f '^::^ Tr*àul Grinke ' I Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from Research Library, The Getty Research Institute I http://www.archive.org/details/compositiondespaOOgira o Q o o s il il SLxJ DES P AYS AGES, DE LA COMPOSITION DES o u Des moyens d'embellir la Nature autour des Habitations j enjoignant l'agréable à rutile. Par R, L, GÉRARDIN ^Mejhe de Camp de Dragons , Chevalier de V Ordre Royal & Militaire de S, Louis y Vie*' d^ Ermenonville* Ahappi rural feat of différent views. Un féjour heureux , & champêtre y d'un afpecl varié» MiLTON, defiriptiofi du Paradis Terrefire, A GENÈVE, Etfe trouve A Pa ris , Chez P. M. Delaguette , Libraire- Imprimeur ;, rue de la Vieille -Draperie. ^<î^ M. D C C. L X X V I I, J FIS \y ES Feuilles étoient imprimées dès le commencement de Vannée lyyô ; elles alloient paroitre , lorfque les circonfiances en fuf- pendirent alors la publication. Plufieurs Ouvrages ont paru depuis fur plufieurs fortes de Jardins ; mais ici on traite principalement des Campagnes , de leur embellijfement , de leur culture y& de leur fubfiflance ; & fi l'on Je détermine à réimprimer aujourd'hui ces mêmes Feuilles , a iij vj A VIS. cejl que le plus beau Jpeclacle de la Nature , ferait fans doute celui de Campagnes heureufes. Les difcours font épuifés , Vef prit efl devenu inoins rare que le fens commun ; il ny a plus que la nouveauté qui puiffe frapper les hommes. Le moment où , à Jorce de s'en écarter y ce quily a déplus nouveau pour eux y c'est L A Na tu RE y efl le montent de les y ramener y en les conduifant à en connoitre y & à enfentirtous les charmes. Fuiffent le tems & des mains plus habiles , achever ce que V Auteur naura fait ici u ébaucher ! INTRODUCTION» VJn jardin fut le premierbienfait de la Divinité , le premier féjour de rhomme heureux ; cette idée confacrée depuis chez tous les Peuples , fut Finfpiration même de la Nature , qui indique à l'homme le plaifir de cultiver fon jardin , comme le moyen le plus fur de prévenir les maux de Famé, 6c du corps. Si je puis à mon tour indiquer quelques moyens de joindre à cet exercice falutaire , un intérêt de compo- iîtioo y qui puifle occuper F efprit aiv viij INTRODUCTION. Se rimagination ; peut-être aurai-? je rendu quelque léger fer vice à mes femblables, fur-tout lorfqu il efl: devenu fi difficile dans lage de raifon , de trouver quelque chofe de mieux à faire , que de cultiver fon jardin. Chez les Peuples anciens où TArchiteiflure étoit dans toute fa gloire y lorfque les Palais & les Temples répandus jufques dans les Campagnes, imprimoient fur tout leur pays un caraélere de majefté , nous ne voyons pas qu'ils aient jamais cherché à rendre leurs jardins remarqua- bles, autrement que par îa gran- INTRODUCTION, ix deur & la prodigalité de la dé- penfe. Les délicieux afyles de U nature y furent méconnus ; l'art fut déployé par -tout avec et tentation , & l'étalage de la ma-^ gnificence fut feul en droit de leur plaire ; tant la vanité aveugla de tous les tems les hommes fur leurs vrais plaifirs , comme le préjugé fur leurs vrais intérêts. Le fameux le Notre y qui fleu- lilToit au dernier fiécle , acheva de maflacrer la Nature en affu- jettiffant tout au compas de FArchitefte ; il ne fallut pas d'autre efprit que celui de tirer des lignes , & d'étendre le long X INTRODUCTION. d une règle, celles des croifées du bâtiment ; auflî-tôt la plantation fuivit le cordeau de la froide limétrie ; le terrein fut applati à grands frais par le niveau de la monotone planimétrie ; les arbres furent mutilés de toute manière , les eaux furent enfer- mées entre quatre murailles ; la vue fut emprifonnée par de triftes maflîfs; & l'afpeâ: de la maifon fut circonfcrit dans un plat par- terre découpé comme un échi- quier , où le bariolage de fables de toutes couleurs , ne faifoit qu éblouir & fatiguer les yeux : ^uffî la porte la plus voifine^ INTRODUCTION, xj pour for tir de ce trifle lieu, fut- elle bientôt le chemin le plus fréquenté. On n'avoit point un parc pour s'y promener, & l'on s'entouroit à grands frais dune enceinte d'ennui ; on fe féparoit , par un obftacle intermédiaire^de la Cam- pagne ; tandis que par un inftind: fecret , on s'emprelFoit d'aller la chercher , quelque brute qu'elle pût être , de préférence à toutes les allées bien droites , bien ra^ tiflees, & bien ennuyeufes. Parmi tous les Arts libéraux qui ont fleuri avec tant d'éclat à différentes époques ; tandis que xij INTRODUCTION: les Poëtes de tous les âges ^ que les Peintres de tous les fiécles repréfentoient les beautés & la fîmplicité de la Nature dans les Peintures les plus intérefiantes , il eft bien furprenant que quel- qu'homme de bon fens ( car c'eft du bon fens que le goût dépend ) n'ait pas cherché à réalifer ces defcriptions & ces tableaux enchanteurs , dont tout le monde avoit fans cefïè le modèle fous les yeux, & le fen- timent dans le cœur. Il eft bien étonnant qu'on n'ait pas vu fe former l'art d'embellir le pays autour de fon Habitation ; en ua INTRODUCTION, xiij mot , de développer , de confer- ver , ou d'imiter la belle Nature, Cet art peut néanmoins devenir un des plus intérelTans ; il eft à la Poéfîe & à la Peinture , ce que la réalité efl à la defcription ^ & l'original à la copie. Un tel Art ne doit -il donc |>as être un amufement recom- mandable ? Ses comportions oc- cupent l'efprit ; fon eflfet doit, ■en charmant l'œil , répandre la férénité dans l'ame ; & par-tout où ce genre fera introduit , la Nature doit fourire avec toutes les grâces de fon élégante fim- plicité , paroi tre toujours pi- xiv INTRODUCTION. quante par fes variétés infinies ^ & déployer par -tout des char- mes , dont tout être fenfible ne fe raflafiera jamais. D'après quelques expériences^ & fur-tout d'après mes fautes, je vais tâcher d'indiquer ici quel- ques moyens , pour éviter les principales erreurs , dans lefquel- les l'inexpérience , le défaut de comparaifon, & celui de princi- pes , poui^roient facilement en- traîner. DES PAYSAGES ERRA TA. "JPag. 6 lig. 5 5 au lieu de contourne lifez contourné Pag. 23 à la dern. lig. au lieu ^^'inclination life:^ inclinaifon Pag. 2p lig. i^,au lieu de le life^ la Pag. 57 lig. 12 , ûM lieu de vous mettre en querelle life^ établir une querelle Pag. 61 aux derniers mots de la page , au lieu /un jardin , life^^ àts promenades. Pag. 113 lig. 13 , efface:;^ la & life:^ à compofer Pag. 128 lig. 4, life^ en nous retraçant les fcenes Arcadiennes , DES PAYSAGES 0 V DE LA NATURE CHOISIE. ^sçSJs^ =.♦ CHAPITRE PREMIER, 'Dans lequel on tâchera de fixer enjin les idées entre un Jardin , un Pays , & un Payfage, il L eft impoflTible de s'entendre fur ce qu'on veut faire , Ci l'on ne commence avant tout , par s^entendre fur ce qu'on veut dire. Depuis un tems on a beaucoup parlé de jardins ; mais dans le fens ordinaire, le mot jardin préfente d'abord l'idée du» terrein enclos, A 2 DE LA Composition alligné , ou contourné d'une manière ou d'une autre. Or, ce n'eft point-là du tout le mot du genre que j'entreprens de pré- fenter , puifque la condition exprelTe de ce genre , eft précifément qu'il ne paroifle ni clôture , ni jardin ; car tout arrangement afFedé , ne peut produire que l'effet d'un plan géométrique , d'un plateau de def- fert , ou d'une feuille de découpures , & ne peut jamais préfenter l'effet pittorefque d'un tableau ou d'une belle décoration. Il ne fera donc ici queflion ni de jardins antiques , ni de jardins modernes , ni de jardins Anglais j Chinois ^ Cochinchinoii y ni de divifions Qn jardins , parcs , fermes ou pays ; ni d'exemples de tel ou tel lieu , parce que les exemples ne conduifent qu'à faire des copies j je ne traiterai que des moyens d'embellir , ou d^enrichirla nature, dont les combinaifons variées à l'infini , ne peuvent être clalfées, & conviennent éga- lement à tous les tems & à toutes les Nations. DES Paysages. ^ Mais , fi d'un côté toute afFedation doit être écartée, de l'autre le défordre Ôc le caprice ne font pas plus fuffifans pour compofer un beau tableau fur h tendu que fur la toile. Il eft d'autant plus néceflaire avant de travailler dans ce genre, de l'avoir médité long-tems d'après un véritable point d'appui ^ que fans cela on ne peut manquer d'être conduit facilement à tout confondre , & à culbuter à grands frais du terrein à tort & à travers. Si dans la peinture , où la difpofition de tous les objets dépend de la feule ima- gination du Peintre , où fon tableau n eft afTujetti qu'à un feul point de vue , où l'Artille eft le maître des phénomènes du Ciel , des effets de la lumière , du choix des couleurs & de l'emploi des accidens les plus heureux , la belle ordonnance d'un payfage eft néanmoins une chofe fi rare ôc fi difEcile ; comment pourroit-on fe figurer Aij $ D E L A C O M PO SI T I On que dans . l'ordonnance d'un vafte tableau fur le terrein , où le Gompofiteur, avec les mêmes difficultés pour l'invention , ren- contre à chaque inftant dans r exécution , une foule d'obftacles qu'il ne peut vaincre qu'à force de refTources , d'imagination âf d'expérience, Ôc par une affiduité ôc un travail foutenu i comment pourroit-on, dis -je, fe figurer qu'une pareille cûmpofition puiffe être didée par la fantaifie , abandonnée au hafard ou à un Jardinier , ôc conduite fans principes , fans réflexions , fans plan ôc fans deffeins ? Il en feroit précifément comme de cet ivrogne , qui , en jettant au hafard des couleurs contre une muraille , s'ima- ginoit faire un tableau. La fimétrie eft née fans doute de la parelfe ôc de la vanité. De la vanité : en ce qu'on a prétendu afTujettir la nature à fa maîfon , au lieu d'afTujettir fa maifon à la nature ; ôc de la parefTe en ce qu'on s'efl contenté de ne travailler que fur le papier DES Paysages. s qui fouffre tout, pour s'épargner la peine de voir & de combiner foigneufement fui le terrein , qui ne fouffre que ce qui lui convient : de-là tous les afpeds de l'ho- rizon ont été facrifîés à un feul point , ce- lui du milieu de la maifon. Toutes les conf- truâions déterminées fur ce point milieu , ont été privées par-là de toutes les dimen- fions des corps folides , pour ne plus pré- fenter que des furfaces fans épaiffeur & fans variété de formes ; tous les objets ont été réduits à une feule ligne , 6c tous les terreins à Id. platitude d'une feuille de papier. Le majeftueux ennui de la (îmétrie a fait tout d'un coup fauter d'une extrémité à l'autre. Si la fimétrie a trop long-tems abufé de l'or- dre mal entendu pour tout enfermer, l'irré- gularité a bientôt abufé du défordrc , pour égarer la vue dans le vague & la confufion. Le goût naturel {a) z conduit d'abord à (a) Le goût naturel eft fouvent le meilleur juge des chofes faites ; mais peur les bien faire il faut de» con- A iij i^ DE L A CO M P O S I T I ON penfer , que pour imiter la nature , il fuf- fifoit , comme elle , de profcrire les lignes droites , ôc de fubftituer un jardin contourne à un jardin quarré. On a cru qu'on pour- roit produire une grande variété à force d'entafTer dans un petit efpace les pro- ductions de tous les climats , les monuments de tous les fiécles^ & de claquemurer , pour ainfi dire , tout l'Univers. On n'a pas fenti , que quand bien même un mélange aufli difparat , pourroit ofirir quelques beautés dans les détails, jamais dans fon enfemble, il ne pouvoit être naturel ni vraifemblable. Si l'on a voulu enfuite fe rapprocher da- vantage de la fimplicité, on s'eft perfuadé qu'il ne falloit que rendre feulement la liberté à la nature , en plaçant tout au ha- fard ; & l'on n a pas fongé qu'en parfemant des arbres par petits paquets , ôc qu'en épar- pillant différens objets , fans perfpedive , jinifîances approfondies & de la pratique , fans quoi on n'arrive au vrai qu'à force d'erreurs. DES Paysages. 7 ni convenance , on ne pouvoit jamais pro- duire qu'un effet vague & confus. Si la nature mutilée & circonfcrite , eft trifte & ennuyeufe , la nature vague ôc confùfe n'offre quun pays infipide ; & la nature difforme , n'efl qu'un monflre ; ce n eft donc qu'en la difpofant avec habileté , ou en la choififfant avec goût , qu'on peut trouver ce qu'on a voulu chercher ; le véritable effet de Paysages intéressans. . Voilà le mot ; paffons aux principes. La Peinture 6c la Poëfie , ont pour objet de préfenter les plus beaux effets de la nature ; l'art de la bien difpofer , de l'em- bellir, ou de la bien choifir, ayant le même but , doit par çonféquent employer les mê- mes moyens. Or , c'eft uniquement dans F effet pit- torefque qu'on doit chercher la manière de difpofer avec avantage, tous les objets qui font deftinés à plaire aux yeux ; car l'effet plttorefque confifte précifément dans: A iv 8 DE LA Composition le choix des formes les plus agréables, dans l'élégance des contours ^ dans la dé- gradation de la perfpe£t:ive ; il confifte à donner , par un contrafte bien ménagé d'om- bre & de lumière , de la faillie , du relief à tous les objets , & à y répandre les char- mes de la variété , en les faifant voir fous plufieurs jours, fous plufieurs faces & fous plufieurs formes ; comme aufli dans la belle harmonie des couleurs , & fur - tout dans cette heureufe négligence , qui eft le ca- ractère diftindif de la nature ôc des grâces. Ce n'eft donc ni en Architede , ni en Jardinier , c'eft en Poëte & en Peintre , qu'il faut compofer des payfages , afin d'in- térelTer tout à la fois , l'œil ôc l'efprit. ^% DES Paysages. ^ i CHAPITRE IL De VEnfembley M . 'effet pîttorefque , & la belle nature y ne peuvent avoir qu'un même principe , puifque l'un eft l'original & l'autre la copie. Or , ce principe ; c'eft que tout soit ENSEMBLE, ET QUE TOUT SOIT BIEN LIÉ.. Toute difcordance dans la perfpeQive , ainfi que dans l'harmonie des couleurs , n'eft pas plus fupportable dans le tableau fur le terrein , que dans le tableau fur la. toile. L'objet efifentiel eft donc de commencer par bien compofer le grand enfemble, & les tableaux pour l'habitation , de tous les côtés où fe dirigent les principales vues ; je dis les principales vues, car 11 vous ob- tenez d'un côté un payfage intérelTant , 10 DE LA Composition de l'autre une avenue en ligne droite qui barre l'afped du pays , une grille févere qui enferme comme dans un cloître & Taridité d'une cour pavée , vous de- viendront bientôt des objets 'infuppor- tables. La maifon eft le point de la réfidence : c'eft celui ou le repos, & les in- tervalles de la converfation, donnent le plus de loifir aux yeux de fe promener. La na- ture, » ( dit un homme dont chaque mot » eji unfentiment ) la nature fuit les lieux » fréquentés ; cefi au fommet des monta- » gnes j au fond des forêts ^ dans les ifles y) défertes j quelle étale fes charmes les » plus touchans ; ceux qui V aiment ^ £t » ne peuvent l'aller chercher fi loin , font » réduits à lui faire violence , & â la forcer » en quelque forte à venir habiter parmi » eux j (S* tout cela ne peut fe faire fans » un peu d'illufion «. C'eft donc autour de l'endroit qu'on habite , qu il faut conduire la nature à venir habiter ; c'eft à l'endroit ^ DES P A Y S A C E S. Il' OÙ on peut en jouir le plus fouvent, qu'il faut l'engager à répandre le plus de charmes. Le premier coup d'œil de la magnificence peut quelquefois éblouir ôc furprendre ; l'efièt au contraire de la nature , c'eft de ne point furprendre ; mais plus on la voit, plus elle paroît aimable ; ôc les douces fen- fations que fon afpe6l produit , par une analogie que tout homme ne peut man- quer d'éprouver, font infenfiblement paf- fer jufqu à l'ame , des imprefTions volup- tueufes & touchantes. D'ailleurs quelle n-ragnifîcence humaine pourroit être comparée au grand fpedacle de la nature ? Lorfque vous ceflerez par les longues lignes droites , ôc la trifte clô- ture de vos murailles de charmille , de vous priver de la vue du ciel ôc de la terre , c'eft alors que vous verrez fe déployer dans toute fa majefté la voûte azurée des Cieux ; les brillans phénomènes de la lumière li DE LA Co MPOSIT I ON viendront fans cefTe embellir le fpeflacle ; chaque nuage variera tous les tons de couleur du tableau : & fi les rayons du Soleil , par une oppofition plus fenfible da Fombre & de la lumière , viennent jetter tin nouveau piquant fur les teintes de la verdure ; on fe fent auffi-tôt entraîner dans une promenade où rien n'offre l'idée de la prifon y où ce qu'on voit engage fans ceffe , & prévient favorablement pour ce qu'on ne voit pas. L'unité eft le principe fondamental de la nature, ce doit être celui de tous les Arts. Dans tout ouvrage où l'attention fe partage , adieu l'intérêt ; il en feroit ainfî que de plufieurs tableaux fur la même toile , ou de décorations difparates fur un même théâtre , comme lorfque vous voyez à l'O- péra l'Enfer monter , tandis que l'Elifée s'abyme. Tous les objets qui peuvent être ap- perçus du même point , doivent être en- DES Paysages. if tiérement fubordonnés au même tableau ; n'être que des parties intégrantes du même tout, ôc concourir par leur rapport & leur convenance, à l'effet & à l'accord général. C'efl donc d'abord fur l'enfemble , ou le plan général qu'il convient de réfléchir mûrement : les erreurs à cet égard peuvent imprimer fur tout l'ouvrage des taches inef façables. Avant de mettre la main à l'ouvrage , commencez par bien connoître le pays qui vous environne , & par vous afTurer du terrein néceffaire à l'exécution de vo- tre projet {a). Gardez - vous de commencer par les (a) Si vous éprouvez à cet égard des obftacles dans un point , vous pouvez toujours en chercher un autre ; parce que ce genre qui vous donne le choix de tous les afpe<^4 de l'horizon , vous préfente bien plus de facilités pour vos points de vue & vos communications de promenades , que l'allignement forcé qui vous aftreint au point milieu & à la ligne direde. i4 DE LA Composition détails , & de vouloir conferver particulière- ment des chofes déjà faites , (î elles devien- nent incompatibles avec ladifpofition géné- rale ; mais fur-tout