui paraître accablante ! Le bref avait été envoyé à Paris ; Clément XIV écrivit à Christophe de Beaumont pour en solliciter l'acceptation.

L'archevêque de Paris , que les menaces n'intimidaient pas, et qui portait toujours la tête plus haut que l'orage , lui répondit le 24 avril 1774:

« Ce bref n'est autre chose qu'un jugement personnel et ,)ar- ticulier. Entre plusieurs choses que notre Clergé de France y remarque, d'abord il est singulièrement frappé de l'expression odieuse et peu mesurée employée ù caractériser la bulle Pas- cendi munus, etc., donnée par le saint Pape Clément XIII, dont la mémoire sera toujours glorieuse , bulle revêtue do toutes les formalités. Il est dit que cette bulle peu exacte a été extorquée plutôt qu'obtenue ; laquelle néanmoins a toute la force et toute l'autorité qu'on attribue à un Concile Général, n^ayant éU'' portée qu'après que tout le Clergé catholique et tous les princes s'é- culiers eussent été consultés par le Saint-Père. Le Clergé , d'un commun accord et d'une voix unanime , loua extrêmement le dessein qu'en avait conçu le Saint-Père, et en sollicita avec empressement l'exécution. Elle fut conçue et publiée avec l'ap- probation aussi générale que solennelle. Et n'est-ce pas en cela que consiste véritablement l'efficace, la réalité et la force d'un Concile Général', plutôt, très-saint Père , que dans l'union ma- térielle de quelques personnes qui, quoique physiquement unies, peuvent néanmoins être très-éloignées l'une de l'autre dans leur manière de penser et dans leurs jugements et dans leurs vues? Quant aux princes séculiers , s'il en est qui ne so soient pas joints aux autres pour lui donner positivement le «r approbation, leur nombre est peu considérable. Aucun ne réclama contre elle , aucun ne s'y opposa , et ceux même qui avaient dessein do

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CHAP. V,

HISTOIRE

bannir les Jésuites souffrirent qu*on lui donnât cours dantii leurs Etats.

» Or , venant à considérer que l'esprit de l'Eglise est indivi- •dle, unique, seul et vrai, comme il est en effet, nous avons sujet de croire qu'elle ne peut se tromper d'une manière si solennelle. Et cependant elle nous induirait en erreur, nous donnant pour saint et pieux un Institut qu'on maltraitait alors si cruellement , sur lequel l'Eglise et par elle l'Espriî-Saint s'énoncent en ces propres termes : « Nous savons de science certaine qu'il respire très-fort une odeur de Sainteté ; » en munissant du sceau de son approbation et confirinant de nou- veau non-seulement l'Institut en lui-même , qui était en hutte aux traits de ses ennemis, ma'^ encore les membres qui le composaient, les fonctions qui y étaient exercées , la doctrine qui s'y enseignait et les glorieux travaux de ses enfants , qui répandaient sur lui un lustre admirable, en dépit des efforts de la calomnie et malgré les orages des persécutioins. L'Eglise se tromperait donc effectivement , et nous tromperait nous-mêmes , voulant nous faire admettre le bref destructif de la Compagnie, ou bien en supposant qu'il va de pair , tant dans sa 'égitimité que dans son universalité, avec la Constitution dont nous avons parlé. Nous mettons à part, très-saint Père, les personnes (ju'il nous serait aisé de désigner et de nommer, tant ecclésiastiques que séculières , qui se sont égarées , et ont trempé dans cette afl'aire. Elles sont, à dire vrai , de caractère, de condition, de doctrine et de sentiment , pour ne rien dire de plus , si peu avantageux , que cela seul suffirait pour nous faire porter avec assurance le jugement formel et positif que ce bref, qui détruit la Compagnie de Jésus , n'est autre chose qu'un jugement isolé et particulier , pernicieux , peu honorable à la tiare et préjudi- ciable à la gloire de TEglise , à l'accroissement et à la conser- vation de la Foi orthodoxe.

» D'un autre côté , Saint-Père , il n'est pas possible que je me charge d'engagor le Clergé à accepter ledit bref. Je ne serais pas écouté sur cet article , fussé-je assez malheureux pour vouloir y prêter mon ministère, que je déshonorerais. La mémoire est encore toute récente de cette Assemblée générale que j'eus

\

DR LA COMPAONIE DK JRSUS.

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l'honneur de convoqner, par ordre de Sa Majesté , pour y exa- miner la nécessité e^ i'utilité des Jésuites , la pureté de leurs doctrines, etc. En me chargeant d'une pareille commission, je ferais une injure très-notable à la Religion , au zèle , aux lu- mières et à la droiture avec laquelle ces Prélats exposèrent au Roi leurs sentiments sur les mômes points qui se trouvent en contradiction et anéantis par ce bref de destruction. 11 est vrai que , t>i l'on veut montrer qu'il a été nécessaire d'en venir , colorant cette destruction du spécieux prétexte de la paix, laquelle ne pouvait subsister avec la Compagnie subsistante , ce prétexte , très-saint Père , tout au plus pourra suffire pour détruire tous les^ corps jaloux de cette Compagnie , et la cano- niser elle-même sans autre preuve ; et c'est ce prétexte-là même qui nous autorise , nous , à former dudit bref un jugement très- juste, mais fort désavantageux.

» Car quelle peut être cette paix qu'on nous donne pour incompatible avec cette Société ? Cette réflexion a quelque chose d'effrayant , et nous ne comprendrons jamais comment un tel motif a eu la force d'induire V. S. à une démarche aussi ha- sardée , aussi périlleuse , aussi préjui'iciable. Certainement la paix qui n'a pu se concilier avec l'existence des Jésuites est celle que Jésus-Christ appelle insidieuse , fausse et trompeuse ; en un mot , celle à qui Ton dcime le nom de paix et qui ne l'est pas : Fax , pax, et non erat pax ; cette paix qu'adoptent le vice et le libertinage , la reconnaissant pour leur mère ; qui ne s'allia jamais avec la vertu, qui, au contraire, fut toujours ennemie capitale de la piété. C'est exactement à cette paix (|ue les Jésuites , dans les quatre parties du monde , ont con- stamment déclaré une guerre vive , animée, sanglante et poussée avec la dernière vigueur et le plus grand succès. C'est contre cette paix qu'ils ont dirigé leurs veilles, leur attention, leur vigi- lance, préférant des travaux pénibles à une roUe et stérile oisiveté. C'est pour l'exterminer qu'ils ont sacrifié leurs talents, leurs peines, leur zèle, les ressources de l'éloquence, voulant lui fermer toutes les avenues par elle tenterait de s'introduire et (le porter le ravage dans \v. sein du Christianisme, tenant les limes sur leurs gardes pour les en alfranohir; et, lorsque, par

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CHAP. ▼. HISTOIRE

malheur, cette fatale paix avait usurpé du terrain, et s'était emparée du cœur de quelques Chrétiens, alors ils l'allaient forcer dans ses derniers retranchements, ils l'en chassaient aii ix de leurs sueurs , et ne craignaient point de braver les l-' p; ands dangers , n'espérant d'autre récompense de leur 7ÀUi et de leurs saintes expéditions que la haine des libertins et la persécution des méchants.

» C'est de quoi l'on pourrait alléguer une infuiité de preuves non moins éclatiintes, dans une longue suite d'actions mémora- bles, qui n'a jamais été interrompue depuis le jour qui les vit naître jusqu'au jour fatal à l'Eglise qui les a vu anéantir. Ces preuv<'s ne sont ni obscures ni même ignorées de Votre Sainteté. Si donc, je le redis encore, si cette paix qui ne pouvait subsister avec cette Compagnie, et si le rétablissement d'une telle paix a été réellement le motif de la destruction des Jésuites, les voilà couverts de gloire, ils fmissent comme ont fini les Apôtres et les Martyrs ; mais les gens de bien en sont désolés , et c'est au- jourd'hui une plaie bien sensible et bien douloureuse faite à la piété et à la vertu.

» La paix qui ne pouvait se concilier avec l'existence de la Société n'est pas aussi cette paix qui unit les cœurs, qui s'y entretient réciproquement, et qui prend chaque jour de nou- veaux accroissements en vertu, en piété, en charité chrétienne, qui fait la gloire du Christianisme, et relève infmiment l'éclat de notre sainte Religion. Ceci ne se prouve pas, quoique la preuve en soit très-facile, non par un petit nombre d'exemples que cette Société pourrait nous fournir depuis le jour de sa naissance jus- qu'nti jour fatal et à jamais déplorable de sa suppression, mais par une foule innombrable de faits qui attesteront que les Jé- suites furent toujours et en tout temps les colonnes, les promo- teurs et les infatigables défenseurs de cette solide paix. On doit se rendre à l'évidence des faits qui portent avec eux la convic- tion dans tous les esprits.

» Au reste, comme je ne prétends pas faire dans cette lettre l'apologie des Jésuites, mais seulement mettre sous les yeux de Votre Sainteté quelques-unes des raisons qui, dans le cas pré- sent, nous dispensent de lui obéir, je ne citerai ni les lieux ni

DE LA COMPAGNIE DE JEflU».

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les temps , étant chose très-tacile à Votre Sainteté de s'en assu- rer par elle-même et ne pouvant les ignorer.

» Outre cela, Irès-saint Père, nous n'avons pu remarquer sans frayeur que le susdit bref destructif faisait hautement l'éloge de certaines personnes dont la conduite n'en mérita jamais de Clé- ment Xlll, de sainte mémoire; et, loin de cela, il jugea tou- jours devoir les écarter et se comporter ù leur égard avec la plus scrupuleuse réserve.

» Cette diversité de jugement mérite bien qu'on y fasse atten- tion, vu qu'il ne jugeait pas même dignes de l'honneur de la pourpre ceux à qui Votre Sainteté semble souhaiter celui de la tiare. La fermeté de l'un et la connivence de l'autre ne se ma- nifestent que trop clairement. Mais enfm on pourrait peut-être excuser la conduite du dt «er, si elle ne supposait pas l'en- tière connaissance d'un fait qu'on ne peut tellement déguiser qu'on n'entrevoie ouvertement qu'il a dirige la plume dans la confection du bref.

En un mot, très-saint Père, le Clergé de France étant un corps des plus savants et des plus illustres de la sainte Eglise, lequel n'a d'autre vue ni d'autre prétention que de la voir de jour en jour plus florissante ; ayant mûrement réfléchi que la ré- ception du bref de Voire Sai, teté ne pouvait qu'obscurcir sa propre splendeur, il n'a voulu ni ne veut consentir ù une dé- marche qui, dans les siècles à venir, ternirait la gloire en posses- sion de laquelle il se maintient ne l'admettant pas; et il prétend, par sa très-juste résistance actuelle, transmettre à la postérité un témoignage éclatant de son intégrité et de son zèle pour la Foi catholique, pour la prospérité de l'Eglise romaine et en par- ticulier pour l'honneur de son chef visible.

» Ce sont là, très-saint Père, quelques-unes des raisons qui nous déterminent, moi et tout le Clergé de ce royaume, à ne jamais permettre la publication d'un tel bref, et ù déclarer sur cela à Votre Sainteté, comme je le fais par la présente lettre, que telles sont nos dispositions et celles de tout le Clergé, qui d'ailleurs ne cessera jamais de prier avec moi le Seigneur pour la sacrée personne de Votre Béatitude, adressant nos très-hum- bles supphcations au divin Père des lumières, afin qu'il daigne

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CHAP. V.

HISTOIRR

\f3 répandre abondamment sur Votre Sainteté, et qu'elles lui découvrent la vérité dont on a obscurci l'éclat. »

L'Eglise de France, par l'organe de son plus illustre Pontife, refusait de s'associer à la destruction de ^a Compagnie de Jésus. Elle donnait ainsi au Pnpe un témoignage de sa Foi et de s;i respectueuse fermeté. Peu d'années après, quand Clément XIV fut descendu dans la tombe, il trouva parmi les membres du Sacré-Collége des juges qui, à leur tour, se prononcèrent contre lui. Pie VI avait, en 1775, demandé aux cardinaux leur avis au sujet de l'Institut détruit. Antonelli, l'un des plus savants et des plus pieux * , osa écrire ces lignes, foudroyante accusation que de douloureux regrets, que l'imminence des périls courus par l'Eglise, purent inspirer, mais dont l'histoire, plus calme, a besoin de reviser les sévérités.

Antonelli s'exprime ainsi : « On n'examine pas s'il a été permis ou non de souscrire un tel bref. Le monde impartial convient de l'injustice de cet acte. Il faudrait être ou bien aveugle, ou porter une haine mortelle aux Jésuites pour ne pas s'en apercevoir. Dans le jugement qu'on a rendu contre eux, HMelle règle y a-t-on observée? Les a-t-on entendus? Leur a-t-on permis de produire leur défense? Une telle ma- nière d'agir prouve qu'on a craint d'évoquer des innocents. L'odieux de pareilles condamnations, couvrant les juges d'in- famie, fait honte au Saint-Siège même, si le Saint-Siège, en anéantissant un jugement si inique, ne répare son honneur.

» En vain les ennemis des Jésuites nous prônent-ils des miracles pour canoniser le bref avec son auteur * ; la question

' Lp cardinal Léonard Anionelli olait neveu du cardinal Nicolas Anionclli, sccrv- laire des brefs suus Cli^ment Xill. Li'onard, préfet de la Propagande el doyen du Sacré-Collé|fe, parlagca avec Contialvi la conflance de Pie Vil. )l l'accompagna l> Pnrisen 1804, et il Tut emprisonné dans les dernières années du ri'one de Napoléon. Aniouclli était une des lumières de rEglise. On a de lui une lettre aux Ëvéques d'Irlande; son contenu prouve qu'il n'était pas aussi intolérant que cherchent a le représenter les biographes modernes.

> Il est Irës-vrai que les Jansénistes et les Philosophes annoncèrent que des mi- racles se t'uisuient par l'intercession de GanQanelli, et qu'ils parlèrent môme de le béatiHer. Celle protection, accordée à un Pape par les incrédules et par les sectaires, ne devait pas recommciider sa mémoire auprès du Saint-Siège; mais Clément XIV n'a jamais mérité cet excès d'indignité. 11 s'est trouvé dans une posilion inextri- cable, entre deux partis égalemeni uniiués; il a favorisé l'un au détriment de l'autre. A sou tribunal , el malgré lui, l'impiété l'a emporté sur le /.èle catholique ; il a donc i\<\ aussitfti devenir, pour les Rncyclopédi'.tis, un ^jrand ciloyeii. Il lié-

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DE LA COMl'AtiNIl!; m JESUS.

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est si l'abolition reste valide ou non. Pour moi, je prononce, sans crainte de me tromper, que le bref qui la détruit est nul, invalide et inique, et que, en conséquence, la Compagnie de Jésus n'est pas détruite. Ce que j'avance ici est appuyé sur quan- tité de preuves dont je nie contente d'alléguer une partie.

» Votre Sainteté le sait aussi bien que messcigneurs les Car- dinaux, et la chose n'est que trop éclatante, au grand scandale du monde. Clément XIV a offert de lui-même et promis aux ennemis des Jésuites ce bref d'abolition tandis qu'il n'était encoro. ({ue personne privée, et avant qu'il ait pu avoir toutes les con- naissances qui regardent cotte grande aiïaire. Depuis, étant Pape, il ne lui a jamais agréé de donner à ce bref une forme authen- thique et telle que les canons la requièrent.

n Une faction d'hommes actuellement en dissension avec Home, et dont tout le but était de troubler et de renverser l'E- glise de Jésus-Christ, a négocié la signature de ce bref, et l'a cnfni extorquée d'un homme déjà trop lié par ses promesses pour oser se dédire et se refuser à une telle injustice.

» Dans cet infâme trafic, on a fait au chef de l'Eglise une violence ouverte; on l'a flatté >ar de fausses promesses et inti- midé par de honteuses menaces.

» On ne découvre dans ce bref nulle marque d'authencité ; il est destitué de toutes les formalités canoniques indispensable- ment requises dans toute sentence défmitive. Ajoutez qu'il n'est adressé à personne, quoiqu'on le donne pour une lettre en forme de bref. 11 est à croire que ce rusé Pape a oublié à dessein toutes les formalités , pour que son bref, qu'il n'a souscrit que malgré lui, parût nul à chacun.

» Dans le jugement définitif et l'exécution du bref , on n'a

ti'issait, il proscrÏTait Ics.lt^sui(cs, sans examen, sans ayrxr entendu leur di^rcnse : un en fil un Pape modèle du fausse tolérance et d'hunianitt. Les amis de l'Institut, d4 leur côté, ne tenant pas assez compte de la situation, adressèrent A ce Punlite des reproches pleins d'amertume. On le calomnia dans les deux camps: ici, en lui accordant dus vertus chimériques; là, en faisant servir son esprit de passe- port à des paroles odieuses ou cruelles. Les uns ont vu dans GanQanelli le plus indulgent et le plus aimable des vicaires de Jésus-Christ ; les autres, un criminel que son ambition avait perdu , et que ses moqueuses railleries o{>\ déshonoré. Son laractèrc, ses mesures administrativtfS, sa facilité a détruire l'ancienne hiérarchie monastique, ont permis uu roman de le déifier; les mOmcs raisons lu firent trop rabaisser par les vrais Catholiques. Clément XIV ne fut ni un suint ni un Qri>!id cou> pable, niuis un homme faible.

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CUAP. V. HISiOlKE

P V

observé uucuiie loi , ni divine, ni cccl6siasli(|uc , ni civile ; au contraire , on y u iolé les lois les plus sacrées t(uc le Souverain- Pontife jure d'observer.

» Les fondements sur lesquels le bref s'appuie ne sont antre cliose que des accusations faciles à détruire , de bonteuses ca- lomnies , de fausses imputations.

n Le bref se contredit : ici il aflîrrne ce qu'il nie ailleurs ; ici il accorde ce qu'il refuse peu après.

» Quant aux vœux , tant solennels que simples , Clément XIV s'attribue, d'un côté, un pouvoir tel qu'aucun pape ne s'est ja- mais attribué; d'un autre côté , par des expressions ambiguës et indécises , il laisse des doutes et des anxiétés sur des points ([ui devraient être le plus clairement déterminés.

» Si l'on considère les motifs de destruction que le bref allè- gue , en en faisant l'application -aux autres Ordres religieux , quel Ordre, sous les mômes prétextes , n'aurait pas à craindre une semblable dissolution? On peut donc le regarder comme un bref tout préparé pour la destruction générale de tous les Ordres religieux.

» Il contredit et annule, autant qu'il peut , beaucoup de bulles et de Constitutions du Saint-Siége, remues et reconnues par toute l'Eglise , sans en donner le motif. Une si téméraire con- damnation des décisions de tant de Pontifes prédécessettrs de Ganganelli peut-elle être supportée par le Saint-Siége ?

» Ce bref a causé un scandale si grand et si général dans l'K- glise qu'il n'y a guère que les impies , les hérétiques , les mau- vais Catholiques et les libertins qui en aient triomphé.

» Ces raisons sullisent pour prouver que ce bref est nul et de nulle valeur, et, par conséquent, que la prétendue sup- pression des Jésuites est injuste et n'a produit aucun efl'et. La Compagnie de Jésiis subsistant donc encore , le Siège apostoli- que, pour la faire paraître de nouveau sur la terre, n'a qu'à le vouloir et parler : aussi je suis dans la persuasion que Votre Sainteté le fera , car je raisonne ainsi :

» Une Société dont les membres tendent à une même lin , qui n'est autre que la gloire de Dieu , qui, pour y arriver, se servent des moyens qu'emploie la Compagnie , qui se confor-

DE LA gumpagme; DI:: jksus.

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rnciit aux règles prescrites par l'Institut , qui s'entretiennent dans l'esprit de la Compagnie, une telle Société, quels que soient son nom, son habit, est très nécessaire à TEglise dans ce siècle de la plus aiïreuse dépravation. Une telle Société n'eût- clic jamais existé, il faudrait l'établir aujourd'hui. L'Eglise, attaquée ai^ seizième siècle par des ennemis furieux , s'est louée des grands services qu'elle a tirés de la Compagnie fondée par saint Ignace. Â la vue de la défection du dix-huitième siècle, l'Eglise voudra-t-elle se priver des services que cette môme Compagnie est encore en état de lui rendre? Le Saint-Siège eut-il jamais plus besoin de généreux défenseurs que dans eu temps oi'i l'impiété et l'irréligion font les derniers efforts pour en ébranler les fondements ? Ces secours, combinés par une So- ciété entière , sont d'autant plus nécessaires que des particuliers , libres de tout engagement , sans avoir été formés sous des lois telles que celles de la Compagnie, sans avoir pris son esprit, ne sont pas capables d'entreprendre et de soutenir les mômes tra- vaux. Il

L'impression que le bref de Clément XIV produisit dî'ns la Catholicité est exprimée par ces deux manifestes , qui réunis- sent Paris et Rome dans le même sentiment. Le bref daté du 21 juillet aurait être promulgué le même jour ; la cour de Vienne en retarda la publication, parce qu'elle craignait (pic les biens des Jésuites ne tombassent entre les mains du Clergé. Joseph II désirait prendre ses mesures pour se les approprier. Ce retard favorisait les incertitudes du Pape : il aurait voulu l'éterniser ; mais Florida-Blanca ne lui en laissa pas le pouvoir. Clément accordait quelque confiance au prélat Macèdonio, son neveu : l'Espagne le mit dans ses intérêts. De concert avec l'ambassadeur et le Père Buontempi , on résolut de livrer un dernier assaut à la volonté chancelante du Souverain-Pontife. Cet assaut fut décisif, et le 16 août 1773 le bref parut. Clé- ment XIV avait nommé une commission pour le faire exécuter. Les cardinaux Corsini, Caraffa, Marefoschi, Zelada et Casali la composèrent. Alfani et Macèdonio leur furent adjoints. Les rô- les avaient été distribués d'avance. L A huit heures du soir toutes les maisons des Jésuites sont

ni)

CIIAP. V. lll8iOIKB

III'

iiivostius pur la garde cursc et par les sbires. On iiulific au Gé- néral de la Cumpagnic et aux Pères le bref de suppression. Al- l'ani et Macéduniu apposent les scellés sur les papiers ainsi ipio sur chaque maison de l'Ordre. Laurent Kicci est transféré au Collège des Anglais ; les Assistants et les Prufés sont disséminés dans d'autres établissements ; puis sous los yeux des deux dé- légués pontificaux, le pillage des églises, des sacristies et dus archives de la Société s'organise. Il dura longtemps, et l'i' mage de cette inertie en tiare accordant l'impunité ù tous les scandales qui en jaillirent ne s'est jamais elVacée de la mémoire des Romains. On avait exproprié les Jésuites; un ne songea pas ù assurer leur existence. La spoliation, entre les mains d'Ali'ani et de Macédonio, prit des allures tellement cyniques ', l'injus- tice marcha si audacieusemcnt tète levée, que le cardinal Mare- fuschi, que ses inimitiés permanentes contre l'Institut avaient t'ait nommer commissaire, s'indigna de tant de cruautés. Pour ne pas autoriser par sa présence des turpitudes de plus d'une sorte, il refusa de siéger dans cette commission.

Le ^22 septembre Clément XIV lit conduire au chi\teau Saiut- An^c le Général, ses Assistants, Comelli, secrétaire de l'Ordre, les Pères Le Forestier, Zaccharia, Gauthier et Kaure. Ce dernier était l'un des plus brillants écrivains de l'Italie. On redoutait la causticité de son esprit et l'énergie de sa raison 2. Ce fut son seul crime ; et les philosophes , qui abusaient de la licence d'é- crire, applaudirent à cet asservissement de la pensée.

' AKaiii el Man^donio nccii paient des poslus i|iii cnntlui^uiciil iiiévilabicnienl iiu cardinalat, l'uur frapper de blàiiic lu l'oiiiluiliï du premier, Pie VI l'ocarta des atrui- rcs, et il fut uiiblii'. Quant ii Miicéduniu , sa disi;r.ii'e devint encore plus marquée. Il était neveu du Pupe défunt, et il est d'usai;e, ti Rume , (|ue'le Pape élu rende le chapeau de cardinal à un membre de la lumillc de sun prOdccesseur. Macéduniu se vit exclu par Pic VI.

* L'interroQntoire du Jésuite se pass.-) en ces ternies. Le niat;i!<lrat instructeur lui dit, dans sun cachot : n M. l'ubbé, il m'est enjoint de vous annoncer que vuus n'êtes ici pour aucun crime. .le le croi» bien , puis(|uc )e n'en ai pat commis.— Vous n'y Ole» même pas pour cerlains écrits que vous ave/ publiés. Je le crois bien encore , puisque, d'abord , il n'y avait pas di f uise d'écrire , et qu'ensuite je ne l'ui fait ((uc pour répondre aux calomnies que l'on vomissait contre la Société dont j'étais membre. Quoi qu'il eu «oit, vous n'éles ici pour rien de tout cela , mais seulement pour vous enipccher d'écrire contre le Bref. Oh '. uli : MiMi>ieur, voila une juri>prudence nouvelle : C'est donc a dire que, si le Saint-I'rre avait craint que je ne volasse , il m'aurait envoyé au\ culères, et , s'il uvuil eu peur (jue je n'a«sa«siuiti>i«i il in'tiurait fait p«udre préveutiveincut. »

nP. LA COMPaGNIF. DF. JF.SUfl.

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Ko Sonvorain-Ponlift' avait \ sa ilispnsitinn los archivas <l<» la Cnm|iagiii('. Los Irltrcs les plus intimes, Ii>h cnrrcspondamos do rhaqiio IWo , los papiers do l'Ordre , ses alVaires , le bilan de sa tortnnc, tout était sous les yeux de la commission, qni se mon- trait implacable; on tortura pur dos interrogatoires captieux les prisonniers qui , tenus dans le plus complet isolement, pouvaient, obsédés par la craintt; ou par le désespoir , se sauver eu faisant d'utiles révélations. Ricci et les Jésuites 'nfermés dans le : hAtean Saint-Ange ne se plaignirent pas de la captivité qu'on leur infligeait. Us déclarèrent qu'ils étaient plus que jrmais enfants de l'obéissance, et que, comme membre de la S <ciété delAsus ou prêtres catholiques, ils n'avaient rien à se reprocha des accusations dont on les chargeait. On leur parla de trésors c ichés dans des .souterrains, de leur insoumission .v.ir. volontés du Pape; ces vieillards, courbés sous le poids les .'nnées, se- couèrent leurs chaînes en souriant tristement , et ils répondi- rent : « Vous avez les clefs de toutes nos affaires, de tous nos secrets ; s'il y a des trésors, vous devez nécessairement en saisir la trace. » On cherchait partout ; l'avidité d'Alfani et de Macé- donio ne se lassait jamais; la conscience troublée de Clément XIV aurait voulu justifler sa partialité en découvrant quelque trame mystérieuse. Tout fut inutile. Le procès contre les Jésuites em- barrassait beaucoup plus les cardinaux magistrats que les accusés eux-mêmes ; on résolut de le faire traîner en longueur. Ce fut alors qu'on exhuma les paroles, mc que sacramentelles, mises dans la bouche de Ricci , ce fameux oint ut sunt^ aut non tint ', qui n'a jamais été prononcé , mais que tous les Pères de l'In- stitut ont pensé, car il était l<i conséquence de leurs vœux et de leur vie.

Clément XIV, dans des prévisions d'avenir, n^avait pas osé engager l'Eglise d'une manière trop solennelle. Il avait toujours

< CVst Caraccioli , dans son roman sur Clitmpnl XIV, qui alliibue au Père Ricci co mot devenu célèbre. Le Gi'néral dej Jésuites ne l'a jamais prononcé de- vaut le Pape Clément XIV, puisqu'il lui fut impossible de l'cnlrelenir depuis son élévation au siège de Pierre. Ces paroles sont probablement tombées de la bouche deClémeut Xlll, lorsqu'en 1761 le cardinal de Rochechouarl, ambassadeur de France à Home, lui demandait de modifier essentiellement les Con»lilulioni de l'Ordre. On voulait un Supérieur particulier pour les Jésuites français; alors le Pape, rési- lant à ces innovations proposées , nuruil dit : « Qu'ili soicnl re qu'ils sont ou qu'ils ne sitirni plus ! »

V. 21

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CIIAP. V. HISTOIRE

refusé de rendre une bulle pour la dissolution de la Société de Jésus, et sa sentence parut sou* forme de bref*, comme plus facile à révoquer. Ce bref ne fut pas dénoncé aux Jésuites selon la coutume canonique; on ne TafTicha ni au champ de Flore ni aux portes de la basilique de Saint-Pierre. L'Eglise gallicane refusait de l'accepter. Le roi d'Espagne le regarda comme in- suffii^ant. La cour de Naples défendit de le promulguer sous peine de mort. Marie-Thérèse, en se réservant tous ses droits, c'est-à-dire en laissant Joseph II s'emparer des cinquante mil- lions de biens possédés par les Jésuites , concourut purement et simplement aux vues du Pape pour le maintien de la tranquillité de l'Eglise. La Pologne résista pendant quelque temps ; mais les vieux Cantons suisses ne consentirent pas aussi facilement à se soumettre. L'exécution du bref leur paraissait dangereuse pour la Religion catholique. Ils en écrivirent à Clément XIV. Dans cet intervalle , les disciples de l'Institut s'étaient sécularisés par obéissance; Luceme, Fribourg et Soleure ne permirent jamais qu'ils abandonnassent leurs collèges. Ainsi le décret pon- tifical ne satisfaisait ni les amitiés ni les haines catholiques ; il ne fut loué que par Pombal et par les Philosophes. Le Pape eut le malheur de devenir un grand homme aux yeux des Calvinistes de Hollande et des Jansénistes d'Utrecht , qui firent frapper une médaille en son honneur. Cette flétrissure, dont ses vertus s'indignèrent, fut sensible au cœur de Ganganelli; en apprenant la joie des ennemis de la Religion , il comprit toute l'étendue de son erreur , mais il s'était placé dans l'impossibilité de la réparer.

t Un bref est une IcUre que le Pape écrit aux rois , princes ou magistrats , et quelquefois à de simples particuliers : on a coutume de l'expédier en papier, sur des affaires hrièves, légères et succinctes. La matière des bulles est ordinairement plus importante ; leur forme est plus ample ; elles sont toujours écrites sur parche- min. Quand le Pape est mort, on n'expédie plus de bulles pendant la vacance du Siège. Le nouveau Pontife lui-même s'abstient de cette forme plus solennelle avant son couronnement : il ne donne alors que des brefs ou des demi-bulles (semi-bolle ou mezze-bolle), nom dérivé du cp.chut en plomb qui les accompagne pendu avec uneflcclle, et dont une des faces est alors sans inscription. Dans les bulles propre- ment dites, ce cachet représente d'un côté les têtes de saint Pierre et de saint Paul « et de l'autre il porte le nom du Pape régnant : mais dans les demi-bulles, il n'y a que l'image des apôtres. Diziouario di erudizione storico-ecclesiastica , etc., compilalo del cavalière Gaetano Moroni , au mot BoUa, paragraphes 1 et 8, t. v, p. 277 et 281 ; au mot Brève, g 1, t. vi, p. H7.

DE LA COMPAGNIE DE JESUS.

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Is, et sur

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ice du avant bolle

u avec opre- PiuU n'y a etc., ,«.v,

Il no lui restait plus qu'à mourir ; on tira de sa mort une (lumière calomnie contre l'Ordre de Jésus. Schœll raconte * : K Clément XIV , dont la santé , selon la remarque de plusieurs écrivains, commença à dépérir depuis la signature du bref, mourut le 22 septembre 1774, âgé de prés de soixante-neuf ans. Après Touvarture de son corps, qui se lit devant un grand nombre de curieux, les médecins déclarèrent que la maladie à 4aquelle il avait succombé provenait de dispositions scorbutiques et hémorroïdales , dont il était affecté depuis longues années , et qui étaient devenues mortelles par un travail excessif et par la coutume qu'il avait prise de provoquer artificiellement des sueurs fortes, même dans les grandes chaleurs. Cependant les personnes formant ce qu'on appelait le parti espagnol répandirent un tas de fables pour faire croire qu'il avait été empoisonné avec de l'eau de Tûiana , production imaginaire dont beaucoup d'ignorants ont parlé , et que personne n'a jamais vue ni connue. On fit circuler une quantité de pamphlets qui accusaient les Jésuites d'être le) auteurs d'un crime dont l'existence ne repose sur aucun fait quu l'histoire puisse admettre. »

Quelques Catholiques n'ont pas eu la loyale discrétion de l'historien protestant; à leurs yeux Clément XIV est bien mort empoisonné. Pour établir cette hypothèse, qui devait tout na- turellement se transformer en certitude, puisqu'elle servait à dépopulariser la Compagnie de Jésus , on évoqua toute espèce de conjectures. On donna un rôle important à une villageoise de Valentano nommée Bernardine Renzi , fille chrétienne , qui li« sait, disait-on, dans l'avenir et qui annonça jour pour jour la mort du Souverain-Pontife. De ce fait , assez peu rare dans les annales de l'Eglise, on tira d'étranges déductions. Bernardine prophétisait que le Saint-Siège serait bientôt vacant , et qu'elle ne tarderait pas ù être arrêtée. « Ganganclli, disait-elle, me tiendra en captivité, Braschime délivrera. » Deux Jésuites , les Pères Coltraro et Venissa , furent soupçonnés , avec son confes- seur, de répandre les prédictions de cette femme. La force armée les écroua au château Saint-Ânge; Bernardine fut à son tour privige de la liberté. La plupart de ces faits se passaient

' Cours d'hittoire des Btats etiropéenu, \, xi.iv, p. 8«,

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CHAI». V. mSTOIIlE

avant le 21 juillet 1773. L'empoisonnement de Clément XIV eût été alors un crime utile aux Jésuites ; on pourrait le com- prendre tout en le réprouvant ; mais , après le bref, que leur importait la vie ou la mort du Pape? Quand des hommes aussi habiles qu'on les suppose se décident à un forfait, ce n'est pas pour consacrer un fait accompli qu'ils se font coupables, mais pour le prévenir. Les Jésuites n'ont pas tué Ganganelli quand son décès leur était avantageux, lorsqu'ils étaient encore de-- bout. Est-il possible, est-il présumable qu'ils l'aient empoisonné quand leurs supérieurs languissaient dans les fers , et quand eux-mêmes, dispersés et ruinés, subissaient leur destin avec une simplicité d'enfants?

On avait prétendu que les Philosophes et Choiseul avaient fait mourir le fils du roi de France et le Pape Rezzonico. C'é- tait une calomnie et une invraisemblance, l'histoire les repousse toutes deux avec dédain. On a affirmé sans preuves, sur de vagues soupçons nés d'une haine inexplicable, que la mort de Ganganelli avait offert diiférents symptômes d'empoisonnement, et que lui-même, dans son agonie, avait proclamé qu'il mourait victime. Cette agonie fut, il est vrai, aussi longue que doulou- reuse : elle commença le jour il s'assit sur la Chaire aposto- lique, elle ne se termina qu'avec son dernier soupir. Il y eut dans ce Pontife, peu fait pour la lutte, un combat intérieur qui dévora les restes de sa vie ; combat affreux, car la faiblesse était aux prises avec la justice. 11 résista, il atermoya autant que les ressources de son imagination le permirent ; il espéra toujours que Cl calice d'amertume, présenté par les princes de la maison de Bourbon, serait éloigné de ses lèvres ; mais, à l'arrivée du comte de Florida-Blanca, ses angoisses redoublèrent. L'ambas- sadeur espagnol fut le bourreau de l'homme ; le remords acheva le Pontife.

Il avait dit en signant le bref : « Questa suppressions mi dara la mortel » Longtemps après l'avoir promulgué, on le voyait errer dans ses appartements et s'écrier à travers les sanglots : « Grâce ! grâce ! on m'a fait violence. Compuhm feci! compulsus feci* ! » Déplorable aveu qu'im nobhî repen*

1 M. lie Sninl-Pricsl, liisloire (f<- la Chute di!s JésiiUes.

DE LA COMl'AGMË DE JESIS.

325

tir iirruchait à la démence. Le Pape mourait t'ou, mais ce n'é- taii pas la chimérique acqua di Tofana qui corrompait soti sang, qui brûlait se? entrailles, qui faisait de son sommeil la plus cruelle des agitations. Ënfm, le "tî septembre 1774, la raison revint îi Clément XIV, mais avec la mort. A ce suprême moment, la plénitude de son intelligence lui fut rendue. On l'avait forcé à créer in petto onze cardinaux imposés par les ennemis de la Société de Jésus. Malvez/à veut profiter do celte sérénité dont il n'a pas le secret. 11 supplie le Pape d'achever son œuvre en confirmant les promotions qui seront nécessaires aux puissances dans le prochain Conclave. La justice était enfm descendue sur I9 tète du Pontife. 11 avait la conscience du pro> dige que le Ciel accomplissait en sa faveur ; il s'en montra digne en refusant d'accéder à la demande du cardinal, a Je ne le puis ni iie le dois, répondit-il, et le Seigneur jugera mes motifs. » Malvezzi et ses complices insistaient. « Non, non, s'écria le Pape, je vais à rEternitc, et je sais pourquoi. »

Une lettre de Joseph Gavazzi, créature du cardinal Mal- vezzi, ne laisse aucune incertitude sur ce fait. Le 29 septembre 1774, Gavazzi mande de Bologne à Nicolas Pagliarini, l'agent de Pombal : « Il m'est revenu en mémoire de vous dire que le pauvre Monsignor Macédonio, qui avait été cru par tout le monde cardinal in petto , reste , comme on écrit de Rome , sacrifié , et déjà on parle de l'envoyer gouverneur à Urbino. Grande affaire ! il n'a pas été possible d'obtenir du Pape la nomination des cardinaux in petto., bien que par deux fois l'éminentissime Malvezzi et d'autres se soient jetés à ses pieds en le suppliant de les nommer. Mais si Malvezzi est Pape , Macédonio aura tout de suite la pourpre , parce qu'il l'aime et qu'il connaît son mérite. En somme, tout est désordre, et Dieu veuille que les choses soient remises à leur place par le nouveau Pontificat. »

Ce refus, si providentiellement constaté et si extraordinaire dans un Souverain-Pontife qui avait tant accordé, paraissait inexplicable. Il se fit avec un courage que semblait doubler l'approche des jugements de Dieu, et Ganganelli expira sain- tement comme il aurait toujours vécu, s'il n'eût pas mis une

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340

CIIAI*. \.

IIISTOIUË

II

heure d'ambition et un désir d'iniquité entre pourpre et la tiare.

Six jours vrds ce trépas, le cardinal de Bernis, qui avait intérêt à prémunir le jeune roi Louis XVI contre les Jésuites, écrivait au i»ini'tre des affaires étrangères: « Le genre de maladie du i-ape et surtout les circonstances de sa mort font croire communément qu'elle n'a pas été naturelle... Les mé- decins qui ont assisté à l'ouverture du cadavre s'expriment avec prudence, et les chirurgiens avec moins de circonspection. II vaut mieux croire à la relation des premiers que de chercher à éclaircir une vérité trop affligeante, et qu'il serait peut-être fâcheux de découvrir. » Le même jour, un des complices du cardinal de Bernis , l'agent le plus actif du cardinal Malvczzi, écrit à Nicolas Pagliarini, secrétaire de Pombal. Sa lettre est toute confidentielle ; il ne soupçonne pas qu'un jour elle pourra déposer devant l'histoire, et Gavazzi donne sans s'en douter !o plus complet démenti à ces bruits d'empoisonnement : « Notre Saint-Père Clément XIV, de glorieuse mémoire, ainsi s'exprime Gavazzi , est mort, comme tout le monde le dit, à force lie souf- frances, et non de poison comme quelques-uns l'ont prétendu. »

Le 26 octobre, les soupçons que Bernis a laissés entrevoir se confirment dans son esprit, il veut les faire passer dans celui du roi. Il mande au ministre : « Quand on sera instruit autant que je le suis, d'après les documents certains que le feu Pape m'a communiqués, on trouvera la suppression bien juste et bien nécessaire. Les circonstances qui ont précédé, accompagné et suivi la mort du dernier Pape, excitent également l'horreur et la compassion. Je rassemble -actuellement les vraies circon- stances de la maladie et de la mort de Clément XIV, qui , Vi- caire de Jésus'Christ , a prié , comme le Rédempteur, pour ses plus implacables ennemis , et qui a poussé la délicatesse de con- science au point de ne laisser échapper qu'à peine les cruels soupçons dont il était dévoré depuis la Semaine SainCe , époque de sa maladie. On ne peut pas dissimuler au roi des vérités , quelque tristes qu'elles soient, qui seront consacrées dai..> l'histoire. »

Les philosophes connaissaient lu correspondance de Bernis ,

UE LA COMPAUMb DK. JLSUS.

3-27

ils savaient les inquiéliidos qu'elle recèle ; il était de loiir avan- tage de les propager. D'Alembert essaie de faire peur à Fré- déric H de la terrible milice qui, après avoir enseigné la doc- trine du régicide, ose évoquer des Locustes jusque sous les lambris du Vatican. Le 45 novembre 1774, le roi de Prusse rassure en cas termes le sophiste français * : « Je vous prie de ne pas ajouter foi légèrement aux calomnies qu'on répand contre nos bo Pères. Rien de plus faux que le bruit qui a couru de l'em^joisonnement du Pape. Il s'est fort chagiiné de ce qu'en annonçant aux cardinaux la restitution d'Avignon, personne ne l'en a félicité, et de ce qu'une nouvelle aussi avantageuse au Saint-Siège a été reçue avec autant de froideur. Une petite fille a prophétisé qu'on l'empoisonnerait tel jour; mais, croyez-vous cette petite fdle inspirée? Le Pape n'est point mort en conséquence de cette prophétie, mais d'un des- sèchement total des sucs. Il a été ouvert, et on n'a pas trouvé le moindre indice de poison. Mais il s'est souvent reproché la faiblesse qu'il a eue de sacrifier un Ordre tel ^ue celui des Jé- suites à la fantaisie de ses enfants rebelles. Il a été d'une hu- meur chagrine et brusque les derniers temps de sa vie, ce qui a contribué î. raccourcir ses jours. »

Bernis invoque la conscience future de l'histoire ; l'histoire * a parlé comme Frédéric ÏI. Les Protestants eux-mômes l'ont écrite sous la dictée de leurs préjugés anti-jésuitiques, et elle disculpe les Pères de la Compagnie du crime dont Bernis tente

' Œuvres philosophiques de d'/élemhert. Correspondance, I. xvui.

< Un écriruin italien , Becratini , rapporte, dans son Histoire de Pic f'I, les di- vers bruits qui coururent à Rume et dans îe inonde lors du trépas de Clément XIV; puis il ajoute : « Maintenant personne ne soutient celte hypothèse, et le cardinal du Bernis, après avoii parti pour l'cinpoi^onnement , a avoué souvent qu'il n'en croyait plus rien. » (..^oria di Pio FI, 1. 1, p. 34.)

