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CINQ CENTS _ CONTES ET APOLOGUES

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CINQ CENTS

“CONTES ET APOLOGUES

EXTRAITS

TRIPITAKA CHINOIS

ET TRADUITS EN FRANÇAIS

PAR

ÉDOUARD CHAVANNES

MEMBRE DE L'INSTITUT PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE

PUBLIÉS SOUS LES AUSPICES DE LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE

PONPE RL

en 7 < UE PARIS

ERNEST LEROUX, ÉDITEUR

28, RUE BONAPARTE, 28

1911

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http://www.archive.org/details/cinqcentscontese03chavuoft

ESA PAO TSANG KING

CFrips -KIV 10 pe LE vS)

Le roi Che-ch (Daçaratha) a eu, de ses quatre épouses, quatre fils nommés Lo-mo (Râma), Lo-man (Laksmana), P'o-lo-l'o (Bha- rata) et « le Tueur d'ennemis » (Çatrughna). La troisième épouse

_profite d’une maladie du roi pour lui faire désigner P'o-lo-lo

comme son successeur sur le trône ; Lo-mo et Lo-man sont exi- lés pour une période de douze ans. Après être devenu roi, P'o- lolo, qui est un homme vertueux, voudrait céder le pouvoir à

(1) Le T'sa pao tsang king (Nanjio, Catalogue, 1329), dont le titre corres- pondrait à un titre sanscrit qui serait Samyukta ratna pitaka sûtra, a été traduit en chinois en l’année 472 de notre ère parle çcramana des pays d'Occident Xïi-kia-ye, assisté du religieux T'an-yao. Nous ne savons rien sur la personne de Æi-kia-ye, mais T'an-yao nous est connu par une courte biographie du Siu kao seng tchouan (Trip., XXXV, 2, p. 86 r°)et par deux passages du Wei chou (chap. CXIV, pp. 5 et 6 r°); nous appre- nons ainsi qu’il fut le promoteur du grand travail artistique qu'on fit pour aménager en temples bouddhiques les grottes dans le roc situées à Yun-kang, à l'ouest de Ta-Pong fou. T'an-yao a donc été simultanément celui qui répandit la littérature des avadânas à la cour des Wei du Nord et l'artiste qui donna une impulsion singulièrement forte et originale à la sculpture religieuse dans la Chine septentrionale. D'après un texte

du Fo tsou Fong ki (Trip., XXXV, 9, p. 64 r°), en l’année 472, « l’empereur

ordonna au maître du Tripitaka Xi-kia-ye, originaire de l'Inde de l’ouest, de traduire cinq ouvrages parmi lesquels se trouvait le Tsa pao {sang king ; Lieou Hiao-piao rédigea (pi cheou) ces traductions ». Nous avons donc l'indication d'un nouveau personnage qui aurait coliaporé à la version chinoise du Tsa pao isang king.

Divers contes du Tsa pao tsang king ont déjà été traduits par Stanislas Julien, par Beal et par Sylvain Lévi. Je me suis décidé à traduire intégra- lement les textes les plus importants de cet ouvrage et à donner une analyse de ceux qui sont déjà connus par les travaux de mes devanciers ou qui présentent un moindre intérêt. De la sorte, on aura un aperçu de tout le contenu de ce livre. Les contes traduils se distinguent de ceux qui sont simplement analysés en ce que chacun d'eux esl précédé d'un numéro d'ordre.

LL l

2 TSA PAO TSANG KING

Lo-mo, mais celui-ci refuse de revenir avant que le terme de douze ans soit expiré. P'o-lo-f'o obtient du moins de lui ses sandales ; il les place sur le trône royal et, matin et soir, il se prosterne devant elles, exactement comme s'il eût été en pré- sence de son frère aîné. Au bout de douze ans, Lo-mo et Lo-man reviennent dans leur patrie et P'o-lo-l'o s'empresse de céder le trône à Lo-mo (1).

CRIS ENS OP DI IE V0)

Un roi avait six fils ; il est tué, avec cinq de ses fils, par son ministre Lo-heou-k'ieou. Le sixième fils, averti par son génie du sort qui le menace, s'enfuit avec sa femme et son jeune garçon en emportant pour sept jours de vivres; il s’égare en

chemin et souffre de la faim ; il veut tuer sa femme, mais son

jeune garçon se dévoue pour la sauver ; on coupe donc chaque jour à celui-ci une certaine quantilé de chair qui permet aux trois voyageurs de ne pas mourir de faim. Enfin on coupe à l'enfant les trois dernières tranches de viande qui lui restent sur le corps; le père et la mère prennent chacun une des tranches et peuvent continuer à marcher jusqu’à ce qu'ils arrivent à un vil- lage ; quant à l'enfant, ils lui ont laissé la troisième tranche en l'abandonnant sur la route. Cakra Devendra se change en un loup affamé et vient demander au Jeune garçon la chair qu'il tient en main; l'enfant la lui abandonne. Çakra reprend la forme humaine et lui demande s’il regrette d’avoir livré sa chair à son père et à sa mère. L'enfant répond qu'il n’en a jamais éprouvé le moindre sentiment de regret et souhaite que, s’il dit vrai, son corps redevienne tel qu'auparavant; ce miracle se produit en eflel.

CPS ENS T0 V0) (Cyäma jàtaka (2).

1) M. Sylvain Lévi a traduit ce conte (Mélanges Kern, Leide, 1903, pp. 279-21 et y à signalé une des formes de la légende de Râma. 2) GEunotre n°45, 14, .pp.156-160:

TSA PAO TSANG KING (N° 400) 3

(TP: XIV, 10, D72 %°.)

Un perroquet recueillait des fleurs et des fruits pour son père

et sa mère aveugles. Le maître d’un champ, irrité de voir les

oiseaux lui dérober ses grains, tend un filet et prend le perro- quet. Celui-ci lui tient un discours sur l’avarice ; l’homme, ému par ces paroles et touché de la piété filiale du MU LU remet en liberté son prisonnier (1).

400.

(WErPIp,, XIVS 10 pp. 2 V3 0ve.)

Il y a de cela fort longtemps, il y avait un royaume dont le nom était Æ'i-lao (rejeter-vieillards) ; dans ce pays, toutes les fois qu'il y avait un vieillard, on le chassait au

loin. Or, un grand ministre avait un père âgé, et, suivant

la loi du royaume, il était dans l'obligation de le renvoyer ; mais, comme il était animé de piété filiale et de défé- rence, il ne pouvait s’y résoudre ; il creusa donc un trou profond dans la terre et y fit une habitation cachée dans laquelle il plaça son père ; il lui donnait en temps oppor- tun ses soins dévoués.

Or il advint qu'un esprit céleste, qui tenait dans ses mains deux serpents, les plaça en haut de la salle princi- pale du roi et dit à ce dernier ces paroles : « Si vous pou- vez distinguer lequel est le mâle et lequel est la femelle, votre royaume obtiendra de rester en paix; mais si vous ne pouvez pas le distinguer, votre personne et votre royaume, dans sept jours, seront entièrement renversés et anéan-

(1) Traduit par Stanislas Julien (Les Avadänas, t. 1, pp. 68-70 ; ef. Jétaka, 484.

4 ‘TSA PAO TSANG KING (N° 400)

tis (1). » Quand le roi eut entendu ce discours, son cœur en conçut du déplaisir; il délibéra sur cette question avec tous ses ministres rassemblés; chacun d'eux s’excusa, disant qu'il était incapable de faire cette distinction. Le roi alors publia une proclamation dans tout son royaume pour promettre des titres et des récompenses magnifiques à qui serait capable de faire cette distinction. Le grand ministre retourna chez lui et alla interroger son père ; celui-ci répondit à son fils : « La distinction est aisée à faire ; prenez une matière fine et souple et posez dessus les serpents : celui qui aura remué se fera ainsi recon- naître pour le mâle; celui qui sera resté immobile se fera ainsi reconnaître pour la femelle ». On suivit ce conseil et on put effectivement distinguer le mâle de la femelle. L'esprit céleste posa encore cette question : « Qui est celui qu'on appelle éveillé quand il est endormi, et endormi quand il est éveillé ? » _ Le roi et ses ministres furent de nouveau incapables de résoudre l’énigme ; on publia une seconde proclama- tion dans tout le royaume, mais personne ne put expli- quer l'énigme. Le grand ministre demanda à son père quel était le sens de cette définition. Le père répondit : « Elle s'applique à un savant; au yeux du vulgaire, celui- ci est éveillé ; aux yeux des arhats, il est endormi (2). » Telle fut donc la solution qu'on apporta au génie céleste. Le génie céleste demanda derechef : « Combien pèse ce grand éléphant blanc? » Les ministres délibérèrent entre eux, mais aucun d'eux ne put le savoir; cette fois encore, on publia une proclamation dans tout le royaume et personne ne put savoir quelle réponse faire. Le grand

(1) Cette question est une de celles qui sontposées au jeune Mahosadha, âgé seulement de sept ans, dans le Jâtaka, 546 (trad. Cowell et Rouse, t. VI, p. 167). Mais la réponse est différente.

(2 Parce que le savoir laïque n'est pas la vraie connaissance aux yeux de celui qui possède la sagesse religieuse.

TSA PAO TSANG KING (N° 400) 5

_ ministre interrogea son père qui lui dit : « Placez l’élé-

phant sur un bateau qui aura été mis dans un grand lac; faites alors un trait pour marquer jusqu’à quelle profon- deur le bateau s'enfonce dans l’eau; puis, (l'éléphant étant enlevé), mettez des poids en pierre dans ce même bateau jusqu'à ce que l’eau couvre la ligne que vous aurez tracée. Vous saurez ainsi quel est le poids de lélé- phant (1) ». On apporta donc cette ingénieuse solution au génie céleste.

Le génie céleste demanda encore : « Quelle est la quan- tité d’eau contenue dans les deux mains réunies qui est plus considérable que la grande mer ? Quelqu'un le sait- il? » Les ministres délibérèrent entre eux, mais ils ne purent résoudre le problème; on fit encore une procla- mation qu’on publia partout et il n’y eut personne qui sût la réponse. Le grand ministre demanda à son père ce que signifiait cette question; son père lui dit : « Cette énigme est facile à résoudre. Si un homme capable d’être croyant et pur fait offrande de la quantité d’eau qu’il peut tenir entre ses deux mains au Buddha, aux religieux, ainsi qu'à son père, à sa mère, et aux hommes en péril ou malades, grâce à ce mérite, pendant plusieurs milliers et myriades de kalpas, il recevra des bonheurs illimités: quelque considérable que soit la grande mer, elle ne

(1) Ce remarquable procédé de pesée a passé dans le folklore chinois qui en attribue l'invention à Ts’ao Tch'ong À Yi. Le célèbre Ts'ao Ts’ao

Li fa (152-220 p. C.) avait un grand éléphant dont il désirait connaitre le poids; Ts'ao Tch'ong, qui n'était alors âgé que de cinq ou six ans, lui indiqua l’artifice même dont nous avons la description dans notre conte. Un livre d'école primaire, qui m'a été communiqué par M. C. Blanchet, le Xouo wen kiao k'o chou (Commercial Press, Chang-haï), raconte cette anecdote et y joint une vignette on voit l'éléphant placé dans le bateau, tandis que le petit Ts'ao Tch'ong trace sur le bordage une ligne à l'endroit affleure l’eau. Il est intéressant de trouver dans le Tsa pao tsang king le prototype de ce récit qui nous montre que la littéra- ture des contes a pu introduire de l'Inde en Chine même des principes de physique.

6 TSA PAO TSANG KING (N° 400).

dure pas plus d’un kalpa; en raisonnant ainsi, on voit que la quantité d’eau contenue dans les deux mains réunies est des centaines, des milliers et des myriades de fois plus considérable que la grande mer. » Telle fut la réponse qu’on donna au génie céleste.

Le génie céleste se transforma derechef en un homme affamé qui n’était plus qu’un squelette et il vint deman- der : « Y a-t-il au monde quelqu'un qui soit plus affamé, plus maigre et plus tourmenté que moi? » Les ministres assemblés se consultèrent, mais ne purent répondre. Le grand ministre alla exposer la chose à son père. Celui-ci lui dit : « Dans le monde, lorsqu'un homme est avare, avide et jaloux, qu’il ne croit pas aux trois Joyaux, qu’il ne sait pas entourer de soins son père, sa mère, ses mai- tres et ses aînés, il tombera, lors de ses existences ulté- rieures, dans la condition de démon affamé ; pendant des centaines, des milliers et des myriades d'années, il n’en- tendra même pas les mots « eau » et « céréales » ; son corps sera comme une grande montagne et son ventre comme une profonde vallée ; sa gorge sera comme une aiguille fine; ses cheveux seront comme des épées aiguës ; de son corps jaillira du feu et tout son être sera brûlant; tout le long de son corps jusqu’à ses pieds, à chaque mouvement qu'il fera, les articulations de ses membres prendront feu; un tel homme endurera des souffrances de la faim des centaines, des milliers et des centaines de fois plus pénibles que celles que vous éprouvez. » On rapporta donc cette réponse au génie céleste.

Celui-ci se transforma en un homme dont les mains et les pieds étaient chargés d’entraves; son cou était enchainé; de son corps jaillissait du feu et toute sa per- sonne était brûlée ; il demanda encore : « Y a-t-il quelqu'un qui endure de plus grandes souffrances que moi? » Les ministres discutèrent à ce sujet, mais ne surent que répondre. Le grand ministre interrogea encore son père

TSA PAO TSANG KING (N° 400) 7

qui lui dit: « Lorsque, dans ce monde, il y a une per- sonne qui manque de piété envers son père et sa mère, qui résiste et nuit à ses maîtres et à ses aînés, ou, si elle est une femme, qui se révolte contre son mari, et lorsque cette personne parle mal des trois Vénérables, elle tom- bera, lors de ses existences ultérieures, dans les enfers il y a les montagnes de couteaux et les arbres d’épées, les chars de feu et le charbon ardent des fournaises, le fleuve on s’engloutit et l'urine bouillante, les chemins de glaives et les chemins de flamme, et les tourments analogues, sans mesure, sans limite, innombrables. Si on compare le sort de cette personne au vôtre, il est des cen- taines, des milliers et des myriades de fois plus pénible. » Ce fut donc cette réponse qu’on apporta au génie céleste.

Le génie céleste se transforme alors en une femme dont la merveilleuse beauté l’emportait sur celle de toutes les femmes de ce monde; puis il demanda : « Y a-t-il au monde quelque personne d’une beauté égale à la mienne ? » Les ministres restèrent silencieux et ne surent que répondre. Le (grand) ministre interrogea de nouveau son père qui lui répondit : « Dans le monde, lorsqu'un homme a foi dans les trois Joyaux et les vénère, obéit avec piété filiale à son père et à sa mère, se plait à faire des libéra- lités et supporte avec patience les injures, progresse dans la vertu et observe les défenses, il obtient (plus tard) de naître en haut parmi les devas et il a alors une beauté merveilleuse qui l'emporte des centaines, des milliers et des myriades de fois sur la vôtre, en sorte que, si on vous compare à lui, vous avez l'air d'un singe aveugle. » On transmit cette réponse à l'esprit céleste.

L'esprit céleste prit encore un morceau de bois de ichen l'an (candana, santal) parfaitement quadrangulaire et régulier, puis il demanda: « en est la tête? » Les ministres appliquèrent à cette question toutes les forces de leur intelligence, mais ne surent que répondre. Le

8 TSA PAO TSANG KING (N° 400)

ministre interrogea de nouveau son père qui lui répondit: « C'est une chose facile à connaître ; jetez ce morceau de bois dans l’eau ; la base sera constamment plus lourde et l'extrémité qui forme la queue se dressera en l'air. » Telle fut donc la réponse qu'on fit à l'esprit céleste (1).

L'esprit céleste prit deux juments blanches, de taille et de couleur identiques, puis il demanda: « Laquelle est la mère ? Laquelle est la fille Les ministres, cette fois encore ne surent que répondre. Le grand ministre interrogea son père qui lui dit : « Donnez-leur de l'herbe à manger; celle qui est la mère ne manquera pas de repousser l'herbe pour la donner à sa fille. »

De cette manière, on put répondre successivement à toutes les questions. L'esprit céleste en fut très satisfait; il donna en grande quantité au roi de ce royaume des joyaux et des richesses, puis il dit au roi: « Dorénavant _ je protégerai le territoire de votre royaume en sorte que les ennemis du dehors ne pourront l’envahir et lui nuire. » Quand le roi eut entendu ces paroles, il en conçut des transports de joie; il demanda alors à son ministre : « Est- ce vous même qui avez su tout cela ou est-ce quelque autre homme qui vous l’a enseigné ? Grâce à votre intel- ligence supérieure, notre royaume a réussi à rester tran- quille ; en outre il a obtenu des joyaux et des richesses et il est assuré d’être protégé. Tout cela est à vos capa- cités. » Le ministre répondit au roi: « Ma sagesse per- sonnelle n'y est pour rien; je désire, à roi, que vous m accordiez la faveur de n’avoir rien à craindre et je vous exposerai tout ce qui en est. » Le roi répliqua : « Quand bien même vous auriez commis des crimes méritant dix mille fois la mort, je ne vous en demanderai pas compte; à combien plus forte raison ne le ferai-je pas pour une légère faute. » Le ministre dit au roi: « C’est une loi de

(1) Cf. la même énigme résolue de la même manière dans le Jätaka, 546 (trad. Cowell et Rouse, t. VI, p. 166).

TSA PAO TSANG KING (N° 400). 9

ce pays qu'il n’est pas permis de nourrir les vieillards. - J'ai un vieux père ; comme je ne pouvais me résoudre à le - chasser au loin, j'ai contrevenu aux prescriptions du roi

et je lai caché sous terre. Or toutes les réponses que je —._ vous ai précédemment apportées furent dictées par la sagesse de mon père et ne sont point dues à mes capa- cités. Mon unique désir, Ô grand roi, est que, dans toute _ l'étendue du royaume, vous permettiez, contrairement à ce qui s’est fait jusqu'ici, de nourrir les vieillards. »

Le roi, tout émerveillé de ces paroles, en conçut de la joie ; il fit des offrandes au père de son ministre et l’honora en le nommant son maître: « IL a sauvé, ajouta-t-il, la vie de tous les habitants du royaume. Un tel service, je ne saurais jamais assez le reconnaître. » Puis le roi promul- œua un ordre, qui devait être annoncé partout, pour dire qu'il n’était plus permis de chasser les vieillards, qu'on devait les nourrir avec piété filiale et que ceux qui se con- duiraient mal envers leur père et leur mère seraient pas- sibles de grands châtiments.

Le Buddha dit : « Celui qui, en ce temps, était le père, c'est moi-même; celui qui était le ministre, c’est Chü-lI- fou (Câriputra); celui qui alors était le roi, c'est A-chü- che (Ajâtaçatru) ; celui qui, en ce temps, était l'esprit céleste, c’est A-nan (Ânanda). »

GP XIV 10 D: 9 ve)

Le Bouddha s’est rendu dans les cieux Trayastrimças, et pen-

dant quatre-vingt-dix jours, il a expliqué la Loi pour le béné-

| fice de sa mère Mâyà ; aux bhiksus qui s'en étonnent, il répond par un jâtaka : autrefois le Buddha était un roi-singe qui commandait à cinq cents singes ; il les sauva en une occasion

ils avaient été pris dans les filets d’un chasseur ; une autre

fois, une vieille guenon étant tombée avec son petit qu'elle

10 TSA PAO TSANG KING

porlail sur ses épaules, au fond d'un ravin, les singes se sus-

pendirent les uns aux autres en se prenant par la queue et le =

roi singe put, en se mettant au bout de la chaîne ainsi formée, retirer la vieille mère du fond du gouffre. S'il a pu agir ainsi en : faveur de la guenon quand il n'était que singe, qu'est-ce que le Buddha ne fera pas maintenant en faveur de sa mère pour la délivrer des trois voies mauvaises ?

( Fripe, LIN: Lo; PP: 3 vo-/ Pas

Avadänas destinés à expliquer pour quelles causes la femme esclave AXia-lan-lchü-lo (Katañngalà) a obtenu de devenir bhi- ksuni, puis d'atteindre à la dignité d’'arhat (1). |

(Trip.. XIV, 10, p. 4 v°-4 r°) (2).

Un jeune homme nommé Ts'eu-l'ong-niu (Maïtrakanyaka) est orphelin de père ; 1l donne à sa mère tout ce qu'il gagne, à savoir 2 pièces de monnaie par Jour, puis 4 pièces de monnaie, puis 8, puis 16. Il se décide à aller sur mer pour s'enrichir ; sa mère veut le retenir et embrasse ses pieds ; il frappe sur les mains de sa mère pour l'obliger à desserrer son étreinte, et, dans ce geste, 1l lui casse quelques dizaines de cheveux. I} part et amasse de grandes richesses ; au retour, il est, pen- dant le trajet sur terre, abandonné par la caravane dont il élait le chef. Il arrive à une ville de lreou-li violet il est reçu par 4 belles femmes qui lui donnent 4 perles et il vit dans les délices pendant 40.000 années ; puis il arrive à une ville de p'o-li il est reçu par 8 belles femmes qui lui donnent 8 perles et 1l vit dans les délices pendant 80.000 années ; puis il arrive dans une ville d'argent il est reçu par 16belles femmes qui lui donnent 16 perles et il vit 160.000 années ; puis il arrive

(1, Cf. FEER, Avadäna çaltaka (Annales du Musée Guimel, t. XVIII, p. 289- 293), (2 CR len39 AA pp 131-127:

nheommest

TSA PAO TSANG KING Il

à une ville d’or il est reçu par 32 belles femmes qui lui don-

nent 32 perles et il vit 320.000 années. Enfin il arrive à une

ville de fer ; il y trouve un homme qui portait sur la tête une roue de feu ; cette roue se transporte aussitôt sur la tête de | «.… Ts'eu-l'ong-niu. Celui-ci demande à un geôlier pourquoi il doit - endurer ce supplice et pourquoi il a éprouvé auparavant de si

grandes félicités. Les joies qu'il a éprouvées par quantités pro-

portionnées aux nombres 4, 8, 16 et 32 sont la récompense du

bien qu'il a fait autrefois à sa mère en lui donnant 2 pièces de monnaie, puis 4, puis 8, puis 16. Le supplice de la roue de feu lui est infligé parce qu'il a cassé des cheveux à sa mère. Les peines de Ts’eu-l'ong-niu ne devaient prendre fin que lorsque quelque autre, homme, ayant agi comme lui, viendrait le rem- placer; mais il conçoit la bonne pensée de concentrer en lui les douleurs de tous ceux qui souffrent et aussitôt la roue de feu tombe par terre. Le geôlier, irrité, le tue, mais il renaît dans les cieux Tusita.

CETED UN, DO DDLE VE

Autrefois dans les montagnes neigeuses il y avait un ascète nommé T'i-po-yen (Dyvaipâyana) qui avait coutume d'’uriner sur une roche. Une biche, qui lécha ce rocher, devint grosse et donna le jour à une fille ; cetle fille était fort belle, et, dans chaque endroit elle posait le pied, naissait une fleur de lotus. Un jour que le feu qu'elle était chargée d'entretenir s'était éteint, elle se rend chez un voisin pour emprunter du feu et, sur la demande du maître de maison, fait sept fois le tour de sa demeure qui se trouve ainsi entourée de sept rangs de lotus.

_Survient le roi Wou-l'i-yen (Udayana) qui voit les lotus, s ‘enquiert

de leur origine, recherche la fille, la trouve et l'épouse. La jeune femme donne naissance à cinq cents œufs ; la première femme du roi, poussée par la jalousie, substitue cinq cents boulettes de farine aux cinq cent œufs qu'elle place dans une boîte scellée el

jette dans le Gange. La boîte est recueillie par le roi Sa-lan-

(1) Cf. le 23, t. [, pp. 80-84.

12 TSA PAO TSANG KING

p'ou dont le royaume est situé en aval; ce roi donne un œuf à chacune de ses cinq cents épouses et de chaque œuf sort un garçon qui devient beau et fort. Quand ces cinq cents enfants sont devenus de vaillants hommes, le roi Sa-tan-p'ou refuse de payer tribut au roi Wou-l'i-yen et l'attaque. En ce péril, le roi Wou-l'i-yen a recours à la femme aux fleurs de lotus ; il la place sur un grand éléphant blanc et la met en avant des troupes; la femme presse ses deux seins et de chacun d'eux sortent deux cent cinquante jets de lait qui tombent droit dans la bouche de ses fils, les cinq cents guerriers de l’armée ennemie. Les fils reconnaissant alors leur père et leur mère, la guerre prend fin. Les cinq cents fils, de même que les deux rois, deviennent des Pratyeka Buddhas.

Cri IN TO ph D V0 :)

Autre rédaction du même récit : la fille née de l’ascète et de la biche a des pieds de biche ; elle est épousée par le roi du royaume de Fan-yu (Brahmavati) ; elle donne le jour à mille feuilles de lotus auxquelles l'épouse principale substitue une masse de viande de cheval pourrie ; les mille feuilles de lotus, après avoir élé jetées dans le Gange, sont recueillies par le roi du royaume de Wou-k’i-yen (Uddiyâna) ; sur chaque feuille il y avait un petit garçon. Les mille fils deviennent de vaillants guerriers et attaquent le roi de Fan-yu; leur mère monte sur une tour élevée et presse ses deux seins : de chaque sein sortent cinq cents jets de lait qui tombent dans la bouche des mille fils.

rip NIV 6::p 00)

L'éléphant blanc à six défenses, tué par le chasseur qui s’est revêlu d'un kâsâya. C’est le Saddanta jâtaka.

(PGI n°280 1 pp, 101104

TSA PAO TSANG KING 13

(Frp.; XIV, 10: p6%) (1):

Sasa jâtaka. Ici il n’y a que deux personnages : l’ascète et le lièvre qui se jette dans le feu pour lui assurer un repas.

CPP RINE MO ND 7 ES),

_ Le bon roi-singe sauve cinq cents singes en leur faisant tra-

verser la rivière sur une branche d’arbre p'i-to-lo qu'il a cour-

bée. Le méchant roi-singe cause la mort de ses cinq cents sujets en ne sachant pas comment les faire fuir.

(Trip, XIV 10; D 7 vo),

En temps de disette, un homme pauvre enterre vivants son père et sa mère afin d'avoir de quoi nourrir ses nombreux en- fants. Son exemple est suivi et devient la règle dans le royaume de Po-lo-nai (Vârânasi). Un homme, qui désire sauver son vieux père du sort qui l'attend, l'installe dans une habitation | qu'il a ménagée sous la terre, en sorte qu’on peut croire que, | suivant la coutume, il l’a enterré vivant ; un génie pose alors quatre énigmes au roi en lui annonçant que si, dans sept jours, | ilne les a pas résolues, sa tête sera brisée en sept morceaux. Le vieillard dicte à son fils des réponses qui sont toutes tirées de la religion bouddhique et le roi peut être sauvé. Par recon- naissance le roi abroge la loi qui prescrivait d’enterrer vivants les vieillards.

(Trip XIV, 20, p'OrTiev.)

Grâce à son grand éléphant parfumé, le roi de Pr-Fi-hi (Vi- deha) a triomphé du roi de Xia-che (Kâçi). Ce dernier, pour

(1) Cf. le 21, t. I, pp. 75-77. (2) Cf. le 114, t. I, pp. 385-386. (3) Réplique affaiblie du 400, t, ITF, pp. 3-9.

14 TSA PAO TSANG KING

lutier contre son ennemi, fait capturer. dans la montagne un éléphant blanc parfumé qui lui assurera, pense-t-il, la victoire, Mais, quand cet éléphant est installé dans l'écurie, il refuse de manger ; comme on lui en demande la cause, il dit que son son père el sa mère sont vieux et aveugles et qu’il doit retourner auprès d’eux pour les nourrir; après leur mort, il reviendra. Émerveillé de sa sagesse, le roi de Xïa-che s'écrie : « Nous ne sommes que des éléphants à tête d'homme ; mais cet éléphant est un homme à tête d'éléphant. » Il rend la liberté à l'éléphant el ordonne que la piété filiale soit rigoureusement observée dans tout le royaume. Quand le père et la mère de l'éléphant sont morts, celui-ci revient auprès du roi de Xïa-che qui veut aussitôt combattre ; l'éléphant l'en dissuade en lui montrant les maux de la guerre ; puis il se rend auprès du roi de Pi-l'i-hi et le décide à faire la paix avec son ennemi.

(Trip., XIV, 10, p. 8 vw.)

Autrefois, dans le royaume de Po-lo-nai (Vârânasi), c'était la coutume, lorsqu'un homme atteignait l’âge de soixante ans, que ses enfants le missent hors de sa demeure en le chargeant de garder la porle et en lui donnant seulement un tapis pour se coucher dessus. Le cas s'étant présenté dans une famille il y avait deux frères, le frère cadet coupe l'unique tapis qui se trouve dans la maison et en donne la moitié à son père ; à son frère aîné qui lui demande l'explication de sa conduite, il répond que l’autre moitié du tapis est destinée à son frère aîné quand celui-ci aura à son tour atteint l’âge de soixante ans. Le frère aîné comprend alors la barbarie de la coutume ; lui et son frère cadet obtiennent du premier ministre, puis du roi, qu'elle soit abrogée.

CTP AIN A0 -DR:r0N 0:

La femme de Brahmadatta, roi de Värânasi, s'irrite de ce que

le roi a voulu lui faire boire le vin qui restait dans le fond de sa coupe et elle prononce cette parole imprudente : « Plutôt

TSA PAO TSANG KING (N° 401) 15

que de boire ce vin, j'aimerais mieux percer la gorge de mon

fils et boire son sang. » Le roi la prend au mot et fait appeler

le jeune garçon; celui-ci demande pourquoi on veut le tuer; le roi lui répond de demander grâce à sa mère ; la mère refuse et

. on coupe la gorge à son fils pour lui en faire boire le sang.

s

PErrD XIVe To D 0)

Explication des causes pour lesquelles le bhiksu T'o-piao, quoique doué de qualités éminentes, a pu être calomnié par une bhiksuni au point d'en être réduit à se consumer lui-même en entrant dans le samädhi de l'éclat du feu.

NOT EYE CERIDS SIN A0 ED O0 TE)

Autrefois dans le royaume de Xi-pin, vivait l’arhat Li-yue (Revata), qui se tenait assis en contemplation dans la montagne. Or un homme qui avait perdu son bœuf et qui le recherchait en suivant ses traces, vint à passer par l'en- droit se trouvait l’arhat. En ce moment, Li-yue faisait bouillir des herbes pour teindre son vêtement. Or le vête- ment se transforma de lui-même en une peau de bœuf; la teinture se changea en sang ; les plantes tinctoriales

que (larhat) faisait cuire devinrent la chair du bœuf; le

bol que ZLi-yue tenait dans ses mains devint la tête du

bœuf. Quand le propriétaire du bœuf (eut vu ce bœuf), il

se saisit aussitôt de (l'arhat Zi-yue) (2), le chargea de liens

et l’amena au roi. Le roi le jeta en prison. Pendant

douze années, (Li-yue) fut constamment valet (3) de pri- (1) Cf. le 124, t. I, pp. 395-396. |

(2) I prend l’arhat Li-yue pour le voleur qui lui a dérobé son bœuf et c'est pourquoi il le traite comme un malfaiteur.

(3) Je suppose qu'il faut lire Ë# au lieu de RE. Plus loin, on trouvera le terme LE] L' qui s'applique à un serviteur et non à un surveillant.

16 TSA PAO TSANG KING (N° 401)

son ; il donnait à manger aux chevaux et enlevait leur crottin.

Or, il y avait cinq cents disciples de Li-yue qui avaient obtenu la dignité d’arhat. Ils avaient cherché à voir était leur maitre sans parvenir à le savoir. Quand les causes produites par des actes antérieurs furent près de prendre fin (1), il y eut un de ces disciples qui vit que son maitre se trouvait dans la prison (du royaume) de Æïi-pin. Il vint donc dire au roi: « Notre maître Li-yue est dans la prison du roi; je désire que vous lui rendiez justice. » Le roi envoya un émissaire dans la prison pour y faire une enquête. Quand l’envoyé royal fut arrivé dans la prison, il vit seulement un homme qui avait l'air affaibli par le chagrin et qui avait une barbe et une chevelure extrême- ment longues; cet homme était valet de prison ; il don- nait à manger aux chevaux et enlevait leur crottin. L’émis- saire revint dire au roi: « Dans la prison, il n’y a aucun

religieux cramana ; seul s’y trouve un valet de prison. » Le bhiksu, disciple (de Li-yue), insista auprès du roi, di- sant: « Je désire simplement, à roi, que vous donniez un ordre aux termes duquel seront autorisés à sortir de la prison tous les bhiksus qui s’y trouvent. » Le roi rendit alors cette ordonnance : « Tous les religieux sont auto- risés à sortir de la prison. » Aussitôt, dans la prison même, la barbe et les cheveux du vénérable Li-yue tombè- rent spontanément, un käsäya revêtit son corps ; lui-même bondit dans les airs il accomplit dix-huit transforma- tions surnaturelles. À cette vue, le roi s’écria que jamais il n’avait rien vu de tel et il se prosterna à terre des cinq parties de son corps; puis il dit au vénérable : « Je désire que vous receviez la confession de mes péchés. » Aussitôt Li-yue redescendit et reçut sa confession ; le roi

(1) C'est-à-dire quand les malheurs qui avaient atteint Li-yue, à cause d'un acte qu'il avait commis dans une vie antérieure, furent près de prendre fin.

TSA PAO TSANG KING (N° 402) 17

lui demanda alors : « Pour quelle cause, produite par un acte d’une existence antérieure, vous êtes-vous trouvé dans la prison et avez-vous enduré des peines pendant plusieurs années ? » Le vénérable répondit: « Dans une existence antérieure, j'avais moi aussi perdu mon bœuf ; je le recherchai en suivant sa trace et je vins à traverser une montagne ; je vis un Pratyeka Buddha qui était assis en contemplation dans un endroit solitaire; je me mis à Paccuser faussement pendant tout un jour et toute une nuit. Pour cette cause, je tombai dans les trois. voies mauvaises j'endurai des tourments sans nombre ; ce qui me restait de malheurs à souffrir n’était pas entière- ment terminé, et c'est pourquoi, même après que j'eus obtenu la dignité d’arhat, je fus en butte à une accusation calomnieuse. »

402.

CPRIDS SIN AD D

Autrefois le roi Po-sseu-nt (Prasenajit) avait une fille nommée Lai-Pi (Rati) qui avait dix-huit difformités, en sorte qu’elle ne présentait plus figure humaine; tous ceux qui la voyaient étaient épouvantés. Alors le roi Po-sseu-ni (Prasenajit) fit appeler dans tout son royaume les fils de bonne famille qui étaient pauvres et orphelins, dans l'espoir qu'on lui en amènerait. Or, sur un côté de la place publique, il y avait le fils d’un notable qui, orphelin et réduit à ses seules ressources, ne subsistait qu’en men- diant des aumônes. Quand les racoleurs le virent, ils l’emmenèrent et le présentèrent au roi. Le roi prit cet homme, le fit entrer dans le jardin postérieur et traita l'affaire avec lui en ces termes : « J’ai engendré une fille qui à un extérieur si affreux qu’on ne peut la montrer en

HI: 2

18 TSA PAO TSANG KING (N° 402)

public; je désire vous la faire épouser ; y consentez-vous ? » Le fils de notable répondit : « A vos offres, Ô roi, je n’op- poserais pas un refus, même s’il s'agissait d’un chien; à plus forte raison ne le ferai-je pas puisqu'il s’agit de votre fille ». Aussitôt le roi lui donna sa fille en mariage; il installa pour lui une demeure princière et lui donna cet avertissement : « Cette fille est affreuse à voir ; gardez- vous de jamais la montrer en public; quand vous sortez, fermez à clef la porte extérieure; quand vous êtes à la maison, tenez close la porte intérieure. Que ce soit votre règle constante. »

Cependant plusieurs fils de famille, qui étaient les amis de cet homme, faisaient des banquets et se divertis- saient; à chacune de leurs réunions, leurs femmes venaient prendre part; seule la femme de cet homme ne venait pas. Alors les jeunes gens firent ensemble la con- vention suivante : « À l’avenir, lorsque nous nous réuni- rons de nouveau, nous comptons que chacun de nous amènera sa femme ; celui qui y manquerait sera frappé d'une forte amende ». Ils tinrent donc une nouvelle réu- nion ; mais le fils du notable pauvre fit comme précé- demment et vint sans amener sa femme. Les autres lui infligèrent alors d’un commun accord une forte amende. Ce fils de notable se soumit avec respect à la punition. Ses compagnons refirent encore une convention aux termes de laquelle celui qui n’amènerait pas sa femme à la réunion qu'ils tiendraient le lendemain serait encore frappé d'une forte amende. De la sorte notre homme fut puni par deux et trois fois et cependant il continuait à venir aux réunions sans amener sa femme.

Étant revenu chez lui, le fils du notable pauvre dit à sa femme : « J’ai été à plusieurs reprises puni à cause de vous. » Sa femme lui en demandant la raison, il reprit : « Mes compagnons ont convenu entre eux que chacun amènerait sa femme aux banquets. Or, pour obéir aux

PP I CO I TS SR PU

TSA PAO TSANG KING (N° 402) 19

_ ordres du roi (votre père) qui ne m’a pas permis de vous

emmener avec moi pour vous montrer à d’autres hommes, j'ai souvent été puni, » Quand sa femme eut entendu ce qu'il lui disait, elle en fut couverte de confusion et s’en affligea profondément. Jour et nuit elle se mit à penser au Buddha.

À quelques jours de là, on fit un nouveau banquet, et, cette fois encore, le mari s’y rendit seul. Sa femme, restée à la maison, prononça, avec un redoublement d’ardeur dans la prière et d’affliction, le vœu suivant : « Quand le Tathâgata est apparu dans le monde, il a fait du bien à beaucoup d'êtres. Moi seule, à cause de mes fautes, je n'ai pas pu en bénéficier. » Le Buddha, ému de la perfec- tion de ses sentiments, lui apparut alors en bondissant hors de terre; elle vit d’abord les cheveux du Buddha, et quand elle en eut été émue de respect et de joie, ses propres cheveux se transformèrent en de beaux cheveux; elle vit ensuite le front du Buddha, puis ses sourcils, ses yeux, ses oreilles, son nez, sa bouche et son corps ; à mesure qu’elle les contemplait successivement, sa joie devenait de plus en plus profonde et sa propre personne se transformait; toutes ses laideurs disparurent et son visage devint comme celui d’une devi.

Cependant les fils de notables avaient discuté secrète- ment entre eux, disant : « Si la fille du roi ne vient pas à nos réunions, c'est ou bien parce qu’elle est d'une beauté peu commune, ou bien parce qu’elle est affreuse- ment laide. Il nous faut maintenant enivrer son mari jus. qu’à ce qu’il ait perdu connaissance, puis nous lui pren- drons ses clefs, nous ouvrirons la porte (de sa maison) et nous irons regarder. » Ils le firent donc boire jusqu'à ce qu'il fût ivre, puis ils lui prirent ses clefs et s’en allèrent en bande; lorsqu'ils eurent ouvert la porte et qu'ils re- gardèrent, ils virent cette fille du roi qui était d’une beauté sans égale. Aussitôt ils se retirèrent, fermerent

20 TSA PAO TSANG KING (N° 402)

la porte et revinrent à l'endroit d’où ils étaient partis. Comme le mari n'avait pas encore repris ses sens, il lui rendirent ses clefs en les attachant sous sa ceinture.

Quand le mari se fut réveillé, il rentra chez lui; dès qu’il eut ouvert la porte, il aperçut sa femme qui était d'une beauté merveilleuse; tout surpris il lui demanda : « Quelle déesse êtes-vous, vous qui vous êtes établie dans ma demeure ? » Sa femme lui répondit : « Je suis votre épouse Lai-Fi. » Comme il s’étonnait et lui demandait ce qui était arrivé, elle lui répondit : « Je vous ai entendu dire que vous aviez souvent été puni à cause de moi; j'en ai conçu des regrets et j'ai songé au Buddha en limplo- rant et en m'affligeant; j'ai vu alors le Tathâgata qui m'est apparu en bondissant hors de terre; en le contemplant, j'en ai éprouvé de la joie et mon corps s’est transformé en devenant beau. » Le fils du notable pauvre fut extré- mement joyeux et alla aussitôt informer le roi en lui disant : « La personne de la fille du roi s’est transformée spontanément et est devenue belle; maintenant, je vou- drais vous la montrer. » À cette nouvelle, le roi fut con- tent et fit immédiatement mander sa fille ; quand il l’eut vue, il en éprouva de la joie. Cependant, comme il était fort perplexe et surpris, il se rendit auprès du Buddha et lui dit : « O Honoré du monde, pourquoi cette fille est-elle née au fond de mon harem et a-t-elle eu un corps si laid que les hommes étaient frappés d'horreur en la voyant? Pour quelle cause, d’autre part, s’est-elle maintenant trans- formée et est-elle devenue belle ? »

Le Buddha répondit au roi : « Dans les temps passés, il y avait un Pratyeka Buddha qui chaque jour mendiait sa nourriture. Il arriva une fois devant la porte d’un notable; en ce moment la fille du notable vint, en apportant de la nourriture, la présenter au Pratyeka Buddha; mais en voyant que celui-ci était laid, elle prononca cette parole : « Cet homme est affreux; il a le corps comme couvert

TSA PAO TSANG KING (N° 402) 21

d’une peau de poisson et ses cheveux sont comme une queue de cheval. » Celle qui, en ce temps, était la fille du notable, c’est aujourd’hui la fille du roi; parce qu’elle à donné à manger (au Pratyeka Buddha), elle est née au fond de votre harem; mais, parce qu’elle a mal parlé du Pra- tyeka Buddha, son corps a été horrible; parce que, cou- verte de confusion, elle m’a imploré avec affliction, elle a obtenu de me voir; parce qu’elle en a éprouvé de la joie,

son corps s’est transformé et est devenu beau. »

Lorsque la multitude des assistants eut entendu ces paroles du Buddha, elle lui rendit hommage, avec respect et prit plaisir à mettre en pratique ses enseignements.

CEID A RINEO DTO PP

Chan-kouang (excellent éclat), fille du roi Prasenayit, se vante auprès de son père de devoir toutes les faveurs dont elle jouit, non au roi, mais à l’efficace des actes qu'elle a commis dans des vies antérieures. Irrité, le roi la marie à l’homme le plus misé- rable de la ville. Cet homme se trouve être le fils d’un notable extrêmement riche de Crâvasti; il est tombé dans la misère parce qu’il a perdu ses parents quand il était encore enfant. Sur le conseil de la princesse, il se rend avec elle à l'endroit ses parents avaient eu autrefois leur demeure ; la terre se creuse sous ses pieds et un lrésor caché apparaît. Étant ainsi mariée à l'homme le plus riche de la ville, la princesse invile le roi son père dans ses somptueux appartements et lui prouve que c’est bien à l’efficace de son karman qu’elle doit son bonheur.

(RD IN AO D Om vo) Deux fils de roi ont été bannis ; pendant qu'ils marchent dans une région déserte, ils viennent à manquer de vivres ; le frère

(1) CF. le 95; t. I, pp. 361-363. (2):Cfi en. 51; 1 L'pp. WU.

32 TSA PAO TSANG KING

cadet tue sa femme et la coupe en trois morceaux qu'il attribue à lui-même, à son frère aîné et à la femme de celui-ci. Le frère aîné cache le morceau qui lui a été donné et coupe de sa propre chair pour s’en nourrir. Un peu plus tard, le frère cadet, n’ayant plus rien à manger, propose de tuer la femme du frère aîné ; celui-ci sauve la vie à sa femme en donnant à son frère cadet le morceau de viande qu'il avait tenu secrèlement en réserve. Les deux frères atteignent enfin un endroit ils peuvent s'établir. Le frère cadet meurt de maladié. Le frère aîné recueille par compassion un homme dont les pieds et les mains ont été cou- pés pour quelque crime. Sa femme a des rapports secrets avec cet homme et projette de tuer son mari. Elle demande à ce der- nier de cueillir des fleurs et des fruits d'un arbre qui sur- plombe un précipice au fond duquel coule un torrent; feignant de vouloir l'empêcher de tomber, elle lui attache autour des reins £ une corde dont elle tient l'extrémité ; quand le frère aîné est au sommet de l'arbre, elle lui fait perdre l'équilibre en tirant la corde ; le frère aîné tombe dans le torrent sans se faire de mal ; il aborde dans un royaume dont le roi vient de mourir et il est nommé roi. À quelque temps de là, sa femme, portant sur ses épaules son amant estropié, vient dans ce même royaume ; elle est reçue par le roi et est couverte de confusion en re- connaissant son mari. Le roi lui pardonne.

nt le. ie. nr À

PERIDS, KV, Lo ep TON)

Le notable Siu-la (Sudatta) était devenu fort pauvre ; un jour qu'il était allé louer ses services à quelque autre personne, sa femme vil venir successivement chez elle Aniruddha, Subhuti, Mahäkâcçcypa, Mahàämaudgalyâyana, Câriputra et enfin le Buddha lui-mème ; à tous elle remplit leur bol à aumônes. Quand son mari revient et lui demande à manger, elle lui dit qu'elle n’a plus rien et lui explique ce qu'elle à fait. Sudatta l’approuve. En récompense de ses bons sentiments, ses magasins se trou- vent remplis de denrées qui se renouvellent à mesure qu'il en fail usage.

TSA PAO TSANG KING 23

éTrip., XIV, 10, pp.10 v°-11r°) (0).

So-lo-na (Sarana), fils du roi de Yeou-tien ff Ï& (Udayana), s'est résolu à entrer en religion. Tandis qu’il médite sous un arbre, survient le roi Ngo-cheng (Canda, surnom de Pradyota, roi d'Ujjayini) accompagné de ses femmes ; le roi s'étant en- dormi, les femmes se rassemblent autour du jeune homme et l’'entendent expliquer la Loi. A son réveil, Le roi Ngo-cheng aper- çoit ses femmes réunies auprès de So-lo-na et, dans sa fureur, 1l roue de coups ce dernier. So-lo-na se rend auprès de son upa- dhyâya Kâtyâyana et lui annonce son intention de quitter la vie religieuse et de rentrer dans le monde. Pour l'en détourner, Kâtyâyana lui envoie pendant la nuit un songe qui est le suivant: le roi d'Udayana est mort; son fils So-lo-na lui a succédé ; il livre bataille au roi Vgo-cheng ; il est vaincu, fait prisonnier et on s'apprête à lui couper la tête. À ce moment, le jeune homme se réveille ; il va raconter ce qu'il a vu en rêve à son maître ; celui- ci lui montre que, s’il avait été vainqueur, son cas n’eût pas été meilleur puisqu'il serait, à sa mort, tombé dans les trois voies mauvaises. So-lo-na reconnaît que les souffrances qu'il a endu- rées lorsque le roi Ngo-cheng le battait ont une importance mi- nime et il reprend la résolution de persévérer dans la pratique de la religion ; il obtient au bout de quelque temps la dignité d'arhat.

COPIDE INA OS D TPE ME)

Dans le royaume de Xien-lFo-wei (Gandhâra), un boucher em- menait un troupeau de cinq cents jeunes bœufs lorsqu'un eunu- que, ému de compassion, rachète ces bœufs et leur rend la li-

(1) Voyez le Sûträlamkära, trad. Huber, 65, pp. 312-355.

(2) Dans le Journal Asiatique de nov.-déc. 1897 (pp. 528-529), M. Sylvain Lévi a signalé une autre rédaction de ce conte dans le Fa-yuan {chou lin (Trip., XXXVI, 8, p.14 r°) qui l’emprunte au Pi-p'o-cha louen (Vibhäsà câstra); dans cette autre rédaction, l'anecdote est rapportée au temps du roi Xia-ni-che-kia (Kaniska).

24 TSA PAO TSANG KING

berté. À cause de cette bonne action, l’ennuque recouvre aus- sitôt sa virilité.

(Trips, XIV 10,0 1) TN)

Le roi Prasenajit entend pendant la nuit deux de ses ennu- ques, qui le croient endormi, discuter entre eux: l'un dit qu'il doit tout au roi ; l’autre dit qu'il doit tout à l’efficace de ses actes antérieurs. Le roi projette de récompenser richement le premier; il lui ordonne donc d’aller présenter à sa femme le vin qui reste dans sa coupe (apparemment pour inviter cette femme à venir partager la couche du roi); il a fait avertir au préalable sa femme qu'elle eût à combler de présents l'ennuque qui se présenterait à elle. Le premier ennuque est chargé de cette commission ; mais, au moment il sort de la chambre du roi, il est pris d’un sai- gnement de nez et remet la coupe de vin au second ennuque ; c'est donc celui-ci qui reçoit les riches présents. Le roi recon- nait alors que les enseignements du Buddha sont véritables et que chacun recoit les rétributions que lui ont values ses actes antérieurs.

(Trip XIV SAS Dp10:v-124:)

Deux frères sont entrés en religion. L’ainé a obtenu la dignité d’arhat; le cadet, à cause de sa profonde connaissance des livres saints, est fort estimé du conseiller d'état qui le prend pour maître de sa famille et qui lui donne une somme considérable pour édifier un temple. Le frère aîné vient habiter dans ce temple. Le conseiller d'état témoigne de la préférence au frère ainé en lui envoyant à deux reprises une pièce d’étoffe de grande valeur, tandis qu'il fait cadeau d'une étoffe grossière au frère cadet. Celui-ci, animé par la jalousie, a recours à la calom- nie ; il prend la belle étoffe que son frère aîné lui a généreuse- ment laissée, et il la remet à la fillé du conseiller d'état en l’en- gageant à s'en faire un vêtement qu'elle coudra en présence de

(1) Cf. Sûträlamkära, trad. Huber, 73, pp. 423-426.

TSA PAO TSANG KING 25

son père. La jeune fille se laisse persuader : à son père qui l’in- terroge sur la provenance de cette étoffe, elle dit que c’est le frère aîné qui la lui a donnée. Le conseiller d'état croit que le saint homme a voulu séduire sa fille. L’arhat, sentant qu'il a été ca- lomnié, s'élève dans les airs et accomplit dix-huit transforma- tions surnaturelles en présence du conseiller d’état qui recon- naît alors son erreur {1).

CErpb, XIV: 40 pp. 12512 V9):

Câriputra et Maudgalyâäyana, surpris par la pluie, se réfugient dans le four d’un potier. Une jeune gardienne de bœufs s’y trou- vait déjà, à leur insu. Cette fille, en voyant leurs beaux visages, éprouve de la jouissance sensuelle. Câriputra et Maudgalyâäyana sortent du four sans avoir aperçu la jeune fille; celle-ci sort après eux. Or, un certain Tch'eou-k'ia-li (Kokali), qui savait dis- tinguer sur le visage des gens s'ils avaient ou non éprouvé une jouissance sensuelle, voit Çâriputra et Maudgalyâäyana sortir du four suivis de la gardienne de bœufs qui vient d’éprouver une jouissance sensuelle. Il accuse les deux saints hommes de s'être livrés à la débauche avec la bergère. Il répète son accusation devant les bhiksus, devant Bhagavat, descendu exprès du ciel pour lui faire entendre raison, enfin devant le Buddha ;ilest puni de sa dénonciation calomnieuse par des boutons qui deviennent de plus en plus enflammés, lant et si bien que, lorsqu'il se plonge dans l’eau pour éteindre le feu qui le dévore, l'étang tout entier se met à bouillonner. Pourquoi Çâriputra et Maudgalyà- yana ont-ils été en butte à cette calomnie? C’est parce que, dans une naissance antérieure, ils ont eux-mêmes conçu des soup- cons injurieux du même ordre à l'égard d’un Pratyeka Buddha.

(1) Comme on le lit plus loin dans un autre conte, le fait seul de pou- voir s'élever de quatre doigts au-dessus de terre prouve que l’homme qui accomplit un tel prodige est délivré de tous les désirs sensuels: à plus forte raison en est-il de même de celui qui s'envole librement dans les airs.

(2) Cf. Karma çalaka, trad. Feer, Journ. As., mars-avril1901, pp. 179-280, et FEER, Kokâlika, Journ. As., mars-avril 1898, p. 202.

26 TSA PAO TSANG KING

(Trip., XIV, 10, pp. 12 v°-14 r°.)

Devadatta étant venu injurier le Buddha et ayant été chassé par Ânanda, l'explication de ces faits est donnée par l’avadäna que voici : autrefois, dans le royaume de Xïia-che (KAci), il y avait deux rois nâgas qui étaient frères ; l’un se nommait T'a-la (Datta) et l’autre Yeou-p'o-ta-ta (Upadatta). Ils étaient bons et faisaient pleuvoir en temps opportun. Comme le roi leur sacri- fiait des bœufs et des moutons, ils viennent le prier de cesser ces immolations d'êtres vivants qui ne leur agréent point ; le roi se refusant à les écouter, ils s'en vont et arrivent auprès d’un méchant petit nâga nommé Touen-tou-p'i Dundubhi) qui les in- jurie. Le plus jeune des deux rois-nâgas s'irrite contre lui, mais l'aîné l’engage à ne pas se mettre en colère et à revenir avec lui dans le royaume de Kâçi. Les deux bons nâgas sont reçus avec joie par le roi qui ne leur offrira plus dorénavant en sacrifice _ que du lait. L'aîné des nâgas prononce alors un nombre consi- dérable de stances, dont voici les premières :

Que tous, réunis harmonieusement, écoutent de tout leur cœur, qu'excellemment ils purifient et calment les diverses lois de leur cœurs, (pour entendre) les récits sur les existences anté- rieures du Bodhisatlva, —et les anciennes gâthâs concernant l'ap- parilion du Buddha actuel. Quand le deva entre tous les devas, le sambuddha, le Tathägata élait dans ce monde, les bhiksus prononçaient à l’envi de mauvaises paroles et se dénigraient mutuellement. Le grand Compatissant les vit et les entendit el leur tint ce langage ; il réunit les religieux bhiksus et leur parla ainst: Vous tous, bhiksus, c'est en vous appuyant sur moi que vous êtes sortis du monde ; ce qui est contraire à la Loi, vous ne devez pas le faire. Vous prononcez chacun de votre côté des paroles grossières ; à l'envi vous vous calomniez et vous vous faites muluellement du tort; n'avez-vous pas appris que celut qui sait comment on cherche la Bodhi accu- mule les actions de compassion et de palience et mène une con- duite pénible ? Si vous voulez vous appuyer sur la loi du Bud- dha, il vous faut mettre en pratique les six respects harmo-

TSA PAO TSANG KING 27

nieux. Le sage écoute excellemment pour étudier la doctrine du Buddha, car il a le désir d’être profitable et avantageux et de calmer la multitude des vivants. À tous les êtres il ne cause ni chagrin ni peine; quand l'homme qui pratique la vertu a été instruit, il doit se tenir éloigné du mal; que celui qui est sorti du monde conçoive de la colère et formule des reproches, (c’est aussi anormal que si) de l’eau glacée sortait du feu.

Dans les temps passés, j'étais un rot nâga: mot et mon frère cadet nous demeurions dans le même lieu. Si quelqu'un désire se conformer aux règles qui concernent celui qui est sorti du monde, il doit s'abstenir de colère et d'irritation et agir d'accord avec la sagesse. Le frère aîné se nommait Ta-ta (Datta): Le second se nommait Yeou-p'o-ta (Upadatta) ; -— tous deux ne tuaient pas d'êtres vivants et observaient les défenses pures.— Quoiqu'ils eussent une grande vertu redoutable;ils étatent las de leurs corps de nâgas ; et constamment ils se lournatent vers les bonnes conditions d'existence (gati) en demandant à étre des hommes ; toutes les fois qu'ils voyatent un Cramana ou un Brahmane ou quelqu'un observant les défenses ou ayant beau- coup de savoir, ils changeaient de forme pour lut faire des offrandes et être constamment en rapport d'amitié avec lui. Le huilième jour, le quatorzième jour et le quinzième jour, ils observaient les huit défenses et réprimaient leurs sentiments et leurs pensées. Ils abandonnèrent l'endroit ils demeuratient pour aller en un autre lieu. se trouvait un nâga nommé Touen-tou-p'i (Dundubhi), qui, voyant la grande vertu redou- table de ces deux nâgas, et sachant qu'il ne les valait pas, en conçut de l'envie et de la colère...

Dundubhi injurie donc les deux nâgas ; Upadatta voudrait se venger en le faisant périr; mais son frère aîné Datta l'exhorte au pardon des offenses en un fort long sermon, toujours sous forme de gâthâs.

CPR RIVE Tops

Les avadânas qui suivent sont tous destinés à expliquer l'ani- mosité de Devadatta contre le Buddha :

28 TSA PAO TSANG KING

Autrefois, dans le royaume de Kia-che (Kâçi), vivait un grand roi-nâga nommé Zchan-p'e qui comblait de ses bienfaits le royaume ; le quatorzième et le quinzième jours de chaque mois, il prenait la forme humaine, observait les cinq défenses, pratiquait la libéralité et écoutait la Loi. Survient un magicien de l'Inde du sud qui plante une flèche en terre, accomplit une formule d’incantation, et, grâce à ce procédé, s'empare du nâga. Le roi de Kâcçi accourt, à la tête d'une armée, pour délivrer ce dernier; mais le magicien a recours à une nouvelle formule d’in- cantation qui fait que toute l’armée du roi ne peut plus avancer ; le roi paie une rançon pour racheter le nâga. À deux nouvelles reprises, le brahmane vient pour s'emparer du nâga ; les autres nâgas projettent de le tuer, mais ils en sont détournés par le bon roi-nâga qui, ainsi qu'on peut bien le penser, n’est autre que le futur Buddha, tandis que le méchant brahmane est Devadatta.

CAD NIV TO DEV)

L'oiseau à deux têtes ; une des têtes mange d’excellents fruits; par jalousie, l’autre tête mange un fruit empoisonné qui fait mourir en même temps les deux têtes.

CPRDANEN AO D T0)

Autrefois, dans un étang de lotus, vivait une foule d'oiseaux. Un héron (baka) vient dans cet étang ; comme il marchait len- tement en levant haut les pattes, les autres oiseaux s'émerveil- laient de la gravité de sa démarche qui ne troublait aucunement la pureté de l’eau. Mais un perroquet blanc prononça cette gàthà : |

Il marche lentement en levant haut les pattes; sa voix est exlrêémement suave; mais, quand le menteur est dans ce monde, qui ne reconnaît qu'il est un trompeur (2) ?

(1) Cf. le 392; t. II, pp. 422-493.

(2) L'expresion bakavrata « démarche de héron » a passé dans la langue courante avec le sens d’ « hypocrisie ».

À

y 4 dre a

TSA PAO TSANG . KING 29

Le héron répliqua : « Pourquoi parlez-vous ainsi? Venez vers moi pour que nous soyons amis ». Le perroquet blanc de répondre aussitôt : « Je sais que vous êtes un trompeur; nous ne serons jamais amis ». Le perroquet blanc était le Buddha ; le héron était Devadatta. |

CHA XIV 10: pr vb re)

Avadâna de la grande tortue. Cinq cents marchands, dont le chef se nomme « Celui qui ne sait pas reconnaître les bien- faits » se trouvent au milieu de la mer en péril de mort, lorsqu'une tortue gigantesque vient auprès de leur bateau et les sauve tous en les prenant sur son dos. Quand la tortue les a transportés sur le rivage, elle s'endort. Le chef des mar- chands, malgré les remontrances de ses compagnons, lui écrase la tête avec une grosse pierre afin de se nourrir de sa chair. Mais, dans la nuit, un troupeau d’éléphants met à mort tous les marchands en les foulant aux pieds.

(Trtp: IN 10 D 429 r-v°)

Devadatta cherche à faire périr le Buddha en répandant sur lui une drogue empoisonnée ; mais un coup de vent repousse la drogue sur la tête de Devadatta qui va mourir dans de grandes souffrances lorsque la bonté du Buddha le sauve en rendant inoffensif le poison. Le Buddha raconte à ce propos un avadâna : Autrefois, dans le royaume de Kïa-che (Kâci), dans la ville de Po-lo-nai (Vârânasi), il y avait deux conseillers d'État, l'un nommé Sseu-na (Sena), l’autre nommé « mauvaise intention » (Durmanas). Ce dernier cherche à causer la perte de Sseu-na (Sena) en l’accusant d’abord d’avoir voulu se révoller, ensuite d’avoir volé au roi des objets précieux ; comme ces calomnies restent sans effet, il s'enfuit chez le roi de P'i-l'i-hi (Videha),; à son instigation, ce roi envoie en présent au roi de Käâçi une cassette renfermant deux serpents venimeux ; malgré les conseils de son ministre Sseu-na qui redoute quelque piège,

30 TSA PAO .TSANG KING (N° 403)

le roi de Kâci ouvre lui-même la cassette et est aussitôt rendu aveugle par le venin des serpents; son ministre Sseu-na parvient à trouver une excellente médecine qui lui rend la vue.

408 (1).

(Trip., XIV, 10, p. 15 v°.)

Dans les générations passées, à côté des montagnes neigeuses, il y avait un roi des coqs de montagne qui était à la tête d’un grand nombre de coqs et de poules et s'en faisait suivre. Sa crête était extrêmement rouge et son corps était parfaitement blanc. Il dit à la foule des coqs et des poules : « Tenez-vous loin des villes et des villages de peur que vous ne soyez dévorés par les hommes. Nous avons beaucoup d’ennemis ; gardons-nous bien. » Or, dans un village, il y eut une chatte qui apprit que des coqs et des poules se trouvaient là-bas; aussitôt elle s’y rendit. Se | tenant sous l’arbre, avancant doucement et regardant avec humilité, elle dit au coq : « Je serai votre femme; vous serez mon mari. Votre corps est beau et aimable; la crête qui surmonte votre tête est rouge; votre corps est tout blanc. Je vous servirai; livrons-nous secrètement

aux plaisirs. »

Le coq lui répondit par cette gâthà :

« La chatle aux yeux jaunes profile de la stupidité des petits êtres ; dès qu'elle en rencontre l’occasion, elle con- çoit l'idée de leur faire du mal et veut les dévorer. Je ne

(1) Le Buddha se trouvant à Wang-chô ich'eng (Râjagrhapura) Devadatta se rend auprès de lui et engage le Tathâgata à lui confier la multitude de ses disciples. Sur le refus du Buddha, il se retire furieux. Ce n'est pas seulement aujourd'hui que pareille chose s'est passée : suit l’avadäna dont nous donnons la traduction; le coq n'est autre que le Buddbha ; la chatte, c'est Devadatta.

TSA PAO TSANG KING (N° 403) 31

vois point que quelqu'un qui aurait pour épouse un tel ani- mal puisse avoir une vie longue et paisible ».

ÉErine NEN 40; 10 7°)

Devadatta feint de se convertir et veut venir confesser ses fautes au Buddha; en réalité, il a l’intention de lui nuire. Dans les temps passés, le roi Fan-mo-ta (Brahmadatta) qui régnait à Po-lo-nai (Vârânasi), avait interdit de tuer aucun être vivant ; Devadatta était alors un chasseur qui, revêtu d’un habit de reli- gieux, tuait en grand nombre des cerfs et des oiseaux ; il fut dénoncé par l'oiseau X7-li qui montra que, quoique revêtu d’une robe de religieux, 1l était en réalité un chasseur. L'oiseau Ki-li n’est autre que le Buddha.

CFrIps, XIV, 10; DA6 7

Devadatta reçoit d’abondantes offrandes que lui envoie le roi Ajâtaçatru ; le Buddha déclare aux bhiksus que Devadatta n’en profitera pas longtemps et il raconte à ce propos un avadâna. Il y avait, autrefois, deux ascètes ; l’un était vieux et avait obtenu les cinq abhijñâs ; l’autre était dans la force de l’âge et n'avait rien obtenu du tout, Ce second ascète, émer- veillé des prodiges que peut accomplir le premier, insiste pour que celui-ci lui enseigne comment on pratique les abhijñâs ; lorsqu'il a acquis cette connaissance, il étonne les hommes par des miracles et reçoit de grandes offrandes ; mais 1l parle mal du vieil ascète et perd aussitôt ses facultés surnaturelles ; il est alors chassé de la ville.

(rip NEVETO pp 26 616%)

Ceux qui croient aux enseignements du Buddha atteignent au Nirvâna ou obtiennent de renaître dans les conditions supé- rieures d'homme ou de deva. Ceux qui ajoutent foi aux paroles

32 TSA PAO TSANG KING

de Devadatta tombent dans les enfers. Autrefois, il y avait deux chefs de marchands accompagnés de cinq cents marchands. Tandis qu'ils cheminaient dans le désert, un yaksa se présente à eux sous la forme d'un jeune garçon vêtu de beaux vêtements, couronné de fleurs et jouant du luth; il les engage à jeter les plantes à eau dont ils étaient chargés, les assurant qu'ils en trou- veraient en abondance un peu plus loin. Un des chefs de mar- chands suit son conseil et il périt de soif avec tous les siens. L'autre chef de marchands sauve sa caravane, parce qu'il a pré- cisément gardé sa provision d’eau, malgré les avis du démon (1).

(Trip., XIV, 10, pp. 16 vo-17 ro.)

Huit devas se présentent l’un après l’autre devant le Buddha ; les sept premiers (en réalité 1l n’y en a que six d’énumérés) se plaignent de n'être pas parfaitement heureux ; ils ra- content quelle en est la cause provenant de leurs existences antérieures ; le premier n’a pas témoigné son respect avec assez de zèle à son père et à sa mère, à ses maîtres et à ses aînés, aux çramanas et aux brahmanes ; le second ne leur a pas donné des lits et des sièges assez confortables ; le troisième ne leur à pas fourni une nourriture assez bonne ; le qua- trième n’a pas écouté la Loi ; le cinquième a écouté la Loi sans en comprendre le sens ; le sixième a compris le sens de la Loi mais n’a pas su la mettre en pratique. Survient enfin un dernier deva qui se proclame parfaitement heureux, car il n’est

lombé dans aucune des fautes que les autres devas ont à se re- procher.

(Trip., XIV, 10, p. 17 ro-15 vo.)

Gakra Devendra a entendu le Buddha expliquer la Loi et il est devenu srotâpanna. Remonté dans les cieux, il réunit autour

(1) Voyez un récit analogue dans le Tch'ang a han king (Trip., XII, 9, p. 38 r°). Cf. Vimänavatthu, 84; Apannaka jâtaka (Jätaka, 1); SPENCE HARDY, Manual of Buddhism, pp. 108-112. Ce jâtaka est men- lionné dans le Milinda pañho (S. B. E., vol. XXXV, p. 289).

TSA PAO TSANG KING 33

de lui les devas pour louer le Buddha, la Loi et l'Assemblée. Parmi les assistants se trouve une devi d’une beauté merveil- leuse qui porte sur sa tête une couronne de fleurs. Cette devi doit sa félicité présente au fait que, dans une existence anté- rieure, elle a disposé des couronnes de fleurs sur le stûpa de

Kâçyapa Buddha (1).

(Trip. XIV, 10, pp. 17 v°-18 r°.)

Histoire d’une autre devi merveilleusement belle qui est ré- compensée parce que, au temps du Buddha Kâcyapa, elle a scrupuleusement observé chaque mois les huit abstinences (2).

(rip XIV A0 D 1801)

Quand le roi Bimbisära régnait à Wang-chô lch'eng (Râja- grhapura), il donnait des lampes en offrande au Buddha. Plus tard, sur le con«eil perfide de Devadatta, le roi Ajâtaçatru veut détruire la religion bouddhique; les gens du pays n’osent plus allumer des lampes pour les offrir au Buddha. Seule, une femme continue à le faire. Furieux, le roi Ajâlaçatru la fait périr en la coupant par le milieu du corps; elle obtient alors de renaître parmi les devas Trayastrimças (3).

(Pr RINE "FO D A8 TS)

Interrogée par Çakra Devenda sur la cause de sa félicité, une devi répond que, dans sa vie antérieure, elle était une jeune fille qui, montée sur un char, allait se promener, lorsqu'elle rencontra le Buddha et aussitôt s’écarta de la route pour lui laisser le passage libre.

(1) Cf. l’histoire de Mâlini dans le Mahävastu, éd. Senart, t. I, pp. 300 et suiv.) et Vimänavallhu, 37.

(2) Les huit premiers termes de la série du çiksàäpada.

(3) Cf, Vimänavatthu, 9.

IIT. 3

34 TSA PAO TSANG KING

(Trip., XIV, 10, p. 18 v°.)

Interrogée par Çakra Devendra sur la cause de sa félicité, une devi répond que, dans une existence antérieure, elle était une jeune fille qui était allée cueillir des fleurs d'açoka lorsqu'elle rencontra le Bouddha et répandit sur lui ces fleurs (1).

(Trip., XIV, 10, pp. 18 v°-19 r°.)

Le roi Bimbisâra, qui était un adorateur du Buddha, avait fait ériger dans son palais un stûpa abritant des cheveux du Buddha, afin que les femmes de son harem pussent faire des offrandes à ce stûpa. Après la mort de Bimbisâra, Ajâtaçatru, obéissant aux conseils pervers de Devadatta, interdit de faire des offrandes au stûpa ; une femme du harem nommée Chü-li- fou-mo-l'i désobéit à cet ordre ; elle est mise à mort sur l'ordre 4 d'Ajâtaçatru, mais elle renaît parmi les devas Trayastrimças ; elle raconte alors à CÇakra Devendra pourquoi elle a obtenu un tel bonheur. |

PO

(LPSC ANT 402 D: 1800:)

Un notable de Crâvasti avait fait construire un stûpa et un temple ; à cause de cette bonne œuvre, il renaît parmi les devas Trayastrimças. Sa femme, restée veuve, continue à entre- tenir le stûpa et le temple. Le deva, qui fut son mari, lui apparaît et lui révèle qui il est ; il ne peut plus avoir de rap- ports charnels avec elle parce qu’elle est femme et impure, mais il l'engage à persévérer dans ses œuvres pies, car, à sa mort, elle renaîtra comme devi et s’unira de nouveau à lui. C'est en effet ce qui arrive.

1) Cf. Vimänavatlhu, 38.

TSA PAO TSANG KING 30

(Trip. XIV, 10, pp. 19 r°-19 v°.)

Un notable de Wang-chô Ich'eng (Râjagrha) va chaque jour adorer le Buddha ; sa femme ayant conçu des doutes sur sa fidélité conjugale, il lui explique pourquoi il sort quotidienne- ment et lui parle du Buddha ; sa femme monte sur un char pour aller, elle aussi, voir le Buddha; elle ne peut approcher de lui à cause de la foule des auditeurs et se contente de le saluer de loin ; cette bonne action lui vaut de renaître parmi les devas

Trayastrimças.

CCrpa XIV 10 7D: 19%)

Avec l’assentiment du roi Prasenajit, le notable Sru-la (Su- datda) fait une quête dans tout le royaume en faveur des trois Joyaux ; une pauvre femme lui donne la seule chose qu'elle pos- sède, à savoir la pièce d'étoffe dont elle se couvrait le corps. A cause de cette bonne action, elle renaît en qualité de devi.

MÉTTEDAS A ENS T0 DD TON 0207E0)

À Crâvasti, il y avait un notable nommé Fou-chô (Pusya), qui avait deux filles ; l’une d'elles était entrée en religion et avait obtenu la dignité d’arhat ; l’autre était incroyante ; désireux de convertir cette dernière, le notable lui promet mille pièces d’or si elle prononce la formule du refuge auprès du Buddha, et huit mille pièces d'or si elle y ajoute la formule du refuge auprès de la Loi et auprès de l’Assemblée. Séduite par la promesse de cette forte somme, la jeune fille accepte les cinq défenses ; peu après, elle meurt et renaît comme devi.

CET AIN 10 "DD 0)

Une jeune fille qui, suivant la coutume de l'Inde du Sud,

| du. Sr Vue + R CPE TA 4 1: ét

36 TSA PAO TSANG KING (N° 404)

balayait de bon matin la maison familiale et les alentours de la porte d'entrée, aperçoit le Buddha et en conçoit de la joie. A cause du sentiment qu'elle a éprouvé, elle renaît en qualité de devi; de même que toutes les devis dont il a été question dans les contes précédents, elle comprend pour quelle raison elle a obtenu sa félicité précédente ; elle redescend auprès du Buddha, l'écoute expliquer la Loi et devient srotâäpanna.

(rip AIN, ABS Dr 20 7°;

Un notable de Wang-chô tch'eng ‘Râjagrha) a invité le Bud-

dha à venir chez lui pour lui faire des offrandes. A cause de cette

bonne action, il renaît en qualité de deva.

CTrip:; XINS 10h26 r0:)

Un bhiksu, qui était un arhat, vient mendier à la porte d’une famille dont l'occupation consistait à presser des cannes à sucre ; la femme du fils de cette famille met un gros mor- ceau de canne à sucre dans son bol. La belle-mère, irritée de cette libéralité, frappe sa bru à coups de bâton et la tue. La jeune fenime renaît dans la condilion de devi.

401.

(Trip., XIV, 10, pp. 20 r°-v°.)

Autrefois dans la ville Chü-wet (Crâvasti), ily avait une femme qui, assise à terre, broyait des parfums. Sur ces entrefaites, le Buddha entra dans la ville ; quand la femme le vit, elle conçut une pensée de joie et oignit les pieds du Buddha avec le parfum qu’elle était occupée à broyer.

ONGLES

TSA PAO TSANG KING (N° 404) 37

Plus tard, quand sa vie eut pris fin, elle obtint de naïitre en haut parmi les devas ; le parfum de son corps se sentait au loin et se propageait jusqu'à quatre mille /: de distance. Comme elle était allée se réunir à l’assemblée dans la salle de la bonne Loi, le souverain Cakra l'interrogea par cette gâthà : |

Quelle œuvre productrice de bonheur avez-vous faite

autrefois pour que votre corps émelle ce parfum exquis,

pour que vous soyez née parmu les devas, el pour que

votre teint ait un éclat semblable à de l'or fondu?

La devi répondit par cette gâthà :

D'un parfum excellent j'ai fait hommage au Vénérable suprême ; j'ai obtenu ainsi un mérile imposant que rien n'égale ; je suis née parmi les trente-trois dieux (Tray- astrimças), et je reçois de grandes joies ; mon corps émet toutes sortes de parfums exquis qui se font sentir à cent yojanas de distance ; tous ceux qui sentent ces par- fums en éprouvent un grand bénéfice.

Alors la devi se rendit auprès de l'Honoré du monde; le Buddha lui expliqua la Loi et elle obtint la voie de srotà- panna ; puis elle retourna parmi les devas.

Les bhiksus demandèrent {au Buddha): « Quelle action productrice de bonheur a-t-elle accomplie autrefois pour qu’elle aitobtenu de naître parmi les devaset pour que son corps soit ainsi parfumé ? » Le Buddhaleur répondit : « Au- trefois lorsque cette devi était parmi les hommes, elle oignit de parfums mes pieds; c’est pour cette raison que, après sa mort, elle est née parmi les devas et a reçu cette récompense. » | |

CET XIV 10, pr 20v0)

Dans le royaume de Gravâsti, le notable Siu-la (Sudatta) pro- met une récompense de cent mille onces d’or à qui prendra son

38 TSA PAO TSANG KING

refuge auprès du Buddha. Une servante l'entend et prononce la formule, À sa mort, elle renaît parmi les devas Trayastrimças,

(Trip, XIV; 10, p. 20°)

Une pauvre mendiante demande l'aumône au Buddha qui or- donne à Ananda de lui donner un peu de nourriture ; en recevant ce don, elle conçoit un sentiment de joie et, à cause de cela, elle renaît, après sa mort, parmi les devas.

(Trip. XINS10; Dr 24-12)

Une servante qui doit apporter de la nourriture à son maître, rencontre le Buddha et lui donne les provisions dont elle est chargée ; elle retourne à la maison, reprend de la nourriture et repart; mais elle rencontre Çâriputra et Maudgalyäyana et leur donne ses provisions ; elle revient encore une fois à la maison, prend de nouvelles provisions et les apporte à son maître. Quand le maître rentre chez lui, il demande à sa femme pourquoi elle lui a envoyé si tard la servante ; celle-ci est interrogée et avoue ce qu'elle a fait ; son maître la bat ; elle meurt et renaît en qua- lité de devi.

| |

(Prin ANA 0 pr)

Le roi Bimbisära avait élevé pour le Buddha un stûüpa et un temple ; un notable aurait voulu l’imiler mais, n’en ayant pasles moyens, 1l édifie une salle d'explication à l'endroit le Tathâ- gala avait coutume de passer ; à cause de cette bonne œuvre, il renait en qualité de deva. |

LR NEN AO DD 2 ID EE ve"

Un marchand de la ville de Crâvasti, qui a mis sa maison nou-

TSA PAO TSANG KING 39

vellement construite à la disposition du Buddha, renaît après sa mort dans la condilion de deva.

CPrip:, XIV, 10 pp21 v-221°

Un pauvre homme rapporte chez lui six mesures de farine grillée dont il compte se nourrir avec sa femme et ses enfants. Il rencontre en chemin un religieux mendiant ; il prend une me- sure de farine, en fait une boulette et la lui présente en expri- mant le désir de devenir roi d’un petit royaume. Le çramana accepte son offrande en disant: « Pourquoi si peu ? » Le pauvre homme pense que le religieux trouve son aumône insuffisante ; il fait une boulette avec une seconde mesure de farine et la lui présente en souhaitant devenir roi de deux petits royaumes. Il reçoit la même réponse. [Il fait alors une boulette avec deux me- sures de farine en souhaitant devenir roi de quatre petits royaumes, et enfin 1l fait une boulette avec les deux dernières mesures de farine en souhaitant devenir roi de Vârânasi, com- mander à quatre petits royaumes et obtenir de connaître les vérités saintes. Comme le çramana répond encore que c’est trop peu, 1l lui offre de se dépouiller de ses vêtements et de les échanger contre de la nourriture qu'il lui offrira. Cependant le çramana n’a mangé qu'une seule mesure de farine et rend le reste au pauvre homme; celui-ci demande pourquoi, précé- demment, il a toujours dit que c'était trop peu. Le çramana répond qu'il a voulu dire, non que l'offrande était trop petite, mais que les désirs formulés par le donateur étaient trop modérés. Le pauvre homme conçoit des doutes sur la sincérité de son in- terlocuteur, qui, pour le convaincre de sa bonne foi, doit s'élever dans les airs et accomplir dix-huit transformations surnaturelles. Peu après le pauvre homme est reconnu comme étant le fils d'un ami défunt du roi de Vârânast; il est comblé de faveurs par le roi, et à la mort de ce dernier, il est mis sur le trône à sa place.

(rip, XIV, 40; p. 22:r°-v°.

Une pauvre mendiante à donné à une assemblée de religieux

40 TSA PAO TSANG KING

deux pièces de monnaie qu’elle a trouvées dans le fumier ; sui- vant la coutume, le karmadâna avait prononcé un vœu en sa fa- veur ; mais, comme le sthavira, c'est-à-dire le président de l’as- semblée, n'avait pas entendu ce vœu, il formule lui-même un souhait pour son bonheur futur. La mendiante reçoit les restes de la nourriture du sthavira et se croit amplement récompensée de sa bonne action. Cependant elle s'endort sous un arbre ; la reine du royaume vient à mourir ; on cherche partout qui peut la remplacer et le choix des devins se porte sur la pauvre men- diante qu'un prodige (l'ombre de l'arbre qui reste immobile au- dessus d'elle) désigne à leur attention ; cette femme devient donc reine. Elle fait alors de grandes libéralités aux religieux ; mais le sthavira refuse de prononcer lui-même un vœu en sa faveur et explique sa conduite en disant que ce n’est pas la valeur intrin- sèque de l'offrande qui importe; les deux pièces de monnaie de la pauvre mendiante avaient plus de prix que les riches offrandes de la reine (1).

L

(Frip XIV;.10; pp: 22 v25 1)

Un peintre du royaume de Gandhâra nommé Xïi-na (Karna) a | gagné trente onces d’or après avoir travaillé pendant trois ans. Au moment il se dispose à rentrer dans son pays, il assiste | à une cérémonie de pancavarsa dans la ville de Fou-k'ia-lo (Pus- kalâ vati) ; il demande au karmadäna quels sont les frais que sup- pose l'entretien des moines pendant un jour ; on lui répond que cela coûterait trente onces d'or ; il donne aussitôt tout ce qu'il possède et accomplit cette œuvre pie. Il rentre chez lui entière- ment démuni d'argent. Sa femme l'accuse devant le juge. L’ar- üiste se disculpe en exposant les motifs religieux qui lui ont dicté sa conduite. Le Juge, ravi de sa réponse, se dépouille lui-même de ses vêtements et de ses colliers et les donne à cet homme avec tout son cortège de chevaux de selle et de chars ; il lui at- tribue en outre un village en apanage (2).

(1) Cf. Sûfrälamkära, trad. Huber, 22, pp. 119-128. (2) Cf. Sälrälamkära, trad. Huber, 21, pp. 117-119.

TSA PAO TSANG KING 41

CP AIN 160. 23 KE) Un homme nommé Xi-yi-lo vit dans la pauvreté avec sa femme. Un Jour 1l voit un notable qui va faire de grandes libé- ralités dans un temple ; la nuit venue, tandis qu'il est couché avec la tête appuyée sur le bras de sa femme, il s’afflige de ne pouvoir, à cause de sa pauvreté, faire des libéralités qui lui as- sureraient le bonheur dans ses existences futures; les larmes qu'il verse tombent sur le bras de sa femme ; celle-ci se réveille et, apprenant ce qui cause le chagrin de son mari, lui propose de la vendre comme esclave. Mais il lui répond qu'il ne peut vivre sans elle et tous deux se décident à se vendre ensemble au même maître ; ils vont donc emprunter dix pièces d'or à un no- table, s'engageant à lui livrer dans sept jours leurs personnes s'ils ne lui ont pas rendu l'argent. Le sixième jour venu, ils offrent un repas aux religieux ; cependant le roi du pays aurait voulu inviter les religieux ce même jour ; il demande au mari età la femme de lui céder leur tour, et, comme ils refusent avec obsti- nation, il finit par apprendre qu'ils doivent aller se livrer le len- demain même comme esclaves el qu'ils ne peuvent donc pas présenter leurs offrandes aux religieux en quelque autre jour. Ému de tant de piété et de dévouement, le roi enlève ses vête- ments etses colliers ainsi que ceux de sa femme pour les dgnner à Ki-yi-lo et à sa femme, puis il leur accorde en apanage dix

bourgades (1).

(Trip, XTV; 10, :Dp. 29 n-23;r0.)

Un arhat, sachant par avance que son çrâmanera doit mourir dans les sept jours, lui accorde un congé pour qu'il retourne chez lui et ne revienne qu’au début du septième jour ; le jeune homme part et, sur sa roule, il rencontre des fourmis emportées par le courant d'un ruisseau ; il leur sauve la vie en les retirant de l'eau. À cause de cette bonne œuvre, sa vie est prolongée, et,

(1) Cf. Sûtrâlamkära, trad. Huber, 76, pp. 429-433.

42 TSA PAO TSANG KING

le seplième jour, il revient sain et sauf, à la grande stupéfaction de son maître.

(Trip., XIV, 10, p.22 59) Un devin a prévu qu'un roi du X’ien-l'o-wei (Gandhâra) doit mourir dans les sept jours ; mais, en allant chasser, le roi ren-

contre un vieux stûpa ruiné et ordonne de le restaurer. À cause de celte bonne œuvre, sa vie est prolongée.

(Erin, "XIV 10 p.20 va)

Un brahmane hérétique a prévu qu’un bhiksu devait mourir dans les sept jours ; mais le bhiksu, étant entré dans un monas- tère bouddhique, aperçoit un trou dans le mur et le bouche avec de la boue ; à cause de cette bonne œuvre, sa vie est prolongée.

Chips XIV É06 pre vP:)

Un devin a prédit à un homme que son fils, âgé de cinq ou six ans, devait bientôt mourir. Le père va auprès des six maîtres hérétiques qui sont incapables de lui indiquer le moyen de pro- longer la vie de son enfant; il s'adresse au Buddbha qui, sur ses prières instantes, lui ordonne de placer l'enfant à la porte de la ville pour qu’il rende hommage à lous ceux qui entrent et qui sortent. Or un démon, qui avait pris la forme d’un brahmane, se disposait à entrer dans la ville, lorsque le jeune garçon, placé à la porte, lui rendit hommage ; le démon lui souhaita longue vie. Or ce démon était précisément celui qui tuait les petits garçons et, comme il ne pouvait violer sa parole, il ne put plus tuer l'en- fant puisqu'il lui avait souhaité longue vie. L'enfant fut ainsi sauvé.

Chip NIN #10 ph 2526 r)

Un jeune homme pauvre désire renaître parmi les devas trayas-

ANNEE PRE te PEAR

s

TSA PAO TSANG KING (N° 405) 43

trimças, et, pour obtenir ce privilège, il se propose de faire une offrande de nourriture à une assemblée de religieux, ce qui lui coûtera trente onces d’or. Il loue donc ses services à un riche notable pour le prix de trente onces d’or qui devront lui être payés au bout de trois ans.

Le terme étant arrivé, il prépare un grand banquet, à la magni- ficence duquel son maître contribue spontanément, puis il invite les religieux ; mais il se trouve que ceux-ci viennent de recevoir de diverses autres personnes des mets et des boissons en abon- dance; ils n’ont donc plus faim, et, quand ils viennent au banquet, ils prient le jeune homme de leur donner très peu à manger. Le Jeune homme se désole, car il craint que sa bonne actionreste sans résultats. Le Buddha lerassureenluidisantqu'ilsera récompensé, Sur ces entrefaites arrivent cinq cents marchands qui, au retour d’une expédition sur mer ils se sont enrichis, demandent à manger sans que personne dans la ville puisse les nourrir; on les envoie chez le jeune homme qui leur offre le banquet préparé pour les religieux. Reconnaissants envers lui, les cinq cents marchands lui donnent chacun une perle de grand prix. Le jeune homme hésite à accepter ces richesses, mais le Buddha lui dit qu'il peut les prendre sans diminuer en rien la récompense à laquelle il aura droit dans une vie future. Le notable marie sa fille au jeune homme qui devient fort riche et qui reçoit aussi des dons considérables du roi Prasenajit.

A0.

CÉTRIDS AIN A0 per)

Autrefois, quand le Buddha était dans ce monde, il y avait cinq frères brahmanes ; le premier se nommait Ye- chô (Yaças) ; le second se nommait Wou-keou (sans souil- lure Vimala ?) ; le troisième se nommait Aiao-fan-po-lFi Gavämpati) ; le quatrième se nommait Sou-l'o-yi (Sudàyi?). Ces quatre aînés étaient entrés dans les montagnes pour y

44 TSA PAO TSANG KING (N° 405)

étudier la sagesse et ils avaient obtenu les cinq pénétra- tions surnaturelles (abhijñâs). Leur plus jeune frère se nommait #ou-na (Pûürna) ; il vit le Buddha qui mendiait sa nourriture ; aussitôt, il remplit-son bol de bon riz blanc etpur dont il lui fit présent. En ce temps, Fou-na s’oc- cupait constamment à labourer et à semer; ce jour-là, quand il eut fini de labourer et de semer, il retourna dans sa maison ; lelendemain, il sortit et se rendit dans son champ ; il s'apercut alors que, dans ce champ, la moisson qui avait poussé s'était transformée en céréales d'or qui étaient toutes longues de plusieurs pieds ; quand il les eut entiè- rement coupées et récoltées, elles poussèrent de nouveau comme auparavant. Le roi du pays en fut informé et il vint à son tour pour couper et récolter (ces céréales d’or) mais il ne parvint pas à les prendre toutes ; de même ceux qui vinrent en foule pour en recueillir ne purent pas les épuiser. Cependant les frères aînés avaient fait cette réflexion :

« Notre frère cadet Fou-na a-t-il de quoi vivre ou est-il dans la misère ? » Ils vinrent donc ensemble pour le voir etils constatèrent que Ja richesse de leur frère dépassait celle du roi. Ils dirent alors à leur frère cadet : « Vous étiez autrefois fort pauvre ; comment vous êtes-vous en- richi ? » Il leur répondit : « J'ai vu Xiu-Pan (Gautama) ; je lui ai donné un bol de riz et voici la récompense que j'ai obtenue. »

Quand les quatre ainés eurent entendu cette parole, ils en eurent des transports de joie. Ils dirent alors à leur frère cadet : « Fabriquez-nous des pilules de réjouissance; chacun de nous quatre prendra une de ces pilules et en fera don à Aiu-F'an(Gautama) en formulantle don derenaître dans la condition de deva. Si nous n’entendons pas sa Loi, nous n’aurons pas le moyen d'être délivrés. » Chacun d'eux s'étant donc chargé d’une pilule de réjouissance, ils se rendirent auprès du Buddha. Le plus âgé d’entre eux prit

fo

TSA PAO TSANG KING (N° 405) 45

une pilule et la déposa dans le bol du Buddha. Le Buddha :\\ 6

Tous les samskäras sont impermanents.

Le second frère prit à son tour une pilule de réjouis-

sance et la déposa dans le bol du Buddha. Le Buddha

dit : Ils ont pour loi d'être produits et de périr.

Le troisième frère aussi déposa une pilule de réjouis- sance dans le bol du Buddha. Le Buddha dit :

Ayant élé produits, ils périssent (4).

Enfin le quatrième frère déposa une pilule de réjouis- sance dans le bol du Buddha. Le Buddha dit:

Leur suppression, c’est le bonheur.

(Les quatres frères) retournèrent alors chez eux. Quand ils furent arrivés dans un lieu solitaire et calme, ils se de- mandèrent mutuellement quelles paroles ils avaient en- tendues ; le plus âgé des frères dit : « J’ai entendu ceci : Tous les samskâras sont impermanents ». Le second frère avait entendu ceci : «Ils ont pour loi d'être produits et de périr ». Le suivant avait entendu ceci: « Ayant été pro- duits, ils périssent ». Le quatrièmefrère avait entendu ceci: «Leur suppression, c'est le bonheur ». En méditant sur cette stance (2), chacun des frères obtint le degré d'anà-

(1) Le texte est fort mal traduit en chinois.

(2) Nous avons ici la fameuse jiormule qui résume l'enseignement du Buddha ; le texte pâli de cette stance se trouve dans le Mahäparinibbâna Sutta (NI, 10: SBE, vol. XI, p:117; cf. ibid.; p.240): La récension sans- crite en a été conservée dans une inscription du Swàt publiée par Bühler (Epigraphia Indica, vol. IV, p. 64); elle se présente sous la forme sui- vante :

ANITYÂ BATA SAMSKÂRÂ UTPÂDAVYAYADHARMINAI UTPADYA HI NIRUDHYANTEF. TESÂM VYUPAÇAMAIT SUKHAM

Nous pouvons ajouter que la même stance figurait dans la recension

46 TSA PAO TSANG KING (N° 406)

gamin. Ils revinrent auprès du Buddha ; ils lui deman- dérent de les faire entrer en religion et ils parvinrent à la voie d'arhat.

406.

(Trip., XIV, 10, pp. 24 v°-25 r°.)

Autrefois, quand le Buddha était dans ce monde, Ta- ngai-lao (Mahäprajâäpati) (4), fit pour lui un vêtement com- plet tissé en fils d’or et l’apporta pour l’offrir au Buddha. Le Buddha lui dit: « Faites-en don à l’assemblée des reli- gieux. » Ta-ngai-lao répliqua : « J'ai nourri de mon lait l’Honoré du monde et j'ai fait moi-même ce vêtement; je suis donc venue le présenter au Buddha dans l’espérance que le Tathâgata me ferait la faveur de l’accepter. Pour- quoi me dites-vous d’en faire part à l'assemblée des reli- gieux ? » Le Buddha répondit: « C’est parce que je désire que ma nourrice obtienne un grand mérite. En voici la raison : l'assemblée des religieux est un champ produc- teur de bonheur, et ce champ a une étendue illimitée. Voilà pourquoi je vous donne cette exhortation. Si vous suivez mon avis, Ce sera comme si vous aviez déjà fait une offrande au Buddha. »

Alors Ta-ngai-lao se rendit au milieu des religieux

sanscrite du Mahäparinirväna Sûtra incorporée à la collection du Dirgha nikâya (version chinoise, Tch'ang a han ting | Trip., XIK, 9, ch. IV, pp. 22 r°]); elle y est mise, comme en pâli, dans la bouche de Çakra. Enfin, dans le Tch'ou yao king, qui est une recension avec commentaires du Dhamma- pada, cette stance est la seconde de la collection (Trip., XXIV, 5, p. 36r°). Ces trois traductions chinoises de la même stance (celle du Tsa pao sang king, celle du Tch'ang a han king et celle du Tch'ou yao king) diffè- rent notablement les unes des autres, mais on devine bien le même ori- ginal sous toutes trois. (1) Tante et nourrice du Buddha.

TSA PAO TSANG KING (N° 406) 47

avec ce vêtement ; elle Le leur offrit en commençant parle Sthavira, mais aucun d’eux n'osa l’accepter ; quand le tour de Mi-le (Maitreya), fut venu, celui-ci accepta le vêtement ; puis, s’en étant revêtu, il entra dans la ville pour mendier. Le corps de Mi-le (Maitreya) présentait les trente-deux marques distinctives et avait la couleur de l’or qui donne la marque rouge quand on le frotte. Quand il fut arrivé dans la ville, la multitude s’empressa pour le voir mais personne ne lui donna rien. Or, il y avait un homme qui était de son métier perceur de perles; quand il vit que personne ne donnait rien à WMi-le (Maitreya), il vint s’age- nouiller devant lui et l’invita ; il l'amena dans sa maison et lui donna à manger. Quand Mi-le (Maitreya) eut fini de manger, le perceur de perles s’assit sur un petit banc devant Mi-le (Maitreya) etlui exprima son désir d'entendre la Loi. Mi-le (Maitreya), qui possédait les quatre forces d’éloquence (pratibhâna), se mit à lui expliquer de toutes sortes de façons la Loi merveilleuse, etle perceur de perles. dans son désir d'entendre et sa joie d’écouter, ne se las- sait point de rester là. Or, auparavant, un notable qui allait marier sa fille, avait loué les services de ce perceur de perles pour percer une perle précieuse et lui avait donné cent mille pièces de monnaie ; en ce moment, le père de la fille qu'on allait marier envoya un messager réclamer sa perle ; mais le perceur de perles, qui se plaisait inten- sément à écouter la Loi, n’avait pas le temps de percer cette perle et répondit qu’on attendit encore quelque peu; au bout d’un moment, on vint faire une nouvelle réclama- tion et cela se passa par trois fois sans qu’on püt obtenir la perle. Alors ce notable se fâcha et vint reprendre sa perle avec l’argent qu'il avait donné. La femme du per- ceur de perles dit avec colère à son mari: « Vous n’aviez rien d'autre à faire ; en un instant vous auriez percé cette perle et vous auriez gagné cent mille pièces de monnaie: à quoi vous sert d'écouter les belles paroles de ce reli-

48 TSA PAO TSANG KING (N° 406)

gieux ? » En entendant ces reproches, le perceur de perles en eut un vifchagrin. Mais Wi-le (Maitreya), qui le savait attristé, lui demanda : « Pouvez-vous m'accompagner jus-

qu'au temple ? ». L'autre répondit qu'il le pouvait et il

vint donc à la suite de Mi-le (Maitreya) dans la résidence des moines. Mi-le demanda alors au sthavira: « Vaut-il mieux pour un homme obtenir la somme totale de cent mille livres d’or ou écouter avec joie l'explication de la Loi? » Aiao-lch'en-jou (Kaundinya) répondit : « Liavan- tage qu'un homme aurait en obtenant cent mille livres d'or ne vaudrait pas celui qu'il aurait s’il donnait un seul bol de nourriture à un observateur des défenses ; plus consi- dérable encore des centaines, des milliers et des myriades de fois serait donc l'avantage qu’il aurait s’il pouvaît, d’un cœur croyant, écouter pendant un moment la Loi. » Puis Mi-le interrogea le second sthavira qui répondit : « L'avan- tage qu’un homme aurait en obtenant cent mille chars pleins d'or ne vaudrait pas celui qu'il aurait s’il donnait un seul bol de nourriture à un observateur des défenses. Combien plus considérable encore sera l’avantage qu'il aura S'il passe un certain temps à écouter la Loi et à y prendre plaisir! » Mi-le interrogea encore le troisième sthavira qui répondit: « L'avantage qu’un homme au- rait en obtenant cent mille maisons pleines d'or ne vau- drait pas celui qu’il aurait en donnant un seul bol de nour- riture à un observateur des défenses. Combien plus considérable sera l'avantage qu'il aura s'il écoute la Loi!» Mi-le interrogea ensuite le quatrième sthavira qui répon- dit: « L'avantage qu’un homme aurait en obtenant cent mille royaumes remplis d'or ne vaudrait pas celui qu'il aurait s'il donnait un seul bol de nourriture à un obser- vateur des défenses. Plus considérable des centaines, des milliers et des myriades de fois sera donc l'avantage qu'il aura s’il écoute la Loi. » Lorsque ce fut le tour d’A-na-lu (Aniruddha) de répondre, il dit : « L'avantage qu’un homme

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aurait s’il obtenait les quatre parties du monde pleines d'or ne vaudrait pas celui qu'il aurait s’il donnait un seul bol de nourriture à un observateur des défenses. Combien plus considérable sera l’avantage qu'il aura s’il écoute la Loi!» Mi-le (Maitreya) répliqua : «O Vénérable, pour- quoi dites-vous que le fait de donner un seul bol de nour- riture à un bhiksu vaut plus que la possession des quatre parties du monde pleines d’or? »

Le Vénérable répondit: « Je vous prouverai que cela est exact par mon propre exemple. Je me souviens qu’au- trefois, il y a de cela neuf millions de kalpas, il y avait un notable et ses deux fils ; l'un de ceux-ci se nommait Li- icha (Rista) ; l’autre se nommait A-li-ich'a (Arista); ce notable leur disait constamment: « Ce qui est élevé s’affaissera ; ce qui est permanent prendra fin; ce qui vit mourra; ce qui est uni se désagrégera. » Le notable devint malade et, quand il fut près de trépasser, il fit cette recommandation à ses fils: « Ayez soin de ne pas vous séparer. Pour prendre une comparaison, une seule fibre ne peut pas attacher un éléphant; mais si on réunit en- semble un grand nombre de fibres,un éléphantne pourra pas les rompre. De même les frères, quand ils sont unis, sont comme plusieurs fibres ensemble. » Après que le notable eut fait ses recommandations à ses fils, il rendit le dernier soupir et mourut.