ne manquez pas de faire vous-même , ou de faire faire le tableau de votre plan. Quand je dis le tableau de votre plan , vous fentez bien que le tableau d'un payfage ne peut être inventé , efquiffé, defliné , colorié , retouché par aucun autre Artifîe que le Peintre de Payfages ; mais de fon côté , gare la routine de l'école , ou les écarts de l'imagination. Prendre ce que le pays vous offre ; fçavoir vous paffer de ce qu'il vous refufe , vous attacher fur-tout à la facilité & à la fimplicité de l'exécution : voilà la régie de votre tableau. Vérité et Nature : Meilleurs les Artiftes , voilà vos maîtres , ôc ceux du fentiment. Je fuppofe que vous avez commencé par bien parcourir votre pays , par en bien connoître les points les plus intéreiïans , & la pofiTibilicé d'y communiquer ou d'en tirer DES Paysages. i^ parti 5 foit dans l'enfemble , foit dans le» détails ; alors faites -vous accompagner du Peintre ; fi du point du fallon vous éprouvez des obftacles à la vue , montez fur le haut de la maifon ; delà choififlez dans le pays les fonds & les lointains les plus intéreflans , & voyez à conferver , foit en conftru£tions , foit en plantations déjà faites , tout ce qui pourra entrer dans la compofition de votre tableau; qu'enfuite le Peintre fafle une ef- quille , dans laquelle il compofera les dc^ vants d'après les fonds donnés par le pays. Un Décorateur habile tel que Servandoni, qui auroit été obligé de compofer les cou- iifles de devant fur un fond de décoration qui lui auroit été donnée, eût été fans doute capable de produire dans le peu d'efpace d'un théâtre , l'illufion d'une perfpedive très-étendue ; de même il ne faut pas tou- jours un grand terrein , ni une grande dé- penfe pour faire les devants d'un grand ta- i6 DE LA Composition bleau ; il fufïit pour cela que les difTérens plans (a) foient bien difpofés & bien fentis , & que l'étendue de la perfpedive foit pro- portionnée à l'importance ôc à la mafle du bâtiment de l'habitation. Plus la maifon eft grande , plus elle exige une vafte décou» verte dans fon enfemble , ôc par conféquent plus il y a de terrein ôc de chofes perdues pour l'agrément dans les détails ; une petite maifon au contraire peut profiter de tout , fe pafler même de lointains , ou du moins s'en faire aifément fur fon propre terrein, puifqu'il eft poflible d'en produire même dans un bois , par le feul effet des coups de jour bien ménagés. Un payfage entière- ment bocage pourroit à la rigueur lui fu^ fire, ôc lui procurer, bien plus à portée, une multitude de détails ^ d'ombrages ôc — ■ ■ .M-i (^) On appelle PLANS , en terme de Peinture , ce que l'on appelle fur un théâtre couliiTes ; c'eft ce qui fert à donner l'efFet à la perfpedive. d'azyles DES P A Y S A Ô Ê S. 17 d'afyles charmans. En cela, comme en toute autre chofe , que d'avantages pour la mé- diocrité fur la fplendeur ! Vous commencerez donc par faire votre efquifle au crayon , ce qui vous laifTe la facilité d'effacer , 6c de fubftituer. Vous tâ- cherez même que cette efquiffe ne foit qu'un fimple trait , & ne préfente d'abord que les formes principales des objets , & la difpofition générale des grandes maffes de votre enfemble. Un deffein bien fini ne manqueroit pas de vous féduire par l'agrément de la touche d'un habile Artifte j vous vous détermineriez d'après un deffein dont vous ne réuffiriez peut - être pas à ' obtenir l'effet dans la nature , & il vaut bien mieux avoir à gagner qu'à perdre dans l'exécution. Lorfque l'efquiffe de votre enfemble fera faite , alors vous réfléchirez , vous concerterez , vous difcuterez avec des gens B i8 DE LA Composition de goût rordonnance générale de la dif- pofition qu elle vous préfente , & toujours avec l'objet d'atteindre l'idée la plus facile & la plus fimple ; car encore un coup , c'eft toujours la meilleure ; mais le malheur , c eft qu'elle eft prefque toujours la dernière à fe préfenter. Lorfque d'après l'efquifle votre plan fera déterminé, que la facilité de l'exécution vous en fera démontrée , c'eû alors que d'après un delTein plus arrêté & plus fini , l'Artifle pourra peindre le tableau : Dans une com- pofition importante , il ne fufîiroit pas d'a- voir le trait de votre tableau , le coloris feu! vous fera bien fentir l'effet de la perf- peâ:ive , la difpofition des différents plans , la jufte proportion des objets, la dégradation des couleurs , le cara£lere & la forme qu'il faudra donner à vos bâtiments , & vous indiquera le choix des arbres convenables à l'effet des maifes principales de vos plan- tations. DES Paysages. i9 Si vous voulez faire quelque chofe de grand , n'allez pas regarder à la petite dé- penfe de quelques tableaux qui vous res- teront pour vous rappeller encore dans votre cabinet les charmes de la campagne. Il vous en coûtera bien davantage pour des variations & des retouches continuelles fur le terrein , aufll fatiguantes que dif- pendieufes , auxquelles vous n'échapperez jamais fans ce point d'appui. Je fçais ce qu'il m'en a coûté pour n'avoir pas pris d'abord ce parti du côté du nord de ma maifon. Si pour un jardin fymétrique oii Ton n'employé que la ligne droite , il a tou- jours fallu compalTer un plan géométral ; fi pour toute efpece de jardins contournée cil il ne s'agit que de découper le terrein , encore eft-il néceflaire de drefler aupara- vant une efpece de carte géographique, pour en tracer les contours \ à plus forte Bii 20 DE LA Composition raifon lorfqu il s'agit de mettre en oeuvre toutes les lignes , & tous les objets de la nature , lorfque des remuemens de terre , des cours d'eau , & des conftru£lions pitto- refques , doivent être déterminées dans un vafte tableau , dont l'exécution fur le ter- rein doit être faite au premier coup , parce que rien ne s'y efface impunément : je penfe que vous devez fçavoir dès - à - préfent à quoi vous en tenir , fi jamais des gens qui ne feroient capables , ni d'inventer , ni de dellîner , cherchoient à vous en impofer par de pompeux verbiages , en vous difant qu'on ne peut pas faire de plans dans ce genre, qu'il faut aller au jour le jour, & que commencer par faire un tableau , avant que le local foit arrangé , ce feroit com- mencer par la copie avant l'original. Il vous efl: aifé de juger que l'antécédent de toute compofition , eft l'idée du compofiteur. Or , pour compofer un payfage 3 ôc le rapporter DES Paysages. 21 fur le terrein , le tableau efl la feule ma- nière d écrire fon ide'e pour s'en rendre un compte exacl avant de Texëcuter. Je viens de vous annoncer toutes les diffe'rentes gradations que la prudence exige dans la combinaifon de votre en- femble , depuis la fimple efquifle jufqu'au tableau colorié ; je dois vous indiquer encore quelques moyens pour rapporter votre tableau fur le terrein , & vous aflurer de plus en plus d'obtenir le même effet dans la nature , eu égard à la difpofition locale des objets , à leur diA tance , à leurs proportions refpe£lives , & à la facilité de la main-d'œuvre. C'eft au même point d'où le tableau â été peint, que vous vous placerez pour le rapporter. Delà les principaux objets que vous aurez communément à difpafer fur le .terrein , feront : 1°, Lss Maffss de plantations foit en arbrea B iii zi DE LA Composition foreiftiers , foit en bois-taillis qui devront former par leur difpofition les différents plans ou couliffes dans la décoration que doit produire votre tableau. Pour établir chacun de ces plans, ou couliffes, vous n'au- rez qu'à faire planter à chaque point de leurs faillies , des perches avec un cadre de toile blanche , dont chacune fera d'une hauteur proportionnée à la dégradation de la perf- pe£live générale. 2°. Comme il eft très - difficile de rap- porter fur le terrein , les formes , l'incH- nàifon des angles , les différentes faces , & les faillies de vos conftrudions fuivant l'effet didé par votre tableau ; au lieu d@ vous caffer la tête à en faire des plans géométriques j où les gens de routine ne comprendroient rien , attendu que ces fortes de conflrudions doivent être d'ar- chite£ture pittorefque; il fera bien plus expédient , au lieu d'employer les char- DES Paysages. 2^ pentiers à tracer à grande peine repure ou le plan parterre de leur charpente , de leur faire figurer tout de fuite l'élévation des encoignures des murs , les arêtiers , les plates formes & la faillie des combles avec des tringles de fapin , ou des perches. Ce procédé vous donnera bien plus de facilité pour établir , & reftifîer à mefure toutes les hauteurs , les longueurs , ôc les prin- cipales lignes elTentielles à l'effet de cette conftruclion , ôc fi elle doit être vue de loin , vous ferez bien pour plus grande sûreté de faire tendre fur cette efpece de bâtis de charpente , des toiles d'une couleur conforme à celle que votre tableau vous indique. De ctttt manière long-tems avant de bâtir vous pourrez combiner ôc vous aïTurer du fuccès de vos conflrudions , re- lativement aux différents points d'où elles doivent figurer , relativement à leur forme , à leur élévation , à l'inclinatfon de leurs Biv ^4 DE LA Composition gngles y relativement à l'effet de leurs dlf-, férentes faces ôc de la faillie de leurs com^ blés ; vous pourrez par ce moyen vous ren- dre compte de tous leurs rapports & de leur convenance avec les objets environ- nants , & du choix des matériaux propres à obtenir l'effet que vous defirez ; enfin cette méthode rendra la çonflrudion d'autant plus facile à toutes fortes d'ou- vriers , qu'ils auront fous les yeux un mo- dèle de grandeur naturelle , qui leur dé- terminera fenfiblement tous les points de leur ouvrage. 3°. Rien n'étant plus fautif que la théorie de la perfpeûive à l'égard des furfiices de niveau, pour peu que vous puiffiez avoir Iç moindre doute , fur la poffibilité d'ap- percevoir du point de votre réiidence , î la furface des eaux , fuivant la forme , l'é- tendue 5 & l'emplacement où elles font difpofées dans votre tableau , comme il çft DES Paysages. 2C Important de vous aflurer du fuccès d'une en- treprife aufli couteufe à manquer , que celle de la difpofition des eaux ; n'hdfitez pas de faire étendre de la toile blanche fur le terrein , fuivant les contours ^ l'étendue , èc la fituation néceflaire pour opérer dans la nature le même effet que dans votre tableau. 4°. Pour parvenir à tracer d'une manière jufle , les contours du terrein , les lignes extérieures des plantations en plein bois de futaye ou taillis , les finuofités des fen- tiers , ôc les bords des eaux , vous n'au- rez qu a faire planter de petits piquets par un homme accoutumé à fuivre les lignes que vous lui ferez , comme le crayon fuit la main du dciTinateur. Enluite lorfque vous aurez examiné de tous les points & de tous les fens ^ fi les contours que tra- cent ces piquets , conviennent à vos points de vue ; faites étendre de proche en proche fur le dehors de ces piquets un cordeau ^^ 26 DE LA Composition qui en fe pliant fur leurs contours fixera la ligne finueufe que vous vous propofez , & que vous ferez tracer exaâement avec une bêche le long de ce cordeau. Les lignes finueufes ainfi tracées deviendront auffi faciles à fuivre par les ouvriers , que leurs alignemens ordinaires ; autrement il feroit impoffible d'efpérer que des terrafliers puf • fent avoir affez de goût pour obferver des contours bien defTinés , tandis que le plus habile deflTinateur auroit fouvent de la peine à les tracer fur le papier au premier coup, 5'°. Quant aux arbres d'un effet particulier, ou aux groupes compofés de plufieurs ar« bres , vous ferez bien d'y fixer des piquets penchés , croifés , ou efpacés fuivant votre intention , & d'attacher fur la tête de ces piquets de petits écriteaux qui défignent les noms , ôc les formes des arbres que vous voulez y faire planter. A ces moyens d'une pratique générale , vous pourrez fans doute en ajouter d'autres DES Paysages. 27 fuîvânt les circonftances. Mais quelques fîmples que ceux-ci puiflent paroître à de grands calculateurs , qui à force de regarder au ciel donnent fouvent du nez en terre , j'ai cru devoir vous les dire , parce que les moyens les plus (impies font les feuls quî évitent dans la pratique les mémoires à parties doubles. '28 DE LA C O Lî P 0 S I T î 0 1^ CHAPITRE III. De la Liaifoji avec le Pays. J E vous ai déjà prévenu que le principe fondamental de la nature , ainfi que de l'effet pittorefque , confifte dans l'unité de l'ensemble et la liaison des rapports.. Ce n'eft donc pas affez de vous avoir indiqué votre véritable point d'appui pour la for- mation de votre plan général , ôc la manière de le rapporter fur le terrein ; je dois vous faire obferver encore la néceflité de la liaifon avec tous les objets ^ qui dès qu'ils font partie du même afpe£l: , doivent né- ceffairement concourir à former l'unité de i^otre enfemble , 6c la convenance de tous fes rapports. Si la maffe ôc l'importance du bâtiment d'habitation demandent un grand tableau ,. DES Paysages, 2p vous ne pouvez donner une grande étendue à votre perfpeclive qu'en empruntant vos fonds du pays , ôc en multipliant fur votre propre terrein , les plans ou repouflbirs à proportion que vous aurez befoin de repoufler les fonds du tableau , & d'en faire fuir les lointains. Il en feroit d'un beau fond de pays fans des plans fur le devant bien difpofés pour le rendre propre à votre ha- bitation ôc à votre afpe6l , comme d'une belle toile de fond dans une décoration devant laquelle il n'y auroit aucuns plans , ou couliifes qui contribuaffent à Id^Taire valoir. Vous ne pouvez jamais vous bien appro- -prier les fonds du pays {a) qu'autant que {a) S'approprier les fonds d'un pays par un bel afpeft, cft une forte de propriété d'autant plus fatisfaifante > qu'en contribuant à la beauté générale du pays , elle appar- tient à tout le monde , que tout le monde en jouit , & qu'elle n'humilie perfonne. Ce feroic donc une idée bien froide 6c bien mefquinc , de penfer que l'apparence d'une ^0 DE LA Composition votre terrein intérieur fera bien foidu , 6c •pour ainfi dire amalgammé avec le terrein extérieur. La moindre réparation apparente fer oit tache ou rature dans le tableau. Pour éviter celle que ne pourroit pas man- quer d'y faire la ligne de la clôture , vous avez la reflburce , foit des fofTés remplis d'eau 5 foit des foflés ordinaires avec une palifTade à pointe , dont la hauteur n'ex- cède pas le niveau du terrein , ou bien vous pourrez faire conftruire vos murs en contre- bas. Une autre attention à avoir , c*eft de faire enforte que vos plans de devant , l'efpece clôture , ou la réparation évidente d'une propriété par- ticulière , quelqu'étendue qu'elle foit , puifTe avoir l'air plus grand autour d'un Château ., & même d'un Palais , que le développement de la nature , & l'afpedl d'un beau payfage , qui n'a de bornes que l'horifon ; autant vau- droit-il dire , qu'un Château ou un Palais avec toutes fe$ circonftances & dépendances , ne dev) oit jamais offrir que le modèle d'une enfiigne à biern , Ôc jamais celui d'un fhperbe tableau. DES Paysages. 51 d'objets dont ils feront compofés , ôc la couleur de vos terrajfes ( a ) intérieures , s'accordent avec les terrajfes j ôc les objets extérieurs. Avez-vous pour fonds des Villes ? Vous pourrez faire entrer plus de bâtimens, ôc d'un plus grand flyle , dans la compo- fition de vos plans de devant. Sont - ce feulement des Villages ? Moins de bâtimens & d'un ftyle plus fimple. Le pays extérieur eft-il boifé ? Plus de plantations dans les devants , ôc vous pourrez à la rigueur , vous y pafîer de bâtimens apparens. Quant à la couleur des terrajfes ^ fi le pays extérieur eft en terres labourables , il eft abfolument néceffaire pour vous y bien lier , d'introduire intérieurement dans vos terrajfes les couleurs des champs , ôc l'afped de la culture ; fi néanmoins vous voulez abfolument fur la partie la plus voifine ( j) On appelle terraiïe , en terme de peinture , un terrein découvert de quelque nature qu'il foit. 52 DE LA C O M ï» Ô S I T I O N de la maifon avoir fous les yetix la verdure d'un pâturage , il faut avoir bien foin de contourner la terraffe verte _, de manière à en perdre les extrémités derrière des bois, des montagnes ou des bâtimens , afin qu elle ait l'air d'appartenir à une étendue de prai- ries y dont la fuite fe dérobe à la vue. Quant à la partie de terraffe la plus voifme des champs , vous ne manquerez pas de la lier aux terres labourables de l'extérieur ; un bâtiment de genre convenable aux pâtura» ges , appuyé contre des malles de bois ; un autre convenable à l'agriculture , accom- pagné de quelques haies , pourroient faire d'une maniera heureufe^ la divifion de ces deux efpéces de terrajjes , l'une verte ôc l'autre jaunâtre ; & par l'évidence de leur deftination, l'un pour le pâturage, & l'autre pour la culture , faire rentrer également ces deux rerrû^^dansl'enfembleôcle caradere d'un pays cultivé. Si les terraffes extérieu- res font en prairies , la liaifon vous offrira tout DES Paysages. 