(^ancellieri, l'un des savants les plus distingués de l'Italie, et qui mourut en 1826, confirme, aux pagts 109 et 5(5 de sa Storia di sole uni possessi dei summi Pon- tiftci, le récit de la mort naturelle de Clément XIV, et il dit : « Qu'à cause de l'àcreté et de la corruption des humeurs dans le corps du Pape défunt, il no put être exposé, selon la coutume, les trois premiers jours, les pieds découverts. «

Le comte Joseph de Gorani , cet écrivain milanais qui embrassa avec tant d'ar- deur la cause de la Révolution française et qui fut un adversaire si prononcé du l'Eglise et des Jésuites , nie l'empoisonnement de Clément XIV, dans ses Mémoires secrets et critiques des cours et des gouvernements de l'Italie. Voir dans rouvragedu Père Curci contre Giubcrti , Una Divinazionc .. les auloritc's pro c{ contra, t. ii, p. 550.

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CHAI'. V.

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(le les charger. U s'efibrçait de s'appuyer sur h îàooignage plus ou moins circonspect des hommes de l'art ; ce iérroi^^nai^c lui fit défaut. Les docteurs Noël Salicetti et A iHi'iUi, l'un mé- decin du palais apostolique, l'autre médecir^ ordinaijc du Papô, décrivirent dans un rapport circonstancié les cau-ses» et les efti^t* de la maladie de Clément Xi¥. Ils le remirei i entre les mains du prélat Ârchinto, majord(irr<e de Ganganelli , et ce mémoire , daté du 11 décembre 1774, conclut dans ioiUes ses parties en faveur d'une mort naturelle. U se t^tmine ainsi : « l\ n'y aurait rieu d'étrange qu'après vingî - huit pu trcnlo'!"ures les chairs se fussent trouvées dans une grande pytréfaotion. On sait qu'alors la chaleur était excessive et qu'il soufflait un vent bt'ùlaïîc , bien capable de produire et d'augmenter la corruption et! hm de temps. Si, parmi le tumulte que causa dans la rti ùlitude eu fâcheux événement, on eût fait attention à l'im- pression que fait le vent du midi sur los cadavres, même em- baumés, comme le sont d'ordinaire ceux des Souverains-Pon- tifes, à l'ouverture et à la dissection de toutes les parties examinées à loisir et remises ensuite à leur place naturelle, il ne se fût pas répandu dans le public tant de faux bruits, la populace étant naturellement portée à adopter le merveilleux des opinions extraordinaires.

» Voilà mon sentiment au sujet de cette maladie mortelle , qui a commencé lentement, duré longtemps, dont nous avons reconnu les symptômes non équivoques, mais clairs et palpa- bles, dans l'ouverture qui s'est faite du corps en présentée de presque tout un public ; et ceux qui y ont assisté, pour peu qu'ils soient clairvoyants, exempts de prévention et dégagés de tout esprit de parti, ont reconnaître que l'altération des parties nobles ne doit légitimement s'attribuer qu'à des causes purement naturelles. Je me croirais coupable d'un grand crime si, dans une affaire d'une aussi majeure importance, je ne rendais pas à la vérité toute la justice qu'on est en droit d'at- tendre d'un homme de probité, tel que je me flatte de l'être. »

L'honneur et la science donnaient un démenti ofllciel aux suppositions que la calomnie était intéressée à répandre. Battue sur un point, elle se replia sur un autre. Le Père Marzoni,

m LA COMI'AGME DE JESUS.

329

Général des Conventuels de Saint-Franvois , était l'ami, l'an- cien confesseur de Clément XIV. Le Souverain-Pontife avait appartenu & cet Institut, et Marzoni, qui ne s'était pas séparé de lui pendant cette longue agonie , n'avait jamais été suspect de partialité à l'égard des Jésuites. On profita de ces circon- stîmcei^; on fit courir le bruit en Europe que le Pape avait confié à Marzoni qu'il croyait mourir empoisonné. Les enfants de saii.* Ignace étaient épars sur la terre, leurs adversaires de France ei d'Espagne jouissaient à Rome d'un crédit extraor- dinaire; le Général des Cordcliers ne recula pas néanmoins devant l'accomplissement d'un devoir. Le tribunal de l'Inqui- sition l'interrogeait ; il répondit par la déclaration suivante :

c Moi , soussigné , Ministre général de l'Ordre des Conven- tuels de Saint-François , sachant bien que par le serment on prend à témoin de ce qu'on jure le Dieu souverain et infini- ment vrai ; moi , certain de ce que j'assure , sans aucune con- trainte , en présence du Dieu qui sait que je ne mens pas , par ces paroles pleines de vérité, écrites et tracées de ma propre main , je jure et atteste à tout l'univers que , dans aucune cir- constance quelconque , Clément XIV ne m'a jamais dit, ou avoir été empoisonné , ou avoir éprouvé les moindres atteintes du poison. Je jure aussi que jamais je n'ai dit , à qui que ce soit , que ce même Clément XIV m'ait fait la confidence , ou qu'il avait été empoisonné , ou qu'il avait éprouvé les moindres atteintes du poison. Dieu m'est témoin.

B Donné dans le couvent des Douze-Apôtres de Rome , ce

27 juillet 1775.

» Moi , Frère Louis-Marie Marzoni ,

Ministre Général de l'Ordre. »

Clément XIV ne' mourut pas de la main des Jésuites ; le le fait est attesté par les Protestants, par ses médecins , par ses amis, et surtout par l'évidence des faits; mais les Jésuites sont restés sous le bref qu'il a porté. On a entraîné le Pape au-delà de ses prévisions ; on Va poussé vers l'abîme en flattant son besoin de popularité; on l'a tué afin d'escalader le Saint-Siège

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et d'arriver plus vite à la révolulion qu'on préparait. Les Jé- suites n'existent plus ; les rois catholiques ont pris des enga- gements contre eux. Les passions de Charles 111 , l'avidité de Joseph II , la jeunesse de Louis XVI , rendent impossible leur réhabilitation ; les couronnes ne font plus mystère de leur in- différence, et le cardinal Ange Braschi est nommé Pape le 15 février 1775. Il avait toujours affectionné l'Institut et ses pre- miers maîtres ; il ne taisait pas ses regrets de disciple et de pontife ; il n'en fut pas moins élu à l'unaninnté. Il vénérait la mémoire de son prédécesseur , et , quoique avec un caractère tout opposé , il avait assez de vertus , de courage , de grandeur et de majesté pour le faire oublier, ou pour réparer son erreur.

Pie VI , dont le peuple romain saluait avec amour l'avéne- ment, dont il aimait le faste et la charité, comprit , en montant sur le trône , l'inextricable position dans laquelle Ganganelli s'était engagé. Clément XIV avait , à son insu , jeté un long ferment de discorde dans l'Eglise : en dissolvant l'Ordre de saint Ignace de Loyola, sans le juger, sans le condamner, il avait mis en doute l'œuvre de tous les Pontifes, depuis Paul III jusqu'à Clément XIII. Par un sentiment de convenance sacer- dotale et politique, Pie VI respecta ce que Ganganelli avait fait. II ne lui était pas possible de ressusciter un Institut que son prédécesseur avait , selon lui , si fatalement tué ; il ne pou- vait qu'adoucir le sort des Jésuites. Par un in[,';iiieux artilicc d'humanité , il décida que leur procès serait continué et mené à sa fin.

En face de ce roi de l'Eglise , beau de sérénité et brillant sous l'auréole populaire , Florida-Blanca sentait que son âpreté et ses menaces seraient inutiles. Il 'xigeait néanmoins que le Général et les supérieurs des Jésuites subissent le jugement de la cour de Rome ; c'était une satisfaction qu'il s'accordait à lui-même. Pie VI ne la lui refusa pas. Sûr de l'innocence des Pères, il voulut que la commission formée par Clément XIV sous l'influence de l'Espagne fût condamnée à flétrir ou à ab- soudre la Société de saint Ignace. Cette commission savait qu'il lui était désormais interdit de tromper la vigilance du Pape : elle agissait sous ses yeux , elle avait entre les mains

Dfe; LA CUMl'AGMK DK JKl'.US.

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tous lus documents pour rendre su sentence , et l'ie Vi la pres- sait de àii prononcer. Elle différa autant qu'elle put ; elle fut enfin contrainte d'ôtre juste; et, peu après la mort du Général des Jésuites , elle acquitt;i es hommes qu'elle avait si cruelle- ment accusés '.

Ilicci, captif, était une proie dévolue à l'Espagne. A peine Clément XIV eut-il fermé les yeux, que Florida-Blanca ac- courut au palais du cardinal Albani , doyen du Sacré-Collége , et qu'il lui dit : « Le Roi , mon maître, entend que vous lui répondiez; des Jésuites prisonniers au cliAtcau Saint-Ange; il ne veut pas qu'on les rende à la liberté. » Pie VI connaissait la pers: érance des inimitiés de Charles III , il s'ingénia à sou- lager les victimes que le Bourbon se réservait. Le monarque catholique se montrait sans pitié , le Vicaire de Jésus-Christ osa être équitable. Ilicci ne pouvait pas être jugé, car il aurait été acquitté. Pie VI entoura sa prison de toutes les faveurs compatibles avec la privation de la liberté; il le plaignit, il accorda à ses vertus des témoignages publics d'estime. Il nour- rissait môme la pensée de sa délivrance , lorsqu'au mois de novembre 1775 le Général des Jésuites n'eut plus la force de

I Nous avons sous les yeux les pièces et documenls qui servirent h t'diiler cet «l'IrauBC procès. Les charges de l'cccusaliun , les inlerrooaloircs des prévenus ont éUS cunipulsès par nous avec une curiosité tout histiiri<|ue, car nous espérions faire surgir de co dossier oublié quelque indice révélateur. Nous devons avouer que les charges se réduisent à des fuliiités qui, dans l'état ordinaire des choses, n'au- raient pas même besoin de l'intervention d'un juge de paix. Ces incriminations se résument ainsi : les Jésuites ont fait ou faire quelques démarches auprès de l'impératrice Marie-Thérèse pour l'engager à user, en leur faveur, de son crédit auprès de Clément XIV. Ils pouvaient avoir conseillé à l'impératrice de pousser jusqu'à la menace. Us ont obtenu la protection de Catherine de Russie et de Fré- déric 11 de Prusse. Ils ont dA encore tenter de soulever les Evoques contre le Saint- Siège.

dette triple accusation ue prouve pas lu culpabilité antérieure des Jésuites. On le coalise pour les détruire sans motifs; ils cherchent les moyens d'empêcher leur suppression; on les attaque, ils se défendent. C'est le seul crime qui leur soit reproché. Le rtpport se termine ainsi : « Ce sont, en abrégé, 1rs principales raisons de continuer la procédure contre les prisonniers, le Général et Assistants, lesquels, dans les premiers jours de leur emprisonnement, et avant que l'on eût Uni l'examen des papiers que l'on rassemblait, n'ont été presque interrogés que sur des points généraux, h

A Rome , on n'impute aux Jésuites que d'avoir essayé de conjurer l'orage que les rois de la maison de Bourbon amassaient sur leur tète, et, pour étayer cette accusation, voici quelques-unes des lettres les plus compromettantes que la com- mission judiciaire évoqua.

Le 30 janvier I77J, Laurent Ricci écrivait au Père Ignace Pintus , k Johannis- berg : « Votre lettre m'a graudemcut surpris et a ajouté une extrême afUicUou à

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supporter les douleurs qui le consumaient. I.e ni;i! lit ties pro- grès rapides. Ricci ne se cacha point que la mort approchait ; il demanda le saint Viatique. Lorsque le malade se trouva eu présence du son Dieu , des officiers , des soldats et des pri- sonniers du cliAtcau Saint-Ange , ce père de famille , dont lu postérité encore Jeune était condamnée à une dispersion stérile , ne voulut pas mourir sans dire adieu h ses enfants , sans par- donner h leurs ennemis.

N L'incertitude du temps auquel il plaira à Pieu de m'appcler a\ lui , dit-il devant ces témoins , et la certitude que ce temps est proche, attendu mon Age avancé, et la multitude , la longue durée et la grandeur de mes souffrances trop supérieures k ma faiblesse, m'avertissent de remplir d'avance mes devoirs , pouvant facilement arriver que la nature de ma dernière maladie m'emptche de les remplir à l'article de la mort. Partant, me considérant sur le point de comparaître au tribunal de l'infail- lible vérité et justice, qui est le seul tribunal de Dieu, après une

(oulcs celles qui m'accablent. Il courait dt'jà dans Rome une Icllre de sa Majestti lo 10! de Prusse à M. ti'Ale.nbeii, dans laquelle il est dit que je lui ai envoyé un am- bassadeur p -ur le prier de se di'clarcr ouverlcinent protecteur de la Compagnie. Je nit'is d'avoir donné cello commission , mais pcut-ôtre quelqu'un , profilant de I -casion de Taire sa cour a Sa Majesté, lui avait rccommamié en mon nom la Com- pagnie. Si la chose était arrivée ainsi, je l'aurais approuvée; mais jamais un simple particulier, sans commission du supérieur, ne devait aller, en son nom, à celle lin etavec l'éclat que porte un tel fait. J'excuse celui qui, là-bas, vous a conseillé; le (rouble empéciic de pouvoir bien réfléchir. Le Père du Collège Romain n'a nulle autorité de suggérer de faire des commissions en mou nom, ni les autres de s'en ocquitter sans mon consentement. Pour deux personnes que Votre Révérence me cite, je lui en citerai plusieurs qui sont.au fuit de la cour de Rome, et qui ne se lassent pas détre surprises d'un fait qui nous expose à la division et qui témoigne à tout le monde l'indifTércnce de Sa Majesté, qu'on ne croyait pas auparavant, et qui peut déplaire à d'autres princes, toutes choses qui facilitent notre ruine. Je sais i|ue quelques-uns foivt des démarches de leur propre mouvement , parce qu'ils disent ; « Les supérieurs nu font rien. » Je loue ce /éle , et tant qu'ils ne font que des démarches innocentes et qu'ils n'emploient pas le nom de supérieur, je loue de môme leurs opérations Au reste, i!8 sont dans l'erreur, car les supérieurs écoutent des gens très-sages du dedans et du dehors, et c'est pourquoi ils ne font pas des démarches imprudentes; ils ont fait tout ce qu'il était possible de faire prudem- ment, et ils ne doivent pos (iire tout ce qu'ils font.»

Le même Général avait , !•' 31 octobre 1772, adresse au Père Cordara les conseils suivants : « A mon avis, un ne doit pas s'arrêter aux motifs de crainte que donnent les bruits qui courent sur nos allaircs; non que je puisse rien assurer, car on agit dans .iii si grand secret qu'il dérobe tout dessein à la connaissance des personnes les plus respectables , mais parce que je pense que les bruits cl les craintes ne doi- vent pas nous servir de règle. »

Le Pcre Xavier de Panigai mandait de Ravenne, le 4 juilleî 1773, au Père Gorgo, Assistant d'Italie : «Mon très-révérend Père, les nouvelles q'.ii nous sont parvenue» ici dornicrement, de lii-bas et de personnes dignes de toute fui , sont

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longue ot niMPO (li;lili^>r;ilion, nprrs nvnir priA Ininililoinenl mon trrs-miséricordienx Uédcmpleur et terrible Juge (ju'îl ne per- mcltu pus que je me bisse contliiire pur la passion, spéciale- ment dans uns des dernières actions de ma vie, ni par aucune amertume de cœur, ni par aucune uutre udection ou fm vicieuse, mais seulement parce que je juge que c'est mon devoir de ren- dre témoignage h la vérité et à l'innocence, je fais les deux sui- vantes déclarations et protestations :

» Premièrement : Je déclare et proteste que la Compagnie de Jésus éteinte n'a donné aucun sujet h sa suppression. Je le déclare et proteste avec cette certitude que peut avoir morale- ment un supérieur bien informé de ce qui se passe dans son Ordre.

« Secondement : Je déclare et proteste que je n'ai donné aucun sujet, même le plus léger, à mon emprisonnement. Je le déclare et proteste avec cette souveraine certitude et évi- dence que chucun a de ses propres actions. Je fais cette seconde

que la bulle contre la Compasnie est di'jà faite, et, qui plus est, qu'elle est dlirama- toiro ; que l'on a di'jà nommé une CongrOption compostée de cinq cardinaux, qui sont : Corsini, Marefoschi , Zelada, Sinioni et CarafTa di Trajelto , et deux prMals, Alfani et Pallolta, pour disposer premièrement les choses b l'exôculion de la bulle et pour veiller, après sa publication , b son entier accomplissement. Cette Conori'- Batiou, ou s'assemblaut ou devant s'assembler dans le lieu se tient la Rote pen- dant les vacances , a fait nnUre , b plusieurs personnes graves qui nous sont affec- tionnées, l'idée que chaque recteur, pour ses Religieux, présente ii son Evéque respectif une requi-te contenant les noms de chacun d'eux , par laquelle, après avoir énuméré les circonstances actuelles, l'incertitude de pouvoir aller en avant et la crainte d'être obligés de s'expatrier, on supplie le prélat de vouloir bien accorder il cliicun un certiilcat en bonne forme qui atteste de leurs bonnes vie et mœurs et saine doctrine, atln que, dans le cas supposé, ils , aisont, avec rc certiilcat, se présenter aux Evoques de leurs villes cl Ctrc emp!t>yéf, rir eux. Votre Révérence comprend de quelle utilité peuvent être un jour, va»' <*hi' le corps de la Compa- gnie, tant ces requêtes que ces attestations, el cni.>i!>) i il est essentiel que chaque individu en soit pourvu dans tous les cas. J'écris c^; soir, sur le même sujet, à notre révérend Père Provincial. Si Votre Révérence le Jugé a propos, elle peut commu- niquer cette idée à notre Général et au Père Provincial de la Province romaine, el en faire part à tous les chefs des autres Provinces; mais il ne faut pas perdre de temps, car le coup est fort près. »

C'Cht il obtenir un certificat de bonnes vie A moeurs que se réduit tout ce complot, pour lequel on a jeté dans les fers le Général des Jésuites et ses Assistants. Pombal, (^lioiscul, d'Aranda etTanucci ont entre les mains le* archives de la Compagnie ; à Home, Clément XIV a sous les yeux la correspondance de tous les Généraux , depuis saint Ignace jusqu'à Ricci. Les magistrat^ instructeurs peuvent, dans ces lettres intimes, dans les papiers de l'Ordre, saisir la trace de quelque fait accusa leur. Tout est en leur pouvoir, et ils n'apportent, comme les plus fortes preuves de culpabilité des Jésuites, que ces pièces cl d'autres srmbliibles, dont l'insigiiillance e^t presque dorifoiic en face des itnpntalionç.

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prntpstalinn snilcmonl jtnrcp (in'cll»* est ntVossairo :\ I;i n'piita- lion tif la Compagnie de Jésus (Hcinlc, dont j'étais lo SnpéricMir général.

» Je ne prétends pas, du reste, ([u'eii conséquence de ces miennes protestations on puisse juger coupable devant Dieu aucun de ceux qui ont porté dommage h la Compagnie de Jé- sus ou h moi, comme aussi je m'abstiens d'un semblable juge- ment. Los pensées de l'Iiommo s(mt connues de Dieu seul ; lui seul voit les erreurs de l'entendement humain, et discerne si elles sont telles qu'elles excusent le péché ; lui seid pénétre les motifs qui font agir, rcs[)rit dans lequel on agit, les affections et les mouvements du c(pur qui accompagnent l'action ; et, puisque de tout cela dépend l'innocence ou la malice d'une action antérieure, j'en laisse tout le jugement à celui qui inter- rogera les œuvres et sondera les pensées.

» Et pour satisfaire au devoir de Chrétien, je proteste qu'avec le secours de Dieu j'ai toujours pardonné et que je pardonne sincèrement à ceux qui m'ont tourmenté et lésé ; premièrement, par tous les maux dont on a accablé la Compagnie de Jésus, et par les rigueurs dont on a usé envers les Religieux qui la com- posaient ; ensuite par l'extinction de la môme Compagnie et par les circonstances qui ont accompagné cette extinction ; enfm par mon emprisonnement et par les duretés qui y ont été ajoutées, et par le préjudice que cela a porté ù ma réputation ; faits qui sont publics et notoires dans tout l'univers. Je prie le Seigneur de pardonner d'abord à moi par sa pure bonté et miséricorde, et par les mérites de Jésus-Christ, mes très-nombreux péchés ; et ensuite de pardonner à tous les auteurs et coopérateurs des susdits maux et torts ; et je veux mourir avec ce sentiment et cette prière dans le cœur.

» Finalement, je prie et conjure quiconque verra ces miennes déclarations et protestations de les rendre publiques dans tout l'univers autant qu'il le pourra; je l'en prie et conjure par tous les titres d'humanité, de justice, de charité chrétienne, qui peu- vent persuader à chacun l'accomplissement de ce mien désir et volonté.

» Laurent Uir.ci, do ma propre main, »

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|)F, LA COMI»A(ÎNIR r)R JMSUS.

3nr.

('/('tait lo 10 novcmliro 177r) que lo CùnhA de l'Inslihit lisait an fotui (le son cacliut ce testament lie douleur, d'iiuiocence et de charité; cinq jours après il expira. Le Pape n'avait pu encore manifester son rcspec^t pour ce vieillard en lui ouvrhn! lo«. purt(!S du cliAtcau Saint-Ange; il voulut du moins que de magnifiques obsèques témoignassent de ses regrets et de son équité. Dans lu pensée de Pic VI, ce fut une preuve do ses sentiments h l'é- gard des Jésuites, et une solennelle quoique imparfaite répa- ration. Le corps de Uicci fut porté i^ l'église du Gesù par ordre du Souverain-Pontife. On l'inhuma à c«Mé des chefs qui l'avaient précédé dans la Compagnie.

Tandis que la mort enlevait h quelques mois d'intervalle Lau- rent (langanelli et Laurent Ricci, le Pape qui anéantit la Société de Jésus et le dernier chef de cette Société, le bref d'extinction traversait les mers ; il portait le deuil et le désespoir au sein de toutes les Chrétientés nouvelles. Le Père Goggeils et le Frère Castiglione, héritiers de la savante génération des Verbiest, des Parrenin et des Gaubil, avaient échappé à ce dernier malheur. Joseph Castiglione expirait à soixante-dix ans, comblé des té- moignages de l'afl'ection impériale, et, faveur inouïe ! ce Jésuite vit môme l'Empereur composer et écrire son éloge, que le prince lui adressait accompagné de riches présents. Goggeils , moins bien traité, fut plus utile aux Chinois. Avant de mourir, il fit dresser une sorte de cadran qui simplifiait les observations as- tronomiques. En 1773, deux jeunes Pères partaient d'Europe pour les remplacer ; cinq autres arrivaient en môme temps au Tong-King. Au mois de novembre 1773, un vaisseau fiançais déposait au rivage de Canton quatre Jésuites, un peintre, un médecin et deux mathématiciens. Sur le point de quitter Paris, l'archevôque Christophe de Beaumont leur annonça le coup de foudre qui allait frapper la Compagnie. Ils ne crurent pas que CCS craintes, quoique fondées, fussent un motif suffisant j)our enfreindre le commandement de leur Général, et ils se mirent en route, afin de glorifier jusqu'au bout l'obéissance volontaire. Ces Jésuites étaient étrangers à lu France; mais déjà le gouvernement de Louis XV lui-môme, sentant le poids du reproclH» que l'Europe savante était en droit de lui adresser,

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33(i

CHAI*. V.

HISTOIRE

cliercliait par tons les inoynns possibles à ménager niix sciences et anx lettres de dignes correspondants en Asie. Il avait proscrit les Jésuites ; depuis neuf ans il sollicitait du Saint-Siège leur anéantissement, et, par une inconséquence au moins singulière, il honorait ces Missionnairey en se chargeant de les transporter à ses frais sur le territoire de la Chine. Les officiers du roi de Portugal s'offraient à Canton pour les présenter au chef du céleste empire. Quatre navires impériaux arrivent au port; ils doivent conduire les Jésuites à la cour ; mais alors le bref leur est notifié par l'Evêque de Macao. C'était la créature de Pombal ; une pitié dérisoire se joignit à la calomnie. Dans l'al- ternative où les plongeaient le décret du Pape supprimant la Société de Jésus et l'appel de l'empereur de la Chine qui leur ouvrait ses Etats, les Jésuites hésitèrent. Christophe de Murr, dans son Journal^, a conservé des preuves authentiques de cette hésitation. Un Missionnaire, tyrolien d'origine, écrivait :

« Âpres trois jours passés au milieu des angoisses et des larmes, nous balancions les inconvénients contradictoires de toute détermination possible. L'Empereur nous commandait de nous rendre à Pékin, et refuser une grâce impériale, c'est en Chine un crime de lèse-majesté. D'autre part, le bref du Sou- verain-Pontife nous défendait d'y entrer comme Religieux. Le moindre atermoiement dans l'accomplissement de ses volontés eût été condamné en Europe. Nous primes la résolution de mou- rir plutôt que de souiller la Compagnie par une opposition au Pape en des circonstances aussi critiques. Permettez-moi de vous rappeler ici cette calomnie depuis longtemps répandue, que les Jésuites se font ouvrir les portes de la Chine plutôt pour y de- venir mandarins que pour y être apôtres. Nous, les derniers de tous, nous étions désignés pour le mandarinat aussitôt après notre arrivée à Pékin, mais il ne nous était pas possible d'y prêcher en même temps l'Evangile : nous avons pris le parti de regagner l'Europe. »

Ces quatre Jésuites obéissaient au-delà des mers avec le res- pect que montrèrent leurs frères d'Europe ; mais cette obéis-

' Journal lie Chi'islo|>lio de Murr, I. iv, i>. 831 cl siiivai.les.

J>E LA COMPAGNIE DK JKSUS.

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sanco compromoUait aux ycMix de rnmporcnr do la Cliino l'K- viVpii» et le {gouverneur de Macao. Ces derniers songent à se débarrasser des Jésuites en les envoyant h Pombal, qui avait toujours pour eux des chaînes et des souffrances. Les Chinois lurent plus humains que ces Catholiques ; ils obtinrent la liberté des quatre Missionnaires, et ils les abandonnèrent dans l'île de Vam-Lu. « Nous n'eûmes qu'une nuit, ajoute la lettre déjà ci- tée du Jésuite tyrolien, pour profiter d'une dernière ressource c'était la générosité de quel(|ues capitaines de vaisseau français» qui faisaient voile pour l'Europe. Ils furent sensibles à nos prières ; ils ne voulurent pas nous laisser exposés sans aucun secours humain au fond des Indes. Que n'ai-je des paroles as- sez éloquentes pour louer dignement la nation française! Elle s'est acquis des droits h l'éternelle reconnaissance de quatre pauvres Missionnaires ; par le plus grand des bienfaits, elle les a tirés de la plus profonde des misères. Distribués dans quatre bAtiments, nous commcnçilmcs un exil de trois mois sur mer, et nous, dont les yeux étaient restés secs en quittant l'Europe, nous versions des larmes amères en disant un der- nier adieu à ce rivage nous avions cru trouver une autre patrie. »>

L'histoire de ces quatre Jésuites , recueillie par un Protes- tant, c'est l'histoire de tous leurs frères dans l'apostolat. La même plainte, aussi touchante , mais aussi résignée, retentit au fond de l'Amérique et sur les Continents indiens. Clément XIV n d'un trait de plume brisé leur passé et leur avenir; ils se sou- mettent sans murmure. Le bref Dominus ac Itedemptor les réduit à l'indigence ! cette indigence n'altère pas leur foi , elle n'amortit point leur charité. Quand la première nouvelle de la destruction de l'Ordre parvint en Chine , le Père de Ilallerstein , président du tribunal des mathématiques , et deux autres Jé- suites, expirèrent de douleur sous le coup même ^ C'était le vieux soldat qui ne veut pas se séparer de son drapeau. D'autres eurent le courage de leur position , et ce courage apparaissait pour nous dans tout son éclat lorsque , d'un œil avide , nous

' Hisliiin: f/(.v viiilhnuiiliqiii'x, pur Moiilih I;). Il' pari., liv. IV, p. /i7l.

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CHAP. V. HISTOIRE

parcourions les lettres autographes et inédites adressées en Kn- rope «par les Missionnaires de la Compagnie de Jésus. 11 y en a d'admirables de pensée et de style ; beaucoup sont aussi pleines d'éloquente émotion que celle du Père Bourgeois, supérieur des Jésuites français à Pékin. Le 15 mai 1775, il mandait au Père Duprez : « Cher ami , je n'ose aujourd'hui vous épancher mon cœur. Je crains d'augmenter la sensibilité du vôtre. Je me contente de gémir devant Dieu. Ce tendre Père ne s'olTensera pas de mes larmes , il sait qu'elles coulent de mes yeux malgré moi ; la résignation la plus entière ne peut en tarir la source. Ah ! si le monde savait ce que nous perdons, ce que la Religion perd en perdant la Compagnie , lui-même partagerait notre dou- leur. Je ne veux , cher ami , ni me plaindre ni être plaint, Que la terre fasse ce qu'elle voudra. J'attends l'Eternité, je l'appelle, elle n'est pas loin. Ces climats et la douleur abrègent des joiu's qui n'ont déjà que trop duré. Heureux ceux des nôtres qui se sont réunis aux Ignace , aux Xavier, aux Louis de Gonzaguc et à cette troupe innombrable de saints qui marchent avec eux à la suite de l'Agneau , sous l'étendard du glorieux nom de Jésus.

» Votre très-humble serviteur et ami , » François Bourgeois, Jésuite. »

A cette lettre est joint le post-scriptum suivant :

« Cher ami , c'est pour le dernière fois qu'il m'est permis de signer ainsi ; le bref est en chemin , il arrivera bientôt ; Dom'mm est. C'est quelque chose d'avoir été Jésuite une ou deux années de plus.

» k VùVXn , le 1% mai 177S. m

Dix-huit mois après , lorsque tout était consommé , une lettre du Fr>re coadjuteur, Joseph Panzi , révèle les résolutions que les Jésuites ont prises et le genre de vie qu'ils ont adopté. Ce F'rère, qui est peintre, écrit les 0 et 11 novembre 1770 :

« Nous sommes encore réunis dans cette Mission ; la bulle de suppression a été notifiée aux Missionnaires, qui néanmoins n'ont qu'une seule maison , un même toit et une table com- mune. Ils prêchent, ils confessent , ils baptisent; ils ont l'ad-

nR LA COMPAf.NIK HK JKSIIS.

339

minisirntion de leurs biens, et ils remplissent tous les devoirs comme auparavant, aucun d'eux n'ayant été interdit, parce qu'on ne pouvait faire autrement dans un pays tel que celui-ci ; et cependant il ne s'est rien fait sans la permission de monsei- gneur notre Évoque, qui est celui de Nankin. Si on se fût con- duit comme dans quelques endroits de l'Europe , c'en était fait de notre Mission , de notre Religion, et c'eût été un grand scan- dale pour les Chrétiens de la Chine , aux besoins desquels on n'avait pas pourvu , et qui auraient peut-être abandonné la Foi catholique.

» Notre sainte Mission , grâce à Dieu , va assez bien et est ac- tuellement fort tranquille. Le nombre des Chrétiens augmente tous les jours. Les Pères Dolliéres et Cibot ont la réputation de saints , et le sont en effet. Le premier est celui qui maintient la dévotion du Sacré-Cœur de Jésus dans l'état le plus florissant et le plus édifiant. Ce même Missionnaire a converti presque toute une nation qui habite les montagnes à deux journées de Pékin. Je m'y suis trouvé toutes les fois que ces bons Chinois sortaient d'auprès de ce Père , à qui ils avaient demandé le Baptême. J'ai remarqué dans eux les mêmes attitudes et les mêmes expressions de tète que nos meilleurs peintres ont su donner ou saisir si bien dans le& jleaux de la prédication de notre sainte Foi par saint François-Xavier. C'est ici qu'on peut mieux connaître combien est grande la grâce que Dieu nous a faite, en nous faisant naître dans un pays ciirétien.

» Autant que l'on peut humainement juger de notre digne Empereur , il paraît qu'il est encore bien éloigné d'embrasser notre sainte Religion catholique ; il n'y a même aucune raison de l'tîspérer , quoiqu'il la protège dans ses Etats , et c'est ce qui peut se dire pareillement de tous les autres grands de l'empire. Hélas! qu'il y a de vastes contrées dans cet univers le nom de Dieu n'est pas encore parvenu ! Je fais toujours mon emploi de peintre, et je suis le peintre ou le serviteur de la Mission française pour l'amour de Dieu. Je me glorifie de l'être pour son pur amour, et je suis bien résolu de mourir dans cette sainte Mission quand Dieu lo voudra. »

Il n'avail pas été possible (le prosrrire les Jésuites de la

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Chine, on les stVularisa. Ils iicovplflient In iliire loi qui leur était imposée, mais ils n'en continuèrent paù moins leurs tra- vaux apostoliques ou scientifiques. Le Père Amyot , au dire de Langlès, savant académicien français ', jetait une vive lumière sur la littérature des Chinois et des Tatars-Mantchoux, Le pjjre Joseph d'Ëspinha exerçait au nom de l'Kmpercur les fonctions de P"- aident du tribunal d'astronomie, et l'Evoque de Macao le nom- mait administrateur de 1 évèché de Péking. Félix de Rocha pré- sidait le tribunal des malhéni;"t.i(jucs avec André Ilodriguez. Le Père Siclu Ibarth remplaçait Castighone dans la charge^ de premier peintre de l'Empereur. D'autres Jésuites étaient répandus dans les provinces; ils évangélisaient les peuples sous l'autorité de rO'.'dinaire.

(!!et état de choses subsista ainsi assez longtemps , ot , le 1 5 no- vembre 1783, le Père Bourgeois écrivait au Père Duprez : « On a donné notre Mission à messieurs de Saint-Lazare Ils devaient venir l'an passé, viendront-ils cette année? Dieu le veuille; nous n'en savons encore rien. Ce sont de braves gens; ils peu- vent s'assurer que je ferai tout mon possible pour les aider et les mettre en bon train. Nous avons un Evoque portugais, il s'appelle Alexandre de Govea. C'est un religieux de Saint-Françoisdonton dit beaucoup de bien. Il ne tiendra pas à moi certainement qu'il ne jiacifie la Mission. »

Cin(( ans plus tard , le 7 novembre 1788, Bourgeois écrit au Père Kriurogard, l'orateur chrétien de la lin du xviii" siècle. Dans sa lettre, le supérieur des Jésuites en Chine rend hommage aux Lazaristes, qui ont pris leur place par ordre de Pie VI. Cette abnégation personnelle, en présence des vertus d'un rival, a quelque chose de vraiment religieux.

« Très-cher et trèj-ancien loiifrère, ainsi s'exprime Bour- geois , continuez toujours j faj/e connaître et aimer notre bon

' Ltiiiplès suivit li)i'J Macarliicy dans «a oM^'lirp CMibassado, cl il Iraduisil lo I iiijiiijc fil Chine de Hiiliiit's. Il dédia, en iHOIS , cet iiuvrar>i> nu Josiiile mort on ■I7i)4. 1,11 di'.iii'ace est connue eu ces iHrtni's : « llujiiinaijc de viMu^ralion , de rogrels cl de rci.onrialssanri' ofleit h In inrinoire du lévi^rend Père Amiul, Missionnaire ii|)osloli(|uc 11 t'ckin, ccuTC-'iiondant de l'Acadi'iiiie des insrri)ilio»i> et belles-lettres, huvaiil iiif.ili[i[:iid(' , pi'oronilcnionl versé dar.s l'hisloiie dt'a m iei^es, des arts el la lingw de> Chinois, ardent |ironiiilenr de l.i lani;iie et de la lilleruluiv lalare-nianl- cliow»' u

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Miiiliiî , vl à vous montrer toujours digne cni'ant de saint Ignace.

» Messieurs nos Missionnaires et successeurs sont des gens de niérit(!, |)lein> de vertus et de talents, de vile et d'une très-bounu société. Nous vivons en frères ; le Seigneur a voulu nous con- soler de la perte de notre bonne mère •, et nous le serions en- tièrement si un enfant de la Compagnie pouvait oublier sa sainte et aimable mère. C'est un de ces traits quV i no peut arracher du cœur, et qui demande à tout moment des actes de résignation. »

Dans une autre lettre, Bourgeois parle du Missionnaire qui le remplace, et, en faisant l'éloge de ses vertus, il ajoute : « On ne sait pas si c'est lui qui vit en Jésuite ou nous qui vivons en Lazaristes. »

Ce n'est pas seulement la correspondance intime des Pères qui garde les traces de cette obéissance jusqu'à la mort ; on en re- cueille partout des preuves, et lorsqu'on 1777 le Saint-Siège envoie d'autres Missionnaires pour prendre possession , chez les Hindoux, de l'œuvre des Jésuites, le môme exemple se renou- velle. Les enfants de Loyola «léposent en d'autres mains l'héri- tage de François-Xavier, multiplié par deux siècles de travaux et de martyres. ;( ils avaient, dit un de ces nouveaux Mission- naires', pour supérieur le Père Mozac, vieillard octogénaire, qui avait blanchi sous le faix du ministère apostolique, qu'il avait exercé pendant quarante ans. Il abdiqua sa place avec la simplicité d'un enfant. »

Le 15 novembre 1774, il se passa à Fribourg un trait plus étrange encore. Les Jésuites , proscrits par Clément XIY, vou- lurent prier pour lui. Ils ré' nirent dans l'église collégiale de Saint-Nicolas les habitants de la cité, et le P. Matzell, en pro- non(,'ant l'oraison funèbre du Souverain- Pontife, s'écria, au milieu de l'émotion générale : « Amis . chers amis de notre an- cienne Compagnie, qui que vous soyez, et qui que vous puissiez èîre, si jamais nous avons été assez heureux pour rendre des ser- vices dans les royaumes et dans les villes, si nous avons con- tribué en quelque chose au bien de la Chrétienté, soit en prêchant la parole de Dieu , soit en catéchisant ou en instruisant la jeu-

I Foyat/fi dans i ludostan, par M. Pcnin, ii' partie, cliapilr« iv, p. <74.

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CIIAC. VI. IIISiOlHK

ncssu , cil visitant les niulndcs ou les [irisuiiiiiers , on en com- posunt des livres cdiliunts (quoique dans noire situation actuelle nous ayons beaucoup d'autres grAccs à demander), nous vous prions, avec les plus vives instances, d'arrêter toutes plaintes amôres et peu respectueuses pour la mémoire de Clément XIV, chef souverain do l'Eglise. »

Ainsi, sur tous les points du globe et par tous les témoi- gnages, les Jésuites n'ont pas résisté à l'arbitraire qui les ban- nissait de leurs Missions, qui les dépouillait de leurs biens; ils ne maudirent pas le Satnt-Siégc les sacrifiant à une paix impossible. Ils ne luttèrent point contre le pouvoir temporel , ils se sou- mirent avec une douloureuse résignation au bref de Clément XIV. On ne les entendit protester ni par un doute, ni par un mur- mure , ni par un outrage. L'histoire doit constater cette obéis- sance qui honore iout à la fois la Chaire apostolique et la Com- pagnie de Jésus.

11 faut maintenant suivre jes Pères de la Compagnie dans leur dispersion.

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Ci>i"rii"lon (Viilt'ps apri's la tlrsliucliiiii des Jrsiiilcs. Le rardiiml Pacca cl le pio- Irslaiit Lrupuld Kaiike. Silualiuii morale de la (>um|ia(;uic. Les saiiils cl l.'s vt'iu'iables.— Les Pères AVili/., Cayroii et Péin'. Le Paiieiiiciil de Toulouse C le Père Séranc. Les villes île Soleurc et de Tivoli cléveiil une statue à deux Jisuites. Maiie-Tht'rt'se et le Pire Delpini.— Le Père Pailiaiiier fonde une inni- Sdii iiour les or|ilu'liiis de l'iirinde. Le Père de MalliMs A Naples. Les Jésuiles «lidisis par les Ëv^ijues du Nouveau-Monde comme Visiteurs des diocèses. Les Josuilesen pri'seiiie des Missionnaires leurs suciesseurs. TiMnoinnages de W. Pcniii. Busson el tîibeaumr. Le cardinal de Demis et le chevalier de Saint-Priesl. Les J>'suiles retournent ii Caycnne sous les auspices du Pape et du rui de France. Les Jcsuiles piiMlicaleurs en Europe. ~ Le Père Duplessis et les tlvôquoc. Le Père Heanrefinrd à Notre-Dime de Paris. Su prophétie.

Colère des Philosophes. Le jubilé de 4775. Ucaiiion religieuse dans le peu(>le, Les Philosophes el les Parlenieiils en rendent les Jésuites responsables.

Le Père Noihac à l.i (jlaciere d'Avignon. Le Père Lanfant. Les Jèsuilcg dniis les journées des 2 et :i septembre 1792. Les Jésuites espagnols pendant la ( .'ste d'Andalousie. Les Jésuites Evéïiucs. Les Jésuites mathématiciens, astronomes el géomi'tres. Leurs missions scienliQques.— Leurs travaux utiles.

Les Jésuites à la tOte des Séminaires et des Collèges. Les Jésuiles dans le monde Leur éducation. Boscovich .ppelé h Paris. Pocïobut à Vilna. llcll à Vienne. Liesganig à Lcmberg. Le Frère Zabala, médecin. Eckel, numismate. Requeno et le télégraphe. Le Pc>e Lazeri , examinateur des Evéques. Les Jésuiles j^r"?erit8 el théologiens du Pape. Les Jésuiles histo- riens et philosophes. Feller en Belgique. Zaccaria dirige ies éludes des Nonces apostoliques. Les Jésuites ascètes. Berthier et Brotier. Fréron et (icnllroy. Les Jésuiles prédicateurs. Michel Denis el ses poésies allemandes.

Béraull-Bercaslel et Guériii Uu Rocher. Ligny el Naruscewicz. Schwarlz et Masdeu. Jésuiles illustres par la naissance. Conclusion.

Les Jésuites n'existent plus comme congrégation religieuse. Ce n'est pas ici le lieu d'examiner si leur abolition , sollicitée au nom de la Foi, de la morale, de l'éducation publique, des fritnciiises de l'Eglise et du salut des monarchies , a rendu it.-s pt!ui»les plus catîioliques, les hommes plus vertueux, la jeu- nesse plus ardente à l'étude qu'au vice, le Pape et les Evoques plus libres, les princes plus heureux sur leurs trônes, les diffé- rents pays plus tranquilles. Nous n'avons point à rechercher si l'aurore des beaux jours promis à la terre par la suppression de l'Institut de Loyola ne s'e4 pas transformée en ténèbres plus épaisses, en désordres inlei' ectuels plus éclatants, en déprava- tion et en crimes tels qu'ils feront encore longtemps l'effroi du monde civilisé.

C'était pour préserver la Religion et la royauté des coupa- bles étreintes du Jésuitisme que les Parlements de France, que

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CHAI'. VI. HISIUIHE

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les iiiinisties d'Kspngnc et du l'ortu^al se cuiilisùreiit. Vingt ans après, jour pour jour, la République française, par l'or- gane de sa CiOnvcntion nationale, inspirait aux multitudes, sous peine de mort, la négation de tout culte, l'anéantissenTent de toute idée religieuse ou monarchique. Du haut de l'cchafaud sur lequel coulait le sang des rois, du peuple, des prêtres et de la noblesse, elle surexcitait toutes les passions, clic les déi- lidit pour s'en faire un instrument de régne, elle les brisait quand leurs victimes rougissaient d'accepter la servitude. Les corrupteurs de la jeunesse étaient bannis de l'enseignement, et par un phénomène inexplicable, la jeunesse se révélait plus corrompue que jamais. On avait annihilé les perturbateurs du repos public, en môme temps h trouble envahissait l'Eglise et l'Etat; il pénétrait jusqu'au .^oyer domestique. Quelques théo- logiens du seizième siècle ne dissertaient plus sur le régicide, le régicide devint un acte de civisme et de haute moralité ré- volutionnaire. Les Jésuites n'étaient plus pour légitimer les attentats sociaux, et cependant le crime passa dans la loi. Le droit de famille se voyait aussi bien mis en question que le droit de propriété. Les Jésuites ne fomentaient plus de divi- sions entre les rois et les sujets, des guerres sans but et sans fin couvrirent le monde de ruines et de sang.