A cause des ordres de leur père, les deux frères vécu- rent ensemble en se témoignant l’un à l’autre beaucoup de déférence et d’affection. Mais, par la suite, Le frère ca- det se maria et n'eut plus guère de quoi vivre. Sa femme lui dit: « Vous êtes comme l’esclave de votre frère. En effet, les richesses en suffisance pour jouer le rôle de maître de maison, c'est votre aîné qui en dispose. Quant à vous, vous n'avez que juste de quoi vous vêtir et vous nourrir. Si ce n’est pas la condition d’un esclave, qu’est- ce donc? » Elle lui tenait souvent ce langage. Le mari et

II. 1

50 TSA PAO TSANG KING (N° 406)

sa femme concurrent donc le désir de changer de vie et demandèrent au frère aîné de se séparer de lui. Le frère aîné dit à son cadet: « Ne vous souvenez-vous pas de ce que notre père nous a dit lorsqu'il était près de mourir ? » Cependant le frère cadet ne changea pas d'opinion et répéta plusieurs fois sa demande de se séparer de lui. Voyant que la résolution de son frère était bien arrêtée, le frère aîné consentit à la séparation. Ils divisèrent donc par moitié tout ce qu'ils possédaient.

Comme le frère cadet et sa femme étaient jeunes, se livraient aux plaisirs et faisaient des dépenses exagérées, avant qu'il fût peu de temps, ils devinrent pauvres et furent réduits à la misère. Le frère cadet vint alors demander de l'argent à son frère aîné qui lui donna cent mille pièces de monnaie. Peu après être parti en emportant cette somme, le frère cadet eut de nouveau tout dépensé et revint ainsi par six fois, et chaque fois son frère ainé lui donna cent mille pièces de monnaie. Mais, à la septième fois, le frère aîné lui adressa des remontrances en lui disant: « Vous n'avez pas tenu compte des paroles que notre père a pro- noncées au moment de mourir et vous avez demandé à vous séparer de moi. Cependant vous n'avez pas été capa- ble de vous donner la peine de gagner votre vie et vous êtes venu à maintes reprises m'adresser des demandes. Maintenant je vous donne encore cent mille pièces de monnaie, mais, à l'avenir, si vous ne réussissez pas dans vos affaires et si vous venez encore vous adresser à moi, je ne vous donnerai plus rien. »

Après avoir essuyé ces sévères paroles, le frère cadet et sa femme firent tous leurs efforts pour gagner leur vie et petit à petit ils devinrent riches. Le frère aïné au contraire perdit sa fortune et devint graduellement pauvre. Il vint alors implorer son frère cadet; mais celui-ci refusa même de lui donner à manger et lui tint ce langage : « Je croyais, mon frère ainé, que vous étiez toujours riche; êtes-vous

TSA PAO TSANG KING (N° 406) 5l

donc devenu pauvre à votre tour ? Autrefois j'ai eu une

. demande à vous adresser; je me suis vu accabler de repro- ches fort cruels. Maintenant pourquoi venez-vous me

demander quelque chose? » En entendant ces paroles, le frère aîné conçut un chagrin extrême; il fit cette réflexion: « Si des frères nés des mêmes parents se conduisent ainsi l’un à l'égard de l’autre, combien plus mal se conduiront des hommes étrangers les uns aux autres. » Prenant alors en dégoût le cycle des naissances et des morts, le frère ainé ne retourna pas chez lui ; il entra dans les montagnes pour y étudier la sagesse ; avec une intense application il se livra aux pratiques ascétiques. Il obtint de devenir Pratyeka Buddha.

Par la suite, le frère cadet à son tour redevint graduelle- ment pauvre, et, comme une disette était survenue dans le monde, il vendait du bois mort pour gagner sa vie. Or le Pratyeka Buddha entra dans la ville pour mendier sa nourriture, mais il ne trouva rien et ressortit avec son bol vide. En ce moment, l’homme qui vendait du bois mort vit le Pratyeka Buddha qui sortait de la ville avec son bol. vide; il désira lui donner un peu de bouillie de millet qu'il avait gagnée en vendant son bois; il dit donc au Pratyeka Buddha : « O vénérable, pouvez-vous manger une nourriture grossière ? » L'autre lui répondit : « Bonne ou mauvaise, elle concourra à pouvoir soutenir mon corps. » Le marchand de bois mort lui donna donc cette bouillie. Le Pratyeka Buddha la reçut et la mangea; après qu’il l’eut mangée, il s’éleva en volant dans les airs et fit dix-huit transformations miraculeuses; puis il revint à la même place.

Le marchand de bois mortse remit à ramasser du bois; sur la route il vit un lièvre et le prit avec son bâton; le lièvre se transforma aussitôt en un homme mort qui sou- dain se leva et vint saisir par le cou l'homme qui récol- tait du bois; celui-ci chercha de toutes les facons pos-

52 TSA PAO TSANG KING (N° 406)

sibles à le repousser et à le faire partir, mais il ne par- vint pas à se dégager. Il enleva ses vêtements pour les donner en paiement à un autre homme afin que celui-ci tirât et enlevât le mort; mais cet homme non plus ne put le détacher. Comme cependant l'obscurité était venue, le vendeur de bois revint chez lui en portant le mort sur son dos. À peine fut-il arrivé dans sa demeure que le mort relâcha de lui-même son étreinte et tomba sur le sol il devint un homme en or véritable. Alors le ven- deur de bois détacha en la tranchant la tête de l’homme d'or; cette tête redevint aussitôt vivante. Il lui coupa de même les mains et les pieds, et mains et pieds redevin- rent vivants (1). Au bout d'un moment, la tête d’or et les mains d’or remplirent toute la chambre et s’amassèrent en un grand tas. Les voisins avertirent les magistrats que, dans la maison de ce pauvre homme, il y avait ce tas d’or qui s'était produit spontanément. Le roi fut informé de la chose et envoya un messager faire une enquête à ce sujet; quand cet émissaire arriva dans la chambre, il vit seulement les mains, les pieds et la tête en décomposition du mort. Mais l’homme qui ramassait du bois prit lui-même la tête d’or et vint l’offrir au roi ; elle se trouva être en or véritable. Le roi très joyeux

Gin du 2h

=, À "vds acte été het

proclama que cet homme était producteur de bonheur; il lui donna donc en fief des villages.

Plus tard, quand la vie de cet homme prit fin, il rena- quit dans le second ciel et devint Cakra souverain des devas. Puis il descendit naître parmi les hommes et fut un saint roi cakravartin; il fut ainsi sans aucune inter- ruption roi des devas ou roi des hommes pendant quatre-

(1) Le récit est ici peu clair; on ne voit pas bien à quel moment la tête et les membres qui ont repris vie redeviennent des blocs d’or. fl semble que ces morceaux de corps humain aient l'aspect de chair, par exemple pour le messager du roi qui viendra les voir, mais qu'en même temps ils soient en or véritable pour l’homme dévot.

TSA PAO TSANG KING (N°s 406-407) 53

xvingt-onze kalpas. Maintenant, dans cette dernière exis- ….… tence, il est dans la race des Çâkyas. Le jour de sa

naissance, sur un espace de quarante /r, des joyaux cachés jaillirent d'eux-mêmes hors du sol. Plus tard, il devint grand; (il n’est autre que moi, Aniruddbha ;) or, mon père et ma mère aimaient mieux mon frère aîné Che-mo-nan (le Câkya Mahânâman); ma mère, voulant un jour mettre à

l'épreuve ses fils, nous envoya dire qu’elle n’avait rien à nous donner à manger. Moi, Aniruddha, je répondis : Apportez-moi seulement un récipient sans aucune nour- riture. » On me donna donc un vase vide; or ce vase vide se

remplit spontanément d'aliments de saveurs variées. À sup- poser qu'on eût les quatre parties du monde pleines d’or etqu'on s'en servit pour se nourrir, cet or ne suffirait pas à assurer cette nourriture pendant un seul kalpa. Combien plus importante a être la cause qui a fait que, pendant quatre-vingt-onze kalpas, j'ai constamment joui de la féli- cité. Si maintenant j'ai obtenu cette nourriture qui se pro- duit spontanément, c'est parce que, dans une existence antérieure, j'ai fait ce don d’un bol de nourriture; voilà pourquoi présentement j'ai obtenu une telle récompense. Depuis les Buddhas et en descendant jusqu’au ciel de Brahma, tous ceux qui observent avec pureté les défenses, on les appelle les observateurs des défenses (1). Quand le perceur de perles eut entendu ces paroles, il en eut une grande joie.

NO:

CRrIp XIV 108 pp: 290-2740)

Voici ce que j'ai entendu raconter (2): Un jour, le

(1) Cette phrase est une glose pour expliquer le terme « l'observateur des défenses, » terme dont il a souvent été question plus haut. (2) Comme l'indique cette formule initiale, nous avons affaire ici à un

54 TSA PAO TSANG KING (N° 407)

Buddha se trouvait dans le royaume de Mo-kie-Pi (Ma- gadha). Au sud (1) de la ville de Wang-chô-lch'eng (Ràja- grhapura), il y avait un village de brahmanes qui était appelé « Forêt d'âmras (2) »; le Buddha se tenait au nord

de ce village, dans une caverne de la montagne P'i-Fi-hui (Vediyaka); or le souverain Çakra apprit que le Buddha était et c'est pourquoi il dit au prince des Gandharvas P'an-chô-che-k'i (Pañcaçikha) (3) : « Dans le royaume de Mo-kie-Pi, au nord du village nommé « Forêt d'âmras », est la montagne P'i-Fi-hi; l’'Honoré du monde se trouve là. Allons avec vous et les autres lui rendre visite ». Le prince des Gandharvas P'an-chô-che-k'1 répondit : « Oui, certes, c’est une excellente entreprise ». Tout joyeux de ce qu'il venait d'apprendre, il prit donc un luth de lieou-li (vaidurya) et se rendit, en compagnie du souverain Cakra, à l'endroit se tenait le Buddha. En ce moment, tous les devas, apprenant que Le souverain Gakra, avec

véritable sûtra. Ce sûtra se retrouve dans plusieurs collections : le Digha nikâya pâli (n° 21 Sakka Pañha suttanta); Dirghâgama sanscrit, version chinoise (Nanjio 545; Trip. XII, 9, sûtra 14, p. 51 v°-5tr°); Madhya- mâgama sanscrit, version chinoise (Nanjio, 542; Trip., XII, 6, sûtra 134, pp. 59 r°-63 ve). Il en existe de plus en chinois une version isolée due à Fa-hien des Song (Nanjio, 924; Trip., XII, 8, pp. 50 r°-53 v°.). Cf. encore SPENCE HarDy, Manual of Buddhism, p.288. La scène de l’'Indra-cilà- guha est représentée à Barhut (CUNNINGHAM, p. 88, pl. XXVIIT); M. Senart : l'a reconnue également dans une grotte de Singimaus visitée par M. Donner (Journal Asiatique, mars-avril 1900, pp. 355-357).

Dans les notes suivantes, j'aurai recours, pour indiquer les variantes aux sigles que voici: Tp. Tsa pao tsang king; Dn. = Digha nikâya pâli ; Dg.=— versionchinoise du Dirghägama sanserit; Mg. = version chinoise du Madhyamâgama sanscrit : Fh. = version de Fa-hien.

L'obligeant appui de M. Sylvain Lévi m'a été tout particulièrement utile dans la traduction de ce texte qui présentait de réelles difficultés.

(1) Dn., Mg., Fh., à l'Est; l'indication manque dans Dg.

(2) Pàali: Ambasanda.

(3) Fh. traduit ce nom par les mots 7r A «les cinq chignons ». Mg. traduit par TL. fE « les cinq torsades », et, en outre, désignant les Gand- harvas par le terme de #f#& « les joyeux », il écrit 77 + « Le Gandharvaputra Pañtaçikha ». Dg. transcrit ce nom au moyen des ca- ractères ff JE % « Pan-chü-yi ».

TSA PAO TSANG KING (N° 407) 55

le prince des Gandharvas et avec d’autres personnes, se

proposait d'aller à l’endroit était le Buddha, se parèrent chacun de ses plus beaux atours, et, suivant le souverain

_ Çakra,s’élevèrent dans les cieux si haut qu'ils disparurent.

Quand ce cortège arriva à la montagne P'i-Pi-hi (Vedi- yaka), il se produisit dans les montagnes une vive clarté qui illumina tout, en sorte que les gens voisins de cette montagne (1) crurent tous que c'était l’Éclat de feu (2). Le souverain Çakra dit alors au prince des Gandharvas : « Ce lieu est pur et éloigné de tout mal; c’est un a-lien-J0 (aranya); le Buddha y vit dans le calme et la retraite pour rester assis en contemplation. Or maintenant, tout autour du Buddha, il ya une multitude de devas haute- ment vénérables qui se pressent de manière à remplir tout l’espace qui est à ses côtés. Comment donc pourrons- nous nous acquitter de notre visite à l'Honoré du monde ? » Le deva Gakra dit alors au prince des Gandharvas : «Il vous faut aller de ma part auprès du Buddha pour lin- former de nos intentions et lui dire que nous désirons l'interroger respectueusement ».

Quand le prince des Ganharvas eut reçu ces instruc- tions, il partit; ne se tenant ni trop loin ni trop près, il con- templa avec admiration le visage du Vénérable; il saisit alors son luth et en joua de manière à ce que le Buddha pût l'entendre; puis il prononça ces gâthäs (3) :

(1) Lisez [[] aulieu de fill: d'après toutes les autres rédactions.

(2) Dn., Mg. et Fh. se bornent à signaler l'éclat extraordinaire de la montagne. Seul Dg. en indique expressément la cause en disant que Île Buddha était entré dans le samädhi de l'éclat du feu. Notre texte occupe une position intermédiaire par l'emploi des mots Je % qui évoquent l'expression technique J Hk « Samädhi de l'éclat de feu ».

(3) Comme on le verra par la suite du récit, ces stances ne s'adressent point au Buddha. Elles sont une déclaration d'amour que Pañëaçikha avait faite pour une jeune fille. Elles ne sont chantées ici que pour éveiller l'attention du Buddha.

Ces stances contiennent, mais disposé dans un autre ordre, l'essentiel des stances que présente la rédaction pâlie.

56 TSA PAO TSANG KING (N° 407)

4. Quand la passion s'allache à un objet, elle est comme l'éléphant qui s'enlise dans la vase, ou encore comme l'éléphant ivre que le croc (du cornac) ne peut

plus maîtriser.

2. Comparable à un arhal qui concentre son admira- lion dans la merveilleuse Loi, tel ainsi est mon désir de votre beaulé.

3. Avec respect je rends hommage à votre père ; parce que vous êles née dans une noble condition, mon cœur sent redoubler son amour et sa joie.

4. Vous avez pu au plus haut point faire naître et déve- : lopper mon amour. Comme un homme en sueur qui trouve une brise fraîche, comme un homme alléré qui oblient une boisson glacée, ainsi je prends plaisir à voir votre corps, el je suis encore comme un arhal qui reçoil la Loi bienheureuse.

5. De même qu’on donne un bon remède à un malade, , de même qu'on procure de l'excellente nourrilure à un affamé, promplement éloignez ma fièvre avec votre pure fraicheur. Maintenant mon désir va se donner carrière au galop ; il n’étreint le cœur et ne le lâche pas. 4

Le Buddha dit : « Fort bien, à Pañcaçikha; vous avez maintenant fait entendre cette mélodie en y joignant har- monieusement les sons des cordes et des flûtes; en ne vous tenant ni trop loin ni trop près, vous avez chanté ces gâthàs ». (Pañcaçikha) dit alors au Buddha : «I ya quelque temps de cela, je rencontrai une sage jeune fille ; elle se nommait Sieou-li-p'o-lche-sseu (Sûryavarcasi); elle était la fille de Tchen-feou-leou (Tamburu), roi des X1en-ta-

p'o (Gandharvas). Or Che-k'ien-tche (Cikhandi), fils du deva Mo-lo-lo (Mâtali), avait déjà auparavant recherché cette fille en mariage. Étant alors épris d'elle, je lui adressai ces gâthâs et maintenant je les répète en présence du Buddha».

Le souverain Cakra se dit : « Le Buddha s’est éveillé de

la contemplation et maintenant il converse avec Pañtä-

TSA PAO TSANG KING (N° 407) 57

cikha. » Le souverain Gakra dit derechef à Pañcâçikha :

« Maintenant, annoncez mon nom ; adorez, en vous pros- ternant, les pieds du Buddha et demandez (de ma part) de ses nouvelles à l’'Honoré du monde : N’a-t-il ni maladie ni chagrin ? Tous ses actes sont-ils aisés ? Ce qu’il mange et boit lui convient-il ? Sa force vitale est-elle calme et joyeuse? N’a-t-il aucun mal? Reste-t-il tranquille et heureux ? » Pañ- caçikha répondit qu'il le ferait, et, quand il eut reçu ces instructions de Gakra,il retourna derechef auprès du Buddha ; il prononça le nom du souverain Çakra, et, ado- rant les pieds du Buddha, il demanda de ses nouvelles à l’'Honoré du monde en répétant les paroles du souverain Çakra. Le Buddha lui dit à son tour : « Le souverain Cakra et tous les devas sont-ils tranquilles et heureux ? » Pañacçikha reprit : « O Honoré du monde, le souverain Çakra et les trente-trois devas (les devas trayastrimças) désirent voir le Buddha ; les autorisez-vous à venir en votre présence ? » Le Buddha dit : « C’est exactement le moment pour cela ».

Quand le souverain Cakra et les trente-trois devas eurent entendu l’ordre que leur donnait le Buddha, ils se ren- dirent auprès de celui-ci, adorèrent en se prosternant les pieds du Buddha et se tinrent debout rangés de côté, puis ils dirent au Buddha : « Honoré du monde, en quel lieu nous assiérons-nous. » Le Buddha répondit : « Asseyez- vous sur ces sièges. Mais, dirent-ils, cette caverne est fort petite et la foule des devas est extrêmement nom- breuse. » À peine eurent-ils prononcé ces paroles qu'ils virent la caverne de pierre s’agrandir, et, par la puissance redoutable du Buddha, devenir capable de contenir un grand nombre de personnes.

Le souverain Cakra,ayant adoré les pieds duBuddha, s'as- sit en avant, puis il ditau Buddha : « Pendant longtemps(1)

(1) Le chinois traduit littéralement l'expression « dirgharâtram »

58 TSA PAO TSANG KING (N° 407)

j'ai désiré voir le Buddha, car je souhaitais entendre la Loi. Auparavant déjà, lorsque le Buddha était dans le royaume de Chü-wei (Grâvasti) et était entré dans le samadhi de l'éclat de feu, il y eut une servante de P'i-cha-men (Vaiçra- mana) nommée Pou-chü-pa-Fi (Bhujavati) (1), qui était tournée les mains jointes vers le Buddha. Je dis alors à cette servante de P’i-cha-men (Vaiçramana) : » Le Buddha est maintenant en contemplation ; je n’ose pas le déranger. Adorez de ma part les pieds de l’'Honoré du monde et dites-lui que je lui demande de ses nouvelles. » Cette fille, répétant mes paroles, vous adora et demanda de vos nouvelles. »

Le Buddha dit au souverain Çakra : « En ce temps, j’en- tendis le son de vos voix, et, peu detemps après, je sortis de contemplation. »

Le souverain Çakra dit au Buddha : « D'après ce que j'ai entendu dire à des personnes expérimentées (2), lorsque le Tathâgata, l’Arhat, le Samyaksambuddha apparaît dans le monde, la foule des devas augmente et celle des asuras diminue.Or aujourd’hui quelqu'un qui m'est apparenté est comme deva; la foule des devas s’est augmentée et celle des asuras a diminué. J’ai vu maintenant que les disciples du Buddha qui ont obtenu de naitre en qualité de deva l’em- portent en trois choses sur Jes autres devas : leur longévité est supérieure, leur éclat est supérieur, leur nom est supé- rieur. Voici maintenant en effet qu’une fille des Càkyas Xiu-

«longue nuit »; mais cette expression signifie simplement « depuis long- temps ».

(1) Fh. traduit ce nom par 4} He « beaux bras »; cette traduction ga- rantit la restitution sanscrite Bhujavati pour Pou-chü-pa-Fi et nous permet de reconnaître la même lecture sous les variantes des manus- crits du Dn. (Bhuñjati, Bhujati). Mg. donne la leçon #E FE] JS (sanscrit Bhamjana) qui paraît provenir d'une graphie altérée. Dg. ne donne pas le nom de la jeune fille et substitue Virüdhaka FE #fj à Vaicramana.

(2) D'après Dg., il s’agit des devas qui avaient de l'expérience au temps (akra n'était encore qu'un petit personnage.

TSA PAO TSANG KING (N° 407) 59

p'i-ye (Gopikà) (1) est née parmi les devas trayastrimças ; elle avait été auparavant disciple du Buddha ; elle est de- venue le fils de moi, le souverain Cakra, et son nom est le devaputra Æ’iu-ho (Gopà). D'autre part, ily a trois bhiksus, qui, en présence du Buddha, avaient tenu la conduite brah- mique; mais leur cœur ne s'était pas affranchi des désirs ; aussi, lorsque leur corps s’était détruit et que leur vie avait pris fin, étaient-ils nés chez les Gandharvas, et, chaque jour aux trois moments de la journée, étaient-ils chargés de servir les devas. Quand le devaputra AX'iu-ho (Gopà) vit ces trois hommes qui remplissaient l'office de serviteurs, il dit : « Je m'afflige de voir cela et je ne puis le supporter. Autrefois, lorsque j'étais dans la condition humaine, ces trois hommes venaient constamment chez moi et recevaient mes offrandes. Or maintenant, ils sont les serviteurs des devas ; c’est un spectacle que je ne saurais

. voir. Ces trois hommes étaient primitivement des disci-

ples entendant la voix (çrâvaka) du Buddha ; lorsque j'étais dans la condition humaine, ils recevaient de moi des hom- mages, des offrandes, de la nourriture, des vêtements. Maintenant, ils sont tombés dans une situation humble. »

« Vous avez entendu {leur dit-il), la Loi de la bouche du Buddha et le Buddha lui-même vous a donné des explica- tions. Comment se fait-il que vous soyez nés dans cette condition vile ? Autrefois je vous vénérais et je vous fai- sais des offrandes. Or,le Buddha m'a fait entendre la Loi et m'a appris à pratiquer la Jibéralité; j'ai cru à la doctrine des causes ; c'est pourquoi maintenant je suis devenu le

(2, La leçon FF x de Tp. est certainement fautive et il faut lire & Àx, garanti par les versions chinoises et confirmé par le pali. Le nom de la fille est écrit Æ JP dans Tp., EE #k& dans Dge., HE HE dans Mg., et enfin ilest traduit par 3% fj dans Fh. ; cette dernière leçon se fonde vraisemblablement sur une étymologie pédantesque de Gopi ou Gopikà (la bergère) interprété par un des sens secondaires du verbe gup = cacher.

60 TSA PAO TSANG KING (N° 407)

fils du souverain Çakra; j'ai une grande vertu redoutable; je possède la force et l'indépendance (içvara); les devas me donnent tous le nom de X'iu-ho (Gopà). Vous qui avez reçu la Loi triomphante du Buddha, commentse fait-il que vous n'avez pas pu vous appliquer de tout votre cœur à pratiquer la bonne conduite et que vous soyez nés dans cette condition inférieure ? Je ne puis supporter de voir un spectacle si fâcheux ; une telle chose, j'ai du déplaisir à la voir. Comment se fait-il que, participant à la même Loi que moi, vous soyez nés dans cette situation vile qui est indigne de disciples du Buddha? Quand le devaputra K'iu-ho leur eutadressé ces réprimandes, ces trois hommes furent pénétrés de confusion ; ils conçcurent des senti- ments de dégoût pour le mal, et, joignant les mains, ils dirent à A’iu-ho (Gopà) : « S'il en est comme vous venez de le dire, à devaputra, c’est en vérité par notre faute. Maintenant, il nous faut supprimer entièrement cette per-

versité de nos désirs, nous appliquer de toutes nos forces à progresser dans l'excellence (virya) et pratiquer la fixité (samädhi) et la sagesse (prajñà). » Ces trois hommes con- centrèrent donc leur pensée dans la Loi de KXiu-lan (Gautama); ils aperçurentles maux passés causés par leurs désirs et ils s’affranchirent aussitôt des liens du désir ; tout comme un grand éléphant qui se libère de ses en- traves, ils rompirent avec leurs désirs sensuels (1). » Cependant le souverain Cakra, accompagné du deva Yi-chang-na (Içàna), ainsi que de la foule des autres devas et des quatres devaràäjas gardiens du monde (lokapâla), étaienttous venus s'asseoir sur les sièges (qui leur avaient été indiqués). Or les trois qui s'étaient affranchis des dé- sirs, S'élevèrent dans les airs en présence de tous les devas. Le souverain Cakra dit au Buddha : « Quelle Loi ont obtenue ces trois pour être capables d'accomplir ces mi-

(1) Ici finissent les paroles de Çakra.

TSA PAÔ TSANG KING (N° 407) 61

racles de toutes sortes et pour venir voir l'Honoré du monde ; je souhaite vous demander ce qu'ils ont obtenu. Le Buddha répondit : « Ces trois, après avoir quitté ce monde, ont obtenu de naître dans le monde brah- mique. »

(Çakra :) « Je voudrais que l’'Honoré du monde m’expli- quât la Loi qui les à fait naître dans le monde brah- mique. »

(Le Buddha :) « Très bien, sage souverain Cakra. Je résoudrai le doute que soulève votre question. »

Le Buddha fit alors cette réflexion : « Le souverain Cakra ne cherche pas à me tromper ; c’est en toute sincérité qu'il m'interroge sur ce qui le plonge dans le doute ; il n’a pas l'intention de me mettre dans l'embarras. Je lui donnerai donc des explications. »

Le souverain Cakra demanda au Buddha : «Quels sont les liens (samyojana) qui peuvent entraver les hommes, les devas, les nâgas, les yaksas, les gandharvas, les asu- ras, les garudas, les mahoragas ? »

Le Buddha lui répondit : « L'égoïsme (mâtsarya) et la jalousie (irsyà) sont les deux liens qui entravent les. hommes, les devas, les asuras, les gandharvas et les autres. D'une manière générale, les êtres de toutes sortes se lient eux-mêmes par l’égoïsme et par la jalousie (1) ».

(Gakra :) « Cela est vrai, à deva entre les devas; les causes qui sont l’égoiïsme et la jalousie peuvent entraver tous les êtres ; maintenant que j'ai entendu de la bouche du Buddha cette explication, le filet du doute est enlevé et j'en conçois une joie profonde. Je demanderai encore une autre explication : pourquoi naissent l’égoisme et la jalou- sie ? Pour quelle raison et pour quelle cause peut-on con- cevoir l’égoisme et la jalousie ? Par quelle cause naissent- ils ? Par quelle cause disparaissent-ils? »

(1) Ce passage sur les liens se retrouve cité d'après les questions d'Indra (Cakrapraçna) dans le Mahävastu (éd. Senart, t. 1, p. 350).

62 TSA PAO TSANG KING (N° 407)

(Le Buddha :) « O Æiao-che-kia (Kauçika) (1), c’est du dé- plaisir (apriya) et du plaisir (priya) que naissent l’égoisme et la jalousie. Le déplaisir et le plaisir, sont les causes. Quand il ya déplaisir etplaisir, certainement il y a égoïsme et jalousie; quand il n’y a ni déplaisir ni plaisir, l’égoiïsme et la jalousie sont abolis. »

(Gakra) : « Il en est bien ainsi, 6 deva entre les devas ; maintenant que j'ai entendu de la bouche du Buddha cette explication, le filet du doute est enlevé et j’en conçois une joie profonde. Je demanderai encore une autre explication: Par quelle cause se produisent le plaisir et le déplaisir ? Par quelle cause sont-ils abolis ? »

(Le Buddha) répondit : «Le plaisir et déplaisir naissent de l'appétit (Chanda) ; quand il n’y a pas d’appétit, l’un et l’autre sont abolis ».

(Cakra) : « Il en est ainsi, Ô deva entre les devas. Mainte- nant que j'ai entendu de la bouche du Buddha cette expli- cation digne de foi, le filet du doute est enlevé et j’en conçois une joie profonde. Je demanderai encore une autre explication: par quelle cause naît l'appétit? par quelle cause augmente-t-il ? Comment peut-on le détruire? »

Le Buddha dit: « L’appétit naît du raisonnement dis- cursif (vitarka) (2) : c’est par le raisonnement discursif qu'il augmente ; quand il ya raisonnement discursif, il y a appé- tit; quand il n'ya pas de raisonnement discursif, l'appétit est aboli. »

(Gakra) : « Il en est bien ainsi, à deva entre les devas. Maintenant que j'ai entendu de la bouche du Buddha cette explication, le filet du doute estenlevé et j'en conçois une joie profonde. Je demanderai encore une autre explica- tion : d'où naîtle raisonnement discursif? par quelle cause est-il augmenté ? Comment peut-on l’abolir ? »

(1) KauGika est un des noms de Çakra. eTo. SE fi; Me 5; De. M; Ph. ÉE aÿ.

TSA PAO TSANG KING (N° 407) 63

(Le Buddha) : « Le raisonnement discursif naît du jeu des combinaisons (prapañca) (1); c’est par le jeu des com- binaisons, qu’il augmente ; s’il n’y a pas de jeu des combi- naisons le raisonnement discursif est aboli. »

(Cakra): « Il en est bien ainsi,6 deva entre les devas.Main- tenant que j'ai entendu de la bouche du Buddha cette expli- cation, le filet du doute est enlevé et j'en conçois une joie profonde. Je demanderai encore une autre explica- tion : Pourquoi naît et augmente le jeu des combinaisons ? Comment détruit-on le jeu des combinaisons ? »

Le Buddha dit à X1ao-che-kia (Kauçika) : « Si on désire détruire le jeu des combinaisons, il faut pratiquer le che- min correct avec ses huit branches {astängika mârga) qui sont : vue correcte (samyagdrsti), action correcte (samyak- karmânta), parole correcte, (samyagväk), vie correcte (samyaksamkalpa), moyens d'existence corrects (samya- gâjiva), application d'esprit correcte (samyagvyäyäma), mémoire correcte (samyaksmrti)}, méditation correcte (samyaksamädhi). »

Quand le souverain Gakra eut entendu cela, il dit au Buddha: « Il en est bien ainsi, Ô deva entre les devas; c’est réellement par le chemin correct à huit branches que le jeu des combinaisons est anéanti. Maintenant que j'ai obtenu de la bouche du Buddha cette explication, le filet du doute est enlevé, et moi le souverain Cakra, je suis joyeux. Je demanderai encore une autre explication : si on veut abolir le jeu des combinaisons, c'est en pouvant pratiquer le chemin correct à huit branches. Le chemin correct à huit branches, par quel moyen derechef les bkiksus pourront-ils l’augmenter? »

Le Buddha dit: «Il ya pour cela trois moyens: le pre- mier est le vouloir ; le second est l'application correcte; Le troisième est la maîtrise du cœur par la pratique constante».

(1) Tp. et De. 5 5 Me. É& SE ; Fh. Œ «l'illusion ».

64 TSA PAO TSANG KING (N° 407)

Le souverain Cakra dit: « Il en est bien ainsi, Ô deva entre les devas. Maintenant que j'ai entendu cette explication, le filet du doute est enlevé; la mesure dans laquelle les bhiksus peuvent pratiquer le chemin correct à huit branches, c’est en vérité par ces trois moyens qu’on l’augmente. Maintenant que j'ai entendu cela, je m'en

réjouis. » Le souverain Cakra demanda encore: « Si les bhiksus | veulent détruire le jeu des combinaisons, quels procédés | doivent-ils étudier ? » | Le Buddha dit: «Il leur faut étudier trois procédés : ils doivent étudier comment on augmente et on porte au plus haut degré le cœur qui obéit aux défenses; ils doi- vent étudier comment on augmente et on porte au plus haut degré le cœur quise livre à la méditation ; ils doivent étudier comment on augmente et on porte au plus haut degré le cœur qui est plein de sagesse. » Onand Gakra eut entendu cette réponse, il dit: « Il en est bien ainsi, à deva entre les devas. Maintenant que j'ai entendu cette explication, le filet du doute a pu être enlevé et j'ai des transports de joie. Je demanderai encore une autre explication: si on veut abolir le jeu des com- binaisons, quelles sont les choses (artha) qu'il faut expli- quer (1)? J'écoute. » Le Buddha dit: «Il faut expliquer six choses: la pre- mière est l'œil qui percoit les couleurs ; la seconde est l'oreille qui percoit les sons; la troisième est le nez qui percoit les parfums ; la quatrième est la langue qui perçoit les saveurs ; la cinquième est le corps qui perçoit le doux et le poli; la sixième est la pensée qui perçoit toutes.les lois. » | Quand le souverain Cakra eut entendu cette réponse il dit: «Il en est bien ainsi, à deva entre les devas. Mainte-

(1) Quelles sont les choses dont il importe d'expliquer l'usage parce qu'elles comportent un usage bon et un usage mauvais.

TSA PAO TSANG KING (N° 407) 65

nant que j'ai entendu cette explication, le filet du doute a pu être enlevé et j'en ai des transports de joie. Je deman- derai encore une autre explication : tous les êtres vivants ont-ils même égoïsme (mâtsarya), même appétit violent (éhanda), même orientation et même visée (adhyavasana) ? »

Le Buddha dit: « O souverain Cakra, tous les êtres vi- vants n'ont pas même égoiïsme, même appétit violent, même orientation et même visée. Parmi le nombre illimité des êtres vivants et dans le nombre illimité des mondes, l'égoiïsme (mâtsarya), l’appétit violent (chanda), l’orien- tation et la visée (adhyavasana), diffèrent fort et ne sont pas identiques. Chacun se tient à son opinion, »

Quand le souverain Cakra eut entendu cela, il dit: « Il en est bien ainsi, à deva entre les devas. Maintenant que j'ai entendu cette explication, le filet du doute a pu être enlevé et j'en ai des transports de joie. Je demanderai encore une explication: tous les çramanas et les brah- manes obtiennent-ils entièrement l’absolu achèvement (nisthâ), l’absolue absence de souillure (yogaksema), l’absolue conduite brahmique définitive (brahmacaryâ) ? »

Le Buddha dit: « Tous les çramanas et les brahmanes ne peuvent pas entièrement obtenir l'absolu achèvement, l’absolue absence de souillure et l’absolue conduite brah- mique définitive. Il y a des cramanas et des brahmanes qui sont parvenus à la délivrance sans supérieure qui abolit les liens de la concupiscence ; ceux-là seuls qui auront ainsi obtenu cette parfaite délivrance obtiendront entièrement l'absolu achèvement, l’absolue absence de souillure et l’absolue conduite brahmique définitive. »

(Çakra): « Il en est comme le Buddha vient de le dire ; ceux qui ont pu obtenir la parfaite délivrance, délivrance sans supérieure qui abolit les liens de lamour, ceux-là seuls obtiendront entièrement l'absolu achèvement, l’ab- solue absence de souillure et labsolue conduite brahmique définitive. Maintenant que j'ai entendu de la bouche du

LEE 5

66 TSA PAO TSANG KING (N° 407)

Buddha cette explication, j'ai obtenu cette Loi, j'ai obtenu de franchir les doutes et d'atteindre à l’autre rive, j'ai obtenu d'arracher les flèches empoisonnées des vues héré- tiques ; ayant obtenu d'enlever mes opinions personnelles, mon cœur ne reviendra plus en arrière. »

Au moment ce texte saint fut prononcé, le souverain Gakra et les quatre-vingt mille devas s’éloignèrent de la poussière, s’affranchirent de la souillure et obtinrent la pureté de l’œil de la Loi.

Le Buddha dit: « O ÆXiao-che-kia (Kaucçika), précédem- ment déjà avez-vous posé ces mêmes questions à des cra- manas et à des brahmanes ? »

(Gakra) : « O Honoré du monde, je me souviens qu’au- trefois, et aussi en compagnie de tous les devas, nous nous étions rassemblés dans une salle de l'excellente Loï ; je demandai aux devas si un Buddha était apparu dans ce monde ou non; tous me dirent qu'aucun Buddha n’était encore apparu. Les devas, apprenant qu'un Buddha n'était point encore apparu, se dispersèrent ; or, quand ces devas doués d’une grande vertu redoutable, eurent terminé leur part de bonheur, leur vie prit fin. Je fus alors saisi de crainte. Cependant je vis que des cramanas et des brah- manes se tenaient dans un lieu retiré et calme; je me rendis auprès d'eux; ces Çramanas et ces brahmanes me demandèrent qui j'étais; je leur répondis que j'étais le souverain Cakra. Je ne leur rendis point hommage et ce fut eux au contraire qui me rendirent hommage ; je ne les interrogeai point mais ce fut eux qui m'interro- gèrent. Connaissant ainsi qu'ils étaient dépourvus .de sagesse, je ne pris point en eux mon refuge et mon appui. Maintenant je viens de pour prendre dans le Buddha mon refuge et mon appui et être disciple du Buddha. » Il prononca alors ces gâthâs (1):

(1) Ces stances sont rappelées dans une citation expresse du Sûtrâlam- kara (trad. Huber, p. 231). Mais la forme qu'en donne le traducteur

EN, UT PS

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TSA PAO TSANG KING (N° 407) 67

Auparavant je nourrissais des doules ; mes pensées n'alleignaient pas leur plénitude. Depuis longtemps j'appelais de mes vœux un sage qui pût m'expliquer ces questions douteuses.

Je m'efforçais de chercher le Tathâgata.—J'aperçus dans un lieu retiré et calme des cramanas et des brahmanes el je pensai que était l'Honoré du monde.

Je me rendis donc auprès d'eux ; je les adorat et leur demandai de leurs nouvelles ; puis je leur posai la ques- lion suivante: Comment pratique-t-on le chemin cor- rect?

Or ces çramanas ne surent pas m'expliquer ce qui était le chemin et ce qui n'était pas le chemin. Mainte- nant j'ai vu l’Honoré du monde et les filets de mes doules ont tous élé rompus.

Aujourd'hut il y a donc un Buddha, l'Honoré du monde, le grand maître de la Roue, celui qui détruit el qui soumel les haines de Mâra, celui qui est le suprême vainqueur de tous les lourments.

L'Honoré du monde est apparu dans le monde ; il est un être rare et nul ne l’égale ; parmi tous les devas et les démons, il n'est personne qui vaille le Buddha.

O Honoré du monde, puissé-je obtenir de devenir sro- tâpanna ; à Bhagavat, puissé-je obtenir de devenir sro- tâpanna. »

L'Honoré du monde lui répondit : «Très bien, très bien ; à Kiao-che-kia (Kaucika), si vous êtes sans négligence, vous obtiendrez d’être srotâäpanna. »

Le Buddha dit au souverain Cakra: « En quel endroit avez-vous acquis cette foi indestructible ? »

Gakra répondit: « C’est en ce lieu même, à côté de l’'Honoré du monde que je l'ai acquise. En outre, c’est ici que j'avais obtenu une longue vie de deva; mais je sou-

Kumäârajiva, sinon l’auteur lui-même Acvaghosa, ne correspond en fait à aucune de nos quatre recensions chinoises ni au Digha-nikâya pâli.

68 TSA PAO TSANG KING (N° 407)

haitais l'intelligence complète. Telle est la chose que con- serve ma mémoire (1). »

Le souverain Cakra dit: « O Honoré du monde, voici la pensée que je conçois: puissé-je naître parmi les

hommes, dans une condition haute et honorée, et ayant

toutes choses en abondance. Alors, dans cette situation, je renoncerai au monde et j'entrerai en religion ; je me diri- gerai dans la voie de la sainteté ; sije parviensau nirvâna, ce sera pour le mieux; si je n’y parviens pas, puissé-je naitre parmi les devas de la résidence pure (çuddhà- vâsa) (2). »

Alors le souverain Cakra, ayant réuni tous les devas, leur tint ce langage : « Aux trois moments de la journée, je faisais des offrandes au deva Brahma; mais, doréna- vant, je cesserai d'agir ainsi, et, aux trois moments de la journée, je ferai des offrandes à l’'Honoré du monde. »

Puis le souverain Cakra dit au prince des Gandharvas Pañcacikha : « Présentement, vous m’avez rendu un bien- fait très considérable, car vous avez pu éveiller le Buddha, l’Honoré du monde, et vous avez fait ainsi que j'ai pu le voir et entendre la Loi profonde. Je vais retourner en haut parmi les devas, et je vous donnerai pour épouse la sage Steou-li-p'o-lche-sseu (Sûryavarétasi), fille de Tchen- feou-leou (Tamburu), en outre, je vous chargerai de prendre la place de son père et d’être roi des Gandharvas. »

Alors le souverain Cakra, à la tête de tous les devas,

(1) La rédaction de Tp. est ici fort abrégée comme l’attestent les autres rédactions. En réalité, le Buddha demande à Çakra s'il a jamais éprouvé joie pareille à celle d'aujourd'hui. Çakra répond qu'il a autrefois, lors d'une bataille entre les devas et les asuras, souhaité la victoire des devas, et, comme les asuras ont effectivement été battus, il en a conçu une grande joie. Mais cette joie dont il a gardé‘ le souvenir n’est pas compa- rable à celle qu'il a éprouvée aujourd'hui, car elle ne comportait pas l'in- telligence totale. :

(2) Les dieux cuddhâävâäsas formentla catégorie la plus élevée des mondes.

du Rüpabrahma (Brahma formel ;le pàli nomme à leur place les Akanisthas. (Fh. fi 2 5) qui sont la classe la plus haute des Çuddhävâsas.

LR

TSA PAO TSANG KING (N° 407) 69

tourna par trois fois autour du Buddha et se retira pour partir. Quand il fut arrivé avec ses compagnons dans un endroit pur, tous prononcèrent par trois fois les mots : «Namo Buddhâya! » Puis ils retournèrent en haut parmiles devas. | |

Peu de temps après le départ du souverain Gakra, le roi des devas Brahma, concut cette pensée : « Le souverain Cakra est parti. Je me rendrai maintenant auprès du Buddha. » Dans le temps qu'il faut à un homme fort pour étendre le bras, il arriva près du Buddha; après avoir adoré les pieds du Buddha, il s’assit de côté ; l'éclat du deva Brahma ïlluminait toute la montagne P'i-Pi-hi (Vediyaka). Alors le deva Brahma prononca ces gâthäs :

Pour le bénéfice d'un grand nombre il a fait se mani- [ester ces explications, Catipati (1), Maghavan (2) ; les sages élant rangés au cercle autour de lui, il a pu poser des questions, Väsava (3).

Il répéta les mêmes questions qu'avait faites Le souve- rain Cakra, puis il retourna en haut parmi les devas.

Lorsque le matin fut venu, le Buddha dit aux bhiksus : «Le roi des devas, Brahma, est venu hier auprès de moi et a prononcé les gâthàs précitées, puis il est retourné en haut parmi les devas. » Quand le Buddha eut ainsi parlé, tous les bhiksus furent pleins de joie ; ils adorèrent les pieds du Buddha, puis se retirérent.

CAL DIN TO D er Ne)

Le Buddha, se trouvant à Râjagrha explique la Loi et assure ainsi le salut de Kaundinya, de Çakra Devendra et du roi Bim- bisâra ; en même temps qu'eux, les quatre-vingt-quatre mille

(1) Ce nom d’Indra signifie « époux de Gaëi ». (2) Nom d'Indra. (3) Nom d’Indra.

70 TSA PAO TSANG KING

personnes qui composent la suite de chacun de ces trois person- nages, obtiennent la sagesse. Pour expliquer ce merveilleux ré- sultat, le Buddha raconte un avadâna : Autrefois de nombreux marchands s'étaient vus entourés par un serpent monstrueux qui ne leur laissait aucun moyen d'échapper. Pour les délivrer, un lion monte sur un éléphant blanc et attaque le serpent dont il brise le crâne ; mais le lion et l'éléphant meurent tous deux pour avoir été atleints par l’haleine empoisonnée du serpent. Avant de mourir, le lion souhaite devenir Buddha pour sauver tous les hommes ; les marchands à leur tour souhaitent d’être ceux qui assisteront à la première assemblée tenue par ce Bud- dha futur. Le lion, c’est le Buddha ; l'éléphant blanc, c’est Çàri- putra ; les chefs des marchands ne sont autres que Kaundinya, Cakra Devendra et le roi Bimbisâra ; les marchands sont les devas et les hommes qui ont présentement obtenu la sagesse,

CERIDE XIN AO De 270)

Le Buddha se trouvait dans le jardin des Çâkyas ; il y avait alors dans la ville de Tch'ü-l’eou (char-tête) un homme de la race des Çâkyas, nommé Tch'a-mo, qui avait une fois absolue dans les trois Refuges et dans les quatre vérités saintes ; comme il souffrait d'une maladie des yeux, il invoqua, pour être guéri, l’'Honoré du monde. Celui-ci prononça en sa faveur le sûtra de la vue nette ({sing yen sieou to lo, cuddhanetra sûtra?) et chargea Ânanda de se servir de la formule magique contenue dans ce sûtra pour rendre nette la vue de Tch'a-mo. Par la suite, dans tous les cas de maladie d’yeux, on n'eut plus qu’à employer celte formule magique en remplaçant le nom de 7ch'a-mo par celui de la personne qu'on voulait guérir.

LREDSXIN 410 pe 28/1)

Discours du Buddha sur les sept libéralilés qui peuvent être pratiquées sans avoir à faire aucune dépense. La première est la

ES EN NO

TSA PAC TSANG KING 7

libéralité de la bonne vue par laquelle un homme regarde avec bienveillance son père et sa mère, ses maîtres et ses aînés, les cramanas et les brahmanes; la seconde est la libéralité de l’air avenant qui consiste à avoir l’air avenant envers ces mêmes per- sonnes ; la troisième est la libéralité du langage aimable ; la qua- trième est la libéralité des attitudes prévenantes ; la cinquième est la libéralité des sentiments généreux ; la sixième est la libé- ralité qui consiste à offrir des lits et des sièges pour s'asseoir ; la septième est la libéralité qui consiste à laisser libre accès dans la maison on habite. Celui qui pratique ces sept libéralités reçoit, d'existence en existence, des récompenses appropriées.

CFD AIN AC prre RS)

Autrefois vivait le roi Xia-pou qui commandait aux quatre- vingt-quatre mille royaumes du Jambudvipa; quoique ce roi eût vingt mille épouses, aucun fils ne lui était né; enfin sa principale épouse mit au jour un fils qu’on nomma Tehan-l'an (Candana). Tchan-Pan devint un roi cakravartin et commanda aux quatre parties du monde. Mais ensuite il embrassa la vie religieuse et devint Buddha. Dans ce royaume il y eut une sécheresse prolon- gée ; pour la conjurer, les habitants prirent un grand bassin en or qu'ils remplirent d’eau parfumée ; puis ils invitèrent le Ta- thâgata et l'aspergèrent avec cette eau. Ils recueillirent ce qui restait de cette eau dans quatre-vingt-quatre mille flacons qu'ils répartirent entre les quatre-vingt-quatre mille royaumes, et, pour chacun d'eux, on éleva un stûpa. À cause de cette bonne œuvre, des pluies abondantes survinrent et le pays devint très prospère. Un homme, ayant répandu une poignée de fleurs sur un de ces stûpas, oblint une excellente récompense, car c’est lui qui au- jourd’hui est devenu le Buddha ; de même, tous ceux qui avaient répandu de l’eau parfumée sur le Tathâgata T'chan-Fan et qui ont élevé des stüpas à cause de cette eau, devront tôt ou tard devenir des Buddhas. Il ne faut donc négliger aucune bonne œuvre, quelque minime qu’elle paraisse.

72 TSA PAO TSANG KING (N° 4053)

408. (Trip., XIV, 10, pp. 28 v°-29 r°.)

Autrefois, dans ville de Chü-wei (Grâvasti), il y avait un notable extrêmement riche qui possédait des trésors illimités ; constamment, à tour de rôle, il invitait des çramanas à venir chez lui pour leur faire des offran- des ; en ce temps, dans la série des religieux, ce fut le tour de Chü-li-fou (Câriputra), qui, en compagnie d’un Mo-ho-lo (Mahalla) (1), se rendit chez le notable. Quand celui-ci le vit, il en fut très joyeux. Précisément en ce jour, des négociants (qui étaient à son service) revinrent sainset saufs d’un voyage maritime en rapportant quantité de denrées précieuses ; en ce moment aussi, le roi de ce royaume attribua des villages en apanage à ce notable ; enfin la femme de ce dernier, qui était enceinte, mit au monde un fils. Tous ces événements heureux se produi- sirent en même temps. Quand Chôü-li-fou (Càriputra) et son compagnon furent entrés chez le notable, ils recurent ses offrandes ; puis, lorsqu'ils eurent fini de manger, le notable fit passer l’eau et s’assit sur un petit banc qu'il plaça devant le vénérable. Chô-li-fou (Câriputra) prononça alors ce vœu :

« Ce jour a été une époque excellente vous avez reçu de bonnes récompenses ; des avantages et des événements heureux se sont produits pour vous simultanément ; vous avez eu des transports d’allégresse et votre cœur a été plein de joie; d’un cœur croyant vous avez conçu avec élan la pensée des dix forces ; que toujours à l'avenir il en soit de même qu'aujourd'hui. »

Quand le notable eut entendu ce vœu, il en éprouva

(1) Expression dédaigneuse qui désigne un vieux moine.

TSA PAO TSANG KING (N° 408) 73

un grand plaisir ; il fit alors don de deux pièces d’étoffe d'excellente qualité à Chü-li-fou (Câriputra) ; mais il ne donna rien au Mo-ho-lo. | De retour au temple, le Mo-ho-lo était tout déçu ; il se dit: « Si Chü-li-fou (Câriputra) a reçu aujourd’hui de tels présents, c'est à cause de son vœu qui a plu au notable. Il faut que je lui demande maintenant la formule de ce vœu. » Il alla donc demander à Chü-li-fou(Câriputra) de lui apprendre la formule du vœu qu’il avait prononcé naguère. Chü-li-fou l’avertit que ce vœu ne pouvait pas étre employé en toute occasion et qu'il y avait des cas on pouvait s’en servir et d’autres on ne devait pas s’en servir. Sur les instances du Mo-ho-lo qui suppliait que la formule du vœu lui fût apprise, Chü-li-fou (Câriputra) ne put résister à son désir et lui donna la formule. Quand le Mo-ho-lo eut recu cette formule, il lapprit aussitôt par cœur jusqu’à ce qu'il la sût couramment ; il eut alors cette pensée : « Au moment mon tour sera venu d'être à la place d'honneur, je mettrai en usage cette formule. » Son tour étant donc venu, il se rendit chez le | notable et put être mis à la place d’honneur ; en ce | moment, les négociants du notable avaient perdu toutes | leurs richesses sur mer ; la femme du notable avait été impliquée dans une affaire judiciaire et en outre son fils était mort. Cependant le Mo-ho-lo prononça la formule d’auparavant : « Que toujours à l’avenir il en soit de même. » Quand le notable eut entendu cette phrase, il se mit en colère et, à grands coups de bâton, chassa le Mo-ho-lo hors de chez lui.

Ayant été furieusement battu de la sorte, le Mo-ho-lo, tout chagrin, entra (par mégarde) dans un champ de lin qui appartenait au roi et se mit à fouler aux pieds le lin, en sorte que les tiges furent brisées. [rrité de le voir agir ainsi, le gardien du champ lui administra une volée de coups de fouet et l’accabla de peine et de honte. Après

74 TSA PAO TSANG KING (N° 408)

que le Mo-ho-lo eut été ainsi battu de nouveau, il demanda à celui qui l'avait frappé quelle faute il avait commise pour être battu. Le gardien lui expliqua qu'il avait foulé aux pieds le lin, puis il lui montra l'endroit était le chemin.

Quelques {1 plus loin, en suivant la route, le Mo-ho-lo rencontra un homme qui avait coupé du blé et qui l'avait entassé en meule. La coutume en ce pays était qu'un passant contournât une meule en la contournant par la droite ; on lui donnait alors à boire et à manger afin qu'il demandât l'abondance (aux dieux pour le propriétaire du blé) ; mais, s’il la contournait par la gauche, on estimait que cela portait malheur. Or le Ao-ho-lo contourna la meule en passant par la gauche (1) ; le propriétaire du blé s'irrita contre lui et, à son tour, lui donna des coups de bâton ; le Mo-ho-lo demanda quel péché il avait commis pour être ainsi battu sans raison ; le propriétaire du blé lui répondit: « Lorsque vous avez passé devant ma meule, pourquoi ne l’avez-vous pas contournée par la droite en prononçant le vœu : Qu'il vous en vienne beaucoup ! C’est parce que vous avez contrevenu à nos coutumes que je vous ai battu. » Il lui indiqua alors le chemin qu'il devait suivre.

Un peu plus loin, le Mo-ho-lo rencontra un endroit on enterrait un homme; il contourna le tumulus et la fosse comme il aurait le faire lorsqu'il s'agissait de la meule de blé et prononça ce vœu : « Qu'il vous en vienne beaucoup! qu'il vous en vienne beaucoup ! » Celui quime- nait le deuil, saisi de colère, lempoigna et le rossa, puis il lui dit : « Quand vous voyez un cas de mort, vous devez être ému de compassion et dire : Qu'à l'avenir il ne vous arrive

(1) Précédemment, le Mo-ho-lo s'était vu battre parce qu'il avait quitté le droit chemin et avait été dans un champ de lin; maintenant, il a soin de rester dans le chemin, quoique cela lui fasse contourner la meule de blé par la gauche.

TSA PAO TSANG KING (N° 408) 75

jamais rien de semblable. Pourquoi avez-vous dit au con- traire: Qu'il vous en vienne beaucoup! » Le Mo-ho-lo répondit : « Dorénavant, je suivrai votre conseil. »

A quelque distance de là, il rencontra un mariage, et, comme le lui avait enseigné celui qui suivait les funé- railles, il dit: « Qu'à l'avenir il ne vous arrive jamais rien de semblable. » Aussitôt les mariés, irrités de cette pa- role, lui infligèrent une correction qui lui rompit la tête.

Il continua son chemin en marchant tout hagard à cause des coups qu'il avait recus. Il rencontra un homme qui cherchait à prendre des oies sauvages, et, dans sa terreur et son égarement, il se précipita dans ses filets et, dela sorte, effraya etfit partir ses oies sauvages. Le chasseur furieux se saisit de lui et le battit. Le Mo-ho-lo, souffrant cruellement des coups qu'il avait reçus, dit au chasseur : « En suivant le droit chemin, j'ai plusieurs fois recu des volées de coups; mon esprit s'est égaré, mes pas sont devenus titubants, et c’est ainsi que je me suis précipité dans vos filets ; veuillez me pardonner et me laisser aller plus loin. » Le chasseur lui répondit: « Vous êtes un rustre d'aller ainsi droit devant vous la tête haute (1). Pourquoi n'avancez-vous pas avec précaution en tâtant le terrain avec vos mains ? »

Le Mo-ho-lo se remit en route, et, comme le lui avait conseillé le chasseur, il tâtait le terrain avec ses mains. Or, il rencontra en chemin un blanchisseur qui, en le voyant mar- cher à quatre pattes, crut qu’il voulait lui dérober ses vête- ments ; il l’empoigna donc etle battit derechef. Après avoir enduré des souffrances extrêmes, le Mo-ho-lo lui raconta tout ce que nous avons dit plus haut et put se faire relâcher. Quand il fut arrivé au Jetavana, il dit au bhiksus : « Pré-

(1) Les mots Âf} ÂïË sont embarrassants : le second d'entre eux ne se trouve pas dans le dictionnaire de ÆX’ang-hi qui indique seulement l'expression Âf} 4 dans le sens de tromperie ». Je traduis d'après le

sens que demanderait le contexte.

76 TSA PAO TSANG KING (N° 408)

cédemment, j'ai récité la formule de vœu que m'avait en- seignée Chü-li-fou(Çâriputra) et j'en ai éprouvé de grandes douleurs. » Il leur exposa comment il avait été battu, en sorte que sa peau et son corps étaient tout déchirés et qu'il avait failli en perdre la vie. Les bhiksus l’amenèrent alors auprès du Buddha à qui ils racontèrent comment cet homme avait été cruellement battu.

Le Buddha dit: « Ce n’est pas seulement aujourd’hui que ce Mo-ho-lo à été ainsi prédestiné. Autrefois en effet, il y avait la fille d’un royaume qui était tombée malade. L’astrologue consulta les sorts à ce sujet et déclara qu’elle devait aller parmi les tombes pour se débarrasser de son mal. La princesse donc, avec sa suite, se rendit dans l’en- droit étaient les tombes. Précisément alors il y avait sur la route deux marchands qui, en voyant la fille du rot et le redoutable cortège de ceux qui laccompagnaient, furent saisis de peur et se réfugièrent parmi les tombes. L'un d’eux fut pris par les gardes de la princesse qui lui coupèrent les oreilles et le nez. L'autre, extrêmement eilrayé, se coucha parmi les cadavres et feignit d'être mort. Or, la fille du roi, désirant se délivrer de son mal, voulut qu'on choisit un homme mort récemment, dont la peau ne serait pas encore en putréfaction ; elle désirait s'asseoir sur lui et se laver afin de se guérir de sa maladie (1). Les gens qu'elle envoya faire cette recherche rencontrèrent jus- tement ce marchand ; en le tâtant avec la main, ils s’aperçu- rent que son corps était encore flexible et pensèrent qu’il était mort récemment. (La princesse)se mit donc às’enduire avec de la poudre de moutarde et à se laver en se tenant sur le marchand. Les vapeurs âcres de la poudre de mou-

1) La princesse devait s'asseoir toute nue sur le cadavre d’un homme mort: puis elle se laverait avec certaines drogues qui feraient passer la maladie de son corps dans celui du mort. Pour accomplir ce rite ma-

gique, elle préférait naturellement que le cadavre ne füt pas encore en

putréfaction.

TSA PAO TSANG KING (N° 408) (ès

tarde pénétrèrent dans le nez du marchand qui, malgré tous ses efforts pour se retenir, ne put s'empêcher d’éter- nuer violemment et se leva soudain. Les gens de l’escorte _ pensèrent qu ils avaient fait surgir un démon et, craignant qu'ilne pt leur infliger toutes sortes de maléfices, ils fer- mèrent la porte (du cimetière) et se tinrent contre elle (pour qu'on ne pütla rouvrir). La princesse était dans une situation critique, car le marchand la tenait étroite- ment et ne la lâchait pas; le marchand lui dit la vérité et lui déclara qu'il n’était pas un démon. Alors la princesse, en compagnie du marchand, se rendit à la ville; elle appela le gardien de la porte et lui dit tout ce qui s’était passé ; quoique le roi son père entendit sa voix, il conser- vait quelques doutes ; accompagné de soldats en armes, il fit ouvrir la porte et alla voir ce qui en était ; il reconnut qu'il n'avait point affaire à un démon. Le roi dit alors: « Le corps nu d’une fille ne doit pas être vu deux fois. » Il donna sa filleen mariage au marchand qui fut tout joyeux et eut des félicités sans limites.

Le Buddha dit: « Le marchand qui, en ce temps, obtint la fille du roi, c'est Chü-li-fou (Câriputra) ; celui à qui on coupa les oreilles et le nez, c'est le Ao-ho-lo.….. »

CPR RENE LOoT Dh 290)

Un marchand de l'Inde du Sud qui se connaissait bien en perles parcourt divers royaumes en présentant partout une perle dont personne ne sait discerner les qualités distinctives. Il ar- rive enfin dans le royaume de Crâvasti, mais ni le roi Prasenajit ni ses ministres ne peuvent répondre à ses questions. Il apporte alors la perle au Buddha. Celui-ci lui dit aussitôt : « Cette perle provient de la cervelle du poisson gigantesque Makara; le corps de ce poisson est long de cent quatre-vingt mille /?; cette perle se nomme solidité de diamant (vajrasära?); elle a plusieurs

)

vertus : en premier lieu, si elle est vue par un homme empoi-

78 TSA PAO TSANG KING

sonné ou si son éclat touche le corps de cet homme, le poison se dissipera ; en second lieu, la fièvre disparaîtra de la même ma- nière chez un homme fiévreux ; en troisième lieu un homme qui est entouré d'ennemis, s'il tient en mains cette perle, ne trouvera plus devant lui que des amis. Émerveillé de cette réponse, le marchand de perles entre en religion. Une scène analogue s'est passée autrefois : un ascète a su dire qu'une feuille d'arbre qu'on lui présentait se nommait « sommet d'or (suvarna çekhara ?) ; que les malades ou même les moribonds, s'ils s'asseyaient sous ce feuillage, guérissaient ; que, de même, le poison et la fièvre élaient dissipés par la vertu de ces feuilles.

ÉTrID- XIV T0 p.20 1)

Le Buddha s’est blessé au pied avec une épine de kta-l'o-lo (khadira, Acacia catechu) et aucun remède ne parvient à arrêter le sang qui coule de la plaie. Mais Che-li-kia-ye (Daçabala Kà- Gyapa) obtient immédiatement la guérison en prononçant cette parole véridique : « Sile Buddha Tathâgata a un cœur équitable envers tous les êtres vivants, s’il ne fait aucune différence entre Râhula et Devadatta, que le sang de son pied cesse de couler. » Il en a été de même autrefois : le fils d'un brahmane, désolé de voir que son père se refuse à observer rigoureusement la défense de tuer des êtres vivants, se rend au bord d’un étang habité par un nâga dont la vue seule suffit à tuer les hommes ; l'influence empoisonnée s'est déjà répandu dans son corps lorsque son père survient et le sauve en prononçant cette parole : « Si mon fils n'a jamais eu l'intention de faire du mal à aucun être, ce poison doit se dissiper. »

(Trips, IN 10, p.50:1.)

Le Tathägata se trouvant sous l'arbre de la Bodhi, le chef des démons Po-siun (Pâpiyän) (1) vient l’attaquer à la tête de huit

(1) Evo. Huber a expliqué la transcription Po-siun Jk 4) par l'hypothèse

fort vraisemblable que fj siun est le substitut fautif de #] p'o (Sutr- lamkära, p. 478).

TSA PAO TSANG KING 79

millions de démons ; Pâpiyân intime au Buddha l'ordre de s’en aller en le menaçant, s’il n'obéit pas, de le prendre par les pieds et de le jeter à la mer. Le Buddha lui répond qu'il est sans crainte, car les mérites passés de Pâpiyân sont loin de pouvoir contrebalancer ceux du Buddha. Pâpiyân demande au Buddha comment il pourra attester la véracité de ce qu'il vient de dire touchant leurs mérites passés respectifs. Le Buddha indique du

doigt la terre en prenant celle-ci à témoin ; aussitôt de grands tremblements de terre se produisent et la divinité de la terre sort pour altester que le Buddha a dit vrai. Suit un avadâna qui n'est que la réplique décolorée de ce récit.

CPrip:, XIV: 10:p: 90 rt)

Le Tathâgata, se trouvant à Crâvasli, est las des offrandes avantageuses qu'on lui apporte ; il se retire dans un monastère de la forêt T'an-tchouang-yen (lobhâlamkäâra ?) ; le supérieur de ce monastère est un arhat nommé Na-yi-kia (nâyaka direc- teur). Le lendemain, quantité de gens viennent apporter des vè- tements en offrande. Le Buddha les repousse et tient un discours pour montrer l'influence pernicieuse des offrandes qui ruinent la vie religieuse. [Il raconte ensuite un avadâna: autrefois dans le royaume de Kâci, il y avait un premier ministre nommé Ye- tch'a (Yaksa). Le fils de ce ministre, qui s'appelait Ye-ni-ta-lo (Yajñadatta), sort du monde pour se livrer à l’ascétisme ; mais les religieux au milieu desquels il se trouve se disputaient con- stamment entre eux pour avoir les meilleurs fruits et les meil- leures herbes ; Ye-ni-ta-lo les ramène au sentiment de leurs devoirs en se contentant toujours de la part Ja plus mauvaise, ce qui lui vaut d'acquérir les cinq pénétrations (abhijñâs).

(Trips ANT 10 p;: 00 0)

Un brigand va être mis à mort sur l’ordre du roi Prasenajit : en se rendant à l'endroit du supplice, il rencontre le Tathâgala

80 ; TSA PAO TSANG KING

et conçoil un sentiment de joie. À cause de cela il renaît dans la condition de deva. Il descend alors dans ce monde pour faire des offrandes au Buddha ; le Buddha lui ayant expliqué la Loi, il devient srotâäpanna.

(Trip. XNI;10,D;30:ve,)

Un criminel, à qui on a coupé les pieds et les mains, est gisant sur le bord du chemin ; le Buddha survient et ordonne à Ânanda de lui donner à manger ; le misérable en conçoit un sen- liment de joie, et c’est pourquoi, après sa mort, il renaît dans la condition de deva. Il redescend alors pour remercier le Buddha de son bienfait ; le Buddha lui explique la Loi et il devient srotà- panna. |

CEribs ANT :10, D: 50 4)

Un notable du royaume de Crâvasti aurait voulu se construire une habitation dans le Jetavana, mais il ne le peut pas parce que Sudatla a occupé tout le terrain et n’a laissé aucun espace libre. Le nolable alors s’installe à l’intérieur de la porte principale du Jetavana ; 1l prépare avec de l’eau pure, du miel et de la farime grillée une bouillie qu’il donne à tous les passanis ; au bout de quatre-vingt-dix jours, il arrive que le Buddha lui-même reçoit. de cette bouillie. A cause de cela, le notable, après sa mort, re- nait dans la condition de deva. Étant redescendu dans le monde, il écoute le Buddha expliquer la Loi et devient srotäpanna.

CArip IN 10% pp: 60 V5 1.)

Le roi Prasenajit et le notable Sudatta envoient un homme prier le Buddha de venir en char à Crâvasti. Le Buddha com- mence par déclarer qu'il n’a pas besoin de char puisqu'il peut se transporter par sa seule force surnaturelle ; désireux cependant d'assurer un mérite au messager, ilmonte dans le char que celui-

ñ È n 4 . à

TSA PAO TSANG KING 81

ci lui offre. Pour avoir présenté ce char au Buddha, le messager, après sa mort, renaît dans la condition de deva. Il redescend alors dans le monde, écoute le Buddha expliquer la Loi et devient srotäpanna.

CÉPIDR RAIN HO D, 22 00)

A l’imitation de Sudatta, le roi Prasenajit fait une quête dans son royaume afin d'engager les gens à donner des aumônes el à s'assurer ainsi des bonheurs futurs; un pauvre homme lui pré- sente une éloffe de laine qui est tout ce qu'il possède ; le roi la remet ensuite au Buddha. Après sa mort, le pauvre homme re- naît dans la condition de deva. Il redescend dans ce monde pour faire des offrandes au Buddha ; celui-ci lui ayant expliqué la Loi, il devient srotâäpanna.

CPrID XX EN EE 07 pD; 6 118.)

Dans le royaume de Cràvasti vivent deux frères ; l'aîné prati- que la religion bouddhique; le cadet sert Fou-lan-na (Püûrana) [1|. Le premier engage vainement le second à adopter sa croyance ; ne pouvant y parvenir, 1l se sépare de lui ; après sa mort, il re- naît dans la condition de deva. Il redescend dans le monde et devient srotâäpanna après que le Buddha lui a expliqué la Loi.

(rip XIV TO DS re)

Dans le royaume de Crâvasti, deux frères, qui vivaient en més- intelligence, se rendent chez le roi pour faire régler leur diffé- rend. Sur le chemin, ils rencontrent le Buddha qui leur explique la Loi et ils obtiennent la voie d’arhat. Leur père, informé de ce qui s'est passé, en conçoil une grande joie ; à cause de ce bon sentiment, il renaît après sa mort dans la condition de deva. Il retourne auprès du Buddha qui lui explique la Loi et il devient srotâäpanna.

(1) Un des six maîtres Tirthikas. lle 6

82 TSA PAO TSANG KING

(Trip, XIV, 10, p. 31 re.)

Un père a voulu que son fils entrâl en religion ; mais, au bout de peu de temps, ce fils, que le Buddha a chargé du balayage, se lasse de ce travail et déclare qu'il veut quitter la vie religieuse ; son père n'y cousent pas; il se chargera à la place de son fils de faire le balayage, mais 1l l'oblige à relourner au Jetavana vihâra ; quand le fils voit l'intérieur du monastère calme et pur, il conçoit un sentiment de joie et affirme que, dût-il en mou- rir, il reslera en religion et s’occupera du balayage. Après sa mort, il renaît dans la condition de deva. Il retourne alors auprès du Buddha et, celui-ci lui ayant expliqué la Loi, il devient sro- täpanna.

CRPID.- SENS TO D SEX CL):

Autrefois, sept cents ans après que le Buddha eut quitté le monde, apparut dans le royaume de X1-pin (Cachemir) l'arhat Tche-ye-lo. Dans ce royaume il y avait un méchant roi-nâga nommé A-li-na ; malgré toute leur puissance surnaturelle, deux mille arhats n’avaient pas réussi à le chasser ; T'che-ye-lo n’eut qu'à étendre trois fois le doigt en intimant au nâga l'ordre de sortir et le nâga partit aussitôt. Tche-ye-lo, accompagné de ses disciples, se rend ensuite dans l'Inde du Nord; en chemin, il rencontre un corbeau et sourit légèrement. Puis il atteint la ville de la Maison de pierre; en arrivant à la porte de la ville il s'altriste et change de couleur; après avoir mendié sa nour- riture dans la ville, il ressort par la porte el de nouveau il s'at- triste et change de couleur. [l'explique alors à ses disciples la rai- son des divers sentiments quise sonttrahissurson visage : quatre- vingl-onze kalpas après le nirväna du Buddha Vipacyin, il était lui-même un fils de notable qui désirait entrer en religion; son

1) Ce conte et les trois suivants ont été intégralement traduits par Syl- vain Lévi qui en a bien montré l'importance historique (Journal Asiatique de nov.-déc. 1896, pp. 463-467).

TSA PAO TSANG KING F3

père el sa mère lui déclarent qu'ils ne l'y autoriseront qu'après qu'il se sera marié et aura eu un fils; il leur obéit, et, quand

son fils sait parler, il demande de nouveau à sortir du monde :

son père el sa mère suggèrent alors à leur petit-fils des pa- roles propres à relenir son père; celui-ci ne peut résister à ces supplicalions enfantines et renonce à son projet; aussi reste-l-il dans le samsâra des naissances et des morts. Aujourd'hui Tche- ye-lo a reconnu dans le corbeau qu'il a vu sur la roule l'enfant qui l’a empêché d'entrer en religion et c'est pourquoi il a sour1 de celte rencontre inattendue. D'autre part, si Tche- ye-lo a changé de couleur en arrivant à la porte de la ville, c'est parce qu'il a vu un démon affamé qui l’a supplié de faire reve- nir auprès de lui sa mère ; cette mère du démon est depuis soixante-dix ans dans la ville, cherchant vainement à se procurer un peu de nourriture pour son fils ; elle a enfin réussi à.se procu- rer une bouchée d'aliments impurs, mais elle ne peut plus sortir parce que des démons très puissants lui barrent le passage, Tche-ye-lo fait sorlir avec lui cette femme hors de la porte de la ville ; la mère et le fils se retrouvent et se partagent leur nour- riture souillée. A une queslion de Tche-ye-lo qui lui demande depuis combien de temps il est là, le démon répond qu'il a vu déjà sept fois celle ville détruite et reconstruite. Tche-ye-lo à soupiré alors en songeant combien longues étaient les souffrances des démons affamés, et c'est pourquoi il a, pour la seconde fois, changé de couleur.

CRD AIN O RD 02e

Deux bhiksus de’ l'Inde du Sud ‘ont entendu parler de la grande veriu prestigieuse de Tche-ye-lo ; ils se rendent donc dans le Xi-pin (Cachemir) et se dirigent vers le Heu de sa r1ési- dence ; ils aperçoivent sous un arbre un bhik u d'aspect mi- nable qui allume du feu devant un foyer. Questionné par eux, ce bniksu leur indique que Zche-ye-lo demeure plus haut,

dans la troisième grotte. Les deux bhiksus gravissent donc la

(1) Cf. Syzvain LÉvi (Journ. As., nov.-déc. 1896, pp. 467-469).

84 TSA PAO TSANG KING

montagne, el, quand ils sont arrivés à la troisième grotte, ils y aperçoivent à leur grande stupéfaction, le bhiksu qui naguère allumait du feu. Ils s'expliquent la chose en se disant qu'un homme doué de tant de vertu ne doit pas avoir eu de peine à venir dans la grotte avant eux. Il leur reste cependant quelques doutes et c'est pourquoi un des bhiksus demande : « O vénérable, comment se fait-il que, doué comme vous l’êtes d’une presti- oieuse vertu, vous allumiez vous-même le feu?» Tche-ye-to répond : « Je songe aux tourments que j'ai endurés autrefois dans le samsâra des naissances et des morts ; si ma tête, ma mains et mes pieds ont pu être consumés dans ces tourments, ils peuvent donc aussi servir à être consumés dans le feu allumé pour le bénéfice de l'assemblée des religieux ; à combien plus forte raison peuvent-ils servir à allumer simplement le bois mort destiné à ce même feu. » Le second bhiksu demande alors qu'on lui explique ce que c’est que les tourments du samsära des naissances et des morts dans les existences passées. Tche-ye-lo répond : « Dans ma cinq centième naissance antérieure j'étais dans la condition de chien et je souffrais toujours de la faim et de la soif; Je ne pus me rassasier qu'en deux occasions ; la pre- mière, ce fut lorsque je rencontrai sur le sol le vin rejeté par un homme ivre; je pus m'en repaitre avec joie ; dans la seconde occasion, je rencontrai un homme et sa femme qui travaillaient ensemble pour gagner leur vie; le mari étant allé aux champs, sa femme resta pour préparer le repas; mais elle s’absenta un instant pour quelque affaire et moi aussitôt j'entrai pour voler la nourriture ; il se trouva que l’orifice du vase contenant ces aliments était étroite ; quoique j'eusse pu d’abord y engager ma tête, 1l me fut difficile ensuite de l'en retirer. Quoique je me fusse rassasié, j'en endurai de grandes douleurs, car le mari revint des champs el coupa ma tête qui était restée engagée dans le goulot. » Quand les deux bhiksus eurent entendu cette explication de Ia Loi, ils prirent en horreur le samsâra des nais- sances et des morts et devinrent srotäpannas.

: ; À

TSA PAO TSANG KING 85

(Trip., XIV, 10, p. 32 r°-v°) (1).

Dans le royaume des Yue-lche il y a un roi nommé 7chan-lan Ki-ni-tch'a (Kaniska) ; il entend parler de l’arhat Tche-ye-to du royaume de Xïi-pin (Cachemir) et va lui rendre visite; Tche-ye- Lo refuse de sortir pour aller à sa rencontre ; le roi, saisi de vé- nération pour lui, se prosterne devant fui, et même, d’un mou- vement spontané, il présente le crachoir à l’arhat au moment celui-ci a envie de cracher. L'arhat prononce celte parole énigmatique : « Quand le roi est venu, sa voie élait bonne; quand il partira, il en sera comme lorsqu'il est venu. » Le roi reprend le chemin du retour; les gens de sa suite se plai- gnent que ce voyage n'ait été d'aucun profit; le roi leur ré- pond en leur expliquant la parole de Tche-ye-lo ; cette parole signifie que, si le roi jouit aujourd’hui de sa haute dignité, c’est parce que, dans des existences antérieures, il a fait des bonnes œuvres ; maintenant, il continue à accomplir des actions excel- lentés et c'est pourquoi, quand i] partira de cette existence, 11 se sera assuré, comme au temps il y est venu, des félicités im- portantes pour ses vies à venir.

MED PARLE ME

Le roi des Yue che, nommé Tchan-tan Ki-ni-lch'a (Kaniska), a auprès de lui trois hommes sages qui sont Wa-ming-p'ou-sa (Asvaghosa Bodhisattva), le grand ministre Mo-tch'a-lo (Mà-

thara) et l'illustre médecin Tchô-lo-kia (Caraka). En suivant les

avis du médecin, il échappe à toute maladie; en se confor- mant aux conseils du ministre, il soumet à son autorité trois des quatre régions du monde ; mais, quand il veut conquérir la ré- gion orientale et franchir les Ts’ong-ling (Pamirs), ses éléphants el ses chevaux refusent d'avancer; il reproche à ses chevaux

(1) Cf. Syzvain Lévi (Journ. Às., nov.-déc. 1896, pp. 469-472". (2) Cf. Syzvain LÉvr (Journ. As., nov.-déc. 1896, pp. 472-#75).

s6 TSA PAO TSANG KING

leur conduite en leur rappelant les campagnes glorieuses qu'il a faites précédemment avec eux pour triompher de trois régions du monde ; mais il a violé, en parlant ainsi, son engagement de ne point divulguer les conseils secrets qu’il avait reçus de son minisire ; ‘aussi sa destinée est-elle près de toucher à sa fin. Comprenant qe sa mort est proche, il multiplie les bonnes œuvres. Ses courtisans murmurent entre eux en disant qu'il ne pourra tirer aucun profit de tels actes qui ne peuvent compenser ses fautes antérieures. Pour les réduire au silence, le roi jette son anneau d'or dans une marmile pleine d’eau bouillante et leur demande par quel moyen ils pourront retirer l’anneau : « Ce sera, disent-ils, en arrêtant le feu qui brûle sous la marmite et en jetant de l’eau froide au-dessus de la marmite ; alors on pourra retirer l’anneau sans se blesser les mains. » Le roi réplique que ses mauvaises actions antérieures sont comme la marmite d'eau bouillante, mais que, par la repentance et par les bonnes œuvres, il éteint l’ardeur du feu, supprime les trois voies mau- vaises et obtient la condition d'homme ou de deva.

(Trip. XIV, 10, p, 33 r°-v°.)

Un ministre du royaume de Xiu-che-mt et sa femme sont fort mal disposés à l'égard du Buddha. Le mari dit à sa femme de fermer la porte au çramana Gautama s’il veut entrer dans la maison. Mais soudain le Buddha apparaît au milieu de la chambre, tandis que la femme est seule, et il reproche à celle- ci l’'égarement dont elle et son mari font preuve. De rage, la femme arrache ses colliers, se revêl d'un vêtement souillé et s'assied sur le sol. Son mari la trouve dans cet état et promet de se venger. Le lendemain, quand le Buddha apparaît de nou- veau, il cherche en effet à le frapper avec son épée ; mais il ne peut le toucher et le voit s'élever devant lui dans les airs. Il reconnaît alors ses fautes; le Buddha lui explique la Loi; lui et sa femme deviennent srotäpannas. Il en a été de même autre- fois : dans le royaume de Käci, le roi Ngo-cheou (Durlabha) s’en-

| | |

V K Ë

TSA PAO TSANG KING (N° 409). 87

richit par des exactions; un perroquet entreprend de le ramener à de meilleurs sentiments; il commence par s'adresser à l'épouse du roi en lui déclarant que le roi est cruel et se conduit con- trairement à la sagesse, qu’elle-même d'ailleurs est tout aussi coupable. On prend alors l'oiseau et on l'amène au roi. Le per- roquel tient un discours sur les devoirs de la royauté. Le roi rentre en lui-même et se convertit ; tout le rovaume se convertit à sa suile (1).

| 409.

(Trip., XIV, 10, pp. 33 v°-34 ve.)

Histoire du disciple du Buddha, Nan-t'o (Nanda) que le Buddha força à sortir du monde et à oblenir la vote.

Le Buddha, se trouvant dans le royaume de Xia-pi-lo-wei (Kapilavastu), entra dans la ville pour mendier sa nourri- ture ; il arriva à la maison de Van-Fo (Nanda). Ilse trouva que Van-Fo était occupé avec sa femme à préparer du fard parfumé pour l'appliquer entre les sourcils de celle-ci ; il entendit le Buddha à la porte et voulut sortir pour regar- der dehors; sa femme lui fit cette recommandation : « Sortez pour voir le Tathâgata ; mais, comme le fard qui est sur mon front n'est pas encore sec, revenez au bout d’un instant. » /Van-lo sortit donc, vit le Buddha et lui rendit hommage. Il prit son bol, retourna chez lui, et, après l’avoir rempli de nourriture, le présenta au Buddha. Le Buddha refusa de l’accepter et le fit passer à A-nan (Ânanda); mais A-nan, à son tour, refusa de l’accepter et dit Van-Fo) : « Il vous faut rapporter ce bol à l'endroit se trouve la personne qui l’a donné. » Van-fo se char-

(1) On retrouve ici le conte du perroquet moralisateur, conte qui est le cadre de la Çukasaptati.

88 TSA PAO TSANG KING (N° 409)

gea donc du bol et alla à la suite du Buddha jusque dans le vihâra Ni-kiu-lu.

Alors le Buddha ordonna à un barbier de couper la che- velure de VNan-l'o; Nan-l'o s’y refusa et, menaçant du poing avec colère le barbier, il lui dit : « Allez donc maintenant couper les cheveux à tous les habitants de X1a-pi-lo-wei ». Le Buddha demanda au barbier : « Pourquoi ne lui rasez- vous pas la tête? C'est par crainte, répondit-il, que je n'ose pas lui couper les cheveux. » Le Buddha et A-nan vinrent alors à côté (de Van-lo), et celui-ci, saisi de peur, n osa pasne pas se laisser couper les cheveux.

Bien que sa chevelure eûtété coupée, il conservait tou- jours le désir de retourner chez lui. Mais le Buddha l’em- menait constamment avec lui et il n’osait pas partir. Un jour vint enfin ce fut son tour de garder la maison; il se réjouit alors en pensant: « J’ai maintenant trouvé l’occa- sion de retourner chez moi. J’attendrai que le Buddha et l'assemblée des religieux se soient éloignés et alors je re- tournerai chez moi. » Quand donc le Buddha fut entré dans la ville, il fit cette réflexion : « Je puiserai d’abord de l’eau pour remplir les cruches, après quoi je m’en retour- nerai. » Il se mit à puiser de l’eau ; mais, à peine une cruche se remplissait-elle qu’une autre cruche se renver- sait; il passa de la sorte quelque temps sans parvenir à remplir les cruches. Il fit alors cette réflexion : « Il est impossible d’en remplir aucune ; que les bhiksus puisent eux-mêmes de l’eau à leur retour; pour moi, maintenant, je me bornerai à placer les cruches au milieu de la chambre, puis je les laisserai et je partirai. » Mais quand il voulut fer- mer les portes, à peine avait-il poussé un battant que l’autre battant se rouvrait, à peine avait-ilfermé une porte à un bat- tant qu'une autre porte se rouvrait. [fit alors cette réflexion: « Je ne puis en fermer aucune ; je les laisserai dans l’état elles sont et je partirai. S'il arrive que quelque vête- ment ou objet appartenant aux religieux se perde, je suis

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TSA PAO TSANG KING (N° 409) 89

assez riche pour en rembourser la valeur. » Il sortit alors de l'habitation des religieux; il fit cette réflexion : « Le Buddha viendra certainement de ce côté; je vais donc partir parcetautre chemin. » Cependantle Buddha, qui connaissait ses intentions, vint, lui aussi, par cet autre chemin. Van-Po, voyant de loin venir le Buddha, se cacha derrière un arbre, mais le dieu de l’arbre souleva l’arbre dans les airs, en sorte que /Van-lo se trouva debout en pleine lumière. Le Buddha, ayant aperçu Van-Fo, le ramena avec lui dans le vihâra, puis il lui demanda : «Pensez-vous à votre femme ? » Il répondit qu'il y pensait en effet. Le Buddha prit avec lui Van-lo et se rendit sur la montagne A-na-po-|[na| (Anapa ?) ; puis il demanda à Van-f'o : « Votre femme est- elle belle ? Elle l’est», répondit-il. Or, sur cette mon- tagne il y avait un vieux singe aveugle. Le Buddha de- manda derechef : « Votre femme, Souen-f'o-li (Sundari) a-t-elle un visage aussi beau que celui de ce singe Nan- lo, indigné, pensa à part lui : « Ma femme est si belle qu'elle a peu d’égales parmi les humains ; pourquoi main- tenant le Buddha la compare-t-il à ce singe ? » Le Buddha emmena derechef Van-Po au milieu des devas T'ao-li (Tra- yastrimças) et lui fit visiter à la ronde les palais des devas, en sorte qu'il vit tous les devas et toutes Les devis qui se livraient ensemble aux délices; dans un de ces palais, Nan-lo vit cinq cents devis sans aucun deva qui fût avec elles ; il revint interroger le Buddha, mais le Buddha lui dit d’aller‘s’enquérir par lui-même ; Van-Po alla donc poser cette question : « Dans chacun des autres palais il y a un deva ; comment se fait-il que, dans celui-ci seul il n’y ait point de deva ? » Les devis lui répondirent : « Il y a dans le Yen-feou-Pi (Jambudvipa) un disciple du Buddha, nommé Nan-Po; le Buddha l’a contraint à sortir du monde ; parce qu’il est sorti du monde, il doit, après sa mort, naître dans ce palais céleste pour être notre deva. » Van-lo s'écria : « C’est moi-même qui suis Van-Po », et il voulut rester

90 TSA PAO TSANG KING (N° 409)

la : mais les devis lui dirent : « Nous sommes des déesses et vous êtes un homme. C’est après avoir abandonné votre existence d'homme que vous reviendrez naître ici et que vous pourrez alors demeurer en ce lieu. »

Nan-l'o revint auprès du Buddha et raconta à l’Honoré du monde tout ce qui s'était passé ; le Buddha dit alors à Nan-lo : « Votre femme est-elle aussi belle que ces devis? » Nan-l'o répondit : « En comparaison de ces devis, elle est comme le singe aveugle en comparaison de ma femme. » Le Buddha ramena Van-l'o dans le Yen-feou-l'i (Jambud- vipa). Nan-lo, parce qu’il devait naître en qualité de deva, redoubla de zèle dans l'observation des défenses. Alors A-nan (Ânanda) prononça cette gâthà :

De même que des béliers qui se battent reculent pour mieux avancer ensuile, vous observez les défenses en vue de vos désirs ; il en est toutà fait de même (pour vous que pour les béliers).

Le Buddha emmena ensuite Van-Fo dans les enfers. Nan-lo y vittoutes les chaudières dans lesquelles des hommes étaient plongés dans l’eau bouillante ; seule une chaudière dont on attisait les bouillonnements restait vide; il s'en étonna et revint interroger le Buddha; le Buddha lui dit : « Allez vous enquérir vous même. » Van- l'o alla donc demander à un sbire des enfers : « Dans toutes les chaudières bout un condamné; pourquoi cette chaudière seule reste-t-elle vide sans cuire aucun homme ? » On lui répondit : « Dans le Yen-feou-Pi(Jambudvipa).il y a un dis- ciple du Tathâgata dont le nom est Van-Fo; eu égard au mérite qu'il a eu en sortant du monde, il doit obtenir de naître dans la condition de deva ; mais, parce qu'il a aban- donné la voie à cause de ses désirs sensuels, 1l tombera dans ces enfers, quand sa longue vie de deva sera terminée, etc'est pourquoi maintenant nous l’attendons en attisant le feu de cette chaudière.» Saisi de terreur et craignant que le sbire des enfers ne voulût le retenir, Nan-l’o prononcça

TSA PAO TSANG KING (N° 409) 91

ces mots : « Namo Buddhaya, je souhaite que vous me pro- tégiez et que vous me fassiez revenir dans le Yen-feou-li (Jambudvipa). » Le Buddha dit à Van-Fo : « Appliquez- vous à observer les défenses pour vous assurer le bonheur des devas. » Nan-Po répliqua : « Je n'ai que faire de naître dans la condition de deva ; mon seul désir est de ne pas tomber dans ces enfers. » Le Buddha alors lui expliqua la Loi et, au bout d'une période de sept jours, Van-Fo obtint la dignité d’arhat. Les bhiksus s’écrièrent : « Quand l’'Honoré du monde apparaît ici-bas, c’est fort merveilleux, c'est fort extraordinaire ! » Le Buddha dit : « Ce n'est pas seulement aujourd’hui que cela s’est passé; autrefois aussi il en a été de même. » Les bhiksus lui ayant demandé à quels événements du passé il faisait allusion et l'ayant prié de les leur exposer, le Buddha dit :

Autrefois il y avait un roi de ÆX1a-che (Kâçi) nommé Man-mien(Pürnamukha— plein-visage),et, dansle royaume de Pi-Pi-hi (Videha), il v avait une courtisane d’une beauté merveilleuse. En ce temps, ces deux royaumes se haïs- saient l’un l’autre. Or il y eut un homme rusé qui se rendit auprès du roi de Xia-che et parla avec admiration de la courtisane de cet autre royaume qui avait, disait-il, une beauté telle qu’on en voit rarement dans le monde. Quand le roi eut entendu ces discours, son cœur en conçut de la passion et il chargea un émissaire de faire venir cette femme ; mais, comme l’autre royaume refusait de la lui donner, il dépêcha un autre émissaire pour demander qu’on lui permît de la voir pendant un moment, promettant qu'il la renverrait au bout de quatre ou cinq jours. Le roi de l’autre royaume donna alors des instruc- tions à la courtisane en ces termes : « Déployez tous vos charmes et toutes vos grâces pour que le roi de Ara- che devienne épris de.vous et ne puisse plus un seul ins- tant être séparé de vous. » Puis il lui ordonna de partir. Quatre ou cinq jours plus tard, il fit dire qu’on la lui ren-

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dit, en prétendant qu'il se disposait à célébrer un grand sacrifice et qu'il avait besoin de la présence de cette femme ; il promettait de la renvoyer après qu'elle serait revenue momentanément. Le roi de X1a-che la laissa donc repartir ; quand le grand sacrifice eut.été célébré, il demanda qu’on la lui renvoyât. « On vous la renverra demain », lui répondit-on; mais, le lendemain, on ne la renvoya pas. Ainsi plusieurs jours se passèrent en fausses promesses. Le roi, qui était fort épris, aurait voulu, accompagné seulement de quelques hommes, se rendre en personne dans cet autre royaume. Ses ministres lui firent des remontrances, mais il se refusa à les écouter.

Or, dans les montagnes des rsis, il y avait un roi-singe intelligent, perspicace et possédant toutes sortes de con- naissances. Son épouse étant venue à mourir, il prit pour femme une guenon. Les autres singes lui adressèrent des reproches avec irritation en lui disant : « Cette guenon est notre propriété commune : pourquoi la prenez-vous pour vous seul ? » Alors le roi-singe, emmenant avec lui cette guenon, s'enfuit dans la ville de Kia-che et vint se réfugier auprès du roi. Les singes le poursui- virent tous et pénétrèrent dans la ville ils se mirent à renverser les maisons et à briser les murs sans qu'on pût leur faire entendre raison. Le roi du royaume de Kra-che dit alors au roi-singe : « Pourquoi ne rendez-vous pas aux autres singes cette guenon ? » Le roi-singe répli- qua : « Ma première femme est morte, et (si je renvoie cette guenon), je n'aurai plus de femme ; pourquoi main- tenant, Ô roi, voulez-vous m'obliger à la renvoyer (1)? » Le roi lui dit : « En ce moment vos singes dévastent mon royaume : Comment pourriez-vous ne pas la renvoyer ? » Le roi-singe luidit : « L'action que j'ai commise est-elle donc mauvaise ? Elle est mauvaise », lui répondit le

(1) Je suppose que le mot #f est ici mis par erreur au lieu de Éf.

TSA PAO TSANG KING (N° 409) 93

roi. Il en fut ainsi par deux et par trois fois. Le roi persis-

tant à déclarer que cette action était mauvaise, le roi-singe Jui dit alors : « Dans votre palais vous avez quatre-vingt- quatre mille épouses; mais elles ne vous plaisent pas et vous voulez aller dans un royaume ennemi pour y recher- cher une courtisane. Moi, maintenant, je n'ai plus d’épouse ; or, parce que j'ai pris cette seule guenon, vous déclarez que j'ai mal agi. Les dix mille familles du peuple comptent toutes sur vous pour assurer leur vie ; comment se fait-il cependant que, à cause d’une seule cour- tisane, vous les abandonniez ? Sachez, à grand roi, que les désirs sensuels procurent peu de joies et causent beaucoup de peines ; ils sont comme une torche enflam- _mée qu'on tient quand souffle le vent contraire : le sot ne la lâche pas et il est inévitablement brülé; les désirs sont impurs comme un amas d’ordures; les désirs se présen- tent sous des dehors agréables, mais c’est une mince peau qui les recouvre ; les désirs ne peuvent pas revenir en arrière et sont semblables à un serpent venimeux qui s’est empêtré dans des excréments ; les désirs sont comme des brigands féroces qui feignent d’être les amis des hommes ; les désirs sont comme un prêt qu'il faut nécessairement rendre; les désirs sont haïssables, comme les fleurs qui croissent dans les latrines ; les désirs sont comme des abcès quis’aggravent en devenant semblables à des écorchures brûlantes ; les désirs sont comme un chien qui ronge un os desséché : il y mêle sa salive et s’imagine que cela a bon goût ; ses lèvres et ses dents se blessent entièrement et cependant il ne sait pas s'arrêter : les désirs sont comme un homme altéré qui boit de l’eau salée : plus ilen boit, plusil a soif ; Les désirs sont comme un morceau de chair que se disputent des oiseaux en foule ; les désirs sont comme des poissons ou des ani- maux que leuravidité pour la bonne nourriture mène à la mort en sorte que leurs souffrances sont extrêmes. »

94 TSA PAO TSANG KING (N° 410)

Celui qui, en ce temps, était le roi-singe, c’est moi-

même ; celui qui en ce temps était le roi, c'est Nan-Fo

(Nanda) ; celle qui, en ce temps, était la courtisane, c’est Souen-l'o-li(Sundari). En ce temps, j'ai voulu retirer de de la fange Van-lo; maintenant aussi je l'ai retiré des tourments de la vie et dela mort.

410 (1).

(Trip, XIV, 10, pp. 34 v°-35 r°.)

Histoire du grand homme fort qui convertit la bande de brigands de la région déserte.

En ce temps, le Buddha se trouvait à Wang-chü-tch'eng (Râjagrha). Dans l’espace compris entre les deux royaumes du Wang-chü-tch'eng (Râjagrha) et de P'i-chô-li (Vaiçàli), il y avait cinq cents brigands. Le roi Pin-p'o-so-lo (Bimbi- sâra) était bon, indulgent et affectueux ; il gouvernait son peuple avec des lois bienfaisantes et ne faisait périr aucun être. Il publia alors un appel en disant : « Celui qui pourra convertir les cinq cents brigands de manière à ce qu'ils ne se livrent plus au brigandage, je lui donnerai en abondance des dignités et des récompenses. » Il y eut un homme fort qui vint répondre à l'appel du roi; il se ren- dit dans cette région déserte (âtavi) et convertit pacifi- quement tous les brigands ; de la sorte il put faire qu'ils ne se livrassent plus au brigandage. Quand il les eut ainsi soumis, il fit une grande enceinte de murs et de fossés et les installa en ce lieu (2). Graduellement leur

(1) La première partie «ae ce récit a été analysée par Ed. Huver

(B. E. F. E. O., vol. VE, pp. 18-19) d'après le Xen pen chouo yi ts'ie yeou pou p'i nai ye{(Trip., XVI, 9, pp. 101 r°-v°).

(2) D'après le Men pen chouo yi !s'ie yeou pou p'i naï ye, le nom de la:

ville fut X’ouang ye tch'eng D Bÿ Jk (Âtavi).

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TSA PAO TSANG KING (N° 410) 95

_ multitude s’aucimenta : un orand nombre de gens vinrent O ? D

se réfugier et ainsi se constitua un puissant royaume. Les habitants de ce royaume se dirent les uns aux autres : « Nous tous qui sommes maintenant ici nous avons bénélfi- cié des soins qu'a pris le grand homme fort pour assurer notre entretien; ainsi nous avons formé un peuple. » Ils firent alors cette convention : « Dorénavant, quand quel- qu'un de nous se mariera, il commencera par offrir sa nouvelle épouse à l’homme fort. » Il se rendirent alors auprès de l’homme fort et lui dirent : « Nous avons fait cette convention que, lorsqu'un de nous se mariera, il vous offrira sa femme ; il y a à cela deux raisons : la pre- mière, c’est que nous souhaitons avoir de beaux enfants qui vous ressemblent ; la seconde, c’est que nous voulons reconnaitre les bienfaits que vous nous avez rendus. » L'homme fort leur répondit qu’il n’était point nécessaire d'agir ainsi, mais, sur leurs instances, il accéda à leur désir. Onse mit donc à appliquer cette loi. Cependant, au bout de quelque temps, il y eut une femme qui fut mé- contente de cette pratique ; c'est pourquoi elle se mit toute nue en public et urina ; les gens lui adressèrent aussitôt des reproches en lui disant : « Vous êtes bien éhontée ; comment une femme se permet-elle de se mettre (nue) pour uriner en présence d’une multitude d'hommes ? » Elle leur répondit : « Pourquoi une femme rougirait-elle de se mettre nue poururiner en présence d'autres femmes ? Or, dans ce royaume vous êtes tous des femmes ; seul Le grand homme fort est un mâle ; si j'avais fait cela en sa présence, je devrais en avoir honte ; mais pourquoi serais- je confuse de l'avoir fait en votre présence ? » Les hommes se dirent alors les uns aux autres : « Ce que cette femme a dit est bien conforme à la raison. »

Sur ces entrefaites, Chü-li-fou (Càriputra) et Mou-lien (Maudgalyâyana), à la tête de cinq cents disciples, vin-

rent à passer par cette région. L'homme fort en. fut in-

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formé ; il invita les deux vénérables, ainsi que les cinq cents disciples, et les installa dans une demeure ; il leur offrit des vêtements et de la nourriture.