31 tout naturellement la facilité d'un accord, & d'un ton de couleur général plus doux & plus frais : enfin tous les objets de votre compofition doivent être liés à vos grandes mafles , comme l'enfemble de votre com- pofition au genre du pays. Tout objet trop ifolé, tout objet de couleur trop éclatante, détruit cet accord général, 6c cette corref pondance que vous offre toujours le fpec- tacle de la nature. Si vous avez fentî le charme de cette belle harmonie ^ vous jugerez bien que ce né fera pas avec des gazons fauchés & roulés fans ceffe , dont le verd reffemble à celui de la tontiffe d'un pla* teau de dejferc , que vous parviendrez à lier vos terrajjes à celles d'une belle prairie émaillée de fleurs , pas plus que vous ne réuiîirez avec de petits arbuftes, de petits arbres verds , de petits arbres étrangers , de petits arbres à fleurs ^ de petites cho- fes , & de petits génies , à faire de beaux devants à des maffes compofées d'ormv^s ÔC C j4 DE LA Composition de chênes altiers , ni à un horizon de montagnes bleuâtres , dont les cimes fe perdent dans les nues» îfOn DES Patsaoes. SS CHAPITRE IV. Du Cadre des Payfages, X-^ 'effet de l'amour & de îâ beauté^ eft de fixer les yeux : tel doit être celui de tout objet fait pour plaire. Toute ef- pece de jouifTance eft bientôt détruite par la diftradion ; c'eft pour cela que la vue , le plus vagabond de tous les fens, a befoin d'être fixée pour jouir avec plaifir ôc fans lafTitude ; c'eft pour cela que toute déco- ration a befoin d'avant fcène pour appuyer la vue fur l'effet de la perfpeclive ; c'efi pour cela que tout tableau a befoin d'un cadre pour arrêter les regards ôc l'attention» Le cadre d'un tableau fur la toile fe fait par des maffes vigoureufes fur les devants , qui donnent de l'effet à la perfpedive , & par une large bordure , qui en terminant les Ci; ^6 DE LA C OMPOS I T ION objets , ne permet pas à la vue de fe diA traite , & de s'égarer hors du tableau. Le cadre d'un tableau fur le terrein , eft produit tout naturellement par fon avant fcène , ou les maffes de devant. Ce cadre , ou avant fcène , peut être compofé par des plantations , des montagnes , ou des bâtimens, pourvu que les mafles en foient grandes, & fur-tout bien appuyées. Une décoration derrière Favant fcène , de la- quelle on pourroit voir dans les coulifles , n auroit afllirément aucun effet de perfpec- tive i tâchez aufli de rapprocher de vos fe- nêtres , fans aucun intermédiaire , les maf fes de votre avant fcène , c'eft le moyen d'amener , pour ainlî dire , le payfage de la campagne jufqu'à l'appartement, ôc de fe procurer de l'ombrage dès en fortant de la maîfon. Sans des plans biens difpofés pour vous approprier & mettre dans un jufte effet de perfpeÛive , les lointains que vous vous DES Paysages. 37 ferez choifî dans le pays ; fans un cadre ou avant fcène , dont les inafTss vigoureufes , en faifant fuir tous lés plans fubféquens , ainfi que les lointains , vous rendent l'efîêt & l'accord d'un Payfage agréable ; jamais vous n'obtiendrez d'effets vrais & intéreflans dans l'enfemble , de liaifon ôc de connexité parfaite avec le pays extérieur , ni de tran- fîtions naturelles avec vos différens points de promenades. Vous aurez beau , par la dépenfe & le tourment d'un entretien mi- nutieux , vous mettre en querelle perpé- tuelle entre la nature & votre Jardinier , la clôture exade que nécefiTite ce minutieux entretien, en excluant les palTans, ne man- quera pas d'imprimer bientôt fur votre en- ceinte 5 ce caradere trifie & morne qu'of- fre toujours l'afped ifolé de la nature vé- gétale , fi l'on n'y joint pas le fpe6lacle de la nature animée. Jamais enfin voua n'obtiendrez cette jouiffance douce & pai- fîble desi véritables beautés ôc des grands. Ciij jiS DE LA Composition effets de la nature , qu'en lui donnant d a* bord de belles formes , 6c lui laiffant en- fuite le foin de s'arranger elle-même. m DES Paysages. 3p CHAPITRE V. De la différence entre une vue vague & de Géographe ^ & la vue Pittorefque & bornée ? convenable aux propor- tions d^un Domicile ou d'une Ha- hitation. \X u*UN Voyageur parcoure des hauteurs d'où la vue plane fur une vafte étendue de pays 5 fes yeux s'écartent fur tous les dif^ férens points , comme fur ceux d'une carte Géographique ; dans tout ce qu'il apperçoit, rien ne lui eft familier j rien ne lui efl propre , rien n'eft à fa portée , rien n'arrête de préférence ni fes regards , ni fes pas : en defcendant de-là,s'il apperçoit près de fon chemin l'encrée d'un joli vallon refferrée par quelques grouppes d'arbres heureufe- C iv 40 D E L A C O M P O 5 1 T I O N rpent difpofe's ; Ci d'un petit bois toufTu ^ il fort une fource qui rafraîchifTe un tapis de verdure , aulfi-tôt il fe fent entraîné , retenu par un charme fecret. Plus haut, c étoit l'Univers pour lui ; ici , c'eft un lieu de repos , une efpéce de domicile que la nature offre à l'homme. Le pays que l'on ne fait que parcourir , peut être indéfini ; la variété continuelle des objets qui fe fuc^ cèdent rapidement dans un voyage ou dans une promenade,empêche qu'on n'ait le tem$ d'être fatigué par leur difpofition vague & confufè 5 mais le pays où l'on s'arrête avec plaifir , à plus forte raîfon celui où l'on veut faire fa demeure , doit être borné plus ou moins fuivant l'importance du bâ- timent, & le nombre de fes habitans. Une vue trop vafte ne peut Jamais être d'une jufte convenance à l'habitation d'un feul , ou de quelques hommes ; il en, feroit comme d'un habit mal fait à la taille , on V eft toujours mal à fon aife. Ne feates- D E s P A Y s A G E s. 4I VOUS pas à préfent la néceflité du cadre , & dç fes proportions relativement aux convenances du domicile ? En cela , comme en toutes <:hofes , il eflentiel de fcavoir fe borner. 42 DE LA Composition CHAPITRE VI. Des Détails. O E crois vous avoir développé quelques principes néceflaires à Teffet général de l'en- femble , relativement au point de vue de la maifon ; du moins je l'ai fait autant qu'il m'a été poiTible , pour vous éviter des re- grets ôc des dépenfes fuperflues , par rap- port à ce point capital , le plus difficile de votre compofition ôc le plus impoflible à corriger , s'il eft une fois manqué. Si au contraire cet enfemble eft bien faifi, les détails fe préfenteront , pour ainfi dire 5 d'eux-mêmes ; car la nature n'eft féconde dans fes variétés infinies , que parce que fon pian général efi: infiniment fimple. Cet enfeiiible , comme je l'ai dit, doit toujours être didé par le caractère général du pays ; les dérails au contraire vous feront donnés par k caraClere local des endroits p'arti-* DES Paysages. 45 culîers les plus intéreflans que vous pour- rez trouver derrière les plantations , & les mafTes qui formeront le cadre de votre grand enfemble. Il n'elt pas toujours né- cefTaire que vous ayez un grand terrein en toute propriété derrière ce cadre , pour y trouver un grand nombre de détails ; il fuffira le plus fouvent que vous n'ayez que ie terrein qui vous eft néceffaire , pour éta- blir par un fentier bordé de bois , & fi vous voulez de fofTés , la communication avec les points les plus intérefTans du pays , ôc le retour à la maifon par un autre côté ; car rien ne feroit plus défagréable que de revenir fur fes pas par le même chemin. L'enfemble étant toujours déterminé par deux points donnés , celui de la maifon , & celui de la fituation environnante ;c'eft donc principalement au Peintre à préfider à l'exé' cution de cet enfemble^ parce que fans le compte exa£l qu*il eft en état de fe ren- dre à chaque inftant fur le papier, le plus 44- D E L A C O M P O s I T I O N fouvent la perfpedive, & la multitude d'ob- jets qui concourent dans un grand efpace , ne pourroit pas manquer d'être difpofée d'une manière choquante ou confufe ; les détails au contraire n'étant affujettis à au- cun point donnée & bornés pour la plu- part à un petit efpace , & à un feul objet , deviennent plutôt une affaire de goût & de choix , que de combinaifons ôc de régies, C'efl: principalement au Poëte à les choUlr & à les propofer, parce que les tableaux, & les décorations di^lées par le Poëte , in- diquent toujours une fcène analogue, ôc un caradlere moral , qui parle au cœur & à l'imagination ; effet qui manque fouvent à de très-beaux tableaux, lorfque le Peintre n'eft pas Poëte. Horace a dit , il en fera de la Poéfie , comme de la Peinture > il auroit pu ajouter & de la Muilque. Cçs trois Arts doivent être infpirés par le même fentiment ; ils ne différent que dans la ma- nière de le dépeindre , & de l'exciter daas. DES Paysages. 45' les autres. Celui qui ne s'attachera qu'à par- ler à l'oreille & aux yeux , fans s'embarrafler de rien dire au cœur , ne fera jamais qu'iin Compofiteur infipide. Si vous voulez bien fentir les beautés de la nature , choififlez , pour en étudier les dé- tails j ce moment délicieux où la fraîcheur de l'aurore femble rajeunir l'univers ; c'eft alors que toute la terre s'embellit à l'approche de Taftre vivifiant , qui féconde dans fon fein toutes les couleurs dont elle fe pare , & fur - tout celle de fa robe univerfelle , ce verd charmant , couleur fi douce qui re~ pofe les yeux ôc calme l'ame. Sortons main- tenant de ce grand enfemble fait pour la promenade des yeux, & parcourons un peu avec vous la promenade des jambes. C'eft derrière les cadres des grands ta* bleaux que nous devons la chercher ; ce fera pour ainfi dire une galerie de petits tableaux de Chevalet quQ nous allons parcourir, après avoir long-tems examiné le tableau capital de rattelier. j^6 DE LA Composition Près des grandes malTes du cadre ou de l'avant fcène, nous devons trouver dès en fortant de la maifon , un fentier ombragé & battu , qui nous conduira facilement dans tous les endroits les plus intérefîans. Tantôt c'eft un bocage , où les rayons de lumière fe jouent à travers les ombrages ; le criftaî d'une fontaine y réfléchit les cou- leurs de la rofe qui fe plaît fur ces bords ; le murmure des eaux limpides y les ac- cents amoureux des oifeaux , & les doux parfums des fleurs y charment à la fois tous les fens. Tantôt c'efi un autre bocage d'un carac- tère plus myflérieux ; une urne antique y contient les cendres de deux amans fidèles , un fnnple lit de moulTe fous le creux d'un rocher , peut fervir aux leûures , aux converfations 5 ou aux rêveries du femiment. Plus loin un bois prefqu'impénétrabie offre le fanctuaire des amans heureux. A Fextrêmité de ce bois le bruit d'un DES Paysages. 47 rulfleau entendu de loin fous les ombrages , invite aux douceurs du repos. C eft dans un vallon folitaire & fombre , que coule parmi des rochers couverts de moufle , le ruifleau dont on entend le bruit. Bientôt le vallon fe reflerre entière- ment de tous côtés ^ & laifle à peine un paffage par un fentier tortueux & difficile. Quel fJ3e£lacle s'offre tout à coup ! à travers les cavités obfcures de rochers éloignés , s'élancent de tous côtés des eaux brillantes & rapides ; les rocs , les racines , & les arbres entremêlés dans le courant des eaux précipitées , varient les obftacles , le bruit ôc les formes de leurs chûtes , en cent manières différentes. Des bois environ- nent la place de toutes parts ; leurs épais feuillages fe courbent ôc s'entrelaflent fur les eaux écumantes : des groupes d'arbres difpofés de la manière la plus heureufe donnent un effet furprenant de clair obfcur, & de perfpedive à cette fcene enchante- 48 DELACoMPOSlTIt)N refle ; le bord des eaux eft orné de plantes odorantes , & de buiiïons de fleurs ; quèU ques rayons de lurniere réfléchis par le bril- lant des cafcades , éclairent feuls ce réduit myftérieux où régne ce jour doux qui fied fi bien à la beauté ; ce fut là que la belle Ifmène fe baignoit un jour ; le hazard y conduit le jeune Hylas ; à travers les feuillages , il apperçoit la i^aîtrefle que depuis long-tems fon cœur adore en fecret* Que devient-il à la vue de tant d'attraits ! Embrâfé de défirs , combattu par la déli- catefTe , ce n'eft que par une fuite précipitée qu'il peut s'arracher au délire de fes fens ; mais en fuyant il laifTe tomber un billet : la belle Ifmène furprife du bruit qu'elle a entendu , regarde de tous côtés , apperçoit ie billet , fon cœur eft touché de tant de délicatefle, de tant d'amour. Hylas fut aimé^ Hylas fut heureux ; & le fou venir de ces amants conilans eft encore gravé fur un chêne voifin. Ici DES Paysages. 4^ Ici dans un terrein profond & retiré , une eau calme ôc pure, forme un petit lac , la Lune avant de quitter l'horifon fe plaît long-tems à s'y mirer. Les bords en font en- vironnes de peupliers ; à l'abri de leurs ombrages tranquilles , on apperçoit dans Téloignement un petit monument philofo- phique. Il eft confacré à la mémoire d'uri homme dont le génie éclaira le monde ; il y fut perfécuté , parce qu'il voulut par fon indépendance fe mettre au-defTus de la vaine grandeur. Un cara£lere de filence & de tranquillité régne dans cette douce retraite ; ôc cette efpece d'Elifée femble fait pour le bonheur paifible , & les vraies jouifTances de l'ame. Tantôt un bois de chênes antiques ^ fous lefquels on entrevoit un temple dans la plus profonde obfcurité du bois , offre à la méditation un afyle filencieux. C'eft là que le Poëte neft point, diftrait de fon enthoufiafme divin , c'efl-là qu'il trouve cea D fO DE L A C 0 M P O s I T I 0 N idées fublimes qu'il doit exprimer dans fes vers. Ici s'offre un vallon étroit & folitaire ; nn petit ruiiïeau y coule tranquillement fur iin lit de moufie , les pentes des montagnes font couvertes de fougère , Ôc des bois en- ferment de tous côtés cette folitude ; c'eft- là que fe trouve un petit hermitage j un Philofophe en fît fa retraite paifible. Sur le bord d'un vafte lac , s'élèvent des rochers arides ; leurs cimes font couvertes de pins , de fapins & de genévriers tor- tueux. Le terrein inculte offre partout l'ima- ge d'un défert ; ce lieu efl féparé du relie de la nature , par une longue chaîne de rochers & de montagnes. Le Peintre y vient chercher des tableaux d'un grand ftyle ; l'amant malheureux , ou celui qui a perdu l'objet de fon amour , y viennent chercher l'oubli de leurs peines ; mais il ti*efl lieu fi fauvage , où l'amour ne les pourfuive. On voit gravés fur les ro- DES Paysages. ji chers , les noms de leurs niaîtrefles , ou les monuments de leurs anciennes amours. A travers un bois de Cèdres , une pente aifée conduit jufques fur le fommet d'une haute montagne^au pied de laquelle la rivière ferpente dans de fertiles prairies : delà l'œil plane fur un vafte horifon couronné dans l'éloignement par un amphithéâtre de mon- tagnes. Déjà le foleil levant , déployé avec majefté fon difque radieux. Le rideau des vapeurs fe diflipe à fon afpe£l 5 de longues ombres projettent les arbres , les maifons & les coteaux dorés , fur le tapis de verdure encore brillant des perles de la rofée ; mille 6c mille accidents de lumière enri- chiflent ce tableau folemnel , où. le Philo- fophe 5 après avoir en vain épuifé tous les fyftêmes , eft forcé de reconnoître l'Etre des êtres , & le difpenfateur des chofes. Mais bien-tôt Tattrait des ombrages ôc le verd aimable des prairies nous appellent Dij ja DE LA Composition} dans la vallée pour y repofer nos yeux de ce fpe£lacle éblouifîant ; au pied de la mon- tagne eft un bois où les houblons , & les chevrefeuiis s'entortiilant au tour des arbres, forment au-deffus de la tête des feftons ôc des guirlandes entrelaflees. Les tapis de moulTe & d'herbe verdoyante , y font ra- fraichis par le cours de quelques petites fources , autour defquelles dans des buiffons de roHers fauvages ôc d'épines fleuries, le roffignol fe plaît à faire entendre fon brillant ramage. Quelques lits de moufle fervent à l'écouter avec d'autant plus de plaifir , qu'à l'odeur de la rofe ôc de Taubépine fe joint celle des jacyntes fauvages , des fimples violettes , & du lys des vallées ( a ) qui croiflent avec profufion dans toutes les places de ce joli bois , qui font piquées de lu- mière. ia) Lys dis vallées ou Muguet. DES Paysages* ?^ En fortant delà un vafte enclos de prai- ries s'étendant jufqu'à la rivière f fert de pâturage à de nombreux troupeaux, que n'effrayent jamais ni les chiens du pâtre, ni la houlette du berger. Grouppés en cent manières différentes , les uns pâturent pai- fiblement, les autres font couchés tran-« quillement , Ôc paroiffent encore plus en- graifles par la douceur de la paix , & de la liberté , que par la faveur de l'herbe fraiche, & fleurie. Quelques maffrfs de faules , d'aulnes ou de peupliers , nous préfentent leur ombrage pour nous conduire jufques à un pont , ou à un bac ; c'eft-là que l'on traverfe les deux bras de la rivière , formés par une ifle charmante. Un bois de myrthes ôc de lau- riers , dans lequel on voit encore un ancien autel 5 le parfam des bois fleuris dont elle eft plantée de toutes parts , & les ruineS d'un petit temple antique , témoignent aflea qu'elle flit jadis confacrée à l'amour ; mai« Diij $4' DE LA Composition à préfent ce n'eft plus qu'un paflTage ; & la maifon du pafTeur eft appuyée contre la ruine prôfque méconnoiflable du temple. De l'autre côté de la rivière font les enclos d'une métairie dont on apperçoit les bâtiments fur un coteau voifin ; un fentier en parcourt les différents enclos entre des hayes de grofeillers , de framboifîers , Ôc de petits arbres fruitiers. La terre ne ceffe jamais d'y être utile. Celle qu'on laiffe or- dinairement en jachère, eft enfemencée des plantes les plus propres à la nourriture des beiliaux qui pâturent , & fertilifent en même-tems ces enclos. Le bœuf y rumine en paix , le mouton & la chèvre y bon- diffent avec liberté, & le jeune cheval rele- vant déjà tous fes crins d'un air lier ôc fuperbe , fe joue en henniffant dans fes cour- fes rapides. Un peu plus loin , dans d'autres enclos , le laboureur conduit fa charrue en chantant, & fes plus jeunes enfans folâtrent autour de DÈS Paysages. f^ lui , tandis que ceux qui font plus en état de travailler, arrachent les mauvaifes herbes dans le champ dcja fcmd : le travail épar- gne à la jeuneiïe le défordre des paiïions y il épargne les apoplexies , foutient la fanté , prolonge les jours de la vieillefTe : 6c ces bonnes gens à la fin du jour, ont du moins échappé à l'ennui , qui n'eft que trop fouvent le partage & le tourment de la ri- cheffe & de la grandeur. Mais il eft tems de finir notre prome- nade : un verger {a) ou bien un bois d'arbuftes nous ramené à la maifon. J'ai voulu feulement vous donner un foible échantillon des beautés , & des variétés qu'on peut trouver dans la nature , j'entre- prendrois en vain de vous repréfenter toutes celles dont elle eft fufceptibie. La diver- fité des cultures , les inégalités du ter-» {a) Voyez dans la Nouvelle Eloïfe , tome 5, lettre première , la defcription du Verger de Clarens. Piv y5 DE LA Composition rein , la différence des mêmes objets ap- perçus de différens points & fous différens afpeds 5 enfin toute la fécondité du fpec- tacle de f univers ne peut manquer de vous offrir de manière ou d'autre , des objets de détail en telle abondance que vous ne ferez embarraffé que du choix. Mais dans le détail , comme dans l'enfemble , ne contrariez jamais la nature , ôc n'allez pas vous avifer à force de machines de vouloir imiter fes grands caprices , car vos efforts ne ferviroient qu'à découvrir votre impuiffance. Ayez foin que dans vos détails tous les bâtimens ou places de repos que vous établirez , foient tou- jours déterminés par le choix des points les plus intéreffans , & fur-tout par le ca- raftere du local , caractère qu'il eft fouvenc au pouvoir de l'homme de renforcer dans les détails jufqu'à un certain point. Quel- ques pierres placées à propos , du gravier jette dans le fond , augmenteront le bruit ôc la limpidité d'u^ ruifleau : de petits remuer DES Paysages. 