Nous n'avons point à signaler cette confusion de principes et d'idées. Les Jésuites auraient pu la combattre, il ne leur eût pas été donné de l'arrêter, le mal étant plus fort que tous les remèdes humains, car il prenait sa source dans la corrup- tion ou dans la faiblesse des princes. Ce qu'il importe à l'his- toire de la Compagnie de Jésus, c'est de démontrer qu'en s'attaquant aux disciples de saint Ignace de Loyola, les enne- mis de la Religion et des monarchies savaient parfaitement tendaient leurs efforts. L'unité dans l'enseignement était un obstacle réel aux projets conçus : on sapa cette unité par la base, et lorsqu'en 4786 le cardinal Pacca vint remplir la noncia- ture de Cologne, il trouva la Révolution déjà miire. Il décrit en ces termes le résultat de la destruction des Jésuites : « Peu à

peu', dit-il, les bons Al'emands perdirent le respect qu'ils avaient

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1 Mémoires hiitoriquet du cardinal Pacca, Iraduils par l'abbé Sioimel, p. \3.

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|)oiir le (ilergé, le Siiinl-Siége et la discipline tie l'Kylisu. T.int que subsista la Société de Jésus , qui avait plusieurs col- lèges dans les Universités, et en divers lieux des écoles publi- ques, ces maximes erronées trouvèrent une forte opposition, et le mal ne lit pas de grands progrès ; mais la suppression de cette Compagnie, qui avait si bien mérité de la Religion, jointe au progrès des Sociétés secrètes, causa à la Religion catholique des pertes immenses. Alors toutes les digues furent rompues, et un torrent de livres pervers d irréligieux inonda l'Allemagne. »

L'historien protestant Léopold Rankc partage la môme opi- nion : (( L'anéantissement de cette Société d'un seul coup, sans préparation, raconte- t-il', de celte Société qui fit sa prin- cipale arme de l'instruction de la jeunesse, devait nécessaire- ment ébranler le monde catholique jusque dans ses profondeurs, jusque dans la sphère se forment les nouvelles générations. » Le lléau avaif débordé. Nous avons vu ce que les Jésuites en corps tentèrent pour les comprimer; il nous reste à dire ce que leur isolement imprévu leur permit d'entreprendre. Au milieu mémo des aft'aiblissements de la dispersion, les individus su- rent encore se rendre utiles à la Foi catholique par leur piété, à l'Eglise par leurs vertus ou par leur éloquence, aux sciences et aux lettres par leurs travaux.

Quand l'Institut succomba , il renfermait dans son sein des Pères qui n'avaient pas dégénéré. Il était aussi llorissant qu'aux plus beaux Ages de son histoire^. La modération des esprits

' llistoirude la Papaiitc-, t. iv, p. 500.

2 La Société de Jésus compte dans ses rangi! dix saints , un biciihouroux et un Crand nombre de vOnt'iahk's. Les saints procliiinés par l'Eglise sont Ijjnacc ('.c Loyola, François Xavier, François de Bori;ia , François Ht'ijis, François de Hiéro- nynio , Louis de Gon'/.a(<uc, Stanislas Kolska, ut les trois ni»rlyrs japonais, Paul Miki , Jean de Goltu cl Jacques Kisaï. Le bienheureux se noiiimc Alpliun^o llodi'iguez.

On appelle véiicrable, dans le sens strict ûc celle qualilkalion , celui donl l'hé- roïcitr tes vc; lus a élé déclarée ou le martyre approuvé par la CongrégaHon des rite*, en assemblée générale tenue devant le Pape. Dans un sens moins rigoureux, cette dénomination est attribuée h ceux dont la cause de bé'ulirication cs-l iiiiroduile_

Les vénérables déclarés Iris, scii.sii stricto, sont les martyrs André Bobola, Ignace d'A/évedo el ses trente-neuf compagnons, Rodolphe Aquaviva cl ses ([ualrc compagnons. Les vénérables non martyrs sot.l : Pierre Caiiisius, Jusepi» Anchiéla, Bernardin Kéalini, Louis du Ponl, Pierre Clavcr et Jean Berclimans. Parmi les vénérables dont la cause est introduite, mais dont le mari;, re on l'Iiéroicilé îles verlus n'a pas encore été reconnu, on trouve Gon/.alve Sylvcira, Diego de Sanvitio-

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CIIAl'. M.

iiisioïKi:

avilit [iioiluit la ujoilériition dans l«'s maxir.iii..s (.a Coiiipa^uic lie Jésus s'était discipliaée ello-inéiiic ; cllo vcilhiit avec plus ilo soif» que jamais sur les doctrines (Miiisi^s |!;!i' ses théolnj^iens ; elle taisait une loi de la cliarilé sarcrdotali^ à ses poléniisles ; elle vivait avee les Kvôipies ilans la [iliis parfaite union ; clic ne s'était jamais montrée plus en dehors dc.-i alVaires séeulières ou politiques. Elle avait senti qu'en lace du déliordement des viees que la Philosophie prenait sons sa protection, les instituteurs du peuple devaient oll'rir l'exenqde de la pureté des mœurs. L(5 passé devenait pour les Jésuites une garantie d'avenir, et le nombre de Pères qui giorilièrent la Société par leiu" /élt- apos- tolique et par leurs talents ne i'ut [tas moins grand (pi'aut.'efois. Ainsi, dans l'espace de quelques années, la mort avait enlevé à l'Institut des honnnes qui laissèrent sur la terre un long sou- venir. Pierre Wiltz en 174'.), Hyacinthe Ferreri en 1750, Jac- ques Sanvitali en nôî), Jean Cayron en nôi, Juan de Santiago et Gnuphre Paradisi en 1701, Camille Pacctti en 1704, Fran- (;o:^ Pépé, l'orateur des Lazzaroni, en 1709, avaient fait chérir la J\!-r',',ion par leurs œuvres; leur trépas sanctilia l'humanité. |i3 p<;ipétuaient en Allemagne, en Italie et en France le zèle dc,« Xavier et des Régis. Ils étaient les consolateurs des pau- vres ; mais au moment suprême, les riches de ce monde les invoquaient à leur lit do mort, et, pour unir plus saintement, Benoît XIV expirait entre les bras du Père François Pépé. La suppression de l'Ordre n'atténua point ces hommages que la vertu arrachait aa xviii« siècle. On avait détruit la Compagnie, on l'aimait encore, on la vénérait dans ses membres. A Tou- louse, on vit, en 178-i, le Parlement de Languedoc se réunir pour rendre un dernier arrêt concernant les Jésuites. Cette coiir judiciaire s'est associée à tous les actes des Parlements. Elle a condamné et maudit l'Institut; mais alors ce n'est plus

ros , Ciiirtcs Spiiiula , Masliilti , Viuira, Punirai/., Grurlczki, Jean de BriUo, Robert Hi'llarmin , Vincenl Caran'a, Louis île Lamisa, Anilié Ovié.lo, Jean de Allosa , Cus- tilio, Padial, Luza|;lii , Baldiiiucct et Joseph Pigiialelli. Pignalelli est le derniur aiiiicau du cette chaîne non inlernwiiiiue, qui remonte jusqu'à Loyola.

Nous ii'hidi(iuons que ceux sur lesquels la Congrégalion des riles conserve encore des docuniciits. U en usl d'aulres dont ic {irocès a iM instruit, quoiqu'il ne se trouve pas dans les Archives de la Congrc^Qalion.

l'ois sont les vénérables Jean Sébasliani , Julien Maunoir, le Maronite Fram.ois (Joorges, Herncrd Colnago et plusieurs auUcs.

Père. Dans les Cnutni la mort ainôno pour tlciiil et des éloges, i 1 8olciirc inscrivent dan .

DK LA C0.MI'M:MK UV. JÉSUS 347

do llélrissuro ([u'ollc s'occu|ic. Le l'ère Jean Srraiie, l'anii des pativrcs, vient de succomber sous les cilurts de son zèlo, lo Parlement ordonne que le Jésuite sera inhumé solennellement dans l'église de Nazareth de cette ville, et, le même jour, sur ce cadavre que toutes les voix bénissent, I Ollicialité diocésaine commence les inibrmatio'"^ juridiques pour la béatification du

«^es, comme aux portes de llomc, iple de saint Ignace le jour du ihrc 1799, les conseillers de ..is icgistres le nom du Père Crolla- lanza; ils énumérent les services rendus par lui à la vieille llelvétic, et ils élèvent une statue à son himiilité*. A Tivoli, en 1802, le Sénat en érige une d.'uis la salle de ses délibéra- tions au Père Saracinclli. Paptiste Faure jouit du même honneur i\ Viterbe ; César de Cordara à Alexandrie. Le roi Poniato\v>ki fait frappiT à Varsovie une médaille en l'Jionneur du Père Ka- nouski. Les Jésuites chassés d'Espagne s'étaient mis au service de l'indigence dans plusieurs ville de l'Italie; ces villes ad- mirent leur charité, elles célèbrent leurs talents, et le nom du Frère Emmanuel Ciorraga, ceux des Pères Sala, Marian Ilo- driguez , Pedralbes , Marquez , de Salazar et Panna y sont encore prononcés avec respect.

Tandis que les Pères Perthicr. Tiraboschi, Charles de Neu- ville, Pierre de Calatayud , Delpuits, Poczohut, Pignatelli, Andrès , Muzz .elli et Peauregard remplissaient le monde de leurs travaux, de leur éloquence, de leur piété, l'impératrice Marie-Thérèse oflro't, en 1776, un témoignage public au Père Delpini. Elle s'exprimait ainsi « 3Iuc par la considération des vertus éclatantes, de la doctrine, de l'érudition et de la vie régulière et exemplaire de Jean-Théophile Delpini; réfléchissant de plus sur ses travaux apostoliques en Hongrie , dans la prin- cipauté de la Transylvanie, il a ramené, à notre grande con- solation, une foule nombreuse d'Anabaptistes à la vraie Foi, nous avons élu et nous nommons ledit Théophile Delpini ,

On lisaUriiiscri|ilioii suivanle surlcpictleslul de celle slaluc: Paupcrum Pa- trem , <c;/roriim malrem , omnium fratrvm , viriim doctiim et humillimutii ; invita, in morte, in ferctro suavitulc siùi simdcm, amabat , admirabatur, lugebat Solodio'nm.

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comme un homme très-capable et qui a bien mérité de l'Etat et de la Religion, et, pour ce, très-agréable à notre personne, nous le nommons à Tabbaye de Notre-Dame de Kolos-Monoslros. » Go que le Père Delpini avait fait pour la Hongrie et la Tran- sylvanie, Ignace Parhamer l'entreprenait a\ec un égal succès pour l'Autriche et la Cariuthie. Parhamer, c'est le savant po- pulaire, l'homme d'initiation chrétienne et de perfectionne- ment social. Confesseur et ami de l'empereur François !«■', il a usé de son crédit à la cour ; et on a vu le Jésuite fonder plu- sieurs établissements utiles. Mais dans un gouvernement oiî chaque citoyen naît soldat , Parhamer comprend que la recon- naissance du prince doit s'étendre aux orphelins que la guerre a faits : ce sera, dans sa pensée , le meilleur moyen d'entretenir le dévouement au pays. Il crée une maison sont recueillis les fils de ceux qui meurent pour la patrie. Dans cette espèce d'Hôtel des Invalides de l'enfance, il introduit l'exercice mili- taire, la discipline et l'ordre des camps. Comblé des faveurs de Marie-Thérèse, le Jésuite, après la destruction de son Institut, reste à la tête des Orphelins qu'il a réunis. Joseph II lui pro- pose un évèché, il lui laisse deux mois pour vaincre ses refus ; dans l'intervalle, Parhamer expire en 1786. A Naples, voilà le Père Pascal de Mattéis, le bras droit de saint Alphonse de Li- guori, que le ministre de Ferdinand IV tente par les plus bril- lantes promesses. Tanucci a frappé la Compagnie de Jésus, mais il n'ose pas priver le royaume des services de Mattéis. Le Jésuite résiste à ce désir : il a fait vœu de vivre sous l'étendard de saint Ignace, il l'accomplira jusqu'au bout de sa carrière. En 1779, il meurt révéré par les populations. Ce n'est pas seulement l'Allemagne et l'Italie qui entourent de leurs respects les débris de l'Institut. En France, ils ont trouvé un apologiste jusque dans le conventionnel Grégoire. « Marie Leczinska, reine de France, dit-il *, avait pour confesseur un Jésuite po- lonais , le Père Radominski ; l'abbé Johanet en fait un grand éloge. Ce Religieux, mort en 1756, fut remplacé par un autre Jésuite polonais , le Père Bieganski. Sa qualité d'étranger l'ex- posait à être renvoyé de France lorsqu'on supprima la Société ,

' Histoire des Confesseurs des empereurs, etc., par Gri'>(joirc, y, 393 cl 397.

DE LA COMPAr.NIE OE JKSUS.

34«»

mais la Reine îc fit conserver. » Et pins loin Grégoire ajoute : « La Dauphine , mère de Louis XVI , eut aus^si pour confesseur un Jésuite, le Père Michel Kroust, de Strasbourg, depuis 1748 jusqu'en 1763. C'était un ecclésiastique pîcux et instruit, qui a publié en latin quelques traités, entre autres des méditations pour les élèves du sanctuaire. »

Dans l'espace de quarante et un ans, de 1686 à 1727, on trouve, dans le Nécrologe de la Compagnie, cent treize Jésuites qui périrent sur mer en cinglant vers les Indes. Chaque année avait ses victimes ; les Missionnaires cependant ne firent jamais défaut à la mort ou aux souffrances. En 1760, ils étaient dans leur ère de grandeur et de succès. Les Pères Fauque , Boufin , Cibot, DoUières, Amyot, Cœurdoux , Collas, Artaud, Laurent de Costa, Poisson, Silvio, de Rocha , Machado, Alexandre de La Charme et de Ventavon , accoutumaient aux labeurs de l'a- postolat la nouvelle génération qui devait leur succéder. Auprès des lettrés de la Chine , parmi les castes des parias ou sous les forêts de l'Amérique, Jean de San-Estevan se dévouait aux Missions. Après avoir été l'agent général du Clergé de France, il se faisait Jésuite pour mourir de cette mort que tous 1rs Pères enviaient. On les avait vus marcher sans jamais tomber dans le chemin qu'ils ouvraient ; on les avait calomniés pour les perdre. Quand le bref de suppression eut condamné à la stérilité des efforts aussi persévérants , l'heure de la justice sonna enfin pour les Jésuites. Les Evêques du Nouveau-Monde les prirent pour guides, pour compagnons dans leurs visites pastorales. Il y a plus, les Pères de la Compagnie inspirèrent une équité consciencieuse aux Missionnaires que le Saint-Siège et la France leur donnaient pour successeurs. Un de ces der- niers , dont les récits ont toujours mérité foi entière, M. Perrin, prêtre des Missions étrangères , s'exprime en ces termes * :

' Voyixjc dans Vlniostan, I. il, p. 61. M. Perrin explique sa position à IVgard (1c la (^oitiiiaQnie de Jésus , détruite trois mois avant son arrivée aux Indes : « On ne doit pas soupçonner ce que je dirai d'avantageux sur ces Pcrcs. Je n'ai jamais appartenu ii leur corps, qui n'existait déjà plus lorsque la Providence me mit dans l'heuiouse nécessité d'entretenir des relations avec quelques uns de ses membres. J'étais agrégé ii une association de prêtres séculiers qui avaient eu des débals très- longs et très-vifs avec les Pères Jésuites, et qui auraient pu être regardés comme leurs ennemis, si des Chrétiens élaionl capables d'tni avoir. Mais je Icurdtiis coile

350

CHAP. vr.

HISTOIRE

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« Jfi (lonnn lo défi an plus hardi détracteur de la vérité de prouver que la Société de Jésus ait eu jamais h rougir des mœurs d'aucun de ceux qui cultivèrent la Mission malabarc, soit à Pondichéry, lioit dans l'intérieur des terres. Tous étaient formés des mains de la vertu même , et ils l'inspiraient autant par leur conduite que par leurs prédications. »

Ce rival , qui se met en possession de l'héritage conquis par le sang et par les sueurs des enfants de Loyola , ne peut avoir pour eux que des préventions. Il les proclame, et voici de quelle manière elles s'effacèrent : « J'avoue, continue-t-il*, que j'ai examiné les Jésuites de l'Indostan avec les yeux de la critique et peut-être de la malignité. Je me défiais d'eux avant de les connaître ; mais leur vertu a vaincu et anéanti mes^pré- jugés : le bandeau de l'erreur est tombé de mes yeux. J'ai vu en eux des hommes qui savaient allier les degrés les plus su- blimes d'oraison avec la vie la plus active , la plus continuelle- ment occupée; des hommes d'un détachement parfait et d'une mortification qui aurait effrayé les plus fervents anachorètes ; se refusant jusqu'au rigoureux nécessaire , pendant qu'ils épui- saient leurs forces dans les travaux pénibles do l'apostolat ; pa- tients dans les peines, humbles malgré la considération dont ils jouissaient r ' succès qui accompagnaient leur ministère ; brûlant d'un toujours prudent , toujours sage , et qui ne se ralentissait jamais. Non , on ne les voyait gais et satisfaits que lorr:jui;, iiprès avoir employé les journées entières à prêcher, à entendre des confessions , à discuter et à terminer des affaires épineuses , on venait interrompre leur sommeil pour les faire courir à une ou deux lieues au secours de quelque moriboi:d. Je ne crains pas de le dire : c'étaient des ouvriers inconfusibles et infatigables ; mais, si je leur rends ce témoignage avec plaisir, je suis cependant forcé de tenir ce langage, car l'Inde entière élèverait sa voix et me convaincrait d'imposture si je parlais au- trement. »

M. Perrin a examiné de près les Jésuites; il les a étudies

juslirc aux uns e( aux audc!!, d'assurer que, malgn' leurs (l(?bats, ils se sont toujours ti'inoiund de rc>linie et de la ronsidëratlon. » ' f'oV'igi' (innu l'Indontan , I. ii, p. 160,

DE LA COMPAGN'IE DE JESUS.

351

dans leur vie et dans lenr mort ; il raconte tout cela. « Le Père Busson , dit-il , Agé de quarante-cinq ans lorsque je le vis pour la première fois, était si pénitent que, pendant une année en- tière , il ne prenait pas d'autre repos , pendant la nuit, que celui que la nature lui dérobait ; mais , afin qu'elle n'eût pas tout l'avantage, il se tenait debout, appuyé contre un mur, et pas- sait les nuits à prier dans cette posture gênante ou prosterné sur le marchepied de l'autel de son église. H ne se nourrissait que de pain trempé dans l'eau et de quelques herbes améres et sans assaisonnement; et, malgré un genre de vie aussi austère , ce saint Missionnaire travaillait continuellement , sans jamais se permettre de récréation. Seul, il gouvernait un Collège, admi- nistrait une Chrétienté fort nombreuse , donnait tous les jours un certain temps au travail des mains , et aidait encore tous ses confrères , en se chargeant de ce qu'il y avait de plus pénible et de plus rebutant dans le ministère. Quoique couvert de plaies et d'ulcères, il semblait être impassible ; toujours doux, calme et d'une gaîté rtiodeste , il attirait les pécheurs avec un air d'intérêt qui les lui attachait sans retour. Doué d'une charité vive et compatissante, il expiait sur lui les crimes des autres, afin de ne pas rebuter leur faiblesse. Digne copie du plus parfiiit modèle, il fut obéissant jusqu'à la mort. Il était à Oulgareh, peupli'.de indienne, éloignée d'une lieuo de Pondichéry , lorsqu'il tomba malade. Il eut grand soin de défendre '\ ses élèves d'avertir ses confrères de son état , par la crainte qu'on ne lui procurât des soulagements qu'il croyait incompatibles avec l'esprit de pénitence. Il était donc étendu sur le carreau , dans un corridor, abandonne de toute la terre et sans autre soula- gement que quelques gouttes d'eau qu'il avait pour tempérer sa fièvre.

» Cependant les élèves du collège eurent des alarmes sur son état, et résolurent de ne plus respecter sa défense. Ils firent avertir l'Evoque, supérieur de la Mission, qui envoya aussitôt son palanquin pour transporter le malade en ville. Ce vertueux prêtre n'eut pas plutôt entendu l'ordre de se rendre à Pondi- chéry, qu'il recueillit le peu de forces qui lui restaient encore pour les sacrifier à l'obéissance; mais, pénétré d'horreur jus-

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criAP. vr. iiisioiuE

qu'an dernier moment pour tont ce qni pouvait adoucir Ta- mertumc de ses maux, il voulut faire le voyage h pied. Il ar- riva, il alla remercier l'Evoque avec un ton d'édification qu'il avait eu toute la vie. Le prélat, l'ayant envisagé, fut elTrayé d'une pAleur mortelle qui couvrait son visage , et lui dit de se coucher promptcmcnt pour recevoir les derniers secours de l'Eglise. On l'administra en effet sur-le-champ ; mais ù peine eut-il reçu les derniers sacrements , qu'il se leva et alla expirer au pied d'un crucifix.

» On trouva sur son corps un rude cilice qu'il n'avait pas quitté , dit- on , depuis quin/.c ans qu'il était arrivé dans l'Inde, et nous apprîmes de ses disciples plusieurs autres particularités édifiantes , qui nous persuadèrent que nous n'avions pas con- nu la moitié de ses vertus*. »

Au témoignage de cet écrivain, le Père Busson n'était pas le seul vétéran du sacerdoce et de la Compagnie de Jésus digne des éloges de l'histoire et de la religion.

« Le Père Ânsaldo, natif de Sicile, dit M. Perrin^, était encore un autre modèle de toutes les vertus chrétiennes et apostoliques. C'était un homme d'un génie profond , ayant une Ame sublime et une tête parfaitement organisée. Content d'o- pérer le bien, il en abandonnait volontiers la gloire aux autres... Il faisait autant d'ouvrage qu'auraient pu faire six autres Mis- sionnaires. Il entendait les confessions depuis cinq heures du matin jusqu'à dix tous les jours. Il dirigeait une communauté de Carmélites du pays. Il avait établi plusieurs filatures de co- ton , une jeunesse nombreuse travaillait sous les ordres d'excellentes maîtresses. Le Père Ansaldo faisait le catéchisme dans ces établissements, y réglait la police, et pourvoyait à tous les besoins. Il était chargé en outre de l'administration de la moitié de la ville de Pondichéry ; et , lorsqu'il avait quel- ques instants libres, il les employait à composer, à étudier les hautes sciences ou à en donner des leçons , à apprendre de nouvelles langues ou à former quelque nouveau projet de piété. »

' f'oi/iif/c dans l'iHdoshni, I. il, page 173. 5 Ifiiddii, p. <7".

ne LA COMHAGiNIE DR JESUS.

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La (lostrnrlinn do leur Société no los avait pas corrigés. Los .hVnilos ôliiicnt dans l'Indostan ce qu'on les rencontre partout , ot M. Pcrrin on cite un exemple qui lui est personnel. « Le Père de Gibcaumé, dit-il, vieillard de soixante-quatorze ans , accablé des infirmités que lui avait procurées un long aposto- lat, et qui , malgré toutes ses souffîrances, avait conservé l'en- jouement du plus heureux caractère , me voyant sur le point de partir, me prit à part et me dit d'un air mystérieux : « Puisque n VOUS nous quittez, et qu'il y a apparence que ce sera pour » longtemps, je vous prie de me rendre un service qui dépend » de vous. Ne demandez pas ce que c'est, il suffit que vous sa- » cliiez que je ne veux rien que de possible et de permis. » Je lui engageai ma parole d^ionneur que je ferais ce qu'il désirait, trop heureux de lui être utile de quelque manière que ce fAt. « Fort bien, ajouta-t-il, vous voilà pris; j'ai voire parole. Je » veux donc et j'exige que vous acceptiez) la moitié de mon » trésor. » Il ouvre aussitôt sa cassette et partage , de frère à frère , tout ce qu'elle contenait.

« 11 n'est pas permis d'oublier de tels hommes et de ne pas croire à leurs vertus. »

Ce ne sont pas seulement les émules de la Compagnie de Jésus dans les Missions qui déplorent leur mine : à Rome , le même regret se fait jour. Dans son India orientalis , le Carme Paulin de Saint-Barthélémy ne peut s'empêcher de constater la décadence de la Foi au milieu de ces nations que les Jésuites ci- vilisèrent par le Christianisme. « Si des hommes supérieurs , s'écrie-t-il ', et animés par le zèle, proclamèrent autrefois la Religion dans les Etats de Tanjaour, du Maduré , de Maïssour, deConcan, de Carnate, deGolconde, de Balaghat, de Delhy, et dans les autres régions indiennes situées au milieu des terres, leur zèle et le flambeau de la Foi se sont, évanouis par la difficulté des temps et des lieux , parce que personne ne leur envoie de collaborateurs, et que personne ne soutient leur œuvre. La Compagnie de Jésus ayant été supprimée , presque toutes ces églises languissent privées de pasteurs, et les Chré-

Iiulia orienl.tlh chrhiiniia, etc., niiclorc P. Ptiiilinn a S, Bartholomœc, Carmelila d'wulceutn, p lft9(Hon»(r, 170»).

V.

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CHAP. VI.

IIISTOinR

lions errent sans loi (jui les dirige, sans llainboan qni les ôclairc. » , -, * , «

Dans lo môme temps , le cardinal de Demis communiquait au cardinal , préfet de la Propagande, un mémoire sur l'état des Missions en Chine et aux Indes. Ce mémoire , retrouvé dans les papiers de l'ambassadeur français à Rome , expose les services que les Jésuites de Chine rendent à la France , en corrrcspon- dant avec l'Académie des sciences de Paris et en faisant passer aux ministres du roi leurs observations astronomiques , leurs recherches en botanique , en histoire naturelle , et en tout co qui peut contribuer à la perfection des sciences et des arts. Puis on y lit : «< Le roi et messieurs ses ministres ont égale- ment accordé, ces dernières années, le passage gratis sur les vaisseaux de France à plusieurs sujets destinés à la Mission française dans les Indes orientales. On croit pouvoir assurer que ces Missionnaires n'y sont pas inutiles à la nation , et qu'en bien des occasionn ils ont rendu des services importants. C'est pour cela sans doute que le Conseil souverain de Pondichéry prit , il y a quelques années , leur défense contre ceux que l'an- cien Parlement de Paris y avait envoyés pour y saisir le peu do bien qui leur restait. On se contenta de faire un léger change- ment à leur habit et à les faire appeler MM. les Missionnaires du Malabar. C'est sous ces lois qu'ils ont continué à exercer leurs fonctions , sous la dépendance des Évéques , étant les seuls qui entendent la langue très-diflicile du pays, et il ne parait pas qu'il y ait de l'inconvénient à les y laisser tels qu'ils y sont.

» Outre ces deux Missions , il en subsiste encore deux au- tres dans le Levant, l'une en Grèce, l'autre en Syrie. Elles ont toujours été et sont encore sous la protection de la France. M. le chevalier de Saint-Priest , ambassadeur à la Porte, dé- clara , à son arrivée a Constantinplc , que le roi lui avait re- commandé nommément les Missions françaises , et il ne cesse de les honorer en conséquence de sa protection. La Mission de Grèce a des établissements à Constantinople, à Smyrne, à Tlies- salonique, dans les îles de Scio, de Santorin et de Naxie ; celle de Syrie en a à Alep, à Damas, à Tripoli de Syrie, à An- toura, dans le mont Liban ot an Grand-Caire en Egypte. Les

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Missionnaires tAclicnt porlont lin se rendre utiles h h nation. Avant de les détruire no serait-il pas convenable de s'assurer que lu roi ne juge plus u propos de les tenir sous sa royale pro- tection ? »» . ,

Les Jésuitea disparaissaient sous la tcinpôtc excitée contre eux par les Bourl)ons, tempôte qu'un Pape déchaînait, et de Home ainsi que de Gonstantinople il s'élevait un cri pour pro> tester avec tous les Catholiques prévoyants. Dans l'intérêt de la vérité, le chevalier de Saint-Pricst , ambassadeur prés de la Sublime -Porte, ne craignait pas d'attaquer de front les préven- tions de l'époque. Il adressait au gouvernement de Louis XV un mémoire sur l'influence que le nom français était destiné à exercer en Orient par la propagation du catholicisme ; et, ame- né à peindre l'état des Missions, il écrivait le 10 novem- bre 1773 : 0 Le nombre des Catholiques rayas est considérable iliSmyrne*, les Jésuites y faisaient comme ailleurs beaucoup de fruits. »

Plus loin il ajoute en établissant une comparaison entre l'In- stitut de Saint-Ignace et les autres Sociétés : « Aucun de ces moines ne fait proprement la Mission. Depuis longtemps les Jésuites étaient les seuls Religieux qui s'y employassent avec zèle ; c'est une justice qu'on ne peut se dispenser de leur ren- dre et qui ne s-irait être suspecte à présent qu'ils ne sont plus. On leur doit en irès-grande partie le progrés de la Religion ca- tholique parmi les Arméniens et les Syriens, ainsi qu'il a été rendu compte dans le mémoire de l'Ambassadeur de l'année dernière. Dépositaires de la confiance des sujets du Grand-Sei- gneur, il importe de conserver des ex-Jésuites dans leurs fonctions, pour ne pas compromettre les fruits qu'ils ont semés. »

Les Evoques du Nouveau-Monde, les peuples, les diplomates eux-mêmes invoquaient le concours des Jésuites. Il vint un jour on la République française leur demanda leur appui dans ces régions ils avaient popularisé le nom de leur patrie. Le Père Poisson vivait encore à Pékin, et, di* Christophe de

t .Irchives des al]'iiin:i vlivnghi's et maiiK-icrits dv l'abbé Broticr,

35G

CHAH. VI. HISTOIRE

Miirr*, « ce Jésuite contribua beaucoup h faire concUire le traité de commerce entre la Chine et la République fran- «;aise. »

Christophe de Murr * recueille un fait qui confirme pleine- ment ces témoignages. L'écrivain protestant raconte qu'en 1777 Louis XVI demanda au Pape quelques Missionnaires pour l'ile de Cayenne; mais il était nécessaire qu'ils sussent la langue des naturels. La Propagande n'en avait plus : Pie VI, avec l'a- grément du roi de France, fit passer à la Guyane quatre an- ciens Jésuites portugais. « Au mois de novembre 1777 ils dé- barquent à Cayenne. Us sont revêtus du costume de leur Ordre, ils parlent la langue du pays, les Insulaires reconnais- sent cet habit qu'ils vénèrent. On leur a dit qu'il n'y avait plus de Jésuites, et ils en revoient encore. Ces hommes à demi civilisés se jettent ù leurs pieds, ils les mouillent de larmes. Ils s'engagent à vivre désormais en Chrétiens, puisqu'on leur rend les Pères qui les engendrèrent au vrai Dieu. »

Le zèle de la maison du Seigneur emportait une partie de la Société de Jésus vers des rivages inhospitaliers; l'autre restait dans l'intérieur de l'Europe afin de lutter plutôt contre le vice et l'erreur que contre les adversaires de la Compagnie. Elle eut encore de ces orateurs qui soumettent les multitudes. Sur les traces des Pères Duplessis, Nicolas Zucconi, Alunier, Vi- gliani, Tchupick, Lentini, Vassalo Tapôlre de la Sardaigne, Beauregard, Armand Bol, Le Chapelain et Hausen, on vit ces Jésuites que la proscription allait frapper renouveler l'esprit des populations. Xavier Duplessis était sollicité par les villes. Les prélats, dans leurs mandements, annonçaient sa présence comme une faveur insigne. Il évangélisait les cités ainsi que les campagnes, et l'Evèque de Laon saluait sa venue en ces ter- mer : « C'est par un effet singulier de la divine miséricorde, N. T. C. F., que nous possédons un Missionnaire célèbre que tous les diocèses s'empressent d'avoir, et dont Dieu a béni les infatigables travaux et par des conversions innombrables et p.ir des prodiges inouïs. »

' Mon nouveau journal , I. \"\ p. 9">.

' Journal de Chiisloplif île Minr, (. ix, p. 225.

Ufe) LA CUMFAliNlK Ulù JKSUS.

357

Lo nom (lu lV>rc Nicolas Ik'niircgnnl * éclipse tontes ces gloi- res de l'éloriucnce sacrée. Né, en 1731, ù Pont-à-Mousson, lo Jésuite Hvait su, comme Bridayne, dominer la foule par des traits d'un génie quelquefois abrupt, mais qui enchaînaient lu pensée, et triomphaient des plus mauvais instincts. Cependant il aurait eu de la peine à surmonter l'oubli si à son souvenir no se rattachait un événement extraordinaire. Pendant le Jubilé de 1775, le Jésuite prêchait à Notre-Dame de Paris. La foule était grande ; car le Père Beauregard, par l'impétuosité de sa parole, par la trivialité même de quelques-unes de ses images, savait lui inspirer une respectueuse admiration. Là, dans cette chaire que dix-huit ans plus tard, en 1793, Hébert, Gobel et Chaumette rempliront de leur athéisme légal, en face de cet autel les déesses de la Baison et de la Liberté viendront s'as- seoir à la place de la Vierge, d'étranges , de prophétiques pa- roles s'élancèrent de son cœur. Le Jésuite s'écria : « Oui, c'est au roi et à la Beligion que les Philosophes en veulent, la hache et le marteau sont dans leurs mains. Ils n'attendent] que l'in- stant favorable pour renverser le trône et l'autel. Oui, vos tem- ples, Seigneur, seront dépouillés et détruits, vos l'êtes abolies, votre nom blasphémé, votre culte proscrit. Mais qu'entends-je?

I Le Père Reaurcgard lermiiit sa vie au château de Grouing, chez la princesse Sophie d'Holicnlolie. Nous avons sous les yeux le testament olographe du Jésuite, à la date du 39 novembre 4803, et nous y lisons : « En 1749, Dieu m'ayaut fait la grâce insigne de in'appeler h la Compagnie do Jésus, d'y faire les derniers vwux et d'y être reçu Profès ; par une seconde grâce, presqu'auissi privili^giée que la première, et par une seconde vocation, ayant été agrégé et incorporé à la Pro- vince des Jésuites de nu8>ic par le révérend Père Gruber, alors Général de celte niémc Compagnie; en vertu de mon vœu de pauvreté, que je renouvelle en ce moment de très-grand cœur ainsi que mes autres vœux, et par obéissance à nos saintes Règles et Constitutions, que je révère encore plus à ma mort que pendant ma vie. Vœux cl Constitutions qui ne nous permettent pas de lester, ce qui serait lu plus grand acte de propriété, je déclare donc et affirme que tout ce qui parait m'appartenir ne m'appartient pas, mais, et sans aucune réserve, aux Jésuites de Russie, auxquels je supplie Son Altesise la princesse Sophie de l'envoyer, u

Dans sa feuille du mardi 2 octobre 1804, le Journal des Débats parle en ces termes de la mort du disciple de saint Ignace : « Le Père ReaureganJ, ancien Jé- suite et l'un des derniers orateurs qui ont illustré la chaire chrétienne dans le diji>huilicme siècle, vient de mourir à Hohenlohe, en Allemagne, dans la soixante- Ireizième année de ^on âge. Il fut célèbre en France par le succès de ses prédica- tions et par la saiiilelé de sa vie. »

Après avoir exalté les travaux et les vertus du Père, le Journal des Dibntt con- cluait ainsi : » Eu déplorant de si grandes pertes, on ne peut s'empèchrr de se de- mander qui remplira ces vides que la mort cause chaque jour, et comment nous viendront d'autres hommes pour remplacer de pareils hommes. «

358

CHAI*. VI. IIISTOinK

^riiiul Dieu! qiit3 vuis-j(>? Aux s.iiiits rniili(|ii('s, ipii liiis.'iinit nMcntir les voûtes sinnVs en voire Iwmnnir, siircnlciit des rliiiiils lubriques et prolnties! Kl toi, iliviiiilé inrilinn du INi- {^aiiisme, im|nidii|UO Vônus, tu viens ici lui^inc prendre ;iii- daeieuscmcnt la place du Dieu vivant, t'asseoir sur le tn\ue du Saint des Saints, et recevoir l'encens coupable de tes nouveaux adorateurs ! »

A dix-huit ann^jes de distance, c'était l'évocation de la dé- magogie française telle qu'elle apparaît dans l'histoire. « Des hommes puissants, raconte le janséniste Tabaraud', qui su crurent désignés par l'orateur , jetèrent les hauts cris , le dé- noncèrent comme un séditieux et un calomniateur de la raison et des lumières. Condorcet, dans une note des Pensées de Pascal, le traita de ligueur et de fanatique. » Le Père Beau- regard, ainsi que le constate une des dernières colonnes du Jansénisme, avait, par un de ces mouvements d'éloquence que le Ciel inspire à ses privilégiés, déchiré le voile sous lequel se cachaient encore les Philosophes et les niveleurs. Son audace les frappa de stupeur. D'autres Jésuites remplissaient dans le môme temps la plupart des chaires. Ils surent si bien diriger les esprits vers un retour aux idées chrétiennes, la procession de clôture du Jubilé eut quelque chose de si entraînant, de si profondément religieux, que les coryphées de l'athéisme, au dire de La Harpe, alors l'un de leurs adeptes, ne purent s'em- pôcher de s'écrier : « Voilà la révolution ajournée à vingt-cinq ans! »

Il fallait punir quelqu'un de cet éclat. La Foi n'était pas morte au cœur du peuple; elle se réveillait dans les Ames à lu voix des ci-devant soi-disant Jésuites. On circonvint lu mal- heureux Louis XVI, et au mois de mai 1777 on lui arracha un nouvel édit *, non plus contre les membres de la Société de

' Biographie universi'lle, arliclc Beuurfgnrd.

* Les iiiaiiirestalions clirtilicnnes du Jubilé de 1775 doiniaiont h rdlécliir oux so- phislcs : ils s'en prirent aux Ji^suileg, cl ils rencontrèrent le prt^stidt'ut Angron, ((ui se fli un devoir de les dénoncer au Parlement le 28 février 1777. Le président An- graii a vu tout ce que d'autres logisles voient encore du nos jours. Il racoiile au Parlement les eiïurls tentés par les Jésuites sécularisés; puis il ajoute : « C'est un fait notoire qu'ils sont répandus dans presque toutes les paroisses ; qu'ils sont em- ployés dans le uiiuislcrc, et qu'ils remplissent les chaires. » Celle dénonciation Tut

.)K LA COMI'ACMK IIK JhSUS.

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de

•It'.sus, isiiis ((mlic lii Suci(''l('' («Ih'-mi^iiic, (|iii n't'xisliiil pins. Sur vingt priMlinitotirs «pii, iliinnit li' .Inbil»'', avii-ful «''vangrli- »(>. la rnpiliilo, sei/,o iippnrlrn.iicnt à hi Sorij'-h'! do Jésus. iicul l'iiit expliqua aux homuics d'insurroilion IïtIioc qu'ils avaient subi. Ifc sVu ven^çAreut en nuitil.uit un cadavre. Néan- moins, en 17H8, \i\ IV're Heyro prftcha lo carAine h la cour; l'année suivante Itenurcgard partagea le mômo honneur. Kii IT'.M, lo IV're Lanfant* ouvrit la stalion ; mais, tandis que ses accents brillants de pieuse éloquence donnent au roi la forcu ou plut(U la résignation de supporter ses malheurs, on proposu au Jésuite le serment de la Constitution civile du Clergé. Lan- i'ant refuse ; à partir de ce jour, la chaire lui est interdite. Il ne trouve phis l'occasion que de prêcher une seule Ibis dans sa vie : co l'ut le 2 septomLie 17U2. Lo peuple alors ne lui de- mandait point des paroles do salut. Les égorgeurs, qui se prétendaient la nation française, exigeaient son sang ou son déshonneur sacerdotal : Lanfant se laissa massacrer. « Si la I\eligion, dit l'abbé Guillon, Evoque de Maroc*, a eu h gémir des succès do ses ennemis et des mécomptes de ses défenseurs, elle ne manqua pas non plus d'Apôtres qui surent honorer leur ministère, et dont le zèle, éclairé par la science, était soutenu par l'éloquence des temps (yitiqucs, qu'ils ont fait revivre au milieu de ces jours d'éclipsé. Nous ne craignons pas de placer à lour tète celui dont nous publions les ser- mons, u

La Révolution éclatait. Elle ne songea point à distinguer les Jésuites des autres prêtres. A son aurore elle avait proscrit

iiiipriDiëc cl publi<*c. Lu 1.1 avril, l'avoctl-Qéni'ral SéQuicr en ri-qui'rail la sup* |it'e!i8ion en c«i termes : n Nuui appurlonf un imprimé conlenani lu nkil fait par un (le messieurs, lors de l'assemblée des Chambres du 28 février dernier; cl, roniine cet imprimé est contraire aux réalements dr la librairie, nous avons cru devoir en requérir la suppression. » Le défaut de forme prévalut sur le défaut du raison, et le Parlement s'empressa d'oblempérer au réquisitoire de Séguier. Mais, par compensation, le l'arlemenl, qui n'avait pas voulu se prêter k une ridicule comédie, forçait la main h Louis XVI pour rendre un édU contre la Société de Jésus, et, en enregistrant cet édil, il y ajoutai), de son chef, des clauses lyranniques que, le 17 juin 1777, Louis XVI lo contraignit à annuler.

Le nom du fèrc Lanfant a toujours été, jusqu'à présent, déllguré dans l'his- loire. On l'a écrit l'Enfant ou Lriifnnt. Nous avons sous le» ycnx sa correspon- duiu'c inédite, cl le Jésuite signe avec l'orthographe (|ue nous reproduisons.

\olivt; bioffrapliiquc pour loê sermons du Pire Lenfanl, par Nicolas-Syl- vestre Guillon.

300

CHAI'. VI.