Trois jours plus tard, les habitants de ce royaume se rassemblèrent en bande; ils burent du vin jusqu’à s’eni- vrer, puis ils s'entendirent pour cerner la maison de l'homme fort afin de l’incendier. L'homme fort leur deman- dant pourquoi ils se conduisaient ainsi, ils lui répondi- rent : « Toute femme qui se marie passe d’abord par vous; nous autres, nous ne saurions supporter cela et c'est pourquoi nous venons pour vous brüler. » L’homme fort répliqua : « Précédemment je m'étais refusé à agir ainsiet c'est vous qui m'y avez forcé. » Cependant ces gens ne l’écoutèrent pas etil le brûlèrent donc de manière à causer sa mort.

Au moment sa vie allait prendre fin, l’homme fort prononça ce vœu : « Par la vertu de l’action méritoire que j'ai accomplie en faisant des offrandes à Chü-li-fou (Càri- putra) et à Mou-lien (Maudgalyäyana), puissé-je devenir dans la région déserte un démon très puissant qui ex- termine tous ces gens. » Après qu'il eut ainsi parlé, sa vie prit fin. Puis il naquit dans la région déserte en qualité de démon ; il exhalait une haleine fort empoisonnée et tuait des multitudes d'hommes. Ilerrait constamment de- ci et de-là dans les environs. Or il y eut des gens avisés qui adressèrent cette demande au démon : « Vous tuez maintenant des habitants en quantités innombrables; vous ne parvenez' pas à manger toute cette chair qui ainsi tombe en pourriture. Nous souhaitons que vous nous permettiez de tuer des bœufs et des chevaux et de vous donner chaque jour un seul homme. » À la suite de cela, dans ce royaume, on tint une comptabilité de façon à ce qu'il eût un homme pour chaque jour. Par ordre de succession, ce fut le tour du notable Siu-pa-l'o-lo (Sudbha- dra); Siu-pa-l'o-lo avait engendré un fils heureusement

TSA PAO TSANG KING (N° 410) 97

vertueux et beau et c'était maintenant ce fils que le démon devait dévorer. Le notable songea : « Le Tathà- gata est apparu dans ce monde pour sauver de peine tous les êtres vivants. Mon souhait est que l’Honoré du monde secoure et protège mon fils dans le péril il est aujourd'hui. » Le Buddha, qui se trouvait à Wang-chü- ich'eng (Râjagrha), connut les sentiments du notable, Il vint donc dans la région déserte était ce royaume et s'assit dans la salle principale du palais du démon. Quand le démon de la région déserte vint et vit le Buddha, il fut extrêmement irrité et dit au Buddha : « Cramana, sortez. » Le Buddha sortit aussitôt. Mais, quand le démon entra dans son palais, le Buddha y était déjà revenu. Il en fut ainsi par trois fois. À la quatrième fois, le Buddha refusa de sortir. Le démon lui dit : « Si vous ne sortez pas, je ferai en sorte que votre cœur soit renversé; je vous pren- drai par les pieds et je vous jetterai dans le fleuve Gange. » Le Buddha répliqua : « Je n’ai vu personne dans le monde, füt-ce même le deva Mära ou le deva Brahma, qui fût capable de me prendre et de faire ce que vous venez de dire. » Le démon de la région déserte reprit : « Soit, soit; que le Tathâgata me permette de lui poser quatre questions qu'il devra résoudre : En premier lieu, qui peut franchir le courant impétueux (1)? En second lieu, qui peut franchir la grande mer (2)? En troisième lieu, qui peut délivrer de la douleur ? En quatrième lieu, qui peut obtenir le Nirvâna Le Buddha lui répondit: « La foi peut franchir le courantimpétueux (âsravas); l'absence de négli- gence (apramâda) peut franchir la grande mer (samsära); la progression dans le bien (virya) peut délivrer de la douleur; la sagesse (prajñà) peut obtenir le Nirväna

(1) Les Âsravas (de la racine sru couler) sont le courant qui porte l'homme à entrer en relations avec les choses sensibles. La foi permet de franchir ce courant.

(2) Le samsära des naissances et des morts.

LIT. 7

98 TSA PAO TSANG KING (N° 411)

Quand (le démon de la région déserte) eut entendu ces paroles, il prit aussitôt son refuge dans le Buddha et devint disciple du Buddha. Il prit avec sa main le jeune garçon (1) et le plaça dans le bol du Buddha; c’est pour- quoi on donna à cetenfantle nom de X'ouang-ye-cheou (2). Peu à peu, le jeune garçon grandit; le Buddha lui ayant expliqué la Loi, il obtint la voie d’a-na-han (anâgamin).

Les bhiksus dirent : « Quand l’Honoré du monde appa- rait ici-bas, c’est un événement fort rare. Ce démon si méchant de la région déserte, le Buddha a pu le soumettre et en faire un yeou-p'o-sai (upäsaka). »

Le Buddha dit : « Ce n’est pas seulement aujourd’hui que de tels faits se sont passés ; il en a été de même autre- fois (3) : entre le royaume de Æia-che (Kâcçi) et le royaume de Pi-fi-hi (Videha), il y avait une vaste région déserte demeurait un méchant démon nommé Cha-lch'a-lou (Sadaru ?) qui interceptait la route, en sorte que personne ne pouvait passer. Or, il y eut un marchand nommé Che- iseu (Simha) qui, à la tête de cinq cents marchands, vou- lut prendre ce chemin. Les autres avaient peur et n'osaient passer; le chef des marchands leur dit: « N'ayez aucune crainte; tenez-vous seulement derrière moi.» Alors il s’avança et alla à l'endroit était le démon ; il lui dit : « N’avez-vous pas entendu mon nom ? » Le démon répon- dit : « J'ai entendu votre nom. » (Le marchand reprit :) « Je suis venu dans l'intention de combattre contre vous. » Le démon répliqua : « Que pouvez-vous faire contre moi ? » Alorsle marchand prit son arc etses flèches ettira sur le démon ; il lança cinq cents flèches, mais toutes entrèrent dans le ventre du démon ; son arc, son glaive et ses armes entrèrent toutes aussi dans le ventre

(1) Le jeune garçon qui avait été livré à l’ogre pour qu'il le dévorât.

(2) En. Huser a retrouvé la forme pâli de ce nom qui est Hatthâlavaka B'ERE O5 voE-VE D 18;/n°2)

(3) Cf. Ie conte 89,t. I, pp. 347-351.

3

TSA PAO TSANG KING (N° 410) 99

du démon ; il s’avança pour combattre à coups de poing; mais son poing (gauche) disparut dans le corps du démon ; de même, quand il frappa de la main droite, sa main droite resta prise; quand il lança un coup de son pied droit, son pied droit resta pris; quand il lança un coup de son pied gauche, son pied gauche resta pris; enfin il frappa de sa tête et sa tête aussi resta prise. Le démon prononça alors cette gâthà :

Vos mains, vos pieds el même votre lêle sont tous reslés adhérents à mon corps ; que vous reste-t-il qui ne soit pas adhérent à moi?

Le chef des marchands répondit par ces gâthas :

Maintenant mes mains, mes pieds el même ma lêle, loules mes richesses el mes armes (sont adhérents à vous) ; il ne me reste que mon énergie pour le bien (vtrya) qui ne soit pas adhérente à vous ; tant que celle énergie ne se lassera pas, le combat que je vous livre ne cessera pas ; maintenant, mon énergie n'est point lassée el jamais je n'aurai peur de vous.

Le démon répondit alors : « En considération de vous, je laisserai libres les cinq cents marchands. »

Celui qui en ce temps était Che-iseu (Simha), c’est moi-même; celui qui en ce temps était Cha-lch'a-lou {Sadaru), c'est le démon de la région déserte.

(Trip., XIV, 10, p. 35 r°-v°.)

Le conseiller du roi Bimbisära se plaît aux enseignements dn Buddha et cesse d’avoir de fréquents rapports sexuels avec sa femme. Celle-ci, dans son irritation, projette de faire périr Île Buddha ; elle l'invite donc et lui offre de la nourriture empoi- sonnée. Le Buddha sait que la nourriture est empoisonnée ; il la mange cependant en déclarant qu'il ne peut en éprouver aucun mal, puisqu'il est capable de détruire les trois autres poisons bien

100 . TSA PAO TSANG KING

autrement violents qui sont l'avidité, la colère et l'égarement. Le conseiller et sa femme conçoivent alors une foi sincère ; le Buddha leur explique la Loi et ils deviennent srotâpannas, Il en a élé de même autrefois (1) : dans le royaume de Käçi, il y avait un sage ministre nommé Pi f'ou-hi (Vidhura); un roi- dragon nommé Ming-siang entend ses enseignements el espace ses rapports sexuels avec sa femme. Celle-ci souhaite avoir le cœur de Pi-Fou-hi pour l'offrir en sacrifice au feu, et son sang pour le boire. Un yaksa entreprend de lui donner satisfac- tion ; il se déguise en marchand de perles et offre au roi de Kâci de jouer une perle qui fait se réaliser les désirs contre un enjeu dont le conseiller Pi-Pou-hi sera la partie essentielle. Le yaksa gagne etemmène Pi-fou-hi; mais Pi-Fou-hi lui fait observer que son cœur et son sang sont identiques à ceux d’un autre homme quelconque et n’ont de valeur que par la sagesse et la bonne doc- trine qu'ils renferment ; 1l convertit le yaksa ainsi que le roi-dra- son et la femme de ce dernier.

(Trip :XIV40; p:939#°.)

Le Buddha ayant triomphé à Crâvasti des six maîtres héréli- ques, cinq cents Nirgranthas désespérés projettent de se faire périr par le feu afin d'aller promptement dans une autre vie. Mais le Buddha empêche le feu de prendre au bûcher qu'ils ont préparé. Le Buddha étant entré dans le samädhi de feu, les Nir- granthas croient trouver la fournaise dont ils ont besoin et s'y précipitent ; mais ils ne rencontrent que fraîcheur au milieu des flammes et, mis en présence du Buddha, ils se convertissent ; le Buddha leur dit: « Soyez les bienvenus, à bhiksus » ; aussi- tôt leur barbe et leur chevelure tombent et le vêtement religieux

couvre leur corps ; ils deviennent arhats. Il en a été de même

autrefois (2): cinq cents marchands avaient été sur mer pour re- cueillir des joyaux; ils en surchargent leur bateau; leur chef nommé Pi-chü-k'ie (Viçäkha) les exhorte à en abandonner une

(1) Ce qui suit est un abrégé du Vidhurapandita jâtaka (Jätaka, 545).

(2, On ne voit guère le rapport entre ce qui va suivre et le récit qui précède,

4 | > > 1

“TSA PAO TSANG KING 101

parlie ; mais, voyant que ses avis ne sont pas écoutés, il jette tous les joyaux qui lui appartiennent dans la mer afin de sauver les marchands ; le bateau se perd ; cependant un dieu de la mer, touché de la conduite de Pi-chô-k'ie, a recueilli les joyaux jetés par-dessus bord et les lui rend quand il aborde sur le rivage. Pi- chô-k'ie en fait des largesses et entre en religion; les autres mar- chands suivent son exemple.

CPP, XIV, 10: D, 30 7°.)

Le roi de Pan-tchô-lo (Pañcâla) a fait présent de cinq cents oïes sauvages blanches au roi Prasenajit ; celui-ci les envoie au Jeta- vana vihâra ; les oies entendent le Buddha expliquer la Loi en émettant un seul son et toutes crient à l'unisson ; puis elles s’en- volent et vont daps un autre lieu un chasseur les prend avec son filet ; au moment elles vont périr, l’une d'elles émet le cri semblable au son de l'explication de la Loi et toutes crient à l'unisson; grâce à ce bon sentiment, elles naissent parmi les devas Trayastrimças. Dans celte nouvelle existence, elles redes- cendent auprès du Buddha entendent expliquer la loi et devien- nent srotâpannas. Autrefois elles avaient été, au temps du Bud- dha Kâcyapa, cinq cents femmes qui avaient accepté d'observer les défenses ; mais, parce qu'elles violèrent cet engagement, elles tombèrent dans cette condition d'animal; d’autre part, parce qu'elles avaient reçu les défenses, elles purent rencontrer le Tathâgata, entendre la Loi et obtenir la voie.

(Prop CIN 10 p.400 vs)

Devadatta lance contre le Buddha un éléphant ivre ; les cinq cents arhats s’enfuient en volant dans les airs ; seul Ânanda reste auprès du Buddha ; celui-ci n’a d'ailleurs qu'à étendre la main droite pour faire apparaître cinq cents lions qui frappent de ter- reur l'éléphant et l'empêchent de nuire. Il en à été de même autrefois : dans le royaume de Käci, il y avait cinq cents oies

102 TSA PAO TSANG KING (N° 411)

sauvages ; leur roi se nommait Lai-lch'a (Râsira) ; son ministre se nommail Sou-mo (Soma). Le roi des oies est pris par un chas- seur ; les cinq cents oies s'enfuient aussitôt en volant ; seul Sou-mo reste auprès de lui. Sou-mo propose au chasseur de le prendre au lieu du roi des oies ; le chasseur refuse et apporte le roi des oïes au roi Fan-mo-yao (Brahmayus). Le roi des oies émerveille le roi des hommes par ses discours sur l'imperma- nence, la décadence, la maladie et la mort ; quant à Sou-mo, il refuse avec modestie de prendre part à l'entretien, et se montre par aussi sage qu’il avait élé dévoué.

411.

(Trip., XIV, 10, pp. 36 v°-38 r°.)

Kia-lchan-yen (K âtyâyana) explique au roi Ngo-cheng (Canda) ses huil rêves.

Autrefois le Ngo-cheng (Can da, surnom de Pradyota, roi d'Ujjayini) tenait une conduite perverse et cruelle ; il n'avait aucun sentiment de compassion; leshérésiesétaient alors florissantes. Or le Tathâgata grand Compatissant (Mahâäkaruna) envoya ses disciples en tous lieux pour con- vertir les divers royaumes. Æia-tchan-yen (Kâtyâyana) était issu de la caste des brahmanes du royaume du roi Vgo- cheng ; c’est donc lui que le Buddha chargea de retourner dans ce royaume pour en convertir le roi ainsi que tous les habitants. ;

Quand le vénérable Xia-tchan-yen eut recu les instruc- tons du Buddha, il retourna dans son pays d’origine; en ce temps, le roi Vgo-cheng n'avait pas vu ce qui est droit et vrai et il favorisait les doctrines hérétiques ; c'était une règle constante pour lui de ne voir personne au commen- cement de la matinée et d'aller d’abord se prosterner de-

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vant le sacrifice offert aux devas. Cependant Æia-lchan- yen, qui se proposait d'ouvrir l'esprit du roi Ngo-cheng et de le convertir, se leva de très bon matin ; il se trans- forma en une autre personne et prit l'apparence d'un messager venu de loin; il était beau de visage et parvint à franchir la porte du roi. Quand il se trouva en présence du roi, il reprit sa forme primitive et redevint çramana. -Or le roi avait voué une haine toute particulière aux reli- gieux tondus ; grandement irrité, il lui dit donc : « Main- tenant votre mort est certaine. » Aussitôt il chargea des gens de se saisir de Xia-lchan-yen dans l'intention de .le faire périr. Æia-lchan-yen dit au roi : « Quelle faute ai-je commise pour qu’on me fasse périr ? » Le roi répon- dit : « Homme à tête rasée, votre vue porte malheur et c’est pourquoi je veux vous mettre à mort. » Le vénérable Kia-tchan-yen répliqua aussitôt : « S’ily a maintenant quel- qu’un à qui cela ait porté malheur, c’est assurément moi et non vous, Ô roi. En éffet, quoique vous m'ayez vu, vous n’en avez pas éprouvé le moindre dommage, tandis que moi, pour avoir été vu par vous, vous voulez que je sois mis à mort. Si on raisonne sur ces faits, on dira que celui à qui cela porte malheur, c’est bien moi. » Le roi était intelli- gent de nature; quand il eut entendu ces paroles, il en accepta le sens et fit relâcher Æia-lchan-yen. Il n'avait plus de mauvais sentiments à son égard.

Il chargea secrètement deux hommes de le suivre par derrière pour voir il s’arréterait et ce qu'il boirait et mangerait. Ces deux hommes virent que Kia-lchan-yen s’asseyait sous un arbre et qu’il mangeait la nourriture qu’il avait mendiée; lorsqu'il eut mangé, il partagea ce qui restait entre ces deux hommes, et, quant aux menus débris, il les jeta dans le fleuve. Ces deux émissaires étant revenus, le roi les interrogea sur l'endroit il s'était arrêté et sur ce qu’il avait bu et mangé; ils lui rappor- tèrent exactement ce qu'ils avaient vu.

104 TSA PAO TSANG KING (N° 411)

A quelques jours de là, le roi invita le vénérable Xia- tchan-yen et lui donna une nourriture grossière, puis il en- voya des gens lui demander si la nourriture qu’il venait de manger lui avait agréé. Le vénérable répondit : « Cette nourriture a une force qui est pleinement suffisante. » Un autre jour le roi lui donna de la nourriture exquise, de goût parfait, puis il envoya des gens lui demander si elle iui avait agréé. X1a-tchan-yen répondit : « Cette nour- riture a une force qui est pleinement suffisante. » Le roi alors demanda au vénérable : « Lorsque je vous envoie de la nourriture, qu’elle soit grossière ou qu'elle soit exquise, comment se fait-il que vous déclariez qu’elle est pleinement suffisante ? » Le vénérable Xia-lchan-yen ré- pondit au roi : « La bouche de l’homme est comparable à un fourneau qui sera chauffé aussi bien avec du santal qu'avec du fumier ; de même la bouche de l’homme, que la nourriture qu'on y met soit grossière ou soit exquise, sera rassasiée à sa mesure. » Puis il prononca cette gâthà :

Ce corps est comme un char qui ne choisit pas entre le bon et le mauvais ; l'huile parfumée et la graisse malodo- rante réussissent également à en faire tourner facile- ment les roues.

Quand le roi eut entendu ces paroles, il reconnut bien la grande vertu (de ÆXia-lchan-yen). Puis il donna aux brahmanes de la nourriture grossière et de la nourriture exquise. Quand les brahmanes reçurent d’abord la nour- riture grossière, ils en conçurent tous de la colère et pro- nonçèrent avec courroux des propos injurieux. Quand en- suite on leur donna de la nourriture exquise, ils furent joyeux et se répandirent en louanges. Lorsque le roi vit que les brahmanes étaient contents ou irrités sui- vant la nourriture qu'ils recevaient, il redoubla de confiance et d'estime à l'égard de Kia-tchan-yen.

Or voici ce qui arriva au vénérable : une jeune fille hors caste(tandâli, se trouvaitdemeurer dans un village de brah-

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manes en dehors de la ville ; elle avait de fort beaux che- veux ; quand le moment de la retraite d’été fut arrivé, elle éprouva le désir de faire des offrandes; elle coupa donc ses cheveux pour les vendre et obtint ainsi cinq cents pièces d’or qui lui permirent d'inviter X1a-lchan-yen pour lui faire des offrandes pendant la retraite d’été. Lorsque la retraite fut terminée, le vénérable Æïa-lchan-yen re- tourna dans la ville.

En cetemps, dans le palais du roi Vgo-cheng ilarriva qu'il y eut un faisan mort qui était tout semblable au faisan dont se nourrit un roi Cakravartin ; le roi Vgo-cheng voulait le manger ; cependant un ministre prudent lui dit: «Il ne faut pas que vous mangiez immédiatement ce faisan, car il im- porte que vous fassiez au préalable quelques essais avec lui. » Le roi suivit ce conseil et chargea un homme de couper un petit morceau du faisan pour le donner à un chien ; quand le chien eut reçut ce morceau de viande, il se plut avec tant d’avidité au goût de cette chair qu'il en avala sa langue et mourut. On coupa encore un petit mor- ceau de viande pour en faire un essai en le donnant à un homme ; quand l’homme eut mangé cette chair, il en ap- précia si fort la saveur qu'il en vint à dévorer sa propre main et mourut. Ayant vu cela, le roi en conçut une grande crainte ; il entendit dire que cette viande ne pourrait être mangée que par un saint roi cakravatin ou par un homme -possédant une connaissance sans défaut et ayant obtenu la sagesse parfaite ; il chargea donc un de ses gens d'ap- prêter habilement de cette excellente nourriture et de lap- porter au vénérable Æia-lchan-yen. Quand celui-ci eut mangé cet aliment, son corps se trouva en excellente santé. Le lendemain, le roi envoya quelqu'un observer comment il se portait; cet émissaire constata que Âta-lchan-yen avait l’air calme et heureux, et qu'il paraissait deux fois plus prospère qu'auparavant. Quand le roi en fut informé,ilen conçut une estime toute particulière pour Xta-lchan-yen à

106 TSA PAQ TSANG KING (N° 411)

l'égard de qui il redoubla de respect tandis qu’il traitait avec dédain les brahmanes hérétiques.

Le roi demanda à Xia-tchan-yen : « O vénérable, quelest le lieu vous avez passé la retraite cet été et d'où vous venez en ce moment? » Le vénérable lui raconta en détail comment la jeune fille hors caste (tandâli) avait vendu sa chevelure et en avait employé le prix à entretenir l'assem- blée des religieux. Quand le roi eut entendu ce récit, il pro- nonça ces paroles : « De toutes les femmes de mon harem, celles qui ont les plus beaux cheveux ne les vendraient pas plus que quelques pièces de cuivre. Or vous dites que les cheveux de cette femme valaient cinq cents pièces d’or; c’est donc que ses cheveux étaient d’une beauté extraor- dinaire ; son visage doit certainement être merveilleux. » Il s’informa alors des noms du père et de la mère de la jeune fille, puis il envoya un émissaire se rendre auprès d'elle pour voir lui-même comment elle était; sa beauté était en effet surprenante, ainsi qu’il l'avait supposé; le roi chargea alors ses émissaires d'offrir des présents de fian- çailles à la jeune fille pour qu’elle devint son épouse; mais les parents de celle-ci exigèrent de grande richesses, des villes et des villages. Le roise dit: « Si j'accorde à ces gens ce qu'ils demandent, quand la jeune fille viendra, tout cela m'appartiendra encore. » Il donna donc tout ce qu'on voulait et prit la jeune fille pour femme. Le jour il alla

«

à sa rencontre, le royaume entier se livra à

des réjouis- sances et tous les habitants proclamaient que l'événement était très heureux. Le lendemain, le roi publia une am- nistie générale et donna à safemme le nom de Che-p'o-kiu- cha (Givakoçà ?); il fut très heureux avec elle et lui té- moigna beaucoup d’égards. Par la suite, elle enfanta un prince-héritier dont le nom fut X’1ao-p'o-lo (Gopala). Cependant le roi, tandis qu'il reposait dans sa couche, eut huit rêves : le premier était que sur sa tête il y avait un feu allumé ; le second, que deux serpents s’enroulaient

TSA PAO TSANG KING (N° 411) 107

autour de sa ceinture ; le troisième, qu'un réseau de fines mailles de fer enserrait son corps; le quatrième, que deux poissons rouges avalaient ses deux pieds; le‘cinquième, que quatre grues blanches venaient en volant vers lui; le sixième, qu’il marchait dans une boue de sang en enfon- çant jusqu'aux aisselles ; le septième, qu'il était monté sur une grand montagne blanche; le huitième, qu'un héron dévorait sa tête. Quand il se fut réveillé, il pensa que ces rêves étaient de mauvais présage et il fut pénétré de cha- grin et d'inquiétude. Il alla donc demander leur avis aux brahmanes. Ceux-ci, qui étaient depuis longtemps aigris | contre le roi et qui étaient jaloux du vénérable, profitèrent |

|

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ÉREU ER =:

des songes que leur avait racontés le roi pour lui dire : « O grand roi, cela est de mauvais augure ; si vous ne dé- tournez pas le mal sur d’autres êtres sur lesquels 1l s'é- puisera, il vous atteindra vous-même. » Quand le roi eut entendu ces paroles, il crut qu’elles étaient véridiques et son chagrin redoubla ; il demanda donc : « Si on trans- fère le mal sur d’autres êtres de manière à ce qu'il s'épuise sur eux, quels devront être ces autres êtres ? » Les brahmanes répondirent : « Les êtres auxquels il faudra avoir recours sont ceux que vous estimez et aimez le plus; si nous vous les nommons, vous ne pourrez certainement pas suivre notre avis » Le roi répliqua : « Ces rêves étaient très funestes ; ma seule crainte estque de grandes calamités ne m'atteignent; en dehors de moi-même, il n’est personne à qui je tienne. Veuillez donc medire de qui je devrai me servir. » Les brahmanes, voyant son insis- tance, reconnurent que ses sentiments étaient à leur paro- xysme ; ils dirent alors au roi. « Voici les êtres dont il faudra vous servir ; vos rêves étant au nombre de huit, il sera nécessaire de recourir à huit sortes d'êtres pour pou- voir détourner sur eux les calamités; en premier lieu vous tuerez la femme que vous chérissez, Che-p'o-kiu-cha ; en second lieu vous tuerez le prince-héritier que vous

108 TSA PAO T<ANG KING (N° 411)

aimez, K'iao-p'o-lo(Gopala) ; entroisième lieu, vous tuerez votre principal ministre qui est votre soutien et votre con- seiller ; en quatrième lieu, vous tuerez votre ministre en second ; en cinquième lieu, vous tuerez votre éléphant qui peut parcourir trois mille li en un jour; en sixième lieu, vous tuerez votre chameau qui peut parcourir trois mille /: en un jour; en septième lieu, vous tuerez votre excellent cheval ; en huitième lieu, vous tuerez le chauve Kia-lchan-yen (1). Dans sept jours, quand vous aurez mis à mort ces huit sortes d'êtres, vous rassemblerez tout leur sang et vous marcherez dedans; ainsi vous pourrez anéantir les calamités. » Quand le roi eut entendu ces pa- roles, il donna son assentiment parce qu'il tenait fort à sa propre vie.

Revenu dans son palais, il s’abandonna à sa douleur et à sa tristesse. Sa femme lui ayant demandé quelle en était la cause, le roi lui exposa tout ce que nous avons dit plus haut au sujet des huit rêves néfastes et de ce que les brah- manes avaient déclaré nécessaire pour détourner sur d’autres le mauvais effet de ces rêves. À ce récit, son

épouse lui dit : « Si on peutfaire ainsi que votre personne, :

à roi, reste sauve, il n’y a pas lieu de se chagriner ; com- ment l’humble personne de votre servante vaudrait-elle la peine qu’on en parle? » Elle dit ensuite au roi : « Dans sept jours, je reviendrai pour mourir. Mais, permettez-moi, pendant les six jours précédents de me rendre auprès du vénérable ÆXia-lchan-yen pour y observer le jeûne et y écouter la Loi. Cela ne se peut pas, répondit le roi; si vous allez vers lui, vous lui direz peut-être ce qui en est, et, quand il sera informé, il pourrait m'abandonner en s’en allant au loin. » Cependant, comme son épouse le priait avec instances, le roi ne put pas lui refuser ce qu’elle demandait et il l’'autorisa à partir.

(1) Par erreur, le texte écrit ici Xia-l'chan-Fan au lieu de Xia-lchan-yen.

ET I D RS 9 PT PRE ES de DA GPO

TSA PAO TSANG KIxG (N° 411) 109

Quand l'épouse du roi fut arrivée auprès du vénérable, ellese prosterna devant lui et lui demanda de ses nouvelles. Quand trois jours se furent écoulés, le vénérable lui de- manda avec surprise : « L’épouse du roi n’est jamais aupa-

ravant venue ici pour y passer deux nuits de suite. Pour-

quoi maintenant agit-elle autrement que d'habitude ? » La femme lui raconta toute l’histoire des rêves néfastes du roi, puis elle ajouta : « Au bout de sept jours, il faudra qu'on nous tue afin de détourner sur nous les calamités ; il ne me reste que peu de temps à vivre ; c’est pourquoi je suis veaue écouter la Loi. » Quand elle eut exposé au vénérable quels avaient été Les rêves du roi, le vénérable X1a-tchan- yen lui dit : « Ces rêves sont de fort bon présage; il faut s’en réjouir et ne point y voir un sujet d’affliction. Le feu qui brûle sur la tête, c’est le présage que le royaume du souverain des joyaux viendra apporter en tribut au roi une couronne céleste du prix de cent mille onces d’or. Voilà exactement ce que signifie ce songe. » La femme était in- quiète, car le délai de sept jours allait être accompli ; elle serait alors mise à mort par le roi et craignait que le mes- sager porteur de la couronne n'arrivât trop tard ; elle de- manda donc au vénérable quand celui-ci arriverait.

« Aujourd’hui même, lui répondit-il, entre trois et cinq heures de l’après-midi, ilarrivera certainement. Les deux serpents qui s’enroulent autour de la ceinture, c’est le pré- sage que le roi du royaume des Yue-lche offrira deux épées d’une valeur de cent mille onces d’or ; au coucher du soleil (son ambassadeur) arrivera. Le réseau de fines mailles de fer qui entoure le corps, c’est le présage que le roi du royaume de Ta-ls'in offrira des pendeloques de perles d’une valeur de cent mille onces d’or ; demain, au point du jour, (son ambassadeur) arrivera. Les poissons rouges qui avalent les pieds, c’est le présage que le roi du royaume de Che-tseu (Simhala Ceylan) offrira des souliers précieux en p'i-lieou-li (vaidürya) d’une valeur de cent mille onces

110 TSA PAO TSANG KING (N° 411)

d’or ; demain, à l’heure du repas, (son ambassadeur) arri- vera. Les quatres grues blanches qui viennent, c’est le pré- sage que le roi du royaume de Pa-k'i offrira un char pré- cieux en or ; demain, au milieu du jour, (son ambassadeur) arrivera. Le fait de marcher dans une boue de sang, c’est le présage que le roi du royaume de Ngan-si (Parthie) offrira un (vêtement) k’in-p'o (-lo) (kambala) en poils de cerf d’une valeur de cent mille onces d’or ; demain, au moment le soleil commence à descendre, (son ambas- sadeur) arrivera. Le fait d'être monté sur une grande montagne blanche, c'estle présage que le roi du royaume de X’ouang-ye (Âtavi) offrira un grand éléphant ; demain, entre trois et cinq heures de l'après-midi, (son ambassa- deur) arrivera. Le héron qui dévore la tête du roi, c'est le présage que le roi aura demain une affaire d'ordre privé avec vous, son épouse ; c'est une chose que vous con- naîtrez demain. »

Tout se passa comme l'avait dit le vénérable, et, aux moments qu'il avait fixés, les offrandes des divers royaumes arrivèrent toutes. Le roi en fut extrêmement joyeux.

L'épouse Che-p'o-kiu-cha, qui avait déjà une couronne céleste, mit par-dessus celle-ci la couronne céleste qu'avait offerte le royaume du souverain des joyaux; par ma- nière de jeu, le roi enleva la seconde couronne que por- tait l'épouse Che-p'o-kiu-cha et la posa sur la tête de l’é- pouse Xin-mun(àla chevelure d’or —Suvarna keçà). L’épouse Che-p'o-kiu-cha s’en irrita et dit : « Naguère, quand il y avait un malheur imminent, c'était moi qui devais être la première à le subir. Maintenant, quand vous avez obtenu cette couronne céleste, vous la posez sur la tête d'une autre ! » Elle prit alors un bol de lait et le jeta à la tête du roi ; la tête du roi en fut toute inondée. Très irrité, le roi tira son épée pour en frapper son épouse ; celle-ci, crai- gnant le roi, s'enfuit dans son appartement et en ferma la porte en sorte que le roi ne put aller plus avant. Mais alors

TSA PAO TSANG KING (N° 411) . 111

le roi revint à résipiscence. Le vénérable lui expliqua son rêve en lui disant : « Quand j'ai parlé d’une affaire d'ordre privé, c'était précisément celle-ci. »

Le roi, en compagnie de son épouse, vint ensuite auprès du vénérable Æia-lchan-yen et lui exposa tout ce qui s'était passé : il avait ajouté foi à des paroles contraires à la Loi, perverses et fausses, et il avait été près de tenir une conduite très méchante à l’égard du vénérable, à l'égard de sa propre épouse, de ses principaux ministres et de tous les êtres qu’il aimait ; maintenant, il avait eu le privilège que le vénérable lui avait expliqué la vraie doc- trine et avait dissipé son aveuglement ; il avait donc pu voir la sagesse correcte et s'éloigner des mauvaises pra- tiques. Il pria alors le vénérable de recevoir ses offrandes, puis il chassa les brahmanes et les éloigna de son terri- toire.

Il demanda ensuite au vénérable pour quelle cause tous ces royaumes lui avaient offert ce que chacun d’eux avait de plus précieux. Le vénérable lui répondit : « Autrefois, il y a de cela quatre-vingt onze kalpas, il y avait un Buddha nommé P'i-p'o-che (Vipaçyin). Au temps le Buddha appa- rut dans le monde, il y avait un royaume nommé Pan-leou : le prince héritier, fils du roi de ce royaume, se plaisait avec foi à faire des progrès dans l'excellence ; il se rendit auprès de ce Buddha, lui fit des offrandes et l’adora ; puis il prit la couronne céleste qu’il portait sur sa tête, son épée, ses pendeloques, son grand éléphant, son char précieux et son vétement k’in-p'o-lo (kambala) et il offrit tout cela au Bud- dha. Grâce à cette action fortunée, de naissance en nais- sance il fut élevé en dignité ettous les objets précieux qu’il pouvait désirer venaient à lui sans qu’il eût à les de- mander ».— Quand le roi eut entendu ces paroles, il conçut une vénérationet une foi profonde à l'égard de l'endroit étaient les trois Joyaux. Il témoigna son adoration, puis retourna dans son palais.

112 TSA PAO TSANG KING

(Trip, XIV, 10, p: 98 F6

Le roi Ngo-cheng (Canda) aperçoit dans une salle d'un de ses parcs un chat d’or qui traverse la chambre en allant de l’angle nord-est à l'angle sud-ouest ; il fait creuser le sol et trouve une cruche de bronze de la contenance de trente boisseaux pleine de monnaie d’or ; puis il exhume deux autres cruches semblables à côté de la première ; il continue ses recherches et, sur un espace de cinq Li, il découvre des cruches analogues par groupes de trois. Le vénérable X7a-tchan-yen (Kâtyâyana)lui donne l'expli- cation du prodige : dans une existence antérieure le roi était un pauvre homme qui donna à un bhiksu les trois pièces de mon- naie qu'il avait gagnées en vendant du bois mort, et qui retourna dans sa demeure éloignée de cinq li, se réjouissant à chaque pas de la bonne action qu'il venait de faire.

(rap XENS 10 D 20-v":)

Le roi Ngo-cheng (Canda), se trouvant dans la ville de Yu-chan- yen (Ujjayini), cinq cents chars portant des bols précieux pleins de grains de céréales en or arrivent à la porte de la ville ; chaque bol est scellé avec une bande portant la suscription : « Ce bol est donné au roi Ngo-cheng. » Le vénérable X1a-tchan-yen (Kâtyà- yana) donne la raison de ce miracle : dans une naissance anté- rieure, le roi était un potier; or un Pratyeka Buddha cassa son bol et vint en demander un autre au potier ; celui-ci en prit cinq qu'il remplit d'eau et les lui donna avec joie. C’est la récompense de celte bonne action que reçoit aujourd'hui le roi. Les bols précieux ne se sont pas d’ailleurs produits d'eux-mêmes; ils viennent du palais du nâga dans le fleuve Gange ; autrefois en effet, l'oncle du roi Lo-mo(Râma),était un brahmane quitenaitune conduite pure; le roi Lo-m lui ayant fait don d’un bol précieux plein de nour- riture, ce brahmane mangea à sa suffisance, puis abandonna le bol dans le Gange,; le nâga aveugle qui était dans le fleuve recueillit ce bol, le remplit de grains de céréales en or et le plaça

TSA PAO TSANG KING (N° 412) 113

dans son palais ; avec le temps, ce bol se multiplia jusqu’à faire la charge de cinq cents chars ; à la mort du nâga aveugle qui ne laissait pas de fils, Cakra Devendra résolut de se servir des bols précieux tombés en deshérence pour récompenser le roi VNgo- cheng de sa bonne action d'autrefois,

N°12:

CÉRID RANCE D 68")

Histoire de celui qui priait le deva P'i-mo dans l'espérance d'oblenir un grand bonheur.

Autrefois, un frère aîné et son frère cadet étaient de pauvres gens : le frère aîné passait constamment ses jours et ses nuits à adorer avec une ardeur extrême et à implorer le deva P’i-mo (Bhima ?) dans l'espérance d'obtenir de grandes richesses. Cependant, il envoyait son frère cadet labourer les champs, semer et planter. Quand il eut ainsi passé beaucoup de temps à faire ses demandes, le deva P'i-mo prit un jour la forme du frère cadet et vint se pla- cer à côté du frère aîné; celui-ci lui dit avec irritation : « Pourquoi n'êtes-vous pas occupé à défricher et à planter et que venez-vous faire ici ? » Son frère cadet lui répondit : « Mon frère aîné, vous passez vos jours et vos nuits à faire des prières dans le temple du deva et vous espérez ainsi obtenir de grandes richesses. Moi, votre frère cadet, je veux aujourd’hui vous imiter; en observant le jeûne et les austérités et en formant des vœux, j'espère obtenir de grandes richesses. » Le frère ainé répliqua : « Si vous ne labourez pas les champs et si vous ne déposez pas des semences,comment pourrons-nous obtenir les biens néces-

ITT. 8

114 TSA PAO TSANG KING (N° 412)

saires et l’abondance ? » Le frère cadet répondit : « C’est donc bien à cause des semailles que nous obtiendrons cela ? » Le frère aîné ne sut que répondre. Alors P’i-mo reprit sa forme divine et lui dit: « L'aide que peut vous donner ma puissance, c'est précisément aujourd’hui que je vous la donne : c'est en pratiquant la libéralité qu’en- suite on peut être riche. Dans vos existences antérieures vous n’avez pas pratiqué la libéralité et c’est ce qui vous a rendu pauvre ; maintenant, quand bien même vous m'im- ploreriez jour et nuit, comment pourriez-vous obtenir l’opulence et les richesses ? Pour prendre une comparai- son, supposez qu'il y ait un arbre an-p’o-lo (âmra) et qu’on soit en hiver; quand bien même on rendrait un culte à des centaines ou à des milliers d’êtres divins en les priant de donner des fruits (de cet arbre), ces fruits ne pourraient être obtenus. Ainsi en est-il maintenant de vous : autrefois vous n'avez pas accompli des actes causatifs, et c'est pourquoi, quand vous vous adressez à moi pour implorer de moi de grandes richesses, vous ne les obtiendrez pas. C’est quand l’époque de la maturité est venue qu’on obtient les fruits sans avoir même à les demander. » Puis il prononça cette

gâtha :

Les acles anciens qui produisent le bonheur sont comme la

malurilé pour les fruits ; ce n’est pas par des sacrifices

aux dieux qu'on oblient le bonheur. C’est en montant sur

le char de l'observation des défenses que les hommes peuvent plus tard aller en haut parmi les devas. La fixilé el la connaissance sont comme l'extinction d'une lampe ; elles permettent d'arriver au non-composé.— Toutes choses sont oblenues comme des conséquences des actes qu’on à commis ; à quoi sert d'implorer les devas ?

TSA PAO TSANG KING (N° 413) 115

413.

(Trip., XIV, 10, p. 88 v°.)

Hisioure de la mère des démons qui avail perdu son fils.

La mère des fils-démons était la femme du vieux (1) roi des démons Pan-chü-kia (Pâñéika) (2) ; elle avait dix mille fils qui tous étaient doués de la force de grands athlètes (malla). Le plus jeune s'appelait Pin-k'ia-lo (Piñngala). Cette mère des tils-démons était méchante et cruelle ; elle tuait les enfants des hommes pour s’en repaître. La popu- lation, qui en était désolée, leva les yeux vers l'Honoré du monde et se plaignit à lui. L’Honoré du monde prit alors le fils Prin-k'ia-lo (Piñgala) et le plaça au fond de son bol (pâtra). La mère des fils-démons parcourut le monde entier et, pendant sept jours, rechercha (Pingala) sans le trouver. Elle se livrait à l’affliction et à la désolation lorsqu'elle apprit que des gens disaient: « On raconte que le Buddha, l'Honoré du monde, est omniscient. » Elle se rendit donc auprès du Buddha et lui demanda se trouvait son fils. Le Buddha lui répondit alors : « Vous avez dix mille fils. Pour en avoir perdu un seul, comment se fait-il que vous soyez désolée et affligée et que vous le recherchiez ? Dans ce monde les hommes ont, les uns un seul fils, les autres trois ou cinq fils; et cependant vous les faites périr. » La mère des fils-démons dit au Buddha : « Si maintenant je pouvais retrouver Pin-k’ia-lo (Piñngala), je ne tuerais plus jamais les fils des hommes de ce monde, » Alors le Bud-

(1) Le mot Æ « vieux » ne figure que dans l'édition de Corée.

(2) Dans le Divyävadäna (p. 447), Pàñcika apparait avec le titre de Yaksasenâpati « général des Yaksas ».

116 TSA PAO TSANG KING (N° 414)

dha fit voir à la mère des fils-démons Pin-k’ia-lo (Piñgala) qui était au fond du bol (pâtra): Elle épuisa toutes ses forces surnaturelles sans parvenir à le prendre. Elle revint implorer le Buddha. Le Buddha lui dit: « Si aujourd’hui vous pouvez accepter (les formules des) trois Refuges(triça- rana) et des cinq Défenses (pancaveramani), et si jusqu’à la fin de votre vie vous ne tuez plus, je vous rendrai votre fils. » La mère des fils-démons acquiesça aussitôt à l'ordre du Buddha et accepta (la formule des) trois Refuges ainsi que celle des cinq Défenses ; quand elle les eut acceptées pour les observer, son fils lui fut rendu. Le Buddha lui dit: « Observez bien les défenses. Vous avez été au temps du Buddha Æia-chà (Käçyapa) la septième et la plus jeune fille du roi Xie-ki (1) ; vous avez accompli des actions grandement méritoires ; mais, parce que vous n'avez pas observé les défenses, vous avez reçu ce corps de démon. »

NET:

(Pris NN A0 ED 09)

Histoire de celui qui voulait présider aux sacrifices offerts à un deva.

Autrefois il y avait un brahmane qui rendait un culte au deva Mo-che (Mahecvara) ; jour et nuit, il lui faisait des offrandes. Le deva lui demanda alors : « Que désirez-vous obtenir ? Je souhaite maintenant, répondit le brahmane, devenir celui qui préside aux sacrifices de ce deva. » Le deva lui dit: « Il y a là-bas un troupeau de bœufs ; allez in-

(1) JL. Seule, l'édition de Corée donne par erreur la leçon #8 JA.

: : }

TSA PAO TSANG KING (N° 415) 117

terroger celui d'entre eux qui marche en avant. » Le brahmane fit ce que lui disait le deva et alla demander à ce bœuf : « Étes-vous présentement dans une situation pénible ou heureuse ? » Le bœuf lui répondit: « J’endure des peines extrêmes ; (l’aiguillon) me perce incessamment les deux côtés; le bois de chauffage (qu’on me fait porter) déchire mon échine qui est à vif; on m'’attelle pour tirer des chars pesamment chargés et je “n'ai jamais de repos. » Le brahmane lui demanda encore: « Pour quelle cause avez-vous reçu ce corps de bœuf ? » Le bœuf répondit: « J'étais celui qui préside aux sacrifices de ce deva ; à mon gré et avec une application extrême, j'immolais les vic- times offertes au sacrifice de ce deva. Quand ma vie eut prit fin, je devins un bœuf et j'endurai tous ces tour- ments. » Quand le brahmane eut entendu ces paroles, il revint auprès du deva. Celui-ci lui demanda: « Désirez- vous maintenant présider aux sacrifices ? » Le brahmane répondit : « Puisque j'ai vu ce qui était arrivé, en vérité je n’oserais pas remplir cet office. » Le deva reprit: « C'est par leurs actions bonnes ou mauvaises que les hommes obtiennent des rétributions appropriées. » Le brahmane se repentit de ses fautes et se mit à pratiquer toutes sortes d'actions excellentes.

NL

(PripeSXINS AUD. 0071)

Histoire de celui qui sacrifiail au dieu d'un arbre.

Autrefois il y avait un vieil homme dont la famille pos- sédait de grandes richesses. Or, ce vieil homme souhaita avoir de la viande à manger, et eut recours alors au stra-

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tagème suivant : il désigna à ses fils un arbre qui était à l'extrémité d’un champ et leur dit: « Si notre patrimoine a pu augmenter régulièrement, c’est grâce aux bienfaits dont nous a comblés le dieu de cet arbre. Il vous faut maintenant prendre dans vos troupeaux un mouton pour le lui sacrifier. » Alors les fils, obéissant à l’ordre de leur père, tuèrent un mouton qu'ils offrirent à cet arbre avec des actions de grâces; puis ils installèrent au pied de l'arbre un sanctuaire du dieu.

Par la suite, le père mourut de vieillesse ; par l'effet de ses actes antérieurs,il revint naître parmi les moutons de sa propre famille. Or, il advintque ses fils voulurent sacri- fier au dieu de l’arbre ; ils prirent donc un mouton et leur choix tomba précisément sur celui qui avait été leur père. Alors, le mouton dans ses bélements, dit en riant : « Quelle divinité peut-il bien y avoir dans cet arbre que voici? Autrefois, parce que je souhaitais avoir de la viande, je vous ai engagé par tromperie à lui sacrifier et alors, en votre compagnie, j'ai mangé de cette chair; maintenant l’expia- uon de ce crime m'atteint moi seul le premier. »

Sur ces entrefaites, un arhat survint pour mendier sa nourriture ; il s’aperçut que le père défunt avait reçu ce. corps de mouton; alors il prêta aux propriétaires (des mou- tons) sa vue surnaturelle et les engagea à observer par eux-mêmes (1); aussitôt ils reconnurent que c'était leur père (qu'ils allaient immoler) ; ils en concurent du déplaisir etabattirent aussitôt l'arbre et son dieu ; ils se repentirent de leurs fautes et pratiquèrent des actes producteurs de bonheur; ils ne tuèrent plus désormais aucun être vivant.

(1) Le mouton parle en bélant, et c’est pourquoi il n'est pas compris de ses fils. Il faut la venue de l'arhat pour que les fils reconnaissent que ce moutonn'est autre que leur père défunt.

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TSA PAO TSANG KING (N° 416) 419

N°16;

CLP AIN A0, p:99 7°)

Histoire de la femme qui, lasse des désirs sensuels, entra en religion.

Autrefois il y avait une femme d’une beauté merveilleuse qui entra en religion dans une secte hérétique pour pra- tiquer la sagesse. Les gens de ce temps lui demandèrent: « Quand on a un visage comme le vôtre, on doit rester dans la vie séculière ; pourquoi entrer en religion ? » Cette femme répondit: « En ce qui me concerne, si maintenant j'entre en religion, ce n’est pas parce que je ne suis plus belle, mais c’est parce que, depuis peu, j'ai en horreur les désirs pervers et débauchés. Lorsque j'étais encore dans ma famille, je fus, à cause de ma grande beauté, mariée fort jeune et je mis au monde de bonne heure un fils ; ce fils devint grand ; ilétait d’une beauté sans égale ; mais je vins à m'apercevoir qu'il maigrissait et dépérissait comme s’il eût été malade ; je demandai donc à mon fils de quel mal il souffrait ; il refusa de me le dire ; cependant, comme je ne cessais pas de l’interroger, il ne put plus se contenir et me déclara : « Si je ne vous l’avoue pas, il est à craindre que ma vie ne prenne fin; si je vous l’avoue, je serai couvert de confusion. » Il me dit alors: « Je désire vous posséder, ma mère, pour satisfaire ma passion ; c'est parce que je ne vous possède pas que je suis malade. » Je lui répondis : « Jamais il n’y a eu chose pareille! » Mais ensuite je songeai que, si je n’accédais pas à son désir, mon fils peut-être pourrait mourir et qu'il valait mieux manquer à mon devoir pour sauver sa vie. Je l’appelai donc

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dans l'intention d'accéder à son désir ; mais au moment mon fils allait monter sur le lit, la terre se fendit et mon fils fut précipité tout vivant (dans le gouffre). Prise de terreur je voulus le retenir avec la main, mais je ne pus saisir que ses cheveux; or, maintenant, ces cheveux de mon fils, je les ai encore dans mon sein. Profondément émue par cette aventure, j'entre donc en religion. »

Norr,

(rip XIV:40; p-39N°7)

Histoire du fils qui ful cruellement puni de son manque de piélé filiale.

Antrefois, dans le royaume de Æ1a-mo, dans le village de Xteou-lo-chan (Kutasanda ), il y avait une vieille mère qui n'avait qu'un seul fils. Ce fils était désobéissant et ne pratiquait ni la bonté ni la piété filiale; une fois qu'il était irrité contre sa mère, il leva la main sur elle et la frappa d'un coup. Ce jour-là même, étant sorti, il rencontra des brigands qui lui coupèrent un bras. Son manquement à la piété filiale reçut donc une rétribution immédiate. Felles furent ses souffrances, et, plus tard, dans les en- fers, il subit des tourments dont on ne saurait faire le compte.

NS NES

(Zrip.; XIV, 10, pp. 39 v°=A0 r°.)

Entreliens du roi Nan-lo (Ménandre) et de Na-k'ia- sseu-na (Nâgasena)

Autrefois le roi Nan-Fo (Ménandre) était doué d’une grande intelligence et d’une perspicacité étendue ; il n’était

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rien sur quoi il ne fût instruit; il disait que, pour son savoir, il ne pouvait avoir aucun rival. Il demanda donc à ses ministres : « Y a-t-il un homme sage et habile à dis- cuter qui, consulté sur des questions douteuses, soit ca- pable de me répondre ? » Or, un des ministres entretenait depuis quelque temps dans sa demeure un vieux bhiksu qui menait une vie pure mais qui n'avait pas cependant des connaissances étendues. (Ce vieux bhiksu) étant venu causer avec le roi, celui-ci lui demanda : « Ceux qui ob- tiennent la sagesse, l’obtiennent-ils en restant dans le monde ou en sortant du monde ». Le vieux bhiksu répon- dit alors : « Dans les deux conditions on peut l'obtenir. » « Si on peut l'obtenir dans les deux conditions, répliqua le roi, à quoi sert de sortir du monde ? » Le vieux bhiksu fut aussitôt réduit au silence et ne sut que répondre. Le roi Van-l'o (Ménandre) n'en devint que plus arrogant.

En ce temps, ses ministres dirent au roi : « Va-k'1a-sseu- na (Nâgasena) a une sagesse qui l’emporte sur le commun des hommes ; il est actuellement dans les montagnes. » Alors le roi, voulant le mettre à l'épreuve, lui envoya un messager porteur d'un vase de lait fermenté qui était plein jusqu'aux bords ; le roi voulait signifier par « Ma sagesse est complète ; qui pourrait y rien ajouter Quand /Va-k'ia-sseu-na (Nâgasena) eut recu le vase, il. comprit quel était le sens (de cet envoi) ; il recueillit parmi ses disciples cinq cents aiguilles qu’il enfonça dans le lait fermenté sans que celui-ci débordât; puis il ren- voya {le tout) au roi. Quand le roi l’eut reçu, il comprit quelle avait été sa pensée et dépêcha aussitôt un messager pour inviter /Va-k'ia-sseu-na (Nâgasena) à venir; celui-ci se rendit à l’ordre du roi. Va-k'ia-sseu-na (Nâgasena) était de haute stature, et, comme il avait emmené avec lui tous ses disciples, il émergeait singulièrement de leur foule. Le roi était pénétré d’arrogance ; sous le prétexte d’aller à la chasse, il fit en sorte de le rencontrer sur la

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route ; quand il eut vu sa haute stature, il indiqua lui- même ses gens) un autre chemin et partit sans lui avoir adressé aucune parole. Il méditait secrètement de le mettre en défaut, mais personne des notables n’en savait rien. Cependant Va-k'ia-sseu-na (Nâgasena) se servit alors de son propre doigt pour indiquer sa poitrine en disant : « Moi pourtant je sais (ce que médite de faire le roi). »

Le roi Van-fo, se proposant d'inviter (Nâgasena) à venir dans son palais, imagina de faire une petite cham- bre dont la porte était extrêmement basse ; il espérait obliger ainsi (Na-k'ia-sseu-na à se présenter à lui dans une posture inclinée. Mais ce (Va-k’ia)-sseu-na), qui savait qu’on voulait le faire tomber dans un piège, se refusa à entrer et ne subit pas cette humiliation.

Puis le roi Van-lo prépara à boire et à manger et donna Nâgasena) plusieurs sortes de mets grossiers; quand (Nâgasena) en eut mangé quelques cuillerées, il déclara qu'il était rassasié. Mais on lui présenta ensuite. des mets exquis etil se remit à manger. Le roi lui dit : « Vous aviez dit précédemment que vous étiez rassasié ; comment se fait-il que vous vous remettiez à manger ? » (Na-k'ia-)sseu-na lui répondit : « J'étais rassasié de nour- riture grossière, mais je n'étais pas encore rassasié de nourriture exquise. » Il dit alors au roi : « Maintenant, veuillez, Ô roi, rassembler dans la salle une multitude d'hommes, de manière à ce qu'elle soit entièrement pleine. » On appela donc des gens pour remplir complè- tement la salle, de sorte qu’il n’y avait plus aucun espace vide ; le roi vint après tous les autres, et, comme il se proposait d'aller en haut de la salle, les hommes, par crainte de lui, se comprimèrent leurs ventres ; au milieu d'eux se produisit un espace libre qui aurait pu livrer passage à plusieurs hommes. (Va-k'ia-\sseu-na dit alors au roi : « La nourriture grossière est comme les gens du peuple ;lanourriture exquise est comme le roi. Quand ces

TSA PAO TSANG KING (N° 418) 123

gens sont en présence du roi, quel est celui d'entre eux qui ne s’écarterait de son chemin ? »

Le roi lui demanda encore ceci : « Est-ce en sortant du monde ou en restant dans la vie laïque qu’on obtient la sagesse ? » (Na-k’ia-jsseu-na) répondit : « Des deux manières on obtient la sagesse. » Le roi reprit : « Si on l’obtient de l’une et de l’autre façon, à quoi bon sortir du monde ? » (Va-k'ia-)sseu-na répondit : « Prenons une comparaison : pour aller dans un endroit situé à trois mille /t d'ici, si vous envoyez un homme jeune et fort, monté sur un cheval, pourvu de provisions de bouches, et muni d’ustensiles et d'armes, cet homme pourra-t-il arriver promptement à destination? » Le roi ayant ré- pondu qu'il le pourrait, (Na-k'ia-) sseu-na reprit : « Si vous envoyez un homme vieux, monté sur un cheval éti- que et dépourvu de vivres, cet homme pourra-t-il par- venir à destination ? » Le roi répondit : « Même si on lui fournissait des vivres, je craindrais qu'il ne parvint pas (au terme de son voyage); combien plus, s'il n’a pas de vivres. » (Na-k'ia-sseu-na) dit alors : « Celui qui sort du monde pour obtenir la sagesse est comparable à l’homme jeune et fort; celui qui reste dans la vie laïque pour obte- nir la sagesse est semblable à l’homme vieux. »

Le roi posa encore la question suivante : « Maintenant je désire vous demander ceci : Le moi qui est constitué par les choses qui sont dans mon corps, est-il permanent ou impermanent ? Répondez-moi d’une manière qui me satisfasse. » (Na-k'ia-) sseu-na demanda à son tour : « Les fruits de l'arbre ngan-p'o-lo (âmra) qui est dans le palais du roi sont-ils doux ou acides? » Le roi répondit : «Dans mon palais il n'y a aucun arbre de cette sorte; com- ment pouvez-vous me demander si ces fruits sont doux ou acides ? » {Va-k'ia-)sseu-na reprit : «Je vous répondrai moi aussi de la même manière ; tout l’ensemble des cinq viscères ne constitue point le moi ; comment pouvez-vous

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me demander sice moi est permanent ou impermanent ? »

Le roi posa encore cette question : « Dans la multitude des enfers, quand des lames tranchantes dépècent le corps et le dispersent en tous lieux, est-il vrai que l’individua- lité subsiste toujours ? » (Na-k’ia-)sseu na répondit : « Pre- nons une comparaison : quand une femme mange des gâteaux, de la viande, des melons, des légumes, tous ces aliments se dissolvent et se transforment ; mais quand elle devient enceinte, au moment du ko-lo-lo (kalala, l’em- bryon à son premier degré) il n'y a encore qu’une minus- cule poussière ; comment se fait-il que celle-ci se déve- loppe de plus en plus sans se dissoudre et sans se transformer ? » Le roi répondit : « C’est un effet de la force du karman. Dans les enfers, répliqua (Va- l’ia-) sseu-na, c’est de même par la force du karman que le principe de l’individualité peut se conserver. »

Le roi posa encore cette question : « Quand le soleil est au firmament, sa forme reste toujours identique à elle- même ; comment se fait-il qu’en été il soit très chaud et qu'en hiver il soit très froid, qu’en été les jours soient longs et qu’en hiver les jours soient courts ? » (Na-k'ia-) sseu-na répondit : « Sur la montagne Stu-mi (Sumeru) il y a une voie supérieure et une voie inférieure ; en été, le soleil passe par la voie supérieure ; le chemin est plus lointain et le parcours est plus lent ; (en outre, le soleil) se réfléchit sur la montagne d'or; voilà pourquoi les jours sont longs et pourquoi il fait chaud. En hiver, le soleil passe par la voie inférieure ; le chemin est plus proche et le parcours est plus rapide ; (en outre, le soleil) se réfléchit sur l’eau de la grande mer; voilà pourquoi les Jours sont courts et pourquoi il fait très froid. »

TSA PAO TSANG KING (N° 419) 125

419.

(Trip, XIV, 10; p..A0 r°.)

Histoire de l'épouse dépourvue de piété filiale, qui, voulant faire périr sa belle-mère, tua son mari.

Autrefois, il y avait une femme mariée qui était de méchant caractère et qui ne se conformait point aux rè- gles rituelles. Dans tout ce qu’elle disait et faisait, elle se trouvait en désaccord avec sa belle-mère; comme elle subissait les reproches irrités de sa belle-mère, elle en conçut un ressentiment dont elle ne pouvait se détacher ; ses sentiments de haine ayant atteint leur paroxysme, elle résolut de faire périr sa belle-mère et elle eut recours au moyen suivant; elle conseilla à son mari de tuer lui- même sa mère. Comme cet homme était sot et insensé, il suivit ses avis ; il emmena donc sa mère dans un endroit désert; 1l lui lia les pieds et les mains et il s’apprêta à la mettre à mort ; mais l’énormité de ce crime provoqua une émotion qui pénétra jusqu’au ciel; des nuages et des brouillards s’accumulèrent dans les quatre directions de l'espace et, à cause de cela, un coup de foudre descendit qui foudroya cet homme. La mère revint alors à la maison. Quand l'épouse lui ouvrit la porte, elle crut avoir affaire à son mari et lui demanda : « La mise à mort est-elle accomplie? » Sa belle-mère lui répondit : « Elle est accomplie. » Le lendemain, quand il fit jour, l'épouse reconnut que c'était son mari qui était mort. Telle fut la punition immédiate que reçut cet homme pour avoir com- mis un crime contre la piété filiale ; ensuite, il entra dans les enfers et y subit des tourments illimités.

126 TSA PAO TSANG KING

(Trip., XIV, 10, p. 4o r°-v°) {1).

Chaque nuit, le roi de Bénarès entend dans le cimetière une voix qui l'appelle. Il charge un homme brave d'aller voir ce qui en est. Cet homme se trouve dans le cimelière en présence d’un dieu des richesses qui lui annonce que lui-même et sept com- pagnons viendront lui rendre visite le lendemain sous la forme de religieux ; il n’aura qu'à frapper avec un bâlon sur la tête de chacun de ces religieux et ceux-ci se transformeront aussitôt en autant de monceaux d’or. Le lendemain, tout se passe de la sorte. Mais un barbier, qui a vu secrèlement la scène, projette d’en faire autant ; il invite chez lui huit religieux et assène à chacun d'eux un grand coup de bâton. Il ne réussit qu’à les assommer el est arrêté par les gens du roi.

EPIpas XIV 10 pDA0x°)

Un vieux bhiksu dont l'âge a émoussé les facultés intellec- tuelles, demande à de jeunes bhiksus de lui donner les quatre fruits de la saintelé. Ces jeunes gens, qui veulent se railler de lui, le font asseoir dans un coin de la chambre et lui assènent un coup sur la têle avec un ballon de cuir en lui disant : « Voilà le fruit de srotâäpanna ». Le vieux bhiksu est si absorbé dans sa méditation, qu'il ne s'aperçoit pas du mauvais tour qu’on lui a joué ; il obtient en effet le fruit de sroläpanna. La même scène se répète pour le fruit de sakrdägâmin, pour le fruit d’anâgâ- min et pour le fruit d’arhat. Quand le jeu a pris fin, les Jeunes sens s’aperçoivent avec stupéfaction que le vieux bhiksu est effectivement devenu un arhat et ils se repentent vivement de leur sotte conduite.

(1) Ce conte a été traduit par Ed.-Huber {B. E. F. E. O. vol. IV, pp. 707- 709 qui l'a rapproché du premier conte du cinquième livre du Pantatantra.

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T-A PAO TSANG KING (N° 420) 127

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_ Une femme très croyante demande à un vieux bhiksu de lui expliquer la Loi ; le bhiksu, qui s’en sait incapable, s'esquive en profilant de ce que la femme a fermé les yeux pour le mieux entendre ; quoique n'entendant rien, la femme resle attentive, et, par la force de sa méditation, elle obtient le premier fruit de la sainteté. Elle en exprime plus tard ses remerciements au vieux bhiksu qui se sent couvert de confusion.

Ne -1202

Crine, KIN A0 DD mr)

Histoire du roi Yeou-lo-sien (Udasena.

Autrefois, le roi Yeou-lo-sien (Udasena) demeurait dans la ville de Lou-lieou (Roruka) ; il était intelligent et perspicace et possédait une grande sagesse. Sa première épouse se nommait Yeou-siang (Laksanavati ; elle avait une beauté merveilleuse et en même temps elle agissait avec vertu ; le roi l’aimait et l’estimait fort et il avait pour elle une affection extrême. C'était la règle en ce pays que le roi ne jouât pas lui-même du luth (vinâ); cependant, cette épouse ayant confiance dans l'affection qu’elle inspi- rait, dit au roi: « Je désire que vous me jouiez du luth; quant à moi, je danserai pour vous être agréable. » Le roi ne put résister à son désir; il prit le luth et joua; sa

femme leva alors les mains etse mit à danser. Le roi était

fort versé dans l’art de discerner les pronostics ; quand il vit sa femme danser, il remarqua sur elle des pronostics de mort; il lâcha aussitôt le luth et, plein de chagrin,

128 TSA PAO TSANG KING (N° 420)

poussa de profonds soupirs. Sa femme lui dit: « Comme je jouis de votre faveur, à roi, je me suis permis dans cette chambre retirée de vous inviter à jouer du luth et je me suis levée moi-même pour danser afin que nous nous ré- jouissions ensemble. Quelle cause de mécontentement vous fait abandonner le luth et soupirer ? Je désire, Ô roi, que vous ne me cachiez rien et que vous me parliez ouverte- ment. » Le roi lui répondit: « Ce qui me fait pousser de profonds soupirs, c’est une chose que vous ne sauriez en- tendre. » Sa femme répliqua : « Maintenant, à roi, je vous sers avec une sincérité sans seconde ; si j'ai commis quel- : que manquement, il faut que vous me donniez un aver- tissement. » Comme elle ne cessait pas ses instances, le roi lui dit la vérité: « Comment aurais-je pu changer de sentiments à votre égard ? Quand vous vous êtes naguère levée pour danser, des pronostics de votre mort me sont apparus ; j'estime que vous n'avez plus que sept jours à vivre ; voilà la raison pour laquelle j'ai lâché mon luth et j'ai soupiré. » En entendant ces paroles, son épouse fut pleine de tristesse et de crainte ; elle dit au roi: « Puis- qu'il en est comme vous venez de le dire, Ô roi, ma des- tinée ne sera sans doute plus longue. Or j'ai entendu dire à la bhiksuni Che-che (maison de pierre Çailà) que, si une personne peut avec un cœur croyant entrer en religion, ne füt-ce que pendant un seul jour, certainement elle obtiendra de renaître parmi les devas. C’est pourquoi donc je veux entrer en religion et je désire que vous m’y auto- risiez. Dès que j'aurai obtenu cette permission, je me mettrai en route.» Cependant le roi était fortépris; l'amour dont il la favorisait n’était point éteint; il dit donc à son épouse : « Au commencement du sixième jour je vous don- nerai mOn autorisation pour que vous sortiez du monde et que vous entriez en religion et je ne m'opposerai plus à votre désir. » Quand le sixième jour fut arrivé, le roi dit à son épouse : « Vous avez d'excellents sentiments et vous

TSA PAO TSANG KING (N° 420) 129

désirez sortir du monde ; si vous obtenez de renaître comme devi, ne manquez pas de venir me voir. À cette condition je vous autoriserai à sortir du monde. » Quand il eut fait ce serment, son épouse consentità ce qu'il exi- geait et alors elle put sortir du monde. Elle reçut les huit défenses; mais, ce jour-là même, comme elle avait bu beau coup de sirop de miel, elle eut un embarras gastrique et, le septième jour au matin, sa vie prit fin. Grâce à l’excel- lente cause (qu'elle s'était assurée en entrant en religion), elle obtint de naître parmi les devas. Elle conçut alors trois pensées : la première consistait à se rappeler quel avait été son corps d'autrefois ; la seconde consistait à se demander quelle action méritoire elle avait accomplie comme cause antérieure ; la troisième consistait à songer que présentement elle avait certainement un corps de devi, Quand elle eut eu ses pensées, elle connut quelle était la cause antérieure et en même temps quel était le serment qu’elle avait fait avec le roi. En vertu donc de ce serment d’auparavant, elle vint rendre visite au roi. En ce moment, un éclat illumina tout le palais du roi; le roi demarda : « Ce merveilleux éclat qui apparaît maintenant, à cause de qui se produit-il ? Je désire qu'on me le révèle. » La devi lui répondit: « Je suis votre femme, l'épouse Yeou- siang. » Quand le roi eut entendu cette parole, il désira qu’elle vint s'asseoir auprès de lui. Mais la devi lui répon- dit: « En ce qui me concerne, je considère que votre corps est souillé et je ne puis me rapprocher de vous intimement. À cause de mon serment d’auparavant, je suis venue vous voir. » En entendant ces mots, le roi sentit son cœur s’ou- vrir à la compréhension et il dit: « Cette devi que voici était autrefois ma femme ; parce qu’elle avait des senti- ments excellents, elle a demandé à entrer en religion ; elle est sortie du monde pendant un seul jour, puis sa vie prit fin ; à cause de cette action méritoire elle a obtenu de re- naître en qualité de devi. Sa pensée divine est haute et QUE 9

13) TSA PAO TSANG KING (N° 420)

s'étend au loin; aussi me considère-t-elle comme vil et méprisable. Pourquoi donc maintenant ne sortirais-je pas du monde ? J'ai entendu dire autrefois qu’un seul ongle d'un deva vaut tout le Jambudvipa; à plus forte raison mon seul royaume ne mérite-t-il pas qu'on y tienne. » Quand il eut ainsi parlé, il mit sur le trône son fils Wang- kiun (Râjasena) pour qu'il lui suecédât dans la dignité royale ; il sortit du monde, étudia la doctrine et obtint de devenir arhat.

Or, le roi Wang-kiun, s'étant mis à gouverner le royaume, accorda sa confiance à des hommes habiles à calomnier et ne se soucia plus des intérêts du royaume. Le roi Yeou-l'o- sien (Udasena) songea avec pitié à son fils ainsi qu'aux habitants du royaume et il forma le projet d'aller les con- vertir pour qu'ils rentrassent dans la bonne voie. Quand le le roi Wang-kiun (Râjasena) apprit que son père allait arri- ver, il en eut des transports de joie illimités et voulut or- donner à tous les habitants d'aller à sa rencontre sur la route. Mais ses ministres calomniateurs, craignant d'être renvoyés, dirent au roi: « Présentement, 6 roi, vous por- tez sur votre tête la couronne céleste et vous êtes assis sur le trône de lion (simhäsana). Or, c'est la règle que deux per- sonnes ne peuvent s'asseoir à la fois sur le trône de lion ; si vous amenez ici le roi votre père, il reprendra la dignité royale et certainement vous fera périr. Si vous voulez con- server le pouvoir, il faut tuer le roi votre père. » Le roi Wang-kiun se sentit alors tout triste et déconcerté; il hésitait sans cesse entre divers partis; comme les remon- trances qu'on lui adressait ne cessaient pas, il conçut une mauvaise pensée et fit appel à un candâla pour tuer son père.

Quand le Candâla eut reçu cette mission, il se rendit auprès du vieux roi et l’adora en se prosternant, puis il lui dit: « Auparavant, quand je suis venu ici, j'ai recu des bienfaits de vous ; aussi n’ai-je point en réalité le désir de

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vous nuire. Mais maintenant on m'a chargé de venir vous tuer ; si je ne vous fais pas périr, c'est certainement moi qu’on punira de mort.» Le vieux roi répondit : « Si je suis venu présentement, c'était dans le désir de convertir votre voi. Comment pourrais-je tenir à ma personne au point de causer votre condamnation à mort?» Alors il allongea ‘son cou jusqu'à ce quil fût long de plus de cent pieds, puis il dit au tandâla : « Coupez-le comme il vous plaira. » Aussitôt Le candâla le frappa avec un glaive de toutes ses forces, mais la lame ne put lui faire aucune blessure. Le vieux roi, ému de compassion, prêta alors au tandâla une force surnaturelle, puis il lui dit : « Vous irez de ma part dire ceci à votre roi : Maintenant vous avez tué votre père, et, en outre vous avez fait périr un arhat; pour avoir com- mis ces deux crimes, vous aurez fort à vous repentir, car vous aurez ainsi accompli une faute qui se transmettra (d'existence en existence). » Après que le Candàäla eut recu ces instructions, il leva son glaive pour frapper de nouveau et il coupa la tête du vieux roi; puis il la rapporta dans le royaume. Quand le roi Wang-kiun vit la tête de son père dont le teint n’était point altéré, il comprit que son père avait obtenu la sagesse et ne convoitait point la dignité royale; des regrets alors lui vinrent; son cœur fut plein de cha- grin ; à force de pleurer et de se lamenter, il perdit connais- since ; au bout d’un long moment, quandil eutrepris con- naissance, il demanda au Candâla quelles paroles avait pro- noncées son père ; le Candâla révéla alors au roice que le “vieux roi lui avait ordonné de dire: « Vous avez tué votre père, et, en outre vous avez tué un arhat ; pour avoir com- mis ces deux crimes, vous aurez fort à vous repentir. » Quand le roi entendit ces paroles, son désespoir redoubla ; il dit: « Maintenant le roi mon père avait obtenu la sagesse d'arhat; comment aurait-11 convoitéle royaume? Cependant

on m'a fait tuer mon père. » Or, les ministres calomnia-

132 TSA PAO TSANG KING (N° 420)

teurs, craignant que le roi ne les fit périr, lui tinrent ce langage : « Dans le monde comment y aurait-il des arhats ? à roi, vous ajoutez foi à de vains propos et c’est pourquoi vous vous affligez. » Le roi leur répondit: « Maintenant, quoique mon pére soit mort depuis plusieurs jours, sa tête n’a point changé de teint. S'il n'avait pas atteint la voie, comment pourrait-1l en être ainsi? En outre, du temps de mon père,les grands ministres Tie-che(Tisya) et Yeou- p'o-lie-che (Upalisya) sont tous deux sortis du monde et ont obtenu la voie d’arhat; ils ont fait toutes sortes de miracles dont nous avons été témoins. A leur nirvâna, on a recueilli leurs os et on a élevé des stüpas qui aujour- d'hui existent encore. Comment dites-vous qu'il n’y a pas

(d'arhats) ? » Les ministres calomniateurs répliquèrent : « Dans le

monde ceux qui s entendent aux recettes des incantations et qui possédent les forces magiques sont eux aussi capa- bles de faire des miracles. Les deux ministres dont vous avez parlé n'étaient pas des arhats; d'ici quelques jours nous vous en «donnerons la preuve. » Quand ils eurent ainsi parlé, ils pratiquèrent un trou au pied de chacun des deux stûpas, et, dans chaque trou, ils placèrent un chat; ils donnaient à manger à ces chats auprès du stüpa, et, quand ils disaient l’un deux): « Sors, Tie-che (Tisya), » le chat sortait pour manger de la chair; quand ils lui di- saient de s'en retourner, il rentrait dans son trou. Quand ils eurent ainsi dressé les chats et que ceux-ci furent bien dociles, ils dirent au roi: « Désirez-vous voir Tie-che et son compagnon ? Nous souhaitons que vous veniez les vor avec nous. » Le roi ordonna aussitôt d’atteler son char et se rendit aupres des stüpas. Ces hommes calomniateurs appelèrent «lors Tte-che (Tisya) en lui disant de sortir et le chat sortit en ellet du trou; ils lui ordonnèrent de s’en retourner el le chat rentra dans le trou. Quand le roi eut vu cela, son cœur fut entièrement obscurci; il put penser

TSA PAO TSANG KING (N° 420) 133

sans difficulté à l’acte qu’il avait commis et ne crut plus aux peines et aux félicités (futures).

Un jour, le roi fit sortir son armée et, après s’être pro- mené pour se distraire, il s'en retournait lorsqu'il aperçut sur le chemin le vénérable Æia-tchan-yen (Kâtyâyana) qui était assis correctement dans un endroit calme et qui, plongé dans la contemplation, était entré dans l’état de sa- mâdhi. Quand le roi le vit, il conçut aussitôt un mauvais sentiment, et, prenant une poignée de terre, il en couvrit de poussière le vénérable, puis il dit à ceux qui lPaccom- pagnaient: « Que chacun de vous me fasse le plaisir de jeter de la terre sur ÆXia-lchan-yen. » Alors la terre s’amon- cela et fit disparaître le vénérable. Cependant un grand ministre, qui mettait sa foi dans les trois Joyaux survint peu après ; il fut informé de ce qui s'était passé et en eut un chagrin extrême ; il s'empressa de dégager le véné- rable de la terre qui l’entourait et dit aussi à tous ceux quiétaient là: « Que ceux qui font cas de moi enlèvent cette terre.» Or,le vénérable se trouvait assis dans une grotte de lieou-li (vaidürya) ; sa divine personne était fraiche et luisante et n’était point souillée par la terre. Le grand mi- nistre plein de joie posa son visage en signe d’adoration sur les pieds du vénérable et lui dit: « Maintenant le roi, dépourvu de sagesse a commis ce méfait. Or le bien et le mal reçoivent certainement leur rétribution. Comment pourrait-il ne pas survenir de malheur? » Le vénérable lui répondit: « Dans sept jours le ciel fera pleuvoir de la terre qui remplira tout l’intérieur de cette ville et s’ac- cumulera en une montagne. Le roi et tous les habitants périront ensevelis. » Quand le grand ministre eut entendu ces paroles, son cœur fut pénétré de tristesse ; il alla aus- sitôt avertir le roi; d’autre part, il imagina un artifice et creusa un souterrain qui débouchait en dehors de la ville. Quand les sept jours furent accomplis, le ciel fit pleuvoir des fleurs parfumées, des joyaux et des vêtements ; dans

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la ville il n’y eut personne qui ne fût joyeux. Les ministres calomniateurs dirent au roi : «Ces heureux prodiges sont entièrement dus à la vertu du roi. Un homme sans sagesse a cependant prononcé de mauvaises paroles ; il a dit qu'il y aurait une pluie de terre et c’est des joyaux que nous obtenons. » Tels étaient les discours trompeurs qu'ils tinrent à plusieurs reprises. Les gens qui avaient une mau- vaise prédestination, apprenant qu'il y avait des prodiges excellents, accoururent tous comme des nuages. Or, aux quatre portes de la ville, par la force de causes cachées, des barrières de fer tombèrent en sorte qu’il n’y eut plus aucune issue pour s’enfuir et se cacher. Alors le ciel fit pleuvoir de la terre qui remplit toute la ville et s’accu- mula comme une montagne. Le grand ministre, avec ceux qui lui tenaient à cœur, sortit par le souterrain ; il se ren- dit auprès du vénérable et lui dit: « Je suis ému de ce que cette ville en un jour a péri ensevelie ; la terre, qui est tombée en pluie, a formé une montagne ; le prince et son peuple sont morts ensemble. Pour quelle cause antérieure ont-ils subi ce malheur ? » Alors le vénérable dit à ce grand ministre : « Écoutez-bien, écoutez-bien, je vais vous l'expliquer :

Autrefois, il y a de cela tant et tant de kalpas, il y avait dans le royaume la fille d’un notable qui demeurait au sommet d'une maison à étages ; un jour que, de bon matin, elle arrosait et balayait, elle jeta les ordures qu’elle avait ramassées et atteignit la tête d'un bhiksu ; elle ne sut pas s’en repentir. Or, il arriva qu’elle se maria à un bon époux; les autres jeunes filles lui demandèrent : « Quel acte avez-vous commis pour obtenir cet excellent mari ? » Cette femme leur répondit : « La seule chose que j'ai faite a été de couvrir de poussière la tête d’un bhiksu en balayant l'étage supérieur de la maison. Voilà pourquoi jai trouvé ce bon mari. » Les autres jeunes filles crurent ce qu'elle leur avait raconté et rassemblèrent toutes de la

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terre dont elles se servirent pour couvrir de poussière les bhiksus. En raison de ces actes, elles ont toutes reçu cette rétribution ».

Après avoir ainsi parlé, Æia-lchan-yen, en compagnie de la devi protectrice (de la ville de Roruka), se rendit dans la ville de Houa-che (Pâtaliputra). Depuis l'antiquité, cette dernière ville et la ville de Zou-lieou (Roruka) étaient alternativement l’une en prospérité et l’autre en décadence ; celle-ci ayant été détruite, l’autre devait rede- venir florissante ; telle était la raison pour laquelle Aia- ichan-yen et ses compagnons se rendirent dans la ville de Houa-che. |

Le notable Æao-yin-cheng la belle voix Ghosila) vint à la frontière de ce pays et présenta des offrandes au véné- rable. Ce notable était déjà depuis longtemps opulent; quand le vénérable fut entré dans sa maison, ses riches- ses augmentèrent et devinrent très supérieures à ce qu'elles étaient auparavant. Après être arrivé dans cette ville, le vénérable Æia-lchan-yen demanda au Buddha : « Pour quelle cause ce notable Æao-yin-cheng a-t-il une belle voix, possède-t-il une opulence illimitée et a-t-il des richesses qui s’accroissent toujours ? » Le Buddha lui répondit : « Dans les temps passés il y avait un no- table qui chaque jour envoyait un homme inviter cinq cents Pratyeka Buddhas à venir dans sa demeure il avait préparé un repas pour eux. Cet homme, qui était chargé de les inviter, allait toujours accompagné d’un chien ; un jour, quelque affaire l’empêcha d'aller porter l'invitation ; le chien, à l'heure habituelle, se rendit seul à l'endroit demeuraient les religieux et se mit à aboyer en se tournant du côté des religieux ; les Pratyeka Bud- dhas firent alors cette réflexion : « Les laïcs ont beaucoup d’occupations ; par négligence ils peuvent faire quelque omission. Ce chien qui est venu aboyer paraît nous avoir appelés.» Ils se rendirent alors ensemble chez le notable;

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celui-ci fut extrêmement joyeux et leur fit des offrandes suivant la règle. Celui qui en ce temps était le notable, c'est moi-même: l’homme qui était chargé du message, c'est A-na-lu (Amiruddha); celui qui était le chien, c’est aujourd'hui le notable ao-yin(-cheng); voilà pourquoi, d'existence, en existence il a une belle voix et possède beaucoup de richesses. Ainsi, le sage doit, en vue de se préparer un champ producteur de bonheur, s'appliquer de toutes ses forces à faire des offrandes. »

CErip., MIN: 10, ph r-43 ra). Histoire de Rähula.

Quand le Bodhisattva Siddhartha eut quitté le palais du roi son père, il se livra pendant six ans aux pratiques ascétiques avant d'atteindre à l'illumination. Pendant ces six ans, Yaco- dharâ fut enceinte et c'est seulement dans la nuit son mari parvint à la connaissance parfaite qu'elle-même fut délivrée et donna le jour à Râhula. Comme :ïl y avait six ans qu’elle n'avait plus eu de rapports avec Siddhartha, elle se voit alors soupçonnée par les autres femmes du harem qui l’accablent d'outrages. Le roi Çuddhodana, atliré par les clameurs, apprend ce qui s’est passé et, à son tour, croit au déshonneur de sa belle-fille, malgré les protestations d'innocence que celle- ci ne cesse de faire entendre. Il convoque tous les Cäkyas qui sont unanimes à réclamer un châtiment exemplaire. On creuse donc une fosse qu'on remplit de bois enflammé et on se dispose à y Jeter Yaçodharà. Celle-ci, dans ce péril extrême, invoque l'appui surnaturel du Bodhisattva ; elle jure qu’elle est sans faute et demande que, si elle a dit vrai, il ne lui arrive aucun mal. Elle entre ensuite dans la fosse de feu qui se transforme ins- tantément en un étang d'eau pure au milieu duquel Yacodharâ, tenant dans ses bras Râhula, se trouve assise sur une fleur de lotus. Les Çàkyas sont convaincus par ce miracle et Râähula devient le favori de son grand-père, le roi Cuddhodana, qui ne

: (1) Cf. Ta che lou louen chap. xvu (Trip., XX, 1, pp. 106 vo-107 r°).

CR ES

TSA PAO TSANG KING (N° 421) 137

peut plus se passer de lui. Six ans plus tard, le Buddha revient dans son ancien royaume en compagnie de douze cent cin- quante bhiksus qui lui ressemblent exactement ; le jeune Râhula reconnaît cependant sans aucune hésitation lequel de tous ces hommes est son père. Le Buddha lui caresse le sommet de la tête de sa main qui porte le signe merveilleux de la roue ;

il prouve ensuite par des stances que ce geste ne signifie point

qu’il ait conservé aucune affection mondaine.

NO

CT rip XIV TO ND, HS Per) Histoire du vieux brahmane qui interrogea des trompeurs.

Tous ceux qui sont fallacieux, fourbes et trompeurs se donnent des airs de droiture tandis qu'au dedans ils ne songent qu'à commettre des actions deshonnèêtes et per- fides. C’est pourquoi le sage doit savoir distinguer le vrai du faux. En voici un exemple : Autrefois, il y avait un brahmane qui, après être devenu vieux, prit pour épouse une jeune femme. Cette femme, qui avait de l’aversion pour son mari parce qu'il était vieux, commettait sans cesse adultère. Sa passion se manifestant ouvertement, elle en- gagea son mari à inviter à une réunion plusieurs brahma- nes jeunes et forts; mais lui, qui la soupconnait d'être vicieuse, ne voulut pas les attirer dans sa maison. Alors cette jeune femme imagina des stratagèmes de toutes sortes pour l’induire en erreur. Le fils de l'épouse défunte de ce vieux brahmane vint à tomber dans le feu ; quoique cette jeune femme l’eût vu tomber de ses propres yeux, elle ne le saisit pas pour le retirer. Le vieux brahmane lui ayant demandé pourquoi elle n'avait pas saisi l'enfant au moment il était tombé dans le feu, elle répondit : « Depuis mon enfance je n'ai jamais approché que de mon

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mari et je n'ai touché aucun autre homme. Pourquoi vou- lez-vous donc m'obliger à prendre ce petit enfant qui est du sexe masculin ? » Quand le vieux brahmane eut entendu ces paroles, il pensa qu'elles étaient véridiques et alors il fit dans sa maison une grande réunion il rassembla plusieurs brahmanes ; la jeune femme en profita aussitôt pour avoir des rapports avec eux. Quand le vieux brahmane en fut informé, il en conçut du chagrin ; il rassembla donc

ses objets les plus précieux, fitun paquet deses vêtements

et partit en abandonnant sa femme.

Lorsqu'il fut loin de sa demeure, il vit sur la route un brahmane et le prit pour compagnon. Vers le soir ils cou- chèrent dans un même endroit, et le lendemain, au point du jour ils reprirent ensemble leur marche. Ils quittèrent. la maison de leur hôte et ils s’en éloignaient de plus en plus, lorsque ce second brahmane dit au premier : « Dans l'endroit nous avons passé hier la nuit, il y avait un brin d'herbe qui est resté attaché à nos vêtements. Depuis ma jeunesse je n'ai jamais rien volé. Je suis donc fort confus de voir ce brin d'herbe sur mes vêtements. Je désire, pour rendre ce brin d'herbe, retourner chez notre hôte : attendez-moi ici pendant le temps qu’il faut pour aller et revenir. » Quand le vieux brahmane eut entendu ce propos, il y ajouta entièrement foi et redoubla d’affec- tion et de respect pour l'autre ; il lui promit donc de l'attendre. Le second brahmane prit par feinte le brin d'herbe comme s’il voulait le rapporter à son propriétaire ; mais, avant d’être allé bien loin, il entra dans un fossé ilse coucha à plat ventre ; au bout d’un long moment il revint et prétendit qu'il avait restitué le brin d’herbe à son propriétaire. Ce vieux brahmane crut qu'il l'avait réel- lement fait et redoubla d'amitié et d'estime pour lui. Cependant, le vieux brahmane, trouvant une occasion favorable pour se laver et satisfaire ses besoins naturels, prit ses objets précieux et les confia à son compagnon.

ET

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Aussitôt après, celui-ci emporta les objets précieux et s'enfuit. Quand le vieux brahmane eut reconnu qu'on lui avait volé son bien, il s’indigna contre cet homme ; puis il se sentit pénétré d’une douloureuse émotion. Triste et affligé, il continua son chemin avec découragement. Après avoir marché quelque peu, il se reposa sous un arbre ; or, il aperçut un héron qui, tenant dans son bec une tige d'herbe, disait aux autres oiseaux : « Il faut que nous ayons compassion les uns des autres et que nous nous réunissions en un même endroit pour y demeurer ensemble. » Ces oiseaux ajoutèrent tous foi à ses paroles et allèrent se rassembler en un lieu ; or, le héron attendit que tous les autres oiseaux fussent partis, puis il se rendit dans leurs nids pour y crever leurs œufs à coups de bec et en absorber le liquide et pour tuer leurs petits et les manger. Quand les autres oiseaux furent sur le point de revenir, il reprit dans son bec la tige d'herbe. A leur retour, les oiseaux virent ce qui s’était passé et se mirent à faire avec colère des reproches au héron; mais celui-ci leur répliqua qu'il n’y était pour rien. Sachant qu'il était de mauvaise foi, les oiseaux l’abandonnèrent et partirent. Après avoir encore passé quelque temps sous cet arbre, le vieux brahmane vit un religieux hérétique qui, vêtu d'une robe de moine, avançait pas à pas avec précaution en disant : « Partez, partez, êtres vivants. » Le vieux brah- mane lui demanda : « Pourquoi marchez-vous ainsi en psalmodiant les mots : Partez, partez ? » L’hérétique lui répondit : « Je suis entré en religion ; j'ai donc compas- sion de tous les êtres et je crains de blesser des insectes ou des fourmis ; c'est pourquoi j'agis de la sorte. » Quand le brahmane entendit les paroles que prononçait ce reli- gieux, il conçut une confiance absolue en lui; il se mit donc à le suivre et s’arrêta dans sa demeure pour y passer la nuit. L'hérétique dit au brahmane : «Il faut que je me relire dans la solitude et le calme pour perfectionner mes

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sentiments. Placez-vous dans cette autre chambre et cou- chez-vous là. » Le brahmane fut tout heureux d'apprendre qu'il se livrait à des pratiques vertueuses et il en concut de la joie. Mais, passé minuit, il entendit qu'on faisait de la musique, qu’on chantait et qu’on dansait; ilse leva pour regarder ; il s’aperçut alors que dans la demeure de ce religieux hérétique, il y avait un trou souterrain ; une femme en était sortie pour se livrer au plaisir avec l'hé- rétique ; quand la femme dansait, l’hérétique jouait du luth, et quand l'hérétique dansait, c'était la femme qui jouait du luth. Après avoir vu ce spectacle, le brahmane fit cette-réflexion : « Parmi tous les êtres de ce monde, qu'il s'agisse d'hommes ou d'animaux, il n’y en a pas un un seul quisoit digne de foi. » Puis il prononca cette gâthà :

Il y a eu celle qui n'avait touché aucun autre homme (que son mari), el celui qui rendit le brin d'herbe à son pro- priélaire, el le héron qui, pour donner le change, le- nail une lige d'herbe dans son bec, et l'hérélique qui craignait de faire du mal aux insectes ; de telles paroles fallacieuses, il n'en est aucune à laquelle on puisse ajou- ler for. |

Or, dans ce royaume, il y avait un notable qui avait chez lui de grandes richesses et qui possédait toutes sortes d'objets précieux. Dans la nuit même (dont nous venons de parler), il fut dépouillé d'une grande quantité de ses biens. Quand le roi en fut informé, il demanda au notable qui fréquentait chez lui et avait pu ainsi lui enlever ses richesses. Le notable répondit au roi : « Je n'ai eu de rapports avec aucun homme pervers ou suspect ; seul un brahmane a été constamment en ma compagnie; mais c'est un homme qui purifie sa personne et qui conserve son intégrité ; il ne déroberait rien à qui que ce soit, car même un brin d'herbe qui était resté attaché à son vête- ment, il l’a rendu à son propriétaire. En dehors de lui, aucun autre homme (n'est venu chez moi). » Quand le roi

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TSA PAO TSANG KING (N°5 421-429) 141

eut entendu ces paroles, il fit arrêter le brahmane pour l’interroger. Le notable accourut alors dire au roi : « Cet homme a une conduite si pure que nulle personne au monde ne peut lui être comparé ; comment a-t-on pu un beau matin se saisir ainsi de lui? je désire, à roi, que vous le relâchiez. » Le roi répliqua : « J'ai déjà auparavant été informé qu'il y a des gens, tels que celui-ci, qui affec- tent au dehors la pureté et qui nourrissent dans leur for

intérieur des pensées perverses. Ne vous affligez donc

pas et laissez-moi faire mon enquête.» Ayant ainsi parlé, il soumit à un interrogatoire le brahmane qui, ne sachant plus querépondre et à bout d'arguments, finit par avouer la vérité. |

C’est ainsi que le sage joue dans le monde le rôle d’un miroir qui sait bien distinguer le vrai du faux ; il est

donc un guide pour les autres hommes.

N2N122,

Cris IN AO DD Sr)

Hisloire de la femme du brahmane qui voulait faire périr sa belle-mère.

Autrefois il y avait un brahmane dont la femme, jeune et d’une beauté remarquable, avait des désirs sensuels très vifs ; elle aurait voulu tenir une conduite débauchée, mais, à cause de la présence de sa belle-mère, elle ne pouvait agir à son gré. Elleformaalorssecrètementle projetcriminel de faire périr sa belle-mère. Elle feignit de la soigner avec piété filiale afin de toucher le cœur de son mari; du matin jusqu’au soir donc, elle était diligente et subvenait sans relâche à tout ce dont sa belle-mère avait besoin. Le

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mari dit avec satisfaction à sa femme : « Par les soins dont vous vous êtes présentement acquittés, vous avez pu vous montrer une épouse douée de piété filiale ; si ma mère prolonge sa vieillesse, c'est grâce à vos efforts. » Sa femme lui répondit : « Maintenant, je n’ai fait que donner à votre mère des soins de ce monde et ce que je lui ai fourni pour son entretien n’est que peu de chose. Si elle pouvait obtenir les offrandes qui conviennent à une devi, je serais au comble de mes vœux. N’existe-t-il pas quel- que moyen merveilleux par lequel elle parviendrait à naître dans la condition de devi? » Son mari répliqua : « D'après les recettes des brahmanes, c’est en accomplis- sant des actes tels que celui de se précipiter du haut d’une paroi de rocher, ou de se jeter dans le feu, ou de brûler son corps avec les cinq sortes d’ardeurs, qu’on peut naître en qualité de deva. » La femme dit alors à son mari: « S'il y a de telles recettes, ma belle-mère pourra naître en qualité de devi et recevoir des offrandes qui lui vien- dront spontanément. Pourquoi serait-il nécessaire de déployer une application continuelle pour qu'elle recoive les offrandes de ce monde ? » Quand elle eut ainsi parlé, son mari la crut. |

Tous deux alors disposèrent dans la campagne une grande fosse de feu et y accumulèrent des branchages afin d’y faire une fournaise ardente. Puis, auprès de cette fosse ils préparèrent une grande réunion. Ils y emme- nèrent en la soutenant leur vieille mère ; ils y convoquè- rent tous leurs parents ; une multitude de brahmanes vint aussi au lieu de réunion. On battit du tambour, on fit de la musique, on joua des instruments à cordes et on chanta ; quand les réjouissances eurent duré tout le jour, les invités s’en allèrent ; le mari et la femme restèrent seuls avec leur mère ; ils l’'amenèrent alors auprès de la fosse de feu et la poussèrent dedans, puis ils s’enfuirent sans regarder en arrière.

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TSA PAO TSANG KING (N° 422) 143

Or, dans cette fosse de feu il y avait un petitrebord ; la mère tomba sur ce rebord etne fut pas précipitée dans le feu ; elle put donc sortir de la fosse ; comme la nuit tombait, elle chercha à revenir dans sa demeure en suivant les traces de ses pas à l'aller. Mais le chemin traversait un bois l'obscurité était profonde ; elle eut peur des tigres, des loups, des démonsetdesrâksasas etelle grimpa sur un petit arbre afin de se mettre à l'abri de tout ce qu'elle redoutait. Précisément alors, des voleurs qui avaient dé- robé des richesses considérables, arrivèrent les uns après les autres et se reposèrent en bande sous cet arbre. La vieille mère était saisie de terreur, et la crainte l’empé- chait de faire le moindre mouvement; mais elle ne put se retenir et éternua au sommet de l'arbre. En entendant le bruit de cet éternuement, les voleurs crurent avoir affaire à quelque méchant démon ; laissant tout leur butin, ils s’enfuirent de tous côtés. Lorsque le jour fut venu, la vieille mère se sentit rassurée et n’eut plus aucun sujet de crainte ; elle descendit donc de l'arbre et recueillit tous Les objets précieux: c'étaient des colliers parfumés, des pendeloques de perles, des bracelets d’or, des pen- dants d'oreilles en pierres précieuses et toutes sortes de joyaux véritables et merveilleux ; elle en mit une pleine charge sur son dos etrevint dans sa maison.

Lorsque le mari et sa femme la virent, ils restèrent frappés de stupéfaction et ils avaient peur, car ils pensaient qu’elle était surgie du milieu des cadavres et des démons. Comme ils n’osaient pas l’inviter à entrer, leur mère leur dit: « Après ma mort, je suis née parmi les devas et j'ai obtenu d’amples richesses. » Puis elle dit à la femme : « Ces colliers parfumés, ces pendeloques de perles, ces bracelets d’or et ces pendants d'oreilles, ce sont des dons que vous font votre père et votre mère, vos tantes et vos sœurs. À cause de mon grandâge et de ma faiblesse, je n'ai pas pu en prendre beaucoup sur mon

144 TSA PAO TSANG KING (N° 422)

dos. Mais je vous engage à vous faire envoyer là-bas et on vous en donnera autant que vous voudrez. »

La femme ajouta foi à ces paroles et, pleine de joie, souhaita se précipiter dans la fosse de feu suivant la mé- thode qu'on avait adoptée pour sa belle-mère ; elle dit done à son mari : « Maintenant, lorsque ma vieille belle- mère aété jetée dans la fosse de feu, elle n’a pu prendre une grosse charge sur son dos à cause de ses faibles forces ; si j'y vais moi-même, j'obtiendrai sans doute beaucoup plus. » Le mari, pour se conformer à ce qu’elle disait, prépara donc une fosse de feu; puis il l’y précipita ; mais elle fut dévorée par les flammes et périt pour tou- jours. |

Un deva prononça alors cette gâthà :

Le mari, à l'égard de sa vénérable mère, n'aurait pas concevoir de mauvaises pensées ; quant à la femme, qui avail voulu faire périr sa belle-mère, c'est elle au contraire qui détruisit son corps par le feu.

(rep; XIV, 10; D: GP UE):

Les corbeaux et les hiboux sont en guerre ; voulant assurer le triomphe de son parti, un corbeau se fait mettre par ses congé- nères dans un état lamentable, puis, à la faveur de cette ruse à la Zopyre, il gagne la confiance des hiboux qui l’accueillent au milieu d'eux ; il entasse du bois mort dans leur antre sous le prétexte de le rendre plus confortable; puis, le moment favo- rable étant venu, il met le feu à tout ce combustible et les hiboux périssent consumés.

(1) Ce conte a été traduit par Stanislas Julien, (Les Avadänas, t. I, pp. 31- 36). Cf. Pañcatantra (III, 1 ; trad. Lancereau, pp. 197-208, 224, 228-231, 251- 255, 258-262); Kalilah, ch. VIIT, 48 ; bibliographie de Chauvin, fascicule 11095:

TSA PAO TSANG KING - 145 (Trip., XIV, 10, p. 44 v°) (1).