5*7 mens de terrein, quelques arbres ajoutés ou retranchés , quelques rochers rappor- tés (a) , produiront aifément de l'effet dans un petit efpace où tous les objets font vus de près. Je ne vous interdirai point, pour l'intérêc de la variété , de tirer quelquefois parti de ces vues déployées avec oftentation du fom- met des montagnes. Mais ces afpeds à perte de vue & à vol d'oifeau , ne font jamais bien pittorefques ; ils fatiguent bientôt les {a) PoLir rapporter un rocher, choififfez-en un dans la campagne de forme convenable à votre objet , faites le cafler en plufieurs morceaux fufceptibles d'être tranf- portés ; ayez foin auparavant de les faire exaftement numéroter , enfuite vous raflemblerez les différens mor- ceaux fuivant l'ordre des numéros. Vous ferez couler du plâtre noir entre les joints , & pendant que le mortier cil encore frais , vous jetterez far toutes les parties des joints apparens , du fable de la place même où a été pri» le rocher ; & vous recouvrirez enfuite avec des gazon» de bruyère les plus grandes défecluofités qui fe trouve- ront dans le rapport des morceaux. $S DE LA Composition yeux , & n'arrêtent jamais long - tems le Spetlateur a^'ec plaifir. Il faut toujours en revenir pour vos détails à peu près aux mêmes principes que pour verre enfemble , car ce font autant d'objets qui veulent avoir chacun leur effet , & leur cadre particulier. Votre grand enfemble eft une promenade pour les yeux, un tableau général pour la maifon ; vos détails doivent être autant de petits tableaux particuliers , pour les dif- férens points de repos que vous voulez éta- blir dans la promenade ; il faut donc qu'on s'y arrête avec plaifir. Il ne fuflBt pas d e- carter la fymétrie & de laiffer les objets au hafard , pour produire l'effet de la belle nature : les hommes l'ont défigurée de tant de manières ! D'agréables vallées ôc de fer- tiles prairies , font devenues des marécages impraticables par l'effet de moulins mal établis 5 qui ont fait remonter le niveau des eaux au-deffus de celui des terres. Les Villages pour la plupart font devenus des DES Paysages. 5*9 cloaques , par la maiivaife difpofition des maifons, au milieu defquelles il n'y a point de grandes places pour donner un libre paffage à l'air purificateur; les chemins particuliers font devenus des bourbiers par l'effet des roulages mal entendus. Le pays eft coupé de tous côtés par les longues lignes droites des grands chemins plantés d'arbres élagués en forme de balais ; la longue monotonie de ces chemins en ligne droite , eft fort en- nuyeufe pour le Voyageur , dont les yeux font toujours arrivés long-tems avant les jambes ; leur largeur inutile eft aux dépens de la culture , àc prive le Voyageur de* l'agrément des ombrages ; la voie d'un pavé trop étroit, eft très-nuifible pour la tranquillité ôc la fécurité du roulage, ÔC leur alignement forcé {a) , eft abfolument contre nature. Çû) L'alignement forcé d'un chemin en ligne droire , entraîne néceflaireraent une multitude d'inconvénxens. '6o DE LA Composition Pf f fque par tout des arbres ont été plan-i tés où il n'en falloit pas^ & ils ont été 1°. On eft parti à cet égard de la faufle application de cet axiome : LA LIGNE DROITE EST LA PLUS COURTE D'UN POINT A UN AUTRE ; cela eft vrai pour une feule ligne ; mais non pas pour plufieurs lignes droites entre les deux mêmes points. Or , le moindre obftacle qui fe rencontre dans un alignement force » oblige à faire un crochet ; & ces zigzags réitérés , loin de racourcir allongent fouvent les diftances. 2°. Toutes les montagnes font des demi-circonféren- ces de cercle , d'ellypfe , ou de cône ; conféquemment , pour l'avantage de la douceur des pentes , ainfi que ce- lui de la brièveté de la diredion , il eût été à propos de choifir pour le chemin la circonférence latérale , plutôt • que la verticale. 3°. Tous les alignemens forcés , obligent nécefTaire- ment à des remuemens de terres confidérables , qui rendent la conftrutftion du chemin auffi longue que dif» pendieufe. 4°, Les déblais de terres font ordinairement tranf- portés pour combler les fonds , où ils obftruent le cours des eaux ou des ravines , de manière que fi un aque- duc vient à fe rompre , fi dans une affluence fubite des eaux , il fe trouve trop étroit , ou fi le chemin cefTe d'être entretenu , toute la contrée voifine devient marécageufe, & les chemin* naturels d« pays impraticables. DES Paysages. ^i abbatus où il en falloit. Dans les jardins ils ont été taillés en raquette , en boule , en C'eft uniquement en e'chappant à l'alignement forcé , en n'employant que les plus fimples matériaux , & en fuivant les diredlions naturelles , qu'on efl parvenu à faire en Angleterre les plus belles routes qui aient ja- mais exifté dans l'univers. 1°. Au lieu d'un pavé cahotant , ou d'une chaufTée ferrée , que les monceaux de pierres dans les premières années , & les ornières par la fuite , rendent prefque toujovirs mauvaife , on a fait dans toute la lar- geur de la route un encaiffement de gravier , ou de cailloux cafles en très - petits morceaux. Par cette conftruiflion fimple Se facile , le roulage y eft exempt de cahots , & les grofles voitures loin d'y faire des ornières , ne font que contribuer à unir & à raffermir le terrein , parce que la largeur du bandage des roues eft toujours proportionnée *u poids des chariages (i). 2". La douce finuofité des routes , en préfentant fans cefle à l'œil du Voyageur de nouveaux objets qui la récréent , procure en même-tems la facilité de prévenir (i) Avec des charriots à quatre roues , dont les jantes feroieni de neuf pouces de large , ferrées de trois bandes , & dont l'eflîeu de devant fe- roit de dix-huit pouces plus court que celui de derrière , afin que les roues de devant repaflaflent fur la même fifle que les chevaux, on pourroit îïême efiâcer par ce moyen jufqu'aux imprefllons des firs. Cette précaution f^roit bosir.e dans un jardin. 62 DE LA Composition évantails , en portiques , en murailles ; ja- mais les buis & les ifs métamorphofés en de loin tous les obftacles , de fuivre prefque toujours les dired:ions naturelles dans le cours des vallées , ou d'obtenir une pente très-douce à mi-côté dans les mon- tagnes néceflaires à traverfer ; ce qui évite la dépenfe des remuemens de terre , des aqueducs , & Tincon- vénient des inondations auxquelles leur deftrudlion ex- pofe le pays voifin. 1°. La dimention des routes y eft toujours proportionnée à leur importance , à leur fréquentation , à la proximité des grandes Villes & aux convenances accidentelles & locales; proportions qui ne peuvent jamais varier dans le cours d'un alignement forcé. 4°. Les routes font également bonnes dans toute leur largeur ; par-là le Voyageur tranquille , non-feulement n'y eft point expofé à des querelles perpétuelles pour la cejjîon & rétrocejfion du pavé , mais encore il ell à l'abri des crottes ,' foit par les trotoirs ménagés pour les gens de pied , foit par le foin fcrupuleux qu'on a de faire féparer , après les tems de pluie , les boues du gravier , comme auffi de l'inquiétude de s'égarer , par le foin qu'on a eu de placer des poteaux d'indication à toutes les croifées des chemins. 11 eft vrai que le Voyageur qui profite feul de tant d'avantages pour l'épargne de fes chevaux , de fes voi^ tares & de fon tems , eft auffi le feul qui les paye. DES Paysages. 6j luftres y en piramides , en cerfs (j), en chevaux , en chiens , &c. , n'y ont paru dans leur véritable forme. Mais il eft une nature vierge & primitive dont les effets font beaux & inta£ls ; c'eft celle-là qu'il faut principalement vous attacher à connoître & à imiter ; ce font les endroits épars que le Peintre iroit chercher au loin pour ea tirer des tableaux intéreffans : en un mot , Les droirs médiocres & invariablement fixés de péages établis d'une diftance à l'autre , rembourfent fuccefïï- vement à des Entrepreneurs particuliers qui font fous l'autorité , & non dans l'autorité du Gouvernement , les frais de la conftru(flion & l'entretien de ces routes que l'on appelle pour leur beauté , routes di Barrière. Je ne fixais pas s'il y a plus de dignité , d'économie , ou de jullice à faire faire les chemins par d'autres moyens ; tout ce que je fçais , c'eft que tout homme humain ai- mera beaucoup mieux payer pour un bon chemin , quand il en profite , que d'être cahoté gratis fur de mauvais , aux dépens des Propriétaires , des Laboureurs ou des Miférables , de la ruine 6c des os defquels ils n'ont été que trop fouvent pavés. (a) En Hollande, il y a dans un jardin toute ime «halTe de cerfs uillée en ifs ÔC en buii. 6*4 DE LA Composition c'eft la NATURE CHOISIE que vous devez tâcher dlntroduire Ôt de difpofer dans toutes vos compofitions. Le long des grands chemins , & même dans les tableaux des Artiftes médiocres , on ne voit que du pays ; mais un payfage , une fcène Poétique, eft une fituation choiiie, ou créée par le goût & le fentiment [a). (a) Avant de compofer , l'homme de génie cherche à étudier long-tems la nature. Il en choifit les meilleurs points de vue ; il en raflemble les plus beaux traits , il fe les grave dans l'imagination d'une manière fi profonde , qu'il peut à chaque inftant le les repréfenter comme s'il les avoir encore devant les yeux , & c'eft de ce choix exquis qu'il fe forme ce magafin (i) de belles idées , & pour ainfi dire ce BEAU IDEAL dans lequel il puife des compofitions fublimes. (l) L'Éditeur vouloit changer le ir,ot njagaftn , par la raifon qu'il n'efi pas noble ; mais l'Auteur ( entêté comme un Auteur ) n'a jaiiiais voulu en démorJte , fous prétexte que les mots François n'avoient pas fecfoin d'entrer dans les chapitres d'Allemagne. ( Note de r£diteur. ) CHAPITRE DES Paysages. 6<^ C H A P I T R E V I I. De Za pojjibîlité de tirer parti de toutes fortes de Situations, J. L eft fans dowte des fiïîuations préférables à d'autres lorfqu'on en a le choix ; car pluâ la nature a fait pour vous, moins elle vous laiffe à faire ; mais il n'en eft point qui n*ait fon mérite particulier ou fon trait difîinc- tif. Celui de l'une , fera dans la variété 6c le jeu du terrein ; celui de l'autre , dans le brillant des eaux. Telle fituation réjouira par le fpe£lacle animé d'une population nombreufe , telle autre plaira par larichefle, & l'abondance de fes productions. Cefl à bien faifir, à développer, & à préfenter avec avantage le mérite de chaque chofe, que Confiée le talent. Le terrein eft comme iâ, toile fur laquelle fe doit faire un tableau j E €6 DE LA Composition s'il y a des chofes mal faites , il faut les ef- facer , ou les cacher ; fi elle eft vuide , il faut la remplir entièrement ; s'H y a des chofes bien faites, il faut les conferver & fuppléer le relie. Contentez - vous donc toujours de ce que la nature vous donne, fçachez vous palTer de ce qu'elle vous re- fufe , 6c ne vous découragez pas pour cela. La nature a fait pour tout le monde ; le plus fouvent un bel homme , ou une belle femme , ne font que des effigies , des beai^- tés ftatuaires j la plus grande laideur d'une phifionomie , c'eft de manquer de mouve- ment & d'efprit, comme celle d'un ter- rein d'être enfermé par des murailles , & d'être défiguré par la régie & le compas. La fituation fans contredit la plus dif- ficile à traiter , feroit une plaine parfaite- ment platte Ôc dénuée d'eau , telle que la plupart de celles aux environs de Paris. Mais encore y a - 1 - il des Villages , des .Villes , des montagn&s à l'horizon , & tou- t) Ê s Paysages. 6f joues quelques collines ou quelques vallons formés par l'écoulemenr des eaux. Qui voua empêche donc de bien choifir vos fonds & vos lointains ? puifque Voujs en:, avez de tous côtés en abondance ; de bien former votre cadre , vos plans de devant avec des plantations , ôc de vous bien lier au carac- ' tere 6c au fpeÊlacle général de la culture? Derrière le cadre de votre grand tableau , tous les bâtimens néceflaires à votre ufage pourroient vous fournir autant d'objets de promenades , & de petits tableaux dans lea détails. Autour de vos écuries , cachées en. par- tie par des arbres dans un vafte endos, vos chevaux pourroient s'ébattre en ' li- berté fur le gazon. ; une fontaine ou bien un abreuvoir avec quelques grauppes d'ar* bres bien difpofés , pourroit fournir la com- pofition d'un afîez joli tableau. Dans un bois taillis entourré de palif- fades , vous pourriez arranger une méii*- Eij 70 DE LA Composition que des urnes , des abélifques , monumens confacrés à l'amitié ôc à la reGonnoifTance , ou des tombeaux de grands hommes , dont le fouvenir eft toujours précieux à rap- peller. Ajoutez que vous pourrez faire tout au-, tour de votre enclos , un bocage & dea afyles charmans dans un vallon folitaire & fombre , àc cela , par un moyen fort aifé dans prefque tous les pays de plaines. Pour cet effet vous i^*avez qu'à faire creufer tout autour de votre enceinte un foifé tortueux fans talus , avec une pente fuffifante dans le fond pour y détourner les ravines , le cours des eaux aura bientôt rompu les for- mes du terrein , & produit toutes fortes ^e (înuofités naturelles. Alors du côté ex- térieur garniffez bien l'c-fcarpement du ra- vin de toutes fortes de bois impénétrables , & pour plus grande fureté , mettez -y en- core , Çi vous voulez , une bonne paiifTade ^ pointes. 5 enfuite par toutes fortes de mou- DES Paysages. 71 vemens de terrein , toutes fortes de plan- tations foigneufement difpofées , tantôt compofées d'ombrages épais qui forment des berceaux au-defTus de la tèto, , tantôt par des plantations plus claires qui aiditiettent quel- ques rayons de lumière : vous ferez le maître de jetter dans ce vallon beaucoup de variétés. Une grotte y une cellule ^ un petit hermitage , peuvent convenir dans les endroits les plus retirés tk les plus fau- vages ; & fi par hafard il fe trouve tout naturellement dans votre enclos un autre vallon auquel celui qtie vous avez fait cor- refponde ; fi dans ce vallon naturel, comme il y a apparence , les pentes fe trouvent plus douces , le tapis d'une verdure plus fraîche & qu'il foit entouré d'un joli bois , c'eft dans le fond de cet afyle de tendrefle & de folitude , que peut fe trouver la ca* bane de Philémon & Baucis. Une habita- tion en plaine où la plus grande partie de Vintérêt & des foins roule fur la ménagère ,. Eiv 72 DE LA Composition eft plus particulièrement faite pour des époux qui ont mêmes foins & mêmes peines, & ç'efi: à la tendrefle conjugale que ce lieu doit être particulièrement confacré. Un parc fymétrique enfermé de murs comme une prifon , obftrué de tous côtés par des murailles de charmille , qui en ne jaiflant aucun paflage ni aux rayons du foleil^ni aux vents pour balayer les vapeurs, rendrpient ce lieu trifte, humide & mal fain , vous paroitroit peut-être un fujet plus dif- ficile à traiter , qu'il ne l'eft en effet j car en montant fur le haut de la maifon avec le Peintre, vous pouvez choifir tout ce qui vous convient, regarder comme non -avenu tout ce qui vous déplaît, & ce que vous conferve- rez vous donnera l'avantage de belles maffes toutes venues. Le meilleur parti eft de tâcher de faire entrer dans l'abbatis de la £jraade découverte , toutes les allées droites qui pQurroient être vues de la maifon , fur- t^iir fi les bois font vieux, car en cher-- DES Paysages. 73 chant à les mafquer , vous ne pourriez ja- mais en effacer fuffifamment les lignes & les .ouvertures avec déjeunes plantations. Quant aux pâtes d'oies , étoiles j lunes , demi-lu- nes 5 &c. qui peuvent fe trouver dans les iTiaffifs derrière le cadre de vos grands ta- bleaux , vous les remplirez de bois^ ou en dif: poferez fuivant la convenance de vos détails. Dans tous les terreins où il y a des mon- tagnes , il y a toujours des vallées 6c or- dinairement de l'eau ; ainfi vous y trouve- yez tous les matériaux les plus importansj c'eft à vous de les bien employer. Les montagnes font en général d'un très- grand avantage pour une bellu compoiition , puifqu'elles appartiennent toujours à un pays tourmenté jt fufceptible par conféquent de beaucoup de variétés. Les profondeurs des vallées font ordinairemenx arrofées par des cours d'eau ; les fommirés & les revers of- frent fans ceffe des pays différents \ fouvent des chûtes d'eau tombant des montagnes ou 74 DE LA Composition des rochers, peuvent fournir de très-grands effets. Je ne vois gueres que trois circonftances où les montagnes pourroient vous donner un peu d'embarras. 1*^. Si les montagnes fe refTerroient de manière à ne laifler entr'elles , devant votre maifon , qu'un vallon étroit & marécageux fans aucun lointain , cette fituation feroit fans doute un peu folitaire; mais vous en pourrez néanmoins tirer des tableaux très- intéreflans. Le déflechement de votre ma- rais formeroit aifément dans le vallon un ruiffeau ou petite rivière , qui tantôt s'ap- prochant , tantôt s'éloignant de l'efcarpe- ment du terrein , pourroit recevoir fuc^ cefTivement la réflexion des objets , foit fabriques , rochers ou mafles de bois , qui en fe peignant dans les eaux , caradérife- roient encore plus fortement les diverfités ôc les formes des montagnes. Je fuppofe que Tefcarpçment du côté du. Nord feroiç DES Paysages. 