HISTOIRE

les disciples de rinslilul comme le plus réel obslucle 411e ses idées devaient rencontrer. Quand elle eut établi son règne sur les peuples que la liberté allait asservir, elle manifesta une de ces velléités de justice qui ressemblent à un rêve d'espé- rance au milieu des réalités de la de^touctiom L'Assemblée nationale nivelait tous les rangs. Elle tuait l'ancienne monar- chie, elle étouflait les Ordres religieux afin de se créer des par- tisans par ia vente des biens ecclésiastiques; elle spoliait le Clergé pour enrichir le peuple, en légitimant l'instinct du vol ; mais, par un étrange retour des choses d'ici-bas, au moment les Parlements disparaissaient sous les vengeances populaires, la question des Jé.suites surnagea, et, dans la séance du 19 fé- vrier 4790, l'abbé Grégoire s'écria' : « Parmi les cent mille vexations de l'ancien gouvernement qui a tant pesé sur la France, on doit compter celle qui a été exercée sur un Ordre célèbre, sur les Jésuites : il faut les faire participer à votre justice. »

Ces paroles, qui empruntent une certaine gravité au carac- tère et aux idées du futur Evèque constitutionnel de Loir-et- Cher, avaient déjà retenti à la tribune de l'Assemblée natio- nale. Dans une de ses dernières séances, raconte le Journal de Paris t alors rédigé^ par Condorcet, Garât et Regnault de Saint-Jean-d'Angely ^, le député Lavie avait réveillé, par un sentiment profond de justice, de pitié et peut-être de recon- naissance , un souvenir que le temps semblait avoir effacé. Au moment les législateurs de la France décrétaient cette des- truction Ukïiverselle des Ordres religieux, il avait prononcé le nom des Jésuites; il avait rappelé leurs malheurs oubliés, il avait appris, en quelque sorte, à l'Assemblée nationale qu'il existait encore « de ces infortunés qui avaient été sacrifiés non pas à la liberté, non pas à la raison et à la patrie, mais à l'esprit de parti, mais à la vengeance, mais à des haines im- placables. »

C'était avec de tels jugements que l'Assemblée constiluanlc flétrissait la dc.'^truction des Jésuites. Elle qui venait pour tout

' Monileiir du 20 foviior 1790, SOaiice du 19. ' Journal de Paris, ii" .Jl.

UE LA CUMl'AGMK I)K JKSUS.

361

c

briser, elle avait des paroles de colcro à l'aire entendre contre ceux qui lui préparèrent les voies, et le protestant Barnavc, s'associant à cette tardive équité, proclamait : « Le premier acte de la liberté naissante doit être de réparer les injustices du despotisme : je propose une rédaction de l'amendement en faveur des Jésuites. » « ils ont , reprenait l'abbé de Montes- quieu , des droits à votre générosité ; vous ne la refuserez pas à cette Congrégation célèbre, dans laquelle plusieurs d'entre vous ont fait sans doute leurs premières études, à ces infor- tunés dont les torts furent peut-être un problème, mais dont les malheurs n'en sont pas un. »

Autant qu'il était en elle , l'Assemblée nationale revisait la sentence de destruction, elle acceptait les Jésuites comme des victimes du despotisme; elle consacrait par un vote presque unanime le principe de leur innocence. C'était sur la motion de Grégoire et de Barnave que ce vote passait à l'état de loi. Au mois de février 1790, la Révolution prenait les Pères de l'Ordre de Jésus sous sa tutelle; au mois d'octobre 1791, elle les dévoua à la mort. Antoine Nolhac entre le premier dans cette nouvelle arène du martyre. Ancien recteur du Noviciat de Toulouse, il a voulu se consoler des désastres de la Société en acceptant la cure de Saint-Symphorien d'Avignon. Elle est en grande partie composée de pauvres. Le Jésuite devient le tré- sorier des hommes bienfaisants et la seconde providence des malheureux. Arrêté le 16 octobre, il passe avec les autres pri- sonniers cette nuit qu'à la fureur des Jourdan coupe- tètes il juge être la dernière pour lui. 11 se prépare à mourir, il y prépare ses compagnons de captivité. Lorsque le moment du sacrifice est arrivé, il les bénit dans les bras de la mort. Frappé de toutes parts, il reste debout jusqu'à la fin du nuis- sacre pour encourager les victimes et leur montrer la palme, il tombe le dernier, et avec les autres on le précipite dans la Glacière. « Quand il fut permis, raconte Jauffrct, Evèque de Metz', de retirer les corps de la Glacière, le peuple s'empressa d'y chercher celui de son bon Père. 11 était couvert de cinjpianle

' m f moins pour si rvir à l'histoire de la Halitjiun cl de la Ptiilosopliie à lu lin du xviii' sii-clit, I. Il, p. 2*0.

302

CHAi'. VI. IIISTÛlHIi:

bicssiil'os. \]n crucilix sur sa poitrine et ses habits de prêtre le firent reconnaître. Chacun se disputa les morceaux de sa robe, et il fallut pendant huit jours laisser ces précieux restes expo- sés au concours et à la vénération du peuple... Aussi tous les Fidèles d'Avignon regardent-ils M. Noihac comme un martyr, et sont-ils prêts à l'honorer comme tel. On l'appelle encore le père des pauvres : c'est le nom qu'il a toujours porté, et que lui donne le procès-verbal qui fut dans le temps dressé à Avi- gnon par MM. les commissaires du roi, et qui fut lu ù l'Assem- blée nationale, d

Il n'était plus possible de combattre, avec la parole ou avec la plume, en faveur de l'Unité catholique. La liberté de 1702 prohibait les luttes de l'intelligence. Il fallait accepter ses dé- gradations civiques ou périr sous le fer des égorgeurs enrégi- mentés par les héritiers de la Philosophie et du Jansénisme. Quelques Jésuites , vétérans de la chaire , du confessionnal ou de la science, survivaient encore. La mort les effrayait moins que le parjure. Ils avaient refusé le serment à la Constitution civile du Clergé ; dans les lugubres journées des 2 et 3 sep- tembre, on leur fît expier cette courageuse résistance.

Aux Carmes, à la Force, à l'Abbaye, à Saint-Firmin , sur le premier rang de l'héroïque légion de Martyrs que deux La Rochefoucauld et Dulau , archevêque d'Arles , conduisent au Ciel, on vit les derniers débris de la Compagnie de Jésus. Il y avait à glorifîer la Foi catholique par un trépas volontaire : ces hommes blanchis dans les travaux de la pensée ne reculè- rent pas. Les Pères Jules Bonnaud, Delfau, Jean Charton de Milieu, Claude Gagnières des Granges, Jacques Durvé-Friteyre, Charles Le Gué , Alexandre Lanfant , Nicolas de La Ville-Croin , Hyacinthe Le Livec , Pierre Guérin Du Rocher et son frère Robert, Jean Vourlat, Eloi Herque Du Roure, Joseph Ron- chon, Antoine Thomas, Rousseau, René Andrieux, Antoine Second et Nicolas-Marie Verrou périrent au milieu de cette ville de Paris , qui , muette d'effroi , assistait , néanmoins , l'arme au bras, à ce crime organisé. Ces Jésuites' étaient des

A

1 Un auleur d'une ëculc Ircs-upposée aux Jdsuilcs, Aimé Guillun, duns hs Mar- tyrs de la Foi pendant la révolution française, rend, à iiiat|uc |)fl|;c de son

DE LA COMPAGNIE DE JESUS.

363

\

criulits, tomme Gucrin Du Uocher ; des orateurs, cuiiiine le Père Lanfant; de savants géomètres, comme Le Livcc.

D'autres vivaient au l'oiid des provinces. Ils y étaient le flambeau du Clergé et la consolation des cœurs chrétiens. Ils disparurent dans la tourmente. Les Pères Daniel Dupleix et Char- les Ferry tombent à Lyon sous la hache révolutionnaire. Ju- lien d'Hervillé à Orléans , Matthieu Fiteau à Orange , Augus- tin Rouville à Aubenas, Pierre Lartigue à Clérac, Charles Brunet à Poitiers, meurent sur l'cchafaud. Quelques-uns, comme les Pères Alexandre de Romécourt , Gilbert Macusson, Nicolas Cordier, Antoine Raymond, Joseph Imbcrt et Dominique de Luchet, se voient enfermés sur les pontons de Rochefort. Ce n'est pas la mort du champ de bataille qui leur est réservée ; on les destine à de plus longues souffrances. Comme les prêtres que la déportation atteignait, et que les douleurs de toute nature tuaient avant l'exil, ces Jésuites succombèrent à leur lente agonie, ils succombèrent en priant pour leurs bour- reaux. Le Père Gaspard Moreau allait être noyé dans la Loire ; il expire de fatigue, de froid et de faim, avant d'arriver au but de ses désirs.

Les Jésuites français bravent l'échafaud pour proclamer leur Foi, les Jésuites espagnols vont donner leur vie pour faire triompher le principe de la bienfaisance chrétienne. Charles IV a succédé' sur le trône à Charles III, son père. Il rouvre aux bannis à perpétuité les portes de leur patrie. Quelques-uns, profitant de la justice qui leur est enfin rendue, arrivent en Espagne vers le mois d'avril de l'année 1800. Le xix" siècle commençait par une peste dans ce pays, qui allait avoir à su- bir tant de calamités glorieuses ou sanglantes. Le fléau rava- geait l'Andalousie. Les Jésuites, à peine de retour de l'exil, apprennent cette nouvelle : ils se mettent en marche pour of- frir leurs soins aux villes désolées. Vingt-sept d'entre eux trouvent le martyre dans leur charité. Les Pères Pierre et

livre, uii juste hommaoc à la piélt^, au dévoucinenl cl à la science des Pères. Ils tilaicnt presque tous chargi's de la direction des couveiils de femmes, et c'est à leurs conseils qu'on attribue la conduite pleine de fermeté que tinrent les Reli- Qieuses pendant celte tempùte. Ces prétendues victimes du fanatisme se moulrè- runt presque à l'unaniuiilc Udëles à des vieux que la loi anéantissait.

ao4

CliAI>. VI. HISIUIHE

Isidore Gonzalès , Michel de Vcga , François Munois , Antoine Lopez , Pierre Cuervo , François Tagle , Baptiste Palacios , Diego Irribarrcn, Firmin Excurra, Charles et Sébastien Fe- rez , Julien Vergara, Louis Medillina et lldephonse La Plana expirent ainsi à Cadix , au port Sainte-Marie, à Xérès de la Frontéra et à Séville.

En Portugal, la reine dona Maria, malgré le respect qu'elle voue à la mémoire de Joseph ['■', son père, faisait tomber les tcrs dont Pombal, exilé à son tour, avait chargé les victimes de son arbitraire. Elles ne sortaient des prisons qu'au nombre de neuf cents; les Evéques et le peuple accueillirent avec des témoignages de vénération ces martyrs, que dix-huit années de captivité n'avaient pas découragés. Le Père Timothée de OU- voira, ancien confesseur de dona Maria, fut réinstallé à la cour et comblé d'honneurs. En face de Pombal, Le Père Juan de Gus- man Ht à la conscience des hommes l'appel suivant : « A l'âge de quatre-vingt-un ans, sur le point de paraître devant le tri- bunal redoutable de la justice divine, Juan de Gusman, dernier Assistant de la Compagnie de Jésus pour les provinces et domai- nes du Portugal, croirait se rendre coupable d'une omission impardonnable si , en négligeant de recourir au trône de Votre Majesté, sont placées avec elle la clémence et la jus- tice, il ne déposait à ses pieds cette humble et respectueuse requête , au nom de plus de six cents sujets de Votre Majesté , reste malheureux de ses compagnons d'infortune.

» Il supplie donc Votre Majesté, par les entrailles de Jésus- Christ et par son cœur sacré, par ce tendre amour que Votre Majesté porte à l'auguste Reine sa mère, à l'auguste roi don Pedro, aux Princes de la famille royale et aux Infants, de vouloir et même d'ordonner que la cause de tant' de fidèles sujets de Votre Majesté , déclarés infâmes aux yeux de l'univers , soit exa- minée de nouveau. Ils gémissent d'être accusés d'avoir commis des attentats et des crimes que les Barbares auraient horreur d'imaginer , et que l'esprit humain oserait à peine concevoir ; ils gémissent, dis-je, de se voir condamnés tous sans avoir été cités , sans avoir été entendus , et même sans qu'on leur ait permis d'alléguer aucune raison pour leur propre défense. Ceux

DK LA COMPAf.ME DE JKSL'S.

305

qui , sortis de leurs prisons , ont été relégnés dans cet état, sont tous d'accord sur ce point , et attestent nnanimement que, pen- dant tout le temps de leur emprisonnement , ils n'ont vu la face de quelque juge que ce soit.

» Le suppliant , de son côte , qui s'est trouvé pendant plu- sieurs années dans un poste il a pu acquérir une connaissance immédiate des affaires , est prêt à attester , dans la forme la plus solennelle, l'innocence de tout le corps et des chefs de l'Assis- tance. Le suppliant et tous les exilés avec lui s'offrent unani- mement à subir des peines beaucoup plus rigoureuses que celles qu'ils ont essuyées jusqu'à présent , si un seul des individus en question a jamais été convaincu d'avoir commis le moindre crime contre l'Etat.

» En outre , l'innocence du suppliant est évidente par le ré- sultat de tant de procès , qui ont été formés dans toute la rigueur contre lui , ses confrères et le chef du corps. Pie VI , glorieu- sement régnant, a vu les originaux des procès susdits; Votre Majesté trouvera , dans un si grand Pontife , un témoin éclairé , et toute la terre n'en saurait produire de plus intègre ; elle y trou- vera en même temps un juge qu'on ne saurait soupçonner capa- ble de commettre une iniquité sans se rendre coupable d'une impiété sans exemple.

« Que Votre Majesté daigne donc user de cette clémence , qui lui est aussi naturelle que le trône lui est ; qu'elle daigne écouter les prières de tant de malheureux, dont l'innocence est prouvée, qui, au plus fort de leur malheur, n'ont jamais cessé d'être sujets fidèles de Votre Majesté , et dont les infortunes , quelque grandes qu'elles fussent, n'ont jamais pu altérer ni dimi- nuer un instant l'amour qu'ils ont toujours conservé, dès leur en- fance , pour son auguste famille royale. »

Nous avons vu , depuis la suppression , les Jésuites honorer le sacerdoce par leurs vertus ; les voilà maintenant qui sont ho- norés par les dignités ecclésiastiques. On a proscrit leur Institut comme corrupteur de la morale , comme dangereux à la Re- ligion et à la sécurité des Etats. A peine ces prêtres, que la Pliilosophie , les Parlements , les Rois et le Saint Siège ont mis on suspicion , sont-ils libres du joug qu'ils portèrent avec tant

'M*

CHAP. VI. HISTOIRE

d'amour et aiu|uel ils renoncent avec tant de regrets, qne l'Eglise et les princes calholiqnes s'empressent de choisir parmi eux les Evoques qui doivent nourrir les peuples du pain de la parole de vie. Jamais démenti plus prompt et plus solennel ne l'ut donné à des accusations aussi graves ; jamais on ne chercha à entourer de moins de respect extérieur le jugement prononcé par l'iniquité. Dans l'espace seulement de vingt-cinq années , de 1775 à 1800, un grand nombre de sièges épiscopaux furent oITert à des Pères de l'Institut. Comme le Père Damien ÂUain , nommé Évèque de Tournay par Bonaparte , beaucoup refu- sèrent, dans l'espérance de voir se reconstituer la Société de Jésus ; quelques-uns acceptèrent les dignités dont on chargeait leur zèle apostolique. François Benincasa fut désigné pour l'é- vêché de Carpi ; Jean Benislawski , Ëvêque de Gadara , eut la coadjutorerie de l'archevêché de Mohilow ; John Carrol est élu, par le Clergé , Évéque de la République anglaise en Amérique ; il a Léonard Neale pour coadjuteur dans l'archevêché de Balti- more ; Charles Palma devient suifragant de l'archevêque de Co- locza en Hongrie ; Alexandre Allessandretti est promu au siège de Macerata ; Antoine Smidt , nom célèbre parmi les docteurs en droit canon, se voit choisi comme suffragant de Spire ; Stanislas Naruscewicz occupe l'évêché de Smolensk ; Sigismond d'Hohen- wart s'asseoit sur le siège métropolitain de la capitale de l'Au- triche ; Dominique Manciforte accepte l'évêché de Faenza ; Joseph Grimaldi, celui de Pignerol, puis d'Ivrée ; Alphonse Marsili est désigné par Pie VI pour l'archevêché de Sienne ; André Avoga- dro, pour l'évêché de Vérone, il console, dans son exil, Louis XVIII, le petit-fils de Louis XV. Le même honneur épisco- pal attend Philippe Ganucci à Cortone ; Paul Maggioli, ù Albenga; Buttler, àLimerick; Keren, à Neustadt; Jérôme Durazzo, à Forli; Jules-César Pallavicini, à Sareza; Jérôme Pavesi, à Ponteremo; Michel Sailer, à Ratisbonne; et plus lard, sous le règne de Na- poléon, Imberties à Autun. Le Père Du Gad, un vieux Mission- naire français, prisonnier de Pombal, fut, en 1777, nommé procureur-général des Missions françaises en Chine et aux Indes. Pour les Jésuites, proscrits en corps et vénérés comme in-

OR LA CUMPAGME DE JESUS.

307

«lividiis, la dignité épiscopalc ne fut qu'un fardeau dont plusieurs dôclinôront la responsabilité. Les uns, comme les Pères En- gelbert Belasi et Charles* Yiel, confesseurs du duc et de la du- chesse de Bavière, restèrent attachés aux princeii qui les avaient choisis pour directeurs ; les autres se contentèrent de fonctions plus modestes. On les chassait de la< Compagnie, leur patrie adoptive ; les villes d'Italie, si difliciles pour accorder droit de cité à des étrangers, les accueillirent dans leur sein. Les Jésuites étaient portés à tous les emplois ; on en trouve partout, même ' aux Etats-Généraux et à l'Assemblée constituante , siégèrent les Pères Delfau, Leissègues de Hozaven, San-Estevan et AUain. Ceux qui ne furent pas voués aux honneurs de l'épiscopat se virent mêlés, par leurs proscripteurs, au bruit du monde et aux travaux littéraires ou scientifiques de l'époque. Ils avaient eu pour maîtres ou pour modèles les Pères Emmanuel d'Azé- vedo et Christophe Maire, l'un et l'autre estimés de Benoît XIV par leurs profondes connaissances en liturgie et en mathéma- tiques ; mais la science ne leur fut pas aussi fatale qu'au Père Ignace Szentmartyonyi. Le roi de Portugal avait demandé, en 1750, au Général de la Compagnie deux habiles géomètres pour déterminer les limites des possessions portugaises et espa- gnoles dans l'Amérique .méridionale. Le Jésuite hongrois et le Père Haller furent choisis. Szentmartyonyi part avec le titre d'astronome et de géomètre du roi. Le roi a promis de rému- nérer dignement ses utiles travaux. Le Jésuite consacre dix an- nées de sa vie au service 'du Portugal. En 1760 il débarque à Lisbonne; il est arrêté, mis aux fers, et Pombal le retient dans ses cachots jusqu'au jour la mort délivre le royaume de Tim- péritie du souverain et de la cruauté du ministre.

Les Jésuites avaient étudié dans l'Institut les diverses bran- ehcs des sciences ; ils répondaient, après comme avant la sup- pression, à tous les besoins. Ici, la cour de Vienne envoyait le Père Walcher visiter le lac Uofner-Lise, et le Père, en réparant ses digues, préservait les contrées voisines des désastres de l'inondation. Marie-Thérèse, en récompense de ces travaux, le nommait directeur de la navigation et des sciences mathémati- ques. Là, le Père Cabrai arrêtait, par un ingénieux système, la

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cnAP. VI.

HISTOIIIE

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cliiitRdn VAlino, qui mina si snnvctit la villo do Torni ; puis, quand lo rotnnr dans sa patrie fut permis au J«''<nile, il paya dix-huit ans d'oxil par un nouveau bienfait : il encaissa le Ta^e dans son lit, et sauva ainsi les campagnes des débordements du fleuve. Jean-Antoine Lecci réparait les routes militaires du Mantouan ; Vincent Riccati préservait Venise des inondations en réglant le cours du P(), de l'Adige et de la Brcnta ; Léonard Ximénez, en Toscane et à Rome, procurait les mêmes bons offices ; il aplanissait les routes, il établissait un nouveau système de ponts. Par ordre de Frédéric II de Prusse, le Père Zeplichal, en 1774, mettait h profit ses connaissances en minéralogie, pour recher- cher les métaux que recelait le comté de Glatz.

Mais ce fut surtout par l'enseignement scientifique ou litté- raire que l'estime des Pontifes, des rois et des peuples invit.*; les Jésuites à signaler leur aptitude. Les Pères Joseph Kios, Bernard Zarzoza , André Galan , François Villalobos , Ignace Julian, Pierre Gordon, Jacques Basile, Vincent Rossi, Joseph Pons, François de Sandoval et Pierre Segers sont placés à la tète des séminaires de Tivoli, de Scgni, d'Anagni, de Gubio, de Verula, de Centi, de Velletri, de Seti, de Sinigaglia, de Cita del Gastello et de Ferentino. C'est le choix des Evoques qui détermine ces nominations ; Pie VI s'y associe en confiant le séminaire de Subiaco, fondé par ses soins, au Père Alexandre Cerasola. Une Académie ecclésiastique s'est créée à Rome. Maison des fortes études sacrées et pépinière d'Evêques, de Nonces, de Cardinaux, de Légats et "de Papes, cette Académie renferme dans son sein tout l'avenir de l'Eglise romaine. Pie VI lui donne pour maître le Père Antoine Zaccaria. La principale mission du Jésuite consiste à former les Nonces apostoli(|ues ' ; il était donc le maître de ceux qui allaient instruire les peuples et discuter avec les rois. Après Zaccaria, un autre Jésuite, Jo- seph Sozzi, remplit les mêmes fonctions.

1 Dans SOS Mémoires historiques sur Us affaires de l'^flemaf/ue peinhinl sa noncinture, page 9, le cardinal Pacca raconte que lu Soiivciaiii-Ponlir«>, après lui avoir déiiitré qu'il lu choisissait pour une mission aussi iniporLinli' que dirilciln, ajoute :<> A partir de ce moment, vous devez dirijer tontes vos rludis vers les sciences sacri^es et prendre leçiui de l'ahbé Zaccaria, source ioi^i'ui aide d'eruill- lion, qui vous donnera les connaissames ecdé.-iiisliques ilunl vous :ue/. besoin pour vous tirer avec honneur do votre nonciature. »

DK LA COMPAdMF. PK JF.SIS.

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En FraïK^o, on avait détruit les Jésuites pour leur enlever l'éducation, et Frédéric II, le roi philosophe, ne cachait pas ses appréhensions sur l'avenir lorsque, le 9.2 avril \ 769, il écrivait à d'Alembert ' : « Vous vous ressentirez avec le temps, en France, de l'expulsion de cet Ordre, et l'éducation de la jeunesse en souffrira les premières années. Cela vous vient d'autant plus mal à propos que votre littérature est sur son déclin, et que, de cent ouvrages qui paraissent, c'est beaucoup d'en trouver un passable. » ChAteaubriand a vu ce que Frédéric le Grand ne faisait que pressentir , et ChAteaubriand dit ' : « L'Europe savante a fait une perte irréparable dans les Jé- suites. L'éducation ne s'est jamais bien relevée depuis leur chute. » Dans un autre ouvrage, le môme écrivain s'exprime ainsi * : « Les Jésuites se soutinrent et se perfectionnèrent jusqu'i'i leur dernier moment. La destruction de cet Ordre a fait un mal irréparable à l'éducation et aux lettres. On en convient au- jourd'liul. »

Au sortir de la Révolution, quand tous les souvenirs, quand toutes les imaginations étaient encore frappés des spectacles démoralisateurs auxfiuels on avait convié le peuple, lorsqu'à chaque pas le pied craignait de heurter un pavé ensanglanté , ou que la tète reculait involontairement pour ne point se cour- ber sous l'échafaud, il était permis d'émettre de semblables opinions. Maintenant que le principe révolutionnaire a passé dans les mœurs d'une partie de la nation, et qu'elle l'accepte comme la sanction de son héritage paternel ou de son matéria- lisme industriel , ces opinions seraient étouffées sous les cla- meurs universitaires. Dans ce temps-là, elles retentissaient au loin. Si h France des Parlements et des Encyclopédistes jugea utile de ne plus laisser aux Jésuites la direction de la jeunesse, les autres peuples, l'Allemagne surtout et môme quelques Etats protestants, ne consentirent pas à ce suicide littéraire, que Fré- déric II signalait et que Chateaubriand a constaté. Quand le roi de Prusse adressait ces lignes prophétiques à d'Alembert, le Col-

1 Œuvres philosophiquiis de d'Jlvinbcrf, 1. xvm.

2 ('.(iile du ChtislidiiisiHd, t. iv, j». 300.

' A/c7rtH(yc» du vicomte de r.hftloaubiittnd.

24

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CIIAP. VI.

HISTOIKE

lûgc de Louis-lc-Grnnd tombait en décadence ; mnis alors los Jésuites faisaient éclater sur un autre point la puissance de leur système d'éducation. Rossignol de Yallouise arrive, en 17G7, au Collège Thérésien de Vienne, dont les Pères avaient la direction, et , après l'avoir proclamé une des premières écoles du monde, il continue * :

« On voyait rassemblée dans cette maison la fleur de la no- blesse de tous les Etats de la maison d'Autriche, Allemands, Hongrois, Italiens, Flamands. On y cultivait avec le plus grand soin et le plus grand succès les sciences, les lettres et les beaux-arts. L'histoire naturelle y était particulièrement en hon- neur. On y faisait des collections ; on apprenait à dessiner et à colorier au naturel les productions de la nature. Malhénia- tiques, physique, musique, danse, escrime, géographie, his- toire, rien n'était négligé pour former des cavaliers accomplis de tout point. Une trentai.ie d'élèves s'appliquaient ù la juris- prudence, lis étaient séparés des autres, comme déjà plus âgés. La Philosophie aura de la peine à en goûter le motif. Ces enfants se confessaient et communiaient régulièrement une fois le mois. Ce n'était point l'usage de le faire plus sou- vent. On entendait de les monter sur un ton qu'ils pussent conserver à la fm de leur éducation en entrant dans le monde. Mais ce qui intéressera particulièrement nos Français , rien n'é- galait le ton d'aménité, de politesse, d'urbanité qui régnait parmi cette jeunesse. Un étranger, en se présentant, était assuré d'être accueilli avec la plus grande honnêteté et de se trouver en pays de connaissance. 11 n'avait que faire de se pounoir d'un truchement. Ces jeunes gens parlaient toutes les langues , avec le môme degré de facilité , sans que cette étude prît sur leurs occupations littéraires, et voici comment: un jour de la semaine , tous étaient obligés de parler allemand ; un second jour était pour le latin , un autre pour l'italien ; on en avait assigné deux pour le français... Ainsi, je fus moins étonné qu'on ne le sera de ce que je vais dire. Je me trouvai à table à côté du jeune comte Bathiani , Hongrois , Agé de onze

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Li'lliT à M. Noi'l. (iliinir de h G'-ogrnphie ik Giillirif, p. <6 (Tiiriii, Hm).

DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.

371

ans. Il soutint avec moi de longues conversations. Jo Toi en- tendu parler latin avec la rapiditi^ et la précision d'un vieux professeur de philosophie. Quand il parlait franiçais, vous eus- siez dit qu'il avait été élevé sur les bords du la Loire , ù Blois ou à Orléans. C'est principalement ù table que j'ai conversé avec lui. On ne faisait point la lecture; on voulait que les en- fants profitassent de ce temps pour se former aux langues et aux manières de la bonne compagnie. Dans cette vue , on les faisait manger h des tables rondes ou ovales , qui ailmettaicnt douze convives, huit pensionnaires, et quatre Jésuites, distri- bués en symétrie , qui avaient l'œil à tout. Chaque enfant ser- vait ses camarades ù tour de rôle , et se trouvait engagé à ap- prendre à le faire avec décence. Elle régnait tellement dans tous leurs procédés , dans toute leur conduite que , quoique j'aie de- meuré assez longtemps au milieu d'eux , je n'ai pas entendu une seule fois un propos , une parole , qui donnât la moindre atteinte au respect qu'on doit à la Religion , à la pureté des mœurs, aux égards mutuels que prescrit l'esprit de société. »

On exalte à Vienne l'éducation que les débris de la Compa- gnie propagent par le système de Loyola ; à Breslau , un des élèves du Père Kœl)ler, Auguste Theiner, qui deviendra un écrivain distingué, offre, en 1833, à son vieux maître cet hommage aussi juste que touchant : « Je dois, dit Theiner i, l'éducation de ma jeunesse à ce Kœhler, si connu de tous les habitants de la Silésie , qui a eu la gloire d'être le premier à introduire dans cette province l'étude solide des langues orien- tales. Kœlher a rendu à l'instruction publique en Silésie des services que reconnaissent également les Catholiques et les Protestants. D'après la connaissance que j'ai acquise mainte- nant des Jésuites , je puis certifier que Kœhler est digne de son Ordre illustre. Je jouissais souvent quand je l'entendais, avec la plus aimable simplicité , exprimer le pieux désir de mourir , s'il était possible , dans l'habit de son Institut. »

Marie-Thérèse avait subi la loi des nécessités de position en donnant son assentiment à l'abohtion de la Compagnie de Jésus ;

805).

' Ifistnire fii's Jiis/Uitlions d'^tiidOthn ercli'siosf., I. i, inlr., p. .11.

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CII.M'. Vt. "ISTOIHK

mais ollc ne |iorniit pns qu'ils (li'scrlassonf son ('«llt'gp. Fn îln- virro, II' IVto Uonsclialt osl clioisi cyiiiinc rcclniii' do ci'lui do Munich. Lo lVr<> Joseph Mangold rcnipht hi nii^me place ù Aiigs- bourg. Quarante Jésuites lo dirigeaient, et il citait avec orgueil parmi ses professeurs Franrois Neumayr, Aloy» %'a ut Joseph Stark : les deux premiers , prédicateurs <•♦ m '.'Vf '^tes cé- lèbres; le dernier, érudit qui a traduil i i, allemand les meil- leurs ouvrages de la langue fran<aisc. Api.: l'extinction do l'Ordre, l'électeur de Cologno nounu. Jean Caitich supérieur du Collège des Trois-Couroimes ei recteur de son Université. Le prince Charles-Théodore, électeur palatin, laisse son Col- lège de Manheim ù leur ilisposition. C'est que vécut et mourut le Pércî Desbillons, exilé de France.

Partout la même réaction se produit en faveur des Jésuites. Jean de Ossuna est appelé à diriger le collège des Sabins , An- toine Pinaxo à inspecter les études à Milan ; Jean-de-l)ieu Nekrepp préside i Vienne l'Académie impériale des langues orientales, Jean Moinar l'Université de lUide. L'électeur de Mayence convie les Jésuites à venir enseigner dans ses Etats : il leur garantit des pension viagères et d'immenses avantages. On les conserve à Ratisbonne ainsi qu'à Liège, le Père Howard forme les jeunes Anglais à la piété et à la littérature. A Prato, Panizzoni, professeur de mathématiques , s'est relire à l'apparition du bref de Clément XIV. Les élèves partent avec lui. Ils ne reviennent que lorsque Léopold , grand-duc de Tos- cane, l'a réiii>t ;llr. Les chaires des hautes sciences furent l'a- panage à pp\'. près exî'Uisif de? -^-'^ ni tes. iaul Mako, Klicnnc Schu'uwisnf '',^U6.- Ilorwath , François Luino et Antoine Lecchi sont désignes par Marie-Thérèse, les uns comme asses- seurs, les autres comme maîtres de numismatique, d'anti- quités , d'architecture militaire ou d'hydraulique. i/Univer- sité de Ferrare nomme Antoine Villa professeur d'éloquenn* et d'antiquités grecques et latines. Le grand-duc Léopold rliariie Léonard Ximénez de répandre en Toscane rensi'ii;ni»'fneri' (if- la physique et de la géométrie. Oracle des Académies de Sien- ne, de lîolognc et <le Saint-Pétersbourg, il crée l'Observa- toire de Florence. Dans le niênio temps Hckel met en ordre

ItK LA COMI'ACMK lU, JKSL'S.

373

)c Miisôu niiiiiisiiiiili(|U(! (h; ci'lli; ville , .liKidiim ['là |ii'ul'c>!>u h U44)gnc la laiii^m' <-li;ililiiï(|iu;, ut l'Aiiulriiiit' du iMaiiluiio niuroniic lu (li>surlaU> Mir la inécaiiii|iic sublinit! dd l'ôru Antoine fntlffia.

Uogcr l.oscovicli ^'tait h, rn enfin. Tonlos les IJnivcrsilc'^ et K Acad('!n.'<»s de l'Knropc f. di>|intci'<'tit le savant Jrsiiilc ; mui.« il ne consentit j imais à se s('>| irer de sa u)ère la Stirirlé doLovola. (inand Clément XIV cnl |ironuii '' l'arrêt de mort de rinslilnt, Moscovicli se rem'it au vœu dt Loui \VI, (|ui l'en^fa^'Oiiif , par ne lettre anto;. plie, à se «'tirer dans ses Klals |)(Hii >^c livrer aux niéditnlidiis sulii ;ies ei «our salislairo sou ardciu' pour les proj^rès de 1 1 scieti' ' » L;. France lian- nissait les J/m ites français ; sou r.ii, plus j. Ht ou ait sa capi- tale aux Jésiii os étrangers. Lou.sXVI lo "irm- ■'" irecteur do l'optique pour i marine, avec une pension df^*,<KK livres tour- nois. Mais, soil haine contre le IV-rc, soit sei 'ieu( '1«' jalousie à l'égard di. sava it, Iloscovich se trouva en h.. . au\ intrigues de d'Aleud)ert' t de Condorcot. Il n était p. liabilué à ces passions (jui absu bent le génie et tuent l'ému um : il aban- donna la France, ;ifin d'aller clienher le rep. ;i "Jilan. Ce repos devint une nouvelle source de gloire poui i et pour ses l'rércs.

Tandis que Rose vich attire sur ses travaux b- legards du monde savant, un autre Jésuite, à l'extrémité de I iùiropc , l'ait applaudir ses teutativs. Poczobut est à l'Observalon le Vilna, qu'il a re<^tauré. En 1 ''t73 il compose la constellation du Tau- reau royal de Poniatowski. Le compagnon fidèle des labeurs astronomiques de Poi zobut, c'est encore un Jésuite , André Strecki le mathématicien. Maximilien Ilell , cet inventeur si

' On a nid que d'Alcmberl ail jusciW des chogrins i> Boscovirh ; voici une note de Laliuiile, que Irnnsciil Monliicla dans son Histoire des mulluma tiques, I. iv, pniîc 288. Il dil : « Le Père Boscovicli, (jui avait ctenné, sur celle espèce d't'qui- libre, des recherches ingcinieufies el savanles en 175.5, fui allaquô par d'Alenibert (Opusc, 1761, l. I, p. 246); il n'uimail pas les Jt'suiles, pc:''t! que l'on avail cri- liqut> l'Eiici/rlojtedic dans le Joitriiat de Trvvoiix ; el il a pers(?culô le P. Uosco- vich loulc sa vie. Mais celui-ci prouva coinplélenicnl que d'Aleinberl avnil lorl, dans une noie insérée, en 1770, dans la Iradutlion de son ouvraoe sur la mesure de la lerrc {/'aynge iii>troiioiiii(jiie it gvixjmphiqiie, p. hVi). Le Père Boscovich ne l'uisail pas aulanl de calcul intégral que d'Aieuiberl, mais il avait bien autant d'esprit. ))

i<i;

074

CHAI'. Vi. HISlulRE

profond dans les sciences exactes , se rend à Ward'lius , en Laponie, sur l'invitation de Christian Vil de Danemark. L'au- teur des Ephémérides astronomiques doit sur ce point étudier le passage de Vénus. C'est l'une des observations qui ont fourni les résultats les plus satisfaisants *.

Le nombre des Jésuites qui, comme Boscovich, Poczobut et Hell, grandissaient la Compagnie à l'époque de la suppression, est véritablement extraordinaire. A Rome, ce sont les Pères Asclépi et Veiga; k Vienne, à côté du Père Hell, l'astronome, le mathématicien impérial , Pilgram , Mayr , Sainovicz ; en France et en Italie , Carboni de Sassari , Rivoire , Béraud , Rossi , Monteiro , Troili , Monrin , Luneau de Boisgermain , Mourgues, Duparc, Paulian, Viiutrin, Gainella, ses frères dans l'Institut , ses collaborateurs ou ses émules dans la science. Le Père Liesganîg , dont Lalande admirait le génie , s'est retiré à Lembei^. Rien ne l'attache plus à la terre depuis qu'on a rompu les liens qui l'unissaient à la Société de Jésus. Liesga- nig , l'auteur d'une Mesure de plusieurs degrés du méridien , semble oublier ses travaux pour la prière. Weiss à Tirnau , Mayr et Tirneberger à Gratz n'abandonnent pas le chanip de bataille astronomique. D'autres ont aussi le courage de la science avec celui de la résignation « Il y avait , dit Montu- cla *, peu de grands collèges de la Société, soit en Alle- magne , soit dans les pays circonvoisins , l'astronomie n'eût un observatoire, comme ceux d'Ingolstadt en Bavière, de Gratz en Syrie , de Breslau et Oimutz en Silésie , de Prague en Bohême, de Posenen Lithuanie, etc. Mais plusieurs de ces

I Lalande avait prié les divers astronomes de lui envoyer leurs nbservalions, pour qu'il pût les calculer, les comparer et en déduire la distance du soleil A la terre. Hell n'envoya pas les siennes à Paris ; il les publia en Allemagne, et leur ré- sultat fut plus décisif et plus exact que celui de l'astronome français. Lalande se vengea dans le Journal des savants de 1770; Hell répliqua. Mais, quand la mort eut amené le jour de la vérité ^'t des éloges, Lalande rendit justice à son rival. H dit, à la page 722 de la Bibliographie astronomique, année 1792 : « L'observa- tion du Père Hell réussit complètement ; elle s'est trouvée, en effet, une des cinq observations complètes faites à de si grandes distances, et oii l'élnigncment de Vénus changeant de plus la durée du passage nous a fait connaître la véritable dislance du soleil et de toutes planètes à la terre, époque mémorable de l'astronomie à laquelle se trouvera lié, à juste titre, le nom du Père Hell, dont le voyage fut aussi fruc- tueux, aussi curieux et aussi pénible qu'aucun du ceux qui ont été entrepris à l'eu- casion de ce passage. »

* Histoire des matkemaliques, t. iv, p. 3*4.

l)K LA COMI'At;.MIi DK JKSIJS.

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observatoires paraissent avoir subi le sort de la Société. Ce- pendant il y en a qui ont surnagé à la submersion de cette Société, comme celui de Prague. Cet Observatoire , acbevé en 1749, fut occupé, un assez grand nombre d'années, par le Père Steppling, habile géomètre et astronome, h qui l'Univer- sité de Prague doit principalement l'introduction des sciences exactes dans son sein. »

Christian Maycr à Manheim , Esprit Pézenas à Marseille , Reggio , de Cesaris et Oriani à Milan , Lecchi à Vienne, Schef- fer à Augsbourg, sont estimés par les peuples et aimés par les rois. François Schrank devient le naturaliste de l'Allcrpagne, l'émule de Buffon et l'ami de Daubenton. Le Frère coadjuteur Michel Zabala , exilé à Rome , se livre à l'étude de la médecine pour offrir aux pauvres comme lui les secours de son art. Il est bientôt nommé médecin en chef de l'hospice royal de Saint- Jacques. Le Père Xavier de Borgo, ascète, orateur et ingé- nieur, poursuit sa triple carrière dans le monde, tandis que le Père Eckel , le numismate du dix-huitième siècle , public sa Science des médailles , et que Requeno devance Claude Chappc dans l'invention des signes télégraphiques.

Ce que les uns entreprenaient pour glorifier Dieu par les sciences humaines, d'autres l'accomplissaient dans les études sacrées , dans l'histoire , dans la philosophie , dans la littéra- ture. Le Père Baptiste Faure était leur maître. Erudit con- sommé , dialecticien aussi brillant que vigoureux , il avait passé sa vie dans les luttes de la pensée. La cité et le sénat de Vi- terbe Im érigèrent une statue et un tombeau. Le Père Lazeri , habile linguiste et théologien profond , a été , sous différents règnes , consulteur de V Index et correcteur des livres orien- taux. Clément XIV le maintient dans ces emplois. II abolit les Jésuites , et il supplie Lazeri de ne pas résilier les fonctions d'examinateur des Evêques. En montant sur le trône , ce même Ganganclli trouve le Père Angeri revêtu du titre de théo- logien du Pape ; il le lui conserve après avoir détruit la So- ciété de Jésus. A la mort d' Angeri , Pie VI ne voulut pas faire moins que son prédécesseur. Les Jésuites étaient frappés do mort ecclésiastique , et les Pontifes ainsi que les Evêques de la

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CHAI'. VI. UlSTOIItK

Catholicilc les plaçaient auprès de leurs personnes, presque dans leur conseil.

Hyacinthe Stoppini, Vincent Bolgéni, Joseph Marinovich, Vincent Giorgi, Alphonse Muzzarelli , furent successivement appelés à ce poste de confiance. Depuis la suppression jusqu'au rétablissement de la Compagnie ils s'y perpétuèrent. Muzza- relli suivait Pie VII , arraché du Qairinal par une escouade de gendarmes ;*un autre Jésuite , Faustino Ârévalo , fut installé au centre de la Catholicité , comme théologien du Pape , par le cardinal di Piélro , son représentant. Le Père Marotti est se- crétaire des lettres latines, et Acquasciati , consulteur des rites.

Chaque Evéque avait choisi pour guide un Père de l'Institut. Diego Fuensalida était à ce titre à Imola , auprès du cardinal Chiaramonte, Berti à Reggio, Novaës à Sienne, Ocampo à Forli et à Comachio , Xïivier Perotès à Ancône , Antoine Mas- deu à Ravenne , Cominelli à Padoue , Bellini à Vicence , Ercé à Ferrare , Perez de Valdivia à Fano , Franciosi à Savone , Ca- tani à Césène. Ils devenaient dans chaque diocèse les directeurs du prélat, les examinateurs synodaux, les casuistes les plus expérimentés. Le Père Benoît Statler, théologien et philoso- phe , est le conseiller ecclésiastique de l'électeur de Bavière ; il combat le Kantisme et publie son Ethica christ iana. Thomas Holtzklau avec les Pères Kilber, Neubaer et Munier, compo- sent la Théologie de Wurzbourg. Edmond Voit, Burkauscr, Wyrwick, Para du Phanjas, Spani, Kilian, Guénard et Itur- riaga, éclairent par leurs écrits les questions les plus obscures; ils sont les héritiers de cette dernière génération de Jésuites qui verra les malheurs de l'Institut; ils remplacent dans lo monde savant les Pères Juan d'UUoa, Georges Hermann, Rou- ter, et de La Marche*, morts de l'année 1700 à 1700. Ils marchent sur les traces du Père Zech, le plus grand canonistc allemand du dix-huitième siècle.

Disséminés dans le monde, ils portent partout l'amour de l'érudition et des lettres. Ici ce sont les exégètes Pierre Curti,

1 Le Pcrc Fiançois ^\c La Marche qui fut envoyé a la Martinique cl y coiulamna LaTalcIte, esl l'atilcur de la Foijiislijh'c de tout reproche de conlrndklion avec la raison, C/ost dune ii lort (lue les biographes l'appellent ordinairement de La Morrc.

LE VENERABLE JOSEPH PICNATELLI,

de la CompaAnie de Jésus.

UE LA CUMI>AÛMË DE JESUS.