Un bélier et une servante se haïssent parce que le bélier cher- che constamment à manger les grains que prépare la servante. Un jour, la servante qui tenait des braises dans sa main, les jette sur le dos du bélier qui est venu l’attaquer. Le bélier, sen- tant la cuisson de la flamme, se frotte dans tous les lieux il passe et allume un grand incendie qui brûle le village et s'étend jusque sur la montagne il consume cinq cents singes. Mora- lité : Il ne faut pas séjourner au milieu des gens qui se dis- putent.

(1) Ce conte a été traduit par Stanislas Julien, (Les Avadänas, t. I, pp. 135-138). Cf. notre ne 387.

ET: 10

4923.

(Trip, XIV, -55pD. 29 V7)

Voici ce que j'ai entendu dire : Un jour le Buddha était allé à Crâvasti, dans le Jetavana, dans le jardin d’Anä-- thapindada et se trouvait avec une multitude de mille deux cent cinquante grands bhiksus. Il y eut un bhiksu qui, allant de tous côtés pour faire la quête et passant de lieu en lieu, entra dans la demeure d’une courtisane. Alors la courtisane, voyant ce bhiksu entrer et arriver dans sa de- meure, exulta de joie ; elle se leva aussitôt de son siège et vint l’accueillir en allant au-devant de lui; elle se pros- terna à ses pieds, le pria de bien vouloir (entrer) et le fit asseoir ; puis elle demanda au bhiksu d’où il venait. Le bhiksu répondit qu’il était chargé de faire la quête et qu’ainsi il était venu pour mendier. Alors cette femme. prépara pour lui des mets excellents de toutes sortes de: saveurs et en remplit son bol, puis elle le lui présenta. Le bhiksu l’accepta, puis se retira.

Or ce bhiksu, après avoir reçu en abondance cette nour-

(1) Le Cheng king (Nanjio, Catalogue, 669) a été traduit en l'an 285. p. C. par Fa-hou + É:3 (Nanjio, Catalogue, App. II, 23); mais cette. traduction est défectueuse au point d’être en plusieurs endroits inintelli- gible; je me suis donc borné à en extraire un petit nombre de pages. M. Ed. Huber avait déjà tiré de cet ouvrage un texte fort important qui se rattache étroitement au conte du roi Rhampsinite et des deux voleurs tei qu'il nous est raconté dans Hérodote (B. E. F. E. O,t. IV, pp. 704-707; cf. notre 379).

CHENG KING (N° 493) 147

riture exquise, douce et excellente, fut tout content et ne put résister au désir de se rendre à plusieurs reprises dans la demeure de la courtisane. Cette femme de son côté pensait : « Ce bhiksu observe la Loi avec une rigueur qu'ilest difficile d'égaler. » A plusieurs reprises donc, elle lui prépara des mets friands et succulents qu’elle lui don- nait. Les allées et venues du bhiksu ne cessaient pas, et, comme son instruction n’était pas encore complète, que sa conduite n’était pas bien nette et qu'il n'avait pas encore dompté tous les principes mauvais, en voyant la merveil- leuse beauté de la courtisane, des idées de débauche l’agi- tèrent et il eut envie de donner libre cours à ses passions. Il s'approchait de la courtisane ; sa bouche lui tenait un langage tendre et affectueux ; il se plaisait à gagner son cœur et à causer avec elle intimement ; il ne se lassait pas d'aller faire la quête chaque jour dans sa demeure.

En voyant sa beauté, en écoutant sa voix, ce bhiksu avait été troublé par des idées de débauche et avait été plongé dans le trouble et dans la confusion sans qu'il pût reprendre son bon sens. Or, les livres saints du Buddha disent : « Quand les yeux voient une belle femme, on est agité par des pensées de débauche.» En outre, l'Honoré du Monde a dit : « Quand vous venez à voir une femme, si elle est âgée, qu’elle soit pour vous comme une mère ; si elle est d'âge moyen, qu’elle soit pour vous comme une sœur aînée ; si elle est jeune, qu’elle soit pour vous comme une sœur cadette, comme un fils, ou comme une fille. Il vous faut observer intérieurement son corps et penser que tout cela n’est qu'humeurs impures et qu'il n’y a rien qui soit digne d'être aimé ; à l'extérieur, c’est une jarre ornée de peintures, mais à l’intérieur pleine d’ordures. Consi- dérez que ces quatre grands ‘éléments, la terre, l’eau, le feu et le vent, se sont combinés par l'effet de la causalité pour former (la femme), mais qu'il n'y à vraiment aucune réalité, »

figé. CHENG KING (N° 423)

En ce temps, ce bhiksu, qui ne comprenait pas la con- templation du vide et se bornait à regarder ce qui prend forme corporelle, fut troublé par des pensées de débauche, et, s'adressant à la courtisane il prononça cette gâthà :

O verlueuse femme, jeune, vierge, pure et chaste, la

beauté de votre visage est très merveilleuse ; en regar-

dant tous les délails de voire figure, je vois que rien ne les égale ; de loul mon désir je souhaile que nous soyons unis. |

Alors la courtisane, voyant que ce bhiksu lui tenait un tel iangage (se dit) : « Je ne savais point d’abord que ce fût un homme pervers et avide de débauche ; au contraire je l'ai traité comme s’il eût été pur, chaste et observateur des dépenses, car je pensais qu'il était bon et sage. Puis- que voici un symptôme qu'il se plait à pécher, je vais lui répondre nettement en m'inspirant de ce qu’il vient de me dire. » Elle répliqua donc par cette gâthà :

Il vous faut m'apporter à boire el à manger, (me don ner) des parfums, des fleurs, de beaux vélements et des offrandes analogues de loutes sortes ; alors j'irai avec vous.

Le bhiksu répondit à la femme par cette gâthà :

Je ne possède rien ; regardez à quelles occupations je me livre ; je subsiste en mendiant ; ce qu'on me don- nera, Je vous en ferai part.

Alors la courtisane chanta cette gâthà :

S'il est vrai que vous ne possédiez rien, pourquoi avez- vous résolu de demander quelque chose qui est difficile à oblenir ; la conduile que vous avez tenue est éhontée; partez au plus vile el éloignez-vous prompiement de ma demeure.

Elle chassa donc le bhiksu et le poursuivit jusqu'à la porte du Jetavana. Les bhiksus se rendirent alors tous auprès du Buddha et, s'adressant à l’'Honoré du Monde, lui racontèrent ce qui s'était passé. Le Buddha leur dit :

CHENG KING (N° 423) 149

« Ce bhiksu, dans une existence antérieure a été une tortue d’eau, tandis que la courtisane était autrefois un singe ; alors aussi il fut l’ami (de la courtisane), mais, comme sa volonté n'avait pas obtenu le fruit (de la sagesse), il en est venu au contraire à la tromper peu à peu; iln’est pas entré dans la vraie doctrine et n’a fait qu’augménter ses tourments. Maintenant il en a été de même ; son âme a désiré la courtisane; mais son désir n'a pas été satisfait; au contraire il a subi un affront et s’en est allé couvertde honte.» Le Buddha dit : « Autrefois, il y a de cela des générations innombrables, dans l’eau d’un grand fleuve demeurait et voguait une tortue ; sur la rive de ce fleuve des arbres poussaient à foison ; parmi ces fourrés de bois, il y avait un singe qui habitait sur les arbres. Or la tortue étant sortie du fleuve aperçut de loin qu'il y avait un singe dans les arbres et se mit à converser avec lui ; petit à petit elle allait toujours plus avant et désirait se rapprocher de lui ; à plusieurs reprises elle avançait puis reculait; elle Le vit pendant plusieurs jours et chaque jour elle répétait ce manège. Comme elle ne se lassait pas de voir le singe, elle conçut des pensées de débauche ; son cœur en fut obseurci et fut troublé; elle fut envahie par l’impureté et ne put reprendre son bon sens ; alors elle prononça cette gâthâ en soupirant :

Votre visage est rouge et jaune el vos yeux sont verts ; vous errez parmi les fourrés d'arbres el vos jouez sur les branches ; je voudrais maintenant vous demander, à vous dont le pelage est luisant, (si vous voulez savoir) avec quelles intentions je désire vous rechercher el quels sont les sentiments que je conserve.

Le singe répondit par cette gâthà :

O lorlue, je sais maintenant loule votre histoire ; vous avez élé le fils d'un roi el vous aviez de l'intelligence ; maintenant pourquoi m'interrogez-vous? en entendant vos paroles, je conçois quelques doules.

150 CHENG KING (N° 423)

Alors la tortue répliqua par cette gâthà :

Mon cœur conserve toujours des intentions dont vous êles l'objel; mon cœur éprouve pour vous des sentimenls d'affection el de sympathie ; c’est pourquoi je vous demande par quel moyen nous pourrons nous unir.

Le singe répondit en chantant cette gâthà :

O tortue, il vous faut savoir que je demeure dans les arbres et que je ne saurais munir à vous. À suppo- ser que vous vouliez arriver à être avec mot, apportez- moi des offrandes dans les fourrés d'arbres.

La tortue répondit à son tour par cette gâthà :

Ce qui conslilue ma nourriture, ce sont des êtres de chair vivante qui sont plus tendres et plus exquis que les fruits el les graines. Il ne vous faut pas exiger de moi ce que Je ne saurais me procurer en voulant que je vous apporte des prunes de loules sortes.

Le singe répliqua alors par cette gâthà :

Sivous ne demeurez pas sur les arbres pourquoi me demander ce que vous ne sauriez obtenir ? Maintenant vous m'avez considéré d'une manière éhonlée ; partez donc de vous-même et au plus vile ; je ne supporterais plus de vous voir.

Le Buddha dit aux bhiksus : « Celui qui était en ce temps le singe, c’est aujourd’hui la courtisane ; la tortue, c’est le bhiksu chargé de faire la quête ; autrefois (la tortue) se laissa aller à ses passions et adressa une requête (au singe); mais elle ne put satisfaire son désir. Aujourd’hui aussi il en a été de même.» Quand le Buddha eut ainsi parlé, il n y eut personne qui n'éprouvât de la joie.

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CHENG KING (N° 424) 151

424.

(PIS AIN 6; pp: 20 1-27 r°)

Autrefois, il y a de cela des générations innombrables, il y avait un grand bois ; parmi les arbres de ce bois, une chatte sauvage rôdait ou demeurait immobile et se livrait à ses occupations. Étant restée tout un jour sans manger, elle avait faim et avait un désir extrême de nourriture ; elle aperçut au sommet d’un arbre superbe un coq sau- vage ; (ce coq sauvage) était d’une beauté remarquable ; il agissait avec un cœur bienveillant et témoignait sa compas- sion à toutes les sortes d'êtres, à ceux qui rampent et à

ceux qui marchent, à ceux qui respirent, aux hommes et

aux bêtes. Alors la chatte sauvage conçut dans son cœur des intentions funestes et voulut mettre en péril la vie du coq ; tout doucement elle s’approcha jusqu'à ce qu’elle füt sous l’arbre, puis, se servant d’expressions insinuantes, elle prononça cette gâthà :

Nos pensées restent solitaires el nous sommes séparés l’un de l'autre ; je mange du poisson et vous avez un beau vélement ; descendez de cet arbre jusqu'à terre el je serai voire femme.

Le coq sauvage répondit par cette gâthà :

Vous avez quatre pieds el moi j'ai deux palles ; je considère qu'un oiseau el une challe sauvage ne sau- raient être mari et femme.

La chatte sauvage répliqua par ces gâthäs :

Nombreux sonl les lieux que j'ai parcourus, royaumes el villes, provinces el districts ; mais je ne désire per- sonne d'autre el toules mes pensées prennent leur plaisir en vous. Volre corps apparaît beau el bien fail ; votre visage est le premier de lous ; mot aussi, j ai quel-

152 CHENG KING {N° 424)

que agrément ; j'agis en vierge pure el chasle ; il nous

faut ensemble nous livrer à la joie comme des gallinacés

qui se promènent en liberté ; tous deux ayant l’un pour l'autre le même amour, ne serons-nous pas fort heu- reux ?

Alors le coq sauvage répondit par cette gâthà :

Est-ce que je ne vous connais pas ? est-ce que je ne sais pas pourquoi vous m'adressez celle demande ? Quand une affaire n'estpas encore arrangée dans tous ses délails, celui qui est sage n’en fait pas l'éloge.

La chatte sauvage répliqua de nouveau par ces gâthâs :

Au moment vous oblenez une épouse si parfaile, au lieu (d'en êlre satisfait), vous lui frappez sur la lêle avec un bâlon. En ce moment la pauvrelé vous tourmente ;

(si vous m'épousez), votre richesse sera comme s'il y avait eu une pluie de joyaux ; vous serez aimé de mes:

parents; vous aurez une opulence illimilée ; grâce à une épouse chérie, le cœur calmé trouve un ferme appuu.

Le coq sauvage répondit par cette gâthà :

Si je me décidais à vous suivre, 6 vous dont les yeux verts sont comme de vilaines plaies, je me verrais alors chargé de chaînes et je serais comme enfermé dans une prison.

La chatte sauvage répliqua par ces gâthàs :

Vous n'avez pas de sympathie pour moi et vos paroles sont comme des épines acérées ; dans ces conjonclures, à quel moyen recourir pour vous atlirer ? dans ma tris- lesse, il faul que j'y réfléchisse. Mon corps n'est ni puant ni sale ; il exhale un parfum de vertu conforme aux défenses ; pourquoi voulez-vous m'abandonner el vous en aller au loin dans d'autres lieux ?

Le coq sauvage répondit par cette gâthà :

Vous voulez m'entraîner au loin ; méchante el perverse comme un serpent, vous en assouplissez la peau flexi-

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CHENG KING (N° 424) 153

ble (1), et c'est ainsi que vous failes des discours ?

La chatte sauvage répondit par cette gâthà :

Descendez vile et venez ici ; je voudrais vous témoti- gner quelque amitié; je dois aussi averlir (de notre mariage) mes parents el mes voisins el en informer mon _ père el ma mère. | |

Le coq sauvage répondit par cette gâthà :

Je possède une (future) épouse qui est une jeune vierge son visage est beau etses sentiments sont excellents ; elle se conforme aux défenses et obéil à la Loi; je lui con- serve mon affection el ne veux pas me délourner d’elle.

La chatte sauvage répondit par ces gâthàs :

Ainsivous me frappez avec un bâlon épineux (2)! Dans ma famille on suit la vraie religion ;.— chez moi il y a un vénérable supérieur qui nous améliore au moyen des défenses prescrites par la Loi. Au dehors (de la maison) sont des saules qui tous sont verdoyants el prospères en leur saison. Tous nous prosternerons notre têle devant vous, comme des brahmanes rendant un culte au feu. Ma fanulle, par sa puissance, honore et sert les brah- manes ; grâce à (leurinfluence) propice, nous mettrons au monde beaucoup de fils et ils nous feront étre fortriches.

Le coq sauvage répondit par cette gâthà :

Le ciel vous accordera voire souhait el c’est par un bâlon de brahmane qu'il vous frappera. Dans le monde ny a-t-ul pas la Lot ? pourquoi voulez-vous manger un coq ?

La chatte sauvage répliqua par cette gâthà :

Je ne mangerai plus de chair ; exposée au soleil el à la rosée, je liendraiune conduite pure el chaste ; j'hono-

(1) Cette phrase me paraît signifier : Vos paroles sontdouces et flexibles comme la peau d'un serpent, mais votre naturel est aussi pervers que celui d'un serpent.

(2) Plus haut, la chatte à dit que les paroles que lui adressait le coq étaient comme des épines acérées; elle reprend ici la même image.

151 CHENG KING (N° 424)

rerai el je servirai lous les devas ; je ferai cela pour oblenir celle sagesse (que vous recommandez),

Le coq sauvage répondit par ces gâthàs :

Jamais on ne vil ni n’enltendil chose pareille : une challe sauvage tenant une conduile chaste. Vous désirez détruire quelque être el vous éles un brigand qui veut dévorer un cog. L'arbre et le fruit sont différents l'un de l'autre (1) ; malgré vos belles phrases el votre badi- nage apparent, je ne vous croirai jamais. Comment pourriez-vous, Si vous aviez un coq en votre possession, ne pas le dévorer? Un mauvais caractère finit toujours par être cruel. Je considère votre visage qui est rouge comme le sang el vos yeux qui sont verts comme la plante lan. IT vous fault manger des rats et des insectes, car vous n'aurez Jamais Un COQ À MANGET ; pourquoi n'allez-vous pas prendre des rats ? Avec votre visage rouge el vos yeux d'un verl franc, quand vous criez en

faisant miao, foules les plumes dont je suis revêtu se hérissent; je m'enfuis au plus vile et je cherche à me cacher ; de génération en génération (moi el mes sem-

blables) nous nous sommes éloignés de vous ; pourquoi maintenant me rencontrer avec vous ?

Alors la chatte sauvage répondit par ces gâthàs :

Les visages sont-ils tous agréables à voir ? les femmes qui sont belles sont-elles loules vierges ? II importe de s'informer si l'attitude (de la femme qu'on veut prendre pour épouse) est digne et quels sont ses autres mériles ; tous les actes de bonne conduile doivent se trouver chez elle au complet ; sa prudence et sa per- spicacilé doiventétre ingénieuses ; quand vous connaîtrez la manière dont je me comporte dans ma famille, (vous verrez que) nulle ne peut m'être comparée. Je vais me bien laver ; maintenant j'ai revêtu de beaux habits ;

(1) Vos actes ne sont pas d'accord avec vos paroles.

CHENG KING (N°5 424-425) 155

Je me mettrai à danser et à chanter des airs pour qu'ainsi vous m'aimiez el m'estlimiez. En outre, je vous laverai les pieds, je peignerai le chignon de votre lêle et je ferai des plaisanteries agréables ; alors vous m'aimerez el vous m'eslimerez.

Le coq sauvage répondit par cette gâthà :

Je ne liendrais quère à la vie si je permettais à un ennemi de peigner ma têle ; si je faisais amitié avec vous, je ne parviendrais jamais à un âge avancé.

N°125.

ÉÉRIpERR IN ES pen ve)

Autrefois, il ya de cela des kalpas innombrables, il y avait un roi des singes qui demeurait sur les arbres d’une forêt. Il mangeait des fruits et buvait de l’eau ; il songeait avec compassion aux êtres de toutes sortes, à ceux qui rampent et à ceux qui marchent, à ceux qui respirent, aux hommes et aux animaux ; ilaurait voulu faire qu’ils fussent tous sauvés etles amener à l’état de non-composition. En ce temps, il avait contracté amitié avec une tortue; très intimes, il se respectaient l’un l’autre et au début ils n'étaient point en opposition l’un contre l’autre ; la tortue serendait fréquemment à l'endroit se trouvait le singe; ils buvaient, mangeaient et causaient ensemble ; ils dis- couraient sur la droite justice et la raison.

La femme (de la tortue), voyant qu’elle sortait souvent et ne restait pas chez elle, se dit qu'elle devait aller au dehors pour se livrer à la débauche et à des actes illicites; elle demanda doncà son mari : « Vous sortez souvent ; allez-vous vous réunir d'autres personnes) ? Je crains que ce ne soit pour vous livrer à la débauche au dehors

156 CHENG KING (N° 425)

et mener une conduite déréglée. » Son mari lui répondit? « J'ai contracté amitié avec un singe ; il est intelligent et sage ; en outre il comprend la justice et la raison. Quand je sors, c’est pour me rendre chez lui et ensemble nous discutons sur la doctrine des livres saints ; nous ne par- lons que de sujets agréables et je ne me livre d’ailleurs à aucune débauche. »

Sa femme ne le crut pas et pensa que les choses ne se passaient point ainsi ; en outre, elle était irritée contre le singe (et se disait) : « Il attire mon mari et le fait sou- vent aller et venir ; il faut que je trouve un moyen de le tuer. Mon mari alors cessera (ses sorties). » Elle feignit donc d’être malade ; épuisée et faible, elle gisait sur un lit; son mari veillait sur elle avec beaucoup de sollicitude ; il lui donnait des médicaments pour la soigner ; mais en définitive elle se refusait à guérir. Elle dit à son mari : « À quoi bon vous donner tant de peine et gaspiller ces médicaments ? ma maladie est fort grave. Il faut que j'ob- tienne le foie du singe avec lequel vous êtes lié d'amitié ; à cette condition je conserverai la vie. » Son mari lui répondit : « Ce (singe) est mon ami ; il m'a remis sa per- sonne et m'a confié sa vie ; nous ne nous sommes jamais soupçonnés l’un l’autre ; comment pourrais-je comploter contre lui, afin de vous sauver la vie ? » Sa femme lui ré- pondit : « Maintenant nous sommes mari et femme et nous ne faisons ensemble qu’un seul corps ; mais vous ne pensez pas à me sauver etau contraire vous agissez en faveur du singe. En vérité cela n'est pas juste et raison- nable. »

Le mari, poussé à bout par son épouse et ayant d’ailleurs pour elle beaucoup d'estime, alla donc adresser cette requête au singe: « Je suis venu à plusieurs reprises et j'ai été auprès de vous ; ayez la bonté de ne pas consi- dérer comme injuste de vous rendre dans ma maison; maintenant, je désire vous inviter à venir dans ma de-

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CHENG KING: (N°5 495- 496) 167

meure pour y prendre un pêétit repas. » Le singe lui répondit : « J'habite sur la terre ferme, etvous dans l'eau; comment pourrais-je vous suivre ? » Cette tortue répondit : «Je vous porterai sur mon dos ; nous pourrons d’ailleurs considérer comme vaine toute cérémonie. » Le singe la sui- vit donc ; quand la tortue qui le portait sur son dos fut ar- rivée à mi-chemin, elle dit au singe : « Désirez-vous savoir ce que j'ai à vous demander ? Ma femme est épuisée par la maladie ; elle voudrait obtenir votre foie pour le manger et être délivrée de sa maladie. » Le singe lui répondit : « Pour- quoi ne m'en avez-vous pas parlé plus tôt? Mon foie est resté penduà l’arbre; revenez en toute hâte pourque j'aille le prendre. » Ils retournèrent donc l’un à la suite de l'autre. Dès que (le singe) fut revenu en haut de l'arbre, il se mit à bondir en témoignant sa joie. La tortue lui demanda alors : « Vous deviez prendre avec vous votre foie pour venir dans ma demeure ; voici qu'au contraire vous mon- tez en haut de l'arbre; vous sautez et gambadez ; que pré- tendez-vous faire ainsi ? » Le singe lui répondit : « Il n’y a pas dans le monde d’être plus sot que vous : comment se pourrait-il qu'ayant un foie je l’aie suspendu à un arbre ? Nous étions amis ; je vous avais remis ma personne et confié ma vie; vous cependant vous avez comploté contre moi et avez voulu mettre ma vie en péril. Dorénavant, nous

_irons chacun de notre côté. »

N°20: CAD RER IN ED DD 28 NEO) Dans un passé fort lointain, il y a de cela des kalpas

innombrables, il y avait cinq ermites qui demeuraient parmi les montagnes et les marais; quatre d’entre eux

153 CHENG KING (N° 426)

étaient les maitres ; le cinquième les servait; il leur four- nissait ce dont ils avaient besoin et s'acquittait de sa tâche sans jamais faire aucun manquement; il recueillait des fruits et puisait de l’eau qu’il leur apportait à l’heure pres- crite; un jour qu'il était allé loin pour chercher des fruits et de l’eau potable, il s'endormit de fatigue et ne revint pas au temps voulu; comme l'heure de midi était passée, les quatre autres hommes furent privés de leur repas ; ils

en conçurent du déplaisir et, irrités par la faim, ils dirent

à leur serviteur : « Comment pouvez-vous vous acquitter ainsi de vos fonctions ? Puisque telle est votre conduite vous devez devenir un magicien de malheur et appartenir à une famille indigne. »

En entendant ces paroles, le serviteur en ressentit un chagrin inexprimable ; il se retira sous les arbres et s'as- sitau bord d’une rivière en tenant un de ses pieds élevé (au-dessus de l’eau); plongé dans ses réflexions, il se fai- sait des reproches (disant) : « Après m'être donné de la peine constamment, pendant fort longtemps, voici que j'ai négligé d'offrir le repas à l'heure prescrite aux quatre ermites ; j'ai manqué aux enseignements de la sagesse et ne me suis plus conformé aux quatre sortes de bien- faisance.» En proie alors à une vive émotion, 1l mourut. Ses pieds étaient toujours chaussés de socques faites des sept substances précieuses ; comme il était assis en te- nant un de ses pieds relevé, il perdit une de ses socques précieuses qui tomba dans l'eau.

Après que sa vie fut terminée, il naquit chez des héré- tiques, comme fils d’un magicien de malheur. Quand il fut âgé d'une dizaine d'années, il se trouvait jouer avec des camarades sur le bord de la route, lorsqu'un brahmane qui passait vit les enfants en train de jouer ; quoique leur multitude füt fort nombreuse, il les observa tous et saperçcut que le fils du magicien de malheur avait des indices de haute dignité et qu'il devait devenir roi; sa

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CHENG KING (N° 426) 159

physionomie était très remarquable et était supérieure à celle des autres personnes ; le brahmane lui donna cet ordre : « Vous portez des indices qui marquent que vous serez roi ; il ne vous faut pas vous mêler aux jeux turbu- lents de la foule. » Le jeune garçon répondit : « Je suis le fils d’un magicien de malheur; comment aurais-je les indices qui marquent que je serai roi ? » Le brahmane reprit : « D’après nos règles saintes, votre visage et votre extérieur s'accordent exactement avec les diagrammes de nos livres de prédictions et par conséquent vous devez (être roi). Réfléchissez bien à mes paroles ; elles sont véri- diques et non trompeuses ; en tel mois et en tel jour le roi de ce pays mourra et certainement il vous cédera sa dignité. » Le jeune garçon répliqua : « Ne divulguez point cela et soyez d'accord avec moi pour garder le secret ; si les choses se passent comme vous me le dites, je saurai grandement reconnaître votre bienfait etje ne me permet- trai pas d’être arrogant. » Après que le brahmane eut fini de parler, il partit de et s’en alla, en sortant du pays, dans un autre royaume.

Quelques jours plus tard, le roi mourut sans laisser d'héritier. On invita à venir les hommes sages afin de faire de l’un d’eux le chef du royaume ; les ministres ras- semblés délibérèrent en disant : « Un royaume sans sou- verain est comme un homme sans tête ; il faut prompte- ment envoyer des émissaires pour rechercher avec soin quelque personne vertueuse que nous mettrons aussitôt sur le trône. » Les émissaires se répandirent dans les quatre directions; ils aperçurent de loin ce jeune garçon qui avait toute l'apparence d’un homme extraordinaire ; ils envoyèrent donc immédiatement des gens pour revenir dire aux ministres assemblés de bien vouloir venir cher- cher (le jeune homme) avec tout le cérémonial imposant à un roi et avec l'équipage d'apparat prescrit par la loi ; les ministres assemblés et tous les fonctionnaires sau-

160 CHENG KING (N° 426)

térent de joie, et, conformément à ce qu’avaient dit les envoyés, ils vinrent chercher (le jeune homme) avec un équipage imposant ; on le baigna dans de l’eau par- fumée ; on lui donna les vêtements de cour des cinq sai- sons (1); on le coiffa du bonnet précieux et on lui remit l'épée et la ceinture conformément à ce qui était en usage sous le roi précédent; par-devant et par-derrière des gardes le précédaient et l'escortaient, et on ne s’écarta en rien des statuts du royaume. (Le jeune homme) monta donc sur le trône, se tint dans la salle principale et, tourné vers le sud, rendit des décrets. Tout le pays jouit de la tranquil- lité et la population exultait de joie.

Sur ces entrefaites, le brahmane, en observant en haut les signes célestes, et, en considérant en bas la disposition de la terre, reconnut que le (jeune homme) avait obtenu la succession au trône. Il se rendit donc à la porte du palais et demanda à le voir; le surveillant de la porte vint annoncer : « Il y a dehors un brahmane qui demande à voir Votre Majesté. » Le roi donna l’ordre qu'on l’admiît en sa présence ; le brahmane entra, et après avoir remercié par des prédictions et exprimé des vœux par des formules magiques, il dit au roi : « Maintenant que (ce que je vous avais dit) s'est réalisé, êtes-vous diposé à observer vérita- blement le serment que vous avez fait autrefois Le roi lui dit: « En vérité, Ô religieux, vous avez une perspi- cacité surnaturelle; c'est grâce à votre bienfait que j'ai obtenu cette félicité. » Le roi ajouta : « O religieux, dési- rez-Vous que je vous donne la moitié de mon royaume et que je partage avec vous mes trésors d'objets précieux ? Une épouse, des concubines, des chars, des chevaux, des serviteurs, vous aurez tout ce que vous désirerez. » Le brahmane répondit : « Je ne désire rien de tout cela. Je vous exprime seulement deux désirs ; le premier est que

(1) Les quatre saisons et la saison des pluies.

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CHENG KING (N° 496) 161

pour manger et pour boire, pour marcher et pour s'arrêter, pour se vêtir, pour se coucher et pour se lever, moi et vous, Ô roi, fassions tout cela ensemble et en nous atten- dant l’un l’autre; mon second désir est que je participe avec vous aux délibérations sur les affaires du royaume, que toute décision soit prise d’un commun accord entre vous et moi et qu'aucun de nous deux n’agisse de sa seule autorité. » Le roi dit : « Fort bien. Tenir compte de ces deux désirs et m'y conformer, n’est-ce pas chose facile ? »

Le roi se mit à gouverner son royaume ; il observait toujours la droite règle et ne faisait aucun tort à la foule du peuple. Le brahmane, qui recevait ses bienfaits, en conçut de l’arrogance ; il traitait avec mépris les plus hauts fonctionnaires. Les ministres en furent irrités et vinrent présenter des remontrances (au roi) en lui disant: « 0 roi, votre majestueuse dignité est fort élevée ; il vous faut délibérer avec les plus vieux et les plus expérimen- tés des ministres d'état ; or, vous ne vous confiez qu’en un mendiant et vous faites ainsi qu’il méprise et outrage tous vos officiers. Quand les royaumes voisins l’apprendront, vous leur prêterez à rire et cela causera tous les maux des attaques à main armée. » Le roi leur dit : « Quand j'étais jeune, j'ai faità cet homme un ancien serment ; comment pourrais-je le violer ? » Ses ministres continuèrent à lui adresser des remontrances en lui disant: « Quand, 6 roi, vous prenez vos repas, il suffirait qu'un beau jour vous ne l’attendiez pas pour que certainement il change (de conduite). » Le roi y consentit donc; il épia le moment le brahmane était sorti, et, sans attendre son retour, il se mit à manger avant lui. Le brahmane {étant revenu) lui dit avec colère : « Que signifie notre ancienne convention pour que vous mangiez maintenant seul avant moi? » Le roi répliqua : « Je mange, il est vrai, avant vous ; comme vous étiez sorti et n'éliez pas encore de retour; j'ai pré- paré pour vous une autre table pour que vous ÿ mangiez ;

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162 CHENG KING (N° 426)

c'est vous qui êtes venu en retard. » Le brahmane l’in- juria en disant : «Hé, fils d’un magicien de malheur vous

ne tenez pas compte de la justice et vous violez votre an-.

cien serment. »

Tous les ministres, en entendant ces paroles, et en voyant que, en leur présence, il outrageait le souverain, proposèrent unanimement qu’on le fit périr ; le roi invita

ses ministres à lui indiquer de quel châtiment il faudrait ,

le punir ; ils s’avancèrent tour à tour pourdire, l’un, qu’il fallait le tuer en le faisant cuire à la vapeur dans un vase de terre percé de trous; un autre, en le faisant bouillir ; un autre, en l’écartelant; un autre, en le pilant dans un mortier; un autre, en lui faisant subir les cinq {chan (1) qui sont: couper les oreilles, trancher la langue, arra- cher les yeux. Le roi ne consentit à rien de tout cela et dit : «J’observe les règles religieuses ; mon cœur affec- tueux est miséricordieux pour toutes les espèces d’êtres ; je ne ferais pas de mal même à un reptile ; à plus forte raison ne mettrais-je pas en danger la vie d'un homme. Je me bornerai à le chasser promptement hors du royaume après l'avoir bien approvisionné. »

En conformité avec cet ordre, les ministres donnèrent (au brahmane) des vêtements et des grains pour le voyage, puis ils le firent sortir du territoire. Allant solitaire sur une longue route, il était exposé aux atteintes du froid et du chaud ; épuisé de forces et consumé de chagrin, il n'avait plus forme humaine lorsqu'il arriva dans un autre: royaume. Il se rendit chez un brahmane étranger avec lequel il avait eu des relations d'amitié. Celui-ci lui demanda ensuite : « D'où venez-vous ? Quelles connais- sances avez-vous réunies etacquises ? À l'étude de quelles.

(1) Le mot ksana est, d'après les lexiques, l'équivalent de mârana qui signifie « supplice ». Il semble que ce soit ce mot que recouvre la tran- scription chinoise {chan.Mais notre texte n'énonce que trois des cinq sup- plices.

CHENG KING (N°426) 163

règles vous êtes-vous consacré ? Pouvez-vous me réciter tout ce que vous avez appris ? » L'autre répondit : « Je viens de loin ; souffrant de la faim et du froid, j'ai été dans la détresse et j'ai oublié tout ce que je savais par cœur. » Le brahmane songea à part lui: « Toutce que cet homme savait par cœur, il l’a maintenant oublié. Il est incorrigi- ble. Il faut l’inviter à se livrer aux travaux des champs. » I lui donna donc un esclave ainsi qu'une charrue et un bœuf pour qu'il labourât.

Or, le premier brahmane, en labourant et en semant, accabla de corvées son esclave, lui ordonnant avec dureté d’égaliser le sol et l’envoyant courir tantôt à l'Est, tantôt à l'Ouest. Désespéré, l’esclave voulut aller se jeter à l’eau; quand il arriva sur le bord de la rivière, il trouva une soc- que faite des sept substances précieuses ; il songea alors « Si je veux donner cet objet à mon ancien maitre (1), celui-ci ne me fera aucun bien; si je veux le donner à mon père et à ma mère, ils ne manqueront pas de le vendre pour avoir de quoi manger. Le brahmane (2) a été dur pour moi et m'a chargé de corvées sans rémission; je vais lui faire un présent en lui offrant cette socque et je m’assu- rerai ainsi quelque indulgence. » Il revint donc en rap- portant la socque qu'il présenta au brahmane ; le ‘brah- mane tout joyeux se dit en lui-même : « Cette socque faite des sept substances précieuses a une valeur inesti- mable; j'ai déplu au roi, mais, si je lui offre cette socque, ma faute pourra être effacée. »

En conséquence, il revint dans le royaume de ce roi et offrit la socque au souverain en exposant un profond repentir de son crime passé et en implorant son pardon. Le roi lui dit Fort bien ». Il le fit alors entrer derrière

(1) Le brahmane étranger qui avait donné cet esclave au premier brah- mane.

(2) Le premier brahmane, c'est-à-dire celui qui avait prédit au roi son avènement au trône.

164 CHENG KING (N° 426)

une tenture et l’assit sur un siège à part ; puis il réunit toute l'assemblée de ses ministres et leur dit : « Vous tous, avez-vous vu le brahmane qui fut précédemment chassé ? » Ils répondirent qu'ils ne l'avaient pas vu. (Le roi reprit) : « À supposer que vous le voyiez, que faudrait-il lui faire ? » Is répondirent qu'il faudrait lui couper les mains et les pieds, lui trancher les oreilles et le nez, le décapiter, le partager par le milieu du corps, lui appliquer les cinq sup- plices. Le roi dit : « À supposer que vous le voyiez, pour- riez-vous le reconnaître? » Ils répondirent qu'ils ne le distingueraient pas. Le roi produisit la socque précieuse et la montra à l'assemblée de ses ministres, puis il ordonna au brahmane de sortir pour que les ministres le vissent ; (il dit) : « (Puisque ce brahmane) m’a procuré ce merveil- leux joyau, il faut lui pardonner. » Ses ministres lui dé- clarèrent : « Ce brahmane a commis un crime grand comme une montagne, grand comme la mer. On ne sau- rait le gracier. L'offrande qu'il fait d’une seule socque ne constitue pas une réparation suffisante. S'il retrouve la paire, alors sa faute pourra être effacée. » Le roi approuva cet avis et, pour la seconde fois, chassa le brahmane en l'invitant à rechercher l’autre socque.

Le brahmane désolé, (se disait) : « Je gémissais autrefoiset voici que maintenant on m'impose de nouveaux efforts. » Il retourna chez son ancien maître ; celui-ci lui demanda : « êtes-vous allé et d’où venez-vous ? » Le brahmane cacha ce qui s'était passé et n’osa pas le lui avouer; il dit: « Je reviens d'un voyage quelconque. » (Son maître) lui remit donc la charrue, le bœuf et l’esclave et Le chargea de labourer et de semer comme précédemment. Le brah- mane demanda alors à l’esclave : « Cette socque précieuse que vous aviez naguère, l'avez vous trouvée ? » L’esclave alla avec lui pour lui montrer l’endroit était la socque; ils arrivèrent au bord de l’eau et cherchèrent partout, mais sans découvrir l'endroit était (l’autre) socque.

CHENG KING (N° 426) | 165

L’esclave l'ayant quitté et s’étant éloigné, le brahmane se dit que la (première) socque précieuse avait venir de plus haut en suivant le courant et que, si on allait plus bas pour chercher {la seconde), on ne la trouverait pas.

Il se mit donc à marcher en remontant le cours de la rivière ; il aperçut une grande fleur de lotus qui suivait le fil de l’eau et qui tournoyait sur les flots ; un poisson la tenait dans sa bouche ; cette fleur était fort grande et avait plus de mille pétales. Le brahmane songea que, bien qu’il n’eût pas trouvé la socque, s’il offrait cette fleur, il pourrait peut-être se faire pardonner sa faute et recouvrer la faveur dont il jouissait autrefois. Il s’empara donc de cette fleur; alors, il aperçut les quatre ermites (1) qui étaient assis sous. un arbre; il s’avança, se prosterna devant eux, s’informa de leur santé et leur demanda si leurs saintes personnes jouissaient des dix mille félicités ; les ermites lui dirent : « Oui ; mais d’où venez-vous ? » Il répondit : « J’ai déplu

au roi; bien que je lui aie offert une socque, cela n’a pas

suffi à effacer ma faute; c’est pourquoi je suis venu en remontant le cours de la rivière pour chercher (l’autre socque), mais je ne l’ai pas encore trouvée. » Les ermites lui dirent: « Vous êtes un homme instruit et vous deviez savoir comment vous comporter. Ce roi du royaume est notre disciple (2) ; il vous traitait avec affection et avec estime ; avec vous, 1l mangeait, s’asseyait et se levait et il vous associait à ses délibérations. Comment se fait-il qu'un beau jour vous l’ayez injurié en l’appelant fils de magicien de malheur? Votre faute est grave et on aurait vous mettre à mort; or, maintenant on ne vous en de- mande pas compte. » Du doigt ils lui indiquèrent (une place) sous un arbre ; se trouvait l’ancien corps du roi,

(1) Les quatre ermites dont il a été question au commencement du conte. Tout ce récit est d’ailleurs fort embrouillé et paraît avoir été altéré par le traducteur chinois.

(2) Celui qui, autrefois, avait été le serviteur des quatre ermites (cf. p.196; ligne l!.

166 CHENG KING (N°5 426-427)

celui qu'il avait quand il était le serviteur (des ermites), quand il leur apportait la nourriture, quand il s'était assis en tenant un pied élevé en l'air, quand il était mort de l'intensité de son émotion et quand une de ses socques précieuses était tombée dans l’eau ; l’autre socque était encore à son pied. Le brahmane alla aussitôt prendre celle- ci; quand il eut la socque, il se prosterna la tête contre terre et s’excusa de sa faute (auprès des ermites). Étant revenu dans le royaume, il offrit encore (cette socque) au souve- rain ; le roi fut joyeux et l’animosité des ministres se dis- sipa ; le brahmane retrouva la faveur et les dignités (dont il avait joui autrefois).

Le Buddha dit aux bhiksus : « Celui qui alors était Le roi, c'est moi-même ; les quatre ermites sont le Buddha Æeou- lieou-ts’in (Krakuëtanda), le Buddha Æeou-na-han-wen-ni (Kanakamuni), le Buddha Xra-che (Käçcyapa) et le Buddha Mi-lei (Maitreya). Quant au brahmane, c’est T’iao-la (Deva- datta). » Quand le Buddha eut ainsi parlé, il n’y eut per- sonne qui ne fût satisfait.

N°27:

CPR EXTINEE 0 Dh 3780-8800)

Autrefois, il y a de cela des générations innombrables, il y avait un roi nommé J'a-lch'ouan (grand bateau) ; le ter- ritoire de son royaume était étendu ; ses nombreux offi- ciers et ses grands ministres formaient aussi un vaste ensemble ; son pays était fertile ; son peuple était prospère. Ce roi avait cinq fils: le premier était avisé ; le second était ingénieux ; le troisième était beau ; le quatrième était énergique; le cinquième avait la vertu qui procure le bonheur. Chacun d'eux fit l'éloge de ce qui constituait sa propre supériorité. Celui qui était avisé loua la qualité

D _ —*

CHENG KING (N° 427) 167

d’être avisé comme la première des vertus en ce monde et chanta cette gâthà : |

Être avisé est la première (des vertus); —(cette vertu) peut trancher lous les doules, résoudre les cas difficiles à décider, défaire avec accord les nœuds formés par de vieilles haines ; elle peut, en ayant recours à des moyens appropriés aux circonstances, faire que les hommes obtiennent ce qui leur est dû. Tous, en la voyant, sont Joyeux el la célèbrent unanimement.

Le second fit l’éloge de l’ingéniosité et chanta cette gâthà :

L'ingéniosité a des artifices adroits ; elle peut fabri- quer beaucoup de choses ; avec des mécanismes elle fait un homme en bois qui peut vraiment ressembler à un homme, qui remue, qui se courbe el qu se dresse. Tous ceux qui la voient à l'œuvre sont contents ; tous reconnaissent sa valeur et lui font des présents ; son habr- leté esl une ressource en laquelle on se fie.

Le troisième homme fit l'éloge de la beauté et chanta cette gâthà :

La beauté est la première ; quand une personne est d'une beauté qu'il serait difficile d'égaler, les hommes en foule conlemplent son visage ; il n'est personne au près comme au loin qui n'ait entendu parler d'elle ; tous accourent pour l’honorer et pour la servir avec un zèle universel ; les gens de sa famille la traitent avec respect comme un deva ; elle est semblable au soleil quand il émerge des nuages flottants.

Le quatrième homme fit l’éloge de l'énergie et chanta cette gâthà :

L'énergie est la première ; par l'énergie on va sur la grande mer ; on peul traverser loutes les difficultés les plus pénibles el acquérir en quantilé des richesses pré- cieuses ; l’homme vaillant peut faire beaucoup de choses ; c'est par celle qualilé que rien ne lui fait obstacle.

168 CHIENG KING (N° 427)

Dans ses occupalions habituelles tout lui réussit; ses parents el ses voisins l'admirent, l'aiment et le célèbrent.

Le cinquième homme fit l'éloge de la vertu qui procure le bonheur et chanta cette gâthà :

La vertu productrice de bonheur est la première ; elle se trouve, on obtient spontanément (ce qu’on désire) bonheur el joie sont sans limiles ; de naissance en naissance on a un champ producteur de bonheur ; par ce bonheur on devient Cakra, maître des devas, ou Brahma devaräja, ou un rot qui fait tourner la roue (takra- varlin) ; on oblient aussi de réaliser en soi la sagesse d'un Buddha, et d'être parfailement un roi de la Loi sage.

Quand ils eurent tous parlé de ce qui constituait leurs supériorités respectives, chacun d’euxavait ditquela sienne était la première et il n'y avait pas moyen de décider entre eux. Chacun d’eux restait ferme dans son opinion et ne voulait pas se soumettre à un autre. Ils se dirent alors l’un à l’autre : « Que chacun de nous mette à l'essai ses propres mérites et manifeste ses marques distinctives d'homme de valeur (purusa). Parcourons au loin les divers royaumes et allons dans des pays étrangers; alors on

discernera quelle est, parmi ces vertus extraordinaires, celle qui est la première. »

Celui qui était avisé alla donc dans un royaume étranger ; il fit des enquêtes pour savoir quels étaient parmi les habitants de ce pays ceux qui étaient bons et ceux qui étaient mauvais, quels étaientles prix des grains, qui étaient les hommes puissants et riches et qui étaientles hommes de condition humble et sans influence. Il apprit que, dans ce royaume, il y avait deux notables, d’une puissance et d'une richesse difficiles à égaler, qui avaient été autrefois amis intimes et qui s'étaient, dans l'intervalle, séparés ; plusieurs hommes avaient fait des machinatiors perverses et les avaient mis aux prises pour qu'ils devinssent enne-

CHENG KING (N° 427) 169

mis ; plusieurs années s'étaient écoulées sans qu'ils pussent

se réconcilier. Cet homme avisé imagina un moyen appro-

prié aux circonstances : prenant avec lui des vivres excel- lents à offrir en présent, des boissons et des mets de toutes sortes, ilse rendit à la porte de l’un des notables en demandant qu'il voulût bien lui donner audience. Le no- table l’ayant admis en sa présence, il lui offrit tous les présents de nourriture qu'ilavait apportés; puis, ils’excusa auprès de lui et lui demanda de ses nouvelles en lui disant au nom de l’autre notable : « Lui et vous étiez autrefois séparés l’un de l’autre ; sans que vous vous en aperçus- siez, une multitude d'hommes ont fait des machinations perverses qui ont produit des nœuds de haine ; séparés

l’un de l’autre pendant plusieurs années, vous n’avez pas

pu causer ensemble ; il a pensé que dans une entrevue personnelle il s'expliquerait avec vous sur ces choses pé- nibles ; c’est pourquoi il vous envoie des boissons et des mets qu'il vous offre en présent; puissiez-vous les accep- ter et ne pas lui faire de reproches. D'ailleurs lui et vous n'avez pas d’inimitié qui vous vienne de vos pères, ni d’hos- tilité qui vous vienne de vos mères ; aussi m’a-t-il envoyé ici pour vous exposer ses intentions. » En entendant ces paroles, le notable fut content etse réjouit fort en disant: « Je désirais me réconcilier avec lui depuis déjà long- temps ; mais je n'avais aucun ami qui püt l’informer de mes sentiments. Que ce soit lui qui daigne avoir confiance en moi etqui condescende à me faire savoir (ses intentions), c'esten vérité ce que je n'aurais pas osé espérer. Je par- tage ses excellentes pensées et j’obéis aux désirs que vous m'apportez sans me permettre de résister.» Quand l'homme avisé eut délivré le notable de ses soucis et qu'il en fut clairement certain, il prit congé et se retira ; il se rendit ensuite chez le second notable auprès de qui il agit de même, lui expliquant et lui exposant les intentions de l’autre comme il a été dit précédemment. Alors les deux

170 CHENG KING (N° 427)

notables se fixèrent un rendez-vous ; ils se réunirent en un même lieu, et au milieu d’une nombreuse assemblée, abjurérent leur inimitié. En cette occasion on fit un ban- quet de fête on se livra à toutes sortes de réjouissances ; les deux notables se divertirent ensemble, puis il se demandèrent l’un à l’autre comment leur étaient venues ces pensées de réconciliation; ils apprirent ainsi que | c'était cet homme qui, en sachant bien profiter des cir- constances, avait réconcilié leurs deux inimitiés et les avait rendus amis comme auparavant.. Chacun d’eux son- gea en lui-même : « Nous étions éloignés l’un de l’autre depuis longtemps, et, dans tout le royaume il n’était per- sonne qui püt nous réconcilier ; il a fallu que cet homme vint de loin pour nous donner l’un à l’autre de nos nou- velles et pour nous réconcilier ; le service qu’il nous a rendu serait difficile à mesurer ; ce n’est pas avec des mots qu'on peut le reconnaître complètement. Chacun d’eux prit donc cent mille onces d’or et les donna à cet homme : celui-ci recut ces richesses et les donna à ses frères en chantant cette gâthà :

Les paroles suffisent à tout faire ; l’habileté à discu- ler peut créer des règles auxquelles on se conforme. Celui qui est vraiment un homme supérieur est capable d'être informé de tout; il n’est rien de si caché qu'il ne le connaisse à fond. Voyez comment, grâce à ma qualité d'être avisé, je me suis procuré ces richesses si consi- dérables ; vêlements el nourriture, je les ai en abondance et même j'en fais des libéralilés aux autres.

Le second (frère), celui qui était ingénieux, se rendit à son tour dans un pays étranger. Précisément le roi de ce pays aimait les artifices adroits ; cet homme fit donc avec des matériaux en bois un homme de bois mécanique ; sa figure était belle ; ilne différait point d’un homme vivant; ses vêtements étaient élégants ; il était d'une intelligence sans égale, pouvait habilement chanter et danser et se

Eee GE

CHENG KING (N° 427) 171

mouvait comme un homme. (Celui qui l'avait fabriqué)

dit: « C’est mon fils ; il a tel âge. » Les gens du royaume

témoignaient du respect l'homme en bois) et on lui faisait de nombreux présents. Le roi en entendit parler et ordonna qu'on lui fit faire des tours d'adresse ; le roi et sa femme montèrent sur un belvédère pour le regarder ; (l’homme

_en bois) fit des tours, chanta, dansa et montra toutes sortes

d’'habiletés; il s’agenouillait, saluait, avançait, s’arrêtait, mieux que ne l’eût fait un homme en vie. Le roi et sa femme y trouvaient un plaisir sans limites. Soudain, (l’homme en bois) se mit à cligner des yeux et à regarder voluptueusement la reine ; le roi le vit de loin et son cœur en conçut de l’irritation ; 1l ordonna brusquement à ses gardes : « Coupez-lui la tête et apportez-la moi ; pourquoi cligne-t-il des yeux en regardant ma femme? je pense qu'il a des intentions mauvaises ; ses regards voluptueux sont indéniables. » Le (prétendu) père (de l’homme en bois) se mit à pleurer et son visage était tout sillonné de larmes; à deux genoux il implora grâce: « J'ai un seul fils que je chéris extrêmement ; que je m'asseye ou que je me lève, que j’avance ou que je recule, (il est toujours avec moi) pour dissiper mes chagrins. C’est parce que mes pensées stupides n’ont pas réussi le bien élever) qu’il a commis cette faute. Si on le met à mort, je périrai avec lui. Puissiez-vous lui témoigner de la miséricorde et pardonner son crime. » Comme le roi, qui était fort irrité, ne voulait pas l’écouter, il dit encore au roi: « S'il ne doit plus vivre, je désire le tuer de ma main; ne chargez personne d'autre de ce soin. » Le roi y ayant consenti, il retira une cheville sur une des épaules ; le mécanisme se disloqua et se répandit en morceaux sur le sol; Le roi stu- péfait et déconcerté, s’écria : « Comment ai-je pu moi- même m'irriter contre des pièces de bois ? Cet homme est d'une ingéniosité merveilleuse et n’a pas son pareil dans le monde. Il a fait ce mécanisme qui a trois cent soixante

172 CHENG KING (N° 427)

articulations et qui est supérieur à un homme en vie. » Il lui fit donc présent de cent mille myriades de pièces de monnaie. Cet homme s’en alla avec cet or; il le donna à ses frères en les invitant à s’en servir pour boire et pour manger etil leur chanta cette gâthà :

Contemplez celle ingéniosilé ; nombreuses sont les choses qu'elle peut fabriquer ; avec des mécanismes elle fait un homme en bois qui l'emporte sur ceux qui sont en vie; il chante, danse et offre des spectacles réjouissants, en sorle que les plus hauts personnages y trouvent leur plaisir. J'ai oblenu qu'on me fit don de ces richesses considérables ; qui pourrait, mieux que moi, être le pre- mier ?

Le troisième frère, celui qui était beau, se rendit à son tour dans un pays étranger. En apprenant qu’un homme beau était venu d’une région lointaine, qu'il l’emportait sur tous les autres par sa grâce etqu’ilétait une merveille comme il y ena rarement dans le monde, les habitants du pays vinrent tous à sa rencontre et lui offrirent en pré- sent des boissons et des mets de toutes les saveurs, de l'or, de l'argent et des objets précieux. Cet homme ayant fait quelques tours d'adresse, la multitude l’en aima davan- tage; on contemplait et on admirait son visage lumineux comparable à lalune parmi les étoiles. Les filles des plus nobles familles, celles qui avaient de l’argent en abon- dance et dont les trésors étaient pleins, lui offrirent des joyaux extraordinaires et des richesses par innombrables centaines de mille (de pièces de monnaie). Quand cet homme eutobtenu ces richesses, il les donna à ses frères en chantant cette gâthà :

Excellente est la beauté semblable à une fleur ; un vi- sage harmonieux el régulier est chose suffisante ; les femmes el les hommes témoignent leur respect un tel homme) qui peut constamment jouir de la tranquillité ; la foule le contemple comme la lune parmi les étoiles.

CHENG KING (N° 427) 173

Maintenant, voici les richesses que j'ai acquises ; elles me permellent de subvenir à mon entretien personnel et de faire des libéralités aux autres.

Le quatrième (frère), celui qui était énergique, se ren- dit à son tour dans un pays étranger; arrivé au bord d’un fleuve, il aperçut un arbre {chan-l'an (candana santal), qui descendait emporté par le courant; il ôta ses vête- ments, entra dans l’eau, et, en nageant à travers les flots, il le saisit. Or, chez le roi de ce pays, on avait un besoin urgent de chan-lan (Candana= santal) ; il apporta donc sa trouvaille et l’offrit au roi; ilreçut en retour cent myriades de livres d’or et les richesses qu'il obtint furent en nom- bre incalculable ; il les donna à ses frères en chantant cette gâthà :

L'énergie est la première ; l'homme vaillant peut aller sur la mer, et acquérir une multitude de richesses dont il fait don à ses parents el à ses amis. Parce que j'ai pu nager dans les ondes du fleuve, je me suis emparé d'un tchan-t'an (cCandana) merveilleux qui m'a valu ces som- mes d'or suffisantes pour me nourrir el pour faire des libéralités aux autres.

Le cinquième (frère), celui qui avait la vertu produc- trice de bonheur, se rendit à son tour dansun pays étran- ger. Un jour que la chaleur était fort grande, il se coucha sous un arbre; en ce moment, le soleil s’éloignait du mi- lieu de sa course ; les ombres de tous les arbres se dé- plaçaient, mais l’ombre de l'arbre sous lequel était couché cet homme ne bougeait pas; lui-même avait une majesté fort haute et sa beauté était merveilleuse; il ressemblait au soleil et à la lune. Or le roi de ce pays était mort sans laisser d’héritier qui pôût lui succéder sur le trône ; les habitants délibérèrent entre eux en disant: « Il nous faut chercher un sage pour le nommer souverain du royaume. » Les hommes chargés de cette recherche sortirent dans toutes les directions pour choisir dans le royaume celui

174 CHENG KING (N° 427)

qui serait digne d'être mis sur trône; en allant faire leur enquête, les envoyés aperçurent cet homme sous un arbre ; il était une merveille comme il y en a rarement dans le monde, et, tandis qu’il était couché sous l'arbre, l'ombre de l'arbre ne s'était pas déplacée. Les envoyés pensèrent: « Ce n’est pas un homme ordinaire ; il est digne d’être souverain du royaume. » Ils allèrent donc informer les principaux ministres du royaume et leur exposèrent toute cette affaire. Alors tous les ministres, dans un pompeux appareil, précédés et suivis de cavaliers et de chars, portant leurs sceaux et leurs cordons, leurs coiffures et leurs bonnets, avec tous les attelages et leurs vêtements de cérémonie allèrent le chercher. On le lava avec de l’eau parfumée ; on le coiffa du bonnet et on le

revêlit des vêtements (royaux); on lui ceignit la ceinture, et, quand cela fut terminé, tous se prosternèrent dévant lui en se disant ses sujets. Il monta en char, entra dans le palais, et, le visage tourné vers le sud, il rendit des décrets : le royaume jouit alors d’une grande tranquillité ; le vent et la pluie arrivèrent en leur temps. Le roi pro- mulgua alors un édit en dehors (de son royaume) pour mander les quatre hommes dont l’un était avisé, le second ingénieux, le troisième beau, et le quatrième énergique, et, pour les faire venir dans la salle supérieure du palais. Tous arrivèrent en même temps et reçurent l'ordre de se tenir comme des gardes du corps. Le roi qui possédait une vertu productrice de bonheur chanta alors cette gàthà :

Celui qui possède la vertu mériloire productrice de bon- heur peut devenir Cakra maître des devas, ou, s'il est un Souverain, rot qui fait tourner la roue (cakravartin) ; il pourra aussi devenir un Brahmadeva. Celui qui est avisé el celui qui est ingénieux, celui qui est beau ainsi que celui qui est énergique viennent lous à la porte de celui qui possède la vertu productrice de bonheur ; ils se tiennent à ses côlés et sont ses sujets et ses serviteurs.

CHENG KING (N° 427-498) 175

Alors donc le roi qui possédait la vertu productrice de bonheur conféra de hautes charges à ses frères en faisant que chacun eût la place qui convenait à ses capacités.

IN 428:

(Pipe RNB D 30

Autrefois, dans des temps fort lointains, un eunuque {1} étant mort, ses parents et ses voisins prirent son corps et le déposèrent parmi des arbres {ch'ou (ailante). Sur ces. entrefaites, un chacal et un corbeau vinrent pour en man- ger la chair ; ils se mirent alors à se décerner l’un à l’autre des éloges au milieu des arbres. Le corbeau adressa au chacal cette gâthà :

Votre corps est comme celui d'un lion ; voire téêle est comme celle d’un ermile ; par le luisant (de votre pelage) vous ressemblez à un rot des cerfs ; c'est la perfection ! vous êtes comme une belle fleur. |

Le chacal, d’entre les arbres, le loua par cette gâthà :

Qui est ce personnage vénérable perché sur l'arbre ? pour la sagesse il est de beaucoup le premier ; son intelligence illumine les dix régions —, comme le ferail un monceau d'or pur.

Alors le corbeau répondit en chantant celte gâthà :

Vous êles un grand lion ; c'est pour vous voir que je suis venu lout exprès ; vous êles luisant comme un rot des cerfs ; c'est la perfection ! je trouve vous voir) profit el sagesse.

(1) D'aprèsla version tibétaine (Schiefner, Mél. As. Saint-Pétersbourg, t. VIII, pp. 160-163), les gens de Râjagrha avaient décidé de faire un cimetière pour les hommes et un cimetière pour les femmes; comme

l'eunuque ne pouvait être enterré ni dans lun ni dans l'autre, on len- fouit au pied d'un ricin. Cf. notre 384.

176 CHENG KING (N° 428)

Le chacal répondit encore en chantant cette gâthà : :

Sincères el loyaux sont les vrais amis ; nous nous louons l'un l’autre avec une par faile sincérité ; moielvous, Ô monceau d'or pur, qu'on ne se permelle pas (1) de

demander si nous nous nourrissons de ce (cadavre).

Or, non loin de là, il y avaitun grand ermite qui demeu- rait dans la solitude, qui agissait d’une manière pure et pratiquait la sagesse ; en entendant les éloges alternés que se décernaient l’un à l’autre le chacal et le corbeau, il songea : « Ces êtres de cette sorte s’exclament à tort et à travers sur (leurs mérites) mutuels ; leurs paroles sont toutes dénuées de raison et il ne s’y trouve pas un mot sincère et vrai. » Il les interrogea donc par cette gâthà :

Depuis longtemps j'ai vu ce que vous faites ; actuel- lement vous êles lous deux des menteurs ; vous vous cachez parmi les arbres pour manger tous deux de la chair humaine.

Alors le corbeau irrité répondit à l’ermite par cette gâthà :

Le lion et le paon (2) se nourrissent tous deux de la chair des animaux qui, auprès de ce vieillard chauve et sans passions, tour à lour viennent demander qu'il leur sauve la vie.

L’ermite répondit par ces gâthäs :

Sous les arbres ich'ou la puanteur est extrême ; tous les oiseaux la redoutent el les troupes de cerfs n'y cherchent pas un abri. On y a déposé le corps d'un eunuque mort, el vous, vile engeance, vous êles venus vous réunir ici pour vous repaître de ce cadavre d’eu- nuque. Cependant vous vous prélendez des personnes supérieures |

(1) Je suppose que Fff est mis ici pour Æ. Les textes du Cheng king sont très incorrects et parfois totalement incompréhensibles (2) C'est-à-dire le chacal et le corbeau.

CHENG KING (N° 429) | 177

429.

(Trip, XIV, 5, p. 39 ve.)

Autrefois, en des temps fort lointains, dans un lieu

écarté, plusieurs hommes qui recevaient d’un divin er-

mite (rsi) l’enseignement des cinq pénétrations (abhijnâ), demeuraient solitaires. Ils s’encourageaient entre eux et se prêtaient une aide mutuelle ; chacun d’eux à son tour allait recueillir des fruits pour en approvision- ner (la communauté) et ainsi ils faisaient une économie (de temps et de peine) ; si l’un d’eux tombait malade, les autres le veillaient et le soignaient tour à tour.

Or, il y avait un étudiant (mo-na mânavaka) qui, toutes les fois que se présentait un cas urgent, s'’esquivait en toute hâte ; si quelque étudiant était dans les embarras d’une difficulté pressante ou d’une maladie, il ne lui donnait jamais ses soins. Un jour que cet étudiant était lui-même en détresse, personne ne le secourut et il resta seul sans aucun compagnon ; une autre fois, il tomba malade et personne ne l’entoura de soins, ni ne lui apporta de fruits pour les lui donner à manger.

Alors, l'ermite doué des cinq pénétrations vit cet homme ;le Ao-chang (upädhyâya) (1) s'aperçut qu’il était dans cette situation et il songea en lui-même: « Cet homme est seul et abandonné, et personne ne le secourt ni ne le protège. » Il fut ému de pitié, alla auprès de lui et lui demanda : «O étudiant (mo-na mânavaka), au temps vous étiez bien portant, avez-vous demandé des nou- velles des autres et vous êtes-vous informé (de leur santé) ? N’avez-vous pas des amis intimes ou des amis ? » [l répon-

(1) C'est-à-dire l’ermite. II. 12

178 CHENG KING (N° 429)

dit aussitôt : « Je ne l'ai point fait. Et de même, à Ao-chang (upâdhyäya) je n'ai point d'amis, soit amis intimes, soit simples connaissances ; mon père et ma mère, mes parents et mes voisins sont fort loin d'ici. » (Le ho-chang) lui demanda encore: « Ces brahmatarins demeurent tous dans ce même lieu ; n’avez-vous pas trouvé parmi eux des amis intimes et noué des relations ? Je ne l’ai pas fait », répondit-il. Le ho-chang (upàädhyâya) répliqua : « Si vous n'avez pas formé d’amitiés intimes et s'il n'y a pas de gens que vous connaissiez, pourquoi êtes-vous un homme? Voyez les autres qui se témoignent alternati- vement de la déférence et qui se rendent des services tour à tour. Vous êtes seul à ne pas le faire. Aussi êtes-vous aujourd’hui seul et abandonné et personne ne vous vient en aide et ne vous secourt. » Alors l’ermite (rsi) soutint le mo-na (mânavaka) et le fit asseoir sur un siège à l’en- droit lui-même se tenait ; il lengagea à se calmer, puis il l'emmena chez des amis qui le soignèrent. Il chanta alors cette gâthà :

Quand vous avez renoncé à femme et enfants, que vous éles sorli du monde el que vous n'avez plus personne pour vous aimer, c'est votre ho-chang (upâdhyäâya) qui est votre père, el vos condisciples qui sont vos frères. De- meurant avec des brahmatarins, si vous ne donnez pas vos soins aux autres, quand vous tomberez gravement malade, vous serez isolé et n'aurez aucun appui. Je remarque que vous vous en êles déjà aperçu. Conduisez- vous avec purelé pour vous faire des amis ; conduisez- vous envers tous avec déférence el les autres à leur tour vous donneront leurs soins.

sd stiénudls

CIHENG KING (N° 450) 179

430.

(Trip., XIV, 5, pp. 41 r°-A4 vo.)

Autrefois, dans des générations fort lointaines, le royaume de Po-lo-nai (Vârânasi) avait un roi nommé Fan-la (Brahmadatta). Ce roi était doué d’une grande vertu ; sa renommée s'était répandue au loin. Une fois, le royaume souffrit de la disette ; le prix du riz et des grains Ss'éleva ; le peuple fut affamé ; les mendiants devinrent fort nombreux ; on n'avait pas de quoi fournir leurs besoins).

Auparavant, le roi se plaisait à faire des libéralités ; des quatre côtés de l’espace, les mendiants accouraient ; ils s’assemblaient comme des nuages flottants; des dix régions, tous venaient. Le roi fournissait à leur entretien de tout son pouvoir ; il exerçait ainsi la libéralité sans jamais se lasser.

Le prix des céréales et du riz vint à s'élever; le ciel départissait une extrême sécheresse et ne faisait plus tomber de pluie ; ce qu’on semait ne donnait aucune récolte ; le peuple souffrait de la famine ; les mendiants devenaient chaque jour plus nombreux et se rendaient à la porte du palais du roi; comme les greniers s’épuisaient, les ministres et les officiers délibérèrent entre eux, disant : « Maintenant ce roi fait immédiatement des libé- ralités à qui ose venir mendier auprès de lui et il est incapable de résister à personne. Cependant, il y a une sécheresse etil ne pleut pas ; les mendiants sont devenus fort nombreux; le prix des céréales et du riz s’est élevé ; les greniers s’épuisent ; (le roi) va ruiner le royaume. »

Alors tous les ministres, en vue de sauvegarder le

180 CHENG KING (N° 430) *

royaume, allèrent auprès du roi et lui rendirent compte en détail de cette délibération, disant : « O roi, il vous faut maintenant cesser vos libéralités ; c'est ce qu’au- torise la Loi ; attendez que plus tard l'abondance se soit produite, et vous recommencerez alors vos libéralités. » Le roi leur déclara : « Je ne saurais me lasser de donner; j'ai promulgué une ordonnance annonçant ma volonté de faire des libéralités ; comment me mettrais-je en contra- diction avec mes sentiments primitifs ? Si quelqu'un vient m'adresser une requête, comment supporterais-je de lui résister ? Si personne ne vient, alors je ne donnerai rien. »

Aussitôt les ministres tinrent conseil et dirent : « IL nous faut aviser à un stratageme pour le bien (du pays) et ordonner que tous les pauvres gens ne soient pas auto- risés à venir mendier ; ainsi nous couperons court (aux libéralités du roi). » Or, le roi n'avait point renoncé à ses libéralités et il avait formulé ce souhait dans son cœur : « Puissent mes greniers ne point se vider. »

Cependant, les magistrats préposés aux lois avaient proclamé au loin dans toutes les directions un ordre aux termes duquel il était interdit d'aller mendier auprès du roi; ceux quise permettraient de le faire seraient tous mis à mort et on abandonnerait leur corps sur la place publique de la ville. Les mendiants qui étaient accourus des quatre points de l’espace dans ce royaume, n’osèrent plus venir mendier quand ils furent informés de ces pres- criptions rigoureuses et ne purent plus voir le roi ; tristes et affligés, ils demandaient aux grands ministres : « Y a- t-il vraiment une telle ordonnance ? » Ils leur demandaient encore : « ( vous qui êtes notre père et notre mère, y a- t-il réellementces prescriptions rigoureuses et ne pouvons- nous plus mendier ? » Ils leur répondirent : « Le règle- ment existe; vous ne pouvez plus aller mendier. » Les mendiants leur demandaient encore : « S'il y avait des

| | L L J e

CHENG KING (N° 430) 181.

ambassadeurs officiels venus de contrées lointaines, (la règle serait-elle pour eux la même ?) » (Les ministres leur répondirent) : « Que ces ambassadeurs viennent de l'Est ou de l'Ouest, du Sud ou du Nord, tous trouveront en suffi- sance, dans les provisions des greniers et dans les (réserves de) grains, à boire et à manger ; maintenant ces officiers seuls obtiendront à boire et à manger. » En conséquence, on promulgua cette ordonnance qu’on signifia au loin dans toutes les directions : « Tous les mendiants pauvres et sans ressources n'auront pas le droit de venir à la porte (du palais) pour mendier auprès du roi ; s’il y en avait qui le fissent, ils seraient tous condamnés à mort. Mais les ambassadeurs de pays lointains pourront voir (le roi) et manger (des provisions) des greniers. Qu'on se dise cela de proche en proche. » Tous les hommes savaient que ces prescriptions avaient été édictées par les ministres, et non par le roi.

Orilyeutun brahmane qui, après avoir souffert de la faim et du dénuement pendant un jour entier, voulut mendier au dehors pour sauver sa vie et résolut d'aller partout en suppliant pour subvenir aux besoins de sa femme et deses enfants. Quand les grains sont à bas prix, le mendiant trouve aisément (des aumônes) et ce qu'ilobtient est sans limites ; mais, si le prix des grains s’est élevé, il est dif- ficile pour le mendiant d'obtenir quoi que ce soit. (Le brahmane) alla promptement mendier et se rendit en tous lieux, mais il ne trouva point de quoi soutenir sa vie; son cœur était plein de tristesse et il ne pouvait plus parler. |

Sa femme lui dit alors : « Vous rencontrez des circons- tances fort pénibles ; vous mendiez en un moment règne la détresse ; vous êtes allé partout sans rien obtenir. Pourquoi ne vous rendez-vous pas chez le roi pour mendier auprès de lui ? j'ai entendu dire autrefois que, lorsqu'on adressait une demande à ce roi, il ne résistait pas au

182 CHENG KING (N° 430)

désir qu'on lui exprimait. » Le brahmane répondit à sa femme : « N’avez-vous pas appris que le roi a rendu une ordonnance interdisant aux gens de venir mendier auprès du roi ; seuls les ambassadeurs des pays lointains peuvent être admis en sa présence et on leur donne des provisions des greniers ; mais si d’autres hommes mendient, ils se- ront tous décapités. » Le brahmane répondit (encore) à sa femme : « Si aujourd’hui je voulais chercher un apaise- ment mes souffrances en mendiant auprès du roi), je

serais au contraire en péril de mort; au moment je

mettrais mon espérance en un autre savoir le roi), je me > verrais honteusement perdu. » Sa femme lui répondit :

« Puisque les ministres ont promulgué partout une ordon-

nance aux termes de laquelle seuls les ambassadeurs étrangers pourront venir, tandis que cela sera interdit aux

aux autres hommes, il vous faut dire : Je viens en qualité d’ambassadeur étranger et je désire voir le grand roi ;

alors on vous donnera à manger. »

Le brahmane suivit donc le conseil de sa femme ; il prit un bâton d’ambassadeur, se coiffa d’un bonnet d’am- bassadeur et se rendit à la porte du palais du roi. L’officier de la porte lui demanda : « D’où venez-vous ? Il répon- dit : « Je suis un ambassadeur qui vient d’un pays loin- tain. » L’officier de la porte informa le roi et lui exposa toute l'affaire. Aussitôt on donna audience (au brahmane)] (1). D'où venez-vous ? Maintenant dans les seize royaumes le prix des céréales et du riz est devenu fort élevé et chacun se garde dans son territoire ; par êtes-vous arrivé ? De quel royaume venez-vous ? » Quand l'officier lui eut posé toutes ces questions, le brahmane répondit : « J'ai entendu parler de la vertu subjuguante du roi et c’est pourquoi je me suis chargé de venir en ambassade. » L'officier lui de- manda encore : « Dans ce royaume-ci peut-on voir cet autre

(1) La partie du texte que j'ai mise entre crochets ne parait pas être à sa place.

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CHENG KING (N° 430) 183

royaume ? les villages et les bourgs qui s’y trouvent, peut- on les connaître bien ? Si c’est pour vous-même (que vous demandez à être nourri), cela est conforme aux désirs du roi divin; si c'est seulement pour vous, ce que vous demanderez vous l’obtiendrez facilement. » (Le brahmane dit) : « Je désire voir le grand roi ; c’est pourquoi je suis venu demander à le voir. » Telle fut la seule réponse qu'il fit aux demandes que lui adressait l'officier de la porte.

Le roi dit: « Qu'on l’admette en ma présence. » Le brahmane entra donc ; le roi lui demanda : « De la part de qui venez-vous en ambassadeur ? » Le brahmane répondit : « Je vous demande de ne point craindre ; si vous. m'y autorisez, je vous révélerai le nom du roi dont je suis l'ambassadeur. » Le roi lui déclara: « Dites tout; j'ai absolument banni toute crainte. » Le roi lui demanda encore : « De qui êtes-vous l’ambassadeur? » Le brahmane annonça : « O grand roi, puisque vous désirez le savoir, je viens en ambassadeur du ventre. » Il prononca alors ces gâthäâs : (1)

Celui pour le profit de qui tout le monde travaille et affronte même de cruels brigands, c'est le ventre dont je suis l'ambassadeur ; 6 souverain du royaume, je désire que vous me témoigniez de l'indulgence.

Qui est le plus honoré et le plus puissant ? qui est le premier de tous? C'est le ventre dont je suis véritable- ment l'ambassadeur. O grand roi, ne me faites pas de reproches.

Tous les Buddhas et les Pralyekas Buddhas, les çra- vakas et les saints disciples abandonnent leur lieu de relraile et entrent dans les villes et les bourgs pour mendier.

Quand il est dans le dénuement et qu'il n'a plus aucun

(1) Les stances qui suivent sont très obscures et seraient inintelligibles si on ne se reportlait pas au texte original du jâtaka.

184 CHENG KING (N° 430-131)

appui loul être vivant endurera des lourments dans son corps. Maintenant, je suis l'ambassadeur du ventre ; que le plus honoré deshommes me témoigne de l’indulgence.

Alors le roi eut compassion de lui et il répondit au brahmane par ces gâthàs :

O brahmane, je vous donnerai mille vaches rousses avec le taureau qui complète le troupeau; comment pourrais-je ne pas avoir pitié d’un ambassadeur ?

A l'égard de tous les ambassadeurs, je leur donne de quoi ne plus avoir faim ; mais à vous, qui êtes l'ambas- sadeur de celui dont je pourrais être moi-même l'ambassa- deur, je donne davantage ; n'ayez aucune crainte.

431.

LA

CFPID RENTE pe 12ve)

Autrefois, dans des temps fort lointains, il y avait dans un pays étranger un lieu solitaire un éléphant femelle enfanta un petit; peu de temps après qu'il eut été mis bas, sa mère mourut.

Non loin de là, était la résidence d’un ermite ; cet ermite avait un prestige redoutable de premier ordre ; ses actions méritoires étaient au complet; sa volonté était pleine d'une grande compassion. Il aperçut le petit éléphant dont la mère était morte ; celui-ci pouvait à peine lever ses pieds; ilerrait de-ci et de-là et était incapable de chercher sa vie. L’ermite le prit avec lui et Pamena dans l'endroit il demeurait; il lui donna de l’eau à boire et recueil- lit des fruits pour le nourrir.

Or, ce petit éléphant était bon et affable, sage et ver- tueux ; ses actions méritoires étaient remarquables ; il se plaisait aux choses justes et raisonnables; 1l espérait

RO ne CE ER Ge peer

CHENG KING (N° 431) 185

obtenir une existence calme et retirée, ne pas avoir de tourments et supprimer toutes les causes d'inquiétude. Tandis qu'il passait sa vie avec l’ermite, se couchant et allant dans les mêmes lieux que lui, son corps grandit et son pelage devint frais et luisant ; il prenait de l’eau à boire pour l’offrir à l’ermite ; il lui donnait de bons fruits dont il ne mangeait qu'après lui ; il était partout fort dili- gent et le servait sans jamais se relâcher. Cet ermite eut compassion de ce petit éléphant, et, voyant sa conduite vertueuse, il l’aima comme un fils : il ne se lassait pas de le contempler ; il l’admirait sans cesse. | Cependant Cakra, maître des devas, conçut alors cette pensée : « Maintenant cet ermite ne pense qu'à ce petit éléphant; il ne songe qu’à lui sans se lasser. Ne faut-il pas maintenant que je lui fasse au contraire ressentir de la tristesse ? » Alors Cakra, maître des devas, apparut (dans

ce monde) pour éprouver (l'ermite) ;

: en se transformant,

il fit que le petit éléphant (parüt être) mort subitement et

tombé à terre tandis que tout son sang se répandait.

Quand l’ermite vit que le petit éléphant était mort, il fut pénétré de douleur et ne put plus parler ; les re sillonnaient son visage ; il ne pouvait plus se délivrer (de son chagrin) ; d'autres ermites, ayant appris cela, vinrent lui adresser des remontrances et des exhortations mais ne purent dissiper son affliction ; il ne mangeait ni ne buvait plus.

Alors Cakra, maitre des devas, reprenant son propre corps, se tint debout dans les airs et, s adressant à l’er- mite, prononça cette gâthà :

Vous avez déjà renoncé au monde, et, arrivé ici, vous n'avez plus aucun parent. La règle pour tous les ascèles est que : s'affliger d'une mort n'est pas une chose bonne. À supposer que, par la compassion el par les larmes, on pl faire revenir un mort à la vie, tous devraient se réunir pour se désoler ; mais si les pleurs el les lamenta-

186 CHENG KING (N° 431)

tions ne rendent pas la vie, l'expérience en élant faite, que lous cessent (de s'affliger).— Vous, à l'égard de ce pelit élé- phant, vous avez eu des sentiments de compassion et de bienveillance et vous n'avez pu vous empêcher de vous affliger; que les morts se lamentent sur les morts et ainsi ceux-ctauront qui les pleure ; mais le sage ne con- çcoit pas de chagrin ; 6 ermile, doué d'intelligence comme vous l’êles, pourquoi pleurez-vous ?

Alors Cakra, souverain des devas, ayant fait en sorte que le chagrin qui pénétrait l’ermite prit fin, ordonna que le petit éléphant redevint vivant comme auparavant. L’ermite, à la vue du petit éléphant en vie, se mit à faire de grands sauts sans pouvoir maîtriser sa joie et n’eut plus aucun chagrin. Cakra, souverain des devas, chanta alors cette gâthà en s'adressant à l'ermite :

(J'ai agi ainsi) afin d'enlever votre tristesse el le chagrin que vous aviez dans votre cœur ; maintenant vous n’êles plus tourmenté et j'ai dissipé votre chagrin. Je ferai que les hommes soient affranchis de leurs tristesses et de toutes leurs affections, de même qu'aujourd'hui vous vous êles réjoui en voyant le petit éléphant se lever délivré.

Puis Cakra, souverain des devas, chanta cette gâthà :

C'est parce que j'ai eu compassion de vous que j'ai voulu dissiper tous vos chagrins ; voilà pourquoi j'ai accompli ceci en ajoutant une action dans ce monde de souillure et d'effort. Le sage a bien compris le principe que voici: l'affection produit les peines et les tourments ; 1il observe donc son âme el son corps et ne se permet pas de concevoir des émotions qui le bouleversent.

CIIENG KING (N° 432) 127

132.

(Trip., XIV, 5, pp. 4A3r°-43 v°.)

Dans les générations passées, il y avait en un pays

étranger une vaste région solitaire ; en ce temps un roides

buffles y demeurait ; il y vaguait en mangeant des herbes et en buvant de l’eau des sources. Un jour, ce roi des buffles, avec toute une troupe de parents, eut à se rendre en quelque endroit ; il marchait seul en avant des autres; son aspect était fort beau; son prestige redoutable était très imposant ; sa vertu éminente était extraordinaire ; sa patience était harmonieuse ; sa démarche était paisible et bien ordonnée.

Un singe se trouvait au bord de la route ; il vit le roi des buffles accompagné de tous les siens ; il en conçut de la colère et fut jaloux de lui. Il prit aussitôt de la terre, des tuiles et des pierres et les jeta contre lui; il lui témoi- gna du mépris et lui adressa des outrages ; le buffle garda le silence et subit tout cela sans riposter.

Peu de temps après, il yeutun autre roi des buffles avec sa bande qui arriva à la suite du premier. Le singe le vit etrecommença à l’injurier et à le frapper à coups de mottes de terre, de tuiles et de pierres ; ce chef de la seconde troupe voyant que le premier roi des buffles avait gardé le silence sans riposter, imita sa patience ; son cœur fut affable et joyeux ; il continua sa marche tranquille et régu- lière et subit les outrages sans s’enirriter.

Peu après que ces buffles eurent passé, il y eut un tout jeune buffle qui arriva derrière eux, cherchant à rejoindre le troupeau; alors le singe le poursuivit en l’injuriant, l’ou- tragea et le traita avec mépris; ce tout jeune buffle en

188 CHENG KING (N° 432)

conçut de l’irritation et fut mécontent ; mais voyant que ceux de ses semblables qui le précédaient avaient été patients et ne s’élaient pas irrités, lui aussi s’étudia à les imiter ; il fut patient et doux.

Non loin de la route, dans un grand bouquet d'arbres, il y avait alors un dieu des arbres qui séjournait là. Voyant que tous les buffles, bien qu’accablés d’outrages, étaient patients et ne se fâchaient pas, il demanda au roi des buffles : « Comment se fait-il que, lorsque vous et les vôtres avez vu ce singe vous insulter d’une manière humiliante, vous lancer des mottes de terre, des tuiles et des pierres, vous ayez été patients contrairement toute attente) et que vous ayez gardé le silence sans répondre ? A quoi tend ce principe ? Quelle est votre intention ? » Illes interrogea encore par cette gâthà :

Vous et les vôtres, pour quelle raison tolérez-vous ce singe insolent qui dépasse toute mesure dans le mal? vous regardez du même œil les souffrances el les joies ; celui de vous qui est venu en dernier lieu s'est aussi montré bon et affable. Dans tous vos actes, vous êtes calmes et bien ordonnés. Sachant tous endurer avec patience (les injures), ceux-là s’en vont les uns à la suile des autres. Si cependant vos cornes avaient tout simplement frappé, lout ce qui est debout aurait élé renversé. Il témoigne quelque peur celui qui garde le silence sans riposler.

Le buffle répondit en prononçant cette gâthà :

Si, pour une insulte ou une offense légère nous ne man- quions pas de faire pire encore à un autre, celui-là se vengerail plus encore et alors se produiraient de grands maux.

Peu après que tous ces buffles eurent passé, une grande troupe de brahmanes et une multitude d’ermites arrivèrent en suivant la route. Alors ce singe se mit encore à les injurier, à les outrager et à les traiter avec mépris, à ramasser de la terre, des tuiles et des pierres pour les leur

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SL Cf, CUT eng

CHENG KING (N° 432-433) 189

jeter. Ces brahmanes se saisirent aussitôt de lui et le tuèrent en le foulant aux pieds ; ainsi finit sa vie. Le dieu de l'arbre prononça derechef cette gâthà :

Les crimes ne s’effacent pas ; quand le châtiment a atteint sa maturité, alors survient le malheur; quand la mesure des faules est comble, les calamités ne sont pas usées et détruiles.

133.

CRISE EN 0 DAC NS)

Autrefois, dans un royaume, il y avait un grand bois dont les arbres atteignaient jusqu’au ciel; personne ne les cassait et ne leur faisait de mal; parmi eux était un dieu des arbres qui comprenait bien la justice et la raison et qui, dans ses actes et sa conduite, était fort différent du vulgaire ; quand des gens accourus de tous côtés, pas- saient par l'endroit étaient ces arbres, le dieu des arbres se plaisait à satisfaire leurs désirs ; qu'il s’agit de légumes, de fruits, de bois de chauffage ou d'herbes, il ne regrettait pas (d'en donner); ilabritait et rafraichissait une source qui procurait un grand réconfort à ceux qui y buvaient.

Or, il y eut un oiseau qui vint d’un pays étranger en tenant dans son bec une plante vénéneuse fort pernicieuse ; il passa en volant au-dessus d’un de ces arbres et en pro- fita pour jeter sur lui (cette plante) qui tomba précisément sur les branches supérieures ; le poison envahit peu à peu cet arbre dont une moitié se trouva bientôt desséchée ; alors le dieu de ce bois fit cette réflexion: « Le poison est fort malfaisant ; étant venu tomber sur un arbre, voici que, en un instant, la moitié de cet arbre estdesséchée et

190 CHENG KING (N° 433)

ce n'est pas encore midi; avant que la nuit soit arrivée cela continuera et il sera entièrement desséché; avant que dix jours soient écoulés, je crains que les autres arbres de ce bois ne soient tous détruits. Que faut-il faire pour écarter ce fléau venimeux ? »

Dans l’espace, il y eut une divinité qui lui dit: « Avant que cet état de choses ait duré longtemps, viendra un homme intelligent qui, en allant son chemin, passera par ce bois; vous, prenez l’or qui est caché parmi les arbres et assurez-vous (par ce moyen) les services (de cet homme) pour qu’il arrache cet arbre empoisonné et qu’il en supprime entièrement les racines et la souche de manière à ce qu'il n’en reste rien ; ainsi, vous vous procu- rerez une tranquillité perpétuelle ; mais si vous n'agissez pas ainsi, avant qu'il fasse nuit l'arbre empoisonné sera complètement desséché, (et le mal) s’étendra à tous les au- tres arbres du bois. »

Quand le dieu des arbres eutentendu ce conseil, il prit la forme humaine et se tint sur le bord de la route pour attendre (celui qui devait venir); quand cet homme fut arrivé, il lui dit: «J'ai de l'or caché que je vous donne- rai, mais je désire que vous arrachiez cet arbre empoisonné et que vous en extirpiez à fond les racines. »

En apprenant qu'il pourrait gagner le trésor de l’impor- tante somme d'or qui était cachée, cet homme donna son consentement et se mit aussitôt à arracher cet arbre et à en supprimer toutes les racines. Le dieu des arbres, fort joyeux, lui donna ensuite l’or qu'il tenait caché ; cet homme l’emporta et sa maison en devint riche. Le dieu des arbres constata avec satisfaction qu'il était parvenu à écarter la calamité du poison, que tous les arbres jouissaient d’une tranquillité constante, que les fleurs et les fruits étaient vigoureux et abondants ; il n’eut plus à se préoccuper desravages du poison et toutes les souffrances (dont il était menacé auparavant) se dissipèrent.

CHENG KING (N° 433) 191

Le Buddha dit: « Le bois représente les trois mondes ; le dieu des arbres représente le Bodhisattva, quand il a concu la pensée de la Bodhi (tittotpâda) ; l'oiseau qui est venu d’un pays étranger en apportant le poison, représente toutes les illusions des choses de Mâra, illusions qui sont produites par le défaut d'intelligence ; le deva dans les airs représente la sagesse parfaite, vraie et équitable du Tathä- gata. Cela enseigne à tous ceux qui étudient à ne pas suivre les lois de Mâra, mais à se conformer à ceux qui aiment les Bodhisattvas mahäâsattvas et qui agissent avec la même volonté qu'eux ; ainsi on enlève les difficultés qui proviennent de toutes Les peines issues des trois souillures. L’arrachement de l’arbre et la suppression de ses racines symbolise la destruction des ténèbres produits par l'impu- dicité, la colère et la sottise ; si on n’accomplit pas (cette destruction), on s’enlise dans les trois mondes ; quand on abat soi-même le péché, il n’a plus aucune puissance et alors on sauve tous les êtres des tourments de la naissance et de la mort. Le trésor caché dont un homme a pu être gratifié symbolise le trésor caché de la religion ; les Bodhi- sattvas mahâsattvas les uns après les autres s’entraident pour le former, de même que les dix mille cours d’eau coulent pour se réunir dans la grande mer. Quand le dieu des arbres se montre joyeux de n'avoir plus aucune inquié- tude et retourne demeurer dans les arbres, cela signifie qu’on a pu atteindre à la patience religieuse qui ne nait de rien et qui est grandement miséricordieuse ; grâce à elle, on demeure dans les trois mondes en sauvant universel- lement tous les êtres. Quant à l’homme qui a obtenu des richesses, qui se réjouit et dont la maison devient opu- lente cela signifie que lorsqu'on a obtenu les prières ma- giques (dhârani), les six pâramitäs, le groupe des trente- sept (auxiliaires de la Bodhi [Bodhipaksa}), la pratique des sentiments des quatre bienfaisances, les dix forces, les marques distinctes primaires et secondaires, les quatre

192 CHENG KING (N°5 433-434)

choses qui ne sont pas à craindre (vaiçàradya), (en un mot) le calme et la fixité issus de tous les divers principes, constituent alors des trésors sans fin, car la richesse re- ligieuse est illimitée. Quant à celui qui s’en retourne dans sa maison, cela signifie que, lorsqu'on s’est délivré, on retourne dans la région de la pureté primordiale et de la vraie sagesse. Le corps du Buddha, quand il se mani- feste, répand universellement la conversion religieuse, éclaire et sauve les êtres dans les dix régions, et il n’est personne qui ne soit touché par ses bienfaits. »

434. CRD, XIV SD 19 rt)

Autrefois il y avait une tortue royale qui se promenait dans la grande mer et qui allait et venait partout à la ronde pour se divertir. Un jour elle sortit du milieu des eaux qui sont sur le bord de la mer et s’endormit. Son corps était large et long et mesurait soixante /1 sur chaque côté ; or, elle resta pendant plusieurs jours consécutifs ; elle se reposait sur la terre ferme sans remuer.

Il y eut alors des marchands venus de contrées loin- taines qui l’apercurent et qui pensèrent que c'était un endroit élevé et sec, propice pour s’y établir sur le bord de l’eau. Ces cinq cents marchands, avec leurs chars, leurs chevaux et leurs animaux domestiques qui se comptaient par plusieurs milliers de têtes de bétail, s'arrétèrent tous sur (la tortue) ; pour préparer leur repas en le faisant cuire, ils cassèrent du bois sec et allumérent du feu: ils don- nèrent à manger à leurs bœufs et à leurs chevaux, à leurs mules, à leurs ânes et à leurs chameaux; ils allaient de-ci et de-là, se couchaient ou se levaient.

Cependant, la tortue royale, sentant tout à coup sur son

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CHENG KING (N°5 434-433) 193

corps la brûlure du feu, se mit soudain à s'agiter ; elle se déplaça donc pour entrer en toute hâte dans la grande mer ; elle allait tantôt à l'Est, tantôt à l'Ouest, sans que la douleur que lui causait le feu prit fin. En voyant cela, les marchands pensèrent que la terre se déplaçait et que

l'eau de la mer débordait ; ils se désolaient et gémissaient

sur leur mort qui était maintenant certaine sans qu'ils sussent à quel moyen recourir. La tortue, éprouvant des souffrances intolérables, enfonça son corps au milieu de l’eau profonde et fit périr en les noyant cette multitude: d'hommes, dont les bœufs, les chevaux et les autres ani- maux domestiques périrent en même temps qu'eux.

(Le Bodhisattva développe longuement devant ses dis- ciples le sens caché de cette parabole : les marchands, ce sont les hommes qui se trouvent dans les trois mondes; les deux côtés de la tortue, qui ont chacun soixante !r, symbolisent les deux séries de six sortes de concaténa- tions dont l’ensemble forme les douze causes ; etc.

435.

CEripe AIN Sp NES)

Autrefois il y avait un chef de famille qui se plaisait à empoisonner les gens; quand il avait empoisonné quel- qu'un, la richesse affluait chez lui ; c'était un effet pro- duit par les rétributions de ses existences antérieures. Tout le royaume le détestait et nul n’osait venir pour en-

(1) A la suite de cette histoire on en lit une autre toute semblable, & cette différence près que la tortue, qui a un cœur compatissant, à soir de ne s’enfoncer dans l'eau que juste autant que cela est nécessaire pour éteindre le feu; elle ramène ensuite les marchands sains et saufs sur le rivage.

[IE 13

194 CHENG KING (N° 435)

tretenir des relations avec lui, car on craignait d’être misen péril et d’être tué ; aussi tout le monde le tenait-il à distance.

Quand ïilse mit à chercher une femme pour son fils, personne ne voulut lui donner (sa fille), car les gens s'aver- tissaient l’un l’autre disant: « Cet empoisonneur est le plus haïssable des hommes ; il ne se conforme pas à la justice et à la raison et il désire faire perdre la vie aux autres. Si nous nous allions à lui par mariage, comme il ne sait plus sur qui pratiquer ses empoisonnements, c'est nous qu'il viendra donc mettre en péril. C’est pourquoi tenons- nous éloignés de lui comme nous nous écarterions de brigands redoutables. Encore quand les brigands se bat- tent avec nous, on s'applique réciproquement des coups de poing et il y a un vainqueur et un vaincu; tandis qu’un empoisonneur nous donne silencieusement (son poison) et brusquement nous sommes en proie à ce mal sans que notre vie puisse être sauvée. » Ainsi tous se faisaient sa- voir cela l’un à l’autre ets’éloignaient de cet homme pour n'avoir aucun rapport avec lui.

Cet homme se trouva dans un embarras extrême; il avait cherché partout une femme pour son fils, mais nul n'avait voulu lui en fournir une ; il se rendit donc à plus de mille /: de dans un royaume étranger afin de deman- der une femme pour son fils; comme il était riche et qu’en outre il occupait une haute situation, alors que le père de la future jeune femme était pauvre et qu’en outre il était dans une humble condition, celui-ci, par avidité, lui donna sa fille, comme s’iln'eüt pas été un empoisonneur ; (empoisonneur) lui donna des richesses en quantité plus considérable (qu'il n'était tenu de le faire); puis il vint chercher la femme; quand celle-ci fut dans sa nouvelle famille, elle accomplit les rites en observant toujours toutes les cérémonies ; elle ne manquait point aux obli- gations d'une épouse, et, tant dans la maison qu’au dehors, observait son devoir.

CHENG KING (N° 435) 195

En ce temps, dans la famille (de l’empoisonneur), on éprouva des pertes qu'on ne put compenser ; il fallut recourir au mal de l'empoisonnement pour obtenir la ri- chesse. Le beau-père et la belle-mère dirent à la jeune épouse : « Nous vous ordonnons de tuer en l’empoison- nant telle personne ; c’est une pratique ancienne de notre famille ; il faut vous y conformer. » En entendant ces paroles, la jeune femme fut saisie de chagrin et dit à son beau-père et à sa belle-mère : « Ma famille pratique la bienveillance et n’a jamais fait de mal aux autres ; je ne me charge point d’empoisonner et subirais plusieurs morts plutôt que de commettre un tel crime, » Son beau- père et sa belle-mère lui reprochèrent en l’injuriant de se refuser à recevoir leurs instructions ; ils dirent alors au dieu du poison: « Maintenant nous avons pris chez nous cette épouse ; mais elle n’applique pas les drogues empoi- sonnées pour faire le mal aux hommes et elle se refuse à nous obéir ; que faut-il faire ? » Le dieu du poison leur répondit: «Je saurai bien la changer et faire en sorte qu’elle ne s'oppose plus à vos instructions. » Le dieu du poison alla donc sous la forme d’un serpent venimeux et accourut auprès de la jeune épouse; celle-ci eut peur et ne sut aller ; parfois il se montrait sur sa tête ; quand elle mangeait, il se montrait devantelle; quand elle buvait, il apparaissait dans la tasse; quand elle se couchait, il apparaissait sur le lit; quand elle marchait, il la poursui- vait. Saisie de frayeur, la jeune épouse ne savait aller; elle maigrit au point de n être plus qu'un squelette ; elle ne pouvait plus boire ni manger. Le dieu du poison lui intima l'ordre de se livrer aux pratiques d'empoisonne- ment en lui promettant (si elle obéissait) de la laisser tran- quille. Comme elle était à bout de forces et ne savait que faire, elle consentit à suivre son avis.

Sur ces entrefaites, un homme qui avait été son voisin dans son pays d'origine arriva dans cette ville ; il vit que

196 CHENG KING (Ne 435)

la jeune femme avait maigri et était inquiète ; il en fut effrayé et lui en demanda la cause. La jeune femme lui exposa toute l'affaire en lui disant: « Quand vous serez retourné auprès de ma famille, racontez mon cas à mon père et à ma mère en les invitant à venir promptement me chercher ; sinon, ma mort est certaine. »

A son retour, l’homme fit un récit complet ; en l’enten- dant, le père et la mère furent saisis de chagrin et tout troublés. Le père prépara son char, attela ses chevaux et alla en toute hâte chercher sa fille. Quand il fut arrivé dans ce pays, il dit aux beaux-parents de sa fille : « La mère de notre fille se lamente en songeant à elle jour et nuit; elle m'a donc envoyé la chercher; permettez-leur de se revoir ; avant qu'ilsoit longtemps je vous ramènerai (votre bru). » Les beaux-parents ayant autorisé le départ, le père s’en retourna en emmenant sa fille avec lui et dit alors aux beaux-parents : « Votre famille se livre à des pratiques d'empoisonnement; je vous enlève votre bru et ne vous la rendrai plus. Si vous entrez en contestation avec moi, il ya des magistrats et des lois pour détermi- ner si vous devez obtenir gain de cause ou non, et cela attirera sur vous le malheur de l’extermination de toute votre famille ; si vous ne voulez pas qu'il en soit ainsi, renoncez à pratiquer l’empoisonnement et je vous rendrai la jeune épouse. »

Le beau-père et sa femme délibérèrent entre eux, en disant: « Cette jeune épouse est si belle qu'on en voit rarement de telles dans le monde ; il ne faut pas l’aban- donner ; mieux vaut renoncer aux pratiques d’empoison- nement. D'ailleurs, si les magistrats venaient à en être informés, nous serions en danger mortel. » Ils cessèrent donc de pratiquer l’'empoisonnement et firent (avec le père de la jeune femme) une convention jurée pour s'engager à ne plus être en faute ; ils renvoyèrent le dieu du poison et leur famille jouit alors du calme.