7) planté de bois épais , pour abriter de la fureur des '«-ents cette fituation paifible , l'efcarpemQnt du Midi pourroit être planté de mafles plus claires , à travers lefquelles , far la peloufe de bruyère ôt de ferpolet , fe joueroient de nombreux troupeaux ; peut- être une petite fource s'échapperoit - elle de la montagne entre quelques mafîes dé rochers qui ferviroient de bafe à un petit Temple dédié à l'Amour, à l'Amitié, ou à la Liberté. Il feroit caché en partie fous les noirs ombrages d'un bois d'ifs ou de fapins , & toute cette maffe réfléchie dans les eaux de la rivière ou d'un petit lac qui feroit au pied , pourroit former le fécond ou le troifiéme plan, fur l'un des cotés de votrv. tableau , tandis que de l'autre , à l'extrémité des pâturages, une cabane de Bergers dans i'éloignement ôc la finuofité du vallon , fe perdant tout- à-fait avec le cours du ruif- feau derrière le tournant croifé des mon- tagnes 5 VQ13S fourniroit un lointain caché> 7<^ DELA Composition &pour ainfl dire myjlérieux ^ toujours plus intérefTant pour rimagination , qu*un loin- tain découvert ne peut l'être pour les yeux. Qu'une telle fituation conviendroit bien pour rappeller le fouvenîr du bonheur des premiers hommes dans l'Heureufe Arcadie 1 fur-tout , fi ceux qui la polTederoient , f(;a- voient en jouir & fe fuffire à eux-mêmes. 2°. Les montagnes font-elles fort voifmes d'un des côtés de la maifon f Elles peuvent faire^ par lamajefté de leurs maffes couvertes de bois, les devants diuw payfage àt grand ftyk(a). 3°. Les montagnes fe trouvent-elles à une très-petite diftance en face de la mai- fon ? C'eft le cas d'en planter les fommités ou de difpofer les bois en amphitéatre , de manière à fairevaloir toutes les inégalités da terrein. Peut-être au pied de la montagne ^ {a) On. appelle /?y/^ , dans les arts , les diiTérenrs carac-.. tereo de.compofi.tipns; on dit ft^'le.noble , ilylç élég?.nr, S*:c* DES Paysages. 77 pourrez-vous vous procurer un lac ou une rivière , dans laquelle viendroient fe jetter" plufieurs chûtes d'eau Te précipitant de la montagne ; croyez-vous qu'un pareil avant fcène réfléchi dans la pièce d'eau au-def- fous 5 ne feroit pas un beau plan de devant pour repoulTer la vue fur le payfage de la vallée, ôc fur les lointains que vous pour- riez prendre tout-à-fait fur le côté de votre horifon ? Car loin que ce foit un avantagé de prendre en face le point de perfpec- tive 5 plus vous le reculerez fur les coins de votre tableau , plus la perfpeifdve fera éloignée {a). Si néanmoins l'effet du tableau principal n'eu abfolument praticable que de manière à être obligé de fortir , & à faire un quart de converfion pour en jouir, en ce cas vous auriez plutôt fait, à la fuite de l'arparte- ( û ) Par la raifon que la diagoriais eil plus longue que la perpendicuhive du quarré. 78 DE LA CoMPÔSittON raent, d'ajouter un fallon de compagnie j dont la forme extérieure ornée de mafles d'arbres bien difpofées , pourroit fe com- pofer agréablement , & qui feroit tourné de manière à jouir avantageufement des payfages qu'offriroit alors tout naturelle- ment le cours de la vallée : compter que cç parti feroit bien plus facile oc bien moins difpendieux y que de culbuter tout votre terrein à tort & à travers. Il eft encore un autre point de difficulté fur lequel vous devez vous raflurer , c'efl; celui des chemins publics qui traverferoient votre compofition ; loin d'y être un incon^ vénient , foyez fûrs qu'ils animeront au con- traire vos payfages. Plus ils pafleront près de votre maifon, plus elle paroîtra habi- tée ; plus ce fera pour vous un objet de récréation continuelle.Unfoffé rempli d'eau, ou revêtu de pierres , peut toujours vous en féparer pour la fureté , ôc ne point vous en féparer pour l'agrément de la vue , & DES Paysages. 79 la liaifon avec les objets au-delà. D'ailleurs pourvu que votre potager, & les endroits les plus intéreflans de votre pofTefïion foient à couvert , quel tort peut - on vous faire dans les endroits totalement ruftiques ou champêtres ? Au refte , vous pouvez , (i vous voulez , féparer votre compofition en autant d'enclos qu'il y a de traverfées de chemin , & donner à ces enclos , fuivant la nature du pays , des caraderes difFérens. Je me fuis divifc chez moi en quatre en- clos, celui de la forêt, celui du défert , celui de la prairie , & celui de la métairie , ^ui comprend toutes les cultures ; mais à l'exception de ce dernier , dans les trois autres , je ne me fuis défendu que contre les bêtes de la Capitainerie , ils font ouverts aux hommes : le tableau de la nature ap- partient à tout le monde, & je fuis bien aife que tout k monde fe regarde chez moi comme s'il étoit chez lui. 8û DE LA CDkPOSlTiO^I CHAPITRE V 1 1 1. De lu conveTiance de ce genre pouf toutes fortes de Propriétaires, x\. V E z-vous jamgis vu des payfages dé Nicolas Poujjftn j de Sébajllen Bourdon y de Pierre-Paul Ruhens _, de Gafpre Pouf* fin 3 de Claude Lorrain ^ de Rifchard JVïU fon y de John Smich ^ de Franfifco Zuca^ relly , de Salvator Rofe ^ de Paul Brill ^ ^Antoine Vattéau ^ de Nicolas Berghem , d'Herman d^ Italie ^ de Paul Poter _, de Teniers le jeune y &c. ? Vous ne doute- rez certainement pas qu'il n'y ait des payfa- ges pour toutes fortes de fituations > de maifons ôc de perfonnes , de quelques qua- lité & condition qu'elles puifTent être , ainli que pour toutes fortes de terreins de quelque dimenfion qu'ils foient ; car il en eft DES Paysages» St eft du plus petit terrein , pourvu qu'il ne foit pas enferm(^ de tous côtds par des bâ- timens élevés, comme d'une petite toile, on y peut faire avec peu de chofes un jali tableau de Chevalet. Lorfque vous aurez bien fenti qu'il y a des payfages de toutes fortes ; payfages héroïques ^ nobles , riches , élégants _, volup- tueux ^ folitaires ^fauvages ^féveres^ tran* quilles _, frais j/impleSjchampétreSj rujliques^ &c. vous ferez bien convaincu alors qu'il n'eft pas befoin d'avoir recours à la Féerie ou à la Fable , qui font toujours autant au» defTous de l'imagination, que le menfonge Teft de la vérité , non plus qu'aux machines , qui manquent toujours leur effet, ni aux décorations de l'Opéra , qui montrent tou- jours la corde. Les Palais des Princes ôc des Rois pour- roient être environnés de payfages héroï* qaes ; des grouppes d'arbres majeftueux or- nés des trophées de leurs victoires, de vafles F 8« DE LA Composition étendues d'eau , des fabriques du plus grand ftyle ornées extérieurement ou intérieure- ment de ftatues fuperbes , pourroient carac- térifer tous les plans du tableau , tandis qu'une vafte découverte , ôc de riches loin- tains , donneroient à tout l'enfemble l'effet le plus majeftueux. Puifque ce genre peut convenir aux Palais des Princes , à plus forte raifon dans l'ex- trême variété dont il eft fufceptible , chacun pourra trouver facilement ce qui convien- dra le mieux à fes facultés , à fa fituation ôc à fon goût {a). (a) Comme il y a certainement plus de variéte's dans l'ordonnance générale de la nature , que dans une divifion particulière , en parcs , jardins , ferme , & même pays; car, ( comme je l'ai dit plus haut , un pays n'eft pas un payfage ; ) qu'importent tous les noms particuliers que le maître voudra donner à fon habitation ? Dans Tordre pittorefque , tout doit être payfage , & tout ce qui ne rend pas le tableau d'un payfage , eft fans goût & fans effet. CHAPITRE IX. De l'Imitation, I j E s Poètes , les Peintres , les Muficiens & les Acteurs ne font que trop fujets à s'imiter les uns les autres. Dans tous les arts d'imitation , il n'eft néanmoins qu'un feul maître à imiter , c'eft la nature. Les grands génies ont toujours fuivi cette route ; les petits ont fuivi la routine ; quand vous n'aurez fait que copier d'après un autre , vous ferez bientôt dégoûté de votre propre ouvrage , car la copie eft toujours bien in- férieure à l'original. D'ailleurs il en eft des fituations comme des phifionomies ; quoi- qu'il y en ait qui paroiilent fe relTembler, la refTemblance ne fe foutient gueres en face : n'imitez donc pas même le jardin de votre voifin le plus proche ; car dans les Fij 84 DE LA Composition détails particuliers de chaque terrein , l'un aura des vallons , l'autre des collines. Un lointain conviendra à la compofition de^Tun , un lointain différent à la compofition de l'autre ; joignez à cela la différence de l'é- tendue ôc des proportions du tableau rela- tivement à la maffe , au genre de la maifon , à l'état ou aux facultés différentes des pro- priétaires : joignez à cela que le même ter- rein peut recevoir une infinité de compo- fitions diverfes ; à plus forte raifon , les compofitions d'un pays de montagnes ou d'un pays aquatique , conviennent - elles encore moins à un pays plat ou à un pays fec ; d'ailleurs quelle différence d'intérêt ! lorfque la fituation de l'un , ne fera pas celle de l'autre , & lorfque tout un pays fc trouvera orné d'une infinité de tableaux & de payfages divers , qui feront tout à la fois le charme des propriétaires & des fpec- tateurs. On pourroit fans doute trouver de plus grands fujets d'étonnement dans ces DES Paysages. 8; prodigieux caprices de la nature par lefquels elle femble vouloir rapetijjer l'homme ôc les vains efforts de l'art ; on pourroit fans doute être frappé par l'afped de ces piles énormes de rochers entaffés les uns fur les autres, & le fpedacle impofant de ces vaftes montagnes s'élevant au-deffus des nuéesjlesunes entr'ou- vertes par les feux fouterreins, ôc les autres fracaffées par limpétuofité des torrents dont les mugiffements menacent de tout entraîner; mais enfort peu de tems la folemnité & la fé- vérité de pareils afpeds deviendroit pénible : les grands objets font comme les grands Seigneurs ; tout ce qui eft difproportionné eft bien-tôt fatiguant ; c'eft avec les bonnes gens y & les objets doux qu'il faut vivre.. Fiii 26 DE LA Composition Il I ■mil iiiiiiiiii II I II CHAPITRE X. Des Flantadons. A PRÈS avoir traité de l'enfemble , des détails 5 & des convenances , après vous avoir montré les inconvénients d'une fervile imitation ; je dois vous parler à préfent des différens matériaux du payfage , ainfi que du caractère des différentes fîtuations. Les différens matériaux qui entrent dans la com- pofition du Payfage , font les plantations , les eaux , & les fabriques. Les rochers ni les montagnes ne font pas à la difpofition de l'homme , & les petits remuements de terre, ne valent jamais les grandes dépenfes qu'ils caufent. Je commencerai donc parles plantations , parce que les bois font la plus noble parure de la terre ; ôc que leurs ombrages , en font l'azile le plus naturel ; & le plus agréable» DES Paysages. 87 Je me garderai bien d'entrer à cet égard dans les détails minutieux du jardinage Anglois fur les maflTifs ouverts , ou fermés , fur les grouppes & les arbres ifolés , les évergréens (a) &c. Tout cela ne ferviroit qu'à faire de la confufion dans votre tête j & fur votre terrein. L'emploi de toutes les plantations, relati- vement à V effet pittorefquc y ne confifte que dans cinq objets principaux. 1°. Celui d'établir des plans de perA pedive 5 ou couliiTes d'avant fçene , qui lient les fonds les plus agréables du pays au point de vue de votre habitation. 2°. A former dQs plans d'élévation qui puiA fent donner beaucoup de relief même à ui> terrein abfolument plat. 3°. A cacher tous les objets défagréables. ia) Les Evergréens font les arbres qui relient toujourô verds , tels que les fapins , les buis , 1-es ifs , les lau^ riçrs ; &c. F iv 88 DE LA Composition 4*^. A donner plus d'étendue aux objetf întérefîans , en dérobant leurs extrémités derrière des maiTifs de plantations ; ce qui donne lieu à l'imagination , de prolonger les objets au-delà du point où on les perd de vue. 5®. A donner des contours agréables à toutes les furfaces des eaux & du terrein. Les arbres font en général de trois efpeces. 1°. Les arbres forefliers 6c de grande mafle , tels que le chêne , le hêtre y l'orme , le chateigner &c. 2^. Les arbres aquatiques , tels que les peupliers , les aulnes &c. 3°. Les arbres montagnards, tels qwe les bouleaux , les pins , les cèdres & gené- vriers ôcc. Quant au clioix des arbres , c'efl , comme je vous l'ai déjà dit, le tableau de votre corn- pofition qui doit vous le difter. Mais en général, il eft prefque toujours à propos DES Paysages. 89 de placer de grandes maffes , & des arbres foreftiers fur le devant , parce que plus les devants de la compofition font élevés Ôc vigoureux , plus le tableau produit un grand effet de perfpeftive. Il s'eft introduit deux idées au fujet des plantations contre lefquelles je dois vous mettre en garde avant de quitter cet article. Celle des nuances des arbres j & celle des arbres étrangers. Jamais les nuances des arbres ne peuvent être fenties diftindement , que dans un petit jardin à fleurs {a). Dans Féloignement , & dans le payfage , ce fera bien moins du choix des arbres , que de l'effet de la lumière , que réfultera la diverfité des couleurs ; c'efl donc à la lumière qu'il faut laiffer le foin de cette variété ; elle en produira plus tout naturellement , que le meilleur Jardinier avec bien du tourment. {a) C'eil ce qu'on appelle en Angleterre , Flc-furc gûrden : Jardin de plai/ance. po delaComposition Quant aux arbres étrangers , non-feule- ment ils font très difficiles , & très chers à élever ; encore plus difficiles à conferver j mais ils fe lient toujours mal avec les arbres du pays. La nature a placé dans chaque en- droit ce qui lui convient le mieux. Les peu- pliers, les aulnes & les faules auprès des eaux, les ormes & les fapins dans les prairies , les chênes ôc les hêtres dans les forêts , les pins & les cèdres dans les rochers àc les terreins ftériles , les arbres fruitiers dans les terreins fertiles ; ôc ce ne fera jamais impunément que vous contrarierez les dit. pofitions de la nature. 4* ^^ DES Paysages. pi CHAPITRE XI. Des Eaux, L A difpofition & la forme des eaux dans i'enfemble de votre compofition doit être di£lée d'abord par la facilité de leur arran- gement , par la vraifemblance de leur em- placement, par la pente générale du terrein , & furtout par l'effet qu'elles doivent pro- duire dans votre tableau général. Leur éten- due doit être proportionnée à l'efpace oii elles doivent figurer ; une large rivière n'eft pas néceflaire dans un bois , mais un petit ruiffeau feroit un effet mefquin dans une grande plaine. Comme les eaux fuivant leurs différentes efjjeces , s'accordent plus ou moins bien avec les objets environnants , il eft bon d'en çonnoître les différents caractères pour p2 DE L A COMP 0 S I TI ON les employer à propos , & furtout dans les détails 5 où leur effet 6c leur forme relative n eft pas diftée précifément par l'ordonnance du grand enfemble. Relativement à V effet pittorefque ^ les eaux peuvent être divifées en cinq efpeces^ Les cafcades écumantes , Les cafcades fuaves , Les eaux rapides , Les rivières , Les eaux calmes ; Les cafcades écumantes j font celles où les eaux fe précipitent violemment ôc en grande abondance. Ces fortes de cafcades forment une grande maffe blanche fembiable à la chaux qui bouillonne. C'efl pour cette raifon que ce genre de cafcade ne peut jamais faire un bon effet que fur un fond de rochers , ou fur un fond de ciel. Sx néanmoins leur fituation vous oblige à les employer dans un bois , il eft à propos de les placer dans un renfoncement , ôc de dif- DIS Paysages. 95 pofer quelques mafles d'arbres en avant, afin de répandre un demi jour fur ces eaux trop blanchâtres ; car fi vous placez de pareilles cafcades en avant d'un fond noir ^ leur couleur d'un blanc mat , ne manque- roit pas de faire une tache défagréable dans le payfage. Les cafcades /uaves j n'étant au contraire compofées que de lames d'eau peu épaifl'es, & tranfparentes , qui laifTent apperce- voir en deflTous , & dans leurs interval- les , les fonds moufiTeux & verdâtres qu'elles arrofent , ces fortes de cafcades reçoivent toujours un ton de couleur locale , qui s'accorde d'elle-même avec les objets qui les environnent , de quelque nature qu'ils foient : ce qui fait, qu'excepté dans les payfages d'un grand genre , ces fortes de cafcades font toujours plus aimables , d'un accès & d'une jouiffance plus facile , que ces grands fracas , qui commencent par effrayer, ôc finiffent par étourdir. ^4- DELA Composition Les eaux rapides ^ conviennent au pied des montagnes efcarpées , dans les vallons étroits , 6c dans des bois où le terrein eft inégal ; le moindre petit ruifîeau qui mur- mure fous des ombrages eft toujours d'un effet intérelfant. C'eftau pied des coteaux , dans les vallées, & dans les prairies dont elles rafraîchiifent la verdure, que les rivières ferpentent le plus naturellement. Mais quelqu'agréables qu'elles puiffent être dans fétendue d'un pays , elles font fujettes en général à beau- coup d'inconvénients dans fenceinte d'une habitation. Lorfque les rivières font naturel- les, elles font prefque toujours fujettes aux inondations , ou difficiles & dangereufes pour la navigation ; lorfqu'au contraire elles font faâ:ices , fi vous en difpofez le cours de manière qu'il fe prolonge en avant du point de vue de la maifon , le racourci de la perfpeûive fait fouvent paroître comme autant de feftons défagréables , les fmuo- DES Paysages. pj fîtes des bords ; Ci au contraire vous voulez lui donner des directions tranfverfalles , à très - peu de diftance de la maifon , vous n'appercevrez point d'eau. D'ailleurs vous aurez à furmonter la grande difficulté de donner aux bords de votre rivière fadice, des contours agréables , & vraifemblables : enfuite celle d'en dilTimuler le commen- cement & la fin : enfin celle de conti- nuer long-tems fon cours fur le même niveau , ou bien de le foutenir par des re- tenues , qui paroîtront comme autant de digues de petits étangs , fi à chaque retenue le volume n'eft pas fijffifant pour former de belles nappes d'eau ; ajoutez à cela que pour peu que les eaux foient fales , elles auront l'air de croupir plutôt que de courir. Ces différents obftacles & plufieurs autres encore , qui ne manqueront pas de fe ren- contrer dans l'exécution & dans la main- d'œuvre , font autant d'écueils au fuccès des rivières fa£tlces. Il eft néanmoins des SfS DE LA Composition circonftances , où lorfque les niveaux ne s'y oppofent pas , la forme d'une rivière convient mieux à l'effet du payfage Ôc au caraûere de la fituation ; comme par exem- ple , lorfqu'il eft queftion d'embellir une large vallée compofée de vaftes prairies , . ou de deffécher des marais mal-fains. Pour que le cours des rivières fatlices puiffe être vraifemblable , il eft abfolument néceflaire que les eaux paroiffent couler dans l'endroit le plus bas du terrein , de manière que la pente continue jufques fur le bord; mais fi le cours de votre rivière s'étend dans un elpace découvert , ayez foin que les progreflions des eaux foient longues, les dnuofités douces ôc peu fréquentes,ôc que les tournants en foient d'une faillie bien décidée. Il eft bon, autant qu'il eft poftible, de con~ duire votre rivière à la liziere des bois ; cela fépareroit d^une manière plus naturelle & plus commode les prairies ôc les pâtu- rages , d'avec vos plantations les plus inté- reflantes ; DES Paysages. 