377

'

licrmaiin Goldhagen, Jean-Baptiste Gencr, Alphonse de Nicolaï et Champion de Cicé-Nilon ; , Weith , Xavier Widen-Hoflcr, Ignace Weitenauer et Nicolas de Diesbach, tour ù tour soldat, protestant, prédicateur et controversiste de la Société de Jé- sus. Charles Sardagna, Mutschell, Antoine Weissembach , l'ad- versaire des Joséphistes, Sigismond Storchenau, Nonnolte, Schvenfeld, Noghera et Augustin Barruel, l'ingénieux auteur des Helvhines, sont les derniers athlètes de la Compagnie. « Dans les démêlés survenus entre les Nonces du Pape et les Electeurs ecclésiastiques d'Allemagne, de 1786 à 1792, ra- conte le cardinal Pacca*, ce furent encore les anciens Jésuites qui se présentèrent dans la lice contre les ennemis du Sahit- Siége ; ils vinrent éclairer et fortifier les fidèles par des écrits solides et victorieux. » Le cardinal cite au premier rang de ces hommes qui défendaient l'Eglise contre les attaques mô- mes du Clergé, le savant canoniste Jacques Zallinger et l'infa- tigable Xavier de Feller. Feller, c'est le génie du travail joint à la plus vive intelligence et à une érudition de toutes les heures. Il apparaît historien, philosophe, géographe, théologien et polé- miste. Encyclopédie faite homme, il jette à la publicité ses inspirations, sans prendre le temps de donner le coloris ù sa pensée. Il protégeait la Belgique, sa patrie, contre les empié- tements de Joseph II ; il soutenait les droits de ses concitoyens en leur ?îpprenant à résister aux innovations tyranniques, et, selon le témoignage de M. de Gerlache, historien moderne des Pays-Bas, les écrits de Feller exercèrent une grande influence sur le congrès belge de 1790. Feller fut le chef de la croisade contre les doctrines de Joseph II et de l'Evêque Jean-Nicolas de Hontheim, plus connu sous le pseudonyme do Fébronius ; mais dans cette guerre de l'Unité aux prises avec les innova- tions, Feller trouva des appuis parmi ses anciens frères de l'Institut. On battait l'Eglise en brèche, tantôt par le sa.oasme, tantôt par des systèmes décevants ; les Pères Pierre de Doyar, Ghesquier, Navez, ùq Saive ' et Corneille de Smet, se prccipi-

^

' Mémoires historiques du cardinal Pacca^ 1. 1, p. 103. 2 Le Porc (le Saive avait consacré son existence au (riomphc de la Foi. En 181 1, quand le protendu Concile de Paris mcna<;ail les libcitOs de rEijlisc, ce Jcsuile

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CHAF. Vi. HI810IHE

tèrent audacicuscment dans la môléc théologique ; ils s'y tirent remarquer par une polémique aussi vive que sensée. Ces Jé- suites défendaient l'autorité sur le point attaqué; un autre Jésuite, le Père Zaccaria, vient, du fond de l'Italie, olVrir à la Catholicité un concours qui tranche la question en sa faveur. Zaccaria avait été l'ami de Benoît XIV et de Clément XllI. Clément XIV lui-même rafl'cctionnait, Pic VI mettait toute con- fiance en lui. Zaccaria ne fut pas insensible au péril de l'Eglise. II combattit, il réfuta Fébronius avec tant de force que Nicolas de Ilontheim, convaincu de ses erreurs, eut assez de courage pour les avouer.

Capitani de' Mozzl, Berthier, Panizzoni, Daguct, Budardi, Griffet, Baudrand, Minetti, Beauvais, Couturier, Tartagni, Gfivina, Fontaine, Champion de Pontalier, Jean Grou et Starck achèvent dans le monde ils sont exilés les œuvres ascétiques qui donnent à leurr noms une pieuse célébrité. « Si vous rencontriez, dit Chateaubriand*, un ecclésiastique Agé, plein de savoir, d'esprit, d'aménité, ayant le ton de la bonne compagnie et les manières d'un homme bien élevé , vous étiez disposé à croire que cet ancien prêtre était un Jésuite. » Le Jésuite régnait encore dans la pensée du Chrétien. Il dominait par la simplicité de ses vertus, il se faisait aimer par les grâces de son esprit, par la justesse de son raisonnement, par sa politesse pleine de tact. Il n'y avait plus , il est vrai , de Laynès et de Bellarmin , de Petau et Bourdaloue dans leurs rangs ; l'affaissement littéraire du wiii*" siècle s'était fait sentir jusque parmi les disciples de Loyola. Ils ne l'emportaient pas en génie et en élévation d'idées sur leurs prédécesseurs ; mais ces écrivains , essuyant , malgré eux , le contre-coup de la déca- dence qu'ils combattirent si longtemps, se révélaient encore orateurs et historiens, philosophes et critiques, érudits et litté- rateurs.

Berthier marche à la tète de ceux dont la proscription ne suspend pas les travaux. Il a rédigé avec tant d'éclat le Journal

élait vieux et infirme. 11 so Ut nt^anmoins transporter en France pour snulcuir le courage des Evoques de Belgique dont il était le conseil. < Mélanges de Chateaubriand.

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1

DE LA COMPAGMi:: DE JESUS.

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de JW'VOUX , il s'est montré si formidable par ses lumières et sa modération, qu'il neutralise les outrages sous lesquels les philosophes s'efforcent d'ensevelir son nom. Berthier est le continuateur de V Histoire de l'Eglise (jaUicane du Père Lon- gucval , et son talent comme annaliste ne lui fait rien perdre de SCS qualités philosophiques. Gabriel Broticr , ainsi que les autres Jésuites , consacre à l'étude le reste de sa vie. Archéo- logue, chimiste, médecin, il acquiert, par son édition de Ta- cite et par ses autres ouvrages , une réputation plus solide que brillante, à qui le temps ne peut rien enlever. Butticr, Morton et Stukeley , les maîtres de l'Université d'Oxford , encouragent le Jésuite dans ses travaux. Le Père Desbillons , le dernier des Romains ; Bonaventure Giraudeau , Lenoir-Duparc , Costcr , Laurent Paul , Féraud , Théodore Lombard , Ansquer de Pon- çol, Cunich, Du Hamel, Blanchard, Yves de Querbœuf, Mi- chel Korycki , Domairon et Corret se rendent utiles à leur pa- trie par des ouvrages instructifs et moraux. Grosier remplace à \ Année liltémire ce redoutable Fréron , que la Compagnie de Jésus forma dans son sein , et qui , mutilé par Yoltaiio , grandit maintenant dans la mémoire des hommes comme un de ces athlètes de critique que le génie n'a pu tiicr sous ses colères. Au môme instant que Grosier s'emparait de la suc- cession de Fréron , un autre Jésuite , qui fera la fortune du Journal des Débats, Julien-Louis Geoffroi], commençait sa car- rière dans Y Année littéraire. Claude de Marolles, Reyre, Perrin, Papillon du Rivet , Roissard , de Bulonde , Verron , Richard , Trento , Pellegrini , Saracinelli , Venin; , Masdeu , Wurz , Merz , Larraz et Winkelkofer sont encore les prédicateurs les plus estimés de leur temps. Michel Denis devient le poète de l'Alle- magne. Ami de Klopstock, de Schiller et de Goethe , tendant comme eux à une régénération littéraire , il popularise par ses vers et par son Ossiar l'idiome national en Autriche. Il est conseiller aulique et directeur de la Bibliothèque impériale de Vienne. Volpi et Santi, Granelli et Lagomarsini n'ont pas vu la chute de la Compagnie. Poètes ou orateurs, ils précédèrent leur Institut dans le tombeau. Bettinelli, Rubbi , Giorgi, Raffci, Novaës , Antonio Ambroggi et Tiraboschi les remplacent dans la

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CHAP. M.

iiisiuiiu!;

gluirc qui s'attuciii; aux wuvres de l'esprit. Tirubosclii com- pose son Ilisfoifc de la littérature italienne; Aiidrès n'em- brasse pas un cadre aussi étroit, il entreprend VOriyiue et les progrès de toute littérature. « L'Ordre des Jésuites , à ré- poquc de leur expulsion d'Espagne , ainsi parle l'anglican Coxc * , se trouvait posséder des lillérateurs , des savants et des mathématiciens distingués. Les nomsd'Andrés , Arteaga , Eyme- rich , liurricl , Ccrda , Colomes , Eximenos , Isla , Lampillas , Lasala , Masdeu , Montcngon , Nuix et Serrano seront toujours chers aux lettres. »

Le chevalier d'Azara , ce diplomate dont l'esprit de conver- sation est aussi célèbre que son amour pour les arts , avait con- tribué de toute son influence i!t la destruction de la Compagnie de Jésus. A Home , il se faisait une fête de recevoir dans son palais Andrès , Hequeno, Ortiz, Clavigero et Arteaga. Leurs talents l'amenaient à oublier ses préjugés philosophiques , car , dit encore l'historien anglican : « Pendant le séjour des Jésuites espagnols en Italie , un nombre considérable d'entre eux cul- tivaient avec distinction les sciences et les lettres. Les biblio- thèques publiques étaient fréquentées par ces hommes avides d'instruction , que le malheur poussait encore plus vivement vers cette occupation consolatrice. Les académies, les théâtres eux-mêmes retentissaient de leurs discours et de leurs ouvra- ges. Ils déposaient dans les feuilles littéraires le fruit de leurs recherches continuelles ; et, il faut l'avouer à leur gloire, leurs discussions avaient souvent pour but de venger l'honneur de cette même patrie, dont ils venaient d'être si inhumainement bainiis , contre les assertions violentes de quelques écrivains italiens qui cherchaient à déprécier la richesse et la gloire de la littérature espagnole. »

Ce que Coxe raconte des Jésuites exilés de la Péninsule peut à aussi juste titre s'appliquer aux Pères de toutes les con- trées. Hobrizoffer , Cordara , de ReilTemberg et Nicolas Muszca vivaient encore; Bcrault-Bercastcl composait son Histoire de r Eglise^ Guérin Du Rocher Vlliatoire vérilable des tanips

' L'Espiujuc sous li:s lioitrbons, 1. v, p. 20.

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DE LA COMPAGNIR DE J^.SUS.

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I

fnhukvx, et Fr.infois de Li((ny son Hintoire de In rie de Jé.sui-C/irist. Dans le môme temps , Stanislas Naniscewicz, poète lyrique et prosateur, mettait la dernière main à son His- toire de Pologne. Daniel Farlati débrouille le chaos des anti- quités de rillyrie, et, sous le titre lUyricum sacrum, il élève un monument dont les auteurs protestants des Actes de Leip~ sick exaltèrent le mérite et la grandeur. Laugier retrace V His- toire de Venise. Kaprinai écrit, par ordre de Joseph 11, les an- nales de Hongrie, que développe le Père Georges Pray. Lanzi se fait tout \ la ibis narrateur, antiquaire et poète ; Schwartz publie ses Collegia historica; Burriel rédige son Traité de Pégalitè des poids et mesures, Walstelein publie sa Descrip- tion de la Gaule Belgique selon les trois âges de l'histoire. Velly, Millot, Du port-Du tertre, anciens Jésuites; Emmanuel Correa, Xavier Panel, Nicolas Schmidt, Katona, Marc Hansitz, Joseph Hiner, Hartzheim, Schall et Benedetti s'occupent de reconsti- tuer les annales des peuples en fouillant les vieux manuscrits, en étudiant les médailles ou la jurisprudence ecclésiastique. Guillaume Bertoux narre V Histoire des poètes français ; Le- grand d'Aussy réunit ses Fabliaux des xu» et xiii« siècles : il écrit la vie d'Apollonius de Thyane ; Jean Masdeu commence en Italie l'histoire de son pays. Louis Jacquet , une des gloires scientifiques de Lyon, donne à l'académie et au barreau des règles de bon goût, de jurisprudence et de probité littéraire, tandis que Georgel ^ rédige ses Mémoires et que Gusta compose ceux du marquis de Pombal , ouvrages trop souvent la pas- sion nuit à la vraisemblance.

La charité des Jésuites de Buénos-Ayres a rendu Jésuite Thomas Falkner, chirurgien anglais, que la mort allait frapper sur ces rives étrangères. Il doit sa vie à la Société de Jésus, il la lui consacre. L'Anglican se fait Missionnaire catholique; puis, lorsqu'il ne lui est plus permis d'évangéliser les sauvages, il revient en Angleterre, et il décrit la Patagonie. Morcelli,

' Au moment de l'abolition de l'Oidre de Jism, Georgel s'atfaclm h 1 1 fortune du cardinal Louis de Rohan. 11 le suivit à Vienne, en 4772, en qualité de secré- iiiiru d'ambassade ; par affection pour le cardinal, il se montra injuste envers la reine Mario-Anloinelte dans l'alTaire du Collier, et, en 1803, après lo Concordat, un évOché lui fut offert par le premier Consul. 11 refusa celle diguilo.

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CHAP. VI, HISTOIRE

lo inailrc do r('|)iQ(i'!iplii(|iH>, ilétcrniino les prinripos do l'in- scription monniiicnlulc; Colclti, Linork, llaidcn, Hoiitii, Oiidin, Patoiiillet, do Mcnou , Dobrowski , de Uossi al TIiidIcii ^ re- muent, chacun en l'honncui' de sa patrie et du lieu de son exil , les traditions et les événements qui étendront le cercle des études historiques.

Ce fut dans cet 'nccssant sacrifice à l'humanité et à la sricncc que les Jésuites consumèrent leurs derniers jours. Par dos tra- vaux aussi variés que l'imagination, ils avaient honoré leur Institut anéanti ; d'autres l'illustrent par la naissance ot par les ^'rands noms qu'ils y latlachent. Les hommes de piété, de sa- voir, d'intelligence et lio dévouement apostolique avaient jeté un vif éclat sur les dciix premiers siècles de la Société, ils no hii firent pas défaut d ins le xviii*'. Alors, comme jadis, elle compta dans ses rangs des héritiers de toutes les noblesses.

Quelques années avant sa destruction, elle voyait au nombre des disciple ! de Loyola les Pères Gabriel do Clermont, Joseph de La Forte. François de Seedorf, Vincent de Serrant, Gilbert de la Ghîlil^ , Spinola, Armand de Montesquieu, Dudon, Cor- radlni, François d'Armaillé, quatre Fleuriau d'Armononville, Antoine de Beauvilliers, Olivieri, de Kerivon, René et Philippe Descartes, Gabriel de Korgariou, deFegeli, du Bolderu, deFon- tenoUe, Sagromoso, de HIainville, Antoine de la BoiJssière, Fran- çois de Ilanial, Saint-Gilles, de Ilordigné, Ililaire de CliAteaubriand François de Goëtlogon, trois La Granvillo, Radominski, Hervé de Montaigu, de Voisvenet, de Bonneuil et Tanneguy du Chastel.

Ces Jésuites étaient descendus dans la tombe lorstjue la Compagnie se trouva aux prises avec l'adversité, mais d'autres rejetons des grandes familles conduisirent son deuil dans de loin- tains exils. On vit, parmi ces bannis au nom de l'honneur na- tional, les Pères Idiaquez, duc de Grenade, Nicolas et Joseph

* en 1746 à Gotliembourg, Tliiiilen, (Hcvé dans le lulhéraiiisiti,e, 8C liouvail ii Cadix au nionieii! Icg Jt'suile» du Mexiqne y abordèrent. Ou allait les d<'porlci' en Italie, il s'embarqua secrèleiueut avec eux. Il ])arla(;ea leurs privalions sur l.i mer, leur capliviti* dans l'ile de Corse. Le eonimandant français, ii AjiUtio, le rend à la liberté. On lui propose un riche mariage. Tliinlen, qui a élé ^uudiO de ré- signaliou des Jé&uitcs, sullicilc la faveur de courir avec eux la chance des misères. Il est envoyé au Noviciat de Bologne, oii il fait ses prcmiurs vœux ; \ws, après la suppression, il s'adouuc aux éludes bibioriqucs et morales, dans lesquelles il sut se distinguer.

M LA COMPAGNIE "nr-Jt«lIS.

383

Pignntolli ilo Fncntès, Ruymoiul de Aguirc, l'iene de Cospfid«Vs, Snlazar, Ga«>tan del Giudice, Sandoval, Ilurriaga, San-Estcvan >, Zuniga, Carraciolo, Janvier de Luna, Parada, Pallavicino, Jo- seph Gravina, Juan de Gusman, Noronha do Arcos, Jan((ues de Gainera, François do Portugal, Nuflez de Gunha, Rodri- guez de Mello, Jean de Ossuna, Gharles de la Serna-Santander, Corrca, Timothée de Olivoira, Emmanuel d'Azévedo, Frédéric Palbvicini et Mendoza.

L'Allemagne, la France, la Pologne et la Suisse ont, comme l'Espagne, le Portugal et l'Italie, leur contingent de noms il- lustres à oflrir à la Gompagnie de Jésus. Ici ce sont les Pérès Ignace de Wrède, Frédéric de UeifTemberg, Léopold Apialtcr, iNicolas de Diesbach, Odiltz, do Wulfen, Sigismond d'Iiohen- wart, Etienne Mic.halcz, Jean Sainovicz, Joseph d'IIubertli, Antoine de Sonnenberg, Henri de Baring, Jérôme do Wymar, Jean Pezytuski, Ferdinand de llexthausen, Benislawski, Sta- nislas Kanouski, Naruscewicz , Gharles Palma, Gasimir Swirski et Popiel. paraissent François de Dur fort, Louis de Grosbois Guillaume de Rességuier, six Villeneuve, de Noë, de Reissac, de Monteil , Stanislas de Beaumanoir, de Sinety, de Montégut , de Saint-Jean, de Pontevcs, de Matha, de Goriolis , de Montépin, do Gueydan, de Gastellane, de Ghampagny, de Savignac, de Vaubonne, de Ghoin, de La Tourette, de Vertrieu, de Saint- Germain, de Beaupré, de La Peyrouse, de GhAteaubrun, de Mon- talembert , de La Gondamine , de Vaujours , do Broissia , de Gourcelles, Ripert de Monclar, de Ghàteauneuf, de Séguiran , de Montgenet, de Villetle, du Fougerais, de Portula, de Montjus- tin, du Ghàtellard, Noyellc, Gantheaume, Jean-Baptiste Portalis, Tharin, Gourvoisier, de Serres, Albert de Rhodes, Montméjan, de Fumeron, Georges de Golgrave, de Fourncl, de Gamus , La Va- lette, de Réals, Ghampion de Gicé-Nilon et Gicé do Ponta- licr, Laîcaris, de La Fay , Fabricio Garalla, Maltei, Grimaldi,

' Le Père de San-Eslevan, d'une des pins anciennes familles d'Esp;i(;iie, se Ht naturaliser Frani.ais. Il fui agent gt'nc'ral du ClergO; puis, élant enlrO dans la Coin- pagnie de Jésus, il sollicita la Missinn des Indes. Les supérieurs so rendircnl ii sa prière. Il se trouvait a PondichOry au plus fort de la guerre de 1760, eiilre les Français el les Anglais. De concert avec le Père I.avaur. il procura souvent des se- cours à l'arniée du comte de Lally. Le Béarn envoya le vieux Jésuite aux Etals- Généraux, et il lit partie de l'Assemblée constituante.

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CHAI». VI. IIISTOIRP.

1^

I :

il

Jean Slro7.7.i, Clinrlus do Mri^iiolo, Visconti , l)iira77.o, i\ns|)i- (rlinsi, Phinciaiii, Hcggio, Odcrico , Mancilorle, Tarla^iii , Sanscvcrino, Rczzoïiico, Jac)|ues liclgi'ado, Nicolas et Jean Tu» lomei, César de Cordara, Hoberli , Joseph de Médici, Aloys do' Mozzi , Granelli , Pelligriiii , Muzzarclli , Thaddéo Nogarola , d*Kici, Rorglièso, deCardito, Iliccati, Litta, Calini, Guy Fer- rari, Oddi, Ghislieri, Albergotti, Marsili et Doria.

C'est en s'appuyant sur ces noms, célèbres dans l'K^lisc, dans la guerre, dans la magistrature, dans la diplomatie et A la cour, que la Compagnie de Jésus prêchait , instruisait et écri- vait. En calomniant ses doctrines, en déshonorant son passé et son avenir, on essaya de persuader à l'Europe (|ue, dans cha- cune de ces illustres familles, ainsi qu'au plus humble foyer, il se rencontrait des natures assez perverses pour renoncer aux richesses, au bonheur, à la gloire ou à l'obscurité, afin de con- damner son dévouement à la corruption de l'espèce huiiiair]o. Les Parlements et les rois de la maison de Ilourbon essayèrent de llétrir l'Ordre de Jésus, sans songer (ju'ils s'accusaient eux- mêmes dans leurs familles, dans leurs plus fidèles sujets, ou dans les gloires de la patrie. Ils déclarèrent que l'Institut de Loyola était dangereux pour l'Eglise, pour les monarchies, pour les peuples ; tandis que tous ces Jésuites, dont les ancê- tres avaient glorifié leur pays, dont les petits-neveux allaient combattre pour les trônes ébranlés, proclamaient par la sain- teté de leur vie l'habile prévoyance des Philosophes, l'erreur de la justice et l'aveuglement des princes.

DE LA COMrACNfF PK JKSU8.

nsr.

CIIA1>ITRE VII.

I.i'i Ji^auilos en Prune cl en Ruiiie. Fn^iU^rii; II les maintient dans «ea Ivlnl* ninlfin^ IfH IMiilotoiihn ut li; impuClitincnt XIV. Il l'oiipoacii la pulilinlion ilu l)ii'f OomiiiiiH lie lii'dfmptor. Lfllro inimité «le FrO(l<*rir h l'ulilii' Co- luinMni, Sa ('ui'i'o«|i(iniliin('u avec «l'Alcnilierl. Ses qvimix en Titycnr tli's Ji'iiullt's. Cnli'i'i! (les l'hilusoithes. l'"i'6l( rie 11 jn'onil îles int'nnri's de nm- snrviilion avi'i; lo IVro ()iio!>ki. Calheiinc II v\ Ich J('!iuil(>!) de lu hnssio- Khiriclie, lU voiili'ut se gi'i'iilariser. Le l'i'rc ('/.Di'nlcvvir/ cl le Oilli'ii'' de l')ilol!ik. I.C4 J(^8uile8, pour idx'ir ou l'ape, demandent In riiculli' ilt< se re- lirer. L'Inipr'iali'ice l•e^n^^^ Klle ohlient du l'npe <|ue les Jésuili's i<i)l)fii>>le- ront en Itusiie. Towiansiti, suirr»|{unt de IVvtVIu' de Vilna, ei i 'm|ii| r-s

accusent li's Jcsuiles de diSoliéisiiince envers le Pape, ' «nh it

une solnlion iij'ie VI, Sa ri'piuise. Hief adressii h S' s t •• que

di! M(iliilo>v. La rour de llonie lui accorde tuiilc suprtr irei

rcli|;i(>nx. Ainbinnne culculi'e ou ntal explit|uCc do ce bi'cl. - i. .>'i|Uetlo Moliilow s'en sert pour autoriser un Noviciat do JiSuiles sous les iiuspicet' de la r/.urine. Son niandenicnl. l.c Nonce Archelli el le ministre russe, comte de Slaclti.'ll)er(i. Notes t'chanjjc'cs. Adhcsion serrola du Suinl-Si(*(je. L'Imprralrice Callierim» /. les Ji^suites. Sa polili(|ue. Le prime l'o- lomkin et les JéMiites. L'Kvrquo de Moliilow veut rire reconnu chef do la Compnijiiic. Polemkin prolrge les Ji'suite?. L'IrupOratricc dt^clnre que lc!« Jésuites vivront dans ses l'I.ds sous leur ancienne ri<olc. Klle les autorise ii nonimer un Vicairc-Uiiicral perpétuel. Kleclion du Père C/erniewicz. Ambassade de l'uncieii Ii'suile ncnisluwski ii Itome. Lettre de Catherine au Pape.— Embarras de PicVI. Il approuve verbalement la SociiHé renais- sante de Jésus. Accroissements de lu Compacnie. Mort de C./.ornicwic/. et élection de Lenkiewic/.. Les Pérès (iruber et Skakowski appelés ii la cour.

Le duc de Parme veut rétablir les jésuites dans ses Klals. Le g JésuileH y nrriviul. Mmi de Catherine. Paul 1" prend les Jésuites sous sa pro- tection. — Mort du Père Lenkiewic/. Le Père Kareu, Vieairc-tiénéral. Caractère de l'empereur Paul l'"'. Son amitié pour les Jésuilcs el pour le Père (iruber. Portrait de (irubcr. Election du Pape Pic Vil favori.sée par le C/,ar. (iruber en correspondance avec Honaparle. Indiiencc du Jé- suile. L'empereur Paul deinaiitle au Pape un bre[i|ui reconnaisse l'existence de rinslilul. Publication de ce bref. Mort de Paul I". La ConurégatitMi du Sacré-Cu'ur. Les Paccanaristes cl le Père Pani/./.oni. (,)uel(|ues Paccana- risles se finit recevoir dans l'iiislilut. L'empereur Alexamlre du /, les Jésuilcs. Mort du Père Kareu. Election de Uruber. Les Jésuilcs envoyi-s imur orijaniser les colonies du Volga. Mission du Père Angiolini ii Uome. L'eui- liereur d'.\ulriclie François II, les rois de Sardaicue et de Naples se proposent tic rétablir la Compagnie de Jésus. Anijiolini fi Picnalclli ii Naplcf. liief du Pape il Grober pour lui annoncer (|uc les Jésuites rentrent dans les Deux-Sicilcs.

Piljnalelli Provincial. Témoij;nai5es de joie des hubilanls de (c royaunu-, constatés par le Journal des lh'b<ifs. Mort de (iruber. Le Pi're li/.ro/.i>\vski lui succède. La liberté d'enseionemenl proposée par les Jésuilcs à l'ompereur «le liussie. Les Jésuilcs expulsés de Naples avec le roi. Piunalilli les ra- mène à Itonie -— Le Pape les reçoit. Dernières anni'cs do Piciiîiielli Sa mort. Pie VII caplif. Les llestauralions de 1814. Pour((uoi Pie VU sonijc il rétablir la Conipaunic de Jésus. Ihille Solticiliido omiiittiii /■krlcsui- viiin. Le Pape au Gesù. Les vieux Jésuites. Conclusion.

Par une do ces étrange les lioniinos , sans vouloir

s conliisions de choses et d'idées dont remonter pins liant, demandent l'ox-

386

CHAP. VU. HISTOIRE

ii ;

plication aux mystères de la politique, aux intérêts des princes , aux passions des peuples , la Société de Jésus , détruite par les rois catholiques et par le Saint-Siège , fut conservée par deux souverains en dehors de TEglise. Joseph I""" et Louis XV , Charles III et Ferdinand IV s'étaient coalisés pour forcer la main û Clément XIV; ils avaient entraîné dans leur conjuration Marie-Thérèso d'Autriche , ne résistant plus à l'esprit novateur de son fils. Les Jésuites étaient mis au ban de l'Europe catho- lique. Ils avaient été attaqués dans mille libelles, poursuivis par des arrêts, jugés par leurs ennemis, condamnés par des ministres aveugles ou cupides. Tout leur devenait hostile, jusqu'au Pontife romain. Dans ce délaissement universel, ils s'abandonnaient eux-mêmes , lorsque deux monarques du Nord , les deux seuls , dans le dix- huitième siècle, ù qui les Encyclopédistes et l'his- toire décernent le nom de grands , s'emparèrent de cette Société frappée de malédiction. Frédéric II de Prusse et Catherine de Russie envisagèrent la question sous un autre point de vue que les princes dont le sceptre allait se jouer sur le premier coup de dés d'une révolution. Le Protestant et la Schismatique con- sentaient bien à recevoir l'encens que les Philosophes brûlaient h leurs pieds. Ils escomptaient ces louanges par des munificences et par des pensions ; mais , afin de complaire à une secte qui , après avoir tenté d'attaquer le ciel , sapait les trônes de la terre, ils ne voulurent pas engager l'avenir.

Esprit sceptique et railleur , conquérant qui unissait au génie militaire le bon sens pratique, Frédéric avait vu de près et profondément étudié les hommes de son époque. Il n'ignorait pas le dernier mot des sophistes , et il ne lui convenait pas de l'appliquer à ses sujets. Le 7 juillet 1770 , il écrivait à Voltaire ' : « Ce bon Cordelier du Vatican me laisse mes chers Jésuites , que l'on persécute partout. J'en conserverai la graine précieuse pour en fournir un jour à ceux qui voudraient cultiver chez eux cette plante si rare. » Ce que Frédéric II, en corres- pondance avec Laurent Ricci , Général de l'Institut , se propo- sait de faire dés l'année 1770, il le réalisa trois ans plus tard.

« Œnwes df yoUaire, t. lxV, p. 408 (/'am, 1784).

DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS. 387

Il sentait le besoin de rendre la maison de Brandebourg popu- laire en Silésie. Celte contrée, nouvellement annexée à son empire, était catholique , et le roi respectait sa croyance. Elle tenait du fond des entrailles à la Société de Jésus , qui, depuis de longues années , y présidait à l'éducation de la jeunesse. En Pologne , la Société exerçait une légitime influence, et Frédé- ric n'osait pas briser tant de liens religieux. Il craignait de frois- ser les masses dans ce qu'elles ont de plus cher : la liberté de la conscience et le droit de la famille. Malgré les supplications de ses favoris de France et de ses convives de Postdam, il ré- solut, avec l'impératrice Catherine II, de préserver d'un suprême naufrage les débris de Vlnstitut.

Cependant, pour ne pas trop désoler d'Âlembert, Frédéric lui avait mandé * le 4 décembre 1772 : « J'ai reçu un ambassadeur du Général des Ignaciens, qui me presse de me déclarer ou- vertement le protecteur de cet Ordre. Je lui ai répondu que, lorsque Louis XV avait jugé à propos de supprimer le régiment de Fitz-James, je n'avais pas cru devoir intercéder pour ce corps ; et que le Pape était bien maître chez lui de faire telle réforme qu'il jugeait à propos, sans que des hérétiques s'en mêlassent. »

Voyons de quelle manière Fré:'3ric tint la promesse implicite que contenait cette lettre, dont les Encyclopédistes répandirent des copies dans toute l'Europe. Aussitôt que le bref Domtnus ac Redemptor noster fut connu à la cour de Berlin, le monar- que philosophe promulgua le décret suivant : « Nous, Frédéric, par la grftce de Dieu, roi de Prusse, à tous et un chacun de nos fidèles sujets, salut.

Quoique vous soyez déjà informés que vous ne pouvez faire circuler aucunes Bulles ou Brefs du Pape sans avoir reçu notre approbation à ce sujet, nous ne doutons nullement que vous ne vous conformiez à cet ordre général, en cas que le Bref du Pape portant suppression de la Compagnie des Jésuites parvienne au tribunal de votre juridiction. C'est pourquoi nous avons jugé nécessaire de vous en rappeler encore le souvenir; et comme, sous la date de Berlin du 6 de ce mois, nous avons résolu, pour

Œiivrei> phifosophiqticii de d'Àlfmbcrf, I. xviii.

388

CHAI*, vir.

HISTOIR!!

raisons à ce nous mouvant, que cet anéantissement de la Société des Jésuites, expédié depuis peu, ne soit pas publié dans nos Etats, nous vous ordonnons gracieusement de prendre dans votre juridiction les mesures nécessaires pour la suppression de ladite Bulle du Pape; à quelle lin vous ferez en notre nom, dès la réception de la présente, défense expresse, sous peine d'un ri- goureux châtiment, à tous ecclésiastiques de la Religion catho- lique romaine domiciliés dans votre juridiction de publier ladite Bulle du Pape qui annule la Sf^ciété de Jésus ; vous enjoignant de tenir soigneusement la main à l'exécution de cette défense, et de nous avertir sur-le-champ au cas des ecclésiastiques supérieurs étrangers s'avisassent de glisser dan? ce pays des Bulles de cette nature. »

Clément XIV n'avait aucun moyen de vaincre cette prévoyance monarchique. les Philosophes échouaient, l'intervention du Pape devait rester sans effet. Frédéric, Luthérien, s'opposait dans ses Etats ù la destruction des Jésuites ; il fallait donc les y laisser vivre. Le roi de Prusse ne s'était pas contenté d'un acte officiel ; il avait écrit à l'abbé Columbini, son agent à Rome, une dépêche autographe par laquelle il le prévenait de ses in- tentions. La dépêche, datée de Posldam le 13 septembre 1773, est ainsi conçue : « Âbbé Columbini, vous direz à qui voudra l'entendre, pourtant sans air d'ostentation ni d'affecta- tion, et même vous chercherez l'occasion de le dire naturelle- ment au Pape et au premier ministre, que, touchant l'affaire des Jésuites, ma résolution est prise de les conserver dans mes Etats tels qu'ils l'ont été jusqu'ici. J'ai garanti au traité de Bres- laii le statu quo de la Religion catholique, et je n'ai jamais Irouvé de meilleurs prêtres à tous égards. Vous ajouterez que, puisque j'appartiens à la classe des hérétiques, le Pape ne peut pas me dispenser de l'obligation de tenir ma parole ni du devoir d'un honnête homme et d'un roi. »

Cette lettre, qui est tout à la ibis un outrage , un défi et une grande leçon adressés à Clément XIV, produisit dans la ville de Rome un effet extraordinaire. D'Alembert fut chargé d'a- mortir le coup que les mesures prises par Frédéric portaient aux espérances des ennemis de la Religion. Le 10 décembre

OE LA COMPAGNIE DE JESUS.

389

1773, il ne lui dissimula pas « que la Philosophie avait clé un moment alarmée de voir Sa Majesté conserver cette graine. » 11 lui lit entrevoir qu'un jour il se repentirait peut-être d'avoir donné asile aux gardes prétoriennes jésuitiques que ie Pape, avouait-il, a eu la maladresse de licencier. 11 lui rappela que, dans la guerre de Silésie, les Pérès, qui n'étaient pas encore sujets de la Prusse , avaient été hostiles à ses armes, c'est-à-tlire fidèles à leur gouvernement.

Le 7 janvier 1774, Frédéric répondit* : « Vous pouvez être sans crainte pour ma personne ; je n'ai rien à craindre des Jé- suites : le cordelier Ganganelli leur a rogné les grilles, il vient de leur arracher les dents mâcheliéres et les a mis dans un état ils ne peuvent ni égratigner ni mordre , mais hicn instruire la jeunesse , de quoi ils sont plus capables que toute la masse. Ces gens , il est vrai , ont tergiversé dans la dernière guerre ; mais réfléchissez à la nature de la clémence. On ne peut exercer cette admirable vertu à moins que d'avoir été offensé ; et vous , philosophe , vous ne me reprochez pas que je traite les hommes avec bonté , et que j'exerce l'humanité indifféremment envers tous ceux de mon espèce , de quelque religion et de quelque société qu'ils soient. Croyez-moi, pratiquez la philosophie et métaphysiquons moms. Les bonnes actions sont plus avanta- geuses au public que les systèmes les plus subtils cl les plus déliés de découvertes dans lesquelles , pour l'ordinaire , notre esprit s'égare sans saisir la vérité. Je ne suis cependant pas le seul qui ait conservé les Jésuites : les Anglais et l'impératrice de Russie en ont fait autant. »

Dans cette correspondance si pleine de curieux enseigne-; ments , le roi conservateur l'emporte toujours sur le philosophe destructeur, Frédéric veut que les Prussiens reçoivent une bonne, une libérale instruction ; d'Alembert sacrifie l'avenir du peuple ili l'égoïsme d'une haine dont les puérilités ont quelque chose de profondément calculé. Quand Frédéric l'a rassuré sur son existence , que les Jésuites songent peu à compromettre , l'Encyclopédiste fait valoir d'autres terreurs. Il redoute que les princes, encouragés par le roi de Prusse, ne se déterminent à

' Œuvres philosophiques de d'Alembert, t. xviii.

390

CHAP. VII. HISTOIHE

solliciter de lui quelques Jésuites ; et , le 15 mai 1774 , le mo- narque écrit < : « Tant de fiel cntrc-t-il dans l'Ame d'un vrai sage? diraient les pauvres Jésuites, s'ils apprenaient comment, dans votre lettre , vous vous exprimez sur leur sujet. (Je ne les ai point protégés tant qu'ils ont été puissants); dans leur mal- heur, je ne vois en eux que des gens de lettres qu'on aurait bien de la peine à remplacer pour l'éducation de la jeunesse. C'est cet objet précieux qui me les rend nécessaires , puisque , de tout le Clergé catholique du pays , il n'y a qu'eux qui s'ap- pliquent aux lettres. Ainsi n'aura pas de moi un Jésuite qui voudra, étant très -intéressé à les conserver, n

Deux mois et demi plus tard , le 28 juillet , Frédéric mande encore à d'Alembert : « Ils n'ont point usé du contclct dans ces provinces oîi je les protège; ils se sont bornés , dans leurs col- lèges , aux humanités qu'ils ont enseignées ; serait-ce une raison pour les persécuter? M'accusera-t-on pour n'avoir pas exter- miné «ne société de gens de lettres , parce que quelques indi- vidus (en supposant le fait vrai) de cette Compagnie ont commis des attentats à deux cents lieues de mon pays ? Les lois établis- sent la punition des coupables , mais elles condamnent en même temps cet acharnement atroce et aveugle qui confond dans ses vengeances les criminels et les innocents. Accusez-moi de trop de tolérance , je me glorifierai de ce défaut ; il serait à souhaiter qu'on ne pût reprocher que de telles fautes aux souverains. »

A quelques années d'intervalle, le 18 novembre 1777, le Salomon du Nord , ainsi que les Philosophes l'avaient sur- nommé, donne à Voltaire une leçon de reconnaissance. A ce vieillard qui va mourir et qui , un pied dans le tombeau , blas- phème encore , Frédéric rappelle des pensées de jeunesse et le Collège de Louis-le- Grand, il fut élevé. «Souvenez-vous, lui mandc-t-il ', du Père Tournemine, votre nourrice (vous avez siicé chez lui le doux lait des Muses), et réconciliez-vous avec un Ordre qui a porté et qui , le siècle passé , a fourni à la France des hommes du plus grand mérite. »

Les agents de Clément XIV , les ambassadeurs des Bourbons ,

« Œ'utres philosophiques rie d'Alembert, Correspondance, I. xviii. * CÊwres complètes de Foltiire, •. XLvm, p. 802.

I

DE LA COMPAGNIE DE JESUS.

m

ne réussissaient pas luieiix auprès de Frédéric que les IMiilosophes eux-mêmes ; le Pape espéra qu'il serait plus heureux en inti- midant les Kvéques de Prusse. Il enjoignit par son chargé d'af- faires à Varsovie de suspendre tous les Jésuites des fonctions , sacerdotales et de leur interdire jusqu'à l'enseignement. Le Nonce apostolique informa en môme temps le roi rpie colle mesura cesserait aussitôt que la publication du bref aurait uonné force de chose jugée à la suppression de l'Inslitut. La mémo demande était faite à Catherine : elle obtint la môme réponse des deux souverains. Us virent dans cette proposition uu moyen détourné pour dissoudre les collèges placés sous leurs auspices : ils refusèrent nettement de favoriser un pareil projet. Les Evo- ques se retranchèrent derrière l'immuable volonté de Frédéric ; et celui de Culm , encore plus hardi que les autres , se mit en rapport direct avec le Père Orloski, supérieur des Jésuites prussiens. Ce prélat , qui se nommait Bayer , leur confia la direction dfr son séminaire: puis, sur ces enl refaites, Frédéric et le Père Orloski prirent une grave détermination. Le roi fit un appel public à tous les Jésuites. Le Pape les avait dispersés ; lui , prince hérétique , les invite à se réunir et à vivre dans ses Etats selon la règle de saint Ignace. Une pension de 700 florins est allouée à chaque Père. Le nouveau Pontife , Pie VI, voyait avec une joie secrète les événements préparer, sanr le concours du Saint-Siège, ne réhabilitation qui était dans son cœur. A cette même époque, le 27 septembre 1775, le roi, pour vaincre les irrésolutions de quelques-uns voulant toujours se soumettre sans condition au bref de Clément XIV, adresse le rescrit sui- vant au recteur du collège de Breslau : « Vénérable , cher et fidèle Père , le nouveau Pontife ayant déclaré qu'il me laissait le choix des moyens que je croirais être les plus convenables pour la conservation des Jésuites dans mes Etats , et qu'il n'y mettrait aucun obstacle par déclaration d'irrégularité ; en con- séquence , j'ai enjoint à nés Evêques de laisser votre Institut m statu quo , et de ne point gêner dans leurs fonctions aucun de ses individus , ni de refuser à l'ordination ceux qui s'y présente- raient. Vous vous conformerez donc à cet avis , et vous en infor- merez vos confrères. »

iiTÀ

GIIAP. VII.

HISTOIRE

FréJéric bravait publiquement l'autorité de I*ic VI ; mais cet outrage , convenu d'avance entre eux , laissait le Pape tout-à- fait insensible. Il fallait endormir la cour d'Espagne, ou lui prouver que le Saint-Siège n'avait aucun moyen coercitif con- tre le roi de Prusse. FIorida-Blanca était alors premier ministre il Madrid ; il se plaint avec amertume d'une résurrection qui désole son maître. Le Pape communique ces doléances au roi de Prusse. Celui-ci déclare qu'il permet aux Jésuites de changer d'habit pour mieux conserver leur Institut , mais que sa volonté souveraine est de sauvegarder l'intégrité de l'Ordre.

Pie VI s'avouait impuissant à mieux faire. Florida-Blanca et Tanucci rongeaient leur frein , quand la mort de Bayer, Evêque de Culm, mit un terme aux espérances de la Compagnie de Jésus. Hohcnzotten , qui lui succédait sur ce siège , était issu de la maison de Brandebourg. Il avait pendant longtemps sou- tenu les Jésuites ; néanmoins à peine est-il installé qu'il conseille au roi de garder les Pères , mais en les sécnhiisant. C'était leur accorder une existence hmitée ; car sans noviciat il deve- nait impossible de se recruter. Cependant , jusqu'à la mort de Frédéric II, en 1786 , ils continuèrent à vivre en communauté. Le nouveau roi leur ayant retiré les revenus des collèges et des maisons , ils furent forcés de se séparer. Les uns , en attendant des jours plus heureux , se sécularisèrent ; les autres prirent la route de Russie.

Frédéric II ne les avait pas constitués d'une manière stable ; l'impératrice de Russie organisa mieux ses plans. Ce fut vérita- blement sous son égide que les Jésuites purent se rallier et se propager à l'abri des tempêtes. Le 14 octobre 17712 Catherine prenait possession de la partie polonaise située à l'est lio la Dwina et du Dnieper. Ce pays se nomme la Russie-Blanche. La Com- pagnie de Jésus tenait depuis longtemps quatre Collèges à Polotsk, à Vitepsk , à Orcha et à Dunabourg , deux Résidences à Mohilow et à Mscislaw, et quatorze Missions. Deux cents Jésuites, ré- pandus dans ces provinces , y formaient l'enfance aux belles- lettres et à la piété , l'ûge mûr à tous les devoirs sociaux. L'al- liance entre la Pologne et l'Institut de Loyola avait duré autant

DE LA COMl'AGMl!; DE JESUS.