CHENG KING (N° 436) 197

(Suit l'explication de ce conte comme une allégorie dont le sens est fourni par la religion bouddhique.)

436.

(Trip., XIV,5, pp. 45 vo-A6 v°.)

Autrefois il y avait un homme dont le père était mort prématurément ; il était donc devenu orphelin dès son jeune âge et demeurait seul avec sa mère. Il ne reçut pas une bonne éducation ; chez lui et au dehors il n’observait pas les règles ; il ne s’attachait pas aux principes de con- venances ; il violait les enseignements consignés dans les écrits des anciens sages et ne voulait ni s’instruire nifaire des recherches pour recevoir la doctrine des livres saints; mais avec une foule de gens ignorants et stupides dont il faisait ses compagnons, il buvait et jouait, se conduisait avec arrogance et ostentation et avait des dehors sous les- quels ne se cachait aucune qualité intérieure ; se laissant aller à ses passions, il avait une conduite perverse qui insultait le ciel ; sans piété filiale et sans obéissance, il ne pratiquait pas la vertu et ne rectifiait pas son cœur ; il ne faisait pas son devoir et ne maintenait pas sa dignité ; dans ses actes, il commettait toutes sortes de péchés ; dans ses paroles, il prononçait des grossièretés et des vio- lences ; dans ses pensées, il songeait à nuire. Il ne se préoccupait pas des instructions que lui avait laissées son père qui l’avait engendré; il ne s’occupait que d’actions mauvaises et perverses. Sa mère en était désolée ; aussi voulut-elle le morigéner et lui montrer les plus profonds principes de la convenance et de la morale pour qu'il changeât de sentiments et de conduite, pour qu'il veillât sur ses actes et fût attentif à ses paroles, pour qu'il obser-

198 CHENG ‘KING (N° 436)

vât les précéptes des anciens sages, pour qu’il mit en pra- tique les règles instituées par son grand-père et son père à qui il devait le jour, pour qu'il reçût avec respect la doc- trine sublime de l’Honoré du monde. Alors donc, avec des intentions bienveillantes, elle lui exposa les merveil- leux oo puis elle s’adressa à son fils en ces termes :

O mon fils, agissez ae avec affabililé ; prenez pour amis des gens de bien; pratiquez sans cesse la con- cilialion ; observez constamment la conversion produite par la vraie Lou.

Le fils demanda à sa mère :

Si j'agis toujours avec affabililé, à quoi cela me servira- tul? Si je prends pour amis des gens de bien, quel avantage en relirerai-je ? Si je pratique sans cesse la conciliation, pourquoi le ferai-je? Si j observe con- stamment la conversion produite par la vraie Loi, quel bienfail en éprouverai-je ?

La mère répondit à son fils :

Si vous agissez toujours avec affabilité, tous les hommes vous aimeront et vous honoreront. Si vous vous liez avec des amis qui soient des gens de bien, vous serez. ferme el rien ne pourra vous ébranler. Sivous pratiquez sans cesse la conciliation, vous vous procurerez de grandes richesses. Si vous observez constamment la con- version produile par la vraie Loi, quand votre vie sera lerminée, vous naïtrez dans les cieux.

Le fils dit alors à sa mère : « Excellentes sont vos ins- tructions, Ô ma mère ; vos enseignements sont supérieurs à tout; vos préceptes sont sans limites ; sublimes et im- menses, on ne saurait les louer suffisamment. Je vivais depuis longtemps dans la stupidité et dans lés ténèbres;

tournant le dos à votre bonté, je me dirigeais vers Ferreur;

mon inintelligence était extrênie. Je me laissais décevoir

par les formes extérieures et j'étais influencé par diverses.

CHENG KiING- (N° 436) 199

personnes. Je me croyais habile ét sage; j'appélais clair ce qui n’était pas clair ét exact ce qui n’était pas exact. Je ne distinguais pas ce qui a de la valeur ce quin’ena pas. Malgré les sages lecons de ma mère, je méprisais le bien et estimais le mal et je n’avais aucune piété filiale et aucun Soin pour vous ; malgré la vertu de ma tendre mère, je rejetais ce qui est réellement bon pour recher- cher les choses vaines et je prenais pour compagnons des gens stupides. Ainsi je suis arrivé à ce degré de folie dont j'étais affecté chaque jour davantage. Mais, grâce à la conversion que vous m'avez fait opérer, vous m'avez rendu manifestes la douceur et la bonté; vous avez répandu sur moi une bienfaisante influence de commisé- ration ; ce principe fécond, je le ferai prospérer et grandir de manière à ce qu’il pénètre les dix régions du monde. Le peu que vous m'avez appris, je le recoiset je l’accepte en me prosternant ; je ne me permettrai point de le négli- ger ou de l’oublier. » Le fils remercia en se prosternant le front contre terre et se mit à suivre les ordres de sa mère sans jamais s'en écarter.

Ce fils, agissant suivant la Loi, se conduisit toujours avec affabilité et tous les habitants du royaume l’hono- rèrent ; 1l choisit des gens de bien pour ses amis et per- sonne ne put lui faire de tort; il pratiqua sans cesse la conciliation, réunissant ceux qui était désunis et mettant d'accord ceux qui se querellaient ; c’est pourquoi il reçut des présents considérables et eut des richesses immenses ; il se soumit au Buddha en se prosternant, observa les cinq défenses et accomplit les dix actions excellentes ; c’est pourquoi les devas le protégèrent. oh

Le souverain du pays en fut informé et l'appela pour qu'il fût son premier ministre. Le roi lui dit: « J'ai entendu parler de votre conduite vertueuse dont tout le royaume est enchanté. C’est pourquoi je vous nomme à une fonction officielle ; dans le royaume il n’y a pas de

200 CHENG KING (N° 436)

bon ministre; soyez donc mon excellent conseiller afin que le pays soit tranquille et que les royaumes étrangers des quatre points cardinaux viennent se soumettre à notre vertu. Vous, de votre côté, vous serez couvert de gloire. »

Cet homme répondit : « Je consentirais bien, car je ne me permettrais pas de vous résister, à saint roi; mais je crains que ma faible vertu ne puisse pas vous assister dans vos actes illustres, ce dont je serais plein de honte ; si je viole vos sages instructions, le peuple en aura du res- sentiment; voilà pourquoi je me fais des objections et je n'ose pas accepter le poste que vous me proposez. »

Le roi lui dit : «J'ai vu par vos paroles et vos actes, par vos manières et par votre démarche que vous pourrez réel- lement vous acquitter de cette tâche et c’est pourquoi je vous ai mandé. » Cet homme ayant alors gardé le silence, al fut nommé premier ministre.

Le roi lui dit ensuite : « Le roi de tel ou tel pays était à l’origine mon ami ; nous étions si amis que nous n’étions plus deux, mais que nous formions comme une seule per- sonne. Cependant, à cause de racontars, nos deux têtes se sont disputées, ce qui a amené la désunion de nos corps. Les années, les mois et les saisons se sont accumulés, chacun de nous restant abandonné et embarrassé sans que personne püt résoudre la difficulté. Je désire que vous alliez en personne pour rétablir l'harmonie comme aupa- ravant. Je vous donnerai de grandes richesses et de hautes dignités. »

Cet homme déclara qu’il y consentait. Il prit alors toute sa fortune pour préparer des aliments exquis et pour emporter avec lui des objets précieux, puis il se rendit dans ce royaume. Il s’agenouilla devant le roi et lui pré- senta des excuses en ces termes : « Quoique je sois d’une condition obscure, la faveur céleste a fait que mon roi m'a envoyé comme ambassadeur pour apporter ces bois- sons et ces aliments, cet or et cet argent et ces objets

L } L 1 |

CHENG KING (N° 436) 201

précieux dont il vous fait présent. Précédemment, par erreur il a agi comme iln'aurait pas le faire et a perdu vôtre amitié ; la séparation qui en est provenue a duré plusieurs années ; il en est couvert de honte et de confu- sion \; il marche lentemént et n’a plus de contenance. C’est pourquoi:il vous envoie ces présents en vous priant de lui pardonner son offense et d’excuser sa faute. »

En entendant ces paroles, l’autre roi éprouva de la joie dans son cœur et, à son tour, il s’accusa lui-même, disant : « Depuis longtemps j'avais le désir d'arriver à une récon- ciliation ; mais je n’avais personne à envoyer. Cela a été cause que votre roi a conçu l'idée de venir le premier s’excuser. C’est un effet de ma négligence, » Il prit alors en main un pinceau et écrivit cette lettre pour répondre : « Comme notre séparation durait depuis plusieurs années, je ne pouvais vous parler face à face ; constamment je songeais à notre ancienne amitié; au jour nous avons renoncé à notre affection et la désunion s'est mise entre . nous, je ne pouvais vous atteindre vous étiez allé ; je ne pouvais vous voir puisque nous nous étions brus- quement délaissés. Mais vous m'avez envoyé un sage ministre qui m’a fait de magnifiques présents pour m'of- frir vos excuses; puisque vous avez pu concevoir cette idée de venir à moi, je ne saurais jamais l'oublier ; je désire que nous ayons une entrevue pour dissiper nos anciens dissentiments. Maintenant, je vous envoie tous les joyaux que je possède afin que leur valeur vous apporte les humbles sentiments que je vous exprimerai lorsque nous nous parlerons face à face. »

Quand l’autre roi reçut cette réponse, il en eut une joie immense ; au jour fixé pour la réunion, les deux rois tout joyeux prirent grand plaisir à être ensemble ; ils consi- dérèrent que les torts qu'ils avaient eus à l’origine l'un contre l’autre ne valaient pas la peine qu'on en parlât, et que les fautes qui en étaient résultées avaient produit de

202 CHENG KING (N°5 436-437)

grand maux. Ils se traitèrent donc'en princes amis; ils eurent l'un pour l’autre une affection sincère et des senti: ments dévoués ; ils s'aidèrent avec empressement et Se secoururent mutuellement; quant au ministre qui Héur avait servi d’ambassadeur, sa gloire fut d’üuité réalité (1) qu'on ñe saurait évaluer etses dignités furent auügmentées.

Ro | . _

(Trip., XIV, 5, p. 53 v°.)

Autrefois, dans un temps fort lointain, il y avait un homme nommé A-yi-chan-ich'e (Âhitundika) qui était un dresseur de singes; il enseignait à son singe des façons de se mouvoir, des tours d’adresse et des bouffonneries ; cela réjouissait fort la populace ; à cause de ces tours d'adresse, des gens innombrables étaient tous charmés et admiratifs ; de loin et de près ils accouraient pour voir ces tours d'adresse, et, grâce à leur générosité, (le maître du singe) empochait beaucoup d'argent. Cet A-yi-chan-tch'e, par les singes qu'ilavait eus les uns après les autres, obte- nait ainsi des dons nombreux; cependant il battait (ces animaux) et les frappait de la main et du pied. Un jour, cet homme étant entré dans la ville avec son singe, l’attacha à un pieu. et le battit fort cruellement en l’injuriant et en l’humiliant ; en cette occasion, le singe parvint secrètement à s'échapper par ruse et courut se réfugier dans la mon- tagne il s'établit solitaire dans un endroit écarté ; non loin de était un ermite en qui il chercha un appui et il se fixa ; il allait récolter des fruits et des graines qu'il offrait à l’ermite, après quoi il s’en nourrissait lui-même. (1) J'adopte la leçon qui est celle des éditions des Song, des Yuan

et dés Ming.

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DL nn à

(CHENG KING (N° 437) 203

A-yi-chan-tch'e, apprenant qu'il s'était sauvé dans tel en- droit désert de la montagne, envoya des gens en les char- geant de l'appeler pour qu'il revint. Le singe refusa (de

venir) et, se tenant à distance il fit cette réponse : « Main-

tenant je songe encore qu'on m'a auparavant fort maltraité et qu’on m'a fait subir toutes sortes de souffrances qu'il serait difficile de mesurer ; dans la génération précédente, mon père qui n'avait jamais commis aucune faute s’est vu tourmenter ; ila été insulté d’une manière inexprimable ; c'est pourquoi maintenant j'ai couru me réfugier dans la montagne. » Alors A-yi-chan-tch'e alla lui-même dire au singe : « Revenez chez moi. » Mais le singe ne soufflait mot et se refusait venir). L’ermite répondit A-yi-chan- ich'e « Vous devriez de votre côté lui pardonner et le laisser tranquille. » (A-yi-chan-lch'e) répliqua à l’ermite: « Je le laisserai tranquille. » L’ermite répondit : « Comment pour- riez-vous le faire venir de force ? Adressez-lui des exhor- tations en l’encourageant peu à peu, etalorsil ira ; si vous prétendezlefaire venir deforce, peut-êtreneréussirez-vous pas. » Cethomme répondit : « Si vous aviez un moyen par lequel vous vous proposeriez dele faire venir, je m'enirais; mais puisqu'ilrefuse d’aller (vers vous), j'aviserai moi-même à un procédé (pour l’attirer). » Alors il chanta cette gâthà (en s'adressant au singe):

Vous êles sage, doux etbon,— comme le cerf quand ilest dans sa retraite cachée ; si vous descendez des branches de cet arbre, vous pourrez ne pas mourir de faim et de soif.

Le singe répliqua par ces gâthâs :

Vous n'avez pas élé bon pour celui qui m'a engendré. Je connais mon propre caractère ; d'où vient celle opi- nion qu'un singe est doux el sage? Je vais de tous côlés el je n'ai point encore de pensées régulières el tran- quilles. Si j'ai un maitre pervers, il ne pourra jamais corriger mon esprit. Maintenant je me remémore

204 | CHENG KING (N°5 437-438)

que vous, maîlre A-yi-chan-lch'e, vous m'avez amené dans la ville, que vous m'avez attaché à un pieu et que vous m'avez infligé de cruels tourments. Mainlenant encore je ne l'ai point oublié, car vous m'avez battu fort douloureu- sement. Puisque j'ai oblenu mon indépendance, je ne saurais plus aller me soumettre à vos tortures.

438.

CPrbAXINS 6 pre)

Autrefois, il y a de cela des générations innombrables, il y avait un brahmane ; son épouse se nommait Fleur de lotus (Utpalâ) ; elle était d’une beauté fort remarquable et son visage était merveilleux ; elle était la première des femmes par ses formes ; rarement on en voit de telles dans le monde; on aurait difficilement égalé sa renommée et sa vertu. Ce brahmane avait une servante qu'il intro- duisit dans son intimité; il était plein de prévenances pour elle et ne témoignait aucun respect à son épouse Fleur de lotus qu'il ne prenait point plaisir à voir; il suivait au contraire les avis de la servante.

Il emmena son épouse hors de sa demeure et alla avec elle dans la montagne ; il monta sur un arbre yeou-l’an-po (udumbara), et se mit à cueillir tous les fruits mûrs, qu’il prenait et mangeait ; il rejetait tous les fruits verts pour les donner à son épouse ; celle-ci lui demanda: « Pour- quoi mangez-vous seul les fruits mürs et jetez vous en bas ceux qui sont verts pour me les donner ? » Son mari lui répondit: « Si vous désirez avoir des fruits mürs, pour- quoi ne montez-vous pas sur l’arbre pour les prendre vous- même ? » Son épouse répliqua : « Puisque vous ne m'en donnez pas, je ne pourrai pas en avoir (autrement) ; j'obéi-

CHENG KING (N° 438) 205

rai à votre ordre. » Elle monta donc sur l'arbre. Quand son mari la vit sur l’arbre, il en descendit aussitôt et accu- mula tout autour de l’arbre toutes sortes de broussailles épineuses pour l'empêcher de descendre et la faire rester sur l'arbre ; ill'abandonna et s’en alla, voulant ainsi causer sa mort. |

Sur ces entrefaites, le roi du pays, qui était sorti accom- pagné de tous ses ministres pour aller à la chasse, vint à passer au pied de cet arbre ; il apercut cette femme d'une beauté si remarquable et d’un visage si merveilleux qu'on en voit rarement de tels dans le monde ; il lui demanda qui elle était et d’où elle venait; elle raconta donc en dé- tail à ce roi toute son aventure ; le roi, voyant que cette femme avait toutes les qualités féminines sans présenter la moindre tare, se dit que ce brahmane était un imbécile et un sotet qu’il n’était pas digne du nom d’homme puis- qu'il ne savait pas honorer une telle femme et trouver en elle son plaisir; il écarta les épines et emmena (cette femme) dans son char ; quand il fut arrivé dans son palais, il la nomma reine. Cette reine était sage et intelligente ; elle avait une habileté de parole qu'il eût été difficile d'égaler ; elle employait constamment le damier et les six tablettes pour faire des dessins et des combinaisons qui gagnaient à coup sûr ; toutes les femmes qui, de loin ou de près, venaient jouer aux dames avec elle étaient aussi- tôt vaincues par elle et nulle ne pouvait lui tenir tête.

Or, le brahmane, ayant appris que ce roi avaitune reine fort belle et habile au jeu de dames, que tous ceux qui venaient étaient battus par elle et devaient s’avouer vaincus sans qu'aucun d'eux püût triompher, se dit en lui- même : « Ce doit être mon ancienne épouse et personne autre. En effet, mon ancienne épouse était de première force au jeu de dames. » Le brahmane était d’ailleurs lui- même fort habile au jeu de dames ; il voulut se rendre auprès du roi pour montrer son talent. En ce temps, la

206 CHENG KING (N° 438)

reine apprenant la venue d’un brahmane fait de telle et telle façon, ayant tel visage, telle taille et telle figure, se dit en elle-même: « C’est mon ancien mari. » Le brah- mane, étant arrivé à la porte du palais, le roi le fit venir en sa présence et on le mit à l'épreuve en le faisant jouer aux dames (avec la reine) à distance, un homme étant chargé de nommer les pièces d'ivoire (1). Alors le brahmane chanta cette stance :

Ses cheveux sont beaux el longs de huit pieds ; son visage est comme s’il était peint ; pour la douceur elle est la première ; doit-elle encore se souvenir des fruits mars ?

La reine répondit par cette gâthà :

Autrefois une servante élait la maîtresse ; en elle il plaçait son affection ; pour les honneurs qu'on lui ren- dait, elle était la première ; pour ravir une autre ce qui lui élait dû), elle était la première.

Le brahmane répliqua derechef à la reine par cette gâthà :

Allons demeurer à l'écart dans le séjour des nâgas, les nägas et les éléphants prennent constamment leurs ébats, et en ce lieu livrons-nous ensemble au plaisir. Devez-vous encore vous souvenir des fruits mürs ?

La reine répondit au brahmane par cette gâthà :

Vous mangiez seul les fruits mûrs, el vous me jeliez les fruits verts ; c'est pour quelque cause provenant d'une existence antérieure, que j ai élé ainsi dépouillée par vous, Ô brahmane.

Alors le brahmane concut des regrets dans son cœur ; il se fit d'amers reproches, mais son repentir ne servit à rien. j

(1) Le brahmane et la reine étaient éloignés l’un de l’autre; un person-

nage intermédiaire les mettait en relations en annonçant les mouvements que chacun d’eux faisait sur le damier avec les tablettes en ivoire.

Le

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EXTRAITS DU KING LU YI SIANG"

439.

(ERA NNEXNE SD 02%)

Le Buddha se trouvait à Lo-yue (Râjagrha) dans le jar- din de bambous de Jeta ; il y avait alors quatre frères, issus d'un personnage de haute caste, qui avaient perdu de bonne heure leur père et leur mère et qui se dispu- taient la possession de l'héritage ; ils aperçurent Chô-li-fou (Câriputra), et, tout joyeux, lui demandèrent: « Nous souhaitons que vous prononciez sur ce cas et ensuite nous ne nous disputerons plus. » Chô-li-fou (Gäriputra) leur dit: « Fort bien; j'ai un grand maître, le Buddha, qui est plus digne d'honneur que n'importe qui dans les trois mondes. Suivez-moi et revenons à l’endroit se trouve le Buddha; certainement vous obtiendrez la solution (de votre différend). » Ils suivirent donc Chü-li-fou (Càriputra) et revinrent avec lui. Le Buddha, voyant de loin ces quatre hommes, se prit à rire en émettant un éclat des cinq couleurs. Les quatre hommes rendirent hommage au Buddha et lui dirent: « Nous sommes stupides; nous souhaitons que le Buddha prononce une parole décisive afin que nous ne nous disputions plus. » |

(1) Le Xing lu yi siang (Nanjio, Catalogue, 1473; est un recueil d’ex- traits des livres saints qui a été compilé en 516, sous la dynastie des Leang par Seng-ming, Pao-tch'ang et d’autres. Quoique Florigine de chaque texte soit indiquée, il est souvent difficile de remonter à la source, soit parce que certains livres ont disparu, soit parce que ce serait une tâche fort longue de rechercher un court récit dans Lel ou tel volumineux ouvrage il est enfoui.

208 KING LU Yi SIANG (N° 439)

(Le Buddbha leur dit :) « Autrefois il y avait un roi nommé Wei-leou; son corps souffrant d’une maladie, il fit venir un médecin qui l’examina et (prescrivit) de composerune drogue pour laquelle il fallait employer du lait de lionne. Le roi adressa aussitôt un appel son peuple, en disant que), si quelqu'un se procurait (de ce lait), il lui donnerait la moitié de son territoire et lui ferait épouser sa plus jeune fille. Il y eut alors un pauvre homme qui déclara : « Je suis capable de m'en procurer. » Le roi l'ayant auto- visé tenter l’entreprise), cet homme qui était habile et. ingénieux, commença par rechercher l'endroit se tenait une lionne, puis, avec un mouton qu'il avait tué et plusieurs dizaines de boisseaux de vin de raisin, il se rendit dans cette montagne ; il épia le moment la lionne était sortie et déposa dans son repaire le mouton tué ainsi que le vin de raisin. (A son retour), la lionne vit le vin et la chair ; elle se mit à boire et à manger et s’endormit complète- ment ivre. (Notre homme aussitôt) s’avança, lui tira du lait et s’en revint tout joyeux. Avant qu'il fût revenu dans son pays, comme le soir était venu, il s'arrêta pour la nuit dans un village. Or un arhat s’y était aussi arrêté et se trouva passer la nuit en compagnie de cet homme. Celui- ci, en poursuivant la lionne, avait parcouru un chemin difficile ; il s'était endormi, le corps épuisé, et il n’avait plus du tout sa connaissance. Le religieux apercçut les six organes (1) de son corps qui contestaient entre eux sur leurs mérites respectifs ; le génie des pieds disait : « C’est grâce à moi qu'on est arrivé jusqu'ici et qu’on a pris le lait. » Le génie des mains disait à son tour : « C’est grâce à nous, les mains, qu’on a tiré le lait. » Le génie des yeux disait aussi: « C’est grâce à moi qu’on a vu (la lionne). » Le génie des oreilles disait de son côté : « C’est grâce à ce que j'ai entendu le roi demander du lait que je vous ai

(1) Dans la suite du récit on ne trouve mentionnés que cinq organes.

KING LU Yi SIANG (N° 439) 209

amenés tous ici. » Le génie de la langue dit alors : « Vous contestez en invoquant de vaines raisons ; ce mérite me revient. Maintenant votre mort ou votre vie dépend de moi. » (Le lendemain), cet homme, apportant le lait, vint auprès du roi et lui dit: « Je me suis maintenant procuré du lait de lionne ; il est là-dehors. » Le roi dit: « Que c’en soit véritablement ou non, présentez-le moi. » À peine le roi avait-il vu le lait, que la langue dit : « Ceci n’est pas du lait de lionne ; c'est simplement du lait d’ânesse. » En entendant ces mots, le roi fut très irrité et dit: «Je vous avais chargé de prendre du lait de lionne et vous me rap- portez du lait d’ânesse. » Il voulut donc faire périr l’homme. Cependant le religieux qui avait passé la nuit auprès de l’homme eut alors recours à ses facultés surnaturelles pour arriver aussitôt devant le roi; il lui déclara : « Ceci est vraiment du lait de lionne. J’ai passé la nuit dans un village avec cet homme au moment (où il venait de se le procurer); j'ai vu les six parties de son corps contester entre elles sur leurs efforts méritoires ; la langue a dit: « Je m'opposerai à vous. » C’est maintenant effectivement ce qu’elle a fait. Que le roi prenne seulement ce lait pour le mêler à sa médecine et il guérira certainement de sa maladie. » Le roi ajouta foi aux paroles de l’arhat et se servit du lait pour composer sa médecine ; il donna sa fille en mariage à cet homme et en même temps il lui conféra un territoire, conformément à l'engagement qu'il avait pris au début. Le religieux dit au roi: « Si (tels sont les maux qui sont produits quand) les organes du corps d’un seul homme sont en opposition entre eux, combien plus (graves seront les maux quand la dissension se produira) entre des hommes différents. » Alors celui qui s'était procuré le lait, ayant recu du religieux ce bienfait, demanda à deve- nir cramana ; son intelligence se dénoua etil obtint la sagesse d’arhat; le roi aussi fut alors joyeux; il recut les cinq défenses et obtint la sagesse de sortäpanna, » LUE 14

210 KING LU Y1 s1ANG (N° 439-440)

Quand les quatre hommes eurent entendu ce récit, leur intelligence se dénoua ; il implorèrent aussitôt du Buddha (la faveur) de devenir bhiksus ; le Buddha, sans rien dire, leur toucha la tête de sa main : leurs cheveux tombèérent et le käsàya revêtit leur corps ; leurs attachements mon- dains se rompirent et leurs souillures disparurent.

Ânanda demanda : « Quel mérite ont eu autrefois ces quatre hommes pour que maintenant ils aient entendu les livres saints, aient aussitôt été éclairés et aient obtenu promptement de devenir achat? » Le Buddha répondit : « Autrefois, au temps du Buddha Mo-wen, Chü-li-fou (Câriputra) était un bhiksu et ces quatre hommes étaient des marchands ; tous ensemble firent don d’un kâsâya à Chô-li-fou (Càriputra) ; celui-ci prononca le vœu magique de faire en sorte que, dans une vie ultérieure, ces hommes obtinssent promptement d’être sauvés ; maintenant c’est par l'entremise de Chü-li-fou (Câriputra) qu'ils ont en effet _obtenu d’être sauvés. »

440.

(Trip, XXXNVL3;p.'46v°)

Dans un royaume étranger il y avait un cramana qui, en allant mendier, arriva chez un marchand de perles. Le maître de la maison lui prépara de la nourriture à manger. Or, il possédait une grande perle valant plus de cent mille pièces de monnaie ; il la rapporta et la placa à côté du çramana ; à ce moment un perroquet apparut soudain et l'avala ; le maître de la maison ne l'avait pas vu faire; aussi interrogea-t-il le çramana qui répondit qu'il n'avait pas pris la perle; le maitre de la maison lui demanda : « Y a-t-il eu ici quelque autre homme ? Non », dit

KING LU YI SIANG (N° 440-441) 211

l’autre. Le maître de la maison reprit, irrité : «Je venais d'apporter cette perle ; puisqu'il n’y a eu ici aucun autre homme que vous et puisque vous dites que vous ne l'avez pas prise, est maintenant la perle ? » Il se mit alors à battre le cramana dont le sang jaillit et coula à terre, mais le çramana continuait à dire : «Je n’ai pas caché la perle. » Au bout d’un instant, le perroquet vint pour boire le sang qui était à terre ; il se rencontra avec le bâton et tomba mort. Comme {le maître de maison) voulait lever la main pour donner encore des coups au çramana, celui-ci lui dit: « Arrêtez et écoutez ce que j'ai à vous dire : c'est ce per- roquet qui l’a avalée. » On ouvrit alors le perroquet et on trouva la perle. Le maître de la maison demanda au çra- mana : « Pourquoi ne l’avez-vous pas déclaré plus tôt et avez-vous fait que les choses se soient passées ainsi? » Le çramana répondit : « J’observe les défenses du Buddha et je ne saurais tuer des êtres vivants ; malgré mon désir de vous déclarer ce qui en était, je craignais de causer la mort du perroquet. Maintenant que le perroquet est mort, je vous le dis; mais, si le perroquet vivait encore, vous m'auriez frappé jusqu'à me faire périr sans que jamais je vous eusse révélé (où était la perle). » Le maitre de la maison se fit alors des reproches, se repentit de sa faute et prononça des excuses ; le çramana ne S'APLITA pas et l'air de son visage ne changea point.

AA. CÉRIDRNDERN I De Sr) En ce temps, dans la ville de Chôü-wei (Grävasti), il y

avait un brahmane de grande famille nommé Ye-Jo-la (Yajñadatta) qui était extrémement riche. Une de ses ser-

212 KING LU Yi SIANG (N° 441)

vantes esclaves était nommée ÆJouang-leou (Tête jaune) ; elle avait constamment la garde du jardin des mo-lo (mälà, guirlandes). En ce temps, cette servante s’affligeait tou- jours et disait : « Quand échapperai-je à cette condition d’'esclave ? » Un jour, cette servante, après le lever du soleil, avait reçu sa part de nourriture en aliments secs et l'avait emportée pour se rendre dans le jardin. Au même moment, l'Honoré du monde entrait dans la ville pour mendier sa nourriture. La servante Houang-l'eou aperçut de loin le Tathâgata et elle pensa dans son cœur : « Ne vaudrait-il pas mieux que je prenne ces aliments secs pour les donner à ce çramana ? peut-être pourrais-je être déli- vrée de cette condition d’esclave. » Elle donna donc ses aliments en présent au Buddha ; l’'Honoré du monde les accepta avec bonté et compassion, puis il revint dans son ermitage. Alors la servante Houang-l'eou continua sa route et entra dans le jardin des mo-lo. Or, le roi Po-sseu-ni (Prasenaijit), avec un cortège imposant de soldats des quatre sortes, était sorti pour chasser; les gens de sa suite s’épar- pillèrent en galopant à la poursuite de troupeaux de cerfs; il faisait fort chaud; (le roi) aperçut de loin le jardin des mo-lo ; il renvoya donc son char et entra à pied dans le jardin. Houang-leou vit venir de loin Po-sseu-nt (Pra- senajit), qui, par sa démarche etses mouvements, ne parais- sait pas être un homme ordinaire; elle s’avança aussitôt pour l’accueillir en lui disant : « Soyez le bienvenu, grand homme et veuillez vous asseoir ici. » Elle ôta alors un de ses vêtements qu’elle étendit à terre pour faire asseoir le roi. Aouang-Feou lui demanda : « Peut-être avez-vous besoin d’eau pour laver vos pieds? » Le roi ayant donné son assentiment, elle prit de l’eau qu’elle présenta au roi, puis elle lui essuya les pieds. Elle lui demanda encore: « Désirez-vous vous laver le visage? » Elle offrit donc pour la seconde fois de l’eau au roi pour qu'il se lavât le visage. Elle lui demanda encore : « Voulez-vous boire ? »

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KING LU YI SIANG (N° 441) 213

Puis elle alla vers l’étang, se lava les mains, prit une belle feuille de nénufar, la remplit d’eau et l’apporta au roi. Elle lui demanda encore : « Peut-être voudriez-vous vous coucher et vous reposer ? » Elle ôta encore un de ses vêtements et l’étendit à terre pour le roi; puis, quand elle vit qu’il s'était couché, elle se tint à deux genoux devant lui et lui massa les pieds et les articulations des autres membres pour dissiper sa fatigue. Houang-leou avait un corps de déesse, fin, souple et beau; quant au roi, qui était subtil, il fit cette réflexion : « Je n’ai jamais trouvé une femme aussi intelligente que cette fille ; avant même que je lui aie donné des ordres, elle les exécute. » Il lui demanda donc : « À quelle famille appartenez vous ? » Elle répondit : « Je suis une esclave de Ye-jo-la (Yajñadatta); on m'a chargée de garder ce jardin. » Quand ils eurent con- versé ainsi pendant quelque temps, la foule des grands officiers du roi, en suivant les traces laissées par le char, arriva dans le jardin ; ils se prosternèrent aux pieds du , puis se tinrent debout sur un rang. Le roi ordonna à un ME ces hommes : « Appelez le brahmane Ye-Jo-ta (Yajñadatta) pour qu’il vienne. » Ÿe-7o-la (Yajñadatta) étant venu auprès du roi, celui-ci lui demanda : « Cette fille est- elle votre esclave ? » Comme il répondait affirmativement, le roi reprit : « Maintenant je désire en faire mon épouse. Qu'en pensez-vous ? » Il répliqua : « Elle est mon esclave; comment pourriez-vous la prendre pour épouse ? » Le roi dit: « Ce n’est pas la question ; ne parlez que du prix auquel vous l’évaluez. » Le brahmane répondit : « Si je voulais parler du prix, il serait de cent mille onces d’or ; mais comment réclamerais-je un prix au roi? Maintenant j'offre (cette fille) à Votre Majesté. » Le roi dit : « Non pas. Je la prends pour épouse ; comment ne vous en don- nerais-je pas le prix? » Aussitôt il paya au brahmane cent mille onces d’or, puis il fit monter en char (Jouang-l'eou) et entra dans son palais escorté de tous ses ministres.

214 KING LU Y1 SIANG (N° 441-442)

C'est parce qu'il avait pris cette femme dans le jardin des mo-lo qu'on la distingua par le surnom de : la fou-jen mo-li (Mallika devi). Le roi l’aima et l’honora fort.

A quelque temps de là, le roi était avec ses cinq cents femmes et elle se trouvait la première d’entre elles, au haut de la salle élevée; elle pénsa alors : « De quelle action suis-je récompensée pour avoir pu échapper à la condition d’esclave et recevoir une félicité pareille ? » Elle fit encore cette réflexion : « C’est que j'ai autrefois donné à un çramana ma part d'aliments secs mêlés à du miel, et c'est pour cette cause que maintenant j'ai échappé à la condition d’esclave et que je reçois une telle félicité. »

412. (TP. XXXNT 8. D. 08 LP)

Dans le royaume des Yue-fche, 1l y avait un roi nommé Wou-cha ; il n’était personne dans le monde qu'il n’eût terrassé et soumis. Sa mère avait donné à ce roi l'avis suivant : « Si vous êtes en péril de mort, ayez soin de ne pas tourner par la gauche autour d’un temple du Buddha, mais pensez à tourner par la droite. Veillez à ne pas contrevenir à ces instructions. » En ce temps, le roi Wou-cha mit en campagne une grande armée pour atta- quer la ville de Chouen-hiue (sang pur) ; il prit lui-même en main son épée et tua trois cent mille hommes. Mais ensuite le combat tourna à son désavantage ; monté sur un éléphant, il s'enfuyait lorsqu'il remarqua un stüpa ; il se souvint de l’avertissement que lui avait donné sa mère et fit aussitôt revenir son éléphant pour qu'il tournât par la droite. Voyant cela, les ennemis se dispersèrent et se soumirent ; le roi, s'apercevant que les ennemis reculaient, leur donna la poursuite et fit avancer ses soldats ; il

NE RCE,

D not à éd à AR

KING LU YI SIANG (N°5 442-443) 215

s'empara de leur ville et fit prisonnier leur roi lui-méme. Alors il se rappela la parole du Buddha, à savoir que celui qui prend son refuge en Buddha est vénéré, qu'il est grand et que nul ne peut l’égaler : « Si, se disait-il, je n'avais pas tourné par la droite, comment aurais-je pu défaire ces ennemis ? »

A3.

(Trip., XXXVI, 3, pp. 91 v°-92 r°.)

4

Autrefois, l'épouse du roi du royaume de Po-lo-nai (Vârà- nasi, Bénarès) devin& enceinte. Cette femme reconnut qu’elle était enceinte et elle en avertit le roi; celui-ci lui fit donner de la nourriture et des soins à son entier contentement. Quand le terme fut venu, elle accoucha d’une masse de chair rouge comme la fleur de l’hibiscus. (Elle se dit :) « Toutes les autres femmes ont mis au monde des enfants beaux et bien faits ; moi, j'ai enfanté cette masse de chair qui n’a ni mains ni pieds. Mon cœur en conçoit de la honte. Si le roi sait cela, il aura certaine- ment de la haine et du mépris pour moi. » Elle placa donc (cette masse de chair) dans un vase ; elle battit de l'or pour en faire une feuille sur laquelle elle écrivit avec du sable rouge (cinabre) : « Ceci est ce que la femme du royaume de Po-lo-nai a mis au monde. » Elle placa un cou- vercle sur l’orifice du vase et le scella avec Le sceau royal puis, après avoir fixé à l’intérieur du vase la feuille d’or sur laquelle elle avait écrit, elle envoya quelqu'un aban- donner le tout dans le fleuve. Quand l’envoyé eut lâché le vase, les génies et les dieux prirent des mesures pour le protéger et firent qu’il n’y eut ni vent ni vagues.

Or, un religieux demeurait avec des gardiens de bœufs au bord du fleuve ; de bon matin il se baignait lorsqu'il

216 KING LU Yi SIANG (N° 443)

aperçut de loin ce vase ; il le recueillit et vit les mots tracés sur la feuille d'or ; il remarqua en outre le sceau royal qui le scellait ; il ouvrit alors le vase et regarda ce qu'il y avait dedans, mais il n'aperçut qu'une masse de chair. Il fit cependant cette réflexion : « Si c'était de la chair morte, elle devrait être depuis longtemps en putré- faction ; celle-ci doit avoir quelques qualités extraordi- naires, » Il la rapporta donc dans l'endroit il demeu- rait et l’installa avec soin dans un endroit. Au bout d’un demi-mois, la masse de chair se divisa en deux fragments ; puis, de nouveau après un demi-mois, chacun des frag- ments produisit cinq fragments ; enfin, après un nouveau demi-mois, de l’un des placentas naquit un garçon, et de l’autre fragment naquit une fille. Le garcon avait la cou- leur de l'or jaune; la fille avait la couleur de l'argent blanc. Quand le religieux les vit, il conçut pour eux un vif amour comme si ç'eût été lui-même qui eût eu ces enfants ; des pouces de ses deux mains du lait sortit spontanément ; un de ses pouces nourrissait le garçon ; l’autre pouce nourrissait la fille; quand le lait entrait dans le ventre des enfants, il était semblable à de l’eau claire et c'était comme une perle mani dont l'éclat se répandait au dedans et au dehors. Le religieux donna aux enfants le nom de li-ich'ü tseu (1); il les nourrit et prit pour eux beaucoup de peine ; chaque matin il se rendait dans les villages pour mendier sa nourriture et en même temps celle des deux enfants; le soir, il revenait. Cependant, un gardien de bœufs, voyant la peine que le religieux se donnait pour ces deux enfants, lui dit : « O homme de grande vertu (bhadanta), celui qui sort du monde a pour principale obligation d'accomplir ses devoirs religieux ; comment pourriez-vous, à cause de ces deux

(1) Ce qui signifie, ditune note, « minceur de peau » ou « ayant la même peau ». En réalité, c'est une étymologie populaire qui rapporte le nom des Litthavis au mot thavi qui signifie « peau ».

KING LU YI SIANG (N° 443) 217

enfants, négliger vos occupations religieuses ? 1l faut que vous me les donniez et c’est nous qui les nourrirons et les ferons vivre. » Le religieux approuva ce discours, puis le gardien de bœufs et lui retournèrent chacun dans leurs demeures respectives. |

Le lendemain, le gardien de bœufs et ses compagnons aplanirent et arrangèrent la route; ils y plantèrent des bannières et des oriflammes; ils y répandirent des fleurs de toutes sortes de couleurs ; puis, en faisant résonner les tambours, ils vinrent chercher les deux enfants. Quand ils furent arrivés à l’endroit habitait Le religieux, ils lui dirent : « Maintenant, vous pouvez renvoyer les deux enfants. » Le religieux les leur remit en leur faisant cette recommandation : « Ces deux enfants sont doués d’une grande vertu bienheureuse dont on ne pourrait estimer la mesure. Prenez grand soin d’eux; offrez-leur pour les nour-

rir du lait, du beurre, etles cinq sortes de caillé cru et cuit.

Quand ces deux enfants seront devenus grands, ils feront un couple ; choisissez alors un endroit excellent, uni et étendu et placez-les pour qu'ils y résident; vous devrez nommer roile garcon et la fille sera son épouse. » Les gar- diens de bœufs reçurent cesinstructions, puis seretirérent.

Quand les deux enfants eurent atteint l’âge de seize ans,

on leur donna un territoire uni et vaste ayant une étendue

de cent yojanas ; au centre on éleva une habitation ; on maria la fille au garcon en sorte qu’ils furent mari et femme. Par la suite, ils donnèrent naissance simultané- ment à deux enfants, un garcon et une fille et il y eut

seize doubles naissances de cette sorte Voyant que les

enfants du roi devenaient de plus en plus nombreux, les gardiens de bœufs ouvrirent de nouvelles habitations et aménagèrent des parcs pour y rassembler les maisons de ces trente-deux personnes ; les constructions et le terri- toire se trouvèrent alors trois fois plus vastes et c’estpour- quoi le nom de cet endroit fut P’i-chü-li (Vaicâli).

218 KING LU Y1 SIANG (N° 444)

All.

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Il était une fois un fils de roi qui désirait connaître ses existences antérieures et qui interrogea le Buddha à ce sujet. Le Buddha lui répondit : « Cette connaissance n’est point une chose utile, car elle rend les hommes tristes. » Le fils de roi ayant cependant exprimé instamment et jusqu'à trois reprises son désir d’avoir cette connaissance, le Buddha lui conféra les défenses, puis fit en sorte qu’il connuüt ses existences antérieures ; alors donc le fils de roi aperçut tout ce qui lui était arrivé; il vit que (dans une vie antérieure), il devait mourir à quinze ans et il en concut une affliction indicible ; à l’âge de quinze ans donc, 1l mourut ; la famille royale l’enterra et planta un pin sur sa sépulture ; quand cet arbre devint grand, sa racine péné- tra profondément la terre et atteignit juste son cœur ; son âme douée de connaissance était encore dans son corps, et, voyant pousser cette racine, elle se dit: « Elle me traverse juste le cœur » ; car elle pensait qu’elle lui per- cerait le cœur comme si celui-ci eût éncore été vivant. Puis son âme monta le long de cette racine et se logea parmi les feuilles du pin; elle vit un mouton venir et songea : « Si ce mouton broute le pin, il va derechef me mettre à mal, » Sur ces entrefaites, le mouton vint et la mangea ; elle se trouva donc dans le ventre du mouton. Elle sortit avec les excréments du mouton et se trouva collée à eux. Un jardinier recueillit ceux-ci pour fumer des poireaux et (l'âme) se trouva alors dans les feuilles ‘de poireaux. Or la reine vint à avoir envie de poireaux et donna des ordres pour qu'on lui en apportât du dehors. Le chef jardinier prit en main son couteau pour

KING LU Yi SIANG (N°%'444-445) 219

cueillir des poireaux en les coupant; à ce moment, (l’âme) eut peur que le couteau ne lui fit du mal ; c’est ainsi que, en chaque circonstance, elle éprouvait une affliction si profonde qu’on ne saurait la décrire. Après avoir coupé les poireaux, le jardinier les lia et les envoya chez le roi; (l’âme) se trouva alors dans son ventre et y devint un fils. Quand le terme fut arrivé, ce fils naquit ; puis il devint grand et il connut de nouveau quelles avaient été ses existences antérieures. Le fils du roi se rendit aussitôt auprès du Buddha et lui dit : « Je n'ai plus aucun besoin de connaître mes existences antérieures, car cela me plonge dans l’affliction. Maintenant donc, & Buddha, je vous rapporte cette connaissance de mes existences anté- rieures. » Le Buddha répondit au prince héritier : « Moi-

même, naguère, je ne voulais pas vous accorder cette

connaissance, mais c’est parce que vous désiriez l'avoir que je me suis ravisé et que je vous l’ai accordée. »

A45.

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Autrefois le roi Pi-sien-ni (Prasenajit) avait deux femmes ; le fils de la première femme se nommait Lieou- li (Vaidürya) ; le fils de la seconde femme se nommait Tche (Jina). Le jour même de la naissance de Téhe, des offrandes précieuses apportées des quatre points cardi- naux arrivèrent toutes en même temps. Le roi dit : « Lors de Ia naissance de mes autres fils, jamais rien de tel ne s’est passé; cet enfant mérite qu’on l'appelle Tche (1). » Quand il fut devenu grand, son instruction fut telle qu'il

(1) Jina signifie vainqueur.

220 KING LU Yi SIANG (N° 445)

n’était rien qu’il n’eût pénétré. Le roi fit édifier pour lui un palais spécial qui était fait avec les sept substances pré- cieuses ; des hommes et des femmes en or et en argent se trouvaient des deux côtés de la porte ; ils tenaient dans leurs mains des bols précieux tout remplis des sept joyaux ; on pouvait y puiser jour et nuit et les bols rede- venaient pleins comme auparavant. Le prince héritier, müû par la jalousie, envoya des soldats pour piller ce pa- lais ; mais alors cinq cents cavaliers des armées célestes protégèrent et défendirent la demeure de Tche; en les voyant, les soldats de Lieou-li furent saisis de terreur, reculèrent et s’enfuirent. Le prince héritier, fort irrité, fit mander T'che et lui demanda : « Cette nuit j'ai envoyé des soldats pour m’'enquérir de votre santé ; mais vous aviez des soldats cachés à l’intérieur de votre demeure ; serait- ce que vous voulez vous révolter ? » Tche répondit: « Je ne saurais me dispenser de nourrir des sentiments paci- fiques. Chez moi, iln’y a pas la moindre arme de guerre. » Lieou-li envoya faire une perquisition chez lui et on ne trouva rien ni dedans ni dehors. L'intelligence de Lieou- li s’ouvrit alors et il vint exposer tout ce qui s'était passé au Buddha. Le Buddha lui dit : « La vertu que Tche a plantée a rencontré un champ ferme et solide; c'est pourquoi on ne peut le dépouiller (de son bonheur). A l’époque du Buddha Wer-wer(Vipacyin), il y eut un homme qui se rendit dans un temple pour y nourrir des religieux et qui, ensuite donna un esclave et une servante pour balayer les bâtiments du temple ; à partir de ce moment, soit qu'il vécût en haut parmi les devas, soit qu'il fût dans la condition humaine, cet homme reçut une prospérité sans limites. Il n’est autre que Tche. »

KING LU 1 SIANG (N° 446) 221

446.

(Fri A XXNE hp: 20 N°)

Autrefois, dans un royaume étranger, il y avait une ville nommé ZJ'eou-kia-lo (Tukhâra); dans cette ville était un laïque qui, chaque jour, invitait un cramana à revenir dans sa maison. Ce cramana était un arhat; or, quand il était assis et mangeait, au moment il mangeait, iloffrait toujours un peu de sa nourriture à un chien qui était dans la maison ; à cause de la nourriture qu'il recevait ainsi, le chien concut des sentiments affectueux à l'égard du cra- mana ; lors de la venue journalière du cramana, le chien avait pris l'habitude de le bien accueillir; au moment le cramana mangeait, le chien le regardait en pensant à lui; de son côté, le cramana, dès qu’il venait, prenait un peu de nourriture et le tendait au chien; aussi le chien avait-il des sentiments affectueux envers le cramana. Au bout de plusieurs années, la vie de ce chien prit fin ; il devint alors la fille du roi de Vqan-si (Arsak, Parthie) ; dès sa nais- sance, cette jeune fille connut ses vies antérieures et sut qu'elle avait été autrefois un chien ; elle se dit: « J'ai quitté ce corps de chien et j'ai obtenu le corps de fille du roi; or, dans ce royaume il n’y a ni temples bouddhiques, ni cramanas. » En ce temps, le roi des Yue-tche (Indoscythes) envoya un ambassadeur auprès du roi; celui-ci, voyant que cet ambassadeur était un homme sage, voulut lui don- ner sa fille en mariage. L'ambassadeur partit donc en emmenant la princesse. Quand la princesse vit des çra- manas, son cœur fut très joyeux ; elle se rappela qu'elle avait été auparavant un chien, qu’un çramana lui donnait à manger et qu'elle avait pour lui des sentiments allec- tueux ; maintenant qu'elle avait obtenu un corps humain,

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KING LU YI1 SIANG (N° 446)

il lui fallait faire des offrandes considérables aux crama- nas. Dans le royaume des Yue-lche (Indoscythes) il y avait beaucoup de çramanas ; cette femme nourrit journelle- ment de trois à cinq cents d’entre eux; elle leur versait à boire de sa propre main et ne chargeait personne d’autre de les recevoir; quand ils avaient fini de manger, elle balayait de ses propres mains le sol. Les servantes de cette femme, qui étaient dans sa demeure, conçurent toutes de bons sentiments et dirent : « Cette femme est une fille de roi; or, depuis qu’elle est venue ici, elle balaie constam- ment et elle fait des offrandes aux çramanas ; il nous faut, nous aussi, nous appliquer à cette tâche. » Les servantes donc cachèrent le balai, dans l'intention de balayer elles- mêmes le sol; quand leur maîtresse chercha le balai, il lui fut impossible de savoir il se trouvait; elle pritalors dans un coffre le vêtement qu'elle portait lors de sa venue dans ce pays, le roula et s’en servit pour balayer le sol. En la voyant balayer le sol avec un vêtement neuf, son mari lui dit: « Quoique vous honoriez la religion boud- dhique, qu'est-il besoin de vous servir d’un vêtement neuf pour balayer le sol ?il vous faut aller quérir un balai. » Sa femme lui répondit: « C’est uniquement parce que j'ai eu pendant deux ans des sentiments affectueux à l'égard d’un çramana que j'ai obtenu ce vêtement ; puisque c’est préci- sément avec ce vêtement que je balaie, pourquoi trouve- riez-vous cela mauvais? Dans mon existence antérieure je n'avais rien dont je pusse me servir pour faire des libé- ralités ; j'avais seulement des sentiments affectueux et je croyais à la loi bouddhique ; c’est pourquoi j'obtins le bonheur présent. D’ailleurs, ce n’est pas en travaillant pour gagner ma vie que j'ai acquis ce vêtement. » Le mari dit à sa femme: « Bien que vous croyiez à la loi boud- dhique et que vous fassiez des offrandes aux çramanas, je n'ai jamais vu aucun çramana vous donner ne fût-ce qu'une ou deux pièces de monnaie ; vos vêtements vous ont tous

e

KING LU YI SIANG (N° 446-447) 228

été procurés grâce à la force de mes muscles. » Lafemme alors expliqua à son mari quelle avait été sa destinée anté- rieure et lui dit: « Dans une vie antérieure je naquis en qualité de chien; mon maître invitait fréquemment un çra- mana et celui-ci me tendait de la nourriture; je conçus des sentiments affectueux envers ce çramana et c'est pourquoi je quittai ce corps de chien pour devenir la fille d’un roi.» En entendant ces mots, le mari, plein de joie, dit à sa femme : « C’est donc seulement pour avoir eu des senti- ments affectueux envers un seul çramana que vous avez obtenu de telles bénédictions. » Après avoir entendu ce que racontait sa femme, cet homme, qui était auparavant parcimonieux et avide, se mit à faire de grandes libéra- lités et il n’y eut plus rien qu'il ne donnât volontiers ; observant les abstinences et les défenses, il déployait son énergie ; il élevait avec somptuosité des temples boud- dhiques. Cet homme dit après réflexion : « Est-ce seule- ment pour avoir eu des sentiments bienveillants que vous avez obtenu un tel mérite ? » Sa femme lui répondit: « Les sentiments du cœur peuvent faire que l’homme devienne Buddha, qu'il naisse en haut parmi les devas, qu’il de- vienne Pratycka Buddha, qu’il devienne arhat; tout cela est un effet des sentiments du cœur ; si le cœur nourrit de mauvaises pensées, il fait tomber l’homme dans les en- Iers. »

N°7.

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Autrefois, la fille d’un roi était chérie de son père etne s’éloignait jamais de ses yeux. Un jour, la pluie tomba du ciel ; et sur l’eau il y eut des bulles. En voyant ces bulles sur l’eau, la jeune fille Les trouva fort à son gré; elle dit

224 KING LU YI SIANG (N° 447)

au roi : « Je désire avoir les bulles qui sont sur l'eau afin qu'on m'en fasse un diadème pour ma tête. » Le roi dé- clara à sa fille : « Les bulles qui sont maintenant sur l’eau, on ne peut les saisir ; comment les prendrait-on pour en faire un diadème ? » La jeune fillé dit : « Si ; n'ai pas cela, je me tuerai. » En entendant ces mots de sa fille, le roi appela les maîtres les plus adroits et leur dit : « Vous êtes d’une habileté à laquelle rien ne résiste. Prenez promptement des bulles de l’eau et faites-en un diadème pour ma fille; si vous n’y parvenez pas, je vous décapiterai. » Ils répondirent : « Nous sommes incapables de prendre des bulles pour en faire un diadème” » Ce- pendant un vieil artisan dit: « Je pourrai prendre les bulles. » Le roi, tout joyeux, en informa sa fille, disant : « Il y a maintenant un homme qui se charge de vous faire un diadème. Allez vers lui pour voir vous-même de près (comment il s’y prendra). » La jeune fille, suivant le conseil de son père, alla au-dehors pour regarder ; alors le vieil artisan lui dit : « Je n’ai pas l'habitude de distin-

œuer entre les bulles de l'eau celles qui sont belles et :

celles qui sont laides ; je désire humblement que la fille du roi aille en personne prendre les bulles et moi j'en ferai un diadème. » La jeune fille chercha à prendre les bulles ; cependant celles-ci crevaient dès qu'elle en approchait la main, et elle ne parvenaitpas à les saisir; elle s’y appliqua toutle jour, mais en définitive ne put prendre les bulles. La jeune fille se lassa elle-même (de ces ten- tatives), y renonça et s'en alla. Elle dit à son père : « Les bulles de l’eau sont vides et fallacieuses ; elles ne sau- raient se maintenir longtemps ; je désire, ô roi, que vous fassiez faire pour moi un diadème en or pur qui jour et nuit ni ne se desséchera ni ne se flétrira. Les bulles qui sont sur l’eau déçoivent les veux des hommes ; quoiqu’elles aient une forme corporelle, elle se détruisent au fur et à mesure de leurs naissances ; c’est avec la même prompti-

ù PRET Clint “a.

nm.

KING LU YI SIANG (N°5 447-448) 225

tude que disparaissent les flammes ardentes et les buées de la campagne (1). Après avoir aimé (ces bulles), on s’en lasse et on les laisse périr. »

Le corps de l’homme (aussi) est une apparence trom- peuse ; il a peu de joies et beaucoup de peines ; les lois (dharmas) sujettes à la destruction ne peuvent subsister longtemps ; elles transmigrent et se transforment et ne restent qu’un instant dans ce monde.

448.

(Trip., XXXVI, 4, p. 28 v°.)

Autrefois il y avait un maître de maison kia-lo-yue (grhapati) qui était intelligent et très perspicace et qui

(1) L'expression FF E (litt. : les chevaux de la campagne) se trouve associée dans Tchouang tseu (chap. I; trad. Legge, S. B.E., vol. XXXIX p. 165) à l'expression FE et on a cru parfois que les deux termes

étaient synonymes; on a donc employé la locution H$ Æ pour signifier simplement des grains de poussière. C’est ainsi que Wou Yong DL. EN

écrit : #} ZE [4 2 #ÿ Æ pour dire : « J'ai secoué la poussière qui est entre les poutres du plafond »; Han Yo ÉE }& écrit aussi : & # H À + Æ ; ce qui revient à dire: « les grains de poussière qui volent dans le rayon de lumière de la fenêtre ». Mais le Mong ki pi l'an (chap. III, p. 10 ve), qui cite ces deux exemples, déclare que cet emploi de l'expression HF Æ, est fautif, car, en réalité, les ye ma sont les va- peurs qui flottent sur les champs; à les voir de loin, il semble que ce soient des troupeaux de moutons ou des flots E$ Æ 7% FH Æ Hi 1?

K& Ho x 2 mn À 2 À An 7K JK. Les livres bouddhiquesse servent donc avec raison de cette métaphore pour désigner quelque chose d'irréel et de fugitif. Schlegel (T'oung pao, l"° série, vol. VIT, 1896, pp. 47-53) a cherché à concilier les deux interprétations « poussière flottante » et « buées » de l'expression ye-ma en disant qu'on désigne par ce terme les nuages de poussière légère qui flottent à la surface du désert et qui produisent les mirages. Mais cette explication, pour ingé- nieuse qu'elle soit, ne me parait pas être justifiée par les textes chi- nois.

LIT. 15

226 KING LU YI SIANG (N°5 448-449)

possédait d'immenses richesses; il demeurait sur le bord de la mer et avait planté beaucoup d'arbres dont la splen- dide frondaison atteignait jusqu'au ciel. En ce temps, sur une ile de la mer, il y avait en grande quantité des joyaux précieux dont la valeur se chiffrait par milliers et cen- taines de mille (de pièces de monnaie) ; mais les hommes ne pouvaient pas en approcher ; seuls, les oiseaux qui y allaient et qui en revenaient avalaient des perles claires comme la lune ; le matin, ils se rendaient (dans l’île) ; le soir, ils en sortaient et venaient se percher, pour passer la nuit, sur le bois touffu du maître de maison ; ce dernier, qui était fort avisé, imagina un stratagème ; il prépara donc un aliment exquis et le présenta aux oiseaux ; ceux-ci en mangèrent jusqu'à satiété, puis ils vomirent ; les perles couvrirent alors le sol ; le maître de maison les recueillit et devint ainsi fort riche.

N419

(Trip, XXXVI, 4, p.33 ve.)

Il y avait autrefois un upâsaka qui résidait provisoire- ment dans le royaume de Chü-wei (Grâvasti) ; sa femme était d’une telle beauté que la renommée s’en était répandue dans le royaume ; les amis de cet homme auraient voulu voir sa femme, mais il se refusait toujours à la leur mon- trer. Quelqu'un ayant parlé de la chose au roi, celui-ci désira voir cette femme, mais il ne savait comment s’y prendre ; un de ses sujets lui dit alors : « Cet homme et sa femme observent tous deux les cinq défenses ; ils font des offrandes aux religieux et leur offrent à boire de leur propre main. O roi, il faut que vous vous déguisiez en religieux et que, portant en main le bol à aumônes, vous

KING LU YI SIANG (N° 449) 227

vous rendiez chez cette femme ; vous parviendrez certai- nement ainsi à la voir. »

Le roi suivit cet avis. Sous un déguisement momentané, il alla secrètement à la maison de ces gens ; en apercevant un religieux, la femme rendit hommage en se prosternant le visage contre terre ; quand le roi l’eut bien considérée, il revint et dit à ses ministres : « Cette femme est vrai- ment belle ; elle est entrée dans mon cœur, mais je ne sais par quel moyen je pourrais l'obtenir. »

Les ministres lui dirent : « Quoique cet homme soit un hôte provisoire, il convient qu'il vienne rendre visite à Votre Majesté; si, par arrogance, il ne vient pas, pour- quoi ne le châtiriez-vous pas ? A plus de mille /: de la ville de Chô-wei, au milieu d’un grand étang poussent des lotus de cinq couleurs ; mais il se trouve trois périls causés par des serpents venimeux, des démons méchants et des animaux féroces ; ceux qui sont condamnés à mort, on les envoie cueillir de ces fleurs et alors ils sont tués là-bas. »

Le roi fit donc appeler l’upâsaka et lui demanda : « Qui

êtes-vous ? » « Je suis un homme de votre peuple, à. grand roi », répondit-il. « Pourquoi, reprit le roi, n’êtes- vous pas venu ? » «C’est, répondit-il, par excès de sot-

tise ; je me reconnais coupable. » Le roi dit : « Je vous condamne à aller cueillir des fleurs dans tel étang ; vous devrez être de retour dans sept jours ; si vous ne venez qu'après ce délai, je vous punirai sévèrement. » L’upâsaka recut cet ordre et se retira; puis il revint tout raconter à sa femme qui lui dit : « Si maintenant vous êtes coupable, c’est à cause de ma beauté. Vous connais- sez la sage religion du Buddha ; les trois mondes ne sont d'aucun appui ; dans les défenses seules on peut se fier ; le jour vous vous mettrez en route, que votre cœur songe aux trois Vénérables, que votre bouche récite les dix préceptes excellents ; n'y manquez pas un seul instant ;

218 KING LU YI SIANG (N° 449)

si vous ne revenez pas, j'entrerai en religion ; je me plai- rai à observer les défenses et je ne me remarierai point. »

Elle donna des provisions de route à son mari qui prit

congé d'elle et partit.

A mi-chemin, un démon dévoreur d'homtses lui de- manda qui il était ; il répondit : « Je suis un disciple du Buddha. » Le démon répliqua : « Tous les criminels, on nous les envoie sous le faux prétexte d'aller cueillir des fleurs ; à sage, en réalité vous n’avez commis aucun crime et vous avez été calomnié par des hommes per- vers. » Il répondit au démon : « Il est difficile’ d'obtenir la condition d'homme dans la vie ; or maintenant ma des- tinée dépend de vous, puissante divinité. » « Puisque, dit le démon, vous êtes un disciple du Buddha, et puisque, en outre, vous n'avez commis aucun. crime, je ne vous ferai pas de mal. Mais il y a les deux autres périls auxquels je crains que vous ne puissiez échapper ; comment allez- vous faire ? » Le démon lui dit encore : « J'irai à votre place cueillir les fleurs afin de vous sauver la vie, ce qui fera que, tout le temps, je jouirai d’une félicité sans limites. Restez donc paisiblement ici. » À ces mots, le démon par- tit et revint au bout d'un instant avec de belles fleurs des cinq couleurs qu’il donna à ce sage. Comme, à cause de leur poids, le sage ne pouvait les porter, le démon prit les fleurs et se chargea aussi du sage ; dans le temps. qu'il faut pour replier et étendre le bras, il arriva à la porte du palais, puis il prit congé et se retira.

Le sage se rendit à la porte et la franchit. Le roi, sur-

pris de son prompt retour,lui demanda tout ce qui s'était

passé ; ille lui exposa conformément à la vérité. Le roi,

stupéfait et confus, dit: « Les démons n’ont pas une jus-

tice comme les hommes ; ils font le mal à tous les êtres. vivants ; or maintenant en voici un qui a sauvé un homme de bien. Moi, cependant, je suis dépourvu de justice et je ne fais pas de distinction entre le bien et le mal. Je ne

KING LU YI SIANG (N° 449-450) 229

vaux même pas un démon. » Alors, s’accusant lui-même de ses fautes, il se prosterna devant l’upâsaka, lui confia sa destinée et désira devenir son disciple. Il accepta les cinq défenses et mit en pratique en toute occasion les six pâramitäs. Le royaume, à cause de cela, jouit d’une grande paix. Quant au sage et à sa femme, ils redoublèrent d'énergie pieuse et obtinrent de ne pasrevenir dans le cycle des naissances et des morts (anâgâmin).

450.

(rip XX EUR pv)

Autrefois il y avait un homme qui n’avait qu’un seul fils nommé Po-kiu-lo (Bakula) ; sa femme étant morte quand son fils n'avait encore que sept ans, il prit une autre épouse ; celle-ci eut de la haine contre le fils de la première femme ; comme elle faisait cuire à la vapeur des gâteaux dans une jarre, l'enfant en demanda à sa marâ- tre qui l’empoigna et le jeta dans la jarre ; puis elle bou- cha l’orifice avec un plat dans le désir de faire périr l’en- fant; mais l’enfant, se trouvant dans la jarre, mangea les gâteaux etne mourut pas.

Une autre fois, elle prit encore l'enfant etle mit sur une plaque à gâteaux brûlante en fer ; mais il mangea les gâteaux sur la plaque et n’en mourut point.

Plus tard, la femme étant allée au bord de la rivière pour laver des vêtements, elle lança l’enfant dans l'eau ; un poisson l’avala ; à sept jours de là, le père invita l’assem- blée des religieux et disposa pour eux les préparatifs d’une grande réception; il fit l'acquisition d’un poisson qu’il rapporta chez lui dans son char ; quand il voulut fendre le ventre du poisson, son fils lui dit : « Allez bien douce-

230 KING LU Y1 SIANG (N° 450-451)

ment pour ne pas blesser la tête de votre fils. » Cet enfant s'était autrefois conformé à la seule défense de ne pas tuer, et (c'est pourquoi) maintenant il obtint en cinq occasions de ne pas mourir (1).

451.

(Trip., XXXVI, 4, p. 39 v°-40 r°.)

Il y avait un roi nommé To-fou « Beaucoup de Bonheur » (Punya) et son fils héritier qu’on appelait Tseng-fou « Bon- heur augmenté » (Punyavardhana). Le roi servait les six maîtres (hérétiques) ; le fils honorait la doctrine boud- dhique ; (les voies) qu’ils suivaient n'étaient pas identiques. En ce temps il n’y avait pas de çramanas; c'était un laïc qui tenait lieu de maitre.

Or, cinq cents de ces hérétiques, jaloux de la célébrité et de la vertu de ce maître, dirent au roi : « Quand le royaume suit deux religions, cela fait que les hommes ne s'appliquent plus à un seul but. Nous désirons que, nous et le maitre de la doctrine bouddhique, nous manifestions chacun de notre côté notre puissance miraculeuse; celui qui sera vaincu sera réduit à la condition d’esclave. »

Le roi ayant donné son assentiment, les hérétiques et le maître fixèrent un jour en s’engageant à mettre à l'épreuve, en présence du roi,leurs plus méritoires talents, et les deux parties tombèrent d'accord à ce sujet. Ces

«

brahmanes excellaient tous à tirer de l’arc et à monter

à cheval; ils entrèrent donc dans les montagnes etces cinq cents hommes tuèrent chacun à coups de flèches un cerf;

(1) Le conte est évidemment écourté puisqu'il n’a été question que de trois des cinq occasions l'enfant échappa au péril.

Lee

KING LU Y1 SIANG (N° 451) 231

tous ils percérent l'œil gauche leur victime) et rivali- sèrent d’habileté. |

Le sage de son côté, entra dans la montagne, et songea à plusieurs reprises au Buddha en lui demandant de l'aider par son prestige surnaturel pour mettre en honneur la grande doctrine; aussitôt un cerf multicolore sortit sou- dain de terre ; (le sage) revint tout joyeux en l'emmenant. Un hérétique l’apprit; il épia le moment le sage serait sorti et se rendit dans sa demeure ; par fourberie, il dit à sa femme : « Votre mari projette d'abandonner sa famille pour devenir religieux. L’unique cause en est ce cerf qui détruira votre famille. » En entendant ces paroles, la femme fut irritée et elle lui donna le cerf. Quand le sage revint et qu'il ne vit plus son cerf, il interrogea sa femme qui lui dit : « Cet être de mauvais présage, maintenant je l'ai égaré. »

Le mari, fort affligé, retourna dans la montagne et se re- pentit deses fautes avec une parfaite sincérité ; il y eut alors une perle divine, claire comme la lune, qui sortit de terre. Il prit donc cette perle et l’emporta pour la montrer au brahmane (qui avait emmené son cerf); il vint à sa porte et fit l'éloge de l’objet extraordinaire qu'il avait à vendre. La femme du brahmane lui dit: « Chez nous, il y a aussi un objet extraordinaire qui est digne d'être comparé au vôtre. » Elle fit donc sortir le cerf. Le sage lui dit aussi- tôt : « Le roi m'avait chargé de prendre soin de ce cerf ; vous, maintenant, vous l'avez volé, c’est une faute immense. » La femme, saisie de crainte, lui rendit le cerf. |

Quand fut arrivé le jour de l'épreuve, les brahmanes apportèrent chacun leurs cerfs morts qui tous avaient à l'œil gauche une blessure sale et puante ; le roi en fut fort irrité. Le sage s’avança en tirant derrière lui son cerf surnaturel et en apportant sa perle claire comme la lune et il vint les offrir au souverain dans la salle royale;

232 KING LU Y1 SIANG (N°3 451-452)

ces deux êtres bondissaient légèrement et jouaient sem- blables à une étoile filante ou à la clarté de l'éclair ; tous les gens du palais en étaient émerveillés. Les cinq cents brahmanes reconnurent eux-mêmes que leur habileté était vaincue ; ils furent donc réduits à la condition d'esclaves et leurs femmes devinrent servantes.

452.

(Trip. XXXNI,; LD: A0 Tr)

Autrefois il y avait un grand royaume situé dans une région de la frontière du côté du nord ; ce royaume se nommait 7'che-houan (sagesse-frivole). Or un homme du pays de Z'che-houan vint en apportant un corbeau avec lui dans le royaume de Po-tchü-li ; dans ce dernier royaume, il n'y avait aucun oiseau tel que ce corbeau et il ne se trouvait d’ailleurs aucun autre oiseau remar- quable et beau de quelque autre sorte ; aussi, quand les habitants virent ce corbeau, sautèrent-ils de joie ; ils lui firent des offrandes, le servirent, lui présentèrent, pour le _désaltérer et le nourrir, des fruits et des courges; petit à petit, les corbeaux des pays lointains accoururent tous se réunir en quantité innombrable ; le royaume entier les servait et leur témoignait un respect illimité.

Plus tard, une autre fois, un marchand vint encore d'un royaume étranger ; il apportait avec lui un paon ; quand les hommes rassemblés virent le plumage merveil- leux et superbe de cet oiseau, ainsi que sa démarche d’une noblesse et d'une élégance inconnues jusqu'alors, et quand ils entendirent sa voix, ils en concurent des trans- ports de joie ; ils négligèrent les corbeaux pour reporter leur affection sur le paon ; toutes les offrandes qu'ils fai-

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KING LU YI SIANG (N° 452-453) 233

saient auparavant aux corbeaux, ils les présentèrent au paon et réservèrent pour celui-ci leurs témoignages de res- pect. Les corbeaux ne surent plus que devenir.

Il y eut alors un deva qui prononca ces gâthàs :

Quand on n'a pas encore vu la clarté du soleil, la lumière de la torche brille d’un éclat unique. C'est ainsi que ces gens, à première vue, servirent les corbeaux, et leur offrirent de l'eau à boire ainsi que des fruits et des courges à manger.

Mais quand le beau chant eut fait entendre sa perfec- tion (1), ce fut comme si le soleil était apparu parmi les arbres; les corbeaux furent privés des offrandes qu'on leur faisait ; en voyant ce qui en était réelle- ment, ces gens distinquèrent ce qui est noble de ce qu est vil.

Ânanda prononça cette gâthà :

De même, avant que le Buddha ait fait son apparition triomphante, les brahmanes obtiennent d’étre bien servis. Maintenant que le Buddha a fait entendre sa voix par- faile, les héréliques sont privés des offrandes qu'on leur présentait. |

(Le Buddha dit :) Le paon, c'était moi-même ; les cor- beaux c’étaient les hérétiques des diverses sortes ; le deva, c'était Ânanda.

153. Gris NX XN I EU. 120) En ce temps, dans le royaume de Po-lo-nat (Vâärânaci,

Bénarès), au milieu des montagnes, il y avait un ermite ; au second mois de l'automne, il urinait dans sa cuvette

{1) C'est-à-dire, quand vint le paon.

234 KING LU YI SANG (N° 453)

à ablutions, lorsqu'il aperçut des cerfs et des biches qui s'accouplaient; il concut des pensées luxurieuses et sa semence coula dans la cuvette; une biche la but et devint aussitôt enceinte ; au terme de ses mois elle mit au monde un enfant qui ressemblait fort à un homme, mais il avait sur sa tête une corne et ses pieds étaient comme ceux d'un cerf. Au moment la biche allait mettre bas, elle s'était rendue devant l'habitation de l’ermite pour donner le jour à l'enfant et le confier à l’ermite, puis elle était partie; quand l’ermite sortit, il vit cet enfant de la biche; il réfléchit aux causes anciennes et comprit que c'était son propre fils ; il le recueillit donc et l’éleva ; puis, quand l'enfant fut devenu grand, il s’'appliqua à l’instruire.

(Le jeune homme) comprit les grands livres sacrés des dix-huit sortes; il s’initia en outre à la contemplation immobile; il pratiqua les quatre sentiments illimités (apra- mâna) ; il obtint Les cinq pénétrations surnaturelles (abhijñà). Un jour qu’il gravissait la montagne, il tombait beaucoup de pluie et le sol était boueux et glissant ; comme ses pieds n'étaient pas bien appropriés à sa personne, il tomba et se blessa le pied; aussitôt, très irrité, il ordonna par une formule magique qu'il cessât de pleuvoir ; par l'effet de la vertu productrice de bonheur de l'ermite, toutes les divinités nâgas firent qu'il n’y eut plus de pluie. Comme il n’y avait plus de pluie, les céréales et les fruits ne se produisirent plus ; la population fut à bout de res- sources et n'eut plus de moyens de subsistance.

Le roi de Po-lo-nai (Vârânasi) était chagrin et tour- menté; il ordonna à tousses hauts officiers de se réunir et de délibérer sur l'affaire de la pluie. Un homme intelli- gent dit dans la délibération : « J’ai entendu dire que l’ermite nommé Unicorne (Ekaçrnga) s’est blessé au pied en gravissant la montagne et que, dans sa colère, il a prononcé une formule magique ordonnant que, pendant douze années, il ne plût pas.» Le roi alors publia un

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KING LU Y} SIANG (N° 453) 235

appel son peuple, disant) : « Siquelqu'un peut faire que cet ermite perde ses cinq pénétrations et devienne un de mes sujets ordinaires, je lui donnerai la moitié de mon royaume pour qu'il le gouverne. »

En ce temps, il y avait dans le royaume de Po-lo-nai

(Vârânasi) une courtisane nommée Chan-lo (Cântä), qui

était. belle et fort riche ; elle vint répondre à l'appel du roi. Cette courtisane dit : « Pour ce qui est de cet homme, je charge de le perdre. » Quand elle eut ainsi parlé, elle prit un plat d’or qu’elle remplit de beaux objets précieux et dit au roi : « Je viendrai à califourchon sur cet

-ermite. » La courtisane alors se procura cinq cents chars

dans lesquels, elle mit cinq cents belles femmes, et cinq cents chars tirés par des cerfs dans lesquels elle mit toutes sortes de pilules de joie (1) composées d’une multi- tude de plantes médicinales ; elle emporta aussi toutes sortes de bons vins très forts qui, par.la couleur et le goût, ressemblaient à de l’eau; (elle et ses compagnes) revêti- rent des vêtements d’écorces d'arbres et cheminèrent à travers les arbres de la forêt, de manière à ressembler

à des ermites. Elles se firent à côté de la demeure de l’er-

mite des huttes de feuillages (parnaçala) et s’y instal- lèrent.

L’ermite Unicorne (Ekacrnga), étant allé se promener, les vit; toutes ces femmes apportèrent de belles fleurs parfumées qu’elles offrirent à l’ermite; celui-ci en fut

_ joyeux; les femmes, avec de douces paroles et des expres-

sions respectueuses, s’informèrent de la santé de l’ermite ; elles l’introduisirent dans une chambre, l’assirent sur un bon lit moelleux, lui donnèrent du bon vin clair qu’elles disaient être de l’eau pure, et des pilules de joie qu’elles disaient être des fruits. Quand l’ermite eut mangé et bu à satiété, 1l dit aux femmes : « Depuis ma naissance, je

(1) Apparemment des aphrodisiaques.

236 KING LU Yi SIANG (N° 453)

n'ai jamais trouvé fruits ni eau pareils à ceci. » Les femmes lui dirent : « Nous pratiquons le bien de tout notre cœur: c'est pourquoi le ciel exauce nos désirs et nous trouvons ces fruits et cette eau. » L’érmite de-

manda aux femmes : « D'où vient que la couleur de votre _

peau est si luisante et si fraîche ? » Elles répondirent : « C’est parce que nous mangeons toujours de ces bons fruits et buvons de cette eau excellente. » L’ermite reprit: « Pourquoi ne vous installez-vous pas à demeure ici ? » Elles répondirent : « Nous pouvons bien demeurer ici. » Les femmes l’invitèrent à se baigner avec elles; les mains des femmes lui faisaient de légers attouchements et son cœur ému conçut des désirs luxurieux. Il perdit aussitôt ses pénétrations surnaturelles et le ciel fit tomber une grande pluie pendant sept jours et sept nuits. (La cour- usane) lui permit de se livrer aux plaisirs, de boire et de manger pendant sept jours.

Au bout de ce temps, le vin et les vivres furent entière- ment épuisés et on leur substitua de l’eau de la montagne et des fruits des arbres; mais le goût n’en était point agréable et (l’ermite) réclama les aliments qu’on lui don- nait auparavant. (La courtisane) répondit : « Il n'y en a plus ; allons maintenant en prendre ensemble ; non loin d'ici il y a un endroit on peut en trouver. Comme il vous plaira », dit l'ermite. Ils partirent donc ensemble ; non loin de la ville, la femme se coucha par terre en disant : « Je suis à bout de forces et ne puis plus mar- cher. » L’ermite lui répondit : « Si vous ne pouvez plus marcher, montez à califourchon sur mon cou, je vous porteral. »

La femme avait au préalable envoyé une lettre pour avertir le roi, disant : « O roi, sortez un instant, vous ver- rez ce que peut ma sagesse. » Le roi vit ce spectacle et demanda la courtisane) : « Comment y êtes-vous par- venue ? » Elle dit : « Par la force de mes artifices, il n’est

KING LU vi SIANG (N°5 453-454) 237

rien que je ne puisse encore faire. » (Le roi) ordonna que l’ermite demeurât dans la ville ; il lui fit des offrandes abondantes et le traita avec respect; il satisfit tous ses désirs ; il le nomma grand ministre.

uond - l’ermite eut‘ demeuré dans la ville pendant quelques jours, son corps s’amaigrit ; il songea à la fixité contemplative et fut las des désirs de ce monde. Le roi lui demanda pourquoi il n’était pas content, il répondit : « Quoique j'obtienne la satisfaction de mes cinq sortes de désirs, je songe toujours au séjour dans la forêt. » Le roi dit : « Mon but primitif était de mettre fin à la calamité de la sécheresse ; pourquoi ferais-je violence cet homme) en lui enlevant ce qu’il veut avoir. » Il le laissa donc partir. Quand l’ermite fut revenu dans la montagne, il se per- fectionna et progressa et, avant qu'il fût longtemps, re- couvra les cinq pénétrations. (Le Buddha dit) : « L’ermite Unicorne (Ekaçrnga), c’est moi-même’; la courtisane, c'est Ye-chou-l'o-lo (Yaçodharà). >

454.

CErip ss KXRVE He pp: 19 rev)

Autrefois, il y avait un brahmane qui ne se plaisait pas aux occupations de ce monde ; il vivait caché dans les mon- tagnes et méditait de tout son cœur sur la sagesse ; il entra alors dans une contemplation qui dura plus de trois cents années; la poussière et la terre couvraient son corps; les herbes et les arbres poussaient sur ses membres. Au pied de la montagne se trouvaient des brahmanes ayant femme et enfants, au nombre de plusieurs centaines de familles; tous, grands et petits, étaient allés un jour ensemble pour recueillir du bois de chauffage ; l’un d'eux monta sur un

238 KING LU Y1 SIANG (N° 454-455).

arbre pour casser et prendre des branches mortes ; mais la racine de l'arbre se rattachait au front du brahmane; quand l'arbre fut ébranlé, cela réveilla le brahmane de sa contemplation et il sortit de terre; en apercevant celui qui recueillait du bois mort, il lui demanda qui il était; l'autre répondit qu’il était un brahmane; questionné au sujet des autres personnes, il répondit que c’étaient sa femme et ses enfants; le brahmane dit en riant : « Voici plus de trois cents années que je suis entré en contempla- tion et je n'oserais pas encore me déclarer un brahmane ; comment pourrait-on supporter que vous autres preniez le titre de brahmane ? »

455.

(Frips XXX VI, HD; 19%)

Autrefois, à l'est de la ville de Chü-wer (Crâvasti), demeurait un brahmane qui était fort riche; son fils se maria en épousant la fille d’une famille on servait le Buddha; cette femme se conformait aux cinq défenses et observait les six abstinences; elle se plaisait constamment à faire des libéralités aux cramanas et aux religieux; comme elle exhortait son mari à exercer la charité, celui- ci se convertit et vint informer de ses intentions son père et sa mère; mais ces derniers s'irritèrent fort en s’écriant qu'il voulait les ruiner.

La femme prit alors de l’argent et des tissus de soie et les remit à son mari; celui-ci les confia à la servante qui gardait la porte de l'appartement intérieur; cette servante les donna à l’esclave qui gardait la porte extérieure et ce dernier alla les porter dans un temple du Buddha;ilen fit une libéralité aux cramanas, brüla des parfums et alluma

KING LU YI SIANG (N° 455) 239

‘des lampes. Le mari et sa femme prononcèrent ensemble ce vœu : « Si cette libéralité ne nous vaut aucun bonheur, ce sera fini; mais si elle doit nous procurer quelque bonheur, il faudra faire en sorte que les hommes du monde entier en soient tous témoins. »

En ce temps, la coutume était dans ce royaume que, au troisième jour du troisième mois, toute la population du pays se rendit sur la rivière pour y faire de la musique et pour se divertir; à ce moment donc, dans l’angle Sud-Est de l’espace, il y eut un personnage divin qui s’avança monté sur un cheval blanc et chevauchant à travers les airs; toute la foule levant la tête en haut et demandant qui était cette divinité, (ce personnage surnaturel), ré- pondit : « Demandez-le à ceux qui viennent après moi. » Un moment après se produisit un palais fait des sept sub- tances précieuses; une femme belle comme le jade y était assise seule; quatre grandes divinités volaient en tenant avec leurs mains ce palais ; la multitude demanda derechef : « O vénérable, quelle action méritoire avez-vous

accomplie ? » La femme belle comme le jade répondit, elle

aussi : « Demandez-le à ceux qui viennent après moi. » Soudain apparut encore un palais précieux avec quatre colonnes; un homme céleste et une femme belle comme le jade y étaient assis ensemble; devant, derrière, à gauche et à droite, quatre bandes de musiciennes les escortaient ; douze divinités soutenaient ce palais; la foule demanda encore : « Quelle action méritoire avez-vous commise ? » Mais (l’homme et la femme) répondirent aussi : « Demandez-le à ceux qui viennent après nous. » Au bout d'un moment apparurent deux démons pi-li (preta) ; leur taille mesurait trente pieds ; ils étaient noirs, maigres et affreux ; ils souffraient de la faim et de la soif; l’intérieur de leur corps était dévoré par le feu; chacun d’eux tenait en main une grande massue dont ils s'’assénaient des coups l’un à l'autre. La foule les ayant interrogés, ils

240 KING LU Y1 SIANG (N°° 455-456)

répondirent : « O hommes, avez-vous entendu parler du brahmane très riche qui demeurait à l'Est de la ville de Chô-wei (Crâvasti)? Celui qui est monté sur un cheval blanc, c'est l’esclave qui gardait la porte extérieure; la femme belle comme le jade qui se trouve dans le petit palais, c’est la servante qui gardait la porte de l’apparte- ment; les deux personnes qui sont dans le grand palais, c'est notre fils et la femme de notre fils. Quant aux deux démons que nous sommes, ils étaient le brahmane lui-même et sa femme ; dans leur existence antérieure ils avaient été stupides et insensés et n'avaient pas eu foi dans la vraie Loi; maintenant ils sont atteints par des calamités redoutables, mais ils n’ont plus le moyen d'y échapper ».

456.

(Trip KKXXNILChEp::08v°;)

A-nan-pin-lch'e (Anâthapindada) demeurait au pied de la montagne Vi-lien; il était fort riche en objets pré- cieux; les marchands venus de loin dans toutes les direc- tions lui faisaient des emprunts; tous ceux qui allaient à lui pour mendierrecevaient ce qu’ils demandaient. Un jour, il y eut cinq cents marchands qui voyageaient sur la mer lorsque leur bateau se rompit; toutes leurs richesses furent englouties ; ceux d’entre eux qui périrent ne furent pas peu nombreux.

Quelques-uns, grâce à des planches, purent sauver leur vie et se rendirent tous chez A-nan-pin-ich'e; le maitre de la maison leur prépara à manger. Il alla puiser de l’eau dans le puits et en retira des caisses d'objets précieux sur chacune desquelles était inscrit le nom de famille et le. nom-personnel (d’un de ces marchands). Quand ceux-ci.

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KING LU Y1 SIANG (N° 456-457) 241

eurent fini de manger, ils s’abandonnèrent à la douleur et, comme le maître de la maison leur en demandait la cause, ils lui répondirent : « Nous étions cinq cents compagnons qui voguions ensemble sur la mer; notre bateau chavira et disparut; ceux d’entre nous qui mou- rurent ne furent pas peu nombreux; en nous cramponnant à de petites planches, c’est à grand’peine que nous avons sauvé nos vies, mais nous avons perdu toutes nos richesses. Nous songions avec chagrin à nos compagnons lorsque nous vimes que les caisses d’objets précieux trouvées dans votre puits étaient sans doute les nôtres; nous ne savons comment cela s’est fait. »

- (A-nan-pin-lche) leur répondit : « Vous autres, quand vous êtes allés gagner votre vie en faisant le commerce, si vous aviez eu un cœur parfait, vous n'auriez rien perdu; cest seulement parce que vous n’aviez pas un cœur parfait que vous avez éprouvé des pertes. Pour moi, depuis des kalpas innombrables jusqu’à maintenant, je n'ai jamais cessé d’avoir un cœur parfait et il ne m'est point arrivé de tromper autrui ou de le dépouiller. {C'est pourquoi) tous les objets précieux qui ont été perdus accourent dans mon puits, Vous autres, prenez chacun les caisses sur lesquelles sont inscrits vos noms respectifs et allez-vous-en. »

157.

Chips XX NI CD D::00r)

Autrefois 1l y avait un homme appelé AHien-lche qui avait trois fois pris part (aux assemblées du quatrième mois on observe les) huit interdictions et qui avait entendu lire cette parole des livres saints : « Les yeux

IT, 16

242 KING LU y1 SIANG (N° 457)

des devas ne clignent pas. » Il s’était récité (cette phrase) et ne l’avait point oubliée. Cependant, ce Hien-tche était fort habile à voler le bien d'autrui; (il le dérobait) sous les yeux des gens sans qu'il s’en aperçussent. Le roi du pays, ayant perdu une perle, convoqua ses ministres à une délibération. Les ministres répondirent : « Nous avons appris qu’un certain Âien-iche est fort capable d’avoir fait ce vol. » Le roi ordonna par décret qu’on le fit venir et qu'on lui fit subir un interrogatoire, dans l’espérance de retrouver (la perle) ; mais il déclara qu’il ne l'avait pas volée. |

Le roi, qui était sage, ne se serait pas permis de faire violence à un homme ; il convoqua donc encore ses minis- tres pour qu'ils délibérassent. Un de ces ministres pro- posa : « Il faut avoir recours à un stratagème pour obtenir qu'il avoue ; il faut le charger d’une cangue et de chaînes et le mener sur la place publique on proclamera l’ordre de le mettre à mort; on lui donnera alors du vin jusqu’à ce qu’il soit ivre; puis on lui enlèvera ses chaînes; on le mettra au haut de la salle du palais; des chanteuses lui feront de la musique. Vous, à roi, vous ordonnerez à ces musiciennes, lorsque /ien-tche les interrogera dans son ivresse, de lui répondre : « C’est ici un palais de deva; nous sommes des devis qui sommes pour vous servir. Dans votre vie antérieure vous avez volé la perle du roi et c'est pourquoi vous avez obtenu de naître ici. »

Le roi se conforma à ce plan. Après que Âien-iche eut entendu (la réponse des musiciennes), il se dit (1) en son- geant silencieusement : « J'ai entendu cette parole des livres saints : «Les yeux des devas ne clignent pas ». Or ces femmes clignent toutes des yeux. En outre, pour avoir volé la perle, je devais aller dans les enfers. Ne serait-ce pas que le roi a fait une machination pour que j'avoue? »

(1) Au lieu de Æ, lisez +.

F RE RO OR © CS CN RER b L r 2

KING LU YI SIANG (N°5 457-458) 243

Alors il s’écria haute voix) : « C’est parce que je n'ai pas volé la perle que j'ai obtenu de naître dans la condition de deva! » Les musiciennes rapportèrent au roi ce qu'avait dit Âien-iche ; le roi en rit fort (et dit) : « Ce garnement n’a certainement pas volé ma perle.» Il le

relâcha donc et le laissa partir après lui avoir donné de l'or et des joyaux en abondance. En réalité, cet homme

avait volé la perle, mais, pour avoir récité une gâthà, il échappa au châtiment et reçut une récompense.

458.

(Trips, XXX NID: 60 F2)

Autrefois, il y avait un homme qui travaillait dans un champ à repiquer des plantes ; il était déjà près. de midi et on ne lui avait pas encore apporté de chez lui à manger. Or un religieux qui avait perdu son chemin arriva dans ce champ et lui demanda le repas de midi. Le paysan répondit qu'il consentait à le lui donner, mais qu’il désirait humblement que son hôte attendit un peu, car le repas qu’on devait lui apporter de chez lui était en retard. Le religieux lui dit : « Puisque la nourriture n’est pas arrivée, je voudrais du moins me rafraîchir la bouche. » Le paysan détacha alors de sa ceinture un fruit de ho-li-le (haritaka = terminalia chebula) et le lui donna; le religieux l’accepta et le mangea ; en outre, le paysan lui fit don d’une pièce de monnaie. Le religieux lui dit : « Vos sentiments. ont su me toucher, mais je ne puis vous payer de retour; je désire vous imposer les cinq défenses ; êtes-vous capable de les recevoir ? » L'autre répondit : « Moi, votre disciple, je suis dans la vie laïque ; il me serait difficile

244 KING LU Yi SIANG (N° 458)

d'observer l'ensemble des cinq défenses; je me bornerai à recevoir celle qui prescrit de ne pas tuer. »

Quand la vie de ce paysan eut prit fin, il alla naître dans la famille d’un roi; un jour la reine emmena cet enfant sur le bord de la rivière; elle se mit à chanter, à danser et à faire de la musique; comme elle s’était approchée de la rivière en tenant l’enfant dans ses bras, celui-ci lui échappa et tomba dans l’eau ; il fut avalé par un poisson et resta pendant sept jours dans son ventre sans souffrir de la faim ni de la soif; il descendit le courant du fleuve avec le poisson et parcourut ainsi plus de mille li; quand il fut arrivé dans le royaume d’aval, des gens prirent le poisson et le mirent en vente sur la place du marché. En ce temps, le souverain du royaume d’aval envoya des gens acheter du poisson; ils prirent celui-là, et, l'ayant rapporté à la ville se mirent en devoir de le couper avec un couteau. L'enfant, qui était dans le ventre, leur cria : « Faites bien doucement pour ne pas me blesser (1). » Alors on ouvrit le ventre du poisson et on aperçut un petit enfant d’une beauté sans égale; tout le royaume en fut Joyeux.

Cependant le souverain du royaume d’amont apprit ce qui était arrivé et dit : « Cet enfant est certainement mon fils. » Il envoya donc une lettre pour le réclamer. Le sou- verain du royaume d’aval répondit : « Puisque je lai trouvé dans le ventre d’un poisson; c’est le Ciel qui me l’a donné ; je ne veux pas vous le livrer. » Les deux sou- verains, pour vider leur différend, s’en remirent au grand roi; celui-ci rendit la sentence suivante : « Si le roi d’amont n'avait pas procréé ce fils et ne l’avait pas laissé tomber dans l’eau, comment le roi d’aval aurait-il pu le trouver ? Si, d'autre part le roi d’aval n’avait pas recueilli cet enfant, le roi d’amont pourrait-il le réclamer ? Tous

(1) Cf. p. 229-230.

d. hi ‘à

KING LU Y1 SIANG (N° 458-459-4160) 245

deux ont ainsi de bonnes raisons. Il faut, Ô rois, que vous établissiez entre vos deux royaumes un palais vous entretiendrez ensemble cet enfant dont le nom sera : « Le prince-héritier des deux royaumes.» Conformément à ces indications, on plaça donc l'enfant entre Les deux pays et on le traita en prince-héritier.

Le Buddha dit à ses disciples : « Autrefois il y avait un laboureur ; pour avoir fait don à un religieux d’un fruitet d'une pièce de monnaie, il obtint de devenir le prince- héritier de deux royaumes.»

459.

COPIDA RENE pr 617):

Lors d’une grande inondation qui soudainement sub- mergeait tout, les êtres vivants s'étaient réfugiés sur une hauteur pour éviter Le péril; ils étaient de nouveau sur le point de périr, lorsqu'un phénix vint tout à coup à l’en- droit se tenait un sage ; en s’attachant à ses ailes, celui-ci put monter sur un lieu élevé il fut à l'abri du danger de l'eau ; ceux qui ne s'étaient point encore éloi- gnés, apercevant alors des cormorans, s'’appuyèrent sur leurs plumes; mais ce cormorans plongèrent aussitôt au plus profond des eaux et en un instant (ces hommes) péri- rent noyés.

460.

CRD XKXVE h p61

Autrefois, il y avait un homme qui, en marchant dans la montagne, rencontra un démon mangeur d'hommes ; celui-

246 KING LU y1 SIANG (N° 460-461)

ci le saisit et voulut le dévorer. Cet homme implora sa pitié etle pria de le laisser vivre encore un instant pour qu'il pût lui poser une question ; ensuite il ne regretterait pas d’être dévoré. Le démon, ayant confiance en lui et croyant qu'il avait réellement une chose à lui demander, accéda à son désir. L'autre interrogea le démon en lui disant : « Pourquoi votre visage est-il blanc, vos pieds, vos genoux et votre ventre blancs également, tandis que toutes les autres parties de votre corps sont noires ? » Le démon lui répondit : « Je suis un être ainsi fait que je redoute la clarté du soleil ; je puis aller en tournant le dos au soleil, mais non en me dirigeant vers le soleil. Voilà pourquoi je suis blanc d’un côté et noir de l’autre. » Cet homme s'enfuit aussitôt en se dirigeant vers le soleil ; le démon en fut réduit à de vains regrets et ne put le reprendre.

NICE

(Trips, XXXNI, 4, -pr61ve)

Autrefois, il y avait un homme fort pauvre qui ne savait comment gagner sa vie ; il s'embarqua sur la mer, et, après avoir recueilli des richesses, revint chez lui. Il ren- contra un de ses bons amis et lui dit : « J'étais naguère fort pauvre ; mais maintenant j'ai gagné ces biens qui me permettront d'agir à mon gré; si ma mère se conduit d'une manière qui ne me plaît pas, je quitterai la maison de ma mère et m'en irai ; si ma femmese conduit d’une manière qui ne me plait pas, je chercherai une autre épouse.» Son ami lui répondit: « Non loin d'ici, des gens de grande sagesse remplissent la ville; vous devriez aller auprès d'eux pour leur acheter la sagesse ; sans que cela vous coûte plus de mille onces d'or, ils vous enseigne-

KING LU Yi SIANG (N° 461-462) 247

ront les principes de la sagesse.» Notre homme suivit cet avis ; il entra dans un village on servait le Buddha, et interrogea en détail quelqu'un qui lui répondit : « En cas de doute, avancez de sept pas, puis reculez de sept pas ; faites cela trois fois et alors la sagesse se produira.» Notre homme étant revenu de nuit chez lui, aperçut sa mère qui dormait en compagnie de sa femme ; il crut que c’était un homme étranger et tira son couteau pour le tuer; mais, préférant ne pas étre saisi par surprise, il alluma la flamme d’une grande lampe pour éclairer de loin ; puis il songea à la sagesse qu’il avait achetée Le matin même ; il avança et recula donc par trois fois suivant la recette qu’on. lui avait apprise ; sa mère alors se réveilla. Cet homme s’écria : « En vérité, c’est bien la sagesse ; comment ne vaudrait-elle que mille onces d’or ? » Il fit donc de nou- veau présent de trois mille onces d’or celui qui lui avait donné ce conseil.)

AG2.

CPAS EXNE 10e pe 0210.)

Autrefois il y avait un homme entre deux âges (1) qui possédaitdeux épouses. Étant allé chez la plus jeune, celle- ci lui dit : « Je suis jeune et vous êtes vieux ; je n’ai pas de plaisir à demeurer (avec vous); il vous faut aller habiter chez votre épouse âgée. » (Pour pouvoir rester), son mari

s’arracha ses cheveux blancs. Étant allé (ensuite) chez son

(1) L'édition de Corée, que suit l'édition de Tokyô, présente la leçon H$ 2, qui me parait être un équivalent, d’ailleurs assez obscur, de l'expression « entre deux âges ». Les trois textes des Song, des Yuan et des Ming nous offrent la leçon ff Hj 2 « faisant deux métiers », ce qui n’a aucun rapport avec le sujet de la fable.

248 KING LU y1 SIANG (N°: 462-463)

épouse âgée, celle-ci lui dit : « Je suis vieille et ma tête est blanche ; il vous faut enlever les cheveux noirs que vous avez sur la tête. » Il enleva donc ses cheveux noirs pour être blanc. Comme ïl répétait incessamment ce manège, sa tête devint entièrement chauve ; ses deux épouses le trouvèrent alors affreux et toutes deux le quit- tèrent ; il s’abîma dans son chagrin jusqu’à en mourir. (Cet homme), dans les temps passés, avait été un chien qui vivait entre deux temples dont l’un était à l’est de la rivière et l’autre à l’ouest. Quand le chien entendait le son de la ghantà, il allait aussitôt (dans le temple on l'avait frappée) pour y obtenir de la nourriture. Or, un jour, les deux temples firent résonner simultanément la plaque sonore; le chien se jeta à la nage dans la rivière pour la traverser ; mais, quand il voulait aller à l’ouest, il crai- gnait que la nourriture du temple de l’est ne fût meil- leure ; quand il allait vers l’est, il craignait derechef que la nourriture du temple de l’ouest ne fût meilleure ; en hésitant ainsi, il finit par périr noyé dans la rivière (1).

463.

(Trip., XXXVI, 4, p. 62 r°.)

Autrefois il y avait un homme qui avait entendu racon- ter que, dans un royaume étranger, se trouvait une ri- vière d’immortalité ; celui qui s’y trempait devenait im- mortel. Il se dirigea donc vers ce royaume étranger et s'arrêta pour passer la nuit chez un homme ; son hôte lui ayant demandé il voulait aller, il répondit qu’il allait étudier l’art de devenir immortel; l’hôte, qui avait conçu

(1) Ce chien parait être l'ancêtre de l’âne de Buridan.