97 reflantes ; & vous procureroit en même-tems une promenade chaimante entre des ombra- ges qui s'étendroientjufques Tur le bord des eaux. Une autre condition eflentielle à l'effet d'une rivière faûice , c'eft d'en cacher foi- gneufement le commencement & la fin. La manière la plus naturelle & la plus fimple efi d'en enfoncer les extrémités dans des bois , ou derrière des montagnes; lorf- que la pente & le volume d'eau font fuffi- fants , un moulin eft encore une manière de la terminer , d'autant plus heureufe qu'elle réunit en même-tems l'agréable ôc l'utile. Au défaut de cqs moyens , on peut cher- cher différentes refTources , comme de faire- fortir les eaux de delTous des rochers , & de conflruire,à l'endroit où fe termine votre rivière , un pont de pierre dont les arches- feront bouchées. L'obfcurité produite par le renfoncement des voûtes fous les arches , p8 DE L A Co M POS 1 T ION empêchera qu'on n'apperçoive que l'eau ne paffe pas réellement à travers , ôc fi vous entourez ce pont avec des bois épais 5 ou Cl vous conftruifez deffus une fabrique j on n'appercevra pas , même en y paiïant, la difcontinuité du cours de l'eau {a). Ces dernières reflburces font un peu forcées, mais tel eft l'inconvénient des chofes ar- tificielles. Les eaux calmes font les fources , les pièces d'eau , les étangs , & les lacs (b)-, ces (a) On a pratiqué cette méthode à Paris , fur les Ponts au Change , Notre-Dame , Marie , &c. avec tant de fuccès , qu'on y a parfaitement dijfimulé le cours de la Seine. (3) Lorfqu'une pièce d'eau de plufîeurs arpens d'é- tendue eft formée par une rivière , ou des fources qui la renouvellent fans ctSt , on l'appelle alors un lac , en terme de compofition , tant pour la diftinguer d'un étang , dont la dénomination préfente l'idée d'une eau plus ftagnante , que parce qu'une telle pièce d'eau eft au moins dans la proportion de l'étendue d'un jardin , ce que le plus grand lac eft dans la proportion de l'u- nivers. Des Paysages. pt? fortes d'eaux font celles qui offrent le plus de facilité dans la compofition. On eft abfolument le maître , fans choquer la vrai- femblance , de difpofer de leur fituation ^ de leur forme , de leur étendue , & des ornements de leurs bords , conformément à la feule convenance de l'effet général , ou particulier ; la ftagnation même de ceâ fortes d'eaux , peut devenir un avantage en vous offrant une réflexion plus nette des plus beaux objets de votre tableau. D'ailleurs la chute du trop plein de votre lac pourra facilement vous fournir dans les détails , par une ou plufieurs cafcades , la naiffance d'un joli ruiffeau,dontles fmuofités^ les accidents multipliés , ôc le cours , fous l'ombrage myftérieux des bois, font toujours d'une jouiffance bien plus intéreffante, que celle d'une rivière au milieu d'une plaine. W9i «M G ï) ïoo DE LA Composition ^g. •^m'^^..^,iM^lJUi•ul4^ft^lKiSlSllJSim'Mm4iJl< < " aji CHAPITRE XI I. Du cours dc3 Vallons ^ du Jeu du Terrein & des mouvemens de la Lumière, L E s eaux font à la vérité ce qui anime le plus un payfage , parce que c'eft de tous les objets de la nature végétale celui qui y donne le plus de mouvement , foit par le bruit des chûtes précipitées , foit par la progrefïion de fon courant , que l'imagination prolonge encore , lors même qu'il échappe à la vue ^ foit encore par l'effet de la tranfparence , qui les fait fervir de miroirs aux objets voifins. Néan- moins malgré tous ces avantages , indéper^- damment de tous les inconvénients aux- quels les eaux foit naturelles , foit factices , vous expofent fouvent , foyez bien perfuadé DES Paysages. loi qu'il vaut beaucoup mieux ne point avoir d'eaux , que d en avoir de vilaines. L'idée de mouvement que donne la progrelfion du cours des eaux peut fe fuppléer très agréablement par les différentes formes du terrein , & la progreflTion du cours des vallons qui excite toujours l'imagination à les fuivre , & les Jkmbes à les parcourir dans i'efpérance des objets nouveaux qu'on efpere y rencontrer : la réflexion des objets voifms s'opère aufli d'une manière trc;sintéreflante fup la furfâce des tapis de verdure. Les arbres & \ts fabriques fe tracent en ombres înFiniment légères & tranfparentes fur les glacis de la rofée du matin & du foir ; & fi les formes du terrein , les maffes des planta- tions 5 les différens plans , les fuyans de la perfpetlive , ôc les coups.de jour font mé- nagés dans votre compofition de manière à donner beaucoup de jeu aux différens effets de la lumière, qui eft elle-même un fluide encore plus rapide , & plus diverfement 102 DE LA Composition coloré que le fluide aquatique ^ vous ferez vous-même étonné de la variété continuelle que jettera dans votre payfage le libre cours de la lumière ; ôc pour peu que vous y joigniez le mouvement des paiïants & celui des animaux , lorfque vous rencontrerez enfuite fur votre chemin tant de petites eaux faites à grand frais^ loin d'en regretter la pri- vation , vous aurez fouvent lieu de vous applaudir de n'être pas expofé en pure perte, &UX tourments Ôc aux dépenfes qu'entraînent toujours mal à propos les chofes forcées. DES Paysages. ioj CHAPITRE XII I. Des Fabriques , ou Conjîruâlions quelconques. I L feroit inutile de vouloir indiquer en détail tous les différer'iS genres de fabriques qu'on peut employer dans les payfages , puifque le choix en dépend abfolument de la nature de chaque fituation , ôc de l'analogie avec les objets environnants ; mais pour contribuer à fixer vos idées fur l'art des conftru£lions ; art dans lequel vous ferez fans doute furpris que ceux mêmes qui ont eu les meilleurs modèles fous les yeux, fe foientaufli prodigieufement écartés des vrais principes ; je penfe qu'il eft bon de vous développer ceux qui devroient être G iv I c4 DE LA Composition la bafe de toute conftrudion quelcon- que (a) : Ces principes font : 1^. La convenance locale. 2^. La convenance particulière. 5^. La diftance du point de vue. 4^. Le caradere de la deftination. 5°. L'effet pittorefque de l'enfemble re- lativement à la maffe , au genre du bâtiment & aux objets qui l'environnent. La convenance locale doit toujours être déterminée par la fituation où on place le bâtiment : une fabrique fur une montagne ou dans un fond , dans un grand ou dans un petit efpace , fur le bord des eaux , ou (^) Ce qui a retardé le plus jufqu'à préfent les pro- grès du goût dans les bâtimens ainfi qu-e dans les jardins , c'eft la mauvaife pratique de prendre l'eiFet du tableau dans le plan ge'ométral , au lieu de prendre le plan gdomctral dans l'effet du tableau ; car c'cll à la pein- ture ù compofer j & à la géométrie à conllruire. DES Paysages. loj dans un bois , ne doit point être deflinée fur la même forme. La convenance particulière doit toujours être di£lée pour la maffe extérieure , & les diftributions inte'rieures , par l'état & le genre de vie de ceux pour lefquels un l âtiment eft conftruit ; la maifon d'un par- ticulier ne doit pas préfenter la magnifi- cence d'un Palais , comme un Palais ne doit point avoir la pefanteur d'un corps de cazernes ou de manufadures. La dijlance du point de vue varie telle- ment les proportions , que fi l'éditice efl; de quelqu'importance , on ne peut jamais avoir une idée bien jufte de l'effet qu'il procurera fans en figurer auparavant l'élé- vation. On eft tous les jours étonné de voir qu'à cet égard toutes les régies de la théorie & de l'arcliitedure font infuffifantes , & ne garantiffent pas des erreurs les plus effentieiies. Si la diftance du point de vue eft éloignée , ôc qu'on veuille produire un io6 DE LA Composition effet confidérable , il faut abfolument pré* férer les ordres les plus lourds & fur-tout donner aux colonnes (a) une très grande faillie fur des fonds très fimples , afin que l'ombre portée les détache vigoureufement ; encore pourroit-on fe voir fouvent obligé de renoncer à l'allégement du fuft de la colonne, Ôc de choifir l'ordre Grec cannelé, lequel n'ayant point de bafe , devient plus aifément fufceptible de toutes les différentes proportions que peut exiger la convenance de la perfpedive. J'ai vu des colonnes d'ordre Tofcan n'ayant que la moitié de la hauteur prefcrite , ne pas paroître trop courtes à la diftance d'environ loo toifes. Aufli l'ordre Grec réuffit-il mieux dans le payfage que tout autre , tant parce que la colonne n'ayant pas de bafe , fe plante & (a) Quand je parle de colonnes, je n'entends iamais parler que de celles qui montent de fond , la colonne crant: faite dans fon principe , pour porter le faîtage du bâc.men: : toute colonne portée eil un moaftrç. DES Paysages. 107 fe lie mieux à l'œil avec le terrein , que parce que fes proportions indépendantes des us & coutumes de Paris ^ fe rappro- chent davantage de la conftrudion primiti- ve , & par conféquent de la nature. Le caraâere de la dejlination _, doit annon- cer au premier coup d'œil l'objet pour lequel un édifice a été ordonné. La majefté, l'unité de ftyle , une noble fimplicité , tels doivent être les principaux cara£leres d'un Temple. C'eft dans les Palais des Princes^ qu'on doit employer la magnificence & les chefs-d'œuvre des arts. La noblefTe eft le caractère des Châteaux , l'élégance convient aux maifons des femmes , la gentillelTe ôc la propreté aux maifons des particuliers , la fimplicité aux maifons des champs. Cette même régie doit à plus forte raifon s'ap- pliquer à tous les édifices publics. Les Tri- bunaux de la Juftice font faits pour avoir l'air impofant ; c'eft par de grands efcaliers que le peuple doit monter aux vaftes por- 10$ DE LA Composition tiques dans lefquels il s'afTemble pour en- tendre ies Arrêts ; les archives doivent être incombuftibles , les manufaclures folides. Les ponts de pierre ( a ) doivent former de hautes arcades en plein ceintre, parce que c'eîl la forme la plus parfaite pour la beauté , la plus convenable à la folidité , ôc la plus commode pour la navigation. Les places pu- bliques doivent être vaftes , offrir de beaux points de vue j ôc des communications .commodes pour les différens quartiers de la .ville. C'eft-là que doivent être principale- ment difpofées les Salles de Théâtres, les Bibliothèques , les Académies publiques , & fur-tout de belles fontaines qui faffent tout à la fois l'ornement & la commodité des (<7) Quant aux ponts de bois, comme ils ne fe lient bien qu'avec la verdure , & fe raccordent toujours mal lorfqu'ils font contigus à la pierre , ils ne peuvent être agréables que dans le payfage , où leur effet doit être plu- eu noins ruAiqv.e , fuivaixt Iç caraflere locaL DES Paysages. lop villes. Les rues doivent en être larges avec des arcades , ou au moins des parapets des deux côtés, fur lefquels les citoyens raifon- nables puiflent être à l'abri des boues , ôc de l'extravagance; les maifons particulières devroient être bafTes , d-une part pour être moins expofées à l'ébranlement, & de l'autre pour laifler à l'air & au Soleil , le moyen de dilïîper les vapeurs infe6les & mal faines. La fituation la plus convenable aux maifons de fanté , aux inftituts de la jeu- nefle, & aux cazernes , efl: près la porte des villes , afin de leur procurer des places d'exercice , & l'avantage de la falubrité ; Enfin c'eft toujours hors des murs , que de- vroient être placées les tombes & les fé- pultures. La manière qu'avoient les anciens de dépofer la cendre des grands perfonnages dans de belles campagnes , étoit fans doute une idée fublime. C'étoit un moyen d'en rappeller la mémoire d'une manière intc- refTante au lieu du dégoût repouJGfant que lïo DE LA Composition produifent ces lugubres cimetières , di^pôt de cadavres & de pourriture , & qui ne fervent au milieu des villes qu'à empoifonner les vivans. Tout au rebours de ces principes nous avons fait des arches plates , des voûtes plates , des façades plates , & des combles lourds qui défigurent toutes les proportions du bâtiment ; combles dont la charpente énorme expofe à des frais & à des incen- dies terribles : à travers tout cela, s'élèvent des clochers d'ordre gothique & barbare ^ dont les formes bifarres ôc pointues fem- blQnfvouloir poignarderÏQs nuages, dont ils attirent en effet la foudre ; & lorfque la rotonde, ôc la maifon quarrée exiftent encore en élévation , & le temple de Jupiter Sérapis dans le plan , nous avons toujours été notre train , ôc nous avons pris de la maçonnerie pour de l'architedure , comme nous prenons tous les jours encore des doubles croches & du bruit pour de la mufique , des grin^ DES Paysages. m céments de Chanterelle pour des fons , des cris pour du chant , ôc des châtrés pour des voix ; il ne reftoit plus à l'homme après avoir tout mutilé , qu'à fe mutiler lui-même. C'eft par une fuite de cet ufage de voir & d'entendre par les yeux 6c les oreilles de l'habitude , fans fe rendre raifon de rien , que s'eft établie cette manière de couper fur le même patron la droite & la gauche d'un bâtiment. On appelle cela de la fy- métrie ; le Notre l'a introduite dans les jardins, ôc Manfard dans les bâtiments , & ce qu'il y a de curieux , c'eft que lorfqu'on demande à quoi bon ? aucun Expert- Jure\ ne peut le dire ; car cette facrée fymétrie ne contribue en rien à la folidité , ni à la commodité des bâtiments , ôc loin qu'elle contribue à leur agrément , il n'y a fi habile Peintre qui puifTe rendre fupportable dans un tableau un bâtiment tout plattement fymitrique. Or , il eft plus que vraifem- blable que fi la copie eft rellemblante ôc 112 DE LA Composition mauvaife , l'original ne vaut guères mieux ^ d'autant qu'en général tous les defleins de fabriques font plus d'effet en peinture qu'en nature. Le point fondamental de la fymétrie , le point milieu applattit néceffairement tous les objets^ parce qu'il n'enlaiffe voir que la furface {a), C'eft donc l'effet pittorefque qu'il faut principalement chercher pour donner aux bâtiments le charme par lequel ils peuvent féduire & fixer les yeux. Pour y parvenir , il faut d'abord choifir le meilleur poin| de vue pour développer les objets ; & tâcher, autant qu'il efl: poffible, d'en préfenter plu- fieurs faces. C'eft à donner de la faillie , & du relief à toutes les formes , par l'oppofition des ( fl ) Un vifage parfaitement régulier feroit parfaite- ment immobile , comme un vifage pris du point milieu, & peint de face , feroit parfaitement plat. reiifoncemens DES Paysages. 113 renfoncemens , Ôc par un beau contrafte d'ombre & de lumière , c'eft dans un jufte rapport des proportions , ôc de la conve- nance avec tous les objets environnans qui doivent fe préfenter fous le même coup d'œil; c'eft à bien difpofer tous les objets fur différQns plans y de manière que l'effet de la perlpedive femble donner du mouvement aux différentes parties dont les unes paroif- fent éclairées, les autres dans l'ombre ; dont les unes paroilfent venir en avant , tandis que les autres femblent fuir ; enfin c'eft à ^ compofer de belles maffes dont les ornemens ôc les détails ne combattent jamais l'effet principal , que doit s'attacher elfen- tiellement l'architeiElure. Les anciens l'avoient Ci bien fenti , qu'ils ne fe font jamais occupés dans leurs conf^ trutlions que de la grande mafle y de manière que les plus précieux ornements fembloient fe confondre dans l'effet général , & ne contrarioient jamais l'objet principal de H ri i4 DE LA Composition l'enfemble y qui amionçoit toujours au pre- mier coup d'œil 5 par fon genre & fes proportions , le caradere & la deftination de leurs édifices. Il elî une autre forte àQ fabriques qu'on eft tenté de regarder d'abord comme une bifarrerie. Ce font les ruines de différentes efpeces ; mais outre qu'il eft poffible de ies arranger de manière à fe procurer une habitation , ou un abri tout aufli commode que dans un autre bâtiment , on les employé volontiers dans le payfage , par la raifon qu'elles s'y lient beaucoup mieux par leur ton de couleur ^ la variété de leurs formes lôc la verdure dont elles peuvent être ornées , qu'une fabrique neuve qui fe détache tou- jours durement par une couleur trop écla- tante , des angles trop aigus , & des formes (dont rien ne rompt la féchereffe , & la fymétrie. De plus , on peut encore joindre fouvent à V effet pittorefque des ruines , un air d'emblème qui exerce avec plaifir t)Ês Paysages, nf l'imagination , ou la réminifcence. Cepen- dant de quelqu'avantage que foit en géné- ral dans le payfage ce genre de fabriques , il faut bien prendre garde d*en abufer , & de mal combiner la manière de les difpofer ; car il en eft de cela comme de toute autre chofe , rien n'eft bien ou mal dans ce monde , que ce qui eft à fa place , ou n'y, eft pas. Hl) Il 6 DE LA Composition CHAPITRE XIV. Du choix des Payjages fuivant les différentes heures du Jour, V^ O M M E CQÛ du contrafte de l'ombre & de la lumière que tous les objets de la nature reçoivent la couleur , la variété, ôc ce charme qui nous attire , ôc nous fé- duit au premier coup d'œil ; de - là vient que chaque objet reçoit pour ainfi dire fucceflivement fon meilleur coup de jour. Tous les objets d'un grand relief, tels que les maffes d'arbres forefliers , les efcar- pements des rochers , l'élévation des mon- tagnes , & la profondeur des vallons , conviennent fur-tout à l'expofition du matin. C'eft alors que les longs rayons du Soleil levant s'étendent horizontalement fur la DES Paysages. 