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que leur vie : la République des Jagellons et la Compagnie succombaient à la même heure. Mais Catherine , en souveraine prévoyante et juste, ne ^oulut pas laisser un droit de plainte aux nouveaux sujets que le traité de partage lui donnait. Elle garantit à tous le libre exercice de leur Religion , et elle annonça qui rien ne serait innové dans le système d'éducation.

Polonais la veille , les Jésuites se trouvaient Russes le lende- main. Ils aimaient leur patrie de tout l'amour qu'un fils porte à sa mère malheureuse ; ils déploraient la perte de leur nationa- lité. Ces considérations, quelque puissantes qu'elles fussent sur leurs cœurs ne les empêchèrent pas de remplir jusqu'au bout le devoir chrétien qui leur était imposé par leurs statuts. La Czarine avait compris que, si les Pères ne refusaient pas de lui prêter serment de fidélité, le Clergé, la noblesse et le peuple suivraient inévitablement cet exemple. Les Jésuites furent les premiers appelés à ce grand acte : ils s'y soumirent sans res- triction. Le Père Stanislas Czernievvicz, recteur du Collège de Polotsk, était le conseil des Catholiques. On le députa pour offrir à l'Impératrice l'hommage du Clergé latin, et avec les Pères Gabriel Lenkiewicz et Joseph Kulenbry il parut devant Catherine. En 1721 Pierre-le-Grand avait, par un ukase, chassé ù tout jamais de l'chjpire russe les prêtres de la Compagnie de Jésus. Ils se trouvaient sous le même coup de proscription darTS h plupart des royaumes catholiques ; le Pape lui-même allait les supprimer. On fit valoir auprès de l'Impératrice les motifs qui militaient pour ou contre leur conservation.

Cette princesse, qui portait au plus haut degré l'instinct du pouvoir et la puissance d'organisation, était plus réservée, plus grande dans la vie publique que dans la vie privée. Elle annonça t|u'elle dérogeait aux lois rendues par le czar Pierre V'', et que, après avoir mûrement examiné la question, elle maintenait les J jsuites, sans avoir à s'inquiéter de ce que les autres souverains f lisaient dans leurs Etats respectifs. Sur ces entrefaites, le bref Dominus ac lîedemptor est connu en Russie. Les Pères sa- vent les bonnes dispositions de la Czarine : ils n'ignorent pas qie, comme le roi de Prusse, elle repoussera ce décret, qui la place en contradiction avec ses promesses. Forte de sa croyance

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CliAP. VII. HlSiOlRE

gchismatii|Ue , elle n'accordait aucune autorilù religieuse aux décisions de la cour de Rome ; elle pouvait les braver impu- nément; mais il n'en était pas ainsi des Jésuites. Ils désirent vivre, et cependant ils doivent demander à mourir, afin d'être toujours enfants d'obéissance. Le 29 novembre 1773 ils adres- sent h Catherine la lettre suivante : « Sacrée Majesté impériale, lui écrivaient -ils en polonais, nous sommes redevables à Votre Majesté de pouvoir professer publiquement la Heligion catholi- que romaine dans vos glorieux Etats, et de dépendre publique- ment, dans les choses spirituelles , de l'autorité du Souverain- Pontife, qui en est le chef visible. C'est cela même qui nous encourage, moi et tous les Jésuites du rite romain, très- fidèles sujets de Votre Majesté, à nous prosterner devant votre trcs- augusle trône impérial, et, par tout ce qu'il y a de plus sacré, nous supplions Votre Majesté de permettre que nous rendions une publique et prompte obéissance à notre juridiction, qui réside dans la personne du Souverain-Pontife romain, et d'exé<- cuter les ordres qu'il nous a envoyés de l'abolition portée contre notre Compagnie. Votre Majesté, en condescendant que se fasse l'intimation du bref d'abolition, exercera son autorité royale ; et nous , en obéissant avec promptitude , nous nous montrerons fidèles autant à Votre Majesté, qui en aura permis ^exécution, qu'à l'autorité du Souverain-Pontife, qui nous l'a prescrit. Tels sont les sentiments et les prières que tous les Jé- suites et chacun d'eux offrent et présentent par mon organe à Votre Majesté, de laquelle j'ai l'honneur d'être, avec la plus profonde vénération et la soumission la plus respectueuse, sacrée Majesté césaréenne, le très-humble, très-dévouQ et très-fidèle

sujet.

» Stanislas Czerniewjcz.

Celte adhésion au bref, dont les Jésuites de Russie ne discu- taient môme pas l'illégalité canonique ', soulevait en France une grave question. Rs la tranchèrent à leur préjudice, mais

* Le bref n'avait pas élé, nous l'avons dit, affiché au Champ de Flore, à Sainl- Pierre et dans les lieux accoutumés. Dépourvu de force obligatoire par Clc- ment XIV lui-même, dont les prévisions n'étaient pas uns portée, il ouvrait donc eux Jésuites une voie d'appel ou de résistance, devap.l laquelle ils firent bien 4$ reculer.

DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.

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Cithcrino ne tint aucun compte do cette soumission. Elle ré- pondit au Provincial, Casimir SoLolcwski : « Vous et tous les autres Jésuites devez obéir au Pape dans les choses qui ap- partiennent au dog'ne ; dans le reste, vous devez obéir à vos souverains. Je m'aperçois que vous êtes scrupuleux. Je ferai écrire à mon ambassadeur à Varsovie, alîn qu'il s'entende avec le Nonce du Pape, et qu'il vous ôte ce scrupule. Je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde. »

Ce que l'impératrice promettait de solliciter, elle le demanda, elle l'obtint du Pape Clément XIV lui-môme. Le 7 juin 1774, quelques mois avant sa mort, il adressa au prince Evoque de Warmie un rescrit' par lequel il autorisait les Jésuites de Prusse et de Russie à demeurer m statu fjuo jusqu'à décision nou- velle. Ce rescrit calmait les inquiétudes des Pères, il mettait un terme aux appréhensions des Catholiques, redoutant île voir les Jésuites se poser en agresseurs du Saint-Siège. Les alarmes avaient été poussées si loin que Félix Towianski, ancien Cor- delier et disciple de Ganganelli, devenu suffragant de 1 evéché de Vilna, écrivit contre les enfants de Loyola, et dénonça leur insubordination. Towianski était un homme dont la vertu se plaçait à la hauteur de la science II avait refusé de se soumet- tre à Catherine. Il se croyait donc obligé, par patriotisme (t par ses fonctions épiscopales, de combattre les hésitations ({u'il remarquait dans l'attitude des Pérès. Quelques-uns même d'en- tre eux, s' exagérant l'ambiguïté de leur situation , se retiraient de l'Institut afin de ne pas avoir à braver l'autorité pontificale, que Towianski alfirmuit être en cause. Dans ce moment parut le rescrit de Clément XIV, et Stanislas Siestrzencewicz , Evoque

1 Co rescrit a été mis en dnule, e( Gararapi, Nonce du Pape à Varsovie, a loii- jours affirmé qu'il ne lui avait pas été adressé. D'un autre c6të, il se trouve en copies authentiques dans les archives ecclésiastiques de Warmie, de Pololsk, de Varsovie et de Saint-Pélcrshourg. Catherine 11 en fait inenlio^i dans une dépérliu à son ambassadeur k Madrid, et elle mande b son ministre à Home de protester coutre la témérité de ceux qui osent nier une dépêche reçue par elle. Tout porte h croire que Clément XIV, qui agissait souvent en dehors de ses ministres et de ses ambassadeurs, a caché à Uarampi, par crainte de l'Ësi ^e, cet acte, qui lui permettait de conserver la Société de Jésus pour des tem iilleiTS, cl qu'il l'a fait passer, racheté, par les mains de son Nonce, pour ai. iver ainsi directement il l'Ëvëque de Warmie. Le rescrit fut publié partout; le Pape et la cour ue Konii ne s'inscrivirent pas en faux. Ce ne fut que longtemps après que l'on émit des doutes sur sa réalité ; mais alors il uVlail plus possible d'en couli»tcr les elfets.

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CHAP. VII. HISTOIRE

tlo Mohilow, rci.'Ut jurkiiction sur tons les Catholiques de la lUissie. L'ukase qui lui conférait cette plénitude d'autorité {ga- rantissait l'entière liberté du culte catholique et les droits dus Ordres religieux, principalement de l'Institut de saint Ignace.

La position était dillicile. Les Jésuites espérèrent qu'avec un nouveau Pape il leur serait permis de la régulariser. Le 25 oc- tobre 1775 ils adressèrent au cardinal Rezzonico, secrétaire des Mémoriaux, une lettre qu'ils écrivaient à Pie VI. Ils lui expo- saient-ce qui s'était passé, ils le suppliaient de juger leur con- duite et de les guider dans le labyrinthe ils se voyaient en- gagés. Le 13 janvier 1770 Je cardinal répondit au Provincial par ce peu de mots : « Precum tuarum , ut auguro et exoptas, fc'lix exitus. n Leurs prières devaient avoir un heu- reux succès. Les Jésuites comprirent que Rezzonico ne se se- rait pas autant avancé s'il n'eût sondé le fond de la pensée du Pontife. Ils ne doutèrent plus de l'intérêt qu'il leur portait, et ils reçurent parmi eux les Pères de Pologne qui, après s't're sé- cularisés, aspiraient à rentrer dans la Compagnie. Le comte Czernitcheff, gouverneur-général de la Russie-Blanche, les ai- mait, Catherine pourvoyait généreusement à leurs besoins, elle les encourageait à se multiplier ; mais des obstacles de toute na- ture ))araissaient s'opposer à ce vœu. Le Père Czerniewicz , Provincial, avouait son impuissance. L'Institut n'avait qu'une condition viagère; et, tant que la faculté d'établir un Noviciat ne leur serait pas accordée, ils devaient se résigner à porter eux-mêmes le deuil de leur Société. Faute do jeunes gens, ils étaient réduits à abandonner cinq Missions en Livonie. Ils sen- taient croulf r sous leurs pieds l'édifice relevé avec tant de pei- nes. Un Noviciat pouvait seul les préserver de la mort : ils priè- rent le gouverneur-général d'en faire la demande à Catherine. L'Impératrice y répondit en commandant à l'Evêque de Mohilow de solliciter à Rome l'autorisatioi nécessaire, et elle ordonna de jeter sans délai les fondements de la maison qu'elle destinait à cette œuvre.

Cependant le 15 avril 1778 la Congrégation de la Propagande transmettait à Siestrzencewicz un décret pontifical l'investissant de pouvoirs illimités. Il devait durant trois années exercer sur

DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.

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les Réguliers toute esptke de juridiction, examiner, changer, modifier leurs Constitutions, et même renouveler ou créer. Catherine avait, au nom des Jésuites, demandé l'établissement d'un Noviciat, Rome répondait en accordant une faculté sans réserve à un prélat, et le Saint-Siège semblait se décharger sur lui de toutes les responsabilités. Ce décret, que Pie VI s'était laissé arracher par l'Espagne, était la vie ou la mort pour les Jésuites. Tout dépendait de la manière de l' interpréter; et, quand le cardinal Castelli le contresigna, il ne put s'empêcher de dire : « Cet acte est dirigé contre la Société de Jésus, mais il pourrait bien la sauver. »

Rédigé à double sens, il accordait à l'Evéque de'Mohilow toute liberté d'initiative. Le Pape n'avait pas voulu se compro- mettre ostensiblement avec les princes de la maison de Rour- bon; mais, ne doutant point des intentions de l'impératrice île Russie, il se reposait sur elle du soin d'inspirer au prélat ce (pril aurait souhaité d'être en situation d'accomplir lui-même à Rome. Siestrzencewicz était revêtu des pouvoirs de légat apos- tolique, il en usa, et le 30 juin 1770 il publia ce mandement *

<f Le Pape Clément XIV, de célèbre mémoire, pour condes- cendre aux désirs de la très-auguste Impératrice des Russes, notre très-clémente Souveraine, ne pressa point dans les do- maines de son empire l'exécution de la bulle Dominus ac lie- demptor noster. Notre Saint-Père le Pape Pie VI, heureuse- ment régnant, montre la même déférence aux désirs de Sa Majesté impériale en retirant toute opposition à ce que les Clercs réguliers de la Compagnie de Jésus conservent, nonobstant ladite bulle, leur profession, leur habit et leur nom dans les Etats de Sa Majesté. De plus, la très-auguste Impératrice, à qui nous avons tant d'obligations, nous et les nombreuses églises catholiques établies dans ses vastes Etats, nous ayant recom- mandé de vive voix et par écrit de favoriser de tout notre pou> voir lesdits Clercs Réguliers de la Société de Jésus, et de pour- voir à la conservation de leur Institut, nous nous empressons de remplir un devoir si doux, et pour lequel nous nous repro- cherions d'épargner nos soins. Jusqu'à ce jour, ils n'avaient point eu de Noviciat dans ces contrées, en sorte que, leur nom-

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ClIAP. Vit. lIISTOinE

hrft diminuant pou i'i peu, il est évident qu'ils ne pourraient pluâ exercer leur utile minislùro. C'est ce qui nous a fuit penser il leur accorder la permissiou do recevoir dos Novices.

» A cette lin, après a'^oir ofl'ert lo saint Sacrifice en l'Iionneiir des saints Apùlres Pierre et Puul, dont on célébrait hier la fête, après avoir imploré la lumière d'en haut par leur intercession, et pris conseil do nos Chanoines de la Russic-Blancho convo« qués en chapitre, nous avons lu et relu le décret de notre Très- Saint-Père le Papo Pic VI, donné le 9 août 1778, promulgué dans toute sa plénitude et sans restriction aucune, avec le con- sentement de la Très-Auguste Impératrice notre souveraine, le ''2 mars de l'année courante, et dont voici la teneur : « Dans fl l'audience du U août 1778, Notre Très-Saint-Pére le Pape » Pie VI, sur le rapport du soussigné, secrétaire de la Sacrée n Congrégation de la Propagande ; pour conserver et maintenir » l'Observance régulière dans les lieux soumis l'i l'Empire Mos- » covitc, a bien voulu conférer pour trois ans au révérendis- B sime seigneur Stanislas Siestrzencewicz, Evoque de Mohilow 0 dans la Russie-Blanche, la juridiction ordinaire sur les Reli- » gieux existants dans les provinces confiées à son administra- 0 lion, de sorle qu'en vertu de cette concession pontificale, il a droit de visiter et inspecter, avec l'aulorilé apostolique, par » lui-même ou par délégués probes et capables, toutes les foi» » que bon lui semblera, selon les saints canons et décrets vjN » Concile de Trente, monastères réguliers, tant d'hommes que » do femmes , prieurés , maisons de tout Ordre, même men- » dwints, hôpitaux , même exempts et soumis immédiatement » au Siège apostolique, ou alléguant autres privilèges quelcon- » ques, chapitres, couvents, universités, collèges et personnes ; » de faire diligentes enquêtes sur leur état, forme, règles, » institut, gouvernement, coutumes, vie, mœurs, discipline, » en général comme en particulier, dans les chefs comme dans » les membres, lui octroyant faculté toutes les fois que, d'après » la doctrine apostolique, les .saints canons, décrets des Conciles » généraux, traditions et institu* ans des Saints Pères, compa- » rés avec les circonstances et la nature des choses , il s'aper- » cevra que quelque part il est besoin de changement, correc-

DR LA COMPAf.NIR PR JF.SlIg.

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» tinn , r^'vocalion , rcnoiivollctnenl, ou inAmo d'institiUioii

nouvollo, de rûronncr, changer, corriger, instituer de nou-

veau, et ce qu'il aura institué selon les saints canons et dé- » crcts du Concile do Trente, do lu confirmer, promulguer, » faire exécuter ; d'extirper tous abus , de rétablir et réintégrer » par moyens convenables les régies, constitutions, observances

et disciplines ecclésiastiques, partout elles auraient déchu ;

do requérir rigoureusement et d'employer action coercitive

contrôles Religieux mal vivants, relâches, infidèles à leur

institut ou coupables do toute autre faute, même exempts et » privilégiés ; de les corriger, chAtier, rappeler à une conduite

honnôte, selon les règles de h justice et do la saine raison ; n et tout ce qu'il aura statué, qu'il ait soin de le faire observer « comme émané du Siège apostolique, nonobstant toutes dis-> » positions & ce contraires.

» Signé, Etienne Borgia , » Secrétaire de la Sacrée Congrégation » de la Propagande. >

» Eu vertu donc de cette juridiction ordinaire et de ce pou- voir à nous conféré sur tous les Religieux de l'empire russe, et par conséquent aussi sur les Clercs de la Compagnie de Jésus, mu h ce par motifs très-graves, nous accordons auxdits Clercs Réguliers de la Compagnie de Jésus la permission d'établir un Noviciat et de recevoir des Novices dans leur Société, et leur octroyons notre bénédiction pastorale. Afin que cet acte par- vienne à la connaissance de tous ceux qui composent notre trou- peau, nous ordonnons que notre présente lettre soit lue les trois premiers dimanches consécutifs du mois aux fidèles assem- blés, exposée succinctement en langue vulgaire, et affichée à la porte des églises, avec injonction à tous les recteurs d'en accuser réception. Donné à Mohilow sur le Borysthène, au lieu de notre résidence ordinaire, le lendemain de la fête des saints Apôtres Pierre et Paul, l'an 1779.

Stanislas, Evêque. »

C'était le renversement de toutes les idées reçues à la cour d'Espagne , dans les Parlements de France et à Rome. La Com-

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CHAP. VII. HISTOIRE

pagnie de Jésus renaissait sons l'acte destiné à l'éteindre; cl'c revivait par l'interprétation mèrae de cet acte. Le Nonce Ar- chetti avait , de Varsovie , conseillé ces mesures , comme le plus infaillible moyen de faire exécuter en Russie le bref de Clé- ment XIV. Il se plaignit vivement au comte de Stackelberg ; il lui demanda en vertu de quelle autorité l'Evêque de Mohilow anéantissait ainsi un décret émané du Saint-Siège. Stackelberg déclara qu'il allait en référer à sa cour, et, le 10 octobre, il communiqua au plénipotentiaire apostolique la note suivante dictée par Catherine elle-même : « La conduite pleine de bonté que Sa Majesté a constamment tenue envers les Catholiques de son empire, spécialement depuis la prise de possession de la Russie-Blanche, a convaincre le Saint-Père de sa bienveil- lance pour le siège de Rome. En effet, quoique la prise de pos- session de ce pays dût amener un nouvel ordre de choses dans le spirituel et dans le temporel, l'Impératrice a néanmoins voulu que les Catholiques continuassent à jouir de leurs droits et à suivre leurs lois en matière de religion sans le moindre changement, afin qu'ils n'eussent point à se plaindre d'être pas- sés sous une autre domination. Elle ordonna donc de ne pas toucher aux droits et aux privilèges des Prcties et des Religieux, elle fit la promesse solennelle de les conserver. Sa Majesté l'ob- serve fidèlement envers tous les autres , pourquoi excepterait- elle les Jésuites, qui, non contents d'être des sujets dévoués, se rendent encore utiles en donnant à la jeunesse une bonne éducation, objet si cher au cœur de Catherine 11, si utile aux hommes et en môme temps si dillicilc dans la Russ'^-Blanche, à cause de la rareté des professeurs? Comment donc l'Impéra- trice aurait-elle pu s'exposer au reproche de maLquer à sa pa- role, ou permettre qu'une de ses provinces fût privée de ce bien- fait si nécessaire en condamnant à l'exil ou en dépouillant seulement de leur état des personnes qui n'ont commis aucune faute nouvelle, et en poursuivant ses fidèles sujets de la Russie- Rlanche par l'abolition d'un Institut qui leur est si avantageux? D'ailleurs, comment dire qu'elle attaque l'honneur du siège de Rome en maintenant les hommes les plus propres à défendre la Religion catholique?

DE LA COMl'Ar.MK DF. JKSUP.

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•) Tels sont les motif;? qui ont déterminé la profonde sagesse de l'auguste Czarine à s'éloigner de la pensée des autres pavs. Elle espère que sa déclaration sera regardée par le Souverain- Pontife comme une preuve de son amitié impériale, d'autant qu'elle n'a pas l'habitude de rendre raison à personne des réso- lutions qu'elle prend dans son gouvernement. L'Impératrice se 11;itte qu'on n'en voudra pas à l'Evêque de Mohilovv pour avoir entrepris une chose avantageuse à ses peuples, honorable au nom catholique, par conséquent au Saint-Siège, et qu'il savait être en même temps très-agréable à la Czarine. »

A ce document impérial, le comte de Stackelberg ajoute de nouvelles considérations. Le cardinal Pallavicini , secrétaire d'Etat de Pie VI, et tout dévoué à l'Espagne, réclame diploma- liquement contre l'usage que l'Evêque de la Russie-Blanche a fait de l'autorité qui lui était confiée. Stackelberg répond au ministre romain par l'entremise d'Archetti : « Nous n'avons que le bien de la chose en elle-même à juger. Or , en la consi- dérant sans aucune prévention, Votre Excellence sentira aussi bien que moi quels avantages les Catholiques de la Russie- Blanche peuvent retirer d'un établissement qui seul doit pro- curer nne éducation raisonnable et dissiper les ténèbres que la superstition a répandues sur le culte du peuple et d'une partie du Clergé. Par sa place ici, par sa dignité dans l'Eglise et ses lumières. Votre Excellence appréciera bien mieux que moi l'é- lendue du mal qui en résulte pour la Religion. Le seul moyen d'y remédier eflicacement et constamment était de conlicr l'é- ducation de la jeunesse à un corps pieux, éclairé et permanent. Par quels encouragements et quelles récompenses pounions-r nous espérer d'attirer dans la Russie-Blanche un nombre sulli- hant d'hommes instruits pour remplir des vues aussi sages? Il n'y avait qu'une résolution comme celle de l'expulsion des Jé- suites du Midi de la Chrétienté pour opérer dans le Nord le reflux heureux de ces hommes voués par état à la culture des !-cicnces et des lettres. Ainsi, les recueillir et leur olïrir une patrie en dédommagement de celle qui les rejette, rassembler on môme temps les membres épars de la Société qui se sont trouvés chez nous, et ne perpétuer leiu* association qu'en vue V.

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HISTOIRE

de rinstruction publique, comme le déclare expressément ma cour , me parait un acte de sagesse autant que d'humanité, et nullement une infraction dans le système hiérarchique et spirituel de la cour de Rome. »

Il n'y a point ici à discuter avec les faits. Si le Pape n'eût pas tacitement encouragé les Jésuites à se reconstituer par le Noviciat, il n'avait qu'à dire un mot, et ils auraient obéi mal- gré Catherine II. Ils se seraient volontairement dispersés, ou, en continuant , sous l'égide de l'Impératrice, à élever la jeu- nesse, ils n'auraient pas du moins songé à ressusciter l'oeuvre de saint Ignace. Il en fut autrement. L'acte de l'Evoque de Mohilow compromettait les relations de la cour de Rome avec les puissances, qui avaient tant fait pour la destr^jction des Jé- suites; et Pie VI, au lieu de parler du haut >. '^aire apos- tolique, se contenta de laisser au cardinal P: h' ciliû le droit inutile de protester par des notes diplomatiques. Le ministre le fit avec aigreur ; il déclara que le mandement du légat était en dehors des intentions du Pape : il représenta cet acte comme le fruit de la mauvaise foi et d'une indigne supercherie. Ce- pendant, personne ne se laissa tromper par ce langage ; chacun comprit en effet qu'il n'y avait rien de plus aisé que de tran- cher cette difficulté. Pie VI ne la résolvait pas ; il se portait médiateur entre les deux partis : il fallait donc que le Pape vît un grand intérêt catholique dans cette résurrection qu'il lui était interdit de favoriser ouvertement, mais qu'il autorisait de tous ses vœux secrets ' .

1 En 4780, lorsque l'empereur Joseph II vi»ifa l'impéralrice Catherine dans son célèbre voyage de Crimée, il était accompagné d'un ancien Jé«ui(e hongrois, nommé François-Xavier Kalalai. Joseph H l'avait pris en aireclion ; il voyagujit avec lui, et, dans une de ses lettres, Kalatai raconte ce qu'il a vu et entendu : « A Mohilow, dit-il, et au fond de toutes les provinces dernièrement démembrées delà Polugne, les Jésuites existent encore sur l'ancien pied; ils sont puissamment protégés par l'Impératrice, à cause de leurs talents pour l'éducation de la jeu- nesse catholique dans la science et dans la piété. Je demandai à saluer le Pro- vincial, quand nous allâmes voir le collège. C'est un homme véritablement véné- rable. Je rinterrogeai, lui et ses inférieurs, afin de savoir sur quoi ils se basaient pour refuser de se soumettre au bref de suppression. 11 me répondit : « Ckmentis- hima Impératrice nostra proti-geii le, populo dereUcto exigentc, Roma sjienle et non coiitradlcente. » Alors il me montra une lettre du Pape régnant, dans la- quelle le Pontife les console, les exhorte à persévérer dans l'état ils sont jusqu'à nouveaux arrangements. Il les cngajie à recevoir des Novices et à admettre les Jésuites des autres Provinces qui désireraient se réunir à eux pour reprendre oe

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L'Evéque de Mobilow, la Czarine et le Pape étaient soup- çonnés de jouer double jeu dans l'intérêt de l'Eglise. Pie YI fit offrir au roi d'Espagne toute espèce de satisfaction ; mais, sous prétexte de ne pas indisposer Tlmpératrice contre les Catholi- ques russes, il savait se résoudre à avoir l'air de subir une con- trainte morale, et il laissa les Jésuites se propager. Le 2 fé- vrier 1780, jour de la Purification, l'habit de la Compagnie fut solennellement donné à quelques Novices. C'était l'investiture de la Société. Au mois de mai, Catherine vint à Mohilow pour recevoir Joseph II , elle s'arrêta à Polotsk afin do donner aux Jésuites un témoignage de satisfaction. Ils lui devaient plus que la vie ; ils la reçurent en souveraine et en bienfaitrice. Elle examina en détail ce Collège si brillant , dont le prince Potemkin lui faisait les honneurs avec le Père Czerniewicz. Elle de- manda que les Novices lui fussent présentés comme les rejetons de l'Institut mis sous sa protection. L'Impératrice avait visité les Jésuites ; l'année suivante , le grand-duc Paul , à son tour , les honora de sa présence. Au fond de toutes ces ëémonstra- tions, il y avait chez Catherine un sentiment d'équité reli- gieuse, de devoir ;v7jnarchique et de prévoyance politique. Cette princesse , qui savait soumettre ses plaisirs et ses passions à la raison d'Et(it , ne se déguisait pas que la force était im- puissante à convaincre, et que l'éducation ferait plus de con- quêtes que les armées les mieux disciplinées. Elle avait au plus haut degré Tinstinct de l'autorité; elle en combinait, elle en faisait jouer admirablement les ressorts. Dans un siècle la plupart des rois s'amoindrissaient au contact des Philosophes, elle sut leur distribuer ses éloges ou ses faveurs pécuniaires , tout en les tenant à distance et en se faisant d'eux un pié- destal. Cathe"ine était réellement une femme exceptionnelle. Ses crimes et ses vices , comme ceux de Pierre le Grand , s'cf-

doiix joui; (le J(!g!iii -Christ, qu'on leur avail violemment arraclu'. Le Proviiirial ajouta que tous ies J))sui(cs russes étaient prCIs It tout abandonner au premier ti||iic autlienlique de la vulontti du Pape, qu'ils n'utlendaieut qu'une «igiiiUiation canonique. Voilà le véritable esprit de la Compa(jnie de Ji^sus, conserve en sa pieniière vigueur dans ses faibles restes. »

Ainsi 'in Ji^suitc s<^culari8ô, devenu favori d'un des princec qui ont d<}truit l'iii- itilul, s't*!innc que ses anciens frtres vivent encore, et, en constatant leur e»islMne il afiirmc qu'ils ont priMs ii l'obi^issanee la plus aveuQie.

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CHAP. VII. IliSTOlRE

faccront sous la main du temps. L'histoire les expliquera par ce vieux levain de barbarie qui n'avait pas encore disparu des mœurs russes pour faire place à l'esprit de famille; mais en même temps l'histoire grvandira l'Impératrice qui a préparé l'avènement des Romanoiï dans les aiTaires de l'Europe , et qui leur a tracé le plan dont ses héritiers n'ont jamais dévié.

Catherine avait mille sujets d'occupat on : elle recevait les hommages des Philosophes français et (à<». l'empereur d'Alle- magne ; elle composait un Code pour son empire ; elle régnait, clic gouvernait tout en se mêlant aux spirituelles causeries des Ségur, des Cobenzl et des prince de Ligne. Elle traçait à^Po- temkin et à Souwarovv leurs plans de campagne; elle créait des palais d'or et de marbre; elle ressuscitait dans le Nord la Sé- miramis antique ; et, par un singulier contracte, cette femme, dont l'âge n'amortissait aucune des passions, s'occupait avec une rare persévérance de quelques pauvres prêtres que l'Eu- rope catl olique avait proscrits. La question des Jésuites était à ses yeux une question vitale. Tout ce qui s'y rattachait était pour elle de la plus haute importance, car il s'agissait de l'édu- cation de ses peuples , et Catherine en appréciait vivement le bienfait. L'Evêque de Mohilow l'avait secondée ; elle s empressa de récompenser son zèle en donnant une forme plus légale à la juridiction exercée par ce prélat dans les domaines de l'Empire. Elle songea à lui faire conférer la dignité archiépiscopale ; et, afm de le soulager dans l'administration d'un aussi vaste diocèse, elle voulut lui nommer un coadjuteur. Le général Michelson , l'heureux vainqueur de Pugatschew , proposa à Catherine et à Potemkin un ancien Jésuite lithuanien, son parent, et qui aspi- rait à rentrer dans la Compagnie. Il se nommait Benislawski ; il était pieux et discret.

Potemkin avait pris les Pères en affection. Ce guerrier, homme d'Etat, dont les projets avaient toujours quelque chose de sublime ou de trivial , nourrissait l'idée ilc fixer en Russie l'Ordre de Saint-Ignace, régénéré par Catherine. Il cherchait, il invoquait le moyen de consolider cette Société, dont il en- trevoyait Il grandeur dans le passé. Un Jésuite lui démontra f|up la Compagnie ne serait jamais élablic sur des bases solides

DE LA COMPAGNIE UE JESUS.

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tiint (in'etlc n'uin'iiit pas un chef |jcriiianciit. l^tcnikiii avait lu it's Coiislilutions lie Loyola , il était partisan du principe il'au- (orité ; cette parole est poui lui une révélation. Il engage les lucres à adresser une supplique dans ce sens à la Czarinc , il promet de î'appuyer ; il l'appuie avec tant d'ellicacité que l'Ini- j)cratrice, le 25 juin 1782, rend l'ukase suivant : « Par un clVet de notre clémence , nous permettons à la Compagnie de Jésus existante dans nos Etats de choisir quelqu'un de son Ordre pour avoir l'autorité et le pouvoir de Général , à qui, par conséquent, il appartiendra de gouverner les autres supérieurs et même de les changer selon les lois de l'Institut. Qi'.e celui qui sera nommé fasse part de son élection à l'Evoque catholique de Mohilow , et celui-ci à notre Sénat, qui nous en informera. Quoique cet Ordre religieux doive être subordonné et obéissant audit Evo- que dans les choses qui sont de droit et de devoir , cependant l'Evoque aura grand soin que les lois dudit Ordre soient con- servées intactes , et aussi il ne fera point intervenir son autorité dans les clioses qui pourraient porter le moindre préjudice à ces lois. »

Catherine allait directement à son but , sans s'occuper de froisfer les susceptibilités d'un de ses sujets. L'Evêquc de Mohi- low avait beaucoup fait pour les Jésuites. Son intervention leur facilitait un Noviciat ; il était l'ami des Pères, se montrant tou- jours prêt à les seconder ; et cet ukase , qui les favorisait à son détriment moral, le blessait dans l'exercice de sa juridiction. La Congrégation fut fixée'au 10 octobre. Trente Profés se réu- nirent au jour dit à Polotsk. Afin de régulariser les choses, ils nommèrent Vicaire-Général le Père Czerniewicz, et ils procé- daient à l'élection, lorsqu'un message de l'Evêque de Mohilow leur apporte ce décret, qui lui a été adressé par le Sénat :

« Sur l'ordre de l'auguste Impératrice, le Sénat , ayant pris en considération les représentations que vous avez faites , et tendant à prouver que les Jésuites et autres Réguliers vivant dans l'empire vous doivent obéissance, non-seulement comme à leur métropolitain , mais encore comme à leur supérieur gé- néral , a ordonné de vous répondre que le décret impérial du 25 juin prescrit expressément aux Jésuites d'obéir à l'Évèque.

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CIIAI'. VU. MISrOIRR

Le Sénat no doute pas que ces Religieux ne cessent désormais d alléguer les lois propres de leur Institut pour se soustraire sous ce prétexte à l'obédience légitime, comme le faisait jus- qu'alors la personne qui les gouvernait sous le titre de Vice- Provincial. Ils ne peuvent ignorer qu'aucun Institut ne doit leur être plus cher que la volonté impériale et l'on procédera contre eux avec sévérité s'ils persistent dans leur obstination. Une si quelque chose de semblable arrive , il sera de votre de- voir d'en instruire aussitôt le Sénat. 13 septembre. » ,

Entre ces deux actes, émanés l'un de Catherine, l'autre de son Sénat , la contradiction était flagrante ; mais la distance des lieux et la difficulté de la situation ne permettaient pas de re- courir à l'Impératrice. L'archevêque avait tout prévu ; il écri- vait par le même courrier que , le Sénat l'investissant de la charge de Général , il accordait aux Profès la faculté de nommer un Vicaire-Général pour gouverner en son nom , et qu'il ex- cluait de cette dignité le Père Czerniewicz. Une pareille noti- fication bouleversait l'économie de l'Institut , elle en changeait la substance . les Jésuites ne pouvaient pas l'accepter, sous peine de renoncer à leur Ordre. Il fut cependant décidé que, pour ne pas déplaire à un prélat dont les bons offîces avaient été si utiles à la Compagnie, la Congrégation ne choisirait qu'un Vicaire-Perpétuel et jouissant d?. toute l'autorité attribuée au Général. Elle répondit en ce sens à Siestrzencewicz , et, le 17 octobre, après cinq scrutins, le Père Czerniewicz fut élu.

Cejoar-là même Potemkin , venant de Tauride, descendait au Collège des Jésuites. L'acte du Sénat lui fut comn>uniqué ; il le lut, et après avoir dit qu'il en connaissait l'auteur : « Qu'y a-t-il encore à faire pour sanctionner ce qui est accompli ? de- manda-t-il. » Benislawski, coadjuteur nommé de la Russie- Blanche , était présent , il s'écria : « Obtenir la ratification du Pape. » « Et de quelle manière? » reprit Potemkin. « Sa Majesté n'a qu'à envoyer vers le chef de l'Église une personne prudente qui en fasse la demande au nom de l'Impératrice, et le succès est certain. » Le prince désigne à l'instant même Benislawski pour cette négociation. Il faut conjurer l'orage qui peut éclater à Mohilow ; les Profès chargent Benislawski de

DE LA COMFAGMB DE JESUS.

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qui i de

leur cause. Accompagné de deux Pères députés par la Congré- gation , il arrive à la ville épiscopale ; il explique au prélat les règles de l'Institut et la volonté de l'Impératrice, si formelle- ment annoncée par Potemkin. Il lui dit de quelle mission il est investi prés le Saint-Siège. L'archevêque avoue son erreur, il la répare. Le nouveau Vicaire-Général se rend à la cour dans le but de faire approuver son élection. Catherine raccueillo avec bienveillance ; elle promet aux Jésuites d'être invariable en ses sentiments , et Czerniewicz , qui commençait à voir se débrouiller le chaos, retourne iPolotsk. Là, comme si déjà les Jésuites étaient les maîtres d'un avenir incertain , ils admettent les Scolastiques à la profession des vœux solennels ; ils créent des Assistants et un Admonitcur pour le Général , afin que l'Or- dre soit constitué aussi régulièrement que possible.

Cependant la cour de Rome refusait d'ériger en archevêché le siège de Mohilow ; elle ne voulait pas reconnaître le coadju- teur jusqu'au moment le prélat titulaire révoquerait l'or- donnance qui avait permis aux Jésuites d'ouvrir un Noviciat. Le Pape était en correspondance directe avec Catherine, il la priait de consentir à l'élection d'un Evoque russe ; mais l'Im- pératrice résistait aux sollicitations du Pontife ; elle parlait même de rompre toute relation avec le Saint-Siège, lorsque Benishwski s'offrit comme mêuiateur entre les deux cours. L'intérêt de la Religion catholique et celui de ses anciens frères de l'Institut étaient engagés dans la querelle. Avec son esprit de conciliation, il sut persuader à l'Impératrice que le Souve- rain-Pontife était complètement étranger à ces difficultés, et qu'une fois à Rome , il ne lui serait pas malaisé de les vaincre. Catherine prit confiance en ce Jésuite , dont les conseils avaient toujours paru à Potemkin dictés par la sagesse ; elle le fit partir avec ces instructions écrites de sa main : « il ne faut pas que le négociateur passe par Varsovie ; qu'il ne s'entretienne avec aucun ministre de la cour de Rome avant d'avoir parlé au Souverain-Pontife lui-môme et de lui avoir fait connaître im- médiatement les désirs de Sa Majesté Impériale. Ces désirs ont trois objets tellement unis que, si un seul est rejeté, elle pren- dra ce refus comme tombant sur les trois. Ces objets sont l'é-

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CHAP. VU. HISTOIRE

■,-i

reolion de i'iirclievèché de Moliilow, l'investiture Jiccordée ù Slanit;|jis Sioslrzenccvvicz avec la coadju tore rie |)oiir lienislawski , et l'approbation de tout ce que les Jésuites ont l'ait jusqu'à l'é- lection du Vicaire-déncral inclusivement. » ,

Au mois de njarsl7Mîi, Hcnislawski est à Rome. Il expose à l*ie VI le triple sujet de son ambassade. 11 lui remet une lettre autographe do Catherine, dans laquelle l'impératrice s'expri- mait ainsi : « Je sais que Votre Sainteté est très-embarrassée ; mais la crainte convient mal à votre caractère. Votre dignité ne peut point s'accorder avec la politique toutes les fois que la politique blesse la Religion. Les motifs d'après lesquels j'ac- corde ma protection aux Jésuites sont fondés sur la raison et sur la justice, ainsi que sur l'espoir qu'ils seront utiles ù mes Etats. Cette troupe d'hommes paisibles et innocents vivra dans mon empire, parce que, de toutes les Sociétés catholiques, c'est la plus propre à instruire mes sujets et à leur inspirer des sentiments d'humanité et les vrais principes de la Religion chrétienne. Je suis résolue de soutenir ces prêtres contre quel- que puissance que ce soit; et, en cela, je ne fais que rcmi>lir mon devoir, puisque je suis leur souveraine et que je les re- garde comme des sujets fidèles, utiles et innocents. Qui sait si la Providence ne veut pas faire de ces hommes les instruments de l'union si longtemps désirée entre l'Eglise grecque et la romaine? Que Votre Sainteté bannisse toute crainte, car je soutiendrai de tout mon pouvoir les droits que vous avez reçus de Jésus-Christ*. »

Pie VI ne pouvait pas déroger à ce que- ses ministres avaient fait; l'Evèque de Mohilovv était donc accusé d'outre-passer ses pouvoirs, d'empiéter sur les droits du Saint-Siège, et d'usurper le litre archiépiscopal quand l'Eglise n'avait pas encore consacré l'ukase de sa nomination. Ces reproches, que le Pape adressait au nom de la cour romaine , avaient un fond de vérité. Benis- lawski ne se dissimulait pas néanmoins que la véritable difficulté ne gisait pas dans ces faits réglementaires. Pie VI craignait

> Casdrj, peu su.^pecl de portialilé en faveur des Jcsuiles, publie celle Icllro au (oino III, page 109 de son Histoire de Catherine II ; cl il ajoule que, par ('ijaid pour les Chroliciis (jrocs, rimpéralricc la désavoua dins \n Gazette de Péter s- . biiurij; mais elle n'en éiail pas moins, dit-il, écrite de sa main.

Dl:: LA CUMPAUME DE JESIS.

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d'irrilur les cuiiruniies «U surtout Cliarles Itl , [tlus urdeul quo jamais sur la (|uostiun des Jésuites. Il essayait do ménager lus iiicx|)lical»les alVcctions du Nord et les haines toujours vivaces du Midi. 11 cherchait un tempérament qui conciliiU ces senti- ments si opposés, auxquels il se voyait forcé d'accorder satis- faction. Dcnislawski obtint ses deux premières demandes ; elles furent conlirmées par bulles apostoliques. 11 n'en pouvait pas être de môme pour la Société de Jésus. Les exigences de l'Es- pagne, les conflits qui surgissaient de toutes parts contre Rome, Tattitude de Joseph U sécularisant les moines, ne per- ni(!ttaient pas au Pontife d'adopter une détermination pour ainsi dire légale. Benislawski et les Jésuites avaient explique à Catherine qu'il n'était pas besoin pour leur for intérieur d'un bref régulateur. Le consentement verbal du Pape a la même force ; il n'existe point de dilVércnce intrinsèque pour la vali- dité de la concession ; mais cette concession ; qui n'est pas admissible on jugement, ne spécifie rien, et laisse à l'inter- prétation le soin do l'étendre ou de la restreindre. Il fut donc convenu que le Pontife ne donnerait pas de bulle aux Jésuites de Russie; mais, en présence de Benislawski , il prononça ces paroles : « Approbo Societatem Jesu in Albâ-Russiâ de- f/entem , approbo f approbo. » L'adhésion était confirmée par {'élévation de Siestrzencevvicz à la dignité archiépiscopale. Ca- therine , s'en contenta , puisque les Jésuites la trouvaient suf- fisante. Ils étaient légitimement rétablis en Russie; quelques Pères commencèrent à rentrer au bercail. Marutti avait le pre- mier renoncé à la vie séculière pour remplir dans les steppes de .la Russie les vœux formés sous le ciel de l'Italie. Rien ne l'avait retenu; les quatre frères Angiolini, Gabriel Gruber et (juelt|ues autres grossirent peu ù peu le petit troupeau. Ce fut dans ce moment que le trépas du Père Czerniewicz vint porter le deuil dans la colonie naissante. Le 18 juillet 1785, celui qui avait tant fait pour réunir les pierres dispersées de l'édifice ex- pira à l'âge de cinquante-six ans. Le 27 septembre, la Congré- gation nomma pour le remplacer le Père Lenkiewicz, son colla- borateur dans l'œuvre de reconstruction, et qu'il avait désigné lui-même comme son Vicaire. Czerniewicz laissait de grands

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CHAF. Vil. HISTOUIE

projets en voie d'exécution ; Lenkiewicz les poursuivit avec ma- turité, avec persévérance, mais sans chercher à produire au dehors un éclat qui aurait pu grandir l'Institut en le compro- mettant. Sur cette terre de Russie, si fertile en révolutions de pnliiis, en face de la France qui s'agitait sur sa base monarchique et qui allait bientôt jeter aux peuples son cri de guerre contre les rois, les Jésuites, avec une inébranlable conviction, se li- vrent & l'espérance que leur Ordre est indestructible. Ils sont exilés dans ce coin du monde pour y réunir les débris d'un long naufrage; on les voit y faire dominer la piété et la science. Leur nombre s'augmente ainsi que celui do leurs élèves; ils ont créé des écoles, ils s'occupent d'établir des fabriques de draps, une imprimerie et tout le matériel nécessaire à de pareilles ex- ploitations.