KING LU Y1 SIANG (N° 463-464) 249

de mauvais desseins, dit alors au voyageur : « Je possède un arbre d'immortalité ; si vous pouvez vous mettre à mon service pendant un an pour faire tous les rudes ouvrages, je vous donnerai l’immortalité; pourquoi prendriez-vous

_la peine d’aller au loin ? » Le voyageur dit qu’il approuvait

la proposition et, pendant un an, il fit tous les plus rudes ouvrages sans manifester jamais le moindre déplaisir.

Quand l’année fut écoulée, son hôte, qui n'avait eu que l'intention de le tromper et qui ne possédait aucun arbre d’immortalité, le mena au milieu des montagnes et lui indiqua un arbre sur le bord d’un précipice en lui disant : « Voici l’arbre d’immortalité ; montez au sommet et, dès que je vous crierai de voler, répondez à mon commande- ment en vous jetant au vol. » Le voyageur à cause que sa foi était absolue, put, en montant sur cet arbre, s’élever en volant dans les airs et obtint ainsi le secret d’immor- talité.

En voyant cela, son hôte pensa : « Je. voulais le faire périr; comment ai-je eu assez de perspicacité pour trou- ver (précisément un arbre d’) immortalité ? » Il se mit donc à faire grand cas de cet arbre, croyant et disant qu’il était saint. À quelque temps de là, il se rendit avec son fils au pied de cet arbre ; le fils céda à son père le privilège de monter le premier, puis le fils éria : « Père, volez. » Le père aussitôt voulut voler, mais il tomba sur les rochers du précipice et son corps fut réduit en bouillie.

464. (FAP XX XVI h DE 62)

Autrefois il y avait un homme qui mettait en vente sur la place du marché un démon p'i-ye (piçâCa); quelqu'un

SEE dis

250 KING LU Y1 SIANG (N° 464)

qui désirait acheter ce démon demanda quel prix on en

exigeait ; le maître du démon répondit : « Deux cents

onces d’or. Quels talents merveilleux, reprit l’autre, a

donc ce démon pour que vous en exigiez une telle somme

d’or ? » Le marchand répondit : « Ce démon est fort habile;

il n’est rien qu'il ne fasse et on peut compter que, en un

jour, il accomplit autant de travail que cent hommes ; il

n'a qu'un défaut contre lequel je dois vous mettre en garde

par avance. » Comme l'autre lui demandait quel était ce l

défaut, il dit: « Quand vous voudrez charger ce démon |

de faire quelque chose, assignez-lui sa tâche pour le jour

et pour la nuit et nele laissez point en repos, car, s’il n’a

rien à faire, il nuira au contraire à son maître, » L'acheteur paya l'or et emmena son démon ; il le char-

gea de labourer et de semer ; puis, quand le labour et les

semailles furent terminés, il le chargea de soigner les

arbres ; quand les arbres eurent été soignés, il le chargea

encore de nettoyer le sol, puis de construire des habita-

tions, de piler et de broÿer le grain, de faire la euisine

et jamais il ne lui laissait aucun repos ; au bout de quel-

ques années, cela le rendit fort riche. Or, un jour, le

maître, ayant quelque affaire, dut se rendre à une invita-

tion ; Aloublia d'assigner sa tâche au démon qui, lorsqu'il

voulut se remettre au travail, n’eut plus de programme ; lé’ démon prit alors le fils de son maître, le mit dans la marmite, alluma du feu et le fit bouillir. Au retour du maitre, le fils était cuit à point; le maïître fut affligé et éprouva une profonde irritation, mais il ne sut pas en dé- finitive que dire.

LR SEE FE TT

Re | à à

KING LU YI SANG (N°. 465) 251

468.

3

(Trip, XXXVI, 4, p. 62 v°.)

Autrefois deux hommes étaient devenus amis ; la femme de chacun d’eux se trouvant enceinte, ils se promirent par serment que, si l’un des enfants à naître était un gar- <on et l’autre une fille, ils les: marreraient l’un à l’autre. Le père du garçon mourut prématurément; le jeune homme était devenu grand et ne s’était pas encore marié, lorsqu’en allant vendre divers objets, il arriva par hasard dans la maison de la jeune fille. Le père de celle-ci lui demanda d’où il venait, il demeurait, quels étaient le nom de famille et le nom personnel de son père et de sa mère. Le jeune homme répondit point par point; en l’entendant, le père fut grandement surpris et lui dit : « Lorsque votre père était encore de ce monde, lui et moi nous avons échangé une promesse de mariage utérine (1);

je vous ai constamment cherché, mais:je ne savais pas

vous étiez; ma fille n’a point encore osé se marier. » Le

jeune homme dit : « Je ne savais rien de tout cela. » Le

père de la jeune fille ajouta : « Interrogez vos parents et vos proches. » | | ae)

A son retour, le jeune homme interrogea sa mère qui l'avait allaité et reconnut que la chose était vraie. Il se rendit (donc de nouveau) chez la jeune fille ; sur la route il apercut ‘un filet d’eau qui entrait dans un crâne sans

jamais le remplir. Le jeune homme en fut effrayé. Pour-

suivant sa route, il vit encore des fruits mürs sur un arbre; il voulut Les prendre pour les manger ; les fruits se mirent

sf | (1) On me permettra ce néologisme qui donne à entendre que les deux enfants ont été fiancés l’un à l'autre quens ils étaient encore dans le ventre de leurs mères respectives.

252 KING LU YI1 SIANG (N° 465)

à lui dire : « Prenez-moi ! prenez-moi! » Le jeune homme eut grand’peur ; il se mit à courir à toute vitesse et tomba par terre ; avançant toujours, 1l arriva à la de- meure de la jeune fille; la chienne vint à sa rencontre, se mit à deux genoux et lui lécha les pieds ; mais les petits qui étaient dans le ventre de la chienne avancèrent en aboyant d’effroi et voulaient le mordre; alors de nouveau il tomba à terre et ne reprit ses sens qu’au bout d’un long temps.

Le père de la jeune fille étant venu au-devant de lui hors de la maison, il lui exposa tout ce qui s’était passé ; le père trouva cela fort extraordinaire et rentra pour le raconter à sa fille. La jeune fille répondit à son père : « Avoir vu sur la route un filet d’eau qui coule dans un crâne sans jamais le remplir, cela signifie que, dans les générations à venir, on rassemblera tout ce qu’il y a dans le monde de richesses et de joyaux pour le donner à un homme sans parvenir à le satisfaire. Qu'on ait vu sur un arbre des fruits qui étaient mürs, qu'on ait voulu les prendre pour les manger, mais que les fruits aient dit alors : « Prenez-moi! Prenez-moi! » cela signifie que l’homme qui apparaîtra dans les générations à venir vou- dra demander la fille aînée, mais la fille cadette lui dira : « Pourquoi ne me recherchez-vous pas? Pourquoi ne me recherchez-vous pas ? » Que la chienne soit venue à la rencontre (du jeune homme), qu’elle se soit mise à genoux et qu’elle lui ait léché les deux pieds, mais que les petits qui étaient dans le ventre de la chienne aient aboyé d’effroi et aient avancé pour le mordre, cela signifie que, lorsque l'homme qui apparaîtra dans les générations à venir par- lera aux autres, sa bouche sera comme onctueuse, mais son cœur sera semblable à.un poinçon et à un couteau ; à l'extérieur il paraîtra satisfait des autres, mais à l’inté- rieur il formera contre eux de mauvais desseins. Toutes ces choses se passeront dans les générations à venir et ne

KING LU Yi SIANG (N° 465-466) 253

sont point d'aujourd'hui. » Alors on maria la jeune fille au jeune homme, conformément au projet qui avait été fait primitivement.

466.

(Trip XX NICR-DE 62%)

Autrefois un homme de bonne famille avait deux fils; il remit à chacun d’eux deux millions de pièces de mon- naie pour qu'ils allassent faire le commerce. Le fils aîné dépensa tout cet argent au jeu de dames; les vêtements en lambeaux, il revint l’annoncer à son père; celui-ci lui dit : « Puisque je vous ai conservé, cela suffit ; qu’im- porte que vous ayez dépensé l'argent ? » Il lui donna des vêtements, le fit boire et manger et le consola.

Le fils cadet revint (de son côté) annoncer à son père qu’il avait fait un gain de deux millions de pièces de mon- naie ; le père lui dit : « Apportez-moi vos notes. » Quand ils eurent vérifié le compte ensemble, il s’en fallait de quelques milliers de pièces de monnaie ; (le père) attacha alors (le fils cadet) et le battit. (Le fils cadet) alla à trois reprises (faire le commerce) ; il gagna un bénéfice de six millions de pièces de monnaie, et, chaque fois, à son retour il était battu.

Le fils aîné partit ainsi trois fois et perdit six millions de pièces de monnaie. Il s'arrêta dans un royaume étran- ger et ne revint plus; s'étant mis en la compagnie de gens sans aveu, illeur dit : « Mon père possède un coffre plein d’or, un autre d’argent et un autre de perles blanches qui se trouvent à la tête de son grand lit. Retournez an- noncer à mon père que, par ma stupidité, j'ai perdu mes richesses et que je n’ose pas revenir. Prenez alors le mo- ment favorable pour tuer mon père et vous emparer de

254 KING LU Y1 SIANG (N° 466-467)

ses richesses que vous m'apporterez ; quañd nous les au- rons, nous les dépenserons ensemble. » Ces hommes arri- vèrent donc à sa demeure et furent reçus par le père au- quel ils rapportèrent ce que le fils leur avait dit de dire; en entendant cela, le père versa des larmes et s’écria : « Qu'importe qu'il ait dépensé l’argent? Pourquoi mon fils ne revient-il pas ? » Même en mangeant et même en se reposant, il se désolait et sanglotait. Les étrangers lui dirent : « Votre fils est dépourvu de piété filiale ; il a dépensé ses richesses à faire le mal ; quand il les eut entièrement dissipées, il nous a chargés de venir pour vous tuer et pour prendre votre or et votre argent. Nous voyons que vous chérissez ce fils et que vous nous traitez fort bien ; aussi notre cœur a-t-il été touché. » Le père répondit : « Mon fils cadet est encore plus insensé. » IL envoya alors des gens chercher son fils aîné en lui faisant dire : « Puisque vous avez perdu l’argent, revenez vite ; à quoi bon prononcer de folles paroles ? » Il lui fit faire de nouveau des vêtements qu'il lui donna.

Le maître dit : (La conduite du père s'explique par le fait que) le fils cadet avait à payer une dette contractée dans une existence antérieure, tandis que le fils aîné avait à réclamer une créance (dont son père) lui était rede- vable dans une existence antérieure.

A67.

(Trip, XXXVI, h, p. 63 r°.)

Autrefois trois hommes qui faisaient ensemble le com- merce reçurent chacun pour sa part cinq millions de pièces de monnaie; restait une seule pièce de monnaie; si on l’avait donnée à un seul d’entre eux, ce n’eüt pas été

KING LU Y1 SIANG (N° 467) 255

juste; quant à la briser pour la partager, c'était une chose qui ne se faisait pas. En ce moment un cramana quétait ; les trois hommes proposèrent ensemble de donner la pièce au çramana ; chacun d’eux approuva fort ce projet, et, la tenant ensemble dans leurs mains, ils la donnèrent. Le cramana prononça alors ce vœu magique : « Cela fera que dans cette vie et dans les existences futures vous rece- vrez tous le bonheur résultant de cette (bonne action). » Tous trois naquirent (plus tard) dans le royaume de Lo- yue (Râjagrha) et chacun d’eux devint puissant et riche ; l’un de ces hommes s’occupait de travaux dans la mon- tagne et y récoltait de l'or; un autre s’occupait de labou- rer un champ et y recueillait de l’or ; le troisième s’oc- cupait de puiser de l’eau dans un puits et en retirait de l'or. Ils recevaient ainsi le bonheur résultant de la libéra- lité qu’ils avaient faite dans une vie antérieure. Le roi du pays, apprenant ce qui se passait, fit cette réflexion : « Dans mon royaume, hommes et choses tout m’appar- tient. » Emmenant alors avec lui des soldats il se rendit dans la montagne pour y prendre (l'or), mais l’or se chan- gea en pierres ; il alla ensuite chez l’homme qui, en labou- rant, recueillait de l’or; mais l’or se changea en terre; il vint enfin chez l’homme qui,en puisant dans un puits, reti- rait de l’or; mais l’or se changea en tessons d'argile. Nulle part il ne put rien trouver. Le roi demanda au Bud- dha : « Les sommes d’or que possèdent ces trois hommes sont sans doute à moi ; j'ai été chez eux pour les prendre; mais partout (l'or) s’est transformé et je n’ai pu obtenir cet or. Quelle action méritoire ces trois hommes ont-ils accom- plie dans une existence antérieure pour attirer maintenant sur eux ce bonheur ? » Le Buddha lui raconta tout ce qui s'était passé (et ajouta) : « Ge ne sont point des richesses qui appartiennent au roi; roi, vous ne devez pas les prendre. »

256 KING LU Yi SIANG (N° 468)

468.

(Trip., XXXVI, 4, p. 63 r°.)

Autrefois il y avait un homme pauvre qui faisait des offrandes à un religieux; au bout d’un an, celui-ci s’en alla en donnant à son hôte une jarre de cuivre et en lui disant : « Cette jarre est magique ; si on en frappe le goulot, on obtient tout ce qu’on demande; mais gardez- vous d'inviter chez vous le roi du pays. » Après que le religieux) l’eut quitté, (notre homme) se mit à frapper sa jarre et devint bientôt extrêmement riche ; oubliant la re- commandation du religieux, il invita le roi à venir chez lui ; le roi lui demanda la cause de sa richesse et il répon- dit en racontant la vérité. Le roi aussitôt lui enleva de force sa jarre et il redevint d’une extrême pauvreté. Il se souvint alors du religieux et, allant à sa recherche dans les quatre directions de l’espace, l’aperçut ; il lui exposa ce qui s'était passé ; le religieux lui dit : « II vous faut absolument cette jarre; je vous donne un vase qui est rempli de bâtons et de pierres ; apportez-le à la porte du roi et réclamez la jarre. » (Notre homme) se rendit tout droit à la porte du roi et se mit à réclamer sa jarre à grands cris; le roi, l’entendant, fut très irrité et envoya quelques dizaines d'hommes pour se saisir de lui ; maisil ouvrit (le vase) et en fit sortir bâtons et pierres qui, volant comme le vent, allèrent de çà et de dans l’espace ; les corps des envoyés du roi furent atteints par ces bâtons et ces pierres qui leur brisèrentle crâne. Le roi envoya encore mille hommes qui furent écrasés avec une violence prompte comme le vent; leurs cadavres obstruaient la porte. Saisi de terreur, le roi demanda à rendre la jarre.

KING LU Yi SsIANG (N°5 468-269) 257

Quand notre homme eut retrouvé sa jarre, il devint de nouveau fort riche; il accomplit une infinité d'actions mé- ritoires, et, après sa mort, il obtint de naître dans la con- dition de deva.

469.

(Trip, XXXNE Ap: 6h +)

Autrefois il y avait un homme qui marchait dans une région de marécages déserts lorsqu il aperçut un éléphant noir ; cet homme songea : « Cet éléphant va certaine- ment venir me mettre à mal ; il faut que je le tue. » L’élé- phant pensa de son côté : « Cet homme va certainement me tuer; il faut que je le menace. » L’homme alors se sauva en ayant l'éléphant à ses trousses ; il courut devant lui pendant plusieurs li jusqu’à ce qu’il tombât dans un ravin profond; ce ravin était absolument insondable ; il parvint à s’accrocher sur le flanc de la paroi à une racine d'arbre grosse comme le doigt; il se laissa descendre le long de cette racine ; il était ainsi suspendu sur le côté de l’abîme ; l’éléphant était en haut du ravin et cherchait à le prendre avec sa trompe; il s’efforçait de l’attraper sans y parvenir; en bas, si on regardait vers le fond, on ne voyait que des lances et des piques ; en outre deux rats rongeaient simultanément la racine d’arbre ; puis trois serpents noirs sortaient la tête dans l'intention de mordre; enfin des moustiques venaient piquer les yeux de l’homme. Celui-ci pensa : « Je vais mourir aujourd’hui. » Levant la tête vers le Ciel, il implora son secours avec une voix si pitoyable etavec une intensité d'émotion telle que le Ciel fit tomber des gouttes d’ambroisie dans sa bouche. Dès qu'il reçut la première goutte, les deux rats se retirèrent; à la seconde goutte, les serpents venimeux le quittèrent;

IL. 17

258 KING LU Y1 SIANG (N°5 469-470)

à la troisième goutte, l'éléphant noir s’en retourna; à la quatrième goutte, les moustiques disparurent; à la cin- quième goutte, le gouffre profond s’aplanit et l'homme se trouva dehors sur un sol plat ; enfin le Ciel le guida mira- culeusement pour le faire revenir en haut parmi les devas.

170.

(Trip., XXXVI, 4, p-6hx°.)

Autrefois un homme avait fait la charité avec trois pièces de monnaie et avait demandé la réalisation de trois sou- haits : le premier était de devenir plus tard roi d’un royaume; le second, de comprendre le langage de tous les animaux; le troisième, d’avoir des connaissances fort étendues. Quand il fut mort, il naquit en qualité d'enfant d’un homme du peuple; il avait un extérieur fort beau ; le roi ayant ouvert un concours pour recruter ceux qui seraient à ses côtés, il se présenta au concours et fut admis à servir auprès du roi. Il aperçut une hirondelle dans son nid et, levant la tête, la regarda, puis se prit à rire. Le roi lui ayant demandé pourquoi il riait, il répondit : « Cette hirondelle a dit qu'elle avait trouvé un cheveu d’une fille de nâga qui est long de cent pieds et elle appelle ses com- pagnes pour le regarder. » Le roi dit : « Si ce que vous dites est vrai, c’est bien; dans le cas contraire, je vous tuerai. » ILenvoya donc des gens regarder dans le nid et le cheveu fut aussitôt trouvé.

Le roi désira alors prendre cette fille pour femme; il dit au jeune garçon : « Puisque vous comprenez le langage des oiseaux, vous devez avoir beaucoup de stratagèmes; je vais vous donner des provisions de bouche et vous irez me chercher cette fille ; si vous la trouvez, je vous don-

KING LU Y1 SIANG (N° 470) 259

nerai de grandes récompenses; si vous ne la trouvez pas, je vous tuerai, vous et votre famille. »

Le jeune garçon, bravant la mort, se rendit donc sur le rivage de la mer orientale : il aperçut deux hommes qui se disputaient la possession d’un chapeau rendant invi- sible, de souliers permettant de marcher sur l’eau, d’un bâton frappant à mort. Le jeune garçon leur dit : «A quoi bon tant discuter ; je vais lancer une flèche; vous courrez après elle et le premier de vous deux qui l’atteindra, on lui donnera les trois objets. » Les autres ayant approuvé cet avis, il tendit son arc et lança une flèche; nos deux hommes de courir à l’envi ; pendant ce temps le jeune garçon mit le bonnet, chaussa les souliers et prit le bâton; il entra tout droit dans la mer et arriva chez le nâga ; il enleva alors le bonnet rendant invisible et se fit voir à la fille du nâga ; les femmes étant fort sensuelles, celle- ci suivit aussitôt le jeune garçon et, prenant en main une galette d’or, revint avec lui dans le royaume étranger.

Le roi envoya un messager à leur rencontre pour ordon- ner que la jeune fille entrât seule ; elle s’avança donc; mais le jeune garçon entra à sa suite en se coiffant du chapeau rendant invisible. La jeune fille, voyant que le roi était laid, lui jeta sa galette d’or, en sorte que le front du roi fut brisé et que sa vie prit fin. Le jeune garçon enleva alors son bonnet; il monta avec la jeune fille dans la salle du trône et cria d’une voix forte : « C’est moi qui dois être roi. » La jeune fille devint reine et il eut la souveraineté dans le monde.

260 KING LU Y1 SIANG (N° 471)

71.

(Trip., XXX VI, 4, p. 65 r°.)

Autrefois il y avait une jeune fille qui possédait de fort beaux cheveux brun foncé; ses cheveux étaient aussi longs que son corps; la femme du roi du pays lui avait proposé milles livres d’or pour sa chevelure mais elle n'avait pas voulu la donner. Cette jeune fille vit le Buddha, et, toute joyeuse, voulut lui faire une offrande; elle pria son père et sa mère de l’inviter à venir; mais son père et sa mère lui répondirent : « Nous sommes fort pauvres et nous n'avons rien à lui donner à manger. » La jeune fille dit : « Prenez le prix de ma chevelure et servez-vous en pour faire une offrande. » Le père et la mère annoncèrent au Buddha leur désir qu’il voulût bien venir un instant le lendemain pour prendre un modeste repas. La jeune fille coupa sa chevelure et l’apporta à la femme du roi; celle-ci, sachant qu’elle était pressée par la nécessité, ne lui en donna que cinq cents livres d’or. La jeune fille prit l'or, acheta des aliments et éprouva une joie sans limites ; elle regretta d’avoir été avare dans une vie antérieure, ce qui était la cause de sa pauvreté dans la vie présente : « Puissé- je, (disait-elle), ne plus me trouver à l’avenir dans pareille misère. » La jeune fille aperçut l’'Honoré du monde et un éclat doré multicolore illumina l'intérieur de la porte; prosternée la face contre terre, elle tourna trois fois. autour du Buddha. Ses cheveux repoussèrent tels qu’ils étaient auparavant.

Le Buddha dit : « Dans une vie antérieure, cette jeune fille était pauvre et n'avait rien qu'elle püt donner ; con- stamment, elle tenait sa tête appliquée contre le sol pour rendre hommage; (c’estpourquoi) pendantles quatre-vingt-

KING LU YI SIANG (N° 471-472) 261

un kalpas qui suivirent, elle naquit toujours dans la condi- tion humaine. Cette cause de bonheur étant épuisée, elle est née maintenant dans une famille pauvre; encore elle à su faire un acte méritoire etelle s’estréjouie en me voyant; la prospérité qu’elle s’est ainsi assurée sera sans limites ; après sa mort, elle devra naître en haut comme le second des devas Trayastrimças ; quand elle aura terminé le bonheur et la longévité de (sa vie de) devi, elle conservera les sentiments sages d’un Bodhisattva. Le père, la mère, ainsi que les frères aînés et cadets de la jeune fille se sont tous réjouis, et c’est pourquoi, à leur mort, ils renaîtront comme devas. »

472.

(Frip XXXNTI NE p-:69v2;)

Une femme se trouvait enceinte depuis plusieurs mois lorsqu'elle vit le Buddha et l'assemblée des reli- gieux; elle fit alors dans son cœur cette réflexion : « Puissé-je mettre au monde un fils tel que ces hommes. Je le ferai devenir çramana pour qu'il soit disciple du Buddha. » Quand le terme fut arrivé, elle enfanta un fils qui, par son exceptionnelle beauté, se différenciait de la foule; quand son fils eut sept ans, comme elle était pauvre, elle ne put préparer que de la nourriture pour deux personnes et trois vêtements de religieux; puis, tenant en main une cruche à ablutions, elle emmena son fils auprès du Buddha et lui dit: «Je désire que vous ayez pitié de mon fils et que vous le fassiez devenir cramana. » Le Buddha y consentit et lui ordonna de se servir de la cruche pour laver les mains de l'enfant ; aus- sitôt neuf nâgas sortirent de l'embouchure de la cruche et crachèrent de l’eau dont ils arrosèrent l'enfant; ils firent

262 KING LU YI1 SIANG (N°5 472-473)

jaillir de l’eau et la répandirent sur la tête de l’enfant, mais elle se transforma en un dais de fleurs au centre duquel se trouvait un trône de lion; sur ce trône était le Buddha ; le Buddha rit en émettant une clarté bigarrée qui éclaira les dix centaines de mille de ksetras du Buddha, puis revint en entourantle corps du Buddhaet rentra par le som- met du crâne de l'enfant. La mère offrit au Buddha les mets qu’elle avait préparés, et, en même temps en donna à manger à son fils; elle conçut le sentiment de la sagesse sans supérieure et les dix centaines de mille de ksetras du Buddha en furent ébranlés à six reprises; tous les Buddhas se montrèrent; avec la nourriture. qu'avait apportée la mère on fit des libéralités à toute cette foule de Buddhas ainsi qu’à l'assemblée des bhiksus et tous furent rassasiés sans jamais manquer de rien. Les cheveux de l’enfant tombèrent d'eux-mêmes et il devint çramana; il put alors se tenir dans la condition d’avivartin.

N°79:

(Trip. XXXVI, 4, pp. 65 v°-66 1°.)

Autrefois, à l’est de la ville de la Résidence royale (Râjagrha), il y avait une vieille matrone qui était avare, rapace et incroyante; sa servante (au contraire) déployait toute son énergie et agissait toujours avec un cœur bien- veillant ; elle songeait à accomplir deux actes qui étaient profitables à la foule des êtres vivants : le premier consis- tait à ne jamais prendre de liquide bouillant pour le répandre à terre (1); le second consistait à laver les grains de riz qui étaient restés dans les ustensiles de cuisine et

(1) Apparemment parce que le liquide bouillant aurait pu tuer les me- nus êtres vivants qui se trouvent à la surface du sol.

KING LU Y1 SIANG (N° 473) 263

à s’en servir toujours pour faire la charité aux hommes.

La vieille matrone devint malade et n'avait déjà plus que le souffle; son âme l’emmena et entra dans les enfers; elle y aperçut des chars de feu, des brasiers de charbon ardent, des chaudières l’eau bouillonnait; il y avait des montagnes de couteaux et des forêts d’épées qui produisaient des variétés infinies de souffrances; à ce spectacle, la vieille matrone demanda ce que c'était que cela ; un sbire des enfers lui répondit: « Ce sont ici les enfers; à l’est de la ville de la Résidence royale (Râjagrha), il y a une vieille matrone avare et rapace qui doit entrer ici. » La vieille matrone se reconnut et, toute effrayée, se sentit pénétrée de tristesse.

Elle marcha un peu plus avant et rencontra une rési- dence princière faite avec les sept joyaux; des musiciennes s’y trouvaient par centaines et par milliers, et on y voyait toutes sortes d'objets précieux; elle demanda ce que c'était que cela; on lui répondit : « C’est un palais de devi ; à l’est de la ville de la Résidence royale (Râjagrha), il y a une vieille matrone avide et rapace dont la servante s'applique au bien avec énergie; quand cette servante

sera morte, elle renaitra ici. » Cependant, la vieille matrone, ayant repris soudain ses

sens, se souvint des choses qu’elle venait de voir ; elle dit donc à sa servante : « Vous devez naître en qualité de devi; mais vous êtes ma servante; comment pourriez-vous être seule à recevoir de tels avantages; il faut que vous les partagiez avec moi.» La servante lui répondit : « Si cela pouvait se faire, je m'empresserais de vous obéir; mais je crains que le mal et le bien ne soient conformes aux actes et quon ne puisse donc les partager avec d'autres. » La matrone alors cessa d’être avare et rapace et accomplit un grand nombre d'actions méritoires.

264 KING LU Y1 SIANG (N° 474)

474.

(Trip, XXXNTI 4, p.66 6:)

Autrefois le Buddha Weri-wei (Vipaçyin), accompagné de la foule des soixante-deux mille bhiksus, venait de sortir des montagnes pour retourner chez le roi son père. Le roi du pays détacha hors de la ville un domaine pour y élever des habitations pures (vihära); chacun des bhiksus obtint son lot de terre ; or, un bhiksu dit à ses voisins qu'il désirait qu’on lui construisit une demeure ; les hommes n’y consentirent pas, mais une vieille femme d’une de ces familles lui fit de ses propres mains une demeure ; quand elle eut terminé la maison, ses dix doigts étaient tout déchirés.

Le bhiksu s’assit dans cette demeure et se mit en con- templation ; dès la première nuit, il entra dans le samä- dhi de l'éclat du feu ; dans la maison parut un grand feu ; la vieille femme l’aperçut de loin et songea : « À peine ai- je construit cette maison que la voici incendiée ; pourquoi ai-je si peu de bonheur ? » Mais, quand elle entra dans la maison, elle la trouva telle qu'auparavant ; seulement, au milieu d’un éclat de feu, on apercevait le bhiksu. Elle en conçcut une grande joie.

Quand sa vie prit fin, elle naquit en qualité de devi ; au moment Çâkya devint Buddha, sa destinée de devi n'était point encore terminée ; elle descendit et vint dire au Buddha : « Demain j'offrirai un repas au Buddha et à l'assemblée des religieux. » Le Buddha accepta par son silence. Cependant le roi Po-sseu-nt (Prasenajit) avait aussi envoyé des gens adresser une invitation au Buddha ; le Buddha ayant répondu qu'il avait déjà accepté l'invi- tation d’une devi, le roi dit : « Je n'ai jamais vu qu’une

KING LU Yi SIANG (N° 474) 265

personne ayant la qualité de devi soit descendue pour faire des libéralités ; comment cela pourrait-il se pro- duire ? » Le lendemain donc il envoya des gens épier ce qui se passerait ; ils n’aperçcurent aucun préparatif fait pour des libéralités ; ils entrérent dans tous les coins de la maison et n’y trouvèrent pareillement que le silence. Le roi ordonna alors qu’on préparât des mets excellents en disant que, si personne d’autre ne s’en occupait, il ferait une offrande.

À midi, la devi arriva ; elle n’apportait avec elle aucune nourriture ; mais elle était accompagnée de toute la foule des femmes célestes qui, jouant toutes sortes d’airs de musique, s’arrétèrent en adorant le Buddha. Quant le moment qu’elle avait annoncé fut arrivé, la devi agita son mouchoir et toutes les choses se trouvèrent disposées en ordre ; quand on eut fait passer l’eau, elle agita encore la main et aussitôt des mets de cent saveurs sortirent de la cuisine tandis que de l'ambroisie apparaissait sur le sol ; de ses propres mains elle servit à boire et toutes les per- sonnes de l'assemblée furent rassasiées. A ce spectacle, le roi s'émerveilla ; quand on eut fini de se laver les mains, il dit au Buddha : « Je ne comprends pas bien quel prin- cipe de bonheur cette devi a eu dans une vie antérieure pour que ses mains puissent produire des mets de cent saveurs. Comment sa vertu, créatrice de bonheur a-t-elle pu être telle ? » Le Buddha expliqua au roi que, dans une existence antérieure, elle avait construit de ses propres mains une habitation pour un bhiksu ; c’est pourquoi elle devait vivre en qualité de devi pendant quatre-vingt-onze kalpas et ses mains pouvaient produire toutes sortes d'objets et encore le bonheur qui l’attendait n’était-il point encore terminé.

266 KING LU Y1 SIANG (N°5 475-476)

475.

(Trip., XXXIV, 4, p.66 r°.)

Une mère avait deux fils ; l’un d'eux ne savait pas nager; il tomba à l’eau et périt; sa mère ne se lamenta point, L'autre, qui savait nager, tomba aussi à l’eau et se noyà ; sa mère se désola à son sujet. Quelqu'un lui dit : « Pour votre premier fils, vous ne vous êtes point lamentée ; pourquoi vous lamentez-vous sur le second ? » La mère: répondit : « Le premier ne savait pas nager; aussi lui est-il arrivé ce qui devait arriver; mais le second était habile nageur; aussi sa mort est-elle injuste. »

N°70: ;

CFrips XX RNA, pr06".)

Autrefois il y avait un homme qui était incroyant, tandis que sa femme au contraire, honorait fort le Buddha. Cette femme dit à son mari: « La vie humaine n’est pas perma- nente; il importe de pratiquer une vertu productrice de bonheur. » Le mari restant indifférent et indolent, sa femme craignit que, plus tard, il n’entrât dans les enfers; elle lui dit donc derechef : « Je me propose de suspendre une sonnette en la fixant au-dessus de la porte; chaque fois que vous entrerez ou sortirez, vous heurterez la son- nette qui résonnera et alors vous direz : Invocation à Buddha! » Son mari approuva très volontiers cette pro- position et il en fut ainsi pendant fort longtemps. Quand le mari mourut, un sbire des enfers le saisit avec une

KING LU Yi SIANG (N°5 476-477) 267

fourche et le jeta dans une chaudière d’eau bouillante; la fourche vint à heurter la chaudière qui résonna; le mari crut que c'était le son de la sonnette et prononça : « Invo- cation à Buddha! » En entendant ces mots, le magistrat des enfers jugea que cet homme honorait le Buddha; il le relächa donc et le laissa sortir en sorte que ce mari obtint de naître dans la condition humaine.

NCA. CMD AA X NE RD -070v0) Un homme et sa femme n'avaient pas de fils; ils offri-

rent des sacrifices au dieu du ciel en demandant une pos- térité. Le dieu la leur promit. (La femme) devint donc en-

ceinte et elle accoucha de quatre objets ; le premier était

un boisseau en {chan-l'an (tandana, santal) rempli de riz; le second était une jarre pleine d'ambroisie; le troisième était un sac de joyaux ; le quatrième était un bâton ma- gique à septnœuds. Ces gens direnten soupirant : « Nous avions demandé un fils et voici que nous mettons au monde ces autres objets. » Ils allèrent auprès du dieu pour lui demander de nouveau ce qu'ils désiraient. Le dieu leur dit : « Pour désirer un fils, quel avantage y voyez-vous ? » Ils répondirent : « Un fils subviendrait à nos besoins.» Le dieu répliqua : « Maintenant ee bois- seau de riz est inépuisable; cette jarre d'ambroisie et de miel ne diminuera pas quand vous mangerez (ce qu’elle contient) et en outre elle enlèvera toutes les maladies ; le sac plein de joyaux ne se dégonflera jamais ; le bâton magique à sept nœuds vous protégera contre les méchants. Comment un fils aurait-il pu faire tout cela ? » Ces gens furent très contents ; rentrés chez eux ils mirent (ces ob-

268 KING LU Y1 SIANG (N° 477-478)

jets) à l'essai et tout se passa, vraiment comme on le leur avait dit ; ils obtinrent donc des richesses incalculabies. Le roi du pays en fut informé et envoya aussitôt une troupe de soldats pour les dépouiller par la force ; mais l'homme priten main le bâton qui, volant en tout sens, frappa les ennemis etles brisa en morceaux ; toute cette forte bande se retira en désordre. Nos gens furent tout joyeux et dès lors n’eurent plus d’ennuis.

478.

(Trip., XXX VI, 4, p. 67 ve-68 r°.)

Pour montrer que les gens débauchés préfèrent causer la mort de ceux qui leur sont apparentés plutôt que de renoncer aux actes de luxure, (voici ce qu'on raconte) : À côté de la ville de Chü-wet (Grâvasti), il y avait une femme qui, prenant dans ses bras son enfant et tenant une cruche, était allée au puits pour y puiser de l’eau; or, un jeune homme d'une grande beauté était assis à droite du puits et s'amusait en jouant de la guitare. Cette femme, qui était luxurieuse, désira se livrer au plaisir avec ce jeune homme et celui-ci de son côté la trouva à son gré; dans son égarement cette femme attacha son enfant par le cou et le suspendit dans le puits; quand elle revint pour l'en tirer, l'enfant était déjà mort. Navrée de douleur elle : invoquait le ciel, versait des larmes et prononçait des stances.

-Le Buddha réunit une grande assemblée et dit aux bhiksus : « Quand le feu de la luxure est allumé, il peut brûler le principe de l'excellence ; l’homme qui est égaré par les désirs sensuels ne connaît plus le bien et le mal, ne distingue plus entre le noir et le blanc et ne sait plus

KING LU YI SIANG (N° 478) 269

ce que c’est que d'être lié ou libre. Les gens de cette sorte n'ont plus aucune honte ; ils aiment mieux causer la mort de ceux qui leur sont apparentés et recevoir pour leur part le châtiment et la honte. Parfois, par leur débauche, ils font périr leur père, leur mère, leurs frères et leurs parents aux six degrés; ils subissent le dernier supplice par ordre du roi, et, après leur mort, ils endurent de sévères expia- tions qui, de vie en vie, sont sans fin.

«Autrefois il y avait un homme qui se plaisait passionné- ment à la débauche. Son père et sa mère n'avaient que ce seul fils. Une nuit, à une heure il n’y a personne (de- hors), alors qu’il faisait sombre et qu'il y avait des ton- nerres et des éclairs, il ceignit son épée, prit en main ses flèches et voulut aller dans le village d’une courtisane ; sa mère s’aperçut de ce qu’il allait faire et le retint en lui faisant des remontrances : « Maintenant les ténèbres de la nuit sont profondes et on vous fera du mal ; à cause de mon peu de vertu dans mes existences antérieures, je n'ai eu qu'un seul fils; s’il vous arrive quelque malheur, je n'aurai plus personne en qui me confier. » Le fils répon- dit à sa mère : « Je pars et ne puis plus rester. » La mère, voyant que sa résolution était arrêtée, se prosterna devant son fils ; quant à celui-ci, il tira son épée et d'un coup tua sa mère ; puis il alla frapper à la porte de la courtisane. Celle-ci lui répondit : « Qui êtes-vous ? » IT répliqua par ces gâthàs :

« Devant la débauche et la colère tous les autres sentiments s'effacent ; l'homme est alors abusé par ses propres idées ; il ne réfléchit plus aux effets de lous ses actes. el ilest aveuglé par la stupidilé. Maintenant, j ai tué ma mère el je suis humilié comme un esclave ; 7e reste debout en dehors de votre porle comme un élranger qui s'acquille d'une commission.

«La femme lui répondit par ces gâthàs : «Ié quoi ! vous vous êles révollé contre celle dont la bonté

270 KING LU Y1 SIANG (N° 478-479)

vous a nourri; en luant votre mère, vous avez semé le crime el le malheur ; comment supporlerais-je de voir votre visage ? il vous faut promplement vous éloigner de ma demeure. Le père et la mère soignent et élèvent leur enfant el, pour lui, ils endurent bien des souffrances ; après avoir lué votre mère, vous marchez sur la terre ; mais la lerre ne va-t-elle pas vous engloutir pour vous. luer ?

« Le jeune homme répondit encore à la femme :

« Cest à cause de vous que j'ai tué ma mère et que j'ai : commis un crime insondable. Montrez-moi un peu d’indul- gence el ouvrez-mot votre porte pour que nous puissions converser un instant et ensuite je relournerai chez moi.»

« La femme lui répliqua :

« J'aimerais mieux me précipiler dans un four ardent, me jeter du haut d’une montagne dans un ravin profond, ou empoigner tout vivant un serpent de sept pieds de long que d'avoir des relations avec un insensé tel que vous.

« Le jeune homme retourna chez lui ; en route, il ren- contra des brigards qui le firent périr et il entra dans l'enfer a-pt (avici) pour y subir des tourments pendant des kalpas innombrables. »

478.

(Trip., XXXVI, 4, p. 68 re.)

Un Pratyeka Buddha se rendit dans la demeure d’un maître de maison pour mendier sa nourriture. La femme (de ce maître de maison) vit que ce Pratyeka Buddha avait un extérieur fort beau et lui dit : «Si vous consentez à ce que je désire, je vous préparerai des offrandes. » Le Pra- tyeka Buddha lui répondit : « Je ne saurais accéder à votre

- £ 1 DE

KING LU Y1 SIANG (N° 479-480) 271

demande. » Il ne lui donna donc pas satisfaction; elle en conçut aussitôt de l’irritation et le renvoya en lui inti- mant l’ordre de partir. Une servante du maître de maison désapprouva les paroles de l'épouse (et pensa) : « Pour- quoi déclarer à un homme des choses qui ne doivent pas (se dire) ? » Elle prit sa propre part de nourriture et la donna au Pratyeka Buddha.Quand celui-ci eut fini de man- ger, elle retourna dans sa chambre pour se coucher et s’aperçcut alors que sa peau sale et noire tombait d’elle- même, que son visage devenait d’une beauté supérieure à celle des autres femmes et qu’elle était semblable à une femme de jade céleste. Le maître de maison s’en émer- veilla et lui demanda ce qui s'était passé ; il lui donna alors le titre de première épouse.

480.

CPED RON D 08 rer)

Dans le royaume de Chü-wei (Crâvasti), il y avait un riche maître de maison nommé T'ch'en-kiu ; il avait chez lui une servante nommée Fou-nt-lch’e (Pürnikâ) ; la tête de celle-ci était entièrement chauve et ses yeux étaient d’un vert franc; sa bouche et son nez étaient tout de travers ; occupée con- stamment à des travaux en dehors de l’habitation, elle recueillait du bois de chauffage et coupait des herbes. A quelques /1 de la maison se trouvait une source qui avait une onde parfumée et douce ; cette servante y alla prendre de l’eau avec une cruche ; or,une femme du voisinage s'était pendue à un arbre et son visage se reflétait sur la source ; la servante aperçut sa figure et crut que c'était sa propre image ; aussitôt elle s’irrita en criant : « Voici donc comme je suis belle; cependant telles sont les corvées pénibles

272 KING LU Yi SIANG (N°5 480-481)

auxquelles on m'envoie dans les champs et dans les jar- dins ! » Alors elle brisa sa cruche, s’en revint à la mai-

son, monta dans la salle principale et s’assit sur le siège

orné de joyaux de l'épouse principale, au milieu des ten- tures à franges. Tous les gens de la famille furent fort surpris et pensèrent que la servante était devenue folle ; comme ils lui demandaient pourquoi elle agissait ainsi, elle répondit : « J'ai vu dans l’eau que j'étais belle. Mais mon maitre n'a pas su le reconnaitre et je ne suis traitée qu'avec mépris. » On lui donna un miroir pour qu’elle se regardàt et elle vit une image affreuse ; cependant, comme elle s’obstinait à ne pas être convaincue, on l’amena sur le bord de l’eau; elle apercut alors le reflet de la femme morte; la servante comprit (ce qui s'était passé) et se trouva couverte de confusion. |

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CÉRPERRRNIE De 76%

Dans les temps passés il y avait trois amis, un éléphant, un singe et un oiseau /ouo qui se tenaient abrités auprès d’un arbre Ni-ktu-lu (nyagrodha). Ils se dirent entre eux: « Puisque nous nous abritons auprès de cet arbre, il nous faut nous témoigner réciproquement du respect. « Le singe et l'oiseau /ouo demandèrent à l'éléphant : « Jusqu'où remontent vos souvenirs ? » L’éléphant répondit : « Je me souviens que, lorsque j'étais jeune, cet arbre atteignait juste mon ventre. » L’éléphant et l'oiseau {ouo posèrent la méme question au singe qui répondit : « Je me souviens que, lorsque j'étais jeune, en levant la main j'atteignais le sommet de cet arbre. » L’éléphant dit au singe : « Vous êtes plus âgé que moi. » L’éléphant et le singe interro-

KING LU YI SIANG (N°5 481-482) 273

gèrent l’oiseau {ouo qui dit : « Je me souviens que, sur le versant occidental des montagnes neigeuses, il y avait un grand arbre ni-kiu-lu (nyagrodha) ; j'en mangeai un fruit et je vins ici; c'est à la suite de cela que cet arbre prit naissance (1). » Les deux autres dirent : « C’est l’oiseau touo qui est le plus âgé. » L’éléphant plaça le singe sur sa tête et le singe mit l'oiseau ouo sur son épaule ; ils se promenèrent ensemble parmi les hommes, de village en village et de ville en ville, répétant toujours cette gâthà :

Si un homme est capable de garder dans son cœur la Loi, il doit respecter ceux qui sont âgés ; dans la vie pré- sente, on le louera; dans l'avenir, il naîtra dans les voies excellentes. |

L'oiseau {ouo prononça alors cette règle : « Quand les hommes suivront tous ce précepte, l’enseignement de la Loi se répandra. » (Le Buddha dit :) « Vous tous, qui êtes sortis du monde pour adopter ma doctrine, il vous faut davantage encore vous respecter mutuellement ; ainsi la Loi du Buddha se répandra. Dorénavant, conformez-vous à ceci : Que jeunes et vieux se respectent, se saluent avec vénération, viennent à la rencontre les uns des autres et se demandent réciproquement de leurs nouvelles. » Alors les bhiksus, ayant entendu l’enseignement du Buddha, tous, jeunes et vieux, se témoignèrent tour à tour du res- pect et se saluèrent avec vénération.

482.

(Pribs XXKN EL HSDp:76 v-77002;)

Un homme venu d’un pays lointain avait amené un grand bœuf, gras, prospère et fort, et l'avait vendu à un homme

(1) Les excréments de l'oiseau contenaient une semence qui a donné naissance à l'arbre ; c'est donc l'oiseau qui est le plus âgé des trois.

III. 18

274 KING LU Y1 SIANG (N° 482)

de la ville de Chü-wei (Grâvasti). Quand ce dernier l’eut acheté, il voulut le tuer; or il se rencontra sous la porte de la ville avec le Buddha; dès que le bœuf aperçut de loin le Buddha, son cœur fut ému et joyeux; il rompit sa chaîne et partit au galop sans que l’homme püt le mai- triser ; il vint droit au Tathâgata et, pliant ses deux jambes de devant, il beugla d’une manière pitoyable en pleurant; puis sa bouche prononça ces paroles : « Le grand saint est difficile à rencontrer; il n’est présent qu’en quelques occasions pendant une durée de cent mille générations ; puissiez-vous faire descendre sur moi votre grande com- passion pour que, en une fois, je sois sauvé. »

Le Buddha dit : « Cela se peut fort bien. À une époque reculée, il y avait un roi tourneur de la roue (ëakravartin) qui régnait sur les quatre parties du monde, qui avait mille fils et qui possédait les sept joyaux; il gouvernait en appliquant des lois justes; la population jouissait de la tranquillité. En outre, ce roi avait les quatre vertus ; il regardait les gens du peuple comme ses enfants et le peuple l’honorait comme un père ; les cramaras, les brahmanes, les maîtres de maison et les hommes du peuple n'avaient jamais de maladie sur leur corps; les quatre régions du monde célébraient ses vertus et en faisaient pénétrer la renommée dans les dix directions.

Un jour que ce roi était sorti pour se promener dans les. quatre parties de son royaume, il revenait et se proposait de rentrer au palais, lorsqu'il rencontra un de ses vieux mais qui avait été saisi par un de ses créanciers et qui, parce qu'il était débiteur de cinquante onces d’or, avait été lié et attaché à un arbre. Le roi, ses sept joyaux (1) et ses. serviteurs s'arrêtèrent alors et cessèrent d'avancer ; le roi s'étonnant de ce qui était arrivé, informa (le créancier) en ces termes: « Relâchez-le et laissez-le partir ; ilvous paiera

(1) On a vu (t. I, p. 322, ligne 12-17) l'énumération des sept joyaux qui précèdent toujours un roi cakravartin.

KING LU Y1 SIANG (N° 482) 275

le double de ce qu’il vous doit, soit cent onces d’or. » Le créancier le relâcha donc et le laissa retourner chez lui; puis, à plusieurs reprises, il se rendit à la porte du palais royal pour y demander de l’or, mais il n’en obtint pas; quant au débiteur, il était allé ailleurs et on ne savait plus il se trouvait. |

Après avoir parcouru le cycle des naissances et des morts pendant des kalpas innombrables, le débiteur se trouvait toujours n'avoir pas remboursé ce qu’il devait ; dans la présente existence, il tomba dans ce corps de bœuf et fut vendu par le créancier pour le prix de plusieurs milliers d’onces d’or. Celui qui, en ce temps, était le roi tourneur de la roue {éakravartin), c’est moi-même; le créancier, c'est ce bœuf. » Quand le Buddha était un saint roi, il s'était porté garant du paiement, mais en définitive il ne donna rien et c’est pourquoi maintenant le bœuf vint lui demander secours.

Le Buddha dit au propriétaire du bœuf : « Moi, le Buddha, je ferai la quête en votre faveur et je vous paierai au double le prix du bœuf.» Le propriétaire du bœuf repoussa cette proposition et réclama au contraire son bœuf. Le Buddha lui annonça derechef ceci : « Je pèserai le poids, en livres eten onces, du corps du bœuf et je vous donnerai un poids égal d’or ». L'autre s’obstina dans son refus. Alors les devas Cakra et Brahma descendirent tous deux et dirent au Buddha: « Des onces d’or par myriades, milliers et centaines de mille, nous les procurerons. »

Le Buddha emmena le bœuf dans le Jetavana ; au bout de sept jours, la vie de ce bœuf se termina et il naquit soudain en haut parmiles devas ; il se souvint alors du bienfait que lui avait rendu le Buddha ; il revint donc parmi les hommes et répandit des fleurs pour en faire une offrande, témoignage de reconnaissance pour la bonté dont avait fait preuve le Buddha à son égard.

Le Buddha expliqua en sa faveur les livres saints et il

276 KING LU Yi SIANG (N°5 482-483)

obtint alors de s’élever à la qualité d’avivartin, d’être affranchi des naissances et de se conformer à la Loi; puis il retourna vivre en haut parmi les devas.

483. (Pris XXXNL AS AS

Autrefois un homme avait un âne qui lui servait à tirer un char et qui faisait une marche de plusieurs centaines de li par jour; il dit à son frère cadet : « Ne lâchez pas l’âne de peur qu'il ne voie d’autres ânes. » Le frère cadet trouva bizarre cette recommandation et pensa : « Quand des sages se rencontrent, ils en sont heureux; quand des êtres de même espèce se rencontrent, il n’en est aucun qui ne soit heureux. » Le frère cadet mit donc l’âne en liberté etlui permit de voir un autre (de ses congénères). (Les deux ânes) ne se mirent point à braire à plein gosier, mais il se flairèrent l’un l’autre et ne mangèrent point. Après cela le frère aîné attela son âne, mais celui-ci se coucha et refusa de marcher; le frère aîné, très irrité, lui coupa ses oreilles velues; en ressentant cette douleur cuisante, l'âne recommencça à marcher comme auparavant; il dit à son maître : « Votre frère cadet m'a laissé en liberté et j’ai vu un mauvais ami; comme je demandais à ce dernier pourquoi il était gras, il me répondit : « Je trans- porte des objets en terre pour un potier ; quand le chemin est mauvais, je me couche et n’avance plus ; mon maître va alors à pied en portant les objets en terre sur son épaule et il me laisse brouter en liberté sur le bord du chemin; je trouve à manger de bonnes herbes, et, au retour, je reçois du foin et des grains; c'est pourquoi je suis devenu gras. » Il me demanda pourquoi j'étais maigre; je lui répondis : « Je tire un char en faisant une marche

EE

KING LU Y1 SIANG (N° 483-484) 277

de cinq cents {1 par jour; c’est au milieu des cahots que je bois et que je mange; c'est pourquoi je suis devenu maigre. » J'ai donc pensé que, si on me laissait en liberté, je deviendrais gras, mais au contraire je me suis vu raser la tête et je n’ose plus me coucher; je vous supplie de me laisser la vie. » Son maître eut compassion de lui; il le relâcha et lui permit d’être en liberté.

184.

Cp RENAN TENTE)

Le Buddha se trouvait dans le royaume de Choô-wet (Crâvasti). Dans les temps passés, il y eut un chien qui quitta la maison de son maître et alla dans une maison étran- gère pour y mendier de la nourriture; au moment il pénétra dans cette maison étrangère, son corps était à l’intérieur de la porte, mais sa queue était restée en dehors de la porte. Cependantle maitre de la maison (grhapati) le frappa et ne lui donna pas à manger; le chien se rendit alors auprès des magistrats assemblés et leur dit : « Le maître de maison, quand je suis allé chez lui pour mendier de la nourriture, ne m'a pas donné à manger, mais au contraire m'a battu ; pourtant je n'avais pas violé le code des chiens. » Les magistrats lui ayant demandé ce que c'était que le code des chiens, il répondit : « Quand je suis dans ma maison, je m’assieds et je me couche comme il me plait; quand je vais dans une maison étran- gère, mon corps peut entrer à l’intérieur de la porte, mais ma queue doit rester en dehors. » Les magistrats firent donc comparaître le maître de maison et lui deman- dèrent : « Est-il vrai que vous avez battu ce chien et que vous ne lui avez pas donné à manger? » Il reconnut que

278 KING LU YI1 SIANG (N° 484-485)

c'était vrai; les magistrats demandèrent au chien : « Quel châtiment faut-il infliger à cet homme ? » Le chien répondit : « Donnez-lui la dignité de grand notable de la ville de Chü-wei (Grâvasti).» Comme on lui en demandait la raison, il ajouta : « Autrefois, j'étais dans la ville de CAhûü-wei (Grâvasti) et j'y occupais la position de grand notable; mais, comme je fis le mal dans mes actes et dans mes paroles, je reçus (en punition) ce corps de chien ; or cet homme est plus méchant encore que je ne le fus; si donc on lui permet d'occuper une haute situation, il commettra de grandes fautes et cela le fera entrer dans les enfers il subira des tourments extrèmes. »

485.

(Prin XX NI pD: 78:v-709 7°)

Autrefois un notable, dont les richesses étaient im- menses, possédait un méchant chien qui se plaisait con- stamment à mordre les gens; personne n’osait franchir inconsidérément le seuil de sa porte. Or il arriva qu'un bhiksu intelligent et sage, dont la divine compréhension était difficile à égaler, entra par cette porte pour mendier; en ce moment le chien se trouvait être endormi et ne s'aperçut pas de sa venue au moment elle se produisit. Le notable ayant disposé un repas, le chien s’éveilla et aperçut alors le çramana ; il fitcette réflexion : « À cause de mon sommeil, je ne me suis aperçu de rien et ce çramana a pu entrer; maintenant qu'il est assis, que vais- je faire? s’il mange tout à lui seul, je sortirai et je le mordrai de facon à le tuer, puis je dévorerai dans son ventre la bonne nourriture qu'il aura mangée ; mais s’il me donne une partie de ses aliments, je lui pardonnerai. »

KING LU YI SIANG (N° 485-186) 279

Le çramana savait quels étaient ses sentiments ; aussi,

chaque fois qu'il mangea une bouchée, donna-t-il une bouchée au chien, en sorte que celui-ci, tout joyeux, conçut des sentiments d'affection envers le cramana et s’avança pour lui lécher les pieds.

- À quelque temps de là, le chien étant sorti de la porte et s’étant endormi, un homme qui avait eu autrefois à souffrir de ses morsures, lui trancha la tête; le chien naquit alors dans le ventre de la femme du notable, mais, peu après sa naissance, sa vie fut prématurément inter- rompue et il mourut encore une fois.

Il naquit derechef en qualité de fils d’un autre notable de ce pays; à l’âge de dix ans environ, il aperçut un çcramana et s’avança à sa rencontre pour lui rendre hom- mage ; il annonça à son père et à sa mère qu'il désirait prendre ce cramana pour son maître, lui faire des libéra- lités et des offrandes, puis recevoir les défenses prescrites par les livres saints ; ensuite il ferait à nouveau la con- version de tous les membres, grands et petits, de sa famille, réciterait les livres saints et réfléchirait sur la sagesse. Ayant ainsi informé ses deux parents, il demanda à devenir çramana; avant d’avoir reçu toutes les défenses, il fit des offrandes à son Ao-chang (upâdhyâya) sans jamais se relâcher, ni le jour ni la nuit. Après la mort de son ho-chang (upâdhyäya), il reçut la vertu des défenses.

486. CRRIDAXXNTS D 80 6%) Un chacal allait habituellement demander de la nourri-

ture à un lion; il obtenait chaque fois des restes d'aliments et revenait sans jamais se lasser.Or, un jour, le lion était à

280 KING LU Y1 SIANG (N°° 486-487)

jeun et n'avait pas encore trouvé à manger ; il appela donc le chacal, le flaira et se mit à le dévorer. Avant de mourir, étant déjà dans sa gueule, le chacal lui cria : « O grand maître, laissez-moi la vie! » Le lion fit cette réflexion : « Si je vous ai nourri jusqu'à ce que vous fussiez gras, c'était pour attendre que vous fussiezà point. Pourquoi donc réclamez-vous ? »

487.

(Trip; XXXNI 4) p.837.)

À P'i-chô-li (Vaiçàli) à côté de l'étang des singes (Mar- katahrada), il y avait un jardin planté d’aulx (laçuna) ; la bhiksuni T’eou-lo-nan-lo (Sthülanandà) demeurait non loin de là; le maître du jardin lui adressa cette demande « O tante,ne vous faudrait-il pas quelques aulx? » Alors la bhiksuni, accompagnée de toutes ses çramanis et çrâma- neris, vint à plusieurs reprises chercher des aulx, tant et si bien qu’il n’y en eut plus du tout; le propriétaire abandonna son jardin et s’en alla.

Le Buddha raconta ce sujet) un jâtaka :

Autrefois il y avait un Brahmane qui était âgé de cent vingt ans ; son corps était fort émacié; sa femme était d’une beauté incomparable et avait mis au monde un grand nombre de fils etde filles. Ce brahmane était attaché de tout son cœur à sa femme et à la foule de ses fils et de ses filles et jamais il ne se séparait d’eux ; à cause de l’in- tensité de son affection, voici ce qui arriva : après sa mort, il naquit sous la forme d’une oie sauvage ; les plumes de son corps étaient toutes couleur d’or ; grâce aux influences exercées par le bonheur qu'il s'était acquis précédemment, il savait quelle avait été son existence antérieure ; aussi se

beach je .. 26 PS

KING LU Yi SIANG (N°: 487-488) 281

demanda-t-il par quel moyen il pourrait fournir à la subs- sistance de ses fils et de ses filles en sorte qu'ils ne souf- frissent pas de la misère; en conséquence, il revint chaque jour auprès d'eux, et, chaque jour, il laissait tomber une de ses plumes, puis s’en allait. Ses enfants, le voyant agir ainsi et ne sachant pas la raison de sa conduite, délibé- rérent entre eux, disant : « Ce que nous avons de mieux à faire, c'est d’épier sa venue; de nous saisir alors de lui et de lui enlever toutes ses plumes d’or. » Ils mirent donc ce projet à exécution et lui arrachèrent toutes ses plumes d'or; mais les plumes qui repoussèrent furent de simples plumes blanches.

Le Buddha dit aux bhiksus : « Si vous désirez le savoir, celui qui en ce temps était le brahmane et qui, après sa mort, devint une oie sauvage, qui d’autre est-ce sinon le propriétaire actuel du jardin; sa belle épouse, c’est la bhiksuni; ses fils et ses filles, ce sont les crâmaneris et les çramanîs. »

N°mres:

CErips XRXNI Hp 8742)

Autrefois un homme riche avait récolté dix mille bois- seaux de grain et les avait enterrés dans le sol. Lorsqu'on fut graduellement arrivé à la chaleur tempérée du prin- temps, 1l ouvrit son silo afin de prendre le grain et dele semer ; mais le grain avait entièrement disparu, et, à sa place, il y avait seulement un animal, gros comme ces paniers qu'on charge sur les bœufs, qui n'avait ni mains, ni pieds, ni tête, ni yeux, et qui semblait une masse de chair engourdie. Le maître de maison et tous les siens, grands et petits, s’étonnèrent à cette vue ; ils firent sortir Panimal, le posèrent sur un endroit plat et lui demandé-

282 KING LU Y1 SIANG (N° 488)

rent : « Qui êtes-vous ? » Comme il ne répondait rien, on le piqua en un point avec un poinçon en fer ; il dit alors : « Si vous voulez savoir comment je m'appelle, mettez-moi au bord du grand chemin ; il se produira quelqu'un qui m'’appellera par mon nom. » On le prit donc et on le dé- posa au bord de la route. 110

Trois jours durant il n’y eut personne qui pût l'appeler par son nom, Mais alors survint un homme qui avait plu- sieurs centaines de chars tirés par des chevaux jaunes ; ses habits et ceux de ses serviteurs étaient jaunes; il arréta son char et cria : « Voleur de grains, que faites-vous ici? » L'animal répondit : « J’ai mangé le grain d’un homme ; c’est pourquoi il m'a pris et m'a mis ici. » Quand ils eurent ainsi conversé pendant fort longtemps, le pas- sant pris congé de lui et s’en alla. Le maitre de maison demanda alors à Voleur de grains : « Qui était ce person- nage ? » L'animal répondit : « Il est l’Essence du joyau d’or ; il demeure à trois cents pas à l’ouest d'ici, sous un grand arbre ; vous trouverez cent jarres de pierre pleines d’or. » |

Le maître de maison prit alors avec lui plusieurs dizaines d'hommes et alla creuser à l'endroit indiqué; il trouva en effet l’or dans les jarres ; toute sa famille, : pleine de joie, s'occupa à transporter ce trésor chez lui : il se prosterna devant Voleur de grains en lui disant : « Si aujourd’hui j'ai trouvé tout cet or, c'est par votre bienfait, à grand dieu. Il vaudrait mieux que je vous garde et que vous reveniez avec moi pour que je vous fasse des offrandes.» Voleur de grains répondit : « Si, précédem- ment, après avoir dévoré votre grain, j'ai refusé de dire mon nom, cest parce que je voulais que vous receviez cet or en récompense (1). Maintenant il faut que

(1) Il faut sous-entendre, semble-t-il, l'idée suivante : la divinité « Es- sence du joyau d'or » ayant trahi l’incognito de la divinité « Voleur de grains », celle-ci s’est donc trouvée autorisée à révéler à son tour qui

KING LU YI SIANG (N° 488-489) 283

je me transporte ailleurs pour répandre des bienfaits dans le monde ; je ne saurais rester ici plus longtemps. » Quand il eut fini de dire ces mots, soudain il disparut.

189.

CORDES XNENE ED 87 1.)

A l'angle sud-est de la ville de la Résidence royale (Râjagrha), il y avait un fossé plein d’eau stagnante dans lequel venaient s’accumuler tous les égoûts de la ville, les ordures, les excréments et les urines ; la puanteur en était telle qu'on ne pouvait en approcher.Or une sorte de grand animal vivait dans cette eau stagnante ; son corps était long de plusieurs {chang ; il n'avait ni mains ni pieds ; ense tortillant, en levant et en baissant la tête, il s’ébattait dans cette eau stagnante. Plusieurs milliers de personnes le regardaient. Ânanda, en faisant la quête, l’aperçut et alla le voir ; l'animal aussitôt bondit, et les flots bouillonnè- rent ; Ânanda raconta tout cela au Buddha qui se rendit alors avec ses disciples auprès de l'étang. Tous les gens qui étaient là, voyant le Buddha, pensèrent et se dirent les uns aux autres : « Maintenant le Tathâgata va, en faveur de l'assemblée, exposer l'histoire de cet animal afin de dis- siper tous les doutes. N'y a-t-il pas lieu de s’en réjouir ? »

Le Buddha dit : « Après le Nirvâna du Buddha Wei- wei (Vipaçyin), il y avait un temple par lequel cinq cents bhiksus vinrent à passer; en les voyant, le maitre du temple fut très joyeux et les pria de demeurer pour qu'il püt les entretenir pendant trois mois ; cette troupe de religieux ayant accepté lPinvitation, le maitre du temple

était son interlocuteur et c'est ainsi qu'elle a pu faire découvrir un trésor au maitre de maison.

284 KING LU YI1 SIANG (N° 489)

leur fit des offrandes de nourriture en y appliquant tout son cœur et sans rien négliger.

A quelque temps de là, cinq cents marchands qui avaient été sur mer pour recueillir des joyaux, passèrent, en revenant chez eux, par ce temple ; voyant les cinq cents bhiksus qui s’appliquaient avec énergie à tenir une con- duite conforme à la sagesse ; ils conçurent tous de bonnes résolutions, et délibérèrent joyeusemententre eux, disant: « Il est difficile d'avoir l'occcasion de rencontrer un champ producteur de bonheur ; il nous faut donc faire quelque légère offrande. » Ils en informèrent le maître du temple qui leur dit : « J’ai fait mon invitation pour trois mois et il s’en faut de cinq jours qu'ils ne soient accomplis ; après ce délai, vous pourrez faire toutes les offrandes que vous voudrez. » Les marchands répliquè- rent : « Nous devons partir et nous ne pouvons pas attendre aussi longtemps. » Ces cinq cents marchands donnèrent alors chacun une perle de manière à former un ensemble de cinq cents perles précieuse (mani) qu’ils confièrent au maître du temple en lui faisant cette recom- mandation : « Quand le délai sera accompli, vous présen- terez nos perlesen offrande à cette assemblée de religieux.»

Le bhiksu le promit et reçut donc toutes ces perles. Mais ensuite il conçut une mauvaise pensée et médita de tout s'approprier sans rien donner en offrande. Les reli- gieux lui ayant dit: « Il vous faut nous présenter les perles dont ont fait don précédemment les marchands, puis vous nous laisserez partir, » le maitre du temple leur répondit : « C’est à moi que les marchands en ont fait don ; si vous voulez me les ravir, c’est des excréments que je vous donnerai; si vous ne vous en allez pas immé- diatement, je vous couperai les mains et les pieds et je vous jetterai dans une fosse pleine d’ordures. » Tous les religieux, pleins de pitié pour cet insensé, se retirèrent un à un en silence.

EXTRAITS DU TA TCHE TOU LOUEN

490.

(Origine du nom de Râjagrha.)

CÉRID ER X RD A IENS

Question : Les grandes villes telles que Chûü-p'o-l1 (Crâvasti), Kia-p'i-lo-p'o (Kapilavastu), Po-lo-nat (Vârà- nasi), ont toutes des résidences royales ; comment se fait- il que cette ville-ci seule porte le nom de Résidence royale (Râjagrha) ?

Réponse : Certaines personnes donnent l'explication suivante : un roi du royaume de Mo-k'ia-l'o (Magadha) eut un fils qui, n’ayant qu’une tête, avait deux visages et quatre bras; les gens d’alors estimèrent que c'était un être de mauvais présage; le roi lui fendit donc en deux le corps et la tête et l’abandonna dans la campagne déserte. Or, une râksasi nommée .Li-lo (2) réunit les deux parties de son corps et le nourrit de son lait; par la suite, il grandit ét devint un homme; sa force était telle qu’il put conquérir tous les royaumes des autres rois; il posséda le monde entier; il prit tous les rois des royaumes, au nombre de dix-huit mille hommes, et les

(1) Le Ta che tou louen (Nansio, Catalogue, 1169) est un çâstra dont l’auteur hindou est Nâgârjuna; il a été traduit en chinois, sous une forme partiellement écourtée, par Kumârajiva, entre 402 et 405 p. C.

(2) Les éditions des Yuan et des Ming l'appellent Chô-lo,

286 TA TCHE TOU LOUEN (N° 490)

“plaça au milieu de ces cinq montagnes; par sa grande puissance, il gouverna Île Yen-feou-fi (Jambudvipa) ; c'est pourquoi les habitants du Yen-feou-l'i (Jambud- vipa) donnèrent à ces montagnes le nom de Ville de la résidence des rois (Râjagrha).

D’autres personnes racontent ceci : Dans la ville demeurait auparavant le roi de Mo-k'ia-Po (Magadha), un incendie se déclara; dès qu’elle eut été détruite par le feu, on la rebâtit; il en fut ainsi à sept reprises; les gens du pays étaient accablés par les travaux qu’on leur impo- sait; le roi, saisi de tristesse et de crainte, rassembla tous les hommes sages et leur demanda leur avis; parmi eux il y en eut qui proposèrent de changer l’emplace- ment de la ville. Le roi chercha alors un lieu s’instal- ler ; il vit ces cinq montagnes qui formaient un pourtour semblable à une muraille; il y éleva donc un palais et s'établit au milieu de cet endroit; c’est de que vint le nom de Ville de la résidence royale (1).

Voici encore une autre explication : dans les temps passés, il y avait en ce royaume un roi nommé P’o-seou, qui, dégoûté du monde, entra en religion et se fit ermite. En ce temps, les brahmanes qui étaient restés dans le monde et les ascètes qui étaient sortis du monde eurent une discussion; les brahmanes qui étaient restés dans le monde disaient : « D’après les livres sacrés, dans les sacrifices aux devas, il faut tuer des êtres vivants dont on mangera la chair. » Les ascètes qui étaient sortis du monde répliquaient : « Il ne. faut pas, quand on sacrifie aux devas, tuer des êtres vivants et en manger la chair. » Ils disputaient ainsi entre eux. Les brahmanes qui étaient sortis du monde dirent : « Il ya ici le grand roi qui est sorti du monde pour se faire ermite. Avez-vous confiance en lui? » Les brahmanes qui étaient restés dans le

(1) Cette tradition est apparentée à celle que rapporte Hiuan- reg (Mé- moires, trad. Julien, t.. II, pp. 39-40)...

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TA TCHE TOU LOUEN: (N° 490) 287

monde ayant répondu qu'ils avaient confiance en lui, les

autres reprirent : « Nous prendrons cet homme pour “arbitre; demain, nous irons l’interroger. »

Cette nuit même, les brahmanes qui étaient restés dans

le monde allèrent par avance auprès de l’ermite P'o-seou,

et, après lui avoir posé toutes les questions d’usage, ils lui dirent : « Dans la discussion de demain, il vous faut

nous aider. » Le lendemain donc, au point du jour, au

moment de la discussion, les ascètes qui étaient sortis du monde demandèrent à l’ermite P'o-seou : « Dans les sacri- fices aux devas faut-il ou non tuer des êtres vivants et en manger la chair ? » L’ermite P’o-seou répondit : « La règle

des brahmanes est que, dans les sacrifices aux devas, il

faut tuer des êtres vivants et en manger la chair. » Les ascètes qui étaient sortis du monde reprirent : « Quel est votre véritable sentiment personnel ? Faut-il, ou non, tuer des êtres vivants et en manger la chair ? » L'ermite P'o-seou répondit : « Puisqu'il s’agit des sacrifices aux devas, on doit tuer des êtres vivants et en manger la chair; en effet,

ces êtres vivants étant morts dans un sacrifice aux devas,

ils pourront renaître en haut dans les cieux. »

Les ascètes qui étaient sortis du monde s’écrièrent : « Vous vous trompez grandement ! Vos paroles sont très mensongères ! » Alors ils lui crachèrent dessus en disant : « Homme criminel, disparaissez ! » Aussitôt l’ermite P'o-seou s’enfonça graduellement dans le sol jusqu’à ce que ses chevilles fussent recouvertes; la raison en est qu'il avait été le premier à ouvrir la porte à de grands crimes. Les ascètes qui étaient sortis du monde lui dirent : « Vous devez parler suivant la vérité; si vous vous obs- tinez à tenir un langage mensonger, tout votre corps s’enfoncera dans le sol ». L’ermite P’o-seou répondit : « Je sais que l’acte de tuer les moutons et d’en manger la chair n’est pas un crime quand on le fait pour les devas ». Aussitôt il enfonca dans le sol jusqu'aux genoux. Ils dis-

288 TA TCHE TOU LOUEN (N° 490)

parut ainsi graduellement jusqu’à la ceinture, puis jusqu’au cou. Les ascètes qui étaient sortis du monde lui dirent : « Maintenant votre parole mensongère a reçu sa rétribu- tion dans le monde présent. Si cependant vous vous décidez à parler suivant la vérité, quoique vous soyez sous terre, nous pouvons vous retirer et faire que vous échappiez au châtiment. » Alors l’ermite P’o-seou fit cette réflexion : « Nous autres, hommes de noble condition, nous ne devons pas tenir deux langages différents. En outre, dans les quatre wei-Fo (vedas) des brahmanes, on célèbre de toutes sortes de façons la règle des sacrifices aux devas. Si moi seul je meurs, cela vaut-il la peine qu’on en tienne compte ? » Il dit donc de tout son cœur : « Dans les sacrifices aux devas, ce n’est pas un crime de tuer des êtres vivants et d'en manger la chair. » Les ascètes qui étaient sortis du monde lui crièrent : « Vous êtes un criminel endurci; disparaissez donc englouti; nous ne voulons plus vous voir. » Alors toute sa personne s’en- fonça dans la terre. A partir de ce moment et jusqu'à aujourd’hui, on a toujours observé la règle donnée par l’ermite P’o-seou; quand on tue un mouton dans les sacrifices aux devas, au moment le couteau s’abat sur lui, on lui dit : « P’o-seou te tue » (1).

Le fils de P'o-seou se nommait Kouang-tch'o (large- char); il lui succéda dans la dignité royale; par la suite, lui aussi se dégoüta du monde, mais il ne put plus entrer en religion. Il fit alors cette réflexion : « Mon père, l’ancien roi, a été englouti vivant dans la terre, bien qu'il fût entré en religion ; si je continue à gouverner le monde, je me rendrai derechef coupable d’un grand crime; en quel endroit donc dois-je aller ? » Au moment il faisait

(1) On ne trouve pas mention de cette curieuse formule dans la des- cription que donne de l’immolation Julius Schwab (Das altindische Thie- ropfer, Erlangen 1886, p. 103-105). Elle est cependant bien conforme à

l'idée rituelle que les sacrifiants cherchent à décliner la responsabilité du meurtre de la victime.

dos. 5 A S. F

TA TCHE TOU LOUEN (N° 490) 289

cette réflexion, il entendit dans les airs une voix qui lui disait : « Si vous voyez en marche un endroit comme il y en a peu et comme il est difficile d’en rencontrer un pareil, c’est que vous devrez établir votre résidence. » Quand cette parole eut été dite, la voix se tut. À peu de temps de là, étant sorti pour chasser dans la cam- pagne, le roi aperçut un cerf qui fuyait rapide comme le vent ; il s'élançca sur ses traces sans pouvoir l’atteindre; comme il le poursuivait sans relâche, aucun des officiers de son escorte ne put rester avec lui. S'avançant ainsi de lieu en lieu, il aperçut un endroit cinq montagnes for- maient un cirque escarpé et bien défendu; le sol y était uni et produisait des herbages fins et moelleux; de belles fleurs couvraient la terre; il y avait des bois de toutes sortes d’essences d'arbres les fleurs et les fruits crois- saient en abondance; des sources douces et des étangs frais montraient partout leur pureté; cet endroit était merveilleux; de toutes parts on y répandait des fleurs célestes et des parfums célestes et il y avait les diver- tissements d’une musique céleste. Quand les musiciennes des gandharvas virent venir le roi, elles se retirèrent toutes. (Le roi pensa) : « Ce lieu est un emplacement comme il y en a peu et je n’en ai jamais vu de tel. C’est bien que je dois établir ma résidence. » Quand il eut fait cette réflexion, tous ses ministres et ses officiers, qui avaient suivi ses traces, arrivèrent. Le roi leur déclara : « La voix que j'ai entendue auparavant dans les airs m'avait dit: Si vous voyez en marche un endroit comme il y en a peu et comme il est difficile d’en rencontrer un pareil, c’est que vous devrez établir votre résidence. Or maintenant

je vois ce lieu qui est un emplacement comme ilyena

peu; c’est que je dois établir ma résidence. » Alors il

abandonna la ville il demeurait auparavant et se fixa

dans ces montagnes. Ce fut ce roi qui le premier s'établit

là, et, à partir de lui, ses successeurs les uns après les ue 19

290 TA TCUE TOU LOUEN (N° 490-491)

autres y demeurèrent, Comme ce roi y avait tout d'abord fait élever un palais pour y résider, de vint le nom de Ville de la résidence royale.

N°97;

(Origine du nom de Cäripultra.)

(Frip. XX, A, pp. 70:v?-71 Pr)

Question : D'où vient le nom de Chô-li-fou (Càriputra) ? Est-ce un nom qui fut donné Câriputra) par son père et sa mère, ou bien est-ce un nom qui vient de quelque action méritoire qu'il aurait accomplie ?

Réponse : C’est un nom qui lui fut donné par son père et sa mère (1). Dans le Yen-feou-fi (Jambudvipa), dans la (région) la plus fortunée, se trouve le royaumede Mo-k'ia-l'o (Magadha) ; est une grande ville nommée Wang-chô (Râjagrha); il y avait un roi nommé P’in-p'o-so-lo (Bim- bisâra) et un brahmane, maitre dans l'art de la discussion, nommé Mo-lo-lo (Mathara). Parce que cet homme était fort habile à discuter, le roi lui avait donné en apanage une bourgade située non loin de la capitale. Ce Mo-Fo-lo se maria alors et sa femme mit au monde une fille ; comme les yeux de cette fille ressemblaient à ceux de l'oiseau chô-li (câri, le héron), on la nomma donc Çâri; ensuite, la mère mit au monde un fils dont les os des genoux étaient fort gros et c’est pourquoi on le nomma Æiu-hi-lo (Kosthila) (2). Après que ce brahmane se fut marié, il

(1) Comme le prouve la suite de l'histoire, il faut lire au contraire: « Ce n'est pas un nom qui lui ait été imposé par sesparents. »

(2) Ce nom de Kosthila,'que les Chinois expliquent comme signifiant «aux gros genoux », a été rendu en tibétain par l'expression gsus-po-che

TA TCHE TOU LOUEN (N° 491) 291

s’occupa à élever son fils et sa fille; il oublia tous les livres sacrés qu'il avait étudiés et il ne s’appliqua pas à acquérir des connaissances nouvelles.

En ce temps, dans l'Inde du sud, il y avait un brahmane, grand maître dans l’art de la discussion, qui se nommait T'i-cho (Tisya); il avait pénétré à fond les dix-huit sortes de grands livres sacrés. Cet homme arriva dans la ville de la résidence royale (Râjagrha); sur sa tête il portait une lumière (1) et son ventre était recouvert de feuilles de cuivre (2); comme on lui demandait la raison de cette seconde particularité, il répondit : « Les livres sacrés que j'ai étudiés sont extrêmement nombreux; aussi ai-je lieu de craindre que mon ventre n’éclate et c’est pourquoi je l’ai bardé de métal. » Comme on lui demandait encore pourquoi il portait une lumière sur la tête, il répondit que c'était à cause de la grande obscurité. « Mais, lui répliqua la foule, le soleil a paru et nous éclaire; pourquoi parlez-vous d'obscurité ? » Il répondit: « Il y a deux sortes d'obscurité; l’une se produit quand la lumière du soleil ne nous éclaire pas; la seconde est le mal qui provient des ténèbres de la stupidité. Maintenant, quoiqu'il y ait la clarté du soleil, les ténèbres de la stupidité sont encore profondes. » La foule reprit : « N’avez-vous donc pas vu le brahmane Mo-fo-lo ? Si vous le voyiez, votre ventre se comprimerait et votre lumière s’obscurcirait ». Quand ce brahmane eut entendu ces paroles, il se dirigea vers le tambour qui appelle à la discussion et le fit résonner.

Quand le roi entendit ce bruit, il demanda qui en était l’auteur. Ses ministres lui répondirent:« C’est un brahmane de l'Inde du Sud nommé T'i-chô, qui est un grand maître

qui signifie « grand ventre » ; dans ce sens on a rattaché le nom de Kosthila au mot kostha « intestin, ventre ». (1) Le thème du brahmane qui porte une lumière en plein jour se re-

trouve dans notre 121. Voyez les notes relatives à ce conte dans notre table analytique. (2) Cf. Hiuan-lsang (Mémoires, tr. Julien, t. IF, p. 85).

292 TA TCHE TOU LOUEN (N° 491)

dans l’art de la discussion: il désire demander un sujet de discussion et c’est pourquoi il a frappé sur le tambour. » Le roi en fut joyeux ; il réunit aussitôt les hommes sages et leur dit : « Que celui qui est capable de l’embarrasser discute avec lui. »

Quand Mo-lo-lo fut informé de cela, il se défia de ses forces, car il disait : « Jai tout oublié et je ne me suis pas occupé d'acquérir des connaissances nouvelles. Je ne sais si je suis capable de soutenir une discussion. avec cet homme. » Il vint cependant en se faisant violence; en che- min, il vit deux taureaux qui luttaient à coups de cornes; il fit en lui-même cette réflexion: «Ce bœuf-ci, c’est moi; ce bœuf-là, c'est cet autre homme. J'en tirerai un présage pour savoir qui sera vainqueur. » Ce fut le premier bœuf qui fut vaincuet Mo-fo-lo en conçut une grande tristesse, carilse disait: « D’après-ce présage, c'est moi qui serai vain- cu.» Au moment il allait entrer dans la foule, il vit une matrone qui tenait une cruche d’eau et qui se trouvait droit devant lui ; elle buta contre le sol et cassa sa cruche ; il songea derechef : « Cela non plus n’est pas de bon au- gure », et il fut extrêmement peu satisfait.Quand il fut entré dans la foule, il aperçut le maître dans l’art de discuter dont la figure et l'aspect avaient toutes les marques du triomphe. Il reconnut alors qu'il serait vaincu, mais, comme il ne pouvait faire autrement, il accepta de discuter avec lui. Dès que la discussion fut engagée, il tomba dans la situa- tion de celui qui a le dessous.

Le roi, très joyeux, pensa: « Un homme intelligent doué d’une grande sagesse est venu de loin dans mon royaume. » Il voulait lui donner en apanage une bour- gade ; mais ses ministres lui adressèrent des remon- trances, disant: « Si, parce qu'un homme intelligent est venu, vous lui donnez aussitôt en apanage une bourgade tandis que vous ne récompensez pas vos ministres qui vous ont bien servi, et si vous réservez toutes vos faveurs

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TA TCHE TOU LOUEN (N° 491) 293

à ceux qui discutent, nous craignons que ce ne soit pas une conduite propre à assurer le calme du royaume et le salut de votre famille. Maintenant Mo-lo-lo a été vaincu dans la discussion ; il vous faut lui enlever son apanage et le donner à celui qui a triomphé de lui. S'il se présente ensuite un autre homme qui remporte à son tour la vic- toire, on lui donnera derechef ce même apanage. » Le roi suivit ce conseil et enleva à Mo-Fo-lo son apanage, pour le donner à l’homme qui était venu en dernier lieu.

Alors Mo-Fo-lo dit à T'i-chôü: « Vous êtes un homme intelligent ; je vous donne ma fille en mariage ; mon filslui sera adjoint. Quant à moi, je désire me retirer au loin dans un royaume étranger pour y poursuivre mes propres projets. » T'i-chô prit donc cette fille pour épouse.

Cette femme, étant devenue enceinte, vit en songe un homme qui, portant une cuirasse et un casque et tenant en main un foudre (vajra), broyait les montagnes ordi- naires et se tenait debout à côté d’une haute montagne. Quand elle se réveilla, elle raconta à son mari le rêve qu’elle avait fait. T’i-chô Lui dit : « C’est le signe que vous engendrerez un fils qui écrasera tous les maîtres dans ’art de la discussion ; il n’y aura qu'un seul homme qu’il ne pourra pas vaincre etil deviendra son disciple. »

Pendant la durée de sa grossesse, Cho-li, à cause du fils qu’elle portait en elle, devint elle-même intélligente et fut fort habile à discuter. Chaque fois que son frère cadet Xiu- hi-lo (Kosthila) discutait avecelle, il sortait vaincu du débat; il se dit : « Le fils que ma sœur porte en elle est assurément d’une haute intelligence ; s’il se montre tel avant même d’être né, que sera-ce quand il aura été mis au monde?» Alors Xiu-hi-lo abandonna sa famille, se livra à l'étude et se rendit dans l'Inde du Sud ; il ne se coupa plus les ongles des mains avant d’avoir lu les dix-huit sortes de livres sa- crés et d’en avoir la complète maîtrise ; c’est pourquoi les

294 TA TCHE TOU LOUEN (N° 491-492)

gens de ce temps le surnommèrent le Brahmane aux longs. ongles (Dirghanakha) (1).

Sept jours après que le fils de sa sœur fut né, on l’enve- loppa dans une pièce de coton blanc pour le montrer à son père ; celui-ci fit cette réflexion : « Je me nomme 7’i- cho ; (cet enfant) chassera mon nom; je le nomme done Yeou-p'o-Pi-chàü (Upatisya, celui qui chasse T’i-chô.)

Telest le nom que donnèrent à cet enfant ses parents. Mais les autres hommes, tenant compte de ce que c'était Cho-li qui l'avait enfanté, le nommèrent tous d’un com- mun accord Cho-li-fou (Çâriputra, fils de Çäri).

Par suite, grâce aux vœux antérieurs qu'il avait faits dans plusieurs existences successives, Chü-li-fou devint auprès de Che-k'ia-wen-ni(Cäkyamuni) Le premier des dis- ciples pour la sagesse ; son nom fut Chü-li-fou; ce nom lui vient donc des causes que constituent ses vœux antérieurs. Voilà pourquoi on l’a appelé Chü-li-fou.

Question : «Pourquoi ne dit-on pas Yeou-p'o-Fi-chô (Upa- tisya) et se borne-t-on à dire Chü-li-fou (Câriputra) ? »

Réponse : « Les gens d’alors honoraient fort sa mère (Câri) qui était la plus intelligente de toutes les femmes et c'est pour cette raison qu'ils ont nommé (cet homme) Chü- li-fou (Câriputra). »

492.

(Trip EX A bp: 09 V0)

Le roi d’un royaume avait une fille nommé Æiu-meou- l'eou. Un pêcheur, nommé Chou-p'o-k'ia, qui allait sur la route, aperçut de loin la fille du roi qui était sur une tour

(1) Voyez dans l'Avadäna-Çataka, (trad. Feer, Annales du Musée Guimet, t. XVIII, pp. 418-430) l'avadäna intitulée « Dirghanakha. »

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TA TCHE TOU LOUEN (N° 4992) 295

élevée et il vit son visage dans l’encadrement d'une fe- nêtre. Sa pensée resta toute pénétrée de cette image et son cœur ne put s’en détacher un seul instant; cela ne fit que s’accroitre de jour en jour et de mois en mois ; il en perdit le boire et le manger. Sa mère lui ayant demandé quelle en étaitla cause, il lui répondit en lui révélant ses sentiments : « Depuis que j'ai vu la fille du roi, mon cœur ne peut plus l'oublier. » Sa mère lui fit des remontrances en lui disant: « Vous êtes un homme de peu et la fille du roi est d’une condition très élevée ; vous ne sauriez l’obte- nir. » Son fils répliqua: «Je voudrais pouvoir me distraire, mais je ne saurais oublier un instant la princesse ; si mes désirs ne peuvent être réalisés, il m'est impossible de vivre.»

Pour agir en faveur deson fils, la mère se rendit au palais royal; elle y apportait constamment de gros poissons et de la viande excellente qu’elle offrait à la fille du roi sans vouloir prendre aucune rétribution. La fille du roi s'en étonna et lui demanda quel était l’objet deses désirs. La mère lui répondit qu’elle la priait d’éloigner les assistants et qu’elle lui exposerait ses sentiments; (après quoi, elle dit:) «J'ai un fils unique qui vous aime respectueusement, Ô fille du roi; sa passion est si forte qu’il en est tombé malade”; sa destinée ne semble plus devoir être longue ; je voudrais que vous lui accordiez une pensée compatis- sante etque vous lui rendiez la vie. » La fille du roi lui répondit : « Le quinzième jour du mois, qu'il aille se placer derrière la statue du dieu dans le sanctuaire de telle divi- nité. » La mère revint annoncer à son fils : « Vos vœux sont réalisés »; puis elle l’avertit, conformément à ce qui à été dit plus haut, de se baigner, de se revêtir de vêtements neufs et de se tenir derrière la statue du dieu.

Quand le moment fut venu, la princesse dit au roi son père: « Je suis sous une influence néfaste ; il faut que j'aille dans le sanctuaire du dieu pour y demander un bon-

296 TA TCHE TOU LOUEN (N° 492)

heur propice.» Le roi y ayant consenti, elle sortit avec un cortège de cinq cents chars et se rendit au temple du dieu. Quand elle fut arrivée, elle donna cet ordre à ceux qui la suivaient : «Restez rangés devant la porte ; j'entre- rai seule dans le sanctuaire du dieu. »

Cependant le dieu fit cette réflexion: « Cette chose est inconvenante ; ce roi est mon bienfaiteur (dânapati) ; je ne saurais permettre que cet homme de peu déshonore sa fille. » Aussitôt donc il accabla de fatigue cet homme et le fit s'endormir sans qu’il pûtse réveiller. Quand la fille du roi fut entrée et eut vu qu'il dormait, elle le secoua à plu- sieurs reprises sans parvenir à lui faire reprendre ses sens ; alors elle lui laissa un collier d’une valeur de cent mille onces d’or et partit. Quand elle fut partie, cet homme putse réveiller et apercut le collier ; il interrogea les gens qui étaient et sut que la fille du roi était venue ; n'ayant put obtenir la satisfaction de ses désirs, il en conçut un chagrin profond ; le feu de la passion éclata au dedans de lui et il mourut consumé.

Par cet exemple on peut savoir que le cœur des femmes ne fait pas de distinction entre ceux qui sont élevés en dignité et ceux qui sont de basse condition et qu'il se laisse guider seulement par ses désirs sensuels.

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EXTRAITS DU TCH'OU YAO KING

495.

(Trip., XXIV,5, pp. 62 v°-63 v°.)

Autrefois, Chan-jong, (Excellent visage) (2), frère du roi A-yu (Açoka), était sorti de la ville pour aller chasser ; étant entré au plus profond des montagnes, il vit des brah- manes qui, le corps nu, s’exposaient au soleil et à la pluie afin de devenir des bienheureux ; ils épuisaient leur es- prit et accablaient de peines leur corps dans l'espérance d'obtenir la félicité brahmique ; ils se nourrissaient de feuilles d'arbres ; ceux d’entre eux qui avaient les meil- leures dispositions d’esprit et qui étaient les plus coura- geux ne mangeaient qu'une seule feuille par jour ; ceux qui étaient les moins énergiques mangeaient sept feuilles par jour ; parmi les autres, il y en avait qui mangeaient SiX, OU Cinq, ou quatre, ou trois, ou deux feuilles (3). Ceux qui mangeaient sept feuilles buvaient sept gorgées d’eau ; ceux qui mangeaient six feuilles buvaient six gor- gées ; de même, il y avait ceux qui buvaient cinq, ou qua- tre (4), ou trois, ou deux gorgées, ou une seule. Quand ces

(1) Le Tch'ou yao king est un commentaire du Dhammapada qui fut com- posé par le bodhisattva Fa-k'ieou (Dharmatrâta), oncle de P'o-siu-mi (Va- sumitra). Le manuscrit fut apporté en Chine par le cramana du Xi-pin (Cachemir) Seng-k'ia-po-tch'eng (Samghabhèti) en l’année 383. Il fut traduit en chinois en 398 p. C. par Samghabhüti lui-même, assisté de Tchou Fo- nien (cf. Nansio, Catalogue, app. II, n°° 54 et 58). Voyez l'analyse de la préface de 399 donnée par Nanyio (Calalogue, 1321).

(2) Dans le « Didyâvadâna », ce personnage est appelé Vitàcoka.

(3) Le texte ajoute « ou une seule feuille »; mais le cas de ceux qui ne

mangent qu’une seule feuille par jour a déjà été envisagé plus haut. (4) Le texte omet le nombre quatre,

298 TCH'OU YAO KING (N° 493)

brahmanes ne trouvaient pas d’eau, ils aspiraient sept fois de l'air, ousix fois, ou quatrefois, ou troisfois, ou deuxfois, ou une fois, suivant le nombre correspondant de gorgées d'eau. Parmi ces brahmanes, il y en avait qui couchaient sur les épines des broussailles ; d’autres couchaient sur un tas de cendres chaudes ; d’autres, sur la pierre ; d’autres, dans un mortier. Chan-jong, frère cadet du roi, demanda à ces brahmanes : « Quand vous vous livrez ici aux prati- ques de la sagesse, de quoi souffrez-vous le plus-? » Les brahmanes répondirent : « Sachez, Ô prince, que, lorsque nous nous livrons ici aux pratiques de l’ascétisme, notre seule peine est celle-ci : des cerfs et des biches viennent ici en troupeaux et s’accouplent deux à deux ; alors nos désirs sensuels se rallument sans que nous puissions l'empêcher. »

Quand le prince eut entendu cette réponse, il conçut une mauvaise pensée (et se dit) : « Ces brahmanes fati- _guent leur esprit et accablent de peines leurs corps; ils s’exposent à l’ardeur du soleil et se brülent par le feu; leur racine de vie est si précaire qu’on ne sait plus si elle est ou si elle n’est pas ; cependant leurs désirs sensuels ne sont pas encore entièrement supprimés. Or, les çra- manas, fils de la race de Câkya, mangent d’excellentes nourritures, s'installent sur de bons lits, se vêtent d’ha- bits confortables, se parfument avec des fleurs odorantes; comment pourraient-ils n'avoir pas des pensées de débau- che ? » |

Quand le roi A-yu (Açoka) fut informé des opinions ex- posées par son frère cadet, il en conçut un profond cha- grin, car il se disait : « Je n’ai que ce seul frère cadet qui doit avoir part au même bonheur que moi; comment se pourrait-il faire qu'il ait des idées hérétiques ? Il faut que je trouve quelque moyen de lui enlever ces mauvaises pensées. S'il recevait la punition que celles-ci méritent, moi-même je serais fort coupable. » Il entra alors dans son

TCH'OU YAO KING (N° 493) 299

palais et ordonna à toutes les musiciennes de sa suite de se parer et d'aller chez le prince Chan-jong pour se livrer à la joie avec lui. Il prévint ensuite ses ministres en leur disant : « J'ai fait un projet. Quand je vous ordonnerai de mettre à mort le prince Chan-jong, adressez-moi des re- montrances en m'invitant à lui accorder un délai de sept jours au bout desquels vous promettrez de le tuer confor-

mément à mes ordres. »

Les femmes de la suite du roi allèrent donc (chez le prince Chan-jong) pour s’y livrer aux plaisirs. Mais, peu

après, le roi survint en personne et ditau prince : « Com-

ment avez-vous pu prendre mes musiciennes et mes con- cubines pour vous amuser avec elles à votre fantaisie » ? Dans un transport de colère redoutable, il jeta en l’air son disque (Cakra) et donna cet ordre à ses principaux minis- tres : « Ne savez-vous pas que je ne suis point encore affai- bli par l’âge et qu'aucun brigand du dehors ou ennemi puissant n'est venu envahir mon territoire ? Or, j'ai en- tendu dire que les sages de l’antiquité avaient ce dicton : Tant qu’un homme a du bonheur, les pays compris à l’in- térieur des quatre mers se soumettent à lui; mais, quand sa part de bonheur est épuisée et que sa vertu a diminué, même ceux qui sont pour lui comme ses coudes et ses aisselles se révoltent et s’éloignent. Si je considère l’état de choses présent, un tel changement ne s’est pas encore produit. Cependant monfrère cadet Chan-jong a attiré à lui mes musiciennes etmes concubines; il a manifesté qu'il se laissait aller à ses passions et obéissait à ses fantaisies. Si je le tolère, existerai-je encore ? Vous donc, prenez le prince et menez-le sur la place publique pour le faire périr. » Ses ministres lui adressèrent des remontrances, disant : « Veuillez, 6 grand roi, prêter l’oreille aux paroles de vos humbles sujets. Vous n'avez maintenant que ce seul frère cadet ; d'autre part, vous n'avez aucun jeune fils qui soit capable de vous succéder. Nous souhaitons que vous accor-

300 TCH'OU YAO KING (N° 493)

diez un délai de sept jours au bout duquel nous mettrons à exécution l’ordre royal. » Le roi accéda alors par son silence aux représentations de ses sujets. Puis, faisant mon- tre de bienveillance, le roi donna cet ordre à ses minis- tres : « J’autorise maintenant le prince à se revêtir de mes vêtements, à porter la couronne céleste, à avoir une ma- jesté égale de tous points à la mienne. Tout ce qu'il y a dans mon palais de chanteuses et de musiciennes se diver- tiront avec lui. » D'autre part, il donna cet ordre à un de ses officiers : « À partir d'aujourd'hui, mettez votre cui- rasse et prenez vos armes ; tenez à la main une épée af- filée et allez dire au prince Chan-jong : « O prince, ne savez-vous pas qu’au bout de sept jours, le terme arrivera Livrez-vous donc de toutes vos forces aux satisfactions des cinq sens et réjouissez-vous ; si vous ne le faites pas main- tenant, quand vous serez mort les regrets seront inutiles. » Lorsqu'un jour fut passé, cet officier alla derechef dire au prince : « Il n’y a plus que six jours ». Il en fut de même à chaque jour successif et alors cet officier alla dire au prince : « Prince, il vous faut savoir que six jours sont écoulés. Il ne reste plus que le jour de demain et alors il vous faudra aller à la mort. Abandonnez-vous de toutes vos forces à vos passions et donnez-vous les satisfactions des cinq sens. »

Quand le septième jour fut venu, le roi fit mander le prince par un émissaire et lui dit : « Eh bien, prince, pen- dant ces sept jours, tous vos désirs ont été satisfaits ; n'y avez-vous pas trouvé grand plaisir ? » Le frère cadet du roi répondit à celui-ci : « O grand roi, sachez que je n'ai rien vu et rien entendu. » Le roi reprit : « Vous étiez vêtu de mes vêtements et de mes ornements; je vous avais introduit dans mon harem pour que vous vous y divertis- siez avec une foule de musiciennes ; je vous ai nourri de mets excellents ; comment pouvez-vous me mentir en face en disant que vous n'avez rien vu ni rien entendu ? » Le

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TCH'OU YAO KING (N° 493) 301

frère cadet du roi répondit à celui-ci . « Le condamné à mort, même avant que sa vie ait pris fin, ne diffère pas d’un homme mort. Comment trouverait-il son plaisir dans les satisfactions des cinq sens et comment ses pensées se plairaient-elles à des vêtements et à des ornements ? »

Le roi adressa alors ces paroles à son frère cadet : « Hé! Voici ce que j'ai à vous apprendre : Maintenant, n'ayant qu’un seul corps, vous avez éprouvé cent sortes d’inquié- tudes ; parce que ce seul corps allait périr, vous n'avez plus pu jouir ni de la nourriture ni du repos. Or les çra- manas, enfants de la race de Câkya, sont tourmentés par la pensée que dans le passé, le présent et l’avenir, dès qu’un de leurs corps sera mort, ils recevront un autre corps et que, pendant des myriades de millions de générations, leurs corps successifs éprouveront des souffrances ; à combien plus forte raison, quand ils réfléchissent à ces peines, n'auront-ils pas leur esprit consumé de chagrin ? Parfois ils songent qu’ils entreront dans les enfers pour y subir des tortures sans limites ; même s'ils en sortent pour reve- nir en quelque autre condition parmi les hommes, ils nai- tront peut-être dans une famille pauvre les vêtements et la nourriture leur feront défaut. C’est en pensant à toutes ces misères qu'ils sont sortis du monde pour entrer en religion, qu’ils cherchent à atteindre au but essentiel qui est d'échapper au monde sensible pour arriver au non- composé (wou-wet). Mais ils savent que, s'ils ne font pas des efforts assidus, ils retomberont dans les peines qu’ils auront à subir à travers la multitude des kalpas. »

Alors le prince s’avança et dit au roi : « Maintenant que j'ai recu vos instructions, mon intelligence s’est ouverte ; la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort sont véri- tablement des tourments intolérables ; les chagrins et les souffrances ont un cours ininterrompu; mon seul désir, Ô grand roi, est que vous me permettiez d'entrer en religion, pour que je m’applique à pratiquer la conduite brahmique. »

302 TCH'OU YAO KING (N° 493-494)

Le roi répondit à son frère cadet : « Sachez que le mo- ment est venu. » Le prince prit donc congé du roi, sortit du monde et devint cramana ; il recut de ses maîtres l’en- seignement de la sincérité et, jour et nuit, il s’y appliqua sans relâche. Puis il parvint à la conviction et atteignit le fruit de srotäpanna et le fruit d’arhat ; la compréhension pure des six pénétrations (abhijñâs) lui fut impartie sans aucune restriction.