117 furface de la terre. Les reflets ou les oppo- fitions que la lumière reçoit par les différens mouvemens du terrein , fervent à détacher fortement tous les plans de la perfpe6live. C'eft alors que les longues ombres , & les rayons de lumière fe jouent d'une manière merveilleufe fur les tapis brillàns de rofée , tandis que les têtes altières des vieux arbres , les fommets des montagnes , & la cime des rochers , fe détachent fortement fur les couleurs douces de l'aurore. C'eft donc dans l'importance des mafifes , dans la difpo- fition des objets rapprochés , dans les belles oppofitions d'ombres & de lumière , ôc fur-tout dans le plus grand foin à perfec- tionner les devants du tableau , que con- fifte principalement l'intérêt ôc la beauté des payfages à l'expofition du matin. L'éclat & la chaleur du Soleil élevé fur l'horizon , ne peut convenir au contraire qu'aux objets qu'il eft bon de faire briller féparément , tels que des eaux rapides ou H iii ji8 DE LA Composition 3es fabriques agréables. Mais c'eft toujours (dans une enceinte peu étendue qu'il con- vient de choifir & de compofer les payfages du Midi 5 tant pour offrir par la proximité des ombrages des afyles contre la chaleur , que pour appuyer l'œil fatigué qui ne pour- roit pas foutenir long-tems , l'éclat éblouif- fant d'un foyer de lumière trop étendu, Lorfque la fraîcheur du foir vient éten- dre cette teinte douce & charmante qui annonce les heures du plaifir ôc du repos ; c'eft alors que règne dans toute la nature une harmonie fublime de couleurs. C'eft à cet inftant que le Lorrain a faifi les coloris touchans de fes tableaux paifibles où l'ame s'attache avec les yeux ; c'eft alors que la vue aime à fe promener tran- quillement fur un grand pays. Les maffes d'arbres pénétrées de jour fous lefquels l'œil entrevoit une promenade agréable ; de vaftes furfaces de prairies dont le verd çft encore adouci par les ombrçs tranTpa- DES Paysages. iip rentes du foir ; le crillal pur d une eau calme dans lequel fe réfléchiflent les ob- jets voifins ; des fonds légers d'une forme douce & d'une couleur vaporeufe ; tels font en général les objets qui conviennent le mieux à l'expofition du foir. Il femble que dans cet inftant , k Soleil prêt à quittée l'horizon , fe plaife avant fon départ à ma- rier , pour ainiî dire , la Terre avec le Ciel ; aulTi c'eft au Ciel qu'appartient la plus grande partie des tableaux du foir ; car c'eft alors que l'homme fenfible aime à contempler cette variété infinie de nuances douces ôc touchantes , dont le Ciel ôc lès fonds du payfage s'embelliflent , en ce moment délicieux de paix ôc de recueille-, ment. Quant à ces beaux clairs de lune qu'on appelle en Anglois , Lovely moon , Lune amoureufe, la tendre pâleur de cette lumière myftérieufe , fied fi bien aux objets aimables, que c'eft aux femmes qu'eft dévolue de Hiv 120 DE LA Composition droit , l'ordonnance des tableaux faits pour un moment Ci doux. Le fentiment {a) qui leur donne naturellement ce goût fin ôc délicat que l'art a fouvent tant de peine à trouver , fçaura leur infpirer mieux qu'à perfonne , la difpofition des fcenes où doit régner principalement le caradere de l'a- mour ôc de la volupté. ( fl ) Le fentiment confifte dans la manierç de voir les chofes , comme les grâces dans la manière de les faire. Ceft pourquoi les femmes ont naturellement plus de goût & de grâces , parce qu'elles ont plus de fenfibilité dans les organes , & plus d'agrément dans les formes ; auflî lorfqu'elles ne donnent pas à corps perdu dans la fingerie des modes & des manières , leur premier mouvement didlé par la nature , eft pref- que toujours plus jufte , qu'une fuite de grands raifon- nemens diÊs Paysages. 127 fentî ; c'eft dans de pareilles fituations que la Poéfie paftorale a placd ces touchantes peintures du premier bonheur des hom- mes, & des vrais plaifirs de la vie cham- pêtre. Aufli lorfque nous rencontrons quel- que retraite heureufe , où le cordeau ni la taille n'ont point encore pénétré , no' tre e^rit efl charmé de retrouver une image de ces defcriptions qui lui ont fait tant de plaifir ; la réminifcence y place aufli-tôt tous les attributs confacrés par les Poètes ; ici un Temple champêtre dans le bois facré ; là , des Urnes dans le bo- cage , des infcriptions fur les chênes , d'heureufes cabanes fous les vergers , des grouppes de beftiaux dans les prairies , les concerts des Bergers auprès des fontaines, & chaque Bachelette au gentil corfage y paroît une Nymphe. Tel efl: le payfage Poétique , foit que la nature nous le préfente dans quelqu'en- droit échappé à la deftrudion générale , foit 128 DE LA Composition qu'il ait été reproduit par l'homme de goût. Mais Cl la fituation pittorefque enchan- te les yeux , fi la fituation Poétique intérefTe l'efprit & la mémoire , retraçant les fcenes Arcadiennes,ren nou^ fi l'une & l'autre compofition peuvent être formées par le Peintre , Ôc le Poëte , il eft une autre fituation que la nature feule peut offrir : c'eft la fituation Romantique {a). Au milieu des plus merveilleux objets de la natu- re , une telle fituation raflemble tous les plus beaux effets de la perfpe£tive pit- torefque 5 & toutes les douceurs de la fcene Poétique ; fans être farouche ni fauvage , la fituation Romantique doit être tranquille & folitaire , afin que l'ame n'y éprouve au- cune diflra£lion, ôc puilfe s'y livrer toute (a) J'ai préféré le mot Anglois , Romantique , à no- tre mot François , Romanefque , parce que celui-ci dé- ligne plutôt la fable du Roman , & l'autre défîgne la fituation , & l'impreflion touchante que nous en rece- vons. entière DES Paysages. 129 entière à la douceur d'un fentiment pro- fond. A travers les ombrages noirâtres des fapins , ôc les amphithéâtres de rochers, la rivière limpide defcend de cafcades en cafcades , jufquesdans la vallée tranquille; c'eft - là qu'elle femble s'étendre avec plaifir pour former un lac entre la chaîne des rochers majeftueux , dont les interval- les laiflent appercevoir dans le lointain, ces refpe£lables montagnes , dont les cimes couvertes de glaces & de neiges éternelles, reffemblent à cette diftance à d'énormes maf^ fes d'agathe ôc d'albâtre, qui réfléchiïïent comme autant de prifmes, toutes les couleurs de la lumière. Les eaux du lac font d'une couleur bleu-célefte tel que l'azur du plus beau jour ; & tranfparentes comme le criftai le plus pur, l'œil y peut fuivre jufques au fond les jeux de la truite fur des marbres de toutes couleurs. Une Ilie s'élève aii I 1^0 tTE LA GOMPOSITION' milieu des eaux , comme pour fervii? de théâtre aux plaifirs champêtres ; cette Ifle charmante eft entremêlée de vignes àc de prairies , ôc de diftance en diftance des ombrages variés y forment d'agréa- bles bocages ; la vache y pâture la fraifê qui rougit la peloufe ; d'heureux époux que l'intérêt n a point unis , y font affis fur l'herbe tendre au milieu de tous leurs enfans 9 c'eft - là qu'ils font un fouper délicieux avec la crème qui a la faveur de la fraife , & la couleur de la rofe. Plus loin, au clair de la lune argentée , l'eau du lac frémit fous la barque légère qui porte les jeunes filles du voifm Hameau ; un corfet blanc marque leur taille bien proportionnée, de longues trèfles flottent fur leurs épaules , un joli chapeau de paille , orné des plus belles fleurs de la faifon , efl la parure d'un vifage riant où brille l'éclat de la fanté , ôc la férénité de DES Paysages. 151 l'innocence ; leurs voix fonores n'eurent jamais de maîtres que les oifeaux , & la con- fonnance de l'harmonie naturelle ; 6c les échos de ces cantons qui ne connurent jamais les charivaris de la Mufique chro- matique , n'y répètent que les airs de la gaieté , les chants de la nature , & les fons naïfs du haut-bois. La rivière en fortant du lac , s'enfonce dans un vallon reflerré ôc profond ; de hautes montagnes , & des rochers fourcilleux , femblent féparer cet afyle du refle de l'Univers. Les cîmes en font couronnées de fapins où ne toucha jamais la coignée ; fur les peloufes de thym 6c de ferpolet , des chèvres blan-- ches s'élancent gaiement de rochers en rochers ; leur fécurité dans un lieu aufïi défert , raflure fur la crainte des animaux farouches , ôc bannit la penfée d'un aban- don total, en annonçant le voifmage d'unç \y2 DE LÀ Composition habitation tranquille. Après quelques chû- tes précipitées par roppofition des rochers qui fe croifent fur fon cours , la rivière trouve enfin dans ce vallon étroit, un petit efpace où fes eaux écumantes & contrariées , peuvent jouir d'un moment de repos. Un bois de chênes verds anti- ques s'avance fur les rives adoucies : fous leur ombrage myftérieux cft un tapis d'une moufTe fine. Les eaux limpides & peu profondes , s'entremêlent avec les tiges tortueufes , & leurs ondes qui fe jouent fur un gravier de toutes les couleurs , invitent à s'y rafraîchir ; les fimples aromatiques , les herbes falutaires , & la réfme des pins odorants , y parfument l'air d'une odeur balfamique qui dilate les poulmons. A l'extrémité du bois de chênes, à travers un verger dont les arbres font entortil- lés de vignes & chargés de fruits de tou- tes efpéces , on entrevoit une cabane ; fon DES Paysages. 133 toit de chaume y met à l'abri , fous uae grande faillie , tous les uftenfiles du mé- nage ruflique. La cabane eft formée de planches de fapin affemblées par fon Maître : au lieu d'ordres d'Archite£lure , une treille en forme le périftile ôc les portiques > mais l'intérieur en eft plus propre que le Palais du Prince. Si les mets n'y font pas apprê» tés avec les poifons de l'Inde , ils y font d une qualité exquife , & d'un goût pur & falutaire : cette retraite fut trouvée par l'a^ mour , elle eft habitée par le bonheur» C'eâ dans de femblabies fituations , que l'on éprouve toute la force de cette ana- logie entre les charmes phyfiques , & les impreflions morales. On fe plaît à y rêver de cette rêverie Ci douce , befoin preflant pour celui qui connoît la valeur des chofes , & les fentimens tendres ; on voudroit y refter toujours , parce que le cœur y fent toute la vérité , & l'énergie de la nature» 134 DE LA Composition Tel efl à peu près le genre des fituatîons Romantiques ; mais on n'en trouve gueres de cette efpece que dans le fein de ces fuperbes remparts , que la nature femble avoir élevés , pour offrir encore à l'homme des afyles de paix, & de liberté. ^^ >^, i^^ DÈS Paysages. i$f CHAPITRE DERNIER. Des moyens de réunir l'agréable à rutile^ relativement a U arrangement général des Campagnes, -Li E fyftême général de la nature femble tellement confifîer dans l'unité de prin- cipe ôc l'union des rapports , que toute défunion tend néceÛfair^ment à une def- truttion particulière. Dans l'ordre de la vq- gétation , l'agréable qui confiûe dans la perfection de tous les rapports avec les formes convenables à chaque objet , eft fi nécelTairô à l'accroiflement , 6c par confé- quent à l'utile , qu'il eft impoffible d'altérer l'un , fans nuire elTentiellement à l'autre. Or, c'eft fur -tout dans une fioriffante végétation , que confiée le principal agra- I iv 1^6 DE LA Composition ment d'un payfage autour d'une habitation 5 & ^ comme je l'ai déjà dit tant de fois , fi l'on veut fe procurer une véritable jouif^ fance, il faut toujours chercher les moyens les plus fimples & les agrémens les plus conformes à la nature , parce qu'il n*y a que ceux là de véritables , & dont l'effet foit fur à la longue. La fubilitution de V arrangement le plus naturel à V arrangement le plus forcé ^ doit donc , en ramenant enfin les hommes au vrai goût de la belle nature , contribuer bientôt à l'accroiiTement de la végétation ; & par conféquent aux progrès de l'agri- culture 5 à la multiplication des beftiaux , mais fur-tout à un arrangement plus falutaire & plus humain dans les Campagnes , en afTurant la fubfiflance des bras , qui nourriffent les têtes , dont les occupations réfléchies doivent fervir à défendre^ ou à . inllruire le corps de la Société. L'homme de bien rendu à un air plus DES Paysages. 137 pur , & ramené dans les campagnes par les véritables jouifTances de la nature , fentira bientôt que la fouffrance de fes femblables , eft le fpeclacle le plus dou- loureux pour l'humanité ; s'il commence par des payfages pittorefqucs qui charment les yeux , il cherchera bientôt à former des payfages philofophiques qui charment l'ame ; car le fpe£lacle le plus doux ôc le plus touchant , eft celui d'une aifance ôc d'un contentement univerfel. Je dois expofer à cet égard ^ quelques idées qui font le réfultat de plufieurs an- nées d'obfervations , fur l'économie rurale , tant en France que dans différens pays de l'Europe : puifle ce peu de lignes fécon- der un jour l'intention qui les a dictées ! Le premier Cultivateur établit fans doute fon domicile au milieu de fon champ ; cette difpoficion eft la feule convenable à l'ordre primitif de la culture ; elle épargne le tems, les courfes , les tranfports inutiles , & IjS D E L A CO M PO s I T I O N mettant les travaux & la confervation des produits plus à portée de l'habitation , elle n'oblige pas , pour réparer le tems perdu , à chercher un fecours de vîtefîe dans des animaux , dont Tacquifition , & la nourri- ture font plus chères , ôc dont la confoni- mation eft en pure perte. L'amélioration du champ augmente né- ceflairement de plus en plus par la pré- sence continuelle du Maître. Sa vigilance eft fans cefle excitée par la vue de fon ter- rein, Ôcn'eft jamais diftraite par la proximité des occafions de dérangement ; cette difpofi- tion conduit nécelTairement à varier la cul-» ture en la partageant en différens enclos dont les haies fervent en même- tems d'abri contre les vents deftrudteurs : ces enclos donnent la facilité de mettre en valeur les jachères en y préparait des nourritures , qui fervent tout à la fois pour ameublir la terre , êc pour élever par-tout fans foins & fans peines; tant de beftiaux qu on égorge> DES Paysages. 159 prefqu'en pure perte , au moment de leur naifTance. La multiplication des beftiaux augmenteroit néceflairement la fertilité des terres , par la multiplication des engrais. Enfin en diminuant d'un côté les travaux , les fatigues , les charrois , & les dépenfes en pure perte , ôc multipliant de l'autre les produits par l'emploi des jachères , la vigilance du Maître , l'augmentation des beftiaux , & la plus grande quantité des engrais , il eft clair dans le principe : que l'établiflement du Cultivateur au milieu de fon champ , procure néceflairement l'amé- lioration des terres , le bénéfice du La- boureur , ôc par eonféquent celui de la Société. Dans l'exemple : les ftériles apennîns fertilifés en Tofcane , les plus beaux jar- dins de la nature formés dans les terribles Alpes , jufques au pied des neiges & des glaces éternelles , ôc les progrès ra- pides de l'agriculture depuis un demi-fiecle 540 DE LA Composition dans le terrein graveleux de l'Angleterre , démontrent allez les avantages de cette difpofition. Mais pour rappeller les terres éparfes & fubdivifées à l'infini , à la réunion nécef- faire à cet établifTement des Cultivateurs au milieu de leur champ, établiflement : donc l'avantage eft fi important pour l'intérêt gé' néral ôc particulier , il s'élèvera d'abord un fantôme qu'il faut commencer par écarter ; c'eft celui de la fantaifie de quelques parti- culiers , déguifée fous le nom pompeux de la liberté. Il y a fi long-tems qu'on abufe de ce mot , ôc qu'on le confond avec le caprice ôc la licence , qu'il i;e fera pas hors de propos de le définir une bonne fois. Faire ce quoii peut „ c'efl la liberté naturelle ; faire ce quon veut ^ c'eft le caprice ou le defpotifm^e ; faire ce qui nuit aux autres , c'eft la licence ; faire ce quon doit ; telle ejl la liberté civile ^ k feule convenable dans l'ordre fociaU Or_, DES Paysages. 141 qui fixe le devoir de l'homme en fociété ? la Loi. Qui fait la Loi? Le Souverain Démocratique , Ariflocratique , Monarchi- que ou Mixte , fuivant les différentes conf^ titutions du Gouvernement. Quel doit être le but de toute Loi jufle ? C'eft celui de procurer l'avantage général auquel tout individu , à plus forte raifon , tout Pro- priétaire eft intéreffé à concourir. Pour^ quoi cela f parce que la condition effen- tielle de la fociété , c'efl le facrifîce que chaque individu fait d'une portion de foa intérêt à la volonté générale ; facrifîce pour lequel il reçoit en échange la pro- te£tion de la force générale , pour la dé- fenfe de fa polTefTion , du fruit de fon travail , ôc de fà fécurité perfonnelle. Telle eft la condition expreffe du contrat de fociété ^ dans lequel l'obfervation de la loi eft le plus grand intérêt de chaque individu , puifque fa vie , fa fubfîfiance , & tout ce qu'il polTéde , en dépend. C'eft 142 DE LA Composition pourquoi la lettre de la loi doit être pré- cife & facrée ; car autrement , la fociété n eft plus un contrat ^ c'eft une chicane. Mais lorfque l'utilité générale , demande que la loi foit réformée, ou augmentée , ( en obfervant fcrupuleufement toutes les formes qu'exige chaque efpéce de gouvernement , ) fi la fantaifie négative , fi le liherum veto d*un particulier peut mettre une entrave au bien général , ce n eft plus une So^ ciété y c'eft une anarchie. Tels font les principes : voici l'exem- ple appliqué à la circonftance dont il s'agit. En Angleterre, où on pouvoit fe piquer au commencement de ce fiécle d'être auffi libre qu'ailleurs , on a bien fenti que pour procurer la réunion des terres par la volt des échanges refpe£lifs , il n'étoit pas pol^ fible de laifTer un champ libre à la fantaifie particulière. On a donc été obligé d'or- .donner ces échanges refpedifs & d'en dé- DES Paysages. 