Quelques années s'écoulèrent sur ces labeurs de l'intelli- gence ; elles emportèrent dans la tombe Charles III, l'irrécon- ciliable adversaire des Jésuites, et Potcmkin, leur plus constant protecteur. Elles firent naître autour d'eux des idées d'agran- dissement par les Missions d'Âlep, de Madras et de l'Archipel, que Lenkiewicz repoussa. Elles virent les Pères Gruber et Ska- kowski, appelés à Pétersbourg, s'occuper, sous les yeux do l'Impératrice, de travaux dont le sujet a toujours été un mys- tère, même pour les Jésuites. Us avaient semé, il n'y avait plus qu'à faire fructifier; le duc de Parme, le premier, songea à réparer les iniquités commises en son nom. Depuis que le mar- quis de Felino avait, à la demande de Charles III d'Espagne et à l'instigation des Philosophes, proscrit la Compagnie de Jésus , l'éducation publique s'était peu à peu affaiblie dans les viHes de la principauté. En 1792, les collèges avaient perdu leur éclat ; il n'y restait plus que quelques rares élèves, et le duc sentait la nécessité de confier la jeunesse de ses Etats à des maîtres expérimentés. Il rappela les enfants de Leyola, que Felino avait bannis ; il leur ouvrit son Université, il les replaça à la tête de l'enseignement. Mais ce n'était pas assez pour lui ; il fallait rattacher le passé à l'avenir. Ferdinand de Parme con- naissait les intentions de Pie VI, il voyait la Révolution française déborder; le 23 juillet 1793, il écrit au Vicaire-Général del'In-

DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.

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stilut on Riissio : « Votre Paternité s'étonnera sans douto de recevoir une lettre d'un homme qu'elle ooimait, jn pense, h poine de non». Cette lettre lui sera remise par l'Impéralrice, votre souveraine , (|ui vous informera en môme temps de ma demande et de mes désirs. Je suis le premier qui, de mon pro- pre mouvement, ai prié l'Impératrice de m'accordcr un bien que j'ambitionne avec ardeur, et qui lui appartient à elle seule à beaucoup de titres. Ce n'est pas depuis peu do temps que Dieu a mis dans mon cœur la pensée de rétablir la Compagnie de Jésus, dont la perte a été la source d'un grand nombre de maux pour l'Eglise et pour les monarchies. Après avoir tout mûrement pesé et avoir fait toutes les dispositions nécessaires pour lever les obstacles et aplanir la voie conduisant à la noble fin que je me propose, j'ai commencé à rassembler les mem- bres épars de la Compagnie, et tout a répondu à l'espérance que j'avais formée. J'offre donc mes Etals à \otre Paternité, afin que l'Institut puisse avoir comme un berceau il reçoive une nouvelle existence et puisse renaître à la gloire qui lui apparte- nait. La Compagnie subsiste déjà ici dans un certain nombre de ses membres, à qui, pour se perpétuer, il ne manque que la vie religieuse et comm ic sous un supérieur légitime. Il est donc convenable que Voire Paternité accueille ses enfants en les déclarant tels, et en les incorporant aux débris que, par une merveilleuse disposition de la Providence, l'Impératrice votre souveraine a conservés. Pour cela, il est né- essaire d'envoyer quelques-uns de vos Religieux, munis des facultés prescrites par votre Institut, afin de former une nouvelle province, et spécialement pour ouvrir un Noviciat.

L'Eglise était dans une position inextricable ; tout lui devenait hostile. A l'exception de Catherine II , les rois de l'Europe tremblaient devant le drapeau tricolore, que la Révolution agi- tait sur leurs frontières comme le signal de l'affranchissement des peuples. Us la combattaient sans foi et sans énergie, après l'avoir laissée grandir à l'abri de leurs sceptres ; le Pape se ré- signait au martyre , mais par une démonstration publique en faveur de l'Ordre de Jésus, il ne croyait pas pouvoir jeter un nouvel aliment aux passions déchaînées. Sans approuver ni

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CII.Vl'. VII. lllSiUlUK

hlàiiioi' riiiiltalivt! (|ii(! prenait le duc de Pnriitc, il retif;ii|,'ea ù marcher avec prudence sur un terrain aussi scabrtMix. Feidi- naiid et les l'èr(;s s'étaient rendu compte do la situation du l'oiitife;ils ne voulurent pas l'a^^raver par des demandes in- tempejtives. Ko l'ape consentait à l'ermer les yeux; c(!t acrpiies- cement tacite leur suHit. CitK| établissements i'nrcnt tonnés dans le duché du Parme ; en peu de teui))s ils réunirent toute la jeu- nesse du pays.

Un coup Innestc vint alors les frapper en llussie. Lo 5 no- vcMuhre 171)(), la Czarine expira. Cette mort imprévue laiss;i les Jésuites orphelins. Un nouveau règne allait commencer, et Paul n'annonçait point, par les premières mesures adoptées, vouloir so conformer à la politique de sa mère. L'Empereur ne s'était pas prononcé en leur faveur, il n'avait manifesté aucune intention contraire à leur Société ; iU ne trouvaient donc ù la cour que des indilTcrents. On attendait la parole du maître pour régler sur elle ses affections ou ses inimitiés. Cependant Paul I", revenant de Moscou à Pétersbourg, après son couronnement, arriva, le 7 mai 1797, dans la ville d'Orcha, oii les Jésuites possédaient un Collège. Le Vicaire-Général de l'Ordre, accompa- gné du Père Gruber, s'y était rendu pour présenter au monar- que les hommages et les vœux de leurs Frères. Paul leur lit un cordial accueil ; il estimait Gruber pour ses talents, Lenkiewicz pour ses vertus, l'Ordre entier pour les services qu'il rendait à l'instruction. Il leur déclara que rien ne serait change dans leur situation, et qu'il les maintiendrait tels qu'ils avaient été jus((u'i ce jour. Cette assurance, qui ne se démentit jamais, laissa aux Jésuites la liberté de se propager, et lorsque, le 10 novembre 1798, le Père Lenkiewicz succomba sous les travaux de tout genre qui absorbaient sa vieillesse , la Société de Jésus entrait dans une ère de prospérité.

Le l*'" février 1799, le Père Xavier Kareu fut élu Vicaire- Général perpétuel.

En Russie, on trouvait des Jésuites pour glorifier la Reli- gion ; à Rome, le Pape en évoquait encore pour souffrir avec lui. Quand Pie VI, arraché de son palais par ordre de l'impur Directoire qui gouvernait la France en la déshonorant, fut sur

DR LA COMPAGNIE DE JESIîS.

4t:)

Ir' point (le s'nchcmiiUM" vers c«'t exil iinposô aux doriiiors jours ilii l'onliic octogûnairo, il s'aJrcssn à un Jôsiiito uliii d'avoir un llilAle compagnon de captivité. Le Père Marotti était secrétaire des lettres latines, et, deux heures avant d'abandonner Uotne, le Pnpo lui dit, selon Gaetano Moroni ' : « Parlez- moi t'raïuho- ment, vous sentez-vous la force de monter avec moi au (lal- vaire? « Marotli répond : » Me voici prêt à suivre les pas et la destinrT du Vicaire du C'»rist et de mon Souverain. » Le Jésuite s'attaciia à la mauvaise fortune de Pie VI ; après avoir partagé toutes ses misères et soutenu son courage iians l'adversité, il lui lernia le yeux le "20 aoftt 1709.

Le Pape, traîné de prisi > en prison, allait mourir à Valence; Litta, son Nonce à PtMi bourg, lui écrivit pour solliciter un bref approbatif 'i l'institut : c'é» t, disait-il, le vœu de rKui- pereur et celui de i ' noblesse russe; mais, dans l'intervalle, des démêlés canoniques s'élevèrent entre la cour de Itussie et celle de Rome. Le Pape était captif, toute relation se trouvait inter- rompue avec le Saint-Siège, et Paul !«"' avait cru devoir inviter les Evéques catholiques à gouverner leurs églises selon le plan (pi'ils jugeraient le plus convenable. Avec cette générosité in- stinctive qui formait la base de son caractère, et qui donnait quelque chose de chevaleresque à ses caprices les plus étranges, Paul s'était, en Italie, posé le défenseur du Saint-Siège. L'image de ce vieux Pontife arraché de sa capitale et supportant ses dés- nsues avec une dignité si courageuse, avait fait impression sur son Jme. Paul avait ordonné à Souwarow de vaincre, Souwarow avait vaincu; mais l'Empereur croyait que les malheurs du Saint-Siège lui donnaient le droit d'intervenir dans les all'ainîs ecclésiastiques. Litta essaya do lui montrer le danger d'un pareil conllit; Paul s'indigna de ses représentations: il lui notilia d'avoir à sortir immédiatement des terres de l'Kmpire. Un nou- veau péril menaçait les Jésuites, Ciruber le conjura.

Gabriel Gruber, à Vienne en Autriche, le 0 mai 17iO, était une de ces natures rares qui , à la connaissance des affaires du monde , joignent la vertu sacerdotale. Pieux et savant , ar-

' I)i:io)iari(i d'eriiflizioue... «loi cîvaliero Moroni, t. xxx, p. 153.

414

CHAP. VII. HISTOIllE

oJutecte, physicien, médecin, peintre, géomètre, musicien, il se révélait en même temps diplomate et littérateur. Sa con- versation séduisait, son air de douceur et de réserve cap'ait la confiance ; son habitude des hommes lui donnait un véritable ascendant sur tous ceux dont il voulait gagner l'estime. Durant la vie de sa mère , Paul 1"" , écarté du gouvernement , avait vécu dans la solitude. Son cœur était droit et juste; il recher- cha les entretiens du Jésuite , il le prit en affection , bientôt il ne lui fut plus possible de s'en séparer. Gruber, encouragé par l'Impératrice, se laissa devenir le favori de l'Empereur. Il lui prouva que le Nonce apostolique n'avait jamais eu l'intention de payer par une offense la dette que le Saint-Siège avait con- tractée envers la famille des Romanoff. Paul avoua son erreur , il demanda à la réparer. Pour donner satisfaction à l'Eglise et au Père Gruber, il promit de servir le Saint-Siège dans les ca- lamités qui l'accablaient. L'âge avancé du Pontife, ses souf- frances du corps et de l'esprit , tout faisait présager une mort prochaine , et le Sacré-Collége , dispersé comme la Société de Jésus, évoquait de puissants protecteurs, afin de ne pas exposer l'Eglise à un fatal veuvage. Le sénateur vénitien Rezzonico fut chargé d'une lettre pour l'empereur. Paul , dont Gruber en- tretenait les sentiments chrétiens, accueillit avec enthousiasme les ouvertures que l'Egïise catholique lui faisait; il s'engagea à tout cntrep''endre pour favoriser la tenue du prochain Con- clave. Le Conclave eut lieu à Venise, et, le 14 mars 1800, le cardinal Barnabe Chiaramonti fut élu Pape sous le nom de Pie Vil. Le nouveau Pontife était un vieil ami de la Compagnie; Evoque de Tivoli 'peu après la suppression , il n'avait obéi qu'a- vec répugnance au bref de Clément XIV. Pour témoigner son affection à l'Institut , on l'avait vu maintenir à la tète de son diocèse les Jésuites dont il s'était entouré. Ceux de Russie, qui en conservaient le germe , croyaient avoir tout lieu d'espérer que Pie VII ratifierait ce que son prédécesseur n'avait pu que sanctionner tacitement. Le 11 août 1800, Paul lui en fit la demande officielle : « Très-Saint-Père, lui écrivait-il, le révé- rend Gabriel Gruber , de la Compagnie de Jè.^us, m'ayant fait connaître que les membres de cette Compagnie désiraient d'être

DE LA COMPAGNIE DE JESUS.

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reconnus par Votre Sainteté , je crois devoir solliciter une ap- probation formelle en faveur de cet Institut, pour lequel je professe un attachement tout particulier; et j'espère que ma recommandation ne leur sera pas inutile. »

Paul avait des principes religieux et monarchiques. Sans ap- partenir à la Communion romaine, il aspirait à développer le Catholicisme , comme le plus formidable rempart contre les désordres de l'intelligence et les révoltes de l'esprit. Avec moins de suite dans les idées et de persévérance dans le ca- ractère , il rêvait de faire pour l'Europe ce que Bonaparte ac- complissait alors si glorieusement en France. Bonaparte re- constituant par la seule force de sa volonté la vieille société chrétienne , et introduisant l'ordre matériel et moral au milieu de toutes les impuissances avouées de la Révolution , était , aux yeux de Paul I*"", un héros de civilisation, un génie dont il fallait suivre l'impulsion. Bonaparte connaissait les sentiments de l'empereur de Russie à son égard. 11 avait besoin de le dé- tacher des ligues ourdies par 1 Angleterre; il s'adressa secrète- tement au Père Gruber pour îui demander, au nom de la Religion et de la France, d'interposer ses bons offices dans une affaire la Société de Jésus n'avait qu'à gagner. Gruber devint un des agents les plus actifs de cette négociation ; elle lui donna encore plus de crédit auprès de Paul h', qui, dans le même moment , cherchait à faire revivre les chevaliers de Malte et les disciples de Loyola , les deux dernières milices de la Chrétienté. Le 10 octobre 1800, il réglait par un ukase les progrès de la Compagnie, il l'installait à Saint-Pétersbourg, il lui créait des collèges sur plusieurs points de l'Empire et dans les colonies du Volga ; il augmentait le Noviciat de Polotsk, a(in de développer par le nombre les forces de l'Institut. Le général Kutusow, gAuverneur de Liihuanie, mettait à la dis- position des Jésuites l'Université de Vilna ; l'Empereur ne se contentait pas de les employer dans ses royaumes, il voulait associer ses alliés ù l'œuvre de régénération. Les anciens Mis- sionnaires de la Société avaient été chassés de l'Archipel , et la Porte Ottomane s'était emparée de leurs biens. Il commence par exiger réparation de ces violences; le 8 décembre 1800,

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CFIAP. VII. HISTOIRE

I

il mande à son ambassadenr en Turquie : « Connaissant 'ons les avantages qu'un bon gouvernement peut retirer de Tlnstilnt des Jésuites, dont la fin est d'élever la jeunesse et d'inspirer l'amour et la fidélité pour le Souverain , j'ai résolu de rétablir cet Ordre dans mes Etats, et je lui accorde de grandes préro- gatives. Comme je désire que la Porte Ottomane participe au bien immense qu'on peut retirer de cette Société, je vous recommande de lui aider en ce point. Ainsi vous engagerez le Divan à rendre à la Compagnie tous les privilèges dont elle jouissait au temps du gouvernement monarcliique en France. Et afin que vous sachiez quels étaient ces privilèges et que vous ayez les connaissances nécessaires pour bien commencer cette négociation et la terminer heureusement, ainsi que je l'espère, je vous envoie une note qui vous fournira les lumières que vous pouvez désirer. »

Gruber exerçait sur l'Empereur une influence dètermininte; mais ce n'était pas seulement à son aflection pour le Jésuite que Paul P'' cédait, lorsqu'il s'occupait avec tant d'ardeur du rétablissement de l'Institut. Les événements qui se passent en Russie , ainsi que les hommes qui gouvernent cet empire , sont condamnés à être jugés par l'Europe sur des écrits souvent partiaux, toujours pleins d'ignorance ou de mauvaise foi. La vérité n'apparaît que de loin en loin , et elle meurt étoull'ée sous le mensonge. Paul I"' avait une activité dévorante : le bien qu'il concevait, il s'efforçait de le réaliser à l'instant même. Il franchissait tous les obstacles, parce qu'il craignait de laisser raisonner l'obéissance. Cette manière de procéder dérangeait , en politique et en gouvernement intérieur, beaucoup de cal- culs. On exploita les bizarreries de son caractère : on le peignit sous les traits d'un monomane qui , tour à tour soldat, pontife, magistrat , administrateur et législateur, essayait brusquement ih^i innovations impossibles; mais ce monarque tendait à un but véritablement glorieux : il cherchait à tuer le principe ré- volutionnaire en Europe. Il voyait que les Jésuites avaient été ses premières victimes, et que de ce triomphe dataient les pro- grès de l'impiété et de l'insurrection dans les esprits. 11 adopta les Jésuites comme une protestation solennelle contre les idées

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anarchiqnes ; il les aima de toutes les haines que leur nom in- spirait aux hommes de désordre. Ce fut ainsi qu'il se porta à leur défense et à leur agrandissement. Paul honorait les Jé- suites en lu personne du PèrcGruber, il voulait que tout lu monde l'honorût. Le roi de Suède et le duc de Glocesler vi- sitaient le Jésuite à Pétersbourg, les grands de l'empire se servaient de son intermédiaire pour obtenir les faveurs impé- riales. Il était puissant, il fut calomnié, il eut des ennemis. U rendait des services aux courtisans, il fit des ingrats.

Cependant la lettre que Paul !«' avait adressée à Pie VII par- venait enfin à Rome. En récomj : de ce qu'il avait fait pour la Catholicité, l'Empereur ne se '■'■''X qu'un bref accordant aux Jésuites droit de vie canoniqr , Le Pape jugea que ce n'<''- tait pas mettre sa reconnaissance à une bien rude épreuve. Il subsistait encore dans les cours et parmi certains dignitaires de l'Eglise des préventions que l'expérience n'avait pas vaincues : il sentit que la prudence Tobligeait à ne pas consulter ses pro- pres affections. Une Congrégation de quatre cardinaux hostiles aux Jésuites fut nommée. Elle accueillit la demande de l'Em- pereur, mais elle la limita dans lë§ bornes les plus étroites. Le 7 mars 1801, Pie VU signa le Breî Catholicœ fidei, qui re- constitue pour la Russie seulement l'Ordre de Jésus , qu'un autre bref de Clément XIV avait aboli.

Paul l*' n'eut pas le temps de jouir de son succès. Dans la nuit du 23 au 24 mars, ce prince périt sous les coups d'une conspiration dont l'histoire n'a pas encore pénétré tout le mys- tère. L'empereur de Russie avait sollicité du Pape la réhabili- tation des Jésuites, il l'obtenait. Le roi d'Espagne Charles IV croit saisir dans le bref réparateur un outrage à la mémoire de son père. Il avait autorisé les bannis de 1767 à rentrer dans leur patrie , il les condamne sur-le-champ à une nouvelle pro- scription. La ville de Cadix demande grAce pour ceux qui se dévouèrent à son salut au milieu des horreurs de la peste , on lui fait une réponse dérisoire , et les Jésuites parcourent encore une fois la route de l'exil , que Charles IV détrôné va bientôt prendre lui-môme avec sa famille divisée.

La restauration de la Société de Jésus était, à la fin du dix- \. 27

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CHAP. VII. IIISTOIHE

huitième sièclo et au commencement du dix-nenviémo, tleveniie la pensée dominante de la plupart des Catholiques. Les plus actifs modelaient des Congrégations religieuses sur son Institut, et, dès l'année 1794, quelques prêtres français, émigrés dans les Pays*Bas, formèrent une association pour se façonner à l'es- prit de saint Ignace , en attendant qu'ils pussent se réunir à la Compagnie. Cette association, dont le prince de Brogiie,rils du maréchal de ce nom , et les abb ' , de Tournely et Varin furent les fondateurs , prit le nom de Congrégation du Sacré- Cœur de Jésus. L'abbé Pey, ancien Jésuite et chanoine de Paris, la dirigeait. Les événements militaires la poussèrent des Pays-Bas à Âugsbourg , puis à Vienne , oîi, sur l'invitation de Pie VI, le cardinal-archevêque Migazzi se déclara son pro- tecteur. Â la demande de la princesse Louise de Condé , l'ar- chiduchesse Marianne leur témoigna le plus vif intérêt. On re- marquait parmi eux les abbés Crivel , Sinéo,, Leblanc, Cuenet, Gloriot , Roger, Jennesseaux, Gury , Rozaven et Coulon.

Vers le même temps , une autre Congrégation s'établissait h Rome même, dans l'oratoire du Père Caravita. Son but parais- sait encore plus spécialement tendre à la reconstitution de l'Ordre de Jésus. Un jeune homme , Nicolas Paccanciri , à Trei:te, en était le créateur. Il rassemble quelques jeunes gens comme lui, délia Vedova, HaInat et l'abbé Epinette. Il leur inspire son zèle et sa ferveur, il leur fait adopter les Constitutions de saint Ignace; puis il leur donne le nom de Société de la Foi de Jésus. Le dfc -sein de faire revivre l'Institut fondé par Loyola était si bien entré dans les idées de Pie VII , que le cardinal délia So- maglia , Vicaire de Rome , autorise Paccanari â en revêtir le costume , avec la seule différence que ses disciples porteront le petit collet ecclésiastique. Paccanari vit le Souverain-Pontife dans ses captivités de Sienne et de Florence; il lui communiqua ses projets, il en obtint des grâces particulières , des privilèges et des encouragements pour rétablir les Jésuites. Paccanari se donnait cette mission ; elle c' vait le faire accueillir avec bien- veillance par tous les amis, même par les anciens Pères de la Société. Cet homme était jeune, éloquent, actif ; sans éduca- tion première , il savait les moyens de capter la conliancc. Il

!

DE LA COMPAONIR DE JKSUS.

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lia es se îii- ;la

visite Bologne et Venise. Ses compagnons le suivent (ians ses courses aventureuses; les uns s'abritent, à Parme et à Plai- sance, sous l'égide du Père Panizzonr; les autres errent dans le monde, annonçant partout leur idée et no lu réalisant jamais.

Cependant Panizzoni voyait avec inquiétude ces nouveaux Frères- se poser en restaurateurs de l'Ordre, et oublier de se soumettre au \icaire-Général ayant plein pouvoir de diriger les actes et les pensées de chaque membre de l'Institut. Panizzoni ne doutait point du zèle de Paccanari, mais il voulait le voir à l'œuvre , et il lui écrivit : « Si vous désirez sincèrement travailler à la dilatation de la Compagnie , c'est à vous de chercher à vous y faire incorporer. En attendant, vous devez vous procurer quelque ex-Jésuite versé dans la théorie et dans la pratique des Constitutions pour l'enseigner aux novices selon la méthode de la Société. »Ces avis étaient sages, mais ils dérangeaient les plans de Paccanari ; il se hâta de partir pour Vienne. L'eir » pereur Fran oJs ne cachait point ses sentiments à l'égard des Jésuites. 11 reçut Paccanari avec ^effusion ; les ministres en- trèrent dans ses Vues, et le sénateur vénitien Rezzonico fut chargé , dans son voyage à Pétersboun^ , de négocier la réunion des Paccanaristes aux Pères de la Russie-Blanche.

Cependant les Pères du Sacré-Cœur de Jésus, pour répondre aux désirs de Pie VI, s'étaient unis en une seule Congrégation avec les Pères de la Foi de Jésus. Et peu de mois après, le H août 1799, Paccanari donnait à Vienne cette déclaration : « Mon sentiment est que c'est la volonté de Dieu de faire revivre en ce temps l'Institut de saint Ignace , pour le bien de la Religion et de la sainte Eglise. Je n'ai d'autre intention que de rétablir cet Institut , ou bien sous le nom de Compagnie de la Foi de Jésus, ou sous l'ancien nom de Compagnie de Jésus , comme il sera plus agréable au Vicaire de Jésus-Christ. Je désire que tous les enfants de saint Ignace ne fassent qu'un même corps et ne soient animés que d'un môme esprit; et je ne demande d'autre condition, sinon que tout s'opère pour la plus grande gloire de Dieu , et qu'on n'agisse qu'avec l'autorisation et l'approbation du Souverain-Pontife. »

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CHAI». VII. HISTOIRE

Néanmoins il ue taisrtit aucune démarche pour arriver ù ce résultat; il n»; se n'tttait en rapport ni avec le chef de la Société ni avec ses rjpréiii.njants. Cett«î situation était anormale; en 1803, ceux des l*acc;iî'..»iist€:: ^ qui, sf ms le nom de l'abbé de Bro- g!ic, avaient formé en Angleterre mw maison d'éducation, pren- nent le parti de su séparer de leur chef ou de l'amener avec eux h lit Compagnie de Jésus. Le chef refuse ; alors ces prôfres ne criireut pas devoir résish-r plt.s lov;gtemps à leur vocation. Ils avalant adopié ie^> règles de la Compagnie , mais en dehors d'elle ; ils avaient (.levéson draj. ;. u, lorsque le monde le croyait abattu. La Compagnie ressiiscitait par le concours providentiel du Pape Pie VI et des monarques de Russie ; les Paccanaristes postulè- rent pour y être agrégés en corps. L'Institut n'y consentit jamais, et ils furent reçus individuellement. C'étaient des prêtres versés dans les sciences, des hommes d'une solide instruction ît d'une piété éclairée. Ils vinrent augmenter le troupeau qui s'élevait déjà au nombre de plus de trois cents Jésuites rassemblés en Russie de tous les points du globe. Les Pères de la Foi qui s'étaient introduits en France, et ceux du Valais renoncèrent, le 21 juin 1804, entre les mains du car- dinal-légat Caprara , à l'obéissance qu'ils avaient jurée à Pac- canari. Cet homme, dont la vie commença par le dévouement, et qui , peu à peu , s'engagea dans des intrigues sans fin , résista autant qu'il le put à cet abandon , que Pie VII et les anciens Jésuites conseillaient. Paccanari avait rendu des services à l'Eglise et à la Compagnie , il lu» avait recruté des prosélytes , mais alors il devenait un obstacle pour le Saint-Siège. Avec son incessant besoin de mouvement et d'affaires , il pouvait un jour susciter plus d'un embarras. Le nom de Paccanari retentissait en Italie, le gouvernement français l'avait fait emprisonner au château Saint-Ange une première fois ; en 1804, le Pape or- donna d'instruire son procès. Après quelques années de captivité ou de voyages , il disparut de la scène du monde. Les Pères de la Foi n'avaient encore que l'intention d'être Jésuites , la police de Fouché les inquiéta à diverses reprises ; mais elle ne put vaincre leur persévérance. Comme le Père Bourdier Delpuits , ils entretenaient parmi les jeunes gens l'esprit religieux; ils le

Dt LA COMl'AUMh UL JliSUS.

421

Itropayeaicnt dans les masses, et l'empereur iXapolcon , (pii ré- sistait à toute l'Europe, qui la dominait par la gloire ou par la crainte, se sen'ait faible en présence de ces quelques prêtres, qui, sans autre levier que la Foi, remuaient l'idée catholique , dont il s'avouait '.ntérieurement l'invincible pouvoir sur les Ames. 11 avait essayé de se faire de la Foi un instrument de règne , il avait constitué l'Eglise pour la tenir asservie à ses volontés. L'Eglise fut plus forte dans sa captivité que le grand Empereur sur ses trônes : elle combattit au soleil , elle lutta dans l'ombre , elle triompha enfin.

Le bref que Paul I*"-' avait obtenu du Saint-Siège était un encouragement accordé aux princes catholiques. Les dernières années du dix-huitième siècle leur dessillèrent les yeux. Les commotions qui renversaient ou ébranlaient leurs trônes , l'in- stabilité des pouvoirs, les désastres de la guerre, firent descendre dans les cœurs un profond sentiment religieux. L'orage se cal- mait sous la main du temps ; mais , pour le dissiper , les souve- rains , encore frappés de stupeur, jetaient les yeux sur la Société de Jésus , comme sur le seul corps capable de régénérer l'édu- cation publique. Catherine II gn avait arraché les débris au naufrage, l'empereur d'Autriche, les rois de Sardaigne et de Naples s'occupèrent des moyens de les rappeler dans leurs Etats. La réaction commençait : les idées chrétiennes se réveillaient dans les ûmes. Il fallait développer ce mouvement vers le bien , et , à la suite de tant de calamités , chacun proclamait qu'un grand acte de réparation était nécessaire. On savait les intentions du Souverain-Pontife; on voyait les Pères de l'Institut s'em- presser, comme Poczobut et Beauregard , de se mettre en route pour mourir dans le sein de leur mère. Des jeunes gens, comme les Pères Roothaan et Palandret , s'acheminaient , quelques an- nées après , vers le Noviciat de Russie. L'empereur Alexandre , plus réservé que son prédécesseur à l'égard des Jésuites , ac- cordait cependant sa confiance à Gruber. Le 17 juin 1802 il visita le collège de Pololsk, il salua dans son agonie le Père Kareu. Cette faveur impériale inspire à Gruber la pensée de solliciter l'admission du bref de rétabhssement. Alexandre ne fil aucune diflicultc do consacrer par un ukase un des derniers

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CIIAI'. Vil.

IIISTOIUË

actes de son préilôccssciir sur le IrAnc; et, lorsque le ÎJO juillet Karcu expira , le Père Wichert put légalement convoquer ras- semblée des l'rofès. Elle se réunit le 4 octobre , et le 10 elle nomma Gabriel Gruber Général de la Compagnie. L'Empereur et le Conseil de justice ratifièrent ce choix , f:i le premier soin du Général fut de se rendre à Pétersbourg , afin de fonder une maison d'éducation pour lu jeune noblesse. Un lien nouveau l'attachait à celte capitale : le comte Joseph de Maistro venait d'y arriver pour remplir les fonctions d'ambassadeur de Sar- daigne : ces deux intelligences d'élite s'unirent par la plus tendre afl'ection.

Alexandre n'avait pas l'expansive amitié de son père. Plus calme dans ses projets , il savait beaucoup mieux que lui cacher ses impressions , et se présenter plutôt en prince qu'en homme à ceux qu'il voulait séduire par le charme de sa personne ou dominer par l'attrait de la puissance. Catherine s'était efforcée de coloniser les vastes steppes de son empire, Paul l'avait imitée, Alexandre essaya de réaliser cette féconde pensée. Le gouver- nement de Saratof sur les deux rives du Volga était à peine créé. Des Allemands de toute espèce de religion et de pays affluaient dans ces colonies. L'Empereur ordonne aux Jésuites d'y préparer l'unité et d'y faire fleurir l'agriculture. La mission était difficile. ïl fallait acclimater aux lois russes des familles n'ayant entre ellci aucun point de contact. A l'isolement indi- viduel les Pères devaient peu à peu substituer l'amour de la nou- velle patrie , et inspirer le sentiment religieux ainsi que le goût du travail à ces ]:opulations voyageuses que le besoin poussait vers le changement. Ils se mirent à l'œuvre. Moins d'un an après, le g' 'iverneraent impérial put se convaincre que Tautorité morale du prêtre a quelque chose de plus efficace sur les hommes que le sabre du soldat.

Au milieu de ces événements , le Père Cajetano Angiolini est dépêché à Rome pour veiller aux intérêts de la Compagnie. Il y arrive vers le mois de juin 1803. Il est revêtu de son habit de Jésuite. L'ambassadeur de Russie le présente officiellement au Pape sous ce costume , qui produit dans la cité éternelle une vive impression. Le Pape le bénit, il l'encourage par ses pa-

DK LA COMPAONIE DE JÉSUS.

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rôles , par ses lannrs surtout. Bient(\t d'autres joies vinrent ij)ctlre le comble à ce lionhour. (îruber consolidait l'œuvre de 6C!i devanciers ; Alexandre lui demande d'autres Jésuites pour ses colonies naissantes d'Odessa. Les Catholiques de Ri'^'a sup- plient l'Empereur de leur en donner quelques-uns , aOn A se maintenir dans leur Foi , et l'Empereur avec une tolérance pleine d'ad'abilité, exauce le vœu de ses sujets. Le roi de Naples, dans ce même moment, appelle auprès de lui les Pérès Angio- lini et Pignatelli. Ferdinand IV, à peine majeur, avait, comme le duc de Parme , subi la loi des Philosophes ; dans l'Age mûr , ce (ils de Charles 111 revenait à des pensées plus monarchiques. La Révolution s'était abattue sur ses Etats , elle avait proscrit la l'aniille royale, et Ferdinand comprenait que la meilleure digue à opposer au torrent élait encore l'éducation. Les Jésuites n'existaient qu'en Russie, à l'abri du sceptre d'un prince at- taché à l'Eglise grecque : le roi des Deux-Siciles lui écrivit. Le SO juillet 1804 , Pie Vil, de son côté, adressa à Gruber le bref suivant : « Notre très-cher fils en J.-C. Ferdinand, roi des Deux-Sicile3 , nous a fait exposer en dernier lieu qu'il lui pa- raissait très- utile pour la bonne éducation de la jeunesse de son royaume , surtout dans les circonstances actuelles , d'établir dans ses Etats la Société de Jésus , telle qu'elle existe dans l'Empire de Russie , soumise à la règle de saint Ignace , laquelle » parmi les devoirs qu'elle impose aux membres de cette Société, leur prescrit particulièrement d'élever et d'instruire la jeunesse ras- semblée dans les collèges ou les gymnases publics. Ayant donc égard, comme nos fonctions pastorales nous en font un devoir, aux vœux de S. M. le roi des Deux-Siciles , vœux qui n'ont pour objet que le bien spirituel et temporel de ses sujets , et surtout la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes , de notre science certaine et de notre pleine puissance apostolique, après une mûre délibération , nous avons résolu d'étendre au royaume des Deux- Siciles la teneur desdites lettres apostoliques que nous avons données pour l'empire de Russie.

» En conséquence , nous vous autorisons à recevoir , soit par vous-même , soit par notre cher fils Cajetano Angiolini, procu- reur-général, dans le sein delà Société de Jésus, établie par

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CilAI'. VII.

IIISTUIUK

nota' iinissiiiu'o à Pétersbourg cm Russie, tous ceux du lojauiiie lies Doux-Siciles (j\ii voudront y entrer.

» Nous autorisons également tous les inen)brcs de la Société dv. Jésus, réunis dans une seule ou plusieurs Maisons, et vivant selon la règle primitive de saint Ignace, sous votre obéissance et celle de vos successeurs, à élever la jeunesse dans toute l'é- lendiio du royaume des Deux-Siciles, à la façonner aux bonn(!s mœurs, à la Religion et aux belles-lettres, à gouverner les col- lèges et les séminaires, entendre les confessions des Fidèles, ■innoncer la paiole de Dieu, administrer les Sacrements, avec l'approbation de l'Ordinaire. Nous unissons et agrégeons les Jésuites du royaume de Naples, les Maisons, les Collèges et les Séminaires qu'ils établiront, à la Société de Jésus formée en Russie. Nous les prenons sous notre protection, et les recevons sous notre obéissance immédiate et sous celle du Saint-Siège. » En vertu de ce bref apostolique, le roi Ferdinand de Naples, par un décfet du 6 août 1804, réhabilite la Société de Jésus dans les Deux-Siciles. Il proclame les services qu'elle rendit à l'Eglise et à la monarchie, ceux qu'elle leur rendra encore. L(!s Napolitains et les Siciliens reçoivent avec d'indicibles transports lie joie les maîtres qui les ont élevés, et qui accourent pour former leurs enfants à la vertu et à la science. Joseph Pigna- tcUi, celui qui conserva la Société h Parme, est à leur tôte en qualité de Provincial. Le roi Ferdinand IV permettait aux Jé- suites proscrits par Tanucci de rentrer dans le sein de la Com- pagnie. Trente-sept ans s'étaient écoulés depuis le jour de leur exil ; la mort en avait frappé un grand nombre : il n'en restait plus que cent soixante -dix. Tous, 5 l'exception de trois, que des infirmités condamnaient à l'inaction, abdiquèrent volontai- rement la liberté qu'ils avaient subie à regret. Quelques-uns de ces Pères avaient été promus à l'épiscopat; ils furent les pre- miers à donner l'exemple. Ils supplièrent le Pape de leur ac- corder la grâce de mourir dans l'Institut. Le seul Evêque de Vérone, André Avogadro, l'obtint. Cet empressement à briguer les honneurs de l'humilité, ce désistement de la plus haute fortune ecclésiastique émut si vivement l'esprit des masses, qu'« lies ne purt-nt s'empêcher ds manifester leurs sentiments

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1)K LA CUMl'AdMfe: lit JKSUS.

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|iiir des lutins uiix((iicllns la cniir s'ussucia. l/all(tgi'css(> rlail ('ans tous les cœurs, et c'est dans le Jounuil des Dèhnts 'lu 10 veii- dcmiairo an xiii (^ octobre 180i) que l'on trouve l'expression de CCS félicités relif^ieuses. Cette feuille publie, sous la date de Na- ples, 7 septembre, la lettre suivante ;

« Le rétablissement de l'Ordre des Jésuites cause une joie uni- verselle dans cette capitale et dans les provinces. Le jour nième (ju'on reçut ici le bref, LL. MM. le roi et la reine, les princes et princesses de la famille royale communièrent solennellement pour rendre à Dieu leurs actions de grAces. Le Collège (jue les Jésuites avaient anciennement à Naples a été ouvert le jour de l'Assomption, et ils en sont déjà <•» possession.. Le roi a voulu assister en personne à l'ouverture de l'église, qui a eu lion le même jour, et dans laquelle, a-t-il dit, il n'avait pas eu le cou- rage d'entrer une seule fois depuis la suppression de cette Com- pagnie.

S. M. a doté ce Collège d'un revenu annuel de 40,000 du- cats (172,000 livres, argent de France). La reine a payé aussi de ses revenus les meubles nécessaires au collège, et elle se propose de multiplier encore ses largesses. Plusieurs villes et communes ont de môme des maisons et des revenus pour la fondation des nouveaux Collèges, et de toutes parts les particu- liers portent des meubles et de l'argent. Mais ce qui est surtout remarquable, c'est l'empressement et la foule des sujets qui so présentent pour demander l'habit. Cette aflluence rend les choix plus difficiles, l'examen des candidats plus sévère, et fait espérer en même temps que la Providence bénira la restauration de cet Onirf , qui, en formant une nouvelle génération et de nouvelles Mœurs, peut contribuer si puissamment à la gloire de la Rel £,io£i et au bonheur des peuples. »

Le Journal des Débats ne s'arrête point à cet enthou- siasme extérieur. Il a d'autres devoirs à remplir : il faut qu'il révèle à l'Europe ce que furent et ce que seront les Jésuites. Avec un accent de conviction que tous les Catholiques admire- ront, il s'écrie :

« Les nouveaux Jésuites sont ce qu'étaient les anciens. Outre le même nom, le même habit, la même règle, les nouveaux

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ciiAP. VII. iiisroinE

vonl (Hro loi'iii«';s par li>s ancions oiicnD! KiilisistiinLs, coi» rostos «riatrut'l ({uc In IVovidemo no s(uiilil*! .ivuir consorvos (|iin pour ôtro les (U'^posit.'iirns du lini sucré et des vraies traditions et principes de l'Institut. Do sorte que, la chaîne depuis saint Ignace ne se trouvant nullement interrompue, on peut dire <pm les nouveaux Jésuites sont véritablement les successeurs des anciens, et que l'Ordre, sans avoir la nu^mc étttnduo, n'en n pas moins la même perfection : identité aussi précieuse «pi'lio- norable, qui est tout à la fois et le garant de sa durée et la digue la plus puissante aux perfides réformes que pourraient méditer certains esprits systématiques, et la plus décisive ré- ponse aux assertions de ses ennemis et le triomphe le plus noble qu'il ait pu remporter contre les injustes provocateurs de sa destruction.

» En replaçant la Compagnie de Jésus sur les anciennes bases, et dérogeant pour cet elTet au bref de Clément XIV, son vertueux successeur ne met nullement le Saint-Siège en con- tradiction avec le Saint-Siège. C'est la nécessité qui fit donner le bref de destruction, et c'est aussi la nécessité qui fait donner le bref de résurrection, avec celte différence que la première nécessité était fille de la crainte et de l'obsession des hommes puissants tenaient ce malheureux Pontife, auquel ils firent dis- perser d'un trait de plume vingt mille ouvriers infatigables qui, dans les quatre parties du monde, allaient prêchant et ensei- gnant ; que la nécessité d'aujourd'hui est la fille du temps et de l'expérience, qui nous éclaire sur les malheurs qui ont suivi celte fatale époque et sur le besoin de les réparer. Ce besoin, n'en doutons pas, se fera sentir dans les Etats catholiques ù mesure que les haines et les préventions s'affaibliront, que l'esprit de parti s'éteindra dans les malheurs communs, que les souverains ouvriront les yeux sur leurs vrais intérêts, que l'impiété se trahira par de nouveaux excès, et que le progrés des mauvaises mœurs convaincra les esprits les plus aveugles de ce principe du grand Bacon que, pour élever la jeunesse, on ne trouvera jamais rien de mieux que les écoles des Jésuites. »

Ce fut sous cette impression, si enthousiaste dans ses retours vers le bien, que les Jésuites se virent réintégrés en Europe.

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Les ciiloinniL's piiisri'-s sT-vaiiouissiiicnl; les niiilliciirs de t(»iis nvaiciil Inné <'ha({iiu lioiiinic à (l(!V(<iiir è(]iiitalil(; |)onr 1rs au- tres. On n'avait pas enconi en It^ temps de se l'aire injuste de parti pris. Ku l'ace des mines anionecdées par la llévnlution, la pensée s'échappait sar.s n'-nconce, sans calcul, et elle proclamait lo rétablissement des Jésuites comme h; si|;jnal d'une ère plus lieureusc.

Alexandre jouissait des succès <\\w. les prévisions de son aïeule et de son père lui avaient ménagés. Les scliismaliipies du Nord avaient conservé à la Hcligion romaine ses plus intré- pides champions. Les Jésuites rentrent en ^ym-c auprès du Saint-Siège et des rois; l'empereur de iWissie ne cesse do mettre leur zèle à l'épreuve. Il se trouve à Aslracan des Ca- tholi(pie$ arméniens qui ont besoin d'être soutenus dans leur Foi : Alexandre leur envoie des Jésuites. De concert avec le Père Gruber, il prépare de nouvelles Missions. 11 va leur olVrir d'autres moyens de lui témoigner sa gratitude, lorsque, dans la nuit du 25 au 26 mars 1805, Gabriel Gruber périt victime d'un incendie. Il mourut en priant pour ses frères et en bé- nissant son ami Joseph de Maistre, accouru sur le IhéAtre de la catastrophe. Cette mort était un deuil (jui frappait la Chré- tienté et la Ilussie. Elle plongeait les Jésuites dans la désolation, car depuis longtemps Gruber apparaissait comme la providence visible de l'Ordre de saint Ignace.

Le Père Lustyg, nommé Vicaire, réunit la Congrégation le 27 août, et le 2 septembre le Père Thaddée Brzozowski fut élu Général de l'Institut. Tout avait été si admirablement disposé par Gruber qu'il ne resta plus à son successeur qu'à recueillir la moisson. Les Jésuites, désormais assurés d'avoir un lende- main, songèrent à perpétuer l'enseignement par la création de professeurs en dehors de l'Université russe. Bien persuadés que tout privilège exclusif dans l'Etat n'est que 1^ j^ei mission légale de mal faire, ils remettent des mémoires à l'Empereur la concurrence en matière d'instruction publique est présentée comme un avantage pour la morale et la science, comme une garantie due aux parents. Ces mémoires, dont le dernier est à la date du 11 septembre 1811, produisirent une vive impres-

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4^28

CHAI'. Ml. IIISTOIHE

sioii sur Alexandre. Ils retraçaient à ses yeux les vices de l'en- seignement ; ils lui offraient le moyen de les combattre en sti- mulant l'émulation et en accordant à chaque famille la liberté du choix. L'invasion de la Russie par les armées françaises ne permit pas à l'Empereur d'appliquer ce principe, dont son ca- ractère, naturellement juste, se iromettait d'heureux résultats. Engagé dans une guerre sainte, il avait à préserver sa patrie de la servitude ou à s'ensevelir sous les ruines de l'empire. On ajourna ces projets de réforme à des temps meilleurs. Quand l'heure de les faire exécuter eut sonné, Alexandre, dominé par d'autres idées, et s'effrayant du mouvement catholique qui se propageait dans la haute noblesse et dans le peuple, recula de- vant cette manifestation.