C’est à des cas comme celui-ci que s'applique le dicton : celui-ci qui va de crainte en crainte n’a guère de joie (1).

494.

(Trips XX ENV 5, pp:4106 4107 r.)

Autrefois, dans le royaume de ÆX1-pin (Cachemir), dans le village de Æiu-sieou-na-lo (Kusunara) (2), il y avait un homme qui se plaisait à rendre service à de méchants im- posteurs ; en ce lieu il y avait un temple appelé P’o-p'an-na (bhavana) (3), se trouvait un bhiksu qui constamment offrait de l’eau pure à la multitude des religieux ; ce bhiksu désira rendre manifeste les tromperies (dont était victime cet homme sus-nommé et il résolut de) feindre lui-même d’être comme un de ces imposteurs. Il ras- sembla les bhiksus de l’a-lien (aranya, ermitage) tous revêtus de la robe qui est constituée de cent morceaux et

(1) Suit la description des tourments qui atteignent les hommes débau- chés dans cette vie et après la mort.

(2) Ce nom de lieu pourrait avoir quelque rapport avec le nom de ja rivière actuelle de Kunhar, qu'Alberuni cite sous la forme Kusnäàri (Stein, Räjatarangint, vol. II, p. 361).

(3) Bhavana (demeure) semble avoir été le nom habituel des temples au Cachemir; cf. l'Amrtabhavana cité dans la Rjalarangint (tr. Stein. vol. IIT,

p. % et dans Wou-k'ong sous !a forme A-mi-lo po-wan fn 58 PE JK id (cf. Stein. Räjalarangini, vol. II, p. 457).

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TCH'OU YAO KING (N° 494) 303

qui a tout autant de couleurs ; il se rendirent dans ce vil- lage et eurent une entrevue avec cet homme. Après qu'ils se furent réciproquement demandé de leurs nouvelles, chacun des bhiksus s’assit de côté; cet homme, versant des larmes et prosterné de tout son corps sur le sol, dit à ces religieux: « D'où êtes-vous venus pour vous rendre dans ma pauvre demeure ? » Les uns répondirent qu’ils venaient de l’étang des lotus (1); d’autres, de quelque pays étranger ; d’autres encore, des montagnes des rsis divins. Cet homme éprouvant pour eux beaucoup d'affec- tion et de respect, invita aussitôt les bhiksus en les priant de venir manger le lendemain dans son humble demeure. Les bhiksus lui répondirent : « Si nous sommes venus ici, c'est précisément à cause de vous seul ; maintenant, puis- que nous vous avons rencontré, comment accepterions-nous l'invitation de quelque autre homme (2) ? Quant à vous, si vous désirez chercher à acquérir les bénédictions excel- lentes et le champ productif de bonheur qui sont le prin- cipe du salut des hommes, grâce à cette promesse que vous venez de faire (3), personne ne pourra y réussir mieux que vous. » Cet homme alors resta dans sa demeure et ordonna à ses divers serviteurs de disposer promptement toutes sortes de mets excellents à boire et à manger, en leur disant: « Une réunion de religieux, hommesdivins, se tiendra dans ma maison; je désire leur donner à manger. » Quand le moment fut arrivé, tous les bhiksus firent la dé- claration suivante au maître de maison : « O homme sage, savez-vous bien ceci? Nous autres, nous passons notre vie à étudier depuis déjà plusieurs années; dans notre conduite religieuse et dans tous nos actes, nous nous

(1) L'étang des lotus n’est autre que le lac Volur dont le nâga Padma (lo- tus) était la divinité tutélaire (Räjatarangini, chant I, vers 30; CHAVANNES, Documents sur les Tou-kiue occidentaux, p. 167).

(2) En d'autres termes, nous acceptons votre invitation à l'exclusion de toute autre,

(3) La promesse d'inviter les religieux.

304 TCH'OU YAO KING (N° 494)

conformons toujours à des règles ; dans notre manière de pratiquer la sagesse pendant les six heures de la journée, nous ne sommes pas d'accord avec l’usage vulgaire ; nous avons l'intention et le désir de nous conduire religieuse- ment depuis l'aube jusqu’au soir et depuis le soir jusqu’au jour ; ce n’est qu'au moment le soleil fait son appari- tion que nous pouvons mangersans enfreindre la règle. » Le président de cette assemblée vint alors dire au dâna- pati: « Moi seul on me nomme: celui qui mange dès qu’il est assis. Tous les mets que vous nous donnez à manger, ainsi que les fruits, apportez-les tous à la fois ; je pronon- cerai un vœu magique. » En entendant ces mots, le dâna- pati se mit à sauter de joie sans pouvoir dominer son con- tentement ; il disposa toutes sortes d'aliments à boire et à manger et les jeta dans le bol (de ce religieux) ; en outre il mit les fruits au-dessus ets’avança pour recevoir le vœu magique ; puis il fit encore au président une offrande spé- ciale de gâteaux de beurre et de farine mêlée avec du miel. Il espérait que, lorsque ce religieux aurait fini de manger, ce qu'il aurait laissé dans son bol, lui-même pourrait le manger etobtiendrait ainsi sûrement le bonheur qui y était _inhérent. Quand le bhiksu eut reçu la nourriture et eut prononcé ie vœu magique, il demanda au dänapati : « Avez- vous encore de doux liquides agréable à boire ? » Le dâ- napati répondit: « Dans mon humble demeure j'ai plu- sieurs sortes de liquides (1): liquides de raisins, de canne à sucre, de sucre candi; toutes ces sortes de liquides, je les possède ; mais je ne sais, Ô vénérable président, laquelle il vous faut. » Le religieux répondit : « Tous les liquides que vous venez d'énumérer, depuis ma naissance je n’en ai pas bu et ils n’ont jamais passé par ma bouche; le li- quide que je vous demande c’est un liquide pur et très doux, qui ait été conservé pendant plusieurs années sans

(1) Les liquides qu'il va énumérer sont des liqueurs non fermentées dont l'usage est permis aux religieux.

TCH'OU YAO KING, (N° 494) 308

que son goût ait changé (1); voilà ce que je boirais bien ». Quand le dânapati eut entendu ces paroles, il s'en étonna fortetse dit: « Hé! Hé! quel malheur produit ces évé- nements bizarres ; si j'avais eu cette pensée (de faire une offrande), c'est parce que je supposais que ces religieux avaient tous obtenu les six pénétrations, pures facultés des arhats. Maintenant quand je considère comment ils se conduisent, ce sont vraiment de grands voleurs. » Le dâ- napati dit alors au religieux : « Depuis ma jeunesse le vin n’a pas passé par ma bouche ; comment me permettrais-je de présenter en offrande du vin à un religieux.» Le reli- gieux prit alors une pièce de monnaie parmi ses chou-la (çaläkà) (2) et dit au dânapati: « Si vous n'avez pas de vin chez vous, prenez cette pièce de monnaie et allez m’en acheter. » Quand le dânapati eut entendu ces paroles, il se boucha les oreilles avec ses mains en s’écriant : « Oh! oh! voilà qui est fort étrange. Comment aurais-je pu pen- ser que ces religieux portaient sur eux de l'argent pour leur subsistance ? Tous ces gens sont des ai-ti (3); quels sentiments religieux ont ces prétendus religieux ? » Il dit alors au religieux : « Chargez quelque autre de votre commission; je ne suis pas votre serviteur pour que vous m'ordonniez d'aller acheter du vin dans la boutique on en vend. O religieux lai-li, je n'étais pas d’abord bien informé et c’est pourquoi je suis tombé dans votre piège ; mais dorénavant je ne me laisserai plus jamais tromper par vous.» Le bhiksu lui répondit : « Cessez cessez, Ô dânapati, et ne proférez plus de telles calomnies. Si nous sommes venus ici, C'est parce que nous voulions éclairer votre intelligence ; à plusieurs reprises jusqu’à

(1) Un liquide conservé est un liquide fermenté,

(2) Ce mot pourrait être la transcription du terme « çalàkâ » désignant les bons de nourriture qu'on donnait aux moines; le religieux a, contrai- rement à la règle, des pièces de monnaie dissimulées parmi ces bons.

(3) Ce terme doit signifier « vaurien » ou quelque chose d’approchant,

ITL, 20

306 TCH'OU YAO KING (N° 494)

maintenant vous avez dépensé vos richesses pour faire des. libéralités sans rencontrer celui qui les méritait. O dâna- pati, si vous voulez bien me préter attention, écoutez l'anecdote que je vais vous raconter. » L'autre ayant. donné son approbation et exprimé son désir de lentendre, (le bhiksu dit) :

« Écoutez donc bien. Il y avait une fois un excellent archer ; quand il tirait sur un poil à cent pas de distance, parfois il l’atteignait; mais parfois il allait trop haut, ou trop bas, ou trop à gauche, ou trop à droite et n’atteignait. pas son but; au contraire, quand la terre lui servait de but et qu'il tirait sur elle, que ses flèches allassent en haut ou en bas, à l'est ou à l’ouest, au sud ou au nord, elles atteignaient toujours le but et ne manquaient jamais laterre. Maintenant, cette grande assemblée (de religieux) est, elle aussi, comparable la terre); si on ne choisit pas celui à qui on fait des libéralités, on ne peut manquer de rencontrer l’homme qui en est digne; si, au contraire on choisit l’homme à qui on fait des libéralités, parfois on rencontre celui qui en est digne, mais le plus souvent on fait des dépenses inutiles sans en tirer aucun profit. Dans la grande assemblée, les quatre fruits (de la sainteté) se: trouvent au complet ; les quatre paires ou huit catégories. et les douze sortes de sages y sont tous représentés (1). Si vous voulez recueillir des joyaux, il vous faut aller sur la grande mer et vous rendre à la montagne précieuse Siu-mi (Sumeru) ; de même, si vous désirez trouver un homme sage, un arhat ayant obtenu la sagesse, il! vous faut aller dans la grande assemblée. O dânapati, écoutez-moi bien, je vais vous dire une autre histoire ;

(1) Les quatre fruits (pala) sont les fruits d'arhat, sakrdägàmin, anû- gâmin et srotäpanna. Les huit catégories de sainteté (âryapudgala) sont ces même quatre termes dédoublés de façon à former chacun une paire

dont un des aspects est la voie (màärga) et dont l'autre aspect est le fruit (pala). Quant aux douze sages,leur nombre paraît résulter de la totali-

sation des deux nombres 8 et 4 qui le précèdent.

TCH'OU YAO KING (N° 494) 307

ouvrez votre intelligence pour la recevoir ; l’homme clair- voyant parvient à comprendre par le moyen des apo- logues.

« Autrefois, dans ce noble pays, il y avait un voyageur qui s'était rendu avec un compagnon dans l'Inde du Sud ; là-bas, il entretint des relations avec la fille d'un magicien chô-p'o-lo (çavara) ; or, toutes les fois que cet homme cor- cevait le désir de retourner chez lui, il se trouvait tout à coup métamorphosé en âne et ne pouvait plus revenir. Son compagnon lui dit (un jour): « Nous sommes éloignés de nos familles depuis de nombreuses années et nous n'avons jamais eu aucune nouvelle de ce qui a pu s’y pas- ser soit en bien soit en mal. Quel est votre avis ? Désirez- vous retourner chez vous ? Si vous voulez partir, c’est le moment de faire des préparatifs. » Cet homme répondit: « Par suite de mon manque de prévoyance, je me suis laissé aller à contracter un fâcheux attachement et j'ai des relations avec la fille d’un magicien ; chaque fois que l’idée me vient de désirer m'en retourner, elle me métamorphose en âne ; toute mon intelligence est alors bouleversée ; le ciel et la terre ne forment plus pour moi qu’un ensemble confus je ne distingue plus l’est et l’ouest, le sud etle nord, et c'est pourquoije ne puis parvenir à m'en retourner » Son compagnon répliqua: « Comment votre sottise peut-elle être si grande ? Au sommet de ces montagnes du Sud se trouve une plante appelée {cho-lo-po-lo (talapâla) (1) ; quand un homme est opprimé par un sortilège, il n'a qu'à man- ger cette plante médicinale pour reprendre sa forme pre- mière, » L'autre répondit : « Je ne sais pas distinguer cette plante; comment la reconnaîtrai-je ? » Son compagnon lui dit: « Mangez successivement toutes les plantes et il fau- dra bien que vous rencontriez celle-là. » Cet homme sui- vit cet avis et se conforma à ces instructions ; quand il fut

(1) La restitution de ce terme sanscrit nous est garantie par le diction- naire Fan fan yu.

308 TCH'OU YAO KING (N° 494)

changé en âne, il se rendit dans les montagnes du Sud, mangea sucessivement de toutes les sortes de plantes et reprit la forme humaine ; il rassembla alors des joyaux merveilleux et des objets précieux extraordinaires, puis, avec son camarade, il revint paisiblement chez lui.

« O dânapati, il vous faut savoir que le cas présent est tout semblable. Les hommes stupides ont une foi qui veut atteindre son but tout droit et du premier coup ; pour faire des libéralités, ils recherchent un arhat ayant obtenu la sagesse, pensant que, dans la journée même, ils pourront avoir le fruit (de sainteté); mais ils cherchent partout sans jamais pouvoir le rencontrer. Celui qui désire pouvoir trouver un arhat vraiment digne (des libéralités qu'on lui fera) doit le chercher dans la grande assemblée ; en faisant des offrandes successivement à chacun des membres de cette assemblée il ne peut manquer de rencontrer des hommes sages et saints et il obtiendra sans aucun doute le fruit (de sainteté). »

À | | |

EXTRAITS DU FA KIU P’I YU KING (1)

495.

(Trip., XXIV, 6, pp. 64 v°-65 r°.)

Autrefois le Buddha se trouvait à Râjagrha (Lo-yue- iche) dans le Jardin des bambous ; il se rendit avec ses disciples dans la ville pour y recevoir l’aumône ; quand il eut fini d'expliquer la Loi, entre trois et cinq heures de l'après-midi, il sortit de la ville ; sur la route il rencontra un homme qui poussait devant lui un grand troupeau de bœufs et qui se disposait à rentrer dans la ville ; gras et repus, ces bœufs bondissaient et se frappaient les uns les autres avec leurs cornes; alors l'Honoré du monde pro- nonça ces stances :

Comme cel homme qui branditl un bâlon pour con- duire les bœufs à la boucherie, ainsi sont la vieillesse el la mort; car pour l'homme aussi, après qu'il a élé nourri, la vie S'en va.

Sur des centaines et des milliers de personnes 1l n’y en a pas une, homme ou femme el de quelque famille qu’elle soit, qui, après avoir ramassé des richesses, -- ne doive s’affaiblir et périr.

(1) Le Fa kiu p'i yu king (Nanjio, 1353), a été traduit par les cramanas Fa-kiu et Fa-li entre 265 et 316 p. C. C'est un texte du Dhammapada les stances sont accompagnées d’un certain nombre d'avadänas. Sous Île titre The Dhammapada from the Buddhist Canon, Beal a traduit la partie versifiée de cet ouvrage; mais il s'est borné à donner des analyses de quelques-unes des paraboles qui y sont contenues.

310 FA KIU P'I YU KING (N° 495)

Pour les êtres vivants, jour et nuil, leur vie d'elle- même se détruil; l’exlinction produite par la vieillesse est semblable à l'infiltration de l’eau dans un trou.

Quand le Buddbha fut arrivé dans le Jardin des bam- bous, il se lava les pieds et s’assit. Ânanda s’avança alors, se prosterna et demanda à l’Honoré du monde : « Naguère, sur la route, vous avez prononcé ces trois stances ; je n’en ai pas bien vu le sens; je désire que vous me fassiez la grâce de me les expliquer. » Le Buddha dit à Ânanda : « Avez-vous vu cet homme qui chassait devant lui un trou- peau de bœufs ? » Ânanda ayant répondu qu'il les avait vus, le Buddha reprit : « Ce troupeau de bœufs qui appar- tient à un boucher comptait au début mille têtes de bétail ; le boucher charge chaque jour un homme de les mener hors de ville et de chercher de bonne eau et d'excellents pâturages afin qu’ils deviennent gros et grands ; puis on choisit les plus gras d’entre eux et on les lui amène cha- que jour pour qu’il les tue ; plus de la moitié d’entre eux ont été ainsi tués ; cependant ceux qui restent ne se sont aperçus de rien; ils sont justement en train de se donner des coups de corne, de bondir et de mugir. J’ai été affligé de leur manque de sagesse et c’est pourquoi j'ai prononcé ces stances. »

Le Buddha dit à Ânanda : « Comment ne s’agirait-il que de ces bœufs ? Pour les hommes il en va de même. Ils ne pensent qu'à leur moi etne connaissent pas l'imper- manence universelle ; ils satisfont gloutonnement les dé- sirs de leurs cinq sens et nourrissent bien leur corps; ils réjouissent leur cœur et donnent toute satisfaction à leurs désirs ; ils se nuisent les uns aux autres ; jamais ils ne s'accordent, même provisoirement, eten définitive ils en arrivent à ne trouver jamais le moment (où ils vivront en bonne harmonie). Dans leur aveuglement ils ne s’aper- coivent de rien; en quoi diffèrent-ils de ces bœufs ? » En ce temps, dans l'assemblée, il y avait deux cents bhiksus

| | | 4 |

FA KIU P'1 YU KING (N° 495-496) 311

avides de jouissances, qui, après avoir entendu la Loi, firent tous leurs efforts pour atteindre les six pénétrations

-surnaturelles et obtinrent la dignité d’arhat. Tous les as-

sistants, émus et joyeux, rendirent hommage au Buddha.

496.

(Frips KV 06; pr 68 1)

Autrefois le Buddha se trouvait dans la montagne

K'i-tou-k'iu (Grdhraküta) de ZLo-yue-iche (Râjagrha). En

ce temps, dans cette ville, il y avait une courtisane nommée Fleur de Lotus; elle était d’une beauté remarquable et n'avait pas son égale dans tout le royaume. Tous les

jeunes gens des principales familles la recherchaient et

l’admiraient. Or, un jour, Fleur de Lotus conçut une ex- cellente pensée ; elle voulut renoncer aux choses de ce monde et devenir. bhiksunï ; elle se rendit donc dans la montagne pour aller auprès du Buddha. Avant qu'elle fût

arrivée à mi-chemin, elle rencontra une source d’eau vive ;

Fleur de Lotus but de l’eau et se lava les mains ; elle aperçut son visage dont le teint était rose et animé, ses cheveux qui étaient de couleur foncée, les formes de son corps et de sa figure qui étaient parfaites, tout cela étant unique et ne souffrant aucune comparaison ; elle se repen- tit alors et dit : « Quand une personne est née dans le monde avec un tel corps, comment pourrait-elle renoncer à elle-même pour se faire çramana ? Il me faut profiter du moment présent pour satisfaire mes désirs personnels. » Ayant fait ces réflexions, elle revint sur ses pas.

Le Buddha savait que Fleur de Lotus devait étre con- vertie et sauvée ; il créa donc miraculeusement une femme plus belle que toutes les autres et qui même l’emportait

312 FA KIU P’I KING (N° 496)

plusieurs millions et myriades de fois sur Fleur de Lotus ; cette femme vint sur le chemin au-devant de Fleur de Lotus ; quand celle-ci la vit, son cœur fut plein d’amour et de respect; elle demanda aussitôt à la femme miracu- leuse d’où elle venait, et se trouvaient son mari, ses fils, son père, ses frères ainés et ses parents en ligne mas- culine et en ligne féminine, comment il se faisait qu’elle marchait seule et sans personne à ses côtés pour l’accom- pagner. La femme miraculeuse lui répondit : « Je viens de la ville ; je désire retourner chez moi; bien que nous ne nous connaissions pas, ne vaut-il pas mieux que nous re- venions ensemble, et, quand nous serons arrivés auprès d'une source, que nous nous reposions en causant ? » Fleur de Lotus donna son assentiment ; toutes deux donc revin- rent de compagnie et arrivèrent auprès d’un ruisseau ; elles bavardèrent sur mille détails. Cependant la femme miraculeuse éprouva le besoin de dormir, et, appuyant sa tête sur les genoux de Fleur de Lotus, elle s’endormit ; au bout d’un instant, soudain sa vie s’interrompit; elle enfla et exhala une odeur putride ; son ventre creva et des vers en sortirent; ses dents tombèrent, ses cheveux se détachèrent, ses membres se disjoignirent. En voyant cela, Fleur de Lotus fut saisie d’une grande crainte et dit: « Comment se fait-il qu’une si belle femme soudain ait subi la loi de l’impermanence ? S'il en a été ainsi pour elle, comment moi-même pourrai-je me conserver long- temps? C'est pourquoi donc, il faut que j'aille auprès du Buddha et que je déploie toute mon énergie pour étudier la sagesse ». Elle se rendit alors auprès du Buddha et se jeta à terre tout de son long ; quand elle eut terminé ses adorations, elle raconta au Buddha tout ce qu'elle avait vu. Le Buddha dit à Fleur de Lotus : « Il y a quatre choses en lesquellesl’homme ne saurait mettre son appui ; quelles sont ces quatre choses? Ce sont : la jeunesse, car elle doit aboutir à la vieillesse ; la vigueur, car elle doit

PT AO EE ENT EUR PEN VE

FA KIU P’I YU KING (N° 496) 313

aboutir à la mort ; Les joies qu’on éprouve en étant réuni avec ses parents aux six degrés, car on devra s’en sépa- rer ; les richesses accumulées, car elles doivent néces- sairement être dispersées. » Puis l’'Honoré du monde pro- nonça ces gâthàs : |

Par la vieillesse, la beauté se flétrit ; par la maladie, on se détruit soi-même ; le corps est brisé et se pourrit; voilà ce qui arrive quand la vie a pris fin.

Ce corps, quelle en est l'utilité? Il a constamment des endroits qui laissent échapper de mauvaises odeurs; il est accablé par la maladie ; il est tourmenté par la vieil- lesse et par la mort.

Quand on donne satisfaction aux désirs charnels, la violation de la Loi s'en trouve augmentée ; sans même qu'on voie ou qu'on entende aucun changement, la vie humaine manifeste son impermanence (1).

Il n'y a plus alors de fils sur lequel on puisse s'appuyer, ninon plus de père ou de frère aîné; quand on est serré de près par la mort, il n'y a point de parent qui puisse vous secourir.

Ayant entendu la Loi, Fleur de Lotus en comprit avec joie l'explication ; elle vit que le corps était comme quelque chose qui se transforme, que la vie ne pouvait pas durer longtemps. Il n’y a de perpétuel et de calme que la sa- gesse, la vertu et le Nirvâna. Alors donc elle s’avança et exprima au Buddha son désir d’être bhiksuni. Le Buddha l’approuva. Aussitôt les cheveux de sa tête tombèrent spontanément etelle devintune bhiksunï; elle se plongea dans la contemplation correcte et obtint la dignité d’arhat.

Tous les assistants, après avoir entendu ce qu'avait dit le Buddha, furent joyeux.

(1) C'est-à-dire que la mort survient.

314 FA KIU P'I YU KING (N° 497)

497.

(Trip., XXIV, 6, p. 68 r°-v°.)

Autrefois, au sud-est du royaume de Chü-wer (Crâvasti) il y avait un grand fleuve ; les ondes en étaient profondes et larges ; plus de cinq cents familles habitaient sur ses bords; mais elles n’avaient point encore entendu parler de la pratique de la sagesse et de la vertu qui sauve le monde ; elles se livraient à des actes de violence et cherchaient constamment à tromper autrui; elles étaient avides de gain et s’abandonnaient à toutes leurs passions ; elles réjouissaient leur cœur et concevaient des désirs immo- dérés. L’Honoré du monde songeait constamment qu'elles devaient être sauvées et qu'il lui fallait aller les sauver ; il savait que ces diverses familles avaient ce bonheur qu'elles devaient être sauvées. Alors donc le Buddha alla au bord du fleuve ets’assit sous un arbre ; les gens de ce village, voyant la marque distinctive de l'éclat du Buddha, furent émerveillés et il n’y eut aucun d'eux qui ne fût pé- nétré de respect; tous allèrent lui rendre hommage, les uns en se prosternant, les autres en le saluant, les autres en lui demandant de ses nouvelles. Le Buddha leur ordon- na de s'asseoir et leur expliqua la doctrine deslivres saints; quand ces hommes l’entendirent parler, ils ne le crurent point dans leurs cœurs ; ils étaient en effet accoutumés au mensonge et à la négligence et n’ajoutaient point foi aux paroles véridiques. Le Buddha créa alors miraculeusement un homme qui vint du Sud du fleuve ; ses pieds mar- chaient sur l’eau et c’est tout juste s'il enfonçait jusqu’à la cheville ; il vint devant le Buddha, se prosterna la tête contre terre et l'adora; tous les hommes en furent témoins etiln'y eut aucun d'eux qui n’en füt stupéfait; ils deman-

FA KIU P'I YU KING (N° 497) 315

dèrent à l’homme miraculeux : « Nos familles, depuis nos premiers ancêtres, demeurent au bord de ce fleuve; or nous n'avons jamais entendu dire qu'un homme ait mar- ché sur les eaux; qui donc êtes-vous et quelle est votre recette magique pour marcher sur les eaux sans enfoncer ? Nous désirons en savoir l'explication.» L'homme miracu- leux leur répondit : « Je suis un homme simple et igno- rant du Sud du fleuve ; ayant entendu dire que le Buddha se trouvait ici, j'ai été avide de me réjouir de sa sagesse et de sa vertu ; quand je suis arrivé sur la rive méridio- dale, ce n'était pas l’époque le fleuve était guéable ; mais je demandai aux gens qui étaient sur cette autre rive quelle était la profondeur de l’eau, ils me répondirent que l’eau me monterait jusqu'à la cheville et que rien ne m'empécherait de passer. J’ajoutai foi à leurs paroles et je suis donc venu en traversant (le fleuve) ; je n'ai aucune autre recette extraordinaire. » Le Buddha le loua en lui di- sant : « Très bien ! très bien ! En effet, l’homme qui a foi dans les vérités absolues peut traverser le gouffre des naissances et des morts ; qu’y a-t-i! donc d’extraordinaire à ce qu'il puisse traverser un fleuve de quelques A de large. » Alors le Buddha prononça ces stances :

La foi (çraddhà) peut traverser le gouffre; les sam- grahavastu (1) symbolisent celui qui dirige le baleau ; l'énergie (virya) écarte les souffrances ; la sagesse

(Prajñd) arrive à l'autre rive (1).

Quand un homme se conduit avec foi, il est approuvé par les saints ; celur qui se plail dans la simplicité abso- lue (asamskirta) —est délivré de tous ses liens.

La foi certes obtient la sagesse el la sagesse produit le nirvâna ; c’est parce qu'on a entendu (la Loi) qu'on

(1) Les quatre samgrahavastu sont les quatre moyens d'attirer autrui à soi et, par là, à la religion. La Mahâvyutpatlti ($35) les énumère comme suit : däna (libéralité), priyavâdita(bonne parole), arthataryà (pratique de ce qui est avantageux à autrui), samänàärthalà (identité d'intérêts).

316 FA KIU P'I YU KING (N° 497)

acquiert l'intelligence, et alors, partout l'on va, on est éclairé.

Par la foi, ainsi que par l'observation des défenses, parce qu'il a l'esprit inlelligent et parce qu’il peut agir, un homme vaillant traverse les haines, et c'est ainsi qu’il échappe au gouffre.

En entendant ce que disait le Buddha, et en voyant la preuve de sa véracité, les gens de ce village sentirent leur cœur s'ouvrir et leur foi s’affermir ; tous recurent les cinq défenses et devinrent des hommes purs et croyants. Leur foi éclairée se développa de jour en jour ; l’enseignement de la Loi se répandit partout.

SUTRAS DIVERS

198

SÛTRA DES DIX RÊVES DU Ro1 POU-LI-SIEN-NI

(PRASENAJIT) (1).

(Trip AI pp MEANS)

Voici ce que j'ai entendu (raconter): Une fois le Buddha se trouvait à Grâvasti, dans le Jetavana, dans le jardin d'Anâthapindada. En ce temps, le roi Pou-li-sien-ni (Prase- najit), tandis qu’il était couché pendant la nuit, vit en rêve dix choses, Quelles étaient ces dix choses ? Premièrement, il vit en rêve trois jarres réunies ; les deux jarres latérales étaient pleines de vapeurs qu'elles émettaient et se pas- saient de l’une à l’autre dans les deux sens, mais (les va- peurs) n’entraient point dans la cruche du milieu qui res-

(1) Ce texte se présente dans le Tripitaka chinois en quatre rédactions. L'une d'elles (Trip., XII, 4, pp. 42 v°.-43 r°), qui est quelque peu abrégée, n'existe que dans l'édition de Corée etest donc omise dans le catalogue de Nanjio; elle est intitulée : Fo chouo chô wei kouo wang che mong king; on ne sait pas quel est le nom du traducteur, mais on admet qu'il devait vivre à l'époque des Tsinoccidentaux (265-316 p. C.) Une seconde rédac- tion (Trip., XII, 3, pp. 67 v°-68 r°)se trouve à la fin du Tseng a han king (Ekottarâgama sûtra; Nanjio, Cataloque,n° 543 [52])), traduit en 384-385 par Dharmanandi (Nanjio, Catalogue, App. IT, 57). Une troisième rédaction (Trip., XIL, 4, p. 11 v°-42 r°) est le ChûÜ wei kouo wang mong kien che che king (Nanjio, Catalogue, 631), ou « sûtra des dix choses que vit en songe le roi de Çrâvasti »; on ne sait pas qui est l’auteur de cette traduction. Enfin une quatrième rédaction (Trip. XII, 4, pp. 43 v°-44 r°), qui est celle que nous traduisons ici, est le Xouo wang pou li sien ni che mong king (Nanjio, Catalogue, 632), ou « Sûütra des dix rêves du roi Prasenaïjit »; cette version fut faite entre 381 et 395 p. C. par T'an-wou-lan [Nanjio, Catalogue, App. IT, 38).

318 SÛTRAS DIVERS (N° 498)

tait vide. Secondement, il vit en rêve un cheval qui man- geait par la bouche et qui mangeait aussi par le

fondement. Troisièmement, il vit en rêve un petitarbre (1) qui portait des fleurs, Quatrièmement, il vit en rêve un petit arbre qui produisait des fruits. Cinquièmement il vit en songe un homme qui fabriquait une corde ; derrière l’homme se trouvait un mouton; le maître du mouton man- geait la corde (2). Sixièmement, il vit en rêve un renard assis sur un lit d’or et mangeant dans de la vaisselle en or. Septièmement, il vit en rêve une grande vache qui, con-

(1) Cette leçon est aussi celle du 631 de Nanjio. Mais les deux autres textes donnent la leçon «un grand arbre ». La leçon « un petit arbre » est préférable puisque, dans l'interprétation qui est donnée de ce songe, l'arbre représente des jeunes hommes.

(2) Dans le Mahäsupina-jâtaka (Jàätaka, 77), l'animal qui dévore la corde au fur et à mesure est un chacal femelle(voyez aussi SPENCE HARDY, Manual of Buddhism p. 305). RousEe (A Jâtaka in Pausianas, dans la revue folklore, vol. 1, 1890, p. 409) a été le premier à signaler le parallé- lisme de ce texte avec une légende grecque: décrivant la peinture des enfers par Polygnote, Pausanias dit: (X, 29, 2; voyez J. G. FRAZER, Pau- sanias, Vol. V, p. 376; Edinburgh Review, avril 1897, p. 458; Journal Hellenic Studies, vol. XIV, p. 81): « Plus loin, un homme est assis; une inscription nous apprend qu'il s'appelle Oknos. Il est représenté tenant une corde ; auprès de lui se tient une ânesse qui dévore furtivement la corde à mesure qu’il la tresse. Cet Oknos était, dit-on, un homme laborieux, mais il avait une femme dépensière qui en peu de temps dépensait tout ce qu'il avait gagné par son travail; on veut donc que, dans ce tableau, Polygnote ait fait allusion à la femme d'Oknos. Pour moi, je sais que les Ioniens disent d’un homme occupé à une tâche inutile : « Il tresse la corde d'Oknos. » Si nous n'avons plus la peinture de Polygnote, nous possédons cependant une demi-douzaine de représentations antiques d'Oknos et de son ânesse; on peut voir deux d'entre elles reproduites dans l’article sur Oknos qu'a écrit M. Hôfer pour le Ausfürliches Lexikon der Griechischen und Rümischen Mythologie de Roscuer. La présence de l'âne dans la légende grecque, au lieu du chacal ou du mouton de la tra- dition indienne, peut s'expliquer par la quasi-homophonie des mots oknos et onos. Au témoignage de Diodore de Sicile (I. 2 97), la légende d'Oknos se retrouvait en Égypte sous la forme d’un rite : « Dans la cité d'Acan- thes, au delà du Nil, vers la Lybie, à cent vingt stades de Memphis, il y a, dit-on, une grande jarre percée dans laquelle trois cent soixante prêtres viennent chaque jour apporter de l’eau du Nil; en outre, dans une fête publique qui se célèbre non loin de là, on représente en action le mythe d'Oknos sous la forme d'un homme qui tresse le bout d'une longue corde tandis que plusieurs hommes, placés derrière lui, défont ce qu'il a tressé. »

| Fe

SÜTRAS DIVERS (N° 498) 319

trairement à ce qui aurait être, tétait un veau. Huitiè- mement, il viten rêve quatre bœufs qui venaient en mugis- sant des quatre côtés de l'horizon et accouraient l’un vers l’autre pour se battre ; au moment oùils allaient se joindre, mais ne s'étaient pas encore joints, il ne sut ils étaient allés (1). Neuvièmement, il vit en rêve un grand étang en- touré de berges, l’eau était trouble au milieu et claire sur les quatre bords. Dixièmement, il vit en rêve un grand torrent qui coulait absolument rouge.

Quand le roi eut rêvé ces choses, il se réveilla aussitôt et craignit fort de perdre son royaume, sa propre personne, ses femmes et ses enfants. Le lendemain, il appela les grands. ministres, les hauts dignitaires, ainsi que tous les reli- gieux qui savaient expliquer les songes ; il leur demanda: « Hier, pendant la nuit, j'étais couché et j'ai vu en songe dix choses. Après avoir fait ces rêves, je me suis réveillé: j'ai eu peur et mon esprit a été sans joie. Qui peut m’ex- pliquer ces songes Parmi les religieux il y eutunbrah- mane qui dit : « Je puis les expliquer à Votre Majesté, mais je crains que lorsque, vous m'aurez entendu, vous ne soyez affligé et mécontent. » Le roi répliqua : « Ce que vous voyez, exposez-le aussitôt et ne me taisez rien. » Le: brahmane dit : « O roi, des rêves que vous avez eus, chacun est mauvais et ne présage rien de bon. Il vous faut prendre ce qui vous est le plus cher, votre femme et votre héritier présomptif, ainsi que les serviteurs. et les esclaves attachés à votre personne et les tuer tous pour les sacrifier au ciel. Alors vous pourrez n'avoir rien d'autre redouter). Toute votre literie, 6 roi, ainsi

. que tous les joyaux et les objets de prix que vous avez

sur votre corps, il vous faut les brüler pour les sacrifier au ciel. De cette facon, Ô roi, vous pourrez personnelle- ment n'avoir rien d'autre redouter) ». Ayant entendu.

(1) C'est-à-dire que les bœufs disparurent subitement.

320 SÛTRAS DIVERS (N° 498)

l'explication que le brahmane donnait de ses songes, le roi fut extrémement affligé et mécontent ; il se retira dans la chambre d’abstinence pour songer à ces choses.

Or le roi avait une épouse principale nommée Mo-ni (1) qui se rendit auprès de lui et lui demanda: « Pourquoi êtes-vous entré dans la chambre d’abstinence, et pourquoi êtes-vous affligé et mécontent? Ai-je commis quelque faute envers Votre Majesté ? » Le roi répondit: « Vous n'avez commis aucune faute envers moi; c'est. de mon propre mouvement que je m'’afflige. » La reine lui demanda encore : « Quelle est, Ô roi, la cause de votre affliction ? » Le roi répliqua : «Ne me le demandez pas; si vous l’appre- niez, vous ne seriez point heureuse ». Sa femme reprit: « O roi, je suis la moitié de votre corps; qu’il y ait du bien ou du mal, vous devez me le dire; pourquoi ne me le dites- vous point

Le roi dit à sa femme : « Hier, pendant la nuit, j'ai vu en rêve dix choses ; après avoir fait ces rêves, je me suis réveillé et j'ai ressenti une grande tristesse et une grande frayeur, car je craignais de perdre mon royaume, ainsi que moi-même, mes femmes et mes enfants. J'ai convoqué tous les ministres, les hauts dignitaires et la multitude des religieux pour m'interpréter les dix choses que j'avais vues en songe ; or 1] y eut un brahmane qui m'expliqua ce rêve en me disant : « Il vous faut prendre tous les êtres qui vous sont chers, votre femme, votre héritier pré- somptif, ainsi que les serviteurs et les esclaves attachés à votre personne, votre éléphant blanc, votre cheval renommé, et les immoler tous pour les sacrifier au ciel ; de même encore toute votre literie, ainsi que les joyaux précieux que vous avez sur votre corps, devront être entiè- rement brülés en sacrifice au ciel : alors votre personne, 6

(1) Tous les autres textes donnent la leçon Mo-li qui est préférable, puisquele nom de la reine doitêtre Mâlikà (BENFEY, Pantschatantra, vol. I, p. 587,n° 1) ou Mâlini (SPENCE Harpy, Manual of Buddhism, p. 304).

SÛTRAS DIVERS (N° 498) 321

roi, pourra rester saine et sauve. » Voilà pourquoi je m’af- flige et n’ai plus aucune joie. »

Sa femme lui répondit: «O roi, ne vous désolez pas. Quand un homme achète de l'or, il Le frotte sur la pierre (de touche), et alors, belle ou laide, bonne ou mauvaise, la couleur de cet or se révèle sur la pierre. Maintenant le Buddha est près d'ici, dans un vihâra qui n’est pas éloigné de la ville; pourquoi n’allez-vous pas le consulter sur la signification de vos songes? vous vous conformerez aux explications que vous fournira le Buddha. »

Le roi donna aussitôt des ordres aux officiers de sa suite pour qu'on équipât son char, puis il sortit pour aller auprès du Buddha ; on arriva à un sentier de piétons; le roi descendit alors de son char ets’avança jusqu’auprès du Buddha ; il posa son visage sur les pieds du Buddha, puis il recula, s’assit et lui dit : « La nuit dernière, j'ai vu dix choses : premièrement j'ai vu en rêve trois jarres réunies (1)... Voilà ce que je vis en songe, et quand je m'éveillai, j’eus grand peur ; je craignis de perdre mon royaume, ainsi que ma personne, mes femmes et mes enfants. Que le Buddha m'explique le sens des dix choses que j'airêvées; mon désir estd’entendredes instructions. »

Le Buddha lui répondit : « O roi, ne vous tourmentez pas. Ce que vous avez rêvé ne tire pas à conséquence ; ce que vous avez rêvé concerne des choses futures qui se passeront dans les générations à venir, mais ne se rap- porte pas à la génération présente. » Le Buddha continua: « Dans les générations à venir, les hommes ne craindront pas les interdictions que prescrit la Loi ; ils seront débau- chés,avides,envieux et insatiables ; ils auront peu de justice et de raison, et leur cœur sera sans aucune bienveillance ; ils se complairont dans la colère et ne sauront pas avoir de bonté. »

(1) Répétition de ce qui a été dit dans les pp. 317-319. ILE. 21

322 SÛTRAS DIVERS (N° 498)

Le Buddha dit encore : « Dans votre premier rêve vous avez vu trois jarres réunies; les deux jarres latérales étaient pleines de vapeur qu'elles émettaient et se passaient de l'une à l’autre dans les deux sens, mais (ces vapeurs) n’en- traient pas dans la cruche du milieu qui restait vide. (Voici ce que cela signifie :) Dans les générations à venir, les hommes qui seront puissants et élevés en dignité se rechercheront et se suivront les uns les autres, mais ne jetteront pas leurs regards sur les pauvres gens. Voilà exactement, ô roi, ce que représentait le groupe des trois cruches que vous vites en songe. O roi, ne craignez point; cela ne concerne en rien ni votre royaume, ni votre fils héritier, ni votre épouse. »

Le Buddha dit ensuite : « Dans votre second rêve, à roi, vous avez vu un cheval qui mangeait par la bouche et qui mangeait aussi par le fondement. (Voici ce que cela si- gnifie :) Dans les générations à venir, les souverains et les ‘principaux ministres tireront leur nourriture des greniers publics; mais les fonctionnaires locaux qui ont des appointements pressureront néanmoins le peuple et ne se- ront jamais satisfaits. Voilà exactement (1)... »

Le Buddha dit: « Dans votre troisième rêve vous avez vu un petit arbre qui portait des fleurs. (Voici ce que cela signifie :) Dans les générations à venir, les hommes, avant même d'avoir atteint leur trentième année, auront des cheveux blancs sur la tête; à cause de leur soif de dé- bauche et de leur excès de passions, ils seront forcément vieux dès leur jeunesse. Voilà exactement... »

Le Buddha dit : « Dans votre quatrième rêve, à roi, vous avez vu un petit arbre qui produisait des fruits. (Voici ce que cela signifie :) Dans les générations à venir, les filles, avant même d’avoir atteint leur quinzième année, feront comme si elles étaient mariées; elles tiendront

(1) Répétition, mutatis mulandis, de ce qui a été dit dans les lignes 9-13 ci-dessus

ML si de. L

SÛTRAS DIVERS (N° 498) 393

des enfants dans leurs bras et resteront avec leurs amants

sans en éprouver aucun sentiment de honte. Voilà exacte- ment... »

Le Buddha dit : « Dans votre cinquième rêve, Ô roi, vous

avez vu un homme qui fabriquait une corde; derrière

l’homme était un mouton et le maître du mouton mangeait la corde. (Voici ce que cela signifie :) Dans les généra- tions à venir, quand le mari d’une femme sortira pour aller faire le commerce, il laissera sa femme derrière lui; celle-ci aura des relations avec un autre homme qui man- gera toute la fortune du mari. Voilà exactement... »

Le Buddha dit : « Dans votre sixième rêve, 6 roi, vous avez vu un renard assis sur un lit d’or et mangeant dans de la vaisselle d'or. (Voici ce que cela signifie :) Dans les générations à venir, des hommes de condition basse et vile deviendront nobles et honorés et auront des richesses ; la multitude des hommes les respectera et les craindra. Au contraire, les descendants des familles seigneuriales de- viendront des humbles ; ils seront aux places inférieures et mangeront et boiront après les autres. Voilà exacte- ment... »

Le Buddha dit: « Dans votre septième rêve, à roi, vous avez vu une grande vache qui, au rebours de ce qui au- rait être, tétait un veau. (Voici ce que cela signifie :) Dans les générations à venir, les hommes ne connaïîtront ni les rites ni la justice ; les mères, contrairement à ce qui devrait être, serviront d’entremetteuses à leurs filles et attireront des hommes étrangers pour qu'ils aient des relations avec elles ; elles vendront ainsi leurs filles pour gagner des richesses et subvenir à leurs propres besoins; elles n’en éprouveront aucune honte. Voilà exactement... »

Le Buddha dit: « Dans votre huitième rêve, vous avez vu quatre bœufs qui venaient en mugissant des quatre côtés de l'horizon et accouraient les uns vers les autres pour se battre ; au moment ils allaient se joindre, mais

324 SÛTRAS DIVERS (N° 498)

ne s'étaient pas encore joints, vous ne sûtes ils étaient allés. (Voici ce que cela signifie :) Dans les générations à venir, les souverains, les princes, les préfets, les magis- trats et les gens du peuple auront tous des sentiments qui ne seront pas d’une absolue sincérité ; se trompantles uns les autres, ils agiront avec stupidité et avec colère ; ils ne respecteront pas le Ciel et la Terre; c’est pourquoi la fer- tilité causée par la pluie ne viendra plus au temps voulu ; alors les magistrats et les gens du peuple feront des prières pour demander la pluie ; le Ciel fera donc surgir des quatre coins de l'horizon des nuages, et le tonnerre retentira ; les magistrats et les gens du peuple diront que la pluie est imminente; mais, au bout d’un instant, les nuages se disperseront et s’en iront, en sorte que la pluie ne tombera pas. La raison en est que les souverains, les princes, les préfets, les magistrats et les gens du peuple auront manqué de fidélité, de rectitude et de bonté. Voilà exactement... »

Dans votre neuvième rêve, Ô roi, vous avez vu un grand étang entouré de berges, l’eau était trouble au milieu et claire sur les quatre bords. (Voici ce que cela signifie :) Dans les générations à venir le pays du Milieu (Madhya- deca) sera bouleversé ; le gouvernement ne sera pas juste ; les gens du peuple ne témoigneront pas de piété filiale à leurs pères et mères et ne respecteront pas les vieil- lards; cependant les pays de la frontière se présenteront calmes et purs ; la population y vivra en bonne harmonie et sera déférente envers ses pères et mères. Voilà exacté- ment... »

Le Buddha dit: « Dans votre dixième rêve, à roi, vous avez vu un grand torrent qui coulait absolument rouge. (Voici ce que cela signifie :) Dans les générations à venir, les divers royaumes s’entrecombattront ; ils lèveront des armées et rassembleront des troupes pour s’attaquer tour à tour les uns les autres ; il leur faudra organiser des

SÛTRAS DIVERS (N°5 498-499) 325

bataillons de chars, des bataillons de fantassins et des bataillons de cavaliers pour lutter entre eux; ceux qui seront ainsi entretués ou blessés seront innombrables ; le sang des morts qui seront gisants sur la route coulera absolument rouge. Voilà exactement... »

Le Buddha dit : « O roi, tout ce que vous avez rêvé con- cerne des choses des générations à venir et ne se rap- porte point aux choses de la génération présente. Ne crai- gnez donc rien, 6 roi, et ne vous tourmentez point. » Le roi se mit à deux genoux et dit : « Maintenant que j'ai obtenu les enseignements du Buddha, mon cœur se réjouit; pour prendre une comparaison, un homme portait un petit vase plein de graisse liquide ; la graisse était abondante et le vase était petit; quand l’homme se fut procuré un autre vase plus grand pour y mettre cette graisse, il fut rassuré et ne craignit plus ; de même maintenant, pour avoir recu le bienfait du Buddha, je suis rassuré. »

Alorsle roi rendithommage au Buddha; il s’en retourna, et, quand ilfut revenu dans son palais, il fit de grand pré- sents à son épouse principale, et, en même temps, il priva de leurs appointements tous ses grands ministres ; le roi déclara : « Dorénavant, je ne croirai plus les hommes des sectes hérétiques et je n’ajouterai pas foi aux paroles des brahmanes. »

190

SÛÜTRA PRONONCÉ PAR LE BUDDHA AU SUJET DE L'AVADANA CONCERNANT FILLE-DE-MANGUIER {ÂmrapÂui) Er K'I- YU (Jivaxa) (1).

(PRIE RAIN 6 A UD/-18 12-92V0) Voici ce que j'ai entendu raconter : Un jour le Buddha

(1) Ce sûtra (Nanjio, Catalogue, 667), a été traduit sous la dynastie des seconds Han par Ngan (VArsacide ou le Parthe) Che-kao qui vinten

326 SÛTRAS DIVERS (N° 499)

se trouvait dans le royaume de Zo-yue-lche (Ràäjagrha) et il expliquait la Loi au milieu d'une réunion de douze cent cinquante grands disciples, de bodhisattvas, de mahâsattvas, de devas, de nâgas, et des huit catégories de la grande Assemblée. Parmi les gens de cette époque, innombrables étaient les donateurs; or l’un d’eux, qui était un pauvre homme, n'avait qu'un mouchoir en haillons ; il aurait désiré en faire don, mais, craignant que cet objet n’excitât la répugnance, il restait hésitant. En ce moment, dans l'assistance il y eût une bhiksunt nommée « Fille-de-manguier », qui se leva de son siège, arrangea ses vêtements, rendit hommage, se mit à deux genoux, joignit les mains, puis dit au Buddha : « O Ho- noré du monde, je me rappelle que, dans une vie anté- rieure, je naquis dans le royaume de Po-lo-nai (Vârânasi), en qualité de fille pauvre. En ce temps, il y avait un Buddha, nommé ÆXia-ye (Kâçyapa), qui, au milieu d’un cercle de nombreux auditeurs, expliquait la Loi; je m’assis pour entendre les livres saints et fus joyeuse; je conçus l'intention de faire une libéralité, mais, considérant que je n'avais rien et songeant à ma pauvreté, j'en fus émue de tristesse; alors j’allai dans le jardin d’une autre per- sonne et je mendiai des fruits pour en faire don au Buddha; je recus alors une mangue; elle était grosse et son parfum était excellent; tenant donc dans ma main un bol d’eau en même temps que cette unique mangue, j'en fis offrande au Buddha Æ1a-ye (Kâçyapa) et à toute l’as- semblée des religieux. Le Buddha, connaissant l'excel- lence de mon intention, accepta cela en prononcçant un vœu; puis il partagea et distribua l’eau et la mangue, en sorte que tous en eurent sans exception. Grâce au bonheur que je m'étais ainsi acquis, quand ma vie fut finie, je naquis en qualité de devi et j'obtins d’être une

Chine en l'année 148 p. C. et travailla à faire des traductions jusqu'en l'année 170 p. C.

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SÜTRAS DIVERS (N° 499) 327

reine des devis; puis, quand je naquis en bas, dans ce monde, je ne fus pas issue d’un fœtus, mais, pendant quatre-vingt onze kalpas, je naquis dans une fleur de manguier; je fus belle et fraiche et je connus toujours mes existences antérieures. Maintenant j'ai rencontré l'Honoré du monde qui a ouvert pour moi l'œil de la

sagesse. Fille-de-manguier récita alors ces stances :

La bienfaisance affeclueuse des Trois Vénérables est universelle; son intelligence sauve indifféremment hommes el femmes; la grande récompense du don que Je fis d'un peu d'eau et d'un fruit a été que, grâce à cela, J'ai pu être affranchie de toutes les peines.

En ce monde, je naquis dans une fleur ; en haut, je fus reine des devis ; depuis que j'ai pris mon refuge dans le Saint Bienheureux (Bhagaval), mon champ producteur de bonheur est profond et fertile.

Après avoir fini de rendre hommage, la bhiksüni Fille- de-manguier retourna s'asseoir.

Au temps le Buddha était en ce monde, dans un jardin du roi du royaume de Wei-ye-li (Vaiçâli)}, un man- guier poussa spontanément; ses rameaux et ses feuilles étaient abondants; ses fruits étaient beaucoup plus gros que ceux des autres manguiers; ils avaient une couleur brillante et avaient un parfum et une excellence extraor- dinaires. Le roi aimait fort cet arbre et personne n'avait le droit d'en manger les fruits, sinon les femmes les plus honorées du harem. Or, dans ce royaume il y avait un brahmane grhapati dont la richesse était incalculable en sorte que nul dans tout le royaume ne pouvait l’égaler ; en outre, il était intelligent, perspicace et l’emportait par ses talents et sa sagesse sur la foule des hommes; le roi l’aimait fort et avait fait de lui un de ses grands ministres. Un jour, le roi invita ce brahmane à diner; quand le repas fut fini, il lui donna un fruit du manguier; voyant que cette mangue avait un parfum et un goût tout particu-

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liers, le brahmane demanda au roi s’il n’y avait pas au pied de ce manguier quelque petit rejeton dont il pourrait demander qu'il lui fût fait don; le roi répondit : « Il y avait un très grand nombre de ces petits rejetons; mais, comme je craignais qu'ils ne fissent tort au grand arbre, je les ai arrachés les uns après les autres ; si maintenant vous le désirez, je vous en donnerai un. »

Ainsi fut fait et le brahmane rapporta chez lui ce rejeton, puis le planta; matin et soir il l’arrosait; de jour en jour l'arbre devint plus grand; ses rameaux furent abondants et forts; au bout de trois ans il produisit des fruits qui, pour la beauté et la grosseur, valaient ceux du manguier du roi. Le brahmane, tout joyeux, se dit: « Mes richesses sont incalculables et ne le cèdent en rien à celles du roi; c'était seulement parce que je n'avais pas ce manguier que je lui étais inférieur; mais maintenant que je l’ai obtenu, je n'ai rien à envier au roi. » Iprit alors un de ces fruits etle mangea; mais le goût en était fort âcre et il ne put absolument pas le manger; le brah- mane fut plongé dans une grande tristesse; s'étant retiré, il réfléchit que la cause de cela devait étre que le sol n'était pas assez engraissé; il prit donc le lait de cent vaches et le donna à boire à une seule vache; puis il recueillit le lait de cette unique vache et le fit chauffer de manière à en fabriquer une sorte de beurre dont il arrosa les racines du manguier; il fit journellement cet arrosage, et, l’année suivante, les fruits se trouvèrent être doux et excellents, tout comme l'étaient les mangues du roi.

Cependant, sur le côté de ce manguier, vint à se pro- duire une excroissance noueuse qui, grosse d’abord comme le poing, devint de plus en plus volumineuse. Le brahmane se dit que l'apparition soudaine de cette excrois- sance pouvait faire tort aux fruits; mais, quand il voulut l'enlever en la coupant, il craignit de faire du mal à

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SÛTRAS DIVERS (N° 499) 329

l'arbre; il médita ainsi pendant plusieurs jours et restait perplexe et hésitant, lorsque, du milieu de l’excroissance, jaillit tout à coup une branche qui se dirigea droit en l'air et qui, forte, droite, souple et belle, dépassa le sommet de l’arbre. Quand elle fut à soixante-dix pieds de terre, son sommet se divisa en plusieurs rameaux qui se répartirent circulairement sur les côtés de manière à former comme un dais renversé; les fleurs et les feuilles dont ils étaient couverts étaient magnifiques et l’empor- taient sur celles de l’arbre principal. Le brahmane s’en émerveilla, et, ne comprenant pas ce qu’il pouvait bien y avoir au sommet de cette branche, il construisit un écha- faudage en bois sur lequel il monta pour regarder; il vit que, au sommet de la branche et au centre du dais ren- versé, il y avait un étang d’eau pure et parfumée; en outre, il y avait une multitude de fleurs de couleurs fraîches et vives; il regarda sous ces fleurs et trouva une petite fille qui était dans une des fleurs de l'étang ; le brahmane la prit dans ses bras et l’emporta chez le id la nourrit et l’éleva ; son nom fut Fille-de-manguier.

Ouana cette enfant atteignit sa quinzième année, elle avait une telle beauté que personne ne pouvait rivaliser avec elle dans le monde; sa renommée se répandit jusque dans les royaumes lointains. Sept rois arrivèrenten même temps et se rendirent auprès du brahmane en demandant à contracter des fiançailles avec Fille-de-manguier pour qu'elle devint leur femme. Le brahmane, fort effrayé, ne savait auquel d’entre eux la donner; il édifia alors une haute tour au milieu d’un jardin; il plaça au sommet Fille-de-manguier, puis il sortit et vint dire à tous les rois : « Cette fille n’a point été engendrée par moi; elle a été produite spontanément au sommet d’un manguier; je ne sais vraiment pas si elle est la fille d’un deva, d’un nâga, d’un démon ou d’un génie. Maintenant, vous êtes sept rois qui êtes venus pour demander cette personne

330 ‘suTRAS DivERS {N° 499)

étrange ; si je l'accorde à l’un de vous, les six autres rois s'irriteront. Je ne me permettrais pas cependant de vous la refuser. Maintenant, cette jeune fille est au sommet d'une tour dans le jardin; discutez donc entre vous, et quand vous aurez déterminé qui est celui de vous qui doit l'avoir, que celui-là lemmène; ce n’est pas moi qui déciderai. »

Les sept rois se mirent donc à contester entre eux et la nuit arriva avant que le débat füt tranché; alors l’un d'eux, qui était le roi P'ing-cha (Bimbisâra) pénétra (dans le jardin) en passant par un aqueduc; il monta sur la tour, trouva la fille et coucha avec elle; le lendemain matin, quand il fut sur le point de partir, Fille-de-man- guier lui dit : « O grand roi, vous avez daigné abaisser votre majesté pour venir jusqu’à moi; maintenant, cepen- dant, vous allez me quitter et partir; si j'ai un enfant, il sera de sang royal; à qui devrai-je le confier?» Le roi lui répondit: «Si c’est un fils, vous me le rendrez; si c'est une fille, je vous la donne. » Alors le roi retira de sa main un anneau d’or formant sceau et le remit à Fille- de-manguier pour qu’elle pût s’en servir comme d’attesta- tion (1). Puis le roi sortit et dit à ses ministres : «Je suis parvenu à prendre Fille-de-manguier et j'ai passé la nuit avec elle; elle n’a rien d’extraordinaire et est bien comme toutes les femmes; aussi ne l'épouserai-je pas. » Tous les soldats du roi P'ing-cha (Bimbisâra) poussèrent des vivats en son honneur, disant: « Notre roi a pu prendre Fille-de-manguier. » En apprenant cela, les six autres rois s’en retournérent.

Après que le roi P'ing-cha (Bimbisâra) fut parti, Fille- de-manguier devint enceinte ; elle donna alors au portier

(1) Dans le Xa{tahärijâtaka (Jätaka, 7), le roi Brahmadatta donne de mème son anneau d'or à une femme avec laquelle il a eu accidentellement des rapports et lui dit : « Si vous avez une fille, employez le prix de cet.

anneau à la nourrir; mais, si vous avez un garçon, apportez-moi l'anneau et l'enfant. »

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SÜTRAS DIVERS (N° 499) 33t

l’ordre que, si quelqu'un demandait à la voir, on répondit qu’elle était malade (1). Quand le nombre normal des jours et des mois fut résolu, elle mit au monde un garçon qui avait un beau visage et qui tenait dans sa main un sac à aiguilles d’acupuncture. Le brahmane déclara : « Cet enfant est le fils d'un roi; d'autre part il tient un instrument mé- dical; il sera certainement un roi-médecin. » Alors Fille- de-manguier enveloppa l'enfant dans un vêtement blanc et ordonna à une servante d’aller l’exposer dans la rue. En conformité avec cet ordre, la servante le prit dans ses bras et alla l'abandonner. En ce moment, le prince Wou-wet (Abhaya) (2), était monté sur son char au point du jour avec l'intention d’aller voir le grand roi et il avait envoyé des gens pour faire dégager la route; or le prince aperçut de loin sur le chemin un objet blanc; il fit arrêter son char et demanda à ceux qui étaient auprès de lui : « Qu’est- ce que cet objet blanc ? » On lui répondit que c'était un petit garçon. « Est-il mort ou vivant ? » demanda-t-il. « Bien vivant », lui répondit-on. Le prince ordonna alors à ses gens de le recueillir, puis il chercha une nourrice pour l’allaiter ; comme il était vivant, un brahmane prit ce petit garçon pour le rendre à Fille-de-manguier et on le nomma Ài-yu (Jivaka).

Quand il eut atteint l’âge de huit ans, par son intelli- gence, ses talents éminents et sa connaissance de toutes sortes de livres, il était fort différent de la moyenne des autres enfants. Quand il jouait avec les autres petits gar- çons du voisinage, il les méprisait dans son cœur parce qu'il pensait que ceux-ci ne le valaient pas; un Jour, ces petits garcons l’injurièrent ensemble en lui disant: « Fils sans père, d'une fille débauchée, comment vous permet-

(1) Afin qu'on ne püt pas supposer qu'elle avait eu des rapports avec un autre homme et afin que l'enfant qu'elle aurait fût reconnu comme ayant pour père le roi Bimbisâra.

(2) Fils de Bimbisàra.

332 SÜTRAS DIVERS (N° 499)

tez-vous de nous traiter avec mépris? » Æ1-yu (Jivaka), déconcerté, garda le silence et ne répondit pas. Il revint auprès de sa mère et lui demanda : « Je vois que tous les autres enfants ne me valent pas et cependant ils m’inju- rient en m'appelant fils sans père. se trouve donc main-: tenant mon père ? » Sa mère lui répondit : « Votre père n’est autre que le roi P’ing-cha (Bimbisâra). Le roi P’ing-cha (Bimbisära), reprit Æ’1-yu (Jivaka), se trouve dans le royaume de Lo-yue-lche (Râjagrha) qui est à cinq cents li de distance. Comment m’a-t-il engendré ? et si ce que vous dites, Ô mère, est vrai, comment le prouverai-je? » Sa mère lui montra alors l’anneau formant sceau et lui dit : « Ceci est l'anneau de votre père. » X’i-yu (Jivaka) l’examina et reconnut quil portait l'inscription «sceau du roi P'ing-cha» (Bimbisâra). Prenant donc avec lui cet anneau, il se rendit dans le royaume de Lo-yue-lche (Râjagrha) et entra tout droit par la porte du palais; il n’y eut personne à la porte pour le réprimander. Il parvint ainsi en présence du roi, lui rendit hommage, s’agenouilla et lui dit: « O roi, je suis votre fils ; j'ai été mis au monde par Fille-de-manguier. Maintenant, en atteignant ma huitième année, j'ai appris, à grand roi, que j'étais de votre race et c’est pourquoi, vous apportant la preuve de l’anneau formant sceau, je viens de loin pour rentrer dans votre famille. » Le roi vit l'inscription du sceau, se rappela le serment qu'il avait fait autrefois et reconnut que c'était bien son fils; ému de compassion envers lui, il le nomma prince héritier. Deux ans plus tard, celui qui devait être le roi A-cho- che (Ajâtaçatru) naquit; Æ’i-yu (Jivaka) dit alors au roi : « Au moment de ma naissance, je tenais dans ma main un sac d’aiguilles pour l'acupuncture; c'était une marque que je devais devenir médecin; bien que vous m'ayez nommé prince héritier, je n’en suis pas heureux; puisque maintenant un fils issu de votre première épouse vous est né, il convient que ce soit lui qui vous succède dans votre

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SÛTRAS DIVERS (N° 499) 333

haute dignité; quant à moi, je désire pouvoir pratiquer l’art de la médecine. » Le roi y consentit, puis il lui dit: « Puisque vous n’êtes plus héritier présomptif, vous ne pouvez plus jouir sans motif d’émoluments payés par le roi. Il vous faut étudier la science médicale. » Le roi or- donna alors à tous les meilleurs médecins de son royaume

de l’instruire dans toutes les recettes de leur art; mais

K'i-yu (Jivaka) ne faisait que jouer et ne recevait point leurs enseignements ; tous ces maîtres lui dirent: « L'art

_de la médecine est peu relevé: en vérité il ne saurait être

l'objet de l'étude du très honorable prince héritier. Cepen- dant on ne saurait s'opposer aux injonctions du grand roi; voici plusieurs mois que nous avons reçu ses ordres, et, Ô prince, vous n’avez même pas retenu la moitié d’une phrase de nos formules ; si le roi nous interroge, que lui répondrons-nous ? » Æi-yu (Jivaka) leur dit: « À ma nais- sance, j'eus dans ma main l'indication que je serais méde- cin ; c'est pourquoi j'ai dit au grand roi: « Je renonce aux titres glorieux et je demande à étudier l’art de la méde- cine. » Comment donc serais-je si négligent que je vous oblige à me réprimander ? Ma conduite s'explique simple- ment parce que votre science à tous est insuffisante pour m'instruire.'» Alors donc il prit tous les livres traitant des plantes, des recettes médicales, de acupuncture et du pouls et posa des questions embarrassantes à ses maîtres qui, à bout d'arguments, ne surent que répondre. Tous s’abaissèrent devant A'r-yu (Jivaka) en lui rendant hom- mage; agenouillés et les mains jointes, ils lui dirent : « En ce jour nous devons reconnaître, Ô prince, que nous ne saurions atteindre à votre divine sainteté. Toutes les ques- tions que vous nous avez posées ont été pendant plusieurs générations des sujets de controverse pour nos maitres et on ne saurait les comprendre ; nous désirons, 6 prince, que vous nous les expliquiez entièrement; et que vous dénouiez des énigmes qui nous tourmentent depuis notre

334 SÛTRAS DIVERS (N° 499)

naissance. » Alors donc Æ'1-yu (Jivaka) leur expliqua la solution de ces problèmes; tous les médecins se relevè- rent pleins de joie et lui rendirent hommage en se pros- ternant, disant qu'ils recevaient avec gratitude ses ensei< gnements. | 4 Cependant ÆXi-yu (Jivaka) fit cette réflexion : « De tous les médecins auxquels le roi avait donné des ordres, au- cun n'a pu m'instruire. Qui m'enseignera l’art de la méde- cine ? » Sur ses entrefaites, il apprit que, dans le royaume de To-lch'a-che-lo (Taksacilâ), il y avait un médecin dont le nom de famille était A-ti-li (Atri) (4) et dont le surnom était Pin-kia-lo (Piñngala) ; il connaissait fort bien la méde- cine et pourrait sans doute la lui enseigner. Alors donc le jeune X'1-yu (Jivaka) se rendit dans ce royaume, et, ar- rivé auprès de Pin-kia-lo (Piñgala), lui dit : « Grand maître je demande maintenant que vous vouliez bien consentir à me diriger. » Quand il eut étudié sous sa direction pen- dant sept années, il pensa : « Maintenant je me suis exercé à étudier l’art de la médecine; quand aurai-je fini ? » Il se rendit donc auprès de son maître et lui dit : « Main- tenant je me suis exercé à étudier l’art de la médecine ; quand aurai-je fini? » Son maître alors lui donna un panier et les outils qu’il faut pour arracher les plantes, en lui disant : « Sur un front d’un yojana de long, dans le royaume de To-lch'a-che-lo (Taksaçilà), recherchez toutes les plantes, puis apportez-moi celles qui n’ont pas d'usage médicinal. » Conformément aux ordres de son maître, K'i-yu (Jivaka) rechercha, sur un front d’un yojana de long, dans le royaume de T'o-lcha-che-lo (Taksacilà) toutes les plantes qui n'avaient pas d'usage médicinal, mais en défi- nitive il n’en put trouver nulle part de telles; en effet, toutes les plantes et tous les arbres qu'il voyait, il pouvait

(1) Dans la version tibétaine, ce nom se présente sous la forme Atreya (ScHIEFNER, Mémoires de l’Ac. des Sciences de Saint-Pétersbourg, t. XXII, n07: 1879; DV}

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SÜTRAS DIVERS (N° 499) 335

fort bien les discerner ; il savait les cas il fallait s’en servir et il n’en était point qui n’eût son usage en méde- cine. Il revint donc les mains vides et se rendit auprès de son maître à qui il tint ce langage: « O maître, il faut maintenant que vous sachiez ceci: dans le royaume de To-tch'a-che-lo (Taksaçilâ), j'ai recherché, sur un front d'un yojana de long, les plantes qui n'avaient aucun usage médicinal ; mais je n’en ai trouvé aucune de telle ; toutes les plantes et tous les arbres que j'ai vus. j'ai très bien pu discerner quel en était l’usage. » Le maître répondit à A’i-yu (Jivaka) : « Vous pouvez maintenant vous en aller ; vous possédez parfaitement la science de la médecine. Je suis le premier en cet art dans le Jambudvipa, mais, après ma mort, vous serez pour me succéder. »

Alors Æ°1-yu (Jivaka) partit et se mit à soigner des mala- dies; toutes celles qu’il soignait guérissaient aussitôt. Sa réputation fut connue dans l’étendue entière du royaume.

K'i-yu (Jivaka) voulut ensuite entrer dans le palais royal. Devant la porte du palais il rencontra un jeune garçon qui portait une charge de bois de chauffage ; dès qu’il Le vit de loin, X’1-yu aperçut entièrement les cinq viscères de cet enfant, tels que les intestins et l'estomac, et put les dis- tinguer nettement ; À’1-yu fit alors cette réflexion : « Dans le livre des plantes, on parle de l'arbre roi-médecin (bhaisa- jyarâja) qui, de l’extérieur, illumine l’intérieur et permet de voir les viscères dans le ventre d’un homme. N'y au- rait-il pas quelque morceau de l'arbre roi-médecin dans le bois mort que porte cet enfant? » Il vint donc vers l’en- fant et lui demanda quel prix il voulait de son bois; l’en- fant lui ayant répondu qu’il le vendait dix pièces de mon- naie, il paya ce prix pour faire l’acquisition du bois mort ; l'enfant déposa ce bois par terre et tout aussitôt il devint obscur et on ne vit plus l'intérieur de son ventre. A'i-yu (Jivaka) fit alors la réflexion qu'il ne savait pas se trou- vait dans les fagots le bois roi-médecin ; il délia done les

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deux fagots, puis, prenant un par un les morceaux de bois, il les approcha du ventre de l'enfant ; comme il ne voyait rien apparaître, il passait sans cesse d’un morceau à un autre ; il épuisa de la sorte tout le bois des deux fagots ; la dernière de toutes restait une brindille à peine longue d’un pied; il essaya de s’en servir pour projeter de la clarté et vit entièrement tout ce qui était dans le ventre ; Ki-yu (Jivaka) fut très joyeux, car il savait maintenant que cette brindille était certainement le bois roi-médecin; il rendit alors tout son bois de chauffage à l'enfant qui, ayant reçu les pièces de monnaie et gardant son bois comme précédemment, s’en alla tout content. Cependant Æ'i-yu (Jivaka) fit cette réflexion : « Qui maintenant vais-je guérir? Ce royaume est petit et, en outre, il se trouve sur la frontière; le mieux est que je retourne à présent dans mon pays d’origine pour commen- cer à y pratiquer l’art de la médecine. » Il s’en retourna donc dans le royaume de P'’o-k'ia-Po (Saketa) (1). Dans la ville de P'o-k'ia-l'o se trouvait un important notable dont la femme souffrait constamment de maux de tête depuis douze ans ; tous les médecins l’avaient traitée, mais sans pou- voir la guérir; A'i-yu (Jivaka), ayant entendu parler d'elle, se rendit à sa demeure et dit au portier : « Dites à votre maître qu'il y a un médecin à la porte. » Le portier entra aussitôt et fit ce message ; la femme du notable lui ayant demandé quel aspect avait ce médecin, il répondit que c'était un jeune homme ; elle songea que, si tous les mé- decins vieux et expérimentés n'avaient pu la guérir, un jeune médecin en serait bien plus incapable encore ; elle ordonna donc au portier de dire qu’elle n'avait pas besoin maintenant de médecin ; le portier sortit et annonça à Æ'i-yu (Jivaka) : « J'ai fait votre message à mon maître, mais sa femme a répondu qu'elle n'avait pas besoin de méde-

(1) Autre nom d'Ayodhyà {auj. Aoudh).

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#4 br. De si

SÛTRAS DIVERS (N° 499) 337

cin. » Æ’i-yu (Jivaka) insista : « Allez dire à la femme de votre maître qu’elle me permette seulement de la soigner; si elle guérit, elle me donnera ce qu’elle voudra.» Quand le portier eut rapporté ces paroles, la femme songea que, s’il en était ainsi, elle ne risquait rien ; elle ordonna donc au portier de le faire entrer. Æ’i-yu (Jivaka), s'étant rendu auprès de la femme du notable, lui demanda quelles étaient ses souffrances ; elle répondit qu’elle souffrait de telle et telle manière. « Comment, reprit-il, a commencé

votre maladie ? Elle a commencé dans telles et telles circonstances. Votre maladie est-elle ancienne ou récente ? Elle date de telle époque ». Après toutes

ces questions, Æ’i-yu (Jivaka) déclara : « Je puis vous soi-

gner. » Il prit alors un bon remède qu’il fit frire dans du beurre, puis il le versa dans le nez de la femme ; le beurre ressortit avec de la salive par la bouche de la malade ; celle- ei reçut le tout dans un vase et recueillit Le beurre en le séparant de la salive qu’elle rejeta. En la voyant agir ainsi, K'i-yu (Jivaka) se sentit pénétré de tristesse, car il se di- sait : « Si elle se montre économe à ce point pour un peu de beurre malpropre, que sera-ce quand il s'agira de me récompenser! » La malade s’aperçut de ses préoccupa- tions et lui demanda: « Étes-vous affligé ? » Sur sa ré- ponse affirmative, elle lui demanda la cause de son afflic- tion. « Je pensais dit-il, que si vous êtes économe à ce point quand il s’agit d’un peu de beurre malpropre, ce serait bien pire quand :l s'agirait de me récompenser; voilà pourquoi je m'attriste. » La femme répliqua

« Diriger un ménage n’est pas chose facile ; quelle uti- lité y avait-il à jeter ce beurre qui peut encore servir à allumer la lampe ? Je l'ai donc recueilli. Quant à vous, occupez-vous seulement de soigner ma maladie; à quoi bon vous affliger ainsi ? » Il la traita donc et, par la suite, elle guérit de sa maladie ; alors cette femme du notable lui donna quatre cent mille onces d'or, ainsi que

III 22

338 SÛTRAS DIVERS (N° 499)

des esclaves et des servantes, des chars et des chevaux.

Quand ÆX'i-yu (Jivaka) fut en possession de toutes ces richesses, il revint dans la ville de la Résidence Royale (Râjagrha) et se rendit à la demeure du prince Wou-wei (Abhaya) ; il dit au portier : « Allez annoncer au prince: que AX°1-yu (Jivaka) est déhors. » Le portier s’acquitta de ce message et le prince lui ordonna d'inviter aussitôt K'i-yu (Jivaka) à entrer; quand celui-ci fut entré, il se: prosterna la tête contre terre, puis, après avoir rendu hommage, il s’assit de côté; il raconta en détail au prince: Wou-wei (Abhaya) ce qui lui était précédemment arrivé, et il déclara qu'il voulait offrir au prince toutes les riches-

ses qu’il avait acquises (1). Le prince l’en détourna en lui

disant qu'il ne fallait pas lui faire un tel présent et en l’engageant à employer cette fortune à son usage person- nel.

Telle fut la première cure que fit Æ’i-yu (Jivaka).

En ce temps, dans le royaume ÂXiu-chan-mi (Kauçâmbi), il y avait le fils d’un notable dont les intestins s’étaient noués dans son ventre tandis qu'il jouait sur une roue; ce qu'il mangeait et buvait n'était plus digéré et ne pouvait. pas non plus être éliminé ; dans ce royaume, il ne s'était trouvé personne qui püt le guérir; les gens de là-bas ayant appris que, dans le royaume de Mo-kie (Magadha), il y avait un grand médecin qui excellait à guérir les mala- dies, ils envoyèrent dire au roi : « Le fils d’un notable du royaume de Aiu-chan-mi (Kauçàämbi) est malade ; X'i-yu (Jivaka) peut le guérir ; nous vous demandons, ô roi, de: nous l’envoyer. » Alors le roi P’ing-cha (Bimbisâra) appela K'i-yu (Jivaka) et lui demanda : « Le fils d’un notable du royaume de AXiu-chan-mi (Kauçämbi) est malade; pouvez- vous le guérir ? » Comme il répondait qu'il le pouvait, le roi reprit : « Puisque vous le pouvez, je vous autorise à

(1) Pour remercier le prince de l'avoir autrefois recueilli (cf. p. 331, lignes 11-20).

si

SÛTRAS DIVERS (N° 499) 339

aller le guérir ». Alors Æ’1-yu (Jivaka) monta en char etse rendit à AXiu-chan-mi (Kauçâmbi) ; quand il arriva, le fils du notable était déjà mort; des musiciens sortaient en escortant son corps; en entendant ce bruit, A'i-yu (Ji- vaka) demanda : « Que sont ces airs musique et ces sons de tambours? » Quelqu'un qui était près de lui lui répondit : « C’est le fils de notable pour lequel vous veniez qui est mort. Ce que vous entendez, c'est la musique des musiciens qui l’escortent. » ÆA'1-yu (Jivaka) savait fort bien distinguer entre eux tous les sons; il dit donc : « Allez dire qu’on fasse revenir ce corps; ce n’est point un cadavre. » Quand cet ordre eut été donné, on revint aussitôt. Alors Æ'i-yu (Jivaka) descendit de son char ; il prit un couteau bien tranchant et fendit le ventre de l’en- fant ;il mit au jour l’endroit les intestins étaient noués et le montra au père, à la mère et à tous les parents en leur disant : « C’est pour avoir joué sur une roue que ses intestins se sont noués ainsi, en sorte que les aliments et les boissons n'étaient plus digérés ; mais ce n’est pas à dire qu’il soit mort. » Alors donc il lui dénoua les intes- tins et les remit à leur place, puis il recousit le ventre et les chairs se rejoignirent; il le frotta avec un bon on- guent ; la blessure guérit aussitôt et les poils repoussè- rent en sorte que la plaie n'était en rien différente d’une place il n’y aurait eu aucune blessure. A la suite de cela, le fils du notable récompensa Ær-yu (Jivaka) en lui donnant quatre cent mille onces d’or ; la femme de ce fils de notable lui donna aussi quatre cent mille onces d’or ; le notable lui-même et sa femme en firent autant, chacun d’eux lui donnant quatre cent mille onces d’or.

K i-yu (Jivaka) fit cette réflexion : « Celui qui a été mon maître, je dois reconnaître ses bienfaits. Maintenant je prendrai les seize cent mille onces d'or etje les donnerai au grand maître du royaume de To-lch'a-che-lo (Taksaçilà), Pin-kia-lo (Pinñgala). » Avant ainsi songé, il prit son or

310 SÛTRAS DIVERS (N° 499)

et se rendit auprès de son maître ; il lui rendit hommage en posant le visage sur ses pieds, puis il lui offrit cet or en disant : « Je désire, à grand maître, que vous daigniez accepter ceci. » Son maître lui dit : « Faîtes-en plutôt des offrandes ; je n’ai pas besoin de ces richesses. » Æ'i-yu (Jivaka) ayant insisté au plus haut point, Pin-kia- lo (Pingala) accepta cependant cet or; X’1-yu (Jivaka) lui présenta ses adieux, et, après avoir rendu hommage à ses pieds, s’en alla.

En ce temps, dans le royaume, il y avait la fille d’un kia-lo-yue (grhapati) qui était âgée de quinze ans ; le jour elle allait se marier, elle éprouva soudain des douleurs de tête et mourut. Æ’i-yu (Jivaka) en fut informé et se rendit à sa demeure; il demanda au père de la jeune fille : « Quelle était la maladie habituelle qui a été cause de la mort prématurée de cette jeune fille? » Le père répondit : « Ma fille, dès son enfance, a éprouvé des maux de tête qui ont augmenté de jour en jour et de mois en mois ; ce matin, ces douleurs se sont déclarées plus fortes que jamais et ont déterminé sa mort. » Ai-yu (Jivaka) entra alors et, avec le (bois du) roi-médecin, il éclaira l’intérieur de la tête de la jeune fille et y aperçut des vers rongeurs qui, grands ou petits, s’engendraient les uns les autres et étaient au nombre de plusieurs cen- taines ; les vers dévoraient son cerveau, et, comme son cer- veau avait été entièrement mangé, elle était morte. Alors (Jivaka) lui ouvrit la tête avec un couteau d’or ; il en sor- tit tous les vers qu'il enferma dans une jarre ; puis il frotta la blessure avec trois sortes de graisses surnatu- relles ; la première sorte répara les dommages faits dans les os par les morsures des vers; la seconde sorte régé- néra le cerveau; la troisième sorte guérit la blessure extérieure faite par le couteau. Puis (Jivaka) dit au père de la jeune fille : « Faites-la reposer tranquillement et ayez soin qu’elle n’ait aucune frayeur.-Dans dix jours elle

LOS, ds de

SUTRAS DIVERS (N° 499) , 3411

doit être entièrement guérie et telle qu’elle était aupara- vant. Quand ce terme sera arrivé, je reviendrai. » Quand K'i-yu (Jivaka) fut parti, la mère de la jeune fille se mit à pleurer et à crier, en disant : « Mon enfant est morte pour la seconde fois ; y a-t-il jamais quelqu'un qui ait pu vivre après qu'on lui a ouvert le crâne ? Comment le père a-t-il laissé cet homme s'emparer ainsi de notre enfant? » Le père l’arrêta en lui disant : « X'i-yu (Jivaka), à sa nais- sance, tenait dans sa main un sac d’aiguilles pour l’acupunc- ture ; ensuite 1l a renoncé à une haute dignité pour exer- cer la médecine et il n’a fait cela que pour le plus grand bien de la vie de tous les êtres ; il est un roi-médecin désigné par le ciel; comment pourrait-il agir d’une ma- nière déraisonnable? Il vous a fait la recommandation d’avoir grand soin de ne pas causer defrayeur à la malade ; or, maintenant, au contraire, vous pleurez et vous criez de manière à l’effrayer et à l'agiter ; vous allez faire en sorte que notre enfant ne pourra plus vivre. » En entendant ces paroles du père, la mère cessa de se lamenter et tous deux entourèrent de soins leur fille ; celle-ci resta immo- bile pendant sept jours ; le septième jour, au point du jour, elle poussa un soupir et se réveilla comme quel- qu'un qui reprend ses sens après avoir dormi; elle dit : « Je n’éprouve plus maintenant le moindre mal de tête et tout mon corps se sent à l'aise ; qui m'a soignée pour que je sois dans cet état ? « Son père lui dit : « Vous étiez déjà morte lorsque le roi-médecin Æ’r-yu (Jivaka) est venu exprès pour vous donner ses soins ; il vous a ouvert la tête, en a retiré des vers et c’est ainsi que vous avez pu revivre ». Alors il ouvrit la jarre et en sortit les vers pour les lui montrer; en les voyant, la jeune fille fut épouvantée et se félicita fort de la chance inespérée qu'elle avait eue, disant : « Telle est donc la puissance divine de Æi-yu (Jivaka) ! Il me tarde de pou- voir reconnaître son bienfait. » Son père lui dit : « A1-yu

312 sÜrRAas DIVERS (N° 499)

(Jivaka) m'a assigné un rendez-vous en me promettant de venir aujourd’hui. » Un moment après, en eflet, X'i-yu (Jivaka) arriva. La jeune fille, toute joyeuse, sortit par la porte pour aller à sa rencontre ; elle lui rendit hommage en posant son visage sur ses pieds; elle se mit à deux genoux, joignit les mains et dit : « Je désire, à K'i-yu (Jivaka), être votre servante et, jusqu'à ma mort, vous ser- vir pour reconnaître les bienfaits que vous m'avez rendus en me rappelant à la vie. » Æ’i-yu (Jivaka) lui répondit : « Je suis un maïitre-médecin et je vais en tous lieux pour guérir les malades sans avoir jamais de rési- dence fixe ? À quoi emploierais-je une servante ? Si vous voulez absolument me récompenser pour le service que je vous ai rendu, donnez-moi cinq cents onces d’or; te n’est pas que je veuille me servir de cet or, mais voici pour- quoi je vous le demande : tout homme qui a étudié une doctrine doit remercier son maître ; quoique ce ne soit pas mon maitre qui m'ait enseigné ce que je sais, je n’en suis pas moins son disciple ; aussi quand j'aurai reçu votre or, je le lui donnerai. » La jeune fille présenta alors cinq cents onces d’or qu’elle offrit à X’1-yu (Jivaka) ; celui-ci les accepta et en fit don à son maître.

De cela, X’1-yu (Jivaka) annonça au roi son intention de s’en retourner momentanément pour voir sa mère; il arriva donc dans le royaume de Wei-ye-li (Vaiçâli). Or il y avait dans ce royaume le fils d’un kia-lo-yue (grhapati) qui aimait à s'exercer aux choses de la guerre ; il avait fabriqué un cheval en bois haut de plus de septpiedset chaque jour il s'entraînait à sauter sur son dos ; dès le début de son étude, il réussit à monter sur le cheval, et, à la longue, il devint de plus en plus habile; mais soudain, un jour, il dépassa le but, manqua de point d’appui, tomba à terre et mourut. À’1-yu (Jivaka) en fut informé ; il se rendit aussi- tôt auprès de lui et se servit du (bois) roi-médecin pour éclairer l’intérieur de son ventre ; ilaperçut alors que son

bites te

SÛTRAS. DIVERS (N° 499) 343

foie s'était retourné à l'envers ; le souffle vital s'était trouvé

arrêté et ne pouvait plus passer ; c’est ce qui avait causé sa mort. À’i-yu (Jivaka) lui ouvrit le ventre avec un cou-

‘teau d’or et, plongeant sa main dedans pour l'explorer et d'arranger, il remit le foie à l'endroit ; ensuite il frotta le

malade avec trois sortes d’onguents divins ; le premier

-onguent répara les points que sa main avait palpés; le

second fit circuler le souffle et la respiration ; le troisième

ferma la plaie produite par le couteau. Quand il eut fini,

(K’i-yu) dit au père : « Ayez soin qu'on ne lui fasse au- cune frayeur. Dans trois jours il devra être guéri. » Le père se conforma à ces instructions, fit reposer tranquil- lement le malade, le soigna et le surveilla ; quand arriva

le troisième jour, le jeune garçon poussa un soupir et s’éveilla ; il avait l'apparence de quelqu'un qui reprend ses

sens après avoir dormi; il put aussitôt se lever et s’as-

seoir, Un moment après, X’i-yu (Jivaka) vint à son tour;

le jeune garçon sortit tout joyeux pour aller à sa ren- contre ; il lui rendit hommage en posant son visage sur

ses pieds, puis, se mettant à deux genoux, il dit: « Je

désire, Ô Æ’i-yu (Jivaka) devenir votre esclave et jusqu'à ma mort vous servir pour reconnaître le bienfait que vous

m'avez rendu en me faisant revivre. » Æ'i-yu (Jivaka) lui

répondit : « Je suis un maïître-médecin et je vais en tous lieux pour guérir les malades ; les familles des malades se disputent pour me servir; qu’ai-je besoin d’un esclave ?

Ma mère s’est donné beaucoup de peine pour m'élever et

je n’ai pas encore pu la récompenser pour la bonté avec

laquelle elle m'a soigné. Si donc vous désirez me remer-

cier pour le service que je vous ai rendu, donnez-moi cinq cents onces d’or que j'emploierai à récompenser ma mère pour sa bonté. » Il prit donc cet or et l'offrit à (sa mère) Fille-de-manguier. Puis il retourna dans le royaume de Lo-yue-lche (Râjagrha).

Après que Æ’i-yu (Jivaka) eut guéri ces quatre per-

344 SÛTRAS DIVERS (N° 499)

sonnes, sa renommée se répandit dans tout l'empire et il n’était personne qui n’en fût informé. Dans le Sud il y avait un grand royaume qui était à 8.000 /i de distance de Lo-yue-tche (Râjagrha) ; le roi P’ing-cha (Bimbisâra) et les divers autres petits rois lui étaient tous soumis. Or le roi de ce royaume était malade depuis plusieurs années sans pouvoir guérir (1); il souffrait constam- ment d'accès de fureur; il regardait insolemment les hommes et les faisait périr; quand quelqu'un levait les yeux pour le voir, il le tuait, et quand quelqu’un baissait la tête et ne la relevait pas, il le tuait aussi ; les hommes qui marchaient trop lentement, il les tuait, et ceux qui marchaient trop vite, il les tuait aussi; ceux qui étaient de service à ses côtés ne savaient que faire de leurs mains et de leurs pieds; quand un maître-médecin avait composé un remède pour lui, le roi craignait qu'il n’y eût mis du poison et le faisait périr. Innombrables étaient ceux qu'il avait tués en diverses occasions, ministres, femmes du harem et médecins. Cependant sa maladie s’aggravait de jour en jour; l’ardeur du poison attaquait son cœur ; il suffoquait et avait la respiration courte ; il y avait comme un feu qui brülait son corps. Ayant entendu parlerde X1-yu (Jivaka),ilenvoyaune lettre au roi P’ing-cha(Bimbisära) pour lui notifier qu'il mandait X’i-yu (Jivaka)auprès de lui. A’1-yu (Jivaka), qui avait entendu raconter que ce roi avait mis à mort beaucoup de médecins, en fut fort effrayé ; quant au roi P'ing-cha (Bimbisära), ayant pitié du jeune âge de Ki-yu (Jivaka), et craignant qu'il ne fût mis à mort, il désirait ne pas le faire partir, mais, d'autre part, il redou- tait d’être châtié ; le père et son fils se serraient donc l’un contre l’autre, se livraient jour et nuit au chagrin et ne savaient quel parti prendre.Enfin le roi P’ing-cha (Bim- bisâra) emmena Æi-yu (Jivaka) et avec lui se rendit

(1) Le texte tibétain traduit par Schiefner nous apprend que ce roi était Canda Pradyota.

SÛTRAS DIVERS (N° 499; 315

auprès du Buddha; il l’adora en posant le visage sur ses pieds, puis il dit au Buddha : « O Honoré du monde, ce roi a un caractère méchant et je crains qu'il ne fasse périr le roi-médecin ; faut-il que celui-ci aille vers lui ? » Le Buddha répondit à Æ’1-yu (Jivaka) : « Dans une exis- tence antérieure, vous et moi avons fait serment de tra- vailler ensemble à secourir tout l’univers : moi, soignant les maladies de l’âme; vous, soignant les maladies du corps ; maintenant, j'ai obtenu de devenir Buddha ; c’est

pourquoi, conformément à notre ancien vœu, vous devez

rassembler tous les êtres devant moi (pour que je puisse les guérir). Le roi est gravement malade ; il s’est adressé à vous de loin; pourquoi n'iriez-vous pas auprès de lui? Allez promptement le secourir ; imaginez quelque bon procédé pour faire qu'il guérisse certainement de sa ma- ladie ; ce roi ne vous tuera pas. »

Ki yu {Jivaka), ayant recu l'influence majestueuse du Buddha, se rendit alors près du roi ; il examina son pouls, puis il éclaira son corps au moyen du (bois) roi-médecin ; il constata que, dans les cinq viscères du roi et dans ses

cent veines, le sang et le souffle étaient désordonnés et

que cela tenait à un venin de serpent qui entourait tout son corps. Æ1-yu (Jivaka) dit au roi : «Je puis soigner votre maladie, et, quand je l’aurai soignée, je vous garantis la guérison ; il faut cependant que j'entre et que je voie la reine-mère afin de m’entendre avec elle sur la composition du remède ; si je ne vois pas la reine-mère, le remède ne saurait être préparé convenablement. » En entendant ces paroles, le roi n’en comprit pas la raison et il eut grande envie de s’emporter ; cependant, comme il souffrait de la maladie dans son corps, comme il connaissait de longue date la renommée de Xi-yu (Jivaka) et comme, à cause de cela, il s'était adressé à lui de loin dans l'espérance d'en recevoir du bien, considérant d’ailleurs que Ai-yu (Jivaka) était un jeune enfantet ne devait point y entendre malice,

316 SÛTRAS DIVERS (N° 491)

il prit patience et accorda ce qui lui était demandé; il chargea donc un serviteur eunuque de l'introduire auprès de la reine-mère. | Ai-yu (Jivaka) dit à la reine-mère : « La maladie du roi peut être soignéé : mais maintenant il faut composer le remède, et, comme il faut n’en révéler que secrètement la recette et ne pas la divulguer, il importe d’écarter les as- sistants. » La reine-mère fit donc partir les serviteurs eunuques. X’i-yu (Jivaka) dit alors à la reine-mère:« En examinant la maladie du roi, j'ai reconnu que le sang et le souffle de son corps étaient entièrement empoisonnés par un serpent ; il semble qu'il y ait quelque chose de non- humain. De qui exactement le roi est-il le fils ? O reine- mère, dites-moi la vérité et je pourrai le guérir ; si vous ne me la dites pas, le roi ne pourra jamais se rétablir. » La reine-mère lui dit: « Autrefois je me trouvais dans la salle aux colonnes d’or et je m'étais couchée en plein jour; soudain un être vint et se posa sur moi ; j'étais alors comme hébétée, dans un état intermédiaire entre le rêve et la veille et il me semblait que j'avais un cauchemar; j’eus des relations sexuelles avec cet être et soudain je m’éveillai ; je vis alors un grand serpent, long de plus de trente pieds qui s’éloignait de dessus moi (1); puis je m’aperçus que j'étais enceinte ; le roi est certainement le fils de ce serpent. J'étais honteuse de cette aventure, et c’est pourquoi je n'en

(1) D’après le texte analysé par Harpy (Manual of Buddhism, p. 244), le père du roi aurait été un scorpion. La tradition qui veut que le père du roi ait été un serpent paraît être plus ancienne; elle rappelle la légende relative à Alexandre le Grand que sa mère Olympias croyait avoir conçu sous l'influence d'un serpent (SCHIEFNER, Mémoires de l'Ac. des Sciences de St-Pétersbourg, t, XXII. 7, p. IV, n: 2). On la retrouve d’ailleurs en Chine la mère du futur empereur ÆXao-tsou, fondateur de la dynastie des Han en 208 avant J.-C., devint enceinte après qu’un dragon fut monté sur son corps pendant son sommeil; Xao-isou fut considéré comme le fils de l'Empereur rouge qui s'était manifesté sous la forme d’un serpent et c'est pourquoi, dit-on, il put triompher d’un autre serpent qui étaitl’Em- pereur blanc, représentant de la dynastie des Ts’in (cf. SSEu-MA TS'IEN, ‘trad. fr., t. II, pp. 325 et 321).