143 terminer la forme par une Loi. Cette réu- nion des terres qu'on appelle en Angleterre, le. Compaâ ^ y a été établie fucceflivement depuis $0 ans dans les Provinces différen- tes , par atles du Parlement , en prefcrivanc d'une manière fixe & légale entre les Propriétaires fur le même territoire , la forte d'échanges qu'on voit ici les gros Fermiers faire fouvent entr'eux pendant le tems de leurs baux , pour la commodité de leurs labours ; ce qui , fans offrir aucun des avantages d'un arrangement durable , foit pour la clôture , foit pour une amé- lioration fuivie 5 ne fert bien fouvent qu'à occafionner beaucoup de difcuf- fions , en jettant du trouble 6c de la con- fufion dans les propriétés à l'expiration des baux. Par les mêmes ades du Parle- ment , des Commiffaires ont été établis dans les différents diftrids , pour régler entre les Propriétaires la plus value d'un terrein fur l'autre dans les échanges ref- 144 DE LA Composition pecllfs. Mais il faudroit éviter foigneufe- ment cet établiffement de CommilTaires ^ qui parla ftabilité de leur place, leur fonc- tioti indépendante du choix des Parties , & Tarbitraire de leurs vacations , ont été à portée de fe permettre beaucoup d*abus» Ceil aux Parties elles - mêmes que doit appartenir le choix de leurs Arbitres ; quel- que foient ces Arbitres , leurs vacations doivent être irrévocablement fixées à rai* fon de tant par arpent , & tous les frais de l'échange doiveni: toujours être à la charge de celui qui la requiert , parce qu'il eft jufte que chacun paye fa convenance > comme il feroit jufte aufïi que le choix <3u lot contigu à fon domicile , fût dévolu au Domicilié de préférence à l'Etranger* Tels feroient à peu près les principaux moyens d'éviter tous les abus de la par- tialité & de r arbitraire ^ ôc de faire enfortc qu'une Loi qui rempliroit le principal ob- jet de la légiflation , celui de Tavantage général. DES Paysages. 14^ général, ne pût nuire à perfonne en par- ticulier (û). Cette contiguïté une fois établie , combien d'avantages il en réfulteroit néceflairemenc pour l'agriculture ! le Laboureur ne perdroit plus la moitié de fon tems , à courir d'une charue à l'autre ; l'exemple des jardins maraichers , ôc celui des jardins de Payfans, où le fol , quoique bien fouvent de la plus mauvaife nature dans fon principe , eil fi prodigieufement fertilifé par la préfence du Maître , & la proximité de l'habitation , qu'à peine la récolte faite d'une produc- tion, on y en fubftitue une autre; l'avan- Ça) Il eft aifc de fentir que lorfque les terres conti- gùes reviendroient à fe fubdivifer de nouveau par l'effet des partages , elles pourroient toujours fe re'unir par le même moyen ; & que fi l'e'tendue trop confidérable d'un grand Domaine ne permettoit pas de le raflembler autour d'un feul corps de Ferme , on pourroit au moins par ce moyen , le réunir en grandes pièces ^c& qui feroit toujours bien plus avantageux à la culture , que la difperfion des> terres en petites pièces. K 1L^6 DE LA Composition tage immenfe de n'avoir point de jachères, & de fertilifer de plus en plus la terre par la variété des cultures ; la facilité de fe procurer des fruits , des légumes , du laita- ge , & celle d'élever & de nourrir fans foin des beftiaux qui amélioreroient de plus en plus les engrais ; en un mot toutes fortes de confidérations réunies, conduiroient^ bien- tôt les Cultivateurs à fubdivifer tous leurs champs en difFérens enclos : arrange- ment , fans lequel il eft impoflîble d'a- méliorer la culture , & de multiplier les beftiaux (a). Les pâtures communes réunies égale- ment par la voie de l'échange, pourroient fe trouver alors au milieu des Villages ^ ( fl ) De-là vient que l'Angleterre , avec beaucoup moins de terrein que la France , outre fa propre con- fommation qui eft confîdérable à cet égard , fournit encore des chevaux , des cuirs » â( des laines i couto r^urope* DES Paysages. 147 ou du moins contigues ; ce vafte efpace y contribuerok beaucoup à la falubrité , en laifTant un libre pafiage à l'air purificateur. En entourant d'arbres , & de barrières , ces pâtures communes , ce feroit en même- tems une place d'agrément pour la pro- menade , ôc les jeux du Village ; les Ha- bitans n'auroient qu'à ouvrir la porte de leurs maifons pour y laifTer en liberté leurs beftiaux , fans avoir befoin ni de Pâtres , ni de chiens pour les garder, ôc les tourmenter. La paoïvre mère de famille , en filant fur le pas de fa porte , auroit du moins la confola- tion de voir jouer fes plus jeunes enfans autour d'elle , tandis que fa vache , fon unique polTeflion , pâtureroit tranquille- ment fur un beau tapis de verdure qui lui appartiendroit ; cette vue de fa propriété l'attacheroit à fon pays , ôc lui feroit trouver plus pur l'air qu'elle y refpire. Ces fortes de places , même en An- gleterre , font le plus agréable de tous Kij Ï4S DE LA Composition Iqs jardins Anglais : jufqu'aux animaux tout y paroît content. Venons à préfent au point eflentiel , cette jufte balance du prix des grains , avec l'inté- rêt du commerce de l'Etat^ l'intérêt des Pro- priétaires, & la fubfiftance des Manouvriers. Le commerce des produits de l'agricul- ture , importe - t - il plus à un Etat fertile que celui des Manufadures ? Sully foutint le premier fyftême ; Colbert le fécond. Si ie commerce des Manufaûures eft Jugé pré- férable , le prix des fubfiftances doit être médiocre, afin que celui de la main-d'oeu- vre étant plus bas , les produits des Ma- nufadures puiflent être vendus à meilleur marché pour obtenir la préférence dans le commerce avec l'Etranger : bien entendu qu'il n'ell ici queftion que du commerce des groffes Fabriques. Le prix des Mar- chandifes de luxe 6c de goût , n'eft déter- miné que par la mode & la fantaifie ; à cet égard la France n'a point de rivaux. DES Paysages. 14P le prix de la matière , & les journées des Ouvriers , apportent une fi légère diffé- rence dans les marchandifes de cette ef- péce de commerce, que rien n'en peutinter-. rompre le cours au détriment de la France. Si au contraire le commerce des pro- duits de l'agriculture eft jugé le plus con- venable , il faut bien tâcher d'augmenter la valeur de ces produits par la liberté dz leurs ventes _, afin que la fomme réful- tante de ce commerce augmente la mafTe de la ricliefFe de l'Etat ; mais en même- tems , il faut que la fubfiftance des Ma- nouvriers foit établie de la manière la plus alTurée. La juflice oblige de convenir , que ta fupprejjion d'un régime qui venait de don- ner lieu à des abus cruels ^ & la dejiruc- tion de toute efpece d'' entraves dans le com" merce le plus important à V humanité^ étoient les premières idées qui dévoient natureile- iiîQnt fe préfenter à un homme droit 6c Kiii lyo DE LA Composition intégre. Ce fyftême étoit entièrement didé par la bienfaifance & l'équité ; il promet- toit aux Provinces ftériles des reflburces plus aifées dans le fuperflu des Provinces fertiles , & ne portant aucune atteinte à la propriété des Cultivateurs , propriété la plus facrée de toutes , puifqu'elle eft le fruit du travail , ce fyftême fembloit de- voir en même-tems modérer le prix des fubfiftances , tant par la diminution des frais de tranfport , que par la facilité des achats , & des ventes , en tout tems ôc en tout lieu , & fur - tout par TefFet de la concurrence qui eft la fuite ordinaire d'un commerce libre. L'exception à l'égard du commerce des fub- fiftances , étoit fi imperceptible , qu'elle a dû échapper facilement à renthoufiafme d'un fentiment profond , & toujours refpedable , de juftice & d'humanité. Or , cette excep- tion y c'eft que lorfque la fubfiftance eft chère ^ il y a moins de travaux y & plus de befoins ; car le commerce des travaux eft DES Paysages. i^* précifément en raifon inverfe de celui des fuhfijlances. Dans le premier , trop de Ven- deurs , trop peu d'Acheteurs ; de-là le ra- bais du prix de la journée. Dans le fé- cond , trop d'Acheteurs , trop peu de Ven- deurs ; de-là le monopole dans la vente des fubfiftances. Le falaire de la journée dépendra donc toujours de celui qui em-* ployé des Journaliers , tant qu'il y aura une aufli prodigieufe difproportion entre le petit nombre de ceux qui ont des grains à vendre , & la multitude énorme de ceux qui font obligés d'en acheter. C'eft donc à la fource da cette prodi- gieufe difproportion qu'il faut remonter, comme étant la caufe de la fîtuation mi- férable dans laquelle gémit la partie la plus nombreufe des Habitans de nos cam- pagnes. Or cette caufe, j'ai penfé lavoir trouvée , 6c je la dis , parce que rien n'eft plus intéreflant que de prévenir la fouf- france ; & de procurer le bonheur. Kiv îp DE LA Composition La plupart des terres fe font réunies fuccefiivement en grands Domaines; mais la difficulté que la difperfion des terres ap- porte à la culture, a conduit néceflaire- ment à les affermer en bloc. Tel eft peut-- être depuis n long-tems , ce principe fourd du combat perpétuel , entre la Loi de na- ture ou de fubfijiance ^ & la Loi civile ou de propriété. Telle eft peut-être la prin- cipale caufe . qui comprime fans ceffe entre la cruelle néceflîté d'expofer aux horreurs de la faim le nombre trop conlidérable des Journaliers qui font obligés d'acheter leur fubfiiîance , ou de donner atteinte à la propriété réfultante du travail , ôc à la li- berté du genre de commerce qui peut de- venir le plus important pour tout Etat où le fol eft fertile. En effet , la diftribution de nos terres eft fans doute la plus oppofée à la nature, diftribution éparpillée en petites pièces d'une part, pour la plus grande difficulté DES Paysages. 1^5 de la culture , & réunie de l'autre ea grofles Fermes pour la plus grande facilité du monopole. C'eft de -là que dérive ce conflit inévitable d'intérêts diamétralement oppofés entre les Propriétaires Ôc les Cul- tivateurs , Ôc ceux qui n'ont , ni propriété ni culture, puifque l'intérêt confiant des premiers , eft de vendre cher , tandis que l'intérêt des féconds , eft d'acheter à bon marché. J'ai penfé enfuite, que comme il ne feroit pas d'une bonne politique dans un. Etat agricole de chercher à produire le rabais des produdions , puifque ce feroit diminuer le produit de fon com- merce principal , il falloit donc chercher à intéreffer la plus nombreufe partie de la population , celle qui travaille ôc qui fouffre le plus , à la plus grande cherté des fruits de l'agriculture, en leur en don- nant à revendre. Pour cet offet, ne feroit-il pas à propos i5'4 DE LA Composition & de toute juftice , que la même Loi , qui en établifTant la contiguïté des terres , procureroit tant d'avantages aux Pro- priétaires 5 afllirât en même temps la fubfiftance de tout le monde ? Cette même Loi qui rétabliroit la contiguité par la voie des échanges légaux ^ ne pourroit- elle pas aftreindre en même-tems les Pro- priétaires, à défaut de faire valoir eux-mê- mes leurs terres , à les affermer en détail ? Et lorfqu'ils verroient néceffairement les frais de la culture diminuer , & les pro» duits augmenter par l'effet de la réunion de leurs propriétés , j'ai trop bonne opi- nion de mes compatriotes , pour imaginer qu'il en fut aucun qui pût avoir l'inhuma- nité de fe plaindre, fi la même Loi qui au- roit tiercé fon revenu {a) en réuniffant fon ( û ) L'emploi feul des jachères tierceroit le produit , fans compter la diminution de la dépenfe & de la pertç du tems , occafionnée par l'éloignement des culture». DES Paysages. ijj ferreîn , cherchoiten même-tems à garantir fes concitoyens des horreurs de la nécefllté ; & fi pour aflurer une répartition plus égale des fruits de la terre , en en diftribuant la culture à un plus grand nombre de familles, elle privoit feulement tous les Propriétai- res ^ (à défaut de faire valoir par eux-mê- mes , ) du droit rigoureux de contrainte , pour les fermages qui feroient au-defTus jd une redevance de cinq cent livres , ou de vingt facs de froment. La location des terres en petite culture peut s'opérer de tant de manières ; foit à tiers franc fi le Laboureur a fait les avances, comme en bien des endroits en France ; foit à moitié de produit , lorfque le Maître a fait les avan- ces de la femence & des inftrumens d'a- griculture comme en Tofcane ; foit en affermant une certaine quantité de terres à chaque famille du Village , comme en Pruffe ; foit en baux à rentes foncières , &c. , & toutes ces différentes locations , 1^6 DE LA Composition peuvent fe ftipuler , foit en nature , foît en argent , fuivant la volonté du Maître , qui auroit toujours pour fureté de fes ferma- ges , la récolte & la faculté de renvoyer fes Locataires faute de payement , ou pour caufe de mauvaife exploitation. Toutes ces afférentes perceptions peuvent facilement fe raffembler , même dans les plus grands Domaines , par le moyen d'un Receveur , qui moyennant une modique remife , s'en- gagera toujours à feire bon des deniers à certaines échéances ; & très - affurément cette dépenfe fixe, fera toujours bien au- deffous des frais de conftrudion , des rif- ques , & des entretiens des gros^ corps de Ferme, fuivant les me maires d*urt Concierge, L'effet de cette difpofition féroît fans doute de fe rapprocher dans Tordre civil , autant qu'il efl pofTible , de l'ordre naturel , par une plus grande facilité dans la cul- ture , & par une plus égale diftribution des fruits de k terre. Alors plus il y DES Paysages. i0 Suroît de Cultivateurs , moins il y auroit de Journaliers ^ le prix de leurs journées augmenteroit donc néceflairement par la diminution de leur nombre. Plus il y au- roit de Cultivateurs , plus il y auroit de concurrence , par conféquent moins de monopole ; le ve'ritable prix des denrées comparativement à leur rareté , ou à leur abondance effedive , fe rétabliroit donc né- ceflairement par l'augmentation du nombre de Vendeurs moins opulents, & la dimi- nution d'Acheteurs moins indigens. D'ail- leurs les Habitans des campagnes garde- roient d'abord leur propre fubfiftance , & fe trouveroient intéreiïés à la plus grande valeur de leur excédent j c'eft alors que la liberté du commerce des grains pour- roit s'établir fans la réfiftance de cette Loi antérieure à toute argumentation , & à toute convention humaine : la nécessité QUE TOUT CE QUI RESPIRE SOIT NOURRI. I^S DE L A Co M P OS ITI ON Bientôt la commodité de la réunion des terres , le genre des jardins payfages ^ le goût des véritables jouifTances de la nature, des plaifîrs purs exempts de regrets , ôc le fpeftacle de campagnes heureufes , ne manqueroient pas d'y ramener cette clafle de Citoyens , dont rabfence les épuife, & dont la préfence les foutiendroit. Bien- tôt on verroit des hommes éclairés ne pas dédaigner de mettre la main à la charue , & par la réunion de plus de moyens , & le fruit de leurs expériences raifonnées , ils ne pourroient manquer d'étendre infiniment les progrès de l'agriculture , ce premier & cet unique fondement de la population , de tout commerce certain , & de toute puiffance folide & durable (a), (fl) s'il arrîvoît un tems , & peut i être n'eft-il pas éloigné ! où toutes les nations Européennes fe trouvalTent réduites à leur valeur intrinfeque , où le commerce cefTant d'être meurtrier, ne fût plus qu'un objet de fociété & d'échanges entre les hommes , DES Paysages. i;p Les habitations des Cultivateurs heureux & tranquilles , s'éleveroient bientôt au milieu de toutes leurs cultures réunies 6c contigues. Leurs champs leur deviendroient par-là aufli faciles à cultiver que leurs yjr- dins ; les troupeaux de toute efpéce , tran- quilles ôcfans Gardiens, fe multiplieroient & s'engraifleroient dans les enclos fous les yeux du Maître. Et dans le fait : pourroit-il cxiller un féjour plus agréable , plus convenable à l'homme fage , que celui ■^^^^^■^^^^^M^»»^»^— ^^B^i^— p.» ■ ■■ I ■■■■■I. 'l • 11—^^1^ que d'avantages alors pour la Nation agricole , dans laquelle on auroit eu d'avance la fagelTe de pre'parer l'amélioration , & le commerce des cultures , tant par la difpofition du terrein , pour la plus grande facilité de l'agriculture , que par la répartition d'un impôt Am- ple 6c précis > dont le tarif établi fur la baze égale de l'évaluation des capitaux, aflureroit au Cultivateur, au-deflus du Rentier qui ne fait rien , un bénéfice toujours proportionné à fon travail , & le mettroit ainfî que le Rentier , à l'abri des chicanes fifcales accumu- lées fur les campagnes , où rinduftrie fe trouvera toujours étouiFée , tant qu'elles feront expofées à la crainte âc aux tourmens de Varbitrain» îS'O DE LA COMPOS. DES PaYSAGES* d'une maifon d'un genre fimple & rural ^ au milieu d'un payfage doux & tranquille ? Un fîmple petit chemin à travers les haies & les ombrages des enclos , pourroit eon* duire fucceflivement à jouir d'une manière intéreflante ôc variée , tantôt des différens afpcCls du payfage j tantôt du fpeâacle tou- jours animé de la culture des champs. Ce feroit alors qu'en s'épargnant les maladies , l'ennui, les dépenfes inutiles, la perte de tant de terrein dans de vaftes & triftes parcs , & fur-tout en écartant la mifére , & rame- nant le bonheur, on auroit véritablement mérité le prix,en joignant l'agréable à l'utile. Peut - être à force d'avoir épuifé toutes les folies , arrivera-t-il un jour où les hom- mes feront affez fages , pour préférer les vrais plaifirs de la nature , à la chimère ; ôc à la vanité. Ainfi foit-iL