La guerre éclatait : Napoléon se précipitait sur la Russie. Retirés au sein de leurs Ce lièges, les Jésuites n'éprouvèrent que le contre-coup des calamités. Us virent passer l'empereur des Français marchant à la conquête de Moscou. Ils le reçurent à Witepsk, Napoléon aimait à s'entretenir avec le Père Lange, mathématicien distingué ; puis, au retour de la grande armée, dans cette conjuration des éléments contre la valeur, ils accou- rurent offrir au corps du maréchal de Rellune les services de charité qu'ils avaient déjà rendus à celui du maréchal Gouvion- Saint-Cyr. Au milieu de ces combats gigantesques dans lesquels se jouait le sort du monde, les Jésuites n'avaient que des souf- frances à attendre. Le Père Richardot devint l'ami des soldats français, ses compatriotes ; et dans la bonne fortune ainsi que dans la détresse, on vit tous les enfants de saint Ignace s'atti- rer les respects des deux armées par une humanité qui ne se démentit jamais. Douze Pères moururent victimes des maladies contagieuses.

Les événements militaires, les changements de dynastie réa- gissaient sur la Compagnie. A peine installés à Naples, les Jé- suites, dès le mois de mars 1806, furent forcés de reprendre la route de l'exil. Par ordre de Napoléon, Joseph Bonaparte s'asseyait sur le trône de Ferdinand IV, et /•? Moniteur annon- çait laconiquement que la maison de Bourbon avait cessé de régner. Les Pères subirent les chances de sa mauvaise fortune.

DE LA COMPAGNIE DE JÉSl'S.

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Pie VU ouvre à Pignatelli et aux disciples de l'Institut ses Etats, dont bientôt lui-même sera dépouillé par la violence. On lui représente qu'en agissant ainsi il attire sur sa tête toutes les co- lères impériales. « C'est pour le Saint-Siège et pour l'Eglise rpi'ils souffrent, réplique le Pape ; je dois suivre l'exemple de Clément XIII. » Lambruschini, évêque d'Orvieto, donne son sé- minaire aux bannis ; ils en font le Noviciat de la Compagnie. C'est que furent reçus Louis Fortis et Angelo Mai, le savant cardinal. Les autres Evêques de la Romagne forment la même demande ; Pignalelli disperse ses Frères, afin de ne pas com- promettre le Pontife qui leur offrait une dangereuse hospitalité. Les Jésuites sont encore sous le coup des persécutions ; le Pape et les Cardinaux se trouvent comme eux captifs ou réduits à la misère. Les religieux des divers Instituts voient leurs propriétés séquestrées par l'autorité militaire; Pignatelli fait appel à la charité. 11 ne réclame aucun secours en faveur des Pères, aguer- ris à la douleur; il mendie dans Rome pour le Souverain -Pon- tife et pour les princes de l'Eglise *. Des tribulations de tant d'espèces ont assailli cette existence, que Dieu semblait avoir destinée aux prospérités et aux gloires humaines, que Joseph

< Ce i)'c t pis sans surprise que nous avons lu dans un ouvrage ilu Pair de France, M. Rj(;non, le patsagc suivant, qui se rapporte à celle dnic de 1810. Nous avons dit la position pri^caire des débris de la Comiagnie. En 18:iC, M. Hi- gnon écrivait (lonio ix, page 248 de son Histoire de France) : « Les Jcsuites avaient fornié une conspiration souterraine qui, sans les victoires de l'Empereur, eût pu amener en Italie un massacre général dos Français.

» Celle conspiration, ajoute rai.lciir ii la pt^e S^iO, consistait en une grande association l'ormée sous le nom de Société Ihéocratique anli-napoléonienne. Trente riiefs furent arrêtés, et cette sévérité découragea les conpiraleurs, sans on ex- cepter les Jésulles eux-mêmes. »

L'allégation d'un homme grave nous a conduit ii rediercher ce qu'il pouvait y avoir de réel dans un complot dont M. Bigtion était le premier ii divulguer le se- cret. Nous avons pris en Italie les rcnseignemcnis les plus exiicts, nous nous sommes adressé aux survivants de celte époque, nous avons interrogé la corres- pondance des Jésuites proscrits, et il nous i clé impossible de découvrir une seule trace de la faniousc Société liiéocrali(|ne tjui voulait renouveler les Vêpres Sici- liennes. En 1810, l'ilallc était sous le joug, le l'ape dans les fers, le Sacré- (Collège disséminé par la proscription; el, si jamais iioiiple fut dans «ou droit de se sou- lever contre des oppresseurs, à coup sur ce droit devra être accoidé aux Itomains en tStO. Ils n'en uséieiit iiiénie pas en idi'O II i:ous est donc bien ditlicile de savoir sur quel fondement .M Hignon a échafandé tout ce complot formidable, dont trente cliel's airclés nu sont pas niéuie désignés pur leurs noms. L'Iiislorlen de l'empereur Napoléon se tait sur ces chefs, il envcliq>pe les .lésuiles dans la même accusation cl dans le même silence. C'est le meilleur de Ions les moyens pour ne pas laisser discuter ou démentir ses asseiiiciis; mais ce n'e-t jias avec celle inqualillable ligêrele que l'on ecril l'hisloire.

430

CHAP. VU. HISTOIRE

Pignatolli succombe enfin sons le poids dos (ourments. Il a vécu (liMis la proscription; le 15 novembre 1811, il meurt dans la joie que les désastres terrestres inspirent aux âmes chrétiennes : il meurt après quarante-quatre années d'exil , et son dernier soupir est un hymne d'espérance.

L'espérance était au fond de tous les cœurs. L'Eglise souf- frait dans son chef et dans ses membres; quelques prélats gal- licans, Duvoisin, de Pradt et Beaumont entre autres, essayè- rent d'immoler le sacerdoce à l'Empire, et, plus couitisans qu'Evoques, ils soutinrent Napoléon dans sa guerre contre la Papauté. Le mal paraissait invétéré, les événements furent néanmoins plus forts que toutes les volontés humaines. Ils em- portèrent le conquérant, et ils ramenèrent en triomphe, sur le trône apostolique , le Pontife, que les acclamations populaires consolèrent d'une faute arrachée par des obses3ions inouïes et de la déàj^^'ion de quelques prélats itahens ou français.

Pendant sa longue captivité , Pie VII avait mûrement réflé- chi sur les causes de tant de désastres. Il chercha le remède , et il se convain([uit que l'anarchie dans les idées et dans les doc- trines avait besoin d'un contrepoids. Il résolut de le demander à la Société de Jésus. En 1814, le Pape s'avouait ce que le prince de Ligne avait proclamé dés 1730. A l'aspect de la Ré- volution naissante , cet homme , dont l'esprit est une des gloires du dix-huitième siècle , écrivait à madame de Choisy : « Moi , qui ne suis prophète ni dans ma patrie ni dans celle des autres, je ne cesse depuis longtemps de dire, à qui veut l'entendre , que , si les Jésuites n'avaient point été chassés , on ne verrait point ce maudit esprit d'indépendance , de turbulence , de pé- dantismc , cette manie de faire de la politique se répandre comme un torrent qui menace tous les trônes de l'Europe. » Ainsi (pie le diplomate républicain Hourgoing, dans son Tableau de. l'Espagne moderne^., Pie VII, jetant un triste regard sur l'éducation de la jeunesse , avait tout lieu de dire : « On ne pourrait jamais croire combien cette branche essentielle de l'ad- ministration nationale est tombée de mal en pis dés lu moment

Tahlniii de l'Espa^/iw iiii drrne^ (. !»'■, p, 318.

DE LA COMPAGNIE DE JESUS.

431

Hiie de.

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lent

(ju'elle a été enlevéo des mains des Jésuites. » Il savait , avec les Anglicans de bonne loi , que la Société dQ Jésus s'était mainte- nue, depuis sa naissance jusqu'à son dernier jour, sans avoir besoin d'aucune réforme; et, en 481-4, le Pape pensait ce que disent les Puséystes de 1844 : « Il faut complètement admet- tre , posent-ils en principe ' , que la décadence des Ordres reli- gieux est un fait qui se répéta souvent d'une manière presque incroyable bientôt après la première ferveur d'un nouvel Insti- tut , en exceptant toujours , ainsi que la vérité nous y force , l'illustre et glorieuse Compagnie de saint Ignace , qui , après l'Eglise visible , peut être considérée comme le plus grand mi- racle existant dans le monde. »

La réaction , née au contact de tant de catastrophes , ne fut pas perdue pour Chiaramonti. Moine, Evcquo , Cardinal ou Pape , il avait assisté à cette Révolution que la main de l'empe- reur Napoléon , son ami et son persécuteur , ne pouvait plus contenir par la gloire. Tous les mobiles étaient usés ; enthou- siasme ou terreur, gloire ou corruption , avaient fait leur temps. De nouvelles idées s'emparaient des hommes , et Pie Vil, témoin d'une transformation si subite , ne voulut pas rester en arrière. L'Europe entrait dans une voie de restauration; les viosr trônes se relevaient, les jeunes dynasties, comme celles de Murât et de Bernadotte , se mettaient au service du principe de légitimité : le Pape songea à réaliser la pensée de ses jours heureux ou de ses désastres. Il lui sembla juste et nécessaire de léguer au monde un grand exemple de réhabilitation. Les Jésuites avaient été tués , parce que leur mort apparaissait aux Philosophes et aux Révolutionnaires comme un acheminement vers le triomphe de leurs idées. Mais le sacrifice imposé à Clé- ment XIV eut-il les conséquences que ce Pape en attendait? l'Eglise , après avoir sacrifié les Jésuites, trouva-t-elle la paix qu'on lui avait mit espérer? N'eut-elle pas à essuyer des assauts plus violents que jamais? Ne vit-elle pas la Révolution se dresser contre elle avec le plus incroyable des fanatismes? Pie VII énu- mérait ces tempêtes, dont il était le témoin ou la victime. La

' Livex iiflhe tùiylhh saints 18U), I. Yt, p. 120, l,io of S. Adamnii.

432

CHAP. VU. HISTOIRE

destruction de la Compagnie de Jésus n'avait on pour but que d'appauvrir le Saint-Siège et de priver la Catholicité d'une pha- lange toujours prête à la guerre ou au martyre. Le Souverain- Pontil'e conçut le projet de gloriiier cette éternelle persécution. Soutenu par le cardinal Pacca , le courageux compagnon de ses misères pastorales , il se décide à faire pour la Chrétienté ce que jusqu'alors il n'a entrepris que dans l'intérêt de quelques royaumes.

Il On peut remarquer ici, dit le Cardinal ministre de Pie VII en 1814 *, la conduite aussi extraordinaire qu'admirable de la Providence sur cette Société célèbre. Barnabe Chiaramonti, étant jeune Bénédictin , avait eu des maîtres et des professeurs anti-Jésuites, qui lui avaient enseigné les doctrines théologiques les plus opposées à celles de la Compagnie de Jésus ; or , tout le monde sait les impressions profondes que laissent dans l'esprit les enseignements de h jeunesse. Pour moi , on était parvenu à m'inspirer, dans mon adolescence, des sentiments d'aversion , de haine , et je dirai même une sorte de fanatisme contre celte illustre Société. Il suffira de dire qu'on m'avait mis entre les mains, avec ordre d'en faire des extraits , les fameuses Lelfî'es provinciales, en français d'abord, puis en latin, avec des no- tes de Wendrock (Nicole) , plus détestables encore que le texte; h Morale pratique des Jésitites , T^ar Arnauld,et autres li- vres du même genre, que je lisais et croyais de bonne foi. Qui aurait pu prévoir alors que le premier acte du Bénédictin Chia- ramonti , devenu Pape , au sortir d'une affreuse tempête , en pré- sence de tant de sectes acharnées contre la Société de Jésus , serait le rétablissement de cette Compagnie dans l'univers ca- tholique, et que je serais alors celui qui préparerait les voies à ce nouveau triomphe , et auquel le Pape confierait l'agréable et honorable exécution de ses ordres souverains? Témoin, à Borne, des deux époques mémorables de la suppression et du rétablis- sement de la Compagnie , j'ai pu juger des différentes impres- sions qu'elles produisirent, a

Pacca les raconte ainsi : « Le 17 août 17^

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Memorie slurichi' *'^'.,TleI Uiimn. 1830).

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wi ; part»' k'i7.ii, 0, vin, p. 3t'.

DE LA COMPAGNIE DE JESUS.

43.'J

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cation du itrcf Doinimis ac Redemptor , on voyait la surprise ot la (Jonleur peintes sur tous les visages. Le 7 août 1814-, jour (le la résurrection de la Compagnie , Rome retentissait de cris de joie , d'acclamations et d'applaudissements. Le peuple romain accompagna Pie VII depuis le Quirinal jusqu'à l'église du Gesù , l'on lit la lecture d'^ la bulle , et le retour du Pape à son palais fut une marche triomphale. J'ai cvu devoir entrer dans ces dé- tails, conclut l'historien , pour saisir l'occasion de laisser diins mes écrits une rétractation solennelle des discours imprudents que j'ai pu tenir dans ma jeunesse contre une Société qui a si bien mérité de l'Eglise de Jésus-Christ. »

Dans ce jour de restauration , dont le Cardinal Pacca d^icrit les joies populaires et les retours à des idées plus justes , la bulle Sullicitudo omnium Bcclesiarum fut publiée à Rome. Le Pape s'y exprime en ces termes :

« Le monde catholique demande d'une voix unanime le ré- tablissement de la Compagnie de Jésus. Nous recevons jour- nellement à cet effet les pétitions les plus pressantes de nos vénérables frères les Archevêques et Evêques et des personnes les plus distinguées, surtout depuis que l'on connaît générale- ment les fruits abondants que cette Compagnie a produits dan. les contrées ci-dessus mentionnées. La dispersion même des pierres du sanctuaire , dans les dernières calamités (qu'il vaut nii»»ux aujourd'hui déplorer que rappeler à la mémoire) ; l'a- néantissement de la discipline des Ordres réguliers ( gloire et soutien de la Religion et de l'Eglise catholique , au rétablisse- ment desquels toutes nos pensées et tous nos soins sont main- tenant dirigés ) exigent que nous nous rendions à un vœu si juste et si général.

» Nous nous croirions coupable devant Dieu d'un grave dé- lit, si, dans ce.^ grands dangers de la République chrétienne, nous négligions des secours que nous accorde la providence spéciale de Dieu , et si , placé dans la barque de Pierre , agitée ot assaillie par de continuelles tempêtes , nous refusions d'em- ployer des rameurs vigoureux et expérimentés', qui s'offrent

On raroute à Home que, dans la bulle de lotahlisMmeiil , le Pape Pie Vil von- !iit iidrodiiiie ifile iiiuMîo do la barque de Pierre <'l dos rameurs vigoureux et V. '-^3

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434

CIIAP. VII. HISTOIRE

d'eux-mêmes pour rompre les flots d'une mer qui meurtre à chaque instant du naufrage et de la mort. Déterminé par des motifs si nombreux et si puissants , nous avons résolu de faire aujourd'hui ce que nous aurions désiré foire dès le commen- cement de notre Pontificat. Après avoir, par de ferventes prières , imploré l'assistance divine , après avoir pris l'avis et les conseils d'un grand nombre de nos vénérables frères les Car- dinaux de la Saints Eglise romaine , nous avons donc décrété , de science certaine , en vertu de la plénitude de la puissance apostolique , et à valoir à perpétuité , que toutes les concessions et facultés accordées par nous uniquement à l'empire de Rus- sie et au royaume des Deux-Siciles s'étendront désormais à tous les autres Etats. C'est pourquoi nous concédons et accor- dons à notre bien-aimé fils Thaddée Brzozowski, en ce n, ornent Général de la Compagnie de Jésus, et aur autres membres de cette Compagnie légitimement délégués par lui , tous les pou- voirs convenables et nécessaires pour que lesdits Etats puissent librement et licitement recevoir et accueillir tous ceux qui dé- sireraient être admis dans l'Ordre régulier de la Compagnie de Jésus , lesquels , sous l'autorité du Général par intérim, se- ront recueillis et distribués , suivant le besoin , dans une on plusieurs Maisons, dans un ou plusieurs Collèges, dans une ou plusieurs Provinces, ils conformeront leur manière do vivre ù la règle prescrite par saint Ignace de Loyola , apiirouvèe et confirmée par les Constitutions de Paul III. Nous déclarons en outre (et nous leur en accordons le pouvoir) qu'ils peuvent li- brement et licitement s'appliquer à élever la jeunesse dans les principes de la Religion catholique, ù la former aux bonnes mœurs, à diriger les Collèges et les Séminaires; nous les ;tnto- visons à entendre la confession , à prêcher la parole de Dieu , à administrer les sacrements dans les lieux de leur résidence , avec le consentement et l'approbation de l'Ordinaire. Nous pre-

exptfrlmenl(*«, en souvenir d'un fuit toujours prissent h son cunir. Lors de ^onl^- veiiieut du Ponlit'e par le général Kadel, les Jésuites de Sicile Jrélèrent un l>àli- nientdont, pour ne comprouiellre personne, ils lurent les seuls pilotes et rnaleloîs. Ce bâtiment vint croiser à l'eniboucliurc du Tibre. Les Pères tirent prévenir Pie VU qu'ils élaie'it à sa disposition, et qu'ils pouvaient i'arrai.'ier ainsi au.t mains de ses ennemis. Le Pape refusa leur nlIVe, eu disant quf la persécution était néces- saire et qu'elle ne l'elTrayait pn».

..ii^.,

DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.

43r.

nons soiis notre tnlollo, sons noire obiiissancie immédiat» pt sons celle du Siège apostolique, tous les Collèges, tontes les Maisons, tontes les Provinces, tons les membres de cet Ordre, et tous ceux qui s'y réuniront ; nous réservant toutefois , ainsi qu'aux Pontifes romains , nos successeurs , de statuer et de pres- crire tout ce que nous croirons devoir statuer et prescrire pour consolider de plus en plus ladite Compagnie, pour la rendre plus forte et la purger des abus, si jamais (ce qu'à Dieu ne plaise!) il pouvait s'y en introduire. Maintenant il nous i e«^^te à exborler de tout notre cœur, et au nom du Seigneur, ♦ous les supérieurs , tous le» Provinciaux, tous Ijs Recteurs, 'ous les Compagnons et tous les Elèves de cette Société rétablib , & se montrer en tous lieux et en tous temp? fidèles imitateurs de leur Père. Qu'ils observent avec exactitude la règle donnée et prescrite par ce grand instituteur; qu'ils obéissent avec un zèle toujours croissant aux avertissements utiles , aux conseils qu'il a laissés à ses enfants !

Enfr , nous recommandons instamment, dans le Seigneur, la Compagnie et tous ses membres à nos cliers (ils en Jésus- Christ les illustres et nobles princes et seigneurs temporels , ainsi qu'à nos vénérables frères les Archevêques et Evêques, et h tous ceux qui sont constitués en dignité. Nous les exhor- tons , nous les conjurons non-seulement de ne pas souffrir que ces Religieux soient molestés en aucune; manière , mais encore de veiller à ce qu'ils soient traités avec bonté <'t charité , comme il convient. »

Ce fut dans l'Eglise du Gesù que , en présence de tout le Sa- cré-Collège et des Patriciens de Rome, la bulle fut promul- guée. Le Père Panizzoni , au nom du (iénèral Brzozowski , la re- çut des mains du Pape. Tous les vioiix Jésuites qui avaient pu accoiArir à cette solennité étaient \i\ , saluant avec des larmes de piété filiale leur mère qui sortait du tombeau. Dans les familles les plus tendrement unies, le tté^jiis ne laisse jamais de longs regrets. On se crée de nouveaux besoins, on s'arrange une autre existence. Le temps efface jusqu'au souvenir du mort, et, s'il lui était donné de ressusciter, il ne trouverait plus, môme parmi ses proches . que des joies roiitrainfes ou des désespoirs trop

4; 10

CHAl\ Vil.

lIlSiOIHE

évidents. Au Ibnd du cœur des anciens Pères, qui n'ont V(';cu que dans l'attente de cette résurrection , le môme sentiment ne subsiste point. Quatre-vingt-six vieillards s'empressent de re- prendre le joug de l'obéissance. Albert de Montalto, Agé de cent ving-six ans, et qui a été Jésuite pendant cent huit années*, est à la tète de ces vétérans de l'Ordre. Il y a un immense in- tervalle à remplir : les jeunes héritiers des grandes familles d'Italie s'offrent pour le combler. A côté des Angiolini, des Crassi,des Panizzoni, on voit surgir Altieri, PaUavicini, Pa- trizi , d'Azeglio , lUccasoli , qui de concert avec les Pères Pian- ciani, Sinéo délia Torre, Sachetti, Manera et Secchi, apportent leur vigueur à ce corps, dont le courage n'a jamais faibli do- rant le danger.

La Société de Jésus renaissait après la tourmente dont sa destruction donna le signal. Les haines passées avaient été domptées par le malheur. L'Espagne la première rouvrit ses portes à la Compagnie. Les Pères Emmanuel de Zuniga, Faus- tin Arévalo, François Masdeu, Pierre Roca, Juan de Ossuna, Joseph Ruiz, Soldevila, Goya, Joseph Zenzano, Pierre Cordon, Montero, Ochoa, Gaspard de Lacarrera et Villavicencio, tous distingués comme orateurs, historiens ou professeurs, rame- naient dans leur patrie cette colonie dont cent exilés survivant à tant de misères. Comme Andrès, Juan de Ocampo, Hilaire de Salazar, Joachim Plà, Raymond de Aguire et Iturriaga, restés en Italie, ils avaient glorifié l'Institut par leur mérite, ils allaient le propager dans sa nouvelle existence. Le 21) mai 1815 le roi d'Espagne, pelit-lîls de Charles 111, rendit un décret qui réta- blissait la Compat,nie. A l'exception du prince de Brésil, régent de Portugal, tous les autres souverains catholiqi-es adhérèrent, au moins par le silence , à la bulle du 7 août.

La Révolution avait décimé un grand nombre de Jésuites : il ne fut donc pas possible d'en réunir beauco ip afin de com- mencer en France l'œuvre à laquelle ils se de vouaient. Cepen- dant les Pères de Clorivière, Simpson, Barrue et Fontaine ne perdirent pas courage. Ils accueillirent dans leurs rangs les Pères

' I.c l'i'io de Monlullo, le 13 moi 1080, élail (Milré Jans la Compagnio le 12 sc|ilcnil)ic 170»;.

DE LA COMPAGNIE DE JESUS.

4:J7

Tliomas et Godinot-Desfontaines, anciens docteurs de Sorbonne , Viiiin, Loriquel, Hoger, Debrosses, Ronsin, Jenncsseaux, Sellier, iJarat et Varlet , qui , sous le nom de Pères de la Foi , avaient, cliacun dans la sphère de son zèle et en dehors de l'Institut, travaillé à la reconstruction de l'édifice.

De nouveaiix orages l'attendent aussitiU que ses premiers i'ondements sortiront de terre. Les Jésuites seront en butte au.x mêmes hostilités qu'autrefois , et cependant ils rentrent dans la lice, ils y rentrent aux applaudissements des Luthériens, dont Korn, l'un des professeurs les plus estimés de l'Université de (ioettingen, se porte l'interprète : « Le rétablissement de cet Ordre célèbre, écrivait-il alors, loin de devoir nous causer de l'inquiétude, est, au contraire, d'un heureux présage pour notre siècle. D'après son organisation et sa tendance , l'Institut est la plus forte digue que l'on puisse opposer aux doctrines irréligicases et anarchiques. D'après l'aveu de quelques Protes- tants eux-mêmes , et Jean de Muller va jusqu'à dire que « l'Or- dre des Jésuites forme comme un rempart commun à toutes les autorités, » les Jésuites attaquent le mal jusque dans sa racine ; ils élèvent la jeunesse dans la crainte de Dieu et dans l'obéissance. Ils n'enseignent pas, il est vrai, le Protestan- tisme; mais avons-nous le d-oit d'exiger que les Catholiipios enseignent autre chose que le dogme de leur Foi , et qu'ils re- poussent les moyens les plus sûrs de faire fructifier cet ensei- gnement? A-t- on vu sortir autrefois des collèges des Jésuites des doctrines pareilles à celles de nos écoles modernes? Ont-ils jamais prêché la souveraineté du peuple et toutes ses funestes consé(juences , comme on fait aujourd'hui dans nos Universités protestantes? L'expérience nous a prouvé combien les doctrines irréligieuses et anarchiques ont fait de progrès depuis la su[)- pression des Jésuites. « Des Universités et des Facultés philo- sophiques, dit Dallas, protestant anglais , remplacèrent partout, sur le continent, les collèges des Jésuites. La Foi et la raison cessèrent d'être unies dans l'éducation. On préféra la raison avec toutes ses erreurs, comme ce qu'il y a de plus éle^é dans l'homme; h Foi fut abandonnée, tournée en dérision, et connue beulcment depuis sous le nom de si nerstition. En 1773 Clé-

4;{8

CilAl'. VII.

iiisioiui!;

mctil XIV MÏmiit rOiJrc de saïut Ignace, «t en 171)3 un roi de France fut décapité. La raison fut (SéilK-"' : on lui ouvrit des temples. Qu'y at-il d'étonnant, après cola, que le Pape et les princes euthuliqucs rappellent de» hommes dont les services ont été appréciés par les Protestants , par Lcibnitz et par Frédéric 11 lui-môme? »

Sans nous associer aux passions enthousiastes ou haineuses qui accueillirent la Compagnie de Jésus, et qui, depuis son ber- ceau jusqu'à sa maturité, s'agitèrent autour d'elle .ivec des imprécations ou des chants d'amour, nous achevons ;ins la vérité l'œuvre qu'un profond sentiment de justice nous lit en- treprendre. Nous avons étudié cette Société célèbre; et, autant qu'une institution humaine peut être comparée à une institu- tion divine, elle a, dans tout le cours de son histoire, été une vive, une éclatante image de l'Eglise. Comme l'Eglise, la So- ciété de Jésus a ses Apôtres, ses Martyrs, ses Docteurs; «omme l'Eglise, elle fut, elle est, elle sera militante; comme l'Eglise, elle a eu ses phases d'humiliation et de gloire; mais, pour quu cette Société, à qui Dieu n'a point promis que les portes de l'enfer ne prévaudraient jamais contre elle, ne pût se glorifier de demeurer stable et invincible au milieu des tempêtes, on la vit un jour succomber sous les coups de ses ennemis. Elle s'est relevée; car les Pontifes savent qu'ils peuvent toujours adres- ser aux Jésuites les paroles que le Christ faisait entendre à ses disciples : « Vous serez heureux lorsqu'ils vous maudiront et vous persécuteront, et lorsque, à cause de moi, ils diront faus- sement toute sorte de mal contre vous; vous serez heureux lorsque les hommes vous haïront , lorsqu'ils vous sépareront de leur société et vous couvriront d'opprobres, lorsqu'ils rejette- ront votre nom comme mauvais à cause du Fils de Dieu. Ilé- jouissez-vous alors et tressaillez de joie, parce qu'une grande récompense est pour vous au ciel, parce que leurs pères ont ainsi traité les prophètes. »

L'outrage et la calomnie n'ont donc pas manqué aux enfants de saint Ignace. La guerre prédite aux Apôtres ne les a point effrayés; ils s'y attendaient, et l'Eglise avec eux. lis ont com- battu à toutes les époques et dans toutes les conditions. Nous

l)K LA CUMI'AUMK DK JESUS.

131)

avons raconte ce iluel «lo trois conts annn-. entre le vice et la vertu, entre le mensonge et la vérité. L'examen sérieux des faits doit sulliro pour révéler à tout esprit attentil'le mérite n\\ rimpcri'uction d'un pareil institut; mais en dehors do l'histoire il >estu une appréciation morale à étahlir. Min do juger un homme ou une Société religieuse, il faut connaitro ses anus et ses ennemis, ses admirateurs et ses imp: !' h. ; 's. Voyons donc Muels furent les Saints, les Papes, Icp »''>!,s, h^r. Ev«^ques, les

"OS, les grands niar^istrals, les illustrc.3 écrivaiïis, qui atta(|ué-

iit ou qui défendirent l'Ordre do Jésus.

L'Eglise a , dans les trois derniers siècles , compté parmi ses élus de pieux, de savants personnages, des prêtres dont le nom seul est un titre de gloire. Tous, sans aucune exception, furent jx'ndant leur vie les apologistes ou les protecteurs do 1 Insti- tut : saint Charles llorroméc et saint Thomas de Villeneuve, saint (laétan et saint Jcan-dc-Dicu, saint Pie V et saint Louis lUîi'fran , saint Philippe de Néry et saint Camille do Lellis, sainte Théir •' et sainte Madeleine do Pazzi, saint François de Saloj* et s.iirit Vincent do PauP, saint André Avellin et saint Alphonse do Liguori.

Kii regard de ces noms, qui portent avec eux leurs preuves do science et do piété , il est impossible de faire surgir un iioiiimc olVcrt à la vénération des autres hommes, et qui vi(!nne rendre témoignage contre les Jésuites. Tous les Saints, à dater de l'origine do la Con)pagnie, ont marché avec elle, ont com- battu pour elle. Aucun d'eux ne lui a été hostile ou môme in- dilVérent.

Trcnte-qnatro Papes, depuis Paul III jusqu'à Grégoire XVI, se sont assis sur la Chaire apostolique. C'est à peine si parmi ces Pontifes, si puissants par leurs vertus et par leur sagesse, on en trouve trois qui se soient mis en dissentiment avec les Jésuites sur quelques points de leur Institut. On ne cito que

1 Marsollior, au lonie ii de la / /c de saint François de Saks, raconte que le pieux prclal ilisail : » I.cs Jisuiles 8onl le leuiparl le plus siir à upposcr aux hé- i'i''iii|iifs. »

2 Sailli Viiifciil tk- Paul, eu s'adrcssanl aux l.ii/.niislcg, leur recommandait de se roijardcr tomme des serviteurs chargés de lu besace do saint Ignace el de ses coni|iut;uuiis, nu comme des pauvres qui recueillaienl les épis échappés aux mois- sonneurs, (rie de saint Fincent de Paul, par Abclly.)

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i*aul IV, Sixtc-Quint et Innocent X[; encore leur opposition procède-t-elle plutôt d'idées particulières que de l'ensemble des Constitutions. Â part ces trois chefs de l'Eglise, qui essayèrent de modifier l'Institut tout en estimant les Pères et en cherchant ù mettre en relief le courage des uns, le savoir des autres, le ,. ■/Me de tous, il n'y eut que Clément XIV que les circonstances forcèrent à leur devenir hostile. Les trente autres Souverains- Pontifes tijirent à honneur de se servir du bouclier qu'Ignace de Loyola sut léguer à la Catholicité.

Les Papes avaient adopté la Société de Jésus : ils la poussaient " ù l'avant-garde, ils la jetaient dans toutes les mêlées théolo- giques , ils faisaient couler son sang sur chaque rivage du Nou- veau-Monde. Les rois ne restèrent pas en arrière du mouve- ment que Rome imprimait. Pour une Elisabeth et un Jacques (l'Angleterre, pour Joseph de Portugal et Charles III d'Espagne, on voit s'élever en leur faveur Charles-Quint et Philippe II, les empereurs d'Allemagne depuis Rodolphe jusqu'à Marie -Thé- rèse, Henri IV et Etienne Bathori, Louis XIV et Sobieski, Jean III et Jean V de Portugal , Frédéric II de Prusse et Catherine de Russie. Tous les princes du Nord ou du Midi suivent l'exemple que donnent ces monarques, grands dans les combats, plus grands encore dans le conseil.

Il en fut de même pour les cardinaux de Bourbon et de Lorraine, Truschez et Pcks , Baronius et ÂUen, Gonzague et Savelli, Madrucci et Commendon , Moroni et Spinosa , Tournon et Gondi, Grosbeck et Gusman , Sandoval et Spinola, d'Armagnac et Spada, Farnèse et Ludovisi, La Rochefoucauld et Richelieu, Hosius et Delphini, Barberini et Orsini, d'Ossat et du Perron, del Monte et du Bellay, Furstemberg et La Trémouille, Janson et Fleury, La Roche-Aymon et délia Cueva, d'Estrées et de Mailly, ne forment-ils pas dans la balance de l'Eglise un contre- poids aux quelques membres du Sacré-CoUége qui, comme les cardinaux Odet de Châtillon , de Retz , de Noailles, Passionei et Sald^iiha, mirent au service des adversaires de la Compagnie leur apostasie, leurs turbulentes passions ou leur vertu janséniste?

Ici ils ont pour implacables adversaires les généraux du Pro- testantisme : Gustave-Adolphe et Bullem-Gubor, les Nassau ut

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DR LA COMI'AUMIi: DE JESUS.

441

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les Saxe-Vcimar , Christian de Brunswick et Mansfeld; tous les maîtres dans Tart de la guerre, tous les héros du Catholicisme et des monarchies : don Juan d'Autriche, Anne de Montmorency, Farnèse, Buquoi, CoUoredo, Spinola, Gon- zague, Lannoy, Walstein, Piccolomini, Tilly, Tourville, Rantzaw, Condé, Turenne, Villars, Bellefonds, Fierwick. Le prince Eugène, Broglie et d'Estrées les accueillent i<ous leurs tentes. Au sein de la victoire ainsi que dans les loisirs de la paix, ils en font les directeurs de leur conscience et souvent les arbitres des négo- ciations.

Sur chaque siège épiscopal, comme à la tète des armées, les Jésuites ne trouvent que des amis. Si, à de rares intervalles, ils ont pour antagonistes Eustache du Bellay, Evêque de Paris ; Melchior Cano , Trévisan , Patriarche de Venise ; Henri de Sourdis, archevêque de Bordeaux ; Juan de Palafox, Cardenas, Boonen, archevêque de Malines; Jansénius et les quelques prélats adhérant à ses doctrines, ils évoquent dans la Chré- tienté les noms les plus illustres. Bandini, archevêque de Sienne ; Guerrero, archevêque de Grenade ; Loaysa , premier archevêque du Pérou ; Cornewicz, primat de Pologne ; Hovius, archevêque de Malines ; La Buchére, archevêque de Narbonne ; de Marca, archevêque de Toulouse ; Péréfixe, archevêque de Paris; Abelly, Bossuet, Fénelon, Brancas, Massillon, Huet, Villeroi, Saint-Albin, Christophe de Beaumont, La Motte d'Orléans et Vintimille, acceptent, au nom des Eglises de France, d'Espagne, de Germanie et de Pologne, une solidarité que leurs successeurs n'ont pas plus répudiée que leurs devanciers. Nous citons les principaux adversaires des Jésuites dans l'épiscopat ; il serait impossible d'énutnérer leurs patrons ou leurs amis.

Dans chaque Ordre religieux les rivalités de corps ont faire naître des antagonistes à la Société de Jésus, chez les Bé- nédictins ainsi que chez les Frères-Prêcheurs, parmi les Char- treux et les Franciscains , au milieu des Conventuels et des Augustiniens, des Carmes et des Trinitaires, des Pères de la Merci et des Théatins, des Basiliens et des Barnabites, c'est toujours l'éloge de la Compagnie de Jésus qui sort de chaque bouche éloquente ou pure, toujours la plus cordiale affection

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CUAP. Vil. HISTOIRE

qui se développe dans les Ghupitrcs généraux ou dans les ou- vrages des érudits. Jeand'Avilu, Olier et La Salle, Bernard le pauvre Prêtre et Grignon de Montfort, Eudes et Boudon, Diego, Payva de Ândrade et Le Nobletz , Ânbert Mirée et Bourdoise, marchent sur les traces de ces moines qui, comme les BB. Josa- phat Basilien et Texedo Franciscain, Alphonse do San-Vittorès, Bruno, Diego Nissenus, Jérôme Garcia, Foscarari, Louis de Gre- nade , Barthélémy des Martyrs, Louis Miranda, Pierre do Val- derama , Alphonse Remon, Ponce de Léon et Antonin Diana, glorifièrent les Jésuites par leur alTection ou par leurs écrits.

Dans le même temps les disciples de saint Ignace se voyaient en butte à des hostilités sorties du cloître. Fra-Paolo, Fra-Ful- genzio, Artiaga, Quesnel, Gerberon, Desmarefs, Petit-Pied, le capucin Norbert, l'abbé Coudrelte et, l'abbé Taiihé, poursui- vaient la Compagnie avec toutes sortes d'armes : mais ce n'était pas à elle seulement que leurs coups s'adressaient. Ils remon- taient jusqu'à la C'naire apostolique , et, afin de renverser le Saint-Siège, ils apprenaient à calomnier ses plus vigoureux athlètes. Au sein des Parlements et chez les hommes d'Etat, le môme esprit se manifeste, les mômes tendances sont signalées. Si Marion et Scrvin, Achille de Ilarlay et Auguste de Thou, l'abbé Pucelle et Chauvelin, Pombal et d'Aranda, Clioiseul et Florida-Blanca, Campomanès et Tanucci repoussent avec vio- lence ou frappent à mort la Société de Jésus, ce n'est, à coup sûr, ni pour faire triompher la Religion ni pour mieux affermir les trônes. Ils ont d'autres idées à populariser; et, s'ils ne viennent pas à la suite des Christophe de Thou, Séguier, Chi- verny, d'Aligre, Lamoignon, de Gesvres, Radzivill, Novion, d'Avaux, Mathieu MoIé, de Harlay, d'Argenson, Colbert, Bouche- rat, Bclliêvre, Lestonac, Caulet, Juan de Véga, Montholon> Vil- ieroi, Croissy et Garcia de Loaysa, protéger l'Institut sur leurs sièges de chanceliers et de magistrats, ainsi que dans les con- seils des princes, il ne faut pas oublier les motifs historiques de cette répulsion.

Ces motifs ne seront un secret pour personne quand chacun, invoquant la vérité, mettra en parallèle les écrivains et les ora- teurs qui, pendant ces trois siècles, se prononcèrent pour ou

DE LA COMi>AGNIE DE JESUS.

443

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contre les Jésuites. D'un côté apparaissent Calvin, Béze, Osiander, Kemnitz et l'école protestante, au secours desquels Etienne Pasquier, Amauld, Saint-Cyran, Nicole, Pascal, Sacy, Barbier d'Aucour, Lenoir, Mongeron, Laborde, Vol- taire , d'Alembert , Duclos et tous les Philosophes du dix-hui- tième siècle apportent l'artillerie de leurs sarcasmes. De l'autre côté s'élèvent, dans la majesté de leur génie, dans l'éclat de leur foi ou dans les franchises de leur indifférence, Versoris et Patru, Fabri et Muret, Racan et Malherbe, Le Tasse et Cor- neille, Sponde et Cornet, Fléchier et Bossuet, Massillon et Fé- nelou , Juste Lipse et Grotius , Leibnitz et Bacon , Descartes et Montesquieu, Matfei et BuiTon, Farinacci et Beausset, Klopstock et Schœll, Jean de Muller et Lalande, Rémusat et Muratori, Ul- loa et de Boze, Maistre et Bonald, 0' Connell et Chateaubriand.

C^est en face de ces noms, portant tous avec eux une signi- fication religieuse ou politique ; c'est à la vue de cette compa- raison rétrospective, mais que chacun peut prendre dans le vif autour de soi, que l'on se fera une idée exacte de la Société de Jésus. En dénombrant ses partisans ou ses adversaires, en étu- diant la vie des uns et des autres, le doute même n'est plus possible. Les Jésuites ont été le rempart du Christianisme, ils sont morts pour l'Eglise après une lutte de deux cent trente années, ils succombèrent sous les efforts d'une immense coali- tion qui prit l'incrédulité poi;- drapeau, la justice humaine pour marchepied et les rois pour complices. Alors il se trouva un Pape qui, dans l'espérance d'amortir toutes ces colères dé- chaînées, se laissa forcer la main, et sacrifia l'Ordre de Jésus.

Ce sacrifice, arraché au Saint-Siège, était un irrécusable té- moignage de faiblesse : il ne servait qu'à rendre plus hardis ceux qui devaient déposer toute pensée de destruction sur le tombeau des Jésuites. Les Pères étaient les têtes de colonne de 4'Eglise, les promoteurs de l'éducation, les apôtres des Gentils. Us portaient la lumière aux peuples assis à l'ombre de la mort, ils réveillaient la Foi dans les cœurs, ils apaisaient les troubles de l'âme, ils calmaient l'effervescence des passions. On conjura, on obtint leur ruine ; mais cette ruine si ardemment désirée fut lu signal des désordres de rintelligunce. Elle engendra des

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144 CIIAP. VII. UISTOIHE DB LA COMPAGNIE DR JÉSUS.

crimes ot des folies de lant d'espèces que Pie Yl et Pie Vl(, les deux Souverains-Pontifes appelés à en subir les consé- quences, ne voulurent pas laisser à leurs successeurs le privi- lège de réhabiliter cet Institut, que des inimitiés calculées avaient tué dans le passé. En face des désespoirs de la Gatholi- * cité, ils travaillèrent à la résurrection des Jésuites; et Pie VII, à peine de retour dans la capitale du monde chrétien, leur rouvrit le champ-clos des persécutions et du martyre. Tout aussitôt ils virent renaître autour d'eux les mêmes préventions, les mêmes ennemis et les mêmes défenseurs.

La lutte que la Révolution naissante avait commencée par ses hommes de génie, elle la continue maintenant nar ses avor- tons. Les Jésuites sont proscrits de la France libérale et con- stitutionnelle au moment même |es Etats-Unis, la Suisse démocratique, les provinces anglaises et les républiques du Nou- veau-Monde les appellent pour raviver l'esprit chrétien. Ces haines sans motifs apparents, ce fanatisme à froid se déguisant à peine sous une moqueuse hypocrisie, ces apothéoses raisonnées ont quelque chose de si profondément instructif que nous ne désespérons pas d'avoir assez de courage pour les raconter un jour ; car ce sera le plus beau triomphe décerné aux Jésuites , et le seul dont ils n'auront pas su profiter. .

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TABLE DES CHAPITRES.

r.llAPITRK I. Missions dans le Levant, en Afrique, en Asie.

II. Missions en Amérique.

III. Proscription de la Compagnie de Jésus en

Portugal; calomnies.

IV. Proscription en France, en Espagne, à Naples,

à Porme et à Malte.

V. Les généraux Retz, ViscontI, Centurlone, Ricci;

suppression de la Compagnie de Jésus.

VI. - Les Jésuites dans leur dispersion , après la

suppression de l'Ordre.

VII. Conservation de la Compagnie en Prusse et en

Russie ; son rétablissement par Pie VII.

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