SUTRAS DIVERS (N° 499) 347

avais soufflé mot; mais maintenant, jeune homme, vous vous êtes aperçu de ce qui en était; quelle merveilleuse science est La vôtre! [Si la maladie du roi peut être soignée, je souhaite vous confier la vie du roi; maintenant, pour la soigner], quel remède faut-il employer? X’i-yu (Jivaka) répondit : « J'ai seulement besoin de beurre fondu. Hélas, jeune homme, s’écria la reine-mère, gardez-vous de parler de beurre fondu, car le roi déteste en sentir l'odeur et même il déteste en entendre prononcer Le nom ; on compte par centaines et par milliers ces hommes qui, en diverses occasions, ont péri pour avoir parlé de beurre fondu. Si maintenant vous en parlez, certainement on vous fera périr. Si vous en donnez à boire au roi, vous ne pour- rez jamais faire descendre (cet aliment dans son corps); je désire que vous ayez recours à quelque autre remède ». K'i-yu (Jivaka) répliqua : « Le beurre fondu combat le poi- son ; aussi celui qui est malade à cause du poison déteste- til sentir le beurre fondu. Si la maladie du roi était légère et due à quelque autre poison différent, il y aurait d’autres remèdes par lesquels on pourrait la guérir ; mais, comme le venin du serpent était violent et qu'il a fait tout le tour du corps, on ne peut plus le détruire que par le beurre fondu.Maintenant il nous faut transformer le beurre fondu en l’épurant de manière à ce qu'il devienne un li- quide sans aucun goût ; le roi le boira alors tout naturel- lement sans s’apercevoir de rien ; ce remède descendra et la maladie sera guérie certainement ; ne vous inquiétez donc pas. »

Puis Æ’i-yu (Jivaka) sortit et vint auprès du roi; il lui dit: «Je viens d’avoir une entrevue avec la reine-mère et je lui ai révélé la recette du remède : maintenant, elle va le confectionner ; il sera prêt dans quinze jours ; mais j'ai cinq désirs à formuler ; si vous consentez à ce que je vais vous demander, votre maladie pourra aussitôt guérir; mais,

si vous n’y consentez pas, votre maladie sera inguéris-

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sable. » Le roi lui ayant demandé en quoi consistaient ces cinq désirs, À’i-yu (Jivaka) dit : « En premier lieu, je désire que vous tiriez de votre magasin d'armures et que vous me donniez un vêtement neuf qui n'ait pas encore élé porté par vous ; en second lieu, je désire qu'on me laisse entrer et sortir à ma fantaisie sans que personne me reprenne ; en troisième lieu, je désire chaque jour être admis à voir seul à seules la reine-mère et la reine sans que personne me l’interdise ou me le reproche ; en quatrième lieu, je désire, Ô roi, que, lorsque vous boirez le remède, vous le buviez entièrement en levant la tête une seule fois et sans vous arrêter au milieu de cet acte ; en cinquième lieu, je désire avoir l’éléphant blanc royal qui parcourt huit mille li; qu’on me le donne pour que je le monte. »

En entendant ces paroles, le roi se mit fort en colère et dit: « Enfant, comment osez-vous m’exprimer ces cinq désirs ? Je vous somme de les justifier tous par un bonne raison; si vous ne les justifiez pas, je vous ferai périr sous le bâton. Comment osez-vous demander un de mes vêtements neufs ? C’est sans doute parce que vous voulez me tuer, revêtir alors mes vêtements et vous faire passer pour moi! » A'i-yu (Jivaka) répliqua : « Pour composer le remède il est nécessaire d’être net et purifié ; or, je suis venu ici depuis longtemps et mes vêtements sont cou- verts de souillures ; voilà pourquoi je désire avoir un vêtement du roi pour m'en servir quand je composerai le remède. » Le roi comprit alors et dit: « S'il en est ainsi, c'est fort bien. Mais pourquoi voulez-vous pouvoir entrer et sortir par la porte du palais sans que personne vous l'interdise ou vous le reproche ? ne voulez-vous pas en profiter pour amener des soldats qui m’attaqueront et me tueront ? » K'i-yu (Jivaka) répondit : « À diverses reprises déjà, Ô roi, vous avez employé des maïîtres-médecins ; mais vous les avez tenus tous en suspicion et vous ne vous êtes fié à aucun d’eux; puis vous les avez fait périr et vous

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n'avez pas avalé leurs remèdes ; aussi, (quand je suis venu,) tous les ministres disaient-ils que vous alliez me faire périr à mon tour. Cependant, comme votre maladie était fort grave, j'ai craint que des gens du dehors ne sus- citent des troubles ; or, si vous m’autorisez à entrer et à sortir sans que personne me l'interdise ou me le reproche, les gens du dehors sauront tous que Votre Majesté a con- fiance en moi, que par conséquent vous prendrez certai- nement mon remède et que votre guérison est assurée ; ils n’oseront plus avoir des intentions de révolte. » Le roi dit: « C’est fort bien. Mais pourquoi voulez-vous entrer seul chaque jour pour voir ma mère et ma femme ? Serait- ce que vous voulez vous livrer avec elles à la débauche ? » Æi-yu (Jivaka) répliqua : « O roi, les gens que vous avez tués en diverses occasions sont extrêmement nombreux ; aussi vos sujets, grands et petits, sont-ils tous saisis de peur etne désirent-ils point le rétablissement du roi; il n’est donc aucun d’eux en qui on puisse avoir confiance ; si maintenant je m'associais l’un d’eux pour composer le remède, il profiterait d’un instant je serais distrait pour jeter dedans quelque poison sans que je m'en aperçoive; cela ne serait pas peu grave. C’est pourquoi, en songeant à qui je pourrais me fier comme à des personnes dont les sentiments ne sont pas douteux, je n'ai trouvé que votre mère et votre femme. J’oserai donc être introduit auprès de la reine-mère et de la reine pour composer avec elles le remède qui sera prêt quand on l'aura fait cuire pendant quinze jours ; voilà pourquoi je désire entrer chaque jour (auprès d'elles) afin de veiller à ce que le feu soit bien égal. » Le roi dit: « C’est fort bien. Mais pourquoi voulez- vous que, lorsque je boirai le remède, je le boive d’un trait et sans m'arrêter au milieu? Ne serait-ce pas que vous voulez y mettre du poison et que vous craignez que je m’en aperçoive ? » K’i-yu(Jivaka) répliqua : « Le remède est dosé suivant certaines proportions ; les émanations et

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les goûts qui le composent doivent agir simultanément; si vous vous arrêtez au milieu, il n'y aurait plus de liaison mutuelle (entre les éléments du remède). » Le roi dit: « C’est fort bien. Mais pourquoi voulez-vous avoir mon éléphant et le monter ? Cet éléphant est le joyau de mon royaume ; il peut parcourir huit mille /i en un jour; c’est grâce à lui précisément que j'ai pu imposer ma domina- tion sur les autres royaumes. Si vous voulez le monter, ne serait-ce pas que vous désirez me le voler et le ramener chez vous, puis attaquer mon royaume avec votre père. » K'i-yu (Jivaka) répliqua : « Sur la frontière sud de votre pays, dans les montagnes, il y a une herbe médicale mer- veilleuse qui pousse à quatre mille /! de distance d'ici; quand vous boirez le remède, il est nécessaire que vous ayez de cette herbe pour en manger après. Voilà pourquoi je désire monter sur cet éléphant afin d’aller la cueillir en partant le matin et en revenant le soir, en sorte que le goût du remède soit encore présent. » Le roi entièrement éclairé, accorda donc tout ce qui lui était demandé. K'i-yu (Jivaka) se mit alors à épurer le beurre fondu par la cuisson et, au bout de quinze jours, il l'eut rendu pareil à de l’eau claire ; il en obtint en tout cinq dixièmes de boisseau ; puis, en compagnie de la reine-mère et de la reine, il sortit en tenant le remède ; il annonça au roi qu'il pouvait le boire et lui exprima le désir que l’éléphant blanc fût harnaché etfüt tenu prêt devant la salle du palais ; le roi y consentit; quand le roi vit que le remède était simplement comme de l’eau claire et n'avait aucune odeur et aucun goût, il n’y reconnut point du beurre fondu; en outre, comme la reine-mère et la reine avaient assisté en personne à la confection de ce remède, il fut convaincu que ce n’était pas du poison; alors donc, conformément à ce qui avait été convenu d’abord, il le but entièrement d'un seul trait. X’i-yu (Jivaka) monta alors sur l'éléphant ets’en retourna tout droit dans le royaume de Lc-yue-lche (Räâja-

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grha); cependant, quand Æ'i-yu (Jivaka) eut franchi trois mille li, comme il était jeune et que sa force de résistance était faible, il ne put supporter la rapidité de la course ; la tête lui tourna et sa fatigue fut extrême ; alors donc il s'arrêta et se coucha. HAE NE,

Quand l'heure de midi fut passée, le roi fit un rot et sentit l'odeur du beurre fondu ; il se mit alors fort en co- lère et s’écria : « Le petit garçon s’est permis de m ingur- giter du beurre fondu; je m'étonnais qu’il me demandât mon éléphant blanc, mais c’est précisément parce qu'il voulait se sauver loin de moi. » Le roi avait un ministre nommé Corbeau (Kâka) qui était un homme vaillant ; sa puissance surnaturelle lui permettait d'atteindre à pied. cet éléphant ; le roi appela donc Corbeau et lui dit: «Allez promptement à la poursuite de ce garçon et ramenez-le- moi vivant; je veux le faire périr sous les coups de bâton en ma présence. Cependant, vous manquez toujours de frugalité et vous mangez et buvez avec avidité ; c'est pour- quoi on vous a appelé Corbeau; or les gens tels que ce maître-médecin se plaisentsouvent à se servir du poison; si donc ce jeune garçon vous offre de la nourriture, gar- dez-vous dela manger.»

Corbeau reçut ces instructions et se mit en marche ;il rejoignit A’1-yu (Jivaka) dans la montagne et lui dit: «Pour- quoi avez-vous ingurgité au roi du beurre fondu en pré- tendant que c'était un remède? C'est pour cette raison que le roi m’a ordonné de vous poursuivre et de vous sommer de revenir ; revenez donc en toute hâte avec moi; en présentant vos excuses et en vous avouant coupable, peut-être aurez-vous quelque chance de conserver la vie; mais si vous vous obstinez à vouloir partir, je vous tue- rai sur-le-champ et vous ne sauriez m’'échapper. » A'i-yu (Jivaka) songea à part lui: «Quoique j'aie trouvé un moyen pour me procurer cet éléphant blanc, je ne saurais plus échapper ainsi ; il faut maintenant que j'invente quelque

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autre stratagème, car comment pourrais-je m’en aller à la suite de cet homme ? » Il dit alors à Corbeau : « Depuis ce matin je n'ai rien mangé ; si je me mets en route pour revenir, je mourrai certainement ; mieux vaut que vous m’accordiez un peu de répit pour que je trouve dans la montagne des fruits à manger et de l’eau à boire ; quand je serai rassasié, j'irai à la mort! » Voyant que K’i-yu (Jivâka) était un jeune garçon qui était tout effrayé par la crainte de la mortet qui s’exprimait péniblement, Corbeau eut pitié de lui et lui accorda ce qu'il demandait en disant: « Dépêchez-vous de manger et nous partirons ; nous ne pouvons rester ici longtemps. » X’1-yu (Jivaka) prit alors une poire eten mangea la moitié ; mais il versa dans l’autre moitié une partie d’un poison qu'il avait mis sous son ongle, puis il la posa à terre ; il prit en outre une tasse d’eau, et, après en avoir bu la moitié, il fit aussi passer dans ce qui restait de l’eau un peu du poison qu'il avait sous son ongle ; ensuite il reposa la tasse à terre. Puis il dit en soupirant : « Cette eau et cette poire sont des remèdes célestes ; elles ont un parfum pur et sont d’ailleurs exquises ; si on en boitet si on en mange, cela fait que le corps est bien portant, que toutesles maladies guérissent, que le souffle et la force sont en même temps doublés ; il est regrettable qu'on ne les trouve pas sous les murs de la capitale du royaume pour que tous les ha- bitants puissent y avoir part, et il est fâcheux qu'elles res- tent inconnuesdes hommesau fonddes montagnes.»Ayant ainsi parlé, il s’avanca dans la montagne pour y chercher d’autres fruits. Corbeau était d’un naturel glouton et il ne savait pas se contenir pour le boire et le manger; de plus il avait entendu Æ°1-yu (Jivaka) faire l'éloge deces remèdes célestes et enfin il avait vu Æ'i-yu (Jivaka) lui-même en boire et en manger, en sorte qu'il pensait que ces aliments n'étaient certainement pas empoisonnés ; il prit donc ce qui restait de la poire et la mangea ; il acheva de boire

2045: LUS

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l'eau ; aussitôt il fut pris d’une dysenterie qui le fit aller à la selle comme si c’eût été de l’eau courante ; il tomba à terre et se coucha ; chaque fois qu'il se leva, il eut aussitôt un vertige et retomba; il devint incapable de remuer. K'i-yu (Jivaka) lui dit : « Le roi a pris ma médecine, et par conséquent, sa maladie guérira certainement ; mais main- tenant la force du remède n’a pas encore agi et ce qui reste du venin en lui n’est pas encore entièrement détruit ; si j'allais maintenant vers lui, il me manquerait pas de me tuer. Vous ignoriez cela et aviez formé le désir de vous emparer de moi pour vous acquitter du devoir qui vous avait été imposé ; c'est pourquoi je vous ai rendu malade. Mais cette maladie est sans gravité : gardez-vous de remuer et dans trois jours vous serez rétabli ; maissi vous vous levez pour me poursuivre, votre mort est absolument cer- taine. » Il monta alors sur l’éléphant et partit. Au premier hameau qu'il traversa, il dit à un chef de cinq hommes : «Il y a là-bas un messager du roi qui vient soudain de tom- ber malade ; allez promptement le prendre et ramenez-le

chez vous ; soignez-le bien; faites-lui une couche moel-

leuse; donnez-lui de la bouillie et prenez bien garde qu’il ne meure; s'il venait à mourir, le roi détruirait votre royaume. » Ayant ainsi parlé, il partit et s’en retourna dans son pays. Le chef de cinq hommes se conforma aux ordres qui lui avaient été donnés; il alla chercher Corbeau, le recueillitetle soigna ; au bout de trois jours, le poison ayant été entièrement éliminé par en bas, Corbeau revint voir le roi et, se prosternant la tête contre la terre devant lui, il dit: « En vérité, je suis un sot et un insensé ; j'ai con- trevenu aux recommandations de Votre Majesté et j'ai ajouté foi aux paroles de Æ'i-yu (Jivaka) ; j'ai bu et mangé ce qu'ilavait laissé d’eau et de fruits ; jai été ainsi atteint et j'ai eu la dysenterie pendant trois jours ; et ce nest que maintenant que je vais mieux. Je sais que je mérite la mort. » II. 23

FEV EE" AR NACRE L D ut 8

354 SÛTRAS DIVERS (N° 499)

Pendant les trois jours qui s'étaient écoulés avant que Corbeau revint, le roi avait guéri de sa maladie ; il avait réfléchi sur ses actes et il s’était repenti d’avoir fait partir Corbeau ; quand il le vit revenir, il se sentit partagé entre la compassion et la joie, et lui dit : « C'est grâce à vous que le jeune garçon n’a pas été ramené ici au mo- ment J'étais irrité et certainement je l’aurais fait pé- rir sous les coups. Or j'aireçu de lui un bienfait et j'ai pu renaître à la vie; si, au lieu de le récompenser, je l'avais fait périr, ma perversité aurait été grande. » Alors le roi eut des remords au sujet de tous ceux qu'ilavait fait périr injustement en diverses occasions ; il leur fit des funé- railles honorables et exempta de taxes leurs familles en leur donnant en outre de l'argent; il désirait revoir Æ1- yu (Jivaka) et voulait le remercier pour le bienfait qu’il lui avait rendu; il envoya donc des messagers qu’il chargea d'aller chercher Xi-yu (Jivaka) ; bien que celui-ci sût que le roi était guéri de sa maladie, il conservait encore quel- que reste de crainte et ne désirait plus revenir auprès de lui. Dans cette occurence, X’1-yu (Jivaka) se rendit de nou- veau auprès du Buddha; il posa en signe d'hommage la tête sur ses pieds, puis illui dit: « O Honoré du monde, ce roi aenvoyé des messagers qui sont venus pour m’'appe- ler; dois-je partir ? » Le Buddha répondit : « X’i-yu (Jivaka), dans une existence antérieure vous avez fait le grand vœu de réaliser une action méritoire ; comment pourriez- vous vous arrêter à mi-chemin ? Il vous faut maintenant repartir ; quand vous aurez guéri la maladie externe de ce roi, moi à mon tour je guérirai sa maladie interne. » Æ1- yu (Jivaka) partit donc à la suite des messagers.

Quand le roi vit X'i-yu (Jivaka),il en eut une très grande joie ; il l’amena et le fit asseoir avec lui ; le tenant par le bras, il lui dit: « Grâce au bienfait que vous avez eu pour moi, j'ai obtenu maintenant une vie nouvelle ; comment vous récompenserai-je ? Je veux diviser mon royaume et

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vous en donner la moitié ; les belles femmes de mon ha- rem,et tous les objets précieux de mes magasins et de mes trésors, je vous en donnerai la moitié; je souhaite que vous acceptiez. » X’i-yu (Jivaka) répondit : « J'étais autre- fois prince-héritier ; quoique ce fût dans un petit royaume, j'aurais eu cependant une population et des richesses très suffisantes ; mais je ne me plaisais point à gouverner un royaume et c'est pourquoi j'ai demandé à devenir médecin. Devant voyager pour soigner les malades, que ferais-je d'un territoire, de femmes et de trésors ? Tout cela ne me serait d'aucune utilité. O roi ! précédemment, en consen- tantà cinq de mes désirs, votre maladie externe a été gué- rie; maintenant, si vous m'accordez un seul désir, votre maladie interne, elle aussi, pourra être supprimée. » Le roi répondit : « Je suis prêt à recevoir vos instructions : je vous prie de m’exprimer ce désir. »

Ki-yu (Jivaka)dit : «Je désire, Ô roi, que vous invitiez le Buddha à venir et que vous receviez de lui la sage Loi. » Il profita de cette occasion pour exposer au roiles mérites du Buddha etsa dignité d’une élévation toute particulière. En l’entendant, le roi dit tout joyeux: « Je veux mainte- nant envoyer mon ministre Corbeau, monté sur l'éléphant blanc, pour qu'il aille chercher le Buddha ; pourrai-je ainsi le faire venir?» Æ’i-yu (Jivaka) répliqua : « Point n’est besoin de l'éléphant blanc. Le Buddha comprend tout ; de loin il connaît les pensées qui sont dans le cœur des hommes ; contentez-vous pendant quelque temps de vous soumettre aux abstinences et aux purifications ; puis pré- parez des offrandes, brûlez des parfums et rendez hom- mage de loin en vous tournant du côté duBuddha; ensuite, mettez-vous à deux genoux et exprimez votre invitation : le Buddha viendra certainement de lui-même. »

Le roi suivit cet avis, et le lendemain même, le Bud- dha arriva avec son cortège de mille deux cent cinquante bhiksus. Quand il eut fini de manger, il expliqua au roi

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Jes textes saints : alors l'intelligence du roi s’ouvrit et il -conçut aussitôt le sentiment de la sagesse sans supérieure correcte et vraie (anuttara samyak sambodhi); tous les habitants du royaume, grands et petits, acceptèrent tous

les cinq défenses, puis, après avoir rendu hommage avec

respect, se retirèrent.

(Voici) encore {ce qu’on raconte au sujet de) Fille-de- manguier : dès sa naissance elle avait été extraordinaire ; quand elle fut grande, elle se montra intelligente ; elle avait étudié auprès de son père et connaissait bien la doc- trine des livres saints; en ce qui concernait les théories du mouvement des astres, elle était même supérieure à son père ; en plus, elle était versée dans l’art musical et chantait comme un deva de Brahma. Des filles de kia-lo- yue (grhapati) et de brahmanes, au nombre de cinq cents, allèrent toutes auprès d’elle pour étudier et pour qu’elle fût leur grand maître. Fille-de-manguier, toujours suivie de ses cinq cents disciples, célébrait etrépandait la doctrine des livres saints; parfois, elle allait avec elles se promener dans les parcs et près des étangs pour y faire de la mu- sique. Les gens du pays, qui ne comprenaient pas la rai- son de sa conduite, se mirent à dire des calomnies sur son compte ; ils prétendirent qu'elle était une fille de débauche et on surnommait ses cinq cents disciples « la bande des débauchées ».

A l’époque Fille-de-manguier était née, dans ce même royaume étaient nées aussi,au même moment, Fille- de-siu-man (sumanâ) et Fille-de-po-fan (udambara). Fille-

de-stu-man (sumanâ) était née dans une fleur de siu- man; dans ce royaume, il y avait un kta-lo-yue (grhapati) :

chez qui on pressait (des fleurs de) stu-man (sumanâ) pour en faire une huile parfumée ; or, sur le côté de la pierre qui servait à exprimer l'huile, apparut soudain une excrois- sance qui, grosse d’abord comme une balle d’arbalète, augmenta de jour en jour jusqu à être comme le poing;

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s.

SÛTRAS DIVERS (N° 499) 357 :

à ce moment, la pierre éclata brusquement et on aperçut. dans l’excroissance de la pierre un conglomérat, sem- blable à la lueur d’un ver luisant, qui sortit comme une flèche et tomba à terre; au bout de trois jours, il donna naissance à (une plante de) stu-man (sumanû) ; trois jours après, cette plante produisit une fleur, et, quand la fleur. s'épanouit, il y avait au centre une petite fille ; le kia-lo-yue (grhapati) la recueillit et la nourrit; on la nomma Fille- de-siu-man (sumanä) ; quand elle fut devenue grande, elle se trouva être d’une beauté remarquable; en outre, elle était capable et intelligente ; elle ne le cédait qu’à Fille-de-manguier.

En ce même temps, il y avait encore un brahmane; dans son étang à bains un lotus bleu poussa spontanément; la fleur en fut d’une grosseur toute particulière et aug- menta de jour en jour jusqu’à devenir comme une jarre d'une contenance de cinq boisseaux ; quand la fleur s’ou- vrit, on aperçut au centre une petite fille ; le brahmane la recueillit et la nourrit; on la nomma Fille-de-po-Fan (udambara) ; quand elle grandit, elle devint encore plus belle ; elle était capable et intelligente, tout comme Fille- de-siu-man.

En entendant parler de la beauté sans rivale de ces deux jeunes filles, les rois des divers royaumes venaient à l'envi pour les demander en mariage; mais ces deux

jeunes filles répondaient : « Nous ne sommes point nées

d’un fœtus ; nous sommes sorties de la fleur d’une plante ; nous ne sommes donc point semblables aux femmes ordi- naires; quelle nécessité y a-t-il à ce que nous suivions un homme de ce monde pour nous marier ? » Puis, quand elles entendirent parler de l'intelligence sans rivale de Fille-de-manguier et qu’elles apprirent que sa naissance avait été semblable à la leur, elles quittérent toutes deux leur père et leur mère pour aller se mettre au service de Fille-de-manguier et lui demander à être

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ses disciples ; par leur intelligence des livres saints et par leur sagesse, elles l’emportèrent toutes deux sur les cinq cents autres disciples.

En ce temps, le Buddha était entré dans le royaume de Wei-ye-li (Vaiçâli); Fille-de-manguier, emmenant avec elle ses cinq cents disciples, sortit à sa rencontre ; elle lui rendit hommage de son visage, puis elle se mit à deux genoux et lui dit : « Je désire, à Buddha, que vous veniez demain dans mon parc pour y manger. » Le Buddha accepta par son silence. Fille-de-manguier, étant revenue chez elle, fit tous les préparatifs de l’offrande. Quand le Buddha vint et entra dans la ville, le roi du royaume était aussi sorti de son palais pour venir à sa rencontre ; après lui avoir rendu hommage, il se mit à deux genoux et l'in- vita en disant : «Je désire que vous veniez demain dans mon palais pour y manger. » Le Buddha répondit : « Fille de-manguier m'a précédemment déjà invité ; vous venez après elle ». Le roi reprit : « Je suis le roi du royaume ; c'est de tout mon cœur que je suis venu vous inviter, à Buddha, et j'espérais certes que vous accepteriez. Fille- de-manguier n’est qu'une fille de débauche ; chaque jour avec cinq cents autres femmes débauchées, ses disciples, elle commet des actions illicites. Comment pouvez-vous me rejeter pour accepter son invitation ? »

Le Buddha répliqua : « Cette fille n'est point une fille débauchée. Dans une vie antérieure, elle s’est acquis un grand mérite pour avoir fait des offrandes à trois cent mille Buddhas ; autrefois en outre, elle, ainsi que Fille- de-siu-man (sumanâ) et Fille-de-po-l'an(udambara) étaient trois sœurs: Fille-de-manguier était l’ainée; (Fille-de-) siu-man (sumanâ) était la seconde ; (Fille-de-) po-Pan (udambara) était la plus jeune; elles étaient nées dans une famille puissante et fort riche ; se donnant l'exemple l’une à l’autre, ces trois sœurs faisaient des offrandes à cinq cents bhiksunis, et chaque jour elles leur préparaient

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SÛTRAS DIVERS (N° 499) 359

à boire et à manger et leur faisaient des vêtements ; veillant à toutes les choses qui pouvaient leur manquer, elles les leur fournissaient aussitôt; cela dura jusqu’à la fin de leur vie. Ces trois sœurs avaient constamment formé ce vœu : « Nous souhaitons, dans notre vie à venir, ren- contrer le Buddha, obtenir de naître par transformation spontanée, sans passer par l’état de fœtus et à l'abri de toutes les souillures. Maintenant, conformément à leur ancien vœu, elles sont nées précisément à l’époque je suis sur la terre. D'autre part, quoique autrefois elles aient fait des offrandes aux bhiksunis, cependant, comme elles étaient les filles d’une famille puissante et riche, elles tenaient des propos trop libres; parfois elles se moquaient des bhiksunis, disant : « O religieuses, voici longtemps que vous avez l’air chagrin ; vous devez désirer vous marier ; mais, retenues par nos offrandes et nos soins, vous ne pouvez pas donner libre cours à vos passions. » Voilà pourquoi maintenant ces jeunes filles subissent cette peine ; quoique chaque jour elles louent la doctrine des livres saints, elles sont en butte sans motif à l’accusation de débauche. Quant à ces cinq cents disciples, elles aussi avaient uni leurs forces à celles de ces jeunes filles, Les avaient aidées à faire des offrandes et y avaient pris plai- sir d’un même cœur; c'est pourquoi, maintenant, elles sont nées avec elles; le fruit de leurs actions les a suivies.

« Ai-yu (Jivaka), en ce temps, était le fils d'une pauvre famille ; voyant Fille-de-manguier faire des offrandes, il en conçut beaucoup d’admiration etde joie ; mais, comme il ne possédait rien, il se mit à balayer constamment pour les bhiksûünis ; toutes les fois qu’il avait rendu la place propre et nette en balayant, il formulait ce souhait : « Puissé-je balayer aussi promptement toutes les mala- dies et les impuretés qui sont dans le corps des hommes en ce monde. » Fille-de-manguier, qui avait compassion

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de sa pauvreté et qui approuvait ses efforts, l’appelait tou- Jours son fils ; quand une bhiksunî était malade, elle char- geait toujours Æ’1-yu (Jivaka) d'aller appeler le médecin, puis de composer la potion ou le remède; elle disait: «Puissiez-vous, dansune existence ultérieure, obtenir avec moi le bonheur produit par cette bonne œuvre. » Quand K'i-yu (Jivaka) allait chercher un médecin, tous ceux que soignait celui-ci guérissaient; Â’i-yu fit alors ce vœu : « Je souhaite être, dans une existence ultérieure, un grand roi-médecin, soigner toujours les maladies des quatre éléments composant les corps de tous les hommes et guérir tous ceux auprès de qui j'irai. » Grâce à toutes les causes provenant des temps antérieurs, il est donc main- tenant devenu le fils de Fille-de-manguier et tout s’est passé conformément à son vœu primitif. »

Ayant entendu ces paroles du Buddha, le roi se mit à deux genoux, se repentit de ses fautes et ajourna son invi- tation au lendemain. Le lendemain, le Buddha arriva avec tous les bhiksus dans le parc de Fille-de-manguier ; il exposa à cette dernière tout le mérite qu’elle s'était ac- quis par son ancien vœu; en entendant les textes saints, ces trois filles sentirent leur intelligence s'ouvrir et elles se réjouirent en même temps que les cinq cents disciples ; elles entrèrent en religion pour pratiquer la bonne con- duite et s’y appliquèrent avec énergie et sans relâche ; toutes obtinrent la sagesse d’arhat.

Le Buddha dit à Ânanda : «Il vous faut conserver ces enseignements pour les exposer aux disciples des quatre classes, et ne pas les laisser se perdre. Que tous les êtres vivants veillent bien sur leurs actes, leurs paroles et leurs pensées et qu'ils ne se laissent pas aller à l’arrogance et à une trop grande liberté ; pour avoir autrefois raillé des bhiksunis, Fille-de-manguier fut en butte maintenant à l'accusation calomnieuse d’être une débauchée. Il vous faut donc veiller sur ce que font votre corps, votre

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bouche et votre pensée ; formulez toujours des souhaits excellents ; ceux qui vous entendront se réjouiront en votre compagnie et accepteront avec foi et joie (votre exemple). Ne faites pas d’accusations calomnieuses, car vous tomberiez dans les enfers vous subiriez les autres punitions telles que celles de naïtre en qualité d'animal ; puis, après avoir passé ainsi des centaines et des mil- liers de kalpas, votre rétribution serait d’être un homme pauvre et méprisé, n'entendant pas la vraie Loi, dans une famille hérétique, rencontrant toujours un méchant roi et ayant un corps mutilé. Il vous faut done mettre en pratique ces enseignements, les retenir et les réciter et, pendant tous les temps à venir, ne jamais permettre qu'ils se perdent. »

Alors Ânanda se leva de son siège ; il rendit hommage aux pieds du Buddha en appuyant sur eux sa tête ; il se mit à deux genoux, joignit les mains et dit au Buddha : « O Honoré du monde, quel est le nom qu'il faut donner au sûtra est exposé ce point important de la doctrine ? » Le Buddha répondit à Ânanda : « Le nom de ce sûtra est : Sûtra de l’avadäna de Fille-de-manguier et de Æi-yu (Jivaka), Mettez en pratique la doctrine qui vient de vous être montrée ; faites des offrandes aux bhiksus et aux bhiksunîs ; donnez des remèdes, allez chercher des méde- cins ; réjouissez-vous avec les autres de ce que, pour avoir fait (autrefois) un vœu, ils obtiennent maintenant une récompense. Observez bien tout cela. »

Quand le Buddha eut prononcé ce texte sacré, la grande assemblée composée des huit catégories qui sont les hommes, les devas, les nâgas, etc., ayant entendu ce qu'avait dit le Buddha, se mit avec joie à pratiquer ses préceptes.

362 SÛTRAS DIVERS (N° 500)

500. LE SÜTRA DU PRINCE HÉRITIER SUDÂNA (Stu-la-na).[1].

(Trip., VI, 5, pp. 90 v°-95 r°.)

Voici ce que j'ai entendu raconter: Un jour le Buddha se trouvait à Chô-wet (Grâvasti), dans le Tche-houan (Jeta- vana), dans l’a-lan (aranya) d’A-nan-pin-lch'e (Anâthapin- dada) ; il se trouvait alors en compagnie d’une multitude innombrable de bhiksus, de bhiksûnis, d’upâsakas et d’upâsikâs et était assis au centre de ses disciples des quatre catégories; or, le Buddha se mit à sourire, et, de sa bouche sortit une clarté de cinq couleurs. A-nan (Ânanda) se leva de son siège, disposa en bon ordre ses vêtements, joignit les mains, se mit à deux genoux et dit au Buddha : « Depuis plus de vingt ans que je suis aux côtés du Buddha, je ne l'ai jamais vu rire comme aujourd’hui. Maintenant, à Buddha, pensez-vous à quelque Buddha du passé, du futur ou du présent ? Il faut que vous ayez eu quelque idée spéciale ; je désirerais en être informé. » Le Buddha dit à Ânanda : « Je ne pensais point à un Buddha du passé, du futur ou du présent; j’ai songé aux circonstances dans lesquelles, il y a de cela d'innombrables asamkhyeyas

(1) Ce sûtra (Nanjio, Catalogue, 254), a été traduit sous la dynastie des Ts'in occidentaux (385-431) par le cramana Cheng-kien, qui écrivait entre 388 et 407 p. C. Il correspond au fameux Vessantara jâtaka.

Que signifie le nom de Siu-ta-na qui est ici donné au prince héritier ? Il semble bien que, pour celui qui a fait cette transcription, l'original sanscrit devait être Sudâna (excellente charité) ; cependant cette trans- cription parait ètre fondée sur une forme altérée d’un original qui pour- rait être Sudanta (aux belles dents) ou Sudânta (le bien duompté). (Cf. Foucher dans BEFEO, 1901, p. 353, n. 2, et 1903, p. 413, n. 7); voyez aussi Sylvain Lévi (Journal asialique, mars, avril 1900, p. 324, n. 2).

ET DS

SÛTRAS DIVERS (N° 500) 363

kalpas, je pratiquai la pâramitàâ de bienfaisance (dâna) ». Ânanda demanda au Buddha : « Quelles sont les circons- tances dans lesquelles vous avez pratiqué la pâramitä de bienfaisance ? »

Le Buddha répondit: « Autrefois, ily a de cela des kalpas dont on ne saurait faire le compte, il y avait un grand royaume nommé Che-po # 3% (Cibi) ; le nom du roi était Che-po ;& ÿk ; 1l gouvernait son royaume en ap- pliquant les lois correctes ; il ne faisait pas tort aux gens du peuple. Ce roi avait quatre mille grands ministres; il dominait sur soixante petits royaumes ct huit cents villages ; il possédait cinq cents éléphants blancs. Or ce roi avait vingt mille épouses, mais n'avait pas un seul fils ; il adressa donc des prières à toutes les divinités, ainsi qu'aux montagnes et aux cours d’eau: une de ses femmes alors s’aperçut qu’elle était enceinte; le roi se mit donc à l’entourer de soins; il prescrivit qu on lui don- nât tout ce qu’il y avait de plus fin en fait de lit, de literie, de boissons et d’aliments ; dès que les dix mois furent écoulés, le prince héritier naquit. Les vingt mille femmes du harem, en apprenant que le prince héritier était né, sautèrent toutes de joie et le lait jaillit spontanément de leurs seins ; c’est pourquoi on donna au prince héritier le nom de Siu-la-na (Sudâna). Il y eut quatre nourrices qui entourèrent de leurs soins l’héritier présomptif: l’une d'elles l’allaitait; la seconde le tenait dans ses bras; la troisième le lavait ; la quatrième le prenait pour le faire jouer ; quand le prince atteignit sa seizième année, il était accompli dans l'écriture, le calcul, le tir à l'arc, l'art de diriger un char, ainsi que dans les rites et la musique; il servait son père et sa mère comme s'il eût servi des divi- nités célestes. Le roi fit pour lui un paiais spécial.

Dès sa jeunesse, le prince héritier se plut à faire des libéralités à tous les hommes qui étaient dans le monde, ainsi qu'aux oiseaux qui volent et aux quadrupèdes qui

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marchent; il désirait faire que tous les êtres vivants. eussent perpétuellement ce qui pouvait les rendre heu-.

reux, L'homme stupide, par avarice et avidité, n’est pas disposé à faire des libéralités ; dans son ignorance et son aveuglement il se trompe lui-même en pensant que la cha- rité ne lui est d'aucun profit. Mais le sage, quand il se trouve dans le monde, comprend que la charité est une vertu. Les hommes charitables sont ceux que louent d’une voix unanime les Buddhas, les Pratyeka Buddhas et les Arhats du passé, de l'avenir et du présent.

Quand le prince héritier fut devenu adulte, le grand roi lui choisit une épouse; son nom était Man-lch'e (Madri) (4); elle était fille d'un roi; sa beauté était sans égale ; des parures de vaidürya (lieou-li), d’or et d'argent et de di- verses substances précieuses ornaient son corps.

Le prince héritier eut un fils et une fille.

Le prince héritier songea qu’il voulait se conduire d’après la pâramità de charité. Il annonça au roi qu’il dé- siraitsortir pour se promener et voir le pays; le roi y ayant consenti, le prince héritier sortit aussitôt de la ville. Cakra, roi des devas, descendit sous la forme d'hommes qui étaient pauvres, sourds, aveugles ou muets et qui tous se trouvaient sur le bord de la route. Quand le prince héritier les eut vus, il fit faire volte-face à son char et ren- tra au palais ; il était plongé dans une profonde tristesse et ne se réjouissait plus. Le roi lui demanda pourquoi il

ne se livrait plus à la joie depuis qu’il était revenu de son

excursion. Il répondit: « Lorsque je suis sorti, j'ai aperçu des hommes pauvres, sourds, aveugles, ou muets ; c’est pourquoi je m'afflige. Je voudrais vous exprimer un désir ; mais je ne sais point, Ô grand roi, si vous me donnerez votre consentement. » Le roi lui dit: «Que désirez-vous ? Je vous accorde ce que vous exigerez et je ne m'oppose-

{1) En réalité la transcription Man-tch'e suppose un original Mandi.

SÛTRAS DIVERS (N° 500) 365

rai point à vos intentions. » Le prince héritier lui répondit :

« Je désire avoir toutes les richesses précieuses qui sont dans le trésor de votre Majesté, les mettre en dehors des quatre portes de la ville et les étaler sur la place du marché pour en faire des libéralités, pour accorder tout ce qu’on demandera et pour ne m'opposer aux désirs de per- sonne. » Le roi lui dit: « Faites comme il vous plaira ; je ne vous résiste point. » Le prince héritier chargea donc les ministres qui étaient à ses côtés de transporter les ri- chesses précieuses, de les étaler en dehors des quatre portes de la ville ainsi que sur la place du marché pour qu'on püt en faire des libéralités, satisfaire à tous les dé- sirs des hommes et de ne s'opposer à aucune envie. Dans les huit directions, au zénith etau nadir, il n’y eut personne qui ne fût informé de l’acte méritoire qu’accomplissait le prince héritier ; des quatre points cardinaux les gens accou- rurent, les uns venant de cent /: de distance, les autres de mille /r, les autres de dix mille /:; ceux qui avaient envie de manger, on les nourrissait; ceux qui désiraient des vêtements, on leur en livrait; ceux qui souhaitaient obte- nir de l’or, de l’argent ou des joyaux, on leur en donnait tant qu'ils en voulaient; on accordait à chacun l’objet de son désir et on ne s’opposait à aucune envie.

En cetemps, un roi rival qui était animé de mauvaises intentions, apprit que le prince héritier se plaisait à faire des libéralités, qu'il accordait tout ce qu'on lui demandait et qu'il ne s’opposait à aucune envie. Il réunit donc ses ministres et une foule de religieux pour tenir conseil avec eux ; il leur dit: « Le roi du royaume de Che-po à un élé- phant blanc marchant sur des lotus; son nom est(1) Siu-

(1) Ce nom pourrait être la transcription du sanscrit Sudânayâna :

monture de Sudâna. Le mot dâna a l'avantage de suggérer un autre sens, Car il désigne la liqueur odorante qui découle des tempes de l'élé- phant en rut; il est intéressant de remarquer que cet éléphant est pré-

cisément désigné par un récit de la Jâtakamäla (9° récit, p. 73, note 2), comme un «scent elephant», En pâli, le nom de cet éléphant est Paccaya.

366 SÜTRAS LIVERS (N° 500)

l'an-yen; il est très fort et vaillant au combat; toutes les fois que des batailles ont été livrées contre d’autres royaumes, cet éléphant a toujours remporté la victoire ; qui se charge d'aller demander qu'on le lui donne ? » Tous les ministres répondirent qu'ils étaient incapables d’aller et de l’obte- nir ; cependant il y avait dans l'assemblée huit religieux qui dirent au roi: « Nous nous chargeons d'aller et de demander qu'on nous remette cet éléphant. Donnez-nous quelques provisions de route. » Le roi leur en donna, puis ajouta : « Si vous pouvez vous assurer la possession de cet éléphant, je vous récompenserai grandement. » Les huit religieux se mirent donc en route et prirent en main leur bâton ; franchissant au loin les montagnes et les ri- vières, ils parvinrent dans le royaume de Che-po et arri- vèrent à la porte du palais du prince héritier; tous s'appuyant sur leur bâton et levant un pied, restèrent debout tournés vers la porte. Alors le gardien de la porte vint avertir le prince héritier que, au dehors, il y avait des religieux qui tous, appuyés sur leur bâton et levant un pied, restaient debout et disaient: « Nous sommes venus exprès de loin parce que nous désirons demander qu'on nous donne quelque chose. » En entendant ces mots, le prince héritier fut très joyeux ; il sortit pour aller à la ren- contre des religieux, s’avança vers eux et leur rendit hom- mage comme le ferait un fils qui voit son père; il s'informa ensuite d’eux avec sollicitude, leur demandant d'où ils venaient, s’ils avaient pu n'être pas fatigués du voyage, enfin quel était l’objet de leur désir pour qu'ils tinssent ainsi un pied levé en l’air. Ces huit religieux lui dirent: « Nous avons entendu raconter que le prince héri- tier se plaisait à faire des libéralités, qu'il accordait tout ce qu’on lui demandait et ne s’opposait à aucune envie; la réputation du prince héritier s’est répandue dans les huit directions ; en haut, elle a pénétré dans le ciel azuré ; en bas, elle a atteint les sources jaunes ; les mérites qu'il

SÛTRAS DIVERS (N° 500) 367

s’est acquis par ses libéralités sont immenses ; au loin et au près on le célèbre dans des chants et il n’est personne qui n’en soit informé. Ce que les hommes disent de vous, ô prince héritier, est vrai et non faux. Vous êtes mainte- nant le fils de l'homme divin ; or, la parole de l’homme divin n’est jamais trompeuse. Donc, puisque vous êtes réellement capable de faire des libéralités et de ne pas vous opposer aux désirs des hommes, nous voudrions vous demander le don de l'éléphant blanc qui marche sur des lotus. » Le prince héritier se rendit alors à l’écurie des éléphants et en fit sortir un éléphant; mais les reli- gieux lui dirent: « Celui que nous désirons précisément avoir, c'est l'éléphant blanc qui marche sur des lotus, celui dont le nom est Siu-l'an-yen. » Le prince héritier répliqua: « Ce grand éléphant blanc est fort aimé et estimé du roi mon père qui le regarde du même œil dont il me re- garde moi-même; je ne saurais vous le donner. Si je vous le donnais, je perdrais l'affection de mon père; il serait peut-être capable, à cause de la faute que j'aurais com- mise concernant cet éléphant, de me chasser et de me faire sortir du royaume. » Le prince héritier fit cependant cette réflexion : « J’ai fait auparavant le vœu solennel d’ac- corder toutes les libéralités qu'on me demanderait et de ne m'opposer à aucun désir. Si maintenant je refuse, je contreviens à mes intentions primitives. Si je ne donne pas cet éléphant, par quel moyen pourrais-je atteindre au but de la pâramitâ sans supérieure et égale pour tous? Je consens à le donner afin de réaliser la pâramità sans supé- rieure et égale pour tous. » Le prince héritier déclara donc : « J'y consens; c’est fort bien, je désire vous le donner. » Il ordonna à ceux qui l’entouraient de mettre à cet éléphant sa selle d’or et de l’amener promptement. Le prince héri- tier, de la main gauche, prit de l’eau dont il lava les mains des religieux, et, de la main droite, iltira l'éléphant pour le leur donner. Quand ces huit hommes furent en possession

368 SUTRAS DIVERS (N° 500)

de l'éléphant, ils prononcèrent un souhait de bénédiction en faveur du prince, puis, quand ils eurent formulé ce souhait, ils montèrent tous sur l’éléphant blanc et s’en allèrent fort joyeux. Le prince héritier leur dit encore : « Partez promptement, car, si le roi savait ce qui vient de se passer, il pourrait envoyer des gens à votre poursuite pour vous enlever l'éléphant. » Ces huit religieux s’en allèrent donc en toute hâte.

Quand les ministres du royaume surent que le prince héritier avait fait don de l’éléphant blanc à leur ennemi, ils furent tous saisis de stupéfaction et de crainte ; tombant de leur lit à terre, ils étaient plongés dans le chagrin et ne se réjouissaient plus ; ils songeaient: « Notre pays ne pouvait s'appuyer que sur cet éléphant pour repousser les royaumes rivaux. » Ils allèrent dire au roi: « Le prince héritier a pris l'éléphant précieux qui, dans notre royaume, repoussait les royaumes rivaux et ilen a fait don à notre ennemi. » En entendant ces mots, le roi fut tout déconcerté, ils ajoutèrent : « O roi, si maintenant vous avez obtenu l'empire, c’est parce que vous aviez cet élé- phant qui était plus fort que soixante éléphants. Mainte- nant que le prince héritier l’a donné à notre ennemi, je crains que cela ne cause la perte du royaume. Que faut-il faire ? En se livrant ainsi à toutes les libéralités dont il a fantaisie, le prince héritier videra journellement le trésor _du palais; nous craignons qu'il ne finisse par donner le royaume entier ainsi que sa femme et ses enfants. » En entendant ces paroles, le roi sentit redoubler son mécon- tentement ; il appela un de ses ministres etlui demanda : « Est-il bien vrai que le prince héritier ait pris l'éléphant blanc pour le donner à notre ennemi?» Sur la réponse affirmative de ce ministre, le roi fut de nouveau grande- ment épouvanté ; il tomba de son lit par terre, et, si grande était son affliction qu’il ne reconnaissait plus personne ; on l’aspergea d’eau fraiche et, au bout d'un assez long

SÜTRAS DIVERS (N° 500) 369

temps, il reprit ses sens. Ses vingt mille épouses elles aussi n'étaient plus joyeuses.

Le roi délibéra avec ses ministres et leur demanda quelle conduite il fallait tenir à l'égard du prince héritier. Un des ministres répondit : « Celui qui entre avec ses pieds dans : l'écurie des éléphants, on doit lui couper les pieds; celui qui emmène avec ses mains un des éléphants, on doit lui couper les mains; celui qui a regardé avec ses yeux un des éléphants, on doit lui arracher les yeux. » Un autre dit qu'il fallait lui couper la tête. Tels étaient les divers avis qu'émettaient les ministres dans la délibération. En enten- dant leurs paroles, le roi fut grandement attristé ; il dit à ses ministres : « Mon fils aime fort la sagesse et se plait à faire la charité aux gens. Puis-je l’en empêcher en l’ar- rêétant et en l’enfermant ? » Un des grands ministres qui se trouvaient blâma l’avis exprimé par les autres minis- tres et le condamna en disant roi, vous n’avez que ce seul fils et vous le chérissez fort. Pourquoi voudriez-vous le supplicier et le mutiler ? et comment pourriez-vous avoir une telle pensée ? » Il ajouta : « Je ne me permettrais pas non plus de vous engager, Ô grand roi, à mettre le prince héritier dans l'impossibilité d'agir en l’arrêtant et en l’en- fermant. Bornez-vous à le chasser hors du royaume: met- tez-le dans une région sauvage au milieu des montagnes pendant une douzaine d'années. Cela le ramènera à rési- piscence. » Le roi suivit l’avis de ce grand ministre; il envoya donc un messager appeler le prince héritier, puis il lui demanda : « Avez-vous pris l'éléphant blanc pour le donner à notre ennemi? » Le prince héritier répondit qu'il l'avait effectivement donné. Le roi reprit : « Pourquoi avez- vous pris mon éléphant blanc pour le donner à mon ennemi et ne m'en avez-vous pas averti? Auparavant déjà, répondit le prince, j'avais obtenu de Votre Majesté l’enga- gement que vous me permettriez de faire toutes les libéra- lités que je voudrais et de ne vous opposer à aucun désir

III. 24

370 . SÛTRAS DIVERS (N° 500)

qui vous serait exprimé. C'est pourquoi je ne vous ai pas averti de ce que je faisais. » Le roi répliqua : « L'engage- ment que j'avais pris auparavant ne s’appliquait qu'aux joyaux; comment l'éléphant blanc y aurait-il été inclus ? Toutes ces choses, dit le prince, sont également les biens. du roi; comment l'éléphant blanc serait-il seul à en être exclu ? » Le roi dit alors au prince héritier: « Sortez. promptement du royaume : je vous exile dans la montagne- T'an-F'o (Danta) (1) pour douze années. » Le prince héri- tier répliqua : « Je n'oserais enfreindre les prescriptions: de Votre Majesté; mais je voudrais encore faire des libé- ralités pendant sept jours afin de déployer mes faibles. sentiments ; ensuite je quitterai le royaume. » Le roi répliqua : «Si je vous chasse, c’est précisément parce que votre charité est trop extrême, parce qu'elle a violé mes. trésors et causé la perte du joyau précieux qui me permet- tait de repousser les ennemis. Vous ne sauriez donc rester encore ici pour faire des libéralités pendant sept jours; sortez promptement ; je ne vous accorde pas cette autori- sation. » Le prince héritier dit alors: « Je ne me permet- trais pas d’enfreindre les ordres de Votre Majesté; cepen- dant j'ai quelques richesses qui m'appartiennent en propre ; je voudrais pouvoir en faire des libéralités, après quoi je m'en irai; mais je n’oserai plus dépenser les richesses de l'État. » Les vingt mille épouses allèrent ensemble auprès. du roi pour le prier de laisser le prince héritier faire des. libéralités pendant sept jours; après quoi, il sortirait du royaume. Le roi y consentit.

Alors le prince héritier chargea ceux qui étaient auprès. de lui d'annoncer dans les quatre directions de l’espace que tous ceux qui désiraient obtenir des richesses eus- sent à venir à la porte du palais et qu'ils obtiendraient ce

(1) Cette montagne doit être identifiée, comme l’a montré A. Foucher, avec la colline Mékha-Sanda, au nord-est de Shähbâz-garhi. Cf. BEFEO, 1901, p. 353-359 et 1903, pp. 413, 1.

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qu'ils désiraient ; quand les hommes ont des richesses, ils ne peuvent les garder perpétuellemént ; un jour vient il leur faut les perdre et les disperser. Ainsi donc, des quatre points cardinaux des-gens accoururent à la porte du palais; le prince héritier leur prépara à manger; il leur distribua ses objets précieux et chacun s’en alla satisfait; au bout de sept jours, les richesses furent épuisées; les pauvres étaient devenus riches et dix mille personnes étaient joyeuses. , | :

Le prince héritier dit à sa femme : « Levez-vous promp- tement et écoutez ce que j'ai à vous dire: maintenant le grand roi me chasse et m’établit pour douze années dans la montagne T'an-Po.» En entendant ce que disait le prince héritier, la princesse sa femme toute déconcertée et stupé- faite, se leva et lui dit: « Quelle faute grave avez-vous commise pour que le roi se porte à cette extrémité contre vous ? » Le prince héritier répondit: « C’est parce qu’il a jugé que ma libéralité a été excessive, parce que j'ai vidé le trésor de l’État et parce que j'ai fait don à notre ennemi.du vaillant éléphant blanc. Considérant cela, le roi et les minis- tres qui sont à ses côtés ont été d'accord dans leur irrita- t'on pour me chasser. » WMan-ich’e (Madri) dit: « Pour que le royaume soit prospère , je souhaite que le grand roi, ainsi que les ministres qui sont à ses côtés, les officiers et les gens du peuple, grands et petits, aient une abondance et une joie illimitée. Moi cependant, je devrai déployer toutes mes forces pour tâcher avec vous de parvenir à la sagesse dans cette montagne. » Le prince héritier lui dit: «Quand un homme se trouve dans la montagne qui est un lieu d’épouvante, cela lui rend difficile de garder son sang- froid ; les tigres, les loups et les bêtes féroces y sont fort à craindre ; vous qui êtes habituée à suivre vos fantaisies et à vous réjouir, comment pourriez-vous supporter une telle vie? Vous habitez dans le palais; vous êtes vêtue d’étoffes fines et souples; vous vous reposez parmi des

372 SÛTRAS DIVERS (N° 500)

tentures ; vous buvez et mangez des aliments doux et ex- quis et vous avez tout ce que désire votre bouche ; or, dans la montagne, votre couche sera faite de pousses de plantes, votre nourriture consistera en fruits; comment pourriez- vous vous y plaire ? En outre, il y a fréquemment du vent, de la pluie, des coups de tonnerre, des éclairs, des brouillards, de la rosée, qui font se hérisser le poil des hommes ; quand il y fait froid, le froid est extrême ; quand il y fait chaud, la chaleur est intense; parmi les arbres on ne saurait trouver un abri s'arrêter. Ajoutez que le sol est couvert de chardons, de cailloux aigus et d’insectes venimeux; comment pourriez-vous supporter tout cela ? » Man-tch'e (Madri) dit: « À quoi me servent les étoifes fines et souples, les tentures, les boissons et les aliments doux et exquis, si je dois être séparée de vous, à prince ? Je ne pourrai jamais m'éloigner de vous. Dans les circonstances présentes, je dois partir avec vous. Le roi a pour insigne son étendard ; le feu a pour insigne sa fumée ; une épouse a pour insigne son mari. C’est sur vous seul que je m’appuie; vous êtes pour moi le Ciel. Au temps vous étiez dans le royaume occupé à faire des libéralités aux gens venus des quatre directions de l’espace, je participais avec vous à cette œuvre charitable; maintenant, quand vous serez parti au loin, si un homme vient me demander l’aumône, que pourrai-je lui répondre ? Au moment j apprendrais que des gens sont venus pour vous implorer, j'en mour- rais sans doute d'émotion. » Le prince héritier lui dit : « Je me plais à faire des libéralités et à ne pas m’opposer aux désirs qui me sont exprimés ; si quelqu'un vient me demander mon fils et exiger ma fille, je ne pourrai me dis- penser de les donner. Si vous n’approuvez pas mes paroles, vous troublerez mes sentiments excellents; mieux vaut alors que vous ne partiez pas. » Man-ich’e (Madri) répliqua : «Je consens à approuver sans regret toutes les libéralités qu'il vous plaira de faire ; il n’y eut jamais personne dans

PONT EE OR Rite as LE V

SÜTRAS DIVERS (N° 500) 373

le monde qui fut aussi charitable que vous, à prince. » Le prince héritier lui dit : « Si réellement vous êtes capable de cela, c’est fort bien. »

Le prince héritier, avec sa femme et ses deux enfants, se rendit auprès de sa mère et prit congé d’elle pour par- tir en lui disant: « Je désire que vous fassiez souvent des remontrances au grand roi pour qu'il gouverne le royaume -avec la grande Loi et qu’il ne laisse pas l’hérésie s’im- planter dans le peuple. » En entendant le prince héritier prendre ainsi congé d’elle, sa mère se sentit pénétrée d'émotion et de tristesse; elle dit aux personnes qui étaient : « Avec un corps dur comme la pierre et un cœur résistant comme l'acier ou le fer, j'ai servi le grand roi sans jamais commettre aucune faute. Maintenant je n'avais qu’un seul fils et il m’abandonne ; pourquoi mon cœur ne peut-il pas se briser en morceaux de manière à ce que je meure ? Quand l'enfant est dans le ventre de sa mère, il est comme la feuille qui sur l'arbre jour et nuit croît et se développe; j'ai nourri mon enfant jusqu’à ce qu’il fût devenu grand et voici qu'il s’en va en m'abandon- nant. Toutes les autres femmes vont s’en réjouir et mon roi ne me respectera plus. Si le Ciel n’est pas opposé à mon vœu, qu’il fasse que mon fils revienne promptement dans le royaume. » Le prince héritier, avec sa femme et ses deux enfants, rendit hommage à son père età sa mère, puis il partit.

Les vingt mille épouses avaient enfilé chacune une perle véritable et en avaient fait don au prince héritier (1); les quatre mille grands ministres avaient fabriqué des fleurs avec les sept substances précieuses et les avaient offertes au prince héritier. Celui-ci, après avoir quitté le

(1) Une stèle chinoise de l’année 543 p.C. représenteles cinq cents (sic) épouses accompagnant le prince héritier au moment il va partir pour se rendre dans la montagne T'an-tou (Cf. ma Mission archéologique dans la Chine septentrionale, pl. CCLXXXIV, registre, 1" scène à droite).

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palais, sortit au nord par la porte de la ville; il prit les sept substances précieuses, les perles et les fleurs et en fit des libéralités aux gens venus des quatre directions de l’espace, en sorte qu'il les dépensa toutes aussitôt.

Les officiers, les gens du peuple, tous, grands et petits, se comptant par milliers et par myriades de personnes, vinrent offrir des présents pour souhaiter un bon voyage à l'héritier présomptif ; ils discutaient entre eux et di- saient : « Le prince héritier est un homme excellent ; il est le bon génie du royaume ; pourquoi son père et sa mère chassent-ils cet enfant qui est un précieux joyau ? » Tous ceux qui assistèrent à son départ en eurent des re- grets. Le prince héritier s’assit sous un arbre hors de ville et prit congé de ceux qui l’avaient accompagné en leur disant qu'ils devaient s’en retourner. Les officiers et les gens du peuple, tous, grands et petits, revinrent donc en versant des larmes.

Le prince héritier, monté avec sa femme et ses deux enfants sur un char qu’il conduisait lui-même, partit. Quand il eut poursuivi longtemps sa marche en avant, il s'arrêta pour se reposer sous un arbre. Alors survint un brahmane qui lui demanda son cheval (1); le prince héri- tier détela aussitôt son cheval et le lui donna; puis il mit les deux enfants dans le char que sa femme poussait par derrière, tandis que lui-même, s'étant mis entre les brancards, tirait le char en marchant. Après être allé un peu plus loin, il rencontra derechef un autre brahmane qui vint lui demander son char ; le prince héritier le lui donna aussitôt. Quand il se fut avancé plus loin, il ren- contra un autre brahmane qui lui demanda laumône ; il lui dit : « Ce n’est pas que je veuille rien vous refuser, mais tous mes biens sont épuisés. » Le brahmane répli-

(1) Dans la stèle citée plus haut (p. 373, 1), on voit représentée la scène du brahmane demandant le cheval, puis celle du brahmane qui part monté sur le cheval.

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qua : « Si vous n'avez aucun autre bien, donnez-moi les vêtements que vous avez sur votre corps. » Le prince hé- ritier enleva aussitôt ses vétements précieux et les lui remit, puis il se revêtit d’un vieux vêtement. Un peu plus loin, il rencontra un autre brahmane qui lui demanda l’'aumône et il lui donna les vêtements de sa femme ; plus loin encore il donna les vétements de ses deux enfants à un autre brahmane mendiant. Ainsi, le prince héritier se trouva avoir fait complètement don de son char, de son cheval, de son argent, de ses biens, de ses vêtements et cependant il n'en conçut aucun regret, ce regret ne füt-il pas plus gros qu’un poil ou un cheveu. Le prince héritier portant lui-même son fils, sa femme portant sa fille, ils -marchaient à pied. Le prince, sa femme et ses deux enfants, avaient le visage paisible et étaient joyeux. Ils s’engagèrent ensemble dans la montagne.

La montagne T'an-l'o (Danta) était à plus de six mille /; - du royaume de Che-po; elle en était donc fort éloignée, et, pour y parvenir, ils traversèrent des marécages déserts ils souffrirent de la faim et de la soif. Cakra, roi des - devas Trayastrimças, créa miraculeusement, au milieu d’un vaste marais, une ville avec ses faubourgs, ses places, ses quartiers, ses rues, ses ruelles, ses réjouissances ; des vêtements, des boissons, des aliments s’y trouvaient en abondance ; des gens sortirent de cette ville et vinrent au-devant du prince héritier pour l'inviter à séjourner afin de boire, de manger et de se réjouir avec eux. La princesse dit au prince : « Nous avons fait une fort longue marche; ne pouvons-nous pas nous arrêter ici un mo- ment ? » Le prince répliqua : « Le roi mon père m'a banni dans la montagne T’an-lo ; rester ici serait contrevenir à l’ordre du roi mon père ; ce ne serait pas agir avec piété filiale. » Aussitôt donc il sortit de la ville. Quand il jeta un regard en arrière, cette ville avait tout à coup disparu.

En continuant leur marche en avant, (les exilés) arrivè-

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rent à la montagne T'an-Po ; au pied de cette montagne, il y avait une grande rivière, si profonde qu'on ne pou- vait la traverser. La princesse dit à son mari: « Restons ici quelque temps jusqu’à ce que l’eau ait baissé et alors nous la traverserons. » Il répliqua : « Le roi mon père m'a banni dans la montagne T'an-l'o ; m'arrêter ici serait contrevenir aux ordres du roi mon père; ce ne serait pas agir avec piété filiale. » Le prince héritier se plongea alors dans l’extase (samâdhi) du cœur compatissant ; aussitôt, dans la rivière, s’éleva une grande montagne qui divisa les eaux comme une digue ; le prince et sa femme purent alors passer en relevant leurs vêtements (1). Après qu'ils eurent passé, le prince héritier fit cette réflexion : « Si nous nous en allons en laissant les choses dans cet état, la ri- vière débordera et fera périr les hommes, les êtres qui rampent, ceux qui volent, ceux qui grouillent et ceux qui remuent. » Le prince héritier revint donc sur ses pas et s’adressa à la rivière en lui disant : « Coulez comme au- paravant ; si des personnes veulent venir auprès de moi, permettez-leur à toutes de traverser ». Quand le prince héritier eut prononcé ces paroles, la rivière se remit à cou- ler comme auparavant. | Allant plus loin, ils arrivèrent à la montagne T'ano; le prince héritier vit que la montagne était haute et majes- tueuse ; les arbres y étaient luxuriants ; toutes sortes d'oi- seaux y chantaient d’une manière touchante ; il y avait des sources d’eau vive, des étangs purs, de l’eau excel- lente et des fruits doux; les oies sauvages, les hérons, les martins-pécheurs, les canards et toutes les variétés d'oiseaux y abondaient. Le prince-héritier dit à sa femme: « Regardez dans cette montagne les arbres qui s'élèvent jusqu’au Ciel sans qu'aucun d’eux soit brisé ou endom- magé; nous boirons ces eaux excellentes, nous mange-

(1) Voyez cette scène représentée sur la stèle citée plus haut (p.373,n°1\; registre, dernière scène à gauche).

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rons ces fruits doux, et, même au sein de cette montagne, nous pourrons nous appliquer à l'étude de la sagesse. » Le prince héritier entra dans la montagne; tous les oiseaux et les quadrupèdes qui s’y trouvaient en furent -très joyeux et vinrent l'accueillir.

Au sommet de la montagne vivait un religieux nommé A-lcheou-f'o (Acyuta), qui était âgé de cinq cents ans et: qui avait une vertu extraordinairement merveilleuse. Le prince héritier lui rendit hommage, puis recula, se tint debout et lui dit : « y a-t-il maintenant dans cette mon- tagne un endroit avec de la bonne eau et des fruits doux nous puissions nous établir? » A-fcheou-lo (ACyuta) lui répondit : « Toute cette montagne est un lieu béni, vous pouvez vous établir n'importe où. » Il ajouta : Dans cette montagne sont des endroits purs et calmes ; pourquoi cependant votre femme et vos enfants sont-ils - venus si vous désirez vous appliquer à l'étude de la sa- gesse ? » Avant que le prince héritier eût répondu, Man- tch'e (Madri) demanda au religieux : « Depuis combien d'années vous appliquez-vous ici à l'étude de la sagesse ? » Le religieux lui ayant répondu qu’il demeurait dans cette montagne depuis quatre ou cinq cents ans, elle ajouta : « Calculez au bout de combien de temps une personne telle que moi atteindra à la sagesse. Même en supposant que je demeure dans cette montagne aussi longtemps que ces arbres, je ne parviens pas à calculer quand une per- sonne telle que moi pourra atteindre à la sagesse. » Le religieux lui répondit : « En vérité, ce sont des choses que je ne connais point. » Le prince héritier demanda alors au religieux : « Avez-vous jamais entendu parler du prince héritier Siu-la-na (Sudâna), fils du roi du royaume de Che-po? J'en ai souvent entendu parler, répondit le religieux ; mais je ne l'ai jamais vu. C’est moi, dit le prince, qui suis précisément le prince héritier Stu-la-na (Sudâna). » Le religieux lui ayant demandé ce qu'il cher-

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chait àobtenir, il déclara qu'ildésirait obtenir le mahâyäna. Le religieux lui dit : « Tels étant vos mérites, vous ob- tiendrez le mahâyâna avant longtemps. Quand vous aurez atteint à la sagesse sans supérieure, correcte et vraie (anuttara samyak sambodhi), je serai votre premier dis- ciple doué de pouvoirs surnaturels (rddhipâda). »

Le religieux indiqua au prince héritier un endroit oùil pourrait résider; le prince alors, prenant modèle sur le religieux, mit un lien autour de sa tête et tressa ses che- veux ; il but l’eau des sources et se nourrit de fruits ; puis il ramassa des branchages pour en faire une petite hutte de feuillage (parnacçâlà) ; en même temps, il fit trois huttes de feuillage destinées respectivement à Man-ich'e (Madri) et à ses deux enfants. Le garçon. se nommait Ye-li (Jali); il était âgé de sept ans; il portait des vêtements faits avec des herbes et accompagnait toujours son père. La fille s'appelait X1-na-yen (Krsnâjinà); elle était âgée de six ans; elle portait des vêtements en peau de cerf etaccompagnait toujours sa mère. Dans la montagne, les oiseaux et les quadrupèdes étaient tous joyeux et mettaient leur confiance dans le prince héritier. Quand celui-ci se rendait en quelque lieu pour y passer une nuit, les cavernes et les étangs produisaient de l’eau de source, et sur tous les arbres desséchés poussaient des fleurs et des feuilles; tous les insectes et les animaux malfaisants disparaissaient ; les carnassiers se mettaient d'eux-mêmes à manger des herbes; les divers arbres fruitiers avaient spontanément des fruits abondants; les oiseaux de toutes sortes faisaient un concert et gazouillaient à l'unisson. Man-ich’e (Madri) s’occupait d’aller recueillir les fruits pour donner à manger à l'héritier présomptif ainsi qu’à son fils et à sa fille. Quant à ces deux enfants, parfois aussi ils s’en allaient en quittant leur père et leur mère; ils allaient jouer avec les animaux sur le bord de la rivière et parfois ils y passaient la nuit. Une fois, en guise de jeu, le garçon Ye-li monta à cheval

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‘sur un lion; le lion ayant fait un bond, Ye-li tomba à terre ; ‘il se blessa au visage et le sang coula ; un singe prit ‘alors des feuilles d’arbre et essuya le sang de son visage, puis il le mena au bord de l’eau et le lava. Le prince héri- tier, de l'endroit il était assis, vit de loin cette scène et s'écria : « Les animaux ont-ils donc de tels sentiments!» En ce temps, dans le royaume de Xïeou-lieou (Kuru) [1], il y avait un brahmane pauvre qui, à quarante ans, s'était marié ; sa femme étaitfort belle; lui au contraire, avait douze sortes de laideurs : son corps était noir comme de la poix ; sur son visage il avait trois callosités ; l’aréte de son nez était mince ; ses deux yeux étaient en outre verts; sa figure était ridée ; ses lèvres étaient pendantes; sa pa- role était bégayante ; ilavait un gros ventre et le derrière saillant ; ses jambes en outre étaient tordues et difformes ; enfin sa tête était chauve ; il avait tout l’aspect d’un démon. Sa femme, qui avait horreur de lui, avait prononcé des imprécations dans le dessein de le faire mourir ; un jour que cette femme était allée puiser de l’eau, elle rencontra une bande de jeunes gens quise moquèrent de son mariet le tournèrent en dérision (2); ils lui demandèrent : « Vous qui êtes si merveilleusement belle, comment pouvez- vous être la femme d’un pareil homme ? » Elle répondit à ces jeunes gens : « La tête de ce vieux est blanche comme le givre sur les arbres ; du matin au soir je voudrais faire en sorte qu’il meure ; mais qu'y puis-je, s’il se refuse à mourir ? » La femme alors partit en emportant de l’eau et en pleurant ; à peine fut-elle de retour qu'elle dità son mari : «Je suis allée prendre de l’eau, mais une bande de jeunes gens s’est réunie pour se moquer de moi. Il vous faut me chercher une esclave ; quand j'aurai une esclave, je ne serai plus obligée d'aller moi-même puiser de J’eau

(1) Le récit pâli substitue à ce nom celui de Kalinga. (2) Cette scène est figurée sur la stèle de 543 p. C. (p. 373, 1; second registre, dernière scène à gauche).

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et les gens ne se moqueront plus de moi. » Son mari lui répondit : « Je suis extrêmement pauvre ; voulez-vous que je trouve une esclave? » Sa femme répliqua : « Sivous n'allez pas me chercher une esclave, je m'en irai et ne demeurerai plus avec vous. » Elle ajouta : « J'ai toujours entendu dire que le prince héritier Siu-la-na (Sudânà)

pour avoir exercé une libéralité excessive, avait été banni par le roi son père dans la montagne T’an-Po; or,il a un fils et une fille ; allez et demandez-lui de vous lés donner. »

Le mari objecta que la montagne T’an-l'o était à plus de six mille /: de distance et qu'iln’y avait pas d’autre moyen que d’aller dans cette montagne pour adresser une telle demande au prince; mais sa femme lui dit: « Si vous ne me cherchez pas une esclave, je me tuerai en me coupant la gorge. J'aimerais mieux, lui répondit son mari, périr moi-même plutôt que de causer votre mort. » Il ajouta : « Si vous voulez que je fasse ce voyage, il faut que vous me donniez des provisions de route. » À quoi sa femme ré- pondit: « Partez seulement; je n'ai aucune provision. »

Le brahmane prépara donc lui-même HiPquee provisions, puis il se mit en chemin.

Il atteignit d’abord le royaume de Che-po et, arrivé en dehors de la porte du palais, il demanda au portier: «Où se trouve maintenant le prince héritier Siu-ta-na (Sudä- na) Le portier entra aussitôt pour informer le roi qu'un brahmane était dehors et demandait à voir le prince héri- tier. À cette nouvelle, le roi fut ému et dit avecirritation : « C’est uniquement à cause de cette engeance que j'ai banni le prince héritier; pourquoi maintenant de tels hommes viennent-ils encore ? » Il ajouta, en se servant d'une image : « Ceci est comparable à un feu qui se consu- mait lui-même, mais auquel on rajoute des branches sèches ; mon chagrin est semblable au feu qui se consu- mait; la venue de cet homme demandant à voir le prince est semblable aux branches sèches qu’on ajoute.» Le brah-

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mane dit : « J'arrive d’un pays lointain, parce que j'avais entendu parler de la renommée du prince héritier qui pé- nètre en haut jusqu'au ciel azuré et atteint en bas jus- qu'aux sources jaunes ; le prince héritier est charitable et ne s'oppose à aucun des désirs qu’on lui exprime ; voilà pourquoi je suis venu de loin, ayant quelque choseà lui demander. » Le roi répondit : «Le prince héritier demeure solitaire au plus profond des montagnes et il est extré- mement pauvre. Comment pourrait-il vous donner quoi que ce soit? Bien que le prince héritier ne possède plus rien, répliqua le brahmane, j'attache beaucoup d’im- portance à le voir. » Le roi chargea donc des gens de lui montrer le chemin.

Ainsi, le brahmane se dirigea vers la montagne T'an-Po : quand il arriva au bord de la grande rivière, il n’eut qu’à penser au prince héritier et put aussitôt la traverser. Le brahmane s’engagea alors dans [a montagne et rencontra un chasseur auquel il demanda: « Avez-vous eu l’occasion de voir dans cette montagne le prince héritier Siu-la-na (Sudâna)?» Le’chasseur savait bien que le prince héritier avait été banni dans cette montagne pour avoir fait des

libéralités aux brahmanes ; il empoigna «lonc ce brahmane, l'attacha à un arbre et se mit à le battre jusqu’à ce que son corps ne füt plus qu’une plaie ; puis il l'injuria, disant : « Je voudrais vous percer le ventre à coups de flèches et dévorer votre chair; qu’avez-vous besoin de demander est le prince ? » Le brahmane pensa : «Je vais être tué par cet homme ; ilfaut que je lui tienne un langage trom- peur. » Il lui dit donc : « N’auriez-vous pas m'interro- ger? Qu'est-ce à dire?» demanda le chasseur. Le brahmane reprit: « Comme le roi son père souhaitait voir le prince héritier, il m'a envoyé à sa recherche pour que je l'invite à rentrer dans le royaume. » Le chasseur aussi- tôt le délia et le détacha ; il lui fit toutes ses excuses en disant que vraiment il n'avait pas su quelles étaient ses

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intentions; puis il lui montra se trouvait le prince.

- Le brahmane arriva donc à l'endroit se tenait le.

prince héritier ; quand celui-ci le vit venir, il fut extré- mement joyeux; il alla à sa rencontre et lui rendit hom- mage; puis il lui demanda de ses nouvelles : « D'où venait- il? Avait-il pu n'être pas trop fatigué du voyage ? Qu’avait- il à demander? » Le brahmane répondit : « Je viens de

loin; tout mon corps est souffrant; en outre j'ai grand.

faim et grand soif, » Le prince héritier le pria donc d’en- trer et de s'asseoir; il lui présenta des fruits et un breu- vage; quand le brahmane eut bu de l’eau et eut mangé des fruits, il dit au prince héritier : « Je suis originaire du royaume de Æieou-lieou (Kuru); depuis longtemps jai entendu parler de vos dispositions charitables, car votre renommée est connue dans les dix régions. Je suis fort pauvre et je voudrais vous demander de me donner quelque chose. » Le prince répondit : « Il n’est rien que je veuille vous refuser; mais tout ce que je pos- sédais a été distribué ; je n’ai plus rien à vous donner. » « Si vous n'avez plus aucun objet, répliquä le brahmane, faites-moi don de vos deux enfants pour qu'ils prennent soin de ma vieillesse. » Quand il eut répété cette requête à trois reprises, le prince héritier lui dit : « Vous êtes venu exprès de loin dans le désir d'avoir mon fils et ma fille ; comment pourrais-je me refuser à vous les donner ? »

En ce moment, les deux enfants étaient allés jouer; le prince héritier les appela et leur dit : « Un brahmane est venu de loin pour me demander de vous donner à lui; j'y ai consenti; partez avec lui. » Les deux enfants accouru- rent se réfugier sous les aisselles de leur père -et leurs larmes jaillirent; ils disaient : « Nous avons souvent vu des brahmanes, mais jamais nous n’en vimes de cette sorte; ce n’est pas un brahmane; c'est un démon. Main- tenant notre mère est allée recueillir des fruits et n'est point encore revenue; cependant notre père nous prend

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pour nous donner à manger à un démon; notre mort est certaine. Quand notre mère reviendra et qu’elle nous réclamera sans nous trouvér, elle sera comme la vache qui recherche son veau; elle pleurera, se lamentera et s'abandonnera à l’affliction. » Le prince héritier dit : « J’ai fait une promesse; comment pourrais-je la reprendre ? Ce brahmane n’est point un démon et il ne vous dévorera point; vous donc, partez. » Le brahmane dit : « Je désire: m'en aller, car je crains que leur mère ne revienne et. qu’alors je ne puisse plus partir; vous m'avez témoigné des sentiments excellents, mais, si la mère des enfants revenait, elle détruirait vos bonnes dispositions. De- puis ma naissance, répliqua le prince, fais des libéra- lités et je ne m’en suis jamais repenti. »

Le priace prit de l’eau et en lava les mains du brah- mane, puis il tira vers lui les deux enfants et les lui donna; la terre alors trembla. Les deux enfants ne vou- laient pas suivre le brahmane ; ils revinrent devant leur père, et, se mettant à deux genoux, lui dirent : « Quel crime avons-nous donc commis dans nos existences an- térieures pour que nous soyons maintenant atteints par de telles souffrances, et pour que, étant de race royale, nous devenions les esclaves d’un homme. Devant notre père nous nous repentons de nos fautes; puisse par notre châtiment disparaitre et le bonheur se produire et. puissions-nous de génération en génération ne plus jamais rencontrer pareille infortune. » Le prince héritier répon- dit aux enfants : « Toutes les affections dans ce monde doivent être un jour rompues; toutes choses sont imper- manentes; comment pourrait-on les conserver ? Quand j'atteindrai à la sagesse sans supérieure et égale en tout, Je vous sauverai. » Les deux enfants lui dirent : « Vous. ferez nos adieux à notre mère, car maintenant nous nous. séparons pour toujours; nous regrettons de ne pouvoir prendre congé d’elle personnellement; c’est sans doute:

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les fautes commises dans nos vies antérieures qui nous valent ce malheur. Nous songeons à notre mère qui,

quand elle nous aura perdus, s’affligera de nos souffrances

et se désolera de nos peines. » Le brahmane dit : « Je suis vieux et affaibli; ces deux enfants vont chacun me quitter pour aller auprès de leur mère; comment alors les reprendrai-je ? Il faut que vous me les livriez attachés. » Le prince héritier tint donc les mains des deux enfants derrière leur dos pour permettre au brahmane de les attacher; celui-ci les lia ensemble et prit le bout de la corde qui les retenait tous deux; puis, comme les deux enfants ne voulaient pas le suivre, il les frappa jusqu’à ce que le sang jaillit et coulât sur le sol. Ce spectacle arracha des larmes au prince héritier; la terre en fut ébranlée. Le prince héritier et tous les animaux accompa- gnèrent de loin les deux enfants; puis, quand ils ne les

virent plus, ils s’en retournèrent. Tous les animaux, sui-

vant le prince héritier, revinrent à l'endroit jouaient les enfants, se tordirent de douleur en poussant des cris ? et se jetèrent sur le sol. Cependant le brahmane était parti en emmenant les deux enfants. En route, le garçon enroula la corde autour ? d'un arbre et refusa d’aller plus loin, espérant que sa mère viendrait (1). Le brahmane le frappa avec un bâton jusqu’à ce que les deux enfants lui disent : « Ne nous battez plus; nous marcherons spontanément. » Levant les yeux au ciel, ils s’écrièrent : « O divinités des monta- gnes, à divinités des arbres, ayez pour nous un sentiment de pitié; maintenant nous devons aller au loin pour être P ; les esclaves d’un homme et nous n’avons pas pu dire adieu à notre mère. Dites-lui qu’elle laisse ses fruits et (1) Song Yun, en 520 p. C., signale l'endroit le fils et la fille du prince héritier tournèrent autour d'un arbre en refusant de marcher, le brahmane les frappa avec un bâton et leur sang qui coulait arrosa la

terre ; cet arbre est encore et la place qui fut arrosée de sang est maintenant une source d’eau {Cf. BEFEO, 1903, p. 414).

ls a Le

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qu’elle vienne promptement nous voir. » En cet instant, leur mère qui était dans la montagne, ressentit une démangeaison sous le pied gauche et en outre son œil droit eut un clignotement, tandis que du lait sortait de ses deux seins; elle fit alors cette réflexion : « Jamais encore je n’ai éprouvé ces sensations étranges; qu’ai-je besoin de m'occuper de ces fruits ? Il faut que je m’en retourne pour voir s'il n’est pas arrivé quelque malheur à mes enfants. » Elle laissa donc ses fruits et s’en revint.

En ce moment, le Çakra du second ciel, roi des devas Trayastrimças, sachant que le prince héritier avait donné ses enfants à un homme, et craignant que sa femme ne vint mettre à néant ces excellentes dispositions, se transforma en un lion qui se tint accroupi en travers du chemin (1). La femme dit à ce lion : « Vous êtes le roi des animaux; moi aussi, je suis la fille d’un roi et je demeure comme vous dans la montagne; je désire que vous vous écartiez un peu pour que je puisse passer. J’ai deux enfants qui sont encore tout jeunes; ils n’ont rien eu à manger depuis ce matin et ne peuvent compter que sur moi. » Le lion, sachant que le brahmane était maintenant loin, se leva et laissa le chemin libre, en sorte que la princesse put passer.

À son retour, la princesse vitle prince héritier qui était assis tout seul et elle n’aperçut pas ses deux enfants. Elle alla elle-même dans sa hutte de feuillage pour Les y cher- cher, mais ne les trouva pas; elle alla derechef dans les huttes des enfants et ne les y rencontra pas ; puis elle se rendit au bord de la rivière les enfants avaient cou- tume de s'amuser, mais encore elle ne les vit pas; elle vit seulement Les animaux : daims, lions etsinges, avec

(1) A 3 li à l’ouest de l'habitation, dit Song Yun, est l'endroit Cakra, maitre des devas, prit la forme d’un lion et s’accroupit en travers du che- min pour barrer le passage à Man-kia (Madri) ; sur le roc, les traces des poils, de la queue et des griffes sont maintenant encore parfaitement

visibles (Cf. BEFEO, 1903, p. 414). [TT. 25

_

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lesquels ils s’'amusaient habituellement. Man-tchk’e (Madri) s’avança en se frappant elle-même et en poussant des cris ; l’eau de l’étang jouaient les enfants en fut vidée et tarie. Man-tch'e (Madri) revint alors à l’endroit était le prince héritier et lui demanda étaient les deux enfants; le prince héritier ne répondit pas; Man-lch'e (Madri) dit encore : « Quand mes enfants me voyaient venir de loin rappor- tant des fruits, ils tombaient à terre en courant vers moi, puis ils se relevaient en bondissant et s’écriaient : maman est revenue! Quand ils me voyaient assise, ils étaient tous deux à mes côtés ; dès qu'ils apercevaient un peu de pous- sière sur mon corps,ils me l’enlevaient. Maintenant cepen- dant je n’aperçois pas mes enfants, et mes enfants ne vien- nent pas auprès de moi. Qui les a pris ? Maintenant, de ne pas les voir mon cœur se brise. Dites-moi promptement ils sont et ne me rendez pas folle. » Elle répéta ces paroles jusqu’à trois fois sans que le prince répondit rien. Man-iche (Madri) en conçut un redoublement de peine et prononça ces paroles amères : « Je pourrais encore suppor- ter de ne pas voir mes enfants, mais votre silence aug- mente mon égarement. » Le prince héritier lui dit alors: « Un brahmane est venu du royaume de Æïeou-lieou ; il m'a demandé les deux enfants et je les lui ai donnés. » Quand la princesse eut entendu ces mots, elle éprouva une telle émotion qu’elle tomba à terre comme une grande montagne qui s'écroule ; elle se tordait de douleur et se lamentait sans pouvoir s'arrêter. Le prince héritier lui dit: « Calmez-vous un moment. Vous souvenez-vous des faits anciens qui se passèrent au temps du Buddha T'i-ho-kiai-lo (Dipankara) (1)? J'étais alors un brahmatärin et je me nommais Pei-lo-wet (Vedavat?); vous étiez une fille de brahmane et vous vous nommiez Stiu-lo-lo (Su- ratà [2] ?); vous teniez sept tiges de lotus et moi j'avais à

(1) Cf. notre conte 83. (2) L'édition de Corée donne la leçon Siu-Po-lo.

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la main cinq cents pièces d'argent; je vous ai acheté (cinq de vos) fleurs parce que je voulais les répandre sur le Buddha; vous m'avez confié les deux autres pour les offrir au Buddha et vous avez fait alors ce vœu : « Puissé- je, dans mes vies ultérieures, être toujours votre femme, et, belle ou laide, n'être jamais séparée de vous. » Je fis alors avec vous cette convention solennelle: « Si vous désirez être ma femme, il vous faudra vous conformer à ma volonté; je ferai toutes les libéralités possibles et je ne m’opposerai à aucun des désirs qui me seront expri- més; je m'abstiendrai seulement de donner mon père et ma mère; mais, pour tous les autres dons que je ferai, vous suivrez ma volonté.» Vous me répondiîtes alors que vous y consentiez. Or, maintenant j'ai fait don des enfants et voici que vous jetez le trouble dans mes senti- ments excellents. » En entendant ces paroles du prince héritier, la princesse sentit son cœur et son intelligence s'ouvrir; elle se rappela que, dans une vie antérieure, elle avait promis d'approuver toutes les libéralités que ferait le prince héritier et d’acquiescer promptement à tous ses désirs.

Cakra, roi des devas, voyant quelle était la charité du prince héritier, descendit pour le mettre à l'épreuve avec le désir de lui demander encore quelque chose. Il se trans- forma en un brahmane qui, lui aussi, avait douze sortes de laideurs, et, arrivé en présence du prince héritier, 11 lui parla en ces termes : «J'ai constamment entendu raconter, Ô prince, que vous vous plaisiez à exercer la charité et que, quelle que fût la demande qu’on vous adressàt, vous ne vous opposiez aux désirs de personne. C’est pourquoi je suis venu ici dans l'intention de vous demander pour moi votre épouse. » Le prince héritier répondit: « J'y consens ; c’est fort bien; elle est à vous. » La princesse lui dit alors : « Si maintenant vous me donnez à un homme, qui subviendra à votre entretien ? » Le prince répliqua :

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« Si maintenant je ne fais pas don de vous, par quel moyen obtiendrai-je de réaliser en moi la pensée des pâramitäs sans supérieures et égales en tout ? » Le prince héritier lava alors avec de l’eau les mains du brahmane, puis il amena sa femme et la lui donna. Çakra reconnut que le prince héritier n'avait en ce moment aucun senti- ment de regret; tous les devas louèrent son excellence ; le ciel et la terre furent fortement ébranlés. Alors le brahmane prit la princesse et l’emmena; mais, après avoir fait sept pas, il revint avec la princesse et voulut la re- mettre au prince héritier pour qu’elle ne fût plus donnée à personne ; mais le prince lui dit: « Pourquoi ne la pre- nez-vous pas ? Aurait-elle quelques défauts ? Parmi toutes les épouses, celle-ci est la meilleure ; elle est la fille d’un roi qui règne actuellement sur un royaume et elle est la fille unique de ce roi. À cause de moi, cette épouse s’est _ jetée dans l’eau bouillante et dans le feu (de l’ascétisme); elle a bu et mangé des boissons et des aliments grossiers et mauvais et n’a jamais reculé devant aucune de ces souf- frances. Dans tous ses actes, elle est diligente et appliquée et son visage est beau. Emmenez-la maintenant et mon cœur sera content. » Le brahmane dit au prince héritier : « Je ne suis point un brahmane; je suis Çakra, roi des devas; c'est pourquoi je suis venu pour vous mettre à l'épreuve. Quels sont vos vœux ? » Il reprit alors la forme de Çakra et apparut d’une merveilleuse beauté; la prin- cesse lui rendit hommage et lui exprima trois souhaits : « En premier lieu, dit-elle, faites en sorte que le brahmane prenne nos deux enfants et revienne les vendre dans notre pays; en second lieu, faites en sorte que nos enfants ne souffrent ni de la faim ni de la soif; en troisième lieu, faites que moi et le prince héritier nous puissions retour- ner promptement dans notre pays. » Çakra, roi des devas, répondit : « Il sera fait comme vous le désirez.» Le prince héritier dit à son tour: «Je souhaite qu'il soit fait en

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sorte que tous les êtres vivants obtiennent d’être sauvés et n'aient plus à endurer les souffrances de la naissance, de la vieillesse, de la maladie et de la mort. » ÇCakra, roi des devas, lui dit: « Très grand est l'objet de votre désir ; il est fort élevé etrien ne lui est supérieur. Si vous désirez naître dans les cieux et devenir un roi parmi le soleil et la lune, ou si vous désirez être dans le mondeun souverain suprêmeet avoir unelongévité prolongée, ce sont des choses que je pourrais vous donner conformément au vœu que vous m'en exprimeriez; mais la majesté su- prême dans les trois mondes échappe à mes atteintes. » Le prince héritier reprit: « Maintenant donc, provisoire- ment, je désire qu’il soit fait en sorte que j’aie de grandes richesses ; je me plairai constamment à les distribuer en libéralités plus considérables encore que celles d’aupara- vant ; je désire qu'il soit fait en sorte que le roi mon pére et tous les ministres qui sont à ses côtés aient le désir de me revoir. » Cakra, roi des devas, lui dit: «Ilsera fait cer- tainement comme vous le désirez. » Un instant après, il disparut soudain.

Cependant le brahmane du royaume de ÆXieou-lieou (Kuru) était revenu chez lui avec les enfants; mais sa femme se porta à sa rencontre et l’injuria disant : « Com- ment osez-vous revenir en m'amenant ces enfants; ils sont de la race royale; vous cependant, dépourvu de toute pitié, vous les avez frappés, de manière à ce qu’ils aient des blessures et à ce que tout leur corps soit couvert de sang et de pus ; allez promptement les mettre en vente et cher- chez-moi d’autres serviteurs. Le mari suivit l'avis de sa femme et se mit en route pour aller vendre les enfants. Cakra, roi des devas, qui se promenait tout autour de Ja place du marché dit: « Ces enfants sont à un prix élevé, personne ne peut les acheter. » Comme les enfants avaient faim et soif, le deva fit en sorte que, par le moyen d’une effluve spontanée, les enfants fussent entièrement rassa-

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siés. Le roi des devas modifia alors les intentions du brah- mane qui se rendit dans le royaume de Che-po (Gibi) ; dans le royaume, les ministres et Les gens du peuple recon- nurent qu’ils avaient affaire aux enfants du prince héritier, aux petits enfants du grand roi; grands et petits, tous les habitants furent saisis de compassion; les ministres demandèrent alors au brahmane comment il s'était procuré ces enfants ; le brahmane dit: « Je les ai obtenus en les demandant ; à quoi bon m'interroger ? » Les ministres répliquèrent : « Puisque vous êtes venu dans notre royaume, n'est-ce pas notre devoir de vous interroger ? » Les principaux ministres et les gens du peuple étaient tous disposés à enlever les enfants au brahmane; mais il se trouva parmi eux un notable qui les réprimanda en disant : «Nous avons ici un exemple du degré auquel a pu atteindre l'esprit de charité du prince héritier ; si maintenant nous enlevons les enfants, ne nous opposerons-nous pas aux intentions réelles du prince-héritier ? Le mieux est d'en référer au roi; quand le roi en sera informé, il rachètera lui-même les enfants. » Alors donc on s'arrêta et les ministres vinrent dire au roi : « O grand roi, vos deux petits-enfants sont maintenant mis en vente parun brah- mane. » À cette nouvelle, le roi fut très surpris; il appela le brahmane qui vint donc dans le palais avec les deux enfants. Le roi, sa femme, les ministres qui étaient à ses côtés et toutes les femmes de son harem, en apercevant de loin les deux enfants, se mirent tous à sangloter. Le roi ayant demandé au brahmane comment il se trouvait posséder ces deux enfants, il répondit : « Je les ai obte- nus en les demandant au prince héritier. » Le roi appela les deux enfants et désirait les prendre dans ses bras, mais les enfants pleuraient et ne voulaient pas aller dans ses bras. Le roi demanda au brahmane à quel prix il ven- dait les enfants ; avant que le brahmane eût pu répondre, le garcon dit: «Le garçon vaut mille pièces d'argent et

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cent vaches ; la fille vaut deux mille pièces d’or et deux

cents vaches. Les garçons, répliqua le roi, sont esti-

més par les hommes ; pourquoi donc le garçon est-il bon marché et la fille chère? » Le garçon répondit : « Les femmes de votre harem n'ont aucune parenté avec vous, Ô roi; les unes sortent de conditions humbles ; d’autres étaient de simples servantes ; cependant celles que votre fantaisie favorise deviennent élevées en dignité; elles sont couvertes de joyaux et mangent et boivent des aliments exquis ; à roi, vous n’aviez qu’un seul fils et vous l’avez chassé au plus profond des montagnes, tandis que chaque Jour vous vous livriez aux réjouissances avec les femmes de votre harem sans jamais penser à votre fils. Par on voit clairement que les fils ont peu de valeur et que les filles en ont une grande. » En entendant ces paroles, le roi fut troublé et affligé ; ses larmes coulèrent à flots et il dit : « J’ai été coupable envers vous. Pour quelle raison ne venez-vous pas dans mes bras? Est-ce parce que vous me haïssez ou parce que vous craignez le brahmane ? » Le garçon répondit : « Nous ne nous permettrions point de vous détester, Ô grand roi, et, d'autre part, nous ne craignons point le brahmane. Nous étions autrefois les petits-fils du grand roi, mais maintenant nous sommes les esclaves d’un homme. Comment les esclaves d’un homme pourraient-ils aller dans les bras du roi du royaume ? Voilà pourquoi nous ne nous permettrons pas de le faire. » En entendant les paroles du jeune garçon, le roi sentit redoubler son affliction; puis, en conformité avec ce qui venait de lui être dit, il paya au brahmäne le prix convenu et appela de nouveau dans ses bras les enfants qui s’y rendirent aussitôt. Le roi, tenant embrassés ses deux petits-enfants, caressait leur corps ; il leur demanda : « Qu'est-ce que mange et boit votre père dans la mon- tagne ? de quoi peut-il se vêtir ? » Les deux enfants lui répondirent : « Il mange des fruits, des graines, des

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légumes et des racines ; il se couvre d’une étoffe grossière qui lui tient lieu de vêtement; les cent sortes d'oiseaux le distraient et son cœur est exempt de tout chagrin. »

Le roi ayant renvoyé le brahmane, les enfants lui dirent : « Ce brahmane souffre beaucoup de la faim et de la soif; nous désirons que vous lui donniez un repas. » Le roi leur demanda : « N’êtes-vous donc pas fâchés contre lui? pourquoi vous inquiétez-vous encore de lui procurer à manger ? » Les enfants répondirent : « Notre père se plaisait à la sagesse, mais il n'avait plus rien dont il pût _ se servir pour faire la charité. Ce brahmane lui a demandé de nous donner à lui et ainsi il est devenu notre maître ; 4 nous n’avons point encore pu être ses serviteurs de ma- nière à contribuer à l’accomplissement des sages inten- 3 tions de notre père. Comment pourrions-nous mainte- | nant le voir souffrir de la faim et de la soif sans éprouver des sentiments affectueux et bons à son égard? Puisque notre père avait donné ses enfants à ce brahmane, com- ment, à grand roi, pourriez-vous lui refuser un repas? » Le roi offrit donc à manger au brahmane qui, après s’être rassasié, s’en retourna tout joyeux.

Le roi envoya alors un messager chercher en toute hâte le prince héritier et le faire revenir ; en conformité avec ces instructions, le messager alla chercher le prince héri-

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tier ; il fut arrêté par la rivière qu'il ne pouvait franchir, mais il n’eut qu'à songer au prince héritier et il put aus- sitôt la traverser; arrivé auprès du prince héritier, il lui communiqua l’ordre du roi en lui disant qu’il devait promptement revenir dans le royaume et que le roi dési- rait vivement le voir. Le prince héritier répondit : « Le roi m'a banni pour douze années dans la montagne et il s’en faut encore d’une année que le terme ne soit arrivé; quand cette année sera accomplie, je reviendrai. » Le messager retourna dire au roi ce qui s'était passé; le roi écrivit alors de sa propre main une lettre pour être

SÛTRAS DIVERS (N° 500) 393

remise au prince héritier ; elle était ainsi conçue : « Vous êtes un homme sage; pour ce qui est du passé, il vous faut être indulgent; pour ce qui est de l'avenir, il vous faut aussi être indulgent. À quoi bon vous irriter et ne pas revenir ? j'attendrai que vous soyez ici pour boire et

pour manger. » Le messager se rendit de nouveau, por-

teur de cette lettre, auprès du prince héritier; quand celui-ci eut reçu la lettre, il commença par se prosterner devant elle, le visage contre terre; puis, après l'avoir adorée, il recula et tourna sept fois autour d'elle; ensuite

il ouvrit et la lut.

A la nouvelle que le prince héritier devait s’en retour- ner, toutes les bêtes de la montagne sautaient et se tor- daient de chagrin, se frappaient et poussaient des cris lamentables ; les sources en furent taries ; les femelles des animaux en perdirent leur lait ; Les oiseaux de toutes

sortes criaient piteusement; car ils allaient perdre Île

prince héritier.

Le prince héritier mit alors des vêtements et s’en revint avec la princesse. Le souverain hostile du royaume rival, apprenant le retour du prince héritier, chargea des émis- saires de mettre sur l'éléphant blanc un harnachement d’or et d'argent, de prendre avec eux le vase d’or plein de grains d’argent et Le vase d'argent plein de grains d'or et de venir au-devant du prince sur la route pour les lui rendre en lui exprimant en ces termes son repentir des fautes qu’il avait commises : « Si auparavant je vous ai demandé l'éléphant blanc, c’est parce que j'étais stupide et insensé ; à cause de moi, vous avez été banni au loin; maintenant j'apprends que vous revenez et j'en conçois une grande joie; je vous restitue l'éléphant blanc et je vous présente les grains d’or et d'argent ; je souhaite que vous condescendiez à les accepter afin que mon crime soit supprimé. » Le prince héritier répondit : « Supposez qu'un homme ait préparé des aliments de toutes sortes

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4

de saveurs et les ait présentés à quelqu'un ; si cette der- nière personne, après les avoir mangés, les vomit à terre, comment ces aliments seraient-ils encore parfumés et purs ? Pourrait-on les remanger? Maintenant, les libéra- lités que j'ai faites sont comparables à ce qui a été vomi ; je ne puis en aucune façon les reprendre. Montez promp- tement sur l’éléphant et retournez exprimer mes remer- ciements à votre roi. On vous a bien fatigués, à envoyés, pour que vous veniez au loin prendre de mes nouvelles. » Alors donc les émissaires montèrent sur l’éléphant et s’en retournèrent rapporter au roi ce qui s'était passé. À cause de cet éléphant, le souverain hostile de ce pays rival se transforma en un homme bienveillant et bon; lui-même, ainsi que tout son peuple, conçurent la pensée des pârami- tàs sans supérieures et égales pour tous. |

Le roi, père du prince héritier, monta sur un éléphant pour sortir à la rencontre de son fils. Le prince héritier s'avança aussitôt et lui rendit hommage en mettant son visage contre terre; puis il revint à la suite du roi; tous les gens du peuple étaient transportés de joie ; ils répan- daient des fleurs, brûlaient des parfums, suspendaient des oriflammes et des dais en soie et faisaient couler sur le sol des essences parfumées pour accueillir le prince- héritier. Celui-ci entra dans le palais et alla aussitôt devant sa mère ; la tête contre terre, il lui rendit hom- mage et lui demanda comment elle se portait. Le roi con- fia au prince héritier tous ses trésors; le prince en fit des libéralités à son gré et fut plus charitable encore que précédemment. Comme sa charité ne se lassait pas, il obtint par de devenir Buddha.

Le Buddha dit à Ânanda : « Telle est la manière dont j'ai pratiqué la charité dans une de mes existences anté- rieures. Le prince-héritier Siu-la-na (Sudâna), c’est moi- même. Celui qui en ce moment était le roi son père, c’est maintenant mon père, le roi Yue-Peou-fan (Guddhodana) ;

SÛTRAS DIVERS (N° 500) 395

celle qui en ce moment était la mère du prince héritier,

c’est maintenant Mo-ye (Mâyà); celle qui en ce temps

était la princesse, c’est maintenant Aiu-yi (Gopâ); celui qui en ce temps était le religieux A-{cheou-l’o (Atyuta) de- meurant dans la montagne, c’est Mo-ho-mou-kien-lien (Ma- hâmaudgalyâyana) ; celui qui en ce temps était Çakra, roi des devas, c’est Chô-li-fou (Câriputra) ; celui qui en ce temps était le chasseur, c’est A-nan (Ânanda) ; celui qui en ce temps était le garçon Ye-li (Jâli), c’est maintenant

mon fils Lo-yun (Râhula) ; celle qui en ce temps était la

fille K1-na-yen (Krsnâjinâ), c'est maintenant la mère de

Parhat Mo-li (1); celui qui en ce temps était le brahmane

qui demanda les enfants, c’est maintenant T’1ao-la (Deva- datta) ; la femme du brahmane, c'est Tchan-lchô-mo-na (Cinéamânavikà). Telles sont les peines et les souffrances

que j'ai endurées pendant des kalpas innombrables et

voilà comment aussi j'ai fait Le bien pendant des kalpas innombrables. Conservez toujours ce sûtra pour l’exposer à tous les cramanas. »

Telle est la manière dont le Bodhisattva pratique la pâramità de charité (dâna).

(1) Dans le pâli, cette filleestidentifiée avec Uppalavannä (Utpalavarnä).

i2

Re 17

du

TABLE DES MATIÈRES DU TOME TROISIÈME

Tsa pao tsang king (n°s 400-122).

Extraits du Cheng king (n°° 423-438) .

Extraits du ing lu yi siang (n°s 439-489)

Extraits du Ta {che tou louen (n° 490-492)

Extraits du Tch'ou yao king (n°5 493-494)

Extraits du Fa kiu p'i yu king (n°s 195-497)

Sûtra des dix rêves du roi Prasenaïjit (n° 498). ae,

Sûtra sur l’avadäna de Fille-de-Manguier (Âmrapäli) et Æ'i-yu Épvaka) (ns 499) 02 0 30e

Sûtra du prince héritier Sudâna (n° 500) .

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